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œUVlŒS COMPLÈTES

DE

J. J. ROUSSEAU.

TOME CINQUIEME,

I". PARTIE.

GOlTTKKAMf

LETTIIE tf- d'aLESIBERT ; DE L'iWTATIOIf THÉATHALE j TSÀATaM; LfiTTKES A M. DE XALESBE&BES»

ŒUVRES

DE

^' .,/o

J. j; ROUSSEAU,

CITOYEN DE GENÈVE.

TOME CINQUIEME,

I". PARTIE.

A PARIS,

CHEZ A. BELIN, IMPRIMEUR-LIBRAIRE,

sus DES MATBDRIIVS ST.-7. , h6tEL CLUXT.

1817.

^^-.u NOTICE

^'"^IStJR LES DIVERS ÉCRITS

CONTENUS DANS CE VOLUME.

I. LETTRE A M. DALEMBERT

SUR LES SPECTACLES.

^,TA^T appris pnr Diderot que Tarticle Genève , fourni par rAletnbcrt à rtncyclopcdie , avait été fait de concert avec ^ultaireet quelqiicî Genevois de distinction dans des vues par- mlières , entre autres dans celle de procurer le divertissement In spectacle à la république de Genève , qui jusqu'alors s'en •tait imposé la privation par des principes d'une austérité répu- blicaine , Roui»seau vit dans coite démarche un manège qui riodignait. Des qu'il eût lu cet article, il résolut d*y répondre. Sj chaleur d'ame ordinaire i et , il faut le dire y sa vive suscej)- lii>ililé ne lais&t^real pas long-teraps attendre cette réponse^ iclqtie^ semaines suturent au philosophe pour venger, selon principes, leâ mœurs de sa patrie. Nous aurons encore :oura atit ('onfeiniona pour apprendre , de Rousseau même y in$ quelles diï-poïiitions et dans quelles circonstances il composa nouvel écrit. Ayant quitté pendant uu hiver assez rude I Er- uta^e , et s'étant établi daus une petite maison à Moutlouis » irés de Moutiuorenci , il y choisit, malgré la rigueur delà pour cabinet de travail , un donjon tout ouvert qui ter* il une allée du jardin. » Ce fut, dit-il , dans ce lieu pour ^acé que, sans abri contre le vent et la neige , et sans autre feu que celui de mon cœur , je composai , dans Tcspace de trois «crnaines, ma lettre à d'Alerabert sur les Spectacles. C'est ici le premier de mes écrits , car la Julie n*était encore qu'à moitié laifr, j'aie trouvé des charmes dans le travail. Jusqu'alors riodi^atioD m'avait tenu lieu d'Apollon : la tendresse et la

louceur d'arne m'en tinrent lieu cette fois Plein de tout ce

[ui venait de m'arriver , encore ému de tant de violens mou- reœen» , le mien mêlait le sentiment de mes peines aux idées que la niédilation demonsujet m'avait fait naître; mon travail sesen- ildece mél.inee.Sans m'en apercevoir, j'y décrivis ma situation :tuellc ; j'y peignis Orimm , madame d*Épinay,madamed'Hou- ;tol , Saint-Lambert , moi-même. En l'écrivant, que je versai le délicieuses larmes ! lléla» , on y sent trop que l'amour, cet 'luour fatal dont je m'elVorçais de guérir, n'était pas encore sorti mon fto-ur. A tout cela «e mêlait ua certam attendrisâctuent 5. Cl

^ NOTICE.

itir moî-même qui me sentais rnonranl , et nuî croyais fajrc ait public mes Jcrnicrs adieux. Loin de craincJre la mort, je la voyais approcher avec joie, iiiai-s j'avaiti regret de quitter mei «einblables sans qu'ils senlisseiit tout ce que je valais, sans qu^ils fiusdenl combien j'avais luérite cl'êlre aime d'eux , s'ils m'avaient connu davantage. •>

Ceux qui étaient le plus capables d'apprécier les beautés de ce nouveau cbef-d'œuvre de IVloquence de Rouweau (i), et à qui Tanteur en adre«)sa un exemplaire, t'accueillirent assez mal. Voltaire qui y trouva plusieurs traits dirigés contre lui, regarda l'hommage de Tauteur presque cnmme une insulte. Rousseau avoue dans nue lettre à M. Yemes , qu'il avait Voltaire en vue lorsqu'il réfula Tarticle de d'Aleniberl. <• Mais, ajoule-l-il avec assez de naivelc , je trouverais bizarre que M. de Voltaire cnit pour cela que je manquerais de lui rendre un hommage que je lui oflre de très-bon cœur Que maudit soit (oui respect liu- luaiti qui offense la droiture et la vérité ! » Saint-I^mbert ren- voya à Rousseau l'exemplaire que celui-ci lui avait adressé , k cause de la fameuse note contre Diderot, qu*on lit dans la préface de cet ouvrage. Enfin Marmontel se trouva offensé d& ire que l'auteur eu lui adressant sa Lettre à d'Alerabert , avait écrit sur son exemplaire que cet hommage n'était pas pour le rédacteur du Mercure, mais pour M. Marmontel. « Je crus, dit Rousseau , lui faire un très-beau compliment : il crut y voir une cruelle offense, et devint mon irréconciliable ennemi, u

Les hommes impartiaux et éclairés reconnurent dans ce nouvel écrit l'exagération ordin.iire du philosophe de Genève, et son penchant ]>our les paradoxes. Comment ne pas regarder en efl'et comme amour du paradoxe la peine que prend ï^ousseau pour prouver que le spectacle est un moyen de corruption , et que la république de denève est encore si près de l'étal de nature qu'é- tablir nu théâtre parmi ses habitons, ce serait leur donner le goiil de Poisivelc et tous les vices des peuples qui languissent dans le luxe et dans la mollesse? « Mais , dit M. ('*rimni , il s'en faut bien que Genève soit dans ce cas-là; ses habitans n'ayant

}>oint de terrain en propre n'ont pu choisir entre la culture de a. terre qui rend et conserve les mrv-nrs si simples et si douces, et les autres occupations qui les corrompent toujours plus ou inoins. Ils ont été ooligés de s'ndonneraux arts et nu commerce, ils ont amassé des richesses et tous les inconv**nien5 qu'elles en- traînent. Comment, au milieu de l'intérêt, de l'amour de l'ar- gent qui les sollicite et les émeut sans cesse, auraienl-ils pu con- server celte pureté et cette simplicité de niceurs que M Rousseau leur suppose? Les Genevois sont les plus grands vagabonds de TFnrope; il n'v a point de coin dans celte partie du monde ([u'ils n'aient parcouru j ils passeut un temps considérable de leur vie les uns u Paris , les autres à Londres. Comment un peuple voya- it) I«a preinirrr rdîtinn dp ta f--eHre Mtr Ujt Sprcraclcs fui imprimée à Aoulcrdam, chcx Maxc-Miçhel Mry , lySS^pcl. iu-8^»

NOTICE. yij

grur qoî s'expalno ji facilement ti 6t Ioiig-t«*mn« , pourrut-îl «vnîr rrt araourvipoureux de la patrio, celte unilortiiitéot cet ac- Conl dans les mrrtirs sans lescjnpls elles ne SAiiraient coiiK'rror leur innorence? Ajoutez que Genève a élc le refuge de« proies— lan* français ri italiens , ri qu'il n'y a pas , peul-t*tic dan* tout€ la ville, vingt familles originaires du pays. ••

Cependant le gouvernement deOcncve, voulant iustiftcr sans doute IVIoge que Hnnsseau uvail fait des innurs Au&tcre» de ses couipatriolrs ^ résista long-lenips au désir de ceux qui dcman- liaient rétahlissemrnl de« spectacles, Pt ce np fut que Ho ans après la publication de celle lettre, que Genève eut un thêÂIre. Pen- dant la réunion de ce petit état avec ta France le ^oût deA repi*c— «enlalfons dramnliqurs v devint général ^ mais redevenu indé- pendant, Genève a fermé sou tlié;)lre , saus sVmbarrasser des réclamations d*un erand nombre de cilovens accoulunië« Ace noble amu.«emenl. il est probable que le vfrn général l'empor— terasur les intentions bonncii à la vérité, mais peu éclairées de quelqurs membres du gouvernement.

Il nous reste à dire quelques mots de» écrits auxquels la lettre de Houssrau a donné Jipu. MarmontrI la rél'uta hnbilemont dans le Afrrvure de France. D'Alembert de son côlé défendit avec TiKtiear son article de l'tncTi'clopédie. I-e marquis de Ximenex aifrexcajiu philosophe de Genève une I^eltm sur i'fff'et moral du théâtre- Paris, 1758. Il parut deux autres réfulalinns intitulée», l'une Discour» de L. M. Dawcouht , arlequin de Berlin. Herir'm, Schneider, i7tio, in-ia; Tautre : P, A. Laval, comédien, à M. Rouvsvau de Genève, etc. La Hâve , 1768, iu-t$^. ; mais ni lei rai^onnemens solides ^ ni tes plaisanteries fines ne diminuèrent reneouernent du public pour l'éloquente diatribe de Rousseau. Maiiaiue Bourdic Viol connaissait le pouvoir d'un stvie éloquent, lorsqu'elle disait que le cri du philosophe de Genève retentirait îusqu'À la poîlérilé ; cl La Harpe, tout en rorabaltant quelques ju^emens de Roussenn sur le théAlre Français, avoue que, bien i^ue Tapolnpie de Marrnontel et de d'Alemberl soil bonne , wi Aimerait mieui avoir tort comme Eonsseau.

Le Traité iln l'imitation thê/itrale ïni publié à Amsterdam,

le^MaroMichet F\ev, 17*54, in-8'\Cesl, ainsi que le porte le lilrc cje /a première édition , un eMai tiré des Dialogues de Platon.

II. THÉÂTRE.

Apres avoir In la Lettre contre les spectacles, on ne s'attendrait

i* à trouver une collection de pièces de théâtre , sortirs de la

léme plume. On n'a pas manqué de faire ressortir celle con-

'adiclion du vivant morne de I auteur. 11 a voulu y répondre;

roici la manière onginate avec laquelle il se justifie à cet égard

' ins la préface d*oue de ses coméiiies : m 11 ne s'agit plus de

trier les peuples à bien faire , il faut seulement les distraire

le faire le mal , il faut les occuper à dos uiaiserics pour les

détouraer des mauvaiies actions y il faut les amuser au lieu de

ni)

NOTICE.

les prêcher. Si mes écrits ont édifié le petit nombre des bon», je leur ai fait tout le bien qui dépendait de moi j el c*esl peut- être les servir utilement encore nue d'offrir aux autres des ob- jets de distraction qui les empêchent de songer à eux. Je m'es- timerais trop heureux d*avoir tous les jours une pièce U faire siffler, si je pouvais à ce prix contenir pendant deux heures les mauvais desseins d'un seul des spectateurs, et sauver l'honneur de la fîlle ou de la femme de son ami , le secret de son confident, ou la fortune de son crétincier. Lorsqu'il n'y a plus de mœurt, il ne faut songer qu'à la police ; et Ton sait assez que la mu- sique et les spectacles en sont un des plus iniportiins objets, w

Kousscau a jugé lui— même très— sévèrement le» faibles esisais de sa musc dramatique, ce qui nous dispense d'en porter ici un jugement motive. Le Devin du pillage seul a mérité les suffrages du public par l'heureux accord qui règue entre les paroles et la musique de ce petit opéra villageois ; il est resté au répertoire de l'Académie royale de musique , et c'est tou- jours avec un nouveau plaisir qu'on le voit représenter, lors— ou'il est joué avec cette simplicité naive que Rousseau a mis dans la musique et le poème , et qui n'exclut pas une certaine grâce. On verra par les Confessions que celte pièce qui eut dans sa nouveauté (1737.) la plus grande vogue â la cour el à la ville, fut ébauchée par l'auteur , en six jours , à la campagne chez sou ami le hon /tomme Mussard , et qu en trois semaine.s elle fut prêté à être représentée. On y verra aussi les honneurs qu'elle pro- cura au philosophe à Fonlainebleau , et puis les deiuélés qu'il eut dans la suite au .sujet des représentations avec la direc- tion de l'Opéra. « Cet intermède qui ne me coûta jamais, dtt Kousseau , que cinq ou six semaines de travail, me rapporta presqu'autanl d'argent , malgré mon malheur et ma balourdise , que mVn a depuis rapporté l'Emile , qui m'avait coûté vingt ans de méditation et trois ans de travail : mais je payai bien l'aisance pécuniaire me mit cette pièce , par les chagrins intlnis qu'elle m'attira. •*

La comédie de Narcisse fut loin d'avoir aulant de succès. L'auteur avoue lui— même que l'ennui le gagna h la première représentation , et qu'il ne put en attendre la fin. Py/rma/ion est une pièce d'un nouveau genre; aussi l'auteur l'a-t-il ap* pelée sccnf lyrique ; la musique y interrompt le monologue pour peindre les sensations du seul per.sonnage qui figure dans celte pièce. Elle fut représentée plusieurs fois , et reçut même les hon- neurs de la parodie par Oaubier, ancien valet de chambre àm. Poi , qui fit jouer Brioché^ ou l'origine des marionnettes , 1753 , in-d". Berquin mit dans la suite la scène Ivrique de Pvf;nialion en vers. Paris 1774; Prague 1775 , in-8". Cette scène lyrique a été traduite en italien, et exécutée sur le théâtre de Venise, en 1773, imprimée in-8*. j et h. Vienne, sur le théâtre impérial, en 1772, avec la musique d' Aspelniaver, imprimée la même 9DI1CC en français , eu allemaud et eu italien.

III.

NOTICE- LETTRES A M. DE MALESIIERBES.

»

LfS quatre Ltttrea U M. de MaUa?ierhes Furent imprimées

f en 1780, ^ Genève, in-8". Elles pcuvenl être considérées cnrame

un Supplément intéressant aim Confessions ; Rousseau les écrivît

^^blans SA retraite à Montmorenci en réponse û une lettre que M. de

^^Bf a les herbes , sincèrement attaché au Philosophe, paraît lui avoir

^^pdressée pour l'engager à changer sa résolution de s'ensevelir dans

'^fvne triste solitude. Le Philosophe en prit occasion pour prouver

I que la vie solitaire convenait à ses goûts et à son caractère j et , à

^^œt effet , il développa avec son éloquence ordinaire et avec une

^kKnsàbilité touchante les vrais motifs de sa conduite. « Os quatre

^Bkttxes, faites sans brouillon , rapidement , à trait de plume,

ei înème sans avoir été relues , dit-il lui-même , sont peut-être

U seule chose que j'aie écrite avec facilité dans toute ma vie ; ce

qui est bien étonnant au milieu de mes souffrances et de Tex-

trcme abattement j'étais. Je jçémissais , en me sentant dc-

I faillir , de penser que ]e laissais dans Pesprit des honnêtes gens

, une opinion de moi si peu juste , et par l'esquifse tracée à \a

] hâte dans ces quatre lettres , je tâchais de suppléer en quelque

sorte aux mémoires que j'avais projetés. <•

IV. LES RÊVERIES,

Z,ea RêverUa pourraient encore être regardées comme se rat- rhnnt aux Confessions. Rousseau, pour qui rêver , cVsl-i-dirc abandonner à ses sensations , était Pétat le plus délicieux, fui plus rêveur qu*^ l'ordinaire vers la Bn de sa vie. Mécontent du ^^^oode , aigri par srs malheurs et affaibli dans sa constitution , ^ÊÊi vivait dans la solitude, et n'avait presque plus d'autre distrac- ^^■on que la promenade. Les Rêveries sont une espèce de journal ^^Bes reÛexions et sensations qui se succédèrent clicz lui pendant ^^ks promenades solitaires. Mais cet ouvrage se ressent des dispo- ^Hîtioos Bcbeuses de son ame , comme toutes les productions de ^^tt vieillesse. " II y discute, selon la remarque d'un auteur cou- Irmporain . avec aigreur de petites choses qui lui sont person- BCUè'. '. '^are dans les labyrinthes d'une dialectique dont il

eMct aient le centre et l'objet. »• Cependant les Rêveries

nVn uitTitcut pas moins d'être lues , puisqu'elles nous décou- vreni inut ce qui se passait dans Pâme de ce Philosophe. Ce tout des matériaux précieux pour servir à la connaissance de MO caractère moral.

V. DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE;

LETTRES SUR r.\ BOTANIQUE.

Rien nVtait plus conforme au caractère de Rousseau, si peu Cait pour la grande société, que le plaisir des promenades soli- taires et des herborisations dans la campagne. Il a fait lui— w/fe un récit intéressant et presque toncliant de cette douce «wcapation y surtout de ses herborisations dan» file St.-PieriY.

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^ NOTICE.

Voici ce qu'il dit ailleurs de son f^oM pour l'étude êes vé- gétaux : M La botanifjue telle que je I*ai toujours considérée, et telle qu'elle conimeuçail à devenir passion pour moi, était ! précisément une étude oiseuse , propre à remplir tout le vide 1 de mes Ioi«trs , sans y laisser place nu délire de Kimagination, | ni À l'ennui d'un désœuvrement total, trrer nonchalamment | dans les bois et dans la campagne , prendre macliinalement çà et la tanlùl une fleur el tantôt une autre , brouter mon loiii presque au hasard, observer mille et mille fois les mêmes cho- ies, et toujours avec le même intérêt » parce que je les oubliais toujours , élait de quoi passer rétcrnité sans pouvoir m'ennuver un moment. Quelque élégante, quelque aiimirable , quelque diverse que soit la structure des végétaux, elle ne frappe pas assez un œil ignorant pour Tintcresser. Cette constante ana- logie , et pourtant cette variété prodigieuse qui règne dans leur organisation , ne transporte que ceux qui ont déjà quelque idée du système végétal. Les autres n*ont , à l'aspect de tous ces trésors de la nature, qu'une admiration stupide et monotone. Ils ne voient rieu en détail parce qu'ils ne savent pas même ce qu'il faut rrgarder ^ et ils ne verront pas non plus l'ensem- ble, parce qu'ils n'ont aucune idée de celte chaîne de rapports cl de combinaisons qui accable de ses merveilles l'esprit de l'ob- servateur. J'étais, et mon Jéfaut de mémoire me devait tenir toujours dans cet heureux point d'en savoir asses peu pour que tout me fi^t nouveau , et assez pour que tout me fût sensi- sible. >i Ce fut en effet plutôt en amateur ((u'cir savant que Rousseau se livra à l'étude de la botanique et (|u'il écrivit sur cette science le dictionnaire et les lettres qui font partie de ce volume.

Pendant son dernier séjour k Paris, il fréquentait le Jardin des plantes , et faisait avec M. de Ju$<iieu des herborisations .'i la campagne. On assure (i)que malgré sou ilge il y élait aussi actif, aussi gai, aussi enfant que les plus jeunes élcveji. Mais impor- tuné bientôt par les regards curieux de ta foule, il cessa de se livrer â ce plaisir pur et innocent. « Les deux dernières années de sa vie, dit M. Prévost, dans l'article que nous avons cité dans une des notices précédentes, J.-J. Rousseau ne s'occupait presque que de musique et de botanique. La dernière de ces ftciencesfmil par exclure l'autre. En 1777 , iVlé, il sortait sonvnt pourherbori.ser; le matin, de 9 heures a. midi, ou même jusqu'à une heure, et l'après-midi, jusf|u'à la nuit : le soir et le matin , avant de sortir, il s'occupait à composer son herbior. Jamais herboriste n'a poussé plus loin la délicatesse et la propreté dans rarranf;ement des plantes sur le papier; sa diligence à ce travail n'était pas moins remarquable. Le dernier été de sa vie, il composa six cahiers de plantes, chacun de l'épaisseur d'un in-4''- ordinaire. Ce format était celui qu'il avait choisi, et il

(1) Gioguené , Lettres sur l«s Ccnfêitions de J^-J* Rotuâtau,

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NOTICE.

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n*y rwionça pM , quoique l'expérirnce lui eût fait senlîr qu'il nVtait jKis le plus commode, <lu moins pour le* plantes fort ÇranJes qu'il était obligé découper. Son moussier ^ de format in-i2, était un petit chef-dVuvre dVIéçance.... Il se procurait dircrs livres de botanique, surtout d'anciens autours, tels que Rav , Dauhin , etc. , dont il faisait des extraits, écrits et rangés avec un som et un ordre recherchés. Ce travail, à la fin (ïc <a vie, prit la place des courses de botanique. »

En iSo5, il a été publié à Paris une édition grand 10-4*. de la botanique de J.-J. Ronçsean , ornée de 65 planches en cou- leurs d'après le» dessins de M. Redouté, pour iaire suite à l'édi- tion de MS œuvres dan5 ce format.

VI. MÉLANGES.

Z0€ Ltéviie ctÈphraim ; îe Ptrsijiettr ; la reine Fantasque; Lettres à Sara ; Poésies ; Traductions , etc.

Une partie de ces écrits a été publiée après la mort de l'au- teur. Le premier a été composé à une époque et dans une si— tnation peu propres à in.spirer des idées poétiques. Ce fut dans La fuite de Paris en Suisse, lors des poursuites dirigées par le parlement contre Tauteur d*£uiile , que Rousseau , oubliant tontes les tracasseries quM venait dVprouvcr, et se rappelant rKîttoire des Beojamites qu'il avait lue dans la Bible U dernière nuit de son séjour à Montraorenci, et pen^nt en même temps au% idylles de Gessner que son traducteur Huber lui avait en* Tovées quelque temps auparavant, il conçut le projet de traiter cet épisode des Livres saints à la manière du poète suisse , quoique le genre pastoral semblât peu convenir à un sujet si atroce, et

2UC la situation de Tauteur ne dût pas lui fournir des idées ien riantes, n Je tentai toutefois la chose, dit Rousseau , uni- 3uement pour ra'ainuser dans ma chaise , et sans aucun eiïpoir e succès. A peine eus-je essavé, que je fus étonné de TaTuénité de mes idées, cl de la facilité que jVprouvais à 1rs midrc. Je en trois jours les trois premiers chants de ce petit poème que î*acbevai dans la suite a Motiers; et je suis sur dp n avoir rien jajl en ma vie oii règne une douceur de mœurs plus atteudris- SAnte, an coloris plus frais , des peintures plus naïves, un cos- tume plus eiact . une plus antique simplicité en toute chose» e* loot cela , malgré l'horreur du sujet, qui dans le fond est A^minabte ; de sorte qu^outre tout le reste j*eus encore le /uérile de la difiiculté vamcue. Le Lévite d'Ephraim^ sMI n'est pa« le meilleur de mes ouvrages , en sera toujours le plus chéri. Jajnais je ne Pai relu , jamais je ne le relirai sans sentir en dedans Tapplaudissement d'un crrur sans fiel , qui , loin de t'aignr par les malheurs , s'en console avec lui-même et trouve ta toi de quoi sVn dédommager. »

Au rt%te , quoique le L^viie d'Ephraîm porte le titre de C0 prosCf des critiques $cvères lui ont refiué le nom de

»»ï

NOTICE.

1

poëuip, attend IX qu'on n'y trouve ni fictions, ni images, ni poésie île style : « C'est, dit M. Grimin , un petit roiuan tel que lo P. Berruyer en aurait fait un fie toute lui^toire sacrée, 6*il avait eu l'éloquence et le génie de J.-.). Rou.sseau. » A l'imitatioa Je Uousscau d'autre» auteurs ont traité IVpîsodc des Beuja- inîles. M. Lcmercier a pris le Lévite d'Ephraim pour sujet d'une tragédie , et M. de Maleville a publié depuis peu un poéiue en prose uililulé les Benjanùles rélctblie en Israël.

On sail que les Ltttres à Sara furent eoninosees par suite d'uu défi. On regardait comme impossible qu un amant d'un idemt siècle ne Ht pas rire^ Rousseau a voulu prouver qu'il peuU niêrae toucher. Grimm , qui juge en général assez sévèreraenl les écrits de Rousseau, porte sur celui-ci tin jugement trbs- favorablc. Voici ce uu il en dit (i) : « Il nS" a rien, je crois, dans la Kouvelle-Héloise, de plus tendre, de plus passionné , de plus délicat; peut-èhe môme y trouye-l-on une éloquence plus simple, plus sensible et plus vraie. »

Les l'oésiea de Rousseau n ajoutent rien a sa gloire. Grand poète en prose, noire philosophe ne s'est jaruais exercé en ver» que sur des sujets qui demandaient ]ïeu d'élévation dan.s le fcl^le, et peu d'imaginalion. Le naturel et une douce sensibi- lité sont le principal mérite des pièces de vers que Rousseau a composées.

Les traductionji de Tacite, de Sénbquc et du Tasse sont dc9 ouais auxquels Tauteur n'a pas luïs la dernicrc main.

(i) Supplément à la Correspondance de Crimm , par M. Barbier.

JEAJSf-JAGQUES ROUSSEAU,

CITOYEN DE GENÈVE,

A M. D'ALEMBERT,

DE X.'ACADélCIB FlAllÇAtSE , X>S L*ACADtMtB UOTALE DE» SCIENCES UB PAEI8, DE CELLE UE 7BV88B, DE LA SOCIÉTÉ ROYALE DE LONDRES, DE l'acADÂMIB EOTALE DES BELLES- X.ETTBES DE SUÈDE, BT DE L* INSTITUT DE BOLOGNE^

SUR SON ARTICLE GENÈFE,

PAITS LE SEFTlàMB TOLUKE DE l'Eh CTCLOPÉDIE , BT FABTIOtrXiIKRBMKNT

SUA lifi PROJET D'ÉTABUR UN THÉÂTRE DE COMÉDIE EN CBTTE VILLE.

Dii melloim piU , «rrorem^ae bottibu illom»

s.

PRÉFACE.

4*Ai tort j^aî pris en cette occasion la plume sans néces- «lé. 11 ne peut m*ètre ni avantageux ni agréable de m'at- Uquer à M. d'Alembcrt. Je considère sa personne; j'admîre ses talens ; i'aime ses ouvrages ; je suis sensible au bien qu il a dit de mon pays : honoré moi-même de ses éloges , un juste retour d'honnêteté m'oblige à toutes sortes d'égards envers lui^ mais les égards ne l'emportent sur les devoirs

Îue pour ceux dont toute la morale consiste en apparences, usticc et vérité , voilà les premiers devoirs de Thomme, Humanité , patrie , voilà ses premières affections. Toutes les fois qae des ménagemens particuliers lui font changer fet ordre , il est coupable. Puis-je Tètre en faisant ce que fii ? Pour me répondre il faut avoir une patrie à servir , etplas d'amour pour ses devoirs que de crainte de déplaire aux hommes.

Comme tout le monde n'a pas sous les jeux l'Encyclo- pédie , je vais transcrire ici Je l'article Genèi^e le passage qui m'a mis la plume à la main. Il aurait du Tcn faire tomber, si j'aspîrais à l'honneur de bien écrire; mais j'ose «û rechercher un autre , dans lequel je ne crains la con- currence de personne. En lisant ce passage isolé, plus d'un lecieur sera surpris du zèle qui l'a pu dicter : en le lisant dans son article , on trouvera que la comédie , qui n'est pas à Genève, et qui pourrait y être , tient la huitième partie de la place qu occupent les choses qui y sont.

tt On ne souffre point de comédie à Genève : ce n'est » pas qu'on y désapprouve les spectacles en eux-mêmes ; k mais on craint, dit-on, le goût de parure, de dissipation » et de libertinage que les troupes de comédiens répandent » parmi la jeunesse. Cependant ne serait-il pas possible de

> remédier à cet inconvénient par des lois sévères et Lieu » exécutées sur la conduite des comédiens ? Par ce moyen

> (jenève aurait des spectacles et des mœurs, et jouirait

> de l'avantage des uns et des autres ; les représentation»

> théâtrales formeraient le goût des citoyens, et leur don- k ocraient une (inesse de tact, une délicatesse de sentiment

> qu'il est très-difficile d'acquérir sans ce secours : la litlé-

> rature en profiterait sans que le libertinage Ht des pro-

PRÉFACE.

» grès ^ et Genève réunirait la sagesse de LaccJémone 2

» la poliiesse d'Athènes. Une autre considération , digne

w d'une répuLlique si sage et si éclairée, devrait peul-èlre

» l'engager à permettre les spectacles. Le préjugé barbare

» contre la profession de comédien, Tespèce d*a\ilîssemenl

» nous avons mis ces hommes si nécessaires au progrès

» et au soutien des arts, est certainement une des prin-

cipales causes qui coniribuent au dérèglement que nous

» leur reprochons : ils cherchent à se dédommager , par

)) les plaisirs , de reslime que leur état ne peut obtenir.

>i Parmi nous, un comédien qui a des mœurs est double-

> ment respectable^ mais à peine lui eu sait-ou gré. Le » traitant qui insulte à Tindigencc publique et qui s'en » nourrit, le courtisan qui rnmpe et qui ne paie point ses dettes i voilà Tespèce d'hommes que nous honorons le

> plus. Si les comédiens étaient non-seulement soufferts à Genève , mais contenus d'abord par des réglemens sages, protégés ensuite et même considérés dès qu'ils en seraient dignes, enfin absolument places sur la même ligne qtie les autres citoyens, cette ville aurait bientôt ravanlage de posséder ce qu'on croit si rare , et qui ne l'est que

}> par notre faute , une troupe de comédiens estimables. » Ajoutons que cette troupe deviendrait bientôt la meilleure w de l'Europe : plusieurs personnes pleines de goût et de » dispositions pour le théâtre, et qui craignent de se dés- î» honorer parmi nous en s'y Uvrant, accourraient à Genève , yt pour cultiver non-seulement sans honte , mais même avec estime , un talent si agréable et si peu commun. Le ï) séjour de celte ville , que bien des Français regardent » comme triste par la privation des spectacles, deviendrait ;> alors le séjour des plaisirs honnêtes, comme il est celui de la philosophie et de la liberté \ et les étrangers ne » seraient plus suqirîs de voir que, dans une ville les » spectacles déceus et réguliers sont défendus, on permette î) des farces grossières cl sans esprit, aussi contraires au bon goût qu'aux bonnes mœurs. Ce n'est pas tout : peu >> à peu l'exemple des comédiens de Genève , la régularité )> de leur conduite, et la considération dont elle les ferait; » jouir , serviraient de modèle aux comédiens des autres )) nations, et de leçon à ceux qui les ont traités jusqu*ici » avec tant de rigueur et même d'inconséquence. On ne les verrait pas d'un côté pensionnés par le gouvernemeui» w et de l'autre un objet d'anathème : nos prêtres perdraient M riiabitude de les excozumuaicr , ci nos bourgeois de le»

^^^^^^^ PRÉFACE. 5

t rr^rdcr avec in(?pns : et niic pelite republique aurait la

'ire il*avoîr réformé TEurope sur ce point, pluslmpor-

ii peu L-è ire qu'où ne pense. »

\ oilâ rortainemciu le ttibliMu le plus agréable et le plus

siklulsanl qu'on pût nous oUVir; mais voilà eu m^rae temps

le plu* dangereux conseil qu on put nous donner. Du moins ,

ici cfti mon scniirnent ; et mes raisons sont diiis cet écrit.

Avec qurlle avidité la jeunesse de Genève, entraînée par

■lie aotorité d'un «i grand poids , ne se livrera-t-elïe point

k des idées auxquelles elle n'a déjà que trop de penchant!

Cûoibîeat depuis la publication de ce volume, de jeunes

G<*u«vois , d^aillcurs bous citoyens, n'alteudent-ils que le

moment de fiivoriser rétablissement d'un théâtre, croyant

un service à la patrie, et presque au genre humain!

sujet de mes alarmes, voilà le mal que je voudrais

lir. Je rends justice aux intentions de M. d'Âlenibert,

l>ore qu'il voudra bien la rendre aux miennes; je u^ai

plus d'envie de lui déplaire que lui de nous nuire. Mais

SnGn, quaud je me tromperais , ne dois-je pas agir, parler ^

irlan ma conscience et mes lumières? Ai-je du me taire L*

rji-|4?pu, sans trahir mon devoir et ma patrie?

Pour avoir droit de garder le silence en cette occasion, il budrait que je n'eusse jamais pris lu plume sur dos su- jj I- ^ nécessaires. Douce obscurité qui fis trente ans

Ht ur , il faudrait avoir toujours su t\iimcr^ il fau*

ïii 1 î';noriit que j'ai eu quelques liaisons avec les

t-i- -!-• rEncyciopédie , que j'ai fourni quelques articles

I l'outrage , que mon nom se trouve avec ceux des auteurs; il f;iudraii que mon zèle pour mon pays fut moins connu , qti"'»n supposai que rariicfe Gcnivc m eiil échappe , ou i[u'ou ne put iuférer de mon silence que j'adhère à ce qu'il cou-» lîctul Bien de tout cela ne pouvant être, il faut donc parler ; U faut <pe je désiivoue ce que je n'approuve point , alia au*oa ne m'impute pas d'autres sentimens que les micus. Mes compairiuifs n'ont pas besoin de mes couscils, je le sais >moi, j'ai besoin de m'honorcr, eu moutranlque oDime eux sur nos maximes. ie u ignore pas coml>icn cet écrit , si loin de ce qu'il Jctnit être, est loin même de ce que j'aurais jhi faire eu de plus heureux jours. Tant de choses ont concouru à le mrltre aa-dessous du médiocre je pouvais autrefois al-

leindfo , que je m'élouue qu'il ne soit pas pire encore,

^Kécri-vais pour ma patrie : s'il était vrsi que le tèle tint lieu HB| ulcul I faïuAh fiii mieux que j^mNii mais j'ai ^u ce

G PREFACE.

qu*îl fallait fiiîre , et n*ai pu Texéculcr. J*aî dit froidement la vérité : qnî est-ce qui se soucie dVlIe? Triste recom- mandation pour un livre 1 Pour èlre utile il faut Ôlre agréa- ble ; et ma plume a perdu cet art-là. Tel me disputera malignement celte perte. Soîi : cependant je me sehs déchu, et Von ne tombe pas au-dessous de rien.

Premièrement, il ne s'agit plus ici d'un vain babil de pliilosophie , mais d'une vérité de pratique importante à tout un peuple. II ne s*aglt plus de parler au petit nombre, mais au public ; ni de faire penser les autres , mais d'expli- quer nettement ma pensée. 11 a donc fallu changer de style : peur nie faire mieux entendre à tout le monde, j'ai dit moins de choses en plus de mots ; et voulant i^lrc clair et âimple , je me suis trouvé lâche et diÛus.

Je comptais d*abord sur uue feuille ou deux d'impression tout au plus 1 j^ai commencé à la hàte^ et mon sujet s*c- tendant sous ma plume, je Tai laissée aller sans contrainte. J'étais malade et iristc •, et, quoique j'eusse prand besoin de distraction , je me sentiis si peu en état de penser el d^écrire 5 que , si l'idée d'un devoir a remplir ne m'eût contenu, j^urais jeté cent fois mou p.ipier au feu. J'en suis devcnti moins sévère à moi-même. J'ai cherché dans mon travail quelque amusement qui me le fit supporter. Je me suis jeté dans toutes les digressions qui se sont présen- tées, sans prévoir combien, pour soulager mon ennui, j'en préparais peut-être au lecteur.

Le goût, Je choix, la correction, ne sauraient se trouver dans cet ouvrage. Vivant seul, je n'ai pu le montrera per- sonne. J'avais un Arislarquc sévère et judicieux; je ne Vni plus, je n'en \c\\\ plus (i) : mais je le regretterai sans cesse , et il manque bien plus encore à mon cœur qu'à mes écrits,

La solitude calme Tamc et apaise les passions que le dé- sordre du monde a fait naître. Loin des vices qui nous ir- ritent, on en parle avec moins d'indignation ; loin des maux qui nous touchent, le cneur en est moins ému. Depuis que je ne vois plus les hommes , j'ai presque cessé de haïr les méchans. D^ailleurs, ïc mal qu'ils m'ont fait à moi-mèmu m'i^te le droit dY*n dire d'eux. Il faut désormais que je leur

(i) ^d amicum etsi produxeris gladinm , non desperea ; eut enitn /-«• grtsaua, jtd amicum st aperueris on triste , non timeas ; est enun concor-* Jatio : txcepto tonvtcta , cl improperto , */ superbiuy et myxtertt ret'e^ iajione , et plaga dçloza ; in his vmnibus ej/u^igt o/nicu^. EiiLtaiA»Tjc,

PRÉFACE. 7

pardonne pour ne leur pas ressembler. Sans y songer , je substituerais Famour de la vengeance à celui de la justice : il vaut mieux tout oublier. J'espère qu'on ne me trouvera

Îtlos cetle âpreté ou'on me reprochait, mais qui me faisait ire ; je consens d'être moins lu , pourvu que je vive en paix.

A ces raisons il s'en joint une autre plus cruelle , et que je voudrais en vain dissimuler; le public ne la sentirait que trop malgré moi. Si , dans les essais sortis de ma plume, ce papier est encore au-dessous des autres , c'est moins la faute des circonstances que la mienne ; c'est que je suis au- dessous de moi-même. Les maux du corps épuisent l'ame : à force de soulFrir elle perd son ressort. Un instant de fer- mentation passagère produisit en moi quelque lueur de talent : il s'est montré tard , il s'est éteint de bonne heure. En re-

Jrenant mon état naturel , je suis rentré dans le néant. e n'eus qu'un moment ', il est passé ; j'ai la honte de me survivre. Lecteur, si vous recevez ce dernier ouvrage avec indulgence, vous accueillerez mon ombre ^ car, pour moi ^ je ne suis plus.

A Moutmorenci , le 30 mars 1768.

A M. D'ALEMBERT. n

comment concevrai -je que Dieu le punisse de ne s'être pas fait un entendement (3) contraire à celui qu'il a reçu de lui? Si un docteur Tenait m'ordonner de la part de Dieu de croire que la partie est plus grande que le tout , que pourais-je penser en moi-même , sinon que cet homme vient m ordonner d*étre fou? Sans doute l'orthodoxe , qui ne voit nulle absurdité dans les mystères, est obligé de les croire : mais si le socinien y en trouve, qu'a-t-on ï lui dire? Lui prouvera-t-on qu'il n'y en a pas? Il commencera, lui, par vous prouver que c'est une absuniité de raisonner sur ce qu'on ne saurait entendre. Que faire donc? Le laisser en repos.

Je ne suis pas plus scandalisé que ceux qui servent un Dien clément rejettent rétemité des peines, s'ils la trouvent incom- patible avec sa justice. Qu'en pareil cas ils interprètent de leur mieux les passages contraires à leur opinion , plutôt que de l'a- bandonner ;. que peuvent-ils faire autre chose? Nul n'est plus pé- nétré que moi d'amour et de respect pour le plus sublime de tous

quelque idée indigne de lui , il faudrait la rejeter en cela , comme vous rejetez en géo-

Si Von ma demandait là-desaas pourquoi donc je dispute moi-m^me; je répondrais que je parle au plus grand nombre, que j'expose des vérité* de pratique , que je me fonde sur Texpértence » que je remplis mon devoir, et qu'après avoir dit ce que je pense je ne trouve point mauvais qu'on tae soit pas de mon avis.

(3) II faut ae ressouvenir que j'ai à répondre k un auteur qui n'eat pu prDle«tant;et je crois lui répondre en effet, en montrant que ce qu'il ac- cose nos ministres de faire dans notre religion s'y ferait inutilement, et ae. fait néceasairemeut dans plusieurs autres sans qu'on y songe.

Le monde intellectuel, sans en excepter la géométrie, est plein de vé- rité* incompréhensibles, et pourtant incontestables^ parce que la raison qui le* démontre existantes ne peut les toucher, pour ainsi dire, A travers les borne* qui l'arrêtent , mais seulement les apercevoir. Tel est le dogme «le l'existence de Dieo , tels sont les mystères admis dans les communion* protestantes. Les mystères qui heurtent la raison, ponr me servir de* termes de M. d'Alembert , sont tout autre chose» I^eur contradiction même le* fait rentrer dans ses bornes; elle a toutes les prises imaginables ponr sentir qu'ils n'existent pas : car bien qu'on ne puisse voir une chose ab- surde, rien n'est si clair que l'absurdité. Voita ce qui arrt\'e lorsqu'on soutient i la fois deux propositions contradictoires. Si voas me dites qu'un espace d'nn pouce est anssi un espace d'un pied , vous ne dites point du tont one cbose mystérieose, obscure, incompréhensible { vons dites au contraire une absurdité lumineuse et palpable, une chose évidemment fausse. De quelque genre que soient les démonstrations qui l'établissent, elle* ne sanraient remporter sur celle qui la détruit, parce qu'elle est tiréo immédiatement des notions primitives qui servent de base à toute certi- tude hnmaine. Autrement la raison, déposant contre elle-même, non* ff>rcerait 1 la récuser; et , loin de nous faire croire ceci ou cela , elle nous empêcherait de plus rien croire, attendu qne tout principe de foi serait détruit. Tont liomme , de quelque religion qu'il soit , qui dit croire à de t^reils mystères^ eu im^e donc, ou no sait ce qu'il dit.

» LETTRE

métrie les dt'monst rations qui luèiieiitîi des conditions absurdes s car, de quelqup tiutbE^nticité que puis<>e être le texte sacré, il est encore plus croyable que la Bible soit altérée, que Dieu injuste ou iiiall'aisant.

Voilà, inon^iieur, les raisons qui m' empêcheraient de blâmer ces ientiniens dans d'équitables et modérés théologiens, qui de leur propre doctrine apprendraient à ne Ibrcer peràonne â l'a- dopter. Je dirai plus : des manières de penser si convenables à une créature raisonnable et faible, si dignes d'un créateur juste' et miséricordieux, me paraissent préférables à cet assentimenl stupide qui fait de l'homme une béte , et à celte barbare intolé- rance qui se plaiL à tourmenter dès celte vie ceux qu'elle destine aux tourmens éternels dans Tautrc. En ce sens je voua remercie pour ma patrie de l'esprit de philosophie et d'humanité que vous reconnaissez dans sou clergé» et de la justice que vous Aiiuet à lui rendre j je suis d'accord avec vous sur ce point. Mais , pour être philosophes et tolérans (4) « il ne s'ensuit pas que ses membres froient hérétiques. Dans le nom de parti que tous leur donnez « dans les dogmes que vous dites être les leurs, je ne puis ni vous approuver ni vous suivre. Quoiqu'un tel système n'ait nea peut-être que d'honorable à ceux qui l'adoptent, je me gar- derai de 1 attribuer à mes pasteurs qui ne l'ont pas adopté, de peur que l'éloge que j'en pourrais faire ne fournit à d'aulres Je sujet d'une accusation très-grave , et ne nuisît â ceux que j'au- rais prétendu louer. Pourquoi me chargerais-je de la professioiii *]c foi d'autrui? N*ai-je pas trop appris à craindre ces imputa- tions téméraires? Combien de gens se sont chargés de la ruienne en ra'accusaut de manquer de religion, qui sûrement ont fort lual lu dans mou cœur! Je iie les taxerai point d'en manquer' cux-méraes ; car un des devoirs qu'elle m'impose est de respecter' les secrets des consciences. Monsieur, jugeons les actions àeêt hommes , cl laissons Dieu juger de Iciu* foi.

En voilà trop, peut-être, sur un point dont Tcxamcn ne m'ap- partient pas, et n'est pas aussi le sujet de cette lettre. Les mi- nistres de Genève n'ont pas besoin de la plume d'autrui pour se défendre (o); ce n'est pas la mienne qu'ils choisiraient pour cela,'

(4) Sur la tolérance clirélienne on peut consulter le chapitre qui portej ce tiïre dann l*onxième livre de U Doclriae chrétienne do M, le profe»»eac Vorm*», On y veri-a pur quelle* raisons l'cgUftc doit apporter encore plut. de mcnugement et de circonspecliou dans Ll ccnfture de* crrear» »nr la foi, que dans celle des faule» contre les mœurs, el coromcat ft'alUeut ,danB les règles de ocitc censure, la douceur du chrétien, la raison du sage, et 1b zèle du paileur.

(5) C'est ce qu'ils viennent de faire, ît ce qu'on m*écrit, par une d^- clarutioii publique, Elle ne uiVst point parvenue dans ma letraite; mai j'apprends que le public l'a rft;uo avec applaudissement. Ainsi, non- aenlcincut je jouis du plaisir do leur avoir le premier rendu l'honneur qu'ils méritent, mais de celui d'entendre mon jngeuient unanimement confirmé. Je sens bien que celle drctarailon rend le début do lua lelti •aliêremuat tupcjAni et le reudroii pcut-éue itidiscrcl tU^ftliHiV.^^I

A M. D*ALEMBERT i3

et àe pareilles discussions sont trop loin de mon inclination pour

•<jtie je m'jf livre avec plaisir : mais ayant k parler du même ai -

Ucl« oiï vous leur attribuez des opinion^ que nous ne leur con-

ms point, me taire sur celte a&sertion . cVtait y paraître

rcr; et c'est ce que je suis fort éloigna de fuirc. Sensible au

>onbeurque nous avous Je posséder un corps de llicolo^iensphilo-

onhese! pacifiques, ou plutôt un corpsd'ollicicrs do morale (6) «.ide

|3iiiiiislresdela vertu, je ne vois naître qu'avec riVroi toute occasion

loureux de rabaisser jusqu'à n'être plus que des gens d'église. Il

inoiu importe de les conserver tels qu'ils sont. Il nous importe

«ju'its jouissent eux-mém<'5 de la paix qu'ils nous font aimer, et

«jue d'odieuses disputes de théologie ne troublent plus leur repos

ni le nôtre. 11 nous importe eniînaapprendre toujours, par leurs

leçons et par leur exemple, que la douceur et rbumanité sont

m.\si les vertus du chrétien.

Je me bâte de passer à une discussion moins grave et raoîiH

f*erien5e, mais qui nous intéresse encore asse?. pour mériter nos

rétie&ions, et dans laquelle j'entrerai plus volontiers, comme

étant on peu plus de ma compétence; c'est celle du projet d*^

tablir un théâtre de comédie k Genève. Je nV^poserai point

'ci mCA conjectureit sur les motifs qui vous ont pu porter â nout

iroposer un établissement si contraire k nos maxunes. <^ueUei

|Ue loient vos raisons, il ne »'a^t pour inni que des nôtres; et

tout ce que je me permettrai de dire a votre égard, c*cst que

^outftcrezsâremenlLe premier philoâopbe(7) qui jamais ait excité

tn peuple libre , une petite ville , et un état pauvre, û se charger

'*unsprcCacle public.

Que de questions je trouve à discuter dans celle que vous

mbiec résoudre ! Si les spectacles sont bons ou mauvais en

;ux-mirmcs ? S'ils peuvent s*allier avec les mœurs? Si l'austérité

■républicaine les peut comporter? S'il faut les souffrir dans une

élite ville -^ Si la profession de comédien peut être honnête? Si

;$ comédiennes peuvent être aussi sa^es que d'autres temmes?

Si de bonnes lois suiliseut pour réprimer les abus ? Si ces lois

<u : mail, étant lor le point de le »apprimer, j*ai vu que, parlant du

nter Arlicle qai y a donné lioa, U même ruîton subelstnjt encore, et

L'qo'on pourrait loniouriprrndre mon «ilciice pour une espèce de oonaen-

Inainnl. ic UÏMO donc ces r/flexiont d'aulanl pla« volontiers, que, si

Miifnt hora de prujHU sur une afTairr heureusement terminée,

iiilidinenr ru géurral rien que d'honorable â Téglisc de Geaèvc,

et qi^ic a utile aux hommes en tout ptiy><

(6) C'irit «tnsi que l'abbû de Suint-Pierre appelait loujour* XttectîU-' lîulifjui^, «oit pour dire ce t^u'iU wat en eOet, «oit pour exprimer ce

lo'ila devraient être,

(7) Dw th»x crlAbre» hiilorims, ions deux philosophes, ton» deux :liar«â M.d'Alemberl , le moderne serait defoti avis pcut-^tre j mai» Ta- lii©, ^11 'il aime , qn'il m(-dile , qu'il daiguo traduire , le grave Taoito [D*U cilc ai vulonLirra, et qu'à l'obicuril4piè» il imite ai bien qoelqn*-:

I en cût-U été Je lucme?

>4 LETTRE

peuvent être bien observées? etc. Tout est problème encore snr les vrais cflels du tliéAlre, parce <(ue J^s disputes qu'il occasionne ne partageant que les gens dVglise et le» gens du inonde, cba cun ne l'envisage que par ses préjugés. Voilà , monsieur , de rccberches qui i\e seraient pas indignes de voire plume

JHuini e ch(

Pour jnoï , 5an5 croire y suppléer , je me contenterai de chercher «lans cet essai , les éclairrisscmens que vous nous ave* rendi nécessaires ; vous priant de considérer qu'en disant mon avis à votre exemple , je remplis un devoir envers ma patrie; et qu'ai moins , si )e me trompe dans mon sentiment , cette erreur m peut nuire k personne.

An premier coup-d'œil jeté sur ces institutions , je vois d'a- bord qu'un spectacle est un amusement ; et , s'il est vrai qu'il faille des amusemens à }'bomme , vous conviendrez au monii qu'iU ne sont permis qu'autant qu'ils sont nécessaires, et que loul amusement inutile est nn mal pour un être dont ta vie est si courte et le temps si précieux. L'état d'homme a ses, pfaLsirs, qui dérivent de sa nature , et naissent de ses travaux ,< de ses rapports, de ses besoins; et ces plaisirs, d'autant pin» doux que celui qui les goûte a l'nme plus saine , rendent qui conque en sait jouir peu sen&ible â tous les autres. Ln père , un (ils , un mari , un citoyen , ont des devoirs si chers à rem— ■] plir, (|u'ils ne leur laissent rien à dérober à Teunui. Le bon, emploi du temps rend le temps plus précieux encore ; et micu^j on le met à profit , moins on en sait trouver à perdre. Aiissii Toit-on constamment que Thabilnde du travail rend l'inaction insupportable, et qu'une bonne conscience éteint le goût de» plaisirs frivoles : mais c'est Je mécontentement de soi-même » c'est le poids de ToiAiveté , c'est l'oubli des goûts simples ot naturels, qui rendent si nécessaire nn amusement étranger. Je n'aime point qu'on ait besoin d'attacher incessammeut son cifuri Kur la scène, comme s'il était mal à son aise au dedans de nous, La nature même a dicté la répouse de ce barbare t6} â qui l'on vantait les magnificences du cirque et des jeux établis à Kome. Les Uomaius, «Iciuanda ce bon-homme, n'ont-ils ni femmes , ni enfnus .' Le barbare avait raison. Fj'on croit s'assembler au spectacle , et c'est que chacun s'isole j c'est lit qu'on va ou- blier ses amis , ses voisins, ses proches, pour s'intéresser à dea fables, pour pleurer les malheurs des mnrts, ou rire aux dépens des viyaus. Mais j'nuraîs sentir que ce langage n'est plus de saison dans notre siècle. Tâchons d'en prendre un qui soit mieux entendu.

Demander si les spectacles sont bons ou mauvais en oux-mé- Tnes , c'est faire une question trop vague; c'est examiner un rapport avant que d'avoir lixé les termes. Les spectacles sont fait» pour le peuple , et ce n'est que par leurs clFcls sur lui qu'on peut déterminer leurs qualités abâolucsl II peut v avoir des spec*

(8) Clir>'»oft. in Mollb. Ilomel. 58.

A M DALEMBERT. ,5

Pl»rY«« <l*HnP ÎRfinilc dVspêccs (p): il y a de ppupl** à pf>up!e h.- -c iliversitc de luipurs , ue temporaiiip ns , dv ca-

lumc rsl un, je l'uvoue; mais l'Iinninie modiriiÇ f(» rt-Iïgions, par les poiivenirnicns , pnr 1rs lois, par le» If*, par les prcjngt^s, par les climuls , devieul si ô\\Xc~ lut de lui-même, <ju*il ne fatil plus chercher parmi noii.<i co li ^it bon aux hommes en général , iiiai^ ce ijiii leur cM bon [ans te! temps ou dans lel pajr*. Aîn^i Ie$ pièces de Ménandre, ijlcs pouj' le théâtre d'AdÙMies, étaient déplacées sur celui de Kotne : ainsi le» Cf>nibat$ des gladiateurs, cpii , sous la répt^ ilii|ue f auimaient le couraf;c et la valeur des Romains » n'ins- liraient , sous les rnipereurâ , à la pnpulaee tJc Kotue que Ta- tour du sanf^ et la cruauté : du mèuie ubjet olferl au uu'me Mple en dillérens leraps, il apprit d'abord à mépriser sa vie, enAuîle à se jouer de celle a*atitrui.

Quanta Tespécc des spectacles, c'est néccs.«nirrraent le plai-

ir ciu'ils donnent , et non leur utilité , f|ui la détermine. Si

'utiitlé peut *V trouver, à la bonne heure ; mais Tobjet priïi-

ipal e^t de plaire, et , pourvu (jue le peuple satnuse , cet ob-

e4l A^sex rempli. Cela seul empêchera toujours qu'on ne

itiu donner à ces sortes d'établisseniens tous les avantages

il iU seraient susceptibles ; et c'est s'abuser beaucoup que de

s'en former une idée de perfection qu'on ne saurait mettre

en pratique sans rebuter ceux qu*on croit instruire. Voilà d'oU

lit U diversité de6 spectacles selon le« goAls divers de» nations.

uple intrépide, fjrave et cruel , veut des fêtes meurtrii?re»

ilteuses, oii brillent la valeur et le sang-froid. Un peu-

»ce et bouillant veut du sang, des combats, des pas—

iioas alroces. IJn peuple voluptueux veut de la musique et des

' inies. Un peuple galant veut de Tamour et de la politesse, lin

iple badm veut de la plaisanterie et du ridicule. Traittt sua

(9) c n petit y aroir des epectncles blitmablcj en eux-mêmes» comme €»o% qai sont înliumain^ uu todicen» cl liceucienx : lel« claJrnt qnn]- <tM**-am de» iprclarlr» pArmi les paioDs* Mais il rn est auftsi tl'îuLlifiï- MA* en eax-mdmeji , qui ne devicnneul mauvais que par l^abus qu'on aa êûL Vaa exemple , les pièces de iIicAitg n'anl rien de nuavaii en Uni ^a'on y trouve une peinture des caraclùres eL des aclîoni des liowoies-, l'on pourmit même donner des lci;')n» agrùablcs et uti- le» puor toutes U-i coiidilions : luah il l'on y di-liilr une morale reU* dîne, éi l«« pcr!>uiine« qui eierccnt celle profession mènent une vie ticeiic icuftc et servent à corrompre les autres , »i de tris spectacles on* Inrticanent la Tanitè , la fiiriéanliso, le lu«e, l'impudicilc, il est vî- aion -inr I:t rhnse tourne en nbas, et qu'à moins qu'on ue IruUTa fer\ I cts abus ou do &'cu garantir, il vaut mieus rc-

rr à I •? d'amusemcDl. » Instruction chrèturme , tome III,

f chuf. ib,

l'eUt lie la question bien po»é. Il ('agit de savoir li U morale da cftt uéc«>«saLrcment reUcbee, si les abus sont inévitables, ai les rtfoiena dérivent de U nature delà chotCi ou a'i la TÏonaeat de cau&Cè ne |iuij»e écarter.

i6 LETTRE

^nemoué uoluptas. Il faul , pour leur plaira , Jw spectacléf qiiî fuvuri*ient leurs peachatis , au Heu qu'il en faudrait qui les mo- dorassent.

La sccne, en gént-ral , est nn tableau des passions humaines, dont l'original est danâ tous les cœurs : luais ^i le peintre n*a- vait soiu de flatter ces passions, Jes spectateurs seraient bientôt rebutés f et ne voudraient plus se voir sous un aspect qui les lit mépriser d'eux-mêmes. Que s'il donne à quelques-unes de^ couleurs odieuse», c'est seulement à celles qui ne sont point gê- nera les , et qu'on hait naturellement. Ainsi Tauteur ne fait en- core en cela que suivre le («ntiment du public ; et alors ces passions de rebut sont toujours employées à en faire valoir d'au- tres, sinon plus légitimes, du moins plus au gré des spectateurs. il n'y a que la raison qui ne soit bonne à rien sur la scène. l'n homme sans passions, ou qui les dominerait toujours, n'y saurait intéresser personne ; et Ton a déjà remarqué qu'un stoi* cien dans la tragédie serait un personnage insupportable : daiti la comédie , il lerait rire tout au plus.

Qu'on n'attribue donc pas au théâtre le pouvoir de changer des sentimcns ni des mœurs qu'il ne peut que suivre et em- bellir, l^n auteur qui voudrait heurter le goût général com- poserait bientôt pour lui seul. Quand Molière corrigea la scène comique, il attaqua des modes, des ridicules; mais il ne cho- ua pas pour cela le goût du public (to); il le suivit ou le eyeloppa , comme fit aussi Corneille de sou côté. C'était l'an- cien théâtre qui commençait à choquer ce goût, parce que, dans un siècle devenu plus poli, le théâtre gardait sa première grossièreté. Aussi , le goût général avant changé depuis cet deux auteurs, si leurs cliefs-u'anivre "étaient encore à paraître, loiuberaient-ils infailliblement aujourd'hui. Les connaisseurs ont beau les admirer toujours; si le public les admire encore, c'est

Jïlus par honte de s en dédire que par un vrai sentiment de eurs beautés. On dit que jamais une bonne pièce ne tombe : vraiment je le crois bien , c'est que jamais une bonne pièce ne choque les moeurs (ii) de son temps. Qui est-ce qui doute

(lo) ?oar peu qu'il aniif tp£t, ce Molière lui-même avait peina A M loiitenir \ le pins p.irfiiit de ses ouvragn lumba (Iadi «a nnÎMattoe , parce fiu'it le donna trop \6i, el que le public n'olnit pai mût- encore poar le Mi' tantrope.

Tout ceci est fomU lur nnc mnitmo ^videnlc; savoir , qu'un peuple suit atiuveiit des uttagt^ qu'il mrprise, ou qu'il cat prêt à mépriser, sit6t qu'on osefn lui eu tlonnor l'e'vpmple. QuartUt dv mon temps, on inuait la fureur des pantins, nit ne faisait que dire au tlu-âlre ce que pensaient ceux mêmes qui pusaaiout leur jonruêe .i ce aol amusement : mais Ira goûlj eouatans d'un peuple, ses ooulumes,«r« vieux préjugés, doivent étn reapectéa sur la «cène. Jamais poète ne a'eat bien Irouré d'avoir violé cetta loi.

(il) Je dis le goût ou les moeurs îndi(rérerament{ car l>i''n que l'une de ces choses ne »oit pas l'autre , elles ont toujours une origine commune tl souflicut les méiuei révoluLioni. Ce qui ne tiguilie pu que le bon go^

3

k

LETTRE

ils une disposition bien prochaine à âiirmontcr et régler nn9i passions? Les impressions vives et toucbaulcs dont nous pre--^ lions l'habitude, et qui rcvionnent si souvent, sont-elles bien propres à modérer nos sentiiueiis au bc&oin? Pourntioi l'image des peines qui naissent des passions effacerait -elle celle des transports de plaisir et de joie qu'où en voit aussi naître , et (juc Tes auteurs ont soin dVjubellir encore pour rendre leurs jMeces plus agréables? Ne sail-on pas que toutes les jjassions .sont sœurs, (|u'iine seule siillil pour en exciter mille, et mie les combattre l'une par Tautre n'est qu'un moven de rendre le cœur plus sensible à toutes? Le seul instrument qui serve k les purger est la raison ; et j'ai déjà dit que la raison n'a- vait nul ctVet au théâtre. Mous ne partageons pas tes affections de tous les personnages, il est vrai; car, leurs intérêts étant opposés, il faut bien que l'auteur nous en fasse préférer quel- i[u un , autrement nous n'en prendrions point du tout: maïs, loin de choisir pour cela Ip> passions qu'il veut nous faire ai- mer , il est forcé de choiMr celles que nous aimons. Ce que j'ai dit du genre des spectacles doîl s'entendre encore de l'in* térêt qu'où y fait régner. A Londres, un drame intéresse en faisant bair les Français ; à Tunis , la belle passion serait la piraterie; à Messine, une vengeance bien savoureuse; àGoa, l'honneur de briUer des Juifs, <,)u'un auteur (12} choque ces maximes , il pourra faire une fort belle pièce oii l'on n'ira point : et c'est alors qu'il faudra taxer cet auteur d'ignorance, pour avoir manqué à la première loi de son art , à celle qui !>ert de baiïe à toutes Ips autres, qui est de réussir. Ainsi le théâtre purge les passiun^ qu'un n'a pas , et fomente celles qu'où a. Ne voilà't-il pas un remède bien administré?

Il Y 3 donc un concours de causrs générales et particulières , qui doivent empêcher qu'on ne puisse donner aux spectacles la perfection dont on les croit susceptibles , et qu'ils ne produisent te» effets avantageux qu'on semble en attendre. Quand on sup- poserait même cett»» ppifecliou aussi grande quVlle peut être, et le peuple aussi bien disposé qu'on voudra; encore ces effets se* réduiraient-ils à rien, faute de moyens pour les rendre sensibles. Je ne sache que trois sortes d'instrmuens à l'aide desquels puisse agir sur les m'i'urs d'un peuple ; savoir , la force des Ioîa , l'empire de i'opiniou , et l'attrait du plaisir. Or les lois n'ont nul accès au théâtre , dont la momdre contrainte (i3j ferait uao

(11) Qu'où mptlp , pour voir, sur la sct-ni; rmnçaifve un homme droit rlvetlueux, maix sitnpk Pt grouier , nanu amour, uni gaUnlerie, ri qi>i ue fasse point de brlIuA [)lirasu5ï qu'on y inetle un saj^e 5aii5 préjugea ^ qui» ayant reçu un aflVoiil d'un spadassin, refuse de t'aller faire égorger \-ut l'oITeRwurjet qu'on t-puite loni l'art du ih^Atrt' pour rendre ce» pursou nagra inlérfSiaii5 comme le Cîd au peuple friiilçaïa ^ j'aurai tort «ï l'on rcusiiit.

(i5) l«r« lois peuvent di'lrrminer les miîcIb, la forme des piècA», \m niaiiiàro de le» ;ourr} maift clleaiic Muraient futcci le public m %y plaire

A M. n' AL F. MB F. UT. u,

intf et ooo pas un amusement. L'opinion nVn dépend point , ii»qu*au lieu Je faire la loi au public, le théâtre la reçoit lir

lui: «t . cfuanl au plaisir qu'on y peut prendre , tout son ciret o&t

d*

r plu* souvent. il en peut avoir d'autres. ï.e tlirâlre , me dit-oa , e il peut et doit l'ctre, rend la vertu aimable et le ihioi donc I avant qu'il y eût de.s comédies n'nunai t- is de bien, ne baissai t~on point les niéthans? ei nt-ils plus faibles datiâ leslirnx dépourvus de spec- laclen ' !>» ibratre rend la vertu plus aimable... 11 opère un grand pr<Nit^«de faire ce que la nature et la raison font jvant lui! Les méchaiM sont bais sur la scène... Sont-ils aimes dans U société, ii^nrl oi. tes y connaît pour tel»? List-tlbieu iûr que cette haine ' l'ouvrage de Tauteur que des forfaits quM leur fait ..».:' Eil-il bien sûr que le simple récit de ces forfaits donnerait moins d'horreur qur tnut<^ les couleurs dont \c% peint? Si tout son art consiste à nous raontrerdes mal- teurs poumons 1rs rendre odieux « je ne vois point ce <{ue cet rt » de Si admirable, et l'on ne prend lâ-di^ssus «jueirop d anlrrs Ir-eoni sMn% celle-là. Oterai-jc ajouter Mn.soupron qui me vient.Me quf tout bomnxe à qui l'on exposera d'avance le» crimes irdr*' ou de Médée ne les déleste plus encore au commence- aval qu'il la fin di* la pièce : et si cr doute est fondé, que faut-il peosrr dr cet f-ffet si vontc du théâtre?

Je ' 'len qu'on me montrait clairement et sans vcrbia£;t'

par qi: ns il pourrait produire en nous des sentiinens que

nriu& n'aurions pas , et uous faire ju^cr dc^ êtres moruux autre— uienl que nous n en juseonsen nous-iucmes. Oue toutesces vames prrteislions approfondies sont puériles et dépourvues de Sen-i ' Ail! ai la beauté de ta vertuétait l'ouvraj^ede l'art, il y a lonif* lempft iiu'il l'aurait défigurée. Quant à moi, dùt-oa me traiter oanL encore pour oser «oatenir tjue l'homme est bon . ? et crois 1 uvoirprouvé : la source deTintérét qui nous 4 qtii est bonnple,et nous inspire de l'aversion pour m%l, rsl CD nODS et non dans le* pii;c«'«- Il n'y a point d'art ur produire cet inttrrt , mais sirulemcnl pour sVn prévaloir, anioarilii beau (i >< est un sentiment aussi naturel au cunir bu- YVsaiii qur l'amour de soi-même ; il n'y naît point d'un arrun^e- ■ttvnl *W M'i*T**»s; Tauteiir ne \y porte pas, il l'y trouve ; et de ce

I.'»mj .ri j rliantani an ib/iilre. Êiinait r*orger ceur qni s>n-

Ho«»« If ne poiivail-il tenir loiit le momJeéTeillè : et peu s'en

CiUMi|Ur ka (ilitiitir (l'un court aommeil ne coûtât lavie à Vrii]iiMt:ii.NoltU> #lc l'o^ifr» de Puri», ah! si vouneusMe» juui de U piusMuoc ioi- » K ne |;éniim)i y»* mnintmaat d'avuir trop vrcu ! C*€Êt ilu beîni mouil qu'il eit ici qucutioo. Quoi qu'en tlUent lr« ,eel .-knioiir est inné tlans riiommr, et srrt de principe à U ». Jrpiii» citer en exemple fie ctU U petiti» pMîcedo Sanine,<{ni ■'<•, et ne s'r4i continue que pir li grand** rr- I parcf qii** riinnneiii', U vrriu. Im \mf* «rti- i>téfért']i:i l'iinpeitinent iirf-^i'gé ilrscumliliori».

!•««■ K? IX' 17 1)9

20 LETTRE

|nir cedtiment quM flatte naissent les douces larmes qu'il /ùit couler.

Imaginez la comédie aussi parfaite qu'il vous plaira ; eU celui qui, s*y rcndaDt pour la promit're fois, n'y va pas déjà convaiucude cequ*on y prouve, et déjà prjnenu pour ceux qu'on y fait aimer? Mais ce n'est pas de cela qu'il est question ; c'est d'açir consc-queniment à ses principes et d'imiler les pens qu'on estime. Le cœur de rhoinmo est toujours droit ^ur tout ce qui ne se rapporte pas persoumdleineul à lui. Dans 1rs querelles dont nons sommes purement spectateurs, nous prenons à l'instant le parti de la justice » et il n'y a point d'acte de racchancele qui ne nous donne une vive indignation, tant que nous n'eu tirous aucun profit: mais quand notre intérêt s'y mêle, bientôt nos sentimens se corrompent j et cVst alors seulement que nous pré- férons le mal qui nous est utile, au bien que nous l'ait aimer la nature. N'est-ce pas un eflel nécessaire oc la constitution des choses, que le méchant tire un double avantage de son injustice et de la probitéd'autrui? <^)uel traité plus avantageux pourrait-il faire , que d'oblifçer le monde entier d'être juste, excepté lui seul , en sorte que chacun lui rendît Bdèlement ce qui lui est , et qu'il ne rendit ce qu'il doit ù personne? Il aime la vertu, sans doute; mais il l'aime dans tc*i autres, parce fju il espère en profiler j il n'en veut point pour lui, parce qu'elle lui serait coû- teuse. Que va-l-il donc voir au spectacle.^ Précisément ce qu'il voudrait trouver partout; des leçons de vertu pour le public , dont il s'excepte , et des gens immulaut tout à leur devoir , tan- dis qu'on n'eiif^e rien de lui.

J'entends dire que la tragédie mène à la pitié par la terreur ; soit. Mais quelle est celle pitié? Lue émotion passagère et vaine, qui ne dure pas plus que l'illusion qui l'a produite; un reste de sentiment naturel, étouffé bientôt par les passions; une pitié stérile qui se renaît de quelques larmes, et n'a jamais produit le moindre acte d numanité. Ainsi pleurait le sanguinaire Sylla au récit des maux qu'il n'avait pas faits lui-mrme : ainsi se cachait le tyran de l*here au spectacle, de peur qu'on ne le vît gémir avec Andromaque et Priam , tandis qu'il écoutait sans émotion les cris de tant d'infortunés qu'on égorgCflit tous les jours par ses ordres. Tacite rapporte que Valérius-Asialicus , accusé calom— nieusrnient par l'onlre de Messaline qui voulait le faire périr , se défendit par-devant l'eiiipereur d'une manière qui toucha extrê- mement ce prince et arracha des larmes à Mei^saline elle-même. Elle entra dans une chambre voisine pour se remettre, après a^niir tout en pleurant averti Vilelliusà l'oreille de ne pas laisser échapper l'accusé. Je ne vois pas au spectacle une de ces pleu- reuses de loges si fières de leurs larmes que je ne songe h celles de Messaline pour ce pauvre Valériiis-Asiaticus.

Si , selon la remarque de Diogène-Ï^aércc , le c«tur s'attendrit pius volontiers à des maux feints qu'à des maux véritables ^ si lr& jjuitatious du théâtre nous arrachent quelquefois plus de pleurs

A M. D'ALEMBERT. 7t

<|ue ne ferait la présence même des objets imités, c'est moins , comme le pense l'abbé du Bos, parce que les émotions sont plus faibles et ne vont pas jusqu'à la douleur (i5) , que parce qu'elles sont pures et sans mélange d'inquiétude pour nous-mêmes. En donnant des pleurs à ces fictions, nous avons satisfait à tous les droits de l'humanité , sans avoir plus rien à mettre du nôtre ; au Heu que les infortunés en personne exigeraient de nous des soins, des soulagemens, des consolations, des travaux, qui pourraient nous associer à leurs peines , qui coûteraient du moms k notre indolence , et dont nous sonunes bien aises d'être exemptés. On dirait que notre cœur se resserre , de peur de s'attendrir à no» dépens.

Au fond , quand un bomme est allé admirer de belles actions dans des fables et pleurer des malheurs imaginaires , qu'a-t-on encore k exiger de lui? N'est-il pas content de lui-même? Ne s'applaudit-il pas de sa belle amer-Ne s'est-il pas acquitté de tout ce qu'il doit k la vertu par l'hommage qu'il vient de lui rendre? Que Toudrait-on qu'il fît déplus? Qu'il la pratiquât lui-même? Il n'a point de râle k jouer : il n'est pas comédien.

Pins i'j réfléchis, et plus je trouve que tout ce qu'on met en représentation an théâtre on ne l'approche pas de nous, on l'en éloigne. Quand je vois le comte d'Easex^ le règne d'Elisabetd Se recule à mes veux de dix siècles ; et si< l'on jouait un événement arrivé hier clans Paris , on me le ferait supposer du temps de Molière. Le théâtre a ses règles , ses maximes , sa morale à part, ainsi que son langage et ses vêtemcns. On se dit bien que rien de toutcelane nousconvient,et l'on se croirait aussi ridicule d'adopter les vertus de ses héros que de parler en vers et d'endosser un ha- bit à la romaine. Voilà donc à peu près à quoi servent tous ces grands sentimens et toutes ces brillantes maximes qu'on vante avec tant d^mphase ; k les reléguer à jamais sur la scène, et à nous montrer la vertu comme un jeu de théâtre , bon pour amu- ser le public , mais qu'il y aurait de la folie à vouloir transporter sérieusement dans la société. Ainsi la plus avantageuse impres- sion des meilleures tragédies est de réauire à quelques affections passagères , stériles et sans effet , tous les devoirs de l'homme ; à nous faire applaudir de notre courage en louant celui des au- tres , de notre humanité en plaignant les maux que nous aurions pu guérir y de notre charité en disant au pauvre , Dieu vous as- siste!

On peut , il est vrai , donner un appareil plus simple à la scène, et rapprocher dans la comédie le ton du théâtre de celui du nionoe : mais de cette manière on ne corrige pas les mœurs , ou

(i5) Il dît que le poëte nous afflige qa'aulantque nous le touIoiu; qu'il oe nous Tait aimer ses béroa qu'autant qu'il nous plaît. Cela est coiilro ternie expérience. Plusieurs s'abslicnnont d'aller à la tragédie, parce qu'ils en aoot émus au point d'en être incommodés ; d'autres, houteux de pleurer aaapcctacle, y pleurent pourtant malgré eux; et cas c (Tel s ne soûl pas a««ei ncea^ pour n'être qu'une exception à la maxime de cet autcus.

ai* LETTRE

les peiat ; et uti \aià visage ne parait point lai(] à crluî qui le porte. Que si Ton veut les corriger par leur clinrfiiL' , on uuitle la vraisemblance et la nature , et le tableau ne fait plus deflet. La cbarge ne rend pas les objets haïssables , elle ue les rend que ridicule!); et de résulte un Irés-graud inconvénient , c'est quâ force decraindre le» ridiculps , les vices n'cflVaicnt plus, etqu'oa ne saurait guérir les premiers sans fomenter les autres. Pourquoi, direz-vous, supposer cette opposition nécessaire? Pourquoi, monsieur? Parce que les bons ne tournent point 1rs mécbalis eu dcnsion , mais les écrasent de leur mépris, et que rien ii*est moins plaisant el risible que l'indignation de la vertu. Le ridicule , au rontraire, est l'arme favoriledii vice. C'est par elle qu'attaquant dans le fond des cœurs le respect qu'on doit à la vertu , il éteint eaHn Tamour qu'on lui porte.

Ainsi tout nous force d'abandonner celte vaine idée de per^ fection qu'on nous veut donner de la forme des sjwctacles , di- riges vers l'utilité publique. C'est une erreur, disait le grave Murait, d'espérer qu'on y montre fidèlement les véritables rap- |>orts des choses : car , en général, le porte ne peut qu'âltéret ces rapports pour les accommoder au goût du peuple. Dans le co- mique , il les diminue et les ruet au-dessous de l'homme : dans le^ tragique, il les étend pour les rendre héroïques, et les met au- dessus de l'humanité. Ainsi jamais iU ne sont à sa mesure, et toujours nouA voyons au IhéiUre d'autres êtres que nos sembla- bles. J'ajouterai que cette diflérencc est si vraie et si reconnue, qu'Aristole en fait une règle dans sa Poétique : Comaedia enitn détériores , tragœdia melioies tfuàm riunc aurit^ imitari conantur Ne voilà-t-il pas une imitation bien entendue, qui se propos* pour objet ce qui n'est point , et laisse, entre le démit et l'excès ce QUI est, comme une chose inutile? Mais qu'importe la vériti de l'imitation, pourvu que l'illusion y soit ; Il ne s'agit que de

fiiquer la curiosité du peuple. Ces productions d'esprit, comme a plupart des autres, n'ont pour tut que les applandissemens Quand l'auteur en reçoit et que les acteurs les partagent , h pièce est parvenue à son but et l'on n'y cherche point d'anir utilité. Or, si le bien est nul , reste le mal; et comme celui-c n*est pas douteux, la question me paraît décidée. Mais passo

i

''m

a quelques exemples qui paissent eu rendre la solution plus sen- sible.

Je trois pouvoir avancer, comme une vérité facile à prouv fxï conséquence des précédentes, que le tliéâtre français, avi les défauts tiui lui restent, est cependant k peu près aussi parfaî qu'il peut l'i'lre, soit pour Tagrénient , soit pour l'utilité; el qu «•es deux avantages y sont dans un rapport qu'on ne peut trou- bler sans ôler a l'un plus qu'on ne nonnerait à l'autre, ce q jendrait ce même théâtre moins parfait encore. Ce n'est p qu un homme de géuie ne puisse inventer un genre de piècci iirefftrabie à ceux qui sont établis : mais ce nouveau genre , ayan: Lrsoin pour se soutenir des talens de Tauleiir, périra uécesMÎre

i

A M. D'ALEMBKRT. pi

fiît »TVC înî; *t SM Rticcesseurs , clrpourvus <]cs mrmct re*^ , srront toujours forces de revenir aux moyens coniii]iin<i swrel de plaire. Quels lonlces moyens p;irnu nous' De* s ci»lcbre5,de grautls noms, de grands crimes, et de grande* rrtus dans la trugedie ; le comique et te plaisant dans la corné— e; et loujour» l'amour dans toutes deux (i6). Je demande quel ofit lesrufrurs peuvent tirer do tout cela.

Ou OUÏ dira que, dans ces piôcrs, le crime r'Sl toujours puni , el vertu toujours rêcompeus^-e- Je rêp>nds que . qiiano cela ait , la plupart des actions tragiques, n'étant que de pures lie», des eTènemrns qu'on sait rire de Tinvciilion du po«te , u9 font pas une grande impression sur les spectateurs; k force de leur montrer qu'on veut les instruire, on ne les instruit plus. Je ~*pûo<l* encore que ces punitions et ces récompenses s'operrnf |oiir«pardes moyens si peu communs, qu'on n'attmd rien de reil d«ub le cours naturel des choses humaines. Knfm je re- nds eu niant le fait. Il uVst ni ne peut être généralement vrai : car cet objet n'étaut point celui sur lequel les auteurs dirigent leun pièces, ils doivent rarement Tattoindre, et souvent il serait un obstacle au succès. Vice ou vertu , qu'importe, pourvu qu'on uopo» par un air de grandeur? Aussi la scène française , sans trèdit la plus parfaite, ou du moins la plus régulière qui ait Dcore existe, n'est-elle pas moins le triomphe des grands scé- îrais que des plus iltustr^'s héros : témoin Catitina, Mahomet , Atréc, cl beaucoup d'autres.

Je comprends bien qu'il ne faut pas toujours regarder à la ca-

' pour juger de IVffel moral d'une tragédie, et quVi cet

i^t rsl rempli quand on s'intérense pourl'infortuné v**r-

pour rheureux coupable : ce qui n'empêche point

tendue règle ne soit violée. Comme il n'y a per-

l 'aimât mieux i^re Britannîcus que Néron , je conviens

compter en ceci pour bonne la pièce qui les représente,

rilannicus y périsse. Mais, par le même principe , quel

porterons-nous d'une tragédie où, bien que les rrimi-

civ M>ient punis, ils nous sont présentés sous un aspect si favo-

que tout Pinlérêl est pour eux ; oii Calon, le plus grand

uaiii.'; , fait le rôle d'un pédant ; oii C;icéron , le sauveur

république, Ciccron, de tous ceux qui portèrent le nom de

res de la pairie le premier qui en fut honoré et le seul qui le

' ' , noui est montré comme uu vil rhéteur , un Uche ; tandis

'iiiHimc Calilioa, couvert de crimes qu'on n'oserait nom-

\ prrt dVgorger tous ses Tnagistrats et de réduire sa patrie en

re», fait le rôle d'un grand homme, et réunit, j)ar se* la-

», sa fermeté, son courage, toute Testime dr» speclalcurs .'

"il riit y si l'on veut, une ame forte ; en était-il moins un f;cf-

(•6) tjc» Grec^n'nrnipnl pai» Iwïoin dr fonder sur Tanionr le prinrip»! ;t dt Irttr Iragédia , ei ne l'y funiiitfcni yaê ou eflft. l-A nôirv , qni m'.* U l■^■l^ rt^soorcc, n" sniimil se ppxscr il« c»ï iutrrèl. Ort sfrTft din-

sotte 14 Silt4UA4lffCClti;diirilTnt-r.

54 LETTRE

lêral détestable ? el faliait-il donner aux forfaits d'nn Lrîgand le roloris des exploits d'un héros? A quoi donc aboutit la luoralc d'une pareille pièce, si ce n'est à encourager des Caiilioa, et à douner aux mechans habiles le prix de l'estime publique ducaux gens do bien ? Mais tel est le goût qu'il faut flatUrr sur la scène ; telles sont les nicnurs d'un siècle instruit. Le savoir, l'esprit, le courage , ont seuls notre admiration ^ et toi , douce et modeste vertu , tu restes toujours sans honneurs! Aveugles que nous sommes au milieu de tant de lumières! victimes de nos ap— plaudissemens insensés , n'apprcndrons-nous jamais combien mérite de mépris et de haine tout homme oui abuse , pour le malheur du genre humain , du génie et des talens que lui donna la nature?

Atrée et Mahomet n'ont pas même la faible ressource du dé- nouement. Le monstre qui sert de héros à chacune de ces deux pièces achève paisiblement ses forfaits , en jouit; cl l'un des deox ledit en proj^res termes au dernier ver&de la tragédie:

Et je jooii eoGn du prÎK de mes forfaits.

Je veux bien supjjosrr que les spectateurs, renvoyés avec cette belle maxime, n'en concluront pas que le crime a donc un prix de plaisir et de jouissance; mais je demande enfin de quoi leur aura profité la pièce oii cette maxmie est mise en exemple.

Quant à Maliomet ^ le défaut d'attacher l'admiration publique an coupable y serait d'autant plus grand , que celui-ci a bien un autre colons , si l'auteur n'avait vu soin de porter sur un second personnage un intérêt de respect et de vénération capable d'efta- cer ou de balancer au moins la terreur et l'étonneraent que Ma- homet inspire. La scène, surtout , qu'ils ont ensemble est con- *luite avec tantd'art, que Mahomet , sans se démentir , sans rieu perdre de la supériorité qui lui est propre, est pourtant éclipsé par le simple bon sens et l'intrépide vertu de Zopire (17). Il iallait un auteur qui sentit bien sa force , pour oser mettre vis- à-vis l'un de l'autre deux pareils interlocuteurs. Je n'ai janiais oui faire de cette scène en particulier tout l'éloge dont elle me parait digne; mais je n'en connais pas une au théâtre fraudai» oii

(17) Je me •ooTiens d'ivoir troavé dkns Omar pIosMe obalotir ef d'A» U\ation vis-â-TÎs dr Zopire, que tlanit Mahomet lui-ménie ; et je prenait coin ))onr uu d^fani. Kn y ppnBani inietis , i'iiî cliang^ d'opinion. Omar, cmporU* pnr «un finatifRie, ne doit parler de »on mnitrc qu'avec cet eu tlion»tasine de zèle cl d'udmiralion qoi l'tlère nii-deiius de l'Iinmanilr Mais Maliomcl nV<t pti» fnnntiqiie- cVsl un tout br qui ^ sachnnt bien qu'il it'c8l pli!. qof «lion dp fiiir** l'inspiie vî»-à-v)6 de Zopîrc, cherche \\ Ir gngnrr pnr iinr ronGaoL'c ofTi^cl^c el par dcsmotiCi d*anibitinn. Ce Ion de raûoii doil le lendre moiiiA brillant qn'Onwir, par ceh m^me qu'il est pluftgrtintl «t qu'il «ait mieux diuccrner le» Iiorauifn. Lui-m(-mt' dit on ftiit entendre Innl celn dans In scène. CVlait donc ma foule »i )e ne l'avais p&« senti. MaÎA voiU ce qni noua arrive à nous aultfA pelils auteurs: en vouIsnC censurer les écrits de nos maîtres, noire étoiircleric nous y fait retereriniU friules qui sont des beaniiis pour les hommes de ;ugemeut.

A M. D'ALrMBERT. 35

la main ^un grand maîln? soii plus spnsîblcinrnt rmprf fnte , rt *a le iëCri caractère de U vertu Teinporte plu* sen&iblement sur IVlrvatiou du f;Onie.

l'ne antre considcrnlion tpiî tend à juslilier celtp pièce, cVsf

Îiul) n*e$t pas seuIemonL «{ueftlion d'ëlaler des forrait<i , mais fcs orfkifcS du fanatisme on particulier , p<mr apprendre au peuple k ïf ÇfynP»Urû cl s'en défendre. Par malheur de pareil» 5oins sont lr ^ f et ne sont pas toujours san!) danger. Le fauati^ule

n ' , lie erreur, mais une fureur aveugle et •ilupideque la

rauofl ne retient jamais. L'uniaue secret pour TempiVber de itaJlre e»t de contenir ceux (jui Vescitent. Vous ave* beau dt*— ni<^ntrer h de; fous que leurs chefs les trompent , ils n'en sont moins ardcns à les suivre. Que si le fanatisme existe une fois , je ne vois encore ou'un seul Tuoyen d*arr^«tor son progrès; c'r^l «TeinpIoTer contre lui ses propres armes. Il ne s'agit ni de raison- ner ni Je convaincre; il faut laisser la philosophie, fermer les livres, prendre le glaive et punir les fourbes. De plus , je crains btm , par rapport â Mahomet , qu'aux yeux des spectateurs . sa grandeur d'auie ne diminue beaucoup ratrocitéde se» crimes; et qu^ooe pareille pièce, jouée devant des gens en état de choisir , ne fil plus de Mahomets que de /opires. Ce qu'il y a du moins Je i>i«»n *ûr, c'est que de pareils exemples ne sont guère encou-

T s pour la vertu.

Motr Atrée n'a aucune de ces excuses , l'horreur qu'il inspire est â pure pertej il ne nou.s apprend rien qu'à firérair de son crime; rt, quoiqu'il ne soit grand que par sa fureur , il n'y a pas dans to-ule la pièce un seul personnage en état par son caractère de

Kriager avec lui l'attentiou publique : car, quant au doucereux ivllirne, je ne sais comment on 1 a pu supporter dans une j>û- mlle tragédie. Senèque n'a point mis d'amour dans la sienne : et, puuque rautetir moderne a pu se résoudre à l'imiter dans tout le reste, il aurait bien l'imiter encore en cela. Assurément d faut avoir un cœur bien flexible pour soulTrir des entretiens piUns ik cAté des scènes d'Atrée.

Avant de finir sur celle pièce, je ne puis m'erapêcher d'y rc— marqacr un me'rile qui semblera peut-être un détaut à bien des pfra*. l^ r/ile de Thyeste est peut-être de tous ceux qu'on a mis ^i' 'le le plus sentant le goikl antique. Ce n'est point

t-' îjeux , ce n'est point un modèle de vertu : on ne

pMl ^ià« dire non plus que ce soit un scélérat (i8):cest un li<iaRn« faible, et pourtant intéressant, par cela seul qu'il est AiiRBfDi* et malheureux. Il me semble aussi que, par cela seul. If sentiment qu'il excite est extrêmement tendre et louchant ; car cet homme tient de bien près à chacun de nous, au lieu que

(iS) 1^ preuve de cela , cV*t qu'il întérewe. Quant à U faute dont tl

«... *..-; .ii_ .., ancirnoe, elle etl Irop expi^ ; et puis cWt peu de

<-li»iit de théâtre, qu'on ne tieut point pour tel s'il

2(i LETTRE

rhéroisinfl nous accable encore plus qu'il ne nous touche , p«r<iff i)u'api'ês tout nous n*y avons que faire. Ne sérail— il p&f, k desii^r que nos sublimes auteurs daignassent dcscondre un pou de leur <-ontinuclle étovation, et nous attendrir quelquefois pour la sim- ple liuiuanité souflrante , de peur que, uayaut de la pitié que pour des héros malheureux , nous n'en ayons jamai!^ pour per- sonne? Les anciens avaient des héros , et mettaient des hommes sur leurs théâtres; nous, au contraire , nous n'y mettons que (le<^ héros, et à peine avons— nous des hommes. Les anciens parlaient de rhumanitéen phrases moins apprêtées ; mais ils savaient mieux l'exercer. On pourrait appliquer à eux et à nous un trait rap-

fiorté par Plutaruue , et que je ne puism'empècher de transcrire. Jo vieillard d'Atuêues cherchait place au spectacle et n'en trou- vait point; de jeunes gens, le voyant en peine, lui firent si^^ne de loin j il vint, mais ils se serrèrent et se moquèrent de lui. Le bonhomme fit ainsi le tour du théâtre , fort embarrassé de sa personne et toujours hué de la belle jeunesse. Les ambassadeurs de Sparte s*en aperçurent, et, se levant à Tînstant, placèrent honorablemeut le vieillard au miUeu d'eux. Celte action fut re- marquée de tout le spectacle, et applaudie d'un battement de mains universel. £h! que de maux i s écria le bon vieillard d*un ton de douleur : iea AÙiéniena savent ce gui est honnête^ mai* Ur Lacèdimoniens le pratiquent. Voilà la philosophie moderne et les ma*urs anciennes.

Je reviens à mon sujet, Qu'apprend-on dans Phèdre et dans (Bldipe , sinon que l'homme n'est pas libre, et que le ciel le punit descrimesqu'il lui fait commettre.-' Qu'apprend— on daus mèdée, si ce n'est jusqu*oii la fureur de la jalousie peut rendre une mère cruelle et dénaturée? Suivez la plupart ces pièces du théâtre français : vous trouverez presque dans toutes des munstres abomi- nables et des sciions atroce», utiles, si Ton veut^ k donner de Tinlérêt aux pièces et de l'exercice aux vertus, maisdangereuses certainement , en ce qu'elles accoutument les yeux du peuple à des horreurs qu'il ne devrait pas même connaître, et à des for- faits qu'il ne uevrait pas supposer possibles. Il n'est pas même vrai que le meurtre et le parricide y soient toujours odieux. A In faveur de je ne sais quelles commodes suppositions, on le» rend permis, ou pardonnables. On a peine à ne pas excuser Phè- dre incestueuse cl versant le sang innocent : Syphnx empoison- nant sa femme ,1e jeune linrace poi^juardant sa sour, Agameiu— non immolant sa fille , Oresle éf^orgeaut sd mère , ne laissent pa^ d'être des personnages iutére&sans. Ajoutez que l'auteur , pour faire parler chacun selon son caractère , est forcé de mettre dans la bouchtfdes méchans leurs maximeset leurs principes , revêtus •le tout l'éclat dec beaux vers et débités d'un ton imposant et sentencieux, pour Tinstruction du parterre.

Si les Grecs supportaient de pareils spectacles, c'était comme leur représentant des antiquités nationales qui couraient de tout temps parmi le peuple, qu'ils avaient leurs raisons pour se rap

l

te-

A M. D'ALEMBERT. 27

'Ipt sanf ceise, et dont Todirux mt^rae entrait flnnt lenrs vnes.

•na«^ <> •'* motifs et du même intôréi, oonuiieut Ia

:t-«lie trouver parmi vous des speciateurt ca-

souteiiir le* tableaux qnVlte leur nrêseiite, et les por-

_ i^'elle V fait agir* L'un tue son père, ëpousr %& mère,

4e tronve le frère tieses enfaiis : un aulrr force un fils d'cgor-

■r son père : un troisième fait boire au [Kre le sang de son fiU.

une à la seule idée de» horreurs dont on pare la scène

pour l'amii»emerit du peuple le plus doux et le plus

un ïjui ioit sur la terre. Non... je le soutiens » et j'en atteste

des lecteurs ; les massacres des gladiateurs n'étaient pas si

irb«rrs ijue ces affreux spectacle». On voyait couler du ftnng,

est ^ni } mais on ne souillait pas son imagination de crimes

li font frémir la nature.

Hrureusement la tragédie, telle nu*e1le existe, est si loin de

ras r cllr nous présente desêtreii si gigantesques, si bnursoufflês,

■es, que l'exemple de leurs vices n'est guère plus con-

IX <|D« celui de leurs vertus n'est utile, et qu'a proportion

[licite Tffut luoin^ nous instruire, elle noun fait aussi moins de

BuU. Mai* il n'en est pas ainsi de la comédie , dont 1rs mœurs

it aivc les nôtres un rapport plus immédiat , et dont les per-

innages ressemblent mieux a. des Uommes. Tout en est mauvais

et pernicieux , tout tire à conséquence pour les specl.'ïtonr-i cl le

plaisir même du comiqueétant fondé sur un vice auco'urbnmajn,

c'rftt une suite de ce principe que plus la comédie est agréable et

irfkitp , plus son effet est funeste aux mœurs. Mais , sansrépi^er

' que j'ai déjà dit de sa nature, je me contenterai d'en faire

ri Tappltcatioa , et de jeter un coup-<l*œil sur votre théâtre

omique.

Prenons-le dans sa perfection , c'est-à-^lire à sa naissance. On

irtent, et on le sentira chaque jour davantage , que Molière

plus parfait auteur comique dont les ouvrages nous soient

î mais qui peut disconvenir aussi que le théâtre de ce

Molière, des tatens duquel je suis plus l'admirateur que

Iinne, ue soit une école Je vices et de mauvaises mœurs^ dangerruse que les livres mêmes Ton fait profession de iseigner? Son plus grand soin est de tourner la bonté et la licite m ridicule, et de mettre la ruse et le mensonge du pMir îcqurï on prend intéTrt : ses honnêtes gens ne .sont I |..irlent ; ses vicieux sont des gens qui agissent

< _ llans succès favorisent le plus souvent : enfin

J oootseor des appUudisfccmens, rarement pour le plus estimable» t prewiue toujours pour le plus adroit.

Kiaminc», le comique de cet auteur : partout vous trouverez

" de caractère en sont riostrumenl, et les défauts

ijet; que la malice de l'un punit la simplicité de

r^ue les »ols sont les victimes des méchans : ce (jni ,

tiVirr que trtq» vrai dans le monde, n'en vaut pas mieux

~\trt au ittéAtre avec un air d'approbation , comme pour

sS LETTRE

eicitcr les âmes perfides à punir, sous le nom de sottise, la can- deur des hoiiiictes gens.

Dat vcniam corvîs, veiat censara coliimbas. '

Voilà l*espnt général de Molière et de ses imitaleiirs. Ce sont àcs gens qui, toul au plus, railleat quelquefois le» vires, »an* jujuais faire aimer la vertu ^ de ces gens , disait un ancien, qui savent bien jitoucUer la lampe, mais qui n'y mettent jamai» d'huile.

Voyez comment , pour multiplier ses plaisanteries , cet homme trouble tout Tordre de la société; avec quel scandale il renverse tous les rapports les plus sacrés sur lesquels elle est fondée; comment il tourne en dérision les respectables droits des père» sur leurs eufans . des maris sur leurs femmes, des maîtres sur leurs serviteurs! Il fait rire, il est vrai , et n'en devient que plus coupable , en forçant, par un charme invincible, les sa^es mêmes de se prêter à tia railleries qui devraient attirer leur in- dignation. J'entends dire quM attaque les vices; mais je you- draii^ bien que l'on comparât ceux qu'il attaque avec ceux qn^il favorise. Quel est le plus blâmable a'un bourgeois sans cspnt et vain qui fait sottement le gentilhomme, ou du genlilJioinme fripon qui le dupe? Dans la pièce dont je parle, ce dernier nest- il pas 1 honnête homme? n a-t— il pas pour lui l'intérêt? et le public n'apptaudit-il pas à tous les tours qu'il fait à l'autre? Quel est le plus criminel d'un paysan assez fou pour épouser une demoiselle, ou d'une femme qui cherche à déshonorer son époux? Que penser d'une pièce oii le i>arlerre applaudit à Tin— fidélité , au mensonge, à 1 impudence de celle-ri , et rit de la bêtise du manant puni? C'est un grand vice d'être avare et de prêter à usure : mais n'en est-ce pas un plus grand encore à uu fils de voler son père, de lut mauquer ne respect , de lui faire mille insultans reproches , et , quand ce père irrité lui donne> sa malédiction, de répondre d'un air goguenard qu'il n'a que faire de ses dons? Si ki plaisanterie est excellente , en est-elle moins punissable? et la pièce l'on fait aimer le fils insolent qui l'a faite en est— elle moins une école de mauvaises mœurs ?

Je ne m'arrêterai pointa parler des valets. Ils sont condamnés par tout le monde (ig); et il serait d'antanl moins juste d'im- puter à Molière Ips erreurs de ses modèles ri de son siècle , qu'il ft'en est corrigé lui-même. Ne nous prévalons ni des irrégularité» qui peuvent se trouver dans les ouvrages de sa jeuncs-»e, ni de ce qu'il y a de moins bien dans ses autres pièces, et passons tout

(19) Jo ne décide pas s'il Oiiil en effet lea condAmiter. Il ar peut qne Im valets ne foient p]iii qu» li*s iu^inimcns des turchancolés dta niitUre»» «IrpiiÎA que ceu«-ri I^ur ont ôlé l'iionnf'nr de l'invention. Cepi-ndant |e flouterais qu'en c«i l'imxgp trop nnive de U wci^tê fui bonne an tlK';ltre« 8(ip|>OftC' qu'il faille qup|qii**s ronrbrritnt dans les pipcr» , je ov mis s'il ne vaudrait pat niienx que le* vakU »euls en fu&scnt cliarg<^ , et qoo !»•• hoiUlcles gçns fuucut auui de* gens honnêtes au uioios lar la scènr.

A M. D'ALEMBERT. 2^

â'un coup k celle qu'on reconnaît unanimement pour son chef- d'œuvre ; je veux dire , le MUantrope,

Je trouve ^ae cette comédie nous découvre mieux qu'aucune autre la véritable vue dans laquelle MoHcre a composé son théâtre, et nous peut mieux faire juger de ses vrais effets. Ayant à plaire au public, il a consulté le godt le plus général de ceux qui le composent : sur ce goût il s'est formé un modèle , et sur ce modèle un tableau des défauts contraires , dans lequel il a pris ses caractères comiques, et dont il a distribué les divers traits dans ses pièces. Il n'a donc point prétendu former un honnête homme, mais un homme du monde; par conséquent il n^a point voulu corriger les vices, mais les ridicules; et, comme j'ai déjà dit, il a trouvé dans le vice même un ins- trument trèfr-propre à y réussir. Ainsi, voulant exposer à la risée publique tous les défauts opposés aux qualités de l'homme aimable , de l'homme de société, après avoir joué tant d'autres ridicules , il lui restait k jouer celui que le monde pardonne le moins , le ridicule de la vertu : c'est ce qu'il a fait dans le MUantrope.

Vous ne sauriez me nier deux choses : l'une , qu'Alceste , dans cette pièce , est un homme droit , sincère , estimable , un véritable homme de bien ; l'autre , que l'auteur lui donne un personnage ridicule. C'en estasses, ce me semble, pour rendre Molière inexcusable. On pourrait dire qu'il a joué dans Alceste , non la vertu, mais un véritable défaut , qui est la haine des hommes. A cela je réponds qu'il n'est pas vrai qu'il ait donné cette haine & son personnage : il ne faut pas que ce nom de mi— •antrope en impose , comme si celui qui le porte était ennemi du genre humain. Une pareille haine ne serait pas un défaut , mau une dépravation de la nature et le plus grand de tous les vices. L«e vrai misantrope est un monstre. S'U pouvait exister, il ne ferait pas rire , il ferait horreur. Vous pouvez avoir vu à \m. comédie italienne une pièce intitulée , La vie e^t un songe. Si vous vous rappelez le héros de cette pièce, voilà le vrai mi- santrope.

Qu'est-ce donc que le misantrope de Molière? Un homme de bien qui déteste les mœurs de son siècle et la méchanceté de s^ contemporains ; qui , précisément parce qu'il aime ses semblables, hait en eux les maux qu'ils se font réciproquement et les vices dont oes maux sont l'ouvrage. S'il était moins touché ^es erreurs de l'humanité, moins indigné de;|' iniquités qu'il voit, serait-il plus humain lui-même? Autant vaudrait soutenir qu'un tendre père aime mieux les enfans d'autrui que les siens , parce qu'il s'irrite des fautes de ceux-ci , et ne dit jamais rien aux autres.

Ces sentimens du misantrope sont parfaitement développé.*: dans son râle. Il dit , je l'avoue , qu'if a conçu une haine ef-> iroyable contre le genre humain. Mais en quelle occasion le

3o LETTRE

dit-il (30)? Qaand, outre d'avoir vu son ami trahir Uclirment son fientinient et tromper riiomiue qui le lui demande , il s'en voit encore plaisanter lui-même au plus fort de sa colère. 11 est naturel <juc celte colère dégénère en eraporleinent et lui fas*e dire alors plus qu'il ne peutte de sang-froid. D'ailleurs, la rai- son qu'il rend de cette naine universelle en justifie pleinement la cause :

Les uns parte qu'ils font nipclinns, ^

El lesantrei pour éire aux méchaus complaisans.

Ce n'est donc pas des Iiomraes qu*il est ennemi, mais de la mécliancelc des uns et du support que cetle inéchancctc trouve dans les autres. S'il ny avait ni fripons ni flatteurs , il aimernît tout le monde. Il n'y a pas un liomme de bien qui ue soit mi- santropc en ce sens; ou plutôt les vrais misantropes sont ceux qui ne pensent pas aînsij car, au fond , je ne connais point de plus grand ennemi des hommes que Tami de tout le monde , qui, toujours charme de tout, encourage incessamment le» niéchans, et flatte, par ssl coupable complaisance, les vices d*oà naissent tous les désordres de la société.

Une preuve bien sûre qu'Alceste nVs! point raisantrope & la lettre, c'est qu'avec ses brusqueries et ses incartades il ne laisse pas d'intéresser et de plaire. Les spectateurs ne voudraient pas , à la vérité, lui reisseranler, parce que tant de droiture est fort incommode; mais aucun d'eux ne serait fiïché d'avoir affaire à quelqu'un qui lui ressemblât : ce qui n'arriverait pas s'il était l'ennemi déclaré des hommes. Dans toutes les autres pièces de Molière , le personnage ridicule est toujours haïssable ou mé- prisable. Dans celle-là , quoiqu'Alceste ait des défauts réels dont on n'a pas tort de rire, on sent pourtant au fond du cœur un respect pour lui dont on ne peut se défendre. En cette occa- sion , la force de la vertu l'emporte sur l'art de l'auteur et fait honneur à son caractère. Quoique Molière fit des pièces répré— hcnsibles , il était personnellement honnête homrae ; et jamais le pinceau d'un honnête homme ne sut couvrir de coulears odieuses les traits de la droiture et de la probité. 11 y a plus : Mohère a mis dans la bouche d'Alceste un si grand nombre de ses propres maximes, qnc plusieurs ont cru qu'il s'était voulu peindre lui-même. Cela parut dans le dépit qu'eut le parterre , a la première représentation , de n'avoir pat eté« sur le sonnet , de lavis du inisantrope : car on vit bien que c'était celui de l'auteur. ^

(io) J'avertin qu'étnnt uni livra, sjin>i mémoire, et n'u^'ant pour loua matériaux qn'uti cotifuH mimeniv des ubsenulioiiK que j'aî fuitet autre fois au «i^tlBrle , )e puis inr Iroiiipcr dans lUrK cilnliuns et renverser l'nnlir de» pic'ccs. Mai» quand mr» riemples oerau'iit peu ;usles ^ nie» raison* ne le seraient 'pas moins, attendu qu'elles ne sont point lirrea lie Italie ou telle pièce , mais de l'esprit général du tlu-itre , que )'ai bien riudie.

Ll

A M. D'ALEMBEKT.

3t

Op(*ndant ce caractère si vt-rtucux est j»n*SPiilé cnmme ridi- cytc. Il IVst, m «flel , h certain» êgaril»; et ce «{ui déraonlrr lÉiio rinveniion du poète e&t bien de le rendre tel , cV«t celui •le l'siiiii Pliilinle, qu^il met en opjxvsition avec le sien. Ce Fhi- lintr nt le i^age de la pièce : on de ces liuiinête<» K^'>s dn fi^rând inonde dont left maximes reM>ombleut beaucmip à cellrs de» |npou&; de ces fi<o» si doux , si modères , tjui hnuvent toujnurs

e tout va bien . parce qu'ih ont iriten^t que rien n'aille mieux;

i Mnt totijoufA contcns de tout li* rnoiule, parce t)tt*its ne se lOucienl de personne; <]ui , autour d'une bonne table, itou- linuient qu'il n'est pas vrni que le peuple ail faim; qui, le |;oaai»<t bien garni y trouvent lort mauvais mrnn déclame en Citeor des pauvres ^ qui, de leur inaiuon bien ferim-e, serraient vcl&tf piller, égorger, massacrer tout le genre bumnin sans sr flftindre, mttenau que Dieu tes a doués d'une douceur très-xuc- ritoirv â supporter les malbeurs d'autrui.

On voie bien que le Uegmo raisonneur de cehii-ci est trêA- propre i redoubler et faire sortir d'une manière comique le* •«iportetnens df^ Tautrc : et le tort de Molière n'est pas d'avoir lait du misaotrope un bomiue colère et bilieux , mais de lui •voir donné de» fureurs puériles Rur des sujets qui ne devaient pas rèmouvnir. Le caraclère du niisantrope n'est pa^ à la dis- pfiiilinn du poète; il est déterminé par la nature de sa passion dotninante. Cette passion est une violente liaine du vice, née d'un amour ardent pour la vertu , et aigrie par le spectacle continuel de la tnérbanceté des liomrnes. il n'y a donc qu'unp ■as« grande et noble qui en soit susceptible. L'horreur et le iDrpns qu'y nourrit cette même passion ponr tous les vices nui l'ont irritée sert encore ii les écarter du crrur qu'elle agile. IV

u*, c«?ttr contemplation continuelle des désordres de la société

détache de lui-uième pour fixer toute son attention sur le re buiuain. Cette habitude élève, agrandit ses iilées, ilétruit lui dei inclinations basses qui nourrissent et ronrentrent r*'n""--r>ropre ; et de ce concours naSl une certaine force de ' une ficrlé de caraclcre qui ne laisse prise au fond de

Hmi mil' -ju'a des sentimens dignes de Torcuper.

n'est pas que l'homme ne soit toujours homme; qne la psuioa ur le rende souvent faible , injuste « déraisonnable ; ifu'iJ n'épie peut-i'tre leii motif» cachés nés actions des autres rcrel plaisir d'y voir la corruption de leurs cfrurs ; lit mal ne lui donne souvent une faraude colère, et eu 1 irritant à dessein un luécliant adroit ne pAt parvenir faire passer pour méchant lui-rarme : mais il nVn est pas iiusrrai quêtons moyens ne souk pas bonsii produire ces eflTels. qn'ils doivent ^tre assortis k son caractère pour le mettre ^eu , »ans quoi , c'est substituer un autre homme au mi-

itrope , cl uouï le peindre avec des traits qui ne sont pas

VuiU donc de qocl cûté le caractère du raisantrope <^it

3a LETTRE

porter ses défauts j et votU aussi <le quoi Molière fait un u^agtf ^(imirable dans toutes les scènes d'Alccste avec son ami , \c$ froides maKÎmes et les railleries de rclui-ci , démontant l'autre à chac|iJO instant , lui font dire iiiille impertinences très- liien placées : mais ce caractère âpre et dur , qui lui donne tant de fiel et d*atgreur dans l'occasion , IVloigne en même temps de tout chagrin puéril qui n'a nul fondemenl raison— nabte, et de tout intérêt personnel trop vif , dont il ne doit nullement être susceptible. Qu'il s'emporte sur tous les desordre» dont il n'est que le témoin , ce sont toujours de nouveaux trait» nn tableau ^ mais qu'il soit froid sur celui qui s'adresse direc- tement à lui : car, a^ant déclaré la guerre aux raéchans, il s'attend bien qu'ils la lui feront à leur tour. S'il n'avait pas prévu le mal que lui fera sa franchise, elle serait une ctourderie et non pas une vertu. Qu'une feamie fausse le trahisse^ que d'indignes amis le déshonorent , que de faibles auiis l'aban- donnent i il doit le souffrir sans en murmurer : il connaît les hommes.

Si ces distinctions sont justes, Molière a mal saisi Je misan- trnpe. Pensc-l-on que ce soit par erreur? Non, sans doute. Mais voilà par oli te désir de faire rire aux dépens du personnage J'a forcé de le dégrader contre la vérité du caractère.

Après l'aventure du sonnet, comment Alcestc ne s*atlend-il point aux mauvaif procédés d'Oronle? Peut- il en être étonné <|uand on IVn instruit» comme si c'était la première fois de sa \ie qu'il eût été ^incinre, ou la première fois que sa sincérité lui «lU fait un ennemi! Ne doit-il pas se préparer tranquillement à la perte de son procès, loin d en marquer d'avance un dépit d'entant?

Ce sont vingt mille francs qu'il m'en pourra coûter j Mois piiur vingt mille francs j'aurnî droit de ^H-ster.

Un misautrope n'a que faire d'acheter si cher le droit de pes- ter, il n'a qu'à ouvrir les yeux; et il n'estime pas assez l'argent ponr croire avoir acquis sur ce point un nouveau droit par la perte d'un procès. Mais il fallait faire rire le parterre.

Dans la scène avec Dubois, plus Alcesle a de sujet de s'im- patienter, plus il doit rester flegmatique et froid , parce que l'ê- tourderie uu valet n'est pas un vice. Le misantropc et l'homme emporté sont deux caractères Irès-dilférens : c'était l'occasion de les distinguer. Molière ne l'ignorait pas. Mais il fallait faire rire le parterre.

Au risque de taire rire aussi le lecteur à mes dépens, j'ose ac- cuser cet auteur d'avoir manqué de très-grandes convenances, une très-grande vérité, et peut-i^lre de nouvelles beautés de si- tuation; c'était de faire un tel changouient û son plan que Phi- Jiiile entra comme acteur nécessaire dans le nœud de sa pièce, eu sorte qu'on pût mettre les actiousde Philintr etd'Alcesledans une apparente opposition avec lcui"s principes, et dans une cou-

A M. D'ALEMBERT. 33

fomuté ptrfaite avec leurs caractères. Je veux dire qu'il fallait que le mîsaatrope fi\t toujours furieux contre les vices publics, et toujours tranquille sur les méchanccte's ]}er8onnetles dont il était la victime. Au contraire, le philosophe Philiute devait voir tons les désordres de la société avec un ilegme stoique, et se mettre en fureur au moindre mal qui s'adressait directement à lui. En efiet , j'observe que ces cens si paisibles sur les injustices publiques sont toujours ceux qui font le plus de bruit au moindre tort qu'on leur fait, et qu'ils ue gardent leur philosophie qu'aussi long-temps qu'ils n'en ont pas besoin pour eux-méines. lis res- semblent à cet Irlandais qui ne voulait lias sortir de sou lit, quoi- que le feu fût à la maison . La maison brûle , 1 ui criait - on . Que m'importe? répondait-il, je n'en suis que le locataire. A la fm le feu pénétra jusqu'à lui. Aussitôt il s'^ancc, il court, il crie , il s'agite) il commence à comprendre qu'il faut quelquefois prendre intérêt à la maison qu'on habite , quoiqu'elle ne nous appar- tienne pas. ^

Il me semble qu'en traitant les caractères en question sur cette idée, chacun des deux eût été plus vrai, plus tnéâtral , et que celui d'Alceste eût fait incomparablement plus d'eifet : mais le parterre alors n'aurait pu rire qu'aux dépens de l'homme du monde ; et l'intention de l'auteur était qu'où Ht aux dépens du misantrope (ai).

Dans la même vue il lui fait tenir quelquefois des propos d'hu- ncnr d'un goût tout contraire à celui qu'il lui donne. Telle est cette pointe de la scène du sonnet :

l^a peste de ta chnte , empoisonneur au diable ! En euiset-ta &it ane à le camer le nez !

pointe d'autant plus déplacée dans la bouche du misantrope, qu'il vient d'en critiquer de plus supportables dans le sonnet d'O- roote; et il est bien étrange que celui qui la fait propose un ins- tant après la chanson du roi Ifenri pour un modèle de goût. Il ne sert de rien de dire que ce mot échappe dans un moment de dépit j car le dépit ne dicte rien moins que des pointes^ et Al- ceste, qai passe sa vie à gronder, doit avoir pris, même en gron- dant y un ton conforme à son tour d'esprit :

Morbleo ! vil complaisant ! voua loura deaaotlîses!

Cett ainsi que doit parler le misantrope en colère. Jamais une pointe n'ira bien après cela. Mais il fallait faire rire le parterre; et Toilâ comment on avilit la vertu.

(»i) Je ne doale point que , sur l'idée que )• viena de proposer, xin boame de génie ne pût faire on nouveau Misantrope y non moins vrai, non moins naturel que TAthénien , égal en mérite a celui de Molière , et uns comparaiaon plus instructif. Jo ne vois qu'un inconvénient 4 cette nourelle pièce, c'est qu'il serait impossible qu'elle réussît: car, quoi qa'oo dise, en choses qui déshonorent, nul ne rit de bon coeur à se» dépens. Nous voiU rentres ditfia mes principes.

5. 3

34 LETTRE

Une cliose assez remarquable ^ dans cette comédie , est que le« charges étrangères nue l'auteur a données au rôle du iniâautrone Tout forcé d*adoucir ce qui était essentiel au rnractcre. Ainsi , tandis que dans toutes ses autres pièces tes caractères sont char-« géi pour faire plus d'etlet, dans celle-ci seule les traits sont enioussés pour la rendre plus théâtrale. La même scèae dont je viens de parler m'en fournit la preuve. On y voit Alceste tergi- verser et nser de détours pour dire son avis «i Oronlo. Ce n'est point Je misantropc : c'est un honnête homme du monde qui se fait peine de Ironiper celui qui le consulte, La force du caractère voulait qu'il lui dit hrusquemcnt , f^'otre sonnet ne vaui rien , feiez-UauJ'eu : mais cela aurait ôté le comique qui nait de l'embarras du nnsautropc et de ses Je ne dis pan cela répètes , qui pourtant ne sont au UnuX que des meniiongcs. Si Phtlintc, à son exemple, lui etll dit en cet endroit, Et que dis-^iu donc, traître? qu'avait-il à répliquer? En vérité , ce n'est pas la peine d* rosier m isaiitrope pour ne l'ctrc qu'à demi; car» si l on se permet le premier ménaf;ement et la première altération de la, vérité, oi» sera ta raison suflîsantc pour s'arrêter jusqu'à ce qu'on devienne aussi faux qu'un homme de cour?

L'ami d'Alcesle doit le connaître. Comment ose-t-il lui pro^ pdser de visiter des juges , c'est-à-dire, en termes honnêtes, de chercher à les corrompre? Comment peut-il supposer qu^uii liomuie capable de renoncer même aus bienséances par amour ])0ur la vertu , soit capable de manquera ses devoirs par inlérA? Solliciter un juge! 11 ne faut pas ctrc misantrope, il suAit d'être honnête homme pour n'en rien faire. Cir en lin, quelque tourqu'uit donne à la chose, ou celui qui sollicite un juge l'exhorte à rem- plir sou devoir, et alors il lui fait une insulte \ ou il lui propose une acception de personnes, cl alors il le veut séduire , puisqu« toute .'iccPi)tion de personnes est un crime dans un juge, qui doit connaître ratfaire et non tes parties, et ne \oir que l'ordre et la loi. Or je dis qu'engager un juge à faire une mauvaise ac^ tion, c'est la faire soi-même- et qu'il vaut mieux perdre un« cause juste que de faire une mauvaise action. Cela est clair, net j il n'y a rien û répondre. La morale du monde a d'autre* maximes, je ne l'ignore pas. Il me suffit de montrer que , daii» tout ce qui rendait le misanlro|>c si ridicule , il ne faisait que le devoir d un homme de bien ; cl que son caractère élatt mal rcm-l pli d'avance, si son ami supposait qu'il put y manquer.

Si quelquefois l'habile auteur laisse agir ce caractère dani> toute sa force , c'est seulement quand cette force rend la scène plus tliéàtrale, et produit uu comique de contraste ou de situa- tion plus sensible. Telle est, par exemple, rhumeur taciturne et silencieuse d'Alceslc , et eusuite ta censure intrépide ctvivemcul apostrophée de la conversation chez ta coquette :

Allons, fi;rnie> pnu&5«K, mc5 buu& amis de cour.

Ici Tautcur a marqué fortement la distinction da médisant cl du

I

4'cll

t

\ M. D'ALEMBERT. 35

ntrojMT. Cclui^i , <lani son fiel âcr« et mordant, abhorre I* ' ' ' -!r la Mlire. Ce sont les vice& publict, ce sont

ir lal qu'il allaquo. La basse cl secrète médi'

»J ■- de iiii, il la méprise et la hait «Uns les nulre« ;

»i !u mal lie quelqu'un, il commence par le lui Hiro

•A L*cv. AuMi , «Itirotit toute la pièce, ne fail-i) nulle part plus 4*cirrt que dans cette scène , parce qu'il eftt ce qu'il doit être, "^ qur , ii\ fait rire le parterre , les honnêtes gens ne rougissent d'avrvir ri.

lais, eu gênerai, on ne i^eut nier que, si le inisantrope était

I uiiMnlrope » il ne Tiit beaucoup iiKuns plaisant , parce que

fruncUtie et sa fermeté, n'admettant jamais de détour, ne

Wlaisaeraiient iamaisdau.s l'embarras. Ce nVst donc pas par mé-

m^ement pour lui que l'auteur adoucit quelquefois sou carac*

Ûtt', c'mC au contraire pour le readre plus ridicule. Une auti^

wli$oa l'y oblige encore ; c'est que le niisantrope de théâtre,

•VMit k parler de ce qu'il voit, doit vi\Te dans le monde, et par

CDiuéqueat tempeVer )»a droiture et îes manières par quelques-

on ' «'garas de mensonge et de fausseté qui composent In

ç. ' t que le monde etige de quiconque j veut être sup-

'' iiioutrait autrement , ses discour;» ne feraietit ptuv

' ' ' K-r de l'auteur est bieu de te rendre ridicule, mai»

t ce qu'il paraîtrait aux jeux du public , s'il

nr a quitter cette admirable pièce quand on a corn—

( 'ri Of rupcr, et, plus un v songe, plus on y décou\re

Mais enfin , puisqu'elle ejt , sans contredit ,

.u'S de Molière celle qui contient la meilleure

une morale , sur celle-là jugeons des autres ; et ron—

--, l'intention de l'auteur étant de plaire à des esprits

. ou sa morale jmrte nu mal , ou le faux bien qu'elle

•'^t plus dangereux que le mal m()me ; en ce ou il %é—

jf une apparence de raison ; en ce qu'il fait préférer l'u—

-l lift maximes du monde à l'exacte probité j en ce qu'il

naiftlrr la sagesse dan:$ un certain milieu entre le vice et la

il soulagement des spectateurs., il leur

Iionnèle homme , il iufTil de n'être pas

m A.

j> d'avantage si je voulais passer de l'examen de

eiui de SCS successeurs, qui, n ayant ni son gênte ui

- nVn ont que mieux suivi ses vues intéres»ees , en s'at-

a tlaiter une jeunesse débauchée et des femmes sans

Jr nr ferai pas h Dancourt l'honneur de parler de lui ;

I Diicuent pas por des termes obscène^ , uiais il fjut

., .:.„ ,îe que oreilles pour les pouvoir supporter. Re-

phis modeste , n'est pas moini» dangereux : laissant

aofrr amuner Irt frmrues perdues , il se charge , lui , d'encoura-

rr Ici fiIcMts. C'cil une chose incroyable qu'avec Tagiément »ie pftbre on joue publiquement au milieu de Paris une comédie

tar&ant

nuruf\

nurd

1

38 LETTRE

, dans l'appartement d'un oncle qu*oa vient de voir expirer , sou neveu , I tionin-te homme de ta pièce , s'occupe avec son digne cortège de soins ntic lei lois paient de la corde; et qu*au lieu des larmes que la seule humanité fait verser en pareil cas aux indif- lërens menues , on égaie à Teuvi de plai^anleries barbares te triste appareil de ta mort. Lc:> droits Icsplus sacrés, les plus loucban» seutimena de la nature, sout joués dans celte odieuse scèuc. Les tours les plus punissfibles y sont ras^mblés comme a plaisir avec un enjouement qui fait passer louL cela pour des gentillesses. Faux acte, supposition , vol , fourberie, mensonge, inhumanité; tout y est , et tout v est applaudi. Le mort s'élanl avisé de re- naître , au grand déplaisir de son cher neveu , et ne voulant point ratitier ce qui s'est fait en son nom, ou trouve le moyen d'arracher son consentement de force; et tout se termine au gré des acteurs et des spectateurs , qui, s'inléressant malgré eux k ceâ misérables, sortent de la pièce avec cet édifiant souvenir d'a- voir été dans le fond de leurs cœurs complices des crimes qu'ils ont vu commettre.

Osons le dire sans détour : Qui de nous est assez sûr de lui pour supporter la représentation d'une pareille comédie sans élrede moitié des tours qui s'y jouent? Qui ne serait pas un peu f:\chesi ie filou venait à être surpris ou manquer son coup? Qui ne de- vient pas un moment lilou soi-même en s'intéressant pour lui ? Car s'inléresiier pour quelqu'un , qu'est-ce autre chose que se mettre à sa place" Belle instruction pour la jeunesse , que celle oti les hommes faits ont bien de la peine à se garantir de la séduc- tion du vice ! Est-ce à Jire qu'il ne soit jamais permis d'exposer au théâtre des actions blâmables? Non : mais, en vérité, pour savoir mettre un fripon sur la scène, il faut un auteur bien uon- nête homme.

Ces défauts sont tellement inhérens â notre théâtre, qu'en vou- lant les en ôteron le défigure. Nos auteurs modernes, guidés par de meilleures intentions , font des pièces plus épurées ; mais aussi qu*arrive-t-il ? Qu'elles n'ont plus de vrai comique et ne produisent aucun effet. Elles instruisent beaucoup, si 1 on veut ; mais elles ennuient encore davantage. Autant vaudrait aller au sermon .

Danscetle décadence du théâtre, on se voit contraint d'y subs- tituer aux véritables beautés éclipsées de petits agrémeus ca- pables d'en imposer à la multitude. Ne sachant plus nourrir la force du comique et des caractères, on a renforcé riutéit't de l'a- mour. On a lait la méAie chose dans la tragédie pour suppléer aux situations prises dans àes intérêts d'état qu'on ne connaît plus ^et aux seutimens naturels et simples , qui ne touchent plus personne. Les auteurs concourent à l'cnvi , pour l'utilité pu- blique, ù donner une nouvelle énergie et un nouveau colons k cette passion dangereuse j et , depuis Molière et Omeille, on ne voit plus réussir an théâtre que des romans, sous le nom de pièces dramatiques. ■. .* .„. , ,

A M. D'Af.riMBERT. Sj

î.*amo«r est le règne des. foraines. Ce sont elles cpii necessaire- anent la loij parce cjiie , selon i'onlre de la nature, '■r \rur Appartient, et cjiie les hommes ne peuvent

ice qu'aux dépens de leur liberté. Ln eftet 'I : IN de pièces est donc d'étendre Tcmpire du

•^xe . de rendre des femmes et de jeunes filles les précepteurs du public, et de leur donner sur les spectateurs le même pouvoir «{n'elles ont sur leurs amnns. Pensejt-vous , monsieur , cjue cet f^r-Ko <.,.» Ç3PJ inconvénient^ et au'eu augmentant avec tant de ^' [idant des femmes , les hommes en seront mieux gou-

,*0Qt V «voir dans le moude quelques femmes dignes dVtre rt-ouTres d'un honnête homme; mais est-ce d'elles , eu général , ^'il «loit prendre conseil? et n'y anrai!-il aucun moyen d'hono- rer leur sexe à moins d'avilir le nôtre? Le plus charmant objet de la nature, le plus capable d'émouvoir un copur sensible et de ïe porter au bien, est , je l'avoue , une femme aimable et ver- tueuse; niais cet objet céleste oh se cache-l-il ? N't»st-il pas bien cruel de le cont'^nipler avec tant de plaisir an ihéiître, ponr en Iroorcr dr si ditVérens dans la société / Ce|>ciiilant le tableau sé- doctrsrr fait son effet. L'enchantement causé par ces prodiges de la^i&e tourne au profil des femmes sans honneur. Qu'un jeune honuzi^ n'ait vu le monde que sur la scène, le premier moyen ^oi fe'ofTre à lui pour aller à la vertu est de chercher une mai- tre»e c|uî l'y conduise , espérant bien trouver une Constance ou

. r^:«;« r^^} tout au moins. C'est ainsi que , sur la foi d'un mo- naire, sur un air modeste et touchant . sur une dou-

ir i:n 11 (refaite , nêsciua aurœfallacit , le jeune insensé court se ftrdre , en pensant devenir un sage.

Ceci me fournit Toccasion ^q proposer une espèce de problème. Les anciens avaient en général un très— gr.ind rc^pert pour le» f' ; mais ils marquaient ce respect en s'abstenant de les

*\ ^ jugement du public, et croyaient honorer Icurmo-

dciÛÊca^e taisant sur leurs autres vertus. Ils avaient pour maxime

i'itinl par ^Loarderle quo je ctlo Cénie en cet cadroit » tmonte pièce soit l'ouvrage d'une ierame ^ car , cher* . r Ile de lioiiiiti loi , )e nir <uik point déguiser co qui fjit contre 11 ••rtiiHCDl i cl ce nVst pa« .i une femme mais aux frmmrsqiir Jr rc-

' ' •'-• timnmes. J'honore d'autant plus volontiers ceux de l'ati-

j irticnlirr« qu'ayant â me plaindre de ise» discouri , je iiaiage pur et di^AtiiléreMÛ , comme tous les éloge» M)rti«

: urUonnoienl plusieurs noms honorables que nous n'avons

•ont Iw» et auranuéi piiimi ituu». Ou kaîI qo'*! iisag^ Virgile

lui dn Maire» d.in» un« nccasion les inrrf» troycniie»

je iAgis.Noiiii n'avonit s la |)Uceque le mol dn />dm«i , qui

' cm» à tûulea^qui même vieillit insensibiflfnfnt . et qn'on a

' ir do ton n li mode. J'observe q^ie les nncirim tiraient

"ires d'honneur dp» il^nis do U n^ilure , et que nan».

Ijioai lc> iiOtreaqnedesdruiUdu rmig*

m

38 LETTRE

que le pay les mceurs étaient les plus pures était celui Ton perlait te moins des femmes , et que la Temme la plus honnête éUit celle dont on parlait \o moins. C'est sur ce principe qu'un 8parLiatf>, entendant un çtranger faire de magnifiques elogCJ d une damr de sa connaissance, Tmlerrorapit eu colère : Ne ces- &eras-tu point » lui dit-il , de médire d'une femme de bien ? De lii venait encore que , dans leur comédie , les rôles d'amoureuses et dp filles à marier ne représentaient jamais que des esclaves ou des fiUes publiques. Ils avaient une telle idée de la modestie du sexe , qu'ils auraient cru manquer aux égards qu'ils lui devaient, de mettre une honnête fille sur la scène , seulement en représen- tation (a4). En un mot. INma^e du vice à découvert les choquait moins que celle de la pudeur oITcnsée.

Chez nous, au contraire, la ffînime la plus estimée est celle qui fait le plus de bruit , de qui Ton parle le plus , qu'on voit le plusdans le monde, che» qui Ton dîne le plus souvent, qui donne le plus impérieusement le Ion , qui juge , tranche , déride, pro- nonce , assigne aux talens, au mérite , aux vertus , leurs degré* et leurs places, et dont les humbles savans mendient le plus bas- sement la faveur. Sur la scène , c'est pis encore. Au fond , dans le monde elles ne savent rien, quoiqu'elles jugent de tout; mais au théâtre , savantes du savoir des norarars , philosophes grâce aux auteurs, elles écrasent noire sexe de ses propres talens: et Je$ imbéciles spectateurs vont bonnement apprendre des femmes ce qu'ils ont pris soin de leur dicter. Tonl cela ,dans le vrai , c'est se moquer d elles , c'est le* taxer d'une vanité puérile ; et je ne doute pas que les plus sages n'en soient indignées. Parcoure» la plupart des pièces modernes; c'est toujours une femme qui sait tout , qui apprend tout aux hommes ; c'est toujours la dame de cour qui fait dire le catéchisme au petit Jehan de Saintré. Un enfant ne saurait se nourrir de son pain , s'il n'est coupé par sa gouvernante. Voilà l'imape de ce qui se passe aux nouvelle* pièces. La bonne est sur le théâtre, et les enfans sont dans le par- terre. Encore une fois, je ne nie pas qne cette méthode n'ait ses avantages , et que de tels précepteurs ne puissent donner du poids et du prix à leurs leçons. Mais revenons à ma question. De Tu- sage antique et du nôtre , je demande lequel est le plus honorable aux femmes , et rend le mieux à leur sexe les vrai» respect» qui lui sont dus?

La même cause qui donne , d.ins nos pièces tragiques et com.î- qucs , l'ascendant aux femmes sur ies hommes, le nonne encore aux jeunes gens sur les vieillards^ et c'est un antre renversement des rapports naturels , qui n'est pas moins répréhensible. Puisque l'intérêt Y est toujour"! pour les amans, il s'ensuit que les person- nages avancés en Age t/v peuvent jamais faire que des rôles CJI

(34} S'iti en iiiii»î«nt anlrement flans |pa lrng«'f)ic9 , cVst que , imÎTant le BTstème politiqoe rtA h:ur ihcâlrr, il n'r'lni<>nt ptii fnrhrft qu'on crAt qnp 1rs |>crtonnes d'nn linuï rang n'ont pan beifùii de puelfur , ri font tonjours excpption aux fpplradr la Bioi*ale.

A M. D'ALEMBERT. 39

$ou.«-ordre. Ou, pour former le nœud de Tintrigue , ils scrvmt d'obstacle aux vœux des jeunes amans, et alors ils sont haïssa- bles ; ou ils sont amoureux eux-mêmes , et alors ils sont ridicules. Tarpe senex miles. On en fait dans les tragédies des tyrans , des usurpateurs ; dans les comédies , des j)iloux , des usuriers , des pé- dans y des pères insupportables , que tout le monde conspire k tromper. Voîlà sous quel honorable aspect on montre la vieil- lesse au théâtre j voilà quel respect on inspire pour elle aux jeunes gens. Remercions l'illustre auteur de Zaïre et de Nanine d'avoir soustrait à ce mépris le vénérable Lusignan et le bon vieux Phi- lippe Hombert. 11 en est quelques autres encore : mais cela suf- fit-il pour arrêter le torrent du préjugé public , et pour effacer l'avilissement oii la plupart des auteurs se plaisent à montrer l'âge de la sagesse , de Fexpéricnce et de l'autorité ? Qui peut douter que l'habitude de voir toujours dans les vieillards des per- sonnages odieux au théâtre n'aide à les faire rebuter dans la so- ciété , et qu'en s'accoutumant à confondre ceux qu'on voit dans le monde avec les radoteurs et les Gérontes de la comédie, on ne les znépnse tous également ? Observez à Paris , dans une as- semblée , l'air suffisant et vain , le ton ferme et tranchant d'une impudente jeunesse, tandis que les anciens , craintifs et modestes, ou n'osent ouvrir la bouche , ou sont à peine écoutés. Voit-on nen de pareil dans les provinces et dans les lieux les spectacles ne sont point établis? et par toute la terre, hors les grandes villes, nne tête chenue et des cheveux blancs n'impriment-ils pas tou- jours du respect? On me dira qu'à Paris les vieillards contribuent à se rendre méprisables en renonçant au maintien qui leur con- vient , pour prendre indécemment la parure et les manières de la jeunesse, et q^ue, faisant les galans à son exemple, il est très- simple qu'on la leur préfère dans son métier : mais c*est tout au contraire pour n'avoir nul autre moyen de se faire supporter , qu'ils sont contraints de recourir à celui-là; et ils aiment encore mieux être soufferts à la faveur de leurs ridicules, que de ne rêtre point du tout. Ce n'est pas assurément qu'en faisant les agréables ils le deviennent en effet , et qu'un galant sexagénaire soit un personnage fort gracieux ) mais son indécence même lui tourne a profit : c'est un triomphe de plus pour une femme, qui, traînant a son char un Nestor , croit montrer <}ue les claces de l'âge ne garantissent point des feux qu'elle inspire. Voilà pour- «moî les £emmes encouragent de leur mieux ces doyens de Cy- Uière, et ont la malice de traiter d'hommes charmans de vieux fous , qu'elles trouveraient moins aimables s'ils étaient moins extravagans. Mais revenons à mon sujet.

Ces eSets ne sont pas les seuls que produit Tinlérét de la scène uniquement fondé sur l'amour. On lui en attribue beaucoup d'autres plus graves et plus importans , dont je n'examine point ici la réalité, mais qui ont été souvent et fortejnent allègues par les écrivains ecclésiastiques. Les dangers que peut produire tableau d*une passion contagieuse sont , leur a-t-on répondu ,

o LETTRE

. prévenus par la manière de le présenter : ]*amonr qu^on expose au ihéiitrc y est rendu légitimo , son but est honnête , souvent il est sjicrifîé au devoir et à la vertu , et, dès cjuMl est coupable « il est puni. Fort bien : niais^*fst>il pas plai.sant qu'on prétende ainsi régler après coup les luouvemens du cœur sur les préceptes de la raison , et quM faille attendre les ê\'èneuien5 pour savoir quelle impression l'on doit recevoir des situations qui les amè- nent ? Le mat qu'on reproche au théâtre n'est pas précisément d'inspirer des passions criminelles, mais de disposer IMme à des sentimens trop tendres , qu'on satisfait ensuite aux dépens de la vertu. Les douces émotions qu'on y ressent n'ont pas par elles- intmes nu objet déterminé , mais pIIcs en font naître le besoin j elles ne donnent pas précisément de l'amour, mais elles prépa- rent à en sentir; elles ne choisissent pas la personuc qu'on aoit aimer, mais elle^ nous forcent à faire ce choix. Ainsi elles ne sont innocentes ou criminellps que par l'usage que nous en fai- sons selon notre caractère , et ce caractère est indépendant de Texemple. Quand il serait vrai qu'on ne peint au théâtre que des passions légitimes , s'onsuit-il de la que les impressions en «ont plus faibles , que les effets en sont moins dangereux? Comme si les vives images d'une tendresse innocente étaient moins dou- ces, moins séduisantes , moins capables d'échauffer un cœur sen- sible , que celles d'un amour criminel , h qui l'horreur du vice ftert au moins de conlrc-poison ! Mais si ridée de l'innocence embellit quelques instans le sentiment miVllcaccorapagne, bien- tôt les circonstances fi'eflacent de la mémoire, tandis que Tîni— pression d'une pawion si douce reste gravée au fond du cœur. Quand le patricien Alaniliusfut chasse du sénat de Rome poar avoir donné un baiser h sa femme en présence de sa fille, h ne considérer celte action qu'en elle-même, qu'avait-elle de répré- bensible? rien sans doute; elle annonçait même un sentiment louable. Mais les chastes feux de la mère en pouvaient inspirer d'impurs à la fille. C'était donc d'une action fort honnête faire un exemple de corruption. Voilà TefTct des amours permis du théâtre.

On prétend nous guérir de l'amour par la peinture de ses fai— ^liesses. Jo ne sais là-flessus comment les auteurs 3V prennent) mais je vois que les spectateurs sont toujours du parti de l'amant faible , et que souvent ils sont fichés qu'il ne le soit pas davan- tage. Je demande $i c'est un grand moven d'éviter de lui rea^ âcmblcr.

Rappclet-vous , monsieur , une nièce ;i laquelle je crois nie convenir d'avoir assisté avec vous , il y a quelques années, et qui nous fit un plaisir auquel nous noii& attendions peu, soit qn en t^Tèl l'autrur y eût mis plus de beautés thcAtrales que nous n'a- vions pensé , soit que l'aclrice prêtât son charme ordinaire au rôle qu'elle faisait valoir. Je veux parler de In Bérénice de Ra- cine. Dans quelle disposition dVspril le .'(pecl.tteur voit-il coni— Uiencer cette pièce? Dans un sentiment de mépris pour la faiblesse

A M. lyALËMBERT. 41

'd'un cmperear et d'un Romain , qui balance , comme le dernier des hommes , entre sa maîtresse et son devoir ; qui , flottant inces- samment dans une déshonorante incertitude , avilit par des plaintes efiemînëes ce caractère presque divin que lui donue l'his- toire ; qui fait chercher dans un vil soupirant de ruelle le bien- faiteur du monde et les délices du genre humain. Qu'en pense le même spectateur après la représentation ? Il finit par plaindre cet homme sensible qu'il méprisait, par s'intéresser à cette même passion dont il lui faisait un crime , par murmurer en secret du sacrifice qu'il est forcé d'en faire aux lois de la patrie. Yoilà ce

Îie chacun de nous éprouvait à la représentation. Le rôle de itus , très-bien rendu , eût fait de l'effet s'il eût été plus digne de lui 5 mais tous sentirent que l'intérêt principal était pour Bé- rénice f et que c'était le sort de son amour qui déterminait l'es- pèce de la catastrophe. Non que ses plaintes continuelles donnas- sent une grande émotion durant le cours de la pièce : mais au dnqaième acte, oii, cessant de se plaindre, l'air morne, l'cpil sec et la voix éteinte , elle faisait parler une douleur froide ap-

Srochant du désespoir , l'art de l'actrice ajoutait au pathétiqtie a r6Ie ; et les spectateurs , vivement touchés , commençaient k pleurer qnand Bérénice ne pleurait plus. Que signifiait cela , sinon

În'on tremblait qu'elle ne fût renvoyée : qu'on sentait d'avance I douleur dont son cœur serait pénétre ; et que chacun aurait Toula que Titus se laissât vaincre , même au risque de l'en moins estimer? Ne voilà-t-il pas une tragédie qui a bien rempli son objet, et qiii a bien appris aux spectateurs à surmonter les fai- blesses de 1 amour ?

L'événement dément ces voeux secrets; mais qu'importe? Le dénouennent n'efface point l'effet de la pièce. La reine part sans Je congé du parterre : l'empereur la renvoie invituê invitant , on peut ajouter imnto speclaiore, Titus a beau rester Romain , il est seul de son parti ; tous les spectateurs ont épousé Bérénice.

Quand même on pourrait disputer cet effet } quand même on soutiendrait que l'exemple de torce et de vertu qu'on voit daus Titus vainqueur de lui-même fonde l'intérêt delà pièce, et fait qa*en plaignant Bérénice on est bien aise do la plaindre ; on ne ferait nue rentrer en cela dans mes principes , parce que , comme je l'ai déji dit , les sacrifices faits au deypir et k la vertu ont toujours un charme secret , même pour les cœurs corrom- pus: et la preuve que ce sentiment n'est point l'ouvrage de la pièce, c'est qu'ils l'ont avant qu'elle commence. Mais cela n'em- pêche pas que certaines passions satisfaites ne leur semblent pré- férables h la vertu même , et que , s'ils sont contens de voir Titus vertueux et magnanime , ils ne le fussent encore plus de le voir heureux et faible , ou du moins qu'ils ne consentissent volontiers à l'être à sa place. Pour rendre cette vérité sensible , imaginons un dénouement tout contraire à celui de l'auteur. Qu'après avoir mieux consulté son cœur, Titus, ne voulant ni enfreindre les lois de Rome y ni vendre le bonheur à l'ambition, vienne, avec

42 LETTRE

des maximes opposées, abdiuucr l'erupire aux pieJsUe ficrc-nice; ^ue. pénétrée d*un si grnnfl sacrifice , elle sente que son devoir Mrait ôc refuser la roain de son amant , et (]ue pourlant elle l'ac- cepte i que tous deux , enivrés des charmes de l'amour, de la paix , de Tinnocencc , et renonrant aux vaincs grandeurs , pren- nent, avec celte douce joie qu'inspirent les vrais raouyeraens de Ja nature , le parti d'aller vivre heureux et ignorés dans un coin de la terre ; qu'une scène si tnucbante soit animée des sentiment tendres et pathétiques que fournit le sujet, et que Racine eût si i>)en fait valoir ; que Titus, en quittant les Romains, leuradresse un discours tel que la circonstance et le sujet Je comportent : n'rst-il pas clair, par exemple , au'â moins qu'un autem- ne soit de la dernière maladresse , un tel discours doit faire fondre en Jarmes toute l'assemblée? La pièce , finissant ainsi , sera , si l'on veut , moins bonne , moins instructive , moins conforme à rhis- toire ; mais en fera-t-elle moins de plaisir ? et les spectateurs en ftortiront-ils moins satisfaits ? Les quatre premiers actes subsiste- raient u peu près tels qu'ils sont ^ et cejiendant on en tirerait une leçon directement contraire. Tant il est vrai que les tableaux de Jl'amour font toujours plus d'impression que les maximes de la sa- gesse , et que l'efict d'une tragédie est tout-à-fait indépendant de celui du dénouement (q5j !

Veut-on savoir s'il est silr qu'en montrant les suites funestes lies passions immodérées la tragédie apprenne à s'en garantir ? i|ue Von consulte Texperience. Ces suites funestes sont représen- tées très fortement dans Zaïre i i\ en coûte la vie aux deux amans; et il en coûte bien plus que la vie à Orosmane, puisqu'il ne se donne la mort que pour se délivrer du plus cruel sentiment qui puisse entrer dans un ccnur humain, le remords d'avoir poi- gnardé sa maîtresse. Voilà donc assurément des leçons très-éner- j'iques. Je serais curieux de trouver quelqu'un, homme ou femme, qui s'osât vanter d'être sorti d'une représentation de Zaïre bieu prémuni contre l'amour. Pour moi , je crois entendre chaque spectateur dire en son cœur À la Gn de la tragédie : Ah ! quoa me donne une î^aire , je ferai bien en sorte de ne la pas tuer. Si irs femmes n'ont pu se lasser de courir en foule i cette pièce ench.inleresM? cl d'y faire courir 1rs hommes, je ne dirai pomt que c'est pour s'encouraper , par l'exemple de l'héroine , à u'imi- ler pas un Nacnficc (jut lui réussit si mal ; mais c'est parce que, de Ion les les tragédies qui sont au tlicAtre, nulle autre ne montre avec plus de charmes le pouvoir de Tainour et l'empire de la beauté . et qu*on v apprend encore , pour surcroît de prnfil , à ne nos juger sa maîtresse sur les apparences. Qu'Orosmane iin— molr Zaïre à sa jalousie , une femme sensible v voit sans cflroi le transport de la passion : car c'est un moindre malheur de

(jS) n y rt d«n» \c sepli^mc lomr Hc Pamt'la nn rxameii lrè«iutlicîe»i« dv Vjéndromaqun tto Racine , par lequel on voit qur celle pièce ne va inioax à ion but prétendu que loalcs les uutrcA.

A M. D'ALEMBERT. 43

périr par la main de son amant , qu« d*en èln m^iocrement aimée.

Qu'on noaspeif;ne l'amour comme on voudra : i] séduit , oa ce n'est pas lui. S'il est mal peint , la pièce est mauvaise ; s'il est bien peint , il offusque tout ce qui l'accompagne. Ses com- bats, ses maux , ses souffrances , le rendent plus touchant encore que s'il n'avait nulle résistance à vaincre. Loin que ses tristes tfkXM rebutent , il n'en devient que plus intéressant par ses mal- heurs mêmes. On se dit malgré soi qu'un sentiment si délicieux console de tout. Une si douce image amollit insensiblement le ctmr I on prend de la passion ce qui mène au plaisir ; on en laisse ce qui tourmente. Personne ne se croit obligé d'être un héro9; et c'est ainsi qu'admirant l'amour honnête on se livre à l'amour criminel.

Ce qui achève de rendre ses images dangereuses, c'est préci- sément ce qu'on fait pour les rendre agréables } c'est qu'on ne le voit jamais régner sur la scène qu'entre des âmes honnêtes ; c'est que les deux amans sont toujours des modèles de perfection. Et comment ne s'intéresserait-on paa^pour une passion si sédui- sante entre deux cœurs dont le caractère est déjà si intéressant ^r lui-même ? Je doute que , dans tontes nos pièces drama- tiques , on en trouve une seule oii l'amour mutuel n'ait pas la &Teur du spectateur. Si quelque infortuné brûle d'un feu non partagé , on en fait le rebat du parterre. On croit faire mer- veilles de rendre un amant estimable ou haïssable , selon qu'il est bien ou mal accueilli dans ses amours ; de faire toujours approuver au public les sentimens de sa maltresse , et de donner à la tendresse tout l'intérêt de la vertu : an lien qu'il faudrait apprendre aux jeunes gens à se défier des illusions de l'amour , à fuir l'erreur d'un penchant aveugle qiii croit toujours se fonder sur l'estime , et k craindre quelquefois de livrer un cœur vertueux à un objet indigne de ses soins. Je ne sache guère que le Mtsan- trope oit le héros de la pièce ait fait nn mauvais choix (7.6). Bendre le misantrope amoureux n'était rien j le coup de génie est de l'avoir fait amoureux d'une coquette. Tout le reste du théâtre est un trésor de femmes parfaites. On dirait qu'elles s'y sont tontes réfugiées. Est-ce l'image fidèle de la société? Est- ce ainsi qu'on nous rend suspecte une passion qui perd tant de isens bien nés ? 11 s'en faut peu qu'on ne nous fasse croire qu'un lionnéte homme est obligé d'être amoureux, et qu'une amante aimée ne saurait n'être pas vertueuse. Nous voilà fort bien instruits !

Encore une fois , je n'entreprends point de jucer si c'est bien ou mal fait de fonder sur l'amour le principal intérêt du théâtre ; mais je dis que , si ses peintures sont quelquefois dangereuses ,

(36) Ajontontle Marchand de tendres y -pièce acimirable, et dont U Donle Ta pins directement na but qu'aucune pièce frRnçaise qae je connaÏMe.

44 LETTRE

elles le seront toujours quoi qu'on fasfie pour les dcguiser. Je dis que r'est en parler de ninuvnisp foi , ou sans le connaître, de vouloir en recti6er \es impressions par d'autres impressions étran- gères qui ne les accompagnent point jusqu'au cœur, ou que le ca>ur en a bientôt sépuree& ; impressions qui même en déguisent les dangers , et donnent à ce sentiment trompeur un nouvel ;iUrajt par lequel il perd ceux qui sV livrent.

Soit qu'on déduise de la nature de» spectacles, en général, les meilleures formes dont ils Aont susceptibles , soit qu'on exa- mine tout ce que les lumières d*un siècle et d'un peuple éclairés ont fait pour la i>erfection des niUreii j je croîs qu'on peut con- clure de ces considérations diverses que Teflct moral du spectacle et des théâtres ne saurait jamais être bon ni salutaire en lui- nw'nie , piiisqu*à ne compter que leurs avantages , on n'y trouve aucune sorte d'utilité réelle sans incouvéniens qui la surpassent. Or, jiar une suite de son inutilité même , le tlicA.trc , qui ne peut rien pour corriger les mœurs , peut beaucoup pour les altérer, lùn fiivorisaiit tous nos penchans, il donne un nouvel ascendant à ceux qui nous^omincnt ; les continuelles émotions qu'on y ressent nous énervent , nous affaiblissent , nous rendent plus incapables de résister à nos passions : et le stérile intérêt qu'un prend à lu vertu ne sert qu*a contenter notre amour-propre sans nous contraindre à la pratiquer. Ceux de mes compatriotes qui ue désapprouvent pas les spectacles en eux-mêmes ont donc tort.

Outre ces effets du théÂlre relatifs aux choses représentées , il rn a d'autres non moins nécessaires , qui se rapportent direc- tement à la ficêne et aux personnages représrntans ; et c'est à ceux-là que les Genevois oéjà cités attribuent le goiU de luxe, de parure et de dissipation , dont ils craignent avec raison Tin- troduction parmi nous. Ce n'est pas seulement la fréquentation des comédiens , mais celle du tbe;\tre, qui peut amener ce goût par son appareil et la parure des acteurs. N'ei\t-il d'autre cllbt que d'interrompre à certaines heures le cours des affaires civiles et domestiques , et d'offrir une ressource assurée à l'oisiveté ; il n'est pas possible que la coramodité d'aller tous les jours récu- lièrement au nicjue lieu s'oublier soi-même et s'occuper d'ob|el* étrangers ne donne au citoyen d'autres habitudes et ne lui forme de nouvelles mœurs. Mais ces changeniens seront— ils avantageux ou nuisibles? c'est une question qui dépend moins de l'exameu du spectacle que de celui des spectateurs. 11 est siir que ces chan- geniens les amèneront tous â peu près au même point. C^esL donc par Tétai chacun était d'uuord qu'il faut estimer les différences.

Quand les amusemcns sont indiffércns par leur nature ( et je veux bien pour un moment considérer les spectacles comme tel.* rVst la nature des occupations qu'ils interrompent qui les faii juger bons ou mauvais, surtout lorsqu'ils sont assez vifs pour devenir des occupations eux-mêmes , et substituer leur goi\t à

A M. D^ALEMBERT.

45

«lu travail. La raison vnjt qu'on Tavorise les amuscni»n« 1% dont les occupation» soitt nuitibles, et <}u'oii détourne ainu^rnirns ceux dont les occupalions sonl uliles. itr(^ considération générale <^t qu'il n*C5t pa$ bon de Ui^âer linœmes oisifs et corrompu» le choix de leurs amii^^emens, qu'Us ne 1rs imaginent conformes à icun incJinaltims ts y rt ne deviennent Jii^si malfaisAns dans leur« pbisir» leju-saHaires. Mai&laisspz un peuple simple et laborieux fcKer tic ae:( travaux f|uand et comme il lui plait; jamais il craindre qu'il abuse de celle liberté : et Ton ne doit point ntruler à lui cliercber des divcrtisseuiens agréables; car, kr il faut peu d'apprêts aux mets que l'abstinence et la faim ment , il n'en faut pas non plus beaucoup aux plaisirs des épuisés de fatigue, pour tpn le repos »eul en est nn trcs- Ibuv Dans une grandr vdie . pleine de ^ens intrigans^ désœu- trés* »aiis religion « nans principes y dont iSniaginalion , dr|>ravée l*.ust\e(é, ta fainéantise, par Tamour du plaisir et par de loios, n'engendre que des fuonstres et n'inspire que ..^. .otls; dans une grande ville , oii les mœurs et laonneur loat rien } parce que chacun, dérobant aisément ^a conduite ?ux du public, ne se montre que par son crédit et n'est que par 9«s richesses; la police ne t»aurait trop multiplier lissrs permis, ni trop s'appliquer à les rendre agréables, aux particuliers la tentation d'en chercher de plu» îux- Comme les empêcher de s'occuper c'est les empêcher rmrc , deux heures par jour dérobées â l'activité (lu vire it la douzième partie des crimes qui se commettraient ; et que les epectacles vus ou à voir causent d'entretiens dans rê« et autres refuges des fainéans et fripons du pays est autant de gagné pour les pcres de famille , soit sur l'hou- le leurs fillr's ou de leurs lemmes, soit sur leur bourse ou Ile de leurs fils.

I, dans le« petites villes , dans les lieux moins peuples ,

■v^rticuliers , toujours sous les yeux du public, sont cen-

les uns des autres , et oii la police a i»ur touj» une

'<^ii facile, il faut suivre des maximes toutes contraires.

de rinduslrie , des arts, des manufactures, on doit se

iffrir des distraclioiis relitchantes ù l'ipre intérêt qui

lisirs de ses soins, et enrichit le prince de l'avarice de»

Je pavs, sans commerce, nourrit les habitans dan»

icitff loin de fomenter en eux l'oisiveté à laquelle une vit

le et facile ne les porte déjà que trop ^ il faut la leur

insupportable , en les contraignant , à force d'ennui ,

loyer utilement un temps dont ils ne sauraient abuser.

lu'â Paris , oîi l'on juge de tout sur les apparences ,

'pu n'a le loisir de rien examiner» on croit, à l'air

■emenl cl de langueur dont frappent au premier coup-

ipart des ville-ide provinces, que les babitans, plongea

>atupide inaction^ n'> foui ^uc viigtiter, ou trsicasscr et

4<i

LETTRE

se brouiller ensemble. C^est une erreur dont ou icvicndrail ai^r- zaent si Ton songeait <]ue la plupart des gens de lettres qui brillent à Pahà , la plupart des découvertes utiles et des inven- tions nouvelles, y viennent de ces provinces si méprisées. Restez quelque temps dans une petite ville, vous aureK cru d'abord ne trouver que des automates j non-seulement vous y vtrrez bientôt des gens beaucoup plus sensés que vos singes des grandes villes, mais vous manquerez rarement d'y découvrir dans l'obscu- rité quelque homme ingénieux qui vous surprendra par ses la- lens, par ses ouvrages, que vous surprendrez encore plus t-n les admirant, cl qui , vous montrant des prodiges de travail « de patience et d'industrie, croira ne vous montrer que des choses communes à Paris. Telle est la simplicité du vrai génie ; il n'est ni intrigant ni actif^ il ignore le cuemin des honneurs et de la fortune, et ne songe point à le chercher ; il ne se compare à per- sonne ; toutes ses ressources sont en lui seul ; insensible aux ou- trages et peu sensible aux louanges , s'il se connaît , il ne s'assigne point sa place , et jouit de lui-même sans s'apprécier.

Dans une petite ville on trouve , proportion gardée , moins d'activité , sans doute , que dans une capitale , parce que les passions sont moins vives et les besoins moins. pressa n s ; mais plus d'esprits originaux , plus d'industrie inventive , plus de choses vraiment neuves , parce qu'on y est moins imitateur , qu'ayant peu de modèles, chacuu tire plus de lui-même, et met plus du sien dans tout ce qu'il fait ; parce que Kesprit hutuain, moins étendu, moins noyé parmi les opinions vul- gaires , s'élabore et fermente mieux dans la tranquille solitude ; parce qu'en voyant moins on iraagiue davantage; enfin , parce que, moins pressé du temps^ ou a plus le loisir d'étendre et aigérer ses idées.

Je me souviens d'avoir vu dans ma jeunesse , aux environs de iScufchâtel y un spectacle assez agréable , et peut-être unique sur la terre, une montagne entière couverte d habitations dont chacune fait le centre des terr«s qui en dépendent ; eu sorte que ces maisons , k distances aussi égales que les fortunes des pru- priélaires , offrent à la fois aux nombreux liabitans de cette montage le recueillement de la retraite et les douceurs de la société. Ces heureux paysans , tous à leur aise, francs de tailles, d'impôts f de subdélegués , de corvées, cultivent avec tout le boin possible des biens dont le produit est pour eux, et em- ploient le loisir que cette culture leur laisse à faire mille ou- vrages de leurs mains, et à mettre à profit le génie inventif 3UC leur donna la nature. L'hiver surtout, temps oii la hauteur e^ neiges leur ôte une communication facile, chacuu, reu- fermé bien chaudement, avec sa nombreuse famille, dans ta jolie et propre maison de bois (ar) qu'il a bAtie lui-même , s'oc-

(37) Je croif cnteiiilro un bel espiil do Paris te récrier, pourvu qu'il ne lÏH lias luî-niémr , à cet endroit comaie à bien d'autru , cl démunlier doclemcnl aux d«iut'« (cji c'est surtout aux dame» que ce» utesAÏcui» de-

A M. D'ALËMBERX. 47

cupe de mille travaux amosans , qui chassent l'ennui de son asile , et a)oatent k son bien-^lre. Jamais menuiaier , serrurier , vitrier , tourneur de profession , n'entra dans le pajs ; tous le sont pour eux-^némes , aucun ne Test pour autrui) dlans la mnl- titude de meubles commodes et même él^gans qui composent leur ménage et parent leur logement , on n'en voit pas un qui n'ait été fait de la main du maître. Il leur reste encore du loisir

Sour inventer et faire mille instrnmens divers , d'acier , de bois , e carton , qu'ils vendent aux étrangers , dont plusieurs même parviennent jusçju'à Paris , entre autres ces petites horloges de bois qu'on y voit depuis quelques années. Ils en font aussi de fer ; ils font même des montres ; et , ce qui parait incroyable > chacun réunit à lui seul toutes les professions diverses dans lesquelles se subdivise Thorlogerie , et fait tous ses outilu lui-* même.

Ce n'est pas tout; ils ont dies livres utiles et sont passable-^ ment instruits ; ils raisonnent sensément de toutes cnoses , et de plusieurs avec esprit (38). Us font des siphons , des aimans , des Innettes , des pompes , des baromètres , des chambres noires; leurs tapisseries sont des multitudes d'instrumens de toute espèce : vous prendries le poêle d'un paysan pour un atelier de méca- nique et pour un cabinet de physique expérimentale. Tous savrat un peu dessiner , peindre^ chif&erj la plupart jouent de la flûte; plusieurs ont un peu de musique et chantent juste. Ces arts ne leur sont point enseignés par des maîtres , mais leur passent pour ainsi aire par tradition. De ceux que j'ai vus savoir la musique , l'un me disait l'avoir apprise de son père , un antre de sa tante , un autre de son cousin; quelques-uns croyaient l'avoir toujours sue. Un de leurs plus frequens amu- semens est de chanter avec leurs femmes et leurs enfans les psaumes à quatre parties ; et Ton est tout étonné d'entendre sortir de ces cabanes champêtres l'harmonie forte et mâle de Gondimel , depuis si long-temps oubliée de nos savans artistes. Je ne pouvais non plus me lasser de parcourir ces char* mantes demeures , que les habitans de m y témoigner la plus franche hospitalité. Malheureusement j'étais jeune ; ma curio* site n'était que celle d'un enfant , et je songeais plus à m'a- moser qu'à m'instruire. Depuis trente ans , le peu d'observations que je ns se sont clEficées de ma mémoire. Je me souviens seu-

noutrent), qu'il est impoHÎble qu'une maison de bois soit cliaade. GroMÎer mensonge l Erreur de physique! Ah ! psurre auteur 1 Quant ù iDoiyîe crois la tlémanilratîou uns réplique. Tout ce que je aaïs, c'est que les &a îases passent cbaudemciit leur bïver, au milieu des ueigei», dans des maisons de bois.

(38) Je puis citer en exemple un homme de mérite , biou connu dans Paris, et plus d'une fois honaré des suffrages de Tacadémie des sciences ; c'est M. Bivaz, célèbre Valuisiiu. Je sais bien qu'il n'a |>as beaucoup d*é|;aux parmi ses compatriotes } mais enfin c'est en vivant comme eux qu^il apprit à les surpasser.

48 LIîTTRE

leiuent i|ue j'admirais saus cesse en cc^ homiucs sîugulicr» tin mélange étonnant de finesse et de simplicité , qu'on croirail

£re$que incompatibles , et que je n*ai pius observe nulle part. )u re>te , je n ai rien retenu de leurs mœurs , de leur société» de leur caractère. Aujourd'hui que j'y porterais d'autres yeux , faut-il ne revoir plus cet heureux, pfivslllclas 1 il estsiirla roule du mien !

Après cette légère idée , supposons qu''au sommet de la mon* ta^e dont je viens de parler, au centre des habitations , on établisse un spectacle fixe cl peu coûteux , sous prétexte , par exemple , d'offrir une honnête récréation à des gens continuel- iement occupés , et en état de supporter cette petite dépense ; supposons encore qu'iUprenuentdu goût pour ce luêinespectaclCf et cnerchons ccqui doit résulter de son établissement.

Je vois d'abord que leurs travaux , cessant d'clre leurs amuse- niens aussitôt qu'ils en auront un autre, cetui-ci les dégoûtern des premiers ; le zèle ne fournira plus tant de loisir , ni les mêmes inventions. D^ailteurs il y aura chaque jour un temps réel de perdu pour ceux qui assisteront au spectacle ; et l'on ne se remet pas à l'ouvrage 1 esprit rempli de ce quVn vient de voir; on en parle, ou Ton y songe. Par conséquent relâchement de travail : premier préjudice.

Quelque peu qu*on paie à la porte, on paie enfin : c'est tou- jours une dépentie qu on ne faisait pas. Il en coûte pour soi , pour sa femme, pour ses en fan s , quand nti les y meue , et il les y faut mener quelquefois. De plus un ouvrier ne va point dans une assemblée se montrer en habit de travail ; il faut prendre plus souvent ses habits des diui.incbes -, changer de linge plus souvent, se poudrer, se raser: tout cela coûte du temps et de Targcnt. Augmenlalion de dépense : deuxième préjudice.

Un travail moins assidu et une dépense plus forte exigent un dédommagement. On le trouvera sur le prix des ouvrages

au'on sera forcé de renchérir. Plusieurs marchands , rebutés e celle augmcnlatiou , quitteront les Montagnons (29; , et se pourvoiront chez les autres Suisses leurs voisins , qui, sans être moins industrieux , n'auront point de spectacles , et n'aug- menteront poiul Jeurs prix.. Diminution de débit : troisièxue préjudice.

Dans les mauvais temps les chemins ne sont pas praticables ; et comme il faudra toujours , dans ces temps-là , que la troupe vive, elle n'interrompra pas ses représentations. On ne pourra donc éviter de rendre le spectacle abordable en tout temps. L'hiver il faudra faire des chemins dans la neige , peul-^ire le» paver j et Dieu veuille qu'on n'y mette pas des lanternes! Voilà de& dépenses publiques \ par conséquent des contributions de

(29) C'est le nom qu'on donne dans te payi aux habitaoi de ccito o^ontsgne.

A M. D'ALEMBERT. 4<1

la part des -particuliers. Etabli&senieut iVimpûts : quatrième préjudice.

Les femmes des Montagnons, allant d'abord pour voir, et ensuite pour êtres vues , voudront être parées; elles voudront Vètre avec distinction; la femme de M. le chjUelain ne voudra pas se montrer au spectacle mise comme celle dn maître d*école ; la femme du maître d'école s'efforcera de se mettre comme celle du châtelain. De naîtra bientôt une émulation de parure qui ruinera les maris, les gagnera peut-être, et qui trouvera sans cesse mille uouveaux moyens d'éluder les lois somptuaires. In- troduction du luxe : cinquième préjudice.

Tout le reste est facile à concevoir. Sans mettre en ligne de compte les autres inconvéniens dont j'ai parlé , ou dont je par- lerai dans la suite , sans avoir égard ù l'espèce du spectacle et à ses effets moraux, je m'en tiens uniquement à ce qui re- garde le travail et le gain ; et je croîs montrer par une con- séquence évidente comment un peuple aisé, mais qui doit son bien-être à son industrie , changeant la réalité contre l'appa- rence , se ruine k l'instant qu'il veut briller.

Au reste , il ne faut point se récrier contre la chimère de ma supposition j je ne la donne que pour telle , et ne veux que rendre sensibles du plus au luoîns ses suites inévitables. Otez quelques circonstances , vous retrouverez ailleurs d'antres MontagnonH ; ft , mutaiis mutandis , l'exemple a son application.

Aiasi , quand il serait vrai r^ue les spectacles ne sont pas mau- vais en eux-mêmes , on aurait toujours à chercher s'ils ne le ïlevîendraient point h. l'égard du peuple auquel on les destine. Ea certains lieux ils seront utiles pour attirer les étrangers , pour augmenter la circulation des espèces , pour exciter les artistes, pour varier les modes , pour occuper les gens trop riches ou, aspirant à l'être , pour les rendre moins malfaisans , pmir dis- traire le peuple de ses misères , pour lui faire oublier ses chefs en voyant ses baladins, pour mamtenir et perfectionner le goût quand Thonnêteté est perdue, pour couvrir d'un vernis de pro- cédés la laideur du vice , pour empêcher en un mot que les mauvaises moeurs ne dégénèrent en brigandage. En d'autres lieux ils ne 5er\'iraient qu'à détruire l'amour du travail, à décourager l'industrie, à ruiner les particuliers , à leur inspirer le goût de l'oisiveté , à leur faire chercher les mo^'cns de subsister sans riea faire, à rendre un peuple inactif et lâche, à l'empêcher de voir les objets publics et particuliers dont il doit s'occuper, à toamer la sagesse en ridicule, à substituer un jargon de théâtre à la pratique des vertus , à mettre toute la morale en métaphy- sique, à travestir les citoyens en beaux esprits, les mères de famille en petites maîtresses , et les filles en amoureuses de co- Inédie. L'euet général sera le même sur tous les hommes; mais les hommes , ainsi changes , conviendront plus ou moins à leur

SJ4. En devenant égaux , les mauva'is gagneront , les bons per- ônt encore davantage ^ tous contracteront un caractère de 5. 4

5o LETTRE

mollesse , un esprit iVinaction , qui ôfem aux tins de granclei •\crlus, et préservera les autres de raetiiter de grands crimes.

De ces nouvelles réneiions il résulte une conséquence dîrec- lenieut coulraire à celle que \e lirais des premières ; savoir que , quand le peuple est corrorapu , les spectacles lui sont bons , et mauvais quand il est bon Ini-rai^me. 11 semblerait donc que ces deux eflels contraires devraient s'entre-dclruire, et les spec- tacles rester indiflerens à tous : mais il y a celte différence, qiie TefTel qui renforce le bien et le mal , étant tiré de l'esprit nés pièces , est sujet comme elles à mille modifications nui le ré- duisent presque il rîen ; au lieu que celui qui cbance le bien en mal , et le mal en bien, résultant de l'cxislcncp même du spec- tacle, est un effet constant, réel, qui revient tous les jours et doit l'etnporlcr à la fin.

Il suit de U que, pour juger s*il est à propos on non d'établir un théâtre en quelque ville, il faut premièrerùent savoir si le» moeurs y sont bonnes ou mauvaises: question sur laquelle il ne m'appartient peut-être pas de prononcer par rapport à nous. Quoi qu'il eu soit , tout ce que ]e puis accorder là-dessus , c'est qu'il est vrai que la comédie ne nous fera point de mal , si plus rien ne nous eu peut faire.

Pour prévenir les inconvéniens qui peuvent naîlrede l'exemple des comédiens, vous voudriez qu on les forçîU d'être honnête* gens. Par ce moyen , dites-vous , on aurait à la fois de^ spcc taclesct des mrrurs , et Ton réunirait les avantages des uns et des autres. Des spectacles et des mœurs ! Voilà qui formerait vraiment un spectacle à voir, d'autant plus que ce serait la pre miêrefois. Mais quels sont les moyens que vous nous indiquez pour contenir les comédiens? Des lois jiévères et bien exécutées. C'est

au moins avouer qu'ils ont besoin d'être contenus, et que I moyens n'en sont pas faciles. Des lois séviîres ! La première est de n'en point souffrir. Si nous enfreicnons celle-là , que devien- dra la sévérité des autres ? Des lois bien exécutées! Il s*agit dtf savoir si cela se peut: car la force des lois a sa mesure ; cellft des vices qu'elles répriment a aussi la sienne. Ce n'est qu'aprti avoir comparé ces deux quantités et trouvé que la première sur passe l'autre, qu'on peut s'assurer de l'exécution des lois, connaissance de ces rapports fait la véritable science du législa-^ trur : car , s'il ne s'agissait que de publier édits sur édits , ré- glemeiis sur réglemens , pour remédier aux abus à mesure quM naissent , on dirait sans cloute de fort belles choses , mais qui pour la plupart , resteraient sans efl'et , et serviraient d'indica^ tions de ce qu'il faudrait faire , plutôt que de movens pour Teiécuter. Dans le fond , l'institution des lois n'est pas'une chose si merveilleuse , qu'avec du sens et de l'équité tout homme ntt ^>Al très-bien trouver de lui-même celles qui, bien observées, seraient les plus utiles à la société. Ou est le plus petit écotief de droit qui ne dressera |ws un code d'une morale aussi purfl «jue celle des lois de Platou.'' Mai» ce n'est pas de cela seul qu'îf

^

A M. D^ALEMBEUT-

'ji

•*a^t ; cV«t d'approprier lctlcuicn( ce code au peuple pour lequel choses sur lesquelles ou y statue , <joe sou i*xê-

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■r au t***ii

livc du seul coucour* de ce* couvenauces; c'est d'i ipic , à l'evemple de Snlon , moius les meilleure» -nit^mes , que le* tueilleures qu'il puiise compurler

d: ' donuce. Autremeut il vaut encore mieux laisser

»u. rdrcs, que de les prévenir, ou d*y pourvoir par

4e» lou qui ne feront point observées; car, mus remédier au nul . c*c«l encore avilir te» lois.

Une autre nb^ervalion, non moins împorUnte, est que les clitMcs ^t roœur» et de juslice universelle ne se règlent pas , conune criles de justice particulière et de droit rigoureux , par dédits et par des lois; nu, ii quelquefois les loi^ influent sur lei moeurs, c'ost quand elles en tirent leur furce. Alors elles leur rtndcttl cette même force par une sorte dr réaction bien connue 4tf trr^s pnlitiqur<(. La première fonction des énhores de Sparte , «B etitrant en charge , était une proclaitiatiou publique par U<|M^U^ ils enjoignaient aux citoyens , non pas (robierver les l de les uimer , afin que Tobservatioa ne leur en fut

p Cette proclamultou > qui n'était pas un vain for—

i: lontre parfaiteiufut Tesprit de l'institution de Sparte ,

j.^ ^ ic* les lois et les mrrur& , intimement unies dans les

cirurfe des citoyens, u'y faisaient pour ainsi dire qu'un même rorn» Maik ue nous llattou» pas de voir Sparte renaître au :u commerce et de Tarnuur du gain. Si nous avions les luaximes , un pourrait établir h Genève un spectacle icun ris(|uc ^ car jamais citoyen ni bourgeois ny inet- um,K le pied.

Par ou le gonvernement peut - il donc avoir prise sur Ie9 r-. ? Je reponds que cesL par Topiuiou pub' des naissent de nos propres seolinieas dan

le nos propres senlinieas dans la retraite ,

ubiique. Si nos

ilinieas d;

T:-seul de l'upinion d'autrui dans la société. ^)uand on

:i:i^ L'u soi maisdaiis les autres, ce suut leurs ju|i(cmens qui

.1 tout ; rien ne parait bon ni déàirable aux particuliers

il que le public a ju^é tel , cl le seul bonboor que la

plupart de» liommes connaissent ebl d'dtre estimés heureux-

(^luaut au choif des instrunicns propres à diriger l'opinion publiff|i)r, c'est une autre question, quil serait superflu de ré- soudre pour vous , et que ce n*est pas ici le lieu de résoudre |Miiir U intiltitudo. Je me routcnlerai de montrer , par nu rirmiilf M-iisible , que ces instrumens ne sont ni des lois ni , ni nulle espèce de moyens coaclifs. Cet e&empic tis veux ; je le tire de voire patrie : c'est celui du I »:s maréchaux, de France , étaulis juges suprêmes du

itMinrur. Dtf quoi »'Âi^issail-il dans celteinstitulion? déchanter Kopininn MblÎMue sur lefi duels , sur la réparatiou des ofienses , et sur lr« •vcaftiouf un brave homme est obligé, sous peine d'iufamie, 4t tiiTEr raison d'uu alTront l'épée à la maiu. 11 s ensuit de \k }

[^

i

Sa LKTTRE

PrpmiôremPiil, cpie, la force n*avJint aucun pouvoir sur Ic^ esprits , il faUail écarter avec !c plus crantl soin (oui yestiga de violence ilu tribunal établi pour opirer co changement, mot même de tribunal était mal inia^në : j'aimerais mieux celui de cour <f honneur. Ses -ienlcs amies devaient être Tbouneur et Tinfamie : jamais de récompense utile, jamais de punition corporelle, point de prison» point d'arrêts, point de garde* *rmés ; simplement un appariteur, qui aurait fait ses cita- tions en touchant l'accuse d'une baguette blanche , sans qu'il s'ensuivit aucune autre contrainte pour le faire comparaître. 11 est vrai que ne pas comparaître au terme fixé par-«levanl \tt juges de l'honneur , c'érait s'en confesser dépourvu , c'était se condamner soi-inenie. De résultait naturellement note d'in- famie , dégradation de noblesse , incapacité de servir le roi dans ses tribunanx, dans ses armées, et autres punitions de €:« genre qui tiennent immcdialement â l'opinion ou en sont ua effet nécesfiairc. %

Il s'ensuit , en second lieu , que , pour déraciner le préjuge public, il fallait des juges d'une f;rande autorité sur la matière en question : et , quant à ce point, rinstituleur entra parfai- tement dans l'esprit de rétablissement ; car, dans une nation toute guerrière, qui peut mieux juger des justes occasions de montrer son courage et de celles oii l'honneur oflensé demande satisfaction, que d'anciens militaires chargés de titres d'honneur, qui ont blanchi sous les lauriers , et prouvé cent foi* au prix Je leur i^ne qu*ils n'ignorent pas quand le devoir veut qu'où en r*'pande ?

Il suit , en troisième lieu , que , rien n'étant plus indépcn— dant du pouvoir suprême que le jugement du public , le sou-, verain devait se garefer, sur foutes choses, démêler ses décisions arbitraires parmi des arrêts faits pour représenter ce jugenicnl» et , qui plus est , pour le déterminer, fl devait s'eHorcer , un contraire, de mettre la cour d'honneur au dessus de lui, comme soumis lui-même à ses décrets respectables. 11 ne fallait donc pas commencer par condamner à mort tous les duellistes indistinctement : ce qui était mettre d'emblée une oppositimi choquante entre l'honneur et la loi ^ car la loi même ne peut obliger personne à se déshonorer. Si tout le peuple a jugé qu'un homme est poltron , le roi. malgré toute sa puissance, aura beau Je déclarer brave , personne n'en croira nen; et cet homme , passant alors pour un poltron qui veut être honori^ par force , n'en sera que plus méprisé. <,)uant it ce que disetit les édits, que c'est offenser Pieu de se battre, c'est un avis fort pieux sans doute ; mais la loi civile n'est point juge de» pèches; et toutes les fois que l'autorité souveraine voudra s'in- terposer dans les conflits cc l'honneur et de la religion , elle sera compromise des deux côtés. I^s mêmes édils ne raisonnent pas miiMix ipiand ils disent qu'au lieu de se battip il faut «adresser aux maréchaux : condamner aiusi le combat taoft

A M. D'ALEMBERT. 53

disliactîon , sans reserve , cVst commencer par juger soi-mcme ce qu*on renyoie à leur jugement. Ou sait bien qu'il ne leur est pas permis d'accorder le duel , même quaud l'honneur ou- tragé na plus d'autres ressources; et, selon les préjuges du monde , il y a beaucoup de semblables cas : car , quant aux satisfactions cérémonieuses dont on a voulu payer l'offensé , ce sont de véritables jeux d'enfant.

I^n'un homme ait le droit d'accepter une réparation pour lui-même et de pardonner à son ennemi , en ménageant cette maxime avec art on la peut substituer insensiblement au fé- roce préjugé qu'elle attaque : mais il n'en est pas de nicnie quand l'honneur des gens auxquels .le nôtre est lié se trouve attaqué ; dès lors il n y a plus d'acconuuodement possible. Si raon père a reçu un soufflet , si ma soeur ^ ma femme , ou ma maîtresse est insultée, conserverai-je mon honneur en fai- sant bon marché du leur ? Il n'y a ni maréchaux ni satisfac- tion qui sufhseut , il faut que je les venge ou que je me déshonore ; les édits ue me laissent que le choix du sup- plice oa de l'infamie. Pour citer un exemple qui se rapporte à mon sujet , n'est-ce pas un concert bien entendu entre l'es- prit de la scène et celui des lois , qu'on aille applaudir au théâtre ce même Cid qu'on irait voir pendre à la Grève ?

Ainsi l'on a beau faire ^ ni la raison , ni la vertu ^ ni les lois y ne vaincront l'opinion publique tant qu'on ne trouvera pas l'art de la changer. JUncore une fois , cet art ne tient pomt à la violence. Les moyens établis ne serviraient , s'ils étaient pratiqués , qu'à punir les braves gens et sauver les lâches : mais lieoreusenieut ils sont trop absurdes pour pouvoir être employés, et n'ont servi qu'à, faire changer de noms aux duels. Comment fallait-il donc s y prendre ? Il fallait, ce me semble , soumettre absolument les combats particuliers à la juridiction des maré- chaux , soit pour les juger , soit pour les prévenir, soit même pour les permettre. Kon-seulement il fallait leur laisser le droit d'accorder le champ quand ils le jugeraient à propos ; mais il était important qu'ils usassent quelquefois de ce droit , ue fut— ce que pour oter au public une idée assez diillcilc à dé- truire, et qui senle annuité toute leur autorité , savoir, que, dans les aftaires qui passent par-devant eux , ils jugent moins sur leur propre sentiment que sur la volonté du prince. Alors il n'y avait point de honte à leur demander le combat dans une occasion nécessaire ; il n'y en avait pas même à s'en abs- tenir quand les raisons de l'accorder n'étaient pas jujjécs suill- santes ; mais il y en aura toujours à leur dire : Je suis effcnsé ,. faites en sorte que je sois dispeusé de me battre.

Par ce moyen , tous les appels secrets seraient infailliblement tombés dans'le décri , quand l'honneur offensé pouvant se dé- fendre et le courage se montrer au champ d'honneur , on eût très justement suspecté ceux qui se seraient cachés pour se battre , et quand ceux que la cour d'honneur eàl juges s'être

54 LETTRE

mal (zcj) battus seraient, en qualité de vil» assassins , restés son* mis QUI tribunaux criminels. Je conviens que plusieurs duels n'étant jugés qu'après coup , et d'autres même étant solennel- lement autorisés, il en aurait d'abord coûté la vie à qtiplque* braves gens; mais c'eut été pour la sauver dans la suitp à des infinités d'autres ; au lieu que , du sang qui se verse malgré les «dits , naît une raison d'en verser davantage.

Que serait-il arrivé dans la suite ? A mesure que ta cour d'hon- neur aurait acquis de Vautorité 5ur Topinion dti peuple par la sagesse et le poids de ses décisions , elle serait devenue peu à peu plus sévère , jusqu'à ce que les occasions légitimes se rédui- sant tout -fait à rien, le point -d'honneur eiil changé de principes , et que les duels fussent entièrement abolis. Ou n'a pas eu tous ces embarras, a la vérité; mais aussi l'on a fait un établissement inutile. Si les duels aujourd'hui sont plus rares, ce n'est pas qu'ils poient méprisés ni punis; c'est parce que le* morurs ont changé (^n) : et la preuve que ce changement vient de causes toutes ailTérentes auxquelles le gouvernement n'a point de part, In preuve que l'opinion publique n'a nullement changé sur ce point , c'est qu'après tant de soins mal entendus, tout gentilhomme qui ne tire pas raison d'un alfront l'épée à la main n'est pas moins déshonore qu'auparavant.

V^ne quatrième conséquence de l'objet du même établissrment est que , nul homme ne pouvant vivre civilement sans honneur, tous les étals ou l'on porte une épée , depuis le prince jusqu'au .soldat, et tous les états même oii l'on n'en porte point , doivent ressortir a cette cour d'honneur, les un.s pour rendre compte de leur conduite et de leurs actions , les antres de leurs discour* et de leurs maximes , tous également sujets à être honorés ou ilétris , selon la conformité ou l'opposition de leur vie ou de leurs sentimens aux principes de I honneur établis dans la na- tion , et réformés insensiblement par le tribunal sur ceux de la justice et de la raison. Borner cette compétence aux nobles et aux militaires , c'est couper les rejrtons et laisser la racine : car si le point— d'hoimeur fait agir la noblesse , il fait parler le peuple ; les uns ne sp battent que parce que les autres les jugent ; et , pour changer les actions dont l'estime publique est l'objet, il faut auparavant changer les jugemens qu'on ea

(39) Mal, cVat-ii-diri.*, non<seuleincnt en Uclic ri avtc fraude, mais injustrment et tans raison luirianiite ^ en iiuî »e fût iiaturvUemcnl {irc- Mimêtlc UiUlc. aflalre non portées ati iribuuit].

(3o) Aulrefoift tcshonirun prrnaioiit qtirrrllfi nu cabaret j on Ifi a dé- goûtés de cepbisir grus^icr t*n leur faisant Imn marche drs autres. Au- trtrf'uia ila a'cgorgeaient pour une in.ittrease : en vivant plus l'amilièrcraent avec lei femme», ils ont trouve qno ce n'ctatl pas la peine de ac battre pour elle». L'ivresH et l'amour AU'5 , ît reste peu d'im|>orlaaa stijeta do diapute. Dans le monde nn ne 51e bat plus que puiir lu iru. iaVi uiilî- taires ne ae luttent plus que pour des passe-droits , ou pout' nVtic paa. forcé» de c^uînei le service. Danse» siècle l'cLiiré, chacun sait calculer, â •n épo prv», ce qua raient ion honneur et ta vie»

A M. D'ALEMBERT. 55

porte. Je suit coavaincu qu'on ne viendra {amais k bout d'opérer ces cfaangemens sans y faire intervenir les femmes mêmes , de qui (Upend en grande partie la manière de penser des honunes. De ce principe il suit encore que le tribunal doit étr« plus ou moins redouté dans les diverses conditions , à proportion qu'elles ont plus ou moins d'bonneur k perdre , selon les idées vulgaires, qu'il faut toujours prendre ici pour règles. Si l'éta- blissement est bien fait , les grands et les princes doivent trem- bler au seul nom de la cour d'honneur. Il aurait fallu qu'en l'instituant on y eîit porté tous les démêlés personnels existans alors entre les premiers du rovaume ; que le tribunal les eût

J'n^és définitivement autant qu ils pouvaient l'être par les seules ou de l'honneur; que ces jugemens eussent été sévères ; qu'il y eât eu des cessions de pas et de rang personnelles et indépen-

dantes du droit des places, des interdictions du port des armes , on de paraître devant la face du prince , ou d'autres punitions semblables , nulles par elles-mêmes , grièves par l'opinion , jus- qu'à l'infamie inclusivement , qu'on aurait pu regarder comme Je peiae capitale décernée par la cour d'honneur; que toutes ces peines eussent eu , par le concours de l'autorité suprême , les mêmes eflets qu'a naturellement le jugement public quand la force

qn à 1 infamie inclusivement , qu'on aurait pu regarder comme lae capitale décernée par la cour d'honneur; que toutes ces s eussent eu , par le concours de l'autorité suprême , les es eflets qu'a naturellement le jugement public quand la n'annnlle point ses décisions ; que le tribunal n'eût point statué SUT des bagatelles , mais qu il n'eût jamais rien lait à demi ; que le roi même y eût été cité quand il jeta sa canne parla fenêtre, de peur, dit-il, de frapper un gentilhomme (3 1) ; qn'il eût comparu en accusé avec sa partie ; qu'il eût été jugé solennellement, condamné à faire réparation au gentilhomme pour l'affront indirect qu'il lui avait fait ; et que le tribunal lui eut en même temps décerné un prix d'honneur pour la modéra- tion du monarque dans la colore. Ce prix , qui devait être un signe très-simple , mais visible , porté par le roi durant toute sa

vie, lui eût été, ce me semble, un ornement plus honorable que

je ne doute pas qu'il ne sujet des chants de plus d'un poète. Il est certain que , quant à

ceux de la royauté , et je ne doute pas qu'il ne fût devenu le

l'honneur , les rois eux-mêmes sont soumis plus que personne au jugement du public , et peuvent par conséquent , sans s'abais- ser , comparaître au tribunal qui le représente. Louis XIV était digne de faire de ces choses-là ; et je crois qu'il les eût faites si quelqu'un les lui eût suggérées.

Avec toutes ces précautions et d'autres semblables , il est fort douteux qu'on eût réussi , parce qu'une pareille institution est entièrement contraire à l'esprit de la monarchie : mais il est très- sûr que , pour les avoir necligées , pour avoir voulu mêler la force et les lois dans des matières de préjugés, et changer le point- d'honneur par la violence , on a compromis l'autorité royale, et rendu méprisables des lois qui passaient leur pouvoir.

(3i) M. del/auxan. Voila, selon moi , des coups Je canne bîtfn noble- Vcnt appliqués.

56

LETTR-E

Cepenflant en quoi consistait ce préjugé qu'il s'agissait de dé- tniîro? Dans l'opinion la plus extravagante et la plus Karbare qui jamais cnlra dans l'esprit humain j savoir, que 1ous^5 de- voirs de la société sont suppléés par la bravoure ; qu'un Innime nVstplus fourbe, fripon, calomniateur, quM est civil, liuinain , poli , quand il .«ait $e battre ; que le nionsonge se change en vé- rité, que le vol devient [*'^itiuie, la perfidie honnête , rinfidolitc Iniiable, sitôt qu'on soutient tout cela le fer k la main; qu'un afîinnt est toujours bien réparé par un couiid'épée, et qu'on n'a jamais tort avec un honiuie pourvu qu'on le tue. 11 y a , je l'a- voue, uue autre sorte d'jifltiire oii fa gentillesse se mêle à la cruauté, et oii Ton ne tue les geus que par hasard; c'est celle oii l'on se bat au premier sang. Au premier sang , grand Oieu l Kl qu'en vcux-lu faire de te sang, bêle féroce? le venx-lu boire? Le moyen de songer à ces horreurs sans émotion? Tels «ont les préjugés que les rois de France, armés de toute la force publique, ont vainement attaqués. L'opinion , reine du monde, ncst point soumise au pouvoir des roisj ils sont eux-inêiues ses premiers esclaves.

Je finis cette longue digression , qui malheureusement ne sera pas la dernière; et de cet exemple, trop brillant peut-être, si pat fa livi't componeie maints , je reviens à des applications plus simples, l'n des infaillibles effets d'un théâtre établi dans uue auMÎ petite ville que la fiôtre sera de changer nos maximes , ou , si Ton veut , nos préjugés et nos opinions publiques; ce qui changera nécessairement nos mreurs contre d autres, meilleures ou pires, je n'en dis rien encore, mais sûrement moins conve- nables à notre constitution. Je demande, monsieur, parquellcs lois elFicaces vous remédierez à cela. Si le gouvernement peut " enuconpsur les raours, c'est seulement par son inslitulion pri- litive : quand une fois il les a délerinînées , nou-seulcnieni il n'a plus le pouvoir de les changer , à moins qnil ne change , il a ïTiruie bien de la peine h les maintenir contre les accidcns inévî— tiibles qui les attaquent, et contre la pente naturelle qui les al- tère. Les opinions publiques, quoique si dilliciles à gouverner, sont pourtant par elles-mêmes tri'i-mobiles et changeantes. Le Iiasaid, mille causes fortuites, mille circonstances imprévues , (ont ce que la force cl la raison ne sauraient faire ; ou plutôt c'est précifiéuienl parce que le ha^anl te** dirige que Ja force n'y peut rien; connue les dés qui partent de la main, quelque impufsioii

poiut

qu'on leur donne, n eu anitmeul pas plus aisément I dtAÎré.

Tout ce ^ue la sages^çe humaine pent faire est de prévenir le» changemens, d'am'ler de loin tout ce qui les amène ^ maLs sitôt qu'oïl les souffre el qu'on les autorise, on est rarement mnitre (le leurs rffels , et l'ou ne peut jamais se répondro de Tctre. Com- ment donc nré\iendron&-uous ceux dont nous aurons volontaire— iucnt iulruniiil U cause? A l'imitation de rétablis:^emcul dont je > ien« de parler, nous proposerer.-vons d'inçtitiier d/-* ceii$eui> ?

A M. D'ALEMBERl*. 57

Nons en avons déjà (32); et si toute la force de ce tribunal suiUt k peine pour nous luainteiiir tels nue nous sommes, quand noi^. aurons ajouté une nouvelle inclinaison à la pente des nirciM, que fera-t-il pour arrêter ce progrès? il est clair qu'il n'y pourra plus suffire. La première marque de son impuissance à prévenir les abus de la comrdie sera de la laisser établir. Car il est aisé de prévoir que ces deux élablisseniensne sauraient subsister long -temps ensemble , et que la comédie tournera les censeurs en ridicule , ou que les censeurs feront chasser les comédiens.

Mais ilnes*agit pas seulement ici de Tinsuffisance des lois pour réprîmer de mauvaises mœurs en laissant subsister leur cause. On trouvera , je le prévois , que, IVsprit rempli des abus quVn- geudre nécessairement le théâtre , et de Timpossibililé générale de prévenir ces abus , je ne réponds pas assez précisément ù Tex- pédient proposé , qui est d*avoir des comédiens honnêtes gens , c'est-à-dire de les rendre tels. Au fond cette discussion parlicu- Kère nVst plus fort nécessaire : tout ce que j*ai dit jusqu'ici des eflet:^ de la comédie, étant indépendant des moeurs des comé- diens, n*en aurait pas moins lieu quand ils auraient bien profite des leçons que vous nous exhortez à leur donner , et qu'us de- viendraient par nos soins autant de modèles de vertu. Cepen- dant , par égard au sentiment de ceux de mes compatriotes qui ne voient d'autre danger dans la comédie que le mauvais exemple des comédiens, je veux bien rechercher encore si, même dans leur supposition , cet expédient est praticable avec quelque es- poir de succès, et s'il doit suffire pour les tranquilliser.

En commençant par observer les faits avant de raisonner sur les causes, je vois eu général que Tétat de comédien est un état de licence et de mauvaises mœurs; que les hommes y sont livrés au désordre; que les femmes y mènent une vie scandaleuse; que les uns et les autres, avares et prodigues tout à la fois, toujours accablés de dettes et toujours versant l'argent à pleines mains , sont aussi peu retenus sur leurs dissipations, que peu scrupuleux sur les moyens d'y pourvoir. Je vois encore <|ue par tout pays leur profession est aéshonorantej que ceux qui l exercent, ex- communiés ou non , sont partout méprisés (33) , et qu'à Paris même, ou ils ont plus de considération et une meilleure con- duite que partout ailleurs , un bourgeois craindrait de fréquenter tf^ï mêmes comédiens qu'on voit tous les jours à la taule des grands. Une troisième observation, non moins importante , est que ce dédain est plus fort partout oti les mœurs sont plus pures,

(5^) Le consistoire , Pt la chambre île la réforme.

(33) Si le» Anglai» ont inlinmé la célèbre Oldfielil à eàié de leurs rois , ce nVlait pas non métier , niaU aon talent , qa*JU voulaient hono- ler.ClieK eux ]eâ grands laleus cnnoblÎMent dans les moindre» élata ^ les petits avilÎ5iieiir d:inA les plus illnsrres. El, qnant à la profcision de» eu-, lâ^dtcns, les inanvAÎA et les médiocre» loiit méprisés à Londres autaulos plus qne pirtoul ailleurs.

os

LETTRE

çt qu'il y a des pays «î'innocencc et de simplicité ou le nieti<îr <îc comédien e^t presque en horreur. Voilà des faits incontestaMes. Vous ïue dire?: qu'il nVn résulte que des préjuges. J'en conviens : mais ces préjuges étant universels, il taut leur chercher uue cause universelle; cl je ne vois pas qu*on la puisse trouver ail- leurs que dans !a profession ini'iiie à laquelle ils se rapportent. A. -cela vous répondez que les comédiens ne se rendent méprisables j^ae parce qu'on les méprise. Mais pourquoi les eut-on méprisés êi\ n eussent été méprisables? Pourquoi pcnserail-on plus mal de 3eurélat que des autres, s'il n'avait rien qui l'en dtstinguAt? Voilà ce quM faudrait eiamincr, pcut-^tre, avant de les justifier aux "depensdu public.

Je pourrais impnter ces préjugés aux déclamations des prêtres, ci je ne tes trouvais établis chez les Romains ayant la naissance du christionisuie, et non-seulement courant vaguement dans Tes- pril du peuple, mais autorisés par des lois expresses qui décla- raient les acteurs infirmes , leur ôlainnl le litre et les droits de citoyens roraaius, et mettaient les actrices au rang des prostituées. Ici toute autre raison manque, hors celle qui se tire de la nature de la chose. Les prêtres païens et les dévols , plus favorables que contraires à des spectacles qui faisaient partie des jeux consacré» k la religion (3/|) , n'avaient aucun intértlt à les décrier, et ne 1rs décriaient pas en effet. Cependant on pouvait dès lors se récrier, comme vous faites, sur l'inconséquence de désbonorer des gens ^«u'on protège, qu'on paie, qu'on pensionne: ce qui, h vrai dire ^ ne me parait pas si étrange qu à vous ; car il est à propos quelquefois que l'état encourage et protège des professions dés- honorantes mais utiles , sans que ceux qui les exercent en doivent «tre plus considérés pour cela.

J'ai lu quelque part que ces flétrissures étaient moins imposëec à de vrais comédieus qu'à des histrions et farceurs nui souillaient leurs jeux d'indécence et d'obscénités; mais cette clistinclion e*t insoutenable ; car les mots de comédien et d'histriou étaient par- faitement synonymes , et n'avaient d'autre différence , sinon que l'un était grec et l'autre étrusque. Cicéron, dans le livre de I O- rateur, appelle histrions les deux plus grands Acteurs qu'ait ja- - mais eus Rome, Esope et Roscius : dans sou plaidoyer pour <:<^| dernier, il plaint un si honnête homme d'exercer un raélier si^| peu honnête. Loîn de distinguer entre les comédiens , histrions et farceurs , ni entre les aitcurs des tragédies et ceux des co- médies, la Un couvre indistinctement du même opprobre tous ceux qui montent sur le lhé;Ure ; QuUnutK in svenam prodlerU ^ ait prœior, in/amis est. Il est vrai seulement que cet opprobre tombait moins sur la représentation même que sur 1 état oii Ton en faisait métier, puisque la jeunesse de Home représen—

(S4) Tiif-lâive dit que les jeux dc^-niquei fiireni întrodaiti à Rom* Y»n 590, à Toccasion d'une pesie qu*il s'agissait d'y faire cewier. Aujour* d*hni i'nii rffrmr'MÎI t"tt IbéiUrcs puiir lo wùmi* «ujcl , «t lûrciucal c«Iii •cnit ^>lu» r«UouDable.

A M. D'ALEMBERT. Rj

|at< ptiWiquerncnl , k la fio dw grandes pièces, les Atellanes ou } nus déshonneur. A cela pris, on voit, dans mille en-

^ae tous les comédiens indifTerenimcnt étaient esclave» , ft irailc* comme tels quand le public n'était pas content dVux.

Jr tu- tache qu*uii seul peuple qui n'ait pas eu là-de»sus les 1 de tous les autres, ce sont les Grecs. 11 est certain que

la profession du théAtre était si peu déshonnrir » que U Irêor fournit des exemple» d'acteurs chargés de certaines fonc- tions pnbliques, 9oit dans Tctal, soit en ambassade. Mais on irrait trouver aisément les raisons de cette réception, i*. La rap-êdie ayant été inventée chet les Grecs aussi bien que la co- ié<ïir, ils ne pouvaient jeter d'avance une impression de mépris »r un riat dont on ne connaissait pas encore le» eflels; et» quand ronimença de les connaître, Topinion publique avait déjà pri» son pli. i"^. Comme la tragédie avait quel<|uc chose de sacré dan<t pnn '^rîqine, d'abord ses acteurs furent plutôt rep;ardés comme r ^t que comme des baladins. 3\ Tous les sujets de* pièce*

ï ' - rés que des antiquités nationales dont les Grecs étaient

klàtrrs, ils voyaient dans ces mêmes acteurs moins des gens qui fouifent des fables, que des citoyens instruits qui représentaient aux yeux de leurs compalrioles Thisloire de leur pays. 4- tiff ;aple, enthousiaste de sa liberté jusqu'à croire que les Grecs lirnt les seuls hommes libres par nature (35] , se rappelait avec 10 vif sentiment de plaisir ses anciens malheurs et les crimes de maîtres. Ce.t grands tableaux rinstruisaicnt sans cesse, et il ne -* <e défendre d'un peu de respect pour les organes de cette (». 5**. La tragéJie n'étant d'aDord jouée que par des irs , on ne voyait point sur leur théâtre ce mélange scanda- l'hommes et de femmes qui fait des nôtres autant d'écoles luvaises imrurs. 6°. Enfin leurs spectacles n'avaient rien de ïqDinerie de ceux d'aujourtVhui. Leurs théâtres n'étaient élevés par l'intérêt cl par l'avarice^ ils n'étaient point ren- dans d'obscures prisons; leurs acteurs n'avaient pas besoin tire à contribution les spectateurs, ni de compter du coin il Icii gens qu'il» voyaient passer la porte, pour être sûrs de ir souper.

Cf^ '-lAnds et superbes spectacles , donnés sous le ciel , â la face une nation, n'olîraienl de toutes parts que des combats, ..res, des prix , des objets capables d'inspirer aux Greci ic arJcole émulation , et d'échauffer leurs cœurs de sentimens loDnrur et de gloire. C'est nu milieu de cet imposant appareil, irApre à élever et remuer t'ame, que les acteurs, animés du xèle , partageaient , selon leurs talens , les honneurs rendus lirqueurs aes jeux, .souvent aux premiers hommes de U iAn. Je ne suis pas surpris que , loin de les avilir , leur mé- , exercé Je cette manière , leur donnât cette fierté de courage

|SS) Iphigéiiio II» dit en lornies expr^i dans U tragvdic d*£ariptdi* qui le Dom de ««tic priuceur.

Un

LETTRE

»t ce noWe désînieresseniPnt qui semblait qnelonefois rlexTr l'ac* leur à hva personnage. Avec toul cela , jaiuaib la Orcce , excopté Sparte, iiei'ut citiH: en exemple de bonnes inœursj el Spnrle, i]iii iR* souffrait poiul de theÂlre, u'avail garde d*lionorer ceux cjui b'y luontreiil.

Revenons aux Romains, fpujoin desuivrcàceLÔgard IVxrranle des Grecs, en donnèrent un tout contraire. Quand leurs lois uc— claraient les comédiens int:Wues, était-ce dans le iles&eiii dVu desbonorer la profession? Ouclle eût été Tulililé d'une di-*posi- tion si cruelle ! Elles ue la déshonoraient point , elles rendaient seulement authentique le déshonneur qui eo est inséparable : car jamais les bonnes lois ne changent la nature des choses, elles ne font que la suivre; et celles-là seules sont observées. 11 ne s'agit donc pas de crier d'aburd contre les préjugés, luais de savoir premiêrcmenl si ce no sont que des préjugés; si la profession i\c comédien n'est point on effet déshonorante en elle-incuie : car si, par iiialhpur, elle Test , nous aurons beau statuer qu'elle ne Test pas, ;iu lieu (le la réhabiliter, nous ne ferons que nous avilir nuu!r- mêmes.

Qu'est-ce que le talent du comédien? L'art de se contrefaire » de revêtir un autre caractère que le *.ien , de paraître ditVérent de ce qu'on est, de se passionner de san^ froid, de dire autre chose quccequ'on pense, aussi naturellement que si l'on le pensait réel- lement , cl d oublier enfin sa propre place à force t\c prendre celle d'aulrui. Qu'est-ce que la ]»rofrs:)ion du comédien ? Cn mé- tier par le([uel il se donne en représentation pour de l'argent, se soumet à l'ignominie et aux affronts qu'on achète le droit de lui faire, et met piibliuueuicnl ta personne en vente. J*adjure tout iiorame sincère de dire s'il ne sent pas au fond de son ame qu'il y a dans ce trafic de soi-même quelque chose de servile el de bas. Vous autres philosophes, qui vous prétende/, si fort au-dessus des préjuj^és, ne mourriez- vous pas tous de honte, si , lâchement travestis en rois, il vous fallait aller faire aux yeux du public un. rôle différent du vôtre , et exposer vos niaje!»tus aux huées de la populace.' Quel est donc , au fond , l'esprit *pie le comédien re— «oit de son étal? Un mélange de bassesse, de fausseté, de ridi- cule orgueil , et d'indigne avilissement , qui le rend propre ;i toutes sortes de personnages, hors le plus noble de tous, celui d'homme , qu'il abandonne.

Je sais que le jeu du comédien n'est pas celui d'un fourbe qui vent en impo.ser, qu'il ne prétend p.is qu'on le prenne en effet pour la personne qu'il représente, ni qu'on le croie affecte des passions qu'il imite, et qu'en donnant cette imitation pour ce qu'elle est il la rend loul-à-fait innocente. Aussi ne raccusé- je pas d'être précisément un trompeur, mais de cultiver pour tout métier le talent de tromper les hommes, et de s'exercer k des habitudes qui, ne pouvant être innocentes qu'au tliédlre, ne servent partout ailleurs qu'à mal faire. Ces hommes si bien parés, SI bien exercés au Ion de la galanterie et aux accens de

A M. D'ALEMnERT. Cu

la passion, n*abii<tcront-ils j;im:iis <]«* cet art pour sifdiiii-e ili* jeunes personnes.' Ces valets filous , si snhliU de la lanmic et de la main sur la scène , dans 1rs besoiiis d'un in4l(ier plus dispen- dieux que lucratif n'auront-ils jamais de distractions utiles? Ne prendront-ils jamais la bourse d'un fils prodip;ue ou d'un pi:r*» avare pour celle de Léandre ou d'Argante ÇM\)} Partout la ten- tation de mal faire augmente avec la facilité; et il faut <]uc les comédiens soient plus vertueux que les autres houimes, s'ils ne sont pas plus corrompus.

L'orateur , le prédicateur , pourra-t-on me dire encore , paient de leur personne ainsi que le comédien. La difTérence est très-grande. Quand l'orateur se montre, c'est pmir parler, vt non pour se donner en spectacle : il ne représente qiu; lui- mènae, il ne fait que son propre rôle , ne parle qu'en sou propn; nom , ne dit ou ne doit dire que ce qu il pense : Tliommc ot le personnage étant le même .être , il est à sa place ; il est dans le cas de tout auti*e citoyen qui remplit les îonctioiis de mtn état. Mais un comédien sur la scène, étalant <rautrcs sentimens que les siens, ne disant que ce qu'on lui fait dire , repré'^onlant souvent un être chimérique , s anéantit, pour ainsi dire , s'an- nulle avec son héros; et, ilans cet oubli de I'Îioimuip, s'il cit reste quelque chose, c'est pour être le jouet des spectateurs. (^ue dirai-je de ceux qui semblent avoir peur de valoir trop par eux-mêmes, et se dégradent jusqu'à représenter des per- sonnages auxquels ils seraient bien fâchés de ressembler? CVst un grand mal sans doute de voir tant de scélérats dans te inonde faire des rôles d'honnêtes gens; mais y a-t-il ncn de plus odieux, de pins choquant, de plus lAche, qu'un Jionnête homme à la comédie faisant le rôle d'un scélérat, et déployant tout son ta- lent pour faire valoir de criminelles maximes uout lui-même est pénétré d'horreur?

.Si l'on ne voit en tout ceci qu'une profession peu honnête, on doit voir encore une source de mauvaises mœurs dans Je dé- sordre des actrices, qui force et entraîne celui des acteurs. Mais pourquoi ce désordre est-il inévitable? Ah! pourquoi? Dans tout autre temps on n'aurait pas besoin de le demander ; mais , dans ce siècle règneut si fièrement les préjugés et l'erreur sons le nom de philosophie, les hommes, norutis par leur vain Mvoîr , ont fermé leur esprit ù la voix de la raison , et leur cœur à celle de la nature.

Dans tout état, dans tout pays, dans toute condition, les deux sexes ont entre eux une liaison si forte et si naturelle, qne les infcurs de l'un' décident toujours de celles de l'autre. Noa

(36) Ona relevéceci commeontréetcomme riiIicu]e.OnaeD nîsoff ** n'y a puînt de vice dont les coiuétliena soient moiiii accni^iqne de Ir ' poiincrir; leni* nicLîer, qui les occupe beaucoup, el leur donne mè: teiilimens criinnuenr à cRrUiiis ngards, les éloigne d'une telle li ie luîj(.seccpaMage« parce qiio je meiaUfaîtaDeloi denerimAt je le desavoue hautcaient comme une très-grande înjiulic«i

«a LETTRE

«)ue cesmmurB soient loiijoiirs les mêmes, mais elles ont tou— jours le intime degré de bonle, modifié dans cliai^ue sexe par Jes penclians qui lui sont propres. Les Atielaises sont douces et timides; les Anglais sont durs et féroces. I)*oiï vient celle appa- renle opposition? De ce cjue le caractère de chacjuc sexe est «insi renforcé, et que c'c^^t aussi le caractère national de porter tout à l'exlrérae. A cela près, tout est semblable. Les deux sexes aiment à vivre à part; tous deux lont cas de& plaisirs de ]a table; tous deux se rassembleuL pour Loire après le repas , les bommes du vin , les femmes du llié^ tous deux se livrent au Jeu sans fureur, et s'eu font un métier plutôt qu'une pa^tsion ; tous deux ont un grand respect pour les choses honnêtes ; tous deux ainieut la patrie et les lois^ tous deux honorent la foi con-

i'ugale , et , s'ils la violent , ils ne se font point un honneur de a violer; la paix domestique plait à tous deux; tons deux sont silencieux et taciturnes; tous deux diiljciles à émouvoir; tous deux emportés dans leurs passions; pour tons deux Tamour est terrible et tragique, il décide du sort de leurs jours; il ne s*agit pas de moins , dit Murait , que d\ laisser la raison ou la vie ; enfin tous deux .se plaisent à la c.iinp.'igne,et les dames anglaises errent aussi volontiers dans leurs parcs solitaires , qu'elles vont •e luoutrer à Vauxliall. De ce goût commun pour la solitude Tioît aussi celui des lectures contemplatives et des romans dont l'Angleterre est inondée (37). Ainsi tous deux, plus recueillis avec eux-mêmes f se livrent moins à des imitations frivoles, prennent mieux le goût des vrais plaisirs de la vie , et songent moins à paraître heureux qu'à l'être.

J'ai cité les Anglais par préférence, parce qu'ils sont, de toutes les nations du monde , celle oii les mœurs des deux sexes J>araissent d'abord le plus contraires. De leur rapport dans ce pays-là nous pouvons conclure pour les autres : toute la difl'é-' renée consiste en ce que la vie des femmes est un développemeut itinuel de leurs mœurs; au lieu que celles des bommes s'ef- iacanl davantage dans Tuniformité des affaires , il faut attendre pour en juger de les voir dans les plaisirs. VouIck-vous donc Connaître les bommes? étudiez. le£ femmes. Cette maxime est

fénérale, rt jusques-là tout le monde sera d'accord avec moi. lais si j^ajoute qu'il n'y a point de bonnes mœurs pour les femmes hors d'une vie retirée et domestique ; si je dis que les paisibles soins de la famine et du ménage sont leur partage, que la dignité de leur sexe est dans sa modestie, que lalionte «t la pudeur sont en elles inséparables de l'honnêteté, que re- chercher les regards des hommes c'est déjà s'en laisser cor— lï'ompre, et que toute femme qui se montre se déshonore; k instant va s élever contre moi cette philosophie d'un jour , rui naît et meurt dans le coin d'une grande ville , et veut

(37) Ils 3r»onl» comme Ira lininmm , Biihlinie^ on délrslable». Ou n'a )amni» fait ciicoro , ni quelque langue que ce toit , de roman égal à C/â- riae^ ni m^mc approchai)

A M. D'ALEMBEUT. 03

étouffer àe U cri de la nature et la voix unanime du genre fanmain.

Préjuges populaîreft ! me crie-t-on ; petites erreurs de l'en- fance! tromperie des lois et de l'éducation ! La pudeur n'est rien; elle nest qu'une invention des lois sociales pour mettre à coavert les droits des pères et des époux , et maintenir quelque ordre dans les familles. Pourquoi rougirions-nous des nesoins

Sue nous donna la nature ? Pourquoi trouverions-nous un motif e honte dans un acte aussi indifférent en soi et aussi utile dans ses effiets que celui qui concourt k perpétuer l'espèce? Pourquoi , les désirv étant égaux des deux parts, les démonstrations en seraient-elles différentes? Pourquoi l'un des sexes se refuserait— il plus que l'autre aux penchans qui leur sont communs? Pour- quoi rhouune aurait-il sur ce point d'autres lois que les animaux ?

TetpoQrqaoi, dit le dieu, ne 6niraient jamais.

Maif ce n'est pas à l'homme, c'est à son auteur, qu'il les faut adresser. N'est-il pas plaisant qu'il faille dire pourquoi j'ai honte d'nn sentiment naturel , si cette honte ne m'est pas moins natu- relle que ce sentiment même? Autant vaudrait me demander aussi pourquoi j'ai ce sentiment. Est-ce à moi de rendre compte de ce qu'a fait la nature ? Par cette manière de raisonner, ceux qui ne voient pas pourquoi l'homme est existant devraient nier qu'il existe.

J*ai peur que ces grands scrutateur^ des conseils de Dieu n'aient un peu légèrement pesé ses raisons. Moi , qui ne me pique pas de les connaître , j'en crois voir qui leur ont échappé. Quoi qu'ils en disent, la honte qui voile aux yeux d'autrui les plaisirs de l'amour est quelque chose : elle est la sauve-garde commune qne la nature a donnée aux deux sexes dans un état de faiblesse et d'oubli d'eux-mêmes qui les livre à la merci du premier venu : c'est ainsi qu'elle couvre leur sommeil des ombres de la nuit , afin que , durant ce temps de ténèbres, ils soient moins exposés aax attaques les uns des autres : c'est ainsi qu'elle fait chercher à tout animal soufirant la retraite et les lieux déserts, afin qu'il sonffre et meure en paix hors des atteintes qu'il ne peut plut repousser.

A l'égard de la pudeur du sexe en particulier , quelle arme plus douce eût pu donner cette même nature k celui qu'elle destinait à se défendre? Les désirs sont égaux ! Qu'est-ce à dire? T a-t-il de part et d'autre mêmes facultés de les satisfaire? Qoe deviendrait l'espèce humaine si Tordre de l'attaque et la défense était changé? L'assaillant choisirait , au hasard , des temps oix la victoire serait impossible ; l'assailli serait laissé en paix quand il aurait besoin de se rendre , et poursuivi sans re- lâche quand il serait trop faible pour succomber; enfin le pouvoir et la volonté, toujours en discorde, ne laissant jamaia partager les désirs , l'amour ne serait plus If sputien de la nature, il en serait le destructeur et le fléau.

Â( LKTTRE

Si Icft <lcu?c icxef. avaient également fait et rrçu les avances, la vaine îiii|iorl imite n'eût point l'it* *aiivçe, des feux toujours lariguissans dans une ennu^eu^e liberté ne se fii$$eiit jamais ir- rites, le plus doux de tous les .setitimcns cdt h peine e(!Icur<$ le cœur humain, et son objet eût été mal rempli, l/obstaclc apparent qui semble éloigner col objet est au fond ce qui le rapprocfie. Les désirs voilés par la honte n'en deviennent que plus séduisans; en les gt'nant la pudeur les entlauime : ses craintes , ses détours , ses reserves , ses timides aveux , sa tendre «t naïve finesse, disent mieux ce qu'elle croit taire que la pas- sion ne reûl dit sans elle : c'est elle qui donne du |)ris. aux faveurs, et de la douceur aux refus. Le véritable amour pos— side en elïel ce que la scuIp pudeur lui dispute : ce mélange de faiblesse et de modestie le rend plus touchant et plus tendre; moins il obtient, plus la valeur de ce ou'il obtient en aug- mente; et c'est ainsi qu'il jouit à la fois de ses privations et de SOS plaisirs.

Pourquoi, disent-ils, ce qui aVst pas honteux à riiomme le serait-il à la femme? pourquoi Tun des *exes 9e ferait-il un crime de ce que l'autre se croit permis ? Comme si les consé- quences étaient les mêmes des deux côtés! comme si tous les Austères devoirs de la femme ne dérivaient pas de cela seul , qu*un enfant doit avoir un pore! Quand ces iiuportaules con- sidérations nous iiianqurraiont , nous aurions toujours la méuie réponse à faire , et toifjours elle serait sans réplique : Ainsi Ta voulu la nature, c*est un crime d'étoulfer sa voix. L'homme peut être audacieux, telle est sa destination (38); il faut bien

(38) Oi>tiu]|;uoiift celle audace lie l'insulcurp et ilc In biulnlité; cnr rien ne part «If frcntiuiens plu»up|K)tM*i ri n'» ilVift-ls plus contraires. Jr iiup— JI04C l'iinioiir mniiionl cl illiir, tio rt-crvanl de loia que de liti-tm-mp; cVst à lui âcul qu'il .ip|)aiiir-n( de pi'i'-sidiT à se» mystcrcit, cl de former l'union des per&onnc's niiisi que ct-lle des cœurs. Qu'un hoinm^f insulte k )a pudeur du se«e. cl nllpnlcavt'c vïoleuce aux clininies d'un jeuno ob- jet qui ne seul l'icn pour lui; s;i giussitWelc iiViil point passiuitin •- ,ello «Kt unttngeaule ; tilt* aunonce une ntiic sans intfiirA , nans dèlicuteaaef iiicDiitililei'i la fois d'auiour et d'honut^teté. L.e plu» grnud prîi de« plai« liiji tftt dauft le cœur qui Ira donne: un vâitublo arnnut uu trouverait ^uc douleur, rage et dtV»poir , dans U poftiCMion uiéuic de ce qu'il aime, ■'il rrovail n'en point être a\m(\

Vuuluir conlculer iiitioleniuienl ses d^îrs sani l'iiveu de celle qui les •fn'ii naître j est t'nudace d'un s.ilyre) crlle d'un liuiunie rsl de aavuir lea tt-moiguf^r mus drplaire, de les rendre iati ressens , de faire en Mirle citron les paringe , d'assirvir les srutiuicns avnni H'alliiqner la pcisnnne. 4.'c n'est pas encore assez d'être uiuié , le& dt'>irs iMiriflgVii ne donueul pSi »t'uU le droit do les salisfaire t il f;iut de plus ]*• const*nl)*m*-ul <le la vu- Juulé. Le cœur accorde en vaiu ce que la > olonti* refusr* L«*hounéle homme et l'aoïaut sVu abstient , niéuie quand il pi»urrait l'oblenir. Ar* Tacher ce consenlemcul lacitei c'est usrrde toute la violence permise en ''^mnur. Le lire dans leAycux . le voir dans Ir» inaniirra, malgré le refus 4le buuclie, c*est l'art de celui qui sait uiiuer j s'il ucliève alors dVtre hfureux , il u'esl paini btuutl , il est honuéte } il o'ouli'age puiul la pu-

A M. D'ALE^riîEHT. CS

«pj* i^^*<|i3'ttTi se déclare; moi» loulc femme *an» puJoiir est r rjtvce, parcequ'elle l'ouïe aux pieds an scnliiueat

(yummcnt peut-^m disputer la vcrité do ce seiilimeut;* toute

U trrre n'eu rendil-t'lle jias ré<:tatanl léiuoignage , la seule

rfMuparaùiOn d^s texe^ Auflirait pour la constater. N'est-ce pas

la nature qui pare les jeuaes personnes de cen traits m doux ,

i|u*un peu de honte rend plus touclians encore? N'est-ce pas elle

i|ul met éttti% leur» yeux ce regard timide et tendre au(|ucl ou

irsistr avrc tant de peine? N'est-ce pas elle qui donne à leur

teint plus d'éclat et â leur peau plus de linesiie , afin qu'une

niO«le<l« rougeur s'y laisse mieux apercevoir? N'est-ce pas elle

^«i Ir9 rend craintives alin qu'elles fuient ^ et faibles afin qu'elles

C<deal ? A quoi bon leur donner un ccpur plus sensible à U pille,

TiMtns ilr vitesse à la course , un corps moins robuste ^ une sta*

tnrr moins baute ^ des muscles plus dt-Jicals, si elle ne les ei\t

destinre^i à ic laisser vaincre? Assujetties aux iucommodites de

h RTT>sseMe cl aux douleurs de renfaiileuieut , ce surcroît de

' rxigeait-il une diminution de Jurces? Mais, pour les rc-

. Cf^l état pénible, il les fallait as-sea forte-» pour ne suc-

j leur volunlt?, et assez faible» pour avoir toujours

•^ de se reudrc. Yotlà précisêmeut le poiul oii les a

3 ta nature.

•11^ ilu raisouuemenl à l'expérience. Si la pudeur était un

ia sociélé et de rt.*ducaltou , ce sentiment devrait aug-

.■. ..vi, .^..11^ les lieux oii Téducation est plus tioi£;néc , el oit j'oa

ralfine jncrisammeut sur les lois sociales j il devrait être plus fai-

"• --rloal oii l'on est resté pins près de l'étal primitif. C'est

contraire (39). Dans nos montu^ocs les femmes sonl

et inodt'Stes, un mot le» fait rougir, elles n'osent lever

V *ur \ei boramos, et gardent le silence devant eux. Dans

* villes ia pudrur est ignoble et basse : c'est la seule

.me femme bien élevée aurait bonté ; et rUonneur d'a-

iigir un honnête homme n'appartient qu'aux femmes

1 air.

l'Ut tiré de l'exemple des bêles ne conclut point et .li. L'homme n'est point un chien ni un loup. 11 ne U lir dans son espèce les premiers rapports de la société

T' r à ses sentimens une moralité toujours inconnue aux

mimaux ont un cœur el des passions, mais la sainte iiounèle et du beau u'enlra jamais que dans le cœur

...^ ;.cla , ou a-t-on pris que riostinct ne produit jamais

^'^r . ît \i r»pccto, il U «ert ; il lui Niue l'iionueur de défendre «ncom ' |)r«l-f tr« abtndonnt^.

tirtiiliik l'ob)rM:iion : Le» femmes saoTage* n'ont pninidcpa*

tt iiuet. Je léponds que les nâtrtfs en ont encore moins*

. tt. VoyeE U tin de wt osiwi au su)el d&« fille» Lucè-i

€6

LETTUK

dan* les atiiraaUTC des effets semUtaMcs à ceux fjue la honte pr iluit parmi les hommes? Je vois tous les jours des prcuvos d contraire. J'en vois se cacher dans certains besoins, pour déro-* ber aux sens un ohjet de dêcoAt ; je les vois ensuite, au lieu fuir, sVmpresser d'en couvrir les vestiges. Que matique-t-tl a ce» soins pour avoir un air de décence et d'honnêteté, sinon d'ctrtt pris par des hommes? Dans leurs amours, je vois des caprices, <Ies clioix , des refus concertés, qui tiennent de bien près à maxime d'irriter la passion par des obstacles. A Tinstant même oii j'écris ceci , j'ai sous les yeux un exemple qui le confirme. Deux jeunes pigeons , dans Theureux temps de leurs premières amours, m'offrent un tableau bien différent de la sotte bruta-» lité que leur prêtent nos prétendus sage». La blanche colombe va suivant pas & pas son bien-aiiné, el prend chasse elle-même aussitôt qu il se retourne. Reste-l-il dans l'inaction , de légers coups de ucc le réveillent : s'il se relire, on le poursuit; s'il se défend, un petit vol de six pas l'attire encore; I innocence de la nature ménage les agaceries et la molle n^sistance avec un art qu'aurait k peine la plus habile coquette. Non , la foUtre Gata- tée ne faisait pas mieux , et Virgile eùL pu tirer d'un colombier l'une de ses plus charmantes images.

Quand on pourrait nier qu'un sentiment particulier de pndeur fût naturel aux femmes, en serait-il moins vrai qae, dans la so* cicié, leur partage doit être une vie domestique et retirée, et qu'oa doit les élever dans des principes qui s'y rapportent ? Si la limi« dite, la pudeur, la modestie, qui leur sont propres, sont des in- ventions sociales, il importe h la société que les femmes acquièreo ces(|ualités , il importe de les cultiver en elles; et toute femme qui les dédaigne offense les bonnes mopurs. Y a-l-il au monde un spec- tacle aussi touchant, aussi respectable, que celui d'une mère d<f famille entourée dp ses enfuns , réglant les travaux de ses dome»« tiques, procurant h son mari une vie heureuse, et gouvernant sagement la maison? C'est qu'elle se montre dans tonte ta di— gmlé d'une honnête femme; c'est qu'elle impose vraiment da respect, el qtie la beauté partage avec honneur les hommagej rendus à la vertu. Cne maison dont la maîtresse est absente est un corps sans ame, qui bientôt tombe en corruption : une femme hors de sa maison perd son plus grand lustre; el , dépouillée de SCS vrais ornemens, elle se montre avec indécence. Si elle a un mari, que cherche-t-elle parmi les hommes? Si elle n'en a pas, comment s'expose-t-elle h rebuter, par un maintien pea modeste, celui qui serait tenté de le devenir^ Quoi qu'elle pui^ee faire , on sent qu'elle n'est pas à sa place en public ; et sa beauté même, qui plaît sans intéresser, n'est qu'un tort de plus que lo cœur lui reproche. Que cette impression nous vienne de la na- ture ou de l'éducation, elle est commune à tous les peuples da monde; partout on considère les femmes à proportion Je leur modestie; partout on est convaincu qu'en négligeant les maniè- res de leur sexe elles en négligent les devoirs; partout on votft

i

a.

A 31. D'ALEMBERT.

il en efTronlcrie la mâle et ferme assurance cTe rbcnntxir , elle» &'.ivili9»eut par cette odieuse imitation , et déâho- rx i fois leur so\c et le nôtre.

i*il règne en t|uelqiies poys des coutumes contraires;

quelles luœurs elles ont fait naître. Je ne vou-

" exemple pour confirmer mes maximes. AppH-

rs des femmes ce que j'ai dit ci-dcvanl de Thon*

: porte. Chez tous les anciens peuples polices elles

^-renfermées; elles se montraient rarement eu pu-

^_:_ M5 avec des hommes; elles ne se promenaient point

xv0e«um; elles n'avaient point la meilleure place au spectacle,

tUc»«e »'/ niettaient point en montre (40) ; il ne leur elaii pas

aifiac permis d'assister à tous , et Ton sait qu'il y avait peine de

mort contre celles qui s'oseraient montrer aux jeux olympique?.

Dan» la maison elles avaient un appartement particulier on

1rs booimcs n'entraient point. Quand leurs niarii donnaient k

■X0gcr y elles se présentaient rarement ri table; les honnr'tcs

Inunea eu .sortaient avant la Hn du repas, et les autres n'y pa-

irnl point au comtzienrement. Il n y avait aucune assembU-c

pour les deux sexes; ils ne passaient point la journée

<je soin de ne pas se rassasier les uns des autres fai-

a 4iii*oii icn revoyait avec plus de plai-sir : il est sîir qu'en gé-

1 la paix domestique était mieux afl'ermic, et qu^il régnait

n entre les époux f^O qu'il n'en règne aujourd'hui.

■'•ut les usages des Perses , des Grecs , des Romains, et

striof de* Kqvpliens , nialf^ré les mauvaises plaisanteries d'IIé-

rodnic , qui se réfuient d'elles-mêmes. quelquefois les femmes

KTtait^nt de* bornes de cette modestie, le en public montrait

> '-Viflil nncexceplion.Ouen*a-t-on pas dit de la liberté du sexe

rie? On peut comprendre aussi par la LitUCrata d'Aristo-

coMibien l'impudence des Atbénîennes était cboquaute

uz lies Grecs; «t, dans Rome déjà corrompue, avec quel

' »• vit-on point encore lesdaraes romaines se présenter

'I des triumvirs!

changé. Depuis que des foules de barbares, traînant

l'urs femmes dans leurs armées , eurent inondé l'Eu-

"(* des caïups, jointe à la froideur naturelle des

rionaux , qui rend la réserve moins nécessaire,

autre manière de vivre, que favorisèrent les H-

I rie , oii les belles dames pas.saient leur vie à iC

ir par des bommes» en tout bien et en tout lionncur.

' ' f-s livres étaient les écoles de galanterie du temps , les

An lb/4lrtt (l*\thènes les femmes occapaienl une galerie Iwato if^U' Mimode pour voir Qt pour ftre vur« ) rnnfs il paraît ,

|«r l'* lia cldeSylUj qu'au cirque de Home clic» cliieut

r"' '■«,

I atlribiier U cause A U racllitc do ilirorre-, mai*

0^^ -.,■■. ... i pen iPusnge, rt Rome subtii^la cinq cwilâ ftn*

ac*i>t qac |ier*nuoe s'y pi-<^valùl ilc U loi qui pcrdivimil.

^d LETTRE

gnanco ëe mettre mes concitoyens sur la scène Wa fait dinërcr autant que je Toi pu de parler de nous. Il y faut pourtant venir à ia fin 5 et je n'aurais rcuipti qu'imparfaitement ina tjïche , si je ne cherchais, &ur notre situation particulière, ce qui rêsiiltera de rétablissement d'un tiicàtre dans notre >illc, au cas que vo- tre avis et vos raisons détenuineat le gouvernement à Vy souf- frir. Je me bornerai à des effets si sensibles, qu'ils ne puissent être contestes de personne qui connaisse un peu notre consÛLu- tion.

Genève est rîcbe, il est vrai; mais, quoiqu'on n^y voir point cet énormes disproportions de fortune qui appauvrissent tout un pays pour enricliir quelques habitansel sèment la misère autour de l'opulence , il est certain que , si quelques Genevois possèdent d'assez grands biens, plusieurs vivent dans une disette assez dure ^ et que 1 aisance du plus grand nombre vient d'un travail assidu , d'économie et de modération , plutôt que d'une ricbesse positive. Il y a bien des villes plus pauvres que la nôtre ou le bourgeois peut donner beaucoup plus ù ses plaisirs , parce que le territoirv qui le nourrit ne s'épuise pas , et que son temps n'étant d'aucun prix , il peut le perdre sans préjudice. Il n'en va pas ainsi parmi nous, qui, sans terres pour subsister, n'avons tous que noire industrie. Le peuple genevois ne se soutient qu'à force de travail, et n'a le nécessaire qu'autant qu'il se refuse tout superflu : c'est irnc des raisons de nos lois somptuaires. II me semble que ce qui doit d'abord frapprr tout étranger entrant dans frenève, c'est l'uir de vie et d'aclivilc qu'il y voit régner. Tout s'occupe, tout est en mouvement, tout s empresse â son travail et à ses aHaires. Je ne crois pos que nulle autre aussi petite ville au monde on*re irn pareil spectacle. Visitez le quartier Saint-Gcnais, tonte l'borlogerie do l'Europe y paraît rassemblée. Parcourez le Mo— lard et les rues basses, nu appareil de commerce en jy;rand , de» monceaux de ballots , de lonnraux confusément jetés, une odeur d'Inde et de droguerie , vous font imaginer un port de mer. Aux Pàquis, aux Eaux-vives, le bruit et l'aspect des fabrique» d'in- dienne et de toile peinte semblent vous transporter à Zurîcb. La ville se multiplie en quelque sorte par les travaux qui ^'y font ;, et j'ai vu des gens, sur ce premier coup-d'rril , eu estimer le

Îkcuple à cent niillo âmes. Les bras, l'emploi du temps, In vigi— ance, l'austère parcimonie j voilà les trésors du Genevois^ voilà avec quoi nous attendons lui amusement de gens oisifs , qni , nou ôtant à U fois le temps et l'argent , doublera réellement notr^ perle.

Genève ne contient pas vingt-quatre mille âmes , vous en coït-» venez. Je voisqueLyonjbienpIusricheà proportion, et du moins^ cinq ou «ix fois plus peuplé, eulretient ciaclemeat untbéàtre ^ et que, quand ce théâtre est un opéra, la ville n'y saurait suilirr. Je vois que Paris, la capitale de la Irancc cl logouflTredesricbesse» de ce grand royaume, en entretient trois assez médiocre- ment, cl un quattièiue eu Lcrtaiuï temps de l'amice. SupposouA

i

A M. O'Ar.FMBERT.

ÊÈ faatrîïnM) (43) pernian<>ut. Jo vois que, Oans [ilui^ <]<- 5tx cent nulle babitnns, ce rendr/.-vous île ropulenre rt de roUivetô (baniit il peine jouroetlemcot âu apcct.'ii;le mille o\x doute ceiiU •peclairur», tout coiupcoté. Dari& lo reste du lovaunie, vof» Bardesnx, Rouen, grands porttiJe mer; je voU Lille, Slra»I»ourg, cmntlcs villes de guerre, pleines d'olllciers oisifs qui passent Irar vie k Attendre qu'il soîL imdi et liuit heures, avoir un (kritre de comédie : encore faut-il dei taxe» involontaires pour letoutenir. Mais combien d'autres villev iDcouiparablemeul plus grandes que la nôtre, combien de sièges de parlemeus et dc- vo»r«K3nveraines, ne pcuveiileiilrelcnir unecuni<*dic ù demeure! Pour iug;rr si pous sommes en etalde mieux faire , prenons un terme de comparaison bien connu, tel, par exemple, que la rille de Pari^. Je «lis donc que, i\ plui de *ix Cent luilie b.i- ^lani» nf fourniKicnt journellement et Tun dan^ Tautie aux t! '• Paris que douxe cents xpectalrur», nioiu» de vtiiyt-

q le babilans n'en fourniront certainement pm plu» de

l|««ran(e-huit à Genève : encore faut-il déduire \r\i ^ratU de ce BOcui>re, et supposer qu'il n'y a pas proportionnellement mouis àe drxiniTres à Genève qu'il Paris; supposition qui oie parait tnv.iitcnable.

, ii \eé coine'diens français^ peniionneV du roi, ef propric- > de leur lliè^tre, ont bien de la peine à se soutenir à Paris nne »wembl«fe de Iroi» cents spectateurs par reprrsenta- "^ '^4^* K <lt^iii^nde comment les comédiens de Cj«nc>e se •idront avec une assemblée de quaranle-buit spectateuri *<"' ressource. Vous me dirox qu'on vil à meilleur compte qu'à Pans. Oui; mais les billets d'entrées cnûteront lomi à proportion : et puis la di*prii«e de lu l.tblc nVst. lUr des curuédiens; ce font les liabits, c'est la paru ir coâte : il faudra faire venir tout cela di* Paris, ou rr (les ouvriers maladroits. C'est dans les lieux loutpA 9eÊ cboM* sont communes qu'on les fait à meilleur marcIie. Vou^ Aiivs encore qu'on le» assujettira à nos lois nomptuairei. Mais cVa cfi VAin qu*ou roudratt porter la réforme sur le theAtre;

oc tompte point le coneerl spirituel , c'est qu'au lirn il'LHro

feu ., ii.- flîoulv aux uuttfa , il n'eu ust que le Ruppi<'iuent. Ja jy

mmuftc pa« non plii» tes petti» it|H't'UcIeA «If U fuiie j muis aiuui )c la

ctMni;l« lotilti l'année, au lieu qu'cllu ne ilurc- pim kix mui*. En reclicr-

par eompirainou.s'il rsl pOitAihlo qu'uuc Iniupr* fubsîstea G^nôvr,

«.- (larloiii iIp* m|>pnri8 plus fd\nt'able&A rafCrmatîve que no le

CftÛJtoonous.

nitî ne vont nnx «pcclaclcs que Ifs bran» jour» , m'i 1'»*-

•" )imise « tiouvt l'onl ccUr rAlitnnlion Imp iaiblo { xitaî*

c - I dix an* le» auront Bui\i«, coinide a>u) , titiu* cL matl-

1.4 trouvrriint ftOremeut tri»p lurte. S'il foui Huiw tlimiuuer le

ti»lier ii« ii'ois ct-ut» aprvlalfuriiit Paiï», il fiiul tlitntitucr pro-

I* toenl celui de quarantc-buit a Geu«v«| ce qui ivnlsirci' ni*-

7*

LETTRE

jamais CléopAlre et Xerxès ne içoùleronl notre simplicité. I/^ lat (1p5 (.omedîpns étant ne paraîlr*», cVsl Ifur ôtcr le çoûl rie leur inélior de les en empêcher , et je doute que jamais bon ac- teur consente à se faire tjuaker. Lnfin Ton peut, lu'objecter que la troupe de Genève, étant bien moins nombreuse que celle de Paria, pourra subsister à bien moindres fraij, D'accord : mai» cette différence sera-t-elle en raison de celle de quaranle-liuit k trois cents? Ajoutez qu'une troupe plus nombreuse a aussi l'a- vantaf^e de pouvoir jouer plus souvent ; au lieu que , dans une petite troupe nu les doublei; manquent» tous ne sauraient jpuer tons les jours; la maladie^ ra!)senccd'un seuliomédien fait man*- qiier une représentation, et c'est autant de perdu pour la re- cette.

Le Genevois aime excessivcmeul la campagne ; on en peut ju-

fer par la quantité de maiânns répandues autour dr la ville, .'attrait de la chasse et la benulé des onAirons entrclirnnent ce f^oAt salutaire. Les portes, feruiées ayant la nuit, olnnt la liberté' de la promenade au dehors, et les maisons de campagne étant si pri^s , frtrt peu de gens aiséî concheiit en ville durant l'été. Chacun, ayant passé la journée à «ps allaires, pari lesoirâ portes fermantes, et va daiisi sa pelilc retraite respirer Tair le plus pur rt jouir du plus charmant paysage qui soit sous le ciel. H y a niKmo beaucoup de cilovens et bourgeois qui y résïdcul toute l'année, et n'ont pomt d'habitation dans Genève, Tout cela est autant de perdn pour la conié<lic: et, pendant toute la belle saison, il ne restera presque, pour l'entretenir, que des gens quii n'y vont jamais. A Paris, c'est tout autre chose ; ou allie fort bien la comédie avec la campagne, et tout Tété l'on ne voit, à l'heure oii finissent les spectacles, nuecarrossessortirdesporlo»- Ouant aux gens qui couchent en ville, la liberté d'en sortir k tonte heuro les tente moins que les incnrtunodités qui l'accom- pagnent ne les rebutent. On s'ennuie sitôt des promenade» pc— Iiliques, il faut aller chercher si loin la campagne, l'air en est M etupeslc d'immondices el la vue si peu attrayante , qu'on aime mieux aller s'enfermer au spectacle. Voilà donc encore une «lifférence au désavanlagc de nos comédiens , et une moitié de Tannée perdue pour eux. Pensez-vous , monsieur , qu'ils trou- veront aisément sur le re.sle à remphr im si grand vide? Pour TDoi, je ne vois aucun autre remède à cela quede chanfs;er l'heure l'on ferme les portes, d'immoler notre sûreté à nos plaisir» , et de laisser une place forte ouverte peadani la nuit (45) , au Ztti-^

(45) Je lAÎsqne lonics nos grandes fortifications sont la clinip ilii mon^ lapins inutile, et <]nc, quiinil anus anrioiimiftiii'x de lrou|ir5 pour Ira dé* frndre, Cfla Kmit fort iualîlc L'Ucorc : car (tOrenirnl un ne vûruilm yn» iiDiis ■■tirgrr. Mni», pour n'avoir point sièjiû à cmintlro, nous n'«ru dfVOUfi pMs inoin» veiller » nous i^nidulir do toute >urpii»r : ricu u'c»l «i facile que i)'ti»srmUlc-i' tic* gcni dr gucrro À autre voiniiitigrt Nous avana trv|i a(ipr)>rtiftnf;e qu'on ru peitl fiirr «ttt nuuidevou» wkirci qui Ir» |i]n» >it.iuv;iisttroil>lior»tl'um.' i>latc si' lrou\ rot excelle»» qttunU un csltlftlvu»

A M. D'ALEMBERT. ^3

itfv de IroÎA pnÎAjianccs dont U plus éloignée p»s dcmî-liour m r arriver h no« gl;iris.

' pas tout : il wi impossible r)u'un otahliscrmpnt u mn- rairc a nos ancienne inaAÎinrs soit géiw-raïrmf ni apphmdî. Coiii- ' ïp de gcni^renx citoyens verront av<*c inclipnadoncr iiioniimnit \%c et de la moUesACs'élevor sur les niinrs de nolrr Anticjne " :îlr» et menacer dr loin la libcrlr pnl»li<jur ! Pcnicz-vctus iront autoriser ccUr innovation de Irnr prt'sencr, aprrs Ta- lantrment imnrouvec? Soyez si\t qnr pliist^ur^ vont sans le au fprclarie h P.iris, nui ny nirltront jamais les piods ' vc , parce que !<; bien de ta patrie loiir r»t plus clirr une ^iir amasmicnf. Ou sera l'iniprudente mcrc fj ni osera mener m lie à cette dangTcu-se érole? et combien de femme» respectables 'irairni <^ dé^lionorcr en v allant rlles-nirmcs ! Si qnelip)f« ie&s*abslienucnt îiPart.< d*allcrau «pertacle, cVsl uni<pir- if on principe de religion, tjui «ùrement ne sera pa^niain* irmî non« ; et nous aurons de plus les inotil« de mirutA , di» lu , de patrînii«,mei qui retiendrout encore ceui que la rcligiou i^liendrait pas (4G).

