Ha } EAU S hi . jo f ANA (L ja IL ù D UNE 5 ; 1) \) PUREAE RONA | AN di US DUNE. D LOU PRAULE RU SEA 1 A LRO 40 COTE D ENE Re NA Ee \ Ke 4 PALAU ORAUET LE Dir { AE RS CHANT en Ps ®) al En A 4 pal > N u TOR( RY DNTO LIBRA annah H CE son À. a lon Colle the Histor In 1Ce f Medi and Related O Sciences Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa htip://www.archive.org/details/oeuvresdepasteu01pasi . Fe = l j OEUVRES PASTEUR OEUVRES DE PASTEUR RÉUNIES PASTEUR VALLERY-RADOT MÉDECIN DES HÔPITAUX DE PARIS TOME PREMIER DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE PARIS MASSON ET C*, ÉDITEURS LIBRAIRES DE LACADÉMIE DE MÉDECINE 120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN 1922 Nous avons reproduit intégralement le texte de Pasteur. Cependant des ponctuations et des fautes typographiques ont été rectifiées. Quand une faute de cet ordre a déterminé une correction importante du texte, nous avons mentionné en note la correction que nous avons dû faire subir au texte. Les | } qui entourent certains mots indiquent que ces mots ne figurent pas dans le texte original. Les indications bibliographiques ont été vérifiées; un grand nombre ont été rectifiées ou complétées. Les notes suivies de ces mots : Note de l’Édition sont celles que nous avons ajoutées au texte. Les notes qui ne sont accompagnées d'aucune mention sont celles du texte original. Parfois un même mémoire fut publié par Pasteur dans divers bulletins avec des variantes. Nous avons, soit reproduit les différents textes, soit mentionné en notes les variantes. Tous droits de reproduetion, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris la Russte. Copyright 1922 by PASTEUR VALLERY-RADOT. AVANT-PROPOS Les travaux de Pasteur étaient épars dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine, dans des revues et des journaux scientifiques ; seules, les études sur le vin, sur la bière, et sur la maladie des vers à soie avaient été réunies en volumes. Nous avons rassemblé ces travaux. Six étapes marquent cette œuvre : la dissymétrie moléculaire; les fermentations et les générations dites spontanées ; les études sur le vin ; la maladie des vers à soie : les études sur la bière ; les maladies virulentes et les virus-vaccins (1). L'ordre que nous avons adopté pour chaque série de travaux & été l'ordre chronologique, afin que püt être suivie très exactement l'évolution de la pensée de Pasteur. Ces notes, ces lecons et ces mémoires rassemblés montrent l’immensité de l’œuvre et son unité. Par un enchaïnement de faits, de raisonnements et d'expériences, Pasteur fut conduit de la dissymétrie moléculaire aux fermentations, puis à l'étude des générations dites spontanées, enfin aux maladies transmissibles, aux virus-vaccins et à la prophylaxie de la rage. Tous ces travaux réunis manifestent l'ampleur de la révolution accomplie par Pasteur dans les sciences biologiques. 1. La dssymétrie moléculaire constituera le tome I; les fermentations et les généra- tions dites spontanées, le tome II; les études sur le vinaigre et sur le vin, le tome III; les études sur la maladie des vers à soie, le tome IV; les études sur la bière, le tome V; les maladies virulentes, les virus-vaccins et la prophylaxie de la rage, le tome VI; enfin, le tome VII sera consacré aux mélanges scientifiques et littéraires. u b pe » [ . mL _ Fi tu 1 “ à : 11% À ï î INTRODUCTION DU TOME PREMIER Dans ce volume, nous avons réuni les thèses de chimie et de physique et les travaux sur la cristallographie qui marquent l'entrée de Pasteur dans la vie scientifique. Ces travaux l’ont amené à l'étude des fermentations. Ils furent ainsi l’origine de ses découvertes ultérieures. Pasteur mit dans ces recherches tout son enthousiasme, toute sa foi dans la science, une persévérance invincible à poursuivre la vérité, et cette faculté géniale qui lui faisait apercevoir au delà du phénomène particulier des horizons illimités. Les hypothèses que lui dieta son imagination divinatrice, il les vérifia par les observations les plus patientes, les plus minutieuses. Associant la cristallographie, la chimie et l’optique moléculaires, il fut conduit avec une rigueur absolue à la découverte d’une loi géné- rale. Cette loi lui permit de reconnaître, dans les principes immédiats de la cellule vivante, une propriété fondamentale qui établit une ligne de démarcation entre les produits minéraux ou artificiels et les produits formés sous l’influence de la vie. La plupart de ces travaux de cristallographie s’échelonnent de 1847 à 1857. Passionné par de telles recherches, Pasteur eut l'intention de leur consacrer toute sa vie. Cependant, lorsqu'après avoir découvert la dissymétrie moléculaire dans les produits organiques naturels, il eut constaté l'influence de cette dissymétrie dans les phénomènes d'ordre physiologique, il s’orienta dans une voie nouvelle. Mais cette voie n'était que le prolongement naturel de ses découvertes sur la chimie moléculaire. En plein travail sur les fermentations il ne cessail, d’ailleurs, de s'intéresser à la cristallographie dont certaines des lois VIII ŒUVRES DE PASTEUR « touchent aux conditions les plus cachées de la création et de la vie ». « Il faut de toute nécessité, disait-il, que des actions dissymétriques président pendant la vie à l'élaboration des vrais principes immédiats naturels dissymétriques... L'univers est un ensemble dissymétrique, et je suis persuadé que la vie, telle qu’elle se manifeste à nous, est fonction de la dissymétrie de l'univers ou des conséquences qu’elle entraîne... On ne parviendra à franchir la barrière, qu’établit entre les deux règnes minéral et organique l’impossibilité de produire par nos réactions de laboratoire des substances organiques dissymétriques, que si l’on arrive à introduire dans ces réactions des influences d'ordre dissymétrique. C’est là qu’il faudrait placer le problème, non pas seulement de la transformation des espèces, mais aussi de la création d'espèces nouvelles. » En 1870, éloigné de son laboratoire, il note des projets d’expé- riences ; c’est la poursuite de cette idée qui lui est chère de faire agir des forces dissymétriques dans les phénomènes chimiques. En 1878, bien qu'absorbé par ses travaux sur les maladies virulentes, il a le dessein de réunir et de coordonner ses diverses publications sur la cristallographie sous le titre : Études de chimie moléculaire ou recherches sur la dissymétrie dans les produits organiques naturels; il corrige de sa main ses anciens mémoires et il écrit plusieurs pages restées inédites. Emporté par ses recherches sur les vacei- nations, l'ouvrage projeté ne put être réalisé; mais, même dans toute l’ardeur de ses expériences sur la cause et la prophylaxie des maladies infectieuses, même dans la tourmente des discussions sur la rage, sa pensée se reportait vers ses premiers travaux. A plusieurs reprises, il publia des notes pour répondre à des controverses sur la chimie moléculaire; et, encore en 1883, il faisait devant la Société chimique une leçon sur l’ensemble de son œuvre en cristallographie. De toutes ses découvertes, celle sur la dissymétrie des produits essentiels de la vie lui tenait à cœur plus qu'aucune autre. Dans ses dernières années, on l’entendit plus d’une fois dire avec regret : «Ah! que n’ai-je une nouvelle existence devant moi! avec quelle joie je reprendrais ces études sur les cristaux! » Il entrevoyait que par elles se révélerait peut-être un jour l’origine de la vie. PASTEUR VALLERY-RADOT. THÈSES DE CHIMIE ET DE PHYSIQUE TRAVAUX DE CRISTALLOGRAPHIE DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE OEUVRES DE PASTEUR TOME PREMIER DISSYMÉTRIE MOLÉCULAÏRE MASSON @7 CIEEDITEURS.PARIS EL I RE THÈSE DE CHIMIE RECHERCHES SUR LA CAPACITÉ DE SATURATION DE L'ACIDE ARSÉNIEUX ÉTUDE DES ARSÉNITES DE POTASSE, DE SOUDE ET D'AMMONIAQUE (1) Un des travaux qui ont été les plus féconds en découvertes utiles pour la chimie est sans contredit celui de M. Graham sur l'acide phosphorique. Les chimistes reconnurent, dès lors, quels importants changements, dans les propriétés d’un corps, pouvaient naître de la présence ou de l'absence de l’eau. Le phosphate de soude ordinaire a une réaction alcaline ; il donne avec les sels d'argent un précipité jaune qui a une composition singulière, comparée à celle du sel qui l’a fourni. Calciné, ce sel n’a plus la même réaction alcaline, il ne donne plus avec les sels d'argent un précipité jaune, mais blanc, de composition spéciale. Eh bien, ces propriétés si remarquables, si permanentes, inexpliquées jusqu'alors, ont tout simplement pour origine l'existence, dans le phosphate de soude ordinaire, de 1 équi- valent d’eau jouissant de la propriété de fonctionner à la manière d’une base fixe, susceptible de se dégager seulement à une haute tempé- rature ; et, dès que le sel a perdu cet élément important, il est tout autre qu'auparavant : il est sorti de son type primitif. Dans la calcination de l’acide phosphorique ordinaire, on observe des faits non moins dignes d'intérêt, et qui ont conduit les chimistes à admettre trois acides phosphoriques. Mais il y a plus : si l’on compare la composition des sels qu’un de ces acides fournit, avec celle de l'acide correspondant, on trouve que la composition de ces sels est en 1. In : Thèses de chimie et de physique, présentées à la Faculté des sciences de Paris, le 26 août 1847. Paris, 1847, Imprimerie de Bachelier, 40 p. in-4° (10 fig.), p. 9-26. DISSYMËTRIE MOLÉCULAIRE. 1 2 ŒUVRES DE PASTEUR quelque sorte calquée sur celle de l'acide pris avec l’eau qui entre réellement dans sa constitution. Il n’y avait pas loin de là à dire que l'acide était un sel d’eau, que le caractère de l’acide résidait dans la molécule d’eau dont il renferme les éléments. Et comme, en général, dans les sels de même genre le rapport de l'oxygène de l'acide à celui de la base est constant, ce rapport devra exister pour l'acide; et réciproquement, il sera dans les sels ce qu'il est dans l'acide. Par suite, si l'acide renferme 2 ou 3 molécules d’eau, tous les sels corres- pondants auront 2 ou 3 molécules de base; en d’autres termes, il y a des acides monobasiques, bibasiques, etc. Il peut arriver qu'un même corps s’unisse à 1, ou 2, ou 3 molécules d’eau pour donner lieu à trois acides différents ayant des capacités de saturation différentes et donnant lieu à trois séries de sels distincts. Tel est l'acide phospho- rique anhydre. É En adoptant ces idées, quelle opinion devra-t-on se faire sur ces acides, tels que l’acide silicique, qui ne s’obtiennent point à l’état hydraté avec des quantités d’eau basique variables, et donnent lieu cependant à plusieurs genres de sels? On peut admettre que chacun de ces genres de sels correspond à des acides hydratés différents, ou à des acides anhydres différents, susceptibles de s'unir à des quantités variables d’oxydes métalliques ; ou, enfin, qu'il n'y a qu'un seul genre de sels, et que tous ceux qui n’y rentrent pas sont des sels basiques ou des sels acides. L’acide arsénieux est de l’ordre de ces acides que l’on n’a pu encore obtenir hydratés, et qui fournissent des sels dont le type diffère; au sujet duquel, par conséquent, on peut faire les trois hypothèses que nous venons de mentionner. Les recherches suivantes prouveront, en effet, que l’acide arsénieux ne donne pas toujours lieu à des sels où le rapport de l'oxygène de l'acide à celui de la base est de 3 à 2, comme beaucoup de chimistes l'ont admis jusqu'ici; mais qu'il existe réellement, et presque pour chaque métal en particulier, un arsénite à 1 équivalent de base, et un autre à 2 équivalents de base. Dès lors, il y aura à résoudre cette question : Les arsénites à 2 équivalents de base ne sont-ils que les arsénites à 1 équivalent combinés à une nouvelle proportion de base, des arsénites basiques en d’autres termes? ou bien y a-t-il deux acides arsénieux, soit anhydres, soit hydratés, lun monobasique, l’autre bibasique? Je reviendrai prochainement sur cette question: aujourd'hui je me propose d'établir seulement, par l'examen de corps bien définis, cristallisés, que l’acide arsénieux donne souvent lieu à des sels où le rapport de l'oxygène de l'acide à celui de la base est de 3 à 1, et que cet acide n'est nullement comparable à l’acide phos- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 3 phoreux, surtout à l'acide phosphoreux tel que nous l’a fait connaître le travail de M. Wurtz. Avant d'entrer dans le détail des faits qui forment le sujet prin- cipal de ces recherches, je dirai à quelle occasion elles ont été entre- prises. Je le fais d'autant plus volontiers que je serai ainsi naturelle- ment amené à l'étude d’une nouvelle combinaison cristallisée qui s'obtient facilement au moyen du produit direct de l'action du gaz ammoniac sec sur le chlorure d’arsenic. = Guidé par les bienveillants conseils de M. Laurent, auprès duquel j'ai eu le bonheur, de trop courte durée, de travailler dans le labora- toire de chimie de l’École Normale, j'avais entrepris de mettre à l'épreuve un des points de sa théorie des acides amidés. Les principales asser- tions que cette théorie renferme ont été établies antérieurement par des travaux nombreux de M. Laurent. Il n’en est pas de même de la partie relative aux acides chloramidés. