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ŒUVRES
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JEAN LEMAIRE DE BELGES
imbHéef par
J. STECHER
Membre de l'Académie royale de Belgique
TOME DEUKIEMB
LES ILLUSTRATIONS DE GAULE ET SINGULARITEZ DE TROYE
DEUXIÈME ET TROISIÈME LIVRE
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LOUVAIN
IMPRIMERIE DE J. LEFEVER
30 — an »N okPMLiiit — 30
1882
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PROLOGUE DU SECOND LIURE
DES ILLUSTRATIONS DE GAVLE, ET SINGVLARITEZ DE TROYE.
Oaidius libro zt. TrantformatioDum.
Nunc humilis veteres tantummodo Troia ruinas. Et pro diuitiis, tumulos ostendit atiorum.
Ores Troye humble et basse, en ses trésors terrestres Ne monstre que ruïne, et tombeaux des ancestres.
A la flevr de toute tresclere, et tresdouce ieunesse virgi- nale et féminine de France, Mercure iadis réputé Dieu deloquence, dengin, et de bonne inuention, Salut. Comme ainsi soit, que par tiltre de héraut, et interprète des Dieux supérieurs, iaye pieça de mon plein gré promis de fournir à vous Princesses, dames, et damoiselles, de la tresnoble langue et nation Gallicane et Françoise, trois présents au
II. 1
2 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
nom des trois Déesses, lesquelles eurent iadis différent de leurs beautez et prééminences : si en feirent iuge Paris Alexandre, filz du Roy Priam de Troye. Lequel par iuge- ment abusif, préféra Venus, cestadire beauté corporelle et Tolupté sensuelle, aux deux autres Déesses, luno et Pallas, qui signifient science spirituelle ou vertu intellectiue, et richesses de domination temporelle. Pour lesquelles mien- nes promesses accomplir, lannee passée ie macquitay de la première, et feis imprimer, tant à Lyon comme à Paris le premier liure des Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye, desia publié et diuulgué par tout ce Royaume, et ailleurs. Par la teneur duquel on voit clerement, que tant et si longuement, comme Paris meit son estude à contem- pler la beauté de Pallas, il fut vertueux et bien moriginé : mais depuis quil arresta du tout son regard sur la corpu- lence de Venus, cestadire, de la belle Heleine, laquelle il rauit et détint iniustement, en brisant et corrompant le sien mariage, et dautruy : il desprisa aussi tout ensemble, le merueilleux pouuoir de la grand Déesse luno, qui domine sur iustes quereles, prouesses, puissances, et conquestes cheualereuses, et loyaux mariages. Parquoy il encourut tout à vue fois lindignation des deux plus vertueuses Dées- ses : dont icelles ainsi mesprisees, luy furent abonne cause contraires et ennemies : et bien luy rendirent vengeance méritée, qui fut la ruine et destruction totale de luy et de son parentage, comme vous verrez en ce second volume. Et congnoitrez, tresbenigne flouriture Françoise, quelle différence il y ha entre Venus dame de mollesse et de la- scheté tresdamnable, et lautre Venus Déesse damours et de beauté pure et nette, qui sentend de vraye amour coniugale et licite. Et ce vous apperra clerement, par la diuersité des mœurs, et des conditions des deux femmes de Paris de
SINGYLARITËZ DR TROYE. LIVBE II. 9
Troye : desquelles la première estoit sa compaigne iuste et légitime par loyal mariage : cestasauoir la treslouable Nymphe Pegasis Oenone : laquelle combien quelle fust répudiée à grand tort, par son mary, vescut neantmoins vertueuse, et perseuera en sa foy et loyauté, iusques à lextremité de sa mort, trespiteuse et treshonnorable. Et lautre, cestasauoir Heleine tresdesloyalle et tresuitupe- rable de toutes parts, si elle vescut en grand honte, enco- res fina elle en plus grand malheur et misère. Lequel exemple doit estre de grand efficace enuers toutes nobles dames. Vous donques, ô treselegante et tresdelicate no- blesse Royale et Ducale, qui représentez en ce grand Royaume vne autre Venus terrienne, vne clere estoille ves- pertine et matutine : et qui décorez ces mondaines régions, autant comme la clere planette Vénérienne embellit le ciel, prenez en gré le présent que ie vous enuoye de par la Déesse Venus, laquelle vient à toutes choses qui ont estre et nature (1) : non pas celle Venus qui fut mariée à Vulcan le feure des Dieux, qui forge les foudres et tonnoirres de lupiter, et laquelle fut iadis tant amoureuse de Mars le grand Dieu des batailles : car celle Déesse est trop gaye, et trop mignote et lasciue : et pour ceste cause suspecte à toute honnesteté matronale. Si disent les poètes, quelle est mère de Cupido le Dieu damours, lequel ha mauuais bruit de traire aux ieuues gens ses flesches empoisonnées de son arc mortifère, et faire beaucoup de maux parmy le monde : car elle nest pas tousiours ceinte et liée de sa riche ceinture appellee Ceston, cestadire, chasteté nuptiale, qui la garde destre vagabonde et dissolue. Mais lautre bonne Déesse,
(1) L'intitula du prologue dans l'éd. 1512, porte : « dédié à très clere princesse, madame Claude, première fille de France. »
4 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
tresuenerable, laquelle ne préside sinon aux saints mariages légitimes, est sans tache et sans macule, comme celle que les Rommains iadis honnorerent de temples et de sacrifices publiques, (1) et lappellerent Venus verticorde : Cestadire, tournant les cœurs des nobles matrones, et mères de famille, à toute inclination de bien et dhonneur : et icelles retirant de folles pensées. Tellement que par le bon motif de ladite Déesse, toutes dames ont puissance de conuertir et refréner par leurs douces persuasions et nobles contenemens les coeurs des hommes aucunesfois enclins à follojer. Et par leur bon exemplaire induire toute la séquelle de leurs pucelles et filles et familières, à bonnes mœurs et à la reuerence et obseruation de pudicité et fidélité matrimo- niale, quand elles sont en ce train. Et par conséquent, à la fécondité et procréation, et belle nourriture de noble lignée, par laquelle la chose publique est gardée et preseruee de décadence, le seruice diuin continué, et plusieurs glorieuses âmes en volent au ciel, pour remplir les sièges de Paradis. (2) Lisez donc par aggreable passetemps, nobles Princesses et vostre belle suyte, les ruines de Troye bien vérifiées, par claritude certaine plus que onquesmais ne furent, en atten- dant que la tresgrande et tresriche Déesse luno vous en- uoye le tiers liure, par lequel sera congnue la ressourse et restauration de Ihonneur de Troye, faite par les Princes Francus, Bru tus, et Bauo, voz principaux ancestres et parens, qui depuis la désolation de leur pais vindrent habi- ter en Gaule : et dont les rayz des vertus se réfléchissent et reuerberent en leur postérité, cestadire en la refulgence
{\) fublieqw» {éd. 1512).
(2) Mdme ponctuation bizarre de cette longue période, dans le ma- nosorit de Genève et dans les plus anciennes éditions.
SINGVLARITBZ DE TROYE. UVRB 11. 5
de vous et des vostres, qui resplendissez au monde, comme fait la belle estoille iournale dite Venus, autrement Hespe- rus, ou Lucifer, cestadire portant lumière precurseresse du Soleil et de laube du iour : laquelle est le droit souhait des Pèlerins, lespoir des nauigans, le désir des laboureurs, et soûlas de tout le genre humain. A tant tresbenigne audience de noblesse féminine Gallicane et Françoise, le premier Moteur des choses vous doint toute félicité. Escrit aux champs Elysiens, là oti sont Priam, Hector, Francus, Si- caraber, Brutus, et Bauo voz progeniteurs, iadis yssus de Troye, auec leurs trescheres compaignes, sœurs, nièces, et filles, le premier iour de May, Lan de grâce, Mille cinq cens et douze. (1)
(1) Dans l'édition de 1512, ce prologue est précédé du privilège accordé par Louis XII à Jean le Maire et daté de Blois, l" mai 1512. A la suite de cette teneur du privilège ottroyé, on lit : « Lacteur de ce présent livre a communiqué son privilège royal en toute ample manière comme il a obtenu du roy à Geufroy de Marnef Libraire juré deluni- versité de Paris, etc. w Le manuscrit de la Bibliothèque de Genève débute, sans prologue, par ces mots du 1" chapitre du second livre : « Çiuand le cler soleil Jih de Hiperion »
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
LES NOMS DES ACTEVRS ALLEGVEZ EN CE SECOND LIVRE. (1)
Virgile, en ses Eneïdes.
Dares de Phrygie, en Ihistoire de Troye.
Homère, en son Iliade, translaté en prose par Laurens Valle.
Dictys de Crète, en Ihistoire de Troye.
Guide, en lepistre de Paris à Heleine, et en sa Métamorphose.
Bocace, en la Généalogie des Dieux.
lean Baptiste Plus, sur lexposition de Fulgentius Placiades.
Euripides, en la tragédie d'Iphigenia, translatée par Erasme de
Roterodam. Christofle Landin, commentateur de Virgile en ses Eneïdes. Diodorus Siculus, en ses Antiquitez. Antoine Volsc, commentateur d'Ouide, sur lepistre d*Oenone à
Paris. Herodotus Halicarnasseus, prince des historiens Grecz. Seneque, en sa première Tragédie. Nicolas Perot, en sa Cornucopie. Plutarque.
Donatus, expositeur de Virgile. Thucydides, historien Grec. Lactance.
(1) L'ëdition de 1512 ajoute : « Sensuivent les noms des bons acteurs alléguez en ce second livre des illustrations de Gaule et sin- gularitez de Troye : par les escriptures desquelz toute la substance de c« livre a esté cueillie. »
SINGVLARITBZ DE TROTS. LITRE II. 7
laques de Bergome, au Supplément des chroniques. Higinius, en son liure d'Astrologie poétique. Bernard de Bridembach, en son Voyage de Hierusalem. Strabo, en sa Géographie. Pline, en Ihistoire Naturelle. Vhertin, sur lepistre d'Heleine à Paris. Philostratus, en la vie d'Apollonius Thyaneus. Martianus Capella, au liure qui se intitule des noces de Mer- cure et Philologie, Isidore, eu ses Etymologies. Platina, en la vie des Papes. Seruius, commentateur des Eneïdes de Virgile. Dion de Pruse, en son liure qui est intitulé de Troye non prinse. Eusebius, en son liure des Temps, lulles César, en ses Commentaires. Isoerates, orateur Grec allégué par laques de Bergome. Marsille Ficin, en ses Epistres. François Philelphe, translateur de Dion de Pruse. Persius, es Satyres. Néron, en ses Troyques. (1)
(\) L'édit. 1512 ajoute : «xxxvii acteurs autenticquea. » « De peu assez. »
LE SECOND LIVRE
DES ILLUSTRATIONS DE GAVLE ET SINGVLARITEZ DE TROYE :
Composé à llionneur et intention des nobles dames de la nation Gallicane et Françoise, par lean le Maire de Belges, trea- humble Secrétaire et Indiciaire, ou Historiographe, de très- haute, tresexcellente, et treschrestienne Princesse madame Anne, par la grâce de Dieu deux fois Rojne de France, Duchesse héréditaire de Bretaigne, etc. Lequel liure ledit Acteur ha intitulé et dédié expressément au nom tresexcel- lent et tresgracieux, de tresclere Princesse, madame Claude première fille de France, et le luy ha présenté au chasteau Royal de Blois, le premier iour de May, lan mille cinq cens et douze.
CHAPITRE I.
Narration du retour du Prince Antenor de Grèce, auec recitation de lexploit de son ambassade. Du conseil donné par Paris Alexandre sur ce, et de lappareil fait pour aller en Grèce, par le consente- ment du peuple de Troye, et au contredit du Prince Pauthus, Hele- nus et autres. Du partement de Paris, Deïphobus, et leurs com- paignons. Et du congé prins par Paris de sa compaigne la Nym- phe Pegasis Oenone. Auecques vue exclamation contre laueuglee emprise du Roy Priam.
Qvand le cler Soleil filz d'Hyperion, et neueu de Titan, faisant son cours parmy le Zodiaque, eut tant seiourné es parties méridionales, quil attaingnit la queue des Poissons,
10 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et commençoit desia à retourner les frains de ses nobles cheuaux vers nostre climat et hemispere , exterminant toute froidure brumale, et que Neptune souffroit le nauiger parmy ses vndes sallees : nouuelles vindrent en la grand cité de Troje, que le Prince Antenor, et les enfans de Priam, et autres gentilzhommes, qui estoient allez auec luy, tant pour conuoyer les Princes de deçà la mer, comme pour fournir son ambassade en Grèce, ainsi que dit est dessus en la fin du précèdent liure, estoient de retour au port de Sigee. Alors le tresualereux Prince Hector, auec la plus part de ses frères, et aussi le gentil Iphidanas, Glau- cus, Archelaus et les autres enfans d'Antenor montèrent à cheual, et allèrent au deuant dudit Prince Antenor, iusques au port dessusdit : là ou ilz le festoyèrent (1) et bienuien- gnerent, et lamenerent en la cité, iusques dedens son hos- tel : auquel il demoura pour ce soir, sans monter au palais : et se refreschit auec sa femme, madame Theano, sœur de la Royne Hecuba.
Le lendemain matin le Roy Priam feit conuoquer tout son conseil, pour estre présent à la relation que feroit An- tenor sur le fait de sa légation. Chacun obtempéra au com- mandement du Roy, et se trouuerent au palais, mesmement le Prince Hector, et tous les autres enfans légitimes, et pareillement les bastards. Le baron Antenor partit de son bostel, accompaigné de ses enfans, et de deux autres grans seigneurs de Troye : cestasauoir le vieillard Anchises père d'Eneas, iasoit ce quil fust aueugle, et le sage Panthus père de Polydamas. Ainsi monta Antenor au palais, si trouua le Roy assis en son throne Royal, auquel il feit la reuerence : et après ce que le Roy luy eut dit bienuien-
(1) /estierent (mscr. de Genève et éd. 1512).
SINGVLARITKZ DE TROTE. LIVRE U. If
gnant, et commandé de sasseoir, grand silence fut faite. (1) £t lors en pleine audience, il commença à conter et relater bien au long lexploit de son ambassade, et les responses, tant du Roy Telamon de lisle de Salamis, comme des autres Princes de Grèce, ses parens et alliez : et les recita par grand éloquence, vne pour vne. Lesquelles en somme toute estoient pleines de refus, opprobres et menasses. Et après les auoir ouyes et entendues, le Roy fut parfondement in- digné. Si demanda aux Princes de son sang, et autres de son priué conseil, quelle chose il leur sembloit sur ce estre à faire (2) : Et consequemraent interroga ses enfans, sur ceste matière. Car bien en voulut auoir aussi leur opinion. Et premièrement sadressa à son aisné filz Hector, et puis aux autres. Les vns dirent dun, les autres dun autre, selon diuers sens, aages et affections. Et allega vnchacun ses raisons, desquelles escrire ie me déporte : car assez dautres en ont fait ample mention. Mais quand Paris deut parler à son tour, il dit en ceste manière :
« Mon tresredouté seigneur et père, limbecilité de mon foible entendement, répugne à pouuoir discuter si haute chose. Sur laquelle messeigneurs, qui icy sont, ont desia si magnifiquement opiné. Toutesuoyes, souz la bénigne sup- portation de ton trescremu commandement, et correction des mieux sauans et des plus expérimentez, ien diray deux mots : Cest quil me semble, que liniure à toy inférée ius- ques à ores par les Grecz, en détenant madame Hesionne ma tante, doit estre réputée de grand importance : mais non pas encores en degré suppellatif, attendu que point nauoies encores requis les détenteurs de la rendre. Mais
(1) /aict {éd. \5\2),/aicte (niscr. de Genève).
(2) affaire (mscr. de Oendve ei éd. 1512).
If ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
maintenant que par ton ambassade et légat solennel, Hz ont esté semons et sommez de ce faire, et à ce ont esté non seulement contredisans, ainçois de nouuel irritans ta hau- tesse, par paroles ignominieuses et pleines diniurieuses reproches, il appert clerement, que l'ire de ta maiesté prouo- quee par redoublé vitupère, de tant moins doit tolérer si grieue infliction dopprobre, comme ton sceptre est plus haut et plus eminent, que de nul autre Prince d'Asie ne d'Europe. Et à ce te doiuent animer la populosité de tes Royaumes, la forteresse de tes citez, lopulence de tes richesses : et prin- cipalement le nombre et magnanimité de tes enfans, dont le suis le moindre : et aussi la prouesse du demeurant de tes cheualiers et barons. Lesquelz comme ie croy, ne veulent, ny doiuent vouloir, que la haute dignité de ta couronne soit ainsi deffoulee, et que lorgueil et arrogance Grecque demeure impunie, ains tous dun vouloir deuons appeter que la vieille inimitié, et ancienne hayne, soit esteinte par nouuelle ven- geance. Et pour ce faire, de tous les moyens quon peult imaginer à la guerre, ie ny en voy point de plus propre en ce cas, que de leuer marque sur eux. (1) Laquelle chose se peult faire aisément, en prenant aucune des plus nobles femmes de Grèce, pour prisonnière. Car alors ce quilz te refusent obstinément, monseigneur, ilz requerront de plein gré que tu prennes pacifiquement, par manière de commu- tation. Et de ces choses ây ie maintenant seure coniecture, et espoir infallible. Quand ie réduis à souuenance, que autresfois en vne vallée des montaignes Idées, où iay prins ma nourriture, par vision ou autrement, la Déesse Venus me feit promesse de chose seruant à mesme propos. Cesta- sauoir, que la fleur des femmes de Grèce, tomberoit vne
(1) mareare, prendre par droit de marque ou de reprôsaille».
8INGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 13
fois entre mes mains. A laquelle emprise, sil te plaist entendre, mon tresredouté seigneur et père, ie moffre de grand cœur dicy et desia daccompaigner celuy ou ceux de messieurs mes frères, ou autres ausquelz il te plaira en donner la charge. Tant pour le désir que iay de voiretcon- gnoitre du monde, comme pour le grand zèle qui me fait appeter la réduction de madame Hesionne : et aussi pour lesperance que iay de mayder à conduire la besongne à bon eflfect : et de voir le bout à layde des Dieux, à la louenge de ta haute seigneurie, mon tresredouté seigneur et père, et à la confusion des Gréez, noz anciens ennemis. »
Le parler du ieune adolescent Paris Alexandre fut re- cueilli en saueur et beniuolence, et fort exaucé par la plus part des assistans : et encore mieux soustenu par son frère Deïphobus. (1) Tellement que à ce iuuenile conseil sarresta le plus grand nombre des Princes : ou pource que les desti- nées le vouloient ainsi, ou pource que prospérité désire tousiours choses nouvelles. Si louèrent la grand prudence, et belle faconde de Paris, et son hardy entreprendre : mes- mement le Roy Priam, par dessus les autres, lautorisa : meu de voulante aueuglee : affection vindicatiue, inflation dorgueil : et impatience de prospère oisiueté. Pource que à sa clere félicité autre chose ne luy sembloit porter obom- bration, sinon la rigueur que les Grecz luy tenoient, quant à la détention de sa sœur Hesionne. Si parla haut et cler, et dit : que louuerture faite par son filz Paris Alexandre, luy sembloit tresbonne : et que son opinion estoit, de la mettre à exécution. Plusieurs se y assentirent, voyans linclination de la voulante du Roy. Mais aussi en y eut aucuns qui repuguoient au contraire. Entre lesquelz, Hele-
(1) Deiphebus (mscr. de Genève et ëd. 1512).
i4 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
nus le tresprudent vaticinateur estoit le principal et le plus constant. Car par son grand sens et clergie, il preuojoit les destinées futures : et par sa science entendoit le chant des oyseaux et la signification de leur vol, comme met Virgile, au m. des Eneides, disant :
Troiugena interpres diuûm, qui numina Phœbi, Qui tripodas, Clarii lauros, qui sidéra sentis. Et Tolucinim lingaas, et prsepetis omina penn».
Parquoy il prophetisoit, que si Paris amenoit femme de Grèce, que les Grecz la viendroient recouurer à main armée, et demoliroient la noble cité d'Ilion : et que tous leurs parens et leurs frères, mourroient par main ennemie. Mais dautre part, lenfant Troïlus le plus ieune de tous soustenoit fort le conseil de Paris ; et autorisoit sa sentence à toute puissance : comme met Dares de Phrygie au com- mencement de son histoire.
Or recite iceluy Dares, sur ce raesme passage : que le Roy Priam, pour mieux coulourer son emprise, feit conuo- quer la plus part du peuple de Troye, deuant son palais : et illec leur feit une longue harengue sur ceste matière : et leur remonstra toute la somme de son intention. Et pour les plus encourager, leur fait encores reciter par Antenor, les iniures quil auoit receûes par les Grecz, en faisant son ambassade. Lesquelles choses ouyes, le populaire tout à vue voix tumultueuse sescria, quon en prinst vengeance, et que point ne tiendroit à eux, que le Roy ne fust seruy en celle guerre. Toutesuoyes le sage vieillard Panthus, qui estoit lun des grans seigneurs de Troye, répugna fort, en remonstrant et allegant publiquement au Roy Priam, et à son conseil, ce quil auoit ouy dire iadis à son père Euphor- bus, tressage vaticinateur, et tresprudent homme, cestasa-
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 15
uoir que si Paris Alexandre amenoit femme de Grèce, que ce seroit la totale destruction des Troyens : en disant, que trop mieux valoit viure en paix, que par affection désor- donnée se mettre en hazard de perdre sa liberté. Mais ce nonobstant le Peuple ne donna point daudience à lautorité de Panthus, ains persista en sa première conclamation . Alors le Roy Priam les loua de leur bon vouloir, et leur en rendit grâces : si les renuoya chacun en son hostel. Ce fait, le conseil et la tourbe populaire se desempafa : et tantost après (1) fut donné charge à Phereodus (2) le bon charpentier, filz du feure Harmonides, et amy de la Déesse Minerue : comme met Homère, au cinquième liure de l'Iliade, de fair venir grand maisrein (3) de la forest Ida, pour rabiller les nauires qui estoient es ports de Phrygie : et en faire de neuues si mestier estoit iusques au nombre de vingt. Lesquelles nauires ainsi quelles furent malheureuses à tous les Troyens, communément aussi y participa en malheur ledit ouurier Phereodus : car il fut tué pendant le siège de Troye.
0 Roy Priam, autrement bon Prince, et le meilleur des meilleurs, ne vois tu point que Fortune trop blandissante, laquelle ha esleué ton throne iusques aux cieux, ne t'ha ramené ton filz Paris des montaignes Idées, où il gardoit les bestes, pour autres fins, sinon à ce que son ieune con- seil peu pesé en la balance de raison, preparast à ta pros- périté le lacs de trebuchement merueilleux ? 0 hauteur de courage trop magnanime, enflé de gloire prospérante, qui te fait appeter tardiue vindication de torsfaits (4) inueterez.
(1) après supprimé dans le mscr. de Genève.
(2) Pherecleus (mscr. de Genève et éd. 1512).
(3) maisrien (éd. 1512) — Materia^ bois de charpente.
(4) forfaiU (macr. de Genève).
16 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Tu commandes appareiller les instrumens de ta désertion : tu fais adouber nauires, qui tamenront la désolation de ta bienheureté : Ne te souuient il du songe de ta femme ? Na- contes (1) tu à loracle de Delphos, ny aux vaticinations de Calchas ? Mesprises tu les prophéties de Tymetes et Hele- nus tes sages enfans, et de Euphorbus iadis ton bon cy- toien ? As tu oublié la prémonition des Dieux tes amis et bienuueillans, lesquelz par tous deuoirs se sont efforcez des- taindre le brandon de flambe viue, lequel embrasera ta cité, et ta personne propre ? Et tu mesmes le viuifîes, tu mes- mes luy prestes aliment, et matière de nourriture. Certes ton heur trop resplendissant t'ha aueuglé, le voile de non suffisance t'ha bendé les yeux. Et Fortune peruerse et mua- ble, pour donner exemple perpétuelle à tous Princes tes successeurs, se veult iouer de toy.
Et ce preuoyant la noble pucelle Cassandra, pleine des- prit de prophétie, à manière dune Sibylle, fort deuote au Dieu Apollo et à la Déesse Minerue, et constituée la sou- ueraine aux sacrifices de leurs temples, comme tesmoigne Dictys de Crète en son quatrième liure (2) de Ihistoire Troy- enne : Des quelle sceut larrest de lemprise, menoit vn dueil non appaisable, et cryoit assez alencontre, disant comme les autres : Cestasauoir que Paris seroit frappé dun dard venant du ciel, comme tesmoigne Guide en lepistre de Paris à Heleine, en la personne de Paris :
Hoc mihi (nam recolo) fore vt à céleste sagitta Figar, erat verax vaticinata soror.
(1) naeomptes {macr. de Genève).
(2) ni» (mscr. de Genève et éd. 1512).
SINGULARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 17
Et disoit oultreplus, que si Paris alloit quérir femme en Grèce, Troye en seroit vne fois destruite. Mais cestoit en vain, car son parler nauoit point daudience, ainçois comme recite Dares Phrygien, fut ordonné par le Roy Priam, que Hector sen iroit en la haute Phrygie pour cueillir des gens- darmes, et Paris Alexandre, auec Deïphobus passeroient la mer Propontide, et iroient iusques en Peonie, pour pareil- lement assembler souldoiers et gens de guerre. Laquelle chose fut faite en toute diligence. Et ce pendant Eneas fut occupé, par le commandement du Roy à faire fourniture de viures nécessaires au voyage, et de grand quantité dinstru- mens de guerre : tellement quen petit de temps tout le nauigage fut armé et equippé en perfection, au moyen de la bonne diligence que les ouuriers y feirent. Et furent les ga- lees accomplies du nombre de gens propices à la rame. Si ne restoit que les capitaines et gens de guerre, lesquelz arri- uerent à chef de pièce, dont Hector en amena vne partie de la haute Phrygie : et Paris et Deïphobus lautre du Royaume de Peonie, lequel depuis fut appelle Pannonie, et mainte- nant se nomme Hongrie, selon lopinion daucuns, comme plus à plein sera touché au dernier liure.
Quand donques le Prince Hector fut retourné de la haute Phrygie, à tout ses gensdarmes, et Paris et Deïphobus de Peonie ou Hongrie, à tout les leurs, comme dessus est dit, et que le beau printemps propice à nauiger fut refloury, le Roy Priam, manda quérir les capitaines et centurions de son armée, et leur bailla pour son lieutenant gênerai, son filz Paris Alexandre, et pour laccompaigner y enuoya aussi son frère Deïphobus, Eneas filz d'Anchises, et Polydamas filz de Panthus comme met Homère, au xv. liure de l'Iliade (nonobstant que communément par erreur on tienne ledit Polydamas âlz d'Antenor), auecques le patron de la galee, n. J
18 V ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
qui auoit mené Antenor en Grèce, comme met Dares Phry- gien. Dictys de Crète en son m. liure, dit, que aussi alla auec les dessusdits, Glaucus filz d' Antenor, oultre le gré de son père, auquel il ne plaisoit point, craingnant parauenture la rudesse des Grecz : tellement que au retour dudit Glau- cus, son père ne le voulut plus ne voir ne ouyr, pource quil auoit transgressé son commandement. Dares de Phrygie, met que ledit Roy Priam commanda à Paris que première- ment il se transportasten la cité de Sparte, ouLacedemone, enuers messieurs Castor et Pollux, enfans du Roy Tynda- rus de Oebalie, et frères germains de la belle Heleine, les- quelz auoient esté à la prinse de madame Hesionne, et que iceux il sommast de la faire rendre. Et en cas de refuz que incontinent Paris enuoyast vn message à Troye, pour len aduertir, à un de renforcer plus grosse armée, pour luy enuoyer secours. (1) Toutes lesquelles choses faites et tenues les plus secrètes que possible fut, sans diuulguer le princi- pal de leur emprise, vn beau matin, que le vent fut bon et propice, chacun print congé de ses parens et amis, Eneas de son père, Anchises, de sa femme Creusa, Polydamas de son père Panthus, Glaucus de ses amours et de ses frères : Car son père ne luy voulut donner congé : Deïphobus aussi et Paris, du Roy et de la Royne, de leurs frères et sœurs. Et quand ce vint à dire adieu à la noble Nymphe Pegasis Oenone, qui du secret de lemprise, touchant le rauissement daucune femme de Grèce, estoit ignorante, les grosses larmes ou par vraye amour, ou par feintise, tombè- rent des yeux à Paris : et aussi la gracieuse Nymphe plou- roit inconsolablement, du dueil futur que son cœur luy
(1) Depuis Toutes... jusqu'à laccoUer (p. 19, 1. 7), lacune dans le nuor. de Genève.
SINGVLARITBZ DE TROYB. LIVRE II. 19
apportoit couuertement. Assez sentreaccollerent, et assez sentrebaiserent les deux amans : et ne les pouuoit on sépa- rer lun de lautre. Les gens de Paris disoient souuent à leur seigneur, que les patrons auoient vent à gré, et que les mariniers le pryoient de se haster. Son frère Deïpho- bus, Eneas, et les autres aussi, ladmonnestoient de partir. Et Paris disoit au contraire : quil congnoissoit bien que le vent nestoit pas encore prospère. Dont ilz se prenoient à rire de bon cœur, voyans que lamour de la Nymphe le detenoit, vne fois la laissoit, puis retournoit, pour laccoller. Finablement quand il ny eut remède de plus tarder, il luy dit bassettement vn piteux adieu, qui à peines luy peult sortir de la bouche, pour les souspirs qui laggressoient : et elle pareillement, comme si ce fust vn présage et signifiance de perpétuel diuorse et séparation, dune voix simple et casse, interrompue de sangloux en grand fréquence et mul- titude, ne luy peult dire autre chose sinon : « Mon cher seigneur et mon amy, les Dieux soient auecques toy : et te vueillent bien conduire. » Lors se partirent Paris, Deïpho- bus, Eneas, Glaucus, et Polydamas, de la cité de Troye. Et furent conuoyez par le Prince Hector et ses autres frè- res. Si sadresserent vers le port de Sigee à grand triomphe et pompe. Quand ilz furent près des nauires pour sembar- quer auec leurs patrons et capitaines, trompettes, clairons, busines, tabours et bedons sonnèrent mélodieusement. Si entrèrent en leurs galees : et commandèrent aux Dieux ceux qui demouroient. Alors les mariniers tous dun vouloir louèrent leurs ancres, et tirèrent les vaisseaux hors du port à force de barquettes et rames : guinderent leurs trefz et voiles à grans criz et exclamations coustumieres. Single- rent de vent propice, qui leur donna en pouppe : et dres- sèrent la prore de leurs nauires, pour tirer de la mer Hel-
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lesponte en la mer Egée, quon dit maintenant Larchipel. Ainsi sen vont les souldars de Venus auecques leurs com- plices : Cestasauoir lun son vassal, et lautre son filz : pour faire leur emplaite vénérienne, souz la conduite de ladite Déesse. Et ce pendant la tresamoureuse Nymphe Pegasis Oenone monte sur le plus haut dongeon du palais d'Ilion, auec plusieurs dames, conuoyoit les voiles de son seigneur et mary, tant et si longuement que ses clers yeux mouillez de larmes, les peurent choisir de veiie. Faisant vœuz et prières aux Nymphes de mer, quon dit Nereïdes, qu'elles eussent son amy en garde : et aux Dieux de la marine, quilz le luy ramenassent en brief à sauueté. Mais ses prières ne luy tournèrent sinon à dommage et à perpétuel desconfort. Car le retour de Paris, ne luy apportera nulle ioye. Or laisserons nous vn peu le conte délie et de Paris Alexandre : et dresserons nostre narration à expliquer la généalogie de la belle Heleine, Royne de Lacedemone.
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CHAPITRE II.
Explication clere et ample de la généalogie de la belle Heleine : et de son premier rauissement fait en ieunesse par Tbeseus Roj d'A- thènes : et comment elle fut reaouuree par ses frères Castor et PoIIqz, sa virginité sanne : selon la commune opinion.
Selon ce que mect (1) messire lean Bocace de Certal, Flo- rentin, au cinquième liure de la généalogie des Dieux, Tynda- rus Roy de Laconique ou Oebalie, qui est en Achaie, quon dit maintenant la Moree, comme plus à plein sera touché au dernier liure, fut filz de Oebalus, qui fut d'Argulus (2) : qui fut d'Amyclas : qui fut de Lacedemon, lequel fonda Lace- demone : qui fut de lupiter deuxième de ce nom, Roy d'Arcadie, et de Taygeta fille d'Agenor, Roy des Phenicea. Et fut ledit Roy Tyndarus assez noble et puissant entre les Princes de Grèce : comme met Euripides en la tragédie d'Iphigenia. Or eut à femme ledit Tyndarus la belle Leda, dame de Therapne, fille de Thespius Roy de Tholie : comme met lean Baptiste Plus sur lexposition de Fulgentius Pla- ciades. Et eut nom la mère de Leda Androdice, fille de Glaucus filz de Sisyphus Roy de Corinthe. Dicelle Leda lupiter troisième de ce nom, Roy de Crète fut amoureux. Et selon les fables antiques, se transforma en vn cygne, cest-
,(1) Ces quatre premiers ont été omis dans le mscr. de Genève. (2) Argalus (mscr. de Genève).
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adiré il se feit beau et plaisant comme vn cygne, et chanta si doux par ses belles paroles, quelle le coucha en son giron, par tel moyen quil lengrossa : et luy feit pondre deux en- fans (1) à diuerses fois : Cestadire luy feit faire quatre enfans à deux portées : dont de lune nasquirent Castor et Pollux frères iumeaux : et de lautre Heleine et Clytemnestre sœurs iumelles selon lopinion de Bocace : mais Fulgentius Placiades dit, que dun seul enfantement nasquirent Castor, Pollux et Heleine, enfans de lupiter : mais Clytemnestre fut fille du bon Roy Tyndarus. Euripides poëte Grec en vne tragédie nommée Iphigenia, translatée en Latin par Erasme de Roterodam,(2)met que Leda eut trois filles, dont oultre les deux dessusdites, la tierce fut nommée Phebë. Et voicy les propres mots dudit Euripides :
Lsedse obtigerunt Thestiadi très filise :
Phœbe, Clytemnesti'aque quam mihi duxi ego, Heleneque.
Comment quil en soit, Tyndarus en fut le père putatif au vray : et les nourrit bien et doucement en son hostel : cuidant quilz fussent tous siens. Et aussi aucuns tiennent que Clytemnestre fut sa fille légitime, et les trois autres de lupiter.
Icelle Clytemnestre fut premièrement mariée à vn Prince nommé Tantalus. Et eut de luy vn enfant. Mais depuis, Agamemnon Roy de Mycenes en fut enuieux. Si occit le père et lenfant : et rauit la dame par force. A cause de quoy Castor et Pollux luy menèrent la guerre, et leussent destruit, se neust esté le bon Roy Tyndarus qui les meit
(1) ev,ft (mscr. de Genève). — Clitemnestre ou Clykennestre (pas- sim, ibid.).
(2) Roterdan (éd. 1512).
SINGTLARITEZ DE TROTE. LIVRE H. 0
daccord : en confermant le mariage : comme ces choses met Euripides, en la tragédie d'Iphigenia, disant en la personne de Cljtemnestre à Agamemnon :
Me non volentem, vique raptam coniugem Duxti : necato Taatalo cui nupseram Prius, ac puello sortis ex vsa ta89 Itidem perempto.
Or eut ladite Clytemnestre dudit Agamemnon plusieurs enfans. Cestasauoir Orestes et ses sœurs, Iphigenie, Elec- tra, Chrjsoteray, (1) Laodice, et autres. Mais en la fin elle traita mal son mary au retour de Troye, comme sera dit en son lieu. Touchant Phebé sa sœur, ie nen treuue rien (2). Si faut venir à Haleine.
Heleine sœur germaine, ou a tout lemoins vterine dicelle Clytemnestre, des sa naissance creut en beauté superna- turelle : tellement, que quand elle deuint grandette, fat renommée pour la plus belle créature que iamais on eust veiie sur terre. Et cest la principale raison, pourquoy elle fut dite et estimée fille du Dieu lupiter. Si fut instruite en tout artifice de lesguille, de tistre, et de broder, ainsi que filles de Princes sont communément. Et oultre ce, fut introduite au ieu de la palestre : Cestadire, de la luitte. Car par les loix de Lycurgus Roy des Lacedemoniens, les nobles pucelles du pais de Lacedemone, estoient subiettes à aprendre toutes choses viriles : Si comme à chasser les bestes saunages, à tirer de lare, à ietter le dard, et prin- cipalement à luitter. Et ce tesmoigne Christofle Landin au\ comment du premier liure des Eneïdes : et sur ce passage :
(1) Crisotomi (mscr. de Genève).
(2) trouve riens (mscr. de Genève).
1^ ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
Uirginis os hahitumque gerens, et virginis arma Spar- tana, etc. Et aussi aucuns acteurs tiennent, que le ieu de la palestre fut premièrement trouué par iceux Lacedemo- niens, pourquoy il leur estoit plus familier. Et à ce propos dit Thucydides au commencement de son liure : Laceda- monii primi corpora certaturi nudauerunt, oleoque vnxe- runt.
En ce temps là, selon les historiens, estoient en bruit et en vigueur deux ieunes Princes de grand vertu : cestasa- uoir Theseus Roy d'Athènes, et Pirithous, filz d'Ixion Roy des Lapithes. Lesquelz durant leurs vies furent tous- iours vrays amis , frères et compaignons darmes. Et auoient donné la foy lun à lautre : par tel si, que iamais ne feroient aucune emprinse lun sans lautre : ainçois sen- tredonroient secours mutuel iusques à la mort : comme il -apparut aux noces dudit Pirithous et de la belle Hippoda- mie : esquelles les Centaures moitié cheuaux et moitié hommes tous yures vouloient faire force à lespousee, si Theseus ne leust secourue, comme descrit bien amplement le poète Ouide, au xii. liure de sa Métamorphose. Apres donques que iceux deux Princes furent vefues, et que The- seus eut perdu sa femme Phedra, fille de Minos Roy de Crète : et Pirithous ladite Hippodamie, comme raconte Diodorus Siculus au cinquième liure des Gestes antiques : et Bocace, au xxxiii. chapitre du ix. liure de la Généalo- gie des Dieux, Pirithous vint à Athènes voir son amy The- seus : et feit tant par son exhortation, quilz conuindrent ensemble, et promeirent lun à lautre, par serment (attendu quilz estoient tous deux de grand noblesse, et descenduz de Ja^ligaee des Dieux : et aussi quilz cherchoient voulentiers hautes et difficiles auentures, ensemble, comme preux che- ualiers errans) quilz nauroient iamais femme espousee, si
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elle nestoît extraite sans aucun moyen (1) du grand Dieu lupiter, et silz ne lauoient conquise par force et par vail- lance : promettans de ayder lun à lautre en ceste querelle iusques à la mort. Si en feirent ilz tous deux lun à lautre vœu solennel et serment irreuocable. Or ne sauoit on plus en ce temps là des filles de lupiter viuans sur terre, fors vne : Cestasauoir la belle pucelle Heleine, laquelle estoit au Royaume de Oebalie ou Laconique. Si se meirent à chemin auec certain nombre de gens pour la conquester. La pucelle Heleine pouuoit auoir enuiron dix ans, comme met Diodo- rus Siculus au cinquième liure des Gestes antiques. Mais de son aage elle estoit desia formée en beauté céleste, et merueilleuse. Son père putatif, le bon Roy Tyndarus, dauen- ture quelque iour (2) tenoit vne grand feste solennelle : et par manière de passetemps faisoit esbatre et exerciter ses enfans masles et femelles ensemble, sus Iherbe ver- doyant, auec les autres nobles enfans de ses Barons, au ieu dessusdit de la palestre, hors de la cité principale de la seigneurie dudit Roy Tyndarus, appellee Amycla, et assez près dun temple de Diane, comme met Antoine Volsc sur lepistre de Oenone à Paris. Ainsi sesbastoit à la palestre ou luitte la pucelle Heleine toute nue, oincte sans plus dhuile doliue, auecques les autres de son aage, à la manière dadonques. Et ce tesmoigne Ouide en lepistre de Paris à Heleine, disant :
More tuse gentis nitida dum anda palsestra Ludis, et es nudis fœmina mixta viris.
Aussi tesmoigne Hérodote père des historiens, en son
(1) c.-à d. ea droite ligne.
(2) c.-à-d. certain jour.
9B ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
sixième liure, que ledit ieu de la palestre se faisoit par enfans nuds, disant ainsi : Cùm DemaratTius Aristonis Mius, eiectus regno Lacedamonîomm gereret magistra- tutn : adessetque spectaculo gymnopœdiarum,, idest, nudo- rum puerorum palastrce.
Le Roy Theseus donques, et le Prince Pirithous, les- quelz par espies secrètes auoient couuertement pourietté tout leur cas, se trouuerent à ladite feste en habit dissi- mulé : là où Theseus nota le grand et merueilleux com- mencement de beauté qui estoit en la pucelle Heleine. Si en fut esprins damour extrême, plus que deuant. Parquoy eux deux sen retournèrent promptement à leur embûche, qui estoit mussee en aucuns bois et taillis prochains : con- tèrent à leurs gens lopportunité de leur affaire. Si montè- rent sur leurs cheuaux légers tous bien armez, et vindrent soudainement donner sur le Roy Tyndarus, et sur lassem- blee, en grand bruit et tumulte. Ledit Roy Tyndarus et ses gens prins en desarroy, sans armures ne deffense, comme ceux qui de nulz ennemis ne se doutoient, ne tascherent fors de sauuer eux et leurs enfans dedens ledit temple de Diane, qui estoit là près. Mais ce nonobstant, Theseus et Pirithous obstinez en leurs affection, rompirent les portes du temple, en commettant sacrilège, et entrèrent dedens par force : et sans toutesuoyes faire mal à personne, prin- drent et esleuerent seulement la pucelle Heleine : laquelle en plourant et criant, se deffendoit au mieux quelle pou- uoit. Et quand le Roy Theseus leut assise sur le col de son cheual, et leust enueloppee de son manteau, pource quelle estoit toute nue, il donna de lesperon luy et ses gens, qui tous estoient bien montez à lauantage, tellement que à force des grandes traites quilz feirent, en peu de temps ilz furent en son Royaume et cité d'Athènes. Et incontinent
SmGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. ff
quilz y furent, luy et son compaignon Pirithous, ietterent sort auquel d'eux deux Heleine seroit espousee. Si escheut le sort au Roy Theseus, et luy demoura la pucelle, par telle condition quil promist et iura daller ayder à Pirithous en conquérir une autre.
Le Roy Tyndarus, et sa femme la Royne Leda, furent bien désolez et bien marris de liniure que faite leur auoit esté. Et seurent tantost que Theseus Roy d'Athènes leur auoit fait cest oultrage. Mais pource que iceluy Tyndarus no se- sentoit pas si puissant pour lors, quil peust recou- urer sa fille par moyen de guerre hors des mains de The- seus, il ne sceut que faire, sinon quil enuoya ambassadeurs exprès aux seigneurs et citoyens d'Athènes, leur requérir, que ayans regard à Ihonneur et dignité de Royale noblesse, et au droit de gens et de voisinage, ilz ne souffrissent point que leur Roy detinst sa fille par violence, ainçois feissent tani quelle luy fus! rendue, autrement il en demanderoit vengeance aux Dieux et aux hommes. Les Athéniens sages et prudens, et ausquelz la chose ne plaisoit point, comme met Antoine Volsc, sur le comment de lepistre de Oenone à Paris, remonstrerent à leur Roy Theseus laggrauation de liniure faite aux voisins : à fin que de luy mesmes il la reparast. Mais voyant quil estoit obstiné à retenir la pucelle Heleine par force voluntaire, ilz se déclarèrent pleinement, que point ne soustiendroient ladite Heleine en leur cité : prians à leurdit Roy, quil la transportast ail- leurs, la où seroit son plaisir. Adonc Theseus congnoissant leur délibération arrestee, fut content denuoyer Heleine autre part : ce quil feit secrètement, et la bailla à sa mère nommée Ethra, treshonnorablement accompaignee, pour la mener en la ville d'Aphidue,(l) non pas loingtaine d'Athènes,
(1) pour Aphidna. De même dans le mscr. et en 1528.
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et illec la nourrir et garder. En escriuant à son amy Aphi- duus seigneur dicelle ville, quil en feist bonne garde, ius- ques à son retour. Lequel Aphiduus receut magnifiquement la pucelle Heleine et la mère de Theseus, et les traita le plus humainement quil peut. Et pource quil restoit à Piri- thous filz d'Ixion, Roy des Lapithes, aussi vne femme des filles de lupiter, selon leurs sermons et conuenances, et que nulles nen auoit plus en terre, si ne pouuoient monter au ciel, ilz ouyrent dire que Pluton Roy des basses régions, cestasauoir de Molosse, qui est en Epyre, maintenant nommée Albanie, comme sera dit au dernier liure, dont la princi- pale cité sappelloit Dis, auoit puis nagueres rauy en Sicile, la belle Proserpine fille de lupiter, et de Ceres. Si se mei- rent prestement à chemin, pour laller conquester et tollir à Pirithous. Combien que ce ne fust point du bon gré de Theseus, sil ny eust esté astraintpar promesse. Et aussi ce fut à leur maie santé, comme raconte à plein Seneque, en sa première tragédie : Car Pirithous y fut estranglé par le grand chien Cerberus à trois testes, portier denfer : et Theseus y fut détenu prisonnier, iusques à ce que Hercules reuenant d'Espaigne le deliura. Tyndarus ce sachant, après aucuns temps que Castor et Pollux ses enfans furent assez puissans, pour porter armes, il leur bailla vne assez bonne armée, équipée au mieux quil peut, à layde de ses amis : et les enuoya recouurer leur sœur Heleine, laquelle estoit en ladite ville d'Aphidue. Et iceux deux ieunes frères, courageux et de grand vertu, exploitèrent tant par mer et par terre, quilz vindrent au Royaume d'Athènes : et commencèrent denuahir le plat païs, par tous exploits de guerre : chassoient les habitans hors de leurs maisons, et pilloient leurs biens, combien que du tout ilz nen pous- sent mais : car ilz ne sauoient aucunement en quel lieu le
SmCYLARITEZ DE TROTE. LITRE H. W
Roy Theseus auoit retiré la pucelle Heleine : iusques à ce que fînablement vn nommé Deceleus seigneur de la ville de Decelee, comme met Hérodote en son ix. liure, voyant fouler le païs et Royaume d'Athènes, et craingnant que la puissance de Castor et Pollux ne meist tout le demeurant à néant, print hardiesse dexposer ausdits deux frères toute la chose ainsi quelle estoit allée, et les mena deuant ladite ville d'Aphidue. Là ou après, le siège planté deuant icelle, combien quelle fust désensable et bien murée, neantmoins ilz la prindrent par force : comme met Nicolas Perot au VI. liure de sa Cornucopie. Et selon Diodorus Siculus, la desmolirent du tout : combien que Herodode audit ix. liure, dit quelle leur fut liuree par vn de ceux de la ville, nommé Pittacus : au moyen dudit Deceleus qui le procura. Et pour ceste raison, dit il que ceux de Lacedemone et de Decelee, furent depuis tousiours amis ensemble.
Ainsi recouurerent lesdits frères Castor et Pollux leur sœur Heleine, sans ce que Theseus leust iamais touchée, autrement que pour la baiser. Car elle estoit trop ieunette : si comme de laage de dix ans, quand elle fut prinse, comme dessus est dit. Et Bocace en lonzieme liure de la Généa- logie des Dieux sy concorde. Aussi Ouide en lepistre d'Heleine à Paris, tesmoigne quelle fut recouuree pucelle : en tant quil touchoit Theseus, disant ainsi :
Oscula lactando taatummodo pauca proteruus Abstulit, ylterius nil habet ilie mei.
Et ainsi le tesmoignent Diodore et Plutarque. Toutes- uoyes Oenone en son epistre, quelle escrit à Paris, ne croit point que le rauissement d'Heleine eust peu estre fait, sa virginité sauue : mesmement que le Prince qui la rauit estoit ieune et luxurieux, disant ainsi :
38 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
 iuueae et cupido credatur reddita virgo ?
le men rapporte à ce qui en fut. Toutesuoyes lesdits deux frères emmenèrent aussi auecques leurdite sœur Heleine, la mère de Theseus pour prisonnière : car son filz qui estoit détenu en région loingtaine, nauoit garde de la secourir.
sraGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE H. 8f
CHAPITRE III.
Du grand nombre des Princes qui demandèrent en mariage la pucelle Haleine, après son recouurement, pour la singulière beauté délie. Et qui fut celuy qui eut la première despouille de son pucel- lage auant la marier. Auec narration du chois, que son père le Roy Tyndarus, luy bailla de plusieurs Princes. Et comme elle eslut le Roy Menelaus de Lacedemone, à seigneur et mary.
Qvand donques la pucelle Heleine fut retournée en la maison paternelle au moyen du secours et vaillance de ses deux frères Castor et Pollux, tous les Princes de Grèce, d'Achaie, et des isles circonuoisines, vindrent voir le Roy Tyndarus, père putatif d'Heleine par manière de coniouys- sement. Et célébrèrent grosses festes, pour la victoire et bienuenue desdits Castor, Pollux, et Heleine. Or estoit elle parcrue en beauté, surpassant toute chose humaine. Si fut tantost conuoitee et requise en mariage, par vn grand nombre diceux hauts Princes, qui tous desiroient de lauoir, et importunoient le Roy Tyndarus par toutes manières : voire iusques aux menasses, comme met Ouide en lepistre d'Heleine à Paris, disant :
Ciiw, mea virginitas, mille petita proeis.
Et Euripides en la Tragédie d'Iphigenia ;
Heleneque at huius uuptias multi proci Petiere, iuuenes GrsBcisa opulentissimi. Ueram huic minse truces coortse, etc.
52 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Or la demandoient ilz non pas tant pour espérance du grand douaire , comme pour sa tressinguliere beauté. Laquelle estoit si esmerueillable, que le prince des poètes Homère, eut assez de peine de la bien exprimer. Et Dona- tus expositeur de Virgile, met quelle fut de si extrême formosité, que plusieurs peintres tresexpers labourans ensemble à la peindre au vif, et ayans plusieurs belles femmes nues deuant eux, ny sceurent onques parataindre. Toutesuoyes le noble ouurier Zeuxis Heracleotes, la tira en perfection après le patron de cinq pucelles eslues par toute Grèce. Le Roy Tyndarus et sa femme la Royne Leda, différèrent long temps daccorder leur fille à nul des Princes dessusdits : pource quilz craingnoient quen lottroyant à lun, les autres nen fussent malcontens, et leur feissent guerre par despit de leur reboutement. Et à ceste occasion, ne cessassent iusques à ce quilz les eussent déshéritez. Et ce fut la cause qui leur feit tenir Heleine assez plus que trop longuement sans marier. Tellement que la belle ne pouuoit plus tolérer le grand désir damours, qui solicitoit sa fleurissante ieunesse. Dont vn acteur nommé Antoine Volsc au comment de lepistre Oenone à Paris : dit quelle senamoura secrètement, dun des ieunes gentilzhommes de la maison de son père : lequel auoit nom Enophorus filz de Hicophon, tant que ledit Enophorus obtint la première despouille de sa virginité. Toutesuoyes ie ne lay trouué ailleurs : et ne scay ou il Iha prins. Et sil fut vray, si nen fut il pas grand bruit.
Finablement le père et la mère de la belle Heleine, voyans que ce nestoit pas chose seure de la tenir si lon- guement sans mary : et que de tous costez elle estoit requise : et ny auoit plus remède de différer, ne lieu dex- cuses enuers les Princes qui la demandoient : craingnans
SINGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE II. 35
aussi quon ne la leur ostast par force, comme on auoit fait Cljtemnestre, ilz saduiserent dun bon expédient, pour la loger hautement et sans danger. Car comme met ledit Antoine Volsc sur le comment de lepistre d'Heleine à Paris, en allegant Thucydides Grec son autheur, ledit Roy Tyndarus et sa femme, assignèrent à tous ceux qui lauoient requise en mariage certaine iournee de se trouuer en leur cité d'Amycla, pour mettre fin à leurs requestes : lesquelz ny faillirent point. Et à ce se concorde Dion, duquel nous auons parlé au prologue de ce second liure. (1) Entre les autres Princes y furent Agamemnon Roy de Mycenes, desia gendre dudit Tyndarus, comme dessus est dit, frère de Mene- laus Roy de Lacedemone. Apres donques les auoir festoyé en vn grand et somptueux conuiue, le Roy Tyndarus leur dist en ceste manière : « Treshauts et tresexcellens Princes, il ha pieu despieça à chacun de vous me faire cest honneur que de me demander par loy de mariage ma treschere fille Heleine. Si ay tousiours différé iusques à présent, den faire promesse à nul dentre vous mes frères et seigneurs, craingnant que dauenture en complaisant à lun ie noffen- sasse lautre, et encourusse voz indignations particulières : qui estes tous Princes et Roys de haut affaire, contre les- quelz ma seigneurie auroit bien petite durée. Or voyant que plus ne puis reculer, ie vous fais icy libéralement vne ouuerture : Cestasauoir si vous serez contens par commun consentement, de bailler loption et le choix de voz tresno- bles personnes à elle seule : Cestadire que celuy quelle nommera de son plein gré, pour son seigneur et mary, ce soit, sans contradiction quelconque. Protestant toutesuoyes sur la foy que ie dois aux Dieux immortelz, que de lun ne
(1) parlerons en le fin de ce second livre (mscr. de Genève). II. 3
3é ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
de lautre ie ne lay embouchée, ains luy en laisse et per- mets totalement son franc arbitre. »
A loffre et aux paroles du Roy Tyndarus trestous les- dits ieunes Princes dune voix unanime respondirent, quilz en estoient contens. Se confians chacun en sa beauté, ou en sa richesse, et grand parentage : et cuidant vnchacun estre le mieux aymé : car elle les auoit entretenuz égale- ment. « Or ça, messieurs donc, dit le Roy Tyndarus, puis que vostre bon plaisir se condescent à ce, vous ferez icy, sil vous plaist, serment solennel sur les images de noz Dieux, lesquelz ie feray apporter en présence, que tous et vnschacuns, ratifierez par commun accord le mariage den^ tre celuy qui sera eslu par le chois libéral de ma fille Heleine seule. Et luy porterez et ferez porter par vous et par les vostres parens, amis, et alliez quelz quilz soient, ayde, faueur, confort et garand enuers tous et contre tous, sans iamais venir au contraire. » Et ilz respondirent tous en commun, quilz le vouloient ainsi. Adonques les statues et simulacres des Dieux et Déesses anciennes furent appor- tées : et entre les autres Hymeneus, luno, et Venus, qui presidoient aux mariages. Si feirent tous lesdits Princes le serment en la forme dessus escrite, en mettant la main sur les idoles : et auec ce, burent solennellement les vns auec les autres : et selon les cerimonies ou plustost superstition de ce temps là, feirent priué sacrifice aux Dieux dessus- dits : par effusion de vin pur en terre pour plus grand approbation desdites conuenances. Laquelle chose fut la cause motiue et principale pourquoy ilz se benderent depuis tous dun vouloir contre les Troyens : comme ces choses met Thucydides Grec au commencement de son histoire, disant ces mots : Helenœ procos iureiurando Tyndari adactos. atque itemm illud venit in mentem, viro r>t
SWOTLARITEZ DE TROTB. LITRB H. 8K
coirent iureiurando proci^ atque inter ipsos iungerent dextras rei. (1)
Quand le Roy Tyndarus tresioyeux eut mené tous les- dits Princes iusques là pour sa seureté, il adressa sa parole à la belle Heleine, et luy dit en ceste manière : « 0 ma fille, tu dois bien regracier les Dieux qui te donnent le chois de nobles Princes, riches, puissans et beaux, qui sont icy, comme la fleur et leslitte de tout le monde : laq uelle chose naduint iamais à autre fille de Roy. Or puis que leur triomphale bénignité sest daigné humilier iusques là, choi- sis en lun à ton plaisir. Et veuUent les Dieux souuerains que ce puist estre en bonne heure et prospère. » A ces mots la tresgracieuse damoiselle rougit doucement, par honneste vergongne. Et sespandit (2) parmy sa clere face, vne sembla- ble couleur que noble pourpre, sur yuoire blanc. Dont elle se monstra plus belle aux assistans : si sexcusa de ce faire par plusieurs moyens. Neantmoins après ce quelle eut esté beaucoup oppressée de tous communément, et mesmement de sa mère la Royne Leda, et de Castor et Pollux ses frères, declairer sans aucune crainte ou timidité, celuy quelle eslisoit diceux Princes pour son seigneur et mary : Elle songea vn petit, et ce pendant les ieunes Princes qui branloient en espoir meslé de crainte estoient attendans par grande cupidité, la détermination de son courage : ainsi comme les litigans en court souueraine, après longues procédures, escoutent larrest et la sentence diflBnitiue de leur iuge.
Apres ce que la Déesse des femmes, la fleur fleurissante en beauté féminine, eut assez pensé, iettant son plaisant
(1) Dei (éd. 1516). Thucyd. I. 9.
(2) sespardit (mscr. de Genève). Cf. espartir, répandre.
50 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
regard en terre, elle ouurit sa bouche petite et vermeil- lette semblable aux nues rubicundes, quand le Soleil ses- conse : et dune voix doucette, mieux organisée que la lyre d'Amphion, prononça les mots qui sensuiuent : « Il ne se faut esbahir si ie redoute et diffère le trescremu comman- dement, duquel tu mon trescher seigneur et père, et toy madame ma mère, me imposez nécessité présente. Cest en nommer lun de ces treshauts Princes qui icy sont, pour mon seigneur et mary futur : car maintes nobles Prin- cesses plus accomplies en beauté corporelle, sans compa- raison que ie ne suis, desireroient bien tel aduenir pour elles sans y estre contraintes, attendu quun chacun d'eux est suffisant assez pour obtenir en mariage, mesmes vne haute Déesse. Et dautre part, ceste inionction passe les limites de virginale simplesse, et excède toute féminine audace. Toutesuoyes, congnoissant que le contrester ne my seruiroit de rien, et que ie ne me puis excuser de filiale obédience, et aussi que le bon plaisir de tous messeigneurs presens est tel, sans ce toutesuoyes que ie choisisse (car en choses égales ne gist point de chois), attendu mesmement quilz sont indifferens en beauté, bonté, noblesse, honneur, richesse, valeur, et prouesse, quant à moy : et souz vostre bénigne correction et supportation, ayez aduis si à vous et à monseigneur Menelaus Roy de Lacedemone, il plaira que ie soye son humble espouse, et compaigne. » Ceste élection faite ainsi par Heleine de son mary Menelaus tesmoigne Euripides, disant ainsi :
Gnatse facit lus, vti procis ex omnibui Deligeret vnum quemlibet sibi virum, Quocunque grata ferret aura Cypridis, Menelaon illa deligit, etc.
SIKGVLARITEZ DE TROYE, LITRE II. 5f
A ceste response, tant courtoise et tant gracieuse, tous les Princes dune voix se consentirent : car le Roy Mene- laus estoit bien voulu de tous, et estoit beau Prince, ayant la perruque blonde, tesmoing Euripides en sa Tragédie d'Iphigenia, qui dit :
Clarum Agamemaonem et flauicomum Menelaon.
Peult estre aussi, quelle le choisit plus voulentiers pour lamour que sa sœur Clytemnestre estoit desia mariée au Roy Agamemnon son frère. Et dautre part, ilz estoient pres- que tous ensemble, parens, voisins, et alliez. Dont si au- cuns en furent marris pour leur interest particulier, si dis- simulèrent ilz, et postposerent (1) leur dueil pour leur hon- neur. Adonc Agamemnon Roy de Mycenes, frère aisné de Menelaus, les en mercia debonnairement, et fut bien ioyeux de ce que son alliance estoit renforcée. Si furent faites les noces de madame Heleine et de Menelaus : presens iceux Princes en grand liesse et somptuosité. La feste acheuee, chacun se retira en sa chacune. Et fut conuoyee la nouuelle mariée par ses deux tresnobles frères Castor et Pollux, iusques en la cité de Sparte autrement dite Lacedemone. Si luy bailla Menelaus nouuel estât, et principalement pour ses compaignes et damoiselles dhonneur, deux de ses paren- tes : dont lune estoit nommée Clymena, et la seconde Ethra, auecques vne femme de chambre assez aagee appellee Gréa et autres dont ie ne scay les noms. Mais pour plus ample congnoissance de Ihistoire, ie vueil icy descrire en brief, la généalogie desdits frères Agamemnon et Menelaus.
(l) c.-à-d. prëfërèrent l'honneur. — proposèrent {éd. 1516).
ILLVSTRÀTIONS DE GAVLE, ET
CHAPITRE IIII.
Démonstration de la généalogie du Roy Menelaus. Et comment il eut de sa femme Heleine vne fille nommée Hermione. Et des auentu- res de ladite Hermione. Et aussi de celles de Castor et PoUux, frè- res germains de ladite Heleine.
Le sovvent allégué, messire lean Bocace de Certal, Flo- rentin, en son xii. Hure de la Généalogie des Dieux, demonstre que Tantalus Roy de la haute Phrygie, et selon Diodorus Siculus en son cinquième liure, aussi de Paphla- gonie, fut fîlz de lupiter troisième de ce nom, Roy de Crète quon dit maintenant Candie, et dune Nymphe appellee Plote. Et eut de Taygeta sa femme, ou selon Lactance, de Pénélope, vn filz nommé Pelops, qui eut vne espaule dyuoire, selon les poètes : et si en eut aussi vne fille appel- lee Niobé, qui fut femme à Amphion Roy de Thebes en Beotie. Iceluy Tantalus fut homme riche et puissant, mais trescruel, iniuste et auaricieux. Et fut celuy qui rauit le beau Ganymedes filz du Roy Tros, qui premier fonda Troye, pour le donner à lupiter Roy de Crète, dont il eut grand somme dor. Et pour sa peruersité détestable les Dieux le condamnèrent aux enfers, où il est perpétuellement tourmenté de faim et de soif : mais de son viuant mesmes il deuint poure, et fut 'chassé de son royaume par Ilus Roy de Troye, comme met Diodorus. Ledit Pelops son filz, vaillant homme et bon guerroyeur, parauenture pour la
8INGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE II. 30
honte de son père laissa le païs d'Asie la mineur, quon dit maintenant Natolie ou Turquie, pour venir habiter en Europe, enuiron lan deuant lincarnation nostre Seigneur, mille trois cens quatre vingts et six, selon laques de Ber- gome, en son Supplément des chroniques, et apporta grand trésor. Si se vint marier à la belle Hippodamie, fille de Pritus Roy d'Arges, qui est en Grèce et en la région d'Achaie. Et nomma icelle contrée Peloponnesus, de son nom, au temps présent on lappelle la Moree, et la possè- dent auiourdhuy les Turcz, comme nous auons declairé amplement en nostre œuure intitulée de Grèce et de Tur- quie. Si eut iceluy Pelops, de sa femme Hippodamie, trois enfans masles, cestasauoir Atreus, Thyestes et Plisthenes. Plisthenes engendra en Europasa femme, fille du Roy Atreus de lisle de Crète descendu de la lignée de Minos, comme met Dictys de Crète au commencement de son premier liure, deux enfans masles, cestasauoir les dessusnommez Agamem- non et Menelaus, et vne fille nommée Anaxibea. Et pource que ledit Plisthenes mourut ieune homme, il laissa iceox trois enfans pupilles et moindres daage en la garde et tutele de son frère Atreus, Roy de Lacedemone, lesquelles nourrit et esleua royalement, comme sil eust esté leur propre père, et maria ladite Anaxibea leur sœur à Nestor Roy de Pylon. Puis par faute dautre hoir de son corps, adopta de «on plein viuant en filz et héritier légitime, sondit neueu Mene- laus filz de son frère. Et luy bailla le tiltre et la saisine dudit Royaume de Lacedemone. Et Agamemnon laisné, succéda à son oncle Thyestes du Royaume de My cènes, qui estoit fort riche et plantureux. De ces deux frères Atreus et Thyestes, enfans de Pelops, les poètes et historiens racon- tent des choses merueilleuses, inhumaines etpresques incre- dibles, desquelles le me déporte, pource quelles ne font
40 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
rien à la matière subiette. Si faut continuer nostre propos de Menelaus et d'Heleine et ses frères.
Menelaus eut de sa femme Heleine, peu de temps après leur mariage, vne belle fille, qui fut nommée Hermione, laquelle creut en beauté presques semblable à sa mère. Et quand il fallut depuis que Menelaus partist de Lacedemone, pour aller en la guerre de Troye, il laissa icelle Hermione fort ieunette, en garde au Roy Tyndarus son beau père. Lequel tantost après la fiança au Prince Orestes, (1) fîlz du Roy Agamemnon et cousin germain de ladite Hermione. Si lespousa depuis : mais elle luy fut rauie par Pyrrhus, filz d'Achilles. Puis la recouura, comme sera dit cy après.
Castor et PoUux frères germains de la belle Heleine, comme tesmoigne toute lantiquité des escritures, furent deux tresnobles iouuenceaux, et tresuaillans : et quirent les hautes auentures, en leur temps auec les autres Princes de Grèce, mesmement en la compaignie de lason et Hercules, et les autres Argonautes, à la conqueste de la toison dor. Castor fut bon cheualier, et Pollux tresbon combatant, et tant ayme- rent lun lautre, quon ne treuue nulle part par escrit, que deux frères se soient tant entreaymez, comme ceux qui neu- rent iamais ne noise ne dissension pour leurs seigneuries, et qui iamais ne feirent aucune chose, sans la communiquer lun à lautre. Toutesuoyes ilz moururent deuant la guerre Troyenne. Aucuns disent, et mesmement Dares de Phrygie, quen allant à la poursuite de leur sœur Heleine, quand Paris leust rauie, ilz se perdirent en mer par force de tourmente, auprès de lisle de Lesbos, quon dit maintenant Methelin. Et sur ce feingnent les poètes, quilz furent trans- latez au ciel, et font lun des douze signes du Zodiaque
(î) Horrestes (mscr. de Genève).
SINGYLARITEZ DE TROYE. LIVRE II. if
nommé Gemini. Et du temps des Payens idolâtres, il2 estoient reclamez en mer, comme est auiourdhuy saint Nico- las. Car les fables disent, quilz auoient obtenu de Neptunus Dieu de la mer, toute puissance pour garder les gens de péril et naufrage, comme met Higinius en son Hure d'Astro- logie poétique. Mais Ouide en son liure des Fastes, dit autrement de la mort diceux frères : affermant, que Castor et Pollux, qui se vouloient marier par force et vaillance, comme cestoit la manière des cheualiers du temps dadon- ques, rauirent les deux filles dun Prince nommé Leucippus. Dont lune auoit nom Phebé, et lautre Elaira : lesquelles iceluy Leucippus auoit desia colloquees par tiltre de ma- riage à deux nobles damoiseaux, lun nommé Lynceus, et lautre Ida, ou Hydas selon Diodorus Siculus, frères ger- mains, enfans d'Aphareus. Mais ce nonobstant, lesdits Castor et Pollux, prindrent et emmenèrent violentement lesdites deux pucelles Phebé et Elaira, contre leur gré, et au contredit de leurs parens. Toutesuoyes gueres ne ioui- rent délies, ne gueres ne demourerent impunis du cas. Car lesdits Lynceus et Hydas leurs espoux tresualereux adoles- cens secoururent vaillamment leurs amyes et espouses, et liurerent telle guerre ausdits Castor et Pollux, quilz les tuèrent finablement douant la cité de Sparte, et recouure- rent leurs femmes. Homère en son troisième liure de l'Iliade, se concorde à ce, et met, que lesdits deux frères Castor et Pollux, furent ensepulturez en ladite cité de Sparte, autre- ment dite Lacedemone. Ainsi appert la différence des opi- nions de diuers acteurs.
Heleine donques yssue de telle génération ainsi subiette à tant de rauissemens, mesraement au temps auquel Dieu toutpuissant nestoit point craint entre les gens, ne la loy de iustice publiée, ne fut point exempte de semblables
42 ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
fortunes et rapines. La première elle le souffrit enuis, comme dessus est dit : et la seconde, voluntairement et de son bon gré, comme sera dit cy après. Or estoit elle alors flourissante en ieunesse, donnant gloire à son noble paren- tage, reflamboyante au mylieu de ses gens, et de sa nation, comme la clere Lune au firmament : fluctuante en honneur, affluante en biens, abondante en richesses : toute enuiron- nee de pompe et de délices royales, accomblee de tous les souhaits que femme de prince sauroit demander en ce monde. Et qui plus est, resplendissoit en renommée de chasteté louable, en Ihostel de son mary le Roy Menelaus, allié de tous les Princes de Grèce. Et à brief dire, cestoit celle en qui pour lors tout le monde auoit lœil tant pour sa beauté nompareille, comme pour lincredible multipliance de ses autres vertus. Mais de tout ce, Paris Alexandre suruenant, la priua depuis, par' ambition de promesse Tenerienne. Auquel Paris et à ses compaignons il nous faut retourner nostre plume.
SIMGVLARITEZ DE TROYB. LIVRE II. M6
CHAPITRE V.
ProsequutioD du nauigage de Paris , Deïphobus , et leurs compai- gnoDB : et de la délibération par eux prinse sur le rauissement d'Heleine. De leur premier aborder en lisle de Cytheree. Et com- ment ilz furent receuz en Lacedemone, par le Roy Menelaus, soaz tiltre dambassadeurs. De la proposition faite par Paris, et des dons ofiTers à, Menelaus.
Pour revenir donques à parler du beau Paris Alexandre, dont nous auons fait assez grande disgression, pour mani- fester le lignage de la belle Heleine, et de son mary Mene- laus, et ses gestes et fortunes, auant son dernier rauisse- ment, laquelle chose estoit bien nécessaire à lelucidation de nostre œuure. Iceluy Paris chef de larmee Troyenne, après son partement de Sigee qui estoit le port de Troye, naui- gant par la mer Hellesponte print conseil auec son frère Deïphobus, son beau frère et cousin Eneas, Glaucus, Poly- damas, et le principal de ses capitaines de laôaire quilz auoient à démener. Si trouua en conclusion, que la Royne Heleine, femme de Menelaus, Roy de Lacedemone, estoit renommée pour la plus belle dame de toute Grèce : comme celle qui estoit fille du haut Dieu lupiter. Et dabondant, estoit la mieux alliée de toutes, tant du costé de ses frères Castor et Pollux et de ses autres parens, et mesmement de la part du parentage de son mary le Roy Menelaus. Par- quoy il sensuiuoit que si on la pouuoit auoir en saisine, madame Hesionne leur t?nte seroit facilement restituée
44 ILLVSTRATIOWS DE GAYLE, ET
selon lintention du Roy Priam. Si estoit mestier pour le plus seur, et à moins de danger, de vser en ceste partie de simulation et de couuerture, sans monstrer signe de port darmes, mais feindre destre ambassadeurs, pour auoir entrée plus facile dedens le païs d'Achaie, et au Royaume de Sparte ou Lacedemone, auquel ladite Royne Heleine se tenoit. Et si dauenture par ce moyen on ne pouuoit parue- nir à son attainte, lautre remède estoit, dauoir recours aux armes : et de la conquester par viue force, lenseigne des- ployee, la guerre ouuerte : car ilz estoient forts assez pour ce faire, et tous bons gensdarmes, ieunes et délibérez. A ce conseil, comme au meilleur, et mieux consonant à la vou- lenté désordonnée de Paris, il sarresta du tout : imaginant que Venus la Déesse le luy auoit inspiré pour la fourniture de sa promesse. Laquelle Déesse estoit sa guide et conduc- teresse, comme tesmoigne Ouide en lepistre de Paris à Heleine, disant :
Hac duce Sigeo dubias à littore feci
Longa Phereclea per fréta puppe vias.
Si passèrent les galees Troyennes en ce propos, par deuant lisle de Methelin, là où le Roy Forgarite seigneur dicelle, et vassal du grand Roy Priam, les salua, et leur bailla refreschisseraent tel quilz voulurent. Et après auoir laissé les destroits de la mer Hellesponte, ilz entrèrent en la mer Egée, quon dit maintenant Larchipel, enuironnerent plusieurs isles Cyclades, laissèrent Nigrepont à dextre, et Candie à senestre : et tant exploitèrent par leurs iournees, quilz veirent le grand promontoire ou montaigne appellee la Malee, ennemie des nauigans : laquelle montaigne est en Achaie, quon dit maintenant la Moree. Et sadresserent vers
8IN6VLARITEZ DB TROTE. LIVRE II. 49
les ports (le lisle de Cytheree, (1) laquelle nest que à cinq mille pas dudit cap de la Malee, comme met Pline au xn. chapitre du iiii. liure de Ihistoire Naturelle. Aucuns appel- lent maintenant ledit promontoire de la Malee, le cap saint Ange, ou lisle de saint Michel, comme met messire Ber- nard de Briderabach doyen de Magonce, en son voyage de Hierusalem. Ladite isle de Cytheree, sappelle maintenant Cytri, comme iay ouy dire à ceux qui ont nauigué deuant : et pour lors estoit aux Lacedemoniens. Strabo au vm. liure de sa Géographie, met quelle estoit iadis propice aux nauigans, à cause des bons ports qui y estoient, disant ainsi : Cythera, commodis instructa portubus, et einsdem nominis wie. Maintenant ny ha nulz bons ports, comme sera dit au dernier liure.
Herodotus Halicarnasseus au vir. liure de son histoire, met que ladite isle de Cytheree est opposite directement à la cité de Lacedemone. Et pource souhaitoient anciennement les sages Lacedemoniens, quelle fust abymee en mer : à cause de ce quelle estoit trop conuenable aux ennemis, pour dommager ladite cité de Sparte, ou Lacedemone. En icelle isle y auoit pour lors deux villes : lune appellee Cytheree du nom de lisle, en laquelle la Déesse Venus auoit vn temple de grand somptuosité et antiquité : car on dit que Venus sapparut premièrement en ladite isle. Et lautre sap- pelloitCranaé, comme met Homère. Maintenant ny ha sinon vne meschante villette toute poure et toute déserte : en laquelle messire Philippes Conte de Rauestain fut mal traité après son nauffrage : comme on peult voir plus à plein au liure de Grèce et de Turquie. (2) Quand ceux desdites villes
(1) Citharee (mscr. de Genève et ëd. 1512).
(2) « far nons composé » (mscr. de Genève).
46 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
deCytheree et Cranaé, veirent tant de voiles sur mer sadresser vers leurs ports, ilz tendirent leurs chaines, et fermèrent lentree : et enuoyerent chacun vn brigantin, pour sauoir quelz gens cestoient. Lesquelz retournèrent en brief, et rapportèrent pour response, que cestoient amis et ambassadeurs de Phrygie et du Royaume de Troye. Adonc ceux de Cytheree et de Cranaé, qui depuis fut appellee Helenium, ouurirent leurs ports : et laissèrent ancrer pai- siblement les Troyens à leur malesanté : car ilz en furent desftruis depuis, Toutesuoyes ilz ne les laissèrent point encore descendre en terre, iusques à ce que leur Roy qui estoit à Lacedemone en fust aduerty : et quil leur en man- dast son bon plaisir. Et à ceste cause Paris enuoya promp- tement à Lacedemone, qui nestoit que à cinq ou six miliai- res de là, vn sien héraut, en vn botequin (1) : et ceux de Cytheree et de Cranaé, aussi chacun vn de leurs gens. Lesquelz feirent armer aussi chacun vn petit nauire : et sen allèrent en la cité de Sparte ou Lacedemone, signifier au Roy Menelaus la venue des ambassadeurs de Troye : laquelle, comme ilz disoient, nestoit sinon que pour bien de paix. Ces «choses exposées au Roy Menelaus, il fut tres- ioyeux. Et combien quil y eust loy, statut, et ordonnance ancienne en ladite cité de Sparte ou Lacedemone, de non y receuoir aucun estranger : comme dit Vbertin sur lepistre d'Heleine à Paris, et Philostratus le conferme en la vie d'Apollonius Thyaneus au vi. liure, disant ces mots : P&re- grinos omnes ex wbe sua depellehant Lacedœmonii. (2) Neantmoins le Roy Menelaus délibéra de les receuoir pour
(1) hoquetin (éd. 1512). (En rouchi, hot, botequin = petit bateau.)
(2) Cette ponctuation bizarre se retrouve dans toutes les anciennes éditions.
8IKGVLARITBZ DE TROTB. LIVRE II. 47
ceste fois : dont il fut fol et mal aduisé. Si enuoya vn bon nombre de gentilzhommes, au deuant des Princes Paris et Deïphobus, et leurs compaignons pour les amener à Lace- demone. Lesquelz venus , Paris et Deïphobus , Eneas, Glaucus, et Polydamas à tout deux galees seulement, et la fleur de leurs gens, cestadire les plus apparans et mieux en point, sen allèrent en la cité de Sparte, làissans les patrons, capitaines et gens asseurez, en leurs nauires.
Au port de Lacedemone les ambassadeurs dissimulez furent receuz en grand triomphe et mélodie : et logez magnifiquement par fourrier en vn quartier assez près du palais du Roy. Si ne bougèrent de leur logis pour ce iour : car il estoit assez tard quand Hz y arriuerent. Le lende- main audience leur fut assignée après disner. Si se meirent en point, pour aller au palais du Roy Menelaus. Chacun print en sa main vn rameau doliue en signe de paix. Car cestoit la manière des ambassadeurs du temps dadonques. Mais ceux ne portoient point paix : mais plustost guerre et trahison couuerte et malicieuse : laquelle leur retour- nera à perte et à confusion. Or ne sesmerueillent point les lisans, si ie narre toutes ces choses, mesmement le rauissement d'Heleine dautre sorte quilz ne lont en leurs liures communs et vulgaires. Car ie ne vueil ensuiure sinon la pure vérité antique, et lordre historial de Dictys de Crète, et de plusieurs autres acteurs tressuffisans, les- quelz seront mes guides et mes garans en ceste œuure, sil plait à Dieu que ie la puisse mener à chef. (1)
Donques les cinq legatz et ambassadeurs feintifs, sou- uent nommez, en pompe merueilleuse, selon la mode Phry- gienne, tous reluisans dor, de pourpre et de riche pier-
(1) Ci-itique naïve.
49 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
rerie auec leur suite de mesme, iusques au nombre de cent gentilzhommes, après auoir esté faire sacrifice et oblation aux Dieux en lun des temples de la cité : et auoir disné de bonne heure, partirent de leurs logis en bel or- dre, pour tirer vers le palais. Si furent par grand admi- ration regardez et honnorez du peuple de la cité. Et trou- uerent plusieurs barons et gentilzhommes, qui leur ve- noient au deuant pour les accompaigner. Là sentrefeirent ilz honneur et feste. Puis montèrent ensemble au palais. Et trouuerent le Roj en vne grand salle richement tapis- sée à raerueilles, et dont les sommiers estoient enrichiz de fin or et dazur. Quand le Roy veit approcher les Princes Troyens, il se leua, et après les reuerences faites deiie- ment, et les saluts donnez et renduz dun costé et dautre, le Roy feit asseoir les ieunes enfans Royaux Paris et Deïphobus à sa dextre : et le Prince Eneas, Glaucus, et Poly damas à la senestre. Les autres Princes de son sang et de son conseil, sassirent es autres sièges plus bas, puis le Roy Menelaus dit en ceste manière : « Or ça, seigneurs, puis quil ha pieu au Roy Priam nostre bon frère vous enuoyer vers nous, qui estes tous si hauts et si nobles per- sonnages de sa maison, nous espérons que ce nest pas pour chose de petite importance, vueillez la donques déclarer présentement. Et si nostre puissance y peult auoir lieu ne efficace, certes nous ne nous feindrons (1) point de ly em- ployer. » Lors Paris Alexandre chef de la légation, se vou- lut leuer pour parler : mais le Roy ne souffrit point quil se bougeast. Adonc tout assis il proposa sa harengue en ceste manière :
« Treshaut et tresexcellent Prince Roy Menelaus , la
(1) c.-à-d. n'hésiterons point.
8INGVLARITEZ DE TROTS. LITRE II. 40
renommée de ta vertu et merueilleuse prudence, ha incité monseigneur le Roy Priam nostre père à nous enuoyer vers ta maiesté Royale, à fin de te remonstrer aucunes de ses doléances : pour par ta hautesse et sapience y estre pourueu, de remède conuenable, ainsi quil ha espoir que bien le sauras, pourras, et voudras faire. Or est il vray (Prince tresillustre) que feu de céleste mémoire, ton bel oncle Hercules retournant du voyage de Colchos, auecques son neueu lason, et tes beaux frères Castor et Pollux, le ne scay de quel (1) affection meu, fors pource quil luy pleut ainsi le faire, enuahist hostilement la terre de Phrygie, et la cité d'Ilion, alors de petite deffense, et peu peuplée, et la desmolit et desempara. Le Roy nostre père pour lors estant absent de Troye, et menant guerre en la haute Phrygie : et qui plus nous touche au cœur, il occit nostre ayeul de bonne mémoire le Roy Laomedon, que les Dieux absoullent : et non content de ce, emmena en seruage madame Hesionne nostre tante (2) lors ieunette et pucelle : et la bailla par autre tiltre que honneste, à Telamon Roy des isles d'Egine et de Salamis, lequel est ton parent et cousin. Car nous nignorons pas que Tantalus Roy de la haute Phrygie, ton ayeul paternel, et Eacus père dadit Telamon furent frères germains, et enfans de lupiter troisième de ce nom, Roy de Crète. Or la détient iceluy Telamon tousiours depuis, en vile seruitude, sans loy de mariage : et dalle ha eu vn beau filz, nommé Theucer, lequel à peine veult aduouer pour son bastard. Et combien que par nostre cousin le Prince Antenor , lequel puis aagueres luy en ha porté paroles, au nom de monseigneur,
(i) ^eUâ {éd. 1512). (9) antf (maer. de Gâoève), II. A
60 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
il ayt esté requis de la rendre, neantmoins il en ha esté ■non seulement refusant, mais oultreplus menassant. Et non pas luy seul mais semblablement son frère Peleus Roy de Thessale, père d'Achilles, et ses oncles Castor et Pol- lux tes beaux frères, qui furent presens à iceluy rauisse- ment comme iay desia dit. Et aussi son cousin le Roy Nestor de Pylon, mary de ta sœur madame Anaxibea. Les- quels Princes, tous dune voix contre le droit coustumier de toutes gens, ont iniurié monseigneur, en la personne de son ambassadeur. Laquelle chose comme tu peux pen- ser, luy ha esté difficile à supporter. Et neantmoins auant quil y procède plus auant, il en ha bien voulu aduertir les autres Princes, parens, et alliez dudit Roy Telamon, et principalement ta maiesté tresresplendis santé, et celle du treshaut Prince le Roy Agamemnon de Mycenes ton frère , et derechef messeigneurs Castor et Pollux tes beaux frères. Et à ce ha esté plus enclin, sachant que ton ayeul paternel le Roy Pelops, qui partit vne fois de nostre pro- uince Phrygienne et, dautre part, noz ancestres sont des- cenduz de lupiter deuxième de ce nom, Roy d'Arcadie, qui est vostre héritage patrimonial. Ainsi par réciproque ori- gine, y pourroit encores entre les deux nations estre gar- dée quelque scintille de primitiue alliance. Toutesuoyes, ce ne luy ha point tant persuadé nostre enuoy, que les re- cords des hauts dons de Dieu et de Nature : lesquelz repo- sent et sont accumulez en ta personne, par grand prodiga- lité : et lespoir quil ha en ton noble courage, lequel labeure incessamment à œuures vertueuses et pacifiques. Lesquelles choses considérées, trescler Prince, et la conséquence dicelles bien pourpensee. Monseigneur le Roy Priam nostre tresredouté seigneur et père, te prie de par nous, que attendu son bon droit et sa iuste querele, pour abolir toute hayne
SIKQVLARITEZ DE TROTE. LITRE II. 51
inueteree, et pour le grand désir quil ha dentretenir la bien de paix, vnion, accord et bonne intelligence future, entre les Princes de Grèce, parmy lesquelz tu reluis comme le dyamant entre les perles : et les Princes d'Asie, dont il est le chef, il te plaise vouloir faire remonstrance audit Roy Telamon ton beau cousin, de rendre et restituer en noz mains madame Hesionne nostre tante. Et combien que monseigneur ayt assez matière de quereler restitution dautres torsfaits, réparation de villes depopulees, et satis- faction de liniure qui plus luy touche au cœur, cest de la mort de feu monseigneur nostre ayeul : neantmoins toutes ces choses postposees, car mercy aux Dieux, sa cité est cent fois plus florissante que iamais, et son règne plus riche et plus ample, et pour son père perdu, les Dieux immortelz luy ont redoublé génération denfans en grand nombre : parquoy il leur en laisse la vengeance, et per- siste sans plus à demander sa treschere sœur germaine, madame Hesionne nostre tante. Laquelle ha esté long temps détenue serue en autruy territoire, contre Ihonneur de Royale noblesse, et dont il luy poise trop. Et au cas que ton cousin le Roy Telamon continue en son obstination coustumiere, en nous escondissant de nostre demande tant iuste, tant raisonnable, et tant humaine quil est impossible à gens, silz ne sont trop barbares, estranges ou inhumains, dy vser de refuz ou tergiuersation, il tenhorte et te prie, le cas aduenant, que tu vueilles prendre la chose en main, comme ton affaire propre, et en aduertir les autres Prin- ces tes parens, amis, alliez, et confederez. Et faire en manière que ce à quoy ledit Roy Telamon ne pourra estre induit par remonstrance de raison, il y soit iustement con- traint par le commun décret dentre vous. Autrement mon- seigneur veult quil se tienne pour aduerty quil sera desor-
«8 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, KT
mais contraint et forcé de poursuiure sa querele droitu- riere par armes. Attendu que mondit seigneur sest mis et met tousiours en ses deuoirs plus que raisonnables en- uers luy. Et à fin que tu congnoisses de quel zèle monsei- gneur quiert et désire ton amitié et bonne alliance, il ten- uoye ces dons bien asseans (1) à ta hautesse, priant que les prennes en gré, correspondant à son vouloir. » Et en ce disant, trois gentilzhommes sauancerent et descouurirent les riches loyaux quilz portoient : cestasauoir vne grand couppe pesant dix marcz dor, toute esmaillee et bordée de sapphirs et de perles de prys et par dessus vn dyamant in- estimable, de laquelle couppe le Roy Laomedon vsoit en son viuant, aux sacrifices des Dieux. Et vn riche manteau tout dor traict, (2) brodé de riche ouurage, et semé de diuerses pierres précieuses, tissu de la main de la Royne Hecuba, auecques vn sceptre Royal, de grand estime et value.
(1) affeaulx (éd. 1516).
(2) aurum tractitiun^ Uxtile (Docange).
SntGVLARlTEZ DB TROYB. UVBB II. 55
CHAPITRE VI.
Du premier regard qae la Royne Heleine ietta sur le beau Paria Alexandre. Et de la gracieuse response que le Roy Menelaus feit aux ambassadeurs feintifz. Des dons que Paris donna à Heleine : et de la bonne chère que fut faite à luy et à ses compaignons. Et auasi narration légère des premières accointances et semblani couuers de Paris à Heleine : et comme Menelaus à son départe- ment, pour aller en Crète, recommanda ses choses à sa femme Heleine.
Pendant que le tresbeau Prince Paris Alexandre faisoit sa harengue et oraison, et que sa douce éloquence et voix har- monique raisonnoit (1) parmy le palais, la fleur des dames la Roy ne Heleine, ainsi que femmes sont curieuses de voir et ouyr choses nouuelles, lescoustoit secrètement par vn treilliz, qui se iettoit sur la salle, et le regardoit ententi- uement, sans estre apperceiie. Si sesmerueilla de sa faconde et beauté nompareille, de son riche accoastrement, et de son port hautain. Et comme toute estonnee, dit à ses filles dhonneur, Ethra et Clymena parentes de Menelaus. o Dieux immortelz, quelz gens sont ces Troyens ! ie ne croy point que ce soient hommes terrestres, mais plustost de la semence des cieux. » Ainsi disoit Heleine. Et desalors con- ceut elle vne scintille de lardant feu damours : quelle enfanta depuis au grand destruisement délie et de tout son
(1) resonnoit (éd. 1528).
54 ILLVSTRÀTIONS DE GÂVLE, ET
lignage. Mais retournons à nostre propos. Quand donques le Roy Menelaus eut receu les presens de messeigneurs les Troyens, et iceux loué hautement, auecques grans mercie- mens il parla en ceste manière :
« Tresclers et tresnobles barons de Phrygie, ces riches dons, qui représentent la grand magnificence de nostre beau frère le Roy Priam, combien quilz soient destimation infinie, neantmoins ilz ne nous sont point tant agréables pour leur grandeur : quilz sont pour lamour du lieu dont ilz sont venuz. Et en tant quil touche la matière princi- pale dont tu nostre beau cousin Paris Alexandre, as pré- sentement fait mention, nous nous sommes aucunesfois trouuez entre plusieurs de nostre parentage, plus aagez de nous, entre lesquelz ceste matière se debatoit amplement : car les aucuns auoient esté presens à tout laffaire. Si disoient que nostre cousin le Roy Telamon, de lisle de Sala- mis, par droit darmes obtint iadis madame Hesionne, quand Troye fut depopulee par le Prince Hercules. Parquoy, sei- gneurs de Phrygie, nous nous esbahissons dun poinct que nostre beau cousin le Prince Paris ha touché : disant que le Roy Priam estoit absent de Troye au temps dicelle des- molition, là où nous sommes informez certainement du contraire. Et quil soit ainsi : tenez pour chose certaine que nostre oncle Hercules retournant de lemprise de Col- chos, rapassa pardeuant Troye : et enuoya certains ambas- sadeurs au Roy Laomedon, lors régnant, pour et à fin que ledit Roy tinst sa promesse à Hercules, de sa fille Hesionne, laquelle en allant à ladite conqueste de Colchos il luy auoit promise en mariage, à cause de ce quil lauoit deliuree de la monstrueuse balaine qui la deuoit engloutir , sans remède. Ensemble les six coursiers de prys, qui pour sem- blable raison luy appartenoient. De laquelle chose, comme
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le Roy Laomedon fust refusant, contre sa promesse, et en violant le droit commun, detinst en prison, et deliberast faire mourir iceux ambassadeurs, par le consentement de tous ses enfans, excepté de Priam. Iceluy vostre bon et iuste Prince Priam, pour lors estant ieune, osa bien publi- quement contredire à tel maléfice : et soustint efibrcément quon deuoit tenir foy et promesse aux estrangers, et bailler sa sœur Hesionne en mariage au preux Hercules, selon son mérite, auecques les nobles cheuaux. Et combien que le salubre conseil de Priam ne peust obtenir audience, neant- moins il feit sauner secrètement les personnages de lam- bassade, et les renuoya à leur maistre. Et lors Hercules ayant iuste indignation contre Laomedon, print Troye das- saut. Si cheut Laomedon en la meslee mortifère, et paya le tribut de son periurement. Son filz Tithonus senfuyt es Indes. Mais le Prince Priam fut reserué en vie, et luy fut le Royaume de Phrygie laissé paisiblement au regard à (1) la preudhommie dont il auoit vsé. Et nostre oncle Hercules pour rémunérer la vertu de nostre cousin le Roy Telamon, qui premier monta sur les créneaux de Troye, luy resigna son droit de la pucelle Hesionne, et la luy donna en pur don. Ainsi se porta la besogne. Seigneurs de Phrygie, quelque chose quon die à lopposite. Mais si ainsi est que vous vous douliez de ce que Telamon ne maintienne vostre tante Hesionne en estât de Roy ne, et selon la dignité du lieu dont elle est yssue, certes en ce peult il bien estre dit auoir mespris grandement. Car tous Princes doiuent hon- norer le sang Royal, combien quil ayt esté conquis en que- rele bellique. Si vous promettons en foy de Roy, que nous et les nostres mettrons toute diligence possible à le faire
(1) au regard de (éd. 1516).
5^ ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
renger à raison, combien quil soit vn peu dur et diflScile. Tellement que nostre bon frère le Roy Priam, et vous tous Seigneurs, congnoitrez que nauons pas oublié que noz an- cestres ont prins origine en vostre territoire de Phrygie. Si sommes bien aises de ce que vostre venue nha point esté plus tardiue, pource que point ne nous eussiez trouué en Lacedemone : car monseigneur nostre frère Agamemnon, Roy de Mycenes, et nostre sœur madame Anaxibea femme du Roy Nestor de Pylon, nous deuons en brief rendre en lisle de Crète, pour départir la succession, trésors et richesses quant aux meubles délaissez par nostre ayeul maternel le Roy Atreus de Crète : auecques noz beaux cousins les neueux du feu Roy Minos. Cestasauoir Idome- neus et Merion qui sont entre eux cousins germains, et enfans de Deucalion et Molus qui fut de Minos, qui fut de lupiter. Et nostre beau cousin Palamedes (1) de lisle d'Euboce, (2) filz du Roy Nauplius et de la Royne Clymena. Lequel Nauplius comme sauez, est filz de nostre grand oncle, le Dieu Neptune, ensemble autres plusieurs. Mais tout ce ne vient que bien à poinct, pour vostre matière. Car pendant que vous vous refreschirez céans, pour vous desennuyer de vostre long nauigage, nostre frère le Roy Agamemnon et nous, mettrons la chose en termes enuers plusieurs autres noz parens , si comme Vlysses filz de Laërtes Roy d'Itaque, et Tlepolemus Roy de Rhodes, et généralement tous ceux de nostre parentage, dont nous nous saurons aduiser. Et aussi endemen tiers noz beaux frères Castor et PoUux, qui pour le présent ne sont point en ceste contrée, ains ont mené nostre fille Hermione, vers
(1) Palamides (éd. 1516).
(2) Euboie (éd. 1528).
8IN6VLARITEZ DE TROTE. LITRE II. i||
sa tante la Royne Clytemnestre, nostre belle sœur, à la grand feste et solennité de la Déesse luno, qui se fait à pré- sent en la cité d'Arges, (1) seront reuenuz de leur voyage. Et à nostre retour espérons vous en rapporter quelques bonnes nouuelles. Si vous prions ne vous soucier que de faire bonne chère. Et sur ce poinct allons voir les dames. » A ces paroles le Roy Menelaus se leua de son siège Royal, prenant le. Prince Paris, et son frère Deïphobus par les mains, et les autres les suiuirent. Si entrèrent en vne autre belle salle, ou ilz trouuerent la fleur et loutre- passe de beauté mondaine la Royne Heleine, auecques plu- sieurs dames et damoiselles tresrichement parées. Alors dit le Roy Menelaus à sa femme : « Mamie, voicy noz beaux cousins le Prince Paris Alexandre, et son frère Deïphobus filz du Roy Priam de Troye, lesquelz nous sont venuz voir, le te prie festoyé les auec leurs compaignons et parens, messieurs Eneas, Glaucus, et Polydamas. » A ces mots le tresbeau Prince Paris sauança pour faire la reuerence à la Royne, et elle le baisa, dont il se tint plus content que si cent marcz dor luy eussent esté présentez. Et puis conse- quemment baisa Deïphobus et festoya trescourtoisement les autres trois, et leur dit quilz fussent les tresbien venuz. Pa- ris pour son honneur alla controuuer (2) mille recommanda- tions et saluts des Princesses et dames de Troye, lesquelles onques ny auoient pensé : car point nauoient sceu, quil deust venir celle part. Puis appella lun de ses escuyers, et luy dit quil apportast ce quil sauoit. Cestoit vne robe de pourpre, toute estofFee à or et riche pierrerie, laquelle il donna à Heleine, comme escrit vn acteur nommé Martia-
(1) iporxT A rffos.
(2) c.à-d. inventa, poar s*en faire honneur.
58 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
nus (1) : et vn précieux camail pour sa fille Hermione. La Royne Heleine receut les dons merueilleusement en gré : Car ilz estoient beaux et magnifiques, et en remercia Paris hautement. Puis après se tira sur la fenestre dun plaisant verger, et entretint long temps Paris et Deïphobus en deui- ses. Ce pendant que le Roy deuisoit auec Eneas, Ethra et Clymena, deux nobles damoiselles parentes du Roy Mené- laus, entretenoient dautre part messire .Glaucus et messire Polydamas. Et les autres dames, damoiselles et gentilz- hommes de Ihostel du Roy Menelaus, dautre part tenoient en plaisantes paroles les autres gentilzhommes deTroye. Quand le souper fut prest (2) on laua, le Roy Menelaus print (3) le Prince Paris, et son frère Deïphobus, et se meit à table au mylieu d'eux deux. La Royne Heleine sassit après, et Eneas, Glaucus, et Polydamas ensuiuant. Les seigneurs et gentilzhommes de leans retindrent la plus part des gentilz- hommes Troyens qui voulurent demourer. Les autres sen allèrent souper en leurs logis. Apres souper que plusieurs dances et esbatemens furents faits, le Prince Paris et Deï- phobus, et ses compaignons prindrent congé du Roy et de la Royne, et puis se retirèrent en leurs logis. Et autres iours ensuiuans à la requeste et commandement du Roy, iceux ambassadeurs feintifz et par exprès (4) Paris, Deïpho- bus, et Eneas, continuèrent souuent daller boire et menger en la table du Roy et de la Royne. De laquelle chose, entre
(1) Martianus Capella.
(2) gtiand il fut prest, c.-à-d. quand ce fut prêt (msci'. de Genève et éd. 1516 et 1528).
(3) priant {éd. 1516 et 1528).
(4) par exprès pour exprès, est un archaïsme encore populaire. V. Littré.
SIIfCTLARITEZ DE TROTE. LIYBE II. 9
les autres, Paris estoit le plus content : car assez luy plai- soit le ieu.
le me tais icy tout à essient dexposer comment le ieune Prince Paris fut atteint dune amour ardant et incredible, des quil eut veu la Royne Heleine, pour si tressinguliero et oultrepassant beauté. le me déporte de dire comment le désir nouuelet, de là Royne de Lacederaone, extirpa faci- lement du léger et volage cœur de Paris la loyalle amour pieça enracinée, de sa femme légitime la Nymphe Pegasis Oenone. le passe souz silence, que le Roy Menelaus com- mença à desplaire à sa femme la Royne Heleine, et luy deuint laid et malgracieux pour la suruenue dun ieune adultère estranger. Car tout cecy les enfans mesmes le sauent raconter. le laisse aussi descrire comment eux deux sentreacointerent par plusieurs semblans amoureux : par doux attraits et fins regards, tirez du coing de lœil, et plu- sieurs autres moyens, signes, mines, marchemens de pied, chants, regrets, souspirs, deuises et racontemens de fables, dont Paris vsa couuertement mesmes en la présence de Menelaus : Car toutes ces choses sont bien à plein et bien élégamment couchées es autres œuures escrites en François : et mesmement es epistres d'Ouide, nouuellement translatées et mises en impression. (1) Et aussi pour vue autre raison, cest à cause de brieueté : et à fin que ie continue à déduire mon intention principale. Laquelle est de mettre en auant, ce que les autres ont obmis, et de rassembler tout en vn corps, le plus curieusement et véritablement que ie pour- ray, ce que les anciens acteurs autentiques ont couché des gestes de Paris, Heleine, et Oenone, en escrits diuers, et
,Yul oh (1) par Octaviea de Saint-Gelaia, évéque d'Ângoalème. PaUgrat»,
quand il cite ces vera, dit the fytshoppe...
60 ILLVSTRÀTIONS DE GAVLS, ET
menues particularitez, pour en forger vne histoire totale. Laquelle chose nha esté encores attentée de nul autre, que ie sache, ny en François ny en Latin.
Le Roy Menelaus donques en festoyant les ambassadeurs Troyens, faisoit neantmoins son aprest pour partir et sen aller en Crète. Car le iour approchoit quil sy deuoit trou- uer, auec le Roy Agamemnon son frère, et ses autres parens, pour distribuer les trésors délaissez par feu son oncle maternel Atreus, comme dessus est dit. Quand tout son cas fut dressé pour partir, il feit faire vn grand et somp- tueux banquet et conuiue : et y feit semondre générale- ment tous ceux de lambassade de Troye, estans en la cité de Lacedemone. Et après les auoir festoyez et fait la meil- leure chère du monde, il dit à la Royne Heleine sa femme : « Mamie, ie men vois en lisle de Crète, souz la conduite des Dieux, car il est impossible que ie diffère plus : mais cest pour retourner bien brief. Si te prie quen mon absence tu fasses aussi bonne chère à noz beaux cousins de Troye que voicy, et aussi priuément, que si tousiours y estoye en per- sonne : car ainsi me plaist il estre fait. le les te laisse pour hostes, et les te recommande. » A ces mots peu sen faillit que la Royne Heleine, ne se print bien fort à rire : voyant la totale bonté de son mary et la grand fiance quil auoit en elle : toutesuoyes elle se contint sagement, et dit : « Monseigneur, si ferây ie, puis que tu le commandes. » Sur ce poinct le Roy Menelaus vint et la baisa, en la recommandant à la garde des Dieux. Et de ce pas cy, pource que le vent estoit bon, se tira vers le port. Les Princes, Paris, Deïphobus et ses compaignons, lallerent accompaigner iusques là. Et quand il se fut embarqué, et eut prins congé d'eux iusques au reuoir, et eux de luy, Paris, Deïphobus, et les autres sen retournèrent en le^irs
SINGVLARITEZ DE TEOTK. UVRE II. M
logis. Sur ce passage icy ie nignore point la contrariété de noz acteurs. Car Dictys et Ouide mettent ce que dessus est narré : cestasauoir que Menelaus alla en Crète. Et Dares de Phrygie dit, quil alla au Royaume de Pylon vers son beau frère Nestor. Et ne met point, que ledit Menelaus receust Paris en son hostel : mais sentrerencontrerent sur mer, sans se congnoitre, et sans parler les vns aux autres. Mais comme iay desia dit autresfois, ie vueil principalement ensuiuir lopinion de Dictys de Crète : car elle est plus vray semblable.
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
CHAPITRE VII.
Recitation da conseil prins par Paris Alexandre, aaec son frère Deî- phobus et ses compaignons, et le capitaine de ses nauires, touchant la conduite du rauissement de la Royne Heleine. Et les preparati- ues sur ce. Et comment il trouua manière de gaigner deux de ses damoiselles : lesquelles portèrent secrètement lettres missiues dun costé et dautre. Âaec narration brieue et sommaire du contenu des- dites lettres.
Paris donqves retourné en son logis, tout pensif et ima- ginant, enuoya incontinent quérir le principal capitaine des gens de guerre de ses nauires. Lequel arriué, il appella Deïphobus son frère, et son beau frère Eneas : ensemble ses cousins Glaucus et Poly damas en secret conseil. Et quand eux six furent enclos en vne chambre, Paris parla en ceste manière : a Mon trescher frère, et tous messieurs noz parens et amis, ie croy que les Dieux par vne singu- lière solicitude veullent adresser noz besongnes mieux que à souhait. Et mesmement la Déesse Venus, laquelle sur toutes les autres nous guide, et en est la plus curieuse, pour acquiter sa promesse enuers moy. Quelle opportunité voudriez vous plus grande que ceste cy ? ne quel meilleur loisir ? La plus belle dame non seulement de Grèce, mais de tout le monde, est entre noz mains. Et qui plus est, ie cuide desia auoir donné si bon fondement à mon cas, quelle ha quelque goust de désir amoureux. Du surplus laissez men conuenir : car si ie ne suis grandement deceu, iespere
SIN6VLARITEZ DE TROTB. LIVBB II. 65
quelle mesmes sera contente de son plein gré, se venir ren- dre souz nostre estandart. Laquelle chose donnera grand couleur à nostre exploit, et moindre difficulté à nostre emprise. Ne valons nous pas bien Theseus d'Athènes, lequel comme vous auez sceu, rauit ceste mesme dame à viue force en son enfance : et la mena en sa terre, tms contredit ? Et puis il nen fut autre chose. Et toutesuoyes il ny auoit nulle vieille querele, ne hayne précédente, entre leurs parentages, pourquoy il deust ce faire, sinon son sin- gulier plaisir : là où nous auons iuste occasion de domina- ger ces Grecz icy, pour les oultrages passez, et pour venir aux fins de recouurer madame Hesionne nostre tante : selon la charge à nous commise. Et après que cecy sera fait, qui sera le Prince si osé ne si hardi, qui vienne atten- ter contre la puissance du Roy nostre père et des siens ? Dabondant, vous voyez pour nostre opportunité, que le bon Roy mary de la belle, comme sil voulsist faire lieu à noz désirs, et de peur de nous destourber sest absenté de la cité : et qui plus est, à son partement nous ha recom- mandé bien expressément à la dame. Or me semble il, quil nest pas saison de dormir à ceste heure. Quen dites vous, messieurs ? le vous prie queien sache voz bonnes opinions. » Alors ainsi quilz faisoient honneur les vus aux autres pour parler le premier, Eneas par le commandement de Paris et Deïphobus, comme le plus aisné de tous, opina. Et dit en ceste manière : « Monseigneur mon frère, le loisir est si beau, et le temps si à gré» quil nest possible de mieux dési- rer, ie le concède. Si ne reste fors de voir si ce seroit bien fait de mettre à fin lemprise ainsi que lauions proposée : car il pourroit sembler que ce fust œuure trop estrange, et trop barbare, et contre tous les droits diuins et humains : mesmement contre le droit dhospitalité, duquel lupiter est
64 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
deffenseur : et dauôir prins tiltre dambassadeurs, lequel tiltre comme il est saint et inuiolable, aussi ne doit il estre violateur : et souz ceste couleur estre bien traitez, et auoir eu response gracieuse, et neantmoins mouuoir guerre furtiue, sans deflSance (1) preallable. Car combien quon ayt iuste querele et droituriere cause dindignation contre son enne- my, si doit on auoir regard particulier à son honneur, et à sa conscience propre. Car qui le fait autrement, le dommage et vitupère propre qui sen ensuit, infalliblement redonde par redoublée mesure sur celuy qui le fait. Et en tant quil touche le rauissement de madame Heleine autresfois fait par Theseus Roy d'Athènes, il faut entendre que loutrage nestoit point lors réputé si grand de la rauir pucelle, pour la prendre après en mariage, que maintenant quand elle est mariée, pour la honnir et vergogner. Et aussi le danger et lesclandre ny sont point si apparens alors pour Theseus, comme ilz seroient ores pour nous. Car il sauoit bien, quil nauoit à faire sinon au bon homme Tyndarus, trop plus foible et moins puissant que luy. Et ce nonobstant Heleine fat depuis recouuree par armes. Or voyez vous bien que Menelaus est Prince de bien autre estoffe, et mieux empa- renté. Et dautre part, vous nignorez point que Castor et PoUux, frères d'Heleine, sont Barons de haute prouesse, et de grand emprise, sans les autres de leur alliance. Toutes- uoyes, pource que ces Grecz icy sont de tous temps noz anciens ennemis, et que Menelaus est parent et allié de Telamon qui détient madame Hesionne : et encores pource que Pelops iadis ayeul diceluy Menelaus, fat tousiours en son temps ennemy de feu de noble mémoire le Roy Ilion, nostre ancestre, ie ne scay quen dire, sinon que tu en vses
(1) c.-à-d. défi. Cf. l'anglaia deJUnce.