J*ai fait voir qu'il est absolument impossible qu'un fhéAire lie se soutienne â <#enève par le seul concours des spec- ! faudra donc Je dcu\ cboses Tune; ou que les ricbe* ^e [ut pour le soutenir, charge onéreuse qu'assurément ils ne pas d'humeur à supporter long-temps, ou que l'état sVn tel lesoutienne h ses propres frais. Mais romnieul )e soutien- II* Sero-ee eu rciraneliant sur les déjienses nécessaires, lelles ^uflît à peine son modique revenu, de quoi pourynir ■li ? ou bien deslinera-t-il à cet usa^e important le» les que réconomie et Tintégrité de l'administration permet lefois de mettre eu ré^erxe pour les plus pressaiis besoins? >-l-ii réformer noire petite Rflmison, et parder nous-mêmes irtes^ fandra-l-il réduire les faibles honoraires denosma- ? ou nous ôterous-nouspourcela toute ressource au moindrr mt imprévu? Au dérnnt dcces expédiens, je n'en vois plus un qui soil pratîquable ; c'est la voie des t.i\es el impositions, d a^se^lbfer nos ciloyeus et bourgeois en conseil général le temple de S. Pierre, et lii de leur proposer gravenienl )rder un impôt pour l'établissement de la romédîe. A Dieu lise que je croie nos sages et dignes magistrats capables de jamais une proposition semblablel et, sur votre propre ar- ou peut jugpr assez, comment elle serait reçue, lous avions le malheur de trouver quelqucexpédient propre cej diOîculléa, ce serait tant pis pour uous^ car cela oe

I Je nVntenilji point par -là qo'oD piiisso ^tr« vertueux Hn» rclîfiiun :

t. 'iiion tromp«aie, dont je suis trop dtsan»*»-,

lit jicnt »'alutenir qnclqneroi», par tics nttilir>

...i.-?t, lift cerlnines nclirip» indineicnlps par ellpn-

[»t mii n'inlArcMriit (mini iinmr'difttï»mci»l lacntisrirncCiComriif e*t

1er AUX spccUclrailaus un lieu il nVslpfttbon qu'on lessoufTrt.''

ft

74 LETTRE

poDiraîtse fûîre qu'à la faveur de quelque vice secret qoî, nouf «(Taibliftsant encore; dans noire petitesse, nous perdrait eniîn tôt on tard. Supposons pourtant qu^uti beau zèle au tbédtre nous fit faire un pareil miracle; supposons les comédiens bien établis datu Geuêve, bieu contenus par nos lots, la comédie florissante et fré— qnentée; supposons enlin notre ville dans Tctat oii vous dites

5u*ayant des juœurs et des spectacles elle réunirait les avantages es uns et des autres : avantages au reste qui me semblent pou compatibles; car celui desàpeclacles , nVlant que de suppléeraux mœurs , est nul partout oii les mœurs existent.

Le premier euet sensible de cet établissement sera, comme je l'ai déjà dit, une révolution dans nos usages, qui en produira nécessairement une dans nos nin^urs. Celle révolution sera-t-clle bonne ou mauvaise? c'est ce qu'il est temps d'examiner.

11 n'y a point d'état bien constitué oti Ton ne trouve des usages qui tiennent k la forme du gouvernement et servent à la main- tenir. Tel était, par exemple, autrefois à Londres celui des co- teries, si mal à propos tournées en dérision par les auteurs du Spectateur. A ces coteries, ainsi devenues ridicules, out succède les cafés et les mauvais lieux. Je doute que le peuple anglais ait I>eaucoup gagné au cbange. Des coteries semblables sont maiu» tenant établies à Genève sous le nom de cercles i ei'\ sii lieu^mon-^ sieur, de juser, par votre article, que vous n*aver. point observé sans estime le ton de sens et de raison qu'elles y font régner. CcC vsai^e est ancien parnn nous, quoique son nom ne lesoitpas. Le* coteries existaient dans mon enfance sous le nom de sociétés j mais la forme en était moins bonne et moins réguliiîre. L'exer- cice des armes qui nous rassemble tous les printemps, les divers prix qu'on tire une partie de l'année, les fêles mililaires que ces prix occasionnent, le goùl de la chasse, commun à tous les Ge- nevois, réunissant fréquemment les hommes, leur donnaient flccasion de foruier entre eux des sociétés de table , des parties de campagne, el. enfin des liaisons d'amitié : mais ces assemblées, n'ayant pour objet que le plaisir et la joie, ne se formaient guère qu'au cabaret. Nos discordes civiles , oii la nécessité des afTaires obligeait de s'assembler plus souvent et de délibérer de sang- froid , firent changer ces sociétés tumultueuses eu des rendez- Vous plus honnêtes. Ces rendez-vous prirent le nom de cercles^ et d'une fort triste cause sont sortis de très-bons effets (47)"

Ces cercles sont des sociétés de douze ou quinze personnes qui louent un appartement commode qu'on pourvoit à frais communs de meubles et de provisions nécessaires. C'est dans cet appartement que se rendent tous les après-midi ceux des associes que leurs alïaires ou leurs jïlaibirs ne retiennent point ailleurs. On s*y rassemble; et là, chacun se livrant sans g^ne ux amusentens de snn goût , ou joue , on cause, on lit , on boit , on fume. Quelquefois on y soupe , luais rareiucat , parce que le

(47) Je parlerai cUsp rtsdcs inconréi;iieaa.

A AI D'ALEMBERT. .^

kr^meroûcst rançê et se plail à vivre Êtvec sa famille. Souvent I 1 va se promener enïemble, et le* amusemcns cju'on

K sont «Irft exercices propres h rendre et luainttMiir le

bc»rps roUuMe Ia's fonimes el le» lîMcs , «le leur côté, se ranserH- bent p.ir jnrit'te* , tantôt chez, l'une, Untôt cIieE Taiitre I/objH de Ce 'o est un petit jeu de coinuierce, un goAter,et«

, I ut bien croire , un intarissable babil. Les hoitiiiifftf tort Mvéreiuent eiclus de ces sociétés* s'y nii^lont AMet L ; et je penserais plus mal encore de ceux i^u'on y voit >a]Oiirï <|ue de ceux (|u'ou n*y voit jamais.

»oat les amu^eiuens journaliers de la bourgeoisie deGr*

re. Sjtn» être dépoiir\u'» de plaisir et de gaiofe , ces amuM»

oat (|ueti|ue cliosv de simple et d'innocent qui convient, à

!urs républicaines ; mai» > dès rtn^lant qu'il y aura comr-

adieu les cercles, «tlieu Irs sociétés 1 Voilii la révolution

j'ai |irédtte, tout cela tombe nécesiiâiremenl. El si vouv

rbjectef Te^emple de Londres, cité par moi-mf"rnc , les

riAcIr» établis n'empr-cbaient point les coteries, je répondrai

^u'il y * , par rapport à nous, une différence extrciike ; c'est

iu'un théâtre, qui nVst qu'un point dans cette ville immense ,

'a Jaii5 la nôtre un çr^nd objet qui absorbera tout.

V( \---\'h lue dcmauJei rnsuile ou est le mal que les cercle»

■lis... Non, monsieur , celte question Deviendra pas

..'.'sophc : c'est ua discours de femme ou de jeune bomme

il«ra nos cercles de corps-de-carde , et croira sentir

du tabac. Il faut pourtant repoudre ; car , pour cette

juoique je ui'adresse à vous, j^écris pour le peuple , et sans

il y paraît ; mais vous m'y avez forcé.

Je dis premièrement que , si c'est une mauvaise chose qn«

du tab.TC , cV'n est une fort bonne de rester maître de

nen . et d'tlre sAr de coucber dic* soi. Maïs jVmblte drj.î

7e n'écris pas pour des d'Alcmberl. Il faut ui 'expliquer d'une

irc aianii-re.

oas le« indications de la nature, consnltons le bien de In : nous trouverons une les deux sexes douent se rassembler tefoi» , et vivre ordinairement séparés. Je l'ai dit tantôt iporl aux femmes, je le dis mainten.'int par rapport aux imiactf. lisse sentent autant et plus qu'elles de leur trop iutitne Tcc : elles n'y perdent que leurs mœurs , et nous y perdons Qos nitx'urset notre constitution ; car ce «exe iilu.«. faible, iVUit de prendre notre manière de vivre, trop pénible pour I* force de prendre la sienne, trop molle pour nous ; '^roulant plus souffrir de sépanition, fante île pouvoir se idrv Isomziies , les femmes nous rendent femmes. Cet inconvénient , qui dégrade Thoujinc , est Ircs-grand par- mi j mni» c'est .surtout dans les états comme le nôtre qu'il ita-^ . de )c prévenir. Qu'un monarque > de» bominrs un

kfuei

cela lui doit i'Uc o^îc/

pourvu qu'il

76 LETTRE

soit oWî; mais dans une républitjiie il faut dos Iiomnios f^Sj^ Les anciens pas^icnt |)reft|ue leur vie en plein air , ou vaquant k leurs affaires, ou nfglant celles dcrétal sur la place publique , ou se promenant à la campagne , dans des jardins , au bord de la mer, â ta pluie, au soleil, et presque toujours tète nue (49). A tout cela point de femmes; mais ou savait bien les trouver au besoin ; et nous ne voyons point , par leurs écrits et par les écbautillons de leurs conversations qui nous restent , que 1 esprit, ni le goût, ni l'amour même, perdissent rien â cette réserve* Pour nous , nous avons pris des manières toutes contraires : lA— cbeinent dévoués aux volontés du sexe que nous devrions proté- ger el non ser%'ir , nous avons appris k le mépriser en lui obéis- sant , k Toulraj^er par nos soins railleurs; et chaque femme de l'aris rassemble dans son appartement un sérail d'hommes plu» femmes qu'elle, qui sa vent rendre à la beauté toutes sortes d'hom- mages , liors celui du cœur dont elle e^t digne. Mais \ovct ces laémes hommes , toujours contraints dans ces prisons volon- taires , se lever , se rasseoir , aller et venir sans cesse à la chemi- née , à la fouélre , prendre et poser cent fois un écran , fouilleler des livres, parcourir des tableaux, tourner, pirouetter par la chambre , t;indis que Tidole , étendue sans mouvement dans «-a chaise longue, n'a d'actif que la langue el les jeux. D'oii vient celte diiVérencCfSiccn'est que la nature, qui impose aux femrurc cette vie sédentaire et casaniirre , en prescrit aux hommes nne tout opposée, et que cette inquiétude indique en eux un vrai besoin. Si les Orientaux, que lachaleur du climat fait assez, trans- pirer , font pcu<rcxercice et ne se promènent point, au moins ils vont s'asseoir en plein air cl respirer à leur aise; au lieu qn ict les femmes ont r;rand soin d'étouflèr leurs amis dans de bonnes^ chambres bien termées.

Si Ton compare la force des hommes anciens k celle de» hoin- nies d'aujourd'hui, on u\v trouve aucune espèce d'éeoHlé. exercices de Taradémie sont des jpiix d'eufans auprès de ceux dl Taucienne fiyumasLique : on a quitté la paume comme trop fati— | gante; on ne peut plus voyagera cheval. Je ne dis rien de

(4S) On me dira qn'ilen'fant aux mis pour la guerre. Toitit du Au lieu do trfnt« mille liomnics, ils n'ont, |>ar exemple, qu'à lever e^ùt mille frmrae*. Les rcmairs ne manquent jins de courage : elles prc-fcrenlj riionnenr» In vir : quand elle» se hallcnl, elle» sr ballcnt bien, L'incoil' vônieiit de leur nrxe rst dr ne pouvoir »nppoiler le» fatignç» de U guem vl l'intempôrie des ftaiinns. Le :»ot-ret est donc d'un avoir (ou)ourft U trîptf de Cl* qu'il vu faut poorso balUc, aGn de «acrïfîer ict deux autre* tieraaUll xualadieftetù la uiortAJilé.

Qui croirai! que cetle plaiuntc'rie , don Ion voit asarE rapplicalionftîl été priftc m KrancA au pied de la lellrc pnrden gens d'cspril?

(4<|)Apr^ftU bataille gagnée par Cambyse sur Psnramcni te, on diftlinguail parmi les mort» les Kgypiiens.qui avaient toujours la tcle nue, àl'ekti ' riurelé de leam crânes : au lim que Im Perse», tniijoiii» LoilTrs de Ipui gi-o»«r> lijrrR»nvuianl Ica crilnes si leudres, qn'im les brisait unut rfTotl Hérodote tui-uiùiue fut 1 long-teropi aprc», téwoin do celle dînërence»

A M. D'ALEMBEHT. 77

tr^npes. Oa nf conçoit nlus les luarclicâ des armées grCrqnrK et ■pnxineï. Le chciiiin « le tiAvail , le fauleau du soiDat rtjinaiti igue fteuleiueiit u Ir lire, ei accable riiiiagiiintion. Le cheval '<i<aiixonicier5d*iuraaleiie. Souvent les ^«-iiéraov : les jucnics journées (lue leurs (rou])0!i. J;iiuais le» t u'ont autrement voyage , ni beuls, ni a%'ec leurs ar- in lui-incmc, IViréniiné Othoii , uinnzliait «rrné Je ■' (le la sienne, allant au-devant de ViU-ilins. C^^ron Lr ^lèsent uu seul homme de guerre ca[hablo â'en faire

autant, i^ous sommes déchus eu tout. Nos prinlro* et no> sculp- u ;irs M* plaignent de ne ]du5 trouver de modèle» cumpaïubtea à le Tanlique. Pourquoi cela? L*Uoinme a-t-il d«*cêm-re ? t> -T-t-elie une décrépitude physique aiuâiquc rinUividu ? lire ; les barbares du nord , qui ont , pour ainsi dire , |... . ..urope d*une nouvelle racc,éuicnt plus grands et plus

ifîvqucles Romains, qu'ils ont vaincus et subjugués. Nous de-

> donc être plus forts nous-mêmes , qui, pour la plupart ,

dons de cet nouveaux venus. Mais les premiers Iloiiiains

(»l en hommes ^5o}, et trouvaient dans leurs continuels

,:ea la vigueur que la nature leur avait refuse; au Jieii

' •n\ la notre ddas ta vie indolente et l^cbe oii nous

■idance du sexe. Si les Barbares dont je viens de

vivateuLavec leâ femmes, ils ne vivaient (kis pour cela

** elles f c'étaient elles qui avaient le courage de vivre

i ^ , ainsi que faisaient aussi celles de Sparte. La femaie

I robuste, et rho]ume ne sVaervait pas.

>i tp soin de contrarier la nature est nuisible au corp*, il Test

rrc'.re pîus à res.prit. Imaginez quelle peut être la trempe de

t.iiv.r d'un homme uniquement occupé de l'iraporlanle aUaire

:■, .. f les femmes, et qui passe sa vie eniicre à faire pour

Telles devraient faire pour nous, quand , épuises de

^ .;i>nt elles sont incapables , nos esprits ont besom de dé—

i.eat. Livrés à ces puériles habitudes, à quoi puurrionj^

iMtx jjimaîjsnous élever de grantf? Nos talens, uosécribse seutenl

no$ frivoles occupations (ji) j agréables , si Ton veut , mais

f f>u'i Vjm B.vmi\\n* rtaiciit Ici hommes Ica plas petits cl Ips plus faililt*

H-' - - '- *■- ■'■• rHaïie; ot ctrllo difftTencc «lait si gr:in(lt' .ilitTite-

1 . lit au premier coiij>-<l'œil datii |f>» liuu|ir» drs unt

_ _ , _ _ Jijt iVncroice et U (liM:iplinr> prtvalurrnl U-llemeut

(< , i)iie le» IJible» Ërant que ne poaviiîral faire lea Ibrti»

iéCh tVnimri en général n'aiment aucun artt ne se connaissrnti

rt n'nni aucun gt'nie. Elles peuvent réussir aux pçtiu ouvraga

'it qur Oi' la légèrclê dVspril , du goOt , du la griue , qiicl-

iu pbilusupliie el du raîkouurmenl. Elira pemciit ncqaé-

iciict, dr IVrndiliun, de« Inlena, t^t lout ce qui Vacquiert i

.cail. Maia ce feu céleste qui rrhaunc cl embrase l'ame, co

iiine et dtTurc, celle brâlautc* cloquciicc, ces tranftpurU

rtcnt Icuii ravt^scmeiiA jusqu'au fond des c<Eura, itian-

^^Lfuttiiouirrura aux écrits de» fcuiuiei : iUwui tuu*r(uid» ul jolis cviume

LETTRE

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jietits et froids comme nos scntimens, ils ont pour tout mérita ce tour facile qu'on n*a pas grand'peine à donner ii des riens. (!es foules d'ouvrages éphémères qui naissent journellement , nVtant faits que pour amuser des femmes , et n'ayant ni force ni rofondeur, volent tous de la toilcHeau comptoir. C'est le moyen e récrire incessamment les mêmes, et de les rendre toujours nouveaux. On m'en citera deux ou trois qui serviront d'excep- tions ; mais moi , j'en citerai cent mille qni confirmeront la règle. C'est pour cela que la plupart des productions de noire âge pas- seront avec lui ; et la postérité croira qu'on fit bien peu de livres dans ce même siècle l'on en fait tant.

Il ne serait pas dilUcite de montrer qu'au lieu de gagner k ces usages, les femmes y perdent. On les (latte sans les aimer; on les sert sans les honorer; elles sont entourées d'agréables, mats elles n'ont plus d'amans ; et le pis est que les premiers , sans avoir lesscnlimens dos autres, n'en usurpent pas moins tous le* droits. La société des deux sexes , devenue trop commune et trop facile , a produit ces deux effets ; et c'est ainsi que l'esprit géné- ral de la galanterie étouffe à la fois le génie et 1 amour.

F*our moi , j'ai peine ù concevoir comment on rend assez peu d'honneur aux femmes pour leur oser adresser sans cesse ces fades propos galans, ces complimens insullans et moqueurs, auxquels on ne daigne pasmèmc donner un air de bonne foi ; les outrager pnrcesévidens mensonges , n'est-ce pas leur déclarer asse» net- tement qu'on ne trouve aucune vérité obligeante à leur dire? Ç>ue l'amour se fasje illusion sur les qualités de ce qu'on aime , cela n'arrive que trop .-ïonvenlj mais est— il question d'amour dans tout ce maussade jargon ? ceux mèmrs qui s'en servent ne s'en sri-veut-ils pas égaleuient pour toutes les femmes ? et ne seraienl- t^spas au désespoir qu'on les crût sérieui^ement amoureux -d'une seule? Qu'ils ne s'en inquiètent pas. Il faudrait avoir d*étrangcs idéo6 de l'amour pour les en croire capables, et rien n'est plu« éloigné de son ton que celui de la gatauterie. De la manière qu« Je conçois celle passion terrible, son trouble, ses égaremen* * ses palpitations, ses transports, ses brillantes expressions, son silence plus énergique, ses inexprimables regards , que leur timidité rend téméraires, et (luî nmnirent lesdésirs parla crainte; il me semble qu'après un langage aussi véhément , si Tsmant Tenait à dire une seule foi» Je %'ous aime , Tamantc indignée lui J dirait , co/w ne m'aimes plus , et ne le reverrait de sa vie.

Nos cerclps conservent encore parmi nous quelque image des jïuxurs antiques. Les hommes entre eux, dispensés de rabaisser ^ leurs idées ù la portée des femmes et d'habiller galamment la

ellw. îlinuront tint d'eiiprît que vont vou{lreB,|aiuaiid'ame; listeraient ceni fuif plulM «magique passionné». Elles no savent ni décrire ni sentir l'amour ra»^mr. f-ii aeulc Snpiin, que je KBclie, et une iUlre, méritèrent a'étree-xcpplrcii. Je paiierai» tout on oionilc que les /.e//rej Portugaittê ttui été i^t'iles par un liomnw. Or partout doiuiueiit lc« femme», leur godl doit nuasi dumincr : ot Toilù qui clfleroiine celui de notre aièclfâ

i

A M. D'ALEMUrUT.

r?)

rattoQ , peavent se livrer k des discours graves et «''rieuii s«iit

craïute QiJ riflicule. Oriosp parlerd? putri^ elilc vrriu sans passer

prmr mNArhrur^ on ose ètresoi-m^mc sans s*ossprvir»ii\ inaKÎmc»

I- i'ite Si le lourde In conversation devient moins p<»li,

I. prennent plus de poids ; on ne se paie point de plaisait-

terrent de ^enti liesse; çn ne4elirepoinld'.i(Tairepardc bon» mots;

on ne se ménage point dans la dispute; clincun , se sentant ait»-

^uéde toutes les forces de son advers.-iire , e\t oMîgc dVmplover

lo<j!e»Ies siennes pour se défendre. C'cslainsi (jnriVspril iicijuiert

dr la ïtiftiesse et de la vigueur. S*il se mêle à tout cela fpielijiirs

|»ropo*lirrocietix, il nefautpoint trop s'en efTarouclier; les moins

grtiÇfiw ne sontpa^ toujours les plus honnrte* , et ce langage un

■-■* riïstAnd 05l préférable encore â ce style pins rechercfié dans

lesdeuT aexes sesédnisent mutnellementet »e famUiarisent

:racnl avec le vice. La maniifre de vivre, plu» conforme aui

atious de rboinmc, est aussi mieux assortie à son tpmpéra-

on nr reste point toute la journée établi sur une cbnisr; on

«•à des jeux d'exercice , on va, on vient ; plusirurscercles «e

nik la campa j;ne, d'aulrrss'y rendent. On a des jardins pour

"o«?nade , des cours spacieuses pour s'exercer, un f^rand lac

r, tout le pavs ouvert pour la chasse^ et il ne faut

jne rclte rhns«e se fasse aussi commodément qu'aux

t is , l'on trouve le gibier sous ses pieds et oii

■• ;il. Enfin ces honnêtes et innocentes institution!

ihieut tout ce qui peut contribuer ù former dans les marnes

■>es des amis , des citoyens , drs soldais , et par consé<|ucJit

Il ce qui convient le mieux h un peuple libre.

accnise d'un défaut les sociétés des femmes , c'est de les médisantes et satiriques; et l'on peut bien comprendre ^ ...rn Ifs anecdotes d'une petite ville n'échappent pas à ces uinius; on pense bien aussi qttf les nians absensy sont -é* , et que toute femme jolis et fêtée n'a pas beau jeu de de sa voisine. Mais peut— et rp y n— t-il dans cet m- ' pltndebien que de mal, et toujours e*t-il inconlesta- 'indre que ceux dont il tient la place : car lequel vaut uiicui qu'une feïnmedise avec ses amies du mal de son mari , *|n<^ , ti^ff^-à-trle avec un homme, plie lui en fasse j qu'elle rdre de sa voisine, ou qu'elle rimile? <^)uoique le* itasser, librement ce qu'elles savent, cl quelque- Ile^ conjecturent, elles ont nne véritable horreur de lie , et l'on ne leur entendra jamais intentpr contre au- ' -s accusations qu'elles croient faus&es; tandis qu'en d'autre* wjcs femmes, également coupables par leur silence et par ■îiîsrours , cachent , de peur oe reprcsailles , le mal qu'ellefl ^n, el publient par vengeance celui qu'elles ont inventé, lien de scandales publics ne retient pas la crainte de ce& observatrices! Iules font presque dans notre ville la ictsOf) de censeurs. C'est aiusi que, dans les beaux temps de M|«, le* citoyens y surveillans \çi uns des autres, s'accii^aienC

8o LETTRK

publicjuernent par zvle pour la juslice : mais quand Borne fut coiToiupuc , el qu'il ne resta plus rien ù fnire pour les bonnes mœurs que de cacUer les luauvaisi's, la haine oes vices qui le* démasque en devint uu. Aux citoyens rôles succédèrent des dé- lateurs infàraes; et au lieu qu'autrefois les bons accusaient les iuécbans, ils en furent accusés à leur tour. Grâce au ciel , nous Lomoies loin d'un tenue si funeste. Nous ne sommes point ré- tluits il nous cacher à nos propres yeux de peur de nous faire horreur. Pour moi, je n*en aurai pas meilleure opinion des feiu— lues, quand elles seront plus circonspectes : on se ménagera da- vantage quand on aura plu<i de raisons de se ménager , et quand (Lacune aura besoin pour elle-même de la discrétion dont elle donnera l'exemple aux autres.

Qu'on ne s'alarme donc point tant du caquet des sociétés de femmes. Qu'elles médisent tant qu'elles voudront, pourvu qu'elles itiédisent entre elles. Des femmes véritablement corrompues ne sauraient supporter long-temps celle manière de vivre; el , quelque chère que leur put être la médisance, elles voudraient médire avec des hommes. Quoi qu^on m'ait pu dire k cet égard , je n*ai jamais vu aucune de ces sociétés sans un secret mouvement d'estime et de respect pour celles qui la composaient. Telle est , me disais-jc , la destination de la nature, qui donne difl'érens guiUs aux deux sexes, afin qu'ils vivent séparés et chacun à sa iuanièreC5ï), Ces aimables personnes passent ainsi leurs jours, livrées aux occupations qui leur conviennent, ou à des amuse— mens innocens et simples, très-propres à toucher un crcur bon— uéle el à donner bonne opinion d'elles. Je ne sais ce qu'elles ont dit, mais elles ont vécu cnsembjp ; elles ont pu parler des hom- mes, mais elles se sont passées d'eux; et taudis qu'ellescriliquaieut si sévèrement la conduite des autres , au moins la leur était irré- proclmble. ^

Les cercles d'hommes oot aussi leurs inconvéniens, sans doute : quoi d'humain n'a pas les siens? On joue, on boit, on s'enivre , on passe les nuits : tout cela peut être vrai , tout cela peut être exagéré. H y a partout mélange de bien et de mal , mais à di- verses mesurer. On abuse de tout : axiome trivial, sur lequel on ne doit ni tout rejeter ni tout admettre. La règle pour choisir est simple. Quand le bien surpasse le mal , la chose doit être ad- mise malgré ses inconvénien><; quand le mal surpasse le bien , il la faut rejeter même avec ses avantages. Quand la chose est Luune eu elle-méine et n'est mauvaise que daus ses abus , quand

(52) Ce principe, acquel tiennent tontes bonne» nioear8|e»t développé tlVue manière plus claire et ptoti i-lcnduc dnnA on manuscrit clunl )c buis dépositaire, el qur je me propose de publier, s'il ino reste B»ex de temps pour cela , qnoique celle annonce ne «oit guère propre ù lui concilier d'a- vance \<i faveur des danirs.

On comprrndra facilement que le roaiiuacril doni je parlai» dans celle ûotc éuit celm de la nuuiclle liL-lvisej qui parut U«ux ans apri,-» cet ou- vrage.

A M. D'ALEMBEUT.

6i

abat pMiv^ot être prévenus sans beaucoup de peine , ou to^ Ui iraad nrcjunice, ils peuvent servir <le prétexte et non

d' our abolir un usage utile : inaU ce qui est mauvais

en 101 ^cra loujour> mauvais (53), quoiqu'on fasse pour en tirer ■n Krïn u&Age. Telle est la diUcrcncc essentielle des cercles aux

ens d'un même état, la babitans d'une m^nie ville tî-- Tit des anachorctei, ils ne sauraient vivre toujours

5(" irèttj quand iU le pourraient, il ne faudrait pas le» y

et' '■. Il u'y a que le pluâ faroucbc despotisme qui s'alarme

k i I- «cpt ou huit hommes assemblés , craignant toujours

que ieur^ entretiens ne rouleut sur leurs misères.

Or , de toutes les sortes de liaisons qui peuvent rassembler loft pèrticulierv dans une ville comme la nôtre , le» cercles forment , Mfi- •ont T^tlit, la plus raisonnable , Ja plus honnête, et la moins «i , parce qu'elle ne veut ni ne peut &e cacher , qu'elle

tel j,.i..i. juc, permise , et que Tordre et la rèpley ri-^nent. 11 est m^me f^icile à démontrer que les abus qui peuvent un résulter •ailraieiit i-i^alemenl de toutes les autres ^ ou qu'elles en produi- raient de plu» grands encore. Avant de songer A détruire uu OMge établi , ou doit avoir bien pe&é ceux qui ^introduiront k ta place. Quiconque en ponrra proposer un qui soit praticable et

résulte aucun abus , qu'il le propose, et qu'ensuite les

lit aboliîi ) à Ja bonne heure. Kii attendant , laissons , passer la nuit à boire â ceux qui , sans cela , la pas*

it-^tre à faire pis.

"'ranoe est vicieuse j et surtout celle qui nous âte la , uos facultés. L'excès du vin dégrade l'homme,

al^u^au niomssa raison pour un temps, et l^abrutit à la longue, HétA enfin le ^oàt du yiu n'est pas un crime ^ il en fait rare[u<*nt commettre; il rend l'homme stnpide et non pas méchant (54)- Poar une querelle paSMigère qu*il cause, il forme cent attache* Bien* durables. Cjénéralement parlant, les buveurs ont de U cor- ^utit^, de la franchise; iU sont presque tous bons, droits, jtiste^, £dêlcs, braves, pt honnêtes gens, k leur défaut près. £n osera-

l-^ 1 iitanl des vices qu'on substitue k celui-là? ou bien prc-

U rc de toute une ville un |>euple d'hommes sans détautj<

f I "Il toute chose? Combien de vertus apparentes cachent

ic i vices réels I le sage est sobre par tempérance, lu

(SS) la pAil« daoA Tordre moral : car daiui Tordre physique il n'y a ri>o

iil inAurais. Le luul eit bicu.

loRinion» poîiit le victf ra^mei ii**-t-il pu aunde •& laideur? itne pas de la luéchaocdé, il la décèle. Celui qui toa Clilut

fit mont ir Pliilolas de sniig froid. Si l'îvres^c a Sf» fureur), "1 paft Ir» sfnnf*? La HiAV-rencc rsi que le» autr'-'B rosleoc

, ri que cr-llu-l^ «'allume tft l'rleinl à l'intlanl. \ c^t

^ :- 1, qui pas>e et qa'ou ^ito ainémenl , soyoni $ûn qo<«

it Aiin»le viudc m^cluotc» action», coav« A joun deiu^ham*

5. 6

8ft LETTRE

fourbe Test par fansseté. Dans les pays de mauvaUe» luoeiin, d'intrigues, de Iratiisons, d'adultères, on redoute un état d'in- discrétion où le cœur se montre 5ans qu^oo y songe. Partout le» cens qui abhorrent le plus l'ivresse sont ceux qui ont le plus d'in- têrfît à s*en garantir. En Suisse elle est presque en estime ; à ^îaploA elle est en horreur : mais au fond laquelle est le plus i craindre , de riuleiupérance du Suisse ou de la réserve ae l*!*- lalien ?

Je le répète, il vaudrait mieux être sobre et vrai , non-seule- ment pour SOI , même pour la société ; car tout ce qui est mal en morale est mal encore en politique. Mais le prédicateur s'arrête au mal personnel , le magistrat ne voit que les conséquences pu- bliques; l'un n'a pour objet que la perfection de l'homme ou l'homme n'atteint point, l'autre que le bien de l'état autant qu'il y peut atteindre : amsi tout ce qu'on a raison de bUraer en cliftire ne doit pas être puni par les lois. Jamais peuple n'a péri par l'excès du vin « tous périssent par le désordre des femmes. La rai- son de cette dinércuce est claire : le premier de ces deux vicM détourne des autres, le second les engendre tous. La diversitô des âges y fait encore. Le vin lente ntoins la jeunesse et l'abat moins aisément; un sang ardent lui donne d'autres désirs; dans l'Âge des passions toutes s'enflamment au feu d'une seule; la rai- son s'alt(?ic en naissant ; et rhoinmc , encore indoralé, devient' iudisciplinablc avant que d'avoir porté le joug des lois. Maïs qu'uni sang à demi ^iacé cherche un secours qui le ranime , qu'une li- queur bienfaisante supplée aux esprits qu'il n'a plus (55) : quand un vieillard abuse de ce doux remède , il a déjà rempli ses de- voirs envers sa patrie, il ne la prive que du rebut de ses ans. Il] a tort , sans doute : il cesse avant la mort d'être ciloven. Maisi l'autre uc commence pas même ii Tétre : il se rend plutôt l'en— 1 nemi public, par la séduction de ses complices, pari exemple et l'effet de sts mœurs corrompues , surtout par la morale perni- cieuse qu'il ne manque pas de répandre pour les autoriser. Il vai drait mieux qu'il u eût point existé.

De la passion du jeu naît un plus dangereui abus, mais qu'on]

F révient ou réprime aisément. C'est une affaire de police, dont] inspection devient plus facile et mieux séante dans les cercle»] que dans les maisons particulières. L'opinion peut beaucoup en-*] core en ce point; et sitôt qu'on voudra mettre en honneur les jeaxf d'exercice et d'adresse, les cartes, les dés, les jeux de hasard, toi berout infailliblement. Je ne crois pas même, quoi qu'on en dise* j que ces moyens oisifs et trompeurs de remplir sa bourse prenneni jamais grand crédit chez un peuple raisonneuret laboneux, qm connaît trop le prix du temps et de l'argent pour aimer à perdre ensemble.

Conservons donc les cercles, même avec leurs défauts ; car ci défauts ne sont pas dans les cercles , mais dans les hommes qai

(55) PUion, dann «es lots, permet aux ceuli TieiUardi t'unge âu«Ul et luttuc iJ leur vu permet quelquefois l'excès.

mm

A M. D'ALF.MBERT. 83

Ici eempoteot ; «t il ny a point dans la vie sociale de forme ima- gmable ïou§ laquelle ce* mêmes défauts ne |n-odiiisent de plus ■ut»ible« cflrts. Encore un coup, ne cbercUous point la chimère ilela perfection, mata le mieux possible selon la nalurede l'hommft et \rt mnttitution de la société. Il y a tel peuple à qui je dirais î I'; -^rcle» et colerics, nier toute bariii;re de bienséance

cr' xrs ; reiuontex , s'il cht possible, jusqu'à n'être c|ue

eorrompud. Mais vous, Genevois, eyitex de le aeveoir, s'il est tMDps encore; craignes le premier pas, qu'on ne fait jamais seul, et songez qu'il est plus aise de garder de bonnes mccurs que de •n«^iirf* QQ terme nut mauvaises.

:\ ans seulement de comédie , et tout est bouleversé. L'oa -t \p partager entre tant d'arau&emcns : l'heure des speo- I- I celle des cercles Ie$ fera dissoudre ; il s'en détachera

trr^p ac iiirmbres; ceux qui resteront seront trop pea assidus ftMur ^Ire d'une grande ressource les uns aux autres , et laiftser »u\ ' nfî-lemps les associations. Les deux sexes réunis jour-

D- lans un mOaie lieu; les parties qui se lieront pour s'y

re»dic ^ lc$ manières <le vivre qu'on y verra dépointes et qu'on VeB>pr^«<era d'imiter; l'exposition des dames et demoiselles pa- p^ ' ]tf Irur mieux el mise en étalage dans des loges comme

f.i 'lit d'une boutique, en attendant les acheteurs ; l'af-

Itamcr lie la belle jeunesse , qui viendra de son coté s'offrir en »»alre, et trouvera bien plus beau de faire des entrechats au théâtre que l'exercice à Plain-Pulais. les petits souperade femmes OUI •'ïrf.l^^e^oot en sortant, ne fùl-ce qu'avec le» actrices ; en- li-i : is des anciens usages qui résultera de l'adoption dos

p ■■ . tout cela substituera bientôt l'agréable vie de Paris

r: airs de France à notre ancienne simplicité; et je doute

».- de4 Parisiens à Genève y conservent long-temjtô le

f< Ire gouvernement.

Il ii«o intii point le dissimuler, Jes intentions sont droites en»

CiifTc, tnali le» tufiMirs inclinent déjà visiblement vers Ja déca-

doicr. et notis suivons de loin les traces des mêmes peuples dont

RAR* ne lajs'-ftiis pas de craindre le sort. Par exemple, on m'as-

ition de la jeuneAse est généralement beaucoup

if n'était autrefois; ce qui pourtant nepent guère

qu'en montrant qu'elle fait de meilleurs citoyens. Il

)ne les enfans font mieux la révérence ; qu'ils savent

t dotiuer la main aux dames, et leur dire une

1 liesses pour lesquelles je leur ferais , raoi , donner

1. aveul décider , trancher, interroger, couper la

^r - _ :amei, importuner tout le monde, sans modestie

^^^■1 ducrétiun. Ou me dit que cela les forme : je conviens

^^^Bla |«9 formel être iinpcrtiuens ; et c'est , de toutes tes choies

^^H«pprrnnent par cette méthode, la seule qu'ils n'oublient

^^^f I - ..V..» ....- T....t pour Ic retenir auprès de» fennme* ,

s itniiyer , on a soin de les élever précisé-

84 LETTRE

et la pou9sicrP , afin qu^ils ne puissent jamais ri^n Mipporter cle tout ceVa. Ne pouvant les préserver entièrement du lontucl de Tair , on fait du moins qu il ne leur arrive (ju'aprës «voir perda ta moitié de son ressort. On les prive de tont exercice; on leur Me toutes leurs facultéii; on les rend ineptes à tout autre usaçe qu'aux soins auxquels ils sont deslinésj et la seule chose que le» iemnies n'exipent pas de ces vils esclaves est de se consacrer à lent service à la laçou des Orientaux. A cela près, tout ce qui les (Ks<« tingue d'elles, c'est que la nature leur en avant refusé les grâces T ils y substituent des ridirules. A mon dernier voyage k Genève , j'ai déjà vu plusieurs de ces jeunes demoiselles en justaucorps, les dents blanclies, la main potelée, la voix tli^tée, tm joli parasol vert k la main , contrefaire assez maladroitement les tommes.

On était plus grossier de mon temps. Les enfans, rustîqnemmt élevés, n*avaicnt]»oinl déteint à conserver, et ne craignaient point les injures de Tair, auxquelles ils «l'étaient aguerris de bonne heure. Les pcres les menaient avec eux à la chasse , en campagne , â tous leurs exercices , dans tontes les sociétés. Timides et modestes devant les gens âgés, iU étaient hardis, fiers, querelleurs entre eux ; ils n'avaient point de frisure à conserver ; ils se déliaient h la lutte, à la course , aux coups; ils se battaient à bon escient, blessaient quelquefois, et puis s'embrassaient en pleurant. Ils re- venaient au logis suant, essoufflés, déchirés : c étaient de \rat« polissoQS ; mais ces polissons ont fait des hommes qui ont dans Id coeur du zèle pour servir la patrie et du sang â verser pour elle Plaise a Dieu qu'on en puisse dire autant un jour de nos beaui petits messieurs requinqués , et une ces hommes de quinze a ne soient pas des enfans à trente !

Heureusement ils ne sont point tous ainsi. Le plus gran4 nombre encore a gardé cette aulique rudesse, conservatrice <]i la bonne constitution ainsi ([ue des bonnes m'rmrs. Ceux mrmi qu'une éducation trop délicate amollit pour un temps seron contraints , étant grands , de se plier aux habitudes de leurs cotn patriotes. Les uns perdront leur âpreté dans le commerce du monde; les autres gagneront des forces en les exerçant ; tous tl \'icndront, je l'espère, ce que fureul leurs ancêtres, ou du moins ce que leurs pères sont aujourd'hui. Mais ne nous flattons pas da conRcrver notre liberté en renonçant aux mœurs qui nous l'ont acquise.

Je reviens à nos comédiens; et toujours, en leur supposant ni» <nccès qui me paraît impossible , je trouve que ce succès atta quera notre constitution, non-seulement d'une manière indirects en attaquant nos mœurs, mais imméiliatcnient en rompant IV quilibre qui doit régner entre les diverses parties de l'état poti consener le corps entier dans son assiette.

Parmi plu-i^iours raisons que j'en pourrais donner, je me c<mH tenlrrai d'en choisir une qui convient mieux au plus gran donibre , parce qu'elle se borne à des considérations aiulérêl

k

A M. D'ALEMilERT. 8^

d'argent y toujours plus sensibles au vulgaire que des effets mo- raaiL , dont il n*est pas eu état de voir les liaisons avec leurs causes ni Tinfluence sur le destin de Tétat.

On peut considérer les spectacles , quand ils réussissent , comme vue espèce de taxe qui , bien que volontaire , n'eu est pas moins «Dereuse au peuple , en ce qu'elle lui fournit une continuelle oc- casion de dépense à laquelle il ne résiste pas. Cette taxe est mau- vaise j non-seulement parce qu'il n'en revient rien au souverain , mais surtout parce que la repartition , loin d'être proportion- nelle , charge le pauvre au-delà de ses forces , et soulage le riche en suppléant aux amusemens plus coûteux qu'il se donnerait an défaol de celui-là. Il suffit , pour'cn convenir , de faire attention que la différence du prix des places n'est ni ne peut être en pro- portion de celle des fortunes des gens qui les remplissent. A la comédie française , les premières loges et le théâtre sont à quatre francs pour l'ordinaire, et k six quand on tierce; le parterre est k vingt sous, on a même tenté plusieurs fois de l'augmenter. Or en ne dira pas que le bien des plus riches qui vont au théâtre t'est que le quadruple du bien des plus pauvres qui vont au par-* teire. Généralement parlant , les premiers sont d'une opulence excessive , et la plupart des autres n'ont rien (56). Il en est de ceci comme des impôts sur le blé , sur le vin , sur le sel , sur toute chose nécessaire à la vie, qui ont un air de justice au premier coop-d'œil , et sont an fond très-iniques : car le pauvre , qui ne peut dépenser que pour son nécessaire , est forcé de jeter les trois quarts ae ce qu il dépense en impôts , tandis que , ce même néces- saire n*étant que la moindre partie de la dépense du riche , l'im- pôt lui est presque insensible {5'j). De cette manière, celui qui a peu paie beaucoup , et celui qui a beaucoup paie ]>en : je ne vois pas quelle grande justice on trouve à cela.

On me demandera qui force le pauvre d'aller aux spectacles. Je répondrai; premièrement , ceux qui les établissent et lui en donnent la tentation; en second lieu , sa pauvreté même, qui, le condamnant à des travaux continuels, sans espoir de les voir finir,

(56) QOand on angoMnlerail la difierence du prix des pIncM en pro- portion fie celle des fortune» , on ne réiublirail point poor cela l'éqnilibrr. Gea places inferienrea, mises à Irop bas prix , aéraient abandonncfîs à la populace; et cbacnn, pour en orcuper de plus honorables, dcpenicrait tenionra au-delà de ses moyens. C'est une observation qu'on peut faireanx ^>rclaclc-a de la foire. La raison de ce désordre est que les premiers ranga. ■onl alors on terme fixe dont les autres se rapprochent toujours sans qu'on Je puisse éloigner. Le paavre tend sans cesse k s'élerer au-^lesaus de aca Tïugtsoos : mais le riche i ponr le foir, n'a plua d'asile av-deU de ses quatre francs { il faut, malgré luij, qu*ilse laisse accontcr j et, si sonor- gaeil en souffre, sa bourse en proBte.

(5?) Voili pourquoi les imposteurs de Bodin et antres fripons publics rUblitsent touiuars leur» monopoles sur les cIioms nécessaires à la vie,, afia d'aâamer doucement le peuple sans que Ir rirbi? eu murmure. Si If.*- moindre ob)et de luxe on de faste était attaqué , tout serait perdu ; maii , fonxvu qae les grauds suivul conleus, qu'importe f\*w le prnpie vive

S6 LETTRE

lui rend auelqne délassement plus nécessaire ponries support 11 ne se tient point malheureux de travailler sans relâclie {^nanil tout le monde eu fait de même : mais n'est-il pas cruel à celui qui travaille de se priver des récréations des gens oisifs? fl les

Sartage donc ; et ce même amusement, oui fournit un moyen 'économie au riche, affaiblit doublement le pauvre, soit par un surcroît réel de dépenses , soit par moins de zèle au travail > comme je l'ai ci-devant explique.

De ces nouvelles réflexions il suit évidemment , ce me semble , que les spectacles modernes, Ton n'assisle qu*àprix d'argent, tendent partout à favoriser et augmenter l'inégalité des fortunes, moins sensiblement , il est vrai, dans les capitales que dans une petite ville comme la nôtre. Si j'accorde que cette inégalité, porlée jusqu'à certain point , peut avoir ses avantages, ccrtai— uement vous m'accorderer aussi qu'elle doit avoir des bornes, curtout dans un petit état , et surtout dans une république. Dan» «ne monarchie, tous les ordres sont intermédiaires entre le prince et le peuple , il peut être assez indifférent que ciuetques nommes passent de l'nn à l'autre ; car , comme d'antres les rem- placent , ce changement n'interrompt point la progression. Mai» dans une démocratie, les sujets et le souverain ne «ont que les mêmes hommes considérés sous differens rapports . silo! que le plus petit nombre l'emporte en richesses sur le plus grand , il faut que l'état périsse ou change de forme. Soit que le riche de- TÎenne plus riche ou le pauvre plus indigent , la différence des fortunes n'en augmente pas moins d'une manière que de l'autre; et celte différence, porlée au-delà de sa mesure, est ce qui d^ truit l'équilibre dont j'ai parlé.

Jamais , dans une monarchie , l'opnlence d'un particulier ne peut le mettre au-dessus du princej mais, dans une république, elle peut aisément le mettre au-dessus des lois. Alors le gouver- nement n'a plus de force , et le riche est toujours le vrai souve- rain. Sur CCS maximes incontestables il reste à considérer si l'i— Tiégalité n'a pas atteint parmi nous le dernier terme on elle peut parvenir sans ébranler la république. Je m'en rapporte là-dessug à ceux qui connaissent mieux que moi notre constitution et la répartition de nos richesses. Ce que je sais, c'est que , le temps seul donnant h Tordre des choses une pente naturelle ver§ cette inégalité et un progrès successif jusqu k son dernier terme , c'est une grande imprudence dp l'accclérer encore par de* étabiissemerts qui la favorisent. Le grand Sully, qui nous ai- mait, nous l'eût bien su dire : Spectacles et comédies dans toute petite république, et surtout dans Genève, affaiblissement d*ëtat.

Si le seul établissement du théâtre nous est si nuisible, quel fruit tirerons-nous des pièces qu'on y représente ? Les avantages ïnémes qu'elles peuvent procurer aux peuples pour lesquels elle» ont clé composées nous tourneront à préjudice , en nous donnant pour instruction ce qu'on leur a donné pour censure , ou du moins en dirigeant nos goûts et nos inclinations sur les choses du

I

I

A M. n'ALEMDHRT. Hy

cpii nou» conviennent le moins. La tragédie nous reprê- pntera Je» lyrtM et <ies he'roi. QuVa avon6-nous k faire? SQann«»-nous TaîU pour en avoir ou le devenir? Elle nous don- noe vaine admiration de la puissance et de la f^randeiir. f ^oi notiA servira-t-ellc? Serons-nous plu» grands ou plus kuBS pour cela? Qur nous importe d'aller èludu-r sur la scène drroirr des rois , en négligeant de remplir les nôtres? La slé- nlead: t de* vertus de tbi-Alre nous dcdommagera-t-elle

rf«»M les et modestes qui font îe bon citoyen ? Au lipii

è-' de nos ridicules, la comédie nous'portera ceuit

d ou» persuadera que nous avons tort de mépriser

tii .ij'oit estime si fort ailleurs. Quelque extravagant qu«

t-< .rquis , c'est un marquis enfin. Concevei combien ce

titrv tonne dans un pays assez Leureux pour n*en point avoir ; et wit combien de courtauds croiront se mettre à la mode en Dt les maratus du siècle dernier? Je ne répéterai point ce 'ai déjà dit de la bonne foi toujours raillée , du vice adroit jours triomphant , et de l'exempte continuel des (orfàiti mis inierir. Quelles leçons pour un peuple dont tous les&rnli* l encore leur droiture naturelle > qui croit qu'un scélérat onrs mépri&able , et qu'un homme de bien ne peut èïre r ! Quoi ! FInton bannissait Homère de sa République , et frooflrirons Molière dans In nôtre 1 Que pourrait-il nous ar— de que di* reuenibler aux gens qu'il uous peint j môme à (}u il nous fait aimer? J*m dit atser, je crois, sur leur chapitre; et je ne pense fn«T« mieux des héros de Racine , de ces héros si parés, si dou- cereux , si tendres, qui , sous un air de courace et de vertu , ne mai nMintrent qurlcii modèles de jeunes gens dont j'ai parlé , li- Tréf k la galanterie , à la mollesse , à l'amour, à tout ce qui peut tSenûuer Thonime et l'attiédir sur le goût de tes véritables de- ffttn. Tout le théâtre français ne respire que la tendresse; c'est la grande vertu à laquelle on y sacrifie toutes les autres, ou du motus qu'on y rend la plus chère aux spectateurs. Je ne dis pas aii*oa ait tort en cela , quant à l'objet du poète : je sais que

V^" '"• ^ans passions est une chimère ; que 1 intérêt du théâtre

Il '■ que sur les passions ; que le ctrur ne s'intéresse pomt

à V. ... - ijui lui sont étrangères , ni k celles qu'on n'aime paa à Toir eu autrui , quoiqu'on y soit sujet soi-même. L'amour de rbumanité , celui de la patrie , sont les sentimens dont les pein- »irt\ Couchent le plus ceux qui en sont pénétrés : mais quand ces ' a&sions sont éteintes, il ne reste que l'amour proprement

r leur suppléer, parce que son charrue est plus naturel re plus difficilement du cfpurque celui de toutes le* autres, danl il n'est pas également conven.ible à tous les hommes : plutôt comme supplément des bons sentimens que comme on »eutiinent lui-même qu'on peut radmcllrc; non qu'il ne soit lotiable en soi, comme toute passion biea réglée, mais parce lei excès en sont dangrreux et iuévitabics.

88 LETTRE ,

Le plus méchant dos hommes est celui qui s'isole le plus , qat I concentre le plus son cœur en lui-même ; le meilleur est celui qui partage également ses affections à tousses semblables. Il vaut beau- coup mieux aimer une maîtresse (jucclc s'aimer seul au monde- Mais (|uiconque aime tendrenient ses parens , sesamis, sa patrie, el le genre humain , se dcgraJe par un atlachemenl dcsordonné qui iiuil bientôt à tous les autres , et leur est infaiIlLblenient préféré. Sur ce principe, je dis qu'il y a des pav* oii les mœurs sont si mauvaises, qu'on serait trop heureux d'y pouvoir remoaler à l*amour; d'autres elles sont assez bonnes pour qu'il soit fA* cheux d'y descendre , et j'ose croire le mien dans ce dernier cas, J"ajouterai que les objets trop passionnes sonl plus dangereux à nous montrer qu'à personne , parce que nous n'avons naturelle- ment que trop de penchant à tes aimer. Sous un air tlegmatique «t froid , le Genevois cache une aine ardente el sensible , plus fa- cile k émouvoir qu'à retenir. Dans ce séjour de la raison, la beauté n'est pas étrangère ni sans empire; le levain de la mélan— colie y fait souvent fermenter Tamour; les hommes n'y sont que trop capables de sentir des passions violentes , les femmes de le* * inspirer; elles tristes effets qu'elles y ont quelquefois produits ne montrent que trop le danger de les exciter par des spectacles touchansel tendres. Siles héros dcquelques pièces soumettent Ta- ïnonr au devoir , en admirant leur force le cceur se prête k leur faiblesse; on apprend moins à se donner leur courage qu à se mettre dans le cas d'en avoir besoin. C'est plus d'exercice pour la vertu* mais qui l'ose exposer à ces combats mérite d'y succomber. L'amour, l'amour même , prend son masque pour la surprendre; il se pare de son enthousiasme , il usurpe sa Torcp , il affecte son langage; et quand ou s'ajx^rçoil de l'erreur, qu'il est tard pour en revenir! Que d'hommes bien nés, séduits par ces apparence» , d'amans tendres et généreux qu'ils étaient a abord , sont deve- nus par degrés de vils corrupteurs, sans mœurs, sans respect pour la foi conjugale , sans égards pour les droits de la confiance el de l'amitié î Heureux qui sait se reconnaître au bord du préci- pice et s'empêcher d'y tomber ! Est-ce au milieu d'une course rapide qn'on doit espérer de s'arrêter? Est-ce en s'attendrissaut tous les jours qu'on apprend à surmonter la tendresse? On triomphe aisément d'un (aible penchant; mais celui qui connnt ïe véritable amour el l'a su vaincre , ah î pardonnons à ce mortel, ^'il existe, d'oser prétendre à la vertu !

Ainsi, de quelque manière qu'on envisage les choses, la même venté nous trnppp toujours. Tout ce qne les pièces de théâtre peuvent avoir d utile à ceux pour qui elles ont été faites nous ileviendra préjudiciable , jusqu'au goiU que nous croirons avoir ac<|uis par elles, et qui ne sera qu'un faux goût, sans tact , sans délicatesse , substitué mal h propos parmi nous à la solidité de la raison. Le go Al tienl à plusieurs choses : les recherches d'imî»- talion qu'on voit au théAlrc, les comparaisons qu'on a lieu d'y faire , les réflexions sur l'art de plaire aux spectateurs , peuvent

A M. D*ALEMBERT. &)

le jhire germer , knais non suffire à son développement. Il faut de ^rendes villes , il faut des beaux-arts et du luxe » il faut un com* merce intime entre les citoyens , il faut une étroite dépendance les uns des autres , il faut de la galanterie et même de la dé*- banche , il faut des vices qu'on soit forcé d'embellir , pour faire chercher à tout des formes agréables , et réussir à les trouver. Une partie de ces choses nous manquera toujours , et nous de- vons trembler d'acquérir l'autre*

Nous aurons des comédiens , mais quels ? Une bonne troupe TÎei^ra-t-elle de but-en-blanc s'établir dans une ville de vingt- quatre mille âmes ? Nous en aurons donc d'abord de mauvais , et nous sei^ns d'abord de mauvais juges. Les formerons-nous , ou s'ils nous formeront? Nous aurons oe bonnes pièces; mais, les recevant pour telles sur la parole d'autrui , nous serons dispensés de les examiner , et ne gagnerons pas plus à les voir jouer qu'à ItB lire. Nous n'en ferons pas moins les connaisseurs , les arbitres du théâtre ^ nous n'en voudrons pas moins décider pour notre argent , et n'en serons que plus ridicules. On ne l'est point pour manquer de goût , quand on le méprise ; mais c'est l'ctre que de s'en piquer et n'en avoir qu'un mauvais. £t qu'est-ce au fond que ce goût si vanté? l'art de se connaître en petites choses. En vérité , quand on en a une aussi grande à conserver que la liberté, tout le reste est bien puéril.

Je ne vois qu'un remède k tant d'inconvéniens } c'est que , pour nous approprier les drames de notre théâtre , nous les composions nous-mêmes , et que nous ayons des auteurs avant des comédiens. Car il n'est pas bon qu'on nous montre toutes aortes d'imitations, mais seulement celles des choses honnêtes et qnî conviennent à des hommes libres (58). Il est sûr que des pièces tirées, comme celles des Grecs, des malheurs passés de la patrie ou des défauts présens du peuple , pourraient offrir aux spectateurs des leçons utiles. Alors quels seront les héros de nos tragédies? desBerthelier? des Lévrery ? Ah! dignes citoyens ! vous fûtes des héros, sans doute; mais votre obscurité vous avilit , vos noms communs déshonorent vos grandes âmes (69),

(58) Si qais ei^o in nostram urbem venerit, qui animî sapienfiâ in omncs pouil >ese verler^forroat , et omnia imilArî , voluertlque pocmata saaostentare, venerabimur quidem ipsum , utsftcrnm, admirabilem, et joeandum : dicemus aulem non esse ejusmodi liomiiieai in repitblica noatra, neqne ias eaie ut insit; Diitlamusque in aliam urbem , onguento capDtejaaperungentea,laDâqae coronanles. Nosautemausleriori minos* qoe jocondo utemur poëU, fabularumque fîctore, utilitatis Ki'^^i^i H^i décors nobia rationem exprimât ,et qniB dici debeni dicat in lus formulia quai a principîo pro legtbus tuliinus,qaaQdo cives erudire aggressi sa- mw, Plat, de Rep. lib. III.

(59) Philibert Berthelier fut le Caton de notre patrie ; avec celte âiff'&- rence , qne la Ijberlé publique finit par l'un et commença par l'autre. Il tenait une belette privée quand il fut arrêté : il rendit son rpée avec cette fierté qui sied si bien à la vertu malUenrcuse j puis il continua de jouer

f»"

LETTRE

et nous ne somnies plus as^es grands nous-mcines pour vous savoir admirer. Quels seront nos tyrnns? Des geniilshommes de la cuiller (60), des év^ues de Genève, des comtes de Savoie , des ancêtres d'une maison «nvec laquelle nous venons de traiter , et k qui nous devons du respect. Cinquante ans plutôt , je ne ré- pondrais pas que le diable (61) et l'anlechrisl u*y eussent aussi lait leur rôle. Chez les Grecs , peuple d'ailleurs assez badin , tout clail grave et scrienx sitôt qu*il s'agissait de la pairie; mais, dans ce siècle plaisant oii rien n'échappe au ridicule , hormis la puis- sance , on n*ose parler d'héroisme que dans les grands états, quoiqu'on n'en trouve que dans les petits.

Quant â la comédie , il n'y faut pas songer : elle causerait cheï nous les plus affreux désordres; elle servirait d'instrument aux factions , aux partis, aux vengeances particulières. Notre ville est si petite y nue les peintures de moeurs les plus générales j dégénéreraient bientôt en satires et personnalités. L'exemple de Tancienne Athènes , ville incomparablement plus peuplée que Genève , nous offre une leçon frappante : c'est au théâtre qu'on y prépara l'exil de plusieurs granns hommes et la mort de docrale ; cVst par la fureur du théâtre qu'Athènes périt ; et ses désastres ne justifièrent que trop le chagrin qu'avait ténioigné Solon aux premières représentations de Thespis. Ce qu'il y a de

avec M belrite, »ani daigner répondre aux ontrogrs de ses garde». Il snourul comme doit inniirir un martyr de la Itbcrlc.

ieau L^rrcry fut le Favonius de Bcrihclier , non p»s en imitani pn^-ri- lemenl wi diKcour» ri »es manières, mais en motir-mt volont.iir*»incnl comme lui , saclmnl h'tp.n que l'exemple de sa mort «erait plu» iililr  Mtn paysqor sa vie. Arsnt d'aller â l'échartind il êcrÎTit sur le mur dcsa prÎM)» celte êpilaphe qu'on avait faite à son prrdécpsscur:

Quid mihi mors nocuit ? Virtus postfala virtscit ; Vec crucc , nec sœvi gladio périt itla tyranni.

Quel mnl la murt me fàit-cllc ? La verlu s'arcroll daus le danger ^ élit n'eal point soumise à la croix , ni au glaive d'un tyran cruel.

(Co) Criait une confrérie de genliUliommr-s ftnvnyardii qui avairni fait vœu do brigandage contre la ville de Genève, et qni , pour marque de leur association , (Kirtaienl u»e cuiller pendue an cou.

(fii)]*ai1ndansnia jeunesse une tragédie de rjSjcfl/ûrfffjOÙIe diable était _ en c0el un des acteurs. On me diiaît que cette pîAce ayant une fois^lére- prés^-nlée. ce personnage, en entranl «ni- la acène, se trouva double, " rnmmeKi l'uriginalcitl clé jaloux qu'on côiraudacc de lecont refaire, et qn'â l'instant rcffrui fil fuir loiit le monde et iuiir la représentulion. Ce conte* rat burlf'Mqne, el le pimitra bien plus à Paris qu'A Grntrve : cependant, qu'on 5e prête nnx suppositions, on trouvera dan» celte double apparition tiii rlTcl ibéàtral et vraiment effrayant. Je n'imagine qu'un spectacle plqa aimple et plus lerriblc cncorejc'eKt celui delà main nortnnt du mur ef traç^iiir des mots inronnn» au feslïn de Baltlinxnr. Cette seule idée Citt friasonnrr. Il me senibtc que nos pitetcfc lyriques sont loin de cea inven- tions Koblinier;; ils font, pour épouvanter, un fracas de dècoralion» aaua cflit. Sur la scrnc même il ne faut pas tout dire à la vue, mais ébraulur Vjmnginalton.

A M. D'ALEMBF.KT.

n<

sâr ponr ncras , cVst qu'il fau<lra luâl 4ugur«r de la rcnu- iepir , quand on vrrra les citoyrns, travestis en beaux esprits , wruprr à faire des ver5 français el d«« pièces de théâtre ; Inlens It ne sont point \e% nôlrrs et que nous ne posséderons jamais. rtie M. de Voïtaire daiçne nous composer des tragédies sur ie]t de la HJort de Ctaar , du premier acte de Brutus \ el, is faut absolument un théAtre , qu'il s'engage à le remplir 1rs de son génie, et h. vivre autant que ses pièces ! ►rais d'avis qu'on pesAt mArenient toutes ces réflexions raot <Ie mettre en ligne de compte le goût de parure et de dis- -•■ |ue doit produire parmi noire jeunesse IVieraple des V Mais enfm cet exemple aura son effet encore ; et si rnn-inenl partout les loi» sont insuffisantes pour réprimer es qui naissent de la nature des choses , comme |e crois montré, combien plus le seront-elles parmi nous le »r signe de leur faihiesee sera rétablissement des romc- car ce ne seront point eux proprement qui auront intro— goût de dissipation ; au contraire, ce même goût les aura lus , les aura introduits eux-m^raes , cl ils ne feront que •ti fier un penchant déjà tout formé, qui, les avant fait ad- ^tl^e , à plus forte raison les fera maintenir avec leurs Héfauls. Je m'appuie toujours sur la supposition qu'ils subsisteront

m

modcment dans une aussi petite ville ; et je dis que .

us les honorons , comme vous le prétendes , dons un pays

son! à peu près égaux , ils seront les égaux de tout le

ide , et auront de plus la faveur publique qui leur est nalu-

lleinent acquise. Ils ne seront point , comme ailleurs, tenus

respect par les grands dont ils recherchent la bienveillance et

m\ ils craignent la disgrâce. Les magistrats leur en impose—

Tt : soit. Mois ces magistrats auront été particuliers; ils auront

^tre familiers avec eux ; ils auront des enfans qui le seront

"encore, des fcmnips qui aimeront le plaisir. Toutes ces liaisons

ft(»rAnt dr» movens d'indulgence et de protection auxquels il sera

■~ '"de résister toujours. Bientôt les comédiens , sûrs de

I , la procureront encore à leurs imitateurs: c'est par

qn'aura commencé le désordre , mais on ne voit plus oil

urra s'arrêter. Les femmes, In jeunesse, les riches , les gens

loul sera pour eux , tout éludera des lois qui les fjcneiit,

ivorisera leur licence: chacun , cherchant à les satisfaire,

»Tr3 travailler pour ses plaisirs. Quel homme osera s'opposer

'cr lorrent , si ce n'est peul-i'-tre quelque ancien pasteur rigide

"**" nVcoutera point, et dont le sens et la gravité passeront

pédanterie chez une jeunesse inronsidéree ? Enhn , pour

qu'ils joignent d'art el de manège à leur succès , je ne leur

lone pas trente ans pour être les arbitres de l'état (62). On

fi^s' On iloîi inniniirti *p «onvrnir cjuff , pour que la corof'dic te «ou- . il f.ml ijne cr goiit y tlcrirnne «ne rurnirjft'll n'est que Hi;i qn'elle lonibe. La la'isori irut donc otiVu examinaol rHeu ilu UirAtre on les mestireinr une cavise copitblc de le sauteuir.

'«n

- -^

^3 LETTRE

■verra les aspirans aux charges briguer leur faveur pour obtenir les sufîrages : les élections se feront dans les loges ues actrices ^ et les chefs à'un peuple libre .seront les créatures d'une bande d'iuslrions. La plume tombe des fuaius à celle idée. Qu'on l'é- carte tant qu'on voudra , qu'où m'accuse d'outrer la prévoyance; je n'ai plus qu'un mot à dire. Quoi qu'il arrive, il faudra que ces gens-là réforment leurs mœurs parmi nous, ou qu'ils cor- rompent le& nôtres. Quand cette alternative aura cessé de nous ciTrayer, les comédiens pourront venir, ils n'auront plus de mal à nous faire.

Voilât monsieur, les considérations que j'avais à proposer aa public et k vous sur la question qu'il vous a plu d agiter dans vo article elle était , â mon avis , tout-â-fait étrangère. Quand mes raisons , moins fortes qu'elles ne me paraissent , n'auraient pas un poids suHisant pour contre-balancer les vôtres, touscou— TtcndreK au moins que, dans un aussi petit état que la répu- blique de Genève , tontcâ innovations sont dangereuses, et qu*il n'en faut jamais faire sans des motifs urgens et graves. Qu'on nous montre donc la pressante nécessité de celle-ci. Oii sout les désordres qui nous forcent de recourir à un expédient si suspect? Tout est-il perdu sans cela? Notre ville est— elle si grande, le Tice et l'oisiveté y ont-ils déjà fait un tel progrès, qu'elle ne puisse plus désormais subsister sans spectacles ? Vous nous dites qu'elle en soutTrc de plus mauvais qui choquent également le goi^t et les mœurs : mais il y a bien de la diliérence entre mon** trer de mauvaises ma?urs et attaquer les bonnes; car ce dernier ^ffet dépend moins des qualités au spectacle que de l'improssioii qu'il cause. En ce sens , quel rapport entre quelques farces

Sassagcrcs et une comédie à demeure , entre les polissonnerie» 'un charlatan et les représentations régulières des ouvrages dra- matiques , entre des tréteaux de foire élevés pour réjouir ta po- pulace et un théâtre estimé oii les honnêtes gens penseront s'ins* truîre? L'un de ces amusemens est sans couséqucnce et reste oublié dès le lendemain; mais l'autre est une affaire importante qui mérite toute l'attention du gouvernement. Par tout pays il est permis d'amuser les en fans , et peut être enfant qui veut «ans beuuconp d'inconvcniens. Si ces fades spectacles manquent de goût, tant mieux -, on s'en rebutera plus vite : s'ils sont gros- aiers, ils seront moins séduisans. Le vice ne s'insiuuc guère en choquant Thonnêteté , maïs en prenant son image ; et les mot$ «aies sont plus contraires à la politesse qu'aux bonnes inneuri. Voilà pourquoi les expressions sont toujours plus recherchées et les oreilles plus scrupuleuses dans les pavs plus corrompus. S'a— perçoit-on que les entretiens de la halle écnautU^ot beaucoup la Jeunesse oui les écoute? Si font bien les discrets propos du théâ- tre , cl il vaudrait mieux qu'une jeune fille vît cent parades qu'une seule représentation AeVOrticle.

Au reste, j'avoue que j'aimeraÎG mieux, quant à moi, que BOUS pussions nous passer cnlicreraent de tous ces tréteaux , et

i^p, pptilt

A M. D'ALEMBERT. ^

fit ÇnnAi, nous sussions tirer nos plaisirs «t nos d<^

lat el de nous-mêmes i mais de ce qu'on devrait

.r les bateleurs il ncs'ensuit pas qu'il Taille Apnctei*

dtrns. Vous aveï vu dans vçtre propre pays la ville de

il(e se défendre long-temps d'une pareille innovation , rè-

^nêne aux ordres réitères du ministre , el garder encore ,

-fts^pris d'uu amusement frivole , une iiuage honorable

ton ancienne libertv. Quel exemple pour une ville qui n'a

init encore perdu la sienne l

Qu'on ne pense pas surtout faire un pareil établissement par Mmèrt d'essai , sauf â Tabolir quand on en sentira les încon- lirn» : car ces inconvénietis ne se détruisent pas avec le théâtre fes produit , ils restent quand leur cause est ôtée; et , dèa Ton commence à les sentir , ils sont irrémédiables. Nos nKrurs térée* , nos goûts changés, no %c rétabliront pas comme ils se it corrompus; nos plaisirs mêmes « nos innocens nlaûii^ , perdu leurs charmes^ le spectacle nous en aura tlégoi^tés iiijours. L'oisiveté devenue nécessaire, les vides du temps (e BOUS ne saurons plus remplir nous rendront à charge il nous- Inies; les comédiens en partant nous laisseront Tennui pour "be* de leur retour; il nous forcera bientôt à les rappeler ou pis. Nous aurons mal fait d'établir la comédie , nous fe- lal de la laisser subsister , nous ferons mal de la déiniire : la première faute , nous n'aurons plus que le chois de nos laattx.

Quoi î ne faut-il donc aucun spectacle dans une république? contraire, il en faut beaucoup. C'est dans les républiques «ont nés. c'est dans leur sein qu'on les voit briller avec itable air de fêle. A quels peuples convient-il mieux de ibler jsouveut et de former entre «ux les doux liens du |>lai^r el de la joie . qu'à ceux qui ont tant de raisons de s^aimer de re*4cr à jamais unis? Nous avons déjà plusieurs de ces f^tes ibliques j arons-en davantage encore , je «'en serai que plus ijinué. Miïi< n'adoptons point ces spectacles etclusits qui ren- ferniriiT tristement un petit nombre de cens dans un anlre ~hl 11 les tienneut craintifs et imuiobilcâ dans le silence et

qui n'offrent aux yeux que cloison<;, que pointes de juc lOldats, qu'nffliçeanles images de la ser\'itade cl de tlilé. Non, peujiles licureux , ce ne sont pas vos fêtes! ral«rn plein air, cesl sous le ciel qu'il faut vous rassembler TiMts livrer au doux sentiment de votre bonheur. Que vos ne soient efféminés ni mercenaires, que rien de ce qui rif Li rontrainte et l'intércl ne les empoisonne , qu'ils soient oéreux comme vous, que le soleil éclaire vos mnocens .^>, vous en formerez uu vouft-mémes , le plujt digne i&se éclairer.

|uels seront «nfia les objets de ct% spectacles ? quV itrer»-l-on ? Rien , «i l'on veut. Avec la liberté , partout rcgoe rs^lUucnce le bien-être y régne auwi. Plantez nu

2

94 LETTRE

milieu d'uue place uu piquet couronné de fleurs , ras£emble£-y le peuple, et vous aurez une fêle. Faile.s-mieux encore : donnes les spectateurs en spectacle j rendez— les acteurs eux-mêmes ; faites que chacun se voie et s*ainie dans les autres , atîn que tous en soient mieux unis. Je n'ai pas besoin de renvoyer aux jeux des anciens Grecs : il en est de plus modernes , il en est aexistans cucore , et je les trouve précisément parmi nous. Nous avons tous les ans des revues, des prix publics , des rois de Tarquebuse , du xranon 5 de la navigation. On ne peut trop multiplier des établisseinens si utiles (63) et si agréables ; on ne peut trop avoir de semblables rois. Pourquoi ne ferionfr- nous pas , pour nous rendre dispos et robustes , ce que nous faisons pour nous exercer aux armes ? La république a-t-elle moins besoin d^ouvriers que de soldats ? Pourquoi, sur le mo- dèle des prix militaires , ne fonderions-nous pas d'autres prix de gymnastique pour la lutte , pour la course, pour le disque, pour divers exercices du corps ? Pourquoi n*animerions-nous pas nos bateliers par des joules sur le lac ? Y aurait— il au monde un plus brillant spectacle que de voir sur ce vaste et superbe bassin des centaines de bateaux» élécamraent équi-

Sés , partir à la fois, au signal donné, pour aller enlever un rapeau arboré au but , puis servir de cortège au vainqueur revenant en triomphe recevoir le prix mérité ? Toutes ces sortes de fêtes ne sont aispendicuscs qu'autant qu*on le veut bien et le seul concours les rend assez magnihques. Cependant ii faut y avoir afisisté chez le Cieuevois pour comprendre avec quelle ardeur il s*y livre. On ne le reconnaît plus : ce n'est plus ce peuple si rangé qui ne se départ point de ses règle*

(6?) II ne suffît pan qne le peuple nil du pain et vive dans ea rondilion^ îl faut qa'il y vive agréa blcmenl, afin qu'il lu remplisse mieux les devoir», qu'il se tourmente moins pour eu sortir , ft que l'ordre public soit laîeux établi. Les bannes mœurs tiennent plus qu'on ne pense ù ce que chaeuo se plaise dans kon état. I^e mauége et l'i-Api it d'intrigue viennent d'inqnié^ lude et de mécouleniemt'ul ; tout va mal quand l'iiu aspire à l'emploi d'un auiro. Il faut aimer son métier pour le bien fairi:. L'assiette de l'êut n'est bonne et solide que quand tons se semant à leur place« le» forces particuliân'sse réunissent et concourent nn bien public, au lieu de s'user l'one contre l'autre, comme elles funtd^ns tout état mal constitué. Oii% poséf quedoîl-on penser de ceux qui vouilrsienl 6ler au peupte les fetM, les plaisirs et toute espèce d'amusement , comme autant de disl raclions qui le détournent de sou travail ? Celle mniime f^t barbare vt faaase.Tant pis, si le peuple u'a de temps que pour gagner son poin; il lui en ^9t encore pour lu manger avec joie , aulrcmeul il ne le gagnera pas lottg- temps. Ce Dieu juste et bienfaisant qui veut qu'il s'occupe vout aussi qu'il ae délasse* la nature lui înipone également reKercire et le repos , le plaisir et la peine. Le déf^oùt du Irftvuîl accable plus les malhenieiix que le tr«- Tail même. VouIcK- vous donc rendre uu peuple aclifet lahorîenx ; donnii- lui des fèlcs, oltrtz-Iui de» aniUKemens qui lui fussent aimer son état, flt l'rmptVIient d'en envier un pins dont. Desjoursainsi perdus feront mien* valoir tous les antres. Présidez à ses plaisirs pour les rendre boouèlnî ^*^* le vrsi moyen d'animer ics troviiuA.

A M. D'ALEMDERT ccoiiofnù|aet ; ce n'est plus ce long raUunntfur qui ne jusqu'il U pUisantrrie, à la balance du jugement, il

t

îse ton t ,

est vif,

carewant ; $on cvrur e»t alors dans ses >eux comme il

rs sur *e5 lèvres ; il cherche à c'ommunicjuer &a joie ol

il invile , il j>rps*e , il force , il se dispute les sui- *. l'oulea les sociétés n'en font qu'une, tout devient . uun à tous. H est presque indifférent à quelle table on »c mette : ce srmit l'image de relies de Lacédemone , s'il n'y régnait un peu plus de profusion; mais celte profusion même est alors bien nlacce ^ et Taspect de Tahoadance rend plu* louchant celui de la liberté qui la produit.

L'hivrr , lempîi consacré au commerce privé des ami» , rnrtv^e^l uioins aux fêtes publiques. Il en est pourtant une r dont jr voudrais bien qii on se Ht moins de scrupule, ^.u.r, les baU entre de jeuues personnes k marier. Je n'ai jatiuûft bien conçu pourquoi Ton s*efluroiiche si fart de la dan^ et des ^nemblées qu'elle occasionne : comme s'il y Avait plus «le mal à danser qu'à chanter ; que l'un et l'atitre de ces amtiMmens ne fàt pas également une inspiration de la nature; et que ce filt un crime k ceux qui !)ont desiinés à s'unir de ^#*r en commun par une honnête récréation ! i/homme I femme ont été formés Tun pour l'autre : Dieu veut <|u'tift suivent leur destination j et certainement le premier et le plut Mkint de tous les liens de la société est le mariage. Toutes les fausses religions combattent la nature ^ la nôtre «raie , qui la suit et la règle , annonce une institution di- vîoe et convenable à Thomme. Elle ne doit point ajouter aur Jp manace , aux embarras de Tordre ciyil , des dîHicullés que révarrgilt' ne prescrit pas, et que tout bon gouvernement frondanine. Mai^ qu'on me dise ou de jeuues ]>ersonnes à ma- ner auront occasion de preiLdre du goût l'une pour l'autre » et de se Toir avec plus de décence et de circonspection que dan* nne adsemblée oii les ^eux du public ^ incessamment ou- h sur elles, les forcent à la réserve, k la modestie, •'observer avec le plus crand soin. En quoi Dieu est - il fcn^é par un exercice agréable , salutaire , propre à la viva- cité des jeunes gens ^ qui consiste à se présenter l'un i l'autre a et bienséance, et auquel le spectateur impose une

t 'ut on n'oserait sortir un instant ? Peut-on imaginer

1 ' plus honnête de ne point tromper autrui, du moins

'] ' figure , et de se montrer avec les agrémens et les

aciaul* qu'on peut avoir aux gens qui ont intérêt de nous bien comtallre avant de s'obliger à nous aimer ? Le devoir de se cliênr réciproquement nVmporte-t-il pas celui de se plaire ? ^l iiVsi-ce pas un soin digne de deux personnes vertueuses et À qui cherchent à s*unir , de préparer ainsi leur coeur ^ ... .r mutuel que Dieu leur impose? Ou*arriv«-t*il dans CCS lient ou règne une contrainte éler- Dclle , l'on punil comme un crime la plus innocente gaieté ,

oam

w

MCI

g6 LETTRE

ie* jeunes gens des dçux sexes n'osent jainais s'assembler ^n public, et l'indiscrète sévérité d'un pasteur ne sait prêcher lu nom de Dieu qu*unc gène sorvilc, et la tristesse, cl 1 ennui? On élude une tyrannie insupportable que la nature et la raison désavouent. Aux plaisirs permis dont on prive une jeunesse en- jouée et folâtre , elle en subïïtituc de plus dangereux : les iêle-â-tête adroileraent concertée prennent la place des asseni- lilécs publiques. A force de se cacher comme si l'on était cou- |>abte , on est tenté de le devenir. L'innocente joie iiime à s'évaporer au graud jour ^ mais le vice est ami des ténèbres , et jamais l'innocence et le mystère n'habitèrent long -temps irnsemble.

Pour moi , loin de blâmer de si simples amusemeus , je vou- drais au contraire qu'ils fussent publiquement autorisés, et qu'on y prévint tout désordre particulier en les convertissant en bah solennels et périodiques , ouverts indistinctement k toute la jeunesse h marier. Je voudrais qu'un uiagiMrat (64) 1 ;llommé par le conseil , ne dédaignât pas de présider ii cet bals. Je voudrais que les pères el les mères y assistassent , pour veiller sur leurs cnf'ans, pour être témoins de leurs grâces ,*t de leur adresse ^ des applauoissemens qu'ils auraient mérités, ;€i jouir ainsi du plus doux spectacle qui puisse toucher an cmur paternel. Je voudrais qu'en général toute personne mariée j ftît admise au nombre des spectateurs et des juges , sans

3uM fût permis à aucune de profaner la dignité conjugale en ansant elle-même : car h quelle Hn houncte pourrait-elle fie ■donner ainsi en montre au public ? Je voudrais qu'on formât dans la salle une enceinte commode et honorable , destinée .«ux gens âgés de l'un et de l'autre sexe , qui , ayant déjà donne des citoyens à la patrie, verraient encore leurs petitj»- enfans se préparer à le devenir. Je voudrais que nul n entrât Isii ne sortit sans saluer ce parquet , et que tous les couples de jeunes ç^ens vinssent , avant de commencer leur danse et iprès l'avoir finie , y faire une profonde révérence , pour s*ac— ïoulumer de bonne heure à respecter la vieillesse. Je ne doule tas que cette agréable réuuiou des deux termes de la vie hu^ naine ne donnât n cette assemblée un certain coup-d'rril at- tendrissant, et qu'on ne vît quelquefois couler dans le parquet le» larmes de joie et de souvenir , capables |>eut-èlre d'en ar- racher à un spectateur sensible. Je voudrais que tous le.^ ans, lu dernier bat , la jeune personne qui , durant les précédeos,

(64) A chaque corp» 1I0 mrlicr, à chacune des sociétés publiques dont

idt composé notre élut, prp«ide un de ces niagistmts, bous le ooro do

:-geigneur-commis. lU asfislent à toulra les nssmibliVn^ et inOnac aux friltna.

'~ -ur présence n'emptche point une lioniitle ramiltartlé entre le» niemhn'a

i^d^ raMociatîon ; mais elle uiainti'cnl tout le monde dan» le rr«pecl qu*oa

lott porter aux lui» , nut inreiir», à la décence, même au aein de l.« juie

du pliiair. Cette iD^iitniton csl irè8-iielle,el forme uu des gniid» Urna

lufc UDis*€Ut le Bcuule à tes cUt&.

A M. D'ALEMFir.T. o-

•e serait comportée le plu huaotimtt^i , )t plu$ m^e>:emeD: , et aurait plu davanta^ a toc: st H'C^ni^. au ju^emml i3u parquet, rat honorée d'une c-<*&r:inzke par main dîi «;v'va'- coasnia (65; , et du titre de re:zie cL !>«] , «qu'elle porterait tonte rannee. Je roudrai» t^t-'h la clc<ture de la même a^^em* liée on la reconduùît en cortège ; <]ae Je père et la mère fussent félicités et remercie» d'a-^c^r une ûlle à bien née . et de rélever si bien. Enfin je Tondrai» que , ii elle venait à se marier dans le conrs de Tan . la seipieurie loi fit un présent ou loi accordât quelque distinction publique . afin que cet boa— near f&t une chose assez sérieuse pour ne pouvoir jamais de- TenÎT nn snjjet de plaisanterie.

n est vrai qu'on aurait souvent à craindre un pen de partia- lité, si Tâee des juces ne laissait toute la préférence au mcrile. Et quand la béante modeste serait quelquefois favorisée , quel en serait le grand inconvénient ? Ayant plus d'assauts à soutenir, n'a-t-elle pas besoin d'être pins encouragée ? N'est-elle pas un don de la nature , ainsi que les talens ; Oii est le mal qu'elle obtienne quelques honneurs qui l'eicitent à s*en rendre digue , et paillent contenter Tamonr-propre saus offenser la vertu *

En perfectionnant ce projet dans les mêmes vues, sous un air de galanterie et d'amusement on donnerait à ces fêles nlnsienn fins ntiles qui en feraient un objet important de pe- sée et de bonnes mfurs. La jeunesse, ayant des rendez-Nous sArs et honnêtes , serait moins tentée d'en chercher de plus dangereux. Chaque sexe se livrerait plus patiemment, dans les îatervalle* , aux occupations et aux plaisirs qui lui sont propres, et a'en consolerait plus aisément d'être prive du commerce con- tinuel de l'antre. Les particuliers de tout état auraient la resionrce d'un spectacle agréable , surtout aux pères et mères. Les soins pour la parure de leurs ftlles seraient pour les foinuios nn objet d'amusement qui ferait diversion à beaucoup d'autres ; et cette parure , ayant un objet innocent et louable , serait toat-â— fait â sa place. Ces occasions de s*asscnibler pour s'onir , et d'arranger des établissemens , seraient des moyens fréquens de rapprocher des familles divisées , et d'affermir la paix si nécessaire dans notre état. Sans altérer l'autorité des pères , les inclinations des enfans seraient un peu plus en li- berté; le premier choix dépendrait un peu plus de leur cœur; les convenances d'Âge , d'humeur , de goiits , de caractère , seraient un peu plus consultées ; on donnerait moins à celles d'état et de biens , qui font des nœuds mal assortis quand ou les suit aux dépens aes autres. Les liaisons devenant plus fa- ciles , les mariages seraient plus fréquens; ces mariages, moins circonscrits par les mêmes conditions , préviendraient les partis , tempéreraient l'excessive inégalité , maintiendraient mieux le corps du peuple dans l'esprit de sa constitution. Ces bals,

(65) Voycï la noie préccdentr.

5 7

^ LETTRE

ainsi diriccs, rcsscmbleraieul moins h un spectaclr publie qw*A l'a^Â^iublfe d'une grande fainille ; et du seju de la joie et des plaisirs naîtraient la conservation, la concorde et la proApérité de la republique (66).

Sur ces idées , tl serait aisé dVtahlir à peu de frais , et san5 danger, plus de spectacles qu'il u*en faudrait pour rendre le séjour de notre >ille agréable et riant , môme au» étran- gers , qui , ne trouvant rien de pareil ailleurs , y viendraient J au moins ponr voir une chose unique; quoiqu'à dire le vrai, sur beaucoup de fortes raisons, je regarde ce concours comme un inconvénient bien plus que comme un avantage ; et je &uiâ persuadé , quant à moi , que jamais étranger n'entra dans Genève qu'il n'y ait fait plus de mal que de bien.

Mais savez-vous, monsieur, qui Ton devrait s'efforcer d'attirer et de retenir dans nos murs? Les Genevois mêmes, qui, avec

(66) Il me parait plttÎHnt d'imaginfr quplqnefoislnjagemcnftqae plu- aiiurs purterout de mra gaùts , sur mes écrits. Sur celui-ci l'un iic iiun— qiiera pas Je dire : u Cel boroiiie vil Tau de la danae, » Je ni'cnnuir à voir (bn»er. ull nepeutsouH'rii' la comédie. » J'ninie la comédie à ta passion. « Il a lie l'aversion p<turles fcninieii.ioJene arniL qu(^ Iropbieu jualiBé là-deMO^ ull est inécoiilL'iil des cooiédiuns.» J'ai tout SDJclde niVii louer, et l'amilié (iuseul d'entre eux que )'ai connu parliculièremenl ne peut qu'lionorer iiu iioDoéle bomine. Mt-me jugemont sur les poète» dont je sui» forcé de cen* surer les pièce» : ceux qui Font murla ne seront pai de nion goût , et »erai piqué contre les vivaiis. La vérité est que Kacine nie charme « eC que je n'ai jamais manqué rolonlAiren)(*nt une iepr('iM*nlatinn de Molière. ^i ^'ai moins parlé de Corncillf , c'c«t quVyant peu fiéqiitnlé »es pièce», et xnanquaiiL de livres, il ne mV»L pas assez reste dans ta mémoire pour Je citer. Quanta Taulear d'Alrée cl de Calilina, )e ne Tai jamai» vm qu'une fois, et ce fut puuren recevoir un service. J'estime sou géoie et i res|>ecle »a Tieilleascj mais, quelque honneur que )c porte k sa personne ,' je ne doia que justice n ses pièces, et je ne «ais point acquitter met dellea^ aux dépens du bien public et de la vérité. Si mes écrits m'îuspîrent qael»l que fierté^ c'est par la pureté d'intention qui les dicte , c'eiii par un dé* siatércsaenient dont fwu d'auteurs m'ont donné l'exemple, et que Tort peiti voudront imiter. JAmais vue particulière nesouillalodésir d'être utile a«« ontrpsqui m'a mis la plume k la main, et j'ai presque toujours écrit contre, uion propre iblirèt. Vitamimpendere vtro; voilà la devise que j'ai chaiMo] et dont je me sens digne. lecteurs, jo puis me tromper moi-raéme, maja' non pas vous tromper volontairement} craignez mes erreurs et non ma; iiiiiuvaisu fui. L'amour du bîcn public est la seule passion qui me fail' piirlcr au public | je sais alors m'uublier moi-même; et, si quelqu'un m'oiren5e,je me lais sur son compte de peur que la tolère no me rcndej trtiustc. Celte maxime est bonne à mes ennemis, en ce qu'ils me nuisant â leur aise et ann» crainte de nprésnillea; aux lecteurs, qui necraignmi pis que ma balne leur en iraposi:; et surtout à mai , qui, restant en paie] t'india qu'on m'outrdge, n'ai du moinsque le mal qu'on me fait, et nufkl celui que j'éprouverais encore â le rendre. Sainte et pure vérité, a qui j'ai] consacré nia vie, non , jamais mes passions ne souillerunl le sincère amouri i|ue j'ai ponr toi ^ l'intérêt ni la crainte ne sauraient altérer rhonimag», qnei'aimeù t'uQ'rir, et ma plume ne le refusera jamais rien que ce t\u'vi iiaint d'accorder à la vengeance!

A M. D'ALKMBF.RT.

99

tm iioctre amour pour leur paysi ont tous une si grande inclî- tMtiOu pour le» voyages au'îi n'v point de contrée l'on bV« trouve de rcpandus. La moitié de nos citoyens^ t-pars dans )e r<*îe de TEuropc et du monde, vivent et meurent loin de la natnp; et je me citerais moi-ra^me avec plus de douleur si j'y ff X inutile. Je sais que nous sommes forcés d'aller cher-

t! ! >in les ressources que notre terrain nous refuse, rt

ij ;>ourrion5 diflicîlement subsister si nous nous y tenions

t* Mais au moins que ce bannissement ne soit pas

rUruci jtonr tous : nue ceux dont le ciel a béai les travaux ▼iraiimt, comme l'aotMlle^ en rapporter le fruit dans la rutlie; tfiouir leurs concitoyens du spectacle de leur fortune; animer rrmuUtioii des jeunes gens; enrichir leur pays de leur richesse, «I jooir modestement cher eux dp$ biens honnêtement ncquis daec ]«« autres. Sera-ce avec des théâtres, toujours nioms par- aît* chez nous qu'ailleurs, qu*on les y fera revenir? Quitte- î'^»-tU ta comédie de Paris ou de Londres pour aller revoir e Genève? Non , non, monsieur , ce n'est pas ainsi qu'on il ramener. Il faut que chacun sente qu'il ne saurait r ailleurs ce qu'il a laissé dans son pay^i *^ '^"^ qu'un i'-» invincible le rappelle au séjour qu'il n'aurait point dA r; il faut que le souvenir de leurs premiers exercices, de iJers spectacles, de leurs premiers plaisirs, reste pro- §rave dans leurs c<rurs; il faut que les dotices im- :[!£ faites durant la jeunesse demeurent et se renforcent n Age avancé, tandis que mille autres s'elTacent ; il faut ou delà pompe des grands étals et de leur triste ma- nne voix Aecrèle leur crie incessamment au fond de . Ah! snut les jeux et les fêles de ma jeunesse? I concorde des citoyens? est la fraternité publique? *lu r»t la pure juip et la véritable allégresse? Oîi sont la paix , liberté, réquilé, l'innocence? Allons rechercher t'»ul cela- Oieu ! avec le cœnr du Genevois, avec une ville aussi pays atnhl charmant, un gouvernement aussi juste , irs si vrais et si purs , et tout ce qu'il faut pour goâter, il quoi tient-il que nous n'adorions tous U

û rappelait ses citoyens , par des fêtes modestes et des

If éclat, celle Sparte que je n'aurai jamais asset citée

([lie nous devrions en tirer; ainsi dans Athènes,

< arts, ainsi dans Susc , au sein du luxe et Je

le Spartiate ennuyé boupirait après ses grossiers

jçe^ fal^ïjrtn* eterf^cM. C'est k .Sparte que, dans une

' pl.'iisir et spectacle j c'est lii que

■lit ponr de-* récréations, et que

Mon publique;

^ , cori^ntT.-iH.wit

tf'riird

1-00 LETTTVE

J'cntrn<ls dqà les plai^ans me dcinantler si , parmi tant ^s merveilleuses inslructious , je ne veux point aussi , dans aot fêtes genevoises, introduire les danses des jeunes Lacédémo* nipnnes. Je reponds que je voudrais bien nous croire les yeux et les cœurs asser chastes pour supporter un tel spectacle, et que de jeunes personnes dans cet état fussent k Genève, comme à Sparte, couvertes de riionnétetc publique; mais, quelque es- time que je fasse de mes compatriotes , je sais trop comoieu il V a loin d'eux aux Lacédémouiens , et je ne leur propose des institutions de ceux-ci que celles dont ils ne sont pas encore^ incapables. Si le sage Flutarque sVst chargé de juslitier Tusace en question, pourquoi faut-il que je m'en charge après lui? Tout est dit en nvouant que cet usage ne convenait qu*auX élèves de Lycurgue ; que leur vie frugale et laborieuse, leur» mcEurs pures et sévères, la force d*ame qui leur était propre , pouvaient seules rendre innocent sous leurs yeux un spectacle ïi choquant pour tout peuple qui n'est qu'honnête.

Mais pense-t-oa qu'au fond l'adroite parure de nos femmes ait moins son danger qu'une nudité absolue, dont l'habitude tournerait bientôt les premiers effets en indifférence, et peut^ être en dégotH? Ne sait— on pas que les statues et les tableaux it'oflènsenl les yeux que quand un mélange de vêlemcns rend les nudités obscènes? Le pouvoir inuuédiat des sens est faible et borné : c'est par l'enlrernise de Timagination qti'ils font leur» plus grands ravages; c'est elle qui prend soin d^irriter les désirs, en prêtant à leurs objets encore plus d'attraits que ne leur ta donna la nature^ c'est elle qui découvre à l'œil avec scandale ce qu'il ne voit pas seulement comme nu , mais comme devant être habillé. Il n'y a point de vêtement si modeste au travers duquel un regard enflammé par l'imagination n'aille porter les désirs. L'ne jeune Chinoise, avançant un bout de pied couvert et chaussé, fera plus de ravage à Pékin que n^eùt fait )a plu» belle lïlle du monde dansant toute nue au bas du Taygete. < Alnia quand on s'hahille avec autant d'art et si peu d'exactitude que lec femmes fout aujourd'hui, quand on ne montre moiné que pour faire désirer davantage, quand l'obstacle qu'on op— jiose aux youx ne sert qu'à niioiix irriter rimagiiialion, <|UAnd ou ne cache uue partie de iobjel que pour parer celle qu'on expose ,

Mou t mule tum uiilea Uefendil pampinus avM*

Terminons ces nombroui^os digressions. Grâce au ciel , voîcî In dernière : je suis à la fin de cet écrit. Je donnais les fête* de Lacêdémone pour modèle de celles que je voudrais voir parmi nous. Ce n'est ]>as seulement par leur objet, mais auMÎ par leur simplicité, que je les trouve recommandabics : sans pompe, sans luxe, sans appareil, tout y respirait, avec UA I haiine secret de patrioli»mo qui les rcudait intéressantes ^ Utt

A M D'ArEMRERT. lo»

ecrtAin rrprît martial convenable à des hommes libres ({(7; : MA» aiTairrset sans plaisirs , au moins de ce qui porte ces noni<i parmi nous , il» passaient , dans cette douce uniformité , la jour- née sans la trouver trop louf^uc, et la vie sans la trouver trop eooric. \U s'en retournaient cbai^ue soir , gais et dispos , prendre leiiT frugal repas, coutens de leur pairie, de leurs concitoyens, et K^iies. Si Ton demande quelque exemple de ces dt—

^'■■ 1^ publics, en voici un rapporté par IMutnroue. Il y

aVAkt , dit-il , toujours trois danses eu autant de bandes, seloir U difierruce des âges; et ces dauses se faisaient au chant de

((7) !• mesonriens d'avoir été frappé dans mon enfance d^nn spectacle awcs atnipLe, et dont pourtant l'iinprt'HBion mVst touiuiira rest^, malgré 1* iMBpael U diversil4r tirs ob|e(a. régiment i\c Saint-Ccrvaiii avait fiik V*%ttcie€, etf selon U coutume , on avait aoii|]c par compagnies : la plii- yvt de ceux qui les composaient »e raaaemblèrrnt après le aoupc dans ta flace ée Saiot-Gervaia, et »e mirent à danger tous ensemble , ofliciei-c ^aohUf*, aulour de la fontaine, »ur le bassin de laquelle étaient montra tiiAboara» ie* firrea,etceux qui portaient losQambraux. Vnti danse ^^yéapamn long repas acmblerail n'offrir rien de fort întcrea- it à voix } cependant l'accord de cinq ou six cenis hommes en uniforme, a* trnaot ton» par U main , et formant une longne bande qni ot-rpenlait an culenor el sans coofusiou , avec mille loors et retonrs ; mille rspî'cea d*VTo|alîoas figurées, le choix des airs qui lea Ruimaicnt , te brnît de»> fa^*-^"-' , tVrUt des flambeaux, un certain appareil militaire nu win du |>l ' cela formait une senoalion très-vivr qu'on ne pouvait sup-

}c; -inj^-froid. Il était tard, les l'emmea étaient couchées j toutes

>■ nrirrrrcnl. Bientôt les fenêtres furent pleines de spectatrices qui don- ■■«wil un nouveau zèla aux acteurs : elles ne purent tenir long-temps h letara fe-uétrea, elles descendirent* les maîtresses venaient voir leurs M*ria^ le» aervaotes apportaient do vin ; le.« enfiins même, éveilléa par Ip brnil 4 accoururent demi-vétus entre le» père» et les mères, La dnnae fol >UJfici»du«; ce no furtiitqu'embrauemens, ria , sanléa, caressas. Il résulta delo«t ocU un attendrissement général que )e ne saurais peindre, mais iVM, dans rallégreue universelle , on éprouve asses nalarellemenl au mi- lia* àt tout c^ui nous est cber. Mon père, en m*erobra»aiit , fut saÏAÎ #fin trca**itlemen1 que je cruiM sentir et partagrr rncnre. Jeaii-Jacqucsi M disait-il, jinie ton pays. Vois-tu ces bons Genevois; iU sont tous aaata, iU sont tousfrèrea- la ^io et la concorde règne au milieu d'eux. Tu •a Cen«voia; ta verras un jour d*BUlres peuples; mais, quand lu voyage- rùa auloAl que ion père , lu ne trouveras jamais leur pareil.

On Tonlnt recommencer la danso, il n'y eut plu» moyen : on ne savait

pltt* «T qu'on élisait , loutus les têtes étaient tournées d'une ivresse plui

•loocK que crili.' du vjn. Apres avoir resté quelque temps eucare à rire et

à CAumr sor Iq place , il f^tlut ae séparer : chacun »e retira paisiblement

svrtL LA f^iinille, et ToilÀ continent ers aimables et prudentes fsmmes rn-

nr» maria , non pauen troublant leurs plaisirs, mais en iilliml

Je sens bien que ce spectacle doutée fus si touché serait sans

loille autres : il faut des yeux faits pour le voir, et un cten 1

cutir. Non , il n'y a de pure )oie que ta joie publique , et h -

[• >'-nN delà nature ne régnent qno sur le peuple. Ab! dignité.

^ .iieil et nirre de Teunui, jamais les tri«tts esclaves eurent- ■'•

i|ur«^l*uoiucxit eti leur vie? ■^III^II^M llll II I

loï LETTRE A M. D'ALEMBERT.

chaque bande. Celle des vieillards commeDçait la première , en chantant le couplet suivant :

Noai avon« nié jadis Jeanci, Taillani, cl hardis.

Suivait celle des hoiumes, qui chantaient k leur tour, en frap- pant de leurs armes en cadence :

Nous le lommei nuinlenant, A l'épreoT» k tout ymant.

Ensuite venaient les enfans, qui leur répondaient en cliantaiit' de toute leur force :

El iinns bientftt le aerûru. Qui loua vona aurpaaaerona.

Voilà, monsieur, les spectacles qu'il faut à des républiques. Quant k celui dont votre article Geniife m'a forcé de traiter dans cet essai , si jamais l'intérêt particulier vient à bout de l'établir dans nos murs, j'en prévois les tristes effets; j'en ai montré quelques-uns, j'en pourrais montrer davantage. Mais c'est trop cramdre un malheur imaginaire que la vigilance de nos magistrats saura prévenir. Je ne prétends point instruire ée^ liommes plus sages que moi; il me suHit d'en avoir dit assea pour consoler la jeunesse de mon pa^s d'être privée d'un> Muiusement qui coûterait si cher k la patrie. J'exhorte cette heureuse jeunesse à profîter de l'avis qui termine votre article. Puisàe-t-elle connaître et mériter son sort! Puisse-t-elle sentir toujours combien le solide bonheur est préférable aux vains plaisirs qui le détruisent! Puisse-t-elle transmettre k sesdescen- dans les vertus, la liberté, la paix qu'elle tient de ses pères? C'est le dernier vœu par lequel je finis mes écrits » c'est celui par leqoel finira ma vie.

i

riN DE LA LETTRE À X. d'âLEMBEKT.

lo3

. LETTRE A xM. VERXES.

Monlnorency , le 31 octobr* 175S.

Js reçois & Tinstaiit, mon ami, rotre deroière lettre, san^ date, dans laqueUe tous m*en annoncez une autre sous le plî de M. de Chenonceaux , que je n'ai point reçue : c'est une né- ^ligeoce de ses commis, j en suis sûr ; car il vint me voir il v a pea de joan, et ne m'en parla point. Quoi qu'il en soit, ne ■ons esposons pins an même inconvénient ; écrivez-moi direc- tcncat, et n'anranchissez plus vos lettres, car je ne suis pas à portée id d'en faire de même. Quoique ce paquet soit asses gm po«r en valoir la peine , je ne crois pas que mon ami I v^gfctte Tai^eat ou'il Ini coûtera , et je ne lui ai pas donne le droit, qne je sacne, de penser moins favorablement de moi. Son-CB amsi plus exact aux dates, que tous êtes sujet à oublier. L'ccrît à M. d'Alembert paraît en effet k Paris depuis le 2 dt ce mois; je ne l'ai appris que le 7. Le lundi 8 , je reçus le petit nombre d'exemplaires que mon libraire avait joints pour moi m cet envoi ; je les ai fait distribuer le même ]our et les

<; en sorte que le débit de cet ouvrage ayant été assez rapide, tons ceux à qui j'en ai envoyé l'avaiont déjà : et voilà «■ des désagréraens auxquels m'assujettit l'inconcevable né- clîgenœ de ce libraire. Pour que vous jugiez s'il y a de ma nnte dans les retards de TeAVoi pour Genève , je vous envoie née de ses lettres à demi déchirée, et que j'ai heureusement retrouvée. Si vous avez des relations eu Hollande, vous m'obli- wen% de vous eu faire informer à lui-même. Selon son compte , j'espère enfin que vous aurez reçu et distribué ceux qui vous sont adressés. Je vous dirai sur celui de M. Labat que nous ne Boos sommes jamais écrit , et que nous ne sommes par consé- quent en aucune espèce de relation; cependant je serais bien aise de lui donner ce léger témoignage que je n'ai point oublié ses honnêtetés. Mais , mon cher Vernes , Roustan est moins en état d'en acheter un, je voudrais bien aussi lui donner cette petite marque de souvenir; et dans la balance entre le riche et le pauvre je penche toujours pour le dernier. Je vous laisse le maître du choix. A l'égard de l'autre exemplaire , il faut, s'il TOUS plaît , le faire agréer à M. Soubeyran, avec lequel j'ai de grands torts de négligence, et uon pas d'oubli; tâchez, je vous prie, de l'engager à les oublier.

Je n'iguorais pas que Tarlicle Genève était en partie de M. de Voltaire : quoique j aie eu la discrétion de n'en rien dire , il TOUS sera aisé de voir , par la lecture de l'ouvrage , que je savais,.

LETTRE A M. VERNES.

en l'tcrivant , à quoi m'en lenir. Mais je trouverais bigarre nne M. de Voltaire crûl , pour cela , que je manquerais de lui rendre un hommage que je lui offre de trcs-bon cœur. Au fond , si quelqu'un devait se tenir offensé, ce serait Wî. d'AIrmbert ; car, après tout , il est au moins le pcre putatif de l'arlicle. Vous verrez , dans sa lettre ci-jointe , comment il a reçu la déclara- tion que je lui fis, daBS letenips, de ma resolution. Que maudit &oil tout respect humain qui offense la droiture et la vérité ! J'es- père avoir secoué pour jamais cet indigne joug.

Je n'ai rien avons dire sur la réimpression de V Economie po^ litiaue, parce que je n'ai pas reçu la lettre oii vous m'en parles ; mais je vous avoue que , sur l'offre de M. du Viltard , ]'ai cru que l'auteur pouvait lui en demander deux exemplaires , et s'at- tendre à les recevoir. S'il ne lient qu'à les payer, je vous prie lïen prendre le soin, et je vous ferai rembourser celte avance avec celles que vous aurez pu faire an sujet de mon dernier écrit, et dont je vous prie de m'ciivoyer ta note.

Je n'ai point lu le livre de VKsprit) mais j'en aime et eftime l'auleur. Cependant j'entends de terribles cnoses de Touvraee , que je vous prie de Tcxaminer avec bien du soin avant d*ea ha— ^a^de^ un jugement ou un extrait dans votre recueil.

Adieu, mon cher Verues : je vous aime trop pour répondre h vos amitiés ^ ce langage doit être proscrit entre amis.

KEPONSE

A UNE LETTRE DE M, LE ROY.

Montmorency, le 4 ngvembre x-jhH*

Je vous remercie, monsieur, de ta bonté que vous av«s de m'avertir de ma bévue au sujet du théâtre de Sparte , et de riionnèleté avec laquelle vous voulez bien me donner cet avis. Je suis si sensible à ce procédé, que je vous demande la permis- sion de faire usage de votre lettre dans une autre édition de la mienne. Il s'en faut peu que je ne me félicite d'une erreur qui m'attire de voire part cette marque d'eslime , et je me sens moins honteux de ma faute que fier de votre correction.

A'oilà , monsieur , ce que c'est que de se fier aux auteurs célè- bres. Ce n'est guère impunément que je les consulte 5 et , de manière ou d'autre , ils manquent rarement de me punir de ma confiance. Le savant Cragius , si versé dans rantiquité , avait dit la chose avant moi, et Plutarque lui-même anirme que les Lacédémonieus n'allaient point à la comédî» peur d'entendre des choses contre les lois, soit sérieusement soit par jeu. Il est vrai que le même Plutarque dit ai contraire ; et il lui arrive si souvent de se contredire ,

le amrme J lédie , de iisement , W ailleurs le , qu'on ne

LETTRE A M. ROY. io5

«terraît jamaîa rien avancer d'après lui sans l'avoir lu tout entier. Quoi qu'il en soit , je ne puis ni ne veux récuser votre témoigna^ ; et quand ces auteurs ne seraient pas démentis par les- restes du théâtre de Sparte encore existans , ils le seraient par Pausanias , Enstatfae , Suidas , Athénée , et d'autres andens. il parait seulement que ce théâtre était plutôt consacré k des jeax , des danses , des prix de musique , qu'à des représentations régulières, et que les pièces qu'on y jouait quelquefois étaient moins de véritables drames que des farces grossières , conve- nables à la simplicité des spectateurs ; ce qui n'empêchait pas qae Sosybius Lacon n'eût fait un traité de ces sortes de parades. C'est la Gnilletiëre qui m'apprend tout cela ; car je n'ai point de livres pour le vérifier. Ainsi rien ne manque à ma faute , en cette occasion , que la vanité de la méconnaître.

Aa reste , loin de souhaiter que cette faute reste cachée k mes lecteurs, je serai fort aise qu'on la publie , et qu'ils en soient ins- traits ; ce sera toujours une erreur de moins. D'ailleurs, comme elle ne fait tort qu'à moi seul , et que mon sentiment n'en est pas moins bien établi , j'espère qu elle pourra servir d'amuse- ment aax critiques : j'aime mieux qu'ils triomphent de mon ignorance que de mes maximes } et je serai toujours très-content que les ventés utiles que j'ai soutenues soient épargnées à mes dépens.

Recevez, monsieur, les assurances de ma reconnaissance , de mon estime et de mon respect.

REPONSE

^ wie lettre anonîme dont le contenu se trouve en caractère italique dan* cette réponse.

Je suis sensible aux attentions dont m'honorent ces messieurs- qne je ne connais point ; mais il faut que je réponde à ma ma- nière? car je n*en ai qu'une.

I}es gens de loi , qui estiment , etc, M. Rousseau , ont été sur" pris et affligés de son opinion , dans sa lettre à 7W. d'Alembert y sur le trtbtmal des maréchaux de France,

J'ai cru dire des vérités utiles. Il est triste que de telles vérités surprennent , plus triste qu'elles affligent , et bien plus triste en- core qu'elles affligent des gens de loi.

Un citoyen aussi éclairé que Af. Rousseau,»,

Je ne suis point un citoyen éclairé , mais seulement un citoyen lélé.

N^ignorepas qu'on ne peut justement détfoiler aux yeux de la nation les Jautes de la législation.

Je l'ignorais , je l'apprends. Mais qu'on me permette à mon tour une petite question. Bodîn , Loisel , Fénélon , Boulainvil-

to6 REPONSE

liers, l'abbé de Saint-Pîerre , le prcsident de Montesquieu , le juanjuis de Mirabeau , Tabbé de Mably , tous bons Français et gens éclaires, ont-ils ignore qu'on ne peut juslenjcnt dévoiler aux yeux de la nation les fautes de la législation? Ou a tort d'cxi- uer qu'un étranger soîL plu& savant qu'eux sur ce qui est juste ou injuste dans leur pays-

On nepeuijusiemetU iléi/oiUr aux yeux eU la nation tes fouies la légiàlaiion.

Celle maxime peut aroir une application particulière et cir- rouscrite selon les lieux et les personnes. Voici la première fois , peut-cire , que la justice est opposée à la vérité.

On ne peiU JHtterneni dévoiler aux yeux.aU la nation leê faute» ile la lé^hUuion*

Si quelqu'uu de nos citoyens m'osait tenir un pareil discours ù Genève, je le pQunuivrais criminellement, comme traître à la patrie.

On peutfuetement détfoiier aux yéUM da la nation Us fautes iU la législation.

Il y a dans Tapplication de cette maxime quelque chose que je n*cntends point. J. J. Rousseau » citoyen de Genève , imprime un livre en Hollande , et voilà qu'on lui dit en France qu on ne

i>eut justement dévoiler aux yeux de la nation les fautes de Ja égislation! ceci me paraît bizarre. Messieurs, je n'ai point rhon- neur d'être votre compatriote ; ce n'est pomt pour vous qne j'écris; je n'imprime point dans votre pays; je ne me soucie point que mon livre y vienne ; si vous me lisez , ce n'est pas ma faute.

On ne peut juatement dévoiler aux yeux de la nation lee faute» de la législation.

Quoi donc ! sitôt qu'on aura fait une mauvaise inslilution dans quelque coin du monde , a l'instant il faudra que tout l'uni- vers la respecte en silence ? il ne sera plus permis à personne de dire aux autres peuples qu'ils feraient mal Je l'imiter ? Voilà de* prétentions assez nouyelleft , et uo fort singulier droit de* geni.

Lee philosophes sont faits pour éclairer le ministère , le dé- tromper de ses erreurs , et respecter ses fautes.

Je ne sai« pourquoi sont faits les philosophes , ni ne me soucie de le savoir.

Pour éclairer le ministère..».

J'ignore si Ton peut éclairer le ministère.

Zie détromper de ses erreurs,,. .

J'ignore si l'on peut détromper le ministère de ses erreurs.

JSt respecter ses fautee.,..

J'ignore si Ton peut respecter les fautes du ministère.

Je ne sais rien de ce qui regarde le mini.stèrc , parce que ce mot n'est pas connu dans mon pays , et qu'il peut avoir des sens que je n'entends pas.

Da plitê , Rousseau nt nous parait pas raisonner en poli- tique^ .-

m

A UNE LETTRE ANONIME. 107

Cemot soflne trop haut pour moi. Je tâclie de raisonner eu citoyen de Genève. Voilà lout.

I^Cfrtqu*il adtnét danj un état une autorité supérieure à l'aulo^ jiîé souveraine., . .

J'en admets troîsseulement. Premièrement, l'autorité de Dion; et puis celle de la loi naturelle, (jui dérive de la conslitulion de rhomme ; et puis celle de Thonneur , plus fortesur un cœur hon- nête que tous les rois de la terre.

Ou du moins indépendante d'elle.

Non pas seulemeut indépendantes, mais supérieures. Si jamais Vanlonté souveraine (1) pouvait être en conflit avec une des trois précédentes , il faudrait que la première cédât en cela* Le blas- pbrâiateur Uobbes est en horreur pour avoir soutenu le con- traire.

Il ne se rappelait pas dans ce moment sentiment de Grc

Je ne saurais me rappeler ce que je n'ai jamais su ; et proba- blement je ne saurai jamais ce que je ne me soucie point d'ap- prendre.

jidopté par les encyclopédistes

Le sentiment d'aucun des encyclopédistes n'est une règle pour ses collècues. L'autorité commune est celle de la raison : je n'ea reconnais point d'autre.

Z»es encyclopédistes ses confrères..*.

Le* amis de la vérité sont tous mes confrères.

Le temps nous empêche d*exposer pluaieitra autres objec» tions

Le devoir m'empêcherait peut-être de les résoudre. Je sais Tobéissance et le respect que je dois , dans mes actions et dans me* discours , aux lois et aux maximes du pavs dans lequel j'ai Ir bonheur de vivrc^ mais il nes'ensuit pas Je que je ne doive re aux Genevois que ce qui convient aux Parisiens.

Qui exigeraient une conversation

J* o*en dirai pas plus en conversation que par écrit, il n'y a que Dieu et le conseil de Genève à qui je doive compte de mes maximes.

Qui prit*er€ut Af, Rousseau cTun temps précieux pour lui et pomr le public.

Mon temps est inutile au public , et n'est plus d'un grand prix pour moi-même : mais j'en ai besoin pour gagner mon pain y c'est pour cela que je cherche la solitude.

A Montmorency, le iSoclobro 1758.

(i) KoiM ponrrion» bien ne nous entendre lea mis les autres sur le- •nu 90c DODB dooDons à ce mot ^ et comme il nVsl pa> bon que uoos nous tsUaîUnu mieux , nous ferons bien de n'en pas disputer.

r^

DE

L'IMITATION THÉÂTRALE, ESSAI

TIRÉ DES DIALOGUES DE PLATON.

AVERTISSEMENT.

Ce petit écrit n'est qu'une espèce d'extrait de divers en- droits où Platon traite de Tlmitation théâtrale. Je n'y ai guère d'autre part que de les avoir rassemblés et liés dans la forme d'un discours suivi , au lieu de celle du dialogue qu'ils ont dans l'original. L'occasion de ce travail fut la Lettre à M. d'Âlembert sur les Spectacles ; mais n'ayant pu commodément l'y faire entrer , )e le mis à part pour être employé ailleurs, ou tout- à-fait supprimé. Depuis lors, cet écrit , étant sorti de mes mains , se trouva compris, je ne sais comment , dans un marché qui ne me regardait pas. Le manuscrit m'est revenu : mais le libraire Ta réclamé comme, acquis par lui de bonne foi , et je n^en veux pas dédire celui qui le lui a cédé. Voilà comment cette bagateilok passe aujourahui à l'impression.

à

DE

L'IMITATION THEATRALE.

I.1.& i<f M>nge à rétablissement de notre répul>li<{ue imaginaire, il me semble que noua Ini avonx prescrit des loi<( tit)lc*t et filles à la nature de Thonime. Je trouve, surtout , cju'il ait de donner , comme nous avons fait , des bornes h la ' des poêles , et de leur interdire toutes le< parties do leur i »c rapportent â riiuitation. Nous reprendrons ni^mo , voulez. , ce sujet , à présent que les choses plus impor- sonl rxftmincesj et , dnns l'espoir que vous ne me dcnnn- cmrt p«S à ces dangereuT ennemis , je vous orourrai que je rtlc tous les auteurs dramatiques comme les corniptrurs an pic , ou de quiconque , se laissant amuser par Irurs images , est pas capable de les consuU*rer snus leur vrai point de vue , de donner h ces fables lecorrcrlif dont elles ont besoin. Quel— oe respect que j'aie pour Homère , leur modèle et leur pre- maitre , ]e ne crois pas lui devoir plus qu'à la vérité ; et conimencer pur m'assurcr d'elle , je vais d'abord recher- que c'est qu'imitation. Sar imiter une cbose , il faut en avoir Tidce. Cette idée est raile, absolue, unique, et indépendante du nombre d'exern- de cette clio^euui peuvent exister dans la nature, ("ette i\ toujours antérieure à son exécution : car l'arrhitrcte qiii lit un palais a l'idée d'un palais avant que de conim<*ncer ûrn. Il n'eu fabrique pas le modèle, il le suit ^ et C4* modèle tst d'a%*ance dans son esprit.

Borné par son art à ce seul objet , cet artiste ne sait faire que MO pal^ii^ ou d'autres palais semblables; mais îl y eu a de bien \ai universels, qui font tout co que peut exécuter au monde dque ouvrier que ce soit , tout ce que produit la nature , tout peuvent faire de visible au ciel , sur la terre , aux enfers , ►ux mêmes. Vous comprenez bien que ces artistes si mer- ix»ont des peintre» ; et m^me le plus ignorant des hommes it faire autant avec un miroir. Vous me direr. que le peintre paAces clio^e.^ , mais leurs images: autant eu fait l'ouvrier îabrtque récUemeut, puisc^u'il copie un uiodèle quîeii*- ■vant elles. Je roula trois palais bien distincts: premièrement , le modèle 9u Tidé^ originale qui existe dans l'entendemeiit de rarchilecte , dffMï Kf nntnre , ou tout au moins dans son auteur , avec tuute^ '•Icfidontil est la source 5 en second lieu, le pnlai« f, qui est l'image de ce modèle; et , eufiu , le pA-

j

1 12

DE L'IMITATION

lais du peintre, qui est Tiuiage de celui de Tarchitecte. Ainsi , Dieu , Parchilecte y et le peintre, sont les auleur;» de ces Iro'iA jialais. Le premier palais est l'idée originale , existante pareUe— luênie^ le second en est l'image ^ le troisième est l'image de rimage , ou ce que nous appelons proprement imitalion. D'où îl suit que Tiiuitation ne tient pas , comme on croit , le second rang, mais le troisième dans l'ordre des êtres, et que, nulle image n'étant exacte et parfaite , l'imitalioD est toujours d'un degré plus loin de la venté qu*on ne pense.

L'arcliîtecte peut faire plusieurs palais sur le mt*me modèle ,

['le pemtrc plusieurs tableaux du mcuic palais; mais , quant au t^'pe ou inodclc original, il est unique; car, si Ton supposait au il y en et!it deux seuiblaLIes , ils ue seraient plus originaux ; ils auraient un modèle original commun à l'un et à l'autre , et c'est celui-là seul qui serait le vrai. Tout ce que je dis ici de la

'peinture est applicable à rimitatinn théâtrale : mais , avant d'en venir , exammons plus en détail les imitations du peintre.

Tvon-seulemeui il n^irnîte dans ses tableaux que les images des choses; savoir, les productiuiis sensibles de la nature, et les ou- irragcs des artistes : il ne cherche pas même à rendre exactement

^Ja vérité de l'objet, mais l'apparence; il le peint tel qu'il parait

^Stre, et uon pas tel qu'il est. Il le peiut sous un seul point de

[rue ; et choisissant ce point de vue à sa volonté, il rena, selon lu'il lui convient, le même objet agréable ou diObruie aux veux les spectateurs. Ainsi jamais il ue dépeud d'eux de juger de la

xUose imitée en elle-même; mais ils sont forcés d'en juger sur une certaine apparence, et comme il plaît à J'imilalcur : souvent

[inême ils n'eu jugent que par habitude, el il entre de l'arbi-

rtraire jusques dans riinitalion (ij.

(i) L*expcrienrc nous appretid qae la belle harmonie ne flatlo poînl lin? oreille non prévenue ^ qu'il n'y a que la seule habiludu qui now ri'iitle a}^i'éubli:& les cousonnaucvs, et uous les fuse dtalinguer des iuti*r« vatlt'h les ptns diAcordans. Quant à la simplicité des rapporta stir laquelle ou a voulu fuudcr le plaiitir de riiarcDoaic,i'ai fait voir dans rEocyclo— pcdic, au mol cotuonnance , que ce principe est iusoulenablej cl je crois ^cile à prouver que toute notre harmonie est une invention barbare «l gothique qui n'est devenue que par trait de tt>mp9 un arL d'imitation. Va inagisIrQt «tudiftix qui , dans ses iiiouicns de loisir, au lieu d'aller entcu— tlie de la musi4)vic , s'amuse à en approfondir les syKlènics, a trouvé que rnpporl do la quinte n'est de deux à trois que par a|i|M-oxiroDlion , et qu« ce rapportes) rigourcuscmenl incommensurable. î'cr&oune au moins na saur.iil uii?r qu'il ne soit tel sur nos clavecins en vertu du tempérament j ce qui n'empcrliti pa.% ces quinte» ainsi tempérées de nous parallrv agréables. Or eut en pareil cas la simplicité du rapport qui devrait noua ]f s rendre telles? Nous ne aavona point encore ai notre ivyjitème de musique nVst pas fonde sur de puresconvcnlious jnona ne savons point si lespriu- ci|H» n'eu hont paa loul'à-fait arbitraircsj et si tout autre système Kubilî- tur à celui-là ne parviendrait pas par l'habitude à nous pUîre égnlemenl^ C'est une questiuu discutée ailleurs, l'ar une nnalogie nssc£ naturelle, r«s r>nt;xinri» punrrnicnt eu exciter d'autres uu sujet do la pointure sur le Ion d'un tableau, sur l'accord des couleur» | aur ccrlaiuca parties du dnsin

THIÎATIIALÉ

ii3

Uàri de ^présenter les objets est fort différent de celui de les *' ' Il rjiicr plaît saii:» iii&truire ; Ip srcoiid iii>- to qui lève un plan et prend des tlimeu* lait rti'ii de fort aç;rt*al)le ii la vue; aussi sou I recherché *|uc par les ^ens de l'art. Mai» relui tivc flaKele peuple et les ignoraiis, parre coiinaitre, et leur oftVe seulement Tappa- MiHÏ^aient dèj.V Ajoutée que la mesure, nous letit une dimension et puis Tautre , nous tomentdelavérilé de* choses; au lieu que Tajiparence t- U' tout à la fois, et, sous Topinion d'une plu5 grande

.:-5prit, flatte le sens en séduisant raniour-propre. , . ^"senlations du peintre, dépourvues de toute réalité, vc produi^nt intime cette apparence qu'à l'aide de quelques vaines nmbres et de quelques légers simulacres qu'il fuit prendre peor Is chose même. S*il y avait quelque mclange de vérité dans te% imitations, il faudrait qu'il connût les objets qu'il imite; il aeraïf natarati^tef om-rier, phywcien, avant d'être peintre. Mais, au contraire, retendue de son art n'est fondée que sur son igno- rance; et il ne peint tout que parce qu'il n'a besoin de rien t<' {)u:n\d il nous offre un philosophe en méditation ,

bfi me observant les astres, un géomètre traçant des

figures, un tourneur dans son atelier, sait-il pour cela tourner, nInïJer, méditer, observer les autres? Point du tout; il ne sait q' I '-. Hors d'état de rendre raison d'aucune des choses

■I ^ iDSSon tableau, ilnous abuse doublement par ses iiui-

I-:' I en nous ofiVant une apparence vague et trompeuse,

I ni nous ne saurirms distinguer l'erreur , soit en cm— lofanl d<s mesures faussespourproduire cette apparence, cVst- ^',rr i-,i ilirrsnt toutes les véntables dimensions selon les lois i^ctivc : de sorte que , si le sens du spectateur ne prend >«,ii^e et se borne k voir le tableau tel qu'il est, il se trom- pera %nr lou4 les rapports des choses qu'on lui présente, ou le» troBTcra tous faux. <îependant l'illuâion sera telle, que les amples et les enfans s'y méprendront , qu'ils croiront voir des

«à d entre peut être plus il'arbilraire qu'on ne pente, et cm l'imiiutiuit

mriyi' \'>-'i\ ivoir de* règl« de coinrenliou. Pourquoi le» peiiiti'e>> ii'oscut-

iU 'Ire dcH ifnitklions nouvelles, qui n'ont contre elle» que leur

%•• rt p»riii>5ent d'ailteurft lout-À-fntt du reHorl del'arl? Far

exrui^L, c >kl un jeu pour eux de rkireparnllreen relief u ne «urtacc ptuue:

yotnr'^ant <Umc nul d'entre eux nVl-il Irnlê de dunoer l'ap^areuce d'uua

••I M- Â an relief? il'il)> font qu'un pUfund parais» une \uùle,

|r-. iV^nl-ili pas qu'une voùtu par^tisee un pUfuud? 1a>s umbie* ,

d> .fuJ. it'apitaieuci: ù t\t\vti point» de vue; ce qui n'arrive

l^ sMiiitcù» pUiie*. l^vuiiA celte dinicuUé, cl pi îuii» un

et coloritr uno slaine de miiniùic qu'elle pBiaîsse plate.

tr couleur, baiis hucuu dcàsiu , dtiiu un teul jour el toufi

... vue. Ces nouvelles conAidérAliou ue seraieul peul-èlie

»r«(re «Xftmiiices \Ai Tiiinateuf «^cUiréqui » li bicuphitoau-

5. b

•lO'

u4 DE L'IMITATION

obJGlsque le pt-iatre iui-m<>ine ne coiiuaîl pas, et des ouvriers

Tart lieMjueU it n'euteud rien.

ApprcDuus par cclexemple à nou& ilefîer de ces gcitô universels, habiles dans tous Wi arU , verses dans toute» les sciences, tjut savent tout, qui raisonnent de tout, et »eiublenl réuuir à eux seuls les tatcus de tous les morlels. .Si quelqu'un nous dit con- naître un de ces liomme* nierveilleuit» aMuron.— le, sans hésiter, 3u*ilest la dupe des prebli^esd'un charlatan , et que tout te savoii e ce grand ]iltilosopbc n*esl rondo i^ue Aur l'ignaranc^ de »fîs ad- juirateurs, qui ne savent point disliiigucr Terreur d'avec la vt* rite, ni l'imitalioo d'avec la chose iuiitêe.

Ceci nous mène à Tf^vanien des auteurs trAf^i(|ues , et d'Homcri leur chef (i) : car plusieurs assurent qu'il faut qu'un poète tra- gique sache tout; quM connaisse ù fond les vertus et les vices, lu politique et la luornle, les lois divines et humaines , et qu'il doil avoir la science de tontes les choses qu'il traite, ou qu'il ue fcrji jamais rien de bou. Cherchons donc si ceux qui relèvent la poéeii â ce point de sublimité ne s'en laissent point imposer aussi par l'art iiuitateur des poêles; si leur admiration pour ces immortels ouvrages ne les empêche point de voir comhien ils sont loin di vrai, de sentir que ce sont des couleurs sans consistance , de vains fantômes, des ombres; et que, pour tracer dépareille* images, il n'y a rien de moins nécessaire que la connais!^ance di la vérité : ou bien s'il y a dans tout cela quelque utilité réelle, e si les poètes savent en cH'et cette uiultitude de choses dont le vul' gaire trouve qu'ils parlent si bien.

Dites-moi , mes amis : si quoiqu'un pouvait avoir à son choja le portrait de !>a maîtresse ou rori^inal. lequel pensertez->voa qu'il choisit? si quelque artiste pouvait faire également la chos9 imitée ou sou simulacre, donnerait-il la préférence au dernier, eu objets de quelque prix, et se conlenlerait-il d'une maison en peinture quand il pourrait s'en faire une en eHet? Si donc l'au- teur tragique savait réelLcmcnt les choses qu'il prétend peindre» qu'il eût les qualités qu'il décrit , qu'il sût faire lui-même tout ce qu'il faitfaire à ses personnages, nViercerail-il pas leurs taleos? ne pratiquerait-il pas leurs vertus ? n'élèverai t-il |)as des tuunu» racns à sa gloire plutôt qu'à la leur? cl n'airaerail-il pas mieux faire lui-même des actions louables, que se borner à louer celle* d'autrui?Certaine|uent le mérite en serait tout autre:e( il n'y» pas de. raison pourquoi , pouvant Icplus, il se bornerait an moins. Mais que penser de celui qui nou^ veut «nKÎgner ce qu'il n'a pas pu apprendre? Et qui up rirnil de voir une troupe imbr- admirer tous les ressorts de la politique et du cœur hun en jeu par un étourdi de vinj;t ans, n qui le moins îcusé de l'as- semblée ne voudrait pas confier la moindre de ses aflaires?

(i) CVlaillc ftptilinirnl t-nnimun des aiicims , qnt* loim leurs autcar* Trvgiqneu nVlairni qoe Ict copsl» et îtnikitrur» d'nocnt'n*. Quelc|u*«r (li«ail lira irigéi1)«« d'fc^urtpiJfi CW aont lês nUes des feattiu d'Homir^^ qu'un conrtve e/tiporte chtt lui*

M

AA

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THEATRALK.

li5

LaûsODS ce oui regarde les talen$ et les arts. Quand Homère pArJe û bien au savoir de Machaon, ne lui demandons point comple du sien sur la luême matière. Ne nous informons point d^ maUdes qu'il a guéris , des élèves qu'il a faits en médecine , lie» chefe-dVuvre de gravure et d'orfèvrerie qu'il a finis, des ou- TJrien qu'ii a formés, des nionuineos de son industrie. SoufiTrons qn*iJ nous enseigne tout ccUt sans savoir s'il en est instruit. Mus quand il nous entrelient de la guerre, du gouvernement, des loés, des sciences (|ui demandent la plus longue étude et qui im- portent le plus au bonheur des hommes, osons Tinlerrompre uu ^Dmcot , et Tmterroger ainsi : O divin Homère! nous admirons TBtl^ons, et nous n'attendon!) pour tes suivre que de voir com- tii > les pratiquez vous-même ; si vous ^tes réellement ce

^.. •usetforccz de paraître; si vos imitations n'ont pas le

troisiinnc rang « mais le second après la vérité , voyons en vous le nodirle que vous nous peignez dans vos ouvrages; montrex-nous it capitaine, le législateur , et le sage, doat vous nousolfrez si bardiiofot le portrait. La Grèce et le monde entier célèbrent les birafail» dei grands hommes qui possédèrent ces arts sublimes docit Ift préceptes vous coûtent si peu. Lvcurguc donna des lois '*$Mrtr» Cbarondas k la Sicile et â Tltairc , Minos aux Cretois, Solon a nous. S'agit-il des devoirs de la vie , du sage gouverne- t de la maison , de la conduite d'un citoyen dans tous les ciUti?Tbatës deMilet et le Scythe Anacbarsis donnèrent 6 la fois Tcxempleet les préceptes. Faut-il apprendreâd'autrescesmêmes devoirs, et instituer des philosophes et des sages qui pratiquent oi f|u*on leur a enseigné? ainsi fit Zoroaslre aux mages, Pytha- nr» à sr* disciples, Lycurgue à ses concitoyens. Mais vous, Moiieret **^' ^^^ vrai que vous ayez excellé en tant do parties; s'il est vrai que^vous puissiez instruire les hommes et les rendre ftciUeurs ; s il est vrai qu'à l'imitation vous ayee joint l'inlelli- (esce , et le savoir au\ discours ; voyons les travaux qui prou— ▼f«t irotrc habileté, les états que vous ayez institués, les vertus <jai TOUS honorent, les disciples que vous avez faits, les batailles que TO«s avez gagnées , les richesses que vous avez acquises. Que ne roui ètes-%~ous concilié des foules d amis? que ne vous etes-vous fait ainaer et honorer de tout le monde? Comment se peut-il m«roiB n'ayez attiré près de vous que le seul Cléophile? encore aeis fhes-Tous qu'un mgrat. Quoi? un Protagore d'Abdère, un Prodicuft dcChio, sans sortir d'une vie simpleet privée, ont attroupe Imrs contemporains autour d'eux , leur ont persuadé è'Mpptinérr d'eux seuls l'art de gouverner son pays, sa famille H ioi'-^îiéxae 'j et ces hommes si merveilleux, un Hésiode, un Bbu&ère» qui «avaient tout, qui pouvaient tout apprendre aut K'-'"*— ^" !"iir temps, en ont été négligés au point d'aller er- t partout l'univers , et chantant leurs vers de viUc iji^c de vils baladins! Dans ces siècles grossieri , oii le ,-'. '■(- l'ignorance commençait à se faire sentir, le besoin ^ I aridité de savoir concouraient à rendre utile et respectable

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I

I

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ii6 DE L'IMITATION

tout homme \\n peu plus instruit que les autres, si ceuv-ci sent été aussi savaiis qu'ils seDiblaient l'être, s'ils avaient eu toutes les qualités qu'ib faisaient briller avec tant de pompe , ils eusseut passe pour des pnxliges; ils auraient elë recuercnês de tous^ chacun se serait enipresïsê pour les avoir, les posséder, les retenir chez soi ; et ceux qui n'auraient pu les fixer avec eux les auraient plutôt suivis par toute la terre que de perdre une oc- casion si rare de s'instruire et de devenir des héros pareils à ceux qu'on leur faisait admirer (i).

Couvenons donc que tous les poètes, à commencer par Ho- mère, uous représentent dans leurs tableaux, non le modèle des vertus, des talens , des qualités de l'aine, ni les antres objets de l'entendeinent et des seub qu'ils n*ont pas en eux-mêmes, mais les images de tous ce» objets tirées d'objets étrangers; et qu'ils ne sont pas plus près en cela de la vérité quand ils nous offrent le» traits d'un héros ou d'un capitaine, qu'un peintre qui, nous peignant un eéoraètre ou un ouvrier , ne regarde point à Tari, oti il nVnlend rien , mais seulement airx -couleurs et â la figure Ainsi fout illusion les noms et les ]uots à ceux qui, sensibles au rii^ihme et à rbarraonie , se laissent charmer à l'art enchanteur du poète , et se livrent à la séduction par l'attrait du plaisir; en sorte qu'ils prennent les images d'objets qui ne sont counus ni* d'eux ni des auteurs pour les objets mêmes, et craignent d'être, détrompes d'une erreur qui les ilntte, soit en donnant le chang*"^ â leur ignorance, soit par les sensations agréables dont cette éi reur est accompagnée.

En effet, ôtez au plus brillnnt de ces tableaux le charme d* verset les omemens étrangers qui l'embellissent; dépouillez-l* du coloris de la poésie ou du style, et n'y laissez que le dessin ^ ^•ous aurez peine à le reconnaître : ou , s'il est reconnaissable, iH ne plaira plusj semblable ù ces enfans plutôt jolis qne beaux' J qui, parcs de leur seule Heur de jeunesse, perdent avec elle louif leur* grâces , sans avoir rien perdu de leurs traits.

Non-seulement l'imitateur ou l'auteur du simulacre ne conntK que l'apparence de la chose imitée, mais la véritable inlellig^en< de cette chose n'appartient pas même â celui qui Va faite. Je toi dans ce tableau des chevaux attelés au char d'Hector j ces ch< \-aux ont des hamois , des mors , des rênes j Torfevrc, le forgeron le sellier, ont fait ces diverses choses, le peintre les a représentées] mais ni l'ouvrier qui les fait, ni le peintre qoi les dessine, TM savent ce qu'elles doivent être : c'est a l'écuyer ou au coodac-

(]) Platon ne vent pus dire qu'an homme entendu pour seftintcréia* versé tlaus les affaires lucrali l'es jic puisse, pu trafiquant île U poésie, auj it'aulres moyens, parvenii à une grande fuilunc. Mais il ect fort dUIévei île ft'cnricliir il s'rlIu^t|«•r par U* inèlii-i de poelc, un de »*ei)ri*;liir el b'illustrer psr'lcs talens que le poêle prétend enseigner. 11 est vrai qu\ pouvait alléguer i Plilou l'exemple drTyrlff j maii» il se frti tir^ d'uHali avec une dislincliou en le con^idérnn! plutôt comme ointeur que cotol porte. ,. b,..^..^#* ...•*.. ..^^ •w.p-

k

THÉÂTRALE.

IT^

teor qui s'en sert 4 det(*rminnr leur forme sur leur HMgf; c'est à itâ mut de jiig:rr si elle* sont bien nu mal , et dVn torriçer les éiftntt Aiusi, daii.v loul instrument pns«itile. il y a trois objet» <î- "-à considérer; savoir , l'usage, la fabrique , et l'imi-

li deux dernier* Arts dépendent inanire»temcn( du pre-

mier» €t li n'y a rieti d'imitable dans la oature k quoi Ton ne MUtste appliquer les mêmes distinrtionv*t.

. Sirutiltte,la bontr, la beauté d'un instrumctil , d'un animal, foDA artioD , se rapportent à l'usage qu'on en tire; s'il n'appnr- Ùent qu'à celui qui les ract en rruvrc d'en donner le modèle et de lugm* si ce modèle rst fidëleinont exécute : loin que l'imita- toariait en étnt de prononcer xur les qualités des oliosef; qu'il mile, cette dcctsion n'appartient pas même à celui qui les a biCCS- L'imitateur suit l'ouvrier dont il copie l'ouvrage , Tou- nicrMtit l'aTtiatc qui sait s'en servir , et ce dernier seul apprécie

âalenuïut la chose et son imitation ; ce qui confirme que les ta^ eanz du poète et du peintre n'occupent que ta troisième place aprè* le premier modèle ou la vérité.

Maule pocle , qui n'a pour juzp qu'un peuple ignorant auquel ilcftiercbea plaire^ comment ne défigurera- t-if p.i!;,pour le flatter, I*"- ijii'il lui présente? Il imitera ce qui paraît beau :i la

II.' ^ns se soucier »'il Test en effet. S'il peint la valeur,

ai. Vcbillc pour juge ? S'il peint la ruse, lHyssele repren-

J ' >ut au contraire, Achille et Ulysse seront wsperson-

c. if*rïite et Dolon ses spectateurs.

« objecterez que le philn!»oplie ne sait pas non pluslui-^

taètoit louA les arts dont il parle , et qu'il étend souvent ses idées aiudi loin que le poète étend ses images. J'en conviens : maïs le Jil. ne se donne pas pour savoir la vérité , il la cherehe;

li ;..w :. , il discute, il étend nos vues, il nous instruit même

ta. trompant ; il propose ses doutes pour des doutes , ses con- j«r*"'-'^ "^MT de» conjectures, et n'affirme que ce qu'il sait. I_.e I*! qui raisonne soumet ses raisons à notre jugement ; le

^^firii- 't I imitateur se fait jogeluî-m^me. Kn nous offrant ses tma' ^^Hl il 1rs aiRrme conformes à la vérité : il e«t donc obligé de U ^^ftii 1 soo art a quelque réalité; en peignant tout il se donne

^^pt ;ivoir. Lepoëtir est le pemlre qui fait l'image ; le plii-

«••c(|3lic cil rarcliilrcte qui lève le plan : l'un ne daigne pas n»ême approcher de Tobjet pour le peindre ; l'autre mesure avant d'

peur de oousabuser par de fausses analogies , tâchons 4e ><nt plus Oistiiicteraent à quelle partie , à quelle faculté de noire «me se rapj>ortent les imitations du poète , et considérons À'êhwd d'où vient l'illusion de celles du peintre. Les mêmes eorpt YU6 k diverses distances ne paraissent pas de même gran- deur , ni leurs figures également sensibles , ni leurs couleurs de It loto^ vivacité. Vus dans l'eau , ils changent d'apparence , ce ^fR était droit parait brisé; l'objet parait llotler avec l'onde, A triTcri lin verre sphériquc ou creux, tous Les rapporU des Irait»

Ti6 DE L'IMITATION

sont cbaage5 ; à l'aide du clair et des ombres, une snrface plane se relève nu se creu<tc au gré du peintre ; aon pinceau grave des traits aussi profonds que le ciseau du sculpteur ; et , déns les re- liefs <]u'il sait tracer sur la toile, le toucher, démenti par la rue, laisse à douter auquel des deux oh doit se fier. Toutes ces erreurs sont évidemment dans les jugemens précipités de Tesprit. C*e»t celle faiblesse de Tentendement liumain , toujours pressé de JQ^[er sans connaître , qui donne prise à tous ces prestiges de magie par lesquels l'optique et la mécanique abusent nos sens. I!^ous con- cluonSf sur la seule apparence , de ce que tious connaissons â ce que nous ne connaissons pas; et ùos inductions fausses sont la source de mille illusions.

(,)uelles ressources nous sont offertes contre ces erreurs? Galles de l'examen et de Tanalise. La suspension de l'esprit , l'art de mesurer, de peser , de compter , sont les secours que l'homme a pour vérifier les rapports des sens, atin qn'il ne )ugepas de ce qui est grand ou petit, rond ou quarré, rare on compacte , éloi- fçné ou proche , par ce qui paraît l'être , mais parce que le nom- lire, la mesure et le poias lui donnent ponr tel. La comparaison, le jugement des rapports trouvés par ces diverses opérations, ap- partiennent incontestablement h la faculté raisonnante; et ce jugement est souvent eil contradiction avec celui que l'apparence des choses nous fait porter. Or nous avons vu ci-devant qae ce ne saurait être par la même faculté de l'amc qu^elle porte de» jugemens contraires des raèiues choses considérées sous les m relations. D'oix il suit que ce n'est point la plus noble de nos ^ cultes, savoir la raison, toais une faculté dinérente el infériffnW, qui juge sur l'apparence, et se livre .lu charjne de l'imitation C'est ce que je voulais etprimer ci-devant en disant que la ptoin- ture, et j^énéralemcrit Part d'imiter, exerce ses opérations loin de la vérité des choses, en s'unissant à une partie de notre ame dépourvue de prudence et de raison, et incapable de rien con- naître par elle-même de réel et de vrai (i). Ainsi l'art d'imiter ^ vil par sa nature et par la faculté de Tame snr laquelle il agit^ ue peut que Têtre encore par ses productions , da moins quant au sens matériel qui nous fait juger des lableauT du peintre. Con^ sidérons maintenant le même art appliqué parles imitations éti poète immédiatement au senS intehie , c'est-à-dire h renténd^ roent.

La scène représente les hommes agissant volontairement OU par force , estimant leurs actions bonnes ou mauvaises selon le nien ou lemal qu'ils pensent leliren revenir, et diversement aflrc— tés, à cause d'elles , de douleur ou de volupté. Or, par lesraison» que nous avons déjà disentées , il est impossible que l'honimc

(i) 11 ne faut pas pitudre ici Cf* mol Av partie dans un scna «xscty rommc »i PLilon »iip|Kj»;iit ratoc réclleinenl ilivlsIhU* ou coinposï'p, La iltvi»iiin 4|u'il siippoftr, cl qai îni Tait pàtploycr lo ttôt tic parties t ïfé, tombe que pnr Ir» dÏTers gpnr«?i il'npérattôtli [inr ï'FiiJ\«oîlri ï'aitK» »b diâe^ci qu'on appelle A\x\temti\t facultés.

THEATRALE.

►'9

ftriMnti soit jamais d'a4:cord avec luUruêoitf ; et canune l*«pp|anmce et fa réalité dps objets scnsibirt lui en donnent des apmion* contraire* , dp niémp il apprécie diûi>rtriimpiit les objet» m9 «es actions , setou ({u'iU sont éloignée ou proche» , confoniies vooppcMcs à ses passions : et ses jn^i^euiens, mobiles comme ellrs, ir»c m cesse en contradiction ses désir», sa raison , sa vo-

lt' >itte& les put<sanccs de son amr.

ruspnte donc tous les hornnien , et mt^rae ceux ^ I Mil' pour modèles, comme afleclés autreineni qu'ils

V i éirc pour se mohitenir dans l'clat de modération uui

Ici 'lit. <^>u'un bomme sap;r 4't courageux perde sou fils,

•op ami , iA maîtresse , f iiHn Tobjet le plus cher à son ca'ur ; on ne Ut vrrra point s'abandonner à une douleur excessive et dôrai- ■NUiable ; vt si la laiblesite humainr ne lui permet pas de sur- ■ieat«r toat-à-iait sou al)licliou, il la tempérera par la constance; urne josCe honte lui fera renfermer en lui-même une partie de ses p^»^. . ..I contraint de paraître aux yf^ux des hommes, il rou— çi ' re rt faire en leur présence plusieurs choses ciu'il dit

r: t seul. Ne pouvant être en lui tel <|u'il veut, il tâche

ai ■• s'oMViraux aulrestel qu'il doit être. (,e uni le trouble

et ! J^'fïr , c'est la douleur et la passion ; te qui l'arrele et le con- iMni « c'vftt la raismi et la loi ; et dans ces mouvcmens opposés sa Tol'ititf* ftc déclare toujours pour la dernière.

Kfl ^iT^t , lu raison veut qu'on supporte patiemment l'adver- .if M iiVn açiçrave pas le poids par des plaintes inutiles ,

r,! (me pas les choses humâmes au-delà de leur prix ,

qt. : pleurer &cs maux les forces qu'on a pour les

IWaseoe<le prévoir 1'

i^^ur *avi*îr SI ce qui lui arrive est un bien ou un mal pour lui.

' omrtortera l'homme judicieux et tempérant, en proie ^ -^ ...»^.ai6c fortune. Il tâchera de mettre à profit ses revers fuhae* f comme un joueur prudent cherche à lirer parti d'un outrais point que te hasard lui amène; et, sans se lamenter rooim^ un enfant qui tombe et pleure auprès de la pierre qui l'a ftapp4^ , il saura porter, sM le faut, un fer salutaire à »a blessure, tt la faire saigner pour la guérir. Nous dirons donc que la cons- ttno»«t la fermeté dans les disgrâces sont l'ouvrage de la raison, ta qu#» l#» deuil , le^ larmes , le désespoir , les çcraissemeiis , ap- }> ■■ it à une partie de l'ame opposée à l'autre , plus débile ,

p , et beaucoup inférieure en dignité.

de cette partie sensible et faible que se tirent les iini- '^hantes et variées qu'on voit sur la scène. L homme dent , toujours semblable à lui-même, n'est pas si (»- •r ; (rt , quand il le serait . rimitalion , moins variée , pas si agréable au vulf^airej il s'intéresserait dinU'ilc- ■>-• image qui n'est pas la sienne . et dani laquelle îl ne ' lit ni ses mœurs, m ses passions : jamais le cceur hu- .. identifie avec des objets qu'il seul lui cire alfwlwment

l'on songe quelquefois qu'il est impossible h l'avenir , et de se connaître assez lui-mcme

11

t. u

Tf

Î20 DE L'IMITATION

étrangers. Aussi Vhabilcr poète, le poète qui sait l'art de réussir ^ cherchant à plaire nu peuple et aun hommes vulgaires, se j^arde bien de leur offrir la sublime image d'un cœur niaiLre de lui , cjui trécoute que la voix de la sagesse ; raais il charme les spectateurs par de<i caractères toujours en contradiction , qui veulent et ne^ veulent pas, qui font retentir le théâtre de cris et de gémissemcns, qui nous forcent à le^ plaindre , lon^ même qu'ils font leur devoir, et à penser que c'est une (riste chose que la vertu, puisqu'elle rend ses amis si misérables. C'est par ce moyeu qu'avec de;» imitatious plus faciles et plus diverses le poète émeut et flatte davantage les spectateurs.

Cette habitude de soumettre à leurs passions les geus qu^on nous fait aimer altère et change tellement nos jugemens sur les choses louables, que nous nous accoutumons à honorer la fai- blesse d'ame sous le nom de sensibilité , et à traiter d'hommes durs et sans sentiment ceux en qui la sévérité du devoir l'em- porte, en toute occasion, sur les affections naturrlles. Au con* traire, nous estimons comme gens d'un bon naturel ceux qai , vivement affectés de tout, sont l'éternel jouet des évènemens ; ceux qui pleurent comme des femmes la perte de ce qui leur fut cher ; ceux qu'une amitié désordonnée rend injustes poursenir leurs amis j ceux qui ne connaissrnt d*autre rcfjle que l'areugle penchant de leur cneur; ceux qui, toujours loués du sexe qui les subjugue et qu'ils imitent , n'ont d'autres vertus que leurs pas^ sions , ni d'autre mérite que leur faiblesse. Ainsi l'égalité, la force , la constanrc, l'aruour de la justice , l'empire de la raison^ deviennent insensiblement des qualités haïssables , des vices que Ton décric; les hommes se fout honorer partout ce qui les rend diffnes de mépris; et ce renversement des saines opinions est Tin** faillible effet des leçons qu'on va prendre au théâtre.

C'est donc avec raison que nous blikmions les imitatious da poète , et que nous 1rs mettions au même rang que celles da peintre , soit pour être également éloignées de la vérité , »oit parce que l'un et l'autre, flattant également la partie seosiblfl de Famé , et négligeant la ralionnelle , renversent l'ordre de no« facultés, et noujs font subordonner le meilleur au pire. Comme celui qui s'occuperait dans la république à soumettre les bonft^! aux méchans , et les vrais chefs aux rebelles, serait ennemi de la patrie et traître â l'état ; ainsi le poêle imitateur porte le» dissensions et la mort dans la république de lame , en élevant et nourrissant les pins viles facultés aux dépens des plus nobles, en épuisant et usant ses forces sur tes choses les moms dignes de l'ocrtiper , en confondant par de vains simulacres le vrai beau >: Avec Tattrait mensonger qui plaît à la nmllitudc , et la grandeur apparente avecla véritable grandeur.

Quelles âmes fortes oseront se croire à l'épreuve du soin que prend le poêle de \p% corrompre ou de les oécourager? Quaod Homère ou quelque auteur tragique nous montre un héros surr* chargé d'afiliction , criant , lameataoty se frappant la poitrine

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THEATRALE. 121

un Achille ) fils d'une déesse , tantôt étendu par terre et répan- daat des deux mains du sable ardent sur sa tête , tantôt errant oomme un forcené sur le rivage, et mêlant an bruit desvaeues ses burlemens eHirayans ; un Priam , vénérable par sa dignité y

r- son grand âge , par tant d'illustres enfans, se roulant dans &nge , souillant ses cheveux blancs , faisant retentir Tair de ses imprécations , et apostrophant les dieux et les hommes ; qui de nous , insensible à ses plamtes , ne s'y livre pas avec une sorte de plaisir ? qui ne sent pas naître en soi-même le sentîmeut qu'on nous représente ? qui ne loue pas sérieusement l'art de l'auteur , et ne le regarde pas comme un grand poète, à cause de l'expres- sion qu'il donne à ses tableaux , et des affections qu'il nous com- monique ? Et cependant , lorsqu'une aflliction domestique et réelle nous atteint nous-mêmes , nous nous glorifions de la sup-

Grter modérément, de ne nous en point laisser accabler jusqu'aux mes ; nous regardons alors le courage que nous nous efforçons d'avoir comme une vertu d'hoinme, et nous nous croirions aussi Jiches que des femmes de pleurer et gémir comme ces héros qui non» ont touchés sur la scène. Ne sont-i:e pas de fort utiles spec- tacles que ceux qui nous font admirer des exemples que nous roogifions d'imiter , et ou l'on nous intéresse à des faiblesses dont nous avons tant de peine à nous garantir dans nos propres cala- mités? La plus noble faculté de l'ame , perdant ainsi l'usage et l'empire d'elle-même, s'accoutume à fléchir sous la loi des pas- sions; elle ne réprime plus nos pleurs et nos cris; elle nous livre à notre attendrissement pour des objets qui nous sont étrangers ; et sons prétexte de commisération pour des malheurs chiméri— eues , loin de s'indigner qu'un homme vertueux s'abandonne k des douleurs excessives , loin de nous empêcher de l'applaudir dans son avilissement , elle nous laisse applaudir nous-mêmes de la pitié qu'il nous inspire ; c'est un plaisir que nous croyons avoir gagné sans faiblesse , et que nous goûtons sans remords.

Mais , en nous laissant ainsi subjuguer aux douleurs d'an- tnùy comment résisterons-nous aux nôtres? et comment sup-

Sorterons-nous plus courageusement nos propres maux que ceux ont nous n'apercevons qu'une vaine image ? Quoi ! serons-nous Ici seuls qui n'aurons point de prise sur notre sensibilité? Qui est-ce qui ne s'appropriera pas dans l'occasion ces mouvemens auxquels il se prête si volontiers? Qui est-ce qui saura refuser à ses propres malheurs les larmes qu'il prodigue à ceux d'un autre/ J'en dis autant de la comédie, du rire indécent qu'elle nous arrache , de l'habitude qu'on y prend de tourner tout en ridicule , même les objets fes plus sérieux et les plus gra- ves , et de l'effet presque inévitable par lequel elle cnange en bouffons et plaisans de théâtre les plus respectables des citoyens. J'en dis autant de l'amour, de la colère, et de toutes les au- tres passions , auxquelles devenant de jour en jour plus sen- sibles par amusement et par jeu , nous perdons toute force pour leur résister quand elles nous assaillent tout de bon. Enfin,

DE LMMITATION

de quelque sens qu'on envisage le théâtre et ses iiuilations , on voil toujours qu'animant et fonnenlant en nous les disno- sitîoDS qu'il faudrait conlenir eE réprimer , il f^iiC domiuer ce qui devrait obéir; loin de nous rendre meilleure et plus heu- reux , il nous rend pires et plus malheureux encore, et nous fait payer aux dépens de nou^-mcmes le soin qu'on y prend de nous plaire et de nous flaller.

Quand donc, ami Glaucus , vous rencontrerez des enthou- siastes d^Homère; quand ils vous diront qu'Homère est l'ins- tituteur de la Grèce et le maître de tous les arts; que le gouver- nement des états, la discipline civile , Téducation des hommes, et tout l'ordre de la vie humaine , sont euseignés dans ses écrits; honorez leur zèle, aimez et supportez-les comme des hommes doués de qualités exquises; admirez avec eux les mer- veilles de ce beau génie; accorde» leur avec plaisir ou'Ho— mère est le poète par excellence, le modèle et le chef ae tons les auteurs tra^'ques : mais songer, toujours que les hymnes eu

iJ'honneur des dieux et les louanges des grands hommes sont ta seule espèce de poésie qu'il faut admettre dans la république; et que , si l'on y souffre une fois cotte muse imitalive qui nous charme et nous trompe par la douceur de ses accens , bientôt les actions des hommes n'auront plus pour objet, la loi , ni tes choses bonnes et belles , mais la douleur et la volupté ; les passions excitées domineront au lieu de la raison; les citoyens ne seront plus des hommes vertueux et justes , toujours soumis nu devoir et à l'équité , mais des hommes sen- »iblcs et faibles (jui feront le bien on le mal indifféremment ^ 5eIon qu'ils seront rnlraîncs par leur penchant. Enfin, n'ou- bliez jamais quVri bannissant de notre état les drames et pi^ ces de théâtre, nous ne suivons point un entêtement barbare, et ne méprisons point les beautés de l'art ; mais nous leur préférons les beautés immortelles qui résultent de l'harmonie de l'arae et de l'accord de ses facultés.

Faisons plus encore. Pour nous carantir de toute partialité,

'cl ne rien donner à celte antique discorde qui règne entre le» philosophes et les poêles, n'ôtons rien à la poésie et à rinii- tation de ce qu'elfes peuvent alléguer pour leur défense , à nous des plaisirs innocens (ju'elles peuvent nous procurer, ittrndons cet honneur à la vérité , d'en respecter jusqu'à l'image, Cl de laisser la liberté de se faire entendre à tout ce qui se renomme d'elle. En imposant silence aux poètes, accordoni» k leurs amis la liberté de les défendre, et de nous montrer, s'ils peuvent , que l'art condamné par nous comme nuisible n'est pas seulement agréable , mais utile k la république et aux citoyens. Ecoutons leurs raisons d'une oreille impartiale, et convenons de bon cœur que nous aurons beaucoup gagné pour nous-mêmes , s'ils prouvent qu'on peut se livrer sans risque à de fii douces impressions. Autrement , mon cher Glaucus, comme un homme sage , épris des charmes d'une maîtresse , voyant

THÉÂTRALE. ia3

sa rerta pr^te à l'abandonner, rompt, quoiqu'à regret, une si doBce chaîne , et sacrifie l'amour au devoir et à la raison ; ainsi , livrés dès notre enfance aux attraits séducteurs de la poésie , et trop sensibles peut-être à ses beautés , nous nous munirons pourtant de force et de raison contre ses prestiges : nous osons donner quelque chose au goût qui nous attire, Boas craindrons au moins de nous livrer k nos premières amours ; aoas noos dirons toujours qu'il n'y a rien de sérieux ni d'u- tile cUns tout cet appareil dramatique : en prêtant qnelqne- Ibis nos oreilles k la poésie , nous garantirons nos cœurs d être abusés par elle , et nous ne souffrirons point qu'elle trouble Tordre et la liberté , ni dans la république inténeure de l'ame , ai dsns celle de la société humame. Ce n'est pas une légère «ItarnatiTe que de se rendre meilleur ou pire , et Ton ne sau- rait peser avec trop de soin la délibération qui nous y con- doit. O mes amis ! c'est , je l'avoue , une douce chose de se livrer aux charmes d*un talent enchanteur , d'acquérir par lui des biens , des honneurs , du pouvoir , de la gloire : mais la pirissanre , et la gloire , et la richesse , et les plaisirs , tout réclipee et disparaît comme une ombre auprès de la justice et de la vertu.

NARCISSE,

OU

L'AMANT DE LUI-MÉMEj

COMÉDIE,

Jouée le i8 décembre lySa.

PRÉFACE

J'ai écrit cette comt^die à l'âge de dii-huit ans , et je pie saU gardé de la montrer , aussi long-temps que j'ai tenu quelque compte de la r^utalion d'auteur. Je me suis enfin senti le cou- rage de la publier , mais je ii'aurai jamais celui d'en rien dire. Ce n'est donc pas de ma pièce , mais de moi-même , qu'il s'a- gît ici.

n faut , malgré ma répugnance , que je parle de moi ; il faut que je convienne des torts que l'on m'attrioue , ou que je m'en jnstifîe. Les armes ne seront pas égales , .je le sens bien ; car ojn m'attaquera avec des plaisanteries , et je ne me défendrai qu'avec des raisons : mais pourvu que je convainque mes adversaires, je me soucie très-peu de les persuader; en travaillant à mériter ma propre estime , j'ai appns à me passer de celle des autres^ qui, pour la plupart , se passent bien ae la mienne. Mais s'il ne m^m- porte guère qu'on pense bien bu mal de moi , il m'importe que personne n'ait droit d'en mal penser, et il importe à la vérité que )'ai soutenue , que son défenseur ne soit point accusé justement de ne lui avoir prêté son secours que par caprice ou par vapité, sans l'aimer et sans la connaître.

Le parti que j'ai pris, dans la question que j'examinais il y a qpelqaes années, n a pas manque de me susciter une multitude d'adversaires ( i) plus attentifs peut-être à l'intérêt des gens de

(i) On m*aMdre que plawenrs Irouvent mauvais que j'appelle mes ad- ▼emtres Eoes adversairef} elceU me paraît aanex croyable dans unaièclo o«i Ton n'ose plus 'rien appeler par son jiopi. J'apprends aussi que chacun de nés adrersaires se plaint , quand je réponds à d'autres objections que les siennes, que je perds mon temps à me bntlre contre des chimères; ce qui me prouve une chose dont je me doutais déjà bien , savoir , qu'ils ne perdent point le leur k se lire ou A s'écouter les uns les autres. Quant ù ■ni , c'est une peine que j'ai crn devoir prendre ; et j'ai lu les nombreux écrits qu'ils ont publies contre moi , depuis .la première réponse dont je fus honoré jusqu'aux quatre sermons allemands, dont Tu» commence à peu près de cette manière : « Mes frères, si Socrate revenait parmi nous, et

> qu'il vil l'état floiissant les sciences sont en £urope ; que dis-je en V Êarope? en Allemagne^ que dis-je en Allemagne? en Saxe; que din-je » eoSaxe?àLeipsîrk;quedis*ie a Leipsick? dans celte université : alors,

> saisi d'étonnement , et pénètre de respect, Socrate s'assiérait inodes- » tement parmi nos écoliers, et, recevant nos leçons arec humilité, il

> perdrait bientAt avec nous cette ignorance dont il se plaignait si jus- » tement. » J'ai lu tout cela , et n'y ai £iil que peu de réponses ;peut-jStre en ai-ie encore trop fait : mais je suis fort aise que ces messieurs les aient trouvées assez agréables pour être jaloux de la préférence. Four içs gpos qui sont choqués du mot d' adversaires , je consens de bon cœur à le leur abandonner, pourvu qu'Us yeuillent bien m'en indiquer un antre parlequtrl

128 PREFACE.

lettres qu'à l'honneur âe U litierature. Je TavaU pre'vu , et je m'étais bien douté que leur conduite en cette occasion prouverait en ma faveur plus que tous mes discours. £n efTel ils n'ont dé' guisé ni leur surprise ni leur chagrin de ce qu'une accadémie «était montrée intègre si mal à propos. Us n'ont épargné contre elle ni les invectives indiscrètes, m même les faussetés (i), pour tâcher d'affaiblir le poids de son jugement. Je n'ai pas non plus été oublié dans leurs déclamations. Plu&ieurs out entrepris de me réfuter hautement : les sages ont pu voir avec quelle force, cl le public avec quel succès , ils Pont (ait. D'autres plus adroits, con- naissant le danger de combattre directement des vérités démon- trées , ont habilement détourné sur ma personne une attention qu'il ne fallait donner qu'à mes raisons; et l'examen des acccu- sations qu'ils m'ont intentées a fait oublier les accusations plus eraves que je leur intentais moi-même. C'est donc à ceux ci qu'il faut répqudfre une fois.

Ils prétendent que je ne pense pas un mol des vérités que j'ai soutenues, et qu'eu déniontraut une proposition je ne laissais pas de croire le contraire; c'est-à-dire que \ ai prouvé des choses si extravagantes, qu'on peut affirmer que je n'ai pu les soutenir que par jeu. Voilà un bel honneur qu'ils font en cela à la science qui sert de fondement à toutes les autres ^ et l'on doit croire que l'art de raisonner sert de beaucoup à la découverte de la vérité , quand. on le voit emplo^ur avec succès à démontrer des folies! '

Ht Ils prétendent que je ne pense pas un mot des vérités que j^at soutenues : c'est sans doute de leur part une manière nou\ elle et , commode de répondre à des argumens sans réponse , de réfuter les démonstrations mêmes d'Euclide, et tout ce qu'il y a de dê-i montré dans l'univers. Il nie semble, à moi, que ceux qui m'ac-! <;usent si témérairement de parler contre ma pensée ne se fout pas' eux-mêmes un grand scrupule de parler contre la leur : car ihl n'ont assurément rien trouvé dans mes écrite ni dans ma conduite, qui ait du leur inspirer cette idée, comme je le prouverai bien- tôt ; et il ne leur est pas permis d'ignorer que, dès qu'un homme! parle sérieusement, on doit j>en&er qu'il croit ce qu'il dit, à moîos, que ses actions ou ses discours ne le démentent ; encore cela mci ne suflit-il pas toujours pour s'assurer qu'il n'en croit rien,

je puisse dceigncr, non-ienlcnienl lous ceux qui out combalta mon sm-i titnrut, soit par écrit , aoït, plu> prudruiuicnt et plus à Irur aise , dans lei cercK'B t1« feuttaes et de beaux esprits, ils élaienl bien sûrs que )o n'îniUl pas inedéteodre, mais encore ceux qui, feigaarit auiourd'huîde croire quoi je n'ai point d'adversaires, trouvaient d'abord saus réplique les rêpuuae*i de mes adversaires, pAis, quand )'ai répliqué , m'ont blâutè de l'avoir faïl parce qne , scion eux , un ne m'avait point alt.iqu6. Eu attendant j ils pef*] aiettroDtquc je coutinue d'appeler mes ad\crsiiirea mes ad versai i es; Cir,| malgré la pulitesse de mon siècle, je sui^ grossier c<itnmc les Macédonîci de Fhilippe.

(i) On peut voir, duns le Mercure d'août 1763, désaveu de l'acadt* mio de Dijon au sujet de |e ne sais quel écrit attribué iaussement p«1 l'RUteur i l'un des memhrts de cette académie.

L

3

PEÉFÀCE. 129

Us peuvent donc crier autant qu'il leur plaira qu'en me dé- clarant contre les sciences j'ai parlé contre mon seuliincnt : à. uue aMertxon aussi téméraire , dénuée également de preuve et de vr;ii« semblance, je ne sais qu'une réponse; elle est courte et énergi* que , et je les prie de se la tenir pour faite.

Ils prétendent encore que ma conduite est en contradiction avec mes principes, et il ne faut pas douter qu'ils n'eniuloieut cette seconde instance k établir la première; car il y a beaucoup de cens qui savent trouver des preuves à ce qui n'est pas. Us diront nonc qu'en faisant de la musique et des vers on a mauvaise grâce à déprimer les beaux-arts , et qu'il y a dans les belles-lettres, aae l'aflècte de mépriser , mille occupations plus louables que aécrire des comédies. 11 faut répondre aussi à cette accusation. Premièrement , quand même on radiuetlrait dans toute sa rt- gneur, je dis qu'elfe prouverait que je me conduis mal , mais non que je ne parle pas de bonne foi. S'il était permis de tirer des actions des nommes la preuve de leurs sentimens, il faudrait dire que l'amour de la justice est banni de tous les cofurs, et Q*îl n'y a pas un seul chrétien sur la terre, ^u'on me montre es hommes qui agissent toujours conséquemment à leurs maxi- mes , et je passe condamnation sur les miennes. Vel est le sort de riioaianite; la raison nous montre le but , et les passions nous en écartent. Quand il serait vrai que je n'agis pas ^elon mes prin- cipes , on n'aurait donc pas raison de m'accuser pour cela seul de parier contre mon sentiment , ni d'accuser mes principes de fausseté.

Biais si je voulais passer condamnation sur ce point , il me suf- firait de comparer les temps pour concilier lescnoses. Je n'ai pas toujours eu le bonheur de penser comme je fais. Long-temps séduit par les préjugés de mon siècle, je prenais l'étude pour la seule occupation digne d'un sage, je ne regardais les sciences qu'ayec respect , et les savans qu avec admiration (1). Je ne com- prenais pas qu'on pût s'écarer en démontrant toujours , ni mal uîre en parant toujours ue sagesse. Ce n'est qu'après avoir vu les cboses de près que ]'ai appris à les estimer ce qu'elles valent ; et quoique dans mes recherches j'aie toujours trouvé naitH eloquen- iim , sapientiœ parum , il m'a fallu bien des réflexions , bien des observations, et bien du temps, pour détruire en moi l'illu- sion de toute cette vaine pompe scientifique. Il n'est pas éton- nant que , durant ces temps de préjugés et d'erreurs oii j'e&liniais taut la qualité d'auteur , j aie quelquefois aspiré à l'obtenir luoi-

(i) Toutes les fois que )e songea mon ancienne nimpUvUé, je np puis BTemp^her d'en rire. Je ne lirais pus un livre df> mor»l»* uii de philoso- phie qof |e ne crunse y voir l'ameet tes principes de l'auti'nr- Je reprdais toua cv^ graves écrivains comme des hommes mndestf», sage» , vertueux , irréprochables. Ji- me formais de leur commerce des idées angéUques, et n'aurai» approché de la maison de Vun d'eux que comme d'un sauc- toaire. Enfin )e les ai vus \ ce préjugé puéril s*est dissipé , et c'est la seule erreurnl dont ils m'aie guéri.

5. 9

i3o PRÉFACE.

même. C*est alors qae furent composés les vors et la plupart des autres écrits qui sont sortis de ma plume, et entre autres cell» petite comédie. II y ourait poul-éirc de la dureté â me rcprocber aujourd'hui ces amuseraens de ma jeunesse, et on aurait tort au moins de m'accuser d'avoir contredit en cela des principes qui nVtaieut pas encore les miens. 11 y a long-temps que je ne uiets plus à toutes ces choses aucune espèce de prétention ^ et hasarder de les donner au public dans ces circonstances après avoir eu la prudence de les garder si long-temps, c'est dire assex (jnc je dé- daigne également la louange et le Llânie qui peuvent leur être dns ; car je ne pense plus comme Tautcur dont ils sont l'ouvraee. Ce sont des enîans illégitimes que l'on caresse encore avec plaisir en rougissant d'eu être le péref à qui Ton fait ses derniers adicux« et qu'on envoie cliorclicr tortunc sans beaucoup sVmbarrasser de ce qu'ils deviendront.

Mais c'est trop raisonner d'après des suppositions cliimériqaes. Si l'on m'accuse sans raison de cultiver les lettres que je méprise , je m'en défends sans nécessité ; car , quand le fait serait vrai , il n'y aurait en cela aucune inconséquence: c'est ce qui me re&le à prouver.

Je suivrai pour cela , selon ma coutume, la méthode simple et facile qui convient à la vérité. J'établirai de nouveau l'état de la question , j'exposerai de nouveau mon sentiment * et j'atten- drai ([ue .«iur cet exposé on veuille me moulrer en quoi mes ac- tions démentent mes discours. Mes adversaires, de leur côte, n'auront garde de demeurer sans réponse, eux qui possèdent l'art merveilleux de disputer jiour et contre sur toutes sortes de sujets. Ils commenceront ^ selon leur coutume , par établir une autre question â leur fantaisie ; ils me la feront résoudre ranime il leur conviendra; pour m'atlaquLM- plus commodément , ils me feront raisonner, non à ma manière , mais â la leur ; ils détourneront habilement les yeux du lecteur de l'objet e.^^sentiel, pour les fiier à droite et à gauche; ils combattront un fantôme, et prétendront m'avoir vamcu : mais j'aurai fait ce que je doù faire ; et je commence.

•• La science n'est bonne à rien et ne fait jamais que du mat « »» car elle est mauvaise par sa nature. Elle n est j^as moins irisê- » parable du vice que I ignorance de la vertu. Tous les peuple* » lettrés ont toujours été corrompus; tous les peuples ignorans K ont été vertueux: en un mot il n'y a de vices que parmi 1rs »• SAvans , ni d'homme vertueux que celui qui ue sait rîeu. Il y » a donc un moyen pour nous de redevenir lionnéles gens j c'eut »' de nous hâter <]c proscrire la science et les 5avan.s , de brûler )* nos bibliothèques, fermer nos académies, nos collèges, noi u nniverâilés , et de nous replonger dans toute la barbarie det y> premiers sicdci. »

Voilà ce que mes adversaires ont très-bien réfuté : mats autfi jamais n'ai-]C dit ni pensé un seul mot de tout cela , et l'on saurait rien imaginer de plus opposé à mon système que celt«

\

tliilH^iioctrinequ^ils ont la bonté de lu'attribuer. Mais voici ce que j*ai <lit cl qu'on n'a point réfute.

Il s'agissait <le savoir si le rétabli^Âernent de» sciences et des arts tcontnbué à épurer nos moeurs:

£n montrant , comme je l'ai fait, que nos mœurs ne se sont point épurées (t), la question était à peu pré» résolue.

Mais elle en renfermait implicitemeut une autre plus générale ftalus importante , sur l'influence que la culture des sciences doit avoir en toute occasion sur les mœurs des peuples. C'est crltc^-ci Y dont la première nV»t qu'une conséquence, que je me proposai d*eTamin(.T avec soin.

Je commençai par les faits , et je montrai que les mneurs ont dégénéré chez tous les peuples du inonde k mesure que le goiit deTétude et des lettres !>Vsl étendu parmi eux.

Ce n'était pas assez ; car sans pouvoir nier que ces choses eus- mt toujours marclié ensemble, on pouvait nier que Tune eût èxaené Tautrerjc m*appliqtiai donc .^ montrer cette liaison né- emiire. Je fis voir que la source de nos erreurs sur ce point vient 4e ce que nous confondons nos vaines cl trompeuses connai;;- sance* «vrc la souveraine intelligence qui voit d'nn coup-d'ixil Il trntcde touteschoses. La science prise d'une manière abstraite ojtnte toute notre admiration. La toile science des hommes aVrt diçne que de risée et de mépris.

Le goût des lettres annonce toujours chez un peuple un com- nWBcement de corruption qu'il accélère très-promplemenl. Car ce $oùt ne peut naître ainsi dans toute une nation que de deux

(i) Qoaod j*at tlit que nos mcears s'étaienl corrompaes , je n'»\ pa« pré-

*nita liinpouT ctrU (\uc ccUe« de no& nieux TnAArul bonnes, uiais 0<'tiU<-

■>9< q»e les ti&iruA rLi'rctii pmorn pire.*. Il y a parmi le» ImuiineB mille

■wciJ do conuption , ri qiiDi(|uc le.< sciencrs houmiI pfiit-cire U plus

•WvtUatr rt ta plus rapitle , il s'en faut hten qUQ ce soît la sriilr. î«a ruine

<Kr«Hipifl^ romain, les in%n)ion« d'une miillihide tic barbarrs , onl fijît

n wUoge lie loiis Ira peuples qui a n^re^sairement détruire 1rs

wntttl les coutumes de clmoun d'cMix. Le? crot.-ade» , Itr cnmrarrcr , la

^■oMsverif- des Indrs , U iiavigalioii , 1rs voyages de long conrs , et

cTj iic-s rncflfo que je itc veux pas dira , ont enlrrlenu et oiig*

tt-- >rdrr. Tout ce qui factlite U communication rutre les di--*

«rcc^. ui^uttns porte aux uucs, iidd 1rs vertus des autres, mais leurs

rr<iiKi , n «llère chez toutes les mcrurs qui sont piopre-s :i leur climat rt

'- --nttitTiiion de leur ijouvcriirmi-nt. l>es sciences n'oui donc pa» f.iît

fttkl, i^llrs y ont seiilrnienl leur bontte part; et ct-lui surluiit qui

j^^pariienl en propre , c'est d'itvoir dunné à nos vices une coidvur

a^féaMe ( «a eerlain HÎr bonnele qui nous empéclin dVo avoir horreur. Qmmmà on ^ovsa pour U premitrre fûi» U comédie du Méchant , je me v)U' Tâc^i|U*ou <i« Uuu^ail pas que le rôle ptiucip.d répondit au ttlre. CU'on qu'un boiume nnlin^ire i il était, di».iil-nn, comme toul «"Irral abominaldr , dont le car>ictêrr si bien expusc aiiiait <tr sur eux-mêmes tuus ceux qui onl le mallirur de lui rcs- rtii un caraclire loul-à-Hiit lu.mqui' ; el ses nuirceurs p««- les g«nliUeaaefl , parer (^ue tel qui croyait un Tort lionnëlc »'/ reconiuuihit Irait putir trait.

■> psrit

4-

i32 PRKFACE.

uiauvaÎ6«s sources que IVtude cnlretirnt et grossit â son lotirj savoir , roisivclë , el le désir de se distinguer. Dans un état hiri constitué f chaque citoyen a hvs devoirs à remplir ^ et ces soini importans lui sont trop rhers pour lui laisser le loisir de vaquei k Je frivoles spéculolions. Daus un clal bif»n constitue > tous li citoyens sont si bien égaux, (|ue nul ne peut être ï>rcféré aui autres comme le pins savant ni niéme comme le plus habile, mais tout au plus comme le meilleur: encore celte dernière di tinction est-elle souvent dangereuse j car elle fait des fourbes des hypocrites.

Le goût des lettres , qui naît du désir de se distinguer, pr< duit nécessairement des maux infiniment plus dangereux que toul le bien qu'elles font n'est utile ; c'est de rendre à la fin ceux qui à'y livrent très-peu scrupuleux sur les moyens de réussir. premiers philosophes se firent une grande réputation en ensei-^

STianl aux hommes la pratiqnr de Irurs devoirs et les priucij>ei e la vertu. Mais bientôt ces préceptes étant devenus communs ^ il fallut se distinguer en frayant des routes contraires. Telle est j'orieine des systèmes absurdes des Leiicippe » des Diogène , dei Pyrrnon, des Protagore , drs Lucrèce. Les Hobbes , IcsMnudi ville , el mille autres, ont affecté de se distinguer de même parmi nous ; et leur dangereuse doctrine a lelleinent fructifié, aue quoiqu'il nous reste de vrais philosophes ardens à ruppeler aani nos coeurs les Mis de l'humanité et de la \erlu , on est épouvanti d<' voir just]u*à quel point notre siècle raisonneur a pous.sé dfti ses maximes le mépris des devoirs de l'Iiouïnic et du citoyen.

Le goùl des lettres , de la philosophie et des beaux-arts anéantit l'amoiir de nos premiers devoirs et de la véritable gloirci t^fuand une fois les taleus ont envahi les honneurs du!* ii h vertu, chacun vent être un homme agréable, et nul ne soucie dVtre homme de bien. De naît encore cette autre iu- conscquencc , qu'on ne récompense dans les hommes que lei qualités qui ne dépendent pas d'eux: car nos talens naissent avi nous, nos vertus seules nous appartiennent.

Les premiers et presque les uniques soins qu'on donne k noli éducation sont les rruits et les semences de ces ridicules préjugée C'est pour nous enseigner les lettres qu'on tourmente notre mi- sérable jeunesse : nous savons toutes le» règles de la grainniairi avant que d'avoir oui parler t\es devoirs de l'homme; noussavonl tout ce qui s'est fait jusqu'à présent avant qu'on nous ait dit mot de co que non» devons faire , et , pourvu qu'on exerce noir* babil , personne ne se soucie que nous sachions agir ni penser, Kn un mot , il n'est prescrit d'être .savant que dans les choses qui ne peuvent nous servir de rien ; et nos cnfans sont précisémcu élevés comme les anciens athlètes dos jeux publics, qui, desti- tînant leurs membres robustes k un exercice inutile et superflu se gardaient de les employer jamais à aucun traçai! prolitable. Le goût des lettres, de la philosophie et des hoaux-arts^ amolli les corps cl lésâmes. Le travail du CNbinet r^d le» hommes dcl

PRÉFACE. i33

cats , aflkiblit leur tempérament j et l'aine carde difficilemeot M TÎ^ear quand le corps a perdu la sienne. L*otude use la ma- chine , épuise les esprits , détruit la force , énerve le courage ; et cela seul montre assez qu'elle n'est pas faite pour nous : c est ainii qu'on devient lâche et pusillanime, incapable de résister é^lement k la peine et aux passions. Chacun sait combien le» habitons des Tilles sont peu propres à soutenir les travaux de la nerre , et l'on n'ignore pas quelle est la réputation des gens de lettres en fait de bravoure (i). Or rien n'est plus justement sus* pect qae l'honneur d'un poltron.

Tant de réflexions sur la faiblesse de notre nature ne servent sonvent qu'à nous détourner des entreprises généreuses. A force de méditer sur les misères de l'humanité , notre imagination BOUS accable de leur poids , et trop de prévoyance nous àte le courage en nous àtant la sécurité. C'est bien eu vain que nous prétendions nous munir contre les accidens imprévus , <i si U » science , essayant de nous armer de nouvelles défenses contre » les inconvénîens naturels , nous a plus imprime en la fantaisie

lear grandeur et poids , qu'elle n'a ses raisons et vaines sub-

tilités k nous en couvrir. »

Le goût de la philosophie relâche tous les liens d'estime et de bienveillance qui attachent les hommes à la société ; et c'est peut-^tre le plus dangereux des maux qu'elle engendre. Le charme de l'étude rend bientôt insipide tout autre attachement. De pins , k force de réfléchir sur l'humanité , à force d'observer les hommes, le philosophe apprend k les apprécier selon leur valeur ; et il est diflicile d'avoir bien de raflection pour ce qu'on méprise. Bientàt il réunit en sa personne tout l'intérêt que les hommes vertneux partagent avec leurs semblables : son mépris pour les autres tourne au profit de son orgueil : son amour- propre augmente en même proportion que son intlillvrence pour le reste de l'univers, La famille , la patrie , deviennent pour lui des mots vides de sens : il n'est ni parent y ni citoyen , ni homme ; il est philosophe.

En même temps que la culture des sciences retire en quelque sorte de la presse le cœur du philosophe , elle y engage en un aatre sens celui de Thonimc de lettres , et toujours avec un égal préjudice pour la vertu. Tout homme qui s'occupe des talens agréables veut plaire, être admiré, et il veut être admiré plus qu'un autre ) les applaudissemens publics appartiennent à lui seul : je dirais qu'il fait tout pour les obtenir , s'il ne faisait encore plus pour en priver ses concurrens. De naissent , d'un o6té, les rafbnemensdu goût et de la politesse , vile et basse flat- terie , soins séducteurs, insidieux, puérils, qui , à la longue,

(t) Voici un exemple moderne pour ceux qni me reprocliPnt de n'en citer qne d'anciens. £^ répabliquc de Gênes, cherchontà stibjugaer pliiH aiiétnent les Corses, n*ft pus trouvé de moyen plus sûr que dVtnlilir viic/. eux anc ncadémîe. Il ne me serai) pas diffîriled'nllongerccll? noie, main ce «crait faire tort à l'inlelligence des seuls lecteurs dont jv me soucie.

,34 PRÉFACE.

rappclissont lame et corroiupenl le coeur; et, de l'autre, les jalousies, les rivalités, les haines d'artistes si renommées, la jicrfide calomnie , la fourberie, la trahison, et tout ce que le vire A (le plus lâche et de plus odieux. Si le philosophe méprise les hommes, Tartiste s'en fait bientôt mépriser, et tous deux concourent eufin â les rendre méprisables.

Il y a plus } et de toutes les vérités que j*ai proposées à la con- sidéraliou des sages , voici la pins étonnante et la pins cruelle. ÎSos écrivains regardent tous comme le chef-d'œuvre de la poli- tique de notre siècle les sciences , les arts , le luxe , le commerce , les lois , et les autres liens qui , resserrant entre les hommes les nrrudsdc la société (i) par I intérêt personnel , les mettent tous dans une dépendance mutuelle , leur donnent des besoins réciproques et des intérêts communs , et obligent chacun d'eux de concourir au bonheur des autres pour pouvoir faire le sien. Ces idéf'S sont bellrs, sans doute, et présentées sous un jour favorable ; mais, en les examiiianl avec attention et sans partia- lité , ou trouve beaucoup à rabattre des avantages qu'elles sem- blent présenter d'abord.

C'est donc une chose bien merveilleuse que d'avoir mis les hommes dans rimpossibilité de vivre entre eux sans se prévenir , se supplanter , se tromper , se trahir , se détruire muluelleraenl ! Il faut désormais se garder de nous laisser jamais voir tels que nous sommes : car pour deux hommes dont les intérêts s'accor- dent, cent mille peut-être leur sont opposés, et il n'y a d'autre moyen pour réussir que de tromper ou perdre tous ces gens-là. Voila la source funeste des violences, des trahisons, des perfi- dies , et de toutes les horreurs qu'exige nécessairement un état de choses oii chacun, feignant de travailler à la fortune ou à la ré- putation des autres , ne cherche qu*à élever la sienne au-dess d'eux et â leurs dépens.

Qa'avons-nous gagné à cela ? Beaucoup de babil, des riches et des raisonneurs, c'est-k-diredes ennenn.4 de la vertu et du sen* commun. En revanche nousavons perdu l'innuceuce et les mœurs- La foule rampe dans la misère ; tous sont les esclaves du vice. Les crimes non commis sont déjà dans le fond des cœurs, et il n Tuanque à leur exécution que l'assurance de l'impunité.

Etrange et funeste constitution , oii les richesses accumulées fa- cilitent toujours les moyens d'en accumuler de plus grandes , et oïl il est impossible à celui qui n'a rien d'acquérir quelque chose, Dioinme de bien n'a nul moyen de sortir de la misère , les plus fripons sont les plus honorés, et oti il faut nécessaïrennetik renoncer k la vertu pour devenir un honnête homme ! Je sais q

(i) le me plains de co que la philosophie rcUche les liens de U sociM qui sont formés p>r IWÎme et la liienvftillance uiiitaclle; el |s me pUinM tleco que les ftcirnces, leA BrlA,el mus les Bulrcânhiels tl» commerce , seiTt'iil le» lioiitt Je lu j>ucîvté par l'intérêt personnel. CVsl qu'en effet !K- piut rcii»ei-ix'r an de ctfB liens que l'aulro no 5C relâche d'autant. Il m'] H donc puait eu ceci de coiilradicliuu.

I

PRÉFACE. i35

dêcUmatcurs ont dit cent fois tout cela ; maî.t ils le duaieul

da^laïuaril , et moi je le dis sur des raisons ; ils ont aperçu le

' , cl moi j'en découvre les causes j cL je faii voir surtout une

kc lrè*-consolante et Irès-utile, en niontrâiit tjue tous ce»

res a^apparticnneut pas tant a Tiiomme , <ju*i l'iiomluc niul

mv*;riie (i).

Telles soat le» vérités que j*ai dcveIoppée<i et <{ue j'ai lAclie de tuver daui les divers êcrit:i que j'ai publie's sur celle zuatiifrâ. ici jiuiiutenatit l&s coucludiou que j'eu ai tirées. La scii'nce n'est point faite pour riioinme en général. Il s'égarr ces>edaa$ sa recherche ; et s'il l'ohtient quelquefois, ce n'est lue jauiais qu'à ^un préjudice. Il est pour agir et penser , pour rciiccbir. La icUcxiou ne sert qu à le rendre malheu- reui, SAns le rendre meilleur ni plus sage : elle lui fait regretter '" biens passés et reiupêche de jouir du présent : elle lui pré- ite l'avenir heureux pour le séduire par l'imaginatiou et le

(0 ic remarque qn'ifrcfîneacloellcmenl Aawi le monde une mulijtuitit prtilc»;u]«xiuii» qntséilntwiil les simples pnriuj fiiux air de phîluMpliie. U ()ui, mitre cela,8nnl Irri-commodc^ pour terminer ioftdiopulrs d'un Km iju^iorlant et décisif, «ans avoir besoin d'examiner la quralion. Trile l»tcellc-cî . tt Lr»Uoaime»uiit p^rlooL lesmémt-s pasAJunK^parluiil l'uraotir-

* propre et rialérêl les conduisent j dune ils sont porlout uiêoics. » ^tùod IcJ géoiuèlre» uni fait une Mippositlon qui , de r.ii9onnement ou nisiinrieuieut i les conduit À une ab5Ui'dilé , ils rc viennent sur leurs pn», H Jrinoulrrut ainsi la suppusilioti fittissc. La même niêtlioile nppliipié»

tamaitime en qncAlioii fu montrerait niiênirnt l'absurdité. M.iis rui- •Btntms aulreineiit. Un sauTage est uii hnmmc , et un luiiropéen rsl nri ftanme. I«e demi-pliilo^ophc conclut aussilàl que l'uu vaut pas mieux 1<ier.tutr«i mais le pliilotoplic dit : En Biirope, le gouvernement, les loin,

luuiea l'inlrrct , luut met les pauiculicrs dans la ni'ccsaito de an

r mutuellement et san» cessc^ tout leur fait un devoir du vice;

<]it*iU soient mechuns pour t-lre s.igo* , rar il n'y a |>fiint de plu-*

lolif qiiL» de faire le luinlirtir de* fripons aux d«'p*:ns dn strii.

tut les unvngci . rint(''rèt personut-l parle aas.st rurlement que parmi

^ mais il ne dit pis \ci môaie^ choses; l'iimuitr de U société et lu

leur commune drlcMiie sont les seuls liens qui les unissent : ck

de morAti^TKt qui coûte tant da crimes ù nus liunuéle» gens , n'»

&ji«un *en« parmi t.Mix - ils n'ont enlre vwx nulle di»ctiiiaion ilin*

Il ^Ut les diviie ; ticu ne le» poitc à se tromper l'un l'autre i Peslime

est le ^eal bien niiqi^l elincun aspire» et qu'ils méritent loua.

•possible qu'un ssityiig*.' (is^v une nrinvaise arlion ; mais il n'est

liblc quM prenne l'initiitudedcmal fiiire , car ceh ne lui serait Imn

le cpois qu'on peut faire niic trcs-iuste eslinialion des moruis dea

•tif U multitude de* affiires qu'ils ont enlre enx ; plui ils com-

it «n^<?ml)te , plus ils admirent leurs taleus et leur induttiie , plus

ii« ae riiponnenl droemmc-nt et adroîiement t et plus ils sont digne» d-s

•a^ris. Je le dis à regni , l'homme de bien est eelui qui u'j besoin Je

to<vaiper personne , c( le sauvage est cet homme-U.

Iliamnon poptUt fitscf.r , non purpura rcgum JPiexit , el injidos agitons dticordia fratres ; KûH rt» romann- , penturaque régna, Neque tt!e jiut doiutt mUenmi inop«m | aut invidit habenit.

,38 PREFACE,

tourmenter parles désirs, et l'avenir malbeureux'p^ur !e lui faire sentir fl'avance. L'eflude corrompt sesmœurs, allère ^a «iantêf dé- truit son tempérament, et gale souvent sa raison : si elle lui appre- nait quelque chose, je !c trouverais *»ncnre fort mal dédoniniagê.

J*avoue qu'il y a qurlqties gi'nies sublimes qui savent pénétrer à travers les voilpsdont la vérité s'enveloppp , qurlqnes âmes pri- vilégiées, capables de résister à la bêtise de la vanité , à la basse jalousie, et aut autres passions qu'engendre I^jeçouI des lettres. Le petit nombre de ceux qui ont le bonheur de réunir ces qua- lités est la lumière et Thonupur du genre humain j c'est à euxseuls qu'il convient pour le bien de tous de s'exercer â Télude , et cetltf exception même confirme la règle : car si tous les hommes étaient des tSocrates, la science alors ne leur (cratt pas nuisible , mais ili n'auraient aucun brsoin d'elle.

Tout peuple qui a des nin*nrs, et qui par conséquent respecte «es lois et ne veut point raftiner ?ur srs anciens usages , doit garantir avec isoin îles sciences , et surtout des savaus , dont le* maximes senteneieu&es et dogruatiques lui apprendraient bientôt il mépriser ses usages el ses lois ; cf qu'uur nation ne peut [ainais faire sans se corrompre. Le moindre changement dans les cou- tumes, fùt-il raêrao avantageux â c<*rlains égards, tourne tou- jours au préjudice des ma»iirs. Car les coutumes sont la ruorale du peuple ; et dès qu'il cesse de les respecter, il n'a plus t\r rèffle que ses passions, ni de frein que les lois , qui peuvent quelquefois contenir les niéchans, mais jamais les rendre bons. I)'ailleurs^ quand la philosophie a une lWif> appris au peuple à mépriser se» coutumes, il trouve bientôl le secret d'éludt-r se» lois. Je dis donc (|u'il en est des mcrurs d'un peuple comme de l'Unnueur d'un homme; c'est un trésor qti'it faut conserver, mais qu'on ne re- couvre plus quand on Ta perdu (i].

Mais quand un peuple eîit une Fois corrompu k an certain point, Roit que les sciences Y aient routribué ou non , faut-il les bannir ou l'en préserver pour le rendre meilleur ou pour remiM'cher de devenir pire? C'est une autre qutfstion dans laquelle ]e me suis positivement déclaré pour la négative. Car premièrement , puis-

(i) Je trouve dans rhiiloîre un eiemple unique , mais riuppiiiil , qaî •PDiMe contredire cette reiftiime : c'est relui do U fondai ion de Hom^ faite par une troupi- de bnndils, dont le« drscetulan* devinrent en p' u dp f>c- nérations le pluit vertueux peuple qui ait viuisii» exisi''. Jr nr serni^ pitK en peint.* dVupliquer ce fait, si c'in était ici Je lifii j niniH ie me coufiilfiaî de remarquer que lea fondalcnri de Romeéliiir-iil miûns de^ honitnrfi dont le» moeur» faxanit €orrontpurs^ qiie dr» hoinm» di>ni l<<i mœttr» ii'é<ntriit point formées : ils ne nirpi iskRienl pn» |a vitIu, inaîî iU ne j.i c<miutfiftaîcol pas rnrorc ; car ten mots vriirra et vcbs »otit dis noltoiu collrv-tivea qui rc naisHent qurdcl» fn qut-iUallon dt a homnieis. Au nurphia, on lirt*niil un mauvais parti de celle uhjeclion rn. f^it r'ur dt-s tici(-nr< s , t-nr tt- « <leax premiers rois de Rome qui donnèfnl une Inrmf li In r'puldiqnn, et inxii tuèrent sea coDlnmcsvt «e» n.œurs, l'nn ne »*occ>'p >ii que d<* guerres, ronlre que de rites saci'ês, les dcuxcUosea du munde le» plus tioignre» de Jh philosophie.

PRÉFACE. 137

4]ii*aii peuple Ticîeux ne revient jamais k la vertn, il ne s'agit pas de renare bons ceux qui ne le sont plus , mais de conserver tels ceux qui ont le bonheur de l'être. En second Heu, les mêmes causes qui ont corrompu les peuples servent quelquefois à pré- venir une plus grande corruption : c'est ainsi que celui qui s'est cât^ le tempérament par un usage indiscret de la médecine est lorc^ de recourir encore aux médecins pour se conserver en vie. Et c*e«t ainsi que les arts et les sciences , après avoir fait éclore les vices , sont nécessaires pour les empêcher de se tourner en crime* } elles les couvrent au moins d'un vernis qui ne permet pas aa poison de s'exhaler aussi librement : elles détruisent la vertu, mais elles en laissent le simulacre public (1), qui est tou- jours une belle chose : elles introduisent à sa place la politesse et Jesbîenséancesj et â la crainte deparaitre méchantelles substituent celle de paraître ridicule.

Mon avis est donc, et je l'ai déjà dit plus d'une fois , de laisser subsister et même d'entretenir avec som les académies , les col- lèges, les universités, les bibliothèques, les spectacles , et tous les autres amusemens qui peuvent faire quoique diversion à la méchanceté des hommes , et lesempêcher a'occuper leur oisiveté à des choses plus dangereuses. Car, dans une contrée il ne serait plus question d'honnêtes gens ni de bonnes mœurs, il vau- drait encore mieux vivre avec des fripons qu'avec des brigands.

Je demande maintenant oii est la contradiction de cultiver moi-mêfne des goAts dont j'approuve le progrès. Il ne s'agit plus de porter les peuples k bien faire , il faut seulement les distraire de faire le mal ; il faut les occuper à des niaiseries pour tes dé- tourner des mauvaises actions ; il faut les amuser au lieu de les prêcher. Si mes écrits ont édifie le petit nombre des bons, je leur ai fait tout le bien qui dépendait de moi ; et c'est peut-^tre les servir utilement encore que d'offrir aux autres des objets de dis- traction qui les empêchent de songer à eux. Je m'estimerais trop heareux d'avoir tous les jours une pièce à faire siffler, si je pouvais à ce prix contenir pendant deux heures les mauvais desseins d'un seul des spectateurs , et sauver l'honneurde la fîtle ou de la femme de son ami, le secret de son confident, ou la fortune de son créancier. Lorsqu'il n'y a plus de mœurs, il ne faut songer qu'à la police; et l'on sait assez que la musique et les spectacles en sont un des plus importons objets.

S'il reste quelque dilliculté à ma justification , j'ose le dire har- diment, ce n'est vis-à-vis ni du public ni de mes adversaires ; c'est vis-à-vis de moi seul : car ce n'est qu'en m'observaut

(1) O timulacre est une certaine douceur <le mœurs qui supplée quel- quefois à leur parelé, nneccrlainc appareDce d'ordre qui prévient l'bni- rible confusion, une certaine admiration des belles choses qui empêche les bonnes do tomber tont-à-fait dans l'oubli. Cesl le vice qui prend le masqae de la verlu , non comme l'hypocrisie pour tromper et trahir , mais pour s'ôler sous celte aimable et sacrée efligie l'horreur qu'il a de lui-même quand il se voit à di'courert.

,38 PRÉFACE.

mot-mciHC que je puis juger si je doi« me compter dariâ le petit nombre, el si luon aiue eitt en ctaL de soutenir te fuix des exer- cices liuéraires. J'en ai &euli plu& d*une fois le danger ; plus d'une fois je les ai abandonnes « dans le dcsftein de ne te» plus reprendre j et renonçant à leur charme séducteur, j'ai sncrilié à fa paix de mon cœur les seuls plait<irs <]ui pouvaient encore le ilaller. Si dans les langueurs qui m'accablent, si sur la lin d'une carrière pénible et douloureu.^e , j'ai osé les reprendre encore (|uelqucs luouiens pour charmer mes maux, je crois au moins n'y avoir rais ni asset d'inlcrct ni assez de prétention pour mériter ù cet égard les justes reproches que j'ai faits aux gens de lettres.

11 me fallait une épreuve pour achever la connaissance de moi- même , et je l'ai faite sans balancer. Après avoir reconnu la situation de mon ame dans 1rs succès littéraires, il me restait à l'examiner dans les revers. Je sais maintenant qu'en penser, el je puis mettre le public au pire. Ma pièce a eu le sort qu'elle mé" rilait et qne j'avais prévu; mais, â rennui prcsqu*ellc m*a causé» )e suis sorti do la représentation bien plus content de mot et k pins juste titre que si elle eût réussi.

Je ronseille donc à ceux qui sont si ardens â chercher des re- proches â me faire, de vouloir mieux étudier mes principes cl mieux observer ma conduite, avanlque de m'y taxer de contra* diction et d'inconséquence. S'ils s'aper<;oivcnt jamais que je com- mence k briguer les suflVages du public, ou que je tire vanité d'avoir fait de jolies chansons , on que je rougisse d'avoir écrit de mauvaises comédies, ou que je cherche n nuire à la gloire de mes concurrens, ou qne j'alVcte de nui) parler de* grand<i hom- mes de mou .siècle pour lâcher de m'elever à leur niveau en les rabaissant an mien , on que j'aspire à tles places d'académie, ou que j'aille faivu ma cour aux femmes qui donnent le ton , ou que j encense la sottise des grands, ou que , cessant de vouloir vivre du travail de mes mains , je tienne à ignominie le métier que jv me suis choisi et fasse des pas vers la furlune , s'ils reinarquenl , rn un mot, que Tamour de la réputation me fasse oublier celui de la vertu , ^e les prie de m'en avertir, et même publiquement ; et je leur promets de jeter à l'instaut au feu mes écrits cimes livres, el de convenir de toutes les erreurs qu'il leur plaira de me reprocher.

En allendaut , JVcrirai des livres, je ferai des vers el de la musique , si j'en ai le talent, le temps, la force et la volonté i je continuerai à dire très-franchement tout le mal que je pense des lettres et de ceux qui les cultivent (ij, el croirai n'eu valoir

(i) J'admire combien la plii{i.irl tien gens Ju U'llri'& ont prit le cli,-in£« ilana cette aOaire-ti, Quatiil ils uni vu len sciences et \v» ans attaqués , lU •ni cra quW en voulait |icraoQnelh-niL'iit ù eux, isiull» que, »nus ms coatreilire eux-mémos, ils pourraient tous pensrr, cotiime moi < que « quoique ce» choses ig^ul fait beaucoup de mul à la soi'îi'tr » il rsl Uês-

PRÉFACE. 139

jMS narâM pour cela. Tl est vrai ^u'on pourra dire quelque jour , « Cet ennemi si déclaré des sciences et des arts ht pourtant et » publiadet pièces de théâtre ; n et ce discours sera , je Tavoue, une satire trë»-amëre , non de moi , mais de mon siècle.

Ltielde i^en terrîr anjoard'hai comme d'ane médecine au mal qu'elles ODtcanaé , ou comme de ces animaux matfaîsaos qu'il faut écraser sur k morsure. En an mol , il n'y a paa un homme d»* lettres qui , s'il peut soutenir dans aa condaile l'examen de Tarticle précédent , ne puisse dire en sa fsTeur ce que )e dis en la mienne ; et cette manière de raisonner me parait leur convenir d'autant mieux qu'entre nous ils se soucient fort

Cdes sciences, pourvu qoVUes continnent de mettre les aavaus en neur. Cest comme les prêtres dn paganisme ^ qui ne tenaient i la religion qu'autant qu'elle les disait respecter.

ACTEURS.

LiSIMOIT.

. ' \ enfans de Lisîmon.

LVCINOE, j

. , ' > frère et sœur» papilles de Lîsinion.

JLEANDRE, ) » r r

Marton, suivante. Frontin, valet de Valère.

Im êcène est dans VapparUment de FaUrt,

NARCISSE,

OU

UAMANÏ DE LUI-MÊME

SCENE 1«. LUCINDE, MARTON.

LUCrNDE.

Il Tiens de voir mon frère se promener dans le jardin; hâtons- nous, ftraat son retour, de placer son portrait sur sa toilette. HARTo:v.

Le voilfc , mademoiselle , chan{^é dans ses ajuslemens de ina- vièrc k le rendre me'connaissable. Quoiqu'il soit le plus joli tioume du monde , il brille ici eu femme eucore avec de noorelleft grâces.

mcipf OE.

Valère est , par sa délicatesse et par Taflicctalion de sa pa- rure, une espèce de femme cachée sous des habit* d'homme; fl ce portrait « ainsi travesti , semble moins le déguiser que le renure â sou état naturel.

MARTON.

FJi bien , oîi est le mal ? Puisque les femmes aujourd*hai thfrclient à se rapprocher des hommes, n'esl-il pas convenable ll^ur ceui-ci fassent la moitié du chemin , et qu'ils tâchent de ^fpier en agrémens autant qu'elles en solidité ? Grâce à la «ode , tout s'en mettra plus aisément de niveau.

LCCINDE.

Jf ne pois me faire à des modes aussi ridicule*;. Peut-être iKHre sexe aura-t-il le bonheur de n'en plaire pas moins , quoiqu'il devienne plus estimable. Mais pour les hommes , je plains leur aveuglement. Que prétend cette jeunesse étourdie ra usurpant tous nos droits ? Ëspèrcnt-ils de mieux plaire aux femincs en s'eflorçaut de leur ressembler ?

MARTOX.

Pour celui-là, ils auraient tort, et les femmes se haïssent trop mutuellement pour aimer ce qui leur ressemble. Mais re- vewoo* au portrait Ne craignez - vt>us point que celte petite raillerie ne fâche monsieur le chevalier !

LBCI ?(u E. XoD, Marloo ; mon frère est naturellement boa^ il est zoèwe

142

NARCISSE.

raisonnable, à son défaut prés. Il sentira qu'en lui faisant par ce portrait un reproche ittuet et barlin , je n*ai songe qu'à le guérir d'un travers qui choque jusqu'à celte tendre Angélique, cette aimable pupille de mon père que Valère épouse aujour— d'hui. CVst lui rendre service que de corriger les défauts de son amant * et tu sais combien i*ai besoin des soins de cette chère amie pour me délivrer de Léandrc , sou frère , que moa père veut aussi me faire épouser.

MABT0 5.

Si bien que ce jeune inconnu , ce Cléonte que vous vîtes Yéié dernier à Passy , vous tient toujours fort au cœur ?

LUCIXDE.

Je ne m^en défends point; je compte même sur la parole qu*il in'a donnée de reparaître bientôt, et sur la promesse que m'a faite Angélit[uc d'engager son frcre û renoncer à moi.

MARIO ï«.

Bon , renoncer ! Songez que vos yeux auront pins de force pour serrer cet engagement , qu*Angélique u*en saurait avoir pour le rompre.

LDCINDE.

Sans disputer sur tes flatteries, je te dirai que comme Léandre ne m'a jamais vue , il sera aisé à sa soeur de le préxenir , et de lui faire entendre que ne pouvant cire licureiix avec une femme dont le cœur est engagé ailleurs , il ne saurait mieux faire que de s'en dégager par un refus honnête.

M A h T 0 X.

Un refus honnête I Ah î mademoiselle, refuser une femme faite comnte vous , avec quarante mille écus , c'est une hon- nêteté dont jamais Léandre np sera capable. ( à part. ) Si elle savait que Léandre et Cléonte ne sont que la même personne, un tel refus changerait bien d'épilhète.

LUCINDE.

Ah ! Marton f j'entends du bruit j cachons vite ce portrait. C'est , sans doute , mon frère qui revient ; et , en nous amusant à Jaser , nous nous sommes ôté le loisir d'exécuter noire projet.

MAftTON.

Non , c'est Angélique.

•SCÈNE IL ANGÉLIQUE, LUCINDE. MARTON-

AXGÉLIQUE.

Ma chère Lucinde , vous saver avec quelle répugnance je me prêtai à votre projet , quand vou.s fîtes rhanger la parurr \iix portrait de Valère en des ajusteuaeas de lemmc. A présent

SCÈNE IL 14Î

re ]t TOUS vois prête à Texécuter, je tremble que le déplaisir se voir jouer ne l'indispose contre nous. Renonçons , je vous prie , à ce frivole badinage. Je sens que je ne puis trouver de soùt k xn' égayer au risque au repos de mon cœur.

LCiciproE. Que vous êtes timide ! Valère vous aime trop pour prendre en mauvaise part tout ce qui lui viendra de la votre , tant' que vous ne seres que sa maîtresse. Songes que vous u*avez plti^ qu'un jour à donner carrière k vos fantaisies , et que le tour des siennes ne viendra que trop tôt. D'ailleurs , il est question de le gnérir d'un faible qui l'expose k la raillerie , et voilà pro- prement l'ouvrage d'une maîtresse. Nous pouvons corriger les défauts d'un amant : mais , bêlas ! il faut supporter ceux d'un mari.

ANGÉLIQUE.

Qne lui trouvez-vous , après tout , de si ridicule ? Puisou'il est aimable , a-t-il si grand tort de s'aimer ? et ne lui en aon- nons-nous pas l'exemple ? Il cherche à plaire. Ah î si c'est un défaut, quelle vertu plus charmante un homme pourrait -il apporter dans la société ?

MARTOK.

Surtout dans la société des femmes.

ANGÉLIQUE.

Enfin , Lucinde , si vous m'en croyex , nous supprimerons et le portrait, et tout cet air de raillerie qui peut aussi bien passer pour une insulte que pour une correction.

LUCINDE.

Oh ! non. Je ne perds pas ainsi les frais de mon industrie. Biais je veux bien courir seule les risques du succès ; et rien ne vous oblige d'être complice dans une affaire dont vous pouvez n'être que témoin.

HARTOIT.

Belle distinction !

LUCINDE.

Je me réjouis de voir la contenance de Valère. De quelque manière il prenne la chose , cela fera toujours une scène assez plaisante.

MABTON.

J'entends : le prétexte est de corriger Valère; mais le vrai motif est de rire à ses dépens. Voilà le génie et le bonheur des femmes. Elles corrigent souvent les ridicules en uc songeant qu'à s'en amuser.

ANGÉLIQUE.

Enfin , vous le voulez ; mais je vous avertis que vous me répondrez de l'événement.

i44 NARCISSE.

LUCINDE.

Soit.

ANGÉLIQUE.

Depuis que nous sommes ensemble , vous m'aves fait cent pièces dont je vous dois la punition. Si cette affaire-ci me cause la moindre tracasserie avec Valère , prenez garde à vous.

LUCINDE.

Oui y oui.

ANGÉLIQUE.

Songez un peu k Léandre.

LUCINDE.

Ah I ma chère Angélique

ANGÉLIQUE.

Oh ! si vous me brouillez avec votre frère , je vous jure que vous épouserez le mien. ( bas. ) Marton , vous m'avez promis le secret.

HAfiTON , bas.

Ne craignez rien.

LUCINDE.

Enfin , je

MAKTON.

J'entends la voix du chevalier. Prenez au plutôt votre parti , à moins que vous ne vouliez lui donner un cercle de nlles à sa toilette.

LUCINDE.

Il faut bien éviter qu'il nous aperçoive. ( £lle met U portraii sur la toilette. ) Voilà le piège tendu.

MAHTON.

Je veux un peu guetter mon homme, pour voir

LUCINDE.

Paix. Sauvons-nous.

ANGÉLIQUE.

Que j'ai de mauvais pressentimens de tout ceci l SCÈNE III. VALÉRE, FRONTIN,

VALÉnE.

Sangaride, ce jour est un grand jour pour vous.

FRONTIN.

Sanp^aride , c'est-à-dire Angélique. Oui, c*cst un grand jour que celui de la noce , et qui uiéuic allonge diablement tout ceux qui le suivent.

SCÈNE III. 145

VALÈRE.

Que je vais goûter de plaisir k rendre Angélique heureuse !

FRONTI.N. Auries-vous enyie de la rendre veuve ?

VALÈRE.

Mauvais plaisant.... Tu sais à quel point je l'aime. Dis-moi; ipe connais-tu qui puisse manquer k sa félicité ? Avec beau- coup d'amour , quelque peu d'esprit , et une figure... comme tu Tois y on peut , je pense , se tenir toujours assez sûr de plaire.

FROWTIÏ*.

La cbooe est indubitable , et vous en avez fait sur vous- même la première expérience.

VALÈRE.

Ce que je plains en tout cela , c'est je ne sais combien de petites personnes qne mon mariage fera sécher de regret , et 4ui vont ne savoir plus que faire de leur cœur.

FRONTIN.

Oh que si. Celles qui vous ont aimé , par exemple , s'oc- cuperont à bien détester votre chère moitié. Les autres.... Mais diable les prendre , ces autres-là ?

VALÈRB.

La matinée s'avance ; il est temps de m'habiller pour aller voir Angélique. Allons. ( // se met à sa toilette» ) Comment me troaveft-iu ce matin ? Je n'ai point de feu dans les yeux; j'ai le teint battu; il me semble que je ne suis point à l'ordinaire.

FRONTIÎT.

A rordinaïre ! Non , vous êtes seulement h votre ordinaire.

VALÈRE.

Cest une fort méchante habitude que l'usage du rouge; à la fin je ne pourrai m'en passer, et je serai du dernier mal sans cela. Oïl est donc ma boite à mouches ? Mais que vois-je ? un portrait.... Ah ! Frontin , le charmant objet !... as-tu pris ce portrait ?

FRONTIN.

3Ioi ? Je veux être pendu si je sais de quoi vous me parlez.

VALÈRE.

Quoi ! ce n'est pas toi qui as mis ce portrait sur ma toilette?

FRONTIN.

Non , que je meure.

VALÈRE.

Qui serait-ce donc ?

5 i<f

i4ti NARCISSE.

F a O N T I PT.

Ma foi , je n'en sais rien. Ce «e peut être c|ue le diable, ou vous.

VàLÈRE.

A d'autres. On t'a paye {>our te taire.... Sais-^tu bien que la comparaison de cet objet nuit à AngéliQ[ue?... Voilà, d'honneur, la plus jolie figure que l'aîe vue de ma vie. Quels yeux, Frontin !.. Je crois qu'ils ressemblent aux miens.

TRONTIN.

C'est tout dire.

VALÉRE.

Je lui trouve beaucoup de n%on air... Elle est , ma foi , char- mante... Ah I si l'esprit soutient tout cela... Mais son goù.t m^e répoud de son esprit. La friponne est connaisseuse en mérite !

FRONTIV.

Que diable ! Voyons donc toutes ces merveilles.

VALÂRE.

Tiens , tiens. Penses-tu me duper avec ton air niais ? Me croîs- tu novice en aventures ?

FRONTiN , à part

Ne me trompé- je point? C'est lui... c'est lui-même. Comme i le voilà paré ! Que de fleurs ! que de pompons ! Cest sans doute quelque tour de Lucinde ; Marton y sera tout au moins de moitié. pie troublons point leur badinage. Mes indiscrétions précédentes m'ont coûté trop cher.

VALÈRE.

lié bien ! monsieur Frontin reconnattrait-il l'original de cette peinture?

FRONTIN.

Pouh ! si je le connais ! Quelques centaines de coups de pied au cul , et autant de soufflets, que j'ai eu l'honneur d'en rece« voir en détail , ont bien cimenté la connaissance.

VALÈRE.

Une fille , des coups de pied ! Cela est un peu gaillard.

FRONTiy.

Ce sont de petites impatiences domestiques qui la prennent « propos de rien.

VALÈRE.

Comment! l'aurais-tu servie?

FRONTIN.

Ouï , monsieur ; et j'ai luême l'honneur d'être toujours son Ircs-humble serviteur.

e

SCENE III. 147

V&LÉRE.

Il serait assez plaisant qu'il y eût dans Paris une jolie Tenaoïe qui ne fût pas de ma connaissance !.. . Parle-moi sincèrement. tt'original est-il aussi aimable que le portrait?

FHOIfTlN.

Comment, aimable! savez-vous, monsieur, que si quelqu'un pouvait approcher de vos perfections , je ne trouverais qu'elle senle k vous comparer ?

VA RE, considérant le portrait. Mon cœur n'y résiste pas... Frontin, dis-moi le nom de cette belle.

FRoKTiif, à pari,

Ab! ma foi, me voilà pris sans vert.

VALÉRE.

Comment s'appelle-t-elle ? Parle donc.

FRONTIN.

Elle s'appelle... elle s'appelle... elle ne s'appelle point. C'est nne fille anonime, comme tant d'autres.

VALÈRE.

Dans quels tristes soupçons me jette ce coquin ! Se pourrait- il qne des traits aussi cliarmans ne fussent que ceux d'une grisette?

FRONTIN.

Ponrqaoî non? La beauté se plaît à parer des visages qui ne tirent leur fierté que d'elle.

VALÈRE.

Quoi I c'est. . .

FBONTIN.

Une petite personne bien coquette , bien minaudicre , bien Tune, sans gran^ sujet de l'être; en un 'mot, un vrai petit- maître femelle.

VALÈRE.

Voilà comment ces faquins de valets parlent des gens qu'ils ont servis. Il faut voir, cependant. Dis-moi oii elle demeure.

FRONTIN.

Bon , demeurer ! est-ce que cela demeure jamais?

VALÈRE.

Si tu m'impatientes. ... Ou loge-t-elle , maraud ?

FRONTIN.

Ma foi , monsieur, à ne vous point mentir , vous le savez tout aussi bien que moi.

i4iB NARCISSE.

VA HE.

Comment?

F H O W T I H.

Je vous jure que je ne connais pas mieux que vous l'original de ce portrait.

VALÉRE

Ce n*est pas toi qui Tas placé là?

F R o .V T I !<r. Non, la pe&te m'étoufTe!

V A L É n e. Ces idées que tu m'en as données....

FfcO NTIN.

Ne voyea-vous pas que vous me les fournissiez vous-même Est-ce qu'il y a quelqu'un dans le monde aussi ridicule que cela?

VALÈBE,

Quoi ! je ne pourrai découvrir d'où vient ce portrait? Le my»- tère etia difficulté irritent mon empressement. Car, je te l'avoue, j'en suis très-réellement éprit*.

FRONT! N, à part.

La chose est impayable ! Le voila amoureux de lui-même.

\ A L È R E .

Cependant, Angélique, la charmante Angélique.... En vérîté, je ne comprends rien à mon cneur, et je veux voir cette nou- velle maîtresse avant que de rien déterminer sur mon mariage.

FROff Ti y.

Comment^ monsieur! vous ne... Ah! vous vous moquez.

VALKAE.

Nouj je te dis trcs-sérieusement que je ne saurais oflVir ma i main à Angélique, tant que l'incertitude de mes sentimenssera i uu obstacle à notre bonlieur mutuel. Je ne puis l'épouser au- jourd'hui , c'est uu point résolu.

FEONTIK. '

Oui , cbcz vous. Mais monsieur votre père , qui a fait aussi ses petites résolutions à part , est l'homme du monde le moins propre à céder aux v<Strcs^ vous savez que son faible n'est pu la complaisance.

VALÈRE.

Il faut la trouver, à quelque prix que ce soit. Allons, Frontin^j courons, cbcrchouâ partout.

FRONTtN.

Allom, courons, volons ; faisons l'inventaire et le signale-

k

SCENE ni. ,4^

ment de tontes les jolies fiJIes de Paris. Peste! le bon petit Inrre qae nous aurions ! Livre rare, dont la lecture n'enSor- mirait pas.

VALÈHE.

Hâtons-nous. Viens achever de mliabiller.

FRONTÏN.

Attendez , voici tout k propos monsieur votre père. Propo-- sons-loi d'être de la partie.

VALÉRK.

Tai»-toi, Bourreau. Le malheureux contretemps! SCÈNE IV. LISIMON, VALÉRE, FRONTIN. i^tsmofi y gui doit toujours avoir le ton brusque^ bien, mon fils?

TALÈRB.

Trontin , un siège à monsieur.

L 1 s r ir o ir. Je venx rester debout. Je n'ai que deux mots à te dire.

VALÉRE.

Je ne sanrais , monsieur, vous écouter que vous ne soyez assis*

LISIMON.

Qae diable! il ne me plaît pas, moi. Vous verrez que l'im-- pertinent fera des comphmens avec son père.

VAL ÈRE.

Le respect...

LIS IRC OIT.

Oh! le respect consiste à m'obéir cl à ne me point gêner. 3J»i5, qu'est-ce? encore en déshabillé? un jour de noces .'voilà qoi est joli ! Angélique n'a donc point encore reçu ta visite?

VALÈRE.

/acbevais de nie coiffer, et j'allais mTiabitler pour me pré- senter décemment devant elle.

LISIMOir.

Faot-il tant d'appareil pour nouer des cheveux et mettre un babit? Parbleu ! dans ma jeunesse , nous usions mieux du temps; et, sans perdre les trois quarts de la journée à faire la roue devant un miroir, nous savions à plus juste titre avancer nos affaires auprès des belles.

VAL ÈRE.

il semble cependant que , quand on veut être aime, on ne saurait prendre trop de soin pour se rcudrc aimable, et qu'une

,5o NAÏICISSE.

parure si négligée ne devait pas annoncer des amans Lien oc* capes du soin de plaire.

LISIMOfr.

Pure sottise. Vn peu de négligence sied quelquefois bien quand on aime. Les femmes nous tenaient plus de compte de nos cm- pressemens que dn temps que nous aurions perdu à noire toi- lette ; et , sans ftffrcter tant de délicatesse dans la parure , «ou» en avions davantage dans le cœur. Mais laissons cela. J'avai» pensé à difl'érer ton mariage jusqu'à l'arrivée de Léandre, afin ^n*il eiU le plaisir d'y assister, et que j'eusse, moi, celui de faire tes noces et celles de la sœur en un même jour.

VALÈRE, haê. Frontin , quel bonheur!

F RONTI5.

Oui , un mariage reculé; cW toujours autant de gagné (ur le repentir.

tIS I M O \.

Qu'en di^tu , Yalêre? Il semble qu'il ne serait pas séant de marier la sœur sans attendre le frère , puisqu'il est en cbciuia.

VALÈR E.

Je dis , mon père , qu'on ne peut rien de mieux pensé.

LismoN. Ce délai ne te ferait donc pas de peine?

VALF.RE.

L'empressement de vous obéir surmontera loujonrs tout mes répugnance*.

LISIHON.

C'était pourtant dans la crainte de te mécontenter que je ai

I

te l'avais

pas propose.

V A t. K R F .

Votre volonté n'est pas moins la règle de mes désirs que cel de mes actions, {bas.} Frontin, quel bon homme de père!

Li s iMo rv.

Je suis charmé de te trouver si docile : tu en auras le mérî à bon marché; car, par une lettre que je reçois à l'iustapC i Lcandre m'apprend qu'il arrive aujourd'hui.

VAL ÈRE.

bien , mon père ?

LÎ5IM0N.

lie bien , mon fils , par ce moyen rien ne sera dérangé.

VALÉBE.

Comment I vous voudriez le marier en arrivant ?

SCÈNE ÎV. i5i

FBOIf TIK.

Maiîer on homme tout botté !

Lisi>fo?r.

Roa pas cel« « puisque d'aUleur* Luciade et lui ne l'étant )«Biak Yus , il faut bien leur laisser le loisir de faire connais- smce : mais il assistera au mariage de sa sœur , et je n'aurai pas la dureté de faire languir un fils aussi complaisant.

Monsieur....

LISIHOK.

Ne crains rien ; je connais et j'approuve trop ton empresse- ment, pour te jouer un aussi mauvais tour.

VAtèRE.

Mon père....

LISIHOir.

Laissons cela , te di»-je , je devine tout ce que tu pourrais me dire.

VALlÈRE.

M^ y mon père... j'ai fait... des réflexions...

LISIMON.

Des réâeiions , toi ? j'avais tort. Je n^auraïs pas deviné celui- là- Sur quoi donc, s'il vous plaît , roulent vos méditations su- lilimes?

VALÊ BE.

Sur les inconvéniens du mariage.

FRORTIN.

Voilà un texte qui fournit.

LISIMOpr.

Un sot peut réfléchir quelquefois; maïs ce n'est jamais qu*a- ,pès la sottise. Je reconnnais mon flls.

V ALÈRE.

Comment! après la sottise? Mais je ne suis pas encore marié.

LISIMON.

Apprenez, monsieur le philosophe, qu'il n'y a liull« diffé- rence de ma volonté à l'acte. Vous pouviez moraliser quand je TOUS proposai la chose et que vous en étiez vous-même si em- presse; j'aurais de hon cœur écouté vos raisons : car vous save£ si je suis complaisant.

FRONTIN.

Oh!. oui, monsieur; nous sommes là-dcssns eu état de vous rendre justice.

tB% NARCISSE.

LïSIMON.

Mais, aujourd'hui cjue tout est arrêté, vous pouveï spéculer à votre aisej ce sera, s'il tous plaît , sans préjudice de la noce.

V A LE AE.

La contr<tin1e redouble ma répugnance. Songez, je vous sap- plie, à rimportance de Taflaire. Daignez m'accorder quelques |onrf....

LISÏMOTÎ.

Adieu, mon fils; lu seras marié ce soir, ou... tu m'entends. Comme j'étais la dupe de la fausse déférence du pcadard!

S C È > E V,

VAtÈRE, FRONTIN.

VAI.ÊBE.

Cie) ! dans quelle peine me jette son inflexibilité!

Oui, marié ou déshérité ! épouser unefenuneon la misère! on balancerait à moins.

VALÉRE.

Moi , balancer ! non ; mon choix était encore incertain , Tapi- niâtreté démon père Ta déterminé.

père

FRONTIX,

I

En faveur d'Angélique?

VALÉItE.

Tout au contraire.

FRONTIN,

Je vous félicite, monsieur, d'une résolution aussi héroïque Vous allez mourir de faim en digne marivr de la liberté. Alais s'il était question d'épouser le portrait? hem ! le mariage ne vous paraîtrait plus si aSreux?

VA LE RE*

Non j mais si mon pcrc prétendait m'y forcer , je croîs que j'y résisterais avec la même fermeté , et je sens que mon c<cur merameneraitvers Augéliquesitôt qu'on m'en voudrait éloigner.

F h O N T I pr.

Quelle docilité! Si vous n'héritez pas des biens de monsieur votre père , tous hériterez au moins ae ses vertus, {regardant U portrait). Ah!

VALËRE.

<Ju'as-tu?

FRONTIN.

Depuis notre disgrâce , ce portrait me «emble avoir pris une pli^'sioiioiuie fauiélique^ un certain air allongé.

SCENE V. i53

VA LE RE.

Cest trop perdre de temps à des impertinences. Nous devrions d^à avoir coaru la moitié de Paris, (flsort,)

FRONTIN.

An train dont vous allez, vous conrrez bientôt les champs. Attendons cependant le dénouement de tout ceci^ et, pour feindre de mon c6té une recherche imaginaire , allons nous ca- dier dans un cabaret.

SCÈNE VI. ANGÉLIQUE, MARTON.

MARTON.

Ah! ah ! ah! ah! la plaisante scène! Qui l'eût jamais prévue? Que vous avez perdu, mademoiselle, à n'être point ici cachée avec moi quand il s*est si bien épris de ses propres charmes !

ANGELIQUE.

tt t'est vn par mes yeux.

MARTON.

Qdoî! tous auriez la faiblesse de conserver des sentimens pour m nomme capable d'un pareil travers?

ANGÉLIQUE.

Il paraît donc bien coupable? Qu'a-t-on cependant à lui reprocher, que le vice universel de son âge? Ne crois pas pour- tant qu'insensible ù l'onfrage du chevalier je souffre qu'il me préfère ainsi le premier visage qui le frappe agréablement. J'ai trop d'amour pour n'avoir pas de la délicatesse ; et Valère me sacriâera ses folies dès ce jour, ou je sacrifierai mon amour à ma raison.

MA RTON.

Je crains bien que l'un ne soit aussi difficile que l'autre.

ANGÉLIQUE.

Voici Lucinde. Mon frère doit arriver aujourd'hui: prends bien carde qu'elle ne le soupçonne d'être son inconnu , jusqu'à ce qu il en soit temps.

SCÈNE VI I. LUCINDE, ANGÉLIQUE, MARTON.

MARTON.

- ?* 8*6*' mademoiselle , que vous ne devineriez jamais quel a ete 1 effet du portrait. Vous en rirez sAreracnt.

LUCINDE.

Eh! Marlon , laissons le portrait; j'ai bien d'autres choses

NARCISSE. Ma chère Angélique , je suis désolcc, jp suis mouranlc.

ic , je SI lin de t(

en tête

Voici l'instant ou j'aT besoin de tout voire secours. Mon père ^ient de m'annoncer rarrivéc de Léandre; il vent que je me riisnose à le recevoir aujourd'hui , et à lui donner la main dans huit jours.

ANG LLI Q LE.

Que Irouvea-vous donc de si terrible?

UAllTOn.

Comment, terrible! Vouloir marier une belle personne rt# dix-huit ans avec un homme de vingt-deux , riche et bien fait ! en vérité cria fait peur , et il n'y a point de fîlle en âge de raisou à qui ridée d'un tel mariage ne donnât la ficvre.

LVCIIIDE.

Je ne veux rien vous cacher ; j'ai reçu rn mf^me temps mie lettre deClcontej il sera incessamment à Paris; il va faire agir iiuprès de mon père ; il me conjure de différer mon mariaf;e : enfin il m'aime toujours. Ah ! ma chère, seroz-vous insensible aux alarmes de mon cœur? et celte aiuitié que vous m'arût jurée. . .

ANGÉLIQUE.

Plus celte amitié m'est chère , et plus je dois souhaiter d'en voir resserrer les nœuds par votre mariage avec mon frère. Cependant, Lucinde, votre repos est le premier de mes désirs , et mes voeux, «ont encore plus coufonues aux vôtres que vous ne pensée.

LDr.IIÏOR

Daignez donc vous rappeler vos.promesses. Faites bieo coin-*j prendre à Léandre que mon cœur n^ saurait être k lui , que..

M A B T o N .

Mon dieu 1 ne jurons de rien. Les hommes ont tant de re*-| sources et les femmes tant d'inconstance » que si Léandre mettait bien dans la Icte de vous plaire , je parie qu'il en vien-l (Irait à bout malgré vous.

LUCINDB.

Marlon !

VAIITON.

Je ne lui donne pas deux jours pour supplanter votre îuconnal sans vous en laisser même le moindre regret.

L L' c I N ri F .

Allons, continuez.. . . Chère Angélique, je compte sur v< soins ; et, dans le trouble qni m'acile , je cours tout lenli auprès de mon père pour diflerer , sM est possible , un liymefl que la préoccupation de mou coeur ine fait envisager avec elTroh

V EUe sort. )

SCÈNE VIL i55

ANGÉLIQUE.

Je devrais l'arrêter. Mais Lisimon n'est pas homme k cëdcr aax sollicitations de sa fille; et toutes ses prières ne feront qu'affermir ce mariage , qu'elle-même souhaite d'autant plus qu'elle paraît le craindre. Si je me plais à jouir pendant quelques instans de ses inquiétudes , c'est pour lui en rendre l'évënement

Fias doux. Quelle autre vengeance pourrait être autorisée par amitié?

MAHTOÏT.

Je vais la suivre y et, sans trahir notre secret, l'empêcher , s'il se peut , de faire quelque folie.

SCÈNE VIII.

ANGÉLIQUE.

Insenaée que je suis ! mon esprit s'occupe à des badineries pendant que j'ai tant d'affaires avec mon cœur. Hélas! peut- être qu'en ce moment Valëre confirme son infidélité. Peut-être qu'instruit de tout , et honteux de s'être laissé surprendre , il ofre par dépit son coeur à quelque autre objet. Car voilà les hommes } ils ne se vengent jamais avec plus d'emportement que quand ils ont le plus de tort. Mais le voici , bien occupé de son portrait.

SCÈNE IX. '

ANGÉLIQUE, VALÉRE.

VALÈRE , sans voir Angélique,

Je cours sans savoir oii je dois chercher cet objet charmant. L'amour ne guidera-t-il point mes pas ?

ANGÉLIQUE, à pari.

Ingrat ! il ne les conduit que trop bien.

VALÈRE.

Ainsi l'amour a toujours ses peines. Il faut que je les éprouve à chercher la beauté que j'aime , ne pouvant en trouver à me faire aimer.

ANGÉLIQUE, àpart.

Quelle impertinence ! Hélas ! comment peut-on être si fat et si aimable tout à la fois?

VALÈBE.

Il faut attendre Frontin ; il aura peut-être mieux réussi. En tout cas, Angélique m'adore...

ANGÉLIQUE, àpart.

Ah) traître! tu connais trop mon faible.

i56

NARCISSE.

V A I ÈRE.

Apr« tout , je sens toujours «ue je ne perdrai rien aaprès <^*elle ; le cœur , les appas, tout s y trouve.

iKGIÉLiQDE, à part.

Il me fera l'honneur de m'agr^er pour son pis-aller.

VA LKHE.

Que j'éprouve de bizarrerie dans mes scntinnpns! Je renonce à la possession d'un objet charmant, et auquel , dans le fond , itton penchant me ramène encore. Je m'expose à la disgrâce lie mon père pour m'enlêler d'une belle , peul-«tre indigne de mes soupirs , pcut-i*lre imaf^ÎDaire , sur la seule foi d'un por- trait tombé des nues et Aattè à coup sAr. Quel caprice! quelle Inlie ! Mais quoi! la folie et les caprices ne .sont-ils pas le relieF fl'un homme aimable? ( regardant le portrait. ) Que de grâces î.^ (,)uels traits!.. Que cela est enchanté!... Que cela est divin! Ah î qu'Angélique ne se flatte pas de soutenir la comparaison avec tant de charmes.

ANGÉLIQUE, saisissant le portrait.

Je n*ai garde assuiéiuent. Mais qu'il me soit permîe' départager 'votre adiuiralion. I<a connaissance des charmes de cet te heureuse rivale adoucira du moins la boute de ma défaite.

VALÈIVE.

%0 ciel !

ANCÉI.IQTJF..

Qu'avez-yous donc? vous paraissez tout interdit. Je n*aurais jamais cru qu'un petit-maître (M si aisé à décontenancer.

VA LE R F.

Ab ! cruelle, vous connaissez tout l'ascendant que vous aves sur moi , et vous m'outragez sans que je puisse répondre.

ANr,ÉLl«iUE.

C'est fort mal fait, en vêritë j et régulièrement vons devriei roc dire des injures. Allez, chevalier, j'ai pitié de voire em- barras : voilà voire portrait ; et je suis d'autant moins fâchée que vous en aimiez l'original , que vos senlimens sont sur ce point lout-à-fait d'accord avec les mwns.

V A L É K F . Quoi ! vous connaissez la personne ?...

AN CtLtQtJE.

Non-seulement je la connais, mais je puis vous dirC qu'elle est ce que j'<ii de plus cher au monde.

VALÊ Ei:.

VrairnenI , \oi).t du nouvoauj et le langage est un peu sinça— lier dtiaa la bouche d'une rivale.

SCÈNE IX. i57

ANGÉLIQUE.

Je ne sais ; mais il est sincère. ( à part. ) S'il se pique , je triomphe.

VALÉRE.

Elle a donc bien du mérite ?

ANGÉLIQUE.

n ne tient qu'à elle d'en avoir infiniment»

VALÉRE.

Point de défaut , sans doute?

ANGÉLIQUE.

Oh l beaucoup. Cest une petite personne bizarre , capricieuse , éventée, étourdie, volage, et surtout d*une vanité insuppor- table. Mais , quoi ! elle est aimable avec tout cela , et je prédis d'arance que vous l'aimerez jusqu'au tombeau.

VALÉR£.

Vous y consentez donc ?

ANGÉLIQUE.

Oui.

VALÉRE.

Cela ne vous fâchera point ? ^

ANGÉLIQUE^

Non.

VALÉRE , à part.

Son indifférence me désespère. ( haut, ) Oserai-je me flatter qu'en ma faveur vous voudrez bien resserrer encore votre uuioa avec elle?

ANGÉLIQUE.

Ccst tout ce que je demande.

VALÉRE, outré, ' Yous dites tout cela ayec une tranquillité qui me charme.

ANGÉLIQUE.

Comment donc ! vous vous plaigniez tout à l'heure de mon enjouement , et à présent vous vous fâchez de mon sang-froid. Je ne sais plus quel ton prendre avec vous. VALÈRE , bas.

Je crève de dépit. ( haut. ) Mademoiselle m'accorde-t-elle la £iveuT de me faire faire connaissance avec elle?

ANGÉLIQUE.

Voilà , par exemple , un genre de service que je suis bien t&re que vous n'attendez pas de moi : mais je veux passer votre «pérance , et je vous le promets encore.

i58 NARCISSE.

VALÉRE.

Ce sera bientôt , an moins ?

ANGÉLIQUE.

Peut-être des aujourd'hui.

VALÈRS.

Je n'y puis plus tenir. { // vetU t'en aller, )

ANGÉLIQUE, àpari.

Je commence k bien augurer de tout ceci ; il a trop de dëpit* pour n'avoir plus d'amour. ( haut, ) allez-vous , Valëré /

VALÉRE.

Je vois que ma présence vous gène , et je vais vous céder la place.

ANGÉLIQUE.

Ah ! point. Je vais me retirer moi-même : il n'est pas juste

que je vous chasse de chez vous.

VALÈRE.

Ailes , allez ; souvenez-vous que qui n'aime rien ne mérite pas d'être aimée.

ANGÉLIQUE.

Il vaut encore mieux n'aimer rien que d'être amoureux de soi-même.

SCENE X.

VALÈRE.

Amonrenx de soi-même ! Est-ce un crime de sentir un pea ce qu'on vant? Je suis cependant bien piqué. Eat-il possiole \ qu'on perde un amant tel que moi sans douleur ? On dirait

Qu'elle me regarde comme un homme ordinaire. Hélas! je me éguise en vain le trouble de mon coeur , et je tremble de l'aimer encore après son inconstance. Mais non ; tout mon oœnr n'est qu'à ce charmant objet. Courons tenter de nouvelles re- cherches, et joignons au soin de faire mon bonheur celui d'ex- citer la jalousie d'Angélique. Mais voici Frontin.

SCÈNE XI.

VALÈRE; FRONTIN, iVrf.

FRONTIN.

Que diable ! je ne sais pourquoi je ne puis me tçnir; j'ai pour- i tant fait de mon mieux pour prendre des forces.

VALÉRE.

Eh bien , Frontin , as-tu trouvé...?

FKONTIN.

Oh ! oui, monsieur.

SCENE XI. tSg

VàLÈRE.

Ah ciel ! serait-il possible ?

rROHTIW.

Aoisî j*ai bien eu de la peine.

VALÉEE.

HAte-toi donc de me dire...

FRONTIir.

n m'a fallu courir tous les cabarets du quartier.

TALÈRE»

Des cabarets 1

FRONTIir.

Bfaû )*ai réussi au-delà de mes espérances.

VALEEE.

Conte-moi donc...

FROrCTIN.

C'était un feu... une mousse...

VALÈRE.

Que diable barbouille cet animal ?

FRONTIff.

Attendes que je reprenne la chose par ordre.

VALÉEE.

Tais-toi, ivrogne, faquin ; ouréponds-moisur les ordres que je t'ai donnés au sujet de l'original du portrait.

FHONTlIf.

Ali! oui, l'original ; justement. Rejouissez-vous , réjouissez- Y^ns I Tous-dis-je.

VALÊRE,

bien ?

FR0irTI5.

Il n'est déjà ni k la Croix-blanche , ni au Lion-d'or , ni à la Poname-de-pin , ni...

TALÊRB.

Bourreau , finîras-tu ?

FROWTIIT.

Patience. Puisqu'il n'est pas là, il faut qu'il soit ailleurs; et..: Ob! je le trouverai, je le trouverai...

VALÈRE.

Il me preAd des démangeaisons de l'assommer; sortons.

Ï6«

NARCISSE. SCÈNE \IL FRONTIN.

Me voilà , en effet , bleiiteul raboleux Ah ! bifait...

t , asseE joli garj^oii... Ce plancher est OU en ctais-je ? Ma foi , je n'y suis

SCENE XIII. LUCINDE, FROiNÏIN'.

LL'CINOE.

Froutin, c&t Ion maître?

rnonrift. Mais , je crois qu'il se cherche actiiellenient.

LL'i; I NUE.

Commenl! il bc cherche ?

FBOIITII».

Oiii , il se cherche pour sVpouser.

LUCI N D t.

Qu'est-ce que c'est que ce galimatias ?

FRONTIN.

Ce galimatias! vous n'y comprenez donc rien?

LIJCIN0E.

Non, en v^rit^.

FRONTIN.

Ma foi, ni moi non plus : je vais pourtant vous Texpl si vou» voulez.

LUCINDE.

Comment m'ezpliquer ce que tu ne comprends pas?

FKONTI.y.

Oh dame ! j*ai fait mes études , moi.

LUCINDE.

Il est ivre , je crois. Eh ! Frooliii , je l'en prie , rappelle tou bou sens; tâche de te faire entendre.

yfcOTITIN.