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’il est probable que les chlorures volatils anhydres sont des produits qu'il faut rapprocher des acides anhydres; et que, de même que ces derniers, en présence du gaz ammoniac sec, donnent des acides amidés tels que l'acide camphoramique, isamique, ete., de même les produits directs du gaz ammoniac sec sur les chlorures volatils sont des acides chloramidés ou des sels d’ammonium, lorsque plusieurs équivalents d’ammoniaque sont entrés dans la réaction. Et qu’on ne s’y trompe pas: cette théorie est digne, au plus haut degré, d’exciter l'attention des chimistes. Qu'elle soit établie en effet, pour ce qui regarde les acides chloramidés, et la question du rôle de l’eau dans les acides a fait un grand pas. Il deviendra de plus en plus probable que le vrai caractère d’un acide dépend essentiellement de l'hydrogène qu'il ren- ferme, susceptible d’être remplacé par un métal quelconque, lorsqu'on aura prouvé que le gaz ammoniac donne avec un chlorure volatil un acide où 1 équivalent d'hydrogène peut étre remplacé par 1 équivalent de métal quelconque. On obtiendra en effet, de cette manière, des acides et des sels où il n’entrera pas d'oxygène, partant ni eau ni oxyde. Action du gaz ammoniac sec sur le chlorure d'arsenic. On sait déja depuis longtemps, par les travaux de MM. Persoz et H. Rose, que, lorsqu'on fait rendre, dans un ballon contenant du chlorure d’arsenic, du gaz ammoniac desséché, bientôt la tempé- rature du chlorure s'élève, tandis qu'il se trouve transformé en une matière blanche, pulvérulente, non cristallisée, inodore, et qui, ŒUVRES DE PASTEUR ES saturée de gaz ammoniac, possède, d’après M. H. Rose, la composition Ch5 Ar? — 7 Az H3. Quelle est la constitution de cette matière? quels groupes forment les éléments qui y entrent? Il est très probable que cette substance, ainsi que toutes celles obtenues dans les mêmes circonstances, n’est autre chose qu'un mélange de sel ammoniac et d’une autre matière analogue aux amides. Dans ces derniers temps, M. Gerhardt(f) a établi que le perchlorure de phosphore ammoniacal, produit direct de l’action de l’'ammoniaque sur le perchlorure de phosphore, n’était qu'un mélange de sel ammoniac et de chlorophosphamide : P Ch5 + 2AzH3— P Ch$AZ?H# + 2ChH. L’acide chlorhydrique se dégage ou passe à l’état de sel ammoniae, qui reste mêlé à la chlorophosphamide ; et la meilleure preuve que le gaz ammoniac ne s’unit pas simplement au perchlorure, c’est que, si l’expérience est faite dans un long tube, en même temps qu'à une extrémité arrive le gaz ammoniac, des torrents d'acide chlorhydrique se dégagent à l’autre extrémité. Il est très probable qu'une réaction analogue se passe avec le chlorure d’arsenic et le gaz ammoniac, et que le produit obtenu est un mélange de sel ammoniac et de chlorarsénimide. En prenant la formule donnée par M. H. Rose pour le produit direct, on a Ch6 Ar? Az7 H2! — 2 (Ch Ar Az H) + 4 (Ch Az Hi) + AzH3. Une preuve en faveur de cette opinion, c’est que si l’on chauffe cette matière dans un tube, il se dégage d’abord beaucoup d’ammoniaque, puis toute la matière se sublime : mais il est très facile d’apercevoir, surtout dans les parties sublimées en dernier lieu, beaucoup de petits cristaux cubiques, qui ne sont autre chose que du sel ammoniac, comme une analyse directe me l’a prouvé. Ce qui se sublime en premier lieu serait un mélange de chlorarsénimide et de sel ammoniac. La différence de volatilité de ces substances, quoique réelle, n’est pas assez grande pour que l’on puisse espérer d'isoler, par ce moyen, la chlorarsénimide à l’état de pureté parfaite. Le chlorure d’arsenic ammoniacal, traité par l’eau bouillante, se détruit complètement, en donnant lieu d’abord à un dégagement d’ammoniaque, tandis qu’il reste en dissolution ou qu'il se précipite de l’acide arsénieux, du sel ammoniac. 1. Gerwarpr. Recherches sur les combinaisons du phosphore avec l'azote. Annales de chimie et de physique, 3e sér., XVIII, 1846, p. 188-205. (Note de l'Edition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 5 Traité au contraire par l’eau, à la température ordinaire ou à une douce chaleur, la masse s’échauffe, en même temps que de l’ammo- niaque se dégage. La liqueur, abandonnée au refroidissement et à l’éva- poration spontanée, donne un dépôt cristallin fortement adhérent aux parois du vase, composé de tables ayant la forme d’hexagones réguliers d’une grande netteté. D’après l’analyse, cette substance aurait pour composition : ChAr2AzH5O7. TROUVÉ CALCULE Chloe. Se M RE NE CR EEE LU 19299 AT A = Se US. 105510 57,66 AGDE 2 SE OR É RERUE EORE ER UE 5,35 5,39 ENCRES ES RON EE ENT) 1,93 Oxygène par différence . . . . . . . .:. . 20,82 DATE La réaction qui donne naissance à ce composé nouveau est facile à concevoir. Le composé obtenu directement par le gaz ammoniac et le chlorure d’arsenic peut se représenter par 2(ChAr Az H) + 4 (Ch AzH#) + Az HS. En traitant cette matière par l’eau, Az H3 se dissout ou se dégage, en partie très reconnaissable à l'odeur. Le sel ammoniac se dissout, et 2 (Ch Ar Az H) s’assimile les éléments de 7 équivalents d’eau pour donner la nouvelle combinaison que nous venons de signaler; en même temps, un nouvel équivalent de sel ammoniac entre en dissolution : 2(ChArAzH) + 7HO0 — ChAr?AzH507-+ ChAzHi. Cette nouvelle combinaison renferme les éléments de 1 équivalent de chlorarsénimide, de 1 équivalent d’acide arsénieux et de 4 équivalents d’eau : DR ChAr?2Az H507— ChArAzH + Ar O3 + 4{H0O). On peut aussi la regarder comme un arsénite d’ammoniaque ayant pour formule L {(ChO?)ArAzOÏ, AzH*O + HO, Ce serait un arsénite acide d’ammoniaque renfermant 2 équivalents d'acide arsénieux, dont 1 serait de l’acide arsénieux chloré. J’ai même fait quelques essais dans le but d'obtenir le composé ChO?Ar; ces essais ne sont pas assez avancés pour que je puisse en tirer des concelu- sions certaines ({). 1. Le chlorure d’arsenic, traité par l'eau, se décompose lorsque l'eau intervient en trop grande quantité. Versée de manière à surnager le chlorure plus dense, celui-ci se dissout peu à peu, et, au bout de quelques jours, le vase étant ouvert, de manière quel’acide chlorhydrique puisse s’évaporer, il se dépose des cristaux en groupes étoilés de même forme que l'acide 6 ŒUVRES DE PASTEUR Quoi qu'il en soit de la véritable constitution de cette nouvelle combinaison cristallisée, il est certain que, si on la traite par l’ammoniaque concentrée, elle se prend tout de suite en une masse dure, adhérente au vase, cristallisée, mais dont les cristaux ne sont pas des tables hexagonales régulières. Ce sont encore des tables hexagonales, mais allongées, groupées ensemble, d’aspect nacré, et qui, lavées à l’eau, ne renferment pas trace de chlore. A l’analyse, on trouve que ce n’est autre chose que de l’arsénite d’ammoniaque, ayant pour composition ArO3AzH#O, sans eau de cristallisation. En réalité, je n'ai point fait l’analyse des cristaux obtenus de cette manière; j'ai pensé seulement que ces cristaux, ne renfermant pas de chlore, mais seulement de l'acide arsénieux et de lammoniaque, pourraient bien être de l’arsénite d’ammoniaque. Il est vrai que cet arsénite n'avait pas encore été obtenu à l’état cristallisé. On trouve en effet dans tous les ouvrages, et notamment dans la Chimie de M. Berzelius (1), qui, plusieurs fois, a eu occasion de se servir d’acide arsénieux dissous dans lammoniaque, que cet acide se dissout beaucoup mieux dans l’ammoniaque que dans l’eau, mais que la dissolution évaporée lentement ou à l’ébullition laisse déposer de l’acide arsénieux cristallisé. J'ai répété plusieurs fois cette expérience en arrivant au même résultat. Je pensai que peut-être il fallait obliger l’ammoniaque à rester en présence de l’acide arsénieux, pour que l’arsénite prit naissance ; et, en effet, plaçant de l'acide arsénieux du commerce avec de l’ammoniaque ordinaire dans un ballon que je scellai à la lampe, et que je plaçai ensuite dans un bain de sable à la température de 90 à 100°, je trouvai, après le refroidissement, que tout l’acide arsénieux avait été dissous et remplacé par un corps cristallisé d'aspect nacré et soyeux, offrant exactement la forme des cristaux que j'ai signalés précédemment. Ces cristaux, qui tapissent en groupes étoilés les parois du ballon où l'on fait l'expérience, présentent à l'analyse la composition que j'ai ci-dessus indiquée, ArO3AzH"O, sans autre eau que celle qui se trouve dans les sels ammoniacaux : TROUVÉ CALCULÉ AMMOMAQUE ER AND 13,71 Han REA MAIRES RE RE EN RP) TA: Acide arsénIeux 1 PRET EURE IR TEINTE 79,05. 99,99 arsénieux prismatique, et qui renferment du chlore : c’est probablement Ch O*Ar, ou Ch*O Ar. Je n’ai pas eu assez de matière pour en faire une analyse complète. 1. Berzeuvus (J.-J). Traité de chimie, traduit par Jourdan. Paris, 1829-1833, ‘Firmin- Didot frères. 8 vol. in-8. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE fl Pour faire cette analyse j'ai pesé le sel et l’ai chauffé dans un tube jusqu'à ce qu’il ne se dégageàt plus d’ammoniaque, et en ayant soin de ne pas aller jusqu’à volatiliser l'acide arsénieux qui reste dans le tube. J'ai pesé ensuite celui-ci, et j'ai eu facilement le poids de l'eau et de l'ammoniaque. Une autre partie de la matière, traitée par le bichlorure de platine, a donné le poids d'ammoniaque. Ce sel est très instable dès qu'il est séparé d’une eau chargée d’ammoniaque. Sa dissolution dans l’eau sent fortement l’ammoniaque et se détruit peu à peu. Abandonné à l'air, à l’état solide, après un jour il n'y a plus trace d’ammoniaque ; il ne reste que de l'acide arsénieux en poudre. On comprend facilement, dès lors, que je n’aie pu atteindre à une rigueur parfaite dans l’analyse de ce sel; on est obligé d'enlever rapidement aux cristaux l’eau dont ils sont imprégnés. Une dessiccation lente donnerait lieu à une perte sensible d’ammo- niaque; mais aussi on dessèche mal le sel, et l'analyse doit accuser une proportion d’eau un peu forte : au contraire, elle doit accuser une proportion d’ammoniaque un peu faible. Par suite, la perte totale d’eau et d’ammoniaque doit, à cause de cette compensation approchée, se trouver peu différente de celle que donne la formule. Et, en effet, j'avais employé 1 gr. 610 de matière, et j'ai eu une perteïde 0 gr. 339; ce qui donne 21,05 pour 100 : la formule donne 20,8. Enfin, comme preuve de l'exactitude de l'analyse, je dirai que, dans cette analyse, je ne dose aucune des quantités cherchées par différence, et que, par suite, la somme des quantités trouvées doit reproduire le poids de matière employé: or je trouve 99,99 au lieu de 100. L’arsénite d'ammoniaque obtenu dans les circonstances que j'ai signalées, soit par l’arsénite acide chloré d’ammoniaque, soit par l'acide arsénieux et l’ammoniaque, sous l'influence de la pression, a donc bien exactement la composition ArO3AzH*O. Une telle compo- sition m'a surpris. L'acide arsénieux est généralement regardé comme un acide bibasique, c’est-à-dire que, dans les 2eme, le rapport de l'oxygène de l'acide à celui de la base est de 3 à 2. On trouve en effet, dans la plupart des Traités de chimie, que les a de potasse, de soude, de baryte, etc., de plomb, d'argent, ont une composition représentée par 1 équivalent d'acide arsénieux et 2 équivalents de base. Ce rapport a été depuis longtemps établi par M. Berzelius; et c’est sans doute sur l’autorité de ce chimiste illustre que la plupart des auteurs l'ont adopté, et ont donné aux arsénites la formule ArO32MO. On trouve cependant cette use dans l'ouvrage de M. Berzelius 8 ŒUVRES DE PASTEUR « La capacité de saturation de l'acide arsénieux est égale aux deux tiers de la quantité d'oxygène qu'il contient. Dans beaucoup de cas, il donne aussi naissance à des sels dans lesquels sa capacité de saturation est égale au tiers de l'oxygène qu'il renferme, et ces sels ne sont point acides; cependant on doit les considérer comme correspondant aux sels acides. » Un motif sérieux d'admettre que lacide arsénieux est bibasique repose sans doute dans la composition de l’arsénite jaune d’argent, dont la formule est ArO*2Ag0, comme je m'en suis assuré par une analyse nouvelle: et l’on sait que l'argent ne donne jamais lieu à des sels basiques : c’est du moins un fait qui a été, jusqu'ici, générale- ment constaté. Je ne rappellerai pas que lon avait lhabitude de rapprocher l'acide arsénieux de lacide phosphoreux, tout comme l’acide arsénique de lacide phosphorique; et lacide phosphoreux étant réellement bibasique, c'était un motif pour admettre qu’il en était ainsi de l'acide arsénieux. Mais depuis les recherches de M. Wurtz, il est bien clair qu'il n’y a plus rien de commun entre ces deux acides quant au point de vue de la composition chimique, à moins d'établir que l’acide arsénieux hydraté a également pour com- position ArO*H, et cette proposition ne peut nullement être soutenue par l’analyse des arsénites. Dans tous les cas, les faits et les opinions que j'ai rappelés ci- dessus, et surtout l'existence de l’arsérite d’ammoniaque ArO%AzH‘0, indiquaient un point de la science réellement obscur en ce qui regarde la capacité de saturation de l'acide arsénieux. Des recherches dirigées vers ce but me semblaient d’autant plus raisonnables qu’elles étaient provoquées par la composition d’un arsénite parfaitement défini, tres bien cristallisé, et, bien plus, le seul arsénite cristallisé (1). On comprend donc sans peine que j'aie abandonné mon premier travail qui, du reste, par les difficultés nombreuses qu'il présente à cause de la facile décomposition des substances dont il traite en présence de presque tous les dissolvants, exigeait de ma part plus d'expérience, plus de pratique dans les travaux du laboratoire. Je ne fais d’ailleurs qu’en ajourner l’étude. Je dois dire ici que cette première partie de mon travail est plutôt l’œuvre de M. Laurent que la mienne propre. Je travaillais à cette époque dans le même labo- ratoire que ce chimiste à l'École Normale, et, à chaque instant, j'étais éclairé des bienveillants conseils de cet homme si distingué à la fois par le talent et par le caractère. 1. Les minéralogistes ont étudié deux arsénites naturels, l’un de cobalt, l’autre de nickel : mais ces matières n'ont pas été analysées, et ne sont pas cristallisées. On les trouve à l'état terreux et pulvérulent. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE © Arsénite d'ammoniaque. J'ai préparé pendant longtemps l’arsénite d’ammoniaque eristallisé en suivant le procédé que j'ai indiqué précédemment, en mettant l'acide arsénieux et l’ammoniaque en présence, dans un ballon scellé à la lampe, à la température de 90 à 100. Mais voici un autre moyen beaucoup plus facile et plus expéditif ; on sera même étonné sans doute de lapprendre. Lorsqu'on verse de l’ammoniaque concentré sur de l’acide arsénieux, immédiatement cet acide se prend en masse , dure et qui adhère fortement aux parois du vase, en même temps que la température s'élève d’une manière très sensible. Eh bien, cette masse dure, qui prend ainsi naissance si promplement, n’est rien autre chose que de larsénite d’ammoniaque cristallisé, et lacide arsénieux n'a pris celte dureté que par l’enchevétrement des cristaux d’arsénite qui ont pris naissance sur-le-champ, de manière à relier entre elles les diverses parties de la masse. La preuve de ce que j'avance est facile : il suflit d'examiner au microscope lacide arsénieux, dès qu'il a été touché par lammoniaque, et l’on voit une foule de petites lames hexagonales, ayant précisément la même forme, le méme aspect que l’arsénite cristallisé obtenu comme je lai indiqué dans d’autres circonstances. Ces lames hexagonales sont mélées à de petits cristaux octaédriques d'acide arsénieux sur lesquels l’'ammoniaque n’a pas réagi. Aussi, bien que l’arsénite d’ammoniaque prenne naissance, dans ce cas, en assez grande abondance, ce serait un mauvais moyen de Pavoir pur. Essaye-t-on de dissoudre cet arsénite dans l'ammoniaque qui le surnage ; on n’y parvient que très difficilement, même à chaud, etil se détruit au sein de l’eau bouillante et par le refroidissement. L’acide arsénieux cristallise en octaèdres, sans renfermer trace d’ammo- niaque. C’est qu'en effet, l’arsénite d’ammoniaque est très peu soluble dans lammoniaque concentrée; mais, au contraire, il l’est beaucoup dans l’eau pure ou dans l'eau chargée d’une faible quantité d’ammo- niaque, surtout à une douce température, et, par le refroidissement, il cristallise abondamment. Aussi, dès que l’ammoniaque a été versée sur l’acide arsénieux et en a touché les diverses parties, si lon enlève l’ammoniaque et qu'on la remplace par de l’eau, on voit d’abondantes stries se former, ce qui indique bien que la masse n’est plus de lacide arsénieux. Cette dissolution, opérée à une douce température, donne, par le refroidissement, une assez grande quantité d’arsénite d’ammo- niaque cristallisé, très blanc et très pur. Telest, sans doute, le meilleur moyen d'obtenir ce sel; et comme sa dissolution dans l’eau portée à 10 ŒUVRES DE PASTEUR l’ébullition se détruit en ne laissant cristalliser par le refroidissement que de l'acide arsénieux, c’est un excellent moyen de se procurer de l'acide arsénieux pur. La forme de l’arsénite d’ammoniaque est celle d’un prisme oblique à base rectangle, généralement modifié sur deux arêtes opposées des bases, ce qui lui donne la forme d’une table hexagonale. D'après cette dernière forme seule, on ne pourrait se décider, vue la difficulté de mesurer des angles sur des cristaux qui se détruisent si facilement à l’air, entre le prisme oblique ou le prisme droit à base rectangle. Mais, dans certaines circonstances, l’arsénite d’ammoniaque offre la forme d'un prisme oblique à base rectangle, ne portant qu'une seule modification sur une seule arète à chaque base. On voit également, par cette forme, que le prisme est extrêmement peu oblique, c’est-à-dire que l'angle de la base avec les pans latéraux antérieur et extérieur est presque droit. L'arsénite d'ammoniaque a cette forme, surtout lorsqu'il est produit dans le cas que je vais dire. Lorsqu'on sature une dissolution bouillante de potasse par l'acide arsénieux, jusqu'à ce que cet acide refuse de se dissoudre, on obtient une liqueur visqueuse qui est très soluble dans l’eau. Si l’on ajoute à cette dissolution de l’ammoniaque, au bout de quelques instants, tout de suite si les liqueurs sont concentrées, on obtient un dépôt cristallin d’arsénite d’ammoniaque, comme l'analyse me la prouvé, et qui présente alors la formule que je viens de signaler. L’arsénite d’ammoniaque donne, avec le nitrate d'argent, un précipité jaune clair d’arsénite Ar0*2Ag0O, ne renfermant pas d’eau de cristallisation, et la liqueur qui surnage le précipité est acide; ce qui fait que peu à peu le précipité disparaît, parce qu’il est soluble dans les liqueurs acides. Je n’ai pas obtenu d’arsénite d’ammoniaque cristallisé, renfer- mant 2 équivalents d’ammoniaque pour 1 équivalent d’acide. Arsénites de potasse. Les ouvrages de chimie donnent à l’arsénite de potasse, obtenu en saturant la polasse par l’acide arsénieux, la composition Ar O*2K0. C’est le seul arsénite qui soit cité, et je pense que c’est plutôt en s'appuyant sur l'opinion généralement admise, relativement à la capacité de saturation de l'acide arsénieux, que d’après des analyses directes que les chimistes donnent à cet arsénite une telle composition. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE il En réalité, il y a plusieurs arsénites de potasse; et l’un d’eux possède, en effet, la composition ArO32KO, mais il ne prend pas naissance dans l'expérience que je viens de rappeler. Lorsqu'on traite à froid une dissolution de potasse par l'acide arsénieux en excès, la température s'élève un peu, et l’on obtient un liquide huileux qui ne cristallise pas et qui donne, avec le nitrate d'argent, un précipité jaune, pourvu que les liqueurs soient assez étendues. Le précipité est plus ou moins blane, selon qu'il y a plus ou moins d'acide arsénieux qui se précipite en même temps. Dans tous les cas, la liqueur qui surnage le précipité prend une réaction acide prononcée. L'acidité que prend la liqueur d’abord fortement alcaline, la précipitation d’une quantité notable d'acide arsénieux, si les liqueurs sont concentrées, sont des faits certains, d’où l’on peut induire, tout d’abord, que l’arsénite qui a pris naissance n’est pas ArO32KO, mais ArO%KO, ou un arsénite plus acide. C'est, en effet, ce qui a lieu. L’arsénite qui prend alors naissance renferme, pour 1 équivalent de base, 2 équivalents d’acide arsénieux, et constitue un sel susceptible de cristalliser d'une manière bien nette, en s’unis- sant aux éléments de 2 équivalents d’eau. Si l’on traite, en effet, la liqueur filtrée obtenue en saturant à froid la potasse par l'acide arsénieux, au moyen de l’alcool, qu'on l’agite à plusieurs reprises avec ce liquide, on lui enlève beaucoup d’eau, on la rend beaucoup plus visqueuse, filante même comme une huile épaissie, et rendue opaque et blanche par l’interposition d’une foule de petites gouttelettes d'alcool. Ces gouttelettes disparaissent peu à peu quand le liquide est abandonné au repos. Au bout d’un ou deux jours, il est complètement éclairci, et sur les parois du vase se déposent, au sein de cette masse si visqueuse, des cristaux groupés, d’une netteté parfaite : ce sont des prismes rectangulaires droits, ne portant aucune modification. Au bout de quelques jours (quelquefois il faut très longtemps), toute la masse, primitivement sirupeuse, se trouve cristallisée. Si l’on veut enlever ce qui reste de matière liquide et qui imprègne les cristaux, il suffit de Les placer sur du papier joseph pendant quelque temps, puis de les soumettre à la presse entre des doubles de ce papier. La presque totalité de la matière demeurée sirupeuse, et qui est d'autant plus faible, d’ailleurs, que la cris- tallisation a été poussée’ plus avant, pénètre dans le papier. On à ainsi des cristaux blancs purs, qui ne s’altèrent pas à l'air, si ce n'est qu'ils en absorbent un peu l’humidité sans tomber cependant en déliquescence, sans cesser de conserver leur forme solide et cristalline. 12 ŒUVRES DE PASTEUR Voici l'analyse de ce sel : Cet arsénite a pour formule 2ArO3KO2H0O. Un équivalent d’eau part à 100°; 1 gr. 185 ont perdu, à 100°, 0,041 ; ce qui répond à 3,45 pour 100. La perte calculée est 3,41. J'ai repris plusieurs fois cette détermination de l’eau. Elle ne se trouve exacte qu'autant que l’on emploie des cristaux parfaitement exempts du liquide sirupeux au sein duquel ils prennent naissance. Le poids restant, 1,185 —0,041— 1,144, a été chauffé dans un tube au bain de sable, jusqu'à ce que le sel commence à se détruire. Les dernières portions de l’eau du sel ne se dégagent que quand il est déjà détruit en partie, que toute la masse fondue est devenue noire et a déjà laissé perdre une certaine quantité d'acide arsénieux. On a trouvé pour perte 0,045; ce qui répond à 3,93 pour 100. La perte calculée du deuxième équivalent est 3,55. Quant à l'acide arsénieux et à la potasse, ils ont été déterminés sur un autre échantillon, au moyen du sulfure d’arsenic et du chlorure de potassium : on a trouvé 77,56 d’acide arsé- nieux, et 17,00 de potasse. La formule exige 77,94 et 18,53. Arsénite de potasse ArOKO. — Si l’on mêle à 1 équivalent du sel précédent 1 équivalent de carbonate de potasse, et qu’on porte la dissolution de ces deux sels à l'ébullition durant plusieurs heures, tout l'acide carbonique est chassé, et il reste un produit qui n’est que très peu soluble dans l'alcool. Agité plusieurs fois avec ce liquide, on obtient une matière sirupeuse où, pour 1 équivalent d’acide arsénieux, il entre 1 équivalent de potasse : c’est l’arsénite ArO3KO. Ainsi, à l’ébullition, l'acide arsénieux de l’arsénite acide chasse complètement l'acide carbonique, et se combine à l'équivalent de potasse éliminé pour donner l’arsénite ArO3KO. A froid, cette action n’a pas lieu; au contraire, si l’on fait passer un courant d’acide carbonique dans l’arsénite acide de potasse, il se précipite de l'acide arsénieux. Cet arsénite de potasse ne donne pas de dégagement d'acide arsé- nieux quand on le chauffe dans un tube fermé, comme fait, dans les mêmes circonstances, l’arsénite précédent. Avec le nitrate d'argent il donne un précipité jaune d’arsénite ArO3%2Ag0O, et la liqueur qui surnage le précipité est acide. Aussi, peu à peu le précipité d’arsénite disparaît dans la liqueur acide. Pour 1 équivalent d’arsénite précipité, il y a L équivalent d'acide azotique mis en liberté. Je n'ai pas encore obtenu cet arsénite à l’état cristallisé. Il sera DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE ile sans doute isomorphe avec l'arsénite d’ammoniaque, si toutefois il cristallise comme ce dernier, sans eau de cristallisation. Arsénite de potasse ArO*2K0. — Il existe réellement un arsénite de potasse ArO%2KO. Pour l'obtenir, je pars encore de l'arsénite cristallisé 2Ar03, KO, 2H0; j'ajoute à la dissolution de ce sel un excès de potasse caustique; je précipite ensuite la liqueur visqueuse par l'alcool. Tout l'excès de potasse est enlevé, si toutefois on a soin d'agiter la matière huileuse qui se précipite avec l'alcool à plusieurs reprises. Il reste alors un produit très soluble dans l'eau, et qui renferme, pour 1 équivalent d'acide, 2 équivalents de base. Précipite-t-on par le nitrate d'argent; on obtient encore l’arsénite jaune d'argent, quel que soit l’état de dilution ou de concentration des liqueurs; mais cette fois le précipité jaune persiste, et la liqueur qui le surnage est complètement neutre aux papiers réactifs, si on a le soin d'ajouter un excès de nitrate d'argent neutre. Sans celte pré- caution, l’arsénite de potasse non décomposé donnerait à la liqueur une réaction alcaline prononcée. Ainsi, il est bien certain qu'il existe au moins trois arsénites de potasse parfaitement définis, et qui ont les compositions suivantes : 2ArO03 KO, ArO KO, Ar032K0O. Le premier cristallise avec 2 équivalents d’eau, dont 1 est chassé à 100, IL est extrêmement probable qu'il existe en outre un quatrième arsénite de potasse, mais qui ne peut se conserver longtemps en présence de l’eau, qui en élimine une grande partie de l'acide. Lors- qu'on fait bouillir une solution de potasse, et qu’on y projette de l'acide arsénieux jusqu'à ce qu'elle refuse d’en dissoudre, on obtient une liqueur extrêmement sirupeuse, qui, filtrée et agitée avec l'alcool à plusieurs reprises, donne lieu à un précipité très gluant, presque solide. Traité par l’eau, il se dissout complètement dans une très petite quantité d’eau; ce qui prouve d’une manière péremptoire que l'acide arsénieux est réellement combiné à la potasse. Mais au bout de très peu de temps, un précipité d'acide arsénieux commence à se former, et continue les jours suivants, jusqu'a ce que la liqueur, traitée de nouveau par l'alcool, donne lieu à l’arsénite acide cristalli- sable que j'ai signalé plus haut. Je n'ai pas encore déterminé les proportions relatives d’acide arsénieux et de potasse,que ce nouvel arsénite renferme. 1% ŒUVRES DE PASTEUR Arséniles de soude. Tout ce qui est relatif aux arsénites de potasse peut se répéter exactement pour les arsénites de soude. Ainsi (!