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Presented to the

LIBRARY of the

UNIVERSITY OF TORONTO

by

Prof. Robert Finch

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J.J.ROUSSEAU,

DE GENEVE.

Avec Figures. TOME VINGT-QUATRIEMEf

ŒUVRES

POSTHUMES

DEJ.J, ROUSSEAU,

TOME SIXIEME.

Contenant fes Lettres à différentes perfonnes.

A PARIS,

Chez DEFER de MAISONNEUVE, Libraire, rue du Foin.

J791,

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ŒUVRES

DIVERSES.

'■muv. Tofu Tom. VI. È^

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Univers ity of Ottawa

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QUATRE LETTRES

A M. LE Président

DE MALESHERBES,

Contenant le vrai tableau de mon ca^ r acier e & les vrais motifs de toute ma conduite»

De Montmorency le 4 Janvier 1762.

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PREMIERE LETTRE.

J 'au ROI s moins tardé, MonfieurJ à vous remercier de la dernière lettre dont vous m'avez honoré , fi j'avois mefuré ma diligence à répondre, fur le plaifir qu el'e m'a fait. Mais outre qu'il m'en coûte beaucoup d'écrire , ^ai penfé qu'il falloit donner quelques ours aux importunités de ces tems-

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QUATRE LETTRES

A -M. Z.2 Pizsirz.vT

DE yiALESHEP.BES,

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PREMIERE LETTRE,

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4 Lettre

Ci 5 pour ne vous pas accabler dss îTiiennes. Quoique je ne me confole point de ce qui vient de Te paiïer, je luis très -content que vous en foyez ândruit 5 pui(que cela ne m'a point ôté votr^ eftime ; elle en fera plus à moi iquand vous ne me croirez pas meilleur que je ne fuis.

Les motifs auxquels vous attribuez les partis qu'on m*a vu prendre , de- puis qug je porte une elpece de nom dans le monde ^ me font peut-être plus d'honneur que je n'en mérite ; mais ils font certainement plus près de la vérité , que ceux que me prêtent ces hommes de lettres , qui donnant tout à la réputation , jugent de mes fenti- rnens par les leurs. J'ai un coeur trop fenfibie à d'autres attachemens , pour Tétre (i fort à l'opinion pub^que ; |*àime trop mon plaifir Se mon indé- pendance pour être efclave de la va- nité, au point quMU le fuppofent. Ce^ lui pour qui la fortune &: l'e'poir de parvenir , ne balarçi jamais un rendez- vous ou un fouper agréable , ne doit pas naturellement facrifler 'on bonheur Zu dîfîr de faire parler de lui ; & ii ïf^iï point du tout croyable qu'un

A M. D E M A L ir s H E R s £ s.

homme qui fe fent quelque talent, $c qui tarde jufqu'à quarante ans à le faire connoître , Toit affez fou pour aller! s'ennuyer le refte de Tes J3urs dans un défert, uniquement pour acquérir la réputation d'un mifanthrope*

Mais 5 Alonlieur , quoique je Iiaïiïa fouverainement rinjudice & la méchan- ceté ^ cette palTion n'eil pas afiez do- minante pour me déterminer ieule à fuir la fociété des hommes, (i j'avois en les quittant quelque grand facritice à fiire. Non , mon motif eft moin^ noble , & plus près de moi* Je fuis avec un amour naturel pour la fo* litude , qui n'a fait qu'augnienter à mefure que j'ai mieux connu les hom- mes. Je trouve mieux mon compte avec les êtres chimériques que je raf- femble autour de moi, qu'avec ceux que je vois dans le monde ; & la fo- ciété dont mon imagination fait les frais dans ma retraite , achevé de me dégOLiter de toutes celles que j'ai quit- tées. Vous me fuppofez malheureux & confumé de mélancolie. Oh î Mon- :fieur , combien vous vous trompez î C'efl: à Paris que je Tétois ; c'ell: à Paris qu'une bile noire rongeoit mon

A3

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? Lettre

cœur 5 & l'amertume de cette biîe ne fe fjit que trop fcntlr dans tous les écrits que j'ai publiés tant que j'y fuis refté. -Mais , Monfieur, comparez ces écrits avec ceux que j'ai faits dans ma folitude ; ou je fuis trompé, ou vous fentirez dans ces derniers une certaine férénité d'ame qui ne fe joue point , & lur laquelle on peut porter un ju- gement certain de Tétat intérieur de l'Auteur. L'extrême agitation que je viens d'éprouver , vous a pufiire por- ter un jugemc^nt contraire ; mais il eft facile à voir que cette agitation n'a point Ton principe dans ma fituation 2.£tue\]c , mais dans une imagination déréglée , prête à s'efîaroucher fur tout & à porter tout à l'extrême. Des fuccès continus m'ont rendu fenfîble à la gloire , & il n*y a point d'homme ayant quelque hauteur d'ame de quel- que vertu , qui pût penfer fans le plus mortel défefpoir, qu'après fa mort on fubPtitueroit fous (on nom à un ouvra- ge utile 5 un ouvrage pernicieux, ca- pable de déshonorer fa mémoire , & de faire beaucoup de mal. Il fe peut qu'un tel bouleverfement ait accéléré Je progrès de me? iTiaux ; mais dans

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Dis

A M. DE MaLE5HERBES. f

la fuppolltion qu'un tel accès de folie m'eût pris à Paris , il n'cft point fur que ma propre volonté n'eût pas épar- gne le refte de l'ouvrage à la nature.

Long-tems je me fuis abufé moi- même fur la caufe de cet invincible dégoût que j'ai toujours éprouvé dans le commerce des hommes ; je Tattri- buois au chagrin de n'avoir pas Tef- prit aflez pré ent , pour montrer dans la converfation le peu que j'en ai , & par contre-coup à celui de ne pas oc- cuper dans îe monde la place que j'y croyois mériter. Mais quand , après avoir barbouillé du papier , j'étois bien fur, même en difant des fottifes , de n'être pas pris pour un fot ; quand je me fuis vu recherché de tout le monde, & honoré de beaucoup plus de confidératlon que ma plus ridicule vanité n'en eût ôfé prétendre ; & que malgré cela , j'ai fenti ce même dégoût plus augmenté que diminué , j'ai con- clu qu'il venoit d'une autre caufe , & que ces efpeces de jouilTances n'étoient point ce'ies qu'il me falloit.

Quelle efl: donc enfin cette caufe ? elle n'efl: autre que cet indomptable cfprit de liberté, que rien n'a pu vain-

é L E T T R H

cceur , Se ramertume de cette bîîe ne fe fait que trop fcntir dans tous les écrits que j'ai publiés tant que j'y fuis refté. Mais, Monfieur, comparez ces écrits avec ceux que j'ai faits dans ma folitude ; ou je fuis trompé, ou vous fentirez dans ces derniers une certaine férénité d'ame qui ne fe joue point , ^ lur laquelle on peut porter un ju- gement certain de Tétat intérieur de l'Auteur. L'extrême agitation que je viens d'éprouver , vous a pu faire por- ter un jugement contraire ; mais il efb facile à voir que cette agitation n'a point fon principe dans ma (ituation adluelîe , mais dans une imagination déréglée , prête à s'efiaroucher fur tout & à porter tout à Textréme. Des fuccès continus m'ont rendu fenfîble à la gloire , & il n'y a point d'homme ayant quelque hauteur d'ame Se quel- que vertu , qui pût penfer fans le plus mortel défefpoir, qu'après fa mort on fubftitueroit fous (on nom à un ouvra- ge utile 5 un ouvrage pernicieux , ca- pable de déshonorer fa mémoire , & de faire beaucoup de mai. Il fe peut qu'un tel bouieverfement ait accéléré h progrès de mes maux ; mais dans

A M. DE MaLESHERBES. f

id. fuppoiltion qu'un tel accès de folie in*eût pris à Paris , il n'eft point Çût que ma propre volonté n'eût pas épar- gné le refte de l'ouvrage à la nature*

Long-tems je me fuis abufé moi- même fur la caufe de cet invincible dégoût que j'ai toujours éprouvé dans le commerce des hommes ; je Tattri- buois au chagrin de n'avoir pas l'ef- prit aflez préient , pour montrer dans la converfation le peu que j'en ai , Se par contre-coup à celui de ne pas oc- cuper dans îe monde la place que j'y croyoîs mériter. Mais quand , après avoir barbouillé du papier , j'étois bien fur, même en difant des (ottifes , de n'être pas pris pour un fot ; quand je me fuis vu recherché de tout le jrjonde , & honoré de beaucoup plus de confiuération que ma plus ridicule vanité n'en eût ô(é prétendre ; & que malgré cela , j'ai fenti ce même dégoût plus augmenté que diminué , j'ai con- clu qu'il venoit d'une autre caufe , & que cesefpeces de jouHrances n'étoient point ce'ies qu'il me falloit.

Quelle eft donc enfin cette caufe ? elle n'efi: autre que cet indomptable efprit de libexté, que rien n'a pu vain-

9 Lettre

cre, & devant lequel les honneurs, îâ fortune , & la réputation même ne me font rien. Il eft certain que cet efprit de liberté nne vient moi s d'orgueil que de parefle; mais cette paretle eft încroyabK ;tout relfarouche ;les moin- dres devoi s de la vie civile lui font infjppartables; un mot à dire, une lettre à écrire , une viiice à faire , dès qu'il le faut, font pour moi d^s (up- plices. Voilà pourquoi, quoique le commerce ordinaire des hommes me foit odieux , Tintime amitié m'efi: li chère , parce qu'il n'y a plus de de- voirs pour elle; on fuit Ion cœur, & tout eft fait. Voilà encore pourquoi j'ai toujours tant redouté les bienfaits. Car tout bienfait exige reconnoilTance y & je me fens le cœur ingrat , par cela feul que la reconnoiiïance ed: un devoir. En un mot TeTpece de bon- heur qu'il me faut, n'efl pas tant de faire ce que je veux , que de ne pas faire ce que je ne veux pas. La vie adive n*a rien qui me tente ; je con- fentirois cent fois plutôt à ne jamais lien faire 5 qu'à faire quelque chofe malgré moi ; & j'ai cent fois penfé ^ que je n'aurois pas vécu trop malEsu-

A M. DE xMaLESHERBES. ^

reux à la Bafliiîe , n'y étant tenu à rien du tout qu'à reiter là.

J'ai cependant fait dans ma jeuneiTe,' quelques efforts pour parvenir. Mais ces efforts n'ont janiiis eu pour buC que la retraite , & le repos dans ma vieilleiTe ; & comme ils n'ont été que par fecouife, comme ceux d'un paref- leux, ils n'ont jamais eu le moindre fuccès. Quand les maux font venus , ils m'ont fourni un beau prétexte pour: me livrer àmapaiiion dominante. Trou- vant que c'étoit une folie de me tour- menter pour un âge auquel je ne par- viendrois pas , j'ai tout planté , 52 je me fuis dépêché de jouir. Voilà, Monfieur, je vous le jure , la vérita- ble caufe de cette retraite , à laquelle nos gens de Lettres ont été cherchei* ÛQS m.otifs d'oftent-ition , qui fuppofent une confiance, ou plutôt une obflina- tîon à tenir a ce qui me coûte ^ di-^ rectement contraire à mon caraclere naturel»

Vous me direz , Monlleur, que cette indolence fuppofée s'accorde mal avec les écrits que f ai compofés depuis d'ùC ans , Se avec ce defir de gloire qui a ^'exciter a les publier. Voilà uns ob^

id t i: T T K r

je<ftion à réfoudre , qui m'oblige à pro- longer ma letre , 6i -^ui p^r conléquent me force a la finir, j'y revienorai, blondeur , fi mon ton tami'ier ne vous dépldit pas ; car dans l'épanchement de m )n cœur je n'en lauro.s prendre un autre ; je me peindrai lans tard & fans modertie;je me montrerai à vous tel que je me voib, Ôc tel que je (uis; car palîant ma vie avec nui . je dois me connoitre 5 & je vois par la ma- nière dont ceux qui pcnlent me con- noître interprètent mes actions & ma cond.-ite , qu'ils n'y connoiifenr ri n, Ps,r(onne au monde ne me connoît: que moi eul. Vous en jugerez qudhd j'aurciî tout dit»

Ne me renvoyez po'nt mes lettres^ IVîonfieur, je vous fupp ie; brulez-'es, parce qu'elles ne vaknt pas pêne d'être gardées, mais non pas par égard pour moi. Ne fongez pas non plus, de grâce , à retirer celles qi i font entre les mains de Duchéne. S'il falloit ef- facer dans le monde \qs traces de toutes mes folies, il y auroit trop de lettres à retirer , & je ne remuerois pas Je bout du doigt pour cela. A charge Çc à décharge , je ne crains point d'ê^*

A M. Dfi MALESHÈnBÊS. II

tre vu tel que je iuis. Je connois mes grands défauts, & e f^ns vivement tous mes vic^ s. Avec tout cela je mourrai plin d'efpoir dans le Dieu fuprcme , & très-perfuadé que de tous les honnits que j'ai connus en ma vie, aucun ne fut meilleur que moi.

SECONDE LETTRE.

A Montmorency le ii Janvier 1762,

J E continue, Monfieur, à vous ren- dre compte de moi, puifque j'ai com- mencé; car ce qui peut m'étre le plus défavorable, eft d'être connu à demi; & puifque mes fautes ne m'ont point oté votre eftime , je ne préfume pas que ma franchile me ia doive ôter.

Une ame parefTcu^e qui s'effraye de tout foin 5 un tempérament ardent, bilieux, facile à s'affecter, & fenGble a l'excès à tout ce qui i'affede, fem- bîent ne pouvoir s*allier dans le même caradere; & ces deux contraires com- pofent pourtant le fond du mien. Quoi- gu« je ne puiffe réfoudre cette oppo-

12 E E T T Pv ]?

fition par des principes, eîle exife pourtant; je la fens, rien n'eft plus certain, & j'en puis du moins donner par les faits, une efpece d'hlftorique- qui peut fervir à la concevoir. J'ai eiï plus d'adivité dans l'enfance, mais ja- mais comme un autre enfant. Cet en- nui de tout m'a de bonne heure jette dans la ledure, A iix ans, Plutarque me tomba fous la main; à huit, je 1& favois par cœur; j'avois lu tous les romans ; ils m'avoient fait verfer des féaux de larmes , avant l'âge ou le cœur prend intérêt aux romans. De-Ià fe forma dans le mien ce goût hérow que & romanefque qui n'a fait qu'au- g-menter jufqu'à préfent. Se qui acheva de me dégoûter de tout, hors de ce qui refTembloit à mes folies. Dans ma jeunefTe , que je croyois trouver dans îe monde les mêmes gens que j'avois connus dans mes livres, je me îivroi? fans réferve à quiconque favoit m'ert împofer par un certain jargon dont j'ai toujours été la dupe. J'étois adif parce que j'étois fou ; à mefure que j'étois détrompé, je changeois de goûts , dVt*- tachemens, de projets; & dans tous S€5 çhangeinens je perdais toujauîÇ

ma peine & mon temps, parce que je cherGhcis toujours ce qui n'ctoit point. En devenant plus expérimenté , j'ai perdu peu- à -peu refpoir de le trouver, & par -conféquent le zèle de le chercher. Aigri par les injufti- ces que j'avois éprouvées , par celles dont favois été le témoin, fouvent affligé du défordre l'exemple & la force des chofes m'avoient entraîné moi-même, j'ai pris en mépris morî fîecle & mes contemporains , & Ten- tant que je ne trouverois point au milieu d'eux une (ituation qui pût con^- tenter mon cceur, je l'ai peu- à- peu détaché de la fociété des hommes, 5^ je m'en fuis fait une autre dans m.oîî imagination , laquelle m'a d'autant plus charmé que je la pouvois cultiver fans^ peine, fans rifque, & la trouver tou- jours fure, & telle qu'il me la falloir. Après avoir paiîé quarante ans de ma vie ainfî mécontent de moi-- même & des autres, je cherchois inu-* îiîement à rompre les liens qui mo îenoient attaché à cette fociété qu© j'eftimois fi peu,& qui m'enchaînoienC aux occupations le moins de mon goût, par des befoins ^ue j'eftimois çewxd^

^4 L É T T K E

la nature , & qui n'étoient que ceux de l'opinion : tout-à coup un hcureuJC hafard vint m'éclairer fur ce que fa- vois à faire pour moi-même, & à pen- fer de mes (em'olables , fur lefquels mon cœur étoit étoit fans celle en contradidion avec mon efprit, di que je me (eptois encore porté à aimer avec tant d rail JUS de les hïir. Je v oudrois, Monfieur , voas pouvoir peindre ce moment qui a fait dans ma vie une jfi imguliere époque , & qui me fera toujours préfcnt quand je vivrois écer- lîelJement,

J*allois voir Diderot alors prifonnier à Vincennes; j'avois dans ma pocke un mercure de France que je m.e mis à feuilleter 'e long du chemin. Je tombe fur la queflion de l'Académie de Dijon qui a donné lieu à mon premier écrit. Si jamais quelque chofe a reffemblé à une infpiration fubite , c'efl le mou- vement qui fe fit en moi à cette lec- ture ; tout à-coup ie me fens l'efprit ébloui de mille lumières ; des foules d*idées vives s'y pré'entent à la fois avec une force, éc une confufion qui îT^e jetta dans un trouble inexprimable ; je fer>§ ma tête prife par uq çtourdif^.

A M. CE Mal^sherbes. If fement (emb'able a r.vreflc. Une vio- lente palpitation n/oppielle, lou'eve ma poinine; ne pouvant pius relpirer en marchant, je me laille tombc;r lous un ces arbres de l'avenue , & j'y paiîe une denri-heurc dans une tel'e a,;iîation, qu'en me relevant j'apperçus tout le devant de n a vefte moisillé de mes larmes , (ans avoir (enti que j'en répan- dois. Oh, Monfieur, li j'avois 'amais pu écrire le quart de ce que j'ai vu & ùv.n fous cet arbre, avec quelle c'arté j aurois fait voir toutes les contra* dirions du (yfteme focial; avec quelle force j'aurois expofé tous les abus de nos ftitutions; avec q^jelle (impl cité j'aurois démontré que l'homme eft boa naturellement , & que c'eil: par ces inftitutions feules , que IfS hommes deviennent méchans. Tout ce que j'ai pu rettnir de ces toules de grandes vérités , qui dans un quart - d'heure m'illuminèrent fous cet arbre , a été bien foiblement épars dans les trois principaux de mes écrits , favoir ce premier difcours, celui fur l'inégalité, & le traité de l'é iucation , lerquel» troi ouvrages fort inféparables , 8< for- Eiçflt enkmble ur* même tout, Tqui

l'S Lettre

le refie a été perdu , & il n*y eut d'e-*- crit (ur le lieu même , que la Profo- popée de Fabricius. Voilà comment lorfque j'y penfois le moins, je devins auteur prefque malgré moi. Il efl: aifé de concevoir comment l'attrait d'un premier fuccès , & les critiques des barbouilleurs , me jetterent tout de bon dans la carrière. Avais -je quelque vrai talent pour écrire? je ne fais. Une vive perfuafion m'a toujours tenu lieu d'éloquence, & j'ai toujours écrit lâ- chement & m.aî quand je n'ai pas été fortement perfuadé. Ainfî c'eft peut- être un retour caché d'amour-propre, qui m'a h\t choifir di mériter ma de^ vife, & m'a ii paiîîonnément attaché à la vérité, ou à tout ce que j'ai pris pour elle, Si je n'avois écrit que pour écrire , je fuis convaincu qu'on ne m'au* roit jamais lu.

Anrès avoir découvert , ou cru dé- couvrir dans les fauiïes opinions des hommes , la fource de leurs miferes & de leur méchanceté , je fentis qu'iî n*y tfvoit que ces m.emes opinions qui m'eulTent rendu malheureux moi même, & que mes maux & mes vices me ve- noient bien plus de ma fituation que

1 M. CE Maleshsp.b^s. 3'7

de moi-même. Da s le même terrs, une maladie dont j*avois dès rerfance fenti les premieies ateintes , s'ctant" déclarée abfolument incurable, malgré toutes les promeifes des faux guériC- •feurs dont je n'ai pas été lon,;:^ tems la dupe je j -geai que fi je voulois être conféqiient & fecouer une fois de def» fus mes épaules le pefant joug de l'o- pinion , je n'avois pas un moment à perdre. Je pris brufquement mon parti avec afïez de courage, & je l'ai allez bien foutena jufqu'ici avec une fermeté dont moi feuî peux fentir le prix , parce qu'il n'y a que moi feu! qui fâche quels obftacles j'ai eus, & j'ai encore tous les jours à combattre pour me main- tenir fans ceiïe contre le courant. Je fens bien pourtant que depuis dix ans j'aî un peu dérivé, mais (i j'eflimois feule- ment en avoir encore quatre à vivre, on me verroit donner une de<îxieme fecouife , de remonter tout au moins à mon premier niveau , pour n'en plus gueres redercendre;car toutes les gran* des épreuves ^ont faites, & il eft dé- formais démontré pour moi , par Vex* périence , que l'état je me fuis mis eft le feul ou l'homme puilTe vivrç

îS Lettre

bon èc heureux , puifqu'il eft le pfu^ indépendant de tous , & le feul ori ne fe trouve jamais pour fort propre avantage, dans la néceirué de nuire à autrui.

J*avoue que le nom que m'ont fait mes écrits a beaucoup facilité Texécu- tioiidu parti que j'ai pris. Il faut être crU bon Auteur, pour fe faire impunément mauvais copifte^&ne pas manquer de travail pour cela. Sans ce premier titre, on m^eût pu trop prendre au mot fuf l'autre, & peut-être cela m'auroit - il mortifié; car je brave alfément le ri* àicule, mais je ne fupporterois pas (i bien le mépris. Mais (i quelque ré- putation me donne à cet égard un peu d'avantage, il eft bien compenfé par tous les inconvéniens attachés à cette même réputation, quand on n'en veut point être efclave, & qu'on veut vi- vre ifolé & indépendant. Ce font ces inconvéniens en partie qui m'ont chafîé de Paris , & qui me pourfjivant en- core dans mon afyle, me chafTeroient très certainement plus loin, pour peu que ma fanté vînt à fe raffermir. Un autre de mes fléaux dans cette grande .ville, étoit ces foules de prétendus

A M. DE MaLESHERBES. ip

amis qui s'étoient emparés de moi , & qui jugeant de mon coeur par les leurs , vouloient abfolument me ren- dre heureux à leur mode, 6c non pas à la mienne. Au défelpoir de ma re- traite 5 ils m'y ont pourfuivi pour m'en tirer. Je n'ai pu m'y maintenir fans tout rompre. Je ne fuis vraiment libre que depuis ce tems-là.

Libre! non, je ne le fuis point en- core ; mes derniers écrits ne font point encore inprimés; & vu le déplorable état de ma pauvre machine . je n'efpere plus furvivre ài'imprellion du recueil de tous : mais fi, contre mon attente, je puis aller iufques-là& prendre une fois congé du public 5 croyez , Monfieur , qu'alors je ferai libre , ou que jamais hom,me ne l'aura été. O utinam ! O jours trois fois heureux ! Non il ne me fera jamais donné de le voir.

Je n'ai pas tout dit , Monfieur , & vous aurez peut-être encore au moins une lettre à eiTuyer. Heureufement rien ne vous oblige de les lire , & peut-être y feriez- vous 'bien embar- rafTé. Mais pardonnez de grâce; pour recopier ces longs fatras faudroit les refaire 5 6c en vérité je n'en ai pas le

20 L î T T R 2

courage. J'ai fûrement bien du plaifif à vous écrire j mais je n'en ai pas moins à me repofer , & mon état na me per- met pas d'écrire long tems de fuite.

TROISIEME LETTRE,

A Montmorency le 26 Janvier 17^2,

/\pRE^ vous avoir expofé , Monfleur, les vrais motifs de ma conduite, je voudrois vous par'er de mon état mo- ral dans ma retraite; mais je fens qu'il e(l bien tard, mon ame aliénée d'elle- même eft toute à mon corps. Le dé- labrement de ma pauvre machine l'y tient de jour en pur plus attach f ^ , à: iufqu'à ce qu'elle s'en fépare enfin tout- à coup, C'efl: de mon bonheur que je voudrois vous parler , & Ton parle mal du bonheur quand on fouffre.

Mes maux font l'ouvrage delà natu- re , mais mon bonheur efl: le mien. Quoi qu'on en puifTe dire, j'ai été fage , puif- que J'ai été heureux autant que ma na- ture m'a permis de l'être: je n'ai point €té chercher ma félicité au loin , je l'ai

A ?-î. DE MaLESHERSES, 28

enercl^ée ai.p es de moi , &i Vy ai trouvée. Spirtien dit que Similis , courti(ande Trajan, ayant fans aucun mécontentement personnel quitté la Cour & tous Tes emplos, pour aller vivre paii blement à la campagne, fit mettre ces mots fur fa tombe : /ai de^ meur^ foixante & p^{^ an i fur la terre ^ & /en ai vécu fefi. Voilà ce que je puis dire , à quelque égard , quoique mon facrifi'.e ait été moindre: je n'ai com- mencé de vivre que le 5? Avril i'Jj6, Je ne faurois vous dire , Monfieur, combien j'ai été touché de voir que vous m'eflimiez le plus malheureux aes hommes. Le public fans doute en ju- gera comme vous, & c'efl encore ce qui m'affiige. O que le fort dont j'ai joui n'efl-il connu de tout Tunivers! chacun voudroit s'en faire un fembla- ble ; la paix régneroit fur la terre; les hommes ne fongeroient plus à (e nuire, & i! -n^y auroit plus de rréchans quand nul n*ai)roit intérêt de Tétre. Mais de quoi jouifrois-je enfin q-jand j'étois feul> De nioi , de Tunivers entier , de tout ce qui eft, de tout ce qui peut être, de tout ce qu'a de beau îe monde (enfî- Cble, & d*imaginable le inonde inteî-

I

2 Lettre

lecliiel; je raîïemblois autour de moi tout ce qui pouvoit Batter mon cœur; mcsdefirs étoient la melure de mespiai- firs. Non jamais les plus voluptueux n*ont connu de pareiLes dé'ices, & j'ai cent fois plus joui de mes chimères qu'ils ne font dts réalités.

Quand mes douleurs me fonttrlfle- ment mefurer la longueur des nuits, & que l'agitation de la fièvre m'empêche de goûter un feul inftant de fommeil , fouvent je me diftrais de mon étatpré- fènt en fongeantaux divers événemens de ma vie; & les repentirs, les doux fouvenirs, les regrets l'attendriiTement fe partagent le foin de me faire oublier quelques momens mes fouffrances. Quel tems croiriez- vous 5 Monfieur , que je me rappelle le plus (ouvent ôc le plus volontiers dans mes rêves ? Ce ne font point les plaifirs de ma jeunefTe , ils fu- rent trop rares , trop méiés d'amertu- mes, & font déjà trop loin de moi. Ce font ceux de ma retraite , ce font mes promenades folitaires, ce font ces jours rapides mais délicieux que j'ai paflé tout entiers avec moi feul: avec ma bonne &{împle gouvernante, avec mon ^hien bien aimé, ma vieille chatte, avec

A M. DE Malishérbeî?. 25

΀S oifeaux de la campagne &. Ics biches de la toret ; avec la nature entière & ion inconcevable auteur. En me levant avant le loleil pour aller voir , com- templerfon lever dans mon jardinjquand je voyois commencer une belle jour- rée, mon premier Ibuhait étoit que ni lettres ni vidtcs n*en vinfTent troubler Je charme. Après avoir donné la ma- tinée à divers foins que je rempliilois tous avec plaifir , parce que je pou- yois les remettre à un autre temSjje me hâtois de dîner pour échapper aux importuns , Si me ménager un plus long après-midi. Avant une heure, même les jours les plus ardens, je partois par le grand foleil avec le fidèle Acates, pref. fant le pas dans la crainte que quelqu'un ne vînt s'emparer de moi avant que }*eufre pu m'efquiver; mais quand une fois j'avois pu doubler un certain coin , avec quel battement de cœur, avec quel pétillement de joie jecommençois à refpirer en me fentant fauve , en me difant, me voilà maître de moi pour le refte de ce jour ! j'allois alors d'un pas plus tranquille chercher quelque lieu îauvage dans la forêt , quelque lieudé- fert uii rien ne montrant la main des

L E T T E s

hommes, n'annonçât la fervîtude S: îa. domination , quelque aiyle ']c puiTs croire avoir pénétré Icpremi.-r, & nul tiers importun ne vint s'interpoler entre la nature & moi. C'étoit làqu'elle fembloit déployer à mes yeux une ma- gnificence toujours nouve le* L'or des genêts , & la pourpre des bruyères frap- poient mes yeux d'un luxe qui tou- choit mon cœur; la rnajefté des arbres qui me couvroient de leur ombre, la déiicdtefïe des arbuftes qui m'environ- noient, l'étonnante variété des herbes 3c des fl-urs que je foulois fous mes pieds, tenoient mon efprit dans une alterna- tive continuelle d'obfei'vation & d'ad- îpiration : le concours de tant d'objets intéreiïans qui fe difpuîoient mon at- tention , m'attirant fans ceffe de Tun à l'autre, favoriioit mon humeur rêveufe .&. parefTeufe, & me failoit fouvent re- dire à moi-meTje; non, Salomon dans toute fa g'oire ne fut jamais vêtu com- me Fun d'eux.

Mon imagination neîaifToitpas îong- tems déierte la terre ainfi parée. Je la peuploisbientotd'étrts félon mon cœur, 5l chaiïant bien loin l'opinion , les pré- fugés 5 toutes les paillons ùCûcqs , je

tranfportois

A M. DE MaLESHERBES. 2J

tranfportois dans les afyles de la nature, des hommes dignes de les habiter. Je m'en formois une fociété charmante dont je ne me fentois pas indigne , je me faifois un fiecle d'or à ma fantaifie , & rempliiïant ces beaux jours de toutes les fcenes de ma vie , qui m'avoient laif- de douxfouvenirs, èc de toutes celles que mon cœur pouvoit defirer encore , iem^attendriffois jufqu'auxlarmesfur les vrais plaifirs de l'humanité , plaiurs fl -délicieux, fi purs, 6c qui font défor- mais fi loin des hommes. O (i dans ces momens quelqu'idée de Paris , de mon fiecle 5 & de ma petite gloriole d'Au- teur , venoit troubler mes rêveries, avec quel dédain je la chafTois àTinf- tant pour me livrer fans diftradion , aux fentimens exquis dont mon ame étoit pleine! Cependant au milieu de tout cela, je l'avoue , le néant de mes chimères venoit quelquefois la contrif- ter tout-à coup. Quand tous mes rê- ves fe feroient tournés en réalités , ils ne m'auroieRt pas fuffi ; j'aurois imagi- né , rêvé, defîré encore. Je trouvois en moi un vuide inexplicable que rien n'auroit pu remplir; un certain élance- ment de cœur vers une autre forte de ^uy. Pojîh. Tom. VI. B

t>'6 Lettre

joulfTance dont je n*avois pas d*idée, ce dont pourtant je fentois le befoin. bien, Monlieur , cela même é:oit îouifTance j puifque j'en étois pénétré d'un fentiment très-vit &l d'une trifteiTe attirante 5 que je n'aurois pas voulu ne pas avoir.

Bientôt de la furface de la terre ^ j'élevois mes idées à tous les êtres de la nature , au iyftéme univerfel des chofes 5 à l'être incompréhenfible qui embraiîe tout. Alors l'eTprit perdu dan^ cette immendté , je ne penfois pas , je ne raifonnois pas, je ne philoiophois pas ; je me fentois avec une forte de volupté accablé du poids de cet uni- vers, je me livrois avec ravifTementà la confufion de ces grandes idées, j'ai- xnois à me perdre en imagination dans i'efpace , mon cœur refTerré dans les bornes des êtres s'y trouvoit trop à l'é- troit, i'.étouffois dans l'univers, j'aurois voulu m*é!ancer dans l'infini. Je crois que fi j'eufTe dévoilé tous les myftè- resdela nature, je me feroisfenti dans une Situation moins délicieufe , que cet- te étouidîfTante extafe à laquelle mon efprit fe livroitfans retenue, & qui dans Tagitation de mes tranfports, me faifoit

A M. I5E MaLESHERBES, 27

écrier quelquefois , 6 grand Etre ! ô grand Etre ! fans pouvoir dire ni pen- fer rien de plus.

Ainfi s^écouloient dans un délire con- tinuel, les journées les plus charman- tes que jamais créature humaine ait pafTées , & quand le coucher du foleil me faifoit fonger à la retraite , étonné de la rapidité du tems, je croy ois n'a- voir pas affez mis à profit ma jour- née ; je penfois en pouvoir jouir da- vantage encore , & pour réparer le tems perdu , je me difois ; je reviendrai ds'- maia.

Je revenois à petit pas, la tête un peu fatiguée, mais le cœur content, je me repofois agréablement au retour, en me livrant àl'impreflion des objets ; mais fans penfer, fans imaginer, fans rien faire autre chofe , que fentir le cal- me & le bonheur de ma fituation. Je trouvois mon couvert mis fur ma ter- raffe. Je fou pois de grand appétit ; dans mon petit domeftique nulle image de fervitude& de dépendance ne troubloit la bienveillance qui nous uniiïbit tous. Mon chien lui-même étoit mon ami, non mon efclave , nous avions toujours la même volonté ^ mais jamais il ne m*a

B2

sS Lettre

obéi ; ma gaieté durant toute la foîrée témoignolt que j'avois vécu feul tout le jour ; fétois bien différent quand j'a- vois vu de îa compagnie , j'étois rare- anent content des autres, & jamais de moi. Le foir f étois grondeur & taci- turne: cette remarque eft de ma gou- vernante , & depuis qu'elle me Ta dite , je Tai toujours trouvée jufte en m*ob- . îervant. Enfin, après avoir fait encore i quelques tours dans mon jardin, ou chanté quelque air fur mon épinette, je trouvois dans mon lit un repos de ^ corps & d'ame cent fois plus doux que le fommeil même.

Ce font -là les jours qui ont fait le vrai bonheur de ma vie, bonheur fans amertume, fans ennuis, fans regret, ^ auquel j'aurois bornévolontiers tout celui de mon exiftence. Oui , Monfieur, que de pareils jours rempliffent pour moi l'éternité, je n*en demande point d'autres, & n'imagine pas que je fois beaucoup moins heureux dans ces ra* viifantes contemplations, que les in- telligences céledes. Mais un corps qui foufire, ôte à Fefprit fa liberté ; défor- mais je ne fais plus feul, j'ai un hôte ijui m'importune , il faut m'en délivrer

pour être à moi5& relTai que j'ai f.iic de ces douces jouilTances , ne fert plus qu'à me faire attendre avec moins d'et- froi le moment de les goûter fans dif- traction.

Mais me voici déjà à la fin de ma féconde feuille. Il m'en faudroit pour- tant encore une. Encore une lettre donc & puis plus. Pardon, Monfieur, quoi- que j'aime trop à parler de moi , je n'aime pas en parler avec tout le monde 5 c'eft ce qui me faitabuferde l'occafion quand je l'ai de qu'elle me plait. Voilà mon tort & mon excufe» Je vous prie de la prendre en gré.

QUATRIEME LETTRE.

28 Janvier ijéi*

Je vous al montré , Monueur, dans le fecret de mon cœur , les vrais mo- tifs de ma retraite & de toute ma con- duite; motifs bien moins nobles fans dou- te que vous ne les avez fuppofés , mais tels pourtant qu'ils me rendent contert de moi-même, & m'infpirent la fisrté

50 L E T T R K

d'ame d'un homme qui fe fent bien or- donné, & qui ayant eu le courage de faire ce qu'il falloit pour l'être , croit pouvoir s'en imputer le mérite. Il dé- pendoit de moi , non de me faire un autre tempérament, ni un autre carac- tère, mais de tirer parti du mien pourme rendre bon à moi-même, & nullement méchant aux autres. C'eft beaucoup que cela, Monfieur, & peu d'hommes en peuvent dire autant. Auili je ne vous déguiferai point que malgré le fentiment de mes vices, j'ai pour moi une haute eftime.

Vos gens de Lettres ont beau crier qu'un homme feul eft inutile à tout le monde , & ne rem.pîit pas Tes devoirs dans la fociété. J'eflime moi, les pay- fans deMontmorenci des membres plus utiles de la fociété , que tout ces tas de défœuvrés payés de la graiffe da peuple, pour aller (ix foix la femaine bavarder dans une Académie ; je fuis plus content de pouvoir dans l'occa- fion, faire quelque plaifir âmes pau- vres voifins, que d'aider à parvenir à ces foules de petits intrigans , dont Paris efl plein , qui tous afpirent à l'hon- neur d'être des frippons en place, &

A M. DE MaLESH^RBES. 3I

que pour le bien public , ainfî que pour le leur , on devroit tous renvoyer la- bourer la terre dans leurs provinces, C'eft quelque chofe que de donner aux hommes l'exemple de la vie qu'ils devroient tous mener. C'eft quelque chofe quand on n'a plus ni force ni fanté pour travailler de fes bras , d'ofer de fa retraite faire entendre la voix delà vérité. C'eft quelque chofe d'avertir les hommes de la folie des opinions qui les rendent miférables. C'eft quelque ehofe d'avoir pu contribuer à empê- cher , ou différer au moins dans ma pa- trie ^l'établifTement pernicieux que po'jr faire la cour àVoltaire à nos dépens, d'A- leaibert vouloit qu'on fît parmi nous. Si j'eufTe vécu dans Goneve,ie n'aurois pu ni publier FEpître dédicatoire du dif- cours fur l'inégalité, ni parlerméme de l'établiffement de la comédie du ton que je l'ai fait. Je ferois beaucoup plus inu- tile à mies Comapatriotes, vivant au mi- lieu d'eux, quejene puisl'être dans l'oc- eafion de ma retraite. Qu'importe en quel lieu j'habite, fi j'agis je dois agir ? D'ailleurs , les habitans deMont- morenci font -ils moins hommes que les Parifiens , & quand je puis endif^

B ^

5^ Lettre

fuader quelqu'un d'envoyer Ton enfant fe corrompre à la ville , fais-je moins de bien que fi je pouvois de la ville le renvoyer au foyer paternel? mon in- digence feule ne m'empêcheroit-elle pas d'être inutile de la manière que tous ces beaux parleurs l'entendent; S: puif^ que je ne mange du pain qu'autant que j'en gagne , ne fuis - je pas forcé <ie travailler pour ma fubfiftance , & de payer à la fociété tout le befoia que je puis avoir d'elle. Il eft vrai que je me fuis refufé aux occupations qui ne m'étoient pas propres ; ne me fentant point le talent qui pouvoit me faire mé- riterle bien que vous m'avez voulu faire, Taccepter eût été le voler à quelque homme de Lettres aufli indigent que moi, & plus capable de ce travail-là; en me l'offrant, vous fuppofiez que j'étois en état de faire un extrait, que je pou- vois m'occuper de matières qui m'é- toient indifférentes , & cela n'étant pas, je vous aurois trompé , je me ferois ren- du indigne de vos bontés, en me con- duifant autrement que je n'ai fait; on n'efl: jamais excufable de faire mal ce qu'on fait volontairement : je ferois maintenant mécontent de moi , de vous

A M. BS MAlESHSRSt^.

aulîî ; &: je ne goûterois pas le pîaifîi: que je prends à vous écrire. Enfin , tant que mes forces me Tont permis, en travaillant pour moi , j'ai fait félon ma portée tout ce que j'ai pu pourla fociété; fi j'ai peu fait pour elle , j'en ai encore moins exigé, &: je me crois bien quitte avec elle dans l'état je fuis 5 que fi je pouvois délormaisme repofer tout-à-fait, & vivre pourmoî feul, je le fer ois fans fcrupule. J'écar- terai du moins de moi de toutes mes forces l'importunité du bruit public. Quand je vivrois encore cent ans, je n'écrirois pas une ligne pour la preiTe, & ne croirois vraiment recommencer à vivre que quand je ferois tout à-fait oublié.

J'avoue pourtant qu'il a tenu à peu , que je ne me fois trouvé rengagé dans le monde, Se que je n'aye abandonné ma folitude , non par dégoût pour elle 5 mais par un goût non moins vif que j'ai failli lui préférer. II faudroit, Alonfieur, que vous connulîiez Tétat de délaiiïement Se d'abandon de tous mes am.is je me trouvois , 3c profonde douleur dont mon ame en çtoit affedée , îorf:îue Monfieur &

54 Lettre

Madame de Luxembourg deiïrerent âé me connoître , pour juger de Tim- prelîîon que firent fur mon cœur af- fligé leurs avances & leurs careffes. J'étois mourant ; fans eux je ferois in- failliblement mort de trifteffe ; ils m'ont rendu la vie , il eft bien jufte que je l'employé à les aimer.

J'ai un cœur très aimant, mais qui peut fe fuffire à lui même. J'aime trop les hommes pour avoir befoin de choix parmi eux ; je les aime tous , &c c'ed parce que je les aime^ que je hais l'in- juftice ; c'eft parce que je les aime , que je les fuis; je fouffre moins de leurs maux quand je ne les vois pas ; cet intérêt pour l'efpece fuffit pour nour- rir mon cœur : je n'ai pas befoin d'à-; mis particuliers ; mais quand j'en ai ^ j'ai grand befoin de ne les pas per- dre ; car quand ils fe détachent, ils me déchirent , en cela d'autant plus coupables, que je ne leur demande que de Tamitié , & que pourvu qu'ils m'aiment, & que je le fâche, je n'aï pas même befoin de les voir. Mais ils ont toujours voulu mettre à la place du fentiment, des foins & des fervî- çes cjue le public voyoit , ôc dont je

n*avois que faire ; quand je les aimois, ils ont voulu paroitre m'aimer. Pouc moi qui dédaigne en tout les apparen- ces, je ne m'en fuis pas contenté, (<c ne trouvant que cela ; je me le fuis tenu pour dit. Ils n'ont pas précife- ment cefTé de m'aimer , j'ai feulement découvert qu'ils ne m'aimoient pas.

Pour la première fois de ma vie , je me trouvai donc tout-à-coup le cœur feul , de cela feul aufîi dans ma retraite, & prefque auffi malade que je le fuis aujourd'hui C'eft dans ces circonftances que commença ce nou- vel attachement qui m'a fi bien dé- dommagé de tous les autres, &: dont rien ne me dédommagera; car il du- rera, i'efpere, autant que ma vie, & qnoi qu'il arrive, il fera le dernier. Je ne puis vous diiTimuIer , Monfieur , que j'ai une violente averfion pour les états qui dominent les autres ; j'ai même tort de dire que je ne puis le dilTi- muler, car je n'ai nulle peine à vous l'avouer, à vous d'un fang illuftre, fils du Chancelier de France, & pre- mier Préfident d'une Cour fouveraine ; oui, Monfieur . à vous qui m'avez

B6

5<^ t E T T n s

fait mille biens fans me connoître , Sc à qui 5 malgré mon ingratitude natu- relle, il ne m*en coûte rien d'être^ obligé. Je hais les Grands . je hais leur état 5 leur dureté , leurs préjugés , leur petiteffe & tous leurs vices, & je les haï- rois bien davantage fi je les mépriiois moins. C'eft avec ce fentiment que j'ai été comme entraîné au cliâceau de Montmorenci; j'en ai vu les maîtres, ils m'ont aimé , & moi, Monfieur, je les ai aimés, & les aimerai tant que je vivrai de toutes les forces de mon ame : je donnerois pour eux, je ne dis pas ma vie , le don feroit foible dans l'état où. je fuis, je ne dis pas ma réputation parmi mes contempo- rains dont je ne me foucie gueres; mais la feule gloire qui ait jamais touché mon cœur, l'honneur que j'at- tends de la poftérité , & qu'elle me Tendra parce qu'il m'efl dû, & que la poftérité eft toujours jufte. Mon cœur qui ne fait point s'attacher à demi , s'eft donné à eux fans réferve , & je ne m'en repens pas , je m'en repenti* rois même inutilement , car il ne fe- loit plus tems de m'en dédiret Pans 1^

A M. DE MAiîsïTEnBr?. 57

clialeur de renthoufiafme qu'ils m'ont in(piré, j'ai cent Fois été fur le point de leur demander un afyle dans leur mailon pour y pailer le refte de mes jours auprès d'eux, de ils me l'au- roient accordé avec joie ^ (i même, à la manière dont ils s'y font pris, je ne dois pas me regarder comnie ayant été prévenu par leurs ofFrcs. Ce pro* jet eft certainement un de ceux que j'ai médité le plus long-tems. Se avec le plus de complaifance. Cependant il a fallu fentir à la fin malgré moi , qu'il n'étoit pas bon. Je ne penfois qu'à l'attachement des perlonnes fans fonger aux intermédiaires qui nous auroient tenus éloignés, & il y en avoit de tant de fortes, fur-tout dans Fin- commodité attachée à mes maux, qu'un; tel projet n'efl: excufabîe que par le fentiment quil'avoit infpiré D'ailleurs ^ la manière de vivre qu'il auroit fallu prendre, choque trop directement tous mes goûts, toutes mes habitudes ^ je n'y aurois pas pu réfifter feulement trois mois. Enfin nous aurions eu beau nous rapprocher d'habitation , îa dis- tance reftant toujours la même entrer Iqs états, cette intimité délicieiife c^uî

5^ t î: T T px î

fait le plus grand charme d'une etroîtd fociétc, eut toujours manqué à la nô- tre ; je n'aurois été ni l'ami , ni le do- meftique de Moniieur le Maréchal de Luxembourg; j*auroIs été fon hôte; en me Tentant hors de chez moi, j'au- rois foupiré fouvent après mon ancien afyle , & il vaut cent fois mieux être éloigné des per(on:ies qu'on aime, & dehrer d'être auprès d elles , que de s'expofer à faire un fouhait oppofé. Quelques degrés plus rapprochés euf- fent peut-être fait révolution dans ma vie. J*ai cent fois fuppofé dans mes rêves Monfieur de Luxembourg point Duc, point Maréchal de France, mais bon Gentilhomme de campagne , ha- bitant quelque vieux château , & J, J, Ro ifTeau point Au-eur, point faifeur de livres, mais ayint un efprit mé- diocre de un peu d'acquis, fe préfen- tant au Seigneur châtelain & à la Da- me , leur agréant, trouvant auprès d'eux le bonheur de fa vie , & conn trlbuant au leur-, fi pour rendre le rêve plus agréable, vous me permet- tiez de pouffer d'un coup d'épaule le château de Malesher'oes à demi-lieue de-là, il me femblc, Monfieur , qu'en

A M. MALESHEPxBES. 55

rêvant de cette manière je n'aurois de Ion? tems envie de m'éveiller.

Mais c'en eft fait ; il ne me refîe plus qu'à terminer le long rêve; car les autres font déformais tous hors de faifon ; & c'efl beaucoup , fi je puis me promettre encore quelques- unes des heures délicieules que j'ai paffées au château de Montmorenci. Quoi qu'il en foit me voilà tel que je me lèns affedé , jugez-moi fur tout ce fa- tras fi j'en vaux la peine, car je ny faurois mettre plus d'ordre, Se je n'ai pas le courage de recommencer; (i ce tableau trop véridique m'ôte votra bienveillance , j'aurai cefTé d'ufurper ce qui ne m'appartenoit pas; mais fi je la conferve, elle m'en deviendra plus chère, comme étant plus à moij

X J. Rôt7§!'ÊÂ'&

LETTRE

D E /. /. ROUSSEAU

AM. PHILOPOLIS.

V ous voulez, Monfîeurjque je vous réponde, puilque vous me faites des queftion?. Il s'agit , d*ai!leurs, d*un ou- vrage dédié à mes Concitoyens ; je dois en le défendant juflifier l'honneur qu'ils m'ont fait de l'accepter. Je laifTe à part dans votre lettre ce qui me re- garde en bien & en mal, parce que l'un compenfe l'autre à-peu-près , que j'y prends peu d'intérêt,le Public encore moins, & que tout cela ne fait rien à la recherche de la vérité. Je commence donc par le raifonnement que vous me propofez, comme eflentiel à Ja queftion que j'ai tâché de réfoudre.

L'état de fociété, me dites -vous, xéfulte immédiatement des facultés dg

'A M. Philo POLI 5. ^t

l'homme & par confequent de fa na- ture. Vouloir que rhomm^e ne devînt point fociable, ce feroit donc vouloir qu'il ne fût point hom.me, & c'eft at- taquer l'ouvrage de Dieu que de s'é* lever contre la fociété humaine. Per- mettez-moi, jMonfieur , de vous pro- pofer à mon tour une difîiculté avant de réfoudre la vôtre. Je vous épargne- rois ce détour, fi je connoifTois un chemin plus fur pour aller au but.

Suppofons que quelques Savans trou- vafTent un jour le fecret d'accélérer la vieillcfîe , èc l'art d'engager les hom- mes à faire ufage de cette rare décou* verte. Perfuafion qui ne feroit peut* être pas fi difiicile à produire qu'elle paroît au premier afpcâ: ; car la raifon , ce grand véhicule de toutes nos fot- tifes, n'auroit garde de nous mianquer à celle-ci. Les Philofophes fur -tout & les gens fenfés , pour fecouer le joug des pallions & goûter le précieux repos de Tam-e, gagneroient à grands pas l'âge de Neflor, & renonceroient volontiers aux defirs qu'on peut fatis- faire, afin de fe garantir de ceux qu'ii faut étouffer. Il n'y auroit que quel- ques étourdis 5 qui rougiiTant mêm.e de

42 J. J. R O U s s E A tf

leur folblefTe , voudrolent folîemenÊ refter jeunes & heureux , au lieu dei vieillir pour être fages.

Suppafons qu'un efprit fingulier ^ bizarre, &: pour tout dire, un homme à paradoxes, s'avifât alors de repro- cher aux autres rabfurdité de leurs maximes, de leur prouver qu'ils cou- rent à la mort en cherchant la tran- quillité , qu'ils ne font que radoter à force d'être raifonnables ; &. que s'il faut qu'ils foient vieux un jour, ils de- Vrolent tâcher au moins de l'être le plus tard qu'il feroit poQibie.

Il ne faut pas demander fi nos fo- phiiles cr?îgnant le décri de leur Ar- cane, fe hâteroient d'interrompre ce difcoureur importun, ce vSages viell- es lards, dlroient-iîs à leurs fedateurs, >3 remerciez le Ciel des grâces qu'il 3i vous accorde , & félicitez-vous fans 5j ceiïe d'avoir fi bien fuivi fes volon- -:> tés= Vous êtes décrépits, il eft vrai, 33 languiiïans, cacochymes; tel eft le yy fort inévitable de rhomme,mais vo- >3 tre entendem.ent eft (ain ; vous êtes >3 perclus de tous lesmemibres, mais >3 votre tête en eft plus libre; vous ne » fauriez agir, mais vous parlez comme

A M. P H I L O P O L I s. 45

35 des oracles ; & (i vos douleurs aug- 3> mentent de jour en jour, votre Phi- 33 lofophie augmente avec elles. Plai- se gnez cette jeunefîe impétueufe que 33 fa brutale fanté prive des biens at- » tachés à votre foiblefTe, Heureufes 35 infirmités qui ralTemblent autour de 33 vous tant d'habiles Pharmaciens four- 33 nis de plus de drogues que vous *> n'avez de maux, tant de favans Mé- 33 decins qui connoilTent à fond votre 33 pouls, qui favent en grec les noms 33 de tous vos rhumatifmes , tant de 33 zélés confoîateurs de d'héritiers fi- 33 deîes qui vous conduifent agréable- 33 rpcnt à votre dernière heure. Que 33 de fecours perdus pour vous (i vous 33 n'aviez fu vous donner les maux 33 qui hs ont rendus nécefTaires 1 33

Ne pouvons-nous pas imaginer qu'a- poftrophant enfuite notre imprudent avertiileur, ils lui parleroient à-peu- près ainfi :

c< CefTez , déclamateur téméraire , 33 de tenir ces difcours impies. Ofez- 33 vous blâmer ainfi la volonté de ce* 33 lui qui a fait le genre-humain? L'é- 33 tat de vieillefTe ne découle- 1 il pas a> de la conftitution de l'homme ? N'efl-

44 J. J. R 0 TT s s E A TT

35 il pas naturel à l'homme de vieillir? 03 Que faites'vous donc dans vos dif- « cours féditieux que d'attaquer une 35 loi de la nature & par conféquent 3) la volonté de Ton Créateur? Puif- 33 que l'homme vieillit , Dieu veut 33 qu'il vieillilTe. Les taits font-ils au- 33 tre chofe que l'exprelTion de fa vo- 33 lonté? Apprenez que l'homme jeune 33 n'eft point celui que Dieu a voulu 33 faire, & que pour s'empreiTer d'o- 33 béir à fes ordres il faut fe hâter ds 33 vieillir 33.

Tout cela fuppofé , je vous demande , Monfieur, fi l'homme aux paradoxes doit fe taire ou répondre, & dans ce dernier cas , de vouloir bien m'indi- quer ce qu'il doit dire, js tâcherai de rélbudre alors votre objection.

Puifque vous prétendez m'attaqucr par mon propre fyftéme , n'oubliez pas, je vous prie, que félon m.oi la fociété efl: naturelle à Tefpece humaine comme la décrépitude à l'individu, & qu'il faut des Arts, des Loix , des Gouvernemens aux Peuples comme il faut des béquilles aux vieillards. Touts la différence eft que l'état de vieillefTe découle de la feule nature de Thomme ^

A M. P H I L O P O L I s. 45*

&: que celui de fociété découle de la rature du genre-humain; non pas im- médiatement comme vous le dîtes, mais feulement comme je Tai prouvé, à l'aide de certaines circonftances ex- térieures qui pouvoient être ou n'être pas, ou du moins arriver plutôt ou plus tard, & par conféquent accé* îérer ou ralentir le progrès. Plufieurs même de ces circonftances dépendent de la volonté des hommes; j'ai été obligé , pour établir une parité par- faite, de fuppofer dans l'individu le pouvoir d'accélérer fa vieiîleiïe comme l'efpece a celui de retarder la {lenne. L'état de fociété avant donc un terme extrême auquel les hommes font les maîtres d'arriver plutôt ou plus tard, il n'eft pas inutile de leur montrer le danger d'aller fi vite & les miferes d'une condition qu'ils prennent pour la per- fection de l'efpece.

A rénumération des maux dont les hommes font accablés & que je fou- tiens être leur propre ouvrage , vous m'afTurez, Leibnitz & vous, que tout efl; bien , & qu'ainfi la providence eft juftifiée. J'étois éloigné de croire qu'elle i^t b'efoin pour fa juflification du fs-

4? J. y* Ro u s s E Atr

cours de la Philofophie LeibnitzîenneJ ni d'aLicune autre. Penfez-vous férieu- fement, vous-même, qu'un fyflénie de PhJofophie , quel qu'il foit, puifTe .être plus irrépréhennble que l'univers, & que pour dlfculper la providence , les argumens d'un Philoiophe foient plus convâincans que les ouvrages de Dieu ? Au rePce ^ nier que le mal exifte , eft un moyen fort commode d'excufer l'auteur du mal. Les Stoïciens fe font autrefois rendus ridicules à meilleur marché.

Selon Leibnitz & Pope , tout ce qui efl, efi: bien. S'il y a des fociétés, c'eft que le bien général veut qu'il y en ait ; s'il n'y en a point , le bien géné- ral veut qu'il n'y en ait pas ; & fi quel- qu'un perfuadoit aux hommes de re- tourner vivre dans Iqs forets, il feioit bon qu'ils y retournaffent vivre. On ne xioit pas appliquer à la nature dQ$ chofes une idée de bien ou de mal qu'on ne tire que de leurs rapports, car elles peuvent être bonnes relati- vement au tout , quoique mauvaifes en elles-mêmes. Ce qui concourt au bien général peut être un mal particu- lier, dont il efl permis de fe délivrer

A M. P H I L G P O L ï s. 47

quand il eft p.oflibIe. Car fi ce mal , tandis qu'on le fupporte , efl: utile au tout, le bien contraire qu'on s'eiTorce çle lui fubftituer ne lui iera pas moins utile fitôt qu'il aura lieu. Par la même raifon que tout eft bien comme il eR, fi quelqu'un s'efforce de changer l'état des chofes , il efl: bon qu'il s'efforce, de les changer; & s'il efl: bien ou mal qu'il réuliilîe , c'efl: ce qu'on peut ap^ prendre de l'événement feul & non de la raifon. Rien n'empêche en cela que le mal particulier ne Toit un mal réel pour celui qui le fouffre. Il étoit bon pour le tout que nous fulïïons civilifés puifque nous le fommes ; mais il eût certainement été mieux pour nous de ne pas l'être. Leibnitz n'eût jamais rien tiré de fon ryfl:éme qui pût combattre cette propofition ; & il efl: clair que l'optimifme bien entendu . ne fait riea ni pour ni contre moi,

Auflî n'efl:-ce ni à Leibnitz ni à Pope que j'ai à répondre, mais à vous feul qui, fans difl:inguer le mal univer- fel qu'ils nient, du mal particulier qu'ils ne nient pas, prétendez que c'efl affez qu'une chofe exifl:e pour qu'il ne foit

4S J. J. R O U s s E A U

pas permis de defirer qu'elle exlftat autrement. Mais , Monfieur, fi tout eft bien comme il eft, tout étoit bien comme il étok avant qu'il y eût des Gouvernemens & des Loix ; il fut donc au moins fuperflu de les établir, & Jean- Jacques alors, avec votre fyf- tême, eût eu bsau jeu contre Philo- polis. Si tout eft bien comme il eft, de la manière que vous l'entendez, à quoi bon corriger nos vices, guérir nos maux, redrelTer nos erreurs? Que fervent nos Chaires, nos Tribunaux, nos Académiies? Pourquoi faire appel- 1er un Médecin quand vous avez la fîevre? Que favez-vous fi le bien du plus grand tout que vous ne connoit- îez pas , n'exige point que vous ayez le tranfport, & fi la fanté des habitans de Saturne ou de Sirius ne fouffriroient point du rétablilTement de la vôtre ? Laiflez aller tout comme il pourra , afin que tout aille toujours bien. Si tout eft le mieux qu'il peut être, vous devez blâmer toute aétion quelconque; car toute action produit nécefTairement quelque changement dans l'état font lis chofes, au moment qu'elle fe fait;

on

A M. P H I L O P O L I 5. ' 4^

on ne peut donc toucher à rien fans mal faire, & le quiétifme le plus parfait «fl la feule vertu qui refte à l'homme. Enfin fi tout eft bien comme il efl:, il eft bon qu*il y ait des Lapons, des Efquimaux:, des Algonquins, des Chi- cacas , des Caraïbes , qui fe pafTent de notre police , des Hottentots qui s'en moquent, & un Genevois qui les approuve , Leibnitz lui-même convien- droit de ceci.

L'homme, dites -Vous, eft tel que Texi^eoit la place qu'il devoit occupet dans l'univers. Mais les hommes diffè- rent tellement félon les tems & les lieux, qu'avec une pareille logique , on fe- roit fujet à tirer du particulier à Tu- -niverfel des conféquences fort contra- di(5loires & fort peu concluantes. Il ne faut qu'une erreur de Géographie pour bouleverfer toute cette prétendue doc- trine qui déduit ce qui doit être de ce qu'on voit. C'eft àfaire aux Caftors, dira l'Indien, de s'enfouir dans des tanières , i'homme doit dormira l'air dans un ha-» mac fufpenduàdes arbres. Non, non, dira le Tartare, l'homme eft fait pour coucher dans un chariot. Pauvres gens, (Euv. Pojih. Tom. VI. C

59 Lettre

s'écrieront nos Philopolis d'un aîr â^ pitié, ne voyez- vous pas que rhom:ne «ft Fait pour bâcir des villes! Ouand ]\ eft qiieftion de raifonner fur la na- ture humaine^ le vrai Philofophe , n'eft ni Indien , ni Tartare, ni de Genève , •ri de Paris , mais il eil homme.

Que le linge Toit u?ie bcte , je le crois , d<. ']€n ai dit la rai(on ; que rOrang - Qutang en foit une auiîi , voilà ce que vous avez la bonté m'apprendre , èc j'avoue qu'après les faits que j'ai cités , la preuve de celui- me fembîoit xliiïiciîe. Vous phiîofo- phez trop bien pour prononcer là- delTus auOi légèrement que nos voya- geurs , qui s'e^ipoftint quelquefois (ans beaucoup de façons, à mettre leurs femblables au rang des bêtes. Vous obligerez donc fûre nent le Public, de ^ous iriftruirez même \qs Naturaîifles çn nous apprenant -les movens que y ou? avez employés pour décider cette cueflion.

. Dans mon Epitre dédicatoire , j'ai félicité ma Patrie d'avoir un dts meil- leurs Gouvernemens qui puiTent exi(r fer. J'ai trouvé dans le Difcours qu ij

A M. P H I L O P O L I s. 5*1

•devolt y avoir très-peu de bons Gou'- vernemens : je ne vois pas eft la •contradidion que vous remarquez en cela. Mais comment favez-vous, Mon- iîeur, que j'irois vivre dans les bois fi ma fanté me le permettoit , plutôt que parmi mes Concitoyens pour îe(- quels vous connoilTez ma tendre (Te ? Loin de rien dire de femblable dans mon Ouvrage, vous y avez voir des raifons très - fortes de ne point choifir ce genre de vie. Je fens trop en mon particulier combien peu je puis me paiïer de vivre avec des hom- mes audî corrompus que moi, & le fage même , s'il en efl: , n^ira pas au- jourd'hui chercher le bonheur au fond d'un défert. Il faut fixer, quand on le peut, fon féjour dans fa Patrie pour l'aimer & la fervir. Heureux celui qui, privé de cet avantage , peut au moins vivre au fein de l'amitié dans la Pa- trie commune du genre-humain, dans cet afyle immenfe ouvert à tous les hommes , fe plsifent également Tauf- .tere fagefTe Ôc la jeunefTe folâtre; régnent l'humanité , l'hospitalité , la douceur , de tous les charmes d'une iociété facile; le pauvre trouve en-

^z Lettre

core des amis , la vertu des exemples qui i animent , &: la railon des gui- dts qui réclairent. Oeft fur ce grand théâtre de la fortune , du vice, & quel- quefois des vertus , qu'on peut obfer- ver avec fruit le fpedacle de la vie; jnais c'eft dans fon pays que chacun devroit en paix achever la iï^nne.

Il me femble , Monfieur , que vous jne cenlurezbien gravement, fur une réflexion qui me paroît très-jufte , 6c qui 5 jufle ou non , n'a point dans moa écrit le fens qu'il vous plaît de lui donner par Fadditicn d'une feule let- tre. Si la nature nous a dcjiinis à être faint$ , me faites- vous dire, fof^ P^^f" que cffuter que tttat de réflexion ejl un état contre nature , & que t homme qui médite eji un animal dcpravé. Je vous îavoue que (i j'avois ainfi confondu la fanté" avec la faintetép & que la pro- portion fut vraie , je me croirois très- propre à devenir un grand faint moi- même dans l'autre monde, ou du moins à me porter toujours bien dans ce- lui-ci.

Je finis, Monfieur, en répondante ■vos trois dernières queftions. Je n'a^ buferai pas du tems que vous me don-

A i\î. F H I L O P O L ï s. yjf

nez pour y réfléchir ; c'eft un foin que j'avois pris d'avance.

Un homme ou tout autre Etre fenfl-^ ble qui nauroit jamais connu la dou- leur ^ auroit-'il de la pitié ^ & feroit-il ému à la vue £un enfant quon égor-^ rreroit? Je réponds que non.

Pourquoi lapopulace, à qui M. Rouf" jeau accorde une Jl grande dofe de pi" tij y fe rep ait-elle avec tant d^ avidité du fpecïacle £un malheureux expirant fur la roue ? Par la même raifon que vou5 allez pleurer au théâtre ^ &: voir Seidc égorger Ton père, ou Thyefte boira le fang de Ton 61s. La pitié eft un fen-* riment fi délicieux qu'il n'eft pas éton- nant qu'on cherche à l'éprouver. D'ail- leurs , chacun a une curiofité fecrete d'étudier les mouvemens de la nature aux approches de ce moment redou-* table que nul ne peut éviter. Ajoutez: à cela le plaifir d'être pendant deux mois l'orateuf du quartier, & de ra- conter pathétiquement aux volGns la belle mort du dernier roué,

l! a^eciion que Us femelles des ani* maux témoignent pour leurs petits, a- t-elle ces petits pour objet , ou la merc ? D'abord la mère pour Ton befoin , puis

j4 L e t t k s ;

les petits par habitude. Je l'avois ait \ dans le Difcours. Si par hafard caoic \ celle-ci, le bicn-itre des petits nen fe- roit que plus ajffure. Je le croirois ainfi. Cependant cette maxime demande , moins à être étendue que relTerrée ; car, àhs que les poufTms font éclos , ] on ne voit pas que la poule ait aucun | befoin d'eux, & fa tendrelTe mater- nelle ne le cède pourtant à nulle autre. Voilà, MonHeur, mes réponfes. Re- marquez au refte que, dans cetta af- : faire comme dans celle du premier "Difcours, je fuis toujours le mxonftrs" j qui foutlent que l'homme eft naturel- i lement bon, & que mes adverfaires | font toujours les honnêtes gens qui, à j rédihcation publique , s'efforcent de prouver que la nature n'a fait que di^s ' îee'lérats.

Je fuis , autant qu'on peut l'être ^ de quelqu'un qu'on ne connoît point» Monfieur, &c.

LETTRE

A M^^\ {a}

J__/E voilà, Monfieur ce m iférabîe ra- dotage que mon amour-propre hu- milié vous a fait îorrg-tems atten- dre 5 faute de lentîr qu*un amour-pro-^ pre beaucoup plus^ noble devoit m*ap-' prendre à furmonter celui-là. Qa'im-J porte que mon verbiage vous paroifîe- îriiférable, pourvu que je fois content" du fcntiment qui nre Ta didéc Sitôt que mon meilleur état m'a tendu quel- ques forées ; j'en ai profité pour le relire & vous Tenvoyer. Si vous ave?^ le courage d'aller jurqu'au bout. j(^ vous prie après cela de vouloir biefi" rne le renvover, fan^ rien dire de ce que vous en aurez penfé , & que Je comprends de refte. Je vous fa- l'ue , Moniteur , & Vous embraffe de' tout mon cœur.

A Monquin le 1^ Mirs 17 5p.

■»" - ' il . 'i ti

(a) Cette Lettre fert d'envoi à celle qui fuir.

yd Lettre

A Bourgoin le l^ Janvier 176p.

J E fens j Monïïeur , rinutilité du de- voir que je remplis en répondant à votre dernière lettre : mais c'eft un devoir enfin que vous m'impolez & que je remplis de bon cœur, quoi- que mal 5 vu les diftradions de l'état je fuis.

Mon defTeîn , en vous difant ici mon opinion fur les principaux points de votre lettre 5 eft de vous la dire avec {implicite & fans chercher à vous la faire adopter. Cela feroit contre mes principes & même contre mon goût. Car je fuis jufte , & comme je n'aime point qu'on cherche à me fubjuguer , je ne cherche non plus à fubjuguer perfonne. Je fais que la raifon com- mune eft très-bornée; qu'au (îî - tôt qu'on fort de (qs étroites limites , chacun a la fienne qui n'eft propre qu'à lui; que les opinions fe propa- gent par les opinions non par la rai- Ion, & que quiconque cède au raifon- pement d'un autre ^ chofe déià très-

/âfe, cède par préjugé, par autorité, par affedion, par parefTe ; rarement, jam lis peut être , par Ton propre ju- gement.

Vojs me marquez, Monïïeur, que le réiultat de vos recherches fur l'Au- teur des chofes efl un état de doute. Je ne puis juger de cet état, parce qu'il n'a jimais été le mien. J'ai cru dans mon enfance par autorité, dans ma jeuneiïe par fentiment , dans nrion âge mûr par raifon; maintenant je crois parce que j*ai toujours cru. Tandis que ma mémoire éteinte ne me remet plus fur la trace de mes raifonnemens, tandis que ma judiciaire affoiblie ne me permet plus de les recommen- cer , les opinions qui en ont réfulté me relient dans toute leur force ; & fans que j'aye la volonté ni le courage de les mettre derechef en délibération^ |e m'y tiens erî confiance & en con- fcience , certain d'avoir apporté dans- la vigueur de mon jugement à leurs difcuffions toute l'attention & la bonne? foi dont j'étois capable. Si je me fui? trompé, ce n'eft pas ma faute, c'eft celle de la nature qui n'a pas donné à ma tête une- plus grande mefure d'ia*

yS L E T T H ï

teiligence & de raifon. Je n'ai rîen dé- plus aujourd'hui , j'ai beaucoup ds moins. Sur quel fondement recommen- cerois je donc à délibérer? Le mo- ment preiïe; le départ approche. Je n'aurois jamais le tems ni la force d'a- chever le grand travail d'une refonte, Permettez qu'à tout événement j'em- porte avec moi la confiftance &: la fermeté d'un homme , non les doutes- décourageans- 6c timides d'un vieux ra-- doteur.

A ce que je puis me rappeller de lïies anciennes idées, à ce que j*ap- perçois de la marche des vôtres, je vois- que n'ayant pas fuivi dans nos- recherces la même route, il ell: peU' étonnant que nous ne foyons pas ar- rivés à la même conclufîon. Balançant- les preuves de l'exiftence de Dieu avec- les difficultés, vous n'avez trouvé au- cun des côtés aiïez prépondérant pour vous décider , & vous êtes refié dans îe doute : ce n'eft pas comme cela que' je fis. J'examinai tous les fyftémes fur la formation de l'univers que j'avois- pu connoître. Je méditai fur ceux que }e pouvois imaginer. Je les comparai tous de mon mieux : & je me déci*

dâi, non pour celui qui ne m'ofiroit point de difficultés , car ils m'en of- froient tous, mais pour celui qui ma- piroilToit en avoir le moins. Je me dis que ces difficultés étoient dans la. nature de la cliofe, que la contempla- tion de l'infini paileroit toujours Iqs bornes de mon entendement; que ne devant jamais efpérer de concevoir pleinement le ryflcme de la nature , tout ce que je pou vois faire était de le confiderer par les côtés que je pou- vois fainr; qu'il falloit favoir ignorer en paix tout le rePce ; Ôc j'avoue que- dans ces recherches je penfai comme

r les gens dont vous parlez, qui ne re- jettent pas une vérité claire ou fuili-

; fâmment prouvée, pour les difficultés; qui l'accompagnent & qu*on ne fau-

, roit lever. J'avois alors, j^ l'avoue, une confiance fi téméraire, ou du moins iine fi force perfuafion, que j'aurois défié tout phiîofophe de propofer au- cun autre rydême intelligible fur la rature , auquel je n'euiTe oppofé des objecfnons plus fortes , plus inviiKi-? bies , que celles qu'il pouvoit m'op-- pofer fur le mien , & alors il falloit nie réfoudre à relier faas nen croire ,

'£0 L E T T ^ TE^

comme vous faites , ce qui ne déperr-- doit pas de moi, ou mal railonner^ ou croire comme j'ai fait.

Une idée qui me vint il y a trente- ans , a peut être plus contribué qu'au- cune autre à me rendre inébranlable, Suppofons , me difois je , le genre- humain vieilli jufqu'à ce jour dans le- plus complet matérialilme , fans que* jamais idée de divinité ni d'ame foie entrée dans aucun efprit humain. Sup- pofons que Fathéifme philarophiquc ait épuifé tous (gs fyftémes pour ex- pliquer la formation & la marche da l'univers par îe feul jeu de la matière & du mouvement néceiïaire , mot au- quel du refte je n'ai jamais rien eonçu.- Dans cet état, Monh'eur , excufez ma. franchifejje fuppofois encore ce que j'ai toujours vu, & ce que je fentois de- voir être; qu'au lieu de fe repofer tran- quillement dans ces fyftêmes, comme dans îe fein de la vérité, leurs inquiets? partifans cherchoient fans ceiïe à par^ kr de leur dodrine , à Téclaircir , à l'étendre, à l'expliquer , la pallier, la corriger, & comme celui qui fent trembler fous fes pieds la maifon qu'iî habite ^ à Fétayer de nouveaux argU'=*

mens. Terminons enfin ces fuppofi- tions par celle d'un Platon , d'un olaiC- ke , qui y fe levant tout û'un coup au milieu d'eux, leur tût dit : mes amisj. il vous euiîiez commencé FaiTalyle de cet univers par celle de vous mêmes y vous euiîiez trouvé dans la nature de votre être la clef de la conftitution de ce même univers, que vous eher- cbez en vain fans cela. Qu'en'uite leur expliquant la diftinélion des deux fubf^ tances, il leur eût prouvé par les pro- priétés même de la matière, que quor qu'en dife Locke , îa fuppoiition de la matière penfante eft une véritable ab- furdité. Qu'il leur eut fait voir quelle' eft la nature de l'être vraiment aâ:if & penfant ; & que de rétablilTement de cet être qui juge, il fût enfin re- monté aux notions confufes, mais fu- ies de l'Etre fuprême : qui peut dou-r ter que frappés de l'éclat, de la fim-r plicité, de la vérité, de îa beauté de cette raviffante idée , les mortels juf- qu'aîors aveugles, éclairés des pre-^ miers rayons de la divinité, ne lui euf- fent offert par acclamation leurs pre- miers hommages y & que les penfeurs^ fujT-tout ôc les philofophes neuife»!