SmCYLABITEZ DE TROTB. LITKE n. 65
par le meilleur moyen que faire se pourra. Et si atant vient que la chose se doiue exécuter, aumoins quon donne bon ordre à tout. Car ceste cité est fort puissante et bien peu- plée de gens courageux et hautains, combien quil ny ayt tour ny murailles. Car ilz sont si fiers et si duits aux armes, que onques ne daignèrent faire autre boleuert. pont leuis, créneau, marchecoulis, (1) ou auant mur, que de leurs propres corps. Et parauenture ne se fient ilz pas tant en nous quilz ne soient sur leur garde. Dautre part que scait on si Menelaus auroit fait ceste feinte de aBB aller pour nous surprendre et enueloper icy ? Neantmoins ce que ien dis, nest pas pour crainte ou timidité que iaye, mais pource quen matières douteuses et suspectes, comme iay tousiours ouy dire, on y doit procéder par grande et meure délibération. »
Apres que le Prince Eneas eut opiné, le tresprudent cheualier Polydamas, filz du sage baron Panthus, parla. Et la somme de son opinion fut, quon ne deuoit en aucune manière attenter sur ceste matière, ne vser de voye de fait en labsence de Menelaus : attendu les bons termes quil leur auoit tenus, et le bon recueil de sa maison : et aussi la promesse de leur expédition désirée. Et que si autrement se faisoit, il doutoit que le Roy Priam, qui est iuste Prince et droiturier, nen fust pas content. Ce fut la teneur du parler de messire Polydamas. Consequerament le ieune escuier Glaucus declaira ce quil en sentoit, condescendant assez au rauissement d'Heleine, pour le mauuais traitement que les Grecz auoient fait à son père Antenor durant son ambassade, ou pource que parauenture il sestoit énamouré daucune des damoiselles de la Royne Heleine. En après
(1) c.-à-d. mâchicoulis. 11. tt
66 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
Deïphobus feit déclaration de ce quil en auoit en lentende- ment, meu pour la grand beauté d'Heleine. De laquelle il nestoit pas moins amoureux, que son frère Paris, ainsi que met Diclys de Crète, en son premier liure, et parla en ceste manière :
« Mon frère, (1) si les preux et vaillans hommes du temps iadis qui nous ont laissé la gloire de leurs cheualeureux tiltres, pour embellissement perpétuel, eussent tant ru- miné, et precogité tous les bazars qui pouuoient suruenir en leurs nobles emprises, ilz neussent iamais fait aucune chose digne de mémoire, ny enrichi leurs successeurs du bruit de leurs triomphes. lay tousiours ouy dire, que For- tune ayde voulentiers (2) aux hardis et bons entrepreneurs. Voudrois tu, ie te prie, estre frustré à iamais du fruit de ton iugement, et de la gloire immortelle, que la haute Déesse Venus toffre présentement, pour recompense de ton bien iuger ? Il me semble, sauue la paix dun chacun, que tu ne le dois vouloir. Car si dauenture par faute de con- seil, ou de courage, tu te monstres nice et couard en ceste partie, que pourra on dire, sinon que point nés digne dauoir belle amie ? Et ta' grand lascheté conceura (3) hayne si implacable de ladite Déesse contre toy, quelle te persécu- tera par plus griefz accidens, quelle ne feit iadis la lignée de Phebus. Quelle autre auenture donques voudrois tu aller chercher plus preste, plus propre, ou plus naïue, (4) pour parfournir ta conqueste que ceste cy ? laquelle est desia toute dressée et demy faite. Ne faut il pas que ce fol
(1) mon amy le plus aymé gui soit au monde (éd. 1516 et 1528).
(2) tous jours (éd. 1516 et 1528).
(3) c.-à-d. engendrera.
(4) c.-à*d. natarelle.
SINGVLARITEZ DE TROTg. LIVBE U. 67
Roy abesty soit moqué par tous les humains, de sa stoli- dité plus que brutale ? Est il mémoire en aucune histoire escrite, quil fust iamais homme au monde si sot quil se fiast de tout son vaillant, et de sa propre femme, en ses aduersaires capitaux ? le suis dopinion que non, sil nha esté du tout hors du sens. Les Dieux veullent que ces Grecz icy soient punis de leur orgueil inueteré, et des oui- trages quilz ont faits au temps passé. Combien ont perpé- tré de détestables rapines ces Gregois icy, et tousiours en sont demeurez impunis ? Ceux du Royaume de Molosse en Ëpire, nallerent ilz point iadis rauir Proserpine, ûlle de madame Ceres en Sicile ? Et puis dautre part, ceux de Crète, nemmenerent ilz point par fraude et par déception, la fille du bon Roy Agenor de Sidone, qui est en nostre quar- tier d'Asie ? Oultreplus , de récente mémoire , ceux de Thessale, et de Thebes en Beotie, et aussi de ce païs cy, mesmement les parens et alliez de ceste Royne, et de son mary, nont il pas esleué la belle Medee, fille du Roy Eeta, nostre voisin, de Colchos, et pillé ses trésors ? Puis tous enflez dorgueil et de vaine gloire, tous pleins de reproches et de menasses, ilz repassèrent par deuant nostre cité. Et derechef sans autre occasion, comme vous sauez, retournè- rent à nostre grand dommage et honte , bruslerent noz mai- sons, tuèrent noz parens, et emmenèrent nostre tante fille et sœur de Roy, en seruitude et concubinage. Quest ce à dire cecy ? Leur est il ainsi licite destre larrons et destrous- seurs publiques, et quilz puissent rober et oultrager tout le monde vniuersellement, sans quon leur ose rendre ieu pareil? le ne me puis assez esbahir(l) de nostre pusilanimité. Et si dauenture il est ainsi, que Heleine ayt deux frères si
(1) ne douloir {éd. 1510 et 1528).
68 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
vaillans quon dit pour la poursuiure, ie croy que parauen- ture on trouuera bien madame Hesionne auoir enuiron vne trentaine de neueux assez passables, pour ayder à ven- ger son opprobre et iniure, dont des légitimes ie suis le moindre. Donques en tant quil touche le langage friuole, duquel ce fol Roy icy nous ha cuidé paistre, nous auons assez entendu quil est forgé au coing des autres. Et pen- sons nous que iamais il procure rien à nostre auantage ? Ne sommes nous encores informez de larrogance et loquacité Gregoise, et de leur beau promettre sans rien tenir ? Croyez moy, messieurs, ce nest que pour se moquer de nous, et pour nous abuser en vaine espérance. Ou parauenture à fin de nous circonuenir et accabler icy, quand il sera renforcé de ses alliez, il se .dit aller faire le partage dune grand succes- sion en Crète. le croy que toutes ces choses sont paraboles et abusions. le vous prie, considérons vn petit le grand orgueil rigoureux, dont ces Grecz noz anciens ennemis, ont vsé puis nagueres, enuers nostre bel oncle le baron Ante- nor, en sa dernière légation. Et dautre part, ramenons deuant noz yeux la cruelle occision de noz feuz parens, dont le sang crie vengeance. Reffreschissons nostre mé- moire, de la dépopulation du tenement de noz ancestres, du rauissement et violation des dames et pucelles de Phry- gie, faite par eux. Et tout ce mis en comparaison, aduisons sil est possible de leur sauoir inférer aucune iniure si grieue, si dommageable, ne si laidengeuse, qnilz ne laient encores méritée cent fois plus grande. Quant à moy, ie dis que non. Et soustiens que plustot paistront loups et bre- bis, aigles et moutons ensemble, que ne seront en paix et en amour commune les Troyens et les Grecz. Parquoy me semble, que toutes vacillations, craintes ou simulations postposees et mises arrière, ta mon frère Paris Alexandre,
SWCVLAHlTIfZ DE TROIÇK, MVftB II. iQB
dois procéder ausurplus, et ieuer marque sur noz eunemûi seloa la charge qui test eniointe. Sans penser autre chose, fors que le Roy nostre seigneur et père sera trescontent de ceste vengeance, et tresioyeux du vitupère de ses ennemis, quoy quou puist alléguer au contraire. » ^^ Aux paroles véhémentes du ieune Prince Deïphobus, le capitaine des gens de guerre et uauires de Paris, donna grand fultiment (1) et adiutoire. Induit à. ce par affection de pillage et auarice, qui est le commun vice de tous gens- darmes. Et va dire ainsi, adressant ses paroles au Prince Paris Alexandre : « Monseigneur , ie croy que tous les hommes du monde ne sauroient plus sommierement ne plus au vif attaindre le fonds de ceste matière, que ha fait monseigneur Deïphobus ton frère. ,Crois le, ensuis son opinion, car elle est bonne : et quoy quon die, ce nest que honneur et louenge à vn Prince, quand par moyens subtilz il peult trouuer façon de circonuenir son ennemy, et luy faire honte et dommage. Tu as donné de grans et merueil- leux presens à ce Roy cy, qui point ne luy appartenoient. Il les faut recouurer, et de lautre auec ; et si ainsi nest fait, il se moquera de vous tous, messeigneurs, et du Roy aussi ; et dira par vantise et par insolence, que luy estes venu faire hommage. Dautre part, on vous pourroit reprocher estre inhumains et peu débonnaires successeurs, si vous ne vengez les meurtres de voz ancestres, et la défloration de voz parentes. Et en tant quil touche de mettre la chose délibérée à effect, la difficulté y est bien petite. Car quel- que fors ou vaillans que soient les vilains de ceste ville, et fussent ilz tous diables de fer et dacier, si en verrons nous bien le bout. Laissez moy seulement manier laâaire quant
{\)fuîement (nucr. de Genève). Lacurne donne/uicir pour soutenir.
"W ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
à cest endroit. Et tu, monseigneur Paris Alexandre, acheue de longue main tes emprises et conuenances enuers la Royne Heleine, par amours si faire se peult, autrement nous laurons par force. Et ce temps pendant, sans faire semblant de rien, ie feray de petit à petit approcher la meilleure partie des nauires, qui sont es ports de lisle de Cytheree, souz vmbre de les rabiller (1) et rauitailler : à fin de me saisir du port et haure de ceste cité. Puis après ie mettray dedens tout coyement et sans efFroy, (2) aucunes des meilleurs bendes de gens de guerre que nous auons : les- quelz seront armez à couuert, souz leurs robes, et si con- uerseront parmy ceste ville, prenans couleur de se refres- chir. Et quand tu madaertiras quil sera heure de beson- gner, tiens toy seur que la force nous en demourera, et ne ten soucie autrement. » A la resolution dessusdite sarresta totalement le iouuenceau Paris Alexandre. Si se dépar- tirent de leur conseil sans faire semblant quelconque. Et le capitaine sen retourne aux nauires estans es portz de lisle Cytheree, pour mettre secrètement à exécution icelle tres- mauuaise et tresdesloyale trahison. Et quand il y fut, il la communiqua à aucuns des autres principaux capitaines chefz de guerre et centurions subalternes, en leur baillant grand espoir et courage, à cause de la pillerie et abandon- neraent des femmes et filles. Auec ce que d'eux mesmes ilz estoient assez enclins et enracinez en lancienne hayne des Grecz, Le ieune Prince Paris, dautre costé ne cessoit dima- giner tous les moyens par lesquelz il en viendroit plus faci- lement à chef. Or ne pouuoit il plus pour labsence du Roy Menelaus, tenir deuises si longues ne si familières, auec-
(1) c.-à-d. raccommoder.
(2) c.-à-d. sans bruit.
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ques la Royne qui! souloit, tant pour Ihoimetir délie, comme pour euiter le murmure et suspicion du peuple. Si feit tant pour trait de temps, quil trouua manière à force de grans dons et prodigalité abandonnée, sans rien espar- gner, dabatre et tirer à sa cordelle, deux des damoisalles principales dentour la Royne et qui iamais ne labandon- noient, ains estoient comme gardiennes de son corps, à ce députées de par le Roy Menelaus, duquel elles estoient parentes. Mais il nest rien en ce monde, qui ne soit cor- rompu par auarice. Lune dicelles sappelloit Clymena et lautre Ethra. (1) Et quand il les eut gaignees, et leur eut bien amplement et affectueusement conté la grand amour quil auoit à la Royne Heleine leur maistresse, elles moy- ennerent tout son affaire enuers leur dame, et portèrent lettres dun costé et dautre, tellement que lintention dun- chacun d'eux deux, estoit assez communiquée à sa partie. Paris par son escrit extolloit la merueilleuse speciosité délie, vilipendoit la personne de son mary : qui nestoit point correspondant à elle, mesprisoit sa lignée, sa puis- sance, et la petitesse de son tenement : Et au contraire, magnifioit la noblesse de son pare Priam, et en vantant la richesse de Troye, disoit quelle estoit mieux deiie et plus propice à elle . Recommandoit sa propre personne, en beauté et vaillance, et celles de ses frères. Demonstroit lardante affection damours, qui luy auoit fait passer la mer, souz la ûance de la promesse à luy faite par la Déesse Venus. Et oultreplus, blasmoit la folie et niceté de Theseus qui lauoit rendue pucelle. Et en effect, par toute ingénio- sité et artifice descrire, son epistre tendoit aux fins, quelle le voulsist prendre à mary, comme trop plus consonant à
(1) Cf. Iliad. III, 144.
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sa singulière beauté, laisser Menelaus et sen aller à Troye, auec multiplication de grands promesses, dont les amans ne sont iamais despourueux. (1)
La response de la Royne Heleine estoit au commence- ment vn peu dure et aigrette : puis après tout doucette- ment elle se condescendoit à approuuer la beauté de Paris, et disoit que à peine auoit elle peu croire que les trois hautes Déesses eussent souzmis leurs formositez souz son arbitrage : mais puis que ainsi estoit, elle prenoit sin- gulière volupté en deux choses : lune de ce quelle auoit estoit louée par la Déesse Venus, et lautre de ce que Paris pour son guerdon lauoit préférée aux richesses de dame luno, et aux vertus de la Déesse Pallas. Plus auant, icelle epistre responsiue estoit semée de doutes et de menuz reproches : car une fois, elle disoit craindre le songe de la Royne Hecuba : puis elle mettoit en auant estre aduertie , que Paris nestoit point constant en amours, comme celuy qui desia auoit mis en oubly sa dame la Nymphe Oenone, que de long temps il auoit aymee, et que nonobstant toutes ces vantises, si à tant venoit que guerre sourdist à locca- sion délie, il porto it mieux la chère (2) de faire la guerre aux dames, en vne chambre, que aux champs, auec les cheualiers. Dautre part disoit, que les dames de Troye tien- droient peu destime délie, quand elles la verroient auoir laissé son mary pour vn Prince estranger. En après elle louoit la modération de Theseus, lequel ne lauoit point mal traitée. Et tout ce nonobstant et conclusion finale, elle bail- loit assez à congnoitre à Paris, que ce quil luy vouloit per- suader par amours, elle aymoit mieux y estre contrainte
(1) cf. 15« et 16« Hëroïdes d'Ovide.
(2) c.-à-d. avait la mine de....
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par force : car communément toutes femmes ont ceste nature appropriée, que lenforcement leur est plus agreft- ble, que nest de se bailler de plein gré à leur partie : iouxte ce que dit Ouide au premier de lart d'Aymer :
Qaod iuuat, inuitsa fsepe dediue Tolunt.
A fin quen temps et en lieu elles en fassent leur proufit, et puissent alléguer la force et la contrainte.
74 ILLVSTRATIONS DE GAYLB, ET
CHAPITRE VIII.
De la dépopulation et robement de la cité de Lacedemone, et des tré- sors du Roy Menelaus, et rauissement voluntaire de la Royne He- leine : auoc désignation du premier lieu, auquel Paris et elle se ioingnirent ensemble : et des larmes dicelle, dont fut procréée Iherbe appellee Helenium, qui sert à la beauté des dames. Du pil- lage fait en lisle de Cytheree. Et comment ilz partirent dillec : et furent poursuiuis par Castor et Pollux et errèrent en mer, sans sauoir tenir le chemin de Troye. Auec vne inuectiue contre Paris et Heleine.
Apres donqves que ces lettres, lesquelles sont plus am- blement couchées es epistres d'Ouide, furent baillées au très- beau Paris par vne desdites damoiselles, et quil les eut veûes et leiies, il faut penser que iamais homme ne receut ioye si accomplie, quil feit. Si tira incontinent son frère et ses com- paignons à part, et les leur monstra. Et leur feit bien noter ceste clause expresse : par laquelle elle signifioit en la fin de son epistre, quelle ne queroit autre chose, fors estre contrainte et rauie par force. Adonques ilz dirent, tous dun accord, quil estoit saison de besongner ce soir mesmes, sans plus longue dilation : car il faut battre le fer tandis quil est chaud. Le capitaine des gens de guerre auoit fait toutes ses approches et diligences tresindustrieusement, selon la délibération précédente. Si laduertit Paris, que ce soir mesmes, il falloit mettre ses gens en œuure, dont il fut tresioyeux. Par ainsi quand la nuict obscure, laqi^lle
SINGTLABITEZ DE TROTB. LIVRE II. 75
semont toute chose viuante à repos, fut venue, les citoyens de Lacedemone, ignorans de toute la trahison, se couchè- rent chacun en son priué. Mais les Troyens qui point ne dormoient, leur causèrent vn piteux resueil.
Car à certain son de trompettes, qui leur estoit baillé pour signe, tous lesTroyens, Phrygiens, Dardaniens.etPeoniens estans desia armez et bien empoint, sesmurent soudain. Et premièrement et auant toute œuure, se saisirent de leurs hostes, es maisons desquelz ilz estoient logez : et se feirent maistres de leurs personnes, de leurs logis et armures. Eneas et Glaucus auec ledit capitaine, et grosses bendes et cohortes des plus asseurez gendarmes, auoient aussi desia occupé le marché de la cité, et certaines des principales rues, pour garder que ceux de la ville ne vuidassent des maisons, et se ralliassent : tellement que à force de trait et de pierres iettees à la fonde, il ny auoit si hardy Lacede- monien, qui sosast monstrer à huys ne à fenestre. Et dau- tre costé, les patrons et capitaines des galees, auec leurs gtens, et raathelotz en armes, se tenoient prestz en deffense, antour du port pour attendre et recueillir larraee et la proye, et garder que les ennemis ne boutassent le feu en leurs nauires. Et ce pendant, Paris, Deïphobus et Polyda- mas, auec la fleur des gentilzhommes et bons gensdarmes, estoient entrez au palais, sans trouuer gueres de resistence. Et se saisirent tout premièrement de la Royne Heleine, laquelle ne feit pas grand contradiction. Et prindrent aussi ses deux damoiselles, Ethra et Clymena, parentes de Mene- làus, ensemble vne sienne femme de chambre, nommée Gréa, et autres des plus nobles et des plus belles, dont on ignore les noms. Troussèrent aussi toutes leurs bagues et ioyaux. Et en oultre pillèrent les trésors, richesses, vais- selle dor et dargent, pierrerie et tapisserie : et générale-
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ment tous les bons meubles du Roy Menelaus quilz trouue- rent au palais. Et à tout ce, se transportèrent en leurs nauires. Quand Paris, Deïphobus et Polydamas auec leurs gentilzhommes, et la Royne Heleine, et ses femmes, ensem- ble tous lesdits meubles et trésors, furent à seureté dedens lesdites galees, alors à vn son de trompette, tout le demou- rant de la cité fut abandonnée à pillage. Leffroy fut grand, la noise fut horrible. Les poures Lacedemoniens trahis et circonuenus souz ombre de bonne foy, ne sauoient à quel courir ; et ne pouuoient donner ordre à ce quilz se rallias- sent, pour faire vne pointe de deffense. Là y eut mainte noble femme honnie, et mainte belle pucelle violée. Maint vaillant homme qui cuida résister à leur damnable emprise pour le salut de son païs, fut meurtry et affolé. Maint huys y fut rompu, et maint coffre effondré, et le dedens exposé à pillage et rapine. Les temples des Dieux mesmes par sacrilège y furent brisez et prophanez, et les statues et simulacres dor et dargent emportez. Et brief, tout le desroy inhumain et criminelle abomination, que licence militaire et fureur bellique ont accoustumé de commettre en tel cas, y fut exploitée. Et croy que encores ne sabstindrent ilz point, de bouter les feuz en diuers lieux. Si estoit pitié et horreur douyr les cris féminins, les pleurs des enfans, les souspirs des vieillards, les chapplis (1) des frappans, le char- pentement (2) des vainqueurs, le bruit des harnois, les re- gretz des fuyans, les plaints et lurlement des mourans : et le tumultueux gémissement de toute la cité confuse.
De tel douaire fut doué ce monstre féminin, la malheu- reuse Heleine, quand dame Venus la liura premièrement au iouuenceau Paris, pour acquiter sa promesse. Tellement
(1) o.-à-d. les coups. — (2) Populairement, charpenter = frapper sur.
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIYBB H. 77
qne sans auoir douleur ne compassion du grief de son peu- ple destruit et desconflt, de la désolation de sa noble cité déserte, et de la ruine et dépopulation de Iheritage de son mary, elle seoit au giron de son adultère, et repaissoit ses yeux de la flambe ardante et bruslante le patrimoine domestique de sa seule fille Hermione. De laquelle elle estant la trescruelle marastre, et non pas mère, nauoit mémoire ne recordation aucune. Et auoit le cœur si en- durcy, quelle auoit bien la patience de voir à yeux secz et non mouillez de larmes, les souldars de Troye, les enne- mis de son territoire, rentrer en leurs vaisseaux et naui- res, tous souillez du sang Lacedemonien, tous puans en- cores de la récente luxure commise es corps des nobles matrones et virgines pudiques de Sparte, tous chargez de la despouille, acquest et espargne de ses bons citoyens, et des choses consacrées et dédiées aux temples des Dieux : menans auec eux liez et enferrez plusieurs beaux et nobles adolescens, pour prisonniers, et maintes pucelles gentiles, en seruitude comme esclaues. 0 cœur félon, dur et marbrin, ô courage estrangé dhonneur, (1) aliéné de raison, loing- tain de pitié féminine, transformé en cruauté barbarique, ô visage angelique et vénérien, ayant queiie draconique et serpentine : que tant te coustera cher le crime que tu com- metz à présent, que tant en seront de femmes vefues, et denfans orphenins, ains que le meffait que tu encommences soit purgé. Et toy chetif Paris, garny de vaine et inutile beauté, tu tesiouis à ceste heure, en receuant le transitoire guerdon de ton fol iugement, et ne voudrois auoir eslu les hautaines richesses de dame luno, ne la rémunération éter- nelle de la sapience et vertu de dame Pallas. Mais assez
(1) o.-à-d. perdu d'honneur.
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auras encores loisir de ten douloir, et maudire ta malheu- reuse stolidité. Dame Venus ton accointe, (1) tha fait faire ceste nuict vn beau chef dœuure pour les prémices et fruit primerain de tes vaillances, mais tard sera que tu ten repentes.
Ainsi fut la cité de Sparte ou Lacedemone pillée par les Troyens. Laquelle chose fut légère à faire, attendu quelle nestoit point murée, ne garnie de portes ou boleuers. Ainsi que demonstre Ouide au dixième liure de sa Métamorphose, disant :
Dam Deu8 Eurotan immunitamque fréquentât Sparten ;
Et Philostratus en la uie d'Apollonius, au premier liure, dit ainsi, en la personne dudit Apollonius parlant au Roy des Ethiopes : Lacedœmonum namque ciuitas, ô recc, ahsque mwris habitatur. loint à ce que ceux de dedens ne se dou- tassent iamais de telle trahison. Apres lequel cas perpétré, les ancres furent leuees du port de Lacedemone, sans con- trarietez. Si labourèrent les patrons à se ioindre au rema- nant de larmee, qui gardoit les ports de lisle de Cytheree, et des villes de Cranaé et de Cytheree en ladite isle. louxte ce que dit Homère en son Iliade :
Nec cum te rapiens, primum è Lacedsemone pulchra, Pontiuagis ratibus Craaao me la littore iunxi. (2)
Lesquelz vers Strabo allègue au ix. liure de sa Géogra- phie. Eux arriuez ensemble, enuiron laube du iour, il y eut grande exclamation et festoiement, entre les compaignons et mariniers, qui se vantoient et glorifîoient de leurs beaux
(1) c.-à-d. complice. — (2) poni magis (éd. 1516). Ce qui u'offi-e aucnn seoa. Cf. Iliad. III, 444.
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faits victorieux. Les habitans desdites villes de Cranaé et Cytheree, voyans linsolence et la crierie non accoustumee des Troyens, et aussi pource quilz pouuoient auoir veu les feuz de Lacedemone, nestoient point fort à leur aise, ain- Qois veilloient à leurs créneaux en grand crainte et doute : et non sans cause.
Incontinent que les galees Troyennes furent ancrées en ladite isle de Cytheree aux ports desdites villes, Paris se feit mettre en terre, et la Royne Heleine aussi. Et com- manda promptement quon tendist vn pauillon au myliea dune belle prairie, estant au dessouz de la ville de Cranaé non pas loing du bort de la mer. Et dedens iceluy pauillon feit aussi dresser son lict de camp riche et somptueux à merueilles. Lesquelles choses faites et ordonnées, il feit met- tre à lencontre dudit pauillon grand nombre de gensdarmes pour sa garde et seureté. Si se coucha auec la Royne Heleine, nud à nud. Laquelle chose il feit tant pour pren- dre possession du don et guerdon duquel la Déesse Venus le remuneroit, et luy en rendre grâces, comme aussi pour euiter le reproche, duquel Theseus Roy d'Athènes auoit esté noté, quand elle fut recouuree de luy, sans y auoir touché, comme dessus est dit. Or ne furent point presens audit assemblement et conionction de Paris auec Heleine, Hyme- neus le gracieux Dieu des noces, ne la bonne Déesse luno, qui préside aux mariages légitimes : car elle estoit ennemie de Paris, et totalement son aduersaire. Mais en leur lieu y abordèrent les trois diaboliques et horribles Déesses, que les poëtes appellent Furies. Cestadire Rages, Harpyies, Chiennes ou Eumenides, filles dun fieuue infernal nommé Acheron qui signifie perdition de ioye, et de la nuict téné- breuse et obscure. La première sappelle Alecto, cestadire non reposant. La seconde Thisiphone : qui vaut autant.
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comme voix furieuse. Et la tierce est nommée Megera : qui se peult interpréter noise ou discord. Ces trois vénérables mignonnes, ces trois chiennes enragées, ministres denfer et députées au seruice de Pluton à tout leurs cheueux colubrins furent celles qui tindrent les flambeaux preiudi- diciables et les malheureuses torches autour du lict des deux adultères, Paris et Heleine : et assistèrent à leur damnable embrassement. Et en lieu de doux rossignolz amoureux et autres oyselets, les chatshuans et les cormo- rans, qui sont oyseaux funèbres de mortelle signification et de malencontre, y vlulerent hideusement en lieu de chanter matines.
Aucuns acteurs, et mesmement Strabo au ix. liure de sa Géographie, mettent que icelle ville de Cranaé, auprès de laquelle fut faite ladite conuention de Paris auec Heleine, changea son nom primitif, et de là en auant fut appellee Helenium, en souuenance et commémoration du notable ouurage qui auprès délie auoit esté perpétré. Et sur ce passage ie ne suis point ignorant que, selon lopinion de Pline et de Strabo, en ladite isle de Cytheree, qui parauant sappelloit Porphyris, ny auoit quune ville du nom de lisle. Et donne à entendre ledit Strabo que Cranaé est vne autre petite isle du nombre de celles qui sappellent Sporades, et est située à lendroit de la région d'Athènes. Et se concorde à ce, quelle fut appellee Helenium, pource que Paris y cou- cha premièrement auec Heleine. laques de Bergome, au quatrième Hure du Supplément des chroniques, dit ainsi : Hélène septima maris A egœi insula : solum nota Eelçna Menelai régis vxoris stupris. Dares Phrygien en son his- toire Troyenne met expressément que Heleine fut rauie au dessouz de la ville appellee Helenium, en lisle de Cytheree. Et ledit Strabo et Pline, disent quen ladite isle de Cythe-
SUfGULARITBZ DR TROYE. LIVRE II. M
ree, y auoit vne ville portant le nom de lisle mesmes, comme desia est dit. Ainsi sensuiuroit, que pour lors y auoit deux villes. Et cest la raison qui mha meu à le mettre ainsi. Comment que soit, la difficulté est de petite estime.
Bocace aussi en allegantplusieurs raisons, dit que Heleina au temps de son rauissemment voluntaire, pouuoit auoir enuiron trente ans : auquel aage les nobles femmes et de bon esprit rendent leur beauté plus spécieuse, en y adioustant par art ce que la longueur du temps pourroit auoir diminué de leur formosité naturelle. Et quant à ce on pourroit dire ainsi, que les gens de ce temps là viuoient plus longue espace quilz ne font à présent, et aussi que leurs corpulences estoient plus grandes et plus vigoreuses que ne sont celles de maintenant, comme nous auons dit plus amplement au pre- mier Hure. Et par ainsi, les femmes nestoient point para- uenture si tost ne si tempre (1) meures, quelles sont ores : et duroit plus longuement la fleur de leur speciosité. Et pour auoir aucune coniecture que dame Heleine fust de plus grande stature que les femmes de maintenant, il me souuient auoir ouy dire à Blanchart le noble, natif de Chalon sur Saône, homme de grand mémoire et expérience : (car il auoit seruy le grand Turc Mahumeth Othuman, de maistre fon- deur dartillerie, et depuis les Vénitiens, et maintenant est orfeure de la tresclere Princesse à laquelle ceste œuure est intitulée) mais il me contoit, quen vne des isles de l'Archi- pel, nommée Lediles, (2) il auoit veu autresfois vn colosse ou simulacre de ladite Heleine, comme disoient ceux du pais : et estoit icelle statue de marbre blanc, taillé par grand artifice après le vif, plantée en terre iusques au nombril.
(1) c.-à-d. de boane heure. Cf. le liègeoia tenprou = précoce.
(2) Délos, auj. JHH, Sedili.
II. 6
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Et selon son estimation, pouuoit bien auoir la hauteur de cinq femmes modernes. Mais elle estoit sans teste : car vn Geneuois la luy auoit ostee, pour la donner au seigneur Vir- gile Oursin Romain, trescurieux de telles antiquitez. Dit oultreplus vn grand homme appelle Nicolas Perot, (1) iadis euesque de Siponte, au sixième liure de son volume appelle Cornucopie : Que après que les deux amans se furent leuez de leur esbat vénérien, la belle Heleine se meit à plourer amèrement, tellement que les ruisseaux de ses larmes tora- boient en grande abondance aual sa clere face, et arrosoient la terre alenuiron. La cause de son pleur venoit ou pour iuste douleur et remors de conscience de son crime détes- table de sa chasteté brisée, et dissolution de son mariage légitime, ou peult estre par feintise féminine : ou autre- ment pour la signification que le cœur luy apportoit des grans maux qui à ceste cause estoient à aduenir. Or, de quelque cause ou mouuement que ce fust quelle plouroit, sans nulle faute elle auoit assez matière de ce faire. Et afferme iceluy acteur mesmes que de sesdites larmes, qui tombèrent en terre, nasquit illec vne herbe bassette, quigi- neas, qui ne seslieue de terre, (2) et ha les fueilles semblables à polieul ou serpolet, icelle herbe est appellee Helenium, pource quelle fut procréée des larmes de la belle Heleine. Et ha telle vertu et propriété, quelle peult esclarcir le teint du visage des femmes, et conseruer en beauté le cuir (3) de leur face, et de tout le demeurant de leur corps, sans pus- tules, sans macules et sans rides. Et ha aussi la puissance de prouoquer le courage des hommes à amour, et de ren-
(1) N. Perotti (1430 — 1480). Cornucopia, sive commentaria Un- gua latinee (Venise, 1489 in fol.).
(2) qui guieres ne seslieve (mscr. de Genève).
(3) c.-à-d. la peau.
SIWr.TLARITEZ DE TROTB. LIVRK H. 85
dre la personne ioyeuse, et agréable, quand elle est beùe auec du vin. Aucuns lappellent omnimorbia, pource quelle est propice à plusieurs maladies. le suis dopinion que Ihomme seroit bienheureux au temps présent qui sauroit congnoitre ceste herbe pleine de si grands vertoz : et en feroit grandement son prouflt enuers les dames.
Apres donques ces choses faites, selon ce que ie puis cueillir et coniecturer par les dits des bons acteurs, les deux villes estans en ladite isle de Cytheree, cestasauoir Cytheree et Cranaé, autrement dite Helenium, furent pillées par les Troyens, Et aussi despouillé par sacrilège le temple de Venus pour le guerdon du bien quelle auoit fait à Paris, en luy donnant Heleine. Et pareillement le temple de Diane et d'Apollo estant illec sur le riuage de la mer, près de la cité d'Helenium. Et plusieurs prisonniers emmenez, comme met expressément Dares Phrygien, nonobstant que ceux de ladite isle feissent la meilleure defifense quilz peurent. Mais contre le grand nombre des gens de Paris, impossible leur fut de résister. Icy ha diuersité entre noz acteurs : Car Dictys de Crète, Ouide, et plusieurs autres mettent le rauissement d'Heleine, auoir esté perpétré en la cité de Lacederaone, ainsi et par la manière que cy dessus lauons descrit. Mais Dares de Phrygie tout seul ne fait point men- tion de Lacedemone, ains dit quelle fust prinse audit tem- ple de Diane et d'Apollo en ladite isle de Cytheree, auquel temple elle estoit venue pour voir Paris, souz ombre de faire sacrifice en iceluy. Quoy que soit, tout renient à vne conclusion. Mais tousiours ie marreste à la plus saine partie.
Tous lesquelz beâUX vaisselagôs ôt magniâques emprises menées à chef, le beau Paris commanda leuer les ancres, et faire voile légèrement, combien que le vent ne fust gueres
84 ILLVSTnATIONS DE GAVLE, ET
propice. Mais ce nestoit pas chose seure de se tenir plus longuement en terre ennemie, laquelle ilz auoient si énor- mément dommagee. Adonques les mariniers deuenuz tous riches de mauuais acquest, se ietterent diligemment hors des ports, guinderent leurs trefz, singlerent du vent à la bolingue (1) à grand ioye et triomphe, et exclamations nau- tiques, et dressèrent les timons de leurs nauires, pour tirer en Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie ou Nato- lie, emmenans auec eux la malheureuse proye qui si cher leur coustera. Les poures Lacedemoniens, et ceux de lisle de Cytheree, qui les voyoient desloger, conuoyoient leurs voiles non pas auec bonnes prières, mais auec malédictions exécrables, pour le grand dommage quilz auoient souffert. Plusieurs des plus dolens, mesmement les seruiteurs de la Royne Heleine, armèrent aucuns petis nauires et brigantins légers, et se meirent en mer de 1 autre costé, pour aller en lisle de Crète, faire sauoir le meschef et grand mesauenture à leur Roy Menelaus qui y estoit. Aussi Dares de Phrygie met que Castor et Pollux, frères d'Heleine, après ce quilz furent aduertis du rauissement de leur sœur, se meirent à la poursuite en grand haste, pour la recouurer : mais leurs nauires effondrèrent et furent foudroyées, auprès de lisle de Lesbos, quon dit maintenant Methelin, par force de tempeste et tourmente : et eux y furent tous péris et noyez. Combien quil y ayt autres opinions de leur mort, comme nous auons touché cy deuant. Et dautre part les Troyens, au moyen de la contrariété des vents, furent transportez en la Costa d'Afrique et de Barbarie, tout au rebours de leur inten- tion. Mais nous les laisserons errer par la marine vue espace de temps, et retournerons vn petit à Troye. Car assez à temps les viendrons nous retrouuer là où ilz seront.
(t) c.à-d. aller à la bouline, avec uu vent de biais.
SmCVLARlTEZ DE TROYit. LIVRK II.
CHAPITRE IX.
•
Narration d« la mort fortuite des deux baatards de Priam, et de U Nymphe Esperie, et du dueil de Priam et des siens, mesmement da la Nymphe Oenone, tant à ceste cause, comme pour le long seioor de Paris. Et des deuisen et vaticinations de Cassandra. Ensemble recitation daucunes fables. Et aussi de loccupation vertueuse da ladite Nymphe Oenone, et de la beniuolence que Priam et les siena auoientà elle.
Endementiers que le beau Paris Alexandre vaquoit à son emprise vénérienne, le gentil Esacus lun de ses frères bastards, et des plus ieunes, lequel le Roy Priam auoit engendré en la Nymphe Alixothoë fille de Dymas, comme est dit au premier liure, alla mourir au grand desplaisir du Roy Priam et de tous ceux de Troye. Et la cause de sa mort fut telle : ledit Esacus frequentoit voulentiers la contrée de Cebrine, dont son frère le trespreux Hector estoit seigneur. Et se trouuoit souuent autour de la valee de Mesaulon et les montaignes Idées, pource quil aymoit souuerainement les champs et la chasse, et nauoit cure de la cité. Or alla il tant et vint en ce quartier, quil fut espris de lamour dune belle Nymphe dicelle région de Cebrine, laquelle auoit nom Esperie, (1) et fut iadis des com- paignes et familières de la Nymphe Pegasis Oenone. Par trait de temps le noble enfant Esacus, luy requit tresin-
(1) Bptrie (msor. de Genève et ëd. 1516 et 1528).
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stamment auoir la iouyssance de son amour. Mais elle qui estoit sage et prudente pucelle, et aymoit sa virginité, sen excusa du tout, et ny voulut aucunement entendre. Et ce voyant Esacus, à qui le désir amoureux estoit redoublé au moyen du dit refuz, espia la belle maint iour et mainte nuytee : et tant trauailla par curieuse diligence, que fîna- blement il la surprint vn iour quelle seichoit ses beaux cheueux aureins au Soleil, auprès dune clere fontaine et loing de gens, dont il fut tresioyeux, que plus ne pouuoit, cuidant estre venu à chef de son emprise. Mais trop sen faillit : car des que la noble Nymphe lapperceut, elle fut si troublée de la grand peur quelle eut, quelle print incontinent sa course, au long dune belle prairie, sans autrement adou- ber ses belles tresses qui flottoient autour de ses espaules. Et tout ainsi comme laloëtte ramage (1) estant emmy la cham- . paigne loing des buissons, ha dauenture entreueu ou cuidé entreuoir, lombre de lespreuier son mortel ennemy, volant en lair : ainsi fuyoit la gente pucelle toute esperdue et des- cheuelee, et le gentil Esacus après. Mais crainte virginale augmentoit puissance de courir à la Nymphe. Et dautre part lappetit de lamoureuse proye administrât vélocité au ieune amant. Or aduint il de grand malheur, que la belle en courant, marcha de son pied nud et tendre sur la queiie dun aspic venimeux et mortel, musse entremy Iherbe : lequel la piqua dune dent, au bout de larteil du pied, tel- lement quil y laissa le venin mortifère dont la pudique vir- gine alla promptement mourir sur le champ par loutra- geuse violence du venin. Alors veissiez le plus dolent des amoureux, tant troublé, tant desconfit, et tant aggressé du dueil, que difficile chose seroit à le raconter. Si commença
(1) c.-à d. sauvage.
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à detraire ses beaux cheueux, tordre ses poings, et batre sa poitrine, comme vn homme désespéré, voyant quil estoit cause du mortel inconuenient de sa dame. Et après plu- sieurs pitoyables regretz et lamentations indicibles il sen alla comme forcenant au plus haut sommet dun rocher pen> dant sur la mer Hellesponte, et dillec se précipita es vndes marines, et se noya. Ouide en son xi. liure de Métamor- phose, recitant ceste histoire, dit que Tethys la grand Déesse de la mer, de pitié quelle eut de lenfant Royal, le receut entre ses bras, et le mua en vn plongeon. Laquelle fiction ne tend à autre signifiance, sinon que ceux qui se noyent, ressemblent aux plongeons : car auant quilz soient du tout esteints, on les voit remonter deux ou trois fois sur leaue.
Quand ceste douloureuse auenture paruint à la notice du Roy Priam, il en mena un merueilleux dueil, pource que sur tous les bastards, celuy estoit son plus cher tenu : et comme tesmoigne Ouide audit xi. liure de Métamorphose : Il auoit apparence destre vaillant, comme vn second Hec- tor, sil eust peu viure son cours naturel. Mesmes iceluy noble Prince Hector, pour les mérites des vertus quil auoit congnues au defunct le regrettoit beaucoup : si faisoient ses autres frères tant légitimes que bastards, et ses sœurs bastardes. La Royne Hecuba et ses filles aussi le plouroient parfondement. Mais entre les autres, la Nymphe Pegasis Oenone, et le bastard Cebrion de Cebrine en demenoient le plus aspre dueil, tant pour lamour du feu noble Esacus, leur frère, qui en son viuant leur auoit fait maint seruice, comme pour lamour de la Nymphe Esperie, en son temps compaigne et amie cordiale de ladite Oenone, et aussi sa prochaine voisine. Or après longue deploration, la pompe funerale fut faite, tant de lun comme de lautre. Si honnora
88 ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
le bon Roy Priam iceux deux corps par ensemble, de sé- pulture magnifique, attendu que lun auoit causé deffinement à lautre. Mais après que tous eurent cessé leur dueil, le bon Roy Priam ne se sauoit appaiser : car point nauoit encores accoustumé fors toutes choses prospères et agréa- bles.
Et pource quun malheur ne vient iamais seul, il ne tarda gueres que après la mort du bastard Esacus, que plusieurs varletz et païsans apportèrent à Troye en vne bière le corps dun autre sien filz bastard, nommé Teucer, lequel il auoit eu de la Nymphe Anthiodone. (1) Et auoit esté occis en la forest de Bebryce, par vn grand et merueilleux ours, comme met Bocace, au vi. liure de la Généalogie des Dieux. Si renouuella le dueil du Roy Priam, plus aspre que deuant, car cestoit certain présage de ses infor- tunes aduenir. Et après quil eut fait faire ses obsèques funerales, il entra dautre part en grand doute de ses deux enfans légitimes Paris et Déiphobus, et de larmee quil auoit enuoyee en Grèce, pource que point nen auoit de nouuelles. Et pour ces raisons sa noble chère estoit toute obnubilée de contristation occulte, et à bon droit : car naturel instinct lenhortoit à ce faire, pour le grand mal qui luy estoit prochain, à loccasion duquel, son dueil sera souuent renouuellé, par morts quotidiennes, et occisions fréquentes de ses nobles enfans.
Aussi la gracieuse Nymphe Pegasis Oenone estoit toute pensiue et melencolieuse, pour la si longue absence de son mary, qui plus ne luy est rien, mais encore ne le scait elle point. Et souuent faisoit enquérir par ses gens, des mar- chans ou estrangers, venans deçà la mer, silz en sauoient
(l) Ântidone {éd. 1516 et lbZ8).
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aucunes nouuelles, mais nulle nen ponuoit apprendre. Si montoit aux hautes tours et dongeons du palais, et y menoit ses belles sœurs Cassandre et Polyxene, et les antres, pour voir si dauenture elles verroient blanchir nulles voiles sur la marine. Et quand aucunesfois ses yeux deceuz par grand affection voyoient ou cuidoyent voir aucunes nauires na- geans au vent, alors elle muoit couleur et tressailloit toute de ioye, et sesiouyssoit en vaine espérance. Et puis quand elle se trouuoit deceiie de son cuider, elle palissoit tout acoup, et arrosoit sa clere face de larmes : car elle qui auoit assemblé et vny toutes les affections de son cœur en lamour et bienueillance de son seigneur et mary Paris Alexandre, ne songeoit autre chose fors son retour et sa santé prospère, tellement quen ses gestes, en sa contenance, en son parler et en sa chère, on pouuoit aisément lire la haute sublimité damours qui tenoit siège et habitacle au clos de son noble cœur.
Lesquelles choses voyant et congnoissant la noble pucelle Cassandra, il luy en prenoit grand pitié. Car elle sauoit par esprit de prophétie, le rauissement d'Heleine, laliena- tion du courage de Paris, et le prochain diuorse et sépa- ration de luy et de ladite Nymphe. Si luy disoit, ainsi comme rauie en ecstase par mois couuers et pleins dambi- guité : « Ha ! noble Nymphe Oenone ma chère sœur, que fais tu lasse ! mamie, que fais tu, tu laboures en vain, tu te tra- uailles pour néant de fonder ta si grand amour sur mon frère Paris. Il vient vne génisse Grecque, vue mauuaise beste cornue, qui mengera ton fruit et ta pasture, et mènera à perdition ce Royaume et ceste maison. 0 Dieux tous puissans, gardez que si grand esclandre naduienne, preseruez nous de tel inconuenient. » Quand la sage Cassan- dra pronongoit ces paroles obscures et prophétiques, la
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Nymphe Oenone trembloit toute de peur, et luy dressoient les cheueux en la teste, ignoramment toutesuoyes : car elle nentendoit point leur signifiance, neantmoins le cœur ne luy en apportoit nulle bonne interprétation. Adonques Cas- sandra luy disoit derechef : « Ma sœur, mamie Oenone, tu nadioustes point de foy à mes paroles, non plus que les autres ne font, ie le scay bien : car mon malheur est tel. Si te vueil bien conter la raison pourquoy il maduint, que à mes vaticinations et deuinemens, nully ne veult croire. Il est vray, mamie, que iadis le Dieu Phebus Apollo, lequel te donna puissance sur toutes herbes et racines, édifia les murs de ceste cité, auecques le Dieu Neptune : et pour ce faire, se meirent tous deux en semblance humaine. Et tant y seiournerent, que le Dieu Apollo senamoura de moy, ou aumoins il en feit le semblant. Si me requist damours fort ieunette que iestoye : mais quelque ieune que ie fusse, si nestois ie point simple ne nice. Ains estant informée de sa grand puissance, ie luy dis, par cautele, que ie my consen- toye, moyennant que premièrement et auant toute œuure, il mottroyast vn don, tel que ie luy demanderois : de laquelle chose il fut de léger content. Si len feis auant iurer sur Styx la grand palu d'Enfer, laquelle les Dieux supérieurs nosent aucunement pariurer. Pource que sa fille Victoire, obtint d'eux ce perpétuel priuilege, quand elle les ayda alencontre des merueilleux Geans, qui iadis vouloient escheller le ciel, et ietter les Dieux hors de leurs propres maisons. Que te ferois ie long conte ? le Dieu Apollo iura voulentiers. Et quand ie veis quil eut fait le serment irreuocable, ie fus lors acertenee de mon cas. Si luy demanday promptement quil me donnast la science de vaticiner, cestadire de deui- ner, sauoir et prophétiser toutes choses passées, présentes et aduenir. Laquelle chose il me conferma facilement,
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pource quil est Dieu de vaticination aussi bien quil est de médecine, parquoy ie fus incontinent sage deuineresse. Ce fait, il me demanda aussi le guerdon damours que promis luy auoye, comme il disoit. Mais ie luy deniay et refusay pleinement, comme faire deuoye : car il ne queroit que la despouille de mon pucelage et vii^nité, que iamais neofse enfrainte pour chose quil meust sceu faire ne donner. De ce refus, fut si troublé et marry le Dieu Apollo, et le print si mal en gré, que plus ne pouuoit. Et voyant quil nauoit puissance de me toUir ce quune fois mauoit ottroyé par serment, il me dit dune chère despiteuse et iree, en ceste manière : « 0 pucelle trop fine et trop subtile à deceuoir les Dieux : tu auras bien peu fait de conquest en lottroy non desserui. Car à fin que les autres apprennent à non se mo- quer des supérieurs, ie détermine dicy et desia, que iamais nul iour de ta vie tes deuinemens et prophéties ne pourront obtenir lieu ne credence enuers les hommes mortelz, ains seront tousiours par iceux estimées vaines et friuoles. Et après auoir ce dit, il se départit. Mais sa destinée, (l) ma douce sœur et amie, ha tousiours depuis ensuiuy son effect, et encores fait iournellement, au grand preiudice et dom- mage de Troye. Par ainsi tu as ouy loccasion de ce mal- heur. »
La belle Nymphe Pegasis Oenone, si perplexe et si dou- teuse, que plus ne pouuoit, nentendoit encores rien au lan- gage obscur de sa belle sœur la sage Cassandra. Et celle aussi ne luy en vouloit rien declairer plus auant, mais changeoit autre propos, et tournoit tout à ieu et à bourde. Si se prenoient toutes ces nobles Princesses ensemble à se déduire et sou lasser en aucun passetemps. Et toute Ihuma-
(1) c.>à-d. son arrôt.
92 ILLVSTRATIONS BE GAVLE, ET
nité et coniouyssement dont on se pourroit aduiser elles et leurs frères les nobles enfans de Priam, faisoient à ladite Nymphe, en labsence de son seigneur et mary Paris Alex- andre, esmuz à ce pour la douceur, sens et beauté quilz trou- uoient en elle. Et elle aussi leur rendoit mutuel obseque, (1) et causoit tant à eux, comme aussi au Roy et à la Royne, beaucoup de plaisir et de volupté, par les effectz de sa noble science medecinale, et congnoissance intrinsèque de toutes herbes, plantes, racines, fruits, semences, fleurs, pierres précieuses, gemmes, et espèces de mines métalli- ques, et de leurs efficaces et vertus. Au moyen dequoy, elle composoit plusieurs précieux vnguens de merueilleuse odeur : Nobles baumes artificielz de grand véhémence et opération : Conserues de toutes manières de choses aroma- tiques : Antidotes de louable efficace, contre tous venins et poisons : Nobles antraits (2) de grand remède et value : Pouldres cordiales bien mixtionnees : Eaues distillées en lalembic de souefue senteur et grand vertu : Quintes essen- ces de grand artifice, et mille autres gentillesses et choses salutaires, esquelles elle soccupoit en passant son ennuy, et en faisoit grand seruice à ses amis, dont elle estoit prisée et cher tenue dunchacun. Mais délie nous laisserons le conte, pour le présent, et retournerons en Crète, où le Roy Menelaus est. En quoy faisant, ensuiuray pour la plus part, mon acteur Dictys de Crète en son premier liure.
(1) obséquieux, excessif en complaisance. V. plus haut ohscqy,e funeralle = service funèbre.
(2) c.-à-dire astringents. Cf. intractus, et flam. intrekken, resser- rer. Ce mot signifie aussi onguents. Le manuscrit de Genève porte : entraitt.
SINGVLARITEZ DE TROYE. UVBB U. 98
CHAPITRE X.
Explication da partage fait par le Roy M«nelaas aaec ses coasios tes Roys de lisle de Candie, et autres, toochant les trésors et sacces- sioDS de son oncle maternel Atreus descendu de Minos. Et com- ment luj estant illec, nouuellea luy vindrent du l'auissement de m femme Heleine. De soa retour en Lacedemone ; et de lambasaad* enuoyee à Troye.
Or met iceluy tresancien acteur Dictys de Crète, que le Roy Menelaus de Lacedemone, qui fut filz de Plisthenes et d'Europa fille d' Atreus, qui fut de Minos, qui fut de lupi- ter, troisième de ce nom Roy de Crète (comme desia est dit icy deuant) fut le bien venu en ladite isle de Crète, quon appelle maintenant Candie : Car ses beaux cousins Roys de ladite isle, cestasauoir Idomeneus filz de Deucalion, et Merion filz de Molus, tous deux neueux du Roy Minos, le receurent en grand gloire et triomphe. Aussi sy trouua le noble Palamedes filz du Roy Nauplius de lisle de Nigre- pont, et de la Royne Clymena. Laquelle Clymena comme ie puis coniecturer, estoit sœur dudit Atreus de Crète, et sœur d'Europa mère de Menelaus. Autres aussi dudit lignage sy trouuerent qui ne sont point à propos. Mais le Roy Agamemnon de Mycenes, frère aisné de Menelaus, et leur sœur Anaxibea femme du Roy Nestor de Pylon ne sy trouuerent point : pource quilz furent occupez en autres leurs afiaires, ains mandèrent à leur frère Menelaus quilz se ôoyent du tout en luy du partage de la succession à eux
94 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
laissée par feu ledit Roy Atreus de Crète, leur ayeul mater- nel : et que ce quil en feroit haut et bas, seroit ratifié par eux. Ainsi procéda ledit Menelaus auec les autres à la diui- sion et partage que dessus. Et en ensuiuant lordonnance testamentaire dudit feu Roy Atreus, le Royaume de Crète, citez, terres, . yiHes, chasteaux, et seigneuries dependans diceluy, demeurèrent à ceux qui estoient descenduz de leur grand ayeul le Roy Minos en lignée masculine : cestasa- uoir lesdits Idomeneus et Merion, qui depuis vindrent au siège de Troye. Et les meubles, cestasauoir or et argent en œuure et en masse, et bestial, dont il y auoit grand multi- tude (car cestoit la plus grand richesse des Princes anciens) furent distribuez également aux enfans des filles dudit Atreus filz de Minos : car il y eut vn autre Atreus filz de Pelops, et oncle dudit Menelaus, comme dessus est dit. Di- celuy partage et distribution chacun se tint pour content et bien apenné : (1) cestasauoir le Roy Menelaus, tant au nom de son frère Agamemnon, et de sa sœur Anaxibea, comme pour luy mesmes : Palamedes aussi de son costé, et les autres du leur. Et ce fait, ilz se adonnèrent à faire toute bonne chère, car les barons et seigneurs de ladite isle sef- forcerent de faire grans banquets et autres esbatemens, ius- ques à ce que les nouuelles de la désolation de Lacedemone et de Cytheree et du rauissement d'Heleine vindrent à la notice du Roy Menelaus.
Quand donques ce tresdolent bruit fut espars parmy ladite isle, et que tous les iours suruenoient gens de Lace- demone et de Cytheree, qui faisoient foy et rapport plus que certain du grand maléfice perpétré par Paris de Troye,
(1) c.-â-d. biôû partagé, pourvu. Cf. Ducange apaMre, et souste- nance (apanamentum).
SINGTLARITEZ DE TROTE. UVRB II. W
la feste et bonne chère cessèrent soudainement, entre let- dits Princes estans en Crète, et fut vnchacun troublé oul- tremesure. Mais dessus tous les autres le Roy Menelaus en menoit le plus grand dueil : car il luy touchoit de plus près. Et combien que la perte de ses trésors et richesses innome» râbles, et le rauissement de sa femme Heleine lay fust bien grieue chose à supporter, toutesuoyes estoit il encore plus desplaisant, de liniure faite aux deux damoiselles, Ëthra et Clymena ses parentes : comme met expressément nostre acteur Dictys de Crète, lequel estoit natif de ladite isie mesmes, et pouuoit estre présent à toutes ces choses. Mais iceluy Menelaus ignoroit quelles eussent esté messagères secrètes, ou pour mieux dire, maquerelles de leur dame. Alors quand le noble Prince Palamedes, de Nigrepont, apperceut son cousin le Roy Menelaus à force de grand ire et indignation qui le surmontoit, estre tout esbahi et par- fondement estonné, sans sauoir donner ordre à son propre affaire, il aduisa promptement de faire equipper les nauires siennes et celles dudit Roy Menelaus. Puis Palamedes vint audit Roy son cousin, et le consola en peu de paroles, au mieux quil peut : en allegant tout ce qui fait à alléguer en tel cas : et le feit monter en vne de ses galees. Et quand ilz furent tous montez et embarquez, il se meirent en mer, et eurent temps à souhait, si arriuerent en peu de temps en la cité de Lacedemone, fort désolée et endom- magée par les Troyens. Là où le Roy Agamemnon et le Roy Nestor, et la plus part dautres Princes qui estoient descenduz de la génération de Pelops, furent desia arriuez incontinent quilz sceurent les nouuelles de la destrousse que Paris y auoit commise.
Quand donques lesdits Princes sceurent la venue du Roy Menelaus, ilz conuindrent très tous ensemble en son palais,
96 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
pour prendre délibération sur laffaire, qui tant leur tou- choit au cœur. Et combien que lenormitè du fait les inci- tast de prime face par grand fureur et concitation, de com- mettre plusieurs choses estranges sur matière de guerre, à lencontre des Troyens leurs ennemis mortelz, neantmoins par arrest meur et bien pondéré, en ladite commune assem- blée ilz conclurent, que au nom gênerai dentre eux tous parens, amis, alliez, et confederez ensemble, fust enuoyé premièrement et auant toute œuure, vne ambassade au Roy Priam, pour luy exposer les griefz, iniures et torsfaits à eux inferez par son filz Paris, et le sommer de rendre la Royne Heleine, Ethra et Clymena, parentes des Roys Aga- memnon et Menelaus. En semblable traité ce qui auoit esté rauy et emporté iniustement auec elles : et auec ce deman- der haute satisfaction de liniure. Et pour ce faire et em- prendre furent esluz trois grans personnages : cestasauoir le dessusnommé Palamedes, Vlysses filz de Laërtes Roy des isles d'Itaque et de Chanthelonie, (1) et pour le troisième Menelaus. Lesquelz se meirent sur mer en grand diligence : et prindrent le chemin pour tirer à Troye : et tant feirent par leurs iournees, quen peu de temps ilz y paruindrent.
Eux arriuez à Troye, le Prince Palamedes de Nigrepont, lequel estoit pour le temps dadonques beaucoup estimé tant aux armes comme au conseil, se tira incontinent deuers le Roy Priam : et en plein consistoire feit premièrement son plaintif et querimonie de loutrage perpétré en Lacedemone et en Cytheree par Paris Alexandre. Exposant comment il auoit subuerty le droit coustumier de toutes gens, en com- mettant opprobre si énorme et si exécrables es personnes propres de la femme du Roy Menelaus son hoste, et de ses
(I) Chan/elonie (mscr. de Oenôve).
SINGVLARITEZ DE TROTE. UVM II. 97
parentes : et aussi en pillant ses villes et citez, et en occisant ses subietz sans sommation de guerre preallable. Puis luj spécifia quelles et quantes haynes et semences de guerre se pourroient esmouuoir entre deux si grans règnes (1) et na- tions, comme estoient les Grecz et les Troyens, pour loccasioflP dudit forfait, en réduisant aussi à mémoire (2) les anciennes discordes de leurs ancestres Ilion et Pelops, desquelz les Royaumes et seigneuries firent tous destruits pour sembla-' ble cause. Au dernier, il mettoit en auant dun costé ler* diffîcultez de la guerre : et de lautre part, les biens et les proufits que paix nourrit et ameine : disant que le Roy Priam nauoit pas à ignorer, combien de mespris et indigna- tion vn si grief oultrage pourroit esmouuoir entre tous ceux du monde. Parquoy il sensuîuroit que ceux qui lauoient perpétré seroient relenquiz et abandonnez dunchacun, et en parfîn souffiriroient grieue punition de leur malice. Et ainsi que Palamedes vouloit encore déduire plusieurs autres choses, le Roy Priam luy entrerompit sa parole, et luy dit en ceste manière :
« le te prie, Palamedes, que tu te passes vn peu plus légè- rement (3) de produire ces langages si odieux, et que tu ten déportes (4)aumoins iusques à la venue de mes enfans. Car il me semble que cenest pas chose droituriere daccuser aucun en son absence, attendu mesmement quil est possible que les cas et crimes dont on charge celuy qui est absent puis- sent estre aboliz, ou deflfenduz, par présence. Ces choses et autres allega le Roy Priam, et commanda quon difierast la discussion de ces quereles iusques au retour de son filz
(1) Cf. l'italien regno = royaume.
(2) c.-à-d. ramener, rappeler.
(3) c.-à-d. facilement.
(4) c.-A-d. tu fen abstiennes.
II. 7
96 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
Paris et des autres. Et la cause fut, pource quil voyoit bien et congnoissoit que tous ceux de son conseil meuz par lorai- son de Palamedes, tacitement et à chère baissée sembloient sencliner de son costé, et estre malcontens de lœuure per- pétrée par Paris, Car ledit Palamedes en exposant toutes ces choses, par la faconde de son beau langage Grec, leur auoit causé pitié et commisération du cas. Ainsi le conseil fut délaissé pour ce iour. Et le Prince Antenor, homme de grand magnificence, et selon lopinion de Dictjs de Crète plus humain et mieux entendant raison que nul des autres, présenta libéralement son hostel ausdits ambassadeurs, et les y mena de leur grand vouloir.
Sur ce passage icj vient (1) à coniecturer comme la poure Nymphe Pegasis Oenone après auoir ouy les tresdures et tresdolentes nouuelles que les ambassadeurs de Grèce auoient apportées pour elle, commença aprimes à clerement entendre les obscures vaticinations et prophéties de sa belle sœur Cassandra la prudente pucelle. Et aussi fait à présup- poser que ladite Nymphe fut percée dun dard rigoureux de dueil empoisonné de ialousie, et quelle feit mainte piteuse lamentation, et ietta maint souspir véhément pour ceste cause. Mais telles choses se peuuent mieux imaginer que escrire. Pourquoy ie men déporte à présent, et men vois chercher Paris et les nauires Troyennes, que nous auons laissé sur mer, au partir de Cytheree, comme auez dessus ouy, pour icelles ramener à Troye.
(1) c.-à-d. on peut supposer que...
8INGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE II.
CHAPITRE XI.
Des errears (1) de Paris, faits en mer depuis son partement de Cjthe* ree : et comment par force de tempeste il an-iua en lisle de Cypre, et dillec fat transporté en Syrie, laquelle est amplement desciite : et pilla la cité de Sidone, et tua trajtreusemeQt le Roy dicelle son hoste : et de la vengeance qui depuis en fat faite par ceux de Rhodes.
Le sovvent allégué Dictys de Crète acteur tresautentique nous recite, que le beau Paris Alexandre et ses complices, emmenans leur malheureuse proye de Lacedemone et de Cytheree, après ce quilz eurent fait voile de vent non pro- pice comme dessus est dit, pource quilz nosoient plus demou- rer en terre de leurs ennemis, et quilz se furent escartez en mer, à force de tourmente et orage, ilz furent transportez malgré leurs dents à dextre là où ilz vouloient aller à senes- tre : car ilz tendoient de la mer de Larchipel entrer en la mer Hellesponte : et ilz furent iettez sur la coste d'Afrique, quon dit maintenant Barbarie de myiour. Et laissèrent à gauche lisle de Candie, et lisle de Rhodes. Pline au xxxiii. liure de Ihistoire Naturelle, met quen vne isle des Rhodiens, nommée Lyndos, et au temple de Minerue, Heleine en pas- sant donna et consacra vu calice ou hanap, dun métal nommé en Latin electrum, lequel se fait des cinq pars dor, et lune dargent. Et estoit ledit hanap de la grandeur de sa
(1) voyagei.
fOO ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
mamelle. Dillec comme ie croy à force de tempeste, et pource que leurs nauires estoient trop chargées de la despouille des Lacedemoniens et de ceux de Cytheree, ilz perdirent beau- coup de leurs appareilz, et furent les galees fort desbiffees (1). Finablement la fortune des vents les transporta dedens la mer de Carpathie et en la mer Pamphylienne, là où est le gouffre de Sathalie près du riuage de Turquie. Tant quen la parfin ilz se trouuerent à lendroit de lisle de Cypre : en laquelle après que la mer fut appaisee, ilz prindrent port et ancrèrent. Si estoit Roy de ladite isle pour lors, vn nommé Cuneus, lequel depuis vint à layde des Grecz contre Priam. Mais pour lors il laissa ancrer les Troyens paisiblement : car il estoit ignorant des maux par eux perpétrez en Lacede- mone et Cytheree. Et auec ce, souffrit quilz radoubassent leurs nauires, et quilz en prinssent ou feissent faire dau- tres, pour alléger les leurs. Lesquelles choses faites, iceux Troyens se remirent en mer. Et derechef ou par fortune, ou par la faute et ignorance de leurs pilots et mariniers, ou parauenture tout à leur essient, ilz furent transportez en la mer Syrienne droit deuant la cité de Sidone, (2) qui est en Syrie. De laquelle, selon nostre manière accoustumee, il faut vn peu descrire la situation particulière, combien que généralement il en sera encores touché au dernier luire.
Selon ce quon peult cueillir par les dits de Strabo, au XVI. liure de sa Géographie, Pline au cinquième liure delhis- toire Naturelle, et Isidore (3) auxxiii. de ses Etymologies, Syrie est lune des plus grands régions d'Asie la maieur, et est conformée ainsi quil sensuit : deuers Orient, elle ha le
(1) Dans Jean Marot, on trouve « esgriiTées, usées et desbiffées ».
(2) Sydone (mscr. de Genève). C'est Sidon.
(3) Ysodore (mscr. de Genève).
SINGVLARITEZ DE TEOYE. LIVBB II. f9i
grand fleuue Euphrates : deuers Occident, Egypte et la mer Mediterrane : du costé de Mydi, la mer Arabique, et de Septentrion, Arménie et Cappadoce. Elle se diuise en quatre parties principales. La première sappelle Syrie de Mésopotamie, située entre les fleuues Tigris et Euphra- tes. Et là est la grand et ancienne cité nommée Ëdissa, (1) autrement Rhages Medorum. La seconde est Celosyrie, en laquelle est Antioche tresnoble cité : en laquelle saint Pierre fut premier euesque. La tierce sappelle Syrie de Phenice. Et la quarte Syrie de Damas, en laquelle est la cité de Damas, tresrenommee pour la conuersion de saint Paul. Et est assise au pied du mont Libanus, duquel ist le tressacré fleuue Jourdain. Mais la première, deuxième et quatrième, ne sont rien à nostre propos, fors seulement la tierce. Cestasauoir la prouince de Phenice, laquelle est ainsi nommée, de par Phénix filz du Roy Agenor, et frère de Cadmus qui fonda Thebes en Beotie, (2) et de la belle Europa. Lequel Phénix venant des grands Thebes d'Egypte, constitua illec son habitation. Et fut premier inuenteur des characteres et formes de lettres, lesquelles il escriuit de couleur phénicienne ou vermeille. Iceluy Phénix fut père de Belus deuxième de ce nom. Lequel engendra Dido Roy ne de Carthage. Bocace met au second liure de la Généalogie des Dieux, que les Phéniciens iadis prostitu- oient et abandonnoient leurs filles, auant les marier, et du gaing quelles auoient fait à ladite prostitution de leurs corps on leur en faisoit leur douaire. Et en ce ensuiuoient ilz ceux de lisle de Cypre : qui semblablement le faisoient : car la Déesse Venus leur auoit estably eeste belle loy. Toutes les citez principales de la prouince de Phenice
(1) Edyssa (mscr. de Genève). C'est Edesse.
(2) Boetie (macr. de Genève).
i02 ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
sont maritaines, (1) assises sur le riuage de la mer Mediter- rane. Entre lesquelles sont Biblus tresancienne, et Baruth, laquelle est fréquentée par les marchans Occidentaux , Vénitiens et autres qui y vont au temps présent charger plusieurs marchandises venans d'Arabie. Aussi y est la cité d'Acre, anciennement appellee Ptolemais, laquelle souloit estre aux Chrestiens, et y habitoient marchans Vénitiens, Geneuois, et Pisans : comme met Platina historien. Mais au moyen des dissensions menées entre lesdits Vénitiens et Geneuois, finablement elle ha esté tollue à la Chrestienté par les Sarrasins de Syrie, dont cest grand dommage : car elle estoit bien propice au recouurement de la terre sainte. Et non pas loing d'Acre est la sainte et belle montaigne appellee Carmelus, en laquelle habita iadis le bon prophète Elisée ; et dicelle montaigne ha prins son nom lordre des frères Carmélites : lesquelz le Roy saint Loys amena pre- mièrement en France. Aussi y est le port de loppe, quon appelle maintenant lafFa : là où on descend les pèlerins qui veullent aller en Hierusalem. Et audit port de loppe Per- seus filz de lupiter et de la belle Danae deliura la noble Andromeda fille du Roy Cepheus d'Ethiope. Laquelle estoit exposée à vne grande baleine et monstre marin qui la deuoit deuorer : et y voit on encore lune des costes dudit monstre, laquelle ha bien quarante piedz de longueur. Il y ha aussi en ladite prouince autres citez, si comme Cesaree, Capharnaum, et autres, dont la sainte escriture fait men- tion, lesquelles ie passe souz silence : car elles ne sont point au propos. Mais ce qui sert à nostre cas, est la région de Tripolis, en ladite prouince de Phenice, laquelle est toute assise sur la marine. Et est appellee Tripolis pource quelle contient trois citez principales : cestasauoir Aradus,
(1) sont maintenant (éd. 1516).
SmOVLARITEZ DE THOTB. LITRE II. 108
Sidon, et Tyrus, comme met expressément Strabo en sa Géographie. Et est ladite région Tripolitaine, située entre la cité de Baruth, et la cité d'Acre dessus mentionnées. Ladite cité de Tyrus fut de grande ancienneté, et en font souuent mention les poètes et les historiens, pour la bonne pourpre qui sy fait. Mesmes la sainte escriture en parle souuent. Et la fonda le Roy Agenor, père de la belle Europa, laquelle lupiter troisième de ce nom, Roy de Crète, rauit sur le riuage de Tyrus où elle se iouoit auec ses pucelles. Et pour ce faire se transforma en guise dun taureau, selon les fables. Et engendra en elle Minos, Rha- damanthus et Sarpedon. Et pour laraour dicelle, feit nom- mer la tierce partie du monde de son nom, cest Europe, en laquelle nous habitons. Et en ladite cité de Tyrus, et aussi de Sidone régna iadis le dessusnommô Belus deuxième de ce nom, père de la Royne Dido, autrement nommée Elisa. Laquelle fonda la grand cité de Carthage en Afrique, où elle receut Eneas Troyen, errant par la mer après la déso- lation de Troye, comme met Virgile en ses Eneïdes. Et souloit estre ladite cité de Tyrus en la puissance des Chres- tiens, mais elle ha esté perdue par la dissension des Gene- uois et Vénitiens, comme dessus est dit de la cité d'Acre. Et au parauant y fut enterré lempereur Federic Barberousse, comme nous dirons plus à plein au dernier liure.
Sidone, voisine de Tyrus, est située en beau plein (1) pais, et en lieu fertile à merueilles, et souloit auoir deux bons ports et haures. Si estoient les Sidoniens de tous temps puissans gens à cause du nauigage, duquel ilz furent fort dextres et expers. Et comme met Strabo, dune manière de terre qui croit illec, ilz auoient grand industrie de sauoir
{\)plain (mscr. de Gânôve) , c.-&-d. en plaine.
404 ILLTSTRATIONS DE GAVJLE, ET
faire fort bel ouurage de voyrres crystallins, comme on fait maintenant à Venise. Alexandre le grand en son temps conquit Sidone par force. Aussi les Chrestiens la tollurent aux Sarrasins de Syrie, du temps du Roy saint Loys de France, comme met Piatina en la vie des Papes. Et cest ce que ie saurois dire en brief de la description et situation de la cité de Sidone : sinon que maintenant elle est des- truite et déserte totalement, comme met Bernard de Bri- dembach, doyen de Maience, en son voyage de Hierusalem. Ainsi peult on congnoitre, quil ny ha rien de perpétuel souz le ciel.
Pour reuenir donques à nostre propos principal : ladite cité de Sidone flourissoit en grand triomphe et richesses du temps de Troye. Et regnoit en icelle vn Roy duquel nostre acteur Dictys de Crète ne met point le nom : lequel estoit riche et puissant à merueilles. Et quand Paris Alexandre, et Deïphobus et leurs compaignons furent amenez par for- tune de vent ou autrement, comme dessus est dit, deuant ladite cité de Sidone, ilz enuoyerent audit Roy de Sidone aucuns personnages graues et honnestes par semblance, en vne barquette, pour luy remonstrer, comment par force de tempeste et lerreur de leurs mariniers, ilz auoient esté transportez illec : et requérir quil luy pleust leur ottroyer port et saufconduit en sa cité aucune brieue espace de temps, à fin deux refreschir et rauitailler. Lesquelz person- nages venuz en la cité de Sidone, et que ledit Roy eust entendu par eux que cestoient deux des enfans et le gen- dre du grand Roy Priara de Troye, il fut tresioyeux et tresdesirant de leur faire honneur et plaisir, pour acquérir leur accointance et beniuolence, ignorant lenorme cas per- pétré par eux à Lacedemone et en lisle de Cytheree. (1) Si
(1) Citharée (mscr. de Genève).
SIIIGVLARITEZ DE TROTE. LIVBE II. (M6
commanda promptement ouurir le port de Sidone, et luy mesmes les vint receuoir à grand feste et mélodie, dont il sen repentira.
Quand les Troyens eurent ancré et furent descenduz en terre, le bon Roy de Sidone print Paris, Deïphobus et Ëneas, et les principaux des autres. Si les mena en son palais, et leur feit aucuns iours la plus grand chère du monde pendant quon rabilloit les nauires : et leur monstra sa gloire et son triomphe, et desploya tous ses trésors. Des- quelz Paris insatiablement conuoiteux, en adioustant crime sur crime, conspira auec ses compaignons de les rauir et emporter. Ce quil feit par effect, et tua de nuict par aguet et trahison ledit Roy son hoste, lequel lauoit si humaine- ment traité, et ne se donnoit garde aucunement de lexe- crable peruersité diceux Troyens. Si conuertit le tresui- cieux iouuenceau Paris tout le Palais du Roy des Sidoniens en occision, tumulte et lamentation, comme il auoit desia fiait en la cité de Lacedemone. Ainsi tout ce qui auoit esté mis en auant, pour ostentation de la magnificence Royale, fut iniquement pillé et rauy par mauuaistié desloyalle : et commanda Paris, quon portast tout aux nauires. Mais quand ceux de la cité de Sidone entendirent les plaints (1) et les clameurs misérables des gens et seruiteurs de leur Roy, qui dauenture estoient eschappez du palais, et auoient euadé la mort, si crioient au meurtre, et plouroient misérable- ment la mort de leur seigneur et Roy. Le peuple sesmut alors tumultueusement, courant aux armes : et tous à vne flotte (2) sencoururent vers le palais Royal. Mais Paris Alex- andre, après auoir prins la meilleur proye quil eust peu
{l) plaintz {mncr. de Genève). Cî. planctui. (2) c.-à-d. en foule.
4W ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
esleuer, sestoit desia retiré en ses nauires, et se hastoit de faire voile pour partir. De laquelle chose aduertis les citoyens de Sidone, laissèrent le palais, et furent prompts de sadresser au port pour les en garder. (1) Si commença entre les deux parties, dure et aigre escarmouche, et en mou- rut beaucoup dun costé et dautre. Car les Sidoniens assail- loient vertueusement leurs ennemis, pour venger la mort iniuste et traytreuse de leur Roy. Et les Troyens se deffen- doient obstinément, pour sauner eux mesmes, et de peur de perdre le butin. Toutesuoyes deux de leurs nauires furent bruslees, et les gens mors et noyez : mais le demouramt ilz preseruerent par grand vaillance. Et finablement eschapperent de Sidone i et se rebouterent en mer, après que les Sidoniens qui nauoient point de chef, furent fort lassez de la bataille.
le nignore pas sur ceste matière, ce que le père des his- toriens Herodotus Halicarnasseus met au deuxième liure de son histoire, touchant les erreurs de Paris, disant que après le rauissement d'Haleine il vaucra (2) beaucoup par la marine : et arriua à lune des bouques du fleuue du Nil : là où regnoit pour lors vn sage Roy, nommé Proteus. Mais pource que de ce poinct ha esté touché (3) au prologue de ce liure, ie men déporte : et reuiens à mon acteur Dictys. Lequel en son quatrième liure met que ledit robement et déprédation de Sidone, et loccision du Roy, ne demeu- rèrent pas impunis, mais sen ensuiuit vengeance sur telz qui nen pouuoient mais, et neantmoins ilz le comparèrent (4) comme il adulent souuent : et la manière fut telle.
(1) c.-à-d. empêcher.
(2) c.-àd. erra. Dans Froissant tvaticrer (angl. to walk).
(3) sera touché en la fin de ce livre (mscr. de Genève).
(4) c.-à-d. payèrent, expièrent.
SINGTLARITEZ DE TROTE. LITBE II. 107
Certain temps après pendant lemotion de la guerre Troyenne, vn Duc de Syrie nommé Phala, par amour affi- nitiue (1) ou alliance quil auoit auec le Prince Memnon âiz de Tithonus et neueu de Priam, duquel nous parlerons plus amplement au dernier liure, ou parauenture comme souldoier et subiet de Tenthanes Roy des Assyriens, lequel enuoya ledit Memnon au secours de Troye, menant grosse armée d'Indiens et Persans par terre : et ledit Phala venoit par mer. Si aborda par son malheur en lisle de Rhodes, laquelle estoit du parti contraire : cestasauoir fauorisant aux Grecz contre les Troyens : car leur Roy nommé Tle- polemus estoit deuant Troye. Laquelle chose quand le Duc Phala entendit, il fut bien honteux et bien desplaisant, craingnant que si lesdits Rhodiens sauoient quil allast au secours de Priam, quilz bruslassent ses nauires et le pil- lassent. Et eust voulentiers fait voile pour sen aller promp- tement hors de la terre ennemie : mais pource quil ne fai- soit pas temps de nauiguer, il fut contraint de demourer illec vne espace. Et à fin deuiter tous dangers, il deffendit à ses gens quilz se gardassent estroitement de declairer aux Rhodiens quilz alloient à Troye, ainçois dissimulassent quelque autre chose quil leur meit en bouche. Mais pource que cest chose difficile, de cohiber et introduire (2) vne si grande multitude de gens, après que les Syriens se furent iettez hors de leurs nauires, et espartis parmy deux villes de lisle de Rhodes, pour auoir aucuns viures et autres besongnes à eux nécessaires, les Rhodiens qui en auoient suspicion véhémente , senquirent cauteleusement de la vérité, tant quilz en furent à plein informez. Laquelle
(1) afflnite (mscr. de Genève).
^2) c.-à-d. retenir et engager. Cf. Introducere dans Ducange.
HfHè ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
sceue, iceux Rhodiens se tirèrent vers le Duc Phala, et en la présence de tous ses gensdarmes, luy dirent et remons- trerent comment ilz le trouueroient bien lasche et de nature estrange et barbare, luy qui estoit grand seigneur entre les nobles de Syrie, quand il alloit au secours de Priam. Veu que nagueres Paris Alexandre, filz dudit Priam, auoit tué le Roy de Sidone en Phenice, son voisin, et pillé tous les trésors de son palais : pour laquelle chose il sembloit que ledit Duc Phala voulsist porter (1) et deffendre vn si vilain fait, contre ceux de son pais propre. Et allegoient en oultre lesdits Rhodiens, beaucoup dautres raisons qui faisoient pour eux, et pour esmouuoir le populaire contre ledit Duc. Laquelle chose ne se passa point sans sortir son effect : Car les Phéniciens et Sidoniens, dont il auoit plusieurs soul- doiers et vassaux en larmee du Duc Phala, esmuz tant par la querimonie des Rhodiens comme par couuoitise du pil- lage, se mutinèrent ensemble, et tournèrent à leur bende la plus part de larmee. Si coururent sur le demeurant de larmee des Syriens, mesmes à leur Duc Phala et lassom- merent de coups de pierre. Puis pillèrent tout lor et lar- gent de leurs souldees, mesmes les richesses de leur Duc, armures, vtensiles, et viures estans es nauires quilz auoient amenez, et vendirent les vaisseaux aux Rhodiens : puis distribuèrent le tout entre eux, par manière de butin, tant quilz en furent tous riches : et se diuiserent en bendes par les villes de lisle de Rhodes. Esquelles depuis ilz habi- tèrent, par la licence des Rhodiens. Car ilz ne sen fussent osez retourner en leur pais de Syrie. Et voila comment fut vengé loutrage fait à Sidone de ce costé. Or faut il retour- ner à nostre propos principal de Paris et de ses compai- gnons.
(1) c.-à-d. par là il semblait vouloir sontenir (portaré).
8INGTLAU1TEZ DE TROYE. LIVRE II. 109
CHAPITRE XII.
Da retour de Paria ai Troye, auec Heleine : de la vaticiBation de Catnandra, du dneil de la Nymphe Oeoone, et comment elle laîsra Troye, et sen alla demeurer à Cebrine : de la réception d' Heleine : et du mariage délie auec Paris. Et comment le peuple sesmut et laboura à ce que Heleine fust restituée à son mary, et aux ambaa-» aadeurs de Grèce. Et par quel moyen il y fut obuië, tant par Paris et DelphoboB, comme par Hecuba et Heleine. Aoec recitation dn danger duquel les ambassadeurs furent presernez par Antenor. Et du partement diceux.
Apres la direption de Sidone, les Troyens nerrerent plus par la marine, selon nostre acteur Dictys de Crète, ains tindrent leur chemin tout droit vers Troye la grand, sans plus diuertir (1) ne ça ne là : et tant exploitèrent, quilz arriuerent en lisle de Tenedos, comme met Dares de Phry- gie. Laquelle est vis à vis du port de Sigee, et à xnii. mille pas de Troye, comme sera touché plus à plein au dernier Hure. Et illec Paris consola la belle Heleine, laquelle estoit triste et ennuyée du long nauigage, et feit sauoir sa venue au Roy Priam son père, comme met le dessusdit Dares : de laquelle le Roy fut tresioyeux, et feit faire grand appareil, pour laller receuoir au port de Sigee. Si y vindrent la plus part des enfans de Priam : qui amenèrent les dames pour receuoir la belle Heleine, entre lesquelles la triste Nymphe Oenone ne fut pas la dernière qui y alla. Non pour sem- blable cause, ains sans plus, pour voir si le comble de sa
(1) c.-à-d. s'écarter.
tg^ ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
misère estoit correspondant à la renommée. Car assez nen pouuoit estre acertenee, si elle mesmes ne lesprouuoit par son regard. Et se meit sur vn haut tertre pour choisir (1) de plus loing.
Gueres neurent illec seiourné ceux qui estoient venuz de Troye, quand on commença de voir apparoir de loing les voiles et la flotte de nauires de larmee de Paris. Si com- mencèrent les vns de les monstrer aux autres. Adonc la sage pucelle Cassandra, demy furieuse esmue par lesprit de prophétie, se print à crier hautement que tous le peu- rent ouyr :
Dam licet, obscœnam ponto demergite pappim. Heu ! quantum Phrygii sanguinis illa vehit !
Cestadire : « 0 Troyens, tandis quil vous est loisible, bou- tez au fonds de la mer la malheureuse (2) nef qui ameine tant de sang et doccision Troyenne. » Mais des paroles et gestes de Cassandra furent indignez aucuns de ses parens, et la fei- rent remener à Troye par ses pucelles. Lors la douloureuse Nymphe Oenone toute de sang meslee, (3) teinte de palleur et descoulouree, ne sauoit sa contenance, ains tint ses yeux immobilement fichez vers les nauires qui fort approchoient ayant vent en pouppe. Et quand elles furent si près, que lœil pouuoit choisir et discerner les personnages estans dedens, la poure Nymphe Pegasis Oenone veit son seigneur et mary de iadis Paris Alexandre séant au chasteau de prore dedens sa riche galee. Et en son giron vne forme féminine toute reflamboyant, tant de beauté naturelle
(1) c.-à-d. voir.
(2) c.-à-d. fatale.
(3) toute sang meslée (mscr. de Genève), c.-à-d. bouleversée.
SINGVLABITEZ DE TROTE. LIVRS II. lit
comme daccoustremens dor, de pourpre et de pierrerie lesquelz luy auoient esté autresfois donnez par la Royne Leda sa mère. Et estoient si précieux, que depuis Troye destruite, Eneas qui les eust sauuez du feu, en feit un pré- sent de grand speciosité à la Royne Dido de Carthage. Comme met Virgile au premier des Ëneïdes, disant :
Munera prœterea IliacLs erepta ruinis ^
Ferre iubet, pallam signis auroque rigeutem, Et circuntextum croceo velamen acantho, Ornatus Argiuss Helense : quos illa Mycenis Pergama cùm peteret, inconcessosque Hjmenseos, Eztulerat : matris Ledœ mirabile donum.
Adonques la tresdesperee Nymphe frappée du dard rigoureux de iuste douleur, nauree cruellement de la pointe de chaste ialousie, et consternée par limpetuosité véhémente damour coniugale, défaillant la vigueur de son noble cœur, passionné dextreme angoisse, enclina le chef en terre, comme fait vne belle violette sa couleur purpurine, quand elle est abatue du fort vent Boreas : et se fust laissé cheoir de sa hauteur si ses pucelles ne leussent retenue. Ainsi demeura elle pamee et comme morte, sans monstrer signe desprit vital. Et les nobles Princesses ses belles sœurs et autres accoururent au dueil que ses damoiselles menoient. Dont il leur print grand pitié, et sefforcerent assez de la reuigorer et consoler : mais elles ne peurent par nulz moyens. Alors commandèrent auxescuyers et gens de ladite Nymphe, quilz la missent en vne littiere, et la remenassent à Troye. Laquelle chose ilz feirent légèrement et remeirent à chemin. Mais quand elle fut reuenue de pâmoison, elle demanda à ses gens qui plouroient autour délie où elle estoit, et que cestoit quilz faisoient. Et ilz luy respondi-
llftr ILLVSTRATIOMS DE GAVLE, ET
rent, que pource quelle sestoit trouuée mal disposée, quilz la remenoient à Troye. « Non, dit elle, non mes amis, gardez vous en bien, si vous ne voulez que ie meure. Mais tournez les brides des cbeuaux, et adressez vostre chemin tout droit en la cité de Cebrine, vers mes parens et amis : car tant que ie viue, qui sera peu sil plaist aux Dieux, ie nentreray dedens Troye, pourueu que (1) la nouuelle adul- tère de monseigneur y soit. » Ainsi au commandement de leur maistresse, les gentilz escuyers tous surfondus (2) de dueil et damertune tournèrent le chemin vers la marche Cebrinoise : et les pucelles en grand pleur suiuoient leur maistresse. Laquelle commença à tordre ses belles mains par grand destresse, tirer ses cheueux aureins, rompre les lacts de deuant sa blanche poitrine, entamer regrets, redoubler pleurs, plaindre inconsolablement, consumant sa voix en piteuses exclamations, et disant vn piteux adieu à la noble cité de Troye quelle laissoit à costiere. (3) Mais de celle nous laisserons vn petit le conte, pour retourner au port de Sigee. Grand fut le bruit de clairons et de cris à laborder au port. Le gentil Troïlus et ses frères légitimes, Chaon, Poly- tes et Antiphus auec plusieurs bastards bienuiengnerent hautement leurs frères Paris et Deiphobus. La belle Creusa fille légitime de Priam, baisa et embrassa son mary Eneas. Archelaus et Iphidanas enfans d'Antenor, recueillirent leur frère Glaucus : et Lycastes la gracieuse bastarde de Priam festoya son mary Poly damas filz de Panthus. Mais la véné- rable dame Theano, sœur de la Royne Hecuba, et femme
(1) c.-à-d. en cas que.
(2) c.-à-d. confondus, abattus. Rien de la signification technique actuelle {surfusion).
(3) c.-à-d. laisser de cûté, abandonner.
SINGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE il. 113
d'Antenor, accompaignee de la belle pucelle Polyxene, et de Medincasta bastarde, et autres nobles daraoiselles, se tira vers la Royne Heieine, et luy feit grand honneur. Apres les saluts donnez et rendus dun costé et dautre, et plusieurs deuises entamées, les varletz furent prestz qui présentèrent les riches montures aux seigneurs et aux dames. Et vn escuier descuierie offrit vn beau pallefroy tout housse dor et de pourpre à madame Heieine : et le Prince Troïlus luy ayda à monter. Et consequemment Ethra et Clymena, et autres ses daraoiselles furent seruies par les gentilzhommes de Troye. Et quand tout fut à cheual, Princes, Princesses, dames et damoiselles, nobles et non nobles iusques aux pri- sonniers que Paris auoit amené de Lacedemone et Cytheree, ilz se meirent à chemin vers la cité en grand triomphe et mé- lodie. Et là furent receuz en toute plantureuse opulence par le Roy Priam et les Princes et Barons Anchises, Antenor, Panthus, Antimachus, Hector, et Helenus : pareillement la Royne Hecuba et les dames. Cestasauoir Sicambria sœur du Roy, Andromacha femme du Prince Hector, et plusieurs autres recueillirent madame Heieine. Et après toutes bonnes chères faites, qui seroit longue chose à raconter, Paris conta au Roy son père tout son exploit : et luy feit osten- sion des richesses innumerables quil auoit conquises : dont Priam fut bien ioyeux, espérant que par ce moyen il recou- vreroit sa sœur Hesionne et tous les interestz et dommages que les Grecz auoient iadis faits à Troye, du temps du Roy Laomedonson père. Si consola et feit toute bonne chère ice- luy Roy Priam à la belle Heieine : et de fait, la donna solennellement en mariage à son filz Paris, comme met Dares de Phrygie.
Or tesmoigne nostre principal acteur Dictys de Crète, que ces choses, pource quelles estoient de mauuais exemple
II. 8
114 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et de pire conséquence, ne plaisoient point aux citoyens et populaire de la cité de Troye, ainçois en murmuroient bien fort entre eux, disans les vns que ceste ckose ne tournoit point à bonne signification : et les autres que loutrage fait à Menelaus estoit grief et de tresdiuerse (1) apparence. Fina- blement de main en main, comme tous communément le reprouuassent, il sesmut tumulte et mutinement parmy le peuple. Desquelles choses le Roy Priam perplex et douteux conuoqua ses enfans, et leur demanda quelle chose il leur sembloit estre à faire en ceste matière. Lesquelz tous dune voix respondirent à leur seigneur et père, que Heleine ne deuoit point estre rendue. Et la cause qui les esmouuoit à ce dire estoit auarice : pource quilz voioyent quelles et quan- tes richesses auoient esté ameneees auec elle, lesquelles ilz eussent toutes perdues si Heleine eust esté rendue. Et oul- tre plus, aucuns en y auoit qui furent esmuz et embrasez de la beauté des femmes qui estoient venues auec Heleine. Neantmoins Priam iceux délaissez assembla le grand conseil des anciens Princes de Troye, ausquelz il manifesta lopinion de ses enfans : et sur ce leur demanda la leur. Mais auant que chacun eust peu opiner et dire sa raison à la manière accoustumee, les enfans de Priam entrèrent soudainement au conseil, et par paroles hautes et arrogantes menasse- rent lesdits Princes anciens, de leur faire desplaisir silz decretoient rien en arrest oultre (2) ce qui leur sembloit bon. Et endementiers le peuple de Troye portant impatiem- ment loutrage fait aux Grecz, maudissoit execrablement ceux qui en auoient esté cause, et repugnoit de toute sa puissance à la détention d'Heleine. Pour lesquelles causes, Paris Alexandre esmu de chaleur et hastiueté iuuenile, et
(1) c.-à-d. cruelle. — (2) c.-à-d. contre.
SINGVLARITEZ DE TROTS. LIVRE II. filP
par vne grande ardeur de courage vénérien, de peur de perdre sa détestable proye, et craingnant que sur ceste matière le peuple ne machinast aucune chose à son détri- ment, se tira celle part enuironné de plusieurs de ses fref* res , armez et embastonnez : effondra impétueusement dedens la multitude du populaire, et en tua beaucoup, et eust fait encore plus, si le demourant neust esté sauué par la suruenue du baron Antenor, et des autres nobles du conseil qui se meirent entredeux. Ainsi le peuple moque, batu, et tenu en vile estime, à son tresgrand preiudice sen retourna chacun en sa chacune.
Le lendemain le Roy Priam, par lenhort de la Royne Hecuba, se tira vers la belle Heleine : et la salua beni- gnement, et lenhorta dauoir bon courage, et ne se soucier de rien : luy demandant de son lignage et extraction. Et elle luy conta toute sa généalogie des le commencement iusques à la fin, qui seroit longue à raconter. Concluant, que à cause de lupiter, dont Priam et elle prenoient ori- gine, elle se trouuoit plus prochaine du sang du Roy Priam, et aussi de la Royne Hecuba, que de Plisthenes père de Menelaus. Or cestoit la manière dadonques, que ceux dun lignage sentreallioient plus voulentiers par mariage que dautre génération, comme il appert par aucunes histoires de lancien Testament. Si prioit la belle Heleine au Roy Pmm en plourant tendrement, que puis quelle auoit esté receue vne fois en sa foy et en sa sauuegarde, quil ne la voulsist point trahir ne liurer aux Grecz. Affermant que de la mai- son de Menelaus, elle nauoit rien apporté, ainçois estoient siens proprement iceux loyaux et bagues quelle auoit. Tou- tesuoyes, il est incertain comme met lacteur, si ces choses elle disoit pour la grand amour quelle auoit à Paris Alex- andre, ou pour la crainte de souffrir quelque peine et
imSi ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
mauuais traitement, si elle estoit rendue à son mary Mene- laus, à cause de la faute quelle luy auoit faite.
Ces choses nonobstant, le populaire laboura tant enuers le Roy Priam et tous ses enfans, excepté Deïphobus, que la délibération estoit prinse et arrestee de rendre Heleine à son mary Menelaus Roy de Lacedemone, et despescher les autres ambassadeurs de Grèce, sans plus délayer oultre (1) le gré dudit peuple. Et met nostredit acteur Dictys de Crète, que Deïphobus seul resistoit à ladite conclusion, en la faueur de Paris : pource quil nestoit pas moins esprins de lamour d'Heleine, que ledit Paris mesmes. Voyant donques la Royne Hecuba que la reddition d'Heleine se concluoit du tout resoluement : et sachant que la voulenté de ladite Heleine estoit au contraire, elle labouroit à toute force que la chose nallast point ainsi, mesmement pource quil y auoit aucune affinité entre elle et ladite Heleine, comme dessus est dit- Et sans aucune intermission, se iettoit ores aux genoux de Priam, et tantost embrassoit les enfans lun après lautre, et ne les laissoit iusques à ce quelle eust irapetré d'eux ce quelle pretendoit : cestoit la rétention d'Heleine. Et par ainsi les amena tous à sa voulenté, et feit tant finablement, que le bien publique fut postposé et cor- rompu par vne désordonnée affection de mère. A fin que le songe quelle auoit autresfois songé, estant enceinte de Paris, sortist son effect selon les Destinées : et que le flam- beau de feu ardant quelle auoit enfanté, bruslast la grand cité de Troye.
Le iour ensuiuant donques le Roy Priam tint consistoire publique : et sassit en son grand palais d'Ilion, au mylieu de tous ses Princes, et de tous ses enfans : présent à ce le
(1) c.-à-d. contre.
SIMGVLARITEZ DB TROTK. LlYRE II.
m
populaire de Troye. Et aussi sy trouuerent les trois Princes ambassadeurs de Grèce dessus mentionnez, ausquelz auoit assigné ceste iournee responsiue. Alors le Roy Menelaus tant en son priué nom, comme au nom gênerai de toute Grèce, feit sa proposition iteratiue : demandant que sa femme Heleine, ses deux parentes Ethra et Clymena, ensem- ble tout ce qui auoit esté prins et apporté auec elles luy fust restitué sans plus de delay. Adonc le Roy Priam com- manda silence, et feit venir en la présence de tous et vnschacuns la belle Heleine, à laquelle il offrit à haute voix, pleine et franche liberté, si bon luy sembloit de sen retourner en Grèce, auec les siens. Et lors elle respondit clerement et sans feintise, quelle nauoit point nauigué iusques à Troye maugré elle : et que Menelaus allast à Dieu : et quelle nauoit que faire de son mariage. 0 mer- ueilleuse inconstance et terrible audace féminine ! Certes aussi publiquement quelle auoit eslu Menelaus pour son mary, en la présence de tous les Princes de Grèce : aussi hardiment losa elle à front eshonté, répudier deuant tous les Barons de Troye. Si deuoit bien ceste iniure redoublée, peser beaucoup à Menelaus. Quand donques elle eut ce dit : comme si vn arrest de parlement eust esté prononcé entre les parties plaidoyantes, Paris à qui la possession estoit adiugee, et ses autres frères, de sa ligue et confédé- ration ioyeux et esbaudis, par insolence, prindrent la belle Heleine en totale saisine, et lemmenerent hors du consis- toire.
Et quand les ambassadeurs de Grèce, veirent vn si grand vitupère, et congnurent quilz estoient totalement frustrez de leur entente, ilz furent bien honteux et bien confus. Neantmoins Vlysses le plus éloquent de tous, plus par manière de protestation que pour y cuider proufiter en
ifl8 ILLVSTRATIOWS DE GAVLE, ET
aucune manière, commença par ordre à ramenteuoir tous les grans excès et outrages perpétrez iniquement en Grèce, par Paris et ses compai gnons : pour lesquelles iniures trop ignominieuses, il les advertissoit, que brieue vengeance en seroit faite. Consequemment aussi Menelaus atteint dun mer- ueilleux courroux, d'un visage cruel et horrible, menassa Je Roy Priam et tous les siens, auecques le peuple de Troye, de' les mener à destruction finale. Et sur ce poinct, laissa lassemblee, et se retira en son logis. Lesquelles choses par- uenues à la notice des enfans de Priam, cestasauoir Paris et ses complices, ilz conspirèrent secrètement entre eux, denconuenir (1) lesdits ambassadeurs de Grèce, et les tuer. Car il leur sembloit bien, et non sans cause, que silz retour- noient en Grèce sans rien faire, que la chose ne se passeroit point que grosse guerre ne sen esmust dun costé et dautre. Laquelle conspiration sceiie et congnue par le Prince Ante- nor, il se tira incontinent deuers le Roy Priam, et luy notifia lemprise de ses enfans : en luy remonstrant que les aguetz et effors que lesdits enfans appareilloient contre iceux ambassadeurs, ne redondoient point tant au preiudice des Grecz, comme ilz faisoient au deshonneur de luy mesmes : et que point ne le souffriroit de sa part. Puis après il declaira toute la chose ausdits ambassadeurs : et après auoir donné bon ordre à leur garde et saufconduit, le plustost quil peut trouuer opportunité, il les feit con- uoyer iusques au port de Sigee, sans mal et sans danger. Et iusque icy sont les propres paroles de Dictys de Crète, au premier liure de son histoire Troyenne.
(1) circonvenir (éd. 1528).
SINGTLARITBZ DE TROYK. L1VR£ II. 119
CHAPITRE XIII.
Description du dueil extrême de la noble Nymphe Pegaais Oenona, et des piteux regrets quelle feit. Et aussi des lettres quelle enuoya à son seigneur et marj Paris Alexandre, sans en obtenir response. Du diuorse quil feit auec ladite Nymphe. Et de labolition des ver- tus primitiues dudit Paris. Ensemble de la maison somptueuse quil feit faire.
Endementiers que ces choses se faisoient à Troye, la noble Nymphe Pegasis Oenone, estoit arriuee à Cebrine, auec ses parens et amis, là où elle menoit vn dueil inesti- mable, et impossible à reciter. Et combien quunchacun de ses amis sefForçast à toute puissance de la rapaiser, mes- mement entre les autres y mettoit grand peine et entente le bon pasteur Royal et sa femme, auec lesquelz elle auoit long temps demeuré, du commencement quelle fut mariée à Paris, comme est dit au premier liure, lesquelz mettoient toute peine, à ce quelle portast patiemment son meschef, tout ce nonobstant se plongeoit au parfond abyme de dou- leur, et es ténébreuses cauernes de désolation. Car la lumière du iour luy estoit ennuyeuse, la clarté du Soleil luy offusquoit la veùe, et ne queroit que lieux solitaires, et séparez de fréquentation humaine, comme font gens con- trits inconsolablement. Et quand elle se veoit esseulée, lors souspirs laggressoient, regrets lassailloient de toutes pars, en plourant geraissoit, et en gémissant plouroit. Et quand
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sa douce voix pouuoit auoir yssue de son dolent estomach, elle faisoit retentir les nobles montaignes Idées de son trenchant cry femenin, et prononçoit diuerses sentences piteuses, souuent interrompues par ses plaintiues excla- mations entremeslees de plusieurs sangloux, disant en ceste manière :
« 0 le repos iadis de mon cœur, le seiour de toutes mes pensées, Paris le nompareil du monde, quel obstacle sest mis entre toy et moy ? quel meschef mest aduenu ? Pour- quoy blesses tu si rudement mon cœur, quil faut que ie me plaingne de toy, comme de celuy qui nest plus mien ? Lesquelz des Dieux sont ce qui contrarient au comble de mes désirs ? Quel crime me saurois tu reprocher, obstant lequel ne doiue demeurer tienne à perpétuité ? Si la coulpe est de mon costé, certes ie porteray le grief en bonne patience : mais si ie seufFre à tort, cest bien raison que ie men dueille. Est il possible de discuter dont vient ceste si soudaine mutation ? Las, tu nestois point encores si gi'and ne si haut esleué, quand premièrement ie te daignay pren- dre à mary. Ton plus haut tiltre nestoit que dun simple bergeret, seruant autruy au lieu dun esclaue, comme orphenin et desaduoué de parentage : et ie tresnoble et tresclere Nymphe, au pais de Phrygie, fille du grand fleuue Xanthus, fus toutesuoyes contente de tespouser. Et taymay damour si franche et si loyalle, que ie prenois bien patience de reposer auec toy entremy les troupeaux et les parcs de tes bestes, là où Iherbe et les fueillettes nous ad- ministroient couche, les bayes nous estoient en lieu de sponde, (1) le tronc des arbres nous seruoit de cheuet, et les branches de courtines. Quelle noble femme, extraite de
(1) pour esponde = châlit, bois de lit.
SIMGVLAHITEZ DE TROTB. UVRE U. 1^
haut lignage fut iamais contente de laisser paternelz et maternelz délices, se gésir sur vn petit de feurre es bordes champestres mal résistantes à la neige et froidure, pour lamour de son amy, sinon moy ? ne quelle dame ou damoi- selle se trouua iamais si franche et si hardie, quen post- posant toute tendresse et imbecilité féminine, de suiure son espoux à la chasse parmy les hauts rochers, luy monstrer les repaires des bestes sauuages, tendre les filez, mener les chiens en queste : et faire toutes choses laborieuses, et viriles, par grand affection, si non moy lasse dolente ? Mais ceste grande amour de courage, helas, me procedoit alors (ie le confesse) à cause de ta singulière debonnaireté : et pource que tu me rendois amour mutuel et réciproque. A loccasion aussi de tes douces blandisses et gracieux entre- teneraens, qui estoient adonc chastes et pudiques. Alors tu me tenois toute tienne. Tous les arbres de la grand forest Ida, estoient marquez et entaillez de mon nom. Le grand peuplier du riuage de mon père le noble fleuue Xanthus fut alors enrichi de ma deuise : là ou tu escriuis vne fois ces vers :
Quand Paris délaisser Oënone pourra XaatbuB le fleuue cler, eusus retournera. (1)
« Retourne donques, mon doux géniteur, mon tresredouté père Xanthus : et te deliure de réduire (2) tes nobles vndes contremont, au propre lieu de ta sourse : car Paris ha délaissé ta fille Pegasis. Paris Alexandre ha enuoyé la belle diuorce et répudiation à la Nymphe Oenone, iadis sa treschere espouse. 0 la dolente et malheureuse iournee
(1) Cf. Ovide Heroid. V, 30.
(2) c.-à-d. mets-toi à ramener.
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quand onques les trois hautes Déesses subirent ton iuge- ment ! Bien me disoient les sages bergers de Cebrine, que ce nestoit que futur dueil pour moj. Bien masseuroient les anciennes preudefemmes de ceste contrée, que toutes ces choses ne tourneroient point à bon diflBnement. Aussi appert il, que lelection de ton iugement, ha sorty son effect. Tu mesprises dame luno, qui est Déesse de richesses, et préside aux mariages : cestasauoir en laissant ta suffi- sance et plénitude de grans biens, de Ihostel de ton père, et allant pilier et rober les Royaumes estranges, et aussi en me répudiant qui suis ta femme légitime. Tu nas aussi eu cure de Pallas, qui est maistresse de science, et pru- dente conducteresse des armes, et aussi Déesse de chasteté virginale : car en vsant follement de ton sens naturel, as donné commencement de grand imprudence à vne guerre de mauuaise termination, et as violé la pudicité de ton mariage. Lesquelles choses faites, tu as deliuré la pomme dor : cestadire, ton noble chef aurein qui est composé de rondeur spherique et légèrement tournant, à dame Venus, ouuriere dimpudicité, controuueresse dinceste, et forge- resse dadulteres. Et pour ton guerdon promis, elle tha rendu dame Heleine, confite en semblable delicts. Helas, quand tu partis de moy pour acheuer ceste noble conqueste, tu pleuras, ie ne scay si cestoit par feintise : tu larmoyas, et ne le saurois nier : et veis aussi mes yeux larmoyans non feintement. Si meslames noz pleurs ensemble, et nous entreliasmes si fort par doux embrassemens, que les gra- cieuses vignettes ne sont point si fort entortillées aux ormes, comme mes bras furent liez autour de ton col. Com- bien de fois te plaingnis tu de ton partement trop hastif ? Combien de fois retournas tu pour me baiser ? Quantes prières ây ie fait aux Nymphes de mer, à fin que ton retour
SIMGVLARITBZ DE TROYB. LITRE II. 125
fast brief ? Helas, tu es retourné par mes prières, mais non pour mon soûlas. lay esté humble et deuote enuers les Dieux pour celle qui occupe mon lieu. Et quand ie vais blanchir tes voiles à ta dolente retournée, iestoye si aueu- glee, que peu sen faillit que ne me meisse en mer, pour aller au douant de toy : mais lasse, dolente, ie congnus tan- tost mon meschef prédestiné. lapperceus incontinent la matière de mon dueil perpétuel : et commençay deslors à remplir les airs de mes iustes querimonies. Plaise aux Dieux que ainsi puist Haleine se douloir, comme ie fais : et quelle se puist finablement voir destituée de celuy quelle tient pour son mary, ainsi que présentement ien suis dé- laissée, à fin que le mal quelle ha premièrement inféré à autruy, redonde doublement sur elle. Cest maintenant que les femmes estrangeres viennent après toy : et quelles délaissent leurs maris légitimes, et trauersent les hautes mers pour te suiure, à cause que ta félicité présente est réputée grande, depuis la réduction (1) de ta personne en la maison paternelle. Mais quand tu estois poure berger, et que tu menois paistre les brebis aux champs, nulle autre ne se vouloit dire femme du pasteur Paris, fors la Nymphe Oenone. Les autres vont après la splendeur de ta fortune, et ie madheroye seulement aux bonnes mœurs de ton per- sonnage. Toutesuoyes ie ne forge point ceste complainte pour chose que ie admire tes richesses, ne ton palais Royal ne me meult en rien : ne aussi ne me desplait il si ie ne suis plus contée entre les belles filles du Roy Priam. Non pas pourtant quil refuse estre beaupere dune Nymphe gentile, ou que la Royne Hecuba ayt en desdaing Pegasis Oenone fille du noble Xanthus, ains me tiennent digne assez pour
(1) c.-à-d. retour.
12é ILLVSTRATIONS DE GÂVLE, ET
estre femme dun haut Prince et auoir mains propices à porter sceptre Royal. Mais ie voy que tu seulmemes- prises, pource que familièrement ie souloye gésir auec toy parmy les forestz, là où iestoye plus digne de coucher en licts de pourpre. Ne vois tu pas que mon amour est plus seure que celle d'Heleine, et que nulles guerres ne sesmeu- uent pour moy ? Que mon mariage ne tameine nulles na- uires equippees souz tiltre de vengeance ? Ne congnois tu point que la fille putatiue de Tyndarus, fugitiue de son mary, est redemandée par armes : et que la tresorguilleuse ne tapporte autre chose pour son douaire, sinon sang et occision ? Demande à ton frère le tresnoble Prince Hector, au prudent Antenor, à ton père le Roy Priam, si elle doit point estre rendue. Enquiers toy des autres sages et aagez Princes de sa court, si elle doit point estre restituée. Cest vn tresmauuais signe et exemple, de préférer vne femme rauie en estrange contrée à celle de son païs propre, car ta cause est vergongneuse et pleine de honte. Le mary ha iuste occasion de tourner ses armes sur toy. Si tu as espé- rance quune femme si légèrement contournée en tes embras- semens, te soit fealle, et que ainsi le desires, tu es grande- ment deceu. Car tout ainsi que Menelaus se deult de son lict maculé et contaminé par amour estrangere, semblable- ment te plaindras tu de pareil défaut. Car quand la chasteté dune femme est vne fois entamée, voluntairement elle est tousiours après enclinee à semblable delict. Et si tu dis quelle est ardamment astrainte pour Iheure présente de ton amour, ie respons que ainsi ha elle esté autresfois de son mary Menelaus. Et toutesuoyes il se git maintenant vefue en son lict.