}, lorsque l’on sature à froid la potasse par l’acide arsénieux, et qu'on traite par l'alcool la liqueur filtrée, on obtient un liquide visqueux que je n'ai pu encore faire cristalliser, et où l'acide arsénieux et la potasse sont dans le rapport de 2 à 1. C’est l’arsénite de sourde correspondant à 2ArO%KO2HO. Ce liquide sirupeux, traité comme il a été dit pour l’arsénite de potasse cristallisé, donne facilement les deux arsénites ArONaO et ArO32Na 0 jouissant tout à fait des mêmes propriétés : insolubles dans l'alcool, très solubles dans l’eau. Quelle conséquence doit-on tirer des faits établis dans ce que l’on vient de lire, relativement à la capacité de saturation de l'acide arsé- nieux ? Lorsqu'un acide donne lieu à des sels où l’on trouve, d’une part, 1 équivalent d'acide pour 1 équivalent de base, et, de l’autre, 1 équivalent d'acide pour 2 de base, il est certain que l'acide n’est pas un acide bibasique. On peut bien, en effet, dans la série des sels à 1 atome de base, faire rentrer ceux à 2 atomes de base: mais l'inverse n’est pas possible. L’acide arsénieux est donc certainement un acide monobasique. Ce n’est pas là que peut être le doute; mais le doute existe quand il s'agit de se prononcer sur la véritable constitution des arsénites à 2 atomes de base. Si l'acide arsénieux est monobasique, et cela est certain, 1l faut de deux choses l’une : ou qu’il soit à la fois monobasique et bibasique, ou que les arsénites à 2 atomes de base soient des arsénites basiques. Il faut que les arsénites à 2 atomes de base soient représentés par le symbole général ArO3MO + MO, ou qu'il y ait deux séries d’arsénites, deux acides arsénieux, l’un ArO$HO, l’autre ArO32H0, si l’on considère les acides hydratés. Je l’ai dit en commençant, je ne suis pas encore en état de répondre sûrement à cette question. Je la traiterai prochainement dans un Mémoire que j'aurai l'honneur de présenter à l'Académie des sciences; et je puis dire que si l'expérience ne vient pas ultérieurement me faire changer d'opinion, c’est le dernier point de vue que je cher- cherai à établir. Et pour que cette idée ne paraisse pas ici offerte à l’état de pure hypothèse, je dirai que j'ai obtenu déjà, presque pour chaque métal, deux espèces d’arsénites, l’un ArOSMO, l’autre 1. Dans le texte original : « Ainsi, 1° lorsque l'on sature à froid... ». Ce 1e doit être une faute typographique. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 15 ArO%2M0; et que, dans les cas, et ceci est important à signaler, dans les cas, dis-je, où je n’ai obtenu encore qu'une seule espèce d’arsénite, pour l’argent en particulier, c’est l’arsénite à 2 atomes de base que j'ai obtenu. L'existence de cette double série d’arsénites est certainement une considération puissante à faire prévaloir en faveur de l'opinion que j'ai signalée tout à l'heure. J’ai fait des tentatives nombreuses pour obtenir l’éther arsénieux, je n’y ai pas encore réussi. Si l’opinion que j'énonce est vraie, on devra pouvoir obtenir à volonté, soit l’éther à 2 atomes d’éther, soit celui à 1 atome. On peut remarquer que, dans cette opinion, l’argent conserve ce caractère qu'il a montré jusqu'ici, de ne jamais donner lieu à des sels basiques. L'arsénite ArO2Ag0 ne serait pas ArO3AgO + AgO. Isomorphisme et dimorphisme des acides arsénieux et antimonieux. Le sujet que je vais traiter se rattache assez intimement aux recherches précédentes pour que je puisse le placer à leur suite. Je vais établir que l'acide arsénieux et l’acide antimonieux sont à la fois dimorphes et isomorphes. En voyant un acide anhydre sous deux formes tres distinctes, on sera plus enclin à croire que, de même qu’à l’état libre il s'offre à deux états distincts, il pourrait bien en être de même dans ses combinaisons. Cette idée deviendra une induction très raisonnable dès que M. Laurent aura publié les faits extrême- ment remarquables qu’il vient de découvrir dans l’étude de l’acide tungstique. Dans tous les cas, je dois parler iei de l’état sous lequel se dépose l'acide arsénieux de certains arsénites alcalins que j'ai étudiés dans les pages précédentes, et je serai ainsi forcément conduit, comme on va voir, à parler de l’acide antimonieux. Je ne parlerai, dans ce qui suit, que des arsénites de potasse. Tout ce que je vais dire s’appliquerait exactement aux solutions d’acide arsénieux dans la soude. J’ai répété les expériences avec les dissolu- tions où il entrait l’une ou l’autre de ces bases, et elles ont eu le même résultat. Lorsqu'on sature une dissolution bouillante de potasse par l’acide arsénieux jusqu'à refus, on obtient, comme je l'ai déjà dit, une liqueur très sirupeuse qui se dissout entièrement dans l’eau, véritable combinaison, mais qui peu à peu se détruit par la présence même de cette eau, en laissant déposer beaucoup d’acide arsénieux. Quelle que soit la quantité d’eau ajoutée, pourvu qu'elle ne soit pas par trop considérable, on obtient toujours ce dépôt d'acide’ arsénieux, qui 16 ŒUVRES DE PASTEUR lapisse toutes les parois du vase. Or, ce qu'il y a de remarquable, c'est que l’acide arsénieux qui se dépose dans cette circonstance n'a jamais ou presque jamais la forme d’un octaëdre régulier. J'ai répété maintes fois cette expérience, et dans un seul cas j'ai obtenu de l'acide arsénieux octaédrique. L’acide arsénieux affecte, dans ce cas, diverses formes qui toutes peuvent se ramener à celle d’un prisme droit à base rhombe; mais cette forme se cache sous des aspects bien divers en général, et il m'a fallu une étude longue et patiente pour arriver à une notion parfaitement sûre de la forme véritable que possède alors l'acide arsénieux. J’entrerai dans quelques détails qui ne seront pas inutiles. Je commence par dire que tantôt l'acide arsénieux qui se dépose dans le cas que je viens de rappeler est nettement cristallisé; tantôt ses cristaux sont peu nets ; quelque- DU *% fois même il se dépose en petits mamelons. En général, la cristalli- sation est confuse lorsque l’on a ajouté trop peu d’eau; il faut employer un volume d’eau trois ou quatre fois égal ou supérieur au volume du liquide sirupeux. Je serai plus clair en indiquant par des figures les formes cris- tallines. Lorsque la cristallisation n’est pas nette, les petits cristaux qui prennent naissance ont les formes À ou B. Ces lames minces, mal terminées aux extrémités, se groupent d'ordinaire en étoiles ou restent isolées. Lorsque l'acide se dépose en mamelons, ces mamelons com- mencent d’abord par avoir la forme A ou B, et peu à peu d’autres lamelles pareilles viennent se placer sur la première, en rayonnant à partir d’un centre et dans des plans différents, comme l'indique la figure C. Au bout d’un certain temps, les extrémités mêmes des petites lames groupées disparaissent, et il n'y a plus qu'un petit mamelon globuliforme; mais vient-on à briser ces petits globules durs, on les trouve avoir une structure cristalline très prononcée, et rayonnée à partir du centre, à peu près comme un échantillon brisé de sperkise rayonnée. Dans le cas où l'acide arsénieux est nettement cristallisé, les cris- aux ont les formes A! et B', et ces lames minces sont d'ordinaire groupées en étoile, et, cette fois, les diverses lames restent distinctes dans le groupe, ainsi que leurs extrémités; en un mot, ces étoiles DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 17 ne passent pas à l’état mamelonné. Il est de toute évidence que les formes A et A! sont les mêmes, les formes B et B' également; et, d'autre part, que la forme B' n’est qu’une modification de la forme A, par une troncature de deux arêtes opposées. . Enfin, très souvent, les cristaux de forme B! ne sont pas complets et l’on voit des lames minces affecter les diverses formes D, E... Il est bien clair que ces formes ne sont autre chose que la forme B' un peu altérée par le développement prédominant de certaines parties du cristal, comme lindiquent les figures D’, E!, où l’on a rétabli les parties qui avaient disparu dans les formes D et E par des lignes ponctuées. Voici enfin une dernière forme extrêmement nette au microscope, D JS O0 | A! B' D E et qui s'obtient avec les mêmes liqueurs qui donnent les tables précédentes. C’est un prisme droit rhomboïdal, portant un biseau à chaque base et une modification sur deux arêtes longitudinales opposées, figure F. Ces prismes droits rentrent dans la forme A! ou B'. Imaginez que les tables A! soient des prismes rhomboïdaux droits, de très petite épais- seur, et vous retombez dans le système du prisme rhomboïdal droit auquel appartient la forme F. Pour prouver qu'il en est réellement ainsi, il faudrait des mesures d’angles, et il est impossible d’en prendre sur des cristaux qui ne sont bien visibles qu'au microscope. Mais voici une preuve irrécusable. Les minéralogistes connaissent l'acide anti- monieux comme espèce minérale : c’est l’exitèle de M. Beudant. Or l’exitèle est complètement isomorphe avec la variété d’acide arsénieux que je viens de décrire. Tous les groupements que les minéralogistes assignent aux eris- taux d’exitèle, je les ai retrouvés là, et, bien plus, l'aspect même des cristaux est tout à fait le même. Un des caractères saillants de l'acide antimonieux naturel, c'est de s'offrir avec un éclat soyeux, nacré, adamantin : c'est précisément l'aspect de l'acide arsénieux prisma- tique. Du reste, la forme cristalline de l’exitèle est un prisme droit rhomboïdal de 137, clivable parallèlement à la base et aux deux diago- nales des bases ; quelquefois même les cristaux prismatiques de cette espèce minérale sont comme formés de lamelles rhomboïdales super- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. à 18 ŒUVRES DE PASTEUR posées les unes sur les autres, ce qui montre la facilité du clivage parallèle aux bases. Or imaginez ces lamelles détachées et éparses, et vous aurez précisément les tables A'; empilez ces lamelles et reformez le prisme rhomboïdal droit, vous aurez la forme F, seulement modifiée par un biseau à chaque base et par un plan tangent sur deux arêtes longitudinales opposées (1). Voyant cette nouvelle variété d'acide arsénieux, que l’on obtient facilement en suivant le moyen que j'ai indiqué, posséder, avec l’acide antimonieux naturel, un isomorphisme si frappant, s'étendant jusqu’à une identité remarquable d'aspect et de groupement des cristaux, je me suis demandé s'il ne serait pas possible d'obtenir un acide anti- monieux cristallisé en octaèdres réguliers, et isomorphe, par consé- quent, avec l’autre forme octaédrique d'acide arsénieux. Je ne tardai pas à mettre la main sur ce que je cherchais. Je préparai de l’acide antimonieux, et, à cet effet, je laissai digérer pendant quelques jours de la poudre d’algaroth récemment précipitée et lavée avec du carbo- nate de soude en excès. J'obtins de cette manière de l'acide antimo- nieux jaunâtre, en poudre grenue et cristalline. Cette poudre, au microscope, était formée d’une multitude de petits cristaux octaédri- ques, qu'il eût été tout à fait impossible de distinguer de l'acide arsénieux octaédrique. Souvent les cristaux avaient la forme d'un cubo-octaèdre; mais, comme cela a lieu pour l'acide arsénieux, la forme dominante était alors l’octaèdre régulier. Il y a plus; ces cris- taux étaient mêlés à d’autres prismatiques, ayant exactement la forme que j'ai signalée en dernier lieu pour l'acide arsénieux, avec les mêmes biseaux à chaque base, avec la même modification tangente longitudinale. L'acide arsénieux et l'acide antimonieux sont donc à la fois dimor- phes et isomorphes, ou isodimorphes, comme disent les minéralo- gistes. Je ne doute pas que les antimonites n'offrent des faits analogues aux arsénites. 1. M. Woœbhler rapporte que l'acide arsénieux qui se sublime et cristallise, lors du grillage des minerais de cobalt, contient quelquefois des cristaux dont la forme ne peut être ramenée à l’octaèdre. Les cristaux dont il s’agit forment des tables hexagonales, minces, nacrées et clivables suivant la direction des grandes faces dominantes. On ne peut douter que ce ne soit l’une des formes que je signale ici, et le clivage remarqué par M. Wæbhler est une preuve de plus en faveur de l’isomorphisme des acides arsénieux et antimonieux. Cet acide arsénieux redonne des octaëdres par sublimation. THÈSE DE PHYSIQUE 1. ÉTUDE DES PHÉNOMÈNES RELATIFS A 'LA POLARISATION ROTATOIRE DES LIQUIDES 2. APPLICATION DE LA POLARISATION ROTATOIRE DES LIQUIDES A LA SOLUTION DE DIVERSES QUESTIONS DE CHIMIE (1) Il existe dans le domaine de la chimie nombre de problèmes inté- ressants à plus d’un titre, dès longtemps présents à l'esprit de ceux qui s'occupent de cette science, et qui paraissent insolubles, au moins dans l’état actuel de nos connaissances, par les seules ressources que la chimie possède. Tout chimiste hésitera, par exemple, à se prononcer sur ce qui se passe lorsque deux sels dissous sont mis en présence dans des conditions telles qu'aucun sel ne puisse se précipiter; il hésitera si vous lui demandez quelle est l’action des acides en disso- lution étendue sur les dissolutions salines, surtout s’il s’agit de pré- ciser par des nombres la réaction possible. Et même en présence des faits que MM. Favre et Silbermann viennent d'annoncer relativement aux sels acides et aux sels doubles qui n’existeraient plus à l’état de dissolution, je doute que beaucoup de chimistes partagent leur manière de voir; mais je doute aussi que beaucoup de chimistes puissent prouver qu'ils ont tort ou raison. C’est que par une réaction chimi- que on détruit un équilibre. Il existait avant la réaction, il n'existe plus après : que s'est-il passé? Chaque hypothèse, chaque vue théori- que a sa réponse prête à être appuyée par des faits. Si, pour éclairer sa marche dans les questions les plus élevées qu'elle puisse aborder, et de toutes les plus intéressantes, celles rela- tives à la constitution moléculaire des corps, la chimie a dû demander secours aux sciences qui l’avoisinent, la cristallographie d’une part, la physique de l’autre, c'est surtout dans l’état actuel de la science que ce concours est nécessaire. Pour tout ce qui regarde l’arrangement molé- 1. In : Thèses de chimie et de physique, présentées à la Faculté des sciences de Paris, le 23 août 1847. Paris, 1847. Imprimerie de Bachelier, 40 p. in-4° (10 fig.), p. 27-40. 