Pardi, rien n'est plus aisé. Tenei. Cest un portrait. ..raéti non, niétaphor... oui, mélaphorisé. (^est mon maître une fille... vous avez fait un (xrlain mélange... Car j'ai tout ^a , moi. biea , peul-on parler plus clùreiueut?

LUCINDE.

NoD f cela n'est pas possible.

SCÈNE Xill. i6i

' TRONTIff.

0 a'y a que mon mattre qni n'y comprenne rien. Ca^ il est de- Tesa amonreox de sa ressemblance.

LUCIITDK.

Quoi ! sans se reconnaître ?

FR05TIIC.

Ooiy et c'est bien ce qu'il j a d'extraordinaire.

LUC1I7DE.

Ab ! je comprends tout le reste. Et qni ponvait prëvoir cela ? Coors TÏte , mon panrre Frontin , vole chercher ton maître, et dîs4m qae j'ai les choses les plus pressantes à lui communiquer. Prends garde , surtout, de ne lui point parler de tes deyinations. Ijcns, Toilà pour...

TROITTIir.

Pour boire , n'est-ce pas?

LVCtPTDE. ,

Ob non , tu n'en as pas de besoin. *

FROIfTIir:

Ce sera par pr^ntlon.

SCÈNE XIV. LUCINDE.

Ne balançons pas un instant, avouons tout; et, quoi qu'il wim iraisse arriver , ne souffi-ons pas qu'un frère si cher se donne va riaicnle par les moyens mêmes que j'avais employés pour l'en ^Êénx. Que je suis malheureuse! j ai désobligé mon frere^ mon pcre irrité de ma résistance n'en est que plus absolu ; mon amant absent n'est point en état de me secourir; je crains les trahisons d'âne amie , et les précautions d'un homme que je ne puis souf- frir : car je le bais sûrement , et je sens que je préférerais la mort àLéandre.

SCÈNE XV.

ANGÉLIQUE, LUCINDE, MARTON.

ANGÉLIQUE.

^ Consoles-vous , Lucinde ; Léandre ne veut pas vous faire mou- lîr. Je vous avoue cependant qu'il a voulu vous voir sans que vous le sussiez.

IVCINDE.

Hélas ! tant pis.

aitg£liqcs. Mais savet-vous bien que voilà un tant pis qui n'est pas trop

MARTON.

Ccst une petite veine du sang fraternel. 5. II

ih

NARCISSE.

LUCINDE.

Mon dieu , tjjne tous éte« méchantes ! Après cela t^

i

dit/

ANGÉLIQUE

Il m'a dît qu'il lerait au desespoir de vou» obtenir c gré.

MARTON.

Il a même ajouté que votre résistance lui faisait plaisir e que niauière. Mais il a dit cela d'un certain air... Sav qti'h bien juger de vos sentimenspour lui, je gagerais qu guère en reste avec vous? Haïssez-le toujours de m^ vous rendra pas mal le change.

LrCINDB.

Voilà une façon de m*obéir qui n'est pas trop polie

M AhTON.

Pour être poli avec nous autres femmes il ne faut pa! âtre si obéissanL

ANG^L IQUE.

La seule condition qu'il a mise k sa renonciation est, recevrez sa visite d'adieu.

tUCI VOE.

Oh ! pour cela non ', je Ten quitte.

ANGÉL IQUE*

Ah ! vous ne saunez lui refuser cela. C*est d*ailleurs m geinent que j'ai pris ovec lui. Je vous avertis même confîde qu'il compte beaucoup sur le succès de cette entrevue , i ose espérer qu'après avoir paru à vos jeux vous ue ré»ifttM à cette alliance. ~

LVCIIIDE.

' Il a donc bien de la vanité.

MARTOPr.

Il se flatte de vous apprivoiser.

ANGE LIQL'E.

Et ce n'est que sur cet espoir qu'il a consenti au lui ai proposé.

IIARTOX

Je vous réponds qu'il n'accepte te marché que p bien sûr que vous ne le prendrez pas au mot.

LUC I ND E.

11 faut être d'une fatuité bien insupportable. bien, il r paraître : je serai curieuse de voir comment il s'j preadi rtaler st*s charmes; et je vous donne ma parole qu'il seJ d'un air... Faites-le venir. Il a besoin d'une leçon ; com la recevra... instructive.

SCÈNE XV. i63

AlfG^LIQCE.

Vojrez-vous , ma chère Lucinde , on ne tient pas tout ce qu'on «propose ; je gage que vous tous radoucirez.

KARTOir.

Les hommes sont furieusement adroits; vous verrez qu'on vous ^lîiera.

LUCINDE.

Sojez en repos là-dessus.

ANGÉLIQDE.

Pitaes-y ^arde, au moins; vous ne diret pas qn'on ne vou5 I point avertie.

MABTOIf.

Ce ne sera pas notre faute si vous vous laissez surprendre.

LUCINDE.

Ea vérité je crois que vous youlei me faire devenir folle.

ANGÉLIQUE, boê , à Morton. -

La ToOà an point. ( haui. ) Puisque vous le voulez donc , Mar- ton va vous l'amener.

LUCINDE.

Comment?

KART ON.

N«u Tarons laissé dans l'antichambre , il va être ici à Tins-

tut

LUCINDE.

Ocèer Cléonte , que ne peux-tu voir la manière dont je reçois ■Knraaz!

SCÈNE XVI. ABGÉLIQUE, LUCINDE, MARTON, LÉANDRE.

ANGÉLIQUE.

Aj^irochez , Leandre, venez apprendre k Lucinde à mieux CBaautre son propre cœur ; elle croit vous haïr , et va faire tous M efforts pour vous mal recevoir : mais je vous réponds , moi ,

rt tontes ces marques apparentes de haine sont en effet autant preuves réelles de son amour pour vous.

LUCINDE , Uit^oura sans regarder ZÀandrt. Sar ce pied-là il doit s'estimer bien favorisé, je vous assure. U mauvais petit esprit !

ANGÉLIQUE.

Allons y Lucinde , faut-il que la colère vous empêche de i e- les gens?

LÉANDRE.

rSmon amour excite votre haine, connaissez combien je suiS ■ûnel. ( lise jette aux genoux de Lucinde. )

i^ NARCISSE.

LUCIITDE.

Ah Cl^nte ! «h méchante Angélique I

LÉANDRE.

Lëandre vous a trop déplu pour que j'ose me prévaloir soof cft nom des eraces que j'ai reçues souscefui de Cléonte. Mais si le mottf de mon déguisement en peut justifier l'effet , vous le pardonnerfs à la délicatesse d'un cœur dont le faible est de vouloir être aimé pour lui-même.

LUCIlfDE.

Leve^-vous , L<éandre ; tm excës de délicatesse n^offinue an* les cœurs qui en manquent , et le mien est aussi content de r^ preuve que le vôtre doit l'être du succès. Mais vous , Angélique ! ma chère Angélique a eu la cmauté de se faire un amusement dt mes peines l

ANGÉLIQUE.

Vraiment, il vous siérait bien de vous plaindre ! Hélas ! vons *j êtes heureux l'un et l'autre , tandis que je suis en proie aax , j alarmes. ' ]

LiAlTDRE. ''

Quoi l ma chère sœur , vous aves songé à mon bonheur . pett- J dant même que vous avies des inquiétudes sur le vêtre ! Ahl i c'est une bonté que je n'oublierai jamais. ( Il lui baiê0 la main. ) '

SCÈNE XVII. LÉANDRP, VALÉRE, ANGÉLIQUE, LUCINDK^ ^ MARTON.

VALÀBE. -i

Que ma présence ne vous gêne point. Conunent! mademo» ' selle , je ne connaissais pas toutes vos conquêtes ni l'heureux oIh ] jet de votre préférence ; et j'aurai soin de me souvenir par ko^ \ milité qu'après avoir soupiré le plus constamiment , Valère a M le plus maltraité.

ANOtiLIQITE.

Ce serait mieux fait que vous ne pensez , et vous auriez befOÎB en effet de quelques leçons de modestie.

valéhe.

Quoi ! vous oses joindre la raillerie k l'outrage , et vous aveilt i front de vous applaudir quand vous devriez mourir de honte l

ANGÉLIQUE.

Ah ! vous vous fiàchez ; je vous laisse ; je n'aime pas les m-^ jures.

VALÂHE.

Non f vous demeurerez ; il faut que je jouisse de toute rotrt> honte.

ANGÉLIQUE.

bien l jouissez. '

SCENE XVn. l65

AtÈm. Car jVspèrc que yous n*aurez pas la hardiesse de icater votre juitification....

kitcéhtQVE. FTa/ex pas peur.

VALÈBE.

Et que vous ne vous ûattpK pas que je conserve encore lef snoinares sentimens en Toirc faveur.

A rrcÉLIQUE.

BIoB opinion là-dessus ne changera rien à la chose.

VALÊAE.

Je TouJ déclare que je ne veux plus avoir pour vou» que de la luioe.

Cet fort bien fait.

V A L É R B , tirant le portrait, Zl TOÎci désormais Tunique objet de tout mon amour.

AKGÉLIQDE.

Vous avez raison. Et mot je vous déclare que j'ai pour mon- Mtir ( montrant 4on frère) un attachement qui n'est de guère Il talehenrau vôtre pour l'original de ce portrait.

VALÈR E.

L'ingrate ! Helaa ! il ne me reste plus qu''à mourir.

ANGÉLIQUE.

Valère » écoutez. J'ai pitié de l'état oii je vous vois. Vous de- vri convenir que vous êtes le plus injuste des hommes de vous emporter sur une apparence d'mfidélilé dont vous m*ave£ vous— armedonné l'cxpmpte ; mais ma bonté veut bien encore aujour- «Thui passer par-dessus vos travers.

VALCRE.

Voos verrez qu'on me fera la grâce de me pardonner !

ANGÉLIQUE.

En vérité » vous ne le méritez guère. Je vais cependant vous apprendre k quel prix je puis ni*y résoudre. Vous m'avez ci-de- vant léuioigaé des sentimens que j'ai payés d'un retour trop tendre pour un ingrat : malgré cela , vous m'avez indignement outrage* par un amour extravagant conçu sur un simple por- trait avec toute la Itgèrelé et, j ose dire, toute Tétourderie de »nfr« %^ cl rotre caractère. Il n'est pas temp> d'examiner si vous imiter « et ce n'est pas à vous qui êtes coupable qu'il ^^*^ icudrait de blâmer ma conduite.

VALLRE,

Ce n'est pas i moi , grands dieux! Mais voyons oiz tendent ces Waux discours.

i66 NARCISSE.

ANGÉLIQUE.

Le voici. Je tous *i dit que je connaissais l'objet de votre nou- vel amour , et cela est vrai. J'ai ajouté que je Taimais tendre- ment, et cela n'est encore que trop vrai. En vous avouant ton mérite , je ne vous ai point déguisé ses défauts. J'ai fait plos , je vous ai promis de vous le faire connaître : et je vous engagea présent ma parole de le faire dès aujourd'hui , dès cette nenre , même ; car )e vous avertis qu'il est plus près de vous que von» ne pensez.

VALÉRE.

Qu*entends-je! quoi! la....

ANGÉLIQUE.

Ne m'interrompes point, je vous prie. Enfîn, la vérité me force encore à vous répéter que cette personne vous aîme avec ardeur, rt je puis vous répondre de son attachement comme du mien propre. C'est k vous maintenant de choisir , entre elle et moi , celle à qui vous destinez toute votre tendcesse : choisissez , che- valier ; mais choisissez dès cet instant et sans retoar.

MARTON.

Le voilà , ma foi , bien embarrassé. L'alternative est plai- sante. Croyez-moi , monsieur , choisissez le portrait ; c'est ,lé moyen d'être à l'abri des rivaux.

LUCINDE.

Ah ! Valëre , faut-il balancer si long-temps pour suivre les impressions du cœur ?

V A L É R E , aux piedë d* Angélique , et Jetant le portrait.

C'en est fait ^ vous avez vaincu , belle Angélique , et je sen» combien les sentimens qui naissent du caprice sont inférieurs 4 ceux que vous inspirez. {Manon ratnasee le portrait.) Mais, hélas Iquand tout mon cœur revient à vous, puis-je me flatter qu'il me ramènera le vôtre ?

ANGÉLIQUE.

Vous pourrez jueer de ma reconnaissance par le sacrifice qne vous venez de me faire. Levez-vous , Valère , et considérez bien ces traits.

LÉANDRE y regardant aussi.

Attendez donc ! Mais je crois reconnaître cet objet-là

C'est.... oui , ma foi , c'est lui

VALÈRE.

Qui , lui ? Dites donc , elle. C'est une femme à qui je renonce ^ comme à toutes les femmes de l'univers, sur qui Angélique Tem^ portera toujours.

ANGÉLIQUE.

Oui , Valère } c'était une femme jusqu'ici : mais j'espère que ce sera désormais un homme supérieur à ces petites Uiblesses qui dégradaient son sexe et son caractère.

SCÉN£ XVII. 167

BtM q«^l« étrâ«9«9Brprise vous me )«tei l

ANGIÊLIQUB.

TMsdrrries d'autant mmiM m^onnattre cet t>bj«t , que vous ^t% eu avec lui le commerce le plus intime , et qu'assurément «Il M TOUS accusera pas de l'aycir uéeligé. Otez à cette tête OBMc parmre étrange que votre soeur j a fait ajouter. . . .

taléue. Ah ! que voi»-^e?

XARTON.

La chose n*est-elle pas claire ? vous voyez le portrait > et voilà l*origioal.

VALÈRB.

O ciel ! et je ne meurs pas de honte !

MAATOir.

Eh! mondeur y vous êtes peut-être le seul de votre ordre qui br coanaissiet.

ANGÉLÎQOE.

Ingrat 2 avai»-je tort de vous dire que j'aimais l'original de ce portrait?

TALÈBE.

Et moi je ne veux plus l'aimer que parce qu'il vous adore.

ANGÉLIQUE.

Yons voulez bien que , pour a&rmir notre réconciliation , je TOBs présente Léandre mon frère.

LÉANDRE.

ScraHîrez, monsieur....

VALÊRE.

^ Dieux ! quel comble de félicité ! Quoi ! même quand j^étais *i^t y Angélique n'était pas infidèle I

LUCINDE.

' je prends de part à votre bonheur I et que le mien même <test augmenté !

SCÈNE XVIII.

LI SIMON, lea acteurs de la scène précédente.

LlSIMOir.

Ah! vous voici tous rassemblés fort a propos. Valère et Lïï- onde ayant tous deux résisté à leurs mariages, j'avais d'abord Ittolu de les y contraindre : mais j'ai réfléchi qu'il faut C(uelq«e- fcûétre bon père , et que la violence ne fait pas toujours des Bariages heureux. J'ai Jonc pris le parti de rompre dès aujour- êlni tout ce qui avait été arrêté; et voici les nouveaux arran- ttmens que j'y substitue. Angélique m'épousera; Lucinde ira «ns un couvent; Valcre sera déshérite; et quant â vous, icandre , vous prendrez patience , s'il' vous plait.

encore

im NARCISSE.

MAHTOIÎ.

Fort bien , ma foi I voilà qui est toisé on ne peat pas mieux. '

LismoiY. Qu'est-ce donc ? vous voilà tout interdits ! Est-ce que ce projet ne vous accommode pas ?

MA&TOir.

Voyez si pas un d'eux desserrera les dents ! La peste des sots amans et de la sotte jeunesse dont l'inutile babil ne tarit point , et qui ne savent pas trouver un mot dans une occasion . nécet-

saire.

LISIXOlï.

Allons , vous savez tous mes intentions , vous n'avez qu'à voua y conformer.

LÉANDBE. ^

Eh! monsieur, daignez suspendre votre courroux. Ne lisei- vous pas le repentir des coupâmes dans leurs yeux et dans lear embarras? et voulez-vous confondre les innocens dans la mémtt punition ?

Lismoif. Çà , je veux bien avoir la faiblesse d'éprouver leur obéissance tcore une fois. Voyons un peu. Eh bien ! monsieur Valère , faites-vous toujours des réflexions?

VALÊRE.

Oui , mon père ; mais au lieu des peines du mariage f elle» ne m*en oflrent plus que les plaisirs.

LISIMON.

Oh ! oh ! vous avez bien changé de langage I Et toi , Lucînde , aimes-tu toujours bien ta liberté?

LUCINDE.

Je sens , mon père , qu'il peut être doux de la perdre sons les

lois du devoir.

LISIHON.

Ah! les voilà tous raisoifnables. J'en suis charmé. Embrassei- moi, mes enfans, et allons conclure ces heureux hyménées. Ce que c'est qu'un coup d'autorité frappé à propos !

VALÈRE.

Venez, belle Angélique; vous m'avez guéri d'un ridicule qui faisait la honte de ma jeunesse ; et je vais désormais éprouver près de vous que quand on aime bien on ne songe plus à S0Î7 même.

FIN DE NARCISSE.

LES

PRISONNIERS

DE GUERRE,

COMÉDIE^

ACTEURS.

GoTEHiviTZ , gentilhomme hongrois.

Mackeh , Hongrois.

Dorante, officier français, prisonnier de guerre.

Sophie, fille de GoterniU.

Frédérich , officier hongrois, fils de Goternitz.

Jacquard, Suisse , valet de Dorante .

La- scène e$t en Hongrie,

LES PRISONNIERS

DE GUERRE.

SCÈNE I«. DORANTE, JACQUARD.

JACQUARD. Par mon foy, raonjir , moi I y comprf nclre rien h »tî fuyn VOn- ^n ; le fin l'être pon , et les oinmes oiechans : l'être pas naturel , cela.

DORANTE.

Si (a ne t'y trouves pas bien, rien ne t'oblige d'y demeurer.

[7a es mon domestiatie, et DOQ pas prisoDnierJe guerre comme ~ loi; tu peux t'en alterquand il le plaira

JACQUARD.

Oli! moi point quitter fous^ moi fouloir pas être pins libre <]ur mon maître.

DORANTE.

Mon pauvre Jacquard, je suis sensible à ton attachement : il consolerait dans ma captivité , si j'étais capable de consola- lioo

J ACQU A RD.

Moi point souffrir que fous l'affliche toucbours , toucbours : fcut poire comme moi , fous consolir tout l'apord.

DORANTE.

^Ile consolation ! O France ! 6 ma patrie! que ce climat w«re ine fait sentir ce que tu vaux! quand reverrai-je ton wureuxiejour? quand Bnira cette l^onleusc inaction oii je lan- piM, tandis que mes gionmix compatriotes moissonnent des lau- ît»n j(«r U$ traces de mon roi?

J ACQU AR D.

Ohl fou* Tafrc Mo pris combattant pravemont. Les euncmîs ijtjc tous afre tues rêtreeucore pli malates que fous.

DORANTE.

Apprend*! que, dans le sang qui m'anime, la gloire arcjuise

*eri que d'aiguillon pour en rechercher davautage. Apprend»

"jur. quelque zèle qu'on ail à remplirson devoir pour lui-même,

iârdeur s'en augmente encore par le noble désir de mériter l'es-

tUDtdr «ou maître en combattant sous ses yeux. Ahf ffnvl n'est

pOêlê honheur de quiconque peut obtenir celle du mien / eS qui

mieux que ce ^rand prince peutj $ur êa propre expérience ,

du mérite et de la valeur?

Ï72 LES PRISONNIERS DE GUERRE.

JÀCQU AR D. rien , pien : fous Tètre rtientôt tire te sti prisonnacUe j mon- sir fotre père afre écrit qu il traffaillir pour faire échange fous.

DORANTE. Oui , mais le temps en est encore incertain , et cependant le roi fait chaque jour de nouvelles conquêtes.

J AC Q17 ARO.

Pardi! moi ]*ctre picn content t'aller tantsenleraent à celles

Îiu'il fera encore. Mais fous l'être plis amoureux , pisque fous ouloir tant partir.

DORANTE.

Amoureux! de qui ?.... ( à part. ) Aurait-il pénétré mes feux secrets ?

JACQUARD.

Là, te cette temoiselle Claire , te cette cbolie fille te notre bourgeois, k qui fous faire tant te petits douceurs. part.) Oh! chons pien d'autres doutances , mais il faut faire semplant te rien.

DORAWTÏ. Non , Jacquard, Paraour que tu me supposes n'est point cft» pable de ralentir mort empressement de retourner en France. Tous climats sont indifférens pour l'amour. Le monde est pleia de belles dignes des services de mille amans , mais on n'a qu'une patrie à servir.

JACQUARD.

A propos te belles, «avre-foiis nue Pétre après-timain que notre prital te bourgeois épouse le fille de monsir Goiemit»?

DORANTE.

Comment ! que dis-tu ?

JACQUARD.

Que la mariache de monsir Macker avec mamecelle Soph qui était différé chisque .^ l'arrivée ti frère te la temoicelle, doit fie terminer dans teux jours, parce qu'il avre été échangé plitôt qu'on n'avre cru , et qu4l arriver aucherdi.

DORANTK.

Jacquard , que me dis-tu ! comment le sais-tu7

JACQUARD.

Par mon foy , je Pafre appris toute Pbeureen pivantponteille avec iu falet le la maison.

DORANTE, à pari. Cachons mon trouble... ( haut. ) Je réOéchis que le messager doit être arrivé; va voir s'il n'y a point de nouvelles pour moî.

JACQUARD, à part,

Diaplc ! Py être ia noufelle te trop, k ce que che fois, (r*-

I

SCÈNE r.

I7Î

twan/. ) Mposir, che safre poiut 1 être la poutlque te &ti feoulêlle.

SO&ANTB. Tu a'« qu'à parler k niademoiselle Claire, qui, pour éviter que mes lettres ne soient ouvertes à la poste, a biea voulu »e charger de les recevoir sous une adresse convenue , et de me les remettre secrètement.

SCÈNE II. DORANTE.

Siel coup pour ma flamme I C'en est donc fait ^ trop aimable ^ ie. il CaoX vous perdre pour jamais, et vous allée devenir la proie d'un riche mais ridicule et grossier vieillard ! Hélas! sans ni*ea avoir encore fait Taveu , tout coiumenç ait à m*annoncer de votre part le plus tendre retour! Non, quoique les injustes pré- jugé» de son père contre les Français dussent être un obstacle in- vincible À mon bonheur, il ne fallait pas moins qu''un pareil événement pour assurer la sincérité des vœux nue je fais pour rtftourner promptement en France. Les ardens temoieuages que l'en donne ne sont-ils point plutôt les elTorts d*uu esprit qui s^ex- ci te par la considération de son devoir, que les ellets d'un zèle avea cincère^ Mais quedis-je! ah ! que la gloire n'en murmure fioÎDt ; de si beaux feux ne sont pas faits pour lui nuire : un cœur n'est jamais assee amoureux, il ne fait pas du moins assez de cas de restimedesa maîtresse, quand il balance à loi préférer son devoir, son pa^s et son roi.

SCÈNE ÏII.

MACKER, DORANTE, GOTERNITZ.

MACK£R.

Ah ! roict ce prisonnier que j'ai en garde. Il faut que je le pré- rieune sur la façon dont il doit se conduire avec ma future; car ces Français, qui, dit-on, se soucient si peu de leurs femmes, sont des plus accommodans avec celles d'autrui : mais je ne veux point chet moi de ce commerce-là, et je prétends du moins que mes (n&nt soient de mon pa^s.

GOTERNITZ.

Vous avez d'étranges opinions de ma fille.

UAC&EB.

Mon dieu! pas si étranges. Je pense que la mienne la raut lûen; et si... Brisons là-dessus... Sergneur Dorante 1

nORATVTE.

Monsieur ?

HACKER.

Savei-vous que je me marie ?

DORANTE.

Que mTimporte?

174 LES PRISONNIERS DE GUERRE.

MACKIR.

C'est qu'il m'importe h moi que vous appreuiec que je ne su! pas d'avis que ma femme vive à la française.

DORAlfTK.

Tant pis pour elle.

M ACK ER.

Eh ! oui , mais taat mieux pour moi.

OO&AIf TE.

Je n'en sais rien.

macxeu.

Oh! nous ne demandons pas votre opinion là-dessus : je voas avertis seulement que je souhaite de ne vous trouver jamais avec elle, et que vous évitiez de me donner à cet égard des ombrages sur sa conduite.

UOAANTE.

Cela est trop juste, et vous serez satisfait.

MACKER.

Ah ! le voilà complaisant une fois ; quel miracle !

DORA XTE.

Mais je compte que vous y contribuerez de votre cale autant qu'il sera nécessaire.

MACEER.

Oh ! sans doute, et j'aurai soin d'ordonner à ma femme de vous éviter en toute occasion.

D O R A W T E.

M'evilerî gardez-vous-en bien. Ce n'est pas ce que je veux dire.

SI A c E E R- Comment ?

D o R A rr T c. C'est vous au conlratre qui devez éviter de vous apercevoir du temps que je passerai auprès d'elle. Je ne lui rendrai des soins que le plus directement qu'il me sera possible; et vous, en mari pru- dent , vous n'en verrez que ce qu il vous plaira.

u ACRE a. Comment diable! vous vous moquez; et ce n'est pas la mon Compte.

DORANTE.

C'est pourtant tout ce que je puis vous promettre, et c'est même tout ce que vous m avez demandé.

MACEER.

Parbleu! celui-là me passe; il faut être bien endiablé après les femmes d'autrui pour tenir un tel langage à la barbe de» maris.

GOTERNITZ.

Fo vérité, seigneur Macker, vos discours me font pitié, et

r

SCÈNE III. ,75

votre colère me fait rire, ^uvlle réponse vouhez-vous que fit isooMCur k une exhortation aussi ridicule que U vdtre ? la nteuvtt de la pureté de ses iuteutioas est le langage même quM vou$ tient : s'il voulait vous Irpmper , vous prendrait-il pour son confident ?

U ACKEB.

Je me moque de cela ; fou qui s'^ fie. Je ne veux poial qu'il fréquente ma femme, et j'^ mettrai bon ordre.

DORANTE.

A la bonne heure) mais , comme je suis votre prisonnier et non pas votre esclave , voue ne trouvères pas mauvais que je m'ac- quitte enver» elle en toute occasion des devoirs de polite&se que ntan seie doit au sien.

M A C K E 8L.

Eîi morbleu! tant de politesses pour la femme ne tendent qu'à faire alTront au mari. Cela me met dansdci» impatiences... >ou8 Terrons... nous verrons... Vous ^les méchant, monsieur le Fran- çais, ob! parbleu ! je léserai plus que vous. DORANTS. A la maison , cela peut être; maïs j*ai peine â er&tre que vou5 le sores fort à la guerre.

GOTCRMTZ. Toutdoux, seigneur Dorante; il e&t d'une nation...

DORANTE.

Oui , quoique la vraie valeur soît inséparable de la générosité, ie&ais , malgré la cruauté de la vôtre, en estimer la bravourf. Mais cela le met-il en droit d'insulter un soldat qui n'a cédé Qo'au nombre , et qui , je pense , a montré assez de courage pour devoir être respecté, même dans sa disgrâce? GOTERNITZ. YoQS arex raison. Les lauriers ne sont pas moins le prix du que de la victoire. Nous-mêmes , depuis que uoui ccdonif armes triomphantes de votre roi, nous ne nous en tenons p<*<> oîtts glorieux, pui.tque la m^me valeur qu'il emploie à uous at- tiser montre la nôtre à nous défendre. Mai» voici Sophie.

SCÈNE IV. GOTERNITZ, MACKER, DORANTE, SOPHIE.

GOT ERNITX.

Approches, ma fille; venet saluer votre époux. Ne Tacceptcz- p45 avec plaisir de ma main ?

SOPHIE.

Quand mon cœur en serait le maitre , il ne le choisirait p.is aîUcurs qo'id.

MACKER.

Fort bien , belle mignonne; mais... Dorante. ) Quoi! von* mt TOtts ea allée pas?

>iifage

lyti

LES PRISONNIERS DE GUERRE.

DORANTE.

Ne deveE-vons pas être flatté que mon admiration confirme la boaté de votre choix ?

MACKER.

Comme je ne Tai pas choisie pour vous , votre approbation me paraît ici peu nécessaire.

GOTERNITZ.

II me semLIe que ceci commence à durer trop pour un badi- nage. Vous voyez , monsieur, que le seigneur Mackerest inquiété votre présence; c'est un eiTet qu'un cavalier de votre ngure peut proauire naturellement sur Tepoux le plus raisonnable.

DORANTE.

Eh bien ! il faut donc le délivrer d'un spectateur incommode : aussi bien ne puis-je supporter le tableau d'une union aussi dis- proportionnée. Ah! monsieur, comuieot pouvez-vous consentir vous-mémequetantde perfections soient possédées par un homme si peu fait pour les connattre?

SCÈNE V.

MACKER, GOTERNITZ, SOPHIE. i

Parbleu I voîlà une nation bien extraordinaire , des prisonni^P bien incommodes ! le valet me boit mon vin , le maître caresse ma fille. ( Sophie fait une mine. ) Us vivent chez moi comme s'ils étaient en pays de conquêtes.

GOTERNITZ.

C'est la vie la plus ordinaire aux Français ; ils y sont tout ac- coutumés.

MACKCR.

Bonne excuse , ma foi ! Ne faudra-t-il point encore , en faveor de la coutume , que j'approuve qu'il me fasse cocu 1

SOPHIE.

Ah ciel ! quel homme \

GOTERNITZ.

Je suis aussi scandalisé de votre langage que ma fille en est indignée. Apprenez (lu'un mari qui ne montre à sa femme ni estime ni con6ance, I autorise, autant qu'il est en lui , à ne les pas mériter. Mais le jour s'avance; je vais monter à cheval pour aller au devant de mon fils qui doit arriver ce soir.

MACKER.

Je ne vous quitte pas ; j'irai avec vous , s'il vous platt.

GOTERNITZ.

Soit ; j*ai même bien des choses à vous dire, dont nous nous entretiendrons en chemin.

MACKER.

Adieu , mignonne ; il me tarde que nous soyons nums | pour

SCENE V.

'77

roM mener rnir mes champs et mes bétes à cornes; j'en ai Ieplu5 liaii p«rc de la Hongrie.

SOPHIE.

Bfoutieur, ces animaux-là me fonl peur.

AIACKEB.

V<, ra, poulette , tu y seras bientôt aguerrie avec moî.

SCÈNE VI.

SOPHIE.

Çofl époux! quelle différence de lui à Dorante, en qui les clurnies ae Tamoiir redoublent par les grâces de ses manières et rfe ses expressions! Mais, hélas! il n'est point fait pour moi. A peine raon cœur ose-l-il s'avouer qu'il l'aime , et je doîj trop tun Irliciter de ne le lui avoir point avoué à lui-même. Encore s'il mctait fid'rle , la bonté de mon père me laisserait, malgré sa prévention et ses engagemens, quelque lueur d'espérance. Mais la fille de Macker partage l'amour de Dorante ; il lui dit sans doute 1rs mêmes choses qu'à moi ; peut-être est-elle la seule qu'il aime. Volaees Français ! que les femmes sont heureuses que vos infidé- lilts les tiennent en garde contre vos séductions !^ Si vous étiei auMi cotistans que vous êtes aimables, quels cœurs vous résiste- raieuCi* Le voici. Je voudrais fuir, et je ne puis ra'v résoudre; je loudmis lui paraître tranquille , et je seus que je l'aime juaqu'îi ne pouvoir cacher Tuon dépit.

SCÈNE VIL

DORANTE, SOPHIE.

DORANTE.

*' -f donc vrai , madame, que ma ruine est conclue, et que Je

•ji perdre sans retour 1 J'en mourrais sans doute, si la mort

,tU*l la pire des douleurs. Je ne vivrai que pour vous porter dans

ion cwur plus long-temps , et pour me rendre digne, par ma

Cuiiduileet par ma constance, de votre estime et de vos regret».

SOPHIE.

Sep«ut-il que la perfidie emprunte un langage aussi noble et *m»i passionné!

DORAKTE.

Çuedites-voui? <^)uel accueil ! est-ce iîi la juste pitié que me- ntent me» seolimejiS.'

SOPHIE.

Votre douleur est grande en effet, h en juger par le soin que *ou avez pris de vous ménager des cousolalions.

DORANTS.

Mai, des consolations! en est-il pour votre perte.*

SOPHIE.

Cest-à-dirc , *n est-il besoin ? 5. la

^

,78 LES PRISONNIERS DE GUERRE.

DORANTE.

Quoi ! belle Sophie , pouvez-vou&...?

s O P H I S. Réservez, je vous en prie, la familiarité de ces expressions

Eour la belle Claire j et sachez que Sophie lelle qu'elle est, elle ou laide, se soucie d'autant moins de Tetre à voâyeui qu'elle vous croit aussi mauvais juge de la beauté que du mérite.

DORANTE.

Le rang que vous tenez dans mou estime et dans mon coeu est une preuve du contraire. Quoi! yous m'aves cru lunoureux de la fille de Macker ?

SOPHIE.

Non, en vérité. Je ne vous fais pas Thonneur de vous croire un cœur fait pour aimer. Vous éles , comme tous les jeunes gens de votre pays , un homme fort convaincu de ses perfections , qui se croit destiné à tromper les femmes , et jouant Tamour auprès dVlles, mais qui n'est pas capable d'en ressentir.

DORANTE.

Ah ! se peut-il que vous jue confondiez dans cet ordre d'a- mans sans sentimens et sans délicatesse, pour quelques vains ba- dinages qui prouvent eux-mêmes que mon cœur n y a point de ]>art , et qu'il était à vous tout entier ?

SOPHIE.

La preuve me parait singulière. Je serais carieuse d'apprcadre les légères subtilités de cette pliilosoplne française. DORA NTE.

Oui , j'en appelle , en témoignage de la sincérité de mes feiiSi celte conduite même que vous me reprochez. J'ai dit a d'aulrrt de petites douceurs , if est vrai; j'ai foUtrc auprès d'elles : mii* ce badinage et cet enjouement sont-ils le langage de l'amour' Est-ce sur ce ton que je me suis exprimé près de vous? Cet abord limide , cette émotion, ce respect, ces tendres soupirs , ces doue*» larmes, ces transport» que vous me faites éprouver, onl-îb quelque chose de commun avec cet air piquant et badin qutlt j>olites5e et le tou du monde nous font prendre auprès des femind mdilfércnles? Noa,Sopbie, les ris et la gaieté ne sont point 1^ langage du sentiment, l^e véritable amour n*e5t ni téméraire i^^ évaporé; la crainte le rend circonspect ^ il risque moins pari* connaissance de ce qu'il peut perdre ; et , comme il en veut a** cœur encore plus qu'à la personne , il ne basarde guère restiii> de la personne qu'il aime pour en acquérir la possession.

SOPHIE.

C'est-à-dire, en un mol, que, contens d'être tendre* po*^** vos maîtresses , vous u'étes que galans, badinset téméraires p***^* des femmes que vous n'aimez point. Voilà une constance el c^ *** maximes d'un nouveau goût , fort commodes pour les cavalic*"^ je ue ftais si les belles de votre pays s'en couleulent de même.

^79

SCENE VII.

DOaARTE.

Oai , madame , cela est réciproque , et elles ont bien aatant d'intérct que nous , pour te inotnSf à les établir.

SOPHIK.

Vous me faites trenbler pour les femmes capables de donner leur coeur à des amans formés à une pareille école.

DORANTE.

Eh ! pourquoi ces craintes cbîmériques? n'esl-il pas convenu que ce commerce galant et poli qui jette tant d'agremens dans la société n'est point de l'amour? il uVst que le supplément. Le nombre des cœurs vraiment faits pour aimer est si petit, et parmi ceux-là il y en a si peu qui se rencontrent, que tout lan— fcuirait bientdt si l'esprit et la volupté ne tenaient quelquefois fa place du cœur et du sentiment. Les femmes ne sont point les dopes des aimables folies que les hommes font autour dViJes. Nous en sommes de même par rapport U leur coquetterie , elles ne séduisent que nos sens Cest un commerce (idéfe oii l'on ne se donne réciproquement que pour ce qu'on est. Mais il faut avouer, à la boute du cœur , que ces heureux badinages sont souvent mieux récompensés que les plus touchantes eipressious d'uue flimme ardente et sincère.

SOPHIE.

'Seuê Toici précisément oii j'en voulais venir. Vons m'aimez , dites-vous , uniquement et parfaitement; tout le reste n'est que jcudVsprtt: je le veux j je le crois. Mais alors il me reste 1m- joun à savoir quel genre de plaisir vous pouvez trouver à faire, dus an goût dilférprit , la cour à d'autres femmes, et à recher- cher pourtant auprès d'elles le prix du véritable amour.

DORANTE.

Ak ! madame , quel temps prenei-vous pour m'engager dans deidiicrrtations ! Je vais vous perdre ^ hélas 1 et vous voulez que IBOQ esprit s'occupe d'autres choses que de sa douleur! SOPHIE.

Im réflexion ne pouvait venir plus mal à propos; il fallait la uvt plutôt , ou ne la point faire du tout.

S C È \ E V I I L DORANTE, SOPHIE, JACQUARD.

JACQUARD. St, it, monsir, monsir.

DOaXNTE.

décrois qu^on m'appelle.

J ACQtl AKD. vil! moi fenir, pisque fous point aller

DORANTE. *k bl«n ' que» l-LC .'

JACQDABD. OOBAN TE.

LES PRISONNIERS DE GUERRE jAcgnARD. MoQsir, afcc la permission le montame , Vèirt atn piti rêçgg lure.

DOBANTE

Quoi ? une lettre ?

Cliistement.

Donne-la-moi.

JACQUARD

Tiantre ! non ; luamecelle Claire lu'afre diargê le ne la donne fous qu*en grand sccrèLement.

SOPHIE.

Monsieur JacqiMrd est exact, il veut suivre ses ordres.

DORANTE.

Donne toujours , butor : tu fais le mystérieux fort àpro

s o F u z B. Cessez de vous ÎTir|uiéter. Je ne suis point incommode , Tais me retirer pour ne pas gêner votre empressemcat.

SCÈNE IX. SOPHIE, DORANTE.

DORANTE, » part.

Celte lettre de mon père lui donne de nouveaux soupçons , et vient loiit à propos pour les dissiper, (/tout.) Eh quoi ! madame,! vous me fu^eil

s o p II l E , ironiquement,

Seriez-vous dispose ù me mettre de moitié dans vos conRdences?

DORA NTE

Mes secrets ne vous intéressent pas assez pour vouloir y pn part.

SOPHIE.

C'est au coutraire qu'iU vous sont trop cbers pour les prodi- guer.

DOUANTE

u me siérait mal d'en être plus avare que de mon propre cœur.

s o PHI K. Aussi logez-vous tout au même lieu. I) OR AWTE.

Cela ne tient du moins qu*à vntrr complaisance.

SOPHIE.

II y a dons ce sang-froid une méchanceté que je suis tentée 3l punir. Vous seriez bien embarrassé , pour vous prendre «il mol , je vous priais de me communiquer celle lettre.

etAi

SCÈNE rx.

DORAN TE.

i8f

h

*en serais seulement fort surpris ; vous vous plaisez trop à nourrir d'injustes sentimens sur mou compte , pour chercher â le* détruire.

SOPHIE. Vous TOUS fiez fort à ma discrétion. . . je vois qu'il faut lire Ja Ire pour confondre votre témérité.

DORANTE.

Lise^a pour vous convaincre de votre injustice.

SOPHIE. \on , commences par me la lire vous-même , j'en jouirai mieux de votre confusion.

DORANTS. .Vous allons voir. (// iii, ) n Que j'ai de joie , mon cher Do- ruile.. . M

SOPHIE. Mon clier Dorante ! l'expression est galante vraiment.

DORA>TE.

Que j'ai de joie, mon clier Dorante, de pouvoir Icrmîner vos peines! . . . ••

SOPHIE.

OU ! je n'en doute pas , vous avez tant d'humanité !

DORANTE.

« "Vous voilà délivré des fors oii vous languissiez. . . »

SOPHIE. Je ne languirai pas dans les vôtres.

DORANTE.

« Hitez-vons de venir me rejoindre. . . » SOPHIE.

Cela s'appelle cire pressée.

DORANTE.

Jebr&lc de vous embrasser. . . >•

SOPHIE.

Bien nVst si commode que de déclarer franchement ses be- DORANTE.

Vous <5tes échangé contre un jeune officier qui s'en retourne * tctoellement ou vous êtes. . . »

SOPHIE.

Mais je n'y comprends plus rien.

DORANTE.

Blessé dangereusement , il fut fait prisonnier dan» ane

ifiàire ou ^e me trouvai. . .

SOPHIE.

I î'ne affaire oii se trouva mademoiselle Claire !

i^a

LES PRISONNIERS DE GUERRE.

DORANTE-

Qoi vous parle de mademoiselle Claire ?

SOPHIE.

Quoi [ celte lettre n*est pas d'elle ?

DORANTE.

Non , vraiment ; elle est de mou père, et mademoiselle Claire n'a servi que de moyen pour me la faire parvenir; voyex la date et le seing.

SOPHIE.

Ah î je respire.

DOR AHTE.

Écoulez le reste. ( // lit, ) « A force de secourset de soins , f n en le bonheur de lui sauver la vie ; je lui ai trouvé tant de » reconnaissance , que je ne puis trop rae féliciter des sen'ices » que je lui ai rendus. J'espère qu'en le voyant vous parlagerer te mon amitié pour lui, et que vous le lui témoignerez. »

SOPHIE, à part. L'histoire de ce jeune officier a tant de rapport avec... Ah! si c'était lai ! . . Tous mes doutes seront éclaircis ce soir.

DORANTE.

Belle Sophie, vous voyez votre erreur. Mais de quoi me «ert que vous connaissiez l'injustice de vos 50u|>çons? en serai-jc mieux récompensé de ma ndélité?

SOPHIE-

Je voudrais inutilement vous déguiser encore le secret de moa coeur; il a trop éclaté avec mon dépit: vous voyez combien je vous aime , et vous devez mesurer le prix de cet aveu sur le» peines qu'il m'a coûtées.

DORANTE.

Aveu charmant ! pourquoi faut-il que des momens doux soient mêlés d'alarnies, et que le jour ou vous partagez mes feux soit celui qui les rend le plus à plaindre !

SOPHIE.

Ils peuvent encore T^tre moins que vous ne pensez. L*aiTiour f erd-il sitôt courage ? et quand on aime assez pour tout entre- prendre, manque-t-on de ressources pour être heureux.

DORATf TE. Adorable Sophie î quels transports vous me causez ! Quoi ! vos bontés... je pourrais... Ah î cruelle ! vous promettez plus que vous ne voulez tenir î

SOPHIE. Moi, je ne promets rien. Quelle est la vivacité de votre imo- gmation. J ai peur que nous ne nous entendions pas.

DO a ANTX. Comment ?

SCENE IX. . i8^

50PBIB.

triste hymen que je crains nVsl point tellement conclu que |e n^* puisse mr tlattcr u'obteiiir du moins un délai de mon père ; prolongez votre st-jour ici jusau'à ce que la paix ou de* circon^- Unces plus favorables aient dusipé les préjugés qui vous le rcu- \X contraire.

DORANTE.

VousvoyeErenipressemcntavec lequel oa me rappelle: puis-;e

Dp me hâter d'aller réjiarer l'oisi^'eté de mon esclavage / Ah l

sa &ut que l'amour me fasse négliger le soin de ma réputation ,

loit-ce ctre sur des espérances aussi douteuses que celles dont

TOUS me flatter. ? Que la certitude do mou bonheur serve du

>Lns à rendre ma faute excusable. Conseutex que des nœuds

SOPHIE.

Qa'osex-vous me proposer? Un cœur bien amoureux ménage- t-il si peu la gloire de ce qu'il aime ? Vous m'ofTeuses vive- .nent.

PORA5TE. J'ai prcTU votre réponse , et vous ares dicté La mienne. Forcé d'être malheureux ou coupable , c'est Texcès de mon amour qui me fait sacrifier mon bonheur h mon devoir, puisque ce n'nt qu'eu vous perdant que je puis me rendre digne de vous posséder.

SOPHIE. Ah ! qu^il est aise d'étaler de belles maximes qnand le ccpur ^ combat faiblement I Parmi tant de devoirs à remplir, ceux Tamour sont-ils donc comptés pour rien? et nVst-ce que l.i é de me coûter des regrets qui vous a fait désirer ma ten- ?

DORANTE.

Tattendais de la pilîé , et je reçois des reproches ; vous n'ave» , las! que trop de pouvoir sur ma vertu , ilfaut fuir pour ne pas Kcomocr. Aimable Sophie ^ trop digne d'un plus beau climat , kicaez recevoir les adieux d'un amant qui ne vivrait qu'à vos t s*il pouvait conserver votre estime en immolant la gloire âVamonr. ( // f embrasse. )

SOPHIE. Ah ! que faites-vous?

SCÈNE X.

MACKER, FRÊDKHÏCH, COTERNITZ ,

DORANTE, SOPUiE.

WACKER.

Ob! oh! notre future, tubicu! comme vous y allez ! (Test

avec monùenr que vous accordez pour la noce! Je lui suis

, ma foi. Eh bien î beau-père , que dites- vous de votre

ilure ? Oh! je voudrais, parbleu! que nous en eussions

tS4 , LES PRISONMEES DE GUERRE.

TU quatre fois davantage , seulement pour lui apprendre k n'être

pas si confiant.

GOTERKITZ, Sophie , pourrie»-vous m'cxpliquer ce que veulent dire ces étranges façons?

nORA?ïTE.

L'explication est toute simple; je viens de recevoir avis oue je suis échangé, et là-dessus ]C prenais congé de mademoiselle , qui, aussi-bien que vous, monsieur, a eu pendant mon séjour ici beaucoup de bontés pour moi.

MACKRH.

Oui , des bontés ! oh î cela s'entend.

GOTERNITZ.

Ma foi , seigneur Macker , je ne vois pas qu'i] y ait tant a se récrier pour une simple cérémonie de compliment.

M A C K E R .

Je n'aime point tous ces complimens à la française.

fbédÉricu. Soit : mais comme ma sirur n'est point encore votre femme , il me semble que les vôtres ne sont guère propres k lui donner envie delà devenir.

BfACKER.

Eh î corbleu ! monsieur , si votre séjour de France vous à ap- pris à applaudir à loules les sottises des femmes , apprenet que les flatteries de Jean Matthias Macker no nourriront jamais leur orgueil.

FRÉDÉRICH.

Pour cela , je le crois.

DORANTE.

Je vous avouerai, monsieur , et du mérite de votre adorable

prAmp d*unir mon sort au sien , si les cruels préjugés nui v ont été inspirés contre ma nation n'eussent mis un ob&tacte in' cible au bnnheur de ma vie.

FRÉDÉBICIl.

Mon père , c'est sans doute un de vos prisonniers?

GOTERNITZ.

C'est cet officier pour lequel vous avez été échangé.

FRÉOÉRICH.

qu^cgalcmenl épris des charmes ulle j'aurais fait ma félicité su-

su-

DUS

inviu-

Quoi 1 Dorante ? Lui-même.

GO|TERNITZ. FRÉDÉRIC H.

Ah! quelle joie pour moi de pouvoir embrasser \c fils de mon bienCiitêur !

I

SCEXF X i jÇg

SOPHIE, joyeuse. ^

C'était mon frcre , et je Tai deviné.

Oui , monsieur, redevable Je la \\e k montienr votre père, qu'il me serait doux de vous marquer ma reconnaissance et mou atUcbemeot par (juelque preuve digne des services que j'ai re^ui dr Im !

DOKAITTE. Si mon père a été assez, heureux pour s^acquîtter envers un ca- valier de votre mérite des devoirs de l'humanité ,il doit pi us s'en féliciter que vous-même. Cependant, monsieur, vous conuaisfiez mes sentiment pour mademoiselle votre sœnr^ ri vous daignes protéger mes feux, vous acquitterez au-delà de vos obli(»alions : rendre un honnête homme heureux , c'est plus que de lui sauver U vie.

FnéDRRICH.

Mon père partage mes obligations, et j'espère bien que, par- i>{;eanl aa&si ma reconnaissance , il ne sera pas moins ardent que m<M « vous la tcnioigner.

MACKKB.

Mais il me semble que je joue ici un assez joli personnage.

GOTERNITZ. ,

J'a\-one , mon fils, que j^avais cm voir en monsieur quelque ilination [>our votre sœur ^ mais, pour prévenir la déclaration qu'il m'en aurait pu faire, j'ai si bien manifesté en toute occasion linttpatbîe et l'étoignemcnt qui séparait notre nation de In iirnne , quil s'était épargné jusqu'ici des démarches inutiles de la p«rt d*an ennemi avec qui , quelque obligation que je lui aie d'&illears, je ne puis ni ne dois établir aucune liaison. UACKEB. Sansdout«, et c'est un crime de lèse-majesté à mademoiselle ^ vouloir aussi s'approprier ainsi les prisouniers de la reine.

GOTERNITZ.

Enfin je tiens que c'est une nation avec laquelle il est mieux 'if toute façon de n'avoir aucun commerce ; trop orgueilleux aiQu, trop redoutables ennemis , heureux qui n'a rien à démêler «fc eux !

FSÉPKRICH. ! quittez , mon père, ces injustes préjugés. Qne n'avez-vous 10 cet aimable peuple que vous haïssez , et qui n'aurait ppul- âucun défaut s'il avait moins de vertus! Je l'ai vue de près heureuse et brillante nation , je l'ai vue paisible au milieu U gnerre , cultivant les sciences et les beaux arts , et livrée .'i charmante douceur de caractère qui en tout temps lui fait *oir également bien tous Ie5 peuples du monde , et rend la '^nce en quelque manière la patrie commune du genre humain. Wirt hommes sont les frères des Français. La guerre anime

]S6 LES PIUSONNIERS DE GUERRE.

Ipur valeur san^ exciter leur colère. Une brutale fureor ne lenr fait point haïr leurs ennemis, un sot orgueil ne les leur fait point luepriier. Us les combatleut noblement, sans calomnier leur conduite , sans outrager leur gloire , et tandis que nous leur fai- sorts la guerre en furieux , ils se contentent de nous la faire en héros.

GOTKKTflTZ. Pour cela , on ne saurait nier qu'ils ne se montrent plus hu- mains et plus ge'néreux que nous,

FRÉDÉRICH. Eh! coramenl ne le seraient-ils pas sous un maître dont la I>ontë égale le courage? Si ses triomphes le font craindre, ses vertu* doivent-elles moins le faire admirer ? Conquérant redou- table, il semble à la tête ses armées un pi;re tendre au milieu de sa famille; et , forcé de domter Torgueil de ses ennemis^ il ne les soumet que pour augmenter le nombre de ses enfans.

GOTE&MTZ.

Oui , mais , avec toute sa bravoure, non contentde subjuguer .ses ennemis par la force, ce prince croit-il qu'il sojt bien beau d'employer encore l'artifice» et de séduire, comme il fait, le» coeurs des étrangers , et de ses prisonniers de guerre?

HACKER.

Fi! que cela est laid de débaucher ainsi les sujets d*autnii l Oh bien I puisqu^il s'y prend comme cela , je suis d'avis qu'on punisse sévèrement tous ceux de« nôtres qui s'avisent d'en dire du bien.

FRÉDÉRIC II.

Il faudra donc châtier tous vos guerriers qui tomberont daot ses fers j et je prévois que ce ne sera pas une petite lâche.

DORANTE.

Oh! mon prince, qu'il m'est doux d'entendre les louanges que ta vertu arrache de la bouche de tes ennemis ! voilà les seuls éit>'

ges dignes de toi.

GOTERNITZ.

Non , le titre d'ennemis ne doit point nous empêcher de rendra justice au mérite. J'avoue même que le commerce de nos pri- sonniers m'a bien fait changer d'opinion sur le compte de leur nation : mais considérer, mon fils, que ma parole est engagée, que je me ferais une méchante aflaire de consentir à une allîaiice contraire â nos usages et à nos préjugés, cl que , pour tout dire enfin, une femme n'est jamais assez en droit de compter sur le cœnr d'un Français pour que nous puissions nous assurer du bon- heur de votre sœur en l'unissant à Dorante.

DORANT E.

Je croîs, monsieur, que vous voulez bien que je triom| puisque vous m'attaquez par le côté le plus fort. Ce n'est poini •n moi-même que j'ai besom de cliercher des mol ifs pour rassurer

SCÈNE X. 187

raimable Sopliîe sar mon inconstance, ce sont ses charmes et soa mérite qui seuls me les fournissent ; qu'importe en quels cli- ■1^ elle Yvre ? Ion règne sera toujours partout oit Ton a des jcox et des cœurs.

TRiniRICH.

Entends-tu, ma soeur ? cela vent dire que si jamais il devient infidèle ta trouveras dans son pays tout ce qu il faut pour t'en dédommager.

SOPHIE.

Votre temps sera mieux employé k plaider sa cause auprès de mon père qu à m'interpréter ses sentimens.

GOTKKNITZ.

Yoos Toyes, seigneur Macker, qu'ils sont tous réunis contre nemt ; nous aurons affaire k trop iorte partie : ne ferions-uous pas mieux de céder de bonne grâce ?

HACKER.

Oa'est-ceque cela veut dire?manqae-t-on ainsi de parole à on Aomme comme moi?

raEDÉaicH. Oui , cela se peut faire par préférence.

OOTERNITZ.

Obtenex le consentement de ma 611e, je ne rétracte point le mien ; mais je ne vous ai pas promis de la contraindre. D'ailleurs, à Toas parler vrai , je ne vois plus pour vous ni pour elle les mêmes agrémens dans ce mariage : vous avec conçu sur le compte de Dorante des ombrages qui pourraient devenir entre elle et tous une source d'aigreurs réciproques. Il est trop difficile de vivre paisiblement avec une femme dont on soupçonne le coeur d'être engagé ailleurs.

HACKER.

Ooaîs! Tons le prenez sur ce ton? oh! tètebleu je vous ferai voir qu'on ne se moque pas ainsi des gen». Je m'en vais tout â l'heure porter ma plainte contre lui et contre vous : nous ap- prendrons un peu à ces beaux messieurs à venir nous enlever nos maltresses dans notre propre pays j et , si je ne puis me venger aotrement , j'aurai du moins le plaisir de dire partout pis que pendre de vous et des Français.

SCENE XL

GOTERNITZ, DORANTE, FRÉDÉRICH, SOPHIE.

GOTERNITZ.

Laissons-le s'exhaler en vains murmures; en unissant Sophie à Dorante je satisfais en même temps à la tendresse paternelle et à la reconnaissance; avec des sentimens si légitimes je ne crains la critique de personne.

DORANTE.

Ah! monsieur, quels transports... !

i88

LES PRISONNIERS DE GUERRE.

FREDERICH.

Mon pcre, il nous reste encore le plas fort à faire. Il s'acic d'obtenir le consentement de ma srrur , et je voix de granfl^s difficultés; épouser Dorante , et aller en France î Sophie ne s'y résoudra jamais.

OOTERNITZ.

Comment donc ! Dorante ne serait-il pas de son go&t? en cecas je la soupçounerais fort d*on avoir changé.

FRÉDÉRIC H.

Ne voyez-vous pas les menaces nii'clle me fait pour lui avoir enlevé le seigneur Jean Matthias Macker?

OOTERN ITZ.

Elle n^ignorc pas coml>icn les Français sont aimables.

FRÊDÉRICU. Non; mais clic sait que les Françaises le sont encore plus, et voilà ce qui l'épouvaute. %

SOPHIE.

Point du tout : car je tâcherai de le devenir avec elles: et tant que je plairai à Dorante je m'estimerai la plus glorieuse de toulet- Ics femmes.

DORANTE.

Ah! vous le serez éternellement, belle Sophie! Vous él«»

5>our moi le prix de ce qu'il y a de plus cititiiable parmi les iomme>. C'est à la vertu de mon père , au mérite de ma nation , à la gloire de mon roi , que je dois le bonheur dont je vais jouir avec vous; on ae peut être heureux sous de plus beaux. auspices.

riir DES PRISONNIERS X»Z GUERRE.

PYGMALION,

SC^E LYRIQUE,

Représentée en 1775.

ACTEURS.

ptghaliow.

Galathée.

La scène e»i à Tyr.

PYGMALION

k

Le tbéitrc reprrsente un atelier dt «culplcnr. Sur Ira cA'é» on rnii iJc« btocA de marbre, des fïroiipn , des sUlueii ébauchéet». Danslufuud est une autre sUtoe cachée suas un pavillou d'une étoffe légère et brtl- Urne , orné de crépinea et de guirlandes.

Fvgmalîou , auii et atrcoudé , ré\e dany l'atlilude d'un Lomme inijoiet et triitf ; puii te levant lout-«-cuup, il prend sur une table lei outiU de «00 irt , va donner par intervalle» quelque» coup» de ritcau sur quelques-unes de ses ébauche* , »e recule ^ el regarde d'un air xaécon- tenl et découragé.

PYGMALION.

L n'y a point d'ame ni de vie; ce nVst que de la pierre. Je ne fèr«i jamais rien de tout rela.

O mou génie, oii es-tu ? mou talent , qu'es-tu devenu ? Tout mon feu s'est éteint, mon imagination s'est glacée ^ Je marbre tort froid de mes mains.

Pygmalion, ne fais plu4 des dieux , tu nVs qu'un vulgaire ;ir- lisle... YiU instrumens qui n'êtes plus ceux de ma gloire, allez, ae déshonorez point mes mains.

Il jette avec dédain ses oullU , poi» ac promèuc quelque temps en rêvant, les bra» croisé». Çae suis-je devenu? quelle étrange révolution s'est faite eu

Tyr, ville opulente et superbe^ les monumens des arts dont In brilles ne m attirent plus , j'ai perdu le goût que je jireuais à Is admirer : le commerce des artistes et des philosoplies me de- vient insipide } Tentretien des peintres et des poètes est sanb at- luit pour moi, la louange et la gloire n'élèvent plus mon ame; in éloges de ceux qui eu recevront de la postérité ue me tou- fbeol plus; Tamitie même a perdu pour moi ses charmes.

Et vous , jeunes objets , cliets-d'oeuvrc de la nature , que mon

krt Qiait imiter, et sur les pas desquels les plaisirs m'attiraient

ll>n> cesse , vous , mes charmaos modèles , qui m'embrasiez ù la

"'OiKles feux de l'amour et du génie ^ depuis que je vous ai sur-

!*»«», vous m'êtes tous indilférens.

Il s'aasied , el contemple tout autour de lui.

Kttenn dans cet atelier par un charme inconcevable, je n'y

|hurien faire, et je ne puis m'en éloigner. J'erre de groupe eu

tpoupe , de figure en iigure; mou ciseau, faible, incertain ,

U^ reconnaît plus son guide : ces ouvrages grossiers , restés à

^ur timide ébauche, ne sentent plus la maiu qui jadis les eiU

'lia*»...

Il ae lève impétueusement.

C CD est fait, c*en est fait; j'ai perdu mon génie... si jeune [♦«core, je 8ur>i5 à mon talent. Mail quelle estdouc cette ardeur interne qui me dévore? qu'ai-

1

ueur d'urt

19^ PYGMALION»

je en moi qni semble m'ombrascr? Quoi î dans la langueur 3*0?! gçuie cleiiit, scnt-on ces émotions, sent-onces élans de& pas«ions îinpetueu»es, cette inquiétude insurmontable, cette agitation se— J crête qui me tourmente et dont je ne puis dénirler la cause? 1

J'ai craint que l'admiration de mon propre ouvrage ne causât la distraction que j'apportais à me& travaux; je l'ai caché âous ce voile... mes profanes mains ont oeé couvrir ce monument de Jeur gloire. Depuis que je ne le vois plus , je suis plus triste , et ne suis pas plus attentif.

Qu'il va m'ètre cher, qu'il va m*être précieux, cet immortel ouvrage ! Quand mon esprit éteint ne produira plus rien de grand , de beau , de digne de moi, je montrerai ma Galathée , et je dirai : Voilà mon ouvrage. O ma Galathée ! quand j'aurai tout perdu , tu me resteras , et je serai consolé.

Il s*a|i[irfirtip du pnvillon> puisse retire; va « vient ^ et s'ar- rête quelquiifois à le regarder eii soupiruit.

Mais pourquoi la cacher? Qu'est-ce que j'y gagne? Réduit k' l'oisiveté, pourquoi m'ôter le plaisir de contempler ta plus belle

de mes oeuvres? Peut-être y rcste-t-il quelque défaut que je

n'ai pas remarqué^ peut-être pourrai-je encore ajouter quelque ornement à sa parure : aucune grâce imaginable ne doit hlao*

quer à un objet si charmant peut-être cet objet ranimera-t-il

mon imagination languissante. Il la faut revoir , rcxaniincr de nouveau. Que disnjc? Eh! je ne Tai point encore examinée : je n'ai fait jusqu'ici que l'admirer.

Il va pour lever le voile , et le Uiisc retomber comme effnyé.

Je ne sais quelle émotion j'éprouve en touchant ce voile; une frayeur me saisit ; je crois toucher au sanctuaire de quelque di- vinité. Pygmalion , c'est une pierre, c'est ton ouvrage Qu'im- porte? on sert des dieux dans nos temples, qui ne sont pas d'une autre matière , et n'ont pas été faits a une autre main.

Il lève le voile en tremblant, et se oroiterne. On volt ]* slaliic (le Galalhée pofti^*c sur un piédestal fort petit, mai» exhaasié par un gradin de marbre , furmé de quelque* marche» demwirculaires.

O Galathée ! recevez mon hommage. Oui , je me suîs trompé : j'ai voulu vous faire nymphe, et je vous ai faite déesse. Vénus même est moins belle que vous.

Vanité, faiblesse humaine! je ne puis me lasser d'admîrer mon ouvrage^ je Tu'enivre d'amour-propre j je m'adore dans ce que j'ai fait.... Non , jamais rien de beau ne parut dans la nature; j'ai passé l'ouvrage des dieux....

Quoi! tant de beautés sortent de mes mains! Mes mai ns fer

ont donc touchées ma bouche a donc pu Je vols un défaut.

Ce vêtement couvre trop le nu; il faut Vcchancrer davantage; les charmes qu'il recèle doivent être mieux annoncés.

11 prend son maillet rt ron cisrau; puis s'avaiit^iil lenle* meut , il monte eu bc«it0nt les giiidîna de la alalueqn'il

SCENE LYRIQUE. ,q3

MmUe n'oser toaoher. Enfin, le ciseaa Ûéjk levé, il •'•rréle.

Quel tremblement! quel trouble!... Je tiens le ciseau d'une nain mal «snirée.... je ne puis.... je n'ose.... je gâterai tout.

Il t'enconrage;eten&n,prétenUnttoD ciseau, il en donne an seul couplet, saisi d'elfroi, il le laisse tomber en poauant un grand cri.

Dieux ! je sens la chair palpitante repousser le cisean!... Il redescend tremblant et confus.

.... Vaine terreur, fol aveuglement!... Non.... je n'y toucherai point; les dieux m'épouvantent. Sans doute elle est déjà cousa* crée i leur rang.

Il la considère de noaveao.

Qaeyeaz-tuchaneer? regarde; quels nouveaux charmes veux- tu loi donner?... An! c'est sa perfection qui fait son défaut.... Dirine Galathée ! moins parfaite , il ne te manquerait rien.... Tendrement. Hais il te manque une ame : ta figure ne peut s*en passer.

Avec plus d'altendrissement encore. l'ame faite pour animer un tel corps doit être belle !

Il s'arrête long-temps. Puis retournant s'asseoir, il dit d'une voix lente et changée :

Qaels désirs osé-je former! quels vœux insensés! qu'est-ce que je sens? O ciel: le voile de l'illusion tombe, et je n'ose voir dans mon cœur : j'aurais trop à m'en indigner.

Longue pause dans an profond accablement*

.... Voilà donc la noble passion qui m'égare ! c'est donc pour cet objet inanimé que je n'ose sortir d'ici!... un marbre! une pierre! une masse informe et dure, travaillée avec ce fer !.... Insensé , rentre en toi-même ; gémis sur toi ; vois ton erreur , vois ta folie. ... Mais non....

Im tneosemen t.

Non , je n'ai point perdu le sens ; non , je n'extravague point ; von , je ne me reproche rien. Ce n'est point de ce marbre mort qne je suis épris , c'est d'un être vivant qui lui ressemble , c'est de la figure qu'il offire à mes yeux. En quelque lieu que soit cette figure adoraole, quelque corps qui la porte, et quelque main qni l'ait faite, elle aura tous les vœux de mon cœur. Oui, ma seole folie est de discerner la beauté , mon seul crime est d'y être sensible. Il n'y a rien dont je doive rougir.

Moins vivement , maïs toujours avec passion.

Quels traits de feu semblent sortir de cet objet pour embraser mes sens, et retourner avec mon ame à leur source! Hélas ! il reste immobile et froid , tandis que mon coeur embrasé par ses 0. i3

194 PYGMALION.

cliarmes vofudraît quitter mon corps pour aller èchaulTer le sien. Je crois dans mon délire pouvoir m*ëfancer hors de moi ; je crois pouvoir lui donner >&& vie et l'animer de mon ame. An I que Pvgmalion meure pour vivre dans Galathée !... Que dis-je, 6 ciel ! Si j'étais elle , je ne la verrais pas « je ne serais pas celui qui l'aime. Non , que ma Galathée vive , et que je ne sois pas elle. Ah! que je sois toujours un autre, pour vouloir toujours être elle , pour la voir, pour l'aimer, pour en être aimé!... Transport.

Tourmens , vœux , désirs , rage , impuissance , amour terrible ,

amour funeste.... oh! tOut l'enfer est dans mon cœur agité

Dieux puissans , dieux bienfaisans, dieux du peuple, qui con- nûtes les passions des hommes, ah ! vous avez tant fait de prodiges pour de moindres causes ! voyes cet objet , voyez mon cœur , soyez justes , et méritez vos autels^

Arec un entfaoasiaBme plus pathétique.

£t toi , sublime essence qui te caches aux sens et te fais sentir aux cœurs, aine de l'univers, principe de toute existence, toi qui

Îtar l'amour donnes ^harmonie aux élémens , la vie à la matière, e sentiment aux corps , et la forme à tous les êtres ; feu sacré, céleste Vénus , par qui tout se conserve et se reproduit sans cesse ; ah ! oîi est ton équilibre? est ta force expansive? oii est la loi de la nature dans le sentiment que j'éprouve? oii est ta chaleur vivifiante dans Tiiianité de mes vains aésirs ? Tous tes feux sont concentrés dans mon cœur, et le froid de la mort reste sur ce marbre; je péris par l'excès dévie qui lui manque. Hélas ! je n'at* tends point un prodige; il existe , H doit cesser ; l'ordre est trou- blé , la nature est outragée ; rends leur empire à ses lois , rétablit son cours bienfaisant et verse également ta divine influence. Oui^ deux êtres manquent à la plénitude des choses , partage-leur cette ardeur dévorante qui consume l'un sans animer l'autre : c'est toi qui formas par ma main ces charmes et ces traits qui n'attendent que le sentiment et la vie; donne-lui la moitié de U mienne, donne-lui tout , s'il le faut, il me suffira de vivre en tille. O toi qui daignes sourire aux hommages des mortels , ce qui ne sent rien ne tlionore pas ; étends ta gloire avec tes œuvres. Déesse de la beauté, épargne cet afiront à la nature, qu'un si parfait modèle soit l'image de ce qui n'est pas.

II revient à lai par degrés avec un mouvement d'assurance et de joie.

Je reprends mes sens. Quel calme inattendu! quel courage inespéré me ranime ! Une fièvre mortelle embrasait mon sangi un baume de confiance et d'espoir court dans mes veines ; je crois me sentir renaître.

Ainsi lesentiment de notre dépendance sert quelquefois à notre consolation. Quelque malheureux que soient les mortels, quand ils out invoqué les dieux ils sont plus tranquilles....

SCÈNE LYRIQUE. %tfi

Mats cette injuste confiance trompe ceuib qui frat des voeux in-

M^iisés.... Hélas I en l'ctat je suis on invoque tout , et rien ne

v\ODs écoute; Fespoir qui noua abuse est plus insensé que le désir.

Honteux de tant d'egaremens, je n'ose plus même en contem-

|Aer la cause. Quand je veux lever les yeux sur cet ol>jet fatal ,

Y sens un nouveau troublé , une palpitation me suffoque , une

secrète frajeur m'*rrét6....

Irbnîe anère.

.... Eh ! regarde > maRieùreux ^ devÎAu intrépide ; ose fixer une statue.

Il b voil s'animer, et sa détoama saisi d'efitiroi et le cœur serri de donleor.

Qu'aî-je va? dieux! qu'ai-je cru voir? Le colons des chairs , un feu dans les veux f pes mouvement Qiême.... Ce n'était pas esses d'espérer le proJige 5 pour comble de misère y enfin, je Tai vn....

Excès d'scGiblement.

Infortuné, c'en est donc fait.... ton délire est k son dernier terme.... ta raison t'abandonne ainsi que ton génie.... Ne la re- grette point, à Pygmalion , sa perte couvrira ton opprobre.. .. Vive indigoatioD. Il est trop heureux pour Tamant d'une pierre de devenir un homme k visions.

n te retourne, et voit la statue se uiooToir et descemlre elle-même les gradins par lesquels il a monté sur le pié- destal. 11 se jette à geaoux , et lève les mains el les yeux au ciel.

Dieux immortels! Vénus! Galathée! ô prestige d'un amour forcené !

GALATHÉE se iouche ^ et dii :

Moi. Moi! C'est moi.

PY6MALI0N, transporté, GALATHÉE , se touchant encore.

PYGMALION.

Ravissante illusion qui passes jusqu'à mes oreilles , ah ! n'aban- donne jamais mes sens.

GALATHÉE fait quelques pas , et touche un marbre.

Ce n'est plus moi.

Pygmalion , dans une af(ilalton, diins des tr.insports qu'il a peine à contenir , t.iiit lous ses mouveiuetiH, IVroute , l'observe avec une avide :ilicntiuM qui lui permet k peine de letpirer.

Galathée s'avance vers lui el le regarde ; il se lève précipi- tamment, lui tend les bras, et la regarde avec extase. Elle pose une main sur lui ^ il tressaille , prend cette

ig6 PYGMALION.

main, U porie i •on coeur, pni» U couvre d'ardc baiier».

ojllathɣ, aiftc un 9oupir.

Ah? encore moi.

VTOM ALION.

Oui , cher et charmant objet ; oui , digne chef-d'œuvre de m mains , de mon cœur et des dieux ; c'est toi , c'est toi seule : t'fti dooaé toat mon être ; je ne vivrai plus que par toi.

FIN DS PTOHAtlOir.

L'ENGAGEMENT

TÉMÉRAIRE,

COMÉDIE EN TROIS ACTES.

AVERTISSEMENT.

Rini n'est plus plat que cette pièce. Cependant j'ai gardé quelque attachement pour elle , à cause de la gaieté du troisième acte et dt la facilité avec laquelle elle fut faite en trois jours, grâce à la tranquillité et au contentement dVs- prit je vivais alors, sans connaître Fart d^écrire, et sans auctine prétention. Si je fais moi-même Fédition générale , i*espère avoir assez de raison pour en retrancher ce bar- bouillage , sinon je laisse a ceux que j*aurai chargés de cette entreprîfie le soin de juger de ce qui convient y soit à ma mémoire » soit «u go4t présent du public.

ACTEURS.

DoKAifTE, ami de Yalère. VÀLÉas, ami de Dorante. Isabelle, veuve. Éliante, cousine d'Isabelle. Lisette, suivante dlsabclle. Carlin, valet de Dorante. Un notaire. Un laquais.

La scène eat dans le château d'IsabelU,

L'ENGAGEMENT

^ TÉMÉRAIRE.

I

ACTE PREMIER.

SCÈJN'E I". ISABELLE,ÉLIANTE.

1SAB£LLE.

Li*HTMEN va donc enfin serrer des nrpuês si doux ; Valère , à son retour , doit être votre époux ; VpU6 ailes être heureuse. Ah I ma chère Èliante !

Vous soupirez? bien ! si Texeniple vous tente , Dorante vous adore, et vous le voyoebien. Pourquoi gêner ainsi votre cœur et le sieu ? Car \*ous l aijnez un peu : du moins je le soupçonne.

I 8 A B K L L s.

Non , rhyracn n'aura plus de droits sur nia personne > Cousine^ un premier choix m'a trop mal réufAÎ.

Pliante. Prenez votre revanche en faisant celui-ci.

ISABELLE. Je veui suivre la loi uue j'ai su n^c prescrire ; Ou du moins,... Car Dorante a voulu rue déduire > Sous le fetnt nom d'aïui s'emparer de mnit cipur. Serais-je donc ainsi la dupe d un troiuppiir , Qui, parle snccès même , çn serait plus coupable, ^ Et qui l'est trop, peut-être ?

iLZANTIC.

Il est donc pardonnable. ISABELLE. Point ; î1 ne m'aura pas trompée impunément, n Tient. Éloignons-DouSf ma cousine, i\n moment. Il n'est pas de son but aussi près c^uM le peu>e , Et je veux à loi^r mcditer ma veugeauce.

SCÈNE IL

DORANTE. Elle m'évite encore ! Que vc^it dire ceci ? Suc t^étatdc sou coeur quand serai-je cclairci?

4

ïoo L'ENGAGEMENT TEMERAIRE:

Hasardons de parler.... Son humeur m'cpouvanlê.r^ Carlin connaît beaucoup sa nouvelle suivante ;

( // aperçoit Catin* ) Je veux.... Carlin !

SCÈNE III. CARLIN, DORANTE,

CARLIN.

Monsieur ?

OOEANTE.

Yoîs-tu bien ce cbAteanf

CAKLIXf.

Oui , depuis fort long-temps.

DORANTE.

Qu'en dit-tu?

CARLI N.

Qu'il est beau.

D0RA5TM. I

Mais encor? |j

B«aa , très-beau , plus beau qu'on ne peut être Que diable ! ,

DORANTE. I

Et si bientôt j'en devenais le maitrei T'y plairais-tu?

CAR r, IN. I

Selon : s'il nous restait, garni; Cuisine foisonnante , et cellier bren fourni ^ Pour vos amuseiuens , Isabelle , Éliante ; Pour ceux du sieur Carlin , Lisette In suivante j Mais, oui, je m'y plairais.

DORANTE.

Tu n'es pas dcgoiitê. bien ! réjouis-toi , car il est.... CABLIN.

Acheté ?

DORANTE. Non , mais gagné bientôt.

CARLIN.

Bon î par quelle aventurej Isabelle n'est pas d'âge ni de fîgiirf A perdre ses châteaux en quatre coups de dé.

DORANTE.

11 pst à nous, te dis-jc, et tout est décidé Déjà dans mon esprit....

CARLIN.

Peste ! la belle emplette.

I

ACTE I, SCENE lîl Résolue À part vous? c'est une affaire faite, Le cb&tcau désormais ne saurait nous manquer.

DORA NTU.

Songe à me seconder au lieu de te moquer.

CARLIN.

Oli î monsieur , je n'ai pas une Icte si vive j

£t j*ai tant de lenteur dans rimaginntive,

Que mon esprit grossier , toujours dans IVmbarraï ,

fie sait jamais jouir des biens que je n*ai pas :

Je serais un Crésas sans celte maladresse.

DORANTE.

Sats-ta , mon tendre ami , qu'avec ta gentillesse Tu pourrais bien , pour prix de ta moralité , Attirer sur ton dos quelque réalité !

CARLICC.

Ah! de moraliser je n'ai plus nulle envie. Comme on te traiic, hélas ! pauvre pliilo.copbte ! Çâ , vous pouvez parler , j'écoule sans souiner. DORANTE.

Apprends donc un secret qu'à tous il faut celer , Si tu le peux, du moins.

CARLIN.

Rien ne m'est plus facile.

DORANTK.

IKeu le veuille! en ce cas tu pourras m'étrc utile.

CARLIX.

Voyons.

DORAHTE. J'aime Isabelle.

Je le

savais 9309 tous.

CARLIN.

Oh ! qnel secret ! Ma foi ,

DORANTE.

Qui te l'a dit?

CARLIN.

Vous.

SORANTg.

Mol ?

CARLIN.

^tti, vous : vous conduisez avec tant de mystère ^^ intrigues d'amour, qu'en cherchant à les taire, ^^ airs mystérieux, tous vos tours et retours ^ inblruisent bientôt la ville et les faubourgs. »*Mons. A \-otre amour la belle répond-elle.^

aoa

L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

OO R A N TS.

Sans doute.

CABIIK.

Vous croyez être aimé d'Isabelle ? Quelle preuve avez-vous du bonheur de vos feux?

DORANTE.

Parbleu! messer Carlin » vous êtes curieux.

CARLIN.

OK ! ce ton-là , ma foi , sent la bonne fortune ; Mais trop de confiance en fait manrjucr plus d*une^ VotiB le savez fort bien.

DORAKTK.

Je &ui& &ûr de mon fait ^ Isabelle en tont lieu me fuit.

CARLIN.

Mais en effet CVst de sa tendre ardeur une preuve constante!

DORANTE.

Écoute jusqu'au bout. Celte veuve charmante

A la (in de son deuil déclara &ans retour

Que sou cœur pour jamais renonçait à Tamour.

Presque dès ce moment mon ame en fut touchée ;

Je la vis , je Taimai ^ mais toujours attachée

Au VfT'U qu'elle avait fait , je sentis qu'il faudrait

Ménager son esprit par un détour adroit :

Je feignis pour riiymen beaucoup d'autipaLhie ;

Ht réglant nies discours sur sa philosophie ,

Sous le tranfjuille nom d'une douce amitié ,

Dans ses amusemeos je fus mis de moitié.

C A RI. IN.

Peste ! ceci va bien. En amusant les belles Ou vient au sérieux. 11 faut rire auprès d'elles | O qu'on fait en riant est autant d'avancé.

DORA NT E. Dans ces ménagemens plus d'un an s'est passé. Tu peux bien te douter qu'après toute une année On est plus familier qu'après une jourjiée ; Et mille aimables jeux se passent entre amis. Qu'avec un étranger on n'aurait pas permis. Or , depuis quelque temps j'aperçois qu'Isabelle Se comporte avec moi d une taçon nouvelle. Sa cousine toujours me reçoit de même a-il j Mais, sous l'air affecté d'un favorable accueil , Avec tant de réserve Isabelle me traite , Qn il faut ou qu*cn secret prévoyant sa défaite Elle veuille éviter de m'en faire l'aveu , Ou que d'un autre autant elle approuve le feu.

li

Acte i, scène ih.

CARLI Pï.

Thl qui voudriee-vous qui pût ici lui plaire? Il nVnIre en ce chAtcau que vous seul ri Valère , <^ui, près de la couâiue en esclave enchaîne. Va bientôt par l'hymen voir son feu couronne.

DORANTE.

Moi donc , n'apercevant aucun rival à craindre ,

Ne dois- je pas in^er que, voulant se coutraindre »

l*^belle aujourd'hui chercbc à m'en imposer

Sur le progrès d'un feu qu'elle vent déguiser ?

Maïs avec quelque soin qu'elle cache sa tlnmme.

Mon cœur a peuétré le secret de &ou amc ,

Se* yeux ont sur les miens lance ces Iraits charmans,

Pre'sages fortunes du bonheur des amans.

Je suis aimé> le dis-je j un retour plein de charmes

Paie enlin mes soupirs, mes transports et mes larmes.

r ARI.IV- Ëronomîsez mieux ces exclamations; II est , pour les placer > d'autres occasions Oii cela fait merveille. Or, quant à notre afïkirey Je ne vois pas encore ce que mon ministère. Si vous êtes aimé, peut en votre faveur ^ Que vous faut-il de plus?

DORANTE.

L'aveu de mon bonbenr. II faut qu*en ce château.... Maiiï j*aperçoi$ Libelle. Va m'attcudre au logis. Surtout bouche discrète.

CAHLZN. Vous offensez , monsieur , les droits de mon métier. On doit choisir son monde , et puis s'y confier. l> O n A N T E , fe rappriant.

Ab! j'oubliais Carlin , j'ai reçu de Valère

Due lettre d'avis que , pour certaine affaire Qu'il ne m'eiplJque pas, il arrive aujourd'hui. S'il vient, cours aussitôt m'en avertir ici.

»|3

SCÈNE IV.

DORANTE, LISETTE.

DOI ANTfi.

^ Ah ! c'est toi, belle enfant ! Et bonjour , ma Lisette :

P Comment vont les galans? A ta mine coquette On pourrait bien g<^er au moins pourdeuK ou trois : Plu le nombre en c>t grand , et uiieuii on fait son chois. ^IS£TT£.

Vous roc j)rélex, munsieor, uu petit caractère, L Mais fort joli , vratmeut \

L'ENGAGEMENT TEMERAIRE.

DORANTE.

Bon , bon ! point âfi colère. Tiens, avec ces traits-là , Lisette , par la foi , Peux-tu défendre aux f^ens d'être amoureux de toi?

LISETTE.

Fort bien. Vous débitez: la fleurette à merveilles , Et vos galans discours enchantent les oreilles. Mais au fait , croyez-moi.

DORANTE.

Parbleu ! tu me ravis ,

{feignant de vouloir V embrasser. ) J'aime à te prendre au mut.

LISETTE.

Tout doux, monsieur!

DORANTE.

TurttI Et je veux rire aussi.

LISETTE.

Je le vois. Maîepeste ! Comme à m'interpréter, monsieur, vous êtes leste \ Je m'entends autrement, et sais qu*auprps de nous Ce jargon séduisant de messieurs tels que vous Montre, par ricochet, oii le discours b' adresse.

DORANTE.

Quoi ! tu penserais donc cjuVpris de ta maîtresse..»

LISETTE. Moi? je ne pense rien; mais, si vous m'en croyei, Vous porterez ailleurs des feux trop mal payes.

DORANTE, pîvement. Ah ! je l'avais prévu ; Tingratc a vu uia flamme , £t c'est pour m'accabler qu'elle a lu dans mon ame.

LISETTE. Qui VOUS a dit cela?

DORANTE.

Qui me Ta dit? c*est toi.

LISETTE.

Moi? je n'y songe pas.

DORANTE. Comment? LISETTE.

Non, par ma foi.

DORANTE.

Et ces feux mal payés est-ce un rêve? est-ce un conte?

LISETTE.

Diantre! comme au cerveau d'abord le feu vous monte!

Lerc

ACTE I, SCÉME IV. Je ne va y frotte plu5.

DOUANTE.

Ah ! daigne mVxlaîrcir. Quel plaisir peux-tu prendre à me faire souffrir?

LISETTE. Et pourquoi si long-temm, vous, me faire myiU D^un secret dont je dois être dêpo^ilairc? J*ai voulu vous punir pnr un peu de souci- Isabelle n'a rien aperçu jusquici.

pari.) {hatii.) C^est mentir. Mais gardez qu*elle ne vous soupçonne; Car je doute en ce cas que son cœur vous paruouue. Vous ne sauriez penser jusqu*oii va sa fierté.

DORANTE.

Bfe voilà retombé dans ma perplexité.

LISETTE.

Elle vient. Essayez de lire dans son ame ,

Et surtout avec soin cachez-lui votre flamme;

Car vous ctes perdu si vous la laissez voir.

DORAWTE.

Ilêlasl tant de lenteur me met au désespoir. SCÈNE V. ISABELLE, DORANTE, LISETTE.

ISABELLE.

Ah! Dorante, bonjour. Quoi! tous deux téte-à-tâtel Eh mais! vous faisiez donc votre cour à Lisolle? Elle est vraiment gentille et de bon entretien.

DORANTE.

Madame, il me suffit qu'elle vous appartient Pour rechercher en tout le bonheur de lui plaire.

ISABELLE. Si c*est \k votre objet , rien ne vous reste k faire | Car Lisette «'attache ii tous mes sentîtnens.

DORANTE.

Ah! madame...

ISABELLE.

Oh! surtout^ quittons les compliment^ £t laissons aux amans ce vulgaire langage. ^ Miicère amitié de son froid étaloge j* toujours dédaigné le fade et vain secours : ^ n'aime point assez quand on le dit toujours.

DORANTE,

Ah. da moins une fois heureux qui peut le dire!

LISETTE, bas,

*4uei*vous donc , jaseur.

mS

L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

ISABELLE.

J'oserais bien prédire Que , sur \e Ion touchant dont vous vous exprimes y Vous aimerez bientôt , si déjà vous u'aimea.

DOKAfiTL.

Moi, madame?

ISABELLE. Oui, VOUS.

DORAIf TK.

Vous me raillez , sans doate. LISETTE, à pari. Ohî ma foi, pour le coup mon homme est en déroule.

ISABELLE.

Je crois lire ea vo» ^eux des symptômes d'amour,

DOR ANTE. (haut, à UseUe^ avec affectation*^ Madame, en vérité... Pour lui faire ma cour, Faut-it en convenir /

LISETTE, bas. Bravo ! prenez courage. {haiit^ à Dorante.) Mais il faut bien, monsieur, aider au badinage.

I SA SELLE.

Point ici de détour : parlez-moi franchement j Seriez-vous amoureux.?

LISETTE, bas, vivement* Gardez de...

S o n A T E.

Non , vraiment. Madame^ il me déplaît fort de vous contredire.

ISABELLE.

Sur ce ton positif, \e n*ai plus rien à dir« : Vous ne voudriez pas, je crois, m'en imposer.

DORANTE.

J'aimerais mieux mourir que de vous abuser.

LISE TT E , bas. Il ment, ma foi , fort bien ^ j'en suis assez contente.

ISABELLE.

Ainsi donc votre ccrur, qu'aucun objet ne tente , Les a tous dédaignés « et jusques aujourd'hui M'en a point rencontré qui lût di^ie de lui^

DORANTE , à part. Ciel ! se vît-ou jamais en paieille détresse?

ACTE T, SCÈNE V. ««7

LISKTTB.

Madame , il n'ose pas , par pure politesse , Dénner k ce discours son approbation ', Mais je sais que l'amour est son aversion.

{bas, à Dorante,) Il faut ici du coeur.

ISABKLIK. Eh bien ! j'en suis cbarmëe. Voilà notre amitié pour jamais confirmée , Si , ne sentant du moins nul penchant à l*amour , Vous j voulez pour moi renoncer sans retour.

XISETTE.

Pour vons plaire , madame , il n'est rien qu'il ne fasse;

ISABELLE. Vous répondez pour lui? c'est de mauvaise grâce.

DOHAXf TE.

Hélas ! j'approuve tout ; dicter vos v<>lontés. Tons vos ordres par moi seront exécutés.

ISABELLE.

Ce ne sont point des lois, Dorante, que j'impose;

Et si vous répuenez à ce que je propose ,

Nous pouvons dès ce jour nous quitter bons amis.

SOBAITTE.

Ah ! mon goût à vos vœux sera toujours soumis.

ISABELLE.

Vous êtes complaisant; je veux ^tre indulgente; Et pour vous en donner une preuve évidente , Je déclare à présent qu'un seul jour , un objet , Doivent borner le vœu qu'ici vous avez fait. Tenez pour ce jour seul votre cœur en défense; Evitez de l'amour jusques à l'apparence Envers un seul objet que je vous nommerai; Résistez aujourd'hui , demain je vous ferai t/n don...

DOSANTE r vivement A mon choix?

ISABELLE.

Soit, il faut VOUS satisfaire; Et je vous laisj»era! régler votre salaire. Je n'en excepte rien c[ue les lois de l'honneur. Je voudrais que le prix fût digne du vainqueur.

DORANTE.

Dieux! quels légers travaux pour tant de récompense!

ISABELLE.

Oui : mais si vous manquez ub moment de prudence.

A0& L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

Le moindre acle d'amour , un soupir , uu regard > Un trait de jalousie eufin , de votre part , Vous privent à l'instant du droit (jue je vous laisse Je punirai sur moi votre propre faiblesse , Kn vous vovant alors pour la deroière foii. Telles sont du pari le^ immuables lois. DOB A^TE.

Ah! que vous m't'parenez de mortelles alarmes! Mais (iiiel est donc ennn cet objet plein de charmes Dont les attraits pour moi sont tant à redouter?

ISABELLE.

Votre ctrur aisément pourra les rebuter : Pie craignez rien.

DORANTE.

Et c'est?

ISABELLE.

Ccsl moi.

DORANTE.

V0U5? ISABELLE.

Oui, moi-même*

Qu'en tends-je

DOR.lIffTE.

ISABELLE. D*oh vous vient cette surprise extrême? Si le combat avait moins de faciltlé , Le priiL ue vaudrait pas ce ipiM aurait coûté.

LISETTE.

Mais regardez-le donc , sa Jîgurc est à peindre l

DORANTE, à part. Non , je n'en reviens pas. Mais il faut me contraindre. Cherchons en cet instant à remettre mes sens. Mon coîur contre soi-même a luttô trop longtemps ; Il faut un peu de trêve à cet excès de peine. La cruelle a trop vu le penchant qui mVntrainej Et je ue sais prévoir , à force à'y penser , Si l'on veut me punir ou me récompenser.

SCÈNE VI. ISABELLE, LISETTE.

LISETTE. De ce pauvre garçon le sort me touche Tame. Vous vous plaisez par trop à maltraiter sa flamme . Et vous le punissez de sa hdélilé. ISABELLE.

Ya , LÎKlte , il n'a rien <|u'il a*ait biea mérite'.

I

ACTE I, SCENE VI.

Quoi ! pendant si long-lemps il m'aura nu séduire , ])an& iCb pièges adroits il m aura su conduire j 11 aura , sous le nom d'une douce amitié...

I LISETTE.

'Fait prospérer l'aoïour?

ISABELLE.

Et j'en aurais pitié? Il faut que ces trompeurs trouvent dans nos caprices L.e juKtc cU5timent de tous leurs artifices. Tandis qu'ils sont amans , ils dépendent de nous : iLeur tour ne vient que trop sitôt qu'ils sont époux.

LISETTE.

Ce 5ont bien , il est vrai , les plus francs hypocrites ! |U vous savent long-icnips faire les cliatteiuites : £t puis gare la gritîe. OU l d'avance auprès d'eux Prenons notre revanche.

ISABELLE, en 9oi~méme. I Oui , le tour est heureux.

IMelie.) Je médite à Dorante une assez bonne pièce

Oii nous aurons besoin de toute ton adresse.

Valère eu peu de jours doit venir de Paris?

LISETTE.

U arrive aujourd'hui , Duraulc en a l'avis.

ISABBLL E. Tant mieux , à mon projet cela vient à merveilles.

LISETTE.

Or, expliquez-nous donc la ruse sans pareilles.

ISABELLE.

V&lère et ma cousine » unis d'un même amour , Doivent se marier pcul-^tre dès ce jour. Je veux de mou dessein la faire couHdenle.

LISETTE.

Qoe ferei-vous , hélas î de la pauvre Éltante ? Elle çàtera tout. Avcz-vous oublié Qu'elle e<it la bonté même , et que , peu délié , «On esprit n'est pas fait pour le moindre artifice , ^ moins encor son cœur pour la moindre malice ?

ISABELLE. Totlis fort bien , vraiment ; mais pourtant mon projet j^maaderait... Attends... Mais oui , voilà le fait, jjous pouvons aisément la tromper elle-même \ mI* û'en fait que mieux pour notre 6tratagème.

LISETTE.

"*iiii Dorante, enfin , par l'amour emporté , 5. 14

ao9

210 L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

Torabe dans quelque piège ou vous Viuret jeté , Vous ne pousserez pas , du moins , la raillerie Plus loin que ne permet une plaisanterie?

ISABELLE.

Su'appelles-tu , plus loin ? Ce sont ici des jeux, ais dont l'événement doit être sérieux. Si Dorante est vainqueur et si Dorante m'aime ,

Su'il demande ma main , il l'a dès l'instant même ; ais si son faible cœur ne peut exécuter La loi que par ma bouche il s'est laissé dicter, ' Si son etourderie un peu trop loin l'entraîne , Un éternel adieu va devenir la peine Dont je me vengerai de sa séduction , Et dont je punirai son indiscrétion.

LISETTE.

Mais s'il ne commettait qu'une faute légère Pour qui la moindre peine est encor trop sévère ?

ISABELLE. D'abord , à ses dépens nous nous amuserons ; Puis nous verrons , après, ce que nous en ferons.

Flir DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCÈNE I". ISABELLE, LISETTE.

LISETTE.

vlut tout a réussi , madame , par merveilles. Eliantc écoutait de toutes ses oreilles , Et sur nos propos feints , dans sa vaine terreur , Nous donne bien , je pense , au diable de bon coeur.

ISABELLE. Elle croît tout de bon que j'en veux à Valère?

LISETTE. Et que trouvez-vous que de fort ordiuaire ? D'une amie en secret s'approprier l'amant , Dame ! attrape qui peut.

ISABELLE.

Ah ! très-assurément Ce procédé va mal avec mon caractère. D'ailleurs. . .

LISETTE.

Vous n'aimez point l'amant qui sait lui plaire»

ACTE II, S€ENE I. an

Et la vertu vous dit de lui laisser son bien. Ah ! qu'on est généreux quand il n'en coûte rien !

ISABKtLK.

Non , quand je l'aimerais, je ne suis pas capable...

LISITTK.

Mais croye»-vous au fond d'être bien moins coupable ?

ISABELLE.

Le tour t je te l'aTOue , est malin.

LISETTE.

Très-malin. ISABELLE.

Mais...

LISETTE. Les frais en sont faits , il faut en voir la fin , N'est-ce pas ?

ISABELLE.

Oui. Je vais faire la fausse lettre : A Valëre feignant de la vouloir remettre, Tu tâcheras tantôt , mais très-adroitement , Qu'elle parvienne aur mains de Dorante.

LISETTE.

Oh ! vraiment , Carlin est si nigaud que...

ISABELLE.

Le voici lui-même : Rentrons. Il vient k point pour notre stratagème.

SCÈNE IL

CARLIN.

Valère est arrivé , moi j'accours k l'instant ;

Et voilà la façon dont Dorante m'attend.

Oh diable le chercher? Uom', qu'il m'en doit de belles !

On dit qu'au dieu Mercure on a donné des ailes :

11 en faut en effet pour servir un amant ,

S*il ne nourrit son monde assez léeèrement

Pour compenser cela. Quelle maudite vie

Que d'être assujétis k tant de fantaisie !

Parbleu ! ces mattres-lii sont de plaisans sujets !

lu prennent , par ma foi , leurs gens pour leurs valets l

SCÈNE III. ÉLIANTE, CARLIN.

é L I A N T E , sans voir Carlin*

Ciel î que viens-je d'entendre ? et qui voudra le croire ? Inventa-t-on jamais perfidie aussi noire ?

212

RENGAGEMENT

CARLIN.

Élianlc paraît ; elle a les yeux en pleun ! A qui diable ca a-t-«l]e ?

ÉIIANTE-

A de telles noirceurs Qui pourrait reconnaître Isabelle et Valërc?

CAIILI N.

Ceci couvre à coup sur (juelque nouveau mystère.

ELI ANTE.

Ah 1 Carlin , qu'à propos je le rencontre ici 1

CARLIN.

Et moi , très k propos je vous y trouve aussi , Madame , si je puis vous y marquer mon sèle.

ELIAMTE.

Cours appeler Dorante , et di5-lui qu*I$abelle, Lisette , et sou ajui , nous trahissent tous trois.

CARLIN.

Je le cherche moi-même , et déjà par deux fois J*ai couru jusqu^ci pour lui pouvoir apprendre Que Valére au logis est reste pour l'attendre.

É LIANTE.

Valère? Ah I le perfide I il méprise mon cœur | H épouse Kibelle ; cl sa coupable ardeur , A sou ami Dorante arrachaul sa maîtresse « Outrage en même temps Thonneur et ta tendresse.

CARLIN.

tenez-vous un si bizarre fait ? Il faut se deBcr des rapports qu'on nous fait.

ÉLI A NTE. J'en ai , pour mon malheur , la preuve trop certaine. J'étais par pur hasard dans la chambre prochame ; Isabelle et Lisette arrangeaient leur complot. A travers la cloison, jusques au moindre mot y J'ai tout enteadu...

CARLIN.

Mais, c'est de quoi me confondre ; A cette preuve-là je n'ai rien â repondre. Que puis-je cependant faire ponr \ous servir ?

ÉLI A NT K.

Lisette«n peu d'instans sûrement doit sortir Pour porter à Valére elle-même une lettre

$u'Isabel]e en ses mains tantôt a dCi remettre. àche de la surprendre , ouvre-la , porte-la Sur-le-champ à Dorante; il pourra voir pat-là De tout leur aoir complot la trame criujiuelle.

ACTE II, SrÉNE IIÎ. ii3

Qn'il Uche à prévenir celle iajure cruelle , Mon oulragcest le sien.

^m: c ARL it9.

^^ Madame, U douleur

Qne je ressens pour vous dans le fond de mon cfvur. . .

Allume dans mon ame... une lelltf colore...

pue mon espril... ne pont... Si je tenais \'ali*re..

5ulllt... Je ne dis rien... Mais, ou nous ne pourrons.

Madame, vous ser^'ir... ou nous vous ser\*irons.

ÉLIANTE. fDc mon jnste retour tu peux tout te promettre.

Lisette va venir : souviens-toi de la lettre. J

Un autre procédé serait plus généreux ^ J

Mais contre les trompeurs on peut agir comme eux. ^H

Faute d'autre moyen pour le faire connaître , ^^M

Cest en le trahissant qu'il faut punir un traître. '

SCÈNE IV. ,

CARLIN.

Souviens-toi ! c*e«t bien dit : maïs pour exécuter

Le vol <]u'el)e demande , il y faut méditer.

Li&ette u'cst pas grue , el le diable m'emporte

Si )*on prend ce qu'elle a que de la bonne sorte.

Jrn*y vois qu'embarras. Examinons pourtant '

Si Ton ne pourrait pomt... Le cas est important ^

Mais il s'açil ici de ne point nous commettre , Car mondes.... CV&t Lisette, el j'aperçois la lettre. Eliante , ma foi, nes'est trompée eu rteu.

SCÈNE V.

I

CARLIN , LISETTE, avec une UUra dana U sein. ^H

LISETTE, à part. ^H

Voilà déjà mon drôle aux aguets : tout va bien. 1

CARLIN. 1

1

(àpartA {haut,) 1 Ilasardoas 1 aventure. Et comment va Lisetle ? 1

LISETTE. ^J

Je ne te voyais pas ; on dirait qu'en vedette ^^M

Quel(^u*un t'aurait mis pour détrousser les gens. ^^M

^^M

Mais, j'aimerais assez à piller les passans ^^^

Qui te resiembUraieut. ^^M

LISETTE. J

^^^^B Aussi peu redoutables? ^^M

^HH ^^Ê

Non , des gens qui scraîeut autant que loi volables. ^^n

aîft

L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

CARLIN.

Ta divine liqueur lu'a tout réconforte.

LISETTE , à part. C'est ma lellre , coquin, qui l'a re&suscîtë.

( haut.) Avec loi cependant trop long-temps je m^amnse; Il faudra que je rêve à trouver quelque excuse, Et déjà je ilevrais être ici de retour. Adieu t mon cher Carlin.

CARLTX. Tu t'en vas T raon amour? Rassure-moi , du moins , 6ur ta persévérance.

LISETTE. Eh quoi ! peux-tu douter de toute ma constance ?

( a part, ) Il croit ra'avoir dupce , et rit de mes propos : Avec tout leur esprit les hommes sont des sots.

SCÈNE VI. CARLIN. A la fin je triomphe, et voici ma conquête. Ce n'est pas tout ; il faut encore un coup de tête : Car , à Dorante ainsi si je vais la porter , Il la rend aussitôt sans la décacheter ; La chose est immanquable : et cependant Valêrc Yous lui souffle Isabelle , et, sous mou miuistêre y Je verrai ses appas, je verrai ses ccus Passer en d'autres mains . et mes projets perdus î Il faut ouvrir la lettre... Eh î oui mais si je Touvre, Et par quelque malheur que mon vol se découvre , Valère pourrait bien... La peste soit du sot! Qui diaLle le saura? moi, je n'en dirai mot. Lisette aura sur moi quelque soupçon peut-être: £li bien ! nous mentirons... Allons , servons mon maître | Et contentons surtout ma curiosité. La cire ne tient point , tout est déjà sauté ; Tant mieux : la refermer sera chose facile.. .

( // lit en parcourant, ) Diable ! vovons ceci.

( rûu. )

Je Toiift|Mévions par cptte lettre , mon clicr Valêpr , fluppAMnt q^ TOUitnrrivAroE anjourirhni , cortiin'^ nous en sommes convenas. [^ rauto est noire diipc plus que inmniB : il e«t loiiioun [H^rsiuiil^ % o'wt ù Klionir que voHît en voulez, cl j'ai imaginé |:i-4leBï>ii5 un »» tagf}nic aAftcz ptai^ant pour nous amuser à ses dêpetis , et l'nnpécl de Irouhler nuire mariage. J'uî làil aver lui une rspi'cc de jiai i , f*< lequel il s'est engagt^ îi uc me donner d'ici n demiiiu aucune tn.ir<l d'ainonr ni do jalousie, tons pcino dr ne me xoir jamais. Pour ** icduiro plus sAremeat , je l'accablerai de tendrcues outrées, qi

ACTE II, SCÈNE VL %i^

TvatneâeTez prendre »on rgard que |tour ce qnVMef valent ; s'il manque A son rngngcmrnl , il m'autorise à inmprr B%-rc lui Mm Jrlctur; »'»! l'obwrvp , il nous délivre de »e* imt>orlunilrs jn^qn'A U conclution de V»iïu'irç. Adieu. Le nolpire rat d''ii mindé} tout e»t prêt pour Tlieure marquée , et je puis être à vous dès ce soir.

1SVBELL& Tubleu ! le joli style!

Après de pareils tours on ne dit rien , Mnon

Qu'il faut pour le* trouver être femme ou démon.

Oh ! i{ue voici de <{uoi bien réjouir mon maître !

Quelqu'un vient cVst lui-même.

SCÈNE VIL DORANTE, CARLIN.

DOR AN T E.

Ou te tiens-ta donc , traUre !

Je te cherche partout.

CAKLIlf-

Moi , je vous cherche aussi: Ne m'avec-vous pas dit de revenir ici ?

I>0 AANTE.

lllais pourquoi si long-temps.:.? CARtiir.

Donneï-vous patience. Si vous montrez en tout U même pétulance, Kowallons voir beau jeu.

DORA NTK.

Qu'est-ce que ce discours

CATl MN.

Ce n'est rien ; seulement k vos tendres amours 0 faudra dire adieu.

DORANTE.

Quelle sotte nouvelle Vien*-tn...?

CARL I?<r.

Point de courroux. Je sais bien qul^belle Dans le fond de son coeur vous aime uniquement ; Mais, pour nourrir toujours un si doux sentiment , Voyex comme de vous elle parle à Valêre.

DOHAXTE-

L'écriturc , en effet , est de son caractère.

(fiiU la UUrf, ) Que voifr-jc!' malheureux î d'où te vient ce billet ?

C A R L I If «

Alltt^vous soupçonner que c'est moi qm Tii fait ?

DORATfTE.

D^oii X/t vient-il? le di*-je.

ai8 L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

CARLI N.

A la chorc suivante Je l'ai surpris tantôt par ordre d*Elianle.

DOUANTE. D'Elîanie! Commcat?

CARLIN.

Elle avait découvert Toute la trahison <]u'arrangcaient de concert Isabelle et Lisette , el , pour vous en instruire , Jusi^u'en ce vestibule a couru me le dire. La pauvre enfant pleurait.

DORA NTK.

Ab ! je suis confondu ! Aveuelé que j'étais ! comment n ai-je pas DansTeursairs alleclés voir leur intelligence? On abuse aiséuieuL un ca'ur n^ns défiance. Ils se riaient ainsi de ma simplicité !

CARLIN.

Pour moi, depuis long-temps je m'en étais douté. ContinuelIeiucnLon les trouvait ensemble.

DORANTE.

Ils se voyaient fort peu devant moi , ce me semble.

CARLIN.

Oui , c'était justement pour mieux cacher leur jeu. Mais leurs regardi...

OORAN TE.

?ion pas j ils se regardaient peu Par affectation.

CARLIN. Parbleu! voilà l'affaire.

DORANT E.

Chez moi-même  Tinstant ayant trouvé Valiire , J'aurais dil voir , au ton dont parlant de leurs nœuds, D'Eliantc avec art il faisait Tamoiireux , Que l'ingrat ne cherchait qu'à me donner le change.

CARLIN. Jamais crédulité fut-elle plus élrangc ? Mais que sert le regret / et qu'y faire , après tout

DORANTE. Rien; je veux seulement savoir si jusqu'au bout Ils oseront porter leur lâche stratagème.

CA R LI N.

Quoi ! vous prétendez donc être témoin vous-même..<

DORANTE. Je veux voir l&abelle , et feignant d'ignorer

ACTE II, SCÈNE VIL 219

]> prix qa'à ma tendresse elle a su préparer, Pour la mieux détester ]e prétends me contraindre , £t sur son propre exemple apprendre Tari de feindre. Toi y va tout préparer pour partir dès ce soir.

CAELIH va9tfvUnâ, Pent-^re...

DORANTE.

. Quoi?

CARLIN. J'y cours. DORANTE.

Je suis an désespoir. Elle vient. A ses yeux déguisons ma colère. Qu'elle est charmante ! Hélas! comment se peut-il faire Qu'un esprit aussi noir anime tant d*attraits7

SCÈNE VIII.

ISABELLE, DORANTE.

ISABELLE.

I>orante , il n'est plus temps d'affecter désormais

Sur mes vrais seulimens un secret inutile.

Quand Ut chose nous touche , on voit la moins habile

A l'erreur qu'elle feint se livrer rarement.

Je prétends avec vous agir plus franchement.

Je vous aime, Dorante, et ma flamme sincère ,

Quittant ces vains dehors d'une sagesse austère

Dont le faste sert mal à déguiser le cœur ,

Veut bien à vos regards dévoiler son ardeur. Après avoir long-temps vanté l'indifférence , Après avoir soutTert un an de violence , Vous ne sentez ({ue trop qu'il n'en coûte pas peu Quand on se voit réduite a faire un tel aveu.

DORANTE.

n faut en convenir ; je n'avais pas l'audace De m'attendre , madame , à cet excès de grâce. Cet aveu mo confond et je ne puis douter Combien en le faisaut il a dd vous coûter.

ISABELLE. Votre discrétion , vos feux , voire constance , Ne méritaient pas moins que cette récompense ; Cest au plus tendre amour , à l'amour éprouvé, Qu'il faut rendre l'espoir dont je l'avais privé. Plus vous auriez d'ardeur , plus , craignant ma colère , Vous vous attacheriez k ne pas me déplaire ; Et mon exemple seul a pu vous dispenser De me cacher un feu qui devait mWeoser. .Mais quaudà vos regards toute ma flamme éclate,

L'ENGAOEMKNT TEMERAIRE.

Sur vos vrais seniiiuons peut-être je me Halte f

Et je ne les vois point ici se déclarer

Tels qa'après cet aveu j'aurais Tespérer.

DORANTE.

Madame 1 pardonnez au trouble qui me gêne,

Mon bonheur est trop grand pour !e croire sarvs peine.

Quanti je songe quel prix vous m*avcz destiné ,

De vos rares bontés je xne sens étonne. .

Mais moins à ces bontés j'avais droit de prétendre,

Plus au retour trop vous devez vous attendre.

Croyez, sous ces dehors de la tranquillité ,

Que le fond de mon cœur n'est pas moins agité.

ISABELLE.

Non , je ne trouve point que votre air soit tranquille ; Mais il semble annoncer plus de torrens de bile Que de transports d*amonr : je ne crois pas pourtant Que mon discours , pour vous , ait eu rien d insult«nt| Et , sans trop me Uatter, d'autres â votre place L'auraient pu recevoir d'un peu meilleure grâce.

DORANTE.

A d'autres, en effet , il eût convenu mieux.

Avec autant de goût on a de meilleurs yeux ,

Et je ne trouve point , sans doute , en mon mérite

De quoi justider ici votre conduite :

Mais je vois qu'avec moi vous voulez plaisanter |

C'est à moi Je savoir, madame, m'y prêter.

ISABELLE.

Dorante , c'est pousser bien loin la modestie :

Ceci n'a point trop l'air d'une plaisanterie :

Il nous en coûlc assez en déclarant nos feux ,

Pour ne pas faire un jeu de semblables aveux.

Mais je crois pénétrer Icsecretde votre ame ,

Vous craigne/, que , cherchant à tromper votre flamni

Je ne veuille abuser du déH de tanlàt

Pour lâcher aujourd'hui de vous prendre en défaut.

Je ne vous cache point qu'il me paraît étrange

Qu'avec autant d esprit on prenne ainsi le change :

Pensez-vous que de^ feux qu'allument nos attraits

Nous redoutions si fort les transports indiscrets ,

Et qu^m amour ardent jusqu'à l'extravagance

Ne nous flatte pas mienx qu'un excès de prudence?

Croyez, si vutre sort dépendait du pari ,

Que c'est de le gagner que vous seriez puni.

D ORAN TE. Madame, vouft jouez fort bien la comédie; Votre talent m étonne , il me fait même envie. Ta ,pour savoir répondre k des discours si doux Je voudrais en cet art otceller comme voua :

ACTE II, SCKNE Vtlî, aai

Mais, pour vouloir trop loin pousser le bntliiiagc ^ Je pourrais k la 6n manquer mon personnage , £t reprenant peut-être un Ion trop sérieux.,.

ISABELLE. A la plaisanterie il nVn ferait que mieux. Tout de bon , je ne sais onde cette boutade Votre esprit a péché la grotesque incartade. Je m'en amuserais beaucoup en d'autres temps. Je ne veux point ici vous gêner pkis long-temps^ Si vous prenez ce ton par pure gentillesse , Vous pourriez l'assortir avec la politesse: Si vos mépris pour moi veulent se signaler, 11 faudra oieu clierclier de quoi m'en consoler.

DoaANTE,^» furtur. Ah!pen..

ISABELLE, P interrompant viî^ment.

UQuoi! DORANTE, faisant effort pour se calmer. Je uie tais. ISABELLE, li part. De peur d'étourderie , Allons faire en secret veiller sur sa furie. Dans ses emportemens je vois tout son amour... Je crains bien k la fin de Taimer à mon tour. ^_ Elle sort en faisant d'un air poli, mais railleur ,

^B une réi-'érence à borante.

SCÈNE IX,

I

DORANTE.

Me 5ui9-je assez long-temps contraint en sa présence ? Ai-je montré près d^elltf assez de patience ? Ai-je assez observé ses perlidcs noirceurs? Suii-je assez poignarde de ses fausses douceurs ? Douceurs pleines de fiel , d'ajuerturueel de larmes, Orands dieux \ que pour mon cœur vous eussici eu de

charmes , Si sa boucbe, parlant avec sincérité , N «ûl pas au foud du sien trahi la vérité I "en ai trop enduré , je devais la confondre; Acctte lettre enfin qu'eûl-elle osé répondre ? Je devais à mes yeux un peu l'humilier ; Je devais... Mais plutôt sougeons i Toublier. 'uyoïïs , éloignons— nous de ce séjour funeste^ Acl)e\ons d'étouffer nn feu que je déteste : -J|«i* ne partons qu'après avoir tiré raison "u perfide Valère et de sa trahison.

FIN DU SECO.%'Û ACTE.

aaa

L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

ACTE TKOISIEME. S c È rs E 1'*.

LISETTE, DORA>"TIi;^ YALÉRE.

tlSETTE-

C^DE voiu êtes tou» deux ardens k la colère ! Sans moi vous alliez ^è}*'^ ^"^ ^^^^ belle affaire ! Voilà mes bons amû st proinpls à s'en";a^er ; Ils sont encor plus prompts souvent k s égorger. DOBA>T E.

J*ai tort , mon cber Vatère , et t'en demûude excuse Mais pouvais-je prévoir une semblable nise ? Qu*uu cœur bien amoureux est facile à duper? Il n'eu fallait pas tant, helas ! pour me tromper

V A l. £ B E. Ami , je suis charmé du bonheur de ta flamme. Il manquait à celui qui pénètre mon ame De trouver dans ton conur les mêmes sentimeus. Et de nous voir heureux tous denx en même temps,

II6ETTE, à ynlère. Vous pouvez en parler lout-à-fait à votre aise ; Mais pour monsieur Dorante, ilfatit, ne luidépUise, Qu'il nous fasse l'honneur de prendre son congé.

DORANTE.

Quoi ! songes-tu...?

tXSKTTE. C'est vous qui n'avcr. pas songé A la loi qu'aujourd'hui vous prescrit Isabelle. On peut se battre , nu fond , pour une bagatelle , Avec les gens qu'on croit qu'elle veut épouser : Mais Isabelle est femme à s'en formaliser. Elle va, par orgueil , mettre en sa fnniaisie Qu'un tel combat s'est fait par pure jalousie ; Et , sur de tels exploits, je vous laisse à juger Quel prix à vos lauriers elle doit adjuger. DORANTE.

Lisette , ah î mon enfant , serais-tu bien capable De trahir mon amour en mo rendant coupable? Ta maîtresse de tout se rapporte â la foi ; Si tu veux me sauver , cela dépend de toi.

tl 5ETTE. Point, je veux lui conter vos brillantes prouesses, Pour vous faire ma cour.

Montre quelque pitfé.

DORANTE.

Hclas ! de mes faiblessev

ACTE m, SCÈNE I. aaB

LISETTE. Très-noble chevalier , Jamais un paladin ne s'abaisse à prier : Tuer d'abord les gens , c'est la bonne manière.

VALÀRE.

Peux-lu voir de sanc^froid comme il se désespère , Ldsette ? Ah ! sa douleur aurait tVttendrir.

LISETTE. Si je lui dis un mot , ce mot pourra l'aigrir , Et contre moi peut-être il tirera l'épée.

D OH AN TE. J'avais compté sur toi, mon attente est trompée ; Je n'ai plus qu'à mourir.

LISETTE.

Oh ! le rare secret ! Mais il est du vieux temps, j'en ai bien du regret j C'était un beau prétexte.

VAL^RE.

Eh ! ma pauvre Lisette ^ Laisse de ces propos l'inutile défaite; «Sers-nous si tu le peux , si tu le veux du moins , Et compte que nos cœurs acquitteront tes soins.

DORANTE.

Si tu rends de mes feux l'espérance accomplie | Dispose de mes biens , dispose de ma vie ; Cette bague d'abord. . .

LISETTE, /)rff/»ara/ la bague. Quelle nécessité? Je prétends vous servir par générosité. Je veux vous protéger auprès de ma maîtresse } 11 faut qu'elle partage ennn votre tendresse ; Et voici mon projet. Prévoyant de vos coups. Elle m'avait tantôt envoyé près de vous Pour empêcher le mal, et ramener "Valère, Afin qu'il ne vous pût écUircir le mystère : Que SI je ne pouvais autrement tout parer, Elle m avait chargé de vous tout déclarer. C'est donc ce que j'ai fait quand vous vouliez vous battre , Et qu'il vous a fallu , monsieur , tenir à quatre. Mais je devais de plus observer avec soin Les gestes , dits et faits dont je serais témoin , Pour voir si vous étiez fidèle à la gageure. Or, si je m'en tenais à la vérité pare , Vous sentez bien , je crois , que c'est fait de vos feux : Il faudra donc mentir ; mais pour la tromper mieux Il me vient dans l'esprit une nouvelle idée- .

3?y|

Non... Si... &i fait.

L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

PORAKTE.

Qu'est-ce ? . . .

VALÈRE.

Dis-nous un peu. .

LISETTB.

Je suL< persuadée. .T Je crois... Ma foi , je ii'y suis plus^ DORANTE.

Morbleu !

LISETTE.

Mais à quoi bon tant de soins superflu L'idée est toute siraple; écoutez bien , Dorante: Sur ce que je dirai , bientôt impatiente Isabelle chez vous va vous faire appeler. Venez j mais comme si j*avais su vous celer Le projet qu'aujourd'hui sur vous elle inédite , Voi|p vtcndreKSor le pied d'une simple visite, Approuvant froidement tout ce qu'elle dira , Ne contredisant rien de ce qu'elle voudra. Ce soir un feint contrat pour elle et pour Valère Vous sera proposé j>our vous mettre en colère: Signez-le sans façon ; vous pouvez être sûr D'y voir partout du blanc pour le nom du futur. Si vous vous tirez bien de votre petit rôle , Isabelle , obligée à tenir sa parole , Vous cède le pari peut-être dès ce soir. Et le prix, par la loi , reste en votre pouvoir.

DORANTE.

Dieux ! cjuel espoir flatteur succède à ma souffirance Mais n'abuses-lu point ma crédule espérance? ""

Puis-je compter sur toi ?

LISETTI.

Le compliment est doux l Vous me payez ainsi de ma bonté pour vous?

VALÈRF.

Il est fort question de te mettre en colère ! Songe à bien accomplir ton projet salutaire , Et , loin de t'irriter contre ce pauvre amant, Connais k ses terreurs l'excès de Sun tourment. Mais je brûle d*ardcur de revoir fcliante : Ne puis-je pas entrer ? Mon ame impatiente. . .

LIS ETTK.

Que les amans sont vifs! Oui ^ venez avec moi.

Dorante, ) Vous, de votre bonheur fiez-vous ;i n»a foi. Et retournez chez vous attendre des nouvelles.

ACTE III, SCÈNE IL

5CÈNE IL

DORANTE.

Je Terrait terminer tant de peines cruelles! Je pourrais voir enfin mon amour couronné ! Dieux ! à tant de plaisirs serais-je destiné ? Je i«BS que les dangers ont irrité ma flamme ; Avec moins de fureur elle brûlait mon ame ,

?iiand je me fierais y par trop de ranité , enir déjà le prix dont fe m'étais flatté. Quelqu'un vient. Évitons de me laisser connaître. Avant le temps prescrit je ne dois point paraître. Hélas ! mon faible cœur ne peut se rassurer , Et je crains encor plus que ]e n'ose espérer.

SCÈNE m.

ÉLIANTE, VALÉRE.

Pliante.

Oni , Valère , déjà de tout |e suis instruite ; Avec beaucoup d'adresse elles m'avaient séduite Par un entretien feint entre elles concerté , Et que, sans m'en douter, j'avais trop écouté.

VALSAI.

Eh quoi ! belle Éiiante , avez-vous donc pu croire Que Valère , à ce point ennemi de sa gloire , De son bonheur surtout, cherchât en d'autres nceudi Le prix dont vos bontés avaient flatté ie& vœux! Ah ; que vous avez mal jugé de ma tendresse !

ÉLIANTE.

Je conviens avec vous de toute ma faiblesse. Biais que j'ai bien payé trop de crédulité! Que n avez-vous pu voir ce qu'il m'en a coûté ! Isabelle , à la fin par mes pleurs attendrie , A par un franc aveu calme ma jalousie, Mais cet aveu pourtant en exigeant de moi Que sur un tel secret je donnasse ma foi Que Dorante par moi n'en aurait nul indice. A mon amour pour vous j'ai fait ce sacrifice : Mais il m'en codte fort pour le tromper ainsi.

VALÈRE.

Dorante est , comme vous , instruit de tout ceci. Gardez votre secret en affectant de feindre. Isabelle , bientôt, lasse de se contraindre , . Suivant notre projet peut-être dès ce jour Tombe en son propre piège et se rend à l'amour.

5 i5

aa6 L'ENGAG£MENT TÉMÉRAIRE.

SCÈNE IV.

ISABELLE, ÉLIANTE, VALÉRE, ET LISETTE un peu après.

ISABELLE, en soi-même.

Ce sang-froid de Dorante et me pique et ni*outr«ge Il m'aime donc bien peu , s'il u'a pas le courage De rechercher du moins un cclaircisscmeut I

LISETTE, arri^^arU, Dorante va venir , madame » en un moment. J'ai fait en même temps appeler le notaire-

ISABELLE.

Mais il nous faut encor le secours de Valêrc :

Je crois qu'il voudra bien nous servir aujourd'hui.

J'ai bonne caution qui me répond de lui.

VALÈRE. Si mon zèle suffit et mon respect extrême , Vous pourriez bien, madame, eu répondre Tous-mi

ISABELLE.

J'ai besoin d'un mari seulement pour ce soir , Voudriez-vous bien l'être?

s LIA» TE.

Eh mais ! il faudra voir Comment! il vous faut donc des cautions , cousine , Pour pleiger vos maris ?

LISETTE.

Oh ï oui ; car pour la mioe Elle trompe souvent'.

ISABELLE, à Falère,

bien ! qu'en dites-vous ?

VALÈRE.

On ne refuse pas, madame , un sort 61 doux ; Mais d'un terme trop court. . .

ISABELLE

Il est bon de vous dii Au reste , que ceci n'efit qu'un hyiueu pour rire.

LISETTE.

Dorante est ^ sans moi , vous allies tout gitor.

ISABELLE.

J'espère que son cœur ne pourra rcsihter Au trait que je lui garde.

I

ACTE III, SCENE V. SCÈNE V.

ISABELLE, DORANTE, ÉLIANTE, VALÈRE, LISETTE.

ISABELLE.

Ab I VOUS voilà, Dorante! vous voir aussi p«u je ne suis pas conicnte : Pourquoi me fuv«?*-vous? Trop de présoinpttou M'a fait croire , il est ^rai , c|u un peu de passioa De vos soins près de moi pouvait être la cause : Mai» faut-il pour cela preudre si mal la chose ?

guaod j*ai voulu tantôt , par de trop doui aveux , Dgager votre cœur à dévoiler ses feux , Je n'avais'^as peusê i|ue ce fût une offense A troubler entre nous la bonne intelligence ; Vous ia*avez cependant par des airs suiHsans Marqué trop clairenif ut vus uiépris otlen>ans : Mais si l'amant méprise un si faible esclavage , Il faut bien qne Tami du moins m'en dédommage j Ma tendresse n'est pas un tel affront , je croi , QuM faille m'en punir en rompant avec moi.

DORANTE.

Je sens ce qne je dois k vos bontés , madame : Mais vos sages leçons ont si touché mon ame , Çue , pour vous rendre ici même sincérité. Peut-être mieux que vous j'en aurai pro6té.

ISABELLE, baa à Lisette, Lisette , qu'il est froid ! il a l'air tout de glace.

LISETTE, baa. B«aî c'est qu'il est piqué cVst par pure grimace. I ISABELLE.

IVpaîs notre entretien . vous serez bien surpris D'apprendre en cet instant le parti que j'ai pris. Je Tais me marier.

D O B A If T K , /roi c/effM/ir.

Vous marier! vous-même?

I S A D E L L E.

Eo personne. D'oii vient cette surprise extrême ? '«rtia-je mal , peut-être ?

DOSANTE.

Oh ! non : c'est fort bien fait, ^t byraen-U s'est fait ayec un grand secret.

ISABELLE. •''^'Ot. Cesl sur le refus que vous lu'avez «u faire x*ie je vais épouser. . . devinez.

227

^8 L'ENGAGEMENT TEMERAIRE.

DOHAXT£.

Qui? ISABELLE.

\ a 1ère. DORANTE.

Valêre? Ah ! rnon ami , je t'en fais compliment. Mais Êliante Jonc. . .?

ISABBLLE.

Mo cèclc son amant.

DORANTE.

Parbleu ! voilà , madame , un exemple bien rare l

LISETTE. ,

Ayant le mariage , oui , le fait est bizarre ; Car si c'était après , ah ! qu'on en céderait Pour se débarrasser !

ISABELLE, ba^ t à LiseiU, Lisette , il me parait QuUI ne s'anime point.

LISETTE , ùas.

Il croit que Ton badine Attendez le contrat , et vous verrez sa nàoe.

ISABELLE, à pare. Fcris$ent mon caprice et mes jeux insensés I UN LAQUAIS.

Le notaire est ici.

DORANTE.

Mais c'est cire pressés : Le contrat dc5 ce soir ! Ce n'est pas raillerie ?

IS ABF.LLE.

Non , sans doute , monsieur ; et même je vous prie , Eu qualité d'amî , de vouloir y signer.

DORANTE.

A vos ordres toujours je dois me résigner. ISABELLE, bas.

S'il signe , c'en est fait , il faut que j'y renonce.

SCÈNE VL LE NOTAIRE , el les acteurs de la scène précêdênû7

L E N OTAIHE.

Kequicrt-on que tout haut le contrat je prononce

VA Lia E. Non , monsieur le notaire ; on s'en rapporte en 1 A ce qu'a fait madame ; il suAit qu'à sou go^t Le coutrat soit passé.

I

ACTE III, SCENE VI. oyx^

ISABBLI*E, regardant Dorante d'un air dfi dépit. Je n*ai pas IiVu de rraitulrt* Qnede ce qu'il contient personne ait â 6e plaindre.

LK NOTAIRE. Or , puÎMju'il est ainsi , Je vais sommairement , En bref, succincleiucnt , conipcndieusemcnl , Bésuraer, expliquer, en style laconique, Les points articulé^i en cet acte authentique , £t jouxte la minute entre mes mains restant , Ainsi que selon droit et coutume s'entend. D'abord pour les futurs. Item pour leur» ramilles » fiisaieuls , trisaïeuls, përe ^ entans , fils, et filles , Du moins réputes tels, ainsi que par la loi Quem nuptiœ monairant , il appert faire foi. Item pour leur pays , stijour et dotnicilc, Pas^, présent, futur, tant aux champs qu'à la ville. Item pour tous leur6 biens , acquêts, conquêls dotaux , Préciput , hypothèque, et biens paraphrrnaux. Item encor pour ceux de leur estoc et ligne.. .

LISETTE. Item vous nous feriez une faveur insigne Si , de ces mots cornus le poumon dégagé, Il vous plaisait , mon^ienr , abréger Tabrégê.

VAL ÈRE. An vrai , tous ces détails nous sont fort inutiles. îirtus croyons le contrat plein de clauses subtiles j Mais on n'a nnl déeir de les voir aujourd'hui.

LE NOTAIRE. Voulez-vous procéder, approuvant icclui, A le corroborer de votre signature ? I ISABELLE.

aidons, je le veux bien , voilà mon écriture. Avons, Valère.

Ê L I A y T E , f*as à Tsahelle.

Au moins ce n'est pa» tout de bon ; V OUI me l'ayçj; promis, cousine?

I s ABELLE.

Fh ! mon Dieu ! non. Dorante yeul-il bien nous faire aussi la grâce. . .

{Elle lui présente la plume.) nORANTE-

""ur voua plaire , madame , il n'est rien qu'on ne fasse. ISABELLE, àpxzrt.

^ coenr me bal : je crains la lîo de tout ceci.

DORANTE, à part. ^ futur e*t en blanc j tout va bien jusqu'ici.

33o L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

ISABELLE, has.

Il sigTic sans façon !. . . A la fin je soupçonne. . .

( à Lisette. ) Ne rae tronopcz-vouj point ? '

LISETTE.

En voici d'une bonne l Il serait fort plaçant que vous le pensassiez !

ISABFLLE. Helas ! Et pint au ciel que vous me trompassiez ! Je serais siïre au moins de Taniour de Dorante.

LISETTE. Pour en faire quoi ?

ISABELLE.

Rien. Mais je serais contente. LISETTE, à part. Que les pauvres enfans se contraignent tous deux!

I9ABELLE,à Valtre. Valère, enfin rhymen va couronner nos voeux ; pour en serrer les nfruds son» un heureux auspice , Faisons en les formant un acte de justice. A Dorante à l'instant je ciîde le pari. J'avais cru qu'il in'aim.iit , mais mon esprit guéri S'aperçoit de combien je mVtais abu.see. En secret mille fois je m'étais accusée De le désespérer par trop de cruauté.

Dans lit» piège assez fin il s'est précipité ;

Mais il ne m'est resté, pour fruit de mon adresse , Que le reçret de voir que son cneur sans tendresse Bravait également et la ruse et l'amour. Choisissez donc , Dorante , et nommez en ce jour L.e prix que vous mettez au fi;ain de la gageure : Je dépends d'un époux , mais je rae tiens bien sûre Qu'il «t trop généreux pour vous le disputer.

VALÈRE. Jamais plus justement vous n'auriez pu compter Sur mon obéissance.

non AVTE. Il faut donc vous le dire ;

ISABELLE. Eh bien ! quoi ? D OR ANT E.

La liberté d'écrire ISABELLE,

Je demande.

D'écrire ?

LISETTE. II est donc fou.

ACTE III, SCÈNE VF. aii

VALàftE.

Que demandes-la ?

DO&AVTB.

Oui , d'écrire mon nom dans ie blanc que voUà.

ISABKILI.

Ah ! Toos m'avez trahie.

DOBANTBi seê pieds.

Eh quoi ! belle- Isabelle , Ne TOUS lassez-Tous point de m'etre si cruelle ? Faut— il encor. . . ?

SCÈNE vil.

CARLIN , èoUé ei un fouet à la main. Tous Ut acUur» de la êcène précédente. CARLIK.

Monsieur , les chevaux sont tout prêts , La chaise nous attend.

DORANTE.

La peste des valets !

CARIIN.

Monsieur , le temps se passe.

TAZ^ERK.

Eh ! quelle fantaisie De nous troubler ? . . .

CARLIN.

Il est six heures et demie.

DORANTE.

Te tairas-tu.?

CARLIN.

Monsieur , nous partirons trop tard.

DORANTE.

Voilà bien , k mon gré , le plus maudit bavard l Madame, pardonnez. . .

GARtI N.

Monsieur , il faut me taire : Mais nous avons ce soir bien du chemin à faire.

DORANTE.

Le grand diable d'enfer puisse-t-il l'emporter !.

ELIANTE. ^selte , explique-lui. . .

LISETTE.

Bon ! veut-il m'écouter ? ^t peut-on dire un mot oii parle monsieur Carie ?

CARLIN, lin peu vite, ^ parle au nom du ciel ! avant qu'on parle , parle :

a3a L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE.

Parle , pondant qu'on parle ; et , quand on a parlé , Parle encor , pour finir sans avoir déparié.

DO RANTE.

Toi , déparlerafr-tu , parleur impitojrable ?

( à Taabelle. ) Puis-je enfin me flatter qu'un penchant favorable Confirmera le don que vos lois m'ont prorais ? ISABELLE.

Je ne sais si ce don vous est si bien acquis ,

Et j'entrevois ici de la friponnerie.

Mais , en punition de mon élourderie ,

Je vous donne ma main et vous laisse mon cœur

DORANTE , baisant la main d'Isabelle. Ah ! youi mettes par-là le comble à mon bonheur.

CARL j n. Que diable font-ils donc? aurais-je la berlue ?

LISETTE.

Non , vous avez , mon cher , une très-bonne vue^ ^

( riant. ) . Témoin la lettre...

C A R T. I N.

Eh bien ! de quoi veux- tu parler ?

LISETTE. Que j'ai tant eu de peine à me faire voler. CARLIN.

Quoi ! c'était tout eiprès ?. . .

LISETTE.

Mon dieu ! quel imbécile ! Ta t'imaginais donc être le plus habile?

CAR LI5.

Je sens que j'avais tort ; cette ruse d'enfer Te doit donner le pas sur monsieur Lucifer.

LISETTE. Jamais comparaison ne fut moins méritée ; Au bien de mon prochain toujours je suis portée : Tu vois que par mes soins ici tout est content ; Ils vont se marier , en vcux-tu faire autant ?

CARLIN.

Tope j j'en fais le sanl ; mais sois bonne diablesse } A me cacher tes tours met* toute ton adresse ; Toujours dans la maison fais prospérer le bien ; Nargue du demeurant quand je n en saurai rien.

LISETTE.

Souvent , parmi les jeux , le cœur de la plus sage Plus qu'elle ne voudrait en badinant s'engage. Belles , Sur cet exemple apprenez en ce jour Qu'on ne peut sans danger se jouer à Tamour.

d

nu DE I. KK&AGEMENT TEflURAnt.

LES MUSES

GALANTES,

BALLET,

Keprfentë en ij^S devant le duc de Richelieu, en 1^47 mrle théâtre de l'Opéra j en 1761 devant le prince de Coati.

AVERTISSEMENT.

CjKT ouvrage est si médiocre en son genre , el le genre en est si mauvais , qae , pour comprendre comment il in*a pu plaire , il faut senlir toute la force de Phahitude et des préjuges. Nourri dès mon enfance dans le goût de la musique française et de l'c*- ppcc de poésie 'qui lui est propre , je prenais le bruit pour de l'harmonie , le merveilleux pour de l'intérêt , et des caansons pour un opéra.

En travaillant à celui-ci , je ne songeais qu*à me donner des paroles propres à déployer les trois caractères de musique dont j'étais occupé : dans ce dessein , je choisis Hésiode pour le genre élevé et fort , Ovide pour le tendre , Anacréon pour le gai. Ce plan n^était pas mauvais , si j'avais mieux su le remplir.

Cependant ^ quoique la musique de celte pièce ne vaille guère mieux que la poésie , on ne laisse pas d'y trouver de temps en temps des morceaux pleins de chaleur et de vie. L'ouvrage a été exécuté plusieurs fois avec assez de succès ; savoir , en 1/45 » devant M. le duc de Richelieu , qui le destinait pour la cour; en 1747 1 sur le théâtre de l'opéra ; et, en 1761 , devant M. le prince deConti. Ce fut même sur Texécution de quelques mor- ceaux que j'en avais fait répéter chez M. de la Popelmière que M. Rameau, qui les entendit , conçut contre moi cette violente haiue dont iL n'a cessé de donner des marques jusqu'à sa mort.

ACTEURS DU PROLOGUE.

t.'amour.

APOLLON.

LA GLOIRE.

LF.S MUSES.

LES GRACES.

TBQUPES DE JEUX ET PC RIS.

ACTEURS DU BALLET.

EOTERPE , SOUS le uom d'ÉCLÉ.

POL rCRATE. OVIDE.

nésioDE.

noRis.

£I11T1I1E.

THÉUIRE.

UN SOrîOE. '

Vy HOMME DE LA FKTE.

TBOUPES DE JEUIIES SAMIENITES.

PEUPLE.

LES MUSES

GALANTES.

PROLOGUE.

Le théâtre rtpréiente le mont Parnasee ; Apollon y parait sur son trône , et les Muses sont aséisea autour ëU luù

k.

I

SCENE I".

APOLLON ET LES MUSES.

ilAtsscz, divins esprits, naissoz , fanieux héros; Brillez par les beaux arts, brillez par la victoire; Méritez d'être adruis au temple de mémoire :

Piou résrn'oiis à votre gloire

Un prix digne de vos travaux.

APOLLON.

Maies, filles du ciel , que votre gloire est pure! Que vos plaisirs sont doux ! Les plus beaux dons de la nature Sont moins bnllant5 que ceux qu'on lient de vous. Sur ce paisible mont, loin du bruit et des armes , Des innocons plaisirs vous goûtez les douceurs. La aère ambition . Tamour ni ses faux charmes , Ne troublent point vos c<rurs.

i.CS MUSES.

Non , non , Tamour ni ses faux charmes Ne troubleront jamais nos coeurs. [Ontntend une symphonie brillante et douce alternativement,)

SCÈNE IL

La Gloire et V Amour descendent du même char* APOLLON, LES MUSES, L'AMOUR, LA GLOIRE.

APOLLON.

Que voi^-je? 6 ciel ! doi*-je le croire?

L'Amour dans le char de la Gloire! LA OL o IR K.

Quelle triste erreur vous séduit î Voyez ce dieu chann.int , soutien de mon empire : î^arlui Tamanl triomphe^ et le guerrier soupire; il forme les héros y et sa voix les conduit.

O faut lui céder la victoire

Quand oo veut briller à ma cour :

Rien n'est plus chéri de la Gloire

Qu'un grand cœur guidé par l'Amour.

S'

s36 LES MUSES GALANTES.

APOLLorr. 0aot ! mes (divins lauriers d'un rnfant témcraire Ceiiidraieut le front aadacieux? l'amour. Tu méprises l'Amour, éprouve sa colère. Aux pieds d'une beauté sévère Va former d'inutiles vœux. QuVn exemple éclatant montre aux cœurs amoureux Que de moi seul dépend le don de plaire ; Que les lalens, l'esprit, l'ardeur smcèrc, Ne font point les amans heureux. APOLLON. Ciel ! quel objet charmant se retrace à mon ame î 'luellc soudaine flamme inspire à mes sens ! CVsl ton pouvoir , Amour , que je ressens : Du moms à mes soupirs naissans Daigne rendre Dapuné sensible. L'amodb. Je te rendrais heureux ! je prétends te punir.

APOLLON. Quoi î toujours soupirer sans pouvoir la fléchir ! Cruel ! que ma peine est terrible !

(// ê'en va S) l'a M on R. Cestia vengeance de TAmour.

LES MUSRS. Fuyons un tyran perfide , Craignons à notre tour.

LA GLOIRE. Pourquoi cet effroi timide? Apollon régnait parmi vous , Souffrez que rAraour y préside Sous des auspices plus doux. l'a motjr. Ah ! qu'il est doux , qu'il est charmant de plaire ! C'est Tari le plus nécessaire. Ah ! qu'il est doux , qu'il est flatteur De savoir parler au cœur ! {Leê Muaet , persuadées par l'Amour^ répètent ces quatre vers.)

l'amour. Accourez, Jeux et Bis, doux séducteurs des belles j

Vous par qui tout cède à l'Amour, Confirmez mon triomphe, et parez ce séjour De myrtes et de fleurs nouvel te» : Grâces, plus brillantes qu'elles , A'encz embellir ma cour.

PROLOGUE. a57

SCÈNE III.

L'AMOUR, LA GLOIRE, LES MUSES, LES GRACES, ifwipêÊ de Jeum U de RU,

GROEUR.

Accourom , accourons dans ce nonvean séjour ;

Soupirez , beautés rebelle* , Par nous tout tède à l'Amour.

{On danse,)

Les vents , les affreux orages ,

Font par d'horribles ravages La terreur ~

des matelots Amour , quand ta voix le go^ , On voit 1 Alcyon timide Braver la fureur de* flots. Tes divines flammes Des plus faibles «mes Peuvent faire des héros.

( On danse, )

GBCEV&.

Gloire , Amour , sur les cœurs partages la victoire | Que le mvrte au laurier soit uni dès ce jour. Que les soins rendus k la Gloire Soient toujours peyés par l'Amour.

l'amour.

Quittez , Muses, quittes ce désert trop stérile; Venez de vos appas enchanter l'univers^ Après avoir orne mille climats divers, Que l'empire des lis soit notre heureux asile. Au milieu des beaux arts puissiez-vous y briller

De votre plus vive lumière ! Un rèfue glorieux vous y fera trouver

Des amans dignes de vous plaire,

£t des héros à célébrer.

ritr DU paoLOGiTE.

PREMIERE ENTREE.

théâtre reprégente un bocage, au travers duquel on voU des

hameaux,

SCÈNE 1«. ÉGLÉ, DORIS.

DORIS.

J_i'AM0UR va VOUS offrir la plus charmante fête; Déjà pour disputer chaque berger s'apprête; Le don de votre main au vainqueur est promis. Qu'Hésiode est à plaindre ! hëlas I il vous adore ; Mais les jeux d*Apollon sont des arts qu*il ignore ; De ses tendres soupirs il va perdre le prix.

ÉGLÉ-

Doris, j'aime Hésiode, et plus que Ton ne pense

Je m'occupe de son bonheur : Mais c'est en éprouvant ses feux et sa constance Que j'ai m'assurer qu'il méritait mon cœur.

DORlS.

A vos engagemens pourrez-vous vous soustraire?

£GL£.

Je ne sais point , Doris , manquer de foi.

DORIS.

Comment avec vos feux accorder votre loi ?

Tu verras des ce jour tout ce qu'Kglé peut faire.

DORIS.

Églé , dans nos hameaux inconnue , étrangère , Jouit sur tous les cœurs d'un pouvoir mérité;

Rien ne lui doit être impossible

Avec le secours invincible

De l'esprit et de la beauté.

ÉGLÉ. J'aperçois Hésiode.

DORIS.

Accablé de tristesse , Il plaint le malheur de ses feux.

ÉGLK.

Je saurai dbstper la douleur qui le presse :

Mais pour quelques instans cachons-nous à ses yeux

PREMIÈRE ENTRÉE.

SCÈNE IL

HÉSIODE.

Églé méprise ma tendresse ; Séduite par leschanU de mes heureux rivaui, Son coeur en est le prix : et seul dans ces hameaux J'ignore les secrets de l'art qu'elle couronne !

Égle lésait , et m'abandonne!

Je vais la perdre sans retour. A de Irivolcrscliants se peut-il qu*etle donne Ln prix qui n'était du qu'au plus parfait amour ?

( On entend une symphonie douc0. )

Quelle douce harmouie ici se fait entendre !

£lle invite au repos. . . Je ne puis m'en défendre. . . Mes ^eux appesantis laissent tarir leurs pleurs. . . . Dans le sein du sommeil je cède à ses douceurs.

SCÈNE III.

ÉGLÉj nÉSiODE, endormi,

ÉGLÉ.

Commencez le bonheur de ce berger fidèle , Songes; en ce séjour Euterpc vous appelle. Accourez à ma voix , parlez à mon amant ; Par vos images séduisantes , Par vos illusions charmantes , Annoucez-lui le destin qui l'attend. ( Entrée des Songea. ]

UN SONGK.

Songes flatteurs, Quand d'un cor^ur misérable Vos soins apaisent les douleurs , Douces erreurs. Du sort impitoyable Suspendez long-temps les rigueurs; Réveil , éloignez-vous : Ab ! que le sommeil est doux ! Mais quand un songe favorable Présage un bonheur véritable , Sommeil , éloignez-vous : Ah ! que le réveil est doux !

CZrtfjF Songes se retirent. ) £OLÉ.

Toi pour qui j'ai quille mes saurs et le Paruaise , Toi que le ciel a fait digne de mon amour, Tendre berger , d'une feintt» disgrâce Ne crains point l'vtTot en ce jour. Reçois le don des vers. Qu'un nouveau feu t'anime. Des transports d'Apollon ressens Teflel subUme ;

a^

^ LES MUSES GALANTES.

Et , par les chants divins iVIcvant jusqu'aux cîeuz. Ose en les célébrant te rendre égal aux D;eu\. { Une lyre suspendue à un laurier a'éiève à côté d^ Hésiode. Amour , dont les ardeurs ont embrasé mon ame , Daigne animer mes dons de ta divine Ûamuie : Nous pouvons du génie exciter les efforts; . Mais les succès heureux sont dus à tes transports.

SCÈNE IV. HÉSIODE. Ou suis-je? Quel réveil? Quel nrvnveau feu m'inspire? Quel nouveau jour me luit ? Tous mes sens sont surprû ! ( // aperçoit la lyre. ) Mais quel prodige étonne mes esprits?

{(lia touche i et elle rend des aons*) Dieux ! quels sons éclatans partent de celle lyre î D'un transport inconnu j'éprouve le délire ! Je forme sans effort des cliants harmonieux!

O lyre! 6 cher présent des Dieux! Déjà par ton secours je parle leur laogage. Le plus puissant de tous excite mon courage , Je reconnais FAmour k des transports si beaux , Et je vais triompher de mes jaloux rivaux.

SCÈNE V.

HESIODE, troupe de bergers ^ui s'assemblent pour la fête, CHOEUR.

Que tout retentisse,

Que tout applaudisse

A nos chants divers!

Que IVcho 5*unisse ,

Qu*Eglé s'attendrisse

A nos doux concerts !

Doux espoir de plaire ,

Animez nos jeux ;

Apollon va faire

Un amant heureux.

Flatteuse victoire \

Triomphe enchanteur!

L'amour et la gloire

Suivront le vainqueur. ( On danse , après quoi Hésiode s'approche pour disputer^ ) CRCSDR. O berger , déposez cette lyre in utile ; Youlez-vous.daa& dos jeux disputer en ce jour?

HESIODE.

Bien n'e«t impossible à l'Amour. Je n*ai point fait ac l'art une élude serviici

PREMIÈRE ENTÎIÉE, SCÈNE V. Et niA Toii mdocile He s*^5l jamais unie aux chalumeaux. Mais, dans le succès que j'espère , J'attende tout du feu qui m'éclaire, Et rien de mes faibleâ travaux.

CHŒUR. Chantez, berger téméraire; Fous allons admirer vos prodiges uouveaux. }| Ê s I o O E commence. Beau feu qui consumez mon ame, ispirei à mes chants votre divine ardeur i portez dans mon oprit cette brilJaute tiauime

I Dont vous brûlez mon cœur... C H Œ t; R , qui interrompt Hésiode, Sa lyre efl*ace nos musettes

a4i

Fuyons dans nos retraites.

SCÈNE VI. HÉSIODE, ÉGLÉ.

HÉSIODE.

Belle Êglé... Mais, ôciel! quels charmes Inconnus!. yous êtes immortelle, el j'ai pu m'y méprendre! o* célestes appas n'ont-ils pas m'apprendre ru'tl n*est |>ermis qu'aux dieux de soupirer pour vous? ftclas! à chaque mstant, sans pouvoir m*en défendre, ~lon trop coupable cœur accroît votre courroux.

Ta crainte offense ma gloire.

t mérites le prix qu'ont promis mes sermen$5 Je le dois â la victoire, Et le donne k tes seolimens. HÉSIODE. Juoi! vous seriez...? O ciel ! est-il possible? se, vos dons divins ont prévenu mes vcrux : i4-je espérer encor que voire ame sensible I>aigne aimer un berger et partager mes feux?'

£Gt£- verta des mortels fait leur rang chez les Dieux. L^ne ame pure, un cœur leudre et siucèret Sont les biens les plus précieux; El quand on sait aîmer le nsieux , On ett le plusdigne de plaire. ( aux bergers. ) Calmez votre dépit j.ilnux , licrgers, rassemblei-vous î

16

i4a LES MUSES GALANTES.

Venez former les plus riantes fêtes. Je me plais dans tos bois , je chéris vos musettes ; Reconnaissez Euterpe, et célébrez ses feux.

SCÈNE VIL ËGLÉ, HÉSIODE, LES fiERGERS.

CHŒUR.

Muse charmante , muse aimable , Qui daignez parmi nous fixer vos tendres voeux , Soyez-nous toujours favorable, Présidez toujours à nos jeux. ( On danse, )

DO&IS.

Dieux qui gouvernez la terre , Tout repond à votre voix. Dieux qui lancez tonnerre^ Tbut obéit à vos lois. De votre gloire éclatante , De votre grandeur brillante Nos coeurs ne sont point jaloux : D'autres biens sont faits pour nous. Unis d'un amour sincère, Un berger, une bergère, Sont-ils moins heureux que vous?

Fltf DE LA PREMIÈRE ENTRÉE.

^■^■"^ " I 11 «-Il «.VS^HH^HM ■! 1 I I ■■■ ■I^^.V^hÎ

SECONDE ENTRÉE.

Le t?iéc\tre représente les jardins d^ Ovide à Thème; et, dans U fond, des montagnes affreuses parsemées de précipices , et cow^ vertes de neiges.

SCÈNE I«,

OVIDE.

C^RUEL amoar, funeste flamme, Faut-il encort'abandonnermon ame?

Cruel amour, funeste flamme. Le sort d'Ovide est-il d'aimer toujours ? Dans ces climats glacés an fond de la Scythie, Contre tes feux n'est-il point de secours? J'y brûle, hélas! pour la jeune Érithie : Pour moi , sans elle , il n'est plus de beaux jours. Cruel amour , etc. Achève du moins ton ouvrage, Soumets Erithie k son tour. Ici tout languit sans amonr , Et de son cœur encore elle ignore l'usage ! Ces fleurs dans mes jardins l'attirent chaque jour ^

SECONDE ENTRÉE, SCÈNE I. 243

Et je vais par des jeux... C'est elle, ô iloui présage! Je mVloiçTif à regret : mais bientôt sur mes pas Tout va lui parler le langage Da dieu charmant qu'elle ne conoaU pas.

SCÈNE II. ÉRiTHIE.

Cen est donc fait ! et dans quelques momens Diane à ses autels recevra mes sermens l

I Jardins chéris, rians bocages,

I Hélas! à mes jeux innocens

I Vous n'oÛfrirez plus vos ombrages!

I Oiseaux, vos sêauisans ramages

I Ne charmeront donc plus mes sens!

f Vain éclat 1, grandeur importune ,

Heureux qui dans l'obscurité I N'a point saurais à la fortune

' Son bonheur et sa liberté !

Mais quels conceris se font entendre ? Quel spectacle enchanteur ici vient me surprendre?

SCÈNE IIL

MS g ta lue de l'amour iêUvé aafond du ih^àtre, et toute /a suif^ d'Ovide vient former des datise» et des chants aucuur

[UÂie. chc»:lîr. Dieu charmant , Oieu des tendres ccrurs , Règne à jamais, lance tes Uammes; Eh: quel bien flatterait nos âmes S'il n était de tendres ardeurs? antons , ne cessons point de célébrer ses charmes , ^Qu*il occupe tous nos mouiens; Ce dieu ne se sert de ses armes Que pour faire d'heureux amans. Les soins, les pleurs et les soupirs, Sont les tributs de son empire; Mais tous les biens qu'il en retire, 11 nous les rend par les plaisirs. (On danse, )

ÉRtTUie. Qoels doux concerts! quelle fête agréable! <^ue je trouve charmant ce langage nouveau ! (^ucl est donc ce dieu favorable?

( Elle considère /a «taftte. ) ^ lléUs ! c'est un enfant; mai^ quel enfant aimable 1 ^M Pourquoi cet arc et ce bandeau ,

^^ Le carquois, ces traita, ce flambeau?

a44 LES MUSES GALANTES.

Vy HOMME DE LA FETE.

Ce faible enfant est le maître du monde ; La nature s'auime h sa flamme féconde, El Tanivers sans lui périrait avec nous-

Reconnaissez , belle Erithie,

L'n dieu fait pour régner sur vous;

Il veut de votre aimable vie

Vous rendre les in&tans plus doux.

Etendez les droits légitimes

Du plus puissant des immortels;

Tous les cœurs seront ses victimes

Quand vous servirez ses auleU.

ÉaiTHIE. Ces aimables leçons ont trop l'art de me plaire. Mais quel est donc ce dieu dont on veut me parler?

OVIDE.

De ses plus doux secrets discret dépositaire , A vous seule en ces lieux je dois les révéler.

SCÈNE IV. ÉRITIIIE, OVIDE.

OVIDE.

CVst un aimable mystère Qui de ses biens cliarnians assaisonne le prix :

Plus on les a sentis ,

Et mieux on sait les taire.

É R I T H I E.

J'irnore encor quels sont des biens si doux ; Mais je brûle de m*ea instruire. OVIDE. Vous rignorcz? n'en accusez tpie vous. Déjà dans mes regards vous auriez le lÏM.

ÉRITHIE. Vos regards?... Dans ses yeux quel poison séducteur! Dieux îqucl trouble confus s'élève dans mon coeur !

OVIDE.

Trouble cbarmant, que mon amc partage, Vous êtes le premier bommagc Que Taimable Érithie ait otlcrt ii l'Amour. ÉRITHIE.

L* Amour est donc ce dieu si redoutable ? OVIDE. L'Amour est ce dieu favorable Que mon caur eniUiumé vous annonce eo ce jour j Profitons des bienfaitji que sa maiu nous prépare : Unis par ses liens...

SECONDE EîCTRKE. SCÈNE IV.

«45

ERITHXX.

H<

I I

on nous sépare : Dq temple de Diane on me commet le soin ; Toul le peuple d'ithomc en veut être témoin , Et je dois dés ce jour...

OVIDE.

Non , charmante Erilhie, Les peuples mêmes de Scytliie Sont soumis au vainqueur dont nous suivons les lois : 11 faut les attendrir, il faut unir nos voix.

Esl-il des cœurs cjue notre amour ne touclie , SSl s'explique â la fois Par vos larmes et par ma bouche? Mais on approche... on vient... Amour, si pour la gloire Dans un exil alTreux il faut passer mes jours. De moneucens du moins conserve la mémoire) A nies tendres accens accorde ton secours.

SCENE V. OVIDE, ÉRITHÏE, troupe de Sarwates.

Célébrons la cloire éclatante

De la déesse des forets :

Sans soins, sans peine et sans attente,

Nous subsistons par ses bienfaits :

Célébrons la beauté chanuante

Qui va la servir désormais :

Que sa main long-temps lui présente

Les offrandes de ses sujets!

^^^^ lE CHEF DES SAAUATES.

y Venez, belle LrilUic...

f^V Ab î daignez m'écouter.

De deux tendres amans diffères le supplice : Ou. si vous achevez ce cruel sacrifice , Voyez les pleurs que vous xn'aUez coûter. CHŒUR. Non , elle est promise à Diane : Nosengagcmens sont des lois : Qui pourrait être assez profane Pour priver les dieux de leurs droits ? OVIDE ET ÉRITHIE.

fu plu5 puissant des dieux nos cocnrs sont le partage. Noire amour est son ouvrage : Est-il des droits plus sacrés? Par une injuste violence

246 LES MUSES GALANTES.

Les dieax ne sont point honorés. Ah ! si votre indifférence Méprise nos douleurs , A ce dieu qui nous assemble Nous jurons de mourir ensemble Pour ne plus séparer nos cœurs. CHŒUR.

Quel sentiment secret yient attendrir nos âmes

Pour ces amans infortunés? Par TAmour l'un à l'autre ils étaient destinés ,

Que TAmour couronne leurs flammes I

OVIDE.

Vous comblez mon bonheur, peuple trop généreux. Quel prix de ce bienfait sera fa récompense? Puissiez-vous par mes soins, par ma reconnaissance , Apprendre à devenir heureux !

L'Amour vous appelle,

Ecoutez sa voix:

Îue tout soit fidèle , ses douces lois. Des biens dont l'usage Fait le vrai bonheur Le plus doux partage Est un tendre coenr.

FIN DE hk SECONDE ENTRÉE.

TROISIEME ENTREE.

Le théâtre représente le péristyle du temple de Junon à Samoê.

SCÈNE I«.

POLYCRATE, ANACRÉON.

ANACRÉON.

l-iES beautés de Samos aux pieds de la déesse Par votre ordre aujourd'hui vont présenter leurs voeux : Mais , seigneur , si j'en crois le soupçon qui me presse , Sous ce zèle mystérieux Un soin plus doux vous intéresse. POLYCRATE.

On ne peut sur la tendresse Tromper les yeux d'Anacréon. Oui , le plus doux penchant m'entraîne : Mais j'ignore k la fois le séjour et le nom De l'objet qui m'enchaîne.

AZTAGRÉON.

Je conçois le détour;

TROISIEME ENTREE, SCENE ï vous espérez connaître

de bcai

^«47

Parmi

Celle dont les attraitâ ont fixé votre amour ;

Af«Î5 cet amour entia . . .

POLYCRATE.

Un instant le fit naître: Ce fut dans ces superbes jeux Ou mes heureux succès célébrés par ta lyre...

AN ACRÉO N.

Ce jour, il m'en souvient , je devins amoureux De la jeune Thémire.

POLYCRATB. Eh quoi ! toujours de nouveaux feux? AWACRBOy. A de beaux yeux aisément mon cœur cède ; II change de même aisément : L'amour à l'amour y succède i L.e goiilt seul du plaisir y regue constamnieut. POLYCEATZ- Bientôt uoe douce victoire T*a sans doute asservi son cœur?

ANACRÉOX. Ce triomphe manque à ma gloire Et ce plaisir à mon bonheur.

POLVCRATE.

Maison vient.. .Que d'appa&! Ah! les cœurs les plus sages £d voyant tant d'attraits doivent craindre des fers.

AN ACRÉorf. Junon y dans ce beau jour , les plus tf^ndres hommages Wc sont pas ceux qui te seront offerts.

SCÈNE II. POLYCRATE. ANACRÉON;

t*pe déjeunes Samiennea ^ui viennent offrir leur» hommaget à la déesse. H Y M NT. A JDNOIf. Heine des dieux , mère de Tunivers; Toi par qui tout respirç f Qui combles cet empire De tes biens les plus cUers , * Junon , vois ces ofî'randes :

Nos cœurs que tu demandes Vont te les présenter. Que tes mains bienfaisantes De nos mains innocentes Daignent les accepter !

( On di

anne.

34S LES MCSES GALANTES.

Thémin^ portant une corbêiiU fleurs , entre dtms le temple à la tête dee Jeunes SamieTmes,

POLTC&ATI, apercevant Tkémire» O bonheur !

AHAC&ioir. O pUisir extrême ! POLTCRATE.

Quels traiU charmazu ! Quels regards enchanteurs l

ANAGRÉON.

Ah ! qu'avec grâce elle porte ces fleurs !

POLTCRATE.

Ces fleurs ! Que dites-vous ? Cest la beauté que j'aime. ANACRioir. C'est Thëmire elle-même. POLTCRATE. Ami trop cher : rival trop dangereux, Ah ! que je crains tes redoutables feux ! De mon cœur tifpXé fais cesser le martyre ^ Porte à d'autres appas tes volages désirs ,

Laisse-moi goûter les plaisirs De te chérir toujours , et d'adorer Thémire.

AKACRGON.

Si ma flamme était volontaire ,

Je l'immolerais à l'instant : Mais l'amour dans mon cœur n'en est pas moins sincère

Pour n'être pas toujours constant. La gloire et la grandeur , au gré de votre envie ,

Vous assurent les plus beaux jours :

Mais que ferais-je de la vie,

Sans les plaisirs , sans les amours ? POLTCRATE.

Eh ! que te servira ta vaine résistance ? Ingrat , évite ma présence.

ANAGRéoN.

Vous calmerez cet injuste courroux , Il est trop peu digne de vous.

SCÈNE IIL POLYCRATE.

Transports jaloux , tourmens que je déteste , Ah î faut-il me livrer à vos tristes fureurs ?

Faut-il toujours qu'une rage funeste Inspire avec l'amour la haine et ses horreurs ?

Cruel amour , ta fatale puissance Désunit plus de cœurs

TROISIÈME ENTRÉE. SCÈNE IIÎ.

Qu'elle n'en met d'intelligence. Je voisThémire : O transports enchanteurs !

SCÈNE IV. POLYCRATE, THÉMIRE.

POLYCRATE. Thémire , en vous voyant la résistance est vaine , Tout cède h vos attraits vainqueurs. Heureux l'amant dont les tendres ardeurs Vous feront partager la chaîne Que vous donnée à tous les cœurs !

TnÉMiRE. Je fuis les soupirs , les langueurs , Les soins , lourmens , les alarmes : Un plaLMr oui coûte des pleurs

a49

î:

Poux moi u aura jamais de charmes.

POLYCRATE. Cest un tourment de n'aimer rien ; C'est un tourment affreux d'nimer sans espérance : Mais il est un suprême bien , Cett de s'aimer a'intelligence. THÉMIRE. Won , je crains jusqu'aux nœuds assortis par Famour.

POLYCRATE.

Ah ! connaissiez du moins les biens qu'il vous apprête* Vous devez h Jnuon le reste de ce jour :

Deiuaiu une illustre conquête

Voas est promise en ce séjour.

SCÈNE V. THÉMIRE. n me cachait son rang , je feignais à mon tour. Polvcrale m'offre un hommage Qui comblerait Tambition : Un sort plus doux me flatte davantage , £t xncM ccDur en secret chérit Anacreou. Sur les fleurs , d'une aile légère , On voit volliçer les zéphyrs : Comme eux d'uue ardeur passagère Je voltige sur les plaisirs. D'une chaîne redoutable , Je veux préserver mou cœur ; L'Amour m'amuserait comme un enfant aimable ^ Je le crains comme un fier vainqueur.

a5o LES MDSES GALANTES.

SCÈNE VL ANACRÉON, THÉMIRE.

AN ACRÉON.

Belle Tliémire , enfin le roi vous rend les armes , L'aveu de tous les cœurs autorise le mîen :

Si rameur animait vos charmes ,

Il ne leur manquerait plus rien>

TH£M I RE.

Vous m'annoncez par cette indilTérence Combien le choix vous paraîtrait égal.

Qui voit sans peine un rival

N'est pas loin de l'inconstance.

A> ACRÉOIV.

Vous faites â ma ûanuue une cruelle offense j Vous la faites surtout à ma sincérité. En amour même Je dis la vérité ; Et quand je n'aime plus , je ne dis plus que j'aime.

THÉMIRS. Quand on sent une ardeur extrême , On a moins de tranquillité.

ANACHÉON-

Thémire , jugez mieux de ma fidélité. Ah ! qu'un amant a de folie D'aimer , de hair tour à tour ! Ce qu'il donne à la jalousie , Je le donne tout ù 1 amour.

T H é M I B E.

Je crains ce qu'il en coule à devenir trop tendre Kon , l'amour dans les cœurs cause trop de tourmens.

ANACRÉON.

Si l'hiver dépare nos champs ,

Est-ce a Flore de les dcfenarc?

S'il est des maux pour les amans ,

Est-ce à l'Amour qu'il faut s'en prendre? Sans la neige et les orages , Saus les ventii et leurs ravages , Les ileurs naîtraient eu tous leuips. Sans la froide indifférence , Sans la fière résistance , Tous les cœurs seraient conteiu.

Vous vous piquez d'être volage :, Si je forme des nœuds , je veux qu'ils soient coastans.

TROISIÈME ENTRÉE , SCÈNE VI. a5t

ANACB^ON.

L'excët de mon ardeur est an plus digoe hommage Que la fidélité des vulgaires amans ',

Il vaut mieux aimer davantage ,

Et ne pas aimer si long-temps.

THÉMIRK.

Non , rien ne peut fixer un amant si volage.

ANACRÉON.

Non, rien ne peut pajer des transports si cbarmans.

TRÉVIRE.

Vous séduises plutôt que de convaincre^

Je vois l'erreur , et je me laisse vaincre. Ah ! trompefr-moi long-temps par ces tendres discours : L'illusion qui plaît devrait durer toujours.

ANACRiON.

Cest en passant votre espérance Que je prétends vous tromper désormais : Vous attendrez mon inconstance , Et ne réprouverez jamais.

EIVSKMBtE.

Unis par les mêmes désirs , Unissons mon sort et le vâtre ; Toujours fidèles aux plaisirs , Nous devons Tétre l'un à l'autre.

SCÈNE VIL

POLYCRATE, THÉMIRE, ANACRÉON.

POLYCRATE.

Demeure , Anacréon ; je suspends mon courroux ^ Et veux bien un instant t'égaler à moi-même. Je n'abuserai point de mon pouvoir suprême c Que Thémire décide et choisisse entre nous.

Thémire.) Dites quels sont les nœuds que votre ame préfère , N'hésitez point à les nommer : Je jure de confirmer Le choix que vous allez faire.

THÉMIRE.

Je connais tout le prix du bonheur de vous plaire , Si j'osais m'y livrer ; cependant en ce jour , Seigneur , vous pourriez croire

?>ue je donne tout à la gloire, e veux tout donner à 1 amour. Pardonnez à mon cœur un penchant invincible.

POLYCRATE.

Il suffit. Je cède en ce moment ^

aSa LES MUSES GALANTES:

Aller., sove?. unis : je pqisôlro sensible -, Mais ]e o'oublierai point ma gloire et mon serment.

THE M IRE ET ANACKÉON, Dicne exemple des rois , dont le cœur équitable Triomphe de soi-mrnie en couronnant nos fcuï , Puisse toujours le ciel prévenir tous vos vœux !

Que voire règne aimable , Par un bonheur constant â jamais mémorable f Éternise vos jours heureux !

POLYCRATE , à Anacrion, Commence d'accomplir un si charmant présage f i Rentre dans ma faveur, ne quitte point ma cour ; Que ramitié du moins me dédommage Des disgrâces de l'amour. Que tout célèbre cette fclc. L'heureux Anacréon voit combler ses désirs : Accourez , chantez sa conquête Comme il a chanté vos plaisirs.

SCÈNE VI IL ANACRÉON , THÉMIRE , pedplks de sabos.

CHCSU R.

Que tout célèbre cette fête. L'heureux Anacréon voit combler ses désirs: Accourons , chantons sa conquête Comme il a chanté nos plaisirs. {On danse.) ANACRÉON , aUernatiifement avec le chœur*

Jeux , brille?, sans cesse :

Sans vous la tendresse

Languirait toujours.

Au plus tendre hommage

Un doux badinage

Pr^te du secours. ( On dan^e.)

Quand pour pUire aux belles

On voit autour d'elles

Folâtrer TAraour,

Dans leiircrrurle traître

Est bientôt le maître ^

Et rit h son tonr.

TIN PES HtJSES CALANTES.

I

LE DEVIN

DU VILLAGE,

INTERMÈDE,

Représenté à Fontainebleau, devant le roi, les i8 et ^4 octobre lySa^ et à Paris, par Facadémie royale de musique I le jeudi i*^ mars 17 53.

AVERTISSEMENT.

Quoique j'aie approuvé les changemens que mesamû jagèrent à propos de faire à cet intermède quand il fut joué k la cour , et que son succès leur soit en grande partie , je n'ai pas jugé k propos de les adopter aujourd'hui y et cela par plusieurs raisons. La première est que , puisque cet ouvrage porte mon nom , il faut que ce soit le mien , dùt-il en être plus mauvais; la seconde , que ces changemens pouvaient être fort bien en eux-mêmes , et 6ter

Pourtant à la pièce cette unité si peu connue , qui serait le chef- 'œuvre de l'art, si l'on pouvait la conserver sans répétitions et sans monotonie. Ma troisième raison est que cet ouvrage n'ayant été fait que pour mon amusement , son vrai succès est de me plaire : or personne ne sait mieux que moi comment il doit être pour me plaire le plus.

A M. DUCLOS^

HISTORIOGRAPHE DE FRANCE,

l'im des ^parante de Tacadémie française, et de celle ' des belles-lettres.

OovrFKBz, monsieur, que votre nom soit à la tète de cet ouTTage, qui, sans tous, n'eût point vu le jour. Ce sera première et unique dédicace : puîsse-t-elle vous faire atant dlionneur qu*à moi!

Je suis, de tout mon cœur»

Monsieur ,

votre très-humble et très- obéissant serviteur

J. J. RoTTSSEAU.

I

ACTEURS.

C0LI5.

COLETTE.

LE DEVIir.

TKOUPE DE JXnRES GERS DU TILLAGB<

LE DEVIN

DU VILLAGE.

r Ûiéâtre rtprééénte d'un côte la maUon du Devin , de Vautre d€a arbres et dee fontaines ^ et dans le fond un hameau.

SCÈNE I".

I^ETTE, aoupirantf et n'essuyant Ua yeux de ton tablier. J'ai perdu tout mon bouheur| J'aipordu mon serviteur; Colin me délaisse. Hélas ! il a pu changer ! voudrais n*y plus songer : y y songe :>an5 ces^c. J'ai perdu mon serviteur; J'ai perdu tout mon bonheur : Colin me délaisse.

^^1 m'aimait autrefois, el ce fut mon malheur. ^■^ M»is quelle e^t donc celle qu'il me préfère? ^^Klle est donc bien cliarmanle ! Imprudente bergère , ^Blc crains-tu point les maux que j éprouve en ce jour ? ^^Colin m'a pu changer ; lu peux avoir ton tour- I , Que me sert d'y rêver sans cesse ^

■H Kien ne peut guérir mon amour, ^H Et tout augmente ma tristesse.

^^1 J'ai perdu mon serviteur; ^^m J'ai perdu tout mon bonheur ; ^H Colin me délaisse.

^^ Je veux le hair.... je le dois....

Pent-t'tre il m'aime encor Pourquoi me fuir sans cesie ?

Il me cherchait tant autrefois: Devin du canton fait ici sa demeure; Il »ait tout ; il saura le sort de mon amour : le Je vois, et je veux m'cclaircir en ce jour-

SCÈNE IL LE DEVIN, COLETTE. que le Devin ë'avanve gravement , Colette compte dans sa de ta monnaie f puis elfe la plie dans un papier ^ et la fnU au Devin y nprè^ avoir un peu hésité à l'aborder,

COLETTE, d'un air timide, Pcrdrai-je Colin sans retour ? Di(e4-moi s'il faut que je meure. ,^. ^^i

«7

aS» LE DEVIN DU VILLAGE.

LE DEVIN, f^ravemeni. Je lis dans votre cœur , et j'ai lu dans le âien.

COLETTE.

O dieux

Colin...

Je me meurs.

LE DEVIN. Modérez-vous.

COLETTE,

£b bien ?

^1 DEVIÎC. Vous est infidëlG. COLETTE*

lE DFVIN.

Et pourtant il vous aime tonjnurs. COLETTE, viuemêne. Que dites-vous?

LE DEVIIf.

Plus adroite et moins belle , La dame de ces Heux....

COLETTE.

Il me quitte pour elle!

LE DEVIN.

Je vous l'ai déji dit , il vous aime toujours.

COLETTE, tristemenL Et toujours il me fuit !

LE DEVI N.

Comptez sur mon $ecoarii Je prétends à vos pieds ramener le volage. Colin veut être brave, il aime à se parer : Sa vanité vouk a fait un outrage Que son amour doit réparer. COLETTE. Si des galans de la ville JVusse écoulé les discours , Ah ! qu'il m'eût été tacile De former d'autres amours I

Mise en riche demoiselle , Je brillerais tous les jours ^ De rubans et de dentelles Je chargerais mes atours.

Pour Taraour de l'infidcle J'ai refusé mon bonheur ; * J'aimais mieux être moins belle Et lui conserver mon coeur.

t'tf/f/ff Kit î biMi ' Colin ... Zr J)ri*iM Von» est iulîui-Jr

(ofeétf Je in«" nuMirj

£./w>».rfb y>i»0i' ./>

-yf^

SCÈNE II. a59

LX DKVIN.

Je TOUS rendrai le sien , ce sera mon ouvrage. Vous , à le mieux garder appliquez tous vos soins; Pour vous faire aimer davantage , Feignez d'aimer un peu moins.

L'amour croit , s'il s'inquiète ; Il s'endort , s'il est content : La bergère un peu coquette Kend le berger plus constant.

COLETTE.

A vos sages leçons Colette s'abandonne.

LE DEVIN.

Avec Colin prenez un autre ton.

COLETTE.

Je feindrai d'imiter l'exemple qu'il me donne*

LE DEVIN. Ne l'imitez pas tout de bon ^ Mais qu'il ne puisse le connaître. Mon art m'apprend qu'il va paraître; Je vous appellerai quand if en sera temps.

SCÈNE IIL

LE DEVIN.

J'ai tout su de Colin , et ces pauvres enfans Admirent tous les deux la science profonde Qui me fait deviner tout ce qu'ils m'ont appris. Leur amour à propos en ce jour me seconde; En les rendant heureux , il faut que je confonde De la dame du lieu les airs et les mépris.

SCÈNE IV.

LE DEVIN, COLIN.

COLIN.

L'amour et vos leçons m'ont enfin rendu sage ; Je préfère Colette à des biens sufierflus : Je sus lui plaire en habit de village , Sous un habit doré qu'obtiendraîs-je de plus?

LE DEVIN.

Colin , il n'est plus temps, et Colette t'oublie.

COLIN.

Elle m'oublie y à ciel ! Colette a pu changer !

LE DEVIN. Elle est femme , jeune et jolie ; Manquerait-elle a se venger ?

3$o LE DE\IN DU VILLAGE.

COLIN.

Non , Colette n'est point trompeuse , Elle m'a promis sa foi : .

Peut-elle être l'amoureuse

D'un autre berger que moi ? LE DEVIN.

Ce n'est point un berger qu'elle préfère à toi y C'est un beau monsieur de la ville. c o L z ir. Qui vous l'a dit ?

LE P E y z N , aifec emphase. Mon art.

COLZN.

Je n'en saurais douter. Hélas qu'il m'en ya coûter Pour avoir été trop facile A m'en laisser conter par les dames de cour ! Aurais-je donc perdu Colette sans retour ? LE DEVIN.

On sert mal à la fois la fortune et l'amour. D'être si beau garçon quelquefois il en coûte.

COLIN.

De grâce apprenez-moi le moyen d'éviter Le coup affreux que je redoute. LE DEVIN.

Laisse-moi seul un moment consulter. { Le Devin tire de sa poche un livre de grimoire et un petit bàtan deJacoh^ avec lesquels il fait un charme. Déjeunes paysanneg^ qui venaient le consulter, laissent tomber leurs présent ^ et H sauvent tout effrayées en voyant ses contorsions, ) LR DEVIN.

Le cbarme est fait. Colette en ce lieu va se rendre ; Il faut ici l'attendre.

COLIN. A l'apaiser pour rai-je parvenir? Hélas ! voudra-t*elle m'entendre ?

LE DEVIN.

Avec un cœur fidèle et tendre On a droit de tout obtenir. ( à part. ) Sur ce qu'elle doit dire allons la prévenir.

SCÈNE V. COLIN.

Je vais revoir ma charmante maîtresse. Adieux , châteaux , grandeurs , richesse»

SCENE V. Votre éclat ne me Icnle plu». Si lues pleurs , mes sotiiâ as.siilus ^ Pcuvrnt toucher ce que j'adore, Je vous verrai renaître encore , Doux moiueos que j'ai perdus.

Quand on sait nimer et plaire, A-l-on besoin d'autre bien ? Rends-moi ton coeur, ma bergère , CoUd t'a rendu le sien..

Mon chalumeau, ma houlette, Soyes mes seules grandeurs ; Wa parure est ma Colette , Mes tre'sors sont ses faveurs.

Que de seigneurs d'importance "Voudraient bien avoir sa foi ! ]^Tatgré toute l«ur puissance , Ils sont moins heureux que moi.

SCÈNE VL COLIN j COLETTE y parê^.

COLIN , à pari. Taperçois. ..Je tremble en m'olTrant à sa vue....

.... Sauvons-nous.... Je ia perds si je fuis

COLETTE, il part.

Il me voit.... Que je suis émue ! Le coeur me bat....

COLIN.

Je ne sais j'en suis.

COLSTTE.

Trop près, sans y songer, je me suis approchée.

COLIN. Je oe puis m'en dédire , il la &ul aborder.

( à Colette, d*un ton radouci , et d'un air moitié

riant , moitié- embarrassé. )

Ma Colette... êtes-vous fâchée ^

Je suis Colin : daignez nie regarder.

COLETTE, osant à peine fêter les yeux sur lui, CoHd m'aimait ; Colin m'était fidèle : Je vous regarde, et ne vois plus Colin.

COLIN. Mon cœtir n'a point changé^ mon erreur trop cruelle Venait d'un sort jeté par quelque esprit malju : Le Devin l'a détruit ; je suis , malgré l'envie , Toujours Colin , toujours plus amoureux..

a6« LE DEVIN DU VILLAGE.

COLETTE. Par un sort, à mon tour^ je me sens poursuivie. Le Dévia n'y peut rien.

coLirc, Que je suis malheureux! COLETTE. D*un amant plus constant....

COLIN.

Ah ! de ma mort suivie Votre infidélité...»

COLETTE.

Vos soins sont superflos j Non, Colin, je ne t'aime plus.

COLIN.

Ta foi ne m'est point ravie ^ Non , consulte mieux ton crtur : Toi-mèine, en ra*âtant la vie, Tu perdrais tout ton bonheur.

COLETT E.

part.) (àCoiin.)

Bélas ! Kon , vous m'aver. trahie,

Vos soins sont superflus : Non, Colin, je ne t'aime plus. COLIN.

Cen est donc fait; vous voulez que je meure; El je vais pour jamais mVInigner du hameau.

COLETTE, rappelant Colin ^tU s'éloigne lentement. Colin I

COLll».

Quoi?

COLETTE. Tu me fuis?

COLXW.

Faut-il que je demeure Pour vous voir un amant nouveau?

V u o.

1 COLETTE,

^anl qu*à mon Coliu j*ai su plaire y Mon sort comblait mes désirs. COLIN. Quand je plaisais k ma bergère, Je vivais dans les plaisirs.

COLETTE.

Depuis que son cœur me méprise, Un autre a ga^é le mien.

SCENE VI :MS3

COLIN.

Apr^s le donx noeud qu'elle briie » Serait-4l un «ntre bien ?

( d'un ion pénétré. ) Ma Colette «e dégage !

COICTTS. Je qraiBS un amant volage.

ENSS1IBI.S.

Je xae dégage à mon tour. Mon cœur , devenu paisible ^ Oubliera , sll est possible ,

{cher an jonr» chère

cotiir.

Selqne bonheur ciu''on me prmnette' ns les noeuds qui me sont ofierta^ J'eusse encor préféré Gc^ette A tons- les biens de l'univers^

COLXTTS.

Saoiqu'un seigneur jeune » aûnablè^ e parle aujourdliui d'amour ^ Colin m'eût semblé préférable- A tout l'éclat de la cour.

COLZK, iendremmu. Ah! Colette!

GOLSTTS, avec un soupir* Ah ! berger volage , Faut-il t'aimer malgré moi l ( Cb/m se Jette auxpiede de Colette ; elle lui/ait remarquer à son chapeau un ruban fort riche qu'il a reçu de la dame. Colin le Jette avec dédain. Colette lui en donne un plus simple dont elle était parée , et qu'il reçoit avec transport )

E1ISKMBZ.X.

ye t'engage

A jamais Colin \

t'engage i Mon i ma

\ cœnr et \ foL

I Son \ sa

Sa'un doux mariage 'unisse avec toi. Aimons toujours sans partage ^ Que l'amour soit notre loi. A jamais , etc.

ati4 LE DEVIN DU VILLAGE.

S C È >' E VII. LE DEVIN, COLIN. COLETTE

L E DK VIN. Je vous ai délivrés d*un cruel maléfice } Vous vous aimez encor malgré les envieux.

COLIN. ( //* offrent chacun un présent au Devin. ) Quel don pourrait jamais payer un tel service ? L K DEVIN, recevant des deux mains. Je suis assez payé si vous êtes heureux. Venez, jeunes garçons, venez , aimables filles ,

Rassemblez-vous, venez les irai 1er 5 Venez, galans bergers , venrz, beautés geniilles. En chantant leur bonheur apprendre à le goûter.

SCÈNE VI II.

LE DEVIN, COLIN, COLETTE.

Garçons et Filles du village, CHŒUR.

Colin revient à sa bergère ; Célébrons un retour si beau. Que leur amitié sincère Soit un charme toujours nouveau. Du Devin de notre village . Chantons le pouvoir éclatant :

Il ramène un amant volage. Et le rend heureux et coustant.

( On danse, ) ROMANCE. COX.IN. Dans ma cabane obscure Toujours soucis nouveaux; Vent , soleil , ou froidure , Toujours peine et travaux. Colette , ma bergère , S\ tu viens l'habiter, Colin , dans sa chaumière , N'a rien à regretter.

Des champs , de la prairie , Retournant chaque snir, Chaque soir plus chérie .le viendrai le revoir : Du soleil dans nos plaines Devançant le retour , .le charmerai mes |>eines En chantant notre amour.

( On danse une pantomime. )

SCÈNE VÏII.

LE TIE7IR. n faut tous à renvi ~ Nous signaler ici : Si je ne puis sauter ainsi , Je dirai pour ma part une chanson nouvelle.

( // tire une chanson de «a poche. ) I.

L'art k l'Amour est favorable , Et sans art l'Amour sait charmer , A la vîUe on est plus aimable , Au village on sait mieux aimer.

Ah ! pour l'ordinaire ,

L'Amour ne sait guère Ce qu'il permet , ce qu'il défend ; C'est un enfant , c'est un enfant.

C o 1 1 K avec le choeur répèle le refrain.

Ah ! pour rordînaîre ,

L'Amour ne sait guère Ce qu'il permet , ce qu il défend ; C'est un enfant , c'est un enfant.

( regardant la chanson. ) ets T\e la

£lle a d'autres couplets l)e la trouve assez belle.

COLETTE, avec empressement.

Voyons, voyons; nous chanterons aussi.

( Elle prend la chanson. )

IL

Ici , delà simple nature L'Amour suit la naïveté ; £n d'autres lieux , de la parure Il cherche Téclat emprunté.

Ah ! pour l'ordinaire ,

L'Amour ne sait guère Ce qu'il permet , ce qu'il défend j C'est un enfant , c'est un enfant.

CHŒITR.

C'est un enfant , c'est un enfant.

COLIN.

II L

Souvent une flamme chérie Est celle d'un cœur ingénu j Souvent par la coquetterie Un cœur volage est retenu.

Ah ! pour l'ordinaire , etc. la fin de chaque couplet , le choeur répète toujours ce vers : ) C'est un enfant , c'est un enfant.

atïti LE DEVIN DU VILLAGE-

•LE DEVIN. I V.

L'Amour, selon sa fantaisie^ Ordonne et dispose de nous j Ce dieu permet U jaloiuie , Et ce dieu punit les jaloux. Ali l pour Tordinaire , etc. COLIN. V. A voltiger de belle en belle , On perd souvent l'heureux instant i iSouvcnl un berger trop fidèle Est moins aime qu'un mconstant. AL! pour Tordinairc , etc. COLETTE.

VL

A son caprice on est en bulle , Il veut les ris, il veut les pleurs ; Par les... par les,.. .

COLIN, lui aidant à lire. Par les rigueurs on le rebute.

COLETTE.

Oïl l'affaiblit par les faveurs. ENSEMBLE. Alt I pour l'ordinaire , L'Amour ne sait guère Ce qu'il permet, ce qu'il défend; C'est un enfant , c'est un enfant.

CHCBCR. C'est un enfant , c'est un enfant.

( On danse. ) COLETTE.

Avec l'objet de mes amours, Rien ne m'afflige , tout m'enchante j •Sans cesse il rit , toujours je chante : C'est une chaîne d'heureux jours.

Quand ou sait bien aimer , que la vie est charmante î ït?l, au milieu des fleurs qui brillent sur son cours ,

Un doux ruisseau coule et serpente. Quaud on sait bien aimer , que la vie est charmant» l

( On. danse. ) COLETTE.

Allons danser sous les ormeaux ,

Animez-vous, jeunes lilleltes :

Allons danser sous les ormeaux ,

Galans, prenes tos chalumeaux.

SCENE Vin.

1B8 YlttAGKOlSES rêpèteni ce» quair» ptrê, COLETTE.

Répetons mille chansonnettes ; Et, poar avoir le cœar joyenx , Dansons avec nos amoureux ,

Mais n'y restons jamais seulettes. Allons danser sous les ormeaux , etc.

LES VILLAGEOISES.

Allons danser sons les ormeaux , etc.

'COLETTE.

A la ville on fait bien plus de fracas ; Mais sont-ils aussi gais dans leurs el>ats ?

Toujours contens ,

Tou]ours.cfaantans ;

Beauté sans fj|rd ,

Plaisir sans art : Tous lenrs concerts valenfc-ils nos musettes? Allons danser sous les ormeaux , etc.

LES yiLLAOSOISBS.-

Allons danser sous les ormeaux ,* etc. >

Tîy DV DEVIX DU VILLAGE.

LETTRE A M. LE NIEPS.

Montmoreoci , le 5 avril 1759.

iLn ! vive Dtea ! mon bon ami , que votre lettre est réjouis- tante ! des cinquante louis , des cent louis « des deux cents louis , dfs 4800 livres ! ou pretidrai-je des coffres pour mettre tout Cela? Vraiment , je suis tout émerveillé de la générosité de cet ni»$ieurs de TOpera. Qu'ils ont changé ! Oh ! les honnêtes gens! Urne semble que je vois déjà les monceaux d'or étalés sur ma Cable. Malheureusement un pied cloche ; mais je le ferai re-> cloopr , de pour que tant d'or ne vienne à rouler par les trou» lia plancher dans la cave , au lieu d'y entrer par la porte en bons tonneaux bien reliés , di^ne et vrai cotTre-fort , non pas tout-à-fait d'un Genevois , mais d'un Suisse. Jusqu'ici M. Du- dot m'a gardé le secret sur ces brillantes offres 3 mais , puisqu'il td chargé de me les faire , il me les fera ; je le connais bien , il Bf l^ardera sûrement pas Targenl pour lui. Oh ! quand je serai riche, vener, venez , avec vos monstres de l'£scatadc , je vous Util manger un brochet long comme ma chambre.

0 çà, notre ami , c'est assez rire » mais que Tarpent vienne. Bevcnons aux faits. Vous verrez par le mémoire ci-joint , et par In lîeux lettres qui l'accompagnent, l'otat de la question. Ces leitros ont resté toutes deux sans réponse. Vous me dites qu'on >Q«bUnie dans cette affaire ; je serais bien curieux de savoir comm<*n( et de quoi. Serait-ce d*êlre assez insolent pour de- "iiuder justice , et asscr fou pour espérer que Ton me la rendra? Dans celte dernière affaire j'ai envoyé un double de mon mé- Qoire à M. Duclos , qui , dans le temps , ayant pris un grand nt«rct il l'ouvrage , fut le médiateur et le témoin du traité. £ocore échauffé d'un entretien qui ressemblait à ceux dont vous Bie parlex , je marquais un peu de colère et d'indignation dans nu lettre contre les procédés des directeurs de l'Opéra. L'n peu taJuié , je lui récrivis pour le prier de supprimer ma première ^tUrt. Il répondit à cette première qu'il m'approuvait fort de wclajiier tous mes droits; qu'il m'était assurément bien permis ^V'tre jaloux du peu que je m'étais réservé , cl que je ne devais pis douter qu'il ue fît tout ce qui dépendrait rie lui pour me procurer la justice qui m*étail due. Il répondit à la seconde

ÎiiU n'avait rien aperçu dans l'autre que je pusse regretter •voir écrit qu^au surplus MM. Kebel et Krancœur ne faisaient iw -jup tlilGculté de me rendre mes entrées , et que , comme ils i.t pas les maîtres de l'Opéra lorsque l'on me les refusa , .■ .a n était pas de leur fait. Pendant ces petites négociations, Japprù qu'ils allaient toujours leur train , sans s'embarrasser *on plus de moi que si je n'avais pas existé , qu'ils avaient

i

»7o LETTRE

remis le Devin du Village. . . . Vous savez comment ! Ksns m*é- crire y sans nie rieu faire dire , sans lu'envu^er même les billets qui m'avaient été promis en pareil cas , quand on nrôta mes enlroes ; de sorte cjuc tout ce eju'nvaient fait à cet égard les nou- veaux directeurs avait été de rcntlit-rir sur la inallionnêleté des autres. Outré de tant d'insultes, je rejetai , dans ma troisième lettre à M. Diiclos , l'onfre tardive et forcée de me redonner les entrées , et je persistai k redemander la restitution de ma pièce. M. Duclos ne m'a pas répondu : voilà exactement à quoi Taffaire ru est restée.

Or, mon ami, voyons donc, selon la rigueur du droit, en quoi je suis à bli!lmer. Je difi selon la rigueur du droit , à moias que les directeurs de l'Opéra ne se fassent , des insalles et des affronts qu'ils m*ont faits, un titre pour exiger de ma part des honnêtetés et des grâces.

Du moment que le traité est rompu , mon ouvrage m'appar- tient de nouveau. Les faits sont prouvés dans le mémoire. Ai— je tort de redemander mon bieu 7

Mais y disent les nouveaux directeurs , Tinfraction n*est pat de notre fait. Je le suppose un moment ; qu'importe? le traité en est-il moins rompu ? Je n*ai point traité avec les directeurs , mais a^ec la direction. Ne tiendrait-il donc qu'a des changeraens simulés de directeurs pour faire impunément banquernulc tous les huit jours? Je ne connais ni ne veux connaître les sieurs Hcbel et Franc(rnr. Que fiauticr ou Garguille dirigent l'Opéra,

3UC me fait cela ? J*ai cédé mon ouvrage à l'Opéra sous de* con- itmns qui ont été violées, je Tai vendu pour un jirix qui n'a point été payé ; mon ouvrage n'est donc pas à TOpéra , mais 11 moi I je le redemande ; en le retenant on le vole. Tout cela paraît clair.

Il y a plus 5 en ne reparant pas le tort qne m'avaient fait le» anciens directeurs , les nouveaux Vont conlirmé ; en cela d'au- J taut plus inexcusables qu'ils ne pouvaient pas ignorer les articlesfl d'un traité fait avec eux-m^mes en personnes. Klai>-jc donc™ obligé de savoir que l'Opéra , oii je n allais plus , changeait de directeurs? pouvais-jc deviner si les derniers étaient moins iniques? pour l'apprendre, fallait-il m'exposer à de nouveancfl affronts , aller leur faire ma cour à leur porte , et leur demandera liumblement en grâce de vouloir bien ne me plus voler ? S'ili voulaient garder mon ouvrage , c'était à eux ae faire ce qu'il fallait pour qu'il letir appartint ; mais en ne désavouant ]mis l'iniquité de leurs prédécesseurs , ils l'ont partagée j en ne me^ rendant pas les entrées qu'ils savaient tn'élrc dues , ils me le#fl ont ôtées une seconde fois. S'ils disent qu'ils ne savaient oii me ~ prendre , il:* mentent ; car ils étaient environnés de gens de ma coariaissunce , dont iU n'ignoraient pas qu'ils pouvaient a prendre oli j'étais. S'ils disent qu'ils n'y ont pas songé . ils nien teut encore i car an moins , en préparant une reprise du Dcvio du Village , ils ne pouvaieut oc pas penser à ce qu'ils devaient à

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A M. LE NIEPS.

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Tmlettr- Maia îU n*<iut parlé de iie plus xue refoser les eotréos at.r ' il» y tiul élt' lorcrs par le cri public : il est donc faux

u^ itiun du traita ne soit pa» de leur fait. lU onl fait da-

«ablJ.KC « lii ont rencliéri sur la iijallionnt*tclé de leurs prrdrcps- mui* . <■'"* ) "*^ rvUiaaut iVntn-e , le sieur Deneuviire me dé- clara « de la jiart do ceux-ci , (|ue , f|uand on jouerait le Devin du VtlUçe j on aurait &oiu de ui'eiivoyer Jea oillftA. Or, non- fc . '^* nou%caux iip ui*onl parlé , ni ccrit , ni fait ccnre j

m ^ li lis ont reiui^ le De\iu du Village, ils n'ont pas même eoove Ick billet) que les autres avaient promis. On voit que ces ■rn^'lÀ , tout fiers de pouvoir être iniques impunément , se CT&iraimt déshonorés s'ils faisaient un acte de justice.

r.k n f (antueDCAiit il ne me plus refu"^er les entrées , iU a|>- : me les rendre. Voilà qui est plaisant ! Qu'ils me nen- :t-s cinq années écoulées depuis qu'ils me les ont ôtées ; !«, I c de ces cinq années ne m*étail-elle pas due ? ii*en-

lrjit-4- r- pas dans le traité? Ces messieurs penseraient-ils donc ctrc «juittr» avec moi en me donnant les entrées te dernier jour ma vie? Mon ouvrage ne saurait être a eux qu'ils ne m'en ni le prix en entier. Ils ue peuvent, me dira-l-on , me rendre i«*mps liasse : pourquoi me Tont-ils Âté ? c'est leur faute ; tue le doiveut'ils moins pour cela? C'était à eui , par la représen- Utiuu de celte impoitsibilité , et par de bonnes manières , d'ob- tenir que je voulusse bien me relâcber en cela de mon droit , ou en •cc<M>tcr une compensation. Mais, bon ! je vaux bien la peine c|ti*OD dai^e être juste avec moi I soit. Voyons donc enfin de luoa côté à quel titre je suis obligé de leur faire grâce. Ma foi , puisqtiMs Koul si rogues , si vains , si dédaigneux de toute justice , )e demande , moi , la justice en toute rigueur ; je veux tout le prix rtipulé, ou que le marché soit nul. Oue si l'on me refuse la |usiice qui m'est duc , coniment ce refus lait-il mon tort ? et qui e»l-<e qui m'ôtera le droit de me plaindre? Qu'y a-t— il dVqni- tâible , de raisonnable, k répondre à cela? Ncdevrais-je point prnl-être un rcuiercîment à ces messieurs , lorsqu'i regret , et en rt'cliignant , ils veulent bien ue me voler qu'une partie de ce qai lu'cst du '

De nos plaideurs manceaux les maxime» ni'^tonnenl; Ce qa'iU ne prennent pas , ili dijeut qu'ils le donnent.

11)9 aux raisons de convenance. Après m'avoir Até les en-

mdis que j'étais à Paris , me les rendre quand je n'y suis

, n'ot-ce pas joindre la raillerie à l'insulte? ^c savent-ils

\nrr. qne je n'ai ni le moyen ni l'inlenlion de profiter de leur

i ' pourquoi diable irnis-je si loin chercher leur Opéra?

t' , [■ i"» tout â ma porte les cliouelLes de la forêt de Moot-*

iii'jicnci ?

IU ne refusent pas, dit M. Duclos, de me rendre mes entrées^ entendi bien : ils me les rendront volontiers aujourd'hui pour voir la plaisir de me les ôter demain , et de me faire ainsi un

MIÉÉ

yfi LETTRE

second affroat. Puisqnc ces gcns-Ià n'ont ni fol ni nnrole , qui jpsl-cP qui me répondra d*eux et de leurs intentions? Ne rac sera- t-il pas bien asrcable de ne me jamais présenter à la porte nue dans t'attente de lue la voir fermer une seconde fuis :' Ils n eu auront plus, direz-vous, le prétexte. Eh ! pardonnez-moi, mon- sieur, ils l'auront toujours, car, sitôt qu il faudra trouver letir éra beau , qu'on me remèae aux Carrières ! <^ue n'ont-iU propose r:ette admirable condition dans leur juarche! jamais iis &*auraieut uiassacré mon pauvre Devin. Quand ils voudront me chicaner, manqueront-ils de prétextes.^ Avec des mensonges ^ on ncn manque jamais. N'ont-ils pas dit que je faisais du bruit aa Spectacle , et que mon ei^clusiou était une affaire de police?

Premièrement , ils mentent : j'en prends à témoin tout le parterre et ramphithéàtre de ce temps-là. De ma vie je n'ai crie ni battu des mains aux bouffons ; et ]e ne pouvais ni rire ui bail- ler à rOpéra français, puisque je ny restais jamais, et qu'aussi- tôt que j'entendais commencer la lugubre psalmodie, je mo sauvais dans ies corridors. S'ils avaient pu me prendre en faute au spectacle» ils se seraient bien gardé^de m'en éloigner. Tout le monde a su avec quel soin j'étais consigné , recommande aux sen- tinelles^ partout on n'attendait qu'un mot, qu^un geste, pour jn'arrêter; et sitôt que j'allais au parterre, j'étais environné de mouches qui cherchaient à m'exctter. ImagineK*vous s*il faillit user de prudence pour ne donner aucune prise 6ur moi. Tous leurs efforts furent vains ; car ii y a long-Lemps que je me sais l3it : Jeoii'Jacquea » puisque tu prends le dangereux emploi de défenseur de la vérité , soU sans cesne alteniifHur iot-nuf/ne » sou~ mis en tout aux loi.^ ei aux rè^le/i , afin que , qnand on voudra maltraiter^ on ait toujours tort. Plaise à Dieu que j*obser\'e ans»t bieu ce précepte jusqu'à la fin de ma vie , que je crois l*avoir ob- îrvé jusqu'ici î Aussi , mon bon ami , je parle ferme , et n'ai peur e rien. Je sens qu'il u*y a homme sur la terre qui puisse me laire du mal justement : et rouant à l'injustice , personne au monde n'en est à Tabri. Je suis le plus faible des élres; tout le monde peut me faire du mal impunément. J'éprouve qu'on levait bien , cl les insultes des directeurs de l'Opéra sont pour moi le coup de pied de l*Ane. Bien de (oui cela ne dépend de moi ; qu*y feruis- je ? Mais c'est mon affaire que quiconque me fera du mal , fasie ^al ; et voilà de quoi je réponds.

Prcmièremeal donc , ils mentent ; et en second lieu , quand ils ne mentiraient pas , ils out tort : car, quelque mal que j eusse pu dire, écrire ou faire, il ne fallait point m'ôtor les entrées , at- tendu queTOpéra, n*en étant pas moins possesseur de mon ou- vrage , n'en devait pas moins payer le prix convenu, yue fallait- il donc faire? M'arrèter , me traduire devant les tribunaux , me faire mon procès, me faire pendre, ccarlcler, brûler , jeter ma cendre au vent, si je l'avais mérité ; mais il ut fallait pasm'ôter les entrées. Aussi bien, comment, étant prisonnier ou pendu ,

ira? XU dwïiit cacore : Pubqu'il

»er de

A M, LE NIF.PS.

V-

mdfpUU à notre théâtre , (|uet nuil lui a-t-oa fait de lui en ôtcr l'entrée? Je réponds uu'on m'a fait tort , violence, injiisticc , af- front ; et c'est du mal que cela. De ce que mon voisin ne vput pas «nployer son argent , e^t-ce à dire que je sois endroit d*aller lui couper la bourse f

[V quelque manière qne je tourne la chose', quelque règle de jttitico iitic j'y puisse appliquer , je vols toujours quVn jugenirnC ontradictoirtf par-devant tous les tribunaux île la terre les di* nctf^urs de repéra seraient a l'instant condamnés à la restitution ilr uia pièce, à réparation , à dommages et intérêts. Mais il est cUirqae j'ai tort , parce que je ne puis obtenir justice; et qu'ils ont raison, parce qu'ils sont les plus forts. Je déBe qui que ce Mit au monde de pouToir alléguer en leur faveur autre chose cria.

faut à pré*ent vous parler de mes libraires, et jecomnien- *i par iVf. Pissol. J'içnore s'il a ^agné on perdu avec moi. Toutes les fois que je lui demandais si la vente allait bien , il nte répondait , Passahteinent ; sans que jamais j'en aie pu tirer autre din«e. 11 ne m'a pas donné un sou de mon premier discours, ni ■tirane espèce de présent , sinon quelques exemplaires ponr mes uaiï. J'ai iraîléavec lui, pour la gravure du Hevin du village , «ir le pied de cinq cents francs , raoilié en livres , et moitié en «rgenl, qu^il s'obligea de me payer k plusieurs fois, et en certains Ufiues ; il ne tint parole, & aucun , et j'ai été obligé de courir iong-temps après mes deux cent cinquante livres.

Par rapport à mon libraire de Hollande , je l'ai trouvé en toulrs choses exact, attentif, honnête : je lui demandai vingt— cina louis de mon discours sur Tinégalite, il me les donna sui- te-cnamp, et il envoya de plus une robe à ma gouvernante. Je ai demandé trente louis de ma lettre à M. d'^AIcmbert , et il les donna sur-le-champ : il n'a fait , à cette occasion , aucun nt , ni ^ moi , ni à ma gouvernante (i; , et il ne le devait ; mais il m'a fait un plaisir que je n'ai jamais reçu de M. Pis— M , en nie déclarant de bon cœur qu'il faisait bien ses affaires tKcmoi. Voila , mon ami , les faits dans leur exactitude. Si quelqu'un vons dit quelque chose de contraire à cela , il ne dit pts wrai. Si ceux qui m'acctisent de manquer de désintéressement en- dent par-là que je ne me verrais pas oter avec plaisir le peu je gagne pour vivre, ils ont raison j et il est clair qu'il n'y tir moi d'autre moyen de leur paraître désintéresse que de laisser mourir de faim. S'ils entendent que toutes ressources •ont également bonnes , et qne, pourvu qne rargenl vienne , rembarrasse peu comment il vient , je crois qu ils ont tort. étais plus facile sur les moyens d'acquérir , il me serait nioin» onreui de perdre, et l'on sait bien qu'il n'y a personne de

fi) IVpaîs \ot% \\ lui a (ait une pension viagère Je 3oo Hv. , et je on •Fusîbie plai&ir da rendre public un acta auMÎ r^irc de recopuai»* V etde fténérosité.

& . i§.

374

LETTRE A M. LE NIEPS.

si prodigue que les voleurs. Mai$ quaud ou me dépouille înjiiiH* tciuent de ce qui m'apparlient , quand ou in^ôte Je modique pro* duit de mon travail , on me fait un torl qu'il ne mVst pas nis« de réparer; il m'est l>icit dur de n'avoir pas même la liberté de m'en plaindre. Il y a tong-tcmps que le public: de Paris se fait un Je;in-Jacque5 à sa modo , et lui prodigue d'une main libérale des don!» duut le Jean-Jacques de Alonlinorenei ne voit j.-iiuais rien. Infirme et malade les trois quarts de Tannée « il faut que je trouve* iuv le travail de l'antre quart , de quoi pourvoira tout. Ceux qui ne g^jcueut leur pain que par des voies bonnètes connaissent le prix de ce pain , et ne seront pas surpris que je ne puisse faire.du mien de gr.indes largesses.

ISe vous chargez point , crovez-moi , de me défendre des dis* cours publics, vous auriez trop à faire : il suHît qu'ils ne votu abusent pas , et que votre estime et votre amitié me restent. J'ai k Paris et ailleurs des ennemi» CBcb&* qui n'oublieront point les uiaux qu'ils m'ont faits; c*r quelquefois l'oOensé pardonne, mais Toffenseur ne pardonne jamais. Vous devez sentir combien la partie est inégale entre eux et moi. Répandus dans le monde, ils y font pa.^ser tout ce qu'il leur plaît , sans que je puisse ni le savoir Tii m'en défendre : ne sait-on pas>que l'absent a toujours tort? D'ailleurs , avec mon étourdie ïrancbise , je commence par rom- pre ouvertement avec les gens qui m'ont trompé. Eu déclarant tiaut et clair <|ue celui qui se dit mou, ami ne l est point , et que j^ ne suis plus le sien , j'avertis le public de se tenir eu garde contre te mal que j'en pourrais dire. Pour eux , ils ne sont pas si maladroits que Cela. C'est une si belle chose que le vernis des pro- cédés et le ménagement de la bienséance ! La haiue en tire un si commode parti' ! On satisfait sa vengeance à son aise en faisant admirer sa générosité ^ ou cache doucement le poignard sous le manteau de t'auiilié , et l'on sait égorger en feignant de plaindra. Ce pauvre citoven 1 dans le fond il n'est pas méchant ; mais il a une mauvaise tête qui te conduit aussi mal que ferait un mauvais cœur. On lâche mystérieusement quelque mot obscur, qui bien- tôt est relevé , commenté, répandu par les apprentis philoso- phes ; on prépare, dans d'obscurs conciliabules , le poison qu'ils se chargent de répandre dans le public. Tel a ta grandeur d ame de dire mille biens de moi après avoir pri^î ses mesures pour que personne n'en puisse rien croire. Tel me dclcnd du mal dont on m'accuse, aprî-savoir fait en sorte qu'on n'en puisse douter. Voilà ce qui s*appcllc de l'habileté! Que voulec-vous que je fasse à cela? Enlends-je de ma retraite les discours i|uc Ton tient dans le* cercles? Quanti je les entendrais, irais-je, pour lesdémeulir, ré- véler les secrets de l'amitié, même après qu'elto est éteinte? Non. «lier le Nieps : on peut repousser les coups portés par des main» ennemies ; mais quand on voit panui les a*ïsaMiu8 son ami le poi- gnard à la main , il ne reste qu à s'envelopper la ttUe.

^^--^'-^

LA DÉCOUVERTE

DU

NOUVEAU MONDE,

TRAGÉDIE EN TROIS ACTES.

I

ACTEURS.

Le Cacique de File de Guanaban , conque'rant d'une p

des Antilles. DiGizÉ, épouse du Cacique. Cari ME , prîacesse américaine. Colomb, chef de la flotte espagnole. Altar , officier castillan. Lb GRAND-PRÊTRE des Américains. Nozi ME, Américain. Troupe de sacrificateurs américains. Trou PE d'Espagnols et d'Espagnoles de la fiotte. Troupe d'Américains et d'Américaines.

La êcène e»t dans ttU de Guana/usn.

A DÉCOUVERTE

DU

NOUVEAU MONDE

m ACTE PREMIER.

tf thêâtté rfpré$ente la forêt sacrée Us peupUs de Guanahan venaient adorer leurs dieux.

k

I

SCÈNE I". LE CACIQUE, CARIME,

LE CACIQUE.

^nTLB en ces bois sacres ! eh ! quV faisait Carime ?

G AU I ME. Khî quel autre que vous devrait le savoir niieuï? De mes tourraeus secrets j'importunais les dieux j J*y pleurais nies malheurs : m'en faites— vous un crime?

LE CACIQUE. Loin de vous condamner , j'honore la vertu Qui vous fait près des dieux chercher la confiance Que TetTroi vient d'ôtcr k mon peuple abattu, (jent présages affreux, troublant noire assurance,

Seiublent du ciel annoncer le courroux; Si nos rriiues ont pu mériter sa vengeance , Vos voeux l'éloigneront de nous En faveur de votre innocence.

CARine. Quel fruit espérej-vous de ces détours honteux? Cruel ! vous insultez à mou sort déplorable.

Ah ! si rauiour'mc rend coupable ,

Eftt— ce à vous à blâmer mes feux ?

LE CACIQU2. Quoi ! vous parlez d'amour en cesmoraens funestes ! L'uuour ëcbaufie-t-il des cœurs glaces d'enïoi ?

CARI 01 E.

Quand Taraour est extrême , Craint-on d'autre malheur

Que la froideur

De ce qu'on aime? Si Digizr vous vantait son ardeur , Lui rêpondriez-vous de juùme ?

ayS LA DÉCOirVŒRTE DU NOUVEAU MONDE.

LE C ACIQnK-

Digize m'appartient par<ies nœuds étemels; En partageant mes feux elle a rempli mon trône ; Et, quand nous confirmons nos sennens mutuels , L'amour le juslitie, et le «levoir Tordonnc.

c A RIME. L^amour et le devoir s^ accordent rarement : Tour-à-lour seulement ils régnent dans une ame.

L'amour forme rengagement ,

Mais le devoir éteint la flamme. S'ï rhymen a p'^ur vous des attraits m charmans , Redoublez avec moi ses. doux, engagement ;

Mon cœur consent à ce partage : C'est un usage établi parmi nous.

XE CACIQU E.

Que me proposez-vous, Carime l que! langage!

CARI3IE.

Tu l'ofTenses, cruel , d'un langage si doux!

Mon amour et mes pleurs excitent ton courroux! Tu vas triompher en ce jour, Ah I si tes yeux ont plus de charmes , Ton cœura-t-il autanl d'amour? LKCACÏQUE.

Cessez de vains regrets, votre plainte est injuste i

Ici vos pleurs blessent mes yeux. Carime, ainsi que vous, en cet asile auguste, Mon CŒur a ses secrets à révéler aux dieux.

CARIME.

Quoi ! barbare , aa mépris tu joins cnlin l'outrage? Va , tu n*cntendras plus d'inutiles soupirs; A mon amour trah» tu préfères ma rage^ Il faudra te servir au gre de les désirs.

LE CACIQUE. Que son sort est h plaindi^! Mais les fureurs n'obtiendront rien. Pour un cneur fait comme le mien Ses pleurs étaient bien plus k craindre

SCÈNE IL

LE CACIQUE, **«/.

Lieu terrible , lieu révéré , Séjour des dieux de cet empire , Déployei dans les coeurs votre pouvoir sacré z

Dieux , calmez un peuple égaré , De ses sens effrayés disïij>rï ce délire; Ou , si votre puissance enfin n'y peut sufTirc , NVsurpcx plus un nom vainement adoré.

ACTEI, SCÈNE II. 2179

Je me le cecIie en vain , moi-même je frissonne ; Une sombre terreur m*agite malgré moi. Cactqne malheureux , ta vertu t'abandonne ; Pour la première fois ton courage s'étonne ; La crainte et la frayeur se font sentir à toi.

Lieu terrible , lieu révéré ,

Séjour des dieux de cet empire, Déplovex dans les cœurs votre pouvoir sacré :

Rassurez un peuple égaré , I>e ses sens elTrayes dissipez ce délire j On , si votre puissance enfin n'y peut suffire , N'usurpes plqs un nom vainement adoré. Mais quel est le sujet de ces craintes frivoles ? L>eê Tains pressentimens d'un peuple épouvanté ,

Les mueissemens des idoles , Ou l'aspect enrayant d'un astre ensanglanté? Ah l n'ai-je tant de fois enchaîné la victoire , Tant vaincu de rivaux , tant obtenu de gloire , Que pour la perdre enfin par de si faibles coups? Gloire frivole ! eh ! sur quoi comptons-nous ? Mais je vois Digizé. Cher objet de ma fiamme ^

Tendre épouse , ah ! mieux que les dieux , L'éclat de tes beaux yeux Ranimera mon ame.

SCÈNE IIL

DIGIZÉ, LE CACIQUE.

SIGIZÉ.

Seigneur , vos sujets éperdus , Saisis d'eÏÏToi , d'horreur , cèdent k leurs alarmes; Et , parmi tant de cris , de soupirs , et de larmes ,

C'est pour vous qu'ils craignent le plus. Quel que soit le sujet de leur terreur mortelle , Ah! fuyons, cher époux , fuyons, sauvons vos jours. Par une crainte, héias! qui menace leur cours ,

Mon cœur sent une mort réelle.

LE CACIQTTE.

Moi fuir! leur cacique ! leur roi ! Leur père enfin ! l'espèrcs-tu de moi ? Sur la vame terreur dont ton esprit se blesse , Moi , fuir ! ah î Digizé , que me proposes-tu ? Un cœur chargé d'une faiblesse Conserverait-U ta tendresse En abandonnant la vertu? Digizé , je chéris le nœud qui nous assemble ; J'adore tes appas , ils peuvent tout slir moi e Mais j'aime encor mon peuple autant que loi , £t la vertu plus que tous deux ensemble.

afa LA DÉCOUVERTE DU NOUVEAU MONDE..

IB GKAND-PHÊTKC. Dieux qui veillez snrcet empire , Manifestez vos soins, soyez, nos protecteurs. Bannissez de vaines terreurs , Un signe seul vous peut suffire : Le vil enroi peut-îl frapper des cœurs <Juc voire confiance inspire?

CHŒUR.

Ancien du monde , être des jours , Sois attentif à nos prières; Soleil , suspends ton cours Pour éc{a;rer nos mystères.

LE GRAND-Pfl ÊTRE.

Conserves à son peuple un prince généreux ; Que, de voire pouvoir digne dépositaire, 11 boit heureux comme les dieux , Pui5qn*il remplit leur ministère, Et qu'il est bienfaisant comme eux !

CHŒUR. Ancien du monde , etc.

LE GR AND-PRÊtrI.

CVn est assez. Que Ton fasse silence. De nos rites sacrés déployons la puissance. Que vos sublimes sons, vos pas mystérieux , De l'avenir, soustrait aux mortels curieux , Dans mon crcur inspiré portent la connaissance. Mais la fureur divine agite mes esprits ; Mes sens sont étonnés , mes regards éblouis } La nature succombe aux efforts réunis

De ces cbranlemens terribles .. Non , des transports nouveaux afferraissenl mes seni^ Mes yeux avec effort percent lanuit des temps... Ecoutez du destin les décrets inflexibles.

Cacique infortuné, ^

Te» exploits sont flétris, ton règne est terminé : Ce jour en d'autres uiains fait passer ta puissance : Tes peuples , asservis sous un joug odieux, Vont perdre pour jamais les plus chers dons des ciettx

Leur liberté , leur innocence. Fiers enfans du soleil , vou.s triompher, de nous; Vos arts sur nos vertus vous donnent la victoire ;

Mais, quand nous tombons sous vos coups , Craignez de payer cher nos maux et votre gloire. Des nuages confus naissent de toutes parts... Les siècles sont voilés à mes faibles regards. LK CACIÇUE.

Df vos arts mensongers cessez les vains prestiges.

ACTE I, SCENE V. 283

{ £«9 prétreê ê€ retirent, après quoi ton entend U chœur suivant derrière le théâtre. ) CHCK0R, derrière le théâtre, O ciel I 6 ciel ! quels prodiges nouveaux ! Et quels monstres ailës paraissent sur les eaux ! DiGXzé. Dieux ! quels sont ces nouveaux prodiges ? c H es n R , derrière le théâtre, O ciel ! 6 ciol I etc.

LE CACIQUE.

L'effroi trouble les yeux de ce peuple timide; Allons apaiser ses transports. DiGizé. Seigneur, oii conrez-vous ? quel vain espoir vous guide? Contre Farrét des dieux que servent vos efforts? Mais il ne m'entend plus, il fuit. Destin sévère ! Ah ! ne pui»-je du moins, dans ma douleur amère , Sauver un de ses jours au prix de mille morts !

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

Z*e théâtre représente un rivage entrecoupé d'arbres et de roc/iers. On voitj dans l'enfoncement , débarquer la flotte espagnole, au son des trompettes et des timbales.

SCÈNE 1". COIX)MB , ALVAR , troupe d'espagnols et d'espagnoles,

CHŒUR.

X RI0MP80NS , triomphons sur la terre et sur l'onde ;

Donnons des lois à Tunivers : Notre audace en ce jour découvre un nouveau monde ; Il est fait pour porter nos fers. C 0 L o M B y tenant d*vne main une epée nue , et de l'autre l'étendard de Castille. Climats dont k nos yeux s'enrichit la nature , Inconnus aux humains , trop négligés des cieux , Perdez la liberté ;

( Il plante V étendard en terre. ) Alais portez , sans murmure , Un joug encor plus précieux. Chers compagnons , jadis l'Argonaute timide Éternisa son nom dans les champs de Colchos : Aux rives de Gadès rimpétueux Alcide

Borna sa course et ses travaux : Un art audacieux , en nous servant de guide ,

384 LA DÉCOUYERTE DU NOUVEAU MONDE.

De riniinensc Océan nous a soumis les flols. Mai& qui célébrera notre troupe înlrépide

A régal de tous ces héros ? Célébrez ce grand jour d'élernelte mémoire ; Entrez , par tes plaisirs , au chemin de la gloire ; Que vos yeux enchanteurs brillent de toutes parts j De ce peuple sauvage étonnez les regards.

CHŒUR.

Célébrons ce grand jour d'éternelle rnéraoïre j Que DOS yeux enchanteurs brîlteat de toutes parts.

( On dnntte. j

ALVAR.

Fière CastHIc . étends partout tes lois , Sur tonte la nature exerce ton empire; Pour rombler tes brillans exploits Un luomV eulier n'a pu suïbre. Maîtres des élomcns, héros dans les combats , Répandons en c<r.s lieux la terreur , te ravage ; Le ciel en fil notre partage Quand il rendit l'abord de ces cliiuiits

Accessible à notre courage. Fière Castille , etc.

( Dansea gturrièntê, )

UNE CASTILLAN E.

Volet , conquérans re<1outables , Allez remplir de grands destins : Avec des armes plus aimables , Nos triomphes sont plus certains. Qu'ici d'une gloire immortelle Chacun se couronne à son tour : Guerriers , vous y portez l'empire d'Isabelle , ?kou5 y portons Pempire de l'Amour. Volez , conquérans , etc.

( Danses, )

ALVAR ET LA CASTILLANE.

Jeunes beautés , guerriers terribles , Unissez-vous , soumettez l'univers. Si quelqu'un se dérobe à des coups invincibles , Par de beaux jeux qu'il soit chargé de fers.

COLOMB.

C'est assez eitprimer notre allégresse extrême , ^(ous devons nos momens à de plus doux transports. Allons aux habitans qui vivent sur rrs bords De leur nouveau deslm porter l'arrêt suprême. Alvar . de nos vaisseaux ne vous éloignez pas ; Dans ces détours cachés disperser, vos soldats : La gloire d'un guerrier est assez satisfaite

w

ACTE I!, SCENE 1. a85

S'il peut favoriser une h<^iireus(^ retrnile. Allez ; si nous avons à livrer des combats, U sera bienlôt temps d'illustrer votre bras.

CUCKUR.

Triomphons , triontjplions sur la !<?rre et sur l'onde ;

Portons nos lois au bout de l'univers : Notre audace en ce jour découvre un nouveau monde ,

Nous sommes faits pour lui donner des fers.

SCÈNE II.

C ARIME, seute. Transports de ma fureur , amour > rage funeste y Tvrans de la raison , oîj guidez-vous mes pas ? C^est assez déchirer mon cmur pat* vos combats j Ab ! du moms éteignez un feu que je déteste ,

Par mes pleurs ou par mon trépas. Mais je respère en vain , Tingrat y règne encore : Ses outrages cruels n'ont pu me degaeer j Je reconnais toujoufs, liéfas ! que je radore ,

Par mon ardeur à m'en venger. Transports de ma fureur , etc.

iVtais gue servent ces pleurs ?... Qu'elle pleure elle-même... Cest ici le séjour des eufans du soleil , Voilà de leur abord le superbe appareil ; Qu'y viens-je faire , liélaï ! dans ma fureur ertréme ?

Je viens leur livrer ce que j'aime ,.

Pour leur livrer ce que je nais ! 0»e*-lu IVspérer , infidèle Carime ?

Les fils du ciel sont-ils faits pour le crime ?

Ils détesteront tes forfaits. Mats s'ils avaient aîmé... sMs ont des cœurs sensible!.. . Ab ! sans doute ils le sont , s'ils ont reçu le jour. Le ciel peut-il former des ccpurs inaccessibles Aux tourmens de l'amour ?

SCÈNE III. ALVAR, CARIME.

ALVAR.

Que Tois-je ? Quel éclat ! Ciel ! comment tant de charmes

Se trouvent-ils en ces déserts ?

Que serviront ici la valeur el les armes?

C'est à nous d'y porter des fers.

c A E I M K , en action de se proiUmer, Je suis encor , seigneur , dans l'ignorance «^«hommages qu'on doit...

A L 7A a , la retenant.

J'en puis avoir reçus; Nais oii brille votre présence Ce«t à vous seule qu'il* sont dus.

»NDE.

2S6 LA DÉCOUVERTE DU NOUVEAL MONDE

CABIMF. Quoi donc ! refusez-vous , seigneur , qu'on voas adore? N'êtes-vous pas des dieux?

AtVAR.

On ne doit adorer que vous seule en ces lieux ; Au titre de héros nous aspirons encore.

Mais daignez nrinstruire â mon tour

Si mon cœur , en ce lieu sauvage,

Doit, en vous, admirer l'ouvrage

De la nature ou de l'ainour ?

CAHl M£.

Vous séduisez le mien par un si doux langage , Je n'en attendais pas de tels en ce séjour.

ALVAR.

L'amour vent , par mes soins , réparer en ce jour Ce qu'ici vos appas ont de désavantage :

Cps lieux grossiers ne sont pas faits {>our vousj Daignez nous suivre en un climat plus doux. Avec tant d'appas en partage , L'iiidifierenC'e est un outrage Que vous ne craindrez pas de nous. CAniME. Je ferai plus encor; et je veux que cette ile. Avant la On dujour, reconnaisse vos lois. Les peuples , effravés , vont d'asile en asile Chercher leur siVeté dans le fond de nos bois. Le cacique lui-même en d'obscures retraites

A déposé ses biens les plus chéris. Je counais les détours de ces routes secrètes. Des otages si chers...

ALV'AR.

Croyez-vous qu'à ce prix Nos cœurs soient satisfaits d'eiupurlcr la victoire? Wotre valeur suffit pour nous la procurer. Vos soins ne serviraient qu'à ternir noire gloire , Sans la mieux assurer.

c A H I M E. Ainsi tout se refuse à ma jubte colërc !

AL VA H.

Juste ciel ! vous pleures ! ai-je pu vous déplaire ? Parlez, que fallait-il?...

CAniMS. 11 fallait me venger.

ALVAR. Quel indigne morte! a pu vous outrager ? Quel monstre a pu former ce desftem témérai

ACTE II, SCENE III. JL^e cacique.

ALTAR.

n mourra : c*est fait de son destin. TTovis moyens sont pennis pour punir une oflTonse. T*oi->r courir k la gloire il nVst (|u*un seul chemin ^ Il en est cent |>our la vengeance. 11 faut venger vos pleurs el vo$ appas. Ala 18 mon tele empressé n'est pas ici le maître : Notre chef eu ces lieux va bientôt reparaître : «Je 'ViÎA tout préparer pour marcher sur vos pa<,

ENSEMBLE.

Vengeance, amour, unissez-vous j

Portes partout le ravage. Quand ^ous animez le courage,

AÏen ne résiste k vos couju.

AL VAR.

La colère en est plus ardente , Quand ce qu*ou aime est outragé.

C A R I M K. Quand l'amour en haine est changé , La rage est cent fois plus puissante.

E^5EnBLE• YcDgeance , amour , uni&ses-vous , etc. FIN PD SECOND ACTE.

î»87

ACTE TROISlEiME.

te Ui^^^fg change , et npréaenU Us appartement du cacique,

SCÈNE I«.

DIGIZÈ, eetUe.

•* /^viMEîis des tendres cfrurs, terreurs , crainte fatale , Tristes prertentimens , vous voilÀ donc remplis ! V'^este trahison d'une indigne rivale , ^*i»-s crimes de l'amour , restez-vous impunis?

Hélas ! dans mon eflroi timide , ^^ •>€ soupçonnais pas , cher et fidèle époux , De quetle main perfide Te viendraient de si rudes coups. ^ <?Onnais trop ton creur , le sort qui nous sépare

^ Terminera tes jours : **^ ïe n'attendrai pas qu'une main moins barbare Dei miens vienne trancher le cours.

]^**Uroiens des tendres cœurs , terreurs , crainte fatale , ^'^Utespres^entimens, etc.

288 LA DECOirVERTE DU NOUVEAU MONDE,

Caci(]ue redouté, quand cette heureuse rive Retentissait partout de tes faits glorieux y Qui t'eût dit iju'on verrait ton épou&e captive Dans le palais de tes aicux. /

SCÈNE II.

DlGl/É, r.ARlME.

0IGI ZÊ.

Yenez-votis insulter à mon sort déplorable ?

CARI ME.

Je viens partager vos ennuis,

DIGIZÉ. Votre fausse pitié ni'arcable Vtus <}ue Tetat nièiue oii je suis.

c A n I M E. Je ne connais point Tart de feindre : Avec regret je vois couler vos pleurs. Mou désespoir a cause vos niallieurs ;

Mais mon coeur coiuincnce à vous plaindre ^ Saus pouvoir guérir vos douleurs.

Renonçons à la violence ; Quand le crrur se croit outragé, A peine a-t-ou puui roffeuse Qu'on sent moins le plaisir que donne la vengeance Que le regret d'eire vengé. DiGizé. Quand le remède est impossible , Vous regrettez les maux oii vous me réduiset ; C'est (jiiatid vous les avez causés Qu il y fallait être beusible.

E X 5 E M n I. E. Amour, amour y 1rs cruelles fureurs , Tes injustes caprices , Ne cesseront-ils point de tourmenter les ca-urt ? Fais-tu de nos supplices Te* ptus chi?res douceurs ? Nos tounuf^ns font-ils tes délices? Te nourris-tu de nos pleurs? Amour, amonr , les cruelles fureurs , Tes injustes caprices , Ne cesseront-ils point de tourmenter les copurs ?

. CARIME.

Quel bruit ici 5e fait entendre ! Quels cris ! Quels sons éliucelans !

D I G I Z É. Du caci(pic en fureur les transports vioîrns . . Si c'était lui... Grands dieux î quose-l-tl entrcprendi

ACTE fil, SCÈNE II

! bruil redouble , licUs ! pcul-vlre il va périr. Ciel , juite ciel, daigne le secourir.

28y

* 0>^» entend des décharges de mousqueteric qui ae mêlent au ^_ bruil de l'orc/iestre* )

ENSEMBLC.

ll^âeux ! quel fracas ! quel Uruit ï quels eclaU de tonnerrt ! L-*^ joleil irrité reiiverse-t-il la terre ?

h SCENE 111.

JL*— *MB, 4uivide quelques guerriers , DIGIZÉ, CARIME.

COLOMB.

C*^>t assez. Épargnons de faibles ennemis. (^«.mMs sentent leur faiblesse avec leur eftclavage; X'%'<c tant de fierté , d'audace, et de courage ,

»1U n*cn seront ijuc plus puais. DIGIZÉ.

Cvuels ! qu'avez-vous fait J. .. Mais , 6 ciel I c'est lui-même ! SCÈNE IV.

ALV AJl , LE CACIQUE désarmé , et les acteurs précédens.

ALTAR.

Je l*ai surpris qui , seul , ardeut ^ et furieux , H Ccid-cbait à pcuctrer jusqu'en ces luèiuea lieux.

I COLOMB.

V l^Ac-le, que Toulais-tu dans ton audace extrême ? LE CACIQDE. 'Voir Digizé , t*immoIer , et mourir.

COLOMB. ^^ barbare fierté ne peut se démentir: W^Ls^ reponds , qu*a(!ends-lu de ma juste colère?

LS CACIQUE. Je n'allcnds rien de toïj va, remplis le» projets, r ils du soleil , de tes beureuxsiicci^s Rends grâce aux foudres de ton père , Dont il l'a fdit dépositaire. Sft&^ces foudres briMan>. ta troupe en ces climatt N*aurait trouve que le trépas. COLOMB.

Ainsi donc ton arrêt est dicté par toi-même.

CAaiMS. Calmez votre colère extrême ; kccordez aux remords prêts à me déchirer )c Jeux tendre» époux la vie cl la couronne. J'ai fait leurs uiaux, je veux tes réparer: Ou > si votre rigueur Turdomic , Avec eux je veux expirer.

«9

ogo

LA. DÉCOT7VERTE DU NOUVEAU MONDE,

COLOMB. Daignpnl-ils recourir h la moindre prière? LE CACIQU e. Vainement ton orgueil l'espère, Et jamais mes pareils n'ont prié que les dieux.

CARI M K . à j4lvar. Obtenez ce bïenfait , si je plais à vos j^eux.

C A RIME, ALVAR, DIGIZC. Excusez deux époux , deux amans trop sensibles ; Tout leur crime est dans leur amour.

Ah ! si vous aimiez un jour, Voudripz-vous à voire tour Ne rencontrer que des cœurs inflexibles? C A R I M E. Ne TOUS rendrez-vous point ?

COLOMB.

Allez , je suis vaincu. Cacique malheureux , remonte sur ton trône.

( On lui rend son épèç, ) Reçois mon amitié , c'est un bien qui t'est dû. Je sonçe , quand je te pardonne , Moins à leurs pleurs qu'à ta vertu. ( à Carime» ) Pour ers tristes climats la vôtre n'est pas née. Sensible aux feux d'Alv-ir , daignez les couronner. Vrnez montrer Texpiriplr :i rK«vpagnp étonner , Quand on pourrait punir, de savoir pardonner.

LE CACIQUE.

Cest toi qui viens de le donner ; Tu rae rends Dicizé , tu m'as vaincu par elle. Tes armes n'avaient pu domler mon co'ur rebelle ,

Tu Tas soumis par tes bienfaits. Sois sûr, dès cet ini^tant , que tu n'auras jamais D'ami plus empressé , de sujet plus tîdèle.

COLOMB. Je te veux pour ^iini , sois sujet d'Isabelle. Vante-nous désormais Ion éclat prétendu,

Europe: en ce climat sauvage.

On éprouve autant de courage ,

On y trouve pliis de vertu.

O vous , que des deux bouts du monde

Le destin rassemble en ces lieux , Venez, peuples divers, former d'aimables jeux :

(fuli vos concerts l'écho réponde :

Enchantez les ccnnrs et 1rs yeux.

Jamais uue plus digne fête

ACXe lUt SۃNE IV. ^ agi

Nos jeux soDt ]?â enfans des arts^ Et le monde en est \a conquête. fiâtes-Tous, accotjreï , veneat de toutes parts ^ G TOUS que des deux bouts du. ctoude Le destin rasseniliTe en ces lieux ^ ^

Venes former d'aimablei jeux.

SCÈNE V.

LES ACTEURS PRËCËDENS, PEUPLES ESPAGNOLS ET AMÉRICAINS.

' CHGBUa.

Acconrons , «cconrons, formons cTaîmables jciixi

£[*k nos concerts l'écho réponde : chantons les cœors et les yenx.

UN AMiHICAIN.

n n'est point de ceeur sanyage Pour l'arnoor j Et dès qu'on s^engage En ce séjour , Cest sans partage. Point d'autres plaisirs

8 ne de douces chaînes: os uniques peines Sont nos vains désirs ,

Siand des inhumaines usent nos soupirs.

n n'est point , etc.

UNE ESPAGNOLE.

Voguons, Parcourons , Les ondes , Nos plaisirs auront leur tour. Découvrir De nouveaux mondes , C'est ofirir De nouveaux myrtes k l'amour.

Plus loin que Phébus n'étel&d

Sa carrière,

- Plus loin qu'il ne répand

Sa lumière ,

L'amour fait sentir ses feux.

Soleil , tu fais nos jours ; l'amour les rend heureux.

YoguoDS y etc.

^ LA DÉGOUYERTE DU NOUYSAU MONDE.

CRdUR. Répandons dans tout l'univers Et no9 trésors et l'abondance , Unissons par notre alliance Deux mondes séparés par Fabtme âe$ mers.

JiR

ajouté à iafiH du traiaième acte, DIGXZÀ.

TrioiBpbe , amour , r^ne en ces lieux ; Retonr de mon bonheur , doux transports de ma flamme , Plaisirs charmans , plaisirs des dieux y Escbantec y «nivrez mon ame ; Coules, torrens délicieux. ^

Fille de la vertu , tranipiillité cbarmanfte , Tu n'exclus point des coeurs l'aimable volupté. Les doux plaisirs font la félicite, ,

Mais c'est toi qui la rends eoastaote*

FIEf DB LA DÉCOUVERTE DU NOUVEAU MORDE.

FRAGMENS

D'IPHIS,

TRAGÉDIE,

pour l'acadAnie royale de miuiqae.

ACTEURS.

Ohtule, Toid'Élide.

Ph iLoxis , prioce de Mjcènes.

Ahaxarette, fille du feu roi d'ÉIide.

É L I s E y princesse de la cour d'OrtuIe.

Ipbi s , officier de la maison d'OrtuIe.

O R Â N E , suivante d'Élise.

17 N c H E F des guerriers de Philoxis.

Choeur de guerriers.

C B OE u R de la suite d'Anaxareftte.-

Ch OEU R de dieux et de déesses.

C H QE 0 R de sacrificateurs et de peuples.

C B oE u R de furies daiifintes.

FRAGMENS

D'IPHIS.

J^e théâtre reprèsenU un rivage , et dana U fond une mer couverte de vaUseaux.

SCÈNE PREMIÈRE. ÉLISE, ORANE.

ORANE.

"b IN CESSE, enfin votre joie est parfaite; Rien ne troublera plus vos fpux. Pliilovis<)e retour, Philoiis amoureux, Vient d'obtenir du roi la Tu«in d^Anaxarette; Elle consent sans peine à ce choix glorieux; L*aspecl d*un souverain puissant , victorieux, Eflace dans son cmur la plus vive tendresse : Le trop constant Iphis nVst plus rien k ses^enz, La seule grandeur Tinteresse.

KLIS F.

En vain tout parait conspirer A favoriser ma flamme ; Je n'ose point encor , cher Orane , espérer Qu'il devienne spnsible aux lourmensde mon ame: Je connais trop Iphis, je ne puis m'en flatter. Son cïjpur est trop constant, son amour est trop tendre :

Non , rien ne pourra l'arrêter : Il saura même aimer sans pouvoir rien prétendre.

o B A N E. £h quoi ! vous penseriez qu'il osât refuser Uo cœur qui bornerait les vœux de cent monarques?

ÉLISE.

Hélas! il n'a déjà que trop su mépriser

De mes feux les plus tendres marques. ORANE.

Pourrait-il oublier sa naissance , son rang, Et l'éclat dont brille le sang Duqoiel les dieux vous ont tait naître ?. ÉLISE.

Quels que soient les aieux dont il a reçu Têtre y

Iphis satt mériter un plus illustre sort, Et , par un courageux effort ,

Se frayer le chemin d'une cour plus brillante^

2^ IPHIS.

Ses aimabln verhi», sa valc»r éclatante « Ont su lui captiver mon cœur.

Je me fprais honnrur D'une semblable faiblesse, Si , pourrépon<îre ii mon ardeur « l/ingrnt rniploYait fia tendresse : Mais , peu loucué de ma grandeur , £t moins encor de mon amour extrême y l) a bpau savoir que je Taime , Je nVii suis pas mieux dans son cœur. Il ose soupirer pour la fille d'Ortulc : Elte-même, jusqu'à ce jour , A su partager sou amour j Et , malgré sa fierté , malc^ré tout son scrupule^ Je l'ai vu s'attendrir cl Taimerà sou tour. i>eule de son secret je tiens la confidence , Elle m'a fait l'aveu de leurs plus tendres feni.

Oh I qu'une telle confiance £st dure k supporter pour luon cœur amoureux ! ORAN E. Qocl aue soit l'excès de sa flamme , Elle brise aujourd'hui les nœuds \e?i i>lu& charnians. Si l'amour régnait bien dans le fond de son ame , Oublierait-elle ainsi les vreux et les serracus ? Laissez a»tr le temps , laissez aeir vos cbarmc»^ Bientôt Ipliis , irrité def mépris De la beauté dont son crur est ëprîft| Va vous rendre les armes.

Pour finir vos peine» Amour va. lancer ses traitA. Faites briller vos attraits , Formez de douces chaînes. Pour finir vos peines Amour va lancer ses Iraîts. ÉLISE. Orane , malgré moi la craiute m'iatîinide. Hélas ! je sens couler mes pleurs. Iphis , que tu serais perfide , Si , sans les partager, tu voyais mes douleurs ! Mais c'est assez tarder ; chcrchotis Anaxarette t Pbiloxis en ces lieu» lui prépare nne fcte. Je dois l'accompagner. Oranc , suivez-moi.

SCÈNE IL

IPni$, éeul. Amonr , que de tourmens j'endure sous ta loi l Que mes maux M>nt crueU! ({iie ma peiye esl eiln-me !

SCÈNE II. 997

Je crains perdre ce que j*aime ; J'ai beau m'assurer sur son cœur , Je sens , hélas ! que son ardeur M'est une trob faible assurance Pour me renare mon espérance. Je vois déjà sur ce rivage Un rival orgueilleux , couronne de lauriers, Au milieu de mille guerriers , Lui présenter un doux hommage : En cet état ose-t-on refuser

Un amant tout couvert de gloire? Hélas! je ne puis accuser Que sa grandeur et sa victoire. De funestes pressentimens Tour-à-tour dévorent mon ame ; Mon trouble augmente à tous momens. Anaxarette... Dieux... trahiriee-vous ma flamme? jiir. Quel prix de ma constante ardeur Si vous deveniez infidèle ! Élise était charmante et belle , J'ai cent fois refusé son cœur. Quel prix de ma Constante ardeur , Si vous deveniez infidèle !

SCÈNE III. LE ROI, PHILOXIS,

IK ROI.

Prince, je vons dois aujourd'hui

L'éclat dont brille la covrotine ;

Votre bras est le seui appui ^

Qui vient de rassurer mon trône : Vous avez terrassé mes plus fiers ennemis.

Tout parle de votre victoire. Des sujets révoltés voulaient ternir ma gloire.

Votre valeur }t$ a soumis ; Jugez de la grandeur de ma reconnaissance Par Texcès du bienfait que j'ai reçu de vous. Vous possèdes déjà la suprême puissance ;

Soyez encor heureux époux.

Je dispose d'AnaxareCte ; Ortule , en expirant , m'en laissa le pouvoir. Philoxis , si sa main peut flatter votre espoir , A former cet hjrmen aujourd'hui je m'apprête.

PHILOXIS.

Que ne vous dois-je point , seigneur ! Que mes plaisirs sont doux , qu'ils sont remplis de charmes ! Ah ! rhewenx mccet de mes armes

198 ÎPIIIS.

Est bien paye par un si graud Loulieur !

Tendre amour, aimable espérance, Ré|^neK à Jamais dans mon crrnr. Je vois récompenser la plus parfaite ardeur, Je reçois aujourd'hui le prix de ma constance. Ce que j'ai senti de souffrance N'est rien auprès de mon bonheur. Tendre amour, aimable espérance y Régner à jamais dans mon coeur j Je vais posséder ce que j'aime; Ah ! Phitoxis est trop heureux! LK B 01. Je sens une joie extrême De pouvoir combler vos vocui. ENSEMBLE. La paix succède aux plu& vives alarmes , Livrons-nons aux phis doux plaisirs; Goûtons ,, goùlons-en tous les charmes^ Nous De formerons plus d'inutiles désirs. LK a 01. La gloire a couronne vos armes, Et Thymen en ce jour couronne vos soupirs. KN SEMBLE. La paix succède, etc.