« 0 que tu es constituée en grand félicité, ma belle sœur Andromacha ! quand tu fus assignée à vn mary constant
SINCVLARITEZ DB TROTE. LIVRE II. if5
et permanent : et à lexemple de son frere aisné, se deuoit renger Paris : mais il est plus léger que les seiches fueil- lettes destituées dhumeur, lesquelles sont esparpillees au vent. Et y ha moins darrest et de pois en luy, quil ny ha es chaumes, ou festuz légers tous consumez de lardeur du Soleil. Lasse, moy dolente, bien le me prognostiquoit iadis la prudente Cassandra ta sœur germaine, et trop mha elle esté vraye prophète et deuineresse. La génisse Grecque est venue qui possède mon pasturage. La beste cornue estran- gere est entrée en mon clos. Mais combien quelle soit sin- gulière de visage, toutesuoyes est elle adultère prouuee, comme celle qui ha laissé ses Dieux familiers, sa propre fille, et son bien domestique, pour accourir après vn estran- ger. Et comme celle oultreplus, laquelle par ie ne scay quel Theseus (si bien du nom ie me recorde) ha encores autres- fois esté rauie. Et combien que depuis elle fut recouuree, toutesuoyes si nest il pas vraysemblable, quelle en retour- nast sa virginité sauue, mesraement des mains dun ieune Prince tout embrasé damoureux désir. Et si tu me de- mandes, comment ie puis si bien estre informée de ces choses, saches mon cher seigneur Paris, que amour men ha fait enquérir. Et si dauenture aucun la vouloit excuser de coulpe, disant quelle nen peust mais, et que force luy ha esté faite : ie réplique sur ce, qui! est impossible que par tant de fois ha esté rauie, nayt baillé opportunité, occasion et consentement à son rauissage. Mais au contraire, la dolente Nymphe Oenone, demeure chaste et entière à son seigneur et mary : nonobstant que de luy soit abandonnée, et quon luy baille exemple et necesité compétente, de faire autrement. Mais auant ne la laissent les Dieux tant viure, quelle le daignast penser. Lasse, moy poure malheureuse, qui ay puissance sur toutss herbes naissans au monde.
498 ILLTSTRÀTIONS DE GAVLE, ET
laquelle me fut iadis ottroyee par le Dieu Apollo, et ie ne men scay, ne puis donner remède ! Car amour nest point medecinable par herbes. Par ainsi suis ie destituée, et demeurant sans ayde de ma propre science. Et nest herbe, racine, ne semence procréée en terre, tant soit fertile, ne Dieu aucun habitant au ciel, qui me puist donner secours, fors mon cher seigneur et amy Paris Alexandre. Celuy seul le peult faire, et bien lay desseruy. Ayes donc pitié, ô le désir de mon cœur, de celle qui en est digne. le ne tapporte point armes sanguinolentes comme font les Grecz, mais ie suis tienne, et ay tousiours esté de ieunesse. Si ne requiers autre chose, fors estre tienne le demourant de mon aage. » Ces grieues lamentations piteuses formoit loutrepasse des Nymphes, la gracieuse Oenone. Et souuent les reïteroit, sans ce que nul de ses parens et amis, damoiselles ou ser- uiteurs luy peussent donner ioye ne récréation, ainçois meit ius habits de pourpre et de soye, loyaux dor, riches bagues et pierres précieuses, et print habits de dueil et vefuage. Si neut plus cure de mettre à point son beau chef. Laissa ternir sa clere face, et ne luy chalut plus de sa personne, ne de chants ne de ris, ne dautres esbatemens quelconques. Mais se conformoit à la chaste tourterelle, laquelle après auoir perdu son pareil, ne fait que gémir continuellement : et ne repose plus sur branche verde. Le noble Roy Priam, et la Roy ne Hecuba qui furent informez de sa désolation, en furent fort desplaisans, comme ceux qui laymoient sin- gulièrement : et y enuoyerent le preux Hector, et le bas- tard Cebrion, et aucunes des nobles dames de leur maison, pour la réduire à liesse et à bonne chère : mais combien quilz y labourassent beaucoup, et que la présence de ces personnages luy fut fort agréable, si nen changea elle rien de son propos : car celuy qui seul auoit la puissance de
SINGVLARITBZ DE TROTB. LIVRE U. 1S7
lesiouyr, ny estoit point. Toutesuoyes son estât luy fut ordonné à Cebrine bel et ample, comme dame douagere : et luy fut fait tousiours par lordonnance du Roy, meilleur appointement, quelle ne vouloit. Mesmement le preux Hec- tor et le bastard Cebrion, et autres de la maison de Priam lallerent souuent visiter. Si feit Creusa femme d'Eneas, et Cassandra sa sœur : desquelles elle estoit merueilleuse- ment pleinte, et trop leur estoit grieue son absence et son infortune. Ainsi persista la noble Nymphe à faire résidence en la cité de Cebrine : dont elle ne bougea iusques à la mort, comme nous dirons par temps. Et passoit son temps à composer médecines et autres œuures toutes chastes, honnestes, et vertueuses.
Le noble poëte Guide en ses epistres, met que la Nymphe Pegasis Oenone, pour cuider fleschir le courage de son seigneur Paris Alexandre, et le tourner à son amour, elle estant en ladite cité de Cebrine, comme met son commen- tateur Antoine Volsc luy escriuit vnes lettres, dont la teneur est presques semblable aux regrets dessus mention- nez, mais elle nen obtint aucune response, aumoins dont il soit mention : car Paris Alexandre occupé en nouuelles amours, auoit desia fait diuorce, et répudiation totale auec ladite Nymphe. Duquel diuorce fait mention Suétone Tran- quille en la vie de lempereur Domitian, recitant lune des cruautez dudit tyrant, lequel feit occire vn iongleur nommé Eluidius, pource quil auoit ioué par personnages le diuorce de Paris et Oenone. Au moyen dequoy il reprenoit couuer- tement ledit Empereur, qui semblablement auoit répudié sa femme légitime, pour en prendre vne autre. Et sur ce passage est à coniecturer, que (peult estre) ladite Heleine enchanta Paris : car elle estoit fine ouuriere de sauoir composer certaines potions et bruuages, desquelz quand on
Wê ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
vsoit, on oublioit les choses passées et toute douleur pré- cédente, comme met expressément Diodorus Siculus au deu- xième liure des Gestes antiques, disant ainsi : Potio ab Eelena in prœteritorum ohliuionem TelemacJio data. Nam potionem ad aholendum luctum, quampoëta Helenam com- jposuisse scribit, etc. (1) En quelque manière que ce fust, Pa- ris meit en oubly total lamour de la Nymphe sa première femme, iusques aux approches de sa mort, quil en eut recordation : mais ce fut bien tard, et se feit porter vers elle, comme sera dit cy après.
Paris donques saddonna deslors en auant à toute volup- tueuse vie : lasciuité et mignotise efféminée : et passa le temps au ieu de la harpe, à mettre sus chansons et dittiers, dances, conuiues, et autres esbatemens, pour complaire à sa nouuelle dame, et lentretenir en plaisance. Si laissa ses vertus palladiennes, quil auoit eu en ieunesse, et ne luy chalut du haut emprendre de luno. Il se desaccoustuma de la chasse et du noble trauail dont il auoit esté parauant en recommandation louable eneruant toute la force de sa puis- sance corporelle, et animosité hautaine, en oisiueté véné- rienne, en réduisant tout son sens et son entente, sans plus, à complaire à celle, qui sera cause de destruire luy et les siens. Et pour ce mieux faire, il feit bastir au chasteau d'Ilion, auprès du palais du Roy et celuy d'Hector, vn logis de plaisance, magnifique et hautain à merueilles : dont les sommiers estoient tous reluisans de fin or : tellement que tous les plus grans ouuriers du Royaume de Phrygie, furent embesongnez à cest édifice, comme tesmoigne le prince des poètes Homère au vi. liure de son Iliade. Et eut deux enfans de la belle Heleine, par trait de temps, des-
(1) Odyssée IV, 221. Il s'agit du fameux Nëpenthès.
SINGVLARITEZ DE TROTB. LITBB II. 129
quelz lun fut nommé Corinthus et lautre Ideus : et diceux sera parlé cy après. Maintenant il faut tourner nostre nar- ration ailleurs.
ti.
S^ ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
CHAPITRE XIIII.
Récitation faite par les ambassadeurs de Grèce, retournez à Lacede- moue, de leur exploit. Et de la détermination que les Grecz prin- drent à se venger. De la forme du grand serment, que le prestre Calchas leur feit faire ensemble, et de leurs preparatiues. Et com- ment ilz nauiguerent premièrement iusques à Mysie près de Troje : et puis.sen retournèrent en Grèce. Et puis derechef nauiguerent à Troye, et prindrent le port de Sigee, et autres choses : mesme- ment, par quel moyen ilz eurent en leurs mains lenfant Polydorus filz légitime de Priam et feirent plusieurs conquestes.
Apres qve les trois Princes Grecz ambassadeurs dessus mentionnez, cestasauoir Menelaus, Palamedes, et Vlysses furent partis de Phrygie ainsi que dessus est recité, ilz exploitèrent tant par mer, quilz arriuerent en la cité de Sparte ou Lacedemone : là où les autres Princes de Grèce, et d'Achaie quon dit maintenant la Moree, descendus de la lignée de Pelops, les attendoient de pied coy, et moult leur auoit tardé leur tant longue demeure. Et après que lesdits legatz eurent recité en plein consistoire la somme de leur exploit : cestasauoir le refus de leurs demandes, lobstination des Troyens, et le danger des espies quilz auoient eschappé au moyen d'Antenor, la grande indignation de tous lesdits Princes se redoubla oultre mesure : lofifense contumelieuse les aguillonna par aspresse redoublée : et la vergongne inférée, se représenta cent fois plus grande, voyans si ou- trageuse iniure estre faite à la nation Grecque, et la vili-
SINGULARITEZ DE TROYE. LIVRE II. 151
pendence de toute la noblesse d'Europe. Si leur fut oultre- plus ramentu par les Roys Agamemnon et Menelaus frères, et mis au deuant le serment solennel quilz auoient fait ensemble, aux espousailles de la Royne Heleine, comme dessus lia esté dit. Parquoy lesdits deux Roys frères les appelloient tous de leur foy. A laquelle chose ilz ne furent aucunement contredisans : mais dun commun accord, et par iteratiue ratification, se vouèrent trestous ensemble, de sarmer pour la querele de Menelaus, et pour la recouurance de sa femme Heleine. Selon ce que dit Ouide, au premier liure de lart d'Aymer :
lurabant omnes in laesi verba mariti : Nam dolor vnius publica causa fuit.
Et à ce concorde Thucydides au commencement de son liure. Si fut décrété en commune assemblée, que pour se déterminer de tous poincts à future vengeance, on se deli- berast de mettre sus vn merueilleux appareil bellique : et que chacun mandast son ban et arriereban en sa terre. Quon assemblast souldoiers par tout où on pourroit : et quon contribuast aux communs frais de la guerre. Et par accord vniforme, fut eslu vn lieu opportun, là où lesdits Princes se trouueroient, pour prendre plus ample conclusion sur le fait dicelle emprise. Lequel lieu selon Dares Phry- gien fut en la cité d'Athènes : et selon nostre acteur Dictys de Crète, fut en la cité d'Argos, au Royaume d'Etholie, appartenant à Diomedes. Et est à noter, quil y ha plusieurs Argos : cestasauoir, Argos en Achaie, Argos en Amphi- loce, et Argos en Pelasge. Ainsi quand ilz eurent opportu- nité, chacun desdits Princes se trouua en ladite cité d'Ar- gos en Etolie. Desquelz Princes, Barons et Roys, remémo- rer et designer les noms vn pour vn, et spécifier leurs
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Royaumes et seigneuries, ie me déporte maintenant, pource que mention en sera faite en plusieurs endroits de ce liure là où le cas escherra. Et encore plus amplement au dernier liure. Et quand ilz furent en ladite cité d'Argos, selon nos- tre acteur Dictys de Crète, Diomedes Roy d'Etolie les receut en grand triomphe. Aussi Agamemnon auoit apporté de son Royaume de Mycenes grands sommes dor en masse. Lequel or il départit libéralement ausdits Princes, à fin que chacun d'eux fust plus prompt et plus courageux à la guerre. Vlysses fut eslu pour aller quérir Achilles estant en lisle de Scyros chez le Roy Lycomedes, ainsi que plus à plein est dit au premier liure. Aussi ledit Vlysses amena Philoc- tetes auec les saiettes d'Hercules, lesquelles estoient fatales, et faisoient mestier (1) à la conqueste de Troye, comme sera dit cy après.
Quand le ieune Prince Achilles fut arriué en la cité d'Ar- gos en Etolie, tantost après il fut enuoyé en Delphos pour consulter loracle du Dieu ApoUo en son temple tresrenom- mé, et sauoir quelle fin prendrait ceste guerre, et quelles choses leur estoient nécessaires à la démener. Si luy fut baillé pour collegat et compaignon Patroclus de Myrmidone. Et de fait y allèrent, et y trouuerent le prestre Calchas Troyen, filz de Tester, lequel aussi y estoit venu de la part du Roy Priam, comme met Dares de Phrygie, à fin dauoir aduisement de la conduite de son aflfaire. Car en ce temps là les Princes neantmoins (2) nulles guerres ne faisoient ne aucunes emprises, sans premièrement auoir le conseil et response de leur Dieu diabolique Apollo : lequel les trom- poit et abusoit bien souuent. Et de ce temple de Delphos nous auons fait bien ample mention au premier liure. Or
(1) c.-à-d. besoin. — (2) c.-à-d. aucunement.
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE II. 133
par le respons et commandement d'Apollo, le prestre Cal- chas ne retourna plus à Troye, mais sen alla auec Achilles : et se tint tousiours depuis du party des Grecz. Et quand ledit Calchas fut en la cité d'Argos, il feit ûiire vn mer- ueilleux et exécrable serment à tous les Princes de Grèce, selon les anciennes cerimonies, pource quil estoit grand deui- natif (1) et augure. Cestasauoir quil commanda apporter au mylieu du marché de la cité d'Argos vn porc masle, et le sacrifia, et coupa en deux pars. Puis meit lune des pars en ladite place, du costé d'Orient, et lautre du costé d'Occi- dent. Et commanda à tous lesdits Princes, quilz passassent entredeux, ayans leurs espees nues, et quilz ensanglantas- sent les pointes de leursdites espees, au sang diceluy porc. Et leur feit faire plusieurs autres superstitions à ce néces- saires. Lesquelles accomplies, ilz iurerent derechef par leur loy, et feirent vœu publique destre ennemis perpétuels du Roy Priam de Troye, et que iamais ne romproient ou desampareroient leur armée, iusques à ce quilz eussent mis à destruction le Royaume de Phrygie et la cité d'Ilion, et que chacun d'eux eust couché auec aucune des nobles femmes de Troye. Lesquelles choses parfaites purement et deuotement, selon leur manière, ilz feirent solennelz sacri- fices au Dieu Mars et à la Déesse Concorde. Toutesuoyes Virgile tient que ledit grand serment fut fait au port d'Au- lis en Beotie, quand il dit :
Non ego cum Danais Troiaoam exscindere gentem Âalide iuraui, clasaem ve ad Pergama mUi, etc. (2)
Oultreplus lesdits Princes establirent au temple de luno
(1) divinateur (mscr. de Genite).
(2) Eoéid. IV, 425.
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de ladite cité d'Argos, le RoyAgamemnon, chef et empereur de toute leur armée, tant pour les grands richesses dont il abondoit, selon vn acteur Grec nommé Thucydides, comme pource que la guerre se mouuoit pour son frère Menelaus. Puis après chacun sen retourna en son Royaume, pour faire marcher les armées par mer et par terre, au port d'Aulis qui est en Beotie. Duquel nous ferons plus ample mention au dernier liure.
Lors fut toute Grèce esmue, toute Achaie troublée, et les isles circoniacentes en grand ardeur de vengeance appe- ler. Car les peuples tumultuans en émotion bellique, se pré- sentèrent horriblement affectionnez à venger lopprobre de leurs seigneurs, et se monstrerent prompts et appareillez à si iuste guerre. Et pendant lespace de deux ans continuelz (comme met nostre acteur Dictys de Crète) se feit prépara- tion de cheuaux,de bardes, de harnois, de chariotz, de lan- ces, de nauires, et de toutes autres choses nécessaires à ladite guerre. Et au bout desdits deux ans, toutes lesdites preparatiues de nauigage, et autres choses, furent en uoyees deuant audit port d'Aulis en Beotie, ausquelles chacun des- dits Princes de Grèce auoit fourni selon sa puissance. Les- quelles auitaillees et equippees bien et deûement, selon le commandement du Roy Agamemnon, qui à toutes ces choses donnoit ordre, comme chef de larmee, iceux Roy s et Prin- ces, à iour nommé, se trouuerent à tout leurs gensdarmes, audit port d'Aulis, le cinquième an du rauissement d'He- leine. Auquel port ilz demourerent par long temps, à cause que le Roy Agamemnon auoit coursé la Déesse Diane, comme nous dirons au dernier liure. Finablement après ladite Déesse Diane appaisee, et que Palamedes eust esté créé chef de larmee, en déposant Agamemnon, et depuis derechef iceluy Agamemnon restably, iasoit ce que Dares
SINGTLARITEZ DB TROYE. LIVRB II. 135
de Phrygie mette ladite déposition et restauration d'Aga- raemnon auoir esté long temps après : cestasauoir pendant le siège do Troye, et quil fut bon temps pour nauiguer, les filles du Roy Anius de lisle de Delos, lesquelles estoient Fées, comme met Dictys de Crète, remplirent les nauires des Grecz de tous biens en abondance. Et ilz feirent voile hors dudit port d'Aulis, ayans pour guide Philoctetes, iadis escuyer d'Hercules, lequel auoit esté autresfois auec son maistre et les Argonautes deuant Troye, comme met Dares de Phrygie, tellement que lesdits Grecz abordèrent au Royaume de Mysie, qui est voisin de la basse Phrygie. Et de prime face enuahirent iceluy Royaume : et tuèrent le Roy Teuthras, (1) seigneur diceluy : naurerent aussi Telephus gendre de Priara. Et puis feirent appointement auec ledit Telephus au moyen du Roy Tlepolemus de Rhodes, et autres ses parens yssuz de la lignée d'Hercules : comme ces choses seront plus à plein mentionnées au dernier liure. Et ce fait, pource que Ihiuer approchoit, iceux Princes de Grèce furent conseillez de sen retourner en leur pais sans faire autre exploit pour ceste année là : mais délibérèrent de retourner prochainement sur le territoire de Troye.
En ce temps là le bruit fut parmy Troye la grand, au moyen des marchans qui vindrent de diuerses régions de deuers les marches et frontières de Grèce, que tous lesdits Princes Gregois ayans fait ligue et confédération ensem- ble, deuoient retourner sans nulle faute, incontinent après Ihyuer passé, à plus grand puissance que iamais. Alors commencèrent ceux de Troye à rauoir plus grand peur que deuant. Et ceux à qui le fait de Paris auoit despieu des le commencement, ne se tenoient point de dire, quon auoit
(1) Tenthras (mscr. de GenèvA).
136 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
tort des Grecz, et que cestoit mal fait de mettre en danger vne telle multitude de peuple, pour le péché daucuns. Tout ce nonobstant, Paris et les autres participans de son mau- uais conseil, enuoyerent endementiers plusieurs capitaines et commissaires , pour cueillir souldoiers et demander secours de toutes pars, et de toutes les régions circonuoisi- nes : et leur feit faire commandement de retourner le plus légèrement quilz pourroient. Laquelle chose se hastoit ainsi, parles enfans de Priam, à fin quilz preuenissent les Grecz, et que tout le faix de la guerre fust transporté en Grèce, auant que les Grecz sen donnassent garde. Mais Diomedes Roy d'Etolie, qui fut informé du tout par ses espies, préoc- cupa (1) lintention des Troyens, et notifia hastiuement leur emprise par toute Grèce : en les enhortant quilz se des- peschassent de commencer à passer en Asie, auant quilz fussent surprins en leurs maisons mesmes, par leurs enne- mis. A quoy les autres Princes furent prompts et ententifz. Et se trouuerent trestous diligemment derechef au port d'Aulis, au commencement du beau printemps, qui estoit le VIII. an depuis le rauissement d'Heleine, comme met nostre acteur Dictys de Crète, en son histoire : et le commence- ment du IX. Et sur ce poinct leur suruint Telephus Roy de Mysie, et gendre de Priam, dont nous auons dessus parlé. Lequel par loracle d'Apollo fut contraint se venir faire gué- rir de la playe que luy auoit faite Achilles au voyage pré- cèdent. Lequel après estre guery, pour recongnoissance du bien fait, sofirit estre leur guide et conducteur, iusques à la région de Troye.
Par ainsi nauiga toute larmee de Grèce en vne flotte, en Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie ou Natolie,
(1) c.-à-d. devança.
SINGVLARITEZ DE TROYK. LIVRI II. i37
ayant ensemble le nombre donze cens quarante nauires : comme met Dares de Phrygie. De prinsaut ilz gaignerent lisle de Tenedos, et consequemment le port de Sigee. Si vint en ces entrefaites au secours de Troye, Sarpedon Roy de Lycie combien quil eust esté beaucoup sollicité par Psa- lis Roy des Sidoniens de tenir le party des Grecz : comme met Dictys de Crète. Protesilaus Roy de Phylace, fut le premier de tous les Gregois qui print terre audit port de Sigee : et aussi fut ce le premier qui y receut mort prédes- tinée, par les mains du preux Hector, selon Dares Phrygien, combien que nostre acteur Dictys met, que ce fut par Eneas. Et fut ceste bataille la première entre les Grecz et les Troyens. Aussi y furent tuez deux des enfans de Priam. Consequemment Telephus Roy de Mysie, gendre de Priara, print illec congé des Grecz, et sen retourna en son Royaume. Et Cygnus filz de Neptune, vassal de Priam, lequel estoit inuulnerable, fut suffoqué et esteint par la force d'Achilles. Aussi la cité de Metore, appartenant audit Cygnus, fut prinse, et ses enfans amenez en lost des Grecz, comme sera plus à plein touché au dernier liure. Encores furent prinses autres citez, du territoire de Troye. Si fut exhibé sacrifice de cent bœufz à ApoUo de Sminthe, par le Prince Palaraedes de Nigrepont. Lequel sacrifice Paris cuida empescher, et suruint à tout grand quantité de gens- darmes : mais il fut rebouté par Aiax Telamonius et Aiax Oïleus et plusieurs des gens de Paris tuez. Et en faisant ledit sacrifice, Philoctetes fut mors au pied par vn serpent, et adonc il fut enuoyé en lisle de Lemnos, pour estre guery par les prostrés de Vulcan.
En après Palamedes de lisle d'Eubee, quon dit mainte- nant Nigrepont, fut meurtry traytreusement, et ietté de- dens vn puits par Diomedes et Vlysses, ayans enuie de la
138 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
grâce et autorité quil auoit en lost, iasoit ce que Dares de Phrygie, contre lopinion de tous, mette (1) quil fut tué dune saiette par Paris Alexandre, et encores long temps après. Mais iay entreprins de suiure lordre dudit Dictys. Aussi lisle de Lesbos, quon dit maintenant Methelin, fut prinse par Achilles, et le Roy dicelle nommé Forgarite vassal de Priam, lequel auoit fait beaucoup dennuy aux Grecz, y fut tué. Et sa fille la belle Diomedee emmenée en seruage : et plusieurs autres citez depopulees dont sera faite mention au dernier liure. Consequemment vn Roy de Scythie, ou Tar- tarie, nommé Ceneus vint à Iay de des Grecz. Achilles depopula la prouince de Cilice : print la principale cité dicelle nommée Thebes : et tua Eetion père d'Andromacha, et ses sept enfans : desmolit aussi la cité de Lyrnesse, et occit le Roy dicelle, nommé Faction : et emmena sa femme appellee Astynome, fille à Chryses archiprestre du temple d'Apollo de Sminthe, Puis conquist la cité de Pedase, dont le Roy nommé Brises se pendit de dueil : et Achilles em- mena la fille dudit Brises, laquelle auoit nom Hippodamie, comme ces choses seront plus à plein désignées au dernier liure. Et tant exploita iceluy Achilles, quil print sur le Roy Priam et sur ses alliez douze citez par mer, et onze par terre, comme tesmoigne Homère au ix. liure de son Iliade. En ce temps mesmes, Aiax Telamonius cousin germain dudit Achilles, infestoit par armes, couroit et pilloit tout le Cherronese de Thrace : cestadire le riuage de Grèce, oppo- site à Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie. Auquel riuage estoit situé le Royaume de Polymnestor, lequel auoit espousé madame Ilione, fille de Priam, comme plus à plein est dit au premier liure. Mais quand ledit Roy
(1) mect (mscr. de Genève).
SINGVLARITEZ DE TROYB. LIVRE 11. 139
Polymnestor congnut la puissance des Grecz, il commença à auoir peur, et ne tint gueres contre eux, ains feit appoin- tement. Or luy auoit enuoyé le Roy Priam le plus ieune de ses filz nommé Polydorus, à fin que secrètement et seu- rement il le nourrist. Mais ledit Roy Polymnestor, en fai- sant sa paix le deliura audit Aiax Telamonius, et oultre ce, luy donna grand quantité dor et dargent, et richesses, et remplit toutes les nauires dudit Aiax de blez et de vins, assez pour vn an, et par sermens exécrables renonça à lamitié et alliance de Priam, son beaupere, et fut receu au party des autres Prince de Grèce.
Ces choses faites, Aiax Telamonius emmenant auec luy lenfant Polydorus, repassa la mer, et print son]chemin vers la haute Phrygie, et depopula toute la région mettant tout à feu et à sang : tua le Roy Teuthrancius qui osa comba- tre à luy corps à corps : brusla sa cité, et emmena sa fille nommée Tegmessa. Et quand lesdits deux Princes, Achilles et Aiax Telamonius, furent retournez chacun de son quar- tier, ilz amenèrent grand proye en lost des Grecz, et furent receuz à grand gloire et triomphe, et couronnez de cha- peaux de laurier, comme preux et victorieux. Nestor Roy de Pylon, le sage vieillard, et Idomeneus Roy de Crète, furent ordonnez commissaires à départir tout le butin. Astynome, fille de larchiprestre Chryses, fut adiugee au Roy Agamemnon, pour serue et pour esclaue : Hippodamie tille du Roy Brises de Pedase, lequel sestoit pendu de despit, comme dessus est dit, et auec Diomedee fille du Roy Forgarite de Methelin, furent distribuées à Achilles. Et Tegmessa fille du Roy Teuthrancius, en la haute Phry- gie, à Aiax Telamonius, comme plus à plein sera dit au dernier liure. Ce fait, ledit Aiax Telamonius recita publiquement les pacts et conuentions quil auoit fait auec
iiO ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Polymnestor Roy de Thrace, et leur deliura Polydorus le petit filz de Priam. Lesquelles choses ententiueraent considérées, Vlysses et Diomedes, furent ordonnez pour aller en ambassade au Roy Priam, et luy deliurer son filz Polydorus pour recouurer Heleine.
SINGVLARITEZ DE TROTE. LITRE II. 141
CHAPITRE XV.
De kmbassade enuoyee par les Grecz à Troye, pour offrir d« rendre Poljdorus, en reconurant Heleine. Et comment 11 y fut contredit par Antimacbus corrompu à force dargent par Paris. Auec recitation du bon conseil du sage Pantbus : de la response d'Hector et d'Eneas. Lopinion de deux acteurs touchant ladite ambassade : du retour dicelle en larmee : et de la mort de lenfant Poljdorus. Et aussi du débat meu entre Achilles et Agamemnon, à cause de la belle Briseis ; et de la seconde bataille, dont Hector eut le prys.
Ainsi qve lesdits deux orateurs et légats Vlysses et Dio- medes se preparoient pour aller à Troye, Menelaus Roy de Lacedemone, pour lamour duquel toute la guerre se deme- noit, se ioingnit de son propre gré et mouuement auec eux. Et quand ilz furent entrez par saufconduit dedens Troye, et que le populaire sceut que trois grans Princes de Grèce estoient arriuez pour traiter quelque bon appointe- ment, ilz conuoquerent en conseil les principaux seigneurs et citoyens de Troye. Et sans souffrir (1 ) que le Roy Priam ne ses enfans saillissent du palas, tindrent illec vn consis- toire. Tellement que lesdits seigneurs et populaire estans illec ententifz, le Roy Menelaus commença vne harengue brieue, faisant à son propos : et consequemment le treselo- quent Vlysses en feit vne autre plus grande : tendant aux fins de remonstrer aux seigneurs, citoyens et peuple de
(1) c.-à-d. attendre.
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Troye le grand forfait commis en Grèce par Paris Alex- andre. Et concluant en la fin, que tout ce nonobstant, si la Royne Heleine estoit rendue auec tout ce que auoit esté prins auec elle, ilz rendroient lenfant Polydorus, lequel estoit en leurs mains.
Apres donques que Vlysses Roy d'Itaque eut fait fin à son oraison, Panthus lun des grans seigneurs de Troye, père de Polydamas, print la parole, et dit à Vlysses : Que certainement entre eux auoient bien la voulenté de remé- dier à ceste besongne, mais non la puissance. Pareillement le Prince Antenor disoit, quil ne tenoit point à eux ny à leur conseil, que toutes les choses nallassent bien : mais ceux qui auoient administration de la souueraineté des choses, conduisoient tout plus par voulenté que par rai- son. Apres lesquelles choses dites, ledit Antenor feit entrer au conseil les Princes estrangers qui estoient venuz par amitié (1) au secours de Priam, et aussi les autres Princes souldoiers. En la présence desquelz, Vlysses reïtera son oraison plus ague et plus véhémente que parauant, en appellant les Troyens tous mauuais hommes, exorbitans de raison semblables à Paris Alexandre, duquel ilz souste- noient la querele si ruineuse et si peruerse. Et amenoit son parler par si grand artifice, que tout le peuple Troyen se condescendoit à sa voulenté. Et auoient horreur tacite- ment en leurs courages, de loutrage fait aux Grecz. Puis selon la manière accoustumee, les plus anciens dirent cha- cun leur opinion par ordre. Et confessèrent tous ensemble par commune voix, que le Roy Menelaus auoit esté iniu- rieusement traité, attendu quil auoit receu amiablement en son hostel Paris et Deïphobus. Et que Paris auoit brisé les
(1) amistre (mscr. de Genève).
SIMGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE II. 143
loix de toute humanité, en rauissant la femme de son hoste. Et ainsi disoient ilz tous, excepté lun diceux citoyens, nommé Antimachus, qui fut dopinion contraire. Car selon ce que met Homère en lonzieme liure de l'Iliade, ledit An- timachus auoit esté corrompu par Paris Alexandre, à force de dons et dargent, pour tenir sa bende.
Voyans donques ces choses le Prince Antenor, le sage Panthus, et les autres seigneurs, et citoyens de Troye, ilz enuoyerent au palais vers le Roy Priam deux hommes esluz à ce, pour laduertir du tout : mesmement de son filz le petit Polydorus, lequel estoit détenu prisonnier en la main des Grecz. Et quand le Roy Priam entendit ceste nouuelle, de la grand douleur quil eut, il cheut pasmé à terre, en la présence de tous. Et quand il fut remis sus, et voulut aller au conseil, ses enfans lengarderent, et luy prièrent quil ne bougeast : mais eux mesmes sen vindrent ruer impétueuse- ment au mylieu de lassemblee, là où ilz trouuerent le des- susdit Antimachus, estriuant contre les Grecz, et souste- nans la querele de Paris : lequel outrageoit fort les ambas- sadeurs de Grèce, disant quil ne souffriroit iamais que Menelaus partist de Troye, iusques à ce que lenfant Poly- dorus fust restitué sain et sauf, et aussi quon deuoit gar- der les deux autres : cestasauoir Vlysses et Ûiomedes, ius- ques à tant que ainsi fust fait. Et comme tout chacun se teust, Antenor commença à résister au contraire, et def- fendre à toute puissance, que telle chose ne fust décrétée au preiudice desdits ambassadeurs, et au deshonneur du Roy Priam. Mais après longues altercations, les paroles mon- tèrent tant dun costé et dautre, quon procéda iusques à coups donner. Toutesuoyes en la parfin Antimachus, qui esmouuoit tout le débat, fut ietté hors de lassemblee, par tous les assistans, et deClaJré mutin et sedicieux.- Et les
144 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
ieunes enfans de Priam laissèrent aussi ladite congrégation, excepté le Prince Hector,
Alors le sage vieillard Panthus dressa son parler à la fleur des nobles hommes du monde : cestasauoir Hector, lequel comme met nostre acteur Dictys de Crète, estoit le plus sage, et le meilleur de tous les enfans de Priam. Et luy commença à supplier humblement, que maintenant il voulsist tenir la main à ce, que madame Heleine fust ren- due, mesmement, puis que les Princes de Grèce estoient venuz amiableraent la requérir : disant que si Paris auoit autresfois esté ardant en lamour délie, quil y auoit desia passé du temps assez pour en estre saoulé, et que chacun voyoit clerement à lœil, la grand puissance des Princes de Grèce et leur gloire et hautes emprises, et quilz auoient desia prins et depopulé beaucoup des citez du Royaume de Phrygie, et du païs circonuoisin : pour laquelle chose le Roy Polymnestor esmu de grand crainte, leur auoit deli- uré lenfant Polydorus : et faisoit à présupposer, que les autres citez du tenement de Priam, pourroient bien ensui- ure semblable manière de faire. Et plusieurs autres choses allegoit Panthus, lesquelles laisse pour cause de brieueté. Et quand le noble Prince Hector leut escouté tout en paix, il fut vn peu triste : et les grosses larmes luy tomboient des yeux, quand il luy souuint de son petit frère Polydorus. Toutesuoyes, il disoit que ce nonobstant on ne deuoit point trahir la personne d'Heleine, puis quon luy auoit vne fois la foy promise : mais bien pourroit on rendre tout ce qui auroit esté prins auec elle : et au lieu délie, bailler au Roy Menelaus aucune de ses sœurs, si comme la pucelle Cas- sandra, ou la belle Polyxene, auecques grand douaire, et grans dons.
Quand Menelaus Roy de Lacedemone eut entendu ceste
SIN6VLARITKZ DB TROYB. LITKB II. 145
response d'Hector il la print en grand et raerueilleux des- daing : et dit ainsi par grand felonnie(l) : « Ainsi mayd Jupi- ter le Roy des hommes et des Dieux, ie seroye donques bien- heureux, sil falloit que après estre violentement despouillé de ma propre femme, ie fusse contraint de permuer mes amours et mon mariage, à lappetit de mes ennemis mor- telz. )) Alors le (2) baron Eneas répliqua en ceste manière : « Roy Menelaus, de ce ne faut ia que tu te soucies tant ; car quand tout le monde lauroit iuré, si te garderây ie bien de si grand honneur, et moy, et tous ceux de ma bende, qui aymons ihonneur et le proufit de Paris Alexandre : il en est encores assez, ne te chaille, et sera, de ceux qui deffen- dront à main armée la maison et le Royaume de Priam contre voz iniures. Et quand il aura perdu lenfant Poly- dorus, si ne sera il pas pourtant destitué denfans. Vous semble il donques à vous autres Grecz quil nest loisible à nul autre fors à vous, duser de telles manières de rapines ? Ceux de lisle de Crète, qui sont des vostres, ne rauirent ilz iadis la belle Europa, fille du Roy Agenor de Sidone ? Et le beau Prince Ganymedes filz du Roy Tros nostre ances- tre, ne fut il aussi esleué par eux en ceste contrée mesmes ? Que dirây ie de Medee fille au Roy Eetha ? ignorons nous, que ceux de vostre party de fresche mémoire, lallerent rauir en Colchos ? lusques icy on ha procédé par paroles, mais si vous et vostre armée ne partez soudain de ceste région, vous expérimenterez à coup (3) la grand vertu Troyenne, à vostre merueilleux preiudice : car nous auons tout premièrement de nostre part, la forte main et bon adiutoire des Dieux immortelz, et en oultre, auons grand
(1) c.-à-d. irritation. — (2) Le mscr. de Genève ajoute le beau. (3) c.-à-d. soudain.
II. iO
ilQ ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
nombre et abondance de ieunes hommes instruits noble- ment aux armes, et de iour en iour nous suruient assez de nouueau secours. » Quand Eneas eut fine ses paroles, Vlysses respondit doucement en ceste manière : « Par noz Dieux, il nest ia plus mestier donques, de différer noz inimitiez dun costé et dautre. Donnez signe de bataille quand vous vou- drez, et ainsi comme vous auez esté les premiers en infé- rant liniure, soyez aussi les premiers à donner les horions : et nous vous suiurons après que nous aurez prouoquez . » Et cest iusques icy la narration de nostre principal acteur Dic- tys de Crète.
, Mais Dares de Phrygie met ladite ambassade auoir esté faite auant la mort de Protesilaus Roy de Phylace, et ne fait nulle mention du petit Polydorus. Dit en oultre ledit Dares, que le Roy Priam presidoit en son conseil, quand ladite ambassade vint. Et après auoir ouy leur demande fondée sur la restitution de la belle Heleine, et de la proye emmenée auec elle, luy mesmes leur remeit au deuant les iniures des Argonautes, cestadire de ceux qui nauiguerent en Colchos : leur reprocha la mort de son père le Roy Laomedon, la destruction de Troye faite par Hercules et Telamon, et la seruitude de madame Hesionne sa sœur : et aussi les opprobres et mauuais traitemens faits au baron Antenor son ambassadeur. Parquoi ledit Roy Priam refusa tout appointement de paix auec lesdits Grecz : et leur signi- fia la guerre ouuerte. En commandant que promptement iceux ambassadeurs eussent à vuider hors de sa cité et de son Royaume. Et cest lescrit dudit Dares. Si fait à noter quen plusieurs passages il y ha discordance entre lesdits deux acteurs Dares et Dictys : iasoit ce quilz fussent tous deux presens à la guerre Troyenne, mais ilz estoient de deux partis lun Troyen et lautre Grec. Toutesuoyes des difi'e-
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE II. i47
rents qui sont en leur narration originelle ie me passeray (le léger, en ensuiuant principalement lordre de mon acteur Dictys, pource que sa compilation est plus ample et plus disfuse, et aussi plus vraysemblable et mieux ordonnée. (1) loint à ce, que les nobles œuures du Prince des poètes Homère, et de Virgile, et aussi d'Ouide sont presques vni- formes à icelle. Par ainsi lesdits ambassadeurs de Grèce ayans response de refus total, se retirèrent en leur ost, non pas sans le grand desplaisir du peuple de Troye ; lequel estoit dolent en merueilles des paroles arrogantes proférées par Ëneas. Et quand lesdits trois personnages furent de retour, en la présence des autres Princes de Grèce, ilz récitèrent à plein tous les dits et les faits des Troyens alencontre d'eux, dont ilz furent généralement fort indignez et encores plus irritez à vengeance. Si fut décrété incontinent, que le petit Polydorus seroit occis en la pré- sence de tous ceux qui le voudroient voir au plus près des murs de Troye. Et sur ce cas ne fut pas faite grand dila- tion : ains fut prins ledit noble enfant Royal, et mené sur vn haut tertre, en lieu eminent près de la cité, et illec occis, et lapidé, par la multitude des Grecz, à force de coups de pierre, voyans plusieurs des Troyens qui estoient aux créneaux. Ainsi le ieune innocent porta la peine du mefifait commis par son mauuais frère Paris. Ce fait, lun des herautz des Grecz alla noncer iusques aux portes de Troye la mort dudit Polydorus, à fin quilz vinssent prendre le corps pour le sepulturer. Et pour ce faire fut enuoyé lun des herautz de Troye, nommé Ideus, auec aucuns gentilz- hommes de la maison du Roy qui lemporterent tout gasté,
(1) Les Occidentaux préféraient cependant Darès. (Cf. Moland et d'HérioaiUt, Nouvelles françaises eo prose du XIY* siècle. Introd.)
i48 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
meurtry et despecé à la Royne Hecuba sa mère, laquelle en mena grand et merueilleux dueil, comme il est vraysera- blable. Toutesuoyes, Virgile au*troisieme Hure des Eneïdes recite autrement la mort dudit Polydorus, et en autre temps : et aussi fait Ouide au xiii. de sa Métamorphose : disant que la Royne Hecuba fut emmenée en seruage, en passant par le Royaume de Polymnestor, son gendre qui auoit occis le petit Polydorus, pour vsurper les trésors qui luy auoient esté baillez en garde auec lenfant : dont Hecuba conuertie en rage désespérée, trouua manière de creuer les yeux audit Roy Polymnestor. Parquoy finablement elle fut mise à mort par les Grecz.
Endementiers que ces choses se faisoient, à fin que rien ne demourast entier aux alliez de Priam, Aiax Telamonius assailloit hostilement plusieurs citez appartenantes à Eneas, Antenor, et autres de la maison de Priam, et les demolis- soit et depopuloit, si comme Cella, Gargarus, Marisba, Sepsis, et autres situées es montaignes Idées, qui seront plus à plein spécifiées au dernier liure. Et feit courses et gastemens : et bouta les feuz par toutes lesdites montai- gnes : puis ramena en lost grand nombre de bestial et autre butin. Et en ce temps mesmes Chryses larchiprestre du temple d'ApoUo de Sminthe, vint en larmee des Grecz, humblement suppliant de rauoir sa fille Astynome, iadis femme au Roy Faction de Lyrnesse, laquelle en diuisant le butin auoit esté deliuree au Roy Agamemnon, comme des- sus est dit. Et pource que ledit archiprestre ne fut point ouy, grand pestilence se meit en lost des Grecz : dont le prestre Calchas prononça la cause à lasseurance d'Achilles, disant, que tel meschef ne venoit sinon pour la détention de la fille de Chryses archiprestre du Dieu Apollo : car ice- luy Dieu en estoit malcontent. Et les Troyens voyons les
SIMGVLAKITEZ DE TROYE. LITRE II. 149
feuz contiûuelz qui se faisoient en larmee des Grecz pour brusler les corps des morts, saillirent hors de Troye et fat faite la seconde bataille, en laquelle emporta le prys du costé des Troyens le Prince Hector, auee le Roy Sarpedon de Lycie : et du costé des Grecz les Koys Diomedes et Menelaus, dont la nuict suruenant feit faire cesse.
Ces choses faites, les Grecz voulurent establir Achilles chef de toute larmee : pource que Agaraemnon ne vouloit rendre la belle Astynome, autrement appellee Chryseis, à son père Chryses. A loccasion dequoy la mortalité de plus en plus senforçoit parmy eux, et mouroient misérablement grand nombre de gens et de bestes. Toutesuoyes finable- ment Agamemnon fut content de restituer ladite Chryseis : pourueu quen son lieu fust baillée la belle Hippodamie, autrement dite Briseis, fille du Roy Brises de Pedase, dont sera faite plus ample mention au dernier liure. Chacun saccorda à ce pour le salut commun de toute larmee, ex- cepté Achilles, auquel il competoit le plus : car il la tenoit pour samie et chère concubine. Mais ce nonobstant, Aga- memnon vsant de sa puissance Royale, comme chef de toute larmee, enuoya quérir par deux herau tz ladite Hippodamie, ou Briseis es tentes du Duc Achilles, et la feit mener es siennes. Et ce faisoit il, par despit de ce que le prestre Cal- chas, par ladueu et asseurance dudit Achilles, auoit declairé que la peste ne cesseroit iusques à ce que Agamemnon eust rendue ladite Chryseis à son père.
Ainsi fut renuoyee la belle à son père honnestement accompaignee des deux grans personnages : cestasauoir Diomedes et Vlysses. Lesquelz dabondant offrirent grans dons au temple d'Apollo de Sminthe, pour appaiser Tire diceluy Dieu. Et par ce moyen cessa la pestilence en lar- mee des Grecz. Si fut aussi enuoyee en lisle de Lemnos cer-
iSO ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
taine portion de la proye et butin conquis sur les ennemis, àPhiloctetes seigneur de Methon et de Melibee, lequel estoit demouré malade en ladite isle, à cause de la morsure dun serpent, comme dessus est dit. Mais Achilles tenant à grand iniure labstraction de sa concubine Briseis, ou Hippodamie, en conceut en son courage vne terrible indignation contre les Grecz, mesmement contre le Roy Agamemnon : et se tint àe là en auant en son pauillon, auec son amy Patro- clus, et son gouuerneur Phénix, et son aurigateur Autome- don, et ses autres Myrmidons. Et sur ce propres fonde et commence toute sa noble matière du volume de Tlliade, le prince des poètes Homère.
En ces entrefaites, le tresnoble Prince Hector, chef et conducteur de toute larmee Troyenne, feit saillir hors des portes de la cité, toute la belle cheualerie d'Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie ou Natolie : ensemble les Princes tant de la maison du Roy Priam, comme ses vas- saux, amis, alliez, et souldoiers : desquelz les noms et sei- gneuries sont spécifiées assez competentement au premier liure, et seront encores plus au dernier. Les Grecz aussi meirent leur armée en front, et ordonnèrent leurs esles et leurs batailles. Mais Achilles se tint à lescart auec ses Myrmidons, et ne se voulut point renger en ordonnance des autres, à cause de la hayne et dissension quil auoit auec le Roy Agamemnon, pour lamour de sa concubine Hippodamie quil luy auoit tollue. Quand donques les armées tant des Grecz que des Troyens furent rengees bien à point, ne lune partie ne lautre ne feit semblant de se bouger ne dentamer la bataille, mais se tindrent tous coys sans rien faire, pour ce iour. Et quand ce vint sur le tard, chacun sonna la retraite de son costé. Dont Achilles ce voyant, pensa de se venger du Roy Agamemnon, et cuida surpren-
SIMGVLARITEZ DE TROTE. LITBB H. 15t
dre son armée en desarroy et donner sur luy, à tous ses Myrraidons : mais Vlysses sen donna bien garde. Parqaoy Achilles sans rien faire, mais tout transmué de courroux, sen retourna en ses tentes, et les Troyens à Troye. Et ceste nuict furent ordonnez par les Grecz Aiax et Diomedes explorateurs pour la nuict. Et Dolon Troyen fut aussi esta- bli par Hector, à aller guetter lost des Grecz : mais il fut surprins par lesdits Aiax et Diomedes, et après auoir sceu le secret des Troyens, ilz tuèrent ledit Dolon.
152 ILLVSTRATIONS DE G^VLE, ET
CHAPITRE XVI.
Narration dane iournee assignée pour batailler, entre les Grecz et les Troyens. Et de la couardise de Paiis encontre Menelans : de laigre reprehension que Hector luy feit à ceste cause. Et comment Paris soffrit à combatre Menelaus corps à corps. De la forme des conuenances sur ce prinsea. Et comment à Haleine retourna le désir de son premier m&vj. Et des deuises du .Roy Priam auec ladite Heleine.
Certains iours passez sans rien faire, iournee fut assignée dune part et dautre, en la belle campaigne qui est entre la cité de Troye, et le port de Sigee : et fut fait de tous costez grand appareil de bataille. Toutesuoyes Achilles ne sy trouua point : car il ne se vouloit plus armer, par despit du Roy Agamemnon. Et pource quen ceste iournee il y eut vne bataille singulière, cestadire corps à corps entre le Roy Menelaus et le beau Paris, laquelle est diffusément narrée par le prince des poètes Homère au troisième liure de son Hiade, et bien coulouree de fleurs poétiques : et aussi est récitée en brief et plus succintement par Dictys de Crète en son deuxième liure, ie vueil icy marrester vn petit à descrire ledit combat, pource quil est beau et délectable, et sent bien son antiquité. Et pour ce faire, ie translateray presques mot à mot ledit Homère sur ce passage. Et nonob- stantant ie ne relenquiray point de trop loing la vérité his- toriale de nostre acteur Dictys de Crète.
Or dit iceluy noble prince de poètes Grecz mis en Latin par Laurens Valle : Que quand les armées Troyennes
SUIGTLARITEZ DE TROTE. LITBE 11. 155
furent ordonnées chacune souz son chef et conducteur, et furent diuisees en esles et en esquadres, elles marchèrent audeuant desGreczqui desia approchoient. Là eut grand oy et grand huée faite du costé diceux Troyens, ne plus ne moins que les grues ontaccoustuméde faire au temps matutin quand elles partent des régions Septentrionales, et volent par lair en grands compaignies, vers la grand mer Oceane, pour faire cruelle guerre et mortifère aux petis Pygmiens. Et au contraire, les Grecz sans noise et sans clameur, mais sans plus fremissans par grand ire, tacitement en eux mesmes hastoient leurs pas, reuoluans en leurs courages par quel moyen ilz pourroient vaincre leurs ennemis, et deffendre eux et les leurs. A la venue donques des Troyens, ou pour mieux dire à la course, si grand pouldrerie sesleua en la campaigne, mesmement à layde du vent qui souffloit, que ce sembloit vne de ces bruines espesses qui sont ennuyeuses aux bons bergers des champs, et agréables aux larrons nocturnes. Laquelle nieble bruineuse est aucunesfois ame- née par le vent Auster sur la cruppe des hautes montai- gnes, tellement que la pouldrerie (1) offusquoit la veiie des deux armées et ne pouuoit on choisir de lœil, plus loing dun iet de pierre.
Et quand lesdits deux exercites furent si prochains lun de lautre, que desia on sapprestoit pour batailler, Paris Alexandre homme de singulière beauté, marchoit fîerement, et à grans pas, douant toutes les armées de Troye, prouo- quant et deffiant par hautes paroles, à bataille singulière tous les plus forts des Grecz. Or portoit il pour sa cotte darmes, vne riche peau de leopart toute estoffee dor et de pierrerie. Son arc et son carquois, et deux dards resplen-
(I) pouldriere (mscr. de Qenèvo).
154 ILLVSTRATIOISS DE GAVLE, ET
dissans en sa main. Et quand le fort batailleur Menelaus leut veu et entendu, il se resiouit en telle manière que fait vn lyon familieux, quand il rencontre vu grand cerf cornu, ou vn chamois lequel est poursuiuy des chiens et des ve- neurs. Ainsi par grand ardeur et espérance de venger son iniure, il descendit promptement de son chariot et se meit à pied comme il estoit aorné. Si se présenta deuant Paris, marchant hastivement alencontre de luy. Alors Paris Alexandre des quil veit son mortel ennemy Menelaus, luy venant alencontre, il fut frappé dune peur soudaine : et arresta tout court son allure. Puis se commença à retirer vers ses gens : tout ainsi que fait vn pèlerin passant par la montaigne : lequel quand il apperçoit en sursaut quelque horrible dragon en son chemin, se trouble et estonne de primeface, puis après pallit et tremble, et presques en se laissant choir recule arrière.
A ce spectacle, la fleur de cheualeri^ Hector, tout en- flambé d'ire et de mal talent, commença à vitupérer son frère par paroles ignominieuses : et luy dit en ceste ma- nière : « Dysparis (1) et non Paris de beauté nompareille, mais tout perdu en lamour des femmes, hardy de paroles et lasche à leffect, combien eust il mieux valu que tu ne fusses iamais né ? Et pleust ores aux Dieux que ainsi eust esté, ou que tu fusses mort en ieunesse, auant que commettre vn tel deshonneur, mesmement deuant les yeux de tout le monde. Ne vois tu combien de liesse ces Grecz perruquez et calamistrez en ont receu, et à bon droit, comme ceux qui cuidoient que ainsi comme tu es le plus beau de tous, aussi tu fusses le plus cheualereux ? là où maintenant ilz enten- dent bien, quil y ha en toy trop plus de beauté que de vail-
(1) c.>à*d. funeste.
SIKG?LARITEZ DE TROYB. LITRX II. «186
lance. Assez as tu de formosité et bonne taille de corps et de membres, mais le courage test défaillant. Et neant- moins, comme tu soyes tel, tu as osé auec vne bende de gens esluz, et vne armée bien equippee, aller en région estrange suborner la femme dautruy. Et comme tu fusses esprins de la merueilleuse beauté délie, combien quelle eust vn mary bon à la guerre, tu las prinse en la région d'Achaie : et las amenée par deçà, (1) à la totale destruction de monseigneur nostre père, du Royaume aussi , et de tout le nom Troyen, et à lesiouissement de noz ennemis, et perpétuelle infamie de toy mesmes. 0 quel deshonneur, qui nas osé attendre Menelaus ! Dont vient cela ? Certes pource que tu congnois quel homme il est à la guerre : et combien celuy fait à redouter, à qui tu as osté sa femme. Certainement entre ces tourbillons de guerre , harpes ne lues dont tu te scais ayder, ne seruent rien à la victoire : ny aussi le beau chanter ou danser, ne lelegance de forme, ne les cheueux blonds et bien peignez, qui sont dons veneriques, ne toutes telles semblables choses. Et à fin que tu saches, voicy tous les Troyens, lesquelz pour defiendre ton crime et ton forfait ont comprins les armes, maintenant sont tous estonnez de ta crainte et faute de cœur, et nont plus courage aucun de combatre. » Lors Paris respondit ainsi à son frère aisné :
« Selon le droit de ta nature, monseigneur mon frère Hec- tor, tu nas pas trop oultrageusement reproché ma lascheté : Car ton corps et ton courage ne sont non plus fatiguez de labeur quotidien, ne plus ne se meuuent pour aucun ren- contre, que fait vne dure coignee, laquelle le charpentier ou bocquillon exerce continuellement à couper bois. Et par ce moyen, le trenchant dicelle, dur, acéré, et bien trempé,
(1) Aucune cédille (ëd. 1516 et 1528).
156 ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
saffine iournellement, par la perseuerance de lœuure. Mais ie te prie, ne me vueilles point mettre au deuant, par manière de reproche et vitupération, les dons de la Déesse Venus. Car les biens faits, que les Dieux nous contribuent (1) ne se doiuent point reprocher, pource quilz ne sont point donnez selon la voulenté des hommes, mais selon le plaisir de Dieu mesmes. Et si tu veux ores que ie combatte corps à corps encontre Menelaus, commande que tous les Troyens, ensemble les Grecz cessent et se tiennent coys, en regar- dant le combat que nous ferons nous deux, duquel ilz seront iuges et tesmoings : Et quiconques demourera vain- queur, cestuy là ayt Heleine à femme, sans nul contredit, pour laquelle ceste guerre sest esmue : ensemble toute la richesse, qui fut apportée de Lacedemone : et tous les autres, fassent foy et serment de sen retourner en leurs contrées, les Troyens à Troye, et les Grecz en Grèce. »
Quand le noble Prince Hector eust ouy les paroles de son frère Paris, il fut merueilleusement ioyeux : et se transporta incontinent au mylieu des deux armées. Et tant de sa forte voix, comme de sa lance quil tenoit par le mylieu, faisoit arrester les compaignies de ses gensdarmes, et les Troyens obéirent incontinent. Mais les Grecz de leur costé, en marchant tousiours, tiroient flesches, dards, et pierres de fonde. Laquelle chose voyant le Roy Agamem- non, il dit à ses gens : « Déportez vous vn petit, enfans. Si contenez voz mains, et retirez voz corps : Car comme iap- perçois, Hector veult traiter quelque chose auecques nous. » A laquelle voix les Grecz se désistèrent incontinent. Et après le bruit appaisé, se tindrent tous coys et paisibles, autant que faire se pouuoit, et demourerent ententifz pour
(1) c.-à-d. accordent.
SIMGVLARITEZ DE TEOYE. LITRE II. 157
escouter. Adonc Hector estant au mylieu des deux osts dit ainsi : « Oyez moy, vous Troyens, ensemble vous autres Grecz : et entendez par moy ce que dit mon frère Paris Alexandre, à loccasion duquel toute ceste guerre sest meue entre nous. Il veult et désire que Troyens et Grecz, tant dun costé que dautre en mettant ius leurs armures ne fas- sent que regarder. Et quon les laisse faire eux deux seule- ment : cestadire, que luy et Menelaus au mylieu de ces deux exercites, debatent leur querele par force, et par armes. Et quiconques d'eux deux vaincra, que Heleine soit sa femme, sans contradiction : et ayt aussi toute la richesse amenée de Lacedemone. Et les autres fassent serment, de sen retourner chacun en sa maison : cestasauoir les Troyens à Troye, et les Grecz en Grèce. » Ainsi parla le preux Hector. Alors vnchacun tenant silence, le Roy Mene- laus feit sa harengue à tous les deux osts, et dit en ceste manière :
« Prestez moy escout, vous Grecz et consequemment vous Troyens : car ma iuste douleur mimpute nécessité de res- pondre, principalement entre tous les. autres. Donques il me plait tresbien, et si me consens de grand courage, que quiconques de nous deux mourra en ceste bataille, soit mort pour luy seulement : et que tous les autres sen retour- nent incontinent chacun en sa maison, sans plus guerroyer : à fin quun chacun soit doresenauant quite et deliure des grands peines et labeurs, lesquelles vous Grecz auez sous- tenu pour deffendre mon droit, et vous Troyens pour la cause d'Alexandre. Et que par ceste transaction, vous en soyez affranchis. Apportez donques icy en présence deux aigneaux lun masle, et lautre femelle : et que le masle soit sacrifié au Soleil, et la femelle à la Terre. Et nous fourni- rons du tiers pour offrir au souuerain Dieu lupiter. Mais
158 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
premièrement et auant toutes choses, amenez cy le Roy Priam qui establisse ces conuenances luy mesmes, à fin que aucun de ses enfans, ainsi quilz sont lasches et desloyaux, ne fassent ces choses irrites et de nulle valeur, par fraude et par malengin. Car tousiours les esprits de ieunes gens sont muables et sans grand fiance. Mais ores si le bon vieil- lard est présent à cest appointement, et quil préside à iceluy, certainement en considérant les choses passées, et les présentes et futures, il se donra garde que ces pactions icy soient fermes et stables, et que paix finale se fasse in- continent entre les deux armées, ainsi quil est de mestier. » Des que le Roy Menelaus eut fine sa parole, tant les Grecz comme les Troyens sesiouirent dune grand liesse, esperans que désormais ilz se reposeroient dune tant périlleuse et mortelle guerre. Eux donques séparez lun de lautre par petit dinterualle , descendirent des chariotz : boutèrent leurs chariotz tous de reng : et meirent ius leurs lances et leurs dards. Puis Hector enuoya deux heraux en la cité, pour aller quérir le Roy Priam, à fin quil fust présent à faire icelles conuenances, et pour apporter des aigneaux. Et le Roy Agameranon commanda aussi à son héraut nommé Talthybius, quil allast aux nauires pour apporter le troisième aigneau. Et pendant que lesdits heraux se has- terent de faire chacun ce que leur estoit enchargé. Iris la messagère de la Déesse luno, descendit de lair, et print la forme de lune des filles du Roy Priam nommée Laodice femme du Prince Elycaon pour annoncer à Heleine le com- bat et le camp mortel qui se deuoit faire entre Menelaus et Paris. Et la trouua quelle tisoit vn noble ouurage de fine pourpre, pour faire vn manteau grand et ample, auquel elle auoit desia peint à lesguille plusieurs des faits de la guerre Troyenne. Adonc Iris sapprocha, et luy dit en ceste manière :
SraGVLABITEZ DE TROTB. UVRI II. 159
« Or vien maintenant, la tresbelle espouse de mon frère Paris, vien voir vne chose meruei lieuse qui se fera ores entre les Troyens et les Grecz : car aux champs où ilz se deuoient rencontrer par grand affection pour deffaire lun lautre, ilz ont présentement laissé la bataille, et sont au mesmes lieu près lun de lautre, tous coys faisans silence appuyez sur leurs escuz. Et sont leurs lances plantées auprès deux : car Alexandre doit tantost combatre auec Menelaus, pour voir auquel tu demoureras pour femme. Si es constituée pour le guerdon de la victoire entre les deux parties. » Ainsi que la Déesse Iris disoit ces choses, il entra en la douce poitrine de la belle Heleine, vn grand désir de son premier mary, de ses parens, et de son pais. Si saccous- tra hastiuement dun fin rochet de lin, et partit de sa cham- bre : mais au long de sa belle face luy decouroit vn grand ruisseau de larmes. Et la suiuoient deux de ses damoiselles, lune nommée Ethra fille de Pytheus, et lautre Clymena. Et comme elle fut venue légèrement (1) à la porte Scee, elle monta les degrez pour aller en la haute tour dicelle porte.
En ladite tour estoit le bon Roy Priam, auecques les plus anciens des Princes et seigneurs de Troye : cestasauoir Panthus, Antenor, et autres qui plus nestoient duisans à porter armes, à cause de leur vieillesse, mais bien estoient ilz propices au conseil. Si se seoient autour du Roy Priam : et deuisoient de plusieurs choses entre eux, et ressem- bloient les crinsons ou cigales lesquelles au temps desté mussees entremy lombrage des branches fueillues ont accoustumé de chanter doucement. Mais quand iceux Princes apperceurent Heleine marcher parmy la grand tour large et spacieuse, ilz disoient lun à lautre tout bassement :
(1) c.-à-d. rapidement.
Ifll ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
« Certes ce nest point chose estrange, si les Troyens et les Grecz soustiennent tant de maux , et par si longue espace, pour vn tel visage, qui ne semble point estre de femme humaine, ainçois plustost dune Déesse immortelle. Mais toutesuoyes posé quelle soit dune beauté si diuine, si seroit ce chose plus seure de la renuoyer en son hostel, que de la retenir à force, à fin quelle ne soit cause de perpétuelle misère à nous et aux nostres. » Ces paroles disoient iceux anciens Princes ensemble : Mais, le Roy Priam en appellant Heleine dit ainsi : n Viença, ma tresdouce fille, et tassied icy près de moy, à fin que tu voyes ton premier mary, et tes autres parens et amis. Et ne cuide point que ie te vueille improperer, ne donner reproche de ceste guerre, qui cause tant de larmes : car ie ne men plaings sinon aux Dieux ausquelz il ha pieu me molester par tant de malheurs. Sied toy icy, ma fille, et me dis qui sont ces personnages que ie Toy là surpasser les autres, tant en hauteur de stature, comme en resplendeur daornemens. » Et lors Heleine, la Déesse des femmes, luy dit ainsi : « Mon tresredouté sei- gneur et beaupere, ta parole et ton regard, me sont tous- iours à crainte et à vergongne. Que pleust ores aux Dieux, que ie fusse morte de mort obscure, quand premièrement ie suiuis ton filz, en laissant mon mary, mes compaignes, et ma fille vnique Hermione : car tant de maux ne sen fus- sent ensuiuis. Et ne me fusse point ainsi tourmentée de pleurs et de larmes, comme ie fais. Mais ie suis contente dobeïr à ton commandement, et toy informer de ce que desires sauoir. » Ainsi luy commença Heleine à designer tous les Princes de Grèce. Lesquelz Homère descrit audit pas- sage. Mais à cause de brieueté ie men déporte à présent : car assez seront spécifiez au dernier liure.
SIlfGTLARITEZ DE TROTS. LIVRB il. 161
CHAPITRE XVII.
Reoit&tioD de la saraenue du Roy Priam au camp : dei cerimoniei faites touchant le pact dentre les deux armées. Et du combat corpt à corps fait par Paris contre Menelaus. Comment la Déesse Venu* sauua Paris, et des reproches que Heleine luy «n feit. Auec excla- mation sur les fictions du poëte Homère, et dei autres faits da Paris pendant la guerre.
Ainsi qve le noble Roy Priara tenoit deuises auec la belle Heleine, les deux herautz dessus mentionnez, enuoyez par le Prince Hector, estoient arriuez en la cité de Troye, et auoient desia prins les choses nécessaires à faire les conue- nances, selon ce quon leur auoit commandé : cestasauoir deux aigneaux, et du vin quilz portoient en vne peau de bouc. Et lun diceux, nommé Ideus, portant vn flascon dor, et deux hanapz de mesmes, sen alla faire son message au Roy Priam, et dit en ceste manière : « Sire, plaise toy leuer dicy, et ten venir hastiuement au camp, là où les Princes Troyens, et Grecz tattendent, et mont commandé te venir quérir, à fin que appointeraent se fasse entre eux au moyen de ta présence, car ilz sont sur ces termes, que ton filz monseigneur Paris et le Roy Menelaus doiuent esprouuer au mylieu des deux armées à la pointe de leurs espees, auquel des deux comme au vainqueur demeurera madame Heleine, et tous les trésors amenez de Lacedemone. A fin que tous les autres soient ensemble pacifiez, et que nous demourons à Troye, et les Grecz sen aillent en Grèce. » Ces u. H
162 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
choses ouyes, le bon Prince Priam fut tout troublé en son courage : neantmoins il commanda à ses escuiers quon luy amenast sa littiere, pour aller là où on lattendoit. La lit- tiere fut tantost preste et accoustree de royaux aornemens : si se meit dedens. Aussi le Prince Antenor monta sur son chariot, pour luy tenir compaignie : et passèrent eux et leurs gens, par la porte Scee, et vindrent en la campaigne, là où les deux armées estoient. Si descendirent à terre, et marchèrent par le mylieu.
Quand le Roy Agamemnon et Vlysses, veirent venir ces deux anciens Princes, cestasauoir le Roy Priam et Antenor, ilz se tirèrent en auant. Et les herautz à tout leurs cottes darmes à la manière accoustumee, apportans les choses nécessaires à faire les conuenances, se trouuerent là. Tout premièrement ilz versèrent du vin es couppes dor, et puis baillèrent leaue à lauer, à tous les Roys et Princes dun parti et dautre. Lors le Roy Agamemnon, du fourreau de son espee, tira vn couteau bien trenchant, et coupa du poil de dessus la teste dun chacun des aigneaux. I^equel poil ou laine, fut distribuée par les mains des herautz, aux principaux et aux plus grans Princes de tous les Grecz et les Troyens. Et lors le Roy Agamemnon dressant les mains iointes au ciel, en laudience de tous, prononça les depre- cations et paroles des conuenances en ceste manière :
« Pare céleste lupiter, qui présides à ce lieu cy, à cause des hautes montaignes Idées, qui as la principauté plus grande que tous les autres Dieux : et toy Sol qui vois et congaois toutes choses, vous Fleuues, toy Terre, et vous autres Dieux inférieurs qui tourmentez après la mort les hommes desloyaux, et brisans leur foy, ie vous inuoque pour tesmoings de ces pactz et conuenances, et vous sup- plie que vueillez quelles soient saintes et inuiolables. Si
SINGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 165
Paris auiourd'huy en ceste bataille priue mon frère Mene- laus de sa vie, que Heleine et tous les trésors soient à luy : et nous nous en retournerons à tout noz nauires deuers noz Dieux domestiques. Et si mon frère Menelaus occit Alex- andre, que les Troyens rendent Heleine, auec toute la ri- chesse : et que les Grecz oultreplus soient rémunérez deguer- dons honorifiques, telz qui! semblera quil se doiue faire : lesquelz guerdons aussi soient transferez à noz successeurs. Et si le Roy Priara ou ses enfans refusent de nous donner iceux prys et guerdons après la mort de Paris, iappelle derechef les Dieux à tesmoings, que pour me venger des conuenances rompues, ie perseuereray en ceste guerre : et ny aura iamais autre fin mise, fors que lune ou lautre par- tie soit du tout vaincue et suppeditee. » Ces choses dites, il coupa la gorge ausdits deux aigneaux, lun masle lautre femelle : et ainsi morts et sanglans quilz estoient, les meit à terre. Les autres prindrent du vin es hanapz, et en bu- rent vn peu par manière de sacrifice, puis respandirent le demeurant en terre, en faisant prières et oraisons aux Dieux supérieurs. Dont il en y eut de telz, qui disoient en ceste manière : « lupiter, Roy des Dieux et le plus puissant de tous, et vous autres esprits célestes, vueillez que ceux ausquelz il tiendra que ces promesses et conuenances ne soient fer- mes et permanentes, que tout ainsi que ce vin flue et coule en terre, ainsi puissent couler et périr leurs enfans et leurs femmes. » Mais pour lors le Dieu lupiter auoit ses oreilles sourdes et estouppees, et non propices à exaucer leurs prières.
Apres ces choses faites, le bon Roy Priam parla à toute lassemblee, et dit en ceste manière : « Escoutez moy, vous Troyens, et vous aussi Grecz. Certainement mes yeux ne pourroient soustenir de voir mon trescher filz Alexandre
164 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
combatant auec Menelaus. Et à ceste cause, à fin que ie ny soye présent, ie men retourne en la cité. Le haut Dieu lupiter et les autres Dieux, ont desia en leur congnoissance et détermination, lequel des deux est prédestiné à la mort. » Quand il eut ce dit, il monta en sa littiere, et print les deux aigneaux sacrifiez, si les feit emporter auec luy. Et pendant quil sen retournoit en la cité, le Prince Hector et le Roy Vlysses assignèrent vn lieu propice à la bataille. Puis ilz ietterent sort en vne salade, auquel des deuz le premier coup seroit deu. Et les deux armées qui estoient alentour en doute et solicitude des choses aduenir, leuans les mains au ciel, faisoient plusieurs vœuz et prières. Dont les aucuns formoient leur oraison en ceste manière : « Père lupiter qui domines sur les montaignes Idées, qui as plus grand puissance que nul des autres Dieux, vueilles faire auiourd'huy que celuy qui est cause de tant de misères et calamitez, entre ces deux peuples et nations, puisse perdre la vie, et soit précipité aux enfers : et que nous autres puissions garder les conuenances inuiolablement. » Ainsi disoient la pluspart des gensdarmes. Et le preux Hector ce temps pendant ayant le visage destourné, hochoit la salade en laquelle ilz auoient ietté le sort. Si apparut tantost, que le tour de Paris estoit de ruer le premier coup. Adonques tous se rongèrent en leur lieu par ordre, iouxte leurs che- uaux et leurs armes. Et Alexandre pour estre armé plus seurement et plus pompeusement, print vn harnois de iam- bes, tout estofFé de fin argent, et vne cuirasse de mesmes qui estoit à son frère Lycaon, mais elle luy estoit faite et appropriée à sa poitrine, comme de cire. Puis meit en es- charpe vne riche espee pendant à vne chaine dor. Et adapta et accoustra à son espaule sa grande et pesante targe : et meit en son chef, son harmet tout aomé par dessus de
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crestes, plumas et tjrabres, horribles à regarder. Et au dernier il print vn dard esmoulu, grand et fort à merueil- les, mais tel, quil sen sauoit bien ayder. Menelaus aussi de lautre part se faisoit armer de ses plus nobles armes. Et quand ilz furent tous deux armez et bien empoint : ilz se présentèrent au lieu du camp assigné, les Troyens et les Grecz estans tout alentour. Et commencèrent à marcher fièrement lun vers lautre, ayans le courage félon, et la Youlentë mal entallentee, tellement que tous ceux qui les regarde ient, en auoient grand frayeur. Et quand ilz furent assez prochains lun de lautre, ainsi que au mylieu de la place, ilz brandirent leurs dards, et tindrent leurs bras en lair à fin dauoir plus grand coup et plus seur.
Paris Alexandre, lequel deuoit ferir le premier, branla son iauelot par grand maistrise contre Menelaus, et le tou- cha rudement en lescu, mais la pointe se rebouta auant quelle peust passer lacier, dont la targe estoit couuerte. Alors Menelaus se dressa sur les pointes de ses piedz à tout son dard, etfeit vne brieue oraison en ceste manière : « Ottroye moy, ie te prie, ô Roy lupiter, que cestuy cy qui mha accomblé de tant de maux, soit puny selon ses démé- rites, à fin que ceux qui sont maintenant en vie, et toute leur postérité quand ilz en orront parler, ayent crainte de maculer les nobles maisons esquelles ilz auront esté receuz par amitié. » Et en ce disant, il contrepesa aucune espace sa lance, puis lenuoya rudement contre Alexandre. Laquelle en tresperçant le mylieu, ne passa pas seulement oultre lacier, le cuir boully, et le bois dont il estoit composé, mais aussi effondra en la cuirasse, et attaingnit Paris iusques à la chemise. Et de fait, eust entamé sa poitrine, se neust esté quil guenchit au coup, et se humilia soupplement à costé. Ce fait, Menelaus tira de sa gueine argentine sa clere
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espee, et en la haussant contremont, donna vn coup sur le heaume de Paris si grand et si véhément, que lallemelle (1) vola en pièces, et le manche luy saillit hors du poing. Laquelle chose voyant Menelaus, il souspira parfondement, et en dressant les yeux aux ciel dit ainsi : « 0 père lupiter, certainement de tous les Dieux qui sont au ciel et en la terre, il nen est nul pire que toy. Nagueres quand le te fai- soye ma prière, iauoye conceu espérance que Paris rece- uroit par mes mains le guerdon de la criminelle iniure quil mha inférée : mais maintenant mon espee du premier coup sest rompue, et ma lance ha esté iettee en vain, sans auoir entamé les membres de mon ennemy. » Par telles et sembla- bles paroles, le Roy Menelaus blasphemoit son Dieu lupi- ter. Et neantmoins il se print courageusement à enuahir et à aherdre (2) à la salade de Paris, si empoigna les crestes et plumas estans sur icelle. Lesquelz (3) auoir appréhendé, il sefforçoit de le traîner du costé de ses gens : et leust fait vic- torieusement et à sa grand gloire, de tant plus facilement, que quand il le tiroit par sa salade, le mol gosier de Paris sestrangloit, au moyen de la chainette dorée, qui fermoit à vne boucle sur le menton. Mais soudainement la Déesse Venus fille de lupiter, quand elle congnut le meschef de Paris, vint à la rescousse, et rompit le lyen : à fin que Menelaus vainqueur, ne iouist que de la salade vuide, en lieu de Ihomme. Laquelle chose aduint par efFect : car ainsi comme Menelaus se fut tourné vers ses gens, pour leur ietter la despouille de son ennemy, et ceux leussent receùe à grand haste, et à grand joie, et que iceluy Menelaus eut prins sa
(1) c.-à-d. la lame.
(2) c.-à-d. s'attacher à
(3) suppléez : ajprè*.
SINGVLARITEZ OE TROYB. LIVRE II. 167
hasche.pour retourner incontinent sur Paris Alexandre, Dame Venus ainsi comme celle qui est haute Déesse, toute aui- ronnee dune nuée aureine, tira inuisiblement son seruiteur Paris hors de la bataille, et le transporta soudainement dedens la cité de Troye, où elle le colloqua en vne cham- bre, riche et bien odorante, dedens son palais, là où son lict génial (1) et voluptueux estoit somptueusement tapissé. Et quand la Déesse Venus eut illec mis le beau Paris Alexan- dre, elle se transforma, et print la figure dune des femmes de chambre de la belle Heleine, nommée Gréa, laquelle estoit venue auec elle de Lacedemone, et sen alla vers ladite Heleine. Si la tira tout bellement par la robe, et luy dit ainsi : « Madame, retourne sil te plait à Ihostel, là où ton mary Alexandre tattend, et mha commandé tappeller, car il est sur vne riche couche, plus beau et plus resplendissant que nulle autre chose du monde. Et ne semble point quil ayt combatu auec Menelaus, mais plustost quil vienne de la dance. » Laquelle chose oyant la belle Heleine, de primeface ne voulut acquiescer daller vers Paris. Et dit par efFect, que iamais en la compaignie dun homme si lasche et si couard ne se daigneroit trouuer. Mais après ce quelle se ^ut apperceùe que cestoit la Déesse Venus qui ainsi la semonnoit, elle y alla. Et quand elle fut en la chambre où estoit Paris, elle sassit sur vne scabelle, tournant les yeux arrière du visage d'Alexandre, et luy dit en ceste manière : « Nés tu pas retourné de la bataille là où tu sauois que receurois mort sans remède, si ne leusses gaigné à fuyr, comme celuy qui estoit desia surmonté et prins par ton fort et robuste ennemy iadis mon mary, le Roy Menelaus ? Or tu te soulois si bien vanter de le surpasser tant en force
(1) Uctus genialis, lit nuptial.
lOS ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
de corps, comme en science descarmoucher. Or va mainte- nant et le deflfie à combattre corps à corps : mais non feras (auraoins si tu men crois) ainçois doresenauant te garderas bien de le prouoquer ainsi follement comme tu as fait ores : voire et aussi de te trouuer deuant luy en la meslee, de peur que si dauenture il te rencontre, il ne t^ tresperce de son dard, ou de son glaiue. » Et alors Paris luy respondit en ceste manière : « le te prie, mamie, ne me vueilles point molester par telles reproches : certainement ie confesse que le nay point vaincu Menelaus, mais ce ha esté au moyen de layde quil auoit de la Déesse Pallas : et neantmoins vne autresfois ie le surmonteray à mon tour. Car aussi bien ây ie des Dieux et des Déesses en mon ayde comme il ha. Or en tant quil touche le demeurant, ie te prie, faisons bonne chère, et passons le temps en liesse coniugale. Car onques mais depuis que ie couchay premièrement auec toy en lisle de Cytheree, si grand ardeur damours ne me tint quil fait présentement. » Et quand il eut ce dit, il entra en vne autre riche chambre de son palais, et Heleine le suiuit.
A bon droit feint (1) le poëte Homère que le beau Paris fut soustrait de la bataille par la Déesse Venus : cestadire par sa mollesse, lascheté et peuvaloir. Attendu que luy qui souloit estre égal en force et en vertu à son frère Hector, le plus rude cheualier du monde, est deuenu si tresefFeminé et si appaillardy, quil nha plus vigueur ne courage. Lequel exemple fait bien à noter pour tous gentilzhommes moder- nes. Or met oultreplus le poëte Homère en plusieurs passa- ges de son volume de l'Iliade, que ladite Déesse Venus estoit pour les Troyens, à cause du iugement fait par Paris en faueur délie : en dénotant que lesdits Troyens estoient plus
(1) faict (mscr. de Genève).
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE II. 169
adonnez à délices et à mignotises luxurieuses que nestoient les Grecz. Et met aussi que luno et Pallas estoient du costé des Grecz : pource quilz estoient bons gensdarmes. Et auoient richesses, qui est désignée par luno : et prudence de guerroyer, qui est signifiée par Pallas. Aussi y peult auoir cause historiale pourquoy ledit poëte feint que Paris fut soustrait de la bataille par Venus. Peult estre pource que, comme recite Dares Phrygien, Eneas qui es toit estimé filz de Venus couurit ledit Paris de son escu, et le tira hors de la bataille : et le ramena sain et sauf en la cité, lasoit ce que Dictys de Crète met que Paris fut nauré en la cuisse du dard de Menelaus.
Aussi à cause de Venus le Dieu Mars estoit du party des Troyens. Car Hector qui estoit comparé à Mars en fureur de bataille, soustenoit la querele vénérienne de son frère Paris. Neptune pareillement estoit du costé des Grecz : pource que lesdits Grecz auoient la mer à commandement : et plusieurs autres nobles fantasias dudit poëte peult on voir en son œuure de l'Iliade, touchant lesdits Dieux et Déesses tenans diuerses bendes, à cause du iugement de Paris. Cestasauoir comment Venus pour lamour de son filz Eneas y fut nauree en la main par Diomedes, et Mars semblablement : et com- ment lesdits Dieux et Déesses aussi sentrebatirent, comme met ledit poëte en son xx. liure. Mais mon intention, ne mon pouuoir aussi nest mie dexpliquer toutes lesdites fic- tions, pourquoy ie men déporte. Toutesfois en tant quil touche Paris, iay recueilli dudit volume de l'Iliade, que depuis ledit combat auec Menelaus, Paris Alexandre feit les vaillances qui sensuiuent en la guerre Troyenne : cesta- sauoir qui! tua Menesthius filz d'Arithous (1) et de Philome-
(1) Dariothus (mscr. de Oenève).
170 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
duse. Puis naura dun dard le cheual de Nestor Roy de Pylon : et blessa aussi dune saiette Diomedes Roy d'Etolie en la main dextre : et vn autre nommé Eurypylus en la cuisse. Puis entra auec les autres dedens la fortification des Grecz, quand Hector cuida brusler leurs uauires. Mais ce ne fut point sans ce que Hector lappellast souuent couard et tar- dif. Oultreplus il tua vn Grec appelle Dyochus. Et autre chose nay trouué de ses faits audit liure. Dares de Phrygie met que ledit Paris tua Palamedes dune saiette. Mais tous les autres acteurs sont dopinion quil mourut par la machi- nation faite contre luy par Vlysses et Diomedes comme des- sus est dit. Maintenant faut retourner à nostre propos prin- cipal.
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CHAPITRE XVIII.
Des conuenances rompaes entre lus deux ostz, et de la bataille renou* iiellee par Pandarus de Ljcie : des grands prouesses d'Hector : des treues prinseï pntre les armées, et de la reconciliation d'A- chilles auec Agamemnon. Comment ledit Achilles senamoura de Polyxene : recitation de la mort du Roy Sarpedon de Lycie : et aussi de celle de Patroclus de Myrmidone, qui fut tué par Hector^ et antres choses.
Tandis donques que le beau Paris Alexandre auoit esté soustrait du combat mortel, et quil vaquoit à choses véné- riennes, comme dessus est dit, le Roy Menelaus, semblable à vn ours enragé, couroit ça et là, pour voir sil trouueroit Paris nulle part. Et ny auoit nul des Troyens ne des Grecz, qui peust ne sceust dire, quil estoit deuenu : car ilz ne leussent osé dissimuler, à cause des serments faits, et des conuenances establies. Et aussi quilz aymoient mieux que Paris mourust tout seul, que de continuer si dangereuse guerre. Alors le Roy Agamemnon parla haut et cler, et dit ainsi : « Escoutez, vous Troyens, Phrygiens, Dardaniens, Lyciens, Paphlagoniens, et généralement tous ceux qui sont venuz au secours de Priam : vous voyez que la victoire de ceste bataille est deuers mon frère Menelaus : et pourtant cest à vous à faire maintenant de rendre Heleine, et toute la richesse qui ha esté apportée auec elle de Lacedemone. Et en oultre, nous rémunérer de guerdons honorifiques, telz
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quil sera iugé estre conueuable (1), lesquelz soient trans- ferez à nous, et à noz successeurs. » Quand Agamemnon eut dit ces paroles, tous les Grecz extollerent son oraison par grand admiration. Mais les Troyens honteux et confuz de leur propre vergongne, ne tardèrent gueres à briser les conuenances. Car Pandarus de Lycie, lun des plus iustes archers du monde, à linstigation de Laodicus filz d'Ante- nor, tira occultement vne saiette au Roy Menelaus, et le naura en la cuisse, tellement quil le falut porter hors de la bataille. Combien que Dares de Phrygie mette que ce fut par Paris, que ledit Menelaus fut nauré. Et iusques icy iay suiuy la narration du poète Homère. Maintenant ie vueil retourner à mon acteur Dictys de Crète.
Iceluy Dictys en son deuxième liure, met que Pandarus de Lycie, pour renouueler la meslee, et briser les conuenan- ces, ne se tint point à ce coup, ainçois tira dune venue plusieurs flesches, et blessa beaucoup des Grecz. Mais fina- blement Diomedes en deliura la place et le tua. Lors recom- mença lestour (2) merueilleux et mortel dun costé et dautre. Et y furent naurez des Princes Troyens, Eneas, Sarpedon, Glaucus, Helenus, Euphorbius, et Polydamas. Et des Grecz oultre ledit Menelaus, Vlysses, Merion et Eumelus. En la fin sans sauoir iuger qui eut du pire ou du meilleur, la nuict suruint, qui les départit. Homère sur ce passage, descrit vne belle bataille faite corps à corps, entre Aiax Telamonius et le Prince Hector. Et aussi fait Dares de Phrygie : combien que nostre acteur nen disse mot. Et ne fut vainqueur ne lun ne lautre diceux deux champions : mais se départirent après auoir donné grans dons lun à
(1) convenables (éd. 1528).
(2) c.-À-d. le choc, la mêlée.
S1NGVLARITEZ DE TROYB. LITRE II. 175
lautre. Et ce fait, les Troyens se parquèrent entre le port et la cité. Et se tindrent aux champs aucun temps : cesta- sauoir, iusques à ce que Ihyuer suruenant et les pluyes, les feirent rentrer à Troye. Et endementiers, Aiax Telamonius auec son armée, et aucuns des gens d'Achilles allèrent cou- rir parmy le pais de Phrygie. Si en gasterent beaucoup, et prindrent aucunes citez, et ramenèrent grand nombre de butin.
En ce temps mesmes dhyuer, le trespreux Hector saillit de Troye à tout son armée pour combatre les Grecz : et les Grecz aussi sortirent contre luy : et se trouuerent en la campagne accoustumee. Mais Hector par sa prouesse et vertu les contraingnit de fuyr, et de quérir sauueté en leurs nauires, là où il y eut plusieurs merueilleux faits darmes exploitez, tant dun costé que dautre : car Hector les pres- soit iusques à bouter le feu dedens leurs fortifications, et dedens leurs nauires mesmes. Et peu sen faillit quilz ne fussent alors du tout desconfits. Car Achilles ne se voubit point armer, pour la hayne quil auoit au Roy Agamem- non : mais Aiax Telamonius, cousin germain dudit Achilles et second en vaillance après luy, feit si bonne résistance, quil naura Hector dun grand coup de pierre. Et lors désis- tèrent les Troyens de combatre aux nauires, et se retirè- rent à Troye. Neantmoins aucuns des ^nfans de Priam furent tuez en icelle iournee. Et tantost après Rhésus Roy de Thrace venant au secours de Priam, fut occis cauteleu- seraent par Diomedes et Vlysses. Et ses chenaux merueil- leux et Feez (1) furent amenez en lost des Grecz, auant quilz poussent boire au fleuue Xanthus : car si vne fois ilz y eus- sent peu estre abruuez, leur destinée estoit telle, que iamais
(l)/<HCff (éd. I5l6);/w»(ëd. 1528).
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Troye neust esté prinse. Et de cecy nous parlerons encores plus à plein au dernier liure. Les Thraciens qui estoient audit Roy Rhésus se cuiderent mettre en deffense : mais ilz furent tous desconfits. Et tantost après les Troyens vin- drent demander aux Gregois treues et abstinence de guerre, laquelle chose ilz obtindrent.
Durant les treues, larchiprestre d'Apollo de Sminthe, dont dessus est parlé, vint en lexercite des Grecz remer- cier les Princes de sa fille Chryseis ou Astynome qui luy auoit esté rendue. Aussi Philoctetes seigneur de Methon et de Melibee, retourna de lisle de Lemnos auecques ceux qui lestoient allé quérir, et apporta les saiettes d'Hercules, iasoit ce quil ne fust pas encores assez fermement guery de la morsure que le serpent luy auoit fait au pied, comme dessus est touché. Lors tindrent conseil les Princes de Grèce : pour faire appointement entre le Duc Achilles et le Roy Agamemnon. Et à ceste cause furent enuoyez vers le Duc Achilles deux grans personnages : cestasauoir Vlysses et Aiax Telamonius, lesquelz en exécutant leur charge, offrirent à Achilles lune des filles du Roy Aga- memnon en mariage, auec la dixième partie de son Roy- aume pour le douaire dicelle : et cinquante talents dor : dont chacun talent, pour le moins, valoit quarante liures dor à douze onces pour liure. Et tant exploitèrent iceux moyenneurs, que finablement après longues difficultez, à linstance de Phénix gouuerneur d'Achilles et de Patroclus son mignon, iceluy Duc Achilles reprint samie et concu- bine Hippodamie ou Briseis , laquelle Agamemnon iura solennellement nauoir iamais touchée. Et fut faite la paix entre lesdits Achilles et Agamemnon. Pendant aussi le temps hyuernal et les treues, les Grecz se trouuerent sou- uentesfois auec les Troyens au temple d'Apollo Tymbree,
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hors des murs de Troye. Et les Grecz pour euiter oysiueté sexerçoient tousiours aux armes, mais non les Troyens. Et en oultre plusieurs citez d'Asie se soustraioyent de lamitié de Priam, voyans quil auoit du pire.
Vn iour donques entre les autres que la Royne Hecuba faisoit sacrifice au Dieu Apollo, le Duc Achilles désirant voir les cerimonies et les coustumes Troyennes, alla en son simple estât auec peu de compaignie au temple dessusdit : auquel il veit entre les autres filles de Priam, la tresbelle pucelle Polyxene, sur laquelle il ietta les yeux par si ardante concupiscence, quil fut esprins de son amour oul- tremesure : et saugmenta ce désir en luy iournellement de plus fort en plus fort. Tellement que certains iours après il enuoya secrètement son aurigateur nommé Automedon deuers le Prince Hector, pour traiter mariage entre luy et ladite Polyxene. Icy y ha contrariété apperte entre ces deux tresanciens acteurs, Dares Phrygien, et Dictys de Crète : car ledit Dares met, que Hector estoit desia mort, et que le iour que Achilles senamoura premièrement de Polyxene on faisoit lanniuersaire d'Hector. Quoy que soit, ie nay pas entrepris de les mettre daccord : ainçois me suffit de suiure lordre principal de mon acteur Dictys de Crète.
Hector donques, selon la recitation dudit Dictys, feit response à Automedon messager d'Achilles, qui si son sei- gneur vouloit auoir Polyxene, il estoit nécessité quil feist de deux choses lune, ou quil liurast toute larmee des Grecz es mains dudit Hector : ou à tout le moins quil luy baillast quatre des principaux personnages : cestasauoir le Roy Agamemnon et son frère Menelaus, leur cousin Aiax Tela- monius et Aiax Oïleus. Dont quand Achilles entendit ces choses, il fut fort indigné, et iura tous ses Dieux par grand
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fureur, que au premier estour quil rencontreroit Hector, il le tueroit. Et ce nonobstant si estoit il tousiours si espris et si frappé de lamour de ladite Polyxene, que souuentesfois il couchoit hors de sa tente, comme vn homme forcené. Tant que Automedon son aurigateur fut contraint den aduertir les autres Princes de Grèce : à fin quilz se donnassent garde, que son seigneur Achilles ne feist quelque mauuais pact ou conuention auec les Troyens, à leur grand preiudice. Et endementiers plusieurs citez du Royaume de Troye, en délaissant le parti de Priam, venoient offrir secours aux Grecz. Si commença dapprocher le beau printemps.
Les froidures hyuernales passées, et le ioyeux temps vernal flourissant, la guerre commença aspre et cruelle, entre les deux nations. Et se feit la quatrième bataille. Les Troyens se trouuerent aux champs dun costé, et les Grecz de lautre. Illec fut tué Pyrechmus Roy de Peonie, quon dit maintenant Hongrie, lequel tenoit le parti de Priam : et mourut par les mains de Diomedes Roy d'Etolie. Et Aga- mas Roy de Thrace, par les mains d'Idomeneus Roy de Crète, quon dit maintenant Candie. Le preux Hector y feit merueilles darmes, et y occit plusieurs Princes. Et aussi sy esuertua grandement Achilles meu de grande indigna- tion, pour le refus quon luy auoit fait de Polyxene : mais il naccomplit pas sou serment quil auoit fait, cestasauoir de tuer Hector au premier estour quil le rencontreroit. Toutesfois il occit le noble Philimenis, Roy de Paphla- gonie, et le gentil Cebrion bastard de Priam : duquel est beaucoup parlé au premier liure. Iceluy Cebrion estoit aurigateur, cestadire conducteur du chariot d'Hector. Mais le prudent Helenus filz de Priam, en la meslee naura Achilles dune saiette en la main, et le contraingnit à pisser la bataille. Aussi plusieurs des enfans de Priam
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furent occis alors. Et y eut à vn des coings de larmee^ bataille corps ft corps entre Patroclus de Myrmidone, et le Roy Sarpedon de Lycie, filz de Jupiter : lequel Sarpedon y mourut par les mains dudit Patroclus. Et à ce concorde- Homère en son Iliade, iasoit ce que Dares de Phrygie mette quil fut tué par Palamedes. En oultre, Deïphobus fut nauré par Patroclus, et son frère bastard Corgaton y receut mort, tant feit darmes ce iour ledit Patroclus. Et après innume- rable occision tant dun costé que dautre, sans estre vain- cuz ne vainqueurs, à cause du vespre suruenant, la retraite fut sonnée. Lors les Troyens et Lyciens emportèrent le corps du Roy Sarpedon de Lycie, de Corgaton, (1) et de Cebrion, bastards de Priam, et menèrent grand pleur et grand dueil : si les enseuelirent auec pompe somptueuse. Et quand la noble Nymphe Pegasis Oenone, estant en la cité de Cebrine, sceut la mort dudit Cebrion de Cebrine son singulier amy et bienuueillant, elle en mena aussi vn dueil extrême. Dautre part les Grecz vindrent visiter le grand batailleur Achilles, lequel auoit esté nauré par Helenus, et louèrent hautement les grands vertus et vaillances de Patroclus. Et le lendemain au fin matin, ilz bruslerent les corps des morts et les enterrèrent.
Apres aucuns iours passez que les naurez furent guéris, les Troyens feirent vne saillie hors de Troye : laquelle fut de si grande impétuosité, (2) et tellement surprindrent les Grecz, que de prinsaut ilz en tuèrent beaucoup. Entre les- quelz furent occis Archesilaus Roy de Beotie, et Schedius Roy de Phocide, qui est en la région d'Athènes. Et y furent naurez Mengel et Agapenor d'Arcadie : Patroclus de Myr-
(î) Qorgatron (mscr. de Genève),
(â) de grand ingenuotiié (mscr. de Qeuàve).
H. I*
178 ILLVSTRATIONS DE OAVLE, ET
midone, vint au secours de ceux de son parti par grand effort, mais sa fortune ne fut pas telle quelle auoit esté en la bataille précédente : car il fut premièrement nauré par Euphorbius filz du Baron Panthus, et consequemment tué par le preux Hector. Et y eut fiere et obstinée bataille, pour le corps de Patroclus : car les Troyens le vouloient auoir pour le deshonter, et mutiler vilainement : et les Grecz le defFendoient, pour lenseuelir honnorablement. En après iceluy Euphorbius qui auoit premièrement nauré Patroclus, fut circonuenu par Aiax et Menelaus, et occis par eux. Mais finablement les Grecz furent vaincuz en grand deshonneur, et y perdirent beaucoup de leurs gens. La nuict sauua le demeurant. Et sen retournèrent en leur fort et en leurs nauires, portans le corps de Patroclus, pour la mort duquel, Achilles (qui nestoit pas encores guery de sa playe faite par Helenus) mena vn merueilleux dueil et lamente, comme celuy qui tousiours auoit esté son mignon et son singulier amy. Geste nuict là, les Grecz feirent son- gneusement le guet, pour la grand crainte quilz auoient des Troyens : et le lendemain bien matin enuoyerent qué- rir force bois es forestz de la montaigne Idée, pour brusler solennellement le corps de Patroclus. Si furent faites ses funérailles en grand honneur et triomphe, selon la super- stition dadonques.
Peu de iours après que les Grecz furent refectionnez du labeur de leurs grands veilles, ilz tirèrent leurs armées aux champs par vn beau matin, et se tindrent là tout le iour : attendans les Troyens pour voir silz sortiroient. Mais les Troyens ne se bougèrent pour lors : et ne faisoient que regarder larmee des Grecz par leurs tours et créneaux. Et ce voyans iceux Grecz sur le soleil couchant se retirèrent en leur fort et en leurs nauires. Mais le lendemain à la
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fine aube du iour, les Troyens les vindrent resueiller, et les Guidèrent surprendre en desarroy comme en la bataille précédente : toutesfois ilz furent vertueusement reculiez par les Grecz, et ne peurent longuement durer quilz ne tournassent en fuite. Si en y eut beaucoup de morts et de naurez à ceste fois. Entre ceux qui y furent occis du costë des Troyens, fut le plus apparent Asius Hirtacides, (1) sei- gneur de Sestos et d'Abydos, grand amy d'Hector. Diome- des Roy d'Etolie y print douze prisonniers : et Aiax Tela- monius quarante. Entre lesquelz furent Pysus et Euander bastards de Priam. De la part des Grecz aussi y fut occis Ceneus Roy de Scythie, quon dit maintenant Tartarie : et Idomeneus Roy de lisle de Crète, ou Candie, y fut nauré. Apres donques que les Troyens se furent retirez, les Grecz ausquelz le camp demeura, gaignerent grands despouilles des morts. Et ietterent au fleuue Xanthus ou Scamander tous les corps des Troyens, à fin que iamais neussent sépul- ture. Et ce feirent ilz par despit de loutrage, que les Troyens auoient voulu faire au corps de Patroclus. Puis après ilz présentèrent leurs prisonniers au félon Achilles, lequel les fait incontinent tous occire, au tombeau de Patro- clus : mesmement lesdits deux bastards de Priam, Pysus et Euander : et puis commanda les ietter aux chiens et aux oiseaux. Et deslors il feit vœu exprès, que iamais ne coucheroit en lict, iusques à ce quil auroit vengé la mort de son amy Patroclus.
(1) ffitaréUs (mscr. de Genève).
480 ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
CHAPITRE XIX.
Declaratioa de la mort d'Hector, et des diuerses opinions dicelle. De la cruauté dont Achilles vsa enuers le corps dudit Hector. Com- ment Priam le vint racheter pour lenseuelir. De la suruenue de Penthesilee, et de Memnon neuea de Priam. Et de la mort de tous deux. De linutilité de Paris, quant à la conduite de la guerre. Et de la mort de Troïlas.
Nostre actevr Dictys de Crète met en son troisième liure : Que peu de iours après que le Duc Achilles eust renforcé son vœu, de iamais ne coucher autre part que sur la terre nue, iusques à ce quil eust prins vengeance de celuy qui luy causoit tant de dueil : comme nouuelles fus- lent venues soudainement en larmee des Grecz, que le Prince Hector estoit allé au deuant de Penthesilee Royne des Amazones , laquelle venoit au secours de Priam : Achilles à tout vne partie de ses plus féaux Myrmidons secrètement et en grand haste, alla anticiper le passage par où Hector deuoit passer et se meit illec en embûche. Et ainsi que le preux Hector qui de tel aguet ne se donnoit garde, passoit vn fleuue à gué, Achilles qui lespioit de pied coy, se rua sur luy par grande impétuosité, sans lescrier aucunement, et le feit auironner et circonuenir de toutes pars. Si le meurtrit illec traytreusement et de vilain fait sans nul remède : et occit aussi tous ceux qui laccompai- gnoient, excepté lun des bastards de Priam, auquel il
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coupa seulement les deux poings. Et ainsi atourné le ren- uoya en la cité, pour faire foy à son père de ces tristes nouuelles. Toutesfois Dares de Phrygie met autrement la mort dudit Hector : disant, que Achilles le tua ainsi qui! vouloit despouiller de ses armes vn Duc nommé Polybetes, par luy occis. Le poëte Homère aussi en son Iliade recite encore autrement la mort dudit Hector, et plus & Ihonneur d'Achilles, mais ie madhere plus à mon acteur Dictys : lequel mesmes estoit de la nation Grecque. Et neantmoins la vérité du fait Iha contraint de reciter la mort d'Hector, au grand deshonneur d'Achilles.
Quand donques le tresdesloyal Achilles eut occis tray- treusement la fleur des nobles hommes de tout le monde, pour plus designer sa rage effrénée, il le despouilla de ses armes, puis le lia par les piedz : et commanda à son auri- gateur Automedon, de lattacher derrière son chariot. Ce fait, il se meit dedens, et Automedon gouuerna les freins des cheuaux , les esguillonnant par grande impétuosité, parmy vne large campaigne, à la veiie et regard des citoyens de Troye, qui pouuoient aisément voir et choisir leur iadis tresuaillant deffenseur, ainsi estre trainé vilaine- ment. Et pouuoient congnoitre ses armes, dont les Grecz leur faisoient la monstre, par grand huée et dérision. Et aussi la suruenue du bastard du Roy Priam , auquel Achilles auoit les mains coupées, comme dessus est dit, en feit assez ample tesmoignage. Alors vn merueilleux dueil sesleua parmy la grand cité de Troye : tellement que des terribles cris et huées qui se faisoient par le populaire, les oiseaux mesmes en tomboient du ciel, comme recite nostre acteur. Toutes les portes furent fermées : et y eut vne piteuse mutation en la cité. Et ne pensoient les Troyens autre chose, sinon que les Grecz viendroient de nuict assail-
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lir leurs murailles, et les prendroient incontinent : attendu la mort de leur chef et de leur totale deffense. Et en oul- tre, fut le bruit esleué par aucuns, disans que Achilles auoit contraint larmee de la Royne Penthesilee, de se ren- dre de son costé. Ainsi estoit Troye en grand doute et perplexité.
Et endementiers Achilles entraina vilainement le corps du noble Hector iusques au tombeau de Patroclus. Et illec- ques le coUoqua sur la terre, par manière de vantise et glorifiance, à la veiie de tous les Grecz, ausquelz il plaisoit beaucoup de le voir ainsi, comme celuy qui souloit estre le plus redouté de leurs ennemis : et comme ceux qui peu prisoient le demeurant. Et pource que le fait de la guerre estoit désormais ainsi comme en seureté, ilz saddonnerent à toute liesse. Et le lendemain Achilles pour faire honneur à feu son amy Patroclus, meit sus vn grand tournoy, et célébra les ieux funèbres de toutes manières desbatemens au tombeau dudit Patroclus, en distribuant par grand lar- gesse, diuerses manières de prys à ceux qui mieux le feroient. Et quand lesdits ieux furent flnez, chacun sen retourna en sa tente.
Le lendemain matin, le triste Roy Priam vestu de robe de dueil, sans auoir regard à sa dignité Royale, partit de la cité de Troye, et sen vint en la tente d' Achilles. Iceluy bon Prince ancien sappuyoit sur lespaule senestre de sa fille la belle Polyxene. Et auec luy estoit la noble Andromacha, femme du feu Prince Hector et ses deux ieunes enfans, Laodamas et Astyanax. Et après luy venoit vn chariot chargé dor, dargent et de précieux draps. Ce spectacle estoit piteux et misérable à merueilles : car le noble vieil- lard à tout sa barbe chenue se ietta aux genoux du ieune Duc Achilles, et luy tendit ses mains iointes pleurant par
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grand véhémence, à fin de lesmouuoir à miséricorde : luy suppliant quil voulsist prendre les dons et richesses quil luy auoit amenées, et luy rendre le corps de son bien aym^ filz Hector. Laquelle chose Achilles luy accorda finablement, et len laissa aller luy et tous ceux et celles qui estoient venuz auec luy sains et saufz. Toutesuoyes Homère au der- nier Hure de l'Iliade met, quil ny alla que Priam tout seul auec Ideus le héraut, souz la conduite du Dieu Mercure. Et encores y allèrent ilz de nuict, de peur destre apperceuz des autres Grecz. Et quand ilz furent de retour à Troye, les Troyens sesmerueillerent de la debonnaireté des Gregois : et recommencèrent vn dueil inénarrable sur la mort d'Hec- tor. Puis le sepulturerent en grand pompe, auprès de la sépulture du Roy Ilion son ancestre. Et endementiers il y eut treues lespace de dix iours : pendant lesquelles les Troyens ne finerent de lamenter la mort de leur bon Prince Hector. Et fait à présupposer aussi que la Nymphe Pega- sis Oenone, laquelle estoit à Cebrine, eut sa part de la douleur de sa mort : comme celle qui laymoit de grand cœur, auec les Cebriniens lesquelz estoient de sa seigneurie. Enuiron ces iours arriua à Troye la Royne Penthesilee : de laquelle est faite ample mention en nostre œuure de Grèce et de Turquie, et du Royaume des Amazones. Elle amena vne belle armée de dames et dautres peuples ses voisins. Mais quand elle sceut que le trespreux Hector estoit mort, elle ne voulut point seiourner à Troye : ainçois délibéra de sen retourner en sa terre, comme celle qui pour le haut bruit des vertuz d'Hector y estoit venue comme aucuns estiment. Toutesuoyes Paris Alexandre feit tant enuers elle, quil la retint à force dor et dargent quil luy donna. Et peu de iours après, elle délibéra de sortir aux champs : et ordonner son armée séparément arrière des
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Troyens, comme celle qui se fioit beaucoup en la prouesse de ses damoiselles. Mais ce nonobstant, quand elle fut en la raeslee, elle fut légèrement (1) abatue et nauree à mort par le Duc Achilles, et les Trojens rechassez dedens leur cité. Toutesfois on ne toucha aux autres Amazones, pour la sup- portation du sexe femenin, ainçois se contournèrent tous les Grecz à regarder par grand admiration la Royne Pen- thesilee qui labouroit aux extremitez de la mort. Achilles la voulut faire enseuelir honnorablement : mais Diomedes Roy d'Etolie plus cruel quun ours, y contredit, etluy mes- mes la traina par les piedz dedens le fleuue Xanthus : là où elle acheua de mourir. Et cest la recitation de nostre acteur Dictys de Crète. Combien que Dares de Phrygie recite autrement la mort de ladite Royne et en autre temps, disant, quelle fut tuée par Pyrrhus filz d'Achilles : et que au parauant elle auoit fait plusieurs merueilleux faits darmes.
Le iour ensuiuant le Prince Memnon filz iadis de Titho- nus frère de Priam, qui sen estoit allé es Indes, quand Her- cules le Grec démolit Troye, suruint en grand triomphe et gloire pour secourir son oncle. Et amena vne belle et grosse armée de Persans, Indiens et Ethiopiens. Et tant de gens et de cheuaux et si bien armez et bardez, que cestoit vne grand beauté de les voir venir par terre. Mais son autre exercite venant par mer, de laquelle estoit conducteur vn Duc de Syrie, nommé Phala, fut deffaite en lisle de Rhodes : comme nous auons dit plus à plein cy deuant. Or estoit icelle armée par terre si grande, quelle ne peut toute loger dedens la cité. Et gueres ne seiourna Memnon dedens icelle, quil noffrit tantost la bataille aux Grecz. Si tira tous
(1) c.-à-d. rapidement.
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ses gensdarraes hors des murs : et les autres Princes et enfans de Priam les leurs. Si ostoit yne chose merueil» leuse, de voir tant de gens armez et accoustrez de si diuer- ses sortes : tant denseignes estranges ventilantes au vent : et douyr tant de langages non ressemblans lun lautre. A laborder les Grecz ne peurent supporter le faix des Persans et Troyens. Le Prince Memnon y feit beaucoup darmes, tua beaucoup de nobles de Grèce, et tourna toute leur puis- sance en fuite, iusques aux nauires : tellement quesilz neus- sent esté preseruez par le bénéfice de la nuict, il estoit fait d'eux à iamais. Tant estoit le Prince Memnon redoutable et bon guerroyeur. Dont si les Grecz furent estonnez à ce coup, ce ne fut pas de merueilles. Et eurent conseil ensem- ble, lequel dentre eux trestous combatroit corps à corps contre Memnon. Si escheut le sort à Aiax Telamonius. Ce fait, ilz sallerent reposer pour la nuict.