é2 L î T T ?x ïï'

rougi d'avoir contemplé fi long-tôffî* les dehors de cette machine immenfe g hns trouver , fans foupçonner même la clef de fa conRitution , & toujours groflierement bornés par leurs fens , de n'avoir jamais (u voir que matière tout leur montrolt qu*ane autre fubftance donnoit la vie à l'univers & l'intelligence à Thomme. C'eft alors, Monfieur ,, que la mode eût été pour cette nouvelle philofophie. que les jeu-* nés gens & les fages fe fuffent trouvée d'accord , qu'une dodlrine fi belle , fi fublim.e 5 fi douce, & fi confoîante pour tout homme jufte , eût réelle- ment excité tous les hom.mesà la ver- tu, & que ce beau mot à' humanité re^ b:îîtu maintenant jufqu'à la fadeur , juf- t-u'au ridicule , par les gens du monde les moins humains , eût été plus em- preint dans les cœurs que dans les li- vres. Il eût donc (ulFi d'une fimple tranfpofiticn de tems pour faire pren* dre tout Je contre-pied à la mode phi- lofophique , avec cette différence que celle d'aujourd'hui malgré fon clin- quant de paroles , ne nous promet pas une génération bien eftimable^ni des* philofophes bien vertueuXr

Vous objeflez , MonGeur, que G Dieu eût voulu obliger les hommes à le connoitre , il eût mis Ton exiflencc en évidence à tous les yeux. C'eft à ceux qui font de la foi en Dieu un dogme néceflaire au falut de répon- dre à cette obiedion j & ils y répon- dent par la révélation. Quant à moi qui crois en Dieu fans croire cette foi néceiïaire , je n-e vois pas pourquoi Dieu fe feroit obligé de nous la don-* n-jr. Je penfe que chacun fera jugé , non fur ee qu'il a cru , mais fur ce Qu*il a fait, de je ne crois point qu'un fyfrême de do6lrine foit néceffaire aux- ceuvres, parce que la confcience er> tient lieu.

Je crois bien, ell vrai, qu'il faut être de bonne foi dans fa croyance , & ne pas s'en faire un {yfièmt favo- rable à nos paiTions, Com.me nous ne fommes pas tout intelligence , nous ne faurions philofopher avec tant de dé- fi ntérelTe ment que notre volonté n'in- flue un peu (ur nos opinions; l'on peut fouvent juger des fecretes inclinations d'un homme par (es fentim.ens pure- ment fpéculatifs; & cela pofé, je penfe «i^u il le pourroit bien que celui qui

^4 Lettre

n'a pas voulu croire fût puni pouf û^â-*

Voir pas cru.

Cependant je cfois que Dieu s*e{l fufFjtamment révélé aux hommes & par ftS œuvres & dans leurs cœurs, & s'il y en a qui ne le connoifTent pas, c'eft félon moi, parce qu'ils ne veu- lent pas le connoître , ou parce qu'ils n'en ont pas befoin.

Dans ce dernier cas eft Thomme fauvûge & fans culture qui n*a fait en- core aucun ufage de fa rai Ton , q"i, gouverné feulement par fes appétits n'a pas befoin d'autre guide, 3c qui ne fuivant que l'inftincl de la nature , marche par des mouvement toujours droits. Cet homme ne connoit" Das Dieu 3 mais il ne l'offenfe pas. Dans l'autre cas au contraire eft le philofo- phe , qui, à force de Vouloir exalte? ion intelligence, de rafiner y de fub- îilifer (ur ce qu'on penfa jufqu'à lui, ébranle enfin tous les axiomes de la Taifon (impie & primitive , & pour vouloir toujours lavoir plus & mieu:îC que \qs autres, parvient à ne rien fa* voir du tout. L'homme à la fois rai* fonnabîe & modefte^ dont l'entende- Hisnt exercé , mais borné , fent fes li^

A M ^ * \ 6f

mîtes Se s'y renferme , trouve dans ces limites la notion de Ton ame & celle de l'Auteur de Ton être , fans pouvoir pafTer au-delà pour rendre ces no- tions claires , èc contempler d'aufli près Tune & l'autre que s'il étoit lui- même un pur efprit. Alors faid de ref- pecl il s'arrête 3c ne touche point au voile, content de favoir que l'Etre im- menfe efl: defTous. Voilà jufqu'oii la philofophie efl: utile à la pratique. Le refte n'el^ plus qu'une fpéculation oi- (eufe pour laquelle l'homme n'a point été fait 5 dont le raifonneur modéré s'abftient , & dans laquelle n'entre point rhomme vulgaire. Cet homms qui n'efl ni une brute ni un prodige efl l'homme proprement dit, moyen entre les deux extrêmes , & qui com- pofe les dix-neuf vingtièmes du genre- humain. C'efl: à cette clafTe nombreufe de chanter le Pieaume Cœli enarrant^ & c'efl: elle en effet qui le chante. Tous les peuples de la terre connoifTent & adorent Dieu , & quoique chacun l'ha- bille à fa mode, fous tous ces véte- mens divers , on trouve pourtant tou- jours Dieu. Le petit nombre d'élite qui a de plus hautes prétentions dgt

66 L E T T r. 1

dodrlne 5 Se dont le génie ne fe borné' pas au fens commun , en veut un plus tranfcendant : ce n'efi: pas de quoi je le blâme : mais qû*il parte de-là pour le mettre à la place du genre-humain,' & dire que Dieu s'efl caché aux hom- mes , parce que lui petit nombre ne le voit plus 5 je trouve en cela qu'il a tort. Il peut arriver ^ j'en conviens , que le torrerht de la mode , & le jeu: de l'intii-T^ue étende la feéle ohilofo- phique & perfuade un moment à la multitude qu'elle ne croit plus en Dieu: mais cette mode pai-Fagere ne peut- durer, & comme q^j'on s'v' prenne, il faudra touiours à h longue un Dieu à rhomme. Enfin, quand forçant la rature des chafes , îa divinité augmen- teroit pour nous d'évidence, je ne doute pas que dans le nouveau lycée on n'augmentât en même rai(on de fub- til'té pour la nier. La railon prend à la longue le pli que le cœur lui donne. Se quand on veut penfer en tout au- trement que le peuple ^ on en vient à bout tôt ou tard.

Tout ceci , Monfieur , ne vous pa- roît gueres philofophique , ni à moi- non plusi mais toujours de bonne foi-

avec moî-même, je fens fe joindre à mes raitonnemens , quoique (impies,- le poids de l^aflentinieiyt intérieur» Vous voulez qu'on s'en défie ; je ne fau- rois penfer comme vous fur ce point, & je trouve au contraire dans ce ju- gement interne une fauve-garde na- turelle contre les Tophilmes de ma rai- ïon. Je crains même qu'en cette oc- calion vous ne confondiez les pea- chans fecrets de notre cœur qui nous^ égarent , avec ce didamen plus fe- eret, plus interne encore, qui réclamé- es murmure contre ces déciûons in- téreiTées , & nous ramené en dépie de nous fur la route de la vérité. Ce fentiment intérieur efl celui de la na-* ture elle-même; e'efl: une appel de fa- part contre les fophifmes de la raifon ^ & ce qui le prouve eft qu'il ne parle- jamais plus fort que quand notre vo- lonté cède avec le plus de compîai- fance aux jugemens qu'il s'obfiine à re- jetter. Loin de croire que qui juge d'après lui foit fujet à fe tromper, je crois que jamais il ne nous trompe , & qu'il efl la lumière de notre foible entendement, lorfque nous voulons al-

€S Lettre

1er plus loin que ce que nous pou-*

vons concevoir.

Et après tout, combien de fois la philoLophie elîe-méme avec toute fa iierté 3 n*eft-elle pas forcée de recou- rir à ce jugement interne qu'elle af- fecte de méprifer, N'étoit-ce pas lui feul qui faifoit marcher Diogene pour toute réponfe devant Zenon qui nioit le mouvement? N'étoit-ce pas par lui que toute l'antiquité philofophique ré- pondoit aux pyrrhoniens. N'allons pas il loin : tandis que toute la philofophie moderne rejette les efprits, tout d'un coup i'Evcque Berkley s'élève & fou- tient qu'il n'y a point de corps. Com- ment eft-on venu à bout de répondre à ce terrible logicien? Otez le fenti- ment intérieur , & je défie tous les phiîoibphes modernes enfemble de prouver à Berkley qu'il y a des corps. Bon jeune hom,me qui me paroifTez (\ bien né; de la bonne foi , je vous en conjure , Se permettez que je vous cite ici un auteur qui ne vo'js fera pasfuf^ peét , celui des psnfées philofophiques, Qu'un homme vienne vous dire que projettant au hafard une multitude à^

caracleres d'imprimerie , il a vu TE- néïde toute arrangée réfulter de ce jet: convenez qu'au lieu d'aller vérifier cette merveille , vous lui répondrez froidement; Monfieur, cela n'ell: pas impoifible ; mais vous mentez. En vertu de quoi , je vous prie , lui répondrez"* vous ainli ?

Eh! qui ne fait que fans le fentiment interne , il ne refleroit bientôt plus de traces de vérité fur la terre, que nous ferions tous fucceflivement le jouet des opinions les plus monftrueu- fes, à mefure que ceux qui les foutien- droient auroient plus de génie, d'à* dreiîe & d'efprit, & qu'enfin réduits à rougir de notre raifon même, nous ne faurions bientôt plus que croire nique penfer.

Mais les objections fans doute

il y en a d'infolubles pour nous & beaucoup , je le fais. Mais encore un coup donnez moi un fyfléme il n'y en ait pas , ou dites moi comment je dois me déterminer. Bien plus; parla nature de mon fyflême, pourvu que mes ■preuves diredes foient bien établies, îes difficultés ne doivent pas m'arreter; VU l'impodibilicé je fuis , moi être

70 Lettre

mixte 5 de raifonner exadement furies efprits purs 8c d'en oblerver iufFiiam- ment la nature* MaLs vousmatérialiftej, qui me parlez d'une Tubdance unique, palpable & foumife par fa nature à Tinf- -pedion des iens , vous êtes obligé non leulement de ne me rien dire que de clair, de bien prouvé, mais de réfou- dre toutes mes difficultés d'une façon pleinement fatisfaifante , parce que nous pofTédons vous & moi tous les inftru- mens néceflaires à cettefolution.Etpar exemple, quand vous faites naître la penfée dts combinaifons de la matière, vous devez me montrer feniibiement ces combinaifons & leur réfultat parles feules loix de la phyiîque & de la -méchanique , puifque vous n'en adm.et- tez point d'autres.Vous Epicurien^ vous com.pofez l'ame d'atomes fubtils. Mais qu'appellez-vous fubtils , je vous prie ? vous favez que nous ne connoiiTons point de dimenfions abfolues, & que rien n'eft petit ou grand que relativement à l'ail qui le regarde. Je prends par fuppcfition, unmicrofcôpe fuffifant & je regarde un de vos atomes. Je vois un grand quartier de rocher crochu. De la danfe ô. de l'açcrochement de pareils

ê]ijart1ersj*attendsdeyoirréfuIterIa pen« i'ce. Vous Moderiiiile , vous me montrez vnc molécule organique. Je prends mon microfcope, &: je vois un dragon grand .comme la moitié de ma chambre : j'at- tends de voir fe mouler de s'entortiU 1er ce pareils dragons jufqu'àce que je voye rélulter du tout un être non-feu- lement organiié mais intelligent ; c'efl- à cire un être non aggrégatifSc qui foLt rigoureufement un , &:c. Vous me mar- quiez. Monfieur, que le monde s'étoit fortuitement arrangé comme îa Répu- blique Romaine. Pour que la parité fut •jufte , il faudrolt que la République Ro- maine n'eût pas été compofée avec des •hommes , mais avec des morceaux de bois. Montrez-moi clairement & fenfi- blem.ent la génération purement maté- -rielie du premier être intelligent ; je ne vous demande rien de plus.

Maisfi tout eft Tœuvre d'un Etre in- telligent , puiflant , bienfaifant ; d'où vient le mal fur îa terre ? Je vous avoue que cette difficulté fi terrible ne m'a iamais beaucoup frappé; foit que je ne j'aye pas bien conçue, foit qu'en effet .«lie n'ait pas toute la folidité qu'elle jparoît avoir, .Nos p.hilofophes f^ Conz

7^ L E T T K E

élevés contre les entités métaphyiïques, ^ je ne connois perfonne qui en fafTe tant.Qu*entendent"iIs par U w^z/? qu'efl- ceque le mal en lui-même ?oli eft k mal, relativement à la nature & à Ton au- teur ? L'univers rubfifle, l'ordre y rè- gne & s'y conferve; tout y périt fuc- celîlvement , parce que telle eft la loi des êtres matériels & mus ; mais tout s'y renouvelle & rien n'y dégénère ; parce que tel eft l'ordre de Ton auteur, & cet ordre ne Te dément point. Je ne vois aucun mal à tout cela. Mais quand je fouffre , n'eft-ce pas un mal > Quand je meurs , n'eft-ce pas un mal? Doucement: je fuis fujet à la mort , parce que j'ai reçu la vie. Il n'y avoit pourmoi qu'un moyen de ne point mou- rir; c'étoit de ne jamais naître. La vie eft un bien pofitif , mais fini , dont le terme s'appelle mort. Le terme du po- fîtif n'eft pas le négatif, il eft zéro. La mort nous eft terrible , & nous ap- pelions cette terreur un mal. La dou- leur eft encore un mal pour celui qui fouffre, j'en conviens. Mais la douleur &: le plaifir étoient les feuls moyens d'attacher un être fenfible & périfTable à fa propre confervation j ^ ces moyens

font

font ménagés avec une bonté digne de l'Etre fupréme. Au moment même que j'écris ceci , je viens encore d'éprou- ver combien la cellation fubite d'une douleur aiguë eft un plaiiir vif & dé- iicieux, M'oferoit-on dire que lacefTa* tionduplaifiric plus vit Toit une douleur aiguë La douce jouillance de la vie efl permanente ; il fuffit pour la goûter de ne pas foufïrir. La douleur n'eil: qu'un avcrtifTement, importun, mais néceC- faire , que ce bien qui nous eft fi cher eïl en péril. Quand je regardois de près à tout cela 5 je trouvai, je prou- vai peut-être , que le fentiment de la mort de celui de la douleur eft pref- que nul dans l'ordre de la nature. Ce font les hommes qui l'ont aiguifé. Sans leurs rafinemens inienfés , fans leurs inf- titutions barbares, les maux phyliques ne nous atteindroient , ne nous afFede- roient gueres^& nous ne fentirions point la mort.

Mais le mal moral] autre ouvrage de l'homme , auquel Dieu n'a d'autre parc que de l'avoir fait libre 8c en cela fem- blable à lui. Faudra-t il donc s*en pren- dre à Dieu des crimes des hommes ôc des m.aux qu'ils leur attirent? Faudra- Œuv. Fojth, Tom.WL D

'74 L E T T R E

,t-ilj en voyant un champ de bataille , lui reprocher d'*avoîr créé tant de jambes êc de bras cafiés.

Pourquoi , direz vous , avoir fait -Phomme libre, pulfqu'il devoitabufer 4q fa liberté? Ah , MonCeur de *^^ , s'il «xifta jamais un mortel qui n'en ait pas abufé , ce mortel feul honore pîusl'hu- manité que tous les fcélerats qui cou- vrent la terre ne la dégradent.Mon Dieui donne-^noi des vertus , & me place ua jour auprès des Fénelons, des Catons, .des Socrates. Que m'importera le refte du genre humain ? Je ne rougirai point d'avoir été homme.

Je vous l'ai dit , Monfieur , il s'agit ici de mon fentiment; non de mes preu- ves 3 & vous ne le voyez que trop. Je nie fouviens d'avoir jadis rencontré fur pion chemin cette queftion de l'origine du mal & de l'avoir eiHeurée ; mais vous p'avez peint lu ces rabacheries , & moi ^e les ai oubliées : nous avons très- bien fait tous deux. Tout ce que je fais <sft que la facilité que je trouvois à les ré- foudre 5 venoit de l'opinion que j'ai tou- jours eu de la co-exiftence éternelle' de deux principes 5 l'un adif, quieftDieuj l'.^utre paffif^ qui eft la matière, que l'If

îre aftîf combine & modifie avec un® pleine puiiïance , mais pourtant fans Ta- voircréé & fans la pouvoir anéantir. Cet- te opinion m'a fait huer des philofophes à qui je l'ai dite: ils l'ont décidée ab- furde & contradictoire. Cela peut être, mais elle ne m'a pas paru telle , & j'y ai trouvé l'avantage d'expliquer fans peine & clairement à mon gré, tant de queftions dans lefquelles ils s'em- brouillent; entr'autres celle que vous m'avez propofée ici comime infolu- ble.

Au refte, j'ofe croire que mon fen- tîment peu pondérant fur toute autre matière, doit l'être un peu fur celle- ci; 6c quand vous connoîcrez mieux ma deftinée , quelque jour vous direz peut- ctre, en penfant à moi : quel autre a droit d'agrandir la mefure qu'il a trou- vée aux m.aux que l'homme foufFre ici- bas?

^ous attribuez à la difficulté de cette même queflion dont le fanatifme & la fuperflition ont abufé , les maux que les religions ont caufés fur la terre. Cela peut être , & je vous avoue même que toutes les formules en matière de foi ne me paroiiïent qu'autant de chaînes d'i-

Bz

y 6 Lettre

nlqiiîté, de fauiïeté, d'hypocrlfie & de tyiannie. Mais ne foyons jamais injuf- tes, & pour aggraver le mal n'ôtons pas le bien. Arracher toute croyance en Bieu du cœur des hommes , c'eft y détruire toute vertu. C'eft mon opi- nion, Monfîeur, peut-être elle eftfauîlc; mais tant que c'eft lamienne je ne ferai po^nt aflez lâche pourvousiadifïimuler.

Faire le bien eft l'occupation la plus douce d*un homme bien né. Sa probité, fa bienfaifance ne font point l'ouvrage de fes principes , mais celui de fon bon naturel. Il cède à fes penchans en pra- tiquant la juftice 5 comme le méchant cède aux (lens en pratiquant Tiniquité, Contenter le goût qui nous porte à bien faire eft bonté , mais non pas vertu.

Ce mot de vertu il gnifiQ force. Il n'y a point de vertu fans combat, il n'y en a point fans vidoire. La vertu ne conf fte pas feulement à être jufte , mais à l'être en triomphant de fes paiTions, en régnant fur fon propre coeur. Titus ren- dant heureux le peuple Romain , ver- fant par-tout les grâces &: les bienfaits, pouvoit ne pas perdre un feul jour ôç n'être pas vertueux: il le futcertaine^ m^nt en renvoyant Bérénice, Brutus

faîfant mourir fes enfans , pouvoît n'ê-* tre quejufte. MaisBrutus ét'oitun ten^* dre père; pour faire Ton devoir il dé- chira fes entrailles, & Brutusfut ver- . tueux.

Vous voyez ici d'avance la queflion remife à fon point. Ce divin fîmulacre dont vous me parlez s'ofiTe à moi fous une image qui n'eft pas ignoble , & je crois fentirà l'impreiîion que cette ima- ge fait dans mon coeur la chaleur qu'elle eft capable de produire, Mais ce fîmu- lacre enfai n'efb encore qu'une de ce.i entités métaphydques dont vous ne vou- lez pas que les hommes fe faffent des Dieux. C'eft un pur objet de contem* plation. Jufqu'où portez-vous l'efFetde cette contemplation fublime? Si vouj ne voulez qu'en tirer un nouvel en- couragement pour bien faire, je fuis d'accord avec vous : mais ce n'eft pas de cela qu'il s'agit. Suppofons votre cc£ur honnête en proie aux pallions les plus terribles , dont vous n'êtes pas à l'abri , puifqu'enfin vous êtes homme* Cette image qui dans le calme s'y peint ravillante, n'y perdra-t-elle rien de fes charmes &: ne s'y ternira-t- elle point au. milieu des flots? Ecartons la fup-

yS Lettre

pofitîon découragante & terrible de« périls qui peuvent tenter la vertu mife au dérefpoir, Suppofons feulement qu'un cœur trop fenfible brûle d'un amour involontaire pour la fille ou la femme ào fon ami, qu'il foit maître de jouir d'elle entre le Ciel qui n'en voit rien, & lui qui n'en veut rien dire à per- fonne ; que fa figure charmante l'attire ornée de tous les attraits de la beauté ■& de la volupté ; au moment ou fes lens enivrés font prêts à fe livrer à leurs délices , cette image abftraite de la vertu viendra- 1- elle difputer fon coeur à l'objet réel qui le frappe? Lui pa- roîtra-t-elle en cetinflant la plus belle? L'arrachera - t- elle des bras de celle qu'il aime pour fe livrer à la vaine con- templation d'un fantôme qu'il fait être fans réalité? Finira-t-il comme Jofeph, ^ laifTera-t-il fon manteau? Non , Mon- i'eur, il fermera les yeux & fuccom- bera. Le croyant, direz-vouSjfjccom- bera de même. Oui, l'homme foible; celui 5 par exemple qui vous écrit : mais donnez-leur à tous deux le même de- gré de force , & voyez la différence du point d'appui.

^e pioyen j^MonCeur^de réfiftef à

A M^^< 7>

des tentations violentes , quand on peut leur céder fans crainte , en fe difant , à quoi bon réfifter ? Pour être vertueux, le philofophe a befoin de Tétre aux yeux des hommes; mais fous les yeux de Dieu le jufte efl bien»fort. Il compte- cette vie 5 & fes biens de (qs maux & toute fa gloriole pour fi peu de chofe [ il apperçoit tant au-delà! force invin- cible de la vertu, nul ne te connoît que celui qui fent tout fon être, &qur

mes d'en difpofer. Li(ez-Vous quelque- fols la République de Platon? Voyez dans le fécond dialogue avec quelle éner«' gie Tami de Socrate , dont j'ai oublié Je nom, lui peint le jufte accablé des' Outrages de la fortune & des injuflices^ des hommes , diffamé , perfécuté , tour- menté, en proie à tout l'opprobre du crime , Se méritant tous les prix de la vertu, voyant déjà la mort qui s^ap- proche & fur que la haine des méchans- n'épargnera pas fa m.cmoire , quand ils- ne pourront plus rien fur fa perfonnec' Quel tableau décourageant, fi rien pou- voit décourager la vertu ! Socrate lui-' îhême effrayé s'écrie, Se croit devoir in- voquer les Dieux avant de répondre^

So Lettré

mais fans refpoir d'une autre vie , îl au- roit mal répondu pour celle-ci. Tou- tefois, dût-il finir pour nous à la mort, ce qui ne peut être fi Dieu eft jufte , & par conféquent s'il exifte , Fidée feule de cette exigence feroit encore pour l'homme un encouragement à la ver- tu & une confolation dans Tes mlfè- res , dont manque celui qui fe croyant ifolé dans cet univers , ne fent au fond de fon cœur aucun confident de (qs penfvfes. C'eft toujours une douceur dans Tadverfité d'avoir un témoin qu'on ne l'a pas méritée ; c'efl: un orgueil vrai- ment digne de la vertu de pouvoir dire à Dieu : Toi qui lis dans mon cœur , tu voîsquej'ufe en ame forte oc en homm.e jufte de la liberté que tu m'as don- née. Le vrai croyant qui fe fent par- tout fous l'œil éternel aime à s'honorer à la face du Ciel d'avoir rempli fes de- voirs fur la terre.

Vous voyez que je ne vous ai point difputé ce fimuîacre que vous m'avez préfenté pour unique objet des vertus du fage. Mais, mon cher Monfieur, revenez maintenant à vous, & voyez combien cet objet eft inalliable , incom- patible avec vos principes. Comment

fentez-vous pas que cette même loi de la nécefiîté qui feule régie, félon vous la marche du monde & tous les ëvénemens , règle aulîi toutes les ac- tions ûqs hommes , toutes les penfées de leurs têtes , tous les fentimens de leurs cœurs , que rien n'eft libre, que tout eft force 5 néceiïaire, inévitable, que tous les mouvemens de l'homme dirigés par la matière aveugle ne dé- pendent de fa volonté que parce que fa volonté même dépend de la néceiiité : qu'il n'y a par conféquentni vertus ni vices , ni mérite ni démérite , ni mo- ralité dansles adions humaines 3 &que ces mots d'honnête hom^me ou de fcé- lérat doivent être pour vous tota'ement vuides de fens. Ils ne le font pas toute- fois, j'en fuis très -fur. Votre honnête C€eur,en dépit de vos argumens, réclame contre votre trifte philofophie. Lefen- timent de la liberté, le charme de la vertu fe font fentir à vous malgré vous, cc voilà comment de toute part cette forte de lalutaire voix du fentiment in- térieur rappelle au fein de la vérité & de la vertu tout homme que fa raifoii roalconduite égare. Bén-ffez^Monfieur, cette fainte Ôc bien tailante voix qui vous

S2 E E T T R E'

ramené aux devoirs de l'homme queft philofophie à la mode finiroit par vous faire oublier. Ne vous livrez à vos argumensquequand vouslesfentez d'ac»- cord avec le didamen de votre cons- cience ; & toutes les fois que vous y fentirez de la contradidion , foyez fur* que ce font eux qui vous trompent.

Quoique je ne veuille pas ergoter' avec vous ni fuivre pied à pied vos deux lettres , je ne puis cependant me- refufer un mot à dire fur le parallèle du fage Hébreu & du fage Grec. Corn* me admirateur de Tun & de l'autre ,, je ne puis gueres être fufpeâ: de pré- jugés en parlant d'eux. Je ne vous crois> pas dans le même cas. Je fuis peu fur- pris que vous donniez au fécond tout l'avantage. Vous n'avez pas aiïez fait connoifTance avec l'autre, & vous n'a- vez pas pris afTez de foin pour déga-- gerce quieflvraiment à lui, de ce qui lui eft étranger 5 & qui le défigure à^ vos yeux, comme à ceux de bien d'au- tres gens qui, félon moi, n*y ont pas- regardé de plus presque vous. Si Jéfus^ fôt à Athènes & Socrate à- Jéru- fâlem , que Platon &Xénophon euflent- ccxit la vk du premier,. Luc èi^M^^

î'hleu celle de l'autre, vous changeriez beaucoup de langage, & ce qui luî^ fait tort dans votre elprit , eft préci- fément ce qui rend Ton élévation d'a- me plus étonnante & plus admirable-», favoir, fa- naiflance en Judée chez le plus vil peuple qui peut-être" exiflât' alors 5 au lieu que Socrate, chez le- plus inftruit & le plus aimable , trou- va tous les fecours dont il avoit be- foin pour s'élever aifément au ton qu'iP prit. Il s'éleva contre les Sophiftes corn-- me Jéfus contre les Prêtres , avec cette différence que Socrate imita fouvent^ fes antagoniftes, & que (i fa belle 6c douce mort n'eût honoré fa vie , il eût paiTé pour unSophiftecommeeux. Pour Jéfus, le vol fublime que prit fa grande ame réleva toujours au-deflus'de tous les mortels, & depuis l'âge de douze ans jufqu'au moment qu'il expira dans la plus cruelle ainfi que dans la plus in- iilme de toutes les morts, il ne fe dé- mentit pas un moment. Son noble pro- jet étoit de relever fon peuple , d'eri- fâire de rechef un peuple libre & di- gne de l'être; car c'étoit par-là qu'il falloit commencer. L'étude proFonde- qM*il fit de la loi de M-oife , fes efforts?

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«4 L r T T R i:

peur en réveiller i'enîhojfîafmeSrri^ mour dans les cœurs montrèrent (on but, autant qu'il étoit poiljble, pour ne pis eifiroucher les Romiins. Mais les vils &: lâches compatriotes au lieu ce^ l'écouter le prirent en haine , précilé- icenr à eau Te de (on génie ^ de ii verra qui lejr reprochoient leur indi^niré, Ênhn , ce ne tut qu*après avoir vu Fini- potUbilité d exécuter Ion projet qu'il re- tendit dans fa tête , & que , ne pouvant faire par lui rr.éme une révolution chez foR peuple , il voulut en luire une par [es^ difciplesdansPunivers-Cequirempècha de réuiCrdans Ion premier plan, outre la baileire de fon peupleincarable déroute venj. fut la trop grande douceur de ion propre caraâ:ere; douceur qui tient plus de l'Ange Se du Dieu qu de l'homme, qui ne l'abandonna pas un inf^ant . me- me fur la croix, & qui fait verfer à^s torrens de larmes à qui fait lire fa vie comme il faut , à travers les fitras dont ces pauvres gens l'ont déhgurée»Heu- reufement ils ont refpecté & tranfcrit iîdelement fes difcours qu'ils n'enîen- doîent pas; otez quelques tours orien- taux ou mal rendus, on n'yvoitpssua cot ^uias foi: dl^e de loi, oc c'efl-

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qu'on reconnoitThomme divin, qui, de lix piètres ditciples, a fait pourtant dans leurgrofluer mais fier enthouGalme, C^s hommes éloauens &: courasretîT.

Vous m'objectez qa'il a fiic des mi- racles. Cette oL>-€viian ferok terrible fi elle étoit jiifte. Mais vous favez , Monfieur , ou da moins vous pour- riez lavoir que, félon moi, loin que Jéfus ait fait des miracles , il a déclaré très-poiîtivecnen:qj''il n'en ieroît point , &: a marqué un très-grand mépris po'^r ceux qui en demandaient.

Que de chofes me relLcroient à dire ! Mais cette Lettre énorme. Il taut finir. Voici la dernière fois que je reviendrai fur ces matières. J*ai voulu vous com- plaire, Moniiear , je ne m'en repens point; au contraire, îe vous remercie de m'avoir fait reprendre un fil d'idées prefque eâfàcées, m^is dont les reftes peuvent avoir pour moi leur ufage dans l'état je (uis.

Adieu , Monfieur , fouvenez - vous quelquefois d'un homme que vous au- riez aimé, je m'en S^tte , quand vous l'auriez miieax connu, &; qui s'cil: oc- cupé de vo^is dans des momens i'oa iî5 j'occupe gueies '^ue de foi-dcxc

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^4 Lettre

pour en réveiller renthoufiafme &ra^ mour dans les cœurs montrèrent foîî but, autant qu'il étoit poffible, pour ne pas eifaroucher ]qs Romains. Mais fes vils & lâches compatriotes au lieu de l'écouter le prirent en haine , précifé- ment à caufe de Ton génie & de h vertu qui leur reprochoient leur indignité. Enfin 5 cène fut qu'après avoir vu l'im- poiTibilité d exécuter Ton projet qu'il re- tendit dans fa tête , & que , ne pouvant faire par lui même une révolution chez fon peuple , il voulut en faire une par fes difciples dans l'unlvers.Ce qui l'empêcha de réuiîir dans fon premier plan, outre la baflefTe de fon peupleincapable detoute vertu, fut la trop grande douceur de fon propre caraélere; douceur qui tient plus de l'Ange & du Dieu qu de l'homme^ qui ne l'abandonna pas un inffant , mê- me fur la croix. Se qui fait verfer des torrens de larmes à qui fait lire fa vie comme il faut , à travers les fitras dont ces pauvres gens l'ont défigurée, Heu- reufement ils ont refpeété &: tranfcrit fidèlement (es difcours qu'ils n'enten- doient pas; ôtez quelques tours orien- taux ou mal rendus, on n'y voit pas urï inot qui ne foit digne de lui, de c'efl-

qu'on reconnoîtrhomme divin, quî, de fix piètres ditciples , a fait pourtant dans leur grolTler mais tierenthoufîafm?, Ôqs hommes éloquens & courageux.

Vous m'objeclez qu*ii a fait des mi- racles. Cette o'ojedion feroit terrible elle étoit jufte. Mais vous favez,' Monfieur , ou du moins vous pour- riez favoir que, félon moi, loin que Jéfus ait fait des miracles , il a déclaré très-pofitivement qu'il n'en feroit point , èc a marqué un très-grand mépris pouc ceux qui en demandoient.

Que de chofes me refteroient à dire l Mais cette Lettre énorme. Il faut finir. Voici la dernière fois que je reviendrai fur ces matières. J'ai voulu vous com- plaire, Monfieur, Je ne m'en repens point; au contraire, je vous remercie de m'avoir fait reprendre un fil d'idées prefque effacées, mais dont les relies peuvent avoir pour m.oi leur ufage dans Tétat oià je fuis.

Adieu, Monfieur, fouvenez- vous quelquefois d'un homme que vous au- riez aimé, je m'en flatte, quand vous l'auriez mieux connu, & qui s'^eft oc- cupé de vous dans des momens oià Ton RQ ^'occupe gueres que de foi -même.

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L E f T R IT

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LETTRE

A M D'OFFREFILLE\

A DOUA I.

Siir cétîfe queftion ; S'il y a uns mo- raU cLmonirrdc , qu s il n'y en a points

Montmorency, 4 Odobre 1761-.

L

A queftion que vous me propofez',? JVIonfiear, dans votre lettre du i y Sep- tembre , eu importante & grave ; c'eft- de fa folution qu'il dépend de favoir' s'il y a une morale dém.ontrée ou s'il n'y en a point.

Votre adverfaire foutient que tout^ homme n'agit , quoi qu'il fafTe , que re- lativement à lui-même, & que jufqu'aux^ aâ:es de vertu les plus fublimes , juf- qu'aux œuvres de charité les plus pu-- l'es, chacun rapporte tout à foi.

Vous, Monfieur , vous penfez qu'on'- Ào\t faire le bien pour le^ bien même- fans aucun retour d'intérêt perfonnel ^ ^e les bonnes œuvre? ^u'on rapporce-

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A M. D*OFFRKVrrLE. S^

â fol ne font plus des aéles de vertu mais d'amour - propre ; vous ajoutez que nos aumônes Tont fans mérite , ff nous ne les faifons que par vanité ou- dans la vue d'écarter de notre efprit ridée des miferes de la vie humaine ;>. êc en cela vous avez raifon.

Mais furie fond de la queflionjje dois vous avouer que je fuis de l'avis- de votre adverfairercar quand nousagK- fons, il faut que nous ayons un motiÉ pour agir, 6: ce motif ne peut être étranger à nous, puifque c'eft: nous^ qu'il met en œuvre : il efl abfurde d'i* maginer qu'étant moi , j'agirai comme j'étois un autre. N'eft-ilpas vrai que fv Ton vous difoit qu'un corps eft poudé fans que rien le touche , vous diriez que cela n'eft pas concevable? C'eft la même chofe en morale quand on^ croit agir fans nul intérêt.

Mais il faut expliquer ce mot d'in-- îérêt; car vous pourriez lui donner tel fens vous & votre adverfaire que vous feriez d'accord fans vous entendre , Su lui-même pourroit lui en donner un fii grofîîer qu'alors ce f&roit vous qui au-' pie 2 raifon,-

B y ^ un intérêt fenfuelac paipaW^J

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iS Lettre"

L E T T R E

'JM. D'OFFRÈVILLE^

A DOUA I.

Sur cêtfe que (lion v S^il y a une mo-^ raU d^mQnt.rcc , ou iU n'y en a point*'

Montmorency , 4 Octobre 1761.

L

A queftion que vous me propofez^,? Monfieur, dans votre lettre du ly Sep- tembre , eu importante & grave : c'eft- de fa folution qu'il dépend de favoir s*il y a une morale démontrée ou s'il n'y en a point.

Votre adverfaire foutient que tout^ îiomme n'agit , quoi qu'il fafTe , que re- lativement à lui-même, & que jufqu'aux- adles de vertu les plus iublimes , juf- qu'aux oeuvres de charité les plus pu-- ïes, chacun rapporte tout à foi.

Vous, Monfieur , vous penfez qu'on- <loit faire le bien pour le bien même fans aucun retour d'intérêt perfonnel ^ g^e les bonnes œuvre? ^u on rapporc^'

M. D*OFFREvmE. Sf

I fol ne font plus des ades de vertu mais d'amour - propre ; vous ajoutez que nos aumônes font fans mérite , nous ne les faifons que par vanité ou- dans la vue d'écarter de notre efprit ridée d^s miferes de la vie humaine^ & en cela vous avez raifon.

Mais furie fond de la queftionjje- dois vous avouer que je fuis de l'avis- de votre adverfaire:car quand nousagif- fons, il faut que nous ayons un motiÉ pour agir, ÔJ ce motif ne peut être étranger à nous, puifque c'efi: nous^ qu'il met en œuvre : il eft abfurde d'i- maginer qu'étant moi , j'agirai comme li j'étois un autre» N'eft-il pas vrai que fi- l'on vous difoit qu'un corps efl: poulie fans que rien le touche , vous diriez que cela n'eft pas concevable? C'eft îa même chofe en morale quand orv croit agir fans nul intérêt.

Mais il faut expliquer ce mot d'In-- îerêt; car vous pourriez lui donner tel fens vous & votre adverfaire que vous- feriez d'accord fans vous entendre, ôc lui-même pourroit lui en donner un fiï grofîîer qu'alors ce feroit vous qui au-- piez raifon.'

E y ^ un intérêt fenfueiac pa]pai>fe

%S Lettre

qui fe rapporte uniquement à notr^ bien-être matériel, à la fortune, à la confidératiori , aux biens phyliques qui peuvent réfuîter pour nous de la bonne opinion d'autrui. Tout ce qu*on fait pour un tel intérêt ne produit qu'un bien du même ordre, comme un mar- chand fait Ton bien en vendant fa mar- chandife le mieux qu'il peut. Si j'oblige un autre homme en vue de m'acqué- rir des droits fur fa reconnoifTance, je ne fuis en cela qu'un marchand qui fait le commerce , & même qui rufe avec l'acheteur. Si je fais l'aumône pour me faire eftimer charitable & jouir des avantages attachés à cette eftime, je ne fuis encore qu'un marchand qui acheté de la réputation. Il en efl à- peu-près de mcTe, fi je ne fiis cette aumône que pour me délivrer de l'im- portunité d'un gueux ou du fpectacle de fa mâfere; tous les acles de cette efpece qui ont en vue un avantage ex- térieur ne peuvent porter le nom de bonnes adions , & l'on ne dit pas d'un marchand qui a bien fait fss affaires, qu'il s'y efi; comporté vertueufement* Il y a un autre intérêt qui ne tient poiHt aujc avantages de la focicté, qui

A M. d*Offreville. 2^

n'eft relatif qu'à nous-mêmes, 'au bien de notre ame , à notre bien-ctre abrdu , êi. que pour cela j'appelle intérêt fpi^ rituel ou moral par oppofition au pre- mier. Intérêt qui , pour n'avoir pas des objets fenfibles 5 matériels, n'en eft pas moins vrai, pas moins grand , pas moins folide , de pour tout dire en un mot, le feul qui tenant intimernent à notre nature, tende à notre véritable bonheur. Voilà , Monfieur, l'intérêt que la vertu fe propofe Se qu'elle doit fe propofer, fans rien ôter au m.érite, à la pureté ,3 la bonté morale des ac- tions qu'elle infpire.

Premièrement , dans le fvftéme de la religion, c'eil-à-dire , des peines &: àts récompenfes de l'autre vie , vous voyez que l'intérêt de plaire à l'Au- teur de notre être & au juge fuprême de nos aélîons , eft d'une imDortance qui l'emporte fur les plus grands maux , qui fait voler au martyre les vrais croyans, & en même tems d'une pu- reté qui peut ennoblir les plus fjbii- mes devoirs. La loi de bien faire eil tirée de la maifon même , &: le chré- tien n'a befoin que de logique pout avoir de la vertu.

t E T T R s

Maïs' outre cet intérêt qu'on peut regarder en quelque façon comme étran- ger à la chofe, comme n^y tenant que par une expreiïe volonté de Dieu ^ vous me demanderez peut - être s'il y a quelque autre intérêt lié plus immédiatement, plus néceilairement à la vertu par fa nature , & qui doive nous la faire aimer uniquement pour elle-même. Ceci tient à d'autres queflions dont la difcuffion pafTe les bornes d'une lettre, & dont par cette- faifon je ne tenterai pas ici l'examen.. Comme, fi nous avons un amour na- turel pour l'ordre , pour le beau mo- ral 5 fi cet amour peut être affez vif par lui-même pour primer fur toutes noS' pafîions, fi la confcienee efl: innée dans le cœur de l'homme , ou fi elle n'efi: que l'ouvrage des préjugés & de l'é- ducation : car en ce dernier cas il eft clair que nul n'ayant en foi-même au- cun intérêt à bien faire , ne peut faire aucun bien que par le profit qu'il en attend d'autrui , qu'il n'y a par confé- quent que des fots qui croyent à la vertu & des dupes qui la pratiquent; t^Vie eft la nouvelle philofophie.

Sans m'embarquer ici dans cette mê-

À M. d'Ofpkeville, ^t

taphyfique qui nous meneroit trop loin y je me contenterai de vous propofec un fait que vous pourrez mettre en queftion avec votre adverfaire, & qui, bien difcuté , vous inilruira peut- être mieux de les vrais fentimens que vous ne pourriez vous en inftruire ea reftant dans la généralité de votre thefe»

En Angleterre quand un homme eft accufé criminellement, douze jurés, enfermés dans une chambre pour opi- ner fur Texamen de la procédure s'il eft coupable ou s'il ne l'eft pas, ne for-- tent plus de cette chambre èc n'y re- çoivent point à manger qu'ils ne loienf tous d'accord , en forte que leur ju- gement eft toujours unanime , & dé-' cifif fur le fort de l'accufé.

Dans une de ces délibérations les preu- ves paroifîant convaincantes, onze des^ jurés le condamnèrent fans balancer ;; mais le douziem^e s'obiiina tellement, à Tabfoudre fans vouloir alléguer d'au- tre raifon, finon qu'il le croyoit inno- cent, que voyant ce juré déterminé à mourir de faim plutôt que d'être de leur avis, tous les autres pour ne pas s'expofer au même fort revinrent au fien^ &. l'accufé fut renvoyé abfous*»

Lettre

L'affaire finie, quel]ues-uns des ju- rés prefferent en fecret leur collègue de leur dire la raiibn de Ton obftina- tion , & ils lurent enfin que c'étoit lui- même qui avoit fait le coup dont Tau- tre étoit accufé ; & qu'il avoit eu moins d'horreur de la mort que de taire pé- rir l'innocent, chargé de Ton propre crime.

Propofez le cas à votre homme , & ne manquez pas d'examiner avec lui l'état de ce juré dans toutes [qs cir- conftances. Ce n'étoit point un homme jufte , puifqu'il avoir commis un crime , &c dans cette affaire renthoufiafine de la vertu ne pouvoit point lui élever le cœur, & lui faire miéprifer la vie. Il avoit l'intérêt le plus réel à con- damner l'accufé pour enfevelir avec lui l'imputation du forfait ; il devoit craindre que fon invincible obfiination Fi'en fit foupçonner la véritable caufe, & ne fut un commencement d'indice contre lui : la prudence ^ le foin de fa fureté demandoient , ce femble, qu'il fît ce qu'il ne fit pas , & Ton ne voie aucun intérêt fenfible qui dût le porter à faire ce qu'il fit. Il n'y avoit cependant qu'un intérêt très - puifTant

A M. d'Offreville. cj

quî pût le déterminer ainfi dans le ft- cret de Ton cœur, à toutes fortes de riique; quel étoit donc cet intérêt au- quel il facrifioit fa vie même?

S'infcrire en faux contre le fa*t fe- roit prendre une mauvaife défaite; car on peut toujours l'établir par fuppo- fition, & chercher, tout intérêt étran- ger mis à part, ce que feroit en pareil cas pour l'intérêt de lui-même tout homme de bon fens, qui ne feroit ni vertueux, ni fcélérat.

Pofant fjcceflivement les deux cas, l'un que le juré ait prononcé la con- damnation de Taccufé Se Tait fait périr pour fe mettre en fureté, l'autre qu'il l'ait abfous , comme il fit, à fes pro- pres rifques, puis fuivant dans les deux cas le refte de la vie du juré & la probabilité du fort qu'il fe feroit pré- paré , prefTez votre homme de pronon- cer décifivement fur cette conduite , & d'expofer nettement de part ou d'au- tre l'intérêt Se les motifs du parti qu'il auroit choifi ; alors fi votre dispute n'efl: pas finie , vous connoîtrez du moins vous vous entendez l'un l'autre, ou vous ne vous entendez pas.

Que s'il difcingue entre l'intérêt d\i«

Ç^ L E T T K E

crime à commettre ou à ne pas cofll*' mettre , &: celui d'une bonne adion à faire ou à ne pas faire, vous lui ferez voir aifément que dans Thypothefe la raifon de s'abilenir d'un crime avan- tageux qu'on peut commettre impu- nément, efl: du mémie genre que celle de faire entre le ciel & foi une bonne .adion onéreufe ; car, outre que quelque bien que nous puilîions faire, en cela nous ne fommes que juftes , on ne peut avoir nul intérêt en foi-même à ne pas faire le mal qu'on n'ait un intérêt fem- blable à faire le bien ; l'un & l'autre dérivent de la même fource & ne peu-, vent être féparés.

Sur- tout, Monfieur,fongez qu'il ne faut point outrer les chofes au-de-là de îa vérité, ni confondre comme faifoient les Stoïciens , le bonheur avec la vertu» Il eft certain que faire le bien pour le bien c'eft le faire pour foi, pour no- tre propre intérêt, puifqu'il donne à l'ame une fatisfadlion intérieure, un contentement d'elle-même fans lequel il n'y a point de vrai bonheur. Il eft fur encore que les méchans font tous miférables, quel que foit leur fort ap- parent 5 parce que le bonheur s'empoi-

À M. d'Offrevillî. ^f

'ibnne dans une ame corrorrpue comme •le plaifir des (er>s dans un corps mal fain. Mais il efl: faux que les bons foient tous heureux dès ce monde; & comme il ne luffit pas au corps d'être en fanté pour avoir de quoi le nourrir , il ne iufiit pas non plus à Tame d'être faine pour obtenir tous les biens dont elle a befoin, <2'^oiqu*il n'y ait que les gens de bien qui puiflent vivre con- tenSjCen'eftpas à dire que tout hom^me de bien vive content. La vertu ne donne pas le boftheur, mais elle feule apprend à en jouir quand on i*a : la v^rtu ne ga- rantit pas des maux de cette vie ôc n'en procure pas les biens ; c'efl: ce que ne fait pas non plus le vice avtc tou- tes fes rufes; mais la vertu fait porter plus patiemment les uns & goûter plus déiicieufement les autres. Nous avons donc en tout état de caufe un vérita- ble intérêt à la cultiver, & nous fai- fons bien de travailler pour cet inté- rêt, quoiqu'il y ait des cas il feroit infuffifant par lui-même, fans l'attente d'une vie à venir. Voilà mon fentiment fur la queftion que vous m'avez pro- |)ofée.

En vous remerciant du bien que

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VOUS penfez de moi, je vous confeîlîe pourtant, Monfieur, de ne plus per- dre votre tems à me défendre ou à me louer. Tout le bien ou le mal qu'on dit d'un homme qu'on ne con- noît point ne fignifie pas grand'chofe. Si ceux qui m'accufent ont tort, c'eft à ma conduite à me jufiifier; toute autre apologie efl: inutile ou fuperflue. J'aurois vous répondre plutôt; mais le trifte état je vis doit excufer ce retard. Dans le peu d'intervalle que mes maux me lailTent, mes occupa- tions ne font pas de mon choix, & je vous avoue que quand elles en fe- roient , ce choix ne feroit pas d'écrire àQS lettres. Je ne réponds point à celles de complimens, & je ne répondrois pas non plus à la vôtre , fi la que(^ tion que vous m'y propofez ne me faifoit un devoir de vous en dire mon avis»

Je vous falue, Monfieur^ de tout snon cccur.

LETTRE

5?

L E T 1' R E

^£/ PRINCE LOUIS DE WIRTEMBERG.

Motiers ^ le lo Novembre 17^3.

S

I j'avois le malheur d'être Prince, d'être enchaîné par les convenancç^s de mon état; que je fufTe contraint d'a- voir un train, une fuite, des domefti- ques, c'eft-à cire, dts maîtres; &: que pourtant j'euiïe une ame ailez élevée pour vouloir être homme malgré mon rang , pour vouloir remplir les grands devoirs de père, de mari, de citoven de la république humaine ; je fentirois bientôt les difficultés de concilier tout cela, celle fur-tout d^élever mes en* fans pour l'état les plaça la nature» €n dépit de celui qu'ils ont parmi leurs égaux.

Je commenceroîs donc par me dire; il ne faut pas vouloir des ch ofes con- tradidoires; il ne faut pas vouloir être & n'être pas. La difficulté que je veux

5>S Lettre au Prince

vaincre eft inhérente à la chofe; Tetat de la chofe ne peut, changer , il faut que la difficulté refte. Je dois fentir que je n'obtiendrai pas tout ce que je veux : mais n'importe, ne nous décou- rageons point. De tout ce qui ed bien , je ferai tout ce qui e(l pollible, mon 2ele & ma vertu m'en répondent; une partie de la fageile eft de porter le joug de la nécellué : quand le fage fait le relie il a tout fait. Voilà ce que je me dirois fi j'étois Prince. Après cela, j'irois en avant fans me rebuter , fans Tien craindre; de quel que fut mon fuccès, ayant fait ainfi je ferois con- tent de moi. Je ne crois pas que j'eulFe tort de rétre.

Il £iut , Moniteur le Duc , commen- cer par vous bien mettre dans i'efprit, qu'il n'y a point d'oeil paternel que celui d'un père, ni d'œil maternel que celui d'une m^^re. Je voudrois employer vingt rames de papier à vous répéter ces deux ligne?, tant je fuis convaincu que tout en dépend.

Vous êtes Prince 5 rarement pourrez- vous être père , vous aurez trop d'au- tres foins à remplir : il faudra donc que d'ôuties rempliiîent les vôtres, ftUdàmê

BE WiRTEMBERG. p^

la Duché (Te fera dans le mcme cas à- peu-près.

De-là fuît cette première règle. Faî- tes en forte que votre enfant foit cher à quelqu*un.

Il convient que ce quelqu'un foît de fon fexe. L'âge efl: très -difficile à déterminer. Par d importantes raifons il la faudroit jeune. Mais une jeune perfonne a bien d'autres foins en tête que de veiller jour & nuit fur un en- fent. Ceci eft un inconvénient inévi- table & déterminant.

Ne la prenez donc pas jeune, ni belle, par conféquent; car ce feroit encore pis. Jeune , c*efl elle que vous aurez à craindre : belle , c'eft tout ce qui l'approchera.

Il vaut mieux qu'elle foit veuve que fille. Mais fi elle a des enfans , qu'aur cun d'eux ne foit autour d'elle , Ôc que, tous dépendent de vous.

Point de temmesà grands fentimens, encore moins de bel efprit. Qu'elle ait ailez d'efprit pour vous bien entendre , non pour rafiner fur vos infl;ru(!ii:ions.

Il importe qu'elle ne foit pas trop fa- cile à vivre, & il n'importe pas qu'elle foie libérale. Au contraire, il la faut

îOO Lettke au Prince

^ rangée , attentive à Ces intérêts. Il eft "împoilible de ioumettie un prodigoe à la r€g!e ; on tient les avares par leur propre défau-t.

Point d'étourdie ni d'évaporée; ou- tre le mal de la chofe il y a encore ce- lui de rhumeur , car toutes les folles Asn ont 5 &: rien n'eft plus à craindre que rhumeur ; par la même raifon les gens vifs , quoique plus aimables , me font fufpeârs, à cauie deTemportement. Comm.e nous ne trouverons pas une femm.e parfaite , il ne faut pas tout exi- ger : ici la douceur eft de précepte ^ mai$ pourvu que la railon la donne ^ elle peut n*étre pas dans le tempérament. Je Taime auflî mieux égale Se froide ^qu'accueillante & capricieufe. En tou- tes .chofes préférez un caraâ:ere fur à un caraélere brillant. Cette dernière ^qualité eft même un inconvénient pour notre objet ; une perfonne faite pour erre au-defTus des autres peut être gâ- tée par le mérite de ceux qui l'élevent. Elle en exige enfuite autant de tout le monde 5 & cela la rend injufte avec îes inférieurs.

- Du refte ne cherchez dans fon efprît p.yçyae culture j il fe farde en étudiant^

6e Wirtemberg. îoï

èc c«ft tout. Elle fe dcguifera fi elle fait; vous la connoîtrez bien mieux fi elle efl ignorante : dût-elle ne pas la- voir lire 5 tant mieux , elle apprendra avec Ton Elevé. La feule qualité d'ef- prit qu'il faut exiger , c'eft un fens droit.

Je ne parle point ici des qualités du: cœur ni des moeurs, qui fe fuppofentj parce qu'on fe contrefait là-de(fus. On- lî'eft pas a en garde fur îe refte du ca- racftere , & c'eft par - que de bons yeux jugent de tout. Tout ceci deman-- deroir peut-être de plus grands détails; mais ce n'eft pas mamtenanf de quoi il s'agit.

Je dis , & c'efï ma première règle ^ qu'il faut que l'enfant foit cher àcetto perfonne-là. Mais comment faire ?

Vous ne lui ferez point aimer l'en- fant en lui difant de l'aimer; & avant" que l'habitude ait fait naître l'attache- ment 5 on s'amufe quelquefois avec les autres enfans , mais on n'aime que les- fiens.

Ellepourroit l'aimer, elle aimoît- k père ou la mère ; mais dans votre rang, on n'a point d'amis, & jamais- dans quelque rang que ce puilTe être ^^

102 Lettre au Psince

on n'a pour amis hs gens qui dépen- dent de nous.

Or l'aifeccion qui ne naît pas du fen- tîment , d'où peut-elle naître , (i ce n'efl de l'intérêt ?

Ici vient une réflexion que le con- cours de mille autres confirme, c'cu que les difficultés que vous ne pouvez ôter de votre condition , vous ne les éluderez qu'à force de dépenfe.

Mais n'a'lez pas croire, comme les autres 5 que l'argent fait tout par lui- même 5 éc que pourvu qu'on paye on eftfervi.Ce n'ellpas cela.

Je ne connois rien de Ci difficile quand on efl riche, que de faire ufai^^e de fa richelTe pour aller à Tes nns. L'argent ed un reiïbrt dans la mécanique mo- rale, mais il repouffe toujours la miain qui le fait agir. Faifons quelques ob- fèrvarions néceiïaires pour notre objet.

Nous voulons que l'enfant foit cher à fa gouvernante. Il faut pour cela que le fort de la gouvernante loit lié à celui de l'enfant. Une fautpas qu'elle dépende feulement des foins qu'elle lui rendra, tant parce qu'on n'aime gueres les gens qu'on ftrt, que parce que les foins

payés ne font qu'apparens, les foins réels le négligent ; & nous cherchons ici des foins réels.

Il faut qu'elle dépende non de Ces foins , mais de leur luccès, & que fa fortune foit attachée à l'effet de l'édu- cation qu'elle aura donnée. Alors feu- lement elle fe verra dans fon Elevé & s'affeâ:ionnera néceirairement à elle ; elle ne lui rendra pas un fervice de parade & de montre , mais un fervice réel; ou Dlutôt enlafervant, elle ne fervira qu'elle-même , elle ne travaillera que pour foi.

Mais qui fera juge de ce fuccès? La foi d*un père équitable , de dont la probité eftbien établie , doitluifirs ; la probité eft un inftrument fur dans les affaires, pourvu qu'il foit joint au dif- cernement.

Le père peut mourir. Le jugement des femmes n'eft pas reconnu aiïez fur, de Tamour maternel efl aveugle. Si la mère étoit établie un juge au défaut du père , ou la gouvernante ne s'y fieroit pas, ou elle s'occuperoit plus à plaire a la mère qu'à bien élever l'enfant.

Je ne m'étendrai pas fur le choix deS juges de l'éducation. Il faudroit pou^*

E 4

i04 Lettre au Pkince

cela des connoilTances particulières re- latives aux perfonnes. Ce qui importe efTentieliement 5 c'eft que la gouver- nante ait la plus entière confiance dans rintégrité du jugement , qu'elle foit per- fuadée qu'on ne la privera point du prix de Tes foins , fi elle a réuiîi , & que quoi qu'elle puifTe dire, elle ne l'ob- tiendra pas dans le cas contraire. ne faut jamais qu'elle oublie que ce n'efè pas à fa peine que ce prix fera dû, mais au fuccès.

Je fais bien que , foit qu^elle ait fait fon devoir ou non , ce prix ne fauroit lui manquer. Je ne fuis pasaffezfou, moi qui connois les hommes, pourm'i- maginer que ces juges , quels qu'ils foient, iront déclarer folemnellement qu'une jeune Princeffe de quinze à vingt ans a été mal élevée. Mais cette ré- flexion que je fais-là, la Bonne ne la fera pas; quand elle la feroit , elle ne s'y fie- roit pas tellement qu'elle en négligeât des devoirs dont dépend fon iort , fa fortune , fon exiftence. Et ce qu'il im- porte ici n'eft pas que la récompenfe foit bien adminiftrée, mais l'éducation qui doit l'obtenir.

Comme la raifon nue a peu de force ^

fîntérêtfeuln'en a pas tant qu'on croit. L'imagination feule efl adive. C'efl ime palHon que nous voulons donner à la gouvernante, & l'on n'excite les paf- lîons que par l'imagination. Une récom- penfe promife en argent eft très puiG«' lante , mais la moitié de fa force fe perd dans le lointain de Tavenir.- On corn-' pare de fang-froid l'intervalle &: l'ar- gent , on compenfe le rifque avec laf ~ fortune , & le cœur refte tiède. Eten- dez, pour ainfi dire, l'avenir fous les fens y afin de lui donner plus de prife*' Préfentez-le fous des faces qui le rap-*- proche , qui flattent Tefpoir & fe'dul-^ fent Tefprit. On fe perdroit dans la mul-^ titude de fuppofitions qu'il faudroit parcourir 5 félon les tenis, les lieux, les caraderes. Un exemple eft un cas dont on peut tirer Tinduâion pourcenl mille autres,-

Ai-je affaire àuncaradere pairible.,^ aimant l'indépendance & le repos? Je" mené promener cette perfonne daas- une campagne ; elle voit dans une jolie iituation une petite maifon bien ornée ^ une bafle cour , un jardin , des terres^ pour l'entretien du maître , lessag ré-' 0i«ns qui peuvent lui en faire arrr.srl-s

■îc'o Lettre au ParK'eB

féjour. Je vois ma gouvernante encîian* tée; on s'approprie toujours par lacon* voitife ce qui convient à notre bon- heur. Au f)rt de Ton enthojfiafme, je la prends à part; je lui dis : Elevez ma fille à ma fanraîfie ; tout ce que vous voyez eft à vous. Et afin qu'elle ne- prenne pas ceci pour un mot en Pair, j'en paffc l'a^flj conditionnel; elle n'aura pas un dégoût dans (es fondions , fur lequel Ton imagination n'applique cette maifon pour emplâtre.

Encore un coup, ceci n'efl qu*arï exemple.

Si la longueur du tems épurfe & fa- tÎ2:ue l'imagination , Ton peut partager refpace & la récompenfe en plufieurs termes, &r même à '^lu^eurs perfonnes : je ne vois ni difficulté, ni inconvénient ^ cela. Si dans fix ans mon enfant efè ainf], vou^ aurez telle eh ife. Le terme venu 5 fi la conditTon eft remplie, on tient parole, & l'on efl libre de deux côtés.

Bien d'autres avantages découleront de l'expédient que je propofe, mais je ne peux ni" ne dois tout dire. L'enfant aimera fa gouvernante, fur tout fi elle eft d'abord févere ^ & que l'entant

•DE WiRTEMBEPvG. T07

foit pas encore gâté. L'effet de Miibi- tilde eft naturel &: fur ; jamais 11 n'a man- quéqiie par lafaute desçuides.'D'ailleurs la juftice a fa mefureSc fa règle exatfle; au lieu que la complailance qui n'en a point, rend les enfans toujours exigeans & tou- jours mécontens. Uenùnt donc qui ai- me fa Bonne, lait que le (ort de cette Bonne ei\ dans le fuccès de (qs foins, jugez de ce que fera l'enfant à me- fure que fori intelligence & fon cœac fe formeront.

Parvenue à certain âge, la petît3 (ille efl: capricieufe ou mutine. Suppofons un moment critique, important , oui elle ne veut rien entendre ; ce moment viendra bien rarement , on fent pour- quoi. Dans ce m'^mentfûcheux la Bonne manque de reiTource. Alors elle s'at- tendrit en regardant fon Elevé 3c lui dit. Cen e(î donc fait'^ tu m^oies le pain de maviti /iffè,

- Je fuppoie que la fille d'un tel per^ ne fera pas un monftre ; cela éta .t , l'effet de ce mot efl: fur ; mais il ne faut pas qu'il foit dit deux fois.

On peut faire en forte que la petite fe le dife à toute heure , & voilà d'où naiffent mille biens à la fois. Quoi qu'il

E 0

ro? Lettre au TEmcs

en foit 5 croyez- vous qu'une femme quf: pourra parler alnfi à Ton Elevé ne s'af- fedionnera pas à elle ? On s'afreétionne: aux gens fur la tête defquels on a mis des fonds;, c'eft le mouvement de la nature , & un mouvement non moins naturel eft de s'affectionner à (on pro- pre ouvrage , fur tout quand on en at- tend fon bonheur. Voilà donc notre pre- mière recette accomplie.

Seconde règle.

Il faut que la Bonne ait fa conduite- toute tracée de une pleine confiance <ians le fuccès.

Le mémoire inftrudif qu'il faut lur donner eft une pièce très-importante. Il faut qu'elle l'étudié fans cefre,ilfaut' qu'elle le fâche par cœur, mieux qu'un AmbafTadcur ne doit favoir fes inftruc- tions. Ma'sce qui eft plus important en-- core, c'eft qu'elle foitparfaitement con- vaincue qu'il n'y a point d'autre route pour aller au but qu'on lui marque & pat conféquent au lien.

Il ne faut pas pour cela lui donner d'abord le mémoire. Il fautlui dire pre-* mierement ce que vous voulez faire ;. lui montrer l'état de corps & d'ame oh' yoMSQxigQZ qu'elle mette votre enfanter

defTus toute dilpute ou obj^étion de la part eft inutile : vous n'avez point deraifons à lui rendre de votre voL^nté. Mais il faut lui prouver que la chofe eft faiiable , & qu'elle ne Teft que pat les moyens que vous propofez ; c'eft fur cela qu'il faut beaucoup railonner avec elle ; ii faut lui dire vos raifons clairement, fimplement, au long, en termes à fa portée. Il faut écouter (es réponfes , fes fentimens , fes objeâ:ions, ks difcuter à loifir enfemble , non pas- tant pour ces objeâions mêmes, qut probablement feront fuperficielles j que' pour faifir l'occafîon de bien lire dans fon efprit, de la bien convaincre que- les moyens que vous indiquez font les feuls propres à réuflir. Il faut s'aiïurer que de tout point elle eft convaincue- non en paroles mais intérieurement,' Alors feulem,ent il faut lui donner le- mémoire, le lire avec elle, l'examiner j». l'éclaircir , le corriger peut- être , & s'aP- furer qu'elle l'entend parfaitement.

Il (arviendra fou vent durant Tédu^ cation descirconftances imprévues ifou*** vent les chofes prefcrites ne tourneront- pas comme on avoit cru : les éîém.ens^ ftéççjflàire^ pour réfoudre \^ problê-f

iîo Lettre au PRibrCf

mes moraux font en très- grand noni'* bre , & un feul omis rend la folution fau/Te. Cela demandera des conférence^ fréquentes 5 des difcullions, deséclair- cifTcmens auxquels il ne faut jamais fe reiufer, & qu'il faut mémerendre agréa- bles à la gouvernante par le plaifir avec lequel on s*y prêtera. C'eft encore un fort bon moyen de l'étudier elle-même.

Ces détails me femblent plus particu- lièrement la tâche de la me-e. Il faut qu'elle fâche le mémoire a ilîî bien que la gouvernante ; mais il faut qu*elîe le fâche autrem.ent. La gouvernante le fau- ra par les règles , la mère le faura par les principes : car premièrement ayant eu une éducation plus foignée , & ayant eu Tefprit plus exet^cé , elle doit être plus en état He léralifer (qs idées, & d'en voTr tous les rapports; & de plus prenant au fuccès un intérêt plus vif encore, elle doit plus s'occuper des m-^-yens d.y parvenir.

Troifieme règle. L,^ Bonne doit avoir un pouvoir abfolu fur fenfant.

Cette règle bien entendue fe réduit à celle ci , que le mémoire feul doit tout -^ uverner : car quand chacun fe Tégleiafcrapuleufeaient furie mémoire^.

DE WlRTlîMBERG. 111]

îl s'enfuit que tout le monde agira tou- jours de concert , (aufcequi pourrait être ignoré es uns ou des autres j mais il eft aifé de pourvoira ceKi.

Je n'ai pas perdu mon obj<;t de vue ; mais l'ai été forcé de faire un bien grand détour. Voiîà déjà la difficulté le- vée en grande partie ; car notre Elevé aura peu à craindre des domeftiques , quand la féconde mère aura tant d'in- térêt à ia furveiller. Parlons à préfent de ceux ci.

Il y a dans une maifon nombreufe dis movens généraux pour tout faire, & fans lefquels on ne parvient jamais

à rien.

D'abord les mœurs , Timpofante ima- ge de la vertu devant laquelle tout flé- chit , jufqu'au vice même ; enfuite Tor- dre, la vigilance ; eniîn l'irtéretle der- nier de tout ;) 'ajouterois la vanité , mais Tétatfervile eft trop près de la mifere; la vanité n'a fa grande force que fur les gens qui ont du pain.

Pour ne pas me répéter ici , permet- tez, Monlieur le Duc , que je vous renvoyé à la cinqueme partie de l'Hé- loï(e , Lettre dixième. Vous y trouve- rez un recueil de maximes quimepa-

JTl Lettre au P^iNôif'

roiiTent fondamentales , pour donrfsf dans une maifon grande ou petite du reiïbrt à l'autorité , du refte , je con- viens de iar difficulté de Texicution, parce que 5 de tous les ordres d'hom- lïies imaginables 5 ce^ui des valets îaiiTe le moins de prife pour le mener oùron^ veut. Mais tous les raifonnemens da monde ne feront pas qu'une chofe ne^ foît pas ce qu*^elie eft, que ce qui n'y eft pas s'y trouve , que d^s valets ne foient pas des valets.

Le train d'un grand Seigneur eft fuC- ceptible de plus &: de moins, fans^ eefièr d'être convenable. Je parsde-là- pour établir ma première maxime.

1. Réduifez votre fuite au moindre' nombre de gens qu'il foit pollible ; vous^ aurez moins, d'ennemis 3 & vous en fe-- rez mieux fervi. S'il y a dans votre mû^ Ibn un feul homme qui n'y foit pas: âécefTaire, il y ednuifible; foyez-enfûr.-

2. Mettez du choix dans ceux que-' vous garderez , & préférez de beau- coup unfersrice exa<?cà un fervice agréa-»- ble. Ces gens qui applaniffent tout de-"*- Vant leur maître y font tous des frW pons. Sur-tout point de diiîîpateur,^^

j. Sou,mettezrle5 à la règle, en tout^p

DE ViRTEMBSRG. II3

chofe 5 même au travail, ce qu'ils fe'- ront dût -il nétre bon à rien.

4. Faites qu'ils aient un grand inté- rêt à refter long- temps à votre fervice, qu'ils s'y attachent à mefure qu'ils y reftent, qu'ils craignent par conféquent d'autant plus d'en fortir, qu'ils y font reftés plus long-tems, La raifon & les moyens de cela le trouvent dans le li-^ vre indiqué.

Ceci <ont les données que je peux fuppofer 5 parce que , bien qu'elles de- mandent beaucoup de peine , enfin elles dépendent de vous. Cela pofé:

Quelque tems avant que de ieurpar-r 1er , vous avez quelquefois des entre- tiens à table fur l'éducation de votre enfant, & fur ce que vous vous propofez: de £iire , fur les difficultés que vous au- rez à vaincre, Se fur la ferme réfolu- tion vous ères de n'épargner aucun foin pour réullir. Probablement vos gens n'auront pas manqué de critiquer entr'eux la manière d'élever l'enfant ; ils y auront trouvé de la bizarrerie , il la faut juftiner , mais fimplement de en peu de mots. Du refte, il faut mon- trer votre objet beaucoup plus du côté moral ôi pieux ;, que du côté phiioiQ-

ÎI4 Lettre au Pkikce

phique. Madame la Princefle, en ne coff- fultant que ion cœur, peut y rr;éler des mots charmans. M. TifTot peut ajouter quelques réflexions dignes de lui.

On eft il peu accoutumé de voiries grands avoir ces entrailles, aimer la vertu, s'occ'jper de leurs enfans^que ces ccnveruitions courtes & bien ména- S ne peuvent manquer de produire Ui; grand effet. Mai? fur-tout nulle om- bre feftation 5 point de longueur. Le- .iorr.edlq'jes ont l'œil très perçant : tC'itiercitperdus'ih (bupçonnoient feu- lement qu'il y eut en cela rien de con- tefté ; & en effet rien ne doit l'être. Bon père , bonne mère , laifTez parler vos cœurs avec (implicite: ils trouve- ront des chofes touchantes d'eux-mê- mes; je vois d'ici vos domefliques der- rière vos chalfes fe proilerner devant leur maître au fond de leurs cœurs : voilà les difpofitions qu'il faut faire naî- tre 5 & dont il faut profiter pour les règles que nous avons à leur prefcrire.

Ces règles font de deux efpeces , félon le jugement que vous porterez vous-même de l'état de votre maifon & des mœurs de vos 2:ens.

Si vous croyez pouvoir prendre en

Ï5E 'WiRTEMBERG. 11^^

eux une confiance raifonnable & fon- dée fur leur intérêt, il ne s'agira quo d'un énoncé c'air & bref de la manière dont on doit fe conduire toutes les fors qu'on approchera de votre enKint , pour ne poin.t contrarier fon éducation.

Qv.i^ Il malgré toutes vos précautions", vous croyez devoir vous défier de ce qu'ils pourront dire ou faire en fa pré- fence , la règle alors fera plus fimple, & fe réduira à n'en approcher jamais fous quelque prétexte que ce foit.

Quel ce ces deux p:rtis que vous choihffiez, il faut qu'il foit fins ex- ception &c le même pour vos gens de tout étage , excepté ce que vous des- tinez fpécialement au fervice de l'en- fant & qui ne peut être en trop petit nombre , ni (crupuîeufement choiii.

Un jour donc vous alfemblcz vos gens 5 & dans un difcours grave & fint- ple 5 vous leur direz que vous crovez devoir en bon père , apporter tous vos foins à bien élever l'enfant que Dieu vous a donné, «c Sa r^ere & moi fcn- 33 tons tout ce qui nnifit à la notre. 33 Nous l'en voulons préferver; & 53 Dieu bénit nos ttïorts, nous n'aurons 3' point de compte à lui rendre d^s

ii6 Lettre au Princs

:>3 défauts ou des vices que notre en- 35 fant pourroit contraâ:er. Nous avons- 35 pour cela de grandes précautions à 35 prendre : voici celles qui vous regar- 55 dent, & auxquelles j'efpere que vous 55 vous prêterez en honnêtes gens , dont 5> les preTjiers devoirs font d'aider à »5 remplir ceux de leurs maîrres '5.

Après renoncé de la règle dont vous prefcrivez robfervation , vous ajoutez que ceux qui feront exacls à la (uivre peuvent compter fur votre bienveil- lance & même fur vos bienfaits. « Mais »3 je vous déclare en même tems , pour- >5 fuivez-vous d*une voix plus haute, 35 que 5 quiconque y aura manqué une- 33 feule fois , 6c en quoi que ce puifîe 35 être, fera chaflé lur le champ di 35 perdra (qs g^gcs. Comme c'eft-là la 33 condition fous laquelle je vous garde, 33 & que je vous en préviens tous, 33 ceux qui n'y veulent pas acquiefcer, » peuvent fortir 53.

Des règles fi peu gênantes ne fe- ront fortir que ceux qui feroient fortis fans cela ; ainfi vous ne perdez rien à leur mettre le marché à la main , & vous leur en impofez beaucoup. Peut- être au Commencement, quelc[ue étourdi

DE WiRT EM BER<S?. II7

en fera-t-il la vidime , & il faut qu'il le foit. Fût-ce le Maître d'Hôtel, s'il jj'eH: challé comme un coq.iin , tout eft manqué. Mais s'ils voient une tois que c'eft tout de bon & qu^on les fur^ veille , on aura déformais peu befoia de les furveiller.

Mille petits moyens relatifs naiiïent de ceux-là; mais il ne faut pas tout .dire 5 de ce mémoire eft déjà trop long. J'ajouterai feulement un avis très-im- portant de propre à couper cours au mal qu'on n'aura pu prévenir. C'efl .d'examiner toujours l'enfant avec le plus grand {oin,d>c de fuivre attentivement les progrès de fon corps & de fon cœur. S'il fe fait quelque chofe autour de lut contre la règle, l'impreftion s'en mar- quera dans l'enfant même. Dès que vous y verrez un figne nouveau, cher- chez-en la caufe avec foin; vous I3. trouverez infailliblement. A certain âgs il y a toujours remède au mal qu'on n'a pu prévenir, pourvu qu'on ûche le connoître, & qu'on s'y prenne à tems pour le guérir.

Tous ces expédiens ne font pas fa- ciles, & je ne réponds pas abfolument de leur fuccès : cependant je crois qu'oiî

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Îl8' L E T T R i , &C,

y peut prendre une confiance raifon- nable, & je ne vois rien d'équivalent dont j'en puifle dire autant.

3Jans une route toute nouvelle , il ne faut pas chercher des chemins battus , & jiinais entreprife extraordinaire & difficile ne s'exécute par des moyens ailés de communs.

Du refte 5 ce ne font peut-être ici que les délires d'un fiévreux. La com- paraifon de ce qui eft à ce qui doit être 3 m'a donné refprit romanefque de m'a toujours jette loin de tout ce qui fe fait. Mais vous ordonnez, Monlieur le Duc , j'obéis. Ce font mes idées que vous demandez, les voilà. Je vous tromperois , fi je vous donnois la raifoa des autres, pour les folies qui font à moi. En les fai fan t p aile r fous les yeux d'un bon juge , je ne crains pas le mal iju'elles peuvent caufer.

••îjS-

X

LETTRE

^ M, U S T E R I,

Professeur a Zuri ch.

JSur U Chap. VIII du dernier livre du Contrat SociaL

Q.