20 ŒUVRES DE PASTEUR culaire, les réactions chimiques n'auront jamais l'importance, et sur- tout l'importance si promptement décisive des expériences physico- chimiques en général. Combien n'a pas été féconde la considération de l'isomorphisme! Je crois que celle des volumes atomiques, que celle des propriétés optiques ne le seront pas moins. M. Berzelius a admis sans doute que la strychnine chlorée était analogue à la strychnine: que le groupe moléculaire était le même dans ces deux corps, du moment où M. Laurent a montré que les molécules de chacun de ces corps avaient sur la lumière polarisée le même pouvoir de déviation. A de telles preuves il n’y a rien à objecter. Convaincu de l'importance des recherches physiques pour éclairer bien des questions encore obscures de la chimie, et guidé par les tra- vaux nombreux et importants de M. Biot sur la polarisation rotatoire des liquides, travaux trop négligés des chimistes, j'ai entrepris quel- ques recherches dont je soumets les premiers résultats au jugement de la Faculté. Voici les questions que je me suis proposé de résoudre dans ce travail. 1° Lorsque deux sels dissous sont mis en présence, et qu'aucun sel ne se précipite, y a-t-il échange entre les acides et les bases ? Quatre sels existent-ils dans la dissolution, ou deux seulement ? 2 Lorsqu'un sel dissous est mis en présence d’un acide dilué, et qu'aucun corps ne se précipite ou ne se volatilise, que s'est-il passe en réalité? L’acide a-t-il, en partie, déplacé celui du sel? 3° Un sel double dissous n'est-il plus un sel double, mais un mélange des deux sels simples qui lui ont donné naissance ? Un sel acide dissous n'est-il plus un sel acide, mais un mélange du sel neutre et de l'excès d'acide (1)? 4 Les molécules des corps isomorphes ont-elles sur la lumière polarisée le même pouvoir de déviation? L’acide tartrique et l'acide paratartrique, qui agissent si différemment sur la lumière polarisée, puisque l'un d'eux n'imprime aucune déviation au plan de polarisa- lion, nous montrent combien l’arrangement moléculaire peut avoir d'influence sur les propriétés optiques d’un corps. Par arrangement moléculaire j'entends ici, puisqu'il s'agit de corps isomères, l’arran- cement des atomes dans la molécule chimique. Mais, à côté de cet arrangement des atomes dans la molécule chimique, il faut distinguer l'arrangement des molécules chimiques elles-mêmes, qui, par leur croupement variable, donnent lieu aux molécules physiques de formes D 1. Je n'aurais pas pensé à traiter cette question, si MM. Favre et Silbermann n'avaient énoncé à son égard une opinion qu'a priori j'avais peine à partager, et qui me semblait avoir besoin de confirmation avant d'être généralement admise. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 21 cristallines différentes. Lorsqu'il n'y a pas isomérie, et que tout nous porte à admettre un arrangement pareil dans les atomes qui forment la molécule chimique, par exemple pour deux tartrates simples, qu'adviendra-t-il, relativement à la lumière polarisée, si ces deux tartrates sont isomorphes, e’est-à-dire si les molécules chimiques sont sroupées de maniere à donner lieu à des molécules physiques de même forme cristalline ? Que si, comme cela est en effet, les molécules des corps isomorphes ont la même action sur la lumiere polarisée, dans le cas où je me place de non-isomérie, on devra regarder comme très probable que, d’une part, la faculté que possèdent certaines substances de dévier le plan de polarisation des rayons lumineux dépend de l'arrangement des atomes chimiques; d'autre part, de l’arrangement des molécules chimiques, mais point de la qualité même des atomes. En outre, comme tout nous porte à croire que le pouvoir actif du quartz vient de la disposition géométrique des molécules physiques, et nullement de ces molécules elles-mêmes, prises séparé- ment ou désagrégées, et que néanmoins les phénomènes relatifs au quartz sont sensiblement les mêmes dans tous les corps actifs, excepté l'acide tartrique, je regarde comme extrêmement probable que la disposition mystérieuse, inconnue, des molécules physiques, dans un cristal entier et fini de quartz, se retrouve dans les corps actifs, mais, cette fois, dans chaque molécule en particulier; que c’est chaque molé- cule, prise séparément dans un corps actif, qu'il faut comparer, pour l’arrangement de ses parties, à tout un cristal fini de quartz. Et ce qu'il y aurait d'étonnant dans cette manière de voir, ce n'est pas qu'il existàt un corps tel que l’acide tartrique, dispersant les plans de pola- risalion tout autrement que le quartz, mais bien qu'il existàt si peu de substances jouissant de cette propriété. Les expériences propres à résoudre les questions que j'ai men- tionnées plus haut ont été faites primitivement avec l'appareil de M. Soleil. Afin de leur donner une plus grande autorité, je les répète en ce moment avec l'appareil de M. Biot, et je dois remercier ici MM. Biot et Bouchardat de la grande complaisance avec laquelle ils ont bien voulu mettre leurs appareils à ma disposition. S [. — De l'action des sels sur les sels lorsque Les lois de Berthollet ne sont pas applicables. Cette question est la seule pour laquelle je n’ai pu encore répéter mes expériences avec l’appareil de M. Biot. Je dirai seulement la manière dont elle a été résolue et le premier résultat auquel on est arrivé. 22 ŒUVRES DE PASTEUR Lorsqu'une substance est douée de la propriété de dévier le plan de polarisation des rayons lumineux, ou, pour me servir du langage de M. Biot, lorsqu'une substance active est mélée à un liquide inactif, son pouvoir de déviation ne varie pas sensiblement, si toutefois les liqueurs ont un certain degré de dilution. Ainsi, que l’on fasse un mélange à volume égal d’eau et d’un tartrate dissous, le mélange fera éprouver alors au plan de polarisation une déviation presque exacte- ment moitié de celle qu'aurait produite le tartrate avant de l’étendre d’eau. Que si donc on mêle ce tartrate à une dissolution saline quel- conque, inactive comme elles le sont toutes, si le tartrate entre sans altération dans la nouvelle dissolution, nous savons d’avance quelle sera son action sur la lumière polarisée, ou à très peu près. Au con- traire, si quatre sels prennent naissance, la liqueur renfermera alors deux tartrates, et la déviation même l’accusera, si le pouvoir de ces deux tartrates est assez différent. Ceux des tartrates de potasse ou d’ammoniaque et de soude different assez pour que l’on puisse résou- dre la question par le mélange des tartrates de potasse et d’ammonia- que avec des sels de soude, ou par le mélange du tartrate de soude avec des sels de potasse où d’ammoniaque. On trouve ainsi que, dans le mélange de deux sels solubles qui ne peuvent donner lieu à des sels insolubles, il y a en réalité formation de quatre sels dans la liqueur. J’entrerai dans des détails importants sur la concentration des liqueurs employées, pour que l’on puisse arriver à des conclusions certaines, lorsque je serai en mesure de publier les résultats de cette première étude. $ IT. — De l'action des acides sur les sels lorsque les lois de Berthollet ne sont pas applicables. Les expériences suivantes mettront hors de doute que, lorsqu'un acide est versé dans une dissolution saline, l’acide du sel est éliminé en partie, bien qu'il ne puisse ni se précipiter ni se volatiliser dans les circonstances où l'expérience est faite. Pour exécuter ces expériences, j'ai toujours suivi la marche que je vais dire : Une certaine dissolution de tartrate était observée dans un tube de longueur déterminée. J’observais ensuite cette même dissolution étendue de son volume d’eau et étendue de son volume d’un acide faible. Le pouvoir de déviation des tartrates alcalins étant considérablement plus élevé que celui de lacide tartrique libre, si l’acide ajouté élimine l'acide du tartrate, la déviation l’accusera d’une maniere non douteuse. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 23 27 gr. 603 de tartrate de soude renfermant 18 gr. 149 d’acide tartri- que cristallisé dissous dans une certaine quantité d’eau ont donné, à la température de 195, les résultats suivants, lorsque leur dissolution était observée seule, étendue de son volume d’eau et de son volume d’acide azotique faible (1) : DISSOLUTION MÈME DISSOLUTION LEE RSA 1 Fe ond : d 1 1 d' étendue de son volume de tartrate de soude étendue de son volumesd eau d'acide azotique faible 2 © aa n © 2/7 L'observation était ici très difficile, à cause du peu d'intensité de la dé- viation, et je ne donne pas ces nombres comme certains. KO # O1 © O1 œ© © @ en cr : 2 2 2 2 2 2 2 2 DOI HNUAI Moy. — 26° 67 26,67 © — 20°67 L’acide azotique qui a été employé dans l’expérience précédente renfermait 217 gr. 391 d’acide azotique AzZO6H par litre à 19%. Le volume de la dissolution précédente était de 120 centimètres cubes. Or, dans 120 centimètres cubes, cet acide renfermait 26 gr. US6 d'acide Az O6H ; et c’est plus que ce qui était nécessaire pour neutraliser la soude du tartrate employé. Nous voyons clairement, par le tableau précédent, que l'acide azotique est loin d’avoir agi à la manière d’un corps inerte tel que l’eau : car, au lieu de donner une déviation de 11°,1 pour le rayon rouge, elle est voisine de 3° seulement. Cette même expérience a été répétée avec l’acide chlorhydrique, et elle a donné des résultats analogues. Une autre, avec des liqueurs moins concentrées, a donné des résultats pareils à ceux de M. Biot, qui avait bien voulu se charger de la faire lui-même. J’ai également opéré avec les acides acétique et sulfurique, et les divers tartrates alcalins. Toujours l’addition de l’acide a opéré une profonde altération dans le pouvoir de déviation du tartrate. Une question analogue à celle que nous venons de traiter, celle de 1. Toutes les expériences que je rapporte dans ce travail ont donné des déviations de gauche à droite, et toutes ont été faites avec un même tube de 50 centimètres. Li] Æ ŒUVRES DE PASTEUR l’action des bases sur les sels, pourrait être entreprise également à l’aide des tartrates alcalins. Mais je me propose d’y revenir et de lui donner une solution plus saillante, en examinant l’action des alcalis végétaux où minéraux sur l’hydrochlorate de nicotine. Ce sel a la pro- priété de dévier à droite le plan de polarisation, tandis que la nicotine le dévie à gauche. Dès lors, si l’on traite la dissolution de ce sel par les alcalis, la déviation sera considérablement altérée ; et même quel- que faible que puisse être la quantité de nicotine mise en liberté, on sera certain de le reconnaître, car le pouvoir de déviation de la nicotine est des plus considérables. Je vois même, dans l’étude approfondie de ces questions, un moyen sûr de résoudre un problème d’une haute importance chimique. Que l’on suppose, en effet, une certaine quantité d’hydrochlorate de nico- tine traitée par des bases diverses en quantités telles que, dans des expériences successives, la proportion de nicotine mise en liberté soit la même : il me semble que les poids de bases ajoutés pour produire cet effet seraient de véritables équivalents d'affinité chimique, relatifs à la température de l’expérience. Et rien ne serait plus facile que d'arriver à l'élimination d’une quantité fixe de nicotine, dans des expé- riences successives. Il faudrait ajouter l’oxyde en proportion suffisante, pour que la déviation fût nulle dans tous les cas. À ce moment, la quantité de nicotine mise en liberté serait celle nécessaire pour détruire par sa déviation gauche la déviation droite de l'hydrochlorate restant dans la liqueur. Aujourd'hui que nous avons un moyen de retirer du tabac une quantité notable de nicotine, de telles expériences peuvent être faei- lement entreprises, d'autant plus que la nicotine employée ne serait pas altérée dans ces diverses épreuves. S IT. — Zes sels doubles et les sels acides n'existent-ils pas à l’état de dissolution ? L'étude de cette question, comme je le disais précédemment, ne me serait certainement pas venue à l'esprit si MM. Favre et Silbermann n'avaient émis à son égard une opinion contraire à celle qui était admise généralement par les chimistes. Mais, en réalité, les sels doubles solides, les sels acides solides, dissous dans l’eau, se dissolvent à l’état de sels doubles et de sels acides. Lorsqu'on mélange équivalent à équi- valent deux sels simples dissous pouvant donner lieu à un sel double, ce sel double ne prend pas naissance, et il n’y a rien là qui doive DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 25 élonner: mais si le sel double cristallisé est dissous, il ne se détruit pas. Deux dissolutions, l’une de tartrate de soude, l’autre de tartrate d'ammoniaque, renfermant sous le même volume des poids de sels proportionnels aux équivalents chimiques de ces tartrates, 24 gr. 43 et 19 gr. 53, ont été mêlées à volumes égaux, après avoir élé observées séparément. Voici les résultats : MÉLANGE DES DEUX TARTRATES TARTRATE D'AMMONIAQUE TARTRATE DE SOUDE A à volumes égaux a ——————— ————— 2300 2705 23,2 27,3 23.6 27,4 23.4 27,4 23,9 » 23 7 23 7 24.0 238 24 0 » Moy. — 2306 On voit par là que les deux tartrates, en se mélant à volumes égaux, n'éprouvent aucune altération; car la déviation du mélange est exactement la moyenne des tartrates avant leur mélange : 31°,1 + 23°,6 n. 2: 2 F\ J'ai dissous, d'autre part, 43 gr. 96 de tartrate double de soude et d’ammoniaque, poids égal à la somme des tartrates simples, dans une quantité d’eau telle que le volume de la dissolution fût égal à la somme des volumes des dissolutions de tartrates simples que je viens d'essayer. S'il y avait eu destruction du sel double, on aurait dû trouver 27°,4 pour déviation. Or la moyenne de onze observations est de 230,27. Voici ces observations : BD ile PAU PER MAPDC PEN DR GE EN 930,3, 230,4, 230,5, 230,4. Pour faire le calcul des quantités à dissoudre, il faut se rappeler que la formule du tartrate de soude est : C#H205Na0 2H0; celle du tartrate d’ammoniaque, C*H20ÿAzH'0; 26 ŒUVRES DE PASTEUR celle du tartrate double, CH205Na0 + C“H205AzHi0 + 2H0. Voici une expérience analogue faite avec le sel de Seignette. Il à pour formule C*H205Na0 + C:H205KO + SHO, et le tartrate de potasse a pour formule C*H205K0. 2% gr. 43 de tartrate de soude ont été dissous dans une quantité d'eau telle que le volume de la dissolution était de 120 centimètres cubes. 