Quand le Soleil matutin eut rendu le iour cler, les Grecz ordonnèrent leurs batailles dune part : et aussi feirent le trescheualereux Memnon et les Troyens de lautre. Et quand lestour fut commencé de toutes pars aspre et horrible, assez y en eut de morts, et dautres si naurez, quil leur conuint quiter la place. Entre lesquelz Antilochus filz de Nestor Roy de Pylon, cheut par vn coup de lespee du Prince Memnon. Mais Aiax Telamonius des quil peult voir son opportunité, sadressa à Memnon, et le deffia, en luy pré- sentant combat singulier, cestadire corps à corps. Et quand le preux Memnon se veit ainsi prouoqué, il neust garde de faire refuz, ainçois descendit prompteraent de dessus son chariot à terre, pour combatre à pied. Alors se séparèrent les deux armées, pour faire place aux deux champions : et regardoient le combat, à grand peur et attention. Memnon chancela dun coup que Aiax luy donna en lescu. Et pour
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le garder de tomber, aucuns de ses gens accoururent autour de luy. Laquelle chose voyant Achilles, il saillit au mylieu, et dun coup de sa pesante hache, quilentesa (1) sur Meranon, il lestendit mort à terre. Dares de Phrygie le conte dautre sorte : et dit que Achilles fut premièrement nauré par Memnon , à la rescousse du corps de Troïlus. Ainsi les Troyens, Indiens, Persans et Ethiopiens, voyans leur Duc et capitaine occis, oultre leur espérance, perdirent tout le courage et ne pensèrent fors de se sauner à la fuite. Tou- tesfois le gentil cheualier I^olydamas fîlz du baron Panthus, cuida ralier les Troyens et iceux encourager, mais il fut tué par Aiax, et Glaucus filz d'Antenor par Diomedes. Atreus et Echion bastard de Priam, furent occis par Achil- les, auec Asteropeus Roy en Peonie, ou Hongrie, et plu- sieurs autres. Tellement que toute la terre estoit arrosée de sang humain et la campaigne ionchee de corps morts. Apres ce que les Grecz furent lassez et saoulez de loc- cision des Troyens, ilz sen retournèrent en leurs tentes. Et les Troyens tristes et dolens, leur enuoyerent vn héraut, pour auoir treues densepulturer leurs morts. Laquelle chose leur fut accordée : et grand honneur et dueil fait aux obsèques du Prince Memnon, neueu de Priam. Pareille- ment les Grecz meirent en sépulture honnorable Antilo- chus filz de Nestor : et ce fait, iceux Grecz comme triom- phans et victorieux, sadonnerent à faire toute bonne chère : en extollant les grands louenges et prouesses d'Aiax et d'Achilles. Là où au contraire les Troyens plouroient leur meschef continuel. Et commençoient à se soucier et repen- tir de plus en plus, voyans leur affoiblissement euident, et loccision quotidienne de leurs Ducz et capitaines.
(1) entra (mscr. de Genève), Un*<k (éd. 1528), enteser = intendere s= lever sur.
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Peu de tours après les Grecz sarmerent, et sen allèrent deuant Troye, pour irriter ceux de dedens à bataille. Sur lesquelz Paris Alexandre feit vne saillie : mais ainçois quil y eust coups ruez ne dun costé ne dautre, les Troyens accouardiz pour linutilité de ceux qui les conduisoient, rompirent leurs ordres, abandonnèrent leurs places, et tournèrent le dos. Si en y eut (1) de morts sans nombre, et plusieurs noyez dedens le fleuue Xanthus, et aussi beau- coup de prisonniers : entre lesquelz furent deux nobles enfans de Priam, cestasauoir Lycaon et Troïlus : lesquelz Achilles feit venir deuant sa présence : et commanda incontinent quon leur coupast les gorges. Et ce feit il par grande indignation : pource que le Roy Priam ne luy auoit point encores rendu de response sur le mariage de Poly- xene. Toutesfois Dares de Phrygie recite autrement la mort dudit Troïlus, disant quil fut tué en bataille par le Duc Achilles, après quil auoit par plusieurs fois desconfit et mis en fuite les Myrmidons, et fait merueilles darmes, mesmement nauré ledit Achilles. Comment quil soit, il mourut par les mains dudit Achilles, ou par son comman- dement. Et à ce se concorde Virgile au premier des Eneï- des qui dit :
Parte alla fugiens amissis Troilas armis lofelix puer, atqae impar congresaus Achilli.
Si fut plaint iceluy noble enfant Troïlus à Troye, par lamentation piteuse et misérable, pource quil estoit mort en la fleur de son adolescence : estant fort aymé du popu- laire, et chéri des Princes : comme met nostre acteur Die-
(\) en eut (macr. de Genève).
f8B ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
tys de Crète. Si perdirent adonques les Troyens presques tout leur espoir : pource que, comme met Seruius sur les Eneïdes de Virgile, Troïlus auoit ceste destinée , que durant sa yie, Troye nepouuoit iamais estre prinse.
SIMGVLARITEZ DE TROIE. LlVAl H. i^
CHAPITRE XX.
Explanation de la mort d'Achilles, selon diaeraes opinions. De la suraenue de Pyrrhus en lost des Greoz. Et d'Earypjlus de Mjsie en lost des Troyens. Comment Helenus fut prias prisonnier. Auec recitation des six Destinées, quant à Ipa rinse ou garde de Troye.
Certains iours passez, la feste et solennité d'ApoUo Tymbree approcha. Et furent données treues et abstinence de guerre dun costé et dautre, pour vaquer à icelle. Et ainsi que les deux exercites estoient occupez aux sacrifices, le Roy Priam voyant le temps opportun, enuoya Ideus le héraut deuers Achilles, en luy mandant quil estoit prest dentendi'e au mariage de Polyxene. Toutesuoyes Dares dds Phrygie met que ce fut la Roy ne Hecuba, au nom de Priam. Et ainsi que le Duc Achilles parlamentoit secrète- ment de ceste matière auec ledit héraut Ideus en vn bosc- quet, qui estoit autour du temple d'Apollo, ceux de lost des Grecz le sceurent. Et y eut tantost grand suspeclion (1) et murmure entre larmee : car la plus part des seigneurs et des gensdarmes disoient que bien congnoissoient la pensée d'Achilles auoir despieça esté estrangee d'eux. Laquelle chose leur tournoit à grand indignation et sus- pection : car desia il auoit esté bruit, quil deuoit trahir larmee et la liurer au Roy Priam. Toutesfois à fin que les-
(l) souspecoit (mscr. de Qen&va).
i9ù ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
dits gens de guerre ne se mutinassent soudainement, et pour iceux appaiser, Aiax Telamonius ensemble Diomedes et Vljsses, sen allèrent vers ledit temple d'ApoUo : auquel Achilles estoit desia entré, tout seul, et sans baston ny armures : comme celuy qui ne se doutoit de nul mauuais tour, à cause du lieu qui estoit saint, selon lopinion dadon- ques : ou autrement pource que ses destinées le menoient à la mort procbaine.
Or se tindrent illec au dehors du temple iceux trois Princes dessus mentionnez Aiax, Diomedes, et Vljsses, se pourmenans par dessouz les arbres : et espioient quand Achilles sortiroit, à fin de laduertir du bruit qui estoit en larmee : et ladmonnester amiablement à ces fins, que désor- mais il se deportast de tenir parlement secret auec les ennemis de toute Grèce. Et endementiers Paris Alexandre qui de longue main auoit pourietté toute son emprise,' auec son frère Deïphobus, se vint adresser au iouuenceau Achilles estant tout seul audit temple, en luy faisant grand accueil et bien venue. Et à fin quil ne se doutast de rien, Paris le mena deuant le grand autel du Dieu Apollo, comme par manière de vouloir confermer et ratifier, par serment solennel, le traité du mariage dentre luy et Poly- xene : et le tint illecques aucune espace de temps en de- uises. Et quand il sembla temps dacheuer leur emprise, Deïphobus vsant de faux semblant et flaterie par grand trahison, vint embrasser et baiser Achilles, ainsi comme par manière de le festoier, et remercier des choses esquelles il àuoit consenty, par les conuenances et articles dudit mariage : si le tenoit estroit et ferme sans le lascher. Adon- ques Paris desgayna couuertement vne courte dague quil auoit souz sa robe, et en bailla à Achilles parmy les costes plusieurs coups mortelz. Et quand luy et Deïphobus le vei-
SINGYLARITBZ DE TROYB. UVRK. II. IMl
rent cheoir et voultrer (1) en son sang qui bouillonnoit horàf des playes en grand affluence, ilz se ietterent à grand bastei hors du temple, par vne faulse poterne, et sen allèrent à Troye. Ainsi fut trompé par faulse et vilaine trahison, celuy qui autresfois en auoit vsé enuers le tresnoble Hec- tor, duquel la mort fut lors vengée. Et ne se donnèrent nulle conscience iceux deux frères de prophaner le temple de leur Dieu Apollo, mais quilz poussent circonuenir leur ennemy. Toutesfois Dares de Plirygie recite autrement la mort d'Achilles : disant quil fut tué auec Antilochus filz de Nestor, et que Paris et ses compaignons estoient armez et bien embastonnez. Et que Achilles et Antilochus se def- fendirent fort de leurs espees, en se couurant de leurs manteaux. Mais Dictys de Crète ha desiamis cy deuant la mort dudit Antilochus occis par le Prince Memnon, ainsi il pouuoit mourir deux fois. Les poètes aussi la descriuent dautre manière : et mesmement Ouide en la fin du dixième liure de sa Métamorphose : disant que Paris le tua en bataille rengee, dun coup de flesche, à layde du Dieu Apollo, lequel adressa le trait en lieu mortifère, au pour- chas et instigation du Dieu Neptune, pource que Achilles auoit autresfois occis le beau Cygnus filz diceluy Neptune. Oultreplus, Bocace en la Généalogie des Dieux la recite encores dune sorte : disant que Achilles tout desarmé alla de nuict audit temple d' Apollo pour traiter du mariage de Polyxene. Or estoit il inuulnerable par tout le corps, excepté la plante du pied : car comme nous auons recité assez amplement au premier liure, sa mère la ieune Thetis qui estoit Fee et Magicienne, luy auoit plongé tout le corps es vndes de Styx, le fleuue infernal, excepté ladite plante du
(I) de voltulare, rouler.
i93 : ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
pied, par laquelle elle le tenoit, si ne fut point mouillée de ladite eaue. Parquoy Paris tresiuste (1) archer, ce sachant, et estant musse dedens ledit temple, et voyant Achilles à genoux, adressa vne flesche dedens icelle plante, laquelle estoit passible à receuoir playe et naurure, et par ainsi le tua.
Touchant ce poinct, il y ha quelque peu de fiction poéti- que, laquelle le preallegué Bocace declaire en ceste ma- nière : Thetis mère d' Achilles, plongea son enfant es vndes de Styx, la palu infernalle. Or Styx est interprété tristesse et labeur. Et par ainsi elle le rendit impossible à naurer. Cestadire, quelle le feit nourrir en tous exercices laborieux, et appartenans à la guerre. Et fut tout mouillé desdites vndes, et eut tout le corps endarcy comme fer, excepté la plante du pied : car s^on les physiciens, en icelle plante, y ha aucunes veines qui respondent aux reins, et aux par- ties veneriques, et incitent à amours, comme il appert quand on cateille (2) vne personne, en ceste partie. Ainsi Achilles estoit inuulnerable, cestadire difficile à naurer, par tout autre moyen : mais par le moyen damours, il estoit mol et de léger à blesser. Aussi finablemenl il en mourut. Par- quoy appert que toutes lesdites recitations diuerses de sa mort retournent à vne mesme chose.
Or met nostre acteur souuent nommé, Dictys de Crète : que quand Vlysses Roy d'Itaque et de Paphlagonie (3) veit Paris et Deïphobus, lesquelz estoient saillis hors du temple, tous esmuz et tous effrayez comme dessus est dit, il dit à ses compaignons, cestasauoir Aiax Telamonius et Diomedes,
(1) c.-à-d. adroit.
(2) Cf. catillare, fl. kitteUn^ chatouiller.
(3) Chanfelonie (mscr. de Genève), chau/eloHÙ (éd. 1516 et 1528).
SINOYLABITEZ DE TROYE. UVRK II. 195
lesquelz attendoient quand Achilles viendroit hors du tem- i pie, que ladite saillie ainsi hastiue de Paris et Deïphobus, nestoit point sans cause. Si entrèrent soudainement dedens le temple, et trouuerent le Duc Âcbilles gisant estenda sur le pauement, lequel au moyen des parfondes playes quil auoit receiies, auoit desia perdu tout son sang, et labouroit aux extremitez de la mort. Âdonques Aiax Telamonius sescria en disant : « Ha, Achilles, mon beau cousin, certai- nement maintenant se treuue vray ce quon ha maintesfois dit : cestasauoir quil nestoit homme viuant sur terre, tant preux et tant puissant, qui teust iamais sceu surmonter par viue force et droite prouesse, sans vser de trahison. Mais on congnoit ores que ta folle témérité tha destruit, veu que tu tes fié entes ennemis capitaux. » Adonc Achilles tirant le dernier souspir, dit ces mots seulement : a Deïpho- bus et Alexandre mont circonuenu par fraude et par aguet, pour lamour de Polyxene. » Alors il rendit lesprit : et les trois Princes dessusdits lembrasserent et le baisèrent en grands pleurs et lamentations. Et luy dirent vn piteux adieu, ainsi quil sangloutoit hautement en mourant par grand destresse. Puis au dernier, Aiax Telamonius son cou- sin germain, qui estoit le plus fort et le plus robuste de tous les Grec2, print le corps mort sur ses espaules, et lem- porta hors du temple. Mais les Troyens saillirent inconti- nent hors de leurs portes, tous armez en faisant grand bruit, pour auoir le corps d' Achilles, à fin den faire comme il auoit fait en son viuant de celuy du Prince Hector.
Les Grecz dautre part, qui desia sauoient le tout, se meirent en armes, et vindrent au deuant des Troyens. Là y eut vn fier rencontre des deux armées : Aiax bailla le corps d' Achilles, à ceux qui estoient prochains de luy, puis se fourra eu la meslee : et du premier coup occit le Prince u. 13
194 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Asius, frère de la Royne Hecuba, et plusieurs autres. Aussi Aiax Oïleus Duc de L ocres, et Menelaus Roy de Lacede- mone, entrèrent en la presse, et feirent grans abbatiz de leurs ennemis, iusques à les mettre en fuite, et faire retour- ner en la cité. Ainsi le corps d'Achilles fut emporté aux nauires, et fut fort plaint et lamenté des Princes, qui pres- ques tous estoient ses parens. Mais la pluspart des gens- darmes nen menèrent point trop grand dueil, pource que le bruit auoit couru souuentesfois, quil auoit voulu trahir larmee et la liurer aux Troyens. Toutesfois aucuns le re- grettoient beaucoup, et disoient que la fleur de cheualerie du monde estoit perie. Si luy furent faits grands obsèques et somptueux, et fut bruslé solennellement le corps, et mis en cendres, et icelles posées en vn vaisseau dor, et sepul- turees au port de Sigee, auprès de celles de son amy Patro- clus. Aiax Telamonius long temps après les autres, en mena vn dueil merueilleux, pource quil estoit son cousin germain.
Mais au contraire, les Troyens en feirent grand ioye et grand feste, et mettoient iusques aux cieux lindustrie et bonne emprise de Paris, lequel auoit plus fait dexploit sans estre armé, que tous les autres nauoient peu faire à tout leurs armures en bataille. Et pour augmenter la liesse du Roy Priam et des siens, suruint à Troye le Prince Eury- pylus filz de Telephus Roy de Mysie, et de madame Astio- che fille de Priam : auquel iceluy Priam son ayeul auoit promis en mariage sa fille Cassandra, et auoit enuoyé à sa mère vne vigne toute dor. Si fut receu ledit Eurypylus par les Troyens en grand honneur et triomphe, car ilz auoient singulier espoir en sa prouesse, et en ses vertus. Aussi en ce mesme temps, arriua en lost des Grecz Pyrrhus filz d'Achilles, et de Deïdamie fille au Roy Lycomedes de lisle
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE n. i9S
de Scyros. Lequel Pyrrhus trouua encores les ouuriers qui besongnoient à la sépulture magnifique de son père. Et fut informé de la manière de sa mort. Si conforta sur icelle les Myrmidons, et autres gensdarmes qui estoient à sondit feu père, et les recueillit en son seruice. Les Princes de Grèce festoierent le ieune damoiseau Pyrrhus : et luy racontèrent les vaillances, prouesses et faits darmes de son progeni- teur : en lenhortant à semblables choses. Et il leurrespon- dit courtoisement, qui! se donneroit peine, de non estre trouué dégénérant à la noblesse paternelle. Et pource quil estoit ardant et eschauâe de combatre des le lendemain, ilz luy conseillèrent dattendre iusques à ce que ses gens et ses chenaux fussent délassez et refreschis.
A chef de deux iours, Pyrrhus surnommé Neoptolemus, cestasauoir nouueau cheualier, se tira aux champs auec ses Myrmidons, ayant auprès de luy Aiax Telamonius son oncle. Les Troyens ne sosoientplus auenturer de combatre, pource quilz perdoient tous les iours beaucoup de leurs gens, et craingnans Pyrrhus filz d'Achilles nouuellement suruenu. Toutesfois par lenhort et persuasion du Prince Eurypylus de Mysie, neueu de Priam, ilz sarmerent souz la conduite de Paris, Deïphobus, Helenus, et les autres enfans. Toutesuoyes Eneas ne sy voulut onques trouuer, pource quil auoit dissension auec Paris : et le hayoit, à cause de ce quil auoit violé et prophané le temple d'Apollo Tymbree, en y commettant le meurtre d'Achilles, par les vertuz duquel Dieu Apollo les Troyens auoient tousiours esté preseruez et deffenduz. Donques quand les deux armées furent prochaines, et les trompettes eurent donné signe de bataille, les deux osts sentrehurterent par grand noise et contention. Toutesfois lacteur ne met point, qui eut du meilleur ou du pire, mais auant que la meslee se
196 ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
departist, Helenus filz de Priam se tourna du costé des Grecz : et se rendit à Chryses archiprestre d'Apollo de Sminthe, duquel dessus est parlé. Combien que Ouide au XIII. de sa Métamorphose, dit quil fut prins prisonnier par yiysses. Et durant la bataille, larchiprestre Chryses inter- roga Helenus le sage vaticinateur, de toutes les destinées de Troye, et Helenus luy respondit à tout. Alors quand les Grecz furent de retour en leurs tentes, larchiprestre Chry- ses feit faire silence, et leur diuulga hault et cler tout ce quil auoit aprins d'Helenus, cestasauoir dedens quel temps Troye seroit destruite : laquelle chose se deuoit faire par le moyen d'Eneas et d'Antenor. Si trouuerent que toutes ces choses saccordoient à ce que le prestre Calchas leur auoit souuentesfois prognostiqué. Seruius commentateur des Eneïdes de Virgile sur ce passage :
Fracti bello, fatisque repalsi
Ductores Danaùm... (1)
dit que les Grecz auoient trois Destinées de leur costé, tou- chant la prinse de Troye. Et les Troyens en auoient aussi trois de leur part quant à la conseruation dicelle. La pre- mière destinée des Grecz estoit, quil failloit quilz conques- tassent les cheuaux Feez du Roy Rhésus de Thrace, auant quilz eussent esté abruuez au fleuue Xanthus , ainsi que dessus est dit. La seconde, quilz eussent aucun personnage de la génération de Cacus, filz de lupiter et d'Egina. Et pource enuoyerent ilz quérir premièrement Achilles en lisle de Scyros : et puis consequemment son filz Pyrrhus. Et la tierce estoit, quil leur estoit mestier dauoir en leur armée
(1) EnéicU II, 14.
81NGVLÀRITEZ DE TROTE. LIVRE II. i97
les saiettes (1) d'Hercules, sans lesquelles ilz eussent labouré en vain. Et à ceste cause feirent ilz venir Philoctetes, comme ia est dit. Les trois Destinées du costé des Troyens estoient : Que durant la vie de Troïlus Troye ne seroit iamais prinse, comme cy deuant ha esté touché : ny aussi tant quilz gar- deroient bien limage de Pallas, appellee Palladium : et tant que le sépulcre de Laomedon, qui estoit sur la porte Scee, demourroit en son entier. Desquelles choses ie croy que Helenus informa les Grecz. Or auoient iceux Grecz tout ce que leur faisoit mestier à la prinse de Troye, quant ausdites destinées : cestasauoir les chenaux du Roy Rhésus, Pyrrhus de la lignée de Cacus, et les saiettes d'Hercules. Et les Troyens de leur costé auoient desia perdu lune de leursdites destinées, qui leur faisoit mestier à la garde de Troye, cestasauoir la vie de Troïlus. Or venons à voir comme les saiettes d'Hercules exploitèrent en ladite guerre.
(1) Le mscr. de Genèye ajoixie faialles.
198 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
CHAPITRE XXI.
Répétition de Ihistoire de Philoctetes, et des saiettes d'Hercules. Du combat corps à corps, fait entre Paris et ledit Philoctetes : et de la mort de Paris : auec recitation de diuerses opinions sur icelle. Comment son corps fut porté à Cebrine. Du grand dueil que sa femme la Nymphe Oenone en mena : et comment elle mourut sur ledit corps : et furent ensepulturez ensemble.
Il me semble, quil est mestier de repeter icy en brief, la narration de Philoctetes, combien que desia en soit touché en diuers lieux de ce volume. Et ce ferons nous, en ensui- uant lautorité de Seruius en son comment du m. des Eneï- des, et autres acteurs. Philoctetes donques fut filz de Pean, et compaignon iadis du preux Hercules en toutes ses empri- ses. Et quand iceluy Hercules se brusla en la montaigne Eta, qui est entre Thessale et Thrace, pour limpatience du venin de la chemise, que sa femme Deianira luy auoit enuoyee, auant sa mort il feit iurer audit Philoctetes son escuyer, que iamais nenseigneroit à homme viuant les reli- ques ou remanant de son corps, ainçois le tiendroit à tous- ioursmais secret et celé. Et pource luy donna il pour vn don spécial, ses saiettes Faees qui estoient empoisonnées du fiel de Ihorrible serpent Hydra, ayant sept testes, le- quel iceluy Hercules occit es marestz de Lernee. Et quand au commencement de la guerre Troyenne les Grecz eurent eu response du Dieu Apollo en son temple de Delphos, quil estoit mestier dauoir les saiettes d'Hercules, pour subiuguer
SINGVLARITEZ D£ TROYE. UTRB II. 199
Troye, Vlysses Roy de lisle d'Itaque fut commis à les aller chercher. Et feit tant quil trouua Philoctetes seigneur de Methon et de Melibee en Thessale auquel il demanda nou- uelles de son seigneur Hercules. A quoy Philoctetes res- pondit quil nen sauoit nulles. Toutesfois quand Vlysses leust fort pressé et contraint de le luy enseigner : il con- fessa quil estoit mort, et luy monstra le lieu de sa sépul- ture, non par parole, mais par signe, en luy enseignant du pied de peur de se pariurer. Et sur ce poinct il fut mené par Vlysses en larmee des Grecz qui lattendoient au port d'Aulis en Beotie, et y apporta lesdites saiettes : et y amena sept nauires, comme sera dit au dernier liure. Si fut fait et estably guide et conducteur de larmee, pource que autresfois il auoit esté à Troye auec Hercules. Mais en al- lant, lune desdites saiettes luy tomba sur le pied, dont il auoit monstre la sépulture d'Hercules, pour le péché de son pariurement. Et luy feit vne playe horrible, et de si grand puanteur et si intolérable, à cause du venin du serpent Hydra, dont le fer estoit empoisonné, que les Grecz furent contraints de laisser ledit Philoctetes en lisle de Lemnos, quon dit maintenant Stalamine. Toutesuoyes nostre acteur Dictys de Crète qui suit la vérité historiale, met que Phi- loctetes fut mors par vn serpent au port de Sigee, quand Palamedes faisoit son sacrifice de cent bœufz au Dieu Apollo de Sminthe. Et que ledit Philoctetes fut renuoyé en icelle isle de Lemnos pour estre médecine par les prestres de Vul- can : et luy fut enuoyé en ladite isle sa part du butin ainsi comme sil eust esté présent à la guerre. Et quand il fut presques guery, Vlysses fut derechef commis à laller qué- rir, et le ramenast en larmee des Grecz, comme tout ce ha cy dessus esté dit. Or voyons maintenant lexploit quil y feit à tout son arc et ses flesches : en ensuiuant nostre
liîèè ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
acteur au troisième liure de son histoire, lequel estoit pré- sent à la guerre Troyenne.
Le lendemain que le sage Helenus fut prins, comme est dit au chapitre précèdent, les Princes dune part et dautre produisirent leurs armées aux champs, et commença vn estour grief et horrible, tellement que au premier poindre, il y mourut beaucoup de Troyens et aussi de Mysiens, des- quelz estoit conducteur le Prince Eurypylus, neueu de Priato. Et comme les chefz souuerains des deux armées désirassent de toutes leurs puissances mettre fin à la guerre, ilz sadresserent les vns vers les autres par grand animo- sité : cestasauoir Duc contre Duc, Roy contre Roy, et Baron contre Baron, ainsi quilz se trouuerent : et conuer- tirent tout le faix de la bataille sur leurs propres personnes. Alors Philoctetes seigneur de Methon et de Melibee vint à Paris Alexandre : et le deffia à combatre de lare et des saiettes, auquel vsage ilz estoient tous deux singulièrement recommandez. Et Paris ne refusa point ce combat : par- quoy du consentement des deux armées Vlysses et Deïpho- bus assignèrent vne place deliure (1) au milieu de deux osts, en laquelle lesdits deux champions combatroient seul à seul.
Icy appert euidemment la grand dissension de diuers acteurs, qui recitent en diuerses sortes la mort de Paris : car Dares de Phrygie met expressément quil mourut par la main d'Aiax Oïleus Duc de Locres, après que Paris eust premièrement nauré à mort ledit Aiax dune flesche au costé. Laquelle narration répugne totalement à lautorité de Dictys de Crète, et de Virgile au commencement des Eneï- des, lesquelz disent tous deux par accord, que ledit Aiax Oïleus retournant en son pais fut foudroyé es rochers de
(1) o.-à-d. Hbre.
SINGYLARITEK DE TROTE. UVRB II. WK
lisle de Nigrepont» comme nous dirons plus à plein au der- nier Hure. Dautre part Bocace en sa Généalogie des Dieux, met encores autre opinion de la mort de Paris, disant quil fut tué par Pyrrhus filz d'Achilles. Mais ie ignore sur quel acteur il se fonde touchant ce poinct. Si madhere ie plus à lautorité de nostre acteur Dictys de Crète, car sa narration me semble plus vraysemblable, et autrement les saiettes d'Hercules neussent de rien seruy douant Troye. Et mesmes le philosophe Dion qui ha escrit de Troye non prise, (1) dit que Paris fut tué par Philoctetes.
Or met donques nostredit acteur Dictys de Crète : que quand les armées Gregoise et Troyenne furent séparées, et se tindrent coyes dune part et dautre, pour voir le com- bat seul à seul, qui se deuoit faire à tirer de lare, entre Paris et Philoctetes : les cors, les busines, les trompettes et les clairons, bondissans mélodieusement : les pennons et les banieres ventilans au vent, la resplendeur des hamois dorez reflamboyans contre le soleil : Paris Alexandre riche- ment armé, mais prochain de sa mort, benda son fort arc, tira vne flesche de sa trousse, et la meit en corde. Si des- cocha magistrallement, mais il faillit à attaindre son ad- uersaire : car les destinées qui vouloient abréger sa vie, ne souffrirent point que son coup eust aucun effect. Et ce voyant Philoctetes meit soudainement en coche lune des saiettes de son feu seigneur Hercules, teinte au fiel du tresuenimeux serpent Hydra : et la desbenda dune puis- sance incredible, tellement quelle feit autre exploit que nauoit fait celle de Paris : car elle luy perça la main senes- tre, doultre en oultre. Et ainsi comme Paris crioit et voci- feroit horriblement pour la grand douleur quil sentoit à
(I) Dloa Chrjsostome, Tpoiùedc ùitip roD "Utov /tji AIAmci.
20t ILLTSTRATIONS DE GAVLB, ET
cause du yenin, Philoctetes se hasta den traire vne autre, laquelle sadressa iustement dedens lœil dextre de Paris : et consequemment de la tierce il luy cousit les deux iambes ensemble : et le meit en tel poinct, quil ne valoit pas mieux que mort. Car le venin estoit si véhément que iamais ny auoit remède de guerison. Et quand les Troyens veirent Paris ainsi mal atourné, ilz saduancerent tous à vne flote, pour recouurer (1) le corps de la main des Grecz, à viueforce, à fin quilz ne luy feissent outrage. Là y eut vn terrible meurtre dun costé et dautre. Toutesfois les Troyens labou- rèrent tant, quilz recouurerent Paris presques mort et oul- tré (2) : et lemporterent vers la cité, fuyans tant quilz pou- uoient. Aiax Telamonius et ses gens les chassèrent iusques aux portes. Car lun empeschoit lautre, et y mourut vn merueilleux nombre de gens. Ceux qui peurent entrer les premiers montoient incontinent aux créneaux et iettoient pierres et dards sur Aiax et les autres Grecz : mais Phi- loctetes les guerroyoit fort de son arc. Les autres Grecz aussi auoient enuironné la cité de toutes pars, et y liurerent vn fort assaut, tellement que combien quelle fust vertueu- sement deffendue par ceux de dedens, si eust elle esté prinse sans nulle faute, si la nuict suruenant neust fait retirer les Grecz. Lesquelz sen retournèrent en leur fort et en leurs nauires : et attribuèrent grand gloire et hautes louenges à Philoctetes, occiseur de Paris. Mais il faut penser que Menelaus fut celuy qui luy en sceut le meilleur gré de tous.
Il est assez facile à croire, quun dueil merueilleux et inestimable sesleua en la grand cité de Troye, touchant la mort de Paris : mesmement par le bon Roy Priam et la
(1) rescourre (mscr. de Genève). — (2) c.-à-d. ti'épassë.
SMGVLARITEZ DE TKOTE. LIYRE U. S03
Royne Hecuba, voyans et considerans iournellement le comble de leur malheur estre aggraué. Et aussi la belle Heleine en feit grans pleurs et lamentations, comme met Dares de Phrygie. Lequel recite que le Roy Priam feit faire le lendemain les obsèques et pompe funèbre, magni- fique et hautaine pour son ûlz Paris : et Heleine suiuoit le corps faisant grans cris et vlulations. Et oultre ce, nostre acteur Dictys de Crète, met que les frères, parens et amis, et seruiteurs de Paris Alexandre, menèrent et conduisirent son corps tout embaumé despices aromatiques à la manière des Princes, hors de la cité de Troye vers la Nymphe Oenone sa première femme, laquelle se tenoit à Cebrine, comme dessus est dit, pour illec estre ensepulturé. Lacteur ne met point pour quelle raison Paris y fut ainsi porté. Toutesfois, il est à coniecturer, que à Iheure de sa mort, il ordonna ainsi le faire, ayant regard parauenture de lauoir abandonnée contre droit et raison : et sachant quelle seule estoit sa femme légitime et non mie Heleine.
Quand donques le triste présent (que les nobles enfans de Priam, et autres parens et amis du feu Prince Paris Alexandre, lesquelz nostre acteur ne nomme point, ensem- ble ses seruiteurs tresdesolez apportoient à Cebrine) appro- cha dicelle : et que le chariot et la pompe funeralle (telle quil appartient à filz de Roy) fut sur les limites de ladite cité enuiron à demy lieiie, le populaire qui le sceut par les Pasteurs venans des champs, fut soudainement esmu, et commença à faire grans cris et grands lamentations, à cause de ce que Paris estoit congnu et aymé de ieunesse en ladite contrée, comme celuy qui y auoit prins nourriture, ainsi que nous auons dit au premier liure. Et la noble Nymphe Pegasis Oenene, toute surprinse et espouuentee de ce dueil et tumulte soudain que faisoit le peuple, se meit
904 ILLVSTRATIOKS DE GAVLE» ET
aux fenestres de son hostel, et entendit quilz se desconfor- toient ainsi, pour la mort de son feu seigneur et mary Paris Alexandre : et à ceste mesme heure suruint vu mes- sager exprès enuoyé par les enfans de Priam. Lequel en plourant amèrement dit à ladite Nymphe : « Madame, il me desplait de tannoncer ces tristes nouuelles. Ton feu sei- gneur le Prince Alexandre est mort, et tameine on le coi^s : pource quil ha eslu sa sépulture près de toy. — Près de moy ? dit la Nymphe, à qui le cœur cuida fendre de dueil. Et certainement près de moy sera il enseuely, et moy auprès de luy, sil plaist aux Dieux, hien brief. » Alors commença elle à faire vn cry merueilleux, et vne lamen- tation pitoyable. Ses damoiselles et ses seruiteurs et amis, mesmement le bon pasteur Royal et sa femme, lesquelz auoient nourry Paris, y accoururent auec leurs enfans, et menoient presques tel dueil comme elle. Si descendit tan- tost la Nymphe de son hostel, et se meit à chemin vers la porte, pour aller au douant du corps de son feu mary. Et tous ses parons, seruiteurs et amis la suiuoient, ensemble les citoyens et citoyennes de Cebrine menans grand dueil. Au douant du corps de son feu mary alla la tresdolente Nymphe Pegasis Oenone : non pas comme femme assai- sonnée de son bon sens, mais comme furieuse, forcenée et aliénée totalement de raison, par la force et violence de lamour chaste et pudique quelle auoit tousiours portée enuers luy. Son beau sein descouuert, comme celle qui auoit ia desrompu tous ses vestements : sa clere face toute sanglante et violée de ses ongles : ses beaux cheueux au- reins rompus, esparpillez et volans par monceaux autour délie. Et faisoit si grans cris, par les rues et par les che- mins, et iettoit de son triste estomach vociférations si très- hautes et si piteuses vlulations féminines, quelles pane-
SnfGTLARITBZ DB TftOTE. LIYBS U. M
troîent les oreilles des escoutans iusques au cœur. En for- mant ses piteux regretz misérables en ceste manière :
« Helas, mon cher seigneur Paris, helas, mon doux amy Alexandre : bien tha honny la mauuaise adhérence de la Greque estrangere : et bien te rendit guerdon mal courtois la Déesse Venus, quand elle tempescha délie. Helas, mon doux amy, assez te deuoit suffire la franche amour chaste et pudique dont ie taymoie lasse, dolente. Assez te deuoiflB^ admonnester les oracles des Dieux et les vaticinations des prudens. Trop par trop est maudite, et de maie heure née la femme par qui tant de hautz hommes meurent. Et trop mha elle causé de dueil par lespace de dix ans. Auquel temps rien ne me detenoit en ce monde, fors la vie de toy, mon cher espoux, combien que meusses répudiée. Mais ores est venu le temps, que ma douloureuse ame lassée des- tre en ce triste corps, sen ira prendre repos aux champs Elysees, ains (1) que la tienne me puist redarguer de tardi- ueté. Vien donques mort, ma tresdesiree et ma bien vou- lue, Tien tost à moy. Tu mas fait trop grief outrage, en osant toucher la personne de mon trescher espoux. Et dun mesmes coup de ton dard, as commencé dabreger ma vie auec la sienne : mais ie te le pardonne, et taduoue de tout, pourueu que tu poursuiues diligemment ta pointe, sans que ie languisse plus. le le tiendray à vn singulier bienfait : moyennant que tu acheues en haste le demeurant de mon doul(Kireux viure. 0 mort tresdouce et tresamiable, il mest aduis que ie sens voleter cy entour lesprit de mon amy qui mappelle. Certainement ie te suiuray en brief, mon tres- amoureux cœur. le te prie mattendre : car meilleur com- paignie ne saurois ie trouuer. le désire et quiers de tout
(1) c.>à>d. avant que.
206 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
mon pouuoir le chemin à la mort. Adieu, noble Roy Priam, mon tresredouté seigneur et beaupere : adieu, madame Hecuba et toutes mes belles sœurs : car de mes beaux frères nen reste plus gueres. Saluez moy, mes amis, mes priuees compaignes. le vous voys précéder : car ie suis certaine que après moy ne tarderez vous gueres, tant est enflambé le feu de vostre malheureuse destinée, au moyen de la Grec- que estrangere. »
Telz et semblables plaints espandoit (1) parmy lair, en che- minant, la tresdesesperee Nymphe. Ses femmes et pucelles, voisines et amies, la cuidoient conforter en vain. Et neant- moins eux mesmes auoient bon mestier de confort. Et quand le chariot de dueil trainé à chenaux noirs, houssez de mesmes, et auironné de grand luminaire, sur lequel estoit le corps gisant en vn riche lict de parement, couuert de drap dor, et fourré dhermines, commença à approcher, et les frères et amis de Paris alentour : et que dautre part la Nymphe marchoit auec ses gens, lors veissiez vous vn piteux rencontre. Lors se prindrent toutes les deux bendes dune part et dautre, à crier et braire pitoyablement. Mais quand la Nymphe fut si près du corps de son mary, quelle le peut choisir à plein : le chariot sarresta, et elle monta dessus. Si veit son seigneur ainsi deffait et piteusement atourné, comme celuy qui estoit tout enflé du venin des saiettes mortifères. Lors cessa son crier : car la voix luy deffaillit ensemble le cœur. Si voulut embrasser le corps, mais ses bras neurent ne force ne puissance : ainçois ses- tendit dessus pasmee de grand angoisse. Certainement ces- toit vn piteux* regard de voir icelle tresloyale Nymphe ainsi perturbée, gisant sur le corps de son desloyal mary. Et
(1) espar doit (mscr. de Genève).
8IHGVLAMTEZ DE TROTB. LITRE II. 207
bien monstroit elle la grand noblesse et franchise de son courage : et la vraye amour coniugale, pleine de chasteté, dont elle auoit tousiours esté garnie, nonobstant que sa partie luy eust fait toute rudesse. Tous les autres parens et amis, tant délie comme de Paris, estoient tous transportez de douleur. Et ny auoit nul qui se sceust contenir de grand pitié.
A chef de pièce quelle fut reuenue de pasmoison toute pasle et descoulouree, elle ietta piteusement en circonfé- rence ses yeux desia ternis et obscurcis de ténèbres de mort, dont elle estoit prochaine : et fait vnchacun des assistans plourant et larmoyant autour délie. Si feit aucuns parfonds souspirs et sangloux difficiles : puis regarda le corps de son seigneur et mary, ainsi misérablement ap- pointé qui parauant estoit si beau. Et derechef tourna son regard vers ses parens, amis et seruiteurs, comme celle qui monstroit à son semblant manière de plaindre et lamen- ter la piteuse façon de la mort de son seigneur et mary : car desia la parole luy estoit forcluse à force de douleurs mortelles qui laggressoient. Les assistans grans et petis fondoient tous en larmes tacitement : et nen y auoit pas vn qui eust sceu ouurir sa bouche pour sefforcer de donner confort à la Nymphe. Finablement quand lextreme des- tresse de sa douleur la pressa si fort quelle ne la pouuoit plus porter, elle tourna sa face sur le visage de son amy et mary Paris, et tantost après embrassa tout le corps estroitement : et en iettant le dernier souspir mortel, le cœur luy serra et fendit en son amoureux estomach, et lors rendit elle lesprit en se debatant aucune espace. Et demoura ainsi sur le lit de parement.
La pluspart des assistans cuidoient quelle fust derechef tombée en pasmoison : mais aucunes des plus sages matro-
ILLTSTRÂTIONS DE GAVLE, ET
nés de Cebrine qui là estoient, et mesmement la bonne nourrisse de Paris, et autres, congnurent bien que cestoit le dernier souspir quelle auoit fait, si coururent vers elle, et sentirent tantost quelle ne tiroit plus ne poux ny halaine. Assez lappellerent par son nom, et assez la tirèrent en plourant : mais cestoit pour néant, car son esprit vital sen estoit volé. Lors renouuella le cry plus hautain, et le à\i&X plus aspre que iamais. Lors veissiez vous la bonne nour- risse de Paris et les pucelles de la Nymphe, destordre leurs poings, battre leurs poitrines, rompre leurs cheueux, et dessirer leurs atours, pour le trespas de leur maistresse. Le bon pasteur Royal brayoit et lamentoit sans mesure. Les frères et amis de Paris, et les seruiteurs domestiques recommencèrent leurs plaints, et fut la huée plus aigre que deuant. Les citoyens et citoyennes de Cebrine la plain- gnoient comme leur bien aymee dame : et ny auoit si dur cœur qui ne creuast de pitié, et qui ne noyast en multitude de larmes. Ainsi conduisirent ilz le triste chariot dedans la cité, chargé de deux corps pour vn. Et feirent illec les obsèques et faits funéraux à la manière de ce temps là, en grand honneur et Royale magnificence : et en grand pleur et lamentation. Puis sepulturerent ensemble les deux amans, en vn riche tombeau et de grand somptuosité, ainsi que met nostre acteur Dictys de Crète : et Strabo le con- ferme au xm. de sa Géographie, comme desia auons dit et allégué au premier liure. Les mots diceluy Dictys sont telz en la fin du quatrième liure de son histoire : iSed fertur, Oenonen (1) mso AUxandri cadauere^ adeà commotam, (2) vH amissa mente ohstupeÂeret : ac paulatim j>er mœrorem
(1) Oenone (mscr. de Qenàvâ). i^ commuiata (ibid.).
SINGVLARITBZ DE TROYK. LIVRB II. 309
déficiente animo concideret. Atque ita tno eodemque funere cum Alexandro contegitur. Et quand ces choses furent sceûes à Troye, le Roy Priam et la Royne, et tous ceux de sa maison en furent tant esbahis et tant estonnez, que plus ne pouuoient, de la grand merueille. Et plaingnirent beau- coup la noble Nymphe.
u. u
210 ILLVSTRATIOMS D£ GAVLE, ET
CHAPITRE XXII.
De lesmotion des seigneurs de Troye contre Priam. Comment Deï- phobus espousa Heleiae, de peur quelle ne fust rendue aux Grecz. De la trahison menée par Antenor et Eneas. Et comment Heleina feit moyenner son appointement. De la paix fourrée faite par les Grecz. Du grand cheual offert à la Déesse Minerue. De la prinse de Troye : et de la cruelle mort de Deïphobus procurée par Heleine : auec lexclamation contre icelle. Et aussi de la mort des deux enfans de Paris et Heleine.
Apres la mort de Paris et de sa femme la Nymphe Oenone : comme les Grecz assaillissent la cité de Troye sans nulle intermission, et fussent plus aspres de iour en iour : et ny eùst plus aucun espoir de résistance dedens la cité de Troye, veu que ses forces affoiblissoient à veiie d'oeil, tous les grans seigneurs de la cité sesleuerent en- contre le Roy Priam, et encontre le demeurant de ses enfans. Si enuoyerent quérir Eneas filz d'Anchises, et les enfans d'Antenor : et décrétèrent ensemble que Heleine, et tout ce qui auoit esté prins auec elle, fust rendu à Mene- laus. Or lauoit tousiours aymee Deïphobus, comme nous auons dit par cy deuant, presques autant, comme faisoit Paris. Parquoy quand il sceut lintention desdits seigneurs de Troye, il se délibéra dy obuier totalement. Et pour ce faire, feit incontinent amener ladite Heleine en sa maison, et la print en mariage : car alors il nestoit point prohibé par les loix, que le frère nespousast la femme de son frère après sa mort. Laquelle chose quand lesdits seigneurs de
8INGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE II. 2M
Troye sceurent, ilz ftirent fort indignez. Et se tirèrent deuers le Roy Priam, en vsant enuers luy de hautes et oultrageuses paroles. Et entre les autres, Eneas le roux (1) parla le plus âerement. Et ânablement feirent tant quilz amenèrent Priam à force dimportunité iusques là, quil fut conclu en plein conseil, que An ténor iroit comme ambassa- deur, en lost des Grecz, pour trouuer quelque appointement de paix auecques eux. Ainsi partit Antenor pour y aller, mais ce nestoit point pour traiter de la paix : mais plustost pour brasser la détestable trahison, au preiudice de son souuerain et naturel seigneur le Roy Priam et des siens. De laquelle iceluy Antenor feit secrète ouuerture auec aucuns des principaux Princes de Grèce, moyennant ce que le Royaume de Troye deuoit demourer à luy et aux siens : et que si Eneas vouloit estre féal, il partiroit au butin, et sa maison demoureroit en son entier. Geste conclusion prinse auec iceux les principaux de larmee Gregoise, Ante- nor sen retourna à Troye : et luy fut baillé le héraut Tal- thybius pour plus grand couleur et approbation de la matière de paix, mise sur le bureau.
Et quand le Prince Antenor et le héraut Talthybius furent entrez à Troye, le poure populaire et les gensdarmes qui estoient venuz au secours de Priam, leur vindrent au de- uant, desirans sauoir quel appointement il auroit auec les Grecz. Mais le traytre Antenor ne leur voulut rien dire de la paix faite, pour mieux dissimuler, ains les remeit au lendemain. Et quand il fut au soupper, en sa maison, il prescha à ses enfans en la présence de Talthybius, héraut des Grecz, et leur remonstra combien il valoit mieux de suiure le party etlamitië des Grecz, que celle de Priam, en les admonnestant dainsi le faire. Et sur ce poinct, on sen
(l) (»i9<>t,Jlavus, blond, de race noble.
21â ILLVSTRATIOMS DE GAVLE, ET
alla coucher. Et le lendemain bien matin, comme tous ceux de Troye se fussent transportez au consistoire publique, pour oujr et sauoir si aucune fin se trouueroit à leur infor- tune, Antenor et le héraut Talthybius y allèrent. Et tantost après Eneas sy trouua, et consequemment le Roy Priam et ses enfans. Alors Antenor commença à reciter, non pas la trahison quil auoit trafiquée auec les Grecz, mais con- trouua vne autre forme dappointement : disant que les Grecz ne queroient autre chose, fors sen aller, poui'uen quon leur rendist Heleine, auec certaine somme dor, pour défrayer larmee. Et que oultreplus ilz auoient délibéré doffrir vn grand don à la Déesse Minerue auant leur partement. Si commença à faire vne grand harengue, recitant les maux quilz auoient soustenuz à cause de ces te si longue guerre, et que luy mesmes y auoit perdu son filz Glaucus : mais il ne luy chaloit point tant de sa mort, comme il estoit des- plaisant de ce quil alla auec Paris pour rauir Heleine mau- gré luy : en ramenteuant les grands iniures quon auoit fait aux Grecz, et le grand tort quon tenoit d'eux, et tout pour vne femme, de laquelle iceux Grecz mesmes ne fai- soient point grandement conte de la recouurer. Et ne leur en chaloit gueres, sinon autant que lobstination de Priam et de ses enfans les auoit ainsi irritez à demeurer au siège. Mais que ce nonobstant, en faisant finance de certaine quantité dor, et leur deliurant icelle Heleine, ilz seroient contens de leuer leurs sièges, et retourner en leurs con- trées. Concluant ledit Antenor que iceux Troyens deuoient bien prester loreille à cest appointement, puis quil nestoit question que de fournir or ou argent. Mesmement les riches maisons se deuoient ayder chacune en son endroit, et se tailler parensemble, pour contribuer et fournir la somme qui seroit nécessaire, à fin dacheter paix. Et que si Priam
8INGTLARITBZ DB TROTS. LITBB H. tl9
ny vouloit entendre de sa part, quon le laissast ester auec« ques ses richesses, et auec celles que son âlz Paris auoit amenées de Lacederaone quand il rauit Heleine. Et en ce disant, de plus en plus il chargeoit apertement sur le Roy Priara et sur les siens, pour capter la beniuolence du peuple, et tascher de mettre ledit Roy en hayne de ses citoyens. Et oultreplus, le traytre feignoit de pleurer. Alors le populaire se print à crier et braire piteusement tout à vne voix, et tendre les mains au ciel : supplians, que pour lamour des Dieux, il trouuast moyen ainsi ou autrement, de mettre fin à leurs misères, et quil nespar- gnast eux ne leurs trésors, pour racheter leurs personnes, leur pais et leurs biens hors de la seruitude apparente des Grecz. Et adonc se print le triste Roy Priam à pleurer misérablement, et à traire et arracher sa barbe meslee et ses cheueux chanuz. Voyant que ores il nestoit pas seule- ment haï de ses ennemis, mais aussi estoit tombé en la maluueillance de ses subietz propres. Si dit à Antenor et à tous les assistans, quil leur laissoit la charge totale de lappointement, et liberté de faire la finance pour la ré- demption du Royaume de Troye. Et que pource quil leur estoit ainsi deuenu hayneux, (1) il se tiendroit désormais solitaire en son palais. Et neantmoins, il approuuoit tout ce que par eux seroit fait et traité en ceste matière. Ainsi se partit lancien Roy du consistoire, et après son partement il fiit décrété par toute lassemblee, que Antenor ioint auec Eneas, sen iroient derechef vers les Grecz pour sauoir leur voulenté certaine. Et ainsi se départit le conseil.
Or sen vint Heleine secrètement enuiron la mynuict en Ihostel du traytre Antenor, comme celle qui se doutoit bien que si lappointement auoit lieu, elle seroit rendue à
(1) o.-h^. haï.
214 ' ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Menelaus. Et à ceste cause craingnoit lire et la fureur de son marj, pour la grand faute quelle auoit commise enuers luy. Si pria tresinstamment audit Antenor quil la voulsist auoir pour recommandée enuers sondit seigneur et mary, et enuers tous les autres Princes de Grèce, et quil sem- ployast à faire sa paix, disant comme ledit Antenor pour- roit bien tesmoigner, que de pieça elle auoit désiré de retourner aux siens. Et aussi on sestoit bien apperceu, que depuis la mort de Paris, toutes choses luy estoient ennuyeuses, et prenoit le temps mal en gré à Troye. Par ainsi Antenor promit de labourer à faire son appointement. Et elle sen retourna au palais de son mary Deïphobus.
A la fine aube du iour, Antenor et Eneas commissaires députez à estre loups en guise de bergers, partirent de la cité pour aller vers les nauires des Grecz. Et quand ilz y furent, ilz récitèrent en pleine audience le vouloir des Troyens. Puis tindrent conseil apart auec aucuns des prin- cipaux à ce députez : et après auoir parlé de plusieurs choses conccrnans leur affaire et leur trahison, ilz feirent mention de la voulenté d'Heleine, et prièrent tresinstam- ment pour elle. Et en après finablement confermerent entre eux le pact de la trahison. Et quand il leur sembla opportun, sen retournèrent à Troye auec Vlysses et Dio- medes, pour feindre de faire vn accord publique. Aiax Telamonius y voulut aller auec eux, mais Eneas len garda, de peur que les enfans de Priam ne luy feissent quelque outrage. Et quand ilz furent entrez dedens Troye, les mal- heureux citoyens sen resiouirent, et cuidoient voir la fin de la guerre et des discords. Si fut incontinent le conseil assemblé, auquel premièrement et auant toute œuure, il fut décrété que Antimachus qui tousiours auoit soustenu la bende de Paris contre les Grecz seroit exillé et banny per-
SmOTLARITBZ DE TROTE. LIYRB II.
m
petuellement du Royaume de Phrygie. Et en ooltre ilz commencèrent à entrer en matière des conditions et arti- cles de la paix.
Or aduint il, que tandis que lesdits deux Princes de Grèce, Vlysses et Diomedes estoient en conseil auec les Troyens traitans de ladite paix fourrée, ilz ouyrent vn merueilleux bruit et tumulte, qui se faisoit au palais, là où estoit le Roy Priam, auec cris et exclamations merueil- leuses. Alors tous ceux qui estoient audit conseil cuiderent bien estre pris, et senfuyrent soudainement dehors, comme ceux qui pensoient asseurement que aucun aguet ou émotion sesleuast contre eux par les enfans de Priam, selon ce que autresfois en semblable cas lauoient fait. Parquoy ilz furent bien espouuentez, et se ruèrent en franchise (1) dedens le temple de là Déesse Minerue, pour estre à sauueté. Mais ne tarda gueres que aucuns qui descendoient du palais, rapportèrent que le bruit quon auoit ouy, estoit à cause que le plancher de la chambre où estoient les enfans du feu Prince Paris Alexandre, estoit effondré par infortune, et auoit esteint et estouffé lesdits enfans, qui estoient deux en nombre, dont lun auoit nom Corinthus et lautre Ideus, et les auoit euz Paris de la belle Heleine, comme nous auons dit cy deuant. Par ainsi lesdits Princes de Grèce, auec Antenor et les autres, furent rasseurez de leur peur. Et mena iceluy Antenor loger en son hostel Vlysses et Diome- des, et illec les informa de la vertu et propriété du Palla- dium, qui estoit vne image de bois, iadis tombée du ciel, quand le Roy Ilus qui fonda Ilion faisoit ediâer le temple de Minerue. Lequel Palladium tant quil seroit audit tem- ple, iamais Troye ne pourroit estre prinse. Et promit ledit Antenor de sefforcer à ce quilz lauroient en leurs mains.
(1) c.-à-d. cherchèrent un asile.
2i6 ILLT8TRÂTI0NS DE GAVLB, ET
Et sur ce propos ilz sendormirent. Et le lendemain au matin furent faites les funérailles des deux enfans d'Ale- xandre, lesquelz moururent ainsi misérablement, comme vous auez ouy, peult estre (1) permission diuine, à fin que de si mauuaise semence ne demourast aucun fruit sur terre. Consequemment ce iour mesmes, et certains iours ensui- pans, fut traité en la présence du Roy Priam et de tous les Princes de Troye, et aussi desdits Diomedes et Vlysses, commissaires de la partie des Grecz, de la manière de la paix, et appointement final entre lesdites parties. Et ende- mentiers aucuns signes estranges et prodiges merueilleux apparurent à Troye : si comme des sacrifices qui ne pou- uoient brusler sur lautel du Dieu ApoUo, et de laigle qui vint rauir les entrailles des bestes sacrifiées et les porta aux nauires des Grecz, et autres choses qui denotoient la trahison qui se brassoit et la prochaine ruïne de Troye. Aussi en ces entrefaites , Antenor trouua subtilement manière de traire la sainte image de Palladium hors du temple de Pallas : et la deliura à Vlysses, lequel lenuoya secrètement en larmee de Grecz. Finablement les Troyens appointèrent auec lesdits Grecz, quilz auroient mille ta- lents dor et mille talents dargent. Chacun talent vallant quarante liures de douze onces la liure pour le moins. Le sage Helenus estant prisonnier en lost des Grecz, qui toutes ces choses sauoit par sa science, plouroit et lamentoit fort, congnoissant la prochaine destruction de ses parens et de son pais. Et tantost après allèrent à Troye dix des Princes de Grèce, pour arrester et conclure du tout les articles dicelle paix feinte et coulouree, et les iurer solennellement. Si recommanda debonnairement le Roy Priam à iceux
(1) $ar (éd. 1528).
SINGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE H. 217
Princes, son fllz Helenus. Et fut feite et iuree ladite paix. Lors prindrent congé du Roy tous les Princes estrangere qui estoient venuz à son secours tant par amitié comme pour auoir souldoiers, et sen retournèrent en leurs con- trées. Et ce pendant fut fabriqué le grand chenal de bois pour offrir à la Déesse Minerue. Desquelles choses ie me déporte légèrement, pource quelles sont assez communes. Toutesfois Dares de Phrygie ne met rien dudit grand che- ual de bois : mais bien dit il, que à la porte Scee, par où Grecz prindrent Troye, y auoit la figure dun cheual taillé en pierre, combien que Dictys de Crète et Virgile concor- dent en lopinion dudit grand cheual de bois. Et aussi fait mesmes Dion en son liure de Troia non capta. Disant encores que linscription dudit cheual estoit telle : Kwofhpf», id est sacrum Achiui MinerucB Iliadi. (1)
Ainsi fut mené à Troye ledit grand cheual consacré à la Déesse Minerue, comme feingnoient les Grecz : mais il estoit plein de gens armez. Et pour la grandeur fallut rompre les murailles de Troye et la porte Scee, pour le mettre dedens. Et y fut receu à si grand ardeur et liesse des Troyens mesmes, que iusques à femmes et petis enfans trestous meirent la main aux cordes et aux cables, pour ayder à traîner en la cité ceste grand statue de cheual à leur malheureuse destinée. Ce fait les Grecz feirent sem- blant de trousser tous leurs bagages, et mettre tout en leurs nauires, partir du port de Sigee et rentrer en mer. Mais de nuict le cauteleux Sinon, afFaité de par les Grecz, et ayant ceste charge, ouurit le ventre du grand cheual, dont il saillit Pyrrhus filz d'Achilles, et vne grand cohorte de gensdarmes. Puis feit signe de feu quand il veit son
(1) IllasterIon (mscr. de Oecôve).
"Wf^ ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
heure, à fin que les autres Grecz marchassent. Ainsi furent surprins en leurs licts les poures Troyens endormis , tant par ceux qui estoient saillis de dedens le cheual, comme par les autres qui vindrent du port de Sigee, et entrèrent par la bresche de la muraille. Lors fut faite yne horrible boucherie des Troyens : sans auoir mercy des femmes ne des petis enfans, et dura la tuerie toute la nuict. Sur la pointe du iour, les Grecz sadresserent tous à vne flotte vers le palais de Deïphobus, lequel auoit espousé dame Heleine après la mort de Paris, comme dessus est dit. Et illec Menelaus tout furieux et plein de rage, pour se venger dudit Deïphobus le print et luy coupa tout pre- mièrement les oreilles, puis après luy trencha les deux bras, et consequemment luy osta le nez, et le deshacha en tant de pièces, que cest horreur de le reciter : parquoy il le feit mourir à grand tourment et misère, comme met nostre acteur Dictys de Crète. Et à ce concorde Virgile au VI. des Eneïdes, disant :
Atque hic Priamidem laaiatum coi-pore toto Deiphobum videt et lacerum crudeliter ora, Ora manusque ambas, populataqiie tempora raptis Auribus, et truncas inbonesto yulnere nares. (1)
Mais auant sa mort, il se deffendit vaillamment, et tua beaucoup de Grecz, comme met ledit Virgile. Laquelle cruelle vengeance, comme on peult supposer, fut prinse par Menelaus, pource que Deïphobus auoit esté cause prin- cipale du rauissement d'Heleine, et nen auoit point esté moins amoureux que son frère Paris, comme dessus est dit. lasoit ce que Dares de Phrygie tienne opinion contraire
(1) VI, 494-98.
SINGVLARITEZ DB TROYB. LITRB' H. 2i9
touchant la mort de Deïphobus : disant quil fut occis par Palamedes de Nigrepont, long temps deuant la prinse de Troye. Toutesuoyes ie marreste plustost ausdits deux ac- teurs tressuflBsans Dictys et Virgile, lesqueh ioints ensem- ble sont à préférer à vn tout seul.
Dit oultreplus ledit noble poëte Virgile audit passage, que celle tresperuerse Heleine participant au conseil de la trahison de Troye, auec Antenor et les autres, fut celle qui bailla le signe de feu aux Gregois de dessus les murail- les de Troye, souz ombre de célébrer les sacrifices de Bac- chus auecques les dames de Troye. Puis osta tous les har- nois, armures et bastons hors de la chambre et palais de son mary Deïphobus qui dormoit parfondement, et de rien ne se doutoit. Mesmement desroba elle lespee de dessouz son cheuet. Et elle mesmes appella Menelaus, et le guida en la chambre dudit Deïphobus, à fin de rappaiser, par ceste manière de faire, sondit mary Menelaus, et dabolir ses anciens forfaits par ce nouueau seruice.
0 chienne tresdetestable, lisse enragée et vipère tresdan- gereuse ! Combien y ha il de différence de toy à la noble Nymphe Pegasis Oenone? Certes, autant quil y ha de chois dune chieure infâme à vne brebis noble, dune femme chaste à vne paillarde : et autant quil y ha de distance entre vn doux courage féminin plein damour pudique, et vne affection de louue eschauffee, qui nappete que lexecu- tion de son ardeur libidineuse et effrénée. Comment oses tu tant demeurer en vie ? Ne vois tu point que ta ribaudise ha honny et contaminé toute ceste noble maison, et que ta luxure puante ha mis à néant la hautesse dun si triom- phant lignage ? 0 visage de Seraine à queiie de couleuure, orde vile meretrice, toute pourrie et vermolue diniquité, tu rends bien vn guerdon serpentin de Ihonneur quon te
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fait. Tu te deuois plustost précipiter du haut des nobles murailles qui sont démolies à ton occasion : tu te deuois plustost lancer dedens le feu qui est esprins par ton péché. Mais à fin que ta chaleur inextinguible ne defFaille à hom- me, tu vses maintenant de sanglantes blandices et de fla- teries abominables, enuers ton fol mary Menelaus, tout rassoté et tout abesty, lequel tu soulois vitupérer et mo- quer. Et maintenant il accolle et embrasse couuoiteusement ton corps tout corrompu par amour vénérienne et estran- ger. (1) Et baise ta bouche, encores sentant Ihalaine de tes adultères, sans oser faire aucune mention reprochable de tes vilains forfaits : ainçois te recueille, comme tout aise et tout familleux (2) de ta vaine beauté après si longue absen- ce : là où au contraire il deuroit luy mesmes sacrifier aux Dieux infernaux ton ame laide et impudique, toute pollue dinfameté, et lenuoyer de sa propre main auec les ombres damnées. Et à ce propos Eneas Troyen parlant à Dido de Carthage, au second liure des Eneïdes, et recitant la ruïne de Troye, se vante, que pendant la force du feu nocturne, il trouua Heleine toute seule mussee au temple de Vesta. Et luy esmu de grand maltalent, eut voulenté de la tuer, pour estre vindicateur de tant de maux qui par elles estoient aduenuz. Mais la Déesse Venus mère dudit Eneas, sapparut à luy visiblement, et luy defifendit de commettre vne si grande lascheté. Et certes elle nestoit point assez bonne, de mourir de la main dun homme, ainçois estoit reseruee à plus vile mort, comme sera dit cy après.
(1) estrmgiere (éd. 1528).
(2) ç.-à-d. affamé.
81NCVLARITEZ DE TROTE. LITU II. 221
CHAPITRE XXni.
De la mort mûerable du Roj Priam : et seruitade de la Rojn« H«- caba, Cassandra et Ândromacha. Comme Aiax Telamoniua fut dopi* Dion qaoD feiet mourir Haleine, maii elle fut rendue k Menelaas. De la mort do PolTxene et de sa mère Hecuba. Dea gestes d« Menelaas et de ladite Heleine» après leur partement de Troye. De la nouuelle Troye fondée sur le fleuue du Nil. Répétition de Tlepo- lemus Roj de Rhodes : et des opinions de la mort dicelle Heleine.
Les songes auerez, les vaticinations des prudens adue- nues, les respons du Dieu ApoUo mis à effect, selon les destinées, le noble Roy Priam et la Royne Hecuba veirent leur grand cité de Troye ainsi prinse et emflambee, et mise en désolation, par la nourriture quilz auoient faite de leur enfant Paris, contre ladmonition des Dieux dont ilz auoient trop tardiue repentance. Et oultreplus, iceluy iadis tres- puissant Roy, contraint en sa vieillesse desia impotente, de fuyr au temple de lupiter, cuidant y obtenir franchise et immunité, mais en vain, veit premièrement occire son fllz Polytes, entre ses bras, par le meurtrier Pyrrhus filz d'A- chilles. Et consequemment sentit loutrageuse espee dudit Pyrrhus dedens ses entrailles. Et vomit son sang et son ame ensemble, auec plusieurs regretz et querimonies. Et la noble pucelle Cassandra se veit abstraire par force et violence, hors du temple de Minerue, où elle estoit courue à refuge, pour preseruer sa virginité. Et expérimenta la cruauté des Grecz, que souuent elle auoit prédit par sa sapience et
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
linhumanité d'Aiax Oïleus, son tyranniseur et violateur sacrilège.
Quand donques toute la pourprise (1) de Troye eut esté exposée et abandonnée au feu et à lespee, à pillage et à dissolution, ainsi que guerre et hostilité ont de coustume, excepté les maisons des traytres, qui furent reseruees auec- ques leurs biens et familles : et que les nobles femmes furent prinses prisonnières, la Royne Hecuba iadis si haute Princesse se veit vefue, et tombée en la misérable seruitude de ses ennemiz. Lors Aiax Telamonius qui veit Heleine entre les autres, comme met nostre acteur Dictys de Crète, commanda prestement et fut dopinion quelle fust occise, et à bon droit, comme celle par qui tant de maux et tant de labeurs estoient aduenus aux Grecz par lespace de dix ans. Et comme il y eust plusieurs Princes concordans à lopi- nion d'Aiax, et que Heleine estoit en balance destre liuree à mort par commune sentence et décret, adonques le Roy Menelaus retenant encores la primitiue amour de son ma- riage, se mit en peine deuers lesdits Princes de Grèce, et tant les pria lun après lautre, à layde d'Vlysses et de son éloquence, quen la parfin il obtint quelle auroit la vie sau- ne, et luy seroit rendue et restituée sans contredit et sans sort : car toutes les autres dames et Princesses prisonnières furent distribuées par sort, excepté la noble pucelle Poly- xene, qui fut baillée au cruel bourreau Pyrrhus, filz du traitre Achilles, pour sacrifier son sang virginal au tom- beau de son père. Cassandra vint es mains du Roy Aga- memnon : Ethra et Clymena, demoiselles d'Heleine, furent baillées à Demophoon, filz de Theseus, et à vn autre Prince noji^é Achamas. Andromacha, iadis femme d'Hector, par
^XU.^c.ràrCl, .l'enoeinte.
8INGVLABITEZ DE TROTE. UYBl; U. 223
sort tomba en la puissance de Pyrrhus : et lancienne Rojne Hecuba deuint serue et esclaue à Vlysses. Mais son grand courage ne peut gueres durer en telle seruitude, ainçois donna tant doccasion aux Grecz dabreger ses iours et tant les oultragea et maudit, quilz la lapidèrent et ense- uelirent auprès de la ville d'Abydos. Ainsi rentrèrent les-* dits Princes en mer, pour tirer chacun en sa contrée, com- bien que auant leur partement aduint (1) plusieurs choses, si comme le débat à cause du Palladium, ou à cause des armes d'Achilles, dont sensuiuit la mort d'Aiax Telamo- nius : et autres choses dont ie me déporte : car ce nest pas mon propos principal, et aussi elles sont assez com- munes, loiht à ce, que ma narration déterminée ne sar- reste singulièrement fors sijr Heleine.
Or treuue ie peu dacteurs qui ayent escrit des gestes et auentures de ladite Heleine et de son mary Mençlaus, après les faits de Troye. Et ce peu qui en est escrit, si nây ie encores veu nul historien qui les ayt rédigez en langue Gallicane. Si messaieray de recueillir icy ce que ien ay peu amasser. Premièrement messire Bocace en son xi. et XII. liure de la Généalogie des Dieux : allegant pour son acteur Eusebius au liure des Temps, met que après la des- truction de Troye, Menelaus se meit en mer auec ses gens et sa femme Heleine, pour tirer à son Royaume de Lace- demone. Mais la mer se leua haute, et les vents et la tem- ' peste les transportèrent en Egypte : là où regnoit pour lors vn Roy nommé Tuoris, (2) autrement dit Polybius, selon Homère : lequel receut ledit Menelaus et sa femme en son hostel, et leur feit bonne chère. Et illec perdit Menelaus le
(1) o.-à-d. il advint.
(2) Turris (mscr. de Genève).
224 ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
gouuerneur de son nauire, nommé Canopius : lequel mou- rut au riuage par la morsure dun serpent, et fut enseuely auprès de lane des boucques ou entrées du fleuue Nilus, laquelle entrée depuis à ceste cause fut appellee Canopique. Et illec se conseilla ledit Menelaus de tous ses affaires à Protens le sage deuin. Diodorus Siculus au premier liure des Gestes antiques, met que certain nombre de Troyens lesquelz Menelaus auoit emmené prisonniers auec luy , quand ilz furent sur ledit fleuue du Nil en Egypte, se bou- dèrent ensemble : et en prenant cœur bataillèrent aucune- ment contre luy, tant quilz le contraingnirent finablement à leur bailler liberté de construire vne cité sur ledit fleuue, ce quilz feirent, et lappellerent la nouuelle Troye. Et puis Menelaus en prenant congé dudit Roy d'Egypte, radressa son chemin pour retourner en son Royaume de Lacede- mone : mais auant il print terre en lisle de Crète, quon dit maintenant Candie : et illec visita son cousin Idome- neus Roy de ladite isle, comme met nostre acteur Dictys. Et quand les habitans de ladite isle sceurent la venue de dame Heleine, ilz vindrent de toutes pars par grans trou- peaux et compaignies pour voir ladite Heleine, et congnoi- tre celle qui tant auoit fait parler délie : et par laquelle presques tout le monde auoit esté en émotion de guerre.
Au partir de lisle de Crète, qui estoit le huitième an de la destruction de Troye, tant auoient ilz erré par mer, comme met Bocace au xii. liure, iceluy Menelaus et sa femme Heleine, nauiguerent iusques en leur païs de Pélo- ponnèse, quon dit maintenant la Moree : et abordèrent pre- mièrement en la cité de Mycenes selon la narration de nos- tre acteur Dictys de Crète en son dernier liure. En laquelle cité de Mycenes, estoit leur neueu Orestes filz iadis du Roy Agamemnon. Or auoit nagueres iceluy Orestes tué sa mère
sniGVLAIlITEZ DB TROTB. UTKB II. W
Glytemnestre, et son ribaud Egisthus, ù cause que eux tous deux conspirans ensemble, auoient meurtry son père Âga- memnon après son retour de Troye. Et à ceste cause Me- nelaus indigné de la mort de ladite Glytemnestre, sœur germaine de sa femme Heleine, tascha et meit peine de faire dommage et desplaisir à son neueu Orestes : mais il en fut destourbé par le populaire. Toutesfois il procura que ledit Orestes fust adiourné personnellement en la cité d'Athènes par douant le grand conseil des Prostrés et Phi- losophes nommez Areopagites, lesquelz estoient iuges sou- uerains et comme les seigneurs de parlement de toute Grèce, ainsi que les Druydes souloient estre en Gaule, comme tesmoigne Iulius César en ses Commentaires. Si fut force à Orestes dy aller pour respondre du cas par luy per- pétré touchant la mort criminelle de sa mère Glytemnestre. Mais après la cause bien ventilée, il fut declairé quitte, deliure et absoulz de ladite mort de sa mère par arrest et iugement final desdits seigneurs Areopagites. Et dabon- dant fut réintégré et restably en la possession pacifique du Royaume de Mycenes, comme vray héritier de son feu père le Roy Agamemnon. De la secte desdits Areopagites Phi- losophes de grande estime, fut depuis S. Denys Apostre de France quand il fut conuerty par S. Paul en ladite cité d'Athènes. Or donc endementiers que ce iugement se fai- soit, Menelaus et sa femme Heleine retournèrent en leur Royaume de Sparte ou Lacedemone , auquel ilz furent receuz de leurs subietz paisiblement.
Orestes Roy de Mycenes fut fort courroucé et malenta- lenté contre son oncle le Roy Menelaus à cause du dom- mage quil luy auoit pourchassé et du destourbier quil luy auoit prétendu faire. Toutesuoyes au moyen du Roy Ido- meneus de Crète, son parent^ lappointement fut fait entre II. 48
226 ILLVSTRATIOMS DE GAVLE, ET
ledit Orestes et Menelaus. Si sen alla Orestes à Lacedemone vers son oncle Menelaus : lequel le festoya et luy bailla en mariage sa fille Hermione, comme met Dictys de Crète : mais selon lopinion des autres, il ne feit que confermer ledit mariage. Car comme nous auons desia dit au commen- cement de ce liure, le Roy Menelaus au parauant ; cesta- sauoir pendant le siège de Troye, auoit promis sadite fille Hermione à Pyrrhus, filz d'Achilles. Et dautre costé, le Roy Tyndarus, père d'Heleine et ayeul dicelle Hermione, lauoit desia fiancée audit Orestes, ignorant de la promesse faite à Pyrrhus par Menelaus, comme met Antoine Volsc au commencement des epistres d'Ouide. Si aduint, que Pyrrhus après son retour de Troye, souz tiltre et couleur de la pro- messe que luy auoit fait Menelaus, voulut auoir ladite Her- mione. Et de fait, la tollut et rauit par force et hauteur (1) à son espoux Orestes : et lemmena en son païs. Mais de- puis iceluy Orestes laboura tant, quil trouua subtilement manière de faire tuer ledit Pyrrhus, son aduersaire et com- pétiteur, au temple d'Apollo en Delphos. Et par ainsi re- couura sans nul contredit sa femme Hermione : et peult estre que Menelaus loua et ratifia le mariage audit Orestes, selon lopinion de Dictys dessus mentionnée. Et des faits dudit Pyrrhus, et comment il emmena en son païs Andro- macha, vefue d'Hector, et depuis la donna en mariage à Helenus, filz de Priam, nous en parlerons plus à plein au dernier liure.
Hermione fille d'Heleine, combien quelle fust douée de grand beauté, ne fut point si lubrique, ne si inconstante que sa mère. Car combien quelle fust rauie malgré elle
(1) c.-à-d. arrogance. (Cf. aîtitudo du Ducange = haussage, haul- tainneté.)
SINGYLARITEZ DB TROTE. LIVRE II. 227
par Pyrrhus, à qui son propre père lauoit fiancée en son absence, neantmoins elle adhéra tousiours en courage, (1) à son premier espoux et cousin Orestes. Et quand elle fut retournée auec luy, ne labandonna onques en nulles de ses aduersitez : mais luy tint bonne et loyale compaignie. E t eut de luy vn filz, aussi nommé Orestes, qui succéda à so n père, et fut vaillant homme et grand conquereur. laques de Bergome, en son troisième Hure du Supplément des chroniques, allegant son acteur Isocrates, recite que quand Heleine commença à deuenir vieille et ridée, et elle se regardoit en vn miroir, elle se prenoit à rire tant quelle pouuoit, en se moquant de la folie de ceux qui par si grand ardeur et obstination auoient poursuiuy vne si aspre guerre pour vne chose si caduque et de si petite durée. Et vraye- ment elle auoit raison de sen truffer. (2) Et autre chose ne treuue ie de ses faits auant sa mort. Et touchant la mort délie, ie nay peu trouuer que deux acteurs qui en parlent. Dont lun est Dion, duquel nous auons parlé au prologue de ce second liure. Lequel met que icelle Heleine fut tuée traîtreusement dedens Troye, par son neueu Orestes, filz du Roy Agamemnon. Et vn autre dit, quelle mourut en lisle de Rhodes. Mais pour mieux clarifier Ihistoire, il est nécessité de reciter preallablement la narration de Tlepo- lemus, Roy de Rhodes, à cause duquel elle mourut.
Tlepolemus (3) donques, comme met Bocace au xiii. liure de la Généalogie, fut filz d'Hercules, et de la Nymphe As- tyoche, descendue de la lignée de Mars, laquelle il auoit rauie en vne cité de Laconique, nommée Epire, qui est en
(1) e.-à'd. en son cosur.
(2) truffier (mscr. de Genève).
(3) Tlepolenius (ëd. 1516).
228 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
la contrée de Péloponnèse, quon dit maintenant la Moree, dont estoit Heleine. Celuy Tlepolemus filz d'Hercules auoit vn ancien oncle, frère de sa mère nommé Licemmon, le- quel il tua ou de coup de mesauenture, ou peult estre à son essient. Parquoy il fallut quil abandonnast ledit païs, quon dit maintenant la Moree. Si feit faire des nauires, et passa en lisle de Rhodes, auecques grand nombre de gens, et auec sa femme nommée Polypo, laquelle auoit en sa ieu- nesse esté compaigne et familière de la belle Heleine, pource que les seigneuries de leurs parens estoient voisines. Aussi habitèrent ledit Tlepolemus et sa femme Polypo en la noble isle de Rhodes, en y acquérant la domination et tiltre de Royaume. Et quand ce vint que le bruit de la guerre Troyenne sesleua parmy Grèce et les isles marines, pour le rauissement d'Heleine, ledit Tlepolemus, Roy de Rhodes, y alla auec les autres Princes, ses aflfins et prochains. Et mesmement auec Phidippus et Antiphus, ses neueux, des- cenduz de la lignée d'Hercules, comme sera dit au troi- sième liure. Et y mena neuf nauires, comme met Homère au deuxième de l'Iliade : mais finablement il y fut occis par les mains de Sarpedon, Roy de Lycie. Dont sa femme la Royne Polypo (1) mena grand dueil : car il estoit fort beau, comme met Ouide au xii. de sa Métamorphose, en parlant dudit Tlepolemus, et disant ainsi :
Herculis, ôRhodi» ductor pulcherrime classia.
Par lequel vers, comme met le commentateur, on peult coniecturer quil estoit tresbeau ettresgrand.
Pour reuenir donques à nostre propos, Antoine Volsc, commentateur des epistres d'Ouide, allegant vn acteur
(I) Poliwo (toscr. de Genève).
SINGVLARITEZ DB THOYl. UVRE U.
Grec, met sur lepistre d'Hermione à Orestes, que après la mort du Roy Menelaus, qui fut naturelle comme ie imagine, deux des citoyens de Sparte ou Lacedemone, dont lun auoit nom Nicostratus et lautre Megapenthus, ietterent la Royne Heleine hors de la cité et de tout le Royaume de Lacede- mone, sans luy assigner, ne lieu pour habiter, ne douaire pour viure. La cause pourquoy ilz lexillerent en cest estât, iceluy acteur ne la met point : mais il est à présupposer, que ce fut pource quelle estoit haye de tout le monde, à cause des grans maux qui auoient esté perpétrez poor lamour délie. Quand donques elle se veit ainsi expulsée du Royaume de son feu mary, elle ne sceut à qui se retirer, comme celle qui estoit vefue, vieille et odieuse à vn chacun, et qui nauoit plus nulz parens en vie. Si saduisa de sen aller à Rhodes, vers son ancienne compaigne et amie la Royne Polypo, qui aussi estoit vefue de son mary le Roy Tlepolemus, comme dessus est dit : et de fait y alla. Et quand elle fut en Rhodes, ladite Royne Polypo luy feit assez bon recueil de prime face : et seiourna Heleine aucune espace leans faisant bonne chère. Or les damoiselles et femmes de chambre de ladite Royne Polypo hayoient mortellement Heleine, pource que leur seigneur le Roy Tlepolemus auoit prins mort à cause délie. Si conspirèrent vn iour parensemble de la faire mourir, et de fait la me- nèrent à vn beau verger par manière desbatement : mais quand elle y fut, elles luy mirent vue corde au col, et la pendirent et estranglerent à vn arbre.
230 ILLVSTHATIONS DE GAVLE, ET
CHAPITRE XXIIII.
Comment Heleine après sa mort fut réputée Déesse de beauté par la folle erreur des Payena idolâtres. Et des temples qui furent esle- uez à Ihonnear délie : auec l'e citation daucuns fabuleux miracles faita par elle et ses frères Castor et Pollux, qui sont par les Poëtes mis au cercle du zodiaque faisans le signe de Gemini : et autres choses.
Ainsi fina misérablement ses vieux iours Heleine limpu- dique, pour laquelle tant de hauts hommes et nobles auoient esté deflaits. Et de tant fut elle plus malheureuse, quelle ne fut plainte ne plouree de personne. Et à peine scây ie si elle fut digne dauoir sépulture : si me semble quun si vilain defînement luy estoit deu et à bon droit : et ne fust ce que pour la grand trahison et inhumanité dont elle vsa enuers Deïphobus. Mais après la mort dicelle, laage aueu- glee et erronée du temps dadonques, qui estoit prodigue de forger nouueaux Dieux et Déesses par idolâtrie, meit et rengea ladite Heleine au nombre et catalogue des Déesses immortelles : car autrement il eust semblé quon luy eust fait tort et iniure. Attendu que desia ses deux frères Cas- tor et Pollux estoient stellifiez et translatez au ciel, faisans le signe de Gemini, cestadire les iumeaux qui régnent au mois de May. Et aussi considerans quelle nés toit pas de moindre condition que sa voisine lo, fille d'Inachus, Roy d'Arges, iadis rauie par lupiter, et transformée en vache :
SUfGTLARITEZ DE TROTB. UVBE II. 231
laquelle estoit adorée en Egypte souz le nom d'Isis. Ne aussi que Ëuropa, fille du Roy Agenor de Sidone, iadis rauie par lupiter, laquelle estoit déifiée en Crète, comme met Dictys au commencement de son liure. Et pareillement aduisoient les hommes prudents et discretz dudit temps passé, que Heleine meritoit aussi bien destre faite DeesM comme Iphigenia, sa cousine germaine, fille du Roy Aga- memnon et de sa sœur Clytemnestre : laquelle Iphigenia estoit desia déifiée au pais d'Achaie, et luy sacrifioit on dun cruel sacrifice : cestasauoir dhosties humaines, comme met Hérodote en son quatrième liure. Pareillement nestoit point Heleine de pire estime que Medee la forte enchan- teresse, iadis fille du Roy Eeta, de Colchos, et femme de lason. Laquelle Medee fut aussi après sa mort réputée haute Déesse, selon que tesmoigne Bocace au quatrième liure de la Généalogie des Dieux. Pour lesquelles considé- rations et causes peremptoires, le peuple dadonques fort superstitieux et enclin à idolâtrie, édifia par grand deuotion ou plustost damnation, à ladite Déesse Heleine, vn temple somptueux au territoire de Therapne dont elle estoit natiue. Et, comme iecroy, fut appellee Déesse de beauté. Et feit aucuns miracles fabuleux dont ien reciteray icy vn, car il est bien digne de mémoire.
Le Prince des historiens (1) Hérodote au sixième liure de son histoire, recite que Ariston, iadis Roy de Sparte ou Lacedemone, eut trois femmes lune après lautre, dont la dernière fut remplie de souueraine beauté par accident miraculeux ainsi que vous orrez, car en son enfance elle auoit esté la plus laide créature du monde : mais elle fut faite belle par les mérites et vertuz de la Déesse Heleine,
(1) des histoires (mscr. de Genève).
i23S ILLVSTRATIOMS DE GATLE, ET
en ceste manière : cestasauoir, comme ladite dernière femme du Roy Ariston fust ainsi laide et difforme en son enfance, et il tournast à grand "desplaisir des parents délie, lesquelz estoient riches gens et puissans, ilz auoient si grand dueil de ladite difformité, quilz deffendirent expres- sément à sa mère nourrisse quelle ne la monstrast à per- sonne viuant, comme ceux qui mieux leussent aymee morte que viue. Laquelle chose voyant ladite mère nourrisse, elle se pourpensa de telle chose. Tous les matins elle la portoit au temple de la Déesse Heleine qui estoit au lieu appelle Therapne, en la prouince de Laconique assez près du temple de Phebus. Et presentoit ladite fille deuant lidole ou simulacre de ladite Déesse, en faisant son oraison bien deuotement à icelle, et priant, qui luy pleust deliurer la fille quelle nourrissoit, de sa grand laideur. Si aduint après quelle eust long temps continué ladite prière et orai- son, vn iour quelle partoit dudit temple sapparut à elle la Déesse Heleine en forme dune femme, et luy demanda que cestoit quelle portoit entre ses bras. Et comme ladite nour- risse eust respondu que cestoit vne fille : la Déesse luy commanda de la luy monstrer, mais la nourrisse refusa de ce faire, disant que les parens de lenfant le luy auoient deffendu : toutesuoyes la Déesse Heleine luy feit comman- dement derechef, quelle luy fust monstree, et que lenfant en vaudroit beaucoup de mieux, si elle lauoit veu. Ainsi fut contente la mère nourrisse de la descouurir. Et la Déesse Heleine la print, et luy applania le chef aucune espace, puis la rendit à la nourrisse, disant que ceste fille deuiendroit la plus belle fille de Lacedemone. Et sur ce poinct se disparut. Et aduint depuis ainsi, car elle fut si tresbelle, que ledit Roy Ariston de Lacedemone trouua manière subtilement de loster à vn autre Prince de Lace-
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRl II. 233
demone, à qui elle estoit desia mariée, et lespoQsa pour sa grand beauté, et eust délie vn ûh nommé Demaratbus qui depuis fut Roy de Lacedemone. Ledit acteur Hérodote, aussi en son second liure, met quen Egypte il y auoit vn temple dédié à Heleine, souz le tiltre de Venus estrangere : car aucuns estiment, que après le rauissement d'Heleine, Paris et elle furent transportez celle part.
Encores feirent vn autre miracle euident pour lamour de leur sœur la Déesse Heleine Castor et Pollux, ses frères translatez au ciel par la fabulosité des poètes, et faisans vn signe du Zodiaque appelle Gemini. Lequel miracle ou plustost fable ie narreray souz brieueté. Il fut iadis vn poète Lyrique, nommé Stesichorus, natif de lisle de Lesbos quon dit maintenant Methelin, duquel raconte Pline en son histoire Naturelle, que luy estant enfant au berseau, vn rossignol vint chanter sur sa bouche, en signifîance quil seroit vne fois tresdoux et tressingulier poète. Iceluy Ste- sichorus donques entre autres choses quil feit, composa vn dittier, plein diniures, contumelie et diffamation encon- tre Heleine, pource quelle auoit causé par son adultère la destruction de Troye. De ce libelle diffamatoire furent fort indignez les Demydieux Castor et Pollux, estans au cercle du Zodiaque. Et de fait, pour venger liniure faite à leur sœur, par leur puissance deïfique tollurent la veiie audit poète Stesichorus, tellement que le poure homme ny veit plus goutte, dont il fut fort estonné et scandalisé. (1) Toutes- fois à chef de pièce, il luy vint vne aduision en son dor- mant, qui fut telle : cestasauoir, quon ladmonnestoit de ditter vne palinodie : cestadire faire vn chant contraire à celuy de parauant, et se desdire de ce quil auoit dit con-
(I) e.>-à*d. troublé et déshonoré.
254 ILLVSTRATIONS DE GA.VLE, ET
tre Ihonneur d'Heleine. Adonc le poëte ioyeux, quand il sceut quil ne tenoit que à cela, commença à composer vn beau lay à la louenge de la Déesse Heleine : et insera toutes vertuz et belles choses dont il se sceut aduiser, en requérant mercy à dame Heleine, Déesse de beauté. Et chanta ledit lay mélodieusement sur sa harpe, parquoy il recouura prestement lusage de ses yeux. Ces choses sont prises au troisième liure de lart d'Aymer, auquel le noble poëte Ouide dit ainsi :
Probra Terapnese qui dixerat antè marit», Mox cecinit laudes prosperiore lyra.
Et Horace aussi en ses Odes dit en ceste manière :
Infamis Helense Castor offeusus vice Fraterque magni Castoris, victi prece Âdempta vati reddidere lamina.
Marsille Ficin, en ses epistres, met que le Prince des poètes Homère, pour auoir trop vitupéré la belle Heleine, fut tousiours depuis aueugle, ne iamais ne recouura sa veiie, pource que onques ne se voulut repentir ne recon- gnoitre quil auoit mal fait. Mais vn grand orateur de Grèce, nommé Isocrates, ne feit pas ainsi, sachant que cest trop dangereuse chose de mesdire des dames, ainçois escriuit plusieurs louenges de ladite Heleine.
Si la deïté de la Déesse Heleine auoit aussi grand vertu maintenant comme au temps passé, ie deuroye auoir belle peur dauoir encouru son ire et indignation, attendu que iay tant publié ses vices et diuulgué ses vitupères. Pline au deuxième liure de Ihistoire Naturelle, met que ces flambôttes de feu, quon voit aucunesfois par les voiles noc-
SINGYLARITEZ DE TROTB. LITRE O. 235
turnes au bout des lances des gensdarmes, ou sur les an- tennes des nauires, et font certain bruit comme oyseaux et se transportent de lieu en autre, quand il y en ha deux ensemble, elles sont salutaires, et signifient bon heur et nauigage prospère. Si disoit on anciennement que cestoient Castor et Pollux, lesquelz on inuoquoit comme Dieux en la mer : mais sil nen y ha quune toute seule, elle est mal- heureuse et de mauuais présage. Si la nommoit on iadis Heleine, ou selon lexpositeur de Fulgentius Placiades, Vrania. En ce temps cy on lappelle vne Furolle, (1) et dit on quelle meine noyer les gens. Et plus ne sauroie rien pro- duire, faisant au propos en ce second liure, sinon que comme met Higinius en son liure intitulé d'Astronomie poétique, lune des sept estoilles, nommées Pléiades, ne se peult voir à plein depuis la destruction de Troye. Car ladite estoille est Electra, fille du grand géant Atlas et mère de Dardanius, duquel yssirent les Troyens. Laquelle print si grand desplaisance de la ruine diceux, que onques puis ne voulut monstrer sa claritude pleniere.
(1) e.-à-d. fumerolle ou feu-follet.
2S0 ILLVSTRÀTIOIfS DE GAVLE, ET
CHAPITRE XXV.
Conclusion et confirmation véritable de ce second liure, par la con- futation et explanation du liure de Dion de Pruse, qui se intitule de Troye non prinse : auecques ample probation comment Lac- teur ha auiuy en ceste histoire les vrajs acteurs autentiques.
PovTce que plusieurs nobles hommes, et autres gens modernes, ont entre leurs mains vn petit traité autresfois translaté de Grec en Latin, par François Philelphe, et diceluy font grosse estime par nouuelle curiosité, pource que Lacteur diceluy veult donner à entendre, par vn tas de diuers syllogismes, contre lopinion de tout le monde, que Troye ne fut onques prinse par les Grecz. A ceste cause au préambule du prologue de ce second liure, iay mis deux vers d'Ouide, certifians le contraire. Et si iceux ne suffisent pour ramener ceux qui sont abusez à saine intelligence, ie ramenteuray icy encores vn demy mètre de Virgile qui le confermera, cestasauoir cestuy cy :
-Rult alto à culmine Troîa.
Laquelle allégation des deux acteurs, si tresrenommez doit bien suffire encontre la seule assertion, cestadire affir- mation douteuse, dun homme peu autorisé. Et si dauenture on refuse le tesmoignage des poètes, aumoins deura on adiouster foy à Diodorus Siculus, historien tresapprouué, lequel ha recueilli toutes les antiquitez du monde. Et dit
SmCULARITEZ DE TROTE. LITU H. 237
en la fin de son sixième et dernier liure, ces propres mots : Qua omnia anie hélium Troianum acta sunt. Déserta (1) Troia, Gares opibus aucH, etc. Mais encores la pertinacité(2) de ceux qui se fondent en ceste fantasie estoit si obstinée, que nulle apparence de veritë autorisée ne peult obtenir lieu daudience enuers eux. Toutesnoyes ânablement seront ilz contraints de se laisser vaincre par démonstrations rai- sonnables. Pour laquelle chose faire, il faut entendre que celuy qui soustient par ses escrits Troye non auoir esté destruite par les Grecz, estoit vn Philosophe nommé Dion, natif de la cité de Pruse, en la prouince de Bithynie, pro- chaine de la région de Troye, en Asie la mineur, quon dit maintenant Natolie ou Turquie. Or y ha il eu de tous temps hayne mortelle et inueteree entre ceux d'Asie la moindre, et ceux de Grèce, qui ne sont séparez lun de lau- tre, sinon par linterpos du destroit de la mer Hellesponte, comme on pourroit dire France et Angleterre. Et pource que iceluy Dion estoit Asiatique, et quil luy sembloit tour- ner à grand honte, à ceux de son parti, de ce que leurs ancestres se laissèrent ainsi suppediter par la nation Gre- goise, à ceste occasion il sessaya de recouurer leur honneur, en cuidant persuader et faire acroire aux Iliens, cestadire aux Troyens, quil nen auoit rien esté. Laquelle chose estoit bien aisée à faire ausdits liions qui de son temps habitoient le lieu, où fut iadis Troye, autrement dite Ilion. Dautre part, pour vne gloire et ostentation de sa science philosophale, il sefforça de monstrer que le bon poëte Homère en plusieurs passages de son Iliade, auoit contre- dit à soy mesmes. Et pour ce faire, il ameine seulement en
(1) Deleta (mscr. de Genève).
(2) fartidnacité {éà. 1516).
ILLVSTRATIONS DE GA.VLE, ET
ieu vn tas dargumentations friuoles de peu de verisimi- litude et de moindre efficace. Dont en blasmant et vitupé- rant lexcellence du prince des poètes Homère, comme feit iadis vn autre philosophastre nommé Zoïlus, lequel tour- menté du mauuais esprit denuie, se feit nommer par vn til- tre abominable Homeromastix, cestadire leflayau d'Homère.
Et après auoir composé vn liure tout plein de diffamation detractoire, tendant à anichiler la gloire du poète Homère : ledit Homeromastix et son liure furent par Ptolomee, Roy d'Egypte, recueillis et traitez selon leur desserte. Cestasa- uoir comme vn iuste Prince doit traiter mesdisans, flateurs et détracteurs. Comme ces choses escrit Nicolas Perot, euesque de Siponte en sa Cornucopie.
Mais encores souffrons vn petit que la poésie d'Homère Boit forcluse daudience , et pour impugner la dicacité, cestadire ienglerie de nostre aduersaire, par vn moyen extrauagant : faisons semblant de nous ioindre auec le père des historiens Herodotus Halicarnasseus : lequel trop plus antique que Dion, met au deuxième liure de son his- toire, que après le rauissement d'Heleine, Paris ayant vent contraire, erra par la marine, et alla aborder à lune des bouques du fleuue appelle de Nil, en Egypte, qui est main- tenant en la possession du Souldan. Et pour lors regnoit en Egypte vn sage et iuste Roy nommé Proteus, lequel congnoissant et sachant la rapine et violence perpétrée par la folie de Paris Alexandre, filz du Roy Priam, commanda de donner larrest à la belle Heleine, en son païs d'Egypte, et depuis la rendit à son mary Menelaus. Parquoy on pour- roit coniecturer que la guerre neust point esté deuant Troye, pour recouurer Heleine : et par conséquent que Troye nayt point esté prinse par les Grecz. Et ce qui meult le bon historien Hérodote descrire ce que dessus, cest
SWGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE U. 930
pource quil se dit auoir esté amplement informé par les Prestres et Philosophes d'Egypte de toute Ihistoire d'He- leine. Or si ledit Dion se fust armé de lautorité dudit Héro- dote, il eust beaucoup fortifié son cas, et eussions eu plus à faire de les confuter et conuaincre tous deux ensemble. Mais ainçois iceluy Dion reboute lautorité du prince des histo- riens Hérodote comme de nulle apparence. Mais quelle autre approbation plus clere et plus ample voulons nous pour fortifier nostre cas, sinon de Stesichorus poëte Lyri- que : lequel auoit autrefois esté de lopinon dessusdite ? Mais finablement il fut contraint de se desdire, et de chanter vn chant contraire, lequel sappelle Palinodie en Grec, comme met Marsille Ficin de Florence, en ses epistres. Et escriuit ledit Stesichorus en ceste manière, adressant ses yers à Heleine : Non veriis sermo ille fuit, Neque nauibus altis Existi fugiens : Neque adisti pergama Troia.
Puis donques que le philosophe Dion, ne baille aucune faueur au propos dessus narré d'Hérodote, Prince des histo- riens, faisons luy aussi ce plaisir, que de refuser et reietter du tout ledit Hérodote, mesmement quant à ce quon pour- roit inférer et conclurre que la cité de Troye nayt point esté mise en ruine par les Grecz, et venons à reciter par manière dabreger toute la narration dudit philosophe Dion, à fin quil ne puist sembler que ne layons assez curieusement leiie.
Tout premièrement iceluy Dion, qui ne tend à autres fins, fors demonstrer les œuures du souuerain poëte Homère, pleines de mensonges et ineptitudes, cestadire choses mal à propos et de petite valeur, dit auoir esté amplement cer- tifié de toute la vérité de, Ihistoire Troyenne, par les Pres- tres du pais d'Egypte, ainsi comme ia est dit du dessus^ nommé Hérodote, historien Grec. Mais pour les deux pre-
M9 ILLVSTBATIONS DE GÀVLE, ET
Biiers poincts principaux, ledit philosophe Dion nye que Heleine fust iamais mariée au Roy Menelaus, ne rauie vio- lentement par Paris Alexandre, filz du Roy Priam de Troye. Et dit iceluy Dion comme il sensuit :
« Que comme plusieurs grans seigneurs de diuerses con- trées du monde esmuz et incitez à cause de la grand renom- mée de la beauté d'Heleine, fille du Roy Tyndarus, se fus- sent tirez en la cité de Lacedemone, pour icelle Heleine de- mander solennellement en mariage au Roy Tyndarus son père, Paris, filz du Roy Priam de Troye, partant des mar- ches d'Asie la moindre quon dit maintenant Turquie, se trouua auecques les autres Princes en merueilleuse pompe et somptueux arroy. Et combien que le Roy Agamemnon, lequel auoit desia espousé Clytemnestre, sœur de la belle Heleine, cuidast bien pratiquer que son frère Menelaus eust en mariage ladite Heleine, à fin de mieux corroborer et for- tifier son alliance, neantmoins Paris Alexandre, filz du Roy Priam, fut préféré et tenu en plus grand estime que ledit Menelaus et tous autres compétiteurs. Et ce, à cause de la grandeur et richesse de son parentage, et de la présentation de sa personne. Si espousa Paris la belle Heleine, légitime- ment, par lautorité du Roy Tyndarus père délie, en grand ioye et triomphe, sans répugnance ne contradiction quel- conque. De laquelle chose après quelle fut faite, le Roy Menelaus fort ialoux et desplaisant, attendu quil auoit esté frustré et deceu de son espérance, feit vne grand plainte et querimonie, tant au Roy Agamemnon son frère, comme aux autres Princes de Grèce : en leur remonstrant que cestoit trop grand honte à eux tous, dauoir souffert que la fleur et lexcellence du monde fut ainsi emmenée arrière deux par vn Prince estranger. Et que à tousiours mais, cecy leur seroit imputé à reproche et à lâcheté de courage.
SINGVLARITBZ DK TROYK. LIVRR U. %ki
Car il pourroit sembler aux postérieurs, que nul deutre eux neust esté digne, ne bon assez, dauoir en mariage vne si belle dame. Alors, comme raconte iceluy Dion, la noblesse Gregoise emflambee de despit et indignation, à ceste cause délibéra daller recouurer Heleine par force darmes. Et fut la guerre criée par tout, et Troye assiégée long temps. £t entre les autres choses qui sy feirent, Achilles y fut tué par les mains d'Hector, et Paris occis par Philoctetes. Puis ânablement pource que les deux parties sennuyoient de leurs pertes quotidiennes, lappointement fut moyenne par Vlysses. (1) Et furent les Grecz condamnez à ce que, pour la- mende honnorable des torsfaits (2) commis par eux contre les Troyens, sans ce quilz eussent droit, ou iuste querele, ilz oflfriroient vn grand Cheual à la Déesse Minerue, cestadire Pallas, laquelle chose faite ilz sen retournèrent en leurs régions, sans ramener Heleine : car Hector la donna en mariage à son frère Deïphobus. Et depuis ladite Heleine fut tuée traytreusement par son propre neueu nommé Ores- tes, filz du Roy Agamemnon.
Et dautre part, Menelaus nosa retourner en son païs, mais sen alla en Egypte, et espousa la fille du Roy dicelle contrée. Finablement iceluy acteur Dion met que le Roy Priam trespassa plein de gloire et de félicité humaine, et le preux Hector succéda en son règne tresflourissant. Le- quel enuoya Eneas et Antenor faire conquestes en Italie : et son frère Helenus en Grèce, et luy mesmes, cestasauoir Hector, subiuga par armes vue grand partie d'Asie, puis mourut en extrême vieillesse, laissant son héritage paisible à son filz Scamandrius. (3) Et cest le sommaire du liure de
(1) Uîiaes (ëd. 1516).
(2) forfaidz (éd. 1528).
(3) Scamndrus (âd. 1516 et 1528).
II. 16
242 ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
Dion de Pruse, qui se fait nommer Chrysostome, cestadire bouche dor : concluant Troye non auoir esté mise en ruine et désolation par les Grecz.
Or voyons orendroit, comment il pouuoit ces choses si bien deuiner par inspiration fantastique et prophétie ré- trograde : ne par quel moyen vraysemblable il peult ainsi contrarier la commune opinion du feu de Troye, cestadire de la ruine extrême dicelle. Laquelle est deriuee et persua- dée iusques à nous, par les escrits autentiques de ceux mes- mes qui viuoient en ce temps là, ou qui furent du siècle prochain. Si faut sauoir tout premier, que nostre contredi- seur Dion de Pruse ne vint au monde, sinon régnant lem- pereur Traian, cestasauoir mille et trois cens ans après la captiuité Troyenne, là où le poète Homère flourissoit seule- ment enuiron cent ans après icelle guerre. Mais Dictys de Crète et Dares de Phrygie ont rédigé en mémoire tout ce quilz veirent et entendirent faire dun costé et dautre, pen- dant le siège de Troye. Le liure diceluy Dares, lequel estoit de la nation Troyenne, fut trouué escrit de sa main propre en luniuersité d'Athènes, au temps de Iulius César, par vn grand orateur nommé Cornélius Nepos, natif de Vérone en Italie, et par luy mesmes translaté de Grec en Latin, puis enuoyé à Romme au tresnoble historien Crispe Sal- luste.
Et lœuure de Dictys de Crète, quon dit maintenant lisle de Candie subie tte aux Vénitiens, et de la nation de Grèce, vint aucun temps après en lumière, cestasauoir du temps de lempereur Néron. Iceluy Dictys souuent allégué en ce second liure, fut cheualier stipendiare du Roy Idomeneus de Crète, et fut présent à toutes les batailles contre les Troy- ens. Si fut trouué son liure par cas dauenture en la ma- nière qui sensuit :
SINGVLARITEZ DE TROYB. LIVRE II. 243
Aucuns pasteurs gardans les bestes et troupeaux auprès de la cité de Gnosus, en lisle de Crète ou Candie de laquelle fut natif iceluy Dictys, trouuerent entremy aucunes vieilles murailles ruineuses vn sépulcre, lequel comme depuis fut sceu, estoit dudit acteur Dictys de Crète. Et dedens ledit sépulcre ilz prindrent vn vaisseau destain bien clos et bien souldé de toutes pars. Âdonc eux peosans que là dedens fut enclos quelque bon gros trésor, ilz ouurirent ledit vais- seau bien en haste, mais il ny auoit pour toute proye ou butin, sinon des liures. Dont quand ilz se veirent frustrez et deceuz de leur espérance, ilz portèrent les liures au sei- gneur de ladite cité de Gnosus en lisle de Candie, lequel seigneur se nommoit Praxis. Et fut bien aise ledit seigneur du présent et de la treuue. Si saduisa de les faire transcrire en lettres Athéniennes, pource que les liures estoient en characteres de lettre Punique fort ancienne et mal lisable, iasoit ce que le langage fust Grec. Et cela fait, ledit Praxis vint à Romme vers le Prince Néron, pource quil le sauoit estre fort curieux de Ihistoire Troyenne, comme celuy qui estoit singulier en poésie et homme de treseslu engin, sil eust esté si heureux quil eust plustost fleschi et incliné à bonté que à malice, mais non.
Or fut Néron, non content seulement dauoir fait compo- ser vne seconde Iliade, par vn poëte nommé Accius, ainsi que met Perse en sa première Satyre, mais aussi sessaya ledit empereur Néron, de compiler vn liure des faits de Troye : lequel il intitula Troica Neronis, cestadire les auentures de Troye composées par Néron. Lequel liure est allégué par Seruius, commentateur de Virgile, comme iay dit en la fin du premier liure. Or présenta ledit Praxis à lerapereur Néron le volume de Dictys de Crète, contenant dix liures des faits de Troye. Si fut le tresbien venu et
244 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
guerdonné hautement. Et depuis iceux liures furent con- uertis en langue Latine, par vn orateur Romain, nommé Septimius. Et de dix que ledit acteur Dictys auoit compo- sez, iceluy translateur Septimius les ha réduit à six : les- quelz nous auons maintenant bien corrects, et dont ie me suis aydé pour le plus en ce second liure.
Ces choses veûes iestime auoir fait assez ample preuue que la narration du philosophe Dion (non mie quant à son parler, qui est tout pur oratoire, mais quant à ce quil im- pugne la vérité historiale) doit estre réputée vaine, plate, ridicule et adulatoire, et nullement corroborée par acteurs suffisans. Et que par ce second liure, tous lecteurs et audi- teurs se peuuent bien tenir pour contons et bien informez de la vérité de toute Ihistoire, à fin quen peintures et tapis- series on ne fasse plus nulz abus, sinon (1) que lerreur inue- teree de Guy de la Colonne et de ceux qui lont ensuiuy, tant en rime comme en prose, lesquelz ie ne vueil pas nommer, vallent (2) mieux que ceste mienne œuure laborieuse et bien digérée. Apres laquelle mise en lumière, sil y ha aucune chose transpassee par oubly ou par négligence, le troisième liure en fera la raison : par lequel ie monstreray la vraye origine des François, des Bretons, des Turcz : et de tout ce qui est possible dalleguer en ceste matière. Laquelle à proprement dire, nest sinon vne elucidation et clarification de plusieurs acteurs renommez : dont de ceux qui sont alléguez en ce second liure les noms sont cy douant mis et les œuures. A tant ie fais fin à ce second liure des Illustra- tions de Gaule, et Singularitez de Troye : priant aux lec-
(1) c.-à-d. à moins que.
(2) vaillent {éd. 1516).
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE H. i45
teurs et auditeurs, quilz ne prennent les choses sinon en bonne part, et excusent les fautes par beniuolence, auec- ques le bon poète Virgile qui dit :
Non omaia poMumaB omnes.
De peu assez.
PROLOGVE DV TROISIEME LIVRE
DES ILLVSTRATIONS ET SINGVLARITEZ
DE FRANCE ORIENTALE ET OCCIDENTALE,
CESTADIRE DE GAVLE ET DE TROYE.
Dédié à treshaute, treschretienne et sacrée Princesse, madame Anne, par la grâce de Dieu, deux fois Roy ne de France, Duchesse de Bretaigne Armorique : Mbrcyrb iadis réputé Dieu d'Eloquence, et de bonne inuention, Salut et félicité tousiours prospérante en la vie présente et future. (1)
Virgilias lil>. m. Aeoeldos :
Unam/aciamus vtranque
Troiam animis : maneat nostros ea cura nepotM.
De ryne et Taatre Troye, vne mesme faisons : Et à ce noz neueaz dun courage induisons.
Les rvines de Troye la grand, comme vne treslamen- table et trespiteuse Tragédie assez esclarcies, nettoyées et purgeees de tout erreur fabuleux, par le second liure pre-
(1) Dans rédition Qeofiroj ds Marnef, 1513, on troure le titre
248 ILLVSTRATIOWS DE GAVLE, ET
cèdent de noz Illustrations , Roy ne tresohrestienne , et Princesse tresmagnanime, et ledit liure dédié, et présenté par ton treshumble Secrétaire, et Indiciaire lean le Maire de Belges, à la tresbenigne virginale excellence de la tienne tresaymee, et première fille de France, resplendis- sante au ciel des vertus humaines, comme la clere estoille matutine nommée Venus, laquelle précède le Soleil, et est par les Mariniers appellee Diane, et par les Laboureurs et Pèlerins, lestoille lournalle, vraye et certaine prenonciate- resse du iour, et le seul espoir et soûlas de ceux qui bayent les ténèbres obscures de la nuict ennuyeuse. Restoit encores, Royne tresdebonnaire, ce troisième liure à par- faire, lequel estoit par moy reseruê de long temps, au nom tresauguste de ta hautesse Royale : comme à la Princesse qui dignement représentes au monde, la grand Déesse om-
BuiTant, donné plus loin par Tédition 1549 (J. de Toarnes) : « Le tiers livre des Illustrationg de Gaule et Singularitez de Troje, inti- tule nouvellement de France Orientale et Occidentale, ouquel princi- palement ast (est) comprinse au vray la généalogie historiale du tressainct, tresdigne et treschrestien Empereur Charles le grand : Père de Loys le débonnaire, premier de ce nom.