Motïtrs^ îf Juillet 1763,

^UÊLQu'ExcFDé que je fois de dif- putes bc d'objections , & quelque ré- pugnance que j'aie d'employer à ces petites guerres les précieux commerce de l'amitié, je continue à répondre à vos difficultés puifque vous l'exigez ainfi. Je vous dirai donc avec ma fran- chlfe ordinaire , que vous ne me pa- roi iTez pas avoir bien faifi l'état de la quedion. La grande fociété, la fociété humaine en général , ed fondée fur riium^nité, fur la bienfainnce univer- felle. Je dis , & j'ai toujours dit que îe chriftianiime efl favorable à celle-là,

Mali les fociétés particulières, ks

i

Î20 L E T T H fi

fociétés politiques & civiles ont un tout autre principe; ce font des établiOe- snens purement humains , dont par con- féquent le vrai chriftianifme nous dé- tache, comme de tout ce qui n'eft que terreftre. Il n'y a que les vices des hom- mes qui rendent ces établiliemens né- cefTaires, & il n'y a que les pallions humaines qui les confervent. Otez tous les vices à vos chrétiens , ils n'auront plus befoin de magiftrats ni de loix* Otez leur toutes les pallions humai- nes, le lien civil perd à l'inftant tout fon relTort; plus d'émulation, plus de gloire, plus d'ardeur pour les préfé- rences. L'intérêt particulier eft détruit, & faute d'un foutien convenable, l'état politique tombe en langueur.

Votre fuppofîtion d'une fociété po- litique & rigoureufe de chrétiens tous parfaits à la rigueur, eil donc contra- diâ:oire ; elle efl encore outrée quand vous n*y voulez pas admettre un feul homme injufte, pas un feul ufurpateur. Sera-t-elle plus parfaite que cel'e des Apôtres? & cependant il s'y trouva un Judas. . . . fera-t-elle plus parfaite <\UQ celle dQS Anges? & le Diable, 4it on ^en eft forti, Moa cher ami , vous

oubliez;

A M. U s T E R T. 121

oubliez que vos chrétiens feront des hommes, & que la perFeâiion que je leur fuppofe , efl celle que peut com- porter rhumanité. Mon livre n'efi pas fait pour les Dieux.

Ce n'eft pas tout. Vous donnez à vos citoyens un tad moral, une fi- nèfle exquife ; & pourquoi? parce qu'ils font bons chrétiens. Comment ! Nul ne peut être bon chrétien à votre compte , fans être un la Rochefoucault , un la Bruere ? A quoi pcnfoit donc notre maître , quand il béniflbit les pauvres en efprit ? Cette aÏÏertion-là premiè- rement, n'eft pas raKonnable, puifque la finefle du tad moral ne s'acquiert qu'à force de comparaifons & s'exerce même infiniment mieux fur les vices que Ton cache que iur les vertus qu'on ne cache point. Secondement , cette même alTertion eft contraire à toute expé- rience, & Ton voit conftam.ment que c'efl dans les plus grandes villes , chez les peuples les plus corrompus qu'on apprend à mieux pénétrer dans les cœurs, à mieux obferver les hommes, à mieux interpréter leurs difcours par leur fentiment, à mieux diftinguer la réalité de l'apparence. Nierez -voua

(E/.'y. Pcp. tom» VI. E

122 L E :? T R E

qu'il n'y ait d'infiniment meilleurs ob- fervateurs moraux à Paris qu'en SuifTe? ou conclurez-vou5 de-là qu'on vit plus ,vertueufement à Paris que chez vous?

Vous dites que vos citoyens feroient infiniment choqués de la première in- |ufl:ice. Je le crois; mais quand ils la verroient, il ne feroit plus tems d'y pourvoir; & d'autant mieux qu'ils ne le permettroient pas aifément de mal penfer leur prochain , ni de don- ner une mauvaife interprétation à ce qui pourroit en avoir une bonne. Cela feroit trop contraire à la charité. Vous n*ignoiez pas que les ambitieux adroits fe gardent bien de commencer par des înj'jftices; au contraire, ils n'épargnent rien pour gagner d'abord la confiance 6c Teftime publique, par la pratique extérieure de la vertu. Ils ne jettent le mafque , & ne frappent les grands coups, que quand leur partie eft bien liée, & qu'on n'en peut plus revenir, Crom^jf^el ne fut connu pour un tyran ^ qu'après avoir paiïe quinze ans pour le vengeur des ioix j & le défenfeur ide la religion.

Pour conferver votre République chrétienne , vous rendez fes yoi/ins

A M, U s T E H r, 125

aufîî juftes qu^elle; à la bonne heure. Je conviens qu'elle fe détendra tou- jours aïïez bien pourvu qu'elle ne foit point attaquée. A l'égard du courage que vous donnez à Tes foldats , par le fimple amour de la confervation, c'eft celui qui ne manque à perfonne. Je lui ai donné un motif encore plus puifTant fur des chrétiens; favoir, l'amour du devoir. - defTus , je crois pouvoir pour toute réponfe vous renvoyer à mon livre ce point eft bien difcuté. XDomment ne voyez-vous pas qu'il n'y a que de grandes partions qui faflent de grandes chofes? Qui n'a d'autre paiTion que celle de Ton faîut , ne fera jamais rien de grand dans le temporel. Si Mutius Scevola n'eût été qu'un faint , croyez-vous qu'il eût fait lever le fiége <ie Rome? Vous me citerez peut-être la magnanime Judith. Mais nos chré- tiennes hypothétiques, moins barba- rement coquettes , n'iront pas , je crois, féduire leurs ennemis , & puis , cou- cher avec eux pour les mafTacrer du- rant leur fommeil.

Mon cher ami , je n'afpîre pas à vous convaincre. Je fais qu'il n'y a pas deux têtes organifées de même , & qu'aprè*

F2

'ï24 Lettre, B<Ct bien des difputes, bien des objectibtts , bien des éclairciiïemens , chacun finit toujours par refier dans fon fentiment comme auparavant. D'ailleurs quelque philofoph-e que vous puiiïiez être, je fens qu'il faut toujours un peu tenir à Tétat, Encore une fois , je vous ré- ponds 5 parce que vous le voulez ; mais je ne vous en eftimerai pas moins , pour ne pas penfcr comme moi. J'ai dit mon avis au public, & j'ai cru le devoir dire en chofes importantes & qui intéreffent l'humanité. Au refie , je puis m'étre trompé toujours, & je îne fuis trompé fouvent fans doute. J'ai dit mes raifons; c'eft au public, c'eft â vous à les peferjàles juger , à choifir. Pour moi, je n'en fais pas davantage, & je trouve très-bon que ceux qui pnt d'autres fentimens, les gardent, pourvu qu'ils me laiffent en paix dans le mien^.

Î25'

DEUX LETTRES

A M, LE MARÉCHAL DE LUXEMBOURG,

Contenant une defcription du Val-dc' Travers,

Alotier3 , le 20 Janvier 176-3.

LETTRE PREMIERE.

Vous voulez, Monfieur le Maré- chal , que je vous décrive le pays que j'habite? Mais comment faire? Je ne fais voir qu'autant que je fuis ému; les objets îiidifférens font nuls à mes yeux; je n'ai de l'attention qu'à pro- portion de l'intérêt qui l'excite; & quel intérêt puis-je prendre à ce que je re- trouve fi loin de vous ? Des arbres , àQS rochers, à^s maifons , des hommes mêmes, font autant d'objets ifolés dont chacun en particulier donne peu d'é-

f-3

126 Lettre au Maréchal

motion à celui qui le regarde : maïs î'impreflion commune de tout cela , qui le réunit en un feuPtableau, dé- pend de Tétat ou nous fomnies en le contemplant» Ce tableau, quoique tou- jours le même , fe peint d'autant de manières qu'il j a de difpofitions dif- ,, férentes dans les cœurs des rpe6lateurs ; Se ces différences, qui font celles de nos jugemens , n'ont pas lieu feulement d'un fpe<5tateur à l'autre 5 mais dans le même en différens tems. C'eft ce que j'éprouve bien fenfiblement en re- voyant ce pays que j'ai tant aimé. J'y croyois retrouver ce qui m'avoit charmé dans ma jeunefTe ; tout eft changé ; c'eft un autre payfage , un autre air, un autre ciel , d'autres hommes ,& ne voyant plus mes Montagnons avec des yeux de vingt ans , je les trouve beau- coup vieillis. On regrette le bon tems d'autrefois; je le crois bien : nous at- tribuons aux chofes tout le change- ment qui s'eft fait en nous,& lorfque îe plaifir nous quitte, nous croyons qu'il n'eft plus nulle part» D'autres voient les chofes comme nous les avons vues 5 èc les verront comme nous les .voyons aujourd'hui, Mais ce font de^-

DE L U X E M B O U S G\ iTf

éefcriptions que vous me demandez ^ non à^s réflexions, & les miennes m'en- traînent comme un vieux enfant qui regrette encore Tes anciens jeux. Les diverfes impre(îîons que ce pays a fai- tes fur moi à difïérens âges me font conclure que nos relations fe rappor- tent toujours plus à nous qu'aux cho- fes 5 & que , comme nous décrivons bien plus ce que nous fentons que ce qui efl: , il faudroit favoir comment' étoit affe(5lé Fauteur d'un voyage en l'écrivant , pour juger de combien fes peintures fon-t au-deçà ou au-delà dit vrai. Sur ce principe, ne vous étonnez pas de voir devenir aride & froid fous ma plume un pays jadis fi verdoyant ^ vivant, Çi riant à mon gré : vous fentirez trop aifément dans ma lettre en quel tems de ma vie & en quelle fai- fon de Tannée elle a été écrite.

Je fais, Monfieur le Maréchal ^ que pour vous parler d'un village, il ne faut pas commencer par vous décrire toute la Sui/Te, comme {\ le petit coin q;ue j'habite avoit befoin d'être cir^ confcrit d'un Çi grand efpace. Il y a pourtant à^s chofes générales qui ne & devinent point ^ & qu'il faut favokr'

i2S Lettre: au Makéchâc

pour juger des objets particuliers. Pour connoitre Motiers , il faut avoir quel- que idée du Comté de Neufchâtel , Se pour connoitre le Comté de Neuf- châtel, il faut en avoir de la Sui/Te entière.

Elle offre à-peu-près par-tout les mê- mes afpeéls, des lacs , des prés, des bois, des montagnes; & les SuiiTes ont auiîi tous à -peu -près les mêmes moeurs, mêlées de Timitation des autres peu- ples & de leur antique fim.plicité. Ils ont des manières de vivre qui ne changent point, parce qu'elles tiennent, pour -ainfi dire, au fol du climat , aux be- foins divers , & qu'en cela les habltans feront toujours forcés de fe conformer à ce que la nature des lieux leur pref- crit. Telle eftj par exemple, la diftri- bution de leurs habitations, beaucoup moins réunies en villes 6c en bourgs au'en France, mais éparfes & difper- lées çà ëc fur le terrein avec beau- coup plus d'égalité. Ainfi , quoique la Suifîe foit en général plus peuplée à proportion que la France, elle a de moins grandes villes & de moins gros villages: en revarxhe on y trouve par- tout des maiioRS, le village couvre

DE Luxembourg. i2p toute la paroifTe, & la ville s'étend fur tout le pays. La SuifTe entière eti: comme une grande vilie divifée ea treize quartiers, dont les uns font (ur les vallées, d'autres fur les coteaux, d'autres fur les montagnes. Genève , Saint-Gai, Neufchâtel, font comme les fauxbourgs : il y a des quartiers plus ou moins peuplés, mais tous le font alfez pour marquer qu'on efl toujours dans la ville : feulement les maifons , au lieu d'être alignées, font difperlées fans fymmétrie &: fans ordre , comme on dit qu'étoient celles de l'ancienne Rome. On ne croit plus parcourir des déferts quand on trouve des clochers parmi les fapins, des troupeaux fur des rochers, des manufadures dans des précipices, des atteliers fur des tor- rens. Ce mélange bizarre a je ne fais quoi d'animé, de vivant qui refpire la liberté , le bien-être , &: qui fera tou- jours du pays il fe trouve un fpec- tacle unique en fon genre , mais fait feulement pour des yeux qui fâchent voir.

Cette égale diftribution vient du grand nombre de petits Etats qui di« yife les Capitales , de la ruàQiTîi da

Fi:

'jTjcy Letthe au Marecîïai?

pays qui rend les tranfports difficiref^J. de de la nature des productions , qui confiftant pour la plupart en pâturages^ exige que la eonfommation s'en faiïe- fur les lieux mêmes , & tient les hom- mes aulE difperfés que les beftiaux». Voilà le plus grand avantage de la' SuifTe , avantage que fes habifans re- gardent peut-être comme un. malheur,, mais qu'elle tient d'elle feule , que rierr ne peut lui 6ter, qui malgré eux con- tient o\x retarde le progrès du luxe- & des mauvaifes mœurs , & qui répa^ ïera toujours à îa longue l'étonnante^ déperdition d'hommes- qu^elle feit dans les pays étrangersr

Voilà le bien; voici le mal amené par ce bien même. Quand les SuifTes^ qui jadis vivant renfermés dans leurs^ montagnes fe fuffifoient à eux-mêmes, <ont commencé à communiquer avec d'autres nations ^ Ils ont pris goût à leur manière de vivre & ont voulu Ti- miter ; ils fe font apperçus que Targenf «toit unre bonne; chofe , & ils ont voulu? «n- avoir; fans produdions^ ôc fans in^ duflrie pour l'attirer , ifs fe font mis^ «n commerce eux-mêmes, ils fe font ^r^ndus en détail aux puiffançes^ilsoîilf

t)F. tuxi:MB0UÂ(5'. 13 ï

t-Cquls par-là précifément afTez d'argent ^our fentir qu'ils étoient pauvres; \qs moyens de le faire circuler étant pref- que impo(îibles dans un pays qui ne produit rien & qui n'efl: pas maritime j> cet argent leur a porté de nouveaux ï)eroins fans augmenter leurs refFour- Ces. Ainfi leurs premières aliénation* de troupes les ont forcés d'en faire de plus grandes & de cantinuer toujours^ La vie étant devenue plus- dévouante", îe même pays n'a plus pu nourrir la- même quantité d'habitans. C'eft fa rai- fbn de la dépopulation que l'on com- mence à fentir dans toute la SuilTerf» Elle nourrifToit fes nombreux habitans quand ils ne fortoient pas de chez eux;^ à préfent qu'il en fort la moitié , à pein© peut-elle nourrir l'autre»

Le pis eft que de cette moitié qui fort il en rentre afTez pour corrompre tout ce qui refte par l'imitation des autres ufages des pays & fur-tout de la France ^ qui a plus de troupes SuifTes qu'aucune autre nation. Je dis corrompre , fans cntrei* dans la q«eftion les mœurs Françoifes font bornes ou mauvaifesf «n France, parce qu3 cette queftioit tft hors de doute qua|?t à la Suiflc-

i$2 Lettre au MAplcTîAr;

& qu'il n'eft pas poffible que les mê* mcsulages conviennent à des peuples qui n'ayant pas les mêmes reÔburces éc n'habhant ni le même climat, ni le même fol , feront toujours forcés de vivre différemment.

Le concours de ces deux caufe?; l'ung bonne & l'autre mauvaife , fe fait fentir en toutes chofes, il rend raifon de tout ce qu'on remarque de particulier dans les mœurs des Suif- îes 5 & fur- tout de ce contrafte bizarre de recherche & de fimplicité qu'on fent dans toutes leurs manières. Ils tournent à contre- fens tous les ufa- gQS qu'ils prennent, non pas faute d'ef^ prit , mais par la force des chofes. En tranfportant dans leurs bois les ufages des grandes villes, ils les appliquent de la façon la plus comique; ils ne favent ce que c'eft qu'habits de c:îm- pagne; ils fo t parés dans leurs rochers comme ils Tétoient à Paris; ils por- tent fous leurs fapins tous les pompons du Palais-Rojal , de j'en ai vu reve- nir de faire leurs foins en petite vefte à falbala de mouffeline. Leur délica- teffe a toujours quelque chofe de grof- iier s Isu^ iuxe a toujours quelque

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DE Luxembourg. 153

chofe de rude. Ils ont des entremets', mais ils mangent du pain noir; ils fer- vent des vins étrangers Se boivent de la piquette ; des ragoûts fins accom- pagnent leur lard rance & leurs choux ; ils vous offriront à déjeuné du café & du fromage, à goûté du thé avec du jambon; les femmes ont de la den- telle & de fort gros linge , des robes de goût avec des bas de couleur ; leurs valets, alternativement laquais de bouviers, ont Thabit de livrée en fer- vant à table, & mêlent l'odeur du fu- mier à celle des mets.

Comme on ne jouit du luxe qu'en le montrant , il a rendu leur fociété plus familière fans leur ôter pourtant le goût de leurs demeures ifolées. Per- fonne ici n'efl: furpris de me voir paf- fer rhiver en campagne; mille gens du monde en font tout autant. On de- meure donc toujours féparés , m^ais on fe rapproche par de longues & fréquen- tes vifîtes. Pour ét;iler fa parure & fes meubles, il faut attirer fes voifins & ]es aller voir ; &c comme ces voifin? font fouvent afléz éloignés , ce font des voyages continuels. Aufli jamais n'ai- je vu de peuple fi allant que les Sui^

1^2 Lettre au MapIc^itat:

êc qu'il n'efr pas poflible que les me* mesufages conviennent à des peuples qui n'ayant pas les mêmes refTources éc n'habhant ni le même climat, ni le même fol , feront toujours forcés de vivre difteremment.

Le concours de ces deux caufe?; Tuna bonne & l'autre mauvaife , fe fait fentir en toutes chofes, il rend raifon de tout ce qu'on remarque de particulier dans les mœurs des Suif- fes 5 & fur- tout de ce contrafte bizarre de recherche & de fimplicité qu'on fent dans toutes leurs manières. Ils tournent à contre -fens tous les ufa- gQS qu'ils prennent, non pas faute d'e(^ prit 5 mais par la force des chofes. En Tranfportant dans leurs bois les ufages des grandes villes, ils les appliquent de la façon la plus comique; ils ne favent ce que c'efl: qu'habits de cam- pagne; ils fo r parés dans leurs rochers comme ils Tétoient à Paris; ils por- tent fous leurs fapins tous les pompons du Palais-Rojal , &: j'en ai vu reve- nir de faire leurs foins en petite vefte à falbala de mou/Teline. Leur délica- teffe a toujours quelque chofe de grof^ £er 3 leur luxe a toujours quelque

r> E L U A E M B O U R <?. 153

chofe de rude. Ils ont des entremets , mais ils mangent du pain noir; i!s 1er- vent des vins étrangers Se boivent de la piquette ; des ragoûts fins accom- pagnent leur lard rance & leurs choux ; ils vous offriront à déjeuné du café & du fromage, à goûté du thé avec du jambon j les femmes ont de la den- telle & de fort gros linge, des robes de goût avec des bas de couleur : leurs valets, alternativement laquais èc bouviers, ont Thabit de livrée en fer- vant à table, & mêlent Todeur du fu- mier à celle des mets.

Comme on ne jouit du luxe qu'en le montrant , il a rendu leur fociété plus familière fans leur ôter pourtant le goût de leurs demeures ifolées. Per- fonne ici n'efl: furpris de me voir paf- fer l'hiver en campagne; mille gens du monde en font tout autant. On de- meure donc toujours féparés , m^ais on fe rapproche par de longues & fréquen- tes vifîtes. Pour étaler fa parure & fes meubles, il faut attirer fes voifins & ]qs aller voir ; ôc comme ces voifin? font fouvent afîez éloignés , ce font des voyages continuels. AufTi jamais n'ai- je vu de peuple fi allant que les Suif:

354 tF.TTRÏ! AU MaPvÏCHAÏt (qs; les François n'en approchent paSi Vous ne rencontrez de toutes parts que voitures ; il n'y a pas une maifon qui n'ait la Henné, & les chevaux dont la Suiffe abonde ne font rien moins- qu'inutiles dans le pays. Mais comme ces courfes ont fouvent pour objet des vifites de femmes, quand on monte à cheval, ce qui com.mence à devenir rare , on y monte en jolis bas blancs- bien tirés 5 Si l'on fait à-peu-près pour courir la pofie la même toilette que' pour aller au bal. Aufli rien n'eft fr brillant que les chemins de îa Suifle ;' on y rencontre à tout moment de pe-- tits Meneurs & de belles Dames, on fi'y voit que bleu. Vert, couleur de tofe, on fe croiroit au jardin du Luxem*- bourg.

tJn effet de ce commerce eft d'a- t^oir prefque ôté aux hommes le goût du vin, éc un effet contraire de cette t^ie ambulante , eft d'avoir cependant Tendu les cabarets fréquens & bons dans toute la Suiffe. Je ne fais pas pourquoi l'on vante tant ceux de France; ils n'approchent fûrement pai- de ceux-ci. Il eft vrai qu'il y fait très- cKejf vivre ^ mais cela eft vrai aufli d^

la vie domeftique , & cela ne fauroit être autrement dans un pays qui produit peu de denrées & Fargent ne laifTe pas de eirculer.

Les trois feules marchand ifes qui leur en aient fourni jufqu'ici font les fromages , les chevaux & les hommes ; mais depuis rmtrodudlon du luxe , ce- commerce ne leur fuifit plus , & ils y ont ajouté celui des manufadures- dont ils font redevables aux réfugiés François j- reffource qui cependant a plus d'apparence que de réalité ; car' comme la cherté des denrées augmente avec les efpeces , & que la culture de la terre fe néglige quand on gagne davantage à d'autres travaux , avec plus d'argent ils n'en font pas plus ri- ches; ce qui fe voit par la comparai-^ fon avec les SuifTes catholiques, qui n^ayant pas la même reffource, font plus pauvres d'argent,- & ne vivent pas moins bien.

Il eft fort fingulier qu'un pays fi' mde & dont les habitans font fi en- clins à fortir, leur infpire pourtant ur? amour fi tendre que fe regret de Toir quitté les y ramené pfefque tous» i la fin , & cjue ce regret donne à ceu;^

1^6 LëTTPvï: AtT llA-RlcnAt

qui n'y peuvent revenir , une maîadit quelquefois mortelle , qu'ils appellent, je crois , le Hcmve, Il y a dans la Suiiïe un air célèbre appelle le Ranz-des- vaches, que les bergers Tonnent fur leurs cornets & dont ils font retentir tous les coteaux du pays. Cet air , qui efl: peu de chofe en lui-même, mais qui rappelle aux SuifTes mille ide'es re- latives au pays natal, leur fait verfer des torrens de larmes quand ils l'ea- tendent en terre étrangère. Il en a même fait mourir de douleur un (i grand nombre , qu'il a été défendu par ordonnance du Roi de jouer le ranz- des-vaches dans les troupes SuifTes. Mais, Monfieur le Maréchal , vous favez peut-être tout cela mieux que moi , & \^s réflexions que ce fait pré- fente ne vous auront pas échappé. Je ne Duis m'empécher de remarquer feu- lement que la France efi; alTlirément le meilleur pays du monde, toutes les commodités & tous les agrémens de la vie concourent au bien-être des habitans. Cependant il n'y a jamais eu, que je fâche, de Hemvé ni de ranz- des-vaches qui fit pleurer & mourir de regret un François en pays étran-

DV. Luxembourg. 137

ger, ?<: cette maladie diminue beaucoup chez les SuiiTes depuis qu'on vit plus agréablement dans leur pays.

Les SuifTes en général font jufles, officieux, charitables, amis folides , braves foldats ^ bons citoyens , mais intrigans , défians , jaloux, curieux, avares, & leur avarice contient plus leur luxe que ne fait leur {implicite. Ils font ordinairement graves & fleg- matiques , mais ils font furieux dans la colère, & leur joie efl: une ivrefTe, Je n'ai rien vu de fi gai que leurs jeux. Il eft étonnant que le peupla François danie triftement, languifTam- ment , de mauvaiie grâce, 6c que les danfes Suides foient fautillantes & vi- ves. Les hommes y montrent leur vi- gueur naturelle & les filles y ont uns légèreté charmante : on diroit que la. terre leur brûle les pieds.

Les SuilTes font adroits & rufés dans les affaires : les François qui les ju- gent grolliers font bien moins déliés qu'eux; ils jugent de leur efprit par leur accent. La Cour de France a toujours voulu leur envoyer des gens, fins & s'ell: toujours trompée. À ce genre d'efcrime ils battent communs^

î^B Lettre au Maréchal

ment les François : mais envoyez -leur des gens droits & fermes ^ vous ferez d'eux ce que vous voudrez, car na- turellement ils vous aiment. Le Mar- quis de Bonnac ^ qui avoit tant d'ef- prit, mais qui paiïbit pour adroit, n'a i^ien fait en SuifTe, & jadis le Maréchal de Baffompîerre y faifoit tout ce qu'il vouloit , parce qu'il étoit franc , ou qu'il paiïbit chez eux pour l'être. Les Suiiïès négocieront toujours avec avan- tage, à moins qu'ils ne foient vendus- par leurs magiftrats, attendu qu'ils peu- vent mieux fe paiïèr d'argent que hs Puiiïances ne peuvent fe paiïèr d'hom- mes; car pour votre bled, quand ils voudront ils n'en auront pas befoin. Il faut avouer auiîi que s'ils font bien ïeurs traités , ils les exécutent encore mieux , fidélité qu'on ne fe pique pas de leur rendre.

Je ne vous dirai rien , Monfieur k Maréchal, de leur gouvernement & de leur politique, parce que cela me" meneroit trop loin, & que je ne veux vous parler que de ce que j'ai vu. Quant au Comté de NeuFchâtel j'habite, vous favez qu'il appartient au Roi de Prulîe, Cette petite Principauté ^après^

avoir été démembrée du Royaume de Bourgogne & paiïe fuccelîivementdans Iqs maifons de Châlons, d'Hochberg èc de Longueville , tomba enfin en 1707 dans celle de Brandebourg par la décifion des Etats du pays, juges naturels des droits des prétendans. Je n'entrerai point dans l'examen des rai- fons fur lesquelles le Roi de Pruffe fut préféré au Prince de Conti, ni des in* fluences que purent avoir d'autres Puit fances dans cette affaire ; je me con- tenterai de remarquer que dans la con-- currence entre ces deux Princes, c'é- toit un honneur qui ne pouvoit man- quer aux Neufchâtelois d'appartenir un jour à un grand Capitaine. Au réfu- te , ils ont confervé fous leurs Sou--- verains à-peu-près la même liberté qu*ont les autres SuliTes ; mais peut- être en font-ils plus redevables à leur pofition qu'à leur habileté; car je les trouve bien remuans pour des gens fages.

Tout ce que je viens de remarquer des SuifTes en général caradérife en- core plus fortement ce peuple-ci , & le contrafte du naturel & de l'imita- tion s'y fait encore mieux fentir , aveç^

140 Lettre ad Mafschai;

cette différence pourtant que le natU" rel a moins d'étcT^ 5 & qu'à quelque petit coin près, h dorure couvre tout le fond. Le pays , f\ l'on excepte la ville de les oo^-ds du lac , eft aiiili rude que le refle ce 'a SuiiTe, la vie y eft aufli rcflique. & les habitans accoutu- mé? à vivre io'js des Princes , s'y font enc'--'e plus affedionnés aux grandes manières -, de f.^rte q-i'on trouve ici du jargon , des airs , dans tous les états , de beaux oarleurs labo'/irant ^es chamo'j, & d-.s courtifans en fouquenille. Auili appe'îe-t-on les Neufchâtelois les gaf- coî-s de la SuifTe. Ils ont de Tifprit & ils fe piquent de vivacité; ils li- fent, & la ledure leur profite ; les pay- fans même font inflruits; ils ont pref- que tous un petit recueil de livres choifis qu'ils appellent leur bibliothè- que; ils font même afTez au courant pour les nouveautés ; ils font valoir tout cela dans la converfation d'une manière qui n'eft point gauche, & ils ont prefque le ton du jour comme s'ils vivoient à Paris. Il y a quelque tems qu'en me promenant, je m'arrê- tai devant une maifon des filles fai(oisnt de la dentelle; la mère ber-

îDE Luxembourg. i|t çoît un petit enfant , & je la regardois faire , quand je vis Ibrtir de la cabane \m gros payfan, qui in'abordant d'un air ailé me dit : vous voye^ qv*on ne fuit pas trop bien vos pnceptes ^ mais nos jçmm^s tiennent autant aux vieuoç préjuges qu'elles aiment les nouvelles modes* Je tombois des nues. J'ai en- tendu parmi ces gens-là cent propos jdu même ton.

Beaucoup d'efprit & encore plus xîe prétention 5 mais fans aucun goût, voilà ce qui m'a d'abord frappe chez Jes Neufchâtelois. Ils parlent très-bien, très-aifement , mais ils écrivent pla- tement & mal, fur tout quand ils veu- lent écrire légèrement, & ils le veu- lent toujours. Comme ils ne favent pas même en quoi conhfte la grâce & le -fel du ft)4e léger , lorfqu'ils ont ennlé des phrafes lourdem»ent femiilantes , ils fe croient autant de Voltaires & de Crébillons. l's ont une manière de jour- nal dans lequel ils s'efforcent d'être gentils & badins. Ils y fourent même jde petits vers de leur façon. Madame la Maréchale trouveroit, finon de Ta^ jmufement, au moins de l'occupation /dans ce Mercure , car c'eli: d'un bout

142 Lettre au Maréchal

à l'autre un logogriphe qui demande un meilleur (Edipe que moi.

C*eft à-peu-près le même habillement c[ue dans le Canton de Berne, mais un peu plus contourné. Les hommmes fe mettent adez à la Françoife , Se c*eft ce que les femmes voudroient bien faire auflî ; mais comme elles ne voya- gent gueres , jie prenant pas comme sux les modes de la première main ^ elles les outrent, les défigurent, 5c chargées de pretintailles &: de falba- las , elles femblent parées de guenilles.

Quant à leur caraâere, il eft diffi- cile d'^n juger , tant il eft offufqué de manières; ils fe croient polis parce qu'ils font façonniers , de gais parce qu'ils font turbulens. Je crois qu'il n'y a que les Chinois au monde qui puif- fent l'emporter fur eux à faire des cora- plimens. Arrivez-vous fatigué, prefTé, n'importe : il faut d'abord prêter le flanc à la longue bordée ; tant que la machine eft montée elle joue, & elle fe remonte toujours à chaque arrivant, X-a politeflè Françoife eft de mettre les gens à leur aife & même de s'y met- tre aufti. La politeiïe Neufchâteloife eit de gêner & foi-même ^ les au-

DE Luxembourg. 145

très, Ils ne confultent jamais ce qui -vous convient, mais ce qui peut éta- ler leur prétendu favoir-vivre.. Leurs offres exagérées ne tentent point , el- les ont toujours je ne fais quel air de formule , je ne fais quoi de fec &: d'ap- prêté qui vous invite au refus. Ils font pourtant obligeans , officieux, hofpi- taîiers très-réellement, fur-tout pour les gens de qualité : on eft toujours fur d'être accueilli d'eux en fe don- nant pour Marquis ou Comte 5 & comme une reffource aufli facile ne manque pas aux aventuriers , ils ea ont fouvent dans leur Viile, qui pour l'ordinaire y font très-fétés : un {im- pie honnéte-homme avec des malheurs ôc des vertus ne le feroit pas de même: on peut y porter un grand nom fans mérite, mais non pas un grand mérite fans nom. Du refle , ceux qu'ils fer- vent une fois ils les fervent bien. Iî$ font fidèles à leurs promeffes , & n'a- bandonnent pas aifément leurs proté- gés. Il fe peut même qu'ils foient ai- mans di fenfibles ; mais rien n'eft plus éloigné du ton du fentiment que ce- lui qu'ils prennent , tout ce qu'ils font par humanité fembie être fait par of-

144 Lettre au Maréchal

tentation , & leur vanité cache leur bon cceun

Cette vanité efl: leur vice dominant; elle perce par-tout, & d'autant plus aifément qu'elle eft mal-adroite. Ils fe croient tous gentilshommes, quoique leurs Souverains ne fuflent que des gentilshommes eux-mêmes. Ils aiment ja chalTe , moins par goût, que parce que c'eft un amufement noble. Enfin jamais on ne vit des bourgeois (i pleins de leur naiiïance : ils ne la vantent pour- tant pas , mais on voit qu'ils s'en oc- cupent; ils n'en font pas fiers , ils n'en font qu'entêtés.

Au défaut de dignités & de titres de nobîefîe , ils ont des titres militai- res ou municipaux en telle abondance, qu'il y a plus de gens titrés que de gens qui ne le font pas. C'efI: Mon- fieur le Colonel, Monfîeur le Major, Monfieur le Capitaine , Monfieur le Lieutenant, Monfieur le Confeiller, Monfieur le Châtelain , Monfieur le Maire ^ Monfieur le Jurticier , Mon- fieur le Profefleur, Monfieur le Doc- teur, Monfieur l'Ancien; fi j'avois pu reprendre ici mon ancien métier, je ae doute pas que je ny fufTe Monfieur

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E Luxembourg. 145*

le Coplfte. Les femmes portent auiîî les titres de leurs maris , Madame la Confeillere , Madame la Miniftre ; j'ai pour voifine Madame la Major; & comme on n'y nomme les gens que par leurs titres, on efl embarrailé com- ment dire aux gens qui n'ont que leur nom 3 c'eft comme s'ils n'en avoient point.

Le fexe n'y efl: pas beau; on dit qu'il a dégénéré. Les filles ont beau- coup de liberté & en font ufage. El- les fe raflemblent fouvent en (ociété l'on joue, Ton goure, Ton babille , Se l'on attire tant qu'on peut les ieunes gens ; mais par mal- heur ils f^nt rares & il faut fe les ar- racher. Les femmes vivent aiïez fage- ment ; il y a dans le pays d'afîez bons ménages , & il y en auroit bien davan- tage {î c'étoit un air de bien vivre avec Ton mari. Du refre , vivant beaucoup en campagne , lifant moins & avec moins de fruit que les hommes , elles n'ont pas TeTprit fort orné; & dans le défœuvrement de leur vie elles n'ont d'autre refTource que de faire de dentelle , d'épier curieutement les af- faires des autres , de médire &c de jouer.

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guerre civile, & cette a£iire n'eft p^s tellement finie qu'elle ne puiÏÏe Li:rcr de longs (bu venirs. Quand iîsfefc-j.i-t

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Voilà les principales reniirq..- .: J'ai faites iufqu'ici fur les ^ens du pays je fuis. Elles vous paroitroiexK peut- être un peu dures poor no bomae ^q

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ï^6 Lettre au Maréghal

îi y en a pourtant de fort aimables^ mais en général on ne trouve pas dans leur entretien ce ton que la décence ,ôc rhonnéteté même rendent féduc- teur, ce ton que les Françoifes fa- vent bien prendre quand~elles ven- tent, qui montre du fentiment , de l'ame ^ & qui promet des iiéro'ines de î'oman. La converfation des Neufchâ- teloifes eft aride ou badine ; elle tarit ^tôt qu'on ne plaifante pas. Les deux fexes ne manquent pas de bon natu- rel , Se je crois que ce n'eil pas un peu- ple fans mœurs, mais c'eft un peuple ïans principes , de le mot de vertu y eft aulîi étranger ou aufTi ridicule qu'en Italie. La religion dont ils fe piquent fert plutôt à les rendre hargneux que tons. Guidés par leur Clergé ils épi- iogueront fur le dogme, mais pour la morale ils ne favent ce que c'efl:; car quoiqu'ils parlent beaucoup de charité, celle qu'ils ont n'cfl aiîurément pas i'amiour du prochain, c*eft feulement l'afieclation de donner l'aum.ône. Un chrétien pour eux eft un homme qui va au prêche tous les Dimanches ; quoi qu'il fafTe dans l'intervalle, il n'im- perte pas, Leurs Miniftres qui fe (ont

DE Luxe xM BOURG. 147

:acquis un grand crédit fur le peuple tandis que leurs Princes écoient ca- tholiques , voudroient conferver ce cré- dit en fe mêlant de tout, en chica- nant (ur tout 5 en étendant à tout la îurifdiclion de l'Eglife ; ils ne voient pas que leur tems eft paflé. Cepen- dant ils viennent encore d'exciter dans l'Etat une fermentation qui achèvera de les perdre. L'importante affaire dont il s'agillbit étoic de favoir fi les peines dQS damnés étoient éternelles. Vous auriez peine à croire avec quelle cha- leur cette difpute a été agitée ; celle du Janfénifme en France n'en a pas approché. Tous les Corps afTemblés, les peuples prêts à prendre les armes, Aliniftres deftitués , Magiftrats inter- dits, tout marquoit les approches d'une guerre civile , & cette affaire n'eft pas tellement finie qu'elle ne puifTe laifTer de longs fouvenirs. Quand ils fe feroient tous arrangés pour aller en enfer, ils n'auroient pas plus de fouci de ce qui s'y paffe.

Voilà les principales remarques que j'ai faites iufqu'ici fur les gens du pays je fuis. Elles vous paroîtroient peut- çtre un peu dures pour un homme qui

G 2

148 Lettke au Maréchal

parle de los hôtes , li je vous laifToîs Ignorer que je ne leur fuis redevable d'aucune hofpitalité. Ce n'eft point à Meilleurs de Neufchâtel que je fuis venu demander un afyîe qu'ils ne m'au- roient fûrement pas accordé, c'efl: à Mylord Maréchal , & je ne fuis ici (^ue chez le Roi de PrufTe. Au con- traire, à mon arrivée fur les terres de ia Principauré , le Magiflrat de la viîle de Neufchâtel s'efl: pour tout accueil dépêché de défendre mon livre fans le connoitre, la cîaffe des PAinidres Ta déféré de même au Confeil d'Etat; oa n'a jamais vu de gens plus pr^ffés d'i- miter les fottifcs de leurs voifins. Sans la protection déclarée de Mylord Ma- réchal , on ne m'eut fûrement point laiiïe en paix dans ce village. Tant de bandits fe réfugient dans le pays , que ceux qui le gouvernent ne favent pas diftinguer des malfaiteurs pourfuivis les innocens opprimés, ou fe mettent peu en peine d'en faire la différence La maifon que j'habite appartient à une nièce de mon vieux aaii M. Roguin, Ainfi loin d'avoir nulle obligation à M^^Hieurs de Neufchâtel, je n'ai qu'à xn'en plaindre. D'ailleurs, je n'ai pas

DE LU5^EMB0UKG. I4P

lïiîs le pied dans leur ville , ils me font étrangers à tous égards; je ne leur dois que juftice en parlant d'eux, èc je la leur rends.

Je k rends de meilleur cœur encore à ceux d'entr'eux qui m'ont comblé de careiïes 5 d'oftres, de politeiTes de toute efpece. Flatté de leur eflime de touché de leurs bontés, je me ferai toujours un devoir & un plaifîr de leur marquer mon attachement & ma re- connoifTance ; mais l'accueil qu'ils m'ont fait n'a rien de commun avec le gou- vernement Neufchâtelois qui m'en eût fait un bien différent s'il en eût été le maître. Je dois dire encore que fi k mauvaife volonté du corps des Minif- tres n'eft pas douteufe, j'ai beaucoup à me Inier en particulier de celui dont j'habite la paro'fTe. II me vint voir à mon arrivée , il me ht mille offres de Services qui n'étoient point vaines , comme il me l'a prouvé da'^-'s une oc- cafion effentielle oii il s'eft expolé à la mauvaife humeur de plus d'un de fes confrères, pour s'être montré vrai Pafceurenvers moi. Jem'attendois d'au- tant moins de fa part à cette juflice , qu'il avoit joué dans les précédentes

G}

Arjô Lettre au Maréchal

brouilleries un rôle qui n'annonçoit pas un Miniftre tolérant. Ceft au iurp!us un homme alTez gai dans la fociété, qui ne manque pas d'efprit, qui fait quelquefois d'alTez bons fermons, & louvent de fort bons contes.

Je m'apperçois que cette Lettre efl: un livre , & je n'en fuis encore qu'à la moitié de ma relation. Je vais. Mon- fieuj- le Maréchal , vous laifler repren- dre haleine, & remettre le fécond tome à une autre fois (^},

SECONDE LETTRE

AU MÊME.

A Motiers, le 28 Janvier 1753.

JLL faut, Monfieur le Maréchal, avoir du courage pour décrire en cette faifon le lieu que j'habite. Des cafcades, desgla- ces , des rochers nuds, des fapins noirs

(d) Pour apprécier les divers jugemens portés dans I cette lettre , le 1 edeur voudra bien faire attention à; i'époque de fa date & au lieu gu'habicoit TAytcur*- \

couverts de neige , fontles objets dont je fuis entouré; &, à l'image de rhivec le pays ajoutant l'afped de Taridité, ne promet, à le voir, qu'une defcription, fort trifte. Auffi a-t-il l'air aiïez nud en toute faifon , mais il eft prefque ef- frayant dans celle - ci. Il faut donc vous le repréfenter comme je l'ai trouvé en y arrivant, & non comme je le vois aujourd'hui , fans quoi l'intérêt que vous prenez à moi m'empechsroit de vous en rien dire.

Figurez vous donc un vallon d'une bonne demi-lieue de large &i d'envirotr deux lieues de long, au milieu duquef paiïe une petite rivière appel! ée la Reufe dans la direction- du Nord-ouell: au Sud-eft. Ce vallon formé par deux chaînes de montagnes qui font des bran- ches du Mont-Jura & qui fe reflerrent par \qs deux bouts, refle pourtant aU fez ouvert pour laiîTer voir au loin fes prolongemens 5 lefqueîs divifés en ra- meaux par les bras des montagnes of- frent pluHeurs belles perfpedives. Ce vallon, appelle le Val-de-travers du nom d'un village qui eft à fon extré- mité orientale, eH: garni de quatre ou cinq, autres villages à peu de diflanc©

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1^2 Lettre au Maréchal

les uns des autres; celui de Motîers qiii forme le milieu efl dominé par un vieux château défert dont le voi- finage & la fîtuation folitaire & fau- vage m'attirent fouvent dans mes pro- menades du matin , d'autant plus que je puis fortir de ce côté par une porte de derrière fans palTer par la rue ni devant aucune maifon. On dit que les bois di les rochers qui environnent ce -château font fort remplis de vipè- res; cependant 5 ayant beaucoup par- couru tous les environs, & m'étant alÏÏs à toutes fortes de places^ je n'en ai point vu jufqu'ici.

Outre ces villages , on voit vers le bas des montagnes plufieurs maifons éparfes qu'on appelle des Prifes ^ dd.ns lefquelles on tient des beftiaux &: dont plufieurs font habitées par hs proprié- taires, la plupart payians. Il y en a une entr'autres à mi-côte nord, par conféquent expofée au midi, fur une îerraiïe naturelle, dans la plus admi- rable pofition que faye jamais vue, & dont le difficile accès m'eût rendu l'habitation très -commode. J'en fus tenté, que dès la première fois je m'é- tois prefque arrangé avec le proprié-

DE Luxembourg. 1J5

tiîre pour y loger ; mais on m'a de-^ puis tant dit de mal de cet homme, qu'aimant encore mieux la paix & la fureté qu'une demeure agréable , j'ai pris le parti de reder je fuis. La maifon que j'occupe eil' dans une moins belle pofition , mais elle ed grande , afTez commode, elle a une galerie ex- térieure où je me promené dans les mauvais tems , & ce qui vaut mieux que tout le reftcjc'eft un afyle offert par l'amitié.

La Reufe a fa fource au-defTus d*un village appelle Saint-Sulpice, à l'extré- iTiité occidentale du vallon; elle en fort au village de Travers à l'autre extré- mité où elle commence à le creufer un lit qui devient bientôt précipice , & la conduit enfin dans le lac de Neuf- chatel. Cette Reufe eft une très-jolie ri- -viere^ claire & brillante comm.e de l'ar- gent 5 les truites ont bien de la peine à fe cacher dans des touifes d'her- bes. On la voit fortir tout-d'un-coup de terre à fa fource, non point en pe- tite fontaine ou ruiffeau , mais toute grande & déjà rivière comme la fon- taine de Vauclufe , en bouillonnant à travers les rochers, Comme cette fourçe

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eft fort enfoncée dans les roches et earpées d'une montagne, on y efl: tou- jours à l'ombre; & la fraîcheur contl- jiuelle, le bruit, les chûtes, le cours de l'eau m'attirant Tété à travers ces rocher brûlantes, me font fouvent met- tre en nage pour alier chercher le frais près de ce murmure,- ou plutôt près-- de ce fracas, plus flatteur à mon oreille- que celui de la rue Saint-Martin.

L'élévation des montagnes qui for- ment le vallon n'eftpas excefllve, mais- le vallon même efl montagne étant fort élevé au-delTus du lac, & le lac ainfî que le fol de toute la SuifTe, eft en- core extrêmement élevé fur les pays de plaines , élevés à leur tour au-deiïl;s du niveau de la mer. On peut juger fenfîblement de la pente totale par le long & rapide cours des rivières , qui 5 des montagnes de Suiife vont fe ren- dre les unes dans la Méditerranée & les autres dans l'Océan. Ainfi, quoique la Reufe traverfant le vallon (bit fu- jette à de fréquens débordemens qui font des bords de fon lit une efpece de marais, on n'y fent point le maré- cage 5 Tair n'y eft point humide & mal' iàin 5 la vivacité qu'il tire de fon élé*

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!bs Luxembourg. ï yy

'♦atîon l'empêchant de refter long-tems chargé de vapeurs grofîîeres, les brouil- lards 5 aiïez fréquens les matins , cè- dent pour l'ordinaire à l'adiion du fo- leil à mefure qu'il s*é!eve.

Comme entre les montagnes & les vallées la vue eft toujours réciproque, celle dont je jouis ici dans un fond n'efl: pas moins valle que celle que j*a- vois fur les hauteurs de Montmorenci, mais elle eil: d'un autre genre; elle ne flatte pas 5 elle frappe; elle eft plus fauvage que riante; Fart n'y étale pas fes beautés, mais la majefté de la na- ture en impofe , Se quoique le parc de Verfailles foit plus grand que ce vallon , il ne paroîtroit qu'un colifi- chet en fortant d'ici. Au premier coup- d'œil le fpeétacle, tout grand qu'il eft,. fcmbîe un peu nud, on voit très-peu d'arbres dans la vallée; ils y viennent' mal & m donnent prefque aucun fruit; Tefcarpement des montagnes étant très- rapide, montre en divers endroits le gris des rochers , le noir des fapins coupe ce gris d'une nuance quin'eft pas riante,^ & ces fapins fi grands, (i beaux quand on eft deffous, ne paroiiïant au loin que des arbriffeauXa ne promettent ni

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1^6 Lettre au Maréchaê

Vafyle 5 ni l'oirbre qu'ils donnent; Î5 fond du vallon , prefque au niveau de la rivière , femble n'offrir à fes deux bords qu'un large marais Ton ne lauroit marcher; la réverbération des rochers n'annonce pas dans un lieu fans arbres une promenade bien fraîche quand le foîeii luit; htot qu'il fe cou- che 3 il laiiTe à peine un crépufcule ; Se la hauteur des monts interceptant toute la lumière , fait paiTer prefque à l'inflant du jour à la nuit.

Mais fi la première impreflion de tout cela n'eft pas agréable , elle change infenfiblement par un examen plus dé- taillé ; de dans un pays l'on crovoit avoir tout vu du prem.ier coupd'ceil, en fe trouve avec furprife environné d'objets chaque jour plus intérefTans, Si la promenade de la vallée eïl un peu uniforme, elle eft en revanche extrême- ment commode; tout y eft du niveau le plus parfait, les chemins y font unis comme des allées de jardin ; les bords de la rivière oifrent par place de lar» ges peloufes d'un plus beau verd que- les gazons du Palais Royal, & l'on s*y promené avec dé'ices le long de cette belle eau , qui dan^ le vallon prend un

DE Luxembourg. i5'7

cours paidble en quittant Tes cailloux & fes rochcTS qu'elle retrouve au fortir du Val-de-Traveri, On a propoTé de planter Tes bords de Saules Se de Peu- pliers, pour donner durant h chalei.r du jour de l'ombre au bétail défolé par les mouches. Si jamais ce projet s'exécute, les bor-'s de la Reufe de- viendront aufl] charmans que ceux du Lignon , & il ne leur manquera p!usr que des Aftrées, des Silvandres ôc un d'Urfé.

Comme la direâ:ion du vallon coupe obliquement le cours du foleil , la hau - teur des monts jette toujours de l'om- bre par quelque côté fur la plaine , de forte qu'en dirigeant Tes promenades & choififTant (es heures, on peut aifé- ment faire à l'abri du foleil tout le tour du vallon. D'ailleurs ces mêmes mon- tagnes interceptant fes rayons , font qu'il fe levé tard & fe couche de bonne heure , en forte qu'on n'en eft pas îong- tems brûlé. Nous avons prefque ici- la clef de l'énigme du Ciel de trois aunes, & il eft certain que les maifons qui font près de la fource de la Reufe , n'ont pas trois heures de foleil, mem§ en été.

!ïj-8 LettixIi au Marechaé

Lorfqu'on quitte le bas du vaîToti' pour fe promener à mi côte , comme nous fiiTiCS une fois, Monheur le ?vla- réchal , le long des Champeaux da côté d'Andilly , on n'a pas une pro- menade aulîi commode , mais cet agré- ment efl: bien compenfé par la variété des fîtes & des points de vue, par les découvertes que l'on fait fans ceiïe autour de loi, par les jolis jréduits qu'on trouve dans les gorges des montagnes, où, le cours ties torrens qui defcen- dent dans la vallée , les hêtres qui les-- ombragent, les coteaux qui les entou- rent ottrent des afyles verdoyans & frais quand on fufîoque à découvert. Ces réduits, ces petits vallons ne s'ap- perçoivent pas, tant qu'on regarde au loin les montagnes , & cela joint à l'agrément du lieu celui de la furprife,- ïorfqu'on vient tout d'un coup à les- découvrir. Combien de fois je m.e fuis figuré 5 vous fuivant à la promenade & tournant autour d'un rocher aride, ^ous voir furpris & charmé de retrou- ver des bofquets pour les Dryades oii t^ous n'auriez cru trouver que des an-^ très Se des ours.

Tout le pays qH plein de curlofités

»è LuxEMBoURcî. r^y

naturelles qu'on ne découvre que peu à peu, & qui par ces découvertts fuc- cefllves lui donnent chaque jour l'at- trait de la nouveauté. La Botanique offre ici Tes trélors à qui fauroit les con- noître, & fouvent en voyant autour de moi cette profufion de plantes ra- res , je les foule à regret fous le pied d'un ignorant. Ilefl: pourtant néceiïaire d'en connoître une pour fe garantir de fes terribles effets, c'efl: le Napel. Vous voyez une très belle plante haute de trois pieds, garnie de jolies fleurs bleues qui vous donnent envie de la^ cueillir : mais à peine Ta-t-on gardée quelques minutes qu'on fe fent faill de' maux de tête , de vertiges, d'évanouif- femens ,& Ton périroit (i l'on ne jet** toit promptement ce funefte bouquet» Cette plante a fouvent caufé des ac» eidens à des enfans & à d'autres gens- qui ignoroient fa pernicieufe vertu,- Pour les befliaux ils n'en approchent jamais, & ne broutent pas même l'herbe qui l'entoure. Les faucheurs l'extirpent- autant qu'ils peuvent ; quoiqu'on fafTe j,^ Fefpece en refte , & je laifTe pas? d'en voir beaucoup en me promenast^"

iKo Lettre au MAÉêcHAi:;

fur les montagnes; mais on l'a détruite à-peu-près dans le vallon.

A une petite lieue de Motlers , dans* îa Seigneurie de Travers , efl: une' mine d'afphaîte qu'on dit qui s'étend Ibus tout le navs : les habitans lui at-- tribuent modeftement la gaîté dont ils fe vantent 5 & qu'ils prétendent fe tranf-^ mettre même à leurs beuiaux. Voilà lans doute une belle vertu de ce mi- néral 5 mais pour en pouvoir fentir Tef-' iîcace il ne faut pas avoir quitté le château de Montmorenci. Quoi qu'il en foit des merveilles qu'ils difent de le'jr afphaîte, fai donné au Seigneur de Travers un moyen iûr d'en tirer la médecine univerfelle; c'eft de faire une bonne penfion à Lorris ou à Bor- deu.

Au-deiTus de ce même village de ■Ti'avers il fe fit , il y a deux ans, une avalanche conildérable & de îa façon du monde la plus Gnguliere. Un homme qui habite au pied de la montagne avoit Ion champ devant fa fenêtre , entre la montagne & fa maifon. Un matin qui fuivit une nuit d'orage , il fut bien fur- pris en puvrant fa fenêtre de trouve!

t) E L U X E iM B 0 U R G. j6i

un bois à la place de fon champ; le terrein s'ébouhnt tout d'une pièce avoit recouvert Ton champ des arbres d'un bois qui eft au-delîus, & cela, dit-on, fait entre les deux propriétaires le fu- jet d'un procès qui pourroit trouver place dans le recueil de Pittavaî. UeC- pace que l'avalanche a mis à nud eft fort grand & paioît de loin; mais il faut en approcher pour juger de la force de Téboulement, de l'étendue du creux , & de la grandeur d^s rochers qui ont été tranfportés. Ce fait récent & certain rend croyable ce que dit Pline d'une vigne qui avoit été ainfi tranfportée d'un côté du chemin à l'au- tre : mais rapprochons-nous de notre habitation.

J'ai vis-à-vis de mes fenêtres une fuperbe cafcade, qui du haut de la montagne tombe par refcarnemeiit d'un rocher dans îe vallon avec un bruit qui fe fait entendre au loin , fur-tout quand les eaux font grandes. Cette cafcade eft très en vue , mais ce qui ne l'eft pas de même eft une grotte à côté de fon balîin, de laquelle l'entrée eft difficile, mais qu'on trouve au dedans affez efpacée , éclairée par une fenêtre

3^2 LETtRE AU MaRECKA^

naturelle, ceintrée en tiers-point. Si- décorée d'un ordre d'Architedture qui n'efl: ni Tofcan , ni Dorique , mais l'or- dre de la nature qui fait mettre des proportions & de l'harmonie dans fes ouvrages les moins réguliers. Inftruif de la (ituation de cette grotte , je m'y rendis feui l'été dernier pour la con- templer à mon aife. L'extrême féche- refTe me donna la facilité d'y entrer par une orfverture enfoncée & très furbaif- fée 5 en me traînant fur le ventre, car la fenêtre eil trop haute pour qu'on puiiTe y pafïer fans échelle. Quand je fus au dedans je m'aflis fur une pierre, ëi je me mis à contempler avec ravifTe- ment cette fuperbe faîle dont les or-

remens font des Quartiers de roche di-

i.

verfement fitués, & formant la déco- ration la plus riche que j'aie iamais vue, du moins on peut appeller ainfî celle qui montre la plus grande puif- fance 5 ce'le qui attache & intérefTe , celle qui fait penfer, qui élevé l'ame , celle qui force l'homme à oublier fa petitefTe pour ne penfer qu'aux œuvres de la nature. Des divers rochers qui meublent cette caverne, les uns, dé- tachés & tombés de la voûte , les au-

DE LUXEMBOUKC?. l6^

très encore pendans & diverfement fi-- tués, marquent tous dans cette mine na- turelle , l'elfet de quelque explofion ter- rible dont la caufe paroît difficile à imaginer; car même un tremblement de terre ou un volcan n'expliqueroit pas cela d'une manière fatisfaifante. Dans le fond de la grotte, qui va en s'élevant de même que fa voûte, on monte fur une efpece d'eftrade, & de- là par une pente allez roide fur un ro- cher qui mené de biais à un enfonce- ment très-obfcur par l'on pénètre lous la montagne. Je n'ai point été juf- ques-là, avant trouvé devant moi un trou large & profond qu'on ne fauroit franchir qu'avec une planche. D'ailleurs^ vers le haut de cet enfoncement & prefque à l'entrée de la galerie fouter- reine , efl un quartier de rocher très- impofant , car fufpendu prefqu'en Tair il porte à faux par un de (es angles, & penche tellement en avant qu'il fem- ble fe détacher 6c partir pour écrafer le fpedateur. Je ne doute pas, cepen- dant, qu'il ne foit dans cette fituation depuis bien des fiecles & qu'il n'y refte encore plus long-tems j mais ces fortes-

1(^4 Lettre au MARÉenAt d'équilibres 5 auxquels les yeux ne font pas faits , ne laident pas de caufer quel- qu'inquiétude ; & quoiqu'il fallût peut- être des forces immenfes pour ébranlei^ ce rocher qui paroît fi prêt à tomber, je craindrois d'y toucher du bout du doigt, & ne voudrons p?.s plus rellei: dan? la direclion de fa chute que fous Tépée de Damoclès.

L:i galerie fouterreine à laquelle cetteî grotte fert de veftibule ne continue pas d'aller en montant , mais elle prend fa pente un peu vers le bas, & fuit Li même incîinaifon dans tout l'efpace qu'on a jufqu'icî parcouru. Des curleujC s'y (ont engagés à diverfes fois avec des domePtiques , des flambeaux &c tous les fecours nécelTaires; mais il faut du courage nour pénétrer loin dans cet effroyable lieu, & de la vigueur pour ne pas s'y trouver m^al. On ell: allé jufqu'à près de demi-lieue en ouvrant ]e pafîage il eft trop étroit, fon- dant avec précaution les gouffres de fondrières qui font à droite & à gau- che; mais on prétend dans le pays qu'on peut aller par le même fouterreîn à plus de deux lieues jufqu à l'autre côté

DE Luxembourg. i6j

de la montagne, l'on dit quM aboutit du côté du lac, non loin de rembou- çhure de la Reufe.

Au - deiïous du bafîin de la même cafcade , eft une autre grotte pus pe- tite, dont l'abord eftembarraiïe de plu- fîeurs grands caillous & quartiers de roche qui paroIfTent avoir été entraî- nés là par les eaux. Cette grotte- ci n'é- tant pas fi praticable que l'autre , n'a pas de même teinté les curieux. Le jour qve j'en examinai l'ouverture , il fai- foit une chaleur infupportabîe ; cepen- dant il en fortoit un vent fi viF &: fi froid 5 que je n'ofai refter long-tems à l'entrée 5 & toutes les fois que j'y fuis retourné j'ai toujours fenti le même vent; ce qui me fait juger qu'elle a une com- munication plus immédiate ^ moins embarraffée que l'autre.

ArouefI: de la vallée une montagne la fépare en deux branches. Tune fort étroite oii font le village de Saint-Sul- pice , la fource de la Reufe , & le che- min de Pontarlier. Sur ce chemin l'on voit encore une groffe chaîne fcellée dans le rocher & mife jadis par les Suiffcs pour fermer de ce côté-là le paf* fage aux Bourguignons,

i66 Lettee au Maréchal

L'autre branche plus large & à gau- che de la première, mené par le villa- ge de Butte à un pays perdu appelle la Cote-aux-Fées , qu'on apperçoit de loin parce qu'il va en montant. Ce pays n'étant fur aucun chemin paiTe pour très-fauvage & en quelque forte pour le bout du monde. Aufli prétend- on que c'étoit autrefois le féjour des Fées , & le nom lui en efl: refté. On y voit encore leur falle d'afTemblée dans unetroifieme caverne qui porte aulii leur nom , & qui n'efl: pas moins eurieufe que les précédentes. Je n'ai pas vu cette grotte - aux - Fées , parce' qu'elle efl aflez loin d'ici ; mais on dit qu' elle étoit fuperbement ornée, &ron y voyoit encore il n'y a pasiong-tems, un trône & des (iéges très - bien taillés dans le roc. Tout cela a été gâté &: ne paroît prefque plus aujourdhui. D'ailleurs l'en- trée de la grotte efl: prefque entière- ment bouchée par les décombres , par les brouffailles ; & la crainte des fer- pens ôc des betes venimeufes rebute \qs curieux d'y vouloir pénétrer. Mais elle eût été praticable encore & dans fa première beauté, & que Madame la Maxéçtfale, eut paflé dan§ ce pays , je

DE Lux EMEO URG. ï6'y

fuîs fur qu'elle eût voulu voir cette grotte (inguîiere > n'eût-ce été qu'en fa- veur de Fleur- d'Epine & dQS Facar^ dins.

Plus j'examine en détail l'état & la ' pofition de ce vallon , plus je me per- fuade qu'il a jadis été fous l'eau , que ce qu^oiî appelle aujourd'hui le Val- jde Travers fut autrefois un lac formé par la Reufe , la cafcade &c d'autres ruîiïeaux , & conteni par les monta- gnes qui l'environnent, de forte que je ne doute point que je n'habite l'ancien^ ne demeure des poifTons. En effet, le loi du vallon eft fi parfaitem.ent uni, qu'il n'y a qu'un dépôt formé parles eaux qui puille l'avoir aind nivelé. Le prolongement du vallon, loin de def^ cendre, monte le long: du cours delà Reufe , de forte qu'il a fallu des tems infmis à cette rivière pour fe caver dans Jes abymes qu'elle forme, un cours en fens contraire à l'inc^.inaifon du terrein^ Avant ces tems, contenue de ce côté de même que de tous les autres , & forcée de refli:ier fur elle même, elle dut enfin remplir le vallon jufqu'à la hauteur de la première grotte que j'ai .décrite, par laq^uelle çlle trouva ous'ou^-

1^8 Lettre au AÎAnécHAr,

vrit un écoulemsnt dans la galerie fou- terreine qui lui fervoit d'aqueduc.

Le petit lac demeura donc conftam- raent à cette hauteur jafqu'à ce que par quelques ravages , fréquens aux pieds des montagnes dans les grandes eaux 5 des pierres ou graviers embar- ralTerent tellement le canal que les eaux n eurent plus un cours Tuffifant pour leur écoulement. Alors s'étant extrêmement élevées , & agiiTant avec une grande force contre les obftacles qui les rete* noient, elles s'ouvrirent enfin quelque ilTue par le côté le plus foible & le plus bas. Les premiers filets échappés ne cef- fant de creuler & de s'agrandir, 8c le niveau du lac baifTant à proportion , à force de tems le vallon dut enfin fe trou- ver à fec. Cette conjedure , qui m'eO: venue en examinant la grotte Ton voit des traces fendbles du cours de l'eau , s'eft confirmée premièrement par le rapport de ceux qui ont été dans la ga- lerie fouterreine 5 &" qui m'ont dit avoir trouvé dQS eaux croupilTantes dans hs creux des fondrières dont j'ai parlé ; elle s'ell confirmée encore dans les pèleri- nages que i*ai faits à quatre lieues d'ici pour aller voir Mylord Maréchal à fa

campagne^

Ï)E LUXEMBOUIK?. l2j^

campagne au bord du lac, & je ful- voîs, en montant la montagne, la ri- vière qui defcendoit à côté de moi par des profondeurs effrayantes , que leîon toute apparence elle n'a pas trouvées toutes faites , & qu'elle n'a pas non plus creufées en un jour. Enfin , j'ai penfé que l'afpnalte , qui n'eft: qu'un bitume durci, étoit encore un indice d'un pays long-tems imbibé par les eaux. Sij'o- fois croire que ces folles pufTent vous amufer, je tracerois fur le papier une efpece de plan qui pût vous éclaircic tout cela : mais il faut attendre qu'une faifon plus favorable & un peu de re- lâche à mes maux me laiilent en état de parcourir le pays.

On peut vivre ici puifqu'il y a des habitans. On y trouve même les prin- cipales commodités de la vie, quoiqu'un peu moins facilement qu'en France, X*es denrées y font chères parce que le pays en produit peu , Se qu'il eft fort peuplé, fur-tout depuis qu'on y a établi des m.anufadlures de toile peinte, de que les travaux d'horlogerie & de den- telle s*y m.uItiplient.Poury avoir du paim mangeable , il faut le faire chez foi , & c'efl le parti que j'ai pris à l'aide de Made-, (Euy.Po/Ih,Tonu\L H

Ï70 Lettre au MAPicHAt moifeîle le Vafleur; la viande y eftmau- vaife 5 non que le pays n'en produife de bonne . mais tout le bcsut va à Ge- nève ou à Neufchâtel , & Ton ne tue ici que de la vache. La rivière fournit d'excellente truite , mais (i délicate qu'il faut la manger fortant de l'eau. Le vin vient de Neufchâtel, & il eft très-bon, fur-tout le rouge : pour moi je m'tn tiens au bLinc, bien moins violent, à meilleur marché, & félon moi, beau- coup plus fain. Point de volaille , peu de gibier, point de fruit, pas même des pommes ; feulement des fraifes bien parfumées , en abondance, & qui durent îong-tems. Le laitage y eft excellent, îïioins pourtant que le fromage de Vi- jy préparé par Mademoifelle Rofe ; les eaux y font claires & légères : ce n'eft pas pour moi une chofe indiffé- rente que de bonne eau, &: jemefen- tirai long- tems du vp/ï\ que m'a fait celle de Montrnorenei. J'ai fous ma fenêtre une très-belle fontaine dont le bruit fait une de mes délices. Ces fontaines, qui font élevées & taillées en colonnes ou en obélifques écoulent par des tuyaux de fer dans de grands baffins, font un jdes ornemens de la Suiffe, Il n'y a (i

DE Luxembourg. lyr

chétif village qui n'en ait au moins deux ou trois, les maifons écartées ont prefque chacune la iienne , & l'on en trouve même fur les chemins pour la commo- dité des pafTans 5 hommes & betliaux. Je ne faurois exprimer combien Taf- ped de toutes ces belles eaux coulan- tes eft agréable au milieu des rochers & des bois durant les chaleurs ; Ton eft déjà rafraîchi par la vue , & Ton eft ienté d'en boire fans avoir foif.

Voilà, ]\îonfieur le Maréchal, de quoi vousform.er quelque idée du féjour que j'habite , & auquel vous voulez bien prendre intérêt. Je dois Taimer comme Je feul lieu de la terre la vérité ne foit pas un crime, ni l'amour dugenrehu- maîn une impiété. J'y trouve la fureté fous la protedion de Mylord Maréchal; & l'agrément dans fon commerce. Les habitans du lieu m'y montrent de la bienveillance & ne me traitent point en •profcrir. Comment pourrois-je n'être pas touché des bontés qu'on m'y té- moigne , moi qui dois tenir à bienfait àe la part des hommes tout le mal qu'ils ne me font pas? Accoutumé à porter de- puis fi long-tems les pefantes chaînes de la néceiîitéjjepalTerois ici fans regret le?

Hz

%'j2 L E T T K E

j-efte de ma vie, f y pouvois voir quel- quefois ceux qui me la font encore aimer.

LETTRE

A MADAME DE T**^

Le 6 Avril 1771» »

\J N violent rhume , Madame , qui me met hors d'état de parler fans fa- tiguer extrêmement , me fait prendre le parti de vous écrire mon fentimcnt fur votre enfant, pour ne pas lelaiiïer plus long-tems dans Tétat de fufpenfïon je fens bien que vous le tenez avec peine , quoiqu'il ny ait point félon moi d'inconvénient. Je vous avouerai d'a- bord que plus je penfe à l'expofition îumineufe que vous m'avez faite 5 moins je puis me perfuader que cette roideur de caraclere qu'il manifefte dans un âge fi tendre foit l'ouvrage de la nature. Cette mutinerie, ou, fi vous voulez^ Madam.e , cette fermeté n'eftpas fi rare que vous croyez . parmi les enfans éle- vés comme lui dans l'opulence, &j'en fais dans ce moment même à Paris uf\

A Madame rlE T^^^ xj^

autre exemple tout femblable , dont la conformité m*a beaucoup frappé; tan- dis que parmi les autres enfans élevés avec moins de foliicltude apparente , Se à qui Ton a moins fait fentir par-là leur importance , je n'ai vu de ma vie un exemple pareil» Mais laifTons quant à préfent cette obfervation qui nousme» neroit trop loin, & quoi qu'il en loit de la caufe du mal , parlons du remède. Vous voilà 5 Madame , à mon avis , dans une circonftance favorable dont vous pouvez tirer grand parti. L'enfant commence à s'impatienter dans fa pen« {jon, il defire ardemment de revenir; mais fa fierté, qui ne luipermet jamais de s'abaiiïer aux prières, Tempêchede vous manifefter pleinement fon defir. Suivez cette indication pour prendre fur lui un afcendant dont il ne lui foit pas aifé dans la fuite d'éluder l'effet. S'il n'y avoit pas un peu de cruauté d'augmen- ter (es allarmes , je voudrois qu'on com- mençât par lui faire la peur toute en- tière 5 & que fans perfonne lui dît préci- (émentqu'il reftera, ni qu'il reviendra, ii vît quelqu'efpece de préparatifs comme pour lui faire quitter tout à-fait la maifoni^ paternelle , ôc qu'on évitât de s'expli-

Î74 Lettre

quer avec lui fur ces préparatifs. Quand vous Ten verriez le plus inquiet^vous prendriez alors votre moment pour lui parler, & cela d'un air fi férieux de fi ferme, qu'il fut bien perfuadé que c'efl: tout de bon.

Mon fils 5 il m'en coûte tant de vous tenir éloigné de moi , que , (i je n'écou- tois que mon penchant , je vous re- tiendroisici des ce moment ; mais c'efk ma trop grande tendrefTe pour vous qui m'empêche de m'y livrer. Tandis que vous avez été ici , j'ai vu avec la plus vive douleur, qu'au lieu de répondre à l'attachement de votre mère cv de lui rendre en toute chofe la complaifance qu'elle aimoit avoir pour vous , vous ne vous appliquiez qu'à lui faire épro'.- ver des contradidions qui la déchirent trop de votre part, pour qu'elle les puilfe endurer davantage , &c.

J'ai donc pris la réfolution de vous placerloln demoipourm'épargner l'af- fliélion d'être à tout moment l'objet ^^ le témoin de votre défobéilTance. Puif- que vous ne voulez pas répondre aux tendres foins que j'ai voulu prendre de votre éducation, j'aime mieux que vous alliez devenir un mauvais fujet loin de

À Mapàms t-Ë T^^\ 175*

mes yeux, que de voir mon fils chéri manquera chaque inftant à ce qu'il doii: à fa mère ; & d'ailleurs je ne défelpere pas que des gens fermes de fenfés , qu* n'auront pas pour vous le même foible que moi, ne viennent à bout de domp- ter vos mutineries par des traitemens nécefTaires que votre mère n'auroit ja- mais le courage de vous faire endu- rer, 8cc,

Voilà, mon fils , les raifons du parti que "fai pris à votre égard , & le feul que vous melaillîez à prendre , pour ne pas vous livrer à tous vos déhiuts & me rendre tout- à-fait m:^.lheureu- ie. Je ne vous laifTe point àParis, pour* ne pas avoir à combattre fans ceiïe , en vous voyant trop fouvent , le deiir de vous rapprocher de moi. Mais je ne vous ne tiendrai pas non plus fi éloigné , que fi l'on efl: content de vous je ne puiife vous faire venir ici quel- quefois , dcc.

Je fuis fort trompé , Madame , fi tou« te fa hauteur tient à ce coup inattendu dont il fentira toute la conféquence , vu fur-tout le tendre attachement que vous lui connoifTez pour vous, & qui dans ce moment fera taire tout autre

17^ Lettre

penchant. Il pleurera ^ il gémira ^ 1! pouf- fera des cris auxquels vous ne ferez ni ne paroîtrez infenfible ; mais lui par- lant toujours de fon départ comme d'une chofe arrangée, vous lui mon- trerez du regret qu'il ait laifTé venir cet arrangement au point de ne pou- voir plus être révoqué. Voilà, félon moi, la route par laquelle vous l'amènerez fans peine à une capitulation qu'il accep- tera avec des tranfports de joie, & dont vous réglerez tous les articles fans qu'il regimbe centre aucun; encore avec tout cela ne paroîtrez- vous pas compter ex- trêmement fur la folidité de ce traité , vous le recevrez plutôt dans votre mai- fon comme par efTai , que par une réu- nion confiante ; &: fon voyage paroîtra plutôt différé que rompu , raffurant ce- pendant que s'il tient réellement fes en- gagemens , il fera le bonheur de votre vie, en vous difpenfant de l'éloigner de vous.

Il me femble que voilà le moyen de faire avec lui l'accord le plus follde qu'il foit poffible de faire avec un en- fant 5 & il aura des raifons de tenir cet accord puiffantes & tellement à fa portée ^ que félon toute apparence ^

À Madame de T"^*^ 177

îl Teviendra fouple & docile pour long- îems.

Voilà 3 Madame , ce qui m'a paru le mieux à faire dans la circonftance; il y a une continuité de régime à obfer- ver qu'on ne peut détailler dans une lettre, & qui ne peut fe déterminer que par l'examen du fujet ; 5c d'ailleurs ce n'efl: pas une mère aulli tendre que vous, ce n'eft pas un efprit aufli clairvoyant que le votre , qu'il faut guider dans tous ces détails. Je vous Tai dit. Ma- dame 5 je m'en fuis pénétré dans notre unique converfation ; vous n'avez be- foin des confeils de perfonne dans la- grande & refpeclable tâche dont vous- êtes chargée , & que vous remplirez bien. J'ai cependant m'acquittet* de celle que votre modeftie m*aimpo- fée ; je l'ai fait par obéi/Tance & par de- voir , mais bien perfuadé que pour fa- voir ce qu'il y a de mieux à faire , fufïîfoit d'obferver ce que vous fer&Zj

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ijS Lettre

LETTRE \

A MONSIEUR ;

L'ABBÉ RAYNAL,. \

Alors Auteur du Mercure de Franccé \ Paris, le 25 Juillet 1750, "

V ous le voulez , Monfieur , je ne ré- \ fîfte plus : il faut vous ouvrir un porte- I feuille qui n'étoit pas deftiné à voir le ] jour, & qui en eft très-peu digne. Les 1 plaintes du public fur ce déluge de- ' mauvais écrits dont on l'inonde journel- lement y m'ont afïez appris qu'il n'a que j faire des miens ; & de mon côté , la ré- î putation d'Auteur médiocre, àlaquelle feule i'aurois pu afpirer, a peu flatté mon j ambition, Nayant pu vaincre mon pen- j chant pour les lettres , j'ai prefque tou- j jours écrit pour moi feul (^); & le Public !