LK BOI.

Prince , je vais pour cet ouvrage Tout préparer des ce moment j Vous allez être heureux amant: C'est le fçuil de votre courage.

PHTLOXIS.

El moi, pour annoncer en ces lieux mon bonhenr, Allons , sur mes vaisseaux triomplmnt cl vainqueur , Des dépouilles de ma connuéle Faire un hommage .lux pieds d*Anaxarelte.

SCÈNE VL

ANAXARETTE, aeuU. Air, Je cherche en vain â dissiper mon trouble; Non, rien ne saurait l*apaiser : J'ai beau m'y vouloir opposer, Malgré moi ma peine redouble.

Enfin il est donc vrai , j'épouse Philoxis , Et j'ai pu consentir à trahir ma tendresse ! C'est inutilement que mon rn?ur s*intérrsso Au bonheur de l'aimable Ipbis i

SCENE IV. 299

Fallait-il , dieux pui»sans, qu'une si douce flamme, Dont j'attendais tout mon bonheur, N'ait pu passer jusqu'en mon ainr ^

Ssns offenser ma gloire et mon honneur?

Je cherche en vain , etc.

Je sens encor tout mon amour, Quoi que pour rétoulfer Tambilion m'inspire,

Et je m'aperçois qu'à leur tour Mes yeux versent des pleurs , et que mon cœur soupire.

Mais quoi! pourrais-je balancer? Pour deux objets puis-ie m'intéresser? L*un est roi triomphant, rautre ani^int sans naissance : Ah! sans rougir je ne puis y ponser, Et j'en sens trop la différence Pour oser encor hésiter.

Non , sachons mieux nous acquitter Des lois que la gloire m'impose : Kégnons , mon rang ne me propose Qu une couronne à souhaiter ; £t je oe serais plus digne de la porter Si je désirais autre chose.

SCÈNE V.

ELISE, ANAXARETTE, suite d'anixarettb gui entre avec Elise.

ÉLISE. Pbiloxis est enfin de retour en ces lieux , Il ramène avec lui l'amour et la victoire ; Et cet amant , comblé de gloire , En vient faire hommage à vos veux; Ces vaisseaux irioniplians, autour de ce rivage,

Semblent annoncpr se* exploits.

Nos ennemis vaincus et soumis à nos lois

Sont des preuves de son courage.

Princesse, dans cet heureux jour

Vous allez parlaeer l'éclat qui l'environne:

Qu'avec plaisir on porte une couronne,

Quand on la reçoit de Tamour I

ANAXARETTE.

Je sens l'excès de mon bonheur extrême , Et je vois accomplir mes plus tendres dé:iirs. liélaï ! tjue ne puis-je de mcrae Voir finir mes tendres ioupirs ! ( On entend eU^ trompettes vt des timbalea derrière le théâtre. ) Mais qu'entends-jp ? quel brnit de guerre Vient en ces lieux frapper les airs ?

3oo ipnis.

à L I s K.

Quels sons harmonieux ! quels éclatans concerts !

ENSEMBLE.

Ciel ! quel auguste aspect parait sur cette terre ! SCÈNE VI.

Ici quatre trompettes paraUseni sur le théâtre ^ euivis tFtm . grand nombre ai guerrière vêtuê magnifiquement.

ANAXARETTE, ÉLISE, suite d'anaxarbtte ,

CHEF DES GUERRIERS, CHOEUR DE GUERRIERS.

LE CHEF dee guerrUre , àAnasaretU, BecevcK , aimable princesse , L'hommage d'un amant tendre et respectueux.

C'est de sa part que , dffns ces heux , Nous venons vous ofirir ses voeux et sa richese. ( En cet endroit on voit entrer , au aon des trompettes , plusieurs guerriers , ifétus légèrement , qui portent des présens inagni^ fiques à la fin desquels est un beau trophée ; ils forment une marche, e^vont en dansant offrir leurs présens à la princesse y pendant que le chef des guerriers chante, ) LE c u X F des guerriers, Bëgnez k jamais sur son cœur « Partagez son «monr extrême , Et ^ae de M flamme même Puiâse naître votre ardeur 1 Et vous , guerriers , chantoai l*heârease chttns Qui va couronner nos voenx ; Honorons notre souveraine , Sous ses lois vivons sans peine; Soyons k jamais heureux.

GHCsnii des guerriers. Chantons , chantons l'heureuse chaine

Qui va couronner nos vœux ; Honorons ngtre souveraine , Sous ses lois vivons sans peine; Soyons à jamais heureux.

ÉLISE.

Jeunes cœurs , en ce séjour Rendez-vous sans plus attendre , Craignez d'irriter ramour. Chaque cœur doit à son tour Devenir amoureux et tendre. On veut en vain se défendre , Il faut aimer un jour.

FIN DES FRAGMENS d'ip'hIS*

COURTS FRAGMENS

DE

LUCRÈCE,

TRAGÉDIE EN PROSE.

ACTEURS.

LUCRÈCE.

coLLATiif , mari de Lucrèce. LUCRÉTivs, père de Lucrèce. SEXTUS, fils de Tarquin.

BRUTUS.

PAULINE, confidente de Lucrèce. suLPiTius, confident de Sextus.

Mm êcin0 eti à Ram*.

COURTS FRAGMENS

DE

LUCRÈCE.

SCENE PREMIERE. LUCRÈCE. PAULINE.

PAUtINK.

f^^B pardoniierez-vous une sincérité <^ne je vous dois? Rome M VU »\ei: applaudLssenienl votre première destination; tous les -voeas du peuple, ainsi que le choix de Tarquin, vous uni&saient À 6oa successeur. Quel autre, disait-on, que l'héritier de la couronne , serait digne de posséder Lucrèce? Qu'elle remplisse nn tr^ne qu'elle doit honorer î qu'elle fasse le bonheur de Sextus, pour qu'il apprenne d'elle â faire celui des Homains!

Tout changea, au grand désespoir du prince, contre le gré du roi, du peuple , et ce serait olleiiser votre raison de ne dire pAs de vous-même. Votre inilexible père rompit un mariage uui devait faire le plus ardent de ses vo?ui; Coltatin, bourgeois ae Rome , obtint le prix dont Scxtus s'était vainement Halte. . .

n'ose vous parler du plus amoureux ni du plus aimable^ jnats il est impossible que vous ne sentiez pas, malgré vous- même, lequel des deux méritait le mieux un tel prix.

LUCRÈCE.

Songez que vous parlez à la femme de Collatîn , et que, puis- qu'il est mou époux, il fut le plus digne de l'être.

PAULl N C.

Je dois penser là-dessus ce que vous m'ordonnerez de croire ; maïs le public, jaloux de la seule liberté qui lui reste, et dont les jugemens ne sont soumis â personne, n'a pas donné au choix de Lucrélius la même approbation que vous. Le moyen de n'être pas diAicile sur le mérite de quiconque osait prétendre à Lucrèce? L*on trouvait à tous égards Collatin moins pardon- nable en cela que Sextus; et votre délicatesse ne doit pas s'of- fens/*r »i le public n peine à croire que vous pensiez sur ce point autrement qu'il ne pense lui-même.

LU CR Èce.

Que le peuple connaît mal les hommes , et qu'il sait mal placer son estime !

3o4 FRAGMENS

1>AULINS. Je cratni que votre gloire n'ait plus à souffrir de cette sene excessive qu'elle ne ferait de Vexcès contraire , et (^n^on n'attribue plutôt le goût d'une vie si solitaire et si retirée m regret de Tèpoux que vous ave?, perdu qu'à rameur de celui que vous possédei-

et je crains qu*on ne vous soupçonne de prendre contre un rwie de penchant des précautions peu digues de votre grande aœe.

LUCRÈCE.

J'aperçois un étranger. Dieux 1 que vois-je?

PAU LIT* E. Coât Sulpitius, un affranchi du prince.

LUCRÈCE. De Sextus? Que vient faire cet homroe en ce» h'eux?

SCÈNE IL LUCRÈCE, PAULINE, SULPITIUS.

SDLPITIUS.

Vous avertir, madame , de la prochaine arrivée de votrt époux , et vous remettre une lettre de sa part. LUCRÈCE. Delà part de qui?

SULPITIUS. De Collatin.

LUCRECE. Donner, {àpartj) Dieux! Pauline.'^ LUez.

PAULIJf E ^U. « Le roi vient de partir pour un voyage de vingt-quatre H heures qui me laisse le loisir d'aller vous emhrasser. Il n'est » pas nécessaire d'ajouter que j'en profile , mais il Tesldevonf » avcrlir que le prince ^extus souhaite de m'accompagnff. » Failes-iui donc préparer un logement couvenahie : songffv '■ en recevant l'herilier de la couronne , que c*e»t de lui » dépond le sort et la fortune de voire époux, u LUCRÈCE, à Pauline. Faites ce qu'il faut pour recevoir le prince. ( à Sulpitius. ) Dites à Collatin que c'est à regret que je ne seconde pas mieux se« in- tentions ; et, en lui parlant de l'état d'ahatteuient oli je wk depuis deux jours, ajoutez que uia santé dérangée ne inc pennet ni d'agir, m de voir personue que lui seul

(a part.) Dieux qui voyez mon co'ur, éclairez ma raison : fait tjue je ne ceske point d'être vertueuse; vous saves bien q je veux l'être, et je le «erai toujours ù voiu le voulez que moi.

DE LUCRECE. SCÈNE

\0'j

Ara

PAULINE, SULPITIDS.

s u L p r T I D s.

Eh bîpn ! Paoline , que vous semble du trouble de Lucrèce k la nouvelle de l'arrivée du prince? et d*oii cro^ez-voua que lui Tiendraient tout d'aUrmei , «i ce u'étail de son propre cœur?

PACLI N £.

ie craînA bien que nous ne nouji soyons trop pressé» de juger

Lucrrce- Ah 1 croyez-moi, Sulpitius^ ce n'eu pas une anie qu'il

LjU* mesurer sur les nôtres. Vous savex qu'eu entrant dans sa

Ti je peu&ais comme vous sur ses inclinations; que je me

» , d'accord comme je IVspérais avec son propre cœur, de

:er facilement les vues du prince. Depuis que j'ai appris à

■....^itrc ce caractère doux elseusiblCf mais vertueux et mé-

liranlaJsle , je me suis convaincue que Lucrèce , pleinement mal-

Iretfte de ftoo coeur et de ses passions, n'est capable de rien aimer

^uc son «poux et &on devoir.

SULPITIUS.

Me croyeB-voni U dupe de ces grands mots? et avee-vous 0«blté que, selon moi , devoir et vertu ne sont que des leurres ■ux dout les hommes adroits savent couvrir leurs intérêts? tnne ne croit À la vertu, mais chacun serait bien aise que ■uCres y crussent. Pensez que Lucrèce ne saurait tant aimer devoir qu'elle n'aime encore plus son bonheur; et je suis bien trotnpé dans mes observations, si jamais elle peut le trouver aatremeui qu'en faisant celui de Sextus.

PAU LIN E.

Je crois me connaître en sentimens, et vous deves mieux que ^r«i)niie me rendre justice à cet égard. J'ai sondé les siens atrc un sotD digne de l'intérêt quV prend le prince qui nous rjunlolCj et avec toute l'adresse nécessaire pour ne lui point n«raitro suspecte; j'ai exposé son co-ur à toutes les épreuves les fiât ci^re» et contre lesquelles U plus profonde dissimulation tu Ir moins en garde : tantôt je l'ai plainte de ce qu'elle avait p«rdu, tantôt je Tai louée de ce qu'elle avait préféré; tantôt RjttAnt la vanité , tantôt olVensant l'amour-propre, j'ai tâché 4*r<ciler tour-à-tour sa jalousie, sa tendresse; et toutes les fuis ^^'.1 -. .:?,; question de acxtus , je l'ai toujours trouvée aussi u [ne sur tout autre sujet , et toujours prête également

I ccrtiiiitir:r ou cesser la conversation, sans apparence de plaisir ou de peine.

SUtPlTITfS.

Il faut donc, malgré toute la tendresse dont vous me flattez , qu« mon coeur se connaisse mieux en aiuour que le vôtre, car j rn ai plus vu dans le moment oia je viens d'observer Lu- r, I- vous n'avez fait depuis six mois que vous êtes à

K , '■ t et rémolion que lui vient de causer le keul doux

3o6 FRAGMENS

lie Scxtus me fait juger de celle qu'a dîk lui causer sa vue au- trefois.

FAULINS.

Depuis deux jours sa santé est tellement altérée que l'esprit

i*en ressent; et ses seules langueurs ont vraisemblablement pu produire l'eflet que vous attribues à la lettre de son mari. J'avoue que mes observations peuvent me tromper , mais trop de pé- oétratioa ne vous tromperait-elle point aussi?

SULPITXnS.

Nous devons dn moins désirer que Terreur ne soit pas de mon c6lé, et fomenter ou même allumer un amour d*où dépend le bonheur du nôtre : vous savez que les promesses de Sextus sont au prix du succès de nos soins.

PAULINE.

Nous devons chercher nos avantages dans les faiblesses ceux que nous servons. Je le sens d autant mieux que , notre union ayant été mise à ce prix , mon bonheur dépend du succès. Mais l'intérêt que nous avons à profiter de Terreur d'autrui ne nous porte point à nous tromper nous-mêmes, et Tavantage que nous devons tirer des, fautes de Lucrèce n'est pas une raison d'espérer qu'elle en fasse : d'ailleurs je vous avoue qu'après avoir vu de près cette aimable et vertueuse femme je me trouve moins propre que je ne m'y attendais à seconder les desseins du prince. Je croyais.... Sa douceur demande tellement grâce pour sa sagesse , qu'à peine aperçoit-on les charmes de son ca- ractère qu on perd le courage et la volonté de souiller une eme si pure.

Je continuerai de servir Sextus comme vous l'exigez (i); il ne tiendra pas à moi que ce ne soit avec succès : mais ne serait^ ce pas vous tromper que de vous promettre de tous mes soins plus d'effet que je n'en attends moi-même? Adieu ; le temps s'écoule; il faut aller exécuter les ordres de Lucrèce. Quand prince sera venu , au premier moment de liberté que j'aurai y j'aurai soin de vous en faire avertir

SCÈNE

BRUTUS, COLLATIN.

BE 0 TU s , prenant et serrant CoUatin par la main. Crois-moi , CoUatin , croîs que Tarae de Drutus , aussi fière que la tienne , trouve plus grand et plus beau d'être compté parmi des hommes tels que nous, fût-ce même au dernier rang, que d'être le premier â la cour de Tarquin.

COLLAT IN.

Ahl Brutus, quelle différence! Ta grandeur est toute aa (i) C«t endroit est cluirgtf de raturas.

DE LUCRECE. 307

fond de ton ame , et j'ai besoin de chercher la mienne dans

la fortune

•• ' ....^

SCÈNE

SEXTUS, SULPITIUS.

SSXTUS.

Ami , prends pitié de mes égaremens , et pardonne mes dis- cours insensés; mais compte sur ma docilité pour tous tes avis. Tu me vois enivré d'amour au point que je ne suis plus capable de me conduire. Supplée donc à cet oubli de moi-même , con- duis les pas de ton aveugle maître, et fais qu'avec mon bon- benr je te doive le retour de ma raison.

SDLPITI0 8.

Songez que nous avons ici plus d'une sorte de précautions à prendre, et que l'arrivée du père de Lucrèce doit nous rendre encore plus circonspects. Je vous t'ai dit, seigneur, je soupçonne tt'wojaiee avec Brutus de renfermer quelque mystère : j'ai cru voir, à rair dont 41s nous observaient , qu ils craignaient d'être observés eux-mêmes ; j'ignore ce qui se trame en secret , mais Lacrétius nous regarde de mauvais œil. Je vous avoue que ce Brutus m'a toujours déplu (i).

Ah! seigneur, pl^t au ciel! mais... Pardonnez si mon zèle inquiet me donne une défiance que votre courage dédaigne , mus utile à votre sdreté et peut-être à celle de l état.

SEXTUS.

Ami, que de vains soucis! Mais seulement que je voie Lu- trèce, je suis content de mourir à ses pieds : et que tout l'uni- vers périsse (2) !

SULPITIUS.

Elle met ses soins k vous éviter... Cependant vous la verrez; le moment vient d'en être pris. Au nom des dieux! allez l'at- tendre, et me laissez pourvoir au reste.

SCÈNE

SULPITIUS, ««/. Jeune insensé ! nul n'a perdu la raison que toi-même , et mon malheur veut que mon sort dépende du tien. Il faut absolu- ment pénétrer les desseins de Brutus : un secret entretien oii CoUatin a été admis me donne quelque espoir de tout apprendre par cet homme facile et borné. J'ai déjà su gagner sa confiance : qu'il soit l'aveugle instrument de mes projets; que je puisse éventer par lui les complots que je soupçonne j qu il me ser>'e à monter au plus haut degré de faveur ; qu'il livre sans le sa-

(1) Ces deux couplets sont effacés par un trait dans le maoDKrit ori-

Sin>l*

(3) II y a dans ces deux couplets beaucoup de ratures qui les rendent presque indéchiffrabirs.

3(iS FRAGMENS

voir sa femme au prince; qu'enBn l'amour , épuisa par la pos- session y me laisse la facilite d'écarter le mari et de rester seul maître et favori de Sextus, et de soumettre un jour sous son nom tous les Romains à mon empire (i).

SCÈNE

PAULINE, SULPITIUS.

PAULINE.

Non, Sulpitins, c'est vainement que j'aurais parle; elle veut point voir le prince; et ce qu'elle a refusé aux raisons de Collatm , elle ne l'aurait pas accordé aux prétextes que vous m'avez suggérés. D'ailleurs, chaque fois que je voulais oavrir la bouche, sa présence m'inspirait une résistance invincible. Loin de ses yeux je veux tout ce qui vous plaSt , mais devant elle je ne puis plus rien vouloir que d'honnête.

SVLPITIUS.

Puisqu'une vaine timidité l'emporte , que mes raisons ai votre intérêt n'ont pu vous déterminer à parler , il ne nous reste qu'à ménager entre eux une rencontre qui paraisse iio- prévue

SCÈNE

LUCRÈCE, seule.

Cruelle vertu, quel prix nous ofires-tu qui soit digne dea

sacrifices que tu nous coûtes? la raison peut m'égarer à ta

poursuite , mais mon coeur me crie qu'il faut te suivre , et je te

suivrai jusqu'au bout

SCÈNE

LUCRÈCE, PAULINE.

LUCRÈCE

Ne* vaut-il pas mieux qu'un méchant meure, que mon père soit obéi, et que la patrie soit libre, que si , à force de pitié, Lucrèce oubliait sa vertu?

LUCRècB, rentrant, Pauline, ^un ton froid , maiê un peu altéré,) Secourez ce malheureux.

SCÈNE

SEXTUS, seul. Je ne sais quelle image sacrée se présente sans cesse entre elle et moi. Dans ces yeux si doux , je crois voir un dieu qui m'épou- vante; et je sens, aux combats que j'éprouve en la voyant, que

(i) Le manuscrit est très-chargé de raturps.

DE LUCRÈCE. Sog k^ pudeur n'est pas moins céleste que sa beauté. 7 7

SCÈNE

SEXTUS, «eu/. 0 Lucrèce! ô beauté céleste, cbarme et supplice de mon infime coeur! ô vertu digne des adorations des dieux, et souillée par le plus vil des mortels !

SCÈNE

LUCRÈCE. Juste ciel! un hcMnme mort! Hélas! il ne souffire plus, son tne est paisible. Ainsi dans deux heures.... O innocence! ou est ton prix? O vie humaine! oix est ton bonheur?.... Tendre tt malheureux père !... Et toi qui m'appelais ton épouse !... Àh\ fêtais pourtant vertueuse

SCÈNE

LUCRÈCE. Monstre! si j'expire par ta ra^ , ma mort n*est pour toi qu^un iMnveau forfait 5 et ta main mf&me ne sait punir le crime ^'après l'avoir partagé (>).

f 1) F»r le désordre qui règne dtns cet derniè^ea scènes on peut se fiûre ^IM idée de celai qui existe dam le manuscrit.

rin 0ES FR&GHENS DE LUC&ëCE.

QUATRE LETTRES

A M. LE PRÉSIDENT

DE MALESHERBES

SOMMAIRES

DBS QUATRE LETTRES X M. LE PRÉSIDEKT DE MÂLE5HERBES.

SoBOfAiRE de la première lettre. page 3i5

Ronneaa hait toarerainement l*in)aitice. Il Mt ni paretteux et pour la •olitnde , de torte qu'il ue ae fût pas crn trop malbeareux k laBastille. Son T«a est d*étre conna des hommes tel qu'il est.

Sommaire de la seconde lettre, 3i6

Jean- Jacques STone k M> de Malesberbes qu'il est aveo an tempérament ardent^ très-facile â s'affectrr et sensible à l'excès. 11 va voir Diderot , répand des larmes dans l'allée de Vincennes, et y médîle son premier discours coatonué k Dijon. Motils qui liû font quitter ^ris.

Sommaire de la troisième lettre. 3 19

n se plaint de sa aanté. Consolations qn'il éprouve au milieu de ses manx. Ses plaisirs à la campagne. Ses promenades.

Sommaire de la quatrième lettre. 33a

Bonssean lait beauQonp de cas djss cuUÏTatenrs deli^nlroor«acx,.maj'« trèi-peu des académiciens. Malgré son aversion pour les granoB , il aime sincèrement le maréchal de Monlmorenci , et donnerait sa tm pour lui.

QUATRE LETTRES

A M. LE PRÉSIDENT

DE MALESHERBES,

Coniertant le vrai tableau ilc mon caractère ^ et les vrais motijs th toute ma conduite.

PREMIERE LETTRE.

Montmorauci , le 4 jaurier 1763.

rAtJBA I « moins tarde , monsieur, à vous remercier de la der- nière lettre dont vous m'avez honoré, si j'avais mesuré ma dili- gence 1% répondre sur le plaisir qu'elle m*a fait. Mais , outre qu'il ku^en coûte beaucoup dVcrire, j*ai pensé qu'il fallait donner quelques journaux importunitésdeces temps-ci, pour ne vous pas accabler des miennes. Quoique je ne me console point de ce qui vient de se passer, je suis très-conteut que vous en soyez instruit, puisque cela ne m'a point 6lc votre estime; elle eu sera plus à moi quand vous ne me croire» pas meilleur que je ne suis,

Lea motifs auxquels vous attribuez les partis qu'on m*a vu prendre, depuis que je porte une espèce de nom dans le monde, rae font peut-^tre plus d'honneur que je n'en mérite; mais il* sont certainement plus près de la vérité y que ceux que me prêtent ces hommes de lettres qui , donnant tout â la réputation , jugent de mes sentimens par les leurs. J'ai un cœur trop sensible h d au- tre* attachemeus, pour l'être si fort à Topiniou publique; j'aime trop mon plaisir et mon indépendance pour cire esclave de la vanité , au point qu'ils le supposent. Celui pour qui la fortune et iV»poir de parvenir ne balança jamais un rendez-vous ou un souper agréable ne doit pa<« naturellement sacrifier son bonheur au désir de faire parler de lui; et il n'est point du tout croyable qu'an homme qui se sent quelque talent « et qui tarde jusqu'à quarante ans à le faire connaître ^ soit assez fou pour aller s en- nuyer te reste de ses jours dans un désert, uniquement pour ac- qu^ir la réputation d'uu misantrope.

Maïs « Monsieur, quoique je haïsse souverainement rinjuslicc et U méchanceté, cette passiou nVsl pas assez dominante pour JQC déterminer seule à fuir la société des hommes, si j'avais en les quittant quelque grand sacrifice à faire. Non; mon motif est moins noble , et plus près de mot. Je suis avec un amour na- turel pour la solitude , qui n'a fait qu'augmenter àmesureque j'ai mieux connu les hommes. Je trouve mieux mon compte avec 1rs ^Irw chimériques que je rassemble autour de moi, qu'avec ceux

3i4 PREMIÈRE LETTRE

ciifî je vois dans le monde ; et la société, dont mon înaaginatton fait les fraû dans ma retraite , achève de me dégoûter de toutes celles que j'ai quittées. Vous nie supposée malueureux et con- sumé de mélancolie. Oh , monsieur , combien vous vous trompcx l C'est à Paris que je Tétais; c*est à Paris qu*unc bile noire rongeait mon cœur , et ramertunie de cette bile ne se fait que trop sentir dans tous les écrits que j'ai publiés tant que j*y suis reste. Mais, monsieur f comparez ces écrits avec ceux que j'ai faits daiis ma soliludej ou je suis trompé, ou vous sentirez dans ces dernier» une certaine sérénilc d'ame qui ne se joue point , et sur laquelle on peut porter un jugement certain de Vélal intérieur de l'autetir. L'extrême agitation que je vienfc d'éprouver vous a pu faire por- ter un jugement contraire t mais il est facile k voir Que cette agitation n'a point son principe dans ma situation actuelle » mais dans une imagination dcréglce , prèle h s'effaroucher sur tout, et à porter tout rextrêine. Des succès continus m'ont rendu sensible à la gloire; et il n'y a point d'homme, ayant quelque hauteur d'aine et quelque vertu, qui pût penser , sans le plui mortel désespoir , qu'après sa mort on substituerait sous son nom, k un ouvrage utile, un ouvrage pernicieux , capable de désho- norer sa mémoire, et de faire beaucoup de mat. II se peut qu'un tri bouleversement ait accéléré le progrès de mes raaax;mais, dans la supposition qu'un tel accès de folie m'eût prisa Paris, il n'est point si^r que ma propre volonté n'eût pas épargné le reste de l'ouvrage à la nature.

Long-temps je me suis abusé moi-même sur la cause cet invincible dégoût que j'ai toujours éprouvé dans le conutiercedrft hommes; je Valtribuais au chagrin de n'avoir pas l'esprit asser. présent pour montrer dans la conversation le peu one j'en ai , et, par contre-coup, à celui de ne pas occuper dans le monde U

S lace que j'y croyais mériter. Mais quand, après avoir barbouillé u papier , j'étais bien sûr , même en disant des sottises , de n'i'trtî pas pris pour un sot ; quand je me suis vu recherché de tout le monde, et honoré de beaucoup plus de considération que ma plus ridicule vanité n'en eût ose prétendre; et que, malgré cela » j'ai senti ce même dégoût plus augmenté quediininué, j'ai conclu qu'il venait d'une autre cause, et que ces espèces de jouissance* n'étaient point celles qu'il me fallait.

Quelle est donc enfin cette cause? Elle nVst autre que cet in- domptable esprit de liberté, que rien n'a pu vaincre , et devant lequel les honneurs , la fortune, et la réputation m^mc, ne me «ont rien. Il est certain que cet esprit de liberté me vient moins d'orgueil que de paresse; mais cette paresse est incroyable; tout l'effarouche ; les moindres devoirs de la vie civile lui S'^nt insup- portables ; un mot a dire , une lettre à écrire , une vtsite à faire dès qu'il le faut , sont pour moi des supplices. Voilà pourquoi quoique le commerce ordinaire des hommes mc soit odieux , l'intime amitié m'est si chère, parce qu'il nv a Jplus de devoir.^ pour elle ; ou suit son cœur , cl tout Câl fait. Voilà encore pour

A M. DE MALESHERBES. 3i5

quoi j'ai toujours tant redouté les bienfaits; car tout bienfait exiçe reconnaissance, et je me sens le coïur ingrat, par cela seul «fuc la reconnaissance est un devoir. En un mot l'espèce de bon- lieur qu'il me faut n'est pas tant de faire ce que je veux , que de ne pas faire ce que je ne veux pas. La vie active n*a rien qui me tente: je consentirais cent fois plutôt 6 no jamais rien faire, qu'à faire quelque chose malffré moi ; et j'ai cent fois pensé que }e n'aurais pas vécu trop malaeureunâ la Bastille, n'y étant tenu k rien dn tout qu'à rester là.

J*ai cependant fait dans ma jeunesse quelques efforts pour par-' Tenir. Biais ces efforts n'ont jamais eu pour but que la retraite et le repos dans ma vieillesse j et comme ils n'ont été que par jecousse , comme ceux d'un paresseux, ils n'ont jamais eu le moindre succès. Quand les maux sont venus, ils m'ont fourni un beau prétexte pour me livrer à ma passion dominante. Trouvant tjuec était une folie de me tourmenter pour un âge auquel je ne parviendrais pas , j'ai tout planté , et je me suis dépêché de jomr. Voilà, monsieur, je vous le jure, la véritable cause de fclte retraite, à laquelle nos gens de lettres ont été chercher des moti& d'ostentation, qui supposent une constance, ou plutôt une obstination à tenir à ce qui me coûte, directement contraire à mon caractère naturel.

Vous me direz, monsieur, que cette indolence supposée s'ac- corde mal avec les écrits que j'ai composés depuis aix ans, et »vec ce désir de gloire qui a a\\ m'exciler à les publier. Voilà une objection à résoudre, qui m'oblige à prolonger ma lettre, et qui , par Conséquent , me force à la finir. J'jr reviendrai , mon- si^nr , SI mon ton familier ne vous déplaît pas; car, dans Té— panrhement de mon cœur, je n'en saurais prendre un antre j je me peindrai sans fard et sans modestie ; je me montrerai à vous tel que je me vois, et tel que je suis; car, passant ma vie avec loi, je dois me connaître, et je vois, par la manière dont ceux " pensent me connaître interprètent mes actions et ma con- . qu'ils n'y connaissent rien. Personne au inonde ne me It que moi seul. Vous en jugerez quand j'aurai tout dit. Ne me renvoyer point mes lettres, monsieur, je vous supplie; Wlet-Ies, parce qu'elles ne valent pas la peine d'être gardées, ttais non pas par égard pour moi. Ne songer pas non plus , de Vwt, à retirer celles qui sont entre les mains de Dnchesne. S'il «liait effacer dans le monde les traces de toutes nies folies, il y •wait trop de lettres à retii-er , et je ne remuerais pas le bout du «ÉjSft pour cela. A charge et à décharge , je ne crains point d'êtrr m tel que je suis. Je connais mes grands défauts , et je sens vive- "ttnt tous mes vices. Avec tout cela , je mourrai plein d'espoir Oinh le dieu suprême, et très-persuadé que, de tous les hommes "" ■'»! connus en ma vie , aucun ne fut meilleur que moi.

3i&

SECONDE LETTRE

SECONDE LETTRE.

Monlmorcnci^ le la janvier 1769.

Je continue, monsieur, à vous rendre compte de moi ^ puisqua j'ai conuneucé ; car ce qui peut m'être le plus défavorable est d'être connu à demi; et puisque mes fautes- ne m*ont point ôté votre estime, je ne présume pas que ma franchise me la doive Âter.

Une ame paresseuse qui s'eflraie de tout soin , un tempéra-- .yneot ardent, bilieux , facile à s'affecter , et sensible à l'excès k tout ce qui l'aflecte , semblent ne pouvoir s^allîcr dans le même caractère; et ces deux contraires composent pourtant le fond du itQÏen. Quoique je ne puisse résoudre cette opposition par des 'principes, elle cxisLe pourtant; je la sens, rien u est plus certain , et j'en puis du m.oins donner par les faits une espèce d'historique

Îiui peut servir à la concevoir. J'ai, eu plus d'activité dan-* l'en— ance, mais jamais comme un autre enfant. Cet ennui de tout m'a de bonne heure jctc dans la lecture. A six ans, Plularqueme tomba sous la main i à huit , je le savais par cœur ; j'avais lu tous les romans; ils m'avaient fait verser des seaux de larmes, avant Tàge oit le cœur prend intérêt aux romans. De se forma dans le raien ce goât héroïque et romanesque qui n'a fait qu'au^mentCC jusqu'à présent , et qui acheva de me déf;oiVter de tout , hors de ce qui ressemblait à mes folies. Dans ma jeunesse, que je croyait l^rouver dans le monde les mêmes gens que j'avais connus dans mes livres, je me livrais sans réscne à quiconque savait m'en im- poser par un certain jargon dont j'ai toujours été la dupe. J'é- tais actif, parce que j'étais fou ; à mesure que j'étAÎs détrompé^ je changeais de goûts, d'attachemens, de projets, et dans totii ces changemens je perdais toujours ma peine et mon temps, parce que je cherchais toujours ce qui n'était point. En docnint plus expérimente , j'ai perdu peu â peu l'espoir de le trouver , et par conséquent le zèle de le chercher. Aigri par les injustices qua ]'avais éprouvées, par celles dont j'avais été le témoin, souvent affligé du désordre oii l'exemple et la force des choses m entraîné moi-même» j*ai pris en mépris mon siècle et m* temporains : et, sentant que je ne trouverais point au milwa d'eux une situation qui put contenter mon cosur, ye l'ai peu à peu détaché de la société des hommes, et je m'en suis fait o^'^ autre dans mon imagination , laquelle m'a d'autant plus charmCi que je la pouvais cultiver sans peine , sans risque, et la trouver toujours sûre et telle qu'il me la fallait.

Après avoir passé quarante ans de mA vie ainsi mécontent « moi-même et des autres , je cherchais inutilement â rompre Itt liens qui me tenaient attaché à celte société , que j'estimMi *l }>eu , et qui m'enchaînaient aux occupations le moins de mon goût , par des besoins que j'estimais ceux de la nature » et qui

du

m

A M. DE MALESTiERBES. 317

■*ri«îent q«« ceux de l'opinion : tout à coup un heureux hasard Ttnl ro'cctairer sur ce <^ue j'avais à faire pour moi-même , et à |»en*er de mes sembUblrs , sur lesquels mon ccrur était sans ocrtf en coulrndiction avec mon esprit , et que je me sentais ffiic<>T6 porté il aimer , avec tnnl de raisons de les haïr. Je vou- draij , monsieur , vous pouvoir peindre ce moment qui a fait Jarj ma vie une b\ singulière époque , et qui me sera toujours présent quand je vivrais éternellement.

J'allais voir Diderot , alors prisonnier à Vincennes ; j'avais dans ma poche un mercure de France , que je me mis îk teuil- ieter le long du chemin. Je tombe sur la question de Tacadémie de Dijon , qui a donné lieu à mon premier écrit. Si jamais quel- f|oe %.iio»c a ressemblé à une inspiration subite , c'est le mouve- ment qui se fit en moi à cette lecture ; tout à coup je me sens reisprit ébloui de mille limiicres , des foules d'idées vive» s'y

Srëscntent k la foiâ avec une force et une confusion qui me jeta anA un trouble inexprimable ; je sens ma tcte prise par un ^toardis4ement semblable à l'ivresse. Une violente palpitation m'oppresse , soulève ma poitrine ; ne pouvant plus respirer en roarcbant , je me laisse tomber sous un des arbres de l'avenue , j'y pas«ie une demi-heure dans une telle agitation qu'en me cvant j'aperçus tout le devant de ma veste mouillé de mes armes , sans avoir senti que j'en répandais. Oh , monsieur , si j'avais jamais pu éfrire le quart de ce que j'ai vu et senti sous cet arbre , avec quelle clarté j'aurais fait voir toutes les contra- dictions du système social j avec quelle force j'aurais exposé tous les abus de nos institutions ; avec quelle simplicité j'aurais dé- montré que l'homme est bon naturellement , et que c'est par ces institutions seules que les hommes deviennent raéchans ! Tout ce que j'ai pu retenir de ces foules de grandes vérités, qui , dans un quart d'heure , m'illuminèrent sous cet arbre , a été bien £ajblement épars dans les trois principaux de mes écrits , savoir ce premier aiscours , celui sur l'inégalité , et le traité de l'édu- cation , lesquels trois ouvrages sont inséparables , et forment ensemble un même tout. Tout le reste a été perdu j et il n'y eut d'écrit sur le lieu même que la Prosopopée de Fabricius. VoiU comment , lorsque j'y pensais le moms , je devins auteur que malgré moi. 11 est aisé de concevoir comment l'attrait un premier succès , et les critiques des barl>ouiIIeurs me je- Icrent tout de bon dans la carrière, Avais-je quelque vrai talent »iir écrire? je ne sais. Une vive persuasion m'a toujours tenu icu d'éloquence , et j'ai toujours écrit lâchement et mal , quand je n'ai pas été fortement persuadé : ainsi c'est peut-être un re- tour caché d'amour-propre qui m'a fait choisir et mériter ma devise , et m'a si passionnément attaché h la vérité , ou à tout ce que j'ai pris pour elle. Si je n'avais écrit que pour écrire , je suis convaincu qu'on ne m'aurait jamais lu.

Après avoir uécouvert , ou cru découvrir, dans Ie< fausses opinions des hommes y la source de leurs misères et de leur mé-

voii ■frun

f

r

3i8 SECONDE LETTRE

chancelé, je sentis qu'il n'y avait que ces mêmes npitiions qwî lu'eus^eIlt rendu nialLcureux ipoi-mème , et que mes luaui et mes vices lue venaient bien plus de ma situation que de moi- même. Dans le même temps , une maladie , dont j'avais tVti l'enfance M?nli les premières attemte« , sVlant déclarée abfrolit* locut iucupable , malgré toutes les promesses des faux guéris- seurs dont je n'ai pas été long-temps la dupe , je jugeai que u je voulais être conséquent , et secouer une fois de dessns mi>s épaules le pesant joug de l'opinion » je n'avais pas un moment à perdre. Je pris brusquement luon parti avec assez de courage , et je l'ai assez bien soutenu jusqu'ici avec une fermeté dont moi seul peux sentir le prix , parce qu*il n'y a une moi seul qui sache queU obstacles j'ai eus , et j'ai encore tous les jours , à combattre pour me maintenir sans ce^se contre le courant. Je sens pourtatie bien que depuis dix ans j'ai un peu dérivé; mais, si j estiinai* seulement en avoir encore quatre à vivre . on me verrait donner une deuxième secousse , et remonter tout au moins à mon premier niveau , pour n'en plus guère redescendre; car toutes les grandes épreuves sont faites; et il est désormais déruoutré pour moi , par Texperience , que l'état oli je roc suis mis est le seul oii l'homme puisse vivre bon et heureux , puisqu'il est le plus indépendant de tous , et le seul oii on ne hc trouve jamais pour son propre avantage dans la nécessité de nuire ii autrui.

J'avoue que le nom que m'ont fait mes écrits a beaucoop facilité l'exécution du parti que j'ai pris. 11 faut être cru bon auteur , pour se faire mipunement mauvais copiste , et ne pas manquer de travail pour cela. Sans ce premier titre , on m'eût pu trop prendre au mot sur l'autre, et peut-être cela m'aurait- il mortihé ; car , je brave aisément le ridicule , mais je ne stip-* ]>orterais pas st bien te mépris. Mais si quelque réputation me donne à cet égard un peu d'avantage , il est bien compensé par tous les inconvéniens attachés à cette même réputation . quand on n'en veut point être esclave , et qu'on veut vivre isolé et in- dépendant. Ce sont ces iuconvénicns en partie qui m'ont chassé de Paris , et qui, me poursuivant encore dans mon asile, me chasseraient très-cerlameinent plus loin . pour peu que ma santé vînt k se raflermir. L'n autre de mes fléaux dans cotl* grande ville était ces foules de prétendus amis qui s'éiaienl emparés de moi , et qui , jugeant de mon cœur par les leun. voulaient absolument me rendre heureux à leur mode, ctnoo pas à la mienne. Au désespoir de ma retraite , ils m'y ont pnur- suivi pour m'en tirer. Je n'ai pu m'y maintenir sans tout rompfS* Je ne suis vraiment libre que depuis ce temps-lh.

Libre ! non , je ne le suis point encore ; mes dernier* ecnt» ne sont point encore imprimes ; et , vu le déplorable état de pauvre machine > je n'espère plus survivre ii l'impression du xt* cueilde tous : mais si , contre mon attente , je puis aller jusqur^ et prendre une fois congé du public , croyez , monsieur . qu'a* lors je serai libre, ou que jamais homme ne l'aura été. O uiinAtn^

A M. DE MALESHERBES. 319

joor trou foi» heureux I ^on , il ne me sera pas donoé de le voir.

Je n'ai pas toal dit , monsieur, et vous aurez peut-être encore au moins une lettre à essuvcr. ileureusemeut rien ne vous oblige d* les lire , et peut-être y seriez-vous bien embarrassé. Mais pardonnez . de grâce ; pour recopier ce:> loof^s fatras , il Cau- drail les refaire , el en vérité je n'en ai pas le courage. J'ai tùre^ ment bien du plaisir k vous écrire , mais je nVn ai pas moins à me reposer , et mon état ne me permet pas d'écrire long-temps 4e sujte.

TROISIEME LETTRE.

Mootroorpuci, le aG jinHer 1761.

avoir exposé, monsieur , les vrais motifs de ma con- duite, je voudrais vous parler de uion état moral daus ma re- ir.iitp. Mais je sens quM est bien tard ; mon ame aliénée d'elle- uï'iiip e^t toute â mon corps : le délabrement de ma pauvre luacbme Vy tient de jour en jour plus attachée, et juscju'à ce quVUr s'en sépare enfin tout à coup. C'est de mon bonheur que voudrais >'Ous parler , et Ton parle mal du bonheur quand on >uffre.

51e» maux sont Touvrage de la nature , mais mon bonheur Cft mien. Quoi qu'on en puisse dire , j'ai été sage, puisque j'ai été liciiiTux autant que ma nature m'a permis de l'être : je n'ai point été chercher ma félicité au loin ^ je l'ai cherchée auprès de moi , et l'y ai trouvée, Spartien dit que Similis , courtisan de înjin , ayant saus aucun mécontentement personnel quitté la cour et tous ses emplois pour aller vivre paisiblement À la campa- gne , Ul mettre ces mots sur «a tombe tj*ai demeuré ioixante et '*ii€ ant sur la terre , et j'en ai vécu nept. Voilà ce que je puis dire . â quelque égard , quoique mon sacrifice ait été moiaore : je ^M commencé de vivrcque 11* ^ avril lySô.

Je ne saurais vous dire « monsieur , combien j'ai été touché de Voir que vous m'estimiez le plus malheureux des hommes. Le pu- Wic ^ns doute en jugera comme vous , et c'est encore ce qui m af- ^e, Oh ! que le sort dont j'ai joui n'est-il connu de tout Tuni- ^! chacun voudrait s'en faire un semblable^ la paix régnerait liQr la terre ; les hommes ne songeraient plus â se nuire , et il n*v ~^Uatt plus de méchans quand nul n'aurait intérêt à l'être. Mais «<|Uûi jouissais-je en(în quand j'étais seul ? Do moi , de l'univers iher , de tout ce qui est , de tout ce qui peut être , de tout ce n'a de beau le monde sensible , et d imaginable le monde in- [Ilectucl : je rassemblais autour de moi tout ce qui pouvait llal- mon cœur; mes désirs étaient la mesure de mes plaisirs. Non , is les plus voluptueux n'ont connu de pareilles délices , et cent fois plus joui de mes chimères qu'ils ne font des réalités. >uand mc^ douleurs me font tristement mesurer la longueur

390 TROISIÈME LETTRE

des nuits, el que Vagilation de la fièvre m*empéclie àe ^ôÀt^riin ieiil instanl de soiaiucil , souvent je me distrais de mou état pr^ «ent , en songeant au\ divers cvènemcns de ma vie ; et les repen- tirs , les doux souvenirs , les regrets , l'attendrissement , se parta- gent le scinde me faire oublier (|uelcjue8moiueii$ mes soufîrancei. i^eh temps croiriez -vous , monsieur , que je me rappelle le

Î)lus souvent et le plus A'olontiers daus mes rèyes? Ce ne sont point es plaisirs de ma ieunes.se ; ils Furent trop rares, trop raélés d'a- mertume, et sont déji trop loin de moi. Ce sont ceux de ma re- traite, ce sont mes promenades solitaires , ce sont ces jours ra- pides, mais délicieux , que j'ai passés tout entiers avec moi seoj, avec ma bonne et simple gouvernante, avec mon chien bien aime, ma vieille chatte , avec les oiseaux de la campagne et les biches de la foret, avec la nature entière et son inconcevable auteur. £n me levant avant le soleil pour aller voir, contempler ion Ic- Ter dans mon jardin, quand je voyais commencer une belle jour- née, mon premier souhait était que ni lettres, ni visiter , n'en viussent troubler le charme. Après avoir donné la matinée k dî- Ters soins que je remplissais tous avec plaisir , parce que je pou* vais les remettre à un autre temps, je me h;\tais de dîner pour échapper aux importuns, et me ménager un plus long aprè»* midi. Avant une licure , même 1e*5 jours tes plus ardens , je net' tais par le grand soleil avec le fidèle Achale, pressant le pasuanf la crainte que quelqu'un ne vint s'emparer de moi avant que j*eus5e pu m'esquiver ; mais quand une lois j'avais pu doubler un certain coin , avec quel battement de ctcur , avec quel pétille-' !meut de joie , je commençais à respirer en me sentant sauvé, en me disant , me voilà maître de moi pour le reste de ce jour! 'J'allais alorsd'un pas plus tranquille clierclier quelque lieu mo- ^Vage dans la forêt ; quelque lieu désert rien ne montrant fi 'Biain des hommes n'annonçât la servitude et la dominaiioo. quelque asile oii je pusse croire avoir pénétré le premier , et oi [tiul tiers importun .ne vint s'interposer entre la nature et taai jC'élail qu elle semblait déplo\er ù mes yeux une magnificence ftoujours nouvelle. L'or des genêts, et la pourpre desbruvèm, 'happaient mes yeux d'un luxe qui touchait mon cneur ; la ra*- jesle des arbres qui me couvraient de leur ombre , la délicatei»* des arbustes qui m'environnaient , l'étonnante variété ijei htr* bes et des Heurs que je foulais sous mes pieds , tenaient mon f^ prit dans une alternative continuelle d'observation et d'adinirt- tion : le concours de tant d'objets inléressans qui se disputaient mon attention , m^attirant sans cesse de l'un à 1 autre, favorisait mon humeur rêveuse et paresseuse , el me faisait souvent redit* en moi-même ; non , Salomon dans toute sa gloire ne fut jamais vêtu comme l'un d'eux.

Mon imagination ne laissait pas long-temps déserfç la teir^ ainsi parée. Je la peuplais bientôt d'êtres selon mon co?ur,ft chassant bien lom l'opinion , les préjugés , tontes les patoîoo* factices ^ je transportais , daus les asiles de la nature , éf^ ,

A M. DE MALESHERBES. 3:i

hommes dignes de les habiter. Je uiVn formais une société cdinnnante dunt je ne me sentais pa^ indigne , je me faisais un si(*cle d*or à ma fantaÏMe , et remplissant ces beaux jours de toutes les scènes de ma vîe qui m'avaient laissé de doux e>ou- venirs, et de toutes celles que mon cri'ur pouvait denirer en- core, je m'atlendrisiais jus(|u*nux larmes j^ur les vrai» plaisirs de l'humanité, plaisirs si délicieux, si purs, et qui sont dé- ^■■tormais si loin des hommes. Oh * si dans ces momens, quelque Pfilée de Paris , de mon siècle , et de ma petite gloriole d*auteur , venait troubler mes rêveries, avec quel dédain je la chassais à rinstant pour me livrer , sans dtstraclion , aux sentiiuens ex- quis dont mon ame était pleine ! Cependant au milieu de tout cela , je l'avoue , le néant de mes chimères %'enait quelquefois la contrister tout h coup. I^uand tous mes rêves se seraient tournés en réalités, ils ne m'auraient pas sufli; j'aurais imn- çiné, rêve, désiré encore. Je trouvais en moi un vide inex-

Sticable que rien n'aurait pu remplir, un certain élancement e ccrur vers une autre sorte de jouissance dont je n'avais jms d^dée , et dont pourtant je sentais le besoin, lié bien , mon- ftieur , cela mi^me était jouissance, puisque j'en étais pénétré d'un sentiment très-vif, et d'une tristesse attirante, que je n'aurais pas voulu ne pas avoir.

Bientôt de la surface de la terre j'élevais mes idées k tous ]es êtres de la nature, au système universel des choses, à l'ê- tre incompréhensible qui embrasse tout. Alors Pesprit perdu dans cette immensité , Je ne pensais pa.s , je ne raisonnais pas,

I'e ne philosophais pasj je me sentais, avec une sorte de vo- uplé, accablé du poids de cet univers, je me livrais avec ra- vissement à la contusion de ces grandes idées , j'aimais â me 1>epdre en imacination dans Tespace , mon c<i'ur resserré dans es bornes des êtres s'y trouvait trop à rétroil j j'étouflais dans Tanivers , j'aurais voulu m'élanccr dans l'infini. Je crois que si j'eusse dévoilé tous les mystères de la nature , je me serais senti dans une situntton moins délicieuse que cette étourdis- sante extase â laquelle mon esprit se livrait sans retenue , et qaî, dans Tagitation de mes transports , me faisait écrier quel- quefois, â grand Etre! û grand Etre I sans pouvoir dire, ni penser rien de plus.

Amsi s'écoulaient dans un délire continuel les journées les pliu charmantes que jamais créature humaine ait passées; et «niand le coucher du soleil me faisait songer à la retraite , étonné de la rapidité du temps, je croyais n'avoir pas assez mis a profît ma journée , je pensais eu pouvoir jouir davan- tage encore; et, pour réparer le temps perda , je me disais. Je reviendrai demain.

Je revenais à petits pas« la trte un peu fatiguée , mois le crcur coDtent ; jp me reposais agréablement au retour, en me livrant à l'impression des objets , mais sans penser , sans imaginer , MDs rten faire autre chose que sentir le calme et le bonheur

5. 21

323

TROISIEME LETTRE

de raa situation. Je trouvais mon couvert mis snr ma terrasfv. Je soupais de grand appétit clans mon petit domestique; nulle image Je servitude et de dépendance ne troublait la bienveil- lance qui nous unissait tous. Mon chien lui-m<?me était mon ami , non mon esclave ; nous avions toujours la même volon- té, mais jamais il ne m'a obéi. Ma gaieté durant toute la soirée témoignait que j'avais vécu seul tout le jour; j'étais bien dif- férent quand j'avais vu de la compagnie , j'étais rarement content des autres ^ et jamais de moi. Le soir j'étais grondeur et ta- citurne : cette remarque est de ma gouvernante , et , depuis quMte me Ta dite , je l'ai toujours trouvée juste en m'obser- vant. Enfin, après avoir fait encore quelques tours dans mon jardin , ou chante quelaue air sur mon épinclte , je trouvais dans mon lit un repos de corps et d'amc cent fois plus doux que le sommeil même.

Ce sont les jours qui ont fait le vrai bonheur de ma rié; bonheur sans amertuiue , sans ennuis, sans regrets, et auquel j'aurais borné volontiers tout celui de mon existence. Oui, monsieur , que de pareils jovirs remplissent pour moi Téter- nité, je n'en demande point d'autres , et n'imagine pas que je sois beaucoup moins heureux dans ces ravissantes contempla- tions que les intelligeoccs célestes. Mais un corps qui souflre 6le k l'esprit sa liberté ; désorniais je ne suis plus seul , j'ai un hotc nui m'importune, il faut m'en délivrer pour ^'tre i moi; et 1 essai que j*ai fait de ces douces jouissances ne sert plus qu'à me faire attendre avec moins d'eflfroi le -moment de les goûter sans distraction.

Mais me voici déjà ii la ftn de ma seconde feuille. Il m*en'

faudrait pourtant encore une. Encore une lettre donc , et pui»

plus. Pardon , monsieur: quoique j'aime trop à parler de moi ^ >_:__- î- 1 . *_..É I i- . i'„. „..;-.

je n'aime pas k en parler avec tout le monde ; c'est ce qui me fait abuser de l'occasion quand je l'ai , et au'elle me pUtU Yoili mon tort et mon excuse. Je vous prie ue la prendre en

QUATRIEME LETTRE.

38 janvier 1769.

Jk vous ai montré , monsienr , dans le secret de mon coeur les vrais motifs de ma retraite et de toute ma conduite ; m*^* tifs bien moins nobles sans doute que vous ne les aver supp«>* ses, mais tels pourtant qu'ils me rendent content de moi-mcu»*« et m'inspirent la fierté d'aine d'un homme qui se sent bi^" ordonné , et qui , ayant eu le courage de faire ce qu'il (^*^ lait pour l'être , croit pouvoir s'en imputer le mérite. Il d^ pendait de moi , non de me faire un autre tempérament, iw un autre caractère , mais de tirer parti du mien , pour u)^ rcadrc bon à moi-même , et nullement méchant aux autR><

r

A M. DE MALESHEUBES.

3a3

(Test beanconp que cela , monsieur , et peu d'hommes en peu- vent dire autant. Aussi je ne vous déguiserai point que, mal- gré le sentiment de mes vices, j'ai pour moi une hiiute estime. Vos gens de lettres ont beau crier qu'un Iiomiue seul est inu^ tîle à tout le monde , et ne remplit pas ses devoirs dans la socië- té. J*estime , moi , les paysans de Montniorenci des membres plus utiles de la société que tous ces tas de désoeuvrés payés de la graisse du peuple , pour aller six fois la semaine bavarder dans une académie ; et je suis plus content de pouvoir , dans l'occasion , iaire quelque plaisir à mes pauvres voisins que d'aider à parvenir À ces foules de petits intrigans dont Paris est plein , qui tous aspi- Tent à Thonneur d'être des fripons en place , et que , pour le bien public, ainsi aue pour le leur, on devrait tous renvoyer labourer la terre dans leurs provinces. (Test quelque chose que de donner auT hommes Texemple de la vie qu'ils devraient tous mener. C'est quelque chose, quand on n'a plus ni force, ni sauté, pour travail- 1er de ses bras , d^oser , de sa retraite , faire entendre la voix de la vtrité. C'est quelque chose d'avertir los hommes de la folie des opinions qui les rendent misérables. C'est quelque chose d'avoir pu contribuer à empêcher, ou différer au moins dans ma patrie, l'établissement pernicieux que, pour faire sa cour à Voltaire k Ml dépens, d'Alembert voulait qu'on fît parmi nous. Si j'eusse técti dans r»enève, je n'aurais pu ni publier TEpître dédicatoire m Discours sur l'inégalité, ni parler même de l'établissement ^ U comédie, du ton que je 1 ai fait. Je serais beaucoup plus JwitUe à mes compatriotes, vivant au milieu d'eux, que je ne jiniis l'être, dans l'occasion, de ma retraite. Qu'importe en quel lùn j'habite, si j*agis je dois agir? D'ailleurs, \es habitans w Montmorenci sont-ils moins hommes que les Parisiens, et» luod je puis en dissuader quelqu'un d'envoyer son enfant se corrompre ^ la ville, fais-je moins de bien que si je pouvais de Urille le renvoyer au foyer paternel? Mon indigence seule ne |Bempêcherait-elle pas d'être inutile de la manière que tous ces Wiux parleurs l'entendent? Et , puisque je ne mange du pain ^u autant que j*en gagne, ne suis-)e pas forcé de travailler pour ^ lubsistance, et de payer à la société tout le besoin que je plus avoir d'elle? Il est vrai que je me suis refusé aux occupa- ^lOQtqui ne m'étaient pas propres j ne me sentant point le talent Jjui pouvait me faire mériter le bien que vousm'avcr voulu faire, '•ccepter eût été le voler à quelque homme de lettres aussi in— y*Çenl que moi , et plus capable de ce travail-là ; en me l'of- f^t vous supposiez que j'étais en état de faire un extrait, que i* pouvais m'occupcr de matières qui m'étaient indifférentes ; et, ' n'étant pas, )e vous aurais trompé, je me serais rendu iudi- (te vos bontés en me conduisant autrement que je n'ai fait; *•« n'est jamais excusable de faire mal ce qu'on fait volontaire- Bi^l : je serais maintenant mécontent de moi , et vous aussi : et }t ne goûterais pas le plaisir que je prends à vous écrire. Ennn, tint que mes forces me Toal permis, en travaillant pour moi >

-3*4 QUATRIEME LETTRE

j'ai fait , selon ma portée , tout ce que j'ai pu pour la société; ri j'ai peu fait pour elle j'en ai encore moins exigé , et je me croi» si bien nuille avec elle dans l'état je suis, que si je pouvait désormaismp reposent ou t-à-fait,ot vivre pourmoi seul, je le ferai» sans scrupule. .1 écarterai du moins de moi , de toutes mes forces^ rimporlunité du bruit public. (^)uand je vivrais encore cent ans je n'écrirais pas une ligne pour la presse» et ne croirais yraimen recommencer à \'ivre que quand je serais toul-à-fait oublié.

J'avoue pourtant qu il a If'nu à peu que je ne me sois tronr^ rengagé dans le monde , et que je n aie abandonné ma solw tude > non par dé^^oût pour elle, mais par un goût non moins vif que j'ai failli lui préférer. II faudrait , monsieur , que vouj connussiez l'état de délaissement et d'abandon de tous mes amis oti je me trouvais, et la profonde douleur dont mon ameen était arteclce lorsque monsieur et madame de Ln^embourg dé- sirèrent de me connaître , pour juger de l'impression que firent sur mon creur affligé leurs avances et leurs caresses. J'étaii mourant ; sans eux je serais infailliblement mort de tristesse; ils m'ont rendu la vie , il est bien juste que je l'emploie 4 les ainirr.

J'ai un ccpur très— aimant, mais qui peut se suffire à Ini-racm*. J'aime trop les hommes pour avoir besoin de choix parmi eax; je les aime tous; et c'est parce que je les aime que je hiiif l'injustice; c'est parce que je les aime que je les fuis; je souflre moins de leurs maux quand je ne les vois pas ; cet intérêt pour l'espèce suffit pour nourrir mon cneur; je n*ai pas besoin d'imi» particuliers ; mais , quand j'en ai , j*ai grand besoin de ne Iw pas perdre j car , quand ils Sfï détachent , ils me déchirent, fil cela d'autant plus coupables que je ne leur demande que àt l'amitié, cl que, pourvu qu'ils m'aiuienL et que je le sachet je n'ai pas même besoin de les voir. Mais ils ont toujours voulu mettre à la place du .«eutiment , des soins et des services, qu* le public voyait, et dont je n'avais que faire; quand je Itf aimais , ils ont voulu paraître m'aimer. Pourmoi , qui dédaigne en tout les apparences , je ne m'en suis pas contenté; et, o* trouvant que cela , je me le suis tenu pour dit. Ils n'ont Ml précisément cessé de m'aimer, j'ai seulement découvert quiU ne m'aimaient pas.

Pour la première fois de ma rie je me trouvai donc toal à coup le crrnr seul, et cela, seul aussi dans ma retraite, et presque aussi malade que je le suis aujourd'Iiui. C'est daua cet circonstances que commença ce nouvel atlachrinent qui m'* si bien dédommagé de tous les autres, et dont rien ne dédommagera, car il durera , j'espère, autant que ma vie i et, quoi qu'il arrive, il sera le dernier. Je ne puis vousdi^ simuler , mr>nsieur , que j'ai une violente aversion pour les état* qui dominent les autres ; j'ai m^me tort de dire que je oe puis le dissimuler, car j#» n'ai nulle peine à vous l'avouer » à vous, ne d'un sang illustre , fïls du chancelier de France,

A M. DE MALESHERBES.

335

et premier président d'une cour aouveraine; oui, monsieur , à vous qui m'avez fait raille biens sans me connaître, et à qui , malgré mon ingratitude naturelle, il ne m'en coAte rien d'être obligé. Je hais les grands; je hais leur état, leur dureté, leur» Drêjugcs, leur petitesse, et tous leurs vices, et je les bairais DÎeo davantage si je les méprisais moins. C'est avec ce sen- timent oue j ai été comme entraîné au château de Montmo- Itoci ; ) en ai vu les maîtres , ils m'ont airaé , et moi, mon— wur, je les ai aimés , et les aimerai , tant que je vivrai , de tontes les forces de mon arae : je donnerais pour eux, je ne Jij pas ma vie , le don serait faible dans l'état oii je suis ; je ne dis pas ma réputation parmi mes contemporains dont je iw me soucie guère, mais la seule gloire qui ail jamais touché mon coeur , l'honneur que j'attends de la postérité, et qu'elle ■* rendra parce qu'il m'est , et que la postérité est tou— )Oar» juste. Mon cœur, qui ne sait point s'attacher à demi, iHt donné à eux sans réserve , et je ne m'en repens pas ; je m en repentirais même inutilement, car il ne serait plus l*iups de m'en dédire. Dans la chaleur de l'enthousiasme qn*ils to'ont inspiré, j'ai cent fois été sur le point de leur demander *tl asîle dans leur maison pour y passer le reste de mes iours tQprès d'eux, et ils me l'auraient accordé avec joie , si même, la manière dont ils s'y sont pris , je ne dois pas me re- garder comme ayant ctc prévenu par leurs offres. Ce projet ni certainement un de ceux que j'ai médités le plus long- ï^mps , et avecMe plus de complaisance. Cependant il a fallu *tntir à la fin , malgré moi, qu'il n'était pas bon. Jo ne pensais n^k l'attachement des personnes , sans songer aux intermé- wires qui nous auraient tenus éloignés , et il y en avait de 1«nt de sortes , surtout dans l'incommodité attachée à mes ttaui , qu'un tel projet n'est excusable que par le sentiment Qoi l'avait inspiré. D'ailleurs , la manière de vivre qu'il aurait fallu prendre choque trop directement tous mes gouis , toutes Bies habitudes; je n'y aurais pas pu résister seulement trois mois. Enfin nous aurions eu beau nous rapprocher d'habita- lioo , la distance restant toujours la même entre les états , cette intimité délicieuse qui fait le plus grand charme d'une rtroite société eiit toujours manqué à ta nôtre; je n'aurais ^ ni l'ami, ni le domestique de monsieur le maréchal de Luxembourg ; j'aurais été son b6te } eu me sentant hors de cbn moi, j'aurais soupiré souvent après mon ancien asile; *l il vaut cent fois mieux être éloigné des personnes qu'oa «ime , et désirer d'être auprès d'elles , que de s'exposer k Uire un souhait opposé. Quelques degrés plus rapprochés eussent P(ât-«tre fait révolution dans ma vie. J'ai cent fois supposé uans mes rêves monsieur de Luxembourg point duc , point niaréchal de France , mais bon gentilhomme de campagne , li^hilant quelque vieux cliuteau , et J. J. Rousseau point au- teur, point faiseur de livres , niftî& ayant un esprit médiocre

3i6 <^>LATRIEME LETTRE, etc

et un peu d'acquis, se présentant au seigneur châtelain et k Ja dame , leur agréant , trouvant auprès d^eux le bonheur de sa vie , et contribuant au leur. Si , pour rendre le rêve plu* ngréable , vous me permetlieE de pousser d'un coup dVpaul«« le chiteau de Malesuerbes à demi-lieue de là, il me semble « monsieur , qu'en rrvant de cette manière je n*aurais de long- temps envie de mVveiller.

Mais , c'en est fait , il ne me reste plus qu'à terminer le lonç rêve ; car les autres sont désormais tous hors de saison ; et c'est beaucoup si je puis me promettre encore quelques-unes de« lieures délicieuses que j'ai passées au château de Mouiraorenci^ Quoi qu'il en soit , me voilà tel que je me sens afTcclé. Juge^-^ moi sur tout ce fatras , si j'en vaux la peine ; car je n'^ saurai mettre plus d'ordre , et je n'ai pas le courage de recommeDcei 4Si ce tableau trop véridique m 6le votre bienveillance , j'aun cesser d'usurper ce qui ne m'appartenait pas^ mais si je la coi serve, elle m en deviendra plus chère , comme étant plus k me

rilf DES tETTKES à. U. DE M A LESHERBES.

ŒUVRES COMPLÈTES

V DE

J. J. ROUSSEAU.

TOME CINQUIEME,

II«. PARTIE.

CONTBNAMV

' Ut lâTBtns ; Fi&GiiEirs o'vir DicnoirifAnE de botaeviqvb ;

IXTTIBS Sun LA BOTAniQUBj KÉLAUGES.

ŒUVRES

DE

. J. ROUSSEAU,

CITOYEN DE GENÈVE.

TOME CINQUIEME^

IK PARTIE.

A PARIS,

CEZ A. BELIN, IMPRIMEUR-LIBRAIRE,

KDB DES MATHURIKS ST.-I. , BÔTBL CLOTY. 1817.

LES RÊVERIES.

SOMMAIRES

DBS m&TEBZES DU PKOVEHECK SOLITllKE*

Sommaire de la quatrième promenade.

ftJomcjiiBE de la première promenade. P^g^ 337

I^OQSfteau «e regarde comme isole ftor U terre. Il écrit «es Promeuides pour lerrir de suite à tes Confe»ioat. 11 n'a pas pour ses Rèt cries 1rs

InéiBCi inqaiétade* qu'il a eaea pour aci Dialugues et «es première» Cun&Mcuu.

Sommaire de fa seconde promenade. 343

IWaateto s'aperçoit que srs totce» l'abandonnent pea à pcn. Tt fait tinc ch'AU à Ménil-tDOUlant. O^laîU de cet accident funeAte . Crû et eflroi àx n femme à son arrivée cbex luî. Il requit plusieurs visitrs d'une dtmr. &es ennemis répandent le bruit de sa mort à la cour el à U Tille. On Teat ouvrir une souscription pour l'imprcssiou deses manuscrits.

Sommaire de la troisième promenade. 3.j()

l'FtDdsd*on vieillard est d'appn?ndre à mourir. Tablean de la pliiloio- phie moderne. Famille de Rousseau: son eofaucey sa réfurmei ses tgics de conduite et de foi.

D aime le bon Plularqne; c'est le livre qui lui profite le plus. Il * A te plaindre de l'abbé Raynsl. Il *e rappelle un men»t)iige «le sa jeu- i^cuc qai l'affiige beaucoup. Dissertation sur le mcnsouge et sur le Tenpie de Gnide. Portrait d'un liomroe vrai. Il répond mal A nno S^iNtion qu'on lui fnit à table. 11 a pins souvent gardé le silence sur le bien qu'il a fait que sur le mal. Exemples qu'il eu donne.

Sommaire de la cinquième promenade. 87 1

**Tipliou de Hle de Saint-PieriT. Rousseau regrette de n'avoir pu y àier wn séioar. Il y travaille ù la botanique. Détail de ses amusemens ^lu cette ilc.11 y fonde une colouto.

Sommaire de la sixième promenade. 878

•"••••w va lierboriseràGentilly. Il rencontre en rlieraîn on petit bowin. ^''tvait eu l'anneau de Gygès, il ne s'on serait servi que pour la ""iheur de l'univers.

Sommaire de la septième promenade. 386

^>^a, devenu plus que sexagénaire, suit «on pencliant ponr la bota- "'lœ. n berboriie jusque sur la cage de ses oiseaux. Tbtophrasle est le "l^l botsnistede l'antiquité. Les idées médicinales ftlent tout le rb^rme ^ "étude des plantea. Il compare ensemble les trois règnes do la na-. ,^^> Anrcdoles sur se« beiborisations eu Suisse, el aar rbumililê

"»» avocat de Grenoble.

Sommaire de la huitième promonade.

396

''••^o ne changerait pas sa destinée , quoiquo très-df*plorable, contre ^*^ du plui fortuné des mnrtels. It avoue qu'il aen bcaucoupd'aniour- «'^n, quand il a vôca dans le monda. Il ne «'affecte pu des maux 4

336 SOMMAIRES.

Tenir, maù de œax qa'il «ouffre daus le moment. Tons les ^Tènentens de la vie et les piégea des hoouitw n'ont plua de prise sar lai.

Sommaire de !a neuyibne promenade. ^oS

On lai porte l'éloge de madame Geoffrin avec manvaise intention. Con- duite de Rouiseaa enren ses propres enfiuu* Baisons qa'il donne pour se )astifier. Il éprouve beaucoup de plaisir à voir et à observer la jeu- nesse. Ses promenades h Clignanconrt et à la Muette. Amusemens de Paris cmnparéa avec ceux de Genève et de Soisse. Promenade de Jean- Jacques aux Invalides.

Sommaire de la dixième promenade. 4.14

Époque Boosseau fait connaissance avec madame de Warens. Son bonbeur chen cette dame. H bit ses efforts pour rendre oetto nnioB durable. >

LES REVERIES

DU

PROMENEUR SOLITAIRE.

PREMIERE PROMENADE.

^V vrtid ^onc seul sur la t^rre , n*avant plus cle frtre , Je I li*ia, d'ami , de société que moi-mfine. Lr p!iw snciable et t^- (>ltu aimant des humains en a été proscrit par un aecnrd unanime. Us ont cherche, dans lc« ramneraens de leur haine, f|uel tourment pouvait être te plus cruel k mon aine sensible , cl iU ont hrisi* violemment tous les liens qui m'attachaient â eux. J'ntirais aime les honitue» en dépit d'eux.— mêmes. Ils u*ont pu , qu'en cessant de l'être , se dérober à mon alTection. Les voilà donc étrangers , inconnus , nuls enfin pour moï , puisnu^ils l'ont voulu. Mais moi, dctaclié d'eux et de tout, que sui>-je moi— rarme? YoilÀ ce qui rae reste 4 chercher. Malheureusement cette recherche doit être précédée d'un coup-d'ccîl sur ma position. Ccst une idée par laquelle il faut nécessairement que je passe , pour arriver d'eux à moi.

Depuis quinze ans et plus que je suis dans cette étrange posi- tion , rlle me paraît encore un rêve. Je m'imagine toujours fju'une indigestion me tourmente , que je dors d'un mauvais »nmmeil , et que je vais me réveiller , bien soulagé de ma peine f rn me retrouvant avec mes amis. Oui , sans doute , il faut que j'aie fait , sans que je m'en aperçusse, un saut de la veille au sommeil , ou pluti*)t de la vie à la mort. Tiré , je ne sais com- ment , de l'ordre des choses , je me suis vu précipité dans un chaos incompréhensible, oii je n'aperçois rien du tout ; et plus je pense k ma situation présente , et moins je puis comprendre ou je suis.

Eli ! Comment auraïs-je pu prévoir le destin oui m'attendait ? Couinient le puis-je concevoir encore aujourd'nui que j'y suis livré ? Pouvais-je dans mon bon sens supposer qu'un jour , moi le même homme que j'étais , le même que je suis encore , je pas- serais , je serais tenu , sans le moindre doute, pour un monstre, un empoisonneur, uu assassin ^ que je deviendrais l*horreur de In râce humaine, le jouet de la canaille; que toute la salutation que me feraient les passaiis serait de cracher sur moi; qu'une l^éuératiun tout entière s'amuserait d'un accord unanime h m'en- terrer Irmt vivant? Quand celle étrange révolution se fit, pris ^u dépourvu , j'en fus d'abord bouleversé. Mes agitations , mon ation , me plongèrent dans un délire qui n'a pa« eu trop :ins pfiur &c calmer; et dans cet iutervAlfe, tomlié d'oireur

ai

338

LES RÊVERIES,

en erreur , de faute en faute , de sottise en sottise , j'ai foaraî , par mes imprudences , aux directeurs de ma destinée ^ autant d'iustrutneiis qu*ils ont habilement mis en œuvre pour la fixer sans retour.

Je me suis débattu long-temps aussi violemment que vaine- ment. Sans adresse, sans art, sans dissimul.ition, sans prudence, franc , ouvert, impatient , emporté , je n'ai fait , en me d*>bat- tant j <]ue m'enlacer davantage, et leur donner incessamment de nouvelles prises qu'ils n*ont eu garde de néf;liger. Sentant enfin tous mes eitorts inutile!^, et me tourmentant n pure perle , j*ai pris le seul parti qui me restait à prendre , celui de me spuinettre k ma destinée , sans plus regimoer contre la nécessité. J'ai trouvé dans cette résignation le dédommagement de tous mes maux, par la IranquiUité qu'elle nie procure , et qui ne pouvait s'allier avec le travail continuel d'une résistance aussi pénible qu'in- fructueuse.

Une autre chose a contribué à cette tranquillité. Dans tous les rafUnemens leur haine, mes persécuteurs en ont omis un que leur animosîté leur a fait oublier ; c*était d*en graduer si bien les effets , qu'ils pussent entretenir et renouveler nos douleurs sans cesse , en me portant toujours quelque nouvelle atteinte. S'ils avaient eu l'adresse de me laisser quelque lueur d'espérance» ils me tiendraient encore par-là. Us pourraient faire encore de moi leur jouet par quelque faux leurre , et me navrer ensuite d'un tourment toujours nouveau par mon attentedéçuc. Maisih ont d'avance épuisé totites leurs ressources; en ne me laissant rien, ils se sont tout ôtt' à eux-mêmes. La dilTamation, la dé- pression , la dérision , l'opprobre dont ils m'ont couvert ne sout pas plus susceptibles d'augmentation que d'adoucissement ; aoui sommes également hors d'état , eux de les aggraver, et moi de m'y soustraire, lisse sont tellement presscsde porter i son comble la mesure de ma misère, que toute la puissance humaine, aiilée de toutes les ruses de l'enfer, n'y saurait plus rien ajouter. douleur physique elle-même , au lieu d'augmenter mes peinMé y ferait diversion. Eu m'arrachant des cris , peut-être elle ra**- pargnerait des gémissemens, elles déchiremens de mon corj* suspendraient ceux de mon cœur.

<Ju*ai-je encore à craindre d'eux, puisque tout est fait? T^t

Souvant plus empirer mon état , ils ne sauraient plus m'iospinT^ 'alarmes. L'inquiétude et reffroi sont des maux dont ils ni*< pour jamais délivré : c'est toujours un soulagement. Les réels ont sur moi peu de prise, je prends aisément mon partii ceux que j'éprouve, mais non pas sur ceux que je crams. S imagination efl'arouchée les combine, les retourne , les étend e* les augmente. Leur attente me tourmente cent fois plus que le^^ présence , et la menace m'est plus terrible que le coup. Sitôt qu'il* arrivent, révènenient, leur 6tant tout ce qu'ils avaient duO*' ginaire, les réduit à leur juste valeur. Je les trouve alors bea»*^ coup moindres que je ne me les étais figurés ; et même, au a**'

PREMIÈRE PROMENADE. 339

tariM uc nui louffrance » je oe laisse pa& de me >ciitir soulage. Dans cet ëtat , affrAfichi Je loute nouvelle craiiile et délivré de i'în-

3uiélude. de l'eàpérance, la seule habitude sufBra pour nie rendre c jour en jour plus iusupportable une silualioa que rien ne peut empirer: et à mesure tjue le sentiment s'en émousse par la durée, il» n'ont plus de moyens pour le ranimer. Voilà le bien que m'ont fait mes persécuteurs, en e'puisantsans mesure tous le^ traits de leur animositc*. lisse sont ôtésur moi tout empire, et je puis ûè- ftormaib me moquer d'eux.

Il n'^ a pas deuK mois encore qu'un plein calme est rétabli dans mou cœur. Depuis lonp;-ternps je ne craignais plus rien ^ niais j*e»pérais encore ; et cet espoir, tantôt bercé, tantôt frustré, était une prise par laquelle mille passions diverses ne cessaient de m'apiter. lin événement aussi triste qu'imprévu vient enfin d'elFacer de mon crcur ce faible rayon d*espérance, et m'a fait voir ma destinée fixée à jamais sans retour ici-bas. Dès-lors je me &ui& résigné sans réserve , et j'ai retrouvé la paix.

5ît6t que |*ai commencé d'entrevoir la trame dans toute son ëUoduei j'ai perdu pour jamais l'idée de ramener de mon vivant le public sur mon compte; cl même ce retour, ne pouvant plus ^tre réciproque, me serait désormais bien inutile. Les bommes auraient oeau revenir â moi , ils ne me retrouveraient plus. Avec Icd^aiu qu'iJs m'ont inspiré, leur commerce me serait insipide rt même à cbarge , et je suis cent fois plus heureux dans ma so- litude, que je ne pourrais l'être en vivant avec eux. Ils ont ar- raché de mon cœur toutes les douceurs de la société. Elles nV pourraient plus germer derechef à mon îlgej il est trop tarcf. Qu'ils me fassent désormais du bien ou du mal , tout m*est indif- fèrent de leur part ; et , quoi qu'ils fassent, mes contemporains ne seront jamais rien pour moi.

Mais je comptais encore sur l'avenir , et j'cApérais qu'une géné- ration meiJIeure, examinant mieux et les jugcmens portés par celle-ci sur mon compte, et sa conduite avec moi, démêlerait aisément TaKiftce de ceux qui la dirigent, et me verrait enfin tel que je suis. C'est cet espoir qui m'a fait écrire mes dialogues , et qui m'a suggéré mille folles tentatives pour les faire passer it la postérité. <^et espoir , quoique éloigné, tenait mon ame dans la même agitation que quand je cherchais encore dans le siècle un cœur ju.ste; et mes espérances, que j'ayaisbeau jeter au loin, me rendaient également le jouet des hommes d'aujourd'hui. J'ai dit dans mes dialogues sur quoi je fondais cette attente. Je me Iroiupais. Je l'ai senti par bonheur assez à temps pour trouver encore , avant ma dernière heure, un intervalle de pleine quié- tude , et de repos absolu. Cet intervalle a commencé à l'é- poque dont je parle , et j'ai lieu de croire qu'il ne sera plus in- terrompu.

il se pasie bien peu de jours, que de nouvelles réflexions ne rorconiîrinentcombien j'étais dansTerreurde compter sur le re- tour du public , même dans un autre âge; puisqu'il est conduit ,

34'

LES REVERIES.

dans ce qui me regarde , par des guides qui se renouvellent ^ns

dans les

ont

rticuliers

aversion.

uieurent \ mais les corps coUeclifs ne meurent point. Les mêmes passions s'y perpétuent, et leur Luine ardente, immortelle comme le uémon qui l'iuspirc , a toujours la même activitcf. Quand tous mes ennemis particuliers seront morts , les médecins, les oratoriens vivront encore*, et, quand je n'aurais pour persé- cuteurs que ces deux coriis-là, je dois être sur qu'ils ne laisseront pas plus de paix à ma iiiomoirc après ma mort, qu'ils n'en Inissent Il ma personne de mon vivant. Peut-être , par trait de temps, les médecins , que j*ai réellement offensés , pourraient -ils sa- pa iser : mais les oratoriens que j'aimais, que j'estuuais, en qui j'avais toute confiance , et que je n*ofliensai jamais, les oratoriens, gens d'église et demi-moines, seront à jamais implacables j leur propre miquité lait mon crime , que leur amour-propre ne me pardonnera jamais^ et le public , dont ils auront soin d'entretenir et rauiuier rauimosité sans cesse, ne s^apaisura pas plus qu'eux.

Tout est fini pour moi sur la terre. On ne peut plus m'y faire ni bien , ni mat. Il ne me reste plus rien à espérer , ni à craindre en ce monde, et m'y voilà tranquille au fond de l'abîme, pauvre mortel infortuné , mais impassible couuue Dieu même.

Tout ce qui m'est extérieur m'est étranger désormais. Je n'ai plus , en ce monde, ni prochain , ni semblables , ni frères. Je sais sur la terre comme dans une planète étrangère oii je serais tombé de celle que j'habitais. Si je reconnais autour de moi quel- que chose, ce ne sont que des objets ai1lif:eaus etdérbirans pour mon cwur , et je ne peux jeter les yeux sur ce qui me touche et m'entoure , sans y trouver toujours quelque sujet de dédain qui m'indigne, oU de douleur qui m'aillige. Écartons donc de mon esprit tous les pénibles objets dont je m'occuperais aussi doulou- reusement qu'umtilement. Seul pour le reste de ma vie , puisque je ne trouve qiiVn moi la consolation , l'espérance, et la paix , je ne dois ni ne veux plusni'occuper que de moi. C'estdan» cet état que je reprends la suite de l'examen révère et sincère que j'appe- lai jadis mes Confessions. Je consacre mes derniers jours à jn é— tudier moi-même et k préparer d'avance le compte que je ne tar- derai pas û rendre de moi. Livrons-nous tout entiers ù la dou- ceur de converser avec mon anie, puisqu'elle est la seule que les honuues ne puissent m'ôter. Si , à force de réfléchir sur mes dis- positions intérieures, je parviens à les mettre on meilleur ordre ôt ù corriger le mal qui peut y rester , mes méditatious nt; seront ^s entièrement ioutjles , et, quoique je ne sois plus bou à rien sur la terre, je n'aurai pas toul-à-lail perdu mes tleniier^ jours. Les loi&ir» de mes promenades journalières ont souvent été rem- plis de contemplations charmantes dont j'ai regret d'avoir perda le souvenir. Je fixerai par l'écriture celles qui pourront me venir encore; chaque fois que je les relirai m'en rendta la jouissance. J'oublirrai mes malheurs, mes persécuteurs, mes Opprobres ^ m vmgennt au prix qu'avait mérité mon cœur.

r

PREMIERE PROMENADE. 3^1

Ce» fpuîIlM ne seront proprement qu'un informe {ournal de mes rêveries. Il v sera beaucoup question de moi , parce qu'un solitaire qui réilechit s'occupe nécessairement beaucoup de lui- même. Du resle toutes les idées étrangères qui me passent par Iîi tête en me promenant y trouveront également leur place. Je dirai ce que |*ai pensé tout comme il m'est venu, et avec aussi peu de liaison que les idées de la veille eu ont d'ordinaire avec celles du lendemain. Mais il en résultera toujours une nouvelle coonaûisance de mon naturel et de mon humeur par celle des seutimens et des pensées dont mon esprit fait sa pâture journa- lière dans l'étrange état oii je suis. Ces feuilles peuvent donc être regardées comme un appendice de mes Confessions; mais je ne leur en donne plus le titre , ne sentant plus rien à dire qui puisse ]e mériter. Mon cœur s'est purifié à la coupelle de l'adversité , et j'y trouve à peine , en le sondant avec soin , quelque reste de pencliant répréhensible, Qu*aurais-je encore à confesser , quand toutes les aftections terrestres en sont arrachées? Je n'ai pas plus k me louer qu'à me bUmer; je suis uul désonuais parmi les hommes , et c'est tout ce que je puis être , n'ayant plus avec eux de relation réelle, de vérilabld société. Ne pouvant plus faire aucun bien qui ne tourne à mal , ne pouvant plus agir sans nuire i autrui ou à moi-même , m'ahsleuir est devenu mon unique devoir, et je le remplis autant qu'il est en moi. Mais, dans ce désceuvremcnt du corps , mon ame est encore active, elle produit encore des seutimens, des pensées, et sa vie interne et morale semble encore s'être accrue par la mort de tout intérêt terrestre et temporel. Mon corps nVst plus pour moi qu'un embarras , ^'un obstacle , et je m'en dégaefî d'avance autant que je puis.

Une situation si singulière mérite assurément d'être examinée

tt décrite, et c'est à cet examen que je consacre mes derniers

loisirs. Potir le faire avec succès, tl y faudrait procéder avec

ordre et méthode; mais je suis incapable de ce travail , et même

il m'écarterait de mon but, qui est de me rendre compte des

modilîcations de mon ame et de leurs successions. Je ferai sur

Bitti à quelque égard les opérations que font les physiciens sur

IVirpouren connaître Tétat journalier. J'appliquerai le bar o-

i*rïre à mon ame , et ces opérations bien dirigées et long-temps

rrpclécs me pourraient fournir des résultais aussi sûrs que les

l^rs. Mais je n'étends pas jusque-là mon entreprise. Je me cou—

^^nlprai de tenir le registre des opérations, sans chercher à les

rtHluirc en sv'stème. Je fais la même entreprise que Montaigne ,

Hisii avec un but tout contraire au sien ; car il n'écrivait ses Es-

•*i»<|uc pour les autres, et je n'écri» mes rêverie'! qtie pour moi.

^ dans mes plus vieux jours , aux approches du départ , je reste ,

"wnine je IVspère , dans la même disposition oii je suis , leur lec-

'Ofc nie rappellera la douceur que je goûte à les écrire, et,

'•>*»nt renaître ainsi pour moi le temps passé, doublera pour

Wniidire mon existence. En dépit des nommes je saurai goûter

le charme de la société y et je vivrai décrépit avec moi

34a

LES RÉVEKÎES.

dans lin autre âge , comme je vivrais avec tin moins vieux amî. J'écrivais mes premières Confessious et mes Dialogues dans uu 50uci continuel sur les moyens de les flerober aux mains rapaccs de mes persécuteurs , pour les transmettre , s'il était possible , k <l'nutres générations. l.a même inquiétude ue me touriucote plus pour cet écrit j je sais qu'elle serait inutile, et le drAÎr aêlre mieux connu des hommes s'élanl éteint dans mon cneur n*v laisse qu'une indifférence profonde sur le sort et de mes vrais écrits et des-moniimens de mon innocence, qui déjà pcut-^lre ont été tous pour jamais anéantis. Quon épie ce que je fais , qu'on s'inqniele de ces feuilles, qu'on s'en empare, qu'on le» supprime, qu'où les falsifie, tout cela m'est égal désormais. Je ne les cache ni ne les montre. Si on me les enlève de mon ri- vant , on ne m'enlèvera ni le plaisir de les avoir écrites , ni le sou- venir de leur contenu , ni les méditations solitaires dont elles sont le fruit, et dont la source ne peut s'éteindre qu'avec mon ame. Si dès mes premières calamités j'avais su ne point regimber contre ma destinée , et prendre le parti que je prends aujour- d'hui, tous les eOorts des hommes, toutes leurs épouvantables machiner , eussent été sur moi sans clfet , et ils n auraient pas plus troublé mon repos par toutes leurs trames , qu'ils ue peu- vent le troubler désormais par tous leurs succès ; qu'ils jouÎMent à leur gré de mon opprobre , ils ne ui'eiupécheronl pas de jouir de mon innocence , et d'achever mes jours en paix malgré eux.

SECONDE PROMENADE.

Ayant donc formé le projet de décrire l'état habituel de mon ame dans la plus étrange position ou se puisse jamais trouver un mortel , je n ai vu nulle manière plussimph* et plus sure d'exé- cuter cette entreprise , que de tenir un registre fîdèle de mes promenades solitaires et des rêveries qui les remplissent , quand je laisse ma tête entièrement libre, et mes idées suivre leur pente sans résistance et sans gène. Ces heureu de solitude et de méditation sont les seules de la journée je sois pleinement moi et à moi, sans diversion , sans obstacle, et oîi je puisse vérita- blement dire être ce que la nature a voulu.

J'ai bientôt senti que j'avais trop tardé d'exécuter ce projet. Mon imagination , déjà moins vive, ne s'cuflamme plus comme nulrefois à la contemplation de l'objet qui t'anime ; je m'enivre moins du délire de la rêverie; il y a plus de réminiscence que de création dans ce qu'elle produit désormais; un tiède allao— ^uisseraent énerve toutes mes facultés; l'esprit de vie s'éteint eu moi par degrés ; mon ame ne s'élanre plus qu'avec peine bon «le sa caduque enveloppe , et, sans l'espérance de l'étal auquel j'aspire parce que je m'y sens avoir droit, je n'existerais plus que par de» souvenirs: ainsi , pour me contempler moi-même avant mon déclin , il faut que je remonte au moms de quelques aunéc*

SECONDE PROMENADE. 343

an tpmps on f perdant tout espoir ici-bas, et ne trouvant plu» d'AÎiraent pour mon cœur sur la terre, je m'accoutumais peu à peu à le nourrir de sa propre substance f et k chercher toute sa pâture an dedans de moi.

Cette ressource, dont je m^avisai trop tard , devint si féconde , auVIte suffit bientôt pour me dédommager de tout. L'habitude ce rentrer en moi-même me fit perdre enfin le sentiment et presque le souvenir de mes maux. J'appris ainsi , par ma propre

i

eïpérience , que la source du vrai honneur est en nous , et qu'il ne dépend pas des hommes de rendre vraiment misérable celui qui sait vouloir ^tre heureux. Depuis quatre ou cinq ans , je goûtais habituellement ces délices internes que trouyeut dans la contemplation les âmes aimantes et douces. Ces ravissemens, ce* extases , que j*éprouvais quelquefois en me promenant ainsi seul , étaient des jouissances que je devais à lues persécuteurs : sans eux je n'aurais jamais trouvé ni connu les trésors que je portais en moi-même. Au milieu de tant de richesses, comment en tenir un registre fidèle? En voulant me rappeler tant' de douces rêveries , au lieu de les décrire j'y retombais. C'est un état que son souvenir ramène , et qu*on cesserait bientôt de connaître en cessant tout-à-fait de le sentir.

J'éprouvai bien cet effet dans les promenades qui suivirent le projet d'écrire la suite de mes Confessions , surtout dans celle dont je vais parler , et dans laquelle un accident imprévu vint rompre le fil de mes idées, et leur donner pour quelque temps UD autre cours.

Le jeudi 04 octobre 1776, je suivis après dîné les boulevards jusqu'à la rue du Chemin-verd , par laquelle je gagnais les hau- teurs de Ménil-montant ; et de \k , prenant les sentiers à travers les ^n'gncs et les prairies , je traversai jusqu'à Charonne le riant pavsaçe qui sépare ces deux villages ; puis je fis un détour pour revenir par les mêmes prairies , en prenant un autre chemin. Je m'amusais à les parcourir avec ce plaisir et cet intérêt que m'ont toujours donné les sites agréables , et m'arrêlant quelquefois à filer des plantes dans ïa verdure. J'en aperçus deux nue ic voyais aisez rarement autour de Paris , et que je trouvai tres-abon- doDtes dans ce canton-là. L'une est le Picris /tieracioîdes , de la famille descoraposées, et l'autre le BiJ-pleurnmfaicatum, de celle dfj ombellifer^. Cette découverte me réjouit et m'amusa très- long-temps, et finit parcelle d'une plante encore plus rare, ïQTiout dans un pays élevé , savoir le Cerastium aquatlrum , fTue^ malgré l'accident qui m'arriva le même jour , j*ai retrouvé dans tin livre que j'avais sur moi , et placé dans mon herbier.

Enfin, après avoir parcouru en détail plusieurs autres plantes <îue je voyais encore en fleurs , et dont l'aspect et l'énumération qui m'était familière me donnaient néanmoins toujours du

f*laiîir , je quittai peu à peu ces menues observations pour me ivrer à I impression non moins agréable , mais plus touchante, ^ue faisait sur moi l'ensemble de tout cela. Depui* quelques

1

344 LES IVKVEIVIES.

jours on avait achève la vendange ; les promenenrs de la viTTc s'étaient déjà retirés ; les paysans aussi quittaient les champs jusqu'aux travaux d'hiver. La campagne , encore verte et riante f mais défeuillee en partie, et déjà prescjue déserte, offrait partout l'image de la solitude et des approches de Thiver. 11 résultait de son aspect un mélange d'impression douce et triste, trop analogue à mon âge et k mon sort pour que je ne m'en fisse pas l'appljcalion. Je me voyais au déclin d'une vie innocente et infortunée, l'anie encore pleine de sentimens vivares, et l'esprit [ encore orné de quelques fleurs, mais déjà flétries par la tris- tesse, et desséchées parles ennuis. Seul et délaissé, je sentais venir le froid des premières glaces , et mon imagination taris- sante ne peuplait plus ma soHiude d'êtres formés selon mon cceur. Je me disais en soupirant : Qu'ai-jc fait ici-bas? J'étais fait pour vivre , et je meurs sans avoir vécu. Au moins ce n'a pas été mi faute , et je porterai à TAuteur de mon être , sinon Toffrande des bonnes oeuvres qu'on ne m'a pas laissé faire , du moins un ^tribut de bonnes intentions frustrées, de senlimeiis sains, mais rendus sans effet , et d'une patience à l'épreuve des méprii des hommes. Je nratlentjrissais sur ces réflexions; je récapitu- Jais les raouvemens de mon amc dès ma jeunesse , et pendant mon âge mi^r , ri depuis qu'on m'a séquestré de la société des hommes, et durant la longue retraite dans laquelle je dois achever mes jours. Je revenais avec complaisance sur toutes les afTeclions démon cœur , sur ses attachemens si tendres, mets li aveugles, sur les idées moins tristes que consolantes dont mon esprit s était nourri depuis quelques années , et je me préparais à les rappeler assez pour les décrire avec nn plaisir presque égal celui que j'avais pris à m'y livrer. Mon aprës-midi se pasu dans ces paisibles méditations , et je m'en revenais très-content [,de ma journée, quand au fort de ma rêverie j'en fus tiré par l'é- ■yènement qui me reste à raconter.

J'étais, sur les six heures, à la descente de Ménil-montant , presque vis-à-vis du Galaut-Jardinier , quand, des personnn oui marchaient devant moi s'étant tout à coup brusquement écartées, je vis foudre sur moi im gros chien danois qui , s'élan- çant à toutes jambes devant un carrosse , n'eut pas même le temps de retenir sa course ou de se détourner quand il m'aper- çut. Je jugeai que le seul moyen que j'avais d éviter d'être jeté par terre était Je faire un grand saut , si juste que le chien passât »ous moi tandis que je serais en l'air. Celte idée , plus prompte que l'éclair , et que je n'eus le temps ni de raisonner ni d'exécu- ter, fut la dernière avant mon accident. Je ne sentis, ni le coup, ni la chute , ni rien de ce qui s'ensuivit ^ jusqu'au moment oii \e revins à moi.

11 était presque nuit quand je repris connais^iAnce. Je me trouvai entre les bras de trois ou quatre jeunes gens qui me ra- contèrent ce qui venait de m'arriver. Le chien danois, u'avant pu retenir sonélao, &'élait précipite sur mes deux jambes/ et ,

r

3-i'î

SECONDE PROMENADE.

me cboqnant de sa masse et Je sa ^^^es5e, m'avait faîl tomber tête en avant : la mâchoire supérieure , portant tout le poitls df mon corps , avait frappé sur un pave très-raboteux , et la cliuli? avait été crantant plus violente au'etant à la descente ma le!»? avait donné plus bas (jue mes pieds. Le carrosse auquel apparte- nait le chien suivait immédiaicment ^ et m'aurait passe sur lo corps si le cocher n'eiU à l'instant retenu ses chevaux.

Voilà ce que j*appris par le récit de ceux qui m'avaieuC relevé et qui me soutenaient encore lorsque je revins à moi. LVtat auquel je me trouvai dans cet instant est trop singulier pour n*eu pas faire ici la description.

La nuit s'avançait. J'aperçus le ciel , quelques étoiles^ et nu peu de verdure. Cette première sensation fut un moment déli- cieux. Je ne me sentais encore que par-là. Je naissais dans cet imtant à la vie , et il me semblait que je remplissais de ma légèrt? existence tous les objets que j'apercevais. Tout entier au moment présent , ie ne me souvenais de rien ; je n'avais nulle notion distincte de mon individu , pas la moindre idée de ce qui venait de m'arriver ^ je ne savais ni qui j'étais , ui ou j'étais ; je ne sen- tais ni mal , ni crainte , ni inquiétude. Je voyais couler mou sang, comme j'aurais vu couler un ruisseau, sans songer seule- ment que ce sang m'appartint en aucune sorte. Je sentais dans tout mou être un calme ravissant, auquel , chaque fois que je me le rappelle , je ne trouve rien de comparable dans toute Tac- tivité des plaisirs connus.

On nie demanda oii je demeurais ; il me fut impossible de le dire. Je demandai oii j'étais ; on nie dit , à la hautes borne ; c'était comme si l'on m'eût dit au mont Allas. Il fallut de- mander successivement le pays f la ville, et le quartier, ou je me trouvais: encore cela ne put-il suffire pour me reconnaître j il me fallut tout le trajet de jusqu'au boulevard pour me rap- peler ma demeure et mon nom. Un monsieur que je ne connais- sais pas , et qui eut la charité de m'accompagner quelque temps , apprenant que je demeurais si loin , me conseilla de prendre au Temple un fiacre pour me reconduire chez moi. Je marchais trê^bien , très-légerement , s.ins sentir ni douleur ni blessure,

Îtuoique je crachasse toujours beaucoup de sang. Mais j'avais un ris6on glacial qui faisait claquer d'une façon très-incommode mes dents fracassées. Arrivé au Temple, je pensai que , pui-^iue je marchais sans peine , il valait mieux continuer ainsi ma route à pied que de m exposer à périr de froid dans un fiacre. Je ûs ainsi U demi-lieue qu'il y a du Temple à la rue PUtrière, mar- chant sans peine , évitant les embarras , les voitures , choisis- sant et suivant mon chemin tout aussi bien que j^aurais pu faire en pleine santé. J'arrive, j'ouvre le secret qu'on a fait mettre à la porte de la rue , je monte l'escalier dans robscurité , et j'entre raton che« moi sans autre accident que ma chiite et ses suites , dont je ne m'apercevais pas mt-me alors.

Les cris de ma femme en me voyant me firent comprendre

346

LES RÊVERIES.

<|uc j'étais plus maltraite que je ne pensais. Je passai la nuit sans connaître encore et sentir mon mal. Voici ce que je senti» «l trouvai le lendemain. J'avais la lèvre supérieure fendue en de- dans jusqu'au nez, en dehors la peau l'avait raieu\ garantie, et empêcnait la totale séparation ; quatre dents enfoncées à la Tnâcboirc supérieure , toute la partie du visage qui la comvrc extrêmement enflée et meurtrie , le pouce droit foulé et Irès-

f;ros f le pouce gauche grièvement blessé , le bras gauche foulé, e genou gauche aussi très-enflc et qu'une contusion forte et ciouloureuse empêchait totalement de plier. Mais , avec tout ce fracas « rien ae brisé, pas même une dent ) bonheur qai tient du prodige dans une chiite comme celle-là.

Voil^ très-tîdètement Thistoire de mon accident. En peu de jours cette histoire se répandit dans Paris, tellement changée et défigurée qu'il était impossible d'y rien reconnaître. J'aurais diï compter d'avance sur cette métamorphose ; mais il s'y joignit tant de circonstances bizarres ; tant de propos ohscurk cl de réticences l'accompagnèrent ) on m'en parlait d'un air si risible- ment discret , que tous ces mystères m'inquiétèrent. J'ai tou- jours haï les ténèbres ; elles m'inspirent naturellement une hor- reur que celles dont on m'environne depuis tant d'années n'ont pas du diminuer. Parmi toutes les sineularitès de cette époque je n'en remarquerai qu'une, mais sulhsajite pour faire juger dd autres.

M.***, avec lequel jen'avaîs jamais eu aucune relation, envoya son secrétaire s'informer de mes nouvelles, et me faire d'iuï- tantes offres de service nui ne me parurent pas, dans la circon»- tance, d'une grande utilité pour mon soulagement. Son secrétaire ne laissa pas de me presser très-vivement de me prévaloir de tti offres , jusqu'à rac dire que si je ne me fiais pas à lui je pouvii» écrire directement à M.***. Ce grand empressement, el l'iir de confidence qu'il y joignit, me firent comprendre qu'il yaviit sous tout cela quelque mystère que je cherchais vainement i

Sénétrer. Il n'en fjllaîL pas tnnt pour m'elfaroucher, surtout ans l'état d'agltjîtinn oii mon accident cl la fièvre qui s'y êt*il jointe avaient mis ma tête. Je me livrais à mille conjectures in* auiûtautes et tristes, et je faisais sur tout ce qui se passait autoar de moi des commentaires qui marquaient plutôt fc délire dfl* lièvre que le sang-froid d'un homme qui ne prend plus d'intérêt à rien.

Un autre événement vint achever de troubler ma traDqui)Uie> Madame *** m'avait recherché depuis quelques années, tto* <|ue je pusse deviner pourquoi. De petits caoeaux affrcteSpii' ll'équeules visites, sans objet et sans plaisir, me marquaici^l asseï un but secret h. tout cela , mais ne me le montraient pt*. Elle m'avait parlé d'un roman qu'elle voulait faire pour le pré- senter h la rcme. Je lui avais dit ce que je pensais des femme* auteurs. Elle m'avait fait entendre que ce projet avait pour but le rétablissement de sa fortune, pour lequel elle avait besoin de

SECONDE PROMENADE.

347

protection; je n'avais rien h repondre à cela. Elle me dit flepuis que, n'ayant pu avoir accès auprès de la reine, elle était ile- terminée à donner son livre au public. Ce n*étAit plus le ca$ de lui donner des conseils qu'elle ne me denraodait pas, et qu'elle n'aurait pas suivis. Elle m'avait parle de rae montrer auparavant

tnanuiicrtt. Je la priai de n'en rien faire, et elle n^en fit rieo.

Ln beau jour, durant ma convalescence, je reçus de sa part ce livre tout imprimé et même relié, et je vis dans la préface de si grosses louanges de raoi , si mauj^saderaent plaquées et avec (.mt draiTectation , que j'en fus désagréablement afîecté. La rtidr flagornerie qui s'y faisait sentir ne s*allia jamais avec la bicnveil- lancej mon cœur ne saurait se tromper là-dessus.

Quelques jours après, madame *** me vint voir avec sa fille. Elle ra'appnt que son livre faisait le plus grand bniil à cause d'une note qui le lui attirait; j'avais à peine remarqué celte note en parcourant rapidement ce roman. Je la relus après le départ de madame***- jVn examinai la tournure; j'y crus trouver Je motif de ses visites, de ses cajoleries, des crosses louanges de sa préface^ et je jugeai que tout cela n'avait d'autre but que de disposer le public à m'altribuer la note, et par con- séquent le blànte qu'elle pouvait attirer à son auteur dans la cir- constance où elle était publiée.

Je n'avais aucun moyen de détruire ce bruit et l'impression qu'il pouvait faire; et tout ce qui dépendait de moi était de ne pas l'eulreteuir, eu souffrant la continuation des vaines et osleu- sivcs visites de madame *** et de sa fille. Voici pour cet effet le billet que j'écrivis â la mère :

« Rousseau, ne recevant chez lui aucun auteur, remercie » madame ♦♦* de ses bontés, et la prie de ne plus l'honorer de ses visites. »

EUe me répondit par une lettre honnête dans la fornue, mais tournée comme toutes celles que l'on m'écrit en pareil cas. J'avais barbareraent porté le poignard dans son cœur sensible, et je devais croire au ton de sa lettre qu'ayant pour nioi des sen- limens si vifs et si vrais elle ne supporterait point sans mourir celte rupture. C'est oinsi que la droiture et la franchise en toute chose sont des crimes affreux dans le monde; et je paraîtrais à mes contemporains méchant et féroce quand je n aurais à leurs yeux d'autre rrime que <\c n'être pas faux et perfide comme eux.

J'étais déjà sorti plusieurs fois, et je me promenais même assert sooreat aux Tuileries, quand je vis, â l'étonnement de plusieurs deceux qui me rencontraient, qu'il y avait encore à mon égard q uel- nueaut renouvelle que j'ignorais. J'appris enfin que le bruit public était que j'étais mort de ma chute; et ce bruit se répandit si ra- pidement et si opiniâtrement que, plus de quinze jours après que j'en fus instruit , Ton en parla à la cour commt; cl'u

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Le

M Avignon , ,t ce qu on eut soin de m écrire

sur le tribut d'outrages et d'indigiiilef qu on

courrier onçani cette heureuse nouvelle, ne luanijua pas d'antici)>er pette occasion

k

348 LES RÊVERIES.

preparcàmaracmoircaprcsmaraorl, en forme d'oraîsofl funèbre.

Cctle nouvelle fut accompagnée t\*nne circonstance encortf p!us singulière que je n'appris aue par hasard, et dont je n ai pu savoir aucun dctrfil. C est qu on avait ouvert eu mrrne temp» une souscription pourrinipression des manuscrits que l'on trou- verait chex moi. Je compris par-là quVn tenait prêt un recueil 'd'écrits fabriques tout exprès pour mêles attribuer d'abord après ma mort : carde penser qu'on imprimât lîdèlement aucun de ceux qu'on pourrait trouver en eflet, c'était une belise qui ne pouvait entrer dans l'esprit d'un homme sensé, et dont quinze ans d'expérience ne m'ont que trop garanti.

Ces remarques, faites coup sur coup , et suivies de beaucoup d'autres qui n'étaient auère moins étonnantes, enarouclièrcnt derechef mon imagination que je croyais amortie, et ces noires ténèbres qu'on renforçait sans relâche autour de moi ranifnèreni toute l'horreur qu'elles m'inspirent naturellement. Je me fati- guai à faire sur tout cela mille commentaires, et à tâcher de comprendre des mystères qu'on a rendus inexplicables pour moi. Le seul résultat constant de tant d'énigmes fut la confirmation de toutes mes conclusions précédentca; savoir que la destinée de ma persomie , et celle de ma réputation , ayant été fixées de concert par tonte la génération présente, nul effort de ma part ne pouvait m'y soustraire, puisqu'il m'est de toute impossibilité de transmettre aiicuu dépàt à d'autres âges sans le faire pass^ dans celui-ci par des mains intéressées h le supprimer.

Mais cette fois j'allai plus loin. L'amas de tant de circonstances fortuites, l'élévation de tous mes plus cruels ennemis, affectée pour ainsi dire par la fortune, tous ceux qui gouvernent l'étal 1 tons ceux qui dirigent l'opinion publique, tous les gens en place, lotis les hommes en crédit triés comme sur le volet parmi ceux qui ont contre moi quelque animosité secrète, pour concourir au commun complot, cet accord universel est trop extraordi- naire pour être purement fortuit. Un seul homme qui eût refusé d'en être complice, un seul événement qui lui eï\t été contraire, une seule circonstance imprévue qui lui eiU fait obstacle, suifi* sait pour le faire échouer. Mais toutes les volontés, toutes Irt fatalités, la fortune, et toutes les révolutions, ont affermi l'œuvre des hommes; et un concours si frappant qui lient dn prodige ne peut me laisser douter que son plein succès no toit écrit dans les décrets éternels. Des foules d observations parti- rtiliêres, soit dans le passé, soit dans le présent , me confirment tellement dans cette opinion que je ne puis ra'empècher de re- garder désormais , comme un de ces secrets du ciel impénétrables •* la raison humaine, la incuic rpuvre que je n'envisageais jus- qu'ici que connue un fruit de la méchanceté des homme*.

Cette idée, loin de m'être cruelle et déchirante, me console , me tranquillise, et m'aide i me résigner. Je ne vais pas si loin que St. Augustin, qui se fût consolé d'être damné si telle eûl l'ié la volonté de Dieu : ma résiliation vient d'une source

SECONDE PROMENADE. 349

moins drsinteressee , il est vrai, mais non moins pure et plus

«ittgiie â mon grc de l'Etre parfait que j'adore.

Dieu est juste; il veut que je soutire; et il sait que je suis

innocent. Voilà le motif de ma confiance; mon caur et ma

raison nie crient qu'elle ne me trompera pa.s. Laissons donc faire ^^es hommes et la destinée ; apprenons à souffrir sans murmure; ^•toul doit à la fin rentrer daus l'ordre, et mon tour viendra tôt

ou tard.

I iiul

TROISIÈME PROMENADE.

Je deviens vieux en apprenant toojoars.

SoLON répétait souvent ce vers dans sa vieillesse. Il a un sens dans lequel je pourrais le dire aussi dans la mienne; mais c'est »ine bien triste science que celle que depuis vingt ans l'expcf- riencc m'a fait acquérir : Tignorance est encore préférable. L'adversité sans doute est un grand maître : mais ce maître fait payer cher ses leçons; cl souvent le profit qu'on en retire ne vaut pas le prix qu'elles ont coûté. D'ailleurs , avant qu'où ait obtenu ut cet acquis par des leçons si tardives, l'à-propos d'en user passe. La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse; la vieil- sse est le temps de la pratiquer. L'expérience instruit toujours, je J'ayour; mais elle ne profite que pour l'espace qu'on a aevaiit 1. Kst-il temps, au luoment qu il faudrait mourir, d^apprendre mment on aurait vivre !

Ebî que me servent des lumières, si tard et si douloureuse- nt acquises sur ma destuiée, et sur les passions d'autrui dont elle est 1 œuvre! Je n'ai appris â mieux connaître tes homiûec qqie pour xuieuic seutir la lui&ère oii ils m'ont plongé, sans que cette connaissance « en me découvrant tous leurs pièges, m en ait pu faire éviter aucun. Que ne suis-jc resté toujours dans cette imbécile mais douce conHancc qui me rendit duraut tant d'années proie et Je jouet de mes bruyans amis, sans qu'enveloppé de ites leurs trames j'en eusse même le moindre soupçon ! J étais r dupe et leur victime , il est vrai, mais je me croyais aimé d^eux , et mon cœur jouissait de l'amitié qu'ils m'avaient inspirée, leur eu attribuant autant pour moi. Ces douces illusions sont truites. La triste vérité , que le leuips et la raison ju'onl dé- ilée, eu me faisant sentir mon malheur, m'a fait voir qu'il il sans remède, et qu'il ne me restait qu'à m'y résigner. Ainsi, ules les expériences de mon Âge sont pour moi dans mon état ns utilité présente, et sans profit pour l'avenir. Nous entrons eu lice à noire naissance, nous en sortons à la ort. Que sert d'apprendre à mieux conduire sou char quand on esl au bout dt; la carrière ? Il ne reste plus à penser alors que uiment on eu sortira. L'étude d'un vieillard, s'il lui en reste core â faire, est uniquement d'apprendre à mourir; et c'est écisément celle qu'on fait le moins à mon âge; on y pense à

35o

LES RÊVERIES.

tout, Uormîs h. cela. Tous les vieillards tiennent plus à la vie que les enfans , et en sortent de plus mauvaise grâce que les jeunes gens. C'est que, tous leurs Irayaun ayant été pour celte vie , iU voient ù sa fin quMs ont perdu leurs peines. Tous leurs soins , tous leurs biens, tons les fruits de leurs laborieuses veilles, iU quittent tout quand ils s'en vont. Ils n'ont songé à riea Acqaèrir durant leur vie qu'ils pussent emporter à leur mort.

Je me snis dit tout cela quand il était temps de rae le dire ; et , si je n'ai pas mieux su tirer parti de mes réflexions , ce nVst pas faute de les avoir faites à temps, et de les avoir bien digérées. Jeté dès mon enfance dans le tourbillon du monde, j'appris de bonne heure, par l'expérience, que je nVtais pas fait pour y vivre, cl que je n'y parviendrais jamais à l'étal dont mon coeur sentait le Lesoin, (^e^sant donc de cberchcr parmi les hommes le bonheur que je sentais n'y pouvoir trouver, mon ardente imagination sautait déjà par-dessus Tespace de ma vie , à peino commencée, comme sur un terrain qui m*était étranger, pour se reposer sur une assiette lran<[uille je pusse me fixer.

Ceseuliment, nourri par l'éducation dès mon enfance, et ren- forcé durant toute ma vie par ce long tissu de misères et d'in- fortunes qui Ta remplie, ma fait chercher dans tous les tempi à conn.iitte la nature et la deslination de mon «Ire avec plus d'intérêt et de soin que je n'en ai trouvé dans aucun autre bomme. J'en ai beaucoup vu qui philosophaient bien plus doc- tement que moi , mais leur philosophie leur était pour ainsi dire étrangère. Voulant «'ire plus savans que d'autres , ils étudiaient l'univers pour savoir comment il était arrangé, comme ils au- raient étudié quelque machine qu'ils auraient aperçue , par pure curiosité. Ils étudiaient la nature humaine pourvu pouvoir parler savamment, mais uou pas pour se connaître; ils travail- laient pour instruire les autres , mais non pas pour s'éclairer en dedans. Plusieurs d'entre euï ne voulaient que faire un livre, n*importaitquel , pourvu qu'il fût nccueilli. <[)uand le leur était fait et publié , son contenu nr les intéressait plus en aucune sorte* ci ce n est pour le faire adopter aux autres et pour le défendra au cas qu'il filt attaqué « mai^i du reste sans en rien tirer ponr leur propre usage, sans s'embarrasser même que ce contenu fiU faux ou vrai , pourvu qu'il ne fût pas réfuté. Pour moi , quand j'ai désiré d'apprendre, c'était pour savoir moi-m^me et non pas pour enseigner; j'ai toujours cru qu'avant d'instruire le» autres il fallait commencer par savoir assez pour soi; et, de toutev les études que j*ai tâché de faire en ma vie au milieu des houimef, il n'y en a guère que je n'eusse faîtes également seul dans une Ue déserte oti j'aurais été confiné pour le reste de mes jours. O

3u'on doit faire dépend beaucoup de ce qu'on doit croire, et, ans tout ce qui ne tient pas aux premiers besoins de la nature. nos opinions sont la règle de nos actions. Dans ce principe, qui fut toujours le mien, j'ai cherché souvent et long-temps, pour diriger l'emploi de ma yiei k coonaStre sa véritable (in , et je me

TROISIEME PROMENADE. 35i

sois bientôt consolé de mon peu <}*aptitiide à me conduire habi- lement dans ce monde , en sentant qu'il n'y fallait pas chercher celte Ba.

>iê dans une famille ou régnaient les mœurs et la piété, élevé ensuite avec douceur chez un ministre plein de sagesse et de religion, j'avais reçu dt^s raa plus tendre enfance des principes, des maximes , d'autres diraient des préjugés , qui ne m'ont jamais tout-à-fait abandonné. Entant encore, et livré à moi- même , alléché par des caresses , séduit par la vanité, leurré par l'espérance, forcé par la nécessité, je me fis catholique, mais je aemeurai toujours chrétien ; et bientôt, gagné par l'habitude, mon cœur s'attacha sincèrement à ma nouvelle religion. Les instructions, les exemples de madame de /^<7r£n« , m'alfermi- rent dans cet attachement. La solitude champêtre ou j*ai passé la fleur de ma jeunesse , Tétude des bons livres à laquelle je me livrai tout entier , renforcèrent auprès d'elle mes dispositions naturelles aux sentimens affectueux , et me rendirent dévot pres- que â la manière de Fènélon. La méditation dans la retraite, 1 étude de la nature, la contemplation de l'imivers, forcent un solitaire à sVlancer incessamment vers Tauteur des choses, et à chercher avec une douce inquiétude la fin deloul ce qu'il voit clla cause de tout ce qu'il sent. Lorsque ma destinée me rejeta dans le torrent du monde , je n'y retrouvai plus rien qui put flatter un moment mon cœur. Le regret de mes doux loisirs me suivit partout , et jeta l'indilférence et le dégoilt sur tout ce qui pou- vait se trouver à ma portée , propre à mener à la fortune et aux honneurs. Incertain dans mes inquiets désirs , j'espérais peu, j'obtins moins, et je sentis, dans des lueurs même de prospérité, que, quand j'aurais obtenu tout ce que je croyais chercher, je n'y aurais point trouvé ce bonheur uont mon cœur était aviae tani en savoir démêler l'objet. Ainsi tout contribuait à détacher me» afifections de ce monde , même avant les malheurs qui de- vaient lu'y rendre tout— â-fait étranger. Je parvins jusqu à l'âge de quarante ans, flottant entre l'indigence et la fortune, entre la sagesse et l'égarement, plein de vice d'habitude sans aucun mauvais penchant dans le cœur , vivant au hasard sans principes bien décidés par ma raison, et distrait sur mes devoirs saus les mépriser , mais souvent sans les bien connaître.

Dès ma jeunesse j'avais fixé cette époque de quarante «ni comme le terme de mes efforts pour parvenir, et celui de mes prétentions en tout genre. Bien résolu, dès cet âge atteint et dans qnelqne situation que je fusse, de ne plus me ael)attre pour en sortir, et de passer le reste de mes jours à vivre au jour fa jour- née sans plus m'occuper de l'avenir. Le moment venu, j'exé- cutai ce projet sans peme, et , quoiqu'alors ma fortune sembUt vouloir prendre une assiette plus fixe , j'y renonçai, non-seule^ ment sans regret , mais avec un plaisir véritable. En me déli- rrant de tous ces leurres , de toutes ces vaines espérances , je me livrai pleioement à l'incurie et au repos d'esprit qui fit toujouri

35a

LES hèveries.

mon goût le plus dominant ot mon pencbant le plus dura&lë

Je quittai le monde et ses pompes, je rcuon^>ai à toutes parure»; plus d'épee , plus de montre , plus de bas lilancs , de dorure , de coilTure ; uue perruque toute simple , uu bon gros habit de drap; et , mieux que tout cela, je déracinai de juon Cfpur les cupidités et les convoitises qui donnent du prix à tout ce que je quittais. Je renonçai à la place que j'occupais alors , ))uur laquelle je n'étais nullement propre, et je me mis k copier de la musique à tant la page, occupatioa pour laquelle j'avais eu toujours un ^oût décidé.

Je ne bornai pas ma réforme aux choses exlérîenres. Je seatts que celle-là même en exigeait une autre plus pénible, sans doute, mais plus nécessaire dans les opinions; et , résolu de nVn pas faire à deux fois, j'entrepris de soumettre mon intérieur à un examen sévère qui le réglât pour le reste de ma vie tel que je voulais le trouver à ma mort.

Lue grande révolution qui venait de se faire en moi ; un autre monde moral qui se dévoilait ù mes regards j les insensés jnge- mens des hommes, dont, sans prévoir encore combien j'en serai» ]a victime , je commençais â sentir Tabsurdité j le besoin tou- jours croissant d*un autre bien que la gloriole littéraire doot k peine la vapeur m'avait atteint que j'en étais déjà dégoàté^ le désir enfin tic tracer pour le reste de ma carrière une route moint incertaine que celle dans laquelle j'en venais de passer la plus belle moitié, tout m'obligeait à celle grande revue dont je sen- tais depuis long-temps le besoin. Je Tent repris doue , et je ne négligeai rien de ce qui dépendait de moi pour bien exécuter cette entreprise.

C'est de cette époque que je puis dater mon enlîer renonce Tuent au moudc , et ce goût vif pour la solitude ^ qui ne ni*A plus quitté depuis ce temps-Iâ. L'ouvrage que j'entreprenais ne pt'ii- vait s'exécuter que dans une retraite absolue; il demandait de longues et paisibles méditations que le tumulte de la société ne soufl're pas. Cela nie força de prendre pour uu temps une autre Tuanière de vivre dont ensuite je me trouvai si bien que, oe l'ayant interrompue depuis lors que par force et pour peu d'in*- tans, je l'ai reprise de tout mou cœur, et m'y suis borné NUU peine , aussitôt que je l'ai pu j et quand ensuite les liomnie-s m'ont réduit â vivio seul, j'ai trouvé qu'en me séquestrant pour ni' rendre misérable ils avaient plus fait pour mon bonheur qucjr n'avais su faire moi— même.

Je me livrai au travail que j'avais entrepris avec un ik\9 proportionné et k Tiraporlance de la chose , et au besoin que sentais en avoir. Je rivais alors avec des philosophes moucma qui ne ressemblaieut guère aux anciens : au lieu de lever tDd doutes et de fixer mes irrésolutions, ils avaient ébranlé toute* Id certitudes que je croyais avoir sur les points qu'il m'importait U plus de connaître : car , ardens missionnaires d'athéisme et trèi- impérieux dogmatiques, li» n'euduraieut point ^ans colère que,

TROISIEME PîlOMENADE.

pût f'tl

353 lur quelque point que ce pût f'tre , on osùl pnnser aatremcut qu'eux. Je m'étais (Jrfeudu souvent assez faiblement par liaine pour la dispute f et par peu de talent pour la soutenir j mais |ajnais je n adoptai leur désolante doctrine ; et cette résistauce â des hommes aussi intolérans, qui d'ailleurs avaient leurs vues, ne fnt pas une de^ moindres cau.^s qui attisèrent leur animosité.

Us oe m'avaient pas persuadé, mais ils m'avaient inquiété. Leurs argumens m'avaient ébranlé sans m'avoir jamais con- vaincu ; je nV trouvais point de bonne réponse , mais je sentais qu'il y en devait avoir. Je m'accusais moins d'erreur que d'ineptie, et mon ccrur leur répondait mieux que ma raison.

Je me dis enfin ; me laisserai-je éternellement ballotter par les sophisines des mieux disans, dont je ne suis pas même sûr que les opinion» qu'ils prêchent et qu'ils ont tant d'ardeur k faire adopter aux autres soient bien les leurs à eux-mêmes? Leurs pas- &ioas , qui gouvernent leur doctrine , leur intérêt de faire croire ceci ou cela , rendent impossible à pénétrer ce qu'ils croient eux- mêmes. Peut-on chercher de la bonne foi daus des chefs de parti .' Leur pliiln.sophie est pour les autres; il m'en faudrait une pour moi. CherchonS'Ia de toutes mes forces tandis qu'il est temps encore, afin d'avoir une règle fixe de conduite pour le reste de mes jours. Me voilà dans la maturité de l'âge , dans toute la force de l'entendement : déjà je touche au déclin ; si j'attends encore , je n'aurai plus, dans ma délibération tardive, l'usage de toutes mes forces; mes facultés ialeilectuelle^ auront déjà perdu de leur activité } je ferai moins bien ce que je puis faire aujourd'hui de mon mieux possible saisissons ce moment favorable ; il est l'c—

rue de ma réforme •xtenie et luatérielle , qu'il soit aussi celle ua réforme intellectuelle et morale. Fixons une bouiie fus me^ opinions, mes pnncipes ; et soyons pour le reste de ma vie ce que j'aurai trouvé devoir être après y avoir bien pensé.

J exécutai ce projet lentement et à diverses reprises , mais avec tout rclTorL et toute ['attention dont j'étais capable. Je sentais vivement que le repos du reste de mes jours et mou sort total ea dépendaient. Je m'y trouvai d'abord daus un tel labyruithe d'embarras, de ditHcultés , d'objections, de tortuosités, de lé- Btbres, que, vingt fois tenté de tout abandonner, je fus prêt , renonçant à de vaines recherches, de m'en tenir , dans mes dé- libérations, aux règles de la prudence commune, sans plus eu chercher dans des pnncipes que j'avais taut de peine âdébroudler; .,[>.. ^piie prudence meraC m'était tellement étrangère, je me s si peu propre à Tacquérir, que la prendre pour mou guide uruit autre chose que vouloir, à travers les mers et les orages , chercher, sans gouvernail, sans boussole , uu fanal presque inac- omible , et qui ne m'indiquait aucun port.

Je perMïlai : pour la première fois de ma vie j'eus du courage,

(( jt ooU k 60ti succès d'avoir pu soutenir l'Iiorrilile destinée «uiî

énion commeuçail â lu'cnvclopper, sans que j'en eusse le moin-

4n soupçou. Après les recherches les plus ardentes et les plu5

5. a3

TROISIEME PROMENADE.

355

princtpesfondamentDuxa<ioptésparina raison, confirm^parmon cnrur, et oui tous portent le sceau de rassenliment tntrriiMirdans le silence Je^ pissmns. Pans des maliores si supérieures à Teolen- deiiient Itiiiiiaiii , une objection , que je ne puis résoudre , roa- versera-l-tlle tout un corp* de doctrine si solide , si bien liée et formée avec tant de méditation et de soin , si bien appropriée à ma raison , à mon Cn^ur , à tout mon être, et ronforcfe nv l'as- sentiment intérieur que je sens manquer à toutes les antres .' Non, de vaine!» ar»niiienrations ne détruiront jainnis la convenance <jne j'ap^rçnis entre m;i nature îniinorlelte et la constitution de ce monde , et l'ordre physique que \*y vois régner : jV trouve dans l'ordre moral correspondant , et dont le tv*tème est le ré- sultat de iDfs recherches , les appuis dont j'ai besoin pour sup- porter les mistrcs de ma vie. l>ans tout nutre système je n- Trais sans ressource, et je mourrais sans espoir; je serais la plus malheureuse des créatures. Tenons— nous en donc h celui qui seul

, «nfiit pour me rendre heureux en dépit de la fortune et des

iL^tnmes.

Cette dt'libéralion et la conclusion que jVn tirai ne semblent- elles pas avoir été dictées par le ciel même pour me préparer à la destinée qui m'attendait , et me mettre en état de la soutenir? Que sernis-ie devenu, que deviendra is-je encore dansles angoisse* alTreusfs qui m'.iLtendaient et rlaus Tincroyable situation je suis réduit pour le resie de ma vie, si, reste sans asile oii je pusse échapper ii mes implacables persécuteurs, sans dédommagement des opprobres qu'ils me font essuver en ce monde , et sans espoir d'obtenir jamais la justice qui m'était due, je m'étais vu livré tout entier au plus horrible sort an'ait éprouve sur la terre aucun mortel ? Tandi<i que, tranquille oans mon innocence , je n'ima- ginais qu'estime et bienveillance pour moi parmi les hommes; tandis que mon ceur ouvert et confiant s'épanchait avec des amis et des fri'res, les traîtres m'enlaçaient, en silence , de rets forgés au fond des enfers. Surpris par les plus imprévus de tous les mal- heurs et les plus terribles pfjur une arae fière, traîné dans la fan^e san» jamaiit savoir par qui ni pourquoi., plongé dans uu abîme d'ignominie , enveloppé d'horribles ténèbres à travers les- quelles je n'apercevais que de sinistres objets , ù la première sur- prime je fus terra-isé, et jamais je ne serais revenu de l'abattement ou me jeta ce genre imprévu de malheurs, si je ne m'étais mé— cage d'avance des forces pour me relever dans meschL\tes.

Ce ne fut qu'après des années d'agitation que , reprenant enfin mes esprits et commençant de rentrer en moi-même, je sentis des ressources que je m'étais ménagées pour l'adversité* idé sur toutes les choses dont il m'importait de juger, je vis, tarant mes maximes à ma situation , que je donnais aux lugemcus des hommes , et aux petits evènemcns de cette ^beaucoup plus d'importance qu'ils n'en avaient ; que^ nu'un étal d'épreuves, il importait peu que ceâ ^m telle ou telle sorte , pourvu qu'il en raultâc

k

354

LES RÊVERIES.

sincères qui jamais pmt-«tre aient été faites par aucun rooHel « je me décidai pour toute ma vie sur tous les ftentuuens qu'il m'importait d'avoir^ et si j*ai pu me tromper dani mes résultats, )e suis sûr au moins que mon erreur ne peut m'ctro imputée à crime: car j*ai fait tous mes eflorts pour m'en garantir. Je ne doute point, il est vrai, que les préjuges de l'enfance et les vo?ux secrets de mon cœur n*aient fait pencher la balance du côlé le plus consolant pour moi. On se défend ditUcîlemenl de croire ce qu*on désire avec tant d'ardeur ; et qui peut douter que l'intérêt d'admettre ou rejeter les jugement de r.iutre vie ne détermine la foi de la plupart des hommes sur leur espcrauce nu leur crainte ? Tout cela pouvait fasciner mon jugement, j'en conviens, mais non pas altérer ma bonne fui; car je craignais de me tromper aur toute cho.se. 8i tout consistait dans Tusage de cette vie , il m'importait de le savoir, pour en tirer du moins le meilleur parti qu'il dépendrait de moi , tandis qu'il était encore temps, et n'être pas tout-à-fait dnpe. Mais ce que j'avais le pins à re- douter au monde, dans la disposition oii ]c me sentais , était d'ex- poser le sort éternel de mon ame pour la jouissance des biens de ce monde , qui ne m'ont jamais paru d'un grand prix.

J'avoue encore que je ne levai pas toujours à ma satisfaction toutes ces difllcultés qui m'avaient embarrasse , et dont nos phi- losophes avaient si souvent rebattu mes oreilles. Mais, résolu de me décider enfin sur des matii*res oii l'intelligence humaine a si peu de prise , et trouvant de toutes parts des mystères impéné- trables et des objections insolubles , j'adoptai dans chaque ques- tion le sentiment qui me parut le mieux établi directement , le plus croyable en lui-m^me, sans m'arréler aux objectious que je ne pouvais résoudre » mais qui se rétorquaient nnr d'autres objections non moins fortes dans le systirme opposé, l^e ton dog- matique sur ces matières ne convient qu'à des charlatans ; mais il importe d*avoir un sentiment pour soi ^ et de le choisir avec toute la maturité de jugement qu'on y peut mettre. Si malgré cela nous tombons dans rcrrcur, nous n'en saurions porter la peine on bonne justice, puisque nous n*en aurons point la coulpe. Voilà le principe inébranlable qui sert de base k ma sécurité.

Le résultat de mes pénibles recherches fut tel à peu pri?» que je Tai consigné depnis dans la profession de foi du Vicaire sa- voyard , ouvrage indignement prostitué et profané duu^ la géné- ration présente , mais qui peut faire un jour révolution parmi les hommes , si jamais il y renaît du bon sens et de la bonne foi.

Depuis lors, resté tranquille dans les principes que j*av«îs adoptés après une méditation si longue et si réfléchie, j'«n ai fait la règle immuable de ma conduite et de ma foi. san4 plu» m'inquiéter ni des objections que je n'avais- pu prévoir, etquist présentaient nouvellement de temps à autre à mon esprit, bllfs m'ont inquiété quebiuefois , mais elles ne m'ont jamais ébranlé. Je me suis toujours ait : tout cela ne sont que des arguties et drs subtilités métaphysiques , qui ne sout d'aucun poids ajjprés de»

in

TROISIEME PROMENADE.

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principes fondaraentaun adoptés par ma raison, coufîrméspnrmon cœur , el uni ton» portant lescrau tir rai9»«ntimfînt intérieur <1an» Jr silence des pi^ums. Oans ries matières si supérieures à Tenlen-

de

ment Utiiiiairt , une objection , que ]e ne puis résoudre, ron- Tcrit'ra-t-flU tout un corp< de doctrine si solide, si bien liée et formée avec tant de méditation et de soin , ai bien appropriée à ma raison , à 111*111 Cnrur, à tout mon être, et renforcée ne l'as— Kcnliment inlérieur tjiie je sens manquer à toutes les antres/ Non, de vaine* argituirnlations ne délruironl jamais la convenance que j'aprrçius eiilre ma nature immortelle et ta constitution de ce monde, et l'ordre physique que \*y vois régner : j'y trouve dans l'ordre moral correspondînit , et dont le sv^rème est le ré- sultat de mes reclierches , les appuis dont j'ai besoin pour sup- porter les laisêres de ma vie. Dans tout autre système je vi- vrais sans ressource, et je mourrais sans pspoir; je serais la plus malheureuse des créatures. Tenons— nous en donc h celui <|ui seul tnirit pour me rendre heureux en dépit de la fortune et des boinuies.

Cette délibération el la conclusion que j'en tirai ne semblent- elles pas avoir été dictées par le ciel inénic pour me préparer à la destinée qui m'attendait , et me mettre en état de la soutenir? <^)ur srrais-je devenu, que deviendrats-je encore dans les angoisses alTretisfs qui m'attendaient et daus TincroYable situation uîi je SUIS réduit pour le resie de ma vie, si, reste sans asile oii je pusse échapper k mes imjilacables persécuteurs , sans dédommageinenC des opprobres qu'ifs me font essuver en ce monde , et sans espoir «l'obtenir jamais la justice qui in'élait due, je m'étais vu hvré tout entier au plus horrible sort qu'ait éprouve sur la Terre aatan mortel ? Tandis que , tranipiille dans mon innocence , je n'ima- ginais qu'estime et bienveillance pour moi parmi les hommes ; tandis que mon c^niir ouvert et confiant s'épanchait avec des amis et des frères, les traîtres m'enlaçaient, en silence , de rets forgés au fond de» enfers. Surpris par les plus imprévus de tous les mal- heurs et les plus terribles pour une ame fibre, traîné dans 1a fan^c sans jamais savoir par qui ni pourquoi, plongé dans uu abiiue d'ignominie , enveloppé d'horribles ténèbres à travers les- quelles je n'a|>ercrvais que de sinistres objets , à la première sur— pri%e je fus terrassé, et jamais je ne serais revenu de l'abattement oii me jeta ce genre imprévu de malheurs, si je ne m'étais mé- nagé d'avance des forces pour me relever dans mes chûtes.

Ce ne fut ({u'apros des aimées d'agitation que , reprenant enfin mes esprits et commençant de rentrer en moi-même , je soutis le prix des ressources que je m'étais ménagées pour radversité» Décidé sur toutes les choses dont il m^mporlait de juger, je vis, en comparant mes ma&iiuesà lua situation , que je donnais aux insensé* jugemensdes hommes , et aux petits evènemeiisde cette courte vie, beaucoup plus d'importance qu'ils n'en avaient) que, cette vie n'étant qu'un état d'épreuves, il importait peu que ces épreuves fussent deleile ou telle sorte, pourru qu'il ea re^ultit

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LES R|!:VERIES.

«iiicêres qui jamais pmt'-ctre aient été fait» par ancun martel J je me dccidai pour toute ma vie sur tous les scnliinens qu'ili m'importait d'avoir^ et si )'ai pu me Iroinper dans mes rèi9ullAt5,| je suis si\r au moins <jue mon erreur ne peut m'ètre imputée k crime : car j*ai tait tous mes eflorls pour m'en garantir. Je ne doute point, il est vrai, que les prëjugrs de iVnfnncc et les vrcux fiecreta de mon cœur n'aient fait pencher la balance du côte le plus consolant pour moi. On se défend dilQcilemcnt de croirr ce qu'on désire avrc tant d'ardeur ; et qui peut douter que l'inténU d'admettre ou rejeter les juçemens de l'autre vie ne délcrniinc la foi de la plupart dps hommes sur leur espérance ou leur crainte ? Tout cela pouvait fasciner mon jugement, j'en conviens, mais non pas altérer ma bonne foi; car je craignais de me tromper sur toute chose. Si tout consistait dans l'usage de cette vie , il m'importait de le savoir , pour en tirer du moins le meilleur parti qu'il dépendrait de moi , tandis qu'il était encore temps, et n'être pas tout-à-fait dupe. Mai» ce que j'avais le plus à re- douter au monde, dans la disposition oii ]e me sentais, était d*e\« poser le sort éternel de mon ame pour la jouissance des biens de ce monde « i[ui ne m'ont jamais paru d'un grand prix.

J'avoue encore que je ue levai pas toujours à ma satisfaction toutes ces difllcnltéa qui m'avaient embarrassé , et dont nos phi- losophes avaient si souvent rebattu mes oreilles. Mais, résolu do me décider enfin sur des matières l'intelligence humaine a si peu de prise , et trouvant de toutes parts des mystères impéné- trables et des objections insolubles, j'adoptai dans chaque ques- tion le sentiment qui me parut le mieux établi directement , le plus croyable en lui-même, sans m'arrèter aux objection*! que je ne pouvais résoudre , mais qui se rétorquaient par d'autres objections non moins fortes dans le système opposé. Le ton dotf- matique sur ces matières ne convient qu'à des charlatans ; mais il importe d'avoir un sentiment pour soi , et de le choisir avec toute la maturité de jugement qu'on y peut mettre. St m.-ilgré cela nous tombons dans Terreur, nous n'en saurions porter la peine ©n bonne justice, puisque nous n'en aurons point la coulpe. Voilà le principe inébranlable qui sert de base â ma sécurité.

Le résultat de mes pénible» rechercher fut tel â peu prè« que je l'ai consigné depuis dans la profession de foi du Vicaire sa- voyard, ouvrage mdignement prostitué et profané dans la gén»'- ration présente , mais qui peut faire un jour révolution parmi les hommes , si jamais il y renaît du bon sens et de la bonne foi.

Depuis lors, resté tranquille dans les principes que j'avai« adoptés après une méditation si longue et si réfléchie , j'en ai fait la règle immuable de ma conduite et de ma foi * sans plus m'inquiéter ni des objections que je n'avais-pu prévoir, et qui se présentaient nouvellement de temps à autre h mon esprit. Elln m'ont inquiété queluuefoif* » mais elles ne m'ont jamais ébranlé. Je me suis toujours ait : tout cela ue sont que des argutie» et dr« subtilités métaph)'^iqncs , qui ne sont d'aucun poid» Auprès 4a

A^

TROISIEME PROMENADE.

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prîflCtpfsfondamenlaux adoptés par mn raison, confirmés pnrmon Cïpur , el oui lou$ porlenl le sceau de; l'aMenliment intérieur dans Je «ilence des passions. Dans des matières si supérieure» U IVnten- demenl huniâin , une objection , que je ne puis résoudre, rcn- Ter^era-l-^lle tout, un corps de doctrine si solide , si bien liée et fonnèe avec tant de méditation et de noîn , si bien appropriée k ma raison , à mon CTur , à tout mon être, et renforcée ne l'as- sentirtient intérieur que je sens manquer à tontes les autres / Non, de vaines argmnentattons ne détruiront jamais la convenance que j'aperçnis entre ma nature immortelle et la constitution de ce inonde , et Tordre physique que j'y voifi régner : j'y trnnve dans l'ordie moral correspondant , et dont le sv<«tème est le ré- sultat de mes recherches ^ les appuis dont j'ai besoin pour sup- porler les misères de ma vie. Dans tout autre système je vi- rrais ^ans ressource, et je mourrais sans espoir; je serais fa plus inalhrureirse des créatures. Tenons— nous en donc U celui c|ui seul suffit p4HJr me rendre heureux en dépit de la fortune et des hommes.

Cette délibération et ï« conclusion que j'en lirai ne semblent- eUes pas avoir été dictées par le ciel même pour me préparer k la déclinée qui m'attendait , et me mettre en état de In soutenir? Que »erais-je devenu, que devïcndrais-je encore dans les angoisse* al?Veuscs qui m'attendaient et ilaus l'incrovable situation oii je sui5 réduit pour le reste de ma vie, si, reste sans asile oii je puue échapper à mes implacables persécuteurs , sans dédommagement des opprobres qu'ils me font essuyer en ce monde , et sans espoir d'obtenir jamais la justice qui m'était due, je mVtais vu nvré * l entier an plus horrible sori qu'ail éprouve sur la terre aucun rtel? Tandis que, tran(|uille dans mon innocence , je n'ima-

nais qu'eslimc et bienveillance pour moi parmi les hommes; taodifl que mon crur ouvert et confiant s'épanchait avec des amis et des frères, les traîtres m'enlaçaient, en silence , de rets forgés au fond des enfers. Surpris par les plus imprévus de tous les mal- henrs et les plus terrible^ pour une ame fière, traîné dans la fange sans jamais savoir par qui ni pourquoi , plongé dans un abîme d'ignominie , enveloppé d'horribles ténèbres à travers les- quelles je n'apercevais que de sinistres objets , à ta première sur- prise je fus terra^é, et jamais je ne serais revenu de l'abattement oii me jeta ce genre imprévu de malheurs, si je ne m'étais mé- nagé d'avance des forces pour me relever dans mes chûtes.

Ce ne fut qu'après des années d'agitation que , reprenant enfla mes esprits et commençant de rentrer en moi-même , je sentis le prix des ressources que je m'étais ménagées pour radversilrf^ Décidé sur toutes les choses dont il m'importait de juser, je vis, en comparant me.s maximes à ma situation, que je donnais aux insensé» jugemens des hommes , et aux petits evênemcns de cette courte vie, beaucoup plus d'importance tiuMs n'en avaient; que, cette vie n'étant qu'un état d'épreuves, il importait peu qiie ces preuves fussent da telle ou telle sorte, pourvu qu'il en résultât

354 LES RÊVERIES.

Mitcères qui jamais peut-ctre aient été faites par aucun mortel je me décidai pour toute ma vie &ur tous les sfînlimen^ qu'i m'importait d'avoir; et si j'ai pu me tromper dans mes résultats, , je suis sûr au moins que mon erreur ne peut m'ctrc imputée kM crime : car j'ai fait tous mes efl'orts pour m'en garantir. Je ti^V doute point, il est vrai , que les préjugés de i'c'nfance cl les va-ux secrets de mon Cfï^ur n'aient fait iwncher la balance du côté le plus consolant pour moi. On se défend dillîcilement de croire ce qu'on désire avec tant d'ardeur ; et qui peut douter que l'inlénH d'admettre ou rejeter les jugemens de l'autre vie ne détermine la foi de la plupart des hommes sur leur espérance ou leur crainte ? Tout cela pouvait fasciner mon jugement, j'en conviens, mais non pas altérer ma bonne foi; car je craignais de me tromper sur toute chose. Si tout conbistait dans l'usage de celle vie , il m'importait de le savoir, pour en tirer du moins le meilleur parti qu'il dépendrait de moi , tandis qu'il était encore temps» et n'être pas tout-à-fait dupe. Mais ce que j'avais le plus à re-« douter au monde, dans la disposition )e me sentais , élail d'ex- poser le sort éternel de mon ame pour la jouissance des biens de ce monde , <(ui ne m'ont jamais paru d'nn grand prix.

J'avoue encore que je ne levai pas toujours à ma sntisfaction toutes ces dïHjcultés qui m'avaient embarrassé , et dont nos phi* losophes avaient si souvent rebattu mes oreilles. JVlais, résolu de me décider enfin sur des raatii;res oii l'intelligence kumaine a si peu de prise , et trouvant de toutes parts des mystères impéné- trables et des objections insolubles, j'adoptai dans chaque que»* lion le sentiment qui me parut le mieux établi directement , le plus croyable en lui-même, sans m'arréter aux objections que je ne pouvais résoudre , mais qui se rétorquaient par d'autres objectmns non moins fortes dans le système opposé. Le ton dog- matique sur ces matières ne convient qu'à des charlatans j mais il importe d'avoir un sentiment pour soi , et de le choisir avec toute la maturité de jugement qu'on y peut mettre. Si malgré cela nous tombons dans l'erreur, nous n'en saurions porter la peine en bonne justice, puisque nous n>n aurons point la roalpe. VoiU le principe inébranlable qui sert de ba^e k ma sécurité.

Le résultat de mes pénibles recherches fut tel à peu près que je l'ai consigné depuis dans la profession de foi du Vicaire sa- voyard, ouvrage indignement prostitué et profané dans la géné- ration présente, mais qui peut faire nu jour révolution parmi les hommes , si jamais il y renaît du bon sens et de la bonne foi.

Depuis lors , resté tranquille dans les principes que j'avais ndoptés après une méditation si longue et si réfléchie, j'en ai fait la règle immuable de ma conduite et de ma foi, sans plu* m'inquiéter ni des objections que je n'avais- pu prévoir, et qui se présentaient nouvellement de temps à autre a mon espnt. Elles m'ont inquiété quelnurfois , mais elles ne m'ont jamai.s ébranlé. Je me suis toujours dit : tout cela ne sont que des arguties et de* subtilités métaphysiques , qui ne sont d'aucun poids aoiprèsdfi

TROISIEME PROMENADE.

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priocipPïfondamenloint atloptesparma raison, confirmés par mon ciTMir , el atii lou$ perlent le sceau de rassentiment intérieur dan* Je silence «les passions. Dans des matières si supérieures h l'enlen- deiiient linuiain , une objection , que }e ne puis résoudre, ren- versera-l-t'lle tout un corps de doctrine si solide, si bien liée et foniiée avec tant de méditation et de soin , si bien appropriée k ma raison , à mon crur , à tout mon être, et renforci'e ne l'as- sentiment intérieur que je sens manquer à tontes les autres ? Non, de vaines ar^mnentalions ne délniiront jamnis la convenance que j'ap^rçMis entre ma nature immortelle et la constitution de ce monde , et Tordre physique qne Yy vois régner : jV tronve dans l'onlvc moral correspondant , et dont le sv^lème est le ré- «ultat de mes recherches^ les appuis dont j'ai besoin pour sup- porter les misères de ma vie. Dans tout autre système je vi- vrais sans reMOurce, et je mourrais sans espoir; je serais la plus malheurei/sedpscrc.Tlures. Tenons-nous en donc h celui qui seul sutiit pour me rendr« heureax ea dépit de la fortane et des hommes.

Cette délibération et la conclusion que j'en tirai ne semLlent- eUes pas avoir été dictéi's par le ciel même pour me préparer k la destinée qui m'attendait , et me mettre en état de U soutenir? Çiie serais-je devenu, que devicndrois-je encore dansles angoisses affreuses qui m'attendaient et dans l'incrovable situation oii je Suis réduit pour le re-^le de ma vie , si , resté sans asile oti je pusse «échapper à mes iiniilacibles persécuteurs , sans dédomm«gement des opprobres qu^ils me font cssuver en ce inonde , et <mus espoir d'obtenir jamais la justice qui m'était due, je m'étais vu nvré

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inoriel f tandis que, iranqi giuais qu'estime et bienveillance pour moi parmi les bommns ; tandis que mon creur ouvert et confiant s'épanchait avec des amis et des frères, les traîtres nrenlaçaient , en silence , de rets forgés au fond des enfers. Surpris par les plus imprévus de tous les mal- heurs et les plus terribles pour une ame fièrc , traîné dans la fange sans jamais savoir par qui ni pourquoi, plongé dans ua abîme d'ignominie , enveloppé d'horribles ténèbres à travers les- quelles je n'apercevais que de sinistres objets , & la premiiîre sur- prime je fus terrassé, et jamais je ne serais revenu de l'abattement ou me jeta ce genre imprévu de malbeurs, si je ne m'étais mé- nagé d'avance des forces pour me relever dans mes chûtes.

Ce ne fut qu^aprirs des années d'agitation que , reprenant enfia mes esprits et commençant de rentrer en moi-mrme , ]e sentis le prix des ressources que je m'étais ménagées pour radvrrsitë» Décidé sur toutes les citoses dont il m'importait de juger, je vis* en comparant mes iuuxiiue5& ma situation , que je donnais aux inseniié» jugemensdes hommes , et aux petits evênemens de celte courte vie, beaucoup plus d'importance qu'ils n'en avaient; que. Cfltle vie n'étant qu'un étal d'éurenves, il importait peu que ces épreuves furent telle ou telle sorte, pourra qu'il ea réiultàt

entier au plus horrible sort on ail éprouve sur la terre aucun lel ? Tandis que , tranquille clans mon innocence , je n*ima—

354 LES RÊVERIES.

Mncêrcs nui jaimais pcul-élre aient ê(ê faites par aucun raoricl 4 je me décidai pour toute nia vie sur tous les sentimens <{u'il m'importait d'avoir^ et si j'ai pu me tromper dans mes rcsutlats^ ]c suis sAr au moins que mon erreur ne peut m'clre impuln» k crime : car j*ai t'ait tous rocs cflorts pour m*en garantir. Je ne doute point, il est vrai , <jue les préjugés de Tenfance et les vœux secrets de mon cœur n'aient fait pencher la balance du côlê le plus consolant pour moi. On se défend difficilement de croire ce qu'on désire avec tant d'ardeur ; et qui peut douter que l'intêrt^ft d'admettre ou rejeter les jugemensdeTautre vie ne détermine la foi de la plupart des hommes sur leur espérance ou leur crainte ? Tout cela pouvait fasciner mon jugement, j'en conviens, mais nou pas altérer ma bonne foi ; car je craignais de me tromper' sur toute chose. Si tout c^n&islait dans l^usage de celte vie , il m'importait de le savoir , pour en tirer du moins le meilleur parti qu'il dépendrait de moi , tandis qu'il était encore temps » et n'être pas tout'à-fait dupe. Mais ce que j'avais le plus à re* douter au monde ^ dans la disposition oit je me sentais, était dVt- poser le sort éternel de mon ame pour la jouissance des biens de ce monde , qui ne m'ont jamais paru d'un grand prix.

J'avoue encore que je ne levai pas toujours à ma satisfaction toutes ces difllcultés qui m'avaient embarrassé , et dont nos phi- losophes avaient si souvent rebattu mes oreilles. Mais , résolu de me décider enfin sur des matières oii l'intelligence humaine a >i peu de prise , ctlronvanl de toutes parts des mystères impéné- trables et des objections insolubles , j'adoptai dans chaque ques- tion le sentiment qui me parut le mieux établi directement . le p!u.i croyable en lui-même, sans m'arréter aux objections ijuf je ne pouvais résoudre , mais qui se rétorquaient par d'autre objections non moins fortes dans le système opposé. Le ton do(f" matiquc sur ces matières ne convient qu'à des charlatans ; mai* il importe d'avoir un sentiment pour soi , et de le choisir «»'* toute la maturité de jugement qu'on y pent mettre. Si ma)^r<^ cela nous tombons dans Terreur, nous n'en saurions porter 1> peine en bonne justice, puisque nous n'en aurons point la coulp^ Voilà le principe inébranlable qui sert de base à ma sécurité.

Le résultat de mes pénibles recherches fut tel à peu près qu* je l'ai consigné depuis dans la profession de foi du Vicaire m- voyard, ouvrage indignement prostitue et profané dans la gcnr" ration présente, mais qui peut faire un jour révolution parnii les hommes , si jamais il y renaU du bon sens et de la bonnets

Depuis lors , resté tranquille dans le* principes que j*»^*". adoptés après une méditation si longue et si réfléchie, j'en <> fait la règle immuable de ma conduite et de ma foi, uns ploS m'inquiéler ni des objections que je n'avais-pu prévoir, et quii* présentaient nouvellement de temps à autre à mon esprit. Elln m'ont in(|uiélé queltiuefois , mais elles ne m'ont jamais rbranle. Je me suis toujours dit : tout cela ne sont que des arguties etdn subtilité» métaphysiques , qui ne sont d*aucun poid» auprès 4ei

TROISIEME PROMENADE.

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principe» fondamentaux adoptés par ma raison, confirmés par m on coeur » el oui tous portent le sceau tie l'assenliment inlérieur dans Je silence Jes passions. Dans des matières si supérieures à Tenlen- dement liuniain une objection , que je ne puis résoudre, ron- ▼erser.i-f-flle tout un corps de doctrine si solide, si bien liée et fonnée avec tant de méditation el de soin , si bien appropriée à ma raison , à mon cn^ur , à tout mon être, et rpnforcfe de i'as- »entiraent intérieur que je sens manquer à toutes tes autres/ Non« de vaines argumentations ne détruiront jamais la convenance que j'aperçiHS entre ma nature immortelle et la constitution de ce monde , et l'ordre physique que j'y vois régner : j'y trouve dans l'ordre moral correspondant , et dont le ss'iième est le ré- sultat de mes recherches , les appuis dont j'ai besoin pour sup- porter les misi-Tes de ma vie, i>ans tout nutre système je vi— rrais sans ressource, et je mourrais sans espoir; je serais la plus malheureuse des créatures. Tenons— nous en donc à celui qui seul suliit pour me rendre heureux en dépit de la fortune et des boiumes.

Celle délibération et la conclusion que j'en tirai ne semblent- elles pas avoir été dictées par le ciel même pour me préparer à ladestméequi m'attendait , el me mettre en étal de l.i soutenir? Que serais— je devenu, que deviendrais-je encore dans les angoisses affreuses qui m'attendaient et rians Tiiicrovable situation oii je Suis réduit pour le reste de ma vie, si, reste sans astle oii je pusse ^happer à mes implacables persécuteurs, sans dédommagement de* opprobres qu'ifs me font essuver en ce monde , et sans espoir d'obtenir jamais la justice qui m'était due, je m'étais vu livré tout entier au plus horrible sort tnrail éprouve sur la Terre aacun mortel ? Tandïs que, tranquille dans mou innocence , je n'ima- ginais qu'estime cl bienveillance pour moi parmi les hommes ; tandis que mon ccrur ouvert et confiant s'épanchait avec des amis tt des frères, les traîtres m'enlaçaient , en silence , de rets forgés au fond des enfers. Surpris par les plus imprévus de tous les mal- heurs et les plus terribles pour une ame fiêre ^ traîné dans la fance sans jamais savoir par qui ni pourquoi, plongé dans un d'ignominie , enveloppé d'horribles ténèbres à travers les- ^ :i je n'apercevais que de sinistres objets , à ta première sur- prime je fus terrassé, et jamais je ne serais revenu de rabattement ou me jeta ce genre imprévu de malheurs, si je ne m'étais mé— CAgé d'avance des forces pour me relever dans meschAtes.

Ce ne lut qu'après des années d'agitation que , reprenant enfin Biei esprits et commençant de rentrer en moi-même, je sentis ikprit des ressources que je m'étais ménagées pour l'adversité;.. uecidé sur tontes les choses dont il m''iraportait de jnger, je vis, R comparant mes maxitnes à ma situation, que je donnais aux psenxci jugemensdes hommes , et aux petits evènemensde cette jpnirle vie, beaucoup plus d'importance qu'ils n'en avaient; que, Aitte vie n'étant qu'un état d'épreuves, il importait peu que ces ^cuves fussent da telle ou telle sorte, pourvu qu'il en résultât

356 LES RÊVERIES.

reffet auquel elles étaient destinées, et qu^ » par conftequenf ^ plus les épreuve» étaient grandes, fortes, multipliées, plus il êlaîL avantageux de les savoir soutenir. Toutes les plus vives peinei perdent leur force pour quiconque en voit le dédommagement grand et si\r; et la certitude de ce dédommagement était le prin- cipal fruit que j'avais retiré de mes méditations précédentes.

Il est vrai qu au milieu des outrages sans nombre et des iodi— < ^nités sans mesure dont je me sentais accablé de tontes parts * ces intervalles d'inquiétude et de doutes venaient , de tcmp« à, autre , ébranler mon espérance et troubler ma tranquillité. I^*. puissantes objections que je n'avais pu résoudre se présentaieut alors à mon esprit avec plus de force , pour achever de m'abattre précisément dans les monieus oii, surchargé du poids de lua des^ tinée , j'étais prêt à tomber dans le découragement ; souvent dos argumens nouveaux , que j'entendais faire , me revenaient dan», l'esprit à l'appui de ceux qui m'avaient déjà tourmenté. Ah I m«' disais-jc alors dans des serremens de cœur prt^ts à m'étouiTcr , qui« me garantira du désespoir , si , dans Thorrcur de mon sort , je ne. vois plus que des chimères dans les consolations que me fournis- sait ma raison ; si, détruisant ainsi son propre ouvrage, elle rcn-, verse tout l'appui d'espérance et de couhance qu'elle m'avait ménagé dans 1 adversité ? Quel appui que des illusions qui ne ber- cent que moi seul au monde ! Toute la génération présente ne. voit qu'erreurs et préjugés dans les sentimensdonl je me nourris seul : elle trouve la vérité, l'évidence dans le système contraire au mien ; elle semble même ne pouvoir croire que je t'adopte Jt* bonne foi ; et moi-même, en m'y livrant dr? toute ma vofonli*, j'y trouve des difficultés insurmontables qu'il m'est imposiibledr résoudre, et qui ne m'empêchent pas d'y persister. Suis-je donc seul sage , seul éclairé , parmi les mortels ? pour croire que Irir choses ffonlainsi, sulfit-il qu'elles me conviennent? pui^jcnrfii- lire une confiance éclairée en des apparences qui n'ont rien de^^ lide aux yeux du reste des hommes , et qui me sembleraient illu- soires à moi-Atême si mon cœur ne soutenait pas ma raison-* !N'eût-il pas mieux valu combattre mes persécuteurs à arm^ égales en adoptant leurs maximes, que de rester sur les chinom» de» miennes en proie à leurs atteintes sans agir pour lesrepOUH ser ? Je me crois sage , et je ne suis que dupe , victime et martyr d^me vaine erreur.

Combien de fois, dans ces luomens de doute et d'incertitude* je fus prêt à m'abandonncr au désespoir ! Si jamais j'avais pi&^c dans cet état un moi^ entier, c'était fait de ma vie et de mot. Mais ces crises , quoiqu'autrefois assez fréquentes , ont toajour» été courtes; et maintenant que je u'en suis pas délivré tout'â-b'.t encore, elles sont si rares et si rapides, qu'elles n*ont pasm^me la force de troubler moa repos. Ce sont de légères inquiétude* <]ui n'afl'ccteut pas plus mon amc , qu'une pluuie qui tombe t\*\\\ la rivière ne neut altérer le cours de l'eau. J'ai senti que rc- n^it/jf e^ déJioératioa ivs mêmes pointa > sur lest^uelâ je ui'èlài

TROISIEME PROMENADE. 35;

ci-devant décidé, était me supposer de nouvelles lumières on )e jugement plus formé , ou plus de zèle pour la vérité que je n'a- vau lors de mes recherches ; qu'aucun de ces cas n'étant ni ne pouvant cire le mien je ne pouvais préférer , par aucuue raison solide y des opinions qui, dans raccaLlement du désespoir, ne me tentaient que pour augmenter ma luisère , ù des seulimeiis adoptés dans la vigueur de l'âge , dans toule la maturité de IVv- prit , après Texamcn le plus réfléchi , et dans des temps oii le <:alme d(* ma vie ne me laissait d'autre intérêt dominant que celui de connaître la vérité. Aujourd'hui que mon copur serré de d**- tresse, mou ame aO'aissée par les ennuis , mon imagination efla- rouchee, ma létc troublée par tant d'aflreui mystères dont je suis environné, aujourd'hui que toutes mes facultés, atlaiblies par la vieillesse et lesangoisses, ont perdu tout lenr ressort, irai-je jn'ôlor à plaisir toutes les ressources que je m'étais ménagées, et donner plus de confîauce à ma raisou déclinante pour me rendre injustement malheureux , qu'à ma raison pleine et vigoureuse pour me dédommager des maux que je souffre sans les avoir mé- rités? Non , je ne suis ni plus sage, ni mieux instruit , ni de meil- leure foi , que quand je me décidai sur ces grandes questions : je n'i^orais pas alors les dîllJctiltcs dont je me laisse troubler au- jourd'hui; elles ne m'arrêtèrent pas, et s'il s'en présente quelques nouvelles dont on ne s'était pas encore avisé, ce sont les sophismes d'une subtile métaphysique, qui ne sauraient balancer les véri- tés éternelles admises de tous les temps, par tous les sages , re- connues par toutes les nations, et gravées dans le cœur humain eo caractères inedaçabies. Je savais, en méditant sur ces ma- tières, que rcntendenient humain, circonscrit par les sens , ne les pouvait embrasser dans toute leur étcntlue : je m'en tins doue à ce qui était à ma portée saus m'engagcr dan» ce qui la passait. Ce parti était raisonnable ^ je Tembrassai jadis , et m'y tins avec l'usentiment de mon cœur et de ma raison. Sur quel fondement y reDODcerais*je aujourd'hui que tant de puissaus motifs m'y doivent tenir attaché? quel danger vois-je à le suivre- quel profil trouverais-je à Tabaudouner? En prenant la doctrine de mes per- sécuteurs, prendrais-je aussi leur morale.' cette morale sans ra- cine et sans fruit , qu'ils étalent pompeusement dans des livres ou dans quelque action d'éclat sur le théâtre , sans qu'il en pé- nètre jamais rien dans le Cdur ni dans la raison ^ ou bien cette «utre morale secrète et cruelle , doctrine intérieure de tous leurs initiés , à laquelle l'autre ne sert que de masque, qu'ils suivent Aculedans leur conduite , et qu'ils ont si habilement pratiquée k ^Snon égard. Cette morale, purement oiléusive, neseit point à la défense , et n'est bonne qu'à Tagresstou. De quoi me ^ervirait- «lle dans l'état oîi ils m'ont réduit ? Ma seule innocence me sou- tient dans les malheurs, et combien ine reiidrais-je plus malhru- reux encore, si, m'ôtant cette unique mais pui.<isaule nssonrce , fy «ubstituais la méchanceté.' Les allciiulrais-je dans l'art de Attire -f et, quand ]y réussirais, de quel mal me r^nutageruit celui

LES REVERIES.

que ]c leur pourrais faire? Je perdrais lua propre estiror , et

la plj

I*

negapieram non a la piacr.

C'est ainsi C|ue , raisonnant avrc moi-rm*me , je parvins À ne plus Tiin laisser ébranler cïans utvs principes par des arguniens captieux » par des objections insolublfs , et par dos diJllcultés qui passaient ma portée et ppui-êlre celle de Tesprit Lumaiii. Le mien , restant dans la plus solide assiette que Tavais pu lui dooner , s*accoiilnu»a si bien à s'y reposer à Tabri de rua conscience, qu^aucune dociririe étrangère, ancienne ou nou- velle, ne peut plus rémouvoir, ni troubler un instant mon repos. Tombé dans la langueur et rappesandssement d'esprit , j*ai oublié jusqu'aux raisonnemens sur lesquels je fondais ma croyance et mes maximes j mais je n'oublierai jamais les con- clusions que j'en ai tirées avec l'approbation de ma conscience et de ma raison , et je m'y tiens désormais. Que tous 1rs phi- losophes viennent ergoter contre j ils perdront leur temps et leurs peines: je me liens, pour le reste de ma vie, en loule chose , au parti que j'ai pris quand j'étais plu« en étal de bien choisir.

Tranquille dans ces dispositions, j'y trouve, avec le conten- tement de moi , l'ejipérance et les consolations dont j'ai besoin dans ma situation : it n'est pas possible qu'une solitude au^i complète, aussi permanente , aussi triste en elle-mrme , l'a- niraosité toujours sensible et toujours active de toute la géné- ration présente , les indignités dont elle m'accable f^ans cesse» ne me jettent quelqnefoisdansl'abattement; l'espérance ébranlée, les doutes décourapeaiis reviennent encore de temps à aulrt troubler mon anip ri la remplir de tristesse. C'est alors qu'in- capable de*! opérations de l'esprit nécessaires pour me rassurer îuoi-même , j'ai besoin de me rappeler mes anciennes résolu- tions : les soins , l'atlenlion , la sincérité de cœur , que j'ai mii i'Ies prendre, reviennent alors à mon souvenir , et me rendent toute ma confiance. Je nie refuse ainsi à toutes nouvelles idétf conimeà des erreurs funesfe*, qui n'ont qu'une fausse apparence) et ne sont bonnes <|u'à troubler mon repos.

Ainsi relenn dans Tétroite sphère de mes anciennes connail- pances , je n'ai pas , comme Solon , le bonheur de pouvoir nrinsiruire chaque jour en vieillissant , et je dois même ib< garantir du dangereux orgueil de vouloir apprendre ce que jf finis désormais hors d'état de bien savoir. Mais s'il me reste peu d'acquisit'ons h espérer du côté des lumières utiles, il ni'ftt reste de bien importantes à faire du côté des vertus nécessaires k mon état : c'est qu'il ^erail temps d'enricbir et d'orner moa »me d'un acquis qu'elle put emporter avec elle, lorsque délivrée '<le ce corps qui Portusque et 1','iveiigte, cl vovaul la vérité sans Voile, elle apercevra la misère de toutes ces connaissances dont îïos faux savans sont si vains , elle gémira des momen» perdnt en celte vie à les vouloir acquérir. Mais la patience , ta douceur, ia ré.«iignation , l'intégrité ^ la justice impartiale , sont ua biem

TROISIÈME PROMENADE. 3^9

«jn'oti emporte avec soi , et dont on peut s'cnricliir sans cesse ,

«ans craindre que la niort même nous en fasse perdre le prix .*

h*eftt k cette uoique et utile élude que je coiuacre le reste de ma

îeillesse. Heureux si, par mes progrtfs sur nioi-m^me , j'ai>-

irendsà sortir de la vie, non meilleur, car cela n'est pas pos&ible^

lais plus vertueux que je n'y suis eatré !

QUATRIEME PROMENADE,

Da^s le petit nombre de livres que je lis quelquefoiâ encore, lutarque est celui mii m'attache et me profile le plus. Ce fui première lecture de mon enfance, ce sera la dernière de ma vieillesse : c'est presq^ue le seul auteur que je n*ai jamais lu sans tirer quelque fruit. Avant -hier je lisais dans ses œuvres Lorales le traité , Comment on pourra Cirer utilité de hen tf/i- fmis? Le même jour, en rangeant quelques brochures qui 'ont elë envoyées par les auteurs, jn tombai sur un des journaux Tabbé Raynal , au titre duquel il avait mis ces paroles, l'/Va^n •o itnpeuacnCi , RaynaU Trop au fait des tournures de ces lessieurs pour prendre le change sur celle-là, je compris qu'il rait cru , sous cet air de politesse , me dire une cruelle conlrn- •ilé ; mais sur quoi fondé ? Pourquoi ce sarcasme ? quel sujet pouvais-je avoir donné? Pour mettre à profit les leçons du >u Plutarque , je résolus d'employer, à m'exarainersur le men- songe , la promenade du lendemain, et j'y vins bien confirmé dans TopiEnon déjà prise que le connais~tui ioi'inéme du temple de Delphes n'était pas une maxime si facile à suivre que je l'avais cm dans mes Confessions.

Le lendemain , m'étant mis en marche pour exécuter celte résolution , la première idée qui me vint en commençant à me recueillir fut celle d'un mensonge affreux fait dans ma première jeunesse , dont le souvenir m'a troublé toute ma vie , et vient, jusque dans ma Yieilles.se, contrisler encore mon cœur déjà navré de taiit d'autres façons. Ce mensonge , qui fut un grand crîrae en lui-même , eu dut être un plus grand encore par ses effets qur j'ai toujours ienorés , mais que le remords m'a fait supposer aussi cruels qu'il était possible. Cependant , à ne consulter ouc la disposition oii j'étais en le faisant, ce mcn.songe ne fut ou un fruit de la mauvaise honte j et, bien loin qu'il partît d'une intention de nuire à celle qui en fut la victime , je puis jurer à la face du ciel qu'à l'instant même oii cette honte invin- cible me l'arrachait j'aurais donné tout mon san^ avec joie pour en détourner l'effet sur moi seul : c'est un délire que je ne puis expliquer , qu'en disant , comme je crois le sentir ,

3u'cn cet instant mou naturel timide subjugua tous les vœux e mon copur. Le souvenir de ce malheureux acie et les inextinguibles re- mets qu'il m'a laissés m'ont inspiré pour le mensonge une horrenr

36o LES REVKHIES.

c|iiî a garantir mon cnniir de re vice pour Ir reste de ma vie. Lorsque je pris ma deWse je nie tentais fait pour la mé- riter, et je ne doutais pas (|iic je n'en fusse digne quand, sur le mot de Tabbé Raynal , je commençai de m'examincr plu* sérieusement.

Alors en mVplncbant arec plus de soîn , je fus bien surpris du nombre de choses de mon invention que je me rappelai* avoir dites comme vraies dans le même temps oii, fier vn inoi-uiême de mon amour pour la vérité, je lui sacrifiais ma sûreté , mes intérêts, ma personne, avec une impartialité dont je ne connais nul autre exemple parmi les humains.

ile qui me surent le plus était qu'en me rappelant ce» choses controuvées je n en sentais aucun vrai re|>entir. Moi dont l*hor— reur pour Kl fausseté n*a rïen dans mon cœur qui la balance, moi qui braverais les supplices $*il les fallait éviter par un men* soni^e f par quelle bizarre inconséquence mentai^-je ainsi de gaieté de c<rur sans nécessité, sans profil, et par quelle in- concevable contradiction n'en sentais-jc pas le moindre regret , moi que le remords d'un mensonge n*a cessé d'alîliger pendant cinquante ans! Je ne me suis jamais endurci sur mes fautes: Tinslinct moral m'a toujours bien conduit, ma conscience a gardé sa première intégrité ; et quand même elle se serait altérée en se pliant à mes intérêts , comment , gardant toute sa droiture dans les occasions oii Tliomme , force par ses passions, peut au moins s'excuser sur sa faiblesse , la perd-elle uniquement dans les choses indifTérentes oii le vice n'a point d*excuse? Je vis que de la solution de ce problême dépendait la justesse du jugement fine j'avais à porter en ce point sur moi -même j et, aprèi 1 avoir bien examiné, voici de quelle manière je parvins à me rcxpliquer.

Je me souviens d'avoir lu dans un livre de philosophie tp6 nienlir c'est cacher une vérité que l'on doit manifester. Il luit bien de cette définition que taire une vérité , qu'on n'est «>bligé de dire , n'est ptfi mentir : mais celui qui , non contMt en pareil cas de ne pas dire la vérité , dit le contraire , ment-il alors, ou ne meni-il pas ? Selon la définition , l'on ne saoriil <Urt qu'il ment; car s'il donne de la fausse monnaie à un homme ituc|ufl il ne doit rien, il trompe cet homme , sans doute, inW ji ne le vole pas.

Il se présente ici deux questions à examiner , trcs-imporlant** l'une et l'autre: la première, quand et comment on doit h autrui la vérité, puisqu'on ne la doit pas toujours^ la seconde, s'ilest des cas oii Ton puisse tromper innocemment. Celte sccoo^ question est très-oécidée , je le sais bien j négativement dans le» livres , oii la plus austère morale ne coûte rien k l'auteur ; aJBr- mativement dans la société, oii la morale des livres passe pour un bavardage impossible à pratiquer. Laissons donc ers autorilfi qui se contredisent , et cherchons , par mes propres prtnci)>es , k résoudre pour moi ces questions.

QUATRIEME PROMENADE. 36i

vmtc générale et abstraite est le plus précieuï tle tous

iens : sans elle l'homme est aveugle; elle est J'rcil de la

isod. C*e5l par elle que l'homme apprend à se conduire, à

re ce qu'il doit être , à faire ce qu'il doit faire, à tendre à sa

table fia. La vérité particulière et individuelle n'est pas

ujours un bien j elle est quelquefois un mal , très-souvent

ne chose indifTérente. Le» choses qu'il importe à tm homme de

voir, et dont la connaissance est néces&airc à &on bonheur, ne

nt peut-être pas en grand nombre ; mais, en quelque nombre

Viles soient , elles sont un bien qui lui appartient , qu'il a droit

réclamer partout oii il le trouve , et dont on ne peut le frus-

er sans commettre le plus inique de tous les vols, puisqu'elle

t de ces biens communs à tous, dont la communication u'ea

ive point celui qui le donne.

Quant aux vérités qui n'ont aucune sorte d*utilitê, ni pour nsiruclion ni dans la ])ratique, comment seraient-elles un bien \ y puisqu'elles ne sont pas même un bien? et puisque la pro- priété n'est fondée que sur l'utilité , oii il n'y a point d'utilité possible il ne peut y avoir de propriété. On peut réclamer un terrain quoique stérile, parce qu'on peut au moins habiter sur le soi ; mais qu'un fait oiseux, indiffèrent à tous éeards el sans cont^quencc pour personne , soit vrai ou faux, cela n'intéresse qui que ce soit. Dans l'ordre moral rien n'est inutile , non plus qae dans Tordre physique: rien ne peut-être de ce qui n'est bon k rien; pour qu'une chose soit due » il faut qu'elle soit ou puis«« être utile. Ainsi , la vérité due est celle qui intéresse la jostice , et c'est profaner ce nom sacré de vérité que de l'appliquer aux choses vaines dont l'existence est indilTérentc à tous , et dont la connaissance est inutile â tout. La vérité , dépouillée de toute espèce d'utilité mémo possible, ne peut donc pas être une chose due ; et , par conséquent , celui qui la tait ou la déguise uc ment point.

Mais est-il de ces vérités si parfaitement stériles qu'elles soient de tout point inutiles à tout? C'est un iutrc article â discuter , et auquel je reviendrai tout à l'heure. Quant à présent passons k la seconde question.

Ne pas dire ce qui est vrai , et dire ce qui est faux , sont deux choses très-di fié rentes , mais dont peut néanmoins résulter le même effet ; car ce résultat est assurément bien le même toutes le* fois que cet effet est nul. Partout ou la vérité est indifférente l'erreur contraire est indifférente aussi : d'où il suit qu'en pareil cas celui qui trompe en disant le contraire de la vérité n'est pas plax injuste que celui qui trompe en ne la déclarant pas ; car , en fait de vérités inutiles, l'erreur n'a rien de pire que l'içno- rance. (^ue je croie le sable qui est au fond de la mer blanc ou rouge , cela ue m'importe pas plus que d'icnorer de quelle cou- -ieur il est. Comment pourrait-on être injuste en ne nuisant à ■■Érsonne , pubque Tinjuilice ue consiste que dans le tort fait H^utrui .'

3G2

LES RÊVERIES.

Maiscefi questions, BÎnsi sommaîrrmcnt décidées, ne sauraient me fournir encore aucune application sAre pour la pratïuuc , sans beaucoup d^cclaîrcisfieirieiis préalables nécessaires pour faire avec justesse cette application dans tous les cas qui peuvent présenter; car robligaliou de dire la vérité n'est rondée quej sur son utilité, comment me couâtitueroi-jc juge de celte utî Iité?Très-«ouvent l'avantage de l'un fait le préjudice de I*autreî,| rintérét particulier est presque toujours en opposition avec Vity^A téret public. Comment se conduire en pareil cas ? Faut-il sacri'^ fier l'ulilité de l'absent à celle de la personne it qui Ton parle faut-il taire ou dire la vérité qui , prontant à l'un , nuit k 1 autre? faul*il peser tant ce qu'on doit dire à l'unique balance du bieq, public , ou k celle de la justice dislributive , et suis-je assuré connaître as^ex tous les rapports de la chose pour ne dispenser les lumières dont je dispose que sur les règles de Téquité? D^ pins y en examinant ce qu'on doit aux autres , ai-je examina auiUsammcnt ce qu'on se doit à soi-même, ce qu'on doit k I4 vérité pour elle seule? Si je ne fais aucun tort à un autre en le trompant, s'ensuit-il que je ne m'en fasse point à moi-in^me . et suflit-il de n'être iamais injuste pour être toujours innocent?

<Jue d'embarrassantes discussions dont il serait aisé de se tirer m se di.<ant : Soyons toujours vrais au risque de tout ce qui ea

Jieut arriver. La justice elle-même est dans la vérité des choses t e mensonge est toujours iniquité, Terreur est toujours impow ture , quand on donne ce qui n'est pas pour la règle de ce qu'on doit faire ou croire) et , quelque effet qui résulte de la vérité, on est toujours iuculpable quand on Ta dite, parce qu'on n'y a rien mis du sien.

Mais c'est trancher la question sans la résoudre : il ni' s'agissait pas de prononcer s'il serait bon de dire toujours Ij^^

vérité, mais si l'on y était toujours également obligé , et , sur

la définition que j'examinais, supposant que non , de distingues^iB' les cas oii la vérité est rigoureusement due de ceux Ton yeu 'V la taire sans injustice et la déguiser sans mensonge; car j W~ i trouvé que de tels cas étiolaient réellement. Ce dont il s*a£^ t

est donc de chercher une règle sîire pour les conualtre et bien déterminer.

Mais d'oii tirer celle règle et la preuve de son infailIiU»-

lité ? Dans toutes les questions de morale diiOciles comn.'»*

celle-ci, je me suis toujours bien trouvé de les résoudre paar le dictamen de ma conscience , plutôt que par les lumières <Je ma raison : jamais Hnstinct moral ne m'a trompé; il a gare?' jusqu'ici sa pureté dans mon crrur assez pour que je puisse a> y confier; et , s'il se lait quelquefois devant mes passions dans rx»* conduite 4 il reprend bien son empire sur elles dans mes souv«^ nirs : c'est que je me juge moi— niêuie avec autant de sévérité peut-être que je serai juge par le souverain juge après cette v>'

Juger des discours des hommes par les effets qu'ils produises»*» c'est souvent mal les apprécier. Outre que ces elleli ne sotil p^

QUATRIEME PROMENADE. 3G3

toujours sensibles et facilrà à connaître, ils varient k IMnfini :omine les circonstances rlans lesquelles ces discours sont tenus ) [JD aïs c'est uniquenjent l'intention Je celui qui les tient qui les "Ipprecie , et détermine leur defçre de malice ou de bonté. Dire lux nVst mentir que par riritcution de tromper , et ritilention snèine de tromper, loin d'être toujours jointe avec celle de nuire, a quelquefois un but tout contraire : mais pour rendre un men- songe innocent il ne suffît pas que l'intention de nuire ne soit pas expresse , il faut de plus la certitude que l'erreur, dans laquelle on jette ceux â qui Ton parle , ne peut nuire h eux ni à personne en quelque f.nçoii que ce soit. Il est rare et difficile qu on puisse avoir cette certitude ; aussi est-il difficile et rare qu^in mensonge lioit parfaitement innocent. Mentir pour son avantage à soi même est imposture, mentir pour l'avantage d'autrui est fraude, mentir pour nuire est calomnie; c'est la pire espèce de niensouge : mentir ftans profit ni préjudice de soi ui d*autrui n'est pas mentir ; ce nV<il pati mensonge , c'est fiction.

Les Bctions , qui ont un objet moral, s'appellent apologues oa fables ; et , comme leur objet n'est ou ne doit être quetreii- velopper des vérités utiles sous des formes sensibles et agréables, en pareil cas on ne s'attache guère â cacher le nien«>onçe de fait , qui nVst que l'habit de la vérité ^ et celui qui ne débile une fable mie pour une fable ne nient en aucune façon.

Il est d'autres fictions purement oiseuses, telles que sont la plupart des contes et des romans qui , sans retifermer aucune Instruction véritable , n'ont pour objet que l'amusement. Olles- , dépouillées de toute utilité morale , ne peuvent s'apprécier

3UC par Pintcntion de celui qui les invente; et, lorsqu'il les ébite avec aflîrmalion comme des vérités réelles, on ne peut ^uère disconvenir qu'elles ne soient de vrais mensonges. Cepen- dant , qui jamais s'est fait un grand scrupule de ces mensonges-là, et qui jamais en a fait un reproche grave à ceux qui les font? S'il

Y a 4 par exemple , quelque objet moral dans le Temple de Onide , cet objet est bien offusqué et gâté par les détails vo- luptueux et par les images lascives. <^Jn'a lait Tauteur pour

rouvrir cela ^x.f'f était

d'un vernis de modestie? Il a feint que son ou- a traduction d'un manuscrit grec , et il a fait l'Uistoirc de la découverte de ce manuscrit de la façon la plus propre à persuader ses lecteurs de la vérité de son récit. 8i ce e5i pa» un mensonge bien positif, qu'on lue dise donc ce que c est que mentir? Cependant qui est-ce qui s'est avisé de faire l'auteur un crime de ce mensonge , et de le traiter pour cela d'imposteur?

On dira vainement que ce n'est qu'une plaisanterie; que l^«uteur , tout en alBrmaut, ne voulait persuader personne; *joil n'a persuadé personne en effet, et que le public n'a pas clouté un moment f'ii'il ne fût lui-même l'auteur de l'ouvrage P^tendu grec , dont il se donnait pour le traduclcnr. Je répon- e pareille plaisanterie sans aucun objet n'eût été qu'un

3C4

LES RÊVERIES.

bien sot cnrantilla£;e ; qu'un raenleur ne ment pas moins qTian<l il a.Hiriiie quoiauM ne persuade pas ; qu'il faut iletacher da public instruit ici multitudes de lecteurs simples et crédules, il qui l'histoire du manuscrit narrée par un auteur ^rave avec ua «ir de bonne foi en a réetleraent imposé, et qui out bu sans crainte, dans une coupe de forme antique, te poihon dont ils se seraient au moins dëfics &i\ leur eilt été présenté dans un \ase moderne.

<^)ue ces distinctions se trouvent ou non dans les livres , elles ne sVn font pas moins dans le cœur de tout homme de bonne foi avec lui-même , qui ne veut rien se permettre qne sa cons- cience puisse lui reprocher j car dire une cliose fansse à 50B,i avantage n*est pas moins mentir que >i on la disait au préfudicA d'autrui, quoique le mensonge soit moins criminel. Donaetf.| J'avantage à qui ne doil pas l'avoir, c'est troubler l'ordre de \m\ justice; attribuer faussement à soi-même ou à autrui un acW] d'oii peut résulter louange ou bUme, iacnlpation ou disculpatioitfi,j c'est faire une chose injuste : or, tout ce qui , contraire à la vê^i rîté, blesse la justice en quelque façon que ce soit , c'est niea- ftonge. Voilà la limite exacte : mais tout ce qui, contraire à I4J venté, n'intéresse la justice en aucune sorte n'est que fiction , et j'avoue que quiconque se reproche une pure fictioa coiume un mensonge a la conscience plus délicate que moi.

Ce qu'on appelle mensonges oillcienx sont de vrais mensonges,' parce qu'en imposer à l'avantage soit d'autrui , soit de soî-uième^j n'est pas moins injuste que d'en imposer à son détriment : qui-*: ronque loue on blànic contre la vérité ruent, des qu'il s'agit d'une personne réelle. S'il &'agit d'un être imaginaire, il en peut dire tout ce qu'il veut sans mentir, à moins qu'il ue juge sur la moralité des faits iju'il invente, et qu'il n'en juge faussement j| car alors s'il ne ment pas dans le fait, il ment contre la vérité morale, cent fois plus respectable que celle des faits.

J'ai vu de ces gens qu'on appelle vrais dans le monde : toute leur véracité s'épuise dans les conversations oiseuses à citer fidè- lement les lieux , les temps , les personnes , à ne se p4*rraettre aucune fiction , à ne broder aucune circonstance , à ne rien exa- gérer. En tout ce qui ne touche point à leur intérêt, ils sont dans leurs narrations de la plus inviolable fidélité : raaiss*agit-îl «le traiter quelque affaire qui les regarde , de narrer quelque fait qui leur touche de près, toutes les couleurs sont employées pour présenter les choses sous le jour qui leur est le plus avan- tageux ; et, si le mensonge leur est utile et qu'ils s'abstiennent de le dire eux-mêmes , ils le favorisent avec adresse, et font en sorte qu'on l'adopte sans le leur pouvoir imputer. Ainsi le veut la prudence : adieu la véracité.

l/homme que j'appollt» vrai fait tout le contraire. En choses parfaitement indillérentes la vérité, qu'alors l'autre respecte si fort , le touche fort peu , et il n<' se fera guère de scrupule d'aïutuei: ime cojDpagaie par dcj fait» coatrouTcs, dont il ue

^jm^^

QUATRIEME PROMEi?f ADE. 3C5

résulte aucun jugement injuste, ni pour ni contre qttï que ce soit vivant ou mort : maïs tout discours qui produit pour quel- qu'un prnlit ou dommage , estime ou mépris , louange ou blâme , contre la justice et la vérité , est un mensonge qui jamais n'ap- prochera de $oa cœur , ni de sa bouche, ni de sa plume. Il est solidement vrai, même contre son intérêt, quoiqu'il se pique »s5ex i>eu de Tctre dans les conversationi oiseuses : il est vrai en ce qu il ne cherche k tromper personne, qu'il est aussi lidt»le à la vérité qui Taccuse qu*à celle qui rbouorc, et qu'il n'en impose jamais pour sou avant^i^c , ni pour nuire h son ennemi. La diflé- rence donc qu'il y a eutre mon homme vnti et rootre est que celui du momie est trf's-rigoureusemeni ndètc à toute vérité qui ne lui courte rien , mais pas au-delà , et que le mien ne la sert iamaîs si fidèlement que quand il faut s'immoler pour elle.

Mais, dirait--on , comment accorder ce relAchement avec cet ardent amour pour ta vérité dont je le glorifie? Cet amouf est donc faui puisqu'il soutire tant d'alliage? Non; il est pur et vrai; mais il n'est qu'une émanation de l'amour de la justice, et ne veut jamais être faux, quoi(|u'i1 soit souvent fabuleux. Justice et vérité sont dans son espiit dpu\ mots svnonymes , ^u'il prend l'un pour l'autre indilléremmenl : la sainte vérité , f^ue son cœur adore , ne consiste point en faits indilTérens et «n noms inutiles, uiais à rendre hdélement à cliacun ce qui lui est d<^ en choses (jui sont véritablement siennes, eu impu- ta ti^^tis bonnes ou mauvaises, en rétributions d'honneur ou de Iflâjiie, de louange et d'improbalion ; il n'est faux ni contre «utrui , parce que son équité l'en empêche et qu'il ne veut nuire ^ personne injustement, ni pour lui-même, parce que sa cons- cience l*en empêche , et qu'il ne saurait s'approprier ce qui n'est as k loi. C'est surtout de sa propre estime qu'il e?tl jaloux : c'est e bien dont il peut le moins se pnsîier , et il sentirait une perle réelle d'acquérir celle des autres aux dépens de ce bien-là. Il mentira donc quelquefois en choses indittereutes sans scrupule et sans croire mentir , jamais pour le dommage ou le proHt d'autrui, ni de lui-même : en tout ce qui tient aux vérités his- tnri<{ues , eu tout ce qui a trait à la conduite des bomme^ , à la justice, à la sociabilité, aux luraicres utiles, il garantira de l'erreur , et lui-même , et les autres , autant qu'il dépendra de lui. Tout mensonge hors de là, selon lui, n'en est pas un. Si le Temple de Guide est un ouvrage utile, l'histoire du raanus- cril grec n'est qu'une fiction très-innocente : elle est un men- looge trê^punissable, si l'ouvrage est dangereux.

Telles furent mes règles de conscience sur le mensonge et sur la vérité : mon c<cur suivait machinalement ce> règles avant que ma raison les eiU adoptée.-! , et l'instinct moral en fit seul I application. Le criminel mensonge dont la pauvre Marion l'ut la victime m'a laifisé d'inciTaçables remords, qui m'ont garanti tout le reste de ma vie non-seulement de tout mensouge de iice f mais de tous ceux qui, de quelque façon que ce

l

366 LES RÊVERIES.

jtre^ ponTnient toucher rintcrét et la réputation d'autrut. En géncrali$ant ainsi l'exclnsioii . je me suis dispoiisô de peser enac- tenicnt l'avaulage et le préjudice , et île marquer les liiniies pré- cises du mensonge nuisible et du mensonge officieux : en regar- dant Tun et l'autre coiniue coupables, je me les suis interdits tous les deux.

En ceci comme en tout le reste mon tempérament a beaucoup influé sur mes maximes, ou plulôl sur nie!> habitudes; car je n'ai guère agi par règles, ou n'ai guère suivi d'aiilres règlei en toute cho!^e uue les impuKion« de mon naturel. Jamais mensonge préméniié n*approcha de ma pensée , jamais je n'ai menti pour mon inlrrêt ; mais souvent J'ai menti par honte pour me tirer d'embarras en cho^tos iudifiérentes , ou qui n*m— tcressaient tout au plus que moi seul, lorsqu*ayant k soutenir un entretien, la lenteur de mes idées et l'aridité de ma con- versation nio forçaient de recourir aux ficlioniï pour avoir quoUiut.* chose à dire. Quand il faut nr-cessaireinent parler ri que des vérités amusantes ne se présentent pas assez tôt à mon esprit , je débile des fables pour ne pas denicurer muet; mais , dans riitvenlion de ces fables, j'ai soin, tant c|ue je puis, qu'elles ne soient pas des mensonges , c*est-i— «lire , qu'elles ne blessent ni la justice ni la vérité due, et qu'elles ne soient que des fictions indiiléreiiles i tout le monde et à moi. Mon dfjir serait bien d'y substituer au moins â la vérité des faits uu« vérité morale, cVst-à-dire , d\ bien représenter les affection» naturelles au cmur huiuain , et tl'en faire -lortir toujours queltjue instruction utile, dVn faire, en un mol, drs contes moraux, des apologues j mais il faudrait plus de présence d'esprit que "e n'en ai , et plus de facilité dans la parole pour savoir mettre

profit , pour l'instruction, le babil de la conversation. Sa marche , plus rapide que celle de mes idées, me formant presque toujour^i de parler avant de pensrr ^ m'a souvent suggéré des sottises et des inepties tpie ma raison désapprouvait, et que mon cœur désavouait à mesure qu'elle? échappaient de ma bouche, mais qui, précédant mon propre jugciuent, ne pou- vaient plus être réformées par sa censure.

C'est encore par cette première et irrésistible impulsion du tempérament que, dans des momens imprévus et raptfirs , la honte et la timidité m'arrachent souvent difs mensonge» aux- quels ma volonté n'a point de part, mais qui la précèdent en quelque sorte par la nécessité ne répondre à l'instant. L.'im— pression prot'onde du souvenir de la pauvre Marion peut bien retenir toujours ceux ciui pourraient être nuisibles à d'autres , mais non pas ceux qui peuvent servir à me tirer d'embarroj quand il s'agit de moi seul , ce qui n'e^t pas moins contre lua conscience et mes principes que ceux qui peuvent influer sur te sort d'autrui.

J'atteste le ciel que si je pouvais , l'instant d'après , retirer ■xensoDge qui m'excuse, et dire la vérité qui me ch&rge, «ans

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ÇUATRiEME PROMENADE. 367

me faire tin nouvel affront en me rélractant , je le ferais de tout mon cœur; mais la honte de z&e prendre ainsi nioi'Uième rn faute me relient encore , et je rae repen* très-sincèrement de ma faute, sans néanmoins Toscr réparer. Un exemple expli- quera mieux ce cjue je veux dire, et montrera que je ne mens ni par intérêt ni par amour-propre, encore moins par envie ou par malignité j mais uniquement par embarras et mauvaise fannte , sachant même très-bien quelquefois que ce mensonge est connu pour tel , et ne peut me ser\irdu tout à rien.

II y a quelque temps que M. F*** m'engagea, contre mon usage y h aller, avec ma femme, diner, eu manière de pique- nique , avec lui et M. B***,cheR la dame***, restauratrice, laquelle et ses deux filles dînèrent aussi avec nous. Au milieu du dîné , Taînée , qui est mariée depuis peu , et qui était grosse , s'avisa de me demander brusquement , et en me fixant , It j'avais eu des enfans. Je répondis, en rougissant jusqu*aux ▼eux , que je n'avais pas eu ce bonheur. Elle sourit malignement en regardant la compagnie : tout cela n'était pas bien obscur, même pour moi.

Il est clair d'abord que cette réponse n'est point celle que j'aurais voulu faire, quand même j'aurais eu l'intention d en imposer; car, dans la disposition je voyais les convives, jVtais bien sur que ma réponse ne changeait rien à leur opinion sur ce point. On s'attendait à cette négative, on la provoquait tn^me pour jouir du plaisir de m'avoîr fait mentir. Je n'étais pas msiez bouche pour ne pas sentir cela. Deux minutes après, la réponse que l'aurais faire me i-int d'elle-même. « Voilà •» une question peu discrète, de la part d'une jeune femme, » à lin homme qui a vieilli garçon. » Lu parlant ainsi, sans mentir , sans avoir à rougir d aucun aveu , je mettais les rieurs ^c mon coté, et je lui faisais une petite leçon qui , naturelle- ment, devait la rendre un peu moins impertinente à me ques- lioniier. Je ne fis rien de tout cela, je ne dis point ce qu'il fallait dire, je dis ce qu'il ne fallait pas et qui ne pouvait me servir de rien. 11 est donc certain que ni mou jugement ni ma volonté ne dictèrent ma réponse, et qu'elle fut l'elTet machinal de mon embarras. Autrefois je n'avais point cet embarras, et faisais ra\eu de mes fautes avec plus de franchise que de nonte, parce que je ne doutais pas qu'on ne vit ce qui les ra- dietait et que je sentais au dedans de moi ; mais l'œil de la mali- gnité me navre et me déconcerte : en devenant plus malheu- fvux, je suis devenu plus timide, et jamais je n ai menti que par timidité.

Je n'ai jamais mieux senti mon aversion naturelle pour le xneii&onge qu'en écrivant mes Confessions^ car c'est que les tentalions auraient été fréquentes et fortes, pour peu que mon penchant m'eût porté de ce côté; mais loin d'avoir rien , rien dissimulé qui fût à ma charge , par un tour d'esprit que j*«i peine k m'expliquer , et qui vient peut-être d'éloignement

STig

LES REVERIES.

, je me sentais phitt

Iiuiir iou[e itniiniion , le me sentais puiioc porte a m«ntir 1 e sens contraire en m accusant avec trop de sévérité, (juVa m'excuBanl avec trop d'indulgence, et ma conscience ni'iusurtt qu'un jour je serai juge moins sévèrement que )e ne me m'u jugé moi-mêmie. Oui, je le dis et le sens avec une Hèreclévaliott, U'ame, j'ai porté dans cet écrit la honne foi, la véracité, ta franchise , aussi loin , plus loin même ^ au moins je le crois , que ue fit jamais aucun autre homme ; sentant que le bien surpo?* aail le mal, j'avais mon intérêt à tout dire, et j'ai tout dit.

Je n*ai jamais dit moins; j'ai dit plus quelquefois, non daos< les faits, mais dans les circonstances; et cette espèce de men- songe fut plutôt TefTet du délire de rimaginalion qu*uu acte de voloule; j'ai tort même de l'appeler mensonge, car aucunf de ces additions n'en fut un. J'écrivais mes Confessions ^ déjà vieux et dégoûté deâ vains plaisirs de la vie qi\e j'avais touA effleurés, et dont mon coeur avait bien senti le vide. Je \e$ écrivais de mémoire; cette mémoire me manquait souvent ou ne me fournissait que des souvenirs imparfaits, et j'en rem-

plissais les lacunes par des détails que ]'imagmais eu »uppl<:menl

de ces souvenirs, mais <j'

J'aimais à m'étendre sur les momens heureux de ma vie, et je

le ces souvenirs, mais qui ne leur étaient jamais contraire».

les embellissais quelquefois des oruemens que de teudre& ref^ret» venaient me fournir. Je disais les choses que j'avais oublim comme il me semblait qu'elles avaient être, comme i-ilo avaient été peut-être en cflet, jamais au contraire de ce que je me rappelais qu'elles avaient été. Je prêtais quelquefois â U vérité des charmes étrangers, mais jamais je n ai mis le mm* songe à la place pour pallier mes vices, ou pour m*arroger du vertus.

Que si , quelquefois, sans y songer, par im mouvement in- volontaire , j'ai caché le côlé difforme , en me peignant Jt profil , ces réticences ont bien été compensées par U'autreJ ré- ticences plus bigarres , qui m'ont souvent fait taire le bien plu' soigneusement que le mal. Ceci est une sincuUrité de ino» naturel qu'il est fort pardonnable aux hommes de ne pas croirai mais qui, tout incroyable qu'elle est, n'en est pas moins réelitf^ j'ai souvent dit le mal dans toute sa turpitude , j*ai rarement (lit le bien dans tout ce qu'il eut d'aimable, et souvent je l'ai ta tout-à-fait parce qu'il nt'honorait trop, et qu'en faisant iDO Confessions )'aurais l'air d'avoir fait mon éloge. J'ai décrit ID^ jeuues ans sans me vanter des heureuses qualités dont mon cfpur était doué , et même en supprimant les faits qui les met- taient trop en évidence. Je m'en rappelle ici deux de ma pre- mière enfiince, qui , tous deux , sont bien venus à mon sou- venir en écrivant, mais que j'ai rejetés l'un et l'autre par l'unique raison dont je viens de parler.

J'allais presque tous les dimanches passer la journée aux Pjv- quis, chez M. Tazy, qui avait épousé une de mes tantes, et qui «Y^jtl.à une fabrique d'iodicuncs. Ln jour j'étais à réteuda^,

^m

QUATRIEME PROMENADE. 36i>

3an4 îa c1ianil>re <le la calandre, et j'en legardais les rouleauiL ^ Hefoute : leur luisant flattait ma vue ; je fus tenté d'y poser mes ' doigts, et je les promenais avec plaisir sur le lissé du cylindre , quand le jeune Kazy s'étaut mis dans la roue lui donna un demi- nuart de tour si adroitement, qu'il n'y prit que le bout de mes deux plus longs doigts j mais c*en fut assez pour qu'ils y fussent ' écrases par le nout, et que les deux ongles y restassent. Je tisun I cri perçant* Fazy détourne k l'instant la roue, mais les ongles ne mterent pas moins au cylindre , et le sang ruisselait de mes doigts. Fazy , consterné , s'écrie , sort de la roue , m'embrasse , rt me conjure d'apaiser mes cris, ajoutant qu'il était perdu. Au fort de ma douleur la sienne me toucha ^ je me tus, nous firmes à la caq^ière f oii il m'aida à laver mes doigts, et a étancher mon sang avec de la mousse. Il me supplia , avec larmes, de ne point l'accuser; je le lui promis, et \n tins si bien que, plus de vingt ans après, personne ne savait par quelle aventure j'avais deuT de mes doigts cicatrisés ; car ils le sont demeurés toujours. Je fus détenu dans mon lit plus de trois semaines, et plus de deux mois hors d'état de me servir de ma main , disant toujours qu'une grosse pierre, en tombaat , m'avait écrasé mes doigts.

Magnanima menzngna! orquando è il vero Si bcllo , cbe «i possa a le |^ii-<*porre?

Cet accident me fut pourtant bien sensible par la cireons- ttnce, car c'était le temps des exercices, oii l'on faisait manœu- vrer la bourgeoisie, cl nous avions fait un rang de trois autres tnifins de mon âge, avec lesquels je devais, en uniforme, faire IVtercice avec la compagnie de mon quartier. J'eus la douleur d'tntendre le tambour de la compagnie, passant sous ma fenê- tre, avec mes trois camarades, tandis que j'étais dans mon lit.

Mon autre histoire est toute semblable, mais d*un âge plus *vanré.

Je jouais au mail , â Plain-Palais , avec un de mes camarades appelé Phnce- Nous primes querelle au jeu j nous nous battîmes , ^.dorant le combat, il me donna ^ sur la télé nue, un coup de *>»»ilsi bien appliqué, que, d'une main plus forte, il m'eût fait •*iiter la cervelle. Je tombe â l'instant. Je ne vis de ma vie une *^tion pareille à celle de ce pauvre garçon, voyant mon sang ^niiseler dans mes cheveux. Il crut m avoir tué. Il se précipite ftAtmoi, m'embrasse, me serre étroitement en fondant en larmes, ^H^onssatit des cris perçans. Je l'embrassais aussi de toute ma ^'^, en pleurant, comme lui , dans une émotion confuse, aui ïi'élait pas sans quelque donceur. EnRu, il se mit en devoir d é— tsncher mon sang qui continuait de couler, et, voyant que nos lieux mouchoirs n'y pouvaient suRlre , il m'entraina chez sa laère , qui avait un petit jardin près de là. Cette bonne dame fiiïMif à >e trouver mal en me voyant dans cet état ; mais elle sut r dos forces pour me panser ; et , après avoir bien ba&siué •' , elle y appliqua des lleurs de Us macérécâ daus l'eau-dc* Si* H

370 LES KÉVERIES,

vie, viilnJraîre excellent, el trcs-usilé dans noire poys. Sfs lamx et celles de son fils périélrêrenl mon ca'ur au puiut que, long temps, je la regardais comme ma mère, el son fils comme mo frcre , jusqu'à ce qu'ayant perdu l'un et i'aulrc de vue je U oubliai peu h peu.

Je gardai le incline secret sur cet accident que sur l'autre, e il m'en eft arrivé cent aulre», de pareille nature» en ma vie dont ]C n'ai pas même été lente de parler dans mes Confessions lant j'y chercbais peu fart de faire valoir le bien que je sentai dans mon caractère. Non , quand j'ai parlé contre la vérité qu m'était connue, ce n'a jamais clé quVn choses indifTérentes, e plus, ou par l'embarras de parler^ ou pour le plaisir d'écrire, qu par aucun motif d'intérêt pour moi, ni d'avaiilaf;c ou di* préju- dice d'autrui; et quiconque lira mes Confessions imparlialeineul si jamais cela arrive, sentira que les aveux que j'y fais &out plu kumilians , plus pénibles à faire , que ceux d'un mal plu grand, mais moins houleux à dire, el que je n'ai pas dit parc^ que je ne l'ai pas fait.

Il suit de toutes ces réflexions, que la profession de véracité qutf je me suis faite a plus son fondement sur des sentîmens de droi ture et d'équité, ({uc sur la réalité des citoses. el que j'ni ptuf suivi , dans la praliipie, les directions morales de ma consciencp* <pie tes notions abstraites du vraî el du faux. J'ai souvent débite bien des fables, mais j'ai très-rarement menti. Kn suivant cet principes, j'ai donné sur moi beaucoup de prises aux autre» ^ mais je n'ai fait turl à qui que ce fût , el je ne me suis point attn- bué à moi-même plus d'avantage qu'il ne m'en était dû. f/wl uniquement par-là, ce me s<*mble, que la vérité est une vertu. A tout autre é^ard elle n'est ])our nous qu'un être métaphysique ^ dont il ne résulte ni bien ni mal.

Je ne sens pourtant pas mon cœur assez content de ces diUioc- lions pour me croire tout-à-fail irrépréhensible. En pesant «yrt, tant de soin ce que je devais aux autres, ai-je asset examinée que je me devais à moi-uiciuc? S'il faut être juste pour autrui « il faut être vrai pour soi; c'est nn hommage que rhonnc-lr lioiiinX doit rendre à sa propre dignité. Quand la stérilité de ma convcf aalion me forçait d'y suppléer par d'innocentes fictions, {^^^ tort, parce qu'il ne faul point, pour amuser autrui , s'avilirioc même; et quand , entraîné par le plaisir d'écrire , j'ajoutui»,* des choses réelles, des uruemens inventés, j'avais plus de tôt* encore, parce que , orner la vérité par des fables, c'est eu c&* la défigurer.

Mais ce qui me rend plus inexcusable est la devise que j'aTa'^ choisie. Colle devise m'obligeait plus que tout autre honune* une profession plus étroite de la vérité , el il ne snflisait pas «u* !

1*e lui sacrifiasse partout mon intérêt el mes penchans , il ($ ui sacrifier aussi ma faiblesse et mon naturel liiuide. Il avoir le courage el la force d'être vrai toujours en toute »ton f et qu'il ne sortit jamais ni fictions ni fables d'une boucl»^

QUATRIÈME PROMENADE. 379

et â nneplunip <{ui b'éUiiL particulièrement con.^acrrc k la vérité. Voilâcei{<ic j'aiirai6 i\x\ nie dire eu prenant celte iicre devise, et iiiO rcpcler sans ceae tant une j'otai lu porter. Jamais la fausseté ne dicta mes mensonges , ils sont tuiis venus de iaiblesse , mais cela lu'f KcuM Irès-mal, Avec une ame faible on peut tout au plus se garantir du vice , mais c'est ^*lre arrogant et léméraîre d'oser professer de grandes vertus.

YoiU des rcUexions nui probablement ne me seraient jamais veaues dans Tesprit si 1 abbé Kavnal ne me les ciil 5Ufs;^(*rce9. 11 e^t bien tard , saru duute , pour en faire usuj^e ; mais il n'est pas trop tard au moins pour redresser mou erreur, et remettre nia volonté daniî la ri*i;Io ; car c*esL désormais tout ce qui dépend de inoi. Imi ceci donc , et en toutes cboses semblables, la maxime deSolon c^t applicable it tous les î^ges, et il n'est jamais trop lard pour appiviulrc , mr*mc de ses ennemis , a être sage , vrai , mo-* deste, et k moins présumer de sui.

CINQUIÈME PROMENADE.

IH toutes les babila lions ou j'ai demeuré ( et j*en ai eu de char- mnnti»} , aucune ne ui'a rendu si véritablement heureux , et ue nn*« laissé de si tendres regrets , que l'île de Saint-Pierre , au rai- lîrn du lac de Birnne. Cette petite ile, cjn'on appelle a NeufcïiA- (ei Vi\fi de la Motte , est bien peu connue, même en Suisse. Au- cun Yoyaf^enr , que je sache , n^en fait mention. Cependant elle est trè»*ni;réabl(* , et singulièrement située pour le bonheur d'un homme qui aime à se riroonsrrirr ; car , quoi([uc je sois peut-être le «eul au monde û qui sa destinée eu ait fait une toi, je ne puis croire être le seul qui ail nu goÀl si naturel , quoique je ne raie trouvé jusqu'ici choK nul autre.

Les rives du lac de Dienne sont plus sauvages et romantiques rpie celle» du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y bordent l'eau de pins près; mais elles ne sont pas moins riantes. S'il Y a moins de culture de champs et de vignes, moins de villes et de maisons, il y a aus^i plus de verdure naturelle , plus de prairies, d'asiles oinbrai^és de bocages, des contrastes plus fré- quens et des accidens plus rapprochés. Comme il n'y a pas sur res heureux bords de grandes routes commodes pour les voitures, le p«y5 est peu fréquenté par les voyageurs ; mai» il est intères— tant pour des conteiuplatits solitaires qui aiment k sVnivrer à lol- cir des charmes de la nature , et à se recueillir dans un silence que ne trouble aucun autre bruit que le cri des aigles , le ramage ♦fitrecoup4ï de quelques oiseaux , et le rnulcment des torrens qui tombent de la inontaijne. Ce beau bassin , d'une forme presque ronde , enferme dans son milieu deux petites îles, l'une habité» et cultivée d'environ une demi-lieue de tour, l'autre plus petite, «léserte et en friche , et ([ui sera détruite à la (in par les tran*- p«rt« do la terre qu'on en ôte sans rcsse pour réparer les dégâts que Jc5 vagues et le» orages font à la grande. C est ainsi que la

T*.*-

1

is«Anf9

37a LES REVERIES.

substnnce dn faïMe est toujours employée au pro6t dn piiî

11 ny a dans l'île qu'une seule maison , mai» grande, a^réabltf et commode , qui appartient n Vhôpital de Berne, ainsi que l'île et loge un receveur avec sa famille et ses domestiques. Il 1 entretient une nombreuse basse-cour , une volière , et des réser-* voirspour le poisson. L'île, dans sa petitesse, est tellement variée dans SCS terrains et ses aspects , qu'elle oflVe tontes sortes de siles^ et souSVe toutes sortes de cultures. Ou y trouve des champs , des vignes, des bois, des vergers , des gras pâturages ombragés da bosquets , et bordés d'arbrisseaux de toute espèce , dont le bord des eaux entretient la fraîcheur; une haute terrasse plantée àm deux rangs d'arbres borde l'île dans sa longueur, et dans le mi^ lieu de cette terrasse on a bâti un joli salon , oti les babitans de* rives voisines se rassemblent et viennent dauser les diiuancbes du<« rant les vendanges.

C'est dans cette île que je me réfugiai après la lapidation de Motiers. J'en trouvai le séjour si charmant , j'y menais une %'ie st convenable à mon humeur , que, résolu d'y finir mes jours, je u'avais d^autre inquiétude sinon qu'on ne me laissât pas exéculer ce projet qui ne s'accordait pas avec celui de m'entrainpr en An- gleterre, dont je sentais déjà tes premiers effets. Dans les pressenti- mens qui m'inquiétaient, j'aurais voulu qu'on ra'eùl fait de cet asile une prison perpétuelle, qu'on m'y eill confiné pour louto ma vie, et qu'en lu'ùtaut toute puissance et tout espoir d'en sor* tir on m'eât interdit toute espèce de communication avec la lerro ferme , de sorte qu'ignorant tout ce qui se faisait dans le mond* l'en eusse oublié Texisteuce, et qu'on y cdt oublié la mienne aussi .

On ne m'a laissé passer guère que deux mois dans cette ilei mais j'y aurais passé deux ans, deux siècles, et toute l'éternité, sans m'y ennuyer un moment , quoique je n'y eusse , avec tM compagne , d'autre société que celle du receveur, de sa fcnim^i et de ses domestiques , qui tous étaient à la vérité de t^ê^'buullf* gens, et rien de plus; mais c'était précisément ce qu'il me fil- lait. Je compte ces deux mois pour le temps le plus henreux*^ ma vie, et tellement heureux, qu'il m'eiitsufU durant toute moa existence , sans laisser naître un seul instant dans mon aiue led^" sir d'un autre état.

Quel ctnit donc ce bonheur , et en quoi consistait sa jouissaix'' Je le donnerais à deviner à tous les hommes de ce siècle surl> description de la ^ie que j'y menais. Le précieux far nient* fui Ja première et la principale de ces jouissances que je voulus «»• vourcr dans toute sa douceur, et tout ce que je fis durant mofl séjour ne fut eu effet que l'occupation délicieuse et néccistirt d'un homme nui s'est dévoué à l'oisiveté.

L'espoir qu on ne demanderait pa» mieux que de laitier dans ce séjour isolé ou je m'étais enlacé de moi-même, dont il m'était impossible de sortir sans assistance et sans étrebîei aperçu, «t ou ue pgiiVAÎs avoir ni coavuauication ai cor*

[

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CINQUIÈME PnOMEN'ADE. 3-5

rfÇponcîance oue par le ronroiirs clés g**ns qtù mVnlonraïenl , cet espoir, dis- je, rae donnait celui d'y finir mes jours plus tranquillement que je ne les avais nasses; et l'idée que j*aurai« le leinps de m'y arranger tout à loisir fil nue je commenrai par n'y faire aucun arrangement. Transporte brusquement, •eul et nu, j'y fis venir successivement ma gouvrruanle, me*" livrer, et mon petit équipage, dont j'eus le plaisir de ne rien déballer , laissant mes caisses et mes malles comme elles étaient arrivées, et vivant dans l'habitation oii je comptais achever lups jours, comme dans une auberge dont j'aurais dik partir le lendemain. Toutes choses , telles qu'elles étaient , allaient si Birn. que vouloir les mieux ranger était y gAler quelque chose. l'n de mes plus grands délices était surtout de laisser toujours mes livres bien encaissés , et de n'avoir point d'écritoire. (^>uan<.l «le malheureuses lettres me forçaient de prendre la plume pour y repondre, j'empruntais en murmuraut l'écrîtoire du rece- veur , el je me hi\tais de la rendre dans la vaine e^pérauce de n'avoir plus besoin de la remprunter. Au lieu de ce» tristes apcrasses, et de toute cette bouquinerte, j'emplii^sais ma cham- re de fleurs et de foin ; car j'étais alors dans ma première fer- TTur de botanique, pour laquelle le docteur d'Ivemofs m'avait inspiré un goût qui bientôt devint passion. Ne voulant plus 4*#ruvr<» de travail , il m'en fallait une d'amusement qui me y\^l , et qui ne me donnât de peine t|ue colle qu'aime à nren- «re un paresseux. J'entrepris de faire la Flora ptrtrimu/aris ^ et de décrire toutes les plantes de Tite , sans en omettre une ff ule , avec un détail sulllsant pour m'occuper le reste de mes TT. On dit qu'un allemand a fait un livre sur nu zest de 1 ,. j'en aurais fait un sur chaque fjraïuen des prés, sur tuaque mousse des bois , sur chaque lichen qui tapisse les ro- chers; enfin , je ne voulais pas laisser un poil d'herKe , pas un ' -'f* végétal qui ne fut amplement décrit. En conséquence beau projet, tous les matins . après le déjeuné, que nous '• i ont tous ensemble, j'allais, une loni>e a la main , et mon È'^ir/na naturte sous le bras, visiter un canton de l'île, que jftvais pour cet efl'et divisée en petits carrés, dans l'intention <l* les parcourir l'un après Taulrc en rhaquc saison Rien n'est fin» uugulier que les ravissemcns, les extases que j'éprouvais t chaque obser\-aLion que je faisais sur la structure el Torga- Bualicm végétale , et sur le jeu de* parties sexuelles dans la fractilication , dont le système était alors tout-ù-fait nouveau pour moi. La distinction des caractères génériques , dont je n'avais pas auparavant la moindre idée , m'enchantait en les vérifiant *ur les espèces communes , en attendant qu'il s'en ofllrît moi de plus rares. La fourchure des deux longues élamines la brunellc , le ressort de celles de Vortie et de la pari^ t^ ^explosion du fruit de la balsamine et de la capsule du U, mdle petits jeux de la fructification, que j'obscrvnis pour la première foii , me coiublaicut de joie, vl j'ullai» de-

374 LES RÊVERIES.

mandant Ton avait vu les cornes de la bmnelle, comme Laf Fontaine demandait si Ton avait lu Habacuc. Au bout de deux ou trois heures je m'en revenais chargé d'une ample moisson , provision d'amusement pour raprès-dinée au logis , en cas de pluie. J'employais le reste de la matinée à aller avec le rece- veur y sa femme , et Thérèse , visiter leurs ouvriers et leur ré- colte , mettant le plus souvent la main à l'œuvre avec eux , et souvent des Bernois qui me venaient voir m'ont trouvé ju- ché sur de grands arbres , ceint d'un sac qne je remplissais de fruits , et que je dévalais ensuite k terre avec une corde. L'exercice que j'avais fait dans la matinée , et la bonne hu- meur qui en est inséparable , me rendaient le repos du dîne très-agréable; mais quand il se prolongeait trop , et que le beau temps m'invitait , je ne pouvais si long-temps attendre , et pendant qu'on était encore à table je m'esquivais et j'allais me ]eter seul dans un bateau qne je conduisais au milieu du lac quand l'eau était calme ; et , m'étendant tout de mon long dans le bateau les yeux tournés vers le ciel , je me laissais aller et dériver lentement au gré de l'eau , quelquefois pendant plu- sieurs heures , plongé dans mille rêveries confuses , mais aéîi- cieuses , et qui , sans avoir aucun objet bien déterminé , ni constant , ne laissaient pas d'être à mon gré cent fois préfé- rables à tout ce que j'avais trouvé de plus doux dans ce qu'on appelle les plaisirs de la vie. Souvent , averti par le baisser du soleil de l'heure de la retraite , je me trouvais loin de J'ile , que j'étais forcé de travailler de toute ma force pour arriver avant la nuit close. D'autres fois , au lieu de m'ecar- ter en pleine eau , je me plaisais à côtoyer les verdoyantes rives de l'île, dont les limpides eaux et les ombrages frais m'ont souvent engagé à m'y baigner. Mais une de mes navigations les plus fréquentes était d'aller de la grande à la petite île , d'y débarquer , et d'y passer l'après-dînée , tantôt a des pro- menades très-circonscrites au milieu des marceaui , des bour- daines , des persicaires , des arbrisseaux de toute espèce , et tantôt m'établissent au sommet d'un tertre sablonneux , cou- vert de gazon, de serpolet, de fleurs, même d'esparcelte , et de tre/iles qu'on y avait vraisemblablement semés autrefois, et très-propre à loger des lapins, qui pouvaient multiplier en paix sans rien craindre , et sans nuire à rien. Je donnai celte idée au receveur, qui fit venir de Neufchatol des lapins mâles et femelles , et nous alI.Ames en grande pompe , sa femme , une de ses sœurs, Thérèse, et moi , les établir dnns la petite île , ils commençaient à peupler avant mon départ , et oii ils auront prospéré sans doute , s'ils ont pu souleuir la rigueur des hivers. La fondation de celte petite colonie fui une fête. Le pilote des Argonautes n'était pas plus fier que moi , me- nant en triomphe la compagnie et les lapins de la grande île h la petite , et je notais avec orgueil que la receveuse , qui re- doutait l'eau à l'excès, et s'y trouvait toujours mal , s'cmbar-

"»t

CINQUIEME PROMENADE. 2j5

Jna 5011S conduite a\«c coufîaoce, et ne montra nulle peur iirnnt la lraver&<'P.

Quand le lac agité ne me prrmellaît pas lii navigation, je pas- sais mon après-midi à parcimrir Tile , en herborisant a droite rt h ^.luche, in'ns&eyant tantôt dans les rcduits les plus rians et les plus solitaires pour rêver à mon aife, (anl6l&ur les terrasses et \e^ tertres, pour parcourir des yeux le snperbc et ravissant conp- d*iri! du lac et de ses rivages , couronnes d'un côlc par des mon- tagnes procliaincs, et, de l'autre, élarf;is en riclics et fertiles E laines, dans le5([ucllcs la vue s*étcndait jusqu'aux montagnes leuùties plus éloignées, cjui la bornairnl.

Quand le soir approchait , je descendais des cimes de IMle, et j'allais volontiers m'asseoir au liord du lac , sur la grève , dans (lueUpie asile cache* ta, le bruit des vagues et Tagitalion do 1 rau lixant mes sens et chasç^ant de mon ante toute antre agi- talion la plongeaient dans une rêverie délicieuse, nii la nuit me surprenait souvent sans que je m'en fusse aperçu. Le flux et re- flux, de celle eau , son brtiit continu, mais rcntle par iulurvallcs, frappant sans relâche mon oreille et nifs yeux, suppWaient aux nifuneinens internes que la rêverie éleignail en moi, cl suJlI— «aient ]>our me faire sentir avec plaisir mon esi^lence , sans pren- dre la peine de penser. t)e temps à autre nais'^ait qurlcjuv faible et courte rollcMon sur rinslabililê des choses âc ce monde , dont la surface des eanx m'offrait l'image; mais bienlùt ces impres— >i»'ns légères sVftaçaient dans runiformilé du mouvement con— tinti qui me berçait , et qui , sans nurnn concours actif de mon ni.tr. ne laissait pas de m'altaclier au point qu'appelé par l'heure <r sjcnal convenu je ne pouvais m arracher de

sans

ÏS.

Après le soupe , quand In soirée était bolle, non* allions en- core tous ensemble laire quelf|ue tour de promenade sur la ter- rasse » pour y respirer l'air du lacet la fraîcheur. On sr reposait - ïepavillon, on riait , on cannait , on rhantaitquclque vieille ^on qui valait bien letorlillngc TOoderm* , et enfin l'on s*al- turher content de sa journée , cl n'en désirant qu'une scm- ; «• pour le lendemain.

ïclle est 1 laissant à part les visites impn'vnes et importunes ^ Î3 Ttïnniifre dont j'ai pa5<é nïon temps dans celle île , durant le ^ T"* ]y ^' ^*"*' Qu'on me dise îi présent ce qu'il y a U d'as- îlrayant pour exciter dans mon crcur des regrets si vifs, si ' os , et si durables , qu'au l)nut de (piinzc ans il m'est im— !>ledc songera celle habitai ion chéri**, sans m'y sentir à cha- que fois transporter encore par les élan?» du désir.

J'ai remarqué dans les vicissitudes d'une longue vie que les épo*|tie5 des plus douces jouissances et des plaisirs les plus vifs ne

* pourtant pas celles dont le souvenir m'attire et me Innchc

'15. Os courts momens de délire cl de passion , quelque vïfs

^ '«sent être, ne çont cependant, et par leur vivacité même,

j'oiuts bien clair-seiut^s daus la ligne de la vie. lU sont

376

LES REVERIES.

trop rares et trop rapides pour constituer nn état; et le KonKenT <iue mon cœur regrette n'est point composé d'instans fugitifs , mais un ctaL simple et pcnuauenL, qui n'a rien de vif en Ini— nieiue, innisdont la durée acéraitle charme > au point d'y tron- ver cufin la suprême félicité.

Tout est dans un Uux contioucl sur la terre. Rien n'y garde une forme constante et arrêtée ; et nos affections qui s^atiacbent aux choses extérieures passent et changent nécessairement comme elles. Toujours en avant ou en arrière de nous » elles rappellent le passé , qui n*est plus, ou préviennent l'avenir , qui souvent ne doit point être : il n'y a rien de solide à quoi le cœur ue puisse atiacner. Aussi n'a-t-on guère ici has que du plaisir qui passe ; pour le bonheur qui dure, je doute qu il y soit connu. A peine est-il, dans nos plus vives jouisîiances , un instant oii le cœur puisse véritablement nous tlire : Je voudrais que cet ir^ntant du" Ta t toujours. Et comment peut- ou appeler bonheur un étal fu- gitif qui nous laisse encore le cœur inquiet et vide, qui nous iait regretter quelque chose avant, ou dcwrer encore quelque chose après ?

Mais s*il est un état Tame trouve une assiette assez solide pour s'y reposer tout enlii-re, et rassembler tout son être» »ans avoir ucsoin de rappeler le passé , ni d'enjamber sur Fa- \euir , oii le temps ne soit rien pour elle , oii le présent dure toujours , sans néanmoins marquer sa durée cl sans aucune trace de succession , sans aucun autre senlimenL de privation ni de jouissance , de plaisir ni de peine , de désir ni de crainte , que celui seul de notre eMStence , et que ce sentiment seul puisse U remplir tout entière : tant que cet état dure» celui qui s'y trouve peut s'appolrr heureux, nou d'un bonheur imparfait , pauvre, et relatif, tel que celui qu'on trouve dans les plaisirs de la vie» mois d'un bonheur ^iuthsant , parfait , et plein , oui ne laisse dam Famé auctm vide qu'elle sente le besoin cle remplir. Tel est Télat je me suis trouvé souvent à l'île de Saint-Pierre , dans met rêveries solitaires , soit couclié dans mon bateau que je laissai} dériver au gré de l'eau , soit assis sur les rives du lac agité , soit ailleurs, au bord d'une belle rivière on d'un ruisseau murmu- rant sur le gravier.

De quoi )ouit-on dans une pareille situation? de rien d'ex- térieur à soi , de rien sinon de .soi-même et de sa propre eïi*- tencc ; faut que cet état dure , on se suffît h soi-même , comm« Dieu. Le sentiment de l'existence dépouillé de toute autre afec* lion est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix , qui suflirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions »en— Kuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en tlislraire, et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes agités de passions continuelles connaissent peu cet état , et iw l'ayant goi^é qu'imparfaitement durant peu d'instans n'en COO- tervent qu'une idée obscure et confuse qui ne leor en fait |>M

CINOUIKME PROMENADE.

377

senlir le charme. Il ne serait pas nicine bon dan* la prr5rnle conslîlutioa des choses, qu'avides de ces douces extases iU p'y dégoûtassent de la vie active dont leurs besoins toujours renais* sans leur prescrivent le devoir. Mais un infortune qu'on a re- tranche de la société humaine , et <]ui ne peut plus rien faire ïcï— bas d'utile et de bon pour autrui ni pour soi , ppiit Ironver ^ dans cet état, à toutes les félicités humaines des dédommage- laens que la fortune et les hommes ne lui sauraient ôter.

Il est vrai que ca dédommaeemens ne jveuvent être sentis par toutes lésâmes, ni dans toutes les situations. Il faut que le cœur soit en paix , cl qu'aucune passion n'en vienne troubler le calme. Il y faut des dispositions de la nart de celui qui le* éprouve j il en faut dans le concours des oujets envirounans. Il n'y faut ni un repos absolu , ni trop d'agilation , mais un mouvement uni- forme et modéré , qui n'ait ni secousses ni intervalles. Sans mouvement , la vie n est qu'une léthargie. Si le mouvement est inégal ou trop fort , il réveille; en nous rappelant aux objets rnvironnans , il détruit le charme de la rêverie , et nous arrache d'au dedans de nous, pour nous remettre à l'inslant sous le joug de la fortune et des hommes , et nous rendre au sentiment de nos malheurs. Un silence absolu porte h la tristesse. Il offre une image de la mort : alors le secours d'une imagination riante est nécessaire, et se présente assez naturellement à ceux que le ciel en a gratifiés. Le mouvement qui ne vient pas du dehors ée fait alors au dedans de nous. Le repos est moindre, il est vrai , mais il est aussi plus agréable quand de légères et douce» idées , sans agiter le fond de Tame , ne font pour ainsi dire qu'en eflleurer la surface. Il n'en faut qu'assez pour se souvenir de soi-même en oubliant tous ses maux. Cette espèce de rêverie peut se goûter partout oii l'on peut être tranquille, et j'ai sou- vent pensé qu à la Bastille, et même dans un cachot oii nul objet u'eût frappé ma vue , j'aurais encore pu rêver agréable- ment.

Mais il faut avouer que cela se faisait bien mietix et pins agréablement dans une Ile fertile et solitaire , naturellement circonscrite et séparée du reste du monde , oii rien ne m'ofirait qne des images riantes , ou rien ne me rappelait des souvenirs allristans, ou la société du petit nombre d habitans était liante et douce sans être intéressante au point de m'occuper inccssam- mcot; oii je pouvais enfm me livrer tout le jour sans obstacles et sans soins aux occupations de mon goût ou k la plus molle oisiveté. L'occasion sans doute était belfe pour un rêveur, qui , sachant se nourrir d'agréables chimères au milieu des objets les plus déplaisans , pouvait s'en rassasier à son aise en y fai- sant concourir tout ce qui frappait réellement ses sens. En sor- tant d'une longue et douce rêverie , me voyant entouré de ver- dure, de fleurs, d'oiseaux, et laissant errer me» yeux au loin sur tes romanesques rivages qui bordaient une vaste étendue d'eau claire et cristalline , j'assimilais à mes fictions tous ces ai-

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37^ T.ES BÉVERIES.

niables oLjets j et , me liouvant enfin ramené par Je«r« 3 mi îuénic (ît à ce qui m'enlourail , je ne pouvais marcjucr le poij de séparation des Hclions atix réalités ; tant tout concoui légalement â me rendre clibre la vie recueillie et solitaire que menais dans ce beau séjour ! Que ne peut— elle renaître encore] <^)ue ne pui*-je aller finir mes jours dans celte île chérie , en ressortir jamais , ni jamais y revoir aucun habitant du coni nenl qui me rappelât le souvenir des cnlamilés de toute esi qu'ils se plaisrnt â rassembler sur moi depuis tant d'années. Il «eraienl bientôt oubliés pour jamais : sans doute ils ne nroublif raient pas de même ; mais que m'importerait , pourvu qu'i n'eussent aucun accès pour v venir troubler mon repos ? Délivi de toutes les passions terrestres qu'engendre le tumulte de la v sociale , mon ame s'élancerait iréquemmeut au-dessus de ceti atmosphère , et ponimercerail d'avance avec les iatelligenci célestes, dont elle espère aller aiigmeuter le nombre dans de temps. Les hommes se garderont , je le sais , de me rendre oi si doux asile , ils n'ont pas voulu me laisser. Mais ils nciuVi péciieront pas du moins de m'y transporter chaque jour suri**! ailes de l'imagination , et d'y eoûîcr durant ([uelqnes heumlê même plaisir que si je riiabilais encore. Ce que j'y fiTat* depin* doux serait J'y rêver â mon aise. En rêvant que j'y suis ne tti*- je pas la même cho.se? Je fais même plus ^ â l'attrait d'une r^ V^rie abstraite et monotone , je joins des images charmante* tji» la vivifient. Leurs objets échappaient souvent â mes >ensfl»c* lues extases^ et maintenant , plus ma rêverie est profimde , p'"* elle me les peint vivement. Je suis souvent plus au luitieu J'eui. et plus agréablement encore, que quand j'v étais réellemcnl- Le malheur est qu'à mesure que l'imagination s'attiéHit , cr» vient avec jïlus de peine , et ne dure pas si long-teuip^. HH»** c'est quanti on commence à quitter sa dépouille qu'on en <^' " plus oiFusqué !

SIXIEME PROMENADE.

Nocs n'avons guère de mouvement machinal dont nomnrp"'* sions trouver la cause dans notre cœur , si nous savions bien'/ chercher.

Hier, en passant sur le nouveau boulevard, pour aller kf* boriser It* long de la Bicvre, du côté de rTenlilly , je fis le rrocV» à droite en approchant de la barrière d'Enfer; et. m'ccu*'" dans la campagne , j'allai , par la roule de Fontainebleau , c Jos hauteurs qui bordent cette petite rivière. Cette luarch" fort indifférente en elle-même, mais en me rappelant qucj'^^*'' fait plusieurs fois machinalement le même détour , j'en r''^'*^ chai la cause en moi-même, et je ne pus ni'cmpêchcr de ^ quand je vins k la tlémêlpr.

Dans un coin du boulevard , à la sortie de la barrière d'Enl"^ '

L

i

Sï.XIKME PROMENADE.

3-0

:

>*ch»lil!t joorncîleinont m clt; une femme qui vcml du frnif , tic la fii^nnc, et tirs pctils pains. Celle femme a un petit garyon fort BCîitii , mais boilctix, «jiii, clopiunnt avfc ses btijinlles , sVn va d*jiKM*x baune grncc deinandaiit )'iiiimùnc aux pa^san^. J'avais fait une esprce de connaissauce avec ce petit bon-homme; il ne luanquait pas , chaque fois que passais, de venir me lairc son prtil compliment, toujours suivi de ma petite ollVande. Les pre- rniêresfois je fus charmé de le voir, je tni donnais de lrî*s— bon cmir, et je continuai quelque temps de te faire avec le mt'uie -pUisîr, y joif;nanl mt'nie le plus souvent celui d'exciter et d'écou- ter son petit hahil, que je trouvais agréable. Ce plaisir, devenu |)ar degrrs halulude , se trouva , je uc sms comment , transformé aans une efspfcede devoir dont je sentis bientôt la pêne, surtout à cnusc de la ha^an^ue préliminaire qu'il fallait écouler , et dan$ Laquelle il ne manquait )araais de m'appcIersouvent.îM. i^oufiseau, |>our montrer qu'il me connaiiiisnit bien ; ce qui m'apprenait as- ^*t AU contraire qu'il ne me connaissait jKisplus que ceux t|iii l'a- TJiimt instruit. Dès- lors je passais par-là moinj« volontiers , et enfin jr- pris machinalrinfiit l'habitude de faire le plus souvent un détour quand j'approchais de cette traverse.

Voilà ce que je derouvri«i en y réfU^hissant , car rien de tout ceU ne »'nlait oifcrt jusqu'alors distinctement à ma pensée. Tetle olwcrralion m'en a rapjwlé successivement des roullitutlcs «)*autre5, qat m'ont bien confinuc que le» vrai* et premier» motifs de Ja plupart de mes actions ne me sont pas au&si cïnirs k moi-même que le me l'étais lonp-lenips figuré : je sais et je sens que faire fin hiro est le plus vrai bonheur que le crrur buuiaia

Îniift^e goAter; mais il y a long-tmips que ce bonheur a été mi« tor* de ma portée , cl ce n'est j)as dans un aussi mijérablc tort fjiic le mirn qiï'on peut cspérpr de placer avec choix tt avec fruit une seule action réellement bonnf . Le pin» grand soin de cmx^ qui règlent ma destinée ayant été que tout ne fût pour moi qii« faiiA»e Pt troMïppuse appareiice , un motif de vertu n'est jauiaiit' qn'un leurre (|u*oiï me présente pour mattirer dans le piéi^e oîi ! on veut m'culacer. Je dais cela , je >ais que le seul bien qui *oit désormais en ma puissance est de m'ab^tenir d'agir, de peur de mal faire sans le vouloir et san» le savoir.

Mai.'» il fut des temps plus heureux oii , Miivaut le» mouvemcn* 3e mon rrrur, je pouvais quf^lquefoïs rendre nn autre çirur con-

lenl, et je me dois l'honorable lémoi(;nage que , chaque fois que iU; ... ^»A«».. «« .1..:,;- :.. i^.: é_..... .:-.»..„ .î....« ,...»,.

] ai pi) goûter ce plaisir, je Tui trou\é plus doux qu aucun antre ce ncflcuAnt fut vif, vrai , pur j et rïcu, dans uion plus »ecrel în- féneur, ne Ta j.tniais démeuli. Ceprudaul j*at senti souvent le? poidt de mes propres bienfaits p;»r la chaîne des devoirs qu'iU

li'uitoid charni

lent à leur suite : alors le plai.sîr a dî^ji-'iru vé, dan» la continuation dp»î rnrinrs ttoiM***;»»!

Il une

;cne niv

meftcourtoi prospentes beaucoup d*

jamAÎi, dan» tous le» services que je pua leur retidi

3ffo

LES RKVERinS.

dVuit ne fat éconJuit. Mais de ces proinieps bienfaits, versets avec eifusionde cn-ur, naissaient des cuaines d'cn^agemens successif» *]ue je n'avais pas prévus et dont je ne pouvais plus «couer le jnii|* : mes premiers 5er\'ices n'elaicut , aux yeux Je tfux qui le* recevaient, tipe les arrhes de ceux qui les devaient suivre; et, dès nue (jneique infortuné avait je(c sur moi le grappin d'un Lîenlait reçu, c'en êlail fait désormais, et ce premier bienfait, libre et volontaire, devenait un droit indéfini à tous ceux doot il pouvait avoir besoin dans la suite, sans que l'impuiiisaMCe ineme suiTitpourmVnanranchir. Voilâ comment des jouissaace» très-douces se transformaient pour moi dans la suite en d'oné* reux assujetlissemeu».

Ces cliaînes cependant ne nie parurent pas très-pesantes, tant citi'ignoré du public je vécus dfins l'obscurité, mais quand une fois ma personne fut anicliée par mes écrits, faulr f;rave $an* doute, mais plus qu'expiée par mes malheurs , di's-lors je deviu* le bureau général d'adresse de tous les souffreteux ou boi-dî^nl Iclsjdelous les aventuriers qui cherchaient des dupes, de tous ceux qui, sous prétexte du grand crédit qu'ils feignaient de m at- tribuer, voulaient s'emparer de moi de mauiére ou d'autre. C'cAt alors que j'eus lieu de connaître que tous les penchans do la na- ture, sans excepter la bienfaisance elle-in^mc, portés ou suivi» d'^ns la société sans prudence et sans choix, changent de nature, rt deviennent souvent aussi nuisibles qu'ils étaient utiles daus leur première directior». Tant de cruelles expériences changèrent peu il peu mes premières dispositions, ou plutôt, les renrerroanl en- fin dans leurs véritables homes , elles m'apprirent k suivre moins aveuglément mon penchant à bien faire , lorsqu'il ne servait qu'à favoriser la méchanceté d'autrui.

Mais je n'ai point regret à ces mêmes expériences , puisqu'elles m'ont procuré , par ta réflexion , de nouvelles lumières sur la connaissance de moi-même et sur les vrais motifs de ma con- duite en mille circonstances sur lesquelles je me suis si souvent fait illusion : j'ai vu que, pour bien faire avec plaisir, il fallait que j'agisse librement, sans contrainte, et que, pour lu'ôler toute la douceur d'une bonne œuvre, il suftisait qu'elle devînt Tin devoir pour moi. Dès-lors le poids de robligatiou me fait un fardeau des plus douces jouissances ; et, comme je l'ai dit dans l'Emile, a ce que je crois, j'eusse été chez les Turcs un mauvais Tuari a l'heure ou le cri public les appelle k remplir les devoir» de leur état.

Voilà ce qui modifie beaucoup l'opinion que j'eus long-temps de ma propre vertu; car il n'y en a point à suivre ses penchnn»» et à se donner , quand ils nous y portent , le plaisir de bîco faire i mais elle consiste k les vaincre quand le devoir le commande

Ï»our faire ce qu'il nous prescrit , et voilà re que j'ai su moins aire qu'homme du monde. deiUibli* cl bon , portant lapîtiri jusqu'à la fniblessp, et me ^çnUnl exalter l'amc par tout ce qui ticntàlagéncrotitCyîe fus humain, bicnfaisaDt, (ccourable, jior

ÉÊÊ^k

SIXIÈME PROMENADE. 38r

goût, par passion lut'ine , tant qu'on n'intéressa que mon cœur; j'e'usse été 1* itieillpiiret \o plus clénintt des hommes si j'en avais

iSte le plus puissant ; et, pour éteindre en moi tout désir de veu- veance, il Tn'ei\t sutH de pouvoir me venger. J'aurais inAine été junte sans peine contre mon propre intcr^i; maïs contre celui •v» personnes qui mVtaienl cUèrcs je n'aurais pu me résoudre k

pVtie. Dirsquemon devoir et mon cœur étaient en contradiction,

1*^ premier eut rnrenient la victoire, à moins qu'il ne faillit «eu-

{'K'ineiit que m'abstenir : alors j'étais fort le plus souvent : mais ■pir ronlre mon penchant me fui toujours inipof;sil*Ic. Que ce

[soient les hommes, le devoir, on ra<îme la nécessité, qui com- mandent , qiiiind mon cœur se tait , ma volonté reste sourde , el Je ne iaurais ohéir : je vois le mal qui me menace , el je le laissir «rriver plutôt que de in'ngiter pour le prévenir. Je commence qucl<[uelois avec effort j mais cet effort me lasse el m'épuise bien rite : je ne <îaurais continuer. En toute chose imaginable, ce ^ue je ne fais pas avec plaisir m'est bientôt impossible â faire. Il y a plus : la contrainte , d'accord avec mon désir , .inflk pour ]*anéanhr el le chançpr en répugnance , en aversion même , pour

'peu qu'elle agisse Irop fortement; el voilà ce qui me rcnci pé- nible la bonne œuvre qu'on exif;e , et que je faisais de moi-même

t]orM|u*on ne l'exigeait pas. Va bienfait purement gratuit csl cer- tninement une œuvre que j'aime à faire; mai^ quand celui qui Tu reçu s'en fait un titre pour en exiger la continuation sons

Îeiue de sa Laine, quand il me fait une loi cl'ntre à jamais son ienfrtileur, pour avoir d'abord pris plaisir à Telre, dcs-lors la génc commence , et le plaisir s'évanouit. Ce que je fais alors i|uaud ie cède est faiblesse et mauvaise honte; mnis ta bonne Toloute n'y est plus, et , loin que je m'en a|)plaudisse en moi— ntrme, je me reproche eu ma conscience de bien faire k contre- coeur.