« Laquelle généalogie tant en ligne féminine comme masculine est deduicte de père en filz depuis Francus filz légitime Dhector de Troye jusques a Pépin le brief premier roy des Francoys en ceste généa- logie. Et ny a riens en ce livre qui soit commun es autres histoires de France et qui ne soit prouve par raisons et allégations autenticques. Et le tout correspond au premier et au second livre des Illustrations. »
Et au dessous de la vignette, on lit encore : « Lecteurs et audi- teurs benivolentz, prenez le bien en gre et le gardez dinjure et doul- traige comme vous avez fait les autres precedentz de vostre bonne grâce. Et lactenr vous en prie : affin quil congnoisse que la nation francoise ne soit point ingrate de ses petiz labeurs. Pour lesqaelz mettre au net, il a beaucop veille et traveille. »
SINf.TLARITeZ DÉ TROtB. LITBE III. 249
nipotente et céleste ivno qui se peult interpréter iwans OMNEs : oestadire, aydant à vnchacun. Laquelle paissanee et vertu priuilegiee, est vne chose presques diuine. Or est ladite Déesse luno, & laquelle tu es comparable, dame des trésors et richesses mondaines, dominateresse des Roy- aumes et seigneuries, maistresse et patrone des saintes alliances des loyaux mariages non corrompuz ne yiole2. A icelle toutes nobles et belles Nymphes et chastes pucelles sont semantes et humbles pedisseques. Et dicelle les Paons, aux plumes dorées et versicolores, meinent le chariot enri- chy de perles et de précieuses gemmes, par toute la région aërine, dont elle ha la domination. Elle seule peult fleschir la tresredoutable seuerité de lupiter Altitonant, le Roy des Dieux : cestadire, seigneur des Princes. Et si est mère de la Demydeesse Hebe, Princesse de ieunesse, espouse du trespreux Hercules, desia stellifié au ciel, par augure ou apparence deraonstratiue, de fortitude et bonne destinée. Tu donques, sacrée maiestë Reginale (en laquelle toutes ces démonstrations deïflques conuiennent, par comparation telle que Ion peult faire des choses terrestres aux célestes) mérites icy à bon droit, obtenir le lieu de la Déesse luno : quant à la consécration de ce troisième liure des Illustra- tions : comme celle qui es couronnée et diademee du grand trésor dhonneur et de bonne fortune, compaigne de vertu, sur toutes les Déesses : cestadire Princesses du monde. Laquelle chose soit dite sans liniure des autres. Car à nulle autre naduint onques de porter deux fois légitime- ment sur son chef, la couronne reginale de France. Or soit assez de ce propos, quant à la cause rendue de la dedication de ce labeur, fait et adressé au nom de ta sou- ueraine excellence : lequel ie te prie vouloir prendre en gré, selon ta clémence accoustumee, comme le principal
250 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
présent que iay encores fait aux dames : car les deux autres precedens, ne sont que les bourgeons et les fleurs : mais voicy le fruit paruenu en maturité. Là est lescaille, et icy le noyau : droit là est la peinture, et cy dedens le vif : illecques sont sans plus les deux prémices du syllo- gisme, mais voicy la conclusion. Venons ores aux deux vers, qui sont couchez en la teste de ce prologue : lesquelz sont proferez par le poëte Virgile, au troisième liure de ses Eneïdes, en la personne du Prince Helenus, frère d'Hec- tor. Et est la substance desdits vers, que Helenus veult persuader à Eneas, que les deux Troyes on conioingne ensemble : cestadire, que les deux Peuples et nations sor- ties dun mesme tronc, on fasse vne commune perpétuelle alliance. Or auoit Helenus auecques sa femme Andromacha, vefue d'Hector et de Pyrrhus filz d'Achilles, desia édifiée et construite sa petite cité de Troye en Albanie : dont en festoyant son beau frère Eneas, qui dauenture aborda illec par mer, cherchant daller en Italie, congnoissant par les- prit de sa science de diuination, de laquelle il estoit le maistre et comme Prophète, que des successeurs dudit Eneas procederoient les Princes de lempire Romain, et les Royaumes des deux Bretaignes : cestasauoir, la grande et la petite, dont de la seconde tu es Royale dame et Duchesse. A ceste cause Helenus adraonnestoit son beau frère Eneas, que de leurs deux maisons ilz en feissent vne. Car aussi sauoit il bien, que de luy et de sa femme Andromacha, et de son neueu Francus, filz d'Hector, descendroient les plus grans Princes du monde : lesquelz regneroient de ligne en ligne, par tout Orient et Occident. Et qui mouuoit Helenus, frère d'Hector, denhorter à ce ledit Eneas ? sinon la diuine inspiration, et lesprit de prophétie, dont il estoit doué, comme dessus est dit. Et quil congnoissoit par icelle, com-
SINCTLARITEZ DE TROTK. LIYRB III. 351
bien que Troye la grand en son édifice et structure fust démolie, neantmoins son nom ne seroit iamais aboly de la mémoire des hommes : ainçois tant plus deuiendroit le siècle vieil, tant plus raioueniroit, et reflouriroit le refres- chissement de la mémoire de Troye : car depuis la ruine dicelle, elle fut restaurée en Asie, sur le lieu mesmes de sa première construction par les neueux d'Hector. Et au para- uant, elle estoit desia refondee en Egypte, sur le fleuue du Nil, par les exilez de Troye, qui se rebellèrent contre Menelaus et sa femme Heleine. Et en ce mesme temps, en vne partie de Macedone, qui se dit maintenant Albanie : Et depuis en plusieurs autres prouinces d'Europe : si comme en Italie, Hongrie, Allemaigne, Bretaigne : et les Gaules Belgique, Celtique, et la tienne Armorique, Royne tresillustre : comme il sera veu par ce liure. Voyla la rai- son qui mouuoit Helenus, frère d'Hector, de dire à Eneas la substance des vers dessus mentionnez : Faisons que noz deux maisons ne soient quune mesme chose. Ce qui aduint depuis : cestasauoir, du temps de l'Empereur Charles le grand, qui fut Roy des François Orientaux et Occidentaux : lesquelz sont du vray sang Troyen et Herculien, lesparens du Roy treschrestien, duquel tu es compaigne : et les ances- tres et progeniteurs de ta propre maison mesmes. Par ainsi le dis et présuppose, que attendu quil nest rien souz le ciel qui autresfois ayt esté, qui ne puist estre derechef : iespere encores voir que ces deux maisons et nations de France Orientale et Occidentale, lesquelles vous nommez auiour- d'huy Hongres, Allemans, Lansquenets, dune part : Fran- çois et Bretons de lautre part, seront si vnies ensemble par bonne et prospère alliance, quelles iront par communs accords et vœuz refonder en Asie, cestadire Turquie, la grand cité de Troye : de laquelle se disent estre yssus les
252 ILLVSTRATIONS DE GATLB, ET
Turcz : et les autres disent que non. Mais iasoit ce que de tout ce le sache la pure vérité, comme celuy qui estoit pré- sent au iugement des trois Déesses et à toutes les batailles de Troye, neantmoins ien laisseray la disputation à lean le Maire de Belges, si le cas eschet que quelque fois par le commandement de la magnanimité de ton cœur, il acheue son quatrième labeur des Illustrations de Grèce, et de Tur- quie. A tant treschrestienne et tresheureuse sacrée Prin- cesse, qui peux estre moderateresse et moyenneresse du bien de la Paix vniuerselle, entre ces fortes et belliqueuses nations Troyennes et Herculiennes, et les autres alliées délies. Dieu te doint accomplir le theume (1) et lintention de mon prologue.
(1) lajln (éd. 1528).
FIN DU PROLOGUE.
SIMGVLARJTEZ DE TROIS. LIVRE III. 255
LES NOMS DES ACTEVRS QVI SONS NOMMEZ, ET ALLEGVEZ EN CE LIVRE.
Virgile, es Eneïdes.
Titus Liuius, en ses Décades.
Manethon d'Egypte, en sa Chronique.
Frère Vincent de Beauuais, en son Miroir historial.
Strabo, en sa Cosmographie.
Vibius Sequester, en la chronique Romaine,
Bocace, en la Généalogie des Dieux.
Dictys de Crète, en Ihistoire de Troye.
Homère, en son Iliade.
Antoine Sabellicus, en sa clironique nommée Enneades.
Maistre laques de Guise, en la chronique de Belges.
Berosus de Chaldee, en ses Déflorations.
Hieremie, en ses Prophéties.
Ouide.
Messire Michel Riz, en sa chronique des Roys de Naples.
Vn acteur ancien, dont on ne scait le nom.
Lncan, en sa Pharsalique.
Sidonius Apolinaris, euesque des Auuergnois.
Messire lean Rheuclin, en son liure intitulé de Verbo mirifico.
Seruius, commentateur de Virgile.
Claudianus le poôte, en ses œuures.
Saint Hierome.
Saint Remy.
Martialis, en ses Epigrammes, ,
254 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
luuenalis, en ses Satyres.
Flauius Vopiscus, en ses histoires et vies des Empereurs Romains.
Raphaël de Volaterre, en ses Commentaires Vrbains.
Suetonius Tranquillus, en Ihistoire des douze Césars.
Papa Pius, en la description d'Asie, quon dit maintenant Tur- quie.
Dares de Phrygie, en Ihistoire de Troye .
César, en ses Commentaires de la guerre de Gaule.
Orosius, en ses Chroniques.
Lucius Plorus, en labregé des histoires Romaines.
Cornélius Tacitus Romain, en Ihistoire Germanique.
Plinius, en Ihistoire Naturelle.
Cassiodorus le Sénateur, en Ihistoire Tripertite.
Celius Calanus, en la vie du Roy Attila.
laques de Bergome, au Supplément des chroniques.
Messire Robert Gaguin, en la Chronique de France.
Blondus Flauius, au liure de linclination de l'Empire.
Vn acteur nommé Ligurinus, es gestes de l'Empereur Federic, surnommé Barberousse.
Sigebertus, en sa Chronique. (1) Et nota que la meilleur part de ceste généalogie du saint Empereur et Roy Charles le grand, est extraite dudit liure.
Assez dautres allégations y ha qui sont tirées des anciens Liures, Marbres, Inscriptions de vieux Epitaphes, dont Lacteur ne scait pas les noms de ceux qui les ont composez.
Appian Alexandrin, en la guerre Celtique, où il dit : Que cinq cens chenaux des Sicambriens, en repoulserent bien cinq . mille de César. (2)
(1) L'éd. 1513 ajoute : « laquelle a nouvellement fait imprimer vénérable et révérende personne, monseigneur le confesseur du roy. » Il s'agit de l'in-quarto de Paris, 1513, imprimé par H. Estienne.
(2) L'édition 1513 porte : Âppianus Alexandrinus Sophista, libro qui intitulatur Celticus. « Sicambri quingentis equitibus quinque mille Cesaris équités subito illis incumbentes averterunt. »
SlMOVLARiTEZ Dli TROTB. LITRE III. 255
A Vénérable et singulier Orateur, monseigneur maistra Gril- larme Crétin, trésorier du bois de Vincennes, Cbapellain ordinaire du Roy treschrestien Loys douzième, lean le Maire de Belges, treshumble Indiciaire et Historiographe de la Royne, Salut et reuerence.
Nvl vice en ce monde (à mon adius), ô mon Treshonnoré précepteur, nest plus énorme et détestable enuers Dieu et les hommes, que le péché dingratitude : comme celuy qui me semble estre le pied, le tronc et la racine de tous les autres. Car si le genre humain neust esté ingrat enuers la clémence diuine, dont il ha receu tant de hauts bénéfices, iamais il ne fust tombé en la ruine pécheresse, dont sont maculez tous les filz d'Adam : ne iamais on ne feroit iniure à soy mesmes, comme font gens désespérez, qui souillent leurs mains en leur propre sang. Ne aussi on ne mefferoit à autruy, ains vseroit chacun de la vertu de gratitude : cestadire de rendre grâces des biensfaits quon ha receu de Dieu premièrement, de ses parens, de ses maistres, de ses voisins et prochains. A ceste cause, mon Vénérable précep- teur et maistre en Rhétorique Françoise, à fin que ie ne soye noté du vice dessusdit, ie te fais présent de la lecture du troisième liure des Illustrations de France Orientale et Occidentale : comme à celuy, qui es et peux estre deffen- seur et protecteur ^e ce mien labeur. Et comme à celuy derechef, qui as esté la cause première, que ie me suis enhardy et entremeslé de mettre la main à escrire en ceste nostre langue Françoise et Gallicane. Car (si bien il en souuient à ta debonnaireté) passant par ville Franche en
(SS6 ILLVSTKATIOMS DE GAVLE, ET
Beauieulois, tu me donnas encouragement de mettre la main à la plume, et de clerc de finances, que iestoye pour lors, en laage de vingt et cinq ans au seruice du Roy, et de monseigneur le bon Duc, Pierre de Bourbon, ie deuins soudain enclin à lart oratoire, au moyen de la tienne per- suasion (ce que ie creuz de léger) à cause de lestimation que iauoye de ta doctrine et vertu, et de la réputation que ien euz presentialement, et parauant ouy faire reallement, et de propre audience, à feu de bonne mémoire Monsieur maistre lean Molinet, mon prédécesseur et parent : comme celuy qui ne faisoit autre estime delà tienne industrie, sinon telle que du prince et principal maistre des Orateurs et Poëtes de la langue Françoise, et cela soit dit sans iniure des autres, et sans flaterie. Car le personnage (dont ta beniuolence ha ayraé lindustrie en son viuant, et tu la sienne) tenoit vn grand conte des tiennes escritures. Or donques, Trescler précepteur, ie prie à ta courtoisie natu- relle et Françoise, que veu et entendu que tout tel que ie suis en nostre langue moderne, ta bonté me deffende con- tre les détracteurs (si aucuns en y ha, ce que ie ne croy pas), car ie ne fus iamais maliuolent à homme de France, posé ores que ie nen soye natif : et mes œuures précédentes declairent assez laffection que iay eiie tousiours au bien publique de la nation Françoise : si comme les deux liures précédents des Illustrations : La légende des Vénitiens, que ie feis, pour monstrer la bonne querele que le Roy auoit con- tre ladite popularité tyrannique : pareillement la différence des Schismes et Conciles, à cause de donner à entendre, que le Pape auoit tort de faire la guerre. (1) Toutes lesquelles
(1) Ici s'arrête le texte de la lettre dans Fëdition Regnaalt 1528. — L'édition 1513 a le text« complet.
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œuures sont eschappees des boutiques des imprimeurs, tant à Lyon, comme à Paris, assez mal corrigées. Car k peine sauroit on garder les compositeurs de leurs incorrections (quelque diligence quon y fasse) mais les fautes soient im- putées à eux. Et pensent les lecteurs et auditeurs que ce ne Tient point du vice de Lacteur qui leur donne bons et vrays exemplaires. Toutesuoyes il me semble que ce pré- sent troisième liure est imprimé assez feablement par Maistre Raoul Cousturier, et digne assez destre veu et leu et prisé, comme la façon de lun des disciples de ta déno- mination. Et quand il plaira à ta bénignité faire ouuerture des tiennes nobles œuures, et icelles publier par impres- sion, on congnoitra facilement que tout ce peu que iay de grâce et de félicité en ce langage, vient de ta discipline : à laquelle ie suis tenu, toute ma vie. Et comme à tel, cesta- sauoir, à mon iuge, et à mon arbitre, iadresse ce présent Prologue, et la veiie et récognition de toute lœuure, ten- dant aux fins de persuader aux treshauts Princes de Chrestienté, quilz sont afBns et alliez ensemble de toute ancienne origine, de la noblesse de Troye. Et à ceste cause idoines et capables de recouurer par leur inestimable puis- sance et vertu, leur ancien héritage, des règnes de Priam, sur la nation Turque, qui lusurpe sans droit. Ce que les- dits seigneurs extraits dun mesme sang pourroient bien faire : pourueu quilz fussent vnis par concordance finale, comme autresfois ilz ont esté. Ce que Dieu nous doint grâce de voir en brief : et à eux Ihonneur et le triomphe, dune si tresglorieuse victoire.
De peu assez.
II. 17
(«^
LE TROISIEME LIVRE
DES ILLUSTRATIONS DE GAVLE ET SINGVLARITEZ DE TROYE,
DÎTITVLÉ NOVVBLLEMENT, DE FRAJ^CE ORIENTALE ET OCCIDENTALE :
Auquel principalement est comprinse au vray la Généalogie historiale du tressaint, tresdigne, et treschretien Empereur Charles le grand, père de Loys le débonnaire, premier de ce nom. Laquelle Généalogie tant en ligne féminine comme masculine est déduite de père en ûlz : depuis Francus, ûlz légi- time d'Hector de Troye, iusques à Pépin le Brief, premier Roy des François en ceste Généalogie. (1)
Diaision de ce liure en trois parties.
Ce présent troisième liure des Illustrations de France Orientale et Occidentale se diuisera en trois parties, ou traitez. Au premier sera veu, comment lancienne noblesse des Troyens, après la destruction de Troye, vint habiter en Europe : dont furent procréez les peuples des François
(I) L'édition 1613 n*a ici que la dédicace « à Ihonneur immortel de très haalte, trss chrestienne et sacrée princesse Madame Anne par la grâce de Dieu deux fois royne de France et Duchease hérédi- taire de Bretaigne. »
260 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Orientaux et Occidentaux, Sicambriens et Germains, Cim- bres, Teutoniques, Ambrons, Austrasiens : et autres na- tions, descendues de Francus, filz d'Hector : et de leurs gestes, iusques au Duc Austrasius, qui premièrement donna le nom au Royaume d'Austrasie, ou d'Austriche la basse. Au second traité sera déduite la Généalogie des alliances du sang de France, de Bourgongne, et d'Austriche la basse : et comment elles furent premièrement conduites et meslees, iusques au mariage de sainte Blitilde, fille du Roy Glo- taire, auecques Anselbert, le Sénateur de Romme : de la- quelle sainte lignée descendirent les Pépins, proayeul, ayeul, et père du tresdigne Empereur Charles le grand. Au troisième traité est continuée la Généalogie historiale, lal- liance et vnion des maisons dessusdites : iusques à l'Empe- reur Charles le grand : qui fut monarque d'Europe, et de toutes lesdites nations Occidentales.
Or commencerons nous à la grande et merueilleuse an- tiquité du nom des Pépins, extraits du sang Herculien : qui régnèrent en Asie la mineur, quon dit maintenant Tur- quie, auant les faits de Troye, et durant iceux en Italie, et depuis en lune et en lautre contrée : et principalement par toute nostre Europe» qui est la moindre, mais la plus noble partie du monde, mesmement quant au fait des armes et à la fidélité de leglise Romaine : et de nostre sainte créance en lEsvs CHRIST, et sa tresglorieuse Mère : ausquelz ie prie que mon labeur puisse estre agréable, et consequemment à tous nobles lecteurs et auditeurs de ce liure.
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Comment le nom des Pépins est le pins antique de tons eenx da sang du grand Hercnles de Libye : lesquelz après ledit Hercalea ont regnë en Gaule, ou en France.
De tovs les noms des Princes qui sont paruenuz à la cou- ronne de France, yssuz et procréez de la lignée Hercu- lienne et Troyenne, Pépin après ledit Hercules est le pre- mier et le plus antique. Car iasoit ce que Pharamond fust le premier Roy des François qui vindrent conquérir Gaule sur les Romains, et quil fust yssu du mesme sang Troyen, François, Sicambrien, et pour mieux dire, Herculien, si ne treuue on point par escrit autentique, que aucun de ces ancestres eust nom Pharamond. Et pour ce que, es généa- logies des Princes, les noms sont de grand efficace et con- tinuation, iestime que le nom des Pépins seruira beaucoup à la clarification de ce troisième liure. Et ce que ie diz, ie le vueil prouuer par la déduction des généalogies de Bero- sus de Chaldee : auquel il faut adiouster foy, et y auoir recours en ce cas : auecques rememoration nécessaire du sang du grand Hercules de Libye, dixième Roy de Gaule : dont est faite ample mention au premier liure de ces Illus- trations.
Bien sommes nous records, que le grand Hercules de Libye eut de sa femme Galatee la belle geande vn filz nom- mé Galatas : qui donna son nom à la nation Gallicane. Eît dune autre dame nommée Araxa, la ieune Roy ne de Scy thie quon dit ores Tartarie, il eut vn autre fllz nommé Tuscus : duquel porte encores le nom la prouince et la langue Tos- cane en Italie : dont Florence est la principale. Or dit maintenant à nostre propos ledit acteur Berosus, que dune autre dame nommée Omphale, le grand Hercules eut vn
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
tiers fîlz nommé Atho lancien, lequel régna en Asie la mineur quon dit maintenant Turquie : et mesmes en la contrée où depuis fut fondée Troye par Dardanus, extrait du sang de Tuscus, filz d'Hercules et d'Araxa. Par ainsi voyons nous que dun mesme temps regnoient les hoirs d'Hercules en Gaule, quon dit maintenant France, en Asie la moindre, quon dit ores Turquie, et oultreplus en Italie. Et dudit Atho descendit vn Prince nommé Pépin Prisque : cestadire le premier et lancien, à la différence du ieune, second de ce nom, qui régna depuis en Italie.
De Pépin Prisque, premier de ce nom, en ceste Généalogie : et de son filz Atho le ieune, lequel donna ou eschanga à DardanoB le territoii'e où depuis il édifia la grand cité de Troye.
Pépin Prisque descendant de la tresnoble lignée du grand Hercules de Libye, et non pas du petit Hercules Grec com- me il est dit au premier liure de ces Illustrations, eut vn filz nommé Atho le ieune, à la différence du premier. Et du mesme temps que lasius lanigena regnoit en Gaule et en Italie, aussi regnoit Atho le ieune, son parent, en vne prouince d'Asie la mineur, nommée Meonie. Si aduint lors que Dardanus, frère de lasius, eut différent auecques sondit frère : à cause du partage des seigneuries de leur père, Jupiter Camboblascon. Et tant y fut procédé, que Dardanus tua son frère aisné le Roy lasius, estant aux baingz de Viterbe. Lequel forfait perpétré il senfuyt par mer en Grèce, craignant la fureur du peuple : et se sauua en lisle de Samos : iouxte ce que dit Virgile au septième des Eneï- des : en la personne du Roy Euander parlant à Eneas :
SIMGVLARITEZ DE TROYK. UVRE 111. 963
Atque equidem memiai (fama est obscurior annit) Auruncos ita ferre senes : hii ortas vt agris DardanuB, Idieaa Pbrjgi» penetrauit ad vrbei : Threïciamque Samon, quss nanc Samothracia fertar.
Quand Dardanus eut deraouré aucun temps en lisle de Samos, laquelle il trouua déserte, comme elle est de pré- sent, souz les mains du Turc : et quil eust icelle cultiuee et rendue habitable auecques ses gens par manière de pas- setemps, et en attente et espoir tousiours de faire son ap- pointement auecques ses parents et les subietz de son frère quil auoit tué, et retourner en Italie et en Gaule, pour régner en icelles, comme auoit fait son frère lasius : il ne peut onques impetrer ceste grâce, tant estoit lors le monde iuste et auoit horreur de leflfusion du sang humain, mesme- ment pour lenormité du cas quil auoit perpétré en la per- sonne de son frère. Alors voyant quil ny auoit remède de faire sa paix, il chercha autre party, et tira en la terre ferme d'Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie. Si trouua manière de changer le droit quil auoit au Royaume d'Italie, à vne portion de terre estant du tenement de sondit parent Atho, à loccasion et en la manière qui sensuit (ce que nous répéterons légèrement pource quil est plus ample- ment (1) au premier liure).
Ledit Atho le ieune, filz de Pépin Prisque, régnant en la prouince de Meonie, auoit deux enfans masles, lun nom- mé Lydus, et lautre Turrhenus. Et pource quil estoit chargé du (2) peuple, et y auoit pour lors stérilité et famine en sa terre, Dardanus son parent et voisin ce sachant, se
tira vers luy, et feit tant que ledit Atho ietta sort sur ses
(1) L*4d. 1528 ajoute déclairé.
(2) ({« (éd. 1513).
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deux enfans, lequel des deux demoureroit héritier de son pais, à fin que lautre allast chercher nouuelles terres pour y habiter. Le sort ietté, Iheritage du père, qui lors se nom- moit la prouince de Meonie, demeura à Lydus, qui depuis ia nomma Lydie de son nom. Et lors Dardanus feit pact auecques son cousin Atho, quil remettroit tout le droit quil auoit au Royaume de Toscane et d'Italie, à Turrhenus, lequel par lauenture du sort estoit contraint et condamné daller chercher nouuelles terres : pourueu, et moyennant ce que ledit Atho donnast à Dardanus vne portion de sa terre, en laquelle luy et son peuple peussent viure et habi- ter, et illec édifier villes, chasteaux et citez, pour leur seu- reté. Ces conuenances accordées, Dardanus laissa lisle de Samos, qui est lune des Cyclades, en la mer de l'Archipel, et alla demourer en Asie la mineur, quon dit maintenant Turquie, et en la contrée qui luy fut limitée par Atho, la- quelle depuis il nomma de son nom Dardanie, et depuis par ses successeurs fut appellee Ilion et Troye : la situa- tion de laquelle est amplement descrite au premier liure de ces Illustrations.
Adonc Turrhenus (1) print vn grand nombre de peuple, que son père luy donna, de lun et de lautre sexe, et vint habiter en Italie, là où il fut receu en Roy de Toscane : plus pource quil estoit du sang du grand Hercules de Libye, et que luy et ses prédécesseurs auoient tousiours vescu inno- centement, cestadire sans efiusion de sang et sans oultrage, que (2) souz le tiltre de la résignation à luy faite par Dar- danus. Toutesuoyes, lune et lautre cause luy seruirent de couleur et de faueur. Si régna Turrhenus en Italie, par
(1) Thurrenus de lautre (éd. 1513).
(2) c.-à-d. rien que.
SIXGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 266
grand félicité. Et de luy print sa dénomination la mer Tyrrhene, en laquelle sont situées les isles de Corse et de Sardaigne, Maiorique et Minorique, quon disoit ancienne- ment Baléares. (l)Et de ceste mer dit Virgile, en la personne de la Déesse luno, parlant à Neptune Dieu de la mer :
Gens inimica mihi Tjrrbenum nauigat seqnor.
De Pépin, Roy de Toscane, second da ce nom, en ceste Généalogie, lequel regnoit en Italie, du mesme temps que Francna, filz d'Hec> toi'j vint habiter en Gaule.
Tjrrhenvs régnant en Italie, et Dardanus en la terre de Dardanie, qui depuis fut apellee Troye, par commutation de prouinces et sans immutation de sang : Allobrox de la mesme lignée regnoit en Gaule : duquel Allobrox furent iadis dénommez les peuples quon dit maintenant Daulphi- nois, Piemontois, Sauoyens : auec vne partie de Bour- gongne, comme plus à plein est dit au premier liure. Et dudit Tyrrhenus, filz d'Atho le ieune, qui fut filz de Pépin Prisque, descendit par succession de temps. Pépin le ieune, second de ce nom, lequel fut filz de Bianor : qui fonda vne cité nommée de son nom au pied des Alpes de Boulongne : maintenant ce nest quune petite ville nommée vulgairement Pianore, sur le grand chemin de Romme. Si régna ledit Pépin le ieune en Toscane par lespace de cinquante deux ans : et fut le siège de son Royaume à Viterbe. Et de ce nom fut nommée vne partie de Toscane Pepinienne (2) : dont Titus Liuius fait mention es histoires Romaines.
(1) Belaires (éd. 1513).
(2) PypittieHius (éd. 1513).
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Par ainsi appert que ledit nom des Pépins est de mer- ueilleuse antiquité, ce qui le rend plus noble et plus res- plendissant. Et tout ainsi comme les pépins produisent les vignes, les vignes les raisins, et les raisins le vin, de la- quelle précieuse liqueur la maiesté diuine est seruie, par sacrifices quotidiens : aussi pareillement les Pépins ont produit les Roys et empereurs Charles et Loys : desquelz les biens faits sont innumerables, tant enuers Dieu com- me enuers le monde. Donques si les Pépins anciennement sont yssuz du grand Hercules de Libye : et dudit grand Hercules les Gaulois, Troyens, François, Sicambriens, Ger- mains, Italiens et Romains : consequemment diceux Troyens sont extraits les plus récents Pépins, auecques leur lignée. Laquelle ha esté regnateresse et moderateresse de toutes lesdites nations : comme sera déduit amplement en ce troi- sième liure.
Le temps que ledit Pépin commença à régner en celle partie d'Italie quon dit maintenant Toscane, comme il est cler par les escrits de Manethon d'Egypte, historien tresan- cien, fut après la destruction de Troye Lxxn. ans. Et après que Francus filz d'Hector auoit desia commencé à régner sur les Celtes, cestadire sur la nation Gallicane, Françoise et Germaine lxii. ans. Car ledit Francus commença à ré- gner en Gaule lan huitième après la destruction de Troye, cestasauoir lannee prochaine après que Ascanius son parent, filz d'Eneas et de Creusa, fille du Roy Priam, commença à dominer sur les Latins en Italie. Mais à fin que les curieux lecteurs soient mieux contens de ceste partie, iay mis icy les propres mots de nostredit acteur Manethon d'Egypte : lequel poursuiuit Ihistoire de Berosus de Chaldee :
Anno Pynaflti» Diapolitaooram primo, Troia eaersa fuit : et anao
SIKGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE III. 967
tertio Aéneai venit ad Italiam, ad Latinam, «t Eaandinn), et Tor»
rhenoi, etc. Anno septimo, Âscanias Latinis imperat, Anno Ter6 sequente Teateus Assjriis. Et pôst Prancus Celtis ex Hectoria filiii, etc. Anno quadragesimo qainto Dynaiti», regnauit Latinia Aeneas S7I-
ius, etc. Tuscia imperat Pipiaus, anais quinquaginta daobus.
De Francus, fllz d'Hector de Troye. Lequel Prancus fat Roj de U Oaule Celtique. Et quelz princes de son sang regnoient en Europe, quand il 7 arriua : mesmement du R07 Rhemus qui fonda la cite de Rheims en Cbampaigne : et de Bauo, cousin germain de Priam, lequel dominoit deslors sur vne partie de Oaale Belgique.
PovT mieux clarifier ceste matière, il nous faut auoir en recordation la substance des liures precedens. Cestasauoir que au mesmes temps que Priam regnoit à Troye, aussi regnoit en Gaule, quon dit maintenant France, vn Prince nommé Rhemus extrait de la mesme lignée du grand Her- cules de Libye. Lequel Rhemus fonda la cité de Rheims, en Champaigne, en laquelle les treschrestiens Roy s de France prennent leurs couronnes en haute et solennelle cerimonie, et y sont oincts et consacrez par grâce céleste et diuine.
Or fut ledit Rhemus, filz de Namnes, qui fonda Nantes en Bretaigne, du temps de Laomedon, et du petit Hercules Grec, qui desroba Troye, et emmena Hesionne, sœur de Priam, en seruage, dont sensuiuit la finale ruine et des- truction de Troye, faite à cause du rauissement d'Heleine, comme bien amplement est déduit au second liure de ces Illustrations. Ainsi appert clerement, que par vn merueil- léux cas fatal, Nantes en Bretaigne fut fondée du temps de
3B^ ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
é.
la ruine de Troye, faite par le petit Hercules Grec : et Rheims en Champaigne, qui est vne prouince de France : enuiron le temps, que toute la force de Grèce sassembla, pour destruire la grand cité de Troje. Si semble que par la tresmerueilleuse prouidence diuine, il fut déterminé et décrété que le tresnoble sang Troyen, ou pour mieux dire Herculien, laissast les terres doultremer, pour se venir conioindre auecques ses affins et parents, du sang du grand Hercules de Libye, qui pour lors pacifiquement regnoient et flourissoient en ceste nostre Europe.
Au temps de la finale destruction de Troye, le Roy Rhemus, fondateur de Rheims en Champaigne, pouuoit auoir régné sur la nation de Gaule, enuiron trente ans, comme il est facile à cueillir, par la calculation de Ihis- toire de nostre acteur Manethon d'Egypte. Et huit ans après, comme dessus est dit, Francus filz d'Hector, com- mença à régner sur les Gaules Celtiques. Si fait à coniec- turer que ce ne fut pas sans le consentement du Roy Rhe- mus, son affin. Et pour confermer ceste opinion vraysem- blable, il nous faut confronter et appliquer icy lautorité de frère Vincent de Beauuais, historien tresautentique. Lequel dit expressément en son Miroir historial, que Fran- cus ou Francien filz d'Hector, à cause de la grandeur de courage et vertu qui estoit en luy, fut tant aymé du Roy des Celtes, quil luy donna sa fille en mariage. Et ce recite le commentateur de Manethon d'Egypte, homme de grand literature, et auquel la nation Françoise est beaucoup tenue, à cause de ses labeurs et diligences, quil nous ha com- muniquées, de laquelle communication faisant à la chose publique pour mieux honnorer les Princes, ie mose bien vanter sans arrogance auoir esté le premier inuenteur, quand ieuz recouuré les œuures dudit commentateur à Romme.
SUiavUJUTEZ DE TROTE. LIVRE III. 8|P
loj dit reipoadu à plusieurs arguments et obiecliona qui se pour- roient faire contre la vérité de ceate histoire, et sont toutes les Bolutions prouuees par acteurs autentiques.
Il povrroit sembler à aucuns, quil y eust répugnance Qt contradiction en nostre histoire : car nous disons oresi, que Francus fut Roy des Celtes, et le vingt et deuxième en nombre, après Samothes, le premier Roy, et fonda la grand cité de Sicambre, sur le fleuue d'Vnoe, qui st dit ores Bude en Hongrie. Or auons nous au premier Uure limité la Gaule Celtique si estroitement, quelle ne passe point oultre le Rin. Si est toutesuoyes chose certaine, que la cité de Sicambre fut fondée bien auant oultre le Rin : et que Francus filz d'Hector, y establit son siège Royal, Comment donc pouuoit il régner sur la Gaule Celtique ? A ce respond vn noble acteur, Strabo, au premier liure de sa Géographie, que selon lopinion des anciens Grecz, toutes les plus nobles nations Septentrionales qui leur estoient encores incongnues, ilz les nommoient Scythes, que nous disons maintenant Tartares, gent estrange et barbare. Mais depuis quilz les eurent aucunement congnuz, ils les nom- mei-ent Celtes, cestadire nobles, à cause de leur haute géné- rosité, et grandesse de cœur. Depuis encores, après les auoir mieux congnues, ilz les distinguèrent de différences de noms, et nommèrent ceux de deuers Tartarie et les hautes Allemaignes Celtoscythes : et ceux du costé d'Occi- dent et des Ëspaignes, Celtiberes, qui sont les deux ex- trêmes. Mais à ceux qui sont entre deux, comme aux plus nobles, est demeuré simplement le nom des Celtes, qui de- puis se nommèrent Gaulois, et maintenant François. Et Yoicy les mots dudit acteur, qui ne sont pas de petite
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estime, disant ainsi, en son quatrième liure : Uniuersos Qallos à Qrœcis, Geltas appellatos opinofy ob eorum cla- ritatem. Et quant est au nom des Scythes, il est demouré à ceux de Tartarie, dont sont procédez les Turcz, desquelz sera nostre propos principal en quelque autre liure, sil plait aux Princes. Car lesdits Turcz se vantent estre yssuz des Troyens. Et frère Vincent de Beauuais, tresnoble historien, dit quilz sont yssuz de Turcus, ôlz de Troïlus, en laquelle disputation ha tresample matière.
Mais pour reuenir à nostre propos des Gaules, iadis appeliez Celtes et Germains : vn acteur fort antique que iay recouuré à Romme, nommé Vibius Sequester, en son liure des fleuues, des montaignes, et des nations iadis subiettes à lempire Romain, il met la nation Gallicane, contenue en seize prouinces, entre lesquelles il conte la Germanie haute et basse, en lordre qui sensuit : VienneU" sis, Narbonensis prima, Narhonensis secunda : Aquita- nia prima, Aquitania secunda : Nouempopulana, Alpes maritime, Belgica prima, in qua est Treueris : BelgiccL secunda, in qua est transitus ad Britanniam : Germania prima, supra Rhenum : Germania secunda, vitra Rhe- num : Lugdunensis prima, Lugdunensis secunda, super Oceanum : Lugdunensis tertia, supra Senoniam : Maxima Sequanorum, Alpes graca.
Ainsi appert, que les anciens Grecz et Romains, com- prenoient souz le nom des Celtes et des Gaules, toutes les Allemaignes. Et que le nom de Germanie, qui ores les sépare et fait la diflference entre Allemaigne et France, nest point fort antique, ains vint du temps des Romains, et de Iulius César, comme met le commentateur de Berosus de Chaldee : allegant Cornélius Tacitus, qui fut du temps des premiers Césars. Et Strabo le conferme au sixième
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liure de sa Géographie, disant que les Romains, donnèrent le nom aux Germains, pource quilz sembloient estre frères des Gaulois, et auoient presques vne mesme sorte de viure. Et les mots dudit acteur Strabo sont telz : Statim igitur regionem trans Rhenum ad ortum ver g eut em. Germant colunty Tiationem Gallicam paulisper imitantes : et ferita- tis aèundantia, et proceritate corporum, et colore Jtauo^ cum reliquis in rébus et forma, et moribus, et viuendi ritibus pares existant, quales Oallos diximm. Ideo Ro^ mani hoc illis notnen iure indidisse mihi videntur : pe- rinde ac eos/ratres legitimos Gallis eîoqui Doluerint. Zegi- timi namgue fratres, Romano sermone. Germant intelli- guntur.
Par toutes ces choses il est cler, que la nation des Celtes et des Gaulois, qui depuis ont esté appeliez François, Orientaux et Occidentaux, estoit vne mesme chose, mesme- ment du temps de Charles le Grand, et Roy de toutes les deux Frances. Donques pour reuenir au propos de Francus, filz d'Hector de Troye et chef de toutes ces nations, les choses dessudites entendues et présupposées, on ne peult nier que ledit Francus ne regnast sur les Celtes, si celuy qui lit ou qui escoute nest bien ignorant Car qui ignore les termes, il est nécessaire quil ne sache à quoy tendent les conclusions qui sont telles : cestasauoir, que Francus filz d'Hector, domina sur les Celtes qui depuis ont esté dits Gaulois, par les Grecz nommez Galates, et depuis François et Germains. Et de la postérité dudit Francus, sont yssues les plusnobles nations du monde. Desquelles sera déduite la généalogie et les gestes en brief, par la pro- gression de ce présent liure. Mesmement sera veu comment lesdites deux nations d'Allemaigne et de Gaule, ont pour le plus du temps esté coniointes et alliées ensemble, comme
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sœurs gennaines : et par ce moyen, ont dompté et suppe- dité toutes les autres, sans grand difficulté. Mais q^uand elles ont esté séparées, et (jue chacune sest tenue à, part, ou souspeçonneuse lune de lautre, elles ne sont point venues, à leurs intentions si facilement. Car elles deux ensemble, cest U plus gr£g:\d force 4u monde.
Derechef, est icj respoadu à aucunes contradictions de ceste histoire.
Encores pourra dire aucun Italien, ou dautre nation, trop enuieux, scrupuleux et fâcheux, comme il en est assez, qui cuident estre maistres des histoires, et abusent eux et les autres par quelque affection contraire et impertinente : et qui par malice veullent obombrer la noblesse de nostre nation : que (comme dira ledit contradicteur) il ne se treuue point par les œuures d'Homère, le prince des poètes, lequel descriuit si amplement les faitz de Troye, que le Prince Hector eust autre filz légitime de sa femme Andromacha, fors Astyanax, autrement nommé Scamandrius, du nom du fleuue Scamander, qui passoit parmy Troye. Lequel enfant après les ruines de Troye fut par les Grecz ietté dune haute tour en bas, à fin quil ne demourast aucun hoir masle de la semence d'Hector, et de la mort dudit Astyanax, Seneque ha composé Tne piteable (1) Tragédie. Pareillement disent les desYsnommez aduersaires, entre lesquelz ie vueil res^ pondre, à lœuure de messire Michel Riz Neapolitaiu, quil ha intitulé, Labregé de l'histoire des Roys qui ont possédé Naples, iasoit ce que autrement il fust homme de bonne langue et literature : que combien que Anaxicrates, qui
(1) c.-à-d. pathétique.
SmGVLARITEZ DE TROTE. LIVIIB III. 273
escriuit les Argoliques, et Euripides, compositeur de Tra- gédies, tous deux poëtes Grecz, attribuent plusieurs bas- tards à Hector, quil engendra en diuerses concubines, comme estoit lusage des Princes dadonques : toutesuoyes nen nomment ilz aucun du nom de Francus, dont nous fai- sons si ample mention. Comme si par ce il vouloit inférer et conclure tacitement, que sans aucun fondement de vérité, et par ambition de vaine gloire, la nation Françoise se attribuast ceste prééminence, que destre procréée du sang du trespreux Hector, extrait du grand Hercules de Libye, et de ses successeurs, les meilleurs preudhommes qui onques furent, comme est bien amplement prouué, au pre- mier liure. A quoy ie respons ainsi en peu de paroles.
Premièrement aux obiections dernières des deux poëtes Grecz Euripides et Anaxicrates , ie dis quilz ne furent point du temps de Troye. Mais puis que ores ilz confessent que Hector eut des enfans dautres femmes que de mariage légitime, si ne fait pas pourtant à mespriser tel lignage, ains est grand gloire. Car Salomon, filz de Dauid, iasoit ce quil fut conceu en adultère, qui pis vaut que concubinage, nest pas à reietter de la Généalogie de iesus christ. Dautre part si le poëte Homère ne nomme aucun filz légitime d'Hector et d'Andromacha, fors Astyanax, autrement dit Scamandrius, lequel receut mort par le commandement des Grecz, si ne faut il pas conclure pourtant par ceste auto- rité, quil ny eust autre filz légitime : car il est suspect en ce cas, comme trop fauorable aux Grecz. Si faut auoir recours à la vraye histoire, qui confondra toutes les oppo- sitions et argumentations friuoles et maliuoles des contredi- sans. Et fust ce ores de Pape Pie, lequel en la description de son Asie, semble estre malcontent de ce que les Fran- çois et Bretons se renomment estre yssuz des Troyens : II. iè
274 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et dit, que nulles gens nen ont certaineté, sinon les Ro- mains.
De Laodamas, filz légitime d'Hector, lequel comme il est vraysem- blable eut deux noms : car il fut aussi appelle Francus.
Dictys de Crète, tresnoble historien qui tenoit le party des Grecz, et fut présent à la guerre de Troye, duquel iay suiuy lopinion pour la plusgrand part, au premier liure de ces Illustrations, fait en plusieurs passages de son histoire, mention de deux enfans légitimes d'Hector, mais il ne les nomme tous deux ensemble que vne fois : cestasauoir, au troisième liure là où il dit, que quand le Roy Priam accom- paigné de sa fille Polyxene et de sa belle fille Andromacha, vefue d'Hector, alla personnellement supplier à Achilles quil luy donnast le corps d'Hector pour mettre en sépulture, en luy présentant grans et riches dons dor et dargent et dau- tres loyaux, pour le fleschir à miséricorde et compassion, il mena aussi auec luy ses deux petis neueux Astyanax, autrement dit Scamandrius, et Laodamas : desquelz la sim- ple ieunesse et la lamentable commisération, auecques les grans presens dessudits, seruit de beaucoup à recouurer le corps de Hector, pour le mettre en sépulture.
Oultreplus, met ledit acteur en son cinquième liure : que depuis linflammation de Troye, Pyrrhus, autrement dit Neoptolemus filz d' Achilles, après que la proye et le butin dor, dargent, et de riches meubles fut distribuée, (1) et quil en eut eu sa portion, il eut aussi sa part des nobles prison- niers par sort ietté. Si luy aduindrent par ledit sort Andro-
(l) dittribue (éd. 1513 et 1528).
SINGVLARITEZ DE TROTE. LITRE HI. 275
mâcha, vefue d'Hector, et ses enfans : lesquelz depuis ledit Pyrrhus donna à Helenus, leur oncle, en contemplation de plusieurs grans seniices quil luy auoit fait par le moyen de sa science de deuination. Or ne dit pas ledit acteur ouuerteraent que Astyanax, filz d'Hector, fust commandé estre occis par lexercite des Grecz, mais il le declaire assez couuertement au sixième et dernier liure de son histoire. Et dit ainsi, que Hermione, fille de Menelaus et d'Heleine, après que le mariage dudit Pyrrhus et délie fut confermé et asseuré, et que Pyrrhus sen fut allé au temple d'Apollo en Delphos, i^endre grâces de la vengeance quil auoit prinse de la mort de son père Achilles, occis par Paris Alexandre, deuant Troye, ladite Hermione fut enuieuse et ialouse dicelle Andromacha, vefue d'Hector, tenue parauant en loyal mariage par son mary Pyrrhus. louxte ce que dit Virgile, en )a personne d'Eneas, parlant à Andromacha :
Hectoris Andromache Pyrrhin' connubia seruas î
A cause dequoy Hermione esprinse de rage de ialousie, pourchassa de tout son pouuoir enuers Menelaus, son père, que Laodamas, qui estoit seul et le dernier légitime demouré des enfans d'Hector, fut mis à mort. De laquelle chose aduertie, Andromacha sauua son filz : moyennant la force du populaire qui luy fut fauorable : et luy donna secours contre la tyrannie dudit Menelaus, lequel à peines peult eschaper le danger de sa vie. Par ainsi appert que des enfans légitimes d'Hector, demeura en vie ledit Laodamas.
Or nest il pas répugnant ne trop hors de coustume, que ledit enfant eust deux noms aussi bien que son frère Astya- nax, surnommé Scamandrius. Si croy fermement que Lao- damas et Francus furent vn mesme personnage : ainsi
STB ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
comme lacob et Israël, donc quand on parle du peuple des luifz, on ne dit pas les enfans de lacob : mais les enfàns d'Israël : car le second nom est plus noble que le premier, lun fut imposé à lacob par ses parens, lautre luy fut donné de la bouche de Dieu. Pareillement ie croy que Laodamas fut le nom primitif de son enfance : mais Francus luy fut donné pour la franchise, (1) noblesse et férocité (2) de son cou- rage. Et puis quil fut sauué, nourry et esleué souz la tutele de son oncle Helenus : qui estoit le plus sage homme du monde : et qui mieux auoit sceu preuoir, prédire et escheuer les infortunes de Troye. Il faut bien dire que Laodamas ou Francus son neueu ne fut pas exempt de sa doctrine et rertu.
Comment Helenus frère d'Hector et ses successeurs régnèrent en vne partie de Grèce, quon dit maintenant Albanie et Esclaaonie : de laquelle lignée yssirent depuis aucuns Empereurs de Romme, mesmement Coostantin le grand.
Helenvs, frère d'Hector, lequel par sa parfonde science et expérience de congnoitre les choses aduenir, auoit tous- iours prognostiqué et prophétisé toutes les infelicitez de Troye, et desconseillé la guerre de tout son pouuoir, fut preserué de mort par les Grecz, et donné à Pyrrhus, filz d'Achilles, en la part de son butin, ensemble Andromacha, vefue d'Hector. Or vint ledit Pyrrhus depuis habiter en Epire : qui est vne partie de Grèce et de Macedone, quon dit maintenant Albanie : et de là viennent ces cheuaux
(1) c.-à-d. hardiesse.
(2) c-à-d. fierté.
SINGYLARITEZ OE TROYE. LIVRE lli. 277
légers, quon dit Albanois. Dont pour la preudhommie que ledit Pyrrhus auoit trouué au sage Helenus, mesmement pource quil lauoit aduerti de non soy mettre sur mer en certain temps quil sauoit estre dangereux, il luy feit par- tage dune portion de sa terre, pour y habiter, et illec édi- fier vne cité. Et oultreplus luy donna à femme Androma- cha, sa belle sœur. Et mit en sa sauuegarde et tutele Lao- damas, seul fllz légitime d'Hector et d'Andromacha : de laquelle ledit Helenus eut vn filz, nommé Cestrinus, qui régna après luy. Mais parauant ladite Andromacha auoit eu vn autre fîlz de Pyrrhus, filz d'AchiUes : lequel eut nom Molossus : qui régna en vne contrée dudit pais, laquelle de son nom il appella Molosse, et en ce quartier naissent les bons chiens de chasse, quon dit Allans : et en Latin molossi : qui sont comme dogues d'Angleterre.
Ainsi régna Helenus, filz de Priam, en ladite prouince d'Epire, quon dit maintenant Albanie : dont vne partie di- celle il nomma de son nom Helenie : et y fonda vne petite cité quil appella Troye : maintenant elle se nomme Croye : par langage corrompu, comme le Croisic en Bretaigne se deuroit dire le Troisic : car il fut fondé par Brutus, prone- ueu d'Eneas, souz le nom de Troye. Maintenant ladite cité de Croye en Albanie est subie tte au Turc : qui se dit estre descendu de Troïlus, filz de Priam : et du temps que Hele- nus fondoit sa cité, Eneas exillé de Troye, et tirant en Ita- lie pour y habiter, vint voir ses parens Helenus et Andro- macha, lesquelz le receurent en grand amour : et le fes- toyèrent honnorablement selon leur pouuoir : comme descrit bien noblemement le Prince des poètes Virgile au troisième liure des Eneïdes. Si pria ledit Eneas à son parent Helenus quil luy voulust declairer ses fortunes aduenir : car il es- toit archiprestre du Dieu Phebus : qui est le Dieu de deui-
278 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
nation : et sauoit interpréter la voulenté de tous les Dieux, et le cours des estoilles par Astrologie : et aussi entendoit léchant et le vol des oyseaux : comme il appert par ces vers :
Troiugena interpres Dioûm, qui namina Phœbi, Qai Tripodas, Clarii laaros, qui sidéra sentis, Et volucrum linguas, et prsepetis omina peanse : Far 6, âge, etc.
Lors Helenus tresdebonnairement luy voulut complaire : et feit sacrifice solennel. Apres lequel il reuela à son cousin Eneas tous les cas de fortune quil auoit à passer : et luy bailla aduertance de tous les remèdes et consaux pour par- uenir au Royaume d'Italie. Ce fait, il rafreschit ses nauires de viures, de gens et de nouuel équipage : puis luy feit plu- sieurs grans et riches présents dor, dargent et de précieuse vesture et entre autres choses luy donna le merueilleux har- nois de guerre de Pyrrhus, surnommé Neoptolemus, fîlz d'Achilles. Dautre part la noble dame Andromacha donna à son neueu lenfant Ascanius. filz d'Eneas et de Creusa, fille de Priam, plusieurs nobles accoustremens tissuz et ouurez de ses propres mains. Alors les deux parties feirent que celuy Helenus ainsi régnant en sa petite Troye, vn iour al- lant à la chasse tua par coup de mesauenture son frère puisné nommé Chaon : lequel il auoit sauué de Troye, dont il eut grand dueil, et pour soûlas, honneur et remembrance de luy il nomma vue partie de sa prouince Chaonie, comme met Bocace au sixième liure de la Généalogie des Dieux. Ainsi passoient leur poure fortune ensemble Helenus et la noble Andromacha, fille iadis du Roy Eetion de Thebes^ lequel fut destruit par Achilles, auec sept de ses enfans mas- les, sa cité désolée, et sa femme, mère de ladite Androma- cha. Laquelle tresdesconfortee Princesse en toutes ses an-
SINGVLARITEZ DB TROYB. LIVRE Ili. 279
goisses nauoit autre reconfort, sinon en son fil2 Laodamas, qui luy representoit la figure de son père Hector, le chef de toute prouesse et cheualerie du monde, duquel ensuiure les hauts faits mémorables, elle lenhortoit souuent, comme il est vraysemblable quune telle mère sauoit bien faire, pour encourager le sien si tresnoble enfant vnique.
Dautre part, son oncle Helenus, lequel ne se monstra point en la guerre de Troye, sans plus (1) homme de science et de conseil : mais dauantage prompt de la main et preux aux armes, monstroit exemple par efiect destre preudhomme (2) à son neueu Laodamas : lequel nous estimons certainement estre tout vn comme Francus, et linstruisoit et endoctrinoit, tant en science, literature et bonnes mœurs, comme aux armes, à la chasse et autres exercices, telz que à vn ieune Prince poure et exilé de son pais est conuenable et licite de faire pour attraire la beniuolence des siens et la- mour des estrangers, sur lesquelz il puist dominer et recouurer terre, par amour, par alliance, ou par force si mestier est : car il nappartient point à enfans dune si haute maison, de viure sans règne et sans domination. Et quand le cas de leur décadence et infortune aduient, alors faut il que Vertu, mère de Noblesse, estriue contre Fortune à toute rigueur, et que finablement Vertu demeure la vainque- resse, et remette sur bout la sienne tresclere fille Noblesse, comme on Iha veu souuentesfois aduenir.
lay cy dessus touché et dit que Helenus, filz de Priam, fut aussi prompt aux armes, comme prudent en conseil, et par- fond en secrètes sciences. Oultre lesquelles trois choses on ne sauroit rien demander en Tn Prince mortel, sinon la
(1) c.-à-d. uniquement.
(2) c.-à'd. sage et preux.
280 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
diuinité, laquelle est aux humains non capable et non com- préhensible. Touchant conseil et science, il est assez diuul- gué par les histoires de Troye communes, que Helenus en estoit abondant plus que nul autre des enfans de Priam. Mais quant aux armes, les corrompues histoires nen font mention qui vaille : pour garder Ihonneur dun si noble et vertueux Prince, je les vueil icy reciter en brief, et prou- uer par acteurs autentiques. Principalement celles qui tou- chent conseil et confort darmes, où il estoit présent en per- sonne. Et aussi armes et prouesses faites de sa main, sans fuite, reproche, ou lascheté quelconque, mais ainsi quun vray Prince et cheualier preudhomme sen doit acquiter.
Dictys de Crète, au troisième liure de son histoire Troy- enne, met que vn iour entre les autres que les deux armées sestoyent assemblées en bataille : Achilles estoit si forcenné, et si auant en sa fureur et sa force, que rien ne pouuoit ar- rester (1) deuant luy : et ia auoit fait tant darmes belliqueux, que cestoit horreur de le voir. Car entre autres choses, il auoit mis à mort Philemon, Roy de Paphlagonie, et occis laurigateur d'Hector, cestadire celuy qui gouuernoit les frains de ses chenaux : comme cestoit lors la manière des Princes de combatre sur chariots, ainsi que bien à plein auons declairé au premier liure de ces Illustrations. Au moyen desquelles choses, larmee Troyenne estoit toute esbranlee et preste à tourner le dos. Et ce voyant Helenus, singulier archer entre les autres, choisit son coup, et des- cocha sa flesche par droite visée iustement en la main dex- tre d'Achilles, tellement quelle luy perça gantelet et main tout oultre. Et lors laigre douleur sensitiue de la playe retarda la rage d'Achilles : car il fut contraint de se reti-
(1) c.-à-d. tenir.
SIMGVLARITEZ DE TROTI. LITRE HI. 281
rer. A cause dequoy les Troyens furent garanti» pour ce iour de grand péril et deshonneur.
Vne autre fois, comme recite le prince des poètes Ho- mère au sixième jiure de son Iliade, si ce neust esté Hele> nus qui encouragea son frère Hector et son cousin Ëneas, et les enhorta de grand cœur à recommencer la bataille, et luy auec eux, les Troyens desia mis enfuyte, eussent recen grand perte et deshonneur irréparable. Derechef ledit prince des poètes met en son septième liure : que le Prince Hector par la persuasion et conseil de son frère Helenus, prouo- qua, cestadire appella et deffla les Princes de Grèce, vn pour vn, à batailler corps à corps. Si luy fut par les Grecz baillé en barbe (1) Aiax Telamonius. Le combat fut entre eux deux grand, impétueux et horrible : mais nul d'eux deux ne fut vainqueur ne vaincu : ains demeura chacun en son entier, par laduis des Princes et consentement des parties : dont à prendre congé lun de lautre, chacun des champions par courtoisie cheualereuse honora son compaignon dun noble présent : Hector desboucla sa grand espee à la gaine argentine, qui luy pendoit de lespaule en escharpe, et la tendit à Aiax : et Aiax quant et quant deceingnit son riche baudrier militaire : nommé, selon la langue Latine, Baltee : et le donna à Hector. Ainsi par le conseil d'Helenus Hector receut pour ce iour vn grand honneur et réputation de prouesse, vertu, courtoisie et hautesse de cœur : voire de ses ennemis mesmes.
Au treizième liure de l'Iliade, Homère nous monstre encores mieux, comment Helenus nespargna onques son corps en la guerre de Troye. Et à luy ne tint quelle ne fust terminée par armes : car en lune des plusgrands batailles
(1) c.-à*d. mis en face.
282 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
qui furent faites en la campaigne de Troye, luy estant au plusfort de la presse, pourfendit iusques aux dens dune grande espee esclauonne vn Prince de Grèce nommé Deïpy- rus, amy et parent du Roy Menelaus. Laquelle chose voyant iceluy Menelaus en eut grand dueil : et le voulut venger. Si se tirèrent vn petit au large : Helenus entesa son arc et desbenda par grand force : mais la flesche ne peut mordre sur la forte cuirasse de Menelaus, ains fut reboutee. Alors Menelaus se hasta de ietter son dard par grand force et roideur : tellement quil trauersa la main d' Helenus de part en autre. Et atout iceluy Helenus se retira vers ses gens pour se faire habiller. Par lesquelz exemples, il appert cle- rement que Laodamas ou Francus, filz vnique demeuré d'Hector et de Andromacha, nourry à telz escholes, comme de son oncle et de sa mère, expérimentez de lune et de lau- tre fortune, deuoit bien estre vn grand chef d'œuure en nature. Si ne mesbahis pas si depuis, luy et sa postérité ont régné sur toute nostre Europe : et ont esté renommez la fleur dhonneur, de noblesse et de cheualerie autant ou plus que quelque autre nation du monde, et qui iusques auiour- dhuy ont régné et régnent en telle estime et réputation. Mais retournons à nostre propos d'Albanie.
Auprès de ladite contrée d'Albanie où regnoit pour lors Helenus filz de Priam, siet vue autre prouince nommée Illyricus, maintenant dite Esclauonnie, subiette aux Véni- tiens, en laquelle vindrent iadis habiter aucuns peuples de Troye, qui se nommèrent Dardaniens : comme met Antoine Sabellic, au sixième liure de sa septième Enneade. (1) Et diceux yssit depuis vn Empereur de Romme nommé Flauius Claudius, second de ce nom. Lequel se glorifioit en ses til- tres estre yssu de Troye. Par quoy il fault coniecturer, que
(1) Rapsodia historiarum enncades (Venet. 1498 et 1504).
SIKGVLARITEZ DE TEOTE. LIVRB III. 283
ce fut de la postérité du sang dudit Helenus, et de Cestri- nus son filz, et ses successeurs en droite ligne, qui régnè- rent depuis esdites deux contrées voisines. Et de la lignée de Crispus frère dudit empereur Claude, second de ce nom, descendit depuis Constans César, mary de sainte Heleine, fille de Coel, Roy de la grand Bretaigne : lesquelz engen- drèrent lempereur Constantin le grand, qui depuis voulut reedifier Troye. Or voyons nous desia le commencement de la ressourse (1) de Troye en Europe. Helenus filz de Priam règne desia sur vne partie de Grèce, et luy vaincu donne loix aux vainqueurs. Eneas dautrepart et son filz Ascanius, neueu d'Hector, sen vont en Italie pour fonder le grand empire Romain, du mesme temps que Bauo, cousin germain de Priam, commençoit à régner en Gaule Belgique, comme sera veu au chapitre ensuiuant.
Du Roy Bauo, cousin germain de Priam, qui régna en Gaule Belgique, incontinent après la destruction de Troye et fonda la grand cité de Belges, selon les chroniques de Haynau. Et de la primitlue et très- ancienne fondation de la cité de Treue» en Gaule Belgique : là où fut adore le premier Idole.
Si le Prince Helenus, frère d'Hector, par sa merueilleuse science et prudence presques diuine, auoit sceu preuoir les malheureuses destinées de Troye, et euiter en partie les infortunes dicelle, aumoins quant à sa personne et celle de la noble dame Andromacha, vefue d'Hector, et de leur commun filz Laodamas, que nous disons Francus : par cas semblable aussi vn autre Prince nommé Bauo, iadis Roy en la haute Phrygie, cousin germain de Priam, expert
(1) c.-à-d. rétablissement.
284 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
en tout art dastronomie et de magique, le sceut bien faire : tellement que par les respons et oracles de Dieux, il vint habiter et régner en Gaule Belgique. Duquel Bauo et de ses gestes ie feray icy la narration historiale brieue et suc- cinte, en ensuiuant maistre laques de Guise, docteur en théo- logie de lordre des frères mineurs, homme de grand litera- ture et diligence, comme il appert par ses œuures : lesquel- les il composa à la requeste du conte Guillaume de Hay- nau, en deux beaux et grans volumes en Latin. Lesquelz sont au conuent de saint François, en la bonne ville de Va- lenciennes, où ledit maistre Guillaume (1) est honorable- ment sépulture. Et dit ledit acteur ainsi :
Au temps que Labdon estoit luge sur les enfans d'Israël, vn Prince nommé Bauo, Roy en la haute Phrygie, cousin germain de Priam du costé maternel, car leurs deux mères estoient sœurs, iasoit ce que de son pouuoir il eust donné secours, conseil, confort et ayde à son cousin, le Roy Priam, et que tout ce nauoit de rien seruy : congnoissant aussi par art dastronomie et dautres sciences secrètes, dont il estoit bien garny, que la noble lignée des Troyens seroit extirpée d'Asie, pour estre plantée en Europe : et que cestoit pour néant de regimber contre lesguillon, et de soy cuider reuenger contre la voulenté des Dieux et desti- nées fatales des hommes, il luy sembla quil valoit mieux ployer que rompre, et fleschir par obéissance, que estre desraciné par obstination. A ceste cause il eut consultation solennelle auec ses Dieux : et leur response et commande- ment entenduz, il délibéra de quérir autres terres et man- sions. Si le feit par effect, laissant et abandonnant son
(1) Les éditions 1513 et 1528 portent également Chiillavme &\x lieu de Jaques.
SIMGTLARITBZ DE TROYE. LIVRB III. 285
Royaume de la haute Phrygie desia tout gasté et depopulé par Achilles et Aiax Telaraonius.
Or print le Roy Bauo tout ce quil peut recueillir de son peuple et de sa famille, de ses nobles et de ses adherens : entre lesquelz il y auoit quatre Ducz qui se ioingnirent auecques leur Roy. Et fut ceste bende equippee de deux cens nauires, à tout lesquelles le Roy Bauo entra en la mer Hellesponte, nauiga toute la mer Mediterrane : passa les destroits de Maroch : enuironna les Espaignes et les riuages de Gaule, quon dit maintenant Bretaigne, Normandie et Picardie. Et print terre, quand il veit son poinct, sur les sablons en vne contrée qui nest pas fort loing du pais, qui ores se nomme Haynnau, Conté Impériale et Palatine du dommaine de l'Archiduc. Et illec sarresta par oracle fatal, et par la guide dun loup blanc, qui le guida selon la res- ponse des Dieux. Qui seroit chose trop longue à raconter, pourquoy ie men passe de léger et remets les nobles lec- teurs ausdites chroniques de Belges, qui sont belles et autentiques.
En ladite région fonda le Roy Bauo vne grand cité, laquelle il nomma Belges, en Ihonneur comme ie croy du Roy Belgius, qui régna pour le treizième Roy au Royaume de Gaule, comme il est dit plus amplement au premier liure de ces Illustrations. Toutesuoyes lesdites chroniques de Belges disent que ce fut au nom du Dieu Belus, père de Ninus Roy des Babyloniens ou Assyriens, lequel fonda la grand cité de Niniue, et fut le premier inuenteur d'Idolâ- trie : car il consacra limage ou idole de son père Belus et la feit adorer par ses subietz, et luy porter honneurs diuins : laquelle pestilence fut depuis esparse et esuentee par tout le monde, iusques à laduenement de nostre ré- dempteur.
ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Or est il asauoir, que des le temps du patriarche Abra- ham, lequel nasquit lan deux cens nonantedeux après le déluge : cestasauoir, lan quarantetroisieme du règne de Ninus lancien, troisième Roy de Babylone, ladite erreur damnable d'Idolâtrie vint empoisonner les Gaules, par inconuenient (1) : ainsi quil sensuit. Vous sauez selon les histoires de la sainte escriture et de Berosus de Chaldee, qui saccorde à elle, comme il est assez clarifié par le premier liure de ces Illustrations, que Nembroth le géant, fîlz de Cam, fut par son ayeul le grand Patriarche Noë, establi et constitué premier Roy et Saturne des Assyriens ou Baby- loniens. Et lors commença le fondement de la première monarchie du monde : cestasauoir, lan après le déluge, cent trente et vn. Et par ledit Nembroth fut commencée la tour de Babel, pour escheller le ciel : mais non parfaite, à cause de la confusion des langues. Finablement ledit Nembroth, lan cinquantesixieme de son règne, fut inuisible- ment transporté hors du monde et ne comparut plus entre les humains. Et lan treizième de son règne Samothes sur- nommé Dis, par le commandement de son grand père Noë, fonda le Royaume de Gaule : et en fut le premier Roy et Saturne. Puis lan vingtcinquieme du règne dudit Nem- broth, Tuyscon le géant, filz de Noë, engendré après le déluge, commença à régner sur les Germains.
Apres Nembroth, ûlz de Cam, régna Belus son filz, qui fut surnommé lupiter et deïfié par son filz, dont tout labus des Idolâtres print origine : car selon la diuersité des lan- gues, il fut diuersement nommé. Cestasauoir Baal, Beel, Beelphegor, Baalim, Beelzebub, et autrement dont la sainte escriture fait souuent mention. Iceluy Belus toutes-
(1) c.-à-d. par malheur.
SIMGVLARITEZ DE TROTB. UTRK III. 287
uoyes fut homme tresprudent et trespacifîque : si assit et ietta les premiers fondemens de la grand Babylone. Et cest ce qui meut son filz Ninus à laymer tant et honnorer après sa mort : laquelle fut lan soixantedeuxieme de son règne.
Ninus, filz de lupiter Belus, troisième Roy des Babylo- niens ou Assyriens, comme met Berosus de Chaldee au cinquième liure de ses Déflorations, régna après son père lupiter Belus, par lespace de cinquantedeux ans. Ce fut le premier qui viola laage doré par armes : car par grand couuoitise de dominer, si feit la guerre à tous ses voisins, sans espargner homme viuant. Et fut le premier des Roy s de Babylone qui eslargit son empire. Et le premier de tous les hommes, qui institua temples et autelz pour sacrifier à son père lupiter Belus et à luno sa mère, et qui premier leur dédia statues et simulacres, et les esleua au mylieu de la cité de Babylone, qui fut le commencement de toute Idolâtrie comme dessus est dit.
Lan cinquante unième du règne de Ninus qui espousa Semiramis, la merueilleuse femme, Magus le deuxième Roy de Gaule, filz de Samothes surnommé Dis, et Saturne, commença à régner sur les Gaulois. Et fut le premier qui fonda villes et citez, comme ces choses sont plus ample- ment descrites au premier liure de ces Illustrations. Apres lequel régna Semiramis Ascalonite, femme dudit Ninus et mère de Ninus second de ce nom, laquelle régna sur les Babyloniens ou Assyriens, par lespace de quarantedeux ans, de laquelle Berosus de Chaldee au liure preallegué dit ces mots dignes de mémoire, principalement pource quelle fut fondateresse de la grand Babylone : Hœc antecessit militia, triumphis, diuitiù, victoriis, et imperio omîtes mortales. Ipsa hanc vrhem maximam ex oppido fecit : tt magis dici possit illam adi/icasse, quàm ampliasse. Nemo
288 ILLVSTRATIONS DE GÀVLE, ET
tnguàm Tiuic fœmina comparandus est virorum. Tanta in eius mta dicvniur et scribuntur, cum ad mtuperationem, tum maxime ad coUaudationem magniûca.
Semiramis portoit en ses armes vne colombe, de laquelle dit Hieremie le Prophète, prophétisant la future persécution des luifz par les Assyriens : Fugite à fade gladii, columbœ. Au temps de laquelle regnoit en Gaule, pour le troisième Roy, Sarron, filz de Magus : lequel pour refreindre la féro- cité des hommes, institua premièrement les estudes, col- lèges et vniuersitez publiques. Et en AUemaigne régnèrent successiuement du temps de ladite Semiramis, Mannus filz de Tuyscon le géant, pour le deuxième Roy, et Inghaueon pour le troisième, lesquelz fondèrent deux peuples de leur noms : comme sera dit plus auant en ce liure. Icelle Semi- ramis commença à régner lan cccii. après le déluge : et régna xlii. ans. Cestasauoir, iusque à ce quelle fut occise par les propres mains de son filz Ninus, second de ce nom, lequel régna sur les Babyloniens après elle : et du temps de son règne trespassa de ce siècle le bon patriarche Noë.
Or auoit eu Ninus filz de lupiter Belus, vn filz dune autre femme, nommé Trabeta, qui par droit deuoit succé- der au Royaume de Babylone : mais la Royne Semiramis len garda bien, car elle en print le gouuernement et les armes pour son filz Ninus le ieune : et régna comme dessus est dit. Alors Trabeta, craingnant et non sans cause, la puissance et fureur de sa marrastre, la plus terrible femme du monde, senfuyt de Babylone pour chercher autres terres à habiter : dont après auoir long temps erré, vagabondant parmy le monde, il sarresta finablement en nostre Gaule Belgique, non pas trop lôing de la riuiere du Rhin, et illec- ques fonda vne cité quil nomma Treues de son nom. La- quelle est encores en estre, mais non pas en si grand ma-
SIHOTLAEITBZ DB TROYE. LIVRE III.
gniâcence quelle estoit du temps des Romains : et auant iceux. Toutesuoyes larcheuesque de Treues est lun des prin- cipaux Electeurs de Lempire : et se intitule Arcbichancel- lier de Gaule. Geste cité de Treues estoit le principal seiour du Roy Pépin, père de lempereur Charles le grand : comme en la cité capitale pour lors de France Orientale. On voit encores en icelle auiourdhuy, plusieurs grans ruines et merueilleuses antiquitez , qui monstrent bien combien grande, noble et puissante elle fut iadis. Et de nostre temps y ha esté trouuee vne grand pierre, en laquelle estoient grauez de lettre antique, les vers qui sensaiuent de sa fon- dation :
Nini Semiramis, quse tanto coniugfe felix
Plurima possedit, sed plara prioribus addit,
NoQ contenta suis nec totis finibus orbis, i
Expulit é patrio priuignum Trabeta regno
Insignem, profugus nostram qui condidit Trbem.
lay voulentiers fait cest incident pour deux raisons : lune, à fin quon sache en quel temps la Gaule Belgique fut premièrement empoisonnée de cest erreur diabolique dido* latrie, cestasauoir, mille neuf cens quarantesept ans auant lincarnation nostre Seigneur, que ledit Trabeta fondateur de Treues feit premièrement adorer en sa cité l'Idole et statue ou simulacre de son grand père lupiter Belus, filz de Nembroth le géant, premier Saturne des Babyloniens. Lautre raison est, à fin quon voye comment de toute an- cienneté la fleur de la noblesse d'Asie sest venue rendre en Europe, mesmement en Gaule : dont elle nha depuis bougé : ainçois sy est tousiours multipliée de plus en plus, comme il appert. Or reuenons maintenant à nostre propos du Roy II. 49
290 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Bauo, cousin germain de Priam : lequel Bauo fonda la grand cité de Belges.
Comment le Roy Bauo, fondateur de la grand cite de Belges, meit en ruine la cité de Treues : pource que la seigneurie de Treues luy demandoit tribut dauoir fondé et prins habitation en leur ter- ritoire. Et des quatre Ducz du dit Roy Bauo, desquelz chacun fonda vne cité en la Gaule Belgique.
Av premier liure de ces Illustrations, il est dit que Bel- gius, treizième Roy de Gaule, fonda vne cité de son nom : laquelle fut dite Belges. Or à fin quil ny ayt répugnance ne reprehension en nostre histoire, et quelle soit clere et nette à mon possible, ie treuue par acteurs autentiques, quen Gaule Belgique furent iadis trois citez principales nommées Belges : dont lune est Beauuais en Picardie, qui se dit en Latin Beluacum : ou selon Iulius César Belloua- cum, cité episcopale, et dont leuesque est lun des douze pers de France. Lautre est celle, dont au chapitre précè- dent est touché, Treues, en basse Allemaigne, ou plustost France Orientale. La tierce est Bauais en Haynnau : laquelle à présent nest quune petite ville déserte et désem- parée : mais les ruines dicelle monstrent bien que au temps passé elle ha esté de merueilleuse es tendue. Et ceste cy fut fondée par les Troyens : celle quon dit Treues en Alle- maigne, par les Assyriens ou Babyloniens : et Beauuais en Picardie, fut celle que fonda Belgius, treizième Roy de Gaule : à ce que ie puis coniecturer.
Comme donques le Roy Bauo auecques ses Troyens eut fonde sa cité de Belges, au païs des Neruiens : qui depuis ont esté nommez Ha^nuiers, Namurois, Cambrisiens et
SINGTLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 29i
Tournisieus, ceux de Treues qui disoient à eux appartenir fout le territoire de celle contrée, comme les premiers venuz enuoyerent signifier au Roy Bauo, que luy et tout son peuple eussent à vuider hors de leur païs : ou quilz payas- sent et rendissent de tribut à la seigneurie de Treues, (1) comme souueraine, mille sengliers et mille cerfz, et quinze cens bestes à corne, ou autrement dedens peu de iours ilz seroient tous mis à mort par ceux de Treues.
Icelles orguilleuses menasses entendues par le Roy Bauo : il respondit, que les Troyens ne furent iamais tributaires, mais franez par tout le monde : comme ceux mesmes qui auoient aprins dexiger et receuoir tribut des autres. Et à ceste cause ne denioit il pas seulement de payer tribut à ceux de Treues : mais leur commandoit que doresenauant ilz fussent tributaires au Royaume de Belges. Lesquelles paroles esmues entre lesdites nations, la guerre y fust tan- tost enflambee, tellement que les Troyens prindrent de fait et de force la trespuissante cité de Treues, et la pil- lèrent, brusleront et démolirent de fonds en comble. Si apportèrent en la nouuelle cité de Belges vn trésor infiny de richesses, de proye et de butin. Et comme victorieux amenèrent pour prisonniers les Idoles de Treues, auecques riches vaisseaux, meubles et ornemens, seruans à leurs autelz et sacrifices. Par ainsi fut lerreur d'Idolâtrie encores plus autorisée que deuant en nostre Gaule Belgique : car oultre les Idoles de Treues, le Roy Bauo auoit amené les siennes de Troye : dont des despouilles par luy conquises, il feit faire sept merueilleux temples en sa cité : en laquelle
(1) L'id. 1528 n*a qU6 : payassent dg tribut. — Rendre signifie payer une rente. On dit encore à Liège : « Maison à vendre ou à rendi"e. »
293 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
il y auoit sept portes selon les sept planettes, et mille toars, chacune de cent coudées de haut : et de dixhuit despesseur. Puis édifia son palais par amplitude et magnificence in- croyable : comme on peult voir par ladite chronique de Belges.
Ainsi creut soudainement en merueilleuse hautesse la grand cité de Belges, par la ruine de Treues : car comme dit le Philosophe, la corruption daucune chose est la géné- ration dune autre. Si fut le Roy Bauo craint et redouté de ses voisins, et estendit sa seigneurie iusques sur le fleuue du Rhin. Et pour mieux fortifier ses alliances, il bailla aux quatre Ducz de la haute Phrygie qui lauoient accompaigné, à chacun vne de ses filles. Et leur donna franchise et liberté de pouuoir édifier chacun vne cité, sur les confins et extre- mitez de la Gaule Belgique. Par ainsi le premier diceux Ducz, nommé Turguncius auec sa femme et son peuple, alla fonder la cité de Tongres, sur le riuage de la mer Oceane. Et qui est vne chose merueilleuse et digne destre racontée, entre les miracles et prodiges de ce monde. Il est certain que du temps de saint Seruais, qui fut euesque de T^ues, et parent de nostre Seigneur iesvs christ, la mer se recula de Tongres, enujron trente grands lieiies d'Alle- maigne, comme il appert par sa légende. Et vescut ledit saint Semais (si la chronique est vraye) iusques au temps de saint Ambroise et de saint Hierome , lequel espace peult bien contenir trois cens quatre vingts ans. Et ne sen faut pas esbahir : car lean des Temps, escuyer de l'Empe- reur Charles le grand, qui nestoit pas parent de Dieu : vescut trois cens ans, comme tesmoignent toutes les his- toires de France et d'AUemaigne et d'Italie auec. (1) Toutes-
(1) Wallonisme.
SINGVLARITEZ DR TROTB. LIVBE III. 393
uoyes Ihistoire de Tongres ne dit pas que leur cité fut fon- dée par Turguncius, mais par vn autre nommé Torgotus, qui fut long temps après yssu de Sicambre et la nomma du nom de son filz, comme sera dit cy après en la généalogie de l'Empereur Charles le grand.
Des autres trois Ducz du Roy Bauo, Ion nommé Mosella- nus (1) passa la forest d'Ardenne et fonda la cité de Metz en Lorraine, sur la riuiere de Moselle. Le tiers qui eut nom Morineus, édifia la cité quon dit en Latin Morinum, et maintenant elle sapelle Terouane en Picardie : cestadire, Terre vaine et inutile, et gastee par les Huns, quon dit maintenant Hongres, de laquelle le poëte dit :
Eztremique hominum Morini.-
Comme silz fussent au bout du monde. Le quart Duc, nom- mé Carineus ou Clarineus, en lieux palustres et sur gros- ses riuieres et marescages, bastit et fonda vne cité, la quelle il nomma Carinee ou Clarinee. Aucuns tiennent que cest la grand ville de Gand en Flandres, assise sur trois grosses riuieres portans bateau : là où depuis Iulius César feit faire vn chasteau. Les autres disent, que ladite Carinee ou Clari- nee est la ville de Clermont en Beauuoisis, assise en très- beau pais à quatorze lieues de Paris, sur le grand chemin d'Amiens.
Le Roy Bauo quand il eut donné ordre à toutes les cho- ses dessudites, se nomma et intitula oultre et pardessus le tiltre de maiesté Royale Archidruyde, qui vaut autant à dire, comme prince des Prostrés et des Philosophes, ou tel quon pourroit dire à présent vn Pape : car il estoit chef des sacrifices : et mourut honorablement du temps que
(1) Afosselanus {éd. 1513).
294 ILLVSTRÂTIONS DE GAVLE, ET
Sanson estoit iuge sur les enfans d'Israël. Si semble que le poëte Ouide en fasse mention, et vueille entendre de cestuy cy quand il dit :
Ingeniique sui dictus cognomine Largus Gallica qui Phrygium duxit in arua senem.
I, lasoit ce que Michel Riz, en son viuant dit aduocat de Naples, et conseiller du Roy, au prologue de son œuure, quil ha intitulé des Roy s de Naples, cuide que par les vers dessudits le poëte Ouide vueille signifier et designer Fran- cus filz d'Hector : lequel vint régner en Gaule Celtique. Ce qui ne peult auoir lieu : car il lappelle vieil. Et si nous considérons bien toutes les circonstances de ceste histoire, Francus ne pouuoit auoir plus de vingt ans quand il com- mença à régner sur les Celtes. Vn autre acteur du temps passé, iasoit ce que son Latin ne soit pas trop élégant ou cliquant, (1) porte neantmoins tesmoignage assez ample dudit Roy Bauo, fondateur de Belges : car il dit ainsi :
Rex fuit iramensus quondam qui nomine dictus Bauo : de génère régis Priami fuit ille. Troise post miseros luctus, ignesque secundos, Pei' mare cura sociis Asise transuectus ab oris, Uenit in extreraas vbi sol se mergit in vndas, Urbem tune magnam rex Bauo condidit vnam, Qiise nimis immensa Belgis fuit illa vocata.
(1) En ronchi cliquant = clinquant.
8INGVLAR1TEZ DE TROTB. LIVRE III. 295
De Baao Belgineas, fllz et succeuear dudit Roy Bauo premier de ce nom, au temps duquel, Brutua vint en la Oaule Armorique : et fonda les Bretons et la cité de Tours. Et comment autres Princes Trojens vindrent en diuerses parties de Oaule et de Germanie, et constituèrent plusieurs nobles maisons, peuples et citez : mesme- ment de lantique noblesse de ceux d'Auuergne et de Chartres, prou- uee par acteurs autentiques : et comment il y anoit anciennement en France vne cité nommée Bretaigne.
Apres la mort du Roy Bauo, Archidruyde et Patriarche de Gaule Belgique, succéda son filz nommé Bauo Belgineus. Au temps duquel dominoit sur les Latins en Italie lulus Ascanius, fîlz d'Eneas et de Creusa, fille de Priam : de la- quelle lignée descendit depuis Iulius César, premier monar- que dçs Romains. Ledit Bauo Belgineus régna quarantequa- tre ans en la cité de Belges : et feit vne loy, que tout son peuple mengeast en publique, en ensuiuant la coustume des Lacedemoniens : à fin que chacun fust égal : et que lun neust point denuie sur lautre. Et est asauoir, quen ce temps lii les Princes et les Peuples viuoient pour la plus part de venaison. Si estoient presques tous veneurs plus que labou- reurs : car il y auoit grand foison de bestes es foretz inha- bitées, et mesmement en ce quartier là de Belges, quon dit' maintenant Haynnau : là où est la forest de Niormault, (1) fille, cestadire vn membre de celle d'Ardenne. Là où enco- res dure et perseuere le tresnoble vsage et exercice de vé- nerie ou braconnerie, et chasse tant de chenaux saunages, comme de bestes rousses et noires, doiseaux de proye, de gibier et de poissons, autant Royale et franche, quen quel-
(1) Morma%lt (éd. 1513), auj. forêt de Mormal.
296 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
que autre païs quon sache. Et pource les Roys de France y enuoient vne fois lan leurs veneurs.
Au temps dudit Bauo Belgineus, vn Prince nommé Bru- tus, filz de Syluius Posthumus, troisième Roy des Latins, et de Lauinia, seconde femme d'Eneas, querant nouuelles contrées à habiter, comme il auoit de commandement par loracle des Dieux : vint par mer en la Gaule Armorique, quon dit maintenant la Royale Duché de Bretaigne. Et y entra par la bouche du fleuue de Loire, fonda le Croisic ou Troisic du nom de Troye, et Guerrande, passa par Nan- tes qui desia parauant estoit fondée : comme il est dit au premier liure des Illustrations, et monta contremont la riuiere, iusques au lieu où maintenant est assise la cité de Tours, de laquelle il fut fondateur. Et depuis rentra en mer et alla conquérir sur les Geans lisle d'Albion : et la nomma Bretaigne : maintenant elle est dite Angleterre. En laquelle il fonda vne cité principalle : et la nomma la nou- uelle Troye, qui ores se dit Londres, sur le fleuue de Tha- myse. Desquelles choses ie me déporte pour le présent, car ce désire vne œuure apart.
Il faut retourner aux successeurs du Roy Bauo : lesquelz à brief dire, estendirent leur seigneurie par force et prou- esse darmes sur toutes les Gaules et Germanies, aussi auant quelles sestendent, mesmement le sixième de ceste lignée nommé Brunehaut, qui fut contemporain au Roy Dauid de ludee. Iceluy Brunehaut, Prince magnifique et de grand cœur, feit faire les chaussées, dont on voit iusques auiourdhuy les trasses en beaucoup de lieux de la basse AUemaigne et de France : mesmement du costé d'Amiens en Picardie. Et dura ceste lignée des Roys Belgiens, ius- ques au temps de luUes César, lequel occupa toutes les Gaules : après auoir occis en bataille Andromadas, le der-
» 8INGTLARITBZ DE TBOTE. LIVBB III. â97
nier des Roy s Belgiens, sur le fleuue de Saœbre, et sur le mesme lieu, dont Lacteur de ce liure est né.
Aussi se treuuent autres peuples, nations et maisons, tant en France comme en Alleraaigne, estre yssuz des Troyens, mesmeraent la nation d'Auuergne, entant quil touche les parties de pardeça, iouxte lautorité de Lucao, qui dit en sa Pharsalie :
Âruerni Latios ausi sd fingere fratres, Sanguine ab Iliaco.
Et Sidonius Apollinaris, euesque des Auuergnois, la répète au septième liure de ses epistres : en se complaingnant de linfelicité de son temps et de la seruitude en laquelle ilz estoient tombez par Theodoric, Roy des Vesegothz, de la nation d'Allemaigne : lequel pour lors occupoit toute Aquitaine. Les paroles dudit euesque Sidonius sont telles : AriternoTum proTi dolor seruitus, qui si prisca replicaren- tur, (1) audebant se qtiondam fratres Latios (2) dicere : et sanguine ah Iliaco populos computare. Maintenant ilz nont que faire de sen plaindre : car ilz sont pacifiquement traitez souz les maisons Troyennes et Herculiennes des Princes de France et de Bourbon.
Auecques lancienne noblesse et estimation des peuples d'Auuergne, Strabo au quatrième liure de sa géographie, adiouste et adioint celle du peuple de Chartres : pource que vnchacun desdits deux peuples est habitant sur le fleuue de Loire, et nomme lesdites nations tresillustres, cestadire tresnobles : comme il appert par ses paroles icy après mises : Inter Ligerim et Sequanam fluui%m trans
(1) replicentvr (éd. 1513).
(2) latio{éd. 1513).
298
ILLTSTRATIONS DE GAVLE, ET
Rhodanum atque Ararim, gentes ad iSeptentrionem adia- cent, Allolrogihus et Lugduni incoUsmcini. fforumillus- trissimi Aruerni et Carnuti. Per vtrosque delatus Liger amnis, in Oceanum ejluit. Et pource que ledit acteur nombre entre les plusnobles peuples habitans en Gaule, sur la riuiere de Loire, ceux de Chartres, il est tout notoire quil parle de toute la prouince de Touraine, laquelle sestend iusques à la mer de Bretaigne Armorique : car par leurs limites et non par autres, la riuiere de Loire entre en la mer Oceane. Pourquoy il est vray semblable, que du temps dudit acteur Strabo, qui fut durant le règne de l'Empereur Octauien Auguste, ceux de Chartres auoient grand prero- gatiue sur les citez Armoriques.
Touchant la cité de Tours, il est certain quelle fut fon- dée en Ihonneur et au nom de Turnus, neueu de Brutus, lequel fonda en Aquitaine vne autre cité nommée Britan- nia, tresnoble et tresgrande. Laquelle fondation toutesuoyes ie nafferme pas icy témérairement, mais ie le prouueray bien en autre temps et lieu. Quant aux autres fondations faites par les Trojens en Gaule, auant quelle fut nommée France, tous les historiens concordent en ce, que vn Prince Troyen nommé Tolosus fonda la cité de Tolouse en Aqui- taine. Parquoy ie treuue vraysemblable, quil fut de la compaignie du Roy Brutus. Encores iay entendu par com- mune renommée, quil y ha deux nobles maisons particu- lières pardeça, qui se disent estre yssuz des Troyens, dont lune est la maison de Tournon, sur le fleuue du Rhône, du costé des montaignes de Viueretz (1) et d'Auuergne. En ce quartier fut trouué du temps du Roy Loys vnzieme, enco- res estant Dauphin, la sépulture et les os dun Géant, ayant de hauteur vingtdeux piedz, selon ce que monstre sa pou-
(1) auj. le Vivarais.
8W6TLARITBZ DE TROTS. LIVRE 111. 299
traiture, estant im Tâcobins de Vâlëiiôe fen Daiiphîné. Et aucuns de ses os nous donnent foy et coniecture de la pro- portion de sa corpulence : car desdits os il y ha partie à la sainte chapelle de Bourges, dediee par le Roy René, duc d'Aniou et conte de Prouence. Et ce fust tesmoigné au Roy treschrestien et tresvictorieux, Loys douzième, luy seiournant en sa cité de Valence sur le Rhône. Iceluy Géant (comme iay ouy dire, estre contenu es chroniques du Dauphiné) estoit seigneur du pais. Et comme il est vray- semblable, estoit yssu ou allié de la noblesse Troyenne. Ladite maison de Tournon porte en ses armes vn Lyon rampant, en champ mesparty : qui sont les armes de Troye. Lautre costé semé de fleurs de lyz, qui sont les armes de France.
Pareillement se glorifie estre dextraction Troyenne, la maison de Neufchatel, en la franche conté de Bourgongne, lesquelz peuples se disoient anciennement Sequanois. Et de leur quartier procède la riuiere Sequana dite en François Seine, assez congnue par tout le monde, à cause de la Royale cité et vniuersité (1) de Paris, quelle mespart en deux, et fait la diuision de la Gaule Belgique, auecques la Celtique. Icelle maison d'Orenge et de Neufchatel, qui se dit Troyenne, ha esté voulentiers alliée auec celles de Bretaigne et Bourbon, qui sont de mesmes. Et vêla comment les li- gnages sentretiennent de toute antiquité, comme il appert par leurs généalogies, le plus communément.
Dautrepart, oultre et plusauant que ledit pais de Bour- gongne, cestasauoir pardela le fleuue du Rhiii en Alle- maigne, au païs de Soaue, et en vne contrée diceluy, la- quelle se nomme Franconie, ou France orientale, il y ha vne bonne ville nommée Phorcen, qui nest pas loing de la
(1) c.-à-d. communauté. '
300 ILLVSTRATIONS DE GÀVLE, ET
cité de Vlme, là où on fait les bonnes fustennes, et autres villes circonuoisines, dont les peuples se disent estre pro- créez daucune bende de Troyens, dont deux Princes, lun nomme Phorcys et lautre Ascanius, estoient chefz et con- ducteurs, tous deux vassaux de Priam, et qui le secouru- rent en sa guerre, iouxte ce que met le poëte Homère en son Iliade :
Phorcys et Ascanius Phrjgias daxere cateraas, Longe ex Âscania.
Et ce recite et afferme vn acteur tresrenomme, Messire lean Rheuclin (1) natif de ladite ville de Phorcen en France Orientale, au commencement dun liure tresmerueilleux, quil ha de nostre temps composé et intitulé, de verbo miri- Fico. (2) Pareillement la cité de Mayence, en AUemaigne, qui est des appendences de France Orientale, sur le Rhin, fut fondée par vn Troyen nommé Maguntius. Ces choses veiies, il nous faut retourner à nostre propos principal de Francus filz d'Hector, et de Sicamber son filz.
De la grand antiqaitë, force et renommée des Sicambriens et Fran- çois, prouuee par autoi;itez publiques, trop plus que les chroniques de France nen font mention : et comment il y auoit deux nations Sicambriennes, et des fondations des citez faites par eux. Puis est prouué suflSsamment, que les anciens acteurs ne nommèrent iamais les François sans les Sicambriens, auec autres nations leurs voisi- nes et alliées.
Novs commençons desia bien à entendre, comment la noblesse des Troyens exilée de son propre païs doultre mer,
(1) Reuchlin, le célèbre humaniste, né à Pforzheim.
(2) Spire, 1494, in fol., sur les noms sacrés employés dans lei mystères grecs, juifs et chrétiens.
SmGVLAWTEZ DE TROYK. LITEE III.
m
coramençoit à reflourir, et saugraenter par toute Europe, enuiron le temps que la grand cité de Sicambre fut fondée par Francus filz d'Hector. Laquelle cité il nomma Sicam- bre, du nom de sa tante Sicambria, sœur du Roy Priam, et dicelle cité fait grand conte et mention la chronique de Bucalus, comme on peult voir par icelle. Or régna en icelle, le tresnoble Francus filz d'Hector, iusques au temps quil rendit le tribut de nature. Et à luy succéda son filz Sicamber, régnant par lespace de soixantedeux ans, selon les chroniques de Tongres. Lequel ensuiuant les trasses de son père Francus et de son ayeul Hector, ainsi comme il fut terrible et redoutable aux ennemis, aussi fut il doux et traitable à ses subietz et débonnaire Prince à ceux qui! auoit vaincuz et subiuguez par grand prouesse darmes. Et se fit tant aymer des siens, que eux mesmes qui parauant du nom de son père sapelloient François, aymerent mieux deslors en auant estre dits et reclamez Sicambriens : jasoit ce que lun et lautre nom leur demoura tousiours, comme synonimes et indifférons. Tout ainsi que les enfans d'Israël se nommoient aussi luifz, de- par le père et le filz, cestasa- uoir, lacob et ludas. Car il est asauoir, que au temps passé les Princes portoient tant dhonneur et reuerence à leurs ancestres ou supérieurs, que par dessus leurs noms et sur- noms, ilz portoient encore voulentiers ceux de leurs pré- décesseurs et prochains : ainsi comme il appert de lulus Ascanius, filz d'Eneas, lequel pour le record de ses nobles ancestres et soulagement des siens, portoit aussi les noms de Dardanus et Laodamas. Et ce met expressément Ser- uius, sur le quatrième des Eneïdes de Virgile.
Long temps après, cestasauoir enuiron deux cens quatre vingts ans, depuis la destruction de Troye, et auant la fondation de Romme, deux cens ans ou enuiron, vne bende
302 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
diceux Sicambriens souz leurs Ducz, Troiades et Torgotus, descendirent sur le Rhin et fondèrent la ville de Bonne, auprès de Coulongne sur le Rhin, et consequemment la ville de Zanthes, en la Duché de Cleues, laquelle iusques auiourdhuy , sappelle ainsi de par le fleuue Xanthus qui passoit parmy Troye. Autrement es anciennes chroniques, elle est dite, Troia Francorum, comme iay trouué par la légende de saint Victor, de la légion de Thebes, dont il y ha vn beau monastère en ladite ville de Zanthes, iadis fondé par sainte Heleine, mère de lempereur Constantin le grand : et est vne tresbelle petite ville et assise en beau lieu, et là où on fait grand quantité de ces fines toillettes quon nomme communément de Holande, pource quilz sont prochains des Holandois.
Selon lesdites chroniques de Tongres, iceux Sicambriens yssuz de la haute Sicambre, occupèrent par succession de temps, tous les païs quon dit maintenant Cleues, Gheldres et luliers. Et se nommèrent tousiours Sicambriens lesdites nations, comme il appert, par les Commentaires de Iules César. Pourquoy il est notoire, quil y auoit deux nations Sicambriennes, cestasauoir la haute et la basse. Et diceux Sicambriens yssirent les Cimbres, merueilleuses et redou- tables nations.
Pour lesquelles choses prouuer, il appert par les histo- riens, poëtes et orateurs Romains, quilz ne nommèrent iadis gueres lune nation sans lautre, cestasauoir, comme alliées et inséparables, lune de lautre, François, Gaulois, Soaues, Sicambriens, Cimbres, Germains et autres telles nations circonuoisines, précédées de leurs anciens estocz le grand Hercules de Libye et le preux Hector de Troye : comme sera veu par le decours de ce liure. Et à ce propos ie puis alléguer plusieurs acteurs faisans foy de ce que ie
S1N6VLARITEZ DE TROTB. LIVRB lU. 303
dis : entre lesquelz est le poëte Claudian bien renommé, lequel estoit en bruit du temps de lempereur Honorius, à la louenge duquel et pour exalter le quatrième Consulat dudit empereur Honorius, il met ces beaux yers :
Ante ducem nostrum flauam sparsere Sicambri Csssariem, pauidoque orantes murmure Fraoci Procubuere solo. luratur Honorius absens, Imploratque tunm supplex Alemannia Domen. Basterav venere truces, venit accola sylasa Bi'UcteruB Herciniae, latisque paludibas exit Cimbrus : et ingeates Albim liquere Cherosci.
Plus ledit Claudian au premier Panegjric des louenges de Stilicon, lieutenant dudit empereur Honorius, dit ce qui sensuit : parquoy on peult congnoitre que de son temps les François estoient habitans de la montaigne Noire en Soaue, oultre le Rhin, là où il y ha grand force de venaison :
-Rbenumque minacem
Corûibas infractis ade6 mitescere cogis,
Ut Sueuus iam rura colat, flexosque Sicambri
In falcem curuent gladios, gemiuasque viator
Cum videat ripas, quse sit Romana requirat.
Ut iam trans fluuium non indignante Cayco
Pascat Belga pecus : mediumque ingressa per Albim
Gallica Francorum montes armenta pererrent :
Ut procul bercini» per vasta silentia syluœ
Yenari tut6 liceat, etc.
Et à ce mesmes propos Sidonius ApoUinaris, euesque d'Auuergne, qui flourissoit au temps de Theodoric, Roy des Ostrogothz, lequel tenoit le pais d'Aquitaine, en flatant ledit Théorie dit ainsi : Francorum et peniiissimas palU'
304 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
des intrares tenerantihus Sicamhris. Et S. Hierome lequel Tiuoit au temps que Pharamond fut couronné premier Roy des François, dit ce qui sensuit, à la grand louenge de la nation Françoise : Jnter Saxones quippe et Alemannes gens non tam lata quàm valida, apud historicos Ger- mania, nunc verô Francia mcatur.
Par lesquelles choses il appert facilement quil y auoit deux contrées qui se nommoient Sicambre : esquelles habi- toient les François, après la destruction de Troye, cesta- sauoir Sicambre haute et basse. Les hauts Sicambriens estoient comme dessus est dit, en Pannonie, quon dit maintenant Hongrie : et les autres en la basse Allemaigne, es païs de luillers, Gheldres et Cleues. Desquelz hauts Sicambriens François estoit le Roy Clouis premier Chres- tien. Auquel Roy Clouis, iasoit ce que S. Remy nignorast point quil fust Roy des François, dit en le baptisant : Mitis depone colla Sicamber : Adora quod incendisti : Incende quod adorasti. Et ce met expressément Grégoire, archeuesque de Tours, en sa chronique.
le mesbahis comment plusieurs historiens de France nont fait autre mention de la plus grand antiquité de lori- gine des François et des Sicambriens. Et ne donnent autre prerogatiue à ceste nation, sinon comme si le nom de France fust tout nouuel et moderne, et quil neust esté illustre, noble, ou congnu, sinon du temps que lempereur Valentinian leur donna franchise et relaxation de tribut pour dix ans : à fin de guerroyer et dompter les Alains, comme silz ne fussent nommez Francz ou François pour autre chose, ce qui nest pas vraysemblable : attendu que Cicero, prince deloquence qui fut du temps de Iulius César, fait mention expresse du nom des François, en vne epistre quil escrit à son amy Atticus. Et quant au nom des Sicam-
SINGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE III. 305
briens, il est certain que es histoires Romaines en est faite ample mention : cestasauoir, dun Duc des Sicambriens nommé Molon, lequel combatit contre Dru sus, attenant de prochain lignage, à lempereur Octauien Auguste : mais ledit Duc Molon fut vaincu et mené en triomphe à Romme. Pour laquelle victoire ledit Drusus acquit le surnom de Germanicus, comme le plus noble des autres, et mourut à Mayence, sur le Rhin, qui est en France Orientale, là où on voit encores vn grand édifice antique fait en mémoire de luj.
Geste victoire depuis cousta cher aux Romains, car les Sicambriens et Soaues, cestadire François, souz la con- duite dun autre Duc nommé Ariminius, mirent à mort cruelle et sans mercy ne raison, trois légions Romaines, des garnisons mises par ledit Drusus Germanicus sur les frontières du Rhin, desquelles légions estoit chef, Quin- tilius Varus : et auec eux furent defiaits six autres légions de souldoyers estrangers, quilz nommoyent pour lors auxi- liaires. Laquelle perte est par les historiens contée entre les infelicitez d'Auguste : car autrement cestoit le plus heureux Prince qui onques fut : et de cest inconuenient (1) il cuida mourir de dueil. Et fust faite ceste grand descon- fiture à Nuremberg, qui est vne grosse ville d'Allemaigne, située en France orientale, et aux autres lieux et fors tant deçà comme delà le Rhin, où les garnisons Romaines se tenoyent.
Par ainsi voyons nous, que de toute antiquité les armes belliqueuses des Sicambriens, François et Germains, ont esté redoutables à Lempire de Romme, auquel finablement ilz ont tollu la monarchie du monde, et ont succédé en leur lieu. Donques pour monstrer encores mieux que la
(1) c.-à-d. malheur. II. SO
506 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
nation des Sicambriens et François nest pas de si récente mémoire, ne de si tardiue renommée que les communes histoires disent, nous auons le poëte Martial en ses Epi- grammes, et luuenal en ses Satyres, qui font mention des Sicambriens, et désignent et pourtrayent leurs façons et habitudes, presques comme si on veoit à lœil, de quel* forme et sorte ilz estoyent adonc, tellement que vn peintre bien entendu les pourroit bien contrefaire après les deux vers qui sensuiuent. Dont lun monstre, quilz auoyent les cheueux crespelez, recorcelez (1) et retortillez, tout ainsi comme les hauts Allemans les portent iusques auiourdhuy. Lautre dit quilz auoyent la face et le regard terrible, effroyeuse et redoutable. Et cest quant aux Sicambriens.
Martialis : Grinibos in nodum tortis Tenere Sicambri.
luuenalis : Tanquam de getis aliqaid toruisque Sicambris.
Entant quil touche de prouuer que la nation Françoise estoit en grand estime et vigueur long temps parauant le règne de l'Empereur Valentinian, et que les armes Fran- çoises , pour conseruer leur liberté Troyenne et Hercu- lienne, contre la tyrannie des Romains, ne faillirent onques à se defFendre ou assaillir : cecy nous tesmoigne vn grand historien, nommé Flauius Vopiscus, en la vie de l'Empe- reur Valerius Aurelianus, duquel porte le nom la cité d'Orléans, et aussi le souloit porter la cité de Geneue en Sauoye, car il en fut fondateur. Or y eut il entre ledit Aurelian et Valentinian, huit Empereurs. Et dit ledit
(l) c.-à-d. retroussés. Cf. recourcer.
SINGYLARITEZ DE TROTB. LIVRE III. 307
acteur Vopiscus, que comme les François courussent et gastassent toute la prouince de Gaule, ilz furent par ledit empereur Aurelian vaincuz en bataille rude et difficile à Mayence sur le Rhin, qui est en France orientale, et les plusnobles d'eux menez en triomphe à Romme. Et voicy les propres motz dudit acteur : Idem {Aurelianus) apud Magontiacum Tribunus legionis sexta Gaîlicanœ, Fran- cos irruentes cum vagarentur per totam Galliam, sic adflixit, vt trecentos ex his captos, septingentis interemp- tis suh corona vendiderit. Unde iterum de eo facta est cantUena :
Mille Francos, mille Sarmatas semei occidimus. Mille, mille, mille, mille, mille Persas quserimus.
Laquelle chanson se chanta au triomphe dudit Empe- reur, quand il ût son entrée triomphale à Romme, Par- quoy il appert comment les Romains, vainqueurs de plusieurs nations, estimoient à grand honneur et gloire dauoir def- fait vn petit nombre de François. Et si voit on par ceste preuue, que de tout temps ilz estoient renommez en lexer- cice des armes, voire plus de six vingts ans auant quilz constituassent Pharamond Roy sur eux. Lequel Pharamond commença régner, lan cccc.xx. selon Gaguin. Et Aurelian fut fait Empereur, lan après lincarnation deux cens quatre vingts et dixneuf selon laques de Bergome.
Apres ledit empereur Aurelian, ses successeurs consé- quents, cestasauoir, Florianus, Aurelius Probus, Proculus le tirant : et depuis Constantin le grand et iuste monarque, yssu du sang de Troye, eurent affaire auz François : comme il appert par leurs histoires et panégyriques : cestadire, décantations de louenges, dont vn acteur nommé Raphaël de Volaterre, en son vingt et troisième liure des Commen-
508 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
taires vrbains, met que ledit empereur Aurelius Probus, natif de Pannonie, triompha des François, des Goths, des Parthes et des Sarmates. Aussi pour vne gloire singulière, il voulut porter en ses tiltres, les surnoms desdites nations par luy vaincues, et les fit grauer en sa sépulture à perpé- tuelle mémoire, desquelz tiltres celuy de France estoit le premier. Et la teneur estoit telle : C<Bsar Aurelius Probus : Imperator : Francicus : Gothicus : Parthicus : Sarmati- cus. lestime quil porta voulentiers ledit surnom de Fran- cicus, pource quil se sentoit estre yssu des François, les- quelz premièrement habitèrent en Pannonie, en laquelle contrée fut iadis fondée la grand cité de Sicambre par les Sicambriens ou François. Mais pour mieux entendre ceste histoire, il faut congnoitre la situation de Sicambre en Pannonie, et pourquoy elle ha changé son nom. Et sappelle ores Bude en Hongrie.
Sensait la situation de la grand cité de Sicambre, iadia fondée par Francus filz d'Hector, en Pannonie, sur le grand fleuue Dunoe. Et comment depuis vn Prince nommé Buda, frère de Attila, Roy des Huns, changea son nom à ladite cité de Sicambre, et la nomma Bade en Hongrie.
La terre de Pannonie, qui du temps de Troye sappelloit Peonie, comme au chapitre ensuiuant sera bien amplement declairé, se diuise en deux : cestasauoir, la haute et la basse. La haute Pannonie est auiourdhuy Larchiduché d'Autriche : et la basse Pannonie est le Royaume de Hon- grie. Et parmy toutes ces deux contrées passe le noble fleuue Danubius, qui se dit en langue vulgaire le Dunoe, lequel est le plus grand de toute Europe, et seul par dessus
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tous les antres ayant ce priuilege, quil dresse son cours iustement contre Orient. Sa sourse primitiue est en la montaigne Noire, qui se dit en Latin Sylua Eercinid : estimée par les historiens et cosmographes pour lune des plus grandes et des plusnobles du monde, au païs de Soaue en Âllemaigne, oultre le Rhin, qui se disoit anciennement et encores se dit France Orientale. La sourse et la première fontaine dudit fleuue Dunoe fut monstree pour vne singu- larité à madame Marguerite d'Austriche et de Bourgongne, par vn Cheualier du païs, nommé Vlric, conte de Fustem- berghe, qui guidoit et conduisoit ladite Princesse, ayant charge de ce faire, de par lempereur Maximilian, père de ladite dame. Cestasauoir au temps quelle alla voir sondit seigneur et père, en habit de dueil, auquel elle estoit pour lors, et tout son train de trois cens chenaux ou plus, a cause du trespas de son frère vnique le Roy Phelippes de Cas tille. Si se feit donner ladite Princesse Marguerite, de leaue de la fontaine du grand fleuue Dunoe, en vne coupe dor. Et quand elle en eust tasté, elle dit lors en souzriant, selon sa manière douce et humaine, comme font toutes Princesses : Que la grâce à Dieu et à Fortune, elle auoit fait en sa vie, ce que pieça quelque autre femme de noble maison nauoit fait. Et quand aucuns des seigneurs plus priuez et plus apparens luy demandèrent gracieusement, la raison pourquoy : elle respondit : Pource quelle auoit veu tous les plus grans fleuues de Chrestienté, tant en France, Espaigne, Sauoye, Italie et ades (1) en Allemaigne, ce qui nestoit aduenu de long temps à Princesse quelcon- ques. Laquelle parole (considéré ses infortunes esmut aux principaux des assistans grand pitié, iusques aux larmes.
(1) c.-à-d. maintenant. Cf. Titalien adesso.
310 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Mais pour la consoler, ilz tournèrent à ieu, et tirèrent oultre.