M

{cl) Pour juger Ci ce langage étoic fîncere , on vou- i ^ra bien faire attention que celui qui parloit ainfi dans j wne Iccuc publique , avoit alors près de «quarante ans, \

'a m. l'Abbé RaVMal. 179 7>r mes amis n'auront pas à fe plaindre que j'aye été pour eux Recuator acerbus. Or , on eft toujours indulgent à f'oi- mcme , & des écrits ainfi deftinés à robfcurité, TA-Uteur mcme eût - il du talent, manqueront toujours de ce feu que donne l'émulation , & de cette cor- rection dont le feul dedr de plaire peut furiDonterle dégoût.

Une chofe (inguliere , c'efi: qu'ayant; î^utrefois publié un feul ouvrage (a)oi\ certainement -il n'eft point queftion de poéHe, on me fafTe aujourd'hui poëte malgré moi; on vient tous les jours me faire compliment fur des Comédies &: d'autres pièces de vers que je n'ai point faites 5 & que je ne fuis pas capable de faire, C'eft l'identité du nom de l'Au- teur & du mien qui m'attire cet hon- neur. J'en ferois flatté fans doute, !'on pouvoit l'être des éloges qu'on dérobe à autrui; mais louer un homme de chofes qui font au-delTus de fes for- ces 5 c'eft le faire fonger à fafoiblefTe.

Je m'étois effayé, je l'avoue, dans îe genre lyrique , par un ouvrage loué

{a.) Diiïjrcation fur la Mufi(]ue moderne. A Paris j rhçs Quillau perc, I743t

I^Ô IL E T T R s

éos amateurs, décrié des artifles, ^ que la réunion de deux arts difficiles- a f^it exclure par ces derniers , avec' autant de chaleur que fi en effet il eût été excellent.

Je m'étois imaginé, en vrai SuifTe , que pour réuiîlr, il ne faîloit que bien faire; mais ayant vu par l'expérience d'autrui , que bien faire eft le premier & le plus grand obftacie qu^on trouve à furmonter dans cette carrière , & ayant' éprouvé moi-même qu'il y faut d'au-- très talens que je ne puis ni ne veux^ avoir 5 je me fuis hâté de rentrer dans- Tobfcurité qui convient également à mes talens & à mon caraélere , & où^ vous devriez me laifîer pour Thonneut de votre journal.

Je fuis 5 &c.

LETTRE AU MÊME.

Sur tufage dangereux des vjîen/iles d$: cuivre*

Juillet 1753.

Je croîs 5 Monfieur, que vous ver**^ t^% avec plaifix Texuait ci- joint d'ung.-

A M. L'Abee RAYNAt. iSl-

ïettre de Stockolm , que la perfonne à qui elle eft adreffée me charge de vous prier d'inférer dans le iMercure» L'objet en eft de la dernière impor- tance pouf la vie des hommes; & plus- la négligence du public eft exceflive à- cet égard , plus les citoyens éclairés^ doivent redoubler de zèle & d'adivite pour la vaincre.

Tous les Chymiftes de l'Europe nouS' avertifTent depuis long-tems des mor- telles qualités du cuivre , & des dan- gers auxquels on s'expofe en faifant- ufage de ce pernicieux métal dans les" batteries de cuifine. M. Rouelle , de' TAcadémie des Sciences , eft celui qui en a démontré plus fenfiblement les funeftes effets , & qui s'en eft plaint avec le olus de véhémence. M. Thierri ^ Dodeur en Médecine , a réuni dans Une favante Thefe qu'il foutint. en 174P , fous la préfidence de M. Fal- connetjune multitude de preuves ca- pables d'effrayer tout homme raifon^ . nable qui fait quelque cas de fa vie & * de celle de fes concitoyens. Ces Phy» Cciens ont fait voir que le verd-de-*- gris 5 ou le cuivre diffous , eft un poi-' 'on violent dont rçfifet eft toujours aç^

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Je lililii 4a Mfllid 4«|

iSt Lettre

compagne de fymptômes affreux ; qui la vapeur même de ce miétaî eft dan- gereule , puifque les ouvriers qui le travaillent font fujets à diverfes mala- dies mortelles ou habituelles ; que tou* tes les menftrues , les graifTes , les Tels, & l'eau même difiolvent le cuivre, 6c en font du verd-de-gris ; que l'éta- mage le plus exact ne fait que dimi-* nuer cette ditTolution ; que l'étain qu'on emploie dans cet étamage, n'eft pas lui-même exempt de danger, mal-* gré l'ufage indifcret qu'on a fait juf- qu'à préfent de ce m.étal ^ & que ce danger eft plus grand ou moindre ^ félon les diflérens étains qu'on em- ploie , en raifon de l'aFfénlc qui entr« dans leur compofitioii , ou du plomb qui entre dans leur alliage i ( a) que lEeme, en fupDofant à l'étamage une précaution fuffifmte , c'eft une impru- dence impardonnable de faire dépert- dre la vie Ôc la fanté des hommes d'un«

»■' ... -a

ia) Que le plomb difibus foie un poifon , les accî- «îens funeftes que caufent tous les jours les vins falfî- fiés avec de la litharge, ne le prou7enT que trop. Ainfî pour employer ce métal avec rûrcté , il eft important de bien coiuioître les diSohms ^i ra{;a^uân;>

A M. l'Aesï; Rai^^a^l. iS|

lame d'étain très-déliée , qui s'ufe très-, promptement (a) & de rexaâtitude des domefliques 5c des ciiifiniers qui rejettent ordinairement les vailîeaux récemment étamés , à caufe du mau- vais goût que donnent les matières employées à l'étamage ; ils ont fait voir combien d'accidens affreux produits par le cuivre, font attribués tous les jours à des caufes toutes différentes ;. ils ont prouvé au'une multitude de gens périlient , &: qu'un plus grand nombre encore font attaqués de mille différentes maladies , p:^r l'ufage de ce métal dans nos cuiimes & dans nos fontaines , fans fe douter eux-meTies de la véritable caufe de leurs maux. Cependant , quoique la Manufacture d'uilenfiles de fer battu & étamé, qui

{a) II cft aîfé de déniontrer que de tjueîque maniè- re qu'on s'y prenne , on ne fauroit , dans hs ùfages des vaifleaux de cuîfîne , s'afTurer pour un fcui jour rétamage le plus folide ; car , comme récain entre en fufion à un degré de feu fort inférieur à celui de la, graiffe bouillante , toutes les fois qu'un cuifinier faic rouflir du beurre , il ne lui efl pas pofTible de garan- tir de la fufion quelque partie de l'étamage, ni paj conféqucnt le ragoût du confs^l du cuivre.

'iSd. L È T T K É

X

eft établie au Fauxbourg Saint-An-*' toine , offre des moyens faciles de fab- ftituer dans les cuihnes une batterie moins dirpendieufe , au (H commode que' celle de cuivre ., & parfiitement faine ,- au moins quant au métal principal , rindolence ordinaire aux hommes fur les choies qui kur fout véritablement utiles , & les petites Oiaximes que la- pareiïe invente fur les ufages établis s' fur-tout quand ils font mauvais, n'ont encore lairTé que peu de progrès aux fages avis des Chymiftes , & n'ont prol- crit le cuivre que de peu de cuilines. La répugnance dés cuifîniers à em- ployer d'autres vaiïïeaux que ceux qu'ils connoiffent, eft un obîtacle dont on ne fent toute la force que quand on con- noît la parefTe êc la gourmandife des' maîtres. Chacun fait que la fociété abonde en gens qui préfèrent Findo- îence au repos , & le plalfir au bon- heur ; mais on a bien de la peine à concevoir qu'il y en ait qui aiment mieux s'expofer à périr , eux & toute leur famille 5 dans des îourmens affreux^, qu'à manger un ragoût brûlé.

Il faut ralfonner avec les fages , Se Jamais avec le publiçi II y a long-tems^

A M. l'Abbé Raynal. iS^ qu'on a comparé la multitude à un trou- peau de moutons ; il lui taut des exem- ples au lieu de raifons , car chacun craint beaucoup plus d'être ridicule que d'être fou ou méchant. D'ailleurs, dans toutes les chofes qui concernent rintérêt comimun, prefque tous ju- geant d'après leurs propres maximes , s'attachent moins à examiner la force des preuves 5 qu'à pénétrer les motifs fecrets de celui qui les propofe : par exemple, beaucoup d'honnêtes le<5teurs foupçonneroient volontiers qu'avec de l'argent, le chef de la fabrique de fer battu, ou l'auteur des fontaines do^ meftiques excitent mon zele _en cette^ occaiion; défiance aîTez naturelle dans un fiecle de charlatanerie , oli les plus grands fripons ont toujours l'intérêt public dans la bouche. L'exemple eft en ceci plus perfuafif qi e le raifon- nement^, parce que la même défiance ayant vraifemblablement du naître aufli dans l'efprit des autres , on eft porté à croire que ceux qu'elle n'a point em- pêché d'adopter ce que l'on propofe, ont trouvé pour cela des raifons dé- cifiveSr Ainfi au lieu de m'arréter à

'io6 Lettre

montrer combien il eft abfurde, même <ians le doute, de làifTer dans li cui- fine des udenfiles fufpecls de poifon , il vaut mieux dire que M. Duverney vient c'oî-dorner une batterie de fer pour TEcold Militaire, que M. le Princa de Conti a banni tout le cuivre de la fîenne; que M le Duc de Duras , A^ni- balTddeur en Efpagne, en a fait autant; & que (on cuilunier, qu'il confulta là- deflus , lui dit nettement que tous ceux de Ton métier qui ne s'accomaio- doient pas de la batterie de î^r , tout aufii bien que de celle ce cuivre, étoient des ignorans, ou gens de mauvaile vo- lonté. Plufîeurs particuliers on: luivi cet exemple, que les perionnes éclai- rées, qui m'ont remis l'extrait ci-joint, - ont donné cepuis long-tems, fan,^ ue leur table fe relfente le moins du monde de ce changement, que par la con- fiance avec laquelle on peut manger d'excellens ragoûts , très-bien prépa- rés dans des vaiîTeaux de fer.

Mais que peut-on mettre ious les yeux du public de plus frappant que cet extrait miéme ? S'il y avoit au monde une nation qui dût s'oppofeff

A M. l'Abbé Raynal. 1S7

à l'expulfion du cuivre, c'efl: certai- nement la Suéde , dont les mines de ce métal font la principale richefîe , de dont les peuples en général idolâ- trent leurs anciens ufages. C'efl pour- tant ce royaume (1 riche en cuivre qui donne l'exemple aux autres, d'ô- ter à ce métal tous les emplois qui le rendent dangereux & qui intérefTent la vie de citoyens; ce font ces peuples, fi attachés à leur vieilles pratiques, qui renoncent fans peine à une mul- titude de commodités qu'il> retireroient de leurs mines , dès que la raiion &c l'autorité des fages leur montrent le rifque que l'ufaçre indifcret de ce mé- tal leur frit courir. Je voudrois pou* voir eipérer qu'un li falutaire exem- ple fera fuivi dans le refle de l'Eu- rope , Ton ne doit pas avoir la même répugnance à pro-'crire , au moins dans les cuifines , un métal qu'on tire de dehors. Je voudrois que les aver- tiiïemens publics des philofophes 6c des gens de lettres réveillaiïent les peuples fur les dangers de toute ef- pece auxquels leur imprudence les ex- pofe 3 & rappellaiïent plus fouvent à tous les fouverains^ que le foin de la

ï8S L E T T R E

confervatîon des hommes n'eft pas feu^ lement leur premier devoir , mais auiîi leur plus grand intérêt.

Je fuis , &c,

LETTRE

 M. M■^^^ A GENEVE.

Paris, le a 8 Novembre 17^4*

JZj N répondant avec franchife à votre dernière lettre, en dépofant mon cœur di mon fort entre vos mains , je crois,; Monfieur, vous donner une marque d'eftime & de conRance moins équi- voque que des louanges &; des eom- plimens, prodigués par la flatterie plus louvent que par l'amitié.

Oui, Monfieur, frappé des confor- mités que je trauve entre la conftitu- tion de gouvernement qui découle de mes principes , & celle qui exifte réel- J^ment dans notre Réoubîique , je me ^is propîe de lui dédier mon Dif- cours fur l'origine & les fondement de l'inégalité, éc j'ai faifi cette occa-

A M. M^^\ i2^

^on comme un heureux moyen d'ho- norer ma Patrie & Tes chefs p?.r de judes éloges, d'y porter, s'il fe peut, dans le fond des cœurs , l'olive que je ne vois encore que fur des médail- les, &c d'exciter en même tems les hommes à fe rendre heureux par l'exemple d'un peuple qui VcCt ou qui pourroit l'être fans rien changer à foa inditution. Je cherche en cela , félon ma coutume , moins à plaire qu'à me rendre utile ; je ne compte pas en par- ticulier fur le fuffrage de quiconque eft de quelque parti; car n'adoptant pour moi que celui de la juftice & de ia raifon , je ne dois gueres efpérer que tout homme qui fuit d'autres rè- gles, puiiïe être l'approbateur dts mien- nes; & fi cette confîdération ne m'a point retenu , c'efl qu'en toute chofe le blâm.e de l'univers entier me tou- che beaucoup moins que l'aveu de ma conscience. Mais, dites-vous, dédier un livre à la République , cela ne s'eft jamais fait. Tant m.ieux, Monfieur ; dans les chofes louables, il vaut mieux donner l'exemple que le recevoir, de le crois n'avoir que de trop juftes rai- fons ppur n'être l'imitateur de per<?

1^0 Lettre

fonnî ; ainfi , votre objcdiion n'ed' au fond qu'un préjugé de plus en ma fa- veur, car depuis long-tems il ne refte plus de mauvaife action à tenter, & quoi qu'on en pût dire , il s'agiroit jfnoins de favoir ii la chofe s'eft faite ou non , que fi elle eit bien ou mal en foi, de quoi je vous laiile le juge. Quant à ce que vous ajoutez qu'après ce qui s'eft paiTé , de telles nouveau- tés peuvent être dangereufes , c'eft-là une grande vérité à d'autres égards; mais à celui-ci, je trouve au contraire ma démarche d'autant plus à fa place après ce qui s'efc pafîé , que mes élo- ges étant pour les Magiftrats , & mes exhortations pour les Citoyens, il con- vient que le tout s'adrefTe à la Répu- plique , pour avoir occafion de par- ler àfes divers membres, & pour ôter à ma Dédicace tout apparence de par- tialité. Je fais qu'il y a des choies qu'il ne faut point rappeller; & i'elpere que vous me croyez alTez de jugement pour n'en ufer à cet égard qu'avec une réferve dans laquelle j'ai plus confulté îe goût des autres que le mien , car je ne penfe pas qu'il foit d'une adroite policic^ue ; de pouffer cette maxim^

A M. M^**. 191

lufqu^au fcrupule. La mémoire d'Erof- trate nous apprend que c'eft un mau- vais moven de faire oublier les cho- fvS, que d'ôter la liberté d'en parler : mais (i vous faites qu'on n'en parle qu'avec douleur, vous ferez bientôt qu'on n'en parlera plus. Il y a je ne fais quelle circonlpeclion pufillanime fort goûtée en ce fiecle , & qui, voyant par-tout des inconvéniens , le borne par (ageiïe , à ne faire ni bien ni mal ; j'aime mieux une hardieiïe généreufe qui, pour bien faire , fecoue quelque- fois le puérile joug de la bienféance. Qu'un zele indifcret m'abufe pL*ut- etre , que prenant mes erreurs pour des vérités utiles, avec les meilleures intentions du monde je puifîe faire plus de mal que de bien ; je n'ai rien à ré- pondre à cela, fîcen'eft, qu'une fem- blable raiion devroit retenir tout homme droit, 6<. laifTcr l'univers à la difcrétion du méchant & de l'étourdi, parce que les objecftions , tirées de la feule foibleiTe de la nature, ont force contre quelque homme que ce foit. Se qu'il n'y a perfonne qui ne dût ctre fufpeâ: à foi-même , s'il ne fe repofoit de U jurieiTe de fe^ lumières fur h

îpi Lettre

droiture de fon cœur; c'efl: ce que je dois pouvoir faire fans témérité, parce qu'ifolé parmi les hommes , ne tenant à rien dans la fociété , dépouillé de toute efpece de prétention , & ne cher- chant mon bonheur même que dans celui des autres, je crois, du moins, être exempt de ces préjugés d'état qui font plier le jugement des plus fages aux maximes qui leur font avantageu- ks. Je pourrois , il eft vrai, confulter des gens plus habiles que moi , & je le ferois volontiers, fi je ne favois que leur intérêt me confeillera toujours avant leur raifon. En un mot, pour parler ici fans détour, je me fie en- core plus à mon défintérelTement , qu'aux lumières de qui que ce puifTe être.

Quoiqu'en général , je faffe très- peu de cas àss étiquettes de procé- dés, & que j'en aye depuis long-tems fecoué le joug plus pefant qu'utile, je penfe avec vous qu'il auroit con- venu d'obtenir l'agrément de la Ré- publique ou du Confeil, com^me c'efi: aiïez l'uTage en pareil cas ; & j'étois {\ bien de cet avis , que mon voyage £ut fait en partie , dans l'intention de

ibiliciteç

A M. M * ^ ^. ipi

folllcîter cet agrément ; mais il me fal- lut peu de tems & d'obfervations pour reconnoître l'impodibilité de l'obtenir; je fentis que demander une telle per- miflion, c'étoit vouloir un refus, & qu'alors ma démarche qui pèche tout au plus contre une certaine blenféance dont plufîeurs fe font diipenlés, feroit par-là devenue une défobéiflance con- damnable, fi j*avois perfiflé, ou l'é- tourderie d'un fot , (i j'euflë abandonné mon deiïein : car ayant appris que dès le mois de Mai dernier , il s'étoit fait à mon infçu des copies de l'ouvrage & de la Dédicace, dont je n'étois plus le maître de prévenir l'abus, je vis que je ne Tétois pas non plus de re- noncer à mon projet, fans m'expofei: à le voir exécuter par d'autres.

Votre lettre m'apprend elle-mêm© que vous ne f^tez pas moins que moi toutes les difficultés que j'avois prévues; or, vous favez qu'à force de fe rendre difficile fur les permiffions indifférentes , on invite les hommes à s'en paiTer ; c*eft ainfi que l'exceffive circonfpedion du feu Chancelier, fut î'imprelîion des meilleurs livres , fit enfin qu'on ne lui préfentoit plus de (Euy. Pojik. Tom.YL I

t5»4 Lettre

manafcrlts, & que les livres ne s'im- prinolent pas moins, quoique cette impreHlon taite contre les loix, fût réel- lement criminelle, au lieu qu'une Dé- dicace non communiquée , n'eft tout au plus qu'une impoliteiïe ; 6c loin qu'un tel procédé (oit blâmable par fa nature, il eft au fond plus conforme à l'honnêteté que Tufage établi ; car il y a je ne fais quoi de lâche , à de- mander aux gens la permiffion de les louer, & d'indécent à l'accorder. Ne croyez, pas , non plus , qu'une telle con- duite foit fans exemple : je puis vous faire voir des livres dédiés à la nation Françoife ^ d'autres au peuple An- glois , fans qu'on ait fait un crime aux Auteurs de n'avoir eu pour cela ni le confentement de la nation , ni celui du Prince , qui fûrement leur eût été refufé, parce que dans toute Monar- chie , le Roi veut être l'Etat lui tout feul, & ne prétend pas que le peuple foit quelque chofe.

Au refte , fi j'avois eu à m'ouvrîr à quelqu^un fur cette affaire , ç'auroit été â M, le Premier moins qu'à qui que ce foit au monde. J'honore 8c j'aime trop ce digne & refpeclable Ma-

À M. M * * \ îp;

glflrat pour avoir voulu le compro- mettre en la moindre choie, & Tex- pofer au chagrin de déplaire peut-être à beaucoup de gens, en favorifant mon projet; ou d'être forcé, peut-être, à îe blâmer contre Ton propre fentiment. Vous pouvez croire qu'ayant réfléchi long tems fur les matières de Gou- vernement, je n'ignore pas la force de ces petites maximes d'Etat qu'un fage iMa;:i{lrat eft obligé de fuivre , quoi- qu'A en fente lui-même toute la fri- volité.

Vous conviendrez que je ne pou- vois obtenir l'aveu du Confeil , fans que mon ouvrage fût examiné; or, penfez-vous que j'ignore ce que c'eft que ces examens , & combien l'amour- propre des C enfeurs les mieux inten- tionnés, & les préjugés des p'us éc'ai- xés , leur font mettre d'opiniâtreté êc de hauteur à la place de la raifon , Se leur font rayer d'excollentes choies , uniquement parce qu'elles ne font pas dans leur manière de penfer , ik qu'ils ne les ont pas méditées auflî profon- dément que l'Auteur ? N'ai-je pas eu ici mille altercations avec les miens? Quoique gens d'efprit & d'honneur,

la

îç6 Lettre

ils m'ont toujouîs délo'é par de mi- férables chicaoes, qui r/avoient ni le fens corr.mun, ni GuUIvq caufe qu'une \ vile puliilanimité , eu la vanité de vou- > loir tout lavoir mieux qu'un autre. Je «'ai jamiis cédé , parce que je ne cède \ ou'à la raifon ; le Magiftrat a été no- tre juge, èc ï. s'cft toujours trouvé ; que les Cenfeurs avoient tort. Quand je répondis au Roi de Pologne , je de- ' vcis.felcr. eux, lui envoyer mon ma- n:.:crir, 6c ne Le publier qu'avec font l agrément : c'étoit, prétendoient ils, i manquer de refpe^t au père de la Rtine ; eue de l'attaquer publiquement, fur* | t „: :.vec la fierté qu'ils trouvoient j dans Lia réponfe ; & ils ajoutoien^ | même que ma (ùreté exigeoit des pré- , cautiofiS: je n'en ai pris aucune , je n'ai i point envoyé mon manufcrit au Prin- ! ce ; je m.e fuis fié à rhonnéteté pu- blique , com.me je fais encore aujour- d'hui , Ôc l'événement a prouvé que î'avois railon. Mais à Genève il n'ea iro't pas comme ici ; la décilion da l mes Cenfeurs feroit fans appel ; je me \ verroiî réduit à me taire , ou à don- , per fous m.on nom, le fentim.ent d'au- j ^ui; 6: je ne veux fiire ai l'un ;

A M. M ■>^' ^ *. ïpf

fautre. Mon expérience m'a donc fait prendre la fern^e réfolution d'être de-' formais mon unique Cenfeur ; je n'en aurois jamais de plus févere^ & mes principes n'en ont pas befoin d'autres ^ non plus que mes mœurs : puifque tous ces gens - regardent toujours à mille chofes étrangères dont je ne me foLicie point, j'aime mieux m'en rap- porter à ce juge intérieur & irtcorrup-' tibîe qui ne palTe rien de mauvais , St ne condamne rien de bon, & qui ne trompe jamais quand on le confulte de bonne foi. J'efpere que vous trouve- fsz qu'il n'a pas mal fait fon devoir dans l'ouvtage en queffion , dont tout le monde fera content , &c qui n'au- roit pourtant obtenu l'approbation d& perfonne.

Vous devez fentîr encore , que l'ir- régularité qu'on peut trouver dans mo» procédé, eft tout à mon préjudice & à l'avantage du Gouvernement, S'il y a quelque chofe de bon dansmon ouvra- ge , on pourra s'en prévaloir ; s'il y a quelque chofe de mauvais on pourra ïe défavouer ; on pourra m'approuver ou me blâmer félon les intérêts particu- liers, ou le jugement dupublic. On poui:*

ipS Lettre

roit même profcrire mon livre , TAu- teur & TEtat avoient ce malheur que le Confeil n'en fût pas content ; toutes chofes qu'on ne pourroit plus faire , après en avoir approuvé la Dédicace. En un mot. Il j'ai bien dit en l'honneur ds ma Patrie , la gloire en fera pour elle : fij'ai mal dit, )e blâme en retombera fur moi feul. Un bon citoyen peut- il fe faire un fcrupule d'avoir à courir de tels rifques ?

Jefupprime toutes les confidérations perlonnelles qui peuvent me regarder, parce qu'elles ne doivent jamais entrer dans les motifs d'un homme de bien qui travaille pour l'utilité publique. Si le détachement d'un coeur qui ne tient ni à la fortune, nimcmeàla vie, peut le rendre digne d'annoncer la vérité, j'ofe me croire appelle à cette vocation fublimeic'eft pour faire aux hommes du bien félon mon pouvoir, que je m'abftiens d'en recevoir d'eux, & que je chéris ma pauvreté &: mon indépen- dance. Je ne veux point fuppofcr que de tels fentimens puilîent jamais me nuire auprès de mes concitoyens;, 6c c*efl: fans le prévoir ni le craindre , que je prépare mon ame à cette dernière

A M. M * * \ 199

épreuve, la feule à laquelle je pulfTe être fenfible. Croyez que je veux être jul- qu'au tombeau, honnête, vrai, & citoyen zélé ; 6c que s'il falloit me priver à cette occafion , du doux (éjour de la Patrie, je couronnerois ainfi les facrifices que j'ai faits à l'amour des hommes & de la vérité, par celui de tous qui coûte le plus à mon cœur, & qui par confé- quent m'honore le plus.

Vous comprendrez alfément que cette lettre eft pour vous leul ; j'au- roispuvous en écrire une pour être vue dans un ftyle fort différent; mais outre que ces petites adreffes répugnent à mon caradere , elles ne répugneroient pas moins à ce que je connoisdu vô- tre; & je me faurai gré toute ma vie, d^avoir profité de cette occafion de ni'oavrir à vous fans réferve, &deme confier à ladifcrétion d'un homme de bien qui a de ramitié nour moi. Bon- jour, Monfieur, je vous embrafle de tout mon cœur , avec attendriilement ôc refpeét.

14

200 Lettre

LETTRE

A M. VERNE S.

A Paris 3 le 2. Avril 1755.

P

ouRlecoup, Monfîeur 5 voici bien du retard; mais outre que je ne vous ai point caché mes défauts, vous devez longer qu*un ouvrier & un malade ne difpofent pas de leur tems comme ils aimeroient le mieux. D'ailleurs l'ami- tié fe plaît à pardonner , & l'on n'y metgueres la févérîté qu'à la place du fentiment, Ainfi je crois pouvoir comp- ter Tur votre indulgence.

Vous voilà donc. Meilleurs, deve- nus Auteurs périodiques. Je vous avoue que ce projet ne me rit pas autant qu'à vous : j'ai du regret de voir des hom- mes faits pour élever des nionumens, fe contenter de porter des matériaux, & d'architedes fe faire manœuvres. Queft-ce qu'un livre périodique ? Un ouvrage éphémère , fans mérite & fans, utilité, dont la leélure négligée Ôc me-

A M. V E R Î^E s. 20ï

'prîfée par des gens de Lettres ^ ne fort qu'à donner aux femmes & aux fots de la vanité Ans in{lruâ:Ion , & dont Je fort 5 après avoir brillé îe matin fur îa toilette, eu de mourir le foir dans la garderobe. D'ailleurs , pouvez - vous vous rétoudre à prendre des pièces dans les journaux & jufques dans le Mercure y & à compiler des compilations? S'il n*eft pas impoflible qu'il s'y trouve quel- que bon morceau , il eft impofïible que pour le déterrer 5 vous n'ayez le dé- goût d'en lire toujours une multitude de déteftables. La philofophie ducœuH coûtera cher à l'efprit ^ s'il le faut rem-* plir de tous ces fatras. Enfin , quand vous auriez aflez de zèle pour loute- /]ir l'ennui de toutes ces leftures,qui vous répondra que votre choix fera fait comme il doit l'être ^ que l'attraic de vos vues particulières ne l^empor- tera pas fouvent fur l'utilité publique, ou que 3 vous ne fongez qu'à cetta Utilité, Tagrémentn'en fouffrira point? Vous n'ignorez pas qu'un bon choix lit-** îéraire eft le fruit du goût le plus ex-» quîs, & qu'avec tout refprit 3i toutes îe^ connoiiiances imagi^nables, îe goût ns peut alTez fe perfedionnsr dans une peu»

^3

2Q2 L E T T r. S

te vlîlej pour y acquérir cette fureté ne-^ cefTaire a la formation d'un recueil. le vôtre ePc excellent , qui le fentira? s'il efl médiocre & par conféquent dé- teflable 5 auflî ridicule que le Mercure SuifTe 5 il mourra de fa mort naturelle , après avoir amuféquelq'je tems les cail- lettes du pays de Vaud» Croyez-moi,. M^ndeur , ce n'eft point cette efpecs d'ouvrage qui nous convient. Des ou- vrages graves & profonds peuvent nous honorer. Tout le colifichet de cette petite philofophie à la mode nous va: fort mal. Les grands objets, tels que la vertu & la liberté, étendent & fortifient Fefprit; les petits , tels que la poéfie & les beaux arts , lui donnent plus de dé- îicatefTe & de fubtilité. I! faut untélef- cope pour les uns & un mîcrofcope pour les autres , & les hommes accou- tumés à mefurer le ciel, ne fauroient dijTéquer des mouches ; voilà pourquoi Genève eft le pays de h fageffe & de la raifon, & Paris le (iec^e du goùu Laiiïbns-en donc les rafinemens à ces myopes de la littérature , qui paffent leur vie à regarder des cirons au bouc de leur nez; fâchons être plus fiers du goût qui nous manque qu'eux de celui

A M, Vernis. 205

qu'ils ont ; & tandis qu'ils feront àss journaux & des brochures pour les ruelles , tâchons de faire deslivres uti- ks de dignes de l'immortalité.

Après vous avoir tenu le langage de ramitic , je n'en oublierai pas les procédés ; & vous perîjftez dans votre projet, je ferai de mon mieux un mor- ceau tel que vous le fouhaiterez pouc y remplir un vuide tant bien que mal,

LETTRE

DE M. DE VOLTAIRE, (a)

^ux Délices , près de Genève ^ ^755»

J'ai reçu, Monfieur, votre nouveau livre contre le çenre-humain ; je vous en remercie. Vous plairez aux hom- mes à qui vous dites leurs vérités , &: vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes

)(ii) L'Auteur de cette Lettre Ii fit imprimer un peu changée & augnicasée. voici telle qu'il nie J'cctiviç.

204 Lettre

les horreurs de la focie'té Iiumame'J àrm notre ignorance ik notre foiblefïb" fe promettent tant de douee-rs. On n'a:; jamais employé tant d'efprit à vouloir nous rendre betes : il prend envie de mar-- cher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant comme il y a plus;- de foixante ans que j'en ai perdu Tha- bitude 5^ je fens malheureufement qu'il in'ef}: impoffible de la reprendre, & je lailTe cette allure naturelle à ceux qui en font plus dignes que vous èc moi. Je ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les Sauvages du Canada ^ premièrement parce que les maladies» auxquelles je fuis condamné me rendent" un Médecin d'Europe néceiTaire ; fe— condement parce que la guerre eft por- tée dans ce pays-là , & que les exem- ples de nos nations ont rendu les Sau- vages prefque aulTi méchans quenous*- 'Je me borne à être un fauvage paifr- bîe dans la folitude que j'ai choilie au- près de votre patrie vous devriez' être.

J'avoue avec vous que Tes belles- lettres & îesfciences ontcaufé quelque»» fois beaucoup de mal.

Les ennemis du TalTe firent de ùf

■Dr M. CE VOLTAÏKE. 20^

Vie un tiiTu de malheursiceux de Galilée le firent gémir dans les prifor.s à foi- xante &: dix ans, pour avoir connu le mouvement de la terre ; &: ce qu'il y a de plus honteux, c'eft qu'ils l'obligè- rent à fe rétradler.

Dès que vos amis eurent commencé le Didionnaire Encyclopédique , ceux qui ofoient être leurs rivaux, les trai- tèrent de Déifies, d'Athées, & même de Janfénifles. Si j'ofois me compter' parmi ceux dont les travaux n'ont eu' que la perfécution pour récompenfe ^ je vous ferois voir une troupe de mifé- rables acharnés à me perdre , du jour que je donnai la tragédie d'CEdipe ; une bibliothèque de calomnies ridicules imprimée contre moi ; un Prêtre ex- Jéfuiteque j'avois fauve du dernier fup-* plice, me payant par des libelles dif- famatoires du fervice que je lui avois lendu; un homme plus coupable en- core faifant imprimer mon propre ou* ge du fiecle de Louis XIX , avec des notes la plus crafTe ignorance débiter les calomnies les plus efïrontées; urî- autre qui vend à un libraire une pré- tendue hiftoire univerfelie fous mofï Dom i & le Libraire afTez avide ou af^

£05 L E T T K s

fez fot pour imprimer ce tiiTii informé de bévues 5 de faufTes dates, de faits & de noms eftropiés ; 6c enfin des hom- mes aiîez lâches & alfez méchans pouc lïi'imputer cette rapfodie. Je vous fe- rois voir la fociété infedée de ce genre d'hommes, inconrru à toute l'antiquité, qui, ne pouvant embralTer une profef- lion honnête, (oit de laquais, foit de manœuvre, & fâchant malheureufem.ent lire èc écrire , fe font courtiers de la littérature 3 volent des manufcrits, les déngurent & les vendent. Je pourrois me plaindre qu'une plaifanterie, faite il y a plus^ de trente ans , fur le même fujet que Chapelain eut ta bêtife de traiter ferieufement , court aujourd'hui le monde par l'infidélité & l'infâme ava- rice de ces malheureux, qui l'ont dé- figurée avec autant de fottîfe que de malice , 8^ qui , au bou£-de trente ans, vendent par- tout cet ouvrage, lequel certainement n'eft plus le mien, ôcquï eft devenu le leur. J'ajoûterois qu'en dernier lieu, on a ofé fouiller dansleâ archives les plus refpedables , Ôc y vo- ler une partie des mémoires que j'y avois mis en dépôt, lorfque j'étois Hit- toriographe de France , 6c <^u'on a ven-

DE M. DE Volt AIR?, o,qi

du à un Libraire de Paris le fruit de mes travaux. Je vous peindrois r.'ngratitude, rimpofture &; la rapine mepourfuivant jufqu'aux pieds àç:s Alpes, S: jufqu'aa bord de mon tombeau.

Mais 5 Monfieur, avouez auffi quô ces épines attachéc^s à la littérature &: à la réputation, ne font que des fleurs en comparaifon des autres maux qui tous tems ont inondé îa terre. Avouez que ni Cicéron , ni Lucrèce , ni Virgile, ni Horace , ne furent les auteurs des profcriptîons de Marius, de Syîla , de ce débauché d'Antoine , de cet im- bécile Lepide, de ce tyran fans cou- rage OdaveCepias, furnommé fi lâche- ment Augufte.

Avouez que le badînage de Marot n'a pas produit la Saint BartheîemI, & que la tragéd"e du Cid ne caufa pas les guerres de îa Fronde. Les grands crimes n'ont été commis que par de célèbres ignorans. Ce qui fait & fera toujours de ce m.onde une vallée de lar- mes 5 c'eft l'infatiabîe cupidité & l'in- domptabîe orgueil des hommes , de- puis Thamas Kouli-Kan qui ne favoit pas lire jufqu'à un commis ce la douane qui ne fait que chiffrer, Les lettres nour-

2o8 R É p o N s r.

TiiTent Tame , la redifient , h confo-» îcnt , &: elles font même votre gloire dans le tems que vous écrivez contre elles. Vous êtes comme Achille qui s'emporte contre la gloire , oc comme le père Mallcbranche dont Timagina- tion brillante écrivoit contre i'imafrina- tien.

MonGeur Œappuis m'apprend que votre ùr.té eft bien mauvaife ; il fau- droit la venir rétablir dans Tair natal , jouir de la liberté , boire avec moi le lait de nos vaches , & brouter nos her- bes.

Je fuis très - philofophiquement S: avec la plus tendre eftime, Monfîeur , votre, 6CC.

RÉPONSE.

Paris, le lo Septembre 1755"

\^*EST à moi, Monfieur, de vous re- mercier à tous égards. En vous cfFranî- Tébauche de mes triées rêveries , je n'ai point cru vous faire un préfent digne de vous", mais m'acquitter d*u!«

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Réponse. sc^

devoir & vous rendre un hommp.ge que nous vous devons tous comme à notre chef. Senfible , d'ailleurs, à l'hon- neur que vous laites à ma patrie, je partage la reconnoilfance de mes con- citoyens , 5c felpere qu'elle ne fera qu'augmenter encore, lorfqu'ils auront profité des inftructions que vous pou- vez leur donner, EmbeL liiez Tatyle que vous avez choiii : éclairez un peu- ple digne de vos leçons; Se, vous qui favez 11 bien peindre les vertus &: la liberté, apprenez-nous à les chérir dans nos murs comme dsns vos écrits. Tout ce qui vous approche doit apprendre de vous le chemin de h gloire.

Vous VOVC2 que je n'afpire pas à nous rétablir dans notre bètife , quoique je regrette beaucoup, pour ma part, le peu que j*en ai perdu. A votre égard, iVIonlieur, ce retour ferolt un miracle, il grand à la Fois 3c li nuilibîe, qu'il n'appar- tiendroit qu'à Dieu de -e faire & qu'au Diable de le vouloir. Ne tentez donc pas de retomber à quatre pattes ; per- fonne au monde n'y réulTiroit moins que vous. V^ous nous redreiTez trop bien fur nos deux pieds pour cellcr de vous tenix lux les vouais.

âô8 R i P Ô N s 3F.

riffent l'ame, la redifient , la confo-' lent, & elles font même votre gloire dans le tems que vous écrivez contre elles. Vous êtes comme Achille qui s'emporte contre la gloire , & comme le père Mallebranche dont l'imagina- tion brillante écrivoit contre l'imagina-- tion*

Monfieur Chappuis m'apprend que Votre fanté eft bien mauvaife; il fau- droit la venir rétablir dans l'air natal y Jouir de la liberté , boire avec moi le Jait de nos vaches 5& brouter nos her- bes.

Je fuis très - philofophiquement ^ avec la plus tendre eflime, Monfieur ^ votre, &C,

RÉPONSE,

Paris, le lo Septembre 1755>

V^'est à moi, Monfieur, de vous re- fnercier à tous égards. En vous offrant l'ébauche de mes triftes rêveries, je n'ai point cru vous faire un préfent digne de vous', mais m'acquitter d'ua

Réponse. 20^

devoir & vous rendre un hommage que nous vous devons tous comme à notre chef. Sendble , d'ailleurs , à l'hon- neur que vous faites à ma patrie, je partage la reconnoiffance de mes con- citoyens , de j'efpere qu'elle ne fera qu'augmenter encore, lorfqu'ils auront profité des inftruciions que vous pou- vez leur donner. EmbeliiiTez l'afyle que vous avez choifi : éclairez un peu- ple digne de vos leçons; &, vous qui favez fi bien peindre les vertus ôc la liberté, apprenez-nous à les chérir dans nos murs comme dans vos écrits. Tout ce qui vous approche doit apprendre de vous le chemin de la gloire.

Vous voyez que je n'afpire pas à nous rétablir dans notre bêtife , quoique je regrette beaucoup, pour ma part, le peu que j'en ai perdu. A votre égard, Monfieur , ce retour ferolt un miracle, grand à la fois 5: fi nuifible, qu'il n'appar- tiendroit qu'à Dieu de le faire & qu'au Diable de le vouloir. Ne tentez donc pas de retomber à quatre pattes ;per- fonne au monde n'y réuffiroit moins que vous. Vous nous redreffez trop bien fur nos deux pieds pour ceffcr de vous tenir fur les vôtres.

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aïo Réponse.

Je conviens de toutes les dirgracej qui pouiTuivent les hommes célèbres dans les Lettres; je conviens même de tous les maux attachés à l'humanité^ & qui femblent indépenrans de nos vaines connoifîances. hss hommes ont ouvert fur eux-mêmes tant de lources de miferes , que quand le hafard eiï détourne quelqu'une, ils n'en font guè- res moins inondés. D'ailleurs, i! y a dans le progrès des chofes des liai- fons cachées que le vulgaire n'apper- çoit pas , mais qui n'échapperont point à j'ceil du fage quand il y voudra ré- fléchir. Ce n'eft niTérence, ni Cicé- ron 3 ni Virgile, ni Séneque , ni Ta-^ cite; ce ne font ni les fa vans , ni Iqs poètes qui ont produit les malheurs de Rome & les crimes des Romains : mais lans le poifon lent & fecret qui corrompit peu-à-peu le plus vigoureux Gouvernement dont l'hiftoire ait fait mention, Cieéron , ni Lucrèce , ni Sal- Iiifte n'euiïent point exifté ou n'eufîent point écrit. Le fiecle aimable de Le- îius & de Terence amenoit de loin le fiecle brillant d'Augufte & d'Horace, & enfin les (lecles horribles de Séne- ^ue & de Néron , de Domitien 6i de

RÉPONSE. 2n:

Martial. Le goût des Lettres &: des Arts liait chez un peuple d'un vice in- térieur qu*il augmente, &: s'il eft vrai que tous les progrès humains font per- nicieux à l'eTpece, ceux de refprlt Se des connoiiïanjes qui augmentent no- tre orgueil & multiplient nos égare- mens, accélèrent bientôt nos malheurs. Mais il vient un tems oii le ma^ eft tel , que les caufcs mêmes qui Font fait naître 5 font nécefiaTis pour l'empê- cher d'augmenter; c'eft le fer qu'il faut laifTer dans la plaie, de peur que le bleffé n'expire en l'arrachant. Quanta moi, i'avois fuivi ma première voca- tion, & que je n'eufle ni lu ni écrit, j'en aurois fans doute écç plus heureux. Cependant, fi les Lettres étoient main- tenant anéanties , je ferois privé du feut plaifir qui me refte, C'eft dans leur feia que je me confole de tous mes maux: c'eft parmi ceux qui les cultivent que je goûte les douceurs de l'amitié. Se que j'apprends à jouir de la vie fans craindre la mort. Je leur dois le peu que;e fuis; je leur dois m.c 'ne l'hjnneur d'être connu de vous; mais confultons l'intéiét dans nos affaires & la vérité dans nos écritSi Quoiqu'il faille des

212 Réponse.

Philofophes, des Hiftorlens, des Sa- vans pour éclairer le monde & con- duire fes aveugles habitans ; fi le fage Memnon m'a dit vrai, je ne connois rien de fi fou qu'un peuple de fages.

Convenez-en5Monfieur; s'il eft bon que les grands génies inflruifent les hommes, il faut que le vulgaire re- çoive leurs inflrucftions ; fi chacun fe mêle d'en donner , qui les voudra re- cevoir? Les boiteux, dit Montaigne^ font mal propres aux exercices du corps, & aux exercices de l'efprit les âmes boiteufes.

Mais en ce fiecle favant , on fie volt que boiteux vouloir apprendre à mar- cher aux autres. Le peuple reçoit les écrits des fages pour les juger non pour s'inftruire. Jamais on ne vit tant de dandins. Le théâtre en fourmille, les cafés retentiffent de leurs fentences; ils les affichent dans les journaux, les quais font couverts de leurs écrits, & f entends critiquer l'Orphelin (a) , parce qu'on Tapplaudit, à tel grimaud fi peu

( a ) Tragédie d€ M. de Yoluirê , qu'on jouoit danf ce tçms-iâr

Réponse. ai^

capable d'en voir les détauts , qu'à peine en fent-il les beautés.

Recherchons la première foiirce des défordres de la fociété nous trouve- rons que tous les maux des hommes leur viennent de Terreur bien plus que xle l'ignorance, & que. ce que nous ne favons point , nous nuit beaucoup moins que ce que nous croyons fa- voir. Or 5 quel plus fur moyen de cou- rir d'erreurs en erreurs 5 que la fureur de favoir tout? fi Ton n'eût prétendu (avoir que la terre ne tournoit pas, on n'eût point puni Galilée pour avoir dit qu'elle tournoit. Si les feuls Philo- fophes en euiï'ent réclamé le titre, l'Encyclopédie n'eût point eu de per- fécuteurs. Si cent Myrmidons n'afpi- roient à la gloire , vous jouiriez en paix de la vôtre , ou du moins vous n'auriez que des rivaux dignes de vous.

Ne foyez donc pas furprls de fentic .quelques épines inféparables des fleurs qui couronnent les grands talens. Les -injures de vos ennemis font les acclama^ tlons fatirique^s qui fuivent le cortège des triomphateurs: c'eft Te m pre (Te ment du public pour tous vos écrits, qui pi'Qduit les vols dont vous vous plaîr

^14 R É P ô K s E.

gnez : mais les falfiiicaticns n'y font pas faciles, car le ter ni le plomb ne s'al- lient pas avec Tor. Permettez-moi de vous ie dire par Tintérét que je prends à votre repos Se à notre inflrudion, JMéprifez de vaines clameurs par lef- quelies on cherche moins à vous faire du mal 5 qu'à vous détourner de bien faire. Plus on vous critiquera, plus vous devez vous faire admirer. Un bon li- vre efl: une terrible réponfe à des in- jures imprimées ; èc qui vous oferoit attribuer des écrits que vous n'aurez point faits, tant que vous n'en ferez que d'inin'itab'es?

Je (uis feifibîe à votre invitation ; Se Cl cet hiver me laifle en état d'aller au printems habiter ma patrie, j'y pro- fiterai ce vos bontés. Alais j'aimerois mieux boire de l'eau de votre fontaine que du lait de vos vaches; & quant aux herbes de votre verger , je crains bien de n'y en trouver d'autres que le Lotos, qui n'eft pas la pâture des bêtes, Se le Moly qui empêche \qs hommes de le devenir.

Je fuis de tout mon cœur & avec refpecl, Sec,

L_

1 1

2i;

BILLET

DE M. DE ro LTA IRE.

IVloNSiEUR RouiTeau a recevoir de moi une lettre de remerciement. Je lui ai parlé dans cette lettre dQS dan* gers attachés à la littérature. Je fuis dans le cas d'efTuyer ces dangers : on fait courir dans Paris des ouvrages fous mon nom. Je dois (aifîr l'occa- {îon la plus favorable de les défavouer. On m'a confeillé de faire imprimer îa lettre que j'ai écrite à M. RouU feau , de m'étendre un peu fur Tin- juftice qu'on me fait, & qui peut m'être très-préjudiciable. Je lui en demande la permiiîion. Je ne peux mieux m'a- dreiTer en parlant Aqs injuftices dQS hommes , qu'à celui qui les connoît Il bien.

^3^

^14 Réponse.

gnez : maïs les fainiicaticns n'y font pas faciles, car le ter ni le plomb ne s*al- lient pas avec l'or. Permettez-moi de vous !e dire par Tintérét que je prends à votre repos & à notre inilrudion, JVIéprifez de vaines clameurs par lef- quelies on cherche moins à vous faire du mal 5 qu'à vous détourner de bien faire. Plus on vous critiquera, plus vous devez vous faire admirer. Un bon li- vre eft une terrible réponfe à des in- jures imprim.ées ; & qui vous oferoit attribuer des écrits que vous n'aurez point faits, tant que vous n'en ferez que d'inimitables?

Je (uis feiifible à votre invitation ; 6c fi cet hiver me laifle en état d'aller au printems habiter ma patrie, j'y pro- fiterai de vos bontés. Mais j'aimerois mieux boire de l'eau de votre fontaine que du lait de vos vaches; & quant aux herbes de votre verger , je crains bien de n'y en trouver d'autres que le Lotos, qui n'eft pas la pâture des bétes, & le Moly qui empêche les hommes de le devenir.

Je fuis de tout mon cœur & avec refped, &c,

21;

BILLET DE M. DE VO LTJ IRE.

IVloNSiEUR RoulTeau a recevoir de moi une lettre de remerciement. Je lui ai parlé dans cette lettre dts dan« gers attachés à la littérature. Je fuis dans le cas d'efTuyer ces dangers ; on iait courir dans Paris des ouvrages fous mon nom. Je dois Caidr rocca» fion la plus favorable de les défavouer. On m'a confeillé de faire imprimer îa lettre que j'ai écrite à M. Roul- feau , de m'étendre un peu fur Tin- juflice qu'on me fait, & qui peut m'être très-préjudiciable. Je lui en demande la permilHon. Je ne peux mieux m'a- dreiïer en parlant Aqs injuftices àQS hommes , qu'à celui qui les connoît fi bien.

^3^

2i6 Lettre

LETTRE

A M. DE VOLTAIRE,

£n réponfe au Billet précédenCm Paris j le zo Septembre 1755*

HiN arrivant, Monfîeur, de la cam- pagne où j'ai pafle cinq ou fîx jours ^ je trouve votre billet qui me tire d'une grande perplexité; car ayant communi- qué à M, de Gauffecourt, notre ami commun, votre lettre & ma réponfe, j'apprends à Tinftant qu'il les a lui-même communiquées à d'autres, bc qu'elles Ibnt tombées entre les mains de quelr qu'un qui travaille à me réfuter , & qui fe propofe 5 dit-on, de les inférer à la fin de fa critique. M. Bouchaud aggrégé en droit, qui vient de m'ap- prendre cela , n'a pas voulu m'en dire davantage ; de forte que je fuis hors jd'état de prévenir les fuites d'une in- difcrétion que , vu le contenu de vo^» tre lettre, je n'avois eue que pour une î)Oiine fin. Heureufementa Monlieur,

:k M. DE Boissi. aiy

je VOIS par votre projet que [le mal eft moins grand que je n'avois craint. En approuvant une publication qui me fait honneur & qui peut vous être utile, il me refte une excufe à vous faire fur ce qu'il peut y avoir eu de ma faute dans la promptitude avec laquelle ces lettres ont couru , fans votre confen-r tement ni le mien.

Je fuis avec les fentimens du plus fin- cere de vos admirateurs ^ Monfieur , &c«

P, S. Je fuppofe que vous avez reçu ma réponfe du 20 de ce moiso

LETTRE

AM. DEBOISSI,

De t Académie Françeife , Auteur du Mercure de France*

Q

Paris, le 4 Novembre 17 ss.

UAND je vis, Monfieur, paroître

dans le Mercure , fous le nom de M. de

Voltaire, la lettre que j*avois reçue de

lui, je fuppofai que vous aviez obtenu

Œ.uy. FoJik.Tom. VI, K

2î8 L Ë T T ]\ E

pour cela Ton confentementj & comme il avolt bien voulu me demander le mien pour la faire imprimer, je n'a vois qu'à me louer de ion procédé , fans avoir à me plaindre du vôtre. Mais que puis-je penfer du galimatliias que vous ayez inféré dans le Mercure fuivant fous le titré de ma réponfe ? Si vous me dites que votre copie étoit ihcorr£(5i:e , je demanderai qui vous forçoît d'em- ployer une lettre vinblement incor- reéle, qui n'eft remarquable que par fon abfurdité? Vous abPienir d'inférer dans votre ouvrage des écrits ridicu- les 5 eft un égard que vous deveZafmon aux Auteurs, du moins au public.

Si vo-as avez cru , Monfieur, que je confentirois à la publication de cette lettre, pourquoi ne pas me communi- quer votre copie pour la revoir ? Si vous ne l'avez pas cru, pourquoi l'im- primer fous mon. nom? S'il efl: peu convenable d'imprimer les lettres d'au- trui fans l'aveu des Auteurs , il l'eft beaucoup moins de les leur attribuer fans être fur qu'ils les avouent, ou même qu'elles foient d'eux , 8c bien Eîolns encore lorfqu'ileil à croire qu'ils lie les ont pas écrites telles qu'on les a.

A M. DE B O î S S T. 219

Le Libraire de M. de Voltaire qui avoit à cet égard plus de droit fjue perfonne , a mieux aimé s'abftenir d'im- primer la mienne que de l'imprimer lans mon confentement, qu'il avoit eu l'honnêteté de me demander. Il me femble qu'un homme aulîi juftement eflimé que vous, ne devroit pas rece- voir d'un Libraire des leçons de procé- dés. J'ai d'autant plus, Monfieur, à me plaindre du vôtre en cette occafion , que, dans le même volume oii vous avez mis , fous mon nom. , un écrit , auflî mutilé, vous craignez avec rai- fon d'imputer à M. de Voltaire des vers qui ne foient pas de lui. Si un tel égard n'étoit qu'à la confîdération, je me garderois d'y prétendre; mais . il eftun acte de juftice, & vous la de- vez à tout le monde.

Comme il eft bien plus naturel de m' attribuer une fotte lettre qu'à vous un procédé peu régulier, & que par con- féquent je refterois chargé du tort de cette affaire , je négligeois de m'en juflifier ; je vous fupplie, de vouloir bien inférer ce défaveu dans le pro- chain Mercure, & d'agréer, Monfieu:', mon refpecl & mes lalut.it

K2

3.20 Lettré

LETTRE

A M. V E R N E S.

R

Paris , /f z8 Mars 1756.

ECEVE2, mon cher Concitoyen, une lettre très-courte, mais écrite avec la tendre amitié que j*ai pour vous ; c*eft à regret que je vois prolonger le tems qui doit nous rapprocher , mais je déleiperede pouvoir m*arracher d'ici cette année; quoi qu'il en foit, ou je ne ferai plus en vie , ou vous m'em- brafTerez au printems ^7; voilà une réfolution inébranlable.

Vous êtes content de Tarticle Eco^ nomU ; je le crois bien; mon cœur me Ta diccé, &: le vôtre Ta lu. M. Labat m'a dit que vous aviez defTeinde rem- ployer dans votre Choix Littéraire \ n'oubliez pas de confulter V errata» J'a- vois fait quelque chofe que je vous deftinoîs 3 mais ce qui vous furprendra fort, c'efi: que cela s'eft trouvé fi gai & fi fol , qu'il n'y a nul moyen de

A M. V E K N E s. 221 remf>loyer , & qu'il faut le rcferver pour le lire le long de TArve avec foa ami. Ma copie m'occupe tellement à Paris , qu'il m*efl: impolUble de médi- ter; il faut voir fi le féjour de la cam- pagne ne m'infpirera rien pendant les beaux jours.

Il eft difficile de fe brouiller avec quelqu'un que l'on ne connoit pas , ainfi il n'y anulle brouillerie entre Mon- fieur PalifTot & moi. On prétendoit cet hiver qu'il m'avoit joué à Nancî devant le Roi de Pologne, & je n'en fis que rire ; on ajoutoit qu'il avoit auffî joué feue Midame la Marquife du Châtelet, femme confidérable par fon mérite perfonnel & par fa grande naif- fance , confidérée principalement en Lorraine comme étant l'une des gran- des Maifons de ce pays-là , & à la Couc du Roi de Pologne elle avoit beau- coup d'amis, à commencer par le Roi même ; il me parut que tout le monde étoit choqué de cette imprudence , que Ton appelloit impudence. Voilà ce que j'en lavois quand je reçus une lettre "de M. le Comte de TreiTan , qui en occafionna d'autres, dont je n'ai jamais parlé àperfonne, mais dont

222 Lettre

je crois vous devoir envoyer copie fous le fecret^ainfi que de mes répon- fes ; car quelque indifierence que j'aye pour les jugemens du Public, je ne veux pas qu'ils abufent mes vrais amis. Je n'ai jamais eu fur le cœur la moin- dre chofe contre M. PalifTot , mais je doute qu'il me. pardonne aifément le iervice que je lui ai rendu.

Bonjour 5 mon bon & cher Conci- toyen ; foyons toujours gens de bien , & laiiïbns bavarder les hommes. Si nous voulons vivre en paix, il faut que cette paix vienne de nous m.êmes.

LETTRE A iM. DE S C H E Y B ,

Secrétaire des Etats de la Ba[[e- Autriche.

A l'Hermitage , le 15 Juillet 1755

^/ ous me demandez, Monfieur, des louanges pouf vos auguftes Souve- rains, & pour les Lettres qu'ils font fleurir dans leurs Etats. Trouvez bon que je commence par louer en vous

A M. D E s C H E Y B. 2I3

un zélé Tujet de l'Impératrice Se im bon citoyen de la République dos Let- très. Sans avoir Thonneur de vouscon- noitre , je dois juger à la ferveur qui vous anime que vous vous acquittez parfaitement vous même dQS' devoirs que vous impofez aux autres, Se que vous exercez à la fois les fonctions d'homme d'Etat au gré de leurs Ma- jeflés 5 de celles d'Auteur au gré du Public.

A ré'gard dçs foins dont vous me chargez, je fais bien, Monfieur, que je ne ferois pas le premier Républi- cain qui auroit encenfé le trône , ni le premier ignorant qui chanteroit les arts; mais je fuis (i peu propre à rem- plir dignement vos'intentions que mon infuffifance efl mon excufe , & je ne fais comment les grands noms que vous citez vous ont laiiTé fonger au mien Je vois, d'ailleurs , au ton dont la flatterie ufa de tout tem.s avec les Prin- ces vulgaires, que c'eft honorer ceux qu'on eftime que de' les louer fobre- ment, car on fait que les Princes loués avec le plus d'excès font rarement ceux qui méritent le mieux de Tétre. Or, ' il ne convient à perfonne de (e mettre

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324 L B T T R E

fur les rangs avec le projet de faire moins que les autres , fur-tout quand on doit craindre de faire moins bien. Permettez- moi donc de croire qu'il n'y a pas plus de vrai refped pour rÉmpereur & Tlmpératrice-Reine dans les écrits des Auteurs célèbres dont vous me parlez que dans mon filence, & que ce feroit une témérité de le rompre à leur exemple , à moins que d'avoir leurs talens.

Vous me preflez aulïi de vous dire leurs Majeflés Impériales ont bien fait de confacrer de magnifiques cta- bliiïèmens & des fommes immenfes à des leçons publiques dans leur Capi- tale ; & après la réponfe affirmative de tant d'illuftres Auteurs , vous exi- gez encore la mienne. Quant à moi , Monfieur , je n'ai pas les lumières né- celTaires pour me déterminer aufîî promptement, & je ne connois pas af- fez les mœurs & les talens de vos com- patriotes pour en faire une application lûre à votre queftion. Mais voici là- defTus le précis de mon fentiment fur lequel vous pourrez mieux que moî tirer la conclufion.

Par rapport aux mœurs. Quand les

A M. DE S (! H E V B. 22 f îiommes font corrompus, il vaut mieux qu*ils foient favans qu'ignorans; quand ils font bons , il eft à craindre que les fciences ne les corrompent.

Par rapport aux talens. Quand on en a 3 le favoir les perfedionne Se les fortifie ; quand on en manque , Tétude ôte encore la raifonj & fait un pé- dant & un fot d'un homme de bon feas & de peu d'efprit.

Je pourrois ajouter à ceci quelques réflexions, Qu'on cultive ou non les fciences , dans quelque (îecie que naifTe un grand homme, il eiî: toujours un grand homme , car la fource de fon mérite h'efl pas dans les livres, mais dans fa tête, & fouvent les obflacles qu'il trouve & qu'il furmonte ne font que l'élever ôc l'agrandir encore. On peut acheter la fcience, & même les favans , mais le génie qui rend le fa- voir utile ne s'achète point ; il ne con- noit ni l'argent , ni l'ordre des Princes, il ne leur appartient point de le faire naitre, mais feulement de l'honorer; il vit & s'immortalife avec la liberté qui lui eft naturelle , & votre illuftre Métaftafe lui-même , étoit déjà la gloire de l'Italie avant d'être accueilli par

Q.2G L E T T K E

Charles VI. Tâchons donc de ne pas confondre le vrai progrès des talens avec la protection que les Souverains peuvent leur accorder. Les fciences régnent pour ainfi dire à la Chine de- puis deux mille ans & n'y peuvent lortir de l'enfance , tandis qu'elles font dans leur vigueur en Angleterre le gouvernement ne fait rien pour elles. L'Europe efl: vainement inon- dée de gens de Lettres , \qs gens de nérite y font toujours rares ; les écrits durables le font encore plus^-êc la pof- térité croira qu'on fit bien peu de li- vres dans ce miême fiecle Ton en fait tant.

Quant à votre patrie en particulier, il fe préfente 5 Monfieur, une obier- vation bien fimple. L'Impératrice & fes auguftes Ancêtres n'ont pas eu befoin de gager àt% hrfloriens & des poëtes pour célébrer les grandes cho- ies qu'ils vouloient faire , mais ils ont fait de grandes choses & elles ont été confacrées à l'immortalité ccmm.e cel- les de cet ancien Peuple qui favoit agir & n'écrivoit point. Peut-être man- quoit-il à leurs travaux le plus digne de les couronner, parce qu'il eft le

A M. t>fe ScHEVB. 2217'-

plus difficile : c'efl de foiitenir à Taide Ces Lettres tant de gloire acquife fans elles.

Quoi qu*il en f^it , Monfieur, aiïcz d'autres donneront aux protecteurs des Iciences & d^s arts des éloges que leurs Majefcés Impériales partageront avec la plupart des Rois ; pour moi, ce que j'admire en Elles & qui leur efi: plus véritablement propre, c'efl leur amour confiant pour la vertu de pour tout ce qui eft honnête. Je ne' nie pas que votre pays n'ait été long- tems barbare, mais je dis qu'il étoit plus aifé d'établir les beaux-arts chez les Huns 5 que de faire de la plus grande Cour de l'Europe une école de bonnes mœurs.

Au refte , je dois vous dire que vo- tre lettre ayant été adrefTée à Genève avant de venir à Paris, elle a reftée près de fix femaines en route, ce qui m'a privé du plaifir d'y répondre aufli- tôt que je Taurois voulu.

Je fuis, autant qu'un honnête-homme peut l'être d'un autre.

Monfieur , 6îc. _

K 6

ïlâS £ £ 7 T £ s

LETTRE

A M. V E R N E S.

Montmorency, k is Février 1758.

vj ui 3 mon cher Concitoyen, je vous aime toujours, &: ce me femble plus que jamais , mais je fuis accablé de mes maux; j'ai bien de la peine à vivre dans ma retraite d'un travail peu lu- cratifî je n'ai que le tems qu'il me faut pour gagner mon pain , & le peu qui m'en refte eft employé pour fouP- frir & me repofer, Ma maladie a fait un tel progrès cet hiver ^ j'ai fentî tant de douleurs de toute efpece , & je me trouve tellement affoibli , que je commence à craindre que la force & les moyens ne me manquent pour exécuter mon projet ; je me confole de cette impuiffance par la confrdéra- tion de l'état je fuis. Que me fer-^ viroit d'aller mourir parmi vous ? Hé- las 5 il falloit y vivre î Qu'importe l'on laide fon cadavre? Je n'aurois pas befoin qu'on reportât mon cœur dans

A M. ViRKÊS; isiji

ma patrie ; il n'en eft jamais fortî.

Je n*ai point eu occafion d'exécutet votre commiffion auprès de M, d^Aiem-^ bert. Comme nous ne nousfommes ja- mais beaucoup vus, nous ne nous écri-^ vons point ; éc , confiné dans ma fo-* litude, je n*ai confervé nulle efpece de relation avec Paris; j'en fuis comme à l'autre bout de la terre, & ne fais pas plus ce qui s'y pafTe qu'à Pekin« Au refte , fi l'article dont vous me parlez eft indifcret & répréhenfible ^ il n'eft aiïurément pas ofFenfant. Cepen- dant, s'il peut nuire à votre Corps j, peut-être fera-t-on bien d'y répondre^ quoi qu'à vous dire le vrai, j'aye un peu d*averfion pour les détails cela peut entraîner, & qu'en général je n'aime guères , qu*en matière de fai l'on affujettifTe la confcience à des for- mules. Pai de la religion , mon ami , te bien m'en prend;- je ne crois pas qu'homme au monde en ait autant be* foin que moi. J^ai paiïe ma vie parmi les incrédules , fans me laiiïer ébran- ler; les aimant, les eftimant beaucoup, fans pouvoir foufFrir leur Dodrine, Je leur ai toujours dît que je ne les favois pas combattre , mais que je ne voulois

30i' LETTRE

pas les croire; la phiîofQphie n*ayant fur ces matières ni fond ni rive, man- quant d'idées primitives & de princi- pes élémentaires , n'eft qu'une mer d'incertitudes & de doutes, dont le Metaphyficien ne fe tirent jamais. J'ai donc laifTé-là la raifon , & j'ai confulté la nature , c'eft-à-dire , le fentiment in- térieur qui dirige ma croyance , in- dépendamment de ma raifon. Je leur ai laifTé arranger leurs chances , leurs forts, leur mouvement nécefTairej^, tandis qu'ils bâtifToient le monde à coups de dez, j'y voyois, moi, cette unité d'intentions qui me fdifoit voir, en dépit d'eux , un principe unique ; tout comme s'ils m'avoient dit que l'I- liade âvoit été formée par un jet for- tuit de caraderes, je leur aurois dit, très-réfolument; cela peut être, mais cela n'eft pas vrai ; & je n'ai point d'au» tre raifon pour n'en rien croire fi ce n'eft que je n'en crois rien. Préjugé que cela! difent-ils. Soit; mais que peut faire cette raifon fi vague, con- tre un préjugé plus perfuafif qu'elle ? Autre argumentation fans fin contre la diftinétion des deux fubftances; autre perfuaûon de ma part qu'il n'y a rien

A M. Ver s. 2p^

de Commun entre un arbre & ma pen- fée ; & ce qui m'a paru plaifant en ceci , c'eft de les voir s'acculer eux-mcmes par leurs propres fophi(mes, au point d'aimer mieux donner le fentiment aux pierres que d'accorder une ame à l'homme.

Mon ami 5 je crois en Dieu & Dieu ne feroit pas jufte fi mon ame n'étoit immortelle. Voilà, ce me femble, ce que la Religion a d'efTentiel & d'utile ; laiiïbns le rede aux difputeurs. A l'é- gard de l'éternité des peines , elle ne s'accorde ni avec la foiblefîe de l'hom- me, ni avec la juftice de Dieu. Il eft vrai qu'il y a des âmes Ci noires que je ne puis concevoir qu'elles puillent jamais goûter cette éternelle béatitu- de, dont il me femble que le plus doux fentiment doit être le contentement de foi-même. Cela me fait foupçonner , qu'il fe pourroit bien que les âmes des méchans fufTent anéanties à leur mort, & qu'être &: fentir fût le premier prix d'une bonne vie. Quoi qu'il en foit, que m'importe ce que feront les mé- chans; il me fuffit qu'en approchant du terme de nia vie , je n'y voye point celui de mes efpérances, de que fen

Èji E E T T K B

attende une plus heureufe après avoîc tant foufFert dans celle-ci. Quand je itie tromperois dans cet efpoir, il eft lui-même un bien qui m*aura fait fup- potter tous mes maux. J^attends paî- fîblement réclairciflement de ces gran- des vérités qui me font cachées , bien convaincu cependant , qu'en tout état de caufe , fi la vertu ne rend pas tou- jours rhomme heureux , il ne fauroit au moins être heureux fans elle 5 que les affligions du jufte ne font point fans quelque dédommagement , & que les larmes même de l'innocence font plus douces au cœur que la profpérlté du méchant.

Il efl naturel , mon cher Vernes f qu'un folitaire (oufïrant & privé de toute fociété, épanche fon ame dans le fein de Tamitié , & je ne crains pas que mes confidences vous déplaifentj i*aurois commencer par votre pro- jet fur rhiftoire de Genève , mais il eft des tems de peines & de maux Ton eft forcé de s'occuper de foi, & vous favex bien que je n*ai pas un cœur qui veuille fe déguifer. Tout ce que je puis vous dire fur votre entre- prife , avec tous les ménagemens que

À UN jïiTNE Homme. ajj

vous y voulez mettre , c'eft qu'elle eft d*un fage intrépide ou d*un jeune hom- me. Embraffez bien pour moi Tamî Rouftan. Adieu, mon cher Concitoyen; je vous écris avec une auiîi grande effufion de cœur que fi je me féparois de vous pour jamais , parce que je me trouve dans un état qui peut me me- ner très-loin encore , mais qui me laifïe douter pourtant fi chaque lettre que j'écris ne fera point la dernière,

LETTRE I

A UN JEUNE HOMME

Çf^ui demandoit a s^établir à Montmo^ rend ^ (^domicile alors de M, Rouf" feau) pour profiter de fes leçons.

Vous ignorez, Monfieur, que vous écrivez à un pauvre homme accablé de maux & de plus fort occupé , qui n*eft guères en état de vous répondre, & qui le feroit encore moins d'établir avec vous la fociété que vous lui pro- pofez. Vous m'honorez en penfant que je pourrois vous être utile , 6c YOU«

254 Lettre

êtes louable du motif qui vous la fait defirer ; mais fur le motif mène, je ne vois rien de moins nécefTaire que de venir vous établir à Montmorencî, Vous n'avez pas befoia d'aller' chjr- cher Cl loin les principes de la lïio- raie. Reritrez dans votre cœur, 3c vous les y trouverez : & je ne pourrai vous rien dire à ce fujet que ne vous dife encore mieux votre confcience quand vous voudrez la confuiter. La vertu , Mon{îeur,.n'ePc p2.s une fcience q.ui . s'appr:^nne avec tant d'appareil. Podr être vertueux il fuiîit de vouloir l'être ; de Cl vous avez bien cette volonté , tout eft fait, votre bonheur efl: décidé. S'il m'appartenoit de vous donner des confeils , le premier que je voudrois vous donner, feroit de ne point vous livrer à ce goût que vous dites avoir pour la vie contemplative, 3c qui n'eft qu'une parelîe de l'ame condamnable à tout âge, & fur-tout au vôtre. L'homme n'eft point fait pour méditer, mais pour agir : la vie laborieufe que Dieu nous impofe 3 n'a rien que de doux au cœur de l'homme de bien qui s'y livre en vue de remplir fon devoir , £xîa vigueur de la jeuneffe ne vous a pas été donnée

A UN JEUNE Homme. 23^

pour la perdre à d'ol{ives contempla- tions. Travaillez donc , Mondeur , dans l'état vous ont placé vos parens de la providence : voilà le premier pré- cepte de la vertu que vous voulez fui- vre; & fi le féjourde Paris joint à l'em- ploi que vous rempîiiïez, vous paroîf d'un trop difficile alliage avec elle, faites mieux , Monfieur, retournez dans votre province , allez vivre dans le fein de votre famille, fervez, foignez vos vertueux parens; c'efl-là que vous remplirez véritablement les foins que la vertu vous impole. Une vie dure ell: plus facile à fupporter en province, que la fortune à pourluivre à Paris , fur-tout, quand on fait, comm.e vous ne rignorez pas, que les plus indignes manèges y font plus de fripons gueux que de parvenus. Vous ne devez point vouseftim.er malheureux de vivre com- me fait Monfieur votre père, & il n'y a point de fort que le travail, la vigi- lance, l'innocence & le contentement de foi ne rendent fupportable, quand on s'y foumet en vue de remplir {on devoir. Voilà, MonCeur, des confeils qui valent tous ceux que vous pour- riez venir prendre à Montniorenci ;

^^6 L E T T R 1

peut-être ne feront -ils pas de votre goût , & je crains que vous ne preniez pas le parti de les fuivre, mais je fuis fur que vous vous en repentirez un jour. Je vous fouhaite un fort qui ne vous force jamais à vous en fouvenir. Je vous prie, Monfieur, d'agréer mes falutations très-humbles.

FRAGMENT

D'UNE LETTRE A M. DIDEROT.

Vous vous plaignez beaucoup des maux que je vous faits. Quels font- ils donc, enfin, ces maux? Seroit-ce de ne pas endurer afTez patiemment ceux que vous aimez à me faire , de ne pas me laiiTer tyrannifer à votre gré , de murmurer quand vous affec- tez de me manquer de parole, & de ne jamais venir lorfque vous l'avez promis? Si jamais je vous ai fait d'au- tres maux, articulez - les. Moi, faire du mai à mon ami ! Tout cruel , tout

A M. Diderot, 237

méchant, tout féroce que je fuis, je mourrois de douleur je croyois ja- mais en avoir fait à mon cruel ennemi , autant que vous m*en faites depuis fix fe m aines.

Vous me parlez de vos fervîces ; je ne les avois point oubliés ;mais ne vous y trompez pas. Beaucoup de gens m*en ont rendu qui n*étoient point mes amis» Un honnête-homme qui ne fent rien» rend fervice & croit être ami ; il fe trom- pe , il n'eft qu'honnête - homme. Tout votre emprelTement , tout votre zèle- pour me procurçr dos chqfes dont je n'ai que faire , me touchent peu. Je ne veux que de l'amitié, & c*eft la feule chofe qu'on me refufe. Ingrat, je ne t'ai point rendu de fervice , mais je t'ai aimé, & tu ne me payeras de ta vie ce que j-ai fenti pour toi durant trois mois. Montre cet article à tt femme plus équitable que toi, & de- mande-lui fi , quand ma préfence étoit douce à ton cœur affligé , je comp- tois mes pas , & regardois au tems qu'il fâifoit pour aller à Vinçennes (a)

i^

(«) M. Pldecoc écpic détenu prîronnler.

2^S L E T T R S :

confoîer mon ami. Homme înfenfîble

& dur ! deux larmes verfées dans mon "

fein m'eufTent mieux valu que le trône '

du monde; mais tu me les refufes, & !

te contentes de m/en arracher. !

bien! garde tout le refte; je ne veux ;

'plus rien de toi. ^

!

LETTRE AU M E. ;

2 Mars lyjS. j

J.L faut, mion cher Diderot , que je •; vous écrive encore une fois en ma vie ;

vous ne m'en avez que trop difpenfé; '. mais le plus grand crime de cet homme

que vous noirciilez d'une étrange '

manière, eft de ne pouvoir fe détacher i

de vous. :

Mon deffein'n'eft point d'entrer en

explication pour ce m^om^ent-ci fur les ;

horreurs que vous m'imputez. Je vois 1

que cette explication feroit à préfent 1

inutile. Car, quoique bon & avec ;

une ame franche, vous avez pourtant \

un malheureux perxhant à méfinter- '

prêter les difcours 6c les avions de \

A M. Diderot. ^^p

vos amîs. Prévenu contre mol comme vous Tctes 3 vous tourneriez en mal tout ce que je pourrois dire pour me jidiher, & mes plus ingénues expli- cations ne feroient que fournir à votre e'fprit fubtil de nouvelles interpréta- tions à ma charge. Non , Diderot ; je fens que ce n'eit pas par-là qu'il faut commencer. Je veux d'abord propofer à votre bon fens des préjugés plus fimpîes^plus vrais 5 mieux fondés que les vôtres , & dans lefquels Je ne penfe pas au moins que vous puifliez trou- ver de nouveaux crimes.