Je sais qu'il y a une espèce de contrat et même le plus saint de lou5 entre le l>ienfaiteur et l'obligé : c'est une soric de soctélé qu'ils forment l'un avec l'autre , plus étroite que celle qui unit 1*8 hommes en général : el si l'obligé s'enfçage tacitement à la re- connaissance , le biontaiteur s'engaçe de même k conserver k l'autre , tant qu'il ne s'en rendra pas indif;ne, la même bonne vo- lonté qu'il vient de lui témoigner , el h lui en renouveler les actes toutes les fois quil le pourra el qu'il en sera requis. Ce ne sont pas des conditions expresses , mais ce sont des effets naturels de la relation qui vient de s'établir entre eux. Celui qui , la pre— luicre fois, refuse un service gratuit qu'on lui demande, ne donne aucun droit de se plaindre à celui qu'il a refusé ; mais celui <{ui , dans un cas semblnl)le, refuse au même la même grâce qu'il lui accorda ci-devant , frustre une espérance qu'il l'a autorisé à concevoir; il trompe et dément une attente qu'il a fait naître. On •enl dans ce refus je ne sais quoi d'iujuste et de plus dur que dans l'autre; mais il n'eu est pas moins l'elfet d'une indépen- dance que le ca'ur aime , et à laquelle il ne renonce pas sans ef-

t

3Sa LES IlEVF.ni ES,

fort. Qnatîil je paie une tletlr, cVst iin devoir que je rempli»;

(pinntl je fais un don , c'est un plaisir ijue je me donne. Or I»*

Îilnisir ilc remplir ses devoirs est de ceux que la seule habitude dtt a vertu l'ait naîlre: ceux qui nous viennent imiuédialcjucnl de la nalurc ne s'élèvent pas si hjiut ijuecela.

Apris tant de hisics expériences j'ai appris a prévoir de Iota les ronséquences de mes premiers niouveniens suivis, el je puis souvent abstenu d'une bonne iruvre que j'avais le désir cl le pouvoir de faire, elTrayu de rassujeltissemcut auquel dans U suite je m'alUis soumeltre, si je m'jr livrais inconsidérément. Je li'aî pas toujours senti celte crainte : au contraire dans ma jeu- nesse je m'attachais par mes propreiï bienfaits, et j'ai sonvcnt prouvé de mcuie que ceux que j'obligeais s'alTeclionnaienl k moi par reconnaissance encore plus que par intérêt. Mais cboses ont bien changé de face à cet égard comme k tout autre «u&.Mtol que mes nialUcurs ont coiimiencé : j'ai vécu dès-lors dans tinc génération nouvelle qui ne ressemblait point h la première, *t mes propres sentimens pour les antres ont sourferl <\es chan- gcmens que j'ai trouvés dans les leurs. Les mêmes gens que j'ai T"s successivement dans ces deux générations si ditîérenles te font, pour aillai dire, assimilés successivement à l'une el k Fautre ; de vrais et francs qu'ils étaient d'abord , devenus ce qu'ils sont , ils ont fait comme tous les autres ; et , par cela scnl nue les temps »ont changés, les hommes ont changé comme eui. Lh ! comment pourrais-je parder les mêmes senlimens pour ceut en qui je trouve le contraire de ce qui les fil naître 1 je ne lei hais point , parce que je ne saurais haïr ; mais Je ne puis me défendre du mépris qu'ils mérilent, ni m'abstenir de le leur té- moigner.

Peut-être, sans m'en apercevoir, «i-je changé moi-même plul qu'il n'aurait fallu : quel naturel résisterait sans s'altérer à une situation pareille à la mienne? ('onvnincu par vinsl aoi d'expérience que tout ce que la nature a mis d'heureuses drspo» sitious dans mon cœur est tourné , par ma destinée et par ccat qui eu disposent , au préjudice de moi-même ou d'autrui , nf puis plus rcjçarder une bonne oeuvre qu'on me présente à f«trt que comme un piège qu'on me tend, et sous lequel est cafbe quelque mol. Je sais que, quel que soit l'efTet de l'œuvre, jenVn aurai p.is moins le mérite de ma bonne intention : oui , ce i»c* rite y est toujours , sans doute : mais le charme intérieur n'y f* plus , et, sitôt que ce stiinulnut me manipie, je ne sens qu'unlii* férence el glace au dedans de moi , et , sûr qu'au lieu de fairt une aclion vraiment utile je ne fais qu'ui» acte de dupe, Vinot^ gnation de l'amour— propre, jointe au désaveu de la raison, t* m'inspire que répuptinnce et résistance, oli j'eusse été plein d*»î* denr vi dn r.èle i\nns mon élnt naturel.

11 est des s(ïrtes d'adversités qui élèvent et rfnforcent Taniff mais il en est (jui l'nliattent rt la tuent : telle est relie dont jc suis la proie. Vour peu qu'il j ûàl eu quelque mauvais Icyau

S1\1LME PROMENADE. 3H3

IS iiiirnnc , elle IViil fait ferrnenicr à l'excès, elle luVùt fy^nflu iVêiiëliquc ; iiiais elle ne m'a rciirlti (jii^ nul. Hors dVut ^c bien faire et pour moi— laôiiio et pour autrui, je iit'ulisticris d'Agir, et cet clal, «jui n'est innocent ijue parce iju'il esl force, me fait trouver une sorte rie Jourcur à me livrer pleinement sans reproche  mon pencliant naturel. Je vais trop loin , sans doute, piiiâtjue j'évite les occnsions d'agir , même ou je ne vois que du lîrn à faire ; maïs, certain «ju'on ne nie laisse pas voir Ici chosr.v comme clies sont , je iii'absi lens de juger sur les apparences qu'on lenrdonnc: et , de (|uclr|nc leurre qu'on rouvre les motifs d agir, il çuOit que CCS motifs soient laisses à ma portée pour que je sois sûr quMs sont trompeurs.

JMa destinée seiuble avoir tendu, dès mon enfance, le premier pirf*e qui m'a rendu lon^-tcinps si facile à touiber dans tous les Autres : je suis le plus rouKnnt des hommes , el , durant qua- rante* ans entiers, jamaiî* cette conlîance ne fui trompée une seule fois. Tombé tout d'un coup dans nn autre ordre de gens et de boses, j'ai donné dans n\illc embûcbes sans jamais en aperce- voir aucune^ et vingt ans d'expérience ont à peine suiU pour jnVciairer sur mon sort. Une fois convaincu qu'il n'y a que mensonge el fausseté daïis les démonstrations grimacières qu on me prodigue, j'ai pas^é rapidement à l'autre extrémité; car, quAad on est une fois sorti de son naturel , îl n'y a plus de lîor nés qui nous retiennent. Dès-lors je me suisdégoùlé des hommes, et ma volonté, concourant avec la leur à cet égard, me tient eiicore plus éloigné d'euic que ne font toutes leurs machines. Ih ont beau faire, cette répugnance ne peut jamais aller ju^

3u*à l'avorsion : en pensant à la dépendance oii ils se sont mis e moi pour me tenir dans la leur, ils lue font une pitié réelle; si je ne suis malheureux , ils le sont eux-mêmes , et, chaque fuis que je rentre eu moi, je les trouve toujours à plaindre, l. orgueil pcul-i'tre se nïèle encore k ces jugcmens; je me sens trop au- dessus d'eux pour les h.'iir : ils peuvent jn'intércsser tout au plus jusqu'au mépris , mais jamais jus(|u'â la haiue * enfin , je m'aime lïop moi-même pour pouvoir hair qui que ce soit. Oserait ri'*— serrer, comprimer mon existence, et je voudrais plutôt l'étendre iUT tout ruiMvers.

J'aiine mieux les fuir que les haïr : leur aspect frappe roes sens, cl, par eux, mon cœur d'impressions que mille regards cruels me rendent pénible!»; mais le malaise cesse aussitùi que l'objet <|Ut le cause a disparu. Je m'occupe d'eux, et bien malgré moi , par leur présence, mais jamais par leur souvenir: quand je ne lc£ vois plut, ils sont pour mm comme s'ils n'existaient point.

lU ne me sont même indillérens qu'en ce qui se rapporte k mol; car, dans leurs rapports entre eux, ils |>euvenl encore m'inlé— resser et m'éraouvoir comiue les personnages d'un drame nue je verrais représenter. Il faudrait qiip mon être moral fût anranti, nour que la justice me devînt indilléreute ; le sprctacle de l'iii- justicG et de la mcchauccté me fait encore bouillir le sang dt

384 I.KS nÉTEBIES.

colère; les actes de vertu , je ne vois ni forfanterie ni os tation, me font toujours trc.«aillir de joie, et m'arrachent e core de douces larmes. Mais il faut que je les voie et les appre'ci nioi-in^me; car, après ma propre histoire, il faudrait cjue j^ fusse insensé pour adopter , sur quoi que ce fût , le jugement de kommes, et pour croire aucune chose sur la foi d*autrui.

Si ma figure et mes traits étaient aussi parfaitement inconnai aux hommes que le sont mon caractcre et mon naturel > je vi- vrais encore sans peine au milieu d'eux : leur société m^me fiourrait me plaire tant que je leur serais parfaitement étranger^ ivre sans contrainte à mes inclinations naturelles, je les aime- rais encore s'ils ne s'occupaient jamais de moi. J'exercerais sur eux une bienveillance universelle et parfaitement désintéressée; mais sans former jamais d'attachemeul particulier, et sans por- ter le joug d'aucun devoir, je ferais envers eux, librement et de moi-même, tout ce qu'ils ont tant de peine à faire incités paf leur amour-propre, et contraints par toutes leurs lois.

Si j'étais resté libre, obscur, isolé comme j'étais fait pour r^tre, je n'aurais fait que du bien, car je n'ai dans le cœur le germe a'aucune passion nuisible; si j'eusse été invisible et tout-

riuissant comme Dieu, j'aurais été bienfaisant et bon comme ui. C'est la force et la liberté qui font les cxcellens hommes: la faiblesse et l'esclavage n'ont jamais fait que des niécham, Si j'eusse été possesseur de l'anneau de Gygès , il mVAt tiré de la dépendance des hommes et les eût mis dans la mienne. Je me suis souvent demandé dans mes châteaux en Espagne quel usage j'aurais fait de cet anneau^ car c'est bien que la ten- tation d'abuser doit être près du pouvoir : maître de contenter mes désirs, pouvant tout, sans pouvoir être trompé par per- sonne/qu'aurais-je pu désirer avec quelque suite: Lue seule chose : ceât été de voir tous les cœurs conlens; l'aspect de II félicité publique ei\t pu seul loucher mon coeur d'un sentiment permanent , et l'ardent désir d'y concourir eAt été ma plus cons- tante passion. Toujours juste sans partialité, et toujours boa sans faiblesse , je me serais également garanti des méfiance» aveugles et des haines implacables, parce que, voyant hommes tels qu'ils sont, et lisant aisément au fond de leurs crrortf j'en aurais peu trouvé d'assez aimables pour mériter toutes me* affections; peu d'assez odieux pour roéritpr toute ma haine, et que leur méchanceté même m'eAt dispose h les plaindre, pari* connaissance certaine du mal qu'ils se font à eux-mcmes en vou- lant en faire à autrui. Feut-^trc aurais— je eu dans des momm* de gaieté l'enfnnlillage d'opérer quelquefois des prodiges; in»i* parfaitement désintéressé pour moi-même , et n'ayant pour loi que mes inclinations naturelles* sur quelques actes de justice sévère j'en aurais fait mille de clémence et d'équité^ ministre de la Providence et dispensateur de ses lois, selon mon pouvoir*

Î**aurai5 fait des miracles plus sages et plus utiles que ceux de i' égeude dorée et du tombeau de Saint-Médard.

SIXIEME PROMENADE.

38'

11 n*jr â qu'uu seul point sur lequel la faculté de pénétrer par- tout invijîbte m'cât pu fuîre cherckcr des tentations nuxqueltes j'aurais mal résiste'; el, une fois entre dans ces voie^dVgarement» «il n'eussc-je point été conduit par elles? Ce serait bien in.il con- nsltre la nature et nioi-niêine que de me fl.'itter que r:es i'aciliips ne ni*auraieut point séduit, ou que la raison m'aurait arrête dans cette fatale pente : sAr de moi sur tout autre article, jVtais |>erdu par celui-là seul. Celui que 6a puissance met au-dessus de riioinme doit être au-dessu:» des faiMesbe!> de Iliuiuauilé, haus quoi cet excès de force ne servira qu*â le mettre en câcL au-dessous des autres et de ce qu'il eût été lui-même s^'îl fût resté leur égal.

Tout bien considéré, je crois que '\e ferai mieux de jeter luoti anneau magique avant qu'il m'ait fait faire queluue sottise. Si les hommes s obstinent a me voir tout autre que je ne suis, et que mon aspect irrite leur injustice, pour leur ôtcr cette vue -il faut les fuir, mais non pas m'éclipscr au milieu d'eux : c*e:*t ii •ux de se cacher devant moi, de me dérober leurs maun-'uvres, de fuir la lumière du jour, de sVnfoncer eu terre comme des taupes. Pour moi, qu'ils me voient s'ils peuvent, tant mieux; mais cela leur est impossible : iJs ne verront jamais à ma place que 1c Jean-Jacques qu'ils se sont fait, et qu'ils ont fait selon !eor coeur pour le haïr à leur aise. J'aurais donc tort de m'affccter de la Caçori dont ils me voient : je n'y dois prendre aucun intérêt rentable , car ce n*est pas moi qu'ils voient ainsi.

Le résultat aue je puis tirer de toutes ces rédexions est que je o'ai jamais été vraiment propre à la société civile, ou tout est gine , obligation, devoir, et que mon naturel indépendant reodit toujours incapable des assujettisscmens nécessaires à qui veut vivre avec les iiomraes. Tant que j'agis librement, je suis bon et je ne fais que du bieu ; mais sitôt que je sens le joujj , suit de la nécessité, soit des hommes, je des'iens rebelle ou plutôt, rétif; alors je suis nul. Lorsqu'il faut faire le contraire de tun volonté, je ne le fais point, quoi qu'il arrive^ je ne fais pas non plus ma volonté même, parce que je suis faible. Je m'abstiens d'agir, car toute ma faiblesse est pour l'action , toute ma force est néeative, cl tous mes péchés sont d'omission , raremcut de com- nussion. Je n'ai jamais cru que la liberté de l'homme consistât À faire ce qu'il veut, mais bien à ne jamais faire ce qu'il ne veut pas, et voilà celle que j'ai toujours réclamée, souvent conservée, et par qui j'ai été le plus en scandale h mes contemporains; car, pour eux, actifs, remuans, ambilieux^délcstanL la liberté dans le» autres et n'en voulant point pour eux-mêmes, ;>ourvu qu'ils fassent quelquefois leur volonté, ou plutôt qu'ils dominent celle d*autrui , ils se fijéiicnt toute leur vie a faire ce qui leur répugne^ el n'umellent rien de servile pour commander. Leur turl a*a donc pas été de mVcarter de la société comme un membre inu- tile , mais de m'en proscrire comme un membre pernicieux ; car fai très-peu fait de bien , je l'avoue; uïftis pour du mal , il u'eii e»l entre dan^s ma volonu' de ma >ie, el je doute qu'il y ait 5.

3a6

LES RÊVERIES.

aucua houime au monde qui en ait réellement moins fait ^ut' moi.

SEPTIEME PROMENADE.

Le recufil de mes longs rêves est à peine commencé, et déjà je sens Qu'il touche à &a fîn. Uu autre amusement lui succède , ni*ab5orDC, et m'ôlc même le terap^ de rêver : je m'y livre avec un engouement qui tient de reitravugance , et qui me fait rire moi-même quand j*y rélléchis^ mais je ne m'y livre pas moins , parce que, dans la situation oii me voilii, je n'ai plus d'autre règle de conduite que de suivre en tout mon penchant sans con- trainte. Je ne peux rien à mon sort, je n'ai que des iuclinations innocentes; et, tous tes jugemeus des hommes étant désormais nuls pour moi , la sagesse même veut qu^en ce qui reste a lua portée je i'as»e loul ce qui me flatte , soit en public , soit à part moi , sans autre règle (|uc jna fantaisie , et sans autre mesure que le pe»i de force qui m'est reste. IMe voilà donc à mon foin pour toute nourriture , et â la botanique pour toute occupation. Oéjâ vieux , j'en avais pris la première temturc en Suisse , auprès au docteur d'Ivemois, et j'avais herborisé assez heureusement, du- rant mes voyages, pour prendre une connaissance passable do-j rècne végétal ; mais, devenu plus que sexagénaire, et sédeolairir à Paris, Tes forces commençant à me manquer pour les grande» hcrbori:^ations, et, d'ailleurs, assez livré h ma copie de musiquiïi pour n'avoir pas besoin d'autre occupation, j'avais abnndonné, cet amusement, qui ne m'était plus nécessaire; j'avais rendu mon herbier, j'avais vendu mes livres > content de revoir quel- quefois les plantes communes que je trouvais autour de Paris «j dans mes promenades. Durant cet intervalle, le j>eu que je lavaïl s*est presque entièrement effacé de ma mémoire, et bien plus ra- pidement qu'il ne s'y était gravé.

Tout d'un coup, tige de soixante-cinq anspassés, privé dupeii de mémoire que j'avais, et des forces qui me restaient pour courirj la campagne « sans guide ^ sans livres , sans jardin , san$ herbier ,] me voilà repris de cette folie, mais avec plus d'ardeur encore qui je n'en eus en m y livrant la première fois; me voila sérieuse- ment occupé du sage projet d'apprendre par ca'ur tout le rc^nm vegetabile de Murrav, et de connaître toutes les plantes connue»] sur la terre. Hors d'état de racheter des livres de botanique , je mol suis mis en devoir de transcrire ccwx qu'on m'a prêté*; et , rè^du] de refaire un herbier plus riche que le premier , eu atteudani que j'y mette toutes les plantes de fa mer et des Alpes, et de toui Jes «rbrcs des Indes, je commence toujours h bon connii mouron, le cerfeuil, la bourache, cl le senneion : j . savamment sur la cage de mes oiseaux; et, à chaque nouvk.au Uik d'iierbe que je rencontre, je me dis avec salisfiiclion , VoiU tou- jours une plante de plus.

Je nu cherche pas â justifier le parti qne je prends de «lîv;

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SEPTIEME PROMENADE.

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3^7

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celte laataisie ; je la trouve Ires-raiAoïiDai dans la position je suis , me livrer aux ainu^enicns <]iil me flattent est une granae sagesse, et mcme une grande vertu ; c'est le moyen de ne laisser germer dans mon cccur aucun levain de vengeance, ou de hnincj et pour trouver encore dans ma des- tinée du goût à quelque aniusenieut , il faut aj^surément avoir uu naturel bien ëpurë de toutes passions irascibles. C'est me vcncer de mes persécuteurs â ma manière : je ne saurais les puuir plus cruellement ciue dV-tre heureux malgré eux.

Oui , sansoDute, la raison me permet, me prescrit m^me, de me livrer à tout penchant qui m'attire , et que rien ne m'em- pèclie de suivre, mais elle ne m'apprend pas pourquoi ce pen- chant m'attire, et quel attrait je puis trouver à une vaiuc élude faite sans profit, sans progrès, et qui, vioux, radulcur , déjà caduc et pesant, sans facilité , sans mémoire, me raujrne aux exercices Je la jeunesse, et aux leçons d'un écolier : or cVst une bizarrerie que je voudrais m'expliquer. Il me semble que ^ bien éclaircic, elle pourrait jeter quelque nouveau jour sur cette connaissance de moi-même, à l'acquisition de laquelle j'ai con- sacré mes derniers loisirs.

J'ai pensé quelquefois assez profondément, maïs rarement avec plaisir, presque toujours contre mon f^ré et comme par force. La rêverie me délasse et m'amuse, la réflexion me fatigue et m'at- triue. Penser fut toujours pour moi une occupation pénible et sans charme- Quelquefois mes rêveries finissent ]>:tr]a méditation, mais plus souvent mes méditations finissent par la rêverie; et, darant ces égareraens , mon arae erre et plane dans l'univers , sur le< ailes de l'imaginatiou , dans des extases qui passent toute autre jontKsaace.

Tant que je goûtai celle-Iâ dans toute sa pureté, toute antre occupation me fut toujours insipide; mais quand une fois, jeté dans la carrière littéraire par de^ impulsions étrangères, je sentis ta fatigue du travail d'esprit, et rimportunilé d'une célébrité mal- heureuse, je sentis en même tempstanguir et s'attiédir mes douce» tc»eries; cl, bientôt forcé de m'occuper maigre moi de ma triste situation, je ne pus plus retrouver que bien rarement ces chères vxtasesqui, durant cinquante ans, m avaient tenu lieu de fortune tX de gloire, et , sans autre dépense que celle du temps, ui'avaient îfodu, dan« l'oisiveté, le plus heureux des mortels.

J'avais même à craindre, dans mes rêveries, que mon ima- .: Nation, effarouchée par mes malheurs, ne tournai enfin de ce l<- !ion activité, et que le continuel sentiment de mes peines, aie resserrant le cœur par degrés, ne n^'accabUl enfin Je leur pf-'i K. Dans cet état , un instiuct, qui m'est naturel , me faisant ' 1 t toute idée attristante, imposa silence à mon imagination i et, tu lit mon attention sur les objets qui m'environnaieut, me lUi j- r la première fois, détailler le Sf»cctacle de la nature, que je Qa\ ai> guère contemplé jusqu'alors qu'eu niasse et dans ^ou cu- '•îe.

388 LES RÊVF.RIES.

Les arbres, les arbrisseaux, les plantes, sont I3 parure et le vêtement de la terre. Rien n'est si triste que l'aspect cVune cam- pagne nue et pelée, qni n'étale aux yeux que des pierres, du li- mon, et des sables; mais, viviBée par la nature, et revêtue de sa robe de noces, au milieu du cours des eaux et du chant dei oiseaux, !a terre oil're à l'homme, dans l'harmonie des trois règnes, un spectacle plein de vie , d'intérêt, et de cliarnics, le seul spectacle au monde dont ses yeux et son cccur ne se lassent jamais.

Plus un contemplateur a Tame sensible, plus il se livre aux extases qu'excite en lui cet accord. Une rêverie douceet profonde s'empare alors de ses sens, et il se perd, avec une clélicîeuse ivresse, dans l'immensité de ce beau système avec lequel il &e sent identifié. Alors tous les objets particuliers lui échappent^ il he voit et ne sent rien que dans le tout. Il faut que quelque cir- constance particulière re.sscrre ses idée» et circonscrive son ima- gination pour qu'il puisse observer par partie cet univers quil s'efforçait d'embrasser.

C'est ce qAÎ m'arriva naturellement, quand mon cœur, rc»» serré par la détresse, rapprochait et concentrait tous ses mouve- mens autour de lui pour conserver ce reste de chaleur prêt À s'é- vaporer et s'éteindre dans l'abattement oii je tombais par degrêi. J'errais nonchalamment dans les bois et dans les montagnes, n'o- sant penser de peur d'attiser mes douleurs. Alon imagination, qui se refuse aux objets de peine , laissait mes sens se livrer aui impressions légères, mais douces, des objets environnans. Mrs yeux se promenaient sans cesse de l'un à I autre, et il n'était p^ possible que, dans une variété si grande, il ne s'en trouvât (jui Tes fixaient davantage, et les arrêtaient plus long-temps.

Je pris goât à celte récréation des yeux qui, dans l'infortuof, repose , amuse , distrait l'esprit et suspend le sentiment des peino. La nature des objets aide beaucoup à cette diversion , et la rend plus séduisante. Les odeurs suaves , les vives couleur», les plu» élégantes formes semblent se disputer à Tenvi le droit de uir' notre allenlion. Il ne faut qu'aimer le plaisir pour se livrer i des sensations si douces, et si cet effet n'a pas heu sur tous cfirt qui en sont frappes, c'est , dans les uns, faute de sensibilité M- lurelle , el , dans la plupart , que leur esprit , trop occupé d''aulfa idée8,neselivrequ'àladérobeeaux objets qui frappent leurssen*

Une autre chose contribue encore à éloigner «11 règne VL'^.'éul l'attention des gens de godt; c'est l'habitude de ne chercher d*n< les plantes que des drogues et des remèdes. Théophraste s'y rt*it pris aulreiiienl, et l'on peut regarder ce philosophe cotuniP It seul botaniste de l'antiquité : aussi u'est-il presque point connu parmi nousj maïs, grâce à un certain Dioscoride, grand compi- lateur de recettes , et à ses commentateurs, la médecine s'est tel- lement enipartV des plantes transformées en simples, qu'on ajf voit que ce qn'on ny voit point, savoir les prétendues verlnt qu'il plaît au tiers et au quart de Içur attribuer. On ue conj '"

SEPTIEME PROMENADE. 3%

pu que Torganisation végétale puisse, par Glle-raêm(? , mériter quelque attention; des gens qui passent leur vie à arranger sa- vamment He&coquilles se moquent de la botanique comme d'une «Imlc inutile , quand on n'y joint pas, comme ils disent , celle de» propriétés, c est-à-dîre, (juand on n'abandonne pas l'observa- lion de la nature, qui ne ment point, et qui ne nous dit rien de tout cela, pour se livrer uniquement à l'autorité des hommes, qui sont menteurs, et qui nous afiirraent beaucoup de choses qu'il faut croire sur leur parole, fondée elle-m^mc, le plus sou- vent , sur l'aulorilé d'autrui. Arrêtez-vous dans une prairie éraaillée à examiner successivement les fleurs dont elleDrillc, ceux qui vous verront faire, vous prenant pour un frater, vous demanderont des herbes pour guérir la rogne des enfans , la gale des hommes, ou la morve drs chevaux.

Ce dégoiUant préjugé est détruit en parliedansles autres pays, et surtout en Angleterre , grâce à I^innoeus , qui a un peu tire la botanique des écoles de pharmacie pour la rendre a l'Iiistoire naturelle et aux usages économiques; mais en France, oti cette étude a moins pénétré cher les gens du monde , on est resté , sur ce point , tellement barbare, qu'un bel esprit df Paris, voyant à Londres un jardin de curieux, plein d'arbres et de plantes rares, s'écria, pour tout éloge, •■ Voilà un fort beau jardin d'apothi- » caire ! >• A ce compte , le premier apothicaire fnt Adam j car il n*e«t pas aisé d'imaginer un jardin mieuxassorti de plantes que celui d Ëden.

Ces idées médicinales ne sont assurément guère propres à rendre agréable l'étude de la botanique; elles flétrissent l'email des prés, l'éclat des fleurs, dessèchent la fraîcheur des bocages, renacnt la verdure et les ombrages insipides et dégoûtans; toutes CCS structures charmantes et gracieuses intéressent fort peu qui- conque ne veut que piler tout cela dans un mortier, et l'on n'ira pas chercher des guirlandes pour les bergères, parmi des herbes pour les lavemens.

Toute cette pharmacie ne souillait point mes images cham- pêtres j rien nVn était plus éloigné que des tisanes et des cm— f>lÂtres. J'ai souvent pensé , en regardant de près les champs , es vergers , les bois , et leurs nombreux habitans , que le règne Tégêlal était un magasin d'alimens, donnés par la nature h l'homiue et aux auimaux ; mais jamais il ne m'est veuu à l'esprit d'y chercher des drogues et des remèdes. Je ne vois rien , dans ces diverses productions, qui m'indique un pareil usage, et elle nous aurait montré le choix, si elle nous l'avait prescrit, comme elle a fait pour les comestibles. Je sens même que le plaisir que je prends h parcourir les bocages serait empoisonné par le senti- ment des inlirmilés humaines, s'il me laissait penser à la fièvre , a la pierre, à la gontte , et au mal caduc. Du reste je ne dispu- terai point aux végétaux les grandes vertus qu'on leur attribue; je dirai seulement qu'en supposant ces vertus réelles c'est maître pare aux malades ae continuer k l'être ; car de tant de maladie»

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3no TES HÉVERIES. "T^T^^

qiio les hommes se donncnl , il n'y en a pas une seule dont vin^ portes d'herbes ne f;uérisscnl radicalement.

Ces tournures d'esprit , qui rapportent toujours tout à notre inlcrcl niatiîriel , qui font eberclier partout du profit ou des re'niiîdes , et qui feraient regarder avec indifférence toute la na- ' turc, si l'on se portail toujours bien , n'ont jamais été les miennes. Je me sens lâ-oessus tout à rebours des autres hommes : tont ce qnî lient nu sentiment de mes besoins attriste et g:Uc mes pensées, et jamais je n'ai trouvé de vrais charmes aux plaisirs de J'esprît» ^uen perdant tout-à-fait de vue rintérêt de mon corps. Ainst, quand nicme je croirais a la médecine , et quand même ses re- mèdes erraient agréables, je ne trouverais jamais, à m'en occuper, ces délices que donne une contemplation pure et désintéressée; et mon ame ne saurait s'exaller et planer sur la nature , tant que je în sens tenir aux liens de mon corps. D'ailleurs , sans avoir en jamais grande conHance à la médecine, j'en ai eu beaucoup , nés médecins que j'estimais, que j'aimai.s, et à qui je laissais eou- , vernerma carcasse avec pleine aniorité. Quinze ans d'expérience ïïi'ont instruit à raesdépen<j rentré maintenant sous les seule» lois de la nature, j'ai repris par elle ma première santé. Quand 1rs médecins n'auraient point contre moi d'autres griefs, qui ^pourrait s'étcmner de leur baine ? Je suis la preuve vivante de ' vanité rie leur art , et de Tinutilité de leurs soins. I Non , rien de personnel , rien qui tienne à rintércl de mon I corps ne peut occuper vraiment mon ame. Je ne médite , je ue rêve jamais plus délicieusement i\ue quand je m'oublie looi- rjnême. Je sens des extases , des ravîsscmens inexprimables à R>f t foudre, pour ainsi dire, dans le système des êtres , h m'identiltrr flvcc la nature entière. Tant que les liommes furent mes frorfs. I je me faisais des projets de félicité terrestre j ces pnîjels éunt I toujours relatifs nu tout , je ne pouvais être heureux que de I' félicité publique, et jamais l'idée d'un bonheur particulier Tii _ touché raoTi crrur , que quand j'ai vu mes frères ne chrrcUef '<• leur que dans ma mLsêre. Alors , pour ne les pas hair , il a binï fallu les fuir ,- alors , me réfugiant chez la mère commune , j « «herché, dans ses bras, à me soustraire aux atteintes de >" rnfans ; je sais devenu solitaire , ou , comme ils disent , in»oti»M' et misanlrope, parce que la plus sauvage solitude mr p:ir»" jiréférablc à la société des nu^chans , qui ne se nourrit que o' trahisons et de haine.

Forcé de m'abstenir de penser , de peur de penser à mes m*'* hrurs malf;ré moi : forcé de contenir les restes d'une imagination riante . mais languissante, que tant d'angoisses pourraient effa- roucher à la fin ; forcé de tâcher irnublier les hommes qui mV- rnblent d'ignominie et d'outrages , de peur «uc l'indignation ne m'aigrît enfin contre eux, je ne puis cepenaanl me concentrer tout entier en mm-raêine, parce que mon am^ expansive chercbf, ?natgré qtrc j'en aie, à étendre ses sentimens et son existence »or •'autres êtres, et je uc puis plus, comme aulrefoU » me jeter»

SEPTIKME PÏIOMEN VDE.

3<)ï

tcle baissée , dans ce vaste océan de la nature « parce que mes fHcultps , affaiblies el relâchées , ne trouvent plus (Vohjels assez, flelerraines , assez fixes , assez à nia portée , pour s'y altacher fortement , et que je ne me sens plus assez de vigueur pour nager dans le chaos de mes anciennes extases. Mes idées ne sont pres*jue plcsfjue des sensations, et la sphère de mon entendement ne passe pas les objets dont je suis iuimcdiatement entouré.

Fuyant les hommes, cherchant la solitude , n'imapinant plus, pensant encore moius , et cependant doué d'un tempeVamcnt vif, qui m'éloigne de Tapathie languissante et mélancolique, je com- mençai de m'occuper de tout ce qui m'entourait , et , par un instinct fort naturel , je donnai la préférence aux objets les plus agréables. Le règne minéral n'a rien en soi d'aimable et a at- trayant j ses richesse» , enfermées dans le sein de la terre , semblent avoir été éloicnécs des regards des hommes pour ne pas tenter leur cupidité : elles sont comme en réserve pour servir un jour de supplément aux véritables richesses qui sont plus à sa portée , et dont il perd le goAt à mesure qu'il se corrompt. Alors il faut qu'il appelle l'industrie , la peine , et le travail , au secours de ses misères; il fouille les entrailles de la terre ; il va chercher dans son centre , aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé , des biens imaginaires à la place des bien» réels qu'elle lui offrait d'elle-même quand il savait en jouir. 11 fuit le soleil et le jour qu'il n'est plus digne de voir ; il s'enterre tout vivant , et fait bien , ne méritant plus de vivre à la lumière du jour. , des carrières , des gouffres , des forges , des four- neaux , un appareil d'enclumes , de marteaux , de fumée et de feu , succèdent aux douces images des travaux champêtres. Les f Lsages hâves des malheureux qui languissent dans les infectes vapeurs des mines , de noirs forgerons , de hideux cyclopes , sont le spectacle que l'appareil des mines substitue au sein de la terre , k celui de la verdure et des fleurs , du ciel azuré , des ber- ger» amoureux , et des laboureurs robustes , sur sa surface.

Il est aisé , je l'avoue , d'aller ramassant du sable et dos pierres . d'eu remplir ses poches et son cabinet , et de se donner avec cela les airs d un naturaliste : mais ceux qui s'attachent et se bornent à ces sortes de collections sont, pour rordiuairc , de riches igno- rans qni ne cherchent à cela que le plaisir de l'étalage. Pour pro- fiter dans l'étude des minéraux , il faut être chimiste et physicien ; il faut faire des expériences pénibles et coûteuses, travailler dans des laboratoires, dépenser beaucoup d'argent et de temps pnrmi !e charbon , les creusets , les fourneaux , les cornues , dans la fumée et les vapeurs étouffantes , toujours au risque de sa vie , •t souvent aux dépens de sa santé. De tout ce tnsto et fatigant Vavail résulte pour l'ordinaire beaucoup moins de savoir que d'orgueil j et oU est le plus médiocre chimiste qui ne croie pas avoir pénétré tontes les grandes opérations de la nature , pour avoir trouvé, par hasard prul-etrc , quelques petites coiiibinai- de l'art ?

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LES REVERIES.

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Le rrgnr animal est plus à notre portée, el certaineratfnl me— rîlc encore mirux d'être étudie j mais enfin celte étude n'a-t-«li* pas aussi ses diilîcuUéR, »es embarras, ses dégoûts , et ses peines , 5urtont pour un solitaire qui ii*a , ni dans ses jeux.« ni dans se» travaux , d'assistance à espérer de personne? Comment observer, dissémicr , étudier ^ connaître les oiseaux dan^ les airs, les pois- sons dans les eaux, les qnailriipèdesplufi légers que le vent .plus forts que l'homme, et qui ne sont pas plus disposés à venir s'offrira mes recherches, que uioi de courir après eux pour les y soumettre de force ? J'aurais donc potir ressource des escargots , des vers , des mouches , et je passerais ma vie à me mettre hors d'haleine our courir après dr's papillons, à empaler de pauvres insectes, à issémier des souris quand j'en pourrais prendre, ou les charognes des betes que par hasard je trouverais mortes. L'étude des ani- maux n'est rien sans t'anatomic ; c'est par elle qu'on apprend à les classer , à distinguer les genres , les espèces. Pour les étudier par leurs moeurs, par leurs caractères, il faudrait avoir des volières , des viviers, des ménageries; il faudrait les contraindre, eu quelque manière que ce pût être , à rester rassemblés Autour de moi ; je n'ai ni le goût, m les moyens de les tenir en captivité, ni l'agilité nécessaire pour les suivre dans leurs allures quand ik sont en liberté. Il fauJra donc les étudier morts, les déobirtr, Ips désosser , fouillera loisir dans leurs entrailles palpitantes Quel appareil affreux qu'un amphithéâtre anatomique ! des c«- davres puans , de baveuses et livides chairs , du sang , des inte»- lins dégoûtans , des squelettes affreux, des vapeurs pestilen- liellcs ! Ce n'est pa9 , sur ma parole , que Jeaa-Jacques ira chercher sesamnsemens.

Brillantes fleurs , émail des prés, ombrages frais , rtûsseauii bosquets, verdure, venez puriûer mon imagination salie par tous ces hideux objets. Mon ame , morte à tous les grands mou- vemens , ne peut plus s'affecter que par des objets sensibles ; j* n'ai plus que des sensations , et ce n'est plus que par elles que 1* peine nu Ir plaisir peuvent m'atleindre ici-bas. Attiré parler rians objets qui m'entourent, je les considère, je les conlempld je les compare, j'apprends enfin à les classer , et me voilà tout d'un coup aussi botaniste qu'a besoin de l'être celui qui ne veut étudier la nature que pour trouver sans cesse de nouvelles raisoiu de l'aimer.

Je ne cherche point à ni'inslniire ; il est trop tard. D'ailleun je n'ai jamais vu quf tant de science contribuât au bonheur deU vie ; mais je rherrfic à nie donner des arausemensdouxet simple* que je puisse gmlter sans peine, et qui me distraisent de mti lualheurs. Je n'ai ni dépense à faire, ni peine à prendre pouf errer nonchalamment d'herbe en herbe, de plante en plante, pour les examiner , pour comparer leurs divers caractères , poar marquer leurs rapports et leurs différences , enfin pour observer 1 organisation végétale de manière à suivre la marche et le jeu de ces machines vivaules , à chercher quelquefois avec succis

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SEPTIEME PROMENADE. ^i

T«urs lois géncrales , la raison et la 6n de leurs structures di- verses , et à me livrer aut charmes de Tadmiratioa reconnaissante pour la main qui me fait jouir de tout cela.

Les plantes semblent avoir elc scmce» avec profusion sur la terre, comme les étoiles dans le ciel , pour inviter Thorame, par l'attrait du plaisir et de la curiosité, à Télude de la nature : mais les astres ponl placés loin de nous; il faut des connaissances pré- liminaires , des instruiuens, des machines, de bien longues échelles pour les atteindre et les rapprocher h notre portée. Les

Slantes y sont naturellement; elles naissent sous nos pieds, et ans nos mains pour ainsi dire, et si la petitesse de leurs parties entielles les dérobe quelquefois à la simple vue , les instru- ens qui les y rendent sont d'un beaucoup plus facile usage que ceux de Tastronomic. La botanique est l'étude d'un oisif et pa- sseux solitaire : une pointe et une loupe sont tout l'appareil ml il a besoin pour les observer. Il se promène, il erre libre- ment d'un objet a l'autre , il fait la revue de chaque (leur avec mtérêl et curiosité , et , sitôt qu'il commence à saisir les lois de ~ur structure, il goiïte à les observer un plaisir sans peine, aussi f ques*il lui en coûtait beaucoup. Il y a dans cri te oiseuse occu— lion un charme Qu'on ne sent que ùans le plein calme des pas- sions , mais qui sulut seul alors pour rendre la vie heureuse cl douce 'j mais sitôt qu'on y mêle un motif d'intérêt ou de vanité , soit pour remplir des places ou pour faire des livres , sitôt qu'on ne veut apprendre que pour instruire, qu'on n'herborise que pour devenir auteur ou professeur , tout ce doux charme s'éva- nouit , on ne voit plus dans les plantes que des instrumeas de nos passions , on ne trouve plus aucun vrai plaisir dans leur étude , on ne veut plus savoir , mais montrer qu on sait, et dans les bois on n'est que sur le théâtre du monde, occupé du soin de s*y faire admirer; ou bien , se bornant à la botanique de cabinet et de jardin tout au plus , au lieu d'observer les végétaux dans la na- ture^ on ne s'occupe que de systèmes et de méthodes; matière éternelle de dispute, qui ne fait pas connaître une plante déplus, et ne jette aucune véritable lumière sur l'histoire naturelle et le règne végétal. De les haines , les jalousies, que la concurrence de célébrité excite chez les botanistes auteurs , autant et plus que chez les autres savans. En dénaturant cette aimable étude, ils la transplantent au milieu des villes et des académies, oti elle ne dégéuêre pas moins que les plantes exotiques dans les jardins des curieux.

De» dispositions bien différentes ont fait pour moi de cette 'Ànde une espèce de passion qui remplit le vide de toutes celles Bue je n*ai plus. Je gravis les rochers, les montagnes , je m'en- fonce dans les vallons , dans les bois , pour lue dérober , autant qu'il est possible , au souvenir des hommes , et aux atteintes des inéchans. 11 me semble que sous les ombrages d'une foret je suis oublié, libre , et paisible , comme si je n'avais plus d'ennemis» ou que le feuillage des bois dut me garantir de leurs atteintes.

394

LES REVERIES.

comme il \es éloigne de mon souvenir , et je mNmagine dans ma bt'tise qu'en ne pensant point à eux ils ne penseront point à moi. Je trouve une si grande donceiir dans cette illusion , rpie Je m'y livrerais tout entier si ma situation, ma faiblesse ^ et mes be- soins, me le permettaient. Plus ta solitude je vis alors est pro- fonde , plus il faut que qiicUjue objet en remplisse le vide , Cl ceux que mon imacination me refuse ou que ma mëuioire re- pousse sont suppk'os par les productions spontanées que la terre non forcée par les hommes ollVe à mes yeux de toutes paris. Le plaisir d*alfer dans un désert chercher de nouvelles plantes couvre celui d'échapper ii mes persécuteurs ; et , parvenu dans des lieux oii je ne vojs nulles traces d'hommes , je respire plus à mon aise comme dans un asile ou leur haine ne me poursuit plus. Je me rappellerai toute ma vie une herborisation q\ie je 6$ un jour du càté de la Robaila , montagne du justicier Clerc. J'étais seul, je m'enfonçai dans lesanfracluositésde la montagne, et , de bois en bots, de roche eu roche , je parvins à un réduit si caché que je n'ai vu de ma vie un aspect plus sauvage. De noirs sapins entremêlés de hêtres prodigieux , dont plusieurs tombés de vieillesse et entrelacés les uns dans les autres , fer- maient ce réduit de barrières impénétrables ; quelques inter- valles que laissait celte sombre enceinte n'offraient au— delji qnc des roches coupées à pic, et d'horribles précipices , que je n'osais regarder qu'en me couchant sur le ventre. Leduc, la chevêche, et Torfraie , faisaient entendre leurs cris dans les fentes de la montagne ; quelques petits oiseaux rares , mais familiers , tem-

J feraient cependant l'horreur de celte solitude ; la » je trouvai a deutaire hcptaphylios ^ le cictamen , le nidus /rr/**, le grand iaserpiiiutn^ et quelques autres plantes qui me charmêreol't m'amusèrent long— temps , mais, insensiblement dominé pari* forte impression des objets, j'oubliai la botanique et Ici planieJ. jo m'assis sur des oreillers de iycopodinm et de mousses , et je me mis à rêver plus à mon aise , en pensant que j'étais dans un refuge ignoré de tout l'univers , ou les persécuteurs ne me dé- terreraient pas. Un mouvement d'orgueil se mêla bientôt à cette rêverie. Je me comparais h ces grands voyageurs qui découvrco' «ne île déserte , et je nie disais avec complaisance , Sans doute je sui.s le premier mortel qui ait pénétre jusqu'ici. Je me regif*" dais presque comme un autre Colomb. Tandis que je me pat«" nais dans cette idée, j'entendis peu loin de moi nn certain «!•' qnetis que je crus reconnaître ; j'écoule : le même bruit se rf" pcte et se multiplie. Surpris et curieux , je me lève , je p*^ a travers un fourré débroussailles du côté d'où venait le broit* et dans une conibe , à vingt pas du lieu même ou je croyais An parvenu le premier , j'aperçois une manufacture de bas.

Je ne saurais tf'xprimer l'agitation cnnfnse et contradictoire que je sentis dans mon cœur à cette découverte. Mon premier mouvement fut un sentiment de joie de me retrouver parmi des kumaîns oii je m'étais cru totalement seul -, mais ce mouve-

sl:ptieme promenade. 3^5

ment , plus rapiJo que Veclaîr , di bientôt place k un sentiment douloureux plus duriblo, comme ne pouvant dans les antres mêmes des Alpes échapper aux cruelles mains des hommes acbamés ô me tourmenter. Car j'étais bien sûr qu'il ny avait peut-^tre pas deux hommes dans cette fabrique qui ne fussent inities dans le complot dont le prédicant Montmollin sVtaît fait ]e chef, et qui tirait de plus loin ses premiers mobiles. Je me hâtai d'ecarler cette triste idée , et je finis par rire en moi-m^me, it de ma vanité puérile , et de la manière comique dont j*en ais été puni.

Mais , en effet , qni jamais eût dA s'attendre à trouver une lanufacture dans un précipice ! Il n'y a que la Suisse au monde présente ce mélange de la nature sauvage ^ et de l'industrie liiraaine. La Suisse entière n'est pour ainsi dire qu'une grande 'ille . dont les rues larges et longues plus que celles de Saiut- Antoine , sont semées de forets , coupées de montagnes^ et dont les maisons éparses et isolées ne communiquent entre elles que Mr des jardins anglais. Je me rappelai à ce sujet une autre ber- korisation que du Peyrou , Drscnerny , le colonel Pury , le jus- icier Clerc, et moi , avions faite il y avait quelque temps sur montagne de Cbasseron , du sommet de laquelle on découvre »t )ac<. On nous dit qu'il n'y avait qu'une seule maiiton sur rite montagne , et nous n'eussions sûrement pas deviné la pro- iion de celui qui l'habitait , si Ton n'eût ajouté que c'était un traire , et qui même faisait fort bien ses affaires dans le iays (i). Il me semble qu'un seul fait de cette espèce fait mieux connaître la Suisse que toutes les descriptions des voyageurs.

En voici un autre de même nature ou à peu près , qui ne fait pas moins connaître un peuple fort différent. Durant mon séjour à Crenobje je faisais souvent de petites herborisations hors U ville avec le sieur***, avocat de ce pays-là, non pas qu'il aimât ni sût la botanique, mais parce que, s'étant tait mon jarde de la manche , il se faisait , niitnnt que la chose était pos- ile , une loi de ne pas me quitter d'un pas. Un jour nous nous ■menions le long de Tlsêre , dans un lieu tout plein de saules lîneiix. Je vis sur ces arbrisseaux des fruits mûrs ; j'eus la iriosilé d'eu goûter , et , leur trouvant une petite acidité très- 'cable , je me rais à manger de ces grains pour me rafral- lir ; le sieur *** se tenait à cûté de moi sans m'imiter cl sans rien dire. Un de ses amis survint, qui , me voyant picorer ces grains , me dit : Eb î monsieur , que faites-vous là? ignoree-vous que ce fruit empoisonne ? Ce fruit empoisonne , m'écriai-je tout surpris ! Sans doute , reprit-il, et tout le monde sait si bien cela , que personne dans le pays ne s'avise d'en goûter. Je regar- dais le sieur *** , et je lui dis: pourquoi donc ne m 'averti ssieit-

(1) C*c«t nns donle la reucmblancQ des noin^ qui a rnIraincM. Roiis- 111 à ippliqui'r l'nnccdtfte du libraire A Chasserons au lieu de Chasuerat^ ilrv tnonlagne U-t:s-vlevée,sur les frontières de h principauté de NeuT- rkitel.

YOliS

LES RKVERIES.

idil-il d*un ton respect)

Ah ! monsieur f me repondil-il d un ton respectueux,

{'r n'osais pns prendre cette libcrft'. Je me rais à rire de celle lumilité dauphinoise , on discontinuant néanmoins ma petite collation. JVUais persuadé, comme je le suis encore, que toute production naturelle, agréable an goilt , ne peut être nuisible au corps, ou ne Test du moins que par son exccs. Cependant J'avoue que je m*écoutai un peu tout le reste de la journée ; mais jVn fus quille pour un peu d'inquiétude ; je sonpai très-bien , dormis mieux , et me levai le malin en uarfaile santé , après avoir avalé la veille quinze nu vingt grains oe ce terrible hyppophœe ,

3ui empoisonne k très-petite dose, à ce que tout Je monde me it à Grenoble le lendemain. Cette aventure me parut si plai- sante, que je ne me la rappelle jamais sans rire de la singulière discrétion de M. Tavocat ***.

Toutes mes courses de botanique, les diverses impressions do local des objets qui m'ont frappé, les idées qu*il m'a fait naître , les iucidens qui s*y sont mêlés , tout cela ma laissé des împre^ fiions qui se renouvellent par Taspect des plantes herborisées ^ans ces mêmes lieux. Je ne reverrai plus ces beanx paysages» ces forêts, ces lacs, ces bosquets , ces rocliei-s , ces uionta^e$, dont Taspect a toujours touché mon cœur : mais maintenant que je ne peux plus courir ces heureuses contrées , je n'ai qu'à ou- ^rir mou herbier, et bientôt il m'y transporte. Les fragmens tles plantes que j'y ai cneillies suflisent pour me rappeler tout ce maçnifi(|uc spectacle. Cet herbier est pour mot un jounial d'hcrborisatioris ^ qui me les fait recommencer avec un nouveau rharme , et produit l'effet d'un optique qui les peindrait dere- chef ù mes veux.

C'est la chaîne des idées accessoires qui m'attache à la bola- iiique. Elle rassemble et rappelle à mon imagination toutes \ti idées qui la flattent davantage ; les prés , les eaux , les bois , la solitude, la paix surtout, et le repos qu'on Irouve au milieu de tout cela , sont retracés par elle incessamment à ma niémoir*. î^lle lue fait oublier les persécutions des hommes, leur haiue* leur mépris , leurs outrages , et tous les maux dont ils ont paW mon tendre et sincère attacbement pour eux. Elle me transporifi dans des habitations paisibles , au milieu de gens simples f' bons, tels que ceux avec qui j'ai vécu jadis. Elle me rappelleft mon jeune âge , et mes innocens plaisirs, elle m'en fait jouir derechef, et me rend heureux bien souvent encore , au luilif" du plus triste sort qu'ait subi jamais un mortel.

HUITIÈME PROMENADE.

Ev méditant sur les dispofilioiis de mon ame dans toute» k* situations de ma vie , je suis extrêmement frappé de voir si pc** de proportion entre les diverses combinaisons oc ma destinée , ^ les senlimens habituels de bien ou mal être dont ellci ni*oi^*

HUITIEME PROMENADE.

397

aflcclé. Les divers intervalles de mes courtes prospérités ne m'ont laissé prcstju'aucuH souvenir agréable de la manière in- time et prrmanentc dont elles m'ont aflecté ; et» au contraire, dans toutes les misères de ma vie y je nie sentais constamment Terapli de sentiinens tendres , touchans , délicieux , qui , versant lin baume salutaire sur les blessures de mon cjcur navré , kein- "blaient en convertir la douleur on volupté , et dont l'aimable souvenir me revient seul , dégage de celui des maux qun j'éprou- vais en même temps. It me semble que j*ai plus goùlé la dou- xeur de l'eiistence ; que j*ai réellement plus vécu, qaand mea sentimens , resserrés , pour ainsi dire , autour de mon cœur par ma destinée, n'allaient point s'évaporant au dehors, sur tous les objets de Testimc des hommes qui en méritent si peu par eux-m^raes , et qui font Tunique occupation des gens que 1 on croit heureux.

Quand tout était dans Tordre autour de moi , quand j'étais content de tout ce qui m'entourait , et de ta sphère dans laquelle j'avais à vivre , je la remplissais de mes aflections. Mon ame expansive s'étendait sur d'autres objets ; et , toujours attiré loin de mot par des goAts de mille espèces , par des altnclieiiicns aimobles qui sans cesse occupaient mon cœur , je m'oubliais , en quelque façon, moi-même ; jVlais tout entier à ce qui m'était etnnger, et j'éprouvais, dans la continuelle agitation de mon CTur, toute la vicissitude des choses humaines. Celte vie ora- geuse ne me laissait ni paix au dedans , ni repo.n nu dehor». Heu- reux en apparence, je n'avais pas un sentiment qui put soutenir IVpreuve de la réflexion, et dans lequel je pusse vraiment me complaire. Jamais je n'étais parfaitement content ni d'aulruf, Tii de raoi-méme. Le tumulte du monde m'étourdissait , la soli- tude ra'ennuvait , j'avais sans cesse besoin de changer de place , et je n*ctais bien nulle part. J'étais fêté pourtant , bien voulu , "bien reru , caressé partout ; je n'aurais pas un ennemi ^ pas un malveillant, pas un envieux ; comme on ne chcrch.iit qu'à jn'oblieer, j'avais souvent le plaisir d'obliger moi-même beau- coup clc monde, et , sans bien , sans emploi, sans fauteurs, sans grands tulens bien développés ni bien timnus , je jouissaifc des avantages attachés à tout cela, et je ne voyais personne, dans aucun état , dont le sort me pnrut préférable an mien <^uc me manquait-il donc pour être heureux ? Je l'ignore; mais je sais que je ne l'étais pas. Que ute manque-t— il aujuurd'hui pour être le plus infortuné des mortels / Rien de tout ce que le» hommes ont pu mettre du leur pour cela. bien! dans cet étal dé]ditr.ible, [e ne changerais pas encore d'être et de dcïtinét*- contre le plus fortuné d'entre eux , et j'aime encore mieux être moi dans toute ma misère , que d'être aucun de ces gens-U dans toute leur prospérité. Ptédutt ^ moî seul , je me nourris , il est vrai , de ma propre substance , mais elle ne s'épuise pas ; je mr niflif ik moi-même, quoique je rumine, pour ainsi dire, avide. et que mon imagination tarie et mes idées éteintes ne fournî«yei^t

398

LES REVERIES.

^lus d'alimens à mon cœur. Mon ame , offusquée , oLslruce par .mes organes , s*atTaisse Je jour en jour , et , sous le poids de cet lourdes masses , n*a plus ai^sez de vigueur pour s*ëlancer, couizue autrefois , hors de sa vieille enveloppe.

C'est à ce retour sur nous-iuèmcs aue nous force l'adversitc ; et cVst peut-être ce qui la rend te plus insupportable a la plupart des bomine*. Pour raoi , qui ne trouve à me reprocber que des fautes , j'en accu^ uia faiblesse, et je me console , car jamais mal prémédite n'approcha de mon cœur.

Cependant , à moins d'être sLupide , comment contempler lui momentma situation, sans la voir aussi horrible qu'ils l'ont ren- due, et sans périr de douleur et de désespoir? Loin de cela, moi, le plus sensible des êtres , je la contemple , et ne m'en émeus pas ; et, sans combats, sans efforts sur moi-mcaie , je me vois presque avec indilTérence dans un état dont nul autre homme ♦peut-être ne supporterait l'aspect saus effroi.

Comment en suis-jc venu ? car j'étais bien loin de cette di^ position paisible, au premier soupçon du complot dont j'étais en- lacé depuis lony-teiijpssans m'en être aucunement aiwrçu. Cette .Recouverte nouvelle iiic bouleversa. L'infamie et la IraUi&on me 'lurprircnt au dépourvu. Quelle ame honnête est préparée à de tels genres de peines? Il faudrait les mériter pour les prévoir. Je tombai dans tous les pièces qu'on creusa sous mes pas. L'imh- .gnatiou , la fureur, le délire, s'emparèreut de moi : je perdis U ttramontaue. Ma tête se bouleversa, et, dans les ténèbres hor- .xibles oii fou n'a cessé de me tenir plongé, je u'aperçus plus ni Jueur pour lue couduire, ui appui , ni prise je pusse me tenir ferme , et résister au désespoir qui m'entraînait, t Comment vivre heureux et tranquille dans cet état aflrrcuK?J'v suis pourtant encore, et plus enfoncé que jamais , et ]y ai rr^ trouvé le calme et la paix , et j'v vis heureux et tranquille . " i*y ^^^ ^^^ incTovablft touriuens que mes persécuteurs se dounffit l^;ians cesse , tandis que je reste eu pain, occupé de fleurs , dVt4- mines et d'enfantillages , et que ]c ne songe pas même a eux-

Comment s'est fait ce passage? Naturellement, msensibleinenl,

et sans peine. La première surprise fui épouvantable. Moi qui w

sentais digue d'amour et d'estime, mot qui me croyais faonon.'. ,

[jchéri , comme je méritais de l'être , je me vis travesti tout d'un

coup en un monstre affreux tel qu'il n'eu ex.ista jamais. Je \9ii

>uteune géuération se précipiter touteentière dans cette étraii^^

ipiaion, sans explication , sans doute, sans honte, et saost)"^

je puisse panenir à savoir jamais la cause de cette étrange revu*

lutiou. Je ine débattis avec violence , et ne fis que mieuJK nitv

lacer. Je voulus forcer mes persécuteurs à s'expliquer avec tofii}

ils n'avalfiit garde. Après m'être long-temps touraientr M"'

succès, il fallut bien prendre haleine. Cependant j'espérais li'ij*

ûours, je me disais : Un aveuglement si stupide, une si sbsoïj»'

t<Drévention ne saurait gagner tout le genre humaîu. 11 v*'"

lommes de sens qui ne partagent pas le délire ; il v a de» a»»^*

nLITIEME PROMENADE. Sijg

jitstes qui détestent la fourberie et les traîtres. Cherchons , je trouverai peut-être enfin un homme j m ie le trouve , iU sont confondus. J*ai cherché vainement; je ne rai point trouvé. La li^ue est universelle, sans exception , saus retour; et je suis sûr d achever mes jour:» dan& cette affreuse proscription , &an5 jamaii en pénétrer le ii»yslcrc.

uest dans cet état déplorable, qu^après de longues angoUses , «it lieu du désespoir qui semblait devoir être enfin mon partage, j*ai retrouvé la sérénité, la tranquillité, la paix , le bonheur

Iième , puisque chaque jour de ma vie me rappelle avec plaisir ^lui de la veille , et que je u*en désire point d autre jiour le len- emain.

D'où vienl cette difTéreiice? D'une seule chose ^ c*est que j'ai appris à porter le joug de la nécessité sans murmure. C'est que je m'efforçais de tenir encore il mille choses, et que toutes ces prises iii*avant successivement échappé, réduit a moi seul , j'ai reprÎA eu Ho mon assiette. Pressé de tous cotés, je demeure en équili- bre , parce que je ne m^attache plus k rien , je ne zu'appuie que ^*ur moi.

^^B Quand je m'élevais avec tant d'ardeur contre l'opinion, je por- ^^Lis encore sou joug sans que je m'eu aperçus&e. On veut élrc ^^Bltûnédes gens qu'on estime, et tant que je pus jugeravantageu- ^^Çfment des nommes ou du moins de quelques hommes , lesjugfr- in«ns qu'ils portaient de moine pouvaient in'eLre indiflérens : je

Iwoy&is que souvent les jugcmensdu public sont équitables; mnti le ne vovais pas que cette équité mciue était reflet du hasard , |ue les règle» sur leîiqnelles les hommes fondent leurs opinions ne E>nl tirées que de leurs passions ou de leurs préjugés, qui eu sont Pouvrage, et que, lorii même qu'ils jugeut bien , souvent encore fts hous jugrmens naissent d'un mauvais principe , comme lors- qu'ils feignent d'honorer en quelt^ues succès le mérite d'un I homme , non yar esprit de justice, mais pour &c donuer un air ^^bipartial , en calomniant tout à leur aise le même homme sur ^HTautres pointj.

r Mais quand , aprL's do si longues et vaines recherches , je les vis

j tous rester sans excej>tion dans le plus inique et absurde système ! que l'esprit infernal i>itt invcuter; quand je vis qu'à mon égard ^^Ja raison était baume de toutes leis tètes et Téquité de tous les ^Bjixeurs; quand je vis une génération frénétique se livrer toute en- ^^nère à 1 aveugle fureur de ses guides coutre un infortuné qui ja- ^^Kloaisnc fît, ne voulut, ne rendit de mal à personne; quand , après ^^ iToir vainement clicrclié un homme, il fallut éteindre enfin ma ft unternc, et in'écrier : Il n'y eu a plus : alors je commençai à me ^b voir seul !iur la terre, et je compris que mes contemporains n'é- ^^B Utfiit , par rapport à moi , que des êtres mécaniques , qui n'agis- ^^^S4>ent que par impulsion , el dont je ne pouvais calculer l'action ^^1 l.^'^par les lois du mouvement: quelque intention , quelque pas- ^^1 tivn que j'eusse pu supposer dans leurs âmes , elles n'auraient ja* ^^L^4 esuliqué leur couduÎLc âuioucffard d'une façon que je pusse

/,oo LES RÊVERIES,

entendre. CVist ainsi que leurs dispositions intérieures cesAcreut d'être quelque cho^ pour mot ^ je ne vis plus en eux que des masses différemment mues , dépourvues à mon égard de toute moralité.

Dans tous les maux qui nous arrivent nous regardons plus h l'intention qu'à Teflet : une tuile qui tombe d'un toit peut noU6 blesser davantage , mais ne nous navre pa& tant , qu'une pierre lancée à dessein par une main malveillante; le coup porte à faut

Quelquefois , mais l'intention ne manque jamais son atteinte. La ouleur lualérielle est ce qu'on sent le moins dans les atteintes de la fortune, et quand les infortunés ne savent à qui s'en prendre de leurs malheurs , ils s'en prennent à la destinée qu'ils personni- fient et à laquelle ils prêtent des yeux eluue intelligence pour les tourmenter i dessein : c'est ainsi qu'un joueur , oepité par ses pertes, se met en fureur sans savoir contre qui^ if imagine un sort qui s'acharne à dessein contre lui pour le tourmfMiter , et , trouvant un aliment à sa colère , il s*aiiime et s'cnflaniuie contre l'ennemi qu'il s'est créé. L'homme sage , qui ne voit dans toux leiy malheurs qui lui arrivent que Irs coups de l'aveugle nécessité , n^a point ces agitations insensées : il crie dans sa douleur, mois bans emportement , Kans colère ; i! ne sent du mal dont il ^^t la proie que Palteinte matérielle , et les coups qu'il reçoit ont beau blesser sa personne, pai un n'arrive jusqu'à sou cœur.

C'est beaucoup que d*en être venu là, maïs ce n'est pas tout , si Ton s'arrête : c'est bien d^ayoir coupé le mal , mais c est avoir laissé la racine } car cette racine n'est paiî dans les êtres qui nous sont étrangers , elle est eu nous-mêmes, cl c'<*st qu'il fant travailler pour l'arracher tonl-à-fait. Voilà ce que je sentie parfaiteaieuL dès que je commençai de revenir à moi : uia rai- son ne me montrant qu'absurdités dans toutes les rxplicaliuns que je cherchais h donner à ce qui m'arrive , je compris que les causes, les înstrumens, les moyens de tout cela , m'élant inconnus et inexplicables, devaient être nuls pour moi; que je devais regarder tous les détails de ma destinée comme au- tant d'actes d'une pure fatalité , oii je ne devais supposer ni di- rection , ni intention , ni cause uior.ile : qu'il fallait n/jT »0U— mettre sans raii>onner et sans regimber, parce (jue cela était inutile que tout ce que j'avais à faire L-nrore sur la terre •' de m'y reganler comme un être purement passif, je ne <j point user à résister inutilement à nm destinée lu force qui u restait pour la supporter. Voilà ce que je mr disai» : ma raison^ mou ctjeur, y acquiesçaient , et néanmoins je sentais ce cofOf murmurer encore. D'où venait ce murmure ? Je lo cherchai . je le trouvai; il venait de ramuur-propre.qul . iiorès ?»'êlre indigné contre les hommes, se soulevait encore contre la raison.

Cette découverte n'était pas si facile ik faire qu'on pourrait croire. car un innocent persécuté prend long-tcmp*, pour un i.ur amour de la justice, l'orgueil de Ron petit individu : la véritable source, une fois bien connue, est facile - ....

itld

RUITIÊME PROMENADE. 4oi

moins à détourner- L'estime de s-oi-mcme est le plus grand ibilc des araes fiercs; Tamour-propre , feriile en illusions , se ;ui9e et se fait prendre pour cette estime : mais truand la fraude iu é€ découvre et que ramour-propre ne peut plus se caclier , •^lors tl n'est plus à craindre , et, quoiqu^on l'etoufTe avec le, on le subjugue au moins aisément. Je n'eu» jaruais beaucoup de pente à Kamour-propre; mais celte passion factice s'était exaltée en moi dans le monde, et sur- tout (fuautl je fus auteur : j'en avais peut-être encore moins qu'un tre , mais j'en avais prodi^eusement. Les terribles Ipçons que reçues l'ont bientôt renfermé dans ses premières bornes i il imença par se révolter contre Tinjustice, mais il a fini par la Uigner ; en se repliant sur mon ame , en coupant les relations érieures qui le rendent exigeant, en renonçant aux comparai- , aux préférences, il s'est contenté que je fusse bon pour moi. Alors, redevenant amour de moi-nit'rae, il est rentré dans l'ordre de la nature , et m'a délivre du joug t3e l'opinion.

Dès-lors j'ai retrouvé la paix de l'ame et presque la félicité : r, dans quelque situation qu'on se trouve , ce n'est que par lui -*ou est constamment malheureux. Quand il se tait et que la ïoti parle, elle nous console enfm de tous les maux qu'il n'a pas *ndu de nous d'éviter : elle les anéantit même autant qu'ils ^âgi&^ent pas immédiatemeut sur nous ; car on est sûr alors d*é- T leurs plus poignantes atteintes en cessant de s'en occuper. U ne sont rien pour celui qui n'y pense pas : les offenses , le» ven- geance», les passe-droits, les outrages, les injustices, ne sont rien pour celui qui ne voit dans les maux qu*il endure que le mal Tn^nte et non pas Tintentiou , pour celui dont la place ne dépend 'ins sa propre estime de celle qu'il plaît aux autres de lui er. De quelque façon que les nommes veuillent me voir , sauraient changer mou être; et, malgré leur puissance et dgré toutes leurs sourdes intrigues, je continuerai , quoi qu'ils frent , d'èlre, en dépit dVux , ce que je suis. 11 est vrai que leurs ipostlinns b mon égard intluentsur ma situation réelle : la bar- îrr qu'ils ont mise entre eux et moi m'ûte toute ressource de ibsisiancr et d'assistance dans ma vieillesse et mes besoins- Elle TDC rend l'argent même inutile, puisqu'il ne peut me procurer les »ervices qui me sont nécessaires : il n'y a plus ni commerce , ni Jiecours réciproque, ni corre'tpondancc entre eux et moi. Seul Uiilieu d'eux , je n'ai que moi seul pour ressource, et cette res- irce est bien faible â mon Age et dans l'étal je suis. Ces maux

■'■..' '■■■lis

it graudè; mais ils ont perdu sur moi louT le i^ai su leb supporter sans m'en irriter-

in se fait sentir ^out toujours rares talion les multioltent , et c'est par "~ <|u'ou s'inquiète et qu'on se rend m-i. !nti finvoir qtre je nniîtTrirfli (Irninin .

,4oa LES KÉVERIES.

cela le réduit à très-peu de chose. Seul , malade cl délaisse dam mon lil , j'y peux mourir d'indigence , de froid et de faim , »iin« uue personne sVn mette en peine. Mais qu^iraporle si je ne m'en. niels pas en peine moi-même , et si je m affecte aussi peu que 1er autres de mon destin auel qu'il soit. D{Vst-<:e rien , surtout à iiunc >âge , qued'avoir apprisàvoir la vie et la mort, la maladie et Id fauté, la ricbesseet la misère, la gloire et la diffamation, avec l; même indifTéreDce.^Tous les autres vieillards s'inquiètent de loul luoi je ne m'inquiète de rien ; quoi qu'il puisse arriver tout mVsj jndiflcrent; et celle indifférence n'est pas l'ouvrage de ma sagesse elle est celui de mes ennemis, et devient une compensation d maux qu'ils me font. En me rendant insensible ;i 1 adversité » ïtj m'ont lait plus de bien que s'ils m'eussent épargné ses altetules en ne l'épronvanl pas je pouvais toujours la craindre, au lïei qu'en la subjuguant je ne la crains plus.

Celte disposition me livre, au milieu des traverses de ma vîe à l'incurie de mon naturel , presque au^i pleinement queiii J vivais dans la plus complète prospérité : hors les courts juoiufii, oii je suis rappelé, par la présence des objets, aux plus douloa— J reuscs inquiétudes , tout le reste du temps , livré par mes pendiau^ aux affections qui m'attirent, mon cœur se nourrit encore «1^* sentimcns pour lesquels il était né, et j'en jouis avec les êlfC*! imaginaires qui les produisent et qui les partagent, comme vi cr^ êtres existaient réellemenl : ils existent pour moi qui lésai crêt»* et je ne crains ni qu'ils tne trahissent ni qu'ils m'abandonaei ils dureront autant que mes malheurs mêmes , et suffiront me les faire oublier.

Tout me ramène à la vie heureuse et douce pour laquelle j'éfi : je passe les trois quarts de ma vie, ou occupé a'objels tructifs et même agréables auxquels je livre avec délices moaf^ prit et mes sens, ou avec les enfans de mes fantaisies que j'ai selon mon cœur , et dont le commerce en nourrit les senlli ou avec moi seul , content de moi-même , et déjà plein du heur que je sens m'être dû. En tout ceci l'amour ae moi-i fait toute l'œuvre , l'amour-propre uy entre pour rien. Il est pas ainsi des tristes momens que je passe encore au nxiliei hommes, jouet de leurs caresses traîtresses, de leurs complu ampoulés et dérisoires , de leur mielleuse maliguilé : de queli façon que je m'y suis pu prendre , Tamour-propre alors lait i jeu. La haine et l'animostté que je vois dans leurs cœurs, à ti vers cette grossière enveloppe, déchireut le mien de douleur, dj l*idée d'être aussi sottement pris pour dupe ajoute encore âc< .douleur un dépit Irès-puéril , fruit d'un sot amour— propre di je sens toute la bêtise , mais que je ne puis subjuguer. Lt que j'ai faits pour m'aguerrir à ces regards insullans et m sont incroyables: ccntfois j'ai passé par les promenades jn et par les lieux les pi us fréquentés dan ■: l'unique dessein dc cer i ces cruelles luttes^ non-seulement je n'y ai pu p. mais je n'ai même rien avancé , et tous mes pénibles m.*.

HLITllLMl!: PROMENADE. 4<

pffbrtï m*ont laisse toui aussi facile à troubler , k uavrer, et & in- Irener uu'auparavaut.

Dommt- par mes sens , quoi (jue je puisse faire, je n'ai jamais

In rëàister à leurs impressions, el, tant que l'objet agit sur eux ,

lOn cïX'ur ne cesse aen être affectej niais ces afTethons passa-

p^res ne durent qu*aiit;int tjur la sensation qui les cause. La pré-

ice flerbomme liainrux nrutU-ctc \io1rmniont ; mais sitôt qu'il

luparait , Tinipresiiton cesse : ù l'instant que je ne le vois plus ,

|fr n y pense pins. J ai beau savoir qti il va s occuper *le niui , le [ae (aurais ni otxuper de lui : te mal que je ne sens point actuel- lement ne m'affecte en aucune sorte j le persécuteur que je ne iVoî^ point est nul pour moi. Je sens l'avantage que cette position lûnne à ceux qui <lisposent de ma destinée. I^'u'ils en disposent loftc tout il leur aise : j*ninie encore mieux qu*ils me tourmentent iD5 résistance , que d'être forcé de penser à eux pour me garantir le leur* coups.

Cette action de mes sens sur mon cœnr fait le seul tourment le mft vie. Le» lieux ou je ne vois personne, je ue pense plus mft destinée; je ne la seas plus, je ne .souffre plus; je suis lieu- it et content sans diversion « sans obstacle. Mais» j'échappe ►ment à quelque atteinte sensible; et, lorsque j/ pense le loms , un geste , un regard sinistre que j'aperçois, un mot en— reniiné que j'entends, un malveitlunt que je rencontre, suifiL lUr nie bouleverser : tout ce que je nuis faire en pareil cas est ►lier bien vite et de fuir; le trouole de mou ca;ur disparait l'objet qui l'a causé , et je rentre dans le calme aussitôt que je suis wu\ ; ou si quelque cliose m'inquiète, c'est la crainte de 'oconlrer sur mon passage quriqut! nouveau sujet de douleur, 'est ma seule peine : niais elle sudit pour altérer mou buulieur le lop;r au milieu de Paris: en sortant cfe chez moi je soupire après tik campri^ne et la solitude; mais il faut l'aller chercher ii loin , [u'avaul de pouvoir respirer à mon aise je trouve en mon chemin litle objets qui me serrent le copur , et la moitié de la journée œ eu angoisses avant que j'aie atteint l'asile que Je vai» rher. Heureux du moins quand on me laisse achever m& ! Le moment oii j'échappe au cortège des méchans est dé- pens, et sitôt que je me vois sous les arbres, au milieu de U. *rdure , je crois me voir dans le paradis terrestre, et je goûte m plaisir interue aussi vif que si j'étais le plus heureux des mortels. Je me souviens parfaitement que , duiant mes courtes prospé- rer mêmes promenades solitaires, qui me sont aujourd'hui ■nses , m'étaient insipides et ennuyeuses ; quand j'étaî» iqu'un à lacampagnt^, le besoin de faire de rexercii;e et lircr le grand air me faisait souvent sortir seul , et , m'é— ►ànl comme un voleur, je ra'allais promener dans le parc tans la campagne ; mais loin d'y troiivrr le calme heureux [ïie j'y goûte aujourd'hui , j'y portais l'agitation de» vain*** idéts [oî m'avaient occupé dans le salon ; le souvenir de la compagnie Tup y y t^-^is laissée m'y suivait- Dan» la jolitude, lea vapeur» dt

4o4. LES REVERIES.

Vajnour-propre et le lumulte du inonde ternissaient

mes T«i^

la fraîcheur des bosquets, et troublaient ïa paix de la retraiïe 2 j'avais beau fuir au fond des bois , une foule importune ru*v sui-j vait partout et voilait pour moi toute la nature. Ce nVst qu'aprèsJ in'éire détaché des passion» sociales et de leur triste corte'ge quel je Tai retrouvée avec tous ses charmes- |

Convaincu de l'impossibilité de contenir ces premiers tnbuve- mens involontaires y j ai cessé tous mes efforts pour cela : je laisfiCf { à chaque atteinte, mon sang s'allumer, la colère et rindignalioo s'emparer de mes sens ; je ccde à la nature cette première explo- sion , que toutes ^es forces ne pourraient arrêter ni suspcndic' Je lâche seulement d'en arrêter les suites avant qu'elle ait pr" duit aucun eH'et. J^s yeux étîncelans , le feu du visage , le in blement des membres, les sutfoquaiiles palpitationt^ , tout tient au seul physique, et le raisonnement n'y peut rien. ' après avoir laissé faire au naturel sa première explosion, peut redevenir son propre mailre en reprenant peu à peu sens : c'est ce que j ai tâché de faire long-temps sans saccifi mais enfm plus lieureusement) et , cessant d'employer ma foid en vaine résistance , j'attends le moment de vaincre en laii agir ma raison , car elle ne me parle que quand elle peut se écouter. £h ! que dis-je, hélas! ma raison? j'aurais grand (AI encore de lui faire l'honneur de ce triomphe , car elle n'y a gu<l de part : tout vient également d'un tempérament versatile <]b'»' vent impétueux agite , maïs qui rentre dans le calme à llniiiiO que lèvent ne souille plus; c'est mon naturel ardent qui m'agiW c est mon naturel indolent qui m'apaise. Je cède à toutes t impulsions présentes: tout choc me donne un mouvement >i( court; sitôt qu'il n'y a plus de choc, le mouvement ce«se,0 de communiqué ne jieul se prolonger en moi. Tous les événtiu* de la lortuue , toutes les machines des hommes ont peu depfi' sur un homme ainsi constitué : pour m'affecter de peines durabi' il faudrait que l'impression se renouvelât à chaque instant ;(* les intervalles, quelque courts qu'ils soient , suJliscDt pour ^ rendre h moi-même. Je snîs ce qu'il plait aux hommes laninui peuvent agir sur mes sens; mais au premier iuslant de relÀcbe je redeviens ce que la nature a voulu : cVst là, quoi qu'on putsx faire , mon étal le plus constant et celui par lequel , en <ÎPp>' de la destinée , je goûte un bonheur pour lequel je me sen$ci*t titué. J'ai décrit cet état daniiuncdr mes rêveries: il meconvi< si bien que je ne désire autre chose que sa durée , et ne ci que de le voir troubler. Le mal que m'ont fait les honamci' me touche en aucune sorte : la crainte seule de celui qu'ils peuv me faire encore est capable de m'agiler ; mais certain Qu'ils ii'( plus de nouvelle prise par laquelle ils puissent m'aitecter d'i sentiment permanent, je me ris de toutes leurs trSiueS| et jouis de moi-mêaie en dépit d'eux.

I.F.S RÊVERIES.

4o5

NEUVIEME PROMENADE.

Le bonheur est. un elal permanent qui tie semble pas fait ici- lai pour l'homme : tout est sur la terre dans un flux conlinuel juî HC permet à rien iVy prendre une forme conslaote. Tout [change autour de nous : nous changeons nous-mêmes , el nul ne [peut 4* assurer qu'il ainvra demain ce qu'il aime aujourd'hui ; tftinsi tous nos projets de fèlicilé pour celte vir^ sont deschimères. Pro- [^tons du contentement dVsprit quand il vient, gardou«-nous de jVloigner pJir notre faute , mais ne faisons pas des projets pour l'enchaîner , car ces projets-là sont de pures folies ; j'ai peu vu td'horumes heureux , peut-cire point ; mais j'ai souvent vu de» Icflpurs contens , et, de tous les objets qui m'ont frappé , c'est lui qui m'a le plus contenté moi-même. Je crois que c'est une tiite naMjrelIe uu pouvoir des sensations sur mes seiitimens in- ternes. Le bonheur n'a point d'enseigne extérieure : pour lecon- nnltre il faudrait lire dans !c cœur de rhoinmc heureux j mais le jConlentement se Ht dans les yeux , dans le maintien , dans l'ac- cent ^ dans la démaicUe , et semble se cooiuiuniquer à celui qui iraperçoit. Est-il une jouissance plus douce que df voir un peuple etitier se livrer à la joie un jour de fête , et tous les coeurs s'épa- nouir aux rayons expansifs du plaisir qui pa<«5e rapidement, mai&

vivement , k travers les nuages de la vie r

Il y a trois jours que M. P. vint, avec un empressement ex- traordinaire, me moiilrer l'éloge de madame Geotfrin par M. D. X^ lecture fut précédée de longs et grands éclats de rire sur le ridicule néologisme de cette pièce et sur les badins jeux de mots dont il la disait remplie : il commença de lire en rîaut toujours. \Je Pécoulaîs d'un sérieux qui le calma, et, voyant que je ne l'imitais point , il cessa enfin de rire. L'article le plus loug et le plus reclierchc de cette pièce roulait sur le plaisir que prenait madame GeofTrin à voir les enfans et à les faire causer : 1 auteur tirait avec raison , de cette disposition, une preuve de bon na- turel ; mais il ne s'arrêtait pas \h , et il accusait décidément de mauvais naturel et de méciianceté tous ceux qui n'avaient pas le nu'n»egoût , au point de dire que si l'on intrrrogeail là-dessus ceux qu'on mène au gibet ou à la roue, tous conviendraient |U*ils n'avaient pas aimé les enfanx. Ces assertions fai-iaieul un effet iinguïier dans la place oU elles étaient. Supposant tout cela vrai, était-ce ].'» l'occasiou de ledire, et fallait-il souiller l'^lifge il'uae femme estimable des images de supplice et de BU||u||flprit Je compris aisément le motif de crtte aiFcctnini" vîTi uuand Si. P. eut Ani de lire , en relevant ce qtn ,aans l'éloge, Tajoutai que l'auteur, eu l'écriv^tu

XOPar moins d amitié que de haine.

I-e lendemain, le temps étant asscx beau qu ' '^

faire une course jusivi'^ l'Ecole militaire, rcn r r ' '^ : en allant je rév ^

'^4o6 LES RKVERIES.

]a veille et Sïir l'écrit de M. D. , oîi je pensais !>îen <]uftle pîa< ^pisnHique n'avait pas été mis sans dessein ; rt la seule atFectatjj fde ni'apporter cette brochure , à moi , à qui Ton cache tV m'apprenait assez quel en était l'objet, .l'avais mis ine<» eni anx enfans-trouvés : c'en était assez pour ra'avoir travesti ] père dénaturé » et , de en étendant el caressant cette idée avait peu à peu tiré la conséquence évidente que je haïssais enfans j en suivant par la pensée la chaîne de ces gradation j'admirais avec quel art 1 industrie humaine sait changer choses du blanc au noir} car jene crois pasquc jamais hoinineait pi aimé que moi à voir de petits bambins foh\lrer et jouer enscmDl«{<1 et souvent, dans la rue et aux promenades, je m'arrête i rrgar» der leur espièglerie et leurs petits jeux avec un intérêt que je ne^ vois partager à personne. î.e jour même oii vint M. P. , oi Ircure avant sa visite , j'avais eu celle des deux petits du Sou&s les plus jeunes enfans de mon bôtc, dont l'aîné peut avoir ans: ils étaient venus m'embrasser de si bon cœur, et je h avais rendu si tendrement leurs cares;^es , que, ma1f;ré la «lispa- rité des âges, ils avaient paru se plaire avec moi sinciTomenl et, pour moi , j'étais transporté d'aise de voir que ma y'n figure ne les avait pas rebutés; le cadet même paraissait m à moi si volontiers qtic . plus enfant qu'eux, je me sentais atl cher à lui déjà par préférence , et je le vis partir avec autant regret que s'il m'eût appartenu.

Je comprends que le reproche d'avoir mis mes enfans aux fans-trouvés a facilement dégénéré, avec un peu de tournui f^n celui d'être un père dénaturé et de hair Ie« eufans : cependj il c»l sur qup c'est la crainte d'une destinée pour eux mille pire, el presque inévitable par toute autre voie, qui m'a le déterminé dans cette démarche. Plus indiflercnlsurre qu'il» >iendraientethors d'étal de les élever moi-même , il aurait fallu , <Ians ma situation, les laisser élever par leur mère , qui les au- rait ^Atés, el par sa famille , qui en aurait fait des monstres. Jfl frémis encore d'y penser : ce que Mahomet ht de Séide n'est ri^n auprès de ce qu'on aurait fait d'eux à mon égard , et les ptégcs <|U on m'a tendus U->de$sus dans la suite me ronfirmenf •—-•• 4|ue le projet en avait été formé. A la vérité j'étais bien de prévoir alors ces trames atroces; mais je savais <jue 1 «iiuvi tion pour eut la moins périlleuse était celle des enfans-troui et je les y mis. Je le ferais encore, avec bien moins de doi aussi , si la chose était à faire , et je sais bien que nul père n'e«t plus tendre que je l'aurais été pour eux, pour peu quel habitucte ({"ït aidé la nature.

Si j'ai fait quelque procri-'S dans la connai^sanee du f.vruc main , c'e&t le plaisir que j'avais à voir el observer les enfans m'a valu cette connaissance. Ce môme n1ai»ir dans ma jeual y a mis une espèce d'obstacle, car je |ouais avec les enfan ^.liemeut el de si bon rieur que je ne songeais guère k Usétudl Mais quand eu vieilli^s^ul j ai vu tjuc lUii figure caJauue îes

XrrVIÈME PROMENADE. 407

tîetait , ]c rue suis abstenu cfc lesimpnriiinrr : j'ai mieuic aimé priver d'un plaisir qup dr iroublrr leur joio; el , content |or« lie me satisfaire eu reg.irclaiit leurs jeux et tous leurs petits kaneges , j'ai trouvé le (Jédommagrnient <lc mon sacrifice dans t luuiièret que ces observations n»*ont fait acquérir sur Iim pre- licrs et vrai!tmou\emens He la nature , auxquels tous nos &avans connuisseitt rien. J'ai conAign*; dans raes écrits la preuve qua m*«tats occupé de cette reclierclie trop soigneusctnent pour l'avoir pas faite avec plaisir-, et ce serait assurément la chose |n monde la plus incroyable que l'Héloise et TEmile fussent Tou- rrap;c d'un buinine qni n'aimait pas les cnfans. Je n'eus jamais ui présence a'esprit , ni facilité de parler; iai$, depuis mes malheurs , ma langue et ma tète se sont de Uis en plus embarrassées : l'idée et le mot propre m'échappent [aleinent , et rien n'exige un meilleur discernement et un caoix 'cKprrMÎons plus justes que les propos qu'on tient aux enfans. qni augmente encore en moi cet embarras et Talteation des »utans , les interprélatinns et le poids qu'ils donnent à tout ce Il part d'un homme qui , ayant écrit expressément pour les en- ins, e«l suppose ne devoir leur parler que par oracle» ; cette "leexlrênae, et l'inaptitude que je me sens me trouble , me fconcerir, et je serai» bien plus à mon aise devant un monar- que d'Asie nue devant un bambin i|u'il faut faire babiller.

Un antre inconvénientmc tient maintenant plus éloigné d'eux ,

[if depuis mes malheurs, je les vois toujours avec le raéme

liâir, mais je n'ai plus avec eux la même familiarité. Les eo-

■■"'ûimenl pas la vieillesse : l'aspect de la nature défaillante

"eux à leurs yeux; leur répugnance que j'aperçois me

Te, et j'aime mieux m'abstenir de les caresser que de leur e la ^éne et du dégoût. Ce motif, qui n'ag vraiment aimantes, est nul pour tous nos docteurs et

ïtorewes. Madame OeofTrin s'embarrassait fort peu que les ifans eussent du plaisir avec elle , pourvu qu'elle en el^^ avec IV ; mais, pour mni, ce plaisir est pis que nul : il est négatif tand il n'eiftt pas partagé , et je ne suis plus dans la situation ni ins l'Age oii je voyais le petit cn^ur d*un enfant sVpsnouir avec mien. Si cela pouvait m'arrivcr encore, ce nlaisir, devenu \us rare , n'en serait pour raoi que plus vif: je ! éprouvais hini [Utre matin par celui que je prenais a carresser les petit» du »ussoi , noii->i'ulemeut parce que la bonne qui les coiiJnitait m'en intjioKait j»as beaucoup , et que je sentais moin* le b**- d- if^r devant elle ; maie encore parce que l'ai'

m'abordèrent ne les qnilta point, cl qu'iU ' mrenl »* »o déplaire ni s'ennuyer avec raoï.

Oh ! si j'avais encore quelques momcns de pnres rore ! 1 copur, ne fiil-ce que d'un enfant eiic'tre < ^ \ ais voir encore dans quelques ycii\ la i^-i lineut dV'tre avec moi , de combien •' dédommageraient pa« f^ r.»iirts m i

4o8

LES REVERIES.

«le mon creur ? Al» ! je ne serais pas obligé de chercher parmi îrt animaux le regard de la bienveillance, qui m'est désormais re- fusé parmi les humains. J'en puis juger sur bien peu d'exemples , mais toujours cbers à mon souvenir : en voici un qu'en tout autre état j'aurais oublié presque, et dont l'impression qu*il a fait sur moi peint bien toute ma misère.

II y a deux ans que , m^étant allé promener du côté de la nou< velle France , je poussai plus loin, puis tirant à f;aucbe et vou- lant tourner autour de ^lontmartre , je traversai le village de; Ciignancourt : je marchais distrait et rêvant sans recarder au- tour de moi, quand , tout â coup , je me sentis saisir les cenoui. Je regarde et je vois un petit enfant de cinq ou six ans qui serrait mes genoux de toute sa force , en me regardant d'un air fi familier et si caressant que mes entrailles s'émurent ; je mf' disais ; CVst ainsi que j'aurais été traité des miens. Je pris IVn- fant dans mes bras, je le baisai plusieurs fois dans une espécffi de transport, et puis je continuai mon chemin. Je sentais n. marchant qu'il me manquait quelque chose : un besoin nai.^uBt roc ramenait sur mes pas; je me reprochais d'avoir quitté tt' brusquement cet enfant, je croyais voir dans son action « siit<j cause apparente, une sorte d'inspiration qu'il ne fallait pas daigner. Enfin , cédant à la tentation, je reviens sur mes]) je cours à l'enfant , je rembras.<ie de nouveau et je lui douDl quoi acheter des petits pains de Nanterre, dont le marcb passait par hasard , et je commençai à le faire jaser. Je demandai qui était sou père ', il me le montra qui reliait tonneaux. J'étais prêt â nuiller Tcnfanl pour aller lui pi quand je vis que j'avais été prévenu par un homme de mauvi mine, qui me parut être de ces mouches qu'on tient san* c< k mes trousses : tandis que cet homme lui parlait à l'oreille, ir vis les regards du tonnelier se fixer attentivement sur moi d'oB air qui n'avait rien d'amical. Cet objet me resserra le cn*iir l'instant , et je quittai le père et Teuiant avec plus de proi tude encore que je n'en avais mis à revenir sur mes pas, dans un trouble moins agréable qui changea toutes mes di sitions. Je les ai pourtant senti renaître souvent depuis lort-l suis repassé plusieurs fois par Clicnancourt dans l'espérance- revoir cet enfant ; mais je n'ai plus revu ni lui ni le père , ne m'est plus reste de cette rencontre qu'un souvenir assea mêlé toujours de douceur et de tristesse , comme toutes les- tions qui pénétrent encore quelquefois jusqu'à mon cœnr.

Il y a compensation à tout : si mes plaisirs sout rares et courlii je les goîile aussi plus vivement qu:ind ils viennent que s'iU m' talent plus familiers; je les rumine, pour ainsi dire , par<JU>4 quens souvenirs, et, quelque rares qu'ils soient, s ils éU purs et sans mélange, pèserais plus heureux, peut-être, dans ma prospérité. Dans l'extrême misère on se trouve ricl de peu : un gueux qui trouve un écu en est plus aflerié qne m léserait un riche en trouyaul une bourse d'or. Ou rirail >i IV

NEUVIÈME PROMENADE. é

- %f

Toyaitdans mon ame l'impression qu'y font les moincires plaisirs celle espèce , <jue je puis dérober à la vigilance Je mes per- sécuteurs : un des plus doux s'offrit il y a quatre oa cinq ans , Éje ne me rappelle jamais sans me sentir ravi d'aise d'en avoir en profité. n dimanche nous étions allés, ma femme et moi , dîner k orte Maillot : après ledincr nous traversâmes le bois de Bou-' le jusqu'à la Muette; , nous nous assîmes sur l'herbe h iTombre en attendant que le soleil fût baissé pour nous en re- tourner ensuite tout doucement par Passy. Une vingtaine de Ï veilles filles , conduites par nne manière de relipicnse , vinrent, I es unes s'asseoir, les autres folâtrer assex près de nous. Durant leurs jeux , yint à passer un oublieur avec son tambour et soa tourniquet , qui cncrchail pratique : je vis qtie les petites filles convoitaient fort les oublies , et deux ou trois d'entre elles y qui apparemment possédaient quelques liards , demandèrent la per- ïsion de jouer. Tandis que la gouvernante hésitait et dispu- j'appelai l'oublieur et je lui dis : Faites tirer toutes ces loiselîes chacune à son tour, et je vous paierai le tout. Ce répandit dans toute la troupe une joie qui seule eîit plu» payé ma bourse, quand je l'aurais toute employée à cela. Comme je vis qu'elles s'empressaient avec une peu de confu- ■^*" , avec l'agrément de la gouvernante , je les fis ranger toutes côté , et puis passer de Taulre côté l'une après l*aulre , à Fesure qu'elles avaient lire. Quoiqu'il n'y eut point de billet tiinc , et qu'il revint au moins une oublie à chacune de celles qui n'auraient rien , qu'aucune d'elles ne pouvait donc être al>- >olunient mécontente , afin de rendre la fête encore plus gaie , l*dis en secret à Toublieur d'user de son adresse ordinaire en ts contraire , en faisant tomber autant de bons lois qu'il irraii , et que je lui en tiendrais compte. Au moyen de cette voyance , il y eut près d'une centaine d'oubliés distribuées, >ique les jeunes filles ne tirassent chacune qu'une seule fois; là^essus je fus inexorable, ne voulant ni favoriser des abus, ittarqucr des préférences qui produiraient des mécontente- . Ma femme insinua à celles qui avaient de bons lots d'en part à leurs camarades, au moyen de quoi le partage nut presque égal , et la joie plus générale. le priai la religieuse de tirer à son tour , craignant fort qu'elle rc)elàt dédaigneusement mon offre ; elle l'accepta de Donne ice , lira comme les pensionnaires , et prit sans façon ce qui revint. Je lui en sus un gré infini , et |e trouvai à cela une le de politesse qui me plut fort , et qui vaut bien , je crois ^ des simagrées. Pendant toute celle opération , il y eut des les qu'on porta devant mon tribunal , et ces petites filles, il plaider lour à tour leur cause, me donnèrent occasion remarquer que , quoiqu'il n'y en eût aucune de jolie , la ililIfSâe de quelques-unes faisait oublier leur laideur.

\îtu\p^ pufin très-conten» les uns des autres , e!

4i<^ LES REVERIES.

cet aprc»-midi fut tm de ceux de ma vie dont je me rappel Ir souvenir avec le plus de saLisfaction. La fête , au reste, ne (al pasruineu&c: pour trente sous ({u'il m'en coûta tout au plu», il y eut pour plus de cent écuâ de contentemeot ; taut il e$t vj tqne le plaisir ne se mesure pas sur la dépense , et que In joitt plus amie des liards (jue des louis. Je suis revenu plusieurs aul ifois à la même place, à la même heure , espérant d*y rencool encore la petite troupe ; mais cela n*est plus arrivé.

Ceci me rappelle un autre amusement à peu près de m^oi îpècc , dont le souvenir m*est resté de beaucoup plus loin. CV lait dans le malheureux temps , faufilé parmi les ncba< ^ica ^ens de lettres , j'étais quelquefois réduit à partager Iti Iristos plaisirs. J'étais à la Chevrette au temps de la fêtei mnître de la maison * toute sa fa^nille s'était réunie pour U< Ichrer, et tout l'éclat des plaisirs bruyans fut mis en œuvre cet effet. Spectacles , festins , feux d'artifice , rien ne fut épai L'on n'avait pas le temps de prendre haleine , et l'on s'èloi dissait au lieu de s'amuser. Après le dîner on alla prendre II dans l'avenue , oii se tenait une espèce de foire. On dansait }1| messieurs daigneront danser avec tes paysannes , mais les d] {^ardèrent leur dignité. On vendait des pains d'épice. Unj( iiorarae de la compagnie s'avisa d'en acheter , pour les Uocc* Tun après Tautrc au milieu de la foule, et Ton prit tant d plaisir à voir tous ces manans se précipiter , se battre , se rcia verser pour en avoir , que tout le monde voulut se donnera même plaisir. Et pains d'épice de voler à droite et à gauche» filles et garçons de courir , d'entasser, et s'esiropier. CeU raissait charmant à tout le monde. Je fis comme les aulrr^ mauvaise honte , quoique en dedans je ne ra^amusas^epas .luUi au'eux. Mais, bientôt ennuyé de vider ma bourse pour f»" écraser les gens , je laissai la bonne compagnie , et je fui n-~

Îtrouiencr seul dans la foire. La variété des objets m'ao» ong-temps. J'aperçus entre autres cinq ou six savoyards autoi d'une petite fille qui avait encore sur son éventaire une tlcm zainene chétives pomrae.<i, dont elle aurait bien voulu se dcl>ai rasser. Les savoyards , de leur côté, auraient bien voulu leJ débarrasser , maifi ils n'avaient que deux ou trois liards à tous, et ce n'était pas de quoi faire une grande brèche pomme«. Cet éventaire était pour eux le jardin des Uespéri etia petite fille était le dragon qui les gardait. Cette cou m'amusa long-temps ; j'en fis enfin le dénouement en pi les pommes à la petite fille, et les lui faisant distribuer aux garçons. J'eus alors un des plut; doux spectacles qui pui flatter un cœur d'homme , celui devoir la joie unie avccriniK ccnce de l'âge se répandre tout autour de moi. Car tes specl tcurs mêmes , en la voyant , la partagèrent ; et moi , qui ] logeais ù si bon marché celte joie , j'avais de plus celle de. tir qu'elle était mon. ouvrage.

En romparaut ret amusement avec ceux que |e yei

NEUVIEME PROMENADE. 4m

lilter, je sentais avec satisfaction la différence qu'il y a des *^U sains et des plaisirs uatureh a ceux que fait naitre l'opu- ttkce , et qtii ne sont guère que des plaisirs de moquerie , et »âl6 exclusifs engendres par le mépris. Car, quelle sorte BKUifrir pouvait-on prendre à voir des troupeaux dMiommea iTiiis p»r la misère, s entasser , s'étouffer, s'estropier brulale- rnt , pour s'arracher avidement quelques morceaux de pains [*fpice foulés aux pieds et couverts de boue ?

De mon côté , quand j'ai bien refléchi sur Tespèce de volupté

jne je coûtais dans ces sortes d'occasions , fai trouvé qu'elle

ÏOntistait moins dans un sentiment de bienfnisonce que aans le

laisir de voir deç visages contens. Cet aspect a pour moi un

lArmc qui , bien qu'il pénètre jusqu'à mon cccur, semble èlre

iniquement de sensation. Si je ne vois la satisfaction que je cause,

[unnd Tuênie j'en serais sûr , je n'en jouirais qu'à demi. C'est

iilme pour moi un plaisir déMïiléressé , qni ne df'pend pas de

part que j'y puis avoir. Car , dans les fêtes du peuple , celui de

'oir de* visages gais m'a toujours vivement alliré. Celte afienie

pourtant été i.ouvent frustrée en France » celte nation ,

lui se prétend gaie , montre peu celte gaieté dans ses jeux.

lovent j'allais jadis aux gum^iielles , pour y voir danser le

Iticnu peuple ; mais ses danses étaient si maussades , son main-

■"■ si dolent , si gauche , que j'en sortais plutôt coniristé que

|oni. Mais à (ienève et en Suisse , oii le rire ne s'évapore pas

ms crsse en folles malignités , tout respire le contentement et

gaieté dans les fêles. La misère n'y porte point son hideux

Epect Le faste n'y montre pas non plus son insolence. Le

lim-^ire, la fraternité, la concorde, y disposent les cmurs 4

rrpatiouir , et 5ou\eut , dans les transports d'une innocente joie,

^.^ iucnuuus s'accostent , s'embrassent , et s'invitent h jouir de

inrerl des plni^irs du jour. Pour jouir moi-même de ces ai—

iblc* fêtes , je n'ni pas besoin d'en cire. Il me stjflit de les

Ȕrj eu les voyant , je les partage j et , parmi tant de visages

lis , je suis bien sù.r qu'il ny a pas un cœur plus gaî que le

tea.

Quoique ce ne soit qu'un plaisir de sensation , il a corlai- ?inent une cause morale ; cl la preuve en est que ce même IpecI , au lieu de me llatler , de me plaire , peut me déchirer douleur et d'indignation, quand je sais que ces signes de iïir et de joie sur les visages des méchans ne sont que de* rqncs nue leur malignité est satisfaite. La joie itmocente est seule dont les signes Uuttenl mon cirur. Ceux de la cruelle moqueuse joie le navrent et rafTligcnl , quoiqu'elle n'ait nul ipport à moi. Ces signes, saus doute, pe sauraient être exac fpnieni les mômes » partant de principes si différens : mais enfio c*» »oat également des signes de joie , et leurs différences sen- '^ïe.i ne sont assurément pas proportionnelles à celles de« moU* ^l^len^ ciu'iU eiteitent en moi.

'*'* " et de peine Tue sont encore pins sensibles f

4i3 LES RÊVERIES.

au point quM m'est impossible de ]e5 soutenir sans être a^ite] moi-même d'émotions pcnt-élre encore plus vives que ceil«$ qu'ils repréienlent. L'imagination;, renforçant U sensatioa J m'identine avec l'être souffrant , et me donne souvent pltMj d'angoisse qu'il n'en sent lui-même. Un visage mécontent encore un spectacle qu'il m* est impossible de soutenir, surtoi si j'ai lieu de penser que ce mécontentement me regarde. Je saurais dire combien l'air grogjnard et maussade des valet» qnV servent en rechignant m'a arraché d'écus dans les matsoni j'avais autrefois la sottise de me laisser entraîner , et oii Iw domestiques m'ont toujours fait payer bien chèrement l'hospi- talité des maîtres. Toujours trop affecté des objets sensibles , rC surtout de ceux qui portent signe de plaisir ou de peine, de bienveillance ou d'aversion , je me laisse entraîner par ce$ im* pressions extérieures , sans pouvoir jamais m'y dérober ta*, trcment que par la fuite. Un signe, un geste, un coup-d'c d'un inconnu , sufHt pour troubler mes plaisirs , ou calmer peines. Je ne suis à moi que quand je suis seul ; hors de li|]l suis le jouet de tous cctiic qui m^entourenl.

Je vivais jadis avec plaisir dans le monde, quand je ne voi dans tous les yeux que bienveillance , ou , tout au pis , indiln rence dans ceux à qui j'étais inconnu ; mais aujourd'hui qtt*fl ne prend pas moins de peine à montrer mon visage au peuple qu'à lui masquer mon naturel , je ne puis mettre le pit^d d^n^ la rue sans m'y voir entouré d'objets décbirans. Je me hâte dl gagner à granàs pas la campagne ; sitôt que je vois la verdttff je commence â respirer. Faut-il s'étonner si j'aime la soUt"^" Je ne vois qu'anîmosité sur les visages des hommes, et la ' me rit toujours.

Je sens pourtant encore , il faut l'avouer , du plaisir à tî^ au milieu des hommes tant que mon visage leur est incond Mais c'est un plaisir qu'on ne me laisse guère. J'aimais çore , il y a quelques années , à traverser les villnges , et k] au matin les laboureurs raccommoder leurs flcaux , femmes sur leur porte avec leurs enfans. Cette vue avait sais quoi qui touchait mon cœur. Je m'arrêtais quelque sans Y prendre garde , à regarder les petits manèges de bonnes gens , et je me sentais soupirer sans savoir pourqw J'ignore si l'on ma vu sensible k ce petit plaisir , et si loo* voulu me l'àter encore ; mais , au changement que j'aj sur les physionomies à mon passage , et à l'air dont je sui* gardé, je suis bien forcé de comprendre qu'on a pris Soin dem'ôlercct incognito. La même chose m'est arrivée dW façon plus marquée encore aux Invalides. Ce bel établisse! m'a toujours intéressé. Je ne vois jamais , sans attendrissci et vénération , ces groupes de bons vieittardi , qui peuvent < comme ceux de Lacédémone , Noua avan^ éié jadis Jeuues, vailbns j fl lisrJÎA.

NEUVIÈME PROMEKADE. ^i3

!Tne ma promenades favorites étJÎL autour de l'Ecole nii-

ftairc . et je rencontrais avec plaisir ci et la quelques inyalitles

lï, nyatit conservé rancieiinc boiinutetë militaire , inc saluaieat

\n passant. Ce salut^ que mon cœur leur rendait au centuple ,

flattait , et augmentait te plaisir que j'avais à les voir. Comme

ue sais rien cacher de ce qui me touche, je parlais souvent

»5 invalides, et de la façon dont leur aspect m'affectait. 11 n'ea

illut pRS davantage. Au bout de quelque temps je m'aperçus

le )e n'étais plus ua inconnu pour eux , ou plutôt que je le

•UT étais bien davantage j puisqu'ils me voyaient du même œil

jue fait le public. Plus d'houn^letè , plus de salutations. Un air

•poussant, un regard farouche, avaient succédé â leur prcmiifre

irbanîté. L'ancienne franchise de leur métier ne leur laissant pas

■omme aux autres couTrir leur animosité d'un masque rica-^

leur et traître , ils me montrent tout ouvertement la plus

îolente haine , et , tel est l'excès de ma misère , que je suU

>rcé de distmguer dans mon estime ceux qui me déguisent;

moins leur fureur.

Depuis lors je me promène avec moins de plaisir du côté les Invalides : cependant, comme mes sentimens pour eux ne [^pendent pas des leurs pour moi , je ne vois jamais sans res- ;t et sans intérêt ces aucîeus défenseurs de leur patrie : mai< m*cst bien dur de me voir si mal payé de leur part de la isticc que je leur rends. Quand , par hasard , j'en rencontre [uetqu'un qui a échappé aux instructions communes , ou qui^ le connaissant prts ma figure , ne me montre aucune aversion , inélc salutation de ce seul-là me dédommage du maintien rbatif des autres. Je les oublie pour ne m*occuper que de \V\ et je m'imagine qu'il a une de ces âmes comme la mienne , lii la haine ne saurait pénétrer. J'eus encore ce plaisir , l'année lernière , en passant 1 eau pour m'aller proinener i Tlle aux lygoes. L'n pauvre vieux invalide, dans un bateau , attendait pagnie pour traverser. Je me présentai , je dis au batelier "partir- L'eau était forte , et la traversée fut longue. Je m'osais presque pas adresser la parole à l'invalide , de peur fë'être rudoyé et rebuté comme k l'ordinaire ; mais son air jlionnéle me rassura. Nous causâmes. Il me parut homme de |»cn5 et de mœurs. Je fus surpris et charmé de son Ion ouvert lel affable. Je n'étais pas accoutumé à tant de faveur. Ma sur- prise cessa , quand j'appris qu'il arrivait tout nouvellement de frovince. Je compris qu'on ne lui avait pas encore montré ma gure et donné ses instructions. Je prohtai de cet inr ,-'-■ ipour converser quelque moment avec un homme, et j' a la douceur que j'y trouvais, combien la rareté de» 'les plus communs est capable d'en augmenter le ytrïx. ^tant du bateau il préparait ses deux pauvres li.^rd.s. Je ^ passade, et le priai de les resserrer, en tremblant de Ip .Cela n'arriva point ; au contraire . il parut sr Icottoa , et surtout à celle que j'eus encore ,

[ LES RÊVERIES. ^^^^

plus vieux fnie moi , de lui aùlcr a >orlir du bateau. Qui ctoj- rait que je lus asâtiz enlaut pour en pleurer d'aise? Je oiounuj d'envie de lui mettre une pièce de vingt-quatre sous dans U main pour avoir du tabac ; ]e n'osai Jamais. La même honte qntj me retînt m'a souvent erapécbo de faire de bonnes actions , qai m'auraient comble de joie , et dout je ne me suis abstenu qu eoj déploraut mon imbécillité. Cette fois , après avoir quitté mon] vieux invalide, je me consolai bientôt en pensant i|ue j*aunH pour ainsi dire agi contre mes propres principes , en mêli aux choses honnêtes un prix d'argent qui dégrade leur nobi) et souille leur désintéressement. 11 faut ^'empresser de secoi ceux qui en ont besoin ; mais, dans le commerce ordinaire la vie , laissons la bienveillance naturelle et l'urbanité faii chacune leur (i?uvre , sans que jamais rien de vénal et demi cantile ose approcher d'une si pure source pour la corronij ou pour l'altérer. On dit qu'en llollande le peuple se fait pij pour vous dire l'heure , et pour vous montrer le chemin, doit être un bien méprisable peuple que celai qui trafique des plus simples devoirs de riuinianité.

J'ai remarqué qu'il n'y a que l'Europe seule l'on l'hospitalité. Dans toute l'Asie on vous loge gratuitement, comprends qu'on n'y trouve pas si bien toutes ses aises ; n'est-ce rien que de se dire : Je suis homme et reçu des humains ; c'est rhumanité pure qui me donne le coui Les petites privations s'endurent sans peine , quand le e&t mieux traité que le corps.

DIXIEME PROMENADE.

Aujourd'hui jour de Pâques fleuries, il y a précisément quante ans de ma première connaissance avec madame de Wl rens. Elle avait vmgl-huil ans alors , étant née avec le ûmT *Je n'en avais pas encore dix-sept, et mon tempérament naÎM mais que j'ignorais encore , donnait une nouvelle chaleur à cœur nalurelleuieut plein de vie S'il n'était pas étonnant qu^ conçut de la bienveillance pour un jeune homme vif , mats et modi^ste , d'une figure assez agréable, il l'était encore qu'une femme charmante, pleine d'esprit et de grâces, pirAt , avec la reconnaissance, des sentiraen» plus tendre9«' ]e n'en distinguais pas. Mais ce qui est moins ordinaire est ce premier moment décida de moi pour toute ma vie, et j duisit , par un enchaînement inévitable, le destin du reil mes jours. Mon ame , dont mes organes n'avaient point è loppé les plus précieuses facultés , n'avait encore aucune fo déterminée. Elle attendait, dans une sorte d'impalience , moment qui deviit la lui donner , et ce moment , accél par celle rencontre, ne vint pourtant pas sitôt; et, dan» plicitc de ma-ur& que L'éducation m'avait donnée, je yi*

DIXIEME PROWF.NADE. /,

[p prolonger pour moi cet étJit délicieux , mais rapi<le , ou imour el ririnocence b.nbitent le même cœar. Elle m*avait igné. Tout me rappelait à elle. Il y fallut revenir. Ce retour I ma dosliiiée , cl long-temps eticore avant de la possôder, Je vivais plus qu'en elle et pour elle. Ali! si j*avais sulH à son ur comme elle suflisâlt au mien ! iiuelA paisibles et délicieux rs nous eussions coulés ensemble ! Nous en avons pawc de mais qu'ils ont été courts et rapides ^ cl quel destin les uivis î II ny a pas de jours oii je ne me rappelle avec joie allendrih&ement cel uniqtie et court temps de ma vie ou je moi pleinement , sans mélange et sans obstacle , et oîi je puis ritablement dire avoir vécu. Je puis dire à peu près comme préfet du prétoire qui , disgracie sous Vespasieu , s*en alla r paisiblement ses jours à la campagne : •> J ai passé soixante et dix ans sur ta terre , et j'en ai vécu sept. •• Sans ce court aïs précieux espace, je serais resté peut-être incertain sur moi; r, loul le reste de ma vie, facile el sans résistance , j'ai été ement agité, ballotté , tiraillé, par les passions d'aulrnî , ue « presque passif dans une vie aussi orageuse, j'aurais peine â éruêler ce qu'il y a du roien dans ma propre conduite , lant la dure nécessité n'a cessé de s'appesantir sur moi. Mais, durant c<* petit nombre d'années^ aîraé d'une femme pleine de cora- iice et de douceur, je fis ce qu** je voulais faire, je fus ^^- je voulais èlre , et , par l'emploi que je fis de mes loisirs, *idt' de ses leçons et de son exemple , je sus donnera mon amc , fnrore simple et neuve , la forme qui lui convenait davantage , a gardée toujours. Le goût de la solitude et de la , lion naquit dans mon ca.'ur avec lesseutimens e^pan- '&ils et tendres faits pour être >on aliment. Le tumulte et le bruit «•Je* resserrent et les étoufrcnt ; le calme et la paix les raniment et les exaltent. J'ai besoin de me recueillir pour aimer. J'en— iTi/'f-it maman ii vivre â la campagne. Une maisou isolée, au uni d'un vallon , fut notre asile ^ et c'est l;i que , dans . i l'acr de quatre ou einf| ans, j'ai joui d'un siècle de vie et d'uu bonheur pur et plein, qui couvre de son charme tout ce que mon sort présent a d'alîreiix. J'avais besoin d'une amie selon uion c'uur; je la possédais. J'avais désiré la campagne; je l'avais obtenue. Je ne pouvais soulTrir t*assujettis!»enieut ^ j'étais par- failement libre , et mieux que libre ; car, assujetti par }uc$ seuls attachcmt^MS , je ne faisais que ce que je voulais faire. Tout iJioii temps était rempli par des soins afl'ectueux , ou par des occupatious champêtres. Je ne désirais rien que la continuation d'nri étnt si doux ^ ma seule peine était la crainte qu'il ue durai p -mps , et celte crainte, née de la gêne de notre silua-

I . .ut pas sans fondement. Dès-lors je songeai à me donner

en même temp^ des diversions sur celle inquiétude , et des re^- »ources pour en prévenir l'effet. Je pensai qu'une provision de talcii» était la plus si^re ressource contre la misère, et je rt'- «olus d'employer mes loisirs à me mettre eu état , s'il était po^-

4t6 LES RÊVERIES. '''

»ible, de rendre un jour k la meilleure des fiemmet l'uûitaiioti que j'en avais reçue.

FIN DBS RÊTSaiES.

FRAGMENS

POUR UN

DICTIONNAIRE

DES TERMES D'USAGE EN BOTANIQUE.

Vil

INTRODUCTION.

Xjc premier malhptir de la butanifiuf* e.«t «ravoir été r^irdée dès » uniwancc comme tinc purlte de la mtilecinc. Cela fil qu'où ne «'attacha qu'à trouvrr ou supposer de» verUiaaux pluDlcs, et qu'on n^gl'gea la connaÎAMncc de» plantes marnes } car coraoïent »c livrer aua courii^» im- menses et continuelles qn'exige celte rccberclie , et m même teiups auic travanx sêdetilaire» du Uboraloire, et aux trailemeo» des malades ^ par lt«»qiiels on pari ienl à s'aisiirer de la nature drs substances ^égétaled, et tic Irtiift eti'cis dans le corpn liutnnin. CVlle fausse manière d'en^ Isager la

ibotauiqne en a Inng-lemp» rttréci l'étude, au point de U borner presque

'•ox plante» usuelles , et de réduire la chaîne végétale à un p<^tit nombre de rbalnons interrompus; encore ces chaînons mêmes ont-ils été très* mal t'indiés, parce qu'on y regardait seulement la matière, et non pat l'orgaiiisalion. Comment se serait-on beaucoup occupé de la slnicturo

[organique d'une substance , ou plutôt d'une masne raaiiCi'-e, qu'on ne mgeait quVi piler dans un mortier? On ne cherchait des piaules que

ppotir trou verdes remèdes j on necbercluiU pas des plantes, mats ilean impies. iTctjiir tort bien fait, dira-C-on ; soit : mais il n'en a pas moins résulté qnefSi l'on oonnaîMaît Tort bien les remèdei , on ne laissaïl pas de con- naître fort mol les plantes ^ et c*est tout ce qne j'avance ici.

Lm botanique n'était rien; il n'y avait point d'étude de la botanique^ rt ceux qui se piquaient le plus de connaître les plantes n'avaient aucune idée, m dr Ifiii ttiuclure, ni de l'économie végétale. Chacun connaissait de vne cinq ou six plantes de son canton t auxquelles il donnait des

iBoms au hasard , enrichis de vertus merveilleuses qu'il lui plaisait de !ur «opposer ; et chacune de ces planter changée en panacée uoiveraclle ifGsait seule pour immortaliser tout le genre humain. Ces plantes, Iraus- frmées en baume et en emplâtres, disparaissaient prumptementi et tisaienl bientôt places d'autres, auxqu^lln» de nouveaux vtuus , pour se iistinguer, attribuaient les mêmes effets. Tantôt c'était une plnnte nou- velle qu'un décorait d'anciennes vertus, et tAul6t d'anciennes plantes proposées sous de noufeaux noms suffisaient pour enrichir de nouveaux chailatans. Ces plantes avaient des noms vulgaires, diflerens dans chaque canton ; ot ceux qui les indiquaient pour leurs drogues ne leurdonusleat qtic des noms connus tout au plus dans le lieu qu'ils habitaient ; et, juand leurs récipts couraient dans d'autres piys , on ne.savait plus do

'4|uclle plante il y était parlé; chacun en substituait une n sa fantsikie , snns autre soin que de lui donner te même nom. Vuibi tout l'art que les Myrcpsus, les Hildegardes, les Suardus , les Villanova, et les autres doctrnrs de ces temps-là , mettaient à Tètude des piaules dunt iU ont parlé dans leurs livres j et il serait difficile peut-être au peuple d'en reconnaître une seule sur leurs noms ou sur leurs descriptions.

A la renaissance des lettres tout disparut puur faire pluce aux anciens livres : il n'y eut plus rïen de bon et devrai que ce qui <'tai| dans Aristoln el dans Gallien. Au lieu d'étudier les piaules sur la terre, on ne les éindinitplusqoe dans Pline et Dioâcoride; el il n'y arieu si fréquent dans les auteurs de ces temps-là, que d'y voir nier l'existence d'une piaule psr l'unique raison que Dioscoride n'en a pas parlé. Mais ces doclea pbntes, il fallait pourtant les trouver en nature pour les employer selon les préceptes du maître. Alors on s'évertua » l'on se mit à cher- cher , à observer, 4 oonjec.turer ; et chacun ne manqua pa% de fair» Ivni so r0QrU pour trouver dans la plante qu'il avait choisie les

4^0

INTRODUCTION.

caractères âécrîu dans »on auleur ; el , comme les tradncirur» , \if9 commeulatcur* , les praticiens, s'acrordaieni raremcnl sut cho ou donnait vingt ddois à U inéine plan le , el k vingt plantes te même nom, chacun aoalenanl que la aieune rtail la véritable, et que toul^a les autres > nVuut pas celles dont Dioacotide avait parlé . deTaient être proscrites de dessui la terre. De ce conflit rémUcrent cnBn de« recbcrcliea , à la vérité, plui attentives, et quelques bonne* observa lions qui niéritèieiit d'être conservées, mais en mêine tcnipa no tel chaiT» de nomenclature, que les médecins et les Lierhoristea avaient absolument crur de ^'entendre entre enx. Il ne pouvait plus y svoir communication de lumières , il n'y avait plus que des disputes de mois et de noms, et même toutes les recliercbes et descriptions utilca étaient perdues, faute de pouvoir décider de quelle plante chaque auteur avait purlr.

Il commença pouiiant k se former de vrais botanistes, Leia que Clnsins . Cordus, Césalpin, Gcsner, el i se faire de bous livrer, rt iDBiructifitf sur celle matière, dans lesquels même on trouve déjà quelques traces de métliode. Et sV'Uiit certainement une perle qne cea piàoe» déviassent îuuiilea et inintelligibles |jar U seule discordance des nooik Mais de cela mémo que les auteurs commenv<iieat à réunir les espèces . «t ù séparer les genre», chacun selon sa manière d*obaerver le potl ri la structure apparente, il résulla de nouveaux inconvéniena et unr nouvelle nbscuritc, parce quo chaque auteur, réj^lant sa nomenclatun sur sa mrihudr , créait de nouveaux gcnrra , ou séparait les ancieni, seloD que le requérait le caractère des siens : de aorte qu'espèces et genres, tout était tellement mêlé , qu'il n'y avait presque pas de plaaie qui n'eût autant de noms difl'èrens qu'il y avait d'auteurs qui l'aiairot décrite, ce qui rendait l'étude de la concordance aussi longue, et sov- vent plus diÔicile , que celle des plantes même.

EnGn parurent ces deux illustres frère* qui ont plus fait eux leoli pour le progrès de la botanique que tou» les autres ensemble qaï ks ont précédés et même suivis , jusqu'à Tournefurl. Hommes nrrs , doot le savoir immense, el les solides travaux, consacrés â la botaaiquf , ki rendent dignrs de rimmorlalilé qu'ils leur ont acquise ; car , taui qM cette science DStiiretle ne tombera pas dans l'oubli , les noms de ion et de Gaspard Baubio vivront avec clJe dnn» la mémoire des hommes.

Ces deux hommes entreprirent * chacun de son cûlé , une histoirf universelle des plantes^ et, ce qui se rapporte plus immédiatenept à cet article, ils entreprirent l'un et l'autre d'y joindre unesynunymi^, c'est-à-dire une liste exacte dca noms que chacune d'elles portait dini tous les auteurs qui les avaient précédés. Ce travail devenait absotuaD«vt nécessaire pour qu'on put prolîler des observations de chacun d'eux; car, sans cela , il dereunit presque impossible de suivre et dénélci chaque plante à travers tant de noms dilTérens.

L'aine a exécuté a peu près cette entreprise dans les troU toIudm lo-folio qu'on a imprimés après ta ntort , et il y a joint une ailtq«< ai juste, qu'il s'est rarement trompé dans ses synonymies.

l>e plan de son frère était encore plus vaste , oomme il parait ptrJ» premier volume qu'il en a donné , et qui peut faire juger de rimiDev**l>( de tout l'ouvrage, s'il eûteu le temps de l'exécuter^ mais, an voluior ftrt, dont je viens de parler , nous n'avons que les litres du reste daut isa pinax i et ce pinax , fruit de quarante ans de tra% ail , est encore au) d'hut le guide de tous ceux qui veulent travailler sur celte mat •t consulter les anciens autours.

Comme U uom«nclature des Bauhins n'était formée que des titre*

[

INTRODUCTIOTV. 431

le«n chapitre*, et qri^ceji titres comprenaient ordinaîreRWnt pliifti«ur9 mots t de \k vient l'habitudr <le n'employer ponr nomt de pUtiIns qii« de» pbnucf louclies assez loiigaes, ce qai rendait cette nomencUliire non-«ealemei)l traînante et embarrassante, mais pédanteMiue et ridioul'-. Il y attrait i cela , je Tavoue , quelque avantage , si ces ptirnses avaient été mieux Eaites } mais , coropusées indifféremment des noms des lieux d'oà venaient ces pUntes, des noms des gens qui les avaient envoyées , ce m^me des noms ij'antres plantes arec lesquelles on lenr trouvait quelque nmililade, ces phrases êlaieni dfs sources de nouveaux embarras et rie aooveaux doutes, puisque la connaissance d'une seule plante etigeait celle de plusieurs autres, auxquelles sa phrase renvoyait , et dont les noms n'étaient pas plus déterminas que Je sien.

Cependant les voyages de long cours enrichissaient incessamment la botanique de nouveaai trésorii ; ri tandis que les anciens noms acca- blaient déjà la mémoire, tl en fallait inventer de nouveaux satis ces.ie pour les plantes nouTelles qu'où dpcouvrait. Ptrdus dans ce labyrinthe immense, les botanistes, forcés de chercher «u fil pour l'eu tirer , s'altacdèrent enfin sérieusement n la mélliode, Herman , Bivin , Ray 1 proposèrent chacun la sienne) maïs l'immortel Tuurnefort l'emporta sur eut tous : il rangea le premier, systématiquement , tout le règne Tégélal ; et , réformant en partie la nomenclature , la combina par ses nouveaux genres avec celles de Gaspard Baohin. Mais loin de la débarrasser de ses longues phrases, ou il en ajouta de nouvelles « on il chargea les anciennes des addition» que sa méthode le forçait d'y liîre. Alors s'introduisit l'usage barbnre de lier les nouvennx noms au« aneienB par un qui que» quod conirndictoire , qui d'uue m4me plaute bîsait deox genres tout différcns.

Dens leonii i\\n jfilosella folio minus viîtoso : Doria que jarohtra orient alla limonii folio : Titnnokeratophyton <{\\K>à Uthûpkyton marinum albicans.

Ainsi la nomencUtnre »e cliargeait ^ le» noms des plante* devenaient non-seulement des phrases, mais des périodes. Je n'en citerai qu'un ttful , de Plukenct, qui prouvera quejc n'exagère pas. «Gramen myiotca- » phoTum carolinianun f seu gramen alttssimum ^ pantcula maxima » *ptciosa e spicis ma/oribus comprassiuscuïis utrinque pinnatis blattam > moUndariam quodam modo refirent ihus , cotnpo4iia,foUis convolutus * tmActonatis pungentiùiu. » A-luiag. iS?*

C*ea était fait da la botanique si ces pratiques eussent été suivies. Devenue absolument insupportable, la nomenclature ne pouvait plus subsister dans cett^lat * ci il fallait de toute nécessilé qu'il s'y fit une réforme, ou que la plus riclie , la pins aimable, la plus facilo d«a trois parties de l'histoire naturelle, fût abandonnée.

Enfin M, Linnœus , plein de son systcm» sexuel , «l des Tristes idées qo*il lui avait suggérées, forma le protêt d'une refonte générale, dont tout le monde sentait le besoin , mats dont nul n'osait tenter l'entreprise. Il fit plus, il rcxécutSj et, après avoir préparé, dans son Critica botû' fitca , les règles sor lesquelles re travail devait être conduit, il déter- mina , dans son Gtntra piantarum , ces genres des plantes , ensuite les fl»pêces dans son Speries ; de sorte que , gurdnnt tous les anciens noms ^i pouvsient s'accorder aveo ces nouvelles, régies , et refondant looa la» autres , il établit enfin nne nomenclature éclairée, fondée aur lea vrais principes de l'art, qu'il avait lui-même exposés. 11 conserva ton» fux de» nuL-ienii genreu qui étnicnt vraiment naturels j il corrigea, aim- ^toli&â. t.téao>t, ou divisa» les autres ^ selon que le requéraient !«• -vmia

4aft

INTRODUCTION.

caraclêret ; M, dans U confection des noms, il tuiviil ^ quelqoefoïl nÂme un peu trop ftcvèreiucnl, strs proiircs régir».

A régsid de» espècei , il fullait bien, pour les drlermiuer , des des- cripliunset des différences; ainsi le» phrases reslaienl iûii|ours indi^ pensables , mais, s'y bornant à un petit nombre de mots teclioîqucA bien chuisis et bien adaptes, il s'attaclia h faite de bonnes el brèves di-fini- lions tirées ries \raift canicièrefl de la piaule , bannissant rifoureuarmant lout ce qui lui clait étranger. Il fallut pour cela rrrer , pour ainsi dire, à la bnlaniqtir une nouvelle langue qui épargnit long circuit de paroles qti'on voit dans les anciennes descriptions. On s'est plaint qoa les mots du cette langue n'étaient pas tous dans Cîcéron. Cette plainte aurait un si-ns raisonnable , si CictTon eût fait nn Irailc complet de buianiqur. Ces molà cependant sont tons grecs on latins, expresaib, courts, sonores I et forment même des consirnction» élégsntc-s par leur extrême prC-cision. C'est dans la pratique journalière de l'art quW seBt tout l'avanlage de cetle nouvelle langue, aus«i commode et nécenain aux holanifelcs qu'est celle de l'algèbre aux géomélrfs.

Jusque -là M. Lïnnicus avait déliTininé le plus gnnd nombre drs plantes coiinuea , mais il ne les avait pas nommées ; car ce n'est psi sommer une chose que de la dcBnir : One phrase ne sera iamAÏ» oa vrai nom , et n'en saurait avoir l'usage. Il pourvut à ce dëfanl par fin- venlion des noms triviaux qu'il joignit à ceux des genres pour diaiio- guer les espèces. De cette manière le nom de chaque plante n'est com- posé jamais que de dcuic motS} et ces dcnx mois seuls, choisis a««« discernement el appliqués avec justesse « font souvent mieui connilln la plante que ne faisaient Ica lougurs phra&ea de Micheli et de Plukepvt* Four la connaîlre mieux encore el plus régulièrement , on a la pbnic qu'il faut savoir sans donte , mais qu'on n'a plus besoin de répéter tout propus lorsqu'il ne faut que nommer l'objet.

Rien n'élait plus maussade el plus ridicule, lorsqu'une femme M quelqu'un de ces hnmnie» qui leur retuemhlcnt vous demandaîl le non d'une herbe nu d'une flenr daus un jardin, que la n/ces«ilé de cracher en r^|H)nse nnc longue enfilade de mots latins, qui ressemblaient à do évocations niigiqucsj inconvénient suffisant pnur rebntrr ces penonim frivoles d'une élude charmante offerte avec an appareil aussi pédia- tesque.

Quelqne nécessaire, quelque avantageuse qtie fiW cette réforme, il lie fallait pas inoins que le profond snvoir de M. Linnacus pour la bitt avec succès, et que la célébrité dr ce grand nnlurali^te pour ta fati* univcrRrlIement adopirr. Klle a d'tiliord éprniivé de la résistance , elU PII éprouve encore ; cela ne saurait être autrement : ses rivan ' ' mémo carrière regardent celle adoption comme un aveu d'n <iu*i]s n'ont garde de faire ; sa nomenclature parait tenir Irlli nx »' - son système, qu'on ne s'avise guère de l'en séparer; ol li*s botanistes ilu premier ordre, qui se croient obligés, par hauteur, de n'adopter !• fiyslème de perstmne , et d*a\oir chacun le sien, n'iront pas sacrifier leurs prétentions aux progrès d'un ait dont l'amuur dans ceux qui k professent est rarement désintéressé.

Ijes jalousies nationak-s s'opposent encore à l'admission d'un syaIflBa étranger. On oe croil obligé dctoitttnir U-s illuslri'sde Min pays, surtout Joraqu'ils ont cessé de vivre; cnr même l'ameiur-propre , qui faiMit souffrir avrc peine leur supériorité durant leor vie « i'boiiore dr IfOf gloire après leur mort.

Malgré tout cela, la grande commodité de relie nnniellr nommcll- ture, «t sonutililè^que l'usage u fuit conneitre, Ton) fait adopter prea^t

1^

INTRODUCTION. 423

univerteltement dans toute l'Europe , plus lât on pins tard àlaTti-fi^, main eufin » peu près partout ,ei tiiêin«à Paris, M. deJusiîeu vient de l'établir au Jardiu du Roi, prériT«ot ainsi l'utilité publique à la gloire d'une ticmvelle refonte , que semblait demauder la luélbode des rainiltes lulu- relies , dont son illustre oncle est l'auteur. u'est pas que celte noaien- eUture lionccnue n'ait encore ses défauts, et ne laîase de grandes prises À la critique -j mais, en attendant qu'on en trouve une plus parfiiile, i^ qni rien ne manque, il vaut cent fois mieux adopter crlle-U qne de n*ea avoir aucune , ou de rclouiber dans les phrases de Tournefort et de Gaspard Bauhin, J'ai même peine à croire qu'une meilloore nomencUltire pût avoir dt-vormais assez de succès (jour proscrire celle-ci , à laquelle les botanisle» de l'Europe sont dé)à tout accoutumés; et c'est par la double chaîne de riiabitiule et de la commodité qu'ils y renonceraient avec plus de peine encore qu'ils n'en eurent à l'adopler. Il faudrait, pour opérer ce changement, un auteur dont le crédit effaçai celui de M. Lin- n»us , et à l'autorité duquel l'Europe entière voulàt se soumettre une seconde fois, ce qui me parait difficile n espérer; car si son système, i|uelque eKoellent qu'il puisse «Ire , n'est adopté que par une seiiln nalioa, il jettera la botanique dans un nouveau labyrinthe, el nuira plus qu'il ne st-ivira.

Làt travail même de M. Linnsos , bien qu'immense , reste encore imparfait , tant qu'il ne cnmpi-eud pas lonl<*8 les plantes cetinurs , et Uni qu'il n'est pas adopté par loua les botanistes sans exception; car les livre» de ceux qui ne ê'y soumettent pas e^tigcnt de U partdes lecteurs le même travail pour la concordnnce auquel ils étaient forcés pour le» livres qui ont précédé. On a obligation A M. Craniz » malgré sa passion contre M. Linnaïus » d'avoir, en rejetant son s^rslème , adopté ita nomen- clature. Mai» M. Hnller, dam ion grand et excellent Traité des plantes alpines, rejette à la fuis l'an et l'autre, el M. Adaiison fait encore plus , il prend «ne Domenclaturo loiilc nouvelle , et ne fournit aucun rensei- (nemeiit pour y rapporter celle de M. Linncus. M. Hallercite toujours les gt-ures et quelquefois les phnses des espèces de M. Linnieus , mais M. Adauson n'en cite jamais ui genre ni phrase», M. Haller s'attache À one synonymie exacte , par laquMIc , quand il n'y joint pas la phrase M. Linu«us , on peut du moins la trouver indirectement par le port des synonymes. Mais M. Linnœua el ses livres sont tual-à-6iit nnU pour M. Adanson et pour ses lecteurs j il ne laisse aucun renieî* goement par lequel on s'y puisse reconnaître : ainsi il faut oplar entre LioiiKus el M. Adanson, qui l'exclut sans miséricorde, et jeter a 1rs livre» de l'un ou de l'aulre au f»*u , ou bien il faut entreprendre nouveau travail , qui ne sera ni court ni fncile , pour faite accorder X nomenclatures qui n'offrent aucun point de réuniott. le pliift, M. Linncns n'a point donné une synonymie complète. Il l coulenté, pour les plantes anciennement connues, de oiter le» ibin» et Cltisiu» , et une figure de choque plante. Pour le» plante^ tiques découvertes récemment, il a cité un ou deux auteuis mo— nés, et Iri figures de Kheedi , de Kumphius, et quelques autres, rt e«l tenu là. Son entreprise nVxigeait pas de lui une compilation plus lue, et c'éisii assez qu'il donnât un seul renseignement aâr peur ur plante dont il parlait. Tel est l'état actuel des choses. Or, snr cet exposé ^ je demande A tout tear sensé comment il est pn5sib1e de s'atlacher à l'élude dts plantes rt'jentnt cfllc de la nomenclature. C'i'i<t comme si l'on voulait se (tre savant dans une langue sans vouloir en apprendre les moti.. rai vrai que les noms sont arbitraires, que la connaiisauce des plantes

1 nnl

4^

INTRODUCTION.

ne tient |>oint aéc«sflairein«nl à celle de U nomencliitare t «t qo'îl cs| »i»è diï supposer qti'un faomme inteltigcnt |iourrail être un excellent bolaoisle , quoiqu'il ne coiintil pas une i«u1e plante pai* «on notn i mal* qu'un homaie , aeul , uns livres, et taus aucun secours des lainières communiquées, porvicfine à devenir de lui-même un trcs*fncdii>cre boianisle, c'est pne assertion ridicole à faire , et une entreprise im- pCNiMble à exécuter. Il »'agit de savoir si Iroi» cents ans d'éludés H d'observations doivent Btre perdus pour la botanique ^ si trois ccnrs volumes de fignres et de descriptions doivent être jetés au fea , li ]es connaissances acquises par tous les savans qui ont consacre leoi ))oarse , leur vie, et leurs veilles, à des voyages immcuses * coûtexiZf pénibles, et périlleux , doivent êlre intililes à leurs successeurs» et ti chacun . parlant toujours de zéro pour Bon premier point , pourra par* venir de Itii-inème aux mêmes connaissances qu'une longno suite de recherches et d'études a répandues dans la masse du genre humain. Si cela n'est pas ^ et que la troisième et plus aimable partie de l'histoift naturelle mérite l'ullenlion descurieax , qu'on me dise comment on s'f prendra ponr faire ufage des connaiséBDces ci-devnnt acquises^ si l'OB o€ commence par apprendre ta langue des auieors, et par Mvoir k quels objets se lapporlcut les noms employés par clucun d'eux. Admettre l'étude de Ja botanique , et rejeler celle do la nomenclature , c'eAt doDO) tocnber dans U plus absorde contradictioa*

»>

FRAGMENS

POUR UN

DICTIONNAIRE

DES TERMES D^USAGE EN BOTANIQUE.

Abrupte. On donne répîthète à^^brupie Bux feuiWeB fin- nëe«, au sommet desquelles manque la foliole impaire terminale qu'elles ont ortiinairement.

ABREUVOIRS, ou gnultières. Trous oui se forment dans le boi5 pourri des chicots , et qui , retenant 1 eau des pluies , pour- rissent enfin le reste du tronc. ACAULIS, sans tiee.

AIGRETTE. Tourte de filamens simples ouplumeux qui cou- roanent les semences dans plusieurs genres de composées et d'autres Heurs. L'Aigrette est ou sessile , c*est-à-dire, immé- diatement attachée autour de l'embryon qui la porte, ou pédi- ~ lée , c'est-à-dire , portée par un pied appelé eu latin stipes , la tient élevée au-<iessuâ de l'embryon. L'Aigretlc sertd'a- ' de calice au fleuron , ensuite elle le pousse et le chasse ii ire qu'il se fane , pour qu'il ne reste pas sous la semeuce et 'empêche pas de mûrir; elle garantit celte même semence Ikue de l'eau de la pluie^ qui pourrait la pourrir; et lorsque la semence est mûre, elle lui sert d'aile pour être portée et dissc- iée au loin par les vents.

AILLE. Une feuille composée de deux folioles opposées sur le même pétiole s^appelle feuille ailée.

AISSELLE. Angle aigu ou droit , formé par nne branche 'ur une autre branche , on sur la tige, ou par une feuille sur ■&ne branche. AMANDE. Semence enfermée dans an noyau. ANDROGYNE. Qui porte des flenrs mâles et des Beurs fc- inelles sur le même pied. Ces mots androgyne et monoîqu« •içnifient absolument la même chose : excepte que dans le pre- mier on fait plus d'attention au différent sexe des fleurs, et dans Je second , à leur assemblage sur le même individu.

ANGIOSPERME , à semences enveloppées. Ce terme d'an- ^îo^rme comicnt également aux fruits à capsule et auji fruits k baie.

ANTHERE. Capsule ou boite portée par le filet de Tétaraine, rt qui , «'ouvrant au moment de la fécondation , répand la pous- ;>rolifiqae.

* lilOLOGIE. Diaçour& sur les fk\xn> Cest le titre d'un livre

4vti BRA

<ie Pontedera, dans lequel il combat de toute sa force le STSteme sexuel qu'il eiU sans doute adopte lui-même, si les écrits de Vail- lant et de Linnaeu5 avaient précédé le sien.

APHRODITES. M. Adanson donne ce nom k des animaux dont chaque individu reproduit son semblable par la généralioo, mais sans aucun acte extérieur de copulation ou de fécondation, tels que quelques pucerons, les conques, la plupart des vers sans sexe , les insectes qui se reproduisent sans génération , mais par la section d'une partie de leur corps. En ce sens, les plantes qui se uiuUiplient par boutures et par caycux peuvent être ap- pelées aussi aphrodites. Cette irrégularité , si contraire â la marche ordinaire de la nature , offre bien des ditHcultés i la définition de l'espèce: est-ce qu'à proprement parler il n'eii*- terait point d'espèces dans la nature , mais seulement des indi- vidus? Mais on peut douter, je croîs , s'il est des jilantes abso- lument a^AnoaT/if^tf , c'est-à-dire qui n'ont réellement point df s*?xe et ne peuvent se multiplier par copulation. Au reste , il t a cette différence entre ces deux mots aphrodite et asexe, que le premier s'applique aux plantes qui , n*avant point de setr, ne laissent pas de multiplier , au lieu que l'autre ne conrinit

3u'â celles qui sont neutres ou stériles , et incapables de repro- uire leur semblable.

APHYLLE. On pourrait dire efleuillé; mais effeuillé sîgaiJie dont on a ùté les feuilles , et aphylle ^ ^ui n'en n poinf.

ARBRE. Plante d'une grandeur considérable , qui n'a qu'uo seul et principal tronc divisé en maîtresses branches.

ARBRISSEAU. Plante ligueuse de moindre taille que l'arW, laquelle se divise ordinairement dès la racine en plusieurs ti^t Les arbres et les arbrisseaui poussent , en automne « des boulotu daus les aisselles des feuilles , qui se développent dans le prir)" temps et s'épanouissent en lleurs et eu fruits : différence qui k* distingue des sons-arbrisseaux.

ARTICULE. Tige, racines, feuilles, silique: se dit lortqn' quelqu'une de ces parties de la plante se trouve coupée para" noeuas distnbués de distance en distance.

AXILLAIRE Qui sort d'une aisselle.

BAIiF. Calice dans les graminées.

BAIE. Fruit charnu ou succulent à une ou plusieurs loges.

BOULON. Groupe de fleurettes amassées en tête.

BOURGEON. Germe des feuilles et de» branches.

BOUTON. Germe des fleurs.

BOUTURE. Est une jeune branche que Ton coupe à ccrtx"* arbres moelleux , tels que le figuier, le saule, le cotgnâHirr. laquelle reprend en terre sans racine. La réussite des boiiturn dépend plutôt de leur facilita â produire des racines . O"* »* l'abondance de la moelle des branches ; car l'oranger le 1>ohi** J'if , et la Sabine, qui ont peu de moelle , reprennent facilenif»* de bouture.

BRA^CilES. Bras piians et élustiques du corp« de Tarbrr : ^

CAP

4?7

lont elles qui lui donnent la figure; elles sout ou alternes « ou oppoftee^, ou verlicillees. Le bourgeon fr'étend peu à peu en branches posées collatèraleinent et coinposèe& des mêmes partie» de la tige ; et l'on prétend aue ragitation des branches causée par le vent est aux arbres ce ip est aux animaux Timpubioa du cœur. On distingue ,

1". Les maîtresses branches, qui tiennent immédiatement au tronc , et d'oii partent toutes les autres.

2". Le» branches à bois , qui, étant les plua grosses et pleines clé boutons plats, donueat la forme à un arare fruitier, et doivent le conserver en partie.

3*'. Les branches à fruits sont plus faibles et ont des boutons ronds.

4*> Les chiffones font rourtes et menues.

5". Les gourmande;» soni grosses , droites et longues.

6". Les veules sont longues , et ne promettent aucune fé- condité.

7". 1^ branche aoûléeest celle qui, après le mois d'août, a pris naissance, s'endurcit , et devient noirâtre.

8*. Enfin , la branche de faux-bois est grosse k Tendroit oii elle devrait cire menue , et ne donne aucune marque de fé- condité.

BULBE. Est une racine orbiculaire composée de plusieurs peaux ou tuniques emboîtées les unes dans le*) autres. Les bulbes sont plutôt des boutons sous terre que des rarine.i , ils en ont eux- m^mcs de véritables, généralement presque cylindriques et ra- meuses.

CALJCË. Enveloppe extérieure, ou soutien des autres pai^ ties de la (leur, etc. Comme il v a des plantes qui n'ont point de calice , il y en a aussi ilont In calice se métamorphose peu à peu en feuilles de la plante, et réciproquement il y en a dont les feuilles de la plante se changent en calice : c'est ce qui se voit dans la famille de quelques renoncules , comme Tanémone , la pulsatille, etc.

CAMPANIFORME, ou Campanulée. f^oyez Clocuv..

CAPILLAIRES. On appelle feuilles capillaires , dans la fa- mille des mousses, celles qui sont déliées comme des chevenx C'est ce qu'on trouve souvent exprimé dans le synopsis de Ray, et dans rhistoire des mousses de Dillen , par le mot grec de Tric/tûdt:s.

On donne aussi le non de capillaires k une branche de la fa- mille des fougères , qui porte comme elles sa fructification sur le dos des feuilles, et ne s'en distingue que par la stature des

1)]antes qui la composent , beaucoup plus petite dans les capil- aires que dans les fougères.

CAPRIFR;AT10N. Fécondation des fleurs femelles d'une sorte de figuier dioiqtie par la poussière des étamines de Tindividu fnÂle appelé caprifiguier. Au moyen de cette opération de la na- ture ] aidée eu cela de l'industrie humaine , les figues ainû

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fécondées grosriss^mt , raàrtssent , et donnent une récolte meil- leure et plus abondante qu*on ne l'obtiendrait sans cela.

La merveille de cette opération consiste en ce que, dans le genre du figuier , les fleurs étant encloses dans le fruit , il n'y a que celles qui sont hermaplirodites ou androgynes qui semblent pouvoir être fécondées ; car , quand les sexes sont tout-à-fail séparés , on ne voit pas comment la poussière des fleurs raâl« pourrait pénétrer sa propre enveloppe et celle du fruit femelfe jusqu'aux pistils qu'elle doit féconder. C'est un insecte qui se charge de ce transport : une sorte de moucheron particulière au caprifiguiery pond , y éclôt , sV couvre de la poussière des éta- mines , la porte par IVil de la figue à travers les écailles qui en garnissent l'entrée , jusques dans l'intérieur du fruit , et , cette poussière , ne trouvant plus d'obstacle , se dépose «ur l'organe destiné à la recevoir.

L'histoire de cette opération a été détaillée en premier IJea par Théophrastc , le premier, le plus savant , ou, pourmieas dire , Tunique et vrai botaniste ae Tantiquîté , et , après lai, par Pline cuez les anciens ; chez les modernes par Jean Baulufl , puis par Toumefort sur les lieux mêmes, après lui par Ponledcri, et par tons les compilateurs de botanique et d'histoire nalurelk, qui n'ont fait que transcrire la relation deTourneforl.

CAPSULA IRE. Les plantes capsuiaires sont celles dont le fmil eit à capsules. Ray a fait de cette division sa dix-neuvième cIask. Jlerbn vattcutijera.

CAPSULE. Péricarpe sec d'an fruit sec : car on ne donne point , par exemple , le nom de capsule à Técorce de la grenade, quoique aussi sèche et dure que beaucoup d'autres capsulof parce qu'elle enveloppe un fruit mou.

CAPUCHON , CALYPTRA. Coiffé pointue oui couvre onfî- nairement l'urne des mousses. Le capucnon est d'abord adhérent k l'urne , mais ensuite il se détache et tombe quand elle approche de la matnrité.

CARYOPHYLLKE. Flenr caryophyllée ou en œillet. CAYEUX. Bulbes par lesquelles plusieurs liliacêcs et aulie» plantes se reproduisent.

CHATON. Assemblage de fleurs m^les ou femel les spiraleraffl* attachées à un axe ou réceptacle commun , autour duquel fleurs prennent la figure d une queue de chat. Il y a plu» d'if" bres à chatons mâles qu'il n'y en a <{ui aient aussi des chAtoo* femelles.

CHAU.ME. (CDLsms.) Nom parlirnlier, dont on distinçu'^* tige des graminées de celles des autres plantes , et à qui I""» donne pour caractère propre d'être gcniculée et fistuleoff » quoique beaucoup d'autres plantes aient ce même caractère, *t que les lèches et divers graraens des Indes ne l'aient pas. fia ajoute que le chaume n'est jamais rament, ce qui néanmniw souffre encore exception dans Varundo caiamagro$tis , €t dw" d'autres.

COT

4^

CLOCHE. Fleurs en cloche, ou carapaniformes.

COLORE. Les calices, les bâies , les écailles, les enveloppes , les partie» extiirieures des pUutcs qui sont vertes ou grises , coiii- niunémcnt sont dites colorées lorsqu'elles ont une couleur plus relatante et plus vire que leurs semLlables ; tels sont les calices de la circe'e, de la moutarde, de la carline, les enveloppes de Tastrantia : la corolle des orniLbot;aleâ blancs et jaunes e^t verie en dessous, et colorée en dessu» ; les êcaillesdu xerantUèjucsont si colorées qu'on les prendrait pour des pétales , et le calice du pol^cala , a abord tre»-colorë, perd sa couleur peu à peu, et prend enlin celle d'un calice ordinaire.

CORDON ombilical dans les capillaires et fougères.

CORNLT. Sorte de nectaire infundibuliforme.

COR^iMBE. Disposition de fleur qui lient le milieu entre Tombelle et la pautcule ^ les pédicules sont gradués le long de la tige comme dans la panicute , et arrivent tous à la même hao^ leur , formant à leur sommet uue surface plane.

Le corymbe difTcre de rombelle eu ce que les pédicules qui le forment , au lieu de partir du même centre , partent , à di£f^ renies hauteurs , de divers points sur le mdme axe.

CORYIMBIFÈRES. Ce mot semblerait devoir désigner les

Î liantes k Oeurs en corymbe, comme celui d^ombsJUJeres désigne es plantes à fleurs en parasol. Mais Tusage n'a pas autorisé cette analogie ; l'acception dont je vais parler n'est pas même fort usitée -f mais comme elle a été employée par Kay et par d'au- tres botanistes , il la faut connaître pour les entendre.

Les plantes cvrymùi/ères sont donc dans la classe des compo- sées f et dans la .■•ection des discoides celles qui portent leurs semences nues , c'est'-à-dire , sans aigrettes ni tilets qui les cou.- ronnent , têts sont les bideos , les armoises , la tanaisie , etc. On observera que les demi-lleuronnées k semences nues, comme la lampsane , l'hvoseris, la catanance , etc. ne s'appellent pas ce- penaant corymbiferes , parce qu'elles ne sont pas du nombre des discoïdes.

COSSE. Péricarpe des fruits légumineus. La cosse est com- posée ordinairement de deux valvules i et quelquefois n'en & qu'une seule.

COSSON. Nouveau sarment qui croit sur Ja rigae après qu'elle est taillée.

COTYLEDON. Foliole, ou partie de l'embryon, dans la- quelle s'élaborent et se préparent les sucs nutritifs de la nou- velle plante.

Les cotylédons , autrement appelés feuilles séminales , sont les premières parties de la plante qui paraissent hors de terre lorsqu'elle commence â végéter. Ces premières feuilles sont très- souvent d'une autre forme que celles qui les suivent , et qui sont les véritables feuilles de la plante. Car , pour l'ordinaire , les co- tylédons ne tardent pas k &e flétrir et à tomber peu après que la piaule ç$t levée , et qu'elle reçoit par d'autres parties une nour-

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rilurc plus abondante que celle qu'elle tirait par eux de la mbs- tance même de la teincuce.

Il y a des plantes qui n'ont qu'un cotylédon , et qui , poar cela , s'appellent raonocotyiédones , tels sont les palmiers, les liljacees , les gratuinces , et d'autres plantes ; le plus grand nombre en ont deux , et s'appellent dicotylédones ; si d'autrri en ont davantage, elles s'appelleront polycotylédones. Les aco!|. lédones sont celles qui n'ont point de cotylédons , telles que Irs fougères, les mousses, les thampignons , et toutes les crypto- games.

Ces diirprences de la eemiinalion ont fourni à Ray, à d*«o- tres botanistes , et en dernier lieu à messieurs de Jussieil et Haller la première ou plus grande division naturelle du règne végétal.

Mais , pour classer les plantes suivant cette méthode , îl fiol les examiner sortant de terre , dans leur première germinatioo , et jusques dans la semence même ; ce qui est souvent fort diiE- cile , surtout pour les plantes marines et aquatiques , et pour lf« arbres et plantes étrangères ou alpines qui refusent de germer et naître dans nos jardins.

CRLCIFÈRE ou CRUCIFORME , disposé en forme de croir On donne spécialement le nom de cruci(cre à une famille et plantes dont le caractère est d'avoir des fleurs composée* ée quatre pétales disposées en croix, sur un calice coiniHïsé d'au- tant de folioles, et , autour du pistil , six étamines, dfont detii, égales entre elles , sont plus courtes que les quatre autres, et Ici divisent également.

ClîPULtiS. Sortes de petites calottes ou coupes qai naifwnt le plus souvent sur plusieurs lichens et algues , et dans le creut desquelles OD voit les semences naître et se former , surtout djia> le genre appelé jadis hépatique des fontaines , et aujourd'hui marchantia.

CYME, ou CYMIER. Sorte d'ombelle , qui n'a rien de rée*- lier , quoique tous ses rayons partent du même centre; tcllf* sont !ps fleurs de l'obier, du chèvrefeuille, etc.

DEMI-FLEUROIS. C'est le nom donné par Toumefort, da« les fleurs composées, aux fleurons échancrés qui garnissent 1' disque des lactncées, et ik ceux qui forment le contour desr»- diées. Quoique ces deux sortes de demi-fleurons soient exafte- ment de même figure , et pour cela confondues sous le ni^nir nom par les botanistes , ils nillerent pourtant essentiellement eo ce que les premiers ont toujours des etamines , et que les aatrtf n'en ont jamais. Les demi-ficurons , de même que les flenron». sont toujours supères , et portés par la semence , qui est poitt* à son tour par le disque , ou réceptacle de la fleur. Le deffi»- fleuron est formé de deux parties , Vinférieur*», qui est un ivh^ ou cylindre très-court , et la supérieure , qni est plane , taill** en languette, et k qui l'on en donne le nom. f^ojrez FlecWïi»

FtEltt.

ENT 43,

DIËCIE , ou DIOECIE , habitation séparée. On donne le nom de diécie à une classe de plante:» composées de toutes celles qui j>orlent leurs ilcurs mâles sur un pieu, et leurs fleurs femeltos &ur un autre pied.

DIGITË. Une feuille est dîgitée lorsque ses folioles partent toutes du sommet de son pétiole comme d'un centre commun. Telle est , par exemple , la feuille du marronier d'Inde.

DIOIQI'ES. Toutes les plantes de la diécie sont dioîques.

DISQUE. Corpv intermédiaire qui tient la fleur ou quclques- tines de ses parties élevées au-dessus du vrai rccej)tacle.

Quelquefois on appelle disque le réceptacle même , comme dans les composées ; alors ou distingue la surface du réceptacle , ou le disque , du contour qui le borde , et qu'on nomme ravon.

Disque est aussi un corps charnu qui se trouve dans quelques genres de plantes au fond du calice, dessous Tembr^on ; quel- quefois les étamines sont attachées autour de ce disque.

DRAGEONS. Branches enracinées qui tiennent au pied d'un arbre , ou au tronc , dont on ne peut les arracher sans Féclater.

ÉCAILLES, ou PAILLETTES. Petites languettes paléacccs, <jui , dans plusieurs genres de fleur* coiriposées , iniplantée» sur Je réceptacle , distinguent et sépareut les ileurons ; quand les paillettes sont de simples filets, on les appelle des poils, mais quand elles ont quelque largeur , elles prennent le nom d'é- cailles.

Il est singulier dans le xeranthème à fleur double , que les écailles autour du disque s'allongent, se colorent , et preuneut Tapparence de vrais deini-lleurons , au point de tromper â l'as- pect quiconque n'y regarderait pas de bien près.

On donne très-souvent le nom d'écaillés aux calices des cha- tons et des cônes : on le donne aussi aux folioles des calices im- briqués des ileurs eu tête , tels que les chardons , les jacées , et à celles des calices de substance sèche et scarieuse du xeranthème et de la catanancbe.

La tige des plantes dans quelques espèces est aussi chargée «l'écaillés : ce sont des rudimens coriaces de feuilles qui quelque- fois en tiennent lieu , comme dans Torabanche et le tussilage.

Ënttn on appelle encore écailles les enveloppes imi>riquées des b&les de plusieurs liliacées , et les bàles ou calices applatis dei Khœnus, et d'autres graminacées.

ÉGORGE. Vêtement ou partie enveloppante du tronc et de$ Wtnches d'un arbre. L'écorce est moyenne entre l'épidrrme à IVxiérieur , et le liber à l'intérieur ; ces trois enveloppes se réu— lussent souvent dans l'usage vulgaire , sous le nom commua ^'écorce.

ÉDULE, EDULfS, bon h manger. Ce mot est du nombre àtceux qu'il est k désirer qu'on fasse passer du latin daus la JADgue universelle de la botaniuut?.

^TK£->OëL'DS. Ce sont, dans les chaumes des graminées.

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les intervalles quise'parenl les nœuds d'où naissent le* feuîHei, Jl y a quelques gramcns , mais en bien petit nombre, dont chaume , nu d'un bout à Pautre , est sans nœud et , par co quent , sans entre-noeuds , tel , par exemple , que Vaira cœrulea,

ÉPERON. Protubérance en forme de cône aroit ou recourba faite dans plusieurs sortes de fleurs par le prolongement nectaire ; tels sont les éperons des orchis , des tinaires , des a colies, des pieds-d'alouelies , de plusieurs géranium et débet coup d'autres plantes.

ÉPI. Forme de bouquet dans laquelle les fleurs sont attacfaéei autour d'un axe ou réceptacle commun formé par rextrémitédii chaume ou de la tige unique. <^uand les Qeurs sont pédrculêe»,

Sourvu que tous les pédicules soient simples et attachés imiué- iatement à Taxe , le bouquet s'appelle toujours épi ; mais daai l'épi, rigoureusement pris ) les lleurs sont sessilcs.

EPIDKRME ( r ). Est la peau fine extérieure qui enveloppe couches corticales j c*est une membrane très-fine , transparente, ordinairement sans couleur, élastique , et un peu poreuse.

ESPÈCE. Réunion de plusieurs variétés ou individus sous on caractère commun qui les distingue de toutes les autres planlci du même genre.

EXAMINEE. Agens masculins de la fécondation : leur forme est ordinairement celle d*un filet qui supporte une tète appelée anthère ou sommet. Cette anthère est une espèce de capsule qui contient la poussière prolifique ; cette poussière s'échappe , toit par explosion , soit par dilatation, et va s'introduire dani fr stigmate pour être portée jusqu'aux ovaires qu*clle féconde. Lei étamtnes varient par la forme et par le nombre.

ÉTENDARD. Pétale supérieur des fleurs légumineuses. ENVELOPPE. Elspèce de calice nui contient plusieurs Ûeort, comme dans le pied-de-veau , le hguier , les lleurs à fleuToo». Les Qeurs garnies d'une enveloppe ne sont pas pour cela dépon/- Tues de calice.

FANE. La fane d'une plante est l'assemblage des feailtit d'en-bas.

FÉCONDATION. Opération naturelle par laquelle les éli- mines portent , au moyen du pistil , jusqu'à l'ovaire le principe de vie nécessaire h. la maturisation des semences et à lenr (O minatiou.

FEUILLES. Sont des organes nécessaires aux plantes pOfT pomper Thumidité de l'air pendant la nuit et faciliter la transpi- ration durant le jour : elles suppléent encore dans les végétius au mouvement progressif et spontané des animaux , et en don- nant prise au vent pour agiter les plantes et les rendre plui ro» bustes. Les plantes alpines, sans cesse battues du vent et dM ouragans, sont toutes fortes et vigoureuses ; au contraire, cellff» qu'on élève dans un jardin ont un air trop calme, y prospèrent moins , et souvent languissent et dégénèrent. FILET. Pédicule qui soutient l'élamine. On donne aussi le

FLE

VIOTO <lr filet aux poils qu on voit sur la surface des tiges ^ det feuilles, i-'t môme des fleurs de plu<>ieurs plantes.

PLEUR. Si je livrais mon iiuagmatiou aux douces sensations f|ue ce mot semble appeler , je pourrais foire un article agrenble peut-être aux bergers, mais Tort mauvais pour les botanistes: Kcartons doitc un moment les vives couleurs , les odeurs suavrs« le» formes élégantes, pour cliercher premièrement & bien cou- tïiattre IVlre o^^anisé ijui les rassemble. Rien ne parait d'abord Ipliia focile : qui est-ce qui croit avoir besoin qu'on lui apprenne ( ce que cVst qu'une fleur? <^uand on ne me demande pas ce que c'est que le temps , disait S. Augustin , je le sais fort bien ; je ne le sais plus quand on me le demande. On en pourrait dire aut;int de la neur et peut-être de la beauté même , qui , comme elle , est la rapide proie du temps. Ku effet , tous les botanistes qui ont voulu donner jusqu'ici des définitions de la fleur ont échoué dans celte entreprise , et les plus illustres, tels nue messieurs Linna'us, Haller, Adanson , qui sentaient mieux la dilHcultè que tes autres n'ont pas même tenté de la surmonter , et ont biissé la tleur à définir. Le premier a bien donné dans sa philosophie botanique les définitions de Jungins , de Hay, de Tournefort , de Pontedera , de Ludmg , mais sans eu adopter aucune et sans en proposer de son chef.

Avant lut Pontedera avait bien senti et bien exposé cette di/fi- cultë ; mais il ne put résister à ta tentation de la vaincre. Le lec- teur pourra bientAl juger du succès. Disons maintenant en quoi celte dililculté consiste , sans néanmoins compter , si je tente à raon lourde lutter contre elle , de réussir mieux qu'où n'a fait jusqu*ici.

On me présente une rose, et l'on me dit ; voilh une Ûeur. C'est

rie la montrer , je l'avoue , mais ce n'est pas la détinir , et cette

inspection ne me suflîra pas pour décider sur toute autre plante

hsi ce que je vois est ou n'e^t pas la fleur ^ car il y a une multitude

de végétaux qui n'ont , dans aucune de leursparlies , la couleur

' apparente que Uay , Tournefort , Jungins , font entrer dans la

idétinition de la tleur > et qui pourtant portent des Ucurs non moins réelles que celles du rosier, quoique bien moins apparentes. On prend généralement pour la fleur la partie colorée de la fleur qui est la corolle , mais on s'y trompe aisément : il y a de» bractées et d'autres organes autant et plus colorés que la Heur même cl qui n'en font point partie , comme on le voit dans l'or- rain , dans le blé-de-vache , dans plusieurs amarantes et cheno- podium : il y a des multitudes de îleurs qui n'ont point du tout de corolle ^ d'autres qui l'ont sans couleur , si petite cl si peu ap-* pareutc , qu'il n'y a qu'une recherche bien soigneuse qui puisse l'y faire trouver. Lorsque les blés sont en fleur , y voit-oa deê pétales colorés ? en voii-on dans les mousses y dans les graminées ? voit-on dans les chatons du noyer . »lu hêtre, et du chcne , l'aune , dans le noisetier , dans le pin , et dans ces multi- s d'arbres et d'herbes qui n'ont que des fleurs à étaniines? Ces 5. a8

434

FLE

fleurs néanmoins nVn portent pas moins le nom de (leurs i Te scnce de la (leur ueii Jonc pas dans la corolle.

Elle n'est pas non plus separeincnt dans aucune des aiatr parlîps constituantes oe la ileur , puisiju'il n*y a aucune de c parties qui ne manque à quelques espèces de fleurs : le calu manque , par exemple , à presque toute la famille des liliac^es| et Ton ne dira pas qu'une tulipe vu un lis ne sont pas une fleur S'il y a quelques parties plusc&senticlles que d'autres k une fleur, ce sont certainement le pistil et les étammes : or , dans toute U famille des cucurbïtaceeset même dans toute la classe des mo- noïques , la moitié des fleurs sont sans pistil , l'autre moitié &ans étamincs , et cette privation n'empêche pas qu'on ne les nomma et qu'elles ne soient les unes et les autres de véritables fleurs. L*e»^ sence de la fleur ne consiste donc ni séparément dans quelques unes de ses parties dites constituantes , ni mviue dans l'assenibfagt de toutes ces parties. En quoi donc consiste proprement cette es- sence? Voilà U question, voilà la diflïculté , et voici lasolulîoii par laquelle Pontedera a làcUé de s'en tirer.

La fleur , dit-il , est une partie dans la plante , difTcrcnlc dri autres par sa nature et par sa forme , toujours adhérente et utile à l'embryon , si la fleura uu pistil , et, ai le pistil mauque , us tenant à nul embryon.

Cette dènnitioo pèche, ce me semble, en ce qu'elle embrasse trop; car, lorsque le pistil manque , la fleur n'ayaut plus d'autrrs caractères que de différer des autres parties de la plante par sa nature et par sa forme , ou pourra donner ce nom aux bractées , auK stipules, aux neciarium , aux épines et à tout ce qui u'e^t ni feuilles ni branches; et quand la corolle est tombée et que le fruit approche de sa maturité, on pourrait encore donner le nom de jleur au calice et nu réceptacle , quoique réellement il n'y ait alors plus de fleur. tSi donc cette déAuit ion convient omni^ elle ne convient pas aoli . et manque par d'une des deux prin- cipales conditions requises : elle laisse d'ailleurs un vide dan» l'esprit, qui est le plu^ grand défaut qu'une définitiou puiste avoir; car, après avoir assigné l'usage de la fleur au profit de Tembrvon quand elle y adhère , elle fait supposer totalemeut inutile celle qui n'y adhère pas , et cela remplit mal l'idée que Ir botaniste doit avoir du concours des parties et de leur emploi dans le jeu de la machine organique.

Je crois que le défaut général vient ici d'avoir trop. considéré la fleur comme une substance absolue , tandis qu'elle n'est , ce Die semble , qu'un être collectif et relatif , et d'avoir trop raflîné sur les idées tandis qu'il fallait se borner à celle qui Sf> présentait naturellement. Selon cette idée , la fleur ne tue paraît être que l'état passager des parties de la fructification durant la féconaa- tion du germe : de suit que quand toutes les parties de la friic^ tifîcaLion seront réunies, il ny aura qu'une fltnir ; quand cllrt seront séparées, il y en aura autant qu'il y a de parties essen- tielles à la fécondation ; et , comme ces parties essentielles ne sont

FLE

435

qu*aa nombre de deux , savoir , le pistil et les étaminej , il n'y •ura , par consèfpient ^ que deux fleurs , Tune mile et Tautri' femelle, qui soient nécessaires k la fructiUcalioa. On en peut cependant supposer une troisième qui réunirait les sexes séparés dans les deut autres ; mais alors si toutes ces fleurs étaient cga- lenient fertiles , la troisième rendrait les deux autres superiuies et pourrait seule suAJre â l'œuvre y ou bien il y aurait réellement deux fécondations, et nous n'examinons icî la fleur que daus une. La fleur n*est donc que le foyer et Tinstrument de la féconda- tion : une seule snfbt quand elle est hermaphrodite ; quaud elle n^est quemÂle ou femelle, il en faut deux, savoir, une ue chaque sexe, et si l'on fait entrer d'autres parties ^ comme le calice et la corolle , dans la composition de la fleur , ce ne peut éire comme essentielles, mais seulement comme nutritives et conser- vatrices de celles qui le sont. Il y a des fleurs sans calice , il y en a sans corolle , il y en a même sans l'un et sans l'autre; mais il n'y en a point et il n'y en saurait avoir qui soient en même temps sans pistil et sans étamines.

La fleur est une partie locale et passagère de la plante qui précède la fécondation du germe, et dans laquelle ou par laquelle elle s'opère.

Je ne m'étendrai pas à justifler ici tous les termes de cette déflnition qui , peut-ctre , n'en vaut pas la peine j je dirai seule- ment que le mot précède m'y paraît essentiel , parce que le plus 9oaTent la corolle s'ouvre et s'épanouit avant que les anthères •'ouvrent à leur tour , et , dans ce cas , il est iucouleslable que la fl«iir préexiste à l'œuvre de la fécondation. J'ajoute que cette fé- condation s'opère dans elle on par elle , parce que, dans les fleurit xn&les des plantes androgynes et dioiques, il ne s'opère aucune fructification , et qu'elles n'en sont pas moins des fleurs pour cela. Voilà , ce me semble , la notion la plus juste qu'on puisse se faire de la fleur, et la seule qui ne laisse aucune prise aux ob- jections qui renversent toutes les autres définitions qu'on a tenté d'en donner jusqu'ici : il faut seulement ne pas prendre trop •triclement le mot durant <[ue j'ai employé dans la mienne; car, même avant que la fécondation du germe soit commencée , on peut dire que la fleur existe aussitôt que les organes sexuels sont en é^'idence, c'est-à-dire , aussitôt que la corolle est épanouie , et , d'ordinaire , les anthères ne s'ouvrent pas à la poussière sérai- tiale dès l'instant que la corolle s'ouvre aux anthères. Cependant la fécondation ne peut commencer avant que les anthères soient ouvertes : de même l'cptivre de la fécondation s'achève souvent tvant que la corolle se flétrisse et tombe; or, jusau'à cette chute, *»Ti peut dire que la fleur existe encore. 11 faut donc donner né— fwsairement un peu d'extension au mot durant pour pouvoir dir» que la fleur et l'ouvre de la fécondation commencent et Baissent en.semhle.

Comme généralement la fleur se fait remarquer par sa corolle, partie bien plus apparente que les autres par la vîvacilt de ses

436 F LE ^

couleurs, c'est dans celte corolle aussi qu'on fait iikachinaI<Mxm consUter l'essence de la fleur, et les botanistes pu\-mcinei ti sont pas toujours exempts de cette petite illusion , cor 5ou>enl i emploient le mot de fleur pour celui de corolle^ mais ces peliK iraproprietcs d'inadvertance importent peu quand elles ne cliaii' gent rien aux iOt'Cs qu'on a des choses nuand on v peuse. De 11 ces mots de fleurs monopélates, polv|>otales , de fleurs labit/'Ti personnées , de fleurs régulières, irrpfiulières , etc. qu'on Irou» Fréquemment dans les livres même d'institution. Cetic petite Îib propriété élatt non-seulement pardonnable, mais presque for&« à Tournefort et à ses contemporains, qui n'avaient pas encore le mot de corolle , et l'usage s'en est conserve depuis eux par rhabitude sans grand inconvénient : mais il ne serait pas pennti & moi qui remarque cette incorrection de Timiter ici ; ainsi je renvoie au mot corolle à parler de ses formes diverses et de xi divisions (i).

Mais je dois parler ici des fleurs composées et simples, pirc^ que c'est la fleur même et non la corolle qui se compose, connus on le va voir après Texposition des parties de la fleur simple.

On divise cette fleur en complète et incomplète. La fleur coia» plète est celle qui contient toutes les parties es.scntielles ou con- courantes à la fruclification , et ces parties sont au nombre tî* quatre; deux essentielles, savoir, le pistil et rétamine«on lesét*- mines; et deux accessoires ou concourantes, savoir , la corolle rt le calice, à quoi l'on doitajoulerle dis^jue ou réceptacle qui porte le tout.

La fleur est complète qnand elle csl composée de tontes ce parties; quand il lui en manque quelqu'une, elle est iucompléir Or la fleur incomplète peut manquer non-seulement de corollf et de calice , mais même de pistil ou d'étaniînes; et , dans céder» nier cas, il y a toujours uue autre fleur, soit sur le mcaie indi- vidu, soit sur un uifTérent , qui porte l'autre partie esseoi qui manque à celle-ci : de \k la diviston en fleurs nerrnaphro qui peuvent être complètes ou no lelre pas, et en fleur* p»»^ ment mâles ou femelles, qui sont toujours incomplètes.

La fleur hermaphrodite incomplète n'en est pas moins pai pour cela , puisou'elle se suffit à ellfr-raème pour opérer la " dation; mais elle ne peut être appelée complète, pu manque de quelqu'une des parties de celles qu'on appelle î Une rose , un œillet , sont , par exemple, des fleurs parfail complètes, parce qu'elles sont pourvues de toutes ces pi Mais une tulipe, un lis, ne sont point des fleurs cori] quoique parfaites, parce qu'elles n'ont point de calice; de la jolie petite fleur appelée paronychia est parfaite comnif fc' f maphroditc, mais elle est incomplète, parce que, snal^rrii riante couleur, il lui manque une corolle.

Je pourrais, sans sortir encore de la section des fleurs siflï,

(i) Ot article coro£.ls , auquel rauteor leovoîv ici , ov «'«st trouvé fait.

FLE 437

parler ici des fleurs régulières , et des (leurs appelées irréguHèrcs. Mais, coiiimc ceci se rapporte principalement à la corolle j il vaut mieux sur cet article renvoyer le lecteur k ce mot (i). Reste donc à parler des oppositions ^{\xe peut soulDrir ce nom de fleur simple.

Toute fleur d'où résulte une seule fructification est une flenr simple. Mais si d'une seule fleur résulteat plusieurs fruits, cett/» fleur s'appellera composée , et cette pluralité n'a jamais lieu dans les fleurs qui n'ont c^u'une corolle. Ainsi toute (leur composée a nécessairement non-$culcuicnt plusieurs pétales, mais plusieurs corolles ; et» pour que la fleur soil réellomenl composée » et non par une seule agrégation de plusieurs fleurs simples, il faut que

iufîlqu'une des parties de la fructification soit commune à tous É fleurons composans , et manque à chacun d'eux en particulier. [Se prends , par exemple , une fleur de laiteron , la voyant rem- pfic de plusieurs petites fleurettes, et je me demande c'est une lîeur composée. Pour savoir cela , j'examine toutes les parties de la fructification l'une après l'autre , et je trouve que chantie fleu- rette a des étamines , un pistil , une corolle , mais qu il n'y

cja'nn seul réceptacle en forme de disque qui les re^'oit toutes ,

les environne; d'oij 11 conclus que la fleur est composée , puisque deux parties de

qu'il n'y a qu'un seul grand calice qui les environne; d'oij

LAnctification , savoir, le calice et le réceptacle, sont couunun ^Pbittes et manquent à cli.icune en particulier ^^5e prends ensuite une fleur de scabieuse oii je distingue ausii plusieurs fleurettes ; je l'examine de même , et je trouve que cha* ^■tlie d'elles est pourvue en son particulier de toutes les parties Jl la fructification , sans en excepter le calice et même le réce]^ '^tScle , puisqu'on peut regarder comme tel le second calice qui sert de oase à la semence. Je conclus donc que la scabieuse n'est point une fleur composée , quoiqu'elle rassemble comme elles plu- sieurs fleurettes sur un même disque et dans un mcme calice.

Comme ceci pourtant est sujet à dispute, surtout à cause du réceptacle , on tire des fleurettes même un caractère plus sâr , qui convient à toutes celles qui constituent proprement une fleur composée et qui ne convient qu'i elles; c'est d'avoir cinq étamines rénnies en tube ou cylindre par leurs anthères autour du style et divisées par leurs cinq fîlels au bas de la corolle; toute fleur dont les fleurettes ont leurs anthères ainsi disposée» est donc une fleur composée, et toute fleur oii l'on ne voit aucune fleurette de cette espèce n'est point une fleur composée , et ne porte même

I singulier qu'improprement le nom ne fleur, puisqu'elle eat Mement une agrégation de plusieurs fleurs. ^s fleurettes partielles qui ont ainsi leurs anthères réunies, et Il l'assemblage forme une fleur véritablement composée, sont denx espèces ; les unes, qui sont régulières et tubulées , s ap-^ ptrllent proprement fleurons j les autres, qui sont cchancrées et ne

(1) VojecU note précédente.

^"^

43a FLE

présentent par le haut qu'une languette plane et le plus sonrent dentelée, s'appellent demi-ileurons ; et oes combiuaUon& «le ce* deux espèces dans la fleur totale résultent trois sortes principale* de fleurs composées , savoir , celles qui ne sont eamies que de fleurons , celtes qui ne sont garnies que de demi-fleurons , et celles qui sont mêlées des uns et des autres.

Les fleurs à fleurons ou fleurs fleuronnées se divisant encore en deux espèces, relativement à leur forme extérieure; celle» qui présentent une figure arrondie en manière de tête, et dont le calice approche de la fonne hémisphérique , s'appellent fleun en lête, capitaii. Tels sont, par exemple, les chardong^ les arft- t/tauU, la chausse-trape.

Celles dont le réceptacle est plus aplati , en sorte que lenrs fleurons forment avec le calice une figure à peu près cvlindriqtie, s'appellent fleurs en disque , discoîdei. La êontoline , par exem- ple, et Xeupatoire ^ oflrent des fleurs en disque ou discoïdes.

Lesfleurs â demi-fleurons s'appellent derai-flcuronnécs , cl tc«r fleure extérieure ne varie pas assex régulièrement pour oflVir une division semblable à la précédente. Le salsifis^ la scorsonère ^ le pUaeniit, la chicorée , ont des fleurs demi-fleuronnccs.

A regard des fleurs mixtes , les demi-fleurons ne s'y mêlent pai parmi les fleurons en confusion, sans ordre, mais les fleuron» occupent le centre du disque, les demi-fleurons en garnissent 11 circonférence et forment une couronne à la fleur, et ces fleur* ainsi couronnées portent le nom 6e fleurs radiées. Les reine^mar* }^uerile$ et tous les asters , le souci , les soleils, \a poire-^d^'terrt portent tous des fleurs radiées.

Toutes ces sections forment encore dans les fleurs conoposéoi et relativement au sexe des fleurons « d'autres divisions dont il sera parlé dans Tarticle Fietwvn.

Les fleurs simples ont une autre sorte d'opposition dans cellei qu*ou appelle fleurs doubles ou pleines.

La fleur double est celle dont quelqu'une des parties est mul- tipliée au-delà de son nombre naturel , mais sans que cette niu* liplication nuise à la fécondation du germe.

Les fleurs se doublent rarement par le calice, presque jamai* par les étamines. Leur multiplication la plus couiitiune se ivl par la corolle. Les exemples les plus fréquens en sout daiul^ fleurs polypétales , comme aillels , anémones , renoncule» : k* fleurs nionopétales doublent moins communément. CepeodaDt on voit assez souvent des campanules , des primevères, des aun- cules, et surtout des jacinthes à fleur double.

Ce mot de fleur double ne marque pas dans le normbre des p*- taies une simple duplication, mais une multiplication quelconav'* Soit que le nombre des pétales devienne double, triple, qtiaJr»- pie , etc. , tant qu'ils ue multiplient pas au point d'étouffer fructification , la fleur garde toujours le nom de fleur doubl*"; mai& lorsque les pétales trop multipliée font disparaître lesfU"

FLE

fleur perd te nom de

43d

aiines et avoHer !e çemie , aloi double et prcad celui de tleur pleine.

On voit par que la fleur double e&t encore dans l'ordre de la nature , mais que la fleur pleine n'y est plus , et n'est qu'un vé- ritable monstre.

<^uoique la plus commune plénitude des fleurs se fasse par les pétales, il y en a néanmoins qui se remplissent par le calice, et nous en ayons un esemplc bien remarquable dans VitntnorteiU , appetce xeranthéme. Cette fleur, qui paraît radiée et qui réelle- luent est discoïde, porte ainsi que la varlint un calice imbriqué, dout le rang intérieur a ses folioles longues et colorées, et celte fleur, quoique composée, double et multiplie leMemenl par ses brillantes folioles qu'on les prendrait, garnissant la plus grande partie du disque , pour autant de demi-fleurons.

Ces fausses apparences abusent souvent les yeux de ceux qui ne sont pas botanistes; mais quiconque est initié dans Tinliiue structure des fleurs ne peut s*y tromper un moment. Une fleur denii-flcuronnéc ressemble extérieurement à une fleur polype— taie pleine , mais il y a toujours cette diflérence essentielle que dans la première chaque derni-fleuron est une fleur parfaite qui a sou embryon, son pistil et ses élainiaesi au lieu que, dans U fleur pleine , chaque pétale multiplié n*est toujours qu'un pétale qui ne porte aucune des parties essentielles à la rructifîcalîon. PreoeK , Tun après l'autre , les pétales d'une renoncule simple , ou double, ou pleine, vous ne trouveret dans aucun nulle autre chose que le pétale même; mais dans le pissenlit chaque demi-fleuron garni d'un style entouré d'étammes n'est pas un ■i/nple pétale, mais une véritable fleur.

On me présente une fleur de nymphéa jaune , et Ton me de- mande si c'est une composée ou une fleur double. Je réponds que ce n'est ni l'un m l'autre. Ce n'est pas une composée , puisque les folioles qui l'entourent ne sont pas des demi-fleurons ; et ce n'est pas une fleur double , parce que la duplication n'est l'état natu- ret d'aucune fleur, et ipie l'état naturel de la fleur de nymphéa jaune est d'avoir plusieurs enceintes de pétales autour de son etn- oryon. Ainsi cette multiplicité n'empéciie pas le nymphéa jaune d'être une fleur simple.

La constitution commune au plus grand nombre ^es fleurs esr. 4*étre herma)>hrodite$ ; et cette constitution parait en cQ'el lu plus convenable au règne végétal, oii les individus dépourvus de tout mouvement progressif et spontané ne peuvent s aller cher- cher l'un l'autre quand les seies sont sépares. Dans les arbres et le* plantes ou ils le sont , la nature, qui sait varier ses moyens, a pourvu i cet obstacle : mais il n'en est pas moins vrai généra- lement que des élres immobiles doivent , pour perpétuer leur espèce, avoir en eux-mêmes tous les instrumens propres à cette fia.

FLELR MUTILÉE. Est celle qui , pour l'ordinaire, par dé- ^aJil lis cUaieur. perd ou ne produit puiut la cqaoJIc ^uVlie

44» FRD

devrait naturcllemnit avoir. Quoiaue cette cnntUabofi or point faire cipècc , les plantas ou elle a heu s* diâûjif^ent moins dans la nomenclature de celles de znrme espèce complètes , comme on peut le voir dans plusicur» et quainoclit , de cuciihalles , de tusâU-a^e» , de campanuUs , etc.

FLEURETTE. Petite fleur complète qui entre dan» UOnic* tnre d'une fleur agrégée.

FLEURON. Petite fleur incomplète qui entre draa U atmctnrr d'une fleur compose'e, F'oyez tXELfc.

Yoici quelle est l.i structure naturelle des fleurons compaaans.

1. Corolle nionopétale tubulée à cinq dents, supère.

2. Pistil allongé , terminé par deux stij<mates réfléchit.

3. Onq éiammes dont les Blets sont sépares par le bas, nui» formant , par Fadhërence de leurs anthi^res , un tube autour du pistil.

4. Semence nue, allongée, avant pour base le réceptacle com- mun , et servant elle-même par sou souuucl de réceptacle à la corolle.

5. Aigrette de poiU ou d'écaillcs couronnant la sein««ice,et figurant un calice à la base de ta corolle. Cette aigrrtte povnt de bas en haut la corolle, la détache ^ et la fait tomber U«»- qu'elle est flétrie , et que la semence accrue approche de sa outo- rité.

Cette structure commune et générale des fleurons souflir«^ exceptions dans plusieurs genres de composées , et ces diflermOtt constituent m^nie des sections qui forment autant de braaclMi dans cette nombreuse famille.

Celles de ces différences qui tiennent à la structure même des fleurons ont été ci-devant expliquées au mot ^^*/r. J'ai mainU* nant à parler de celles qui ont rapport à la fécondation.

L'ordre commun des fleurons dont je viens de parler eU d**tn hermaphrodites , et ilsse fécondent par eux-racmcs. Mais il t f> a d'autres qui, ayant des étamines et n'ayant point de grns^. portent le nom de mâles; d'autres qui ont un germe et d'obI point d'étamtnes s'appellent fleurous femelles; d'autres qui n'ofii ni germe ni étamines, ou dont le germe imparfait avorte lo^ jours, portent le nom de neutres.

Ces diverses espèces de fleurons ne sont pai indifle'reaiiBtft entremêlés dans les fleurs composées; mais leurs cambiii«i>oi< méthodiques et régulières sont toujours relatives ou à la plus '*^ fécondation , ou à la plus abondante fructification , ou à ' pleine maturiflcation des graines.

FRUCTIFICATlOiN. Ce mot se prend toujours dans u% collectif, et comprend non-5eulcment l'oeuvre de la fécoadi du germe et de la înaturification du fruit , mais l'as<emblagt d* ton* les instrumcns naturels destinés à celte opération,

FRUIT. Dernier produitde lavégétalion dans l'individu , tenant lis semences qui doivent la renouveler par d'autres vtdus. La semence n'est ce dernier produit que quand

GRE 44t

T(#uîe et nue. Quand elle ne Test pas , elle n'est que partie du fruit.

Fruit. Ce mol a , dans la botanique, un sens beaucoup plus étendu que dans Tusage ordinaire. Dana les arbres , et même dans d'autres plantes , toutes les semences, ou leurs enveloppes bonnes à manger, portent en général le nom de fruit. Mais en botanique, ce même nom s'applique plus généralement encore à tout ce qui résulte , après la fleur , de la fécondation du germe. Ainsi le fruit n'est proprement autre chose que l'ovaire fécondé, et cela, soit qu'il se mange ou ne se inange pas , soit que la se- mence snit déjà mûre ou qu'elle ne le soit pas encore.

GENRE. Réunion de plusieurs espèces sous un caractère com- mun qui les distingue de toutes les autres plantes.

GERME , embryon , ovaire , fruit. Ces termes sont si près d'être jynouvnies , qu'avant d'en parler séparément dans leurs articles je crois devoir les unir ici.

Le germe est le premier rudiment de la nouvelle plante, il devient embryon ou ovaire au moment de la fécondation , et ce m^me embryon devient fruit en mûrissant; voilà les différences exactes. Mais on n'y fait pas toujours attention dans l'usage , et l'on prend souvent ces mots l'un pour l'autre indifféremment.

Il y a deux sortes de germes bien distincts, l'un contenu dans la semence, lequel en se développant devient plante, et l'autre contenu dans U flpur, lequel parla fécondation devient fruit. On voit par quelle alternative perpétuelle chacun de ces deux germes se produit , et en est produit.

On peut encore donner le nom de germe aux rudimens de» feuilles enfermés dans les bourgeons , et ù ceux des fleurs enfer- méft dans l<*s boutons.

GERMINATION. Premier développement des parties de la plante contenue en petit dans le geriue.

GLANDES. Organes qui servent & la sécrétion des sucs de la plante.

GOUSSE. Fruit d'une plante légumineuse. La gonsse, qui iTappelle aussi légume, est ordinairement composée de deux pan- seaux nommés cosses, aplatis ou convexes, collés l'un sur l'autre par deux sutures longitudinales, et qui renferment des semences attachées alternativement par la suture aux deuxcosses» lesquelles se séparent par la maturité.

GRAPPE, racemiis. Sorte d'épi dans lequel les fleurs ne sont «îsessiles, ni toutes attachées à la râpe, mais à des pédicules partiels dans lesquels les pédicules principaux se divisent. La grappe n'est autre chose qu'une panicule dont les rameaux sont plus serrés , plus courts, et souvent plus gros que dans la pani- cule proprement dite.

Lorsque l'axe d'une panicule ou d'un épi pend en bas au lien

Je s'élever vers le ciel , on lui donne alors le nom de grappe ; tel e est la grappe de la vigne. \x laquelle on force les sucs d'un arbre

«si Pépi du groseilif r , telle est la grappe de la vigne. G&kFFE. " -

/i4s LIB

à passer par les couloirs d'un autre arbre; d'où il resnUe que lef couloirs ue ces deux plantes uVtaut pas de luêtue figure ei dimen- liious , ni places eiactement les uns vis-à-vis des autres, les sucs forcés de se subtiliser eu se divisant donnent ensuite des fnuts meilleurs et plus savoureux.

GREFFER. Est engager Tceil on le bourgeon d'une saine branche d^arbre dans l'écorced'un autre arbre , avec les precau* lions nécessaires, et dans la saison favorable , en sorte que ce bourgeon reçoive le suc du second arbre, et s'en nourrisse comme il aurait fait de celui dont il a été détaché. On donne le nom de greffe ti la portion qui s'unit , et de sujet k l'arbre auquel il s'unit.

il y a diverses manières de gretfrr. La greffe par approche , eo fente , en couronne , en flûte , eu écusson.

GYM^OSPER ME à semences nues.

HAMPE. Tige sans feuilles , destinée uniquement à tenir U fructification élevée au-dessus de la racine.

INFERE, SrPERE. Quoique ces mots soient purement latins, on est obligé de les employer en français daus ic langdge de li botanique , sous peine d'être diffus , lâche, et louche , pour vou' loir parler purement. La même nécessilédoit être supposée, et la m^me excuse répétée dans tous les mots latins que je serai forcé de franciser; car c'est ce que je ne ferai jamais que pour <fare ce que je ne pourrais aussi bien faire entendre dans un françail plus correct.

11 y a dans les fleurs deux dispositions différentes da calice et de 1j corolle , par rapport au genne, dont l'expression revjcnl si souvent, qu'il faut absolument créer un mot pour elle. Quand le caliceet la corolle portent sur le germe, la fleur est à'\\e^upèré. Quand le germe porte sur le calice et la corolle, la fleur est ihte infère. Quand de la corolle on transporte le mot au geruic, il faut prendre toujours l'opposé. Si la corolle est infère , le ge-rm* est supère; si la corolle est supère, le germe est infère; ainsi i'oB a le choix de ces deux manières d'exprimer la inome chose.

Comme il y a beaucoup plus de plantes oii la Oeur est inftrCt que de celles elle est supère, quand celte disposition «*e»l point exprimée, on doit toujours sous-enlendre le première»», parce qu'il est le plus ordinaire; et si la description ne prie point de la disposition relative de la corolle et du germe , il faut supposer la corolle infère: car si elle était supère, Tauteur étl» description t'aurait expressément dit.

LEGLME. Sorte de péricarpe composé de deux pannetot, dont les bords sont réunis par deux sutures longitudinales, t^ semences sont attachées alternativement à ces deux valves par U suture supérieure, l'inférieure est nue. L'on appelle de ce nom en générai le fruit des plantes légumineuses.

LÉGLMINEUSES. f'oytfîFttur.s, Plantes.

LIBER (le). Est composé de pellicules qui représentent» feuillets d'un livre ; elles touchent iinmédialement nu bois, t* liber se détache tous les «os des deux autres parties de l'étorcv t

ISiVl' 4^^

el, s'anissant avec l'aubier, i! produit sur la circonférence de l'arbre une nouvelle couche qui en augraenle le diamètre.

LIGNEL'X- Qui a la consistance de bois.

LILlACKfcS. Fleurs qui porleat le caractère du lis.

LIMBE. <^)uand une corolle inonopétale régulière s^yase et sVlargit par le haut, la partie qui forme cet evasement s'appcllt; le limbe , et se découpe ordinairement en quatre, cinq, oa plusieurs segroens. T)iver$ei campanules y primevèr*» , lUerons , et antres ileurs monopétales olFrent des exemples de ce lirabc»

3ui est , à regard de la corolle , à peu près ce qu'est , à regard 'une cloche, la partie qu^on uomme le pavillon : Le différent degré de Tangle , que forme le limbe avec le tube, est ce qui fait donner à la corolle le nom d'infundibuliforme, de campa* niforme, ou d'hvpocratenifornie,

LOBES des semonces sont deux corps réunis, aplatis d'un côté , convexes de Tautre : Us sont distincts dans les semeuces légumineuses.

LOBES des feuilles.

LOGE. Cavité intérieure du fruit : il est k plusieurs loges quand il est partai^é par des cloisons.

MAILLET. Branche de Tannée à laquelle on laisse pour la replanter deux chicots du vieux bois saillans des deux côtés. Cette sorte de bouture se pratique seulement sur la vigne et même assex rarement.

MASQUE. Fleur en masque est une flear inonopétale irré- gnlière.

MONËCIE ou MONOECIË. Habitation commune aux deux sexies. On donne le nom de moncpcie à une classe df. plantes composée de toutes celles qui portent des fleurs mâles et des fleurs femelles sur le même pied.

MOXOIQUES. Toutes les plantes de la monœcîe sont monoï- ques. On appelle plantes monoïques celles dont les fleurs ne sont pas hermaphrodites, mais .<^éparément mâles et femelles sur Je même individu : ce mol, formé de celui de monœcie, vient «In grec et signiGe ici que les deux sexes occupent bien le même lo^s , mais sans habiter la même chambre. Le concombre, le mrton et toutes les cticurbîtacées sont des plantes monoïques.

-Ml FLE (fleur en). Ployez Misque.

NOEUDS. Sont les articulations des tig;es et des racines.

NOMENCLATDRE. Art de joîudre aux noms qu'on impose *ux plante.^ Tidée de leur structure et de leur classifîcation.

?iOYAU. Semence osseuse qui renferme une amande.

NU. Dépourvu des yétemens ordinaires k ses semblables.

On appelle graines nues celles qui n'ont point de péricarpe j •*nibelles nues, celles qui n'ont point d'involucrej liges nues , *^lc» qui ne sont point garnies de feuilles, etc.

NUÏTS-DE-FER. Nocteë ferreœ. Ce sont , en Suède, celle» ^•ot la froide température , arrêtant la végétation de pluMeurs ^ZAttics. pcodjû^eu^iêpéri5semeal ioseusible ^ leur pourrÛ4A<«

444 ^^^

et enfin leur mort. I-^urs premii'ros alteinifl* avertissont île r^n trer dans les serres les piaules étraogéres <\ui périraient par ce* sortes de froids.

(C'est AUX premiers gels asses commnns ou mots d*aoAt dans lej. pays froids qu'on donne ce nom , qui , duos des climats teui* pères, ne peut pas ^tre employé pour les mêmes jours. H.)

OEIL. Foyez Ombilic. Petite cavité qui se trouve en certain fruits à l'extrémité opposée an pédicule : danA les fruits infrres ce sont tes divisions du calice qui forment l*ombilic , coiume le coin la poire , la pomme , etc. ; dans ceux qni sont supores ^ Tombilic est la cicntrice laissée par l'insertion du pistil.

OKILLtTONS. Bourgeons qni sont h côté des racines de* artichauts eL d'autres piaules, et qu*ou détacUe afm de multiplier ces piaules.

OMBELLE. Assemblage de rayons qui , partant d'un m^e centre, divergent comme ceux d'nu parasol, ri'oinbelle univer- selle porte sur la lige ou sur une branche; rombelle partielle sort d'un rayon de rombelle universelle.

OMIULÏC. C'est , dans les baies et autres fruits mous infères, le réceptacle de la fleur donl , après qu'elle est tombée , la cica- trice reste sur le fruit , comme on peut le voir dans les aireiU*. Souvent le calice reste et couronne l'ombilic, qui s'apjielle alort vulgairement ail : ainsi l'oeil des poires et des pommes n'est antre chose que l'ombilic autour duquel le calice persistant s'e»t Jr»* séché. ^

ONGLE. Sorte de tacbe sur les pétales ou sur les feuilles , (|ttif a souvent la figure d'uu ongle, et d'autres figures différente», " comme on peut le voir aux Jleurs des pavois, des roses , des ané- mones , des cistes, et aux feuilles des renoncules, des pcrsi- caires , etc.

ONGLET. Espèce de pointe crocbue par l.iquellc le nélale de quelques corolles est fixe sur le calice ou sur le réceptacle ^ Tou- glet des rrillets est plus long que celui des roses.

OPPOSEES. Les feuilles opposées sont juste au nombre d«i deux, plac<frs, l'une vis-à-vis de t'autrc, des deux côtés de la tig*J ou des branches. Les feuilles opposées peuvent être pédiculre»' ou sessilcs ; s'il y avait plus de deux feuilles attachées à la mêiu» hauteur autour de la tige, alors cette pluralité dénaturerait Tonnosition , et celte disposition des feuilles prendrait un uoxa diflerent. f^oyfz Verticillées.

OVAIHE. C'est le nom qu'on donne à l'embryon du fruit »• on c'est le fruit même avant la fécondation. Après la fécondation Tovairc perd ce nom , et s'appelle simplement fruit, ou en par- ticulier péricarpe, si la plante est angiosperme; semence ou graine, si la plante est eymnosperme.

PALMÉE. L'ne feuille est palmée lorsqu'au lieu d'être com- posée de plusicui'S foliole» , comme la feuille digitée , elle est seulement découpée en plusieurs lol^s dirigés en rayon» ver» 1< Mounel dupûUole, mais&eréuaÏMftni uvant que d'y arriver.

PER 445

PANICULE. Épi rampiix et pyramîJal. Cette figure lui vient ^e ce ijiir les rameaux du bas, étant les plus /arges ^ forment entre eux uu plus large espace , qui se rétrécit en montant ^ À «lesure que ces rameaux cfevienneut plus co//rA« , moin& uora- lireux j eu sorte qu'une pauicule parfaileineut régulière se ter- tuinerait entîn par une fleur spssile.

PAKASITF^. Plantes qui naîwent ou crois'sent jur d'autrei plantes, et fie nourrissent ne leur substance. La cuscute, le gui , plusieurs mousses et licliens , sont des plantes parasites.

PARENCHYME. Substance piilpeuse, on tissu cellulaire , oui forme le corps de la feuille ou du pétale : il est coavert, daas 1 une et dans l'autre , d'un épidcrme.

PARTIELLE, royez OMMÏA.E.

PARTIES DE LA FRUCTIFICATION, royês ÉTAm^ES,

Pl5TIL.

PAVILLON. Synonvrae d'étendard.

PÉDICULE. Base allongée, qui porte le fruit. On dit pedim-^ cMiIu4 en latin , mais je croîs qu^d faut dire pédicule eu français. Cest l'ancien usage, et il n y a aucune bonne raison pour le ciianger. Pedunvitius sonne mieux en latin, et il évite l'équi- ,Voque du nom pediculns. Mais le mot pédicttfe est net, et plus doux en français; et, dans le choix des mots, il convient dt consulter l'oreille , et d'avoir égard à l'accent de la langue.

L'adjectif /?e'(//cw/p rae parait nécessaire par opposition à l'autre adjectif «ess/Ze. La botanique est si embarrassée de termes, qu'on ne saurait trop s'attacher à rendre clairs et courts ceux qui lui sont spécialement consacrés.

Le pédicule est le lieu qui attache la fleur ou le fruit k lu Itranclie , ou à la lige. Sa substance est d'ordinaire plus solide ,qne celle dn fruit qu*il porte par un de ses bouts, et moins que celle du bois auquel il est attaché par l'autre. Pour l'ordinaire, tAuaod le fruît est mvV , il se détache , et tombe arec son pédicule. ijaais quelquefois , et surtout dans les plantes herbacées, le fruit tombe , et le pédicule reste , comme on peut le voir dans le genre des rumex. On y p^ut remarquer encore une autre particularité; c'est que les pédicules , qui tous sont vcrtîcillés autour de la tige, aont ausîi tous articulés vers leur milieu. Il semble qu'en ce cas le fruit devrait se détacher k l'articulation , tomber avec une iftoîtié du pédicule, et laisser l'autre moitié seulement attachée ^ la plante. Voilà néanmoins ce qui n'arrive pas. Le fruit se détache , et tombe seul. Le pédicule tout entier reste , et il |bnt une action expresse pour le diviser eu deux au point de Far- bculatinn.

! PKHFOLIÊES. La feuille perfoliée est celle que la branche (ftifile, et qui entoure celle-ci de tous côtés.

APJ'ITIE. Sorte de calice qui touche immédiatement la ou le fruit.

lUQUE. Nom donné par Vaillant aux raciae» garnies

44G

PLA

d'un chevelu touffu de fibrilles eatreJacëes comme des cLeretii

PETALE. On donne le nom de pét&le à chaque pièce entière de la corolle. Quand la corolle n'est que d'une seule pièce, il n'y a aussi qu'un pélale !e potale et la corolle ne font alors qu'uoe seule et même chose, et cette sorte de corolle se désigne par l'é- ptlhète de inonopctale. Quand la corolle est de plusieurs pièces, ces pièces sont autant de pcfcales , et la corolle qu elles composent se désigne par leur nombre tire du grec , parce que le mot de |>^ taie en vient aussi , et qu'il convient , quand on veut compM^r uu mot , de tirer les deux racines de la raèrae laugue. Ainsi , \tf mots de monopetalc, de dipétale, de Iripétale, de létrapêtale, de penlapélale, et enfin de polypôtalc , indiquent une corollf d'une seule pièce , ou de deux , de trois, de quatre , de ciuq, etc.; enfin , d'une multitude indéterminée de pièces.

PÉÏATOIOE. Qui a des pétales. Ainsi la tieur pétaUndt Ht l'opposé de la ileur apétale»

Qn<'lqncrois ce mot entre comme seconde racine dans la c«m- poi>ilion d\tn autre mot , dont la première racine est un nom de nombre : alors il signifie une corolle monopetalc profondé- ment divisée en autant de sections qu'en indique la premierr racine. Ainsi la corolle tripëtatoïde est divisée en trois se^ncm ou demi-pétales , la pentaftélatoide en cinq , etc.

PÉTIOLE. Base allongée qui porte la feuille. Le mot pHitif est opposé à sesëiie ^ à l'égard des feuilles, comme le mot/)f- dicuU l'est à l'égard des fleurs et des fruits. Voyez PïDicGUt Skssile. ,

PINNEE. Une feuille ailée à plusieurs rangs s'appelle leiuRf pinnée.

PISTIL. Orçane femelle Je la fleur qui surmonte le gennf et par lequel celui-ci reçoit rinlroinission fécondante de la poo** fiière des anthères : le pistil se prolonge ordinairement par an ou plusieurs styles, quelt|uefois aussi H est couronné immèdii- tement par un ou plusieurs stigmates, sans aucun style inte^ médiaire. Le sligiualc reçoit la poussière prolifique du sommrf des étamines , et la transmet par le pistd dans l'intérieur ^* germe, pour féconder Tovaiie. Suivant le système sexuel , U lécondalion des plautes ne peut s'opérer qne par le concourt^ deux sexes , cl 1 acte de la fructification n'e^l plus que celui ^ la génération. Les filets des étamines sont les vaisseaux %^ matiques , les anthères sont les testicules , la poussière qu'eS* répandent est la liqueur séminale, le stigmate devient la viilff. le style est la trompe ou le vagin , et le germe fait l'oflÛce d'ulfr rus ou de matrice.

PLACENTA. Réceptacle des semences. C'est le corps suqod elles sont immédiatement attachées. M. Liunaeus n'admet jKiirt ce nom de Piacenfa , cl emploie toujours celui de récplari'- Ces mots rendent pourtant des idées fort dift'érentes. Le r(*tcp- tacle est la partie par oU le fruit tient à la plante : le pUcratl

k

POL 44,

»st la partie par oii les semences tiennent au péricarpe. I] ett vrai que quand les semences sont nues, il n'v a point d'autie placenta que le réceptacle j mais toutes les fois que le fruit est angiosperme, le réceptacle et le placenta sont ditïerens.

Les cloisons ( dit&epimenta ) de toutes les capsules à plui^teurs loges sont de véritables placentas, et dans des cap&ules uuilojnes il ne laisse pas d'y avoir souvent des placentas autres que le péricarpe.

PLANTE. Production TOgétale composée de deux parties principales, savoir , la racine par laquelle elle est attachée à la terre ou à un autre corps dont elle lire sa nourriture , et l'herbe par laquelle elle inspire et respire Télément dans lequel file vit. De tous les végétaux connus ^ la trofTe est presque le seul qu'on puisse dire n'être pas plante.

PLANTES. Végétaux disséminés sur la surface de la terre, pour la vêtir et la parer. Il n'y a point d'aspect aussi triste que celui de ta terre nue ; il nV en a point d'aussi riant que celui des montagnes couronnées d'arbres, des rivières bordées de bo- cages , des plaines tapissées de verdure, et des vallons cmaillcA de fleurs.

On ne peut disconvenir que les plantes ne soient des corps organisés et vivans, qui se nourrissent et croissent par inlnssiis— ception , et dont chaque partie possède en elle-même une vitalité Isolée et indépendante des autres, puisqu'elles ont la faculté de se reproduire (i).

POILS ou SOIE. Filets plus ou moins solides et fermes, qui naissent sur certaines parties des nlanlcs ; ils sont quarrés ou cylindriques , droits ou couchés , fourches ou simples , subuh-s ou en hameçons ; et ces diverses figures sont des caractères assez constans pour pouvoir servir à classer ces plantes, \oyet l'ou^Tage de M. Guettard , intitulé Obseruations sur les plante a.

POLYGAMIE, pluralité d'habitation. Une classe de plantes

Sorte le nom de Polygamie, et renferme toutes celles qui ont es fleurs hermaphrodites sur un pied , et de« Qeurs d'un seul •exe mâles ou femelles sur un autre pied.

Ce mot de polygamie s'applique encore à plusieurs ordres de la classe dei: fleurs composées , et alors on y attache une idée un peu différente.

Les fleurs composées peuvent toutes être regardées comme polygames, puisqu'elles reuferment toutes plusieurs fleurons qui Iruclifient séparément, et qui par conséquent out chacun sa propre habitation , et, pour ainsi dire, sa propre lignée. Toutes ces habitations .séparée» se conjoignent de différentes manières, et par forment plusieurs sortes de combinaisons.

(i) Cet article ne pnralt pu ichevé , non plui que beaucaap d'autrrs , ^nniqii'on ait TBMwmblo dana les trois paragraphes ci-deifii:*, qui com- ^o«cnt celui-ci, troii morceaux l'auteur, touaturaulasl de cbifloo».

^

44S HËc

Quand tous les fleurons d'une (leur composée sont hertnapliro* dites, Tordre qu'ils forment porte le nom de polygamie égale.

Quand tous ces fleurons coraposans ne sont pas hermapfan^ dites, ils forment entre eux, pour ainsi dire, une poljganue bâtarde, et cela de plusieurs façons.

1". Polygamie superflue , lorsque les fleurons du disque étant tous hermaphrodites fructifient^ et que les fleurons du contour étant femelles fruclifient au^si.

a*. Polygamie inutile, quand les fleurons du disque étant her* maphrodites fructifient, et que ceuK du contour sont neutres et pe fructifient point.

3**. Polygamie nécessaire, quand les fleurons du disque élaflt iuàles« et ceux du contour étant femelles, ils ont besoin les uns des autres pour fructifier.

4°. PoCyf^amie séparée ^ lorsque les fleurons composans sont divisés entre eux, soit un à un, soit plusieurs ensemble, par autant de calices partiels renfermés dans celui de toute 1b fleur.

On pourrait iniaginor encore de nouvelles combinaisons, eo supposant , par exemple , des fleurons inûles au contour, etdef fleurons hcrmapUrudites ou femelles au disque; mais cela ùV- rive point.

POUSSIÈRE PROLinOUE. C'est une multitude de petili corps spbcriqucs enfermés dans chaque anthère, et qui , lors^t celle-ci s'ouvre , et 1rs verse dans le stigmate , s'ouvrent k Imr tour, imbibent ce même sticmate d'une humeur qui, pénétrast à travers le pistil, va féconder renibryon du fruit.

PROVTN. Branche de vigne couchée et coudée en terre. FJï« pousse des chevelus par les nœuds qui se trouvent enterrés. Oa coupe ensuite le bois qui tient au cep , et le bout opposé qui tort de terre de\-ient un nouveau cep.

PLXP£. Substance molle et charnue de plusieurs fruits et racines.

RACINE. Partie de la plante par laquelle elle tient k la tefW ou au corps qui la nourrit. Les plantes ainsi attachées par U racine à leur matrice ne peuvent avoir de mouvement \mt\\ leseiitimeut leur seraitinutile , puisqu'elles ne peuveut chrrcbrr ce qui leur couvient , ni fuir ce qui leur nuit: or la nature □< fait rien en vain.

RADICALES. Se dit des feuilles qui sont les plus près de U racine. Ce mot s'étend aussi aux tiges dans le même sens.

RADK LLE. Racine naissante.

RADIÉE. f'ux«FLEi;K.

RECEPTACLE. Celle des parties de la fleur et du fmit ^ni sert de siège à toutes les autres , et par oii leur sont transmit ^c plante les sucs nutritifs qu'elles en doivent tirer.

11 se divise le plus généralement en réceptacle propre, qui tkt soutient uu'une seule fleur et uu seul fruit , et qui , par coni^ queut, n upparlienl qu'aux plus simples, et en réceptacle «aiD* mun , qui porte et rtcoil plusieurs fleurs.

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SOU 449

^AJid la fleur est infère , c'est le même réceptacle qui porte toute la fructitication. Mais quand la fleur est supère , le récep- tacle propre e>>t double , et celui qui porte la fleur n'est pas même que celui qui porte le fruit. Ceci s'entend de la construc- tion la plus commune : uiais on peut propo&er à ce sujet le pro- blème suivant, dans la solution duquel la nature a mis une de »es plus ingénieuses inventions.

Ïuaud la Heur e&t sur le fruit , comment se peut-il faire que eur et le fruit n'aient cependant qu'un seul et même ré- ceptacle ?

Le réceptacle commun n'appartient proprement qu'aux fleurs composées, dont il porte et unit tous les lleurons en une (leur régulière ; en sorte que le retranchement de quelques-uns cau- serait l'irrégularité de tous; mais, outre les fleurs agrégées dont on peut dire à peu près la même chose , il y a d'aubes sortes de réceptacles commuus qui méritent encore le même nom , comme ayant le même usage : tels sont Vombetie , Vèpi , la pa- nicuUf le thyrse , la cyme ^ le spadix , dont on trouvera les articles chacun à sa place.

RÉGULIÈRES ( Pleurs). Elles sont symétriques dans toutes leurs parlics , comme les crucifères y les lUiacéej/, etc.

RKSiFOUME, Delà figure d'un rein.

ROSACÉE. Polypétale régulière comme est la rose.

ROSETTE. Fleur en rosette est une fleur nionopétale dont le tube est nul ou très-court , et le lymbe três-aplati.

SEMENCE. Germe ou rudiment simple d'une nouvelle plante , uni à une substance propre à sa conservation avant qu'elle germe, et qui la nourrit Jurant la première germiuiitiun jusqu'à ce qu'elle pui.'^e tirer son aliment immédi^ilonient di» la terre.

StSblLE. Cet adjectif marque privation de réceptacle. Il indique que la feuille ^ la fleur on le irait auxquels on l appliqua tiennent immédiatement à la plante sans Tenlremise u aucun pétiole, ou pédicule.

SEXE. Ce mot a été étendu au règne végétal, et y est devenu familier depuis l'établissement dn système sexuel.

SILIQLE. Fruit compose de deux panneaux retenus par deux sutures longitudinales auxquelles les graines sont attachées des <leux côtés.

La ftiliquecât ordinairement bîloculaire , et partagée par une cloison à laquelle est attachée une partie des graines. Cependant cette cloison ne lui étant pas csseutielle ne doit pas entrer dans &a définition , comme on peut le voir dans le chôme, dans la *^hiiîdoine , etc.

Solitaire. Une fleur solitaire est seule sur son pédicule.

SOLS- AUIiUlSSEAU. Plante ligneuse, ou petit buisson Oioindrc que l'arbrisseau, mais qui ne pousse point en automne ^e boutons à fleurs ou à fruits : tels sout le inym^ le romarin ^ it ffrosei/Ur^ les bruyères, etc. lES. roi

4So

TAL

SPADIX , ou RÉGIME. Cest le rameau ûoral dans la famïDe Jes palmiers; il est le vrai réceptacle de la fructiûcatiou, entouré d*un spathe qui lui sert de voile.

SPATHE. Sorte de calice membraneux qui sert d'envcïopp» aux fleurs avant leur épanouissement , et se déchire pour leur ou* vrir le passage aux approches de la fécondation.

Le spathe est caractéristique dans la famille des palmiers, et dans celle des liliacées.

SPIRALE. Ligne qdi fait plusieurs toars en s*écart&nt da centre, ou en s'en approchant.

STIGMATE. Sommet du pistil, qui s'humecte au moment Je la fécondation , pour que la poussière prolifique s'y attache.

STIPULE. Sorte de foliole ou d'écaillés» qui naît à la base du pétiole, du pédicule, ou de la branche. Les stipules sont or- dinairement extérieures à la partie qu'elles accompagnent, el lenr servent eu quelque manière de console : mais quelquefois autaî el les naissent à côté , yis-à-yis, ou au dedans même de rangle d'in- sertion.

M. Adanson dit qu'il n'y a de vraies stipules qne celles qni sont attachées aux tiges, comme dans les airelles, les apocini, les jujubiers, les tityraaies , les châtaigniers, les tilleuls, 1rs mauves, les câpriers : elles tiennent Heu de feuilles dans In plantes qui ne les ont pas verticillées. Dans les plantes légumi- neuses la situation des stipules varie. Les rosiers n'en ont pat de vraies , mais seulement un prolongement ou appendice de feuillf. ou une extension du pétiole. Il y a aussi des stipules membra- neuses comme dans l'espargoutte.

STYLE. Partie du pistil qui tient le stigmate élevé au-desioi du germe.

SUC NOURRICIER, Partie de la sève qui est propre à nourm la plante.

SUPÉRE. royes Infère.

SUPPORTS. Fuient. Dix espèces, savoir, la stipule, la lée, la vrille, l'épine, raieuillon , le pédicule, le pétiotfj hampe, la glande, et récatllc.

SURGEON. Surculua. Nom donné anx jeunes branche» Pceillet, etc., auxquelles on fait prendre racine en les buttant» terre lorsqu'elles tiennent encore à la tige : cette opératiou ef^ Une espèce de marcotte,

SYNONYMIE. Concordance de divers noms donnés par ^ lerens auteurs aux mêmes plantes.

La synonymie n'est point une étude oiseuse et inutile.

TALON. Oreillette qui se trouve à la base des feuilles JV rangers. C'est aussi l'endroit tient l'œilleton qu'on détacbc d'un pied d'artichaut, et cet endroit a un peu de racine.

TERMINAL. Fleur terminale est celle qui vient au sojaxnct^t la tige y ou d'une branche.

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VEG ^«ït

TEBNÉE. Une feiiill* ternc« est composée de trois folioles attachées au même pétiole.

TLTE. Fleur en ièic ou capitee est une fleur agrégée ou composée » dont les fleurons sont disposés sphériquement ou k peu près.

TiïYRSE. Épi rameuT et cylindrique; ce terme nVit pas extrê- mement usilé, parce que le» exemples n'en sont pas frequens.

TIGE. Tronc de la plante d'où sortent toutes ses autres parties (pii font hors de terre ; elle a du rapport avec la côte en ce que celle-ci est quelquefois unique, et se ramifie comme elle, par exemple y dans la fougère : elle s*en distingue aussi en ce qu'uni- forme dans son contour elle n'a ni face , ni dos, ni côté déter- minés, au lieu que tout cela se trouve dans la côte.

Plusieurs plantes n'ont point de tige, d'autres n'ont qu'une tige nue et sans feuilles, qui pour cela change de nom. /^oyes Hampe.

La tige se ramifie en branches de différentes manières.

TOQUE. Figure de bonnet cylindrique avec une marge re- levée en manière de chapeau. Le fruit du paliurus a la forme d'une toque.

TRACER. Courir horizontalement entre deux terres, comme fait le chiendent. Ainsi le mot tracer ne convient qu'aux racines. Quand on dit donc que le fraisier trace , on dit mal; il rampe , et c est autre chose.

TRACHÉES DES PLANTES. Sont, selon Malpighi, certain* T^isseaiiT formés par les contours spiraux d'une lame mince, plate, et assez large, qui, $e roulant et contournant ainsi en tire-bonrre , forme un tuyau étranglé , et comme divise en sa Ion- gnenr en plusieurs cellules, etc.

TRAINASSE, ou TRAÎNÉE. Longs filets qui, dans certaines plantes, rampent sur la terre, et qui, d'espace en espace, ont des articulations par lesquelles elles jettent en terre des radiculttf ^oi produisent de nouvelles plantes.

TL'MQL'ES. Ce sont les peaux ou enveloppes concentriques oignons.

VEGETAL. Corps organisé doué de vie, et privé de sentiment.

On ne me passera pas cette définition , je le sais. On veut que les minéraux vivent, que les végétaux sentent , et que la ma- tière même informe soit douée de sentiment. <^uoi quM en soit de cette nouvelle physique , jamais je n'ai pu , je ne pourrai jamai* J>arler d'après les idées d'autrui , c|uana ces idées ne sont pas lei aiiiennei. J'ai souvent vu mort on arbre que je voyais auparavant pJeirj de vie, mais la mort d'une pierre est une idée qui ne sau- fait m'enlrer dans Teâprit. Je vois un sentiment exquis dans mon ^liieii, mais je n'en aperçois aucun dans un chou. Les para- doxes de Jean-Jacques sont fort célèbres. J'ose demander s'il en* %vança jamais d'aussi fou que celui que j'aurais à combattre si j'entrais ici dans celte discussion, et qui pourtant ne choque per-

ne. Mais je m'arrête , et rentre deus mon 9o]tX,

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ifi-x VUL ^

Puîi»qae l«ft végt^tauk naissent et vivent, ils M détruî&ent et meurent; c'e&t rirrévocablc loi ii laquelle tout corps est soumis i par coDscquent ils se reproduisent, mais comment se faîl celle reproduction? En tout ce qui csl soumis à nos sens dans le règne végétal , nous la voyons se faire par la voie de la fructiHcation ; et l*ou peut présumer que celte loi de la nature est également suiviedans les parties du même règne, dont l'organisation échappe à nos yeux. Je ne vois ni fleurs ni fruits dans les byssus , dam les conferva , dans les truffen ; mais je vois ces végétaux sr perpétuer, et l'analogie sur laquelle je me fonde pour leur attribuer le! mêmes moyens qu'aux autres de tendre à la même Hn , cette analogie, dis-je, me parait si sûre, que je ne puis lui refuser mon assentiment.

il est vrai que la plupart des plantes ont d'autres manières de se reproduire, comme par cayeux, par boutures, par drageons enracinés. Mais ces moyens sont bien plutôt des supplémens que des principes d'institution; ils ne sont point communs à toutes; d n'y a que la fructification qui le soit, et qui, ne souffrant au- cune exception dans celles qui nous sont bien connues, n'en laisse point supposer dans les autres substances végétales qui le sont moins.

VELU. Surface tapissée de poils.

YERTICILLÊ. Attache circulaire sur le même plan, et en nombre de plus de deux autour d'un axe commun.

\IVACE. Qui vil plusieurs années- 1rs arbres, les arbriiueaut, les sous-arbrisseaux , sont tous vivaces. Pttisirurs herbes mênir \t sont, mais seulement par leurs racines. Ain^i le chbvre-feuilti! et le houblon , tous deuxvtvaces, le sont différemment. Le premir conserve pendant l'hiver ses tiges, en sorte qu'elles bourgeonneol et fleurissent le printemps suivant ; mais le houblon perd \t% siennes à la fin de chaque automne, et recommence toujours chaque année à en pousser de son pied de nouvelles.

Les plantes transportées hors de leur climat sont sujettes i r»" rier sur cet article. Plusieurs plantes vîvaces dans les pays chio^ deviennent parmi nous annuelles, et ce n'est pas la seule «]l^ ration quVlles subissent dans nos jardins.

De sorte que la bntanHjue exotique étudiée en Europe doss6 souvent de bien fausses observations.

VRILLES , ou MAINS. Espèce de filets qui terminent \n branches dans certaines plantes, et leur fournissent les movra* de s'attacher à d'autres corps. Les vrilles sont simples ou ra- meuses; elles prennent ^ étant libres , toutes sortes de directions, et lorsqu'elles s'accrochentà un corps étranger, elles l'embrai^al en spirale.

VULGAIRE. On désigne ordinairement ainsi l'espèce priû- cipale de chaque genre la plus anciennement connue dool il a tiré son nom, et qu'on regardait d'abord comme uncespiîct' unique.

URNE. Boite ou capsule remplie dépoussière, que portent U

UTR 4ÎÎ3

plupart des mousses en fleur. Ln construction In plus commune cle CCS urnes est d'élre élevées au-dessus de la plante par un pé- dicule plus ou moins long, de porter k leur commet une espèce lie coine ou de capuchon pointu qui les couvre , adhérent d'abord i Turne, mais qui s'en détache ensuite, et tombe lorsqu'elle est prèle à s'ouvrir j de s'ouvrir ensuite aux deux tiers de leur hau- teur, comme une boîte à savonnette, par un couvercle qui s'en détache , cl tombe à son tour après la chiite de la coiffe; d'être doublement ciliée autour de sa jointure, afin que rhuraidité ne paisse pénétrer dans l'intérieur de l'urne tant qu'elle est ouverte; enfin , de pencher et se courber en eu— bas aux approches de la maturité, pour verser à terre la poussière qu'elle contient.

L'opinion générale des botanistes sur cet article est que cette urne avec son pédicule est «ne étamine dont le pédicule est le filet, dont l'urne estranlhère, et dont la poudre qu'cllecontieut et qu'elle verse est ïa poussière fécondante qui va fertiliser la fleur femelle : en conséquence de ce système on donne commu- nément le nom d'anlhère à la capsule dont nous parlons. (Cepen- dant , comme la fructification des mousses n'est pas jusqu'ici parfaitement connue, et qu'il n'est pas d'une certitude invincible que l'anthère dont nous parions soit véritablement une anthère, je crois qu'en attendant une plus grande évidence, sans se presser d'adopter un nom si décisif, que aeptus grandes lumières pour- raient forcer ensuite d'abandonner, il vaut mieux conserver celui d'urne donné par Vaillant, et qui, quelque système qu'on adopte^ peut subsister sans inconvénient.

l'TRlCL'LES. Sortes de petites outres percées par les deux bouts , et communiquant successivement de l'une à l'autre par leurs ouvertures, comme les aludels d'un alambic. Ces vais- seaux sont ordinairement pleins de sève. Ils occupent les espaces

I on mailles ourertes qui se trouvent entre les fibres longitudinales

I «t le hois.

rin oc D1CT105MIKE DE BOTATTIQVB.

LETTRES

SUR

LA BOTANIQUE

^ %

^^

LETTRES

ÉLÉMENTAIRES

SUR LA BOTANIQUE,

A MADAME DE L***

LETTRE PREMIÈRE.

Da 93 août 1771.

Votre idée d'amuser un peu laviyacîtë de votre fille, et de l'exercer à Tattention sor dei objets agréables et variés comme les plantes, me parait excellente; maïs je n'aurais osé vous la proposer , de peur de faire le monsieur Josse. Puis* qu'elle vient de vous , ]e l'approuve de tont mon cœur , et j'r concourrai de même , persuadé qu'à tout Age l'étude de fa nature émousse le goÀt des amusemens frivoles , prévient le tamtilte des passions, et porte à l'ame une nourriture qui lui profite en la remplissant du plus digne objet de ses contem- plations.

Vous avez commencé par apprendre a la petite les noms d'au- tant de plantes que vous en aviet de communes sous les veux : c*était précisément ce qu'il fallait faire. Ce petit nombre de plantes qu'elle connaît de vue sont les pièces de comparaison pour étendre ses connaissances : mais elles ne suffisent pas. Vous me demandes un petit catalogue des plantes les plus connues avec des marques pour les reconnaître. Je trouve à cela quelque embarras : c'est de vous donner par écrit ces marques ou carac* tères d'une manière claire et cependant peu difluse. Cela me parait impossible sans employer la langue de la chose ; et les termes de cette laugue forment un vocabulaire k part que vous ne sauriez entendre, s'il ne vous est préalablement expliqué.

D'ailleurs , ne connaître simplement les plantes que de vue , et ne savoir que leurs noms , ne peut être qu'une étude trop insipide pour des esprits comme les vdtres, et il est a présumer que votre fille ne s'en amuserait pas long-temps. Je vous pro- pose de prendre quelques notions pfélimmaires de la structure végétale ou de Torganisation des plantes, afin, dussicz-vous ne faire que quelques pas dans le plus beau , dans le plus riche des trois règnes de la nature , ay marcher du moins avec quelques lumières. Il ne s'agit donc pas encore de la nomen- clature, qui n'est qu'un savoir d'herboriste. J'ai toujours cru qu'on pouvait être un très-grand botaniste sans connaître une seule plante par sou nom : et, sans vouloir faire de votre fille un

458 LETTRES

Ircs-grand botaniste, je croîs néanmoins qu'il lui sera toujours Tilï!e d'apprendre à bien voir ce qu'elle regarde. Ne vous effa- rouchez pas au reste de l'entreprise. Vous connaîtreE bientôt «ju'elle n est pas grande. Il ny a rien de compliqué ni de diffi- cile à suivre dans ce que j'ai à vous proposer. Il ne s'agit que d'avoir la patience de commencer par le commencement. Après cela on n avance qu'autant qu'on veut.

Nous touchons à l'arricre-saison, et les plantes dont la struc- ture a le plus de simplicité sont déjà passées. D'ailleurs, je vous demande quelnuc temps pour mettre un peu d'ordre dans vos observations. Aiais , en attendant que le printemps nous mette à portée de commencer et de suivre le cours de la na- ture, je vais toujours vouâ donner quelques mots du vocabulaire à retenir.

Une plante parfaite est composée de racine, de tiee, de branches , de feuilles, de fleurs et de fruits ( car on appelle fruit en botanique, tant dans les herbes que dans les arbres, toute la fabrique de la semence). Vous connaissez déjà tout cela, du moins assez pour entendre le mot ; mais il y a une partie prin- cipale qui demande un plus grand examen^ c'est la fructifica- tion , c est-à-dire , la fleur et \cfruU, Commençons par la fleur, qui vient la première. C'est dans celle partie que la natnrea renfermé le sommaire de son ouvrage^ c'est par elle qu'elle le perpétue, et c'e.st aussi de toutes les parties du végétal la plai éclatante pour l'ordinaire , toujours la moins sujette aux v** nations.

Prenez un lis. Je pense que vous en trouvère» encore aisé- ment en pleine fleur. Avant qu'il s'ouvre, vous voyei à l'ertré- mité de la tige un bouton oblong , vcrdAtre , qui blanchit i mesure qu'il est prêt à s'épanouir; et , quand il est tout-à-fsit ouvert , vous voyez son enveloppe blanche prendre la forme d'un vase divisé en plusieurs segmcns. Cette partie envelw- pante et colorée qui est blanche dans le lis s'appelle la contu, et non pas la fleur comme chez le vulgaire, parce que la flcaf est un compose de plusieurs parties dont la corolle est seulement la principale.

La corolle du lis n'est pas d'une seule pièce , comme il «ï facile à voir. Quand elle se fane et tombe, elle tombe en »«

Siècesbien séparées, qui s'appellent des pétales. Ainsi la corolw u lis est composée de six pétales. Toute corolle de fleur <p" est ainsi de plusieurs pièces s'appelle corolle polypéiale. Si U corolle n'était que d'une seule pièce, comme par exemple dtw le liseron , appelé clochette des champs , elle s'appellerait A^ nopélale. Revenons à notre lis.

Dans la corolle vous trouverez, précisément au milieu, vxa espèce de petite colonne attachée tout au fond et qui poioW directement vers le haut. Celte colonne, prise dans son enltei» l'appelle le />M</7 .- prise dans ses parties, elle se divise entroi»î 1*. sa base renflée en cylindre avec trois aogles arrondis tout

m^Êk

SUR LA BOTANIQUE. 45<>

SDtonr : cette base s'appelle le germe-, a**, un fîlet posé sur le germe : ce filet s'appelle styU ; 3*. le style est couronne par une espèce de chapiteau avec trois échancrures : ce chapiteau - 6*appelle le stigmate. Voilà en quoi consistent le pistil et ses trois parties.

Elntre le pistil et la corolle vous trouvez six autres corps l>ien distincts , qui s'appellent les étamines. Chaque etamine est composée de deux parties ; savoir, une plus mince par laquelle rétamine tient au fond de la corolle, et qui s'appelle \tJUet; une plus croftse qui tient â rexlrémitë supérieure du fîict, et qwi s appelle anthère. Chaque anthère est une boîte qui s'ouvre quand elle est mûre, et verse une poussière jaune très-odo- rante, dont nous parlerons dans la suite. Cette poussière jus- Î[u*ici n'a point de nom français; chez les botanistes on l'appelle e poifen^ mot qui signifie poussière.

Voilk l'analise grossière des parties de la fleur. A mesure que la corolle se fane et tombe, le germe grossit, et devient une capsule triangulaire allongc'e , dont Tintérieur contient des semences plates distribuées en trois loges. Cette capsule, con- sidérée comme Tenveloppe des graines, prend le nom de péri~ carpe. Mais je n'entreprendrai pas ici Tanalise du fruit. Ce écra le sujet d*une autre lettre.

Les parties que je viens de vous nommer se trouvent égale- ment uans les fleurs de la plupart des autres plantps, mais k divers degrés de proportion, de situation, et de nombre. C'est par l'analogie de ces parties, et par leurs diverses combinai- sons , que se déterminent les diverses familles du règne végétal ; et CCS analogies des parties de la fleur se lient avec d^autres analogies des parties de la plante qui semblent n'avoir aucun rapport à celles-là. Par exemple, ce nombre de six étamines, quelquefois seulement trois, oe six pétales ou divisions de la corolle, et celte forme triangulaire k trois loges de Tovaire , déterminent toute la famille des liliacées^ et dans toute cette même famille, qui est très-nombreuse, les racines sont toutes des oignons, ou bulbes p\u% ou moins marquées, et variées quant à leur figure ou composition. L'oignon du lis est composé d'écaillés en recouvrement ; dans l'asphodèle , c'est une liasse de navets allongés: dans le safran , ce sont deux bulbes l'une

É 'autre; dans le colchique, à côté Tune de l'autre, mais urs des bulbes, lis, que j'ai choisi parce qu'il est delà saison, et aussi isc de la grandeur de sa fleur et de ses parties qui les rend pins sensibles, manque cependant d'une des parties constitu- tives d'une fleur parfaite, savoir, le calice, ue calice est cette partie verte et divisée communément en cinq folioles, qui .sou- tient et embrasse par le bas la corolle , et qui Tcnveloppe toute entière avant son épanouissement, comme vous aurez pu le remarquer dans la rose. Le calice , qui accompagne que toute:» les autres fleurs ^ manque à la plupart des liliacees ,

46o LETTRES

comme la tulipe , la jacitiLlie, Ir narcisse, la tubéreuse , etc. t et même l*oigni>n, le poireau, l'ail, (jui sont nus^i tle véritables lî» liar^ps, quoiqu'elles paraissent fort difFcrcnlcs au premier coup- d'œil. Vous verrez encore que , dans toute celle même famille, le* tiges sont simples el peu rameuses, les feuilles entières, et ja- mais découpées ; observations qui confirment , dans cette fa- mille , l'analogie de la fleur et du fruit par celle de$ autres parties de la plante. Si vous suivez ces détails avec quelque allenlion , el que yous vous les rendiez familiers par aes ob- servations fréquentes, vous voilà déjà en état de déterminer par J'inspection attentive et suivie d'une plante, si elle est ou non de la famille des liliacées , et cela , sans savoir le nom de cette

Ï liante. Vous voyez que ce n'est plus ici un siniple travail dt a mémoire, mais une élude d'observations et de laits, vraiment digne d'un naturaliste. Vous ne commencerez pas par dire loul cela à votre lïlle, et encore luoins dans la suite, quand vout fierez initiée dans les mysti^res de la végétation ; mais vous ne lui développerez par degrés que ce qui peut convenir à son â^e et à son sexe, en la guidant pour trouver les choses par elle-même plutôt qu'en les lui apprenant. Bon jour, chert cousine; si tout ce tairas vous convient, je suis à vos ordre».

LETTRE H.

Du 18 octobre 177].

Puisque vons saisissez bien, cbcre cousine, les premier» linéamens des plantes, quoique si légèrement marqués, que votrt œil clairvoyant sait déjà distinguer nn air de famille Jad* les liliacées , el que notre cbère petite botaniste s'amuse de co- rolles et de pétales, je vais vous proposer une autre famiile sur laquelle pHc pourra derechef exercer son petit savoir; avec un peu plus de cfiiîlcultés, pourtant, je l'avoue, à cause Je* (leurs beaucoup plus petites, du feuillage plus varié; inaU avec le même plaisir ae sa part et de la vôtre, du moint n V0U5 en prenez autant à suivre celle route Ueurie que j'en troyvc à vous la tracer.

Quand les premiers rayons du printemps auront éclaire' TW progr(?s en vous montrant dans les jardins les jacinthes» le* tu- lipes, les narcisses, les jonquilles et les muguets, dont Tanali»* vousest déjà connue, d'autres fleurs arrêteront bientôt vo» re- gards et vous demandernnl un nouvel e\amen. Telles seront Irt giroflées ou violiers; telles les juliennes ou girardcs. Tantquf vous les trouverez doubles, ne vous attachez pas à leur eiaiorn ; elles seront défigurées, ou, si vous le voulez, parées à noire mode; la nature ne s'y trouvera plus: elle refuse de se repn>- duire par des monstres ainsi mutilés; car si la partie U pl«* brillante , savoir, la corolle, s'y multiplie, c'est aux dcpeûl«<* parties plus esscnliellej r|ui dî$parai$&cul soui cet éclat.

L

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St'R LA BOTANIQUE. 4Gc

Prenci donc une giroflée simple , el procédez k l'anallse de sa fleur. Vous y trouverez d'abord une parlîe extérieurequi manque dans les liliacecs, savoir, le calice. Ce calice est de quatre pièces, qu'il faut bien appf^ler feuilles ou folioles, puisque nous n avons point de raol propre pour les exprimer , comme le mot pétales pour les pièces de la corolle. Ces quatre pièces, pour l'ordmaire, sont inégales .de deux en deux : c*esl-à*-(lire , deux folioles oppo- ser» l'une à l'autre , égales eutre elles , plus petites; el les deux autres, aussi égales entre elles et opposée.^, plus ffrandcs , et sur- tout par le bas leur arrondissement fait en dehors une bosse assez sensible.

Dans ce calice vous trouverez une corolle composée de quatre pétales dont je laisse à part la couleur , parce qu'elle ne fait point caractère. Chacun de ces pétales est attaché au réceptacle ou fond du calice par une partie étroite el pâle qu'on appelle Von- glet , et déborde le calice par une partie plus large cl plus colo- rée, qu'on appelle la lame.

Au centre de la corolle est un pistil allongé, cylindrique on à ^u près, tenninc pur un style très-court , lequel est terminé lui- même par un stigmate oblong , bifide, c'est-â-dirc partagé en deux parties qui se réfléchissent de part et d'autre.

Si vous examinez avec soin la position respective du calice et delà corolle, vous verrez que chaque pétale, au lieu de corres- |iondre exactement à chaque foliole du calice , est posé au con- traire entre les deux, de sorte qu'il répond à l'ouverture qui les sépare, et cette position alternative a lieu dans toutes les espèces de fleurs qui oui un nombre égal de pétales à la corolle et de folioles au calice.

il nous reste à parler des étamines. Vous les Irouyerez dans la giroflée au nombre de six, comme dans les liliacées, mais non pas de même égales entre elles , ou alternativement inégales; car TOUS en verrez seulement deux en opposition l'une de l'autre, b^nsiblement plus courtes que les quatre autres qui les séparent et qui en sont aussi séparées de deux en deux.

Je n'entrerai pas ici dan» le détail de leur structure et de leur position ; mais je vous préviens que , si vous y regardez bien , TOUS trouverez la raison pourquoi ces deux étamines sont plus courtes que les autres , et pourquoi deux folioles du calice sont plus bossues , ou , pour parler en tenues de bulanique , plus gib— beuscset les deux autres plus aplaties.

Pour achever l'histoire de notre giroflée, il ne faut pas l'aban- donner après avoir analisé sa (leur, mais il faut attendre que ta corolle se flétrisse et tombe , ce qu'elle fait assez prompiement , et remarquer alors ce que devient le pislil , composé, comme BOUS l'avons dit ci-devant , de l'ovaire ou péricarpe , du style , et du stigmate, L'ovaire s'allonge beaucoup et s'élargit un peu à meture que le fruit mi\rit : quand il est mur, cet ovaire ou fruit devient une espèce de gousse plate appelée silique.

Celte silique est composée de deux valvules posées l'une sur

46a LETTRES

l'autre, et séparées par uue cloison fort mince appelée médiastiru

Quand la semence est lout-à-fait mûre, les valvules s'ouvrent de bas en haut pour lui donner passage, et restent attachées au stigmate par leur partie supérieure.

Aturs on voit des graiues plates et circulaires posées sur les deux, faces du ruédiastin ^ et si l'on regarde avec soin commeot elles Y tiennent , on trouve que c'est par un court pédicule qui altacne chaque graine aïtcrnativcment à droite et à gauche aut sutures du niédiastin , c'est-à-dire à ses deux bords , par lesquels il était comme cousu avec les valvules avant leur séparation.

Je crains fort , chère cousine , de vous avoir un peu fatiguée par cette lougue description , mais elle était nécessaire pour vooi donner le caractère essentiel de la nombreuse famille des cruci-* J'ères ou fleurs en croix , laquelle compose une classe entiers dans presque tous les svstèmcs des botanistes; et cette descrip- tion , difhcile à entendre ici sans figure, vous deviendra plut claire, j'ose Tespiirer, quand vous la suivrez avec quelque atlen* lion, a^ant l'objet sous les yeux.

Le grand nombre d'espèces qni composent la famille des cru- cifères a déterminé les botanistes à la diviser en deux sections qui. quant à la fleur , sont parfaitement semblables , mais difiïreat sensiblement quant au fruit.

La première section comprend les crucifères à siliçitet comro* la giroflée dont je viens de perler, la julienne , le cresson de fon« taine, les choux, les raves , les navets, la moutarde, etc.

La seconde section comprend les cruciftres à éiljcule , c'est-i- diredont la silique en diminutif est extrêmement courte, presque aussi large que longue, et autrement divisée en dedans; coaune entre autres le cresson alenois, dit nasitort OMneUoa ^ le thla^i appelé /ara«/7« par les jardiniers, le cochléaria , la lunaire, qai t quoique la gousse en soit fort grande, n>st pourtant qu'une si- Ucule , parce que sa longueur excède peu sa farceur. Si vous nt connaissez ni le cresson alenois, ni le cochléana, ni le thlaspi, ïji la lunaire, vous connaissez .du moins je le présume, labourte» à-pasteur , si commune parmi tes mauvaises herbes des jardin*. He bien , cousine, la boiirse-à-pasteur est une crucifère à wl** cule, dont la silicnle est triangulaire. Sur celle-là vous poavtf vous former une idée des autres , jusqu'à ce qu'elles vous tombeat sous la main.