24 gr. 03 de tartrate de potasse, poids équivalent au précédent, ont été dissous dans une quantité d’eau telle que le volume de la dissolution était également de 120 centimètres cubes. D'autre part, on a dissous 59 gr. 91 de tartrate double de soude et de potasse, de manière que le volume de la dissolution fût de 240 centimètres cubes. Ce poids, 59 gr. 91, est égal à la somme des poids 24,43 et 24,03, augmentée du poids correspondant à 6 équi- valents d’eau. On a trouvé les résultats suivants : TARTRATE TARTRATE TARTRATE DOUBLE MÉLANGE A VOLUMES ÉGAUX de de de des soude potasse potasse et de soude deux tartrates simples 9 30°1 30,5 30.1 30 30.7 30/1 3074 30/2 30,5 30,5 » LCRCR CR CR CR CR CR CE CE; HS O2 Ds OS O9 2 QD Do OO C2 OMSJIJILCHORE Moy. — 3003 Moy. — 26067 Ce tableau ne laisse également aucun doute sur ce fait, que le tartrate double de soude et de potasse a un pouvoir de déviation propre lorsqu'il est dissous, et que ce pouvoir n’est pas la somme des pouvoirs des tartrates simples qui le composent; car alors on aurait trouvé, pour déviation du tartrate double, la moyenne des déviations des deux tartrates simples. Cette moyenne est précisément égale à la déviation obtenue, en mélant équivalent à équivalent les DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 12 SJ dissolutions préalablement faites des tartrates simples. Il faut en conclure que, dans ce mélange, le sel double ne prend pas naissance. Et ce dernier résultat s'accorde avec les expériences de MM. Andrews, Favre et Silbermann. $ IV. — Les molécules des corps isomorphes ont le même pouvoir de déviation sur la lumière polarisée. Le tartrate double de potasse et d’ammoniaque est isomorphe avec le tartrate de potasse neutre. L'émétique de potasse est isomorphe avec l’'émétique d'ammoniaque. J'ai dissous 24 gr. 03 de tartrate de potasse dans une quantité d'eau telle que le volume de la dissolution fût égal à 120 centimètres cubes. Le tableau de la page précédente donne, pour déviation de cette dissolution, 30°,5. J'ai dissous, d'autre part, 21 gr. 940 de tartrate double de potasse et d’ammoniaque dans une quantité d’eau telle que le volume de la dissolution fût de 120 centimètres cubes. Le poids, 21 gr. 940, est l'équivalent du poids 24 gr. 03 de tartrate de potasse, en prenant, pour formules de ces deux tartrates, C{H205KO et C“H205K:/{AzH')*0. Je place dans le tableau suivant les déviations obtenues avec ces d eux dissolutions. La première colonne se trouve déjà dans le tableau précédent. TARTRATE DOUBLE TARTRATE DOUBLE TARTRATE DE POTASSE F ; : de potasse et d'ammoniaque de potasse et d’ammoniaque 3 3 6 6 1 7 9 6 6 6 ,3 Moy. — 3022 Voici l'explication de la troisième colonne de ce tableau : Le tartrate double de potasse et d’ammoniaque que j'ai employé 28 ŒUVRES DE PASTEUR élait en beaux cristaux, complètement isomorphes avec ceux du tartrate neutre de potasse; cependant sa dissolution s'est troublée, parce que quelques cristaux étaient en partie couverts par du bitartrate de potasse qui n'avait pas passé à l’état de sel double. J'ai recueilli sur un filtre ce qui produisait le trouble de la liqueur: cela m'a donné un poids de bitartrate égal à 0 gr. 235, et j'ai rajouté ce poids en tartrate double à la liqueur pour l’oebserver de nouveau : c'est ainsi que j'ai eu les nombres de la troisième colonne. Cette expérience montre, en outre, toute la sensibilité de la méthode d'observation, puisque 0 gr. 235 de sel, ajoutés à une dissolution de 120 centimètres cubes et renfermant 21 gr. 940 de sel, ont suffi pour faire varier d’une manière appréciable la déviation. En outre, quel résultat devons-nous déduire de ce tableau? Il suffit de se rappeler que nous avons dans des dissolutions de même volume des poids proportionnels aux poids des molécules des deux sels isomorphes. Il résulte de là que, dans le tube d'observation, nous avons sur une même longueur le même nombre de molécules: et, puisque nous trouvons la même déviation, nous pouvons énoncer le résultat de cette expérience en disant que les molécules de deux corps isomorphes dévient de la même quantité le plan de polarisation des rayons lumineux. Voici une deuxième expérience faite avec les émétiques de potasse et d’ammoniaque, qui sont complètement isomorphes, comme la reconnu M.F.de La Provostaye. 10 gr. 663 d'émétique ont été dissous dans 180 centimètres cubes d’eau. D'autre part, 10 grammes d’émé- tique d’ammoniaque, poids équivalent au précédent, ont été dissous dans le même volume d’eau: la température était de 23°, On a trouvé les résultats suivants : ÉMÉTIQUE DE POTASSE ÉMÉTIQUE D AMMONIAQUE © LerrowuUr © 0% 1H ; ss Q CANCER NUCRSES ES Nr RS ETS O1 ON O1 O1 ON ON ON ON de fe de ds ds de de Ms ds ds ds O1 Où Où Or On O1 O1 O1 ON ON ON DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE LE] Le Nous sommes également conduits, par ce tableau, à la conclusion ci-dessus énoncée au sujet des corps isomorphes. Je regrette que, parmi les tartrates, il ne se trouve pas davantage de produits iso- morphes, afin d'établir la proposition que je viens d’énoncer, à l'aide d'un plus grand nombre de preuves. J'aurais désiré essayer aussi l'émétique arsénieux, également isomorphe avec les émétiques de potasse et d’anmoniaque ; mais je n'ai pas réussi à préparer ce produit. On remarquera, en passant, le pouvoir de déviation extrêmement considérable des émétiques. Les tartrates ordinaires ont déjà un pouvoir notable; et cependant 10 grammes seulement d’émétique d’ammoniaque, dissous dans 180 centimètres cubes d’eau, ont donné 459,5 de déviation, tandis que 24 gr. 03 de tartrate de potasse, dissous dans 1 volume qui n’était que 120 centimètres cubes, n’ont donné que 30°,5. Je me suis assuré que le pouvoir de déviation du tartrate d’anti- moine était lui-même très considérable. Avant de terminer ce sujet, je dois faire une remarque qui me parait d’une grande importance. Les sels ammoniacaux sont en général, comme on le sait, isomorphes avec les sels de potasse correspondants, et nous venons d’en rappeler un exemple, celui des émétiques de ces deux bases. Or le tartrate neutre de potasse et le tartrate neutre d’ammoniaque, quoique cristallisant sans eau de cristallisation et ayant par conséquent les mêmes formules, ne sont pas complètement isomorphes, comme il résulte des mesures de M. de La Provostaye. Cependant, si lPisomorphisme n'y est pas complet, on peut dire qu’il y en a des indices. Le système est en effet le même, et certains angles sont très sensiblement les mêmes. Les modifications se rapprochent : ce qu'il y a de remarquable, c’est que ces deux substances ont aussi presque exactement le méme pouvoir de déviation. En effet, la moyenne de plusieurs observations donne 319,2 pour le tartrate d’ammoniaque, et 30°,5 pour le tartrate de potasse lorsqu'ils sont dissous en poids équivalents égaux, les disso- lutions ayant même volume. En terminant l’exposé de ces recherches, on me permettra une dernière remarque. Admettons qu’il soit prouvé, d’une manière rigou- reuse, que les molécules des corps isomorphes agissent de même sur la lumière polarisée. Puisque, pour arriver à ce résultat, nous sommes obligés de prendre pour équivalents des tartrates isomorphes de potasse, et de potasse et d’ammoniaque, des poids proportionnels à ceux que représentent les formules C*H205KO et C'H2OÿK : (AzH) = O, ŒUVRES DE PASTEUR 30 jy vois une raison de plus à ajouter à celles qu'ont exposées MM. Dumas et Laurent, pour regarder les sels doubles comme ayant une formule de même type que celle des sels simples où il entrerait 1 » 2 « À ! molécule de deux métaux différents. NOTE SUR LA CRISTALLISATION DU SOUFRE (!) Le dimorphisme du soufre est un fait généralement connu. Il y a longtemps que M. Mitscherlich a déterminé la forme des cristaux naturels, déjà étudiée par Haüy, et celle des cristaux obtenus artifi- ciellement par fusion ou par dissolution dans le sulfure de carbone. Les cristaux obtenus par la fusion du soufre sont des prismes obliques, à base rhombe, dont l’angle des pans est de 90°,32’; l'angle de la base sur les pans latéraux est de 94,6. M. Mitscherlich a toujours trouvé la forme primitive diversement modifiée et mâclée. Ces cristaux, limpides pendant quelque temps, deviennent bientôt opaques, et sont alors transformés en octaèdres droits à base rhombe. Quant aux cristaux naturels ou obtenus par la dissolution du soufre dans le sulfure de carbone, leur forme dominante est celle d’un octaèdre du prisme droit à base rhombe, diversement modifié en général. On pensait que le soufre cristallisé à la température ordinaire dans le sulfure de carbone avait toujours cette forme des cristaux naturels, et jamais celle du soufre obtenu par fusion. J'ai l'honneur de présenter à l’Académie un échantillon de soufre cristallisé dans le sulfure de carbone par évaporation spontanée, à la température ordinaire, et sur lequel on voit les deux formes incompatibles du soufre. Les cristaux en prismes obliques à base rhombe offrent la forme primitive sans aucune modification. Ces cristaux, d’abord transparents et de couleur jaune pareille à celle des cristaux octaëdres, sont bientôt devenus opaques, friables et de couleur blanc paille aussi se distinguent-ils très facilement des cristaux octaèdres qui les entourent. J'ai examiné au microscope la poussière de ces cristaux, mais je n'ai pu y distinguer une forme cristalline déterminée. Ainsi, le soufre peut cristalliser dans le sulfure de carbone avec la forme qu'il affecte lorsqu'il cristallise par fusion; seulement, c'est 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 10 janvier 1848, XX VI, p. 48-49. 12 ŒUVRES DE PASTEUR cs alors la forme primitive sans modifications. Ce fait est assurément bien rare, car il n’a pas été signalé encore, bien que divers chimistes aient souvent répété l'expérience de M. Mitscherlich. J'ai moi-même obtenu plusieurs fois du soufre cristallisé dans le sulfure de carbone, et je ne l'avais pas encore observé. Quoi qu'il en soit, il paraîtra sans doute bien digne d'attention de voir une dissolution toujours iden- tique à elle-même, à part les circonstances de sa concentration et les faibles variations de température que peut y apporter l'air extérieur, donner lieu à des cristaux de formes tout à fait incompatibles. RECHERCHES SUR DIVERS MODES DE GROUPEMENT DANS LE SULFATE DE POTASSE (1) Le travail que j'ai l'honneur de présenter à l'Académie a pour but de faire connaître divers modes de groupement que j'ai observés dans le sulfate de potasse. La forme primitive du sulfate de potasse, quelquefois dominante dans les cristaux, est celle d’un prisme rhom- boïdal droit dont l'angle des pans est peu éloigné de 120°. Celle des formes que l’on rencontre le plus ordinairement dans cette substance est un dodécaëdre à triangles isoceles, très voisin du dodécaèdre régulier offert par le prisme hexagonal. En modifiant tangentiellement l’arête du prisme rhomboïdal qui répond à l’angle voisin de 60°, on à un prisme hexagonal presque régulier qui, par une modification des arêtes des bases, fournit le dodécaëdre en question. Nous retrouvons cette allure générale des formes du système du prisme hexagonal régulier dans toutes les substances qui, comme le sulfate de potasse, ont pour forme primitive un prisme rhomboïdal droit sous l'angle voisin de 120°, telles que l’arragonite, le carbonate de baryte, le carbonate de strontiane, la chalkosine…. M. Laurent avait eu l’obligeance de me remettre de beaux cristaux de sulfate de potasse, dont plusieurs offraient la base de la forme primitive, ainsi qu'une double bordure dodécaédrique. La mesure des angles indiquait, par une différence qui ne dépassait pas cependant vingt minutes, que ce double dodécaëdre appartenait bien au prisme rhomboïdal. Néanmoins, la régularité d’un de ces cristaux était telle que je désirai me convaincre autrement que cette forme n'appartenait pas au système hexagonal régulier. Rien n’était plus simple d’ailleurs, en voyant par les phénomènes optiques si le cristal était à 1 ou à 2 axes. Je taillai, à cet effet, une lame à faces parallèles perpendi- culairement à l’axe principal du cristal. Or, je fus tout étonné lorsque, plaçant cette lame dans l'appareil de polarisation de Nôrremberg, je 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 6 mars 1848, XX VI, p. 304-305. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE, 3 34 ŒUVRES DE PASTEUR vis une étoile à 6 branches de teintes et de couleurs diverses, et embrassant chacune le même angle au centre. Il était prouvé, dès lors, que ce cristal, si régulier en apparence, était formé de parties diverses groupées ensemble d’après une certaine loi de symétrie (1). J'étudiai ce phénomène plus en détail, et je fus bientôt assuré que, parmi les cristaux de sulfate de potasse que l’on rencontre dans le commerce, il est extrêmement difficile de trouver un cristal qui soit homogène. Tous sont le résultat de groupements divers. Les teintes colorées qui se développent lorsqu'on reçoit sur un analyseur la lumière émanée de la lame, et qui la frappe normalement après avoir été polarisée, mettent le mode de groupement en évidence de la manière la plus nette. J'ai joint à ce travail un tableau de figures coloriées qui sont le dessin exact des lames lorsqu'elles sont placées dans l'appareil de Nôrremberg (?). J'ai indiqué aussi la direction des axes cristallogra- phiques dans chacune des portions composant par leur ensemble un cristal unique. Le tableau des figures met, en outre, en évidence la loi qui règle les modes de groupement : l’angle au centre des diverses parties groupées est toujours voisin de 60 et de 90°, ou l’un des multiples de 60, 120 et 180°. Et, comme chacun de ces angles peut s'associer aux autres, pourvu que la somme fasse 360°, on conçoit qu'il y a une foule de groupements possibles qui se réalisent en effet, et dont j'ai donné les dessins pris sur les cristaux taillés norma- lement à l’axe principal. L'étude des groupements du sulfate de potasse acquiert une plus grande importance, si l’on remarque que plusieurs groupements analogues ont été déjà signalés dans ces mêmes substances que je rapprochais tout à l'heure, et qui ont toutes pour forme primitive un prisme rhomboïdal droit voisin de 120°. La relation intime de ces substances nous indique que l’étude des groupements dans l’une d'elles est une étude faite pour les groupements des autres. Or, le sulfate de potasse, facile à obtenir en beaux cristaux, se prétait très bien à ce genre de recherches. 