Je Tuis un méchant homme , n'efl-ce p?.s?Vous en avez les témoignages les p.lOs furs; cela vous eft bien attefté. Quand vous avez commencé de l'ap- prendre, il y avoit feize ans que j'é- tois pour vous un liomime de bien, & quarante ans quéjerétois pour tout le monHe.'En pouvez- vous dire autant de ceux qui vous ont communiqué cette belle découverte? Si l'on peut porter à faux fi'long-tems le mafque d'un honnête-hcmm.e , quelle preuve aveZ'VOus (^\ie ce m.àfque ne couvre pas leur vi^a^e audi -bien eue le mien> Ed-ce un moyen bien propre à don-

24^ L E T T R s

ner du poids à leur autorité que de charger en fecret, un homme abfent, hors d'état de fe défendre ? Mais ce n*eft pas de cela qu'il s'agit.

Je fuis un méchant ; mais pourquoi le fuis- je? Prenez bien garde, mon cher Diderot, ceci mérite votre at- tentioa, On n'eft pas malfaifant pour rien. S'il y avoit quelque monftre ainfi fait , il n'attendroit pas quarante ans à fatisfaire fes inclinations dépravées. Confidérez donc ma vie ,mes paflîons, mes goûts, mes penchans. Cherchez , fi je fuis méchant, quel intérêt m'a pu porter à l'être? Moi qui, pour mon malheur , portai toujours un cœur trop fenfible, que gagnerois-je à rompre avec ceux qui m'étoient chers? A quelle place ai- je afplré, à quelles penfions, a quels honneurs m'a-t-on vu préten- dre, quels concurrens ai-je à écarter, que m'en peut-il revenir de mal faire? Moi qui ne cherche que la folitude ôc la paix , moi dont le fouverain bien coniifle dans la parelTe &: l'oifiveté , moi dont l'indolence & les maux me laifTent à peine le tems de pourvoir à ma fubfiftance , à quel propos , à quoi bon m*irois-je plonger dans les agita-

tations

A M. D I D E R O T. 241

tatîons du crime, & m'embarquer dans l'éternel manège dts icélérats ? Quoi que vous en difiez , on ne fuit point les hommes quand on cherche à leur nuire ; le méchant peut méditer fes coups dans la folitude, mais c'eft dans la fociété qu'il les porte. Un fourbe a de radreiïe & du fang-fi'oid; un per- fide fe pofTede & ne s'emporte point: reconnoifiez - vous en moi quelque chofe de tout cela? Je fuis emporté dans la colère, &: fouvent étourdi de fang-froid. Ces défauts font-ils le mé- chant? Non fans doute; mais le mé- chant en profite pour perdre celui qui les a.

Je voudrois que vous puifliez auflî réfléchir un peu fur vous-même. Vous vous fiez à votre bonté naturelle; mais favez - vous à qjel point l'exemple & l'horreur peuvent la corrompre ? N'avez-'Vous jamais craint d'être en- touré d'adulateurs adroits qui n'évi- tent de louer grofllérement en face , que pour s'emparer pl-js adroitement de vous fous l'appât d'une feinte fin- cérité? Quel fort pour le meilleur des hommes d'être égaré par fa candeur même, & d'être innocemment dans la Œuy» Pojih, Tom, VI. L

242 Lettre

rriain des méchans rinftriiment de leur perfidie! Je fais que l'amour -propre fe révolte à cette idée , mais elle mé- rite l'examen de la railon.

Voilà dQS confidérarions que je vous p»"ie de bien pefer, Penfez-y long tems avant que de me répondre. Si elles ne vous touchent pas, nous n'avons plus rien à nous dire ; mais (i elles font quel- que impreiîion fur vous, alors nous en- trerons en éclaircilTement; vous retrou- verez un ami digne de vous, & qui peut-être ne vous aura pas été inutile.

J*ai pour vous exhorter à cet exa- men un motif de grand poids , & ce motif, le voici.

Vous pouvez avoir été féduit & trompé. Cependant, votre ami gémit dans fa folitude, oublié de tout ce qui lui étoit cher. Il peut y tomber dans le défelpoir; y mourir enfin, maudif- fant ringrat dont l'adverfité lui fit tant verfer de larmes, Sz qui Taccabîe in- dignement dans la fienne ; il l'e peut que les preuves de fon innocence vous par- viennent enfin, que vous foyez forcé d'honorer fa mémoire (a) , & que l'i- *i I .- ,

(a) Voyez , Le^eurs , !es noces inftrée^ dans U vio

A M. V s R N E S. 24^

mage de votre ami mourant ne vous laiite pas des nuits tranquilles. Dide- rot 5 penfez-y. Je ne vous en parlerai plus.

LETTRE

A M. VERNE S.

Montmorcnci , le 25 Mars 1758.

vjui, mon cher Vernes , j*aîme à croire que nous fommes tous deux bien aimés Tun de l'autre & dignes de l'être. Voilà ce qui fait plus au foulagement de mes peines que tous les tréfors du monde; ah ! mon ami , mon Concitoyen , fâche m'aimer ôclaide-îà tes inutiles of- fres ; en me donnant ton cceur, ne m'as-tu pas enrichi? Que fait tout le refte aux maux du corps & aux foucis de l'amePCe dont j'ai faim, c'eft d'un ami; je ne connois point d'autre befoin auquel je ne fuffife moi-même. La pau- vreté ne m'a jamais fait de mal; foît dit pour vous tranquilifer là-defTus une fois pour toutes. Nous fommes d'accord fur tant de

L2

M-O

I

i

244 Lettre

cbofes, que ce n'eft pas la peine de nous diîputer fur le rede. Je vous l'ai dit bien des fois: nul homme au monde ne refpedle plus que moi l'Evangile , c'ei} , à^ mon gré, le plus fublim.e de tous les livres; quand tous les autres m'en- nuient 5 je reprends toujours celui-là avec un nouveau plaifir , & quand tou- tes les confolations humaines m'ont manqué, jamais je n'ai recouru vaine- ment aux fiennes. Mais enfin c'eft un Jivre, un livre ignoré des trois quarts du monde ; croirai - je qu'un Scythe ou un Africain 5 foit moins cher au Père commun que vous Ôc moi, Se pourquoi croirai-je qu'il leur ait ôté plutôt qu'à nous, les reffources pour le connoître ? Non, m.on digne ami; ce n'eft point fur quelques feuiiles éparfes, qu'il faut aller chercherla loi de. Dieu, mais dans le cœur de Thomme, fa main daigna l'écrire. O homme, qui que tu fois, rentre en toi même, apprends à confulter ta confcience & tes facultés naturelles; tu feras jufte, bon, vertueux, tu t'inclineras devant ton maître , & tu participeras dans Ton ciel à un bonheur éternel. Je ne me fie là-deiïî,is ni à ma raifon ni à celle

A M. Verne .^. 24,5*

d'autrul, mais je fens à la paix de mon ame , & au plaifir que je fens à vivre de psnfer fous les yeux du grand Etre, que je ne m'abufe point dans les juge- mens que je fais de lui, ni dans Tef- poir que je fonde fur fa juftice. Au refle , mon cher Concitoyen , j'ai voulu verfer mon cœur dans votre fein , 6c non pas entrer en lice avec vous; ainfi, reftons-en là, s'il \'0'js plaît, d'autant plus que ces fajets ne fe peuvent trai* ter guères commode'ment païf lettres. J'étois un peu mieux, je retombe. Je compte pourtant un peu far le re- tour du printems ; mais js n'efpere plus recouvrer des forces fuliifantes pout retourner dans la patrie. vSans avoir la votre déclaration y je la refpedle d'a- vance & me félicite d'avoir le premier donné à votre refpe^labîe Corps, des éloges qu'il judifie fi bien aux yeux de toute l'Europe.

Adieu ^ mon am-,

L5

2^6 Lettre

5)»

LETTRE

A U M Ê M E.

Montmjvencl y le ij Mai 1758,

J E ne vous écris point exadement , mon cherVernes, mais jepenfeàvous tous les jours. Les maux , les langueurs, les peines augmentent fans ceiïe ma pa- refîe ; je n'ai plus rien d'adif que le cœur; encore hors Dieu , ma patrie & le genre-humain, n'y refte-t- il d'atta- chement que pour vous ; & j'ai connu \qs hommes par de fi triftes expérien- ces que vous m^e trompiez comme les autres , j'en ferois affligé , fans doute, mais je n'en ferois plus furpris.Heureu- fementjene préfume rien de femblabîe de votre part, &: je fuis perfuadé que fi vous faites le voyage que vous me promettez , l'habitude de nous voir & de nous mieux connoître affermira pour jamais cette amitié véritable que j'ai tant de penchant à contra(5ler avec vous. S'il efl: donc vrai que votre fortune & vos affaires vous permettent ce voyage.

A M. V E KN t $. 247

& que votre cœur le defire , annoncez- le moi d^avance afin que je me prépare au plaKir de prefTer du moins une fois en ma vie, une honnête-homme & ua ami, contre ma poitrine.

Par rapport à ma croyance^ j'ai exa- miné vos objections, êc je vous dirai naturellement, qu'elles ne me perfua- dent pas. Je trouve que pour un homme convaincu de l'immortalité de Tame ^ vous donnez trop de prix aux biens& aux maux de cette vie. J'ai connu les derniers mieux que vous, & mieux peut- être qu'homme qui exifte ; je n'en adore pas moins l'équité de la providence^ & me croirois aufïi ridicule de murmu- rer de mes maux durant cette courte vie , que de crier à Tinfortune , pout avoir pafTé une nuit dans un mauvais cabaret. Tout ce que vous dites fut l'impuifTance de la confcience , fe peut rétorquer plus vivement encore contre la révélation ; car que voulez - vous que l'on penfe de l'auteur d'un remède qui ne guérit de rien ? Ne diroit on pas que tous ceux qui connoiifent l'Evan- gile font de fort faints perfonnages, & qu'un Sicilien fanguinaire & perfide vaut

dp"

24-S Lettre

beaucoup mieux qu'un Hottentot {la- pide & groffier?

Voulez-vous que je croye que Dieu n'a donné fa loi aux horannes que pour avoir une double raifon de les punir? Prenez g-arde , mon ami ; vous voulez le juftifier d'un tort chimérique , & vous aggravez raccufation. Souvenez- vous fur-tout que dans cette difeute , c'eft vous qui attaquez mon fentiment, Ôc que je ne fais que le défendre; car, di'ailleurs, je fuis très-éloigné de défa- prouver le vôtre , tant que vous ne voudrez contraindre perfonne à Tem- braiïer.

Quoi ! cette aimable & chère Parente efl: toujours dans fon lit! Que ne fuis- je auprès d*elle! Nous nous confole- rions mutuellement de nos maux, & î'apprendrois d'elle à foufrrir les miens avec confiance; mais je n'efpere plus faire un voyage fi defiré; je me fens de jour en jour moins en état de le fou- îenir. Ce n'efl: pas que la belle faifon ne m'ait rendu de la vigueur &du cou- rage ; mais le mal local n'en fait pas moins de progrès ; il commence même à fe rendre intérieurement îrès-fenfible ;.

%

A M. V E R N E s. 249

tin.e enflure qui croît quand je marche m'ôte prefque le plaifir de la promena- de, le feul qui m'étoitrefté, & je ne re- prends des forces que pour fouifrir j la volonté de Dieu foit faite ! cela ne m'em- péchera pas , j'efpere , de vous faire voir les environs de mafolitude^ aux^ quels il ne manque que d'ctre autour de Genève pour me paroître délicieux. J'embraiïe le cher Rouftan , mon Dré- tendu difcipîe ; j'ai lu avec plaifir ion' Examen des quatre beaux ficelés ^ SC je m'en tiens, avec plus de confiance, à mon fenciment , err voyant que c'efi; auflî le fien. La feule chofe que jevou- drois lui demander , feroit de ne pas s'exercera la vertu à mes dépens, êc de ne pas fe montrer modefie en flat- tant ma vanité. Adieu, mon cher Ver- nes 5 je trouve de jour en jour plus de: plaifir à vous aimer»

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I

2^o Lettre

^- H*ri '->^' ^^^i' ^5^ ^:^ ^^^^

LETTRE

D E M. LE ROY. Monsieur^

V^cJOiQUEJe n'ayepas Thonneur d'é- tru connu de vous , je me perfuade que vous ne me faurez pas mauvais gré de vous faire part d*une obfervation que j'ai faite fur votre dernier ouvrage. Je Tai lu avec grand pîaifir, & j'ai trou- vé que vous y établilllez votre ooi- nion avec beaucoup de force. Mais je vous avouerai qu'ayant parcouru la Grèce , de ayant fait une étude parti- culière des théâtres que l'on trouve en- core dans les ruines de (es anciennes villes, j'ai lu avec furprife dans votre Livre p. 1^2 (a) le pafTage qui (uit. Jvec tout cela , jamais la Grèce , excepté Sparte ^ ne fut citée en exemple de bonne f mœurs ; & Sparte qui ne fouffroh point de théâtre y n avoit garde d'honorer

U) Mélanges, Tome I. Page 3 3 3*-

DE M. Le Ro Y. sjT

ceux qui s'y /72c>/2;r^72r. Non-feule-ment il y avoit un théâtre à Sparte abfolu- ment fsmblable à celui de Eacchus à Athènes , mais il étoit le plus bel ornement de cette ville , {\ célèbre par le courage de Tes habitans. Ilfub- iifle même encore en grande partie, & Paufanias &: Plutarque en parlent : c*eft d'après ce que ces deux Auteurs en difent que j'en ai fait Thiftoire que )e vous envoie dans Touvrage que je viens de mettre au jour. Comme cette erreur , qui vous eft échappée , pour- roit être remarquée par d'autres que par moi, j'ai cru que vous ne feriez pas fâché que je vous en avertiiïe; &: je me flatte, Monfieur, que vous vou- drez bien recevoir cet avis, comme une marque de l'eftime &: de la parfaite confidération avec laquelle j^ai l'hon- neur d'être, &c#

L^

2^2 Lettre

RÉPONSE

A LA LETTRE DE M. LE P. O Y.

A Montmorenci j te 4 Novembre 1758.

3 E vous remercie, Pvîonneur, de la- bonté que vous avez de m'avertir de: ma bévue au fujet du théâtre de Sparte^ & de l'honnêteté avec laquelle vous voulez bien me donner cet avis. Je fuis- fi fenfible à ce procédé,, que je vous- demande la permiiîion de faire ufage de votre lettre dans une autre édition de la mienne. Il s'en faut peu que je ne me félicite d'une erreur qui m'attire de votre part cette marque d'ertime , &. je me fens moins honteux de ma faute , que fier de votre correction.

Voilà, Monfieur, ce que c'eft que de fe fier aux Auteurs célèbres. Ce n'efi: guères impunément que je les confulte^. & de manière ou d'autre, ils manquent rarement de me punir de ma confiance.. Le fâvant Cragius vsrie d34is i'anti-

A A!. Le Roy. 25* j

qulté avoit dit la chofe avant moi, & Plutarque lui-même affirme que lesLa- céciémoniens n'alloient point à la co~ médie^ de peur d'entendre des chofes contre les loix. Toit rérieufement , ioit par jeu. Il eft vrai que le même Plu- tarque dit ailleurs le contraire , 8<:ii lui arrive fi fouvent de (e contredire , qu'on ne devroit jamais rien avancer d'après lui^ fans l'avoir lu tout entier. Quoi qu'il en foit , je ne puis ni ne veux recu- fer votre témoignage , & quand ces Au- teurs ne feroient pas démentis par les refies du théâtre de Sparte encore exif- tans 3 ils le feroient par Paufanias , EuG tate,Suidas5 Athénée, ôc d'autres an- ciens. Il paroît feulement que ce théâ^- tre étoit plutôt confacré à des Jeux, à^s <ianfes, des prix de mufique, qu'à des repréfentations régulières, & que les pièces qu'on y jouoit quelquefois , étoient moins de véritables drames^, que des farces groiîieres convenables à la (implicite des fpeélateurs; ce qui n'empechoit pas que. Soiybius Lacon^ n'eût fait un traité de ces iortes de pa- 3rades, C'eft la Guilietiere qui m'apprend tout cela j car je n'ai point de livres pous

2 J4 L E T T R E , (S'if.

le vérlner. Ainfi rien ne manque a fflâ faute en cette occafion, que la vanité de ia méconnoître.

Aureffe, loin de fouhaiter que cette faute refte cachée à mes ledeurs , je ferai fort aife qu'on la publie, & qu'ils en (oient inftruits : ce fera toujours une erreur de moins. D'ailleurs, comme elle ne fait tort qu'à moi feul, &: que mon fentim.ent n'en eft pas moins bien éta- bli, j'efpere qu'elle pourra fervird'amu- fementaux critiques; j'aime mieux qu'ils triomphent de m.on ignorance, que de mes maximes; & je ferai toujours très- content que les vérités utiles que j*ai foutenues, foient épargnées à mes dé- pens.

Recevez, Monfieur, les affurances de ma reconnoiffance, de mon eflime & de mon refped.

A

^é^

2;y

LETTRE

A M. V E R N E S.

Montmorenci , le 14 Novembre 1 7;^r

J E favois 5 mon cher Verpies , la bonne réception que vous aviez faite à TAbbé de Saint-Nom ; que vous Taviez fêté,, que vous l'aviez préfenté à M. de Vol- taire . en un mot, que vous l'aviez re- çu comme recommandé par un ami y il eft parti le cœur plein de vous , & fa reconnoifTance a débordé dans le mien. Mais pourquoi vous dire cela > N'avez-vous pas eu le plaifir de m'o- bliger ? Ne me devez-vous pas aufli de la reconnoifTance? N'eft-ce pas à vous déformais de vous acquitterenvers moi ? Il n'y a rien de moi fous laprefTe; ceux qui vous l'ont dit vous ont trompé. Quand j'aurai quelque écrit prêt à pa- Toître^ vous n'en ferez pas inftruit le dernier. J'ai traduit tant bien que maî un livre de Tacite, & J'en reftelà.Je ne fais pas affez de Latin pour l'en- tendre , & n'ai pas allez de talent pouî

'12.^6 L E T T R "5

le rendre. Je m'en tiens à cet eiïaUjS ne fais même fi j'aurai jamais TefFron- terie de le faire paroitre ; faurois grand befoin de vous pour l'en rendre di- gne. Mais parlons de l'hiftoire de Ge- nève. Vous favez mon fentiment fur cette entreprife; je n'en ai pas changé; tout ce qui me refîe à vous dire, c'eft que je fouhaite que vous faiîiez un ouvrage afTez vrai, aiïez beau 8c aflez utile , pour qu'il foit impoiTible de l'impri- mer; alors, quoi qu'il arrive, votre manufcrit deviendra un mionumenj pré- cieux qui fera bénir à jamais votre mé- moire par tous les vrais citoyens, il tant eft qu'il eiî refte après vous. Je crois que vous ne doutez pas de mon empreiTement à lire cet ouvrage; mais fi vous trouvez quelque occafion^pour me le faire parvenir, à la bonne heure; car pour moi , dans ma retraite , je ne fuis point à portée d'en trouver lesoc- eafions. Je fais qu'il va & vient beau- coup de gens de Genève à Paris & de Paris à Genève , mais je comiois peu tous ces voyageurs , Se n'ai nul defTein d'en beaucoup connoître. J'aime encore mieux ne pas vous lire,

Vou5 me demandez de la muflq^ue^

A M. Verne s. 257

eliDieu , cher Vernes î de quoi me par- lez-vous ? Je ne connois plus d'autre mufique que celle des Roilignols ; & les Chouettes de la forêt m'ont dédommagé del'Opera de Paris. Revenu au feul goût des plalfirs de la nature, je méprife Papprét des amufemens des villes. Redevenu prefque enfant , je m'at- tendris en rappellant les vieilles chan- fons de Genève, je les chante d'une voix éteinte , & je finis par pleurer fur ma patrie en fongeact que je luiai furvécu. Adieu.

LETTRE A M. DE SILHOUETTE,

Le 2- Déccmhrii ^7S9*

D

AiGNEZ , Monfîeur 5 recevoir l'hom- mage d'un folitaire qui n'eil pas connu de vous 5 mais qui vous eftime par vos talens , qui vous refpede par votre ad- ministration 5 &c qui vous a fait Thon- neur de croire qu'elle ne vous refteroit paslong-tems.Ne pouvant fa u ver l'E- tat qu'aux dépens de la capitale qui l'a

2j-S L E T T K E

perdu , vous avez bravé les cris deâ gaigneurs d'argent. En vous voyant écrafer ces miférabîes , je vous enviois votre place; en vous la voyant quitter fans vous être démenti, je vous ad- mire. Soyez content de vous , Mon- fîeur , elle vous laiffe un honneur dont vous jouirez long tems fans concurrent. Les malédictions des fripons font la gloire de l'homme jufte.

LETTRE

A M. V E R N E S.

Montmorency y U 9 Février 1760,

I

L y a une quinzaine de jours, mon cher Vernes 5 que j'ai appris, par M, Favre votre infortune ; il n'y en aguè- Tes moins que je fuis tombé malade, & je ne luis pas rétabli. Je ne compa- re point mon état au vôtre, mesmaux aduels ne font que phyfiques; 6: moi dont la vie n*eft qu'une alternative des uns de des autres, je ne fais que trop que ce n'eft pas les premiers qui tranf- percent le cœur le plus vivement. Le

A M. V E K N E S. 2/5

mîen efl fait pour partager vos dou- leurs 5 de non pour vous en confoler. Je fais trop bien , par expérience , que rien ne confole que le tems, & que fouvent ce n'eft encore qu'une af- flidlion de plus de longer que le tems nous confolera. Cher Vernes, on n'a pas tout perdu quand on pleure en- core ; le regret du bonheur palTé en eft un refte. Heureux qui porte encore au fond de Ton cceur ce qui lui fut cher! Oh ! croyez-moi , vous ne connoifTez pas la manière la plus cruelle de le per- dre ; c'eft d'avoir à le pleurer vivant. Mon bon ami , vos peines me font lon- ger aux miennes ; cc(ï un retour na- turel au malheureux. D'autres pour- ront montrer à vos douleurs une fen- bilité plus défintérefTée ; mais perfonne , j'en fuis bien fur , ne hs partagera plus fince'rement.

rh

zi6o

LETTRE

^ M. DUCHES NE , LIBRAIRE.

£"72 hii envoyant la Comédis des Fhilofcphes,

xL N parcourant , Mcnfieur , la pièce que vous m'avez envoyée ^ j'ai trémi de m'y voir loué. Je n'accepte point cet horrible préfent. Je fuis perfiiadé qu'en m.e l'envoyant , vous n'avez pas voulu me faire une injure ; mais vous ignorez ou vous avez oublié que j'ai eu l'honneur d'être l'ami d'un homme reTpedable, indignement noirci & ca- lomnié dans ce libelle.

2.6l

LETTRE A MADAME D'AZ**\

Çz/f Tuavci^ envoyé l'ejîampe encadrée de fon par traie avec des vers à fort mari au-dejfous*

Le 10 Février 1761,

V ousm*avez fait , Madame, un pré- fent bien précieux ; mais j'ofe dire que le fentiaient avec lequel je le reçois , ne m'en rend pas indigne. Votre por- trait annonce les charmes de votre ca- raclere ; les vers qui l'accompagnent achèvent de le rendre ineRimable. Il L^mble dire , je fais le bonheur d'un tendre époux ; je fuis la mufe quiTinf- pîre, &J3 fuis la bergère qu'il ch-^.nte. En vérité, Madam.e, ce n'eO: qu'avec un peu de fcrupule que je l'admets dans ma retraite , t-c je crains qu'il ne m'y laiiTe plusauili foiitaire qu'auparavant. J'apprends aufli que vous avez payéle port & même à très- haut prix : quanf à cetrederniere générofité , trouvez bon

z6s. Lettre

qu'elle ne foit point acceptée , & qu*à la première occafion je prenne la liberté de vous rembourfer vos avances (o).

Agréez, Madame, toute ma recon- noiiïànce & tout mon refpeâ:.

LETTRE

A MADAME C^*\

Montmorenci ^ U 12. FévtierijGié

Vous avez beaucoup d'eTprit, Ma- dame 5 & vous l'aviez avant la leâ:ure de la Julie : cependant je n*ai trouvé que cela dans votre lettre; d'où je con- clus que cette ledure ne vous eft pas propre , puifqu'elle ne vous a rien ins- piré. Je ne vous en eftime pas moins , Madame , les âmes tendres font fou- vent foibles,& c'eft toujours un crime à une femme de l'être. Ce n'eft point de mon aveu que ce livre a pénétré jufqu'à Genève; je n'y en ai pas en- voyé un feul exemplaire , & quoique

(û) ElJe avoit donne un baifcr au porteuft

A UN Anonyme. 263

je ne penfe pâs trop bien de nos mœurs actuelles, je ne les crois pas encore aiTez mauvaiîes pour qu'elles gagnaf- fent de remonter à l'amour.

Recevez, iMadame, mes très hum- bles reniercieriiens, de les aflurances de mon refped.

LETTRE

A UN ANONYME.

Montmorcnci ^ le iz Février 1761.

J'ai reçu le 12 de ce mois par la porte une lettre anonyme fans date , timbrée de Lille, & franche de port. Faute d'y pouvoir répondre par une autre voie, je déclare publiquement à l'auteur de cette lettre que je l'ai lue & relue avec émotion , avec atten- driffement, qu'elle m'infoire pour lui la plus tendre eflime , le plus grand defir de le connaître & de l'aimer ; qu'en me parlant de Tes larmes il m'en a fait répandre ; qu'enfin jufqu'aux élo- ges outrés dont il me comble , tout

2(54 L E T T R E 5 6'C. j

me p!ait dans cette lettre , excepté la '

modefte raifon qui le porte à fe cacher. ^

j

LETTRE ;

. A M ^ ^ ■^. I

Montmcrenci , le i ^ Février 1761, i

J]

E n*ai reçu qu'hier, Monfieur, la lettre que vous m'avez écrite le y de ce mois. Vous avez raifon de croire que l'harmonie de l'âme a aufîi Tes dif- fonances qui ne gâtent point TefFet du tout: chacun ne fait que trop comment elles fe préparent; mais elles font diffi- ciles à fauver. C'eft dans les ravifTans concerts des fpheres céleues qu'on ap- prend ces favantesfucceiîions d'accords. Heureux, dans ce hecle de cacopho- nie & de difcordance , qui peut fe con- ferver une ore'ile alTez pure pour en- tendre ces divins concerts!

Au rePce, je perfifre à croire, quoi- qu'on en puifTe dire, que quiconque après avoir lu la nouvelle Héloïfe la pelit regarder comme un livre de mau- vaifes mceurs^ neft pas fait pour ai- mer

tner les bonnes. Je me réjouis , Mon- fîeur, que vous ne (oyez pas au nom- bre de ces infortunés, & je vous falue de tout mon cœur.

LETTRE

A M***.

Montmorencl , le 15 Février ij6r»

Je fuis charmé, Monfieur, de la let- tre que vous venez de m'écrire , de bien loin de me plaindre de votre louange, je vous en remercie, parce qu'elle eft jointe à une critique fran- che & judicieufe qui me fait aimer Tune & l'autre comme le langage de l'ami- tié. Quanta ceux qui tfouverit ou fei- gnent de trouver de l'oppofition entre ma lettre fur les fpedacles & la nou- velle Héloïfe, je fuis bien fur qu'ils ne vous en impofent pas. Vous favez que la vérité , quoiqu'elle foit une , change de forme félon les tems 8^ les lieux , & qu'on peut dire à Paris ce qu'en des jours plus heureux on n'eût p2:s dire à Genève : mais à préfent Œuy, Pojih. Tom. VI, M

:i66 L E T T K E \

les fcrupules ne font plus de faifon, &. par-tout féjournera long-tenis M. de- Voliaire, on pourra jouer après lui la' comédie & lire des romans fans dan-; ger. Bonjour, MonHeur, je vous em-i braiïe, &: vous remercie de rechef de' votre lettre; elle me plaît beaucoup.!

LETTRE

\'

A M. DE*^^

Montmorenci , le 19 Février 17^1.

V01LA5 Moniieur, ma réponfe aux obfervations que vous avez eu la bonté de m'envoyer fur la nouvelle Héloïfe. .Vous l'avez éîevée à l'honneur auquel elle ne s'attendoit guères, d'occuper des Théologiens ; c'ed: peut-être un fort attaché à ce nom & à celles qui le por- tent d'avoir toujours à paffer par les niains de ces Meilleurs -là. Je vois qu'ils ont travaillé à la converfion de celle ci avec un grand zèle 3 & je ne doute point que leurs foins pieux n'en ^ient fait une perfonne très-orthodoxe 5

À M. D E ^ * *. 2(^7

maïs je trouve qu'ils l'ont traitée avec un peu de rudeiTe ; ils ont flétri Tes charmes, & j'avoue qu'elle nie plaifoit plus, aimable quoique qu'hérétique, que bigote de maufTade comme la voilà. Je demande qu'on me la rende comme je l'ai donnée , ou je l'abandonnerai à fes diredeurs.

LETTRE

A MADAME BOURETTE.

Qui m avolt écrit deux lettres confécu-» tives avec des vers , & qui m invitait à prendre du café cke^ elle dans une ta(Je incrufUe d'or que M* de Voltaire lui avoic donnée,

Montmorenci^ le 12 Mars 1761.

Je n'avois pas oublié. Madame , que je vous devois une réponfe & un re- merciement; je feroisplus exad: Ton me lailToit plus libre, mais il faut mal- gré m.oi difpofer de mon tems , bien plus comme il plaît à autrui que comme je le devrois &: le voudrois. Puifque

M2

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/^^ '^^^ 4Mf ^^^i^^ ^^* ^^ '

l

968 L E T T B s

l*anonymc vous avoit prévenue , il croît I ! que fa '0 précédât :- '■«

il \4'!re; & d*a jcncvousdmi-

nuilcr;»i p*s qn 1. ,oif '^ ^^é de plus

pt' '. ;: r 'H r»r«ir que 1 : des C^^-ni-

J ij CM s c^ des VIT5.

îc voudrois , Madame, pouvoir ré- rhonncur que vous me faites .c Cirn ir.ucr un excnpîairc de !i \à\^ '. -t 6-: -H'»^* vous ont en- pi \ i .r ^ K^ S exemplaires

roicntétc envovcsdc Hollande, Libraire, font donnes ou de(- jc n'ai nulle efpccc de rela- ccux qui les débitent àP^uis, ' '* "c en acheter un pour ,. eft, vu l'ctat de ma for- vjue vous n'approuveriez pas l-nv me : de plus, je ne fais point les louants , ^ fi je failois quj de payer les vôtres , j'y li\ "^ ttre up plus haut p:ix.

. l'occi ;n fe pré'entc da

de votre invitation, j'irai ,Ma-

rcc i:rind plaifir vous rendre

pt\ rc du café chez vous;

j is, s'il vous plaît,

ivc de M. de Voltaire,

r-

k

A M. 1^\ ^^9

car je ne bois point dans la co- cet homme-là.

Agréez, MK^i:^.c, .■; : - tere mes trcs-iVùnu>iv> : & les affur^nces de mon - ^

L E T T R } .

A M. M

I

L faudroit être ic dernier des h mes pour ne pas s'in: tunce Louifon. La piiic . lance que Ton honnête h... pire pour elle , ne me laiilc \ que Ton zèle à lui-même ne puiïïc ftre aulh pur que le mien ; cela f\. il doit compter fur toute rcftinic d ua omme qui ne la prodigue p:is, Gra- s au Ciel , il fe trouve djns i -^ "•■ ' s élève, des coeurs aulli fci......

ui ont à la fois le pouvoir ^ la

de protéger la maîhcurcufc ,

(limable viâimc de Tinfamic d*un

M. le Maréchal de Luxcm-

M j

^6^ Lettre

Tanonyme vous avoit prévenue , il étoît naturel que fa réponfe précédât auiU la votre; Ôc d'ailleurs je ne vous difii- inulerai pas qu'il avoit parlé de plus près à mon cœur que ne font des com- pJimens & des \Qrs,

Je voudrois , Madame , pouvoir ré- pondre à l'honneur que vous me faites de me demander un exemplaire de la. Julie 5 mais tant de gens vous ont en- core ici prévenue, que les exemplaires qui m^avoient été envoyés de Hollande, par mon Libraire ^ font donnés oudef- tinés , & je n'ai nulle efpece de rela- tion avec ceux qui les débitent à Paris. Il faudroit donc en acheter un pour vousTolfrir, & c'eft, vu l'état de ma for^ tune , ce que vous n'approuveriez pas vous-même : de plus, je ne fais point payer les louanges , & fi je faifois tant que de payer les vôtres , j'y voudrois mettre un plus haut prix.

Si jam.ais roccafion Te préfente de profiter de votre invitation, j'irai, Ma- dame, avec grand pîaifir vous rendre vifite & prendre du café chez vous; mais ce ne fera pas, s'il vous plaît, danç la taiTe dorée de M. de Voltaire,

A M. M ^ * ^. 2(5p

car je ne bois point dans la coupe cet homme-là.

Agréez, Madame, que je vous réi- tère mes très-humbîes remerciement & les afTuranees de mon reipecl.

LETTRE

A M. M^^^

Montmorencij Mars 1761.

I

L faudroit être le dernier des hom- mes pour ne pas s'intéreiïer à rinfor- tunée Louifon, La pitié, la bienveil- lance que fon honnête hiilorien m'inf- pire pour elle , ne me laifîè pas douter que fon zèle à lui-même ne puiÏÏe être aufîi pur que le mien; cela fuppofé, il doit compter fur toute refrime d'un homme qui ne la prodigue paSi Grâ- ces au Ciel^ il Te trouve dans un rang plus élevé, des cœurs aulTi fenfibles, & qui ont à la fois le pouvoir de la Volonté de protéeer la maîheureufe , mais eftimable vidime de finfamie d*un brutal. M, le Maréchal de Luxem-

Mj

^rjo L E T T K E 5 6»r. \

bourg & Madame la Maréchale à qui j'ai communiqué votre lettre , oat \ été émus ainfî que moi à fa leélure; j ils font difpofés, Monfieur, à vous en- tendre & à confulter avec vous ce qu'on \ peut & ce qu'il convient de faire pour , tirer la jeune perfonne de la détrelle i elle eiL. Ils retournent à Paris après j Pâques. Allez, Monfieurj voir ccsdi- i gnes & refpeclables Seigneurs; parlez- | l3ur avec cette fimolicité touchimce qu'ils I aiment dans votre lettre; fovez avec \ eux fincere en tout, & croyez que leurs l coeurs bienfalfans s'ouvriront à la can- \ deur du vôtre : Louifon fera protégée , ' fi elle mérite de l'être ; & vous. Mon- ! fieur, vous ferez eftimé comme le mé- - rite votre bonne action. Que (i dans cette attente, quoiqu'affez courte, la ] fituation de la jeune perfonne étoit trop j dure 5 vous devez favoir que quant à \ préfent je puis payer, rnodiquement à i la vérité, le tribut par quiconque \ a fon néceiïaire ,aux indigens honnêtes - qui ne l'ont pas. |

271

LETTRE

A M. VER N E

S.

Montmorenci ) z^ Juin i/ôr.

J

É T o I S prefque à rextrémité , cher Concitoyen, quand j'ai reçu votre let- tre , & maintenant que j'y réponds, je fiiis dans un état de fouffrances conti- nuelles qui, félon toute apparence, ne me quitteront qu'avec la vie. Ma plus grande confolation dans l'état oii je fuis eft de recevoir des témoignages d'intérêt de mes compatriotes, & fur- tout de vous, cher Vernes , que j'ai toujours aimé 6c que j'aimerai toujours. Le cœur me rit, & il me f:mble que je me ranime au projet d'aller partager avec vous cette retraite charmante , qui me tente encore plus par ion ha- bitant que par elîe-m.êm.e. Oh , fi Dieu raffermiiïoit afTez ma fanté pour me mettre en état d'entreprendre ce vova- ge , je ne mourrois point fans vous embraiïer eacore une fois \

Je n'ai jamais prétendu jufl:iRer les

272 Lettre

innombrables défauts de la Nouvelle Ré- /oi/"^; je trouve que Ton l'a reçue trop favorablement; & dans les jugemens du public 3 j'ai bien moins à me plain- dre de fa rigueur qu'à me louer de fon indulgence ; mais vos griefs contre Wol- mar me prouvent que j'ai mal rempli l'objet du livre , ou que vous ne l'a- vez pas bien faifi. Cet objet étoit de rapprocher les partis oppofés, par une eftime réciproque ; d'apprendre aux Fliu lofophes 5 qu'on peut croire en Dieu fans être liypocrite , & aux croyans , qu'on peut être incrédule fans être un co- quin. Julie , dévote , efl: une leçon pour les Philofophes, & Wohnar ^'àûiéQ^ en eft une pour les intoîérans. Voilà le vrai but du livre. C'eil: à vous de voir je m'en fuis écarté. Vous me repro- chez de n'avoir pas fait changer de fyf- téme à T^^o/z/z^r^fur la fin du Roman\ mais , mon cher Vernes , vous n'avez pas lu cette fin ; car fa converfion y eft indiquée avec une clarté qui ne pou- voit fouffrir un plus grand développe- ment, fans vouloir faire une capuci- nade.

Adieu, cher Vernes; je faifis un in- tervalle de mieux pour vous écrira>

A M. V E R N H s. :^J

Je vous prie d'informer de ce mieux ceux de vos amis qui penfent à moi , Se entr'autres, Mefïieurs Mouitou 6c Rouf^an 5 que j'embraffe de tout mon cœur ainfi que vous,

LETTRE

A M. H U B E R.

Montmorenci , le 2;^ Décembre 1761»-

j

'ÉT01S5 Monfieur 5 dans un accès du' plus cruel des maux du corps, quand je reçus votre lettre & vos Idylles; après avoir lu la lettre y j'ouvris ma- chinalement le livre, comptant le re- fermer auflî-tôt; mais je ne le refer- mai qu'après avoir tout lu , & je le mis à côté de moi pour le relire en- core. Voilà l'e^ade vérité. Je fens que' Votre ami Gefner efl; un homme félon mon ccsur, d'©ù vous pouvez juger d& fon tradudleui' & de fon ami par lequel leul il m'eft connu. Je vous fais en par-- ticulier un gré infini d'avoir ofé dépouil- ler notre langue de ce fot B6 précieux- j,argon, q}\\ ote touts^ vérité aux ims'*^

274 Lettre !

gQS, & toute vie aux fentimens. Ceux i qui veulent embellir & parer la nature , ^ font des gens faiîs ame & fans goût, ; qui n'ont jamais connu Tes beautés. Il i y a fix ans que je coule dans ma re- i traite 3 une vie aiTez femblable à celle l de Ménalque & d'Amyntas , au bien \ près que j'aime comme eux , mais que , je ne fais pas faire; & je puis vous pro- i tefter , Monde ur , que j'ai plus vécu du- \ rant c-es fix ans, que je n'avois tait dans ! tout le cours de ma vie. Maintenant i vous me faites defirer de revoir encore un printems, pour faire avec vos char- mans pafteurs de nouvelles prom.ena- ' des, pour partager avec eux ma foli- ] tude , & pour revoir avec eax des afy- i les champêtres qui ne font pas inférieurs ' à ceux que M. Gefner & vous avez « bien décrits. Saluez-le de ma part , je vous fupplie, & recevez auili mes re* \ merciemens & m.es falutations.

Voulez -vous bien, Monfieur, quand ; vous écrirez à Zurich, faire dire m.ille ] chofcs pour moi à M. Uûerl? j'ai reçu > de fa part une lettre que je ne ma ] lafTe point de relire , èc qui contient ; dQS relations d'un payfan plus fage ^ ^ plus vertueux, plusfenfé q.ue tous les .

A M. H U B E R. 27;*

Phîlofopb.es de Tanlvers-, je fuis fâché qu'il ne me marque pas le nom de cet homme refpeclable. Je loi voulois ré- pondre un peu au long, m.ais mon dé- plorable état m'en a empêché jufqu'Ici,

LETT R E

A MESSIEURS

De la Sociécè Economique de Berne,

Montmorenci , le 29 Avril 17^2,

Vous ttts moins inconnus, Mef- (leurs , que vous ne penfez, & il ïi-^Jit que votre Société ne manque pas de célébrité dans le monde, puilque le bruit en eft parvenu dans cet afyle à un homme qui n'a plus aucune com- merce avec \cs gens de Lettres. Vous vous montrez par un coté \\ intéref- fant que votre projet ne peut man- quer d'exciter le public , & fur-tout les honnêtes gens, à vouloir vous con- noître ; & pourquoi voulez-vous dé- rober aux hommes le fpe-flacle tou- chant &: (1 rare dans notre fiecle , de vrais citoyens aimant leurs frères Se

M 6

27<^ Lettkë a la SociÉxé ^

leurs femblables, ôc s'occupant Imcè- ;

rement du bonheur de la patrie ôc du ^

genre humain?

Quelque beau cependant que foît ;

votre plan, & quelque talent que vous i

ayez pour Texécuter, ne vous flattez '

pas d'un fuccès qui réponde entière- \

ment à vos vues. Les préjugés qui ne |

tiennent qu'à Terreur fe peuvent dé-

truire , mais ceux qui font fondés fur \

nos vices ne tomberont qu'avec eux ; j

vous voulez commencer par appren- |

dre aux hommes la vérité pour les ren- |

dre fages, & tout au contraire, il fau* ' droit d'abord les rendre fages pour leur

fair aimer la vérité. La vérité n'a pref' i que jamais rien fait dans le monde, parce

que les hommes fe conduifent toujours ^

plus par leurs paiîions que par leurs |

lumières, & qu'ils font le mal approu- j

vant le bien. Le fiecle nous vivons- '

e/1: à^s plus éclairés , même en mo- j

raie; eft-il des meilleurs ?. Les livres ne !

font bons à rien , j'en dis autant des' ;

académies & des fociétés littéraires ; i

on ne donne jamais à ce qui en fort ,,

d'utile , qu'une approbation fiérile ;. '

fans cela la nation qui a produit leS'

Fgnelons , les Moniefquieux ,, les Mi* '

ÉcONOMtQUE DE BeKNE. 2'fJ'

rabeaux , ne feroit-elle pas la mieux conduite & la plus heureufe de la ter- re ? En vaut-elle mieux depuis les écrits- de ces grands homnies, bc un feui abus- a-t-ii été redrelTé fur leurs maximes? Ne vous flattez pas de faire plus qu'ils- n'ont fait. Non , Meilleurs , vous pour- rez inftruire les peuples, mais vous ne les rendrez ni meilleurs ni plus heu- reux. C'ell: une des chofes qui m'ont le plus découragé , durant ma courte carrière littéraire , de lentir que , même me fuppofant tous les taler.s dont j'a- vois befoin, i'attaquerois fans fruit des erreurs funefles, & que quand je les pourrois vaincre les chofes n'en iroient pas mieux. J'ai quelquefois chaimé mes maux en fatisfaifant mon cœur ^ mais fans m'en impofer fur l'effet de mes foins. Plufieurs m/ont lu , quel- ques-uns m'ont approuvé même , &- comme je l'avois prévu , tous font ref- tés ce qu'ils étoient auparavant. Pvlef-^ fieurs , vous direz mieux 6c davantagCa. mais vous n'aurez pas un meilleur fuc- cès; & au lieu du bien public que vous^* cherchez , vous ne trouverez que lai gloire que vous fembîez craindre. <2.uoi (^u'il en foir^ je ne puis c^uèr-

'o.j^ Lettre a la SociÉTé

tre feniible à l'honneur que vous me faites de m'afTocier en quelque forte , par votre correfpondance, à de fi no- bles travaux. Mais en me la propo- fant, vous ignoriez fans doute, que vous vous adrelliez à un pauvre ma- lade qui, après avoir eflayé dix ans du trifte métier d'auteur, pour lequel il n^étoit point fait, y renonce dans la joie de fon cœur, & après avoir eu rhonrreur d'entrer en lice avec refped:, mais en homme libre, contre une tête couronnée , ofe dire en quittant la plume, pour ne la jamais reprendre,

Vicîor ccJlUS arUrnque repono*

Mais fans afpîrer aux prix donnés- par votre munificence , j'en trouverai toujoiirs un très- grand dans rhonneutr de votre eflimc, & (i vous me jugez digne votre correfpondance, je ne refufe point de l'entretenir , autant que mon état, ma retraite, & mes lumiè- res pourront le permettre; & pour com- mencer par ce que vous exigez de moi, je vous dirai que votre plan , quoique très-bien fait, me paroît gé- néxalifer un peu trop ks idées, &

EcoNOMK^UE DE Berne. 27^

tourner trop vers la métaphyfique , des recherches qui deviendroient plus utiles, félon vos vues , ii elles avoient des applications pratiques locales 6c particulières. Quanta vos queftions, elles font très-belles , la troilieme {ay fur-tout me plaît beaucoup; c'ell celle qui me tenteroit fi j'avois à écrire. Vos vues en la propofant font allez claires, 6j il faudra que celui qui la traitera, foit bien mal adroit s'il ne les remplit pas. Dans la première vous deman- dez quels font Us moyens de tirer un peuple de la corruption ? Outre que ce mot de corruption me paroît un peu vague 5 & rendre la queftion prefque indéterminée, il Faudroit commencer, peut-être , par demander s'il eft de- tels moyens : car c'eft de quai Torr peut tout au m^oins douter. En com- penfation vous pourriez ôter ce que ajoutez à la fin, & qui n'eft qu'une répétition de laquedion mémie , ou ea fait une autre tout à fait à part (3)*

( a ) Quel peuple a jamais été le pîus heureux ? (h) Voici la fuite de ce:te quefiion- Et quel ejl le flan le p/uj parfai: qu'un Lépjlaceiu ^uijfe fuivri i

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Économique dk Bfrne. 281

"P^'our, Monfîcur , je vous filue , \ & vo» dignes collègues , de tout me CGcur & avec le plus vrai rcfped.

^SI'-=SKJt;z^:^^>

A M. M

y.or:xo:cact , It 7 Juin fêv,

J me j»ardcroi> de vuus î '

c r M'*', fi je croyois qoe . . ..- ;jf-

fi tranquille fur mon compte ; mais

1 crmcntation eft trop fone pour que

r lit n'en foit pas arrivé ju'qu'i vous,

i c juge , par les lettres que je reçois

c > provinces, que les gens qui ni*ai-

I iu , y (ont encore plus al.irmës pour

j )i qu à Paris. Mon livre :v paru dans

es circonrtances malheureufes. Le

{ rlemcnt de Paris, pour juftifier foa

:1e contre les Jcfuiies , veut, dit-on ,

crfccutcr aulTi ceux qui ne penfcnt

is comme eux , & le fcul homme en

rance qui croye en Dieu, doit être

vidtime des dcfenfcurs du Chriflia-

ifme. Djpuis plufieurs jours , tous

-es amis s'efforcent à l'cnvidc m*cf-

"^î'o Lettré a la SociéTÉ'

Si j'avois à traiter vôtre féconde" queftion {a), je ne puis vous difîl- muler que je me déclarerois avec Pla- ton pour l'affirmative, ce qui iurement n'étoit pas votre intention en la pro- pofant. Faites comme T Académie Fran- çoise qui prefcrit le parti que Ton doit prendre, & qui fe garde bien de mettre- en problème les queftions fur lefquelles' elle a peur qu'on ne dife la vérité.

La quatrième (l>) eft la plus utile,* à caufe de cette application locale dont j-ai parlé ci-devant; elle offre de gran- des vues à remplir. Mais il n'y a qu'un Suiile ou quelqu'un qui connoiiïe à- fond la conftitution phyfique, politi- que & morale du Corps Helvétique,^ qui puiffe la traiter avec fuccès. Il fau- droit voir (oi-méme pour ofer dire : O utinam ! Hélas ! c'eft augmenter fes regrets de renouveîler des vœux for- més tant de fois & devenus inutileso-

{a.) Eft-il des préjugés refpeftables qu'un bon ci-' îôyen doive fe faire un fcrupule de combattre publi* ^uement?

( ]} ) Par quels moyens pourrbit-on refTerrer les liai-" fons &: l'amitié entre les Citoyens de divevfes Répui bli<jiics , ^ru compofem la confédération HeJvétic^wc-?-

Économique de Berne. 281

Bonjour 5 Monfieur , je vous falue , vous de vos dignes collègues 5 de tout iTiOn cœur &: avec le plus vrai refpeél,

LETTRE

A M. M^^\

Montmorenci , le 7 Juin 17^2,-

Je me garderois de vous inquiéter, cher M**"^. fi je croyois que vous fuf- fîez tranquille fur mon compte ; mais la fermentation eft trop forte pour que le bruit n'en foit pas arrivé jufqu'à vous, & je juge 5 par les lettres que je reçois dts provinces , que les gens qui m'ai- ment , y font encore plus alarmés pour moi qu'à Paris. Mon livre a paru dans des circonftances malheureufes. Le Parlement de Paris, pour jufliner Ton zèle contre les Jéfuites . veut, dit-on , perfécuter aulU ceux qui ne penfent pas comme eux , & le feul homme en France qui croye en Dieu, doit être la vidime des défenfeurs du Chriftia- nifme. Depuis plufieurs jours , tous mes amis s'efforcent à l'envide m'eC-

282 Lettre

frayer ; on m'offre par-tout des retrai- tes; mais comme on ne me donne pas pour les accepter dos raifons bonnes pour moi 5 je demeure; car votre ami Jean- Jacques n'a point appris à fe ca- cher. Je penfe aufli qu'on grolUt le mal à mes yeux pour tâcher de m'é- branler ; car je ne faurois concevoir à quel titre , moi citoyen de Genève, je puis devoir compte au Parlement de Paris d'un livre que j'ai fait impri- mer en Hollande avec privilège des Etcirs Généraux, Le feul moyen de défenfe que j'entends employer , H l'on m'interroge , eft la récufation de mes Juges; mais ce moyen ne les conten- tera pas; car je vois que, tout plein de fon pouvoir fupréme , le Parlement a peu d'idée du droit des gens , & ne le reTpeclera guères dans une petit par- ticulier comme moi. Il y a dans tous les Corps des intérêts auxquels la juf- tice efl toujours fubordonnée , de il n'y a- pas plus d'inconvénient à brûler un innocent au Parlement de Paris , qu'à en rouer un autre au Parlement de Touloufe. Il ed vrai qu'en général les Magiftrats du premier de ces Corps aiment la juftice, de font toujours équi-

A M. M>'^^ 283

tables & modérés quand un afcendanî trop fort ne s'y oppofe pas-, mais cet afcendant agit dans cette affaire , commie il eft probable , ils n'y réfif- teront point. Tels lont les hommes , cher M^^"*" , telle eft cette fociété fi vantée ; la juftice parle , de les paf- fions agilîent. D'ailleurs , quoique je n'euiTe qu'à déclarer ouvertement la vérité ÛQS faits , ou , au contraire , à ufer de quelque menfonge pour me ti- rer d'affaire , même malgré eux; bien réfolu de ne rien dire que de vrai, de de ne compromettre perfonne , tou- jours gêné dans m.es réponfes, je leur donnerai le plus beau jeu du monde pour me perdre à leur plaiiîr.

Mais 3 cher M'^"*'^, fi la devife que j'ai prife n'eft pas un pur bavardage, c'eft ici l'occafion de m'en m.ontrer digne ; Se à quoi puis-je employer mieux le peu de vie qui me refre ? De quelque manière que me traitent les hommes, que me teront-ils que la nature & mes maux ne m'euflent bien- tôt fait fans eux? lis pourront m'oter une vie que mon état me rend à char- ge, m.ais ils ne m'ôteront pas ma li- berté; je la conferverai, quoi qu'ils

^84 L E T T K s

faiïent , dans leurs liens Se dans leur^ murs. Ma carrière eft finie , il ne me refte plus qu'à la couronner. J'ai rendu gloire à Dieu, j'ai parlé pour le bien des hommes; 6 ami ! pour une fi grande caufe jui toi ni mioi ne refufe- rons jamais de foultrir. C'eft aujour- d'hui que le Parlement rentre ; j'attends en paix ee qu'il lui plaira d'ordonner : de moi.

Adieu, cher M'^^'^'jje vous em- [ braiïe tendrement; fitôt que mon fort ; fera décidé, je vous en inftruirai, fi ; je refle libre. Sinon vous l'apprendrez i par la voix publiquer

LETTRE AU M Ê M E J

Yvirdim, le l^ Juin 1^62,

V ou s aviez mieux juge que moi -

cher M ^ '**■*' ; l'événement a juftifié vo-- 1

tre prévoyance , & votre amitié voyoit \

plus clair que moi fur mes dangers, ;

Après la réfolution vous m'avez vu i dans ma précédente lettre , vous ferez

furpris de me fa voir maintenant à Yver- I

% M. M**^ 2^f

<3un; maïs je puis vous dire que ce neû pas fans peine & fans des confî- dérations très-graves , que j'ai pu me déterminer à un parti (i peu de mon goût. J'ai attendu jufqu'au dernier mo- ment fans me laiffer effrayer, de ce ne fut qu'un Courier venu dans la nuit du 8 au p de ?vî. le Prince de Conti à Madame de Luxembourg qui apporta les détails fur lefquels je pris fur le champ mon parti. Il ne s'agiiïbit plus de moi feul, qui furement n'ai jamais approuvé le tour qu'on a pris dans cette affaire, mais des perlonnes qui, pour l'amour de moi , s'y trouvoient inté- reffées , &, qu'une fois arrêté, mon filence même, ne voulant pas mentir, eût compromifes. Il a donc fallu fuir, cher M*^"^, & m'expofer, dans une retraite aflez difficile, à toutes les tran- fes des fcélérats, laiffant le Parlement dans la joie de mon évafîon , & très- réfolu de luivre la contumace aulîî loin qu'elle peut aller. Ce n'ed: pas , croyez-moi , que ce Corps me haïffe & ne fente fort bien fon iniquité. Mais voulant fermer la bouche aux dévots £n pourfuivant les Jéfuites, il m'eût, fans égard pour mon trifte état, fait

285 Lettre

fbuffrir les plus cruelles tortures ; îî m'eût fait brûler vif avec aufii peu de plaifîr que de juitice, & fimplement parce que cela l'arrangeoit. Quoi qu'il en Toit 5 je vous jure, cher M^^ ^ , de- vant ce Dieu qui lit dans mon coeur, que je n'ai rien fait en tout ceci con- tre les loix ; que non feulement j'étois parfaitement en règle , mais que j'en avois les preuves les plus authentiques ; & qu'avant de partir, je me fuis dé- fait volontairement de ces preuves pour la tranquillité d'autrui.

Je fuis arrivé ici hier matin. Se je vais errer dans ces montagnes jufqu'à ce que j'y trouve un afyle aiïez fau-» vage pour y pafTer en paix le refte de mes mi(érables jours. Un autre me de- manderoit peut-être pourquoi je ne me retire pas à Genève ; mais , ou je con- nois mal mon ami M*^^, ou il ne me fera furement pas cette queftion; il fentira que ce n'eft point dans la pa- trie qu'un malheureux profcrit doit fe réfugier; qu'il n'y doit porter fon igno- minie , ni lui faire partager (qs affronts. Que ne puis-je àh^ cet inftant y faire oublier ma mémoire ! N'y donnez mon adreiïe à perfonnei ^l'y parlez plus de

A M. M**\ 287

mol; ne m'y nommez plus. Que mon nom lo'it eflacé de deiius la terre. Ah ?vl*^"*'! h providence s'efl: trompée; pourquoi m'a- 1- elle fait naître parmi les hom.mes, en me faifant d'une autre efpece qu'eux?

LETTRE AU MÊME.

Yverdun , le 22 Juin l']62»

V^E que vous me marquez , cherM*^'*', Cil: à peine croyable. Quoi 1 décrété fans ctre oui !Et oùeftle délit? font les preuves? Genevois, fi telle eft vo- tre liberté , je la trouve peu regretta- ble. Cité à comparoître, j'étois obligé d'obéir ; au lieu qu'un décret de prife de corps ne m'ordonnant rien , je puis demeurer tranquille. Ce n'eft pas que je ne veuille purger le décret , & me rendre dans les prifons en tem.s & lieu , curieux d'entendre ce qu'on peut avoir à me dire , car j'avoue que je ne l'ima- gine pas. Quant' à préfent , je penfe qu'il eft à propos de laiiler au Confeil le tems de revenir fur lui-même.^ &de mieux voir ce quil a fait. D'ailleurs,

2$2 L E T T R S

il ferolt à craindre que dans ce moment de chaleur 5 quelques citoyens ne vif- fentpas fans murmure le traitement qui în'eft deftiné , & cela pourroit ranimer des aigreurs qui doivent refter à jamais éteintes. Mon intention n'efi: pas de jouer un rôle , mais de remplir mon devoir.

Je ne puis vous difïimuler, cher M^^^^ que quelque pénétré que je fois <ie votre conduite dans cette affaire , je ne faurois l'approuver. Le zèle que vous marquez ouvertement pour mes intérêts, ne me fait aucun bien préfent, & me nuit beaucoup pour l'avenir en vous nuifant à vous-même. Vous vous otez un crédit que vous auriez employé très-utilement pour moi dans un tems plus heureux. Apprenez à louvoyer, mon jeune ami, & ne heurtez jamais de front les paillons des hommes, quand vous voulez les ramener à la raifon. L'envie & la haine font maintenant con- tre moi à leur comble. Elles diminue- ront quand ayant depuis long-tems cefTé d'écrire, je commencerai d'être oublié du public & qu'on ne craindra plus de moi la vérité. Alors, fi je fuis encore, vous me fervirez ôc l'on vous écoutera.

Maintenant

A M. M^*\ 2^$

Maintenant taifez-vous; refpeâiez la décHîon des Magiftrats ôc l'opinion pu- blique; ne m'abandonnez pas ouverte- ment , ce feroit une lâcheté ; mais par- lez peu de moi, n'affectez point de me défendre, écrivez- moi rarement, ôc fur-tout gardez- vous de me venir voir : je vous le défends avec toute l'auto- rité de l'amitié : enfin fi vous voulez me fervir, fervez-moi à ma mode ; je fais mieux que vous ce qui me convient. J'ai fait afiez bien mon voyage , mieux que je n'euffe o(é Tefpérer. Mais ce dernier coup m'eft trop fenfible pour ne pas prendre un peu fur ma (anté, Depuisquelques jours, je uns des dou- leurs qui m'annoncent peut erre une rechute. Cefi: grand dommage de ne pas jouir en paix d'une retraite fi agréa- ble. Je fuis ici chez un ancien & digne Patron & bienfaiteur (a), dont l'hono- rable & nombreufe famille m'accable à fon exemple d'amitiés & de careffes» Mon bon ami, que j'aime à être bien voulu & carefTé! il me femb'e que je ne fuis plus malheureux quand on m'ai-

( d ) M. D. Roguin.

Œuv. PoJik.Tom.YI. N

2po Lettre

me : la bienveillance efl: douce à mon coeur, elle me dédommage de tout. Cher M^'*'^, un tems viendra peut-être que je pourrai vous preiTer contre mon fein 5 ôc cetefpoir méfait encore aimer la vie.

LETTRE

A iM. DE GINGINS DE AÎOIRY.

Yverdun , le 2z Juin 1762. M 0 N S I E U R y

Vous verrez par la lettre ci-jointe que je viens d'être décrété à Genève de prife de corps. Celle que j'aiThon- ueur de vous écrire n'a point pour ob- jet ma fureté perfonneile; au contraire, je fais que mon devoir efl: de me ren- dre dans. les prifons de Genève , puif- qu'on m'ya V^gé coupable , & c'eft cer- tainement ce que je ferai, fitôt que je ferai afiuré que m.aprélence ne caufera aucun trouble dans ma patrie. Je fais d'ailleurs que j'ai le bonheur de vivre fous les loix d'un Souverain équitable êc éclairé qui ne fe gouverne point par

A M. DE GiNGiNS DE MoiRY. l^t

les idées d'autrui , qui peut & qui veut protéger l'innocence opprimée. Mais, Monfieur, il ne me fuffit pas dans mes malheurs de protedion même du Sou- verain , fi je ne fuis encore honoré de fon eftime , & s'il ne me voit de bon ceil chercher un afyle dans fes Etats. Cefl fur ce point, Monfieur, quej'ofe implorer vos bontés, de vous fupplier de vouloir bien faire au fouverain Sé- nat un rapport de mes refpectueux fen- timens. Si ma démarche a le malheur de ne pas agréer à LL. EE. je ne veux point abufer d'une protedion qu'elles n'accorderoient qu'au malheureux, & dont rhomm€ ne leur paroîtroit pas digne, &je fuis prêt à fortir de leurs Etats , même fans ordre ; mais Ci le dé- fenfeur delà caufe de Dieu, des loix, de la vertu, trouve grâce devantelles, alors, fuppofé que mon devoirne m'ap- pelle point à Genève, je pafTerai le refte ^de mes jours dans la confiance d'un cœur droit & fans reproche , fou- inis aux jufies loix du plus fage dQS Souverains.

N2

2^2

LETTRE

A M. M * * *.

^ Yverdun , /e 24 /;/m 17^2,

iJjNCOFvE un mot, cher M^'*'"*', & nous ne nous écrirons plus qu'au befoin. Ne cherchez point à parler de moi; mais dans Toccafion dites ànosMagif- trats que je les refpederai toujours, même injuftes ; & à tous nos concitoyens que je les aimerai toujours, même in- grats. Je fens dans mes malheurs que je n'ai point l'ame haineufe ; & c'efl: une coniolation pour moi de me fentir bon , aufli dans l'adverfité. Adieu , vertueux M'^^"*',!] mon cœureft ainfi pour les au- tres, vous devez comprendre ce qu'il eft pour vous.

LETTRE

A MADAME CRAMER DE LON.

î Juillet 17 6î,

jLya long-tems j Madame, que rien ne m'étonne plus de la part des hom- mes, pas même le bien quand ils en iont, Heureufement je mets tous les vingt- quatre heures un jour de plus à cou- vert de leurs caprices ; il faudra bien- tôt qu'ils fe dépêchent, s'ils veulent me rendre la vidime de leurs jeux d'enfans.

LETTRE

A M. DE GINGINS DE MOIRY,

Membre du Confeil Souverain de la Ri" publique de Berne ^ & Seigneur Bail-* lif à Yverdun.

Moticrs.Ie 22 Juilîec 1752.

J'usE,Monfieur, de lapermiiïion que vous m'avez donnée, de rappeller à

N3

2P4 Lettre

votre fouvenir un homme dont le cœur plein de vous &: de vos bontés, con- feryera toujours, chèrement les fenti- mens que vous lui avez infpirés. Tous mes malheurs me viennent d'avoir trop bien penfé des hommes. Ils me font fentir combien je m'étois trompé. J'à- vois befoin, Monfieur , de vous con- noître , vous &: le petit nombre de ceux qui vousreiïemblent, pour ne pas me reprocher une erreur qui m'a ccûté fi cher. Je favois qu'on nepouvoit dire "^ impunément la vérité dans ce (lecle, ni peut-être dans aucun autre; je m'at- tendois àfouffrirpour la caufedeDieu ; mais je ne m'attendois pas, je l'avoue, aux traitemens inouis que je viens d'é- prouver. De tous h s maux de la vie humaine, l'opprobre & les afFrons font les feuls auxquels Thonnéte-homme n'eft point préparé. Tant de barbarie & d'a- charnement m'ont furpris au dépourvu. Calomnié publiquement par des hom- mes établis pour venger l'innocence ; traité comme un mialfaiteur dans mon propre pays que j'ai tâché d'honorer ; pourfuivi , chaifé c'afyle en afyle, Ten- tant à la f^is mes propres maux & la honte de ma patrie ^ j'avois i'ame émue

A M. DE GlNGlNS DE MOTRY. Sp;*

^' troublée , j'étois découragé fans vous. Homme illuflre & refpeccable , vos con- fblations m*ont fait oublier ma mifere , vos difcours ont élevé mon cœur, votre eftime m'a mis en état d'en de- meurer toujours digne: j'ai plus gagné par votre bienveillance que je n'ai per- du par mes malheurs. Vous melacon- ferverez , Monfieur, jerefpere , m^-îlgré les hurlemens du fanatifme & les adroi- tes noirceurs de l'impiété. Vous êtes trop vertueux pour me haïr d'avoir ofé croire en Dieu, & trop Tage pour me punir d'ufer de la raifon qu'il m'a don- née.

L E T T R E A MYLORD maréchal;

Juillet 1762,

MyLOPvD,

VJ N pauvre Auteur profcrit de Fran- ce , de Ta patrie, du canton de Berne,

N4

2^5 Lettre

pour avoir dit ce qu'il penfoit être utile & bon , vient chercher un afyle dans les Etats du Roi. ?tylord , ne me l'ac- cordez pas fi jeiuis coupable, car je ne demande point de grâce & ne crois point en avoir befoin : mais (i je ne fuis qu'opprimé 5 il efl digne de vous d; de Sa Majefté de ne me pas refuferle feu & l'eau qu'on veut m'oter par toute la terre. J'ai cru vous devoir déclarer ma retraite , & mon nom trop connu par mes malheurs : ordonnez de mon fort, je fuis fournis à vos ordres ; mais fi vous m'ordonnez auiîi de partir dans l'état je fuis , obéir m'eft irapoiTible , & je nefaurois plus- fuir.

Daignez, Mylord, agréer les afTa- jances de mon profond refped,

LETTRE

A M. M^^\

Moders , Jdlîcc 1761,

J'ai rempli ma miffion , Monneur, j'ai dit tout ce que j'avois à dire, je re- garde ma carrière comme finie; il ne

A M. Al * ^ \ 2(p7

me relie plus qu'à foLîfrrir& mourir; le lieu cela doit fe faire eft alfez indif- férent. Il importoit peut-être que parmi tant d'Auteurs menteurs de lâches , il en exiflât un d'une autre efpece , qui ofât dire aux hommes des vérités uti- les qui feroient leur bonheur s'ils la- voient les écouter. jMais il n'importoit pas que cet homme ne fût point per* lécuté ; au contraire , on m'accuferoit peut-être d'avoir calomnié mon fiecle , fi mon hiftoire même n'en difoit plus que mes écrits ; & je fuis prefque obligé à mes contemporains de la peine qu'ils prennent à juftiher mon mépris pour eux. On en lira mes écrits avec plus de confiance. On verra même , & j'en fuis fâché, que j'ai fouvent trop bien penfé des hommes. Quand je fortis de France , je voulus honorer de ma re- traite l'Etat de l'Europe pour lequel j'avois le plus d'eftime , & j'eus la (im- plicite de croire être remercié de ce choix. Je me fuis trompé; n'en parlons plus. Vous vous imaginez bien que je ne fuis pas, après cette épreuve ^ tenté de me croire ici plus folidement éta- bli. Je veux rendre encore cet hon* Tieurà votre pays de penfer que lafa*

2^8 L E T r R E , âc,

reté que je n*y ai pas trouvée , ne fe trouvera pour moi nulle part. A^nfi , vous voulez que nous nous voyons ici 5 venez , tandis qu'on m'y bilTe; je ferai charmé de vous embralier.

Quant à vous , Monlieur, & à vo- tre eflimable fociété, je fuis toujours â votre égard dans les mêmes difpofi- tions je vous écrivis de Montmo- renci ; je prendrai toujours un vérita- | ble intérêt au fuccès de votre entre- i prile; & fi je n'avois formé Tinébran- ! ble rélolutlon de ne plus écrire , à i moins que la furie de mes perfécuteurs ne me force à reprendre enfin la plu- i me pour ma défenfe , je me ferois un honneur & un plaifir d'y contribuer; : mais 5 Monfieur, les m^aux & Fadver- i iitéont achevé dem'ôîerle peu de vi- I gueur d'efprit qui m'étoit refiée; je ne fuis plus qa'jr être végétatif, unema- ' chine ambulante, il ne mie refie qu'un \ peu de chaleur dans le cœur pour ai- | mer mes amis &' ceux qui méritent de i l'être ; j'eufTe été bien réjoui d'avoir à ce titre le plaifir de vous embrader» \

^99

LETTRE 'A M. DE MONTMQLLIKf.

Motiers , le 14 Août i7«2. M O N S I E U R,,

J_jE refped que je vous porte , & mon devoir comme votre paroifïien m'obli- ge, avant d'approcher de laSainte Ta- ble, de vous faire de mes fentimens, en matière de foi, une déclaration de- venue néceilaire par l'étrange préjugé pris contre un de mes écrits, fur ua requilitoire calomnieux, dont on n'ap- perçoit pas les principes déteftàbles. Il efl: fâcheux que les Minières de TEvanglle fe faffent en cette occafioa les vengeurs de TEglife Romaine, dont les dogmes intolérans & fanguinaires font feuk attaqués & détruits dans mon livre, fuivant ainfi fans examen une autorité fufpecle , faute d'avoir voulif m'entendre , ou faute même de m'avoir lu. Comme vous n'êtes pas, Monfieur, dans ce cas-là , }'at:ends de vous un jugement plus équitable, Quoi qu'il en

3ca Lettre

foit 5 Touvrage porte en foi tous Tes éclaircifTemens ; 6c comme je ne pour- rois Texpliquer que par lui même, je l'abandonne tel qu'il eft au blâme ou s. l'approbation des fages, fans vouloir le défendre ni îedéfavouer.

Me bornant donc à ce qui regarde ma perfonne , je vous déclare, Mon- fieur , avec refpeâ:, que depuis ma réunion à l'Eglife dans laquelle je fuis né, j'ai toujours fait de la Religion. Chrétienne Réformée , une pro^ellion d'autant moins fufpecle, qu'on n'exi- geoit de m.oi dans le pays j'ai vécu , que de garder le (îlence , & laifTer quel- ques doutes à cet égard, pour jouir des avantages civils dont j'étois exclus par ma Religion. Je fuis attaché de bonne foi à cette Religion véritable & fainte, & je le ferai jufqu'à mon dernier fou- pir. Je defire être toujours uni exté- rieurement à l'Eglife , comme je le fuis dans le fond de mon cœur; & quel- que confolant qu'il foit pour moi de participer à la communion des fidèles y. je le defire , je vous protefte, autant pour leur édification , de pour l'honneur du culte, que pour mon propre avan- tage : car il n'eft pas bon qa on penfç

A M. DE MONTMOLLIN. JOî

qu'un homme de bonne foi qui rai- fonne , ne peut être un membre de Jefus-Chrifl:,

J'irai 5 MonGeur, recevoir de vous- une réponfe verbale, & vous conful- ter fur la manière dont je dois me con* duire en cette occafion , pour ne don- der ni Turprife au Fafteur que j'honore,. ri fcandale au troupeau que je vou- drois édifier.

Agréez, Mondeur, je vous fupplie, les aiTurances de tout mon refpeél.

LETTRE A M. DAVID HUME.

Motiers-Travers , le tp Février 1765^

Je n'ai reçu qu'ici, Monfîeur, & de- puis peu 5 la lettre dont vous m'ho- noriez à Londres, le 2 Juillet dernier, fuppofant que j'étois dans cette Capita- le. C'étoit fans doutedans votre nation ^ & le plus près de vous qu'il m'eût été poflible, que j'aurois cherché ma re- traite, fi j'avois prévu l'accueir qiiï ilî'attendQit dans ma patrie Il ny avoit

502 L E T T K E

qu'elle que je puiïe préférer à l'An- gleterre, & cette prévention, dant j'ai été ti'jp puni, m'étoit alors bien par- donnable ; mais, à mon grand étoa- nement, de même à celui du public, je n'ai trouvé que des affronts de des outrages j'efperois , (înon, de la reconnoifTance , au moins des confo- lations. Que de chofes m'ont fait re- gretter Tafyle & rhofpitalicé philofo- phique qui m'attendoient près de vous! Toutefois mes mialheurs m'en ont tou- jours rapproché en quelque manière. La proteélion ëc les bontés de Mylord Maréchal, votre illuflre & digne com- patriote, m'ont fait trouver, pour ainfi dire l'EcofTe au milieu de la SuifTe; ii vous a rendu préfent à nos entretiens; il m'a fait faire avec vos vertus la con- noifTance que je n'avois faite encore qu'a- vec vos talens; il m'a infpiré la plus tendre amitié pour vous de le plus ar- dent deGr d'obtenir la vôtre, avant que je fufTe que vous étiez difpofé à me l'accorder. Jugez » quand je trouve ce penchant réciproque, combien )'au' rois de plaitir à m'y livrer l Non , Mon- fieur , je ne vous rendois que la moi- tié de ce qui vous étoit du quand

A M. David Home; 305

n'avois pour vous que de l'admiration, Yos grandes vues , votre étonnante im- partialité 5 votre génie , vous éleve- roient trop au - dclTL^s des hommes il votre bon cœur ne VQ'^:iS en rappro- choit. Mylord Maréchal, en m'appre- nant à vous voir encore plus aimable que fublime, me rend tous les jours votre commerce plus defirable , & nour- rit en moi l'emprefiement qu'il m'a fait naître de finir mes jours près de vous. Monfieur , qu'une meilleure fanté , qu'une fituation plus com.mode ne me met-elle à portée de faire ce voyage comme je le défirerois ! Que ne puis- je efpérer de nous voir un jour raC- femblés avec Mylord dans votre com- mune Patrie , qui deviendroit la mienne î Je bénirois dans une fociété fi douce les malheurs par îefquels j'y fus con- duit, &: je croirois n'avoir commencé de vivre que du jour qu'elle auroitcom- m.encé. Pui/Te-je voir, cet heureux jour plus dedré qu'efpéré ! Avec quel tranf- port je m'écrierois en touchant l'heu- reufe terre font nés David Hume & le Maréchal d'EcolTe ;

Salve, fatis mi ht débita tellusl H(SC domusp kiçc pacria efi^

J»Jt

g04 Lettre

LETTRE A M M

Mo tiers , le l Mars 1763^

J'ai lu , Monfîeur, avec un vrai plar- fir, la lettre que vous m'avez fait l'hon- neur de m'écrire 5 & j'y ai trouvé, je vous jure, une des meilleures critiques qu'on ait faite de mes Ecrits. Vous êtes élevé & parent de iM. Marcel; vous défendez votre maître , il n'y a rien que de louable; vous profefTez un art fur lequel vous me trouvez injufle êc mal inftruit , & vous le juftifiez ; cela eft afTurément très -permis; je vous parois un perfcnnage fort finguliery tout au moins, de vous avez la bonté de me le dire plutôt qu'au public. On ne peut rien de plus honnête ; & vous me mettez 5 par vos cenlures, dans le cas de vous devoir des remerciemensr Je ne fais je m'excuferai fort bien près de vous en vous avouant que Iq$ fingeries dont j'ai taxé M, Marcel , tom- boient bien moins fur fon art , que fui

A M. M. . . . 505*

fa manière de le faire valoir. Si j'ai tort même en cela , je l'ai d'autant plus que ce n'efl: point d'après autrui que je l'ai jugé 5 mais d'après moi-même. Car , quoique vous en puifîiez dire , j'étois quelquefois admis à l'honneur de lui voir donner les leçons; & je me fouviens que , tout autant de pro- fanes que nous étions là, fans excep- ter fon écoliere, nous ne pouvions nous tenir de rire à la gravité magiftrale avec laquelle il prononçoit fes favans apo- phtegmes. Encore une fois , Mon- fieur, je ne prétends point m'excufer en ceci; tout au contraire : j'aurois mauvaife grâce à vous foutenir que M. Marcel faifoit des fingeries, à vous qui peut-être, vous trouvez bien de l'imiter; car m.on deiïein n'eft afTuré- ment ni de vous offenfer ni de vous déplaire.