Il est temps cle vous laisser respirer, d'autant plus qaeetU* lettre, avant que la saison vous permette d'en faire usage, sert; j'espère , suivie de plusieurs autres , oii je pourrai ajouter ce au* reste à dire de nécessaire sur les crucifères , et que je n'ai pas dit dans celle-ci. Mais il est bon peut-^tre de vous prévenir drt i présent que dans cette famille, et dans beaucoup d'autres , voOt trouverez souvent des fleurs beaucoup plus pelites que la gir** liée , et quelquefois si petites , que vous ne pourrez guère eïâmt- ner leurs parties qu'à la faveurd'une loupe, instrumeni dontus botaniste ue peut se passer , nou plus que d'une pointe , d'uaf

SUR LA BOTANIQUE.

463

lancette et d*une paire de boas ciseaux fins k découper. En pen- sant que votre zèle maternel peut vous mener jusque-là ^ je me fais uu tableau charmant de ma belle cousine eiupressffe avec son verre à éplucber de;> monceaux de fleurs, cent foi:» moios fleuries, moias fraîches, et moins agréables qu'elle. Bon jour, cousine ^ jusqu'au chapitre ftuivant.

LETTRE UL

Du 16 mai 1772.

Je suppose , chère cousine , que vous ave?, bien reçu ma pr<?ce- dente réponse , quoique vous ne m'en parliez point dans votre leconde lettre. Répondant maintenant â celle-ci, j'espère sur ce que vous m*^ marquez, que la maman, bien rétablie, est partie eu bon état pour la Suisiie, et je compte que vous n*oublierem pas de me donner avis de Teffet de ce voyage et des eaux qu'elle va prendre. Comme tante Julie a partir avec elle , j'ai cnargo M. &. , qui retourne au Yal-de-Travers, du petit herbier qui lui est destiné , et je Taî mis â votre adresse , alïn qu'en sou absence vous puissiez le recevoir et vous en senir , si tant est que , parmi ces échantillons informes il se trouve quelque chose â votre ttsage. Au reste , je nVccorde pas que vous ayez des droits sur ce chifTou. Vous en avc;£ sur celui qui l'a fait , les plus forts et les plus chers que je connaisse; mais pour l'herbier, il fut prorais à votre sœur , lorsqu'elle herborisait avec moi dans nos prome- nades à la croix de Vague, et que vous ne songiez k rien moins dans celles mon cœur et mes pieds vous suivaient avec grand- is aman en Vaise. Je rougis de lui avoir tenu parole si lard et si mal f mais enfin elle avait sur vous , â cet égard , ma parole el rantériorité. Pour vous , chère cousine, si je ne vous promets pas un herbier de ma main , c'est pour vous en procurer un plus précieux de la main de votre fille, si vous continuez â suivre avec elle cette douce et charmante étude qui remplit d'intéressantes observations sur la nature ces vides du temps que les autres con- sacrent à Toisiveté ou à pis. Quont ii présent , reprenons le fil ïu* terrompu de nos familles végétales.

Mon intention est de vous décrire d'abord sis de ces familles pour vous familiarii^er avec la structure générale des parties ca- ractéristiques des plantes. Vous en avez déjà deux ; reste à quatre qu'il faut encore avoir la patience de suivre: après quoi laissant pour UQ temps les autres branches de celte nombreuse liguée ,et passant â IVxamen des parties différentes de la fructification , nous ferons en sorte que , sans peut-être connaître beaucouj) de

Ï liantes, vous ne serez du moins jamais en terre étrangère parmi es productions du règne végétal.

Mais je vous préviens que, si vous voulez prendre des livres «t suivre la nomenclature ordinaire , avec beaucoup de nom* VOUA aurez peu d*idécï ; celles que vous aurez te brouilleront , et

464 LETTRES

vous ne suivras bien ni ma marche celle des autres, et n'aa tout au plus qu'une connaissance de mois. Chère cousine, je »i jaloux d être votre seul guide dans cette partie. Quand iJ en se temps, je vous indiquerai l».'s livres que vous pourrez consulter En attendant , ayez la patience de ne lire que daus celui de ' nature et de vous en tenir à lues lettres.

Les pois sout à présent en pleine fructification. Saîsisfton» moment pour observer leur caractère. Il est un des plus cariew que puisse offrir U botanique. Toutes les fleurs se divisent génc' ralementen régulières et irréguliêres. Les premières sont cell« dont toutes les parties s'écartent uniforméuienl du centre de I fleur, et aboutiraient ainsi par leurs extrémités extérieures à i circonférence d'uu cercle. Oette uniformité fait quVn présentaol k Tceil les fleurs de celle espèce il n*y distingue ni dessus ni dev sous, ni droite ni gauche ^ telles sont les deux familles ci-île vaut examinées. Maib, au premier coup d'ti^il, vous verrez qu'uoi fleur de pois est irrégulière, qu'on y distingue aisément daiis 1 corolle la partie plus longue , qui doit être en haut, de la pin courte , qui doit être en bas , ot qu'on connaît fort bien , en prr- ientant la fleur vis-k-vis de rœif , si on la tient dans sa Mtuâtiot naturelle ou si on ta renverse. Ainsi toutes les fois qu'eiamioaiit une Heur îrrégulièrc on parle du haut et du bas, cV>t eu U pU- çant dans sa situation naturelle.

Comme les Ueurs de cette famille sont d'une construction fort particulière, non-seulement il faut avoir plusieurs tieurs de pou et les disséquer successivement , pour observer toutes leur» ptr- ties l'une après l'autre , il faut même suivre le progrès de la truc- tifîcation depuis la première floraison jusquà la maturi4< du fruit.

Vous trouverez d'abord un calice monophjlle , c'est-à-^ff d'une seule pièce terminée en cinq pointesbien distinctes, dont deux un peu plus larges sont en haut , et les trois plus étxoiiei en bas. Ce calice est recourbé vers le bas , de même que le pwli- cule qui le soutient, lequel pédicule est très-délié , très-mouiï*; en sorte que ta fleur suit aisément le courant de l'air et préscnK ordinairement son dos an vent et à la pluie.

Le calice exajuiné, on Tôte , en le déchirant délicatement df manière que le reste de la fleur demeure entier , et «lorSTO*^ vove» clairement que la corolle est pol^pélalc.

5n première pièce est un grand et large pétale qui courr* les autres et occupe ta partie supérieure de la corolle , à cau>c 9^ quoi ce grand pétale a pris te nom de pavillon. On Tappelle aioft ] étendard. \\ faudrait se boucher les veux et l'esprit pour oe p^ voir que ce pétale est comme un parapluie pour garantirez qu'il couvre des principales injures de l'air.

En enlevant le pavillon comme vous avec fait le calice » toM remarquerez qu'il est emboîte de chaque côté par une pctîtf oreillette dans les pièces latérales, de manière que sa silualioo ne puisse être dérangée par le vent.

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SUR LA BOTAiMQUE. 465

Le pavillon otê laisse à découvert ces deux pièces latérales aux<]uellcs il était adhérciU par ses oreillettes : ces pirces latérales Vappelleot les aiUs, Vous trouvcrei en les détachant qu'emboi* lées encore plus fortement avec celle ^^x\ reste, elles u'eu peu- vent être séparées sans quelque cfTort. Au&si les ailes ne sont ^êre luoius utiles pour garantir les côtés de U fleur que le pa- %illou pour la couvrir.

Les ailes ôtêes vous laissent voir la dernière pièce de la corolle ; pièce qui couvre et défend le centre de la lleur , et IVuveloppe, surtout par dessous, aussi soigneusement que les trois autres pé- tales enveloppent le dessus et les côtés. Cette dernière pièce , qu'à cause de sa loriue on appelle la nacrile^ est comme le coffre- fort dans lequel la nature a mis son trésor à Tabri des atleinLes de l'air et de l'eau.

Apres avoir bien examiné ce pétale, tires-le doucement par dessous en le pinçant léj:;èrement par la quille, c'est-à-dire, par la prise mince qu*il vous présente, de peur d'enlever avec lui ce qu il enveloppe : je suis sur qu'au moment oii ce dernier pétale sera forcé de lâcher prise et de déceler le mystère qu'il cache vous ne pourrez en l'apercevant voua abstenir de faire un cri de surprise et d'admiration.

Le jeune fruit qu'enveloppait la nacelle est construit de cette maoière : Une membrane cylindrique Icnuinéc par dix âlelsbien distiocls entoure l'ovaire , c'est— à— dire l'embryon de la gousse. Ces dix filets sont autant d'étaniînos qui se réunissent par le bas autour du germe, et se terminent par le haut en autant d'an- thères jaunesdout la poussière va féconder le stigmate qui termine Je pistil , et qui, quoique jaune aussi par la pou&^ière fécondante ^oi s'y attache , se distingue aisément des étamines par sa figure cl par sa grosseur. Ainsi ces dix étamiues forment eucore autour de l'ovaire une dernière cuirasse pour le préserver des injures du «iebors.

Si vous y regardez de bien près , vous trouverez que ces dix étamines ne font par leur base un seul corps qu'eu apparence : car f dans la partie supérieure de ce cylindre, il y a une pièce ou étaminc qui d'abora parait adhérente aux autres « mais qui , à mesure que ta tieur se fane et qUe le fruit grossit , se détache et Ui5se une ouverture eu dessus par laquelle ce fruit grossissant peut s'étendre en entr'ouvrant et écartant de plus en plus le cy- lindre qui , sans cela , le comprimant et l'étranglant tout autour, l'empêcherait de grossir et de profiter. Si la lleur n'est pas ussex Avancée, vous ne verrez pas celte étamine détachée du cylindre j tnais pnssex un camion dans deux petits trous que vous trouve- rez près du réceptacle à la base de cette étamine , et bientôt vous vrrrez Tétamine avec son anthère suivre Tépiiigle et se détacher deii neuf autres qui continueront toujours de faire ensemble un •rul corps, jusqu'à ce qu'elles se flétrissent et dessèchent quand \t ^enne féconde devient coiisse et qu'il n'a plus besoin d elle*. Celle g^u4itt , duu» laquelle Toyaire &c cbaD5e eu luârissant, k 5 3o

466 LETTRES

ctistinguc de la ailique des crucifercA, en ce que dans la éû les graines 9ont attachées alternativement aux deux sutures, lieu (]ue dans la gotMse elles ne sont attacUées que d'un c6tr J c*est-ii-dire k uue seulement des deux sutures , tenant altertuli^l vement à la vérité aux deux valves qui la conipo»ent , mais ton* jours du même côté. Vous saisirez parfaitement celte différence si vous ou\Tee en même temps la frunsse d*un pois et la mii^ué <l*une giroflée, ayant attention de ne les prendre ni Tune ni Tau*; tre en parfaite ruaturité , afin qu'après Touverlure du frnît le* graines restent attacLécs par leurs ligaïucns à leurs sutures et h^ leurs valvules.

Si je me suis bien fait entendre, vous comprendrez , dtcrc cousine , quellei* étonnantes préraution6 ont été cumulées par U nature pour amener l'ombrYon du pois à maturité, et le garan* tir surtout , au milieu des plus grandes pluies , de rhuiiiidilê qm lui est funeste, sans cependant l'enfermer dans une coque dure qui en eût fait une autre sorte de fruit. Le suprême ouvrier, at- tentif h la conservation de tous les êtres , a mis de grands soins à garantir la fructification des plantes des atteintes qui lui pm- vent nuire; mais il paraU avoir redoublé d'attention pour celles qui servent à la nourriture de Thomme et des animaux, cncnine la plupart des léguniineuscs. L'appareil de la fructification du pois est , en diverses proportions , le même dans toute cette fa- mille. Les fleurs y portent le nom de papiiionacéea , parce qu*on a cru y voir quelque chose de semblable à la figure d'un papillcm ; elles ont généralement un pavillon^ deux ailes , une nacelie, ce qui fait communément quatre pétales irréguliers. Mais il y a dei genres oii la nacelle se divise dans sa longueur eu deux pire» presque adhérentes par la quille, et ces fleurs-là ont réellemeol cinq pétales : d'autres, comme le treffle des prés, ont toute^s leur» parties attachées en une seule pièce , et , quoique papilionacéeSr ne laissent pas d'être monopétales.

Les papilionacées ou légumineuses sont une des famille» dei plantes les plus nombreuses et les plus utiles. Ou y trouve les levés , les genêts, les luzernes, sainfoins , lentilles , vesces, gefse*^; les haricots , dont le caractère est d'avoir la nacelle contournée eu spirale, ce qu'on prendrait d'abord pour un accident; il y a <le3 arbres , entre autres celui qu'on appelle vulgairement acacia^ et qui n'est pas le véritable acacia^ l'mdigo, la réglisse pd sont aussi : mais nous parlerous de tout cola plus en détail dans la suite. Bon jour , cousine. J'embrasse tout ce que vous aimex.

LETTilL lY-

Du 19 jala i77«.

Vot;s m'aver. lire de peine, chère cousine, mais il me reste encore de l'inquiétude sur ces maux d'estomac apikelés maux de cceur , dont votre maman sent les retours i\t\t\» l'altitude d'écrire. «>L c'ut seulcmeul WSti d'une plénitude Uc bile, le voyage et les

r

SUR LA BOTANIQUE. 4G7

eaux suiTiront pour révacucr; rnaîs je craius bien (|u^il n^v ait à ce^ accidcns queltiue cau^e locale nui ue sera pas si facile k détruire, et aui deriiaiulora toujours d*elle un grand ménagement, même après son rétablissement. J^altends de vous des nouvelles de ce voyage, aussitôt que vous en aurez; mais j'exige que la maman ne songe Ik m'écrire que pour m*apprendre son entiëce guérison.

Je ne puis comprendre pourquoi vous n'avez pas reçu l'herbier. Dans la persuasion que tatile Julie était déjà partie, j'avais remt< le paquet à M. G. pour vous Texpédier en pas!»aut à Dijon. Je n'ap- prends d'aucun côté qu'il soit parvenu ni dans vos mains, ni dan^ celles de votre sœur, et je n'imagine plus ce qu'il peut tïtre devenu.

Parlons de plantes, tandis que la saison de les observer nous Y invite. Votre solution de la question que je vous avais faite sur les étaraines des crucifères est parfaitement juste, et me prouve bien que vous m'avez entendu , ou plutôt que vous m'avez ccou* ; car vous n'avez besoin que d'écouler pour entendre. Vous m'avez bien rendu raison de la gibbosité de deux folioles du ca- lice, et de la brièveté relative de deux étamines , dans la giro- flée , par la courbure de ces deux étamines. Cependant , un pas de plus vous eài menée jusqu'à la cause premii^re de cette structure : car si vous recherchez encore pourquoi ces deux éta- mines sont ainsi recourbées, et par conséquent raccourcies, vous trouverez une petite glande implantée sur le réceptacle, entre l'étamine et le germe , et c'est cette glande qui , éloignant l'éta- tatte , et la forçant à prendre le contour, la raccourcit nécessai- •mnent. It v a encore sur le même réceptacle deux autres glandes, une au pied de chaque paire des grandes étamines; mais, ne leur faisant point faire ae contour, elles ne les raccourcissent pas, parce que ces clandes ne sont pas, comme les deux pre- mières, en dedans, c esl-à-dire entre rélamineet le germe, mais ea dehors, c>st-à-dire entre la paire d'étamines et le calice. Ainsi ces quatre étamines, soutenues et dirigées verticalement en droite ligne, débordent celles qui sont recourbées, et semblent plus longues parce qu'elles sont plus droites^ Ces quatre glandes se trouvent, ou du moins leurs vestiges, plus ou moins visiblement dans presque toutes les fleurs cruci(eres , et dans quelques-une* bien plus Distinctes que dans la giroflée. Si vous demandez encore |)ourquoi ces glandes, je vous répondrai qu'elles sont un des ins- trumens destinés par la nature à unir le règne végétal au règne animal, et les faire circuler l'un dans l'autre: mais, laissant ces recherches un peu trop anticipées , revenons , quant à présent , à DOS familles.

Les fleurs aue je vous ai décrites jusqu'à présMit sont toutes pr.tvpélales- J aurais commencer peut-être par les monopé- :.iic-. régulières dont la structure est beaucoup plus simple: cette grande simplicité même est ce qui m'en a empêché. Les mono- pétales régulières constituent moins une famille qu'une grande nation dans laquelle on compte plusieurs familles bien distinctes ;

ipreudre touteJ.

468 LETTRES

commune ^ il faut employer des caractères si généraux et si tj*

l'ues , que c'est paraître dire quelque chose , en tic disant en

effet presque rien du tout. Il vaut mieux se renfermer dan» de*

bornes plus étroites , mab qu'on puisse assigner avec plus dr

précision.

Parmi les monopétales irrégulières il y a une f:imiUe dont U physionomie est si marquée qu'on en distingue aisément les mem- bres à leur air. C'est celle à faquelle on donne le nom de (lenri en gueule , parce que ces (leurs sont fendues en deux lèvres, dont l'ouverture, soit naturelle, soit prodnile par une légère com- pression des doigts , leur donne l air d'une eueule béante. Cette Famille se subdivibC en deux sections ou lignées. L'une , des fleurs en lèvres, ou labiées ; l'autre, des Heurs en masque, ou per*on~ nées ; car le mot latin /jerjona signifie un masque , nom très-con- venable assurément à la plupart des gens qui portent parmi nou» celui de personna. Le caractère commun à toute la famille e*t non-seulement d'avoir la corolle monopétale , et, comme je Vk\ dit, fendue en deux lèvres ou babines, l'une supérieure, ap- pelée t'a*^«e, l'autre inférieure, appelée barbe ^ mais d'aroif quatre étamines presque sur un même rang , distinguées en deux

5 aires , Tune plus longue , et l'autre plus courte. L'injpectÏAn e l'objet vous expliquera mieux ces caractères que ne peut fairr )e discours.

Prenons d'abord les /a6/i}««. Je vous en donnerais volontiers

Sour exemple la sauge, qu'on trouve dans presque tous les jt^- ins. !Mais la construction particulière et bizarre de ses étauaine^ qui l'a fait retrancher par quelques botanistes du nombre des li- biées, quoique la nature ait seniblé l'y inscrire, me porte à cher- cher un autre exemple dans les orties mortes , et particulièreroeat dans Tespèce appelée vulgairement ortie blanche, mais quel» botanistes appellent plutôt lamier blanc , 'parce qu'elle a a nul rapport k Tortic par sa fructification , quoiqu'elle en ait beio- coup par son feuillage. L'ortie blanche , si commune partout, durant très-long-teiups en fleur, ne doit pas vons être dîHîcilv* trouver. Sans m'arréter ici à l'élégante situation des fleurs , \tiat borne à leur structure. L'ortie blanche porte une fleur monop^ taie lahiée , dont le casque est concave et recourbé en formel voûte , pour recouvrir le reste de la fleur , et partrculièretneBï ses étamines , qui se tiennent toutes quatre assez serrées som fi» bri de son toit. Vous discernerez aisément la paire plus loacor et la paire plus courte , et , au milieu des quatre , le style de U même couleur , luais qui s'en distingue en ce qu'il est sioiplement fourchu par son extrémité, au lieu d'v porter une anthère cf^nifi»' font les étamines. La barbe , c'esi-a-dire , la lèvre int ee replie et pend en eu-bas, et , par celle situation , l.u- presque jusqu'au fond le dedans ne la corolle. Dans les iamtfr* cetti" barbe e«it refendue en longueur dans son uailieu , maisCClA n arrive pas de même aux autres labiées. & TOUS arrachez la corolle, vouj arracherez avec tllf I*

SDR LA BOTARIQLE. 469

ctamines Oui j tiennent parleurs (îlets, el non pis au réceptacle,. le style restera seul attache. £u exaniiuant comment les ètamiaes tiennent à <rautre5 fleurs, on les trouve généralement attachées à la corolle quand elle est monopclale , et au récep- tacle ou au calice quand la corolle est polvpétale : en sorte qu'on peut , en ce dernier cas , arracher les pétales sans arra- cher les étamincs. De celte observation Ton tire une règle bt-lle, facile , el même asseE sûre , pour savoir si une corolle est d'une »eulo pièce ou de plusieurs, lorsqu'il est difficile , comme il l'est quelquefois , de s en assurer immédiatement.

La corolle arrachée reste percée à son fond , parce qu'elle était attachée au réceptacle , laissant une ouverture circulaire par laquelle le pistil el ce qui l'entoure pénétrait au ded.ins du tube cl de la corolle. Ce qui entoure ce pistil dans le lamier el dans toutes les labiées , ce sont quatre embryons qui deviennent quatre graines nues , c'est-à-*lire , sans aucune enveloppe ; eu sorte que ces graines , quand elles sont mûres , se détacnent , et tombent â terre séparément. Voilà le caractère des labiées.

L^autre lignée ou section , qui esl celle des pârson/iées , se dis- ttugue dp* labiées , premièrement par m corolle , dont les deux lèvres ne sont pas ordinairement ouvertes et béantes , mais fer- mées et jointes , comme vous le pourrez voir dans la fleur de îardin appelée mup-aude ou mufle de ueau , ou bien , â son dé- faut , dans la linaire , cette Oeur jaune à éperon , si commune en cette saison dans la campapne. Mais un caractère plus précis et plus siir est qu'au lieu d'avoir quatre graines nues axi fofui du calice , comme les labiées , les personnées y ont toutes une cap- sule qui renferme les graines, el no s'ouvre qu'à leur maturité pour les répandre. J'ajoute à ces caractère» qu'un grand nombre de labiées sont nu des niantes odorantes cl aromatiques , telles que l'origan , la marjolaine , le thym , le serpolet , le basilic , ^^a menthe ., Thvsope , la lavande , etc. , ou des plantes odorantes ^^hl puantes , telles que diverses espèces d'orties mortes , staquis , ^^fcapaudines , marrube ; quelques-unes seulement , telles que le ^^Bugle , la brunelle, la toque , n'ont pas d'odeur : au lieu que les ^^krsonnées sont pour la plupart des plantes sans odeur, comme ^^B muOaude , la linaire, IVupltrnise , la pédiculairc , la crête de coq , l'orobanche , la t^inibalaire , la velvote , la digitale ; je ne connais guère d'odorantes dans celte branche (jue la scro- phiilaire, qui sente et qui pue, sans cire aromatique, .le ne puis guère vous citer ici que des piaules qui vraisemblablement ne TOUS sont pas connues , mais que peu à peu vous apprendrez à coffinaitre , et dont au moinç ù leirr rencontre vous pourrez par rous-même déterminer la famille. Je voudrais même «ue vous lâchassiez d'en déterminer la lignée on section par la jmysiono- inie , et que vous vous exerçawie» k juger , au simple roup-d'œtl , ai la fleur en gueule que \ous voyez- est nue labiée , ou une per- sonnée. La figure extérieure de fa corolle peut sufHre pour vous guider dans ce choix, que vous pourrcx vérifier ensuite en àtaot

470 ^ LETTRES

la corAll? , et regardant an fond du calice ; car , si tous at»

Lien jugé , la fleur que vous aureK nommée labiée vom mon- trera qualrc graines nues , et celle que vous aurez nommée per- ftonnée vous monlrcra un péricarpe : ]e contraire vous prouverait que vous vous éles Irompeej et , par un second examen de la même plante , vous prêvietidreE une erreur semblable pour une autre fois. Voiîà , clicre cousin© , de Toccupalion pour quelques promenades. Je ne tarderai pas à vous en préparer pour cell» qui suivront.

LETTRE V.

Du i€;aiUet 1773.

Je vous remercie , cUère cousine , des bonnes nouvelles que vous m*avcr données de la maman. J'avais espéré le bon cflct dn changement d air , cl je n^en attends pas moins des eaux ^ et sur- tout du régime austère prescrit durant leur usage. Je suis touché du souvenir de cette bonne amie , et je vous prie de Ten re* mercier pour moi. Mais je ne veux pas absolument qu^elle in'^ crive durant son séjour en Suisse ; et , si elle veut me donner di- rectement de ses nouvelles , elle a près d'elle un bon secrétaire (l) qui s'en acquittera fort bien. Je ^uis plus charmé que sarpris qu*eilc réussisse en Suisse ; indépendamment des grâces de mq Âge , et de sa gaieté vive et caressante , elle a dans le caracterf un fond de douceur et d'égalité dont je l'ai vu donner quelque- fois à la grand'mamau IViiemple charmant qu'elle a reçu vous. .Si votre sreur s'établit en Suisse , vous perdrez Tune (t l'autre une grande douceur dans la vie, et elle surfout de avantages diilicilesà remplacer. Mats votre pauvre iiiarnan qui, porte à porte, sentait pourtant si cruellement sa scparalion a*avec vous^ comment supportera-t-elle la sienne à une si gr>D<}f distance ? C'est de vous encore qu'elle tiendra ses dédi)imna|;^> mens et ses ressources. Vous lui en ménagez une bien précteuK en assouplissant dans vos douces mains la bonne et forte ctoiE^ de votre favorite , qui . je n'en doute point , deviendra parvOi soins aussi pleine de grandes qualités que de charmes. Ah ! cou- sine , Theurcnse mère que la vôtre î

SaveK-vous que je commence à être en peine du petit herbier^ Je n'en ai d'aucune part aucune nouvelle , quoique j'en aien de M. G. depuis son retour , par sa femme , qui ne me dit pat Jf sa part un seul mot sur cet herbier. Je lui en ai demanaè 4a nouvelles ; j'attends sa réponse. J'ai grand'peur que , ne pts*aBt pas à L^'on , il n'ait confié le paquet à quelque quidam qui, M* chant que c'étaient des herbes sèches , aura pris tout cela ponr du foin. Cependant , si » comme je l'espère encore , il parvient enfin à votre sonur Julie ou à vous, vous trouvères nue je n'»i pas laissé d'y prendre quelque soin. C'est une perle qui , quoiqua

(1) La KBtirde madame D. L*'*,qae Rousseau appc-Iaii Unie JbIï««

m

r

SUK L\ BOTANIQUE. 471

pelilc , ne me serait pas facile à réparer promptement , sur- tout à cause du catalogue , accompagné de divers petits éctaîr- cùsemens écrits sur-le-champ , et dont je n'ai gardé aucun double.

Consolez-vous, bonne cousine, de n'avoir pas vu les glandes de« crucifères. De grands botanistes très-bien oculés ne les ont pas mieux vues. Tournefort lui-même n'en fait aucune mention, kllessont bien claires dans peu de genres, ouoiqu'on en trouve des vestiges presf|nc dans tous, el c'est à force d'analiser des fleurs en croix , et d'y voir toujoars des inégalités au réceptacle , qu'en les examinant en particulier on a trouvé que ces glandes appartenaient an plus grand nombre des genres, et qu'on les suppose, par analogie, dans ceux même on ne les uistingue pas.

Je comprends qu'on est f^cbé de prendre tant de peine san£ apprendre les noms des plantes qu'on examine. Mais je vous avoue de bonne foi qu'il n'est pas entre dans mon plan de vous épargner ce petit chagrin. On prétend que la botanique n'est qu'unescience de mots qui n'exerce que la mémoire, et n apprend qu'à nommer des plantes : pour moi , ^e ne connais point n'élude raisonnable qui ne soît qu'une science de mots; et auquel des deux, je vous prie, accorderai-je le nom de botaniste, de celui qui sait cracher un nom ou une phrase à l'aspect d'une plante, «ans rien connaître à sa structure, nu di? Celui qui, connaissant 1res— bien cette structure, ignore néanmoins le nom très— arbi- traire qu'on donne à cette plante en tel ou en tel pays? Si nous ne donnons à vos enfans qu'une occupation amusante , nous man- quons la meilleure moitié de notre but , qui r^t, en les amusant, a exercer leur Intplligence, et de les accoutumer à l'attention. Avant de leur apprendre à nommer ce qu'ils voient, commen- tas par leur apprendre â le voir. Cette science, oubliée dans toutes les éducations, doit faire la plus importante partie de la lenr. Je ne le redirai jamais assez ; apprenez-leur â ne jamais se parer de mots , et ik croire ne rien savoir de ce qui n'est entré que dans leur mémoire.

Au reste, pour ne pas trop faire le méchant, je roua nomme pourtant des plantes sur lesquelles, en vous les faisant montrer, vous pouvez aisément vérifier mes descriptions. Vous n'aviez pat, je le suppose, sous vos yeux une ortie blanche en li.sant l'a— nalise de» labiées; mais vous n'aviez qu'à envoyer chez l'herbo- riste du coin chercher de l'ortie blanche fraîchement cueillie, vous appliquiez à sa fleur ma description , et ensuite, examinant fes autres parties de ta plante de la manière dont nous traiterons ci-après, vous connaissiez l'ortie blanche infiniment mieux qop l'herboriste qui la fournit ne la connaîtra de ses jours; encore Irouveronfr-nous dans peu le moyen de nous passer d'herboriste : mais il faut premièrement achever l'examen de no» familles; ainsi je viens à la cinquième , qui , dans ce moment, est ep pleine

471 LETTRES

Bepresentef-voîi'î une longue tige as?ez droite, garnie allff- iliativeinent de feuilles pour l'ordinaire découpées assez meon. Jesqueties cnabrassent par leur base des branchett qui sortent de ;Jeur8 ais&ellcs. Tic IVxtremité supcricuce de celte lige parlent* conxmc d'un centre, plusieurs pédicules ou rayons, qui , «'écar- tant circulaircmcnl et régulièrement comme les côtes d'un para- sol, conroniientcelteligc en forme d'un vase plus ou moinsouvert. [.Quelquefois ces rayons laissent un espace vide dans leur milien. «t représenicnl alors plus exactement le creux du vase ; quelque- fois aussi ce milieu est fourni d'autres rayons plus courts, qui, montant moins obliquement, garnissent le vase, el forment, conjointement avec les premiers, la figure à peu près d'un dcni- globe, dont la partie convexe est tournée en des*!U5.

Cbacun de ces rayons ou pédicules est terminé à son extrémiu non pas encore par une fleur, mais par uu autre ordre de ratow plus petits qui couronnent chacun des premiers, préciïémfr>t comme ces premiers couronnent la lige.

Ainsi, voilà deux ordres pareils et successifs : l'un, de grandi rayons qui terminent la tige ; l'autre , de petits rayons semblablrf qui terminent cbacun des grands.

Les rayons des petits parasols ne se subdivisent plus^ mit» chacon dVux est le pédicule d'une petite fleur dont nous parle- rons tout à rhcurc-

Si vous pouvez vous former l'idée de ta figure que je vieoi vous décrire, vous aurez celle de la disposition des fleuri dan» la famille des ombellifères ou porie-parasola' car le mol latin umbeila signifie un parasol. ,

Quoique cette disposition régulière de la fructific^tioo MMt frappante et assez, constante dans tontes les ombelliftres, ^ nVst pourtant pas elle qui constitue le caractère de la famdle: ce caractère se tire de In structure même de la fleur, qu'il feol maintenant vous décrire.

Mais il convient, pour plus de clarté, de vous donner ici uer distinction générale sur la disposition relative de la (leur et do fruit dans toutes les plantes , distinction qui facilite extrèmemf»* leur arrangement mélbudique, quelque système qu'on vraille choisir pour cela.

Il V a des plantes , et c'est le plus grand nombre , par exemple rn?îllet, dont l'ovaire est évidemment enfrnué dans la corolle. IVous donnerons à celles-là le nom âe fleurs injures, parce <jo* Jes pétales embrassant Tovairc prennent leur naissance au-deswtf de lui.

Dans d'autres plantes en assez grand nombre, l'«»*ii»** trouve placé, non dans les pétales, mais au-^essons d'eux: et que vous pouvez voir dans la rose; car le gralte-cul , qui en «* le fruit, est ce corps vert et renflé que vous voyez au-dessounU calice, par conséquent aussi au— dessous de la corolle, qui, ot celte manière, couronne cet ovaire et ne l'enveloppe pas. J'ap- pellerai ceUe^-ci fleurs aupères , parce quç la corolle est au-dc«iii

iMbi

I

poil

^Pleni

SUR LA BOTANIQUE. 4-3

^u fruit. On pourrait faire des mots plus francisés, mais il me

paraît avantageuï dr vous tenir toujours le plus près qu'il se

oiirra des termes admis rians la botanique , afin que, sans avoir

5oin d^apprendre ni latin ni grec, vous puissiez néanmoins en—

ndre passaMement le vocabulaire de celte science , pédantes- <|uenient tiré de ces deux langue», comme si, pour connaître les plantes, il fallait comraencerpar être un savant grammairien.

Tonmeforl exprimait la même distinction en d'autres termes: dans le cas de la fleur infère, il diiiait que le pistil devenait fruit j dans le cas de la ticur supère ^ il disait que le calice devenait frnif. f_>tte manière de s'euprimer pouvait être aussi claire, mais elle n'était certainement pas aussi juste. Quoi qu'il eo soit , voici une occasion d'exercer, quand il en sera temps, vos jeunes élèves à savoir démêler les mêmes idées, rendues par des termes tout différens.

Je vous dirai maintenant que les plantes ombelliJeres ont la fleur fiupère^ ou posée sur le fruit. ï-.a corolle de cette fleur est à cinq pétales appelés réguliers, quoique souvent les deux pétales ,

I-Xkx sont lournés en dehors dans les fleurs qui bordent Tombclle, oient plus giands que les trois autres. La figure de ces pétales varie selon les genres, mais le plus onimuuément elle est en creur; l'onglet qui porte sur l'ovaire M fort mince ; la lame va en sVl.irgissant ; son bord est émargmi légèrement échancré), nubien il se termine en une pointe qui, l repliant en dessus, donne encore au pétale l'air d être émar- iné , quoiqu'on le vît pointu s'il était déplié. F.ntrc chaque pétale est une étamine dont l'anthiîre, débordant ordinairement la corolle, rend les cinq étamines pins visibles que les cinq pétales. Je ne fais pas ici mention du calice , parce que lesombelliferes n'en ont aucun bien distinct.

Du centre de la fleur partent deux styles garnis cbacun de leur stigmate, et assez apparent aussi, lesquels, aprc.s la chute des pétales et des étaraines , restent pour couronner le fruit.

La figure la plus commune de ce fruit est un ovale un peu allongé, qui , dans sa maturité, s'ouvre par la moitié, et se par- tage en deux semences nues attachées au pédicule, lequel, par on art admirable, se divise en deux , ainsi que le fruit . et tient les graines séparément suspendues, jusqu'à leur chiite.

Toutes ce* proportions varient selon les genres, mais en voilà Tordre le plus commun. Il faut, je l'avoue, avoir l'œil trè»- alf^ntif pour bien distinguer sans loupe de si petits objets; mais ils sont SI dignes d'attention , qu'on n'a pas regret à sa j>eine.

Voici donr le caractère propre de la fnniille des oinbelliferes. Corolle supère à cinq pétales, cinq étamine*, deux styles portés *ur un fruit nu dinperme^ c'esl-àilire , composé de deux grainea accolées.

Toutes les foi* que vous trouverez ces caractères reunis dans nae fmriificalion, conipteE que la plante est une ombellifère, 4]nand mrme elle n'aurait d'ailleurs , dans son arrangement , rien

4:4

LETTRES

de l'orJre ci-Jevant marque. El auand vous trouveriez tout cet ordre de parasols conforme à ma uescriptioii , comptez qu'il vou» trompe, s*il est de'raenli par Venamen de la fleur.

S'il arrivait, par exemple , qu^en sortant délire ma lettre vou» trouvassicr., en vous promenant, nu sureau encore en fleur, je »ui» presque assuré qu'au premier aspect vous diriez, voilà une ombcllirere. En y regardant, vous trouveriez grande ombelle, petite ombelle , petites (leurs blanches , corolle supère , cinq él*- mines ; cVsl une ombellirerc assure'menti maïs voyons encore : je prend?» une fleur.

D'abord , au lieu de cinq pétales, \e trouve une corolle à cinq divisions, il est vrai, mais néanmoins d'une seule pièce : or, les fleurs des ombellifères ne sont pas monopetales. Voilà bien cinq étamines, mais je ne vois point de styles, et je vois ptii» souvent trois sli^males que deux ; plus souvent trois graines que deux : or, les ombellfferes n'ont jamais ni plus ni moins de deux stigmates , ni plus ni moins de deux graines pour chaque fleur. EnHn , le fruit du sureau est une baie molle , et celui des ombrl- Hfères est sec cl nu. Le sureau n>»t donc pas une ombellifere.

Si vous revenez maintenant sur vos pas en regardant de plus près à la disposition des fleurs, vous verre» que cette disposition n'est quVn apparenrc celle des ombellifcres. Les grands rayon», au lieu de partir exactement du même rentre, prennent leur naissance les uns plus haut, les autres plus bas; les petits naissent encore moins réfi[ultërement : tout cela n'a point l'ordre inva- riable des ombeHiferes. L'arrangement des fleurs du sureaa e*l en corymhe, ou bouquet , plutôt quVn ombelle. Voilà comment, en nous trompant quelquefois, nous finissons par apprendre à mieux voir.

Le chardon-roland^ au contraire, n'a guère le port d*nne ûBl- bellifere.et néanmoins c'en est une, puisqu'il en a tous les carac- tères dans sa fructification. Oîi trouver, me direz-vous, le char^ don-roland ? par toute la campagne. Tous les grands cbeminien sont tapissés à droite et à gauche : le premier paysan peut vou* Je montrer, et vous le connaîtries presque vous-même k couleur bleuAtrc ou %*ert-de-mer de ses feuilles , à leurs dorspH quanset à leur consistance li^se et coriace comme du parchemin. Mais on peut laisser une plante aussi intraitable; elle n'a pasa«o de beauté pour dédommager des blessures qu'on se fait en iVi»- minant; et fut-elle cent fois plus jolie, ma petite cousine, «»«« ses p<ftils doigts sensibles , serait bientôt rebutée de caresser ont plante de si mauvaise humeur.

La famille des ombelliferes est nombreuse, et si naturelle, q"* ses genres sont très-difficiles à distinguer : ce snul des frère* q«f la grande ressemblance fait souvent prendre l'un pour l'autre. Pour aider à s'y reconnaître, on a imagino des distinctions p"n- cipales qui sont quelquefois utiles , mais sur lesquelles il ne fs«t pas non pins trop compter. Le foyer d'oii partent les ray<>0*» tant de la grande que de la petite ombelle, n*est pas toujours ooi

SUR LA BOTANIQIIF ^r^j

il est quelquefois entouré de folioles, comme d'une manchcltr. Ou donne à ces folioles le nom d'tnvoiucre ( enveloppe ). Qunnci la çrande ombelle a une manchette, on donne à celte manchette le nom de grand involncre : on appelle petits involucrea , ceux qui entourent quelquefois les petites ombelles. Cela donne lieu à iroU sections des ombelliferes.

1". Celles qui ont grand involncre et petits involucres;

a*. Celles qui n'ont que les petits invoiucres seulement j

H*. Celles qui n'ont ni grands ni petits involucres.

Il semblerait manquer une quatrième division de celles qui ont ^nn jE^rand involncre et point de petits, maison ne connaît aucun

rnre qui soit constamment dans et* cas.

Vos étonnans progrès , chère cousine , et votre patience m'ont tellement enhardi que, comptant pour rien votre peine, j'ai osé TOUS décrire la famille des ombelltfêres sans fixer vos yeux sur aucan modèle, ce qui a rendu nécessairement voire attention beaucoup plus fatigante. Cependant j'ose douter, lisant comme vous savee faire , qu'après une ou deux lectures de ma lettre , une ombelllfere en fleurs échappe à votre esprit en frappant vos jeuK i et , dans cette saison , vous ne pouvez manquer d'en trou- ver plusieurs dans les jardins et dans la campagne.

Elles ont Ja plupart, les fleurs blanches. Telles sont la carotte, lecerfeuil, le persil, lacigué, Tangelique, la berce , la berle, la boucage , le cnervis ou girole, la percepicrre, etc.

<^uelques-unes , comme le fenouil , l'anet, le panais , sont à fleurs jaunes : il y en a peu à fleurs rougeâtres, et point d'aucune autre couleur.

Voila , me diret-vous, une belle notion générale des ombelli- feres : mais comment tout ce vague savoir me garantira— t-i! de confondre la ciguë avec le cerfeuil et le persil , que vous venet de nommer avec elle ? La moindre cuisinière en saura ïà-dessus

lus que nous avec toute notre doctrine. Vous ave« raison. Mais eudant , si nous commençons par les observations de détails , liientôt , accablés par le nombre , la mémoire nous abandonnera , et nous nous perdrons dès les premiers pas dans ce règne im- mense : au lieu que si nous commençons par bien reconnaître les grandes routes , nous nous égarerons rarement dans les sentier* » et nous nous retrouverons partout sans beaucoup de peine. Don- nons cependant quelque exception h rutililé de Tobjet , et ne

ou* eiposons pas , tout en anafisant le règne végétal , à manger

ar ignorance une omelette à la cigué. I>a petite ciguë des jardins est une ombellifère, ainsi que le persil et le cerfeuil. Elle a la fleur blanche comme l'un et l'au- tre (i) 5 elle est, aver le dernier, dans la section qui a la petite enveloppe et qui n'a pas la grande j elle leur ressemble assez par son feuillage , pour qu'il ne soit pas aisé de vous en marquer par

t(i) La npur du persil e»t un peu jaunâtre; mai» pliuiears fleuri d'om- lltfêre* paraiftwnt jaunes» â cauie de lovaire el des authères, et Ment pas d'avoir les prlalri blauc». ^_

476 LETTR ES

écrit les diflércnces. Mais voici de» carvtcres sulTlsan* pour

vous Y pa^ tromper.

Il faut commencer par voir en (leurs ces diverses plantes ; c*r c'est en cet état que la ci^uë a son caractère propre. C'est devoir tous chaque npiite ombelle un petit involucre composé de Iroi* petites folioles pointues , nssez longues , et toutes trois tournée» en dehors, au lieu que les folioles des petites ombelles du cerfeuil l'enveloppent tout autour, et sont lourm-'es également de tous les côtés. A l'égard du persil , à peine a-l-il quelques courtes fo- lioles » fines comme des cheveux, et distribuées iudifleremment , tant dans la crande ombelle que daus les petites , qui toutes wnl claires et maigres.

Quand vous vous serez bien assurée de la ciguë en Aeurs , voui vous confirmerez dans votre jugement en froissant Icgcreraent et flairant son feuillage ; car son odeur puante et vireuse ne vou«!j laissera pas confondre avec le persil m avec le cerfeuil , qui , loui deiiK , ont des odeurs agréables. Bien sûre enfin de ne pas fajff de quiproquo , vous examineree ensemble et séparément ces trois plantes dans tous leurs étals et par toutes leurs parties, surtout

})ar le feuillage , qui les accompagne plus constamment que la ïeurj et par cet examen , comparé et répété jusqu'à ce que xoa avez acquis la certitude du coup-d'reil , vous parviendrez à du- tmguer et connaître imperturbablement ta ciguë. L'élude nou» mène ainsi jusqu'à la porte de la pratique , après quoi celle-<î f*ïl la facilité nu savoir.

Prenez haleine, chère cousine , car voilà une lettre excédante; je n'ose même vous promettre plus de discrétion dans celle qui doit la suivre; mais, après cela, nous n'aurons devant nous qo'un rliemiu bordé de fleurs. Vous en méritez une couronne pour U douceur et la constance avec laquelle vous daignes nie suivrt A travers ces broussailles , sans vous rebuter de leurs épines.

LETTRE YL

Du 3 mai I7t5>

QuoiQtj'it. vous reste , chcrc cousine , bien des choses à délirer dans les notions de nos cinq premières familles, et que je naïf pas toujours su mettre mes dficriplions à la portée de notre pe- tite botanophîfe ( nmatrice de la botanique ) , je crois néanmOiV^ vous en avoir donné une idée sufTisanle pour pouvoir, après quel- ques mois d'herborisation , vous familiariser avec l'idée géoéralf au port de chaque famille : en sorte qu*n l'aspect d'une plante vous puissiez conjecturer à peu près si elle appartient à t^^xtV qu'une des cinq familles, et à laquelle, sauf à vérifier ensuite, par l'analise de la fructification, si vous vous i-les trompée ou non dans votre conjecture. Les orabellifcres, par exemple, »0W ont jetée dans quelque embarras, mais dont vous pouvet sortir quand il vous plaira, au roo^en des indications c^ne )*ai joint^^^

Lj

\

SUR LA BOTANIQUE.

477

aux (lescrîplioBS ; car enfin les carottes, les panais, sont choses si communes , que rien n'est plu» aisé , dans le milieu de l'été , que de se faire montrer Tune ou l'autre en Heurs dans an pota- ger. Or, au simple aspect de l'ombelle et de la plante ijui la porte, ou doit prendre une idée si nette des ombellifei'es , qu'à la ren- contre u une plante de cette famille on s\ trompera rarement au premier coup-d*reil. Voilà tout ce que j'ai prétendu jusqu'ici , car si ne sera pas question sitôt des genres et des espèces j et , encore une fois, ce n'est pas une nomenclature de perroquet qu'il s'agit d'acquérir , mais une science réelle , et Tune des sciences les plus aimaoles qu'il soit possible de cultiver. Je passe donc à notre sixième famille avant de prendre une route plus méthodique : elle pourra vous euibarrasser d'abord , autant et plus que les om- belliJeres. Mais mon but n'est , quant à présent , que de vous eu donner une notion générale , d'autant plus que nous avons bien du temps encore avant celui de la pleme floraison, et que ce temps, bien employé, pourra vous aplanir des difl'icultés contre Je«quelles il ne faut pas lutter eucore.

Prenez une de ces petites fleurs qui , dans cette saison , tapis- Mot tes pâturages , et qu'on appelle ici pâqueretUê , petites mar^ guérites , ou marguerites tout court. Kegarder— la bien , car , à sou aspect, je suis sûr de vous surprendre en vous disant que cette fleur , si petite et si mignonne , est réellement composée de deux ou trois cents autres iieurs toutes parfaites , c'est— à-iiire , ayant chacune sa corolle , son germe , son pistil , ses étamines , sa graine, en un mot auAsi parfaite en son espèce qu'une fleur de jacinthe ou de lis. Chacune de ces folioles , blanches en dessus , roses «n dessous, qui forment comme une couronne autour de In margue- rite , et qui ne vous paraissent tout au plus qu'autant de petits pétales , sont réellement autant de véritaoles fleurs ; et chacun de ces petits brins jaunes que voua voyez dans le centre , et que d'a- bord vous n'avez peut-être pris que pour des étamines, sont en- coreanlant de véritables fleurs. Si vous aviez déjà lesdoiglseKercés aux dissections botaniques , que vous vous armassiez d*une bonne loupe et de beaucoup ue patience , je pourrais vous convaincre de cette vérité par vos propres yeux j mais , pour le présent , il faut commencer , s'il vous plaît , par m'en croire sur ma parole , de peur de fatiguer votre attention sur des atomes. Cepenuaut , pour vous mettre au moins sur la vote, arrachez une des folioles blan- ehes de la couronne ; vous croirez d'abord cette foliole plate d'un bout à l'auLrej mais regardez-la bieu par Je bout qui était atta- ché à la ileur, vous verrez que ce bout n'e^it pas plat , mais rond et creux en forme de tube , et que de ce tube sort un petit filet à deux cornes : ce filel e^t le style fourchu de cette fleur , qui y comme vous voyez, n'est plate que par le haut.

Regardez maintenant les brins jaunes qui sont au milieu de la fleur et que je vous ait dit être autant de fleurs eux-mêmes -, li Ja Jleur est as^ez avancée , vous en verrez plusieurs tout autour , lesquels soDt ouverts dans le milieu et même découpé» en plu-

478 LETTRES

sieurs parties. Ce sont des corolles monopétales qui s*epanoui&<nt, et Jaus lesquelles la loupe vous ferait aisément distinguer le pistil et même les anthères dont il est entoure : ordinairexucnt les fleu- rons jaunes, qu'on voit au centre, sont encore arrondis et non perces -, ce sont des fleurs comme les autres , mais qui ne sont encore épanouies; car elles ne s'épanouissent que successivement en avançant des bords vers le centre. En voilà asser. pour voaa luoulrer à iVil la possibilité que tous ces brins , tant blancs qu» jaunes, soient réellement autant de tleurs parfaites; et c'est un lait très-constant : vous voyez néanmoins que toutes ces petiin fleurs sout pressées et renfermées dans un calice qui leur est com- mun , cl qui est celui de la marguerite. En considérant toute U marguerite comme une seule (leur , ce sera donc lui donner un nom très-convenable que de l'appeler une /leur composée ; or il y a un grand nombre d'espèces et de genres de fleurs formées comme la marguerite d'uu assemblage d'autres Oeurs plus petites ^ conte- nues dans un calice commun. Voilà ce qui constitue la sixième famille dont j'avais à vous parler , savoir celle desJUur» eem* posées.

Commençons par ôter ici l'équivoque du mot de ileur, m restreignant ce nom dans la présente famille à la fleur compoiêe, et donnant celui àe fleurons aux petites fleurs qui la composcot; mais n'oublions pas que, dans la précision du mot, ces tleurorrt eux-mêmes sont autant de véritables fleurs.

Vous avCK vu dans la marguerite deux sortes de fleurons, m* voir, ceux de couleur jaune qui remplissent le milieu de la fleur, et les petites languettes blaucues qui les entourent : les premiert sont , dans leur petitesse, assez semblables de figure aux flcnn du muguet ou de la jacinthe , et les seconds ont quelque rapport aux fleurs du chèvre-feuille. Nous laisserons aux premiers le nom de fleurons ^ et, pour distinguer les autres , nous les appelleront dumi'-fleurons , car , en effet, ils ont assez l'air de fleurs motur*

Î létales , qu'on aurait rognées par un côté en n'y laissant qaW anguette qui ferait à peine la moitié de la corolle.

Ces deux sortes de fleurons se combinent dans les fleurs com- posées de manière à diviser toute la famille en troî» sectn>&f oien distinctes.

La première section est formée de celles qui ne sont compoMi que de languettes ou demi-fleurons, tant au milieu qu'à U cir- conférence : on les appelle fleurs demi-fleuronnées ; et la flfW eutière dans cette section est toujours d'une seule couleur , le p^"* souvent jaune. Telle est la fleur appelée deut-de-lion ou pissenlit; telles sont les fleurs de laitues , de chicorée ( celle-ci est bleot 1 1 de scorsonère , de salsifis , etc.

La seconde section comprend \ei fleurs fleuronnées^ c*«l^ dire, qui ne sont composées que de fleurons , tous pour l'or^»" naire aussi d'une seule couleur: telles sont les fleurs d'iramorlfH*;. de bardane , d'absvntbe, d'armoise, de chardon^ d'articbml qui est un chardon lui- même dont on mange le calice et Ici^

r

SUR LA BOTANIQUE. 479

c«ptacle encore en bouton avant nue la fleur soit cclose et même formée. Celle bourre, uiron ôle du milieu de l'artichaut , nV$t autre chose que Tassemulage des lleurons qui commencent a se former, et qui sont séparés le& uns des autres par de longs poilj implantes sur le réceptacle.

La troisième scctiou est celle des (leurs qui rassemblent les deux sortes de fleurons. Cela se fait toujours de manière que les ileurons eutiers occupent le centre de la fleur, et les demi-fleu- rons forment le contour ou la circonférence, comme vous avez vu dans la pâquerette. Les Heurs de cette section s'appellent VadiéeSt les botanisteâ ayant donné le nom de rayon au contour d^une fleur composée , quand il est formé de Jang;uelles ou demi— fleuron^. A IVgard de 1 aire ou du centre de la Heur occupé par les ileurons , ou l'appelle le dUque , et ou donne aussi quelquefois ce même nom de aisque à la surface du réceptacle sont plan- Itffi tous Ipâ fleurons et demi-fleurons. Dans les fleurs radiées, le disque est souvent d'uuf couleur et le ra^on d'une autre^ cepen- dant il y a aussi des genres et des espèces oii tous les deux soûl de la même couleur.

TiWhons À présent de bien déterminer dans votre esprit Vidée <Vtxne Jleur composée. Le tréfile ordinaire fleurit en celle saison j sa (leur est pourpre : s*il vous en tombait une sous ta main , vous pourriez, en voyant tant de petites fleurs rassemblées, être tentée de prendre le tout pour une fleur composée. Vous vous Irompe- ricK ; en quoi ? en ce que , pour constituer une fleur composée , il ne ftuftil pas d'une ai*régalion de plusieurs [>etitrs fleurs, mais qu'il faut de plus qu'aune ou deux des parties de ta fructification leur soient communes, de manière que toutes aient parla In même, et qu'aucune n'ail la sienne séparément. Ces deux parties communes sont le calice et le réceptacle. Il est vrai <|uc la flenr de trefflc , ou plutôt le groupe de fleurs qui n'en semblent qu'une, parait d'abord portée sur une espèce de calice; luais écartez un peu ce prétendu calice , et vou& verrez qu'il ne tient point û la flenr, mais qu'il est attaché au-dessous d'elle au pédicule qui la porte. Aiusi, ce calice apparent u*cn est point un; il appartient au feuillage, et non pas à la fleur; et celte prétendue fleur n'est , en elfet , qu'un assemblage de fleurs légumineuses fort petites, dont chacune a son calice particulier, et qui n'ont absolument rien de commun entre elles que leur attache au même pédicule. L'usage est pourtant de prendre tout cela pour une seule fleur ^ mais c'est une fausse idée , ou si l'on veut absolument regarder corame une fleur un bouquet de cette espèce, il ne faut pas en moins l'appeler une JUur composée , mais une fleur agrégée ou une Icte {Jlos aggrtgatus , flou capitalus , capitulum). Et ces dé- noaiinalions sont en elfet quelquefois employées eu ce sens par le» botanistes.

Voilà, chère cousine, la notion la plus simple et la plus natu- relle que je puisse vous donner de la famille, uu plutôt de la norubrcuse classe deâ composées ^ et des trois sections ou familles

48o LETTRES

dans lesquelles elles se subdivisent. Il fjul niainlenaul vous pdf* 1er ite la structure des fnictili cal ions particulières à cette clasae , et cela uous juenera peut-être à en déterminer le caractère avec plus de précision.

La partie la plus essentielle d*nne fleur composée est le récc|h* tacle &ur lequel sont plantés , d'abord les fleurons et demi-tleu- rons, et ensuite les graines qui leur succèdeut. Ce réceptadt , qui forme un disque d'une certaine étendue , fait le centre cJllîce, coiuiue vous pou\ez voir dans le pissenlit , que nouspren- drODS ici pour exemple. Le calice, dans toute celte famille, est urdînaircment découpé jusqu^à.la base en plusieurs pièces , a£o qu'il puisse se fermer , se rouvrir et se renverser, comme il ar- rive dans le progrès de la fructification , sans y causer de drcbî- rure. Le calice du pissenlit est formé de deux rangs de folioia insérés l'un dans l'autre , et les folioles du rang extérieur (^uî soti- tient l'autre se recourbent et replient en bas vers le pédicule, tandis que les folioles du rang intérieur restent droites pour en- tourer et contenir les demi-ileuroiis qui composent la (feiir.

L'ne forme encore des plus communes aux calices de cett« classe est d'être imbriqués , c'est-à-dire , formés de plusictu» rangs de folioles en recouvrement, les unes sur les joini» à» autres , comme les luiles d'un toit. L'artichaut , le bluel , la j»- cce, la scorsonère, vous oÛreat des exemples de calices iinbn^ qués.

Les fleurons et demi-fleurons enfermés dans le calice M»l ])lautés fort dru sur son disque ou réceptacle en quiuconcc , M comme les cases d'un damier. Quelquefois ils s'eutretoucfa nu sans rien d'intermédiaire, quelquefois ils sont séparés des cloisons de poils ou de petites écailles qui restent altar au réceptacle quand les graines sont tombées. Vous voilà sur li voie d'observer les différeuccs de calices et de réceptacles, p«f Ions à présent de la structure des fleurons et demi-lleurooi^n commençant par les premiers.

Un fleuron est une fleur monopétalc , régulière, pour TonlK iiaire, dont la corolle se fend dans le haut en quatre ou cii^ parties. Dans cette corolle sont attachés, À son tube, les fill** des étamines au nombre de cinq : ces cinq fîlets se réunissent pif le haut en un petit tube rond qui entoure le pistil, et ce tttjx n'est autre chose que les cinq anthères ou étamines réunie» cif- cuUirement en un seul corps. Cette réunion des étamines forvc* aux yeuK des botanistes, le caractère essentiel des fleurs comp** fiées , et n'appartient qu'à leurs fleurons exclusivement à touto •ortes de fleurs. Ainsi vous aurez beau trouver plusieurs dcun portées sur un même di&que , comme dans les scabieuses et l< chardon à foulou; les anthères ne se réunissent pas en uu tuW autour du pistil , et si la corolle ne porte pas sur une scu! nue , ces fleurs ne sont pas des fleurons cl ne fonxicnt (leur composée. Au contraire, quand vous trouveriez dau> uixt Ucur uoiuuo le» .Lotbère» aiu^ reuiùed ea ua &eul cof ps , ri '~

SLR LA BOTANIQUE. /;Si

hrollc $n|>^re posée sur une seule graine , cette fleur, quoique teule , sorait uu vrai Qeuron , et appartiendrait à la famille des composées, dont il vaut inieim tirer ainsi le caractère d'une struc- •e précise , que d'une apparence trompeuse. Le pistil porle un st^lc plusî tung d*ordinaire que le flcnroa Tu-desnus duquel on le voit s' «-lever â travers le tube rormc par les anthères. 11 se termine le plus souvent , dans le haut , par un stigmate fourchu dont on voit aisément les deux pelite& cornes. Par son pied , le pislil ne porte pas immédiatement sur le recep- ""Scle , non plus (|ue le fleuron; mais l'un et l'autre y tionuent le germe ipii leur sert de base , lequel croit et s'allonge à me- [re que le (leuron se dessèche , et devient enfin une graine lon- )etle qui reste allachée au réceptacle, jusqu'à te qu'elle soit "ire. Alors elle tombe si elle est nue ^ ou bien le vent IVmporte loin si elle eit courunncc d'uue aigrette de plumes, et le ré— ceptacle reste k découvert tout nu dans des genres , ou garni d'é- ' [lies ou de poils dans d'autres.

~ttt structure des demi-tleurons est semblable à celle des fleu- 15; les étamines, le pistil , et la graine y sont arrangés à peu de même : seulement dans les lleurs radiées il y a plusieurs irës oii les demi-lleurnus de contour sont sujets à avorter, soit irce quMs manquf^nt d*c-tamincs , soit parce que celles qu'ils ont ^nt stériles , et n'ont pas la force de féconder le germe; alors la fleur ne grène que par les fleurons du milieu.

Dans toute la classe des composées, la graine est loujour» *«rï/Vff, c'est-à-dire qu'elle porte iramédialemeut sur le retep- "* icle sons aucun pédicule intermédiaire. Mais il y a des graines ml le sommet est couronne par une aigrette quelquefois sessile » et qiielqtiefois attachée à la graiue par un pédicule. Vous com- prenez que Tuiage de celte aigrette est d'éparpiller au loin les semences , en donnant plus de prise à l'aîr , pour les emporter et semer û distance.

A ces descriptions informes et tronquées , je dois ajouter que les calices ont, pour l'ordinaire, la propriété de s'ouvrir quand la fleur s'épanouit , de se refermer quand les fleurons se sèment tombent , afm de contenir la jeune graine el TempècLcr de se tandre avant sa maturité; enfin de se rouvrir et de se renverser «it-à-fait pour offrir dans leur centre une aire plus large aux rames qui grossissent en miirissnnt. \'ous avezdil souvent voir le pissenlit dans cet état , quand les enfans le cueillftiil pour i,ou(Wer dans ses aigrettes , qui forment un globe autour du calice renversé.

Pour bieo connaître cette classe , il faut en suivre les fleurs dès avant leur épanouissement jusqu'à la pleine maturiré du fruit , et c'eîl dans cette succession qu'on voit des métamorphoses et un enchaînement de merveilles qui tiennent tout esprit sain d les observe dans une continuelle admiration. Vno. fleur com- le pour ces obser\'ations e^t celle des soleils, qu'on rencontre fuuemmcut dans les vignes et dans les jardins. Le soleil ,

3i

483

LETTRES

comme vous voyer , est une radiée. La reine-margti«rr dans r<iiiiomnp, fait rornement des parterre*, en eslurit.' îiUi» Les chardons (l) «ont des fleuronnêe» : j'ai déjà dit <\t\^ In *■:<»- soiière et le pissenlit sont des derui-fleuronnccs. Toi; li

flotii asscr grosses pour pouvoir cire disséquées et ti V

nu sans le fatiguer beaucoup.

Je ne vous eu dirai pas davantage aujourd'hui sur la famiU <»u classe des composées. Je iremble déjà d'avoir trop abuft^ votre patience par des dctaiU que j'aurais rendus plus claitvj j'avais su \cfi rendre plus courts , mais il m'e&t impossible sauver la difficulté qui naît de la petitesse des objets. Boa )Cim^ chère cousine.

LETTRE Vil.

Sur les arbres fruiiiera.

J'attendais de vos nouvelles , chcre cousine , sans impatiei parce que M. T. , que j*avais vu depuis la réception de vo(r« cédente lettre , m avait dit avoir laisse votre xuamau et 4ôttl voire famille en bonne santé. Je me réjouis d'en avoir la COU- firinatiou par vous-même , ainsi que des Donnes et fraîches noi velles que vous me donnez de ma tante Gonceru. Son souvenil et sa bénédiction ont épanoui de joie un cœur à qui « depuis loo( temps, ou ne fait plus guère éprouver des ces sortes do mouvi lUGus. C'est par elle que je liens encore à quelque chose de bit précieux sur la terre; et tanl que je la conserverai ^ je continua rai f quoi qu'on fasse , ù aimer la vie. Voici le temps de profîM «le vos bontés ordinaires pour elle et pour moi j il me seinbl que ma petite oflVande prend un prix réel en passant par mains. Si votre cher époux vient bientôt à Pans , comme M ine le faites espérer, je le prierai de vouloir bien se charger mon tribut annuel : mais, s'il tarde un peu , je vous pne de ni marquer à qui je dois le remettre, afin qu'il n'y ait point dl retard et que vous n'en fassiez pas l'avance comme l'année d«r^ nière , ce que je sais que vous faites avec plaisir , mais à quoi |f ne dois pas consentir sans nécessité.

Voici, chère cousine, les noms des plantes que vous m'ai envoyées en dernier lieu. J'ai ajonl« un poinl d interrogation ceux dont je suis en doute , parce que vous n'avez pas eu loinJ d'y mettre des feuilles avec la fleur, et que le feuillage - vent nécessaire pour déterminer l'espèce à un aussi min< niste que moi. En arrivant à Fourrière , vous trouverez la plu- part des arbres fruitiers en fleurs, et je rue souviens que voi aviez désiré quelques directions sur cet article. Je ne puis ei " moment vous tracer là-dessus que quelques mots très à la hi

(i) Il fkul prendre garde de n*y pas mêler chardon i foufiMi boDuetiers, qui n'est paa an vrai clianloH.

SLR L\ BOTANIQUE. ^^

it (rcs-pressé , et afin que vous ne perdiez pas encore une Mison pour cet examen.

II ne faut pas, chère amie , donner à la botanique une impor- tance qu'elle u*a pas^ c'est une étude de pure curiosité, et qui n'a d'autre utilité réelle que celle que peut tirer un être pensant sensible de l'observation de la nature et des merveilles de inivcrs. L'homme a dénaturé beaucoup de choses iiour le» [eux convertir à son usage ; en cela il n'est point à blAïuer i is il n*en est pas moins Mai qu'il les a souvent défigurées , et, te quand , dans les rruyres de ses mains , il croit étudier vrai— lent ta nature , il se trompe. Cette erreur a Heu surtout dans ' société civile; elle a lieu de même dans les jardins. Ces fleurs ibles, qu*ou admire dans les parterres, sont des monstres dé- rurvus de la faculté de produire leur semblable, dont la na- a doué tons les êtres organisés. Les arbres fruitiers sont à prés dans le inéme cas par la greHe : v^us aures beau Iftnter des pépins de poires et de pommes des meilleures espères , *en naîtra jamais que des sauvageons. Ainsi, pour connaître (poire et la pomme de la nature, il faut les chercher, non dans itaçers, mais dans les forêts. La chair n'en est pas &i grosse icculente, mais les semences en mi^rissent mieux, en niul- It davantage, et les arbres en sont infiniment plus grands tlufi vigoureux. i^Iais j'entame ici un article qui inc mènerait

loin : revenons à nos potagers. [os arbres fruitiers, quoique greffés, gardent dans leur fruc— Ication tous les caractères botaniques qui les distinguent ; et (t par rétude attentive de ces caractères, aussi bien que par transformations de la greffe , qu'on s'assure qu'il n'y a , par impie, qu'une seule espèce do poire sous milfe noms divers, lesquels la forme et la saveur de leurs fruits les a fait dis- ;uer en autant de prétendues espèces qui ne sont , au fond , le des variétés. Bien plus , la poire et la pomme ne sont que [eux espèces du même genre , et leur unique différence bien ca- I t^tique est que le pédicule de la pomme entre dans un en- uent du fruit, et celui de la poire lient à un prolongement ffuil un peu allongé. De même toutes les sortes de cerises , Ignés , griottes , bigarreaux , ne sont que des variétés d'une le espèce : toutes les prunes ne sont qu'une espèce de prunes ; genre de la pruue coutient trois espèces principales, savoir, la prune proprement dite , la cerise , et l'abricot, qui n'est aussi qu'une espèce de prune. Ainsi, quand le savant Lmnonus , divi- sant le genre dans ses espèces, a dénommé la prune prune, la ftrunc cerise , et la prune abricot . les ignorans se sont moqués de , mais les observateurs ont admiré la justesse de ses réduc- llons, etc. il faut courir, je me h&te.

les arbres fruitiers entrent presque tous dans une famille

rnbrcuse , dont le caractère est facile à saisir, en ce que les

imines , en grand nombre , au lieu d'être attachées au rêcep-

ïc\e , sont aUacliécs au calice , par les intervalles qw* laissent

-S^^S^^a^

^î54 LETTRES

]e5 pétales entre eux ; toutes leu» fleurs sont poK'pclali

cinq communcinenl. Voici les principaux caraclores gènériqofî.

Le genre de la poire , qui comprend aussi la pomme et le < Calice uionopii^lle â cinq pointes. Corolle à cinq pétAlc* 4 clif^s au calice , une vingtaine d'étainines toutes aLtachci calice. Germe ou ovaire infère , c'est-à-dire nu-dessou* 4e 1] corolle, cinq styles. Fruits charnus à cinq Logcttes , contcui des graines y etc.

Le genre de la prune, qui comprend l'abricot, la cerise, ]e laurier-cerise. Calice , corolle et anthères ix peu près comme M poire; mais le germe est supère , c'est-à-*Jire dan» la corolle, il n'y a qu'un style. Fruit plus aqueux que charnu , couieuaul noyau, etc.

Le genre de l'amande, qui comprend aussi la pêche. Pi corume la prune , si ce n'est que le germe est velu , et que tj fruit, mou dans la pêche , sec dans l'amande , contient un uoyai dur, raboteux , parsemé de cavités, etc.

Tout ceci u'est que bieu grossièreiueut ébauché; mais C^eo assez pour vous amuser celte année. Bon jour, chère cousine.

LETTRE Mil

Sur herbiers.

Du II aTrit tj^S.^

GnACF. au ciel, chère cousine, vous voilà rétablie- Mail n'est pas sans que votre silence et celui de M. G-, que iavaJii| instamment prié de in'ecriru un mot k son arrivée , ue m*âi" causé bien des alarmes. Dans des inquiétudes de cette esi^èCC. rien n*e!it plus cruel que le silence , parce qu'il laU tout porta au pis; mais tout cela est déjà oublié , et je ne sens pli '

plaisir de votre rélablisseraenl. Le retour de la belle ^ vie moins sédentaire de Fourrière, et le plaisir de reniplu j^ccj succès la plus douce ainsi que la plus re.<^pcctahlc des fonctions J achèveront bientôt de l'affermir, et vous en sentirez moins In' tement Tabsence passagère de votre mari , au milieu des cbi gages de son attachement , et des soins continuels qVilt v< demandent.

La terre commence à verdir, les arbres n bourgeonner, h ilcurs à s'épanouir : il y en a déjà de passées; uu niomeut de retar pour la botanique nous reculerait d une année entière : ainfii f passe sans autre préambule.

Je crains que nous ne Payons traitée jusqu'ici d'une maniJ trop abstraite , en n'appliquant point nos idées sur des < détermmés : c'est le dctaut dans lequel je suis tombé , prin, lement à l'égard des orabelliferes. iii j'avais commencé par en mettre une sous les yeux, je vous aurais épargné une api cation Lrès-fatigoate sur un objet imaginaire y et à moi dn|

SUR LA DOTAXIQUE.

48S

criptioo) rlifticîles, auxquelles un simple coup-d'œil aurait «up- pléê. Malheureusement, h la distance oii la loi de la nécessité me lient de vous, je ne suis pas à porlée de vous montrer du Joîçl les objets ; mais si , chacun de noire côté , nous en pouvons ivuir sous les yeux de semblables , nous nous entendrons Irës- >ien Tnn l'autre en parlant de ce que nous voyons. Toute la lîfHculté pst quM faut que l'indication vienne de vous, car vous envoyer d*ici des plantes sèches serait ne rien faire. Pour bien reconnaître une plante , il faut commencer par la voir sur pied. -.es herbiers servent de niémoratifs pour celles qu'on a déjà connues , mais ils font mal connaître celles qu'on n*a pas vues liilparavant. (Test donc à vous de m'envoyer des plantes que roas voudrez connaître et que vous aurez cueillies sur pied ; et :*c4t à moi de vous les nommer , de les classer , et de les décrire, txjqu'à ce que , par les idées comparatives , devenues familières I Tos yeux el à votre esprit, vous parveniez â classer, ranger, 4 nommer vous-même celles que vous verre» pour la première bis, science qui seule distingue le vrai botaniste de Therboriste kU ihimenclateur. Il s*agit rionc ici d'appretirlre à préparer , des- )écLer et conserver les plantes ou échanlitlons de plantes, de Manière à les rendre faciles a reconnaître et à déterminer ; c'est , un mol , un herbier que je vous propose de commencer. î une grande occupation qui , de loin-, se prépare pour notre «matrice; car quant ù présent, et pour quelque temps ',il faudra que Tadresse de vos doigts supplée à la fai- des siens. y a d'abord une provision à faire; savoir, cinq ou six mains ter gris, et à peu près autant de papier blanc, de même- leur , assez fort et bien collé , sans quoi les plantes se pour- ent dans le papier gris , ou du moins les Oeurs y perdraient ir couleur , ce uni est une des parties qui les rendent recon- îfsables , et par lesquelles un herbier est agréable k voir. Il se- encore à désirer que vous eussiez -une presse de la grandeur ►Ire papier , ou du moins deux bouts de planches bien unies , aniére qu'en plaçant vos feuilles entre deux , vous les y puis- lenir pressées par les pierres ou autres corps pesnns dont vous erez la planche supérieure. Ces préparatifs feits , voici ce faut obnerver pour préparer vos plantes de manière à les r»-er et les reconnaître.

moment à choÎMr pour cela est celui oii la plante est en

e fleur, et oh ra^rac quelques fleurs commencent à tomber

faire place au fruit qui commence â paraître. C'est dans ce

oîi toutes les parties de la fructification sont sensibles ,

fant tâcher de prendre la plante pour la dessécher dans cet

petites plantes se prennent tontes entières avec leurs ra-

qu'on a soin de bien nettoyer avec une brosse, afin qu'il

fie point de terre. Si la terre est mouillée, on la laisse sé-

"pour la brosser, ou bien on lave la racine; mais il faut

4S6

LETTRES

Avoir alors la plus grande attention de la bien essuyer et d cher avant de ta mettre entre les papiers , sans quoi elle s*y pot rirait intaillibleinent et communiquerait sa pourriture aux autnc] plantes voisines. Il ne faut cependant s* obstiner à conserver Ut] racines qu'autant qu'elles ont quelques singularités remargiu-j blesj car, dans le plus grand nombre, les racines ramifiées breuses ont des formes si semblables , que ce nVst pas U peu les conserver. La nature , qui a tant fait pour l'élégance et nement dans la figure et la couleur des pfautp» en ce qui fr ]es yeux, a destiné les racines uniquement aux foiicliuns ulil», puisque étant cachées dans la terre leur donner une structurfj agréable eut été cacher la lumii*re sous le boisseau.

Les arbres et toutes les grandes plantes ne &e prennent qneparj échantillon : mais il faut que cet échantillon soit bien cboui, qu'il contienne toutes les parties constitutives du genre et de !'< pècc » afin qu'il puisse su (lire pour reconnaître et déterminer lai plante qui Ta fourni. H ne suml pas que toutes les parties de U| fructification y soient sensibles , ce qui ne servi rail qu'i distingotfj Je genre, il faut qu'on y voie bien le caractère de la fnlial)4 delà ramification , c'cst'à-dire la uai.'^sance et la forme des fc et des branches, et m^me, autant qu'il se peut, quelque pi de la lige ; car , comme vouk verrez dans la suite , tout cela à distinguer les espèces difrércntcs des mêmes genres qui parfaitement semblables par la fleur et le fruit. Si les nrant sont trop épaisses, on les amincit avec un couteau ou canif i •Hminunnt adroitement par-dessous de leur épaisseur autant^ cela se peut sans couper et mutiler les feuilles. Il y a de» " nistes oui ont la patience de fendre Técorce de la branche el tirer adroitement le bois , de façon que l'écorce rejointe vous montrer encore la branche entière, quoique le bois n' plus : au moyen de quoi l'on n'a point entre les papiers dci seurs et bosses trop considérables, qui gâtent, défigurent hier, et fout prendre une mauvaise forme aux plantes, "" plantes les fleurs et les feuilles ne vienneiiL pas en temps, ou naissent trop loin les unes des autres , on prend petite branche à fleurs el une petite branche à Icuille* ; «t, playant ensemble dans le nitme papier , on offre amsi à Vi diverses parties de la même plaiilp , fiuffisantes pour la fnïi cotmaitre. f^uant aux ]>lanles oii Ton ne trouve que f?r% frt et dont la fleur n'es! pas encore venue ou est déjà j il

faut laisser, et attendre, pour les reconnaître , qu'*i leur visage. Une plante n'est pas plus sûrement reconnautfblvi son feuillage , qu uu homme à son habit. '

Tel est le choix qu'il faut mettre dans ce qu'or» cueille t 3 faut mettre aussi dans le moment qu'on prend pour «"Ha^j plantes cueillies le matin à la rosée, ou le soir i l'huinidil le jour dur;iu{ la pluie, ne se conservent point. Il faut ab&oli choisir un temps sec, et même, dans ce temp»-li , le ta* plus sec Cl le plus chaud de la journée , qui est en vie enl

SUR I.A BOTAMQUK. 487

ircs du matin et cinq ou six heures du soir. Encore alors , si y trouve la moindre humidité, faul-il Ie$ laisser, car infail-

dément elles ne se cons<»rveront pas.

<Quand vous avez cueilli vos échantillons, vous les apportez au

gis, toujours bien au sec , pour les placer et arranger dans vos

kpiers. Pour cela vous faites votre premier lit de deux feuilles moins de papiers gris, sur Jesuuelle? vous placez une feuille de

ipiêr blanc, et sur cette feuilt* vous arrangez voire plante, lant grand soin que toutes ses parties, surtout les feuilles et fleurs, soient bien ouvertes et bien étendues dans leur situa- naturelle. La plante un peu flétrie, mais sans Tctre trop,

prête mieux pour Tordinaire à l'arrangement qu'on lui donne te papier avec te pouce et les doigts. Mais il y en 4 de rebelles

li se grippent d'un cûté, pendant qu'on les arrange de l'autre.

lur prévenir cet inconvénient, j*ai des plombs , de gros sous ,

s:

liards , avec lesquels j'assujettis les parties que je viens d'ar- inger, tandis que j'arrange les autres de façon que , quand j'ai

ma plante se trouve presque toute couverte de ces pièces it la tiennent en état. Après cela on pose une seconde feuille (■nche sur la première , rt on la presse avec la main , aBn da "nir la plante assujettie dans la situation qu'on lui a donnée , rançant ainsi la main gauche qui presse ù mesure qu'on retire ïc la droite les plombs et les gros sous qui sont entre les papiers: met ensuite deux autres feuilles de papier gris sur la seconde lie blanche , sans cesser un seul moment de tenir la plante ijetlie , de jK'ur qu'elle ne perde la situation qu'on lui a don- !. Sur ce papier gris ou met une autre feuille blanche ; sur Ite feuille une plante qu'on arrange et recouvre comme ci- ant , jusqu'à ce qu'on ait placé toute la moisson qu'on a ap- trtée, et qui ne doit pas être nombreuse pour chaque fois, in^ pour éviter la longueur du travail , que de peur que , du- ^i la dessicalion des plantes, le papier ne contracte quelque niidité par leur grand nombre : ce qui gâterait infailliblement plantes, si vous ne vous hâtiez de tes changer de papier avec mêmes attentions^ et c'est même ce qu'il faut faire de tempj I temps , jusqu'à ce qu'elles aient bien pris leur pli , et qu'elfcft ■ent toutes assez sèches.

Votre pile de plantes et de papiers ainsi arrangée doit être en presse , sans quoi les plantes se gripperaient : il y en qui veulent être plus pressées , d'autres moms ; rcxpcrieuce is apprendra cela , ainsi qu'à les changer de papier à propos * ausi souvent qu'il faut , sans vous donner un travail inutile, tfin , quand vos plantes seront bien sèches, vous les mettres m proprement chacune dans une feuille de papier , les unes les autres , sans avoir besoin de papiers intermédiaires , et ms aurez ainsi un herbier commencé , qui s'augmentera sans ise avec vos connaissances, et contiendra enfin l'histoire de loale la végétation du pays : au reste il faut toujours tenir un 'lerbier bien serré et uu peu eu presse; sans quoi les piaules,

>4B8

LETTRES

quelque scellés quVIles fussent , altireraiecl riiuiuiditû de V *e gripperaient encore.

Voici maintenant Tusage de tout ce travail pour parvenir & la connaissance^ particulière des planter, et à nous bieu enteodiv lorsque nous en parînns.

11 faut cueillir deux ochontillons de cbaque plante ; Tuu plai grand pour le garder, Tau tre plus prtit pour me l'envoyer. \i>bi^ les numéroterez avec soin , de façon qne le grand et le petJCi échantillons de cbaque espèce aient toujours le nièinr numéro. Quand vous aurez une donxainc ou deux d'espèces ainsi dn cliées , vous me les enverrez dans un petit cabier par quel occasion. Je vous enverrai le nom et la description des lut plantes; par le moven des numéros , vous les reconnaitreE votre herbier, et de li sur la terre, je suppose que aurez commencé de les bien enaminer. \oilà un moyen sÛf faire des progrès aussi suis et aussi rapides qu'il est possible loi» de votre guide.

iY. B. J'ai oublié de vous dire que les même papiers peuïwt^ servir plusieurs fois, pourvu qu'on ait soin de les bien aérer «assécher auparavant. Je dois ajouter aussi que l'herbier doit * tenu dans le lieu le plus sec de la maison , et plutôt au previ qu'au rez-de-chaussee.

DEUX LETTRES

A M. DE MALESHERBES.

PREMIERE LETTRE. Sur ta forma t des herbiers et sur la synonymie.

Oi j'ai tardé si long-teraps , monsieur, à répondre ea détailj Ja lettre que vous avez eu la bonté de m' écrire le 3 jani c'a été d'abord dans l'idée du voyage dont vous m'avîrc venu, et auquel je n'ai appris que dans la suite que vons renoncé , et ensuite par mon travail journalier qui m'esl tout d'un coup eu si grande abondance , que , pour tic r< personne , j'ai été forcé de m'y livrer tout entier j ce qui a la botaiiifjue une diversion de plusieurs mois. Mais entîn voîl saison revenue , et je me prépare à recommeucer mes ci champêtres, devenues, par une longue habitude « nécessaîrcfti mon humeur et à ma santé.

En parcourant ce qui me restait en plantes sèches , je ifi guère trouvé hors de mon herbier, auquel je ne veux pas cher , que quel4|ues doubles de ce que vous avez déjà ri^tt et cela ue valaut pas la peiue d'être rassemblé |>our un n*

SUR TA BOTANIQUE. 48tj

lier envoi, trouverais convenable de me faire, durant cet , Je bonnes fournitures, de les préparer, coller el r<inger trant l'hiver; après quoi je pourrai continuer de même d'an- en année, jusqu'à ce que j'eusse épuise tout ce que je pour— lis fournir. Si cet arrangenjent vous convient , monsieur, je l'y conformerai avec exactitude, et dès à présent je commen— ■rai mes collections. Je désirerais seulement savoir quelle forme ►us préférer. Mon idée serait de faire le fond de chaque hor- T sur du papier à lettre, tel que celui-ci; cVst ainsi que pa ai commencé un pour mon usage, et je sens chaque jour leux que la commodité de ce format compense amplement tvantage qu^ont de plus les grands herbiers. Le papier sur juel sont les plantes que je vous ai envoyées vaudrait encore lieux , mais je ne puis retrouver du même , et Timpot snr les ^piers a tellement dénaturé leur fabrication . que je n'en puis lus trouver pour noter, qui ne perce pas. J'ai le projet aussi ITone forme de petits herbiers à mettre dans la poche pour les [tantes en miniature ,qui ne sont pas les nioinscii rieuses, et je n'y rais entrer néanmoins que des plantes qui pourraient y tenir en- tres , racines et tout j entre autres, la plupart des mousses , clau\ , peplis, montîa , sagina , passe-pierre, etc. Il me tbJe que ces herbiers mignons pourraient devenir eharmans précieux en même temps. Enfin il y a des plantes d'une crr- \iné grandeur qui ne peuvent conser\*er leur port dans un petit lace , et des échantillons si parfaits que ce serait dommage les mutiler. Je destine à ces belles plantes du papier grand fort, et j'en ai déjà quelques-unes qui font un fort bel effet ms cette forme.

Il y a long-temps que j'éprouve les difTicultés delà nomen- >ture, et j'ai souvent été tenté d'abandonner tout-à-fait titc partie. Aiais il faudrait en mêmr temps renoncer aux li- !S et À profiter des observations d'autrui j et il me semble l'un des plus grands charmes de la botanique est , après celui voir par soi-uiérue , celui de vérifier ce qu'ont vu les au- donner, sur le témoignage de mes propres yeux , mon ■otiment aux observations fines et justes d'un auteur me pâ- lit une véritable jouissance; au lieu que, quand je ne trouve ce qu'il dit , je suis toujours en inquiétude si ce n'est point >i uni vois mai. D'ailleurs, ne pouvant voir par moi-même le 91 peti de chose, il faut bien sur le reste me fier à ce le d'autres ont vu ; et leurs difl'érenlcs nomenclatures me for- il pour eela de percer de mon mieux le chaos de la syno- ûe. Il a fallu, pour ne pas m'y perdre, tout rapporter k nomenclature particulière, et j*ai choisi celle deLinnxus, it par la préférencr que j'ai donnée à son système , que parce ces noms composés seulement de deux mots me délivrent longues phrases des autres. Pour y rapporter sans peine elles de Tourncfort , il me faut très-souvent recourir à l'au- ^ur commua que tous deux citent assez constamment, savoir

^ ^"^

490 LETTRES

Oa9pard Baulnn. C'est dans son Pinai que cherche leur coraance. Car Liiiureus me paraît faire une chose convenaUsj et juste , quand Tournefort n*a fait que prendre la phrast fiauhin , de citer l'auteur original et non pas celui qui l'a ti rrtl, comme on fait très-in justement eu France. De sorte quoique presque toute la nomenclature de Tournefort soit mot ù mot du Pinax , on croirait, à lire les botanistes çais , qu'il n'a jamais existe ni Bauhin ni Pinax au moi et, pour comble , ils font encore un crime h Linnxus de voir pas imité leur partialité. A Tégard des plantes dont T( uefort n'a pas tire les noms du Piuax, on en trouve aiséi la concordance dans les auteurs français linn^istes , tels que vage, Gouan , Gérard , Gueltard , el d'Alibard qui l*a precqat] toujours suivi.

J'ai fait cet hiver une seule herborisation dans le bois deBosh! logne , et j'en ai rapporté quelques mousses. Mais il ne faut pli

s^attendre qn^on puisse compléter tous les genres , même par

espèce unique. Il y en a de bien diftïcilcs à melti

bicr, et il y en a de si rares qu'ils n'ont jamais passé et vraisem*

blablement ne passeront jamais sous mes yeux. Je crois que , Hafif

cette famille et celle de algues, il faut se tenir aux genr^

on rencontre assez souvent des espèces , pour avoir Ir ji

s'y reconnaître, el négliger ceux dont la vue ne nous repn

jamais notre ignorance, ou dont la figure cxlraordinairr

fera faire effort pour la vaincre. J'af la vue fort courte , n

deviennent mauvais, el je ne puis plus espérer de reçue

ce qui se présentera fortuitement dans les lieux à peu près jf j

saurai qu est ce que je cherche. A l'égard de la manière de dw^

cher , j'ai suivi M. de Jussieu dans sa dernière herborisation ,

je la trouvai si tumultueuse et si peu utile pour moi, qnr

il en aurait encore fait, j'aurais renoncé à l'y suivre. J';j

pagné son neven l'année dernière, moi vingtième, à >i

renci , et j'en ai rapporte quelques jolies plantes, eut:

la lysimachia- tcnelia^ que je crois vous avoir envoyée.

l' trouvé dans cette herborisation que les indications de ! fort et de Vaillant sont très-fautives , ou que, depuis eux»! des plantes ont changé de sol. J'ni cherché entre autres, engagé tout le monde k chercher avec soin, le plan(ag( nanthos à la queue de l'étang de Montraorenci et dans tous

[i endroits oii Tournefort el Vaillant l'indiquent, et nous ■* avons pu trouver un seul pied : en revanche j'ai trouve pli plantes de remarque , et même tout près de Paris , dans de» l elles ne sont point indiquées. Eu général j'ai toujours été - heureux en cherchant d'après les autres. Je trouve encore 1 mon compte k chercher de mon chef.

J'oubliais, monsieur, de vous parler de vos livres. Je n'ai encore qu'y jeter les yeux , el comme ils ne sont pas de taille^ porter dans la poche, et que je ne lis guère rété dans la cb»i DTC , je tarderai peut-être jusqu'à la fin de l'hiver proch

stjH la botanique 491

mt rendre ceux dont tous n^aurei pas afTaire avant ce temps-là.

faj commence tle lire Cj^nthologie de Pontedera y et j'y trouve

>ntre le système sexuel «les objections qui me paraissent biea

krtes , et dont je ne sais pas comment Linnxus sVst tiré. Je suis

lovent tenté d'écrire dans cet auteur et dans les autres les noms

Linnxus à côte des leurs pour me reconnaître. J'ai déjà même

à cette tentation pourquelques-uns , n'imaginant à cela rien

le d'avantageux pour l'exemplaire. Je sens pourtant que c'est

le liberté que je n'aurais pas dii prendre sans votre agrément,

je l'attenarai pour continuer.

Je vous dois des remerciniens, monsieur, pour Femplace- I^Dt que vous avex la bonté de in*oflrir pour la dessication des intes: mais , quoique ce soit uu avantage dont je sens bien la tvation, la nécessité de les visiter souvent , et IVloignement lieux . qui me ferait consumer beaucoup de temps en courses, 'empêchent de me prévaloir de cette olFre.

La fantaisie m'a pris de faire une collection de fruits et de kines de toute espi-ce , qui devraient, avec un herbier, faire troisième partie d'un cabinet d'histoire naturelle. Quoique lie encore acqui> très-peu de chose, et que je ne puisse espérer rien acquérir que très-lentement et par hasard , je sens déjà lur cet objet le défaut de place : mais le plaisir de parcourir visiter inces.iamnient ma petite collection peut seul inc payer peine de la faire ; et , si je la tenais loin de mes yeux , je ces- rais d'en jouir. Si, par hasard, vos gardes et jardiniers trou- lîent quelquefois sous leurs pas des faînes de hêtres, des fruits ^aunes, d'érables, de bouleau, et généralement de tous les fruits des arbres des forêts ou d*autres, qu'ils en ramassassent, en ïsant , quelques-uns dans leurs poches , et que vous voulussiez lîen m'en faire parvenirquelques échantillons par occasion, j'au- rai.* un double plaisir d'en orner ma collection naissante.

Kxcepté VHiéioira des mousses par Uilleuius , j'ai à moi les

autres livres de botanique dont vous m'envoyez la note: mais,

1 je n'en aurais aucun , je me garderais assurément de con-

à vous priver, pour mon agrément , du moindre des amu-

ftcuu-iis qni sont à votre portée. Je vous prie, monsieur, d'a-

jrter mon respect.

SECONDE LETTRE.

Sur les mousêes.

A Paris j le 19 décembre 1771.

Votri, monsieur, quelques échantillons de mousses quej'at .rassemblées à la bAtc, pour vous mettre à portée au moins de dis- tinguer les principaux genres avant que la saison de les observer ni passée. C*esL une étude à laquelle j'employai délicieusement 'n -r que j'ai passé à Woollon, oii je me trouvais environné de

491 LETTRES

montagnes, de boîs et de rochers tapissés de capillaires et'dft. mousses des pltis curienses. Mais, depuis lors, j*ai si bieu p cette famille de vue, que ma mémoire étfinte oe me foi presque plus rien de ce que j'avais acquis en ce genre; et n'aji point l'ouvrage de Dillenius, guide indispensable dnus cm cherches, je ne suis parvenu qu'avec beaucoup * * ett

^Tcnl avec donïe, à déterminer les espèces que je vous rn\i Plus je Hi'upiniîUre à vaincre lesdillicultés par moi-inêriie,et fj 'le secours de personne, plus je me confirme dans l'opinion ^i Ja botanique, telle qu'on la cultive , est une scieno ^iiin«l" '^uîert que par tradition : on montre la plante, ou la notiii la iigure et son nom se gravent ensemble dans la mémoire. Il peu de peine à retenir ainsi la nomenclature d'un erand noni de plantes: mais, quand on se croit pour cela botaniste, se trompe , on n'est qu'herboriste; et quand il s*agit de dél luiner par soi-même et sans guide les plantes qu'on n'a jan vues, c'est alors qu'on se trouve arrêté tout court , et qu on au bout de sa doctrine. Je suis resté plus ignorant encore en pl«-^ nant la ronte contraire. Toujours seul et sans autre niiiî' la nature , j'ai mis des elTorls incroyables k de lrè'>-faibles j Je suis parvenu à pouvoir , en bien travaillant, détermitp près les genres; mais pour les espèces, dont les dilTerm' souvent très-peu marquées par la nature , et plus mal »■; par les auteurs , je n'ai pu parvenir à en distinguer avec Vf. qu'un très-petit nombre , surtout dans la famille des raoussef , fl surtout dans les genres dilllciles, tels queleshypnum , l"^ '"i- germannin, les lichens. .Je crois pourtant être sur de celle

vous envoie, à une ou deux presque j'ai désignées nnr un j"

interroganl , afin que vous pui:ï5ie2 véritier, dans Vaillant eld^ni Dillenius, si je me snis trompé ou non. Quoi qu'il en soit, jc crois qu'il faut commencer à connaître empiriquement un cer^ lain nombre tl'espcces pourparvcnir à déterminer les autres, rt je crois qne celles que je vous envoie peuvent suffire , en l«étn» diautbien^ ;i vous familiariser avec la famille et à en di-' au moins les genres au premier coup-d'œil par le Jactn- à chacun d'eux. Mais il y a une autre dinacullé, c'est mousses ainsi disposées par brins n'ont point sur le p même coup-tr*cil qu'elles ont sur la terre rassemblées par toai ou gazons serrés. Ainsi l'on herborise inutilement dans un bier et surtout dans un moussier, si l'on n'a commencé par borisersuria terre. Cessortes de recueils doivent servir seulei de mémuratifs , mais non pas d'instruction première. Je di cependant , monsieur, que vous trouviez aisément le temps i patience de vous appesantir à l'examen de chaque touffe d'herk*] on de mousse que vous trouverez en votre chemin. Mais voi linoyen qu'il me semble que vous pourriei prendre pour anr avec succès toutes les productions végétales de vos environ», Iyou s ennuyer à des dctnits minutieux, insupportables poar let sprits accoutumés ii généraliser les idées et à regarder loaî"'

SUR LA BOTANIQUE. iiç>3

'objets en grand. Il faudrait inspirer à quelqu'un de vos laquai»,

"de ou garçon jardinier , un peu de goût pour l'étude des plantes,

le mènera voire suile dans vos promenades , lui faire cueillir

plantes que vous ne connaîtriez pas , particulièrement les

rou$ses et les cratuinees , deux faniilfes diiliciles et nombreuses.

faadrait qu'il tâchât de les prendre dans Telat de floraison irs caractères determinans sont les plus marques. Kn prenant

mx exemplaires de chacun , il en mettrait un à part pour me ivoycr , sous le mt'me numéro que le semblable qui vous res-

rait , et sur lequel vous feriez mettre ensuite le nom delà plante,

ind jevous l'aurais envoyé. Vous vous éviteriez ainsi le travail

fcelle détermination , et ce travail ne serait qu'un plaisir pour

K>i , qui eu ai Thabitude et qui m*y livre avec passion. 11 me ible , monsieur , que de celle manière vnus aurior fait en peu temps le relevé des productions végétales (]c vos terres et des

mrous, et que , vous livrant sans fatigue au plaisir d'observer,

>U5 pourriez encore , au moyen d'une noraenclalure assurée , rir celui de comparer vos observations avec celles des auteurs. se me fais pourtant pas fort de tout déterminer. Mais la lon^^ue ilude de fureter des campagnes m*a rendu familières la pIu'

trt des plantes indigènes. Il n'y a que les jardins et productions rtiques oii je me trouve en pays perdu, tnfin ce que je n'aurai déterminer sera pour vous , monsieur^ un objet de recherche

:de curiosité qui rendra vos amusemens plus piquans. Si cet 'angement vous plaît , je suis à vos ordres, et vous pouvez resAr de me procurer an amusement très-intéressant pour moi.

U'altends la note que vous m'avez promise pour travailler h (a iplir autant qu*il dépendrademoi. l/occupation de travailler rdes berbiers remplira très-agréablement mes beaux jours d'été.

fpcndant je ne prévois pas d'être jamais bien riche en plantes •angères ; et , selon moi , le plus grand agrément de la bola- |ae est de pouvoir étudier et connaître la nature autour de soi it^t qu'aux Indes. J'ai été pourtant assez lieureux pour pou- îr insérer dans le petit recueil , que j'ai eu l'honneur de vous

tvoyer , quelques plantes curieuses , et entre autres le vrai

ipier , qui jusqu'ici n'était point connu en France , pas même M. de Jussieu. Il est vrai que je n'ai pu vous envoyer qu'un

ri n bien misérable; mais c'en est assez pour distinguer ce rare précieux souchet. Voilà bien du bavardage; mais la botanique

l'entraîne , et j'ai le plaisir d'en parler avec vous : accordez- *i ,' monsieur , un peu d'indulgence.

iJe ne vous envoie que de vieilles mousses; j'en ai vainement

irché de nouvelles dans la campagne, il n'y en aura guère

l'au mois de février , parce que l'automne a été trop soc. tn-

'e faudra-t-il les chercher au loin. On n'en trouve guère an-

de Paris que les mêmes répétées.

494

LETTRES

QUINZE LETTRES

ADRESSÉES

A MADAME LA DUCHESSE

DE PORTLAND.

LETTRE PREMIERE.

A Woollou , le ao oclobrv 1706.

V ous avcs raison, niadarae la duchesse, de commencer la respoudance , mie vous me faites rhonueur de me proj par m*envoyer des livres pour me mettre en étal de la soute mais je crains que ce ne soit peine perdue^ je ne reliens plus i de ce que je ]is j je n'ai plus de luemoîre pour les livres , tnVn reste que pour les per^oiine^., pour les bontés qu'on a moi , et j'espère à ce titre profiler plus avec vos lettres qu' tous les livres de l'univers. Il en est un , madame , vous si bien lire , et oii je voudrais bien apprendre à épeler quel^ mots après vous. Heureux qui sait prendre assez Je goût tu intéressante lecture pour n'avoir besoin d'aucune autre , et méprisant les instructions des hommes qui sont menteur», tache à celles de la nature qui ne meut point ! Vous l'éli avec autant de plaisir que de succès ; vous (a suivez dans toi règnes aucune de ses productions ne vous est étrangère savez assortir les fossiles , les minéraux, les coquillages, cull les niantes , apprivoiser les oiseaux : et que n'apprivoiseriez- pas! Je counai»unanimal un peu sauvage qui vivrait avec plaisir dans votre ménagerie , eu attendant Thonneur admis un jour en momie dans votre cabinet.

J'aurais bien les mêmes goàts si j'étais en état de les satîsf«tf<^ mais un solitaire et un commençant de mon Âge doit rèti ' beaucoup l'univers, s'il veut le connaître^ et moi, qui me comme un insecte parmi les herbes d'un pré , je n*ai garde d m escalader les palmiers de l'Afrique ni les cèdres du Liban temps presse , et , loin d'aspirer à savoir un jour la bo' j'ose à peine espérer d'herboriser aussi bien que les rooi* paissent sous ma fenêtre, et de savoir comme eux trier mon

J'avoue pourtant , comme les hommes ne sont guère a quens , et que les tentations vieuiicut par la facilité d'y ber , que le jardin de mon excellent voisin M. de Granv...; donné le projet ambitieux d'en connaître les richesses : mais' précisément ce qui prouve que, ne sachant rien , je ne suit pour rien apprendre. Je vois les plantes , il me les nomme , \et' oublie -j je h's revois , il me le* renomme , je les oublie eo«>

Sl]R LA BOTANIQUE.

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n ne resuite de loiil cela que i'éprcuvc que uous faisons saas Icesse , moi de sa complaisance , et lui de mon incapacité. Ainsi >da côté de la botanique, peu d'avantage ^ mais un très-grand pour le bonheur de la vie dans celui de cultiver la société d'un voisin bienfaisant , obligeant , aimable , et pour dire encore ^plus , s*il est possible , à qui je dois l'honneur d'être connu de Vous.

Voyez donc , niadanie laduchesBe, quel ignare correspondant TOUS vous choisissez, et ce qu'il pourra mettre du sien contre vos lumières. Je suis en conscience obligé de vous avertir de la me- sure des miennes ^ après cela, si vousdaignezvous en contenter , la bonne heure; je n'ai garde de refuser un accord si avanta- geux pour moi. Je vous rendrai de Therbe pour vos plantes , des rêveries pour vos obscr\'alions ; je m'instruirai cependant par 'vos bontés : et puissé-je un jour , devenu meilleur liorborisle, orner de quelques fleurs la couronne aue vous doit la botanique « ir Thonneur que vous lui faites ac la cultiver I ^avais apporté de Suisse quelques plantes sèches qui se sont rries en chemin; c'est un herbier à recommencer, et je n'ai plus pour cela les mêmes ressources. Je détacherai toutefois de ce !qui me reste quelques échantillons des moins gâtés , auxquels

{.en joindrai quelques-uns de ce pavsen fort petit nombre, selon 'étendue de mon savoir , et je prierai M. Granville de vous les faire passer quand il en aura IVccasion ; mais il faut auparavant lies trier, les démoisir, et snrtout retrouver les noms à moitié éperdus ; ce qui n'est pas pour moi une petite affaire. Et , à pro- pos des noms, comment parviendrons-nous, madame, à nous entendre? Je ne connais point les noms anglais j ceux que je connais sont tous du Pinax de Gaspard Bauhin ou du SpeL-ies pinntarum de M. Linnaeus , et je ne puis en faire la synonymie avec Gérard, qui leur est antérieur à l'iiu et à Tautre , ni avec Je Synop&is y qui est antérieur au second , et qui cite rarement le premierj en sorte que mon Species me devient inutile pour vous nommer l'espèce de plante que j'y connais , et pour y rap- ^porler celle que vous pouvez me faire connaître. &\ , par hasard , madame la duchesse , vous aviez aussi le Species ptatttarum ou Pi/Htx ^ ce point de réunion nous serait très-commode pour entendre , sans quoi je ne sais pas trop comment nous

8.

'«vais écrit à mylord-maréchal deux jours avant de recevoir

tre dont vous m'avez honoré. Je lui en écrirai bientôt une

pour m*acquitter de vutre commission , et pour lui deman-

ses félicitations sur l'avantage que son nom m'a procure

de vous. J'ai renoncé à tout commerce de lettres hors avec

seni et un autre ami. Vous serez la troisième , madame la

hesse , et vous me ferez chérir toujours plus la botanique à je dois cet honneur. Passé cela , la porte est fermée aux

respondances. Je deviens de jour en jour plus paresseux ; il beaucoup d'écrire à cause de mes incommodités j et

496 LETTRES

conlcnld'un si buii clioix ie m'y borne , bicnsâ^qac , je î'ttett* dais davantage » Icnicme bonheur ne m'y suivrait pas.

Je vous supplie , zoadamc la duchesse , d'agréer mon profoodl respect.

caijue

marée

LETTRE II.

A VVoollon , le la février

Je n'aurais pas , mndame ïa duchesse » lardé un seu! înstai 1er , si je l'avais pu , vos inquiétudes sur la santé de niyl khal^inais je craignis de ne faire , en vous écrivant , qu*l nienler ces inquiétudes, qui devinrent pour moi des alai La seule chose qui me rassurât était que j'avais de lui une du 22 novembre ; et je présumais que ce qu'en disaionl te*; piers publics ne pouvait guère «Hre plus récent que cela. Jei sonnai là-dessus avec M. (îranvilte , qui devait partir danspc jours, et qui se chargea de vous rendre compte de ce que; avions pensé , en atlcudanl que je puisse , madame, tous qucr quelque chose de plus posilif: daus celte lellre, du a yembrr , inylord-marcchal me marquait qu*il se sentait yii et alTaiblir , qu'il n'écrivait plus qu'avec peine , qu'il a\ail l d'écrire à ses parens et annis , et qu'il m'écrirait désormaît rarement à mof-même. Celle résolution, qui peul-cire étiit 1 l'eflel de sa maladie , fait que son silence depuis ce tcnips-lil surprend moins , mais il me chagrine extrèmeracnt. J'atlei

3neh|ue réponse aux lettres que )e lui ai écrites; je la deil ai» incessamment , et j'espérais vous en faire part auisilôtj^ n'est rien venu. J'ai aussi écrit à son banquierâ Londres , qufl savait rien non plus, mais qui , a^anl fait des informatinip marqué qu'en effet mylord-maréchal avait été fort j mais qu'il était beaucoup mipuit. Voilà tout ce que j'ti: madame la duchesse. Probableuienl vous eu savez davaoU|^ présent vous-même ; et , cela supposé , j'oserais vous supplieri vouloir bien me faire écrire un mot pour me tirer du iroa je suis. A moins que des amis charitables uo m'instruisent ce qu'il m'importe de savoir, je ne suis pas en position de voir l'apprendre par moi-même.

Je n'ose presque plus vous parler de plantes, depuii <{vCi] vous ayapl trop annoncé les chiffons que j'avais appori'* i-- Suisse , je n'ai pu encore vous rîen envoyer. Il faut, th. ' TOUS avouer toute ma misère; outre que ces débris - ' la peine de vous être offerts , j'ai été relardé par la tl trouver les noms , qui manquaient à la plupart ; et celle dilûc mal vaincue m'a fait sentir que j'avais tait une entreprise' pénible à mon ilgc , en voulant lu'obstiner à connaître les pli tout seul. 11 faut en Ubtanîque commencer paraître guidés j il du moins npprendrc empiriquement les noms d'un cet nombre de jdunlcs avant de vouloir les étudier oivlhodit

SUR LA BOTANIQUE. 497

ment: il faut premièrement être herboriste, et puis devenir bo- taniste après , si Ton peut. J*ai voulu faire le contraire, et je uj'en suis mal trouvé. Les livres des botaTiistes inuclerne$ n'ins- truisent que les botanistes ; ils sont inutilesaun ignorans. II nous manque un livre vraiment élémentaire avec lequel un homme qui n'aurait jamais vu de plantes piU parvenir à les étudier 5eul. Voilà le livre qu'il me fanrlrait au défaut d'instructions verbales ; car les trouver? Il ny a point autour de ma de- meure d autres herboristes que les moutons. Vue diffîculté plus grande est que j'ai de très-mauvais yeux pour analiser les plantes par les parties de la frucLîBcatiou. Je voudrais étudier les mousses et les grauietis qui sont à ma portée; je m'éborgne, et je ne vois rien. Il semble , madame la duchesse , que vous ayez exactement deviné mes besoins en m'envoyant les deux livres qui me sont le plus utiles. Le Synopsis comprend des descriptions à ma portée cl que je suis en étal de suivre sans m'arracher les yeux , et le /'r/iVtr m'aide beaucoup par ses figures, qui prtîtent à mon ima- gination autant qu'un oDJct sans coiileurpput y prêter. C'est en- core un grand défaut des botanistes moaeroes de les avoir né- gligées entièrement. (^>uand j*ai vu dans mon Linnxus la classe et rot'dre d*une plante qui m'est inconnue, je voudrais nie fîgu- rer cette pUnte^ savoir si elle est grande ou petite, si la Qeur e*l bleue ou rouge , me représenter son port. Rien. Je lis une description caractéristique, d'après laquelle je ne puis rien me représenter. Cela n'est-il pas désolant?

Cependant, madame U duchesse, je suis assez fou pourm'obs- tiner , ou plutôt je suis assez sage , car ce goàtcst pour moi une allaire de raison. J*ai quelquefois besoin d'art pour me conserver dans ce calme précieux au milieu des agitations qui troublent ma vie, pour tenir au loin ces passions haineuses que vous ne connais^z pas, que je n'ai guère connues que dans lcsautre8,et qtï*' je ne veux pas laisser approcher de moi. Je ne veux pas, s'il t '»', quede iristcssouvenirs viennent troubler la paix de

1' ide. Je veux oublier les hommes et leurs injustices. Je

veux m'attendrir chaque jour sur les merveilles de celui qui les fit pour être bons , et dont ils ont si indignement dégradé l'ou- vrage. Les végétaux dans nos bois et dans nos raontagae& ftout encore tels qu'ils sortirent originairement de ses mains , et c'est l.f ({ue j'aime à étudier la nature ; car je vous avoue queje ne sens plus le même charme à herboriser dans un jardin. Je trouve qu'elle n'y est plus la même j elle y a plus d'éclat , mais elle n'y e«t pas si touchante. Les hommes disent qu'ils l'embellissent , et moi je trouve qu'ils la défigurent. Pardon, madame la duchesse ; .u parlant des jardins j'ai peut-être un peu médit du vôtre; ^ . si j'étais à portée, je lui ferais bien réparation. Que n'y lire seulement cinq on six herborisations à votre suite , i* docteur Solander ! Il me semble que le petit fonds de tiiuuaiiiances que je lAcherais de rapporter de ses instructions et des Tôires «umrait pour ranimer mon courage, souvent prit à 5. 3a

4^,8 LETTRES

fiuccoiubfr sousle poîJs de mon ignorance. Jevou» annonçai bavardage cl des rêveries j en vuilà beaiicon|i trop. tj0' des lierborUalion* d'hiver ; qnancl il n*y a pluft rien aur Ïm ferr*, j'herborise dans ma tête , et mal heureusement je ti'r ti-f^n»*.. '«< de mauvaise herbe. Tout ce que j'ai de bon test rel- mon cœur, madame la ducbeste , et il est plein de* »riiiiiiirn«j qui vous sont dus.

MeschiO'ons de plantes sont prêts ou k peu prêt ; mais fâtti de savoir les occasions pour les envoyer, jVttendrai le rf de M. Graiiville pour le prier de voue les faire parvenir.

LETTRE m,

Wootton , 38 février if^^*

Madakeladucbessb,

Pardounez mon iraportunîté : je $uis trop touché de la bonté que votts avez eue de me tirer de peine sur la santé de mvlord- inaréchal , pour différer à vous en remercier. Je suis pou sentiblfli k mille bons oflices uii ceux oui veulent me les rendre à touttj force consultent plus leur goût que le mien. Mais les soins pareibl à celui que vous avez bien voulu preudre en celte occasion m'af- fcctenl véritablement et me trouveront toujours plein de recoih- naissancc. C'est aussi, madame la duchesse, un sentiment qaij sera joint désormais à tous ceux que vous m*avez inspirés.

Pour dire à présent un petit mot de botanique, ;oici réchai tillon d'une plante que j'ai trouvée attachée k un rocher , et qi peut-être vous est très-connue , mais que pour moi je ne con naissais point du tout. Par sa figure et par sa fructilicatioD, elk parait appartenir aux fougères; mais, par sa substancQ «rt par ta stature , elle semble être de la famille des mousses. J'ai de trop mauvais yeux , un trop mauvais microscope , et trop veu de savoir, pour n'en décider là-dessus. Il faut, madame laducbrMe, que vous acceptiez les hommages de mon ignorance et de ma bonne volonté; c*est tout ce que je puis mettre de ma part «Uni notre correspondance , après le tribut de mon profond respect-

LETTRE IV.

A Wootton , Je ag avril 17^7.

Je reçois, madame taduchess«, avec nne nouvelle roconnab- sance les nouveaux lémoiguaf^es de votre souvenir et de vosb<ml)^ dans le livre que M. Cran^-illc m*a remis de voire part , et dans l'instruction que vous avez bien voulu me donnrr sur la p«Cit* plante qui mV'tait inconnue. Vou!i avez trouvi* un trcvbon tnovM de ranimer ma mémoire éteinte, et je suis trc»-ttir de n'<Mib1ipr jamais ce que j'aurai le bonheur d'apprendre de tmis. Ce pat4

I

SUR LA BOTANIQUE. 499

adianinm n'est paft rare sur nos rochers , et j'en ai même vu

Slusieurs ^lieds sur des racines d'arbres , iju'il wra facile dVil étaclier pour le transplanter sur vos murs. Vous aurer occasion , madame , de redresser bien des erreurs dans le petit misérable débris de plantes que M. Granville veut bien se charger de vous l'aire tenir. J'ai hasardé de donner des noms du Spccita de Linmcus k celles qui n'en avaient point ; iiiaij» je n'ai eu cette contiance qu'avec celle que vous voudrîeî bien marquer chaque faute et prendre la peine de m'en avertir. Dans cet espoir,) y ai même joint une petite plaute qui vient de vous y madame la duchesse , par M. Granville , et dont n'ayant pu trouver le nom par moi-même , j'ai pris le parti de laisser en blanc. Cette plante me paraît approcher de Vomitho- gnU ( Star of Btthlehem ) plus que d'aucune que je connaisse ; mais y sa fleur étant close et sa racine n'étant pas bulbeuse , je ne puis imaginer ce que c'est. Je ne vous envoie cette piaule que pour vous supplier de vouloir bien me la nommer.

E^ toutes les grâces que vous m'avez faites , madame la du-

chesse, celle à laquelle je suis le plus sensible et dont je suis le

Ï>lûs tenté d'abuser est a avoir bien voulu me donner plusieurs ors des nouvelles de la santé de mylord-marécbal. Ne pourrais-je

point encore, par votre obligeautc entremise, parvenir à savoir si mes lettres lui parviennent? Je Hs partir, le 16 de ce mois, la quatrième que je lui ai écrite depuis sa dernière. Je ne de» mande point qu'il y réponde , je désirerais seulement d'apprendre s'il les reçoit. Je prends bien toutes tes précautions qui sont en mon pouvoir pour qu'elles lui parviennent; mais les précautions tttii sont en mon pouvoir à cet égard , comme à beaucoup a autres, sont bien peu de chose dans la situation oii je Suis.

Je vous supplie, madame la duchesse, d'agréer avec bonté tcon profond respect.

LETTRE V

Ce 10 juillet 1767,

t*T:RMETTEZ , madame la duchesse, nue, quoique habitant hors

Viigleterre, je prenne la liberté oe me rappeler à votre sou-

it. Celui de vos bontés m'a suivi dans mes voyages et con-

â embellir ma retraite. J'y ai apporté le dernier livre que

ta'avez envoyé j et je m'amuse a faire la comparaison des

"1 de ce canton avec celles de votre île. Si j'osais me flatter,

M la duchesse, que mes [observations pussent avoir pour

le moindre intérêt, le désir de vous plaire me les rendrait

importantes , et Parabition de vous appartenir me fait aspirer

ftitre de votre herboriste, comme si j avais les connaissances

me rendraient digne de le porter. Accordez-moi, madame,

vous en supplie, la permission de joindre ce titre au nouveau

«|ue je substitut k celai sous lequel j'ai tccti ri maïhenrcnx.

5fw LETTRES

Je dois cesser de Tètre sous vos auspices; et Vlierhoriste ^e m

dame la duche&se de Portiand se consolera sans peine de la mori de y J- nou!i!.oau. Au reste, je tâcherai bien que ce ne soil pal un litre purezneut houorairej je souhaite qu'il nrattire aui l'honneur de vos ordres, et je le mériterai du moins par moi xële à les remplir.

Je ne signe point ici mon nouveau nom et je ne date poiot lieu de ma retraite (i), n'ayant pu demander encore la permissif que j'ai besoin d'obtenir pour cela. S'il vous plaît en attends&l m'iionorer d'une réponse, vous pourrez, maaame la duchesse

l'adresser sous mon ancien nom h Mess qui me la feront pai

venir. Je finis par remplir un devoir qui m'est bien précieaxi en vous suppliant , maaame la duchesse, d'agréer ma Irèfr- hni ble reconnaissance et les assurances de mon profond respect.

LETTRE VI.

la septembre 1767.

Je suîs d'autant plus touché, madame la duchesse, âes noi veaux témoignages de bonté dont il yous a plu m'honorer, oui j'avais quelque crainte que l'éloignement ne m'eiH fait oublier de vous. Je lâcherai de mériter toujours par mes Mïntimens lei^ mêmes grâces, et les mêmes souvenirs par mon assiduité à vot^f les rappeler. Je suis comblé de la permission que vous youlef^ bien m accorder , et très-fier de l'honneur de vous apparleuir en quelque chose. Pour commencer, madame, à remplir dfiH fonctions que vous me rendez précieuses , je vous envoie ci-joinlH deux petits échantillons de plantes que j'ai trouvées à mou vot»^ sinage, parmi les bruyères qui bordent un parc, dans un terrain assez humide, croissent aussi la camomille odorante, le iSi>- gina procumbens , V Hieracium umbellatum deLînTm*us , et d'an- tres plantes que je ne puis vous nommer exactement ^ n'ayant point encore ici mes livres de botanique, excepté le Piora Brp^ iannica qui ne m'a pas quitté un seul moment.

De ces deux plantes l'une, n* 3, me paraît être une peti gentiane, appelée , dans le Synopsis, Centaurium palustrt tettm minimum no6 iras. Flor. Brit. i3i.

Pour l'antre, n*> 1 , je ne saurnis dire ce que c'est, à moîilS que ce ne soit peut-être une êlatine de Linnaeus , appelée y ùWiïii jilsinaetrumëerpyllifoiium , etc. La phrase s'y rappo" assez bien, mais l'^/a/m« doit avoir huit étamines, et je n en jamais pu découvrir que quatre. La (leur est très-petite , et rai yeux, déjà faibles naturellement, ont tant pleuré que je l

Serds avant le temps : ainsi je ne me fie plus k eux. Dites-ro e çrace ce qu'il en est , madame la duchesse ; c'est moi qui d vrais, en vertu de mon emploi, vous instruire ; et c'est vousq m'instruisez. Ne dédaignez pas de continuer, je vous en suppl

(1) Le château de Trye, M. Rousseau était soos le nou dt Htn

SUR LA BOTANIQUE.

uot

et pcrmfltfï que je vous rappelle la plante k fleur jaune que voa* envoyâtes rannêe dernière îi M, Granvttlr, et dont je vous ai renvoyé un exemplaire pour en apprendre le nom.

Et à propos dp M. (iranville, mon bon voisin, permettez, madame , que je vous témoigne Tinquiétude que son silence me cause. Je lui ai écrit, et il ne m'a point répondu, lui qui est si exact. Serait-il malade ? J*en suis véritablement en peine.

Maib jele suis plusencorcdemylord-maréchal , mon ami , mon protecteur, mon prre, qui m'a totalement oublié. Non , ma- dame , cela ne saurait être. Quoi qu'on ait pu faire , je puis être dans sa disgrâce, mais je suis sûr uu'il m'aime tc^ujours. Ce qui m'afflige de ma position, c'est qu elle m^ôle les moyens de lui écrire. J'espère pourtant en avoir dans peu Toccasion, et je n'ai

Èas besoin de vous dire avec quel empressement je la saisirai. .n attendant , j'implore vos bontés pour avoir de ses nouvelles » et, si j*nse ajouter, pour lui faire dire un mut de moi. J*ai l'honneur rlVtre , avec un profond respect.

Madame la ducheMe,

Votre triîs-bumble et très-obéissant serviteur, ilcrboriste.

P. S. J'avais dit au jardinier de M. Davcnport que je lui montrerais les rochers oii croissait le petit adiantum, pour que vous pussiez, madame, en emporter des plantes. Je ne me p«ir- donne point de l'avoir oublié. Ces rochers sont au midi de la maison et regardent le nord. I! est trcs-aisc dVn détacher de* plantes, parce qu'il y en a qui croissent sur des racines d'arbres.

Le lon^ retard , madame , du départ de cette lettre, causé par de< diflîcoltés qui tiennent à ma situation , me met à portée de rectifier avant qu'elle parte ma balourdise sur la plante cî-jointa I . Car ayant dans 1 intervalle reçu mes livres de botanique , j'y ai trouvé, à l'aide des figures, que Mîchclius avait fait un genre de cette plante sous le nom de Linocarpon , cl que Lin— nanis l'avait mise parmi les espèces du lin. Elle est aussi dans le Synopis sous le nom de Radiola , et j'en aurais trouvé la figure d^nsle Flora Britannica i\\ic j'avais avec moi ; mais prcctsément la planche i5, oii est celle figure, se trouve omise dans mon exemplaire et n'est que dans le Synopsis, que je n'avais pas. Ce long verbiage a pour but, madame la duchesse, de vous expli- quer comment ma bévne tient à mon ignorance, à la vérité, mais non pas à ma négligence. Je n'en mettrai jamais dans la corresponaance que vous me permettez d'avoir avec vou5, ni d;in< mes effnrts pour mériter un litre dont je m'honore; mail tant que dureront les incommodités de ma position présente, Tex.irhtude de mes lettres en souffrira , et je prends le parti de fermer celle-ci sans £tre sûr encore du jour ou je la pourrai fair« partir.

Se%

LETTRES

LETTRE VÎI

Ce 4 janvier 17C8.

Je n*aurais pas tardé si long-temps , madame la duch^ vous faire mes Irès-hnrubles remerdmcQS , pour la peine qoc vnus avez prise d'écrire en ma faveur à invlord-niarccbal et k M. Oranville , si je n*aYais été détenu près de trois mois cUni la chambre d'un ami qui est tombé malade chez moi , cl dont '}• n*ai pas quitté le cbevct durant tout ce temps , sans pouvoir donner un moment à nul autre «oin. Enfin la providence a béoi mon zèle ; je Pai guéri presque malgré lui- Il est parti hi«r biea rétabli ; cl le premier moment que son départ me lai&&e> eslcnv* ploj'é , madame , k remplir auprès de vous un devoir qwc je iual% au nombre de mes plus grands plaisirs.

Je n'ai reçu aucune nouvelle de mylord-maréchal ; et ,

fouvant lui écrire directement <Vici , j'ai profité de t'occavîon de ami qui vient de partir , pour lui faire passer une lettre ï puiur- l-elle le trouver dans cet état de santé et de bonheur que le» plu tendres vceux de mon coeur demandent au cict pour lui tout In jours! J'ai reçu, de mon excellent voisin M. Granvillc , une lettre qui m*a tout réjoui le cœur. Je compte de lui écriri* d^ns peu de jours.

Permettrez-Tons , madame la ducbesse , qne je prenne U U* berté de disputer avec vous sur la plante sans nom que tou* avicK envoyée à M. Granville , et dont je vous ai reovovc uq exemplaire avec les plautes de Suisse , pour vous supplier de vouloir bien me la nommer. Je crois pas que ce soit lo t«V<* ittiea comme vous me le oiarquez; ces deux plantes n'av^nl ricv de commun , ce me semble, que la couleur jaune de la 0car^ Celle en question me paraît être de la famille des liliacécs ; k ii^ pétales , SIX étamincs en plumaceau: si la racine était bulbeuKt je la prendrais pour im ornithogafe ^ ne l'étant pa^ « elle DC parait ressembler fort à un anthericum o&Mfragum de Linnjroi, appelé par Tf aspard Bauliin /)jb*u<:/o— a«r/ioa<'/ujr n/?^/iCii« ou ko* iictts. Je vous avoue, madame, que )e serais trè-^-aise de ra'os^ surcr du vrai nom de cette plante , car je ne peux être indiJTérfQl sur rien de ce qui me vient de vous.

Je ne croyais pas qu'on trouvât en Angleterre plnweiiM <îf« nouvelles plantes dont vous venez d'orner vos jarains «' ' trode ; maiis pour trouver la nature ricLe partout , il ne i des yeux qui sachent voir ses richesses. "Voilà , madame II i^u- chesse, ce que vous avez et ce qui vous manque; si j*AV4lis V«« connaissances , en herborisant dans mes environs, je mis stVr qut

J"en tirerais beaucoup de cLoses qui pourraient pout-étrc avoic J eur place à Bullstrodc Au retour delà belle saison , jt prendrai tiofe des plantes que j'observerai , k mesure que je pourrai Itt ^ connaître; et s'il s'en trouvait quelqu'une qui vous convint, }♦ trouverais les moyens de vous les envoyer , suit en nulurc , soit

m^

^

^

SUR LA BOTANIQUE. 5.i5

«a çrainef. Si par exemple, madame, vouaifouliei faire semer le ftwntiana filijormis , j'en recueilleraîs facilement de la graine Tan- tomne prochain , car j'ai découvert uu canton oii elle est en abondance. De grâce, madame la duchesse , puisque j*ai l'hon- neur de vous appartenir , ne laissée pas sans fonction un titre oit je mets tant de gloire. Je n'en connais point , )e vous proteste, <]ui me (liitte davantage que celle d'être toute ma vie , avec un profond respect, madame la duchesse, votre très-humbleet très- obéissant serviteur, Herboriste.

LETTRE VIII.

A Lyon , le 3 jnîUrt 1768.

SM était en mon pouvoir, madame la duchesse, de mettre l'exactitude dan<) quelque correspondance ^ ce serait assnré- Tnent dans celle dont vous m'honoreE; mais, outre l'indolence et le découragement qui me subjuguent chaque jour davantage , le* (racas w^cret» dont on me tourmente aosorbent malgré moi le peu d'activité qui me re^te, et me voilà maintenant embarqué daiu un grand voyage, qui seul serait une terrible affaire pour un paresseux tel que moi. Cependant , comme la botanique en est le principal objet , je tâcherai de l'approprier â l'honneur que j'ai de vous appartenir, en vous rendant compte de mes herborisationii , au nsqup do vous ennuyer , madame, de détails triviaux qui n'ont rien de nouveau poar vous. Je pourraii voua en faire d intéressnns Riir le jardin de l'école vétérinaire de cette ville, dont les directeurs , naturalistes, botanistes, et de plus tiTS-aimables , sont en m^me temps très-communicatifs; mais les richesses exotiques de ce jardin m'accablent, me troublent par leur multitude; et, â force devoir à la fois trop de choses , |e ne discerne et ne reliens rien du tout. J'espère me trouver un peu plu"» h l'aise dans les montagnes de la grandeCharireuso , oîi )e compte aller herboriser la semaine prochaine avec deux de ce» messieurs, qui veulent bien faire cette course, et dont les lu- mière» me la rendront très-utile. Si j'eusse été à portée de con- kuller plus souvent les vôtres, madame la duchesse, je serais plus, avance que je ne suis.

Quelque riche que soit le jardin de l'école vétérinaire, je n'ai cependant pu y trouver le fffnfiana campentria ni le twertia pe^ rennU ; et comme le gtntiana fUiformia n'était pas même encore wriî de terre avant mon dép»rt de Trye , il ni'a par conséauent iié impossible d'en recueillir de la graine, et il se trouve qu avec le p^i< rrand fêle pour faire les commissions dont vous avez bien voulu ni'honorer , je n'ai pu encore en exécuter aucune. J'espère ^Ire, à l'avenir, moins malheureux, et pouvoir porter avecplu» de «ocrés un titre dont je me glorifie.

J'ai commencé le catalogue d'un herbier dont on m*a fait présent, et q^ue je compte au^ncnter daas mes coorses- J ai

5o4

LETTRES

pen»é, raadAmela duchesse , qu'en vous envoyant ce catalogue » ou du inoius celui des plantes que je puis avoir à double, si vous preniez la peine d'y marquer celles qui vous nianqurnt , je pour- rais avoir l'honneur de vous les envoyer fraîches ou sôches, selon la manière que vous le voudriez, pour raugraentatiou de votre jardin ou de votre herbier. Donnez-moi vos ordres, roadvne, pour les Alpes, dont je vais parcourir quelques-unes; je voui demande en grâce de pouvoir ajouter au plaisir que je trouve â mes herborisations celui d'en faire quelques-unes pour votre ser- vice. Mon adresse fixe , durant mes courses, sera celle-ci : A Monsieur Renou , chez Mess....

J'ose vous supplier , madame la duchesse , de vouloir bien me donner des nouvelles de mylord-iuarc'chal , toutes les fois qne vous me ferez Thonncur de ra'écrire. Je crains bien que tout qui se pas^e à NeufchAtel n'afflige son excellent c<rur : car je sais qu'il amie toujours ce pays— là, malgré Tingratilude de ses babi- tans. Je suis aÂligé aussi ae n'avoir plus de nouvelles de M. Gsaa- ville : je lui serai toute ma vie attaché.

Je vous supplie , madame la duchesse , d^agréer avec boata mon profond respect.

LETTRE IX.

A Bourgoin en Dnupbiné , le ai ooAl i76f>

Madame la ducresse,

Deux voyages consécutifs immédiatement après la réception de la lettre dont vous m'avez honoré le 5 juin dernier m'oat empêché de vous témoigner plutôt ma joie , tant pour la conier* vation de votre sauté, que pour le rétablissemeut de celle Jki cher (ils dont vous étiez en alarmes, et ma gratitude pour Jri marques de souvenir qu'il vous a piu m'accorder. Le spcodiI de ces voyages a été fait à voire intention^ et, voyant Passer U saison de l'herborisation que j'avais en vue, j'ai préféré dam celte occasion le plaisir de vous servir à Thonneur de vomira

Î tondre. Je suis donc parti avec quelques amateurs pour aller vxt e mont Pila , à douze ou quinze lieues d*ici , dans rcspoir , tiu- dame la duchesse, d*y trouver quelques plantes ou quriqar* graines , qui méritassent de Irouver place dans votre herbier o* dans vos jardins; je n'ai pas eu le bonheur de remplir a mou ^ mon attente. 11 était trop tard puur les Aeurs et pour lesgraiaei; la pluie et d'autres acciuens , nous ayant sans cesse <:onlrané*i m'ont fait faire un voyage aussi peu utile qu'agréable; et jeaai presque rien rapporte. Voici pourtant , madame la ducbefiet une note des débris de ma chétive collecte. C'est une courte li**' des plantes dont j'ai pu conserver quelque chose en nature j H j'ai ajouté une étoile ix chacuuede cellesdonl j'ai recueilli quelf^ graine* , la plupart çu bien petite quantitc. Si parmi le* pUi

m

SUR LA BOTANIQUE. 5o5

ou parmi les graines il se trouve quelque chose ou It tout qui puj&>e vous agréer , daiguez, madame , m'honorcr de vos ordres , et tue marquer à qui je pourrais envoyer le paquet, soit à Ly^i^ i »oii â Paris , pour vous le faire parvenir. Je tiens prêt le' tout pour partir immédiatement après la réception de votre note ^ mais je crains bien qu'il ne se trouve rien diçne d'y entrer , et que je ne continue d'être, k votre égard , un serviteur inutile maigre son zèle.

J'ai la mortitication de ne pouvoir, quant à présent , vous en- voyer » madame la duchesse, de ta graine At gejUiana fiiiformis , la plante étant Irès-petile , très-fiiçttive , diHîcile à remarquer pour les yeux qui ne sont pas botanistes , un curé , à qui j'avais compté m'adresser pour cela , étant mort dans rintervalle, et ne connaissant personne dans le pays à qui pouvoir donner uia commission.

Une foulure que Je me sais faite à la main droite par une chute, ne me permettant d'écrire qu^avec beaucoup de peine, inc force à finir cette lettre plutôt que je n'aurais désiré. Daif^ncK, madame la duchesse , agréer avec bonté le stèle et le profond res- pect de votre très-huiuble et très-obéissant serviteur ^ Herboriste.

LETTRE X.

A MonquÏD, le 9i décembre 176g.

C'est, madame la duchesse, avec bien de la honte et du regrft

311e je m'acquitte si tard du petit envoi que j'avais eu l'honneur e vous annoncer , et qui ne %'3lait assurément pas la peine d'être attendu. Enfin , puisque mieux vaut tard que jamais , je fis partir jeudi dernier , pour Lyon , une boite à l'adresse de M. le chevalier Lambert , contenant les plantes et graines dont je joins ici îa note. Je désire extrêmement que le tout vous par\'ienne en bon état^ mais comme je n'ose espérer que la boîte ne soit pas ouverte en route , et mi^me plusieurs fois , je crains fort que ces brrbes, fragiles et déjà gâtées par rhnmidité , ne vous arrivent Absolument détruites ou méconnais5abtes. Les graines au moins pourraient , madame la duchesse , vous dédommager des plantes, %\ elles étaient plus abondantes ; mais vous pardonnerez leur misère aux divers accidens qui ont, là-dessus, contrarié mes aoins. f,)uelques-uns de ces accidens ne laissent pas d'être risibles , <|uoiqu'iU m'aient donné bien du chagrin. Par exemple , les rats ^nt mangé sur ma table presque toute la graine de bistorte que j'j avais étendue pour la faire sécher; et, ayant mis d'autres opines sur ma fenêtre pour le même effet , un coup de veut a «ait voler dans la chambre tous mes papiers , et j'ai été condamné 4 la pénitence de Psyché j mais il a fallu la faire moi-même, et lei fourmis ne sont point venues m'aider. Toutes ces contrariétés %a'ont d'autant plus fâche , que j'aurais bien voulu qu'il put aller

5o6 LETTRES

însqu'à Callwicli un peu du superflu de Bullstrode ; Tuais ti- cherai d'ctre mieux fourni une autre fo», car, quoique tfi honnêtes gens qui dÏMiosent de moi, fâchés de me voir IronvM des douceurs dans la botanique, cherctient à me rebuter de crt innocent amusement en y versant le poison de leurs viles aroes, ils me me forceront jamais à y renoncer volontairement. Aîttm, madame la duchesse, veuillez bien ni'honorer de vos ordre» et me faire mériter le litre que vous m'avez permis deprendrr;je tâcherai de suppléer k mon ignorance, à force de tèle pour eie- culer vos commissions.

Vous trouverez, madame, une ombellifèreà laquelle j'ai pré la liberté de donner le nom de aesett /ra/lert , faute de savoir la trouver dans ]c species ^ an lien qu'elle est bien décrite dans ladfr- nicre édition des plantes de Suisse de M. Haller , n'. 762. C'ert uue Iri's-bplle plante, qui est plus belle encore en ce pz^s que dans les contrées plus méridionales, parce nue !e.s premièrei at- teinlefl du froid lavent son vert fonce d'un oeau pourpre, elsor* tout la couronne des graines , car elle ne Heuril que dans l'ar- rîère-saison , ce qui fait aussi que les graines ont peine i minr et qu'il est difficile d*en recueillir. J*ai cependant trouvé le moTfit d'en ramasser quelques-unes que vous trouverez , madame la ou- chesse, avec les autres. Vous aurez la bonté de les recommamïff à votre jardinier, car, encore un coup ,1a plante est belle et si pfa commune, qu'elle n'a pas môme encore un nom parmi les bota- nistes. Malheureusement le spccimen, que j'ai Thonneur devoui envoyer, est mesquin et en fort mauvais étal; mais le^ graÛKI y suppléeront.

Je vous suis ertrêmement obligé, madame, de la bonté ipit vous avez eue de me donner des nouvelles de mon excellent vc■^- sin M. Granville,et des témoignages du souveuir de son aimibif nièce raiss Dewes. J'espère qu'elle se rappelle asseï le* trait» «l' son vieux berger, pour convenir qu'ihne ressemble guère â la ^ gure de cyclopc qu'il a plu à M. Hume de faire graver «oui nUMi nom. Son graveur a peint mon vi&agc, comme sa plume a pcfot mon caractère. Il n'a pas vu que la seule chose que tout crU peint fidèlement est lui-uii^me.

Je vous supplie, madame la duchesse y d'agréer avec bonté DOi profond respect.

LETTRE Xi.

A paris, 17 avril iff^

J*Ai reçu , madame la duchesse , avec bien de la reconnâissinC et la lettre dont vous m'avrt honoré le 17 mars, et le nombr^ui envoi des graines dont vous avez bien voulu enrichir ma ftil* collection. Cet envoi en fera de toutes manières la pins comice rabin partie, et réveille déjà mon zèle pour la compléter aut»flt qu'il se peut. Je suis bien sensible aussi à la bonté qu'a M. le^oc*

Sim LA ROTANIOUE.

5or

teur Solander à*y vouloir contribuer {lour t|iiclqne cbos« ; mais comme je n'ai rien trouvé, dans le paquet , qui in^indiqiiât ce c|ui pouvait venir de lui , je re$te en doute »i le pelil nuiubre de graines ou fruits que vous me marquez qu'il m'envoie était joint au nième paquet, ou s'il en a fait un autre à part qui «cela supposé , ne m'est pas encore parvenu.

Je voub remercie aussi , madame la duchesse , de la bonté (pie vou'i avez de m'approndre riieureuit mariage de mi»s Dewes et de M. Sparrou' ; je m'en réjouis de tout mou cœur , et pour elle si bien laite pour rendre un honnête liomme heureux et pour l'être , et pour son digne oncle que l'heureux succès de ce ma- riage comblera de joie dans ses vieux jour«.

Je suis bien sensible au souvenir de niylord Nuncbam , j'espère <|u'il ne doutera jamais de mes sentimens , comme je ne doute point de ses bontés. Je me serais flatté durant l'ambassade de tujrlord Uarcourt du plaisir de le voir à Paris , mais on m'assure qu'il n*y est point venu , et ce n'est pas une morkiticaliou pour n»oi seul.

Avex-vous pu douter un instant , madame la duchesse , que ']« n'eusse reçu avec autant d'empressement que de respect le livre 4ts jardins anf;lais que vous aves bien voulu penser à mVnvorer? <^hioique son plus grand prix fût venu pour moi de la main dont jf l'aurais reçu , je n^i^nore pas celui qu'il a par lui-même, pni»- (|a'il est estimé et traduit dans ce pays ^ et d'ailleurs j'en dois aimer le sujet , ayant été le premier eu terre-fenne à célébrer et faire connaître ces mêmes jardins. Mais celui de BuUslrode , oii toutes les richesses de la nature sont rassemblées et assorties avec autant de savoir que de goût, mériterait bien un chantre par- ticutier.

Pour faire une diversion de mon goilt à mes occupations, jo nie suis proposé de faire des herbiers pour les naturalistes et ama- teurs qui voudront en acquérir. Le règne végétal , le plus riant des trois , et peut-être le plus riche , est très-néçliffé et presque oublié dans les cabinets d*his1oirc naturelle , ou il devrait briller

Î>ar préférence. J'ai pensé que de petits herbiers , bien choisis et aitâ avec soin , pourraient favoriser le goût de la botanique , et levais travailler cet été à des collections que je mettrai, j'espère, en état d*ètre distribuées dans un an d'ici. Si par hasard il se trou- Yaît parmi vos coiiuaissances quelqu'un qm voulut acquérir de pareils herbiers , je les servirais de mon mieux, et je coutiuuerai ae même s'ils sont contens de mes essais. Mais je souhaiterais particulièrement , madame la duchesse, que vous m'honorassicîî quelquefois de vos ordres, et démériter toujours, par des acte» de mon zèle , l'honneur que j'ai de vous appartenir.

5o8

LETTKES

LETTRE XII.

A Paris, le ig mai 1773.

Je dois, madame la duchesse , le principal plaisir qne m*ait fait le poërae sur les jardins anelais , que vous aves eu la bonté de m'envoyer , à la raain dont il me vient. Car mon ignorance dans la langue anglaise, qui m'empêche d'en entendre la poésie , ne me laisse pas partager le plaisir que l'on prend à le lire. Je croyais avoir eu l'honneur de vous marquer , madame, que nous avons cet ouvrage traduit ici; vous avez supposé que je préférais ^ori- ginal , et cela serait très-vrai si j'étais en état de le lire , mais je n'en comprends tout au plus que les notes, qui ne sont pas , à ce qu'il rae semble, la partie la plus intéressante de Touvrage, Si mon étourderie m'a fait oiiKlier mon incapacité, j'en suis puni par mes vains efforts pour la surmonter. Ce qui n'empêche pai que cet envoi ne me soit précieux comme «n nouveau témoi- gnage de vos bontés et une nouvelle marque de votre souvenir. Je vous supplie , madame la duchesse, d'agréer mon remerchneaC et mon respect.

Je reçois en ce moment , madame , la lettre nne vous me tiiet l'honneur de m'écrire l'année dernière en date du aS mars I77«* Celui qui me Tenvoie de Genève ( M. Moullou] ncmedit pointio raisons de ce long relard : il me marque seulement qu'il n'y a pis de sa faute j voilà tout ce que j'en sais.

LETTRE XIII.

Paris, le i9JoiIIet 177t.

Cfst , madame la duchesse, par un y/i/oro^^HO bien ineicusi» ble, mais bien involontaire , que j'ai si tard l'honneur de vous re- mercier des fruits rares que vous avez eu la bonté de m'euvoter de la part de M. le docteur Solander, et delà lettre du 24 i***"* par laquelle vous avez bien voulu me donner avis de cet envoi. U dois aussi h ce savant naturaliste des remercîmens , qui seroil accueillis bien plus favorablement , si vous daignée, madame li duchesse , vous en charger comme vous avez fait l'envoi , ijo* venant directement d'un homme qui n'a point l'honneur d'ftr* connu de lui. Pour comble de grâce , vous voulez bien encorrrof promettre les noms des nouveaux genres lorsqu'il leur en ànt» donné : ce qui suppose aussi la description du genre , car les nontf dépourvus d'idées nr sont que des mots, qui servent moin** orner la mémoire qu'à la charger. A tant de oontés de votre part, îe ne puis vous offrir , iiiattauie, en signe de reconnaissance que le plaisir que j'ai de vous être obligé.

Ce n'est point sans un vrai déplaisir que j'apprends que ce granJ voyage , sur lequel toute l'Kurope savante avait les yeux , n'atii» pas heu. Ccst une grande perte pour la cosmographie , pour I*

SUR LA BOTANIQUE. Sog

navigation et pour Phistoire naturelle en gênerai , et c'est , jVn suis trè$-«ûr, un chagrin pour cet homme illustre que ]e zèle de l'ÎDStructiou publiuue rendait insensible aux périlsel aux fatigues dont l'expérience l'avait déjà si parfaitement instruit. Afais je yois chaque jour mieux que les hommes sont partout les mêmes, et que le progrès de Tenvie et. de la jalousie fait plus de mal aux âmes, que cetuîdes lumières, qui en est la cause, ne peut jaire de bien aux esprits.

Je n'ai certainement pas oublie, madame la duchesse, que vous aviez désiré de la graine du ^entiana ftliformis ; mais ce sou- Tenirn*a fait qu'augmenter mon regret d'avoir perdu cette plante, sans me fournir aucun moyeu de lu recouvrer. Sur le lieu même je la trouvai , qui est h Trye, je la cherchai vainement Tannée suivante, et soit que je n'eusse pas bien retenu la place ou le temps de sa floresccnce , soit qu'elle n'eiU point grené , et qu'elle ne se fût pas renouvelée , il me fut impossible d'en retrouver le moin- dre vestige. J'ai éprouvé souvent la même mortification au sujet d'autres plantes que j'ai trouvées disparues des lieux aupara- vant ou les rencontrait abondamment ; par exemple , le planiago uniflora , qui jadis bordait Télaiig de Moatmorenci et dont j'ai fait en vain Tannée dernière la recherche avec de meilleurs bota- nistes et qui avaient de meilleurs yeux que moi; je vous proteste, madame ta duchesse, que je ferais de tout mon cœur le voyage de Trye pour y cueillir celte petite gentiane et sa graine, et vous faire parvenir Tune et Taulre,si j'avais le moindre espoir de suc- cès. Mais ne Tavant pas trouvée Tannée suivante, étant encore snr les lieux, quelle apparence qu'au bout de plusieurs années , oii tous les renseignemens qui me restaient encore se sont effacés, je puisse retrouver la trace de cet te petite et fugace plante? Elle n'est point ici au Jardin du Roi, ni, que je sache, en aucun autre jardin, et très-peu de gens niêmt! la coiinais&ent. A l'égard du varthamus iancUiu ^ j'en joindrai de la graine aux échantillons d'herbiers qu< j'espère vous envoyer à la fin de Thiver.

kJ^aporends , madame la duchesse, avec une bien douce joie, parfait rétablissement de mon ancien et bon voisin M. Cran- lie< Je suislrès-touché de la peine que vous avez prise de m'en (iruire, et vous avez par redoublé le prix dune si bonne uvelle.

Je vous supplie, madame la duchesse, d'agréer , avec moa respect , mes vifs et vrais remercîraens de toutes vos boutés.

LETTRE XIV.

A Pari* , le aa oclobro 1773.

TkX reçu , dans son temps, la lettre dont m'a honoré madame la duchesse, le 7 octobre; quant à celle, dont il y est fait men- tion , écrite quinze jours auparavant, je ne l'ai point reçue : la quantité de soties lettres qui me venaient de toutes partfi par U

&fh

LETTRES

posie me force à rebuter toutes celles doiil Tecnlure ne m*esl pâi connue, et il se prut qu'en mon absence la lettre de luadami* U ducliesse n'ait pas été distin^iée des autres. .Virais la réclamer à la poste , si rexpérieuce ne m'avait appris que mes lettres dispa- raissent aussitôt qu'elles sont rendues, et ciu*il ne m'est plus pof- siblcde les ravoir, d'est ainsi que j'en ai perdu une de M. de Linnxus que je n'ai jamais pu ravoir , après avoir appris qu'elle était de lui , quoique j'aie cmplové pour cela le crédit d'une per- lonuc qui en a beaucoup dans les postes.

Jjc tômoi^na^e du souvenir de M. Granville , qne madame la duchesse a eu la bonté de me transnietire , m'a fait un plaisir an- «juel rieu n'eût manqué, si j'eusse appris en même temps qtte ta santé était meilleure.

M. de St.-Paul doit avoir fait passer a madame la duehew deux échantillons d'herbiers portatifs qui me paraissaient ptOi commodes et nrrsque aussi utiles que les grands. Si j'avaif le bonheur que 1 un ou Tautrc oti tous les deui fussent du go6t de madame la duchesse , je me ferais un vrai plaisir de Its continuer , et cela me conser%*erait pour la botanique un m/tt de goût presque éteint , et que je regrette. J'attends là-defW» les ordres de madame la duchesse , et je la lupplie U'agrvcr respect.

LETTRE XV.

A Paris ^lo il joillat I776.

Le témoignage de souvenir et de bonté dont m'honore rai- dame la duchesse de Portland , est nn cadeau bien précieut t\ae

I'e reçois avec autant de recomiaissance que de respect. <^>nati(i 'autre cadeau qu'elle m'annonce , je la supplie de permettre quf je ne l'accepte pas. Si la magnilïcence eu ctt di^c d'elle » «1^ n'est proporlioDiiée ni à ma situation ni à nirs besoins. Je wr suis défait de tous mes livres de boranique , j'en .'li quitté l'x* f;réable amusement , devenu trop fatigant pour mon âee, Jf u'ai pas un pouce de terre pour y mettre du persil on des anllrtv^ M plus forte raison des plantes d'Afrique , et , dans ma pïi> grande passion pour la botanique , content du foin que je troa^ vais sous mes pas « je n'eus jamais de goût pour les plantes étrtl^' gères qu'on ne trouve parmi uous qu'en exil et d^atttrée«4ani les jardius des curieux. Celles que veut bien m'envo^er mâolMK la aucliossc seraient donc perdues entre mes mains ; il en senit de m^me et par la même raison de Vherhariutn atnhoinentt t et cette perte serait regrettable k proportion du prix de ce livrt et de l'envoi. Voila la raison qui m'empêche d'accepter ce «*

IfCrbe cadeau ; si toutefois ce u est pas l'accepter uue d'en garder e souvenir et la reconnaissance , ea désirant qu'il sott tiU^lfi^ plus utilement.

Je supplie très-humblement madame la duchesse d'agréer' profond respect.

dia

\

SUR LA BOTANIQUE. 5ii

On vient de m'envoyer la caisse, et , quoique i'e\jssc exlr^me- ment désiré d'en retirer la lettre de madauie la duclicvie , il lu'a paru plus convenable , puisque j'avais à la rendre , de la ren*

voyer sans l'ouvrir.

LETTRE

A madame la présidente db VEii?rA , da Grenoble. ^

Do Bourgoin , le 2 décembre i768«

Laissons à part , noadanie, je vont supplie , les livres et leurs auteurs. Jesui& siseosibleà votre obligeante invitation, quesi ma sanlé me permettait de faire en cette saison des voyages oe plaisir j'en fierais un bien volontiers pour aller vous remercier. Ce ([ue VOU5 avez la bonlû de rae dire , madame , des étangs et des mon- tagnes de votre contrée , ajouterait W mon empressement , mais n'en serait pas la première cause. On dit que la grotte de la Balme est de vos côtés ; c*est encore un objet de promenade et m^me d'habitation , si je pouvais m'en procurer une dont les fourbes et les cliauves-souns n'approchassent pas. A l'égard de l'ctude de& plantes, pcrmcLlez ^ madame , que ]e la fasse en na- turaliste, et non pas en apothicaire; car , outre que je n'ai qu'une foi trës-méuiocre à la médecine, je connais l'organisatioa •ar la foi de la nature , qui ne ment point; et je ne connais lears vertus médicinales que sur ta foi des hommes , qui sont menteurs. Je ne suis pas d humeur à les croire sur leur parole , ni à portée de la véritier. Ainsi, quant à moi, j'aime cent fois mieux voir , danv l'émail des prés, des guirlandes pour les ber- gères, que des herbes pour ucs lavemens. Puissé-je, madame, aussitôt que le printemps ramènera la verdure, aller faire dans VOS cantons des herborisations qui ne pourront qu'être abon- dantes et brillantes , si je juge par les Heurs que répand votre Slume de celles qui doivent naître autour de voiu. Agréez , ma— ame, et faites agréer k monsieur le président , je vous supplie , le$ assurances de tout mon respect.

Be?ïoc

LETTRE

A M, LioTard le oeveu , herboriste à Grenoble.

Buiirgnin ,It 7 novembre 1768.

J'ai reça, monsieur, les deux lettres aue vous m'avez fait ramitiéde ra'écrire. Je n'ai point fait de réponse k la première, parce qu'elle était une réponse clle-nième , et qu'elle n'en exi- geait pas. Je vous envoie ci-joint le catalogue , qui était avec b seconde , et sur lequel j'ai marqué les plantes que je serais bien aise d'avoir. Les dénominations de plusieurs d*enlre elles Dt pas exactes . ou du moioâ ne soat pas dans mon SptcUê

5»a LETTRES

lie rédilion de 1762. Vous m'obligerez de vouloir bien les y ^a|^-^ porter , avec le secours de M. Clappîcr, que je remercie , et que je salue. J^acceple TolTre de quelques mousses que vous voiil**' tieo y joindre , pourvu que vous ayez la bonté J'y rneltre a«iMi lrès-e\aclcment les noms, car je serais peut-être fort erob•^" rasse pour les déterminer sans te secours de mon DilUniu^^t^mt je n'ai plus. A l'égard du prix , je le réglerais de bon cœnr M je pouvais n*écouler que la libéralité que j'y voudrais mettre; mais , ma situation me forçant de me borner en toutes choH* aun prix communs , je vous prie de vouloir bien régler celuî-ti Je la^on que vous y trouviez honnêlement voire compte , sans oublier de joindre à cette note celle des ports , et autres menus Irais qui doivent vous être remboursés ; et , comme je n*ai aucane corre«ipondance à Grenoble , je vous enverrai le montant par le courrier, â moins que vous ne m'indiquiez quelque antre yoir L'oflre de venir vous-même est obligeante , maïs je ne l'accept* pas, attendu que je x\en pourrais proBler; qu'il ne fait plu» Je temps d'herboriser , et que je ne suis pas en état de sortir pour cela. Portez-vous bien, mon cher M. Liotard, je vous salue Je tout mou coeur.

Re noc.

Pourriex-vous me dire si le pistacia iherehinthus et Vosirisùli% croissent auprès de Grenoble ? Je crois avoir trouvé l'un et TautR au-dessus de la Bastille (i), mais je n'en suis pas sâr.

NEUF LETTRES

adhessées

A M. DE LA TOURETTE,

coaseîller eu la cour des moanaies de Lyon.

LETTRE PREMIÈRE.

A Mr>nquîa,]e I7H^9{*)'

J'at différé, monsieur^ de quelques jours à vous accuser Uj ception du li\Te que vous avez eu la bonté de mVnvovcr part de M. Gouan , et à vous remercier , pour me debar auparavant d'un envoi que j'avais à faire, et me ménager tf plaisir de m'entretenir un peu plus long-temps avec vous.

{\\ Montagne nnprt-*()o laquclli? Grenoble est liluê.

(1) Manière de daler se» lettre» rionl KuiiMfan se servait avec»M«M'*< en mettant, connue on le voit, au milieu de quatri* chiffres , qat msf* finnicni l'annép couranle, deux autre* chîfirei, dont Tun iùOiqiuitl'

i]U»nli^pM) , »t l'autre l<t laoU» -

SUR LA BOTANIQUE.

5i3

Je ne suis pas surpris que vous soyez revenu fFItalie plus salts- Cfeit de la nature que des hommes; c'est ce qui arrive générale- meat aux bons observateurs, nitrine dans les climats oii elle est moins belle. Je sais qu'on trouve peu de penseurs dans ce pavs— là; mais je ne conviendrais pus tout-à-rait qu'on n'y trouve à satisfaire que les yeux; j'y voudrais ajouter les oreilles. Au reste, quand j'appris votre voyage, je craignis, monsieur, que le» autres parties de l'histoire uaturelle ne lissent qnelque tort ù la botanique, et que vous ne rapportassiez de ce pays-U plus de raretés pour votre cabinet que de plantes pour voire hetbier. Je présume , au ton de votre lettre , que je ne nie suis pat l>eaucoup trompp. Ah! monsieur, vous feriez grand tort U la botanique de Tabaudonner après lui avoir si bien montré, par Je bien que vous lui avez déjà fait, celui que vous pouvez cacore lui faire.

Vous me faites bien sentir et déplorer ma misère, en rae de- mandant compte de mon herborisation de Pila. JV allai dans une mauvaise saison, par un trcs-mauvaîs temps, comme vous savez , avec de très-mauvais yeux, et avec des compagnons de voyage encore plus ignorans que moi , et privé par conséquent de la ressource pour y suppléer que j'avais â la grande Char- treuse. J'ajouterai qu'il n'y a point , selon moi , do comparaison à faire entre les deux herborisations, et que celle de Pila me parait aussi pauvre que celle de la Chartreuse est abondante et riche. Je n'aperçus pas une astrantia ^ pas une /i/Vo/a, pas une aoldanetle^ pas une orabellifêre, excepté le m*'«r«, pas unç saxi- frage , pas uue gentiane, pas une légumiueuse, pas une belle didyname, excepte ta mélisse à grandes fleurs. J'avoue aussi que nous errions sans guides , et sans savoir oii chercher les places ncbes t et je ne suis pas étonne qu'avec tous les avantages qui me manquaient vous ayez trouvé dans celle triste et vilaine mon- tagne des richesses que je n'y pas vues. Quoi qu'il en soit, je vous envoie , monsieur , la courte liste de ce que j y ai vu , plutôt que de ce que j'en ai rapporté; car la pluie et ma maladresse ont fait que presque tout ce que j'avais recueilli s'est trouvé gàlé el pourri à mon arrivée ici. Il n'y a dans tout cela que deux ou troid plantes qui m'aient fait un grand plaisir. Je mets k leur t£te fe sonchua alpinus ^ plante de cinq pieds de haut, dont le feuillaee et le port sont admirables , et ù qui se4 grandes et belles fleurs bleues donnent un éclat qui la rendrait digne d'entrer dans votre jardin. J'aurais voulu, pour tout au luonde, en avoir des graines, mais cela ne me fut pas possible, le seul pied que QOQS trouvâmes étant tout nouvellement en fleurs; et , vu la grandeur de la plante, et qu'elle est extrêmement aqueuse, à peine en ai-je pu conserver quelques débris à demi pourris. Comme j'ai trouvé en roule quelques autres plantes assez jolies , j'en ajouté séparément la note , pour ne pas la confondre avec ce que i ai trouvé sur la montagne. <^)ttant à la désignation par- ticulière des lieux, il ui'esl impossible de vous la donner ; car, 5,.

1

5i4 LETTRES

outre la difBculté de la faire ialelligiblemeDt , )e ne m'en foo- viens pas nioi-Diêine, ma niauvaue vue et mon etourrlenc fr^nt

3ue je ne sais presque jainais oii je suis ; je ne puis venir à bout e iij 'orienter , et je me perds â chaque iuÂlant quand je suis seul^ silùl que je perds mon renseignement de vue.

Vous souvenez-vous, monsieur, d'uu petit <our/ie/ que no trouvâmes en assez grande abondance aopri^s de la grande CL< treu&e , et que je crus d'abord éire le cyperua fu^cuB , I*in n*est point lui , et il n*eu est fait aucune mention que je sactw ni dans le Species , ni dans aucun auteur de botanique , bort II seul Aïic/ie/ius j dont voici la phrase, Cyptri^s raaice rcp4t»t0J odorâ, locuatis unciam iongis et lintam laiis* Taù, 3i.yi 1 vous ave/-, monsieur, quelque renseignement plus précis ou pfi sûr dudit souchet , je vous serais très-obligé de vouloir bien m'ta faire part.

La botanique devient un tracas si embarrassant et dispeo- dieux quand ou s'en occupe avec autant de passion , que , f '^<!' y mettre de ta réforme , je suis tenté de me drfaire de mes I de plantes. La nomenclature et la synonymie forment une rL immense et pénible; quand on ne veut qu'observer, s'inAlniut et s'amuser eulre la nature et soi , Ton n a pas besoin de tant livres. 11 en faut peut-être pour prendre quelque idée da fy»ù\ végétal, et apprendre à observer: mais quand une fois on * yeux ouverts , quelque ignorant u ailleurs qu'on puisse cire* n*a plus besoin de livres pour voir et admirer sans ces^e. Poi moi , du moins , en qui TopiniAtreté a mal suppléé a. la méiuotrCj et qui n'ai fait que bien peu de progrès , je sens néanmoms tf* vcc les gramcns d'une cour nu a'un pré j'aurais de quoi m*occ

Per tout le reste de ma vie, sans jamais ni'ennuyer un nïOf&at ardon , monsieur, de loutce long bavardage. Le sujet fera iDfli, excuse auprès de vous. Agréei, je vous supplie, mes irès-hHm* blés salutations.

LETTRE il.

Pauvres aveugles que nous sommes ! Cir), d«-inHKqtie lo5 impnst^ur» j El force leur* barbares cceum A s'ouvrir aux regards des boinmea.

Monquin,le t;

C'en est fait , monsieur , pour moi , de la botaniqi< ' est pins question quant à présent , et il y a peu d'appât je sois dans le cas d'y revenir. D'ailleurs, je vieillis, jf w plus ingambe pour nerboriser , et des incommodités qui vaient laissé d assez longs relâches menacent de me faire [ celte trêve. C'est bien assez désormais , pour mes forcesj courios de nécessité; je dois renoncer à celles d a^^rcoiefll Its borner k des prouacnadcj qui ne satisfont pas l'avidilÂ

SUR LA BOTAl^IQUE. 5i5

botanophile. Mais, pti renonçant h nue étude diarmante , qui , ■^lïour njoi , s'était traiisforuiéeen passion , je ne renonce pas aux avantage» qu'elle m'a procurés , et surtout, nionsienr, k cultiver votre connaissance cl vos bontés , dont j'espère aller dans peu vous remercier en personne. C'est à vous cju'il faut ren\ovcr tontes les exhortations ijue vous me faites snr l'enlreprisc d'nu dictionnaire de botanicftie , dont tl c*it étonnant que ceux qui •cultivent cette science sentent si peu la nécessité. Votre âge, monsieur , vos talens , \os connai^<ian(:es , vous donnent les niovens de former, diriger, et exécuter supérieurement cette entreprise ; et les applaudieisemcns avec lesquels vos premiers lassais ont été reçus du public vous sont garans de ceux avec les- quels il accueillerait un travail plus considérable. Pour moi , qui ne suis dans cette étude, ainsi que dans beaucoup d'autres,

au'un écolier radoteur, j'ai songi* plutôt, en herborisant, à me istraire et m'amuser qu'à m'inslruirc, et n'ai point eu , dans mes observations tardives , la sotte idée d'enseigner au public ce que je ne savais pas uioi-mciue. Monsieur, j'ai vécu quarante ans heureux sans faire des livres; je me suis laissé entraîner dans fr!!r carrière tard et malgré moi : j'en suis sorti de bonne bcure. ne retrouve pas , après l'avoir quittée, le bonheur dont je lis avant d'y entrer , je retrouve axi moins assez de bon sens pour sentir que je n'y étais pas propre, et pour perdre a jamais la tentation d'y rentrer.

J'avoue pourtant que les difHcullcs que j'ai trouvées dans l'é- tude des plantes m'ont donné quelques idées sur les moyens da )a faciliter et de la rendre utile aux autres , en suivant le Bl du <■■ * -me végétal par une méthode plus graduelle et moins abs— ' que celle ne Tonrnrfort et de tous ses successeurs , sans ea rxr -pter Ltinneeus lui-même. Peut-être mon idée est-elle impra- li*_ 'bte. Nous en causerons, si vous voulez, quand j'aurai l'hon- wrv de vous voir Si vous la trouviez digne d't-tre adoptée , et (( ' lie vous tentât d'entreprendre sur ce plan des institutions ]>otaniques, je croirais avoir beaucoup plus fait en vous excitant À ce travail , que si je l'avais entrepris moi-même.

Je vous dois des remercîmens, monsieur, pour les plantes

^jne vous avez eu la bonté de m'envoyer dans votre lettre, et

Jfcien plus encore pour les éclaircissemens dont vous les avcï

^■ccorupapnées. L,e papyrus mu fait grand plaisir* et je l'ai mis

fcien précieusement dans mon herbier. Votre fl/?^/rr/i/^um^u/jPW-

^~fum m'a bien prouvé que le uiien n'était pas le vrai, quoi—

il y ressemble beaucoup j je penche à croire avec vous que

rsl une variété de Varvense^ et je vous avoue que j'eu trouve

u-iieurs dans le Spect'es , dont les phrases ne suffisent point

iir me donner des différences spécifiques bien claires. Voilà,

me semble , un défaut que n'aurait jamais la méthode que

la^ine , parce qu'on aurait toujours un objet fixe et réel de

«iparaison, sur lequel on pourrait aisément assigner les diffé-

^hticps- *

5i6

LETTRES

Parmi les plantes <Ioiit vous ai prcccderament envoyé M$U j'en ai omis une dont Linnceua n*a pas marqué la patrie, ri *\

I*ai trouvée â Pila, c'est le rubia peregrina ; je ne sais >i v< 'avez aussi remarquée ; elle n'est pas absolument rare dans Savoie et dans le Dauphinc.

Je suis ici dans un grand embarras pour le transport 6e bagage , consistant , en grande partie , dans un attirail de bot nique. J*ai surtout dans des papiers épars un grand nombre plantes sèches en assez mauvais ordre, et communes pour la pli part , mais dont cependant quelques-unes sont plus curieuscsj mais je n'ai ni le temps ni le courage de les trier , puis<]Yie travail me devient désormais inutile. Avant de jeter au feu te ce fatras de paperasses , j'ai voulu prendre la linerlé de tous parler à tout hasard ; et &i vous étiez tenté de parcourir c<» foiai qui véritablement n'en vaut pas la peine , j'en pourrais faire ui liasse, qui vous parviendrait par M. Pasquet, car pour moi je sais comment emporter tout cela , ni qu'en faire. Je croj ~ rappeler , par eiemple , qu'il s'y trouve quelques foug] entre autres le polypodium fragrans , que j'ai herborisee: Angleterre, et qui ne sont pas communes partout. Si ruème revue de mon herbier et de mes livres de holaniuue pouvait vi amuser quelques momens , le tout pourrait être aéposécbex ^i et vous le visiteriez à votre aise. Je ne doute pas que vous o' Ja plupart des mes livres. Il peut cependant s'en trouver d'auj comme Parkinson , et le Gérard émaculê , que peut-être d* vous pas. Le yaUriuê Cordas est assez rare^ j*avai6 aussi mais ]e l'ai donné à AI. Clappier.

Je suis surpris de n'avoir aucune nouvelle de M. Gouan , qui j'ai envoyé les carex (i) de ce pays qu'il paraissait désirer, quelques autres petites plantes, le tout h. l'adresse de M. di S.-Pnest, qu'il m'avait donnée. Peut-être le paquet ne lui r^t-^l^ pas parvenu : c'est ce que je ne saurais vérifier , vu qu' un seul mot de vérité ne pénètre à travers l'édifice de i qu'on a pris soin d'élever autour de moi. Heureufiemeiil les «i- vraj^es des hommes sont périssables comme eux, mau la vcril* est éternelle ; post Unebras lux.

Agréez, monsieur, je vous supplie, mes plu^ sincères saJuU- tions.

(i) Je me souviens d'avoir rois par mégarda ua nom pour Wl ««Utt «OTM f u/pi/ia poujT çarex Itporina.

^^

SUR L\ BOTANIQUE.

5«7

LETTRE III.

Pauvre» aveuglef qu« nous ftomtne»! Ciel, (If m-isqur \pt imposteura^ Et forcrjlctiri harhan*» cxrur» A l'ouvrir aux it'gardê bommca.

MonquïU|Ie 17^0.

Ne îakfi^, monsieur, aucune attention a la I)îzarrerie Je tna

lAte ^ cVst uue l'ormule générale <\m n'a nul trait â ceux h qui

pécris , mais seulement aux honnêtes gens qui disposent de moi

^c autant cl*équilé que de bonté. Ccst, pour ceux qui se lai»-

it séduire par la puissance et tromper par l'imposture , un avis

i les rendra plus inexcusables, si , jugeant sur des choses que

it devrait leur rendre suspectes, ils s'obstinent à se refuser aux

loyensque prescrit la justice pour s'assurer de la vérité.

C'est avec regret que je vois reculer, par mon état et par la

mauvaise saison « le moment de rac rapprocher devons. J'espère

cependant ne pas tarder beaucoup encore. Si j'avais uuclques

f raines qui valussent la peine de vous être présentées, je pren— rais le parti de vous les envoyer d'avance pour ne pas laisser passer le temps de les semer ; mais j'avais fort peu de chose , et je le joignis avec des plantes de Pila » dans un envoi que je fis il y a quelques mois à madame la duchesse de Purllaud , et qui u a pas été plus heureux ^ selon toute apparence, que celui que Î'aî fait à M. Gouan , puisi^ue je n'ai aucune nouvelle ni de 1 un ni de l'autre. Comme celui de madame de Porttand était plus considérable, et que j'y avais mis plus de soins et de temps , je le regrette davantage; mais il faut bien que j'apprenne à me consoler de tout. J'ai pourtant encore quelques graines d'un fort beau seseli de ce pays, que j'appelle «ff«£/i/r«3//i.'ri , parce que je ne le trouve pas dans Z^innte/iâ. J en ai aussi d'une plante d'Ame- riqtie , nue l'ai fait semer dans ce pays avec d autres c rai nés

2u on m avait données , et qui seule a réussi. Elle s'appelle {^oirv* ault dans les îles, et j'ai trouvé que c'était Vhibiscus esculen^ iu9 f il a bien levé, bien fleuri; et j'en ai tiré d'une capsule quelques graines bien mûres , que je vous porterai avec le seseli , si vous ne les avez pas. Comme l'une de ces plantes est des pays chauds, et que l'autre grènc fort tard dans nos campagnes, je présume que rien ne presse pour les mettre en terre, sans quoi ]e prendrais le parti de vous les envoyer.

Votre galium rotundifolium ^ monsieur, est bien lui-même h luuu avis , quoiqu'il doive avoir la fleur blanche, et que le Totre l'ait tlave; mais comme il arrive à beaucoup de fleurs blanches de jaunir en séchant, je pense que les siennes sont dans le même cas. Ce n'est point au tout mon rubia pettgrina^ plante beaucoup pliu grande , plus rigide , plus Âpre , et de la consistance tout «tu moins de la garance ordinaire > outre que

aii

5iB LETTRES

je SUÎ6 cwtaîn d'y avoir vu àe% baies que n'a pas votre ^/ûiniy

«a qui sont le carnctère générique des ru6ia. CepcDilaut $uî*, ic vous l'avoue, hors dVlat de vous en envoyer un échaatilloo. Voici , là-dc5sus , mon histoire.

J*avai5 souvent vu en Savoie et en Daupliiné la garni sauvage, e\ i*eu avais pris quelques échantillons. I/annôe def-^ iiicic, à Pila , j'en vis encore^ mais elle me parut diflèreote des autres, et il me semble que j'en mis un spécimen dans m«ii porte-feuiile. Depuis mou retour, lisant, par hasartl . d^r» l'arliclc ruhia pere/rrina , que sa feuille n'avait poml ti- en-dessus , je uiC rappelai , ou crus me rappeler que n de ?ila n'en avait point non plusj de la |e conclus que cj le ruhia petegrina. En nrêchaullant sur cette idée , je viirt conclure la même chose des autres garances que j'avais Irou dans ces pays, }tarre qu'elles u'avaieut d*ordinaire que qiu feuilles : pour que cette conclusion fût raisonnable, il aui fallu chercher les plantes el les vérifier; voilà ce que nm - ne me permit point de faire , vu le désordre de mes p.- ^ elle temps qu il aurait fallu mettre â cette recherche. É'i;^ !a réception , monsieur, de votre lettre , j'ai mis plus de bc jours â feuilleter tous mes livres et papiers l'un après l'au'rf sans pouvoir retrouver ma plante de Pila, que j ai peul^rur jetée avec tout ce qui est arrivé pourri. J'en ai retrouvé q ques-unes des autres, mais j'ai eu la mortification d'y Ireot la nervure bien marquée qui m'a désabusé, du moins surcel'' là. Cependant ma mémoire , qui me trompe si souvent . retrace si bien celle de Pila , ^uej'ai pciue encore k en . et je ne désespère pas qu'elle ne se retrouve dans in- ou dans mes livres. Quoi qu'il en soit, ligurez-vousdat tillon ci-joint les feuilles un peu plus larges et sans uv;.- voilà ma plante de Pila.

Quelqu nu de ma connaissance a souhaité d'acadérir ma vres de botanique en entier, et me demande même la rence ; ainsi, je ne me prévaudrai point sur cet article! «bligf'anlf s offres. Quant au fourrage épars dans des c' * puisque yiMjs ne détlaignez pas de le parcourir, je le fcri mcllrc â M, Pasquet ; mais il faut aupnrovant que je fei et vide mes livres, dans lesquels j'ai la mauvaise nabili fourrer, eu arrivant , les plantes que j'apporte, parce qu est jilutôl fait. J'ai trouvé ie secret de gîter, de cette presque tous mes livres, et de perdre presque tt>utes mes plaolM parce qu'elles tombent et se brisent sans que j'y fasse atteatÎN tandis que je feuillette et parcours le livre, uniquement cet do ce que j'y cherche.

Je vous prie , monsieur , de faire agréer mes remercîmrtf* '\ salutatioDs k monsieur votre frère. Persuadé de iCi htmt^ des vôtres, je me prévaudrai volontiers de vos offres dant casion. Jt^ finis, sans façon , en vous saluant , monsieur, et mon cotur.

mr

SIR L\ BOTANIQUE.

5.9

LETTRE IV

Panvres ovcnglm t\uç nou» sâmm»! Cit-I . (Il fnii9t|iir t< s împoa'^iirs ; El force Iriir* barbares cœurs A ft'onvrimux regard» du horaine».

Monquin, 17^70.

Vo 1 C ï !ur que

monsieur, tnvs misérables herbnillrs, j'ai bien

vous ne irouv'\et rien qui nipntp dVtre rarnn.ssr,|i

C n'est de* jilaritos que vous inayct donne'cs vous-même , dont

'avais <|uetque5-uiie5 à doubU^ , et dont, après en avoir niîs

filusiours dans mon lierbier , je n'ai pas en le temps de tirer e incme parti des autres. Tout Tusa^^e que je vous conseille d'en faire est de mettre le tout au feu. Cependant, si vous avec Ja patience de feuilleter ce fatras , vous y trouverez, je crois , <|ueK|ues plantes qu*un oflicier obligeant a eu la bonté de a]*ap- porter de Corse, et que je ne connais pas.

Voici aussi quelques graines de aeseli hallert. Il y en a peu, €t je ne Tai recueilli qu avec beaucoup de peine , parce qu'il grène fort tard et milrit difficilement en ce pays : mais il de- ,\ient, en revanche, une très-belle plante , tant par son beau port <^ue par la teinte du pourpre que les premières atteintes ou froid donnent à ses ombelles et à ses tiges. Je hasarde aussi d'v joindre quelques graines de pombauUf quoique vous ne uj en ayp* rien dit, et que peut-être vous l'ayez ou ne vous en souciez pas, et quelques graines de Vheptaphyllon, qu'on re s'avise guère de raïuas-ser, et qui peut-être ne lève pas dans le* jardins , car je ne me souviens pas d'y en avoir jamais vu.

Pardon , moiisienr, de la hàtc extrême avec laquelle je vous écris ces deux mots, et qui m'a fait presque oublier ae vouJ remercier de Vaspentla taurina, qni ra a fait bien grand plaisir. •Si n«s chemÎHS étaient praticables pour les voitures , je serais dvjii près de vous. Je vous porterai le catalogue de mes livres , nous y marquerons ceux qui peuvent vous convenir ; et si Facquercur veut s'en défaire, j'aurai soin de vous les procurer. Je ne demande pas mieux , monsieur, je vous assure^ que de calliver vos bontés; et si jamais j'ai le bonheur d'clre un peu mieux connu de vous que de monsieur**, qui dit si bien me connaître, j*espère que vous ne m'en trouverez pas indigne. Je vous salue de tout mon cœur.

Avei-voQS le dianthus superhuM? Je vous l'envoie à tout ha- sard. C'est réellement un bien bel oeillet , et d'une odeur bien suave, quoique faible. J'ai pu recueillir de la graine bien aisé- ment, car il croît en abondance dans un pré qui est sous mes Ienêtre*. Il ne devrait être permis qu'aux chevaux «Sx^ soIpiI de fe nourrir d'un pareil foin.

5îo

LETTRES

LETTRE V.

A Farii, le 1777*.

PaavrM areuglcB que noii& fiommcâ ! Cirl , tlrma.'Ujut' les ini(>o!»ïi?uiaj El furcc Iriirs barbares coeurs A s'ouvrir aux regRftln tien bommes.

Je voulais, nionâieur, vous rendre compi*» (^p mon voyagr CB drivant à Paris; mais il ni*a fallu quelques jourf pour m'ar* ranger et me remettre au courant avec mes an<:iennes conpAÎf* sances. Fatigué d'ua vovage de deux jours , jVn séjournai Irott ou quatre à Dijon , d'oir , par la même raison , j'altai faire na pareil séjour à Auxerre , après avoir eu le plaisir de voir, es passant , M. de BuOnn , qui me fit Taccueil le plus obligMoL Je vis aussi, â.Moiitbard, M. Daubenton le subdéïégué» leqttrî, ;iprès une heure ou deux de promenade ensemble dans le j.trdin, me dit <|ue j*avais déjà des cnmmenreniens, et qu'en contintiiBl de travailler je pourrais devenir un peu botaniste. Mais le len- demain Tétant allé voir avant mon départ, je parcourus ajtC lui sa pépinière, malgré la pluie qui nous incommodait fnrt^ et n'y connais-sant presque rien, je démentis si bien la bonne opinion qu'il avait eue de moi la veille, qu*il rétracta son éloct et ne me dit plus rien du tout. Malgré ce mauvais 5uccr«, )# ii*aî pas laissé d'herboriser un peu durant ma route, et de xnf trouver en pays de connaissance dans la campagne et dans bois. Dans presque toute la Bourgogne j'ai vu la (erre c©> verte, à droite et à gauche, de celle même grande gentiaa»

i'aune que je n'avais pu trouver à Pila, l-es champs, efllPP Jonlbard et Chably 1 sont pleins de bulùocasfanum ^ mailla bulbe en est beaucoup plus acre qn'en Angleterre, et presflBt immangeable^ Vœnanihe fistulosa et la coquelourde (pulsatini) y sont aussi en quantité : mais n'ayant traversé la for^l df Fontainebleau que très à la hâte, je n'y ai rien ni du tout ^ remarquable, que le gcranium grand ijlorumi ^ue ^e CrouYtt sous mes pieds par hasard une seule fois.

J'allai hier voir M. Daubenton au Jardin du Roi j jV r«l- contraif en me promenant, M. Richard, jardinier deTr^aaoD, avec lequel je m'empressai , comme vous jugez bien, de fairt connaissance. Il me promit de me faire voir son jardin. Qui est beaucoup plus riche que celui du roi à Paris ; aiuyi voilà h portée ae faire, dans l'un et dans l'autre, quelqu*» a naissance âvec les plantes exotiques, sur lesquelles, vous avez pu voir, je suis parfaitement ignorant. Je pr,.. . . pour voir Trianon plu.s h. mon aise, quelque moment la cour ne sera pas à Versailles, et je tâcherai de me fourdrà double de tout ce qu'on me permettra de prendre, afin 3* pouvoir vous envoyer ce que vous pourriez ne pa5 avoir. /*i

SUR Lk BOTANIQUE. Sai

auïsi vule jardin de M. Cochin , qui m'a paru fort beau; mais en l'absence du maître , je n'ai osé toucher à rien. Je suis ^ depuis luoQ arrivée , tellement accablé de visites et de dinés, que , si ceci dure ^ il est impossible que jV tienne , et malheu- reusement je manque de force pour rac aéfendre. Cependant , si je ne prends bien vite un autre train de vie , mon estomac et ma botanique sont en grand péril. Tout ceci n*est pas le moyen de reprendre la copie ae musique d'une façon bien lucrative ; et )'ai peur qu'à force de dîner en ville je oc finisse

Sar mourir de faim che« moi. Mon ame, navrée , avait besoia e quelque dissipation, je le sens : mais je crains de n'en poil^ ▼oir ici régler la mesure, et j'aimerais encore mieux être tout en moi que tout hors de moi. Je n'ai point trouvé, monsieur, de société mieux tempérée et qui me convint mieux que la vôtre , point d'accueil plus selon mon crcur que celui que , sous vos auspices , j'ai reçu de l'adorable Mélanie. S'il m'était donné de me choisir une vie égale et douce, je voudrais , tous les jours de la mienne, passer la matinée au travail-, soit à ma copie, *soi sur mon herbier^ dtuer avec vous et Mélanie; nourrir en- suite, une heure ou deux , mon oreille et mon cœur , des sons <lc sa voix et de ceux de sa harpe ; puis me promener tête-à- tête avec vous le reste de la journée en herborisant et phi- losophant selon notre fantaisie. Lyon m'a laissé des regrets qui m'en raprocheronl quelque jour peut-être : si cela m'arrive , TOUS ne serez pas oublié , monsieur , dans mes projets : puissiez- ▼OU5 concourir à leur exécution ! Je suis fâche de ne savoir pas . ici l'adresse de monsieur votre frère : s'il y est encore , je n'au- w rais pas lardé si long-temps à l'aller voir, me rappeler à son *^ souvenir , et le prier de vouloir bien me rappeler quelquefois au vôtre et à celui de M**.

Si mon papier ne finissait pas , si la poste n'allait pas partir , je ne saurais pas finir moi-même. Mon bavardage n'est pas mieux ordonné sur le papier que dans la conversation. VeuilIeE sup- porter l'un comme vous avez supporté l'autre, fa^ , e( me ama.

LETTRE VI,

Paiivrej aveugle* qoa noua sommes 1 Ciel , di'masqoe les impostcurt; £l force leurs barbares cœnrs A s'ourriraux regards <Ua hoamies.

A Pari», le 17^70-

Je ne voulais , monsieur , m'accuser de mes torts qu'après $ avoir reparcs ; mais le mauvais temps qu'il fait et la saison li se gale me punissent d'avoir négligé le Jardin du Roi tandis '*il faisait beau, et me mettent hors d'état de vous rendre iple quant à présent du plantago unijlora , et des autres ites curieuses dont {(aurais pu vous parier, si j'avais suzniei

5a3

LLÏÏRES

profiter des bonlé« de M. de Jtis&îeu. Je dvtesnëre pas povr* tant de profiler encore de quelque beau jour u'autoiune povi faire ce peipiinageel aller reccvoir,pour celle année, les aditui de la syngene^ie: niais en nttendant ce moment , pcrmetlei monsieur , fjue je prenne celui-ci pour vous remercier , quoi* k»rd , de la coniiuualion de >n5 bontc-s et. de vos letlre», ijui Irront toujonr U pUi.t; vrai plaisir , qtioiriue je sois peu txM à y répondre. J'ai encore à ni'accuser de brancoup d'ai omissions pour lesquelles je n'ai pas moins besoin de pardog. Je voulais aller remercier monsieur votre frère de rhorinenri#) sSn souvenir et lui rendre sa visite; j'ai tarde d'abord et putt t'ai oublié son adresse. Je le revis une fois à la cgmédie itJ*J bonne , mais nous étions dans dos loges éloignées , je pu] l'aborder , et maintenant j'ignore iDêmes'il est encore à PanLj Aurre tort inexcusable ; je me suis rappelé de ne vous «voir, point remercié de la connaissance de M. Uobinel , et de Taccueili obligeant que vous m'avez attiré de lui. Si voii^ coinptei àtrci votre serviteur , il restera trop insolvable ; mais puisque 0Qitf sommes en usage , moi de faillir , vous de pardonner , coovrei* encore cette fois mes fautes de votre indulgence » et je tJcitrrii d'en avoir moins besoin dans la suite ^ pourvu toutefois quermu n'exigiez pas de rexaclitudc dans mes réponses : car ce dftoif est absolumeut au-dessus de mes forces . surtout dans nu po- sition actuelle. Adieu , monsitnir ; souvenez-vous quelqtiffoiit je vous supplie , d'un boiumc qui vous est bien sincèrement at- taché , et qui ne se rappelle jamais sans plaisir et sans regrfl les promenades charmantes qu'il a en le bonheur de faire anc. vous.

On a représenté Pygmalionà Montigny ; je n'y étais pi» amsi je n'en puis parler. Jamais le souvenir de ma premicf» Oalathée ne me laissera le désir d'en voir une «uire.

LETTRE VII.

A Pari», U uVa

Pauvres aveugle* que noua acmmeal Ciel, drniAsquf les impDstcnraj El force Iriirs l>arbarrs corura A s'ouvrir aux reg4rils<lca hommes.

Jk ne sais presque plus , monsieur , comment oser vousrcfiljv après avoir tardé si long-temps k vou«t remercier du lrr»nr « plantes sèches que vous avez eu la bonté do m'cnvovrr enof nier lieu. N'ayant pas encore eu le temps de les placer, f** les ai pas extrêmement examinées j mais je vois k vue de p*y| qu'elles sont belles et bonnes : je ne doute pas qu'elles ne w»*^ bien dénommées, et que tontes le? observations que vous ^^ demand(>z ne se réduisent à des approbat^ns. Cet envoi iB*f mettra , je l'espère , un peu dans U lrai*de U botaniqn* i

BOTANIQUE.

5-3

le printemps prochain, et vous envoyer , s'il se pt et graines. Depuis que je suis h Paris , je n'ai et

d'autres soins m'ont fait eitrêmcment négliger depuis mon •rrjvee ici ; et le désir de vous témoigner ma Lien impuissante mais bien sincère reconnaissance me fournira peut-être avec le

-temps quelque chose à vous envoyer. Quant à présent je me présenletoHl-à-faità vide, n'ayant des semences dont vous m'en- voyez la note que le seul doronicum parduiianches que je crois \'Ou5 avoir déjà donné , et dont je vous envoie mon misérable

Veste. Si j'eusse été prévenu quand j'allai à Pila Tannée der- nière , j'aurais pu apporter aisément un litron de semenceiï du

prenant/tes purpurea , et il y en a quelques autres comme le tamuM , et la gentiane perfoliét que vous devez trouver aisément autour de vous. Je n'ai pas oublié \e p/anlago monani/ios ; mai* on n'a pu me le donnerau Jardin du lloi , oii il n*y en avait qu'un seul pied sans Heur Pt sans fruit ; j'en ai depuis recouvré un petit vilain échantillon que je vous enverrai avec autre chose,

*»i je ne trouve pas mieux j mais comme il croit en abondance antoiir de Tétanp de Montmorenci , j'y compte aller herboriser

►eut , plantes cté encore oue trois ou quatre fois au Jardin du Roi , quoiqu'ou m'y accueille avec la plus grande honnétoléet qu'on m y donne volontiers des échantillons de niantes , je vous avoue que je n'ai pu m'en- hardir encore à demander des graines. Si j'en viens , cVst pour vous ser^'ir que j'en aurai le courage , mais cela ne peut vetiir tout d'an coup. J'ai parlé à M. de Jussieu du popyrnu que TOUS avez rapporté de Napfes : il doute que ce soit le vrai papier miloiica. Si vous pouviez lui en envoyer , soit plante soit grai- nes , soit par moi soit par d'autres , j'ai vu que cela lui ferait grand plaisir , *l ce serait peut-être un excellent moyen d'ob- tenir de lui beaucoup de choses qu'alors nous aurions bonne grâce à demander , quoique je sacne bien par expérience qu'il tst charmé d'obliger gratuitement ; niais j'ai besoin de quelque tli<"^e pour m'eahardir , quand il faut demander.

Je remets avec celte lettre à MM. Boy-de-la-Tour qui s'en retouruent une boîte contenant une araignée de mer, qui vient de bien loin ) car on me l'a envoyée du golfe du Mexique. Comme cependant ce n'est pas une pièce bien rare et qu'elle a été fort cudommagée dans le trajet, j'hésitais à vous l'envoyer ; mais on me dit qu'elle peut se raccommoder et trouver place encore dans un cabinet ; cela supposé , je vous prie de lut en donner une dans le vôtre , en considération d'un homme qui vous sera toute sa vie bien sincèrement attaché. J'ai mis dans la même boite les deux on Iroiâ semences de doronic, elautres que j'avais sous la main. Je compte Tété prochain me remettre au courant de la bolauique pour lâcher de mettre un peu du mien dans une correspondance qui m'est précieuse ^ et dont j'ai eu jus- <|u'ici seul tout le profit. Je crains d'avoir poussé l'étourderie au point de ne vous avoir pas remercié de la complaisance de If. Robinet , et des honnêtetés dont il m'a comblé. J'ai aussi

Ù2.\ LETTRES

laissé repartir d*ici monsieur de Kleuneu sans aller lui rendra mes devoirs , comme je le devais et voulnis faire. Ma volonté , monsieur , n'aura jamais de tort aupri-s de vous ni des vôtre»; mais ma négligence in*en donne souvent de bien incxcu&ables t

Îiue je vous prie toutefois d'excuser dans votre miséricorde. emme a été tri-s-sensible à l'honneur de voire souvenir , et nous vous prions Tnn oi l'autre d'agréer nos Irès-humblcs salutalioBtk.

LETTRE VIII.

A Paris, le I7v7**

1

aiiT»

Paorres aveuj^lcii que noni« sommes ! Ciel , drinuBf)ur Irn impo»lt;iirs j El fiirc^ If uri barbarn cœurs A s'ouvrir aux rt'gurds des hommes.

J*Ai reçu , monsieur , avec grand plaisir , de vos nouvel des léuioignages de votre souvenir , et des détails de vos i ressantps occupations. Mais vous me parlez d'un envoi de plai? par M. l'abbé Hosier , que je n*ai point reçu. Je me souMfiu bien d'en avoir reçu uu de votre part , et de vous en avoir r^ mercié , quoiqu'un peu tard , avant votre voyage de Pâi-iî , loaîl depuis votre rftour h Ly**" » votre lettre a été pour moi volrt premier signe de vie ^ et j'en ai été d'autant plus charmé ou* j'avais presque cessé de m'y attendre.

En apprenant les cbangcmens survenus à Lyon , j'avais A bien prf jugé que vous vous regarderiez comme aflVanchi d'iui dur esclavage , et que , dégagé de devoirs, respectables assa- rément, mais qu'un homme de gotit mettra dillicllemrnt aa nombre de ses plaisirs , vous en goûteriez un tri:s-vif à To* livrer tout entier à l'élude de la nature, que j'avais résolu dt vous en féliciter. Je suis fort aise de pouvoir du moins exécuter, «près coup, el sur votre propre témoignage , une résolution qM ma paresse ne m'a pas permis d'exécuter o avance , quoique très* sûr que celle félicitalion ne viendrait pas mat h propos.

Les détails de vos herborisations et de vos découvertes m Mil fait battre le cœur d'aise. Il me semblait que j'étais à votrf snitf i <t que je partageais vos plaisir*; ; ces plaisirs si purs , si doa»i que si peu d'hommes savent goûter , el dont , parmi ce peu li» nioms encore sont digues , puisque je vois , avec autant dciat* prise que de chagrin , que la botanique elle-même n'*'*! P** exempte de ces jalousies , de ces haines couvertes et cm- «mpoisonncnl et désbouorent tous les autres genres d'élu me soupçonnez point , monsieur , d'avoir abandonné ce :

licieuxp'l jette un charme toujours nouveau surmavie *<>

Je m'y livre pour moi seul , sans succès, sans progrès, pre«<|*i« «ans communication , mais chaque jour plus convaincu '" loisirs livré» à la contemplation de la nature sont 1rs m"i la vie oii Ton jouit le plus délicieusement de soi. J'ayouf p'^'^'"

^1^^

P gVK LA BOTANIQUE. S'/î

tant que , dopais votre départ , j'ai joint un petit objef d'amom- propreâ celui d*amuser iunoceuimeut et agréablement nioti oisi- veté. Quelques fruits étrangers , quekpies graines qui me sont par hasard tombées entre les mains, m'ont inspiré la fantaisie de coinmrncer une très-pelite collecliou eu ce genre. Je dis com- mencer, car je serais bien fâché de tenter de Tachever quand la chose me serait possible, n'ignorant pas que, tandis qu'on est ^pauvre, on ne sent que le plaisir d'acquérir , et aue quand on est ri<?he au contraire on ne sent que la privation de co qui nous ruanque et l'inquiétude inséparable du désir de compléter ce qu'on a. Vous devez depuis long-temps en être à celte inquié- tude, vous, monsieur, dont la riche collection rassemble en petit presque toutes les productions de la nature, et prouve, par son bel assortiment , combien M. l'abbé Rosier a eu raison de aire qu'elle est l'ouvrage du choix et non du hasard. Pour moi qui ne vais que lAtonnant dans un petit coin de cet immense labyrinthe, Je rassemble forluiteracat et précieusement tout ce qui me tombe sous la main , et uon-seulement j'accepte avec ardeur et recou*- oaûsance les plantes que vous voulez bien m'olfrir ; mais , ti vous vous trouviez avec cela quelques fruits ou graines surnu- méraires et de rebut dont vous voulussiez bien m'enrichir, j'eu ferais la gloire de ma petite collection naissante. Je suis confus de ne pouvoir , dans ma misère, rien vous offrir en échange, au iboiits pour le moment. Car , quoique j'eusse rassemblé quelques

Slanles depuis mon arrivée k Paris , ma négligence et l'humidîté e la chambre que j'ai d'abord habitée ont tout laissé pourrir. , Peut-être serai-je plus heureux cette année , ayant résolu d'em- ployer plus de soin dans la dessication de mes plantes, et surtout ce les coller à mesure qu'elles sont sèches; moyen qui m*a paru le meilleur pour les conserver. J'aurais mauvaise grâce, ayant fait tine recherche vaine , de vous faire valoir une herborisation que j'ai faite à Montmorenci l'été dernier avec la Calervc du Jardin du Koi ; mais il est certain qu'elle ne fut entreprise de ma part

3 lie pour tTou\er \e plantago mnnant/ios , (jue j'eus le chagrin 'y cliercher inutilement. M. de Jussieu le jeune , qui vous a va sans doute k Lyon , aura pu vous dire avec quelle ardeur je priai tous ces messieurs', sitôt que nous approchîkmes de la queue de iVtan|^ , de m'aider k la recherche de cette plante , ce qu'ils firent , et entre autres M. Thouin , avec une complaisance et un soin qui ménlaicut un meilleur succès. Nous ne trouvAmes rien^ et , après deux heures d'une recherche inutile , au fort de la cha- ieur, et le jour le plus chaud de l'année, nous fûmes respirer et faire la halte sous des arbres qui n'étaient pas loin , concluant unanimement que le planlago unijîora indiqué par Tournefort et Al. de Jussieu aux enviruns de l'étang de Alontmorenci en «vait absolument disparu. L'herborisation , au surplus, fut asseis tiche en plantes communes; mais tout ce qui vaut la peine d'être mentionné se réduit à Vosmande royale , le lythrum hys^ mopi-^oiia y Je lysimacfiia tenelia^ le peplia portuia , le drosera

aati LETTRES

rotundifoêia , le cyperus fuscuK , le schœnuti nigricans , et 1'*^- di-ocotyle naissante avec quelques feuilles petites et rare» , mm aucane fleur.

Le papier me manque pour prolonçcr ma lettre. Je ne voui parle point t!e moi , parce que je n*ai plus rien de nouve.iu k vous en dire , el que je ne prends plus aucun inlérêl à ce qar disent, publient, impriment, inventent, assurent, cl ptoii- vent , à ce qu'ils prétendent, mes contemporains, de lVl« imaginaire et fantastique auquel il leur a plu de donner nicn nom. Je fïni.s donc mon bavardage avec lua feuille, vous priant d*excuser le désordre et le griffonnage d'un homme qui a pfr- du toute habitude d'écrire el qui ne la reprend presque qnc pour vous. Je vous salue, monsieur, de tout mon crpur , el vous prie de ne pas lu'oubliêr auprès de monsieur et madamt de Fleurieu.

LETTRE IX.

A Pari», le ii\;%

Pauvres aveagtes que nous sommes! Ciel , droiasqu** le» impoiiteur» j Et force If urs bnrh»rr5 cœura A s'ouvrir aux regards de^ hommes.

VoTBE seconde lettre , monsieur , m'a fait sentir bien viif- meut le tort d'avoir lardé si long-temps à répondre â la pfé» cédente , et à vous remercier des plantes qui i'accomp.i. Ce n'est pas que je n'aie été bien sensible à votre son à votre envoi : mais la nécessité d'une vie trop sédri i'inhabitude d'écrire des lettres en augmentent jourti' ]a diiTicultc , el je .tens qu'il faudra renoncer bientôt à tout com- merce épislolaire même avec les personnes qui , comme vous, monsieur , me l'ont toujours rendu instructif et agréable.

Mon occupation principale et la diminution de mes fiir'-f^ f>nt ralenti mon goût pour fa botanique, au point de cra- ie perdre lout-à-fait. A' os lettres et vos envois sont bien j,.., :- à le ranimer. Le retour de la belle saison y conlrîbuei^ |vnt- être : mais je doute qu'en aucun temps ma paresse ' mode long-lernps de la fantaisie des collections. Celle <J qu'a faite M. Thouio avait excité mon émulation, et | ai tenlé de rassembler, en petit , aulantWle diverses et de fruits , soit indigènes , soit exotiques, qu'il en i tomber sous ma main : j'ai fait bien des courses d.i intention. J'en suis revenu avec des moissons avyez tauo: nables^ et beaucoup de personnes obligeantes avant tnntft* bue à les augmenter , je inc suis bientôt senti , dans ma p»*" yrete, l'embarras des richesses; car, quoique je n'aie pat fl* tout un millier d'espèces, l'cfiroi m'a pris en tentant de no^ ger tout celaj et la place , d'ailleurs, me manquant poir„'

SUR LA BOTANIQUE 527

niôlire une espèce d'ordre , j'ai presque renoncé à celte entre- prise : et j'ai des paauels de graiiieb qui m*ont été envoyés d'Angleterre , et d'aifleurâ depuis assez long-temps , sans que j'aie encore été tente de les ouvrir. Ainsi , à moins que celle fantaisie ne se ranime , elle e^t , quant à prcseut , à peu près éteinte.

Ce qui pourra contribuer, avec le goût de la promenade qtû ne. Die quittera jamais, à me conserver celui d un peu d'her- borisation , c'est renlrcprise des petits herbiers en miniature que je me suis chargé de faire pour quelques personnes, et qui , quoique uniquement composés de plantes des environs de Paris , me tiendront toujours un peu en haleine pour les ra- masser et les dessécher.

Quoi qu'il arrive de ce goAt attiédi , il me laissera toujours des souvenirs agréables des promenades champêtres dans les- qaclles j'ai eu Phonneur de vous suivre, et dont la botanique a été le sujet ; et s'il me reste de tout cela quelque part dan» .votre bienveillance , je ne croirai pas avoir cultivé sans fruit la botanique , même quand elle aura perdu pour moi ses attraits. Quant à Tadmiration dont vous me parlez, méritée ou non , je ne vous en remercie pas, parce que c'est un sen- timent qui n*a jamais (lalté mon cœur. J'ai promis i M. de Ch.Ueaubourg que je vous remercîrais de m'avoir procuré ïe plaisir d'apprendre par lui de vos nouvelles , et je m'acquitte avec plaisir de ma promesse. Afa femme est très-sensible à Thoc" neur de votre souvenir, et nous vous prions, monsieur , l'un et l'autre , d'agréer nos remercîmcns et nos salutations. *

Flir DBS LETTRES SUR L4 BOTANIQUE.

MÉLANGES.

34

AVERTISSEMENT.

CsTTS pi^ est trèsHouiaTaîse; et je le sentis si bien apcis Favoir écrite, cpie je ne daignai pas même Tenvoyer. Il est aisé de faire moins mal sur le même sujet, mais non paa de faire bien, car il n*y a jamais de bonne réponse à faire à des questions frivoles. C*est toujours une leçon utile à tirer d*iin mauvais écrit.

DISCOURS

SUR CETTE QUESTION,

proposée en 1^5 x parracadéniiede Corse :

Quelle est la vertu la plus nécessaire aux liéros , et quels sont les héros à qui cette "vertu a manqué?

Oi je n*élais Alexandre, disait ce conquérant, je voudrais être I>iogène. Le philosophe eût-il dit : si je n'étais ce que je suis, ]e voudrais èlre Alexandre. J'en doute; un conquérant conseulirait plutôt d*ètre un sage , qu'un sa^e d'être un conquérant. Mais quel nomme au monde ne consentirait pas d'être un héros? On sent donc que l*héroisme a des vertus à lui, qui ne dëpeudent point de la fortune, mais qui ont besoin d'elle pour se développer. Le héros est l'ouvrage de la nature, de la fortune, et de lui* même. Pour bien le défînir , il faudrait assigner ce qu^il lient de chacun des trois.

Toutes les vertus appartiennent au sage. Le héros se dédom- mage de celles qui lui uaanqueut par l'éclat de celles qu'il pos- sède. Les vertus du premier sont tempérées, mais il est exempt de vices; si le second a des défauts, ils sont eH'acés par l'éclat de ses vertus. L'un, toujours vrai, u'a point de mauvaises qualités; l'autre, toujours grand , n'en a pomt de médiocres. Tous deux sont fermes et inebraulables , mais de diflérentes manières et en différentes choses ; l'un ue cède jamais que par raison, l'autre )amais que par générosité j les faiblesses sont aussi ])eu connues du saee que les lâchetés le sont peu du héros ; et la violence n'a pa« pTuii d'empire surTame de celui-ci que les passions sur celle de l'autre.

Il y a donc plus de solidité dans le'caractère du sage, et plus d'éclat dans celui du héros; et la préférence se trouverait décidée en faveur du premier , en se contentant de les considérer ainsi en •ux-raémes. Mais si nous les envisageons par leur rapport avec l'intérêt de la société, de nouvelles réflexions produiront bieulàt d'autres jugemens, et rendront aux qualités héroïques cette préé* minence qui leur est due , et qui leur a été accordée dans tous les siècles, d un commun consentement.

£n effet » le soin de sa propre féliciié fait toute l'occapalion du sage, et c'en est bien assez sans doute pour remplir la lâche d'un nomme ordinaire. Les vues du vrai héros s'étendent plus loin; le bonheur des hommes est son objet , et c'est à ce sublime travail qu'il cousacre la grande auie qu'il a reçue du ciel. Les philosoplics , je l'avoue, prétendent enseigner aux hommes Tart d'être heureux ; et comme s'ils devaient s attendre à former des nations de sages, ils prêchent aux peuples une félicité chiinériqna qu'ils u'out pus eui-mcmes , c: dont ceux-ci ne prenncut jamais

53a DISCOURS.

ni ridée ni le goàl. Socrate vit et dcplora les malhcnrs de sa pa«^ trie; mais c'est à Thrasybule qu'il «tait réservé de les finir; et FiaLon , après avoir perdu son éloquence , son bouneiir et »on temps à la cour d*un tyran , fut contraint d'abandonner à un autre la gloire de délivrer Syracuse du joug de la tyrannie. Le philosophe peut donner à l'univers quelques instructions salu- taires ; luais ses leçons ne corrigeront jamais ni les grands qui les méprisent , ni le peuple qui ne les cutcuà point. L^ hommes ne se gouyerneuL pas ainsi par des vues abstraites; on ne les rend heureux qu'en les contraignant à Pètre, et il faut leur faire éprouver le bonheur pour le leur fair* aimer: voili l'occupation et les talons du héros; c*esl souvent la lorce à la main qn il se met en état de recevoir les bénédictions des hommes qu'il contraint d'abord à porter le joug des lois pour In soumettre cntin h rautoritc de la raison.

L'héroïsme est donc de toutes les qualités de Tamp celle dont il importe le plus aux peuples que ceux qui les gouveroenl soient revêtus. C'est la collection d'un grand nombre de vertus su- blimes, raie:» dans leur assemblage, plus rares dans leur énergie , et d*autant plus rares encore que l'heroismc qu'elles constituent, détaché de tout intérêt personnel, n'a pour objet que la féUcilé des autres et pour prix que leur admiration.

Je n'ai rien dit ici de la gloire légitimement due aux graadef actions ; je n'ai point parle de la force de génie ui des auim qualités personnelles nécessaires au héros ,et qui, sans être verios servent souvent plus qu'elles au succès des grandes entreprise»- Pour placer le vrai héros à son rang je n'ai eu recours qu'à ce principe incontestable : que c'est entre les hommes celui qoi tt rend le plus utile aux autres qui doit cire le premier de tou». Jp ne crains point que les sages appellent d'une décision fondée sar cette maxime.

Il est vrai, et je me bile de l'avouer, qu'il se présente dam cette manière d'envisager l'héroïsme une objection qui *enihle d'autant plus difticile k résoudre qu'elle est tirée du fond aUmt du sujet.

Il uc faut point, disaient les ancien», deux soleils dans la ti»- ture ni deux Césars sur la terre. En elTet, il en est de rhèroisnx comme de ces métaux recherchés dont le prix consiste dan* leur rareté, et que leur abondance rendrait pernicieux ou inuttlec Celui dont la valeur a pacifié le monde TeiU désolé s'il y pAi trouvé un seul rival digne de lui. Telles circonstances petntBt rendre nu héros nécessaire au salut du genre humain ; mais, M quelque temps que ce soit , un peuple de héros en sf-rait infailli- blement la ruine , et, semblable aux soldats de Cadmus, il Mdé' truirait bientôt lui-même.

Quoi donc! me dira-t~on, la multiplication des bienfaitrart da genre humain peut-elle ^Ire dangrreuHi* aux hommes, ri pcut-4l y avoir trop de cens qui travaillent au bonheur de tous? Oui^saiis doute I répoudrai-jc, quand ils s'y preuaeut mal|*«

itaMI

DISCOURS. 533.

qu'ils ne s'en occupent qu'en apparence. Ne nous dissimnlons rien ; la fellcilc publique est bien moins la fin des actions du Leros qu'un mo^en pour arriver à celle qu'il so propose , et celle lin est presque toujours sa gloire personnelle. L';imour de la gloire a fait des biens et des maux innombrables; Tamour de la patrie est plus pur dans son principe et plus sûr dans ses effets : «ussi le monde a-t-il été souvent surchargé de héros; mais les nations n'auront jamais assez de citoyens. Il y a bien de la diffé- rence entre l'homme vertueux et celui qui a des vertus : celles du héros ont rarement leur source dans la pureté de l'ame, et , semblables à ces drogues salutaires, mais peu agissantes, qu'il faut animer par des sels Acres et corrosifs, on dirait qu'elles aient besoin du concours de quelques vices pour leur donner de l'activité.

Il ne faut donc pas se représenter rhéroïsme sous l'idée d'une perfection morale, qui ne lui convient nullement, mais comme n composé de bonnes et mauvaises qualités, salutaires ou nui- sibles selon les circonstances, et combinées dans une telle propor- tion qu'il en résulte souvent plus de fortune et de gloire pour ce- lui qui les possède, et quelquefois même plus de bonheur pour les peuples, que d'une vertu plus parfaite.

De ces notions bien développées , il s'ensuit qu'il peut y avoir bien des vertus contraires à Theroisme ; d'autres qui lui soient in-

différentes; que d'autres lui sont plus ou moins favorables se- lon leurs dlffércns rapports avec le grand art de sul>iii cœurs et d'enlever l'admiration dos peuples; et qu'enlin parmi

Ion leurs dlffércns rapports avec le grand art de sul>iiigiipr les

et d'enlever l'adi ces dernières il doit y en avoir quelqu'une qui lui soiî plus nécessaire, plus essentielle, plus indispensable, et qui le ca- ractérise en quelque manière : c'est cette vertu spéciale et pro- prement héroïque qui doit être ici l'objet de mes recherches.

Rien n'est si décisif que l'ignorance; et le doute est aussi rare parmi le peuple que ramrmnlion chez les vrais philosophes. Il y a long-temps que le préjugé vulgaire a prononcé sur la question que nous agitons aujourd'hui, et que la valeur guerrière passe chez la plupart des hommes pour la première vertu du héros. Osons ap- peler de ce jugement aveugle au tribunal de la raison; et que les Îiréjuf^és, si souvent ses euuemiset ses vainqueurs, apprennent à ui céder â leur tour.

Ne nous refusons point à la première réÛexîon que ce sujet fournit, et convenons d'abord que les peuples ont bien inconsi- dérément accordé leur estime et leur encens à la vaillance mar- tiale, ou que c'est en eux une inconséquence bien odieuse de croire que ce soit par la destruction des hommes que les bienfai- teurs du genre humain annoncent leur caractère. Nous sommes â la fois bien maladroits et bien malheureux , si ce n'est qu'à force de nous désoler qu'on peut exciter notre admiration. Faut-il donc croire que, si jamais les jours de bonheur et de ->aix renaissaient parmi nous, ils en banniraient l'Iiéroisme avec e cortège aftVeux des calamités publiques , et que les h'Tok

l

534 DISCOURS.

seraient tons relègues dans le temple èc JâQUS , comme «n enferme après La guerre de yieilles et inutiles armes dans dos arspoaux.

Je sais qu'entre lesqualilés qui doivent former le grand bonime ]e courage est quelque cbo&e j mais hors du combat la valeur n'est rien. Le brave ne fait ses preuves qu'aux jours de bataille : le vrai héros fuit les siennes tous les jours; et ses verlus, pour »e montrer quelquefois en pompe , n'en sont pas d*un usage moiiu fréquent sou» un extérieur plus modeste.

Osons le dire. Tant s'en faut que la valeur soil ïa premicK vertu du héros, qu'il est douteux même qu'on la doive comp- ter au nombre des vertus. Comment pourrait-on honorer dt ce litre une qualité sur laquelle tant de scélérats ont fondr leurs crimes? Non, jamais Ins Catilina les Cromwel n'euswut rendu leurs noms célèbres ; j.imais Tun n'eût tenté la ruiof de sa patrie, Taulre asscr>'i la sienne, si la plus inel>ranîablf intrépidité n'eût fait le fond de leur caractère. Avec quelque* vertus déplus, me diret-vous, ils eussent été des héros; oitr* plutôt qu'avec quelques crimes de moins ils eussent été an hommes.

Je ne passerai point ici en revue ces guerriers funestes, la ter* rcuret le fléau du genre humain, ces hommes avides de sang tl de conquêtes , dont on ne peut prononcer les noms sans fremif . des Marins, des Totila,des Taracrlan. Je ne me prévaudrai point de la juste horreur qu'ils ont inspirée aux nations. Et qu*e»t-*' besoin de recourir à des monstres pour établir que la bravonrt iD^me la plus généreuse est plus suspecte dans son principe, pi»* journalière dans ses exemples, plus funeste dans ses effets, ôuM n'appartient k la constance, à la solidité et aux avantages il< U vertu? Combien d'actions mémorables ont été inspirées par I* honte ou par la vanité î Combien d'exploits, eiéculcs à la ficela soleil , sous les yeux des chefs et en présence de toute une arme*. ont été démentis dans le silence et 1 obscurité de la nuit ! Tel pl brave au milieu de ses compagnons, nui ne serait qu'un lichr. abandonné à lui-même : tel a Ta tête d un général , qui n'eût ja- mais le coeur d'un soldat : tel aflVonte sur une brèche la mort le fer desoo ennemi, qui dans le secret de sa maison ne peuisw tenir la vue du fer salutaire d'un chirurgien.

Un tel était brave un tel jour, disaient les Espagnols du terof* de Charles-Quint, et ces gens-là se connaissaient en bravoure- En effet , rien peut-être n'est si journalier que la valeur , et il ? a bien peu de guerriers sincères qui osassent répondre d'eux iW" leraenl pour vingt-quatre heures. Ajax épouvante Hector; lÎK- tor épouvante Ajax et fuit devant Achille. Antiochus le pso*! fut brave la moitié de sa vie , et lâche l'autre moitié. Le triom- phateur des trois parties du monde perdit le cœur et la tctei Pharsale. César lui-même fut ému à Dyrrachium ,.et en! pror» Munda ; et le vainqueur de Brutus s'enfuit h'icbement dertol Octave , et abandonna la victoire et l'empire du monde & edm

DISCOURS.

53:

3ui tenait de lai l'un et l'autre. Croira-t-on que ce soit faule 'eienïplcs luodernes que je n'en cite ici que d'anciens?

Qu'on ne nous dise mine plus que ta palme héroïque n'appar- . ... »■ I- .._! * é-i-..- .^:i;.„:— - c •*.. __:_. i-.

tient qu'à la valeur et aux talens militaires. Ce n'est point sur les exploits des grands lioinmes que leur réputation est mesurée. Cent fois les vainciisont remporte le prix delà gloire sur les vain' «jueurs. Qu'on recueille les suffrages ; et qu'on me dise lequel est le " dus grand d'Alexamlre ou de Porus, de Pyrrhus ou de Fabrice y l'Antoine ou de Ikulus, de François ï dans les fers ou de Charles- Quinl triomphant, de Valois vainqueur ou de Colignî vaiocu.

Que dirons-nous de ces grands hommes qui , pour n'avoir

point souillé leurs mains dans le sang, n'en sont que plus sûre-

nent immorlels? Que dirons-nous du législateur de Sparte, qui,

kprès avoir goùlé le plaisir de régner , eut le courage de rendre

fa couronne au légitime possesseur qui ne la lui demandait pas;

de ce doux et pacifique citoyen qui savait venger ses injures

non par la mort de l'ofTenseur, mais en le rendant honnête

iiomme? Faudra-t-il dénieutir Toracle qui lui accorda presque

les honneurs divins, et refuser l'héroïsme k celui qui a fait de»

liéros de tous ses compatriotes? Que dirons-nous du législateur

d'Athènes, qui sut garder sa liberté et sa vertu ;i la cour même

des tyrans, et osa soutenir en face à un monarque opulent que

la puissance et les richesses ne rendent point un homme heureux?

Que dirons-nous du plus grand des Romains et du plus vertueux

«les hommes, de ce modèle des citoyens, auquel seul l'oppresseur

de la patrie fît l'honneur de le haïr assez pour prendre la plume

contre lui, même après sa mort? Ferons-nous cet affront à Thé—

roisme d'en refuser le titre i Caton d'Ut i que ? Et pourtant cet

homme ne s'est point illustré dans lescombats et n'a point rempli

monde du bruit de ses exploits. Je me trompe ; il en a fait un ,

plus difficile qui ail jamais été entrepris et le seul qui ne sera

nnt imité, quand d'un corps de gens de guerre il forma une

société d'hommes sages, équitables, et modestes.

^^r On sait assez que le partage d'Aucuste n'était pas la valenr.

^Kfi^ n^cst point aux rives d'Actium ni dans les plaines de Philinpet

^^gu'il a cupitli les lauriers qui l'ont immortalisé, mais bien oaus

Kome pacifique et rendue heureuse. L'univers soumis a moins

fait pour la gloire et pour la sûreté de sa vie que l'équité de ses

lois et le pardon de Cinna : tant les vertus sociales sont, dans les

héros mêmes, préférables au courage! Le plus grand capitaine

du monde meurt assassiné en plein sénat pour un peu de hauteur

indiscrète, pour avoir voulu ajouter un vain litre à un pouvoir

réel -j et l'auteur odieux des proscriptions , effaçant ses forfaits

knk force de justice et de clémence, devient le père de sa pairie

H^u'il avait désolée , et meurt adoré des Romains qu'il avait as-

*cr?is.

Qui de nous osera ôter h tons ces erands hommes la couronne héroïque dont leurs têtes immortelles sont ornées? Qui l'osera refuser à ce guerrier philosophe et bienfaisant qui, d'une main

no;

Kl

536 DISCOURS.

accoutamée à manier les armes, écarte de votre sein les ealF" inifés d*une longue et funeste guerre, et fait briller au nulieu <le vous avec une magnificence royale les sciences et les bcaui- arls? O spectacle digue des temps héroïques! Je vois Ui muMf dans tout leuréclat marcher d*an pas assuré parmi vos batailloiu, Apollon et Mars se couronner réciproquement, cl votre ïïe, en- core fumante des ravages de la foudre , en braver désormaû Ic^ .éclats à Tabri de ces doubles lauriers. Décider donc, citovmi illustres, lesquels ont mieux mérité la palme héroïque , des fiu«r- riers qui sont accourus à votre défense ou des sages qui font tout pour votre bonheur; ou plutôt épargnez-vous un choit inutile, puisqu'à ce double tïtrt vous n'aurez que les méœa fronts h couronner.

A UT exemples qui se présentent en foule et qu'il ne mVst pu permis d'épuiser, ajoutons quelques réilexions qui canfînuenll«i inductions que j'en veux tirer ici. Assigner Ir premier rang k la , valeur dans te carartère héroïque, ce serait donner au bras qui exécute la préférence sur la tête qui projette. Cependant on trouve plus aisément des bras que des têtes. On peut confiera d'autres l'exécution d'un grand projet , sans en perdre le prio- cipal mérite ; maïs exécuter le projet d'autrui, c'est rentrer to- lontairement dans l'ordre subalterne qui ne convient point aa héros.

Ainsi , quelle que soit la vertu qui le caractérise , elle doit an- noncer le génie et nn être inséparaole. Les qualités hcroïqursont bien leur germe dans le cœur, mais c'est dans la tête qu elle* » ^_ développent et prennent de la solidité. L'ame la plus pure peol I iS'égarer dans la route même du bien, si l'esprit et la raiMm 1 ne la guident; et toutes iesvertus s'allèrent, sans îe concoun de la sagesse. ï^a fermeté dégéni?re aisément en opiiiiàtrelé, la douceur en faiblesse, le zèle en fanatisme, la valeur en férocité. Souvent une grande entreprise mal concertée fait plu» de tort à celui qui la manque qu'un succès mérité ne lui rit fait d'honneur; car le mépris est ordinairement plus fort une ^J'estime. Il semble même que , pour établir une réputation écla- Liante, lestalens suppléent bien plus aisément aux vertus que le» ^vertus aux talens. Le soldat du nord , avec un génie étroit et un courage sans bornes , perdit sans retour dès le milieu de sa car- ,riêrc une gloire acquise par des prodiges de valeur et de généro- aité; et il est encore douteux dans l'opinion publique si le meur^ trier de Charles Stuard n'est point , avec tons ses forfaits, un (!•• plus grands hommes qui aient jamais existé.

La bravoure ne constitue point un caractère: et c'est au con- traire du caractère de celui qui la possède qu'elle tire sa for»* [.particulière. Elle est vertu dans une amc vertueuse, et vice âtoi un méchant. Le chevalier Bayard était brave; Cartouche T^tatï .aussi : mais croira-t-on jamais qu'ils le fussent de la mèroe .^manière? La valeur e>t susceptible de toutes lesforniei; fcncreuse ou brutale, slupidc ou éclairée, furieuse ou Iran

te

DISCOCRS. 5^7

*1on Tame qui la possède ; selon les circonstances « eîle e«t Têpee lu vice ou le bouclier de la vertu; et, puiiquMle n'annonce ué- !5sairement ni la grandeur de l'ame ni celle de l'espril^elle nVtit point la vertu la plus nécessaire au héros. Paraonnez-le moi , peuple vaillant et infortuné qui avez .si long-temps rempli l'Europe du bruit de vos exploits et de vos malheurs. Non, ce n'est point à la bravoure de ceux de vos concitoyens qui ont ^ersé leur sang pour leur pays que j'accorderai la couronne hé- itqne, mais à leur ardent amour pour ta patrie et à leur con.s- tance invincible dans radversité. Pour être des héros, aA"ec de tels sentimens ils auraient même pu se passer d'être braves.

J*ai attaqué une opinion dangereuse et trop répandue; je n'ai pas les mêmes raisons pour suivre dans tous ces détails la mé- thode des exclusions. Toutes les vertus naissent des diiTérens rapports que la société a établis entre les hommes. Or le nombre de ces rapports est presqueinfini. Quelle tAche serait-ce donc d*en- treprenare de les parcourir! Elle serait immense , puisqu'il y a parmi les hommes autant de vertus possibles qiie de vices réels^ elle serait super/lue , puisque dans le nombre des grandes et dif- ficiles vertus dont le héros a besoin pour bien commander on ne saurait comprendrecomme nécessaires le grand oombrede vertus plus diUicilcs encore dont la multitude a besoin pour obéir. Tel a brillé dans le premier rang, qui, dans le dernier, fût mort obscur sans s'être fait remarquer. Je ne sais ce qui fût arrivé d'Kpictète placé sur le trône du monde; mais je sais qu'à la place d'Kpictcte César lui-même n'eût jamais été qu'un chétif esclave. Bornons- nous donc, pour abréger, aux divisions établies par les philosophes ; et contentons-nous de parcourir les quatre prm- cipales vertus auxquelles ils rapportent toutes les autres, bien surs ~ue ce n'est pas dans des qualités accessoires, obscures, et subal- es, que l'on doit chercher la base de Théroismc. Mais dirons-nous que la justice soit cette base, tandis que c est snr l'injustice même que la plupart des grands hommes ont fondé 'e monument de leur gloire? Les uns, enivrés d'amour pour la ^"trie, n'ont rien trouvé d'illégitime pour la servir, et n'ont int hésité d'employer pour son avantage des moyens odieux «jue leurs généreuses âmes n'eussent jamais pu se résoudre à em- ptover pour le leur j d'autres, dévorés d'ambition, n'ont travaillé qaà mettre leur pays dans les fers; l'ardeur de la vengeance en "^ porté d'autres à le trahir. Les uns ont été d'avides conquérans , antres d'adroits usurpateurs, d'autres même n'ont pas eu honte se rendre les ministres de la tyrannie d'autrui. Les uns ont prisé leur devoir, les autres se sont jouésde leur foi. Quel- .es-uns ont été injustes par système, d autres par faiblesse , la Bpart par ambition. Tous sont allés à l'immortalité. La justice n'est donc pas la vertu qui caractérise le héros. On dira pas mieux que ce soit la tempérance ou la modération . îscjue c'est pour avoir manqué de cette dernière vertu que les es les plus célèbres se sont rendus immortels >

538 DISCOURS,

vice opposé k l'autre n'a empêche nul dVntre eux de le derMiîr; pas racme Aleiamlrc, que ce vice affreux couvril au sang <îe ton ami f pas iiiôinc César , à qui toute» les dissolutions de sa vie n'tr- tcreul pas ua seul aulel après sa mort.

La prudence est plutôt une qualité de IVsprit qu*une verto de l'ame. Mais, de quelque manière ou'on VenvÏMige, on Ini trouve toujours plus de solidité que d'éclat, et elle sert olutôtÀ taire valoir les autres vertus qti*à briller par elle-même. La pru- dence , dit Montaigne, si tendre et circonspecte, e>t mortelle ea- neniic des hautes exécutions, et de tout acte véritablemctit héroïque : si elle prévient les gryides fautes, elle nuit aussi aai grandes entreprises; car il en est peu oii il ne faille loujour» donner au hasard beaucoup plus qu'il ne convient k rhooiBte sage. D'ailleurs le caractère Je rhéroisiuc est de porter au plut Jiaut degré les vertus qui lui sont propres. Or rien n'apprôclw tant de la pusillanimité qu*iine prudence excessive; et l*on uei^' lève guère au-nle^sus de IMiûiuiue qu'eu foulant quelquefois Aoi pieds la raison humaine. La prudence n'est donc poiuL cdcotc U vertu raracléristique du héros.

La tempérance l'est encore moins, elle à qui rhéroîsme même* qui n'est qu'une intempérance de gloire, semble donner ré- clusion. Où «ont les héros que des excès de quelque f^f^ n'ont point avilis? Alexandre, dit-on, fut chaste; mai» fol-*l sobre? ("et éiuule du premier vainqueur de Tlnde n'imit*-l»i! pa.s ses dissolutions? ne les réunit-il pas, quand , à la suite d nue courtisane, il brûla le palais de Persépolis? Ah! que n'avait-^l une maîtresse ! dans sa funeste crapule il n'eut point luésouiiai. César fut sobre; mais fut-il chaste, lui qui fît connaître à Romr des prostitutions inouips et changeait de sexe à son gré? AlcîbiaJ' eut toutes les sortes d'intempérances , et n'en fut pas moins OQ des grands homiues de la Grèce. Le vieux Caton lui-même arà» l'argent et le vin. Il eut des vices ignobles, et fut radmirationdH Uomains. Or ce peuple se connaissait en gloire.

L'homme vertueux est juste , prudent, modéré, sans être pfliw cela uu héros; et trop fréquemment le héros n'est rien de tooî cela. Ne craignons point d en convenir^ c'est souvent au mi'pr»' même de ces vertus que ThéroismeadA son éclat, yuedcvirnnfol César, Alexandre, Pvrrhus, Anuibal .envisagés de cecôte?\T«< quelques vices de moins, peut-être ensseul-ils été moins célcbmp car la gloire est le prix de l'héroïsme , mais il en faut un autft pour la vertu.

S'il fallait distribuer les vertus à ceux à qui elles convienflml le mieux, j'assignerais à rhomnie d'état la prudence, au citO«" la justice , au philosophe la modération ; pour la force de I *««' je la donnerais au héros, et il n'aurait pas k se plaindre de»» partage.

Eu effet, la force est le vrai fondement de l'héroïsme, elle t^ la source ou le supplément des verîus qui le composent , fl Cfl* elle qui le rend propre aux grandes choses. Kas&emblez k pla»»*'

DISCOURS. 539

Im qualités qui peuvent concourir à former le grand hommej si vous n'y joigne* In force pour les animer, elles tombent toutes CTi langueur T et l'héroïsme s'évanouit. Au coutraire, la seule force de Tame donne nécessairement un grand nombre de vertus héroïques à celui qui en est doué , et supplée à toutes les autres.

Comme on peut faire des actions de vertu snns être vertueux , on peut faire de grandes actions sans avoir droit à Théroïsme. Le néros ne fait pas toujours de grandes actions^ mais il est toujours prêt à en faire au besoin, et se montre grand dans toutes les circonstances de sa vie : voilà ce qui le dibtmgue de l'homme \ulg3ire. Un in6rme peut preo^re la bêche et labourer quelques moraens la terre; mais il s'épuise et se lasse bientôt, l'n robuste laboureur ne supporte pas de grands travaux sans cesse; mais î( le pourrait sans s incommoder , et c'est à sa force corporelle qu'ît doit ce pouvoir. La force de l'ame est la même chose j elle con- siste à pouvoir toujours agir fortement.

Les hommes sont plus aveugles que méchans ; et il y a plus do faiblesse que de malignité dans leurs vices. Nous nous trompons lous-mèmes avant que de tromper les autres, et nos fautes ne îenncnt que de nos erreurs ; nous n'en commettons guère que parce que nous nous laissons gagner b. de petits intérêts présens qui nous font oublier les choses plus importantes et plus éloi- Çnëes. De toutes les petitesses qui caractérisent le vulgaire, inconstance, légèreté, caprice, fourberie , fanatisme, cruauté : vices qui tous ont Icursourcc dans la faiblesse de l'ame. Au con- traire tout est grand et généreux dans une ame forte, parce qu'elle sait discerner le beau du spécieux , la réalité de l'appa- rence , et se fixer & son objet avec cette fermeté qui écarte les illusions et surmonte les plus grands obstacles.

C^est ainsi qu'un juf^ement incertain et un cœur facile à $è~ . daire rendent les hommes faibles et petits. Pour être grand il ne ■Biut que se rendre luaitrede soi. C'est au dedans de nous-mêmes ^Sfue sont nos plus redoutables ennemis; et quiconque aura su les ^^BOrabattre et les vaincre aura plus fait pour la gloire, au juge- ^■ûent des sages, que s'il eût conquis l'univers.

Voilà ce que produit la force de l'ame ; c'est ainsi qu'elle peut éclairer l'esprit, étendre le génie, et donner de l'énergie et de la vigueur à toutes les autres vertus: elle peut même suppléer à elles qui nous manquent ; car celui qui ne serait ni courageux , 'juste , ni sage , ni modéré par inclination, lésera pourtant ir raison, sitôt qu'ayant surmonté ses passions et vaincu ces •éjugés il sentira combien il lui est avantageux de l'être , sitôt [a'il sera convaincu qu'il ne peut faire son bonheur qu'en tra- aillant à celui des autres. La force est donc la vertu qui carac- 'rise l'héroïsme , et elle l'est encore par un autre argument sans rplique que je tire des réflexions d'un grand homme : Les au- ej vertus, dit Bacon, nous délivrent de la domination de» (ces ; la seule force nous garantit de celle de la fortune. En effet, telles sont les vertus qui n'ont pas besoin de certaines circous-

r

5/,o DISCOURS,

tances pour les raetlro ea œuvre? De quoi sert la justice avçc les tvrans , la prudence avec les insensés, la tempérance dan* la misère? iMais tous les évênemens honorent rhomoïc fertile bonheur et l'adversilé servent égalexiient à sa gloire, el il ae rèene pas moins dans les fers que sur le trône. Le martyre <Je Regulus à Cartilage , le festin de Caton rejeté du consulat , If sang-froid d'Epiclèlc estropié par son maître, ne sont pas moînt illustres que les triomphes d'Alexandre eldeCésar; et si Socntf ('tait murt dans son ht I ou douterait peut-cire aujourd'hui t'il fut rien de plus qu'un adroit sophiste.

Après avoir déterminé la vertu la plus propre au hênM, je devrais parler encore de ceux qui sout parvenus à Théroisrae Mn« la posséder. Mais comment y seraient-iU parvenus sans la partie qui seule constitue le vrai héros et qui luiest essentielle? Je nv rien h dire là-dessus, et c'est le triomphe de ma cause. Parmi In hommes célèbres dont les noms sont inscrits au temple de la gloire, les uns ont manqué de sagesse, les antres de modération; il y en a eu de cruels, d'injustes, d'imprudens, de perfides>*ooi ont eu des faible-ises , nul d'entre eux n'a été un honuue fiiblr. En un mot, toutes les autres vertus ont pu manquer à quetquo grands hommes ; mais sans la force de l'ame il a*y eut iamaû <U héros.

I

LETTRE

A M. DUPEYROU,

relatwG au discours précédent»

A Bourgoin , le 18 jaavi«r 17^^

XAPPRF.rVDS, mon cher hôte, parle plus singulier hasard, q^'oi a imprimé à Lausanne un des chiflons qui sout entre vos muni , sur celle question : QuetU eut la première vertu du heroa ? \<Htt croyez bien que je comprends qu'il s'agit d'un vol ; mais cftŒ- inent ce vol a-t-il été fait, et par qui?.... Vous qui êtes «i soi- gneux , et surtout des dépôts d'nutraî ! J'aî des cnf^agemen» q«i rendent de pareils larcins de très-grande conséquence poitf moi (i). Comment donc ne m'avez-vous point du moins averti de cette impression ? De grâce , mon cher hole , tâchetde reinoo» ter à la source ; de savoir comment et par qui ce torche-c»l * ete imprimé. Je vis dans la sécurité la plus profonde sur \t* p#* pîersqui sont entre vos mains ; si vous soiiflVez que je perde CT<t» sécurité, que deviendrai-jc' Mettez-vous à ma place, et parJ«t- nez l'importiinité.

J'ai cru mourir cette nuit ; le jour je suis moins mal. Ce ^,

(1) Il avait pria des eiigagcmens de ne rien faire imprimer de Mi

vivant.

f

LETTRES.

541

nie console est que de semblables nuiLs ne sauraient se multiplier beaucoup. Ma feiiiiiie , qui a titti forliual au^si, !^e trouve niicux. Je me prépare à diiloger pour aller, dau6 le séjour élevé uui m'est oestiué» chercher un air plus pur que celui qu'où respire «land cea vallées. Je vous euibra&se.

LETTRE

A M. LALIAUD

sur le même sujet,

A Monqaîn, le 18 février 1769.

Je ne connais point M- de la S*** ; je sais seulement que c'est un fabricant de Lvon. Il accompagna cet autoraue te fils de. ma-^t dame Boy-<le-l/i-Tour , mon amie, qui vint me voir ici. Me voyant logé si tristement et dans un si uiauvais air, il uie pro- posa une uabitatiou en Dombes; je ne dis ni oui ni non. Cet nivcr, me voyant dépérir, il e*l revenu à la charge ; j'ai refusé; il ro^a pressé. Faute d'autres bonnes raisons à lui dire, je lui ni déclaré «juc je ne pouvais sortir de cette province sans Tagré— ment de M. le prince de Conti. Il m*a pressé de lui permettre de demander cet agréïnenl , je ne m'y suis pas oppo«é : voilà tout.

J'apprends, par le plus grand hasard du monde, qu'on vient d*iiupri]uer à Lausanne un ancien chiffon de ma façon. C'est un discours sur une question propo5ée , en lySi , par M. de Cur/aj taodis qu'il était en Corse. Quand il fut fait, je le trouvai «ii ninu- Tais que je ne voulus ni l'envoyer ni le taire imprimer. Je le remis avec tout ce que j'avais eu manuscrit à M, Dupeyrou avant mon départ pour l'Angleterre. Je ne l'ai pas revu depuis, et je n'y ai pas même pensé. Je ne puis nie rappeler avec cer- titude si ce barbouillage est ou n'est point un des manuscrits înliftibles que M. Dupeyrou m'envova àWootton pour les trans- crire, et que je lui renvoyai , copie et brouillon, par sou ami U. de***, cbex lequel, ou durant le transport, le vol aura pu se faire; ce qu'il y a de sur, c'est que je n'ai aucune part h cette îm- ^Mre(»ion , et que si j'eusse été as^e^ insensé pour vouloir mettre «ncoreqnolque chose sous la presse, ce n'est pas un pareil torche— cul que j'aurais choisi. J'ignore comment il est passé sous la ]N'es>e; mais je croîs iM. Dupeyrou parfaitement incapable d'une jfcareille infidélité. En ce qui me regarde , voilà la vérité , et il au'importe que cette vérité soit connue. Je vous embrasse et 'Voua salua , mon cher luon^ieur , de tout mon coeur.

ORAISON FUNÈBRE

DE S. A. S. MONSEIGNEUR

LE DUC D'ORLÉANS,

PREMIER PRINCE DU «ÀIXO DE FKIKCE.

Modicùm plora supra moiiuum , quoniam nqwittt. Hciirez modcrtment celui que vous arcis perda,cir il e«len paii. Ecclêsiastiqu€f c as, v. 1 1.

Messieurs,

Les écrivains profanes nous disent qu*un puissant roi , comU dérant avec orgueil la superbe et nombreuse année qu'il coin- mandait, versa pourtant des pleurs, en songeant que , dan* pra d'années , de tant de milliers d'homme» il n^en resterait pas un seul en vie. Il avait raison de s'aHUger, sans doute: la mortptnr| un païen ne pouvait être qu'un sujet de larmes.

Le spectacle funèbre fini frappe mes yeux, et l'assemblée qm m'écoute, m'arrachent aujourd'hui la même réHexion , luii» avec des motifs de consolalion capables d'en tempérer l'aïueT- lumc et de la rendre utile au chrétien. Oui, messieurs, «m'» âmes étaient assez pures pour subjuguer les alfectioas terresir»» et pour s'élever par la contemplation jusqu'au séjour des bien» heureux, nous nous acquilterions sans douleur et sans lormrsdii triste devoir qui nous asiemblc, nous nous dirions à nouA-rortuft dans une .sainte joie , « celui qui a tout fait pour le ciel al ft « possession de la récompense qui lui était due ; m et la mon du grand priucc que nous pleurons ne serait à do« jrcux qut k triomphe du juste.

Mais, faibles chrétiens encore attachés à la terre, qnenocJ sommes loin de ce decré de perfection nécessaire pour juger passion des choses véritablement désirables! Et comment oi rions— nous décider de ce qui peut être avantageux aux autrcit nous qui ne savons pas seulement ce qui est bon à nous-méme*' Comment pourrions-nous nous réjouir avec les saints d'un bo^ beur dont nous sentons si peu le prix? Ne cherchons poinl i étouffer noire juste douleur. A Hicu ne plaise qu'une couptl'*' insensibilité nous donne une constance que nous ne devon* trt" que de la religion ! La France vient de perdre le premier prisr» du sang de ses rois; les pauvres ont perdu leur pore , les ç«s<'» leur protecteur, tous les chrétiens leur modèle. Moire périt M assez grande pour nous avoir acquis le droit de pleurer. moins sur nous-mêmes. Mais pleurons avec modération, Hl comme il convient à des cUréliens: ne songeons pas tellciXKDtk

ORAISON FUNEBRE, 543

nos pertes, <pie nous oubliions le prii inestimable qnVlles ont acquis au grand pnnce que nous regrettons. Beni:^^oiis le saint nom de Dieu et dos dons qu'il nous a rair<t , et de ceux qu'il nous a repris. Si le tableau que je dois exposer à vos yeui vous offre de justes sujets de douleur dans la mort de très-iult, thës-pcis-

«àXT rr TRÈS-EXCEI l,E>T PRINCE LoUIS DUC o'OhLF.A!*S, PKFMIFU

pniKCE DO SANG UE Fra>ce , VOUS y trouverex aussi de grands TQOtifs de consolation dans Tespérancc le*gitinic de son éternelle félicité. L'hunjanitc , notre intérêt ^ nous permettent de nous affliger de ne Tavoir plusj mnis la sainteté de sa vieet la religion nous consolent pour lui, car il est en paix. Modicùni ptura nupra moriuum, quoniarn ret^uievit,

PBEHIÉBE PARTIE.

Dans rhommageque je viens rendre aujourd'hui h la mémoire de monseigneur le duc d'Orléans, il me sera plus aisé de trou- ver des louanges qui lui soient dues, que de retrancher de ce nombre toutes celles dont sa vertu n'a pas besoin pour paraître avec tout son éclat. Telles sont celles qui ont pour objet les droits de la naissance ; droits dont ceux qu^on nomme grands sont or- dinaireiuent si jaloux, et qui ne décèlent que trop souvent leur petitesse par leur attention même à les faire valoir. 11 natjuît du plus illustre sang du monde, à côte du premier trône de l'uni- vers, et d'un prince qui en a été l'appui. Ces avantages sont : grands , sâns doute -, il les a comptés pour rien. Que la juodestie ide ce grand prince règne jusques dans son éloge; et comme il ne ls*e«t souvenu de son rang que pour en étudier les devoir» , ne Dous en souvenons nous-mêmes que pour voir comment it les a remplis.

; Il le faut avouer » messieurs: si ce« devoirs consistent dans

l'affectation d'une vainc pompe, souvent plus propre à révolter

Jcs crrur» qu'à éblouir les yeux; dans l'éclat d'un luxe effréné

3 ui substitue les marques de la richesse à celles de la grandeur; ans l'exercice impérieux d'une autorité dont la rigueur montre communément plus d'orgueil que de justice: si cesont-là , dis-je, ' " devoirs des princes, j eucouvîensavec plaisir, il ne les a pomt riis. (kis si la véritable grandeur consiste dans l'exercice des ver- bienfaisantes , à l'exemple de celle de Dieu qui ne se mani- , feste que par les biens qu'il répand sur nous; si le premier devoir des princes est de travailler au bonheur des hommes , s'ils ne sont (élevés au-dessus d'eux que pour t-tre attentifs à prévenir leurs i besoins ; s'il ne leur est permis d'uîier de l'autorité que le ciel leur donne que pour les forcer d'être sages et heureux; si Tin- "viacible penchant du peuple k admirer et imiter la conduite de MS maîtres n'est pour eux qu'un moyen, c'esl-à-dire im devoir de plus pour le porter à bien fnire par leur exemple, toujours

[ort que leurs lois; erilin s'il est vrai que leur vertu doit roporliunnée à leur élévation: grands de la terre, vnie*

5.i4 ORAISON

apprendre celte science rare , sublime , et pen connne ât TOnii de l)ieu user <le votre pouvoir et de vos ricliesses , d'acquërir des grandeurs qui vous appartiennent , et que vous puissiez empor* ter avec vous en quittant toutes les autres.

Le premier devoir de l'homme est d'étudier ses devoirs ; et cette connaissance est* facile à acquérir dans les conditions pri- vées. I.a voix de la raison et le cri de la conscience s'y font en- tendre sans obstacle ; et si le tumulte des passions nous empéclie quelquefois d'écouter ces conseillers importuns , la crainte des lois nous rend justes , notre impuissance nous rend modérés; eo un mol , tout ce qui nous environne nous avertit de nos fautes , les prévient , nous en corrige ou nous en punit.