1. Ce mode de groupement a déjà été signalé, il y a très longtemps, par M. Brewster. 2, Les figures n'ont pas été publiées dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. (Note de l'Édition.) RECHERCHES SUR LE DIMORPHISME (EXTRAIT PAR L'AUTEUR) [!] Je commence ce travail en donnant la liste de toutes les substances dimorphes naturelles ou artificielles aussi complète que j'aie pu la faire, aidé des bienveillants secours du savant M. Delafosse. J’indique quelles sont celles dont les deux formes n’ont pu encore être déter- minées assez complètement, et que je suis forcé par cela même de laisser de côté dans ce Mémoire. Cela posé, voici une première propriété commune aux substances dimorphes : c’est que l’une des deux formes qu’elles présentent est une forme limite, une forme en quelque sorte placée à la séparation de deux systèmes dont l’un est le système propre de cette forme, et l’autre le système dans lequel rentre la seconde forme de la substance. Ainsi, le soufre cristallise en prisme oblique et en prisme rectangulaire droit. Or le prisme oblique est très voisin du prisme rectangulaire, car l'angle des pans est de 909,32’, et l’angle de la base sur les pans de 94°,6". L’arragonite et ses isomorphes cristallisent en prisme rhomboïdal droit dont l’angle est voisin de 120°, et ce prisme affecte, en général, par une modification tangente à l’arête verticale correspondante à l’angle de 60° environ, l’allure d’un prisme hexa- gonal régulier. L'autre système de la chaux carbonatée est le prisme hexagonal régulier. Le nitrate de potasse, celui de soude, le sulfate de potasse cristallisent dans le système du prisme hexagonal régulier et en prisme rhomboïdal droit, très voisin de 120°. Le sulfate de nickel, le séléniate de nickel, le séléniate de zinc cristallisent en prisme rhomboïdal droit de 90 à 91°, et en prisme droit à base carrée. Le sesquioxyde de fer cristallise en octaèdre régulier et en rhomboëdre dont l’angle ne diffère de 90° que de 3°,40'. Or le cube est la limite des rhomboèdres aigus et obtus. Le sulfotricarbonate de plomb, le chlo- rure de naphtaline et le chlorure de naphtaline monochlorée, lido- crase, etc., ont également des formes limites. Ces exemples suffisent à 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 20 mars 1848, XX VI, p. 353-899. 1 ; ' 36 ŒUVRES DE PASTEUR pour caractériser ce premier fait important, que le dimorphisme n'existe que là où il y a forme limite, et que ce sont deux des systèmes que réunit en quelque sorte cette forme limite, qui sont les deux systèmes incompatibles propres à la substance dimorphe. Mais la relation des deux formes incompatibles va généralement plus loin. On trouve, en effet, qu’en partant de l’une des formes et des dimensions du prisme qui lui correspond, on peut, toujours par des lois de dérivations simples, obtenir les faces secondaires qui naissent sur l’autre forme. La différence des angles ne s'élève pas à plus de 3 ou #, et elle est presque toujours moindre. Il serait trop long d'entrer ici dans les détails cristallographiques que nécessite l'établissement de cette proposition. Je remarquerai seulement, afin de la mieux faire comprendre, que lorsque les deux formes sont, l’une du système cubique, l’autre du système du prisme droit à base carrée, telles que celles du grenat et de l’idocrase (substances que tous les minéralogistes allemands regardent comme dimorphes), la relation dont je parle exige que les dimensions du prisme carré droit puissent être regardées comme égales sensiblement. Or dans l’idocrase le rapport des dimensions du prisme est + Ce rapport est celui de 12,5 à 13, si l’on donne le signe D’ à la face bi. En d’autres termes, il faudra que l’octaèdre Æ soit voisin d’un octaèdre régulier. Or l'angle de l’octaèdre D est 107°,41!, qui ne diffère que de 1°,47 de l’angle de l'octaèdre régulier. Trois substances n'offrent point les relations que je viens de si- gnaler : ce sont la pyrite, l'acide arsénieux et l'acide titanique. Mais ces substances doivent être regardées comme nous offrant des exemples d’isomérie, et non de dimorphisme. J'observe (!) qu'il serait prématuré peut-être de généraliser les résultats auxquels conduisent les observations relatives aux substances dimorphes actuellement connues, et de les étendre à toutes celles, très nombreuses sans doute, dont le dimorphisme sera ultérieurement constaté. J'avoue que cette généralisation est séduisante pour l'esprit, car elle fait disparaitre l’anomalie que le dimorphisme apporte aux lois de la cristallisation. Que déduire, en effet, de ce qui précède? C'est, d’une part, que les deux formes incompatibles d’une substance dimorphe sont voisines l’une de l’autre; et, d'autre part, à cause de la relation des faces secondaires, que les dimensions moléculaires qui correspondent à ces formes sont à peu près les mêmes, ou peuvent 1. Dans le texte des Comptes rendus de l'Académie des sciences, Pasteur a mis : « J'ai dit en commencant... ». Dans le tirage à part de ce mémoire, il a modifié par : « J'observe.... ». (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 37 être regardées comme telles. En d’autres termes, ces deux arran- gements ou équilibres moléculaires qui correspondent aux deux formes sont des équilibres stables, mais voisins l’un de l’autre, quoique appartenant à deux systèmes différents et forcés d’en subir les lois générales. Ce voisinage leur permet de passer de l’un à l’autre, lorsque certaines circonstances, lors de la cristallisation, viennent modifier un peu les forces moléculaires. L’un des équilibres étant bien plus stable que l’autre, en général, comme dans le soufre, l'iodure de mercure, les nitrates de potasse et de soude, d’après les curieuses observations de Frankenheim, on voit souvent l’un de ces équilibres passer à l’autre sans difficulté. Nous voyons aussi, d’après ce qui précède, que le dimorphisme peut être prévu à l’avance, et qu'il devra être recherché, en général, là où il y aura forme limite. Beaucoup de substances minérales et artificielles ont des formes limites sans avoir encore été trouvées dimorphes. On peut prédire que c’est parmi elles que l’on rencontrera de nouveaux exemples de dimorphisme, et l’on peut en outre prédire, d'une manière approchée, quelle sera l’autre forme encore inconnue que ces substances pourront présenter. Je termine mon travail par une Note relative à un Mémoire de M. Aug. Laurent, intitulé : Sur l’isomorphisme et sur les types cristal- lins, publié dans les Comptes rendus de 1845 [XX, 1845, p. 357 à 366]. Jexplique comment l’isomorphisme qui existe entre des substances dont le système cristallin est différent rentre tout à fait dans les con- ditions de l’isomorphisme ordinaire. Il y a toujours dans ces cas-là isodimorphisme entre les deux substances. J'ajoute enfin une preuve de plus en faveur des idées qui sont la base de ces recherches, par l'annonce d’un fait remarquable qui sera bientôt publié avec détail : ce sont les premiers résultats d’un travail que je viens d'entreprendre avec MM. Courcière et Feuvrier, élèves de l’École Normale. Nous avons reconnu que les huit tartrates suivants, tartrates neutres de potasse, de soude et d’ammoniaque, tartrates doubles de potasse et d’ammoniaque, de potasse et de soude, de soude et d’ammoniaque, et, enfin, les bitartrates de potasse et d’ammoniaque sont isomorphes, et peuvent cristalliser en toutes proportions. Néanmoins ces tartrates appartiennent à deux systèmes différents, le prisme rectangulaire oblique et le prisme rectangulaire droit; mais le prisme oblique est une forme limite. L'inclinaison de la base sur les pans ne s'élève pas à plus de 2°. Nous publierons prochainement avec détail les formes cristallines et les analyses de ces tartrates. RECHERCIES SUR LE DIMORPHISME (!) Depuis très longtemps il a été reconnu que des substances de même composition chimique pouvaient avoir des formes cristallines différentes et incompatibles. Le mot de dimorphisme a été imaginé pour désigner cette propriété remarquable, dont le carbonate de chaux fut le premier exemple. C’est Haüy qui d’abord a établi, par une détermination complète et précise, l’incompatibilité des formes cristallines de l’arragonite et du carbonate de chaux, tout en admettant et insistant sur l'identité de composition de ces deux substances parfaitement démontrée par les nombreuses expériences de MM. Biot et Thenard. Le travail d’Haüy est daté de 1812 ©). Il admettait très bien que deux substances de même composition chimique pouvaient avoir des formes cristallines différentes. Ce qu'il n’admettait pas, et ce qui lui semblait inconcevable, c’est que des substances ayant la même composition chimique, e{ dont l’arrangement moléculaire des atomes élémentaires était le même, [n’Jeussent [pas] la même forme cristalline. Voici une phrase extraite textuellement du Mémoire que je viens de rappeler : « On ne conçoit pas, dit Haüy, que des éléments qui seraient les mêmes quant à leurs qualités, à leurs quantités respectives el à leur mode d’agré- gation, pussent donner naissance à des molécules intégrantes de deux lormes différentes. Cette diversité ne peut être que l'effet d’une cause qui a influé d’une manière quelconque sur la composition. » (3) Ainsi, dans la pensée d’Haüy, les molécules de lParragonite et du carbonate de chaux, sans qu’il reste à cet égard l'ombre d’un doute, 1. Annales de chimie et de physique, 3° sér., XXIII, 1848, p. 267-294 (avec 12 fig.). 2. Il est intitulé : Sur l'Arragonite: par M. Haüy. La date de l'impression du Mémoire ne s'y trouve pas, mais l'exemplaire de la bibliothèque de l'École Normale porte, écrit de la main de l'auteur : À messieurs les Éléves de l'École Normale, témoignage de l'estime de l'auteur: ce 22 décembre 1812. Haüy. Telle est sans doute Ja date de la publication. (Note de Pasteur.) Ce Mémoire de Haüy : « Sur l'arragonile » a paru dans les Annales du Museurn d'Histoire raturelle, XI, 1808, p. 241-266 (1 pl. avec 11 fig.), et dans le Journal des Mines, XXIIT, 1808, p. 241-270. (Note de l'Édition.) . Annales du Museum d'Histoire naturelle, XI, 1808, p. 264-265. (Note de V'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 39 devaient différer par l’arrangement moléculaire. L'idée que représente le mot ésomérie de nos jours était dans son esprit, et c’est cette idée qui lui permettait de concevoir l’anomalie offerte par l’arragonite et la chaux carbonatée. J’insiste sur cette manière de voir d'Haüy. C’est une erreur assez généralement répandue que la découverte du di- morphisme est venue porter une atteinte profonde aux idées d’Haüy, et que même il pensait que l'identité de composition chimique de l’arragonite et du carbonate de chaux n’était pas suffisamment éta- blie (1). Il n’en est rien, et je le répète, c’est Haüy qui un des premiers a insisté sur le dimorphisme de ces deux substances. Voiei seulement en quoi le dimorphisme était impossible, inconciliable avec les idées d’Haüy. Pour beaucoup de savants, le mot de dimorphisme veut dire qu’une substance, tout en offrant la mime forme cristalline et le même arrangement moléculaire, ou, pour abréger, une même substance, peut offrir deux formes cristallines différentes. C’est là ce qu'Haüy ne concevait pas, et il faut bien le dire, cela est vraiment inconcevable, à moins de supposer que des molécules d’une forme peuvent s'associer de manière à donner un groupe d’une autre forme jouant à son tour le rôle de molécule intégrante. En admettant la manière de voir d'Haüy, on peut se demander comment les substances dimorphes n’offrent pas des différences de propriétés chimiques aussi profondes que les substances isomères, puisque lisomérie et le dimorphisme ont également pour cause une différence dans l’arrangement des molécules élémentaires. Je partage l'opinion d'Haüy : je pense que Les substances dimorphes sont une classe de substances isomères. Mais si les arrangements moléculaires ne sont pas les mêmes dans deux variétés dimorphes, il y a entre eux une étroite relation. La différence est assez grande pour provoquer l’incompatibilité de leurs systèmes cristallins; pourtant elle n’a rien de profond. Elle altère les propriétés physiques, elle laisse à peu près les mêmes les propriétés chimiques. Pour bien faire apprécier quels sont les faits nouveaux que j'apporte dans la question du dimorphisme, je n’ai point à exposer d’abord un résumé des travaux qui ont été faits sur cette question. On ne s’est jamais occupé du dimorphisme considéré dans son en- semble, et les travaux qui y sont relatifs se sont toujours bornés 1. Je partageais moi-même cette erreur. Lorsque j'ai lu à l’Académie des sciences un extrait de ce travail, M. Chevreul eut la bienveillance de me faire observer qu'Haüy n'avait jamais dit que les substances de même composition chimique avaient aussi la même forme cristalline. Cela est parfaitement juste. J'ai consulté les Mémoires d'Haüy, et j'ai rétabli ce qu'il y avait d'inexact dans ma citation, en insistant sur ces idées avec l'importance qu'elles méritent. 