Quant à l'ineptîe avec laquelle j'ai parlé de votre art, ce tort eft plus na- turelqu'excufable; il efl celui de qui- conque fe mêle de parler de ce qu'il ne fait pas. Mais un honnête-homme qu'on avertit de fa faute , doit la ré- parer, & c'efl ce que je crois ne pou- voir mieux faire en cette occafîon ^

50(5 Lettre

qu'en publiant franchement votre lettre Çc vos corrections, devoir que je m'en- gage à remplir en tems & lieu. Je ferai, Mcnfieur, avec grand plaifir, cette réparation publique à la danfe &: â M. Marcel , pour le malheur que j'ai eu de leur manquer de re(ped:. J*ai pourtant quelque lieu de penfer que votre indignation fe fût un peu caî- me'e , fi rres vieilles rêveries eufTent obtenu grâce devant vous. Vous au- riez vu que je ne fuis pas fi ennemi de votre art que vous m'accufez de Tétre, & que ce n'eft pas une grande objec- tion à me faire, que fon établiiTement dans mon pays, puifque j'y ai propofé moi n^éme des bals publics defquels j'ai donné le plan. Monfieur , faites gr?ce à nies torts en faveur de mes fervices; & quand j'ai fcandalîfé pour vous les gens aufleres 5 pardonnez-moi quelques déraifonnemens , fur un art duquel j'ai fi bien mérité.

Quelque autorité cependant qu'aient fur moi vos décifions,J8 tiens encore un peu , je l'avoue, à la diverfité des caractères dont je propofois l'introduc- tion dans la danfe. Je ne vois pas bien encore ce que vous y trouvez d^ina-

A M. M. ... ; 307

praticable , Se il me paroît moins évi- dent qu'à vous, qu'on s'ennuyerolt da- vantage quand les danfes feroient plus variées. Je n'ai jamais trouvé que ce fût un amufement bien piquant pour une aiïemblée , que cette enfilade d'é- ternels menuets par lelquels on com- mence & pourfuit un bal , & qui ne difent tous que la même choie, parce' qu'ils n'ont tous qu'un feul caraârere; au lieu qu'en leur en donnant feulement deux, tels par exemple , que ceux de la Blonde de de la Brune, on les eût pu varier de quatre manières qui les eufîent rendus toujours pittorefques , & plus fouvenî intéreffans. La Blonde avec le Brun , la Brune avec le Blond, la Brune avec le Brun , & la Blonde avec le Blond. Voilà l'idée ébauchée; il efl: aifé de la perfedionner U ce l'é- tendre : car vous comprenez bien , Monfieur, qu'il ne faut pas preiTer ces différences de Blonde & de Brune ; le teint ne décide pas toujours du tem- pérament : telle Br'jr.e de Blonde par l'indolence ; telle Blonde & E^une par la vivacité: & Fhabile Artife ne juge pas du caraâere par les cheveux. Ce que je dis du menuet, pourquoi

3o8 Lettre

ne le dlrols -je pas des contredanreS5& de la plate fymétrie fur laquelle elles font t(;utes deilînées ? Pourquoi n'y întroduiroit-on pas de favantes irréga* larités , comme dans une bonne déco- ration; des oppofitions & des contraf- tes comme dans les parties de la Mu- fîque?On tait bien chanter enfemble Heraclite & Démocrîte ; pourquoi ne les feroit-on pas danfer?

Quels tableaux charmans, quels (ce-. nés variées , ne pourroit point intro- duire dans la danfe, un génie inven- teur , qui fauroit la tirer de fa froide uniformité, & lui donner un langage & des fentimens comme en a la mu- fi que ! M.ûs votre M. Marcel n'a rien Inventé que des phrafes qui font mor- tes avec lui; il a laifîe fon art dans le même état il Ta trouvé; il Feût fervi plus utilement, en pérorant un peu moins , & deflinant davantage; de au lieu d'admirer tant de chofes dans un menuet , il eût mieux fait de les y mettre. Si vous vouliez faire un pas de plus, vous, Aîonfieur , que je fup- pofe homme de génie , peut-être au lieu de vous amufer à cenfurer mes idées, chercheriez -vous à étendre de

A M. M. . . , ; 309

reâ:îlier les vues qu*elles vous offrent: vous deviendriez créateur dans votre ait ; vous rendriez fervice aux hom- mes , qui ont tant de befoin qu*on leur apprenne à avoir du plaifir ; vous ini« mortalileriez votre nom, & vous au- riez cette obligation à un pauvre fo- litaire qui ne vous a point ofienfé, & que vous voulez haïr fans lujet.

Croyez- moi, Monfieur , laifTez-là des critiques qui ne conviennent qu'aux gens fans talens , incapables de rien produire d'eux-mêmes, & qui ne fa- vent chercher de la réputation qu'aux dépens de celle d'autrui. Echaufîez vo- tre tête , & travaillez; vous aurez bien- tôt oublié ou pardonné mes bavardi- res,& vous trouverez que les préten- dus inconvéniens que vous objedez aux recherches que je propofe à faire, feront des avanta^^^es quand elles auront réuiïi^ Alors , grâce à la variété des genres, l'art aura de quoi contenter tout le monde. Se prévenir la jaloufie en au2;mentant l'émulation. Toutes vos écolieres pourront briller fans fe nuire, & chacune fe confolera d'en voir d'au- tres exceller dans leurs genres, en fe difant , j'excelle aulli dans le mien. Au

giO L E T T E E

lieu qu'en leur falfant taire à toutes la même choie, vous laifTez fans aucua fubterfuge- l'ûmour -propre bumilié ; & commi îl nV a qu un modèle de perfeélion , (i l'une excelle dans le genre uniri^e, il taut que to.ues les autres lui cedenn ouvertement la pri- mauté.

Vous avez bien raifon , mon cher IMonfieur , de dire que je ne fuis pas philolophe. Mais vous qui parlez , vous ne feriez pas mal de tâcher de t'etre un peu. Cela feroit pli:s avantageux à votre art que vous fembîez le croire. Quoi qu'il en foit , ne tâchez pas les philofophes , je vous le confeille. Car tel d'entr'eux pourroit vous donner plus d'inftructions fur la danfe , que vous ne pourriez lui en rendre fur la phi- lofophie ; & cela ne laiiTeroit pas d'ê- tre humiliant pour un élevé du grand Mûrcel.

Vous me taxez d'être (îngulier, & j'efpere que vous avezraifon. Toutefois vous auriez pu fur ce point, me faire ^race en faveur de votre maître : car vous m'avouerez que M. Marcel lui- -même étoit un homme fort fingulier. Sa Cnguîarité ^ je l'avoue , étoit plus lucra-

A M. M 511

tive que la mienne; c'eft-Ià ce que vous me reprochez il faut bien pafTer con- damnaticn. Mais quand vous m'accufez aii'ji de n'être pas philofophe, c'eft comme ii vous m'acculiez de n'être pas maître à danfer» Si c'eft un tort atout honnme de ne pas (avoir (on métier , ce n'tn ed: point un.de ne pas favoirîe métier d'un autre. Je n'ai jamais afpiré à devenir philofophe; je ne me fuis ja- mais donné pour tel : je ne Je fus, ni ne le fuis, ni ne veux l'être. Peut-on forcer un homme à mériter malgré lui, un titre qu'il ne veiit pas porter? Je fais- qu'il n'eft permis qu'aux phiîofo- phes de parler phllofophie ; mais il eft permis à tout homme de parler de la philoiophie , & je n'ai rien fait de plus. J'ai bien aufîi parlé quelquefois deladanfe, quoique je ne fois pas dan- feur;&{lî'en ai parlé même avec trop, de zèle à votre avis , mon excufe efl: que j'aime la danfe, au lieu que je n'aime poiot du tout la philofophie. J'ai pour- tant eu rarement la précaution que vous me prefcrivez, de danfer avec les filles, pour éviter la tefitation. Mais j'ai eu fouvent l'audace de courir le rifque tout entier , en ofan-t les voir danfer fans darit

512 Lettre

fer moî-même. Ma feule précaution a été de me livrer moins aux impreiîions des objets 5 qu'aux réflexions qu'ils me faifoîent naître , & de rêver quelque- fois pour n'être pas féduit. Je fuis fâ- ché, mon cher Monfieur , que mes rê- veries aient eu le malheur de vous dé- plaire. Je vous afTure que ce ne fut ja- mais mon intention j éc je vous lalue de tout mon cœur,

LETTRE J M. D E "" "" \

Motiers, le Mars ijSi»

J 'Aieu,Monfieur, l'imprudence de lire le mandement que M. l'Archevêque de Paris a donné contre mon livre, la foibleffe d'y répondre , & l'étourderie d'envoyer auiii -tôt cette rcponleàRey. Revenu à moi , j'ai voulu la retirer ; il n'étoit plus tems ; l'impreffion en étoit commencée , & il n'y a plus de remè- de à une lottiiefaite.J'efpere au moins que ce fera la dernière en ce genre. Je prends la liberté de vous faire adrefTei;

par

A M. DE**^, 51 J

par la pofle, deux exemplaires de ce miférable écrit; l'un que je vousfup- plie d'agréer , & Tautre pour M. . , qui je vous prie de vouloir bienle faire palier , non comme une ledure à faire ni pour vous ni pour lui, mais comme un devoir dont je m'acquitte envers l'unô.: l'autre. Aurefle^je fuisperfuadé, vu ma portion particulière , vu la gêne à laquelle j'étoisalTervi àtant d'égards, vu le bavardage eccléfiaftique auquel j'étois forcé de me conformer, vu l'indécence qu'il y auroit às'échauifer en parlant de foi 9 qu'il eût été facile à d'autres de mieux faire , mais impolîible de faire bien. Ainfi , tout le mal vient d'avoir pris la plume quand il ne falloir pas.

LETTRE

^ M. K.

Àloùers i le 17 Murs 17^3.

^ I jeune , & déjà marié ! Monfieur, vous avez entrepi-is de bonne heure une grande tâche. Je fais que la matu- rité de l'efprit peut fuppiéer à l'âgé, (S.UY. Pojth. Tom, VI» Q

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A M. K. }iS

le reRc de votre vie. Mais ne vous n.ettez pas dans l'clprit dVn c ;:f

au loin , ni dans la célcbriié , ni dans les pUitirs, ni dans la fortune. La table félicité ne fc trouve point au ùt- hors; il faut que votre maifon vous ftf^'» . ' ' î 'v.i; rien ne vous fuffira. C : àcepriocipcjecrois

Îiu'il n'ciî pas tcms , quant i préUnt ,dc onger à Texccution du projet dont vous m'avez parlé. La focieic c ilc

doit vous occuper plus que la « »..cté helvc'tique ; avant q-jc de publier les annales de celle - ci , mettez - vous en état d*cn fournir le plus bel article. Il faut qu'en rapportant les d'au-

trui , vous puiiFiez dire cotnnie ic Cor- rcrc : &: moi auffi je fuis ' c.

Àlon cher R*'* , ]c crv. . ,^ '•••'- mer beaucoup de mérite rarmi neile Suiflc , mais la r j univer-

felle vous gagne tous. Ce mérite cher- che à fc faire imprimer , A: je crains b:.r que de cette manie dans les gens .i votre état, il ne rcfulte un jour à ' tcte de vos Républiques plus de peuii Auteurs que de grands hommes. Il n*ap» p.uiientpas à tous d'ctre des Haller.

\' ous m*avcz envoyé un livre trcs-

Oz

S

514 L r. T T K E

&z vous m'avez paru promettre cefup- pîément. Vous vousconnoixTez d'ailleurs en mérite , & je compte fur celui de répoufe que vous vous êtes choifie. Il n'en faut pas moins, cher K"^"^^ , pour rendre heureux un établiffem.ent fi précoce. Votre âge feul m'alarme pour vous ; tout le refte me raiïlire. Je fuis toujours perfuadé que le vrai bonheur de la vie efl: dans un mariage bien alîorti ; & je ne le fuis pas moins que tout le fuccès de cette carrière dé- pend de la façon de la commencer. Le tour que vont prendre vos occupations, vos foins 5 vos manières , vos afïecl'ions dcmeftiques, durant la première année , décidera de toutes les autres. C'eftmain- tenant que le fon de vos i ours ejî en- tre vos mains'-, plus tard il dépendra de vos habitudes. Jeunes époux, vous ttQS perdus, fi vous n'êtes qu'amans; mais foyez amis de bonne heure, pour l'être toujours. La confiance qui vaut mieux que l'amour lui furvir & le rem- place. Si vous favez l'établir entre vous, votre maifon vous plaira plus qu'au- cune autre ; & dès qu'une fois vous fe- rez mieux chez vous que par-tout ail- leurs; je vous prometsdubonheur pour

A M. K. 315*

le refle de votre vie. Maïs ne vous iT.ettez pas dans l'efprit d'en chercher au loin , ni dans la célébrité , ni dans les plaifirs, ni dans la fortune. La véri- table félicité ne fe trouve point au de- hors ; il faut que votre maifon vous fuffife, ou jamais rien ne vous fuffira, Conféquemment à ce principe, je crois qu'il n'eit pas tems , quant à préfent , de fonger à l'exécution du projet dont vous m'avez parlé, La focicté conjugale doit vous occuper plus que la fociété helvétique ; avant que de publier les annales de celle-ci, mettez -vous en état d'en fournir le plus bel article. Il faut qu'en rapportant les adions d'au- trui 5 vous puilliez dire comme le Cor- tège : & moi aulîi je fuis homme.

Mon cher K"*"*"*" , je crois voir ger- mer beaucoup de mérite parmi la jeu- neiïe SuifTe , mais la maladie univer- felle vous gagne tous. Ce mérite cher- che à fe faire imprimer , & je crains bien que de cette manie dans les gens de votre état, il ne réfulte un jour à la tête de vos Républiques plus de petits Auteurs que de grands hommes. Il n'ap- partient pas à tous d'être des Haller. Vous m'avez envoyé un livre très-

Oz

3r<5 L E T T R E , &C,

précieux ^ Se de fort belles cartes ; com- me d'ailleurs vous avez acheté l'un èc i Tautre , il n'y a aucune parité à faire , : en aucun iens, entre ces envois de le barbouillage dont vous faites mention. De plus, vous vous rappellerez, s'il: vous plaît 5 que ce font des commif- , fions dont vous avez bien voulu vous charger , & qu'il n'eft pas honnête de transformer des commiflions en préfens. \ Ayez donc la bonté de me m.arquer ' ce que vous coûtent ces emplettes, afin qu'en acceptant la peine qu'elles vous | ont données, d'aufli bon cœur que vous i l'avez prife , je puiile au moins vous | rendre vos débourfés; fans quoi, je 1 prendrai le parti de vous renvoyer le : livre & les cartes.

Adieu très -bon & aimable K"^^'*', , faites, je vous prie , agréer meshom- , mages à Madame votre époufe ; dites- : lui com.bien elle a de droit à m^a re- ! connoifîance , en faifant le bonheur d'un ] homme que j'en crois fi digne, & au- j quel je prends un fi tendre intérêt. i

317

L E T 1' R E

A M. D. R.

Motiers 3 Mars 1763.

J E ne trouve pas , très^bon Papa , que vous ayez interprêté ni bénignement, ni raifonnablement la raifonde décence & de modeftie qui m'empêcha de vous oitrir mon portrait , & qui m'empê- chera toujours de l'offrir à pcrfonne. Cette raifon n'eft point , comme vous le prétendez un cérémonidl, m.iis une convenance tirée de la nature des cho- fes, oc qui ne permet à nul homme difcret de porter ni fa figure ni fa per- fonne , elles ne font pas invitées, comme s'il étoit fur de faire en cela un cadeau. Au lieu que c'en doit être un pourlui, quand on lui témoigne là- def- lus quelqu'empreffement. Voilà le fen- timent que je vous ai manifeilé, & an lieu duquel vous me prêtez ^intention de ne vouloir accorder un tel pré- fent qu'aux prières. C'efl: mefuppofer un motif de fatuité j'enmettois un

03

5iS Lettre

de modefLie.Celane meparoît pas dani Tordre orJnaire de votre bon efprit.

Vous m'alléguez que les Rois & les Princes donnent leurs portraits. Sans doute, ils les donnent à leurs infé- rieurs comme un honneur ou une ré- compenfe ; & c'elt précifément pour cela qu'il eft impertinent à de petits par- ticuliers de croire honorer leurs égaux comme les Rois honorent leurs infé- rieurs. Plufieurs Rois donnent aufli leur main à baifer en figne de faveur de de diPdnftion. Dois-je vouloir faire à mes amis la même grâce ? Cher Papa , quand je ferai Roi , je ne manquerai pas ea iuperbe Monarque , de vous offrir mon portrait enrichi de diamans. En atten- dant, je n'irai pas fortement m'imagi- ner que ni vous, ni perfonne, foit em- preflé de ma mince figure; & il n'y a qu'un témoignage bien pofitif de la part ^e ceux qui s'en foucient , qui puifTe me permettre de le fuppofer; fur-tout n'ayant pas le paiïeport des diamans pour accompagner le portrait.

Vous me citez Samuel Bernard. Cefl: Je vous l'avoue, un fingulîer modèle que vous ma propofez à imiter ! J'au- rois bien cru que vous me defiriez fes

A D. M. R. jïp

mlllîonSj mais non pas Tes ridicules. Pour moi, je ferois bien fâché de les avoir avec fa fortune ; elle feroit beaucoup trop chère à ce prix. Je fais qu'il avoit l'impertinence d'offrir Ton portrait , même à gens fort au deiTas de lui. Auflî entrant un jour en maifon étrangère , dans la garderobe, y trouva- t-il ledit portrait qu*il avoit ainfî donné , fière- ment étalé au defTus de la chaiîe per- cée. Je fais cette anecdote & bien d'au- tres plus plaifantes de quelqu'un qu'on en pouvoit croire , car c'étoit le Pré- iident de Bouîainvilliers.

Monfieur ^^*, donnoit fon portrait. Je lui en fais m.on compliment. Tout ce que je fais, c'efl: que fi ce portrait efl: l'eftampe faftueufe que j'ai vu avec des vers pompeux au-delTous , il fal- loit que pour ofer faire un tel préfent lui-même, ledit Monfieur fût le plus grand fat que la terre ait porté. Quoi qu'il en foit , j'ai vécu aufTi quelque peu avec des gens à portraits , de à portraits recherchablesrje les ai vu tous avoir d'autres maximes , & quand je fe- rai tant que de vouloir imiter des mo- dèles, je vous avoue que ce ne fera ni le Juif Bernard, ni Monfieur '^'^^

Ç20 L É T T R ë 5 (^r. '

que je chpifirai pour cela. On n'imite que les gens à qui Ton voudroiî ref- fembler.

Je vous dis , il efl: vrai , que le por- trait que je vous montrai, étoit le feul que j'avois; mais j'ajoutai que j'en at- tendois d'autres, & qu'on le gravoit en- core en Arménien. Quand je me rap- pelle qu'à peine y daignâtes-vous jet- ter les yeux, que vous ne m'en dîtes pas un feul mot, que vous marquâtes là-defïus la plus protonde indifférence, je ne puis m'empécher de vous dire qu'il auroit fallu que je fuile le plus extra- vagant des hommes, pour croire vous faire le moindre plaiiir en vous le pré- fentant; & je dis dès le même foir à Mademoifelle le Vafîeurla mortifica- tion que vous m'aviez faite ; car j'a- voue que j'avois attendu & même men- dié quelque mot obligeant qui me mît €n droit de faire le refte. Je fuis bien perfuadé maintenant ,que ce futdifcré- tion & non dédain de votre part; mais vous me permettrez de vo'js dire que cette difcrétion étoit pour moi un peu humiliante, ôc que c'étoit donner un grand prix aux deux fols qu'un tel por- trait peut valoir.

52l

LETTRE A MILORD MARECHAL.

Le zi Mars lyS},

XL y a dans votre lettre du ip un article qui m'a donné des palpitations; c'efi: celui de l'EcofTe. Je ne ^ous di- rai là defTus qu'un mot , c'efl que je don- nerois la moitié desjoursqui me relient pour y paffer l'autre avec vous. Mais pour Colombier , ne comptez pas fur moi; je vous aime, ?vIylord , mais il faut que mon féjour me plaife, & je ne puis fouffrir ce pays-là.

Il n'y a rien d'égal à la position de Frédéric. Il paroît qu'il en fent tous les avantages, & qu'il faura bien les faire valoir. Tout le pénible & le dif- ficile eO: fait; tout ce quidemandoit concours de la fortune eft fait. Il ne lui refte à préfent à remplir que des foins agréables, & dont l'eftet dépend de lui. C'eft de ce moment qu'il va s'é- lever , s'il veut, dans la poftérité uri monument unique, car il n'a travaillé

322 Lettre

3ufqu*icl que pour fon fiecle. Le feul piège dangereux qui déformais lui refte â éviter efl: celui de la flatterie ; s'il fe îaiiTe louer, il efl: perdu. Qu'il fâche qu'il n'y a plus d'éloges dignes de lui que ceux qui fortiront des cabanes de fespayfans.

Savez-vous, Mylord 5 que Voltaire cherche à fe raccommoder avec moi? Il a eu fur mon compte un long en- tretien avec M'*'*^, dans lequel il a fupérieurement joué fon rôle : il n'y en a point d'étranger au talent de ce grand comédien, dolis infiruaus & artepelaf- gd. Pour moi, je ne puis lui promet- tre une eflime qui ne dépend pas de moi : mais à cela près , je ferai , quand il le voudra, toujours prêt à tout ou- blier. Car , je vous jure , Mylord , que de toutes les vertus chrétiennes , il n'y en a point qui me coûte moins que le pardon des inj ^res. Il efl certain que û laprotedion des Calas lui a fait grand honneur , les perfécutions qu'il m'a fait eiTuyer à Genève, lui en ont peu fait à Paris; elles y ont excité un cri univerfel d'indignation. J'y jouis , m,al- gré mes malheurs, d'un honneur qu'il n'aura jamais nulle part; c'eft d'avoir

A Madame t>E^*\ 323 laîiïe ma mémoire en eftime dans le pays j'ai vécu. Bonjour, Mylord.

LETTRE A MADAME DE*^\

Le 27 Mars 1763.

\) u E votre lettre , Madame , m'a donné d'émotions diverfes ! Ah! cette pauvre Madame de *^^ .....! Pardonnez il je commence par elle. Tant de mal-

han'-s une amitié de treize ans .♦.*

Femme aimable &: infortunée ! .. ..vous la plaignez. Madame ; vous avez bien railbn : fon mérite doit vous intéref- fer pour elle; mais vous la plaindriez bien davantage , Ci vous aviez vu com- me moi 5 toute fa réfiftance à ce fatal mariage. Il femble qu'elle prévoyoit fon fort. Pour celle-là, les écus ne l'ont pas éblouie; on l'a bien rendue maîheureufe malgré elle. Hélas! elle n'eR: pas la feule. De combien de maux j'ai à gémir ! Je ne fuis point étonné des bons procédés de Madame ^ '*' * ; rien de bien ne me furprendra de fa

O 6

3^4 Lettre

part; je l'ai toujours eftimée & honorée: mais avec tout cela elle n'a pas Tame de Madame de * ^ *. Dites - moi ce qu'eflr devenu ce mife'rable : je n'ai plus en- tendu parler de lui.

Je penfe bien comme vous , Madame; je n'aime point que vous foyez à Pa- ris. Paris 5 le fîege du goût & de la politeiîe , convient à votre efprit , à votre ton , à vos manières ; mais le fé- jour du vice ne convient point à vos mœurs , & une ville Tamitié ne ré- fiîïe ni à l'adverfité ni à rabfence , ne fauroit plaire à votre cœur. Cette contagion ne le gagnera pas; n'eft-ce pas. Madame? Que ne liiez-vousdans le mien, l'attendriiTement avec lequel il m'a dicté ce mot-là^ L*heureux ne fait s'il eft aimé , dit un Poète latin ; & moi j'ajoute , rheureux ne fait pas aimer. Pour moi , grâces au ciel, j'ai bienfait toutes mes épreuves; je fais à quoi m'en tenir fur le cœur ces autres & fur le mien. Il eft bien conftaté qu'il ne me refle que vous feule en France , 5c quelqu'un qui n'eft pas encore jugé, mais qui ne tardera pas à l'être.

S'il faut moins regretter les amis que l'adverfité nous ôte , que prlfer ceux

A Madame de^*"^. 525*

qu'elle nous donne, j'ai plus gagné que perdu ; car elle m'en a donné un qu'af^ furément elle ne m'ôtera pas. Vous com- prenez que je veux parler de Mylord Maréchal. Il m'a accueilli, il m'a ho- noré dansmes dil'graces, plus peut-être qu'il n'eût fait ûurant ma profpérité. Les grandes âmes ne portent pas feule- meuL du refped: au mérite , elles en por- tent encore au malheur. Sans lui j'étois tout aulîî mal reçu dans ce pays que dans les autres , & je ne voyois plus d'afyle autour de moi. Mais un bienfait plus précieux que fa protection, eft l'a- mitié dont il m'honore, & qu'apuré- ment je ne perdraipoint.il me reliera celui-là, j'en réponds. Je fuisbienaife que vous m'ayez marqué ce qu'en pen- foit M, d'A^^"**; cela me prouve qu'il fe connoit en homme ; èc qui s'y con- noit eft de leur clafTe. Je compte aller voir ce digne protecteur , avant (on dé^ part pour Berlin : je lui parierai de M. d'A "" "" ^ &de vous , Madame ; il n'y a rien de ii doux pour moi , que de voir ceux qui m'aiment s'aimer entr'eux.

Quand des Quidams fous le nom de S'*'^'*'. ont voulu fe porter pour juges QS mon livre, ^ fe font, auÛl bêtement

52^ Lettre

qu'infolemment , arrogé le droit de me cenfurer; après avoir rapidement par- couru leur fot écrit , je l'ai jette par terre, Oc j'ai craché defTus pour toute réponfe. Mais je n'ai pu lire avec le même dédain , le Mandement qu'a donné contre moi M. l'Archevêque de Paris; premierem.ent parce que l'ou- vrage en lui-mém.e eft beaucoup moins înepte ; & parce que , malgré les tra- vers de l'Auteur, je l'ai toujours ef- îimé èc refpecté. Ne jugeant donc pas cet écrit indigne d'une réponfe , j'en ai fait une qui a été imprimé en Hol- lande, de qui, fi elle n'efl pas encore publique, le fera dans peu. Si elle pénètre jufqu'à Paris & que vous en entendiez parler, Madamxe , je vous prie de me marquer naturellem.ent ce qu'on en dit; il m'importe de le fa- .voir. Il n'y a que vous de qui je puifle apprendre ce qui fe paffe à m.on égard, dans un pays j'ai pafïé un partie de ma vie , j'ai eu des amis , de qui ne peut me devenir indifférent. Si vous n'étiez pas à portéé'de voir cette lettre imprimée , & que vous puiliez m'indiquer quelqu^un de vos amis qui eût (q$ ports francs j je vous l'enver-

A Madame de**\ 5127

îoîs d'ici : car quoique la brochure foit petite , en vous l'envoyant direc- tement , elle vous coûteroit vingt fois plus de port, que ne valent l'ouvrage &: l'auteur.

Je fuis bien touché des bontés de Mademoifelle L'*''*'*, & des foins qu'elle veut bien prendre pour moi; mais je ferois bien fâché qu'un auiïi joli tra- vail que le fien, & fi digne d'être mis en vue , reftât caché fous mes grandes vilaines manches d'Arménien. En vé- rité, je ne faurois me réfoudre à le profaner ainfi , ni par conféquent à l'accepter, à moins qu'elle ne m'or- donne à le porter en écharpe ou en collier , comme un ordre de chevale- rie inftitué en fon honneur.

Bonjour, Madame , recevez les hom- mages de votre pauvre voifin. Vous venez de me faire pafTer un demi-heure délicieufe , & en vérité j'en avois be- foin ; car , depuis quelques mois , je foufTre prefque fans relâche de mon mal & de mes chagrins. Mille chofes, je vous fupplie , à Monfleur le Mar- quis.

528 Lettre

LETTRE

A MADAME***.

31 OSiohre lyCz,

sL N m'annonçant. Madame , dans vo- tre lettre du 22 Septembre ( c'eft je crois le 22 Odobre ) un changement avantageux dans mon fort, vous m'a- vez d'abord fait croire que les hom- mes qui me perfécutent, s'étoient laf- fés de leurs méchancetés; que le Par- lement de Paris avoit levé fon inique décret ; que le Magiftrat de Genève avoit reconnu Ton tort; 8c que le pu- blic me rendoit enfin juftice. Mais loin de-là 5 je vois par votre lettre même qu'on m'intente encore de nouvelles kccufations : le changement de fort que vous m'annoncez fe réduit à des offres de fubfiftance dont je n'ai pas befoin quant à prefent. Et comme j'ai tou- jours compté pour rien, même en fanté, un avenir auTu incertain que la vie humaine, c'efl pour moi, je vous ju*

A M A D A M E "^ * ^ 32f

re 5 la chofe la plus indifférente que d'avoir à diner dans trois ans d'ici.

Il s'en faut beaucoup, cependant, que je fois infenfîble aux bontés du Roi de PrufTe ; au contraire , elles aug- mentent un fentiment très- doux , fa- voir l'attachement que j'ai conçu pour ce grand Prince. Quant à l'ufage que j'en dois faire , rien ne preiTe pour me réfoudre , de j'ai du tems pour y penfer.

A l'égard des offres de M, Stanley, comme elles font toutes pour votre compte. Madame, c'efl: à vous de lui en avoir obligation. Je n'ai point ouï parier de la lettre qu'il vous a dit m'a- voir écrite.

Je viens maintenant au dernier arti- cle de votre lettre , auquel j'ai peine à comprendre quelque chofe, & qui me furprend à tel point , fur- tout après les entretiens que nous avons eu fur cette matière , que j'ai regardé plus d'une fois à l'écriture pour voir elle étoit bien de votre main. Je ne fais ce que vous pouvez défapprouver dans la lettre que j'ai écrite à mon Pafteur, dans une occafîon néceffkire. A vous entendre avec votre Ange ,

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c , la chofe la plus indifférente que a ..voir à dîner dans trois ans d'ici.

Il s'en fjat beaucoup, cependant, que je fols infenlible aux bontés du Roi de PruiTe ; au contraire , elles aug- mentent un fentiment très doux , la- voir rattachement que j'ai coni^'u pour ce grand Prince. Quant à Tufage que j'en dois faire, rien ne prefTe pour me réfoudre , & j'ai du tems pour y penTer.

A regard des offres de M. St.inley, comme elles font toutes pour votre compte , Midame, c'eft à vous de luj en avoir obligation. Je n'ai point oui parler de la lettre qu'il vous a dit m'a- voir écrite.

Je viens maintenant au dernier arti- cle de votre lettre , auquel j'ai pcv't à comprendre quelque chofe, ^'^j^ me furprend à tel point , fui après les entretiens que nous eu fur cette m; * plus d'une elle étoii fais ce dans '

550 L E T T K s

on diroît qu'il s'agiflbit d'embraffer une religion nouvelle , tandis qu'il ne s'agifToit que de relier comme aupa- ravant dans la communion de mes pè- res ^-c de nrion pays , dont on cherchoit à m'excl jre ; il ne falîoit point pour cela d'autre Ange que le Vicaire Savoyard. S'il confacroit en fimplicité de con- icience dans un culte plein de myfte- IQS inconcevables, je ne vois pas pour- quoi J. J. Roufleau ne communisroit pas de même dans un culte rien ne choque fa raifon ; f< je vois encore moins pourquoi, après avoir jufqu'ici proFcTé ma religion chez les Catho- liques, fans que perfonne m*en fît un crime 5 on s'avife tout-d'un-coup de in*en faire un fort étrange de ce que je ne la quitte pas en pays Proteftant. Mais pourquoi cet appareil d'ccrire une lettre? Ah! pourquoi? Le voici. M, de Voltaire me voyant opprimé par le Parîemient de Paris , avec la générofité naturelle à lui &: à fon parti , faifit ce moment de me faire opprimer de même à Genève , & d'op- pofer une barrière infurmontable à mon retour dans ma patrie. Un des plus furs moyens qu'il employa pour

A Madame^**. 531

cela, fut de me faire regarder comme déferteur de ma religion : car là-dellus nos loix font formelles , &: tout ci- toyen ou bourgeois qui ne profefTe pas la religion qu'elles autorifent perd par-là même fon droit de Cité. Ils tra- vaillèrent donc de toutes leurs forces lui & le Jongleur à foulever les Mi- nières ; ils ne réulTirent pas avec ceux de Genève qui les connoilTent , mais ils ameutèrent tellemiCnt ceux du pays de Vaud , eue malgré la proteclion &: l'amitié de M. le Baillif d'Yverdun & de pluficurs Magifcrats, il fallut for- tir du Canton de Berne. On tenta de faire la même chofe en ce pays ; le Magiftrat municipal de Neufchâtel dé- fendit mon livre; la clafTe des i\îinifl:res le déféra; le ConCeil d'Etat , alloit le défendre dans tout TEtat , & peut-être procéder contre ma perfonne : maïs les ordres de Mylord Maréchal , Se la protection déclarée du Roi l'arrêtèrent tout court, il fallut me laiiTer tran- quille. Cependant !e tems de la com- munion approchoit , & cette époque alloit décider fi j'étois féparé de Î'E- glife Protedante , ou fi je ne l'étois pas. Dans cette circonilance, ne vou-

532 Lettre

lant pas m'expofer à un affront public , ni non plus conftater tacitement en ne me préfentant pas , la défertion qu'on me reprochoit , je pris le parti d'é- crire à de Montmoliin, Pafteur de la Paroifîc 5 une lettre qu'il a fait cou- rir ; mais dont les Voltairiens ont pris foin de falfifier beaucoup de copies. J'étois bien éloigné d'attendre de cette lettre l'effet qu'elle produiht ; je la re- gardois comme une proteflation nécef- laire, & qui auroit fon ufage en tems & lieu. Quelle fut ma furprife & ma joie de voir dès le lendemain chez moi M. de Montmoliin , me décla- rer que non-feulement il approuvoit que j'approchafle de la Sainte Table, mais qu'il m'en prioit , & qu'il m'en prioit de l'aveu unanime de tout le Confifloire , pour l'édification de fa paroille dont j'avois l'approbation & refrime. Nous eûmes enfuite quelques conférences dans lefquelles je lui dé- veloppai franchement mes fentimens tels à-peu-près qu'ils font expofés dans la profellion du Vicaire, appuyant avec vérité fur mon attachement conf- iant à l'Evangile & au Cliriflianifm.e, & ne lui déguifant pas non plus mes

A M A D A M I "" "^ ^. 533

difficultés &: mes doutes. Lui d'i ion coté, connoifTant affez mes fentimens par mes livres , évita prudemment les

points de doctrine q-xl auroient pu în*ar- rctcr, ou le compromettte; il ne pro- nonça pas même le mot de rétractation; n*in(ifla fur aucune explication 5 te nous nous réparâmes contens l'un de Tautre. Depuis lors f A la confolati on d'être reconnu membre de (on Egîife ; il faut être opprimé , malade , & croire en Dieu pour fentir combien il cTt doux de vivre parmi Tes frères.

Aï. de Montmollin ayant à judifier fa conduite devant (es confrères, fit courir ma kttre. Elle a fait à Genève un effet qui a mis les Voltairiens au défefpoir, & qui a redoublé leur rage. Des foules de Genevois font accourus à Motiers, m'embraffant avec des lar- mes de joie , d<. appellant hautement M. de Montmollin leur bienfaiteur &: leur père. Il ed: même fur que cette affaire auroit des faites pour peu que je fufTe d'humeur à tu y prêter. Ce- pendant il efl vrai que bien de'o Mi- niftres font mécontens; voilà, pour ainfi dire , la profelTion de fol du Vi- caire approuvée en touî fes points ,

534 Lettre

par un de leurs confrères ; lis ne peu- vent digérer cela. Les uns murmurent , les autres menacent d'écrire ; d'autres écrivent en effet; tous veulent abfo- lument des rétractations, & des expli- cations qu'ils n'auront jamais. Que dois-je faire à préfent, Madame, à votre avis? Irai-je laiiTer mon digne Pafteur dans les lacs il s'eft m.is pour l'arnour de moi? l'abandonnerai- je à la cenfure de Tes confrères? au- toriferai-je cette cenfure par ma con- duite & par mes écrits? & démen- tant la démarche que j'ai faite, lui lai(^ ferai-je toute la honte, de tout le re- pentir de s'y être prêté? Non, non. Madame; on me traitera d'hypocrite tant qu*on voudra; mais je ne ferai ni un perfide , ni un lâche. Je ne renon- cerai point à la religion de mes pères, à cette religion fi raifonnable, fi pure, fi conforme à la fimplicité de l'Evan- gile, je fuis rentré de bonne foi depuis nombre d'années, &z que j'ai depuis touiours hautement profefTée, Je n'y renoncerai point au moment elle fait toute la confolation de ma vie , & 1 importe à l'honnéte-homme qui m'y a maintenu , que j'y demeure

A Madame"^**. 335*

fi rement attaché. Je n'en conferve- rai j as non plus les liens extérieurs, tout chers qu'ils rrîe font , aux dépens de la vérité , ou de ce que je prends pour elle; & Ton pourroit m'excom- munier, & me décréter bien des fois , avant de me faire dire ce que je ne penfe pas. Du refle je me confolerai d'une imputation d'hypocrifie , fans vraifembîance de fans preuves. Un Au- teur qu'on bannit , qu'on décrète , qu'on brûle pour avoir dit hardiment les (tn- timens 5 pour s'être nommé, pour ne vouloir pas fe dédire; un citoyen ché- riffant fa patrie , qui aime mieux re- noncer à fon pays qu'à fa franchife , de s'expatrier que fe démentir , eil: un hypocrite, d'une efpece affez nouvelle. Je ne connois dans cet état qu'un moyen de prouver qu'on n'eft pas un hypocrite ; mais cet expédient auquel mes ennemis veulent me réduire , ne me conviendra jamais quoi qu'il arri- ve ; c'efl: d'être un impie ouvertement. De grâce , expliquez-moi donc. Ma- dame 5 ce que vous voulez dire avec votre Ange , & ce que vous trouvez à reprendre à tout cela.

Vous ajoutez , Madame , qu'il fal-

53^ Lettre

loit que j'attendifTe d'autres cîrconf- ,

tances pour profeiTer ma religion , \ (vous avez voulu dire pour continuer

de la prL>relTer. ) Je n'ai peut-être que i

trop attendu par une fierté dont je ne \ faurois me défaire. Je n'ai fait aucune démarche , tant que les Miniftres m'ont

perfécuté. Mais quand une fois j'ai été i

ious la protedion du Roi, & qu'ils j

n'ont plus pu me rien faire , alors j'ai !

fait mon devoir, ou ce que j'ai cru ;

l'être. J'attends que vous m'appreniez ,

en quoi je me fuis trompé. i

Je vous envoie l'extrait d'un diaîo- i

gue de M. de Voltaire avec un Ou- ;

vrier de ce pays- ci qui eft à fon 1er- '

vice. J'ai écrit ce dialogue de mémoire, ;

d'après le récit de M. de Montmollin, |

qui ne mie l'a rapporté lui même que ; fur le récit de l'ouvrier, il y a plus

de deux mois. Ainfi , le tout peut n'ê- !

tre pas abfolument exaâ: ; mais les j traits principaux font fidèles; car ils

ont frappé M. de Montmollin; il lésa ; retenus , & vous croyez bien que je ne les ai pas oubliés. Vous y verrez

que M. de Voltaire n'avoit pas attendu ,

la démarche dont vous vous plaignez, j pour me taxer d'hypocrifie.

Converfaùoji :

A Madame"^'','*'. 337

Converfation de M. de Voltaire avec un, de fes Ouvriers du Comté de Neuf- châteL

M. DE Voltaire.

Eft-il vrai que vous êtes du Comté de Neufchâtel?

L' O u y R I E R.

Oui, MonHeur,

M. DE Voltaire.

Etes-vous de Neufchâtel même?

U O u V RI E R.

Non, Monfieur; je fuis du village de Butte dans la vallée de Travers. M. DE Voltaire. Butte! Cela eft-il loin de Motiers?

L' O u V R I E R.

A une petite lieue.

M. DE Voltaire.

Vous avez dans votre pays un cer- tain perfonnage de celui-ci quia bie^ fait des Tiennes.

K O u V R l E r.

Qui donc 5 Monfieur? (Euv. Fo/ih^Tom. VI. P<

55'S Lettre -

M' D E V O L T A I R E.

Un certain Jean- Jaques PvoufTeau.

Le connoifTez-vous?

I

L' O U V R I E R.

Oui, Monfieur; je l'ai vu un jour: â Butte, dans le caroiTe de M, de Alont-i mollin qui fe promenoit avec lui.

M. D E Vo L T A IRE. j

Comment ce pied-piat va en car-| loiïe ? Le voilà donc bien fier ? i

L' O U V R I E R. ''

Oh! Monfieur, il Te promené aufîî ^ à pied. Il court comme un chat-mai- \ gre , & grimpe fur toutes nos mon- tagnes,

M. DE Voltaire.

II pourroit bien grimper quelque jour fur une e'chelle. Il eût été pendu à Paris , s'il ne fe fût fauve. Et il le fera ici, s'il y vient.

L' Ou vrier.

Pendu! .MonHeur ! Il a l'air d'un fi bon homme, eh! mon Dieu! qu*a-t-U donc fait ?

M. DE V o L T a TRÏÏ.

Il a fait des livres abominables, C'eft yn impie ^ un athée,

A Madame"***. 53^

L' O U V Kl E R.

Vous me furprenez. Il va tous les Dimanches à l'Eglife.

M. DE Voltaire.

Ah ! l'hypocrite ! Et que dit -on de lui dans le pays? Y a-t-il quelqu'un qui veuille le voir?

L' O U V R I E R

Tout le monde , Alonfieur , tout le inonde l'aime. Il eft recherché par- tout, & on dit que Mylord lui fait aufli bien dQS carefles.

M. DE Voltaire,

C'efl: que Mylord ne le connoit pas, ni vous non plus. Attendez feulement deux ou trois mois , 6c vous connoi- trez l'homme. Les gens de Montnno' renci il demeuroit , ont fait dQS feux de joie, quand il s'eft fauve pour n'être pas pendu. C'efl un homme fans foi, fans honneur, fans religion.

L* O U V R I E R.

Sans religion , Monfieur, maïs on dit que vous n'en avez pas beaucoup^ vous-même*

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Novembre 17^ S.

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> -e me fuis rconi, Mondcur,

ans à rEgllfe, je n'aî^ pas

ccnfcjrs qui ont blâmé ma

, 5c je n'en manque pas au- ]iic iV rcfte uni fous vos

nt; touc

( !)onorc & me confob dé-

I :* à les ennemis ; & ceux quiyou-

^ jndre la KcH:;ion ' '^ '-,

', (^u'un ami de 1^1 >l ii. la

...w vjuvertemcnt. Nous connoif-

rro, vous & moi, les hommes

I . i rer à combien de partions

humaim le feint zelc de la (A fert de

manteau, & l*cn ne doit pas s'atten-

c-c :> vT l'athci^me & Timpictc plus

f' ': que n*eft Thypocrifie ou la

1^, n. J'cfpere , Monfîeur , ayant

mainteint le bonheur d'ctre plus

connu c vous , que vous ne voyti

Pi

^j.0 L E T T p. s

M. DE Voltaire.

Qui , moi , grand Dieu? Et qui eft- ce qui dit cela?

U O U VFv I E R.

Tout le monde, Monfieur,

M. DE Volt aire.

Ah ! quelle horrible calomnie ! Moi qui ai étudié chez les Jéfuites , moi qui ai parlé de Dieu mieux que tous les Théologiens 1

L' Ouvrier

Mais, Monfieur, on dît que vous avez fait bien des mauvais livres.

M. DE Voltaire.

On ment. Qu'on m'en montre un feul qui porte mon nom, comme ceux de ce croquant portent le fïen , Ôcc»

^.

5i'

L E T T Py E

J M. DE MON TAl DLL IN.

Novembre 17^2,

\y u AND je me fuis réani, Monueur^ il y a neuf ans à l'Eglife, je n'ai pas manqué de cenfeurs qui ont blâmé ma démarclie , & je n'en manque pas au- jourd'hii que jV refis uni fous vos aufpices g contre refpoir de tan* de gens qui voudroient m'en voir féparé- Il n'y a rien de bien ét<onnant; tout ce qui m'honore & me confole dé- plaît à mes ennemis ; & ceux qui vou- droient rendre la Religion méprirabie, font fâches qu'un ami de la vérité la profeffe ouvertement. Nous connoif- fons trop, vous & m.oi , les hom.mesl pour ignorer a combien de paGions humaines le feint zèle de la foi fert de manteau , & l'on ne doit pas s'atten- dre à voir l'athéiTme & l'impiété plus charitables que n'eft l'hypocrifie ou la fuperftition. J^cfpere , Monfieur , avant maintenant le bonheur d'être plus connu de vous , que vous ne voyez

"3

k

54^ Lettre

rien en moi qui démentant la décla- ration que je vous ai faite, puiffe vous rendre (ufped:e ma démarche, ni vous donner du regret à la vôtre. S'il y a des gens qui m*accufént d'être un hy- pocrite , c'efi: parce que je ne fais pas un impie ; ils fe font arrangé pour m'ac- cufer de l'un ou de l'autre, fans doute, parce qu'ils n'imaginent pas qu'on puille fîncérementcroire en Dieu. Vous voyez que de quelque manière que je me conduile 5 il m'efl impodible d'échap- per à l'une des deux imputations. Mais vous voyez auRi que (i toutes deux font également dedituées de preuves, celle d'hypocrifie efi pourtant la plus inepte; car un peu d'hypocrifie m'eût ûuvé bien des difgraces ; & ma bonne foi me coûte affez cher, ce me fem- ble, pour devoir être au-deflus de tout foupçon.

Quand nous avons eu, MonHeur, des entretiens fur mon ouvrage (a),]^ vous ai dit dans quelles vues ri avoit été publié, & je vous, réitère la même chofe en fîncérité de coeur. Ces vues

(4) Il eft queflion de l'Emile.

A M. DE M0NTM0LLI>T. 543

tt*ont rien que de louable , vous cil étQS convenu vous-mêaie ; & quand vous m'apprenez qu'on me prête celle d'avoir voulu jetter du ridicule far le Chriflianirme , vous Tentez en même rems combien cette imputation ell: ri- dicule elle-même, puifqu'elle porte uniquement fur un dialogue dans un langage improuvé des deux côtés dans l'ouvrage même, 8c l'on ne trouve ailliré'nent rien d'applicable au vrai Chrétien. Pourquoi les Rét^'ormés pren- nent-ils ain(i fait & cauie pour TE-* glife Romaine? Pourquoi s'échauffent- lis (i fort quand on relevé les vices de fon argumentation qui n'a point été la leur jufqu'ici? Veulent-ils donc fe rapprocher peu-à-peu de Cqs manières de penfer, comme ils fe rapprochent déjà de fon intolérance, contre les principes fondamentaux de leur propre communion ?

Je fuis bien perfuadé , Monfieur,' que fi j'eufTe toujours vécu en pays proteftant, alors ou la profeflion du Vicaire Savoyard n'eût point été faite , ce qui certainement eût été un mal à bien des égards, ou félon toute appa- renceelle eût eu dans fa féconde partie ,

544 Lettre

un tour fort diîférent de celui qu'elle a. Je ne penfe pas cependant, qu'il faille rupprimer les objeâiion? qu'on ns peut réfojdre; car catte adrelTe fubrep- tice a un air de mauvaife foi qui me révolte , & me tiit craindre qu'il n'y ait au fond pe i de vrais croyans. Tou- tes les connoiiTances humaines ont leurs obfcurités, leurs dimcultés , leurs ob- jections que Tefprit humain trop borné re peu: réfoudre. La Géométrie elle- même en a de telles, que les Géomè- tres ne s'avifent point de fupprimer , êc qui ne rendent pas pour cela, leur fcience incertaine. Les objedions n'em- pêchent pas qu'une vérité démontrée ne foit démontrée , & il faut fa voir fe tenir, à ce qu'on fait, Ôc ne pas vou- loir tout fa voir, même en matière de Religion. Nous n'en fervirons pas Dieu de moins bon cœur; nous n'en ferons pas moins vrais croyans , & nous en ferons plus humains, plus doux , plus toîérans pour ceux qui nepenfentpas comme nous en toute chofe. A con- fidérer en ce fens, la profeiîion de foi du Vicaire, e'ie peut avoir fon utilité même dans ce qu'on y a le plus im- prouvé. En tout cas il n'y avoit qu'à

'A M. DE MoS^TMOLLï!^. 34/

réfoudre les objeâiions aufli convena- blement 5 aufii honnêtement qu'ellc^^ étoient propofées, farsie fâcher comme Ton avoit tort , & fans croire qu'une objecflion eft fuffifamment réfolue Jorf- qu'on a brûlé le papier qui la contient.- Je n'épiloguerai point fur les chi- canes fans nombre & fans fondement qu'on m'a faites,, & qu'on me fait tous hs jours. Je fais fupporter dans les au- tres des manières de penfer qui ne font pas les miennes ; pourvu que nous- fovons tous unis en Jéfus-Chrifl: , c'efl- refTentiel. Je veux feulement vous renouveller, Monfieur^ la déclarrtioQ de la réioîution ferme 6c fîncere js fuis , de vivre &: mourir dans la com- munion de l'Eglife Chrétienne Refer- mée. Rien ne m'a plus confolé dans mes dift^races que d en faire la fîncere profelhon auprès de vous; de trouver en vous mon Paileur, & mes frères dans vosparoilîîens. Jevousdemande, à vous & à euXjla continuation des mémes- bontés;&: comme je ne crains pas que" ma conduite vous faffe changer de fen- timent fur mon compte , j'efpere quef les méchancetés de mes ennemis n^ ie feront pas non plus,-

3^6 L E T T H E.

1762.

JlLN parlant, Monfieur 5 dans votre gazette du 23 Juin , d'un papier ap- pelle réquliitoire , publié en Fiance contre le meilleur & le plus utile de mes écrits, vous avez rempli votre office, & je ne vous en fais pas mau'* vais gré; je ne me plains pas même que vous ayez tranfcrit les imputations dont ce papier eft rem.p'i, & auxquel- les je m'abftiens de donner celle qui leur efl: due.

Mais lorfque vous ajoutez de votre chef, que je fuis condamnable au de-là da ce qu'on peut dire, pour avoir com- pofé le livre dont il s'agit, & far-tout pour y avoir mis m^on nom, comme s'il étoit permis de honnête de fe ca- cher en parlant au public; alors, Moa- fieur, j'ai droit de me phîndre de ce que VOIS jugez fans connoître, car il îi'efl: pas poiîible qu'un hom^me de bien porte avec connoifTance, un jugement fi peu équitable fur un livre l'Au- teur foutient Ja caufe de Dieu , dQS

Lettre. 547

moeurs, de la vertu, contre la nouvelle phllorophie, avec toute la force dont il efb capable. Vous avez donné trop d'autorité à des procédures irrégaliè- res 3 & didées par des motifs particu- liers que tout le monde connoît.

Mon livre 5 Monfîeur, eft entre les mains du public; il fera la tôt ci tard par des hommes raifonnabîes, peut être enfin par des Chrétiens, qui verront avec furprife & fans doute avec indi- gnation, qu'un difcip'e de leur divin maître foit traité parmi eux comme un fcélérat.

Je vous prie donc, Monfieur , & c'ed une réparation que vous me de- vez , de lire vous-même le livre dont vous avez fi légèrement & fi mal parlé ; & quand vous l'aurez lu, de vouloir alors rendre compte au public, lans faveur &: fans grâce, du jugement que vous en aurez porté. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cœur.

P S

54S

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LETTRE

A M. L O I S E A U

DE MAULÉON.

Four lui recommander l'affaire de U Beuf de Val a ah on*

V O ic I , mon cher Mauléon , du tra- vail pour vous qui favez braver le puif- fant injafte, & défendre l'innocent op- primé. Il s'agit de protéger par vos talens un jeune homme de mérite qu'en ofe pourfuivre criminellement pour une faute que tout homm.e voudroit com- mettre, & qui ne bleiïe d'autres loix que celles de l'avarice & de l'opinion. Armez votre éloquence de traits plus doux & non moins pénétrans,en fa- veur de deux amans perfécutés par un père vindicatif & dénaturé. Ils ont la voix publique, & ils l'auront par-tout vous parlerez pour eux. Il me fem- ble que ce nouveau fujet vous offre d'aufîî grands principes à dévélopper,- d'auiH grandes vues à approfondir que.

A M. LoisEAU DE MAULEo^^ ^^;9^

les précédens ; & vous aurez de plus à faire valoir des fentimens naturels à tous les cœurs fenfibles , de qui ne font pas étrangers au vôtre. J'e(pere encore que vous compterez pour quel- que chofe la recommandation d'un homme que vous avez honoré de vo- tre amitié, Macie vïrtuu , chtr Mau- léon; c'eft dans une route que vous vous êtes frayée, qu'on trouve le no- ble prix que je vous ai depuis fi îong- tems annoncé , & qui eft feul digne de vous.

LETTRE

A MADEMOISELLE

D'IVERNOIS.

lïlh de M. le Procureur- G inégal de S eu f chat d^ en lui envoyant le pre^ mier lacet de mafaçon^ qu'elle n'avoir demandé pour pr^fent de noces,

JLjE voilà 5 Mademoifelle , ce beau, préfent de noces que vous avez delirép

'^^0 Lettre

s'il s'y trouve du fuperfia , faites, en bonne ménagère , qu'il ait bientôt fon emploi. Portez fous d'heureux auf- pices cet emblème des liens de dou- ceur de d'amour dont vous tiendrez enlacé votre heureux époux, & lon- gez qu'en portant un lacet tiiïli par la main qui traça les devoirs des mères, c'eft s'engager à les remplir,

LETTRE

A M. \V A T E L E T.

Afotiers 1765.

Vous me traitez en Auteur, iMon- Heur; vous me faites des complimens fur mon livre. Je n'ai rien à dire à cela, c'efl: l'ufage. Ce même ufage veut aufïijqu'en avalant modeftement votre encens, je vous en renvoie une bonne partie. Voilà pourtant ce que je ne ferai pas; car quoique vous ayez des talens très-vrais, très - aimables, les qualités que j'honore en vous, les effacent à mes yeux; c'eft par elles que je vous fuis attaché? ç'^^ft par elles que j'ai

A M W AT E LE T. Jj-Ï

toujours defiré votre bienveillance ; de Ton ne m'a jamais vu rechercher les gens à talens qui n'avoient que des ta- lens. Je m'applaudis pourtant de ceux auxquels vous m'afT-îrez que je dois votre eiiiine, puifqu'ils me procurent un bien dont je fais tant de cas. Les miens tels quels, ont cependant fi peu dépendu de ma volonté, ils m'ont at- tiré tant de maux, ils m'on abandonné fi Vite , que j'aurois bien voulu tenir cette am.itié dont vous permettez que je me fiatte , de quelque chofe qui m'eut été moins funefie, &que je puiiïe dire être plus à moi.

Ce fera, Monfieur, pour votre gloi- re , au moins je le defire & je Tefpere , que j'aurai blâmé le merveilleux de l'Opéra. Si j'ai eu tort, comm.e cela peut très-bien être, vous m'aurez ré- futé par le fait; &: (i j'ai raifon , le fuc- chs dans un mauvais genre n*en rendra votre triomphe que plus éclatant. Vous voyez, Monfieur, par l'expérience conf- tante du théâtre, que ce n'efi: jamais le choix du genre bon ou miauvais, qui décide du fort d'une pièce. Si h votre efl intéreiïante malgré les ma- chines, foutenue d'une bonne mufique

5;2 L E T T Fx E, (S'a

elle doit réuffir; & vous aurez eu comme Quinault , le mérite de la difficulté vain- cue. Si par fuppofîtion elle ne l'eft pas y votre goût , votre aiîTiabîe poéfie l'au- ront ornée au moins de détails char- mans qui la rendront agréable, & c'en- eft afTez pour plaire à TOpéra Fran- çois jMonfieur ; je tiens beaucoup plus. Je vous jure, à votre fuccès qu'à mon opinion, & non-feulement pour vous, mais auiîi pour votre jeune muficien. Car le grand voyage que l'amour de l'art lui a fait entreprendre, & que vous avez encouragé , m'eft garant que fon talent n'efc pas médiocre. Il faut en ce genre ainfi qu'en bien d'autres, avoir' déjà beaucoup en foi-même , pour fen- tir combien on a befoin d'acquérir^ Meflieurs, donnez bientôt votre pièce,. de duiTai-je être pendu , je Tirai voir^? ■fî je puis^

^^

3;5 LETTRE

A M. F A V Pv E.

Premier Syridic de la République de Genève*

Moitiers-Travers , le iz Mai l/tfj. M 0 li'' S I E U R ,

R

EVENu du long étonnement m'a jette 5 de îa part du magninque Con- feil 5 le procédé que j'en devols le moins attendre, je prends enfin le parti que rhonneur & la raifen me prefcrivent^ quelque cher qu'il en coûte à mon cœur.

Je vous déclare donc , Monfieur , & vous prie de déclarer au magninque Confeil , que j'abdique à perpétuité mon droit de Bourgeoifie de de Cité dans la ville & république de Genève. Ayant rempli de mon mieux les de- voirs attachés à ce titre, fans jouir d'aucun de Tes avantages, je ne crois point être en refte avec l'Etat en le cuiitr.nt. J'ai taché d'honorer le nonï

55*4 Lettre

Genevois ; j'ai tendrement aîmé me$ compatriotes: je n'ai rien oublié pour me taire aimer d'eux ; on ne fauroit plus mal réufïir ; je veux leur com- plaire jufques dans leur haine. Le der- nier facrliîce qui me refte à faire , eft celui d'un nom qui me fut Ci cher. Mais, Moniteur, ma Patrie, en me devenant étrangère , ne peut me de- venir indifférente : je lui refts attaché par un tendre fouvenir, & je n'oublie d'elle que Tes outrages. PuifTe -t- elle profpérer toujours, & voir augmenter û gloire ! Puille-t elle abonder en ci- toyens meilleurSj & fur-tout plus heu- reux que moi !

Pvecevez, je vous prie, Monfieur, les aiïurances de mon profond refpecl.

\-::^^^=:z?i;i^

LETTRE A M^^\

Motiers-Trr.vers ^ le ii Septembre I763,

JE ne fais, Monfieur, fi vous vous rappellerez un homme , autrefois connu de vousj pour moi qui n'oublie poiat

vos honnêtetés, je me fuis avec plaifir rappelle vos traits dans ceux de Mon- iteur votre fils, qui m'eft venu voir il y a quelques (ours. Le récit de fcs malheurs m'a vivement touché; la ten- drefïe & le refped: avec lefquels il m'a parlé de vous, ont achevé de m'inté- refier pour lui. Ce qui lui rend Tes maux plus aggravans efl qu'ils lui viennent d'une main fi chère. J'ignore, Mon- f:eur, quelles font Tes fautes; mais je vois fon affi'dion ; js fais que vous ctes père , & qu'un père n'eli pas fait pour être inexorable. Je crois vous donner un vrai témoignage d'attache- ment en vous conjurant de n'ufer plus envers lui d'une rigueur défefpérante, & qui , le faifant errer de lieu en lieu fans refTource & fans af) le , n'honore ni le nom qu'il porte , ni le père dont il le tient. RéfiéchifTez , Monfieur , quel fe- roit fon fort fi dans cet état, il avcit le malheur de vous perdre. Attendra- t-il des parens, des collatéraux, une commifération que fon père lui aura refufée ? & fi vous y comptez , com- ment pouvez-vous laifTer à d'autres îe foin d'être plus humains que vous en- vers votre fils ? Je ne f*iis point com*

^^6 Lettre

ment cette (euîe idée ne de'iarme paîs votre bon cœur. D'ailleurs de quoi s'agit-il ici? de faire révoquer une maî- heureuie lettre ^de cachet qui n'auroit îamais être follicitée. Votre fils ne vous demande que fa liberté , & il n'en veut ufer que pour réparer Tes torts, s'il en a. Cette demande même eft un devoir qu'il vous rend; pouvez>vous ne pas fentir îe vôtre? Encore une fois- penfez-y, Monfieur; je ne veux que cela; la raifbn vous dira îe reite.

Quoique -M. de M. ne foit plus ici y Je fais, fi vous m'honorez d'une ré- ponfe , îni faire palTer vos ordres ; ainfi vous pouvez les lui donner par mon canal. Recevez, Monfieur, mes falutations & hs aiTurances de mon ref-

LETTRE A jM. g.

EVTE liJ NT-COLONE L,

Septembre 1753.

J E crois 5 Monfieur , que je ferois fort aife de vous connaître, mais on me'

A M. G. 35'7

fait faire tant de connoifTances par force, que j'ai réfoîu de n'en plus faire vo- lontairement, votre franchlle avec moi, mérite bien que je vous la rende, de vous confentez de Ci bonne grâce , que je ne vous réponde pas , que je ne puis trop tôt vous répondre; car, fi jamais j'étois tenté d'abufer de la liberté, ce feroit moins de celle qu'on me laiffe , que de celle qu'on voudroit m'ôter. Vous êtes Lieutenant Colonel, iMon- fieur , j'en fuis fort aife ; mais fulliez-. vous Prince, & qui plus ell: laboureur, com.me je n'ai qu'un ton avec tout le monde 5 je n'en prendrai pas un autre avec vous. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cœur,

LE TT R E A M. L. P. L. E. D. W.

Moriers, le 29 Septembre 17^3.

Vous me faites , Monfieur le Duc, bien plus d'honneur que je n'en mérite. Votre AltefTe Séréniffime aura pu voir (dans le livre qu elle daigne citer, que

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QUATRE LETTRES

Motieis-Traver: , le : Novembre 1J63,

J'ai reçu, Monfîeurja lettre obli- geante dans laquelle votî honnête cœur s'épanche avec moi. JeVis touché de vos fentimens & rcconniffant de votre 2de ; mais ;e ne vois pabien fur quoi vous me confultez. Voi me dites : j'ai de la naifîance dont jeJuis fuivre h vocation, parce que meparens le veu- lent; apprenez-moi ce âe je doî>' fai- re: je fuis gentilhomme 'x: veux vivre comme tel; apprenez-mi toutefois à vivre en homme : j ai di pre'juge's que je^veux refpeder; apprnez-moi tou- tefois à les vaincre. Je/ous avoue, Monfïeur, que je ne faispas répondre à cela.

Vous me parlez avec ddain des deux

^;'j.ls métiers que la nob;fre connoiffe

quelle veuille fuivre; cependant.

10

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5jS Le t t r e, (S-r.

je n*al jamais fu comment il faut éle- ver les Princes; oc la clatneur publique me perfuade que je ne fais comment il faut élever perfonne. D'ailleurs , les diigraces & les maux m'ont affedé le cœur & aftoibli la tête. Il ne me refte de vie que pour fouffrir, je n*en ai plus pour peiner, A Dieu ne plaifè, toutefois, que je me refufe aux vues que vous m'expofez dans votre lettre. Elle m.e pénètre de refped: & d'admi- ration pour vous. Vous me paroifTez plus qu'un homme, puifque vous fa- vez l'être encore dans votre rann;. Dif- pofez de moi, Monfieur le Duc; mar- quez-moi vos doutes, je vous dirai mes idées; vous pourrez me convain- cre aifément d'infuffifance , mais jamais de mauvaife volonté*

Je fuppîie Votre AltefTe Sérénifîîme d'agréer les afTurances de mon profond refpeCl*

4^

iS9

QUATRE LETTRES

A M. L'A. DE***.

Motiei's-Travers , le 27 Novembre ijSi»

J'ai reçu, Monfieur , la lettre obli- geante dans laquelle votre honnête cœur s*épanche avec moi. Je fuis touché de vos fentimens & reconnoiffant de votre zoîe ; mais je ne vois pas bien fur quoi vous me confultez. Vous me dites ; j*ai de la nailTance dont je dois fuivre la vocation, parce que mes parens le veu- lent; apprenez-moi ce que je dois fai- re; je fuis gentilhomme & veux vivre comme tel; apprenez-moi toutefois à vivre en homme : j'ai des préjugés que je veux refpeder; apprenez-moi tou- tefois à les vaincre. Je vous avoue , Mondeur, que je ne fais pas répondre à cela.

Vous me parlez avec dédain des deux feuls métiers que la noblefîè connoifTe & qu elle veuille fuivre : cependant.

5oO L E T T H E

VOUS avez pris un de ces métiers. Mon conreil ef!: , puifque vous y êtes, que vous tâchiez de le faire bien. Avant de prendre un état, on ne peut trop raifonner fur Ton objet : quand il efi: pris, il en faut remplir les devoirs; c eft alors tout ce qui rePre à faire.

Vous vous dites fans fortune , fans biens, vous ne favez comment, avec de la naillance, (car la naiiïance re- vient toujours) vivre libre & mourir vertueux. Cependant , vous offrez un afyle à une perfonne qui m'eft attachée ; vous m'afTurez que Madame votre mère la mettra à fon aife : le fils d'une Dame qui peut mettre une étrangère à fon aife, doit naturellement y être aufli. Il peut donc vivre libre & mourir vertueux. Les vieux gentilshomimes^qui valoient bien ceux d'aujourd'hui , cultivoient leurs terres & faifoient du bien à leurs payfans. Quoi que vous en puiffiez dire, je ne crois pas que ce fût déroger que d'en faire autant.

Vous voyez ,Monfieur , que je trouve dans votre lettre même la folution des diincultés qui vous embarraiïent. Du refte , excufez ma franchife ; je dois répondre à votre eftime par la mienne.

•À M l'A. de*^\ 5(^1

&: je ne puis vous en donner une preuve plusfure qu'en ofantjtout gentilhomme que vous êtes , vous dire la vérité.

Je vous falue, Monfîeur, de tout mon cœur.

SECONDE LETTRE

A U M Ê M E. Motiers , le 6 Janvier IJ64,

uoi, Monfieur, vous avez ren- voyé vos portraits de famille & vos titres ! vous vous êtes défait de votre cachet ! voilà bien plus de proueffes que je n'en aurois fait à votre place. J'auroislaiiïe les portraits ils étoient; j'aurois gardé mon cachet, parce que je l'avois ; j'aurois lallîé moifîr mes titres dans leur coin , fans m'imag"nec même que tout cela valût la peine d'en faire un facrifice ; mais vous êtes pour les grandes adions. Je vous en félicite de tout mon cœur.

A force de me parler de vos dou- tes, vous m'en donnez d'inqjiétans fur votre compte. Vous me faites doo- (Muy, Pop, Tom, VL Q

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5^2 L T T T F E

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écrré de vertn que vous aiFcz atteint. Cette àSczui^ eft ^ss docte ito tie- ^RHT pVBT ipÊCJOBqot TCîr:p^ tout les

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A M. T.* A. vv" ^ \ ^6^

f n tîcn dans ce nioivl'j , ne doit pat ]\trc mcme en cela. Mais je ne con- nois que Socrare & vous , à qui la raifon put pa/îcr un tel fcrupulc ; c^jr il nous autres liomn^es vulgaires , il (croit impertinent & vain d'en ofer avoir un pareil. Il n'y a pas un do nous qui ne s'ccarte de la vcritc cent fois le jour dans le commerce des liom- mes en chofes claires, importantes !k, fouvcnt préjudiciables, & dans un point de pure (pccul.ition dans lequel nul no voit ce qui efl vrai ou faux , ^ qui n'importe ni à Dieu ni aux hommes, nous nous ferions un crime de con- dcfcendre aux préjuges de nos frères, Ôc de dire oui nul n'efl: en droit de dire non ? Je vous avoue qu'un Iiomme , qui d'ailleurs n'étant pas un faint, s'avifcroit tout de bon d'un fcru- puie que l'Abbé de Saint -Pierre & Fénelon n'ont pas eu , me deviendroit par cela feul trcs-fufpeifl. Quoi ! di- rois-je en moi-même , cet homme refu- fe d'embraffer le noble état d'officier de morale, un état dans lequenipeutetre le guide & le bienfaiteur d:s hommes , d ins lequel il peut les infiruire , ]qs foula^er, les confoler, les protéger.

02

i^AA

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5^52 Le t t r e

ter s'il y a des chofes dont vous ne doutiez pas. Ces doutes mêmes , à mefure qu^ik croiirent , vous rendent tranquille : vous vous y repofez com- me fur un oreiller de pareiTe ! Tout cela m'effrayeroit beaucoup pour vous , f] vos grands fc^upules ne me rafTu* roient. Ces fcrupules font afTurément rtrfpeclables comme fondés fur la ver- tu ; mais l'obligation d'avoir de la ver- tu , fur quoi la fondez-vous ? Il feroit bon de favoir fi vous êtes bien décidé fur ce point. Si vous l'êtes, je me raf- fure ; je ne vous trouve plus fi fcep- tique que vous affeclez de l'être j de quand on efl: bien décidé fur les prin- cipes de fes devoirs , le refte n'efl pas une fi grande affaire. Mais (i vous ne Têtes pas, vos inquiétudes me fem- blent peu raifonnées. Quand on eft Ci tranquille dans le doute de fes devoirs , pourquoi tant s'affecter du parti qu'ils nous impofent*

Votre délicatefTe fur l'état eccîéfiaf^ tique efl fublime ou puérile , félon le degré de vertu que vous avez atteint. Cette délicatefTe eft fans doute un de- voir pour quiconque remplit tout les iiutresj&; qui n'efl faux ni menteuç

A M. L'A. DE^**. 3^5

<cn Tien dans ce monde , ne doit pas l'être même en cela. Mais je ne con- nois que Socrate & vous , à qui la raifon pût pafler un tel fcrupule : car â nous autres hommes vulgaires, il feroit inipertinent & vain d'en ofer avoir un pareil. Il n'y a pas un de nous qui ne s'écarte de la vérité cent fois le jour dans le commerce des hom- mes en chofes claires, importantes 3c fouvent préjudiciables, & dans un point de pure fpéculation dans lequel nul ne voit ce qui cfl vrai ou faux" , & qui ■n'importe ni à Dieu ni aux hommes, nous nous ferions un crime de con- defcendre aux préjugés de nos frères, & de dire oui nul n*eft en droit de dire non ? Je vous avoue qu'un homme , qui d'ailleurs n'étant pas un faint, s'aviferoit tout de bon d'un fcru- pule que l'Abbé de Saint -Pierre & Fénelon n'ont pas eu , me deviendroit par cela feul très-fufpeifl:. Quoi ! di- rois-je en moi-même , cet homme refu- fe d'embrafTer le noble état d'officier de morale, un état dans lequelilpeutéîre le guide & le bienfaiteur d:S hommes, •dans lequel il peut les inflruire , hs ibulager, les confoler, les protéger.

504. Lettre

leur fervlr d'exemple ; & cela pour quelques énigmes auxquelles ni lui ni nous n'entendons rien , & qu'il n'a- voît qu'à prendre 3l donner pour ce qu'elles valent en ramenant fans bruit le Chriftianifme à Ton véritable objet? Non, conclurois-je, cet homme ment, il nous trompe , fa faufle vertu n'eft point adive , elle n'eft que de pure oftentatlon ; il faut être un hypocrite foi-même pour ofer taxer d'hypocrifie déteuable ce qui n'efl au fond qu'un formulaire indifférent en lui-même, mais confacré parles loix. Sondez bien votre cœur, Monfieur , je vous en conjure : fi vous y trouvez cette raî- fon telle que vous me la donnez, elle doit vous déterminer, & je vous admi- re. Mais fouvenez-vous bien qu'alors fi vous n'êtes le plus digne des hommes, vous aurez été le plus fou.

A la manière dont vous me deman- dez des préceptes de vertu , Ton di- roit aue vous la re2:ardez comme un métier. Non , iMonfieur, la vertu n'eft que la force de faire fon devoir dans des occafions difficiles , & la CigefTe , au contraire , eil: d'écarter la difficulté àç nos devoirs. Heureux celui quife

A M L'A. DE ^*'^. ^6^

contentant d'être homme de bien , s'efl: mis dans une pofition à n'avoir jamais befoin d'être vertueux. Si vous n'allez à la campagne que pour y porter le farte de la vertu , reil:ez à la ville. SI vous voulez à toute force exercer les grandes vertus , l'état de Prêtre vous les rendra fouvent nécefTaires. Mais fi vous vous fentez les pafîions allez m.o- déiéts , l'efprit aflez doux , le cœuc aflez fain pour vous accomoder d'une vie égale , fimple & laborieufe, allez dans vos terres , faites-les valoir , tra- vaillez vous-même , foyez le père de vos domeiliques , Tami de vos voifins , jufte de bon envers tout le monde : lailTez-là vos rêveries métaphyfiques , & fervez Dieu dans la {implicite de votre cœur : vous ferez allez ver- tueux.