En ce mesmes tenant, (1) il nous fut dit pour vn cas mer- ueilleux, en la Noire montaigne, laquelle pour lors blan- chissoit toute de neige et verdoyoit de hauts sapins bien reuestuz et bien branchuz : que de ladite montaigne sour- dent les trois plus grans et plus nobles fleuues d'Europe, cestasauoir, le Dunoe, le Rhône et le Rhin. Le Rhône impétueux sen va rendre en la mer Mediterrane de Lan- guedoc, en Prouuence, deuers le Soleil de mydi. Le Rhin tresfertile et tresriche, entre en la mer Oceane, de la basse AUemaigne, et de Flandres, deuers bise, à Soleil couchant. Et le Dunoe dresse son cours plus de cinq cens lieiies loing, et va cheoir en la mer Maiour, cestasauoir au Ponte Euxine plus bas que Constantinoble, deuers Tartarie, et se lance si tresimpetueusement dedens icelle mer, par sept portes ou entrées, que plus de quarante mille pas en auant, de- dens la marine, on treuue leaue douce : car dedens ladite riuiere Dunoe descendent autres grans fleuues, iusquesau nombre de soixante, auant quelle aborde en ladite mer de Ponte. Et passe par plusieurs et diuerses nations estranges, d' AUemaigne, de Hongrie, d'Esclauonie et de Grèce. Dont les vues sont Chrestiennes, les autres errent en la foy, et les autres sont du tout hors de lobeïssance de leglise Ro- maine, cestasauoir de la secte Macommetiste, et subiettes au Turc et au Tartre.
Or donques sur ledit merueilleux fleuue Dunoe, fut édi- fiée par les Troyens la grand cité de Sicambre, en beau pais fertile et fort à merueilles, de laquelle fait grand mention la chronique de Bucalus estant en la tresriche et tresbelle
(1) c.-à-d. au même moment, en 1506.
SmGTLARITBZ DE TROTE. LIVRE lU. 311
librairie du Roy treschrestien Loys douzième en son chas- teau de Blois. Et en icelle cite de Sicambre, dominèrent les François et Sicambriens, iusqnes au temps des Ro- mains : mesmement de lempereur Octauien Auguste : lequel ne les dompta pas, mais ilz se donnèrent franche- ment à luy pour lamour de sa grand renommée et bonté, et que de son temps toutes guerres estoient cessées et paix vniuerselle regnoit au monde, et ce mesme honneur portè- rent audit empereur les autres nations plus lointaines, cest- asauoir, les Iules, (1) les Parthes et les Scythes, quon dit ores les Tartres. A laquelle occasion, lempereur Octauien Auguste, pour certaines raisons à ce le mouuans, remua la nation des Sicambres et leur feit changer pais, parauen- ture pource quilz estoient trop grand peuple ensemble, ou pource quil doutoit leur force estre trop prochaine d'Italie, comme est Hongrie, et les feit descendre ou partie diceux, en Gaule Belgique, sur le fleuue du Rhin. Ce que nous tes- moigne Suétone, en la vie d'Auguste : Germanosque vitra Âlhimjluuium summouit, ex quihus Sueuos et Sicamhros dedentes se traduxit in Oallia, atque in proximis Rlieno agris collocauit. Parquoy il est certain, que du temps de lempereur Auguste, auquel nostre seigneur iesvs christ nasquit, les François et Sicambriens obtenoient (2) la plus grand et la meilleur partie d'Allemaigne et de Gaule Bel- gique, es pais quon dit présentement, Cleues, Gheldres et luillers.
Puis que nous congnoissons assez que les François Si- cambriens eurent en possession la terre de Pannonie, quon dit ores Hongrie, laquelle est si bonne et si riche de toutes
(1) Julles (ëd. 1513). Peut-être les Jurxs d'Hérodote IV, 22.
(2) c.-à-d. occupaient, obtinehant.
312 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
choses, mesmement de minières dor, pourquoy ne la gar- dèrent ilz ? A ce ie respons, que nonobstant, que par les choses dessus narrées soit assez satisfait à ceste question, cestasauoir, que la voulenté de lempereur, pour lors souue- rain Prince du monde, fust telle, que de les transporter plus bas, neantmoins ie dis dauantage, quil semble que la destinée des François Sicambriens les menast à telle fortune, à fin que tousiours ilz fussent plus illustres, et mieux exer- citez aux armes : car mutation de païs fait les hommes plus dextres et plus robustes, comme on le voit communé- ment.
Ladite cité de Sicambre, fondée par les François, fut depuis en la subiection des Romains. Et quant vint le de- clin de lempire, les Gothz et les Lombardz, tous deux peu- ples de la nation d'AUeraaigne, la tindrent et depuis sur- uindrent les Huns de Tartarie, dont le premier Roy nommé Attyla, lequel auoit communément cinq cens mille hommes en armes, non content dauoir occupé toute Grèce, Mace- done, Esclauonnie, Albanie, Istrie et Dalmace, sarresta en la cité de Sicambre à cause de la force et beauté du lieu. Et là se tint lespace de cinq ans : ce pendant quil faisoit espier les prouinces de Gaule, d'Espaigne et d'Italie, pour y descendre et se ruer en icelles. Laquelle chose il mit -à exécution. Car quand il vit son poinct, il courut toute Alle- maigne et Gaule, là où desia estoient les Goths, les Bour- guignons et les François, et y auoient prins et arresté leurs sièges en reculant et forcloant les Romains, pour la plusgrand partie. Tellement que après le siège d'Orléans, lequel il fust contraint dabandonner, il fut combatu en la plaine de Chaalons en Champaigne par les Romains, Fran- çois, Bretons, Bourguignons et Goths. Et fut celle bataille merueilleuse et mémorable, car il y moururent Meroveus,
8INGVLARITEZ DE TftOTE. LIVRE III. 313
Roy des François, Gundengus, Roy des Bourguignons, et Theodoric, (1) Roy des Goths. Et fut ledit Attyla presques desconôt, iasoit ce quil eust cinq cens mille hommes en armes, comme il sera dit plusauant en ce liure. Il portoit en ses armes vn Esperuier couronné. Et en ses tiltrea et manderaens parents il disoit ainsi : Attyla filius Bender- cum, nepos magni Nembroth^ nutritus in Engadi : dei gratia Rex Hunnorum, Medorum, Gothorum, Dacorum : Metus orhis, et Flagellum Dei. Il estoit extrait de la mesme rasse et païs des Turcs, qui se disent auoir prins origine de Turcus, filz de Troïlus. Et encores voit on que les Hongres ayment et fréquentent les arcz Turquois, et sont forts et hardiz comme Turcs, mais il sont leurs trop fiers ennemiz, à cause de la foy Chrestienne. Et bien en ont monstre les exemples de la fresche mémoire de noz pères. Car le Roy Albert de Hongrie, gendre de l'Empereur Sigismond, qui tendant à ces fins, assembla les conciles de Constance et de Basle, mourut ieune allant en son emprise contre les Turcs. Lancelot, (2) successeur dudit Albert, Roy de Hongrie et de Polone, combatant vaillamment contre le grand Amo- rat, tyrant de Turquie, cheut en la bataille, auec le Cardi- nal Cesarin, Légat du saint siège apostolique, qui fut vue ti'op piteuse iournee pour la Chrestienté. Et de nostre temps, le Roy Mathias, Prince de merueilleuse prouesse et affection à la deffense de nostre foy, tout le temps de son règne ha esté heureux et bien fortuné, par plusieurs vic- toires mémorables contre les Turcs. A laquelle besongne tressalutaire, il sest monstre plus affectionné par effect que nul autre Prince de son temps, ne desplaise aux autres.
(1) Théodore {éà. 1513).
(2) Vladislas VI, mort à la bataille de Varna, en 1444.
314 ILLYSTRATIONS DE GATLË, ET
Par quoy il ha mérité quil soit de luy mémoire éternelle en toute histoire et chronique.
Pareillement, son successeur moderne, le Roy Lancelot de Hongrie et de Bohême, allié de la maison de France et de Bretaigne, sest honnestement exercité en tel affaire con- tre la nation infidèle, et en ha raporté victorieuse renom- mée. Par quoy il appert, que iasoit ce que les Turcs et les Hongres soient dune mesme extraction quant à lorigine de Tartarie, neantmoins le changement du pais et des mœurs, et la diuersité de croire en Dieu, les ha faits ennemis si tresmortelz que riens plus : ioint à ce que le voisinage de leurs contrées augmente la hayne et les rend plus aspres : car lun entreprend tousiours sur lautre.
Or pleust à Dieu, que tous noz treshauts Princes de Chrestienté fussent ensemble si bons amys, que iamais il ny eust que redire ne que radouber en leurs quereles mu- tuelles et controuerses réciproques, ains alassent vnanime- ment ayder aux Hongres, aux Bohèmes et aux Polaques, qui sont sur les frontières des Tartres et des Turcs. Alors ce seroit vn beau passetemps, à la tresnoble et tresillustre nation Françoise et Britannique, procréez du vray sang légitime de Troye, daller voir en passant par le païs de Hongrie, Esclauonie et Albanie, les sièges de leurs pre- miers Princes et parents. Et dilec tirer en Grèce, pour contempler la ruine dune nation si audacieuse, qui eut iadis Ihonneur de deffaire et ruiner la grand cité de Troye. Et dillec passer à Constantinoble, la mer Hellesponte, cestadire le bras saint George. Et puis planter leurs enseignes triom- phantes en la terre ferme d'Asie la Mineur, quon dit main- tenant Natolie ou Turquie. Et recouurer par iustes armes le propre héritage, et les douze Royaumes que tenoit iadis le bon Roy Priam, ayeul de Francus filz du trespreux Hector.
SUfGVLARITBZ DE TROYB. LIVRS lU. 315
Tout lequel chemin, tant par mer que par terre, pro- uince pour prouince, cité pour cité, isle pour isle, iay entreprins et pieça commencé de monstrer par escrit, à ceux qui entreprendront vn si digne voyage, et lacheueray quelque fois au plaisir de Dieu, mais ce ne sera point auant que nous voyons tous noz Princes Chrestiens auoir du tout délaissé leurs guerres ciuiles, pour embrasser dun magna- nime courage ceste tressainte emprise, par perpétuelle con- corde et vnion fraternelle. Laquelle chose seroit trop plus que nécessaire. Mesmement en ce temps de trouble et misé- rable diuersité, auquel le Turc seiforce et menasse destain- dre et abolir de tous poinctz en Orient la tresclere et tres- cheualereuse religion de Rhodes, pour tousiours affoiblir et diminuer la chose publique de la Chrestienté. Mais reno- uons au propos du premier Roy des Hongres.
Or auoit Attyla, premier Roy des Hongres, laissé son frère Buda, en la cité de Sicambre en Pannonie, pour la garde et gouuernement du païs : et luy auoit donné charge de la reedifier et augmenter : comme celuy qui, après ses conquestes, entendoit y faire sa résidence. Et vouloit en perpétuelle mémoire, que de son nom elle fust nommée Attelbourg, cestadire, la cité de Attyle : et que Pannonie fust nommée Hongrie, comme elle est de présent, à cause des Huns qui lauoient conquise et occupée. Mais sondit frère Buda, ou par ambition de propre gloire, ou pource quil se vouloit faire Roy du païs, tandis que son fi-ere estoit occupé en autres guerres, fit nommer ladite cité de Sicam- bre en Pannonie, Bude en Hongrie. Aucuns historiens tien- nent, quil ne le feit pas par malice, mais ce fut la beniuo- lence de ses subietz ausquelz il estoit trop plus humain que son frère Attyla. Comment quil soit, Attyla comme tres- cruel homme, en print tel despit et vengeance, que après
316 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
son retour de la bataille des champz Catalauniques, il tua de sa propre main son frère Buda : et puis feit ietter son corps en la riuiere de Dunoe. Si commanda deslors en auant estroitement par toute Allemaigne et Hongrie, que la cité de Sicambre fust nommée de son nom Attelbourg. Lequel commandement les AUemans obseruerent par crainte, mais les Hongres non : car ilz estoient plus affectionnez à la mémoire de son frère Bude. Et vêla la raison pourquoy on nomme la cité de Sicambre, Bude en Hongrie, en laquelle est le siège Royal, et vn tresfort auantmur pour la Chres- tienté contre les Turcz. Laquelle fust ainsi restaurée par Attyla, enuiron lan de grâce quatre cens et vn : quil com- mença à régner sur les Hongres. Mais de la fondation pri- mitiue dicelle, faite par les François tantost après la fonda- tion de Troye, iay trouué les fragments dun Poète antique, en leglise collégiale de saint lust de Lyon, par la teneur duquel il peult apparoir tout ce que dessus est touché.
Oucta per lUyricum vexit ratis alta leones, Migrât ia Hungariam, quse fertilis obtulit omen :
Terra satis placuit, gaudia multa mouent. Arte parant vrbem, fiimulantem mœnia Troise, Quae malà vicinos, p6st ad seruilia cogît
Sic, nisi eos reges terra subacta roget. Urbs ornata viris noua dicta Sicambria est. Multa per * Troiana potentia sseuit,
Percutit et Isedit, ssepe crueuta redit.
Lesquelz vers combien quilz ne soient pas des plus fins du monde, et que le liure estoit si vieil et si corrompu, que ie ne pouuoie bonnement tout lire, neantmoins pource quilz font aucune foy de lantiquité de Sicambre , ie les ay voulu mettre icy. Apres iceux, il y auoit autres vers, dont
SINGULARITtZ DE TROTE. LIYEB III. 317
la substance est, que la terre de Germanie, tant sur le fleuue Dunoe, comme sur le Rhin, estoit iadis nommée France. Parquoy il appert que les François occupèrent pre- mièrement toutes les Allemaignes, et depuis les Gaules.
Rhenas ibi fluuias Danubiusque aalit. Francia pôst dicta Qermaaia noscitur ipsa, Ex qaa Francoram regnum natura patriat.
Encores audit liure il y auoit vn abrégé de la chronique des Sicambriens, faisant mention, que du temps de Sal- manasar, Roy des Assyriens, et deSennacherib, sonfilz, les- quelz persécutèrent beaucoup les enfans d'Israël, mesme- ment le prophète Tobie, les Sicambriens obtindrent le païs de Bauiere en Allemaigne et la grosse cité de Ratisbonne, assise sur le grand fleuue Dunoe : laquelle fut depuis fort augmentée par l'Empereur Charles le grand. Lesquelles choses iay voulentiers récitées, à fin dentendre tousiours de plus en plus, que les François se firent seigneurs de toute Allemaigne et Hongrie.
Raison vraysemblable, parquoy les Troyens soaz lâor Roy Franeus, surnommé Laodamas, et son filz Sicamber sarresterent plustot en Pannonie, quon dit maintenant Hongrie, que en quelque autre contrée. Et des Princes dudit païs, qui furent presens au rauisse- ment d'Heleine, et vindrent depuis au secours du Roy Priam à Troye. Et comment les Gaulois de nostre nation de pardeça cuide- rent aller secourir Troye, mais ilz la troauerent desia destruite.
Qvant à ce que les Troyens, François et Sicambriens sarresterent premièrement en Pannonie, quon dit mainte- nant Hongrie, il est assez -vraysemblable : car comme des-
518 ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
SUS est monstre, le sage Helenus, frère d'Hector, nourrit et esleua son neueu Francus. Et pource quil regnoit en Alba- nie et Esclauonie, qui ne sont pas lointaines de Hongrie, il fait assez à présupposer, quil voulut bien auoir son neueu pour son voisin, et luy bailla lindustrie de ce faire. Dautre part, il est certain, que les enfans d'Hector auoient quelque aflSnité en Pannonie, laquelle du temps de Troye se nom- moit Peonie : comme met Raphaël de Volaterre, au hui- tième liure de sa Géographie. Et quilz y eussent congnois- sance, alliance et aflSnité : il appert assez par les escrits de Dictys de Crète et d'Homère, lesquelz recitent, que les Roys et Princes de Thrace, de Mysie et de Peonie, donnè- rent secours à Troye. Thrace est vne contrée en Grèce, dont la cité capitale est Constantinoble, assise deçà la mer Hellesponte. Mysie est située entre le grand fleuue Dunoe et les montaignes de Macedone. Et sappellent ores ces contrées, Bosne, Rasce (1) et Seruie, toutes conquises par le Turc sur la Chrestienté, et sont frontières dun costé au Royaume d'Hongrie. Peonie comme dessus est dit, ha depuis esté nommée Pannonie, et se diuise en deux : cestasauoir, en haute et en basse. La haute Pannonie, est ores Larchiduché d'Austriche. Et la basse Pannonie, est le Royaume de Hongrie, dont la cité principale est Bude, qui iadis se disoit Sicambre. Ainsi appert que les Princes de deçà la mer, ne furent pas exempts de la guerre de Troye, non plus que les Orientaux. Et à ce propos met expressément le Pape Pie, en la description de son Asie, que les Gaulois de nostre nation de pardeça passèrent d'Europe en Asie, pour aller deflfendre Troye. Mais quand ilz la trouuerent sans murailles, ilz la laissèrent, iasoit ce
(1) Bescc (éd. 1528). Âtg. la Rascie, partie occid. de la Servie.
8INGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE III. 319
quelle fut réparée depuis par les enfans d'Hector. Et les mots dudit Pape Pie son telz : Agesianarus scrihit^ Oaîlos ex Europa transgressas tulela gratia in tyrbem {sciîicet Troiam) ascendisse : sedeam sine mœnibus repertam illico dimisisse.
Pour reuenir à nostre propos de Peonie, ou Pannonie, quon dit maintenant Hongrie, Paris et son frère Deïpho- bus furent enuoyez celle part par leur père Priam, auant le rauissement d'Heleine, à fin dauoir gensdarmes et soul- doyers de ladite nation , ce quilz impetrerent. Si ame- nèrent grand cheualerie, comme met Dares de Phrygie. Lesquelz furent présents et complices à la destrousse de Lacedemone, quand Heleine fut rauie, et à toutes les autres bonnes actes que Paris feit en son premier voyage, comme bien amplement est descrit au second liure de ces Illustrations. Et quant à la guerre du siège de Troye, ledit acteur Dares nomme entre les Princes qui secouru- rent Priam, Alcamus de Peonie. Dictys de Crète, vn autre noble acteur, en son deuxième liure de Ihistoire Troyenne, met que Pyrechmus, (1) Roy de Peonie, fut occis en ladite guerre par Diomedes, Roy d'Etolie. Homère en son troi- sième liure de l'Iliade, translaté en prose par Laurens Valle, fait mention dun autre Prince nommé Pyrechmes de Peonie, lequel alla au secours de Troye, et mena ses gens tous bons archers. Encores voit on auiourdhuy, que les Hongres sont forts et expers à tirer de lare Turquois. Et fut iceluy Prince de Peonie, nommé Pyrechmes, (2) tué par les mains de Patroclus de Myrmidonne, comme met ledit poëte au zvi. liure de son Iliade. Et au xxi. il met
(1) Pyregamus {éd. 1513 et 1528).
(2) Pyrechines (éd. 1513 et 1528).
320 ILL VST RATIONS DE GAVLE, ET
que Asteropeus, filz de Pelegon de Peonie, mourut par les mains d'Achilles. Ainsi voit on que les Princes de Peonie, ouPannonie, quon dit maintenant Hongrie, et des prouinces circonuoisines de deçà la mer, se meirent en grand peine pour secourir Troye, et tous ny proufiterent gueres : car les destinées et la prouidence diuine estoient au contraire. Ces choses veûes, et toutes doutes qui eussent peu obom- brer ceste histoire esclarcies, il nous faut retourner à Francus, premier Roy des François et Sicambriens, et de- clairer sommairement la progression de sa tresnoble pos- térité, et des peuples belliqueux et fortes nations qui de luy sont yssues, et de leurs gestes victorieux, iusques au tresglorieux empereur Charles le grand, Roy des François Orientaux et Occidentaux. Laquelle généalogie nous dédui- rons, si Dieu plait, heureusement, selon lordre qui sensuit.
Francus fut filz d^Hector de Troye, père de ceste Généalogie.
Dudit Francus, portent iusques auiourdhuy le nom, le pais de Franconie, quon dit en allemant Francland, oultre le Rhin, de Francfort en Allemaigne. Et la nation des François en Gaule, quon dit maintenant le Royaume de France.
Sicamber fut filz de Francus.
Dudit Sicamber fut iadis dénommée la grand cité de Sicambria en Pannonie , quon dit maintenant Bude en Hongrie. Et les premiers Sicambriens, qui furent tous vns auec les Francs Germains ou hauts Allemans : oultreplus les bas Sicambriens, quon dit auiourdhuy les Gheldrois, et les ducz de Cleues et luliers.
Priam second de ce nom fut filz dudit Sicamber. Hector second de ce- nom fut filz dudit Priam deuxième.
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 3^
Ledit Hector second de ce nom eut trois fllz : cestasa- uoir, Troïus, Polydamas et Brabon. Dudit Brabon yssit, en la vingtième ligne, vn autre Brabon qui donna le nom aux Brabansons et à la duché de Brabant.
TroïuB fut filz dadit Hector deuxième, comme deMOs est dit. TorgotuB fut filz dudit Trolus. Tungris fut filz dudit TorgotuB.
' ï)iceluy Tungris porte auiourdhuy le nom la cité de Tongres auprès du Liège, et iadis fut vn grand peuple nommé Tongrois.
Teuto fut filz dudit Tungris.
Dudit Teuto portent le nom iusques auiourdhuy les Teu- toniques, que les Italiens appellent Tudesques : les Vual- lons les nomment Thyois : et les François les disent Alle- mans. Ce furent proprement iadis ceux qui habitoient deçà et delà le grand fleuue Dunoe, en Soaue, Austriche et Bauiere. Et diceux Teutoniques les histoires Rommaines font ample mention, maintenant on les appelle Lansque- neta : cestadire, enfans du pais d'Allemaigne.
Agrippa fut filz dudit Teuto.
Dudit Agrippa, porte le nom la cité Agrippine, quon dit Cologne sur le Rhin : laquelle nest contée sinon pour lune des quatre villes rustiques (1) de Lempire.
(I) En allemand landstadt, ou ce que Frisch, Teutsch-Lateinisches W8rterbuch (Berlin, 1741) appelle urbs municipaïis et distingue d'une reichstadt ou d'une amtstadt. Conring, De urbibus germanicis (Francf. 1693, p. 149), cite Cologne, Bâle, Strasbourg et Spire, comme ayant obtenu le rang de ville libre, /rei-ttadt, et les oppose aux urhes regni vel impériales. Le môme auteur {Definib%s imperii II. SI
522 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Âmbro fut filz dudit Agi'ippa.
Dudit Ambro, porta iadis le nom le peuple des Ambrons, habitans sur le Rhin , desquelz lesdites histoires rom- maines font aussi mention.
Thuringus fut filz dudit Ambro.
Dudit Thuringus porte iusques auiourdhuy le nom, vue prouince d'AUemaigne, nommée Thuringe.
Cimber fut filz dudit Thuringus.
De cestuy Cimber est procedee la domination du grand et merueilleux peuple des Cimbres, qui tant fatiga les Ro- mains. Et fut la domination dudit Cimber, depuis la riuiere de Meuse iusques à Lescault, et depuis la forest Charbonnière, quon dit maintenant le pais de Flandres, iusques à la mer de Frise, de Dannemarch et de Noruueghe.
Camber fut filz dudit Cimber.
Du dessus nommé Camber, portent auiourdhuy le nom, la cité de Cambray et la terre de Cambresis, et Cambron en Haynnau. Il fut Roy des Cimbres, des Tongrois et des Belgiens.
Les successeurs dudit Camber furent ses deux filz Mel- brand et Seruius, et leurs hoirs, lesquelz ie me déporte de nommer : car ilz ne seruent de rien au propos : et les remetz à Ihistoire de Belges ou de Tongres : iusques à celuy qui sensuit.
germanici, p. 415) ne fait remonter Tautonomie de Cologne qu'au XI1« siècle.
SIIfGTLARITEZ DB TROYE. LIVRE III. 323
De Meaapius, Roy des Cimbres, Belgiens et Toagroif , qai fut père de Qodefroj : surnommé Karle.
Menapivs, Roy des Cimbres, Belgiens et Tongrois, fut filz du Roy Magius, lequel fonda le chasteau de Megie(l) entre les riuieres de Rhin et de Meuse : descendu de ladite tresancienne et tresnoble lignée du Roy Cimber. Et donna ledit Menapius le nom aux Menapiens, qui estoit iadis vn peuple puissant en Gaule Belgique, voisin des Eburons, quon dit maintenant les Liégeois, et de la forest d'Ardenne , lesquelz Menapiens sont maintenant ceux qui habitent en la Duché de luliers et vne partie de Gheldres. César au cin- quième et sixième liure de ses Commentaires fait mention d'eux : et dit quilz estoient alliez de ceux de Terouenne : et amys d'Ambiorix, Roy des Eburons. Et furent les der- niers de ceux qui daignèrent demander paix et appointe- raent audit César. Parquoy il est vraysemblable que ces- toit vn fort et puissant peuple.
Ledit Menapius regnoit assez long temps auant la mo- narchie des Romains : cestasauoir du temps de Ptolomeus Euergetes, Roy d'Egypte. Lequel Ptolomeus commença à régner, lan deuant lincarnation nostre Seigneur, sept vingts
(1) Il faut chercher cette localité entre le Rhin et la Meuse Infé- rieurs, dans l'espèce de presqu'île qui se termine en aval de Nimôgue. On trouve dans ces parages la petite ville de Megen, Meghen ou Meghem ; mais elle est sur la rive gauche de la Meuse, dans le Maas- land. Elle était le chef-lieu d'un petit comté qui était fief du duché de Brabant, et dont la seigneurie, dit Tauteur des Délices des Pays- Bas, a' ètend&it sur plusieurs villages audeça et audelà de la Meuse. — Guichardin cite le Mega Comitatvs.
324 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et deux : enuiron lequel temps, les Romains et le peuple de Treues feirent vne forte confédération ensemble. Et fut nommée Treues, la seconde Romme : vsant des loix Ro- maines. Et pource que le Roy Menapius, voisin desdits de Treues, refusa lalliance desdits Romains, Lucius Cassius fut enuoyé contre luy, auec plusieurs légions de gens- darmes : et persécuta lesdits Tongrois et Menapiens : ius- ques à la grand mer Oceane : comme met Orose : mais en la fin il fut circonuenu, attrappé et tué par eux, auecques Lucius Piso, homme de dignité Consulaire et légat ou lieu- tenant dudit Cassius Consul.
Laquelle chose voyant, Lucius Cassius, vn autre Consul auquel le demourant de larmee Romaine sestoit retirée après ladite desconfiture : à fin quil les peust garder, fut contraint de faire vn appointement deshonnorable auec ledit Roy Menapius, en telle manière que les Romains des lors en auant ne deuroient entamer sur luy ne sur ses alliez. Et pour ses dommages et interestz, ledit Consul luy deliura toute son artillerie et instrumens de guerre : auec- ques la iuste moytié de toutes les bagues, harnois et autres biens desdits gensdarmes Romains. Lesquelles despouilles furent distribuées entre les Cimbres, Tongrois et Belgiens : et dicelles vne bonne partie oôerte en sacrifice au temple de Mars, Dieu des batailles, à Louuain : dont il fut fort enrichy. Et oultre ce, pour plus grand seureté dudit ap- pointement , furent es mains dudit Roy Menapius cent nobles hommes Romains pour ostagiers.
De cest appointement tresuituperable, non contens le Sénat et le peuple Romain, quand ledit Lucius Cassius fut retourné à Romme, il fut cité à certain iour par deuant Celius, tribun du peuple. Mais luy craingnant plus grieue sentence nosa comparoir, ains senfuyt en exil : dont le Roy
8IM0VLAR1TBZ DE TROTB. LITRE III. 315
Menapias fut tant indigné contre lesdits Romains, quun peu de temps auant sa mort, il assembla au temple de Mars à Louuain ses quatre filz, Léon, Godefroy, Teutonius et Cloadic, et plusieurs autres de ses Princes, barons et vassaux, et illec leur feit iurer et vouer solennellement, à la statue dudit Dieu Mars, quilz feroient leur pouuoir de mettre à totale destruction lesdits Romains : comme auoient fait leurs prédécesseurs Brennus et Belgius, tresuaillans Princes, qui prindrent et destruisirent Romme, excepté le Capitule. Par ainsi au commandement du Roy Menapius, ses quatre enfans dessusnommez et les autres seigneurs promirent et vouèrent daccomplir son intention. Et cer- tain temps après, ledit Roy Menapius mourut, après auoir régné lespace de treize ans. Si dirons maintenant de ses enfans.
Déclaration des Princes et nations qui conspirèrent contre lesdits Romains auec les enfans dudit Roy Menapius.
Le âlz aisné dudit Roy Menapius, nommé Léon le quart, régna sur les Cimbres, Tongrois et Belgiens : et le pre- mier an de son règne, pour accomplir le vœu et promesse que luy et ses trois frères auoient fait au temple du grand Dieu Mars à Louuain, par le commandement de leur père, ilz feirent ensemble alliance à tous les peuples et Princes voisins, yssuz de la tresnoble et tresancienne génération de Sicamber, neueu d'Hector de Troye, et de Bauo, cousin germain de Priam : iadis premier Roy de Belges, quon dit maintenant Haynnau : et mesmement ilz se confedererent à la nation Teutonique, cestadire les hauts Allemans. Sur lesquelz regnoient pour lors plusieurs Princes, si comme le
326 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Roy Bolus ou BelÏBUs : le Roy Lucius, le Roy Boiorix, le Roy Claudius, le Roy Cesorix et autres dont on ne scait les noms.
Pareillement fut de leur ligue et confédération vn Roy Géant et de merueilleuse stature, nommé Teutobochus, qui dominoit sur les Ambrons et sur les Tigurins. Desdits Am- brons nous auons fait mention cy dessus, et habitoient sur le Rhin. Touchant les Tigurins, aucuns disent que cest vne partie de Souycere : (1) les autres les prennent pour la Conté de Gymer.
A tous ceux là, ledit Léon, le quart Roy des Cimbres, Tongrois et Belgiens, associa et bailla pour conforts et frères darmes ses deux frères plus ieunes : cestasauoir, Teutonius et Cloadic, auecques vne merueilleuse multitude de Cimbres : quon dit maintenant Frisons, Ostrelins et Dains, (2) auec ses Menapiens, qui sont ceux de la Duché de luliers, Belgiens, qui sont Haynnuiers, et Namurois, Ebu- rons, quon dit maintenant Liégeois, et Tongrois qui sont auiourdhuy Brabansons. Toutes lesquelles nations sont comprinses par les histoires Romaines souz la dénomination des Cimbres, pource quilz estoient en plus grand nombre.
Désignation dune autre raison ou opinion, pourquoy lesdits peuples partirent de leurs marches et enuahirent les Romains , et des premières victoires quilz eurent contre eux.
LvcivsFlorus, tresuoble historien Romain, met expressé- ment vne autre cause, pour laquelle lesdites nations furent contraintes de partir de leurs païs, laquelle toutesuoyes se
(1) c.-à-d. Suisse. (2j Danois.
SINGYLARITRZ DB TROYE. LIVIB III. 397
penlt accorder à la dessusdite. Et penlt lune et lautre estro vraye selon diuers regards. Si met ledit acteur, que lesdits peuples furent contraints daller chercher autres territoires, pource que la grand mer Oceane auoit couuert et gaigné toutes leurs terres. Pour laquelle cause ilz entrèrent pre- mièrement en Gaule, et dillec en Ëspaigne : dont ilz furent reboutez : et comme ilz voulsissent passer en Italie, ilz enuoyerent leurs ambassadeurs à Syllanus Consul, lequel auoit vn grand exercite pour leur contredire le passage. Et dillec au sénat de Romme, en suppliant benignement que le peuple Martial, cestadire le peuple Romain leur donnast aucun quartier de pais pour habiter, comme par manière de soulde. Et en ce faisant ilz seruiroient ledit peuple Romain, tant au labourage de la terre, comme au fait de la guerre : ce qui leur fut refusé. Et adonques ilz délibé- rèrent dauoir par force darmes ce quilz nauoient peu im- petrer pas prières. Tellement que ledit Syllanus Consul ne peut porter de primeface leur horrible impétuosité : ne secondement Manlius, ne Cepion, pour la tierce fois : ains furent tous desconfis et chassez, et perdirent le camp. Et cela est selon la récitation dudit Lucius Florus.
Tite Liue, acteur de grand estime, met que Cneus Aure- lius Scaurus, Légat consulaire, perdit vne bataille contre les Cimbres : et fut prins prisonnier. Et comme les Princes Cimbriens qui leurent vaincu leussent appelle en leur con- seil, et demandé son opinion, asauoirmon silz deuoient pas- ser en Italie ou non : ledit Aurelius Scaurus leur prison- nier, leur dit, quilz ny deuoient point passer : affermant que les Romains ne pouuoient estre vaincuz. A ce mot vn ieune Roy nommé Bolus, plein de grand férocité, le tua de sa main, en la présence des autres. Et depuis lesdits Cim- bres desconfirent en bataille Cneus Manlius, Quintus Ser-
3^ ILLVSTRATIOWS DE GAVLE, ET
uilus et Cepion Proconsulz, et perdirent deux fois le camp. Si y moururent quatre vingts mille hommes Romains, et en y eut quarante mille prisonniers. Ledit proconsul Ce- pion, pource quil auoit donné la bataille trop auentureuse- ment, fut demis de sa dignité, enuoyé en exil : et ses biens confisquez. Les Cimbres quand ilz eurent gasté tout le païs alenuiron du Rhône, passèrent les monts Pyrénées et en- trèrent en Espaigne, là où ilz feirent beaucoup de maux. Mais ilz furent finablement reboutez par les Celtiberes, et sen retournèrent en Gaule, là où ilz se ioingnirent aux Teutoni- ques : cestadire aux hauts AUemans, qui est vne nation fort belliqueuse. Cela est prins de Titus Liuius.
Orose met sur ce propos, que lan de la fondation de Romme, six cens quarante deux, qui fut selon le Supplé- ment des chroniques, douant lincarnation nostre Seigneur, quatre vingts et neuf ans, Caius Manlius et Quintus Cepio, furent créez Proconsulz, par le Sénat et peuple de Romme, et enuoyez alencontre des Cimbres et Teu toniques, Tigurins et Ambrons : qui sont gens de Gaule. Lesquelz alors auoient conspiré ensemble destaindre et abolir du tout lempire Romain. Quand lesdits Proconsulz furent sur le fleuue du Rhône, ilz départirent leurs prouinces, en sorte que lun tenoit le quartier de deçà le Rhône et lautre de delà. Et comme entre eux, ilz se debatissent par merueilleuse enuie et dissension, ilz furent vaincuz par les Cimbres, à la grand honte et danger de tout lempire Romain. Car en icelle bataille Marcus Emilius, homme de dignité Consulaire, fut prins et tué auec deux de ses filz. Si furent occis sur le champ quatre vingts mille nobles hommes, tant Romains que de leurs alliez, et soixante mille varlets prins : telle- ment que de tout ledit exercite, il nen eschappa que dix hommes, qui portèrent les nouuelles misérables à Romme.
8INGTLARITBZ DE TROYE. UVRE III. 329
Les Cimbres gaignerent les deux camps des deux Procon- sulz, auec vn merueilleux butin : mais par vue execrableté non accoustumee, ibz gasterent et meirent à perdition tout ce quilz auoient prins. Mesmes, ilz débâchèrent les babil- lemens et despouilles des Romains, et ietterent les pièces ça et là : lor et largent ilz le ruèrent dedens le fleuue. Les haubers et autres armures des hommes, ilz les froissèrent et desrompirent, les freins et chanfreins des chenaux furent dispersez et gastez : et les cheuaux noyez dedens les gouf- fres du fleuue, et les hommes penduz aux arbres. Telle- ment que les vainqueurs ne iouyrent daucun fruit de leur proye, ne les vaincuz de quelque miséricorde. Alors y eut vn merueilleux dueil à Romme, auecques crainte extrême que tout incontinent les Cimbres ne passassent les monts et destruisissent Italie. Et certes comme met Lucius Flo- rus, cestoit fait à iamais des Romains : si neust esté que Marias le vaillant capitaine estoit de ce temps là.
De la d«ffaite du Roy Teutobochus I« Oeant, aaecques tes Ambrons et Tigurins, qui demeurèrent auprès d*Âiz en Prouence.
Les romains estonnez dauoir desia perdu trois grands batailles contre lesdites nations Galliques et Germaniques, firent Consul pour la quatrième fois, ledit Marins qui na- gueres auoit vaincu lugurtha, Roy de Numidie, en Afrique, et iceluy amené prisonnier à Romme en son triomphe. Quand donques ledit Marins fut venu en Prouence, il nosa de prime face assaillir noz gens : mais entretint ses gendar- mes en son camp, bien fortifié : attendant que la terrible impétuosité de ceux de pardeça fut vn peu rassise. Orose met que lassiete du camp dudit Marius estoit auprès du
I
330 ILLVSTRATIONS DE 6ÀVLE, ET
lieu où le fleuue de Liseré entre dedens le Rhône : cesta- sauoir, auprès de Valence en Dauphiné. Les Teutoniques, Cimbres, Tigurins et Ambrons assaillirent par trois iours continuelz le fort des Romains, pour cuyder les auoir, ou attraire aux champs, et donner la bataille : mais quand lesdits Cimbres et autres virent quilz ne profitoient riens à lassault, ilz laissèrent en paix lesdits Romains, en les menassant, et demandant silz vouloient riens mander à leurs femmes : tant se monstroient ilz asseurez daller pren- dre Romme. Si se diuiserent en trois bendes délibérez de ce faire.
Teutobochus, vn Roy Géant, estoit chef de lune des ben- des, cestasauoir, des Ambrons et des Tigurins, lesquelz cy dessus ont esté spécifiez. Icelle armée estoit de trois cens mil hommes ou enuiron : si prindrent leur chemin deuers Prouence. Mais après leur partement, le consul Marins en grand diligence, sauança de leur couper chemin, pour leur défendre le passage des montaignes. Si les vint trouuer en vne vallée, assez près d'Aix en Prouence : là où lesdits Ambrons et Tigurins sestoient parquez tout du long dune riuiere. Si planta Marins son camp sur vn tertre vis à vis d'eux. Et comme son ost fut en grand nécessité deau et les gendarmes se plaingnissent à luy, disans, quil laissoit mou- rir de soif eux et leurs chenaux : il leur respondit : Vêla la riuiere que les ennemis tiennent : si vous estes hommes, il la faut gaigner au fer esmoulu, et au trenchant des espees.
Ce mot ne fut pas si tost hors de la bouche du Consul Marius, que ses gens firent de nécessité vertu. Tout pre- mièrement les coustilliers (1) et gros varletz à grans cris et huées, entamèrent la bataille. Puis après les hommes dar-
(1) armëa de la coustille ou coutelas.
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRE lU. 33f
mes donnèrent dedans en bon ordre. Et fut combatu par vne merueilleuse ardeur et aspresse : tellement que les Am- brons et Tigurins furent reboutez et vaincuz pour la pre- mière fois. Et les Romains gaignerent la iournee, et la riuiere, là où ilz se refreschirent pour estancher leur grand soif. Et dit Lucius Florus, que loccision fut si grande, que les Romains altérez de soif et de chault, buuoient autant de sang humain comme deaue. Aucuns historiens tiennent que ledit Marius laissa ses gens auoir soif tout à essient : à fin que pour recouurer eaue, ilz combatissent plus ar- damment.
Le quatrième iour après que chacune desdites deux ar- mées eust reprins son alaine : elles se mirent de rechef en bataille, lune contre lautre. Et fust combatu depuis le ma- tin, iusques à mydi presques également, sans sauoir lequel auoit du meilleur ou du pire. Mais après que le soleil com- mença à seschauffer, comme met Orose, les corps des Alle- mans et des Gaulois commencèrent à fondre comme neige. Et fut faite d'eux vne horrible boucherie, iusques à la nuict. Et y moururent deux cens mille hommes de ladite nation des Ambrons et Tigurins, et furent prins quatre vingts mille. Si en eschappa enuiron trois mille.
Teutobochus leur Roy, lequel comme met Lucius Florus, auant la bataille estoit si puissant et si dextre, quil souloit saillir oultre et pardessus quatre ou six cheuaux tout à vne fois, estoit si aflfoybli des playes quil auoit receiies, que à peine peult il monter sur vn coursier pour cuider se sauner à la suitte : mais il fut poursuiuy et ratteint en vn prochain tertre : et estoit chose merueilleuse de voir sa grandesse. Car après que son cheual fut tué souz luy, et il se tint encores debout, en soy deffendant vaillamment, la hauteur de sa corpulence surpassoit les colomnes qui illec estoient
332 ILLVSTRATIONS DE GAVLK, ET
plantées pour trophées et enseignes de victoire. Parquoy il faut dire quil estoit de stature de Géant. Finablement il fut tué par les Romains.
Telle fut la desconfiture des Tigurins et des Ambrons. Mais de leurs femmes, Orose et saint Hierome racontent vne chose mémorable : cestasauoir, que après la bataille, quand elles eurent entendu quelles seroient liurees en ser- uitude et concubinage aux Romains vainqueurs : trois cens des plus nobles et apparentes dentre elles vindrent se présenter deuant le consul Marins : et luy firent requeste, que sil les vouloit auoir en vie, quil leur fut loisible garder leur chasteté. Et pour ce faire, que on leur assignast lieu au seruice des Vierges et-Nonnains sacrées, en aucun tem- ples de Ceres et de Venus. Laquelle chose comme elles ne peurent impetrer, ains furent reboutees par les sergens dudit Consul, la nuict suruenant elles tuèrent leurs petis enfans : et le lendemain furent tout trouuees mortes et entretuees, la pluspart tenans lune lautre embrassée.
Comment la bende des deux frères Teatonius et Cloadic, Roy des Cimbres, entrèrent en Italie à force et maugré les Romains.
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La seconde et la tierce bende des Cimbres et Teutons, Belgiens, Tongrois et Menapiens, après quilz se furent par- tis, comme dessus est dit, dautour du fleuue du Rhône en Gaule, ilz ne peurent passer les montaignes quon dit main- tenant de Sauoye : à cause de ce que le Consul Marins, après sa victoire des Ambrons et des Tigurins, les auoit desia occupées. Si furent contraints de faire vn grand tour et denuironner vn grand païs, en passant par les Helue- tiens, quon dit maintenant Souyceres, et tirant de là, ius-
SINGVLARITEZ DB TROYE, LIVRE III. 333
ques en Soaue et aux montaignes de Trente, qni séparent Italie d'Âlleroaigne. Si passa lesdites montaignes la première desdites deux bendes, par grand force et vertu, nonobstant Ihyuer et les neiges, et en despit de Quintus Catulus, Pro- consul des Romains, commis à garder le passage et les destroits. Et lautre bende demoura pour arrieregarde, secours et renfort en Allemaigne : cestasauoir, es montai- gnes de Soaue et de Bauiere. I>
De ladite bende qui entra en Italie, en nombre de denx cens mille hommes de fait, sans leurs femmes et leurs en- fans, estoient conducteurs les dessusnommez deux frères Roy s Teutonius et Cloadic, enfans de Menapius, lesquels auoient aussi auec eux plusieurs autres Roys et Princes, tant alliez, comme subietz, dont dessus est faite mention. Si comme les Roys Bolus, Lucius, Claudius, Boiorix et Cesorix, et autres assez, dont nous nauons point les noms. Lesquelz tous ensemble auoient iuré leurs Dieux, de non sarrester iamais en lieu déterminé iusques à ce quilz eus- sent destruit Romme : ce quilz ne feirent pas, comme vous orez, et dont mal leur en print.
Comme donques ilz eussent passé les Alpes à viue force, et eussent desia rué ius le dessusdit Quintus Catulus Pro- consul Romain, et abatu vn fort chasteau sur le fleuue Athesis, (1) qui passe parmy Trente et Vérone : lequel ledit Catulus nauoit peu garder, ains sonfuyoit deuant eux : finablement sans autre résistance, ilz passèrent la riuiere non pas à gué, ce quilz cuiderent faire, mais ilz ne peu- rent : ny aussi à force de ponts de bateaux, lesquelz ilz ne sceurent ou ne daignèrent faire, mais à force de gros trônez darbres, quilz coupèrent et ietterent dedens, tant quilz les feirent surmonter leau, et ainsi passèrent.
(1) L'Adige.
554 ILLVSTRÂTIONS DE GATLE, ET
Apres auoir passé ladite riuiere d'Athesis, ilz sestendirent par la plaine de Lombardie et de la terre Veronoise, Pa- duanne et Vénitienne, dont les Romains eurent merueilleuse crainte et estonnement autant quilz eurent iadis d'Annibal . Et si nosdits Cimbres fussent tirez oultre tout dune marche, comme ilz auoient premièrement délibéré, ilz eussent mis en grand hazard toute la puissance de Romme : mais pource quilz trouuerent ledit territoire gras et plein, doux et fer- tile, et quilz commencèrent à menger du pain et de la chair cuite et des figues, et autres doux fruitages, dont la région abonde : et boire du vin à planté ; et aussi saccoustume- rent destuues et de baings, ce quilz nauoient encores accoustumé, comme met Lucius Florus : leur force et leur dureté robuste, et parauant si terrible et si redoutable, se commença à amollir et anichiler. (1) Et en ce temps pendant le Consul Marins fut derechef créé Consul alencontre d'eux, et luy fut baillé pour collatéral Quintus Catulus, lequel parauant sen estoit fuy deuant lesdits Cimbres, comme nous auons dit.
De la merueilleuse bataille entre les Romains et les Cimbres : et de la defifaite desdits Cimbres par la subtilité des Romains : et de la forte bataille quilz eurent contre les femmes.
Le consvl Caius Marivs, auecques son collatéral Quintus Catulus, feit marcher son armée iusques auprès de celle des Teutons et des Cimbres, laquelle chose voyans les Roys dessusnommez feirent demander par vn héraut audit Con-
(1) L'édition 1512 fait de ce paragraphe une vingtaine de petites phrases découpées par des points.
SINGTLÂRITEZ DB TROTE. LIVRE UI. 335
sul Marius iour et lieu assigné pour combatre : ce qui leur fut accordé à certain iour prochain, et en vne grande et large campaigne, nommée Gandin.
Le iour de la bataille assigné venu, les deux Consulz Marius et Catulus furent diligents et meirent leurs gens en ordonnance subtilement de grand heure, pour surpren- dre les Cimbres, tellement que larmee des Romains fut plustost approchée à combatre main à main quilz neussent peu penser quelle eust esté preste. Par ainsi comme gens de cheual des Cimbres eussent soustenu le premier fais, ce pendant que les autres se mettoient en ordre, ilz furent de léger (1) reculez par la foule des Romains et contraints à rentrer dedens les leurs, lesquelz ilz entretroubloient et mettoient en desordonnance. Si vserent oultreplus les Romains dune cautelle et artifice de guerre semblable à celle dont Annibal vsa vers eux à la bataille de Cannes. Cestasauoir, de leur sauoir donner la pouldre et le Soleil au visage : au moyen desquelles choses, vne si terrible mul- titude de Cimbres fut vaincue et desconfite, sans grand perte des Romains.
En ceste iournee mourut nostre Roy Teutonius, filz de Menapius, lun des principaux chefz de larmee des Cimbres, et le Roy Belus ou Beleus, et le Roy Lucius, et le Roy Boiorix, tous vaillans Princes : et auec eux le nombre de sept vingts mille hommes. Il y eut deux autres vertueux Princes dont on ne scait les noms, comme met Orose : les- quelz quand ilz veirent la perte de la bataille, coururent sus lun à lautre et sentretuerent. Le Roy Cloadic, firere dudit Teutonius, fut prins prisonnier : auec deux autres Roy s Claudius et Cesorix : et quarante mille de leurs gens.
(1) c.-à-d. rapidement, facilemont.
336 ILLVSTRATIONS DK GAVLE, ET
Le Consul Catolus, combien quil eust premièrement esté rebouté par lesdits Cimbres à lentree d'Italie, combatit neantmoins plus heureusement que Marius : car il eut en sa part trente et vne enseignes des Cimbres et des Teuto- niques, là où. Marius nen eut que deux. Et fut ceste des- confiture, lan deuant lincarnation nostre Seigneur quatre vingts quatorze.
De la cruelle et noble mort des femmes des Cimbres : et de la tierce bende dont depuis yssirent les Goths, qui bien se vengèrent des Romains : et diceux Goths extraits des Cimbres, descendirent les anciens Roys de Bourgongne et d'Espaigne.
Apres la desconfiture des hommes, les Romains, eurent presques autant à faire à vaincre les femmes : car pour deffendre leur honneur et chasteté, elles sestoient fortifiées entre leurs chariots et bagages : comme dedens fortes tours ou chasteaux, et dillec combatoient de lances, de dards et despees, par vne merueilleuse hardiesse et obstination de courage, tellement que par longue espace on ne pouuoit entamer sur elles : mais quand il aduenoit que aucunes desdites femmes en combatant tomboient es mains diceux Romains, ilz les faisoient mourir de plajes cruelles et des- honnestes, en la présence des autres, pour leur donner crainte et frayeur : mesmemènt ilz leur coupoient le test (1) de la teste, auec les cheueux : de laquelle nouuelle et exé- crable manière de mort, lesdites femmes espouuentees , enuoyerent premièrement au Consul Marius, vne ambas- sade comme auoient fait les autres dessusdites, pour impe-
(I) c.-à-d. le haut du crâne. Cf. testa «s vertex ap. Ducange.
SmCYLARlTEZ DE TRÔTE. tIVBE III. ^57
trer liberté, et quelles poussent seruir les Dieux et les Déesses en aucuns temples comme religieuses. Laquelle chose comme elles ne peurent impetrer, elles estranglerent premièrement et ietterent contre terre leurs enfans, et puis tournèrent contre elles mesmes les armes quelles auoient prinses contre les Romains : tellement que les aucunes sentretuoient de coups de lances, de haches' ou despees : les autres prenoient lune lautre par la gorge, et sestran- gloient par merueilleuse fureur et desesperation. Et telles en y eut qui nouèrent des cordes par lun des bouts aux iambes derrière de leurs cheuaux, et de lautre bout à leurs mesmes gorges : puis en aguillonnant leurs cheuaux, se faisoient trainer par iceux iusques au mourir. Les autres se pendirent aux arbres prochains, aux timons de leurs chariotz, voire à tout leurs cheueux mesmes par faute de cordes. Si en fut trouué vne pendant à vn arbre, ayant à chacun de ses piedz vn de ses enfans penduz.
La tierce bende, laquelle comme nous auons dit cy do- uant, estoit demouree sur les frontières de Soaue et de Bauiere, pour donner secours à ceux cy : quand ilz enten- dirent la desconfiture de leurs compaignons, neurent garde dentrer en Italie, voyans la fortune contre eux, ains sen allèrent par Allemaigne et Hongrie chercher autre habi- tation : iusques aux paluz Meotides, deuers Tartarie : ïâ oîi ilz sarresterent, et y demourerent long temps. Si déuin- drent vn grand peuple : et disent aucunes Histoires, mes- mement Raphaël de Volaterre en son premier liure des Commentaires vrbains (1) : Que de ceux mesmes yssirent les
(1) Raphaël Maffei, surnomme Volaterranus, né à Yolterra en 1452, mort en 1522. Le plus connu de tous ses ouvrages est intitulé : Cotnmentariirerum «rbanarutn libri XXXVI II, espèce d'encyclopédie. II. 23
338 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Goths, Vesegoths et Ostrogoths : qui depuis se vengèrent ^es Romains à grand oultrance : et se respandirent par toutes les Italies, Gaules et Espaignes. Et de ceux sont yssuz les Rojs de Bourgongne et d'Espaigne, comme nous dirons cy après en son lieu.
Le consul Caius Marius auec son collatéral Quintus Lucanus Catulus, après leur victoire, eurent leur entrée triomphale à Romme et menèrent auec eux les Roys Cloa- dic, Claudius et Cesorix, prisonniers. Et pour la mémoire de ladite victoire, et à fin de remercier les Dieux, le Sénat fit faire vn temple dœuure merueilleuse, lequel iusques auiourdhuy sappelle le temple Cimbrique : et est situé auprès de sainte Marie maiour. Ainsi demoura Cloadie prisonnier à Romme.
Comment après la deffaite de Teutonius et Cloadie, Roys des Cimbres, Léon le quart, leur frère fut occis par les Saxons. Et son frère, et successeur Godefroy surnommé Karle, chassa daupres de luy son filz nommé Charles Ynach.
La desconfitvre des Cimbres en Italie, comme il est assez vray semblable, causa en noz païs de par deçà vn grand trou- ble. Et fut ce quartier bien estonné, (1) dauoir perdu vne si grand force de gens : attendu que tous les ieunes et forts hommes y estoient allez. A cause de quoy, Léon le quart, Roy des Belgiens, des Cimbres et des Tongrois, auec son frère Godefroy, furent bien esbahis, et menèrent grand dueil de la mort de leur frère Teutonius : et de la captiuité de leur autre frère Cloadie, détenu à Romme, et sur ces
(1) c.-à-d. consterné.
SIMGTLAHITBZ DB TROTE. LIVRB III. 339
entrefaites, comme il aduient coastumierement que dune mauaaise fortune sensuiuent plusieurs autres, Âusonarix, Roy de Saxone, ayant quelque ancienne querele alencontre des Belgiens et Tongrois, descendit d'AUemaigne auec un grand exercite de Saxons, Vuandelz, Huns, Istriens et Austrichois, et combatit en la campaigne contre le Roy Léon le quart, et Godefroy son frère. Si fut ledit Roy Léon tué en la bataille, et Godefroy se sauua à la fuite. Par- quoy ledit Ausonarix Roy de Saxone demeura vainqueur.
Dont après tant dinfortunes, ledit Godefroy, seul et der- nier des quatre frères, fut Roy de Tongres, mais trop affoibly. Si se retira en son chasteau de Megue (1) sur la riuiere de Meuse, et vescut illec assez tristement et soli- tairement. Et pource quil se tenoit ainsi estrange et me- lencolique, sans communiquer auecques les gens, il fut sur- nommé Karle, qui signifie en langage Teutonique ou Thiois, rude, robuste ou rustique : toutesfois il paya la rançon de son frère Cloadic, estant prisonnier à Romme : lequel Cloadic neantmoins ne fut pas deliuré à plein, mais de- meura comme ostager et pour seureté à Romme.
Iceluy Godefroy surnommé Karle, eut vn filz nommé Charles Ynach, lequel son père chassa et bannit de sa pré- sence et de son Royaume, pource quil auoit vsé de force enuers vne fille : tellement que ledit Charles Ynach, con- traint de partir des païs de pardeça, se retira vers son oncle Cloadic, ostager à Romme, duquel il fut honnorable- ment receu. Si le logea et colloqua auec vn noble Sénateur nommé Gneus Octauius, pour voir et aprendre du bien et de Ihonneur Romain. En ce mesme temps, cestasauoir
(1) Metgue (éd. 1528), peut-être Megen, près de Njmègue, ou plu- tôt Nymôgue même (▼. plus bas).
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enuiron septantedeux ans deuant lincarnation de nostre Seigneur, Mithridates, Roy de Ponte, faisoit la guerre aux Romains, es parties d'Orient et de Grèce, laquelle dura bien quarante ans, selon les histoires, et fut souuent renou- uellee.
Pour lors, cestasauoir enuiron aucun temps de ladite guerre, estoit en la prouince de Péloponnèse, qui est vne partie de Grèce, quon dit maintenant la Moree, contenant les païs d'Arcadie et d'Achaie, estably pour Duc, Proconsul et Président, vn Prince Romain, nommé Lucius Iulius, qui fut père de Caius Iulius César, Dictateur perpétuel, et qui premier instaura la monarchie de Lempire, et dont tous les autres ses successeurs depuis ont esté nommez Empe- reurs et Césars. Ledit Lucius Iulius, donques selon le de- uoir de sa charge, feit tantost assauoir au Sénat et peuple de Romme, les nouuelles entreprises dudit Roy Mithri- dates, à fin dy pouruoir.
Comment Charles Ynach milita pour les Romains, en la guerre du Roy Mithridates, et amena pardeça vne des sœurs de Iulius César : et de limposition du nom de Yalenciennes.
Povr fournir donc à la guerre dessusdite, furent mis sus nouueaux gensdarmes à Romme, auec lesquelz alla Charles Ynach exillé et banny des païs de pardeça par son père Godefroy Karle, comme dessus est dit. Et milita en icelle guerre, souz lenseigne de Lucius Iulius dessusnommé, pro- consul d'Arcadie et d'Achaie. Et en ces entrefaites mesmes, et pour loccasion de ladite guerre du Roy Mithridates, sourdit à Romme la grand discorde ciuile entre SyUa et Marius : dont Sylla, qui demeura vainqueur, feit vne mer-
SMGVLARITEZ DE TftOYB. LitEE 111. 341
tiëilleuse occision et prôscrij^tion de ceux qui auoient tenk le party de Marius, son ennemy. A cause dequoy plusieurs citoyens Romains abandonnoient leurs biens et leurs mai- sons et senfuy oient, pour fuyr la cruauté énorme de Sylla.
Entre ceux qui laissèrent Romme, pour euiter ladite tyrannie, fut le dessusnommé Octauius Sénateur, en la maison duquel Charles Ynach auoit premièrement esté logé et à luy recommandé par son oncle Cloadic, comme nous auons dit cy dessus. Lequel Octauius se retira en Arcadie, vers ledit Lucius Iulius Proconsul, là où il trouua Charles Ynach, son hoste. Si se tint illeçques auec luy, iusques à la mort de Sylla, et ce pendant mourut le Roy Cloadic, estant ostager à Romme.
Or auoit ledit Lucius Iulius, proconsul d' Arcadie, deux filles, lune nommée Iulia et lautre Germaine. Iulia estoit de la mesme mère dudit Iulius César : lautre il lauoit eiie dune noble dame dudit païs d' Arcadie. Quand donques après la mort dudit tyrant Sylla, iceluy Octauius voulut retourner à Romme, il désira prendre alliance et affinité auec ledit Lucius Iulius. Laquelle chose luy fut de léger ottroyee, pource quil estoit fort noble et preudhomme. Si furent faites les noces solennelles, et puis Octauius monta sur mer et partit d' Arcadie auec sa femme. Et Iulius César, son beau frère, pour lors ieune adolescent, fut député pour les accompaigner.
Lautre fille dudit Lucius Iulius proconsul, nommée Ger- maine, tresbelle damoiselle, demoura auecques sa mère en Arcadie. De laquelle deuint amoureux Charles Ynach , estant cheualier de son père. Et pour la priuauté quil auoit leans, feit tant secrètement quil la pria damours et la rendit enceinte. Mais craingnant que la chose vint à lumière, et que tous deux en eussent à soufirir, après quil
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luy eust conté comment il estoit filz de Roy, mais exillé de son pais par le maltalent de son père, et que neantmoins esperoit de retourner en sa grâce, ilz sentrepromeirent mariage : et elle fut contente dabandonner ses parens et son pais, et sen venir auec son amy Charles Ynach, es pais de pardeça. Si troussèrent les meilleurs de leurs bagues, auec ce quilz peurent de trésor, et sembarquerent celeement par vne belle nuict, et sen vindrent en Italie, du costé de Venise là où ilz prindrent terrre.
En après délibérant comme dessus est dit, Charles Ynach de retourner pardeça, et de trouuer quelque moyen de rentrer en la grâce de son père : ilz montèrent à cheual, luy, sa femme et son train, le plus desguisément et cou- uertement quilz peurent, de peur destre congnuz. Si dres- sèrent leur chemin, premièrement à Milan, et dillec par les AUobroges quon dit maintenant Sauoyens et Bourguignons, et par le pais de Gaule, qui maintenant sappelle France, et firent tant par leurs iournees, quilz arriuerent à Cam- bray.
De Cambray ilz tirèrent oultre, et vindrent iusques à vne place, qui pour lors se nommoit le chasteau de Sesnes, là où ilz se refreschirent et reposèrent en la belle vallée, sur vne plaisante riuiere, en laquelle nageoient plusieurs cygnes. Alors lun des varletz, lequel estoit archer, benda son arc, et tira vne flesche après lun desdits cygnes. Mais loisel euita le coup, et en volant tout effroyé, se vint ren- dre au gyron de la belle Germaine, dont elle fut ioyeuse, pour la nouueauté du cas, et en prenant bonne signifi- cation diceluy, pource que au temps passé le cygne estoit dédié à la déesse Venus de laquelle elle estoit descendue de par Eneas, filz d'Anchises de Troye. Si demanda à Charles Ynach, son mary, comment tel oisel auoitnom au langage
SIMGVLARITBZ OB TROTE. LIVRE lU. 343
de son païs : et il respondit, quon le nommoit Sauane, en langue Thioise. Lors dit elle quelle vouloit désormais estre ainsi appellee, et non plus Germaine, de peur quelle ne fust quelque fois recongnue à cause dudit nom. Si fut obtempéré à son plaisir et à cause de la multitude des cygnes, ledit lieu fut deslors appelle Val des Cygnes, et est maintenant le lieu où est située la ville de Vallenciennes, sur la riuiere Descault, et elle feit emporter auec elle ledit Cygne, et le nourrit et garda songneusement.
Comment Charles premier de ce nom en ceste généalogie, surnommé Ynach, régna à Tongres après la mort de son père Godefroy Karle, et fut occis en bataille par Iulius César, son beau frère. Et est aussi désigné le tenement de Ambiorix, Roy des Ebarons.
Dvdit lieu, quon dit maintenant Vallenciennes, Charles Ynach et sa femme Suuane , qui plus ne voulut estre appellee Germaine, tirèrent iusques au chasteau de Froid- mont, quon dit Cauberghe, (1) en langage Thiois, près de Bruxelles. Là endroit fut aduerti Charles Ynach, de la mort de son père Godefroy Karle, Roy de Tongres. Si tira oultre auec sa femme et son train, et alla au grand temple de Mars et de Pluton, estant à Louuain, là où il rendit grâces aux Dieux, de sa pérégrination et exil acheuez, et leur feit sacrifice solennel. Et dillec alla prendre possession de sa cité de Tongres, en laquelle il fut receu à grand ioye et triomphe par ses subiets, comme leur Prince et vray héritier de son père. Si régna illec paisiblement aucun temps, et eut de sa femme Suuane, deux enfans, cestasa-
(1) C'est le quartier de Bruxelles appelé CautUnberff ,
544 ILLVSTRATIONS DiE GÀVLE, ET
^r,; vn filz ]pommé Octauius, et vne fille appellee Suuane.
Aucun temps après Ariouistus, Roy des Allemans Saxons, eut aspre et mortelle guerre contre Iulius César et les Romains, à cause de celle partie de Gaule, quon disoit alors le pais des Sequanois, cest maintenant la franche Conté de Bourgongne. Et pource que Charles Ynach crain- gnoit que ledit lulles César ne marchast plus auant en Gaule, il se ioingnit et feit alliance, comme plusieurs autres, auec ledit Ariouistus Roy des Saxons, et alla à toute sa puissance en personne, contre les Romains. Mais en vne grosse bataille quilz eurent auprès de Bezenson, du costé de la conté de Ferrete, Ariouistus fut vaincu et Charles Ynach tué. Si demeura la poure Royne Suuane sa femme vefue, esperdue et bien désolée, auec ses deux ieunes enfans, atout lesquelz elle sen alla musser au chas- teau de Megue, sur la riuiere de Meuse, craingnant que son frère Iulius César, lequel entroit tous les iours plus auant en païs, nouyst quelque nouuelle délie. Par ainsi elle laissa le gouuernement de la terre de Tongres à Ambiorix, Roy des Eburons, son allié. Si feit emporter auec elle son cygne, dessus mentioné, et le mit es fossez du chasteau de Megue, et passoit son temps à le nourrir et paistre de sa propre main, en souuenance de son feu mary le Roy Charles Ynach, et aussi de la haute extraction de la déesse Venus, et du sang de Troye dont elle estoit yssue, comme dessus est dit à cause de la maison de lulles.
Ambiorix, Roy des Eburons, est souuentesfois mentionné es Commentaires de lulles César. Et par ce que ientens des bons acteurs, ledit Ambiorix, tant comme Roy des Ebu- rons, comme régent de Tongres, dominoit sur tout ce que contient maintenant leuesché du Liège et le païs qui siet entre Rhin et Meuse. Pour toutes lesquelles terres on peult
SINGVLARITEZ DE TROTE. LITRE Ul. 345
entendre par coniecture , que leurs limites sestendoient autant que contiennent maintenant lesDuchez de Lembourg, de Lothric et de luliers, auec la eité et les appartenances d'Aix la chapelle et quelque portion de la conté de Namur. Si feit ledit Ambiorix grand diligence de nuire aux Ro- mains : et de fait les deffit au fort de Vatucca, que aucuns disent estre Bosleduc et les autres luliers. Et combien quil fust parauant tributaire des Aduatiques, lesquelz es- toient de la lignée des Cimbres, qui furent desconfltz en Italie, comme dessus est dit, et lesquelz Aduatiques on dit maintenant estre les Brabansons, neantmoins il fut depuis leur chef. Si ioingnit auec luy les Belgiens et Neruiens, qui sont maintenant les Haynnuiers et Tournisiens, desquelz leur Roy nommé Andromadas estoit mort en bataille. Et auoit ledit Ambiorix le nombre de soixante mille hommes. Si feit beaucoup darmes, et assiégea Quintus Cicero, lieute- nant de Iulius César, en sa garnison estant au pais des Neruiens. Et fut beaucoup assisté des Menapiens, lesquelz iay dit icy dessus estre ceux de la duché de luliers. Mais en fin, la fortune et la force demeura à luUes César et aux Romains, comme il est cler par les histoires.
De la tresnoble et tresantique généalogie des Brabons, et de lear bla- son qui fut tel, que le porte auiourdhuj la maison d'Austricbe et de Lothric.
Ivlivs César, ainsi prospérant en Gaule Belgique, auoit entre ses gensdarmes, vn cheualier et principal porteur denseigne, nommé Saluius Brabon, extrait de lancienne lignée de Francus, filz d'Hector de Troye. Et pour mieux entendre ceste généalogie, il faut vn petit repeter ce que
546 ILLVSTRATIONS DE GÀVLE, ET
au Commencement de ceste œuure en est mis. Cestasauoir, que Sicamber, filz d'Hector de Troye, duquel porta iadis le nom la cité de Sicambre, qui maintenant sappelle Bude en Hongrie, eut vn filz nommé Priam deuxième de ce nom, qui régna après luy. Ledit Priam engendra Hector second de ce nom. leeluy Hector eut trois en fans, cestasauoir, Troïus, Polydamas et Brabon lancien. Brabon lancien eut deux enfans, dont laisné fut nommé Priam, qui régna après luy, et lautre fut dit Brabon du nom paternel : lequel print à femme, vne dame d'Arcadie, prouince de Grèce, cy dessus spécifiée. Iceluy Brabon le ieune, pour iamour de sa femme, fut content dabandonner son pais de Pannonie et aller habiter en Arcadie, là où ses successeurs se tindrent iusques à la vingtième génération, de laquelle fut Saluius Brabon, cheualier de lulles César, dont nostre propos est mis en termes. Lequel Saluius Brabon, ayant première- ment seruy en guerre le père de lulles César, contre le Roy Mithridates de Ponte, sestoit depuis retiré souz lenseigne de lulles César, suiuant le noble mestier des armes, esquel- les il estoit fort exercité vaillant homme et féal, portant en son escu, vne faste (1) dargent en champ de gueuUes. Lequel blason portent de toute ancienneté, les Roy s d'Austrasie, ou d'Austriche la basse, quon dit mantenant la Duché de Lothric. Et tel le porte auiourdhuy la maison d'Austriche.
(1) pour/eue^, terme de blason.
SIMGVLARITEZ D£ TROTE. LIVRE 111. 347
Comment laRoyne Germaine, aurnomm^e Suuane, vefue du Rojr Char- les loach, fut recongnne par luUus César son frère, an moyen dudit Cheualier Saluius Brabon : et de la vraye histoire do Cjgne de Cleuea.
Lhistoire dit, que ainsi comme vn iour entre les autres, lulles César, à peu de train et priuee maisnie se fust retiré au chasteau de Cleues, pour illec se reposer et refreschir vn petit de ses grans trauaux de la guerre, ledit cheualier Sal- uius Brabon, estant lun de ceux de sa compaignie, passoit le temps autour dudit chasteau, à tout vn arc et vne trousse de flesches, pensant en soy mesmes à* vn songe quil auoit eu de nuict, par manière de vision. Et en recordant beau- coup de ses fortunes passées, prioit de bon cœur à ses Dieux, que quelquefois (1) ilz luy donnassent repos de la guerre, en laquelle il auoit esté nourry toute sa vie, en quelque re- compense et félicité honneste de ses trauaux passez. '' En cepensement, tournoyant ledit Saluius Brabon, il ne se donna garde, quil se trouua sur la riue du Rhin, qui nest pas loing dudit chasteau de Cleues, là où il veit vn Cygne blanc comme neige, qui se iouoit et mordoit de son bec vne petite naisselle estant sur le bort du riuage, de laquelle chose Saluius Brabon print grand plaisir et mer- ueilles tout ensemble. Si se ailla aduiser de son songe et pensa, quen cecy pouuoit auoir quelque bonne signifiance de nouuelUe auenture : car le Cygne est vn oyseau de noble nature et bien aymé des Dieux. Parquoy il entra dedens le petit vaisseau, et le Cygne seslongna vn petit en auant tout priuément sans soy assauuagir, comme par semblant
(1) c.-à-d. qu'un jour.
348 ILLTSTRATIOMS DE GAYLE, ET
de luy vouloir monstrer le chemin. Et le cheualier délibéra de le suiure, en se recommandant aux Dieux.
Par ainsi, quand il se fut empaint (1) dedens le Rhin, il suiuoit le Cygne son conducteur, lequel le menoit tout paci- fiquement par le cours du fleuue. Et le cheualier regardant tousiours et de toutes pars, sil verroit ou trouueroit quelque chose faisant à son propos, erra tant et si longuement, que le Cygne recongnut le chasteau de Megue, auquel estoit sa maistresse, la Royne Germaine surnomme Suuane, iadis femme du Roy Charles Ynach, laquelle viuoit illec assez petitement et solitairement, en nourrissant ses ieunes en- fans, comme vne poure vefue estrangere. Quand donques le Cygne veit son repaire accoustumé, il commença à batre les esles et sesleuer hors de leaue, et sen vola celle part, iusques aux fossez du chasteau, là où il auoit accoustumé prendre sa nourriture, de la main de sa dame. (2)
Quand Saluius Brabon se veit abandonné de son Cygne, il cuida bien estre moqué et frustré de son aduision, attendu quil nauoit encores trouué auenture digne de mémoire. Si fut despit et dolent à merueilles, et mit sa nasselle à bort et saillit en terre, ayant son arc bendé et délibérant de tuer le Cygne sil le pouuoit aucunement ratteindre, dont en le poursuiuant à veiie de païs, quand il leut apperceu dedens lesdits fossez du chasteau de Megue, il mit sa flesche en coche et commença à effonser lare pour tirer, alors la dame suruenant à la fenestre pour festoyer son Cygne,
(1) c.-à-d. boute, poussé, cf. impingere et empeindre.
(2) C'est la légende ou plutôt le mythe solaire du Chevalier au Cygne, Schmànnritter, qui a été rattaché au Cycle des Croisades. {Germania, I, art. W. Miiller.) — Michel de Castelnau (Mémoires t. II, p. 511) attribue à J. Le Maire un roman du Chevalier de (sic) Cygne., « composé en faveur de la maison de Clèves. »
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 549
quand elle veit ceste homme incongna, prest à desbender sur son oyseau, elle sescria à haute voix féminine et par grand frayeur, en langage Grec qui luy vint premier en la bouche par naturel instinct : « Cheualier, quel que tu soyes, par tous les Dieux ie tadiure que ne vueilles tuer mon Cygne. »
A ces mots Saluius Brabon quand il se ouyt ainsi arrai- sonner en son langage Grec naturel, mesmement par vne femme et en si estrange et loingtain pais, fut plus esbahi que iamais : et ne sauoit penser si cestoit fantôme ou resuerie. Neantmoins il abaissa sa main et osta la flesche de la corde. Puis demanda à la dame en Grec, qui elle estoit et quelle faisoit en ce pais si diuers (1) et saunage. Et lors elle dautre part se voyant estre arraisonnée en son langage maternel, fut plus estonnee que luy, et luy pria quil entrast en son chasteau, et ilz deuiseroient plus à plein, ce quil feit vou- lentiers, pensant que parauenture il auroit trouué leffect de son songe nocturne.
Quand il fut dedens, elle larraisonna de plusieurs cho- ses, et sceut par luy comment luUes César estoit au chas- teau de Cleues. Alors entendant que le Cheualier estoit natif de son pais d'Arcadie, elle fut bien réconfortée. Et print serment et fiance de luy quil layderoit en son affaire, comme vray cheualier et noble homme doit faire aux vefues et aux orphenins. Ce quil luy promit et asseura sur son honneur. Alors elle commença à luy declairer tout au long comment elle estoit sœur germaine de son seigneur Iulius César. Et en grand pleur et pitié femenine luy conta toutes ses fortunes, et la mort de son mary, le Roy Charles Ynach, et luy monstra les deux beaux enfans, filz et fille,
(1) c.-à-d. dur.
350 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
quelle auoit eu (1) de luy : en luy priant doucement quil se voulsist employer à faire la paix de son offense enuers son- dit seigneur. Et à fin quil la recongnust par certaines en- seignes, luy bailla à porter audit Iulius César, son frère, vne image ou simulacre de lupiter, faite de fin or massif et garnie de riches pierres précieuses : laquelle image son- dit frère luy auoit autresfois baillée en garde. Par ainsi le cheualier après auoir esté bien festoyé de telz biens que auoit la Dame, sen partit ioyeux, et se tint pour bienheu- reux, dauoir trouué si tresbonne fortune et telles nouuel- les, dont son seigneur luy sauroit bon gré. Et promit à la Dame que bien tost auroit nouuelles de son retour.
Par ainsi le noble cheualier Saluius Braboii (2) estre retourné au chasteau de Cleues, vers son seigneur, le salua treshumblement de par sa poure sœur germaine : et luy feit présent de la riche image dor : laquelle César recongnut de primeface. Si demanda à Saluius où il lauoit recouuree, car il sen esbahissoit bien fort. Alors le cheualier luy conta toute la vie et les fortunes de sa sœur germaine, et luy requist pardon pour elle. Si print à Tulles César grand pitié de sa sœur, car il estoit de sa nature clément et dé- bonnaire : et ne luy pardonna pas seulement, mais dauan- tage fut bien desplaisant de la mort de son beau frère le Roy Charles Ynach, combien quil eust esté son ennemy. Si coniouist (3) assez le cheualier et luy promit pour ses bonnes nouuelles, ce quil luy sauroit (4) demander. Et par désir da- mour fraternelle, voulut incontinent aller voir sa sœur et ses neueux, au chasteau de Megue. Auquel lieu Saluius Brabon le guida par grand liesse.
(1) eut (éd. 1513).
(2) Cette suppression de après se rencontre encore dans Rabelais.
(3) c.-â-d. fit fête. — (4) c.-à-d. pourrait.
SINGVLARITEZ DE TROTB. UTRB III. 351
De la première institutioa de 1a duché de Brabant donnée en douaire par lulles César, à sa nièce, fille de Charles Yaach : et du Royaume de Coulongae donné à Octauien Germain, duquel la nation Germa- nique porte le nom : auec epilogation de la hante noblesse dadit sang en ceste généalogie.
Avx premières entreveiies du frère et de la sœnr, de loncle et des neueu et nièce, mesmement de si haute no- blesse et fortune si estrange et si nouuelle, il est facile à coniecturer quelle ioye et quelle pitié , quel amour et quelle reuerence il y eut dune part et dautre. Dont pour faire le conte sommaire Saluius Brabon, selon lottroy du don que César luy auoit promis, luy demanda en mariage sa nièce Suuane la ieune Damoiselle, ce quil obtint sans diflficulté. Et furent célébrées les noces en grand pompe et solennité au temple des Dieux Mars et Pluton à Louuain, selon lancienne coustume, en la présence de César, lequel offrit plusieurs grans dons audit temple : et donna à sa nièce pour douaire en tiltre de Duché toute la terre, de- puis la mer Ruthenique, cestadire de Noruueghe, iusques aux dernières limites des Neruiens, qui sont maintenant les Haynnuiers et Tornisiens, (1) en comprenant les bois de Soigne et la riuiere Descault, iusques au ruisseau qui se nomme lacea, (2) dont les Barons feirent hommage audit Saluius Brabon, leur premier Duc, comme à leur Prince. Et deslors ladite contrée fut appellee Brabant.
Et oultre ce, César donna à son neueu Octauien, filz de sa propre sœur Suuane Germaine et de Charles Yuach, la
(1) Tmmisùiu {éd. 1513).
(2) La Gette.
352 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Royaume d'Agrippine quon dit maintenant Coulongne sur le Rhin. Souz le tiltre duquel estoit contenue toute la terre depuis Velue, (1) iusques à Eyffle (2) et Moselle, et iusques aux limites de Treues et à la riuiere de Meuse, et aux confins où la Sambre entre dedens Meuse, auec toute la terre, qui git entre Meuse et lace : laquelle il voulut estre des appar- tenances de Tongres, et que désormais elle fust appellee Germanie, du nom de sa sœur, quil auoit retrouuee. Aussi ordonna que son neueu Octauien fust surnommé Germain : et de là procède le nom des Germains AUemans. Si furent faites ces choses, lan deuant la natiuité nostre Seigneur cinquante et vn.
Il appert icy clerement par les choses dessus narrées, combien grande noblesse de sang fut meslee et redoublée pour lors en ceste généalogie. Premièrement de Charles Ynach, yssu des Belgiens et des Cimbres, auec sa femme, nommée Germaine, sœur de lulles César, premier Empe- reur des Romains. Et en après de Saluius Brabon, extrait de Sicamber, filz de Francus, auec Suuane, la ieune fille desdits Charles Ynach et Germaine. Parquoy les Princes descendus de ladite propagation, se peuuent bien vanter destre les plus nobles du monde. Et encores apperra il mieux par la déduction finale de ce premier liure. (3)
-" (1) c.-à-d. la Velwvt, plaine aride qui s'étend d'Amhem jusqu'au Zuiderzée.
(2) L'Eifel.
(3) ou plutôt traité.
SINGVLARITEZ DE TROYE. LIVRE UI.
Daucunes fondations de villea faites par deçà par !ciliua César, du Géant d'Anuers, et du Dieu Priapus qui y estoit adoré : de la dona- tion de la marche Romaine, et de la mort de Saluiua, premier Duc de Br^baut.
Il II m ■('. (
Apres ces choses faites, César ediâa à Louuain vn temple aux Dieux Mars et Pluton, plus ample et plus magnifique que iaraais nauoit esté, et aussi feit faire vn fort chasteaa sur la montaigne, de lautre part de la riuiere de Dile. (1) Et en ce mesmes temps regnoit vn merueilleux Géant nommé Druon, de la hauteur de quinze coudées, plein d'horrible et cruelle tyrannie, lequel se tenoit sur le riuage de Les- cault, en vn fort chasteau, situé en vn marestz. Et con- traingnoit ledit Géant tous les passans, sur ladite riuiere, de laisser la iuste moytié de tous leurs biens et marchan- dises quilz menoient par ladite riuiere. Et sil y auoit aucune faute, le tout estoit confisqué et auoit le marchant ou le voiturier vne main coupée : et pource sappelloit ce lieu Hantuuerp, (2) cestadire, laisse main, maintenant nous le nommons Anuers .
Ce Géant criminel, fut corabatu et rué ius par vn des cheualiers de César, nommé Grauius. Ceux de la ville d'Anuers monstrent encores iusques auiourdhuy en la mai- son de leur ville, aucuns os dudit Géant, qui sont de mer- ueilleuse grosseur et grandeur comme iay veu, et encores
(1) C'est le prétendu Château-César de Louvain, bâti, dit-on, par l'empereur Arnould en 894.
(2) La véritable étyraologie, c'est aan H foerp = à la jetée. Cf. Mertens et Torfs, Geschiedenis van Antnerpen{y&n Dieren 1845, I, 1). Le moyen-âge prenait les calembours au sérieux.
II. i3
354 ''ILIVSTRATIONS DE GAVLE, ET
pour attestation de lancienneté de ladite ville d'Anuers, ilz disent que le Pieu Priapus estoit iadis adoré en icelle, et monstrent sa représentation en vne vieille porte près du marché au poisson. Et de là vient par ancienne coustume, que les femmes dudit païs, en toutes acclamations soudaines appellent Tyers, cestadire Priapus en langue Thioise. Mais pour reuenir à nostre propos, le cheualier Grauius, qui tua ledit Géant d'Anuers, se maria à la fille dun noble Duc dudit païs : de laquelle il eut vn filz aussi nommé Grauius, le- quel fonda depuis la ville de Graue, sur la riuiere de Meuse. Et dautrepart, Caius Iulius César fonda sur le mont Blandin vne ville nommée Gaia de son nom, laquelle se dit maintenant Gand, et édifia à Torhout vne forte tour : et donna ledit César à vn sien cheualier nommé Caius Fabius, ladite ville de Gand et Anuers et tous autres chasteaux situez sur le fleuue Descault, tant dune part que dautre. Lesquelles ledit Fabius promit feablement tenir, pour la marche des Romains.
César ayant subiugué toute Gaule, délibéra de sen retourner à Romme, à main forte, contre Pompée, son ennemy, et ceux de sa bende. Et pour ce faire, print auec luy des Princes de Gaule, les plus vertueux et les plus féaux. Si laccompaignerent en cest affaire, Octauien Ger- main, Roy des Agrippins, son neueu, et Saluius Brabon, son beau neueu, Duc de Tongres et de Brabant, lequel demoura tant à Romme, quil y fut tué traytreusement par Brutus et Cassius, qui aussi tuèrent ledit César. Et mourut ledit Saluius lan sixième, depuis quil fut fait Duc : qui fut deuant lincarnation nostre Seigneur, xlvi. Si laissa vn filz nommé Charles Brabon, dont nous parlerons tantost.
SraGTLARITEZ DE TROTS. LITRE III. 355
Du règne et des gestes d*Octauien Germain, Roy des Agrippins on de Coulongne, filz de Charles Ynach.
Octavien, Roy d'Agrippiae, quon dit maintenant Cou- longne, après auoir demouré aucun temps auec son oncle César et obtenu plusieurs priuileges , cestasauoir toute iurisdiction sur les fleuues du Rhin, de Meuse et de Les- cault : et aussi lautorité de pouuoir forger monnoye dor et dargent, ensemble de porter le blason de Lempire, cest- asauoir, laigle à vne teste seulement, il sen retourna en son pais et repara la cité de Tongres, et la nomma de son nom Octauia, aussi remit il sus la cité de Treues : et establit, que les Belgiens receussent et gardassent deslors en auant, les loix, coustumes et cerimonies des Romains et vsassent du langage Romain, par spécial aux iugemens publiques : et que nul ne fust si hardy, sur peine de la teste, de parler lun à lautre en langue Belgienne, aumoins des matières qui touchoient les affaires de la chose publique.
Ledit Roy Octauien, surnommé Germain, régna long temps, cestasauoir iusques au vingtseptieme an de Lempire de son cousin germain lempereur Octauien Auguste, au- quel an il mourut. Et celle mesme année, la glorieuse vierge Marie nasquit, cestasauoir, quinze ans auant la natiuité de nostre Seigneur iesvs christ. Apres la mort duquel Roy Octauien Germain, la puissance des Belgiens et de Treues rebella aux Romains : et aussi feirent les citez de Metz et de Toul. Et en ce mesme temps yn noble homme nommé Hoys, fonda la cité de Huy sur Meuse, près de Dynant. Apres luy par faute dhoirs de son corps, suc- céda Charles Brabon son neueu.
3o6 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
De Charles second de ce nom, en ceste généalogie, surnommé Bra- bon, Duc de Tongres, de Brabant et de Thuringe, et Roy de Cou- longne, et daucuns autres ses successeurs, iusques à Charles le Bal. Et de la fondation de plusieurs villes et citez en ce quartier.
Charles Brabon, Duc de Tongres et de Brabant, tint les terres de son père Saluius, après le trespas de son oncle : et espousa la fille dun Duc de Thuringe, nommé Espirogus, (1) après la mort duquel il succéda à ladite Duché, à cause de sa femme, vraye héritière dicelle. Iceluy Charles Brabon fut tousiours féal aux Romains, et quand après la mort de son oncle Octauianus Germanus, Roy des Agrippins, ceux de Belges et de Treues se furent esmuz contre Lempire Romain, il signifia le tout à lempereur Octauien Auguste, son oncle. Parquoy il mérita dobtenir ledit Royaume des Agrippins en la sorte et manière que sondit oncle Octauien Germain lauoit tenu. En son temps fut faite la description générale de tout le monde, par lem- pereur Octauien Auguste, à la glorieuse naissance de nos- tre Seigneur iesvs christ. Ledit Charles Brabon eut deux filz. Lun fut nommé Iulius et lautre Titus. Titus pour ce quil oppressa dedens le temple de Mars une noble nonnain , fut banny hors du Royaume de Gaule, mais du costé de sa mère il succéda à la Duché de Thuringe.
lalias, fondateur de {uliers .
Iulius, aisné filzdudit Charles, quand son père fut deuenu fort sur aage, il fut député comme lieutenant de son père , au gouuernement des terres qui sont entre le Rhin et la
(1) Epirogui (éd. 1513).
8INGTLARITBZ DE TROTB. LITRB III. 357
Meuse. Et après la mort de son père, tous les pais qui siéent entre le Rhin et Lescault furent en son obéissance : mais il frequentoit et aymoit plus les premières terres quil auoit régentées en ieunesse. Et à ceste cause, il y fonda vne ville, laquelle il nomma de son nom luliers, le dixneu- uieme an de son règne, qui fut pnemier de lempereur NeroB. Tournay, qui premier sappelloit Hostilia et depuis Neruia, selon aucuns, fut restablie et restaurée par vn Duc nommé Tornus, lequel luy donna son nom. Et enuiron ce temps mesmes vn Sénateur Romain, nommé Antoine, de dignité tribunitienne, fuyant la tyrannie dudit Néron, vint au refuge, audit Iulius, et impetra autorité et territoire, pour fonder places. Granus, auec ses compaignons, alla sur les extremitez de la grand forest Dardenne, en vn lieu fort secret et solitaire : là où il trouua aucunes fontaines deaue chaude et sulphuree, et illec fonda vn grand palais où il se tint : lequel lieu sappelle iusques auiourdhuy en Latin Aquisgranum, cestadire les eaues de Granus. Et fut auprès diceluy palais, fondée par Charlemagne, vne cité qui main- tenant se nomme Aix la chappelle, et y prend Lempereur sa première couronne. Antoine, son compaignon, tira dun autre costé, cestasauoir, au pais qui sappelle maintenant Hollande, sur le fleuue du Rhin : et là fonda vne forte place, quil nomma Antonia, qui depuis fut dit Vuiltem- bourg, maintenant on lappelle Vtreth. Ledit Iulius régna soixanteneuf ans et laissa vn filz nommé Octauius.
Octauius.
Octauius succéda à son père Iulius, tant en la seigneurie, comme en lalliance des Romains, lan après la natiuité nostre Seigneur, quatre vingts, au temps de lempereur
058 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Vespasian. Gaule eut beaucoup à souffrir en son temps, à cause des discordes ciuiles. Il feit alliance auec lerapereur Traian : il ietta les Saxons hors de Vallenciennes et y mit les Romains : et fut estably par lempereur Traian gouuerneur de toute la Gaule Belgique. En son temps saint Materne conu§rtit à la foy Coulongne et Tongres. Et régna ledit Octauius quarantesix ans.
Godard.
Cestuy Godard eut la seigneurie après son père Octauius, et fut du temps de lempereur Antonius Plus. Il édifia à Huy sur la roche de Meuse, vn chasteau haut et fort, et fut gouuerneur de Gaule Belgique, pour les Romains, comme son père auoit esté : et régna quarantesept ans.
Godefroy.
Apres Godard régna Godefroy, son filz, lequel ayda et assista lempereur Marcus Antonius Verus, faisant guerre aux Germains. Mais pource que lempereur Commodus son successeur, cruel homme et mauuais tyrant, feit décapiter aucuns enfans des Princes de Gaule, estans ostagers à Romme, entre lesquelz estoit vn neueu dudit Godefroy, filz de sa sœur, il rompit lalliance auec les Romains et se ioin- gnit aux Germains, ses voisins. Si ietta lesdits Romains arrière des fleuues du Rhin, Meuse, Sambre et Lescault, depuis le païs d'Alsate, iusques à Tournay, à kyde de Vue- ric, Duc de Treues, et Soric, Duc des Germains. Iceux Ro- mains ainsi pressez, se retirèrent à Tournay, laquelle fut assiégée et prinse par force. Numerianus, maistre de la cheualerie dudit empereur Commodus, assiégea Mayence
SINGVLARITEZ DB TROTB. LIVRE 111. 5S9
auec plusieurs légions, mais ledit Godefroy, Duc de Tongres et de Brabant, et Vueric^, Duc de Treues, deffirent lesdits Romains. Si fut toute la Gaule Belgique, souz la domi- nation d'eux deux par lespace de douze ans entiers franche de tout tribut et subside. Parquoy ledit Godefroy pour se fortifier contre lesdits Romains, print affinité auec ledit Vueric et espousa sa fille, dont il eut vn filz nommé Vueric, son héritier et successeur : et régna ledit Godefroy quaran- tecinq ans.
Vueric.
Soixante dix ans gouuerna Vueric la Duché de Tongres et de Brabant, après la mort de son père Godefroy : et vescut cent ans. Mais assez bonne espace auant sa mort, il laissa le gouuernement à son filz, Artsard, pource quil estoit vieux.
Artsard.
Àrtsard, filz dudit Vueric, entra au gouuernement de ses païs, du temps de lempereur Maximian. Et pource quun nommé Carausius, vicaire et lieutenant de Lempereur, ne gouuernoit pas bien sa prouince, le Duc Artsard fut mis en son lieu. Par ainsi il ne fut pas seulement paisible posses- seur de son territoire, dont les limites estoient la mer Bri- tannique, les fleiiues du Rhin et Lescault, et la Sambre, mais aussi gouuerna en paix, tout le riuage de delà Les- cault, iusques à Ja mer Oceane. Laquelle prouince ledit lieutenant Impérial Carausius, auoit mal administrée. Aussi comme Constantius, filz de Constantin le grand empe- reur, fut fort oppressé des Allemans autour de Langres, le Duc Artsard bailla tel secours audit Constantius, quil de- meura vainqueur. Apres lesquelles choses ledit empereur
360 ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
Constantin, à fin quil reprimast plus facilement les efforts des Allemans, enuoya quérir sa femme Heleine et son fllz Constantin, encores ieune enfant, lesquelz estoient en la grand Bretaigne, quon dit maintenant Angleterre, et esta- blit son siège Impérial en la cité de Treues. A cause dequoy le Duc Artsard continua plus facilement sa grand familiarité auec ledit Empereur et en eut grand auance- ment. Si régna quarantehuit ans.
Marteiand. <^
Son fllz Martsiandus luj succéda esdites Duchez de Tongres et de Brabant, et aussi au gouuernement de la prouince marine, pour les empereurs Romains, et acheua beaucoup de grands choses pour eux, mesmement du viuant de son père, pour Constantin le grand, alencontre de Mayence et Licinius, tyrans et vsurpateurs de Lempire. A cause dequoy le Duc Martsiand par priuilege Impérial estendit les limites de son gouuernement par tous les païs, quon dit maintenant Haynnau, Artois et Picardie. Et régna quarantedeux ans,
Taxander, le premier Prince Chrestieu en ceste généalogie, du temps duqnel la mer se recula de Tongre«.
Taxander fut nourry de ieunesse en la court de Gratian lempereur. Mais il y eut beaucoup à souffrir par lenuie et detraction de deux personnages , lun nommé Eugenius Grammaticus, et lautre Arbogastes. Finablement il feit vœu destre Chrestien, parquoy il fut mis à deliure, au temps de saint Martin, archeuesque de Tours. Apres les- quelles choses par despit de lempereur Gratian qui lauoit
SraGVLARITEZ DE TROTB. LITRE Uf. UN
mal traité, il fauorisa le party de Maximin, son grand ennemy, natif de la grand Bretaigne. Duquel Maximin, régnant en Lempire Occidental, combien que par droit dusurpation ledit Duc Taxaoder obtint beaucoup de priui- leges, et en son temps flourissoit saint Semais, euesque de Tongres, lequel ses citoyens ietterent hors de sa cité : pource que par esprit de prophétie, il predisoit la future persécution des Huns : et deslors la mer qui batoit iusques aux murailles de Tongres, se recula de bien loing. Apres la mort dudit empereur Gratian, le Duc Taxander eut grand faneur auec lempereur Theodose lancien. Et puis mourut lan xxxi. de son règne.
Ânsjgisus.
Ansygisus, filz de Taxander, régna trente ans et obtint de lempereur Honorius la confirmation de tous ses priui- leges. Il fut tresbon Prince Chrestien et rua ius en plein champ de bataille, cruelle et sanglante, Groscus, Roy des Vuandelz, idolâtre et mauuais tyrant. Et fut ladite des- confiture auprès d'Arles en Prouence.
De Charles troisième de ce nom en ceste généalogie, surnomma le Bel, et de la grand bataille qui fut donnée contre Attjla, Roy des Huns, en laquelle mourut Gundengus, premier Roy des Boar- guiguons.
Charles le Bel fut filz du dessusdit Duc Ansygisus, et espousa la sœur de lempereur Valentinian. Si fut maistre de la cheualerie dudit Empereur. Mais quand il sceut la mort de son père le Duc Ansygisus, il retourna pardeça
36S ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
pour gouuerner ses païs : et commença à régner lan après lincarnation nostre Seigneur quatre cens trentehuit, qui fut le deuxième an du règne de lempereur Martian. Et succéda ledit Charles le Bel à son père, tant en la Duché de Tongres et de Brabant, comme au gouuernement de la Gaule Belgique, laquelle il gouuerna pacifiquement, pour les Romains, par lespace de quinze ans. Mais en ce temps là suruindrent les grandes et merueilleuses persécutions du terrible Attyla, Roy des Huns, qui se nommoit le flayau de Dieu, et de Vualamir, Roy des Ostrogoths, et Ardaric, Roy des Gepides : lesquelz coururent et destruirent toute ceste Conté de Gaule Belgique : car ilz prindrent et démolirent les citez de Treues, Metz, Coulongne, Tongres et Bru- xelles. Apres lesquelles choses, iceux Huns plantèrent leur ost (1) et passèrent Ihyuer auprès d'Astha, en vne grand champaigne, qui sappelle encores auiourdhuy le champ des Huns. Cest le païs de Champaigne, (2) entour Bosleduc.
Finablement par le moyen du Duc Charles le Bel, Etius (3) Patricius, vn grand Duc et vaillant capitaine, fut enuoyé par les Romains, contre ledit Attyla, Roy des Huns, quon dit maintenant Hongres. Lequel Etius Patricius à layde, accompaigné de plusieurs Princes, si comme de Theodoric, Roy des Ostrogoths, Gundengus, ou Gundiochus, Roy des Bourguignons, Meroveus, Roy des François, et dudit Char- les le Bel au pourchas duquel tout se faisoit, donna la bataille audit Attyla, en vne grand plaine, appellee les champs Catalauniques, auprès de Toulouse, par laquelle ledit Attyla fut vaincu. Neantmoins Theodoric, Roy des
(1) c.-à-d. leur camp.
(2) Campigne {éd. 1513).
(3) Aetius.
SIMGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 365
Ostrogoths, et Gundengus, Roy des Bourguignons, y de- mourerent, comme sera dit plus à plein quand nous parle- rons des Roy s de Bourgongne. Mais le Duc Charles le Bel y acquit grand honneur et abatit de son chenal Ardaric, Roy des Gepides, et feit assez dautres prouesses et vaillan- ces. Si régna lespace de vingt et deux ans, et eut vn filz nommé Lande.
Du Duc Lando, qui premier laissa les Romaiaa et sallia aox François, comme jssu de leur sang.
Apres le Duc Charles le Bel, succéda en la Duché de Tongres et de Brabant, son filz Lando, lan de nostre Sei- gneur ccccLX., qui fut le deuxième an du règne de Childe- ric, quatrième Roy de France. Iceluy Duc Lando voyant prospérer les François et croitre leur puissance de plus en plus en Gaule, et au contraire lautorité des Romains des- croitre de iour en iour, il se délibéra de donner lieu et obtempérer à fortune. Si laissa le party des Romains et se tira vers ledit Childeric, Roy de France, et ses Barons : et leur monstra par sa généalogie, comment il estoit descendu dun mesme estoc comme eux, cestasauoir de Sicamber, filz de Francus, qui fut filz d'Hector de Troye. A cause dequoy ledit Roy Childeric le print en grâce et feit alliance auec luy contre les Allemans. Et par ainsi commença deslors la Gaule à perdre son nom, et la print (1) on dappeller France. Iceluy Duc Lando fonda la ville de Landen, auprès de Bos- leduc, et eut vn filz nommé Austrasius, auquel il laissa sa seigneurie, après auoir régné dixhuit ans.
(1) o.-à-d. on se mit à.
364 ILLVSTRATIONS DE GÀVLE, ET
Do Duc Âustrasîas, lequel fut cause de faire baptiser Clouis, Roy des François, ce que nauoit encores peu faire sa femme la Royne CIo- tilde de Bourgongne.
Avstrasivs fut Duc de Tongres et de Brabant, après son père Lando, et fut aymé tendrement du Roy Childeric de France. Car le Duc Lando de son plein viuant lauoit enuoyé en la court de France, en le recommandant au Roy tresaf- fectueusement. Par ainsi estoit ledit Austrasius des plus auancez et honnorez en France. Puis quand le Roy Childe- ric fut mort, son filz Clouis régnant après luy ne tint pas moins de conte dudit Duc Austrasius que auoit fait son père.
Or estoit ledit Roy Clouis payen, et pource se tenoit il plus voulentiers en la Gaule Celtique, quon dit mainte- nant France, laquelle estoit encores en partie idolâtre. Si donna audit Duc Austrasius, lequel estoit bon Chrestien et vray catholique, le gouuernement de la Gaule Belgique, et il la régit à la mode Chrestienne. Dont pour sa singulière prudence et vertu, ladite prouince commença à sappeller Austrasie, du nom de son gouuerneur. Oultreplus, ledit Roy Clouis par le moyen et ayde dudit Duc Austrasius print la foy Chrestienne, et eut vne merueilleuse victoire contre les Allemans. Et loccasion fut telle.
Comme en leffort de la bataille la bende des François commençast à décliner et estre foullee de la puissance et multitude des Allemans : le Duc Austrasius commença à sescrier hautement : « Ha, Roy Clouis, appelle en ton ayde le trespuissant Dieu des Chrestiens, cest celuy qui ne peult estre vaincu de nul : et celuy seul, auquel la Royne Clo- tide,ta compaigne, croit. » Alors le Roy Clouis contraint par nécessité, voua de se faire baptiser, ce quil nauoit encores
SlNGVLAaiTBZ DE TaOYB. UVRK III. S65
voulu faire à la requeste de sa femme. Par ainsi il recouura honneur et gaigna la bataille. Et ceste histoire fut récitée douant le Pape luUes à présent séant et tout le consistoire des Cardinaux, par messire lean de Chastillon, archidiacre de Campigne en leglise du Liège, en faisant son oraison de lobedience filiale des pais de pardeça, comme Orateur à ce enuoyé de par Lempereur et Larchiduc, auec monsieur Ladmiral, messire Phelippes de Bourgongne, (1) lan mille cinq cens et huit.
Des limites du Royaume d'Âustraiie, ou d'Austriche la basse, voisine du Royaume de Bourgongne.
Povrce que souuent en ceste histoire sera faite mention des limites du Royaume d'Austrasie, ou d'Austriche la basse, duquel plusieurs gens ignorent lestendue, pource que les seigneuries sont changées par longueur de temps, il est bien séant den mettre icy ce que ien ay peu trouuer : mes- meraent par la chronique de France, composée par messire Robert Gaguin, natif de Douay, lequel met que ledit Roy- aume d'Austrasie ha eu par interualle de temps deux citez capitales, cestadire là où se tenoit le siège Royal, cestasa- uoir, Metz et Aix la chapelle. Et commençoit depuis les extremitez de la haute Bourgongne, de deuers les montai- gnes de Lorraine, en descendant iusques à la mer de Frise, entre les deux fleuues du Rhin et de Lescault, et compre- noit Vtrecht, Coulongne, Treues, Mayence, les païs de Brabant, Gheldres, Cleues, Hollande, Zelande, Haynnau, Hasbain, Liège, Lembourg, Alsate et toutes les terres que
(1) fils naturel de Philippe-le-Bon.
ILLVSTRATIOMS DE GAVLE, ET
le Conte Palatin tient maintenant alentour du Rhin. Et oultre ce, tout le païs d'Ardenne et de Barrois, qui depuis ha esté esleué en Duché, auec le quartier du païs qui main- tenant sappelle Lorraine. Voilà les limites du Royaume d'Austriche la basse, lesquelz certes estoient de grand estendue, et contenoient la plus grand partie de Gaule Bel- gique. Et disent aucuns, que depuis toute ceste contrée •appella France Orientale.
CONCLVSION DV PREMIER TRAICTE.
Il me semble que iay monstre assez clerement et succin- tement, la généalogie du noble sang des Cimbres, yssuz de Sicamber, filz de Francus de Troye : et suis venu au tresglo- rieux nom de Charles : et du Duc Austrasius, fondateur et dénominateur du Royaume d'Austriche la basse. Mainte- nant ie uiendray à approcher le sang de Bourgongne et de France, pour le conioindre auec celuy d'Austriche, laquelle chose ne se fera iusques au troisième traicté.
8INGTLARITEZ DE TROYB. LIVRE III. 367
LE SECOND TRAICTE DU LIURE INTITULÉ LA
GENEALOGIE HISTORIALE DE LEMPEREVR
CHARLES LE GRAND.
Pvis qve (Dieu mercy) iay monstre la généalogie du Duc Austrasius qui donna le nom au Royaume d'Austriche la basse, il faut vn petit laisser ladite généalogie en attente, iusques à ce que iaye bien clerement spécifié lorigine et descente des Roys de Bourgogne : ce que iay eu grand peine de recueillir on diuers lieux. Car ie ne Iay nulle part trouué, tout en vn corps, comme il sera icy réduit. La fin de ce second traicté est de monstrer comment le sang de Bourgongne fut ioint auec celuy de France, es personnes du Roy Clouis de France et de la Royne Clotilde de Bour- gongne, sa femme. Mais premièrement à fin que nous ne procédons point par termes incongnuz, il nous faut sauoir les limites anciens du Royaume de Bourgongne, dont iay veu plusieurs gens de bien estre en doute, différence et dif- ficulté : et moy auec eux. Mais ie men suis mis hors de soucy,pource que après auoir trassé (1) beaucoup, iay trouué certains Acteurs anciens qui men ont donné laduerteur, (2) ainsi que cy après est escrit.
(1) c.-à-d. cherché avec soin, suivi à la trace.
(2) c.-à-d. renseignement.
368 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
De lancienne estendue du Royaume de Bourgongne, et de ses limites prouuez par Acteurs autentiques.
Icy verra on combien estoient iadis voisins et limitrophes le Royaume de Bourgongne et le Royaume d'Austrasie, ou d'Austriche la basse : dont iay cy douant descrit les limites. Or estoit lestendue dudit Royaume de Bourgongne, selon ce que iay peu cueillir par les escrits daucuns Ac- teurs anciens et autentiques, telle quil sensuit. Geruasius, iadis mareschal du Royaume de Bourgongne, (1) du temps de lempereur Othon le quart, qui fut Roy de Bourgongne, en son liure intitulé du passetemps Impérial, met que selon le contenu des anciens registres de Lempire, le Royaume de Bourgongne estoit comprins par les limites qui sensuiuent.
La première prouince du lloyaume de Bourgongne.
La cité d'Arles métropolitaine, qui estoit le siège du Royaume de Bourgongne : auec toute la prouince dudit Arles le Blanc, en Prouence, lequel auoit souz luy les dio- cèses et citez cathédrales ou episcopales cy après nommées, de lordre de saint Augustin, cestasauoir : la cité d'Auignon et son diocèse, qui depuis ha esté esleuë en archeuesché, du temps du Pape Sixte, Marseille, en Prouence, Toulon, Cauaillon, Carpentras, Vaison, Orenge, Tricastel.
(1) Gervais de Tilbury (près de Londres) passa sa vie à la cour d'Othon IV, fut maréchal du royaume d'Arles et mourut vers 1218. On a de lui Otia imperialia libri III, sive de mirabilibus orbis ; De origine Burgundionum, etc.
SINGVLÀRITEZ DE TROTS. UVE£ III. 300
La seconde proaince.
La cité métropolitaine de Vienne, en laquelle estoit assise la chancellerie du Royaume de Bourgongne, auec toute la prouince de larcheuesché de Vienne : lequel ha souz luy les diocèses qui sensuiuent : Grenoble, de lordre de saint Augustin, Valence, et Die, lesquelz sont ynis : Morienne, Geneue.
La tierce Prouince du Royaume de Bourgongne.
La cité et archeuesché de Lyon sur le Rhône et toute sa Prouince : laquelle contient quatre Diocèses, cestasa- uoir : Authun, Mascon, Ghalon, Langres.
La quatrième Prouince.
La cité et archeuesché de Bezenson et toute sa Pro- uince : laquelle contient trois Diocèses, cestasauoir ; Basle en Souycere, Lausanne, Bellay en Sauoye.
La cinquième Prouince.
La cité et archeuesché de Moustier en Tarentaise et toute sa Prouince, qui contient deux Diocèses de lordre de saint Augustin, cestasauoir : Seon, Aouste. (1)
La sixième Prouince.
La cité et archeuesché d'Embrun et toute sa Prouince, qui contient six Diocèses : Digne, de lordre de saint Augu- stin, Nisse, Grasse, Seuere, de lordre de saint Augustin, Claudat, Vienne.
(1) Sion, Ao^te. II. 24
570 ILLVSTRATIÛNS DE GAVLE, ET
La septième Prouince.
La cité et archeuesché d'Aix en Prouence et toute sa Prouince, qui contient cinq Diocèses, cestasauoir : Apt, Foriul, Rege, Gap, Sisteron.
Desquelles sept Prouinces ledit Acteur met que le Royaume de Bour- gongne estoit enclos comme de sept retz ou filez.
Vn autre acteur, nommé Ligurinus, qui fut du temps de lempereur Federic Barberousse et escriuit les gestes dudit Empereur : lequel fut allié à vne fille de Bourgongne, met et conclut lesdites limites du Royaume de Bourgongne en six vers Latins, cy après escrits, qui sont presques dune mesme substance que le dessus narré.
Has tibi Métropoles, et primi nominis vrbes Chrysopolim placidam, Lugdunum, siue Viennam, Quseque tuos spumante mari Prouincia fines Claudit, Ârelatum validis obnoxia ventis. Chrysopolim Dubius, reliquas perlabitur amnis Maximus ÂUobrogam, Rhodanus dominator aquarum.
Et si nous voulons limiter autrement ledit Royaume : nous le pouuons faire par distinction de fleuues, de mer et de montaignes, dont auoit il du costé de Mydi la mer de Prouence et de Nisse : deuers Orient, le fleuue -du Rhin et les merueilleuses montaignes qui séparent la Gaule dauec l'Italie : cestasauoir le Mont lou et de Columnaiou, quon dit maintenant le grand et le petit saint Bernard, auec le mont Senis et le mont Geneure : deuers Septentrion, le mont Vosegus, duquel partent les fleuues de Meuse et de Saône : et deuers Occident, les riueres de Loire et de Seine.
Et au cœur dudit Royaume estoient comprins, oultre le
SIM6VLAR1TEZ DB TROYB. LIVRE III.
m
dessus narré, autres nobles fleuues et montaignes : si comme le mont lura, quon dit la montaigne saint Claude, le mont des Faucilles, le mont Daiguebelette et plusieurs autres, que ie laisse à cause de brieueté. Et des fleuues, le Rhône, Liseré, le Doux et la Durance : auec autres infinies riuie- res et ruisseaux. Et le grand lac de Lausanne : et assez dautres moindres.