Les princes n'ont pas sur ce point les mêmes avantages : leurs devoirs sont beaucoup) plus grands, et les moyens de s'en in^ traire beaucoup plus diiËciles. Malheureux dans leur élévation , tout semble concourir à écarter la lumière de leurs yeux et la vertu de leurs cœurs. Le vil et dangereux cortège des flatteurs les assiège des leur plus tendre jeunesse ; leurs faux amis , inté- ressés à nourrir leur ignorance , mettent tous leurs soins à les empéclier de rien voir par leurs yeux. Des passions que rien ne contraint, un orgueil que rien ne mortifie y leur inspirent les pins monstrueux préjugés, et les jettent dans un aveuglement funeste 4[ue tout ce qui les approche ne fait' qu'augmenter : car , pour être puissant sur eux , on u'épargne rien pour les rendre faibles f et la vertu du maître sera toujours l'effroi des courtisans.

C'est ainsi que les fautes des princes viennent de leur aveugle- ment plus souvent encore que de leur mauvaise volonté ) ce qui ne rend pas ces fautes moins criminelles , et ne les rend que plus irn'par.'il>les. Pénétré dès son enfance de cette grande vérité, le duc d*Orléans travailla de bonne heure à écarter le voile que son rang mettait au-devant de ses yeux. La première chose qu on lui avait apprise , c'est qu'il était un grand prince ; ses propres réflexions hii apprirent encore qu'il était un homme , sujet à toutes les faiblesses de l'humanité; que , dans le rang qu'il occu- pait , il avait de grands devoirs à remplir et de grandes erreurs à craindre. Il comprit que ces premières connaissances lui impo- saient l'obligation d'en acquérir beaucoup d'autres. 11 se livra avec ardeur à l'étude , et il travailla à se faire dans les bons au- teurs, et surtout dans nos livres sacrés, des amis fidèles et des conseillers sincères qui , sans songer sans cesse à leur intérêt, lui parlassent quelquefois pour le sien. Le succès fut tel qu'on pou- vait l'attendre de ses dispositions. 11 cultiva toutes les sciences , il apprit toutes li's langues, et l'Europe vit avec étnnnement un prince tout jeune encore sachant par soi-même, et ayant des connaissances à lui.

'IVlIrs furent, les premières sources des vertus dont il orna et évlitîa le monde. A peine fnl-il li\ré à lui-inùnie , qu'il les mil tontes cil j.rniiqiic. lui par les iifi-uds sacrés à une épouse chérie etfli,^;i:ctli: l'Ctrc, il lit ^oirparsa douceur, par ses égards et par

FUNÈBRE. ^i

sa tenJreâse pour elle , qae la vcritablc piété n'endurcit poîût J«s ccctirs . n'ôtc rien à Vaf^rémenl d'une honnête société , et ne fait qu'ajouter plusdecharnieet delidéliié à l'atlection conjugale. La mort lui enleva celle verlncuse épouse à la (leur de son ilge; et s'il témoigna par sa douleur combien elk' lui avait été chcre , il laoutra par sa constance que celui qui n'abuse point du bonheur ne se laisse point non plus abattre par Tadversilc. Celle perte lui ^pril à connaître Tinstabiiitédcs cho&e^ humaines, et l'avantage on trouve h réunir toutes ses artectionsdanscelui qui ne meurt point. C'est dans ces circonstances qu'il se choisit une pieuse soli- tude, pour s'y livrer avec plus de tranquillité à son juste regret et k ses méditations chrétiennes: ef s*il ne quitta pas absolument cour et le monde , ou son devoir le retenait encore , il lit du (pins ns.^er connaître que le seul commerce qui pouvait désor- '^U lui être agréable était celui qu'il voulait avoir avec Dieu.

'.'éducation de son fils était le principal motif qui l'arrachait U

[retraite: il n'épargna rien pourbienreraplirce devoir important.

> succi's rae dispense de in'étendre sur ce qu'il fit à cet égard ;

îl nous serait d*autant moins permis de l'oublier , que nous

Lissons aujourd'hui du fruit de ses soins.

S'il fut bon pcre et bon mari, il ne fut pas moins fidèle sujet

(l ïélé citoyen. Passionné pour la gloire du roi, c'est-à-dire pour

a prospérité de l'état , on sait de quel Jtèle il était anime partout

ohil la croy*i>t intéressée : on sait qu'aucune considération ne put

jamais lui faire dissimuler son sentiment dès qu'il était question

du bien public j exemple rare et peut-être unique à la cour, oii

JÊB mots de bien public et de service du prince ne signifient guère

Vans la bouche de ceux qui les emploient qu'intérêt personnel ,

jalousie et avidité.

Appelé dans les conseils , je ne dirai point par son ran^ , mai» "plus honorablement encore par l'estime et la confiance d'un roi qui n'en accorde qu'au mérite , c'est qu'il faisait briller éga- lement et ses talens et ses vertus j c'est lU que la droiture de son ame, la sagesse de ses avis et la force de son éloquence » consacrées au service de la patrie , ont ramené plus d'une fois toutes les opi- nions à la sienne ; c'est \h qu'il eài étonné, par la solidité de ses raisons , ces esprits plus subtils que judicieux qui ne peuvent .comprendre que dans le gouvernement des états être juste soit la iupr^me politique ; c'est \k , pour tout dire en un mot, que, se- condant les vues bienfaisantes du raonanjue qui nous rend ln.'u- renx , il concourait U le rendre heureux lui-même en travaillauC avec lui pour le bonheur de ses peuples.

Mais le respect m'arrête , et je sens qu'il ne m'est point permit de porter des regards indiscrets sur ces mystères du cabinet , oii )e5 deslins de l'état sont en secret balancés au poids de l'équité et et la raison ; et pourquoi vouloir eu apprendre plus qu il n'est 'nécessaire? Je Taî déjliditjpour honorer la mémoire d'un si grand homme, nous n'avons pas besoin de compter tous les devoirs qu'il a, remplis, m toutes les vertus qu'il a possédées. ïWtons-nous - 3S

54G ORAISON

d'arriver k ces Joux monieiu de sa vie , toiU-Ji-rait retiré monde , après avoir acquitte ce qu'il devait à ^a i ^

son rang, il se livra tout entier dans sa solitude m son creur et aux vertus de son choix.

CeU alors qu'on le vit déployer cette amc bieiiraiMint# J4 Taniour de l'humanité fit le principal caractrr* , et qui ne clùti cha son bonheur que dans celui des antres. Cet»! alor* cjne, %*t\i vaut & une gloire plus sublime , il commença de montrer at hommes un spectacle plus rare et inlînitneni plu» admirabt* tous les chefs-d'œuvre des politiques et tous les triotnpf ^ conquérans. Oui, messieurs, pardonnez-moi danscf? jour d Icssc celle afiligeaute remarque. L'histoire a coii'acre la itiémoi] d'une nuillîtude de Iicrosen tous genres, de grands capittiHie«. grands ministres , et même de grands rois ; mais nous De saurn nous dissimuler que tous ces hommes illustres û'aifut braut plus travaillé pour leur gloire et pour leur avantage pariiruli

?[uepourlebonheurdu genre humain, et qu^its n'aient f>acrifîrr ois la

a paix et le repos des peuples au désir d'étendre leur pou vi ou d'immortaliser leurs noms. Ah ! combien c'est un plus rM plus précieux don du ciel qu'un prince vorilablement bienfaf^ dont le premier ou l'unique soin soit la félicité publique, d< main secourable et l'exemple admire fassent régner partr bonheur et la vertu ! Depuis tant de siècles un seul a mi l'immortalité à ce titre : encore celui qui fut la gloire el l'araoi du monde n'y a-t-il paru que comme une fleur qui brille H uialin et périt avant le déclin du jour. Ynns en regrettez «n_ cond , messieurs , qui, sansposséder un trône , u'ou fut pas digne , ou qui plutôt , aflranchi des obstacles insurmoni que le poids du diadème oppose sans cesse nux meitleurei tions, fit encore plus de bien , plus d'heureux peut-être , du de >a retraite, que n'en Bt Titus gouvernnnt Tuniven. Il

Ïas difficile de décider leqnrl des deux mérite la préféi 'itus chrétien , Titus vertueux et bienfaisant dés sa pi jeunesse , Titus ne perdaut pas un seul jour, edt été égal mv? d'Orléans.

J'ai dit qu'il s'était retire du monde : et il est vrai qu'il arail quitté ce monde frivole , brillant et coiTompu, oti la sagesse saints passe pour folie, oii la vertu est inconnue et méprisée son nom même n'est jamais prononcé , on l'orgueilleuse phtl^

S hic dont on s'y pique consiste en quelques maximes slériïef ,^ ébîiées d'un ton de hauteur, et dont la pratique rendrait cri minel ou ridicule quiconque oserait la tenter; mais il cojui à se familiariser avec ce monde si nouveau pour ses parc ignoré , si dédaigné de l'autre , les membres de Jé>i soutlrans attirent l'indignation céleste sur les heureux du la religion, la probité, tropnégligées sans doute, sont du morn» encore en honneur, et il est encore permis d'être homme d bien sans craindre la raillerie et la haine de ses égaux. Telle fut U nouvelle sociétéqu'il rassembla autour de luipoor

FUNEBRE. 547

lanclre sur elle , comme une rojte'e bieufaUante , les trésors de charité. Chaque jour il doanait dans sa retraite une audience des soulaçeiH^ns U tous les malheureux indifîérenuurntf réser' Ént pour te Palais-Koval des audiences plus solennelles, le igêi la naissance reprenaieut leurs droits, ou ta noblesse re- ruvait un protecteur et un grand prince dans celui que les lovres venaient d'appeler leur père. Ce fut la tendresse Tiiênie son amequi le força d*accoutumcr sesyeun à l'aiTligeanlspec- tcfe des miâëres htitnaines. Il ne craignait point de voir les maux l'il pouvait soulager, cl n'avait point celle répugnance crimi- tlle qui ne rient que d*un mauvais cœur, ni celte pitié barbare mt plusieurs osent se vanter, qui n*est qu'une cruauté déguiiiée un prétexte odieux pour s'éloigner de ceux qui souflrcul : et minent se peut-il , mon Dieu ! que ceux qui n'ont pas le cou- Igr d'envisager 1rs plaies d'un pauvre , aient celui de refuser lurodne au malheureux qui en est couvert? £ntrerai-je dans le détail iniuiense de tous les biens qu'il a tandus, de tous les heureux qu*il a faits, de tous les malheu- IX qu'il a soulagée , et de ce.c aveuglés plus malheureux encore ■'il n*a pas dédaigné de rappeler de leurs égaremens par les lémes motifs qui les y avaient plongés, afin qu'ayant une fois lié le plaisir d'être honnêtes gens, ils fissent désormais par lOur pour la vertu ce qu'ils avaient commencé de faire par il^rét ? Non , messieurs : le respect me relient et m'empêche de !r le voile qu'il a mis lui-mOme au-devant de tant d'actious (îques, et ma voix n'est pas digne de les célébrer. O vous , chastes vierges de Jésus-Christ , vous ses épouse» ré- ' lérées que la main secourable du duc d'Orléans a retirées ou iranttes des dangers de l'opprobre et de la séduction , et k qui i procuré de samts et inviolables asiles ; vous , pieuses mères &mille qu'il a unies d'un nœud sacré pour élever des enfans tns la crainte du Seigneur j vous, gens de lettres indigens qu'il lis eu état de consacrer uuiquemenl vos taleiis à la gloire de Ini de qui vous les tenez; vous, guerriers blanchis sous les Les, k qui le soin de vos devoirs a fait oublier celui de votre »rtune^ que le poids des ans a forcés de recourir à lui , et dont fronts cicatrisés D*ant point eu à rougir de la honte de ses ifa» ; élovei tous vos voix; pleures votre bienfaiteur et votre Te. J'espère que , du haut du ciel , son ame pure sera sensible à votre reconnaissance. Qu'ellesoit immortellecommesa mémoiret r-linns de vos cœurs sont le seul éloge digne de lui. ^ le dissimulons point , messieurs; nous avons fait niao trie 11 réparable. Sans parler ici des monarques, trop occupés bien général pour pouvoir descendre dans des détails qui le "" feraient né^jliger , je sais que l'Europe ne manque pas de is priuces : je crois qu'il e.st encnrr des âmes vraiment bien- kuanteii , encore plus d'esprits éclairés qui sauraient dispenser Igcnient les bienfaits qu'iU devraient aimera répandre. Toutes choses, prises séparément, peuvent te trouver; mntsou \c$

;48

ORAISON

trouverons-nOus réunies? cliercberons-nous an liotnmc t\w pouvant voir nos besoins par ses yeux el les sauUigrr «nr mains f r.is<«mkle en lui seul la puissance et U volonté Je bi faire avec les lumières nécessaires pour bien faire looji propos? Voilà les qualités réunies t{\ie nous admirioiu nous aimions sur-tout dans celui que nous venons de perdt voilà le trop juste motif des pleurs que nous devons vei son tombeau.

SECONDE PARTIC.

Je le sens bien , messieurs ; ce n*est point avec le tableau ye viens de vous offrir que je dois me flalterde calmer une douli trop légitime ; et l'image des vertus dn grand prince dont rioi houuruns la mémoire ne peut être propre qu à reJoubler n< regrets. C'est pourtant en vous le peignant orné de vertus bra: coup plus sublimes, qtie j'entreprends de modérer votre juilj affliction. A Dieu ue plaise qu'une insensée présoiuplion de m^ forces soit le principe de cet espoir ! Il est établi sur des font mens plus raisouuables et plus solides : c'est de la piétc de xt cœurs, c'est des maximes consolantes du cliristiaiiifiiHe, c*r>t^ détails cdilïans qui me restent à vous faire , que je tire nia C( fiance. Relif;ion sainte , refuge toujours suret toujours 01 aux cœurs affligés , venee pénétrer les nôtres de vos dirinrs rites; faites-nous sentir tout le néant des choses bumaînes ; irez-nous le dédain que nous devons avoir pour cette vallée 1 armes , pour cette courte vie qui n'est qu'un passage pour river à celle qui ne finit point; et remnlisseï nos âmes de douce espérance , que le serviteur de iJieu qui a tant fait vous jouit en naix , dans le séjour des bienheureux, du prtz ses vertus et ae ses travaux.

Que ces idées sont consolantes ! QuA est doux de penser qu' près avoir goiUé dans cette vie le plaisir louchant de bien fa nous en recevrons encore dans Tautre la récompeuse éten Il faut plu», il est vrai , que de bonnes actions pour y prétei et c'est cela même qui doit animer notre confiance. Le duc d'< léans , avec les vertus dont j*ai parlé, n'eiU encore été qu'i grand homme ; mais il reçut avec elles la foi qui les sanctifie et rien ne lui manqua pour être un chrétien.

Cette foi puissante, qui n*est pourtant rien sans les crOYVifi mais sans laquelle les œuvres ne sont rien , germa dan» ^ dès les premières années, et, comme ce grain de sn révaugile (1) , elle y devint bientôt un grand arbre qm vU au loin ses rameaux bicnfaisans. Ce n'était point celte foi el glacée d'un esprit convaincu par la raison , à laquelle lei u'a point de part , el destituée également d'espérance et d'an Ce n'était point la foi morte de ces mauvais chrétiens qui^ neinent disent chaque jour: Seigneur! Seigneur! e\ n'eul pomt dans le royaume des cieux. C'était cette foi pare et (i) Locjchap. i3,T. 19,

r,

«|ut faisait marclipr 1rs npùtrcs sur les eaax, et dont le Seigneur inênje a dit cjn'un spuI grain suffirait pour ne rien trouver d^im- Wible. Elle était si ardeote en son aine et si présente à sa mé- lire, qu'il en fai»ait régulièrenienl un acte au commencement toutes »es actions^ ou plutôt sa vie entière n'a été qu'un acte foi continuel , puisqu'on tient d*un témoignage assuré qu'il jamais eu un »cul instant de doute sur les ventés et les myi- rs de la religion catholique. Et comment donc avec tant de foi -i-il point opéré de miracles? Chrétiens ^ Dieu vous doit-il pie (le ses f^races ? et savez-vous jusqu'où peut aller rhumililé in jusie ? Pourquoi demander des miracles ? n'en a-l-il pas fait plus grand et plus édifiant que dr transporter des montagnes ? lel est donc ce miracle? me direz-vous. La sainteté de sa vie is un ran^ aussi ^uhlime et dans un siècle aus<ii corrompu. Le duc d'Orléans croyait , et c'est assex dire. On peut sVlonner i*il se trouve des hommes capables d*ofl*enscr un Dieu qu'ils tâvent être mort pour ecix ; mais qui s'étonnera jamais cju'un irétirn ait clé humble, juste, tempérant, humain , charitable, qu'il ait accomnli à la lettre les préceptes d'une religion si ire , si soin te, et dont il était si intimement persuadé? Ah ! non , ins doute f OD ne remarquait point entre ses maximes et sacon* lite cette opposition monstrueuse qui déshonore nos m<rurs ou lire raison ; et l'on ne saurait peut-être citer une seule de ses Lions qui ne montre, avec la force de celte grande ame faite >ur -.soumettre ses passions à l'empire de sa volonté, la force lus puissante de la grâce, faite pour soumettre en toutes choses volonté à celle de son Dieu.

iToutcs ses vertus ont porté cette divine empreinte du christîa-

Imc ; c'est dire assez combien elles ont elVacè l'éclat des vertus

imatnes, toujours si empressées à s'attirer cette vaine admira-

)n qui est leur unique recomiKUse, et qu'elles perdent pourtant

tre , comparées à celles du vrai chrétieu. Les plus grands

kinmes de l'antiquité se seraient honorés de voir son nom inscrit

:6té des leurs, et ils n'auraient pas même eu besoin de croire

iramc lui, pour admirer et respecter ces vertus héroïques qu'il

consacrait ou sacrifiait toutes au triomphe de sa foi.

Il était humble ; non de cette fausse et trompeuse humilité qui n'est qu'orgueil ou bassesse d'ame , mais d'une humilité pieuse et discrète, également convenable k un chrétien pécheur et à un Çrand prince qui , sans avilir son titre , sait humilier sa personne. Vous I avet vu, messieurs, modeste dans son élévation et grand dans sa vie privée, simple comme l'un de nous, renoncera la

rompe consacrée à son rang sans renoncer à sa dignité ; vous ave/ vu , dédaignant cette grandeur apparente dont personne n'est si jaloux que ceux qui n en ont point de réelle , ne garder des honneurs dus k sa naissance que ce qu'ils avaient pour lui ■tiltle, ou ce qu'il n'en pouvait négliger sans s'offenser soi- . Prosterné chaque jour au pied de la croix, la touchante ftj»«^e d'uo Dieu soultirant, plus présente «ncore à son cœur qu'ù

^^

55o

OflAlSON

«es yeux., ne lui lai&MÎt point oublier que c*csl en son m:o1 aia^ que constatent les richesses , /a gloire et la /ruitice ( i ) ; irt il D'îf r«it pns non pins , malgré tant de vains di&coors , que , ci qui saiL soutenir les grandeurs en est digtir , celui qui f mépriser est au-dessus d'elles. Hommes vulgaires * <^ij*ni frivole éblouit, même quand vousaftcciei i\p le dédaigner, vnefoisdans vosaiues,et apprenez à admirer ce qtte nul de n'est capable de taire.

Il était bienfuisanl » \e Tai déjà dit ; et qui ponrraît Ti^oi Çu*il me soil permis d'y revenir encor*» : je ne pui* quitter objet si doux. Un hnrnme bienfaisant est Thonneur de rburaaail la véritable image de Dieu . riiuitateur de la plus active de (oui ses vertus; et l*on ne peut douter qu'il ne reçoive un jour le p du bien qu'il aura fait , et même de celui qu'il aura voulu fjui ni que le pcrc des humains ne rejette avec indignai iou ces dures qui sont insensibles à la peine de leur frère , et qui aucun plaisir à la soulager, llélas ! cette vertu si digne de noi amour est peut-être bien plus rare encore qu'on ne périme. j£< dis avec douleur : si du nombre de ceux qui semblent y prél on écartait tous ces esprits orgueilleux, qui ne font du bie pour avoir la réputation d'en faire, tous ces esprits r«ib1 «'accordent des grâces que parce qu'ils n'ont pas la force refuser; qu'il on resterait peu do ces creurs vraiment ait dont la plusdouce récoiiipense pourle bienqu'ils font eft le de Tavoir fait ! Le duc d'Orléans eût été à la tête de ce pel nombre. Il savait répandre srs grâces avec choix et proport» son cœur tendre et compatissant , mais ferme et judicieux » même su les refuser k ceux quM n*en croyait pas dignes , s'il fll se fût ressouvenu sans ce<ïse que nous avons un trop grand he»t ' nous-mêmes de la miséricorde céleste , pour être en droit refuser la nôtre h personne.

Il était bieufaisant, ai-je dit. Ah ! il était plus que cp|a ; il èi charitable. £l comment ne l'eût-il pas été . Comment aveci foi si vive, n'eûf-il pas aimé ce Dieu qui avait lanl fait Comment la sainte ardeur dont il brûlait pour son Dieu eût-elle pas inspire de l'amour pour tous les hommes que 3t Christ a rachetés de son sang, et pour les pauvres quM adopte! La gloire du Seigneur était son premier désir, le salut êr^ «i son premier soin : secourir les raaiheureut n'était de sa part qu*i occasion de leur faire de plus grande biens eo travaillant â 1 sanctification. Il rougissait de la négligence avec laquelle dogmes sacrés et la morale sainte du christianisme étaient sppi et enseignés. Il ne pouvait voir sans douleur pluiieursdccruiqi »e chargent du respectable soin d'instruire et d'édifier 1m fidclei piquer de savoir toutes choses , excepté la seule ijui leur cessaire, et préférer IVtnde d'une orgueilleuse phdosop' des saintes lettres, qu'il» ne peuvent négligeront se rcnare ^mj-

(i) Prov. chip. 8, V. i&

FUNEBRE. 55i

ibles Je lour pronr« ignorance et U noire. Il n*& rîen ouUli^! luf procurer à 1 église de plus (çrantles lumicres , el au peupU mrilleures instructions. Chacun sait «voc quelle ardeur il tonirait Texeuiplc, incme »ur ce point. S^inMable à un cninitt 'féré , qui» pénétré rl'une tendre reconnaissance, feuilleté, rcc un plaisir mcMé de larmes t 1^ le&tament de âon père « il me- rtatt sans ceKic nos livres sacrés ; il y trouvait taus cesse de nou- veaux motifs de bénir leur divin auteur . et de s'attrister des liens 'rentres qui le tenaient éloigné de lui. Il possédait la sainte iturc mieux que personne au monde ; il en savait toutes Ir^ iDgues, etencoimatÂsait tous Icstetics. Les commeni aires qu*il a (ils sur saint Paul et sur la Genèse ne sout pas un tcmoiguace ins certain de la juste^^e de sa critique et de la profondeur de IB érttdition , que de son xi'lc pour la gloire de VEsprit saint qui dicté ce* livres : et In chaire ne professeur en langue liébraïuue 'lia fondée en Sorbonne, n*y sera pas moins un monument des libres qui lui on ont fait apercevoir le besoin , que de la luunî* nce chrélieune qui Ta porté à y pourvoir. Mais u quoi sert d'entrer ici dans tous ces détails? Ne nous ffît-il pas de savoir qu'il avait , à ce haut degré , une seule de vertus» pour cïtre assurés qu'il les avait toutes? Les vertus retiennes sont indivisibles comme le principe qui le* produit, foi , la charité , lV5|>érance , uuaud elles sont assez parfaites , citent , se soutiennent mutuellement; tout devient facile aux ndes amei avec la volonté de tout faire pour plaire â Dieu ; le« rigueurs mêmes de In pénitence n'ont presque plu» n'en de ~ible pour ceux qui savent en sentir la nécessite et en considé- le prix. Enlreprendrai-je , messieurs , de vous décrire les itérités qu'il exeryait sur lui-même ? N'effrayons pas à ce point mollesse de notre siècle. Ne rebutons pas les âmes pénitentes Qui , avec beaucoup plus d'olfenses k réparer , sont incapables de supporter de si rudes travaux. Les siens étaient trop au-dessus des forces ordinaires pour oser les proposer pour modèles. Eh 1 peu s'en faut , mon Dieu, nue je n*aie à justifierleurexcèsdeyant ce monde etféminé, si peu tait pour juger de la douceur de votre jout;. Combien de téméraires oseront lui reprocher d'avoir abrégé se» |our4 à force de mortifications et de jeiknes, qui ne rougissent point d'abréger les Ipurs dans les plus honteux excès I Laissons- les , au sein de leurs égarcmens , prononcer avec orgueil lea maximes de leur prétendue sagesse; et cependant le jour viendra ou chacun recevra le salaire de ses œuvres. Contcntnns-nou* de dire ici que ce grand et vertueux prince mortifia sa chair comme ftaînt Paul , sans avoir k pleurer, comme lui, l'aveuglement de sa jeunesse. Il pécha sans doute : et quel homme en est exempt ' Aussi, quoique son cœur ne se fîVt point endurci, quoiqu'il pût dire, comme cet homme de l'évangile pour lequel Jésus conçut de l'affection , O rnon mailre , fai observé toutes cex cfioses d^s mon enfance{\) ^ il n'ignorait pas qu'il avait pourtant des fautes (i) MiirO|Cliap. so^ v* 30.

-

ORAISON FDNÉBRt..

à expier ou à prévenir ; il n^iguorait pas que , pour arrirer terme ou'il se proposait , le chemin le plus siVr était le p!ui Ji' cilc, selon ce grand précepte du Seigneur, J^Jjforce:i-vou4 d*t par la porte étroite , car je t*ous dit que plusieurs de% à entrer , et ne l'obtiendront point (i)* il n'ignorait pas, ces terribles paroles de l'écriture , hn vain tc/tapperiom-t in main des hommes , si notts ne faison* pénitence ^ nous toi dans celle de Dieu (2).

Nous l'avons vu , dans ces derniers momena de sa vie oii corps exténué était prêt à laisser cette ame pure en liberté se réunira son créateur , refuser encore de modérer ces rigueurs qu'il exerçait sur sa chair ; nous Tavons vu , fosqiiV Teille de son décès, et tout ce peuple en larmes Ta vu arecw se lever avec effort , et , se soutenant à peine , se tramer chi jour à réglise, en prononçant ces paroles dont il sentait avec; approcher l'accomplissement : Nous irons dans la maison Seigneur (3). Bien différent de cet empereur païen qui vc mourir debout pour le frivole plaisir de prononcer une seni il voulut mourir debout pour rendre à son créateur , jui dernier jour de sa vie, cet hommage public qu'il n'avait JJ négligé ae lui rendre ; il voulut mourir comme il avait vécttj servant Dieu et édiGant les hommes.

Ne doutons point qu'une si sainte vie n'obtienne la récom] qui lui est due. Soufifroiis sans murmure que celui ^ui aimé le bonheur des hommes voie enfin couronner le sien, rons que le désir de répandre sur nous des bienfaits , qui sur la terre l'objet de toutes ses actions , deviendra dans celui de toutes ses prières. Enfin , travaillons À nous san< comme lui; et faisons en sorte que, ne pouvant plus noal utile par ses bonnes œuvres , il le soit encore par son exerai En attendant qu'il partage sur nos autels les honneurs saint et glorieux ancêtre Louis IX; en attendant que son soit inscrit dans les fastes sacrés de l'église, comme il l'esté dans le livre de vie ; invoquons pour lui la divine misérit adressons aux saints, en sa faveur, les prières que nous lui serons un jour & lui-même : dcmanaons au Seigneur qa* fasse part de sa gloire , pour laquelle il a tant eu de jèle ; répande ses bénédictions sur toute la maison royale , dool vertueux prince soutint si dignement l'honneur , et que V»»{ nom de Bourbon toit grand à jamais et dans les cieus et " terre.

(1} Lao,cbftp. i3, V. a4.

(a) Kccl^ioatique, chap» a y v^ aa*

(S) Pcaume 121 , v. l.

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TRADUCTION

I DU r\ LIVRE DE L'HISTOIRE, DE TACITE.

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AVERTISSEMENT.

QoATTD j^«a8 le niftlheifr àe vonloîr parler au public , je smli le b«5oin d'apprendre à écrire, et j osai in*es$ayer sur Taait. Dan» celte vue f entendant 'mëdiocrement le lalm , et «ouvrol nVntendant point mon aul<?ur ^ j'ai du faire bien Sies contre-éeofl parlicuUers $ur ses pens^e^ : mais , je nen ai point faiit cia général $ur son esprit , }'ai rempli mon but; car le ne cberchai pas À rendre lei parafiez de Tacite, mais son style; ni de ce qu^îl a dit en latin , mais ce qu'it eût dît en français.

Ce n'est donc ici qu'un tT«vail d'ecoUer ; j'en convieiu , et ]> ■le doDi}e que pour tel. Ce n^est de plus qu'un simple fragmeoCf* iine<»5«ij }'en conviens encore ; un si rude goûteur m'anienlAt] la«sé^ Mais ici le& essais peurentétreadmisen attendant mieuiij Avant qae d'avoir une bonne traduction complète , il faatsnj porter encore bien de$ thèmes. C'est une grande entrepn» quWe pareille traduction : quiconque en sent assez la diiïiculté pour pouvoir la vaincre persévérera difîicitenieat. Tout homine] en elât de «oivr^ Xadle est bientôt Unie d'aller seul.

TRADUCTION

U I". LIVRE DE L'HISTOIRE^ DE TACITE.

K coramencerai cet ouvrage par le second consulat ^e Galba 't l'unique de Vinius. Les 720 premières années de Rome ont ' 'critcs par divers auteursavec l'élonuenceet la liberté dont

[«lie» étaient dignes. Mois après la bataitie d'Acltum (ju'il fallut [e donner un maître pour avoir la paix , ces grands génies dis- tarurent. L'ignorance des afTaires d^iine république devenue

[clrangêre à ses citoyens , le goût eirrénè de la (laiterie , ta haine

[contre Ir^rhrfs, altcri?rent la vérité de mille manières; tout fut loué ou bL^mé par passion , sans égard pour la postérité : mais «

[en démêlant les vues de c£s écrivains, elle se prêtera jilus vo- lontiers nux traits de IVnvie et de la satire qui flatte la malignité p^ un faux air d'indépendance « qu'à la bn^^e adulation qui ïnarque la servitude et rebute par sa l:ichetc. (Juant à moi, Galba , Vitellius , Otbou , ne m'ont fait ni bien ni mal : Vespa-

i.cieu commença ma fortune, Tite l'augmenta, Domitieu l'acheva, î>n conviens ; mais un historien qui se consacre à U vérité doit

rpnricr sans amour et sans haine. Que s'il me reste assez de vie ,

[je réserve pour ma vieillesse la riche et paisible matière dei règnes de Ncrva et de Trajao ; rares et heureux temps ou Ton peut penser librement et dire ce que Ton pense !

J'entreprends une histoire pleine de catastrophes, de combats, de séditions, terrible même durant la paix : quatre empereur» égorgés, trois guerres civiles , plusieurs étrangères , et la plupart

'niixirs: des succès en Orient , ces revers en Occident, des Irouoles en lllyric ; la Gaule ébranlée, rAngleterre conquise et d'abord abandonuée j les Sarmates et les Sucves commençant à se moa- trer; les Daces illustrés par de mutuelles défaites; les Partbes, joués par un faux Néron , tont prêts à prendre les armes : l'Italie, «près les malheurs de tant de siècles , eu proie à de nouveaux «lésa^lres dans celui-ci ; des villes écrasées ou consumées dans les fertiles régions de la Campanie; Rome dévastée par le feu, les plus anciens temples brâlés, le Capitole même livre aux flammes

Ïiarles mains des citoyens; le culte profané, des adultères public», es mers couvertes d'exilés, les îles pleine» de meurtresj des cruau- tés plus atroces dans la capitale , les biens, le rang, la vi« Ïtrivee ou publique , tout était également imputé k crime , et oit e plus irrémissible était la vertu : les délateurs non moins odieux par leurs fortunes que par leurs forfaits; les uns faisaient trophée du sacerdoce et nu consulat, dépouilles de leurs victimes; â'au1re«, tout puûsans tant au dedans qu'au dehors , portant

556 PREMIER LIVRE

partout le trouble , la haine et TeiTroi : les maîtres leurs esclaves , les palrons par leurs affrancliis; et , pour conJ enfin « ceux qui manquaient d'ennenjis , opprimés par leurs mêmes.

Ce siècle, si fertile en crimes, ne fut ponriani pas sansvertw^ on vit des mères accompagner leurs eiifans dans leur fuite, âtt irmmes suivre leurs maris en exil, des parens intrépides, dc^ cendres inébranlables, des esclaves mrme à l'épreuve des toor» mens. On vit de grands hommes , fermes dans toutes les advrr^ sites , porter et quitter la vie avec une constance digne de ntf pères. A ces multitudes d'évènemens humains se joiguireot lei prodiges du ciel et de la terre , les signes tirés de la fondre, lei présages de toute espèce, obscurs ou manifestes, sinistres M favorables : jamais les plus tristes calamités du peuple romain, jamais les plus justes jugemens du ciel ne roonlrérent a\ec taat d'évidence que si les dieux songent à nous , c'est moins pour nous conserver que pour nous punir.

Mais, avant que d'entrer en matière pour développer les caoïfl «les évènemens qui semblent souvent Tellét du hasard, il convient d'exposer l'état de Rome , le génie des armées , les mcrurs An

Ï>rovinc€s , et ce qu'il y avait de sain et de corrompu dans toutes es régions du monde.

Après les premiers transports excités par la mort de Néron , il s'était élevé des mouvemens divers non -seulement au sénat, parmi le peuple et les bandes prétoriennes , mais entre tooslcc chefs et dans toutes les légions : le secret de l'empire était rafio dévoilé, et Ton voyait que le prince pouvait s'élire ailleurs <jot dans la capitale. Mais le sénat , ivre de joie , te précisait, "^ un nouveau prince encore éloigné, d'abuser de la liberté venait d'usurper: les principaux de l'ordre équestre n'ét guère moins contens; la plus saine partie du peuple qui t( aux grandes maisons, lescliens, les aflVanchis des proscritf des exilés, se livraient à Tespérance. La vile populace, qvi bougeait du cirque et des théi^tres, les esclaves perf!' ceux qui, à la honte de Néron , vivaient des dépouilles ' de bien , s'afiligeaicnt et ne cherchaient que des troubles.

La milice de Rome , de tout temps attachée aux Césarf, qui s'était laissé porter à déposer Néron plus à force d'art et< sollicitations que de son bon gré , ne recevant point le don* promis au nom de Galba, jugeant de plus que les serviceset I récompenses militaires auraient moins lieu durant la paix, et voyant prévenue dans la faveur du prince par les légions i\ l'avaient élu, se livrait à son penchant pour les nouveau!* excités par la trahison de son préfet Nymphîdius qui aspu^tt _ ^ Tempire. Nyrapbidiui périt dans cette entreprise; mais, apr«^ avoir perdu le chef de la sédition , ses complices ne Tavaieul P** oubliée , et çlosaient sur la vieillesse et l'avarice de Galba, b* bruit de sa sévérité militaire, autrefois si louée , alarmait ct9^ qui ne pouvaient souffrir l'ancienne discipline j et qualone »»

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DE TACITE 5Î7

le reUcIiement &ous Nerou leur faisaient autant aimer les vices le leurs princes, que jadis ils respectaient leurs vertus. On ré- tandait aussi ce mot de Galba, qui eîll fait honneur à un prince »lus libéral , mais qu'on inlerprclnit par son humeur: Je sais ^hoisiir mes soldats, et non les acheter.

Viaius et Lacon , l'un le plus vil et l'autre le plus méchant

les hommes, le décriaient par leur conduite, et la haine de

!urs forfaits retombait sur son indolence. Cependant Galba

inait lentement, et ensanglantait sa route: il fit mourir Yarron,

tnsul désigné, comme complice de Nymphidius, et Turpilien ,

insulaire , comme général oe Néron. ^Tous deu&« exécutés sans

ivoir été entendus et sans forme de procès, passèrent pour

fnnocens. A son arrivée il fit égorger parmillicrs les soldats dé—

^^irmés, présage funeste pour son règne, et de mauvais augure

lêrae aux meurtriers. La légion qu'il amenait d'Espagne, jointe

celle que Néron avait levée, remplirent la ville de nouvelles

'onpes qu'augmentaient encore les nombreux ddtachcmcns

['Allemagne /d'Angleterre et d'Utyrie, choisis et envoyés par

léron aux Portes Caspiennes oîi il préparait la guerre d'Albanie ,

it qu'il avait rappelées pour réprimer les mouvemens de Vindex ;

tous geii» à beaucoup entreprendre, sans chef encore, mais prêts

k servir le premier audacieux.

Par hasard on apprit dans ce même temps les meurtres de t'Iacer et de (Japiton. Galba fit mettre à mort le premier par 'intendant Oarucianus, sur l'avis certain des ses mouvemens en ifrique^ et l'autre, commençant aussi à remuer en Alleraa- le, fut traité de mt^uie avant Tordre du prince par Aquinus ►l Valens, lieutenans-généraux. Plusieurs crurent que Opi- [on , quoique décrié pour son avarice et pour sa débauche , ftail innocent des trames qu'on lui imputait, mais que ses lieu- »nans , s'étant vainement efforces de l'exciter à la guerre , ivaient ainsi couvert leur crime; et que Galba, soit par lé- [èretc, soit de peur d'en trop apprendre , prit le parti d'ap- >rouver une conduite <[u'il ne pouvait plus réparer. Quoi qu il !0 soit , ces assassinais Hrent un mauvais eflet; car, sous un trince une fois odieux, tout ce qu'il fait, bien ou mal , lui ittire le même blAïue. Les affrancbis, toul-puissans ii la cour, vendaient tout : les esclaves, ardens à profiter d'une occa- UOn pa&sa^êre , se hâtaient sous un vieillara d'assouvir lenr avi- raitê. On éprouvait toutes les calamités du règne précédent sans les excuser de même : il n'y avait pas jusqu'à l'Age de Galba l^ui n'excitât la risée et le mépris du peuple , accoutumé k ta jeonesse de Néron et h ne juger des princes que sur la 6gure. t Telle était à Home la disposition d'esprit la plus générale chec l'une si grande multitude. Uans les provinces , nufus, beau par- fur et bon chef eu temps de paix, mais sans expérience mîli- ire, commandait en Lspagne. Les Gaules conservaient le soii- [vcnir de Vindex et des faveurs de Galba qui venait de leur accorder le droit de bourgeoi«je romaine, et, déplus^ la sup^

558 PREMIEK LIVR

pression des iinp^ts. On excepta pourtant ile cet lioan^ur villes voisines des armées d'Allemagne , et roti en priva tni

Slusieiirs de leur territoire; ce <(ui leur fit supporter avec un ouble dépit leurs propres perles et les çraces laites k autrui. Mais oii le danger était grand à proportion des torces, c'était dans les armées d'Allemagne , Bères de leur récente victuii et craignant le blâme d'avoir favorisé d'autres partis, car n'avaient abandonné Néron qu'avec peine. Virginms ne s'cl pas d'abord déclare pour Galba ; et s'il était douteux qu'il aspiré à l'empire , tl était sur que l'armée le lui avait ofTci ceuT mcme qui ne prenaient aucun intérêt à Capiton ne h saient p»^ de murmurer de sa mort. Enfin , Virgttiius aji été rappelé sous un faux semblant d'amitié^ les troupes, vées de leur chef , le vovanl retenu et accusé, sVn offeoftal comme d'une accusation tacite contre elles-mêmes.

Dans la haute Allemagne, Flaccus , vieillard infirme qui p4 vait il peine se soutenir et qui n'avait ui autorité ni iermc était méprisé de l'armée qu'il commandait; et se^ soldats, qi ne pouvait contenir même en plein repos , animés par s. blesse, ne connaissaient plus de frein. Les légions de la AHemocne restèrent long-temps sans chef consulaire. Galba leur donna "Vitellius, dont le père avait été cens* trois fois consul ; ce qui parut suflisant. Le calme régnait di l'armée d'Angleterre; et , parmi tous ces mouvemens de gucmfi civiles, les légions qui la composaient furent celles qui se cum- portèrent le mieux, soit h cause de leur éloignement et de la. mer qui les enfermait, soit que leurs fréquentes expéditions apprissent h ne haïr que l'ennemi. L'Illyrie n'était pa« uil paisible , quoique ses légions, appelées par Néron , eussent , rant leur séjour en Italie, envoyé des députés à Virgiuius : ces armées , trop séparées pour unir leurs forces et mêler U rices, furent par ce salutaire moyen maintenues dans leur dcv< Rien ne remuait encore en Orient. Mucianus , homme p{^ raent célèbre dans les succès et dans les revers, tenait ta- rie avec quatre légions. Ambitieux dès sa jeunesse, il s'etailJ aux grands ; mais bientôt , voyant sa fortune dissipée, sa f^ sonne en danger, et suspectant la colère du prince, îl cacher en Asie , aussi près de Texil qu'il fut ensuite du fuprême. Unissant la mollesse à l'activité , la douceur et \\ ro|;ance , les talens bons et mauvais, outrant la débaucbe i l'oisiveté, mais ferme et couraceux dans Toccasion) p'itunabl public , blAmé dans sa vie privée ; enfin si séduisant rieurs, ses proches ni ses égaux ne pouvaient lui n 1

était plus aisé de donner Temptre que de l'usurper. \ eiiip':(»ipfr,1 choisi par Néron , faisait la guerre en Judée avec trois legioas, et se montra si peu contraire àtxalba, qu'il lui envoya TUCj son fîls pour lui rendre hommage et cultiver ses bonne» ^acn comme nous dirons ci-après. Mais leur destiu se cachait encore «^ et ce n'eil qu'après révenemenl qu'on a remarqué les ^i-vtr^ «^^

DE TACITE. 559

oraclrs quïjirntncttaicnt l'empire îi Vcspasien et îi ses enfans. En Ff;yple, c'était aux chevaliers romains au lieu des roi» u'Au^u^le avait confié le commandement de la province et es troii|ïes; précaution <|nî parut nécessaire dans un paysaboa- iint en blé, d'un abord diflîcile, et dont le peuple cbangeant l superstitieux ne respecte ni magistrats ni lois. Alexandre, ^ ptien , gouvernait alors ce royaume. L'Afriuue et ses lé- ^ns, après la inorl de JMacer , ayant souffert la domination ■(•rliculiorc , étaient prêles à se donner au premier venu : les '^ax Mauritanies , la Rbétie , la Norique , la ibrace, et toutes nations qui n'obéissaient qu'à des intendans, se tournaient nr ou contre selon le voisinage des armées et Kimpulsion des lus pui&sans : les provinces sans défense, et surtout l'Italie, l'avaient pas même le cboix de leurs fers , et n'étaient que le rÎT des vainqueurs. Tel était l'étal de l'empire romain quaud Alba, consul pour la deuxième fois, et Vinius son collègue, com- encêrent leur dernière année et presque celle de la république. Au commencement de janvier on reçut avis de Propinquus , tendant de la Belgique , que les légions de la Germanie su- drieure , sans respect pour leur sermeut, demandaient un au- e empereur, et que, pour rendre leur révolte moins odieuse, les consentaient qu'il fàt élu par le séuat et le peuple ro- iin'. Ces nouvelles accélérèrent l'adoption dont Galba délibé- it auparavant en lui-même et avec ses amis , et dont le bruit t grand depuis quelque temps dans toute la ville, tant par licence des nouvellidlcs qu'à cause de TÂge avancé de Galba, raison» Tamour de la patrie, dictaient tes ver ux du petit Ou^brej mais la multitude passionnée, nommant tuntût l'un ntôt l'autre, chacun son protecteur ou tson ami ^ consultait iquement ses désirs secrets ou sa haine pour Vinius, qui, menant de jour en jour plus puissant, devenait plus odieux ' même mesure j car , comme sous un maître infirme et cré- Ic les fraudes sont plus profitables et moins dangereuses, la cilité de Galba augmentait Tavidilé des parveuus , qui mesu- raient leur ambition sur leur fortune.

Le pouvoir du prince était partagé entre le consul Vinius et Lacon préfet du prétoire : mais Icelus, affranchi de Galba , et

3ui, ayant reçu 1 anneau , portait dans l'ordre équestre le nom. e Marcian , ne leur cédait point en crédit. Ces favoris, tou- jours en discorde , et jusques dans les moindres choses ne con- ïnltant chacun que son intérêt , formaient deux factions pour le choix du successeur h Tempire : Vinius était pour Olhon ; Icelus et Lacon s'unissaient pour le rejeter , sans en préférer un autre. Le public, qui ne sait rien taire, ne laissait pas igno- rrr à Galba l'amitié d Olhon et de Vinîus , ni l'alliance qu'ils projetaient entre eux par le mariage de la fille de Vinius et d'Othon ^ l'une veuve et l'autre garçon ; mais je crois qu'occupe du bien de l'état, Galba jugeait qu'autant eût valu laisser i Néron l'empire que de le doauer à Othon. Eu efilet, Otbon ,

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négligé dans son enfance, emporté dans sa jeunesse, »c rendi ci agréable à Néron par l'imitation de son luie , que ce fut k lui, comme associé à ses débauches, qu'il conna Poppêe , la principale de ses courtisanes , jusqu'à ce qu'il se fût dèfart de sa femme Octavie; mais, le soupçonnant d'abuser de ion dépôt , il le relégua en Lusitanie sous le nom de gouverneur. Otûon , ayant administré sa province avec doocenr, passa 6ti premiers dans le parti contraire, y montra de l'activité; et tant que la guerre dura s'étant di&tincué par sa magnificeoce* il conçut tout d'un coup l'espoir de se faire adopter , espoir qui devenait chaque jour plus ardent, tant par la faveur des ccfti de guerre, que par celle de la courde^éron, qui comptait le retrouver en lui.

Mais, sur les premières nouvelles de la sédition d'Ail gne et ayant que d'avoir rien d'assuré du côté de Vilell ^ Pincertitude de Galba sur les lieux toniberait l'efTort des ir<» mées, et la défiance des troupes mêmes qui étaient à RotnCf le déterminèrent k se donner un collègue k l'empire, comme à l'unique parti qu'il crut lui rfster à prendre. Ayant donc u^ semblé, avec \inius et Lacon , Ceisus consul désigné et Gc- minus préfet de Rome, après quelques discours sur sa vieil* lesse il fit appeler Pison, soit de sun propre mouvement, soit,, selon quelques-uns, à l'insligation de Lacon, qui, par le n.ni^g de Piautus, avait lié amitié avec Pison, et le portant adri<: sans paraître y prendre intérêt , était secondé par la bonnr

Îiublique. Pison , fîls de Crassuset de Scribonia , tous dn. uslres maisons, suivait les mœurs antiques^ homme.' à le juger équitablemcnt , triste cl dur selon ceux qui h tout en mal, et dont l'adoption plaisait à Galba par le même qui choquait les autres.

Prenant donc Pison par la main, Galba lui parla, * de cette manière: "Si, comme particulier, je vous al » selon Tusage, par-devant les pontifes, il nous serait it » rable, à moi, d'admettre dans ma famille un descendant « Pompée et de Crassus; à vous, d'ajouter â votre noblewe » des maisons Lutatienne et Sulpicioitne. Maintenant, api » à l'empire du consentement des dieux et des hommes, u mour de la patrie et votre heureux naturel lur porirot » vous offrir, au sein delà paix, ce pouvoir suprt^ihc ', » guerre m'a donné et que nos ancêtres se sont dispute ji.i » armes. C'est ainsi que le grand Auguste mit au prnTvr »• rang après lui, d'abord son neveu Marcellus, en«nitc - » pa son gendre, puisses petils-fils, et enfin Tihèrr M sa femme: mais Auguste choisit son successeur dans •:: i ' » son : je choisis le mien dans la république, non que i<- tx.i- M que de proches ou de compagnons d armes : ruais jf t'A »• point moi-même brigué l'empire; et vous préférera n»M p«* » rens et aux vôtres , c'est montrer assez mes vrais srntii»*«k » "Vous avez uu frère illustre ainsi que vous, votre aîné *

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digne du rang vous montez si vous ne IVtiei encore plus. Vous avex passé sams reproche Kàge de la jeunesse et des tassions: maU vous n*avez soutenu jusqu'ici que la jxjauvaiâe rlunej il vous reste une épreuve plus dangereuse îi faire résistant â la bonne, car radversité déchire l'ame, mais bonheur la corrompt. Vous aurez beau cultiver toujours ec la méiue constance ramilié , la foi , la liberté, qui sont premiers biens de l'borame : un vain respect les écartera aigre vous i les flatteurs vous accableront de leurs fausses caresses, poiâon de la vraie amitié; et chacun ne songera M qu'à son mtérét. Vous et moi nous parlons aujourd'hui l'un à l'nulre avec simplicité : mais tous s'adresseront à notre for- tune plutôt qu'à nous j car on risque beaucoup k montrer leur devoir aux princes, et rien à leur persuader qu'ils Je font. » Si ta masse immense de cet empire eût pu garder d'elle-même fton équilibre, j'étais dïgue de rétablir la république; mais de- lung-teuips les choses en sont à tel point , que tout ce qui ste à faire eu faveur du peuple romain, c'e^it , pour moi, employer mes derniers jours à lui choisir un bon maître , et , urvous, d'être tel durant tout le cours des vôtres. Sous les empereurs précédens, l'étal n'était l'héritage que d'une seule fauiilie : par nous le choix de ses chefs lui tientira lieu do li« rtéj après l'extinctiou des Jules et des Glandes , l'adoption e ouverte au plus digne. Le droit du sang et de la naissance uérite aucune estime et fait un prince au hasard : mais Ta- ption permet le choix, et la voix publique l'mdique. Ayez ujours sous les yeux le sort dp Nerou , fier d'une longue suite e Césars ; ce ncsi ni le pays désarmé de Viudex , ni Punique égion de Galba, mais son luxe et ses cruauté» qui nous ont iTivrés de son joug , quoiqu'un empereur proscrit fût alors un ènement sans exemple. Pour nous que la guerre et l'estime ublique ont élevés, sans mériter d'eunemis , n'espérons pas 'en point avoir : mais, après ces grands mouvemens de tout uaivcrs, deux légions émues doivent peu vous effrayer. Ma ropre élévation ne fut pas tranquille ; et ma vieillesse, la seule bose qu'on me reproche , disparaîtra devant celui qu'on a boisi pour ta soutenir. Je sais que ^éron sera toujours reeretté 'es raechans ; c'est à vous et à moi d'empêcher qu'il ne le soit ussi des gens de bien. Il n*cst pas temps d en dire ici davantage, tcela serait superflu si j'ai fait en vous un bon choix. La plus mple et la meilleure règle à suivre dans votre conduite, c'est e chercher ce que vous auriez approuvé ou blimé sous un utre prince. Songoz qu'il n'en est pas ici comme djes raonar- hies , oi] une seule famille commande, et tout le reste obéit , t que vous allez gouverner un peuple i|ui ne peut supporter i une servitude extrême ni une entière liberté. » Ainsi parlait ba en homme qui fait un souverain , tandis que tous les prenaient d'avance le tou qu'uu prend avec un souverain

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PREMIER LIVRE

On dit que de toute 1 assemblée qui tourna les yeux si même de ceux qui robservaient à dessein, nuloc pulrrtn. : lui la moindre caiolion de plaisir ou de Iroublr. Sa ir respectueuse envers son empereur et son pi-rc , inodcsle a i r^;' de lui-même } rien ne parut changé dans son air cl dans mt^ :: i- niêres^ on v \oyait plutôt le pouvoir que la volonté de commj der. On délibéra ensuite si la cérémonie de l'adoption se fifi devant le peuple , au sénat , ou dans le camp. On préféra le caBB| pour faire honneur aux troupes , comme ne voulant point ariii ter leur faveur par la flatterie ou à prix d'argent , ni dédai^ii de racuuérir par les moyens honnêtes. Cependant le peuple ei vîronnait le palais, impatient d'apprendre 1 importante aÛ'airrqa s'y traitait en secret, et dont le bruit s'augrueulait encore par vains ellorts qu'on faisait pour l'éloufTer.

Le dix de janvier, le jour fut obscurci par de grandes pini accompagnées d*éclairs,de tonnerres et de signes extraordioaim du courroux céleste. Ces présages, qui jadis eussent rompu !t~ comices , ne détournèrent point Oalba d'aller au camp ; soit i, les méprisât comme des choses fortuites, soit que , les pKr-i'i pour des signes réels, il en jugeât l'événement inéviiab/r Ln gens de guerre étant donc assemblés en grand nombre , il ' dit y dans un discours grave et concis, qu'il adoptait Ptson . i Pexemplc d'Auguste, et suivant l'usage militaire qui laissât généraux le choix de leurs lieutenans. Puis, de peur que ftoa lence au sujet de la sédition ne la fit croire plus *' ~

assura fort que , n'ayant été formée dnns la quatre a'

huitième légion que par un petit nombre de£;rns, elle s'était b( née à des murmures et des paroles, et que dans peu tout veu pacifié. 11 ncmcla dans son discours ni flatteries ni promesse) K tribuns , les centarionset quelques soldats voisins applaudirepi mais tout le reste gardai^un morne silence, se vovaut pnvês dai la guerre du donatif qu'ils avaient même exigé durant la p«ii Il paraît que la moindre libéralité arrachée à raustêrc monic de ce vieillard eût pu lui concilier les esprits. Sa uerte de cette antique roideur et de cet excès de sévérité qui ne con- vient plus ù notre faiblesse.

De s'étant rendu au sénat , il n'y parla ni moins sirupi ni plus longuement qu'aux soldats, La tiarangur de Pison cieuse et bien reçue : plusieurs le félicitaient de bon corur] qui Taîmaient le moins , avec plus d'aflectatioii ; et le pins _ nombre, par iutérct pour eux-mêmes , sans aucun souci dt< de l'état. Durant les quatre jours suivans , qui furent rinCerrafl' entre l'adoption et la mort de Pison, il ne Ht ui ne dit plus ri<» » en public.

Cependant les fréquens ^y\s> du progrès de la défection en Allafl mafne , et la facilité avec laquelle les mauvaises noUTelles »*3<» créditaient à Rome, engagèrent le sénat à envoyer une dépatatio* aux légions révoltées^ et il fut mis secrètement en drtibératioB si Pison oc s'y joiodraiL point lui-m^mc, pour lui «îoniicr plnsi^*

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poids, en ajoutant la majesté impériale à rautorité c]u séuat. On voulait que Lacon , préfet du prétoire, fiU aussi du voyage; mais il s'en cxcu». Quant aux députée, le sériât en ayant laissé le choix àOalba, on vit , par la plu^ honteuse inconstance, des nominations, des refus, des suDslilutions , des brij^ues pour ftlltrou pour demeurer, selon l'espoir ou la crainte dont chacun était agité.

Ensuite il fallut chercher de l'argent ; et, tout bien pesé, i! parut tro^juste que l'état eût recours à ceux qui l'avaient ap* pauvri. Les dons versés par Néron montaient U plus de soixante millions. Il fit donc citer tous les donataires, leur redemandant les neuf dixièmes de ce qu'ils avaient reçu , et dont à peine leur restait'il l'autre dixième partie : car également avides et dissi- pateurs, et non moins prodigues du btpn fraulrtiî que du leur , ils n'avaient conservé, au lieu de terres et de reveuus » que les instrumens ou les vices qui avaient ocquis et consumé tout cela. Trente chevaliers romams furent préposés au recouvrement j nouvelle magistrature onéreuse par les brigues et par le nombre. On ne voyait que ventes, huissiers^ et le peuple , tourmenté par CM vexations , ne laissait pas de se réjouir de voir ceux que Néron avait enrichis aussi pauvres que ceux qu'il avait dépouillés. Ea ce même temps, laurus et Nason tribuns prétoriens , Facensis tribun des milices bourgeoises, etFronto tribun du guet, ayant été cassés, cet exemple servit moins à contenir les olUcieri qu'à les efirayer , et leur nt craindre qu'étant tous suspects on ne vou- lût les chasser l'un après Tautre.

Cependant Othon,quia*attendaitTiend'un gouvernement Iran* quille, ne cherchait que de nouveaux troubles. Son indigence, ^ut eût été À charge même à des particuliers, son luxe, qui Teât «té même à des princes , son ressentiment contre Galba, sa haiue pour Pison, tout l'excitait k remuer. U se forgeait luême des craintes pour irriter ses désirs. N'avait-il pas été suspect à Néron loi-mèrae? Fallait-il attendre encore l'honneur d'un second exil en Lusitanie ou ailleurs? Les souverains ne voient-its pas toujours av^c défiance et de mauvais oeil ceux qui peuvent leur succéder? Si cette idée lui avait nui près d'un vieux prince, combien plus lui nuirait-«lle auprès d'un jeune homme naturellement cruel , aigri par un long exil ! Que s'ils étaient tentés de se défaire de lui, pourquoi ne les préviendrait-il pas, tandis que Galba chancelait encore, et avant que Pison fût affermi? Les temps de crise ^oiit ceux oit conviennent lesgrandaeO'orts; et c'est une erreur de tem- poriser, quand les délais sont plus dangereux que l'audace. Tous tvs hommes meurent également, c'est la toi de la nature ) mais la postérité les distingue par la gloire ou l'oubli. Que si le même «ort attend rinnoccntet lecoupahle, il est plus digne d'un homme de courage de ne pas périr sans sujet.

Othon avait lecteur moins efTéioiné que le corps. Ses plus fa- miliers esclaves et alTranchis, accoutumés à une vie trop licen- cieuse pour une maison privée , en rappelant la magniâcence du

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664 PREMIER LIVRE

Salais de Néron , l<*s adultères , les fêles auptîales , «t toutn l ébauches cU's princes, â un homme ardenl aprê» tout celj lui montraieiil en proie à d'autres par son indolence , cl k lu. osait s'en emparer. Les astrologues l'animaient encore, en bliant que d'extraordinaires roouvemens dans lescienx lui ânoo çaient une année glorieuse : genre d'hommes fait pour leuir les grands, abuser les simples, qu'on chassera snns rrîi»cdeno TÎlle, elquis'vmainlieiidialoujours. Poppéeen avait secrêtrioeal employé plusieurs qui furent rinstrument funeste de »on luanA^t avecTèmpereur. Ptolomée, un d'entre eux qui arnil accoropa^ Othon , lui avait promis qu'il survivrait à ^*>ron ;et rrvêfiemcf' joint k la vieillesse de Galba « h. la jeunesse d'Olbon » aux C4nj< tares et aux bruits publics, lui Ht ajouter qu'il parviendrait Tempire. Othon , suivant le penchant qu'a l'esprit bumaia s'affectionner ani opinions par leur obscurité mrme , pren; cela pour de la science et pour des avis du destin ; et Pioloi manqua pas , selon la coutume, d'être l'mstigaleur docriiae'^ il avait été le prophète.

Soit qu'Olhon eût ou non formé ce projet , il est ccr cultivait depui5 long-temps les gens de guerre , coinni« succéder à 1 empire ou l'usurper. En route , en bataille , au rainj nommant les vieux soldats par leur nom , et , connue a^yaul avec eux sous >éron , les appelant camarades , il recoDi les uns, s'informait des autres, et les aidait tous de ê* bouriei de son crédit. Il entremêlait tout cela de fréquentes plaintn de discours équivoques sur Galba, etde ce qu'il y a deplusproprr à émouvoir le peuple. Les fatigues des niarcbes , la rareté drt vivres, la dureté du commandement, il envenimait to'-» -— parant les anciennes et agréables navigations de la Cui des TÎiles grecques avec Tes loiti;s et rudes trajets des i \^ et des Alpes, oii l'on pouvait à peine soutenir le poids armes.

Pudens, un des conRdensde Tigellinus, séduisant divei les plus remuans, les plus obérée, les pluscrédules, achevait lumer les esprits déjà écliaunés des !>o1dats. Il en vint au que, chaque fois que Galba mangeait chet Othon, l'on huait cent sesterces par léte à la cohorte qui était de comme pour sa part du feslm ; distribution que, sou* l'air largesse publique , Othon snutcnail encore par d'à ulresdotu ticuliers. 11 était même si ardent à les corrompre , et la stu] du préfet qu'on trompait jusques sous ses ^eux fui ai gr* (jue , sur une dispute de Procnlus lancier de la garde avec uo sm pour quelque borne commune, Otbon acheta tout le dui du voisin, et le donna à Proculus.

Ensuite il choisit pour chef de Tentrepriie qu*il tnédîtsh Ob^ znastus un de ses affranchis , qui lui ayant amené Barbiiu et Ve- turius , tous deux bas officiers des gardes , aprt*s le» avoir Irootfi à l'examen rusés et courageux , il les chargea de don», de nro- meoes, d'argent pour en gagner d'ttutT«a ; «t l'on vit siatt 4tm%

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iDAnipuIaires entreprendre et venir à bout de disposer de l'empire romain. Ils mirent peu décent dans le secret j et tenant les autres ,en suspens, ils les excitaient par divers moyens j les chefs, comm« siispecls par les bienfaits de Nymphidius ; les soldats, par le dé~

λV de se voir frustrés du donatif long-temps attendu : rappe- an\ k <j\ielque^uiis le souvenir de Néron, ils rallumaient en eux le désir de rancienne licence : enfin ils les eHrayaient tous par la peur d'un cbangement dans la milice.

Sitôt qii*on sut la défection de l'armée d'Allemagne , le venin agna les esprits déjà émus des légions et des auxiliaires. Bientôt malintentionnés se trouvèrent si disposés à la sédition , et les bons si tièdesàla réprimer, uue, le Quatorze de janvier, OlUon revenant de souper ei\tclé enlevé , si l'on nViit craint les erreurs de ta nuit , les troupes cantonnées par toute la ville , et le peu d'accord qui règne dans la chaleur nu vin. Ce ne fut pas l'intérêt de t*ét.it qui retint ceux qui méditaient à jeun de soniller leurs mains dan« le sang de leur priuce « mais le danger qu'un autre ne fût pris d.ins l'obscurité pour Othnn par les soldats des armées de Honrrie et d'Allemagne qui ne le connaissaient pas. Les conjurés «tounerent plusipurs indices de la sédition naissante; et ce qui en parvint aui oreiller de Galba fut éludé par Lacon , bomme incapable de lire dans l'esprit des soldats, ennemi de tout bon con.«eil qu'il n'avait pas donné, et toujours résistant à l'avis des sages.

Jrf» quinze de janvier, comme Galba sacrifiait au temple d'A-

f»ollon , l'aruspice Urubricius, sur le triste aspect des eutrailles , ui dénonça d'actuelles embûches et un ennemi domestique, tan- dis qu'Oihon , qui était présent , se réjouissait de ces mauvais au- gures et les interprétait favorablement pour ses desseins. Ijn mo- ment après , Onomastus vint lui dire que l'architecte et les experts l'att^Tulaient ; mot convenu pour lui^annoncer l'assemblée des «oldats et les apprêts de la conjuration. Othon fil croire à ceux qui demandaient oii il allait, que, prés d'acheter une vieille maison de campagne, il voulait auparavant la faire examiner j puis , suivant l'affranchi à travers le palais de Tibère ai> Vélabre, et de la vers la colonne dorée sous le temple de Saturne, il fut salué empereur par vingt- trois soldats , qui le placèrent aussitôt sur une chaire curule tout consterné de leur petit nombre , et l'environnèrpnt l'épée â la main. Chemin faisant , ils furent joints par un nombre à peu près égal de leurs camarades. Les uns, ins- truits du complot , l'accompagnaient à grands cris avec leurs ar- mes ; d'autres, frappés du spectacle, se disposaient en silence à prendre conseil de l événement.

Le tribun Martialis, qui était de garde an camp, effrayé d'une si prompte et si grande entreprise, ou craignant que la sédition n'eôt gagné ses soldats et qu il ne fût tué en sy opposant , fut oupçonué par plusieurs d'en être complice. Tous les autres tri- ions et centurions préférèrent aussi le parti le plus sur au plus Iionncte. Enfin tel fat l'état des esprits , qu'un petit noinbre

5(36 PÏIEMIKB MVÏÏF.

ayAnt «entrepris an forfait détestable plusieurs t^approuvî^reut H

tous le souffrirent. ~

Cependant Galba , franquillemeat occupé de son flacn6< importunait les dieux pmir un empire qui n'elait nïus h U quand tout à coup un bruit sVieva que les troupes «rnlevaienti «énateur qu'on ne nommait pas , mais qu'on sul ensuit^" Othon. Aussitôt on vit accourir des gens de tous les quai «t k mesure qu^on les rencontrait , plusieurs augmentaient inal et d'autres rexténuatent , ne pouvant en cet instant m^ renoncer k la flatterie. On tint conseil , et il fut résolu que sonderait la disposition de la cohorte qui était de çarcle au lais , réser\'ant Vautoritë encore entière de Galba pour de p4i ]*res$ans besoins. Ayant donc rassemblé las soldats oevant le* ' ^rés du palais, Pison leur parla ainsi : ** Compagnons, il y a « jours que je fus nommé César sans prévoir l'avenir , et w savoir si ce choix rac serait utile ou funeste ; c'est à vous » fixer le sort pour la republique et pour nous. Ce n'est Ba« qi je craigne pour mpi-mènic , troîi instruit par mes maiheu « pe point con^pter sur la prospérité : mai» je plains mon perej •> le sénat et l'empire, en nous voyant réduits à recevoir la w ou h la donner, extrémité non moins cruelle pour des •« bien , tandis qu'après les derniers mouvemens on I » que Rome eût été exempte de violences et de meurtres " qu'on espérait avoir pourvu par l'adoptiofl h provenir «• cause de guerre après U mort de Galba.

» Je ne vous parlerai ni de mon nom ni de mes moeu M a peu besoin de vérins pour se comparer à Othon. Se« vi « dont il fait toute sa gloire , ont ruiné l'étal quand il était n du prince. Est-ce par son air , par sa démarche , par sa » rure efféminée , qu il se croit digne de l'empire ? On se Irom D beaucoup si Toa prend son luxe pour de la libéralité. Plus » saura perdre, et moins il saura donner. Débauches , festi " attroupeniens de femmes , voilà les projets qu'il niéditc.

» selon lui, les droiis de l'empire, dont la volupté sern

♦• seul , la honte et le déshonneur pour tous ; car jani.i

" rain pouvoir acquis par le crime ne fut vertueuseincnl vxvn:

* Galba fui nommé César par le genre humain, et je l*ai é

Galba de votre consentement : Compagnons , j't^oi ^ vous est indifférent que la république , le sénat et « soient que de vains noms ; mais je sais au moins qu

* importe que drs scélérats ne vous donnent pas un chef. « On a vu quelquefois des légions se révolter contre leurs tri

* buns. Jusqu'ici votre gloire et votre fidélité n'ont reçu nulll *• atteinte , et Néron lui-même vous abandonna plutôt quM ni » fut abandonné de vous. Quoi ! verrons-nous une trentaine ■* » plus de déserteurs et de transfuges , à qui Ton ne pernaeltrai

pas de se choisir seulement un oilicier , faire un emperear?S

vous souffrez un tel exemple, .si vous partager le crime en >• laissant commettre, cette licence passera dan« les proviocrt

DE TACITE.

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« nous périrons par les meurtres , et vous par ]c5 rombatit , sans »• que ].i soldr en sotl plus erAnde pour avoir égorgé son prince , »• (jue pour avoir fait son uevoir : mais le donatif n'en vaudra n pjs moins , reçu de nous pour le prix de la fidélité , que d*un » autre pour le prix de la Irabison. •*

Les lanciers de la garde ayant disparu , le reste de la cohorte, sans paraître mépriser le discours de Pîson , se mit en devoir de préparer ses enseignes plutôt par hasard , et, comme il arrive «n ces momens de trouble , sans trop savoir ce qu'on faisait , que par une feinte insidieuse , comme ou Ta rru dans la suite. Cetsus fut envoyé au détachement de Tarmée d'Illyrie vers le portique de Yipbanius. On ordonna aux primipilaires Serenus et Sabinus <l'ampner les soldats germains du temple de la I-iberlé. On se défiait de la légion marine, aigrie par le meurtre de ses soldats que Galba avait fait tuer à son arrivée. Les tribuns Cerius , Aubriniis et Longinus , allèrent au camp prétorien pour tâcher crétouffer la sédition naissante avant quVIle eût éclaté. Les sol- dats menacèrent les deux premiers ; maïs Longin fut maltraité et désarmé, parce qu'il n'avait pas passé par les grades roîlilaircs, cC qu*étant dans la confiance de Oalba il en était plus sus- pect aux rebelles. La légion de mer ne balança pas à se joindre aux prétoriens : ceux du détachement d'Illyrie . présentant à Celsus la pointe des armes , ne voulurent point l'écouter j mai» les troupes d'Allemagne hésitèrent long-temps, n'ayant pas encore recouvré leurs forces, et ayant perdu toute mauvaise volonté depuis que, revenues malades de la longue navigation d'Alexandrie oli Néron les avait envoyées , Galba n'épargnait ni soin ni dépense pour les rétablir. La foule du peuple et des es- claves , qui durant ce temps remplissait le palais , demandait à cris perçans la mort d'Olhon et l'exil des conjurés , comme ils auraient demandé quelque scène dans les jeux publies ; non nue le jugement ou le zèle excitât des clameurs qui changèrent d'objet dès le même jour , mais par l'usage établi d'enivrer chaque prince d*accIamatioQs effrénées et de vaines flatteries.

Cependant Galba flottait entre deux avis. Celui de Vinius était qu'il fallait armer les esclaves , rester dans le palais et en barri- cader les avenues ^ qu'au lieu de s'oflrir k des gens échauffés on devait laisser Je temps aux révoltés de se repentir et aux fidèles de se rassurer que si la promptitude convient aux forfaits, le temps favorise les bons desseins ; qu'enfin l'on aurait toujours la 7uéme liberté d'aller s'il était nécessaire, mais qu'on n'était pas sûr d'avoir celle du retour au besoin.

Les autres jugeaient qu'en se hâtant de prévenir le progrès d'une sédition faible enoore et pcti nombreuse, on épouvante- rait Olhon même , qui, s'élant livré furtivement à des incon- nus , profilerait, pour apprendre à représenter, de foui le temps qu'on perdrait dans une lAche indolence. Fallait-il al- tentire qu'ayant pacifié le camp il vîut s'emparer de la pîarc, et monter au Capitule aux yeux mêmes de CiM).! , tandi* rfu'un

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PREMIER LIVRE

si erancl capitaine et ses braves amis , renfermés dans les portct et le seuil Ou palais, l'inviteraient pour ainsi dire à 1rs a.«iêffer.' Quel secours pouvait-on se promettre des esclaves , si on bi*- sait refroiflir la faveur de la multitude , et &a première indigna- tion plus puisante que tout le reste ? D'ailleurs , disaienl-îU , le parti le moins honnête est aussi le moins sur j et , dût-on suc- comber au ppril , il vaut encore mieux l'aller chercher ; Otiioo en sera plus odieui, et nous en aurons plus d'honneur. Viniui résistant à cet avis fut menace par Lacon à Tinstigation dlceltu. toujours prêt à servir sa haine particulière aux dépens de IVui,

Oalba , sans hésiter plus long-temps, choisit le parti le |iloi spécieux. On envoya rison le premier au camp , appuve da crédit que devaient lui donner sa naissante, le rang auquel il venait oe monter , et sa colère contre Yinius , véritable ou *up- posée telle par ceux dont Vinius était hai et nue leur h«in« rendait crédules. A peine Pison fut parti, qu*il sVleva un Bnut. d'abord vague et incertain , qu'Othon avait été tué dap* le camp : puis, comme il arrive aux mensonjçes important, il le trouva oientôt des témoins oculaires du fait , qui persuaderait aisément tous ceux qui s'en réjouissaient ou qui s'en .^ouciairol peu j mais plusieurs crurent que ce bruit était répandu et fo- menté par 1rs amis d'Othon , pour attirer Galba par le Irunt d'une bonuE nouvelle.

Ce fut alors que , les applaudissemens et Tempressemenl ottlfr gagnant plus haut qu*unc populace imprudente , la plupart det chevaliers et des sénateurs f rassurés et sans précaution, fofti^ rent les portes du palais , et, courant an-devant de Oalba, tt\ plaignaient que Thonneur de le venger leur eiil été ravi. Lo]

5 lus lâches et, comme rcfFct le prouva, les moins capibl« 'affronter le danger , téméraires en jtarolcs et l>raves ii U langue, affirmaient tellement ce qu'ils savaient le moiiu. qor, faute d*avis certains, et vaincu par ces clameurs , Oalba pnt onc cuirasse , et , n'étant ni d'âge ni de force à soutenir le cboc àt la foule , se fit porter dans sa chaise. 11 rencontra , sortaftt en palais, un gendarme nommé Julius Atticus . qui , montrant tôt elaivetout sanglant , s'écria qu'il avait tué Othon. Camaradt lui dit Galba , oui vous Va commandé? Vigueur singulière J'ta homme attentif à réprimer la licence militaire, et qui ne s* U»^ sait pas plus amorcer par les flatteries, qu'efirajrer par les Me- naces !

Dans le camp les sentimens n'étaient plus douteux ni nai!»» gés , et le zèle des soldats était tel , que , non cootens d rnn- ronner Othon de leurs corps et de leurs bataillons, ils le plaix- rent au milieu des enseignes et des drapeaux , dans Tenreintr oa était peu auparavant la statue d'or de Galba. !Ni tribuns m tm- tnrions ne pouvaient approcher , et les simples soldats crj*i«ï qu'on prît garde aux officiers. On n'entendait que clamean, Tumultes , exhortations mutuelles- Ce n'élaicul pas les liedf» *'* les discordantes acclamations d'une populace qui flatte J

EH

^^"^ DE TACITE. 569

matlre ; loais tous les soldats qu'on voyait accourir en foule étaient pris par la main , embrasses tout armés, amenés devant lui , et , après leur avoir dicte le serment , ils recommandaient l'empereur aux troupes cl les troupes à l'empereur. Othon de son côté , tendant les bras , saluant la multitude, envoyant des baisers , n'omettait rien de servile pour commander.

Enfin, après que toute la légion de mer lui eut prêté le ser- ment , se conBant en ses forces et voulant animer en commun ^^Xous ceux qu'il avait excités en particulier , il monta sur le rem- ^^Bert du camp et leur tint ce discours :

^^ « Compagnons, j'ai peine à dire sous quel titre je me pré- I » sente en ce lieu : car, élevé par vous à l'empire je ne puis me I » regarder comme particulier , ni comme empereur tandis qu'un n autre commande ; et l'on ne peut savoir quel nom vous con- '• rient à vous-mêmes qu'en décidant si celui que vous pro- " t<fgez est le chef ou l'ennemi du peuple romain. Vous entendes M que nul ne demande ma punition qu'il ne demande aussi la » vôtre, tant il est certain que nous ne^pouvons nous sauver on

périr qu'ensemble ; et vous devez juger de la facilité avec la-

quelle le clément Galba a peut-être déjà promis votre mort

par le meurtre de tant de milliers de soldats innocens que

personne ne lui demandait. Je frénxis en me rappelant llior- •t reurde son entrée et de son unique victoire , lorsqu'aux yeux » de toute la ville il fit décimer les prisonniers supplians qu'il »• avait reçus eu grâce. Entré dans Rome sous de tels auspices ,

^^> onellc gloire a-t-il acquise dans le gouvernement , si ce n'est ^B aavoïr fait mourir Sabinus pt Marcclluâ en Espagne, Chilon 1^^ dans les Gaules , Capiton en Allemagne , Macer en Afrique, « Cingonius en route , Turpilien dans Rome , et Nymphidins «• au camp ? Quelle armée ou quelle province si reculée sa «• cruauté n'a-t-elle point souillée et déshonorée, ou, selon M Ini , lavée et purifiée avec du sang? car , traitant les crimes •• de remèdes et donnant de faux noms aux choses , il appelle •• la barbarie sévérité , l'avarice économie , et discipline tous » les maux qu'il vous fait souffrir. Il n'y a pas sept mois que •• Néron est mort , et Icelus a déjà plus volé que n'ont fait Elius , •• Polyclète et Vatinius. Si Yinius lui-même eût été empereur , » il eût gouverné avec moins d'avarice et de licence ; mais il •• nous commande comme à ses sujets et nous dédaigne comme » ceux d'un autre. Ses richesses seules suffisent pour ce donatif ^_ii qu'on vous vante sans cesse et qu'on ne vous donne jamais. ^^m m Afin de ne pas même laisser a espoir à son successeur. Galba ^^» m rappelé d'exil un homme qu'il jugeait avare et dur comme >• lui. Les dieux vous ont avertis par les signes les plus évidens »• qu'ils désapprouvaient cette élection. Le sénat et le peuple •• romain ne lui sont pas plus favorables : mais leur confiance

Iest toute en votre courage j car vous avez la force en maia pour exécuter les choses honnêtes , et sans vous les meilleurs

fîro

PKEMIER LIVRE

lal f.iire p^r le plaisir d'aflliger les gens de bien. , effraye du frémissetuent rie la sédition crois»

croissante

X question de guerres ni de périls , puisque toutes les troupcit h A>nt pour nous , aue Galba n'a qu une cohorte en toge dont » il n'est pas le chct mais ]e prisonnier , et dont le seul combat » k votre aspect et à mon premier signe va êlrc à qui m'aura n le plutôt reconnu. Enfin ce n'est pas le cas de temporiser dans une entreprise qu'on ne peut louer qu'après l'exécution.» Aussitôt , ayant fait ouvrir l'arsenal , tous coururent aux armes sans ordre , sans règle , sans distinction des enseig;ne» prétoriennes et des légionnaires , de l'écu des auxiliaires et du louclier romain j et , sans que ni tribun ni centurion s'en m6|it , <haqiie soldat , devenu son propre offirier, s'animait et s'excitait lui-même â mal faire

Déjà Pison et du bruit des clameurs qui retentissait jusques dans la ville, s'était mis à la suite de Galba qui s'acheminait vers la place. Déjà , sur les mauvaises nouvelles apportées par Celsus , les uns parlaient de retourner au palais, a autres d aller au Capîtole « Je plus grand nouibre d'occuper les rostres. Plusieurs se con- tentaient de contredire l'avis des autres j et , comme il arrive dans les mauvais succès ^ le parti mril n'était plus temps de prendre semblait alors le meilleur. Ou dit que Lacon médtlait ù rinsii de Galba de faire tuer Vinius ; soit qu'il espérdt adoucir les soldats par ce châtiment , soit qu'il le crût conjplice d*©- thon , soit enfin par un mouvement de haine. Mais le temps et le lieu l'ayant fait balancer par la crainte de ne pouvoir plai «rrêter le sang après avoir comuicncé d'en répandre , l'efTroi flurvenans , la dt.spcrsion du cortège > et le trouble de ceux qui ^'étaient d'abord montrés si pleins de zèle et d'ardeur , achevè- rent de l'en détourner.

Dépendant , entraîné ça. et , Galba cédait à l'impulsion des flots de la multitude , qui , remplissant de toutes parts Ir» temples et les basiliques , n'offrait qu'un aspect lugubre. Le peuple et les citoyens , l'air morne et l'oreille attentive , a* pon.vsaient point de crisj il ne régnait ni tranquillité ni tumultf, mais un silence qui marquait à la fois la frayeur et Tindignatioo^ On dit pourtant à Othon que le peuple prenait les armes; wr quoi il ordonna de forcer les passages et d occuper les postes iïo» portans. Alors, comme s'il eût été question non de masMcrer «ans leur prince un vieillard désarmé , mais de renverser F»- corc ou A^ologcse du trône des Arsacides , ou vit les soldats r»» mains , écrasant le peuple , foulant aux pieds les fïénateurs» pénétrer dans la place à la course de leurs chevaux et à la poioM de leurs armes , sans respecter le Capitotc ni les tempir» du dieux , sans craindre les princes présens et à venir , vengeurs àt ceux qni les ont précèdes.

A peine aperçut-on les troupes d'Othon , que l'enseigne i* l'escorte de Galba, appelé , dit-on , Vergilio , arracha l'iraaçr de l'empereur et la jeta par terre. A l'instant tous les snldaUir déclarent , le peuple fuit, quiconque hésite voit le fer pré! à le

UAsfi

DE TACITE. 5;i

percer. Près du lac cle Curtius , Galba tomba de sa chaise par iXTroi de ceux qui le portaient, et fui d*abord enveloppe. On a rapporté diversement ses dernières paroles selon la Laine ou l'admiralion qu'on avait pour lui : quelques-uns dirent qu^il demanda d'un ton suppliant quel mal il avait fait , priant qu*oD lui lai&AÂt quelques jours pour payer le dooatif ; mais plusieurs assurent que, présentant hardiment la gorge aux soldats , il leur dit Je frapper s'ils croyaient sa mort utile â l'élat. Les meurtriers écoutèrent peu ce qu'il pouvait dire. On n'a pas bien su qui l'avait tué ; les uns nomment Terentius , d'autres Lccanius ; mais le bruit commun est que Camurius , soldat de la quinzième lésion , lui coupa la gorge. Les autres lui déchi- quêtèrent cruellement les bras et tes jambes , car la cuirasse couvrait la poitrine et leur barbare férocité chargeait encore de blessures un corps déjà mutilé.

On vint ensuite à Vinius , dont il est pareillement douteux si le subit effroi lui coupa la voix , ou s'il s'écrïa qu'Othon n*avait point ordonné sa mort ; paroles qui pouvaient être Peflet de sa crainte , ou plutôt l'aven de sa trahison , sa vie et sa réputation portant à le croire complice d'un crime dont il était cause.

On vit ce jour-là dans Sempronius Densus un exemple me* ntorable pour notre temps. C'était un centurion de la cohorte prétorienne , chargé par Galba de la garde de Pison : il se jeta le poignard à la main au— devant des soldats en leur reprochant leur crime; el , du geste et de la voix attirant les coups sur lui seul, il donna le temps à Pîson de s'échapper quoique blessé. Pison se sauva dans le temple de Vesia , oii il reçut asile par la piété d'un esclave qui le cacha dans sa chambre^ précaution plus propre à différer sa mort que la religioo ni le respect des autels. Mais Florus, soldat des cohortes bri- tanniques , qui depuis long-temps avait été fait citoyen par Galba, et Statius Murcus, lancier de la garde , tous deux par- ticulièrement altérés du sang de Pison , vinrent de la part d'Othon le tirer de son asile, et le tuèrent à la porte du temple.

Celle mort fut celle qui fit le plus déplaisir à Olhon; et l'on dit que ses regards avilies ne pouvaient se lasser de considérer cette tête, soit que, délivré de toute inquiétude , il commençât alors à se livrer h. la joie, soit que, son ancien respect pour Galba et son amitié pour Vinius mêlant à sa cruauté quelque image de tristesse, il se crut plus permis de prendre plaisir à la mort d'un concurrent et d'un ennemi. Les têtes furent mises chacune au bout d'une pique et portées parmi les enseignei des cohortes et autour de l'aigle de la légion : c'était à qui ferait parade de ses mains sanglantes, â qui, faussement ou non, se vanterait d'avoir commis ou vu ces assassinats comme d'exploits glorieux et mémorables. Yitellius trouV'i dans la suite plus de cent vin^t placets de gens qui demandaient récompense pour mielque fait notable de ce jour-là : il les fît tous chercher et

^~^

57a PREMIER LIVRE

mettre h mort , non pour honorer Galba , raaîs scion la maxime des prince» de pourvoir à leur sûreté présente par la crainte des cliAtimens futurs.

Vous eussîer cru voir un aulre sénat et un autre peuple. Tout accourait au camp : chacun s'empressait à dexancer autres, h maudire Galba, à vanter le bon choix des troupes, k baiser les maîns d'Othon ; moin& le zèle était sincère, plus 00 afîiectaîl d'en montrer. Othon de son coté ne rebutait personne, mais des yeux et de la voix tâchait d'adoucir l'avide férocité des soldats. Ils ne cessaient de demander le supplice deCelsus, consul désigné, et, jusou'à IVxtrémité, fîdêle ami de Galba : son innocence et ses services étaient des crimes qui les irritaient. On voyait qu'ils ne cherchaient qu'à faire périr tout homme de bien , et commencer les meurtres et le pillage : mais Othon qui pouvait commander les assassinats n'avait pas encore assez d'au- torité pour les défendre. Il fit donc lier Cclsns, ailectant une erande colère, et le sauva d'une mort présente en feignant de le réserver à des tourmens plus cruels.

Alors tout se fit au gré Hes soldats. Les prétoriens se choi- sirent eux-mêmes leurs préfets. A Fîrmus, jadis luanipulairT, puis commandant du guet, et qui du vivant même de GaTbi s'était attaché à Othon , ils joignirent Licinius Proculns . qac son étroite familiarité avec Othon fil soupçonner d'avoir favo- risé ses desseins. En donnant à Sabinus la préfecture de Rome ils suivirent le sentiment de Néron sous lequel il avait en le même emploi^ mais le plus grand nombre ne voyait en lui qo* Vespasien son frère : ils sollicitèrent rafTranchissenient de» tri- buts annuels que, sous le nom de congés à temps , les simpl» soldais payaient aux centurions. Le quart des manipuUirrt était aux vivres, ou dispersé dans le camp; et pourvu qoe It droit du centurion ne fût pas oublié, il n*y avait sorte de ves^ lion dont ils s'abstinssent ^ ni sorte de métiers dont ils ros- gissenl. Du profit de leurs volerics et des plus servîtes rmplo» lis payaient l'exemption du service militaire ; et quano il* s'étaient enrichis, les ofKciers, les accablant de travaux et dr peine, les forçaient d'acheter de nouveaux concés. Enfin « épuisés de dépense et perdus de mollesse, ils revenaient an ntt* nipule pauvres et faineans, de laborieux qu'ils en étaient parts et de richfS qu'ils y devaient retourner. Voilà comment , éça- lement corrompus tour à tour par la licence et par la misère 1 ils ne cherchaient que mutineries, révoltes, et guerres civiïa De peur d'irriter les centurions en eratifiant les soldats & levn dépens, Othon promit de payer du nsc les congés annuels^éli- blissement utile, et depuis confirmé par tous les bon» pri«ef* pour le maintien de la discipline. Le préfet Lacon , qu on fÎEt- gnit de reléguer dans une ile, fut tué par un garde

pur cela par Othon : Icelus fut puni puiïliquement en qi

'affranchi. Le comble des maux dans un jour si rempli de crinirs ^'

i

tik

DE TACITE. 573

raltégresse qui ]p termina. Le préleur de Rome convoqua le 9pn.1t; et tandis qur les autres magistrats outraient à Tenvî l*adiilalion , tes sénateurs accourent , décernent à Othon la

5ni5baiice tribunicienne, le nom d^Auguste, et tous tc$ honneurs ci empereurs précédens , tâchant ireliacer ainsi les injures dont ils venaient de le charger et auxquelles il ne parut point sen- sible. Que ce fût clémence ou délai de sa pari , c'est ce que le peu de lemps qu'il a régné n'a pas permis de savoir.

S'étant fait conduire au Capitole, puis au Palais, il trouva la place ensanglantée des morts qui y étaient encore étendus , et pennii quMs fussent bràlés et enterrés. Verania femme de Pison Scribonîanus son frère » et Crispine, fille de Vinius, re- cueillîreat leurs corps, et, avant cherché les têtes, les rache- tèrent des meurtriers qui les avaient gardées pour les vendre.

Pison finit ainsi la trente-unième année d'une vie passée avec nioin» de bonheur que d'honneur. Deux de ses frères avaient ctc mis ù jnort, Magnus par Claude, et Cra«sus par Néron : lui-méiue après un long exil fut six jours César, et, par une adoption précipitée, sembla n'avoir été préféré à son atnéque pour être mis à mort avant lui. Vinius vécut quarante-sept ans avec des mœurs inconstantes : son père était de famille

frétorienne; son aïeul maternel fut au nombre des proscrits. 1 fît avec infnnue ses premières armes sous Calvisius Sabinus, lieutenant-général , dont la femme indécemment curieuse de voir Tordre du camp y entra de nuit en habit d'homme , et , avec la isème impudence, parcourut les gardes et tous les postes, après avoir commencé par souiller le lit conjugal; crime dont on taxa Vinins d'être complice. Il fut donc chargé de chaînes par ordre de Caligulaj mais bientôt, les révolutions des temps Tayant fait délivrer, il monta sans reproche de grade en gradée Après sa préture il obtînt avec applaudissement le comman- dement d une légion ; mais se déshonorant derechef par la plus servilc bassesse, il vola une coupe d'or dans un festin de Claude, qui ordonna le lendemain que de tous les convives ou servît le seul Vinius en vaisselle de terre. Il ne laissa pas de gouverner ensuite la Oaute narbonnaise , en qualité de proconsul , avec la plus sévère intégrité. Enfin , devenu tout k coup ami de Galba, il se montra prompt, hardi, rusé, méchant, habile selon .«es desseins , et toujours avec la même vigueur. On n'eut point d'égard à son testament à cause de ses grandes richesses; mais la pauvreté de Pison fit respecter ses dernières volontés. Le corps de Galba, négligé long-temps, et chargé de raille outraecs dans la licence des ténèbres, reçut une humble sépul- ture dans ses jardins particuliers, par les soins d'Argius, son intendant et l'un de ses plus anciens domestiques. Sa tête , plantée au bout d'une lance, et défigurée par les valets et goa- ]ats, fut trouvée le jour suivant devant le tombeau de Patrobe, affranchi de Néron, qu'il avait fait punir, et mise avec son corps déjà brillé. Telle fut la fin de Sergius Galba , après

5^4 PREMIER LIVRE

soixante et Ireire ans de vie et de prospérité sous cinq princM^ et plus heureuT sujet que souverain. Sa noblesse était anciennef et sa fortune immense. Il avait un génie médiocre, point de vices, et peu de vertus. Il ne fuyait ni ne cherchait la réputa- tion : sans convoiter les richesses d'aulrui, il était luéiiaçerdei siennes, avare de celles de l*état. Subjugué par ses amis et ms aflranchis , et juste ou méchant par leur caractère, il lais«ait faire également le bien et le mal; approuvant Tun et isnorant l'autre : mais un grand nom. et le malheur des temps lui faisaient imputer à vertu ce qui nVtait qu'indolence. Il avait ser\'î dani sa jeunesse en Germanie avec honneur, et s'était bien comporté Jans Le proconsulat d'Afrique : devenu vieux , il gouvemj l'Espagne citérieure avec la mt>me équité. £n un mot . tant qu'il fut homme privé, il parut au-dessus de Aon état ; et tout le monde l'eût jugé digue de rempire , s'il n'y fi\t jamais parvenu.

A la consternation que jeta dans Rome l'atrocité de ers ré- centes eiéculions, et à la crainte qu'y causaient le* anciennef mœurs d'Othon , se joignit un nouvel effroi par la défection de 'Vitellius, qu'on avait cachée du vivant de Galba, en laissant croire qu'il n'y avait de révoltfr que dans l'armée de la haoK Allemagne. C'est alors qu'avec le sénat et l'ordre équestre, qui prenaient quelque part aux atTaires publiques, le peuple méiue déplorait ouvertement la fatalité du sort, qui semblait 2^w buscité pour la perte de l'empire deux hommes, les plus cor- rompus des raorteJs par ta mollesse, la débauche, riinpudicité. On ne voyait pas seulement renaître les cruautés commiiea durant la paix , mais l'horreur des guerres civiles oii Home avait été si souvent prise par ses propres troupes, Tltalie H^ vastée , les prounces ruinées. Phai-sale , Philippes , Péroase H Modêue, ces noms célèbres par la désolation publique, reve- naient sans cesse k la bouche. Le monde avait été presque boo- leversé quand des hommes dignes du souverain pouvoir se te disputèrent. Jules et Auguste vainqueurs avaient soutenu l'em- pire; Pompée et Brutus eussent relevé la république. Mais était- ce pour Vitellius ou pour Othon qu'il fallait invoquer les dieux* et quelque parti qu'on prît entre ac tels compétiteurs, comment éviter de faire des vcpux impies et des prières sacrilèges, quand Tévènement de la guerre ne pouvait dans le vainqueur mo»- trer que le plus méchant? Il y en avait qui songeaient k Y»- pasien et i l'armée d'Orient; mais q^uoiqu'ils préférassent Vf** pasien aux deux autres, ils ne laissaient pas de craindre ct4tt nouvelle euerre comme une source de nouveaux malheurs : Ofltrr que la réputation de Vespasien était encore équivoque; car il esl le seul parmi tant de princes que le rang suprême aitchaojé en mieux.

Il faut m:iintenant exposer l'origine et les causes des moiiif- mens de Vitellius. Apres la défaite et la mort de Vioflffi* l'armée , qu'une victoire sans danger et sans peine venait à*tt^ richir, fibre de sa gloire et de son Dutin,et prcféraut le pili«Jf

DE TACÏTE.

ù'jZ

k la paie, ne cherchait que guerres et que combats. Loog-tcmps le service avait été infructueux et <îur, soit par la rigueur au climat et des saisons, soit par la sév«rité àe la discipline , tou- jours inflexible durant la paix, mais que les flatteries des sé- ducteurs et rimpunilê des traîtres énervent daus les guerres civiles. HouiiueSt arme;}, chevaux, tout s*ofTrait à qui saurait s'en servir cl s'en illustrer; et, au lieu qu'avant la guerre les armées étant éparses sur les frontières chacun ne connaissait que sa compagnie et sou bataillon, alors les légions rassemblées contre Vinuex ^ avant compare leur force A celle des Gaules, n'attendaient qu'un nouveau prétexte pour chercher querelle â «les peuples qu'elles ne traitaieut plus d amis et de cumnagnons, .niais de rebelles et de vaincus. Elles comptaient sur la partie les Gaules qui confine au Rhin, et dont les habitans avant pris le même parti les excitaient alors puissamment contre les galbicns, nom que par mépris pour Vindex ils avaient donné 1 SCS partisans. Le soldat, animé contre les Ilédueus et les icquanois^ et mesurant sa colère sur leur opulence, dévorait déjà dans son cnpur le pillage des rilles et des champs et les dépouilles des cilovens. Son arrogance et sou avidité, vices communs k qui se sent le plus fort, s'irritaient encore par les

bravades des Gaulois, qui, pour faire dépit aux troupes, se

du quart avaient reçu de Galba.

vantaient de la remise

des tributs , et du droit quMs

A tout cela se joignait un bruit adroiteraent'rcpandu et incon-

idérément adopté que les légions seraient décimées et les plus

bravos centurions cassé». De toutes parts venaient des nouvelles

rràcheuses : rieu de Koiue que sinistre; la mauvaise volonté le la colonie lyonnaise et sou opiniâtre attachement pour Néron ftait la source de mille faux bruits. Mais la haine et la crainte particulière, jointes â la sécurité générale qu'inspiraient tant de forces réunies , fournissaient dans le camp une assez ample ma- lière au mensonge et à la créiiulité.

Au commencement de décembre , Yitcllius arrivé daus la Germanie inférieure visita soigneusement les quartiers, oii quel- quefois avec prudence et plus souvent par ambition , il effaçait I ignominie , adoucissait les ch^timcns , et rétablissait chacun dans son rang ou dans sou honneur. H répara surtout avec beau- coup d'equite les injustices que l'avarice et la corruption avaient fait commettre ii ('aj)iton en avauçaut ou déplaçant les gens de guerre. On lui obéissait plutôt comme à un souverain que comme k un proconsul , mais il était souple arec les hommes fermes. Libéral de son bien, prodigue de celui d'aulrui , il était d'uue profusion sans mciurc , que ses amis, changeant , par l'ardeur «le commander , ses vertus en vices , appelaient douceur et bonté. Plusieurs dans le camp cachaient sous un air modeste et tranquille

Eucoup de vigueur à mat faire ; mais A'alens et Cecina , lieute— v-généraux , se distinguaient par une avidité sans bornes qui i laissait point à leur audace. Yalens surtout , après avoir

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étouffe les projets Je Capiton et prévenu l'incertitude de Vergî- DÎus , outre de l'ingratitude de Galba , ne ce&sait dVxciter \itâ- lins en lui vantant le zèle des troupes. It lui disait que sur m réputation Hordeonius ne balancerait pas un inomeot ; que l'An- gleterre serait pour lui ; Qu'il aurait des secours de l' Allemap^ ; que toutes les provinces uottaient sous le gouvernement précaire et passager d'un vieillard^ qu'il n'avait qu'à tendre les bras À U fortune et courir au-devant d'elle j que les doutes convenaient Vergiuius, simple chevalier romain , tils d'un père inconnu, ri qui, trop au-dessous du rang suprême, pouvait le refuser uns risque : mais quant à lui , dont le père avait eu trois consulats ,U censure , et César pour collègue , que plus il avait de titres pour aspirer h Tempire , plus il lui était dangereux de vivre en honitnr privé. Ces discours, agitant Vitellius, portaient dans son cspht indolent plus de désirs que d'espoir.

Cependant Cecina , grand , jeune , d'une belle figure , d'une démarche imposante, ambitieux, parlant bien , flattait et gagnait les soldats de l'Allemagne supéneure. Questeur en Détique, il avait pris des premiers le parti de Galba, qui lui donna le comman- dement d'une légion : mais ajant reconnu qu*il détournait la deniers publics , il le 6t accuser de néculat; ce que Cecina sup- portant impatiemment , il s'efforça (le tout brouiller et d'ensevelir ses fautes sous les ruines de la république. U y avait déjà liaaj l'armée assez de penchant à la révolte ; car elle avait de concert pris parti contre Vindex, et cène fut qu'après la mort de Néroo qu'elle se déclara pour Galba « en quoi même elle se lais&a pr^ venir par les cohortes de la Germanie inférieure. De plui. Im peuples de Trêves , de Langrcs, et de toutes les villes doutOitta avait diminué le territoire et qu'il avait lualtraitées par de rigou- reux édits , m^lés dans les quartiers des légions les excitaieot par des discours séditieux: et les soldais , corrompus par les babitAnt» n'attendaient qu'un homme qui voulût proHler de l'oflre an'ik avaient faite à Yerginius. La cité de Langres avait , selon r«9- cien usage, envoyé aux légions le présent des mains enlacées, ea signe d'hospitalité. Les députés, affectant une contenance affligée, commencèrent à raconter de chambrée en chambrée les injor* qu'ils recevaient et les grâces Qu'on faisait aux cités voisines; fVK se voyant écoutés , ils échauffaient les esprits par l'énumératj* des mécontentemcns donnés à l'armée et de ceux qu'elle i^ encore à craindre.

Enfin tout se préparant 41a sédition, Hordeonius renvoyais députés et les fît sortir de nuit pour cacher leur départ. Maûcffl» précaution réussit mal , plusieurs assurant qu'ils avaient étear' sacrés, et que , si l'on ne prenait garde à soi , les plus br 1. dats qui avaient osé murmurer de ce qui se passait sera: tués de nuit à l'insu dea autres. Là-dessus les légions it liguées par un engagement secret, on fit venir les auxili qui d'abord donnèrent de l'inquiétude aux cohortes et h U lerie^u'ils environnaient , et qui craignirent d'en êtreatt«(

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Mais bientôt ton» avec la même ardeur prireut le même parti; mutins plus d'accord dans la révolte qu iU ne furent dans leur devoir.

Cependant le premier janvier les légions de la Germanie infé- rieure prêtèrent solenneUenieiit le serment de fidélité k Galba , mais à contre-cœur et seulement par la voix de quelques-uns dans les premiers rangs; tous le» autres gardaient le silence , chncua n'attendant que l'exemple de son voisin , selon la disposition naturelle aux hommes de seconder avec courage les entreprises

3u'îls nVsent commencer. Mais TémoUon u'éloit pas la m^me ans toutes les léeîons. Il régnait un si grand trouble dans la première et dans la cinquième, que quelques-uns jetèrent des pierres aux images de Galba. La quinzième et la seizième, sans «lier au-delà du murmure et des menaces, cUcrchaient le mo- ment de commencer la révolte. Dans l'armée supérieure, la qua- trième et la vingt-deuxième légion , allant occuper les marnes quartier! , brisèrent les images de Galba ce même premier de janvier; la quatrième sans balancer, la vingt— deuxième ayant d*abord hésité se détermina de même : mais pour ne pas paraître avilir la majesté de Tempire elles jurèrent au nom du sénat et du peuple romain , mots surannés depuis long-temps. On ne vit ni fféneraux ni officiers faire le moindre mouvement en faveur de Galba ; plusieurs même dans le tumulte cherchaient à Taugmen- ter , quoique jamais de dessus le tribunal ni par de publiques ha-- rangues; de sorte que jusques-là on n'aurait su à qui s'en prendre^ Le proconsul nordeoniui, simple &pectateur de la révolte ^ nVsa faire le moindre eflbrt pour r<*primer les séditieux , contenir ceux qui flottaient, ou ranimer les iîdèlcs ; négligent et craintif, il futclcmentpar Uchelé.NoniusKeceptuSfDonatiusValeus, Romi- lius Marcellus , Calpurnius Kepcntmus y tous quatre centurions de la vingt— deuxième légion , ayant voulu défendre les images de Galba , les soldats se jetèrent sur eux et les lièrent. Après cela il ne fut plus question de la foi promise ni du serment prêté ; et comme il arrive dans les séditions ^ tout fut bientôt du côté du

lus grand nombre. La même nuit, Vitellius étant à table à olognc, renseigne de la quatrième légion le vint avertir que les deux légions , après avoir renversé les images de Galbû , avaient juré fidélité au séuat et au peuple romam; serment qui fut trouve ridicule. Vitellius , voyant 1 occasion favorable, et résolu de s'offrir pour chef, envova des députés annoncer aux légions que

l'armée supérieure s'était révoltée contre Galba « qu'il fallait se

I)réparer à faire la guerre aux rebelles , ou , si Ton aimait mieux a paix, à reconnaître un autre empereur, et qu'ils couraient luoias de risque à l'élire qu'à l'attendre.

Les quartiers de la première légion étaient les plus voisins. Fabius Valons , lieutenant-général , fut le plus diligent , et vint le lendemain , à la tète de la cavalerie de la légion et des auxi- liaires, saluer Vitellius empereur. Aussitôt ce fut parmi les lé- sons de la province à qui préviendrait les autres; et l'armée 5. 3?

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PREMIER LIVRE

ipécicui fie sêntt et de peuple i , le 3 de janvier, après s être io

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finpérieure « laissant ces mots $|

juaiii 4 reconnut ausâi Viteltius , Je ^ ae janvier, après s eire )Ouve liurant deux jours du nom de la république. Ceux de Trcvw, de J^ançres, cl de Cologne, noniuoins ardensque lesgens de pu*-rT - c-flVûient à Tcnvi , iclon leurs moyens , Iroupci, ctievaux , am.. ■.. argent. Ce xèlc ne se bornait pas aux chefs des colouje* rt des quartiers > animés par le concours présent et par les avanlagn fiue leur promettait la victoire ; niais tes manipules et même les fimples soldats , transportes par instinct , et prodigue» par ar»- lice , venaient, faute d'autres biens , oHrir leur paie , leur étju^- page , et jusqu'aux oruemcns d'argent dont leurs aruie» étaieat garnies.

\itelliuâ, ayant remercié les troupes de leur xM^ , comokil aux clievalier* romains le service auprès du prince, que le» afiran* €lu6 faisaient auparavant. Il acauitla du fl^c les droits du5 aai centurions par les inanipulaires. 11 abandonna beaucoup de grai il la fureur des soldats, cl en sauva quelaues-uns en feignant de les envoyer on prison. Propinquus^ intendant de la Belgique , fol lue sur-le-champ : mais \ ilellius sut adroitement soustraire a«i troupes irritées Julius Burdo, commandant de l'armée navale, taxé d'avoir intenté des accusations et ensuite tendu des piéeetÀ Fonteius Capiton. Caniiou était regretté; et parmi ces furieux ra

Iiouvait tuer impunément , mais non pas épargner sani miT- (urdo fut donc mis en prison^ et reUché bientôt apr^s la vicloirr, quand les soldats furent apaisés, (^uant au centurion Cnspiaiis, qui s'était souillé du san^ de Capiton , et dont le crime n'éttii pas équivoque à leurs yeux ni la personne regrettable à ceux de Vilellius , il fut li\Te pour victime k leur vengeance. Juliui Civilis , puissant chez les Bataves , échappa au péril par la crainU qu'on eut que son supplice n^aliénAl un peuple si fénnre ; d'aatxat

S lus qu'il y avait dans Langres huit conortes bataves auxiliaiin e la quatortième légion, lesquelles s'en étaient séparées par Te^- prit de discorde qui régnait en ce temps-là , et qui pouraicat produire un eranu elfet en se déclarant pour ou contre. Les ceo- ïiirions Nonius, Donatius , Bomilius , Calptirnius , dont avas avons parlé, furent tués par Tordre de Yitellius, comme ro»- pabirs de fidélité, crime irrémissible chez des rebelles. 'Valcnui Asiaticus , commandant de la Re1gî(|iie , et dont , |>eu aprn » Vitellius épousa la fille , se joignit à lui. Julius Blflcsos . Mnver- ucur dn Lyonaais , en fit de même avec les troupes qui venaieol k Lyon ; savoir , la légion d^Italie et l'escadron de 1 uriu j oellrf de la Rhélique ne tardèrent point à suivre Cet exemple.

Il n*y eut pas plus d'incertitude en Angleterre. Trebelliol Maximusquiy commandaits'était fait haïr et mépriser de l'anal par SCS vices et son avarice ; haine que fomentait Roscius Orlitt, commandant de la vingtième légion, brouillé depuis lortg-tcfiutf avec lui , mais à l'occasion des guerres civiles devenu xon enneoii «léclaré. Trebellius traitait Detius de siMitieux , de pertnrbalevr de la discipliae; Oelîus i accusait h son tour de piller et niiim-

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l«s leVions. Tandis que les généraux se de'&lionoraient par ces opproDres niuluels, les troupes perdant tout respect en vinrent â tel excès de licence tiue les cotiortes cl la cavalerie se joigni- rent à CsliuS; et que Trebellius , abandonné de tous et charge d'iujures , fut contraiut de se réfugier auprès de Vitellius. Cepeii- dant f sans chef consulaire, la province ne laiuapas de rester tranquille, gouvernée par les coiniiiandans des lêcions que le droit rendait tous égaux , mais que Paudace de Cxlius tenait en respect.

Apres raccession de rarmce britannique, Vitellîo» , bien pour^'u d'armes et d'argent, résolut de faire marcher ses troupes par deux chemins et sous deux généraux. Il chargea Fabius Va- lons d'attirer â son parti les Gaules, ou , sur leur refus, de les ravager , et de doboucber en Italie par les Alpes Coliennesj il ordonna à Cecina de gai^ner ta crête des Pennines par le plus court chemin. Valens eut IVIitc de Parniée inférieure avec Taîgle de la cinquième légion, et assez de cohorlrs et de cavalerie pour lui faire une armée de quarante mille hommes. Cccîna en conduisit trente mille de Tarmée supérieure , dont ta vingt-unième légion Taisait la principale force. On joienit à l'une et à Tautrc armée d«s Germains auxiliaires, dont Vitellius recruta aussi la sienne, avec laquelle il se préparait k suivre le sort de la guerre.

Il y avait entre l'armée et l'empereur une opposition bien ictrange. Les soldats, pleins d'ardeur, sans se soucier de l'hiver tiî d'une paix prolongée par indolence , ne demandaient qu'à combattre; et , persuadés que la diligence est surtout essentielle <3ans IrsRuerrcs civiles, ou il est plus question d'agir que de con- sulter , ils voulaient profiler de l elfroi des Gaules et des lenteurs de l'Espagne pour envahir l'Italie et marcher à Rome. Vitellius, engourdi et dTès le milieu du jour surchareé d'indigestions et de vin , consumait d'avance les revenus de I empire dans un vain luxe et des festins immenses ; tandis que le eèle et l'activité des troupes suppléaient au devoir du chef, comme si , présent lui- tn^me, il eiil encouragé les braves vt menacé les lAches,

Tout étant pr^t pour le dt'part , elles en demandèrent l'ordre , el suMe-champ donnèrent à Vitellius le surnom de Germanique: mais» même après la victoire, il défendit qu'on le nommât (Jesar. Valens et son armée eurent un favornhle augure pour la guerrp qu'ils allaient faire: car, le jour même du départ, un aigle, planant doucement à la léle des bataillons, sembla leur servir de guide 5 et durant un long espace les soldais poussèrent tant de cris de joie et l'aigle s'en eflrava si peu , qu'on ne douta pa$ »ur ces présages d'un grand et heureux sttccès.

L'armée vint k Trêves en toute sécurité comme chez des alliés. Mais , quoiqu'elle reçût toutes sortes de bons traîlemens à Divo- dure , ville de la province de Metz, une terreur panique fit prendre sans sujet les armes aux soldats pour la détruire. Ce n'é- tait point l'ardeur du pillage qui les animait , mais une. fureur , tint rage, d'aulantplusdifficileàcalmerqu'on en ignorait la cause.

5S9 PREMIER LIVRE

Enfin , après Lien prières et le meurtre de qtiatre mîUt hommes, le général sauva le resle de la vJlle. Cela Vépandil un< telle terreur dans les Gaules , que de toutes les provinces oîi passait Tamiée on voyait accourir le peuple et les magistrats sop» plians, les chemins se couvrir de femmes, dVnfans, de tous objets les plus propres à flecliir un ennemi Kiéme, et qui sani avoir de guerre unploraient la paix.

A Tout , \alens apprit la mort de Galba et l*êlectivn d'Otfaon. Celle nouvelle, sans effrayer ni réjouir les Iroupes, ne chançra rien à leurs desseins ; uiais elle détermina les Gaulois , qui, ha* saut également Olhon et Vitelliu£, craignaient de plus celui-ci. On vint ensuite à Langrei, province voi&ine , et du parti de l'armée; elle y fut bien reçue et s'y comporta honnèteioest. Mais cette tranquillité fut troublée par les excès des cobortef détachées de la quatorzième légion, dont j*ai parlé ci-devant» et que Valens avait jointes à son armée. Une querelle qui devist émeute s'éleva entre les Bataves et les légionnaires ; et 1rs udi et les autres ayant ameuté leurs camarades , on était sur le poiot d*en venir aux inaiiiSf si , par le châtiment de quelques Batavn, Yalens n*eût rappelé les autres à leur devoir. On s'en prit nul à propos aux Ëdueiis du sujet de la querelle. 11 leur fut ordonné de fournir de l'argent» des armes, et des vivres, gratuitemrnt. Ce que les Éduens firent par force, les Lyonnais le Hrent roloo- îiers : aussi furent-ils défivrés de la légion italique e1 de Twca- dron de Turin qu'on emmenait; et on ne laissa que la dix-bm- lième cohorte à Lyon , son quartier ordinaire. Quoique Manliui Valens, commandant de la légion italique, eût bien mérité df 'Vitellius, il Q*en reçut aucun honneur. Fabius l'avait desservi secrètement ; et, pour mieux le tromper, il affectait de le toarr en public.

11 régnait entre Vienne et Lyon d'anciennes discordes qael< dernière guerre avait ranimées ; il y avait eu beaucoup de UB^ verse de part et d'aulre, et des combats plus frèquens ri plis opiniâtres que s'il n'eût été queslion que des intérêts de Calbi ou de Néron. Les revenus publics de la province de Lyon av»»fst été confisqués par Galba aoiis le nom d'amende. Il rit , au con- traire, toutes sortes d'honneurs aux \iennois, ajoutant aiiai J'envie k la haine de ces deux peuples, séparés seulement parn fleuve, qui n'arrêtait pas leur animosité. Les Lyonnais, animaat donc le soldai, l'excitaient à détruire Vienne, qu'ils accuMifl de tenir leur colonie assiégée, de s'être déclarée pour A indrt, et d'avoir ci-devant fourni des troupes pour le service de(»alU. En leur montrant ensuite la grandeur du butin, ils aniraaiat la colère par la convoitise. El non contens de les exciter en *• Cret:" Soyez, leur disaient-ils hautement , nos vendeurs rt 1* » vôtres , en détruisant la source de toutes les guerres des Gaolrtî » , tout vous est étranger ou ennemi j ici , vous \ n- -• ""' »• colonie romaine et une portion de l'armée toujout- *) partager avec vous les bons et les mauvais succèi ; Ja j-tiu"»

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% peut BOas être contraire , ne nons abandonnez pas à des en— ». nemi» irrité». » Par de semblables discours , ils cchatifferent tellement Pesprit des soldats , que les officiers et les généraux déses|»eraient de les contenir. Les "Viennois , qui n'ignoraient pa» Je péril , vinrent au-devant de l'arniée avec des voiles et des ban- delettes ; et se prosternant devant les soldats , baisant leurs pas, embrassant leurs genoux et leurs armes, ils calmèrent leur fureur. Alors Valens leur ayant fait distribuer trois cents sesterces par tête, on eut égard à ranciennelé et à la dignité de la colonie ; et ce qu'il dit pour le salut et la conservation des habitans fut écouté favorablement. On désarma pourtant la province , et les particuliers furent obligés de fournir k discrétion des vivres au soldat : mais on ne douta point qu'ils n'eussent k grand prix acbeté le général. Enrichi tout à coup après avoir ïong-lemps sordidement vécu , il cachait mal le cuangement de sa fortune ; et , se livrant sans mesure à tous ses désirs irrités par une longue abstinence, îl devint un vieillard prodigue, d'un jeune homme indigent qu'il avait été.

£n poursuivant lentement sa route, il conduisît Farmée sur les confins des Allobroges et des Voconces; et, par le plus infâme commerce, il réglait les séjours et les marches sur l'argent qu'on lui payait pour s'en délivrer. Il imposait les propriétaires des terres et les magistrats des villes avec une telle dureté, qu'il fut prêt à mettre le feu au Luc , ville des Voconces, qui l'adou- cirent avec de l'argent. Ceux qui n'en avaient point l'apaisaient en lui livrant leurs femmes et leurs Biles. C'est ainsi qu'il marcha jusqu'aux Alpes.

Cecina fut plus sanguinaire et plus âpre an butîn. Les .Suisses , nation gauloise, illustre autrefois par ses armes et ses soldats, et maintenant par ses ancêtres, ne sachant rien de la mort de Galba et refusant d'obéir à Vitcllius, irritèrent l'esprit brouillon de son général. La vingt-unième légion , ayant enlevé la paie destinée à la garnison d'un fort oiiles Suisses entretenaient depuis long-temps des milices du pays, fut cause par sa pétulance et «oo avarice du commencement de la guerre. Les Suisses irrités interceptèrent des lettres que l'armée d'Allemagne écrivait & celle de Hongrie, et retinrent prisonniers un centurion et quel- ques soldats. Cecina, qui ne cnerchah que la guerre, et pré- venait toujours la réparation par la vengeance, lève aussitôt son camp et dévaste le pays. Il détruisit un lieu que ses eaur minérales faisaient fréquenter , el qui, durant une longue paix, Vêtait embelli comme une ville. Il envoya ordre aux auxiliaires de la Rhétique de charger en queue les Suisses qui faisaient face à la légion. Ceux-ci , féroces loin du péril et Ucbes devant l'en- Tiemi, élurent bien au premier tumulte Claude Sévère pour leur général ; mais, ne sachant ni s'accorder dans leurs délibérations, ni garder leurs rangs , ni se servir de leurs armes, ils se laissaient défaire, tuer par nos vieux soldats, et forcer dans leurs places, dont tous les murs tombaient en ruines. Cecina d'ua càté avec

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58i PREMÎEU LIVRE

uue bonne armrV, de raiitre les escadrons et 1rs cohortes rlii tiques compos*-» <l'uue jeunesse exercée aux armes et bieo disci- plinée, mettaient tout à feu et à saog. Les Suisses , dispenr» entre deux, jetant leurs armes, et la plupart épars ou bressé», se réfugièrent sur les montagnes, d'oii chassés par tinc cohorte thracc qu'on dctncha nprèsenx, et poursuivis par l'armée des Bliêtiens, on les massacrait dans les torêts et jusqucs dans leurs cavernes. On en tua par milliers , el Ton en veudil un ^rani nombre. Quand ou cul fait le dégât, on marcha en bataille è Avanche, capitale du pav*. Us envovcrenl des députés pour M rendre , et furent reçus à discrétion. Cecina fit punir Julius Al- pinus un de leurs chefs, comme auteur de la guerre , laissant Atl jugement de Yilellius la grâce ou le châtiment des autres.

On aurait peine à dire qui , du soldat ou de rempereur, Kf montra le plus implacable aux députés helvétiens. Ton», menaçant des armes et de la main, criaient qu'il fallait déiroire leur ville; et Vitellius même ne ponvait modérer sa fureur. Ce- pendant Claudius Cossus , un des députés, connu par son élo- quence , sut l'employer avec tant de iorce et la cacber avec tait o'adresse sous un air d'effroi, qu'il adoucit l'esprit des soldaU, et ^ selon l'inconstance ordinaire au peuple , les rendit aussi portrt à la clémence qu'ils l'étaient d'abord îï la cruauté ; de sorte qu'a- près beaucoup de pleurs , ayant imploré grâce d'un ton plu* rassis, ils obtuirent le <ialut et riuipuutté de leur ville.

Cecina, s'étant arrêté quelques ]ours en Suisse pour alienHrf les ordres de Vitellius et se préparer au passade des Alpes, T reçut l'agréable nouvelle que la cavalerie syllauienne, qui b«r- doit le P6, s'était soumise à Vitellius. File avait servi sou» loi dans son proconsulat d'Afrique j puis Néron, l'avant mpprlre

Êour l'envoyer en Epypte, la retint pour la guerre de VifMiei. Ile était ainsi demeurée en Italie , on ses decurion» , k qni Othou était inconnu et qui Retrouvaient liés à Vitellius, villitvil la force des légions qui s'approchaient et ne parlant qut «f- inées d'Allemagne , l'attirèrent dans son parti. Pour ne pai»! s'offrir les mains vides, ces troupes déclarèrent à CccinB qacOtf joignaient aux possessions de leur nouveau prince les ferlerfaet d'au-delà du Pô; savoir. Milan, Novarre, Ivrée et Vercril;rt comme une seulebrigadp de cavalerie ne sulfisail pas pour garder une si grande partie de l'Italie , îl y envoya les robortes d^s(à«l^ les, de Lusilanie et de Bretagne, aiiiqueltes il joignit les eaiTH gnes allemandes et l'escadron de Sicile. Quant à lui , il hésitJ quelciue temps s'il ne traverserait point les Mont5 Khclirns pw" marcher dans la Norique contre l'intendant Petronius, qui, atafll rassemblé les auxiliaires et fait couper les ponts , semblait vôôlorr ^tre fidèle à Othnn. Mais, craignant de perdre les troupn ^'>l avait envoyées devant lui, trouvant aussi plus de gloire à n»- server l'Italie, et jugeant qu'en quelque lieu que l'on combJtJlt la Norique ne pouvait échapper au vainqueur, il fil passer troupe* des allies, et même les pesans bataillons légioanti/t*

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DE TACITE. 583

par les Alpes Pennines , quoiqu'elles fus&enl encore couvertes de Déifiée.

Cependant , au lieu de s'abaudonuer aux plaisirs et h la mol* lesse, Olbon , renvoyant à d'autres temps le luxe et la volupté , «urprît tout le monde en ^'appliquant à rétablir la gloire de l em- pire. Mais ces fausses vertus ne faisaient prévoir qu^avec plus d'effrot le moment oii ses vices reprendraient te dessus. 11 fft conduire au Capitole Marins Celsus , consul désigné , qu'il avait feint de mettre aux fers pour le sauver de la fureur des soldats , et- voulut se donner unr réputation de clémence on dérobant à ïm haine des siens une tête illustre. Celsus, par Tcxciiiple de sa fidélité pour Galba , dont il faisait fçloire, montrait à son suc— CL'sseur cequ'ilen pouvait attendre à son tour. Othon, ne jugeant pas quM eài besom de pardon , et voulant ôter toute défiance k un ennemi réconcilié , l'admit au nombre de ses plus intimas amis, et dans la guerre qui suivit bieatôt eu fit Tun de sesgëa^ raux. Celsus, de sou côté,s*attacUa sincî^craent àOlhon, comme si c'eût été son sort d'être toujours Bdèlc au parti malheureux. Sa conservation fut agréable aux grands , louée du peuple , et no déplut pas mémo aux soldats , forcés d'admirer une vertu qu'ilr Laissaient.

Le ch:l liment de Tigellînus ne fut pas moins applaudi , par uno cause toute ditTércnte. Sophonius Tigcllinus, de parcns obs- curs, souillédcs son enfance, et del>auché dans sa vieillesse, avait, à force de vices , obtenu les préfectures delà police, du prétoire, et d'autres cmploù dus à la vertu, dans lesquels il montra d'abord sa cruauté, puis son avance et tous les crimes d'un méchant homme. Non content de corrompre Néron et de Texciter à mille forfaits , il osait même en commettre k son insu , et finit pnr l'a- bandonner et le trahir. Aussi nulle punition ne fut-elle plu» ar- demment poursuivie, mais par divers motifs, de ceux qui détes- taient Néron et de ceux qui le reçrettaienl. Il avait été proté|^ près de Galba par Viuius dont il avait sauvé la fille, moins par pitié, lui qui commit tant d'autres meurtres , que poxir s'élayer du père au besoin. Car les scélérats, toujours en crauile dcsrévo- liitiouSfSe ménagent de loin des amis particuliers qui puissent les garantir de la haine publique, et, sans s'abstenir du crime , s'assurent ainsi de l'impunité. Maia cette ressource ne rendit Tigellinus que plus odieux, en ajoutant à l'ancienne aversion qu on avait pour lui celle que Viums venait de s'attirer. On aC— conrait de tous les quartiers dans la place et dans le palais ; \o 'rquc surtout et les Ihéitrcs, lieux o\x la licence du petiplc est

lus grande, retentissaient de clameurs séditieuses. Enfin Tigel-

lUS , avant reçu aux eaux de Sinuesse Tordre de mourir, après houleux délais cherchés dans les bras des femmes , se coupa la

»rge avec un rasoir, terminant ainsi uno vie iof&me par une lort tardive et déshonnête.

Dans ce même temps on sollicitait la punition de Galvia Cri»- loilla^ mais elle se tira d'all'aire k force de défaites ^el par uuc

Hftl PREMIER LIVRE

coDoiveoce qui ne Al pas honneur au prince. Etle avait eu Néron pour clèvc Je débauclie : ensuite ayant passé en Afrique pour exciter Maccr k prendre les armes, elle tâcha tout ouvertement d'afîamer Rome. Rentrée en grâce à la faveur d'un mariage con- sulaire , et échappée aux règnes de Galba , d'Othoo , et de Vitel- lius, elle resta fort riche et sans eofans^ deux grands mojrea» de crédit dans tous les temps , bons et mauvais.

Cependant Othon écrivait à Vitellius lettres sur letlre«, qo'H touillait de cajoleries de femmes , lui ofïJrant argent , grâces, et tel asile qu'il voudrait choisir pour y vivre dans les plauirs ; W tellins lui répondait sur le mrme ton. Mais ces offres mutuelles, d'abord sobrement ménagées et couvertes des deux côtés d'ua« £ottc et honteuse dissimulation, dégénérèrent bientôt en que- relles, chacun reprochant à l'autre avec la même vérité ses vict$ «t sa débauche. Othon rappela les députés de Oalba , et en en- voya d'autres , au nom du sénat , aux deux armées d'Allemagne, aux troupes qui étaient à Lyon, et à la lésion d'Italie. Les Âà^ pûtes restèrent auprès de Vitellius, mais trop aisément pour qu'on crût que c'était par force. Quant aux prétoriens qa'Otboa avait joints comme par honneur à ces députés , on se hâta de les renvoyer avant qu'ils se mêlassent panai les .légions. Fabius Va* lens leur remit aes lettres au nom. des armées d'Allemagne pour les cohortes de la ville et du prétoire, par lesquelles, parlant pompeusement du parti de Vitellius, on les pressait de s*y réunir. On leur reprochait vivement d'avoir transféré à Othon l'emptrf décerné long-temps auparavant à Vitellius. EnBn , usant pour les gagner de promesses et de menaces , on leur parlait comme à deigens k qui la paix n'ôtait rien, et qui ne pouvaient sontenif la guerre : mais tout cela u'ébranla point la fidélité des prtt»* riens.

Alors Othon et Vitellius prirent le parti d'envoyer des assas- sins, l'un en Allemagne et Taulre â Rome, tous cleax innlil»* ment. Ceux de Vitellius, mêlés dans une si grande raultitnif d'hommes inconnus l'un à l'autre, ne furent pas découverts; mais ceux d'Othon furent bientôt trahis par la nouveauté ilv leurs visages parmi des gens qui se connaissaient tous. Vitellioi écrivit k Titien, frère d'Othon, que sa vie et celle de se» fili loi répondraient de sa mère et de ses enfans. L'une et l'autre famillr fut conservée. On douta du motif de la clémence d'Othon; mail Vitellius , vainqueur , eut tout l'honneur de la sienne.

La oremièrc nouvelle qui donna de la confiance À Othon lui vint dillyrie, d'oii il apprit que les légions de Dalraatie.J» Pannouie et de la Mcrsie , avaient prêté serment en son nom- W reçut d'Espagne un semblable avis, et donna par édit deslouanips à Clavius Rufus; mais on sut, bientôt nprès , que l'Espagnr »'éuit retournée du côté de Vitellius. L'Aquitaine que Julius Cordus avait aussi fait déclarer pour Othon ne lui resta pas plus fidHf. Comme il n'était pas question de foi ni d'attachement, chacun te iaisuit entraîner çk cl wloa sa crainte ou ses espérance». L*c/-

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IVoî fit déclarer <î* même la province narhonnais^ en faveur rfe Vitelliu5, qui , le plus proche et le plus puUsant, parut aiseixipnt le plus lé^plime. J^s provinces les pins éloignées et celles que la mer séparait <Ies troupes restèrent k Olbon , moins pour Pamour de lui, qu'à cause du grand poids que donnaient à son parti le nom de Home et l'autorité du sénat, outre qu'on penchait natu- rellement pour le premier reconnu (i). L*armée de Judée , par les soins de Vespasien , et les lésions de Syrie, par ceux de Mu- cianus, prêtèrent serment JiOtnon. L'Egypte et toules les pro- vinces d'Orient reconnaissaient son autorité. L'Afrique lui ren- dait la même obéissance, à Tcxemple de Cartliage, oii, sans attendre les ordres du proconsul Vipsanins Apronianus, Crrs- cens, affranchi de Néron, se mêlant, comme ses pareils, des affaires de la république dans les temps de calamités, avait, en réjouissance de la nouvelle élection , donné des fêtes au penpie,

Sui se livrait étourdiment à tout. Les autres villes imitèrent arthaee. Ainsi les arméeset les provinces se trouvaient tellement partagées , que Vitellius avait besoin des succès de la guerre pour &e mettre en possession de l'empire,

Pour Othon , il faisait , comme en pleine paix, les fonctions dVmpercur, quelquefois soutenant la dignité de la république, mais plus souvent l'avilissant en se hâtant de régner. Il désigna son frère Titi^nus consul avec lui , Jusqu'au premier de mars ; et cbercbant à se concilier Tarmée d'Allemagne , il destina les deux mois snivans h Verginius , auquel il donna Poppœus Vopiscus pour collègue, sous prétexte d'une ancienne amitié, mais plutôt, aelon plusieurs, pour faire honneur aux Viennois. 11 n'y eut rien de chance pour les autres consulats aux nominations de Né- ron et de Galba. Deux Sabinus, Oelins et Flave , restèrent dési- gaés pour mai et juin; Arius Anfonius et Marius Celsus, pour juillet et août; honneur dont Vitellius même ne les priva pas après sa victoire. Othon mit le comble aux dignités des plus il- lustres vieillards , en y ajoutant celles d'augures et de pontifes, et consola la jeune noblesse récemment rappelée d'exil , en lui rendant le sacerdoce dont avaient joui ses ancêtres, il rétablit dans le sénat Cadius Rufus, Fedius IIIïtsus, et Sevinus Fromp tinus, qui en avaient été chassés sous Claude pour crime de con- cussion. L'on s'avisa , pour leur pardonner, de changer le mot deropintf en celui de i^«fi-ma/>i/tf/ mot odieux en ces temps-là^ et dont l'abus faisait tort aux meilleures lois.

Il étendit aussi ses grâces sur les villes et les provinces. Il ajouta de noBvelIes famille* aux colonies d'IIispalis et d'Emerita : il donna le droit de bourgeoisie romaine à tonte la province de Langres; à celle de In Bétique, les villes de la Mauritanie; à celle d'Atrique et de Cappadoce, de nouveaux droit.s trop brill.'ins pour être durables. Tous ces soins et les besoins pressans qui le^

^^ft (1} LVlerlîoD do Vitellius amit prêcéilé celle d'Ollion; mai», au-tl^ln ^P^st nieri, le bruil de celle-ri avait prévenu lo bxuit de Taulrc: ainsi W^' thon était , dans ces r^jiona , le premier roconnn.

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58G PREMIER LIVRE

exigeaient ne lui firent point oublier ses amours; et t1 fît retaBUr, par décret du sénat, les statues de Poppée. Çhielque^-iin» rele- vèrent aussi celles de Nèrou^ l'on dit même uu^il délibéra «'il ne lui ferait point une oraison funèbre pour plaire à la popoUcr. Enfin le peuple et les soldats, croyant bien lui faire lionnear, crièrent Jurant quelques jours , v/(.*e Nfron Ot/ion -• acclaraaticms qu'il feignit d'ignorer, n*osant les défendre, et rouissant de les permettre.

Cependant, uniquement occupés de leurs guerres civilei, les Romains abandonnaient les affaires de dehors. Cette négligence inspira tant d'audace aux Rosotans, peuple sanaatc, que, àa rhiver précédent, après avoir défait tleux coborles , ilsfireotavcc beaucoup de confîance une irruption dans la Mœsie au nomWf' de neuf mille chevaux. Le succès, joint k leur avidité, leur faisant plutôt songer à piller qu'à combattre, la troisième lèpon jointe aux auxiliaires les surprit épars et sans discipline. Atta<jut> par les Romains en bataille, les Sarmates^ dispersés au pitia^. ou déià chargés de butin , et ne pouvant dans des chemins gli»- sans s'aider de la vitesse de leurs chevaux, se laissaient tnrr tau résistance. Tel est le caractère de ces étranges peuples, que leur valeur semble n'être pas en eux. S'ils donnent en escadrons* k peine une armée peut-elle soutenir leur choc ; s'ils combattrai pied , c'est la lâcheté même. Le dégel et l'humidité , qui faisaient alors glisser et tomber leurs chevaux, leur ôtaieut l'usM ^ lenrt piques et de leurs longues épées à deux mains. I^ poids 6t* catapnracLes , sorte d'armure faite de lames de fer oud'uncnir très-dur qui rend les chefs et les officiers impénétrables *•« coups , les empêchait de se relever quand le choc des ennemii \n avait renversés; et ils élaienl éloulfés dans la neige, qui éttit molle et haute. Les soldats romains, couverts d'une cuirM*^ légère, les renversaient à coups de traits ou de lance», •«!« l'occasion, et les perçaient d'autant plus aisément de leur) courtes épées, qu'ils n'ont point l.i défense du bouclier. Uopet'ï nombre échappèrent et se sauvèrent dans les marais , U n- f;ueur de l'hiver et leurs blessures les firent périr. Sur €•*»•■■ velles on donna h Rome une statue triomphale à Marcns Api^ nianus, qui commandait en Mœsie, et les ornernens coosnlairff i Fulvius Aurelius, Juïianus Titius, et Numisius Lnpns, colotvl> des légions. OtJinnfutchannéd'unsuccèsdont iU'attribuaitriiM- neur, comme d'une guerre conduite sous &es auspices etptrtf> o/hciers, au profit de l'état.

Tout à coup il s'éleva sur le pins léger sujet, et du cAléA»* on se défiait le inoius , une sédition qui mit Home à denx ilatf*' de sa ruine. Olhon , ayant ordonné qu'on fit venir dni la dix-septième cohorte qui était à 0*tie , avait rhai Cri&pinus, tribun prétorien, du soin de la ftiire ami' nus , pour prévenir l'embarras, choisit le temps oii le r i , tranquille et le soldat retiré, i*t ayaut fait ouvrir l'arsenal, luen^a , dès l'entrée de la nuit , à faire charger les four^oBi

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DE TACITE. 587

U cohorte. L'iieure rendit le motif suspect ; et ce qu'on avait fait pour cinpi'cbcr le désordre en produisit un très-grand. La vue des armes donna à des gen^ pris de vin la tentation de s'en •ervir. Les soldats s'emportent, et, traitant de traîtres leurs ofli- eiers et tribuus , les accusent de vouloir armer le sénat contre Othon. Les uns, déjà ivres, ne savaient ce qu'ils faisaient; les plus mcchans ne cherchaient que Toccasion de piller: la fonte se laissait entraîner par son goût ordinaire pour les nouveautés , et la nuit empêchait qu'on ne put tirer parti de l'obéissance des sages. Le tribun, voulant réprimer la sédition, fut tué, de méinc que les plus sévc-res centurions; après quoi, s'étant saisis des armes , ces emportés montèrent à cheval , et, répée à la main , prirent le chemin de la ville et du palais.

Othon donnait un festin ce jour-lii à ce qu'il y avait de plus jçrand à Rome dans les deux sexes. Les convives, redoutant ega- iéinent la fureur des soldats et la trahison de Tempereur, ne sa- vaient ce qu'ils devaient craindre le plus , d'être pris s'ils demeu- raient, ou d'être poursuivis dans leur fuite j tantôt affectant de la fermeté, tantôt décelant leur effroi, tous observaient le visafçe d'Othon ; et , comme on était porté à la déftance , la crainte qu'il témoignait augmentait celle qu'on avait de lui. Non moins effrayé du péril du sénat que du sien propre, Othon chargea d'abord les préfets du prétoire d'aller apaiser les soldats, et se liiïta de ren- vover tout le inonde. Les magistrats fuyaient çâ et , jetant les marques de leurs dignités; les vieillards et les femmes, dispersés par les rues dans les ténèbres , se dérobaient aux gens de leur suite. Peu rentrèrent dans leurs maisons; presque tous cherché— renlchei leurs amis el les plus pauvres de leurs cliens des retraites mal assurées.

Les soldats arrivèrent avec une telle impéluosittï , qu*avant forcé l'entrée du palais ils blessèrent le tribun Julius Martinfis et \itcllius Saturniniis qui tâchaient de les retenir , et pénétrèrent jusqucs dans la salle du festin, demandant à voir Othon. Partout lis menaçaient des armes et de la voix , tantôt leurs tribuns et centurions , tantôt le corps entier du sénat : furieux et troublés d'une aveugle terreur , faute de savoir à qui s'en prendre ils en voulaient à tout le monde. 11 fallut qu'Othon , sans égard pour la majesté de son rang, raontAt sur uu sofa, d'oii , à force de larmes et de prières, les ayant contenus avec peine, il les ren- voya au camp , coupables et mal apaisés. Le lendemain les maisons étaient fermées, les rues désertes , le peuple conster^ né, comme dans une ville prise; et les soldats baissaient les ^eux moins de repentir que de honte. Les deux préfets Procolus ri Firmus, parlant avec douceur nu dureté, chacun selon son ^nie, tirent à chaque manipule des exhortations qu'ils conclu- rent par annoncer une distribution de cinq raille sesterces par t/t«». Alors Olhon , ayant hasardé d'entrer dans le camp , fut en- vironné des tribuns et des centurions, qui, jetant leurs ornemen» L Uiililaires, lui demandaient congé et stirelé. Lessoldatc sentirent

588 PBEMÏER LIVRE

le rq)roche, et, rentrant dans leur devoir, criaient qu*on meoit

au supplice les auteurs de la révolte.

Au milieu de tous ces troubles et de ces mouvemen» divers, Othon voyait bien que tout homme sage désirait un frein à tant: de licence; il n'içnorait pas non plus que les attroiipemens et les rapines mènent aisément à la guerre civile une multittid* avide des séditions qui forcent le gouvernement à la flatter. ' Alarmé du danger oii il voyait Rome et le sénat , Tnais jugeant impossible d'exercer tout d'un coup avec la dignité convenable un pouvoir acquis par le crime, il tint enfin le discours suivant:

H Compagnons, je ne viens ici ni ranimer votre zèle en ma f«-^ » veur, ni récbauiter votre couragej je sais que Tun et l'aulrt » ont toujours la même vigueur : )e viens vous exhorter au con»l » traire à les contenir dans de justes bornes. Ce n'est ni l'avarice » ou la haine , causes de tant de troubles dans les armées, ni l<i » calomnie ou quelque vaine terreur, c'est l'excès seul de rotrf | M affection pour moi qui a produit avec plus de chaleur quedtl » raison le tumulte de la nuit dernière; mais, avec les mofjfi^j » les plus honnêtes , une conduite inconsidérée peut avoir U k plus funestes effets. Dans la guerre que nous allons comroefl" » cer, est-ce le temps de communiquer à tous chaque avis ^u<m » reçoit, et faut-il délibérer de chaque chose devant tout lê[ » monde? L'ordre des affaires ni la rapidité de l'occasion oe Ifj « permettraient pas; et comme il y « des choses que le soUar M doit savoir, il y en a d'autres qu'il doit ignorer, L'anloriti » des chefs et la rigueur de la discipline demandent qu'en plu* » sieurs occasions les centurions et les tribuns eux-mêmes net*» » chent qu'obéir. Si chacun veut qu'on lui rende raison des 6r^ » dres qu'il reçoit, c'en est fait de l'obéissance et par conséqueol * de IVmpire. Que sera-ce lorsqu'on osera courir aux armetdutt H le temps de la retraite et de la nuit; lorsqu'un ou deux honxfDCf M perdus et pris de vin , car je ne puis croire qu'une telle fréoô- » sie en ait saisi davantage , tremperont leurs mains dans leianj;

de leurs ofljciers; lorsqu'ils oferont forcer l'apparleiDent d$ Icof empereur? f

•• \ou$ agissiez pour moi , j'en conviens; mais combien TiA» lluencedans les ténèbres et la confusion de toutes choses foi»-

nissairnt-elles une occasion facile de s'en prévaloir contre même ! S'il était au pouvoir de Yitellius et de »es salel)it«i diriger nos inclinations et nos esprits, que voudraient-îll< plus que de nous inspirer la discorde et la sédition, qa'eidli^ à la révolte le soldat contre le centurion , le centurion cofll le tribun, et, gens de cheval et de pied , nous entraîner lii tous péle-méle à notre perte? Compagnons, c'est en exécutwl les ordres des chefs et non en les contrôlant qu'on fait heureu- sement la guerre ; et les troupes les plus terribles dans la fli^ lée sont les plus tranquilles hors du combat. Les arme* rtU valeur sont votre partage; laisser^mni le «ioin de 1rs dirif» Que deux coupables seulement cxpicntlc crime d'un ptlilno»

DE TACITE.

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» bre : que les antres s*efforcent dVosevelir dans on étemel oubli »♦ la honte de cette nuil, et que de pareils discours conire le se- N nat ne s'entendent jamais dans aucune armée. Non , les Ger- » mains luêiues , que Vitellius s'efforce d'eiciter contre nous ^ » n'oseraient menacer ce corps respectable, le chef cl rorneinent »• de Pempire. Quels seraient donc les vrais enfans de Home ou

* de ritalie qui voudraient le sang et la mort des membres de B cet ordre f dont la splendeur et Ta gloire montrent et redou- tt blent l'opprobre et l'obscurité du parti de Vitellius? S'il occupe M quelques provinces, s'il traîne après lui quelque simulacre d'ar- « mce, le sénat est avec nous ; cVst par lui que nous sommes la M république, et nue nos ennemis le sont aussi de Tétat. Penses- » vous que la majesté de cette ville consiste dans des amas de « pierres et de maisons , monumens sans ameet sans voix , qu'oo » peut détruire ou rétablir à son gré? L'éternité de l'empire , la » paix des nations, mon salut et le vôtre ^ tout dépend de la coo- >• srr>'ation du sénat. Institué solennellement par le premier père M et fondateur de cette ville pour être immortel comme elle, et M continué sans interruption depuis les rois jusqu'aux empereurs , » l'intérêt commun veut que nous le transmettions à nos descen- « dans tel que nous l'avons reçu de nos aïeux : car c'est du sénat

* que naissent les successeurs à l'empire, comme de vous les se- » Dateurs. »

Avant ainsi tâché d'adoucir et contenir la fougue des soldats. Otlion se contenta d'en faire punir deux ; sévérité tempérée, qui u'ôta rien au bon effet du di5cours. C'est ainsi qu'il apaisa, pour le moment , ceux qu*il ne pouvait réprimer.

Mais le calme n était pas pour cela rétabli dans la ville. Lff liruit des armes y retentissait encore, et Ton y voyait l'image de la guerre. Les soldats n'étaient pas attroupes en tumulte; mais , déguisés et dispersés par les maisons, ils épiaient, avec ui^e alten* tion maligne , tous ceux que leur rang, leur richesse ou leur gloire exposaient aux discours publics. On crut même qu'il s'é- tait glissé dans Home des soldats de Vitellius pour souder les disposition!* des esprits. Ainsi la défiance était universelle, et Toa se croyait à peine en sArelé renfermé chez soi. Mais c'était en- core pis en public, chacun, craignant de paraître incertain âëni les nouvelles douteuses ou peu joyeux dans les favorables, courait avec une avidité marquée au-àevant de tous les bruits. Le sénat assemblé ne savait que faire , et trouvait partout des difficultés : se taire était d'un rebelle, parler était d'un flatteurj et le manège de l'adulation n'était pa» ignoré d'Othon , qui s'en était servi si long-temps. Ainsi , ilottant d'avis en avis sans s'ar- rêter â aucun , I on ne s'accordait qu'à traiter Vitellius de parri- cide et d'ennemi de l'état : les plus prévoyans se contentaient de l'accabler d'injures sans conséquence , tandis que d'autres n'epar- snaient pas ses vérités, mais a grands cris , et dans une telle con- fusioa de voix, que chacun profitait du bruit pour rau^menter Mn» être entendu.

L^

5r)d PUEMÎEÎl LIVRE

Des prodîgM alteslés par divers témoins augmentaient encore l'épouvante. Dans le vestibule du Capiloir les rênes du char de la Victoire disparurent. Un 5{>ectre de grandeur gigantesque fut vu dans la chapelle de Junon. La statue de Jules César dans l'ile du Tibre se tourna , par un temps calme et serein , d'occident en orient. L'n bœuf parla dans 1 lilrurie. Plusieurs bêtes firent des monstres. Knfin l'on remarqua mille autres pareils phéno- mènes qu'on observait en pleine paix dans les siècles grossien, et qu'on ne voit plus aujourd'hui que quand on a pcnr- MaiJ ce qui joignit la désolation présente à l'effroi pour l'avenir, fui une subite inondation du Tibre , qui crut à tel point , qu'avant rom- pu le pont Sublicius , les débris dont son fit fut rempli le firent refluer par toute la ville, même dans les lieux que leur hauteur semblait garantir d'un pareil danger. Plusieurs furent surpris dans les rues, d'autres dans les boutiques et dans les chambrev A ce désastre se joignit la famine chez le peuple par la disette des vivres et le défaut d'argent. Enfin , le Fibre, en reprenint son cours, emporta des îles dont le séjour des eaux avait ruiné les fondemens. Mais à peine le péril passé laissa— t-il songer i d'autres choses « qu'on remarqua que la voie flaxninienne et U champ de Mars, par devait passer Othon , étaient comblés. Au!^sil6t, sans songer si la cause en était fortuite ou natarflfe, ce fut un nouveau prodige qui présageait tous les malheurs doat on était menacé.

Ayant purifié la ville, Othon se livra aux soins de la gncm; et voyant que les Alpes Pcnnines, les Cotieunes, et toute< l«« autres avenues des Gaules, étaient bouchées par les troupes de Vitclltus, il résolut d'attaquer la Gaule narbonnaise avec soe bonne flotte dont il était stVr : car il avait rétabli en légion crut qui avaient échappé au massacre du pont Milvius , cl que Caïb» avait fak emprisonner ; et il promit aux autres U'gionnairfi At les avancer a.tns ta suite. 11 joignit ù la même flotte avec 1^ colmrles urbaines plusieurs prétoriens, Télile des troupes , !«• quels servaient en même temps de conseil et de garde aux cHefi Il donna lecomuiaudement de cette expédition aux prîmipiUiro Antonins Novellus et Snedius Clemens , auxquels ÎI joigtirf Kmilius Pacensis , en lui rendant le Iribunat que Galba lui »vnt ôté. La flotte fut laissée aux soins d'Oscus , affranchi , qu'Otto chargea d'avoir l'rril sur la fidélité ^es généraux. A l'eganl étt troupes de terre , il rail leur tête Suclonîus Panlinus , Man* Celsus , et Annius Gallus ; mais il donna sa plus grande confiaict à Licinius Prorulns , préfet du prétoire. Cet homme, oifioff vigilant dans Rome , mais sans expérience à la guerre , bUmtf' rautoritc de Paulin, la vigueur de Ceisus , la maturité de Gall»». tournait en mal tous les caractères , et , ce qui n'est pas forliaf" prenant , l'emportait ainsi par son adroite méchanceté soriw gens meilleurs et plus modestes que lui.

Environ ce lemps-là , Cornélius Dolabelïa fut relégué ini la ville d'Aquia , et gardé moins rigoureusement que lOrcmeoï»

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DE TACITE. 5ç)i

tans qiiW etlt autre chose h lui reprocher qu^une illuittre nais- sance et raïuitié de Galba. Plusieurs tnacistrats el la plupart dea consulaires suivirent Otbon par soo ordre , plutôt sous le pré* texte de I^accompagnerf c^ue pour partager les soins de la guerre. De ce nombre était Lucius Vitellius, qui ne fut distingue ni comme ennemi , ni comme frère d'un empereur. C'est a lors que, les soucis changeant d'objet, nul ordre ne fut exempt de péril ou de crainte. Les premiers du sénat, chargés d'années et amollis

fiar une longue paix, une noblesse énervée et qui avait oublié 'usage des armes, des chevaliers mal exercés, ne faisaient tous que mieux déceler leur frayeur par leurs efforts pour ta cacher. Plusieurs cependant , guerriers à prix d'argent et braves de leurs ricbesscs, étalaient par une imbécile vanité des armes brillantes, «]e superbes chevaux , de pompeux équipages, et tous les apprêts du luxe et de la volupté pour ceux de la gurrre. Tandis que les sages veillaient au repos de la république, mille étourdis sanft prc'vovance s'enorgueillissaient d'un vain espoir; plusieurs, qui «'étaient mal conduits duraut la paix, se réjouissaient de tout ce désordre , et tiraient du danger présent leur sûreté personnelle. Cependant le peuple , dont tant desoins ])as$aient la portée, voyant augmenter le prix des denrées, et tout l'argent servir à IVnlrelien des troupes, commença de sentir les maux qu'il n'a- irait fait que craindre après la révolte de Viudex, temps oii la guerre allumée entre 1rs Gaules et les légions, laissant Rome et rilalic en paix , pouvait passer pour externe. Car depuis qu'Au- custe eut assuré Vempire aux Césars, le peuple romain avait tou- jours porté ses armes au loin , et seulenienl ponr la gloire et l'in- térêt d'un seul. Les règnes de Tibère et de Caligula n'avaient été (|ue menacés de guerres civiles. Sous Claude les premiers mouve— mens de Scribonianus furent aussitôt réprimés que connus; et ^èron même fut expulsé par des rumeurs et des bruits plutôt que par la force des armes. Maïs ici Ton avait sous les yeux des lé- gions, des flottes, et , ce qui était plus rare encore, les milices de Borne et les prétoriens en armes. L'Orient et l'Occident, avec toutes les forces qu'on laissait derrière soi, eussent fourni Tali- nicnt d'une longue guerre à de meilleurs gt-néraux. Plusieurs, ft*amusant aux présages, voulaient qu'Othon différât son départ jusqu'à ce que les boucliers sacrés fussent prêts. Mais , excite par lo oiligence de Cecina qui avait déjà passé les Alpes, il méprisa de vains délais dont Néron s'était mal trouvé.

Le quatorze de mars il ch.irgea Je sénat du soin de la répu- blique , et rendit aux proscrits rappelés tout ce qui n*avait point encore été dénaturé <!e leurs biens confisqués par Néron; don très-juste et très-magnifique en apparence, mais qui se réduisait presque à rien par la promptitude qu'on avait mise à tout vendre. Ensuite dans une harangue publique il fit valoir en sa faveur la majesté de Rome, le consentement du peuple et du se* nat , el parla modestement du parti contraire , accusant plutôt '~ légions d'erreur que d'audace, sans faire aucune mention '~

Mr

PREMIER LIVRE DE TACITE-

[>it ïneaagement de 5a part , ^oh precaulion â.e la pAi

du discours : car , comme Othon coniultait Suétone

[ârîus Celsus sur Ta jçuerre ^ on crut f]u*il se ^ervâii de

achEilus dans les affairt^s civiles* Quelques-uns i3ém^

ie le genre de cet orateur^ connu par ses fréquemi

;t par son style ampoulé, propre à remplir les oreiUôi

La harapguË fut reçvie avec ces cm , ce£ appiaudissi^^

et qutrés qui sont Tadulation de la multitude. Ton»

aiEiit k Teuvî d'c'taler un zëJe et des vœux di^es de It

rc de Ge'sar ou de l'empire d'Auguste ; ils ne suivaient

.»n cela ni Taïnour ni la craiute , mais uu penchaDt bai et

■t et comme il n^était pluj« question d'honnêteté publique i

I n^etaientque de vils esclaves flattant leur maître pil

h(?D , eu partant , remit à 5a1vius Titianus ^ son frerti

^^uVwuement de Roiue et le soin de t^empire.

tlï» DU PREMICn LITRE DE TAClTr.

PROJET

POUR L'ÉDUCATION

DK

M. DE SAINTE-MARIE.

Vous m'avez fait l'honneur, monsieur , ile me confier l'instruc- tion de messieurs vos enfans : c'est à moi d*y répondre par louï mes soins et par toute retendue des lumières aue je puis avoir ; €l j'ai cru que, pour cela, mon premier objet aevatl être de bien connaître les sujets auxquels ) aurai affaire. C'est k quoi j'aî principalement employé le temps qu'il y a que j'ai l'aonueur a^tre dans votre maison j et je crois d'être sulusaniment au fait k cet e'gard , pour pouvoir régler là-dessus le plan de leur éduca- tion. Il n'est pas nécessaire que je vous fasse compliment, mon- sieur, sur ce que j'y ai remarque d'avantageux; l'affection que j'ai conçue pour eux se déclarera par des marques plus solides que des louanges, et ce n'est pas uuj>crc ausst teudre et aussi éclatié

Î[ue vous l'êtes qu'il faut instruire des belles qualités de ses en- ans.

11 me reste à présent , monsieur, d'être éclairci par vous-même des vues particulières que vous pouvex avoir sur chacun d'eux , du deeré d'autorité que vous êtes dans le dessein de m'accorder à leur cgard , et des bornes que vous donnerez à mes droiu pour les récompenses et les chAtimens.

11 est probable, raousieur , que, m'ayant fait la faveur de m*a- gréer dans votre maison avec un appoinlement honorable et des distinclions flatteuses, vous avez attendu de moi des effets qui répondissent à des conditions m avantageuses ; et l'on voit bien qu'il ne fallait pas tant de frais ni de façons pour donner à mes- sieurs vos enfans un précepteur ordinaire qui leur apprit le ru- diment, l'orthographe cl le catéchisme : je me promets bien aussi de justiHer de tout mon pouvoir les espérances favorables que vous avez pu concevoir sur mon compte; et, tout plein d'ail- leurs de fautes et de faiblesses , vous ne me trouverez, jamais à démentir un instant sur le zèle et l'attachement que je dois à mes élevés.

Mais, monsieur, quelques soins et quelques peines que je puisse prendre , le succès est bien éloigné de dépendre de moi seul. C'est rhaniionie parfaite qui doit régner entre nous, la conâance que vous daignerez m'accorder, et l'autorité que vous me donnerez sur mes élèves qui décidera de reffel de mon tra- vail. Je crois, monsieur, qu'il vous est tout manifeste qu'un homme qui n'a sur des enfaus des droite de nulle espcce, soit 5. 3b

594 PROJET

jmur rendre ses inslnictions aimables, soit ponrlear donner <îtt

Î>oids, ne prendra jaiuaîs d'ascendant sur des esprits qui, dana efond , quelque précoces qu'on les veuille supposer , règlcut tou- jours, à certain igc , les trois quarts de leurs opérations sur lei impressions des sens. Yous sentez aussi qu'un maître oblige de porter se5 plaintes sur toutes les fautes d'un enfant se gardera tien , quand il le pourrait avec bienséance , de se rendre insup- portable en renouvelant sans cesse de vaines lamentations; et, d'ailleurs, mille petites occasions décisives de faire une correc- tion, ou de flatter â propos, s'écbappcnl dans Tabseuce d'un ftère et d'une nicrc, ou dans des inomensoii il serait messéantd* es interrompre aussi désagréablement; et l'on n'est plus à lemj» d*y revenir dans un autre instant , oii le cbangeiuent des idées d'un enfant lui rendrait pernicieux ce qui aurait été salutaire: enfin un enfant qui ne tarde pas à s'aperce\oir de l'iiupui^nce d'un maître â sou égard en prend occasion de faire peu de cai Ae ses défenses et de ses préceptes, et de détruire sans retour 1'**- cendant que l'autre s'elTorçail de prendre. Vous ne devri pas croire, monsieur f qu'en parlant sur ce toa-là je souhaite de rae procurer le droit de mallrailer messieurs vosenfaiis par des coup; je me suis toujours déclaré contre celte métbode : riea ne me pa- raîtrait plus triste pour M. de Sainte-Marie que sSI ne restait ^uf cette vote de le réduire * et j'ose me promettre d'obtenir dé«or- inais de lui tout ce qu'on aura lieu d'en exiger, par des vota moins dures et plus convenables, si vous goiitez le plan qaej*«i l'honneur de vous proposer. D'ailleurs, à parler franchenieat, éi vous pensez, monsieur, (lu'il y eut de l'ignoiuiiiie à moitfiettr votre fils d'ijtre frappé par Jes mains étrangères , je trouve «b* de mon côté qu'un honnête homme ne saurait guère mettre frt siennes à un usage plus honteux que de les employer à maltraiter un enfant : mais , à l'égard de M. de Sainte-Marie, il ne raanquf pas de voies de le châtier, dans le besoin , par des mortificatioef qui lui feraient encore plus d'impression, et qui produirairnidf meilleurs efTclsj car, dans un esprit aussi vif que le sien,ri3« des coups s'effacera aussitôt que la douleur , tandis que celled'tfi mépris marqué , ou d'une privation sensible , y restera beiucoif plus long-temps.

Un maîtrt* doit être craint; il faut pour cela que rélèrei«ï bien convaincu qu'il est en droit de le punir : mais il doit surU»* être aimé; et quel moyeu a un gouverneur de se faire aimer d*v enfant â qui if n'a jamais à proposer que des occupations eoB* traires â son goilt , si d'ailleurs il n'a le pouvoir de lui acconfcf certaines {>elile» douceurs de détail qui ne coûtent presque ni' penses ni perte de temps, et qui ne laissent pas, étant il propos, d'être extrêmement sensibles à un enfant, et de cher beaucoup à sou maître? J'appuierai peu sur cet art* parce qu'un pcrepeut, sans inconvénient, se conserver le Jn»* exclusif d'accorder des grâces à son fils, pourvu qu'il y app*"* les précaution» luivantes , nécessaires surtout â M. de Salat^

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D'ÉDUCATION. Sif.

Marie , dont la vivacité et le pencbaut à la dissipation deiuandeot plus de dépeudance. l*". Avant <jue de lui faire qiielf)ne cadoati « savoir secrctemeat du gouverneur s*il a lieu d'être âalisfait de la conduite de Tenfant. 2**. Déclarer au jeune homme que, quand il a quelque grâce à demander» il doit le faire par la bouclie de son gouverneur, et que, s'il lui arrive de la deinander de son chef, cela seul sutlira pour Ten exclure. 3*. Prendre de occa- sion de reprocher quelquefois au gouverneur qu'il e«t trop hon , queion trop de factiité nuira au progrès de son élève, et que c'est à sa prudence à lui de corriger ce qui manque à la modéra- tion d'un enfant. 4"* Que si le maître croit avoir quelque raison de s'opposer à quelque cadeau qu'on voudrait faire à son élève , refuser absolument de le lui accorder jusqu'à ce qu'il ait trouvé le moyen de (léthir son précepteur. Au reste, il ne sera pomt du tout nécessaire d'expliquer au jeune enfant, dans Tnccasion , ciu'ou lui accorde quelque faveur précisément parce qu'il a bieu iait sou devoir; mais il vaut mieux qu'il conçoive que les plai- sirs et les douceurs sont les suites naturelles de la sagesse et de la bottiie conduite, que s'il les regardait comme des récompenses arbitraires qui peuvent dépendre du caprice, et qui , dans le Cood, ne doivent jamais être proposées pour Tobjet et le prix de Fctude et de la vertu.

Voilà tout au moins, monsieur, les droits que vous devez tn'accordcr sur monsieur votre HIs, si vous souhaitez de lui don* ner une heureuse éducation , et qui réponde aux belles qualités qu'il montre à bien des égards , mais qui actuellement sont ofTuiv* quée» par beaucoup de mauvais plis qui demandent d'être corri- gés à bonne heure, et avant que le temps ait rendu la chose im- possible. Cela est si vrai , qu'il s'en faudra beaucoup , par exemple, oue tant de précautious ne soient nécessaires envers M. de Con* aillac; il a autaut besoin d'être poussé que l'autre d'être retenu , et je saurai bien prendre de moi-même tout l'ascendant dont j^aurai besoin sur lui : mais pour M. de Sainte-Marie, c'est un coup de partie pour son éducation , que de lui donner une bride qu'A sente, et qui soit capable de le retenir et, dans l'état oii <oat lescboses, lessentimeiis que vous souhaitez, monsieur, qu'il ait sur mon compte dépendent beaucoup plus de vous que de moi-même.

Je suppose toujours, monsieur, que vous n'auriez garde de confier 1 éducation de messieurs vos enfansà un homme que vous ne croiriez pas digne de votre estime ; et ne pensez point , je vous prie, que , par le parti que j'ai pris de m'attacher sans réserve k yotre maison dans une occasiou délicate , j'aie prétendu vous en- gager vous-même en aucune manière. Il y a bien de la différence «litre nous : en faisant mon devoir autant que vous m'en laisserez Ja liberté , je ne suis responsable de rienj et, dans le fond, comme "VOUS êtes, monsieur, le maître et le supérieur naturel de vos en- cans, je ne suis pas en droit de vouloir, à l'égard de leur éducation, ^rc9r votre goût de se rapporter au mien : ainsi, après tous avoir

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PROJET

fait les représentations qui m'ont paru nécessaires , s'il arrivait que vous n^en j ugeassiez pas de même , ma conscience serait quitK à cet égard , et il ne me resterait qu'à me conformer à votre vo-» lonté. Wais pour vous, monsieur, nxiWc considération humaine ne peut balancer ce que vous devez aux monurs et U. rêducation de messieurs vosenfaus; et je ae trouverais nullement mauvais qu'après m'avoir découvert des défauts que vous n'auriez peut- être pas d'abord aperçus , et qui seraient d'une certaine corué- qucDcepour mes élevés, vous vous pourvussiez ailleurs d'un meil« leur sujet.

J'ai donc lieu de penser que tant que vous me souflVei dam votre maison vous n avez: pas trouvé en moi de quoi efl'acerl'pv tîme dont vous m'aviez honoré. Il est vrai, monsieur, que jr pourrais me plaindre que, dans les occasions oii j'ai pu commettre quelque faute , vous ne m'ayez pas fait l'honneur de m'en areflir tout uniment : c'est une grâce que je vousai demandée en entrant chez vous , et qui marquait du moins ma bonne volonté ; et m c< n'est en ma propre considération , ce serait du moins pour celle de messieurs vos enfans , de qui Tintérêt serait que je dcviniM os homme parfait, s'il était possible.

Dans ces suppositions , je crois, monsieur , que vous ne Jmm pas faire diHicufté de communiquer à M. votre BU les bons senti- mens que vous pouvez avoir sur mon compte, et que» comme il est impossible que mes fautes et mes faiblesses cchappi^nl âfiri yeux aussi clnirNoyans que les vôtres, vous ne sauriez trop évitt de vous en entretenir en sa présence ; car ce sont des impmôoa« qui portent coup, et , comme dit M. de la Bruyère , le pwiWff soin des enfans est de chercher les endroits faibles de leuri nuî- trr.s pour acquérir le droit de les mépriser: or, je doixandcqurllf impression pourraient faire les leçons d'un homme pour qoivmi écolier aurait du mépris.

Pour me flatter d'un heureux succès dans réducahoa A- M. votre fils, je ne puis donc pas moins exi";er que d'en ^U« aimé , craint et estimé. Que si 1 on nie répondait que touto*^ dovait être mon ouvrage , et nue c'est ma faute si je n'y aiw* réussi , j'aurais à me plaindre d un jugement si injuste. VouiO»- vez jamais eu d'explication avec moi sur l'autorité que vou* permettiez de prendre àson égard : ce qui était d'autantplosi^ Cfssairc,<[ue je commence un métier que je n'ai jaru^îs fait; qa». lui ayant trouvé d'abord une résistance parfaite à mesinstrucli*»* et une négliçence excessive pour moi , je n'ai su comment le f»- duire ; et qu au moindre mécontenteraenl il courait cliercberan asile inviolable auprès de son papa , auquel peut-être il nemit- quait pas ensuite de conter les choses comme il lui plaisait.

Heureusement le mal n'est pas grand. A Tige oU il est, avons eu le loisir de nous tAtonner, pour ainsi dire, récipro«j"e* ment , sans que ce retard ait pu porter eocore un grand (vrj diceâ ses progrès, que d'ailleurs la délicatesse de aasanim»

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Tait pas permis de pousser beaucoup (i) ; mais, comme les mauvaise» habitudes , dangereuses à tout âge , le sont inBnifuent plus u celui-là, il est temps d'y mettre ordre sérieusement , non our le charger dVliidcs et de devoirs, mais pour lui donner k onue heure un pli d'ubcissaucu et de docilité t^ui se trouve tout acquis quand il en sera temps.

fSous approchons de la Hn de Tannée : vous ne sauriez, mon- sieur, prendre une occasion plus naturelle que le commencement de l'autre pour faire un petit discours à monsieur votre t'ils, à la portée de son Age, qui , lui mettant devant tes veux les avantages d'une bonne éducation, cl les inconvéuiens d'une enfance né- gligée , le dispose à se prèler de bonne grâce à ce que la connais- ^nce de son uitérét bien eutendu nous fera dans la suite étirer de lui : après quoi vous auriez la bonté de me dérlarer en sa pré- sence que vous me rendez le dépositaire de votre autorité sur lui, et que vous lu'accordex sans réserve le droit de l'obliger h rem—

Idir son devoir partons les moyens qui me paraîtront convenn- Aes-y lui ordonnant, en conséquence , de m'obéir comme à vou»- Dicnie f sous peine de votre indignation. Clette déclaration , qui ne sera que pour faire sur lui une plus vive impression , ir.iura d'ailleurs d'elTet que conformément à ce que vous aurez pris la peine de me prescrire en particulier.

Voilà, monsieur, les préliminaires qui meparaisNCnt indis- pensables pour s'assurer que les soins que je donnerai à M. votre fils ne seront pas des soins perdus. Je vais maintenant tracer l'es- quisse de son éducation, telle que j'en avais conçu le plau sur ce que j'ai connu jusqu'ici de son caractère et de vos vues. Je ue le propose point comme une règle à laquelle il faille s'attacher, mais comme un projet qui , ayant besom d'éUe refondu et corrigé par vos lumières et par celles de M. Tabbé de...., servira seule- ment à lui donner quelque idée du génie de Tenfant k qui nous avons affaire. Kt je m'estimerai trop heureux que M. votre frère veuille bien me guider dans les routes que je dois tenir : il peut être assuré que je me ferai un principe inviolable de suivre entiè- rement, et selon toute la petite portée de mes lumières et de mes talens , les mutes qu'il aura pris la peine de me prescrire avec votre agrément.

Le but que Ton doit se proposer dans l'éducation d'un jeune Homme, c est de lui former le cœur, le jugement et l'esprit 5 et cela dans Tordre que je les nomme. La plupart des maîtres, les pédans surtout, regardent Tacquisition et l'entassement des sciences comme Tunique objet d'une belle éducation , sans penser que souvent, comme dit Molière ,

Un soi saynnt est jiot plus qa*un sot ignoranta D'un autre côté, bien des pères, méprisant assez toutrc qu'on appelle études, ne se soucient guère que de former leurs enfans

(1) Il riait fort langoissau quand ie «uis entré dans U inaÎBon ^ uu- jourû'Uiii sa santé ft'aàcniiU Tsiblcmciit.

^ PROJET

nnx erercîcps du corps et à la connaissance du mande. Entre cf«j exlrêrniles nous prendrons un jn«le milieu pour conduire M. votr«J fils. Les sciences ne doivent nasêtre négligées, j'en parlerai toat^r l'heure; mais aussi elles ne doivent pas précéder les mcrurs, nir- tout dans un esprit pctillant et plein (lefeu, peu capable d*attrntioo jusqu*b un certain âge , et dont le caractère se trouvera décidé Crcs à bonne heure. A quoi sert à «n homme le savoir de Varron , li d'ailleurs il ne sait pas penser jusie? Que s'il a Cu le malheur laiwor corrompre son CŒur , les sciences sont dons sa tête comnM autant irarmes entre les mains d'un furieux. De deux prrsonuei également rngagécs dans le vice , le moins habile fera toujours le moins de uialj et les sciences , même les plus spéculatircs et les plus éloignées en apparence delà société, ne laissent p«« d'exercer Tespril ,el de luidonner, eu l'exerçant, une force dont il est facile d abuser dans le commerce de la vie, quand on a le cœur mauvais.

Il y a plus à l'égard de M. de Sainte-Marie. Il a conçn un dé-* gotU si fort contre tout ce qui porte le nom d'étude et d'appli- cation , qu'il faudra beaucoup d'art et de temps pour le dclriiire : et il serait l'Acheux que ce temps -là fût pprdu pour lui j car il y aurait trop d'inconvéniens à le contraindre ; et il vaudrait encore mieux qu'il ignorât entièrement ce que c'est qu'études cl que sciences, que de ne les connaître que pour les détester.

A regard de la religion et de la morale, ce n'est point par la multiplicité des préceptes qu'on pourra par^-enir à lui en mspi- rer des principes solides qui ser\*eiil de règle à sa conduite pour îe reste de sa vie. Kxcepté leséléuiensâ la portée de son ilge , on doit moins songer à fatiguer sa mémoire a un détail de lois et de devoirs, qu'à disposer son esprit et son cœur à les connaître et à les goûter, à mesure que l'occasion se présentera de les lui détr- îopper; et c'est par-là même que ces préparatifs sont tout-à-fail à la portée de son âge et de son esprit , parce qu'ils ne renferment que des sujets curieux cl ïntéres^a^s sur le commerce civil , sur les arts et les métiers, et sur la manière variée dont la provi- dence a rendu tous les hommes ulili's et nécessaire» les uns aux autres. Ces sujets, qai sont plutôt des matières de conversation» et de promenades que d'études réglées, auront encore divers avantages dont l'efl'el me paraît infaillible.

Premièrement, n'afleciant point désagréablement «on wprit par des idées de contrainte et d élude réglée, et n'exigeant pa> et lui une attention pénible et continue, ds n'auront rirn de nuâ- flible à sa santé. Kn second lieu , ils accoutumeront à bonne heure son esprit à la réilcxioii et à considérer les choses par leurfl suite» et pur leurs eflèts. Troisièmement, ils le rendront curieux et lui inspireront du goAt pour les sciences naturelles.

Je devrais ici aller au-devant d'une impression qu'on pour- rait recevoir de mon projet , en s'imaginant que je ne cherche Cju'à m'égayer moi-même et à me débarrasser de ce que les lis- çoni ont de %ec et d'eauuyeux , pour me procurer une occupa»-

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tion plus agréable. Je ne crois pas , monsieur, qu'il paisse vous tomber dans IVspril de penser ainsi sur mon compte. Feul-ctre jamais homme ne se Ht une aflaire plus importante que celle que jf me fais de l'éducation de messieurs vos enfans , pour peu que vous veuilliez seconder mon lèle. Vous n'aver pas eu Heu de vou« apercevoir jusqu'à prosent que je cherche k fuir le travail : mais je ne crois point que , pour se donner un air de rèle cl d'occu- pation, un maître doive affecter de surcharger ses élèves d'un travail rebutant et sôrieux, de leur montrer toujours une con- tenance sévère et fâchée, et de se faire ainsi à leurs dépens la réputation d'homme exact et laborieux. Pour moi , inonfteur, je le déclare nue fois pour loiiles ; jaloux jusqu'au scrupule ae l'accomplissement de mon devoir , je suis incapable ae m'en relAcher jamais j mon goût ni mes principes ne me portent ni k la paresse ni au relâchement: mais de deux voies pour ra'assurer le même succès, je préférerai toujours celle qui coiUera le moins de peine et de désagrément à mes élèves j et j'ose assu- rer , sans vouloir passer pour un homme très— occupé , que moins 1)9 travailleront en apparence, et plus en effet je travaillerai pour ru\.

S'il y a quelques occasions ou la sévérité soît nécessaire à l'é- gard des enfans , cVst dans les cas les mœurs sont attaquées, ou quand il s'agit de corriger de mauvaises habitudes. Souvent , plus un enfant a d'e.^prit , et plus la connaissance de ses propres avantages le rend indocile sur ceux qui lui restent à acquérir. De \k le mépris des inférieurs , la désobéissance aux supérieurs , et

l'impolitesse avec les égaux : quand on se croit parfait , dans

3ueU traders ne donne-t-on pas! M. de Sainte-Marie a trop 'intelligence pour ne pas sentir ses belles qualités ; mais , »i

Ton n'v prend carde , il y comptera trop , et négligera d'en tirer tout le parti qu'il faurirait. Ces semences de vanité ont déjà produit en lui bien des petits penchans nécessaires à corriger. C'est à cet égard, monsieur, que nous ne saurions agir avec trop de correspondance ; et il est très-important que , dans les occasions oii l'on aura lieu d'être mécontent de lui , il ne trouve de toutes parts qu'une apparence de mépris et d'indifférence, qni le mortifiera d'autant plus que ces marques de froideur ne lui seront point ordinaires. C'est punir l'orgueil par ses pro- pres armes et l'attaquer dans sa source même ; et Ton peut s'assu- rer que M. de Sainte— Marie est trop bien pour n'être pas in- finiment sensible à l'estime des personnes qui lui sont chères.

La droiture du cœur, quanaclle est aflérmie parle raison- nement , est la source de la justesse de l'esprit : un honnête homme pense pre>(que toujours juste ^ et quand on est accoutumé dès Tenfancc à ne pas s'étourdir snr la réUexion , et à ne se li- vrer au plaisir présent qu'après en avoir pesé les suites et ba- lancé les avantages avec les iiiconvéniens , on a presque , avec nn peu d'expérience , tout l'acquis nécessaire pour former le )Dgement. il semble en effet que le bon sens dépend encore plus

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PROJET

^des senlimet)5 Ju c<rur que des luniit'Tfs <ïr reprit , et l'on Ltfprouve que les gens les plus savans et les plus éclaires ne sont

itm toujours ceu:i qui se conduisent le mieux dons les aflairrs de a vie: ainsi, après avoir rempli M. de Sainte-Alarie de bons [principes de morale , on pourrait le regarder en uu sens comme l«ssez avancé dans la science du raisonnement. Alais s'il est quclaue , point important dans son éducation, c'est sans contredit celui-u; f€t l'on ne saurait Iropbien lui apprendre à connaître les hommes, .A savoir les prendre par leurs vertus et même par leurs faibles, »our les amener à son but, et à choisir toujours le meilleur parti [ans les occasions dilUciles. (Jela dépend en pnrlic de la tnanirre dont on Tesercera à considérer les objet* et ù les retourner de toutes leurs faces , et en partie de Vus^ige du monde. Quaul ao Ipremier point, vous y pouvez contribuer beaucoup , luoasieur, «t avec un très-grand succès, en leiguaut quelquefois de le con- Ailler sur la manière dout vous devez vous conduire dans de$ încidens d'invention; cela flattera sa vanité, et il ne rrcardcra point comme un travail le temps qu'on mettra à délibérer sur îrne affaire sa voix sera comptée pour quelque chose. Ceit dans de telles conversations qu'on peut lui donner le plits de iumières sur la science du monde, et il apprendra plus dans deuf heures de temps par ce moven qu'il ne ferait en un an par do instructions en règle : mais il faut observer de ne lui présenter ;4{ue des matières propurtionuée:» à son âge, et surtout Texercvr 'Jong-temps sur des sujets ou le meilleur parti se présente aLM^- lent , tant atîn de l'amener facilemeul à le trouver comme de [ui-méme, que pour éviter de lui faire envisager les afi'âires de vie comme une suite de problèmes , , les divers partis pa- raissant également probables, il serait presque indin'ércnt de 16 déterminer plutôt pour l'un que pour 1 autre : ce qui le meoe* Ifait à l'indolence dans le raisonnement, et k riodittéreuce dani Ja conduite.

L'usage du monde est aussi d'une nécessité absolue , et d'au- tant plus pour M. de Sainte-Marie , que , timide , il a besoin de voir souvent com|iagnie pour apprendre à s'y trouver eu lî- lierlé , et à s'y conduire avec ces grâces et cette aisance qui c** rnctérisent l'homme du monde et l'homme aimable. Pour cela, monsieur, vous aune/ la bonté de m'indiquor deux ou trois maisons je pourrais le mener quelquefois j)ar forme de JéJ*:»- scmcnt et de recompense. Il est vrai qu'ayaut à corriger en moi* même les défauts que je cherche à preveuir en lui , je pourraû paraître peu propre à cet usage. C'est k vous, monsieur, et k madame sa mère , U voir ce qui convient, et à vous donner U neine de le coiuluire qut'Iqnefi»is avec vous si vous jugei que cdé lui soit plus .'tvant.-iceux. 11 sera bon aussi que quand on aur4

>it plus .'tvani.-igeux. J du monde on le retienne d

géant quelquefois et ii propos sur les matières de la ronvena» tion , on lui donne lieu de &*y mêler insensiblenient. Mai* il v a point «ur lequel je crains de ne me pai trouver tout-à-tatt

ans la chambre, et qu'en Tioterro»

D'ÉDUCATIOX. . 6.»!

de votre wntinitnt. Quand M. de Sainte-Mari* se troareen com-

Sngnic sous vos yeux , il badine et sVgaie autour de vous , pl n*a PS yeux que pour son papa, tendresse bien flatteuse rt bien aimable ; mais s'il est contraint d'aborder une autre personne ou de lui parler , aussitôt il est dëcontennntv , il ne peut mar- cher ni dire un seul mot» nubien il prend l'extrême, et lâcb« quelque indiscrétion. Voilà qui est pardonnable à son âge : mais cnrin on grandit , et ce qui convenait hier ne convient plus au- jourd'hui ; et j*ose dire qu'il n'apprendra jamais à se présenter tant qu'il gardera ce défaut. La raison en est qu'il n*est point en compagnie quoiqu'il y ait du monde autour de lui ; de peur d'être contraint de se gêner, il affecte de ne voir personne, et Je papa lui sert d'objet pour se distraire de tous les autrl's. Celte liardirsse forcée , bien loin de détruire sa limidilé , ne fera sû- rement que l'cnrariner davantage tant qu'il n'osera point en— visaper une assemblée ni répondre à ceux qui lui adressent la parole. Four prévenir cet inconvénient, je crois, monsieur, qu'il serait bien de le tenir quelquefois cloig^ié de vous , soit k table, soit ailleurs , et de le livrer aux étrangers pour Taccoutu- nicr de se familiariser avec eux.

On conclurait très-mal si , de tout ce que je viens de dire , on concluait que , me voulant débarrasser de la peine d'enseigner , ou peut-être par mauvais goût méprisant les sciences , je n'ai nul dessein d'y former monsieur votre fils , et qu'après lui avoir enseigne les eléraens indispensables je mVn tiendrai , sans me Tnetlre en peine de le pousser dans les éludes convenables. Ce n'est pas ceux qui me connaîtront qui raisonneraient ainsi ; on sait mon goût déclaré pour les sciences , et je les ai assez culti- vées pour avoir y faire des progrès pour peu que j'eusse eu de disposition.

On a beau parler au désavantage des études, et lâcher d'ea anéantir la nécessité et dVn grossfr les mauvais effets, il sera toujours beau et utile desavoir; et quant au pédantisme, ce n'est pas l'étude même qui le donne , mais la mauvaise dispo- sition du sujet. Les vrais savans sont polis; et ils sont modestes, parce que la connaissance de ce qui leur manque les empêche de tirer vanité de ce qu'ils ont ; et il n'y a que les petits génies et les demi-savans qoi , croyant de savoir tout , méprisent orgueil- leusement ce qu'ils ne connaîssenl point. D'ailleurs le goût des lettres est d'une grande ressource uans la vie, inémc pour un homme d'épée. II est bieu gracieux de n'avoir pas toujours be- soin du concours des autres nommes pour se procurer des plai- sirs ; et il se commet tant d'injustices dans le monde, Tony est sujet à tant de revers, qu'on a souvent occasion de s'estimer heureux de trouver des amis et des consolateurs dans son cabi- net, au défaut de ceux que le monde nous ôte ou nous refuse. ^ Mais il s'agit d'en faire naître le goût k monsieur votre fils , qui témoigne actuellement une aversion horrible pour tout ce qui sent 1 application. Déjà la violence ït'y doit concourir en

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PROJET

rien, j'en ai dit la r.iison ci-devant ; mais , pour <}n« cela r^ vienne naturollomeut , il faut remonter jusqu'à la source de celle antipathie. Celte souite est un goiH excessif de diKsipation qu'il a pris en badinant avec ses fibres et sa soeur, qui fait qu'il ne peut souffrir qu'on l'en distruicun instant , et qu'il prena en aversion tout ce qui produit cet effet ; car d'ailleurs je uie suis convaincu qu'il n'a nulle haine pour l'étude eu elle-nn'ine , et qu'il y a même des dispositions cionï on peut se proniftlre bcao- coup. Pour remédier à cet inconvénient, il faudrait lui procurer d'autres amu&cmcns qui le détachassent des niaiseries auxquelles il s'occupe , et pour cela le tenir un peu séparé do ses frifres et de sa sijiur; c'est ce qui ne se peut guère faire dans un appar> tement comme le mien , trop petit pour lei mnuYemens d'un en- fant aussi vif, et oii même il serait dangereux d'altérer sa santé si l'on voulait le contraindre (.Vy rester trop renfermé. Il serait plus important, monsieur, <{ue vous ne prnsci: d'avoir une , chambre raisonnable pour y faire son élude et son séjour ordi- naire ; je tâcherais de la lui rendre aimable par ce que ^e pour- rais lui présenter de plus riant , et ce serait déjà beaucoup de eagné que d'obtenir qu'il se plût dans Tendroit oii il doit étu- 3ier. Alors , pour le détacher insensiblement de ces badina^ puérils , je me mettrais de moitié de tous ses amusemens , et ]• lui en procurerais des plus propres à lui plaire et à exciter la Miriosilc : de petits jeux , des découpures , un pen de dessin , U TDUsique , les instrumens, ua prisme, un microscope, tin ytrrt ardent, et mille autres petites curiosités, me fourniraient été «njets de le divertir et de l'attacher peu à peu à son apparte- ment , au point de s'y plaire plus que partout ailleurs. D'aa autre câté , on aurait soin de me l'envoyer dès qu*il serait levé, sans qu'aucun prétexte pût l'eu dispenser -, ion ne permettrait point qu'il alUt dandinant par la maison , ni qu'il se réfu^iit près de vous aux heures de son travail ; cl afin de lui faire re- garder l'étude comme d'une importance que rien ne pourrait balancer, on éviterait de prendre ce temps pour le peigner, le friser, ou lui donner quelque autre soin nécessaire. Voici, par rapport à moi , comment je m'y prendrais pour l'amener inseï»* siblement h Tétude , de son propre mouvement. Aux heures oU je voudrais l'occuper, je lui retrancherais toute espèce d'amoi»-* ment , et je lui proposerais le travail de celte heure-là ; s'il oe ft'y livrait pas de bonne grâce , je ne ferais pas luèmc semblant de m'en apercevoir, et je le laisserais seul et sans amusement »e morfondre, jusqu'à ce que l'ennui d'élre absolument sans rien faire l'eût ramené de lui-même à ce que j'exifçeaîs de lui; alors j'atfecterais de répandre un enjouement et une gaieté sur son travail , nui lui fit senlir la différence qu'il y a , même pour 1p plaisir, de la fainéantise à une occupation honncte. Quand ce moyen ne rcustijrait pas, je ne le maltraiterais point ; tuai» je lui retrancherais toute récréation ponr ce jonr-là , en lui disant froidement qac ic oe prcL«uds poiot le fauc étudier

par

D'EDUCATION.

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mais que le divertissement n'étant légitime que quand il est le ilélassement du travail , ceux qui ne font nen nVn ont aucun besoin. Déplus, vous aune» la bonté de convenir avec moi d*un signe par lequel , b&na apparence d'intelligence , je pourrais vous témoigner, de même qu'à madame sa lucTc, quand le scrAÎi mécontent de lui. Alors la froideur et riiidiitorencc qiiM trou- verait de toutes parts, sans cppondant lui faire le moindre re- proche, le surprendrait d'autant plus , qu'il ne s'apercevrait point que je me fusse plaint de lui ; et il se porterait à croire que comme la récoraponse naturelle du devoir est Tamitié et lej caresses de ses supérieurs, de môme la fainéantise et l'oisivet portent avec elles un certain caractère méprisable qui se fait d'abord sentir , et qui refroidit tout le monde à son égard.

J'ai connu un père tendre qui ne s'en fiait pas tellement à un mercenaire sur I instruction de ses enfans, qu'il ne voulût lui- même j avoir l'œil : le bon père , pour ne rieu négliger de tout ce qui pouvait donner de réniulatiun k ses enfans, avait adopte les mêmes moyens que j'expose ici. Quand il revovait ses enfans, il jetait , avant que de les aborder, un coup d'œil sur leur gou- verneur : lorsque celui-ci touchait de la main droite le premier bouton de son habit , c'était une marque f(u'il élait content, et le pêne caressait son fils à son ordinaire : si le gouverneur tou- chait le second, alors c'était marque d'une parfaite salisfaclion, *t le père ne donnait point de bornes à la tendresse de ses ca- resses, et y ajoutait ordinairement quelque cadeau, mais sans atTectation : quand le gouverneur ne faisait aucun signe, cela voulait dire qu'il était mal satisfait, et la froideur du père ré- pondait au mécontentement du maître; mais, quand de ta main gauche celui-ci touchait sa première boutonnière, le père faisait sortir son Hlsdefia présence, et alors le gouverneur lui expliquait les fautes de l'enfant. J'ai vu ce jeune seigneur acquérir eu peu de temps de si grandes perfections , qne je crois qu'on ne peut trop bien augurer d'une méthode qui a produit de si bons effets : ce n'est aussi qu'une harmonie et une correspondance pai-faite mire un père et un précepteur qui peut assurer le succès d'une bonne éducation; et comme le meilleur père se donnerait vaine* znent des mou vcmens pour bien élever son fils, si d'ailleurs il le laissait entre les mains d'un précepteur îuallenlif, de même le plus inleiligcnt et le plus zélé de tous les maîtres prendrait des peines inutiles, si le père, au lieu de le seconder, détruisait 5oa ouvrage par des démarches â contre-temps.

Pour que M. votre fils prenne ses études à Cff^ur, je crois , mon- sieur, que vous devez témoigner jprendre vous-môme beaucoup de part : pour cela vous auriez la bonté de l'interroger quelque- fois sur ses progrès, mais dans les temps seulement et sur Icsjua- tières on il aura le mieux fait, afin de n'avoir que du contente- ment et de la satisfaction à lui marquer, non pas cependant par de trop grands éloges, propres â lui inspirer de l'orgueil et à le faire trop compter sur Im-méme. Quelquefois aussi, mais plus rare-

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ment, voire examen roulemil sur les matières ou il se sera nf- gligé : alors vous vous inforruericz de »a sânté el de& cau&e* de son reUrhcrnent avec des mar(|ues d'inquiétude qui lui eo coiu- munfqueraicnt h lui-iuêrae.

Quand vous, monsieur, ou madame sa mère* anres quelque cadeau à lui fnire , vous aurez la bonté de choisir les temps il y aura le plus lieu d'être content de lui, ou du moins de m'en avertir d'avance, afin que j'évite dans ce teuip*-là de l'exposer à me donner sujet de m'en plaindre; car à cet âge-là les uioiodret irrcgTilarilés portent coup.

Quant à l'ordre même de ses études, il sera lrc8-«iraple pen- dant les deux ou trois premières années. Les élémeos au latin, de rhistoire et de la géographie, partagerontson temps. A l'égard du latin, je n'ai poiut dessein de l'exercer par une étiule trop méthodique, et moitis encore p.ir la composition des th^^mes. Lef thèmes, suivant M. tlollin, sont la croix des enfaiis; et , dans l'intention oii je suis de lui rendre ses études aimables, je me carderai bien de le faire passer par celte croix, ni de lui mettre dans la tète les mauvais gallicismes de mon latin, au lieu de ce- lui de Tite-Live, de Ce'sar et de Cicéron : d'ailleurs un jeune homme, surtout s'il est destiné à l'épée, étudie le latin pour l'entendre et non pour l'écrire , chose dont il ne lui arrivera pas d'avoir besoin une fois en sa vie. Qu'il traduise donc les ancien» auteurs, et qu'il prenne dans leur lecture le goût de la bonne latinité et de la belle littérature : cVst tout ce que j'exigerai ds lui à cet égard.

Pour l'histoire et la géographie, il faudra seulement lui en donner d'abord une teinture aisée, d'oii je bannirai tout ce uni sent trop la sécheresse et l'élude, réservant pour un âge |mu« avancé les difficultés les plus nécessaires de la chronologie et de la sphère. Au reste, m'ecarlant un peu du plan ordinaire des études, je m'attacherai beaucoup plus à l'histoire moderne qu'à l'ancienne, parce nue je la crois beaucoup plus convenable à un oiticier ; et que d'ailleurs je suis convaincu sur Thlstoire moderne en général de ce que dit M. l'abbé de.... de celle de France ea particulier, qn*elle n'abonde pas moins en grands traits que Tlus- (oire ancienne, et qu'il n'a Tnanqué que de meilleurs hi&torien» pour les mettre dans un aussi beau jour.

Je suis d'avis de supprimer à M. de Sainte-Marie tontes ces espèces d'études oii , sans aucun usage solide , on fait lansuir la jeunesse pendant nombre d'anuées : la rhétorique, la logique et la philosophie scolastique, sont, a mon sens, toutes choses Irèl— superÛuespourlui,ct que d'ailleurs je serais peu propre a. lui ensei- gner. Seulement, quand il en sera temps, je lui ferai lire la Lo- gique de Hort-Royal,et, tout au plus, l'Art de parler du P. L*mia mais sans l'amuser d'un côté au détail des troues et des figure»* ni de l'autre aux vaincus subtilittis de la dialectique : j'fti d«^ sein seulement tHv l'exercer à In précision et à la pureté dans le stjrle, à l'ordre et a la mclhotlc daab acx rAtàouacmoii:». et â$«

DtLDUCATION-

6<>5

faire UTi esprit de justesse qtii lui serve h démêler le faux orné , de la vérité simple , tonlfs les fois que l'occasion s'en présentera.

L'histoire naturelle peut pa&5t;r aujourd'hui, par la manière clont elle est traitée, pour la plus intéressante de toiiles les sciences que les hoiniucs cultivent , et celle qui nous ramène le

ftlus naturellement de Tadiniration des ouvrages a Tamour de 'ouvrier : je ne négligerai pas de le rendre curieux sur les ma- tières qui y ont rapport , et je me propose de Vy introduire dans cleux on trois ans par la lecture du Spectacle de la nature y que je ferai suivre de celle de Nieuwealit.

On ne va pas loin en physique sans le secours desnaathéma- tiques; et je lui en ferai faire une année , ce qui servira encore à lui apprendre i raisonner conséqueinment et à s'appliquer avec un peu d'attention, exercice dont il aura grand Lesoin : cela le mettra aussi à portée de se faire mieux considérer parmi le» ofliciers , dont une teinture de luathéxua tiques et de fortiticatiou» £ait une partie du métier.

£nftn , sM arrive que mon élève reste assez long-temps entre mes mains, je hasarderai de lui donner quelque connaissance de la morale et du droit naturel par la lecture de Pufendorffetde Grotius^ parce qn'il est digue d*uu honnête homme et d'un Itonime raisonnable de connaître les principes du bien et du mal , et les fondemens sur lesquels la société dont il fait partie estétablîe.

En faisant succéder ainsi les sciences les unes aux autres, je ne perdrai point l'histoire de vue, comme le principal objet de toutes ses ctodes et celui dont les branches s'étendent le plus loin sur toutes les autres sciences : je le raïuêncrai, au bout de quelques années, à ses premiers principes avec plus de méthode et de détail ; et je tâcherai de lui en faire tirer alors tout le profit qu'on peut espérer de cette étude.

Je me propose aussi de lui faire une récréation amusante de ce qu'on appelle proprement belles-lettres, comme la connais- sance des livres et des auteurs, la critit|ne, la poésie, le style , l'éloquence, le théâtre, et en un mot tout ce qui peut contri- buer à lui former le goût et à lui présenter l'étude soiu une face riante.

Je ne m'arrêterai pas davantage sur cet article , parce qu'après avoir donné une légère idée de la route que je m'étaLs â peu près proposé de suivre dans les études de mon élève, j'espère que M. votre frère voudra bien vous tenir la promesse qu il vous a faite de nous dresser un projet qui puisse me servir de guide dans un chemin aussi nouveau pour moi. Je le supplie d'avance d'être assuré que je la'y tiendrai attaché avec une exactitude et un soin qui le convaincra du profond respect que j'ai pour ce qui rient de sa part; et j'ose vous répondre qu'il ne tiendra pas à mon >èle et a mon attachement que messieurs ses neveux ue de- viennent des hommes parfaits.

RÉPONSE

AU MEMOIRE ANONIME

intitulé , Si le inonde que nous habitons est une sphèrci etc., inséré dans le Mercure de juillet^ p^^ 1 5 1 4-

Moî<SIEUE,

Attiré par le titre de votre mémoire, je l'ai lu avec toute Ta- viflité d'un homiue qni , depuis pluipieun^ années, altendut impa- tiemment avec toute l'Europe le résultat de ces fameux voyages entrepris par plusieurs membres de l'académie royale des scienca, sous les auspices du plus magnitique de tous les rois. J'avouerai franchement, monsieur, que i*ai eu quelque regret de voir que ce que j'avais pris pour le précis des observations de ces grandi hommes n'était eflectivement qu'une conieclure hasardée peut- être un peu hors de propos. Je ne prétends pas pour cela avilir ce que votre uiémoire contient d'ingénieux ; mais vous permet- trez, monsieur, que je me prévale du même privilège que vous vous êtes accordé, et dont, selon vous, tout homme doit être en possession , qui est de dire librement sa pensée sur le sujet dont il

ITabord il me paraît que vous avez choisi le temps le moins convenable pour faire part au public de votre sentiment. Vous nous assurez, monsieur, que vous n'avez point en vue de ternir la gloire de messieurs les académiciens observateurs, ni de di- minuer le prix de la générosité du roi. Je suis assurément Irèv- porlé à justifier votre cœur sur cet article^ et il paraît aussi, pir Ta lecture de votre mémoire, qu'en effet des sentunen^ si bas sont très-éloignésde votre pensée. Cependant vous conviendrez, moo- sieur, que si vous aviez en efîet tranché la diiliculté, et que vous eussiez fait voir que la figure de la terre n'est point cause de U variation qu'on a trouvée dans la mesure de ditférens degrés de latitude^ tout le prix des soins et des fatigues de ces messieurs, Ips frais qu'il en a coûté et la gloire qui en doit être le fruit , le- raient bien près d'être anéantis dans l'opinion publique. Je Of prétends par pour cela , monsieur, que vousayez déguiser oa cacher aux hommes la vérité, quand voua avez cru la troufer, par des considérations particulières; je parlerais contre mes prin- cipes les plus cliprs. La vérité est si précieuse à mon cœur , que j< ne fais entrer nul autre avantage en comparaison avec elle. Matt, Mionsjeur, il n'était ici question que de retarder votre raémoiit de quelques mois, ou plutôt de l'avancer de quelques anuir*. Alors vous auriez pu avec bienséance user de la liberté qu'ont tous tes hommes dédire ce qu'ils pensent sur certaines matières; et il eût sans doute été bien doux pour vous, si vous eussiez rfiH contré juste, d'avoir évité au roi ta dépense de deux si longs

[

F

>

RÉPONSE AU MÉMOIRE, etc. 607

voyages, et à ces messieurs les peines qu'ils ont souflcrtcs et les dangers cju'iU ont essuyés. Mais aujourd'hui que les voici de re- tour, avant qu'être au fait des observations qu'ils ont laites, des conséquences qu'ils en ont tirées; en un mot, avant que d'avoir vu leurs relations et leurs découvertes, il paraît, mousieur, que vous deviei moins vous h&tcr de proposer vos objections, qui, lus elles auraient de force, plus aussi seraient propres à ralentir empressement et la reconnaissance du public, et à priver ce» messieurs de la gloire légitimement duc à leurs travaux.

11 est question de savoir si la terre est sphérique ou non. Fondé sur quelques argumens , vous vous décidez pour l'affir- luative. Autant que je suis capable de porter mon jugement sur ces matières, vos ratsonncmens ont ue la solidité; la con- «éf|uence cependant ne m'en parait pas invinciblement né- cessaire.

En premier lieu, raulorité dont vous fortifiez votre cause , en vous associant avec les anciens, est bien faible, â mon avis. Je crois que la prééminence qu'ils ont très-justement conservée ftur les modernes en fait de poésie et d'éloquence ne s'étend pas jusqu'à la physique et l'astronomie; et je doute qu'on osât mettre Arislole et Plolémée eu comparaison avec le chevalier Newton et M. Cassini : ainsi, monsieur, ne vous flattez pas <le tirer un grand avantage de leur appui. On peut croire, sans offenser la mémoire de ces grands hommes, qu il a échappé quelque chose à leurs lumières. Destitués, comme ils ont été, aes expériences et des instrumens nécessaires , ils n'ont pas prétendre à la gloire d'avoir tout connu; et si l'on met leur aisettc en comparaison avec les secours dont nous jouissons aujourd'hui, on verra que leur opinion ne doit pas ^tre d'un grand poids contre le sentiment cfcs modernes; je dis des mo- dernes en général , parce qu'en cflèt vous les rassemblez tous contre vous, en vous déclarant contre les deux n.itions qui tiennent sans contredit le premier rang dans les sciences dont il s'agit; car vous avez en Icte tes français d'une part et les Anglais de l'autre, lesquels à la vérité ne s'accordent pas entre eux sur la 6gure de la terre, mais qui se réunissent en ce point, «le nier sa sphéricité. En vérité, monsieur, si la gloire de vaincre augmente k proportion du nombre et de la valeur des adversaires, votre victoire, si vous la remportez, sera accom- pagnée d'un triomphe bien llatteur.

Votre première preuve , tirée de la tendance égale des eaux vers leur centre de gravité, me parait avoir beaucoup de force, et j'avoue de bonne foi que je u y sais pas de réponse satisfai- sante. En etTet , s'il est vrai que la superficie de la mer soit sphérique , il faudra nécessairement ou que le globe entier suive la même ligure, ou bien que les terres des rivages soient horriblement escarpées dans les lieux de leurs allongemens. D'ailleurs, et je m'étonne que ceci vous ait échappé, on ne pourrait coacevuir que le cours des rivières put tendre de Téqua-

6o8

RtPONSF

triir viTS tes pôles , suivant i'Iiypolîicfte de M. C«ç<^nî. Cftlc Si 'hl. ^e\vtuu serait ausÂi sujette aux iiiéme^ iiicontcnicfi», mau dans un sens contraire ; c'est-à-dire des lieux bas ver^ les pArtirs plus élevées, principalement anx environs des cercles polaires et dans les récions froides oii rclêvation deviendrait plus sen- sible : cepenaant Teipérience nous apprend qu'il y a quantité de rivji^resqui suivent cette direction.

(^uc pourrait-on répondre à de si fortes instances? Je n'en •ai* rien du tout. Remarquer cependant, monsieur, que voire démoiistratiou , ou celle du P, Tacquet , est fondée sur ce principe, que toutes les parties de la inas<»e terraquée tendent par leur pesanteur vers un centre commun qui n'est qu'un point et n'a par conséquent aucune longueur^ et sans «loute il n'était pas probable qu'un axiome si évident, et qui fait le fondement de deux parties considérables des mathématiques, put devenir sujet à être contesté. Mais quand il s'agira de con- cilier dos démonstrations cnniradictoires avec des faits a»- surés, que ne pourra-t-on point contester? J'ai vu dans la prt*«- face des éléiucos d'astronomie de M. Ktzes , professeur en inatbématiques de Monipellier , un raisonnement qui tend à montrer que dans l'bypotbèse de Copernic, et suivant les prî»- ripes de la pesanteur établis par Oescartes, il s'eusuivratt que le centre de gravité de chaque partie delà terre devrait rire , non pas le centre commun du ^lobc, mais la portiou de l'axe qui répondrait perpendlcnlaireiiieut k cette partie, et que par conséquent la ligure de la terre se trouverait cvliudrique. Je n'ai garde assurément de vouloir soutenir un st étonaaut pa- radoxe , lequel pris ù la rigueur est évidemment faux; mais qui nous répondra que, la terre une fois démontrée oblooffuc par de constantes observations, quelque physicien plus subtil et plus hardi que moi n'adopterait pas quelque hypothèse ap- prochaulel^ Car eulîn , dirait-il, c'est une nécessité eu phj- ftique que ce qui doit être se trouve d'accord avec ce qui eat.

Mais ne chicanons point ; je veux accorder voire premier argument. Vous aveai démontré que la superficie de la lacr » et par conséquent celle de la terre, doit être sphérique; si, par l'expérience , je démontrais qu'elle ne l'est point , tout votre raiàonncment pourrait-il détruire la force de ma conséquence? Supposons pour un moment que ceut épreuves exactes et réit^ rées vinssent â nous couvaincre qu'un degré de latitude a cont- tamment plus de longueur à mesure qu'on approche de l'équa-* ^, teur, sirrais-je moins en droit d'en conclure à nmn tour : OodC la terre est eirectivcmenl plus courbée vers les pôles que ver» l'équuteur : donc elle s'allonge en ce seus-Ià : donc c'est un spliéroide? Ma démonstration, fondée sur }vi opérations \ei plus iidèles de la géométrie , serait-elle moins évidente que la vôtre établie sur un principe universellement accordé.' Oii le* i'aits parleut , n'est-ce pas au raisonnement à se taire? Or, c'e^ pour coostater le lait en questioa que plusieurs oieiobm de

\

AU MÉMOIRE etc. 609

l'académie ont entrepris les voyages du Nord et du Pe'rou : c'est donc 4 racadéaiic à en décider, et votre ai^umeut iraura point de force contre sa décision.

Pour éluder d'avance une conclasion dont vous sentes la néceuîté, vous tâches de jeter de l'incertitude sur les optirations faites en divers lieux et â plusieurs reprises par MM. Picarl , de la Hire et Cassini, pour tracer la fameuse méridienne qui traverse la France, lt!éi|uclle$ donnèrent lieu à M. Cossini de soupçonner le premier de Tirrégularité dans la rondeur du globe, quand il se fut assuré que les degrés mesurés vers le septentrion avaient quelque longueur de moins que ceux qui s'avançaient vers le midi.

Vous distinguez deux manières de considérer la surface de la terre. Vue de loin , comme par exemple depuis la lune, vous rétablissez spbérique j mais, regardée de près, elle ne vous parait plus telle , à cause de ses inégalités : car, dites-vous, les rayons tirés du centre au sommet des plus hautes montagnes ne seront pas égaux â ceux qui seront nornés à la super6cie de la mer. Ainsi les arcs de cercle, quoique proportionnels entre eux, étant inégaux suivant rincgalité des rayons, il se penC Irès-bien que les différences qu'on a trouvées entre les degrés mesurés, quoiqu*avec toute l'exactitude et la précision dont 1 at- tention humaine est capable, viennent des ditférenles élévations sur lesquelles ils ont été pris , lesquelles ont donner des arcs inégaux en grandeur^ quoiqu'égales portions de leurs cerdea respectifs.

J'ai deux choses à répondre â cela. En premier lieu , monsieur, \e ne crois point que la seule inégalité des hauteurs sur les- quelles on a fait les observations ait sulîi pour donner des dif- iéreuces bien sensibles dans la mesure des decrés. Pour s'en convamcre,il faut considérer que, suivant le sentiment commun des géographes , les plus hautes montagnes ne sont non pîus capables d'altérer la figure de la terre, sphérique ou autre, que quelques grains de sable ou de gravier sur une boule de deux ou trois pieds de diamètre. £n effet, on convient généralement aujourd'hui quUl n'y a point de montague qui ait une lieue perpendiculaire sur la surface de la terre ; une lieue cependant ne serait pas graud'chose, en comparaison d'un circuit de huit oa neuf mille. Quant â la hauteur de la surface de la terre même par-dessus celle de la mer, et derechef de la mer par- dessus certaines terres, comme, par exemple, du Zuyderzée au-dessus de la Northollandc , on sait qu*elles sont peu consi- dérables. Le cours modéré de la plupart des fleuves et des ri- vières ne peut être que l'cflet d'une pcute extrêmement douce. J'avouerai cependant que ces dilférences prises à la rigueur seraient bien capables d*en apporter dans les mesures : mais, de bonne foi, serait-il raisonnable de tirer avantage de toute ia. dinérence qui se peut trouver entre la cime delà plus haute juoatagne et les terres inférieures à la mer? les observations 5. 39

6io RÉPONSE

iiuî otU donné lieu aux untivelles conjectures sur la 6gu la terre ont-etles été prises à des distances si énormes? ■rignorez pas sans duuU', monsieur, <ju\»n eut soin, d^ns l construction de la grande inéridienne , d'établir des staticiB sur les hauteur» les plus égales qu'il fut possible : ce fui mèm\ une occasioa qui coulribua beaucoup à la perfection des veaux.

Ainsi, monsieur, en supposant, avec vous, que la terre est sphérique , il rae re^tte maintenant à faire voir que cette mj^^ position, de la manière que vous la prenec, e*it une pure pê* tition de principe. Lu mouienl dVltention , cl je uiVxpUqne. I

Tou( votre raisonnement roule sur ce théorème en ecomt^ i trie, gue cUux cercles étant conceniritfttes ^ si i*oft mené dtê rayonn jusqu'à la circonférence du grand, les arcs coupé* psr ctftf rayons seront inégaux et plus grands à proportion çu'tJs *^ ront portions de plus grands cercles. Jusqu'ici tout est b-îev votre principe est incontestable : mais vous me parai&srF moini benrenx. dans l'application que vous en faites aux degrvs da latitude. Qu*on divise un méridien terrestre en trois cenU soixante parties égales par des rayons menés du centre , ce« parties égales selon vous seront des degrés par lesquels on me» surera l'élévation du pôle. J'ose , monsieur , m'Inscrire en fant contre un pareil sentiment , et je soutiens que ce nVst point 14 ridée qu'on doit se faire des degrés de latitude. Pour vous en convaincre d'une manière invincible, vo3'ons ce qui résulterait rie , en supposant pour un moment que la terre fût un sphéroïde oblong. Pour faire la division des degrés, )^inscris un cercle dans une ellipse représentant la figure de la terre. Le petit axe sera Téquateur, et le grand sera Taxe même de la terre : je divise le cercle en trois cents boixante degrés , de sort» que les deux axes passent par quatre de ces divisions; par tout» les autres divisions je mène des rayons que je prolonge jusqu'à la circonférence de l'ellipse. Les arcs de cette courbe, compriti entre les extrémités des rayons, donneront l'étendue des de^réiy Ies(^uc]s seront évidemment inégaux (une figure rendrait tout ceci plus intelligible, je l'omets pour ne pas cifrayer tes veux des dames qui lisent ce journal), mais dans un sens contraire à ce qui doit être : car les degrés serout plus longs ven les pôles, et plus courts vers Téquateur, comme il est manifr^r à quiconque a q^uelque teinture de géométrie. Cependant il démontre que , si la terre est oblongue , les degrés doivent ai plus de longueur vers l'éqnatrur que vers les pôles. C'est à tou,* monsieur, à sauver la contradiction.

Quelle est donc l'idée qu'on se doit former des degré» il latitude? Le terme même d'élévation du pôle vous rapprrftd. I>es difl'érens degrés de celte élévation lire* de part et d'autre des tangentes à la supeHicie de la terre; les intervalles compris entre les points d'attouchement donneront les degrt-s de lati- tude : or il est biea vrai q«ie, si In terre était spliériciue^ tons

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AU MEMOIRE etc.

6i(

T.

ces points correspondraient aux divisions «jui marqueraient les degrés Je la circonférence de la terre , considérée comme cir- culaire; maij si elle ne Test point, ce ne sera plus la même cliose. Tout au contraire de votre sjstt;uie, les pôles étant plus élevés , les degrés y devraient être plus graaas; ici la terre étant plus courbée vers les pôles, les degrés sont plus petits. C'est le plus ou moins de courbure , et non réioienement du centre, qui influe sur la longueur des degrés d'élévation du pôle. Puis doue que voire raison ne meut n'a de justesse qu'autant que vous supposez que la terre est sphérique, j'ai été en droit de dire que vous tous fondez sur une pétition de principe; et , puisque ce n*esL pas du plu"^ grand ou nioiudre éloigaement du centre que résnlte la longueur des degrés de latitude, je con- clurai derechef que votre argument n'a de solidité en aucune de ses parties.

Il se peut que le terme de degré , équivoque dans le cas dont il s'agit, vous ait induit en erreur : autre chose est un degré de la terre considéré comme la trois cent soixantième artie d'une circonférence circulaire, et autre chose un degré e latitnde considéré comme la mesure de l'élévation du pôle r-dcssus l'horizon; et, quoiqu'on puisse prendre l'un pour utre dans le cas que la terre soit sphénque , il s'en faut beaucoup qu'où en puis&e faire de même , si sa figure est îr- réguiièrc.

Prenez garde , monsieur , qne quand j'ai dit que la terre n'a

pas de pente considérable , je l'ai entendu , non par rapport h.

aa figure sphérique , mais par rapport à sa figure naturelle ,

oblongue ou autre j figure que je regarde comme déterminée

des le commencement par les lois de la pesanteur et du m(h]ve-'

jnent , et à laquelle l'équilibre ou le niveau des fluides peut Irès-

ien être assujetti : mais sur ces ruatières on ne peut hasarder

ucun rai<ionnement, que le fait même ne nous soit mieux connu.

Pour ce qui est de l'inspection de la tune, il est bien vrai

qu'elle nous parait sphérique, et elle l'est probablement; mais

il ne s'ensuit point du tout que la (erre le soit aussi. Par quelle

gle sa figure serait-elle assujettie à celle de la lune , plutôt

r exemple qu'à celle de Jupiter , planète d'une tout autre im-

rUnce , et qui pourtant n'est pas sphérique? La raison que

'ous tirei de I omtre de la terre n'est guère plus forte: si le

rrclese montrait tout entier, elle serait sans réplique^ mais vous

irez , monsieur , qu'il est difficile de distinguer une petite por-

iou de courbe d'avec l'arc d'un cercle plus ou moins grand.

'ailleurs, on ne croit point que la terre s'éloigne si fort de la

igurc sphérique , que cela doive occasionner sur la surface de

lune une ombre sensiblement irrégulière; d'autant plus que

terre étant considérablement plus grande que la lune, il ne

irait janiais sur celle-ci qu'une bien petite partie de son circuit.

Je suis etc.

JLODSSEAU,

Cb«mbérî , ao tfplembre 1738.

MÉMOIRE

A S. E. MONSEIGNEUR

LE GOUVERNEUR DE SAVOIE.

J*Ai l'honneur cl'oxposer très-respectueusement à son pxcellt

le triste détail de la situation ou je me trouve, U suppliaot^*)

daigner écouter la générosité de ses pieux senlimens, pour y pour-'

voir de U manière qu'elle jugera convenable. Je suis sorti très-jeune ae Genève, ma pal donné mes droits pour entrer dans le sein de réalise, sans avoir

Je suis sorti très-jeune de Genève, ma patne, a^ant abao-

cependant jamais' fait aucnne démarche, jusqu*aitjourd*liai ,1 pour implorer des secours , dont j^aurais toujours tâché de mtH passer s'il n*avait plu à la providence de m'afnigcrnar des maux

3ui m'en ont ôté le pouvoir. JVÎ toujours eu du mépris et racrae e Tindignation pour ceux qui ne rougissent point de faire un trafic houleux de leur foi , et d'abuser des bienfaits qu'on leor accorde. J'ose dire qu*il a paru par ina conduite aue je suis bien éloigné de pareils sentimcns. Tombé, encore enfant , entre les mains de feu monseigneur l'ovèque de Genève , je tAchai de répondre, par Tardeur et l'assiduité de mes études, aux vur» flatteuses que ce respectable prélat avait sur moi. Madame U baronne de Warens voulut bien condosccndre à la prière qu'il lot Ht de prendre soin de mon éducation , et il ne dcpendtt pu de moi de témoigner k celle dame , par mes progrès , le désir pa»- sionné que j'avais de la rendre satisfaite de l'effet de se» bootûctj de ses soins.

Ce grand évêque ne borna pas ses bontés ; il me recom-^ manda encore kM. le marquis de Donac, ambassadeur de France auprès du Corps Helvétique Voilà les trois seuls protecteurs qui j'aie eu ooligation du moindre secours ; il est ATai qn'u m'ont tenu lieu de tout autre , par la manière dont il« ont daigné me faire éprouver leur générosité. Ils ont envisagé en moi un jeune hoiurae assez bien ne , rempli d'émulaltoa , er qu'ils entrevoyaient pourvu de quelques talens, et ciu'ils se pro- posaient de pousser. Il me serait glorieux de délailler à son ex- cellence ce que ces deux seigneurs avaient eu la bonté de cou* cerler pour mon établissement^ mais la mort de monseignet l'évoque de Genève, et la maladie ntortelle de M. l'ainbaSM^ deur , ont été la fatale époque du commencement de tous désastres.

Je commençai aussi moi-même d'être attaqué de la languei qui me met aujourd'hui au tombeau. Je retombai parcoii&éqiH à la charge de madame de Warens , qu'il faudrait ne pas con^ naître pour croire qu'elle eâl pu démentir ses premiers DÎenfaill en m'abandouoant dans une si triste situation.

A SON EXCELLENCE etc. 6i3

Malgré tout, je tâchai, tant au*il me resta quelques forces ,

êc tirer parti de mes faibles tafens : mais de quoi servent les

talens dans ce pays? Je le dis dans l'amertume de mon cœur, il

vaudrait mille fois mieux n'en avoir aucun. Eh ! n*éprouvé-je

Sas encore aujourd^hai le relour plein d'ingratitude et de dureté e gens pour lesquels j*ai acbevt de mVpuiser en leur enseignant, »vec beaucoup d'assiduité et d'application , ce qui m'avait coûté bien des soins et des travaux a apprendre? Enfin , pour comble de disgrâces , me voilà tombé dans une maladie affreuse, qui me défigure. Je suis désormais renfermé, sans pouvoir presque sortir <Iu lit et de la cbambre, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de disposer de ma courte mais misérable vie.

Ma douleur est de voir que madame de Warens a déjà trop fait pour moi j je la trouve, pour le reste de mes jours, acca- J>Iée du fardeau de mes infirmités, dont son extrême bonté ne lut laisse pas sentir le poids , mais qui n'incommode pas moins ses affaires , déjà trop resserrées par ses abondantes charités , et par l'abus que des misérables n'ont que trop souvent fait de sa confiance.

J'ose donc,' sur le détail de tous ces faits, recourir à son excellence , comme an père des affligés. Je ne dissimulerai point «n'il est dur à un homme de sentiuiens, et qui pense comme je fais , d'être obligé , faute d'autre moyen , a'implorer des assis- tances et des secours : mais tel est le décret de la Providence. Il me suffit , en mon particulier , d'être bien assuré que je n'ai donné , par ma faute , aucun lieu ni à la misère ni aux maux dont je suis accablé. J'ai toujours abhorré le libertinage et l'oi- siveté ; et, tel que je suis, j'ose être assuré que personne , de qui j'aie l'honneur d'être connu, n'aura, sur ma conduite, mes senttmens, et mes moeurs, que de favorables témoignages à rendre.

Dans un état donc aussi déplorable que le mien , et sur lequel

i'« n'ai nul reproche à me faire , je crois qu'il n'est pas honteux I moi d'implorer de son excellence la grâce d'être admis à parti- ciper aux bienfaits établis parla piété des princes pour de pareils usages. Ils sont destinés pour des cas semblables aux miens, ou ne le sont pour personne.

En conséquence de cet exposé , je suppHe très-hnmblemcnt son excellence de vouloir me procurer une pension , telle qu'elle ÏQfera raisonnable , sur la fondation que la piété du roi Victor a établie à Annecy , ou de tel autre endroit qu'il lui semblera bon , pour pouvoir subvenir aux nécessités du reste de ma triste carrière.

De plus , l'impossibilité ou je me trouve de faire des voyages, et de traiter aucune affaire civile , m'encage à supplier encore son excellence qu'il lui plaise de faire re^çler la chose de ma- nière que ladite pension puisse être pavée ici en droiture, et remise entre mes mains , ou celles de madame la baronne de Warenf , qui voudra bien, à ma trcs-humblc sollicitation, se

r4 MEMOIRE A SON EXCELLENCE etc. charger de l'employer à mes besoins. Ainsi jouissant , pour peu de jours qu'il me reste , des secours nécessaires poar le tem- porel , je recueillerai mon esprit et mes forces pour mellr* mon ame et ma conscience en paix avec Dieu; pour me pn*

rarer à coramenccr , avec courage et ré5ignation , le voyage dt éternilé , et pour prier Dieu sinccreraeiit et sans distraction pour la parfaite prospérité et la très-précieuse conservation di son excellence.

J. J. RocssE^r

MÉMOIRE

remis, le i() avril i']^^, à M, Boii»ct ântovih, ^ travaille à fliistoire de feu M, oi BbrubXi év^ue A\

Oenèvê,

t7v9

Uans rintcntion Ton est de n'omettre dans l'histoire de de Bernex aucun des faits considérables qui peuvent servir mettre ses vertus chrétiennes dans tout leur jour, on ne saurait oublier la conversion de madame la baronne de Warens de la Tour, qui fut l'ouvrage de ce prélat.

Au mois de juillet de Tannée 1726 » !e roi de Sardaigneëla à Evian , plusieurs personnes de distinction du pays de vaud » rendirent pour voir la cour. Madame de Warens fut du nombre et cette dame , qu'un pnr motif de curiofiiié avait ameoée, fu' retenue par des motifs d'un genre supérieur, et qui n'en furent pas moins eificaces pour avoir été moins prévus. Ayant as&isfé par basard à un des discours que ce prélat prononçait avec ce zcle et cette onction qui portaient dans les c(.eur5 le feu de charité , madame de VVarens en fut émue au point , qu'an peut regarder cet instant cnuime l'époque de sa conversion. LacIMM cependant devait paraître d'autant plus dinicile, que cette dame. étant très-éclairce , se tenait en garde contre les séductions de l'éloquence, et n'était pas disposée à céder sans être pleinement convaincue. Mais quand on a l'esprit juste et le ctrur droit, que, peut-il manquer pour goûter la vérité^ que le secours de la gracrh et M. de Bcmex n'était-il pas accoutumé à la porter daiu cœurs les plus endurcis? Madame de Warenu \'it le prélat : préjugés furent détruits; ses doutes furent dissipés j et néneln des grandes vérités qui lui étaient annoncées, elle se determii à rendre à la foi , par un «acrîfice éclatant , te prix de& liukiièr dont elle venait de l'éclairer.

Le bruit du dessein de madame de Warens ne tarda pas h répondre dans le pays de Vaud. Ce fut un d^uil et detaUnnH universelles. Celle iatae y était adorée, cl l'amour qu'ooavsil

MEMOIRE A M. BOUDET.

6t5

pour elle «e changea en fureur contre ce qu'on nppelait ses sé- aucteurs et ses ravisseurs. Les habilans de Vevay ne parlaient pas moins cj^ue de mettre le feu à Evian , et de renle>xr a main armée au milieu même de la cour. Ce projet insensé , fruit or- dinaire d*un Ecte fanatique , parvint aux oreilles de sa majesté ; et ce fut h cette occasion qu'elle fit à M. de Bernex cette es- pèce de reproche si glorieux. , qu'il faisait des conversions bien bruyantes. Le roi fit partir sur-le-champ madame de Warens pour Annecy , escortée de quarante de .ses gardes. Ce fut , quelque temps après , sa majesté l'assura de sa protection dan» \es termes les pins flatteurs , et lui assigna une pension qui doit passer pour une preuve éclatante de la piélé et de la générosité de ce prince, maïs qui n'ote point à madame de Warens le mé- rite d'avoir abandonné de grands biens et un rang brillant dans u patrie , pour suivre la voix du Seigneur, et se livrer sans l^ffserve à sa providence. Il eut même la bonté de lui offrir d'aug- menter celte pension , de sorte qu'elle pAt figurer avec tout l'éclat qu'elle souhaiterait , et de lui procurer la situation la plus gracieuse, si elle voulait se rendre à Turin , auprès de la reine. Mais madame de Warens n'abusa point des bontés du mo- narque : elle allait acquérir tes plus grands biens en participant à ceux que l'église répand sur les fidèles; et Téclal des autres n'avait désormais plus rien qui pût la toucher. C'est ainsi qu'elle a en explique à M. de Bernex ; et c'est sur ces maximes de déta- chement et de modération qu'on Ta vue se conduire constamment depuis lors.

Enfin le jour arriva oii M. de Bernex allait auurer à l'éclise la conquête qu'il lui avait acquise. Il reçut publiquement Vabju- ration de madame de Warens, et lui administra le sacrement ûe confirmation le 8 septembre îJ^G, jour de la nativité de Notre-Dame , dans l'église de la Visitation , devant la relique de saint François de Sales. Cette dame eut l'honneur d'avoir pour marraine, dans cette cérémonie , madame la princesse de Hesse, Aœur de la princesse de Piémont , depuis reine de Sardaigne. Ce fut im spectacle touchant de voir une jeune dame d'une nais- sauce illustre , favorisée des grâces de la nature, et enrichie des biens de la fortune, et qui , peu de temps auparavant, faisait les délices de sa patrie, s'arracher du sein de l'abondance et des plaisirs, pour venir déposer au pied de la croix du Christ réclnt et les voluptés du monde, et y renoncer pour jamais. M. de Bernex fit a ce sujet un discours trcs-inuchantet trè^pathélique; rardeurde son lèle lui prêta ce jour-là de nouvelles forcrsj toute celle nombreuse assemblée fondit en larmes; et les dames, bai- gnées de pleurs , vinrent embrasser madame de Warens, la fé- liciter , et rendre grâces à Dieu avec elle de la victoire qu'il lut faisait remporter. Au reste, on a cherché inutilement, parmi tous les papiers de feu M. de Bernex , le discours qu'il prononça eu cette occasion , et qui , au témoignage de tous ceux qui l'en- tendirent, est un chei-d'Œuvre d'éloquence: et il j a lieu de

6i6 MÉMOIRE A M. BOUDET.

croire que , quelque beau qu'il soit , il a été composé sur-le* cb&mp et sans préparation.

Depuis ce joiir-U , M. de Bemex n'appela plus madame Warens que sa fille , el elle l'appelait son pcre. II a en effet tou- îi>urs conserve pour elle les bontés d*un pcre ; et il ne faut pai •'étonner qu'il regardât avec une sorte de complaisance l'omTagç de ses soins apostoliques , puisque cette dame sVsl toujours ff- forcée de suivre , d'aussi près qu'il lui a été possible , les saints exemples de ce prélat , soit dans son détachement des choses Inonclaines, soit dans son extrême charité envers les pauvres; deux vertus qui définissent parfaitement le caractère de madame de Warens.

Le fait suivant peut entrer aussi parmi les preuves qui com- tatent les actions miraculeuses de M. de Bemex.

Au mois de septembre 1729 ^ madame de Warens , demeu- rant dans la maison de M. cîe fioige , le feu prit au four des cordoliers, qui donnait dans la cour de cette maison , »vec une telle violence , que ce four, qui contenait un bâtiment asset grand , entièrement plein de fascines et de bois sec , fut bientôt embrasé. Le feu , porté par un vent impétueux , s'attacha au toit de la maison , et pénétra même par les fenêtres dans Iti appartemens. Madame de Warens donna aussitôt ses ordre» pour arrêter les proE^rès du feu , et pour faire transporter set meubles dans son jardin. £lle était occupée à ces soins , quand elle apprit que M. Tévêque était accouru au bruit du daugfr qui la menaçait, et qu'il allait paraître à l'instant ; elle fut aa devant de lui. Ils entrèrent ensemble dans le jardin ; il se mit à genoux, ainsi que tous ceux qui étaient présens , du nombre desquels j'étais , et commença à prononcer des oraisons «toc cette ferveur qui était inséparable de ses prières. L'effet en fut sensible ; le vent , qui portait les flammes par-dessus la maison jusque» près du jardin, changea tout à coup, et les éloi^a à bien , que le four, quoique conligu , fut entièrement consumv* sans que la maison eiît d'autre mal que le dommage qu'elle avait reçu auparavant. C'est un fait connu de tout Annecy , et qw moi , écrivain du présent mémoire , ai vu de mes propre* veux.

M. de fiernex a continué constamment à prendre le rà^me intérêt dans tout ce qui regardait madame de Warens. Il fil faire le portrait de cette dame , disant qu'il souhaitait qu'il restât dans sa famille ^ comme un monument honorable aon de ses plus heureux travaux. Enfin , quoiqu'elle fût éloi^rf de lui , il lui a donné , peu de temps avant que de mourir , do ' marques de son souvenir, et en a même laissé dans son testa- ment. Après la mort de ce prélat , madame de Warens s'erf entièrement consacrée à la solitude el à la retraite , disant qu'â- pres avoir perdu son père riea ne l'attachait plus au monde-

EXTRAIT D'UNE LETTRE A M. DAVENPORT DE WOOTTON-

Février lyfiy-

Il y en a quelques cents (livres) , entre autreft

le livre de V Esprit ^ in-4''< , première éditiou , qui est rare y et oii j*ai fait quelques notes aux marges. Je voudrais bien que et livre ne tombât qu'eatre des mains amies, ,,..., ^ i.

D'HELVETIUS.

RÉFUTATION

[du livre de L'ESPRIT,

Mut grand but de M. Helvëtîus dans son ouvrage est de ré- duire toutes les facultés de l'homme à une existence pure- ment matérielle. Il débute par avancer, t. i , dise. I, chap. I, j>. iqo (i) , M que nous avons en nous deux facultés , ou ^ s'il Tose M dire , deux puisëoncea paasifeê ; la sensibilité physique , et la » mémoire ; et il définit la mémoire une sensation continuée M mais affaiblie. >• A quoi Rousseau répond : // mt eembU qu*il faudrait distinguer les impressions purement organiques et iocalea , des impressions qui affectent tout l'individu ; tes pre^ mièrés ne sont que de simples sensations ; les autres sont des sen^ timens* Et un peu plus bas il ajoute : iVbn pas ; la mémoire est la faculté de se rappeler la sensation f mais la sensation , même affiiiblie , dure pas continuellement.

« léa mémoire , continue Hfelvétius , t. i , dise I , chap. I , H p. ao3 , ne peut être qu'un des organes de la sensibilité phy- * sique : le prmcipA qui sent en nous doit être nécessairement » le principe qui se ressouvient , puisque se ressouvenir^ comme >• je vais le prouver , n'est proprement que sentir, n Je ne sais pas encore ^ dit Rousseau , comme il va prouver cela ; mais je sais bien que sentir l'objet présent , et sentir l'objet absent , sont deux opérations dont la différence mérite bien d'être examinée.

(i) Lei renvois do ces pages et Je ces rolames se rapportent A rédiliori en i4 ToL. ia-i8 imprimée par P. Didol aîné.

I

6i8 RÉFUTATION

M Lorsqtie , par une suite de lues idces , ajoute l'Éuteur , t. i , » dise. 1, chap. I, p. ao6 , ou par l'ebranleracnl que certaiiti *• sons causent dans l'organe de mon oreille, je me rappellr » rimngc d'un chêne; alors raes organes intérieurs doivetil M nécessairement se trouver à peu près dans la même silualion » oii ils étaient à la vue de ce chêne : or , celte ftituatioa des M organes doit incontestablemeat produire uoe sensation j il » est donc évident que se ressouvenir , c'est sentir. »

Oui , dit Rousseau , vos organes intérieurs se frouveni à la iféritê dans la fîiime situation ils étaient à la vue du chêne, mais par l'effet d'une opération trh^diffèrenie. Et quant à ce que vous dites , que cette situation doit produire une sensation , (ju'appelez-vouà sensation? dit-il. Si une sensation est f im- pression transmise par l'organe extérieur à l'organe inténeur, la situation de l'organe inlérienr a beau être supposée la nUme , celle de f organe extérieur nui/njuant , ce défaut seul suffit pvur diatinguer le souvenir^ de la sensation. V^aiUeurt , il ne4t pas vrai que la situation de torgane intérieur soit la même dans U mémoire et dans la sensation ; autrement il serait impossihU de distinguer le souvenir de la sensation d'avec la sensation. Aussi rauteur se sauve-t^il par un a peu près ; mais une êituaiiûM d'organes , qui n'est qu'a peu près la même , ne doit pas prv duire exactement le même effet,

" Il est donc évident, dit Ilelvétius , t. i , di«c. I, ch. I , p. 30^, " que se ressouvenir soit sentir. » Il y a cette différence , répODd Rousseau , que la mémoire produit une sensation semblable tt non pas le sentiment ; et cette autre différence encore , qu0 la causf n est pas la même.

L*auteur , t. 1 , dise. I , ch. I , p. aoy, ayant poéé son prin- cipe , se croit en droit de conclure ainsi : u Je dis encore que »• c'est dans la capacité que nous avons d'apercevoir le^ ressein-

* blances ou les ditféreuces , le* convenances ou les disconrr- » Tiances qu*ont entre eux les objets divers , que consïMent toulo « les opérations de IVsprit. Or , cette capacité n*e»t que U iflo- <• sibilité physique même : tout se réduit donc à sentir. qui est plaisant ! s'écrie son adversaire : après atY>j> lègit affirmé qu'apercevoir et comparer sont la même chose , /V conclut en grand appareil que Juger cest sentir. £»9 concltêsion me parait claire ; mais c'est de l*dntécédfnC quil eagil.

L'auteur répète sa conclnaion d'une autre ruaiu(r« , I. i> dise. I , ch. I , p. 209 « et dit : u La conclu.^on de ce que je vient « de dire , c'est que si tous les mots des diverses langues ne de- » aigoeut jamais que des objets, ou les rapports de ces objns ■* avec nous et entre eu« ; tout Tesprit par conséquent cootutc

h comparer et nw sensations et nos idées , c'csl-à-dire à v^ >* les ressemblances et les diQércnces , les convenances et 1^ » disconvenances qu'elles ont entre elles. Or, comme 1* jug^ •< ment n'est que cette apercevauce elle-même, ou du m cm» <* que le prononcé de cette apercevance , il s'ensuit que tout£»

rem

m

DU LIVRE HE L'ESPRIT. 6ir>

» les opcralioTis de l'esprit se réduisant à juger. » Rousseau op- pose à celle concluMon une distiiïctiou lumineuse, Apemcevoih

LES OBJKTS , dit-il , c'est SENTIH J APERCEVOIR LES RAPPORTS , c'eST JUGER.

» La question renfermée dans ces bornes , continue l'auteur » de l'Esprit , t. i » dise. I , ch. I ? Jp- 5Sio , j'eiiaminerai mainlc- » nant si juger n*est pas sentir. Quand je juge de la grandeur » ou de la couleur des objets cjuVn nie présente , il est évident " que le jugement porté sur les différentes impressions que ces " objets onl faites sur mes sens n'est proprement qu'une sensa- « tion ; que je puis dire également , je juge ou je sens que , de » deux objets , Tua , que j'appelle lois9 , fait sur moi une im- » pression dinérentc de celui que j'appelle pied ; que la couleur " que je nomme rouge agit sur mes yeux différenunent de celle " que je nomme ya««tf ; et j'en conclus qu'en pareil cas juger » n'est jamais que sentir. » li y a ici wi sophisme irès-subiU ei très-important à bien rernarguerj reprend Rousseau : autre choie est sentir une dijfêrence entre une toi&e et un pied , et autre chose mesurer cette différence. Dana la première opération Vesprit est purement passifs mais dans Vautre il est actif. Celui çui a plus <le Justesse dans l'esprit pour transporter par la pensée le pied sur la toise , et voir combien de fois il y est contenu , est celui qui en ce point a ^esprit le plus Juste et fuge le mieux. Et quant à la conclusion , « qu'en pareil cas juger n'est jamais que sentir, •• Rousseau soutient que c^est autre chose , parce ^ue la cfjmpa— raison du Jaune et du rouge n^est pas la sensation du jaune ni celle du rouge.

L'auteur se fait ensuite cette objection , t. i « dise. I , ch. I , p. 21 1 : M Mais , dira-t-on , supposons qu'où veuille savoir si la •• force est préférable à \a grandeur du corps , peut— on assurer »' qu'alors juger soit sentir? Oui , répondrai— le^ car, pour porter M un jugement sur ce sujet , ma mémoire doit me tracer succès— » sivement les tableaux des siiuations différentes oîi je puis me M trouver le plus communément dans le cours de ma vie. u Comment ! réplique à cela Rousseau ; la comparaison successive de mille id^es est aussi un sentiment J II ne faut pas disputer des mots , mais l'auteur se fait un étrange dictionnaire.

Enfin ïlelvétius finit ainsi, t. i. dise. I , ch. I , p. 317 : « Mais , » dira-t— on , comment jusqu'à ce jour a-t-oii supposé en nous » une faculté de juger distincte de la facullé de sentir? L'on ne » doit cette supposition, répondraï-je , qu'à rimpossibitité oii » Ton s'est cru jusqu'à présent d'expliquer d'aucune autre ma— » nière certaines erreurs de l'esprit, w Point du tout, reprend Rousseau. O'est quil est très-simple de supposer que deux opé- rations d'espèces différentes se font par deux différentes facultés,

A la Bn du premier discours , t. 1 , dise. I , ch. IV, p- 3B4 y M. Helvétius, revenant à son grand principe , dit : f Rien ne •• m'empêche maintenant d'avancer queyujçer, comme je l'ai déjà prouvé, n'est proprement que «en^i'r. M yousn avez rien prou\fé-

€30 RÉFUTATION

sur ce point t répond Rousseau , sinon que ifou4 ajouUt au »m$ dit mot SF.NTIR le sens quê nous donnons au moi jcger : vou9 réunitnt ëous un mot commun deux faculté» essentiellement dijferentea. El fur ce que Hclvélius , dit encore , t. i , dise. I , ch. IV , p. a85 , <juc f I esprit peut être considéré comme la faculté prodactrice » de nos pensées, et n'est, en ce sens , que sensihililé et mê- » moire : » Rousseau met en note : Sensibilité, Mkicoiu r Jugement.

Dans son second discours, M. llelvétins avance , t. 2 , dite. II, ch. IV , p. 53 , « que nous uc concevons que des idées analof;aei » auit nôtres , que nous n'avons è^estimc sentie que pour cette V espèce d'idées ; et de cette haute opinion que chacun est, pour ainsi dire , forcé d'avoir de soi-nième , et qu'il appelle » nécessité oii nous sommes de nous estimer préféraUlement «ui » autres. Mais , ajoute-t-il , t. 2 , dise. II , ch. IV , p- 67 , on me » dira que l'on voit quelques gens reconnaître dans les autres plus » d'esprit qu'en eux. Oui , répondrai-je , on voit des hommes eo M faire l'aveu; et cet aveu est d'une helle ame. Cependant ils » n*ont , pour celui Qu'ils avouent leur supérieur , qu une estime » sur paroU : ils ne font que donner à l'opinion publique la pré- » féreucesur la leur, et convenir que ces personnes sont plus estimées, sans être intérieurement convamcus qu'elles soient » plus estimables. » Cela n'est pas vrai , reprend brusquement Rousseau. J'ai lon^-temps médité sur un sujet , et j'en ai tiré tjiulques vues at^c toute l'attention que fêtais capable d*y meHre. Je communique ce même sujet à un autre homme; et, durant notrt entretien y je vois sortir du cerveau de cet homme desfotilea d*idies neuves et de grandes vues sur ce même sujet qui mVn avait foarrU si peu. Je ne suis pas assez stupide pour ne pas sentir l'avantag* de ses vues et de ses idées sur les miennes : je suis dortc forcé dt sentir intérieurement que cet homme a plus d'esprit que moi, et de lui accorder dans mon cœur une estime sentie , supérieure è celle que j'ai pour moi. Tel fut le jugement que Philippe second porta de l'esprit d'Alonxo Peret, et qui fit que celui'^i s'estima perdu.

Helvétius veut appuyer son sentiment d'an exemple , et dit» l. a , dise. II, ch. IV , p. 57 , note : « En poésie, Fontenelle >► serait sans peine convenu de la supériorité du génie de Cor- « neille sur le sien , mais il ne l'aurait pas sentie. Je suppose, " pour s'en convaincre, qu'on eût prié ce m^me Fonleneiled* » donner, en fait de poésie, l'idée qu'il s'était formée de la per* « fection ; il est certain qu'il n'aurait en ce genre propos* •• d'autres règles fines que celles qu'il avait lui-mciue aus^i bim » observées que Corneille. •> Mais Rousseau objecte à cela : H ne s'agit pn^ de règles ; il s^agit du génie qui trouve les grande» images et les grande sentimens. Fontenelle aurait pu se ertiit* meilleur juge de tout cela que Cornet U e , mais non pas auMs bon inventeur : il était fait pour sentir le génie de Corneille, et non pour Régaler. Si fauteur ne croit pas quun homme ptùtt*

DU LIVRE DE L'ESPRIT. 6ai

éentir la supériorité d'un autre dans son propre genre , oêsurémeni il se trompe beaucoup : moi-même je sens la sienne, qttoiqtieje ne «où pas de son sentiment. Je sens qu'il se trompe en homme gui a plus d'esprit que moi : il a plus dti vues et plus lumineuses , mais tes miennes sont plus saines. Fénélon l'emportait sur moi à tous égards : cela est certain. A ce sujet Helvelius ayant laissé échapper l'expression « du poids importun de leslime, « Rouf- seau le relève en sVcriant : Le poids importun de C estime ! Eh dieu ! rien n'est si doux que festtme, même pour ceux qu'on croit supérieurs à soi.