Je vous falue, Monfieur, de tout mon cœur.

Au relie , je vous difpenfe , Mon- fîeur, du fecret qu'il vous plaît de m'oftrir, je ne fais pourquoi. Je n'ai pas j ce me femble , dans ma condui- te , l'air d'un ho.nma fort myrtérieux.

Q5

^66 L E T T K E

TROISIEME LETTRE

JU MÊME.

Motj'ers , le 4 Mais 1704.

J'ai parcouru, Monfieur, la longue lettre vous m'expofez vos fcnti- mens fur la nature de Tame de fur Texif- tence de Dieu. Quoique j'eufl'e réfolu de ne plus rien lire fur ces matières, j'ai cru vous devoir une exception pour la peine que vous avez prife, 8c dont il ne m'ell; pas aifé de démêler le but. Si c'eft d'établir entre nous un com- merce de ditpute, je ne faurois en cela- vous com.plaire ; car je r^ difpute ja- mais, perfuadé que chaque homme a fa manière de raifonner qui lui eft pro- pre en quelque chofe , & qui n'eft bonna en tout à nul autre que lui. Si c'effc d-e me guérir des erreurs vous me jugez être, je vous remercie de vos bonnes intentions; mais je n'en puis faire aucun hhgQ , ayant pris depuis long'ttms mon parti fur ces chofes-lài Ainfia Monneur, votre zeîe philofa-

A M. l'A. de^ ^^ 3^7

pliique efl: à pure perte avec moi, & je ne ferai pas plus votre proféiyte que Votre millIoRnaire. Je ne condamne point vos façons de penfer, mais dai- gnez me laifTer les miennes ; car je vous déclare que je n'en veux pas changer.

Je vous dois encore des remercie- mens du foin que vous prenez dans la même lettre , de m'ôter Tinquiétude' q;e m'avoient donné les premières, fur hs principes de la haute vertu dont VOLis flûtes profcflion. Sitôt que ccs^ principes vous paroilTcnt foîides , le cfevoir qui en dérive doit avoir pouf Vous la même force que s'ils Fétoient en effet; ainiï, mes doutes fur leur folidité n'ont rien d'offenfant pour vous» Mais je vous avoue que quant à moi de tels principes me paroîtroient frivo- les ; & (itQt que je n'en admettrons paâ d'autres, je fens que dans le fccret de mon cœur ceux-là me m.ettroient foit à Taife , fur les verti:s pénibles qu'ils paroîtroient m'impofer. Tant il eft vrai que les mêmes raifons ont rarement la même prife en diverfes têtes , & qu'il vie frut jamais difputer de rien ! D'ùbord l'amour de Tordre , en tant

5^5 Lettre

que cet ordre eft étranger à mol , n'eft point un fentiment qui puiiïe balancer en moi celui de mon intérêt propre ; une vue purement fpéculative ne fau- roit dans le cœur humain l'emporter fur les payons ; ce feroit , à ce qui efb moi, préférer ce qui m'eft étranger; ce fentiment n'efl: pas dans la nature. Quant à Tamour de Tordre dont je fais partie , il ordonne tout par rapport à moi; & comme alors je fuis feul le centre de cet ordre, il feroit abfarde & contradictoire qu*il ne me fit pas rapporter toutes chofes à mon bien particulier. Or, la vertu fuppofe un combat contre nous-mêmes, éc c'efl; la difficulté de la vi(5loire qui en fait le mérite; mais dans la fuppofition, pour- quoi ce combat? Toute raifon , tout motif y manque. Ainfi , point de vertu poiTible par le feul amour de l'ordre. Le fentiment intérieur eft un motif très-puifTant fans doute. Mais les paf- fions &: l'orgueil l'altèrent âcTétouffent de bonne heure dans prefque tous les cœurs. De tous les fentimens que nous donne une confcience droite, les deux plus forts & les feuls fondemens de tous les autres a font celui de fa dif-

pcnfation d'une providence, & celui de rimn-;ortalité de l'ame. Quand cer, deux-là font détraits, je ne vois plus ce qui peut refter, Tant que le fenti- ment intérieur me diroit quelque chofe , il me dérendroit, fi j'avois le malheur d'être fcepcique , d'alarmer ma proprer mère des doutes que je pourrois avoir. L'amour de foi - même efl: le plus puifTant, &, félon moi, le feul motif qui fafTe agir les hommes. Mais, com- ment la vertu , prife abfolument & comme un être métaphyfique , fe fonde- t-eîle fur cet amour-là? C'efl: ce qui me paiïe. Le crime, dites -vous, eil contraire à celai qui le commet ; cela ed toujours vrai dans mes principes , & fouvent très -faux dans les vôtres. Il faut diftinguer alors les tentations, les pofitions, l'efpérance plus ou moins grande qu'on a qu'il refie inconnu ou impuni. Communément le crime a pour motif d'éviter un grand mal ou d'ac- quérir un grand bien; fouvent il par- vient à fon but. Si ce fentiment n'efl' pa^ naturei,quel fentiment pourra l'être? Le crime adroit jouit dans cette vie de tous les avantages de la fortune & même^ delà gloire, La jufrice & les fcrupU'*-

370 Lettre

les ne font ici bas que des dupes. OteZ' la j.dice éternelle & la prolongation, de mon être après cette vie, je ne vois, plus dans la vertu qu'une folie à qui Ton donne un beau noai. Pour un ma- térialifle 5 l'amour de foi même n'efi: que l'amour de fon corps. Or, quand Regulits alloit .pour tenir fa foi, m.ou- rir dans les tourmens à Carthage, je, ne vois point ce que l'amour de fon corps faifoit à cela.

Une confidération plus forte encore confirme les précédentes. C'efl: que. dans votre fylîcme le mot même de. vertu ne peut avoir aucun fens. C'efl: vn fon qui bat l'oreille , ^ rien de plus^ Car enfin, félon vous, tout Qi\ nécef- faire ; oij tout efl néceflaire, il n'y a point dellberté; fans liberté, point de moralité dans les actions; fans la mio- ralité des actions, eft la vertu? Pour- moi , je ne le vois pas. En parlant du. fentiment intérieur, je devois mettre, au premier rang celui du libre arbi- tre; mais il fuffit de l'y renvoyer d'ici..

Ces raifons vous-paroîtront très-foi- bles, je n'en doute pas ; mais elles mei paroiflent fortes à moi, & cela fuffit. pour vous prouver que fi par hafaid.

A M. l' A. DE***. 37r

jTe devenois votre difclpîe , vos leçons «'auroit fait de moi qu'un fripon. Or, T;n homme vertueux comme vous , ne voudroit pas confacrer fes peines à met-* tre un fripon de plus dans le monde r car je crois qu'il y a bi:n autant de ces gens-là que d'hypocrites, & qu'il n'efi: pas plus à propos de les y mul- tiplier.

Au refte, je dois avouer que ma morale eft bien moins fublime que la' vôtre , & je fens que ce fera beaucoup" même fi elle me fauve de votre mépris. Je ne puis difconvenir que vos impu- tations d'hypocrifie ne portent un peu fur mol. Il eft très-vrai que fans être en tout du fentiment de mes frères 6c fans déguifer le mien dans Toccaiion ,. je m'accommode très - bien du leur; d'accord avec eux fur les principes de nos devoirs, je ne difputt point fur le refte qui me paroît très-peu im- portant. En attendant que nous lâchions certainement qui de nous a raifon , tant qu*ils rafe fouflfriront dans leur com- munion , je continuerai d'y vivre avec- nn véritable attachement. La vérité^ pour nous eft: couverte d*un' vo'û^^

572 L E T T K E

mais la paix & Tunion (ont des biens certains.

II réfulte de toutes ces réflexions que nos façons de penfer font trop dif- férentes pour que nous puiffions nous entendre , & que par conféquent un plus long commerce entre nous ne peut qu'être (ans fruit. Le tems eft fi court & nous en avons befoin pour tant de chofes qu'il ne faut pas l'employer inu- tilement. Je vous fouhaite . Moniieur y un bonheur folide, la paix de l'ame qu'il me femb^e que vous n'avez pas,. & je vous falue de tout mon cœur.

QUATRIEME LETTRE

A U M E.

Moiiers-Travers , le ii Novembre 1764^

V OU S voilà donc 5 Monfîeur , tout- d'un-coup devenu croyant. Je vous fé- licite de ce miracle , car c'en eft fans doute un de la grâce, & laraifon pour l'ordinaire n^opere pas fi fubitement. Mais ne me faites pas honneur de votre-

converfion , je vous prie. Je fens que cet honneur ne m'appartient point. Un homme qui ne croit gueres aux mira- cles , n't'fl pas fort propre à en faire : un homme qui ne dogmatife ni ne difpute n'efi: pas un fort bon conver- tifîer. Je dis quelquefois mon avis quand on me le demande, &: que je crois que c'efl à bonne intention : mais je n'ai point la folie d'en vouloir faire une loi pour d'autres, Se quand ils m'en veu^ lent faire une du leur, je m'en défends du mieux que je puis fans chercher à les convaincre. Je n'ai rien tait de plus avec vous. Ainfi, Monfieur, vous avez feul tout le mérite de votre réhpifcence, & je ne fongeois furement point à vous cathéchifer.

Mais voici maintenant les fcrupuîcs qui s'élèvent. Les vôtres m'infpirent du refpect pour vos fentimens fubli- mes, & je vous avoue ingénument que quant à moi qui miarche un peu plus terre à terre, j'en ferois beaucoup moins- tourmenté. Je me dirois d'abord que de confeîTer mes fautes eft une chofe utile pour m'en corriger, parce que me faifant une loi de dire tout, & de- dire vrai 5 je ferois fouvent retenti

374 L E T T F. s

d'en commettre par la honte de 1er

révéler.

Il eft vrai qu'il pourroit y avoir quel- que embarras fur la foi robufte qu'on exige dans votre Eglîfe, de que chacun n'eft pas maître d'avoir comme il lui plait. Mais de quoi s'agit-il au fond dans cette affaire ? Du iincere deur de croire , d'une foumiiîion du coeur plus que de la raifon : car enfin la rdifon ne dépend pas de nous, mais la volonté en dé- pend; (Se c'efl: parla feule volonté qu*on^ pcut être fournis ou rebelle à TEglile.- Je commencerois donc par me ciioiur pour confôffeur un bon Prêtre , un^ homme fage & fenféjtelquon en troave par-tout quand on les cherche. Je lur dirols : je vois l'océan de difficultés où' nage l'efprithumrtin dans ces matières; 1^ mien ne cherche point à s'y noyer;- je cherche ce qui eft vrai 3c bon; je- î'e cherche fincérement; je fens que la^ docilité qu'exige TEglife efV un état defiraole pour être en paix avec foi-:- j'aime cet état, j'y veux vivre; mon" efprit murmure il eft vrai ,- mais mon" cccur lui impofe filence , ^c mes i^n" timens font tous contre mes raifons. Je^ ne crois pas, mais je veux, cro ire:.. 5t

A M. l'A. de*^^. 37y:

j.e le veux de tout mon cœur. Soumis a la foi malgré mes lumières , quel ar- gument puis je avoir à craindre? Je fuis plus fidèle que C j'étois con* vaincu.

Simon confeiïeur n'efl: pas un fot 3 que. voulez-vous qu'il me dife ? Voulez- vous- qu'il exige bêtement de moi rimpofli- ble ; qu'il m'ordonne de voir du rouge je vois du bleu? Il me dira; (ou- mettez-vous. Je répondrai; c'eft ce que je fais. Il priera pour moi & me don- nera rabfolution fans balancer; car il'. la doit, à celui qui croit de toute fa force d^ qui fuit la loi de tout fon cœur.

Mais fuppofons qu'un fcrupule mal en-- tendu le retienne y il fe contentera de' m'exhorter en fecret & de me plaindre ;. il m'aimera même; je fuis fur que ma bonne foi lui gagnera le cœur. Vous fup- pofez qu'il m'ira dénoncer à rOfncial ^ & pourquoi? qua-t-il à m.e reprDcher?" De quoi voulez-vous qu'il m'accufe?' d*avoir trop fidèlement rempli mon. devoir? Vous fuppofez un- extravagant,, un frénétique; ce n'eil: pas rhomme. que j'ai choitL Vous fuppofez de plus- un fcéîérat abominable que je peux; pourfuivrCj démcntirj/aire pendre peut^..-

57^ Lettre

être pour avoir fapé le facrement par fa- bafe, pour avoir caufé le plus dangereux fcandale, pour avoir violé fans nécef- té^fans utilité le plus faint de tous les de- voirs^ quand j'étois fi bien dansle mien que je n'ai mérité que des éloges^ Cette (uppofition , je Tavoue, une fois admile , paroît avoir fes difficultés.

Je trouve en général que vous les prefTez en homme qui ii'eft pas fâché d'en faire naître. Si tout fe réunit con- tre vous, fi les Prêtres vous pourfui- vent , il le peuple vous maudit , fi la douleur fait defcendre vos parens au tombeau, voilà, je l'avoue, des in- convéniens bien terribles pour n'avoir pas voulu prendre en cérémonie un morceau de pain. Mais que faire en- fin , me demandez -^ vous? deilus voici, Monfieur, ce que j'ai à vous dire.

Tant qu'on peut être jufte & vrai dans la fociété des hommes , ileft des devoirs difficiles fur lefquels un amî défïntéreffé peut être utilement coa- fulté.

Mais quand une fois les inflitutions humaines font à tel point de déprava- tion 5 qu'il n'efl plus poffible d'y vi- vre 6c d'y prendre un parti fans maî

À M '*' * \ 577

faire, alors on ne doit plus confulter perfonne;!! faut n'écouter que Ton pro- pre cœur , parce qu'il ejfl injufte & nial-honnéte de forcer un honnête hom- me à nous confeiller le mal. Tel eft mon avis.

Je vous faluej IMonfieur , de tout mon cœur,

LETTRE

A M^*\

JiLnfin, mon cher *^* , j'ai de vos nouvelles. Vous attendiez plutôt des miennes , 5c vous n'aviezpas tort; mais pour vous en donner , il falloit favoir vous prendre , & je ne voyois per- fonne qui pût me dire ce que vous étiez devenu ; n'ayant , & ne voulant avoir déformais pas plus de relation avec Pa- ris qu'avec Pékin , il étoit difficile que je puiTe être mieux inftruit; cependant jeudi dernier un Penfionnaire des Ver- tus qui me vint voir avec le Père Curé , m'apprit que vous c'tlez à Liège; mais ce que j'auroisdu faire il y deux mois ,

£7^ L E T T K É

^toit à préfent hors de propos, de c& h étoit plus le cas de vjus prévenir, car j^i VOUS" avoue que je fais & ferai toujours de to! s les hommes le moins propre a retenir Ijs gens qui fe déta- ehent à^ moi.

J'ai d*àutânt plus fentl le coup que vous nvez reçu , que j'etols"bien plus concen: de votre nouvc-Te carrière que <îô celle CLt vous êtes en train de ren- trer. Je vous crois afîez de probité pour vous conduire toujours en homme âo^ bien ûàus les affaires, mais non pas af-- fez de vertu pour toujours préférer le bivn public à votre gloire , & ne dire ja-- mais aux hommes que ce qu'il leureft bon de favoir. Je me complaifois à vous imaginer d'avance dans le cas de relan- cer quelquefois les fripons , au lieu que je tremble de vous voir contrlfter les âmes li iiples dans vos écrits. Cher ^'"^^ , déhez-vous de votre efprit fatirique , fur-toi^t apprenez à refoecrer la Reli- gion. L'hu.Tianîté feule exige ce ref- ped:. Les grands, les riches, les heu- reux du fiecle, feroient charmés qu'il n'y eût point de Dieu ; mais l'attente d\ine autre vie confole de celle-ci le peuple & le miférable. Quelle cruauté

de leur ôter encore cet efpoîr.

Je fuis attendri , touché de tout ce que vous me dites de M, G .. .., quoi- que je (uiTe déjà tout cela 5 je l'apprends de vous avec un nouveau plaifir ; c'efc bien plus votre éloge que le (ien que vous faites : la mort n'eft pas un mal- heur pour un homme de bien ; &. je me réjouis prefque de la fienne , puifqu'elle m'eft une occafion de vous' eftim^er davantage. Ah ! *^*, puiiïai je m*étre trompé , & goûter le plaifir de^ me reprocher cent fois le jour de vous avoir étéjuge trcpfevere.

Ilefl vrai que je ne vous parlai point de mon écii: fur les fp^dacles, car, comme je vous l'ai dit plus d'une fois, je ne me fiois pas à vous. Cet écrit efl: bien loin de la pt étendue méchanceté dont vous parlez; il eO: lâche &: foible,, hs m^échans n'y font plus gourman- des, vous ne. m'y reconnoîcrez plus:; cependant je l'aime plus que tous les autres , parce qu'il m'a fauve la vie , & qu'il me fervit de diftradion dans des momens de douleur, oli fans lui je ferois mort de défefpoir. Il n'a pas dé- pendu de moi de mieux faire ; j'ai faie mon devoir, c'eft affez pour moi.. Au

5§o Lettre

furplus , je livre Touvrage à votre juffe critique. Honorez la vérité , je vous abandonne tout le refte. Adieu , je vous emb rafle de tout mon cœur.

J.J. Rousseau.

LETTRE

^ M. R O M 1 L L L

kJN ne fauroit aimer les pères fans aimer des enfans qui leur font chers ; ainfi 5 Monfieur , je vous aimois fans vous connoître, 3c vous croyez biea que ce que je reçois de vous n'eO: pas propre à relâcher cet attachement. J'ai lu votre Ode , j'y ai trouvé de l'éner- gie , des images nobles , & quelquefois des vers heureux ; mais votre poéfie paroît gênée, elle fent la lampe, &: n'a pas acquis la corredion. Vos rimes , quelquefois riches, font rarement' élé- gantes, & le mot propre ne vous vient pas toujours. Mon cher P^omilli , quand je pwaye les complimens par des véri- tés, je rends mieux que ce qu'on m^ donne.

A M. Ro MI LLI. 381

Je vous crois du talent , & je ne dou- te pas que vous ne vousfaiîiez honneur dans la carrière vous entrez. J'ai- inerois pourtant mieux , pour votre bonheur , que vous euffiez fuivi la pro- feilion de votre digne père; fur- tout Il vous aviez pu vous y diftinguer com- me lui. Un travail modéré, une vie égale de fimple, la paix de rame^&Ia fanté du corps qui font le fruit de tout cela, valent mieux pour vivre heureux que le favoir & la gloire. Du moins, en cultivant les talens des gens de Let- tres , n'en prenez pas les préjugés ; n'ef^ timez votre état que ce qu'il vaut, & vous en vaudrez davantage.

Je vous dirai que je n'aime pas la fin de votre lettre; vous me paroiffez juger trop févérement les riches. Vous ne longez pas , qu'ayant contracté dès leur enfance mille befoins que nous n'avons point , les réduire à l'état des pauvres, ce feroit les rendre plus mi- férables qu'eux. Il faut être jufle en- vers tout le monde, même envers ceux' qui ne le font pas pour nous. Eh, Mon- fieur , fi nous avions les vertus con- traires aux vices que nous leur repro- chons 5 nous ne fongcrions pas même

jBa Lettre

qu'ils font au monde , & bientôt î!s auroient plus bef-oin de nous que nous d'eux ! Encore un mot j Ôc je finis. Pour avoir droit de m-éprifer les riches, il faut être économe ce prudent foi-mê- me 5 aHn de n'avoir jamais befoin de richeffes.

Adieu, mon cherRomilli, je vous embraiTe de tout mon cœur.

J. J. Rousseau.

LETTRE

A M. P^ ^■\

Moticis , le I Mars 17^4.

Je fuis flatté , Monfieur , que fans tin fréquent commerce de lettres , vous rendiez juftice à mes fentimens pour VOUS; ils (eront audi durables que l'efti- me fur laquelle ils font fondés, 5c j'efpere que le retour dont vous m'honorez ne fera pasmoins à l'épreuve du tems & du fîlence. La feule chofe changée entre nousefirefpoir d'une connoiiTance per- fonnelle. Celte attente, Moniieur, m'é- îoit douce i mais il y faut renoncer fi

A M. p**^ 385

"]€ ne puis la remplir que furies terres ce Genève ou dans les environs. Là- delîus mon parti eft pris pour li vie , 6c je puis vous alTurer que vous êtes entré pour beaucoup dans ce qu*il m*en a coûté de le prendre. Du refle , je fens avec furprife qu'il m'en coûtera moins de le tenir que je ne m'étois figu- ré. Je ne penie p'us à m,on ancienne patrie qu'avec incifîérence ;c'efl:même un aveu que je vous fais fans honte, fâchant bien que nos fentimensne dé- pendent pas de nous ; Si cette indiffé- rence étoit peut-être îe feul qui pou- voir refter pour elle dans un cœur qui ne fut jamais haïr. Ce n'eft pas que je me croye quitte envers elle; on nel'eft jamais qu'à la mort. J'ai le zèle du de- voir encore ; mais j'ai perdu celui de l'attachement.

Mais eft- elle cette patrie? exifte- t- elle encore ? Votre lettre décide cette queftion. Ce ne font ni les murs niles hommes qui font la patrie: ce font les loix 5 les mœurs, les coutumes, le Gouvernement , la conftitution , la ma- ;iiere d'être qui réiulte de tout cela.

La patrie eft dans les relations de

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384 L E T T B I

TLtat a fcs fT!cni!)rc5 : q'jand CCI rcU- tionsch : ou s'^ u , La pa-

trie s'évjnojit. Ainfî » * ;•

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Je me mc?^ , ^! ;r. a votre p!^

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cacle que vous avex tous les yeux» doit V . c ...

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trie n'eft plus, fe - _jr de

la fimille & un bjn pcre le confolc avec Tes , de ne plus vivre avec

fef frcrcs. V. fait c ' ^e

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ou déplacement, 2 de Genève , il me feroit trc»-ii^ux de vous f-

fcr : car bien que nous n* is

de comrrî •" '-»•»•• •*"îi;L..v ^.v..^;i- timens i, , que nous ne

cclTerons point d*ètrc concitoyens; & \i:% liens de l'elliiue & de lamitic de*

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pas de vous rivoit quepir vous vous

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A L. f". £• Dt

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LETTRE A M f T>, L £• DF ^.

v^'jf , SOI ? Dcf caoccs ! îams i^ . an mom éOÊ, > Noa Vnoc^ » ît oe iua fèntàdioi VcvùtÈCt , oo flctâtft t^f fins cocore; & «fcrgrc^feigr*?^ îe fie (im pas fi ^ daiM nés sa. ^ , Gue Scarroo féiok daas les fieas. Je ùipétu COBS ks îoors; des coop* i rerxire , 5c poioc de coe- Ceci m'a bies fair d'oc brok p:*- t.v* nire répaada par qoel^ofl Teac gil^oporer d'oar yd!fgfe de Ciêiçcmu E:7en Ax«teiirs , r -iCcne dacta*

qœr pfsctr

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kftàtes ie icxx sis à bmb»

les lesn* Paixs eft iooodé d'oo*

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bétife - ferî d^rrte . îfrr éç

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Q,iéY. toj:t,Tz:^^ \ i,

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384 Lettre

TEtat à fes membres : quand ces rela- tions changent ou s'anéantiilent, la pa- trie s'évanouit. Ainfî , Monfieur, pleu- rons la nôtre ; elle a péri; & fon {îmu- lacre qui refte encore, ne fert plus qu'à la déshonorer.

Je me mets , iMonfieur, à votre pla- ce; & je comprends comoien le fpec- tacle que vous avez fous les yeux , doit vous déchirer le cœur. Sans contre- dit on f juffre moins , loin de fon pays , que de le voir dans un état fi déplo- rable; mais les affeclions, quand la pa- trie n'eft plus 3 fe relTerrent autour de la famille, & un bon père fe confole avec fes enfans, de ne plus vivre avec fes frères. Cela me fait comprendre que des intérêts chers , malgré les objets qui vous affligent, ne vous permettront pas de vous dépayfer. Cependant s'il ar- rivoit que par voyage ou déplacement, vous vous éloignaiîîez de Genève , il me feroit très-doux de vous embraf- fer : car bien que nous n'ayons plus de commune patrie , j'augure des fen- timens qui nous animent, que nous ne ceflerons point d'être concitoyens; & les liens de l'eflime de de l'amitié de- meurent

À M. L. P. L. E. DE W. 387

meurent toujours quand même on a rompu tous les autres. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cœur.

LETTRE

A M. L. P. L. E. DE W.

II Mars 17^4.

V^ur 5 moî ? Des contes ! à mon âge 5c dans mon état? Non Prince, je ne fuis plus dans l'enfance , ou plutôt je n'y fuis pas encore ; & malheureufement je ne fuis pas (i gai dans mes maux, que Scarron Tétoit dans les fiens. Je dépe'ris tous les jours; j'ai des comp- tes à rendre, & point de contes à faire. Ceci m'a bien l'air d'un bruit prélimi- naire répandu par quelqu'un qui veut m'honorer d'une gentilîeiïe de fa façon. Divers Auteurs , non contens d'atta- quer mes fottifes , fe font mis à m'im- puter les leurs. Paris eft inondé d'ou- vrages qui portent mon nom, & dont on a foin défaire des chefs-d'œuvre de bétife , fans doute , afin de mieux trom- per les ledeurs. Vous n'imagineriez ja* (ê:uy, Fojèk, Tom. VT, R

sS6 Lettre

mais quels coups détournés on porte a ma réputation, à mes mœurs, à mes principes ; en voici un qui vous fera juger des autres.

Tous les amis de M. de Voltaire ré- pandent à Paris qu'il s'intéreiïe tendre- ment à mon fort , ( &: il efl: vrai qu'il s'y intérefle ). Ils font entendre qu'il eft avec moi dans la plus intime liaifon. Sur ce bruit une femme qui ne me con- noit point me demande par écrit quel- ques éclaircilTemens fur la Religion, éc envoie fa lettre à M. de Voltaire , Je priant de m.e la faire paiTer. M. de Voltaire garde la lettre qui m'eftadref^ fée 5 & renvoie à cette Dame, comme en réponfe , le fermon des cinquante. Surprife d'un pareil envoi de ma part, cette femme m'écrit par une autre voie (a) , & voilà comment j'apprends ce qui s' c ftp allé.

Vous êtes furpris que ma lettre fur la providence n'ait pas empêché Can- dide de naître ? C'eft elle, au contraire, qui lui a donné naiilance; Candide en

( i ) Cette lettre exifce parmi les papiers de M. Rouf- ^cau. Or. eu trouvera la réponfe iramédiatcmçnc ci- aprè;.

I

A M. L. P. L. E. DE W. 387

eft la réponfe. LWuteur m'en fît une de deux pages {h) , dans laquelle il bat- toit la campagne , & Candide parut dix mois après. Je voulols philofopher avec lui; en réponfe, il m'a perlifflé. Je lui ai écrit une fois que je le haïlTois; & je lui en ai dit les raifons. Il ne m'a pas écrit la même chjfe, mais il me l'a vivement fait fentir. Je me venge ea profitant des excellentes leçons qui font dans fes ouvrages, & je le force à con- tinuer de me faire du bien malgré lui. Pardon , Prince , voilà trop de Jé- rémiades; mais c'eft un peu votre faute fi je prends tant de plaifir à m'épan- cher avec vous. Que fait Madame la Princeffe ? Daignez me parler quelque- fois de fon état. Quand aurons- nous ce précieux enfant de l'amour qui fera l'élevé delà vertu? Que ne deviendra- t-il point fous de tels aufpices ? De quelles fleurs charmantes , de quels fruits délicieux ne couronnera - t - il point les liens de fes dignes parens ? Mais cependant quels nouveaux foins vous font impofés ? Vos travaux vont

\a) Ç'eû celle du iz Scpiembie 175 <s« ^

R2

3?-5 L E T T ?v E

redoubler ; y pourrez - vous fuffire : aurez - vous la force de perfévérec jufqu'à la fin ? Pardon , Monfieur le Duc, \os rentimens connus me font garans de vos fuccès. Aufii mon inquié- tude ne vient-elle pas de défiance , mais du vif intérêt que j'y prends.

LETTRE A MADAME DE B. (a)

Décembre 1763.

jEnVi rien , ^Madame , à vous dire fur îe jugement que vous avez porté de la probité de M de Voltaire ; je vous

(^) Foi ci le début delà lettre de Ma-r dame de B* à laquelle répond celle de IvL Roujfeau,

Paris, le 10 Novembre 1763,

« MONSîE UR, Il y a environ un mois que j'eus l'honneur de ji .vous écrire j ignorant votre adreffe , j'envoyai ma

3> lettre bien cachetée à M. de Voltaire , avec l'afTu- » rance de cette probité commune â tous ks honr.Cf c

A Madame de B. 5-85

dîral feulement que je n'ai point reçu la lettre que vous lui avez adrefléepour moi, Ik que je n'ai envoyé ni à vous ni à perfonne l'imprimé intitulé : Ser- mon des cinquante ^ que je n*ai même jamais vu. Du refte , il me paroît bizarre que pour me faire parvenir une lettre, vous vous foyezadreflé au chef de mes perfécuteurs,

A l'égard des doutes que vous pou- vez avoir , Madame , fur certains points de la Religion, pourquoi vous adref- fez-vous pour les lever à un homme qui n'en efl: pas exempt lui-même? Si malheureufement les vôtres tombent fur les principes de vos devoirs , je vous plains. Mais s'ils n'y tombent pas, de quoi vous mettez-vous en peine > Vous avez une Religion qui difpenfe de tout examen ; fu.ivez - la en (implicite de cœur. C'ell: le meilleur conleil que je puis vous donner, ^i je le prends au-

M gens , je le pciai de vo::s l'envoyer \ mais quelle a " été ma furpiile lorfque le 4 de ce mois j'ai reçu ea »♦ léponle un impiimé qui a pour titre : Sermon àzs " cinquante 1 Seroit-ce vous , Monfîeur , ou M. de Vol- M taire qui me l'avez envoyé ? Je n'ofe penfer quec'cft M vous, &c. &:c.

R3

5^o Lettre

tant que je peux pour moi-même.

Recevez , Madame^ mes falutatlons ic mon refpeét.

LETTRE

A MYLORD MARECHAL.

15 Mars 1764.

XL N F I N 5 Mylord , j'ai reçu dans for îemsparM. Rougemont, votre lettre du 2 Février, & c'efl: de toutes les ré- ponfes dont vous me parlez, lafeuh qui me (bit parvenue. J'y vois par vo- tre dégoût de PEcoiTe , par l'incertitude du choix de votre demeure, qu'un< partie de nos châteaux en Efpagne ef déjà détruite, & je crains bien que U progrès de mon dépérlffement , qu rend chaqi:e jour mon déplacement plu. diflicile , n'achevé de renverfer l'autre' Que le cœur de l'homme eft inquiet Quand j'étois près de vous, je foupi- Tois , pour y être plus à mon aife après le féjour de l'EcofTe ; & mainte fiant je donnerois tout au monde pou

A Mylord Maréchal. 591

vous voir encore ici Gouverneur de Neufchâtel. Mes vceux font divers, mais leur objet eft toujours le mênne. Re*. venez à Colombier , Mylord , cultiver votre jardin 6c faire du bien à des in- grats, même malgré eux ; peut-on ter- miner plus dignement fa carrière? Cette exhortation de ma part eft intéreiïee, j'en conviens. Mais li elle ofFenfoit vo- tre gloire 5 le cœur de votre enfant ne fe la permettroit jamais.

J'ai beau vouloir me flatter. Je vois, Mylord, qu'il faut renoncer à vivre au- près de vous 5 &: malheureufement je n'en perdrai pas û facilement le be- foin que refpoir. La circonftance vous m'avez accueilli , m'a fait une im- preiTion que les jours paiTe's avec vous ont rendus ineffaçables ; il me femble que je ne puis plus être libre que fous vos yeux, ni valoir mon prix que dans votre eftime. L'imagination du moins me rapprocheroit , fi je pouvoisvous donner les bons momens qui me ref- tent : mais vous m'avez refufé 6.23 mé- moires fur votre illuftre frère. Vous- avez eu peur que je ne fifTe le bel-ef- prit , & que je ne gâtaiTe la fublime {implicite du probus vixit^fortis obilc,

R4

5P2 Lettre

Ah, Mylord ! fiez-vous à mon cœur; il faura trouver un ton qui doit plaire au vôtre pour parler de ce qui vous appartient. Oui, je donnerois tout au monde pour que vous vouluiiiez me fournir des matériaux pour m'occuper de vous 5 de votre famille ; pour pou- .voir tranfmettre à la poTtérité quelque témoignage de mon attachement pour :Vous & de vos bontés pour moi. Si vous avez la complaifance de m'en voyer quel- ques mémoires 5 foyez perfuadc que vo- tre confiance ne lera point trompée, d'ailleurs vous ferez le jjge de mon tra- vail 5 & comme je n*ai d*autre objet que ^ defatisfaire uubefoinqui me tourmente, ^ il j'y parviens 5 j'aurai fait ce que j'ai , voulu. Vous déciderez du refte, ôc ; rien ne fera publié que de votre aveu, \ Penlez à cela , Mylord , je vous con- ; jure 5 & croyez que vous n'aurez pas i peu fait pour le bonheur de ma vie , \ fi vous me mettez à portée d'en con- facrer le. relie à m'occuper de vous.

Je fuis touché de ce que vous avez i ccrit à M. le Confeilîer Rougemont ' au fujet de mon teflament. Je compte, , fi je me remets un peu, l'aller voir cet ; été à Saint-Aubin, pour en conférer i

A Mylord Maréchal. 595 avec lui. Je me détournerai pourpar- fer à Colo.iiblcr, J'y reverrai du moins ce jardin , ces allées , ces bords du lac fe font fait defi douces promenades , de vous devriez venir les recom- mencer, pour réparer du moins , dans un climat qui vous étoit (alutaire , l'al- tération que celui d'Edimbourg a fait à votre (anté.

Vous me promettez , Mylord, de me donner de vos nouvelles , de de m'inf- truire de vos directions itinéraires. Ne l'oubliez pas 5 je vous en fupplie. J'ai été cruellement tourmenté de ce long filence. Je ne craignois pas que vous m'euiîiez oublié , mais je craignois pour vous la rigueur de l'hiver. L'été je crain- drai la mer, les fatigues les déplace- mens , & de ne favoir plus vous écrire.

LETTRE AU MEME.

31 Mars 17^4.

S

UR l'acquifition, Mylord, que vous avez faite , & fur l'avis que vous m'en avez donné; la meilleure réponfe que

5$4 L E T T R K

î*aye à vous faire, eft devoustranfcrîre ici ce que j'écris lur ce fujet à la per- fonne que je prie de donner cours à cette lettre, en lui parlant des accla- mations de vos bons compatriotes.

Tous les plaifîrs ont beau itre pour les méchans ; en voilà pourtant un que je leur dcfie de goûter. Il na rien eu de plus prejjé que de me donner avis du changement de fa fortune; vous devine:^ aiféjnent pourquoi. Félicite:^-moi de tous mes malheurs ^ Madame ; ils rn ont donné pour ami Mylord Maréchal*

Sur vos offres qui regardent Made- jnoifellele Vaiïeur&moi, jecommen- inencerai, Mylord, par vous dire que, loin de mettre del'amour-propre àme refufer à vos dons , j'en mettrois un très«noble à les recevoir. Ainfî là-defTus point dedifpute; les preuves que vous vous intérelîez à moi , de quelque gen- genre qu'elles puilTent être, font plus propres à m'enorgueillir qu'^à m'humi- lier, & je ne m'y refuferai jamais , foit dit une fois pour toutes.

Mais j'ai du pain quanta préfent , & au moyen des arrangemens que je mé- dite , j'en aurai pour le refte de mes jours. Que me ferviroit le furplus ?

A Mylôrd Maréchal. 595*

Rien ne me manque de ce que je cle- fire & qu'on peut avoir avec de. l'ar- gent. Mylord , il faut préférer ceux qui ont befoin à ceux qui n'ont pas be- foin 5 & je fuis dans ce dernier cas. D'ailleurs , je n'aime point qu'on me parle de teftamens. Je ne voudroispas être, moi le Tachant, dans celui d'unt indifférent ; jugez (i je voudrois me fa- voir dans le vôtre ?

Vous favez , Mylord , que Mademoi- felîe le Vaiïeur a une petite penilon de mon Libraire, avec laquelle elle peut vivre, quand elle ne m'aura plus. Ce- pendant j'avoue que le bien que vous voulez lui faire m'eft plus précieux que s'il me regardoit directement , 6c je fuis extrêmement touché de ce moyen trou- vé par votre coeur , de contenter la bien- veillance dont vous m'honorez. Mais s'il fe pouvoit que vous lui affignaffiez plutôt la rente de la fomme que la îomme même , cela m'éviteroit l'embar- ras de chercher à la placer , forte d'af- faire où je n'entends rien.

J'efpere, Mylord, que vous aurez reçu ma précédente lettre. M'accorde- rez-vous des mémoires ? pourrai- je écri- re l'hiftoire de votre Maifon? Pour-

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506 ^ Lettre

rai-je donner quelques éloges à ces bons Ecoiïbis à qui vous êtes ii cher , de qui par-là, me font chers auiîi?

LETTP.E AU MÊME.

Avril 17^4.

J'ai répondu très-exadement, My- lord, à chacune de vos deux lettres du ^ Février & du 6 ?vlars, & j'efpere qne vous ferez content de ma façon de penfer fur les bontés dont vous m'ho- norez dans la dernière. Je recois à Tinf- tant celle du 26 Mars , 8c j'y vois que vous prenez le parti que j'ai toujours prévu que vous prendriez à la fin. En vous menaçant d'une defcente , le Roi î'a efi'eclué , & quelque redoutable qu ii foit, il vous a encore plus furement conquis par fa lettre (a) ^ qu'il n'auroit

ia) Voici cette lettre que la verfion qu'en a publiée M. «l'A. dans Ton éloge de Lord Maréchal d'Ecode, nous autorife à donner ici.

Je difputerois bien avec les habitans d'Edimbourg Tavantage de vouspofiTéder ; fi j'avois des vaiflèaux , je naédiçeiois une defcente en EcolTe pour ealevet niça

^■«3,

. k (etpere

•:Ç03

A Mylokd Maréchal. 597

fait par (es armes. L'afyle qu'il vous prefTe d accepter, eft le feul digne de vous; allez, Mylord, à votre deflina- tion , il vous convient de vivre auprès de Frédéric , comme il m'eût convenu de vivre auprès de George Keith. il n'eft ni dans l'ordre de la juftice , ni dans celui de la fortune , que mon bon- heur foit préféré au vôtre. D'ailleurs mes maux empirent & deviennent prel- que infupportables; il ne me rcftequ'à foufirir & mourir furla terre; & en vé- rité c'eût été dommage de n'aller vous joindre que pour cela.

Voilà donc ma dernière efDerance

évanouie ?*lylord , puifque vous

voilà devenu il riche & fi ardent à verfer fur moi vos dons , il en eft un

cher ^TyIor<l & pour l'emmener ici ; mais ncs barques de l'Elbe Ton peu propres à une pareille expédition. Il n'y a que vous fur rjui je puiiTe compter, J'étois ami de votre frère , je lui avois des obligations , je fuis le votre de cœur & d'ame ; voilà mes titres \ voilà les droits que j'ai fur vous ; vous vivrez ici dans le fein de l'amitié, de la liberté & de la philofophie il n'y a que cela dans le m-onde, mon cher Mylord 5 ^ ;and on a paffé par toutes les méramorphofes des cuts, quand on a goû^é de tout , on en revient ià>

5o"6 ' Lettre

rai- je donner quelques éloges à ces bons Ecoiïbis à qui vous êtes ii cher , de qui par-là, me font chers auili?

LETTP.E AU MÊME.

Avril 17^4.

J'ai répondu très-exadement, My- lord , à chacune de vos deux lettres du 12. Février & du 6 Mars, & j'efpere qne vous ferez content de ma façoa de penfer fur les bontés dont vous m'ho- norez dans la dernière. Je recois à Tinf- tant celle du 26 Mars 5 & j'y vois que vous prenez le parti que j'ai toujours prévu que vous prendriez à la fin. En vous menaçant d'une defcente , le Roi l'a efFeclué ,& quelque redoutable qu'il foit, il vous a encore plus lursment conquis par fa lettre {a)^ qu'il n'auroit

ia) Voici cette lettre que la verfîon qu'en a publiée M. â'A. dans fon éloge de Lord Maréchal d'Ecoffe, nous aurorife à donner ici.

Je difputerois bien avec les habitans d'Edimbourg Tavantage de vouspofféder ; j'avois des vaifTeaux , \t naéditeiois une defcente en EcoiTe pcar ealever in.ç>a

A Mylord Maréchal. 5P7

fait par Tes armes. L'afyle qu'il vous prefle d accepter, eft le feul digne de vous; allez, Mylord, à votre deflina- tion , il vous conviei>t de vivre auprès de Frédéric , comme il m'eût convenu de vivre auprès de George Keith. il n'eft ni dans l'ordre de la juftice , ni dans celui de la fortune , que mon bon- heur foit préféré au vôtre. D'ailleurs mes maux empirent & deviennent prel- que infupportables; il ne me reftequ'à fouHrir & mourir furla terre; &: en vé- rité c'eût été dommage de n'aller vous joindre que pour cela.

Voilà donc ma dernière efoérance

évanouie ?»lylord , puifque vous

voilà devenu riche de fi ardent à verfer fur moi vos dons , il en efl un

cher ATylord & pour l'emmener icî ; mais nos barques de l'Elbe fon peu propres à une pareille expédition. Il n'y a que vous fur qui je puiiTe compter. J'étois ami de votre frère , je lui avois des obligations , je fuis le votre de cœur dz d'ame ; voilà mes titres \ voilà les droits que j'ai fur vous •■, vous vivrez ici dans le fein de l'amitié, de la liberté & de la philcfophie il n'f a que cela dans le monde, mon cher Mylord J ^uand on a pafTé par toutes les méramorphofes des cfats, quand on a goûté de tout , on en revient là.

5P§ L E T T Px e , <^^.

que j'ai fouvent defiré , & qui maîheu» xenfement me devient plus defirabîe en- core , lorfque je perds Tefpoir de vous revoir. Je vous laifîe expliquer cette énigme. Le cœur d'un père efl fait pour la deviner.

Il eftvraiquele trajet que vouspré- férez vous épargnera de la fatigue. Mais fi vous n'étiez pas fait à la mer, elle pourroit vous éprouver beaucoup à votre âge, fur-tout s'il furvenoit du gros tems. En ce cas^ le plus long trajet par terre me paroîtroit préférable , même au rifque d'un peu de f.itigue de plus. Comme j'efpere auili que vous attendrez, pour vous embarquer, que la fai(on foit moins rude , vous voulez bien, Mylord, que je com.pte encore fur une de vos lettres avant votre départ.

399

LETTRE

A M. A.

Motiers-Travers , le 7 Avril 17^4.

J_j'ftat oùj'étois, Monfîeur, au mo- ment où votre lettre me parvint, m'a empêché de vous en accuier plutôt la réception , & de vous remercier, com- me je fais aujourd'hui , du plaifir que m'a fait ce témoignage de votre fou- venir. J'en fuis plus touché que fur- pris, <k j'ai toujours bien cru que l'a- mitié dont vous m'honoriez dans mes jours profperes, ne fe réfroidlroit ni par mes difgraces , ni par mon exil. De mon côté, fans avoir avec vous de relations fuivies , je n'ai point cefTé , Monfieur , de prendre intérêt aux chan- gemens agréables que vous avez éprou- vés depuis nos anciennes liaifons. Je ne doute point que vous ne foyez aufîi bon mari èc auiÏÏ digne père de famille, que vous étiez homme aimable étant garçon ; que vous ne vous appliquiez à donner à vos enfans une éducation rai- fonnable ôc vercueufe , ^ que vous ns

^ôo "C r. r r K^

falTiez le bonheur d'une femme de me-' j'ite qui doit faire le vôtre. Toutes ces idées 5 fruits de l'euime qui vous eft due 3 me rendent la vôtre pius précieufe. Je voudrois vous rendre compte de înoi pour répondre à l'intérêt que vous daignez y prendre; mais que vous dirois- je ? Je ne fus jamais bien grand'chofe; maintenant je ne fuis plus rien ; je me regarde comme ne vivant déjà plus. Ma pauvre machine délabrée me laiiTera jufqu^au bout, j'efpere , une ame faine quant aux fentimens & à la volonté ; mais du côté de Tentendement & des idées , je fuis aufli malade de refprit que du corps. Peut-être eft-ce un avan- tage pour ma fituation. Mes maux me rendent mes malheurs peu fenfibles. Le coeur fe tourmente moins quand le corps fouifre , èc h nature me donne tant d'affaires que l'injuftice des hom- mes ne me touche plus. Le remède eft cruel, jeTavoue, mais enfin c'eneftiin pour m.oi. Car les plus vives douleurs me laifTent toujours quelque relâche, au lieu que les grandes affliétions ne m'en laifTent point. îl eft donc bon que je fouffre, & que je dépériffe pour êtrem.oinsat- triiléj 6c i'aimerois mieux être Scarron

A M. A. 401

malade , que Timon en fanté. Mais fi je fuis déformais peu fenfible aux peines, je le fuis encore aux confolaiions; oc c'en fera toujouurs une pour moi d'appren- dre que vous vous portez bien^que vous êtes heureux , & que vous continuez de m'aimer. Je vous falue , Monfieur, & vous embralTe de tout mon cœur.

LETTRE A MADEMOISELLE D. M.

7 al 17^4.

J E ne prendspas le change , Henâette, fur l'objet de votre lettre, non plus que fur votre date de Paris. Vous re- cherchez moins mon avis fur le parti que vous avez à prendre , que mon ap- probation pour celui que vous avez prij. Sur chacune de vos lignes jje lis ces mot écrits en gros caractères : Voyons fi vous aure:^ le frora de con- ddmner à ne plus peiifer ni lire , qtiel- qùun qui penfe & écrit airiji. Cette interprétation n'eft allurément pas un reproche ; & je ne puis que vous

402 Lettre

favoir gré de me mettre au nombr'e de ceux dont les jugemens vous im- portent. Mais en me flattant , vous n'exi- gez pas 5 je crois 5 que je vous flatte^ & vous déguifer mon fentiment , quand il y va du bonheur de votre vie^fe- roit mal répondre à Thonneurque vous m'avez fait.

Commençons par écarter les délibé- rations inutiles. Il ne s'agit plus de vous réduire à coudre & broder. Henriette, on ne quitte pas fa tête comme Ton bon- net , & l'on ne revient pas plus à la {Implicite qu'à l'enfance ; refprit une fois en eifervefcence , y refte toujours, de quiconque a penfé penlera toute fa vie. C'eft-là le plus grand malheur de l'é- tat de réflexions; plus on en fent les maux, plus on les augmente, & tous nos efforts pour en fortir, ne font que nous y em.bourber plus profondément.

Ne parlons donc pas de changer d'é- tat, mais du parti que vous pouvez tirer du vôtre. Cet état e(ï malheureux , il doit toujours l'être. Vos maux font grands & fans remède ; vous les fen- tez, vous en gémifTe: , & pour les ren- dre fupportables ^ vous cherchez du moins un palliatif. N'efl:-ce pas Tob-

A Mademoiselle D. M. 403

]et que vous vous propofez dans vos plans d'études & d'occupations.

Vos moyens peuvent être bons dans une autre vue, mais c'eft votre fin qui vous trompe , parce que ne voyant pas la véritable fource de vos maux , vous en cherchez TadoucifTement dans la caufe qui les fit naître. Vous les cher- chez dans votre fituation 5 tandis qu'ils font votre ouvrage. Combien de per- fbnnes de mérite nées dans le bien-être, ôc tombées dans l'indigence , l'ont fup- portée avec moins de fuccès Se de bon- heur que vous, & toutefois n'ont pas CCS réveils triftes & cruels dont vous décrivez l'horreur avec tant d'énergie. Pourquoi cela? Sans doute elles n'au- ront pas, direz -vous, une ame aufîi fenfible. Je n'ai vu perfonne en ma vie qui n'en dît autant. Mais queft-ce en- fin que cette fenfibilité fi vantée? Vou- lez vous le favoir, Henriette? C'eft en dernière analyfeun amour-propre qui fe compare. J'ai mis le doigt fiar le îiége du mal.

Toutes vos miferes viennent & vien- dront de vous être affichée. Par cette manière de chercher le bonheur , il eft impolTible qu'on le trouve. On n'obtient

404 Lettre

jannaîs dans Topinion des autres la pîacô qu'en V Drétend. S'ils nous Taccordent Si quelques égares , ils nous la refafent à mille autres , ôc une feu'e exclufrort tou?rrîente plus que ne flattent cent préféiences. Ceft bien pis encore dans une femme qui voulant fe faire homme , met d'abord tout Ton fexe contre elle , & n'ell: jamais pri-e au m.ot parle nô- tre ; en forte que fon orgueil eft fou vent aulfi mortifié par les honneurs qu'on lui rend, que par ceux qu'on lui refufe. Elle n'a jamais précifénient ce qu'elle veut . parce qu'elle veut des chofes contradictoires, & qu'ufurpant les droits d'un fexe , fans vouloir renoncer à ce..x de l'autre, elle n'en pofTede au- cun pleinement.

Md.b le gi and malheur d'une femme qui s'alHche , eft de n'attirer, ne voir que des gens qui font comme eîle,& d'écarter le mérite folide di m.odefte qui ne s'affiche point , & qui ne court point s'afTemble la foule. Perfonns ne juge fi mal & fi fdulTement des hom- mes, que les gens à prétentions; car ils ne les jugent que d'après eux-mê- mes, & cequileurrefTembîe ; & cen'eft certainement pas voirie genre humain

A Mademoiselle D. M. 405*

par Ton beau côté. Vous êtes mécon- tente de toutes vos lociéîés ; je îe crois bien. Celles vous avez vécu étoient les moins propres à vous rendre heu- reufe. Vous n'y trouviez perfonne en qui vous puiiliez prendre cette con- fiance qui foulage. Comment l'auriez- vous trouvée parmi d^s gens tout oc- cupés d'eux feuls , à qui vous deman- diez dans leur coeur la premiereplace, .& qui n'en ont pas même une (econde à donner ? Vous vouliez briller, vous vouliez primer , de vous vouliez être aimée; ce font des chofes incompati- bles. Il faut opter. Il n'y a point d'a- mitié fans égalité ;& il n'y a jamais d'é- galité reconnue entre gens à prétention. Une fuffit pas d'avoir befoin d'un ami pour en trouver; il faut encore avoir de quoi fournir aux befoins d'un autre. Parmi les provifions que vous avez faites, vous avez oublié celle-là.

La marche par laquelle vous avez acquis des connoiiïances, n'en juftifie ni l'objet ni l'ufage ; vous avez voulu paroître phiîofophe , c'étoit renoncer à l'être ; 6c il valoit beaucoup mieux avoir l'air d'une flile qui attend un ma- rip que d'un fage qui attend de l'encens.

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4o5 Lettre

Loin de trouver le bonheur dans l'effet des foins quevous n'avez donnés qu'à la feule apparence , vous n'y avez trou- vé que desbiens apparens 5 & des maux véritables. L'état de réflexion ou vous vous êtes jettée, vous a fait faire' incef^ famment des retours douloureux fur vous même 5 & vous voulez pourtant bannir ces idées par le même genre d'oc- cupation qui vous les donna.

Vous voyez l'erreur de la route que vous avez prife , & croyant en chan- ger par votre projet , vous allez encore au même but par un détour. Ce n'efl point pour vous que vous voulez re- venir à l'étude, c'eft encore pour les autres. Vous voulez faire des provi- fîons de connoifTances pour (uppléer , dans un autre âge, à la figure; vous voulez fubftituer l'empire du favoir à celui des charmes.

Vous ne voulez pas pas devenir la complaifante d'une autre femme , mais vous voulez avoir des complaifans. Vous voulez avoir des amis , c'eft-à- dire une cour. Car les amis d'une femme jeune ou vieille , font toujours (qs cour- tifans, lis la fervent ou la quittent ; &: vous prenez de loin des mefures pour

A Mademoiselle D. M. 407

les retenir, afin d'être toujours le cen- tre d''jne (phere petite ou grande. Je crois fans cela que les provifions que vous voulez faire , feroient la chofe la plus inutile, pour l'obiet que vous croyez bonnement vous propofer. Vous voudriez , dites-vous , vous mettre en état d'entendre les autres. Avez-vous befoin d'un nouvel acquis pour cela? Je ne fais pas au vrai quelle opinion vous avez de votre intelligence actuelle; mais du(îîez-vous avoir pour amis des (Sdipes, j'ai peine à croire que vous foyez fort curieufe de jamais entendre les gens que vous ne pouvez entendre aujourd'hui. Pourquoi donc tant de foins pour obtenir ce que vous avez déjà ? Non Henriette , ce n'efl pzis cela; mais quand vous ferez une Sybiîle, vous voulez prononcer des oracles ; votre vrai projet n'eft pas tant d'écouter les autres , qued':ivoir vous-même des au- diteurs. Sous prétexte de travailler pour l'indépendance , vous travaillez encore pour la domination. C'eft ainfi que loin d'alléger le poids de l'opinion qui vous rend malheureufe , vous vouLz. en ag- graver le joug. Ce n'eft pas le moyen de vous procurer des réveils plus fereins»

4o8 Lettre

Vous croyez que le feul foulagement du fentiment pénible qui vous tour- mente 5 efl: de vous éloigner de vous. Moi tout au contraire , je crois que c'efl de vous en rapprocher.

Toute votre lettre efl: pleine de preu- ves que jufqu'ici , l'unique but de toute votre conduite, a été de vous mettre avantageufem-ent fous les yeux d'autrui. ' Comment , ayant réufli dans le public autant que perfonne , & en rapportant fi peu de fatisfadion intérieure , n'avez- vous pas fenti que ce n'étoit pas Ià!e bonheur qu'il vous falloit , & qu'il étoit tem.s de changer de plan ? Le vôtre peut être bon pour la gloire , mais il efl: mauvais pour la félicité. Il ne faut point chercher à s'éloigner de foi, parce que cela n'eft pas poflible , & que tout nous y ramené , mialgré que nous en ayons. Vous convenez d'avoir pafTé des heures très-douces en m'écrivant &: me parlant devous.IIeftétonnant que cette expé- rience ne vous mette pas fur la voie, & ne vous apprenne pas vous devez cher- cher, fînon le bonheur, au moins la paix.

Cependant, quoique mes idées en ceci difj'erent beaucoup des vôtres, nous femmes à-peu-près d'accord fur

CQ

A Mademoiselle D. M. 40^

ce que vous devez faire. L'étude efl déformais pour vous la lance d'Achille , qui doit guérir la bleffure qu'elle a faite. Mais vous ne voulez qu'anéantie la douleur, & je voudrois ôter la caufe du mal. Vous voulez vous diftraire de vous par la philofophie; moi, je vou- drois qu'elle vous détachât de tout, & vous rendît à vius-mcme. Soyez fure que vous ne ferez contente des autres que quand vous n'aurez plus befoin d'eux , de que la fociété ne peut vous devenir agréable , qu'en cefTant de vous être nécefTaire. N'ayant ja- mais à vous plaindre de ceux dont vous n'exigerez rien , c'eft vous alors qui leur ferez nécefTaire ; & fentant que vous vous fuffifez à vous-même , ils vous fauront gré du mérite que vous voulez bien mettre en commun. Ils ne croiront plus vous faire grâce; ils la recevront toujours. Les agrémens de la vie vous rechercheront , par celafeui, que vous ne les recherche- rez pas; & c'eft alors que, contente de vous , fans pouvoir être mécon- tente des autres , vous aurez un fom- meil paifible de un réveil délicieux. Il eft vrai que des études faites dans e^uy, Fojik. Tom.VL S

4IO Lettre

des vues fi contraires , ne doivent pas beaucoup fe reffembler, & il y a bien de la différence entre la culture qui orne Telprit , de celle qui nourrit Tame, Si vous aviez le courage de goûter vn projet , dont l'exécution vous fera d'abord très-pénible , il faudroit beau- coup changer vos direélions. Cela de- manderoit d'y bien penfer, avant de fe mettre à Touvrage. Je fuis malade , occupé, abattu, j'ai l'efprit lent; il me faut des efforts pénibles pour fortir du petit cercle d'idées qui me font familières , &: rien n'en eft plus éloigné que votre fituation. Il n'eil: pas julte que je me fatigue à pure perte; car j'ai peine à croire que vous vouliez en- treprendre de refondre , pour ainfi dire , toute votre conflitution morale. Vous avez trop de philofophie pour ne pas voir avec effroi cette entre- prife. Je défefpérerois de vous, fi vous vous y mettiez aifément. N'allons donc pas plus loin quant à préfent II fuffit que votre principale queftion eft réfo- lue : fuivez la carrière â^s Lettres II ne vous en refte plus d'autre à choifir. Ces lignes que je vous écris à la hâte^ diftrait & fouffrant, ne difent

A MadetuOiselle D. m, 411

peut-être rien de ce qu'il faut dire : mais les erreurs que ma pre'cipitation peut m'avoir fait fliire , ne font pas irréparables. Ce qu'il falloit avant toute chofe, étoit de vous faire fen tir com- bien vous m'intéreflez ; & je crois que vous n'en douterez pas en lifant cette lettre. Je ne vous regardois jufqu'icî que comme une belle penieufe qui, fi elle avoit reçu un caradere de la na- ture, avoit pris foin de l'étouffer, de l'anéantir fous l'extérieur; comme un de ces chefs-d'œuvre jettes en bronze, qu'on adTiire par les dehors , & dont le dedans efl vide. Mais R vous fa- vez pleurer encore fur votre état, il n'eft pas fans refTource ; tant qu'il refte au cœur un peu d'étoffe, il ne faut défefpérer de rien,

LETTRE

A L A MÊME.

Mo tins , 4 Novembre 1764»

Jj r votre fîtuatîon , Mademoifelle , vous laifTe à peine le tems de m'écrirez

S a

^11

Lettré

vous dev€Z concevoir que la mienne m'en laifFe encore moins pour vous répondre. Vous n'êtes que dans la dé- pendance de vos affaires , & des gens ù qui vous tenez; & moi je fuis dans celle de toutes ies affaires 6c de tout le monde , parce que chacun me ju- geant libre 5 veut par droit de premier occupant difpofer de moi. D'ailleurs, toujours harcelé, toujours fouffrant, accablé d'tnnuis , & dans un état pire que le vôtre , j'emploie à refpirer le peu de momens qu'on me laifTe; je fuis trop occupé pour n'être pas pa- xeiïèux, Depuis un mois, je cherche un moment pour vous écrire à mon sife : ce mom.ent ne vient point; il faut donc vous écrire à la dérobée ; car vous m'intérefTcz trop pour vous laiiTer fans réponfe. Je connois peu de gens qui m'attachent davantage , & perfonne qui m/étonne auti-nt que vous. Si vous avez trouvé dans ma lettre beaucoup de chofcs qui ne quadroient pas à la vôtre : c'eft qu'elle étoit écrite pour une autre que vous. Il y a dans votre ftuation des rapports (i frap- pans avec celle d'une autre perfonne, qui j précifément étolt à Neufchâtel

A Mademoiselle D. M. 4.15

quand je reçus votre lettre , que je ne doutai point que cette lettre ne vint d'elle 5 &: je pris le change , dans l'i- dée qu'on cherchoit à me le donner. Je vous parlai donc moins fur ce que vous me difiez de votre caraaere, que fur ce qui m'étoit connu du fien. Je crus trouver dans fa manie de s'af- ficher^ car c'eft une favante & un bel- efprit en titre, la raifon du maKaife intérieur dont vous me faifîez le dé- tail; je commençai par attaquer cette manie, comme fi c'eût été la vôtre, &: je ne doutai point qu'en vous ra- menant à vous-même, je ne vous rap-. pro:hafîe du repos , dont rien n'ed plus éloigné, lelon moi, que Tétat d\ine. femme qui s'affiche.

Une lettre faite far un pareil qui- proquo, doit contenir bien des ba- lourdifes. Cependant il y avoit cela de bon dans mon erreur, qu'elle me donnoit la clef de l'état mora! de celle à qui je penfjis écrire ; &c fur cet état fuppofé , je croyois entrevoir un pro- jet à fiaivre, pour vous tirer des an- goifles que vous me décriviez, fans recourir aux difiraélions qui , félon vous, en font le feul remède, & qui,

S3

4î4 Lettre

félon moî , ne font pas mé-^ne un pal- liatif. Vous m'apprenez que je me fuis trompé, & que je n'ai rien vu de ce que je croyois voir. Comment trou- verois-je un remède à votre état, puif- que cet état m'efl: inconcevable? Vous m'êtes une énigme affligeante & hu- miliante. Je croyois connoître le cœur humain , & je ne connois rien au vô- tre. Vous fouiïrez , ôi je ne puis vous foui âge r.

Quoi ! parce que rien d'étranger à vous ne vous contente, vous voulez vous fuir ; & parce que vous avez à vous plaindre des autres , parce que vous les mépiiiez, qu'ils vous en ont donné le droit 5 que vous fentez en vous une ame digne d'cilime. vous ne voulez pas vous confoler avec elle, du mépris que vous jnfpirent celles qui ne lui reiïemblent pas ? Non , je n'entends rien à cette bizarrerie , elle me paiïe.

Cette fenfibilité qui vous rend mé- contente de tout, ne devoit-elle pas fe replier fur elle-même ? ne devoit- elle pas nourrir votre cœur d'un fen- timent fublime & délicieux d*amour- propre ? n'a-t-on pas toujours en lui la reiïburce contre l'injurtice Ôc le dé-

A Mademoiselle D. M. 415'

dommagement de rinfenfîbilité ? Il ciï rare, dites-vous, de rencontrer une ame; il eft vrai; mais comment peut-on en avoir une, & ne pas fe complaire avec elle ? Si l'on fept à la fonde , les autres étroites 8c refTer- rées , on s'en rebute , on s'en détache; mais après s'être fi mal trouvé chez les autres, quel plaifir n'a-t-on pas de rentrer dans fa maifon? Je fais com- bien le befoin d'attachement rend af- fligeante aux cœurs fenfibles, rimpof- fibillté d'en former. Je fais combien cet état eft trifte ; mais je fais qu'il a pourtant des douceurs ; il fait verfet des ruiifeaux de larmes; il donne une mélancolie qui nous rend témoignage de nous - mêmes, & qu'on ne voudroit pas ne pas avoir. Il fait rechercher la folitude comme le feul afyle Ton fe retrouve avec tout ce qu'on a rai^ fon d'aimer. Je ne puis trop vous le redire ; je ne connois ni bonheur ni repos dans l'éloignement de foi-méme ; & au contraire je fens mieux, de jour en jour, qu'on ne peut être heureux fur la terre, qu*à proportion qu'on s'é- loigne des chofes, & qu'on fe rap- proche de foi. S'il y a quelque fenti-

S4.

41^ Lettre i

ment plus doux que Teflime de foi- ; même; s'il y a quelque occupation plus | aimable que celle d'augmenter ce fen- 1 timent , je puis avoir tort. Mais voilà ] comme je penfe; jugez fur cela, s'il l m'eft poflibie d'entrer dans vos vues, \ ^ même de concevoir votre état, i

Je n-e puis m'empêcher d'efpéreren- j core que vous vous trompez fur le i principe de votre mal-aife , ôc qu'au | lieu de venir du fentiment qui *réflé- | chit fur vous-même, il vient au con- ; traire de celui qui vous lie encore à * Votre infçu , aux chofes dont vous vous \ croyez détnchét^, & dont peut-être vous | défefpérez feulement de jouir; je vou- : drois que cela fût ; je verrois une , prife pour agir; mais fi vous accufez \ jufte 5 je n'en vols point. Si j'avois ac- , tueilement fous les yeux votre pre- i miere lettre, & plus de loifir pour y ! réfléchir , peut-être parviendrois-je à | vous comprendre, & je n'y épargne- j rois pas ma peine ; car vous m'inquié- ' tez véritablement ; mais cette lettre ; eft noyée dans des tas de papiers; il ; me faudroit, pour la retrouver, plus de tems qu'on ne m'en laiiïe ; je fuis forcé de renvoyer cette recherche à !

A Mademoiselle D. M. 417

d'autres momens. Si rinuti:i:é de notre coirefpondance ne vo'js rebutoit pas de m'écrire, ce fcrolt v raife t. bk-ib! sè- ment un naoyen de vous entendre à la fin. Mais je ne puis vous prjin^ttre plus d'exaâitude dans mes répoiifes , que je ne fuis en état d'y en niettre ; ce que je vous promets, & que je tien- drc;i bien , c'eft de m'occuDer beau- coup de vous , & de ne vous oublier de ma vie. Votre dernière lettre , phine de traits de lumière cc de fentimeis profonds, m'afFedle encore plus que la précédente. Quoi que vous en puifilez dire, je croirai toujours qu'il ne tierit qu'à celle qui l'a écrite , de fe plaire avec elle-même, & de fe dédomma- ger par- des rigueurs de Ton fort.

L E T T Pv E - A MADEMOISELLE G,

En lui envoyant un lacet,

14 Mai 1754.

' _. E préfent, ma bonne amie, vous fut dôiliné du moment que j'eus le bien

4îS L E T T H ff

de vous connoître , Se quoi qu'en pût dire votre modelHe, j'étois fur qu'il auroit dans peu fon emploi. La ré- compenfe fuit de près la bonne oeu- vre. Vous étiez cet hiver garde-ma- lade 5 & ce printems Dieu vous donne un mari; vous lui ferez charitable, & Dieu vous donnera des enfans ; vous les élèverez en fage mère, ils vous ren- dront heureufe un jour. D'avance vous devez Tétre par les foins d'un époux aimable & aimé, qui faura vous ren- dre le bonheur qu'il attend de vous» Tout ce qui promet un bon choix , m'eft garant du vôtre ; des liens d'ami-^ tié formés dès l'enfance, éprouvés par le tems , fondés fur la connoiffance' des caraderes, l'union des coeurs que le mariage affermit , mais ne produit pas, l'accord des efprits des deux parts la bonté domine, & la gaieté de l'un , la folidité de l'autre fe tem- pérant mutuellement, rendront douce & chère à tous deux l'auftere loi qui fait fuccéder aux jeux de Tadolefcence des foins plus graves, mais plus tou- cbans. Sans parler d'autres convenant ces^ voilà de bonnes raifons de comp- îer pour touie h \h fur ur* bonheur

A MADEMÔtSELtE G. 4ip

coinmun dans Tétat vous entrez , & que vous honorerez par votre con- duite. Voir vérifier un augure fi bien fondé, fera 5 chère Ifabelle , une con- folation très-douce pour votre ami. Du refte , la connoifTance que j'ai de vos principes 5 & l'exemple de Ma- dame votre fœur, me difpenfent de faire avec vous des conditions. Si vous n'ai- mez pas les enfans , vous aimerez vos devoirs. Cet amour me répond de l'au- tre, & votre mari dont vous fixerez les goûts fur divers articles , faura bien changer le votre fur celui-là.

En prenant la plume, fétois plein de ces idées. Les voilà pour tout com- pliment. Vous attendiez peut-être une lettre faite pour être montrée ; mais auriez -vous me la pardonner, & recorinoîtriez-vous l'amitié que vous m'avez infpirée , dans une épitre je fongerois au Public en parlant è VoM ?

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de VOW coimolffc , & quoi qu'en pût diri irof-c modriric , : qu'il

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A MADEMOTSELtt G. 419 commun dans l'état vous entrez , &: que vous honorerez par votre con- duire. Voir vérifier un augure il bien fondé, fera , chère Ifabelle , une con- folation très-douce pour votre ami. Du refte , la connoifTance que j'ai de vos principes, & l'exemple de Ma- dame votre fœur, me difpenfent de faire avec vous des conditions. Si vous n'ai- mez pas les enfans , vous aimerez vos devoirs. Cet amour me répond de l'au- tre, & votre mari dont vous fixcrcr les goûts fur divers articles , faura bif^ changer le vôtre fur celui-là.

En prenant la plume, férois f-> CL'S idées. Les voilà pour :-'«-'*•" '•'^' ous attendiez pcL'f -'"^ oour être tnoot' du me la pitéoÊff .V V f^ ^

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4^0 L E T T R s

LETTRE ^ M. D E p.

*3 Mai 1764.

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E fais, Monlîeur 5 que depuis deux ans Paris fourmille d'écrits qui por- tent mon nom, mais dont heureufement peu de gens font \ts dupes. Jen'ai ni écrit ni vu ma prétendue lettre à M, TAr- chevêque d'Aufch , 6c la date de Neuf- châtel prouve que l'auteur n'eft pas même inftruit de ma demeure.

Je n'avois pas attendu les exhorta- tions des Proteftans de France pour réclamer contre les mauvais traitemens qu'ils eiTi-iyenr. Ma lettre à M. l'Ar- chevéque de Paris porte un témoi- gnage affez éclatante du vif intérêt que je prends à leurs peines ; il feroit dif- ficile d'ajouter à la force des raifons que j'apporte pour engager le Gou-^ vernement à les tolérer, & j'ai même lieu de préfumer qu'il y a fait quelque attention. Quel gré m'en ont- ils fu ? On diroit que cette lettre qui a ramené

A M. D E P. 4.21

tant de Catholiques , n'a fait qu'ache- ver d'aliéner les Proteftans; fc com- bien d'enir'eux ont oie m'en faire un nouveau crime? Comment voudriez- vous, Moniteur, que je prifle avec fuccès leur défenfe lorfque j'ai moi- mem.e à me déiendre de leurs outra- ges? Opprimé, periécuté, pourluivi chez eux de toutes parts comme un fcélérat, je les ai vu tous réunis pour achever de m'accabler; & lorfqu'enfin la protedion du Roi a mis m.a per- fonne à couvert, ne pouvant plus au- trement me nuire , ils n'ont cefTé de m'injurier. Ouvrez jufqu'à vos Mercu- res , & vous verrez de quelle façon ces charitables chrétiens m'y traitent : fi je continuois à prendre leur caufe, ne me demanderoit-on pas de quoi je me mêle ? Ne jugeroit-on pas qu'appa- rem.ment je fuis de ces braves qu'on mené au combat à coups de bâton ? 53 Vous avez bonne grâce de venir w nous prêcher la tolérance, me di- 33 roit-on , tandis que vos gens fe men- as trent plus intolérans que nous. Vo- 33 tre propre hifloire dément vos prin- 53 cipes, ^v prouve que Içs Réformés ^

425 L E T •î' B B

» doux peut-être quand ils font îoU 53 blés , font très-violens fitôt qu'ils^ ^5 font les plus forts. Les uns vous 33 décrètent , les autres vous bannif- 3> fent 5 les autres vous reçoivent ea 33 rechignant. Cependant vous voulez 33 que nous les traitions fur des maxi- 33 mes de douceur qu'ils n'ont pas 33 eux-mêmes ! Non , puifqu'ils perfé- 33 cutent , ils doivent être perfécutés^ 33 c'eft la loi de Téquité qui veut qu'on 33 faffe à chacun comme il fait aux au- 33 très. Croyez -nous 5 ne vous mêlez; 33 plus de leurs affaires, car ce ne font 33 point les vôtres. Ils ont grand foi» 3;3 de le déclarer tous les jours en vous 33 reniant pour leur frère , en protef- M tant que votre Religion n'eft pas 1^ 73 leur 33,

Si vous voyez, Monfieur, ce que' j'aurois de folide à répondre à ce dif-* cours, ayez la bonté de me le dire, quant à moi je ne le vois pas. Et puis, que fais- je encore ? Peut être en vou-* îant les défendre, avancerois-je pac finégarde quelque héréfie, pour laquelle^ On me feroit faintement brûler. Enfin, je fuis abattu , découragé'^ fouffrant^

A M. D E P. 4IÎ

te Ton me donne tant d'affaires à moî- méme , que je n'ai plus le tems de me mcler de celles d'autrui.

Recevez mes falutations , Monfîeur, je vous fupplie , & les affurances de mon refpeà,

LETTRE

^ M. I. P. D. r.

Motiers , le iS Mai ijS^v

JE reçois avec reconnoifTance le livre que vous avez eu la bonté de m'en- voyer ; & lorfque je relirai cet ouvra' ge 3 ce qui j'efpere , m'arrivera quel- quefois encore , ce fera toujours dans l'exemplaire que je tiens de vous. Ces entretiens ne font point de Phocion , ils font de l'Abbé de Mably , frère de l'Abbé de Condillac, célèbre par d'ex- cellens livres de Métaphyfique , & connu lui-même par divers ouvrages de Politique, très- bons aufïi dans leur" genre. Cependant on retrouve quel- quefois dans ceux-ci de ces principes^ à^ la politique moderne ^ qu'il ferois^

424 Lettre

à defîrer que tous les hommes de votre rang blâmaiTent ainfi que vous. Aulîi, quoique l'Abbé de iMably folt un hon- nête homme rempli de vues très-fai- nes , i*ai pourtant été furpris de le voir s^élever, dans ce dernier ouvrage, à une morale fi pure ôc fi fublime. C'eft pour cela , fans doute , que ces entre- tiens , d'ailleurs très-bien faits, n'ont eu qu'un fuccès médiocre en France ; mais ils en ont eu un très-grand ea SuiiTe 5 je vois avec plaifir qu'ils ont été réimprimés.