Dont il appert que ledit Royaume participoit de tontes les trois Gaules, cestasauoir, Belgique, Celtique et Aqui- ^anique : car il coraprenoit presques tous les fleuues qui font séparation desdites Gaules entre elles : si comme la riuiere de Seine, qui diuise dun costé la Gaule Belgique, dauec la Celtique : et aussi font les riuieres de Saône et de Liseré chacune en son quartier, et le grand fleuue de Loire, qui sépare la Celtique dauec l'Aquitanique.
Aussi sestendoit la domination dudit Royaume sur trois langues principales et différentes lune de lautre, cestasa- uoir : Germanique, Romande ou Vuallonne, et Italienne. Et comme on peult coniecturer, ledit Royaume comprenoit les pais qui sensuiuent : et se nomment maintenant ainsi, cestasauoir : les Duchez de Bourgongne, de Sauoye, de Chablais et d'Aouste , les principautez de Piedmont et d'Orenge, la Landgrauie d'Alsate, la Conté Palatine de Bourgongne, les Contez de Habsbourg, de Ferrettes, de Mont Beliard, de Charrolois, de Nyuernois, de Forestz, de Valentinois, de Prouence, de Geneuois et de Venisse, (1) cestadire Auignon et ses appartenances, les seigneuries de Bresse, de Salins et de Noyers, les pais de Viueretz, d'Auxerrois, de Vuaud, de Foucigny, et toutes les mon- taignes et ligues des Souyceres.
(1) Le Cointat-VenaissiQ.
3711 ILLYSTRATIOWS DE GAVLE, El
Par ainsi auons nous assez demonstré comment le Royaume de Bourgongne estoit voisin et limitrophe au Royaume d'Austriche la basse, ou d'Austrasie, cestasauoir du costé des montaignes septentrionales qui maintenant séparent la Conté de Ferrettes, dauec la Duché de Lorraine. Or donques puis que nous sauons quelle fut lamplitude dudit Royaume, il nous faut voir la vraye sourse et antique origine de ladite tresnoble nation. Pour laquelle chose faire, il est nécessaire monstrer premièrement lantiquité des Roys de Germanie, desquelz sont yssuz les Roys de Bourgongne.
De la merueilleuse antiquité des Rojs de Germanie, desquelz furent iadis extraits les Roys de Bourgongne.
Il nest rien plus certain, que tout ainsi comme la grand mer Oceane est la vraye mère et sourse de tous les fleuues, fontaines et ruisseaux du monde : aussi est la terre de Germanie , la vraye germinateresse et produiteresse de toute la noblesse de nostre Europe. Nest il pas tout cer- tain, que les premiers François habitèrent plus de quinze cens ans en Germanie, auant que descendre en Gaule ? Les Roys d'Angleterre et d'Escosse ne sont ilz pas de vraye Germanique origine, comme partiz des Saxons et des estocz Germains ? Les Roys d'Espaigne ne se vantent ilz pas ius- ques auiourdhuy destre yssuz des Gothz, qui furent Ger- mains ? Certes si font pour leur plus beau tiltre. Pareille- lement aussi les Roys de Bourgongne se gloriâoyent iadis destre yssuz de Vandalus, Roy de Germanie : qui donna nom à la nation des Vuandelz, tresforte, tresillustre et tresbelliqueuse : comme il appert par toutes les histoires. Or pour entendre qui fut ledit Vandalus : il est nécessité
SINGYLARITBZ DE TROYB. LIVRE III. 375
de prendre le fondement à Tuyscon le Géant, premier fcojy de Germanie. - m
De Taysoon le Oeant, premier Roy de Germanie et ûlz de No9, et des autres Princes de sa maison.
Berosvs de Chaldee, tresdigne et tresexcellent historien, lequel iay souuent allégué au premier Hure des Illustra- tions de Gaule et singularitez de Troye, met que le tresbon et tressaint Patriarche Noë, Prince et père de famille de tout le monde après le déluge, engendra en sa femme Tytea la grande , plusieurs enfans : entre lesquelz fut Tuyscon le Géant par luy constitué Roy de lun des quatre principaux Royaumes d'Europe, cestasauoir, de toute Ger- manie et Sarmatie. Lesquelles terres comprennent depuis le fleuue du Rhin, qui fait la séparation de Gaule, auecques la Germanie : iusques au fleuue Tanaïs, qui est en Tar- tarie, et fait les termes d'Europe alencontre d'Asie de ce costé là.
La vraye Germanie est comprise depuis le dessnsdit fleuue du Rhin, iusques au fleuue Vistula, quon dit main- tenant Viscla : lequel passe parmy Craco, qui est la cité capitale du Royaume de Polone : et la Sarmatie sestend par toute la reste dudit Royaume de Polone, Gothie, Rous- sie, Prusse et Dannemarch.
Si se ioingnirent auec ledit Tuyscon le géant, tous les enfans de Mesa et Ister : qui furent parens et de la pos- térité de Sem, frère aisné dudit Tuyscon le géant.
Mesa fut filz d'Arameus et neneu de Sem. Il fonda les peuples de Mysie haute et basse : qui se nomment auionr- dhuy les deux Valaquies, subiettes au Turc. Et en la basse
374 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Yalaquie est le Royaume deBossigne. (1 ) Ledit Mesa fut frère d'Alan, qui fonda les Alains en Allemaigne : et engendra ledit Mesa cinq Princes qui fondèrent diuerses nations. Getus fonda la nation des Goths : Dacus, le peuple de Dannemarch : Bannon, les deux Pannonies, cestasauoir, Pannonie la haute : quon dit maintenant Austriche, et Pannonie la basse, qui se nomme Hongrie. Brigus fut père des Frisons, qui depuis repassèrent en Asie et donnèrent le nom au pais de Phrjgie, où depuis Troye fut fondée : auec Thynnus, frère dudit Brigus, qui peupla le pais de Bithynie, lequel est situé à lopposite de Constantinoble, comme met Pline au cinquième liure de Ihistoire Naturelle.
Ister, de ladite postérité de Sem, fut filz de Heber : dont procédèrent les Hebrieux, et est ledit Ister appelle Ictan en la sainte escriture. Il donna le nom au pais d'Istrie et au grand fleuue Ister, autrement appelle le Dunoe, qui passe par iceluy. Et eut vn filz nommé Dalmadan, qui nomma de son nom le Royaume de Dalmace. Dalmadan engendra Sarmates, qui occupa toute la terre de Sarmatie dessus spécifiée. Et furent autres Princes consequemment de sa maison, qui donnèrent les noms à assez dautres pro- uinces : dont ie me passe à cause de brieueté. Et qui en voudra sauoir plus à plein, aye recours au liure des Généa- logies dudit acteur Berosus.
Il appert donques que Tuyscon le géant, filz de Noë, nestoit pas mal accompaigné de Princes en sa maison, quand il vint prendre la première possession de son Royaume de Germanie et Sarmatie, qui fut le vingtcin- quieme an du règne de Nembroth, son neueu, surnommé Saturnus, premier Roy de Babylone : cestasauoir, lan sept
(l) Bossine (éd. 1513). C'est la Bosnie.
8INGVLAR1TEZ DE TROTE. LIVRE III. 375
vingts et seize après le déluge. Et régna quatre vingts dixsept ans premièrement : en laissant croitre son peuple et viure selon la loy de Nature. Mais quand ce vint audit an quatre vingts dixseptieme : voyant parauenture la nature de ses gens décliner à mal et à corruption, il leur establit loix restrictiues, auec certaine manière de viure, par reigle et par raison. Et régna, en tout, lespace de sept vingts onze ans. Parquoy on peult coniecturer, quil vesquit bien trois cens ans ou enuiron : car il nasquit tan- tost après le déluge. Et est à noter, que toute sa postérité fut adoptée en la maison du Patriarche Noë : car ilz sont tous mis en larbre de la postérité dudit Noë, par ledit acteur Berosus. Et du nom dudit Tuyscon, les Germains sappellent iusques auiourdhuy en leur langage Tutschen, ce que nous autres Vualons et Romans disons Thiois, et les Italiens les appellent Tudesques. Et fut le Roy Tuyscon après sa mort, réputé Dieu par les siens.
De Mannua, second Roj de Germanie, qui fat filz de Tuyscon le Géant.
Cornélius Tacitus, ancien historien Romain, se concorde auec ledit acteur Berosus, disant que Mannus, second Roy des Germains, fut filz de Tuyscon le géant : lequel Mannus, selon lexpositeur de Berosus, donna le nom au fleuue, nommé premièrement Allemannus, cestadire : la sourse de Mannus, (1) qui depuis ha esté appelle le fleuue du Rhin : et selon ce, les Allemans auroient prins leur nom dudit fleuue. Le temps de son règne nest point spécifié. Mais il eut vn filz, qui régna après luy nommé Inghaueon.
(1) Étymologie grotesque qui s'explique par le latin alere, ali- menter.
376 ILLVSTRATIONS DE GAVLB, ET
Bë' Ing^ièlon, troisfeMé ^f dià^erMUas.
n'ilnghaueon ou Ingheuon, succéda à son père Mannus, et de luy furent nommez les Ingheuons, lesquelz Pline, au quinzième chapitre du quatrième liure de Ihistoire Natu- relle, nomme pour la seconde nation de Germanie : et dit quune partie diceux estoient les Cimbres et les Teutons, desquelz nous auons parlé bien amplement au premier traicté de ce liure. Et est interprété ledit terme Inghaueon, habitateur incertain, (1) pource que de son temps, les Ger- mains nauoient encores nulles citez : ains estoient vaga- bonds par cy par là, comme sont auiourdhuy les Tartres et les Arabes.
De Isteuon, quatrième Roy de Germanie.
Isteuon régna après son père Inghaueon : et de luy furent nommez vn peuple de Germanie, Isteuons, habitant près du Rhin, desquelz vue partie sont les Cimbres medi- terrans, cestadire, habitans loing du riuage de la mer, comme met Pline, qui les nomme en la seconde nation des Germains.
De Hermion, cinquième Roy des Germains.
Apres Isteuon, régna Hermion son filz, homme fort belli- queux et de grand férocité : lequel enseigna à ses subietz lexercice des armes : et fonda vn peuple de son nom, lequel Pline, au quatrième liure de Ihistoire Naturelle, met pour la quatrième génération de Germanie : et dit quune partie diceux sont les Soaues. Et desdits Hermions Cornélius fait mention en son histoire.
(1) Peut-être à cause de in supposé privatif.
8INGVLARITEZ DE TRÔYB. LITRE III. wlT
De Marsas, sixième Koy de Oermanb.
Marsus fut filz du Roy Hermion, qui pareillement donna iadis son nom à vn peuple de Germanie : duquel Pline et Cornélius Tacitus font mention. Et est Marsus, interprété Prince de conseil : car il introduisit premièrement aux Germains, la manière de tenir conseils et parlements.
De Gambrinius, septième Roy de Germanie.
Apres Marsus, régna son filz Gambrinius, (1) homme de grand cœur et flereté, lequel fut le premier entre les Roys Germains, qui porta couronne et sceptre Royal publique- ment et du consentement de tous ses subietz : et donna son nom à vn peuple de Germanie : dont Pline et Corné- lius Tacitus font mention. Et de son temps Osiris, Roy d'Egypte, surnommé lupiter le iuste, empereur pacifique de tout le monde, vint en AUemaigne : et monstra la ma- nière de semer le froument et planter les vignes, enter arbres et aussi brasser la ceruoise. (2)
De Sueaus, huitième Roy de Germanie, qai donna le nom aux Soaoes.
Sueuus, filz de Marsus, fut plus heureux que beaucoup dautres ses prédécesseurs : pour autant que iusques à pré- sent, lune des principales prouinces d'Allemaigne garde son nom : cestasauoir, le grand et noble pais de Soaue, dont sera faite mention souuentesfois en ce volume.
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(1) Gambrinus, aujoord'huil» dieu de la bière, autrefois Téponyme des Gambriniens ou Gambriviens.
(2) Le vin d'orge, dont parlent Eschyle et Hérodote à propos des Egyptiens.
S78 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
De Vandaliis, neuuieme Roy de Germanie, duquel sont yssus les Bourguignons, et du temps de son règne.
Vandalus, filz de Sueuus, duquel est nostre propos prin- cipal, régna sur les Germains du temps d'Altades, douzième Roy de Babylone, et du temps du grand Hercules de Libye, Roy d'Italie : et de son filz Galates, dixième de Gaule, duquel iay parlé bien amplement en mon premier liure des Illustrations de Gaule, et singularitez de Troye. Et comme il est illec mentionné, ledit Galateus commença à régner lan depuis le déluge six cens vingtcinq : deuant la fondation de Troye par Dardanus neuf vingts et vn et deuant lincarnation nostre Seigneur, seize cens soixante- huit.
Or auons nous pour certain, que dudit Vandalus descen- dirent et furent nommez les Vuandelz, tant congnus par les histoires : lesquelz Vuandelz Pline au xiiii. chapitre du quatrième liure de Ihistoire Naturelle, met pour la pre- mière des cinq nations de Germanie, et pour partie dicelle les Bourguignons, disant expressément ainsi : Gênera Ger- manorum quinque : Uindelici, quorum pars Burgundio- nés, Uarrini, Garini, Guttones. (1)
De Teutanes, dixième Roy de Germanie, duquel sont nommez les Teutoniques.
Teutanes régna après son père Vandalus, et fut sur- nommé le Mercure des Germains : et adoré comme Dieu, après sa mort. Auquel on sacrifioit de cruel sacrifice, cest- asauoir, de sang humain, comme tesmoigne Lucan, au pre- mier liure de sa Pharsalique, disant ainsi :
(1) Vandali quorum paries sunt Burgundiones^ Varini, Carini, etc. (ëd. 1513 et 1528).
SINGTLARITEZ DE TROTE. LIVRE 111. 379
s,n rlT Et qaibo* imœitis placatur tangaioe diro
Teotanei, borrensqae feris altaribus Heeui.
Aucuns estiment que dudit Teutanes, les AUemans sont nommez Teutoniques.
De Hercules Alemannus, onzième Roj de Germanie et père de Hannas, daqael sont descenduz les Hongres.
Hercules Alemannus succéda à son père Teutanes : au temps duquel la Déesse Isis, (1) Royne d'Egypte, vint en AUemaigne : et monstra au rude peuple lusage de mouldre la farine et faire du pain. Ledit Hercules fut le plus preux et plus vaillant de tous ses prédécesseurs. Et pource fut il ainsi nommé : car les Princes de haute emprise dudit temps estoient surnommez Hercules, dont, comme tes- moigne Cornélius Tacitus, (2) les Germains pour mémoire perpétuelle de luy, quand ilz marchoient en bataille, chan- toient en leur langage aucunes chansons et dictiers terri- bles et merueilleux de luy : et de ce prenoient courage et férocité contre leurs ennemis. H fut après mort conté au nombre des Dieux. Et encores tient on pour chose certaine, quil y ha vn vieil temple en vue isle du Rhin, nommée Augia la grande : lequel est nommé Alman, du nom dice- luy Dieu. Et diceluy mesmes nom, les Soaues et Lansque- netz ont esté nommez Allemans. l\ régna du temps de Mancaleus, quatorzième Roy de Babylone, et du temps de Lugdus, Roy de Gaule : qui fonda Lyon sur le Rhône, et
(1) La Demeter des Egyptiens, selon Hérodote.
(2) Germ. II. — D"" Hugo Meyer (Program. Bremen 1868) fait de Roland ou Chrodoland une espèce d'Hercule, patron des libertés municipales.
580 ILtVSTRATlONS DÉ GkVtX, ET
eut vn filz nommé Hunnus, duquel procédèrent les Huns, quon dit maintenant les Hongres.
Epilogation du temps de la duration du règne desdits Roys de Germanie en gênerai.
lusques icy, et non plus auant, ledit ancien acteur Bero- sus détermine (1) des Roys de Germanie, desquelz iay vou- lentiers mis la généalogie : à cause de Vandalus, père des Bourguignons. Et nen puis plus auant dire : pource que Manethon d'Egypte, successeur dudit Berosus, nen dit rien. Mais selon ce que ie puis cueillir par les dits dudit acteur, tout le temps du règne desdits Roys peult estre estimé à cinq cens soixante et vn an ou enuiron. Lequel terme, si nous prenons les cas (comme il est vraysemblable) que ce fut la dernière année du règne dudit Hercules Ale- mannus, ce seroit lan après le déluge, sept cens et dixsept : deuant la première fondation de Troye par Dardanus, six vingts et quinze. Auant la destruction dicelle par les Grecz, à loccasion d'Heleine, quatre cens trentedeux ans. Et auant lincarnation nostre Seigneur, seize cens ans. Et pource que nous nauons nulle histoire autentique, qui nous declaire les gestes desdits Vuandelz et Bourguignons durant lespace de seize cens ans, nous passerons tout oultre, et ferons vn sault, iusques au règne de Lempereur Octauien Auguste, du temps duquel nostre Seigneur iesvs christ voulut nais- tre de la Vierge Marie.
(1) c.-à-d. termine, finit.
SIKGVLARITEZ DJS TRUYg. UVEB 111. i8l
Du pals d'Vuandftlie en Âll«maigne : et dea g^stei des Vuandelz, commençant eauiron le temps de lincamation de noatre Seigmaor. Et la cause pourquoj voe )>artie diceax furent premièrement appel- iez Bourguignons.
Selon la recitation des acteurs autentiques, Vuandalie est vne région septentrionale du Royaume de Polone et des appartenances de Germanie : ainsi dite, de par le Roy Vandalus dessus mentionné : et de par vn âeuue qui porte le mesme nom, arrosant ladite terre, dont le peuple des Vuandelz estoit ainsi nommé. Et aucimefois on les treuae es histoires nommez Vindiles et Vindeliciens. (1) Ces toit au temps iadis vne merueilleuse nation, fau-ouche, outrageuse et inhumaine : tellement que au temps de lempereur Octa- uien Auguste, vne partie diceux sesmut et se mirent en armes au nombre de quatre vingts mille hommes. Si laissè- rent leur territoire pour conquester meilleur païs : et sen vindrent iusques sur le Rhin, cestasauoir au païs de Soaue. Contre lesquelz furent enuoyez par ledit Empereur Drusus et Tiberius, ses neueux : qui les contraingnirent à grand force de retourner en leurs contrées : et les diuiserent par bendes, de peur quilz ne se ralliassent ensemble. Et les contraingnirent de non habiter villes, chasteaux, ne citez fermées : mais bien leur estoit permis de se tenir souz ten- tes et pauillons, ou édifier maisons, tugurions (2) et bordes, sans forteresse : sinon de hayes ou paliz, pour se garder des loups, comme sont les villages de pardeça. Lesquelles
(1) Confusion du pajs des Wendes Slaves avec la Vindélicie au aud-ouest de la Germanie.
(2) du latin tugurium., huttb, cabane.
582 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
manières dhabitacles ilz appelloient Bourgs, en leur lan- gage : de laquelle dénomination, il y ha auiourdhuy plu- sieurs grands citez, depuis édifiées en Allemaigne : si comme Ausbourg, Madebourg, Salsembourg, Strasbourg, Rotembourg, Fribourg, Vuissembourg et plusieurs autres. Et à ceste cause on les commença peu à peu à nommer Bourguignons. Et perdit ladite bende le nom des Vuandelz, mais non les autres qui estoient demeurez au païs, comme nous verrons cy après.
Les Bourguignons dessusdits par traict de temps se mul- tiplièrent si fort, que pas ne leur sufiisoit la terre ferme où ilz habitoient : mais occupèrent aussi vne grande et merueilleuse isle nommée Scandauia, en la mer Germani- que, du costé deuers Dannemarch. Et illec se tindrent sans se mouuoir autrement iusques au temps de lempereur Va- lentinian : cestasauoir, lan de grâce trois cens septantesix, comme met saint Hierome, en la fin de sa chronique, que lors ilz sesmurent derechef, enuiron le nombre de quatre vingts mille hommes en armes et sen vindrent iusques sur le riuage du Rhin : comme leurs prédécesseurs auoient fait autresfois, en laissant les régions froides et Septentriona- les, pour conquester meilleur païs sur Lempire Romain. Si plantèrent leur siège sur ledit fleuue du Rhin, enuiron le païs d'Alsate, qui est lune des meilleures et fertiles con- trées quon sache.
Des gestes des aulies Vuandelz et de Stilco, Prince de leur nation, qui secrètement incita les Bourguignons, Vuandelz et autres nations à enuabir les Gaules.
Lavtre partie des Vuandelz, qui demoura en son païs, là où habitent présentement les Poulaques, comme dessus est
SINGULARITEZ DE TROYE. LIVRB 111. 383
dit, se tint illec, iusques au règne de lempereur Constantin le grand. Auquel temps Geberith, Roy des Goths, les enua- hit puissamment par aspre guerre, et vainquit en bataille eux et leur Roy nommé Vismar : tellement quilz furent contraints laisser leur propre territoire. Et impetrerent dudit Empereur Constantin, quilz poussent habiter en Pan- nonie, quon dit maintenant Hongrie : ce qui leur fut ot- troyé, et y demourerent enuiron lespace de quarante ans, tousiours souz le tribut et manutenance des Romains. Mais pource que lesdits Goths leurs anciens ennemis et voisins ne les y souffroient viure en paix, il leur fut force derechef abandonner le païs de Pannonie, et sen allèrent à leurs auentures, sur la mer Balthee : là où ilz vescurent aucun temps de proye et de pillage, comme font coursaires. Mais finablement ilz furent chassez par vn autre peuple nommé les Gepides, et sen retournèrent en leur premier païs d'Vuandelie : là où ilz se contindrent iusques au temps quun Prince de leur nation, nommé Stilco, fut moyen (1) de les tirer dehors, pour les faire entrer en Gaule, au desa- uantage de Lempire Romain.
Il est asauoir, quen la court de lempereur Théodore (2) lancien fut en ce temps nourry et esleué vn Prince nommé Stilco, yssu de lancienne noblesse des Vuandelz, dessus mentionnée : et y obtint si grand crédit, que comme ledit empereur natif d'Espaigne, veit approcher la fin de ses iours, et quil laissoit ses deux enfans Honorius et Arca- dius, ses héritiers futurs, encores ieunes et non capables à gouuerner Lempire, il leur ordonna pour tuteurs, gouuer-
(1) Cf. médius, médiateur, entremetteur.
(2) Les édit. 1513 et 1628 portent également Théodore au lieu de Théodose.
384 ILLVSTRATIONS DE GÀTLE, £T
neurs et mambourgs, trois de ses principaux Barons, es- quelz il auoit sa totale fiance, cestasauoir, Ruffin, qui eut la charge de tout Orient : Stilco, qui fut régent de tout Occident : et Gildo, qui fut constitué au gouuernement de toute Afrique, qui sont les trois principales parties du monde.
Et pource que opportunité et loisibleté, communément font les gens hardis à emprendre quelque grand chose, les trois Princes et gouuerneurs dessusdits , voyans quilz auoient et pouuoir et loisir, chacun en son endroit, de se faire grans, tandis que leurs seigneurs estoient petis et moindres daage chacun d'eux trois par grand ardeur, con- uoitise et ambition de régner, délibéra dusurper pour luy et pour les siens, la seigneurie et partie de Lempire, en laquelle il auoit puissance et autorité. Et de ce eurent ilz secrète intelligence et consentement ensemble, sans faire semblant lun de lautre.
Or fut le premier et le plus hardi à commencer son emprinse Gildo, régent d'Afrique, quon dit maintenant Barbarie : car apertement et sans dissimulation quelconque , il tascha dusurper ladite contrée pour luy, en la soustrayant de lobeïssance de Lempire Romain. Mais pource que son propre frère nommé Mescelger, (1) redoutoit fort sa cruauté, il luy résista puissamment et le chassa hors d'Afrique : dont ledit Gildo mourut de despit selon aucuns acteurs, ou de poison selon les autres. Et tantost après comme ledit Mes- celger fust monté en orgueil et en cruauté intolérable, il fut tué par ses propres gensdarmes. Ruffin, qui dautre part sessayoit doccuper toute la domination d'Orient, fut rué ius par lempereur Arcadius, combien que ledit empereur fust encores bien ieune.
(1) de mâme que dans l'éd. 1513 pour le nom maure Mascezel.
8IKGVLARITEZ DE nOTS. UYEE III. 385
Lesquelles choses voyant Stilco, Prince des Vnandelz et régent de Lempire Occidental : il dissimula son courage par grand prudence et cautele, et sentretint (1) de ses sei- gneurs les empereurs Arcadius et Honorius, en telle sorte que non seulement il2 ne se doutoient de luj, mais dauan- tage Honorius luy bailla lune de ses filles à femme. Laquelle morte auant la consommation du mariage, ledit Stilco es- pousa vne autre fille dudit empereur Honorius. Par ainsi lesdits empereurs, ses seigneurs, ne le tenoient pour suspect en manière quelconque.
Estant donques Stilco constitué en telle autorité, sans souspeçon quelconque, pensant en luy mesmes, comment ses consorts dessusdits Ruffin et Gildo sestoient tresmal conduits, et auoient esté infortunez en leurs emprises, il ne perdit pas courage pourtant : ains délibéra totalement de faire son filz nommé Eukerius, empereur de toute la mo- narchie Romaine. Lequel treshaut entreprendre, il ne pou- uoit mentr à chef, sinon que premièrement et auant toute œuure, il eust enuelopé ses seigneurs, les empereurs Arca- dius et Honorius, de merueilleux troubles et guerres diflB- ciles, espérant que par ce moyen il se feroit tousiours plus grand et auroit encores plus grand charge et entremise, quil nauoit au parauant.
Souz cest arrest et conclusion faite en lay mesmes, le Duc Stilco feit solliciter par secrètes ambassades, plusieurs nations de Germanie, cestasauoir les Soaues, les Bourgui- gnons, les Alains et les Vuandelz, desquelz le Roy se nom»^ moit Corsico. Enuers toutes lesquelles nations, ledit Stilcd " auoit crédit et autorité : comme Prince de leur sang et extraction. Si les esmut à venir enuahir et conquester les
(1) e.-à-d. se soutint auprès d*euz.
11. as
38G ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Gaules, pour eux et pour les leurs, lesquelles estoit en la puissance des Romains. Et oultre ce, par vne merueilleuse astuce, procura enuers les Empereurs, que la soulde et pen- sion, qui se souloit donner aux Vesegoths ne leur fust plus payée, espérant que par ce moyen, ilz se mutineroient et se parforceroient dentrer en Italie, et il seroit créé et estably Duc et Consul alencontre d'eux. Et auroit si grand puissance et autorité au fait de la guerre et gendarmerie de Lempire, que facilement il pourroit paruenir à son intention.
Toutes les pratiques et intelligences du Prince Stilco ainsi dressées et mises à effect : cestasauoir, que première- ment les Vesegoths sesmurent et rebellèrent contre Lempi- re, à cause de leur pension et soulde non payée, ilz establi- rent sur eux vn Roy, nommé Alaric, auec lesquelz ilz en- trèrent en Pannonie, quon dit maintenant Hongrie. Et ce temps pendant, Stilco, auec vn autre Prince, nommé Aure- lianus, furent créez Ducz et Consulz, par les empereurs, pour résister ausdits Vesegoths, lan de lincarnation nostre Seigneur, quatre cens et sept. Et enuiron ce temps, les Soaues : qui sont hauts Allemans, quon dit maintenant Lansquenets, entrèrent les premiers en Gaule, cestasauoir, iusques à la cité d'Authun, au pourchas dudit Stilco. Et consequemment Corsico, Roy des Vuandelz, et les Alains et les Bourguignons, qui desia, comme dessus est dit, auoient occupé le pais enuiron du Rhin. Lesquelles quatre nations se fortifièrent et ioingnirent ensemble par alliance. Et fu- rent estimez au nombre de trois cens mille hommes portans armes.
81NGVLARITEZ DB TROTE. LITRB 111. 3S7
Comment lei François, vne autre nation d'Âllemaigne, fnrent reboutez oultre le Rhin par les Vuandelz, Bourgaignons et Alains. Et les- dits Bourguignons eslurent leur demeure au pals qui maintenant porte leur nom : «t les autres passèrent ouHre, dont le« Vuandelz donnèrent le nom au pals d'Vuandalousie en Espaigne : et les Oothf et les Âlains au pals de Catbelongne.
Environ ce mesmes temps, vne autre nation de Germanie nommez François, de la prouince de Franconie, oultre le Rhin, autresfois domptée et suppeditee par lempereur Con- stantius Flauius, filz de Constantin le grand, voulut entrer en Gaule, tant pour changer meilleur territoire, comme par enuie des nations dessusdites, lesquelles auoient grand bruit de faire merueilles en Gaule. Et de fait, lesdits François occupèrent les citez de Treues, de Metz, de Toul et de Verdun, et le pais circonuoisin. Mais à listingation des Soaues, anciens ennemis desdits François, les Vuandelz, Bourguignons et Alains contraingnirent lesdits François par force darmes à repasser le Rhin et retourner en Fran- conie, dont ilz estoient partis.
Apres que les François furent ainsi rudement repoulsez, les bendes victorieuses des Bourguignons, Vuandelz, Alains et Soaues, alliées ensemble, mespartirent toutes les Gaules. Par lequel partage, les Bourguignons, à leur choix et élec- tion, obtindrent les païs et citez desia conquestees, cestasa- uoir : Bezenson, Langres, Chalon, Mascon et leurs appar- tenances. Et les Vuandelz, Alains et Soaues tirèrent oul- tre, pour aller conquérir nouuelles terres et seigneuries : et entrèrent premièrement en Aquitaine. Si gaignerent toute la terre qui sied entre la riuiere de Loire : et les montai- gnes Pyrénées deuers Espaigne, et sessayerent dentrer en
388 ILLVâTRATlONS DE GAVLE, ET
Espaigne : mais ilz en furent reboutez pour ceste fois : neantmoins depuis ilz la conquirent toute : et encores Afri- que, quon dit maintenant Barbarie, oultre le destroit de Gybalthar. Tellement que desdits Vuandelz porte iusques auiourdhuy le nom, le païs de Vuandalousie : quon dit Landalousie, lun des plus fertiles quartiers de toute Es- paigne. Et des Alains qui depuis se meslerent auec les Goths, est nommé le païs de Gothalania, quon dit en lan- gage vulgaire, Cathelongne. (1) Et ce peult on mieux voir par les histoires d'Espaigne, desquelles ie me déporte pour maintenant : à fin de retourner à noz Bourguignons.
Comment leg Bourguignons encores Gentilz et Payons receurent la i;.!foy catholique : et la cause pourquoy : et de la victoire quilz eurent ■ /par ce moyen, alencontre des Huns, quon dit maintenant Hongres.
Cassiodore le Sénateur, acteur tresautentique, au qua- trième chapitre du douzième Hure de Ihistoire Tripertite : et après luy Celius Calanus de Dalmace, en la vie du Roy Attyla, recitent, quun Prince nommé Subthar, obtint le Royaume des Huns, tout seul, après la mort de Madhlu- cus, son frère aisné : cestasauoir, Attyla et Bleda, que les autres nomment Buda. Et comme il se veit desia sur aage et sans enfans, il adopta pour ses filz légitimes, à la maniera des Princes Romains, ses deux neueux, filz de son frère Madhlucus defunct, et les establit ses héritiers futurs, et participateurs de sa domination.
Apres lesquelles choses, le Roy Subthar, auec ses deux neueux et vn ost innumerable des Huns, qui depuis ont
(1) Cette étyraologie de Gotks 4. Alain* est encore assez répandue.
SINGVLARITE£ DB TRUYE. L1VR8 III. 818
esté appeliez Hongres, entrèrent par force en Germanie de tous costez, et mirent à feu et à sang plusieurs villes et citez : et entre les autres la cité d'Argentine, quon dit maintenant Strasbourg. Et de là entrèrent sur la terre des Bourguignons : cestasauoir, en la Conté de Ferrette et au païs des Souyceres. Et coururent iusques à Bezenson, Lan»- grès, Auxonne, Chaalon et Lyon : et y feirent des maux incroyables. Et ne peurent pour ceste heure là les Bour- guignons résister à la puissance, fureur et multitude des Huns, combien quilz y eussent mis toute leur force et leur valeur : ains furent foulez et outragez sans remède. Les- quelles choses acheuees à son souhait, le Roy Subthar et ses neueux se retirèrent en Hongrie.
Or estoient les Bourguignons encores Gentilz, cestadire» Payons et idolâtres : et telz que leurs ancestres auoient esté de tous temps en leurs païs : dont quand ilz se veirent auoir souffert vne si grieue playe et persécution, et con- gnurent que nulle puissance humaine ne pouuoit supporter le faix de leurs ennemis, ilz furent conseillez par leurs voi- sins, desquelz ilz estoient aymez et bien vouluz, pource quilz viuoient auec eux assez simplement et de leur propre labeur, sans outrage, sans hausagerie (1) et sans tyrannie (car pour la plus part estoient feures et charpentiers) quilz deuoient auoir recours à layde diuin. Or estoit deslors nos- tre foy catholique en bruit et en estime presques en toutes les contrées de Gaule : sur lesquelles les Romains domi- noient. Parquoy les Bourguignons furent conseillez de prendre le saint sacrement de Baptesme et la créance des Chrestiens. Et ny eut gueres à faire À les induire à ce, tant pource que cestoit vn simple peuple, comme pource que la
(1) c.-à-d. aiTOgance.
590 ILLYSTRATIONS DE GATLE, ET
nécessité les y contraingnoit, mesmement en temps dafflio- ticm et tribulation.
Par ainsi le peuple des Bourguignons, tout dun accord et commun consentement, selon le conseil de leurs voisins et amis, se tirèrent vers vne cité de Gaule, de laquelle Ihistoire nexprime point le nom, supplians humblement au prélat dicelle cité : quilz poussent receuoir Baptesme, et alors leuesque les receut en toute bénignité : et leur enioingnit quilz ieunassent par lespace de sept iours, et fissent aumosne, pour lamour de iesvs christ, et en remis- sion de leurs péchez : ce quilz feirent voulentiers. Et ce pendant il leur prescha les articles de la foy et la créance du saint Euangile : et au huitième iour les baptisa, et leur donna licence de retourner en leurs mansions.
Eux retournez chacun en son domicile, ilz prindrent conseil, courage et fiance en Dieu de pouuoir résister vail- lamment contre leurs ennemis, quand ilz retourneroient les assaillir. Et ne furent point frustrez de leur espérance : car comme ledit Subthar, Roy des Huns, lan reuolu, auec- ques vne armée innumerable de ses Huns, fut retourné au pais des Bourguignons, pour destruire le reste par vne merueilleuse horreur et rage forcenée : il fut défiait par vne petite bende de Bourguignons : cestasauoir, trois mille hommes sans plus, mais cestoient des plus nobles et des plus vaillans dentre eux. Lesquelles espierent vn soir que le Roy Subthar estoit couché en son pauillon, tout yure et tout aggraué de vins et de viandes, parquoy ses gens et son guet estoient en desordre. Si ruèrent les Bourguignons sur eux par vne soudaine escarmouche et mirent les Huns en desarroy, tellement quil y eut merueilleuse desconfiture desdits Huns : cestasauoir, dix mille hommes morts sur la place et trois mille prisonniers, le reste se sauua à la fuite,
8IN0VLARITEZ DE TROTB. LITRB III. 391
au moyen de la nuict obscure. Et le lendemain le Roy Subthar fut trouué entre les morts, occis de trois playes. Apres laquelle desconfiture, Buda et Attyla, successeurs dudit Subthar leur oncle, au Royaume des Huns, furent contraints faire paix et appointementauec les Bourguignons. Par lannee du commencement du règne dudit Roy Attyla, est assez congnu le temps de ladite victoire des Bourgui- gnons. Et aussi le temps que iceux Bourguignons furent premièrement Chrestiennez, qui fut la mesme année, ou à tout le moins lannee précédente. Or est il certain par les histoires que ledit Attyla commença à régner sur les Huns, lan de lincarnation nostre Seigneur quatre cens et vn. Mesmement selon vn historien nommé Michel Riz de Na- ples : cestasauoir, du temps de lempereur Theodose le ieune, filz d'Arcadius, séant au siège apostolique le Pape Boniface premier de ce nom, enuiron lequel temps flourissoit saint Hierome. Et les Saxons Allemans ietterentles anciens Bre- tons hors de la grand Bretaigne et la nommèrent Angle- terre, dé par leur Roy Anglus. Et régna ledit trescruel Attyla, quarantequatre ans. Si tua son frère Bloda, (1) ou Buda, lequel donna le nom à la cité de Bude en Hongrie. Car parauant elle sappelloit Sicambre, du nom de Sicamber, filz de Francus, qui fut filz d'Hector, comme iay monstre plus à plein au principe de ce liure des Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye. Mais retournons au pro- pos prétendu.
(1) Bloday également dans les éd. 1512 et 1528.
392 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Confutation de lerrenr de ceux qui cuîdent que du temps de la Mag- deleine il y eust aucun Prince qui se nommast Roy de Bourgongne. Et de la vérité de Ihistoire du Roy Gundengus qui premier fut institué par les Bourguignons : et de ses gestes. Lequel Gundengus estoit de lancienne noblesse des Goths, dont les Roys d'Espaigne se disent auiourdhuy estre yssuz.
Povrce que cest chose difficile dextirper les erreurs inue- terees, et que plusieurs sarrestent et sahurtent quant à lopinion des anciens Roys de Bourgongne, à ie ne scay quel abrégé vulgaire, qui se intitule, les Chroniques des Roys, Ducz et Contes de Bourgongne, depuis lan quatorze après la résurrection nostre Seigneur, etc. , où il met que ledit an Trophinius, Roy de Bourgongne, fut conuerty à Marseille en Prouence, par la prédication de la Magdeleine, et fut le premier Chrestien. Et le second eut nom Estienne, etc. A fin que les Lecteurs congnoissent que cela est faux et apocryphe, regardent bien (1) la diligence que iay mis à inuestiguer la vérité. Tout premièrement, si la Magde- leine conuertit à Marseille aucun Prince ou seigneur nommé Trophinius, ou autrement, ie ne le vueil nier ny afiermer, car il est bien possible : et ie men raporte à ce qui en est : mais quil se nommast Roy de Bourgongne, ny de Prouence, ie le nie tout plat, et preuue le contraire en ceste manière : Puis que, comme il est apparu cy deuant par acteurs autentiques, les Bourguignons ne partirent d'AlIe- maigne pour entrer en Gaule, sinon trois cens septantesix ans après lincarnation nostre Seigneur, comment y eust il eu Roy de Bourgongne habitant en Prouence du temps
(1) c.-à-d. qu'ils regardent bien.
SIIfGVLÂRITBZ DE TROTE. LIVRE III.
de la Magdeleine, cest argument est inuincible. Dautre part, il est tout certain que celle partie de Gaule qui depuis fut nommée Bourgongne, nestoit pas ainsi nom- mée du temps que la Magdeleine vint en Prouence, ains auoit autres diuers noms. Car ceux quon dit ores de la franche Conté, se disoient lors Sequanois, ceux de la Duché se noramoient Heduois, les Sauoyens et Dauphinois estoient nommez AUobroges, et autres diuers noms particuliers auoit la terre qui depuis fut nommée le Royaume de Bour- gongne, par la conqueste des Bourguignons, qui dicelle chassèrent les Romains. Et qui plus est, quant au païs de Prouence, où la Magdeleine vint, qui eust ce esté qui en iceluy eust osé porter couronne ou se nommer Roy, mesme- ment du temps de lempereur Tibère, ou Claudius, ou Caius Caligula ? Attendu que ledit païs de Prouence estoit rédigé en propre prouince de Lempire Romain. Certes il ne peult estre ne vray, ne vraysemblable. Parquoy ceste histoire se monstrera plus véritable et plus clarifiée.
Le peuple des Bourguignons donques, depuis quil fut descendu de la haute et parfonde Allemaigne, cestasauoir deuers la mer de Danneraarch, comme dessus est dit, et eurent passé le Rhin ladite année trois cens septantesix, ilz conduiront leur police en estât de communauté et popu- larité sans auoir Roy sur eux, par lespace de trentehuit ans ou enuiron, cestasauoir, iusques à lan de nostre Sei- gneur, quatre cens et quatorze. Laquelle année ilz eslurent et establirent vn Roy sur eux, nommé Gundengus, aucun temps auant que Pharamond fust constitué Roy des Fran- çois, qui encores habitoient en Allemaigne : cestasauoir, enuiron treize ans après que lesdits Bourguignons furent faits Chrestiens. Toutesuoyes laques de Bergome en son Supplément des chroniquejs met, que ledit premier Roy des
ILLVSTRATIONS DE GAVLË, ET
Bourguignons, lequel il nomme Gundiochus, nestoit pas vray catholique, mais Arrien. Pource que quand le peuple des Goths se voulurent conuertir à la foy, lempereur Valens, lequel estoit hérétique, leur enuoya des Euesques pour les baptiser et des docteurs pour les introduire en. ladite hérésie Arrienne. Mais il est vraysemblable, que iasoit ce que ledit Gundengus eust esté nourry en ladite secte, auec- ques ses Goths, que quand il vint à régner sur les Bour- guignons, il print la foy catholique, à fin de se mieux con- former à son peuple.
Iceluy Gundengus ou Gundiochus estoit de lancienne noblesse et lignée d'Athanaric et Alaric, Roys des Goths et Vuisegoths, qui furent yssus des Cimbres, comme nous auons veu au premier traicté de ce liure. Et fut ledit Ala- ric, celuy qui premier abaissa Lempire Romain en Italie et print Romme par force. Et tindrent longuement luy et ses successeurs vne grand partie d'Italie et de Gaule en leur subiection. Et depuis conquirent les Espaignes, telle- ment que du sang diceux Roys des Goths, les Princes d'Es- paigne sont descenduz de ligne en ligne : cestasauoir quant au costé maternel. Parquoy il appert que tousiours de plus en plus se redouble la noblesse et illustrité de ceste généa- logie historiale.
Par ainsi Gundengus, premier Roy de Bourgongne , homme de grand noblesse et vertu, se mit en deuoir dam- plier les limites de son Royaume. Et de fait, conquit la cité de Lyon et tout le pais de Lyonnois, le Dauphiné, Mar- seille et Prouence, iusques à Nisse sur la mer. Mais il eut contre luy Etius Patricius, consul Romain, tresuaillant capitaine, lieutenant gênerai et maistre de la cheualerie des empereurs Honorius et Arcadius, et de Theodose le ieune, successiuement tant en Gaule, comme en la grand
SINGTLABITBZ DE TROYE. LIVRB III. 395
Bretaigne. Si furent faites de merueilleuses batailles dun costé et dautre : par lesquelles les Bourguignons eurent finablement du pire. Mais pource quen ce mesme temps les François premièrement reboutez oultre le Rhin par les Bourguignons, et secondement par ledit Etius Patricius Romain, estoient pour la tierce fois entrez en Gaule, du costé de Tournay et Cambray, et paruenus iusques aux riuieres de Somme, Seine et Loire, souz la conduite de leur deuxième Roy, nommé Clodio le cheuelu, et de Mero- neus, son fîlz : et que dautre part les Goths tenoient Aqui- taine et les Huns menassoient de redescendre en Alle- maigne : a fin que ledit Etius, Consul et lieutenant des em- pereurs Romains, neust tout à vn coup affaire à tant de nations, il feit paix et appointement final auec les Bour- guignons.
Ainsi régna ledit Gundengus premier Roy de Bourgongne paisiblement vne bonne espace de temps : cestasauoir, ius- ques à ce que le dessusnommé Attyla, Roy des Huns, quon dit maintenant Hongres, lequel se nommoit par ses tiltres le Flayau de Dieu, descendit de Pannonie, quon dit ores Hongrie, et d'Allemaigne, à tout cinq cens raille hommes, tant de ses propres subietz, comme de ses alliez : lesquelz furent Vualaud, Roy des Ostrogoths, et Ardaric, Roy des Gepides, auec autres Princes et peuples merueilleux. A tout laquelle armée, ledit Attyla entra comme foudre et tempeste, dedens les Prouinces de Gaule, là où il gasta tant en allant, comme en venant, vn grand nombre de citez et grosses villes : entre lesquelles furent Mayence, Tongres, Metz, Treues, Tournay, Cambray, Arras, Ter- ouanne, cestadire terre vaine : car parauant, elle sappelloit Morinum : Amiens, Beauuais, Chaalons en Champaigne, Rheims. En laquelle il martyrisa S. Nicaise et sa sœur
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sainte Eutrope. Si print aussi Troyes en Champaigne, laquelle il ne démolit point, par les prières de saint Loup, Euesque dudit lieu, qui luy ouurit la cité. Aussi furent destruites Lyon et Narbone, et la cité d'Orléans assiégée. Mais Attyla ne la print point, pour crainte du Duc Etius et de ses alliez, qui se renforçoient de iour en iour.
Le Duc Etius, pour lors lieutenant gênerai en Gaule pour Lempereur Theodose le ieune, voyant le treshorrible gast et dépopulation que faisoient les Huns en sa Prouince, déli- béra de résister à leur cruauté. Si feit alliance auecques Gundengus, Roy des Bourguignons, Meroveus, Roy des François, Theodoric, Roy des Goths, et Charles le Bel, Duc de Tongres et de Brabant. loingnit aussi auec luy les AUe- mans, Saxons et Ambrons. Toutes lesquelles nations hay- oient, craingnoient et redoutoient extrêmement la tresde- testable inhumanité des Huns. Iceux donques confederez ensemble, vindrent trouuer le Roy Attyla, es champs Cata- launiques, lequel auoit abandonné son siège deuant Orléans, pour doute d'eux, ou plustost pour les venir combatre, comme ie croy. Aucuns disent, que lesdits champs Cata- launiques sont auprès de Chaalons en Champaigne : les autres tiennent quilz sont auprès de Tolouse.
Les armées abordées près lune de lautre, la bataille fut donnée entre les deux parties, combien que le Roy Attyla leust voulentiers refusée, ou dilayee, pource que les deuins ne luy promettoient pas bonne fortune. lasoit ce quil eust cinq cens mille hommes en armes, comme dessus est dit, finablement il y fut combatu par si grand estrif et merueil- leuse contention, quil y mourut que dune part que dautre, cent quatre vingts mille hommes de fait. Entre lesquelz y demeurèrent deux Princes de nom, cestasauoir, Gundengus, premier Roy de Bourgongne, et Theodoric, Roy des Vuise-
SINCTLABITEZ DE TROYB. LIVRE III. 397
goths. Mais Charles le Bel, Duc de Tongres et de Brabant, y acquit grand honneur, car il abbatit Ardaric, Roy des Oepides, comme de ce ha esté touché au premier traicté en parlant dudit Charles le Bel.
Ceste merueilleuse bataille et dosconfiture, par laquelle Attyla receut grand perte et diminution de sa puissance, fut cause de le faire sortir hors de Gaule et se retirer en Hongrie, comme demy vaincu. Mais en se retirant il feit des maux innumerables. Et aucun temps après il entra par force en Italie où il feit le semblable. Et mourut lan qua- tre cens cinquantequatre selon la chronique de saint Hie- rome. Aucuns tiennent que Meroveus, Roy des François, mourut aussi à ladite iournee qui fut faite lan de nostre Seigneur quatre cens cinquante, selon ledit saint Hierome. Theodoric, Roy des Vuisegoths, fut enseuely royalement à Tolouse par son filz Thorismund. Mais de Gundengus, pr^ mier Roy des Bourguignons, ie nay point encores trouaé où il fut enterré : mais tant y ha, quil mourut vertueuse- ment et en bonne querele, contre les Payens idolâtres, après auoir régné trente ans. Et laissa après luy quatre enfans masles, desquelz nous parlerons maintenant.
Des quatre filz de GnndeDgun, premier Rojde Bonrgongne : cestasa- aoir Gundebaud, Gundesigil , Chilperic et Oothmar : lesquelz régnèrent par ensemble en Bourgogne après leur père. Et de la guerre que les deux frères eurent contre les deux autres à cause de la succession.
Apres la mort du Roy Gundengus, ses quatre filz, Gun- debaud, Gundegisil, Chilperic et Gothmar, partirent Ihe- ritage du Royaume en quatre parties, dont chacun obtint sa portion et son quartier. Mais pource quil est bien diflS-
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cile que quatre frères se puissent longuement entretenir (1) pacifiques en matière de régner, il sourdit guerre et dissen- sion entre eux. le ne scay pour quelle occasion, sinon peult estre pour les limites de leurs seigneuries. Et tellement y fut procédé, que Gundebaud et Gundegisil furent dune bende, Chilperic et Gothmar, dune autre. Mais Chilperic et Gothmar furent vaincuz et occis en pleine bataille, par Gundebaud et Gundegisil, leurs frères aisnez. Et la femme dudit Chilperic iettee dedens le fleuue du Rhône à tout vne pierre au col, près de Marseille en Prouence. Et les enfans raasles desdits Chilperic et Gothmar tuez. Les deux filles dudit Roy Chilperic tenues en estroite garde, dont laisnee nommée Sedelinde selon aucuns acteurs, ou Chrona selon les autres, se rendit religieuse en vn Monastère. La plus ieune nommée Clotilde fut nourrie et entretenue en Ihostel dudit Roy Gundebaud, son oncle.
Da règne de Gundebaud et de Gundegisil son frère : et daucuns de leurs gestes.
Qvand Gundebaud fut paruenu à la monarchie, cestadire à estre seul dominateur du Royaume de Bourgongne, au moyen de la victoire obtenue contre ses frères Chilperic et Gothmar, il permit à son frère Gundegisil, iouyr et vser dune portion du Royaume de Bourgongne. Et puis pour soy fortifier par alliances, espousa la fille de Theodoric, Roy des Ostrogoths, qui pour lors dominoit en Italie. Et cela fait, le Roy Gundebaud passa les monts à tout vne grosse et puissante armée : print et conquesta la cité d'Iaorie, (2)
(1) c.-à-d. se maintenir.
(2) Divoire {éd. 1528) pour Jvrea.
SiNGVLARIT£Z DE TROYE, LIVRE 111. 399
en la val d'Oste, et Turin en Piedmont, Corne et Nouare en Lombardie, et assez dautres villes, chasteaux et citez. Si se feit renommer et redouter par tout. Et à fin de renforcer tousiours lalliance entre les Princes dessus mentionnez, les- quelz occupoient Lempire Romain, Theodoric, Roy des Os- trogoths, dominant en Italie, comme dessus est dit, donna vne autre de ses filles à Sigisraond, filz dudit Gundebaud Roy de Bourgogne : sa nièce nomme Almaberge, il la collo- qua à Hermofrum, (1) Roy de Thuringe. Sa sœur à Thrasi- mund, Roy des Vuandelz. Et après la mort de sa première femme, ledit Theodoric, Roy des Ostrogoths, demanda en mariage la fille du Roy Clouis de France, et leut, et tint le siège de son Royaume à Rauenne, qui est vne grosse cite et port de mer, sur la mer Adriatique en Italie.
Comment Clotilde de Bourgongae appetant la vengeance de la mort de son père et de sa mère, consentit secrètement destre raaie par Clouis, Roy de France.
Ce temps pendant que Gundebaud, Roy de Bourgongne, estoit embesogné en ses conquestes de delà les monts, Clo- tilde, sa nièce, deuint grande et belle en perfection. Et si les Bourguignons faisoient merueilles de conquérir sur Lem- pire Romain en Italie, aussi croissoient de lautre part les François en Gaule, et prosperoient de mieux en mieux, ainsi que par manière denuie de mieux faire. Et flourissoit alors en son règne, en sa force et en sa ieunesse le Roy Clouis de France, filz de Childeric. Lequel ayant certaines affaires auec Gundebaud, Roy de Bourgongne, comme ont
(1) Hermo/ron (éd. 1528).
400 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
coustumierement Princes les vns auec les autres, enuoya vue ambassade vers ledit Roy Gundebaud. Lesquelz ambas- sadeurs retournez, contèrent à leur maistre, la grâce et la beauté de Clotilde de Bourgongne ; et luy donnèrent grand espoir de pouuoir iouyr du mariage délie et aussi du Royau- me de Bourgongne, auquel elle auoit droit et action. Les- quelles nouuelles donnèrent facilement impression damours et dambition, en vn ieune cœur Royal.
Par ce motif, le Roy Clouis enuoya derechef vne autre ambassade deuers le Roy Gundebaud de Bourgongne, de la- quelle es toit chef vn baron nommé Aurelian, ayant charge de demander au Roy Gundebaud sa nièce Clotilde en ma- riage pour son Roy. Lequel Aurelian, homme de grand prudence et discrétion, venu iusques bien près de la court du Roy de Bourgongne, auant quil entamast la matière de son ambassade vers le Roy Gundebaud, voulut première- ment taster si le courage de la pucelle Clotilde se consenti- roit à ce : laquelle difficulté luy sembloit grande, pource quelle estoit Chrestienne et son maistre (1) Payen.
Aurelian donques lambassadeur, pour essayer le courage de Clotilde, laissa ses gens et son train en vn bois prochain de la court par vn iour de Dimenche. Et estant informé que ledit iour elle auoit de coustume de donner laumosne aux poures, il despouilla ses riches habillemens et vestit par dessus son pourpoint vn habit de pèlerin, et salla met- tre deuant le portail de leglise au reng des poures. Quand la messe fut finee, Clotilde selon sa coustume, donna à cha- cun poure vne pièce dor. Laquelle receiie par ledit Aurelian" ambassadeur, il feit la reuerence à Clotilde et en luy bai- sant la main la luy rendit. Et en ouurant son manteau de
(1) «»arîf(éd. 1513).
SIMOTLAHITEZ DE TROYE. LIVRE 111. 401
pèlerin, monstra et descouurit son riche accoustrement, qui estoit pardessouz iceluy. Parquoy Ciotilde entendit fa- cilement quil nestoit point poure, et que non sans cause il auoit fait ce tour. Si fut curieuse de sauoir qui il estoit. Et commanda à aucun de ses gens quil fust suiny et qxton ne le perdist point de veiie.
Lambassadeur Aurelian après auoir fait cest acte, sachant que voirement il seroit suiuy, se alla loger en vne bonne hostelerie en la cité, en lieu apparent. Et Ciotilde après estre informée de son logis, enuoya deuers luy vne sienne femme de chambre, laquelle luy dit, quil eust de venir par-> 1er à sa dame, ce quil feit diligemment. Et quand il fut en sa présence, il la salua de par le Roy Clouis de France : et luy dit la charge de sa légation. Si luy présenta laneau du Roy son maistre, auec autres riches bagues et loyaux, en signe d'arres (1) de mariage.
Ciotilde de primeface feit difficulté de prendre lesdites bagues, pour arres de mariage, en sexcusant et disant, quil nestoit point licite à vne fille Chrestienne, despouser vn mary Payen. Neantmoins finablement elle se consentit de prendre ledit aneau. Et donna charge à lambassadeur, quil dist secrètement au Roy son maistre, quelle feroit tout ce quil luy plairoit : et que deslors et desia elle le tenoit pour son seigneur et mary : posé que encores nen fust autres nouuelles, sinon entre eux trois, pour doute du Roy Gun- debaud, son oncle. Et que ce pendant le Roy Clouis deust faire ses diligences de la demander en mariage à sondit on- cle, par solennelles ambassades. Ainsi fut il conclu entre eux deux. Et après le partement dudit Aurelius, Ciotilde mit laUeau du Roy Clouis au trésor du Roy Gundebaud, son oncle.
(1) derres (éd. 1512). 11. »
402 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, fiX
Il sembla bien à lambassadeur Aurelian quil auoit assez exploité dauoir obtenu si bonne response de la principale partie. Si délibéra- , pour ceste fois non tirer plus outre en- uersle Roy Gundebaud, ains retourner premièrement deuers son maistre et laduertir de son exploit, comme il feit. Et ce fait, certain temps après, comme sur chose asseuree, il fut derechef enuoyé en ambassade bien magnifiquement, deuers le Roy Gundebaud de Bourgongne, auquel il exposa tout à plein la matière de son enuoy, selon ses instruc- tions : et disoit que le Roy son maistre ne demandoit que la personne de la fille simplement, sans douaire quelconque. Le Roy Gundebaud, sentant et entendant bien comme il aduint depuis, que lastuce des François luy demandoit non seulement sa nièce, mais aussi son Royaume, fut bien do- lent et courroucé. Si monta tantost en sa fureur et respon- dit par grand fiereté audit ambassadeur, que iamais il ne bailleroit sa nièce à vn tyrant Payen. A quoy lambassa- deur répliqua, quil se preparast donques à la guerre : car il auoit charge expresse, en cas de refus, de le deffier de par le Roy Clouis son maistre : et de le sommer à luy assi- gner iournee, et camp de bataille, pour vuider ceste querele. Quand les Princes et Barons, conseilliers du Roy de Bourgongne, entendirent le deffy et sommation du Roy Clouis de France, craingnans la fureur et puissance des François, qui tous les iours de plus en plus alloient pros- pérant, ilz dirent à leur Roy Gundebaud, que attendu la grand poursuite du Roy des François, il se donnast garde que Clotilde sa nièce neust receu secrètement aucuns pre- sens dudit Roy, parquoy elle luy eust peu faire quelque promesse de, mariage. Souz lombre de laquelle, si ladite Clotilde luy estoit refusée, il auroit occasion de présenter la bataille.
SIKGVLARITBZ DE TROTS. LIVRE UI. 405
Selon les choses mises en termes, les trésors du Roy Gundebaud et de ladite Clotilde furent cherchez et visitez. Si trouua on au trésor du Roy Gundebaud, le signet (1) du Roy Clouis de France, marqué de son nom et de sa pour- traiture. Lequel signet icelle Clotilde y auoit mis comme dessus est dit. Dont quand il fut recongnu, lesdits Barons et conseilliers louèrent au Roy Gundebaud, quil enuoyast sa nièce au Roy Clouis, à fin dauoir paix et deuiter guerre : ce quil feit assez enuis et par grand desdain. Aucuns his- toriens tiennent quelle fut rauie, de son bon gré et consen- tement, pendant que le Roy son oncle estoit delà les monts : et fut menée à Soissons, où les noces furent célébrées solennellement.
Des deux requestes que Clotilde de Bourgongne, Royne de France, feit premièrement au Roy Clouis, son mary : et de leffect dicelle quant à la guerre, contre son oncle Gundebaud. Et de la mort de Gundegisil, son autre oncle, qui tint le party des François.
Venu le iour de solenniser les noces, après toutes bon- nes chères, Clotilde pleine de prudence et dastuce, ains que son mary la touchast, luy feit deux requestes expresses : lune quen délaissant la culture des idoles et des faux Dieux, pleins de vanité, il creust au Dieu seul qui créa le ciel et la terre, le père, le filz, et le saint esprit. La seconde requeste fut, que ledit Roy vengeast la mort de son père Chilperic, et de sa mère, et de son oncle Gothmar, et de ses petis frères et neueux occis iniustement et outrageuse-
(1) c.-à-d. Tanneau qui, au moyen-âge comme chez les Romains, servait à sceller les affaires courantes. Cf. Ducaoge, v. Signetum.
404 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
ment, par son oncle le Roj Gundebaud de Bourgogne. Et que ledit Roy Clouis recouurast le Royaume de Bourgongne qui par droit dheritage appartenoit à elle. Desquelles deux requestes le Roy Clouis luy ottroya la seconde, mais non pas la première.
Certain temps après, au pourchas dicelle Royne Clotilde, le Roy Clouis enuoya deuers le Roy Gundebaud le dessus- nommé Aurelian ambassadeur, pour demander les trésors et biens meubles, bagues et loyaux appartenans à la Royne Clotilde, à cause de son feu père le Roy Chilperic et de sa mère aussi. Dont le Roy Gundebaud, enflambé d'ire et de maltalent oultre mesure, commença à vser de grands me- nasses enuers ledit ambassadeur : mais par le conseil de ses Barons, lesquelz esleuoient iusques aux cieux le merueilleux courage des François, ledit Roy Gundebaud vaincu de leurs paroles, deliura audit Aurelian ambassadeur, vne bonne par- tie desdits trésors pour porter au Roy Clouis et à sa femme. Et par ainsi il demoura aucun temps en paix.
La Royne Clotilde, enuieuse et dolente de ce que son on- cle demouroit si long temps paisible Roy de Bourgongne, pressa tant et sollicita son mary dentamer la guerre ouuerte à son bel oncle, et tant luy rameutent sa promesse et lap- pella de sa foy, que Clouis fut contraint dy aller à grand puissance. Laquelle chose voyant, Gundebaud rallia auec luy son frère Gundegisil : et donnèrent ensemble la bataille, auprès de Diion, qui nestoit lors quun chasteau, sur la riuiere nommée Ostara, (1) là où les Bourguignons eurent du pire et ne peurent supporter le fiEiix des François, ains perdirent la iouruee et se sauuerent à peine iceux deux Roys à la fiiite.
(l) L'Ouchtl
SINGVLARITEZ DE TROYR. LIVRK 111. 405
Gundebaud se retira dedens sa cité d'Anignon sur !e Rhône, auquel lieu Clouis lalla assiéger et le tint illec en merueilleuse angoisse et nécessité, iusques à ce quun Baron treslojal dudit Roy Gondebaud salla rendre par feintise au Roy Clouis. Et eut tant de crédit et dautorité autour de luy, quil trouua finablement manière de faire lappointement, en telle sorte, que le Royaume de Bourgongne deuroit estre deslors en auant, subiet et tributaire perpétuellement aux François. Et que la plus grand partie des trésors du Roy Gundebaud seroit deliuree au Roy Clouis. Lesquelles choses accordées, chacun sen retourna en sa chacune. Puis ledit Gundebaud mourut, après auoir régné ans (1) : et laissa deux filz, cestasauoir, Sigismund et Gondemar, lesquelz succédèrent au Royaume de Bourgongne, après leur père Gundebaud et Gundegisil, leur oncle, qui mourut sans hoirs de son corps.
Cela est couché selon vne vieille chronique que iay trouuee en la librairie de saint Hierome à Dole. Mais Gaguin met vne autre opinion de ladite guerre de Clouis et de Gunde- baud : et dit, que Gundegisil fut contre son frère et tint le party des François : et que après ce que le Roy Gunde- baud sen fut fuy de la bataille et assiégé par Clouis, il fut prins : mais il fut racheté en payant grand rençon, car il estoit trespuissant en trésors. Laquelle chose pourchassa et moyenna vn tresriche citoyen d'Arles, nommé Aredes : lequel feit au Roy Clouis plusieurs grans presens pour rauoir son Prince. Par ainsi lappointement fut fait entre les deux Roy s, moyennant ce que le Roy Gundebaud pro-
(1) même lacune en éd. 1513, 1528 et 1533. Il s*agitda roi Gom- baad, auteur de la loi Gomhetta, et mort à Genéye en 516. J. Lemaire s'explique plus bas au sujet de cette lacune.
406 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
mit au Roy Clouis certain tribut par an. Apres lequel ac- cord le Roy Clouis sen retourna en France : mais laissa en Bourgongne cinq -mille hommes de guerre, souz la charge et conduite de Gundegisil, frère du Roy Gundebaud, lequel se tenoit à Vienne.
Tantost après que le Roy Clouis fut party de Bourgongne, Gundebaud, bien dolent de sa perte et désirant la recou- urer, mit sus vne grosse puissance et vint assiéger son frère Gundegisil et les François qui estoient en sa cité de Vienne. Durant lequel siège, Gundegisil ietta tous les poures mesnagers dehors, de peur destre affamé : laquelle chose fut cause de sa destruction. Car vn maistre masson qui autresfois auoit eu la charge des conduits des eaues venans par artifice à Vienne, indigné et marry de ce quil auoit esté chassé comme les autres, se tira deuers le Roy Gundebaud et luy monstra le secret dentrer en la cité par vn conduit desdites eaues, dont il fut le tresbien venu. Et au moyen de ce Vienne fut prinse par les Bourguignons. Et iasoit ce quil y eust grand resistence de par Gundegisil et les François, et grand tuerie dun costé et dautre, finable- ment la victoire demeura au Roy Gundebaud, et fut Gun- degisil occis en la foule. Les gensdarmes François qui de- meurèrent en vie, furent enuoyez à Tolouse, au Roy Alaric des Goths, ennemy de Clouis, Roy de France. Mais pource que le règne desdits quatre frères, Chilperic, Gothmar, Gundebaud et Gundegisil, fut confuz et indistinct, et que le temps du règne dunchacun diceux nest point limité, (1) nous ne les conterons que pour vn en ceste généalogie his- toriale et viendrons à leurs successeurs.
(1) V. la note précédente.
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De saint Sigismuad, trouieme Roy de Bourgong^e : et de Oondemar, ou Qondeual, ion frère. Et comment la Rojme Clotilde fut cause de leur deffaite : et de Clodomir, Roj d'Orléans, qui feit mourir crueU lement ledit Sigismund, Roy de Bourgongne.
Sigismvnd et Gondemar, enfans du Roy Gundebaud, régnèrent après leurdit père et leur oncle Gundegisil, et vescurent paisiblement ensemble. Or auons nous dit cy des- sus comment Sigismund, auant quil fust Roy : cestasauoir, du viuant de Gundebaud, son père, espousa premièrement la fille du Roy Theodoric, des Ostrogoths, qui dominoit en Italie et tenoit son siège et sa court Royale à Rauenne. De laquelle fille du Roy Theodoric, il eut vn filz nommé Sigeric : et puis sa femme mourut. Parquoy le Roy Sigis- mund de Bourgongne se remaria de nouueau à vne autre dame, dont ie ne scay le nom, ne de quelle maison elle estoit. Laquelle, comme marastres bayent naturellement les enfans des premières femmes de leurs marys, pourchassa tant enuers le Roy Sigismund, quil print en hayne son fîl« Sigeric et le feit mourir.
Apres que le Roy Sigismund de Bourgongne eut perpé- tré cest homicide en la personne de son propre filz, il en print yne merueilleuse desplaisance : et en feit pénitence extrême et incroyable. Et à fin que Dieu luy pardonnast son péché, il print sa totale deuotion aux saints Maurice, Exuperius, Candidus et Victor, et aux autres martyrs, quon dit la légion de Thebes, qui recourent mort et passion par le commandement de lempereur Maximian, au lieu quon dit Agaunum, maintenant Chablais en Sauoye, au pied du mont Columnaiou, quon dit maintenant saint Bernard. Si leur feit faire vne église somptueuse : et la renta et
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doua de grans biens, et feit desseruir par religieux de sainte vie et bonne conuersation : tellement que par ce moyen, il obtint remission de son péché, ainsi que tesmoi- gnent les grans miracles, que Dieu luy ha donné grâce de faire après sa mort : si comme guérir de fièvres et autre- ment. Messire Robert Gaguin qui ha escrit les histoires de France, dit que ce ne fut pas Sigismund, qui feit faire ledit monastère, mais son frère Simon. Il se trompe luy mesmes : comme il est aucunesfois négligent en son histoire. Et cuide qpe Sigismund et Simon soient deux noms diuers. Tout fiinsi qui diroit, que Goderaar, Gondemar et Gondeual, fussent trois noms differens, et ce nest quun prononcé diuersement : car il ne se treuue point que le Roy Gunde- baud eust autres enfans que ces deux cy Sigismund et Gon- demar.
Endementiers que le Roy Sigismund mettoit son estude à fonder ladite église de saint Maurice en Chablais, et autres dont on dit quil édifia grand nombre, Clotilde, sa pousine, Roy de France, ne peut longuement souffrir sa prospérité. Ains après la mort du Roy Clouis, son mary, elle estant à Tours, sen vint à Paris, là où elle assembla ses quatre enfans, cestasauoir, Theodoric, Roy de Metz et fi'Austriche la basse : Clodomir, Roy d'Orléans : Clotaire, Roy de Soiffons : et Childebert, Roy de Paris. Ausquelz elle feit vne grand plein te : et leur remonstra comment vne bonne partie du Royaume de Bourgongne leur appar- tenoit par droit dheritage , et comment Sigismund et gondemar, enfans de Gundebaud, la leur retenoient par vsurpation. Car ledit Gundebaud, son oncle, auoit fait mou- rir mauuaisement et tyranniquement le père délie, Chil- peric, leur ayeul maternel, et sa mère, leur ayeule, et ses frères, leurs oncles : et vsurpé la despouille et Iheritage
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dicenx. Lequel elle prioit à toute instanoe à sesdits enfans vouloir recouurer, comme à eux appartenant : et prendre vengeance de ce grand outrage, sur lesdits Sigismund et Gondemar de Boargongne.
Ces paroles et instigations maternelles enflamberent ias cœurs de ces quatre ieunes Princes, Theodoric, Clodomir, Olotaire et Ohildebert, de telle sorte, quilz ne penserait iamais assez à temps auoir satisfait à la voulenté de leur mère : ains après luy auoir fait promesse certaine de ce, mirent sus toutes leurs forces et puissances de guerre, à tout lesquelles ilz entrèrent au Royaume de Bourgongne : et alencontre d'eux vindrent en bataille rengee, le Roy Sigismund et Gondemar, son frère. Lestrif fut grand dun costé et dautre, et la bataille sanglante : mais en parfin, les Bourguignons déclinèrent. Gondemar, qui estoit nauré, se retira premier, auecques ses gens. Sigismund senfuyt en leglise de saint Maurice en Chablais : laquelle il auoit fondée comme dessus est dit. Et là fut il prins par Clodo- mir, Roy d'Orléans, son cousin : auec sa femme et ses enfans, et mené prisonnier en la cité d'Orléans.
Puis (l)que Clodomir, Roy d'Orléans, eut mené prisonnier le Roy Sigismund de Bourgongne, sa femme et ses enfens à Orléans, il les tint assez estroitement, et aucunesfois déli- béra de les faire mourir. A quoy vn saint Abbé d'Orléans nommé Auitus, qui lors flourissoit en bruit de sainteté, cuida bien contrester : priant et enhortant le Roy Clodo- mir, quil ne le feist pas, et disant, que sil comraettoit ce criminel outrage, mal luy en prendroit auant long temps. Mais au pourchas de la Royne Clotilde, mère dudit Clodo- mir,. qui desiroit la totale destruction de son sang, le bon
(1) c.-à-4. après que.
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saint Abbé ne fut point ouy : ains furent tuez et meurtris piteusement ledit Roy Sigismund, la Royne, sa femme, et leurs enfans, et iettez dedens vn puits, au lieu qui se dit Coulonnanic : dont il aduint que lannee ensuiuant, selon ce que le bon Abbé saint Auit auoit prophétisé, ledit Clodo- mir, Roy d'Orléans, et ses enfans, moururent mescham- ment : comme sera dit cy après. Certain temps après leur mort, leurs corps furent portez d'Orléans à saint Maurice en Chablais, par ledit saint Abbé, nommé Auitus, et ense- uelis honnorablement. Là où iusques auiourdhuy ledit Roy Sigismund est réputé saint, pour les miracles que Dieu monstre à son intercession.
De Gondemar, quatrième Roy de Bourgongne et dernier de la lignée des Goths, et comment au poorchas de la Rojne Clotilde, sa cou- sine, il fut totalement destruit : et le Royaume de Bourgongne ■vint en la main des François. Et de la mort du Roy Clodomir d'Or- léans.
Encores ne suflSt il pas à la Royne Clotilde, appetant vengeance oultremesure : ne elle ne fut saoule du meschef pitoyable du Roy Sigismund, de sa femme et de ses enfans, si elle ne voyoit parfaire la totale destruction de son sang. Si instiga derechef son filz Clodomir, Roy d'Orléans, da- cheuer la reste contre Gondomar, Roy de Bourgongne, qui maintenoit ladite Royne, après son frère Sigismund. Par ainsi Clodomir à linstance de sa mère, assembla la plus grosse armée quil peut, et à tout icelle entra au Royaume de Bourgongne. Si luy vint au deuant le Roy Gondemar, auec si grand puissance, quil peut finir de ses vassaux : et sassemblerent au territoire de Viennois, en vn lieu qui est
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appelle Visoront. La bataille fut aspre et cruelle. Mais quand les Bourguignons ne peurent soustenir le faix des François, ilz tournèrent en fuite auec leur Roy Gondemar. Lequel fut suiuy par Clodomir, Roy d'Orléans, par si grand roideur et aspresse, quil seslongna assez de ses gens : et pressa si fort Gondemar, Roy de Bourgongne, quil le ratain- gnit à la fuite, en le menassant par derrière de grosses paroles, et le pbursuiuant par grand orgueil et vantise. Alors le Roy Gondemar de Bourgongne retournant sur luy par grand fureur et indignation, coucha sa lance et abbatit ledit Clodomir ius de son cheual , tellement quil demeura là : et Gondemar retournant à sa course, se retira dedens sa cité d'Authun.
Les nouuelles esparses de la mort de Clodomir, Roy d'Or- léans, Clotilde ne dormit pas : ains resueilla ses deux filz Clotaire, Roy de Soissons, et Childebert, Roy de Paris, à venger la mort de leur frère Clodomir, Roy d'Orléans, Les- quelz obteraperans à la voulenté de leur mère, vindrent assiéger la cité d'Authun, en laquelle sestoit fortifié Gon- demar, Roy de Bourgongne. Si la prindrent par force et tuèrent ledit Roy Gondemar : toutesuoyes Gaguin es chro- niques de France, met quil eschappa, et les François emme- nèrent sa femme prisonnière.
Par ainsi faillit en cestuy Gondemar la lignée masculine du sang des Goths, dont Gundengus, premier Roy des Bour- guignons, estoit yssu. Et ne demoura dudit lignage, sinon Clotilde, Royne de France, fille de Chilperic, Roy de Bour- gongne : a la poursuite de laquelle femme trop vindicatiue, tout le dessus narré aduint. Mais de tant fut heureux le trespreux Roy Gondemar, que auant sa mort il se vengea de son ennemy mortel et raauuais cousin le Roy Clodomir d'Orléans, interfecteur et meurtrier de saint Sigismund, son
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frère. Et ne iouyt pas iceluy Clodomir de sa conqueste vsurpatiue du Royaume de Bourgongne, ne nul de ses enfans après luy, comme Ihistoire dira tantost.
Comment Theodoric, Clotaire et Childebert, enfans dn Roy Clouis de France et de Clotilde de Bourgongne, tindrent ensemble le Royaume de Bourgongne : et de la mort des enfans de Clodomir, Roy d'Orléans : et aussi dudit Childebert, Roy de Paris.
Apres la mort de Clodomir, Roy d'Orléans, et de Gonde- mar, Roy de Bourgongne, Clotaire, Roy de Soissons, et Childebert, Roy de Paris, diuiserent entre eux le Royaume de Bourgongne : mais ce ne fut pas sans Theodoric, leur frère aisné, Roy de Metz et d'Austriche la basse : lequel tant à cause de sa primogeniture, comme pource quil auoit esté chef à la première victoire contre Sigismund et Gon- demar, eut la meilleur part dudit Royaume de Bourgongne. Or auoit la Royne Clotilde retiré les trois enfans de son filz, le Roy Clodomir d'Orléans, et les nourrissoit en son hostel, dont Childebert et Clodomir, mal contens, crain- gnans quelle ne les gardast pour les auancer au Royaume de Bourgongne et d'Orléans, les feirent venir vers eux, souz couleur de beniuolence. Et quand ilz les eurent, Clo- taire en tua deux de sa main : cestasauoir, Gunthier et Theodoald. Le tiers nommé Clodoal eschappa et senfuyt en franchise, là où il deuint moyne, de toutes lesquelles choses la Royne Clotilde eut grand regret. Mais elle en auoit donné les principes et fondemens.
Ainsi feirent partage ledit Childebert et Clotaire par ensemble, des despouilles et de Iheritage de leur frère Clo- domir. Mais en parfin (comme cest de coustume entre gens
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de mauuais affaire) sourdirent plusieurs guerres et dissen- sions entre eux : parquoy Cranus, lun des ûh de Clotaire, rebella contre son père : et tint le party de son oncle Chil- debert. et luy feirent ensemble forte guerre. Pareillement Theodebert, son neueu, Roy de Metz, fut contraire à son oncle Clotaire, pour la querele de Childebert, son autre oncle. Apres toutes lesquelles choses ledit Childebert, Roy de Paris et personnier (1) au Royaume de Bourgongne et d'Or- léans, mourut lan quaranteneuuiemo de son règne : qui fut lan de nostre Seigneur cinq cens cinquante neuf. Et pource quil ne laissa nulz hoirs de son corps, le Royaume de Paris et ses autres seigneuries paruindrent à Clotaire, Roy de Soissons (selon ce que met Gaguin), dont il print grand accroissement. Toutesuoyes iay trouué ailleurs, quil adopta en filz son neueu Theodebert. Mais comment quil en soit, tout reuint après audit Clotaire, comme sera dit cy après, le treuue que ledit Childebert alla faire la guerre au Royaume d'Aragon, et à son retour, fonda vne abbaye à Paris au nom de saint Vincent : en laquelle il fut ense- uely. Par ainsi ne demourerent que deux regnans en la Bourgongne, combien quilz fussent vsurpateurs dicelle : cestasauoir, Theodoric, Roy de Metz et d'Austriche la basse : et Clotaire, Roy de Soissons, d'Orléans et de Paris : mais pource que Theodoric estoit le chef et laisné, nous continuerons la généalogie desdits Roy de Bourgongne, par iceluy Theodoric et les siens.
(1) parsonnier (éd. 1513), c.-à-d. ayant f&ri, parctnnariMS.
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De Tbeodoric, cinquième Roy de Bourgongne et aussi d'Austriche la basse et de Thuringe, et de ses gestes.
Theodoric premier de ce nom, filz aisné du Roy Clouis de France et de la Royne Clotilde de Bourgongne, régna en chef et eut le tiltre du Royaume de Bourgongne, comme il appert clerement par les gestes que luy et son deuxième successeur feirent en Italie : ce quilz neussent peu faire, sans auoir le Royaume de Bourgongne. Iceluy Theodoric fut Prince fort guerroyeur : et vainquit auec ses frères en bataille rengee, ses deux cousins Sigismund et Gondemar, Roys de Bourgongne, à la première conqueste, comme des- sus est dit. Toutesuoyes, ie ne treuue point quil fust à la seconde, occupé parauenture en autres affaires : car il feit la guerre au Roy de Thuringe, en Allemaigne, et le vain- quit : si subiuga son Royaume. Dautre part, il entra en Italie', à tout quatre vingts mille hommes, et rompit du premier coup les Romains : desquelz estoit Duc Bellisarius, pour lempereur lustinian. Si conquit toute la région de deçà la riuiere du Po. Puis sen retourna par faute de viures. Neantmoins il y laissa deux capitaines, lun nommé Buccellin (1) et lautre Amyng : lesquelz depuis furent vain- cuz et surmontez par Narses, Consul et chef de larmee Romaine : comme sera dit cy après, quand nous parlerons du règne de Theobald, son neueu. Puis encores derechef ledit Theodoric, Roy de Metz et de Bourgongne, enuoya dix mille Bourguignons en Italie, à layde de son beaufrere Theodoric, Roy des Ostrogoths, lequel menoit la guerre en Italie. Aussi ledit Theodoric, Roy de Bourgongne et d'Aus-
(l) Bucelliniéd. 1513).
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triche la basse, eut aucunes guerres et différents contre son frère Clotaire, Roy de Soissons, dont les histoires de France font ample mention, pourquoy ie men déporte. Finablement il fut tué, ie ne scay comment, après auoir régné vingttrois ans : et laissa vn Qlz nommé Theodebert.
D« Theodebert, sixième Roy de Bourgoagae et d'Auatriche U basse, qui aacunesfois ha esté nommée France Orientale.
Theodebert, filz de Theodoric, Roy de Bourgongne, d'Aus- triche la basse et de Thuringe, fut Prince de grand prou- esse en armes : car luy ioint auec Childebert et Clotaire, ses oncles, eslargirent leurs dominations iusques en Ba- uiere et Austriche la haute : et feirent parensemble la guerre aux Lombars et aux Gepides, Depuis ledit Theode- bert se benda auec son oncle Childebert, Roy de Paris, contre son autre oncle Clotaire, Roy de Soissons. Et fut la bataille preste à donner, au lieu de Combre, au territoire d'Orléans : mais il sesleua miraculeusement vne si horrible tempeste de fouldre, de tonnoire et de pluye, quilz furent contraints de non batailler. Et y fut moyenne certain ap- pointement. Toutesuoyes au commencement du règne dudit Theodebert, ses oncles Childebert et Clotaire eurent enuie sur luy et le cuiderent circonuenir et faire aucun mauuais tour : mais il les sceut bien gaigner, par prudence et cour- toisie, et par le moyen et seruice de Charles Hasbain, Duc de Tongres et de Brabant : comme sera dit au traicté subsé- quent. Joint à ce, quilz craingnoient sa puissance, parquoy il demoura en son entier : et régna pacifiquement seul en Austriche la basse et en Thuringe, et auecques eux en Bourgongne, dont il estoit chef. Mais non pas longuement, à ce que puis comprendre . car il mourut, enuiron le temps
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que la Royne Clotilde, sa grand mère, trespassa à Tours. II laissa vn filz son héritier nommé Theobald. Et ne treuuô point quil feist aucun passage en Itsdie, comme feirent son- dit père Theodoric et son filz Theobald. Parquoy il fait à présupposer, quil ne régna gueres de temps, ou fut empes- ché ailleurs.
De Theobald, septième Roy de Bourgongne, et de ses gestes en Italie.
Apres le roy Theodebert, régna son filz Theobald : cesta- sauoir en Austriche la basse, seul et pour le tout : et en Bour- gongne comme chef, auec Childebert et Clotaire, ses grans oncles. Blondus Flauius, (1) tresnoble historien, met en son cinquième liure de linclination de Lempire Romain, que ledit Theobald, lequel il appelle Roy de Metz, enuoya en Italie vn nombre de gens de guerre Bourguignons et Fran- çois, souz la conduite de trois capitaines, dont le premier se nommoit Buccellin, lautre Amyng, desia cy dessus men- tionnez, et que son ayeul Theodoric y auoit enuoyez, et le tiers auoit nom Lohier : voire et ledit Roy Theobald y alla en personne, et passa son armée par le mont Xenin, (2) qui est auprès du mont saint Bernard : et descendit en la val d'Oste, iusques en la plaine de Plaisance.
En ce temps là, Theyas, (3) Roy des Goths, faisoit la guerre aux Romains et eux à luy. Si cuyda bien que lesdits Bourguignons et François fussent venuz à son secours, mais il fut deceu : car quand ce vint à donner la bataille entre les
(1) Biondo (1388 f 1463), auteur de Roma instaurata, Roma triuW' phans, et Italia illustrata.
(2) c.-à-d. le Mont Cenis.
(3) Yraias (4d. 1513). C'est Teia, roi des Ostrogoths, mort en 553. Plus bas, l'éd. 1513 porte Thtias.
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deux parties : cestasauoir, les Goths et les Romains, iceux Bourguignons et François qui estoient neutres, ne tindrent ne pour lan ne pour lautre : mais se rongèrent contre toutes les deux armées et defiSrent lune et lautre. Laquelle vic- toire obtenue, Theobald, Roy de Boufgongne et d'Austriche la basse : qui autresfois sest nommée France Orientale, sen reuint deçà les monts. Neantmoins il laissa pour ses lieute- nans en Italie, cestasauoir au quartier des montaignes de Gennes, les trois capitaines dessus mentionnez : Buccellin, Amyng et Lohier, auec lesquelz Theyas, Roy des Goths, feit alliance contre les Romains. Parquoy lesdits Bourguignons et François descendirent en la plaine de Parme, pour secou- rir ledit Roy Theyas.
Lesquelles choses entendant Narses le Chastré, chef de larmee de Lempereur lustinian, eust esté en grand soucy et desespoir, si ne fust que Sisulad, (1) Roy des Erules, com- paignons des Lombards, feit alliance auecques ledit Narses et vint courir tout le pais de Turin et d'Iuorie estant des appendences du Royaume de Bourgongne : dont les habi- tans, qui de ce ne se doutoient, furent surprins et circon- uenuz : mais contre Jedit Roy Sisulad fut enuoyee vue bende de François et de Bourguignons. Ce nonobstant le Roy Sisulad print luorie et assiégea Turin : iasoit ce quil nelapeust prendre. Les François et Bourguignons ne feirent autre chose que piller : tant sur amis, comme sur ennemis. Et feirent appointement auecques ledit Roy Sisulad et bu- tinèrent entre eux toute la région oultre la riuiere du Po. Et se ioingnirent aussi auecques les Goths, qui depuis fu- rent defiaits par les Romains enuiron Lucque : et y mou- rut Theyas, Roy des Goths, et bien cent mille hommes auec luy.
(I) SysulaU (éd. 1513). II. ffl
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Lohier et Amyng, capitaines des François et des Bour- guignons pour le Roy Theobald, se saunèrent à la fuite et sen vindrent retirer à Plaisance : mais la reste de larmee desdits Bourguignons et François, lesquelz auoient esté vaincuz, establirent sur eux vn autre chef et Duc, nommé Hunnides, de la nation des Ostrogoths : auec lequel ilz se cuiderent retirer dedens Vérone, mais ilz en furent forclus par vn autre Ostrogoth, nommé Hercus, qui auoit ladite ville en garde. Par ainsi Hunnides pensant se retirer à Plaisance, fut prins en chemin : et enuoyé à Narses le Chastré, chef de larmee de lempereur lustinian : Amyng, lun des capitaines des François et Bourguignons, fut tué : lautre capitaine nommé Lohier, attaint dune fleure, mourut à Trente.
A cause desquelles choses, la guerre des Romains contre les Goths fut du tout finee et anichilee. Et consequemment Theobald, Roy dfe Bourgongne, perdit tout ce quil auoit en Italie, et mourut puis après dune fleure, le septième an de son règne, sans hoir de son corps. Toutesuoyes Blondus Flauius dit quil fut tué en bataille contre Chilperic, son oncle : ce qui ne renient pas en taille. Et pource que ledit Theobald ne laissa nulz hoirs de son corps, son grand oncle Clotaire hérita de tous ses Royaumes, seigneuries et trésors. Auquel Clotaire il nous faut maintenant tourner nostre plume.
De Clotaire premier de ce nom, huitième Roy de Bourgongne, de France et d'Austriche la basse : lequel espousa la femme de son frère Clodomir, Roy d'Orléans.
Clotaire, filz du roy Clouis de France et de la royne Clotilde de Bourgongne, lequel nestoit premièrement que
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roy de Soîssons, suruescut tous ses frères et neueux, et eut toutes leurs successions. Nonobstant quil eust eu main- tes guerres contre eux, comme dessus est dit, dont il fut merueilleusement augmenté en tenement de seigneuries. Toutesuoyes il fut cruel homme et luxurieux : comme celuy qui tua ses deux petis neueux Gunthier et Theodoald de sa propre main, et espousa leur mère nommée Gundenga, femme de son frère Clodomir : mais ce nestoit pas de mer- ueilles, (1) car il sentoit encores sa Payennie et estoit Chres- tien de trop fresche mémoire. Il pourpensa aussi dattribuer à luy la tierce partie de tout le reuenu des églises : mais il en fut gardé par larcheuesque de Tours, qui luy remon- stra franchement, quil ne le deuoit pas faire. Il feit bouter le feu dedens vne chapelle de S. Martin, en laquelle sestoit retiré en franchise Conobaldus, roy d'Aquitaine, auquel ledit Clotaire faisoit la guerre, pource quil auoit donné faueur à son filz Crannus rebellant contre luy : et fut bruslé ledit roy Conobald dedens ladite chapelle de S. Martin, la- quelle le roy Clotaire feit depuis reedifier. Sondit filz Cran- nus aydé et fauorisé de Senabutus, Conte de Bretaigne, osa bien donner la bataille à son père le roy Clotaire : mais il y fut vaincu et prins auec sa femme et ses deux enfans, lesquelz Clotaire commanda estre liez à vn banc, par le bourreau, et bruslez tous vifz en sa présence. Il eut autres six enfans masles et sept femelles, de trois femmes ; cesta- sauoir, Aragunde, lugunde et Consone : dont les deux premières estoient sœurs. Radegunde, fille de Berenger, (2) Roy de Thuringe, laquelle estoit prisonnière, fut la qua- trième. Mais il la laissa vierge à sa requeste : et elle entra
(1) c.-à-d. pas étonaaot.
(2) Barangûr{éd. 1513).
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en religion et y vescut de telle sorte, quelle est réputée sainte en Paradis. Ledit roy Clotaire affranchit la seigneu- rie dluetot, (1) en Normandie, tellement que le seigneur dicelle se nomme Roy iusques auiourdhuy. Et la cause fut pour la réparation de la mort dun seigneur d'Iuetot, lequel le roy Clotaire auoit tué de sa main, vn iour du grand vendredy. Dont le Pape Agapetus, pour lors séant à Rom- me, menassa ledit Roy de lexcommunier, sil nen faisoit pénitence et satisfaction. Ce quil feit : et fut fait ledit acte, lan cinq cens trentesix. Ledit roy Clotaire commença la fondation de leglise de S. Medard de Soissons, en laquelle il fut enseuely par ses enfans, après auoir régné cinquante et vn an. Il laissa quatre filz ses héritiers : cestasauoir, Chilperic, Haribert, Guntran et Sigibert, lesquelz parti- rent entre eux Iheritagede leur père. Haribert, pource quil estoit laisné, fut roy de Paris : Sigibert, roy de Metz et d'Austriche la basse : Chilperic, roy de Soissons : et Gun- tran, roy de Bourgongne et d'Orléans : duquel est descen- due la tresnoble et tresillustre maison des Contes de Has- bourg : depuis alliée à celle d'Austriche la basse et la haute. De laquelle est auiourdhuy chef et souuerain, la tressacree maiesté Impériale, de Maximilian Cesarauguste, roy de Germanie. Des sept filles dudit roy Clotaire, ie ne treuue point par histoire, à quelz Princes elles furent alliées par mariage : sinon de deux tant seulement. Dont lune, de laquelle le nom nest point exprimé, fiit mariée à Egilbert, roy d'Angleterre, et luy donna premièrement la congnoissance de nostre sainte Foy catholique : selon les chroniques d'Angleterre. Lautre, et la plus ieune de toutes,
(1) D'après la légende racontée par Oaguin {Compendium supra Francorum gesta).
8IN6VLAB1TEZ DE TROYB. LIVR£ III. 4lii
fut mariée à vn noble Prince de la court de lempereur lua- tinian, nommé Anselbert, Sénateur de Romme et Marquis du saint Empire sur Lescault : de laquelle Blitilde descen- dit la tresnoble génération des Pépins et des Charles, des- quelz prend son illustration principale ceste présente généa- logie historiale, comme il sera dit bien clerement au traicté subséquent. Et pource feray pause à cestuy cy.
CONCLVSION DE CE SECOND TRAICTE.
Par la déduction de ce deuxième Traicté ha esté veu, comment le tresnoble sang des premiers Roys de Bourgon- gne fut conioint auec celuy de France, es personnes de Clouis et de Clotilde : et sommes venus iusques à Blitilde participant desdits deux lignages. Si reste de monstrer au Traicté ensuiuant, comment le sang Romain et la généalo- gie d'Austriche la basse furent meslez auec celles de France et de Bourgongne.
422 ILLVSTRATIONS DE GàVLE, ET
LE TROISIEME TRAICTÉ DU LIURE INTITULÉ LA
GENEALOGIE HISTORIALE DE LEMPEREUR
CHARLES LE GRAND.
Or avons nons tant proufité la Dieu grâce, que assez ample congnoissance nous est apparue de lancienne ampli- tude des Royaumes de Bourgongne et d'Austriche la basse, quon disoit iadis France orientale, et de leurs estendues et limites : et aussi de la France Occidentale, qui est Gaule, et des Princes qui y régnèrent iusques au temps du Roy Clo- taire, premier de ce nom. Auec la tresantique origine et les gestes desdits Princes, tous yssuz du sang Germanique. Par- quoy maintenant nous entrerons en plus clere intelligence de la Généalogie historiale de Lempereur Charles le grand : spécialement du tresnoble et tresgracieux nom des Charles.
Toute lintention de ce troisième Traicté nest que de monstrer, comment la tresparfonde illustrité de tous les nobles lignages dessusdits, du sang des francs Orientaux et Occidentaux, des Bourguignons et des Austrasiens, ou Aus- trichois, eurent tous ensemble concurrence en la généalogie du treschrestien Empereur César auguste (1) Charles, le grand monarque, Roy de France, d'Austriche la basse et de
(1) sans majuscule comme dans Téd. 1513.
SUfGTLARITBZ DE TROTB. LITBB III. Â'XS
Bourgongne, et de luy est deriuee et précédée ladite no- blesse, comme dune grand sourse et fontaine à sa postérité. Maintenant nous faut il reuenir à la généalogie des Cim- bres, laquelle en la fin du premier Traicté fut terminée au Duc Austrasius : lequel donna le nom au Royaume d'Aus- triche la basse : combien quil nen fust pas seigneur du tout, mais en partie : et de la reste gouuemeur pour les Roys Childeric et Clouis. Parquoy appert, que tant estoit il preudhomme, que ladite prouince ne print point le nom daucun de ses propres Roys, mais dun Prince vassal et subalterne, ayant administration de son gouuernement, laquelle louenge nest pas petite ne taisable : car pourquoy ne se pouuoit elle aussi bien dire Childerique, ou Clodouee, comme Austrasie, ou Austriche la basse, à la différence d'Austriche la haute, qui est voisine de Pannonie : quon dit maintenant Hongrie ?
De Charles quatrième de ce nom en ceste généalogie, surnommé Nasouy Duc de Tongres, de Brabant et de Thuringe, et filz da Duc Austrasius, qui donna le nom au Royaume d'Aastriche la basse : comme dessus est dit.
Charles Nason succéda en la Duché de Tongres et de Brabant, après son père le Duc Austrasius. Et comme il fust de lancienne extraction des Roys de Thuringe, ainsi quil est assez expliqué au premier traicté, il renouuella laliiance auec ladite maison, en ceste manière. Trois frères regnoient pour lors en Thuringe, qui est prouince d'Alle- maigne, oultre le Rhin : lun nommé Berkaire , lautre Baderic et le tiers Hermofroy : dont Berkaire laisné, non ayant enfant masle, mais seulement deux filles, donna en
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mariage la première nommée Vualberge, audit Duc Charles Nason, et la feit héritière de la Duché de Thuringe. Et dicelle Vualberge ledit Duc Charles Nason eut deux filz : cestasauoir, Charles et Berkaire, et vne fille nommée Veraje. Berkaire le maisné eut pour son partage et appen- nage, la Duché de Thuringe : et Veraye, la fille, fut mariée à vn noble et puissant homme du païs d'Ardenne, nommé Hajmon, de laquelle il eut quatre filz : cestasauoir, Ré- gnant de Montauban et ses trois frères, que Ion nomme communément les quatre filz Haymon : des gestes desquelz et de leur chenal roux (1) Bayard, les Romans vulgaires racontent beaucoup de fables. Et autre chose ne treuue des gestes dudit Charles Nason.
De Charles cinquième de ce nom en ceste généalogie, sarnommé Has- bain. Et comment il fut enuojé ambassadeur deuers lempereur lustinian : et perdit la Marche de dessus Lescault, pour faire aer- uice au Roy Theodebert, d'Austriche la basse et de Bourgongne.
Charles Hasbain, filz aisné du Duc Charles Nason, suc- céda à son père es Duchez de Tongres et de Brabant. Et donna le nom au païs de Hasbain : pource quil y frequen- toit plus voulentiers quen nulle autre contrée de sa domi- nation. Luy donques ensuiuant le train de son père et de son ayeul, qui tousiours auoient esté amis des Roy s de France, se maintint constamment et vertueusement en lamytié de Theodoric, Roy de France Orientale : cestadire d' Austriche la basse, et aussi de Bourgongne : duquel Theo- doric, filz de Clouis, iay parlé asse? amplement au traicté
(1) d'un roag« brun = badius, baius, hayhardns.
8IMGVLARITEZ DK TROTK. UVEK lU. 4K
précèdent. Bt aussi fut ledit Duc Charles Hssbain bien en grâce du Ro)' Theodebert, filz dudit Theodoric : car ilz estoient dun mesmes aag« : et tenoit ledit Theodoric, Roy de Bourgongne et d'Austriche la basse, le siège capital de son Royaume en la cité de Metz, comme auoit fait son père. Parquoy Charles Hasbain, Duc de Brabant, estoit de plus près son voisin.
Or aduint, que quand après la mort du Roy Theodorie, son fîlz Theodebert commença à régner, ses deux oncles Childebert et Clotaire, comme desia est touché au traicté précèdent, muz denuie, dambition et de couuoitise contre leur neueu, machinèrent à toute leur puissance de le dés- hériter : tant du Royaume d'Austriche la basse, comme de sa portion du Royaume de Bourgongne, dont il estoit chef. Voyant donques le Roy Theodebert le danger eminent oti il estoit, après meure délibération de son conseil, pria au Due Charles Hasbain, quil voulsist prendre la charge daller en ambassade deuers lempereur lustinian en Constanti- noble, pour luy demander secours contre la tyrannie de ses oncles : auec amples instructions et pleine puissance de souzmettre le R,oyaume d'Austriche la basse, quon disoitlors France Orientale, à Lempire Romain, et en faire la foy et Ihommage audit Empereur.
Le Duc Charles Hasbain, tout bénin et tout courtois, emprint de bon cœur cest affaire et se transporta en Grèce, deuers lempereur lustinian : auquel il exposa la somme de sa légation. Mais quand Lempereur leut ouy, il ne luy feit aucune response touchant ce quil auoit proposé de la part du Roy Theodebert, son maistre : ainçois laccueillit dautre sorte. Car il le commença à redarguer sur ce quil tenoit et approprioit à luy, de deçà la mer Oceane, la Marche de dessus Lescault en Gaule Belgique : cestasauoir, le pais là
426 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
OÙ sont ores situées les villes d'Anuers, Gand, Tenremonde, Tournay, Mortaigne, Conde, Vallenciennes, et les chas- teaux circonuoisins, tant dun costé de ladite riuiere, comme de lautre. Et ce, contre le droit et iurisdiction de Lempire, comme disoit ledit empereur : car les procureurs fiscaux dudit Empire Romain auoient accoustumé de tenir ladite Marche en leurs mains et en leuer les reuenues, au nom de Lempereur et à son proufit.
A ceste obiection, qui neantmoins estoit assez estrange au Duc Charles Hasbain : car il ne pensoit point estre venu là pour cest affaire, il respondit modestement et courtoise- ment, que vray estoit quil tenoit ladite Marche du saint Empire sur Lescault : mais non pas quil en fiist vsurpa- teur ne torçonnier détenteur : car le Duc Artsard, son grand ayeul, duquel est faite mention au premier traicté, lauoit obtenue en don et guerdon, et en perpétuel héritage, pour luy et pour les siens, de par lempereur Constant, père de Constantin le grand, qui dicelle lauoit inuesty : à cause des bons et grans seruices quil luy auoit faits : tant en la bataille de Langres, comme autrement. Et mesme- ment en deiettant Carausius le tyrant, qui traitoit mal ladite prouince et marche de dessus Lescault.
A ceste response du Duc Charles Hasbain, lempereur lustinian répliqua, que combien que le Duc Artsard eut bien seruy Lempire pour ceste fois, si nauoit il pas pour- tant obtenu ladite Marche de dessus Lescault, en perpétuel héritage, par donation irreuocable : car Lempereur ne doit ne ne peult rien aliéner du domaine impérial au desa- uantage de ses successeurs : mais sans plus auoit esté baillé lusufruit de ladite Marche au Duc Artsard , par manière de recompense : et en tiltre doffice, et non pas de seigneurie, si comme vicaire ou procureur de Lempereur à
SINOTLARITEZ DB TROTB. LITRB lU. 487
sa vie : ou pour aucun temps, (1) et non autrement. Lequel office cessant, la marche venoit à vaquer à la disposition de Lempereur.
Estant ledit Charles Hasbain, en ceste doute et perple- xité, cestasauoir tant de perdre ladite seigneurie, comme de non faire les besongnes du Roy Theodebert, il sappensa, que pour acquérir la grâce de Lempereur et sauuer laf- faire du Roy son maistre, il valoit mieux quil quittast ladite seigneurie et Marche du saint Empire sur Lescault. Si la resigna purement et libéralement es mains de Lempe- reur lustinian : auec tout le droit quil y pouuoit prétendre. Laquelle seigneurie ledit Empereur donna incontinent à vn tresnoble Prince de sa court, estant présent, nommé Ansel- bert le Sénateur. Cestasauoir, heritablement pour luy et pour les siens, reseruee la souueraineté.
Comment le Duc Charles Hasbain, comme procureur et ambassadeur du Roy Tkeodebert, feit hommage du Royaume d'Austriche la basse, ou de France Orientale, à lempereur lustinian, et de la reste de lexploit de son ambassade.
Qvand le Duc Charles Hasbain, pour bien seruir son maistre le Roy Theodebert, se fut despouillé de ladite tres- noble seigneurie de la Marche du saint Empire sur Les- coult, Lempereur lustinian voulut bien alors entendre aux affaires du Roy Theodebert. Et lors le Duc Charles luy monstra le plein pouuoir et autorité quil auoit du Roy son maistre, de souzmettre et asubiettir, (2) en tiltre de fief, le Royaume d'Âustriche la basse, à la souueraineté de Lem-
(1) c.-à-d. temporairement. {'2) abstigectir {éi\. 1513).
4S8 II4LVSTRATIONS DE GAVLE, ET
pereur et de Lempire. Duquel Theodebert les autres pré- décesseurs Roys nauoient encores voulu recongnoitre les Empereurs pour leurs souuerains seigneurs. Lequel pou- uoir et instructions veùes par lempereur lustinian et les Barons de son grand conseil, il accorda tout ce que le Roy Theodebert demandoit. Et receut ledit Duc Charles Has- bain comme procureur et ambassadeur dudit Roy, à foy et à hommage du Royaume d'Austrasie, reserué toutesuoyes quil fust franc et exempt de tailles et exactions. Et ce moyennant, Lempereur luy promit garantir ledit Royaume enuers tous et contre tous ceux qui le voudroient troubler en la possession diceluy : et aussi dautre part, le Roy d'Austriche promettoit seruir Lempereur, euuers tous et contre tous, comme son féodal et homme lige. Ainsi furent passées les choses : et lettres patentes sur ce données et seellees dun costé et dautre. Et à cause de caste subiection dudit Royaume d'Austriche, ou France Orientale, lempe- reur lustinian au commencement des Institutes sappelîe entre ses autres tiltres, Francus.
Par la vertu de cette paction et appointement, lempereur lustinian enuoya pour ambassade en France, le dessus- nommé Anselbert le Sénateur, Marquis du saint Empire sur Lescault, auec le Duc Charles Hasbain, deuers les deux Roys frères, Childebert et Clotaire, en leur mandant bien adcertes, quilz ne présumassent de troubler en aucune manière le Royaume d'Austriche la basse, ou de France Orientale, appartenant au Roy Theodebert, leur neueu : car il estoit de la subiection de luy et de Lempire : et à ceste cause, en sa protection et sauuegarde. Et que silz venoient au contraire, il les dcclairoit deslors en auant pour ses ennemis. Lesquelles choses accomplies et menées à chef, par la preudhommie et diligence du bon Duc Charles Has-
SINGYLARITBZ DE TROYB. LIVRB III. 429
bain, le Roy Theodebert fut asseuré en son Royaume. Et le crédit et autorité dudit Charles en augmenta beaucoup deuers luy et à bon droit.
De la postérité du Duc Charles Haabain.
Comme ie puis entendre par les histoires, Charles Has- bain eut vn filz, nommé Karloman.
Karloman, filz de Charles Hasbain, engendra Pépin, premier de ce nom.
Pépin lancien, et le premier de ce nom surnommé de Landen, lequel par les Chroniques de Brabant, est réputé saint, fut Duc d'Austriche la basse et de Brabant, Prince du palais de France : et eut de sa femme, nommée Icte, (1) vn filz nommé Grimoald, aussi Prince du palais, qui mourut sans hoirs de son corps, et deux filles, lune nommée Begga et lautre Ghertrude.
Begga, première fille du Duc Pépin de Landen, fut Du- chesse de Brabant après la mort de son père et de son frère Grimoald : et eut pour mary Anchises, (2) Marquis du saint Empire sur Lescault : neueu, (3) cestasauoir, filz du filz dudit Anselbert le Sénateur, comme nous dirons çy après.
Ghertrude seconde fille du Duc Pépin de Landen, fut Abbesse de Nyuelle, au Rommanbrabant. Laquelle vescut saintement en la religion fondée par sa mère sainte Icte. Lancien epitaphe dudit Duc Pépin de Landen est tel :
Iste BrabantinuB dux tertius Austrasiorum. Primus erat, maiorque domus regni gladiator.
(1) Ide ou Ideberge.
(2) c.-à*d. ÂDségise.
(3) en latia nepot.
430 ILLVSTRATIONS DB GAYLE, ET
Comment Anselbert le Sénateur espousa Blitilde, fille du Roy CIo- taire, et vint prendre la possession de la Marche du saint Empire inr Lescault.
La paix ainsi ânablement conduite comme dessus est dit, entre les Roys, oncles et neueux, par la prudence du Duc Charles Hasbain et par lautorité d' Anselbert le Séna- teur, ambassadeur impérial, Childebert, Roy de Paris, pource quil nauoit nulz enfans, print en amour le Roy Theodebert, son neueu : et de fait, ladopta en filz et luy donna tant de biens de son plein viuant, que chacun ses- merueilloit comment il auoit si tost changé hayne en dilec- tion. Laquelle chose voyant, Clotaire, Roy de Soissons, et considérant quune si forte alliance entre loncle et le neueu, mesmement par trois fois redoublée, si comme de lignage, dadoption et de confédération, luy pourroit bien porter quelque preiudice enuers lempereur lustinian, par le moyen de Charles Hasbain, Duc de Brabant, il sappensa pour euiter ce choq, quil donroit la plus ieune de ses filles, nommée Blitilde, à Anselbert le Sénateur, homme de grand port (1) et autorité. Et ainsi fut fait. Donques après les noces faites, Anselbert le Sénateur print congé du Roy, son beaupere, et emmena sa femme en sa Marche de dessus Lescault, laquelle Lempereur luy auoit donnée : et print possession dicelle.
(l) portée, crédit, portus (Ducanga).
SINGVLARITEZ DE TROTB. LIVRR III. 481
Dd la tresDoble et tressainte génération qui deicendit d*Antelbert le Sénateur, premier Marquis beritable de la Marche du saint Empire sur Lescault, et de sa femme Blitilde, fille du Roy Clotaire.
Ânselbert Sénateur de Romme, noble et puissant Prince en richesses et en autorité, fut le premier Marquis berita- ble du saint Empire sur Lescault, dont noz souuerains Princes portent iusques auiourdhuy le tiitre et tiennent la possession. Il eut de sa femme Blitilde, qui selon les Chro- niques de Brabant, est réputée sainte, trois enfans masles et vne femelle. Le premier eut nom Arnould, le second Feriol, et le tiers Moderic : la fille fut nommée Tharsitia. Feriol fut Euesque d'Vtrect, et là receut martyre. Parquoy il est conté entre les saints de paradis, et par son inter- cession se font illec plusieurs miracles. Moderic, son frère, fut ordonné Euesque en la cité d'Arisid, (1) et là repose en paix. Tharsitia, vierge et bien perseuerant en sa virgi- nité, est à Rhesnes en Bretaigne tenue pour sainte. Et dit lescriture, que après sa mort, par ses mérites fut ressus- cité vn autre mort. Arnould, laisné, succéda à son père au Marquisat de Lempire.