« Ce n*est peut-être qu'en vivant loin des société», dit Helvé- « tius t t. a j dise. II , ch. VI ? p- 77 « qu'on peut se défendre des n illusions qui les séduisent. Il est du moins certain que, dans

ces mêmes sociétés , on ne peut conserver une vertu toujours » forte et pure , sans avoir habituellement présent à Tesprit le M principe de Tutilité publique; sans avoir une connaissance pro- » fonde des véritables intérêts de ce public , et , par conséquent , » de la morale et de la politique. » ji ce compte , répond Rous- «eau , il n*y a de véritable probité que chez Us philosophes* Ma Joiy ils font bien de s'en faire compliment Us uns aux autres,

Conséquemment au principe que venait d'avancer Tauleur , il clit , t. a , dise. II , ch. VI , p. 78 , note , « que Fontenclle défi— V niïisait le mensonge, taire une vérité quon doit. Vn homme

sort du lit d'une femme , il en rencontre le mari : D'où venez- » %*ousl lui dit celui-ci. Que lui répondre ? Lui doit— on alors la » vérité ? Non, dit Fontenelle, parce qu'alors la vérité n'est utiU )• à personne, n Plaisant exemple .' s'écrie Rousseau : comme si celui qui ne se fait pas un scrupule de coucher avec la femme d' autrui s'en faisait un de dire un mensonge ! Il se peut qu'un adultère soit obligé de mentir j maie l'homme de bien ne veut être ni menteur ni adultère (1).

Lorsqu'il dit , t. a , dise. II , ch. XU, 168 , « Qu'un poète » dramatique fasse un bonne tragédie sur un plan déjà connu , » c'est, dit-on, un plagiaire méprisable; mais qu'un général » se serve dans une campagne de rordre de bataille et des slra- tagémes d'un autre gênerai , il n'en parait souvent que plus m estimable : «» Tautre le relève en disant : Vraimenty je U crois bien ! U premier se donne pour l'auteur ^ une pièce nouvelle , le second ne se donne pour rien ; son objet est de battre l'ennemi. S'il faisait un livre sur les batailles , on ne lui pardonnerait pas plus le plagiat qu'à l'auteur dramatique. Rousseau n'est pas plus in- dulgent envers M. Helvétius lorsque celui-ci altère les faits pour autoriser ses principes. Par exemple, lorsque , voulant prouver que , t( dans tous les siècles et dans tous les pays , la probité n'est u que l'habitude des actions utiles ù sa nation , il allègue , t. a , « dise. II , ch. XIII , p. 190 f l'exemple des Lacédémoniens qui

(1) Helvélius a dit : «Tout devient Irgiliinr, et même vertaeuXt poar » le talat public, d Roosteau a mii ea aote,ik c6té: Le satut public n*sst rien y si tous les particuliers ne sont en sûretés

^

Gaa RÉFUTATION DU LIVRE DE L'ESPRIT.

» penueUaient le vol , et conclut cnsuitet l- di*c. Il, cli. XIIT, *• p. jryi , que le vol , nuisible à tout peuple riche , inaiâ uliJe » à Sparte, y devait être honoréj » Rousseau remarque que /r fol n'était permis qu'aux enfans t et quil nest dit nulte pari qut. /eit hommes volassent , ce qui est vrai. Et sur le même sujet l'au- teur , dans une note, ayant dit •> qu'on jeune Lacédénionien ,

•» plulùl que d'avouer sou larcin , se laissa , sans crier , dévorer

» le ventre par un jeune renard au'i! avait volé et cache sous m

robcj » son critique le reprend ainsi avec raison : // n^estibi

nulle part que l'enfantftît questionné : il ne s'agissait que m pas déceler son vol, et non de le nier- Mais l^ auteur e«t hienaitt de mettre adroitement le mensonge au nombre des vertuê iacidé^ moniennea,

M. Helvétius, t. a , dise TI, ch. XV, p. 243, faisant l'apologie du luxe, porte res])rit du paradoxe jusqu'à dire que les teflimes i^alantes , dans un sens politique , sont plus utiles à Téfat que lei feinines sages. Mais Rousseau répond : IJune soulage des gens qtti souffrent : l' autre favorise des gens qui veulent s'enrichir; en exti^ tant l'industrie des artisans du luxe, elle en augmenté le nombrt ; en faisant la fortune de deux ou trois, elle en excite vingt ù prends un état ils resteront misérables ; elle multiplie iee sujets dan» les profesnions inutiles , et les fait manquer dans les profestioM nécessaires.

Dans une autre occasion, t. 3, dise. II, cL. XXV, p. 146. note, M. Helvétius, remarquant que « l'envie permet k chacun » d'être le panécryriste de sa probité, et nou de son esprit,* Rousseau , loin d'être de son avis , dit : Ce n'est point cela;mait c'est qu'en premier lien la probité est indispensable , et IM* l'esprit ; et qu'en second lieu il dépend de nous d*éire hanmétm gens , et non pas gen^ d'esprit.

EnHn , dans le premier chapitre du troisième discours , t. îr p. ï63 , l'auteur entre dans la question de rèducation cl de Têg»- lilé naturelle des esprits. Voici le sentiment de Rousseau là-de«us, exprimé daus nue de ses notes : Le principe duquel l'auteurdèdttit, dans les chapitres suivans , V égalité naturelle des esprits, etqn'il a tâché ttétablir au commencement de cet ouvrage, est y»* les jugemene humains sont purement passifs. Ce principe a établi et discuté avec beaucoup de philosophie et de prtfondeat dans t Encyclopédie , article ÉvroENCE. J'ignore qiiel est tautev de cet article ; mais c'est certainement un très-grand '• -■'■rrf' cien : Je soupçonne l'abbé de Condillac on M. de l' -j*

qu'il en soit^ J'ai tâché de combattre et d'établir l'ocf;\ ii* tic not jugemens dans les notes que fat écrites au commencement détf livre y et surtout dont la première partie de In ProfesMion de fmis vicaire sai»oyard. Si j'ai raison , et que le principe de Hf Ifflre* tius et de l'auteur susdit soit faux , tes raisonnemenjt des vhapitM suivans , qui n'en sont que des conséquences , tombent , et tl oVrf pas vrai que l'inégalité des esprits soit l'effet de la stuieidacù' tionf quoiqu'elle jr puisse influer beaucoup.

LE PERSIFLEUR co.

±Jis ^non m'a appns qne les écrivains qui sVtaient chargés d'examiuer les ouvrages nouveaux avaieut, par divers accidcns, successivement résigné leurs emplois , je me suis mis en tête que je pourrais fort bien les remplacer ; et , comme je n*ai pas la mauvaise vanité de vouloir être modeste avec le public , j*avoue franclieraent que je m'en suis trouvé très-capable j je soutiens inême qu'on ne doit jamais parler autrement de soi , que quand on est bien sûr de n en pas être la dupe. Si j'étais un auteur connu , j'affecierais peut-être de débiter des contre-vérités â mon désavantage , pour lâcUer , â leur faveur, d^amener adroi- tement dans la mt^me classe les défauts que je serais contraint d'avouer : mais actuellement le stratagéaie serait trop dange- reux ) le lecteur, par provision, me jouerait infailliblement le tour de tout prendre au pied de la lettre : or, je le demande à mes chers confrères , est-ce le compte d'un auteur qui parle mal de soi ?

Je sens bien qu'il ne suffit pas toat-à-fait que je sois convaincu de ma erande capacité , et qu'il serait assez nécessaire que le public fut de moitié dans cette conviction : mais il m'est aisé de montrer que cette réflexion , même prise comme il faut , tourne presque toute à mon profit. Car remarquez, je vous prie, que , si le public n'a point de preuves que je sois pourvu des talens convenables pour réussir dans Touvrage que j'entreprends, on ne peut pas dire non plus qu'il en ait du contraire. Yoilâ donc déjà pour moi un avantage considérable sur la plupart de mes cOQcurrens ) j'ai réellement vis-à-vis d'eux une avance relative de tout le chemin qu'ils ont fait en arrière.

Je pars ainsi d'un préjugé favorable , et je le conHrme par les raisons suivantes , très-capables , à mon avis, de dis.<iper pour jamais toute espèce de doute désavantageux sur mon compte.

1". On a publié depuis un grand noniore d'années une lufinité de journaux, feuilles et autres ouvrages périodiques, en tout pays et en toute langue, et j*ai apporté la plus scrupuleuse at- tention à ne jamais rien lire de tout cela. D'oit je conclus que , n'ayant point la tête farcie de ce jargon , je suis en état d'en tirer des productions beaucoup meilleures en elles-mêmes, quoique peut-être en moindre quantité. Cette raison est bonne pour le public; mais j'ai été contraint de la retourner pour mon libraire, en lui disant que le jugement engendre plus de choses à mesure que la mémoire en est moms chargée , et qu'ainsi les matériaux ne nous manqueraient pas.

a". Je n'ai pas uon plus trouvé k propos , et à peu près par la Tnême raison , de perdre beaucoup ae temps à l'étude aes sciences

(l) Ce morcesa deviit Ptre In première fenille d*un écrit pêrirMlique pro)eté, dit Fauteur, pour être bit alternativeinent enlre M. D. . . et lui: rauieuren esquiftiia la preinièrefcuill*; et^ par tlea ércaMBeoi im- prérut, le projet «u Uemeuia U.

624 lepeusifleur.

à celle des auteurs anciens», f.a physique SYSÏPniatirjtie depuis loug-tcmps reléguée dans le p«^'& des romans , la p^Ji ~ «xpêrintpntale ne me paraît plus que Tari d'arranger agréai»! jueut de jolis brinibonons , et la géométrie celui de se passer da raisonnement à l'aide de quelques formules.

Quant aux anciens , il m'a semblé que , dans les jugemens que j'aurais à porter , la probité ne voulait pas que je donnasse le -change h mes lecleurs, ainsi que faisaient jadis nos savans, eu substituant frauduleusement, à mon avis qu*ils attendraient, celui d'Aristote ou de Gcéron dont ils n'ont que faire : grâce à J'csprit de nos modernes, il jr a long-temps que ce scaodaie a cessé , et je me garderai bien d*en ramener la pénible mode. Jt me suis seulement appliqué à la lecture des dictionnaires ; et j'jr «i fait un tel profit , qu'en moins de trois mois je me buis vu en «tat de décider de tout avec autant d'assurance et d'autorité qur si j'avais eu deux ans d'étude. J'ai de plus acquis un petit recueil de passages latins tirés de divers poètes, oîi je trouverai de quoi broder et enjoliver mes feuilles y en les ménageant avec économie •fin qu'ils durent long-temps. Je sais combien les vers latins, cités k propos^ donnent de relief a un philosophe ; et , par la même raison , je me suis fourni de Quantité d*axiomes et de sentences

Shilosophiques pour orner mes dissertations^ quand il sera queslioi e poésie. Car je n'ignore pas que c'est un devoir indispensable, pour quiconque aspire à la réputation d'auteur célèbre , de parler pertinemment de toutes les sciences, hors celle dont il se m^lr. D'ailleurs , je ne sens point du tout la nécessité d'être fort savant pour juger les ouvrages Qu'on Dousdonne aujourd'hui. Ne dirait-OQ pas qu'il faut avoir lu le père Pétau , Montfaucon , etc. , et êltit profond dans les mathématiques, etc. pour jugerTan^ai, Grigri, Angola, Misapouf , et autres sublimes productions de ce siècle 7

Ma dernière raison , et , dans le fond , la seule dont j*avsii besoin , est tirée de mon objet même. Le but que je me propOM dans le travail médité est de taire Tanalise des ouvrages nouveaux

?ui paraîtront , d'y joindre mon sentiment , et de communiquer un et l'autre au public; or, dans tout cela, je ne vois pas la moindre nécessité d'être savant. Juger sainement et impartiale- ment , bien écrire , savoir sa langue ; ce sont , ce me semble , toutes les connaissances nécessaires en pareil cas : mais ces con- naissances, qui est-ce qui se vante de les posséder mieux que moi et à un plus haut degré ? A la vérité , je ne saurais pas bien dé* montrer que cela soit réellement tout-à-fait comme je le dis» mais c'est justement à cause de cela que je le crois encore pi»» fort : on ne peut trop sentir soi-même ce qu'on veut persuader aux autres, derais-je donc le premier qui , h force de se croire un fort habile homme, l'aurait aussi fait croire au public? et si je parviens à lui donner de moi une semblable opinion , qu'elle soil pien ou mal fondée , n'est-ce pas , pour ce qui me regarde , k pett près la même chose dans le cas dont il s'agit ? On no peut donc nier que je va sois três-foadc k m'ériger rn

I

m^

LE PERSIFLEUll. SiS

Anstarque , en juge souverain des ouvrages nouveaux , loaanl > blâmant , critiquant à ma fantaisie , sans que personne soit en droit «le me taxer rie témérité, sauf k tous et un chacun de se prévaloir contre moi du droit de représailles, que je leur accorde de trbs-srand crrur , désirant seulement qu'il leur prenne en gré de dire au mal de moi de la m(?me manière cl dans le même sens que je m'avise d'en dire du bien.

CVst par une suite de ce principe d'équité que , n'étant point connu de ceux qui pourraient devenir mes adversaires , je déclare c^ne toute critique ou observation personnelle sera pour toujours bannie de mon journal. Ce ne sont que des livres que je vais exa- miner- le mot d'auteur ne sera pour moi que l'esprit du livre jiième , il ne s'étendra point au-delà ^ et j'avertis positivement flue je ne m'en servirai jamais dans un autre sens t de sorte que SI , dans mes jours de mauvaise humeur , il m'arrive quelquefois de dire, voilà un sot, un impertinent écrivain, c'est l'ouvrage seul qui sera taxé d'impertinence et de sottise, et je n'eulends nullement que l'auteur eu soit moins un génie du premier ordre , et peut*^tre même un digne académicien. Que sais-je, par exemple , si Ton ne s'avisera point de régaler mes feuilles des épithetes dont je viens de parler? or on voit bien d'abord que je ne cesserai pas pour cela d'être un homme de beaucoup de mérite.

Comme tout ce que j'ai dit jusqu'à présent paraîtrait un peu Yagiie , si je n'ajoutais rien pour exposer plus nettement mon projet et la manière dont je me propose de l'exécuter, je vais prévenir mon lecteur sur certaines particularités de mon carac- tère , qui le mettront au fait de ce qu'il peut s'attendre à trouver dans mes écrits.

Quand-Boileau a dît de l'homme en général qu'il changeait du blanc au noir , il a croqué mon portrait en deux mots , en qualité d'individu. Il l'eut rendu plus précis , s'il y eût ajouté toutes les autres couleurs avec les nuances intermédiaires. Rien n'est si dis- semblable à moi que moi-mtîine ; c'est pourquoi il serait inutile de tenter de me définir autrement que par cette variété singtilière; elle est telle dans mon esprit , qu'elle influe de temps à autre jasqnessur messentimens. Quelquefois je suis un dur et féroce Tuisantrope^ en d'autres momens , j'entre en extnse au milieu des charmes de la société et des délices de l'amour. Tantôt je suis austère et dévot , et , pour le bien de mon ame , je fais tous mes elforls pour rendre durables ces saintes dispositions : mais je deviens bientôt un franc libertin j et , comme je m'occupe alors beaucoup plus de mes sens que de ma raison , je m'abstiens cons- tamment «l'écrire dans ces momens-là. C'est sur quoi il est boa que mes lecteurs soieut sufUsamment prévenus , de peur qu'ils ne s'attendent à trouver dans mes feuilles des choses que certai- nement ils n'y verront jamais. Kn un mot , un Prêtée , un camé— Jéon , une femme , sont des êtres moins changeans oue moi : ce ^ui doit dès l'abord ôler aux curieux toute espérance ae me recon- ataitre quelque jour à mou caractère^ car ils me trouveront tou- 5.

67.6

LE PEUSIFLEUR.

jours sous quelque forme particulière qui ne sera la mienne qiit prndanl ce inoincnl-là. ht ils ue peuvent pas mcine es|>t'rfr de nie reconnaîlre â ces chongeracns ; car, comme iU n'ont point «le période fixe, ils se feront quelquefois d'un instant â l'autre , et, d'autres fois, je demeurerai des mois entiers dans le mrme état. Cest cette irrégularité même qui fait le fond de ma coi»ti« tution. Bien pins ; le retour des mêmes objets renouvelle ordinai- rement en moi des dispositions semblables à celles oii je me rats trouvé la première fois que je les ai vus, c'est pourquoi je «uit- Skssci constamment de la même buiueuravcc les mêmes personnel. De sorte qu'a entendre séparément tous ceux qui me connaissent, rien ne paraîtrait moins varié que mon caractère : mais jillei aux derniers éclaircissemens ; Tun vous dira que je suis badin; J'autrc, grave; celui-ci me prendra pour un îgTiornnl , l'autre pour un boauue fort docle ; en un mot , autant de tètes , autant d'avis. Je me trouve si bizarrement disposé à cet égard, quVtaot un jour abordé par deux personnes à la fois , avec l'une des- quelles j'avais accoutumé d être gai jusqu'à la folie , et plus téné- breux qu'Heraclite avec l'autre , je me sentis si pui&samnimt agité, que je fus contraint de les quitter brusquement , de peur que le contraste des passions opposées ne me fît tomber « syncope.

Avec tout cela, à force de m'examiner, je n'ai pas laitirde démêler en moi certaines dispositions dommanles et tertaru reiours prpsque périodiques qui seraient ditliciles k reiturqorr à tout autre qu ù Tobsen'ateur le plus attentif, en un mot . qu'« moi-même; c est à peu près ainsi que toutes les vicissitude» ft les irrégularités de l'air n'empêchent pas que les rnarios rt Ir* babitaus de la campagne n';y aient remarqué quelques circoo»- lanccs annuelles et quelques phénomènes, qu'ils ont réduit» en règle pour prédire :i peu près le temps ciu'il fera d.-ins ceriBUK* saisons. Je suis sujet , par exemple, à deux dispofiilions pnnci- pales, qui changent assez constamment de huit en huit joun, et que j'appelle mes aiues hebdomadaires: par l'une, )e nte trouve sagement fou, par l'autre follement sage : mais de Irlle manière pourtant que, la folie l'emportant sur la saeefKe «lao* l'un et dans l'autre cas elle a surtout manifestement le oeAsosdaD» la semaine je m'appelle sage; car alors le fond d<* toutes leiau- tières que je Irnile , quelque raisonnable qu'il puisse être en «ei* se trouve pres<|ue entièrement absorbé par les futilités et In extravagances dont j'ai toujourssoinde l'habiller. Pour ixionvae folle , elle est bien plus sage que cela ; car , bien qu'elle lire toiK jours deson pro|)re fonds le texte sur lequel elle argumente, rll* met tant d'art , tant d'ordre et tant de force dans ses raisonw mens et dans ses preuves , qu'une folie ainsi déguisée ne ditfrt* pre.sqiieeu rien de la sagesse. Sur ce*! idées, que je garantis \aAth ou H. pruprès, je trouve un petit problême à proposera nifilf* leurs, et p* les prie de vouloir bien décider laquelle c'est dci»<* deux âmes qui 4 dicté cette feuille.

m

LE PERSIFLEtJR. 6.17

Qu'on ne s'attende donc point à ne voir ici que t\e sages et graves dissertations : on y en verra sans doute j et ou serait la variété? Mais je ne garantis point du tout (]u*au milieu de la plus profonde métaphysique il ne me prenne tout d'un coup une saillie extravagaulc, et fju'emUoUant mon lecteur dans ricosacdre de Bergerac je ne le transporte tout d'un coup dans la lune; tout comme , à propos de rAriosle et de rUippogriffe, je pourrais fort bien lui citer Platon, Locke ouMalebranche.

An reste, toutes matières seront de ma compétence, j'étends ma juridiction indistinctement sur tout ce qui sortira de la presse : je m'arrogerai mOuie , quand le cas y écherra , le droit île révision sur les jugemens de mes confrères; et , non content de me soumettre toutes les imprimeries de France, je me pro-

1)056 ausAÎ de faire, de temps en temps, de bonnes excursions lors du royaume, et de me rendre Irihulaircs l'Italie, la Uol^ lande , et mèmerAnglelerre, chacune k son tour, promettant , fui de voyageur, la véracité la plus exacte dans les actes que j'en rapporterai.

Quoique le lecteur se soucie, sans doute, assez pen des détails que je lui fais ici de moi et de mon caractère , j*ai résolu de ne pas lui en faire grâce d*une seule ligne; c'est autant poursonpro- îitque pour ma commodité que j'en agis ainsi. Apres avoir com- mencé par me persifler moi-même, j'aurai tout le temps de persiiler les autres; j'ouvrirai les yeux, j'écrirai ce que je vois , et Ton trouvera que je me serai assez bien acquitté de ma tâche. Il me reste â faire excuse d'avance aux auteurs que je pourrais maltraiter à tort , et au public de tous les éloges injustes que je pourrais donner aux ouvrages qu'on lui présente : ce ne sera jamais volontairement que je commettrai de pareilles erreurs. Je sais que rirapartialité dans un journaliste ne sert qu'à lui faire des ennemis de tous les auteurs , pour n'avoir pas dit , au gré de chacun d'eux, asser de bien de lui, ni assez de mal de ses confrères; c'est pour cela que je veux toujours rester inconnu. lV!a grande folie est de vouloir ne consulter que la raison et ne dire que la vérité: de sorte que, suivant Tétcndue de mes lu— raiëres et la disposition de mon esprit, on pourra trouver en moi, tantôt un critique plaisant et badin , tantôt un censeur «évêre et bourru, non pas un satirique amer ni un puéril adu- lateur. Les jugemens peuvent être faax, mais le juge ne sera jamais inique.

LA REINE

FANTASQUE

CONTE.

XI y avait autrefois un Toi qui aimait son peuple... Cela com^ xuence comiue un conte de fce , interrompit le druide. C'en e»l un aussi > repondit Jalamir. Il y avait donc un roi qui aimait ion peuple , et qui , par conséquent , en était adoré. Il avait fatl tous se»eflbrt5 pour trouver des ministres aus6t bien intentiounét que lui; mais ayant enfin reconnu la folie d'une pareille rr- cherche, il avait pris le parti de faire par lui-même toutes les choses qu'il pouvait dérober à leur malfaisante activité, Couimtf il était fort entètédu bizarre projet de rendre ses sujets heureux, il agissait en conséquence ; et une conduite si singulière loi don- nait parmi les grands un ridicule ineffaçable. Le peuple le bénis- sait ; mais , à la cour , il passait pour un fon. A cela près , il ne manquait pas de mérite; aussi s^appelait-il l'hcnix.

Si ce prince était extraordinaire , il avait une femme qui l'é- tait moins. Vive , étourdie , capricieuse , folle par la tête , sage parle cœur, bonne par tempéianieut , méchante par caprice; voilà, en quatre mots, le portrait de la reine. Fanta.sque était son nom : nom célèbre qu'elle avait reçu de ses ancêtres en lienc féminine, et dont elle soutenait dignement l'honneur. Cette per^ sonne si illustre et si raisonnable élait le charme et le supplice de son cher époux ; car elle l'aimait aussi fort sincèrement, peut- être h cause ue la facilité qu'elle avait à le tourmenter. Alalgré l'amour réciproque qui renaît entre eux , ils passèrent plusieun années saus pouvoir obtenir aucun fruit de leur union. Le roi ca était pénétre de chagrin , et la reine s'en mettait dans des iin» patiences doni ce bon prince ue se ressentait pas tout seul : elle s>*en prenait à tout le inonde de ce qu'elle n^avait point d'enfans. Il n'y avait pas un courtisan h qui elle ne demandiït étourdi- ment quelque secret pour en avoir, et qu'elle ue rendit respoa- sable du mauvais succès.

Les médecius ne furent point oubliés, car la reine ayait pour eux une docilité peu commune; et ils n'ordonnaient pas une drogue qu'elle ne fît préparer très-soigneusement, pour avoir ie plaisir delaJenr jeter au nez à Tinstanl qu'il la fallait prendre. Les derx'iches eurent leur tour ; il fallut recourir aux neuvaineSf aux vœux , surtout aux offrandes. Et malheur aux desservans de» temples sa majesté allait en pèlerinage: elle fourrageait toutj et, sous prétexte d'aller respirer uu air prolifique, elle ne man- quait jamais de mettre sons dessus dessous toutes les cellules des moines. Elle portoit aussi leurs reliques , et s^affublait alteraali- vemeat de tous leur» différeus équipages : tantôt c'était uu cor-

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LA REINE FANTASQUE.

629

don blanc, (aniôl une ceinture de cuir, tantôt un capucbon , tantôt un scapulaire; il n*y avaitsortede mascarade monastique dont sa dévotion ne s'avisât; et comme elle avait un petit air éveille rjui la rendait charmante sous tous ces déguiM'nicns, elle n'en (luittait aucun sans avoir eu soin de s'y dire peindre.

Enhn , à force de dcvolious si bien faites, à force de méde- cines si sagement employées, le ciel et la terre exaucèrent les Voïux de la reine; elle devint grosse au moment qu'on commen- tait â en désespérer. Je laisse à deviner la joie du roi et celle an peuple. Pour la sienne , elle alla , comme toutes ses passions , jusqu'à Textravagancc : dans ses transports, elle cassait et brisait toulj elle embrassait indifféremment tout ce qu'elle rencontrait , Lomnies, femmes, courtisans, valets; citait risquer de se faire étouffer que se trouver sur son passage. Elle ne ronnai.ssatl point, disait-elle, de ravissement pareil à celui d'avoir un enfant k qui elle piU donner le fouet tout à sou aise dans ses momens de mauvaise humeur.

Comme la grossesse de la reine avait clé long-temps inutile- ment attendue, elle passait pour un de ces évèncmeus extraordi- naires dont tout le monde veut avoir l'honneur. Les médecins l'attribuaient â leurs drogues, les moines à leurs reliques, le peuple à ses prières, et le roi à son amour. Chacun s'intéressait il IVnfant qui devait naître, comme si c'eût été le sien ; et tous faisaient des viru\ sincères pour l'heureuse naissance du prince , car on en voulait un ; et le peuple , les grands et le roi réunis- saient leurs désirs sur ce point. La reine trouva fort mauvais au'on s'avisât de lui prescrire de qui elle devait accoucher, et oéclara qu'elle prétendait avoir une ftlle, ajoutant qu'il lui pa- raissait assez singulier que quelqu'un osât lui disputer le droit de di^Doserd'uD bien qui n'apparteuait iacontestablemeat qu'à elle seule.

Phénix voulut en vain loi faire entendre raison : elle lui dit nettement (|ue ce n'étaient point lu ses affaires, et s'enferma dans son cabinet pour bouder; occupation chérie à laquelle clic em- ployait régiilièreiuent au moins six mois de raunce. Je dis six mois, non de suite, ceùt été autant di? rrpn^ pour son mari, mais pris dans des intervalles propres k le chagriner.

Le roi comprenait fort bien que les caprices de la mcre ne détermineraient pas le seie de l'enfant; mais il était au désespoir qu'elle donnât ainsi ses travers en spectacle â toute la cour. 11 eût sacriné tout au monde pour que I estime univer»elle eût ju^liné J'amour qu'il avait pour elle; et le bruit qu'il fit mal â propos eu cette occasion ue fut pas la seule folie que lui eût fait taire le ridicule espoir de rendre sa fcmuii; raisonnable.

Ne sachant plus à quel saint se vouer, il eut recours îi la fée Discrète son amie, et la protectrice de son royaume. La fée lui conseilla de prendre les voies de la douceur, c'est-à-dire, de demander excuse à la reine. Le seul but , lui dit-elle, de toutes les fantaisies des femmes est de déâoiicalcr un peu la morgue-

G3o LA REINE

masculine , et d'accoutumer les hommes à Tobéissanc^y qnî Wcor convicpt. I.c meilleur moyen que vous aycï degiicrir le^ entr»- vagances de votre fenimc est d*exlravaguer avec elle. Dès le mo- ment que vous cesserer de contrarier ses caprices , as^ures-voui qu'elle cessera d'en avoir, et qu'elle n'attend , pour devenir «affc, que de vous avoir rendu bien coniplcleiuent fou, Kaiteâ donc lf« choses de bonne grâce , et lâcher de cpder en cette occasion , pour obtenir tout ce que vous voudrez dans une autre. Le roi crut la f ce ; et, pour se conformer à son avis, s'etant rendu au cercle de la reine, il la prit à part, lui dit tout bas qu'il élnit fic.hi d'avoir contesté contre elle mal à propos, et qu'il lâcherait de U dêdommag/*r à l'avenir, par sa complaisance, de rhumeur quM pouvait avoir mue dans set discours en disputant icupoiimeQt contre clic.

Fantasque, qui craîçnil crue la douceur de Phénix ne la cou- vrit seule de tout le ridicule de celte affaire , se hAta de lui r^* pondre que sous celte excuse ironique elle voyait encore plu» dWgueil que dans les disputes prccc'dcnlcs, mais que, puisque les torl> d'un mari n'autorisaient point ceux d'une femme, elle M h:'itait de céder on cette occasion comme elle a\ait toujour fait. Mon prince et mon époux , ajoula-t-elle toulh.-nil, m'ordonne d'accoucher d'un garçon , et je sais trop bien mon devoir pour manquer d'obéir. Je n'ignore pas que quand sa majesté m ho- nore des marques de sa lendresî.e, cest moins pour l'amour de moi que pour celui de son peuple, dont rinicrct ne l'occupe guère moins la nuit que le jour ; |e dois imiter vn si noble déiktn* tcressemout, et je vais demander au divan un mémoire instructif du nombre et du sexe des enfans qui conviennent à la fatmlle loyale; mémoire important au bonheur de l'clat , et sur lequel toute reine doit apprendre >i régler sa conduite pendant la nuit.

Ce beau soliloque fut écouté de tout te cercle avec beaucoup d'attention , et je vous laisse à penser combien d'étials de rire furent asseK maladroitement ctouflés. Ah! dit tristement le roi rn sorl^int et haussant les épaules, je vois bien que quand on a une fcrume folle on ne pmit éviter d'rtrc un sot.

La fée Discrète, doni le sexe et le nom conirastairnl fpirlqttr- fois plai&aiument dans son caractère , trouva cette querelle si ré- jouissante, qu'elle résolut de s'en amuser jusqu'au bout. KIU; dit publiquement au roi qn'elte avait consulté les comètes «ui pré- sident à la naissance des princes , et qu'elle pouvait lui rejwndr» que l'enfant qui naîtrait de lui serait un garçon ^ mais eu secret elle assura la reine qu'elle aurail nue fille.

Cet «vis rendit tout à coup Fantasque aussi raisonnable qu'elle avait été capricieuse jusqu'alors. Ce fut avec une douceur et uod couiplaisnnce înfiuies qu'elle prit tontes les mesures possibles pour desolrr le roi et toute la cour. Elle se bâta de faire faire unt layette des pins superbes , alVectant de la rendre bl propre â un pirvon, qu'elle devint ridtculeâ une fille : il fallut , dansée des- sein , rhautjcr plusieurs modes^ mais tout ce:a uc lui coûtait rien*

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FANTASQUE. 63i

Ellr fit préparer nnbcau collier de Tordre, tout brillant de pie^- reries, et voulut absoluraent que le roi uoniimlt d'avance le gou- verneur et le prêce|iteur du jeune prince.

Sitôt qu'elle fut sûre d'avoir une fille , elle ne parla que dr son fils , et n'omil aucune des précaution* inutiles qui pouvaient faire oublier celles qu'on aurait dd prendre. Llle riait aux éclats en se peignant la contenance étonnée et bote qu'auraient tes grande ot les magistrats qui devaient orner ses coucbes de leur présence. Il me semble, disail-ellc il la fée, voir d'un côté notre vénérable cliancclier arborer de grandes lunettes pour vèriller le »exe de routant ; et de l'autre sa sacrée majesté baisser les veuit ,

et dire en balbutiant : n Je croyais In fée m'avait pourtant

» dit.... Messieurs, ce n'est pas raa faute : » et d'autres apoph- tliegmes aussi spirituels, recueillis par les savaus de la cour , et bientôt portés jusqu'aux extrémité* des Indes.

Kllese représentait avec un plaisir matin le dé'iordre et U con- fusion que cemeneilleux événement allait jeter dans toute ras- semblée. Klle se figurait d'avance les disputes, Tagitation de toutes le*, dames du palais, ))our réclamer , ajuster, concilier en ce moment imprévu les droits de leurs importantes cliarges, et toute In cour eu mouvement pour un béguin. '

(*e fut aussi dans cette occasion qu'ellp inventa le décent et spirituel usage de faire haran^ier par les magistrats en robe le prince nouveau né. Fbéuix voulut lui représenter que c'était avilir la magistrature à pure perle, et jeter nn comique extra- vagant sur tout le cérémonial de la cour, que d'aller en grand appareil étaler du pbébus .i un |M?tit marmot avaut qu'il le pût entendre, ou du moins y répondre.

Eh î tant mieux ! reprit vivement la reine , tant mieux nonr votre fils! Ne serait— il pas trop bcureiix que toutes les brtises qu'ils ont À lui dire fussent épuisées avant qu*il les entendit ? et voudrier-vous qu'on lui gard:U pour l'-lge do raison des discourt propres à le rendre fou? l'our dieu, l.iissez-les haranguer tout leur bien-aise, tandis qu'on est sAr <|u'il n'y comprend rien, et qu'il en a Tennui de moins : vous devez savoir de reste qu'on n'en est p.-is toujours quitte à si bon marcbé. 1! en fallut passer par-là; et, de l'ordre exprès de sa majesté, les |>résid>*ns du sénat rt de» académies commencèrent à composer , étudier, raturer, et feuil- J»'ter leur Vanmorière et leur Démosthène, pour apprendre k parler h nn embryon.

Enfin le moment critique arriva. La reine sentit les premières douleurs avec des transports de joie dont on ne s'avise guère en pareille occasion. Elle .se plaignait de si bonne grâce, et pleurait d'un air si riant , qu'on eût cru que le plus grand de ses plaisirs était celui d'accoucher.

Aussitôt ce fut dans tout le palai5 une rumeur épouvantable, Les uns couraient cbcrrher le roi , d'autres les princes, d'autres les ministres , d'autres le sénat ; le plus grand nombre et les plui pre&scs attaicut pour aller , et , roulant leur ti>uucau couuuc D\o-

63a la HEINE

fène , avftiVnt pour toute affaire de se donner nn air afTflire. Daa« empressement de rassembler lant de gens nécessaires , la der- nière personne à oui l'on songea fut l'accoucheur j et le roi, que son trouble mettait hors de lui ; ayant demande par nit'garde une sage-femme, cette înadvcrlance excita paruit les dames du palaii des ris immodérés, qui, joints k la bonne humeur de la reine, fi- rent l'accouchement le plus gai dont on eût jamais entendu parler. Quoique Tantasque eut gnrdê de sou mieux le secret de la fee, il n avait pas laissé de transpirer parmi les femmes de sa maîion^ et celles-ci le cardèrent si soigneusement eltcft-mémc», «ue le bruit fut plus de trois jours à s'cu répandre par toute la ville : de Aprtc qu'il n'y avait depuis long-temps que le roi seul qui n'en sût rien. Chacun était donc atteulif à la tcène ntii se préparait; Tm» térct public fournissant un prétexte à tous les curieux de s'aioa» ser aux dépens de lu famille royale, iU se faisaient une fêle d'é- pier la contenance de leurs majestés, et de voir uouiment , arec deux promesses conlradicloires, la fée pourrait se tirer d'atrairrs, et conserver son crédit.

Oh çU , mouseignour, dit Jalamir au druide en s'taterrornpanl, convenei: qu'il ne lient qu'à moi de vous impatienter dans 1m règles; car vous sentes bien que voici le moment des digressions, des portraits, et de celle mullilude de belles choses que tout au- teur homme d'esprit ne manque jamais d'employer à propO# dans rendroil le plus intéressant , pour ajouser ses lecteurs. Com- inenl, par dieu ! dit le druide, t'imagines-tu qu'il y en ait d*a5-ses sols pour lire tout cet esprîl-lû? Apprends qu on a toujours celui de le passer, et quVn dépit de M. l'auteur on a bientôt couvert son étalage des feuillets de son livre. El toi, qui fais ici le raiion- neur, penses-lu que tes propos vaillent mieux que l'esprit drt autres, et Mue, pour éviter Pimpulation d'une bOttt»e , il fruffî»e de dire qu'U ne tiendrait qu'à toi do la faire? Vraiment , il fallait que le dire pour le prouver ; et malheureuseinent je nài

f>as , moi, la re.ssource de tourner les feuillets. Consolez-vous, ni dit doucement Jalamir , d'autres les tourneront pour vous » jamais on écrit ceci. Cependant , considérci; que voilà toute U cour rassemblée dans la chambre de la reine; une c'est la iilui belle occasion que j'aurai jamais de vous poindre tant d'illus- tres originaux , et la seule , peut-être, que vous aurex de les connaître. i)ae Dieu t'cnteude ! repartit plaisamment le druide; je ne les connaîtrai que trop par leurs actions ; fais— le» donc agir Ai ton histoire a besoin d'eux, el n'en d\» mot s'ils sont inutile»; je ne veux point d'autres portraits que les faits. Puisqu'il n'y a pas moyen , dit Jalamir , a'égayer mon récit par un peu de nié* taphysique, j'en vais tout bêtement reprendre le fil. Mais conter pour conter est d'un ennui.... Vous ne savez pas combien At belles choses vous allez perdre. Aidez-moi , je vous prir , à me retrouver ; car l'essentiel m*a tellement emporté f que je uift piua à quoi j'en étais du conte. A celle rciuç, dit le druide uupatieaté,que tu ai taut de pciso

Kl u'avuiiI uluft i[f lAisoii iMMtr hiv <1n«:uiftm- In *«-llr,cHr lit .ifiiiurliT Ir ^niiir IVincr .

FANTASQUE. G'i3

k faire acconcher, ei av«c laqurlJe tu me ti^ns dqiuÎA unr hnur en travail. Oh! oh ! reprit Jalamir ^ croyet-vous que les eitfaiiî des rois se pondent comme des reufs de grives? Vous allez voir si ce îi'êlait pas bien U peine de pérorer. La reine donc, après bien des cris et des ris, lira enfin les curieux de peine et la Ice d'in- trigue, en mettant au jour une fîllo et un fçarçon plus beaux que la lune et le soleil , cl qui se ressemblaient si fort qu'on avait peine à les distinguer , ce qui fit que dans leur enfance on se pUi- ftait à les habiller de même. Dans ce moment désiré , le roi , fiortautde la majesté pour se rendre à la uature, fit des extrava- gances qu'en d'autres temps il ti*ciit pas laisse faire à la reiuc, et le plaisir d*avoir des cntans le renaail si enfant lui mcmc, qu'il courut sur son balcon crier à pleine tt'le : Jfe* amis , ré- jouisses—t^ous tous il vient de me naiire urijifn et à i^oua unpèru^ et unefilUit niafcmmi'. ïi.i reine, qui se trouvait pour la première fois de sa vie à pareille f<*te , ne s'aperçut pas de tout rouvrntçe qu'elle avait fait : et la foc , qui connaissait son esprit fantasque ^ St contenta , conforméujcnt à ce qu'elle avait désiré , dc lui an- noncer d'abord une fille. La reine se la fit apporter , et , ce qui snrprit fort les spectateurs, elle l'embrassa tendivment à la vé- rité, mais les larmes aux yeux, et avec un air de tristesse qui cadrait mal avec celui qu'elle avait eu jusqu'alors. J'ai déjà dit qu'elle aimait sincèrement son époux : elle avait été touchée de 1 inquiétude et dc l'atlendrifsemcnt qu'elle avait lu dans ses re- gards durant ses souffrances. Elle avait fait , dans un temps â la vérité singulièrement choisi, des réflexions sur la cruauté qu'il y avait il désoler un mari si bou: et , quand on lut présenta sa fille, elle ne eonf^ca qu'au rrgret qu'aurait le roi de n'avoir pas un fils. Discrète , à qui l'esprit de son sexe et le don de féerie apprenaient à lire racilemeut dans les Cfpurs , pénétra sur-le-champ ce qui se

f lassait dans celui de la reine ; et , n'ayant plus de raison pour lii déguiser la vérité, elle fit apporter le jeune prince. La rein** , revenue de sa surprise , trouva l'expédient si plaisant qu'elle eu fit des éclats de rire dangereux dans l'état oii elle clail. Klle se trouva mal. On eut beaucoup de peine à la faire revenir; et, si la fétî n'eût répondu de sa vie, la douleur la plus vive allait suc- céder aux tran.'iports de joie dans le cœur du roi et sur les visages des courtisans.

Mais voici ce qu'il y cul de plus singulier dans toute cette aven- ture : le regret sincère qu'avait la reine d'avoir tourmenté son mari lui fil prendre une aflection plus vive pour le jeune prince que pour sa sœur; et le roi de son coté , qui adorait la reine , marqua la même préférence à la fille qu'elle avait souhaitée. Les caresses indirectes que ces deux uniques époux so faisaient aiusi l'un à l'autre devinrent bientôt un goût très-<lécidé, et la reine ne pouvait nno plus se passer de son fils que le roi de sa fille.

Ce double évèuemcnt fit un grand plaisir atout le peuple, et le roMura du moios pour un temps sur la frayeur de manquer de luaitrcs. Les e5pnts forts , qui s'étaient moqués des promesses

634 LA REINE

Ae !a îé^^ furent moques à |pnr tour ; mais lU ne se linr«it nji pour battus , disant qîrils iracconî«irnt pasnirnie à la fre \ in- îailjibilité du niensoTipp , ni à sps prcdiclions la verla de rendre impossibles les chosr^i qu'elle annonçait : d'autres* fundrs sar U prédilection qui commençait U se déclarer , puu&^èrent l'impu^ dence jusqu^à îiouteiiir qu'en donnant un Sihk ta rrine et une fille au roi l'cvèuenient avait t\c tout point démenti la prr»pbrti4*.

Tandis (|ue tout se disjmsait pour la pompe du b.-iptèiiir de« deux nonvraiix nés, et qtn» 1 orgueil liumnin se préparait à briller burablement aux autels des dieux. . . Un moment , inter-* rompit le druide ; tu nie brouilles d'une terrible façon. Ap~ prend*-moi , je te prie, en quel lieu nous sommes. DVbora, pour rendre la reine enceinte , lu la promenai» parc3t des reli- ques et des capuchons : après cela tu nous as tont à coup fait passer aux Indes ; à présent tu viens me parler du baptême , et puiâ des autels des dieux. Par te grand Tliamiris ! je ne sais plus ai, dans la cérémonie que tu prépares, nous allons adorer Jiipiler , la bonne Vicr^çc , ou Mahomet. Ce nVst pas qu'à moi , druide , il m'importe beaucoup que tes deux bumbms soient baptisés ou circoncis ; mais encore faut-il obsenerle costume, et ne pas m'exposer U prendre un évêcjue pour le muphli , et le Missel pour 1 Alcoran. Le grand malheur ! lui dit Jalamiri d'aussi lins que tous s*y tromperaient bien. Dieu garde de mal tous les i}rélals qui ont des sérails et prennent pour de farabv le latin du bréviaire ! Dieu fasse paix â tous les honnêtes cafards qui suivent rinlolérance du prophète de la Mecque, toujours prêts à massacrer saintement le genre humain pour plus f;rande gloire du Créateur ! Mais vous devez, vous ressouvenir que nous somme» dans un pays de fècsy l'on n'envoie per- sonne en enfer pour le bien de son ame , l'on ne s'avise point de regarder au prépuce des gens pour les damner ou le* ab- soudre , et la mitre et le turban vert couvrent également les tètes sacrées pour servir de signalement aux yeux aes sa^es et de parure à ceux iies sots.

Je sais bien que les lois de la géographie , qui règlent tonte* les religions du monde, veulent que les deux nouveaux né$ soient musulmans > mais on ne circoncît que les mâles , et j*<i besoin uue mes jumeaux soient administrés tous deux ; ainsi trouvez bon que je les baptise. Fais , fais , dit le druide ; voîli , foi de prêtre , un choix le mieux motive dont j'aie entendu parler de ma vie.

La reine , qui se plaisait à bouleverser tonte étiquette, voulut se lever au bout de six jours et sortir le septi*»me , hous prétexte qu'elle se portait bien. En efTet elle nourriss.iit ses enfant; exemple odieux , dont toutes le» femmes lui représenli?renl Irè*- forteinent les conséquences. Mais Fantasque, qui craignait le» ravages du lait répandu , soutint qu'il n'y a point de temps plus perdu pour le plni<iir de la vie que celui qui vient aprr» U mort j que te bciu d'une femme morte dc se llélrit pas moins que celui

m^ÊÊÈ

m

FANTASQUE. 635

4]'un« nourrice , ajoutant d'un ton de ducgne qu'il n'y a point de si belle gorge aux yeux d*un mari que celle d'une mère uui nourrit ses enfnns. Cette intervention des maris dans des soint qui les regardent si peu fit beaucoup rire les dames ; et la reine, trop jolie pour l'être impunément, leur parut dès-lors , niali^é ses caprices , presque aussi ridicule que son époux , qu'elles appelaient par dérision le bourgeois de Vauj^irara.

Je te vois venir, dit aussitôt le druide ; lu voudrais me donner insensiblement le rôle de Schalihahan , et me faire demander s'il y a aussi un Vau«;irard aux Indes, comme un Madrid au bois de Boulogne, un Opéra dans Paris, et un pïiilosophrâ la conr. ATais poursuis ta rapsodic , et ne me tends plus de ces pièges j car n'étant ni marié ni sultan , ce nVst pas la princ d'être un sot.

Enfin , dit Jalamir sans répondre au druide, tout étant prêt , le jour fut pris pour ouvrir Wh portes du ciel aux deux nouveaux nés. 1-^ fée sr rendit de bon matin au palais, et déclara aux ail- fruste^ époux (ju'eile allait faire à cliacim de leurs enfaiis un pri- sent digne de leur uaissauc'c et de M<n pouvoir. Je veux, dit- elle, avant que l'eau magique les dérobe à ma protection « les enrichir de mes dons, et leur donner des noms plus cflicaces que ceux de tous lespieds-pluls du calendrier, puisqu'ils expri- meront les perfections dont j'aurai soin de les douer en même temps; mais comme vous devez connaître mieux que moi les qualités qui conviennent an bonheur de votre famille et de vos peuples , choisissez vous-mêmes , et faites ainsi d'un seul acte de volonté sur chacun de vos deux enfans ce que vingt ans d'éduca- tion font rarement dans la jeunesse , et que la raison ne fait plut dans un Âge avancé.

Aussitôt grande altercation entre les deux époux. La reine

Ï prétendait seule régler à sa fantaisie le caractère de toute sa iamille ; et le bon prince, qui sentait tonte l'importance d'un pareil clioix , n'avait carde de Tabandonncr au caprice d'une lemme dont il adorait les folies sans les partager. Pfaenix voulait des enfans qui devinssent un jour des gens raisonnables: Fan- tasque aimait mieux avoir de jolis enfans ; et pourvu (pi'ils bril- lassent â six ans, elle s'embarrassait fort peu qu'ils fussent des sois à trente. La fée eut beau s'efforcer démettre leurs majestés d'accord , bientôt le caractère des nouveaux nés ne fut plus que le prétexte de la dispute j et il n'était pas question d'avoir rai- son , mais de se mettre l'un l'autre à la raison.

Enfin Discrète imagina un moyen de tout ajuster sans donner le tort à personne , ce fut que chacun disposât h son gré de Tenfaut de son sexe. Le roi approuva un expédient qui pour- voyait à l'essentiel en mettant .*» couvert des bizarres souhaits de la reine l'héritier présomptif de la couronne; et vovant les deux enfans sur les genoux Je leur gouvernante, il se hâta de s'emparer du prince , non sans regarder sa sœur d'un œil de commisération. Mais Fantasque, d'autant plus mutinée qu'elle ■rail nioins raison de l'être , courut comme une emportée à la

636

LA REFNE

jeunr princesse. Et la prenant aussi dans ses bras: Vous toot iinis^px lou5 , dit-elle , pour m'exccd^r ; mais , /ifin <]uc le* c»— priccî du roi tournent malgré lui— luénie au prûfit rVun de tf^nfaiis > je déclare que je demande pour celui que )e tiens ton le contraire de ce qxi il demandera pour l'autre. Choisissez main tenant , dit-K^lle au rot d'un air de triomphe : et , puisque v trouvez tant de charmes â tout diriger, dcLidcz d'an seul i le sort de votre famille entière. La fée et le roi l^cUcrenl t vain dfî la dissuader d'une lùsoluliou qui mcllait ce prince daoS un étrange embarras; elle n'en voulut jamais démordre , et dît qu'elle se félicitait beaucoup d'un e\pcdient qui ferait reJA sur sa Hlle tout le mérite que le roi nt? saurait pas donner ii son fils. Ali ! dit ce prince outré de dépit, vous n'avez jaxuaif *• pour votre fille que de Taversion , et vous le prouvez dan» l'occa- sion la plus importante de sa vie; mais, ajouta-t-il dans on transport de colcre dont il ne fut pas le maître , pour la rrndr» parfaite en dcpildeyous, je deuianJc que cet enfant-ci vout ressemble. Tant micuit pour vous et pour lui, reprit vivement lu reine mais je serai vengée , et votre fille vous ressemblera. A peine ces mots fureiil-ils Uchés de part et d'autre avec unt impétuosité sans égale , que le roi , désespéré de son étourderie, 1rs eiàt bien voulu retenir ^ mais cVn était fait , et les deux m- fans étaient doués sans retour des caractères demandés, ht parçon reçut le nom de prince Caprice ; et la fille s'appela U princesse Raison , nom bizarre qu elle illustra si bien qu'aucunt femme n'osa le porter depuis.

Voili donc le futur successeur trône orné de tontes lef perfections d'une jolie femme , et la princesse sa s«i*ur destinée a posséder un jour toutes les vertus d^in honnête homrur et left qualités d'un bon roi ; partage qui ne paraissait pas des mîeul entendus , mais sur lequel on no pouvait plus revenir. Le plat* sant fut que l'nmour mutuel des deux époux agissant en cri în** tant avec toute la force que lui rendaient toujours, mais sou- vent trop lard , les occasions essentielles , et la prédilection n* J cessant d'agir, chacun trouva celui de ses enfans qui devait luil ressembler le plus mal partagé des deux, et so»f;ea moins À le™ féliciter qu'à le plaindre. Le roi prit sa fille dans ses bras ; et U serrant tendrement : Hélas ! lui dit-il , que le servirait la beau même do ta mère sans son talent pour la faire valoir/ Tu ser trop raisonnable pour faire tourner la tète à personne. Fan tasque , plus circonspecte sur ses propres vérités , ne dit pas ton ce qu'elle pensait de la sagesse du roi futur ; mais il était aisé d douter, à l'air triste dont elle le caressait , qu'elle r»lt au fond d cfTur une grande opinion de son partage. Cependant le roi , la regardant avec une sorte do confusion , lui ut quelanes repro- ches sur ce qui s'était passé. Je sens mes torts , lui dit-il , mai ils sont votre ouvrage ; nos enfans auraienlvalu beaucoup niieu que nous , vous «'tes cause qu'ils ne feront ([ur nous resseui Au moins , dit-cHc aussitôt en sautant au coa de gou mari , f

â:£s

FANTASQUE.

GV

ftuis sure qu'ils s*aimeront autant quM est possilile. Pbénix , touché de ce qu*il y avait de tendre dans celle saillie , se coii- •ola par celte réflexion qu*il avait &i souvent occasion de faire, qu'en eiTet la bonté naturelle et uu cœur sensible suJHscnt pour tout réparer.

Je devine ei bien tout le reste , dit le druide k Jalaniir en Vin- terrunipaut , que j'achèverais le conte pour toi. Ton prince Caprice fera tourner la tête à tout le monde, et «iera Irnp bien Vituitaleur de sa mère pour n'eu pas êtie le tourment. Il boule- versera le royaume en voulant le réformer. Pour rendre ses sujets heureux , il les mettra au désespoir , s'en prenant tou- jours aui autres de ses propres torts ; injuste pour avoir él^ iniprudent , le regret de ses fautes lui en fera couimellrc de nouvelles. Comme la sagesse ne le conduira jamais , le bien qu'il voudra faire aiiçmentera le mal qu'il aura fait. ICn un mot , qnoi(|u'au fond il tioit bon , sensible et cénércnx , ses vertus mt'mes lui tourneront â préjudice ; et sa seule étourderie , unie à tont «on pouvoir, le lera plus haïr que n'aurait fait une méchanceté râisonnée. D'un autre côté , ta princesse Raison , nouvelle hé— roinc du pays des fées , deviendra un prodige de sagesse et de prudence , et , sans avoir d'adorateurs , se fera tellement adorer au peuple, que chacun fera des ycrux pour être gouverné par elle : sa bonne conduite , avantageuse à tout le monde et à elle- fliéuie , ne fera du tort qu'à son frère , dont on opposera sans cesse les travers â ses vertus , et à qui la prévention publique donnera Cous les défauts qu'elle n^aura pas, quand uwme il ne les aurait pas lui-même. 11 sera question d'inlerverlir l'ordre de la succession au trône , d'asservir la marotte h la quenouille , et la fortune à ia raison. Les docteurs exposeront avec emphase les conséquences d'un tel exemple ^ et prouveront qu'il vaut mieux que le peuple obéisse aveuglément aux enragés que le hasard peut lui dounor pour maîtres , que de se choisir lui-mémo des chefs raisonnables ; que quoiqu'on interdise à un fou le Çouvemement de son propre bien , il est bon de lui laisser la suprême disposition de nos biens et de nos vies ; que le plus in- sensé des hommes est encore préférable â la plus sage des fem- niesj et que le mâle oulepremierné , fût-il un singe ou un loup , il faudrait en bonne politique qu'une héroïne ou un ange , naissant apri.'s lui , obéit à ses volontés. Objections et répliques de la part des séditieux, dans lesquelles Dieu sait comme ou verra briller ta sophistique éloquence; car je te connais, c'est surtout à médire de ce qui se fait que la bile sVxhale avec vo- lupté; et lou amêre franchise semble se réjouir de la méchan- ceté des hommes par le plaisir qu'elle prend h la leur reprocher.

Tubleu ! père druide, comme vous y allez! dit Jalamir tout surpris* quel Ûux de paroles! Oii diable avez-vous pris de si belles tirades? Vous ne prêchâtes de votre vie aussi bien dans le bois sacré, quoique vous n'y parliez pas plus vrai. Si je vous lais- sais faire, vous changeriez bientôt ua conte de fées en un truite

(

638 LA RtlINE FANTASQUF.

tie politique, et Von trouverait quelque jour, dans l^s cabinets Jcf pnnces , Jtarbe-tJleue ou Fcau-d'âTJO au lieu de Mârbiavel. lt«î$ Vôuï TueUeï point tant eu frais pour deviner la ^n mon coûte.

Pour vous montrer qne lesdtnouemens ne me maaqueiit pal au besoin , j'en v^iis d<tn$ quatre mot» expédier un non pas au^^i gavant que le votre ^ mais peul-ctre aussii naturel, et à coup sûr ptu^ imprévu. J

Vous saurcîs doD€ que les deux enfant jumeaux étant , commA | j,e l*ai remarqué, fort semblables de figure, et dn plus kabiltri de mOine , le roj , croyant avoir pri^ iion fifs, tenait sa fille entre fcs braji au moment de Tinlluertce ^ et que la reine , trompée par If^ choix deson mari, ayant aussi pris son fils pour $a fille» la fee profita de cette erreur pour doueriez deux enfansde la manicre t^ai leur cotivcDaît le rai&uiL. Caprice fut done le noiri de la priu- cesse » Hâi^on celui du prince son frère^ et, en dépit des bizarre» lies delà reine, tout se trouva dans Tordre naturel. Parvenu an trône âpres la mort du roi , Raison fit beaucoup de bien et fort peu de bruit f cherchant plutôt à remplir ses devoirs c]u*ii s'ïc- m quérir de la réput^itiou; il ne Bt ui guerre aux étrangers ni ^ii>«fl )ence à ses sujets, et reçut plu5 de bénédictions que dVIo^. Tous les projets formés sons le précédent règne furent exécuté* sous celui-cr } et en passant de la dominatiou du père sôu^ celte du fiU , les peuples, deux foi:^ heureux, crurent n^avoir pal changé de maître. La princesse Caprice , après avoir fait perdrA la vie ou la raison k de»îQuUitudes d^amans tendres et aimablesi fut enfin mariée k un rot voiiiin , qu^etfe préféra parce qu'il pvr^ lait la plus longue moustaclic et saulait le mieux à cloche-pied. Pour Fantasque j elle mourut d'une indigestion de pieds de per* drix en ragoût qu'elle voulut mauger avant de &e mettre au lit on le roi se morfondait à l'attendre , un soir qu'à force d*agacenct elle TaYtiit engagé à ycnit coucher avec elle.

1

TRADUCTION

DE

UAPOCOLOKINTOSIS DE SÉNÈQUE,

SUR LA MORT DE L'EMPEREUR CLAUDE.

Je veux raconter aux hommes ce qui sVsl passe dans les cicux le treize octobre, sous le consulat tl'Aslnius Marcellus et d'A- cilius Aviola, dans la nouvelle aunée qui commence cet heu- reux siècle (i). Je ne ferai ni tort ni grâce. Mais si J'on demande comment je suis si bien instruit j premièrement je ne repondrai rien, s'il me plait ; car qui nj'y pourra contraindre? ne sais-je pas que me voilà devenu libre par la mort de ce galant homme qui avait très-bien vérifie' le proverbe , qu'il faut naître ou mo- narque ou sot.

<^>ue si je veux repondre, je dirai comme un autre tont ce qui tne viendra dans fa tète. Demanda-t-on jamais caution à un historien juré? Cependant si j'en voulais une, je n'ai qu'à citer celui quia vu Dru<;i]le monter au ciel; il vous dira qu'il a vu Claude y monter aussi tout clochant. Ne faut-il pas que cet homme voie, bon gré mal gré, tout ce qui se fait là-haul? n'e&t-ii pas inspecteur de la voicappienne par laquelle onsait qu'Auguste et Tibère sont allés se faire dieux ? Mais ne rinterrogez que tête- à-tête; il ne dira rien en public; car aprcs avoir jure dans le sénat qu'il avait vu l'ascension de Drusille , indigné qu'au mépris d'une si bonne nouvelle personne ne voulût croire à ce qu'il avait vu , il protesta en bonne forme qu'il verrait tuer un homme en

Îïlcinc rue qu'il n'en dirait rien. Pour moi , je peux jurer, par e bieu que je lui souhaite , qu'il m'a dit ce que je vais publier. Déjà

Par un plni coiU't cbcmîn Taslre qnî nous ëcUire Dirigfîail à nos yetiv sa cciiirti- jouriulicie; Xx* dieu fanliiiMpic et brun qui prcsiilc au repos A de plus longdt-s luiitit proHiguait sea pavots ; La blafarde Cyiitbie, aux dri>eii»ile soii frère,

(i) Quoique le» )enx sécnlaire» etiiwent clé cêlrbrét par Auguste, Clanile , prétendaiil qu'il avMit lual calcule , Icn fil célrhrcr au»i ; ce qui «lonnsil M rîrc au prujric , quNiid It; cricur |.tubl le annonça , dans la forme ordinairr r dcn )cu\ qu<- iviil lioinine vnatit n'avait vus , ni ne reverraïl. Car, non-»oulemcat {iluM^ur» personnel encore vivantes avaieni vu ceux d'Auguste , roajs même il y cul des bitlrîons qui inucrent aux uns cl aux autres; et Vitellius n'avait pas honlo de dir« à Claude^ uialgrc ta pto- «lauatiou , Sœpc façitu.

64/» TRADUCTIOX

De M iriiite lueur éclairait riiémi^plttfre, 1,1 le difforme hiver olttennll le» honneurs Dr U Misoti des fruits et du dieu de» buvcni-a : Ije vcndnngour tdrdîÉ', d'une main engourdie, Olait cncur du ce^» quelque gr«pjie ilKlrif.

Mais peut-ctre f>arlerai-je aussi claîrortipnt en disant fjac cVtJit le treizième O'octobrc. A l'égard de Tlifure, je ne puis vous U dire exaclcmenl mai* il est à croire qoe l:i-deasus les pbilosoplin s'accorderont mieux que les horloges (i). Quoi qu'il en ioit , ion- posons qu'il clail entre six et sept ; et pui&que, non conlcn» de décrire le comniencemenl et la fin du jour, les portes, plus acli& que des raancpuvres , n'en peuvent laisser en paix le miliru , ^-oici comment dans leur langue j'exprimerais cette heure fortunée s

Dn'i dti Iiaut des cicnx le dieu delà lumîprv Avait en deux tituiti^ [larlagc rht'misiibrre , Kt jncssAul de la aiain «u'i» coursier» dcià U», Vers riiesp^rique bord accélérait leurs pasj

quand Mercure , que la folie de Claude avait tnujoim «inQSr« voyant son ame obstruée de toutes parts chercher vaioeoical irnpis.<iue, prit ^ part une des trois parques, et lui dit : Comment une fcmrac a-t-ellc assez de cruauté pour voir un misérable dans des tourniens si longs et si peu mérités? "Voilà bientôt soixanti^- quatre ans qu'il est en querelle avec son ame. <^u*altend*-tu donc encore? sounre que les astrologues, qui depuis son avènement ;)nDoncent tous les ans et tous les mois son trépas , disent mi du moins une fois. Ce n'est pas merveille , jVn conviens , s'ils »e trompent en cette occasion : car qui trouva jamais i^un heure? et OUI sait comment îl peut rendre l'esprit ? Mais n'importe; fais toujours ta charge : qu il meure , et code l'empire au plus di^e- Vraiment, répondit Clotbo , je voulais lui laisser quelques joun

Four faire citoyens romains ce peu de cens qui sont encore à être , puisque cVtait son plaisir de voir Grecs, Gaulois , Espa- gnols, Bretons, et tout le monde en toge. Cependant, comme il est bon de laisser quelques étrangers pour graine, soit fait selon votre volonté. Alors elle ouvre une boîte cl en tire trois fuseanx; l'un pour Augurions, Taulre pour Babe, et le troisième pour Claude; ce sont, dit-elle, trois personnages que j'expédierai dans l'espace d'un an à peu d'intervalle entre eux, afin que celui-ci n'adle pas tout seul. Sortant de se voir environné de tant de milliers d'hommes , que devieudrait-il abandonné tout d'uu coup à lui-même ? Mais ces deux camarades lui suJliront.

Bile dit : el d'un tour fait sur un vil fuseau , Du slupide mortel abri-geaut l'agonie,

(i) f^ mort de Claude fut long-temps cacbée au pcojile, îutqu'i M qn'Agrippin<* rAt pri« sas mesures puur ôler l'empire à Briiannicos el l'stsurcr h Nrroo j ce qui fïl que le public n'en «a^nit exactement le juur ni Tlieurv.

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 641

£IIo tranclir le coar» de w roynle vie.

A l'insiaiit I>achrsis, une de sra deux soeurs,

DanA un habit paré Hc frstons < t di- fleurs ,

£t le fmnl conronnrUri laurier» du Pcrtut^s^,

D'une toison d'argent prend une blinche tresse

Duni son ndroile main furme un fil drJirst.

Le fil sur le fu^ieau prend un nouxel éclat.

De sa rare beauié le» MKurs sont t'tunnt^es;

Et toutes à l'cnvi de guirlandes ornées,

Voyant briller leur Uine et sVnricliir encor.

Avec un fîl doré filant le siècle d'or.

De la blanche toison U laine déurhre,

Et de leurs doigis légers lapideuient loncbée, ConluH l'inslnnl sans p'*iiie, pI file et s'embellit ;

Do mille et mille tuiirs le fitscsa »c remplit.

Qu'il passe 1rs lonjts jours el U tratne fertile

Du rival de Céphalée! da vieux roi de Pyle !

Fliocbus, d'un chant de joie annonçant l'avenir.

De fuseaux toujours neafa s'eraprebse à les servir,

Et cherchant sur sa lyre un Ion qoi les séduise,

Les trompe heureuseuicul sur le lemps qui s'rpuise.

Fuisse un si doux travail, dil-il, r-tre étemel!

Les jours que vous filet ne sont pas d'un mortel :

11 nio sera semblable et d'air et de visage,

De Is Tojx et des chants il aura l'avantage.

Des siècles plus heureux renaîtront à la roiz;

Sa loi fera cesser le silence des lois.

Comme on voit du matin l'étoile radieuse

Annoncer le départ de ta nuit ténébreuse;

Ou tel que le soleil , dissipant les vapeurs,

Rend la lumière au monde et l'allégresse aux cœurs 1

Tel César va paraître ^ et la lerre éblouie

A ses premiers rayons est déjà réjouie.

Ainsi dit ApoUoa; et la parque, honorant la grande ame de Néron, ajoute encore de son chef plusteuri années à celles qu'elle lui file k pleines mains. Pour Claude , tous ayant opine que sa trame pourrie ft!it coupée , aussitôt il cracha son ame et cessa de paraître en vie. Au moment qu'il expira , il écouC.iit des comé- diens ; par oiiTon voit que si je les crains, ce nVst paysans cause. Aprt's un son fort bruyant de Torgane dont il parlait Je plus aiïicmcnt , son dernier mot fut; Foin i Je me sais embrené. Je ne sais au vrai ce qu'il fit de lui , mais ainsi faisait-il toutes cho5C$.

Il serait superflu de dire ce qui s'est p:issé depuis sur la terre. Vous le savez tous , et il n'est pas à craiodrc que le public en perde U mémoire. Oublia-l-on jamais son bonheur? Quant à ce qui s'est passe au ciel , je vais vous le rapporter; et vous devez» s'il vous plaît, m'en croire. D'abord on annonça à Jupiter un <|uidam d'assez bonne taille, blanc comme une chèvre, branlant ]a tète et traînant le pied drou d'un air fort extravagant, ioter- rogf* d'oii il était , il avait murmuré entre ses dents je ne sais <{uoi qu'on ue put entendre , et qui u'clait ni grec ui latin ni dant^ aucune langue conmie.

5. /,!

64%

TRADUCTION

Alors Jupiter , s'adressant à Hercule, qui ayant coum toule la terre eu devait connaître tous les peuples, le chargea d'allrr examiner de quel pays était cet homme. Hercule, aguerri contre tant de monstres, iic laissa pas de se troubler en abordant celui- ci : frappé de cette étrange face, de ce marcher inusité, de ce beuglement rauque et sourd , moins semblable à la voix d'ua animal terrestre qu'au mugissement d*un monstre marin : Ah! dit-il, voici mon treizième travail. Cependant, en recardint Tuieux, il crut dcmôler quelques traits d'un homme- Il lariéle, et lui dit aisément en grec bien tourné :

D'oà vien»-lu?quele»-tu?dequel paysea-ld?

A ce mot, Claude, voyant qu'il y avait des beanx-esprits, espéra que l'un d'eux écrirait son histoire ; et s*anzionçanl pour César par un vers d'Homère , il dit ,

Lct vents m'ont amené dei rivages tioyena. Mais le vers suivant eût été plus vrai ,

Dont j'ai détruit les murs , tué leftoiloyesi.

Cependant il en aurait imposé à Hercule , qui est un a£S9 homme de dieu , sans la Fièvre , qui, laissant toutes les an divinités à Kome, seule avait quitté son temple pour le suinr Apprenez , lui dit-elle , qu'il ne fait que mentir ; je puis le savoir luoi qui ai demeuré tant d'années avec lui : c'est un bourgeois de Lyon ; il est dans les Gaules k dix-sept niilli^s de Yicnnc; il n'est pas Romain , vous dis-je , c'est un franc Gaulois, et il 4 traite Rome à Ja gauloise. C'est un fait qu'il est de Lyon , oii L cinius a commandé si long-temps. Vous qui avez couru plofi pays qu'un vieux muletier , devez savoir ce que c'est que Ljoo et qu il y a loin du Rhône au Xanthe.

Ici Claude , enflammé de colbre , se mil à grogner le plos but qu'il put. Voyant qu'on ne l'enteudatt point, il lit signe quoo arrêtât Ja Fièvre ^ et du geste dont il faisait décoller les gtai (seul mouvement que ses deux mains sussent faire), il ordonmi qu'on lui coupât la tète. Mais il n'était nou plus écouté quel eût parlé encore à ses alTranchis (i).

On! oh! l'ami, lui dit Hercule, ne va pas faire ici le »ol. voici dans un séjour oîi les rats rongent le fer; déclare prompte* ment la vérité avant que je te J'arrache. Puis prenant na l" tragique pour lui en mieux imposer, il continua aiau ;

Nomme i\ l'iasUnl les lieux tu rtçxx» U jour. On ta laco avec toi \n périr tans retour. Df grands ruU ont seiili celle lourde m«wu« , Et ma main dans ses coup» ne s'est jamais dé^ue;

(i] On sait combien cet imbécile ivait peu de coniUUr>tion dsas * maison: i\ prine le mattre du monde avnît-il un vulct f\ai loi <i*tp^ oWir. Il est clonnnnt que Sén^que ait osé dire tont cola , lui qu» *l»ii courtisan j mais Agrippine avait twaoin de lui , et il le «avait tica.

r^ DE L'APOCOLOKINTOSIS. 643

Tr«tuble <le l'éprouver encore k l«s d< pens.

^L Quel murmure conflit eutendt-je entre in denU?

■^ Paile^et ne me tient pas plui long-lcmps en attente:

B Queld climuLi oui piuiluil rctte té*e braulaute?

Wr jHtlin, tlan» l'He!>prrie,au triple Géryua

W J'allu) porter U guerre, el , par occasion «

m De ae^ nobles troupeaux^ ravis dans «on Niable,

Ramenai dans Argos le Irophrc tioiiur<iblr.

^ En route , au pied d'un mont doré par l'oiienti

H Je vis se réunir duns un sf jour riant

K Xjir rapide loiirHiii de l'impclueux Kb6ne

L. I^t le cours incertain de la pai»ible Saùue :

W Est-ce le pays lu le^us le )0ur?

Hercule, en parlaut de la sorte, aifectait pliïs d'intrépidité

2u'il n'en avait dans l'ame, et ne laissait pas de craindre la main 'un fou. Mais Claude, lui vovanl l'air d'un homme résolu qut n'entendait pas raillerie, jugea quM n'était pas corarae à Rome, ou nul n^o^ait s'égaler à lui, et que partout le coq est maître sur son fumier. Il se remit donc à grogner^ et autant qu'on put l'entendre, il sembla parler ainsi :

J'espérais, o le plus fort de tous les dieux, que vous me pro- tégeriez auprès des autres», el que, si j'avarî eu à me renommer de quelqu'un , c'eût été de vous qui me counaissef si bien : car, souvenez—vouï-en , s'il vous plaît, quel autre que moi tenait audience devant votre temple durant les mois de juillet et d'aotVt? Vous savex ce que J'ai souffert misères, jour et nuit à la merci des avocats. Soyez sûr, tout robuste que vous êtes , qu'il vous a mieux valu purger les ctables d'Augias que d'essuyer leurs criailleries; vous avez avalé moins d'ordures (1).

Or dites-nous quel dieu nous ferons de cet hoiume-cî. En ferons-nous un dieu d'Ëpicure, parce qu'il ne se soucie de per- sonne , ui personne de lui? un dieu stoïcien , qui, dit Varron, ne pen«e ni n'engendr«? M'ayaut ni cœur ni tête, il semble assez propre à le devenir. Eh! messieurs, s'il eût demandé cet honneur k Saturne même, dont, présidant à ses jeux, il fit durer le mois toute l'année, il ne l'eût pas obtenu. L'obtieodra-1-il de Jupiter, qu'il a condamné pour cause d'inceste, autant qu'il était en lui, eu faisant mourir Silanus son gendre? et cela, pourquoi? parce qu'ayant une sœur d'une humeur charmante, et que tout !• monde appelait Vénus, il aima mieux l'apueler Junon. Quel «t grand crime est-ce donc, direz-vous, de fêter discrètement sa sœur? La loi ne le permet-elle pas h demi dans Athènes, et dans

l'Egypte en pleines)? A Rome Oh! à Rome! ignorer-

vous que les rais mangent le fer? Notre sage bouleverse tout. Quant k lui, j'ignore ce qu'il faisait dans sa chambre; mais le

L (1} Il y a ici trèâ-évidemmeat une lacune, que je ne vois pourtant

^^ tnarqnre dans aucune pdiliun.

^B (3) On sxii qu'il était permis en Egypte d*époa«pr sa sœur de père et ^^ detnére; et celii était aussi permis  Athènes, nuis pour la soeur de mère P seulement. Le mariage d'Ëlpiuire «t de Ciison en fournit an exemple.

644 TRADUCTION

voilà maintenant furelant le ciel pour se faire dieu , non content] d'avoir en Angleterre un temple oii les barbares le «errent comme tel.

A la fui, Jupiter s'avisa qu'il fallait arrêter les longues dispulet, et faire opiuer chacun à son rang. Pères conscrits, dit— il a tes collègues, au lieu des inlcrrogalious que je vous avais pernitsci, vous ne faites que battre la campagne; j'enlends'quc la cour reprenne ses formes ordinaires : que penserait de nous ce postu- lant tel qu'il soit ?

L'ayant donc fait sortir , il alla aux voix , en commençant par le père Janus. Celui-ci , consul d'un après-dîner , désigné le pre- mier juillet , ne laissait pas d'être homme h^ deux envers , regar- dant k la fois devant et derrière. En vrai pilier de barreau , il te mit à dffbitcr fort disertement beaucoup de belles choses que le scribe ue put suivre, et que je ne répéterai pas de peur de preudre uumotpourl'autre. 11 s'étendit sur la grandeur des dieui; soutint qu'ils ne devaient pas s'associer des taquins. Aulrcfou, dit-il , c'était tme grande allaire que d'être fait dieu : aujourd'luu ce n'est plus rien (i). Vous n'avez déjà rendu cet homuie-ci que trop célèbre. Alais, de peur qu'on ne m*accu!»e d'opiuer sur la personne et non sur la chose , mon avis est que désonnais on ne déîtic plus aucun de ceux qui broutent l'herbe des champs ou qui vivent des fruits de la terre ; que si , malgré ce sénatus-<au» suite, quelqu'un d'eux s'ingère à l'avenir de trancher du dieu, soit de fait soit eu peinture, je le dévoue aux Larves ; et j'opiue qu'à la première foire sa déîté reçoive les élrivières et soit lutse en vente avec les nouveaux esclaves.

Après cela vint le touV du divin fils deVica-Pola, désigné consul grippe-sou, et qui gagnait »a vie à grimeliner, et vendre les petites villes. Hercule passant donc à celui-ci lui loucha ga- lamment l'oreille; et il opinadaus ces termes: Attendu que le divin Claude est du sang du divin Auguste et du sang de la divine Livie son aicule, à laquelle il a même conHnné son brevet de déesse; qu'il est d'ailleurs un prodige de science, et que le bieu public ^ exige un adjoint â Técol de Komulus; j'opine qu'il soit dès ce I jour créé et proclamé dieu en aussi bonne forme qu'il s'en Soit " jamais fait, et que cet événement soit ajouté aux luétauior phoses d'Ovide.

Quoiqu'il y ei^t divers avis, il paraissait que Claude rempor-* terait; cL Hercule, qui sait battre le fer tandis qu'il e>t chaud, courait de côté el d'autre, criant : Messieurs, un peu de faveur; cette aflairr-ci m'iutéresîie : dans une autre occasion vous dispo* serez aussi de ma voix ; il faut bien qu'une main lave l'autre.

Alors le divin Auguste s'étant levé pérora fort pompeusement et dit : Pères conscrits, je vous prends à témoin que depuis que

(j) Jp ne laurai» nsc pertuader qu'il n'y ait pas encore aue Ucune «nir CC8 mots, O/im , i/iyiiiV, magna rcs erat rUum Jicri ^ oi crni-ci( /om fana nimtumfecijtt. Je n'y vois ni liaisuu , ni Uau«itiou , ui aocan» s»\>Uii de icos, À lu lire ain^ide suite.

(

mam

DE L'APOCOLOKINTOSIS. 6.5

je suis dieu je n*ai pas dit un seul mot , car je ne me raêle que de mes aflaircs. Mais comment me taire en cette occasion? Comment ilissimuler ma «louleur, oue le dépit aigrit encore? C'est donc pour la gloire de ce misérable cjue j'ai rétabli la paix sur mor et sur terre, que j'ai étouiïé les guerres civiles, que Rome est affermie par mes lois et ornée par mes ouvrages? O pères cons- crits, je ne puis ra'exprimerj ma vive indignation ne trouve point de termes ; je ne puis que redire après Téloquent Messala : L'étal est perdu! cet inibécîle, qui paraît ne pas savoir troubler Keau, tiiart les hommes comme des mouches. Mai* que dire de tant d'illustres victimes? Les désastres de ma famille rac laissent- ils des larmes pour les malheurs publics? Je n'ai que trop à par- Jer des miens ( i)- Ce galant homme que vous voyez, protège par mon nom durant tant d'années, me marqua sa reconnaissance en faisant mourir Lucîus Sitanus un de mes arricrc-petits-neveux , et deux Julies mes arrière-petites-nièces » l'une par le fer, l'autre par la faim. Grand Jupiter, si vous l'admettez parmi nous, à tort ou non , ce sera silremenl à votre bBme. Car dis-moi , je le prie, ô divin Claude, pourquoi tu fis tant t;i#r de gens sans les entendre, sans même t'iuformcr de leurs crimes. C'était ma coutume. Ta coutume? On ne la connaît pas ici. Jupiter, qui ;ne depuis tant d'années, a-t-il jamais rien fait de scniblabfe?

regnï

Quand il estropia son fils, le tua-l-il ? Quand il pendit sa fetnmc, 1 étrangla-t-il. Mais toi, n*a.5-tu pas mis à mort Messaline, dont j'étais le grand-oncle ainsi nue le tien (2)? Je l'ignore, dis-tu. Misérable 1 ne sais-tu pas qu'il l'est plus honteux de l'ignorer que de l'avoir fait?

Eutln Caius Caliguta s'est ressuscité dans son successeur. L'un fait tuer son bcau-pcrc(3}, et l'autre son gendre (4)- L'un défenJ qu'on donne au fils de Crassus le surnom de grand) Tautrc le lui rend et ïtiî fait couper la tctc. Sans respect pour un sang illustre , il fait périr dans une même maison Scribouie, Tristonie, Assa- rion, et ojt'me Crassus le grand , ce pauvre Crassus si compléle- jnent sot qu'il ciU mérité de régner. Songez, pères conscrits , «uel monstre ose aspirer k siéger parmi nous. Voyei, comment aéifîer une telle figure, vil ouvrage des dieux irrilé»? A quel «Mille» h quelle foi pourra-t-il prétendre? Qu'il réponde, et je Tue rends. Messieurs, messieurs, si vous donnez la divinité à de telles gens , qui diable reconnaîtra la vôtre? Ëq un mot, pères

(i) Je n*ai point traduit ces mots, Etianui Phormea grâce nescif ^ 0go jc/o, ENTIKONTONYKHNAiHS senesrit ou je ne\ctt , parce que )o n'y cutenti» rien du tout. Ffut.etre mirnis-fe trouvé quelque écUîrcitse- jneiil dauA lea adages d'Ernsme, nui* je ne «ni* poa à portée de lec COD- •ultei*.

(2) Fur l'adoption de Drusiis , Aaguile était Taïeul de Chude , mois il était aussi son grand oacle par la jeune Âolouiai mère do CUude ot nièce d'Auguslc.

(5) M. SiUnui.

(4) Foœpeîui M:tgnu5.

4(6 TRADUCTION

con^ritA^ je vous demande pour prix de nia complaUâ.nce et £« jna dlscrëtiQû de venger mes injiirei. Yoilk mes raisons , et voici mon avis.

Comme ainsi soit que le divin Claude a tae &on brau-p«re Appiu^ Silaoïïs, aes fîeui gendres, Pompeios Magnus cl Lucioi Silanus f Crassus beau-*përe de sa lille , cet hoxuuje si sobre (l) el en tout si semblable à lui, Scribonîe belle-nièrc de sa fille, Messalinc sa propre femme, et mille autres Jcut les noms ne finiraient point \ j'opine qu'il soit sévèrement puni, qu'on ne lut permette plii^ desit^gcr en justice , quVnfin banni sanft retard il ait k vider TOlympe en trois]otir$ et le ciel en un mois.

Cet avis fut suivi tout d'une vûiï. A l'instant le Cyllcmen (s) lui tordant le cou le lire au séjour

D'où ntil, dît-on , ne reloiiraa )»mitB.

En descendant par la voie sacrée ils trouvent un grand con- cours dhni Morcure demande la cause. Parions, dit-il » qne cVit sa pompe funèbre j et en effet , la beauté du convoi, rareeot n'avait pas été épargne , annonçait bien renlerrement d*un tlien. Le brtiitde? trompettes, des cors, destnstrnmcnfide toute espetf, et surtout de la foule, était si gnmd que Claude luî-incme pou* vait Tenlendre, Tout le monde elait dans l'allepres^e \ le peupff rûmainraarchaillégi'rementcommeavanl secoue ses fers, Agatlios et qne1aueiïckiicaneur«; pleuraient tout bas dans le fond du coi^ur. Les jurisconsultes, maigres, exténués (3)* commençaieul à res*

Ïnrer, et semblaient BOrtîr du tombeau. Un d'entre eux, rusant es avocatâ la télé basse déplorer leur perle, leur dit en s'appr(>- chant: Ne vous le disais-je pas , que les saturnales ne dureraient pas toujours?

Claude en voyant s*^s funérailles comprit enfin qu*îl était niocf. On lui beuglait à pleine tête ce cbaat funèbre en joli* vers hep» tasjllabes :

Ocriil h perte! 4 doolears!

Do QDB ruiièbrfs cUmeari

FpJAûnii rc'tcEttir In plarer

Qup chacun i^e cotiUï-fduBfF :

Cridns d'oo coiumtin accord «

Ciel f ri" grand liummc eM dortc mort !

Il ai (loue mort te: grand homme!

Htiftflï vous sdvïT lotis coinma i

Son» U fijrcp île son bra» ,

Il rail iDut Iv monde k 1h«,

(i) le «'ai gtitr* besoin, je crois , d'avertir que ce mot est pris iroat* qoeraent* Sut lonis , aprrs avoir dit i|uVi] lotil lemps , ta loiit tipa« Chiid« cUlL tonjonr» pri-l à manger i^l btitre ^ ajoiile qu%iii jour ^ JtytfA Knii de ion tril>uuaL t'odtur du diner dcA aalicas, îl plduU Ik loat« Taiidicncp, f t courut te lïiçUre â labié arec eus.

Îa) Mjprcurf. 5J ^^» î^:^^ ^'H n'anil d'autre loi que a* volonté doiinaîl p«u d'ott- rrage 4 cei œrajjL-Lirs.lâ.

DE L'APOCOLOKINTOSIS. d;;

Fatlail-il vaincre à Ucoiir»? FalUit-il, juflqaci «ou« TourM , Dm Bretons presque iguortâ. Du Cauce aux cheveux dorés Mettre L'orgueil à U cbaiiie. Et sous la hache rumaine Faire trembler l'Océan? FaIUit>il rn moins d'uu an Domtcr le Parthe rebelle? Fallait-il tl'un bras fidèle Bander l'arc, lancer des traita Sur des ennemis défailt, Et d'une audace guerrière Bteawr le Mcde au derrière ? Notre hotnmA était prêt à tout , De tout il venait k bout. Pleurons ce nouvel oracle. Ce f;vand prononceur d'arrêts, Ce Minos que par miracle Le ciel forma tout eiprès. Ce plwnix des beaux grnies N'épuiMÎl pniot tes partie* £d pUidoyera superflus; *

Pour )ugcr sans ac méprendre Il lui sufiiftait d'cniendre Une des deun tout au plus. Quel autre toute Tannée Voudra airgcr désormais. Et n'avoir , dans la journée. De plaisir que les procès? Minos , cédez-lui Ift placé Déjà son ombre vous chasse El va juger aux enfers. Fleurez ^ avocats h vendre ; Vos cabinets sont désrris. Rimcursqu'il daignait entendre , A qui lirca-voua vos vers? Et TOUS, qui comptiez d'avance Des cornets et de la chance Tirer uu ample trésor, Pleurez, brelanilïer célèbre, RienlAt un bTicher funèbre Va consumer loui votre or.

Clande se <lé!ectait à entendre ses louanges et aurait bien voulu s'arrêter plus tong-temm; mais le héraut des dieux, lui mettant la main au collet et lui enveloppant la tcte de peur qu*il ne fàt reconnu, l'entraîna par le chajnp de Mars, et le fit descendre aux enfers entre le Tibre et la voie couverte.

Narcisse, avant coupé par un plus court chemin, vint frais, sortant du bain , au-devant de son maître , et lui dit : Comment l les dieux chez les hommes! Allons, allons, dît Mercure, qu'on se dépêche de nous annoncer. L'autre voulant s'amusera cajoler 0on maître, il le hâta d'aller à coups de caducée, et Narct5se

l

648 TRADUCTION

arlil sur-le-champ. La pente est si glissante, et Ton descend ti aciîement, que, tout goutteux qu*il était, il arrive en un momnit à la pnrte des enfers. A sa vue, le jnoustre aux cent têtes dont parle Horace s'agite, hérisse ses horrible crins 5 et Narcisse, ac* coutume aux caresses de sa jolie levrette blanche , éprouva quel- que surprise à Paspect d'un grand vilain chien uoir à long poil, peu açréable à rencontrer dansTobscurîté. Il ne laissa pas pour- tant de s'écrier à hante voix : Voici Claude César. Aussitôt une foule s'avance en poussant des cris de joie et chantant ,

n Tient, rejooiuons-nouft.

Parmi eux étaient Caius Silius consul désigné , Juniu» Pryto- rius , Sextius Trallus , Helviiis Trogns, Colta, Tectus, Valens , Fabius, chevaliers romains que Narcisse avait toas expédies. Au milieu de la troupe chantante était le pantomime Mnester, k qui sa beauté avait coûté la vie. Bientôt le bruit que Claude arrivait par\int jusqu'à Messaline; et l'on vil accourir des pre- miers au-devant de lui ses affranchis Polybc, Mvron, Harpo- crate, Amphîpuset Pheronacle, qu'il avait envoyés devant pour préparer sa maison. Suivaient les deux préfets Justus Catonins , et nufns fils de Pompée; puis sesaniisSarumius Lucius, et Pedo Pompeius, et Lupus, et Celer Asinius, consulaires ; enfin la fille de son frère , la fille de sa sn^ur, son gendre, son beau-pèrr , la bclle-nière , et presque tous ses pareus. Toute celle troupe ic- court au-dcvaul de Claude, qui les voyant s'écria : Bon! \t trouve partout des ninis! Par quel hasard ètes-Tous ici?

Comment, scélérat ! dit Pedo Pompeins, par quel hasard? Et qui nous y envoya que toi— même, bourreau de tous les amis? Viens, viens devant le juge; ici je t'en montrerai le chemin Il le mène au tribunal d'Eaque, lequel précisément se faisatC rendre compte de la loi Comelia sur les meurtriers. Pedo hit inscrire son liomme , et présente une liste de trente sénateur», trois cents quinze chevaliers romains, deux cents vingt-un ci- toyens et d'autres en nombre infini , tous tués par ses ordres.

Claude effrayé tournait les yeux de tous côtés pour chercher ■nn défenseur; mais aucun ue se présentait. Enfin, P. Petroniu*. son ancien convive et beau parleur comme lui , requit vainement d'être admis à le défendre. Pedo l'accuse à grands cris, Pélrooe tâche de répondre; mais le juste Eaque le fait taire, et, apr<« avoir entendu seulement l'une des parties, condamne r«ccosê en disant :

11 est Irailc comme il traita les autres.

' A ces mots il se fit un grand silence. Tout le monde , étonné de cette étrange forme, la soutenait sans exemple; ruais Claude la trouva plus inique que nouvelle. On disputa 1ong-teaip4 sur la peme qui lui serait imposée. Quelques-uns disaient qu'il fallait faire un échange; que Tantale mourrait de soif s'il n'était m- couru^ quTxion avait besoin d'enrayer, et Sisyphe de reprendr*

[

DE L'APOCOLOKINTOSIS. Oig

Laleîne : mais comme relâcher un vétéran , c'eât e'té laisser à Claude l'espoir d'obtenir un jour la roènie grâce, on aima mieux imaginer (jxietquenouveau supplice qui, l*as5uietliâsanl à un vain travail , irritât incessamment sa cupidité par une espérance illusoire. Ëatjue ordonna donc qu'il jouât aux dés avec un cornet percé; et d'abord on le vit se tourmeuter inutilement à courir après ses dés.

Car â peine agitant le tnobîlo cornet

Anx dôa prêt» à partir it demande «onnett

Que, malgré tous les unii», enire ses doigt» avidea,

Du coruet dîToocr , p;i nier des Danaide»,'

Il >ent couler lesdi-a; iU lombenl, cl fnurent

Sur ta table ^ cDtrainé par «es gfiilrt rapides,

Son brss avec elTort jelle un cornel dr *rn*.

Ainsi pour terrasser son ndroit adversaire (i)

Bur l'arène un atlilèle, enflamme dcculèrei

Du ccsle qu'il élève espère le frapper ;

L'autre gnucliil, esquive , aie temps dVcliapper)

Et le coup, frappant l'air avec toute sa force.

Au bras qui l'a porté donne une rude entorse»

Là-dessus, Caligula paraissant toat à coup se mît k le réclamer comme son esclave. 11 produisait des témoms qui Tavaient vn le charger de soufflets et d* étriviêrcs. Aussitôt il lui fut adjugé par Eaque ; et Caligula le donna à Méaaiidre son affranchi , pour en faire ud de ses gens.

(i) J'ai pris la liberté de subsliluer eette eomparaisoa à celle de Si* •yphe , employée par Sénêque^ et trop rebattue depuis cet auteur.

AVERTISSEMENT.

Oir comprendra sans peine comment une espèce de défî a pu faire écrire ces quatre lettres. On demandait si un amant iî*uri demi-siècle pouvait ne pas faire rire. Il m'a semblé qu^an pouvait se laisser surprendre à tout âge ^ qu^ua barbon pouvait même écrire ju^qu^a quatre lettres d* amour, cl inté- resser encore les honnêtes gens, mais qu'il ne pouvait aller jusqu'à six saus se déshonorer. Je n'ai p^s besoin de dire ici mes raisons ^ ou peut les sentir en lisant ces lettres : après leur lecture , on en jugera.

r

LETTRES

A SARA.

Tim neo 8p« animi cretlaU matoi.

PREMIERE LETTRE.

X CI lis dans mon cœur , jeune Sara ; tu m'as pénétre , je !e sais , je le sens. Cent fois le jour ton œil curieux vient épier l'eflet de tes charmes. A ton air satisfait , à tes cruelles bontés , à tes mé- prisantes agaceries, je vois que tu jouis en secret de ma misère ; tu l*app1auuis avec un souris moqueur du désespoir oii tu ploners un mallicurcux , pour qui l'amour n'est plus qu'un oppronrc. ï\i te trompes , Sara ; je suis à plaindre , mais je ne suis point h rail- ler : je ne suis point digne de mépris , mais de pitié , parce que je ne m*en impose ni sur ma figure ni sur mon Âge, qu'en aimant je me sens indigne de plaire , et que la fatale illusion qui m'égare m'empêche de te voir telle que tu es , sans m'cmpècher de me Toir tel que je suis. Tu peux m'abuser sur tout , hormis sur moi- même : tu peux me persuader tout au monde, ciic<*plé que tu puisses partager mes feux insensés. C'est le pire de mes supplices de me voir comme tu me vois, tes trompeuses caresses ne sont pour moi qu'une humiliation de plus , et j'aime avec la certitude affreuse de ne pouvoir être aimé.

Sois donc contente. bien, oui, je t*adore; oui, je brûle

Sour toi de la plus cruelle des passions. Mais tente, si tu Toses, e ra'enchaîner à ton char , comme un soupirant à cheveux gris , comme un amant barbon qui veut faire Tagréable, et, dans son extravagant délire , s'imagine avoir des droits sur un jeune objet. Tu n'auras pas celte gloire , ô Sara ! ne t'en flatte pas : lu ne me verras point à les pieus vouloir t'amuser avec le jargon de la ga- lanterie , ou t'attendrir avec des propos langoureux. Tu peu\ m'arracher des pleurs, mais ils sont moins d'araour que de rage. Ris, si tu veux, de ma faiblesse; tu ne riras pas, au moins, de ma crédulité.

Je te parle avec emportement de ma passion , parce que Thu- milialion e&t toujours cruelle, et nue le dédain est dur à suppor- ter : mais ma jtassion , toute folle qu'elle est, n'est point em- portée- elle est à la fois vive et douce comme toi. Privé de tout espoir, je suis mort nu bonheur, et ne vis que de la vie. Tes plaisirs sont mes seuls plaisirs , je ne puis avoir d'autres jouis- sances que les tiennes, ni former d'autres vrrux que les vœux. J'aimerais mon rival même si tu Taimais : si tu ne l'aimais pas , je voudrais qu'il pût mériter ton amour j qu'il eût mon cœur pour

653

LETTRES

t*aiincr plus dignerDent , et te rendre plus hetirens^. CV^t Ir *cwl désir p<?mïis .i f(uiconque ose aimer sans f'Ire .limable. Aime, et sois aimée , ô Sara ! \is contente, cl je mourrai content.

SECOÎSDE LETTRE.

PuiSOrF. je vons ai écrit , je veux vous écrire encore : ma pre- inière faute en nllire une autre. Mais je fiauraî m arrêter, sojez- en sûre; et c'est la manière dont vous m'aurez traite durant mon délire, ({ui décidera de rae& scntiinens à votre égard quand j'en serai revenu. Vous avez beau feindre de n'avoir pas lu ma lettre, vous meutes; je le ^ais , vous l'avez lue. Oui, vous mentez sanA me rien dire, par l'air égal avec lequel vous croirez m'en implo- ser. Si vous t'tes la même qu'auparavant , c'est parce que vous avez été toujours fausse; et la simplicité que vous aHectez avec moi me prouve que vous nVn ave» jamais eu. Vous ne dissimules ina folie que pour Taugmenter ; vous n'êtes pas contente q\ie je vous écrive , si vous ne me voyez encore k vos pieds j vous voulei me rendrp aussi ridicule que je pcuï l'être ; vous voulez me don- ner en spectacle à vous-même , peut-être À d'autres; et vous ne vous croyez pas assez triomphante , si je ne suis déshonoré.

Je vois tout cela, fille artificieuse, aans cette feinte modestie par laquelle voua espérez m'en imposer, dans celle feinte égaJtlé par laquelle vous semblez vouloir me tenter d'oublier ma faute, en paraissant vous— mênie n'en rien savoir. Encore une foi.*, vont avez lu ma leltre ; je le sais, je l'ai vu. Je vous ai vue, quand l'entrais dans voire chambre , poser précipitamment le livre oii je l'avais mise j je vous ai vue rougir, et marquer un iiiomenl de trouble. Trouble séducteur et cruel , qui peut-être est encore un de vos piép^es, et qui m'a fait pins de nul que tous vos rr« f;ard$. (^hie devins-jc à cet aspect , cpii m'apite encore? Cent Coiâf en un instant, prêt à me précipiter aux pieds de l'orgneilleuîe , que de combats, que d'ellorts pour me retenir! Je sortÎA pour- tant, je sortis palpitant de joie d'échapper it l'indicne ba3se»<«

(

pper a i indigne 'nge < ue je peux vaincre , puis-

que j'allais faire. Ce seul moment me venge de les outrage*. Sni§ moins (îère, ô Sara! d'un penchant que je pe qu'une fois en ma vie j'ai déjà triomphé de toi.

Infortune I j'impute à ta vanité ae<t fictions de mon amour- propre. (^>iic n ;ii-ie le buiihcur de pouvoir croirt* que lu t'occupe* oe mm, ne fiU-ce que pour me tyrannisera Mais daigner tyran- niser im amant griïon serrait lui faire trop d'honneur encore. Non, tu n point d'antre art que ton iudinérence ; ton dédain fait toule ta coquetterie, tu me désoles sans songer a moi. Je suù malbeiireut jusqu'u ne pouvoir t'ocaiper nu moins de mes ridi- cules, et tu mépriee> m;i folie ju.squ'à ne daigner pas inênie l'en moquer. Tu as lu ma letlre , et lu l'as oubliée ; lu ne m'a* point é de mes maux , parce cpie tu n'y songeais pluj». Quoi ! je sui*

part

doue uni poux tui

le» fureurs, mes tourment, loin d'cKCiter La

A s A n A. fi53

pitié, nVxcitent pas même ton attcation ! Ah ! est cette dou- ceur que tes yeux promettent ? ou est ce sentiment si tendre qui parait les animer?... Barbare!... insensible h mou état, tu dois l'être ik tout sentiment honnête. Ta figure promet ujie amcj elle ment, tu n'os que de la terocilé... Ah Sara! j'aurais altenilu de ton bon coeur quelque consolation dans ma misère.

TROISIEME LETTRE.

EïVFiM , rien ne manque plus â ma honte , et je suis aussi hu- milie que tu 1*36 voulu. Voilà donc à quoi ont abouti mou dépit , tues combats, mo<» résolutions, ma constance! Je serais moins avili si j'avais moins resistr. Qui? moi! j*ai fait l'amour en jeune homme ? j'ai pas^é deux heures aux genoux d'un enfaol ? j'ai verse sur »es mains des torrens de larmes.'' j'ai souOert qu'elle me con- ftolàt , quelle me plaignit , qu'elle essuy^ïl mes yeux ternis par les ans? j'ai reçu d'elle des leçons de raison ^ de courage ? J'ai bien profité de ma longue expérience et de mes tristes réilexions! Combien de fois j'ai rougi d'avoir été à vingt ans ce que je re- deviens à cinquante! Ah ! je n'ai donc vécu que pour me désho- norer! Si du moins un vrai repentir me ramenait à des senli- niens plus honnêtes! Mais non; je sne complais, malgré moi , dans ceux que tu m'inspires, dans le délire oii tu me plonges , dans l'abai-^semenl tu m'as réduit. Quand je m'imagine , à non Âge, â genoux devaul toi, tout mon caur se soulève et s'irrite; mais il s'oublie et se pt^rd dan> les ravissemens que j'y ai sentis. Ah ! je ne me voyais |ias alors: je ne voyais que toi, hlle adorée: les charmes, tessentiinens, tes discours, remplissaient, formaient tout mon être; j'étais jeune de ta jeunesse , sage de ta raison , vertueux de ta vertu. Pouvais-je mépriser celui que tu honorais de ton estime? Poiivais-jc hau* celui que lu daignais appeler ton ami? Hélas ! cette tendresse de père que tu me demandais d'un ton si touchant, ce noiu de fille que tu voulais recevoir de moi , me faisaient bientûL rentrer en moi-raèine : les propos si ten- dres , tes caresses si pures, m'euchantaieut et me déchiraient ; des pleurs d'amour cl de rage coulaient de mes yeux. Je sentais que je n'étais heureux que par ma misère, et que, si j'eusse été plus digne de plaire, je n'aurais pas été si bien traité.

N'importe. J*ai pu porter l'attendrissement dans ton cœur. La

Ïiitié le ferme à Tamour, je le sais ; mais elle en a pour moi lous es charmes. Quoi ! j'ai vu s'immecter pouriuoi les beaux. yeu&I j'ai senti tomber sur ma joue une de tes larmes 1 Oh ! celle larme, <|uel embrasement dévorant elle a causé! Et je ne serais pas le plus heureux des hommes! Ah l combieu je le suis, au-de»»us de ma plus orgueilleuse altenlc !

Oui, que ces deux heures reviennent sans cesse, qu'elles rem- plissent ae leur retour ou de leur souvenir Je reste de ma vie. th ! qu'a-t-elle eu de comparable à ce que j'ai scuti daus celle

65^ LETTRES

allituJe? J*cU» humiliô, j'étais insensé, j^étais rltlicule; maifl j'êtaU hflureux, et j'ai goiUé dans ce court espace plus de plaiiirt fjne ]r n'en eus dans tout le cours de mes ans. Oui , Sara , oui , charmante Sara, j*ai perdu tout repentir , toute honte; je ne tne souviens plus de moi ; je ne sens ane le feu qui me d<-vore; je puis dans les fers braver les huées «u monde entier. Qne m'im- porte ce que je peux paraître aux autres? j'ai pour toi le creur «l'un jeune homme, et cela me sulîlt. L'hiver a beau couvrir l'Etna de ses glaces , son sein n'est pas moins embrasé.

QUATRIÈME LETTRE.

Qiioî ! c'était vous que je redoutais î c'était vous que je roo- gissais d'aimer ! O Saru ! fille adorable 1 ame plus belle que ligure ! si je m'eslirae désormais quelque chose , c'est d'avoir un cœur fait pour sentir tout ton prix. Oui , sans doute , je rougis de l'amour que j'avais pour toi ; mais c'est parce qu'il était trop rampant, trop languissant, trop faible, trop peu di^e de Mm objet. Il ^ a six uiois que mes veux et mon cncur aévorent tes cb«r* mes; il y a six mois que tu m'occupes seule , et que je ne vis que pour toi : mais ce n'est que d'hier que j'ai appris à ('aimer. Tan- dis que tu me parlais, et que des discours diunes du ciel âortatent de la bouche, jecroyais voir changer les traits, ton air, ton port, ta figure; je ne sais quel l'eu surnaturel luisait dans tes yeux, des rayon'» de lumière semblaient l'enlourer. Ah Sara 1 si réellement tu n'e^ pas une mortelle, si tu es Tange envoyé du ciel pour ra- mener uii caur qui sVgare , dis- le moi; peut-être il est temps cncure. ISe laisse plus profaner ton image par des désirs formes malgré moi. Hélas ! si je m'abuse dans mes veux, dans mes Irau^ porls, dans mes téméraires hommages, guéris-uxoi d'une erreur qui t'oiren^r, upprends-moi comment il faut t'adorer.

Vous m'aver. subjugué, Sara, de toutes les manières; et ù TOUS me faites aimer ma folie, vous me la faites cruellement sentir. Quund je compare voire conduite à la mienne, je trouve tm sage dans une jeune lille, et je ne sens en mot qu'un vieux en- fant. Votre douceur, si pleine de dignité, de raison , de biea* •éance, m'a dit tout ce que ne m'eiU pas dit un accueil plus ftévcre^ elle m'a fait plus rougir de moi, que n'eussent Tait v«t re|>i"Ochcs; et l'accent un peu plus grave que vous aver mis hier dans vos discours m'a fait aiséuicnt connaître que je n'aurais |>ai vous exposer à me les tenir deux fois. Je vous entends , Sara ; et j'espère vous prouver aussi que, si je ne suis pas digne do vont plâtre par mou timour, je le suis par les sentimens qui l'accoin' pagnent. Mon égarement sera aussi court qu'il a été grîtnd; von* me l'avez montré, cela suHil, j*en saurai sortir, soy f ;

quelque akéné que je puisse être, si j'en avais vn ton !'■ le,

îamais je n'aurais £ait le premier pas. Qoand je méritait des cen- •ures vous ne m'avez donné que des avis ^ cl vous avez bien toaIu

A SAKA. 655

ne me voir aue faible lorsque j'étais criminel. Ce que tous ne ]iravez pas dit, ju sais me le dire, je &ai4 donner à ina couduile auprès de vous \e nont que vous ne lui avez pas donné; et si j*ai pu faire une bassesse sans la connaître , je vous ferai voir que je ne porte point un cœur bas. Sans doute c est moins mon âge que le vôtre qui me reud coupable. Mon mépris pour moi m'erapê— cliail de voir toute Tindignité de ma démarche. Trente ans de diflcrencc ne me montraient que ma honte, et me cachaient vos dangers. Hélas! quels dangers! Je n'étais pas assez vain pour eu supposer : je n iiuaginais pas pouvoir tendre un piège à votre innocence; et si vous eussiez été moins vertueuse , ]'étais un su- borneur sans en rien savoir.

O Sara ! ta vertu est à des épreuves plus dangereuses , et tes charmes ont mieux à choisir. Mais mon devoir ne dépend ni de la vertu ni de les charmes; sa voix, me parle, et je le suivrai. <^>u'un éternel oubli ne peut-il te cacher mei; erreurs! Que ne les puis-je oublier moi-même! Mais non, je le sens, j'en ai pour la vie, et le Irait s'enfonce par mes efforts pour l'arracher. C'est mon sort de brûler, jusquâ mon dernier soupir, d'un feu que rien ne peut éteindre , el auquel chaque jour 6lc un degré d'espérance , et eu ajoute un de déraison. Voilii ce qui ne dépend pas de moi; mais voici, Sara, ce qui en dépend. Je vous donne ma foi d'homme qui ne la faussa jamais, que je ne vous reparlerai de mes jours de cette passion ridicule et malheureuse que j'ai pu peut-être empêcher de naître, mais que je ne puis plus élouller. Quand je dis que je ne vous en parlerai pas, j'entends que rien en moi ne vous dira ce que je dois taire. J'impose à mes yeux le même silence qu'à ma bouche : mais, de grâce, imposée aux vôtres de ue plus venir m'arracher ce triste secret. Je suis à l'é- preuve de tout , hors de vos regards : vous savez trop conibien il vous est aisé de me rendre parjure. Un triomphe si sAr pour vous, et si flétrissant pour moi, pourrait-il tlatter votre belle ame.' Non , divine Sara , ne profane pas le temple oti tu es ado- rée , et laisse au moins quelque vertu dans ce cœur à qui tu as tout ôté.

Je ne puis ni ne veux reprendre le malheureux secret qui m'est échappé; il est trop tard, il faut qu'il vous reste- et il est si peu intéressant pour vous, qu'il serait bientôt oublié si l'aveu ne s'ea renouvelait sans cesse. Ah ! je serais trop à plaindre dans ma misère, si jamais je ne pouvais me dire que vous la plaignez; et vous devez d'autant plus la plaindre, que vous n'aurez ]amai5à m'en consoler. Vous me verrez toujours tel que je dois être, raaii connaissez-moi toujours tel cuie je suis j vous n'aurez plus à cen- surer mes discours, mais soutirez mes lettres : c'est tout ce que je vous demande. Je n'approcherai Je vous que comme d'une di- vinité devant laquelle on impose silence â ses passions. Vos ver- tus suspendront l'elFet de vos charmes; votre présence purifiera mon cccur; je ne craindrai point d'être un séducteur en ne vous disant rien qu'il ne vous convienae d'entendre , je cesserai de me

65G LETTRES A SARA.

croire ridicule quand vous ne me verrez jamais tel ; et je rondrâî n'être plus coupable , quand je ne pourrai l'être que loiq it vous.

Mes lettres! Non. Je ne doîs pas même désirer de vou5 écrire, et vous ne deve£ le souffrir jamaU- Je vous estimerais looins n vous en étiez capable, ëara^ je te donne cette arme, pour t'en servir contre ïnoi» Tu peni être dépositaire de mon fatal serret, lu n'eu peuï être la con6denle, Ost asseic pour moi que tu te saches^ ce serait trop pour toi de IVntendre répéter. Je me tairai ; qu'aurais-je de plus a te dire? Bannis-moi, méprise-moi désofw mais, si lu revoie jamais ton amant dans Tami que tu t'es choisi, ^ans pouvoir te fuir, je te dis adieu pour la vie. Ce sacrifice était le dernier qui me restait k te fair^; C^étaît le &9itl ^ui fut digne de tes vertus et de mon ccsur.

i

POÉSIES.

€.

AVERTISSEMENT.

J'ai eu le malheur autrefois de refuser des yers à des personoff que j'honorais et que je respectais infiniment, parce que jem'r- Taifi aësormais interdit d'gi faire. J'ose espérer cependant que ceux que je publie aujourd nui ne les offenseront point ^ et je crois pouvoir dire, sans trop de rafïincmcnt , qu'ils sont l'ouvrage df Tuon coeur, et non de mon esprit. Il est même aisé de s'aperce- voir que c'est un enthousiasme impromptu, si je puis parler ainsi, dans lequel je n'ai guère songe k briller. De fréquentes répétitinni dans les pensées et même dans les tours, et beaucoup de négligence dans la diction , n^annoncent pas un lionimc fort cmpre&sè de U gloire d'être un bon poêle. Je déclare de plus que, si l'on me trouve jamais à faire des vers galans, ou de ces sortes de belles choses qu'on appelle des jeux d'esprit, je mVbandonne \olonticrs à toute rindignation que j'aurai méritée.

U faudrait m'excuser auprès de certaines gens d'avoir loué ma bienfaitrice, et, auprès des personnes de mérite, de n'en avoir pas assez dit de bien. Le silence que je garde à l'égard des pre- Tniersn'est passans fondement; quant aux autres , j'ai l'honneur de les assurer que je serai toujours înfîuiraent satisfait de m'en* , tendre faire le même reproche.

Il est vrai qu'en félicitant madame de Warens sur son pen- chant à faire du bien je pouvais m'éteudre sur beaucoup d'aulm vérités non moins honorables pour elle. Je n'ai point préteodu être ici un panégyriste, mais simplement un homme sensible et reconnaissant qui s'amuse h décrire «es plaisirs.

On ne manquera pas de s'écrier : Un malade faire des vers! on homme à deuK doigts du tombeau! C'est précisément pour ceU que j'ai fait des vers. 4Si je me portais moms mal , je me rroirtii comptable de mes occupations au bien de la société; l'état oufe suis ne me permet de travaillerqu'à ma propre satisfaction. Oinf bien de gens qui regorgent de biens et de santé ne pas^nl autrement leur vie entière! Il faudrait aussi savoir si ccuxqn me feront ce reproche sont disposés k m'cmploycr à quelfir chose de mieux.

I

LE VERGER

DES CHARMETTES.

ilara domua lenoem nua «speroalnr amioam : Rarjtque iion liuuiilem calcat fatlosa cUentun.

V F n c E R cher à mon c/Kur , séjour de Tinnocencc , Honneur des plus beaux jours que le ciel me tlispeiue, Solitude charmantCf asile de la paix, Puisse-je, heureux verger, ne vous quitter jamais!

O jours délicieux, coulés sous vos ombrages! Dp Philonièleen pleurs les languissans ramages, D'un ruisseau fiigitif le murmure flatteur. Excitent dans mon ame un charme séducteur. J'apprends sur votre craail à jouir de la vie : J'upurends à méditer sans regret , sans envie , Sur les frivoles goûts des mortels insensés; Leurs jours tumultueux, Tun par Tautre poussés, fi'endauiuieut point mon cœur du désir de les suivre. A de plus grands plaisirs je mets le prix de vivre. Plaisirs toujours charmans, toujours doux, toujours purs j A mon cœur enchanté vous êtes toujours sûrs. £oit qu'au premier aspect d'un beau )our prct d'éclofc J'aille voir ces coteaux qu*un soleil levant dore, Soit que vers le midi , chassé par son ardeur. Sous un arbre touffu je cherche la fraicheur; Là, portant avec moi Montaigne ou la Bruyère, Je ris tranquillement de Thumaine misère ; Ou bien , avec Socratc et le divin Platon . Je m'exerce à marcher sur les pas de Caton : Soit qu'une nuit brillante, eu étendant ses voiles, Découvre ii mes regards la lune et les étoiles; Alors, suivant de loin lallire et Cassini , Je calcule, j'observe, et, près de l'intiui , Sur ces mondes divers que Vétlirr nous recèle, Je pousse , en raisonnant , Iluyghens et Fontenelle ; Soit, entîn, que, surpris d^un orage imprévu, Je rassure , en courant , le berger cpcrdu , QuVpouvnuteut les veuts qui silllent sur sa tête , Les tourbillons, l'éclair, la foudre, la tempête; Toujours également heureux et satisfait, Je ne désire point un bonheur plus parfait.

O vous, sage Wareus, élève de Sliuerve, Pardonnez ces transports d'uoe indiscrète verve; Onoique j'enss« promis de ue rimer jamais, J ose chanter ici les fruits de vos bienfaits. Oui , si mon coeur jouit du sort le plus tranquille, Si J€suis in vf^rtuuaas un cbemia facile ,

€6o LE VERGER

Si je go Aie en ces lieux un repos innocent. Je ne dois qu'à vous seule un si rare présent. Vainement des cœurs bas, des antes mercenaires, Par des avis cruels plutôt que saUiïaires, Cent fois ont essayé de m'ôler vos bontés : Us ne connaissent pas le bien que vous goules En faisant des heureux, en essuyant des larmes : Ces plaisirs délicats pour eux n'ont point de charmes. De Tile et de Trajan les libérales mains N'excitent dans leurs cœurs que de? ris inhumains- Pourquoi faire du bien dans le siècle nous somme»? Se trouve-t-il quelqu^un , dans la race des hommes » Digne d'être tiré du rang des indigens? Peut-il dans la misère être dMionnélcs cens? Et ne vaut-il pas mieux employer ses richesses A jouir des plaisirs , qu'à faire des largesses? Qu'ils suivent à leur gré ces scntiuiens affreux y Je me garderai bien de rien exiger d'eux. Je n'irai pas ramper , ni chercher à leur plaire ; Mon cœur sait , s'il le faut , affronter la misère * Et , plus délicat qu'eux , plus sensible à l'honneur j Regarde de plus près au choix d'un bienfaiteur. Oui , j'en donne aujourd'hui l'assurance publique , Cet écrit en sera le témoin authentique , Que , si jamais ce sort m'arrache à vos bienfaits , Mes besoins jusqu'aux leurs ne recourront jamais.

Laissez des envieux la troupe méprisable Attaquer des vertus dont Téclat les accable. Dédaignez leurs complots, leur haine , leur fureur j La paix n'en est pas moins au fond de votre cœur » Tandis que , vils jouets de leurs propres funes , Alimens des serpens dont elles sont nourries , Le crime et les remords portent au fond des leurs Le triste châtiment de leurs noires horreurs. Semblables en leur rage à la gucpe maligne } De travail incapable , et de secours indigne j Qui ne vit que de vols , et dont entîn le sort Lst de faire du mal en se donnant la mort , Qu'ils exhalent en vain leur colcre impuissante j Leurs menaces pour vous n'ont rien qui m'épouvante : Ils voudraient d'un grand roi vous ôler les bienfaits j Mais de plus nobles soins illustrent ses projets : I-.eur basse jalousie et leur fureur injuste N'arriveront jamais jusqu'à son trône augujie ; El le monstre qui règne en leurs cœurs abattus N'est pas fait pour braver l'éclat de ses vertus. C'est ainsi qu'un bon roi rend son empire aimable ; Il soutient la vertu que l'infortune accable: Quand il doit menacer , la foudre est en ses main».

DES CHARMETTES. 66^

Toat roi , s&nfi sVle^'cr au-dessus des humaioi ^

Contre les criminels peut lancer le tonnerre j

Mais i sM fait des heureux , cVst un dieu sur ta terre^

Charles , on reconnail Ion empire à ces traits j

Ta main porte en tous lieux, la joie el les bienfaits ^

Tes sujets égales éprouvent ta justice j

On ne réclame plus , par un honteux caprice >

Un principe odieux, proscrit par l'équité ^

i^ui , blessant tous les droits de la société ,

Brise les nœuds sacrés dont elle était unie y

Refuse à ses besoins la meilleure partie ,

Et prétend affranchir de ses plus justes lois

Ceux Qu'elle fait jouir de ses plus riches droits.

Ah ! s'il t'avait sufh de te rendre terrible ,

Quel autre , plus que toi , pouvait être invincible ,

Quand l'Europe t a vu , guidant tes étendards ,

Seul entre tous ses rois briller au champ de Mars?

Mais ce n'est pas asseï d'épouvanter la terre ;

II est d'autres devoirs que les soins de la guerre j

Et c'est par eux , grand roi , que ton peuple aujourd'hui

Trouve en toi son vengeur , son père et son appui»

Et vous , sage Warens , que ce héros proLiîgc ,

En vain la calomnie en secret vous assiège ,

Craignez peu ses effets , bravez son vain courroux j

La vertu vous défend , et c'est assez pour vous :

Ce grand roi vous estime , il connaît votre zèle ^

Toujours à sa parole il sait être fidèle ;

Et , pour tout dire enfin , garant de ses bontés ^

Votre cœur vous répond que vous les méritez.

On me connaît assez , et ma muse sévère Ne sait point dispenser un encens mercenaire } Jamais a'un vil flatteur le langage affecté N'a souillé dans mes vers l'auguste vérité. Vous méprisez vous-même un éloge insipide « Vos sincères vertus n'ont point l'orgueil pour guide. Avec vos ennemis convenons , s'il le faut , Que la sagesse en vous n'exclut point tout défaut. Sur celte terre , hélas ! telle est noire misère , Que la perfection n'est qu'erreur et chimère. Connaître mes travers est mon premier souhait > Kt je fais peu de cas de tout homme parfait. La haine quelquefois donne un avis utile : BlAmez cette bonté trop douce et trop facile Qui souvent à leurs yeux a causé vos malheurs. Beconnaissez en vous les faibles des bons cceurs i Mais sachez qu'en secret l'éternelle sagesse Hait leurs fausses vertus plus que votre faiblesse ; Et qu'il vaut mieux cent fois se montrer à ses veux Imparfait comme vous , que vertueux coiume eux.

663 LE VERGER

Vous donc , dès mon enfance attâche'e k m'inslruire i A travers ma misère , hélas ! qui crwle» lire Que de tjuelqucs talens le ciel m'avait pourvu , Qui daignâtes former mon crrur à la vertu , Vous , que j'ose appeler du lendre nom de luère ^ Acceptez aujourd bui cet honiinage sincère , "Le tribut légitime , et trop bien merilë , Que ma reconnaissance oÎTrc â la vérité. Oui , si quelques douceurs assaisonnent ma rie ^ Si j*ai pu jusqu'ici me soustraire il Tenvie ; Si , le cœur plus sensible , et l'esprit moins grosïîcr i Au-dessus du vulgaire on m'a vu ra'élever ; Enfîn , si chaque jour je jouis de moi-même , Tantôt en m'clançant jusqu'à l'Etre suprême , Tantôt en méditant dans un profond repos Les erreurs des humains, et leurs biens et fcurs maax ; Tantôt , philosophant sur les lois naturelles , J'entre dans le secret des causes éternelles, , Je cherche à pénétrer tous les ressorts divers, Les principes cachés qui meuvent l'univers ; Si , dis-je , en mon pouvoir j'ai tous ers avantages j Je le répète encor , ce sont vos ouvrages , Vertueuse Warens j c'est de vous que je tiens Le vrai bonheur de l'homme et les solides bien». Sans craintes, sans désirs , dans celle solitude , Je laisse aller mes jours exempts d'inquiétude : O que mon cœur touché ne peut-il à son gré Peindre sur ce papier , dans un juste deeré , Des plaisirs qu il ressent la volupté parfaite ! Présent dont je jouis , passé que je regrette , Temps précieux , hélas î je ne vous perdrai plu* En bizarres projets , en soucis saper/lus. Dans ce verger charmant j'en partage IVspacc. Sous un ombrage frais tantôt je me délasse ; Tantôt avec Leibnitz , Malebranche et NeWloo , Je monte ma raison sur un sublime ton , J'examine les lois des corps et des pensées ; Avec J^ocke je fais l'histoire des idées ; Avec Kepler, Waltis, liarrow , Rainaud , Pascal , Je devance Archimcde, et je suis ITiospital (i). Tantôt, â la physique appliquant mes problèmes, Je me laisse entraîner â I esprit des systèmes ; Je lAtonne Descarte et ses egarcniens , Sublimes , il est vrai , mais frivoles romans. J'abandonne bientôt l'hypothèse infidèle , Coûtent d'étudier l'histoire naturelle.

(i) Tifl marqiuft i\tf rHospilal, antrnr <te V^naîys9 de4 mfitimnt ^%tiUf9\ de plusieura autrcAour»gc» Jo in»lUcinalic|ueft,

asasacse

- -^^

1

DES CHARMETTES. GG3

lia , Pline et Nieuwf ntît , m'aidant de leur savoir ,

M'apprennent à penser , ouvrir les yeux , et voir.

Quelquefois , descendant de ces vastes lumières ,

Des différeiw luorteU je suis les caractères.

Quelquefois , in'amusant jusqu'à la fiction ,

Télémaque et Scfhos me donnent leur leçon j

Ou bien dans Clêveland j'observe la nature.

Qui se montre à mes yeux touchante et toujours pare.

Tantôt aussi , de Spon parcourant les cahiers ,

De ma patrie en pleurs je relis les dangers.

Genève , jadis sage , ô ma chère patrie !

Quel démon dans ton sein produit ta frénésie?

Souviens-loi au'au4refois tu donnas des héros ,

Dont le sang t acheta les douceurs du repos.

Transportés aujourd'hui d'une soudaine rage ,

Aveuf^les citoyens , cherchez-vous Tcsclavage ?

Trop tôt peut-ctre , hélas ! pourrez-yous le trouver :

Mais , s*il est encor temps , c'eM k vouj d'y souger.

Jouissez des bienfaits que Louis vous accorde,

Kappclez dans yos murs cette antique concorde.

Heureux si , reprenant la foi de vos aieux ,

Vous nWbliez jamais d'être libres comme eux [

O vous , tendre Racine , 6 vous , aimable Horace ,

Dans mes loisirs aussi vous trouvez votre place ;

Ctaville, Saint->Aubin , Plutarque , Mé&erai ,

Despréaux , Cicéron , Pope , Rollin , Oarclai ,

Et vous , trop doux la Mothe ; et toi , touchant Voltaire ,

Ta lecture à mon c<rur restera toujours chère.

Mais mon goAt se refuse à tout frivole écrit

Dont Tauleur n'a pour but que d'amuser l'esprit i

Il a beau prodiguer la brillante antithèse ,

Semer partout de» fleurs , chercher un tour qui plaise j

Le cœur , plus que l'esprit , a chez moi des besoins ,

£t , s'il n'est attendri , rebute tous ses soins.

C'est ainsi que mes jnurs s'écoulent sans alarmes. Mes yeux sur mes malheurs ne versent point de larmes. Si des pleurs quelquefois altèrent mon repos, C'est pour d'autres sujets que pour mes propres maux. Vainement ta douleur , les cramtes , la misère , Veulent décourager la fin de ma carrière ; D'Epictcle asservi la stoique fierté M'apprend il iupporler les maux , la pauvreté ; Je vois, sans m affliger , la langueur qui m'accable ; L'approche du trépas ne m*e<(t point effroyable ; £t le mal dont mon corps se sent presque abattu PiV&t pour moi qu'ua sujet d'aUèrmirma vertu.

ÉPITRE

A M. BORDES.

X 01 qu'aux jeux du Parnasse Apollon même guide» Tu daignes exciter une muse timide; De mes faibles essais juce trop indulgent, Ton goût à ta bonté ccde en m'encouraf^eant. Mais , hclas! je n'ai point , pour tenter la carrière , D'un athlète animé Taseurance guerrière ; Et, des les premiers pas, inquiet et surpris. L'haleine m'abandonne, et je renonce au prix. Bordes, daignes juger de toutes mes alarmes; Vois quels sont les combats , et quelles sont les armes« Ces lauriers sont bien doux, sans doute, à remporter^ Mais quelle audace à moi d'oser le-S disputer! Quoi! j'irais, sur le ton de ma lyre critique,

Et prêchant durement de tristes vérités.

Révolter contre moi les lecteurs irrités I

Plus heureux , si tu veux , encor que téméraire ,

Quand mes faibles lalens trouveraient l'art de plaire;

Qtinnd, des siOlets publics par bonheur préservés.

Mes vers des gens de goiU pourraient être approuvés ;

Dis-moi, sur quel sujet s'exercera ma muse.^

Tout poète est menteur, et le métier l'excuse;

Il sait en mots pompeux faire d'un riche uu fat ,

D'un nouveau Mécénas un pilier de l'état.

Mais moi , qui connais peu les usages de France ,

Moi, fier républicain que blesse l'arrogance,

Du riche impertinent ]e dédaigne l'appui,

S'il le faut mendier en rampaut devant lui;

£t ne sais applaudir qu'à toi , qu'au vrai luérîle :

La sotte vauilé me révolte et m'irrite.

Le riche me méprise; et, malgré son orgueil.

Nous nous voyons souvent à peu priîs de même oeil.

Mais quelque haine en moi que le travers inspire,

Mon coeur sincère et franc abhorre la satire :

Trop découvert peut-être, et jamais crimmel,

Je aih la vérité sans l'abreuver de fiel.

Ainsi toujours ma plume, in>placable enoemie Et de la flatterie et de la calomnie, Ne sait point en ses vers trahir la vérité; £t, toujours accordant un tribut mérité , Toujours prête à donner des louanges acquises, Jamais d'un vil Crésus n'encensa les sottises.

ÉPÎTRE A M. BORDES, O vons qui danj le sein d*unc humble obscurité Nourrissci les vertus avec la pauvreté. Dont les désirs bornés dans la sage indigence Méprisent sans orgueil une vainc abondance , Restes trop précieux de ces antiques temps OU des moiodreâ apprêts nos ancêtres contens, Recherchés dans leurs mœurs, simples dans leur parure , Ne sentaient de besoins que ceux de ta nature; Illustres malheureux, quels lieux habitez-vous? Dites , quels sont vos noms? Il me sera trop doux D'exercer mes talens k chanter votre gloire, A vous éterniser au temple de mémoire ; Et quand mes faibles vers n'y pourraient arriver, Ces noms si respectés sauront les conserver.

Maïs pourquoi m'occuper d'une vaine chimère? n n'est ptus de sagesse oii règne la misère; Sous le poids de la faiui le mérite abattu Laisse en un triste ccrur éteindre la vertu. Tant de pompeux discours sur l'heureuse indigence M'ont bien l'air d'être nés du sein de l'abondance : Philosophe commode, on a toujours grand soin De prêcher des vertus dont on n'a pas besoin.

Bordes, cherchons ailleurs des sujets pour ma muK^ De la pitié qu'il fait souvent le pauvre abuse, Et, décorant du nom de sainte charité Les dons dont on nourrit sa vile oisiveté, Sous l'aspect des vertus que l'infortune opprime Cache l'amour du vice et le penchant au crime. J'honore le mérite aux rangs les plus abjects , Mais je trouve à louer peu de pareils sujets.

Non, célébrons plutôt l'innocente industrie Qui sait multiplier les douceurs de la vie, Et, salutaire à tous dans ses utiles soins. Par la route du luxe apaise les besoins. C'est par cet art charmant une sans cesse enrichie On voit briller au loin Ion licureuse patrie (i).

Ouvrages précieux, superbes orneinens , On dirait que Minerve, en ses amusemens, Avec l'or et la soie a d'une main savante Formé de vos dessins la tissure élégante. Turin, Londres, en vain, pour vous le disputer, Par de jaloux efforts veulent vous imiter : Vos mélanges charmans, assortis par les grâces, Les laissent de bien loin s'épuiser sur vos traces. Le bon goiU les dédaigne , et triomphe chez yous^ Et taudis qu'entraînés par leur dépit jaloux Dans leurs ouvrages froids ils forcent la nature^

(i) La ville de Lyon»

«56 ÉPITRE

Voire vivacilé , toujours brillante eltwre. Donne à ce qu'elle pare un œil plus délirât, Et même à la beauté prête eucor de Téclat.

Ville heureuse, qui fais romement de la France » Trésor de Tunivers, source de l'aboodance, Lyon , séjour chariuant des eufans de PIutus« Dans tes tranquilles murs tons les arts sont reçus t D'un sage protecteur le goût les y rassemble; Apnllon et Plutus, étonnés d'être en«emble. De leurs longs difTérciids ont peine à revenir , Et demandent quel dieu les a pu réunir. On reconnaît tes soins, Fallu (i) : tu nous ramené» Les siècles renommés et de Tyr et d'Athènes : De mille éclats divers Lyon brille à la fois. Et son peuple opulent semble un peuple de roîs.

Toi, digne citoyen de cette ville illustre. Tu peux contribuer à lui donner du luî^tre : Par les heureux talcns tu peux la décorer , Et c'est lui faire un vol que de plus ditïcrer.

Comment oses-tu bien me proposer d'écrire. Toi, nue Minerve même avait pris soin d'instruire , Toi, de ses dons divins possesseur négligent. Qui viens parler pour elle encore en l'outrageant ? Ah! si du- feu divin qui brille en ton ouvrage Une étincelle au luoius eût été mon partage, Ma muse quelque jour, attendrissant les coeurs. Peut-être sur la scène eût fait couler des pleurs. Mais je te parle en vain : insensible k mes plaintes , Par de cruels refus tu confirmes mes craintes; Et je vois qu'impuissante à Hcchir tes rigueurs Blanche (2} n'a pas encore épuisé ses malheurs.

ÉPÎTRE

A M. PARISOT,

achevée le 10 juiliet 1742.

Ami, daigne souArir qu'à tes yeux aujourd'hui Je dévoile ce cœur plein de trouble et d'ennui : Toi qui connus jadis mon ame toute entière Seul en qui je trouvais un ami tendre, un père y Rap|ielle encor pour moi tes premières bonlei ; Rends tes soins à mon cœur, il les a mérités.

!t) Tnlendanl de Lyon. z) Blanche Bourbon , trig^iede M. Bonin, qti*AU ^raod re^rvl •ea «mis il rrfute coailainnieDt de uictCre «u tliéAtrc.

L

A M. PARISOT.

Ne croîs pas qu'alarmé par de frivoles craintes De ton silence ici je te fasse des plaintes ; Que par de faux soupçons, indignes de tous deux, Je puisse t'accuser d'un mépris odieux. Non , tu voudrais en vain t obstiner k te taire : Je sais trop expliquer ce langage sévère Sur ce triste projet que je t'ai dévoilëj Sans ra'ayoir répondu , ton silence a parlé. Je ne luVxcuse poiuL dès qu'un ami me bUme; Le vii orgueil n*est pas le vice de mon ame : J'ai reçu quelquefois de solides avis Avec bonté donnés , avec eêle suivis. J'ignore ces détours dont les vaines adresses £n autant de vertus transforment nos faiblesses; £t jamais mon esprit, sous de fausses couleurs , Ne sut à les regards déguiser ses erreurs. Mais qu'il me soit permis, par un soin légitime , De conserver du moins des droits à ton estime : Pèse mes sentimen», mes raisons et mon choix, £t décide mon sort pour la deruière fois.

dans l'ûbscurité, j'ai fait dès mon enfance Des caprices du sort la triste expérience; £t s'il est quelque bien qu'il ne m'ait point ôté. Même par ses faveurs il m*a persécuté. Il m'a (ait naître libre , bêlas . pour quel usage? Qu'il m'a vendu bien cher un si vain avantage! Je suis libre en etVet : mais de ce bien cruel J'ai reçu plus d*eunuis que d'un malheur réel. Ah! s'il fallait un jonr, absent de ma patrie, Traîner che» l'étranger ma languissante vie, S'il fallait bassement ramper auprès des grands, Qne n'en ai-je appris l'art dès mes plus jeunes ans! Mais sur d'antres leçons on forma ma jeunesse. On me dit de remplir mes devoirs sans bassesse, De respecter les grands , les magisirals , les rois, De chérir les humains et d'obéir aux lois : Mais on m'apprit aussi qu'ayant par ma naissance Le droit de partager la suprême puissance. Tout petit que j'étais, faible, obscur citoyen, Je faisais cependant membre du souverain ^ Qu'il fallait soutenir un si noble avantage Par le cœur d'un héros, par les vertus d'un sagej. Qu'enfin la liberté, ce cher présent des cieux, N'est qu'un fléau fatal pour les crrurs vicieux. Avec Je lait , chez nous, on suce ces maximes. Moins pour s'enorgueillir de nos droits légitimef Que pour savoir un jour se donner à la fois Les meilleurs magistrats et les plus 5ages lois.

Yoi»-tu , me disait-on , ces nations puissantet-

667

668 ÉPITRE

Fouriïîr rapidement leurs carrières briHantes?

Tout ce vain appareil qui reraplit l'univers

N*est qa\m frivole éclat qui leur cache leurs fers.

Par leur propre valeur ils forgent leurs entraves 2

lis font les conquérans, et sont de vils esclaresj.

Et leur vaste pouvoir, que l'art avait produit ,

Par le luxe bientôt se retrouve détruit.

Un soin bien différent ici nous inlêrcsse.

Notre plus grande force est dans notre faiblesse :

Nous vivons sans regret dans Thumble obscurité j

Mais du inoins dans nos murs on est en liberté.

Nous n*y connaissons point la superbe arrogance »

Nuls titres fastueux, nulle injuste puissance.

De sages magistrats . établis par nos voix ,

Jugent nos différends , font observer nos lois.

L'art n'est point le soutien de notre république :

Être juste est chez nous l'unique politique;

Tous les ordres divers, sans inégalité.

Gardent chacun le rang qui leur est aflecté-

N os chefs , nos magistrats, simples dans leur parure»

Sans étaler ici le luxe et la dorure,

Parmi nous cependant ne sont point confondus :

Ils en sont distingués ; mais c'est par leur? vertus.

Puisse durer toujours celte union channante! Hélas! on voit si peu de probité constante! Il n'est rien que le temps ne corrompe à la lin ; Tout, jusqu'à la sagesse , est sujet au déclin.

Par ces réflexions ma raison exercée M*appnt à mépriser cette pompe insensée Par qui l'orgueil des grands brille de toutes parts. Et du peuple imbécile attire les regards. Mais (|u*il m'en coûta cher quand , pour toute ma vie,, La foL m'eut éloigné du sein dénia patrie; Quand je me vis enhn , sans appui , sans secours, A ces mêmes grandeurs contramt d'avoir recours !

Non , je ne puis penser , sans répandre des larmes, A cet momens aBrcux, pleins de trouble et d'alarmes. Cil j'éprouvai qu'enfin tous ces beaux scntimens, Loin d'adoucir mon sort, irritaient mes tourrocns. Sans doute à tous les yeux la misère est horrible; Mais pour qui sait penser elle est bien plu» sensible. A force de ramper un lâche en peut sortir : L'honnête homme â ce prix n'y saurait consentir.

Encor, si de vrais grands recevaient mon hommagff,' Ou qu'ils eussent du moins le mérite en partage, Mon cœur par les respects noblement accordés Heconnaitrait des dons qu'il n*a pas possédés : Mais faudra-l-il qu'ici mon humble obéiswince De ces fiers campagnards nourrisse l'arrogance ?

^

A M. PARISOT. 669

Quoi de vils parchemins , par faveur obtenus , Leur donneront le droit de vivre sans vertus ! Et malgré mes cfibrU, sans mes respects servîles, Mon lèie et mes talens resteront inutiles! Ah ! de mes tristes jours voyons plutôt la fia Que de jamais subir un si lâche destin.

Ces discours insensés troublaient ainsi mon amej Je les tenais alors , aujourd'hui je les blAme : Déplus sages leçons ont formé mon esprit; Mais de bien des malheurs ma raison est le fruit.

Tu sais, cher Parisot, quelle main généreuse "Vint tarir de mes maux la source malheureuse; Tu le sais , et tes yeux ont été les témoins Si mon cœur sait sentir ce qu'il doit & ses soins. Mais mon zèle enflammé peut-il jamais prétendre De payer les bienfaits de cette mère tendre ? Si par les sentimenson y peut aspirer, Ah ! du moins par les miens j'ai droit de l'espérer.

Je puis compter pour peu ses bontés secourables ; Je lui dois d'autres biens , des biens plus estimables f Les biens de la raison , les sentimeus du cœur , Même par les talens quelques droits à Thonneur. Avant que sa bonté , du sein de la misère , Aux plus tristes besoins eût daigné me soustraire 1 J'étais un vil enfant , du sort abandonné, peut-être dans la fange k périr destiné ; Orgueilleux avorton , dont la fierté burlesque Mêlait comiquemcnt l'enfance au romanesque , Aux bons faisait pitié , faisait rire les fous , Et des sots quelquefois excitait le courroux. Mais les hommes ne sont que ce qu'on les fait être i A peine h ses regards j'avais osé paraître , Que , de ma bienfaitrice apprenant mes erreurs , Je sentis le besoin de corriger mes mreurs : J'abjurai pour toujours ces maximes féroces, Du préjugé natal fruits amers et précoces , Qui dès les jeunes ans , par leurs acres levains , Nourrissent la fierté des cœurs républicains ; J'appris à respecter une noblesse illustre , Qui même à la vertu sait ajouter du lustre. Il ne serait pas bon dans la société Qu'il (Ai entre les rangs moins d'inégalité. Irai-je faire ici , dans ma vaine marotte , lit grand déclamateur , le nouveau don Quichotte? Le destin sur la terre a réglé les états , Et pour moi si^rement ne les changera pas. Ainsi de ma raison si long-temps languissante Je me formai dès-lors une raison naissante : ParJes soins d'une mère incessamment conduit y

1

S

670 ÉPITRE

Bientôt de ses bontés je recueillis le frutt ; Je connus que siirtout celte roideur sauvage Dans le monde aujourd'hui serait d*un triste aMge ; La modestie alors devini chère à mon coeur j J*aiinai rhumanité, je chéris la douceur ; Et respectant des ^ands le rang et la naissance , Je souffris leurs hauteurs , avec celle espérance Que , malgré tout l'éclat dont ils sont revêtus , Je les pourrai du moins égaler en vertus. Knfïn , pendant deux ans , au sein de ta patrie , J'appris à cultiver les douceurs de la vie. Du Torlique autrefois la triste austérité A mon goût peu formé mêlait sa dureté : Épictëtc et Zenon , dans leur Rertéstoïque | Me faisaient admirer ce courage héroïque Qui, faisant des faux biens un mépris cénéreux f Par la seule vertu prétend nous rendre heureux. Long-temps de cette erreur la brillante chimère Séduisit mon esprit, roidit mon caractère ; Mais , malgré tant d'efforts , ces vaines Relions Ont-elles de mon cœur banni les passions ? Il n'est permis qu'à Dien , qu'à l'essence 5uprcni« , D'être toujours heureux , et seule par soi-même t Pour l'homme , tel qu'il est pour I esprit et le corur^ Otez les pnfisions , il n'est plus de bonheur. C'est loi, cher Parisol , c'esi ton commerce aimable | De grossier que j'étais , qui me rendit traitable : Je reconnus alors combien il est charmant De joindre à la sagesse un peu d'amusement. Des amis plus polis, un climat moins sauvage , Des plaisirs innocens m'enseignèrent l'usage : ^ Je vis avec transport ce spectacle enchanteur Par la route des sens qui sait aller au crrur. Le mien , qui jusqu'alors avait été paisible , ,

Pour la première fois enfin devint sensible : L'amour , malgré mes soins , heurenx à mVgarer , Auprès de deux beaux yeux m'apprit à soupirer. Bons mots , vers élégau» , conversations vives , Un repas égayé par d'aimables convives , Petits jeux de commerce et d'où le chaerin fuît , Ou , sans risquer la bourRe , on délasse Vesprit ; '

En un mot , les attraits d'une vie opulente , Qu'aux vœux de l'étranger sa richesse présente , Tous les plaisirs du goût , le charme des beaux^arU y A mes yeux enchantés brillaient de toutes parts. Ce n'est pas cependant que mon anie égarée Donnât dans les travers d'une mollesse outrée : L'innocence est le bien le plus cher à mon ccnurj La débauche et l'excès jout des objets d'horreur t

AMib

A M. PARISOT.

Les coupables plaisirs sont les tourtnens de Taine , Ils 5ont trop achetas s'ils sont dignes de bUme. Sans doute le plaisir , pour ^tre un bien réel , Doit rendre l'fioinme heureun et duii pas criminel s Mais il n'est nos moins vrai que de noire carrière Le ciel deTend pas d'adoucir la nii^êrc ; Et , pour finir ce point trop loug-tcinps débattu , Rien ne doit être outré, pas même la vertu.

Voilà de mes erreurs uo abrégé /idète : C'est à loi de juffer , ami , sur ce modèle , Si je puis^ près des grands implorant de Tappui , A la fortune encor recourir aujourd'hui. De la gloire est-il temps de rechercher le lustre ? Me voici presque au bout de mon sixième lustre : La moitié de mes jours dans l'oubli sont passés , Et déjà du travail mes esprits sont lassés. Avide de science , avide ae sagesse , Je n*ai point aux plaisirs prodigué ma jeunesse : J'osai a un temps si cher faire nn meilleur emploi ; L*étude et la vertu furent la seule loi Que je me proposai pour régler ma conduite. Mais ce n'est point par art qu'on acquiert du mérite : Que sert un vain travail par le ciel dédaieaé , Si de son but toujours on se voit éloigne? Comptant par mes talens d'assurer ma fortune , Je négligeai ces soins, cette brigue importune , Ce manège subtil , par qui cent ignoraas Ravissent la faveur et les bienfaits des grands. Le succès cependant trompe ma conGance : De mes faibles progrès je sens peu d'espérance ; Et je vois qu'a juger par des e net s si lents , Pour briller dans le monde il faut d'autres talens. Eh ! qu'jr ferais-je , moi , de qui l'abord timide Ne sait point an'ecler cette audace intrépide , Cet air content de soi , ce ton fier et joli Qui du rang des badauds sauve l'homme poli ? Faut-il donc aujourd'hui m'en aller dans le monde Vanter impudemment ma science profonde , Et , toujours en secret démenti par mon cmnr , Me prodiguer l'encens et Ips degrés d'honneur? Faudra-t-il , d'un dévot afièctant la grimace , Faire servir le ciel h gagner une place , Et , par l'hypocrisie assurant mes projet! , Grossir l'heureux essaim de ces hommes parfaits , De ces humbles dévols , de qui la modestie Compte par leurs vertus tous les jours de leur vie ? Pour glorifier Dieu leur bouclie a tour h tour Quelque nouvelle grâce k rendre chaque jour. iSlais Torgueillcux eu vain , d'une adresse chrctieune ,

671

£^2 EPITRE

Sous la gloire Ûe Dieu veut étaler la sienne i L'homme vraiment sensé fait le mrnrifi qu'il doit Des mensonges du fat , et du sot qui les croit.

Non , je ne puis forcer mon e&prit , sincère ^ A déguiser ainsi mon propre caractère j Il en coûterait trop de contrainte à mon cœur : A cet indigne prix je renonce au bonheur. D'ailleurs it faudrait donc , fils Uche et mercenaire^ Trahir indignement les bontés d*une mère, £t , payant en ingrat tant de bienfaits reçus , Laisser à d^autres mains les soins qui lui sont dus. Ah \ ces soins sont trop chers à ma reconnaissance Si le ciel n'a rien mis de plus en ma puissance , Du moins d'un zèle pur les vœux trop mérités Par mon cœur chaque jour lui seront préfentéi. Je sais trop , il est vrai , que ce xèlc inutile Ne peut lui procurer un de^tiu plus tranquille s Kn vain dans sa langueur je veux la soulager ; Ce n*csl pas les guérir que de les partager. llélas ! Je ses tourmens le spectacle funeste Bientôt de mon courage étouffera le reste : C'est trop lui voir porter , par d'éternels efTorti , £t les peines de Taïue et les douleurs du corps. Que lui sert de chercher dans celle solitude A fuir réclat du monde et son inquiétude , Si jusqu'en ce désert , à la paix destiné , Le sort lui donne encore , à lui nuire acharné , D*un alFreux procureur le voisinage horrible , Nourri d'encre et de fiel , dont la grilTe terrible De ses tristes voisins est plus crainte cent fois » Que le hussard cruel , du pauvre Bavarois ?

Mais c'est trop t'accabler du récit de nos peines x Daigne me pardonner , ami, ces plaintes vaines; C'est le dernier des biens permis aux malheureux De voir plaindre leurs maux par les cœurs généreux* Telle est de mes malheurs la peinture naïve. Juge de l'avenir sur celte perspective j Vois si je dois cncor , par des soins impui&sans y Ortrir à la fortune un inutile encens. Non , la gloire n'est point l'idole de mon amc ; Je n'y sens point brûler cette divine flamme Qui , d'un génie heureux «inimant les ressorts ^ Le force à s élever par de nobles elforts. Que m'importe , après tout , ce que pensent les homniën Leurs honneurs, leurs mépris, font-ils ce que nous soi Et qui ne sait pas l'art de s en faire admirer A la félicité ne peut-il aspirer ? L'ardente ambition a l'éclat en partage , Mai4 les plauirs du cœur fuul le bonheur du sage.

A M. PARISOT.

Que CM plaisirsftont douxâquisait les ^ûter !

H<?iireux qui les cuunaît et sait s'en contenter !

Jouir Je leurs douceurs dans un état paisible ,

CVst le plus cher désir aucjuel je suissensibie.

Un bon livre , un aiui , la liberté , la paix ,

Faut-il pour vivre heureux former d'autres souhaits?

Les grande» |>assions sont des sources de peine ;

JVvite les dangers oïl leur penchant entraîne j

Dans leurs pièges adroits si l'on me voit tomber ,

Du moins je ne fais pas gloire d'y succomber.

De mes égaremens raou coeur n'est point complice j

Sans être vertueux je déteste le vice ;

Et le bonheur en vain s*ob<itine à se cacher ,

Puisqu'entin je connais oii je dois le chercher.

ÉPÎTRE

A M. DE L'ÉTANG,

VlCàlRE dE MABCOUSSIS.

JliN dépit du destin jaloui ,

Cher abbé, nous irons chez vous.

Dans voire franche politesse ,

Dans votre gaîté sans rudesse ,

Parmi vos bois et vos coteaux

Nous irons chercher le repos ;

Nous irons chercher le remède

Au triste ennui ({ui nous possède ,

A ces affreux charivaris ,

A tout ce fracas de Paris.

O ville oh règue l'arrogance ,

Ou les plus grands fripons de France

Régentent tes honnêtes gens ,

Ou les vertueux indigens

Sont des objets de raillerie ; '

Ville oii la charlatanerie ,

Le ton haut , les airs insolens j

Écrasent tes humbles talens

Et tyrannisent la fortune ;

Ville oii Tauteur de Rodogun*

A rampé devant Chapelain ;

Oii d'un petit magot vilain

L'amour tît le héros des belles j

Oit tous les roquets des ruelles

Deviennent des hommes d'état ;

Oîi le jeune et beau magistrat

43

67* ÉPITRE

Élaîe , avec les airs d'un fat , Sa perruque pour tout mérite j Oii \e savant , bas parîkMle , tlhez Aspasie ou cnez Phryne ^ Vend de l'esprit pour un dîne : Paris I Tnalheureû^ qui tliabile ! ^ïaisplus mallieurcuï mille foi$ Qui t habite Je son pur choiiL , £t dans un climat plus tranquille Ke sait poiTit se fitire un asile luabordaLle aux noirs soucis , TëI qu'a mes ycuit est Marcou.^sis 1 Marcoussis qui sait tant uous plaire ; Marcous^tâ, dont pourtant j'espcre Vous voir partir un beau matin Sans VOU9 eu p«ndre de chagrin ! AccordcE donc> mon cher vicaire , "Votre demeure hospilr»ïière A gens dont le soin le plus doux Est d'aller passer près de vous Les moment dont ils sont les maîtres, Kous connuissous déjà le^étrea Du pays et de la maison ; Kous en chérissons le patron » Et désirons , s'il est possible,

8u'à tous autres inaccessible ^ destine en notre faveur - Son loisir et sa bonne humeur. , De plus , prières des plus vives D'éloigner tous fâcheux convives , Taciturnes, mauvais plaisans, Ou beaux parleurs , ou médisans. Point de ces gens que Dieu confonde, De ces sots dont Paris abonde , Et qu'on y nomme beaux-esprits , Vendeurs de fumée à tout prix Au riche faquin qui les gâte , Vils fl«tteurs de qui les empâte , Plus vils détracteurs du bon sens De qui méprise leur encens. Point de ces fades petits*maUre$ , Point de ces hobereaux champêtres Tout fiers de quelques vains aïeux Presque aussi méprisables qu'eux. Point de grondeuses pies-griëches , Voix aigre, teint noir , et mains sèches ^ Toujours syndiquant les appas Et les plaisirs qu'elles n'ont pas , Dénigrant le prochain par zèle.

A M. DE L'ÉTANG.

So donnant k tous pour modèle , Médisantes par charité. Et sages par nécessité- Point de Crcsus , point de canaille. Point surtout de celte racaille Que Ton appelle grands seigneurs , Fripons sans probité, sans moeurs , Se raillant du nauvre vulgaire Dont la vertu tait la chimère; Mangeant fièrement notre bien; Exigeant tout , n'accordant rien; £t dont la fausse politesse , Rusant, patelinant sans cesse , ^*est qu'un piège adroit pour duper Le sot qui s*y laisse attraper. Point de ces fcndans militaires Al'airrogue, aux mines alticres, Fiers de commander des goujats , Traitant chacun du haut en bas , Donnant la loi, tranchant du maître f Bretaillcurs , fanfarons peut-être , Toujours prêts â battre ou tuer , Toujours parlant de leur métier. Et cent fois plus pédans , me semble , Que tous les ergoteurs ensemble. Loin de nous tous ces ennuyeux. Mais si, par un sort plus heureux, 11 se rencontre un honnête homme Qui d'aucun grand ne se renomme, > Qui soit aimable comme vous , Qui sache rire avec les fous, Et raisonner avec le sage , Qui n'affecte point de langage , Qui ne dise point de bon mot , Qui ne so^t pas non plus un sot , Qui soit gai sans chercher à l'être, Qui soit instruit sans le paraître, Qui ne rie que par gaîté £t jamais par malignité , De mœurs droites sans être austères y Qui soitsimple dans ses manières, Qui veuille vivre pour autrui , Afin qu'on vive aussi pour lui , Qui sache assaisonner la table D'appétit, d'humeur agréable ; Ne voulant point être admiré , Ne voulant point être ignoré , Tenant son coin comme les autres , Mêlant ses folies aux nôtres,

6;5

&^

ÉPITRE A M. DE L'ETANG BaillaDt sans jaixiâîâ insuUer, Baillé sans jamaïs s'emporter y Aimant le plaisir san^ crapule , Enucmi du p«tit scrupule , Buvant sans risquer sa raison , Point philosophe hors de saison ; En im moc d'un tel caractère Qu'avec lui nous puisstoas nous plaire ^ Qu'avec doue U se pbise au5$i : S'il est un bomme tait «iûsî , X)otitie2-le cous, je t<^us supplie, WfltcK-Ieen notre compagiiie; Je brûle déjà de le yoir , Et de Tainier , cVst mon devoir; Mais c'est \e votre, îl faut le dire ^ Avant qne de nous le produire, De le connaître. C'est assez j MontrcK-le nous si vous osée.

FRAGMENT D'UNE ÉPITRE

A M. BORDES.

2I.PAÉS un carême ennuyeux , 1

Grâce k Dieu , voici la semaine -i

Des divertissemens pieux. *

On va de neuvaine en neuvaine , Dans chaque église on se promène ; Chaque autel y charme les yeux ; Le luxe et la pompe mondaine Y brillent à 1 honneur des cieux. maint agile énerguraënè Sert d'Arlequin dans ces saints lieux; Le moine ignorant s'y dëmène. Récitant à perte d'haleine Ses orémus mystérieux , Et criant d'un ton furieux y Fora , fora , par saint Eugène ! Rarement la semonce est vaine : Diable et frii s'entendent bien mieux , L'un k l'autre ohéît sans peine. Sur des objets plus gracient La diversité me ramène. Dans ce temple délicieux ma dévotion m'entraSue,

Suelle agitation soudaine e rend tous mes lens précieux ?

FRAGMENT D'UNE ÉPITRE etc.

Illumination brilUnle , Peintures d'uno main savante, Parfums destinés pour lesdieui. Mais dont la volupté divine Délecte Tliumaine narine Avant de se porter aux cieoxl Et toi , musifiue ravissante , Du Carcani chef-d'œuvre harmonietix, Que tu plais quand Catine chante I Elle cnarme à la fois notre oreille et nos yeux. Beaux sons , cjue votre effet est tendre ! Heureux l'amant qui pent s'attendre D'occuper en d'autres momcns La bouche qui vous (ait entendre A des soins encor plus charmans ! Mais ce qui plus ici m'enchante. C'est mamte dévole piquante, Au teint frais, à Ttril tendre et doax,

?ui , pour éloigner tout scrupule , ient à la Vierge, à dcnx genoux. Offrir, dans l'ardeur qui la hrûle , Tous les vœux Qu'elle attend de nous.

Tels sont les ntmiliers colloques , Tels sont les ardcns soliloques Des gens dévots en ce saint lieu. IVIa foi , je ne m'étonne gucres. Quand on fait ainsi ses prières , Qu'on ait du goût k prier Dieu,

677

IMITATION LIBRE D'UNE CHANSON ITALIENNE

DE MÉTASTASE (1).

Gnu<

kCE à tant de tromperies , Grâce à tes coquetteries ,

Nice , je respire enfin. Mon cœur, libre de sa chaîne, Ne déguise plus sa peine; Ce n'est plus un songe vain.

Toute ma flamme est éteinte: Sous une colère feinte L^amour ne se cache pins. Qu'on te nomme en ton absence,

(1) Cctta pièc« est réclamée par M. de Nivetuaî», comme ctantde loi»

^78 IMITATION

Su*on t*^dore en ma présence , !e$ sens n'en sont point émus.

Kd paix $3.Qs toi je sommeilla ; Tu n'es plus , quand je m*£vetlle , Le premier de mes dësir^. Bien de ta part ne m'agite ^ Je t'aborde ot je te quitte Sans regrets el sans ptai^irs.

Le souvenir de tes charmes , Le «souvenir de mes larmes Ne fait nul eflet sur moi. Juge enfin comme je Tâimc : Avec mon rival lui-même Je pourrais parler de toi.

Sois fîère , sots inliumain^ , Ta fierté n'e^t pas moins vaine

§fue le serait ta douceur. ans être emu je t*écûïite , Et tes yeux n'ont plus de rout© Pour pénétrer dans mon copur,

D'un mépris , d'une caresse , Mes plaisirs ou ma tristesse Ne reçoivent plus la l«î. Sans toi j'aime les bocages | L'horreur des antres sauvages Peut me déplaire avec toi.

Tu me parais encor belle ^ Mais , Nice , tu n'es plus celle Dont mes sens sont enchantés. Je vois, devenu plus sage t Des défauts sur ton visage Qui me semblaient des beautés.

Lorsque je brisai ma chaîne , Dieux ! que j'éprouvai de peine! Hélas ! je crus en mourir : Mais , quand, on a du courage , Pour se tirer d'esclavage Que ne peut-on point soufiirir ?

Ainsi du piège perfide Un oiseau simple et timide Avec effort échappé , Au prix des plumes qu'il laisse» Prend des leçons de sagesse Pour n'être plus attrapé.

entre M. M

D'UNE CHANSON ITALIENNE. 679

Tu crois c|ne mon crrur t^adore | Voyant que je parle encore Des soupirs que j'ai pousses ; Mais telf au port qii il désire , Le nocber aime à redire Les périls qu'il a passes.

Le guerrier couvert de gloire Se plaît , après la victoire , A raconter ses exploits; Et rcsclave , exempt de peine , Montre avec plaisir la chaîne <^u'il a traînée autrefois.

Je m'exprime sans contrainte; Je ne parle point par feinte, Pour que lu m'ajoutes foi ; Et , quoi que tu puisses dire , Je ne daigne pas m'instruire Comment tu parles de moi.

Tes appas, beauté trop vainc, Ne te rendront pas sans peine L^n aussi fidèle auiant. Ma perte est moins dangereuse; Je sais qu'une autre trompeuse Se trouve plus aisément.

VARIANTES

Védition de Genèue et celle de MarcyMichel Rey,

( Mon cœur, libre de sacbaîne, Rey.

Ne déguise plus sa peine; \ Ce n'est plus un songe vain.

{Non, non, ce n*est point un songe; Mon cœur, libre, sans mensonge , Ne triomphe plus en vain.

Rey, Qu'on t'adore en ma présence. Qu'on te lorgne en ma présence.

Juge enfin comme je t'aime. Juge enfin conunent je t'aime.

Sois fière , sois inhumaine.

M. M,

Ed, de

M. M, Ed,de

Gen.

Rey,

Gen,

M. M, Ed. de

MM,

Ed.da

M. M.

Rey, Gen.

Rey. Gen.

Sois tendre , sois inhumaine.

Mes plaisirs on ma tristesse. Ma gaîté ni ma tristesse.

( L'horreur des antres sauvages ^^' (Peut me déplaire avec toi.

[MITATION D'UNE CHANSON » «te

-p , . - i ^^ ^^^ ' ^^^ <l*Berts sauvage» '"' [ Me dépUiraieot avec toi.

ry. Hélas ! je crus eci luourir, xirb ,. n. Hélas! je crus d'en mourir,

3f. 3f, Rey. Vu oUeau simple et timide. Ed. de Gan, Cet oiseau jeune et timide,

Mf. M, Rey. Voyant que je parle encore. JSd. Gen, Parce que je parle encore,

L'ALLÉE DE SYLVIE.

I^it'a m*égarcr ^ ans ces bocages Won cœur goûte de voluptés! Que je me plais sou&ceâ ombrâgec ! Que j'aime ces flots àrj^entés ! Douce et charmante rêverie. Solitude aimable et chérie , Puissip»-vous lonjours rae cliarmer ! De ma triste et lente carrière I Eîen n'adoucirait la misère ^

Si je cessais tou» aimer. Fuyee de cet heorettx asile y Fuyec de mon ame tranqnille , Vains et tumul€a«iixvpr«jtts) Vous pouvez promettre sans cesse ' Et le bonheur et la sagesse , Mais vous ne les donnez jamais. Çuoi ! rhorame ne pourra-t-il vivre , A moins que son cœnr ne se livre Aux soins d'un douteux avenir ? Et si le temps coule si vite , Au lieu de retarder sa fuite , Faut-il encor la prévenir? Oh ! qu'avec moins de prévoyance La vertu , la simple innocence , Font des heureux k pen de frais ! Si peu de bien suffit au sage ,

?Q avec le plus léger partance ous ses désirs sont satisfaits. Tant de soins, tant de prévoyante , Sont moins des fruits de la prudence Que des fruits de l'ambition. L'homme content du nécessaire Craint peu la fortune contraire , Quand son coeur est sans passion. Passions , source de délices ,

L/ALLfiE DE SYLVIE.

Passiom , source de supplices ;

Cruels Ivrans , doux setluoleiirs.

Sans vos fureurs impétueuses ,

Sans vos amorces danf^erruses,

La paix serait dans Ions les opurs.

Malheur au mortel méprisable

Qui dans son ame insatiable

Nourrit Kardcnte soif de l'orl

Que du vil penchant qui Tentraine

Chaque instant il trouve la peine

Au fond même de son trésor !

Malheur à Pâme ambitieuse

De qui l'insolence odieuse

"Veut asservir tous les humains î

Qu'à ses rivaux toujours en butte.

L'abîme apprêté pour sa chute

Soit creuse de ses propres mains!

Malheur à tout homme farouche ,

A tout mortel que rien ne tonche

Que sa propre (élicité!

Qu'il éprouve dans sa misère,

fie la part de «on propre frère,

La même insensibilité!

Sans doute un copur pour le crime

Est fait pour être la riclime

De ces affreuses passions ;

Mais jamais du ael condamnée

On ne vit une ame bien née

Céder à leurs séductions.

Il en est de plus dangereuses ,

De qui les amorces (latteuses

Déguisent bien mieux le poison ^

Et qui toujours, dans un conur tendrCi

Commenc<*nt à se faire entendre

£n faisant taire la raison :

Mais du moins leurs leçons charmantes

I^*imposent que d'aimables lois;

La haine et ses fbrenrs sanglantes

S'endorment à lenr douce voix.

Des seutimens si léj^itiraes

Seront-ils toujours combattus?

Nous les mettons au ranç des crimes,

ils devraient ^re des rertus.

Pourquoi de ces j>cnchan5 aimables

Le ciel nous fait-îl un tourment?

Il en est tant de plus coupables

8u*il traite moins sévèrement ! discours trop remplis de cliarmet, Est-K^e à moi de vous écouter ?

est

68a L'ALLEE

Je fais arec mes propres aruics Les maux, que je veux éviter. Une langueur eiichanteresAe ^ Me poursuit juâqu^en ce âfijour^ J'y veui moraliser sans cesse , £t toujours j'y $Qng« h. l'amour^ Je sens qu'une amc plus trani|uille p PluseKeiuptede tendres snins, Phis libre CD ce chamaant asile, philosopherait beaucoup tuoius. Ainsi du feu qui uie dévore Tout sert à fomenter Tard^ur : Tiélas! ûVsf-il pas temps encore Que In paix règne daus mon co^uï ? Dejû démon septième lustre Je vois le terme s'avancer ; T)é\k la jeunesse et son lu&tre Chez moi commence k s'elfacer^ La triste et &évërê sagesse Fera bientôt fuir les amt^urs. Bientôt la pesante vieillesse Va succéder à me^ beaux joors. Alors, les ennuis de la vie Chassan t Tai m abie y ol uptë , On verra la philosophie Naître de la nécessité ^ On me verra , par jalousie , Prêcher mes caduques vertus y Et souvent blâmer par envie Les plaisirs que je n aurai plus. Mais maigre les glaces de i âge ^ liaison , malgré ton vain efiort , Le sage a souvent fait naufrage Quand il croyait toucher au port.

O sagesse , aimable chimère , Douce illusion de nos cœurs , C'est sous ton divin caractère Que nous encensons nos erreurs. Chaque homme t'habille à sa mode^ Sous le masque le plus commode A leur propre félicité Ils déguisent tous leur faiblesse , Et donnent le nom de sagesse Aupenchant qu'ils ont adopté.

Tel , chez la jeunesse étourdie > Le vice instruit par la folie , Et d'un faux titre revêtu , Sous le nom de philosophie ^ Tend des pièges à la vertu.

II

DE SYLVIE.

Tel , dans nne roule contraire ,

On voit le fanatique austère.

En guerre avec tous ses désirs ,

Peignant Dieu toujours en colère,

Et ne s'altachant , nour lui plaire ,

Quk fuir la joie et les plaisirs.

Ah ! s'il existait un vrai sage,

ifae , différent en son langage ,

Et plus diflerent en ses m«»urs ,

Ennemi des vils séducteurs,

D^uue s^^esse plus aimable ,

D'une vertu plus sociable.

Il joindrait le juste milieu

A cet hommage pnr et tendre

Que tous les cœurs auraient rendre

Aux grandeurs, aux bienfaits de Dieu!

683

ENIGME.

llf^FANTde Tart, enfant de la nature. Sans prolonger les Jours j'empêche de mourir;

Plus je suU vrai, plus je faisd'irunosture; Et je deviens trop jeune à force de vieillir.

C C'est la portrait,)

VIRELAI

A MADAME LA BARONNE

DE WARENS.

IVIaoame, apprenez la nouvelle Delà prise de quatre rats; Quatre rats n'est pis bagatelle , Aussi n*en badine-je pas : Et je vous mande avec grand lèle Ces vers qui vous diront tout bas , Madame , apprenez la nouvelle De la prise de quatre rats.

A Todeur d'un friant appât. Rats sont sortis de Icurcaselle; Mais ma trappe f arrêtant leurs pas, Lésa, par une mort cruel le, Fait passer de vie à trépas. Madame, apprenez la nouvelle De la prise de quatre rats.

Mieux que moi Mvex qu'ici-ba»

664 YIRELAI etc.

N^a pas qui veut fortune telle; Cest trîoinplie qu'un pareil cas : Le fait n'e^t pas d*une alumclle. Ainsi donc avec grand sonlas, Madame , apprenez ]{t nouvelle De la prise de quatre t»U.

VERS POUR MADAME DE FLEIFRIEU ,

qid , 7n*ayant vu dans une as&emhlée^ satu que J'eusse l'honneur d'être connu d'élite dit à M. l'iniendunt de Lyon ^ue je p<x-* Tûiséois avoir de i'ejipritj etqii^cUe U gagerait nur ma t$uU physionomie.

UéplâCé par le 5ort , tralii par la tendresse »

Mes maux Koat cooiptes par mes jours : Imprudent quelquefois , persécuté toujours, Souvent le cli.HijDont surpasse \a. faiblesse. O forluue , à ton gre cûmble-moi de ri^ieutî ; Mon cœur regrette peu tes frivoles graïideurt , De tes biens incoristans sans peine il te tient c^uittc. Ua s^uî dpn l [c jouis ne dépend point de toi s La divine FLKunniiï m'a jugé du uierite^ Ma gloire est assurée, et c'est assez pour mot.

VERS A MADEMOISELLE THÉODORE,

qui ne parlait Jamms à l'auteur que de musique»

i^APHO , i'entencis ta voix brillante

Pousser des sons jusques aux cieux;

Ton chant nous ravit, nous enchante ;

Le Maure ne chante pas mieuip. Mais quoi ! toujours des chants ! croi»-tu qoe l'harmonie Seule ait droit de borner tes soins et tes plaisirs? Ta voix, en déployant sa douceur inBnie , Veut en vain sur ta bouche arrêter nos désirs ;

Tes yeux charmans en inspirent mille autres , Qui méritaient bien mieux d^occuper te» loisirs. Mais tu n'es point , dis-tu , sensible & nos soupirs,

Et tes goûts ne sont point les nôtres. Quel goût trouves-tu donc k de frivoles sons ! Ah ! sans tes fiers mépris , s«at te» rebuts sauvages ,

VERS A MADEMOISELLE TlltODORE.

Celte bouche charmante aurait d'autres usages , Bien plus délicieux €|ue de vaintM chansons. Trop sensible au plaisir, quoi que tu puisses dire, Parmi de froids accords tu sens peu de douceur j Mais , entre tous les biens que ton ame désire , En est-il de plus doux que les plaisirs du coeur? Le mien est délicat , tendre , empressé, fidèle ,

Fait pour aimer jusqu'au tombeau. Si du parfait bonheur tu cherches le modèle , Aime-moi senlemeat , et laisse Rameau.

EPITAPHE

dêux amans qui ne sorti UUa à S.^Eliennê en Foret , au mois dejiUn 1770.

vJi gisent deux amans : l'un pour Tautre ils vécurent , L'un pour Tautre ils sont morts , et les lois eu murmurent. La simple piété uV trouve qu'un forfait ; Le sentiment admire , et la raison se tait.

STROPHES

ajoutées à la dernière du Siècle pastoral de Gretset,

jy^Aia qui nous cAt transmis Thistoire De ces temps de simplicité ? Ëtait-ce au temple de mémoire Qu'ils gravaient leur félicité? La vanité de Tart d'écrire L'eût bientôt fait évanouir; Et sans songer à le décrire , Ils se contentaient d'eu jouir.

Des traditions étrangères

En parlent sans obscurité.

Mais dans ces sources mensongères

Nc'chcrchons point la vérité.

Cherchon»-la dans le coeur des hommes ,

Dans ces reercts trop superflus

?ui disent dans ce que nous sommes out ce que nous ne sommes plus.

Qu'un savant des fastes des âges Fasse la règle de sa foi ; Je sens de plus sûrs témoignages De la mienue au dedans de moi.

086 STROPUES AJOUTEES êlf.

Ah \ quWec moi k ciel ra^âernbl^ , Apaisant enfin sou courrouii. Un autre ceeur qai me ressemble ; L'ige d*or renaîtra pour nous.

{^QÎci la strophe GreasH.)

^epein^je poinl une chimère? Ce charmant siècle a-t-il été ? D'uD auteur tënioin oculaire En sait-oa Ja réalité? J'ouvre les fasles : sur cet âge Partout je trouve des regrets; Tous ceux qui m'en ofïrent J'iiuâgê Se plaîgneot d'être nés aprës^

VERS SUR LA FEMME.

o.

'bjet seduUaut et fuDeste,

Ïue j'adore et que je déteste ; oi » que la nature embellit

Des agrément du corps et de^i dou& de l'esprit ^ yui de l'homme fais un esclave , Qui t^eu ïDoques quan^ ^^ s^ plaint ^ Qui l'accables quand il le craint , Qui le punis quand il te brave ; Toi , dont le front doux et serein Porte le plaisir dans nos fêles ; Toi , qui soulèves les tempêtes Qui tourmentent le genre humain^ Etre ou chimère inconcevable , Abîme de maux et de biens ,

Seras-tu donc toujours la source inépuisable De nos mépris et de nos entretiens ?

INSCRIPTION

misa au bas d'un portrait c^FsÉDiRic II. Il pense en philosophe , et se conduit en roi.

Derrière V estampe : La gloire , Tintérét ; voilà son dieu ^ sa loi.

TRADUCTION

DE L'ODE DE JEAN PUTHOD

pour (es noces c/s Charles-Emmaxuei. , coura^^wa: roi de Sar-^ daigne j duc de Savoie, etc.; et ^'Elisabeth de Lokraine, princes te auguste.

jyicsEy TOUS exigez de moi que je consacre au roî de nouveaux citants ; inspirez-moi doue des vers dignes d*ua si (p*and mo- narque.

Le terrible dieu des combats avait semé la discorde entre les peuples de l'Europe : toute l'Italie retentissait du bruit des ar- mes , pendant que la triste Paix entendait du fond d*un antre obscur les tumultes furieux excites par les bumains , et vovait tes campagnes inondées de nouveaux flots de sang. Elle diîilinffue de loin un héros enflammé par sa valeur; c'est Charles qu'elle re- connaît , chargé de glorieuses dépouilles. La déesse l'aborde en soupirant , et liche de le fléchir par ses larmes.

Prince, lui dit-elle, quels charmes trouvez-vous dans l*Lor- reur du carnage? Epargnez des ennemis vaincus j épargnex-vous vous-même, et n'exposez plus votre tdte sacrée û de si grands périls; le cruel Mars vous a trop long-temps occupé. Vous êtes charge d'une ample moisson de palmes: il est temps désormais que la paix ait pari â vos soins , et que vous livriez votre cœur à oes sentimens plus doux. Pour le prix de cette paii, les dieux vous ont destiné une jeune et divine princesse du sang des rois , illustre par tant de héros que Taugusle maison de Lorraine a pro- duits , et qu'elle compte parmi ses ancêtres. Un si digne présent est la récompense de vos vertus royales , de voire amour pour réquité , de la sainteté de vos mœurs , et de cette douce bmna- Tiile si naturelle â votre ame pure.

Le monarque acquiesce aux exhortations des dieux. Hâtez- vous , généreuse princesse ; ne vous laissez point retarder par le» larmes d'une sœur et d'une mère afllicées. Que ces monts couverts de neige , dont le sommet se perd dans les cieux , ue vous eflraient point : leurs cimes élevées s'abaisseront pour favo- riser votre passage.

Voyez avec quel corlége brillant marche cette charmante épouse ; les grâces environnent son char , et son visage modeste jest fait |>our plaire.

Cependant le roi éconte avec empressement tous les éloges que répand la renommée. Il part, accompagné d'une cour pompeuse. Il voIp , emporté par Vimpatiencc de son amour. Tel que récla- laut Pha^bus eiTace dans le ciel ^ par la vivacité de ses rayons, la

1,88 TRADUCTION DE L*ODE etc,

lumicr* àes autres astres ; ainâî brille cet auguste priace aa mi- lieu de tous ses courtisaus.

Charles , génëri^ux sang àes héros h, quels accords as&ex subji* mes, qaels vers asser majeslueuit pourrai-je emplâver poor chanter dignement le* vertus de ta grande ame el t'ÎDtrémdsté de la valeur ? Ce sera , grand prince , en méditant sur le» nauU fait & de tes magnanimes aiieu^t cjue leur vertu a. cotisACtè^ : ç&r tn ci>ur5 à la gloire par le niéme chemin qu^iU oat pm pour y parvenir,

Sôit que tu remportes de 1^ guerre les plus iglorieux trûphén, et qu'en paix tu coltives les beaux-arts , mille monumeai illuw très témoignent la grandeur de tou rëgtie.

Mais redouble* vos chauls d'allégresse; je vois arriver cette reine divine que le de] accorde à nos vœux. Elle vient ; c'etl «lie qui a ramené de doux loisirs parmi les peuples, A son abord rbiver fuit ; toutes les routes se parent d'une berbe tendre ; les champs brillent de verdure et *e couvrent de (leurs. Aussitôt le* maîtres et les serviteurs quittent leur labourage, et accourent pleius de juie. Royale épouse , les CŒUrs volent de toutes parts au^evanl de vous.

Voye» comment, au milieu des torrens d*une flamme bruyante, îc feu prend toutes sortes de figures ; voye£ fuir la nuit ^ voyêï cette pluie d'astres qui seniblent se détacher du ciel.

Le bruit ae fait entendre dans les montagnes ^ et pASSe bien loin au^es&us de leurs cirais massives ; les sapins d'alentour étonner en t'rémis^ut , et les echoa des Alpes eu redoublent te retentissement.

Vivez , bon roi ; parcourez la plus longue carrière. Vives de même y digne épouse. Que votre postérité vive éteraellemcni « et donne ses lois à la Savoie.

OLINDE ET SOPHRONIE, ÉPISODE

tiré du 0toond chant de la Jérusalem délrrrée , du 7\zta#.

X ANDis que le tyran se prépare à la guerre , Ismène un jonr«t présente à lui j Ismène, qui de dessous la tombe peut faire sortir un corps mort , et lui rendre le sentiment et la parole ; Ismène , qui peut , au son des paroles magiques , effrayer Platon jus- qu'en son palais , qui commande aux démons en maître , \tê emploie à ses œuvres impies , et les enchaîne ou délie à son gré.

OLINDE ET SOPHRONIE.

Chrétien jadis, aiijourdMn

689

lalit

lometan, il n a pu qiuller toul- à-fait SCS anciens rites, et , les profanant à de cnmincts usages , luêle et confond ainti les deux lois qu'il connaît mal. Mainte- nant , du fond dos antres oîi il exerce ses arts ténébreux , it vient à son seigneur dans le dauger public : k mauvais roi , pire coa~ seiller.

Sire , dit-il , la formidable et victoriense armée arrive. Mai* nous , remplissons nos devoirs ; le ciel et la terre seconderont notre courage. Doué de toutes les qualités d'un capitaine et d'un roi , vous aveE de loin tout prévu , vous avez pourvu à tout^ et^ si chacun s*acquitte ainsi de sa charge , celte terre sera le tom- beau de vos ennemis.

Quant à moi , je viens de mon côté partager vos périls et vo» travaux. Xy mettrai pour ma part les conseils de la vieillesse et Jes forces de Tart magique. Je contraindrai les anges bannis du ciel k concourir h mes soins. Je veux commencer mes cncliante- mens par une opération dont il faut vous rendre compte.

Dans le temple des chrétiens, sur un autel souterrain , est une image de ceile qu'ils adorent, et que leur peuple ignorant fait la mère de leur Dieu , , mort , et enseveli. Le simulacre , devant lequel une lampe brûle sans cesse, est enveloppé d'un voile , et «ntouré d*un grand nombre de vœux suspendus en ordre , et que Jes crédules dévots y portent de toutes parts.

Il s*agit d'enlever de \h cette effigie, et de la transporter de vos propres mains dans votre mosquée ; j*y attaclieraî un charme si fort, quelle sera, tant nu on Tv garilera, la sauver- garde de vos portes ; et, par rcUét d'un nouveau mystère , vous conserveret aans vos murs un empire ineipugriable.

A ces mots , le roi persuadé court impatient à la maison de Dieu , force les prêtres , enlève sans respect le chasie simulacre , et le porte à ce temple impie un culte insensé ne fait qu'irriter le ciel. C'est là, c est dans ce lieu profane et sur cette sainte image , que le magicien murmure ses blasphèmes.

Mais , le matin du jour suivant , le gardien du temple im- monde ne vit plus Vimnge elle était la veille, et, Tayaut cherchée en vain de tous côtes , courut avertir le roi , qui , ne doutant pas que les chrétiens ne l'eussent enlevée, eu fut trans- porté de colère.

Soit qu'en effet ce fi^t un coup d'adresse d*une main piense , ou un proaige du ciel indigné que l'imat^e de sa souveraine soit prostituée en un lieu souillé , il est édifiant , il pst juste de faire céder le xèle et la piété des hommes, et de croire que le coup est venu d'en-haut,

Le roi Rt faire dans chaque église et dans chaque maison la plus importune recherche, et décerua de grands prix et de grandes peines à qui révélerait ou recèlerait le vol. Le magî- 5. 44

e^ OLINDE

ciea de son côte déploya sans succès toutes les forces de pour en Recouvrir 1 auteur : le ciel, au mépris de ses encbaul mens et de lui , tiul Tccuvre secrète , de quelque part qu'elle ■venir.

Mais le tyran , furieux de se voir cacher le délit qu'il «ttrfbo* toujours aux fidèles , se livre contre eux à la plus ardente rage. Ouuliant toute prudence, tout respect humain , il veut , à quel* que prix que ce soit, assouvir sa vengeance. * ^ion , non» » s'écriait-il, la menace ne sera pas vaine ; le coupable a beaa n se cacher, il faut qu'il meure^ ils mourront tous , et lui arec » eux.

» Pourvu qu'il n'échappe pas, que le ^uste, que Tinnocent pé- M risse : qu'importe ? Mais qu ai-je dit ? l'innocent! Nul ne Tett; n et dans cette odieuse race en est-il un seul qui ne soit notre eo- » nenit? Oui , s*il en est d*exempts de ce délit , qu'ils portent la I* peine due à tous pour leur haine; que tous përi^seut, l'un H comme voleur, et les antres comme chrétiens. Vene» , tan » loyaux ; apportez la flamme et le fer; tuez et brûlez sans tui- » séricordc. h

C'est ainsi qu'il parle ù son peuple. Le bruit de ce danger par- vient bientôt aux chrétiens. Saisis , glacés d'ell'roi par Taspcct de la mort prochaine, nul ne songe à fuir ni à ae défendre ; nul n'ose tenter les excuses ni les prières. Timides, irrésolus, il» at- tendaient leur destinée, quaud ils virent arriver leur lalnt d'ob ils Tespéraieut le moins.

Parmi eux était une vierge déjà nubile , d'une umc ffubh'me , d'uue beauté d'ange , quVIle néglige , ou dont elle ne prend que les soins dont rUonuèteté se pare ; et ce qui ajoute an prix de àr> charmes, dans les murs d'une étroite enceinte elle les aousirait aux yeux et aux vœux des amans.

Mais est-il des murs que ne perce quelque rayon d'une béante* digne de briller aux yeux et d enflammer les crrurs? Anioor* le souf&irais-tu? Non; lu l'as révélée aux jeunes désirs d'un ado— iescent. Amour , qui , tantôt Argus et tantôt aveugle , cclaires te» veux de ton flambeau ou les vuileà de Ion bandeau, malgré ton» les gardiens, toutes les clôtures, jusques dans les plus cha«t«» asiles tu sus porter un regard étranger.

Elle s'appelle Sophronie; Olindeest le nom du jeune hnmmct tous deux ont la même patrie et la même foi. Comme il r^t modeste autant qu'elle est belle, il désire beaucoup, espère peu, ne demande rien, et ne sait ou n*ose se découvrir KJIe , de son côté, ne le voit pas, ou n'y pense pas, ou le dédaigne; et le malheureux perd ainsi ses soiiu ignorés, mal connus, an mal reçus.

Cependant on entend l'horrible proclamation , et le ntomeol dn massacre approche. 5oplironte, aussi géuéreuse qu'hoiuMÎte,

[

«

I

■'^^ ET SOPHRONIE. 691

forme le projet de sauver son peuple. Si ba. modestie Tarrêle , son courage 1 anime et triomphe , ou plutôt ces deux vertus s'ac— cordeuteL s'illustrcul muluellemcut.

La îcanc vierge sort seule au milieu du peuple. Saus exposer ni cacuer ses charmes , en marchant elle recueille ses yeux , res- serre son voile , et en impose par la réserve de son maintien. Soit art ou hasard , soit négligence ou partirc , tout concourt à rendre sa beauté touchante. Le ciel, la nature et l'amour ^ ^ui la iavo- riseut, donnent à ses aégligcnccs l'ellet de Tart.

Sans daigner voir les regards qu'elle attire à sou passage, et sans détourner les siens, elle se préseule devant le roi, ne tremble point en voyant sa colère, et soutient avec fermeté son féroce aspect. Seigneur, lui dil-elle, daigner suspendre votre ven- geance et contenir votre peuple. Je viens vous découvrir et vous livrer le coupable que vous cherchez, et qui vous a si fort offensé.

A rhonnéte assurance de cet abord, k Téclal subit de ces chastes et Bêres grâces , le roi , confus et subjugué , calme sa co- lère et adoucit son visage irrité. Avec luoins de sévérité, lui dans Taine , elle sur le visage , il en devenait amoureux. JVIais une beauté revéche ne prend poiut un c<rur farouche, et les douces manières sont les amorces de l'amour.

Soit surprise, attrait ou volupté, plutôt qu*attendrisseinent , }e barbare se sentit ému. Déclare-moi tout, lui dit-il; >oilitque j'ordonne qu'on épargne ton peuple. Le conjvible , reprit— elle, est devant vos yeux; voilà la uiain dont ce vol est Tneuvre. Ne cherchez personne autre; c'est moi qui ai ravi Timage, et je suiâ celle que vous devez punir.

C'est ainsi que , se dévouant pour le salut de son peuple « elle détourne courageusement le malheur public sur elle seule. Le tyran, quelque temps irrésolu, ne se livre pa£ sitôt ù fa tarie accoutumée. 11 l'interroge. 11 laut , dit-il, que tu me déclares qui l'a donné ce conseil , et qui t'a aidée à l'exccuter.

Jalouse de ma gloire , je n'ai voulu, répond-elle, en faire part à personne. Le projet, l'exécution , tout vient de moi seule, et feule j'ai su mon secret. CVst dftnc sur toi seule, lui dit le roi , que doit tomber ma vengeance. Cela est juste , reprend- elle; je dois subir toute la peme, comme j'ai remporté tout l'honneur.

Ici le courroux du tyran commence à se rallumer. Il lui de> mande oh elle a cache l'image. Klle répond : Je ne Kat point cachée, je Tai brûlée, et j'ai cru faire une œuvre louable de la garantir ainsi des outrages des mécréans. Seigneur, est-ce le vo- leur que vous cherchez? il est en votre présence. Kst-ce le vol ? Ivous ne le reverrez jamais. Quoiqu'au reste ces aoms de voleur et de vol ne convieuucnt , -

I

I

69:

OLINDE

ni à moi , ni à ce que j'ai fait : rîcn n'est plus jn»te que 6t re- prendre ce qui lut pris injustement. A ces mots, le tvraii pousse un cri lueuaçant j sa cofcre n'a plus de frein. Vertu, beauté, courage, n'espérez plus trouver grâce devant lui. C*esl en vais que, pour la défendre d'un barbare dépit, l'amour lui fait un bouclier de ses cbarmes,

On la saisit. Itendu k toute sa cruauté, le roi la coudamne â périr sur un bûcher. Son voile, sa chaste mante, lui sont arra- chés; &es bras délicats sont meurtris do rudes chaînes. Elle se tail; »on ame forte, sans être abattue, oVst pas sans émotion ; et les roses éteintes sur son visage y laissent la caodeur de l'inuoceoce plutôt que la pâleur de la mort.

Cet acte héroïque aussitôt se divulgue. Déjà le peuple accourt en foule. Olindc accourt aussi tout alarmé. Le fait était sûr, la personne encore douteuse : ce pouvait être la maîtresse de son cœur. Mais sitôt qu*il aperçoit la belle prisonnière en cet état, sitôt qu*il voit les ministres de :>a mort occupés à leur dur office, il «'élance, il heurte la foule ;

Et cric au roi : Non , non : ce vol a*est point de son fait ; c'est par folie qu'elle s*en ose vanter. Comment «ne jeune fiJle tacs expérience pourrait-elle exécuter, tenter, concevoir même, nue pareille entreprise? Comment a-t-elle trompé les gardes? Co»a- ment s'v est-elle prise pour enlever la sainte iroage.^ Si elle l'a fait, qu'elle s'eipliquc. C'est moi, sire, qui ai fait le coup. Tel fut, tel fut Tamour dont même sans retour il brûla pour elle.

Il reprend ensuite : Je suis monté de nuit jnsfpi'â l'ouverlare par oii l'air et le jour entrent dans votre mosquée, et, tentant des roules presque inaccessibles , j'y suis entré par on passage étroit. Que celle-ci cesse d'usurper la peine nui ra'cst due : j ai seul mérité Thonneur de la mort; c'est à moi qu'appanienorat ces chaînes, cebilcher, ces ilarames ; tout cela n'est defiliné que pour moi.

Sophronie lève sur lui tes yeux : la donceur, la pitié, «ont peintes dans ses regards. Innocent infortuné , lui dit-elle, que viens-tu faire ici? i^ue\ conseil t'y conduit? quelle fureur t'y traîne? Crains-tu que sans toi mon ame ne puisse supporter la colère d'un homme irnté.' Non , pour une seule mort je me «ulfit â moi seule 1 et je n'ai pas besoin d'exemple pour apprendre k «ouifrir.

Ce discours qu'elle tient à son amant ne le fait point rétracter ni renoncer k son dessein. Digne et grand s()ectocle, Tamour entre en lice avec la vertu magnanime, oii la mort est Iv pni du vainqueur, et la vie la peine du vaincu! Mai» loin d'ctrc tou- ché de ce combat de constance et de générosité, le roi s'en irrite.

Et s'en Croit insulté, comme si ce mépris du supplice relom-

Ê^k

ET SOPHRONIK. 69!

bail sur lui. Croyons-en , dil-il, a tous deux; qu'ils triomphent i'uit et 1 autre, et partagent U palme qui leur est due. Pui& il fait signe aux «ergcn», et dans Tinstant Olinde e&t dans les fers. Tous deux, liés et adossés <iu même pieu, ne peuvent se voir en face.

On arrange autour d'eux le bAcher^ et déjà l'on excite la flamme, quand le jeune homme, éclatant en gémisseniens, dit à celle avec laquelle -il est attaché: C'est donc \h le lien duquel j'espérais m'unir à toi pour la vie ! c'est donc ce feu dont nos cœurs devaient brûler ensemble!

O llanimes, ô nœuds qu'un sort cruel nous destine! hélas ! vous n'êtes pas ceux que Taraonr m'avait promis! Sort cruel qui nous sépara durant la vie, et uous joiut plus durement encore k la mort ! Ah! puisque tu dois la sunir aussi funeste, je me con- sole, en la partageant avec loi , de l'être uni sur ce biicher, n'ayant pu 1* être à la couche nuptiale. Je pleure, mais sur ta triste destinée > et non sur la mienne, puisque je meurs h les côtés.

O que la mort me sera douce, que les lourmens me seront délicieux, si j'obtiens qu'au dernier moment, tombant l'un sur l'autre, nos bouches se joignent pour exhaler et recevoir au même instant nos derniers soupirs ! Il parle , et ses pleurs étouffent ftes paroles. Elle le tance avec douceur, et le remontre en ces termes î

Ami , le moment ou nous somtnes exige d'autres soins et d'au- tres regrets. Ah ! pense, pense à lc:> Fautes et au digne prix que Dieu promet aux fidèles ; soufTrc en son nom , les lourmens le seront doux. Aspircavec joie au séjour célcsle: vois le ciel comme il est beau; vois te .soleil , dont il semble que Taspect riant nous ppelle et nous console.

I

A ces mots tout le peuple païen éclate en sanglots, tandis que le fidèle ose à peine gémir à plu$ basse voix. Le roi même , le roi sent au fond de son ame dure je ne sais quelle émotion prête à l'attendrir; mais, en la pressentant, il s'indtgne, s'y refuse, dé- tourne les yeux , et part sans vouloir se laisser fléchir. Toi seule, ôSophronie, n'accompagnes point le deuil général^ et quand tout pleure sur loi , toi seule ne pleures pas!

k En ce péril pressant survient un guerrier ou paraissant tel, d'une haute et belle apparence, dont Tarniure cl l'habillement étranger annonçaient qu'il venait de loin : le tigre, fameuse en- seigne (jui couvre son casque, attira tous les yeux, et fît juger avec raison que c'était Clorindc.

m Des Tûge le plus tendre elle méprisa les mignardises de sou Mxe : jamais ses courageuses mains ne daignèrent toucher le fu- seau, Vaiguitte et les travaux d'Arachné ; elle ne voulut ni s'a- mollir par des vêtemens délicats , ni s'environne» limidcmenl de

fcj4 OLINDE

clôtures. Dans les camps mumo , la vraie Lonn^tctc se fait pectcr , et partout sa force cl sa vertu fut $a iauve-garde : rll* arma de fierté son visage, cl se plut à le rendre seY-crc ; maù t{ charme, tout sévère tju'il est.

D'une main encore enfantine elle apprît h gonverner le mors d'un coursier, à manier la picpie et répép; elle endarcil son corp» sur l'arcne, se rendit légère à la course; sur les rocher» , k Ira- vers les boissnivit à la piste les lu'les féroces ; se fil fjuerrièro enfin; et , après avoir fait la guerre en homme aux lions dans les for^, combattil en tion dans les camps |tarmi les hommes.

Elle venait des contrées persanes pour résister de toute sa force aux chrétiens : ce n'était pas la première fois quMs énrouvaicol son courage^ souvent elle avait dispersé leurs memores sur U poussière et rougi les eaux de leur sanc. L'appareil de mort •qu'elle aperçoit en arrivant la frappe : elle pousser son cUciral, fl veut savoir quel crime attire un tel châtiment.

La foule sVcartej et Cloriude, en considérant de près les dcn^ victimes attachées ensemble , remarque le silence de Tune et les gémissemens de Tautre. Lèses* le plus faible montrceo cette oc- casion plus de fermeté) et tandis qu'Olinde pleure de pitié ptotât que de crainte, Sophronic'se tait, et , les yeux fixe» vers le ctcl, ficmblc avoir déjà quitté le séjour terrestre.

Clorinde, encore plus touchée du tranquille silenc<*de l'une que des douloureuses plaintes de l'autre, s'atlrndril sur îeur«ort jusqu'aux larmesj nuis se tournant vers un vieillard qu'elle aper- çut auprcsd'elle; Dites-moi, je vous prie, lui dem.-inda-i-«ll« , qui sont ces jeunes gens , et pour quel crime ou par quel malhmr ils souffrent un pareil supplice.

Le vieillard en peu de mots ayant pleinement satisfait k sa de» mande, elle fut frappée dVtonnement ; cl jugeant bien que tons deux étaient innoccns, elle résolut , autant que le pourraient sa pnèrp ou ses armes , de les garantir de la mort. Elle s'npproche «n faisant retirer la Oamme prête à les atteindre : elle parle ainsi à ceux qui t'attisaient :

Qu'aucun de vous n*ait l'audace de poursuivre cette cruelle #ruvrc juMpi'â ce que j'aie parlé au roi : je vous promets qu'il ne vous saura pas mauvais gré de ce retard. Frappes de son air

Ï;rand et noble, les scrgcns obéirent : alors elle s'acbeuina ver» e roijet le rencontra qui venait au-devant dVlle.

Seigneur, tuidit-elle, je suis Clorindc; vous m'avez peut- être ouï nommer quelquefois. Je viens ra'oflVir pour défendre avec vous la foi commune et votre trône : ordonuru ; soit en plaine campagne ou dans Penceinte des niur«i^ quelque enqiloi qu'il vous plaise m'assigner, je l'accepte sans craindre les plus pénllrn\ ni dédaigner les plus humbles.

Quel pays, lui répond le roi, est si loin de l'Asie cl de U rouie

ET SOPHROME. 6^5

du Soleil, ou rniustre nom de Clorinde ne vole pas sur les aile^f de la gloire? Non, vaillante guerrière, aver vous je n'ai plus ni doute ni crainte- et j'aurais moins de confiance eu une armée en- tière venue à mon secours, qu'en votre seule assistance.

OU ! que Godefroi n'arrive-l-il à l'inslanl même ! Il vient trop lenlemeut à mon gré. Vous me demandez un emploi? Les entre- prises difficiles et grandes sont les seules dignes de vous : com- mandez À nos guerriers ; je vous nomme leur général. La modeste Clorinde lui rend grâce, et reprend ensuite :

C'est une chose bien nouvelle sans doute que le salaire précède les sen'icesj mais ma confiance en vos bontés méfait demander, pour prix de ceux que j'aspire à vous rendre, la grâce de ces deux condamnés. Je les demande en pur don, sans examiner si le crime est bien avéré, si le châtiment n'est point trop sévère, et sans m'arr^ler aux signes sur lesquels je préjuge leur innocence.

Je dirai seulement que quoi qu'on accuse ici les chrétiens d'a- voir enlevé l'image, )'ai quelque raison de penser autrement : cette œuvre du magicien fut une profanation de notre loi , qui n'admet point d'idoles dans nos temples, et moins encore celles des dieux étrangers.

C'est donc à Mahomet que j'aime k rapporter le miracle ; et sans doute il l*a fait pour nous apprendre à ne pas souiller ses temples par d'autres cultes. Qu'lsmene fasse à son gré ses enchan- temeus, lui dont les exploits sont des maléfices : pour nous guer- riers, manions le glaive; c'est notre défense, et nous ne devons espérer qu'en lui.

Elle se tait ; et , quoique l'ame colère du roi ne s'apaise pas sans peine, il voulut néanmoins lui complaire, plutôt fléchi par sa prière et par la raison d'état que par la pitié. Qu'il.** aient , dit- il , la vie et la liberté : un tel intercesseur peut-il éprouver des refus? Soit pardon, soit justice, iunocens je les absous, coupa- bles je leur fais grâce.

Ils furent ainsi délivrés , et fut couronné le sort vraiment aventureux de l'amant de Sophronie. Eh ! comment refuserait- elle de vivre avec celui qui voulut mourir pour elle? Du bûcher ils vont à la noce; d'amant dédaigné , de patient même , il devient heureux époux, et montre ainsi dans un mémorable exemple que les preuves d'un amour véritable ne laissent point insensible uu cœur généreux.

LE LÉVITE

D'ÉPHRAÏM.

L

CHANT PREMIER.

OAI STE colère dp la vertu , viens animer ma voix ; jr dirai 1^» criiues de Bernjaraiu et les vengeances dlsraëi ; je dirai de» r>r— faits inouïs, et des cbàliracns encore plus terribles. Mortels, res- pectez la beauté', les mcpurs , rUospilalile ; sover. justes saiu cruauté, luiséricordieui sans faiblesse; et sacbcz pardonner aa coupable plutôt que de jninir rinnocent,

O vous , hommes débonnaires , ennemis de toute inhumanité ; vous qui , de peur d'envisager les crimes de vos frères , aiojec mieux les laisser impunis , quel tableau viens-jc offrir à vos yeux ? Le corps d'une femme coupé par pièces; ses membres déchirés et palpitans einoyés aux douze tribus; tout le peuple, saisi d'hor^ reur, élevant jnsqu'au ciel une clameur unanime, el s'écrîant de concert : Non , jamais rien de pareil ne s'est fait en Israël depuii le jour nos pères sortirent d'Kgvplc jusqa'à ce jour. Peuple saint , rassemble-loi : prononce sur cet acte horrible , el décerne )e prix qu'il a mérité. A de tels forfaits, celui qui déleume se* regards est un Inclic, un déserteur de la justice; la véritable hu- manité les envisage pour les connaître, pour les juger, pour les djélester. Osons entrer dans ces détails, et remontons à la source des guerres civiles qui (iront périr une des lribus,elcoAlèrenl tant de sang aux autres. Ucn^amin , triste enfant di^ douleur, qui donnas la mort à ta inëre, cest de ton sein «(u'est sorti le crime qui t'a perdu; c^est la race impie qui put le commettre, et qui devait trop l'expier.

Dans les {ours de liberté oii nul ne renaît sur le peuple du Seigneur, il fut un temps de licence chacun ,sans reconnaître ni magistrat ni juge, était seul son propre maître et faisait tout ce qui lui semblait bon. Israël , alors épars dans les champs, avait peu de grandes villes, et la simpHcité de ses mn?urs rendait su- perflu 1 empire des lois. Mais tous les crenrs n'élaieul pas égaliv ment purs, et les méehans trouvaient l'impunité du vice dtns U sécurité de la vertu.

Durant un de ces courts intervalles de calme el d'égalité qui

stenl dans l'oubli parce que nul n'y commande aux aul [u'on n'y fait point de mal, un Lévite des monts d't)phraiin vtt

restent dans l'oubli parce que nul n'y commande aux autres et

3 u'on n'y fait point de mal, un Lévite des monts d't)phraiin vtt ans Bethléem une jeune Ile qui lui plut. Il lui dit : Fille de Juda^ tu n'es pas de ma tribu , lu n'as point de frère; lu es comme le» filles de Salphaad , et je ne puis l'épouser selon la loi du ^iei— gneur (i). Mais mon co&ur est à toi ; viens avec moi , vivons en-

(i) Nombres, cbap. xxxrs , verftet 8* Je sais que Je* cn&ns de LÀH pouvaîetil te marier dan» toutes les Iribusyinai» oqd daoi Je cas «uppoaéw

J

CHANT PnEMIFR. 697

semble ; nous serons unis et libres ; Lu feras mon bonbear, et je ferai le tien. Le Lévile étail jpune el beau; la jeune fille sourit^ i|s s*unirent, puis il remiuetia dansées montagnes.

Là, contant une douce vie , si chère aux cœurs teniîres et sira-

Îdes, il goûtait dans sa retraite les charmes d'un amour partagé : il , sur un sistre d'or fait pour chanter les louangcsdu Très-Haut, il chantait souvent les charmes de sa jeune épouse. Combien de fois les coteaux du mont Hébal retentirent de ses aimables chan- sons ! Combien de fois il la mena sous Tombrage, dans les val- lons de Sichem , cueillir des ro-srs champêtres rt goûter le frais au bord des ruisseaux ! Tantôt il cherchait dans les creux des ro- chers des ra vous d'un miel doré dont elle faisait ses délices; tan- tôt dans le feuillage des oliviers il tondait aux oiseaux des pièges trompeurs, et lui apportait une tourterelle craintive qu'elle bai- sait en la flattant , puis renfermant dans son sein elle tressaillait d'aise en la sentant se débattre et palpiter. Fillr de Bethléem , lui disait-il , pourquoi pleures-tu toujours la famille et ton pays? Les enfans d'Kphraiin n'oat-ils point aussi des foies? les filles de la riante Sichem sont-elles sans grAcc et sans gaielé ? leshabitans *\e l'antique Atharot manqnent-ils de force et d'adresse? Viens voïr leurs jeux et les embellir. Donne-moi des plaisirs, ô ma bien- année; en e*t-il pour moi d'autres que les tiens?

Toutetois la jeune fille s'ennuva du Lévite, peut-rire parce qu'il ne lui laissait rien à désirer. Elle se dérobe, et s'enfuit vers «on père, vers sa tendre mère, vers ses folâtres srrurs. Elle y croit retrouver les plaisirs innocens de son enfance , comme elle y portail le même ége et le même copur.

Mais le Lévite abandonné ne pouvait oublier sa volage épouse. Tout lui rappelait dans sa solitude les jours heureux qu'il avait passés auprès d'elle; leurs jeux, leurs plaisirs, leurs querelles, et leurs tendres raccommndemens. Soit que le soleil levant dorât la cime des montagnes de Gelboé, soit qu'au soir un vent de mer vînt rafraîchir leurs roches brûlantes, il errait en soupirant dans les lieux qu'avait aimés l'infidèle ; et la nuit , seul dans sa couche nuptiale , il abreuvait son chevet de ses pleurs.

Après avoir flotté quatre mois entre le re^et et le dépit , comme uu enfant chassé du jeu par les autres feint n'en vouloir

Slus en brûlant de s'y remettre, puis enfin demande en pleurant 'y rentrer, le Lévile, entraîné par son amour, prend sa mon- ture; et, suivi de son 8er>'ileur avec deux Anes d'Épha chargés de ses provisions et de dons pour les parens de la jeune HIte, il re- tourne à Bethléem pour se réconcilier avec elle, et ticher de U ramener.

La jeune femme, l'apercevant de loin, tressaille, court au devant de lui, et l'accueillant avec caresses l'introduit dans la maison de son père; lequel apprenant son arrivée accourt aussi plein de joie, l'embrasse, le reçoit , lui , son serviteur, son équi- page, et s'empresse à le bien traiter. Mais le Lévite ayant le cœur serré ne pouvait parler; néanmoins, ému par le bon accueil de

698

LE LÉVITE D'ÊPHRAIM

)ft famille f il leva les yeux sur sa jeune épouse , ot lui Oit : FiI1« d'Israël, pourquoi me fuis-tu? Quel mal t*ai-je fait? L^ jeuoe fille se mil à pleurer en se couvrant le visage. Puis il dit au père s^ Uendes-moi ma compagne; rendez-la moi pour l'amour a'elle;

f pourquoi vivrait-elle seule et délaissée? Quel autre que moi peul lonorer comme sa fcuiuie celle que j'ai rc^^uc vicrpc?

Le père regarda sa fille, et la fille avait le cceur attendri du retour de soo mari. Le père dit donc à son gendre : Mon fil», donnez-moi trois jours; passons ces trois jours dans ïa joie, ec Je quatrième jour vous et ma fille partirez en paix. Le Lévite resta donc trois jours avec son beau-perc et toute sa famille, mangeant et buvant familièrement avec eux ; et la nuit du qua— Iriëme jour, se levant avant le soleil, il voulut partir. Mais M>a beau-père Tarrétant pnr la main lui dit : Quoil voulez-vous par- tir à jeun? Venez fortifier votre estomac, et puis vous partirez. Ut se mirent donc à table; et après avoir man^c et bu , le père lui tlit : Mon fils, je vous supplie de vous réjouir avec noua encore aujourd'hui. Toutefois le Lévite se levant voulait partir; il croyait ravir à l'amour te temps qu'il passait loin de fa retraite « livre à d'autres qu'à sa bien-aimée. Mais le père ne pouvant se ré- soudre ù sVn séparer engagea sa fille d'obtenir encore cette jour- née ; et la fille , caressant son mari, le lit rester jusqu'au lende- main.

Dès le malin ^comtne il était prêt à partir, il fut pucorc arrête par son beau-père, qui le força de se mettre à table en atteadUnt le prand jour ; et le temps sVconlait sans qu'ils s'en aperçussent. Alors le jeune lionimc sVtant levé pour partir avec sa femme et son serviteur, et ayant préparé toute chose : O mon fiU, lui dit le père, vous voyez que le jour s'avance et que le soleil est wr sou décliu : ne vous mettez pas si tard en route; de cracCf ré* jouissez mon cœur encore le reste de cette journée; demain dê« le point du jour vous partirez sans retard. Et, en disant ainsi, le bon vieillard était tout saisi; ses yeux pateruelssc remplissaient de larmes. Mais le Lé\Hte ne se rendit point , et voulut partir k l'instant.

C^>uc de regrcl-s coAta cette séparation funeste! Que de ton- chans adieux furent dits et recommencés! Que de pleurs lessorur» de la jeune tille versèrent sur son visage ! Combien de fois elles la reprirent tour à tour dans leurs bras ; Combien de fois sa mère éploree, en la serrant derechef dans les siens, sentit les douleurs d'une nouvelle séparation ! Mais son père eu rembrassant wta pleurait pas : ses muettes étreintes étaient mornes et convulsivrs; des soupirs tranchans soulevaient sa poitrine. Hélas! il semblait prévoir rhorrible sort de Tinfortunée. Oli! s'il eût su qu'elle ne reverrait jamais l'aurore !...S*il eût su que ce jour était le dernier de ses jours !... Us partent enfin , suivis des tendres bénédictioni de toute leur famille , et de vœux , qui méritaient d'être exaucé*. Heureuse famille, qui, dans l'union la plus pure, coule au «cia de l'amitié ses paisibles jours, ot semble n'avoir qn'on ooearJt

CHANT PREMIER.

^

iou» SCS membres ! O innocence des mœurs , douceur d*ame , an- tique simplicité, que vou& êtes aimables ! Comment la brutalité 4u vice a-t-etle pu trouver place au milieu ilc vous? Comment les fureurs de la barbarie Q*ont*ellea pas respecte vos plaisirs?

7 I V DO P R n M I F. R CHANT.

CHANT SECOND.

I.F. jeune Lévite suivait sa roule avec sa femme, son serviteur et son bagage, transporté de joie de ramener l'amie de sou cœur, et inquiet du soleil et de la poussière, comme une mère qui ra- mène son enfant chez la nourrice et craint pour lui les injures de Tair. Déjà l'on découvrait la ville de Jébus à main droite, et ses murs aussi vieux que les siMes leur offraient un asile aux a|>- proches de la nuit. Le serviteur dit donc à son maître : Vous voyez le jour prêt à finir; avant que les ténèbres nous surpren- nent , entrons dans la ville des Jébuséens, nous y chercherons un asile; et demain, poursuivant notre voyage, nous pourrons arriver à Géba.

A Dieu ne plaise , dit le Lévite , que je loge chez un ]»eiiple in- fidèle, et quVn Cananéen donne le couvert au ministre du Sei- gneur ! non : mais allons jusques àCabaa chercher Thospitalité chez nos frères. Ils laissèrent donc Jérusalem derrière euxj ils arrivèrent après le coucher du soleil à la hauteur de (jabaa, qui est de la tribu de Benjamin. Ils se détournèrent pour y passer la nuit : et y étant entrés ils allèrent s'asseoir dans la place pu- blique; mais nul ne leur offrit un asile, et ils demeuraient à découvert.

Hommes de nos jours, ne calomniez pos les mmurs de vos pères. Ces premiers temps, il est vrai, n'abondaient pas comme les vôtres en commodités de la vie ; de vils métaux ny suffisaient pas à tout: mais l'homme avait des entrailles qui faisaient le reste; l'hospitalité n'était pas à vendre, et Ton n'y trafiquait pas des vertus. Les filsde Jémini n'étaient pas les seuls, sans doute, dont les cœuisde fer fussent endurcis; mais cette dureté n'était pas commune. Partout avec la patience on trouvait des frères; le voyageur dépourvu de tout ne manquait de rien.

Après avoir attendu loug-temps /nutilenient, le Lévite allait détacher son bagage pour en faire h la jeune fille un Ut moins dur que la terre nue, quand il aperçut un homme vieux revenant sur le tard de ses champs et de ses travaux rustiques. Cet homme était comme lui des monts d'Éphrnim , et il était venu s'établir autrefois dans celte ville parmi les enfans de Benjamin.

Le vieillard, élevant les yeux, vit un homme et une femme assise au milieu de la place, avec un serviteur, des bétes de somme, et du bagage. Alors s'approchant, il dit au Lévite : Etranger, d'oii êtes vous?et oii allez-vous? Lequel lui répondit : Nous venons de Bethléem, ville de Juda ; nous retournons dans

.M.tis If 1,('^'llr intiiniil lin intmir xa ttiimwitjir tnrnikniirr^~ rniliMin** |u»fiii'À lii l*orte,cl l-i ïivrp ,i rcvMAUcbt».

^

CHANT SECOND. 701

sans attendre leur réponse , il court chercher sa fille pour rache- ter son hôte aux dépens rîe son propre sang.

Mais le Lc>*ite , que jusqu'à cet m-îtant la terreur rendait im- mobile, se réveillant à ce déplorable aspect , prévient le géné- reux vieillard , s'élance aii-devanl de lui , le force à rentrer avec sa fille, et prenant lui-niême sa compagne bien-aimce sans lui dire un seul mot , sans lever les yeux sur elle , Tcntraine jusqu'à la porte , et la livre à ces maudits. Aussitôt ils entourent la jeune iille â demi morte, la saisissent , se l'arracheut sau» pitié ; tels [dans leur brutale furie qu'au pied des Alpes glacées un troupeau de loups atfaniés surprend une faible génisse, se jette sur elle et la déchire , au retour de Tabreuvoir. O misérables , qui détruises votre es|>ècc par les plaisirs destinés k la reproduire, comment cette beauté mourante ne glace-t-ellc point vos féroces désirs? \oyez5C5 yeux déjà fenuesà la lumière, ses traits efiacés, son visage éteint ; la pâleur de la mort a couvert ses joues , les vio- lettes livides en ont chassé les roses ï elle n*â plus de voix pour gémir, ses mains n'ont plus de force pour repousser vos outrages, fiélasl elle est déjà morte! Barbares, indignes du nom d'hommes, vos hurlemens ressemblent aux cris de l'horrible hyène , et comme elle vous dévorez les cadavres.

Les approches du jour qui rechasse les botes farouches dans leurs tanières ayant disperse ces brigands, Tiiifurtunée use le reste de sa force à se traîner jusqu'au logis du vieillard ; elle tombe à la porte la face contre terre et les bras étendus sur le seuil. Ce- pendant, après avoir passé la nuit à remplir la maison de sou note d'imprécations et de pleurs, le Lévite prêt à sortir ouvre la porte et trouve dans cet étal celle qu'il a tant aimée. Quel spec- tacle pour son cœur déchiré I 11 élève un cri plaintif vers le ciel vengeurdu crime; puis, adrcsf-ant la parole àla jeune fille: Lève- toi , lui dit-il, fuyons la malédiction qui couvre cette terre : viens, 6 ma compa(;ne! je suis cause de ta perte, je serai ta consolation : périsse l'homme injuste et vil qui jamais te repro- chera ta misère ! lu mVs plus respectable qu'avant nos malheurs. La Jeune fille ne répond point : il se trouble; sou cœur saisi d'euroi commence à craindre de plus grands maux ; il l'appelle derechef, il regarde, il la touche; elle n'était plus. O fille trop aimable, et trop aimée! c'est donc pour cela que je t'ai tirée de la maison de ton père! Voilà donc le sort que te préparait mon amour! Il acheva ces mots prêt â la suivre, et ne lui sur- véquit que pour la venger.

»i)ès cet instant, occupé du seul projet dont son ame était remplie, il fut sourd à tout autre sentiment; l'amour, les re- grets, la pitié, tout eu lui se change en fureur. L'aspect même de ce corps, qui devrait le faire fondre en larmes, ne lui arrache plus ni plaintes ni pleurs : il le contemple d'un œil sec et sombre; il n'y voit plus qu un objet de rage et de dése!>poir. Aidé do sou serviteur, il le charge sur sa monture et l'emporte dans sa maison. ) sans hésiter, sans trembler, le barbare ose couper ce corps en

»

7oa LE LÉVITE D*ÉPHRA1M.

douze pièces; d'une iiinin ferme et sûre i) frappe san^s crainte, îl coupe fa clinir et les os, il lépare la têie et les membres; et apri?»! avoir fait aux Iribus ces envoi* elFroyabîes, îl les précède ii Ma»- pba, décbire ses vêlemens, couvre sa iùte de cendres, se prv»- teme à inesurc (qu'ils arrivent , él réclame k graudâ cris la juWice^ du Dieu d'Israël.

FIN OU SECOND CHAXT.

CHANT TROISIÈME.

CtPENnAUT VOUS eussiez vu tout le peuple d* Dieu s'émouvoir, 8*aS8emb!cr, sortir de ses demeures, accourir de toutes les tribtu à Masnlia devant le Seigneur, comme un nombreux essaim d'abeittes se ra&seuible en bourdonnant autour de leur roi. Ils vinrent tous, ils vinrent de toutes parts, de tous les cantons « tous d'accord comme un seul bouime, depuis Dan jusqu'à B^r- labée, et depuis Galaad jtisijii'à ^ta^plta.

Alors te Lévite s'ctant prcsenté dans un appareil lugubre fîit interrogé par les anciens devant rassemblée sur le meurtre de Ja jeune H Ile, et il leur parla ainsi : <• Je suis entré dans Gabaa. » ville de Benjamin, avec ma femme pour y passer la nuit ; et " les gens du pars ont entouré la maison oii )*étais loeé, voti- >' lant m*oulrager et me faire périr. J'ai été forcé de livrer ma H femme h leur drbanclie, et elle est morte en sortant de leurs N mains. Alors j'ai pris ^on corps, je Kai mis en picces, el je w vous les ai envovces à cbarun dans vos limites. Heupfe au M Seigneur, j'ai dit la vérité; faites ce tjui vous semblera juste » devant le Très-Haut. »

A Tinsiant il s'éleva dans tout Israël un seul cri , mais écla- tant, mais sur ses meurtriers.

" ^-— - ---j -— -.—.—

unanime : Que le sans de la jeune femme retombe irlriers. Vive rfcIcmeiT nousne reutrerous point dans

pomt

nos demeures, et nul de nous ne retournera sous son toit, «jue Gabaa ne soit exterminé. Alors le Lévite sVcria d'nne voix furie : m Béni soit Israël (pii punit rinfamic et venge le sang innocent! I Fille de Bethléem , je le porte une bonne nouvelle^ fa mémoire " ne restera point sans honneur. En disant ces mots, il tomba sur sa face , et mourut. Son corps fut honoré de funérailles pu- bliques. Les membres de la jeune femme furent rassemblés et mis dans le mèine sépulcre, et tout Israt-I ]ileura sur eux.

Les apprêts de la guerre qu'on allait entreprendre commen- cèrent par un serment solennel de mettre à mort quiconouo né-

f;ligerait de s'y trouver. Ensuite on fil le dénombrement ae tous es Hébreux po mille , et mille de dix raille, la dixième partie du peuple entier,

les Hébreux portant nrmrs, rt Ton choisit dix de cent, cent df

dont on fit une armée de quaraute mille hommes nai devait agir contre Gabaa , t.indis qu'un pareil nombre étnii rhargé des convois de munitions et de vivres pour l'approvisionncmcfit dt Tarmée. Ensuite le peuple vint k Silo devant Twcbc du S«*

CHANT TROISIEME.

7o3

f*tieur, en disant : Quelle Iribu commandera les autres contre fes enfaus de Benjamin? Et le Seigneur répondit : (/est le sang de Juda qui crie vengeance que Jiida soit votre clief.

Mais, avant de tirer le glaive contre leurs frères, ils envoyèrent à la tribu de Benjamin des hcrauls, lesquels dirent aux nenja- miles : Pourquoi cel!e horreur se Irouve-l-ellc au milieu de vous? Livre7.-nous ceux qui l'ont commise, afin qu'ils meurent , et que le mal soit ôté du sein d'Israël.

Les farouches enfans de Jémini , qui n'avaient pas icnore l'as- semblée de Alaspha, ni la résolution qu'on y avait pri^e, s'étanl préparés de leur côté, crurent que leur valeur les dispensait d'être justes. Ils n'écoutèreut point l'exhortation de leurs frères; et , loin de leur accorder la satisfaction qu'ils leur devaient . ils sortirent en armes de toutes les villes de leur partage, et accou- rurent à la défense de (>abaa , sans se laisser effraver par le nombre , et résolus de combattre seuls tout le peuple réuni. L'ar- mée de Benjamin se trouva de vingt-ciuq mille nommes tirant l'épée, outre les habitans de Gnbau, au nonibre de sept cent» hommes bien aguerri:^, maniant les armes des deux mains avec la même adresse, et tous si excellent tireurs de fronde qu'ils pou- vaieut atteindre uu cheveu, sans que la pierre déclinât de côté ni d'autre.

L'année d'Israt-I s'élanl assemblée, et ayant élu ses chefs, vint camper devant Oabaa , comptant emporter aisément cette place. Mais les Benjamites, étant sortis en bon ordre, l'attaquent , la rompent , la poursuivent avec furie; la terreur les précède et la mort les suit. On vovait les forts d'Israël en déroute tomber par milliers sous leur épee , et les champs de Rama se couvrir de cadavres , comme les sables d*Elath se couvrent des nuées de sau- terelles qu'un vent brûlant apporte et tue en un jour. Vingt- deux mille hommes de Tarmée u Israël périrent dans ce combat : mais leurs frères ne se découragèrent point: et, se 6ant à leur force et â leur grand nombre encore plus qu à la justice de leur cause, ils vinrent le lendemain se ranger en bataille dans le même lieu.

Toutefois, avant que de risquer un nouveau combat, îls étaient montés la veille devant le Seigneur , et pleuraut jusqu'au soir en sa présence ils l'avaient consulté sur le sort de celte guerre. Mais il leur dit : Allez, et combattes^ votre devoir dé- pend-il de l'événement?

Coimiie ils marchaient donc vers Gabna , les Bcnjamîtes firent une sortie par toutes les portes, et, tombant sur eux avec plus de fureur que la veille, ils les défirent, et les poursuivirent avec un tel acharnement que dix-huit mille hommes de guerre pé- rirent encore ce jour-là dans l'armée d'Israël. Alors tout le peuple vint derechef se prosterner et pleurer devant le Seigneur: et,

t'eûnant jusqu'au soir» ils offrirent des oblatious et des sacrifices. )ieu d'Abraham, disaient-ils en gémissant, Ion peuple, épar- gné tant de fois dans ta juste colère, périra-t-il pour vouloir ôtcr

^i^M^

7o4 LE LÉVITE D'ÉPIIR.VIM.

le mal de son sein? Puis, s'êlant pn'srntés devani l'arche rcJoa« table, et consultant derechef le Sei^teur par la bouche de PUinéi È\i d'Eléazar, ils lui dirent : MarchiTon^nous encore coati nos frères? ou laisseron^iious en paÏK Benjamin? La voix <la{ 1 ont-puissant daigna leur répondre : Marchez, et ne vous fieci plus en votre nombre, mais au Seigneur, «jui donne et ôle ie courage comme il lui plait ; demain, je livrerai Benjauiin entre \03 mains.

A l'instant ils sentent déjà dans leurs c<rurs Teflet de cette] promesse. Une valeur froide et silre , succédant à leur brutale impétuosité, les éclaire et les conduit. Ils s'apprêtent posément au combat, et ne s*y présenlent plus eu forcenés, mais en liommeâ sages et braves qui savent vaincre san> fureur ^ eC mourir sans désespoir. Ils cachent des troupes derrière le coteau de Gabaa, et se rangent eu bataille avec le reste de leur anu^; ils attirent loin de la ville les Benjaiuites , qui , sur leurs pre- miers succL's , pleins d*une confiance trompeuse, sortent plutAt pour les tuer que pour les combattre ; ils poursuivent avec im<* pétuositc l'armée qui cède et recule à dessem devant eux; ils ar- rivent après elle jusqu^oii se joigncut les chemiiu de Béihel et de Gabaa, et crieut en s*aniraautau carnage : Ils tombent devant nous comme les premières fois. Aveugles qui , dans l'éblouiSM» ment d'un vain succès , ne voient pas l'ange de la vengeance qoî vole déjà sur leurs rangs , armé du £!;laive externimatcur t

Cependant le corps de troupea caché derrière le coteau sort de ion rnibuscado en bon ordre, an nombre de dix mille hommes « et, sVtendanI autour de la ville^ Taltaque , la force, en pa&se tous tes habitansau fil de Tépée; puis, élevant une grande fu* mée, il donne k rariuée le signul convenu , tandis que le Denja— mite acharné bVxcite à poursuivre $>& victoire.

Mais les forts d'Isracl , ayant aperçu le signal, firent face a l'ennemi en Baal-Tliaraar. Les tïenjamiles, «urpris de voir Ir» bataillons d*lsraél se former, se développer, s'étendre , foadr* sur eux, com.meucèrenl à perdre courage; et, tournant le dos, ils virent avec elTroi les tourbillons de fumée qui leur annonçaient le désastre de Gabna. Alors, frappés de terreur à leur tour , ils connurent que le bras du Seieneur les avait atteints^ et , fuvant en déroute vers le déaert, ils fureut environnés, poursuivis» tués, foulés aux pieds; tandis que divers détachriufo* entranl dans les villes y mettaient à mort chacun dans son habitation.

£n ce jour de colère et de meurtre, presque toute la tribu de Benjamin , au nombre de vingt-six mille hommes, périt «ou* l'épéc d'Urael ; savoir , dix-huit mille hommes dans leur pre- mière retraite depuis Mennha jusqu*à l'est du coteau , cinq mille «fans la déroute vers te désert, deux mille qu*on atteignit prè» de Guidhon , et le re>te dans tes places qui furent brûlées, et dont tous les babitans, hommes et femmes, jeunes cl vieux, grande et petits, jusqu^aux bétes , furent mis à mort, tan» quoa fit grâce à aucun: en sorte que ce beau pays, auparavant si vivant ^

CHANT TROISIÈME. 708

SI penpié, si fertile , et maintenant moissouné par la flamme et par le fer, n'offrait plus qu'une affreuse solitude couverte de cendres et d'ossemens.

Six ceuts hommes seulement, dernier reste de cette malheu- reuse tribu , échappèrent au glaive d'Israël, et se réfugièrent au rocher de Rhimmon , oii ils restèrent cachés quatre mois, pleurant trop tard le forfait de leurs frères et la misère oii il les avait réduits.

Mais les tribus victorieuses voyant le sang qu'elles avaient Tersé sentirent la plaie qu'elles s'étaient faite. Le peuple vint, et , se rassemblant devant la maison du Dieu fort , éleva un autel sur lequel il lui rendit ses hommages, lui offrant des ho- locaustes et des actions de grâces j puis élevant sa voix , il pleura; il pleura sa victoire après avoir pleuré sa défaite. Dieu d Abra* ham , sVcrîaient-ils dans leur afHiction , ah! sont tes pro- messes? et comment ce mal est-il arrivé à ton peuple, quuiie tribu soit éteinte en Israël? Malheureux humains , qui ne saves ce qui vous est bon , vous avez beau vouloir sanctiner vos pas- sions , elles vous punissent toujours des excès qu'elles vous t'ont commettre ; et c est eu exauçant vos vœux injustes que le ciel TOUS les fait expier.

FIN DC TROISIÈME ClïJlffT.

J\

CHANT QUATRIEME.

Après avoir gémi du mal qu'ils avaient fait dans lenr colère^ les enfans d'israél y cherchèrent quelque remède qui pi\l rétablit* en son entier la race de Jâcob mutilée. Émus de compassion pour les six cents hommes réfugiés au rocher de Rîiimmou, ils dirent: Que ferons-nous pour conserver ce dernier et précieux reste d'une de nos tribus presque éteinte? Car ils avaient juré par le Seigneur , disant : si jamais aucun d'entre nous donne sa nllc au iîts d'an enfant de Jcmini et mâle son sang au sang de Benjamin. Alors, pour éluder un serment si cruel, méditant de nouveaux carnages, ils firent le dénombrement de l'armée pour voir si , malgré l'engagement solennel , quelqu'un d'eux avait manqué de s'y rendre, et il ne s'y trouva nul des habitans «le Jabès de Galaad. Olte branche des enfans de Manassé , re- gardant moins à la punition du crime qu'à l'effusion du sang fraternel , s'était refiisée à des vengeances plus atroces que le forfait , sans considérer que le parjure et la désertion de la cause commune sont pires que la cruauté. Hélas! la mort , la mort barbare fut le prix de leur injuste pitié. Dix mille hommes détachés de l'armée d'Israël reçurent et exécutèrent cet ordre effroyable : Allez , exterminez Jabès de Galaad et tous ses ha- bitans , hommes , femmes , enfans , excepté les seules filles vierges , que vous amènerez au camp , afin qu'elles soient don- nées en mariage aux enfaus de Bcojaoïia. Ainsi , pour réparer

5.

40

7o6 LE LÉVITE D*ÉpnR

]a désolation àe tant de meurtres , ce peuple farouche en commit <Ie plus grands j semblable en sa furie à ces c lobes de fer lancé* par nos machines einbra,sée5, lesquels , tombes à terre après leur

Sremier effet , se relèvent avec une impétuosité nouvelle » et , ans leurs bonds inattendus, renversent et détruisent de« raogi entiers.

Pendant cette exécution funeste , Israël envoya des paroles de paix aux six cents de Benjamin réfugies au rocber de Kliitniuoa^ et ils revinrent parmi leurs frères. Leur retour ne fut point un retour de joie : ils avaient la contenance abattue et les yeux baissés ; la honte et le remords couvraient leurs visages; et tout Israël , consterné, poussa des lamentations en voyant ces tristes restes d'une de ses tribus bénites, de laquelle Jacob avait dit ; I) Benjamin est un loup dévorant } au matin il déchirera sa proiei » et le soir il partagera le butin. »

Après que les dix mille hommes envoyés à Jabès furent de retour, et qu*on eut dénombré les filles qu'ils amenaient , il ne s'en tronva que quatre cents, et on les donna à autant de Ben* janiites , comme une proie qu'on venait de ravir pour eux. Quelles noces pour de jeunes vierges timides dont on vient d*è^ gorgor les frères , les pères , les mères , devant leurs yeux , et

3ui reçoivent des liens d'attachement et d'amour par des maios égoiittantes du sang de leurs proches ! Sexe toujours esclave ou tyran, que l'homme opprime ou qu'il adore, et qu*il ne peut pourtant rendre heureux ni l'être , qu'en le laissant égal à lui ! Malgré ce terrible expédient il restait deux centJ hommes k pourvoir; et ce peuple, cruel dans sa pitié même ^ et à qui le sang de ses frères coi\lait si peu, songeait peut-être à faire pour eux de nouvelles veuves, lorsqu*un vieillard de Lébona

Sartant aux anciens leur dit : Hommes Israélites, écoutez lavis 'un de vos frères. Quand vos mains se lasserout-elles du meurtre des innocens? Voici les jours de la solennité de rKlcrncI en Silo» Dites ainsi aux enfans de Benjamin : Allez, et mettez des em* bâches aux vignes ; puis quand vous verrex que les lilles de Silo sortiront pour danser avec des flirtes, alors vous les enveloppe- rez , et, ravissant chacun sa femme, vous retonmerex toqJ établir avec elles au pays de Benjamin.

Et quand les pères ou les frères des jeunes filles viendront se

Slaindre à nous, nous leur dirons: Ayez pitié d'eux pour l'amour e nous et de vous-mêmes qui êtes leurs frères , puisque n'ayant pu les pourvoir «près cette guerre et ne pouvant leur donner nof

filles contre le serment, nous serons coupables de leur perte si nous tes laissons périr sans descendans.

T^s enfans donc de Benjamin firent ainsi qu'il leur fut dit ; et lorsque les jeunes filles sortirent de Silo pour danser, ils s*élén^ cèrent et les environnèrrnl. La craintive troupe fuit, se <lt»» perse; la terreur succède à leur innocente g{»ieté ; chactisse appelle à grands cris ses compagnes, et court de toutes ses forces. Les ceps dccliirent leurs voiles , la terre est jonchée de kar»

rfi

r

CHANT QUATKIÉftlE. 707

ÎanirM, la cours? anime leur teint et Tardeur des ravisseurs, eanes beautés, oii courer-yous? En fuyant l'oppresseur qui voaa poursuit f vous tombez daus des bras qui vous enchaînent. Chacun ravit la sienne, et s'efforçant de l'apaiser reffraie encore plus par ses caresses que par sa violence. Au tumulte qui sVIèvCf aux cris qui se font entendre au loin, tout le peuple accourt: les

Itères et mères écartent la foule et veulent dégager leurs filles ; ei ravisseurs, autorisés, défendent leur proie ; enfin les anciens font entendre leur voix j et le peuple , ému de compassion pouB les Benjamites , s'intéresse en leur faveur.

Mais les pères , indignés de Toutrage fait à leurs filles , ne cessaient point lenrs clameurs. Quoi! s'écriaient-ils avec véhé- mence , ces filles d'Israël seront-elles asservies et traitées en esclaves sous les yeux du Seigneur ? Benjamin nous scra-t-ïl com.me le Moabite et Tlduroéen? Oii est la liberté du peuple de Dieu? Partagée entre la justice et la pitié, rassemblée prononce enfin que les captives seront remises en liberté et décideront elles-mêmes de leur sort. Les ravisseurs, forcés de céder a ce jugement , les relâchent à regret, et tâchent de substituer à la force des moyens plus puissans sur leurs jeunes cœurs. Aussitôt elles s'échappent et fuient tontes ensemble; ils les suivent , leur tendent les bras, et leur crient : Filles de Silo, screx-vous plus beureuses avec d'autres ? Les restes de Benjamin sont-iU indignes de vous fléchir? Mais plusieurs d'entre elles, déjà liées par des altachemens secrets, palpitaient d'aise d'échapper ii leurs ravis- seurs. Axa , la tendre Axa parmi les autres, en s'élançaut dans les bras de sa mère qu*clle voit accourir, jette furtivement les yeux sur le jeune Elmacin auquel elle était promise, et qui venait plein de douleur et de rage la dégager au prix de son sang. El- macin la revoit, tend les bras, s'écrie, et ne peut parler; la course et l'émotion l'ont mis hors d'haleine. Le Beujamite aper- çoit ce transport, ce coup-d'œil; il devine tout, il gémit; et , prêt à se retirer , il voit arriver le père d'Axa.

€*était le même vieillard auteur du conseil donné aux Benja- mites. 11 avait choisi lui-même Elmacin pour son gendre; mais sa probité l'avait empêché d'avertir sa fille du risque auquel il exposait celles d'autrui.

Il arrive; et la prenant par la main : Axa, lui dit-il, tu connais mon cœur : j'aime Élmacin , il eût été la consolation de mes vieux jours; mais le salut de ton peuple et l'honneur de ton père doivent IVmporter sur lui. Fais ton devoir, ma fille, et sauve-moi de l'opprobre parmi mes frères ; car j'ai conseillé tout ce qui s'est fait. Axa baisse la tête , et soupire sans ré- pondre ; mais enfin levant les yeux elle rencontre ceux de son vénérable père. Ils ont plus dit que sa bouche. Elle prend son

Î>arti. Sa voix faible et tremblante prononce à peine dans un inible et dernier adieu le nom d'Elmacin qu'elle n'ose regarder; et , se retournant à l'instant demi-morte , elle tombe dans les bras du DenjamitCt

^ LE LÉVITE DVÊPHRAIM, ete;

Un hnùi s'eKcile dans rasseixiblee. Mais Ëlmacm s^avinire et fait siêne de la main. Puis élevant [a voix : Ecoute, 6 Axa lui dilHi» mon voeu aolenneK Puisqae je tie puis être k toi » |e DC serai jamais à nulle autre : le seul souvenir ât nos Jeunet An» qti^ rinnocence et ramour ont embellis me suffît. Jamais le fer n*a pa^se sur ma tête « jamaîâ le vin n'a môuitle tu^ lèvres , mon corp$ est aussi piir que mon cœur : Prêtre» du Dieu virant , je me voue à son service ; recevez le Nazaréen 4u Seiguear*

Aussitôt , comme par une inspiration «ubite, toutes les lïll^^ entraînées par Texcmpte d'Axa, imitent son sacrifice , et, re^ ^ouçaut à leurs première) amours^ se livrent au^Benjamileicgui lei suivaient. A ce touchant aspect il sViëve un crî de }oie an milieu du peuple; Vierges d*Kphraïm, pHr voua Benjamin va renaître. Beoi ftoit Je Dieu âc no« pères I u est encore deâ vêrtut en Uraél.

I

rttr t»t} cfffQtrtËifE volumi.

TABLE

^

DES PIÈCES

1

CONTEKtJES DANS CE VOLUME;

JuETTnF. A M. d'Alembert, sur son article Genève^ t

3ans le

1

septième volurae de rEncyclopédie, et particulièrement sur

^^1

le projet d'établir un théâtre de comédie en cette \ill«.

Page"

^^^1

Lettre à M. Vemes.

o3

^^^1

Réponse à une lettre de M. Le Roy.

10/1

^^1

Réponse à une lettre anoniuie dont le contenu se trouve en

^^H

caractère itaHqnc dans ccLle réponse.

io5

^^^1

De l'Imitation théâtrale j Essai tire des dialogues de Platon. 109

^^1

Narcisse, ou I'Asunt ue LtJi-ujt:M£ , comédie.

ia5

^^H

Les Prisonniers de guerre, comédie.

«69

^^H

Ptcmaliox , scène lyrique.

,89

^^^

L*E.\CAGEMEr5T TÉMÉRAIRE, COmëdîe.

•07

^ ^^H

Les Muses calantes, ballet.

a53

*^^|

Le Devin du village, intermède.

353

^^1

Lettre à M. Le Nieps.

»6q

^^1

La Découverte du nouveau mokde , tragédie.

ayS

^^1

Frachens d'Iphis, tragédie.

aç,3

^^^1

Courts fragmens de Lucrèce , tragédie.

Soi

^H

quatre lettres a m. le PRÉsirEirr de Maleshmibis.

^M

Première lettre.

3i3

^H

Seconde lettre.

3i6

^^^1

Troisième lettre.

3iq

^^H

Quatrième lettre.

32Î

^H

les RÊVERIES DU PHOMENEUIl SOLITAIRV.

^M

Première promenade.

337

^H

Seconde promenade.

34a

^^1

Troisième prontenade.

^

^^1

Quatrième promenade.

359

^^H

Cinc|iuème promenade.

37.

^^1

Sixième promenade.

378 386

^^H

Septième promenade. ^

^^^1

Huitième promenade.

396

^^H

Neuvième promenade.

4o5

^^^1

Dixième promenade. ^

;

4'4

1

TABLE.

CTIONNAIR EN fiOTÀNIiJUE

n.

a dictionnaire.

LETTRES SlTR LA V0TA17IQUC.

I IjÇltres k madame de L"* **.

Sut tes arbres fruîtîers. -* y ni. Sur les herbiers.

Deux lettres k M. de Malesherbe».

P*. Sar le format des herkierâ et dur la s^noaymi*. > Sur le$ mousses>

inse lettres k madame la duchesse de Portlaud.

•e I", ^ II. It

V.

sT.

YL

-~ vn. vm.

IX.

X.

-* XI.

XIÏ.

XIIL

XIV.

XV.

à madame la présîdeat« de Vema ^ de Grenoble.

à M. Liotard le neveu , herboriste, k Grenoble.

Neuf lettres k M. de la Tourette , conseiller <a. cour deA moDuaieâ de Lyon.

Lettre I". » * Sia

IL 5i4

HT. 617

IV. f!-«

»

521

534 626 529

TABLE. cttr«

VU.

\iir.

IX.

Ml-LASGFS.

Discours sur cette question , proposée par l*académîtf de

Corse, Quelle esl la yeriu la plus nécea$aire aux hèro9^ etc. 53 1 Lettre à M. Dupevrou. 540

Lettre à M, Laliaiul. 54>

Oraison funèbre de S. A. S. monseigneur le duc d'Orléans. 542 Traduction du premier livre de l'histoire, de Tacite. Projet pour Téducation de M. de Sainte-Mane. Réponse k un Mémoire ànonime.

Mémoire à S. E. monseigneur le gonremeur de Savoie. Mémoire à M. Doudet Autonin. Kxtrait d'une lettre à M. Davcnport de Wootton. Réfutation du livre de VEspriù. Le Persitleur. La reine F;]ntasque.

Traduction de V ^pocolokintosU de Séoèque. Lettres à Sara.

P 0 K s I E s.

Avertissement.

Le verger des Charmettes.

£pitre à M. Bordes.

à M. Parisot.

à M. de TKtan^ , vicaire de Marcoussîs. Fragment d'nne épître à M. Bordes. Imitation libre d'une chanson italienne de Métastase. Variantes entre l'édition de Genève et celle do Marc-Michel

Rey. L'allée de Sylvie. Lui g me.

Virelai à madame la baronne de Warens. Vers pour madame deFleurieu.

k raademoisel Ip Théodore. ibid. Kpilaphe de doux amans. 685 StropUesajoutéesà la dernière du 5i^/tf^ac/oniideGresset. ibid. Vers sur la Femme. 686 Inscription pour un portrait de Frédéric H* ibid. Traduction de Tode de Jean Putbod. 687 Olinde et Sophronie. 688 Le Lévite d'£phraiai. 696

553 593 6Î>G

6l3

6.4 617

ibid. 623 628 639 65i 657 658

673

676 677

679

6B0

683 ibid.

684

tlit DS LA TABLB.

AIRS PRINCIPAUX

DU DBTIN DU VILLACK

Colette

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