J'ai le cœur plein de vos deux der- nières lettres. Je n'en reçois pas une qui n'augmente mon refpecl , & fi j'ofe Je dire, mon attachement pour vous. L'homme vertueux , le grand homme élevé par les difgraces , me fait tout- à-fait oublier le Prince & le frère d'un Souverain , & vu l'antipathie pour cet état qui m.'eft naturelle, ce n'eft pas peu de m'avoir amené là. Nous pour- rions bien cependant, n'être pas tou- jours de même avis en toute chofe, êc par exemple , je ne fuis pas trop convaincu qu'il fufîife, pour être heu- reux , de bien remplir les devoirs de fou emploi. Sûrement Turenne ea bru.-:

À M. L. P. D. ^. 427

lant le Palatinat par l'ordre de fou Prince , ne jouinoit pas du vrai bon- heur; & je ne crois pas que les Fer- miers-Généraux les plus appliqués au- tour de leur tapis verd , en jouifTent davantage : mais fi ce fentiment eft une erreur, elle eft plus belle en vous que la vérité même ; elle eft digne de qui fut fe choifir un état donc tous les devoirs font dts vertus.

Le cœur me bat à chaque ordinaire, dans Tattente du moment dehré qui doit tripler votre être. Tendres époux que vous êtes heureux! que vous al- lez le devenir encore, en voyant mul- tiplier des devoirs fi charmans à rem- plir ! Dans la difpofition d'ame je vous vois tous les deux , non , je n'i- magine aucun bonheur pareil au vôtre. Hélas î quoi qu'on en puilTe dire , la vertu feule ne le donne pas ; mais elle feule nous le fait connoître, &: nous apprend à le goûter.

'^26 Lettre j

LETTRE l

A M^**. i

Moîiers * le 28 Mai 176^. ^

V->*E S t rendre un vrai fervice à uiï i Solitaire élo'gné de tout , que de l*a- ' vertir de ce qui fe paiTe par rapport j à lui. Voilà, Monfieur, ce que vous ] avez fait trcs- obligeamment en m'en- , voyant un exemplaire de m prétendue ; lettre à M. î'Archevcque d'Aufch, | Cette lettre, comme vous l'avez de- j vîné 5 n'efl: pas p^us de moi que tous ces i écrits pfeudonymes qui courent Paris i fous mon nom. Je n'ai point vu le Man- j dément auquel elle répond , je n'en ai i même jamais ouï parler, & il y a huit j jours que fignorois qu'il y eût un M. du ! Tillet au monde. J'ai peine à croire < que l'Auteur de cete lettre ait voulu ; perfuader rérieufement qu'elle étoit de ! moi. N'ai-je pas afTez des affaires qu'on ; me fufcite , fans m'aller mêler de celles j d'autrui ? Depuis quand m'a-t-on vu '' devenir homme de parti? Quel nouvel ]

intérêt m*auroit fait changer fi bruf- quementde maximes ?Les Jésuites font- ils en meilleur état que quand je re- fufois d'écrire contr'eux dans leurs dif- graces ? Quelqu'un me connoît-il aiïez lâche 5 aflez vil pour infulter aux mal- heureux ? Eh ! h j'oubliois les égards qui leur font dus , de qui pourroient-ils en attendre? Que m'importe, enfin, le fort des Jéfuites, quel qu'il puifle être ? Leurs ennemis fe font- ils montrés pour moi plus tolérans qu'eux ? La trifle vérité délailTée eft-elle plus chère aux uns qu'aux autres? & foit qu'ils triom- phent ou qu'ils fuccombent, en ferai- je moins perfécuté? D'ailleurs, pour peu qu'on llfe attentivement cette let- tre , qui ne fenîira pas comme vous , que je n'en fuis point l'Auteur ? Les mal-adreffes y font enta/Tées : elle eft datée de Neufchâtel je n'ai pas mis le pied ; en y emploie la formule du très-humble ferviteur , dont je n'ufe avec personne ; on ni^'y fait prendre le titre de Citoyen de Genève, auquel j'ai re- noncé ; tout en commençant on s'é- chauffe pour M. de Voltaire , le plus ar- dent , le plus adroit de mes perfécu- teurs, & qui fe pafTe bien , je croi*

4^8 L E ï" T R E

d'un défenreur tel que moi .-on affede quelques imitations de mesphrafes,& ces imitations fe démentent Tinftant après; le ftyle de la lettre peut être meilleur que le mien, m.ais enfin ce n'efl pas le mien : on m'y prête des ex- preilions baiTes ; on m'y fait dire des grOiileretés qu'on ne trouvera certai- nement dans aucun de mes écrits: on m'y fait dire vous à Dieu; ufa^e que je ne blâme pas, miais qui n'efl; pas ie nôtre. Pour me fuppofer l'Auteur de cette lettre, il faut fjppofer auil] que J'ai vou'u me déguifer. Il n'y failoit donc pas mettre mon nom , & alors on auroit pu perfuader aux fots qu'elle

êtoit ce moi.

Telles font , Mcnfieur , \zz armes di- gnes de ;nes adverfaires dont ils achè- vent dvj m'accabler. Non contens de m'oLîtrager dans mes ouvrages, ils pren- nent le parti plus cruel encore de m'at- tribuer les leur?. A la vérité le Public jufqu*ici n'a pas pris le change, &: il faudroit qu'il fût bien aveuglé pour le prendre aujourd'hui. La juftice que j'en attends fur ce point, efl: une con- folation bien Foible pour tant de maux". Vous favcz la nouvelle aiHidion qui

ni'accable : la perte de M. de Luxem- bourg met le comble à toutes les au- tres; je Ja fentirai jufqu'au tombeau. n tut mon confoîateur durant fa vie il fera mon protedeur après fa mort! M chère & honorable mémoire déf^n- ora la mienne des infultes de mes en- nemis , & quand ils voudront la fouiller par leurs calomnies, on leur dira com- nient cela pourra- 1^ il être? Le plus nonnête homme de France fut fon amî. Je vous remercie & vous faIue,Mon- iieur, de tout mon cœur.

LETTRE

A M. DE CHAMFORT.

24 Juin 1764,

Ta I toujours deHre', Monfieur, d'être :>uplié de la tourbe infolente & vile im ne fonge aux infortunés que pour nfulter à leur mifere; mais Teftime des lommes de mérite eft un précieux dé- lommagement de ks outrages, & je le puis qu'être flatté de l'honneur que eus m'avez fait en m'envoyant votre

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Il ne s'igit pas, je le (Vis , de ce qe tel ou tel peut nicritcr par la loi a talion: mais il s'a^^lt do robiedion |.v laquelle les Catholiques me terme roiet la bouche , en m'accufant de comb;- tre ma propre religion. Vous (écrive contre les perfccuteurs , me diroiei- ils, & vous vous dites Protclbnt ! Vos avez dont tort; car les Protclkns fct tout aulli perfécuteurs que nous, & pour cela que nous ne devons poit les tolérer, bien liirs que s'ils aev- noient les plus forts , ils ne nous t** léroient pas nous-mêmes. Vous nos trompez, ajouteroient - ils , ou vos vous vous trompez, en vous mettat en contradiction avec les vôtres , c nous prêchant d'autres maximes qe les leurs. Ainfi l'ordre veut qu'avat d'attaquer les Catholiques , je coi* mence par attaquer les Protcdants^ par leur montrer qu'ils ne favent p5 leur propre religion. Eft-ce , Mo- {ieur , ce que vous m'ordonnez de fait? Cette entreprife préliminaire rejett* roit l'autre encore loin , & il me p- roît que la grandeur de la tache ne vo» effraye gueres , quand il n'eft queflio que de l'imporer,

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Il ne s'i^ pas, je le fais , de ce que tel ou tel ^ut mériter par la loi du talion : maiil s*agit de l'objection par laquelle les Catholiques me ferme roieat la bouche , n m'accufant de combat- tre ma p-ore religion, \o\is écrivez contre les prfécuteurs , me diroien:- ils, <?c vous ^^us cites Proteftint ! Vous avez dont trt; car les Protefrans font tout aulli percuteurs que nous, &: c'efl pour cela qs nous ne devons point les toîérer, ien lurs que s'ils deve- noient les pis forts , ils ne nous to- léroient pisious-memes. Vous nous trompez, ajuteroient - ils , oj vous vous vous timpez, en vous mettant en contriiijon avec les vôtres, $c nous prêchât d'autres maximes que les leurs. Aiii Tordre veut qu'avant d'attaquer le Catholiques , je com- mence par arquer les Protellants,&: par leur mon-er qu'ils ne (avent pas leur propre rùgion. Eft-ce là,Mon- lleur, ce qiie "vus m'ordonnez de faire? Cette entre pie préliminaire rejette- roit l'autre erore loin , & il me p*- roît que la graiteur de la tâche ne vous eiïraye gueres quand il u\Ù, quellioQ que de rimpor.

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430 Lettre

pièce. Quoiqu*accueillie du public , elle ' doit Tétre des connoiiïeurs & des gens fenfibles aux vrais charmes de la nature. L'effet le p!us fur de mes maximes qui eft de m'attirer la haine des méchans & faffedion des gens de bien ,&. qui fe marque aurant par mes malheurs que par mes fuccès , m'apprend par Tappro- bation dont vous honorez mes écrits, ce qu'on doit attendre des vôtres , de me fait délirer, pour futilité publique, qu'ils tiennent tout ce que promet vo- tre début. Je vous falue, Monfieur , de tout mon cœur.

LETTRE A M. H. D. P.

Motîcrs , le 15 Juillet 1764,

^ I mes raîfons , Monfîeur, contre la proportion qui m'a été faite par le ca- nal de M. P"^"^^. vous paroifient mau- vaifes , celles que vous m'objeiflez ne me femblent pas meilleures , & dans ce qui regarde ma conduite , je crois pouvoir refter juge des motifs qui doi- vent me déterminer»

A M. H. D. P. 45 î

Il ne s'agit pas , je le fais , de ce que tel ou tel peut mériter par la loi du talion : mais il s*agit de Pobjeclion par laquelle les Catholiques me fermeroient la bouche , en m'accufant de combat- tre ma propre religion. Vous écrivez contre les perfécuteurs , me diroient- ils, & vous vous dites Proteftant ! Vous avez dont tort; car les Proteflans font tout audi perfécuteurs que nous, & c'eft pour cela que nous ne devons point les tolérer, bien fûrs que s'ils deve- noient les plus forts, ils ne nous to- léroient pas nous-mêmes. Vous nous trompez, ajouteroient - ils, ou vous vous vous trompez, en vous mettant en contradiction avec les vôtres , & nous prêchant d'autres maximes que les leurs. Ainfî l'ordre veut qu'avant d'attaquer \ss Catholiques , je com- mence par attaquer les Protedants, &: par leur montrer qu'ils ne favent pas leur propre religion. Eft-ce là, Mon- fîeur, ce que vous m'ordonnez défaire? Cette entreprife préliminaire rejette* roit l'autre encore loin , & il me pa- roît que la grandeur de la tâche ne vous effraye gueres , quand il n'eft queliion que de l'impofer.

432 L E T T K E ;

Que fi les argumens adhominem qu'on ; m'objecleroit vous paroilTent peu embar- ^ raiTans, ils me le paroifTent beaucoup, " à moi ; & dans ce cas , c'efl: à celui qui fait les réfoudre 5 d'en prendre le foin. -

Il y a encore, ce me femble^quel- '-■. que chofe de dur & d'injufte de comp- ] ter pour rien tout ce que j'ai fait , & de ^ regarder ce qu'on me prefcrit comme * im nouveau travail à faire. Quand on '■ a bien établi une vérité par cent preu- ^ ves invincibles , ce n'eftpas un fi grand - crime à mon avis, de ne pas courir ^ après la cent & unième; fur -tout ^ elle n'exifte pas; j'aime à dire descho- fes utiles, mais je n'aime pas à les ré- péter; & ceux qui veulent abfolument 1 àiQS redites, n'ont qu'à prendre plu- ■; fleurs exemplaires du même écrit. Les I Protedans de France jouident mainte- ' nant d'un repos auquel je puis avoir ' contribué , non par de vaines déclama- j tions comme tant d'autres , mais par j de fortes raifons politiques bien expo- i fées. Cependant voilà qu'ils me preffent i d'écrire en leur faveur ;c'eft faire trop ' de cas de ce que j j puis faire , ou trop ; peu de ce que j'ai fait. Ils avouent qu'ils j font tranquilles ; mais- il veulent être/j

mieux

A M. H. D. P. 433

mieux que bien, ôc c'eft après que je les ai fervi de toutes mes forces, qu'ils me reprochent de ne pas hs fervir au- delà de mes forces.

Ce reproche , Monfieur , me paroît peu reconnoifîant de leur part, & peu raifonné de la vôtre. Quand un homme revient d'un long combat, hors d'ha- leine, & couvert de blefTures , eft-il tems de l'exhorter gravement à prendre les armes, tandis qu'on fe tient foi- méme en repos ? Eh ! Meilleurs , chacun fon tour, je vous prie. Si vous êtes fi curieux des coups, allez-en chercher votre part ; quant à moi , j'en ai bien la mienne; il eft tems de fonger à la retraite; mes cheveux gris m'avertif- fent que je ne fuis plus qu'un vétéran; m.es maux & mes malheurs me pref- crivent le repos, & je ne fors point de la lice, fans y avoir payé de ma per- fonne. Sac Patries Friamoque datum* Prenez mon rang , jeunes gens , je vous le cède; gardez-le feulement comme j'ai fait ; & après cela ne vous tour- mentez pas plus des exhortations in- difcretes, & dts reproches déplacés, que je ne m'en tourmenterai déformais. Ainfi^ Monfieur , je confirme à loifir Œuv.Pofih.Tom^Nl. X

434 Lettre

ce que vous m'accufez d'avoir écrit à la hâte , & que vous jugez n'être pas digne de moi; jugement auquel j'é- viterai de répondre , faute de l'enten- dre Tuffifamment.

Recevez, Monfieur 5 je vous fupplie, les afTurances de tout mon refped:.

LETTRE

A M

22 Juillet 1764,

Je crains, Monfîeur, que vous n'ai- - liez un peu vite en befogne dans vos projets ; il faudroit , quand rien ne vous prefTe, proportionner la maturité des délibérations à l'importance des réfo- lutîons. Pourquoi quitter fi brufque- iTient l'état que vous aviez embraffé , tandis que vous pouviez à loidr vous- arranger pour en prendre un autre, il tant eft qu'on puilTe appeller un état le genre de vie que vous vous êtes choifi , 3c dont vous ferez peut- être auiîî-tôt rebuté que du premier ?Que rifquiez- vous à mettre un peu moins d'impé-

A M ^ 45;

tuofîté daî7S vos démarches. Se à tirer parti de ce retard, pour vous confir- mer dans vos principes, &: pour aiïli- rer vos réfolutions par une plus mûre étude de vous-même ? Vous voilà feul fur la terre dans l'âge l'homme doit tenir à tout; je vous plains, & c'efl: pour cela que je ne puis vous ap- prouver , puifque vous avez voulu vous ifoler vous-même, au moment cela vous convenoit le moins. Si vous croyez avoir fuivi mes principes , vous vous trompez , vous avez fuivi l'impétuo- fîté de votre âge; une démarche d'un tel éclat valoit affurément la peine d'être bien pefée avant d'en venir à l'exécution. C'eil: une chofe faite , je le fais : je veux feulement vous faire entendre que la manière de la foute- lîir, ou d'en revenir, demande un peu plus d'examen que vous n'en avez mis à la faire.

Voici pi?. L'effet naturel de cette conduite a été de vous brouiller avec Madame votre mère. Je vois, fans que vous me le montriez, le fil de tout cela; & quand il n'y auroitque ce que vous médites, à quoi bon aller effa- roucher la confcience tranquille d'une

Tz

AVAV.*

ifj'î L E T T K 2

n:ere, en lui montrant , fans nccefCté, des fentimcns différens cks fiens ? Il fal- loit, Monfîeur, girder ces fentimsns 2j d^d'ari dt vojs pour la règle de votre conduite; & leur premier fcfîi;t devoir être de vous faire endurer avec patience les tracafîeriex de vos prêtres, fc de ne pas changer ces tracifTerief en p ' '. , en vo '

haute:;. ... .^ jjug de la i-.. . vous étiez né. Je penfe fi peu . 2

vous fur cet article, que quoique le Clergé proteilant me fafTe une guerre ouverte , & que je fois Pjrt éloigné de penfer corrme lui fur tous les ' * , je n'en dem-L '^ ^-ts n>oir:s fine t

uni à la co: jn de notre , ,

bien réfolu d'y vivre & d'y mourir s*il dépend de moL Car il cA trc^-confo- lant po'jr un croyant affli^^é, de rcl^-cr en C'jmmurÉîuté de culte avec fes frè- res, & de fcrvir Dieu conjointement avec eux. Je vous dirai plus , &- je vous déclare que fi j'étois Citbolîque, je demeurerois Catholique , fâchant bien que votre E:]life met un frein, tris - (alutaîre aux écarts delà raifon hum^iine , qui ut trouve ni fond ni rive, quand elle veut fonder Tabymc

des chofes; ^ je fuis convaincu de rutillté de ce frein , que je nVen luis moi -nu me impofê un feiTiMable , en me prclccivànc , pour le reicc de ma vie , des règles de foi dont je ne me permets plus de fortir. Aiîiu je vous jure que je ne fuis tranquille que de* puis ce tems-là, bie*n convaincu que Uns cette précaution, ^e ne faurois été de ma vie. Je vous pairie, Monlieur, uvec eiRitTon de cotur, 5c comme un père p.ideroit à (on enfant. Votre brouta lerie avec Madan^e votre mère me na- vre, JI*avois dans mes ma heurs la con » foLuion de croire que mes écrite no pou voient faire que du bien ; voulei* vous nVocer encore cette confoUtion ? Je fais que s'ils font du mal»cen*cft que faute dVtre entendus; mais j*auraî toipours le retirer de n'avoir pu me ù 10 entendre. Cber^*^*,un t\ls brouille avec ù mère a toujours tort : de tous les fentimens naturels le leul demeure parmi nous,eft Taifection marernene. Le Orolt des meixs etl le plaslacre que îe connoille ; en aucun cas » on ne peut le violer (ans crime ; racconmodcî- vous donc avec la vôtre, Alleii-vous jetter à fes pieds ; à quelque prix que

43*^ Lettre

n-îere, en lui montrant , fans nécefîîté, des fentimens différens des (lens? Il fal- loit, Monfieur 5 garder ces fentimens au dedans de vous pour la règle de votre conduite; & leur pren:iier effet devoit être de vous faire endurer avec patience les tracaileries de vos prêtres, êc de ne pas changer ces tracafferies en perfécutions , en voulant fecoaer hautement le joug de la Religion vous étiez né. Je penfe fi peu comme vous fur cet article , que quoique le Clergé proteilant me faffe une guerre ouverte , & que je fois fort éloigné de penfer comme lui fur tous les points, je n'en demeure pas moins fincérement uni à la communion de notre Eglife, bien réfolu d'y vivre & d'y mourir s'il dépend de moi. Car il eft très-confo- lant pour un croyant affligé, de refter en communauté de culte avec fes frè- res 5 & de fervir Dieu conjointement avec eux. Je vous dirai plus , &: je vous déclare que fi j'étois Catliolique, je demeurerois Catholique , fâchant bien que votre Eglife met un frein, très - falutaire aux écarts de la raifon humaine , qui ne trouve ni fond ni rive, quand elle veut fonder l'abyme

A M.... 457

des chofes; Se je fuis convaincu de rutillté de ce frein , que je m'en fuis moi-même impofé un femblable , en me prcfcrivant , pour le refle de ma vie, des règles de foi dont je ne me permets plus de fortir. Audi je vous jure que je ne fuis tranquille que de- puis ce tems-là, bien convaincu que fans cette précaution, je ne l'aurois été de ma vie. Je vous parle, Monfieur, avec eifufion de cœur, & comme un père p:ir!eroit à Ton eniant. Votre brouil- ierie avec Madame votre mère me na- vre. J'avois dans mes ma'heurs la con folation de croire que mes écrits ne pouvoient faire que du bien ; voulez- vous m'ôter encore cette confolation ? Je fais que s'ils font du mal , ce n'eft que faute d*étre entendus; mais j'aurai toujours le regret de n'avoir pu me faire entendre. Cher^^^^^un fils brouillé avec fa mère a toujours tort : de tous les fentimens naturels le feul demeuré parmi nous , eft raffection maternelle. Le droit des mères efl: le plus (acre que je connoifîe ; en aucun cas , on ne peut Je violer fans crime ; raccommodez- vous donc avec la vôtre. Allez -vous jetter à fcs pieds ; à quelque prix que

T3

43^ L E T T K "E y &c.

ce foit appaifez-la; foyez fur que fon cœur vous fera rouvert (i le vôtre vous ramené à elle. Ne pouvez -vous fans faufTeté lui faire le facrifice de* quel- ques opinions inutiles , ou du moins les dilîimuler ? Vous ne ferez jamais appelle à perfécuter perfonne; que vous importe le refte? Il n'y a pas deux m.o- rales. Celle du Chrlrtianirme & celle de la philofophie font la m^éme; l'une & l'autre vous impofe ici le même devoir ; vous pouvez le remplir ; vous le devez; la raifon , l'honneur, votre intérêt, tout le veut; moi je l'exige, pour répondre aux fentimens dont vous m'honorez. Si vous le faites , comptez fur mon amitié, fur toute mon eftime , fur mes foins, fi jamais ils vous font bons à quelque chofe. Si vous ne le faites pas , vous n'avez qu'une mau- vaife tête, ou qui pis eft, votre cœur vous conduit mal , & je ne veux con- ferver de liaifons qu'avec des gens dont la tête & le cœur foient fains.

439

LETTRE A MYLORD MARECHAt.

Motiers , le 21 Aoùc 1764.

L

E plaiiîr que m'a caufé, fvïylord, la nouvelle de votre heureufe arrivée à Berlin par votre lettre du mois der- nier, a été retardé par un voyage que j'avois entrepris, & que la lallitude & le mauvais tems m'ont fait abandonner à mioitié chemin. Un premier reîTenti- ment de fciatique , mal héréditaire dans ma famille, m'efFrayoit avec raifon. Car jugez de ce que deviendroit , cloué dans fa chambre , un pauvre malheu- reux qui n'a d'autre foulagement, m d'autre plaifir dans la vie que la pro- menade , & qui n'eft plus qu'une ma- chine ambulante ? Je m'étois donc mis en chemin pour Aix, dans l'inten- tion d'y prendre la douche, & au/Iî d'y voir mes bons amis les Savoyards, le meilleur peuple, à mon avis, qui foit fur la terre. J'ai fait la route jufqu'à Morges, pédeftrement à mon ordinai-

440 Lettré

re , afTez carelTé par-tout. En traver- fant le lac, & voyant de loin les clo- chers de Genève , je me fuis furpris à foupirer auiîî lâchement que j'aurois fait jadis pour une perfide maitreiTe. Arrivé à Thonon, il a fallu rétroga- der, malade 5 & fous une pluie conti- nuelle. Ennn me voici de retour, non cocu à la vérité, mais battu , ma^s con- tent, puifque j'apprends votre heureux retour auprès du Roi, & que mon pro- tedeur 3c mon père aime toujours Ton

enfant.

Ce que vous m'apprenez de Taffran- chilTement des Payfans de Poméranie, joint à tous les autres traits pareils que vous m'avez ci-devant rapportés, me montre par-tout deux chofes également belles, favoir, dans l'objet le génie de Frédéric, & dans le choix le cœur de George. On feroit une hlftoire digne d'immortalifer le P\oi , fans autres Mé- moires que vos lettres.

A propos de Mémoires , j'attends avec impatience ceux que vous m*a- vez promis. J'abandonnerois volontiers la vie particulière de votre frère, fi vous les rendiez afTez amples , pour en pouvoir tirer l'hifloire de votre

A Myloed Mabec^ta.!:. 441

Malfon. J'y pourrois parler au long de J'EcofTe que vous aime? t::nt, Se de votre illuflre frère, Se de (on lllullre frère, p:ir lequel tout cela mcPt de- venu cher. Il efl: vrai que c^tte en- treprife feroit immense ôc fort aii- delTus de mes forces, fur -tout dans l'état je fuis; mais il s'agit moins de faire un ouvrage , que de m'occu- perde vous^ôd de fixer mes indociles idées qui voudroient aller leur train maigre moi. Si vous voulez que j'é- crive la vie de l'ami dont vous me par- lez , que votre volonté foit faite; la mienne y trouvera toujours fon comp-"" te , puifqu'en vous obéiffant, je m'oc- cuperai de vous. Bonjour, Mylord,

LETTRE

A MADAME LA C. DE B.

Motiers , le 26 Août 1764.

ir\pPvÈs les preuves touchantes , Ma- dame , que j'ai eu de votre amitié dans les plus cruels momens de ma vie , il y auroit à moi de l'ingratitude de n'y pas compter toujours i mais il faut par-

44^ Lettre

donner beaucoup à mon état ; la con- fiance abandonne les malheureux, èc]& fens au plaifir que m'a fait votre lettre , que j'ai befoin d'être ainfi rafTaré quel- quefois. Cette confolation ne pouvoit me venir plus à propos : après tant de pertes irréparables , & en dernier lieu celle de Monfîeur de Luxembourg, il m'importe de fentir qu'il me refte d^s biens alTez précieux pour valoir la peine de vivre. Le moment j'eus le bon- heur de le connoître , refTembloit beau- coup à celui je l'ai perdu; dans l'un & dans l'autre j'étois affligé, délaiiTé, malade. Il me confola de tout; qui me confolera de lui ? Les amis que j'avois avant de le perdre; car mon cœur ufé par les maux, & déjà durci par les ans , eft fermé déformais à tout nouvel attachement.

Je ne puis penfer. Madame, que- dans les critiques qui regardent l'éduca- tion de M. votre fils, vous compreniez ce que, fur le parti que vous avez pris de l'envoyer à Leyde, j'ai écrit au Chevalier de L"^"^*. Critiquer quelqu'un, c'eft blâmer dans le public fa conduite , mais dire fon fentiment à un ami com- mun fur un pareil fujet, ne s'appellera

A Madame la C. de B 44,3^

jamais critiquer; à moins. que Tamitié n'impofe la loi de ne dire jamais ce qu'on penfe , même en choies les gens du meilleur fens peuvent n'être pas du même avis. Après la manière dont j'ai conftammentpenfé & parlé de vous. Madame , je me décrierois moi même , fi je m'avifois de vous .critiquer. J^z trouve 5 à la vérité , beaucoup d'incon- véniens à envoyer les jeunes gens dans les univerfités ; mais je trouve auili que félon les circonftances , il peut y en avoir davantage à ne pas le faire , ^ l'on n'a pas toujours en ceci le choix du plus grand bien, mais du moindre mal. D'ailleurs , une fois la néceilité de ce parti fuppofée , je crois comme vous 5 qu'il y a moins de danger en Hollande que par-tout ailleurs.

Je fuis ému de ce que vous m'avez marqué de Meilleurs les Comtes de B**^ ; jugez. Madame, li la bienveil- lance des hommes de ce mérite m'eli précieufe, à mol , que celle m.éme des gens que je n'eftime pas fubjugue tou- jours ? Je ne fais ce qu'on eût fait d - moi par les careffes : heureufement on ne s'eft pas avifé de me gâter là-deffas. On a travaillé fans relâche à donner

444 Lettre

à mon cœur , & peut-être à mon gé- nie 5 le reiïbrt que naturellement ils n'avoient pas. J'écois foible ; les mau- vais traitemens m*ont fortifié : à force de vouloir m'avilir , on m'a rendu fier. Vous avez la bonté, Madame, de vouloir des détails fur ce qui me re- garde ; que vous dirai-je? Rien n'efl: jplus uni que ma vie; rien n'efl: plus borné que mes projets. Je vis au jour la journée fans fouci du lendemain , ou plutôt j'achève de vivre avec plus de lenteur que je n'avois compté. Je ne m'en irai pas plutôt qu'il ne plaît à la nature ; mais fes longueurs ne laiiïent pas de m'embarraffer , car je n'ai plus rien à faire ici. Le dégoût de toutes chofes me livre toujours plus à l'indo- lence 5 & à l'oifiveté. Les maux phy- fiques me donnent feuls un peu d'adi- vité. Le féjour que j'habite , quoiqu'af- fez fain pour les autres hommes eft pernicieux pour mon état ; ce qui fait que, pour me dérober aux injures de l'air & à l'importunité des défœuvrés, je vais errant par îe pays durant la belle faifon ; mais aux approches de rhiver qui eft ici très -rude & très' long, il faut revenir & fouffrir, II y

A Madame la C. de B. 44.5'

à îong-tems que je cherche à déloger; niais aller? Comment m'arranger? J'ai tout à la fois l'embarras de l'indi- gence & celui -des richeiïes ; toute ef- pece de foin m'efrraye, le tranfport de mes guenilles & de mes livres par ces montagnes efl: pénible & coûteux: c'efl bien la peine de déloger de ma maifon , dans l'attente de déloger bien- tôt de mon corps ! Au lieu que ref- tant je fuis , j'ai des journées dé- licieufes, errant fans fouci , fans pro- jet, fans affaires, de' bois en bois & de rochers en rochers, rêvant toujours & nepenfant point. Je donnerois tout au monde pour favoir la botanique ; c^eft la véritable occupation d'un corps am- bulant, & d'un efprit parefTeux; je ne répondrois pas que je n'euiïe la folie d'efTayer de l'apprendre , fi je favois par commencer. Quant à ma (Ituation du côté dts refTources , n'en f oyez point en peine ; le néceiïaire , même abondant, ne m'a point manqué jufqu'ici , & pro- bablement ne me manquera pas fitôt. Loin de vous gronder de vos offres , Madame, je vous en remercie; mais vous conviendrez qu'elles feroient mal

44^ L E T T K E , ^r.

placées, li je m'en prévalois avant le befoin.

Vous vouliez des détails; vous de- vez être contente. Je fuis très-content dQS vôtres, à cela près que je n'ai ja- mais pu lire le nom du lieu que vous habitez. Peut être le connois-je, & il mefèroit bien doux de vous y fuivre , du moins par l'imagination. Au refte, je vous plains de n'en être encore qu'à la philofophie. Je fuis bien plus avancé que vous 5 Madame; fauf mon devoir & mes amis, me voilà revenu à rien.

Je ne trouve pas le Chevalier (i dé- raifonnable, puiiqu'il vous divertit ; s'il n'étoit que déraifonnable , 11 n'y par- viendroit furement pas. Il eft bien à plaindre dans les accès de fa goutte ; car on fouffre cruellement : mais il a du moins l'avantage de fouffrir fans rif- que. Des fcelérats ne rafTaflineront pas , & perfonne n'a intérêt à le tuer. Etes-- vous à portée, Madame, de voirfouvent Madame la Maréchale? Dans les triftes circonftances elle fe trouve , elle a bien befoin de tous fes amis, & fur- tout de vous.

447

LETTRE

u4 M. B U T T A-F O C 0.{d)

Motiers-Travers , le iz Septembre 1764.

J.L eft fuperflu , Monfieur, de cher- cher à exciter mon zèle pour l'entre- prife que vous me propofez. La feule idée m'élève Tame & me tranfporte. Je

( ^ ) Cette lettre ejl une reporife à celle de M, Butta-Foco^ du ^l Août 17^4, dont voici t extrait.

Vous avez fait mention àt% Corfes dans votre Con- trat Social d'une façon bien avantageufe pour eux. Un pareil éloge , lorfqu'il part d'une plume auflîî fmcerc <jue la vôtre , eft très-propre à exciter l'émulation & le detîr de mieux faire. Il a f.iit fouiiaicer à la naàon qud vous vou!uflîez ê:re cet homme fage qui pourroit lui procurer les moyens de confeivei; cette liberté qui lui a coûcé tant de fang.

Qu'il ieroit eruel de ne pas profiter

de l'heureufe circonftance fe trouve la Corfe pouf fe donner le gouvernement le plus conforme à l'huma- nité &r à la raifon ; le gouverneir.ent le plus propre » fîxçr dans cc(;ç Xile vn&ie libçr^é. *,.•»•

ij48 L E T T ^v E

croiroîs le refte de mes jours bien no- blement, bien vertueiifement , bien heureufement employé ; je crolrois mê- me avoir bien racheté rinutiiité des

Une nation ne doit fe flatter de devenir heureufe & florilTante que par le moyen d'une bonne inftitiuion politique : notre Ifle , comme vous le dites très-bien , Monlîeur , eft capable de recevoir une bonne légifla- tion , mais il faut un Lcgiflateur ; Se il faut que ce Légiflateur ait vos principes , que fon bonheur foit in- dépendant du nôtre , qu'il connoiflTe à fond la nature humaine , de que dans les progrès des tems fe ména- geant une gloire éloignée , il veuille travailler dans un fîecle ôc jouir dans un autre. Daignez , Monfieur , être cet homme-là , & coopérer au bonheur de toute une nation en traçant le plan du fyflême politique qu'elle doit adopter

Je fais bien , Monfieur , que le travail que j'ofe vous prier d'entreprendre , exige des détails qui vous faffent connoître à fond notre vraie Ctuation ; mais fi vous daignez vous en charger , je vous fournirai toutes les lumières qui pourront vous être nécedaires , &: M. Paoli, Général de la nation , fera très-emprefTé à vous pro- curer de Corfe rous les éclaircifTemens dont vous pour- rez avoir befoin. Ce digne chef & ceux d'encre mes compatriotes qni font à portée de connoître vos ou- vrages , partagent mon defir Se tous les fentimens d'ef- time que l'Europe entière a pour vous , & qui you* font dus à lanç de tities , &:c, &rc, &c.

A M. Butta- Foc o. 449

autres, fi je pouvois lendre ce trifte refte bon en quelque chofe à vos bra- ves compatriotes , fi je pouvois concou- rir par quelque confeil utile, aux vues de leur digne chef & aux vôtres ; de ce côté-là donc foyezfiiirde moi, ma vie & mon cœur font à vous.

Mais , Monfieur , le zele ne donne pas les moyens , de le dedr n'eil pas le pouvoir. Je ne veux pas faire ici fottement modefie ; je fens bien ce que j'ai, mais je fens encore mieux ce qui me manque. Premièrement, par rap- port à la chofe , il me manque une mul- titude de connoiflances relatives à la nation & au pays, connoifTances indif- penfables, & qui, pour les acquérir, demanderont de votre part beaucoup d'infi:ruâ:ions , d'éclairciffemens , de m.émoires, dcc, de la mienne, beau- coup d'étude & de réflexions. Par rap- port à moi, il me manque p'us de jeu- neiïe, un efprit plus tranquille, un cœur moins épuifé d'enn^'i , une cer- taine vigueur de génie qui, même quand on Ta , n'efi: pas à l'épreuve des an- nées & dQS chagrins; il me manque la fan , le tems; il me manque, acca- blé d'une maladie incurable & cruelle.

4^0 Lettre

l'efpoir de voir la fin d'un long travail, que la feule attente du (uccès peut don- ner le couraee de fulvre ; il meman- que enfin l'expérience dans les affaires , qui feule éclaire plus fur l'art de con- duire les hommes que toutes les mé- ditations.

Si je me portoispafTablement, je me dirois : i'irai en Corfe. Six moispailés fur les lieux , m'inftruiront plus que cent volumes. Mais comjient entre- prendre un voyage aulli pénible , auflî long, dans l'état je fuis? le fo'Jtien- drois-je? me laiiTeroit on palier? Mille obfiacles m'arréteroient en allant; l'air de la mer acheveroit de me détruire avant le retour ; je vous avoue que je defire mourir parmi les miens.

Vous pouvez être prefTé: un travail <ie cette importance ne peut être qu'une affaire de très-longue haleine, même -pour un homme qui fe porteroit bien. Avant de foumettre mon ouvrage à l'examen de la Nation & de fes Chefs, je veux commencer par en être con- tent moi-même ; je ne veux rien don- ner par morceaux : l'ouvrage doit être un; l'on n'en fauroit juger féparément. Ce n*eftdéjà pas peu de chofequede

A M. BUTTA-F O C O. 45^1

me mettre en état de commencer; pour achever, cela va loin.

II fe préfente aulÏÏ des réflexions fur l'état précaire fe trouve encore vo^ tre Ifle. Je ''fais q-ae fous un chef tel qu'ils l'ont aujourd'hui , les Corfes n'ont rien à craindre de Gènes : je crois qu'ils n*ont rien a craindre non plus des trou- pes qu'on dit que la France y envoyé; & ce qui me confirme dans ce fentiment, eft de voir un aufîi bon patriote que vous me paroiiîez l'ctre , refter, mal- gré l'envoi de ces troupes , au fervice de la puifTance qui les donne. Mais, Monfieur, l'indépendance de votre pays n'efl point aiïurée tant qu'aucune Puif- fance ne la reconnoît , & vous m'avoue- rez qu'il n'eft pas encourageant pour un aufli grand travail , de l'entrepren- dre fans favcir s'ilpeut avoir (on ufage, même en le fuppofant bon.

Ce n'eft point pour me refufer à vos invitations , Monfieur , que je vous fais ces objecftions , mais pour les fou- mettre à votre examen & à celui de M. Paoli. Je vous crois trop gens de bien l'un & l'autre , pour vouloir que m.on affection pour votre patrie me fafTe confumer le peu de tems qui me refte.

4P L E T T R E, «S-J.

à des foins qui ne feroient bons à rien* Examinez donc, Meilleurs , jugez vous-mêmes & foyez fûrs que l'entre- prife dont vous m'avez trouvé digne, ne manquera point pax ma volonté.

Recevez, je vous prie, mes très- humbles fdlutations.

Rousseau.

P. 5. En relifant votre lettre , je vois, Monfieur, qu'à la première lec- ture , j'ai pris le change fur votre ob- jet. Pai cru que vous demandiez un corps complet de légifîition, & ie vols que vous demandez feulementune in'- titution politique , ce qui me fait juger que vous avez déjà un corps de \o\x civiles, autre que le droit écrit , fur le- quel il s'agit de calquer une forme de gouvernement qui s'y rapporte. La tâche q(ï moins grande, fans être pe- tite , & il n'eft pas fur qu'il en réfuîte un tout auHî parfait; on n'en peut ju- ger que fur le recueil complet de vos loix.

4/3 LETTRE AU MÊME.

Motlers , le 1^ O&obre 1764.

J E ne fais , Monfieur, pourquoi votre lettre du 3 ne m'eft parvenue que hier. Ce retard me force , pour profiter du Courier , de vous répondre à la hâte , fans quoi ma lettre n*arriveroit pas à Aix afTez tôt pour vous y trouver-

Je ne puis gueres efpérer d'être en état d'aller en Corfe. Quand je pourrois entreprendre ce voyage, ce ne feroit que dansla belle faifon; d'ici làletems eft précieux : il faut l'épargner tant qu'il eft poflible , & il fera perdu juf- qu'à ce que j'aye reçu vos inftrudions. Je joins ici "une note rapide des pre- mières dont j'ai befoin ; les vôtres me feront toujours néceiïaires dans cette entreprife. Il ne faut point là-deflus me parler, Monfieur, de votre infuffifance. A juger de vous par vos lettres, je dois plus me fier à vos yeux qu'aux miens ; & à juger par vous de votre peuple 5 il a tort de chercher Çqs gui- des hors de chez lui.

45'4 Lettre

Il s'agit d'un fi grand objet qiie ma témérité me fait trembler; n'y joignons pas du moins l'étourderie ; j'ai l'efprit très-lenc; l'âge &les maux le ralentif- fent encore ; un gouvernement provi- fîonnel a Tes inconvéniens.Quelqu'atten- tion qu'on ait à ne faire que les chan- gemens nécefîaires , un établifTement tel que celui que nous cherchons , ne fe fait point fans un peu de commo- tion 5 & l'on doit tâcher au moins de n'en avoir qu'une. On pourroit d'abord jetter les fondemens, puis élever plus à loifir l'édifice; mais cela fupofe un plan déjà fait , & c'efl: pour tracer ce plan même qu'il faut le plus méditer. D'ailleurs, il efl: à craindre qu'un éta- blifiement imparfait ne fafie plus fen- tir {qs embarras que (ds avantages , & que cela ne dégoûte le peuple de l'a- chever. Voyons toutefois ce qui fe peut faire : les mémoires dont j'ai befoin , reçus, il me faut bien fix mois pour m'infiruire, & autant au moins pour digérer mes infiru6tions; de forte que, du printems prochain en un an , je pour- rois propofer mes premières idées fur une forme provifionnelle , & au bout de trois autres années mon plan com-

A M. BuTTA-Foco. 45'5'

plet d'inftitution. Comme on ne doit promettre que ce qui dépend de foi, je ne fuis pas fur de mettre en état mon travail en fi peu de temps; mais e fuis (i fur de ne pouvoir l'abréger, que s'il faut rapprocher un de ces deux termes, il vaut mieux que je n'entre- prenne rien.

Je fuis charmé du voyage que vous faites en Corfe dans ces circonftances; il ne peut que nous être très-utile. Si, comme je n'en doute pas, vous vous y occupez de notre objet , vous ver- rez mieux ce qu'il faut me dire que je ne puis voir ce que je dois vous de- mander. Mais permettez-moi une cu- riofité que m'infpirent Teftime & l'ad- miration. Je voudrois favoir tout ce- qui regarde M. Paoli; quel âge a-t-il? âft-il marié? a-t-il des enfans? oià a-t-il appris l'art militaire ? com.ment le bon- heur de fa nation l'a-t-il mis à la tête de fes troupes? quelles fonctions exer- be-t-il dans radminiftration politique ïi civile ? ce grand homme le réfou- iroit-il à n'être que citoyen dans fa pa- rie , après en avoir été le fauveur ? Sur- out parlez-moi fans déguifement à tous gards; la gloire , le repos , le bonheur

'^^6 Lettre i

de votre peuple dépendent ici plus de vous que de mol. Je vous falue , Mon- 1 fîeur de tout mon cœur.

Mémoire joint à cette rèponfe* \

Une bonne carte de la Corfe les ! divers diftrids foient marqués & diftin- 1 gués par leurs noms, même s'il fe peut : par des couleurs. !

Uneexade defcriptlon de llfle , fon ' hiftoire naturelle, fes produdlions , fa .; culture, fa divifion par diftrids; le nom- j bre, la grandeur, la fîtuatlon des vil- \ les, bourgs, paroiiTes, le dénombre- ; ment du peuple aufli exaâ: qu'il fera polïible; l'état des forterefTes, des ports ; rinduftrie , les arts , la marine ; le com- merce qu'on fait, celui qu'on pourroit faire , &c.

Quel efl le nombre, le crédit du Clergé; quelles font fes maximes , quelle eft fa conduite relativement à la patrie. Y a - t il des maifons anciennes , des Corps privilégiés , delà Nobleffe ; les villes ont-e!les des droits municipaux? En font- elles fort jaloufes ?

Quelles (ont les mœurs du peuple, j fes goûts 3 its occupations, {q% amufe- '

mens ,

A M. Butta-Foc o. 4^7

mens , l'ordre de les divifions militaires , la difcipline , la manière de faire la 2^uerre , 6cc,

L'Hiftoire de la nation jufqu'à ce moment 5 les loix, les flatuts ; tout ce quiregarde l'adminiftration aduelle, les inconvéniens qu'on y trouve , l'exer- cice de la juftice , les revenus publics, l'ordre économique, la manière de pofer 8c de lever les taxes j ce que paye à- peu - près le peuple , & ce qu'il peut payer annuellement ôcl'un portant l'au- tre.

Ceci contient en général les inflruc- tions néceffaires ; mais les unes veu- lent être détaillées; il fuffit de dire les autres fommairement. En général, tout ce qui fait le mieux connoître le gé- nie national ne fauroit être trop ex- pliqué. Souvent un trait, un mot une adiondit plus que tout un livre ; mais il vaut mieux trop que pasafTez,

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À M. BUTTA-FOCO. 4;-^ ^ dVnnuis n'eft plus en état de pen- ': mon^ cœur eft Je même encore, is je n'ai plus de tête : ma faculté elhgente cft éteinte ; je ne fus plus :>able de fuivre un objet avec quel- e attention; & d'ailleurs, que vou- ez-vous que fit un malheureux fu^ if qui , malgré la protcdion du Roî PrufTe Souverain du pws. malgré protedion de Alylord Maréchal qui eft Gouverneur, mais malheureu- nent trop JÉT^^és l'un & l'autre , y ''^)mme Teau ; & ne avtc honneur dans d'aller errant ea "ans favoir plus

ilonfieur ,j'en faij dont je ne me parmi vous, z être libres, qui fûtes trop ^as compatif- qui fe peut ^e demande |ue canton )ury finir ivernante dans mes

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^58 Lettre

LETTRE AU MÊME.

Modeii-Travers , le 24 Mars 1765.

Je vols, Monfieur, que VOUS ignorez 1 dans quel gouffre de nouveaux mal- ; heurs je me trouve englouti. Depuis ! votre pénultième lettre on ne m*a pas îaiiTé reprendre haleine un inftant. J'ai reçu votre premier envoi fans pouvoir prefque y jetter les yeux. Quant à ce- lui de Perpignan , je n'en ai pas ouï parler. Cent fois j'ai voulu vous écrire , j mais Tagitation continuelle, toutes les j fouffrances du corps & de i'efprit, Tac- cablement de mes propres affaires, ne m'ont p:^s permis de fonger aux vôtres. J'attendois un moment d'intervalle; il ne vient point, il ne viendra point, &: dans l'inflant mêmeoiiie vousréponds , je fuis, malgré mon état, dans le rif- ; que de ne pouvoir finir ma lettre ici. , Il eft inutile, Monfieur, que vous ' com.ptiez fur le travail que j'avois en-' trepris , il m'eût été trop doux de m'oc- cuper d'une fi glorieufe tâche : cette eonfolation m'eft ôtée : mon ame épui-

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À M. BUTTA-FOCO. 4y(> fée d'ennuis n^eft plus en e'tat de pen- (tr: mon cœur tR Je même encore, mais je n'ai plus de tête : ma faculté intelligente eft éteinte : je ne f lis plus capable de fuivre un objet avec quel- que attention; & d'ailleurs, que vou- driez-vous que fit un malheureux fu^ gitif qui , malgré la protedion du Roi de PrufTe Souverain du pays, mdgré la protedion de Mylord Maréchal qui en eft Gouverneur, mais malheureu- ement trop éloignés l'un & l'autre , y boit les affronts comme l'eau ; & ne Douvant plus vivre avec honneur dans :et afyle , eft forcé d'aller errant en :hercher un autre fans favoir plus e trouver ?. . . .

Si^fait pourtant, Monfieur , j'en fais n digne de moi, & dont je ne me rois pa^s indigne ; c'eft parmi vous, raves Corfes , qui favez être libres, ui favez être juftes, & qui fûtes trop lalheureux pour n'être pas compatif- ins. Voyez, Monfîeur, ce qui fe peut ire ; parlez- en à M. Paoli. Je demande pouvoir louer dans quelque canton litaire une petite maifon pjury finir es jours en paix. J'ai ma gouvernante a depuis vingt ans me foigne dans mes

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4<5o Lettre

intîrmîtés continuelles; c'eft une fille de quarante - cinq ans, françoife, ca- thoiique, honnête & fage ^ 6c qui fe réfout de venir, s'il le faut, au bout de l'univers , partager mes miferes ôc me fermer les yeux. Je tiendrai mon petit ménage avec elle , & je tâcherai de ne point rendre les foins de l'hof- pitalité incommodes à mes voifins.

Mais, Monfieur, je dois vous tout dire :il faut que cette hofpitaîitéfoit gra- tuite , non quant à la fubfiflance , je ne ferai-Ià defTus à charge à perlonne , mais quant au droit û'afyle qu'il faut qu'on m'accorde fans intérêt. Car fnot que je ferai parmi vous , n'attendez rien de moi fur le projet qui vous occupe. Je le répète , je fuis déformais hors d'état d'y fonger ; & quand je ne le fe- rois pas, je m'en abftiendrois par cela même que je vivrois au milieu de vous; car j'eus , & j'aurai toujours pour maxime inviolable de porter le plus profond relpect au gouvernement (bus lequel je vis, fans me mêler de vouloir jamais le cenfurer & critiquer, ou réformer en aucune manière. J'ai même ici une raifon de plus &: pour ^ ÇTiOi d'une très - grande force» Sur le

A M. BuTTA-Foco. 461

peu que j'ai parcouru de vos mém )i- res, je vois que nus idées différent prodigieufement de celles de votre na- tion. Il ne feroit pas pollible que le plan que je propoferois ne fit beau- coup de mécontens , & peut-être vous même tout le premier. Or, Mon- (ieur , je fuis rafrafié de difputes & de querelles. Je ne veux plus voir ni faire de mécontens autour de moi, à quel- que prix que ce puiffe être. Je foupîre après la tranquillité la plus profonde, & mes derniers vœux font d'être aimé de tout ce qui m'entoure , & de mou- rir en paix. Ma réfolution là-dellus cil: inébranlaole. D'ailleurs, mes maux con- tinuels m'abforbent & augmentent mon indolence. Mes propres affaires e\'igenc de mon tems plus que je n'y en peux donner. Mon efprit ufé n'eft plus ca- pable d'aucune autre application. Que il peut-être la douceur d'une vie calme prolonge mes jours affez pour me mé- nager des îollirs, & que vous me ju- giez capable d'écrire votre hiftoire , j'entreprendrai volontiers ce travail ho- norable qui fatisfera mon cœur, fans trop fatiguer ma tête, de je fe rois fort flatté de lailFer à la poftérité ce mo-

V5

4-2 L r T T K 1

nument de mon léiour pHrmI vous^ mais re me d^r:.:.::ztz rien de plus. Com.m;e je re ve::x pas vous tromper , je m.e reprocher:': cicheter votre pro- îetrion au prb: c ur.e vaine attente.

Dâr.s ce::e idée qui m'cft venue i'ai plus conL!:é mon cœur que mes for- ces ; car dans Técat ie iuls, il eil peu aprarer: que je loutienne un fi long v:'.";_:e; c ailleurs îrès-embdiTir- fant. l„r :.:: avec ma gouvernante & mon petit i?: r ce. Cependant pour peu qi:e v: ;s m encouragiez je le -ente- rai, cela eu certain , duiTai-je reirer Se périr c: -cure ; mais il m.e faut au moins une _.~_:_,::ce m.orale d'être en repos pour le Te fie de ma vie ; car c'en eil feît 5 Monfîeur 5 je ne peux plus cou- rir. Malgré mon étn critique & pré- caire, fatteadrai dans ce pays votre réponfe avant de prendre aucun parti, irais ;e vous prie de di&érer le mioins pciiiDie : car n:.;' ~:e ::u:e ira patience, je puis n'être pas le mai:re des événe- mers, w'^e vous er/rraue 6: vous falue, MonHcu-. de :oa: mc^ cœur.

P. 5. J':..:^ii::s ce vr^us cire, quart £ vc5 p ::res . "u'i s !c::r.t bien diffi* ciles s'.is "- '■■"- ---*--- ^- «--' T,

A M. Butta-Foc o, ^6j

ne dîrpute jamais fur rien. Je ne parle jamais de religion. J*aime naturellement même autant votre Clergé que je hais le nôtre. J'ai beaucoup d'amis parmi le Clergé de France , & j'ai toujours très-bien vécu avec eux; mais quoi qu'il arrive , je ne veux point changer de religion, & je fouhaite qu'on ne m'en parle jamais, d'autant plus que cela feroit inutile.

Pour ne pas perdre de tems, en casï d'affirmation , il faudroit m'indiqneif quelqu'un â Livourne à qui je puife de- mander des inftruclions pour le paiTage*

LETTRE AU MÊME.

Moriers yle 26 Mai 1765.

J_j A crife orageufe que je viens d*QÇ- fuyer , Monlieur & l'incertitude du parti qu'elle me feroit prendre, m'ont fait différer de vous répondre 5c ds vous remercier jufqu'à ce que je fuiïe déterminé. Je le fuis maintenant pac une fuite d'événemens qui , m'of- fant en ce pays finon la tranquillité du moins la fureté , me font pren- dre le parti d'y relier fous la pro*

V4

'4<^4 Lettre

tedion déclarée & confirmée du Roî & du Gouvernement. Ce n'eR: pas que j*aye perdu le plus vrai defir de vivre dans le vôtre; mais répuifement total de mes forces, les foins qu'il faudroit prendre, les fatigues qu'il faudroit ef- luyer, d'autres obftacles encore qui naiiïent de ma (ituation, me font du moins pour le moment abandonner mon entreprife , à laquelle , malgré ces difficultés 5 mon cœur ne peut fe ré- fondre à renoncer tout à fait encore. Mais, m.on cher Monfieur, je vieilli?, je dépéris, les forces me quittent, le defîr s'irrite de l'efpoir s'é^-eint. Quoi qu'il en foit , recevez & faites agréer à M. Paoli mes plus vifs, m.es plus tf^n- dres rem,erclemens de l'aTyle qu'il a bien voulu m'accorder. Peuple brave

& hofpitalier! Non, je n'oublierai

jamais un moment de ma vie qne \os cœurs , vos brcS, vos foyers m'ont été ouverts à l'inflant qu'il ne me reftoic prefqu'aucun autre afyle en Europe. Si je n'ai point le bonheur de laifîer mes cendres dans votre Ifie , je tâche- rai d'y laiiïer du moins quelque monu- ment de m.i recon'-oif^ance , Se ie n 'ho- norerai aux yeux de toute la terre de

A Butta-Foc o. ^6^

vous appeller mes hôtes & mes pro- tedleurs.

Je reçus bien par M. le Chevalier R.,. la lettre de M. Paoli; mais pour vous faire entendre pourquoi j'y répondis en Il peu de mors 5 ôc d'un ton (i vague, il taut vous dire , iMonlieur , que le bruit de la propoficion que vous m'a,- vlez faite s'étant répandu fans que je iache comment, M, de Voît^iire fit en- tendre à tout le monde que cette pro- pohtion étoit une inver.tlon de fa façon ; il prétendoit m'avoir écrit au nom des Corfes une lettre contrefaite dont j'a^ vois été la dupe. Comme j'étois très- fur de vous , je le laifTai dire, j'aliii mon train & je ne vous en parlai pas même. Mais il fit plus : il fe vanta l'hi- ver dernier que malgré Mrlord Maré- chal & le Roi même , il me feroit chaf-- fer du pays. Il avoit des émiifaires, les uns connus , les autres fecrets. Dans le fort de la fermentation à la- quelle mon dernier écrit fervit de pré- texte , arrive ici M. de R.... ; il vient me voir de la part de M. de Paoli , fans m'apporter aucune lettre ni de la iîenne ni de la vôtre, ni de perfonne ; il refufe de fe nommer , il venoit de

4:66 Lettre

Genève , il avoit vu mes plus ardeng ennemis , on me Técrivoit. Son long féjour en ce pays , fans y avoir aucune affaire, avoit l'air du monde le plus myftérieux. Ce féiour fut précifément le tems l'orage fut excité contre moi. Ajoutez qu'il avoit fait tous fes efforts pour favoir quelles relations je pouvois avoir en Corfe. Comme il ne vous avoit point nommé, je ne vou- lus point vous nommer non plus. En- fin il m'apporte la lettre de M. Paoli dont je ne connoiffois point l'écriture; jugez fi tout cela devoir m'être fufpeél? Qu'avois-je à faire en pareil cas?— lui remettre une réponfe dont , à tout évé- nement, on ne pût tirer d'éclaircifle- ment ', c*efl: ce que je fis.

Je voudrois à préfent vous parler de nos affaires & de nos projets, mais ce n'en eft gueres le moment. Acca- blé de foins, d'embarras; forcé d'al- ler m.e chercher une autre habita- lion à cinq ou fîx lieues d'ici , les feuls foucis d'un déménagement très-incom- mode m'abforberoient quand je n'en aurois point d'autres , & ce font les- anoindres des miensy A vue de pays ^. guand ma tête fe remettroit^ ce que j^

A M. B U T T A - F G C 0 . 4(^7

/egai'de comme impoQible , de plus d'un an d'ici , il ne feroit pas en moi de m'occuper d'autre chofe que de moi- même. Ce que je vous promets, & fur quoi vous pouvez compter dès à pré- fe^nt, eft que pour le refle de ma vie , je ne ferai plus occupé que de moi oa de la Corfe : toute autre affaire ell: e.n^ tierement bannie de mon efprit. En at- tendant, ne négligez pas de raflèmbleir des matériaux , foit pour Thiftoire , foit pour l'inftitution; ils font les mêmesy Votre gouvernement me paroit être fur un pied à pouvoir attendre. J'ai ^ parmi vos papiers, un mémoire daté de Vefcovado 1764, que je préfume être de votre façon, & que je trouve excellent. L'ame & la tête du vertueux Paoîi feront plus que tout le refte* Avec tout cela pouvez- vous manquer d'un bon gouvernement provifionnel ? Aufîi bien , tant que des puifTances étrangères fe mêleront de vous , ne pourrez-vous gueres établir autre chofe. Je voudrois bien, Monfieur, que nous pudions nous voir: deux ou trois fours de conférence éclairciroient bien: des chofes. Je ne puis gueres être allez, Hfan-^juille cette ann^e pour" vous rie»î

V é

468 Lettre

propofer; mais vous feroit-il pOiHble, Tannée prochaine, de vous ména,çer wci pafTage par ce pays? J'ai dans la tête que nous nous verrions avec plaifir , & que nous nous quitterions contens l'un de l'autre. Voyez , puifque voilà l'horpitaîité établie entre nous, venez ufer de votre droit. Je vous embrafTe.

LETTRE

A M. DE C ^ * ^.

Mo'iers ^ 6 OEiohre 1764.

J

E vous remercie jMonfîeur, de votre dernière pièce , &: du plailir que m*a fait fa ledure. Elle décide le talent qu'annonçoit la première, & déjà l'au- teur m'infpire alTez d'eilime pour ofer lui dire du mal de Ton ouvrage. Je n*aime pas trop qu'à votre âge , vous falliez le grand père , que vous me don- niez un intérêt tendre pour le petit- fils que vous n'avez point; & que dans une Epître vous dites de fi belles chofes , je fente que ce n'eft pas vous qui parlez. Evitez cette méîhaphyti-

'A M. DE c^*^ '469

que à la mode , qui depuis quelque tcms obfcurcit tellement les vers Fran- çois qu'on ne peut les lire qu'avec con- tention d'efprit. Les vôtres ne font pas dans ce cas encore , mais ils y tombe- roientjfila difiérence qu'on fent entre votre première pièce &: la féconde aî- loiten augmentant. Votre Epître abon- de , non - feulement en grands fenti- mens , mais en penfées phiîofophiques auxquelles je reprocherois quelquefois de rétre trop. Par exemple, en louant dans les jeunes gens la foi qu'ils ont, & qu'on doit à la vertu , croyez - vous que leur faire entendre que cette foi n'eft qu'une erreur de leur âge, foit un bon moven de la leur conferver? Il ne faut pas, Monfieur, pour paroi- tre au-deflus des préjugés, faper les fondemens de la morale. Quoiqu'il n'y ait aucune parfaite vertu fur la terre , il n'y a peut-être aucun homme qui ne furmonte fes penchrns en quelque chofe,& qui par conféquent n'ait quel- que vertu; les uns en ont plus, les au- tres moins. Mais fi la mefure eft indé- terminée, eft-ce à dire que la cho(e n'exifle point ? Ceft ce qu'alfurément vous ne croyez point ,& que pourtant

470 Lettre

▼ouj txitcs er'c :'c. Je vous con*

£ûre une pièce , ^a vau^ p.v jvcrez que malgré Us vkei des boînmci , il y a peran eux des vertus , le même de U ▼enu , & qu'il y en aura coujours.

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if , de quoi sVlever à Sic ; il y en a da-

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A M. DE C**. 471

fait ou le droit des gens fût viole d'autant de manières : mais quoique les fuites de cette affaire m'aient plongé dans un gouft're de malheurs d*où je ne fortirai de ma vie, je n'en fais nul mauvais gré à ces Meilleurs. Je fais que leur but n*étoit point de me nuire, mais feulement d'aller à leurs fins. Je fais qu'ils n'ont pour moi ni amitié, ni hdine, que mon être, & mon fort e(l la chofe du monde qui les inté- reffe le moins. Je me fuis trouve fur ur paHage comme un caillou qu'on uffe avec le pied fans y regarder. onnoîs à-pcu-prc$ leur portée & principes. Ils ne doivent pas dire ont fait leur devoir, mais qu'ils leur métier,

vous voudrez m'honorcr de

poignage de fouvenir , &:

Ique parc de vos travaux

s recevrai toujours àvtc

^nnoillancc. Je vous (a--

de tout mon cœur..

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47<^ L É T T K s

vous faites entendre. Je vous cotU damne , pour réparer cette faute , à faire une pieee, vous prouverez que malgré les vices des hommes , il y a parmi eux des vertus , & mém€ ae I3. vertu , Se qu'il y en aura toujours* Voilà 5 Monfieur, de quoi s'élever à la plus haute philofophie ; il y en a da- . vantage à combattre les préjugés phi^ lofophiques qui font nuifibles , qu'à combattre les préjugés populaires qui font utiles. Entreprenez hardiment cet ouvrage, & fi vous le traitez comme vous le pouvez faire , un prix ne fau- xoit vous manquer,-

En vous parlant des gens qui m'ac- cablent dans mes malheurs , & qui me portent leurs coups en fecret , j'étois bien éloigné, Monfieur , de fonger à rien qui eût le moindre rapport au Par- lement de Paris. J'ai pour cet illuftre ^ Corps, les mêmes fentimens qu'avant ; ma difgrace , & je rends toujours la j même juftice à fes membres , quoiqu'ils ; me l'aient fi mal rendue. Je veux même penfer qu'ils ont cru faire envers moi leur devoir d'hommes publics ; mais c'erï i étoit un pour eux de mieux Tappren-* drer On trouveroit difficilement uu

A M. DE C^*\ 471

fait le droit d^s gens fût violé d'autant de manières : mais quoique les fuites de cette affaire m'aient plongé dans un gouffre de malheurs d'où je ne fortirai de ma vie, je n'erj fais nul mauvais gré à ces Meilleurs. Je fais que leur but n'étolt point de me nuire, mais feulement d'aller à leurs fins. Je fais qu'ils n'ont pour moi ni amitié , ni haine, que mon être, & mon fort eft la chofe du monde qui les inté- reffe le moins. Je me fuis trouvé fur leur pafTage comme un caillou qu'on pouffe avec le pied fans y regarder. Je connoîs à-peu-près leur portée 6c leurs principes. Ils ne doivent pas dire qu'ils ont fait leur devoir , mais qu'ils ont fait leur métier,

Lorfque vous voudrez m'honorer de quelque témoignage de fouvenir , & me faire quelque part de vos travaux littéraires , je les recevrai toujours avec intérêt & reconnoiffance. Je vous fa^-- lue, Monfieur, de tout mon cœur..

&

475 L r T T E ë

LETTRE

^ M. D*"*.

Motlers, le 4 Novembre 1764.

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lEN des remerciemens, Mon{îeur, du Didionnaire philofophique. II eft agréable à lire ; il y règne une benne morale; il feroit à iouhaiter qu'elle fût dans le cœur de l'Auteur & de tous les hommes. Mais ce même Auteur eft prefque toujours de mauvaife foi dans ]es extraits de l'Ecriture ; il raifonne fouvent fort mal , & l'air de ridicule & de mépris qu'il jette fur des fenti- mens refpedés des hommes , rejailîif- fant fur les hommes mêmes, me pa- roît un outrage fait à la fociété. Voilà mon fentiment & peut-être mon er- reur, que je me crois permis dédire, mais que je n'entends faire adopter à qui que ce foit.

Je fuis fort touché de ce que vous me marquez de la part de M. & Madame de BuiTon. Je fuis bien aife de vous avoir dit ce que je penlois de cet

A M. D*^^. 475

homme ilîuftre avant que Ton fouvenir réchaufiât mes fentimens pour lui , afin d'avoir tout l'honneur de la juf- tice que j'aime à lui rendre , fans que mon amour- propre s'en foit mêlé. Ses écrits m'inftruiront & me plairont toute ma vie. Je lui (a) crois des égaux parmi Tes contemporains en qualité de penfeur & de philoloohe ; mais en qualité d'écrivain je ne lui en con- nois point. C'eft la plus belle plume de fon fiecîe ; je ne doute point que ce ne foit le jugement de la pofté- rité. Un de mes regrets eft ne n'avoir pas été à portée de le voir davantage & de profiter de fes obligeantes invi- tations, Je fens combien ma têts 3c mes écrits auroit gagné dans Ion com- merce. Je quittai Paris au moment de fon mariage ; ainfi je n'ai point eu le bonheur de connoître Madame de Buf- fon , rr:ais je fais qu'il a trouvé dans fa perfcnne & dans fon mérite l'aimable (3k: digne récompcnle du fien. Que Diau les béniffe l'un & l'autre de vouloir

( a ) Quand M.'Roufleau écnvoît ceci , M. le Comte de Buftcn n'a vole pas encore publié les Bfoc[u€S dt la Nature»

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fement devant tout le monde comme le grand-peie de leur nourrice. Grâces au Ciel , me voi'à bien rétabli dans ma dignité, puifque les Demolfelles me font l'honneur de ne m'ofer venir voir.

LETTRE A M. H I R Z E L.

I I Kovcrrbrc 1754,

E reçois , Monfieur , avec recon-

liiïance la féconde édition du So-

ite ruAique , &: les bontés dont

lonore fon digne Hiflorien. Quel-

étonnant que foit le Héros de

livre , TAuteur ne l'eft pas

à mes yeux. Il y a plus de pay-

ledablcs que de favans qui les

[t & qui Tofent dire. Hv^ureux

des Klyioggs cultivent la

des Hirzels cultivent les

ibondanee y règne &: les

honneur,

»nfieur , je vous fup-

lens ôc mes faluta-

474 Lettre

bien s'intéreffer à ce pauvre profcrif. Leurs bontés font une des confolation^ de ma vie: qu'ils fâchent, je vous ea fupplie , que je les honore de les aime de tout mon cœur.

Je fuis bien éloigné, Monfîeur , de renoncer aux pèlerinages projettes. Si la ferveur de la Botanique vous dure encore , & que vous ne rebutiez pas i3n élevé à barbe grife, je compte plus que jamais aller herborifer cet été fur vos pas. Mes pauvres Corfes ont bien maintenant d'autres affaires eue d'aller établir l'Utopie au milieu d'eux. Vcu$ favez la marche des troupes Françoi- fes ; il faut voir ce qu'il en réfultera. En attendant, il faut gémir tout bas, , & aller herborifer. |

Vous me rendez fier en me mar- i quant que Mademoifelle B**"^ n'ofe me ! venir voir à caufe des bienféances \ de fon fexe , & qu'elle a peur de moi î comime d'un circoncis. Il y a plus de : quinze ans que les jolies femmes me ': faifoient en France l'affront de me trai- ; ter comm.e un bon homme fans con- ' féquence, jufqu'à venir dîner avec moi ! téte-à-tête dans la plus infultante fa- ! iniliarité;,jufqu àm'embrafrer dédaigne u- i

A M. D**\ 475»

fement devant tout le monde comme le grand-pere de leur nourrice. Grâces au Ciel , me voilà bien rétabli dans ma dignité, puifque les Demolfelles me font l'honneur de ne m'ofer venir voir.

LETTRE A M. H I R Z E L.

1 1 Noverrbre 1754,

J E reçois , Monfîeur , avec recon- noiiïance la féconde édition du So- crate ruflique , & les bontés dont m'honore fon digne Hiflorien, Quel- que étonnant que foit le Héros de votre livre , l'Auteur ne Teft pas moins à mes yeux. Il y a plus de pay- fans refpedlables que de favans qui les refpedent Se qui Tofent dire. Heureux le pays des Klyioggs cultivent la terre, & des Hirzels cultivent les Lettres ! L'abondance y règne & leç vertus y font en honneur.

Recevez , Monfieur , je vous fup- plie , mes remercîmens de mes faluta- tions.

47^^ Lettre

L E TT R E

A M. D U C L O S.

Motiets , le z Décembre 1764.

J E crois 5 mon cher ami , qu*au point nous en fommes , la rareté des let- tres eft plus une marque de confiance que de négligence ; votre filence peut ni'inqiiiéter l-ur votre fanté , mais non fur votre amitié, & j'ai lieu d'attendre de vous la même fécurité (ur la mien- ne. Je fuis errant tout l'été , malade tout l'hiver , & en tout tems fi fur- chargé de désœuvrés, qu'à peine ai- je un me mien t de relâche pour écrire à mes amiis.

Le recueil fait par Duchefne eft en efTet incomplet, & qui pis eft très- fautif ; mais il n'y manque rien que 1 vous ne connoiftîez , excepté mia ré- /' ponfe aux lettres écrites de la Campa- gne , qui n'eft pas encore publique, . J^efpérois vous la faire remettre aufîi- - tôt qu'elle feroit à Paris ; mais on m'apprend que M. de Sartine en a dé-

A M. D u c L o s. 477

fendu l'entrée , quoiqu'afTurément il n'y ah pas un mot dans cet ouvrage, qui puiiTe déplaire à la France ni aux François, 6: que le Clergé Catholique y ait à Ton tour ks rieurs aux dépens du nôtre. Malheur aux opprimés, fur- tout quand ils le (ont injuîlement ; car alors ils n'ont pas même le droit de fe plaindre , & je ne ferois pas étonné qu'on me fît pendre, uniquement pour avoir dit & prouvé que je ne méritois pas d'être décrété. Je prefTens le con- tre-coup de cette défenfe en ce pays. Je vois d'avance le parti qu'en vont tirer mes implacables ennemis, & fur- tout ipfe d&Ii fabricator Epcus,

J'ai toujours le projet de faire enfin moi-même un recueil de mes écrits , dans lequel je pourrai faire entrer quel- ques chiffons qui font encore en ma- nulcrits , & entr'autres le petit conte dont vous parlez, puifque vous jugez qu*il en vaut la peine. Mais outre que cette entreprife m'effraye, fur -tout dans l'état je fuis, je ne fais pas trop la faire. En France il n'y faut pas fonger. La Hollande eft trop loin de moi. Les Libraires de ce pays n'ont pas d'alTez vaftes débouchés pour çettQ

478 Lettre

cntreprife ; les profits en feroient peu de choie ; &: je vous avoue que je n'y fcnge que pour me procurer du pain durant le telle de n^es malheureux jours , ne me Tentant plus en état d'en gagner. Quant aux mémoires de ma vie dont vous parlez , ils font très- difficiles à faire fans compromettre per- fcnne ; pour y fonger il faut plus de tranquillité qu'on ne m'en laille , &: que \c n*en aurai probablement jamais ; fi je vis toutefois , je n*y renonce pas ; vous avez toute ma confiance , mais vousfentez qu'il y a dts chofes qui ne fe difent pas de h loin.

Mes courfes dans nos montagnes C riches en DÎantes , m'ont donné du goût pour la botanique ; cette occupation convient fort à une machine ambulante â laquelle il cft interdit de penfer. Ne pouvant làiÏÏer ma tête vide , je la veux empailler ; c'cft de foin qu'il faut ravoir pleine , pour être libre & vrai, fans crainte d'être décrété. J'ai l'avan- tage de ne connoître encore que dix plantes , en comptant Thyfope ; j'aurai Jong-tems du plaillr à prendre , avant d'en être aux arbres de nos forets.

J'attends avec impatience votre nour

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A M. D c c L o 3. 47^

velle édition des Conûdérations far les iTiCEiirs. Puifque vous avez des facili- tés pour tour le Royaume, adreuei le paqjct à Pontarîier , à moi dire^e- ment, ce qui fufit , ou à AL Juner, Direâtear des poftes ; il me le fera parvenir. Vo«s pouvez aufS le remettre à Duchefne, qui me le fen pa'Jer avec d'îutres envois. Je vous demanderai

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plaire , ce que je ne puis faire ici fans •e gâter ; je le prendrai fecretement dans ma poche en allant herborifer , & quand je ne verrai point d''\rchers au- '^^ I tour de moi , jV jetterai les yeux à îi dérobée. Mon cher ami , comment tù:es - vous pour penfer être hon- nête homme , & ne vous pas faire pendre ? Cela me paroit difficile, en ^ I Ycrité. Je vous embraiTc de tout mon * ' cœur.

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Fia du Tome VL

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47^ Lettre

entreprife ; les profits en feroîent peu de chofe ; & je vous avoue que je n'y fonge que pour me procurer du pain durant le refte de mes malheureux jours, ne me Tentant plus en état d'en gagner. Quant aux mémoires de ma vie dont vous parlez , ils font très- difficiles à faire fans compromettre per- fonne ; pour y fonger il faut plus de tranquillité qu'on ne m'en laiffe , & que je n'en aurai probablement jamais ; fi je vis toutefois , je n'y renonce pas ; vous avez toute ma confiance ^ mais vous fentez qu'il y a d^s chofes qui ne fe difent pas de li loin.

Mes courfes dans nos montagnes fi riches en plantes , m'ont donné du goût pour la botanique ; cette occupation convient fort à une machine ambulante a laquelle il eft interdit de penfer. Ne pouvant laiiïer ma tête vide , je la veux empailler ; c'eft de foin qu'il faut l'avoir pleine , pour être libre & vrai, fans crainte d'être décrété. J'ai l'avan- tage de ne connoître encore que dix plantes , en comptant l'hyfope ; j'aurai jong-tems du plaiiir à prendre , avant d'en être aux arbres de nos forêts.

J'attends avec impatience votre nou:

A iM. D u c L o s. 47^

velle édition des Confidérations fur les mœurs. Puifque vous avez des facili- tés pour tout le Royaume, adrefîez le paquet à Pontarlier , à moi direde- ment, ce qui fuffit , ou à M. Junet, Diredèeur des poftes ; il me le fera parvenir. Vous pouvez auflî le remettre àDuchefne, qui me le fera paffer avec d'autres envois. Je vous demanderai même fans façon de faire relier l'exem- plaire , ce que je ne puis faire ici fans le gâter ; je le prendrai fecretement dans ma poche en allant herboriferjôc quand je ne verrai point d'Archers au- tour de moi , j'y jetterai les yeux à la dérobée. Mon cher ami , comment faites - vous pour penfer être hon- nête homme , & ne vous pas faire pendre ? Cela me paroît difficile, en vérité. Je vous embraffe de tout mon cœur.

Fin du Tome FL

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