Arnould, filz d' Anselbert le Sénateur et de sainte Blitilde.
Cestuy Arnould, second Marquis heritable du saint Em- pire sur Lescault, eut vn filz nommé Amulphus.
De saint Arnulphe, filz dudit Arnould, et de ses enfans.
Arnnlphe, troisième Marquis heritable du saint Empire sur Lescault, espousa vne sainte Dame, nommée Dode, de
(1) de Ari8si(éd. 1528).
432 ILLTSTRATIOIIS DE GàYLB, ET
laquelle il eut trois fîlz : cestasauoir, Ansigisus, ou An- chises, qui depuis fut Marquis du saint Empire sur Les- cault : lautre fut Flondulphus : et le tiers, Vualchisus. Flondulphus engendra Martin, lequel fut occis traytreuse- ment par Ebroyn le tyrant, Prince du palais de France. Vualchisus engendra Vuandrechisil, saint homme et con- fesseur de lESVs CHRIST. Ledit Arnulphe, après auoir eu ceste belle lignée, renonça au monde, et se mit au seruice de Dieu, du consentement de sa femme sainte Dode, en quelque religion ou hermitage dun costé et elle de lautre. Lequel Arnulphe, pour sa sainteté, fut depuis eslu Euesque de Metz, et après sa mort, tenu pour saint.
Du Marquis Anchises, filz de saint Arnulphe, Euesque de Metz.
Anchises, quatrième Marquis du saint Empire sur Les- cault, succéda à ladite seigneurie du viuant de son père, quand il renonça le monde, pour mener vie religieuse et solitaire, comme dessus est dit. Ledit Anchises, autrement dit Ansigisus, espousa vne noble et vertueuse dame, nom- mée Begga, fille du Duc Pépin de Landen, première de ce nom, et de sainte Icte : et sœur de Grimoald, Prince du Palais de France, et de sainte Ghertrude, Abbesse de Ny- uelle. Et succéda ladite dame Begga à la Duché de Brabant, après la mort de son père Pépin et de son frère Grimoald, qui mourut sans hoirs de son corps, comme cy dessus est touché. Lesdits Anchises et sa femme Begga eurent par ensemble vn filz nommé Pépin deuxième de ce nom, sur- nommé Heristel. Iceluy Anchises, tresbon Prince, fut tué mauuâisement et en trahison par vn garnement lequel il auoit nourrj de ieunesse en sa court, et mesmeraent lauoit
SINGTLARITBZ DE TROYE. LIVRE III. 455
leué des fons. laj trouué lepitaphe de ladite Duchesse Begga tel quil sensuit :
Begga ducissa fuit, genitrix qaoqoe germioii huiua : Qu» fuit Anaigiso felici foedere iuocta.
Du Duc Pépin Heristel, filz du Marquis Anchiaes et de sainte Begga, et de ses gestes .
Pépin Heristel, ainsi surnommé à cause dune seigneurie quil auoit au pais de Liège, en laquelle parauenture (1) il nasquit, fut Duc de Brabant, Marquis du saint Empire sur Lescault, et paruint encores à la principauté du palais de France et d'Austriche la basse, ainsi quil sensuit. En ce temps là ledit Royaume d'Austriche ne se gouuernoit plus par Roys, mais par Princes, depuis Childeric, filz du Roy. Lequel Childeric estoit innutile et tyrant, et pource fut il tué estant à la chasse, auec sa femme nommée Blitilde, par Bodilo, son vassal, auquel il auoit fait oultrage. Et gue- res ne sen faillit, que Vuolfald, son gouuerneur et Prince du Palais, ne fust aussi tué par ledit Bodilo. Mais il se sauua à la fuite, et se retira en Austriche la basse, dont il estoit gouuerneur, et tint icelle contrée tout seul tant quil vescut : car desia la vertu des Roys de France estoit aui- lee, amollie et abaslardie, si quilz ne faisoient rien d'eux mesmes, mais se laissoient du tout gouuerner par les Prin- ces du Palais. Parquoy après la mort dudit Vuolfald, ledit Pépin Heristel, obtenant la principauté du Palais, ob- tint aussi la principauté du Royaume d'Austriche la basse,
(1) c.-à-d. peut-être. En anglais peradvenhtre. Palsgrave p. 146 trad. par : may happen.
11. 38
434 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
et en fut gouuerneur et dominateur, auec vn sien parent nommé Martin, filz de Flondulphus, qui fut filz de saint Arnulphe, Euesque de Metz, comme dessus est dit. Le Duc Pépin espousa vne dame, nommée Plectrude, de laquelle il eut deux enfans : cestasauoir Druon, lequel il feit Duc de Champaigne, et Grimoald, qui fut Prince du Palais de France, après son père. Et dune concubine, nommée Al- paide, il eut Charles Martel, tresuaillant et tresrenommé Prince.
Des guerres que Pépin Heristel, peie de Charles Martel, eut contre Ebroyn le tyrant, Prince du Palais de France, et contre Gislemar, aussi Prince du Palais.
Alors viuoit vn mauuais et exécrable tjrant, qui fut Prince du Palais du temps du Roy Clotaire deuxième de ce nom, lequel ne régna que quatre ans : et du Roy Theo- doric, son frère et successeur. Lequel tyrant Ebroyn feit des maux innumerables au Royaume de France. Entre les- quelz il feit forer à tout vne tarière les yeux à saint Legier, Euesque d'Authun, et enuoya en exil saint Lambert du Liège. Et tant perpétra de cruautez, souz lombre dudit Roy Theodoric, à qui il en donnoit toute la charge, que les Ba- rons de France furent contraints y remédier, et donner or- dre et de fait mirent la main à leur Roy Theodoric et le feirent moyne. Et pareillement Ebroyn : lequel ilz encloui- rent en labbaye de Lisieux. (1) Puis allèrent quérir Childe- ric, qui estoit en Austriche, et le constituèrent Roy sur eux, et Vuolfald Prince au Palais.
(1) c'est Luxenil.
SINGVLARITEZ DE TROTF. LIVRE III. 455
Ne tarda gueres après, que le Roy Childeric se gonaerna si mal enuers ses subietz, que comme desia est touché cy dessus, il fut tué par la main dun noble homme, nommé Bodilo, lequel à tort et sans cause, il auoit fait lier à vn pal tout nud : et le batre de verges cruellement. Adonques les Princes de France allèrent tirer leur Roy Theodoric hors de labbaye, où ilz lauoient enclos, et le restablirent en son Royaume, et feirent Prince du Palais, Lendesil Bourguignon, natif d'Âuthun.
Lesquelles choses entendues par Ebroyn le tyrant que les François auoient fait moyne à Lisieux, il trouua ma- nière de saillir hors du monastère et ietta le froc aux orties. Puis assembla vn grand tas de brigans, larrons et gens perduz, à tout lesquels, il osa bien venir assaillir le Roy Theodoric, son seigneur, et Lendesil, Prince du Palais. Et par effect leur feit telle guerre, qui les chassa iusques à Bac- cauille : là où il pilla tous les trésors Royaux, et le Roy se retira à Crecy. Et illec fut contraint de faire appointement auec le tyrant Ebroyn et le restituer en son gouuernement et Principauté du Palais. Et tantost après Lendesil d'Au- thun, qui auoit esté Prince du Palais, venant audit Ebroyn à seureté et souz sa foy, fut occis par luy, et recommença à faire plus doutrages et de tyrannies que parauant : mesme- ment sur Prélats et sur gens deglise. Et le Roy Theodoric soufFroit tout : et ne se soucioit sinon de se donner du bon temps.
Martin, filz de Flondulphe, et Pépin Heristel, son parent, tous deux Princes d'Austriche la basse, tresuertueux et de noble cœur, estans aduertis des maux intollerables que ledit Ebroyn faisoit en France, délibérèrent de non plus le souffrir, mais y obuier et mettre remède. Et pour ce faire, mirent sus vne bonne armée, au deuant desquelz vin-
43B ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
drent à grand puissance, le Roy Theodoric et Ebroyn le tjrant : et fut la bataille donnée au lieu nommé Bicofal, laquelle fut forte et aspre, et mourut beaucoup de gens dun costé et dautre, mais le camp demeura au Roy Theodoric et à Ebroyn. Le Duc Pépin Heristel se retira en Austriche la basse, quon dit maintenant Lothric : et Martin senfuyt en la cité de Laon, auquel tantost après treues furent don- nées : et souz ombre dicelles, il fut enuoyé quérir par Ebroyn. Et quand il fut en sa présence, il le tua. Mais aussi comme ledit criminel tyrant ne cessast de perpétrer tant de meurtres et occisions, et tous les maux dont il se sauoit aduiser, finablement selon le iuste iugement de Dieu, il fut tué en aguet par vn nommé Hermofroy : lequel après le coup fait, se sauua et senfuyt au Duc Pépin, en Austriche, La détestable tyrannie d'Ebroyn estainte par sa mort trop tardiue, les François establirent vn noble homme nommé Vuaracon, Prince du Palais, lequel enuoya incon- tinent ambassadeurs au Duc Pépin Heristel en Austriche, qui traitèrent alliance et amytié auec luy. Depuis Gislemar, filz dudit Vuaracon, ietta son père hors du gouuernement et Principauté du Palais. Mais le Duc Pépin print la que- rele pour le père, et vint alencontre de Gislemar à main armée, lequel ne le refusa point à bataille : et sassem- blerent les deux osts auprès du chasteau de Namur. Le rencontre y fut horrible et merueilleux, et y eut beaucoup de sang respandu. Et à ce que ientens, le Duc Pépin gai- gna la iournee, Gislemar persécutant son père, mourut tantost après de maie mort subite : et Vuaracon refut en son premier estât, mais il trespassa la mesme année.
SOfOULARITIZ DE TROTE. UTRK III.
ni
Comment le Duc Pépin Heristel deaconât en bataille le Roy Theo- doric de France et Berkaire Prince da Palaia : et fut Pépia eala à ladite Principauté.
Apres la mort de Vuaracon, Prince du Palais, les Barons de France furent en quelque estrif et différent de créer vn nouueau Prince du Palais. Mais fînablement ilz saccorde- rent sur vn nommé Berkaire, homme de peu destime et valeur, combien quil fust gendre dudit Vuaracon. Dont quand ilz eurent congnu son poure gouuernement et insuf- fisance, ilz se repentirent beaucoup, et désirèrent dauoir sur eux le Duc Pépin de Brabant, Prince d'Austriche la basse. Et à ces fins luy enuoyerent certains messagers, priant quil mist sus vne bonne armée et vinst à leur se- cours contre Berkaire, Prince du Palais, qui leur estoit inutile et intollerable. Et ilz constitueroient ledit Pépin au gouuernement du Palais de France.
Le Duc Pépin obtempéra à leur requeste et sen vint à bonne et grosse puissance contre ledit Berkaire. Le Roy Theodoric estoit auec Berkaire : comme celuy parauenture qui ne sen fust osé excuser : tant estoient alors les Roys de France subietz aux Princes du Palais, qui depuis ont esté nommez Connestables. Si se rencontrèrent les deux armées en vn lieu nommé Textric, (1) là où lestour commença grand et merueilleux, et dura tant que Berkaire y fut occis et le Roy Theodoric prins, iasoit ce que Gaguin dise autre- ment. Neantmoins le Duc Pépin Heristel mit tantost à de- liure le Roy Theodoric : et fut la paix faite entre eux. Et selon les conuentions des Princes de France, le Duc Pépin
(l) Bat. deTestry, 687.
458 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
fut eslu et esleué à la dignité de Prince du Palais, par les- dits seigneurs de France et du consentement de Theodoric, leur Roy. Et deslors en auant, les affaires de la couronne commencèrent à se remettre en meilleur forme et estât : et allèrent tousiours prospérant de plus en plus.
Des autres gestes du Duc Pépin Heristel et de ses enfans.
Toutes les choses ainsi réduites et appaisees en France, le Duc Pépin Heristel ayant affaire en son païs d'Austriche la basse, après auoir donné ordre à tout, laissa vn lieute- nant en la Principauté du Palais de France, nommé Nor- debert, homme de qui il se fioit. Et tantost après mourut le Roy Theodoric, lan de son règne dixneuuieme. Si succé- dèrent après luy ses deux enfans, Clouis second de ce nom, qui ne régna que trois ans : et après luy Childebert, son frère, qui ne feit onques rien digne de mémoire. Endemen- tiers, Nordebert, lieutenant du Duc Pépin Heristel, Prince du Palais, alla mourir. Laquelle chose entendue par ledit Duc Pépin, il vint en France et amena son filz Grimoald : lequel il feit Prince du Palais dudit Roy Childebert. Iceluy Grimoald eut à femme Theudesinde, fille de Radbod, Roy de Frise.
Grimoald, filz du Duc Pépin Heristel, Prince du Palais du Roy Childebert de France, ie ne scay pour quelle cause fut tué traytreusement, estant en deuotion deuant lautel de saint Lambert du Liège, par vn garnement nommé Raui- gar, Payen et idolâtre, estant des gens de Radbod, Roy de Frise, père de la femme dudit Grimoald. Aussi mourut enuiron ce temps Druon, Duc de Champaigne, frère dudit Grimoald, et ne laissa quun filz nommé Theodoald, qui suc-
8INGVLAH1TKZ DE TROYK. LIVRE III. 439
céda à son père, en la Duché de Cbampaigne, et à son oncle Grimoald, en la Principauté du Palais de France, par le moyen du Duc Pépin Heristel, son grand père, lequel y tint la main, à fin que la Principauté du Palais de France de- mourast tousiours en sa maison. Lesquelles choses faites, le Duc Pépin en sa vieillesse attaint dune fieure ague mou- rut. Mais il laissa par testament à Charles surnommé Mar- tel, lequel il auoit eu dune concubine nommée Alpaide, la Principauté d'Austriche la basse, quon dit maintenant Loth- ric : dont sa femme légitime, appellee Plectrude, ne fut pas contente.
Saint Lambert, Euesque du Liège, qui flourissoit en ce temps, receut martyre, à cause de la ialousie que ladite Plectrude, femme légitime diceluy Duc Pépin Heristel, auoit enuers Alpaide, sa concubine. Car comme saint Lambert blasmast au Duc Pépin le vice de concubinage, lequel il exerçoit auec icelle Alpaide, mère de Charles Martel, disant que ces toit contre Dieu et contre raison, et contre les sain- tes loix de mariage, vn nommé Dodon, frère de ladite Al- paide, de son propre mouuement, ou par lenhort de sa sœur» tua ledit saint Euesque dedens la cité du Liège, et fut ense- ueluy à Vtrect. lay trouué Lepithaphe du Duc Pépin Heris- tel tel :
Iste Pipinus erat dux tertius ÂostraBioram. Austria dicta fuit tune, regntim Lothariense.
440 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
De Charle» cinquième de ce nom en ceste généalogie, surnommé Martel, pare du Roy Pépin le Brief et ayeul de lempereur Charles le grand.
Charles Martel, autrement surnommé Tictides, (1) filz de Pépin, seigneur d'Heristel en Liège, et d'Alpaide, sa concu- bine, fut comme dessus est dit, par le testament de son père, ordonné héritier de la Principauté du Royaume d'Aus- triche la basse. Laquelle chose sa marastre nommée Plec- trude, vefue dudit Pépin, ne prenoit point à gré, ains fauo- risoit à son neueu Theodoald, filz de son filz Druon, Duc de Champaigne. Si persécuta tant icelle Plectrude, ledit Charles Martel, quelle trouua manière de le faire prendre à Coulongne sur le Rhin, et illec le feit détenir en seure garde. Et ce pendant se saisit du Royaume d'Austriche la basse, quon dit maintenant Lothric, et en mit en posses- sion son neueu Theodoald, Prince du Palais de France. Et eux deux ensemble tindrent en tutele le Roy Dagobert se- cond de ce nom.
Ne tarda gueres après que les François furent ennuyez dudit Theodoald, Duc de Champaigne et Prince du Palais, et ne peurent plus endurer son gouuernement. Si sesleue- rent contre luy en armes et le vainquirent en vne bataille fort dommageuse, auprès de Compiegne, tellement quil sen- fuit. Et ilz constituèrent sur eux vn autre Prince du Palais, nommé Raginfroy. Si allièrent auec eux Radbod, Roy de Frise, dont dessus est faite mention. Et après la mort du Roy Dagobert, ilz constituèrent Roy sur eux, vn prestre lequel sappelloit Daniel : mais ilz luy changèrent son nom :
(1) Tytidesiéd. 1528).
SINGVLARITEZ DE TROTE. LIVRE III. 441
et le nommèrent Chilperic. Et en ces entrefaites, Charles Martel eschappa de la prison, en laquelle il estoit détenu à Coulongne, par sa marastre Plectmde.
Comment le Dac Charles Martel, après quil fut eschappa des priMM de sa Marastre, recounra la Principauté du Royaume d'Austriebe la basse et aussi du Palais de France.
Le dvc Charles Martel se voyant hors de la garde pri- sonnière de sa marastre et aussi du danger de la mort, dont il nestoit pas loing, tascha incontinent de recouurer sa Principauté du Royaume d'Austriche la basse, occupé comme dessus est dit par ladite Plectrude et son neueu Theodoald, à layde de Radbod, Roy de Frise. Chilperic, parauant nommé Daniel prestre, et Roy de France, comme ia dit est, auec Raginfroy, Prince du Palais : et ledit Rad- bod, Roy de Frise, vindrent alencontre du Duc Charles Mar- tel : et fut la bataille donnée sur la riuiere de Meuse. Les tour y fut grief, mais Charles Martel ny gaigna pas : ains se trouua le plus foible, si se sauua à la fuite.
Icelle victoire obtenue par Chilperic et Raginfroy, ilz entrèrent par le pais d'Ardenne, au Royaume d'Austriche la basse, lequel ilz coururent et gasterent de toutes pars iusques à Coulongne : mais Plectrude, la vefue dessusdite, voyant que le païs de son douaire se perdoit à son grand desauantage, leur donna tant des trésors de son feu mary le Duc Pépin Heristel, quelle les feit retourner en France. Ce nonobstant le Duc Charles Martel, qui ne dormoit pas, vint ruer sur la queile et leur feit vn merueilleux dommage.
Par despit de laquelle perte, ne tarda gueres après que le Roy Chilperic et Raginfroy, Prince du Palais, auec autre
442 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
plus grosse armée retournèrent sur les terres du Duc Charles Martel : mettant tout à feu et à sang. Mais il se deflfendit fort, et fut la guerre menée assez longuement douteuse dun costé et dautre : et finablement le Roy Chil- peric et Raginfroy furent vaincuz au lieu d'Ablaue. (1) Ce nonobstant, aprez leur fuite, ilz rassemblèrent vne autre grosse armée auec layde d'Eudo, Duc d'Aquitaine et de Gascongne, leur allié, et vindrent pour la tierce fois contre ledit Charles Martel. La iournee fut assignée au païs de Cambresis : près dun Bourg appelle Vincy. Et là furent derechef vaincuz le Roy Chilperic et Eudo, Prince de Gas- congne, auec Raginfroy. Chilperic et Eudo senfuyrent à Orléans, là où ilz chargèrent les trésors Royaux : à tout lesquelz ilz se sauuerent en Gascongne, et ne les peut Charles Martel aconsuiure. Mais il passa la riuiere de Seine et print Orléans. Puis alla assiéger Raginfroy, qui sestoit retiré dedens Angiers : et le print auec la cité. Et ce non- obstant, en vsant dune merueilleuse clémence et courtoisie, il le remit en liberté : et oultre ce, luy donna la cité d'An- giers pour son estât : et par ainsi Charles Martel comme victorieux fut pacifique Prince du Palais. Et en lieu de Chilperic fugitif, ordonna pour Roy vn nommé Clotaire, ou Lothaire.
Gomment le Dac Charles Martel creoit les Roys de France à son appé- tit : et comment il se vengea de sa marastre Plectrude, et con- queata le Royaume de Bulgarie, oultre la Dunoe, et la plus grand partie d'AUemaigne, cestasauoir Soaue, Saxone (2) et Bauiere.
Estant ainsi possesseur pacifique le Duc Charles Martel
(1) Château d'Amblôve piès d'Aywaille ?
(2) Saxoiffne (éà. 1513).
SINGVLARITEZ DE THOYK. LIVRE III. 445
des Principautez d'Austriche la basse et de France, après auoir chassé Chilperic et constitué en son lieu ledit Roy Lothaire : lannee ensuiuant, il enuoya vne ambassade deuers Eudon, Duc d'Aquitaine et de Gascongne : à fin dauoir en ses mains ledit Chilperic, parauant appelle Daniel prestre. Laquelle chose il obtint. Et par ce moyen ledit Eudon eut paix. Ce pendant que ces choses se traitoient, le Roy Clotaire alla mourir : et le Duc Charles Martel vsant de grand bénignité enuers son ennemy, restablit iceluy Chilperic, son prisonnier, en la dignité du Royaume de France. Ainsi appert que les Princes du Palais faisoient ou defFaisoient les Roys de France à leur appétit.
Chilperic après ce quil fut fait Roy derechef, ne vescut gueres. Si fut par lautorité du Duc Charles Martel, créé nouueau Roy Theodoric, filz de Dagobert, derrain de ce nom. Lequel Theodoric auoit esté nourry au monastère des nonnains de Cale. Donques après ces choses ainsi or- données en France, le Duc Charles Martel désirant soy venger de sa marastre Pelctrude, qui tant de maux luy auoit fait, assembla vne puissante armée et se tira deuers Coulongne sur le Rhin. En laquelle cité ladite Plectrude, femme de grand cœur, sestoit fortifiée à merueilles. Et auoit entre ses mains, les trésors du feu Duc Pépin Heris- tel, son mary : mais Charles Martel print par force ladite cité de Coulongne, ensemble les trésors de son père, auec- ques sa marastre. Toutesuoyes depuis elle eschappa subti- lement et senfuyt au Royaume de Bulgarie, qui est oultre la grand riuiere de Dunoe, en Allemaigne, par delà Hon- grie.
le ne scay si pour ceste raison ou autre, le Duc Charles Martel fut meu de tirer son armée celle part : mais ie treuue bien, quil alla conquerre ledit Royaume de Bulga-
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rie, et en passant et rapassant subiuga la plus grand par- tie d'Allemaigne : cestasauoirlesSoaues, Saxone et Bauiere : puis retourna en France, victorieux, auecques grand proye et merueilleuses despouilles.
Retourné en France le Duc Charles Martel, il fut ad- uerty, que le Duc d'Aquitaine Eudon, dessus mentionné, machinoit derechef quelque mauuaistié contre luy. Si tira celle part auecques bonne armée : mais Eudon ne lattendit point, ains se cacha en lieux déserts et inaccessibles, du costé de Gascongne : dont quand le Duc Charles Martel veit quil ne le pourroit trouuer, il sen retourna en France et donna congé à ses gendarmes : mais peu de temps après, luy fut mestier les rassembler : car nouuelles vindrent, que les hauts Allemans et les Soaues, autresfois par luy vaincuz et surmontez, se vouloient rebeller par le motif de leur Duc nommé Leuffroy, dont il fut contraint de retirer celle part, ce quil feit : et vainquit ledit Duc Leuffroy. Si remit par ceste victoire, les hauts Allemans et Soaues en sa subiection et obéissance.
De la merueilleuse victoire que le Duc Charles Martel eut contre les Sarrasins : lesquelz Eudon, Duc d'Aquitaine et de Gascongne, auoit amenez en France. Et comment il donna les dismes des églises aux geptilz hommes.
Pendant ce que le trespuissant Duc Charles Martel pour- suiuoit ses victoires en la haute Allemaigne, Eudon, Duc d'Aquitaine et Prince de Gascongne , mauuais homme , vindicatif et tousiours rebellant, lequel se douloit dauoir esté ainsi rebouté, chassé et quis par Charles Martel, comme dessus est touché : sestoit tiré en Espaigne, vers vn Roy
SINGVLARITEZ DE TROTS. UVES III. 44S
infidèle et Mahommetiste, nommé Abidiram. Auec lequel il auoit tant fait et pratiqué, quil luy auoit donné non seulement passage par ses païs de Gascongne et d'Aqui- taine, pour entrer en France, mais aussi certain espoir et moyen* dy pouuoir obtenir règne et demeure perpétuelle, auec ses Mores et Sarrasins. Lesquelz souz ceste folle confiance suiuirent leur Roy en vne merueilleuse multitude : menans auec eux leurs femmes, leurs enfans et tous leurs bagages, en délibération de non retourner en Espaigne, comme ilz ne feirent : mais ce fut au rebours de leur inten- tion.
Abidiram, Roy des Sarrasins, moyennant la conduite du Prince Eudon de Gascongne, assiégea premièrement la cité de Bourdeaux et la print : brusla les églises et feit tous les maux quil peut. Autant en feit il à Poitiers et vint ius- ques à Tours : mais en cest endroit, le Duc Charles Martel luy vint alencontre, auec sa puissance d'Austrichois, AUe- mans et François : si luy donna la bataille et vainquit, tellement que par le tesmoignage de tous les historiens, il y demoura de Sarrasins, trois cens quatre vingts cinq mille. Et des gens du Duc Charles Martel seulement quinze cens : qui semble chose bien miraculeuse. Et pource que les Barons et gentilzhommes de France lauoient bien seruy en ceste guerre, comme il y parut, et despendu tout le leur, vendu et engagé leurs terres, pour contrester aux mes- creans et soustenir la foy de Dieu et nostre créance de sainte Chrestienté, le Duc Charles Martel, du consentement des Prélats, donna pour recompense ausdits seigneurs, barons et cheualiers,en lieu de soulde et pour leur defiroy (1) et recouurement de leurs terres engagées, aucune partie
(1) c.-à-d. pour les défrayer.
446 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
des dismes de Leglise. Promettant les (l)leur rendre au dou- ble si Dieu luy eust prolongé sa vie. Laquelle donation ou plustot permission faite du consentement de leglise Galli- cane, en péril eminent, les gens ecclésiastiques de France ont depuis blasmee, et ont accusé le Duc Charles Martel destre damné à ceste cause. Ce que ie ne croy pas : car lequel eust il mieux valu pour la chose publique de Chres- tienté, ou que les Sarrasins d'Afrique se fussent habituez en France, par lespace de huit cens ans, comme ilz ont fait en Espaigne, iusques à la dernière conqueste de Grenade, ou que le patrimoine de Leglise ayt donné secours et subside aux gens militaires et à la noblesse de France, pour obuier par armes et de fait à vn tel inconuenient, ce que les gens deglise ne pouuoient faire par leurs prières et oraisons. Mais de ce disputer, ie me déporte : car ce nest pas de présente spéculation. Si reuiens au propos principal de Ihis- toire qui dit : Que après la desconfiture des Sarrasins des- susdite, Eudon, Duc d'Aquitaine, nonobstant que de tous ces maux il eust esté cause, trouua manière de faire son appoin- tement auec le Duc Charles Martel. Et deflSt la reste des Sarrasins, selon ce que met Gaguin, en Ihistoire de France.
Comment le Duc Charles Martel conquesta le Rovaame de Bour- gongne, la Duché d'Aquitaine «t de Gsscongne , et depuis le Royaume de Frise : et vainqiiit les Allemans sur le Rhin, et les Goths et Sarrasins en Prouence, et en Aquitaine : et de ses autres gestes.
Geste tresglorieuse victoire des Sarrasins acheuee par le Duc Charles Martel, autre nouuelle guerre suruint du costé
(1) c.-à-d. les gen$ ecclésiastiques dont Le Maire parle plus bas.
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de Bourgongne. Et selon ce que ie puis comprendre : ce fut par le moyen du dessus nommé Ëudon, Duc d'Aquitaine et de Gascongne, tousiours maluueillant du Duc Charles Martel. Lequel Prince tresnobleettresinuaincu, (l)alla icelle part : et print la cité de Lyon sur le Rhône, qui pour lors estoit la tierce prouince du Royaume de Bourgongne : dil- lec il tira en Arles en Prouence, qui de toute ancienneté estoit la cité capitale du Royaumo de Bourgongne, comme est ores Paris en France. En oultre il conquit Marseille et le pais denuiron, en lostant aux Vesegoths, vne nation d'Allemaigne, qui auoient occupé ladite contrée. Et brief, il mit en son obéissance tout le Royaume de Bourgongne. Si tua finablement le Duc Eudon, son ancien ennemy, comme ie treuue en vne vieille chronique. Print et subiuga toutes ses seigneuries en Aquitaine et Gascongne, mais pour la singulière modération dont il estoit plein, il nap- pella point les Bourguignons quil auoit conquestez, ses sub- ietz : mais ses alliez et confederez, par plus douce et plus agréable appellation.
Puis après, à fin quil se gardast destre oiseux, il mena son armée en Allemaigne oultre le Rhin, contre le Roy de Frise, nommé Radbod, de secte Payenne et idolâtre : lequel ie treuue ailleurs estre nommé Popon : si le vainquit sur le . fleuue Burdon et gaigna son Royaume, lan de nostre salut sept cens trentecinq. Et en ce temps là les Vuandelz, vne autre nation d'Allemaigne, entrèrent en France iusques à la cité de Sens : lesquelz Obbo, archeuesque de Sens, deffit. Et tantost après les Bourguignons se rebellèrent, contre les- quelz le Duc Charles Martel après son retour de Frise, marcha derechef, et entra dedens Lyon sur le Rhône : où
(1) Se trouve auasi dans la Couronne Margaritiqne.
448 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
il punit aucuns citoyens estans chefz et motifz de la rébel- lion. Et dillec tira en Arles, cité capitale dudit Royaume de Bourgongne, et autres villes et fortes places, là où il mit bonne garnison.
Ne tarda gueres après, quil luy fut mestier de retourner en AUemaigne, pource que ses subietz de dessus la riuiere du Rhin séstoient esleuez de nouueau : lesquelz il dompta derechef. Cela fait, autre tumulte suruint du costé de Pro- uence, car Marancus Bourguignon, (1) qui se disoit Duc de Prouence, autresfois subiugué par le Duc Charles Martel, auoit fait secrète alliance auec les Vesegoths, vne nation d' AUemaigne, habitans pour lors en Aquitaine : lesquelz nestoient point contens de ce que leur Duc Odo auoit esté défiait par le Duc Charles Martel. Et oultreplus, ledit Marancus de Prouence estoit allé quérir secours en Esr paigne. Et de fait, auoit pratiqué deux Roys Sarrasins. Dont lun estoit nommé Athimus et lautre Amorreus. Par ainsi ledit Marancus, qui se disoit Duc de Prouence, entra le premier en Aquitaine, auec le Roy Athimus Sarrasin. Si prindrent de primeface Bourdeaux et Narbone : et vindrent passer le Rhône et prindrent les citez d'Auignon et Arles en Prouence. Et se respandirent lesdits Vesegoths et Sar- rasins parmy toute Aquitaine et les citez capitales du Royaume de Bourgongne, du costé de Prouence. Si se for- tifia ledit Marancus dedens Auignon, et le Roy Athimus à Narbone.
Le Duc Charles Martel aduerti de ces nouu elles, donna bon ordre en son pais du Rhin et vint diligemment en la haute Bourgongne où il mit sus la plus grand armée quil
(1) Le comte Mauruntus, aidé par Yousouf-Ibn, gouverneur arabe de Narbonne.
SIMGTLARITCZ DE THOYE. LIVRE III. 449
peut. Si alla promptement assiéger Auignon, et la print par force. Aucuns disent, que ce fut fait par son frère nommé Chiidebert, son lieutenant en ceste partie. Et de là tira à Nârbone, où le Roy Athimns Sarrasin estoit, et y mit le siège. Au secours duquel vint par raer lautre Roy Sarrasin, nommé Amorreus, dont dessus est faite mention, auec multi- tude infinie de Sarrasins. Parquoy fut mestierau Duc Charles Martel de demander secours au Roy de Lombardie, nommé Luitprand : lequel estoit son compère. (1) Et vn peu de temps parauant luy auoit monstre signe de grand amytié : car à la seule et simple requeste du Duc Charles Martel, il auoit laissé le siège quil tenoit deuant Romme, contre le Pape Grégoire troisième de ce nom.
Luitprand, Roy des Lombards, venu au secours de son compère, le Duc Charles Martel , iointes ensemble les armées des Allemans, François, Bourguignons et Lom- bards, ilz liurerent la bataille aux Sarrasins et aux Vese- goths, en vne belle plaine, en la vallée de Corbar, (2) qui nest pas loing de Narbone. Lestrif y fut grand et merueilleux. Mais après que lun des Roys Sarrasins, nommé Amorreus, y fut occis, toute la reste se laissa desconfire. Lautre Roy, nommé Athimus, se sauua en vn petit nauire et senfuit en Espaigne. Par ainsi le Duc Charles Martel demoura victo- rieux, moyennant layde de Luitprand, Roy des Lombards. Oultreplus, tous les Vesegoths, vne cruelle nation, qui la par lespace de trois cens ans auoient troublé le monde tant en Prouence comme en Aquitaine et Espaigne, furent def-
(1) Eq735, Charles Martel avait envoyë son fiU à Luitprand afin que celui-ci devint son père d'adoption en lui coupant les cheveux selon Tusage germanique.
(2) La vallée des Corbières.
II. »
y
450 ILLVSTRATIOKS DE GAVLE, ET
faits, exceptez aucuns qui se retirèrent à Barcelone, Ne les Sarrasins noserent onques puis entrer en France. Don- ques toutes autres nations estrangeres, iettees dehors, la Gaule demoura subiette aux François, moyennant la grand prouesse et vertu du Duc Charles Martel.
Enuiron ce temps là mourut le Roy de France, nommé Theodoric, deuxième de ce nom : filz de Dagobert, au lieu duquel le Duc Charles Martel, comme Prince du Palais, constitua Childeric, frère germain dudit Theodoric. Lequel Childeric fut depuis honteusement déposé, souz ombre de lautorité du Pape Zacharie, comme sera dit cy après : quand nous parlerons de Pépin, filz du Duc Charles Martel. Ainsi appert que par le Duc Charles Martel furent créez quatre Roys en France : cestasauoir, Lothaire, Chilperic, Theo- doric et Childeric. Et fut si preudhomme, quil ne voulut point vsurper la couronne de France : ne se nommer Roy, ce quil eust bien peu faire. Mais Pépin le Brief, son filz, ne le feit pas ainsi.
Tant de hautes choses acheuees, par la force, prudence et vertu de ce tresglorieux et magnanime Prince, Charles Martel, le Royaume de France et toutes les prouinces par luy conquises pacifiées : après tant de trauaux, approchant le terme de ses iours, il cheut en maladie, en vn bourg, nommé Vermene, près du fleuue d'Isère. (1) Or auoit il trois enfans, comme ie croy de deux femmes : cestasauoir : Kar- loman, Pépin et Griffon. De la première femme ie ne scay le nom (2) : mais la mère de Griffon, le maisné, auoit nom Simahilde (3) : nièce du Duc Odon de Bauiere. Si distribua
(1) Charles Martel est mort à Quîersy-sur-Oise, en 741.
(2) C'est Rothrude, mère de Carloraan et de Pépin le bref.
(3) Sonnichilde.
8IMGTLARITBZ DE TROTE. LIVRE III. 4M-
Charles Martel son héritage aux deux premiers tant seule- ment. Karloman eut pour sa part, Âustriche la basse : quon dit maintenant les pais de Lothric et Brabant, Soaue, AJ- lemaigne et Tburinge. Lappennage de Pépin le Brief, fut France, Bourgongne et Aquitaine. Griffon, le plus ieune, neut point de terre en sa part : mais fut passé souz silence au testament de son pare, dont sa mère Simahilde ne fut pas contente.
Tantost après, ce tresuertueux Prince trespassa : lan de sa Principauté vingtcinq, selon les Chroniques de France : mais les Chroniques d'Allemaigne luy en donnent dix da- uantage. Et fut solennellement enseuely à saint Denis en France, en vn sépulcre dalbastre, qui encores est en estre. Mais iasoit ce quil ne soit pas conté au nombre des Roys de France, neantmoins, sa statue ou représentation estant dessus son tumbel, en ladite église de saint Denis en France, porte sceptre et couronne. Ce que iay diligemment regardé, et noté. Si ay trouué en vn ancien Hure, au païs de Brtdi bant, son epitaphe en quatre vers, tel qui sensuit : "■
Ecce, Brabantinus dux quartas ia orbe triumphat Malleus, in luundo specialis Cbristirolarum. Dnx, dominusque ducum, llegum quoque, liez fore spi*euit : Non vult regnare, sed Regibus imperat ipse.
De Karloman, Duc d* Austriche la basse, quod dit maintenant Lothric, et Brabant, Soaue, Allemaigne et Thuringe : lequel après plu- sieurs victoires se rendit moyne.
Karloman filz aisné du Duc Charles Martel, à qui le père par son testament auoit laissé les païs d' Austriche, Brabant, Soaue, Allemaigne et Thuriuge, vescut pacifiquement auec
4oâ ILLVSTRATIO^S DE GATLE, ET
son frère Pépin le Brief. Ce qui aduient peu souuent, entre frères charnelz : mesmement quand ilz sont grans seigneurs. Et Juy assista en tous ses affaires. Car comme Simahilde, vefue du Duc Charles Martel, fust mal contente comme dessus est dit, de ce que son filz Griffon nauoit point esté nommé héritier en aucune partie, au testament de son père : estant femme de cœur, incita sondit filz à demander la part de la succession à ses frères : attendu quil nestoit point bastard ' ce quil feit tantost et voulentiers : et print en sa saisine la cité de Laon. Si entama la guerre contre lesdits frères, lesquelz lassiegerent et le prindrent. Et à fin quil ne troublast plus les affaires du Royaume, Karloman len- uoya en seure garde à Chasteauneuf, vne forte place, en la forest d'Ardenne. (1)
Cela fait, les deux frères ensemble allèrent alencontre de Hunauld, Duc d'Aquitaine, qui se rebelloit contre le Roy- aume de France. Et après quilz eurent vaincu ledit Hu- nauld et remis icelle prouince en deuoir dobeïssance : eux deux par ensemble domptèrent les Allemans à eux rebelles et Odilon, Duc de Bauiere : puis Karloman tout seul alla contre les Saxons : desquelz il obtint victoire. Dont après tant de prosperitez il fut ennuyé du monde. Si délibéra dy renoncer, et dentrer en religion : ce quil feit, à peu de compaignie : du sceu et consentement de son frère Pépin. Et se tira ledit Karloman à Romme vers le Pape Zacha- rie : de la main duquel il print Ihabit de saint Benoit, et alla viure religieusement au monastère de Montcassin en Italie : lequel au parauant il auoit fait édifier à ses des- pens, délibérant dy vser sa vie en faisant pénitence, ce qui
(I) Juxta Arduennam, dit Eginhard. C'est le château d'AmblèTe, près d'Aywaille, appelé aussi Nev/château.
siNfivtAarrex ue truyk. livrb m. 455
naduint pas : car Aistulphe, Roy des Lombards, homme oault et malicieux, trouua moyen de le tirer hors de son monastère, pour ienuoyer en France comme ambassadeur, deuers le Duc Pépin, son frère, lequel se preparoit de faire ia guerre contre ledit Aistulphe, pour la querele et à la requeste du saint siège apostolique : qui par la tyrannie dudit Aistulphe estoit troublé et molesté en la possession du patrimoine de Leglise. Si pensoit iceluy Aistulphe, que ledit Karloman moyne, par sa persuasion trouueroit ma- nière de retarder son frère le Duc Pépin, du passage oultre les monts : laquelle ambassade le Duc Pépin print si très- mal engré, que non eu regard à lamour et charité frater- nelle, ny aux bons seruices que parauant il luy auoit faits, ,feit mettre sondit frère Karloman en perpétuel exil, dedens vn monastère, en la cité de Vienne en Dauphiné, là où tan- tost après il mourut de regret.
Du Duc Pépin sui-noranié le Brief : troisième de ce nom en cegte généalogie, Duc de Bourgongae et d'Aquitaine, Prince du Palais de France : et des autres successions qui lujr accreurent 4t cause de son frère aisné Karloman deuenu moyne. Et aussi des guerres quil eut contre son frère maisné Griffon.
., Pépin le Brief, cestadire le court, ainsi surnommé, pource rquil estoit de petite corpulence, viuant encores son père le Duc Charles Martel : incontinent quil se sentit par le testa- ment paternel estre declairé et institué héritier du pais de Bourgongne, comme dessus est dit : vsaiît de grand pru- dence, il se tira celle part, à toute diligence : et en print la possession, craingnant que suruenant le trespas de sondit père, il ny eust aucun trouble ou destourbier, sil en estoit
452 ILLVSTRATIOHS DE GATLE, ET
son frère Pépin le Brief. Ce qui aduient peu souuent, entre frères charnelz : mesraement quand ilz sont grans seigneurs. Et ]uy assista en tous ses affaires. Car comme Simahilde, vefue du Duc Charles Martel, fust mal contente comme dessus est dit, de ce que son filz Griffon nauoit point esté nommé héritier en aucune partie, au testament de son père : estant femme de cœur, incita sondit filz à demander la part de la succession à ses frères : attendu quil nestoit point bastard ' ce quil feit tantost et voulentiers : et print en sa saisine la cité de Laon. Si entama la guerre contre lesdits frères, lesquelz lassiegerent et le prindrent. Et à fin quil ne troublast plus les affaires du Royaume, Karloman len- uoya en seure garde à Chasteauneuf, vne forte place, en la forest d'Ardenne. (1)
Cela fait, les deux frères ensemble allèrent alencontre de Hunauld, Duc d'Aquitaine, qui se rebelloit contre le Roy- aume de France. Et après quilz eurent vaincu ledit Hu- nauld et remis icelle prouince en deuoir dobeïssance : eux deux par ensemble domptèrent les Allemans à eux rebelles et Odilon, Duc de Bauiere : puis Karloman tout seul alla contre les Saxons : desquelz il obtint victoire. Dont après tant de prosperitez il fut ennuyé du monde. Si délibéra dy renoncer, et dentrer en religion : ce quil feit, à peu de compaignie : du sceu et consentement de son frère Pépin. Et se tira ledit Karloman à Romme vers le Pape Zacha- rie : de la main duquel il print Ihabit de saint Benoit, et alla viure religieusement au monastère de Montcassin en Italie : lequel au parauant il auoit fait édifier à ses des- pens, délibérant dy vser sa vie en faisant pénitence, ce qui
(1) Juxta Arduennam, dit Eginhard, C'est le château d'AmblèTe, près d'Aywaille, appelé aussi Nev/chÂteau.
SitUiVLABITKX UK TRUYK. LIVKB ill 4fi5
naduint pas : car Aistulphe, Roy des Lombards, homme cault et malicieux, trouua moyen de le tirer hors de son monastère, pour ienuoyer en France comme ambassadeur, deuers le Duc Pépin, son frère, lequel se preparoit de faire la guerre contre ledit Aistulphe, pour la querele et à la requeste du saint siège apostolique : qui par la tyrannie dudit Aistulphe estoit troublé et molesté en la possession du patrimoine de Leglise. Si pensoit iceluy Aistulphe, que ledit Karloman moyne, par sa persuasion trouueroit ma- nière de retarder son frère le Duc Pépin, du passage oultre les monts : laquelle ambassade le Duc Pépin print si très- mal engré, que non eu regard à lamour et charité frater- nelle, ny aux bons seruices que parauant il luy auoit faits, ,feit mettre sondit frère Karloman en perpétuel exil, dedens vn monastère, en la cité de Vienne en Dauphiné, là où tan- tost après il mourut de regret.
Du Duc Pépin surnommé le Brief : troisième de ce nom en ceste généalogie, Duc de Bourgongne et d'Aquitaine, Prince du Palais de France : et des «utres successions qui lujr accreurent ^ cause de son frère aisné Karloman deuenu moyne. Et aussi des guerres quil eut contre son frère maisné Griffon.
.«Pépin le Brief, cestadire le court, ainsi surnommé, pource quil estoit de petite corpulence, viuant encores son père le Duc Charles Martel : incontinent quil se sentit par le testa- ment paternel estre declairé et institué héritier du pais de Bourgongne, comme dessus est dit : vsapt de grand pru- dence, il se tira celle part, à toute diligence : et en print la possession, craingnant que suruenant le trespas de sondit père, il ny eust aucun trouble ou destourbier, sil en estoit
456 ILLVSTRATIOAS DE GAVLE, ET
realle, et maintenoit la seigneurie sans contradiction quel- conque. Pour donques venir à ces fins, Pépin enuoya à Romme, deuers le Pape Zacharie, vne secrète ambassade, ayans leurs instructions forgées selon son intention. Et fu- rent deux hommes deglise, qui la mirent à exécution : cestasauoir, Burkard, archeuesque de Vuirtsbourg, dite en Latin Herbipolis, qui est cité capitale du païs de Francone, quon dit France Orientale oultre le Rhin, et Vokard, (1) archi- chapelain domestique du Duc Pépin. Lesquelz demandèrent au Pape par cauteleuse simplesse, quil luy pleut leur déter- miner ceste question : asauoir mon lequel des deux estoit plus digne destre Roy, ou celuy qui se tenoit tousiours en lombre de son Palais sans faire chose qui seruit au bien commun et sans se soucier des affaires du Royaume : ou celuy qui par sa propre vertu, industrie et sollicitude, et par mettre en danger, aduenturer souuentesfois sa personne en armes contre les ennemis, donnoit ordre à tous les affai- res publiques et à la deffense et accroissement du Royaume. A laquelle demande et proposition le Pape Zacharie in- struit assez de la response quil deuoit faire, et que les demandans vouloient quil feist : respondit, que voirement celuy estoit plus digne dauoir tiltre de Roy et la totale auto- rité du Royaume, qui par sa prudence, diligence et solicitude adressoit, administroit et moderoit les affaires de la chose publique. Souz lombre et couleur de laquelle response du Pape, remonstree aux Barons de France par lesdits ambas- sadeurs, à leur retour de Romme, et moyennant lautorisation dicelle : ilz eslurent le Duc Pépin, Prince du Palais, pour leur Roy. Et fut sacré à Soissons par saint Boniface, Eues- que dudit lieu : lan de nostre Seigneur sept cens cinquante.
(I) Volkard ou Folcard.
SlNGVLARlTeZ DE TBOYK. LIVRE III. 457
Et Gbilderie, homme de petite value, fut honteuBaoïent dégradé et mis lus de la dignité Royale. Si fut t(nda inoyne, et reclus en vn monastère : ou il fina ses iours en pénitence et en angoissé.
La raesme année que le Roy Pépin la Brîef reoent 1» note dignité de la couronne de France, le peuple des SaxoM luy feit la guerre. Et il les vainquit derechef snr le fleune nommé Vuisara. (1) Et comme de ladite victoire il estoit de retour en France, il luy fut nonce, que Griâbn son £rere, lequel sestoit retiré vers Gayffier, Duc d'Aquitaine, comme dessus est dit, estoit mort. La vieille Chronique dit : quil fut tuié en Saxone : il estoit homme rapineux et vioant de proye : si ne pouuoit durer. Et pource fut il nommé Grif- fon : comme met Platina. Tantoat après le Pape Estienne, deuxième de ce nom, vint en France demander secours contre Aistulphe, Roy des Lombards, qui molestoit les ter- res de Leglise : lequel Pape, le Roy Pépin receut en grand honneur. Et il oingnit et consacra derechef Pépin en Roy de France : et bénit ses deux enfans, Karloman et Charles le grand, et toute leur postérité. Si maudit, dautre part, tous ceux qui leur feroient grief ou tort.
Par ainsi en la faueur dudit saint Père, quand ce vint sur le printemps, le Roy Pépin passa les monts et marcha contre Aistulphe, Roy des Lombards, pour la première fois. Et depuis pour la seconde, tant quil contraingnit ledit Roy Aistulphe, de rendre ce quil auoit Ysurpé en Italie, de Lexarcat de Rauenne, lequel appartenoit à Lempire. Et presques toutes les conquestes que le Roy Pépin feit en Ita- lie, il les donna à leglise Romaine, comme sera spécifié tantost en la fin de ce liure.
(1) Le Weser.
458 ILLVSTKATIONS DE GAVLK, ET
Iceluy Roy Pépin mena aussi la guerre par lespace de huit ans contre Gayffier, Duc d'Aquitaine, en faueur de Le- glise, laquelle iceluy Duc oppressoit. Maispource quil deue- noit desia pesant et sur aage de vieillesse, il en bailla toute la charge à son filz maisné Charles le grand, encores ado- lescent et à qui la barbe ne faisoit que poindre. Lequel print tantost Bourbon et Clermont, et autres places en Au- uergne, qui fut le premier commencement de ses hautes et heureuses prouesses, lesquelles il acreut depuis ainsi que chacun scait. Finablement iceluy Gayffier, Duc d'Aquitaine, fut tué par ses gens mesmes, et la guerre finee. Taxiilo, Duc de Bauiere, vint en France à grand compaignie et triomphe : et feit hommage au Roy Pépin de la Duché de Bauiere. Et derechef, les Saxons furent par luy vaincuz et asubiettiz, à ce que tous les ans par manière de tribut, ilz ameneroient au Roy trois cens coursiers de prys, au temps que le parle- ment se tiendroit à Paris. Lequel parlement fut première- ment institué par ledit Roy Pépin.
De sa femme Berthe il eut les deux filz dessusnommez : cestasauoir Karloman et Charles le grand, lesquelz il laissa héritiers parensemble sans partage, et vne fille nommée Berthe, qui fut mariée à Milon, Conte du Mans, et fut mère de Roland. Ladite Berthe, mère de Charlemaigne, est ense- lie en vne ancienne abbaye dite la Nouuellaise, au pied du mont Senis, pardelà pour tirer le chemin de Suse et de Piedmont, comme autresfois mont affermé les moynes dudit lieu : mais le Roy Pépin son mary est enterré à saint Denis en France. Et mourut à Paris lan de grâce sept cens soi- xantehuit, et de son règne le vingtseptieme. Lepitaphe dudit Roy Pépin est tel, selon les anciens liures que iay trouué en Brabant :
Iste Biabnntinus, dux quintus Austrasiorum, Ex dace fit tandem Rex primus generis huius.
SINGVLAKITEZ Ob TROYB. LIVRE III. 460
Narration comment les successions des Princds se maent et changent par la prouidence diuine. Et comment le sang de Lemporear Charles le grand fut depuis reûnjr et réintégré, on réitéré, eb la famille de« Roj8 trescbrestiens, iasqaes auiourdhnj , par ligue féminine.
Ainsi termina son règne sur les François la ligné de Meroueus yssu des Troyens et hauts Sicambriens. Laquelle auoit esleué ledit Royaume et temporisé en iceluy, par lespace de trois cens trente ans : car Pharamond, le premier Roy, fut couronné lan quatre cens et vingt, et Pépin, le premier de sa lignée, lan sept cens cinquante, comme des- sus est dit. Et fut Pépin le vingtdeuxieme Roy de France, comme il me semble, iasoit ce que Gaguin en son histoire ne le mette que pour vingtunieme, dont ie raesmerueille. Et mesmement de ce quil ne conte Meroueus et son filz Ghil- peric, sinon pour vn Roy. Si pourroit sembler que Mero- ueus, qui fut père de famille et chef de toute ceste lignée, mérite bien dauoir son lieu à part. •^*
La génération de Pépin le Brief et de Charles le grand régna en Lempire, enuiron cent dix ans, et non plus. Mais elle posséda la couronne de France, par lespace de deux cent quarante ans, iusques à ce que la lignée de ceux d'Angers (laquelle aucuns historiens disent estre yssuz des Saxons, cestasauoir, Hue Capet, filz de Hue le grand. Conte de Paris) vsurpa le Royaume sur les successeurs de Pépin et de Charles le grand. Laquelle vsurpation fut faite, lan de nostre Seigneur neuf cens quatre vingts et dix. Et tout ainsi que Childeric, filz de Theodoric, fut le dernier Roy de la lignée de Meroueus, yssu des Troyens de la haute Sicambre, aussi Charles, filz de Loys sixième de ce nom.
4(1)0 llXVSTRATiO^S D£ GAVLE, £T
Lequel Charles qui mourut prisonnier en la cité d'Orléans, fut le dernier de sa génération, yssu des Troyens de la basse Sicambre, qui posséda le Royaume de France.
Lesquelles mutations, si bien nous y aduisons, furent faites premièrement par la prouidence diuine : et seconde- ment par lart, ministère et traflSque des prostrés. Car si souz ombre de religion et de sainteté Burkard, premier euesque de Herbipolis en Francone, et Vokard, chapelain domestique de Pépin le Brief, impetrerent du Pape Zacha- rie la response seruant à leur propos, dont la mutation de la succession légitime au Royaume se feit, comme dessus est touché : aussi Hue Capet suborna leuesque de Laon nommé Anselme, à ce quil luy mist entre les mains le Roy Charles, dernier de la lignée de lempereur Charles le grand. Lequel fut enuoyé tenir prison à Orléans là où il mourut. Et ce feit ledit Hue Capet, Roy de France, tant par force, comme souz ombre de ce quil faisoit courir la voix par ledit Euesque et autres gens deglise, que saint Vualeric et saint Richer lauoient de ce faire admonnesté par vision et luy promis la couronne de France, pource quil auoit porté grand honneur et reuerence à leurs corps et à leurs reli- ques. Et ce recite Gaguin et autres historiens. Toutesuoyes Gaguin est par ceux qui sont studieux des histoires, sou- uentesfois reprins et noté de négligence en plusieurs pas- sages : mesmement en ce dont dessus est touché, cestasa- uoir quil dit, que Burkard qui fut enuoyé pour ambassa- deur vers le Pape Zacharie, par le Duc Pépin, estoit arche- uesque de Bourges en Berry : ce quil nestoit pas, ains fut le premier Euesque de Vuirtsbourg en France Orieatale, coinme dessus est dit, et est illecques réputé saint.
Toutesuoyes de reuenir au propos, Hue Capet auoit autre couleur et moyen dont il se aydoit : cestasauoir que son
êmSfLÂUntr. de tkotb. livrk m. 461
ayeul nommé Eudon, ou Odon, poiar ses mérites et pou* auoir bien seruy la couronne fut intitulé Roy par le* Pré- lats de France, mesmes du viuant du Roy Charles le Sim- ple, dont il fut tuteur par leepace de neuf ans. Et paii comme yray preudhomme et bon régent, luy rendit ladmi- nistration du Royaume, Mais le frère dudit Odon, nommé Robert, ne voulut pas faire ainsi, ains essaya dapproprier à luy le tiltre du Royaume, comme successeur de son freray Et de fait, se feit Duc d'Aquitaine : et constitua Prelalè audit pais, qui lé nommèrent Roy de France. Mais il fut occis en bataille, par le Roy Charles le Simple, auprès de Soissons. Si laissa vn filz nommé Hue le grand. Conte de Paris, et qui se porta vaillant Prince contre les Normans. Lequel eut à femme vne Dame nommée Aygunde, fllle de lempereur Othon de Saxone, premier de ce nom : en la- quelle il engendra ledit Hue Capet, premier Roy de France en sa lignée et le trentecinquieme en lordre des Roys, selon Gaguin, dont la tresnoble postérité dure iusques an- iourdhuy. Ainsi appert comme les historiens disent, que la maison de Saxone ha esté producteresse de la tierce lignée des Roys de France. Et comme la maison des Pépins et des Charles ha régné au Royaume et en Lempire, aussi ha celle des Othons : laquelle est lune des plus nobles d'Alle- maigne.
Icy dessus est dit, que les mutations des lignées , quant au gouuernement des Royaumes et prouinces, se font par la prouidence diuine. Et de ce ne faut faire aucune doute : car lexperience en est maistresse, et le nous declaire apper- tement par exemples familiers : cestasauoir, que tout ainsi que les arbres et les animaux par longueur de temps en- uieillissent, tarissent et défaillent en leur vertu : aussi fait le genre humain en gênerai, et encores plustot les
462 rjTlLLVSTRATIOHS DE GAVLE, ET
lignages des hommes en particulier. Tellement que si noz ancestres estoient forts, vertueux, corpulents et robustes, sucessiuement noz grans pères auoient vn peu moins de telles bonnes habitudes et dispositions, et après eux noz pères : et par conséquent nous mesmes allons tousiours en décadence et si feront encores plus noz postérieurs. Voyant donques icelle diuine prouidence, la succession de Mero- ueus et de Clouis abastardie et toute anichilee en vertu, diligence et prouesse : elle suscita comme bien estoit lors grand besoing et nécessité vrgente à toute la chose publique de Chrestienté, ou plustot elle resueilla et feit esclarcir au monde le tresnoble sang des Pépins et des Charles, comme iadis en la maison du pasteur Isai, fut esleué par la main de Dieu, le Roy Dauid, et donné successeur à Saul, pre- mier Roy des luifz : pource que ledit Saul sestoit desia forfait et amoindri de sa vertu première. Et tout le mys- tère de ce changement fut fait et conduit par les mains du prophète Samuel, grand prestre de la loy des luifz.
Par ainsi tout dun tenant, et dautre part voyant le hau- tain Spéculateur des actes humains, quen la postérité de Constantin le grand, fondateur de Constantinoble, presques toute noblesse et vertu estoient amorties et annullees par la tyrannie scismatique et hérétique des Empereurs Orien- taux, qui souilloient leurs mains en leur propre sang par guerres ciuiles et domestiques, et ne tenoient plus conte du bien public vniuersel, ne de Romme iadis chef de toute leur Monarchie, dont par leur tel défaut, leglise Romaine estoit foulée, la foy catholique persécutée et amoindrie de tous les quartiers du monde, par Ihorrible insultation de la gent Sarrasine et Turque, non seulement sur les parties d'Orient et de Grèce, là où lesdits Empereurs tenoient leur, malheureuse résidence, mais iusques dedens les entrailles
SINpVLARITBZ pB TROTif UVRR III. 463
de nostre Europe; voire iusques à noz propres maisons et fouyers. (1) Lors le tresbon et ti'esbenin facteur et Père de tout le Monde, resueilla en Occident vue maison et famille illustre, comme, celle des Macabees, qui eut le pouuoir et hardement de garder son peuple destre bonni et contaminé de la loy des mescreans. Ce fut la tresnoble ligne» des Pépins et des Charles, vertueuse et forte de toute antiquité, comme assez est monstre par ce liure : mais encores plus ennoblie par les tiltres et dignitez de la treschrestienne couronne de France et du saint Empire Romain, qui sont les deux plus beaux decoremens de ce monde temporel. Moyennant lesquelles prerogatiues, ilz domptèrent et sup- pediterent (2) plusieurs nations estranges, cruelles et bar- bares, anciennes ennemies de nostre foy et de leglise catho- lique : cestasauoir. Saxons, Normanset Huns, quon dit main- tenant Hongres, tous Payons et idolâtres. Sarrasins, Infi- dèles et Mahomraetistes, Goths et Vesegoths, hérétiques. Et finableraent, Lombards, tyrans et vsurpateurs d'Italie et du patrimoine de saint Pierre. Et feirent tant les treshauta Princes de ladite maison, que nostre sainte créance esbran- lee de toutes pars et comme en danger de totale ruine, reloua le chef et se. tint debout. Si planta sa marche ferme et immobile en nostre Europe plus clarifiée et autorisée que onques mais.
le treuue aucunes vieilles histoires qui tiennent, pour Guider plus autoriser la généalogie de lempereur Charles le grand, que sa mère femme du Roy Pépin nommée Berthe, fut fille de lempereur Heracle, ou de son filz Heraclion. Lequel Heracle recouura la sainte Croix de nostre redemp-
(1) Toutes les anciennes éditions coupent ici la période par un point.
(2) suppeditare, en bas-latin, mettre sous les pieds.
464 ILLVSTRATIONS HE GAVLE, ET
tion, par la victoire quil eut contre Cosdroe, (1) Roy des Persans. Et du temps duquel Empereur Heracle, la loy de Mahommeth commença de leuer ses cornes en Orient. Et par ce moyen lesdits anciens historiens veullent donner à entendre, que le sang des Empereurs d'Orient eut concur- rence en la génération de Charles le grand, qui fut Empe- reur d'Occident. Mais de renforcer sa noblesse et générosité par ce moyen, nest ia besoing. Et dauantage, iestime quil nest point vraysemblable, ainçois y ha erreur manifeste : car depuis le règne dudit Heracle, iusques à Charles le grand, il y eut vn grand interualle de temps, auquel ré- gnèrent successiuement seize ou dixhuit Empereurs. Mais parauenture pourroit il bien estre vray, que ladite Berthe fust descendue de la génération dudit Empereur Heracle. Et par ce moyen se sauueroit ladite conionction de sang entre Lempire Oriental et Occidental. Car ce nest pas chose estrange et nouuelle, que la noblesse des hauts ligna- ges antiques se continue et recœuure aucunefois par le costé féminin.
Car par cas semblable, après linclination de fortune et reboutement ou debilitation du noble sang de Charles le grand : et quand la couronne de France, par la voulenté secrète de Dieu fust paruenue es mains des Roys treschres- tiens, successeurs de Hue Cap et, la ligne de lempereur Charles le grand rentra et eut nouuelle alliance en la maison de France, par le moyen dune dame, ainsi quil sen- suit. Charles qui fut dernier Roy des François, de la lignée de lempereur Charles le grand, et lequel dernier Roy dudit sang mourut prisonnier à Orléans, eut vne fille nommée Emengarde (2) : qui fut mariée au Conte de Namur, de
(1) sic en éd. 1513 et 1528, pour Cosroëa.
(2) sic «Q éd. 1513 et 1528, pour Ermengarde.
SniGVLAEITBZ DR TBOTI. LITEE III. 46K
laquelle descendit par succession de temps Baudouin, sur- nommé illustre Conte Palatin, de Haynnau et d'Artois. Le- quel eut vne fîlle nommée Isabel, femme du Roy Phelippes Auguste. Laquelle Isabel auec ses bonnes mœurs et ancienne noblesse, apporta à son mary pour douaire, la Conté d'Ar- tois. Et en icelle dame ledit Roy Phelippes engendra le Roy Loys, pare de saint Loys, tuteur et conseruateur céleste de ceste famille. Et par ce peuit on oongnoitre, quil ne tarda gueres, pour mieux fortifier et sanctifier icelle, que le sang illustre du saint Empereur Charles le grand , ne se rassemblast auec celuy de France : cestasauoir en la qua- trième generatioD, et y perseuere iusques à ores. Dont il est facile à conclure, que ceste treschrestienne maison, à lexemple de ses prédécesseurs, ha esté et est tousiours esleuee et conseruee en si grand degré, par choisissement de la prouidence céleste, à fin quelle soit gardienne et deffenderesse de nostre foy catholique et de la sainte église Romaine. (1) Et quelle refibrme les abuz du monde et de leglise, reprime les tyrans, annichile les hérétiques : et finablement en sa forte main et bras exeelse, reboute ses anciens ennemis et tienne tousiours en crainte douteuse la détestable nation des Turcz et autres de la secte Mahom- metiste. Laquelle nation Turque commença à saillir hors de ses anciennes tanières et paluz de Tartarie, enuiron le temps que Pépin commença à régner sur les François.
(1) Toutes les anciennes éditions ont un point an lieu de la Tirgale. II. 30
466 ILLVSTBATIONS DE GAVLE, ET
De» terres que le Roj Pépin et ses successeurs Empereurs et Roys de France, Charles le grand et Loys le débonnaire premiers de ces noms, donnèrent et confermerent à leglise Romaine. Pour les- quelz mérites et autres, eux et leurs successeurs sont nommez Treschres tiens.
Maintenant clorrons nous ceste -histoire, en reuenant au Roy Pépin et à ses gestes. Lequel pour desseruir le nom de Treschrestien oultre et par dessus les autres bienfaits que luy et ses prédécesseurs auoient fait à chrestienté : et pour aucune recompense et rémunération des prééminences et prerogatiues, tant spirituelles, comme temporelles, quil auoit obtenues du saint siège apostolique, donna et deliura à leglise Romaine la cité de Romme, auec toute sa iuris- diction et ses appendences, ensemble toutes les terres, ports ethauresdela plage Romaine, Ciuitaueche, Viterbe, Perouse, la Duché de Spolete, et autres villes et places de leur appartenance : et du costé de la mer Adriatique, Lex- arcat, cestadire la Principauté Impériale de Rauenne toute entière. Cestasauoir, la cité de Rauenne, Forlif, (1) Fayence, Imole, Boulongne, Ferrare, Comacle, (2) Ceruie, Pesquiere, Arimine, Fane, Senogalle, Ancone, Vrbin et toute la con- trée qui se dit auiourdhuy Romaignole. Et dautre part en la campaigne Neapolitane, la Duché de Naples , qui main- tenant est Royaume : Capua, Boniuent, Salerne et Cala- bre, haute et basse. Encores oultre ce, les Isles situées en la mer Thyrrene, Sicile, Corsegue et Sardaigne. Toutes lesquelles terres, après que Pépin les eut recouurees des
(1) pour Forli.
(2) Cîomacchio, Cervia, Pesaro, Fano, Sinigaglia.
SlIfOVLARITEZ DB TKOTB. LIVBB III. 467
mains des Tyrans qui les occupoient, iasoit ce quelles fus- sent du tenement de Lempire Romain : et que le Protos- pataire, qui vaut autant à dire, comme le Connestable de Lempire, se opposast à ceste donnation au nom de son maistre, et y reclamast tant comme il luy estoit possible, tout ce nonobstant le Pape et leglise Romaine acceptèrent ce don. Et le feirent depuis confermer par lempereur Charles le grand et par son filz Loys le débonnaire : et consequemment par les autres Empereurs : Othons, Hen- rys et leurs successeurs. Si en ont eu depuis les Papes plusieurs différents quant à la possession : et en ont esta beaucoup de Princes tant de France, comme d'AUemaigne, empeschez, et par merueilleuse et exécrable ambition de toutes pars, en sont suruenuz des maux» des guerres et des dissensions infinies, comme il appert iusques à présent. Et voila comment lintention des tresbons et treschrestiens Princes, vrays champions et protecteurs de leglise, ha esté maintesfois frustrée et deprauee. Mais de ce suflBse à tant.
468 ÏLLVSTRAtlOKS DR GAtLÉ, ET
^ERORATION DE LA.CTEVR AVX NOBLES LECTEURS ET AUDITEURS DE CE LIURE.
Seignevrs prudents et dames vertueuses de noblesse Gal- licane et Françoise : sil vous semble que iaye satisfait, en tout ou en partie, à ce que iay promis au commencement de ce volume, ie vous prie, rendez en grâces à la Royne treschrestienne nostre souueraine dame, Duchesse de Bre- taigne. A laquelle par la grand excellence de sa noblesse et bonté, ceste présente œuure est dediee et intitulée : et de laquelle Princesse le bénin traitement et gracieux com- mandement, mha donné hardiesse de mettre ce labeur en lumière, deuant voz yeux bénins et courtoise audience. Et sil y ha quelque chose qui ne vous plaise, ains gise en re- prehension, excusez lirabecillité de lentendement humain, lequel ne fournit pas tousiours et ne peult attaindre bon- nement à ce quil voudroit.
Quoy que soit, iay cuidé fealement recueillir tout ce que les communs historiens de France et dailleurs, auoient laissé derrière au plus grand honneur de la nation Françoise. Et mha semblé que ie faisoye comme font ceux qui amassent les menuz espics de blé, après les moissonneurs : ou ceux qui gardent de perdre les raisins que les vendengeurs ont lais- sez derrière : laquelle chose est permise à chacun par droit diuin et humain. Si ay en ce cas pensé satisfaire à ceux qui désirent congnoitre, que non seulement par opinion vul-
SINGTLARITBZ DB TROYI. LITRB III. 460
galre et commune renommée, mais par viues raisons et vrayes autoritez, ia nation Gallicane et FrançoiBe, taat Orientale comme Occidentale, est de extraction toute pure Herculienne et Troyenne : et que les vertuz et prouesses du grand Hercules de Libye et du trespreux Hector furent représentées en la personne de lempereur Charles le grand. Laquelle chose aucunes autres nations impugnent par enuie et maliuolence : et nous attribuent cest honneur et préémi- nence, à vantise et à vaine gloire. Et pource, seigneurs, li les dames, qui dauenture liront, ou orront lire ce liure, estoient quelque fois ennuyées et fâchées de trouuer tant de Latin entremeslé parmy le François : le pourray par vostre bon moyen, trouuer lieu dexcuse, mesmement en ce, que aussi bien mest il licite de ce faire en ma vocation, comme il est aux prescheurs en la leur, lesquelz allèguent souuent beaucoup de Latin, en leurs sermons, aux femme- lettes de village, pour corroborer et persuader ce quilz veullent donner à entendre au peuple. Mais sachez, nobles hommes et experts en literature, que ie ne le fais point pour monstre et ostentation de la science historiale, mais pour vous releuer de peine et non estre douteux, ou scru- puleux, {1) au contenu de ceste histoire. -o Et si aucuns trop curieux, ou contredisenrs (ie ne vneil dire ignorans) comme il sen treuue assez, sesmerueillent de ce que ie nomme Allemaigne, France Orientale : et la terre de Gaule, France Occidentale : desquelles deux Fran- ces, lempereur Charles le grand estoit souuerain domina- teur : lisent les gestes de lempereur Federic premier de ce nom, surnommé Barberousse, de la nation de Soaue. Le- quel par sa généalogie se monstroit yssu des Roys de
(1) plein d'obscurités, de difficultés.
470 1LLVSTRATI0^S DE GAVLE, ET
France Clouis et Charles le grand. Et fut Prince de mer- ueilleux cœur et grand prouesse, lequel subiuga les Itales et destruisit Milan et Gennes à cause de leurs rebellions. Et créa quatre Papes à son appétit. Finablement il mou- rut es conquestes de Turquie, qui fut vn merueilleux dom- mage pour la Chrestienté. Or escriuit ses hauts faits en Italie, vn poète nommé Ligurin, lequel pour monstrer que lempeur Charles le grand estoit Roy des deux Frances, dit ainsi en son premier liure, parlant de la cité d'Aix la cha- pelle, dite en Latin Aquisgranum : là où le saint Empereur Charles le grand est sépulture : et y prennent les Empe- reurs et les Roys des Romains leur première couronne :
Hoc vbi prima loco veluti cunabula regni A Carolus esse volens, magno cum Francis régi
Utraque seruiret, primam gesfare coronam lassit, et in saci'a reges ibi sede locari. Ât simul à nostro secessit Gallia regno, Nos priscum regni morem seruamus : at illa lare suo gaudet, nostrae iam nescia legis.
Or fut [empereur Charles le grand natif de France Orien- tale, cestadire du territoire de Mayence sur le fleuue du Rhin : laquelle cité estant deçà le Rhin, on deuroit plustot dire estre située en Gaule Belgique, iasoit ce quilz parlent Allemant. Et que ladite cité Impériale de Mayence, iadis fondée par les Troyens, soit de France Orientale, appert par autres vers de lacteur dessusnommé, qui dit en parlant dicelle :
Nanqae premens Rhenura (si credimus omnia famse) Nomen ab infuso recipit Moguntia Mogo. Hsec vrbs Francorum mediis in finibus : agris, Uitibus, arbustis, populo generosa frequenti.
SINGVLARITBZ OK TROYE. LIVRE lU. 471
Uinc atattone tua RheDam contiogit, at iode Eztendit rapidam fines procul Taqa« MoMllam.
Oultre le Rhin, et vis à vis du tenritoire de ladite cité de Mayence, est le pais quon dit en Latin Franconia : seu Orientalis Francia. En la langue d'Allemaigne cest Frano- land, qui signifie en nostre langue païs des francz. Dont la cité capitale est nommée en Latin Herbipolis et en Allemaat Vuirtzburg, de laquelle cité leuesque est seigneur temporel et se intitule, Duc de Franconie : et quand il célèbre messe, il ha lespee nue sur lautel. Aussi est audit pais la bonne ville de Francford, tresriche et bien marchande, en laquelle il se fait tousiours lelection des Empereurs et des Roys des Romains : laquelle cité de Francford fut fondée et construite par lempereur Charles le grand, comme on peult coniectu- rer par les vers qui sensuiuent du poète dessusnommé :
Conueniunt proceres, totius viscera régnai, Sede satis nota : rapido quse proxima Mogo Clara situ, popaloque frequens, murisque d«coi-a est : Sed rude nomen habet. Nam TeutoDus iacola dixit Franconefurt, nobis liceat sermone Latino Francorum dixisse vadnm : quia Carolus illic Saxonas indomita nimium feritate rebelles Oppugnans, rapidi latissima flumina Mogi Ignoto fregisse vado, mediumque per amnem Transmisisse suas neglecto ponte cohortes Creditur : inde locis mansurum nomen inbasit. (1)
En ce mesme païs de France Orientale, oultre le Rhin. y ha plusieurs autres grosses citez, si comme Bamberghe, là où est enterré Beranger, vsurpateur du Royaume d'Italie,
(1) adhasil (éd. 1513 et 1528).
472 IIXVSTRATIONS DE GAVLB, ET
prins et vaincu par lempereur Othon, premier de ce nom : ainsi comme Didier, dernier Roy des Lombards, fut prins par lempereur Charles le grand, et Ludouic Sphorse, Duc de Milan, par le Roy Loys douzième. Oultreplus est en ladite France Orientale, la grosse et forte cité impériale de Nurembergh, limitrophe de Bauiere, auquel lieu et aux enuirons furent deffaites les légions Romaines du temps de lempereur Octauien Auguste, dont il eut si grand dueil, quil en cuida mourir : comme est dit au commencement de ce liure. Et en icelle cité de Nurembergh, on garde solen- nellement la palle, (1) lespee, le sceptre, la pomme dor et la couronne impériale de Charles le grand. Lesquelz nobles loyaux ne sont iamais bougez de là, sinon à la première coronnation dun nouuel empereur, ou Roy des Romains. En oultre, sont en ladite France Orientale, plusieurs autres bonnes villes, fondées par les Troyens, comme il est touché au commencement de ce liure.
Et deçà le Rhin, aussi bien que delà, habitèrent les pre- miers Roys de France, comme il appert par les anciennes histoires et fondations. Clouis, premier Roy des François, fonda la cité d'Argentine, quon dit ores Strasbourg, pro- chaine du Rhin, au pais d'Alsate, la cité cathédrale, ou episcopale, de saint Pierre : et vne autre collégiale, comme disent et escriuent ceux du païs mesmes. Et iusques au- iourdhuy, les bourgeois de Strasbourg marquent leur mon- noye dargent dune fleur de lis. Dagobert, filz de Clotaire second de ce nom, qui voulentiers se tenoit en ce mesme quartier, fonda la riche abbaye de saint Pierre, de Vuis- sembourg : laquelle ville est à huit lieiies d'Allemaigne, de ladite cité de Strasbourg, en tirant aual le Rhin. Et au
(1) de paîlium, manteau.
SUMÎTUAIUZ »K TJMYfi. UTIS 10. 47S
portai dudit; fMMitaiw MQt eoerito «air» aotvM «doKn 1m vers qui seDflliBeBt, doBt iâ prins la copie, quand ie y estoye. Si sont grauez en pierre et parlent en la personne du Roy Dagobert, dont la représentation est illec etleueo, disant ainsi :
Rorase Francorum Dagobertnt rex domiDorum, Pollicitus Totum Cbrisfo quod compleo totum, Accipis hoc donum, Petre, faciamqae patronum : Vuisaembourg donc tibi, sanote Petre, patrono. De venia certus ego rex bîlarm Dagobertu». Anno donini vi. c. xxiii. dominus Dagobertas Rex FraBOorom foodA- uit monaotcrium Yuisaemburgenae.
le pourroye alléguer assez dautres semblables preuues, lesquelles iay veijes et extraites en Allemaigne, tant deçà comme delà le Rhin : et en nostre Gaule Belgique : mais à fin que trop grand prolixité sur vn propos nengendre ennuy, il vaut mieux icy clorre le pas. En disant (à fin de faire correspondre les dernières choses aux premières) que lintention des deux premiers liures des Illustrations de Gaule et Singularités de Troye, nha esté produite pour autre chose, sinon pour illustrer les deux Frances : cesta- sauoir, Orientale et Occidentale. Et pour monstrer quil ny ha nation au monde, qui ayt perseueré en sa noblesse, de toute antiquité, iusques à ores, que les François Orientaux et Occidentaux : ce que nous auons veu par ce liure.
Or vueille Dieu, que de nostre temps les armes de ces deux tresnobles et trespuissantes nations se puissent ioin- dre pacifiquement ensemble, pour recouurer leur héritage de Troye, lequel possèdent les Turcz. Et Dieu mercy, nous en voyons desia quelconque coniecture et apparence : car les Allemans, que nous disons Lansquenets, qui sont les
474 ILLVSTRATIOHS DE GAVLE, ET
vrays François Orientaux, militent auiourdhuy, et sont souldoyers en bonne estime de hardiesse et de loyauté, souz le Roy treschrestien, Loys douzième. Et se commencent ces deux nations à sentreaymer, et sentreaccointer, par société bellique : comme ilz faisoient du temps de lempe- reur Charles le grand. Lequel seigneur Roy Loys douzième est en plusieurs choses comparable audit empereur. Et mesmement en ce quil ha restitué par force darmes à leglise Romaine la plus part du patrimoine que ses prédé- cesseurs auoient donné au saint siège apostolique.
Touchant la généalogie des Turcz et de leurs gestes ius- ques à nostre temps, et la géographie, cestadire description de la terre de Turquie et de Grèce et des isles circonuoi- sines, laquelle chose par mes deux autres liures, iauoye promis monstrer bien clerement, en ce troisième, ie seray excusé de non lauoir fait : à cause de ce que iay trouué matière assez ample pour remplir ce volume. Mais iasoit ce que telle œuure et entreprinse que iay promise et non acheuee, soit diflBcile et de grand labeur et inuestigation, neantmoins quand il plaira à noz souuerains Prince et Princesse men donner le commandement et loisir, iaccom- pliray ma promesse et macquiteray du vœu solennel que ien ay fait, sur le grand autel de S. Pierre de Romme pour le bien publique de toute la Chrestienté : et pour lensei- gnement, guide et soûlas de tons nobles hommes, qui se voudroient armer pour aller en Grèce et en Turquie, quand le cas escherra (si Dieu plait quelque iour) que par lunion des Princes et lautorité du saint siège apostolique, le grand passage et croisée vniuerselle sera ouuerte et publiée. Laquelle chose, Dieu nous doint voir de nostre temps, et en donner la grâce et le vouloir à noz Princes : car ilz en ont bien le pouuoir, ausquelz et à leur tresnoble lignée et
SIMGVLARITEZ Dl TKOTE, LIVRE Hl. 475
alliance Dieu vueille tousiours donner prospérité, bonne valitude et félicité par tous les siècles presens et aduenir. Et à vous tous, nobles lecteurs et auditeurs, plaisir et pas- setemps de ce liure, sil vous agrée. Accompli en la cité de Nantes en Bretaigne, au mois de Décembre : lan de grâce, mille cinq cens et douze. Duquel liure la closture sera dun des vers de Virgile, qui dit en la personne de Helenus, filz de Priam, parlant à Eneas :
Vade agè, et ingentem fatù fer ad athera Troiam. Va mon liure, et fais tant, que de Troye finee, La grandeur monte aux cieux, pau* bonne destinée.
FIN DV TROISIEME ET DERNIER LIVRE DES ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET SINGVLARITKZ DE TROYE.
De peu assez.
mt'
TABLE DES CHAPITRES.
LIVRE II.
Prologue du second Hure ^ l
Lea noms des actevrs allegyez en ce second Hrre '6
Chapitre I. — Narration do retour da Prince Antenor de • Grèce, auec recitation de lexploit de son ambassade. Du con- seil donné par Paris Alexandre sur ce, et de lappareil fiât pour aller en Grèce, par le consentement du peuple de Troje, et au contredit du Prince Panthus, Helenus et antres. Du partement de Paris, Deïphobus, et leurs compaignons. Et da congé prina par Paris dé sa compftigne la Nymphe Pefasia Oenone. Aaecques vné «xcUmation contre laaeaglfte emprise A
du Roy Priam '9
Chapitre II. — Explication clere et ample de la généalogie de la belle Heleine : et de son premier rauissement fait en ieunesse par Theseus Roy d'Athènes : et comment elle fat recouuree par ses frères Castor et PoUux, sa virginité sauoe :
selon la commune opinion SI
Chapitre III. — Du grand nombre des Princes qui demanderont en mariage la pncelle Heleine, après son reeoonremrat, pour la singulière beauté délie. Et qni fut cftluy qui eut la pre- mière despouille de son puceliage auant la marier. Auec nar* ration du chois, que son père le Roy Tyndarus, lui bailla de plusieurs Princes. Et comme elle eslut le Roy Menelaus de Lacedemone, à seigneur et mary . : . 81
478 TABU
Chapitre IIII. — Démonstration de la généalogie du Roy Mene- laus. Et comment il eut de sa femme Heleine vne fille nommée Hermiooe. Et des auentures de ladite Hermione. Et aussi de celles de Castor et PoUux, frères germains de ladite Heleine. 38
Chapitre V. — Prosequution du nauigage de Paris, Deïphobus, et leurs compaignons : et de la délibération par eux prinse sur le rauissement d'Heleine. De leur premier aborder en lisle de Cytheree. Et comment ilz furent receuz en Lacede- mone, par le Roy Menelaus, souz tiltre dambassadeurs. De la proposition faite par Paris, et des dons offers à Menelaus . 43
Chapitre VI. — Du premier regard que la Royne Heleine ietta sur le beau Paris Alexandre. Et de la gracieuse response que le Roy Menelaus feit aux ambassadeurs feintifz. Des dons que Paris donna à Heleine : et de la bonne chère que fut faite à luy et à ses compaignons. Et aussi narration légère des premières accointances et semblans couuers de Paris à Heleine : et comme Menelaus à son département, pour aller en Crète, recommanda ses choses à sa femme Heleine . . 53
Chapitre VII. — Recitation du conseil prins par Paris Alexan- dre, auec son frère Deïphobus et ses compaignons, et le capi- taine de ses nauires, touchant la conduite du rauissement de la Royne Heleine. Et les preparatiues sur ce. Et comment il trouua manière de gaigner deux de ses damoiselles : lesquelles portèrent secrètement lettres missiues dun costé et d'autre. Auec narration biiene et sommaire du contenu deedites let- tres 62
Chapitre VIII. — De la dépopulation et robement de la cite de Lacedemone, et des trésors du Roy Menelaus, et rauissement voluntaire de la Royne Heleine ; auec désignation du pre- mier lieu, auquel Paris et elle se ioingnirent ensemble : et des larmes dicelle, dont fut procréée Iherbe appellee Hele- nium, qui sert à la beauté des dames. Du pillage fait en lisle de Cytheree. Et comment ilz partirent dillec : et furent pour- suiuis par Castor et PoUux et errèrent en mer, sans sauoir tenir le chemin de Troye. Auec vne inuectiue contre Paris et Heleine 74
Chapitre IX. — Narration de la mort fortuite des deux bas-
DES CHAPITRES. 479
tards de Priam, et de la Nymphe Eipeiie, et da daeil de Priam et des siens, mesmement de la Nymphe Oenone, tant à ceste cause, comme pour le long seiour de Paris. Et des deuises et Taticinations de Cassandi-a. Ensemble recitation daucunes fables. Et aussi de loccupation vertueuse de ladite Nymphe Oenone, et de la beniuolence que Priam et les lieqs auoient à elle 85
Chapitre X. — Explication du partage fait par le Roy Men^ laus auec ses cousins les Roys de lisle de Candie, et autres, touchant les trésors et successions de son oncle maternel Atreus descendu de Minos. Et commuent luy estant illec, non- uelles luy vindreut du rauissement de sa femme Heleine. De son retour en Lacedemone : et de lambassade enuoyee à Troyç. 93
Chapitre XL — Des erreurs de Paris, faits en mer depuis son partement de Cytheree : et comment par force de tem- peste il arriua en lisle de Cypre, et dillec fut transporté en Syrie, laquelle est amplement descrite : et pilla la cité de Sidone, et tua traytreusement le Roy dicelle son hoste : et de la vengeance qui depuis en fut faite par ceux de Rhodes . . 99
Chapitre XII. — Du retour de Paris à Troye, auec Heleine : de la vaticination de Cassandra, du dueil de la Nymphe Oenone, et comment elle laissa Troye, et sen alla demour«r à Cebrine : de la réception d'Heleine : et du mariage délie auec Paris. Et comment le peuple sesmut et laboura à ce que Heleine fust restituée à son mary, et aux ambassadeurs de Grèce. Et par quel moyen il y fut obuié, tant par Paris et Doïphobus, comme par Hecuba et Heleine. Âuec récitation du danger duquel les ambassadeurs furent preseruez par Antenor. Et du partement diceux 109
Chapitre XIII. — Description du deuil extrême de la noble Nymphe Pegasis Oenone, et des piteux regrets quelle feit. Et aussi des lettres quelle enuoya à son seigneur et mary Paria Alexandre, sans en obtenir response. Du diuorse quil feit aueo ladite Nymphe. Et de labolition des vertus primitiues dudit Paris. Ensemble de la maison somptueuse qu'il feit faire. . 119
Chapitre XIIII. — Récitatiou faite par les ambassadeurs de Grèce, retournez à Lacedemone, de leur exploit. Et de la de-
m
"TABLE
tennination que les Grecz prindrent à se venger. De la forme do grand serment, que le prestre Calchas leur feit faire ensemble, et de leurs preparatiues. Et comment Hz nauigue- rent premièrement iusques à Mysie près de Troye : et puis » sen retournèrent en Orece. Et puis derechef nauiguerent à Troye/, et prindrent le port de Sigee, et antres choses : mes- mement, par quel moyen ilz eurent en leurs mains lenfant Polydorus fils légitime de Priam et feirent plusieurs con- questes 130
Chahitkk XV. — De lambassade enuoyee par les Grecz à Troye, pour offrir de rendre Polydorus, en recouurant Heleine. Et comment il y fut contredit par Antimachus corrompu â force dargent par Paris. Auec recitation du bon conseil du sage Panthus : de la response d'Hector et d'Eneas. Lopinion de deux acteurs touchant ladite ambassade : du retour dicelle en larinee : et de la mort de l'enfant Polydorus. Et aussi du débat meu entre Achilles et Agamemnon, à cause de la belle Briseis : et de la seconde bataille, dont Hector eut le prys . 141
Chapitre XVI. — Narration d'une iournee assignée pour ba- tailler, entre les Grecz et les Troyens. Et de la couardise de Paris encontre Menelaus : de laigre reprehension que Hector luy feit à ceste cause. Et comment Paris soffrit à combatre Menelaus corps à corps. De la forme des conuenances sur ce prinses. Et comment à Heleine retourna le désir de son pre- mier mary. Et des deuises du Roy Priam auec ladite Heleine. 152
Chapitre XVII. — Recitation de la suruenue du Roy Priam au camp : des cerimonies faites touchant le pact dentre les deux armées. Et du combat corps à corps fait par Paris contre Menelaus. Comment la Déesse Venus sauua Paris, et des reprodes que Heleine luy en feit. Auec exclamation sur les fictions du poSte Homère, et des autres faits de Paris pendant la guerre 161
Chapitre XVIII. — Des conuenances rompues entre les deux ostz, et de la bataille renouuellee par Pandarus de Lycie : des grands prouesses d'Hector ; des treues prinses entre les armées, et de la reconciliation d' Achilles auec Agamemnon. Comment ledit Achilles senamoura de Polyxene : recitation
DBS CHAPITRES.
481
de la mort du Roy Sarpedon de Ljcie : et aiuai de celle de Patroclus de Mynnidoae, qui fat to^ par Hector, et aotras choses 171
Chapitre XIX. — Déclaration de la mort d'Hector, et des diuerses opinions d'icelle. De la cruauté dont Acbilles rsa enuers le corps dudit Hector. Comment Priam le vint rache- ter pour lenseuelir. De la suruenue de Peothesilee, et de Memnon neueu de Priam. Et de la mort de tous deaz. De linutilitë de Paris, quant & la conduite de la gaerre. Et de la mort de Troïlus 180
Chapitre XX. — Explanation de la mort d'Achillet, eelon diuerses opinions. De la suruenue de Pyrrhus en lost des Grecz. Et d'Eurypylus de Mysie en lost des Troyens. Com> ment Helenus fut prins prisonnier. Auec recitation de* six Destinées, quant à la prinse ou garde de Troye. * . . . 180
Chapitre XXI. — Répétition de Ihistoire de Philoctetes, et des aaiettes d'Hercules. Du combat corps à corps, fait entre Paris et ledit Philoctetes : et de la mort de Paris : auec recitation de diuerses opinions sur icelle. Comment son corps fut port^ à Cebrine. Du grand dueil que sa femme la Nymphe Oenone en mena : et comment elle mourut sur ledit corps : et furent ensepulturez ensemble IhS
Chapitre XXII. — De lesmotion des seigneurs de Troye contre Priam. Comment Deïphobus espousa Heleine, de peur quelle ne fust rendue aux Grecz. De la trahison menée par Antenor et Eneas. Et comment Heleine feit moyenner son appointe- ment. De la paix fourrée faite par les Grecz. Du grand chenal offert à la Déesse Miaerue. De la prinse de Troye : et de la cruelle mort de Deïphobus procurée par Heleine : auec lex- clamation contre icelle. Et aussi de la mort des deux enfans de Paris et Heleine 210
Chapitre XXIII. — De la mort misérable du Roy Priam : et seruitude de la Royne Hecuba, Cassandra et Andromacha. Comme Âiax Telamonius fut dopinion quon feist mourir He- leine, mais elle fut rendue à Menelaus. De la mort de Polyxene et de sa mère Hecuba. Des gestes de Menelaus et de ladite Heleine, après leur parlement de Troye. De la nouuelle Troye
II. Si
IS2 TABLE
fondée sur le fleuue du Nil. Répétition de Tlepolemus Roy de Rhodes : et des opinions de la mort d'icelle Heleine . . 221 Chapitre XXIIII. — Comment Heleine après sa mort fut reputea Déesse de beauté par la folle erreur des Payens idolâtres. Et des temples qui furent esleuez à Ibonneur délie : auec recita- tion daucuns fabuleux miracles faits par elle et ses frères Cas- tor et Pollux, qui sont par les Poètes mis au cercle du zediaqae
faisans le signe de Gemini : et autres choses 230
Chapitre XXV. — Conclusion et confirmation véritable de ce
( second liure, parla confutation et explanation du liure de Dion
de Pruse, qui se intitule de Troye non prinse : auecqHes ample
probation comment Lacteur ha suiuy en ceste histoire les
vrays acteurs autentiques 236
LIVRE III.
Prologve du troisième livre 247
Les noms des acterrs qvi sont nommez, et allegvez en ce livre. 253
Division de ce liure en trois parties 259
Comment le nom des Pépins est le plus antique de tous cenx du sang da grand Hercules de Libye : lesquels après ledit Her- cules ont régné en Gaule, ou en France 261
De Pépin Prisque, premier de ce nom, en ceste Généalogie : et de son filz Âtho le ieune, lequel donna ou eschanga à Dardanns le territoire où depuis il edeâa la grand cité de Troye. . . 262 De Pépin, Roy de Toscane, second de ce nom, en ceste Généa- logie, lequel regnort en Italie, du mesme temps que Francus,
filz d'Hector, vint habiter en Gaule 265
De Francus, filz d'Hector de Troye. Lequel Francus fut Roy de la Gaule Celtique. Et quelz princes de son sang regnoient en Europe, quand il y arriua : mesmemeut du Roy Rhemus qui fonda la cite de Rheims en Champaigne : et de Bauo, cousin germain de Priam, lequel dominoit deslors sur vne partie de
Gaule Belgique . 267
Icy est respondu à plusieurs arguments et obiections qui se pour- roient faire contre la vérité de ceste histoire, et sont toutes les solutions prouoees par acteurs autentiques 269
DBS CUAflTIlBIt. MP
Derechef, eat icj respondu à aucunes contradiction! da oeata histoire 272
De Laodamas, filz le^time d'Hector, lequel coouae il eat vrajr- eemblable eut deux noms : car il fut aaasi appelle Franeas . 274
Comment Helenus frère d'Hector et sea succeaseura régnèrent en vne partie de Qrece, quon dit maintenant Albanie et RotIbot nie : de laquelle lignée yssirent depuis aucuns Emparaon dé Romme, mesmement Constantin le grand 270
Du Roy Bauo, cousin germain de Priam, qui régna «n Gaule Belgique, incontinent après la destruction de Troje et fonda la grand cité de Belges, selon les chroniqoes de Hajnao. Et de la primitiue et très-ancienne fondation de la cité de Treaes en Gaule Belgique : là où fut adoré le premier Idole . . . 283
Comment le Roy Bauo, fondateur de la grand cité de Belgea, meit en ruine la cité de Treues : pource que la seigneurie de Treues luy demandoit tribut dauoir fonde et prins habitation en leur territoire. Et des quatre Ducz dudit Roy Bauo, dea* quelz chacun fonda vne cite eu la Gaule Belgique .... 290
De Bauo Belgiueus, filz et successeur dudit Roy Bauo premier de ce nom, au temps duquel, Brutus vint en la Gaule Armo- rique : et fonda les Bretons et la cité de Tours. Et comment autres Princes Troyens vindrent en diuerses parties de Gaule et de Germanie, et constituèrent plusieurs nobles maisons, peuples et citez : mesmement de lantique noblesae de ceux d'Auuergne et de Chartres, prouuee par acteurs autentiques : et comment il y auoit anciennement en France Tse cité nom* mee Bretaigne 295
De la grand antiquité, force et renommée des Sicambriens ut François, prouuee par autoritez publiques, trop ploa que les chroniques de France nen font mention : et comment il y auoit deux nations Sicambriennes, et des fondations des cites faites par eux. Puis est prouué suffisamment, que les anciens auteurs ne nommèrent iamais les François sans les Sicam'- briens, auec autres nations leurs voisines et alliées . . . 300
Sensuit la situation de la grand cité de Sicambre, iadis fondée par Francus filz d'Hector, en Pannonie, sur le grand fleuna Dunoe. Et comment depuis vn Prince nommé Buda, frera de
484 TABLE
Attila, Roy des Huns, changea son nom à ladite cité de Sicam-
bre, et la nomma Bude en Hongrie 308
Raison vraysemblable, parquoy les Troyens souz leur Roy Fran- cus, surnommé Laodamas, et son filz Sicamber sarresterent plustot en Pannonie, quon dit maintenant Hongrie, que en quelque autre contrée. Et des Princes dudit païs, qui furent presens au rauissement d'Heleine, et rindrent depuis au se- cours du Roy Priam à Troye. Et comment les Gaulois de nostre nation de pardeça cuiderent aller secourir Troye, mais
ilz la trouuerent desia destruite 317
De Menapius, Roy des Cimbres, Belgiens et Tongrois, qui fut
père de Godefroy : surnommé Karle 323
Déclaration des Princes et nations qui conspirèrent contre les-
ditz Romains auec les enfants dudit Roy Menapius. . . . 325 Désignation dune autre raison ou opinion, pourquoy lesdits peu- ples partirent de leurs marches et enuahirent les Romains, et des premières victoires quilz eurent contre eux .... 326 De la deffaite du Roy Teutobochus le Géant, auecques ses Am- brons et Tigurins, qui demourerent auprès d'Aix en Pro-
uence 329
Comment la bende des deux frères Teutonîus et Claodic, Roy des Cimbres, entrèrent en Italie à force et maugré les Ro- mains 332
De la merueilleuse bataille entre les Romains et les Cimbres : et de la deffaite desdits Cimbres par la subtilité des Romains : et de la forte bataille quilz eurent contre les femmes . . . 334 De la cruelle et noble mort des femmes des Cimbres : et de la tierce bende dont depuis yssirent les Goths, qui bien se ven- gèrent des Romains : et diceux Goths extraits des Cimbres, descendirent les anciens Roys de Bourgongae et d'Espaigne. 336 Comment après la deffaite de Teutonius et Cloadic, Roys des Cimbres, Léon le quart, leur frère, fut occis par les Saxons. Et son frère et successeur Godefroy surnommé Karle, chassa
dauprès de luy son filz nommé Charles Ynach 338
Comment Chai-les Ynach milita pour les Romains, en la guerre du Roy Mithridates, et amena pardeça vne des sœurs de Iulius César : et de limposition du nom de Valenciennes .... 340
DES CRinTRlS.
m
Comment Charles premier de ce nom en ce«te généalogie, ttifi'' ^'^^
'■ nomm4 Ynach, régna à Toogrea apree la mort de «on père Godefroy Karle, et fut occia en bataille par lalias Cessr, ton beaa frère. Et est aassi désigné le teoement de Ambiorix,
"■ Roy des Eburons .'. . . . '\ . . ' 343
De la tresnoble et tresantique généalogie des Brabons, et de leur blason qui fut tel, que le porte auiourdhay la maison d'Ans- triche et de Lothric _ 343
Comment la Royne Germaine surnommée Suuane, vefiie du Roy Charles Inach, fut recongnue par Iulius César son frère, an moyen dudit Cheualier Saluius Brabon : et de la rraye histoire du Cygne de Cleues .347
De la première institution de la duché de Brabant donnée en douaire par lulles César, à sa nièce, fille de Charles Ynach : et du Royaume de Coulongne donné à Octanien Germain, du- quel la nation Germanique porte le nom : auec epilogation de la haute noblesse dudit sang en ceste généalogie . . 351
Daucuues fondations de villes faites par deçà par lolins César, du Géant d'Anuers, et du Dieu Priapus qui y estoit adoré : de la donation de la marche Romaine, et de la mort de Sal- uius, premier Duc de Brabant 353
Du règne et des gestes d'Octauien Germain, Roj des Agrippins ou de Coulongne, û\z de Charles Ynach 355
De Charles second de ce nom en ceste généalogie, somommé Brabon, Duc de Tongres, de Brabant et de Thuringe. et Roy de Coulongne, et daucuns autres ses aaccesseurs, iaaqnes à Charles le Bel. Et de la fondation de plusieurs Tilles et citaz en ce quartier • 356
De Charles troisième de ce nom en ceste généalogie, snmommé le Bel, et de la grand bataille qui fut donnée contre Attyla, Roy des Huns, en laquelle mourut Gundengus, premier Roy des Bourguignons 361
Du Duc Lando, qui premier laissa les Romains et sallia anx François, comme yssu de leur sang 363
Du Duc Austrasius, lequel fut canse de faire baptiser Clouis, Roy des François, ce que naaoit encores peu faire aa fernm* 1» Royne Clotilde de Bourgongna 364
48t> ., TAILB
Dm limitas du Royaume d'Âustrasie, ou d'Austriche la basse, voisine du Royaume de Bourgongaa 365
CoDcluaion du premier traicté 366
Le second traicté du liure intitulé la généalogie historiale de lempereur Charles le Grand 367
De lancienne estendue du Royaume de Bourgongoe, et de ses limites prouuez par Acteurs autentiques . : 368
De la merueilleuse antiquité des Roys de Germanie, desquelz furent iadis extraits les Roys de Bourgongne 372
De Tuyscon le Géant, premier Roy de Germanie et filz de Noë, et des autres Princes de sa maison 373
Du païs d'Vuandalie en AUemaigne : et des gestes des Vuan- delz, commençant enuiron le temps de lincarnation de nostre Seigneur. Et la cause pourquoy yne paiiie diceux furent pre- mièrement appeliez Bourguignons 381
Des gestes des autres Yuandelz et de Stilco, Prince de leur nation, qui secrètement incita les Boui'guignons, Yuandelz et autres nations & enuabir les Gaules 382
Comment les François, vne autre nation d' AUemaigne, furent reboutez oultre le Rhin par les Yuandelz, Bourguignons et Alains. Et lesdits Bourguignons eslurent leur demeure au païs qui maintenant porte leur nom : et les autres passèrent oultre, dont les Yuandelz donnèrent le nom au païs d'Yuan- dalousie en Espaigue : et les Goths et les Alains au païs de Cathelongae 387
Comment les Bourguignons encores Gentilz et Payens receurent la foy catholique : et la cause pourquoy : et de la victoire quilz eurent par ce moyen, alencontre des Huns, quon dit maintenant Hongres . . : 388
Confutation de lerreur de ceux qui cuident que du temps de la Magdeleine il y eust aucun Prince qui se nommast Roy de Bourgongne. Et de la vérité de Ihistoire du Roy Gundengus qui premier fut institué par les Bourguignons : et de ses gestes. Lequel Gundenfrus estoit de lancienne noblesse des Goths, dont les Roys d'Espaigne se disent auiourdhuy estre yssuz 392
Des quatre filz de Gundengus, premier Roy de Bourgongne :
DES CRAflTRBS. 487
cestaaauoir Oandeband, QandMlgil, Ch{Ip«H« «t Ootbraar : lesquelz régnèrent par ensemble en Boorgongne aprea leur père. Et de la guerre qtie lea deux frerea eurent contre 1m deux autres à cause de la auoceasion . . . . . . . * 807
Du règne de Oandebaud et de Oandegbil ion frère :«t étMcotm'-^ *^ de leurs geste» 398
Comment Clotilde d« Bourgongne appetant la vengeance de la mort de son père et de sa mère, consentit soeretement deitre rauie par Clouis, Roy de France 399
Des deux requestes que Clotilde de Bourgongne, Royne de France, ' feit premièrement an Roy CkMiia, son mary : et d« leffect dicelle quant à la guerre, contre son oncle Gundebaad. Et de la mort de Gundegisil, son autre oncle, qui tint le party des François 403
De saint Sigismund, troisième Roy de Bourgongne : et de Oon- demar, ou Gondeual, son frère. Et comment la Royne Clotilde fut cause de leur deffaite : et de Clodomir, Roy d'Orleana, qui feit mourir cruellement ledit Sigiamond, Roy de Bour- gongne 407
De Gondemar, quatrième Roy de Bourgongne et dernier de la lignée des Goths, et comment au pourchas de la Rojne Clo- tilde, sa cousine, il fut totalement destmit : et le Royaume de Bourgongne vint en la main des François. Et de la mort '' du Roy Clodomir d'Orléans -410
Comment Theodoric, Clotaire et Childebert, enfans da Roy Clo- ais de France et de Clotilde de Bourgongne, tindrent ensem- ble le Royaume de Bourgongne : et de la mort des enfans de Clodomir, Roy d'Orléans : et aussi dudit Childebert, Roy de Paris 412
De Theodoric, cinquième Roy de Bourgogne et aussi d'Aastriche la basse et de Tburinge, et de ses gestes 414
De Theodebert, sixième Roy de Bourgongne et d'Austriche la basse, qui aucuneefois ha este nommée France Orientale . . 415
De Theobald, septième Roy de Bourgongne, et de ses gestes en Italie 416
Le Clotaire premier de ce nom, huitième Roy de Bourgogne, de France et d'Austriche la basse : lequel espoasa la femme
488 TABLE
de son frère Clodomir, Roy d'Orlean» 418
Conclusion de ce second traicté . • 421
Le troisième traicté du liure intitulé la généalogie historiale de
lempereur Charles le grand 422
De Charles quati'ieme de ce nom en ceste généalogie, surnommé < I Nason, Duc de Tongres, de Brabant et de Thuringe, et filz du Duc Austrasius, qui donna le nom au Royaume d'Austriche
la basse : comme dessus est dit. . . ' 423
De Charles cinquième de ce nom en ceste généalogie, surnommé Hasbain. Et comment il fut enuoyé ambassadeur deuers lem- pereur lustinian : et perdit la Marche de dessus Lescault, pour faire seruice au Roy Theodebert, d'Austriche la basse
et de Bourgongne 424
Comment le Duc Charles Hasbain, comme procureur et ambas- sadeur du Roy Theodebert, feit hommage du Royaume d'Aus- triche la basse, on de France Orientale, à lempereur lusti- nian, et de la reste de l'exploit de son ambassade .... 427
De la postérité du Duc Charles Hasbain 429
Comment Anselbert le Sénateur espousa Blitilde, fille du Roy Clotaire, et vint prendre la possession de la Marche du saint
Empire sur Lescault 430
De la tresnoble et tressainte génération qui descendit d' Ansel- bert le Sénateur, premier Marquis héritable de la Marche du saint Empire sur Lescault, et de sa femme Blitilde, fille
du Roy Clotaire 431
Arnould, filz d' Anselbert le Sénateur et de sainte Blitilde . . 431 De saint Arnulphe, filz dudit Arnould, et de ses enfans . . . 431 Du Marquis Anchises, filz de saint Arnulphe, 'Euesque de Metz. 432 Du Duc Pépin Heristel, fil? du Marquis Anchises et de sainte
Begga, et de ses gestes i 433
Des guerres que Pépin Heristel, père de Charles Martel, eut contre Ebroyn le tyrant, Prince du Palais de France, et
contre Gislemar, aussi Prince du Palais 434
Comment le Djic Pépin Heristel desconfit en bataille le Roy Theodoric de France et Berkaire Prince du Palais : et fut
Pépin eslu à ladite Principauté 437
Des autres gestes du Duc Pépin Heristel et de ses enfans . . 438
DES CHAI*1TBK8. 499
De Charles cinquième de ce nom ea ceste généalogie, ■arnommé Martel, pare du Roj Pépin le Brief et ajeul de lemperear Charles le grand 440
Comment le Duo Charles Martel, après quil fat eachappé des prisons de sa Marastre, recouura la Principauté du Royaome d'Austriche la basse et aussi du Palais de France .... 441
Comment le Duc Charles Martel creoit les Roys de France à son appétit : et comment il se vengea de sa marastre Plectrode, et conquesta le Royaume de Bulgarie, oultre la Dunoe, et la plus grand partie d'Allemaigne, cestasauoir Saxone et Bauiere . 442
De la merveilleuse victoire que le Duc Charles Martel eut contre les Sarrasins : lesquelz Eudon, Duc d'Aquitaine et de Gas- congne, auoit amenez en France. Et comment il donna les dismes des églises aus gentilz hommes 444
Comment le Duc Charles Martel conquesta le Royaume de Bourgongne, la Duché d'Aquitaine et de Gascogne, et depuis le Royaume de Frise : et vainquit les AUemans sur le Rhin, et les Goths et Sarrasins en Prouence, et en Aquitaine : et de ses autres gestes 446
De Karloman, Duc d'Austriche la basse, quon dit maintenant Lothric, et Brabant, Soaue, Allemaigne et Thuringe : lequel après plusieurs victoires se rendit moyne 451
Du Duc Pépin surnommé le Brief, troisième de ce nom en ceste généalogie, Duc de Bourgongne et d'Aquitaine, Pi'ince du Palais de France : et des autres successions qui luy accreu- rent à cause de son frère aisnë Karloman deuenu moyne. Et aussi des guerres quil eut contre son frère maisné Griffon . 453
Comment le Duc Pépin le Brief fut institué Roy de France, par le consentement des Barons du Royaume, et par lautorité du Pape Zacharie au desauantage de lancienne lignée de Mero- uens : et des terres que le Roy Pépin donna à leglise Ro- maine : et autres de ses gestes 455
Narration comment les successions des Princes se muent et changent par la prouidence diuine. Et comment le sang de Lempereur Charles le grand fut depuis reQny et réintégré, ou réitéré, en la famille des Roys treschrestiens, iusques auioardhuy, par ligne féminine 459
490 TABLE DES CHAPITaES.
Des terres que le Roy Pépin et ses successeurs Empereurs et Roys de France, Charles le grand et Loys la débonnaire pre- miers de ces noms, donnèrent et confermerent à leglise Ro- maine, pour lesquelz mérites et autres, eux et leurs succes- seura sont nommez Treschrestiens ......... 466
Peroration de lacteur aux nobles lecteuns et auditeura de ce liure. 468
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nmiàB^. JUL6 1964
PQ Lemaire de Belges, Jean
1628 Oeuvres de Jean Lemaire
L5 de Belges
1882 t. 2
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