40 ŒUVRES DE PASTEUR seulement à signaler de nouveaux exemples de cette curieuse pro- priété. Le nombre des substances dimorphes est encore très res- treint. Il est probable qu'il s’accroîtra beaucoup à lavenir, surtout lorsque l’on aura déterminé complètement les formes de toutes les combinaisons des laboratoires. Aussi peut-être serait-il prématuré de vouloir appliquer au dimorphisme considéré dans son ensemble les conclusions déduites de l’examen des substances dimorphes actuel- lement connues. Mais quoi qu'il en soit, les minéralogistes et les chimistes accueilleront sans doute avec imtérêt des recherches qui tendent à montrer que le dimorphisme, au moins pour ce qui regarde les substances que nous connaissons aujourd’hui, n’est qu’en: appa- rence une anomalie aux lois de la cristallisation, et qu'il est possible de prédire a priori quels sont les corps susceptibles d’être dimorphes, et quel sera le caractère général propre à l’autre forme de ces substances. Voici la liste de toutes les substances dimorphes, aussi complète que j'ai pu la faire, aidé des bienveillants secours du savant M. Dela- fosse, qui voudra bien recevoir ici l'hommage de ma reconnaissance : Soufre ; Cuivre oxydulé ; Carbone ; Carbonate de chaux; Palladium ; Baryto-calcite ; Iridium ; Nitrate de potasse; Zinc; Nitrate de soude ; Etain ; Sulfate de potasse; Acide titanique ; Bisulfate de potasse ; Acide arsénieux; Mésotypes ; Acide antimonieux ; Certains micas à un et deux axes; Pyrite ; Sulfate de nickel; Sulfure de cuivre ; Séléniate de zinc; Sulfure d'argent; Sulfotricarbonate de plomb; Protoxyde de plomb; Grenat. — Idocrase; Tlodure de mercure ; Chlorure de naphtaline; Sesquioxyde de fer; Chlorure de naphtaline monochlorée. Parmi ces substances il en est quelques-unes dont les formes cristallines n’ont pas été déterminées jusqu'ici assez complètement pour que j'aie pu les étudier. Ce sont le carbone à l’état de diamant et de graphite, le palladium, liridium, qui sont isodimorphes; le zine, le protoxyde de plomb et le bisulfate de potasse. Les considérations que je vais développer exigent une connaissance complète des deux formes cristallines, et surtout dans le cas où l’une des formes, étant du système cubique, l’autre est du système rhomboédrique ou du système quadratique (prisme droit à base carrée). Je laisse donc de côté l’examen de ces substances, dont l'étude se trouve actuellement neutre quant aux résultats de ces recherches. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 41 ., Afin de mieux faire comprendre les détails que j'aurai à donner sur chaque substance dimorphe en particulier, je vais d’abord énon- cer succinctement les faits nouveaux dont l’examen est l’objet de ce Mémoire. Je me propose d'établir, d’une part, que dans les substances dimorphes, l’une des deux formes qu’elles présentent est une forme limite, une forme en quelque sorte placée à la séparation de deux systèmes, dont l’un est le système propre de cette forme, et l’autre le système dans lequel rentre la seconde forme de la substance. Ainsi, le soufre cristallise en prisme oblique et en prisme rectangulaire droit. Or le prisme oblique est très voisin du prisme rectangulaire, car l’angle des pans est de 90°,32’, et l’angle de la base sur les pans de 94°,6". Mais la relation des deux formes incompatibles va généra- lement plus loin. On trouve, en effet, qu'en partant de l’une des formes et des dimensions du prisme qui lui correspond, on peut, toujours par des lois de dérivation simples, obtenir les faces secondaires qui naissent sur l’autre forme. La différence des angles ne s'élève pas à plus de 3 ou 4°, et elle est moindre en général. Cela posé, je vais entrer dans l’examen de chaque substance dimorphe en particulier. Je commencerai par celle qui a jusqu'ici le plus frappé l'attention des savants. Soufre. La découverte du dimorphisme dans un corps simple ne permit plus à quelques esprits de douter encore de l'identité absolue de composition chimique dans les substances dimorphes. C’est là sans doute ce qui fait que le nom de M. Mitscherlich est attaché à la découverte du dimorphisme. Le soufre cristallise dans le système du prisme rhomboïdal ou rectangulaire droit, et dans le système du prisme oblique à base rhombe. La forme des cristaux Fic. 1. Fic. 2. naturels, et en général celle des cristaux obtenus par le sulfure de carbone, est un octaëdre droit à base rhombe surmonté d’un autre octaèdre plus obtus. Il y a en outre assez ordinairement une modification tangente sur quatre arêtes culminantes de l’octaèdre aigu. Au lieu de prendre pour forme primitive le prisme rhomboïdal droit (fig. 1), on peut prendre le prisme rectangulaire droit correspondant, c’est-à-dire un prisme dont 42 ŒUVRES DE PASTEUR l’angle des pans est de 90°, et dont l’angle de la base sur les pans est aussi de 90°. Or le prisme oblique à base rhombe, qui est l’autre forme primitive du soufre, a pour angle des pans 90°,32', et l’angle de la base sur les pans est 94°,6!. C’est donc une forme limite voisine d’un prisme rectangulaire droit. Cette forme est simple dans les cristaux obtenus par le sulfure de carbone; elle porte des facettes tangentes sur les arêtes B et sur les angles O dans les cristaux obtenus par fusion (fig. 2). Je désignerai ces facettes par à et o. Si, comme le pensait Haüy, la forme primitive n’est autre que la forme même des molécules physiques du cristal, ou une forme qui en dérive simplement, nous ne pouvons douter qu'entre les molécules physiques du soufre sous ses deux états, il n’y ait une certaine relation. Quant aux dimensions mêmes des molécules en général, tout en adoptant les considérations qui guidèrent Haüy dans sa théorie des décroissements, nos connaissances sont limitées. Il est impossible d'affirmer jamais que le rapport admis soit le véritable. Ce pourrait être aussi bien un multiple ou un sous-multiple par des nombres simples. Quoi qu’il en soit, si l’on étudie avec soin les deux formes du soufre, on trouvera que la relation des molécules physiques va plus loin encore que nous ne l'avons signalé, et qu’il y a certai- nement possibilité d'admettre que ces dimensions sont sensiblement les mêmes. En effet, si l’on compare les mesures données par M. Mitscherlich, on a Dell est AD IEEE her 2) et = —14200,0Ùl Se 1369 56EEfo NE IL résulte de là que le prisme oblique avec ses facettes D et o, et le prisme rectangulaire qui répond au prisme rhomboïdal droit avec les facettes 7 et s, sont deux formes où tous les divers plans sont inclinés entre eux respectivement de la même maniere. Toute la différence consiste dans la répétition des facettes, qui suit dans ces formes les symétries propres à chaque système. En d’autres termes, je suppose-que, par l'influence de certaines causes lors de la cristal- lisation, les molécules obliques (fig. 2) passent au prisme rectan- gulaire dont elles sont voisines, tout en conservant leurs facettes qui seulement suivront la loi de symétrie de ce système, on aurait alors la forme fig. 1, moins les faces d. Ainsi nous pouvons regarder les molécules physiques du soufre à ses deux états comme étant voisines non seulement par les incli- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 413 naisons mutuelles des pans, mais aussi par les dimensions linéaires de ces molécules. Et si nous admettons cette manière de voir bien naturelle, que la différence des deux molécules provient d’un arran- sement où équilibre moléculaire un peu différent, nous dirons que le soufre, sous ses deux états, correspond à deux équilibres molécu- laires très voisins l’un de Pautre, quoique appartenant à deux systèmes différents. L'un de ces équilibres est beaucoup plus stable que l’autre, comme nous allons le voir. Chacun sait que le soufre en prisme oblique devient peu à peu opaque, et se trouve alors trans- formé en soufre octaédrique. Dans certains cas même, il suffit de toucher une aiguille prismatique oblique pour qu'elle devienne subi- tement opaque. Ce phénomène s'explique avec la plus grande facilité si l’on admet que les molécules en prisme oblique répondent à un équilibre instable qui ne peut persister qu'autant qu'il est sous lin- fluence des causes qui lui ont donné naissance lors de la cristallisa- tion, et qui, une fois abandonné à lui-même, retombe par un faible ébranlement dans l’équilibre plus stable qui lavoisine. Carbonate de chaux. L'un des systèmes du carbonate de chaux est le prisme hexagonal régulier, et l’autre système est le prisme rhomboïdal droit. Dans ce dernier cas, la chaux carbonatée prend le nom d’arragonite. Plusieurs carbonates sont isomorphes avec l’arragonite, les carbonates de baryte, de strontiane, de plomb. On n’a pas encore trouvé ces dernières sub- stances cristallisées dans le système hexagonal régulier, bien que tout porte à croire qu'elles sont isodimorphes avec le carbonate de chaux. L'angle des pans du prisme rhomboïdal droit est placé entre 116 et 120° dans ces divers carbonates; il en résulte que, si les arêtes verti- cales du prisme correspondant à l'angle 60° environ sont modifiées tangentiellement, ce qui arrive d’une manière fréquente, la forme sera très voisine d’un prisme hexagonal régulier. Le prisme hexagonal de l’arragonite est donc une forme limite voisine du prisme hexagonal régulier, qui est le type de l’autre système de la chaux carbonatée. On comprend comment, les circonstances de la cristallisation venant à varier, l’une des formes puisse passer à celle dont elle est voisine. Néanmoins, si c’est ce voisinage des deux formes qui est la cause du passage de l’une à l’autre, il paraît nécessaire que, non seulement certains angles soient peu différents les uns des autres, mais que les dimensions mêmes des molécules physiques soient sensiblement égales ou puissent être regardées comme telles. ŒUVRES DE PASTEUR Les arêtes B (fig. 3) du prisme hexagonal de l’arragonite ou de ses isomorphes portent diverses modifications, et en général les deux autres arêtes de la base portent des modifications de même signe, ce qui donne au cristal l'allure d’une forme du système hexagonal régulier. On trouve dans ces carbonates les facettes MS \ L 2 AE NT \ bb ND EME tbe el é Ventes. des, ler. Or, si l’on calcule quel serait l'angle du rhomboëèdre qui corres- pondrait aux facettes bs et es nées sur les arêtes des bases du faux prisme hexagonal régulier de l’arragonite, on trouve 105°,4!. Je n'attache pas d'importance à la coïncidence parfaite de l'angle de ce rhomboëdre avec celui de la chaux carbonatée rhomboédrique ; car je trouverais un angle seulement voisin de 105° à 1° près environ, si je calculais le même rhomboëdre né sur les prismes isomorphes de l’arragonite. Ce qu'il importe de constater, c'est que le prisme de l’arragonite ou de ses isomorphes passant, je suppose, au prisme hexagonal régulier, par une faible variation dans les angles des pans, se trouverait alors, tout en Fc. 3. gardant les facettes secondaires qu’il porte natu- rellement, l’une des formes que pourrait offrir le prisme hexagonal régulier de la chaux rhomboédrique, à L ou 2° de différence dans les angles. Baryto-calcite. La barytocalcite a pour forme primitive un prisme rhomboïdal oblique dont l’angle des pans est de 106°,54!, et l'angle de la base sur les pans de 102°,55'. Cette forme n’est pas une forme limite, et dans mon opinion elle ne peut être dimorphe. Cependant certains minéra- logistes admettent que cette substance peut cristalliser en prisme rhomboïdal droit dont l'angle serait voisin de 120°. On a signalé, en effet, des cristaux dont la composition est celle de la barvto-calcite el qui sont des dodécaèdres à triangles isocèles. M. Descloizeaux a repris l'étude de cette variété de barylo-calcite, et il a vu que ces cristaux dodécaèdres étaient le résultat d’un groupement de trois portions de cristaux, sous un angle au centre voisin de 120°, et que chaque portion pouvait dériver par une modification simple de la lorme primitive du carbonate de baryte, dont ces cristaux offrent pm ml SSL DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE S or du reste le mode de groupement. On peut donc très bien, selon moi, jusqu'à preuve du contraire, admettre que cette variété de baryto- calcite n’est qu’une variété de baryte carbonatée unie par accident atome à atome au carbonate de chaux, comparable à la dolomie. Il n'y a donc pas ici de dimorphisme. Si l'examen des propriétés optiques de cette variété prouvait que son système est le prisme hexagonal régulier, ce qui pourrait bien avoir lieu, ce serait un nouvel exemple de dimorphisme, mais relatif au carbonate de baryte ordinaire. Nitrate de potasse. — Nitrate de soude. Ces deux nitrates sont isodimorphes. Un des systèmes est le prisme rhomboïdal droit dont l'angle des pans est très voisin de 120°; l’autre est le prisme hexagonal régulier. Seulement, la forme ordi- naire la plus stable du nitrate de potasse est le prisme rhomboïdal, tandis que la forme ordinaire la plus stable du nitrate de soude est le rhomboëdre de 106°,30', La forme habituelle du nitrate de potasse est un prisme à six pans presque régulier, et souvent les sommets sont des pyramides à six faces très voisines également de pyramides régulières à triangles isocèles. Nous retrouvons donc encore ici le dimorphisme, là où il y a forme limite. Quant à la relation des faces secondaires dans les deux formes, je n'ai pas à m'en occuper. Elle est la même que dans l’arragonite comparée à la chaux carbonatée rhomboédrique; car, ainsi que la observé pour la première fois M. Mitscherlich, le rapport des dimensions moléculaires est le même dans le prisme de l’arragonite et dans celui de ces nitrates qui pourraient être regardés comme isodimorphes avec le carbonate de chaux. M. Frankenheim a fait des observations curieuses sur ces nitrates. Je les reproduirai en partie comme venant à l’appui des considérations que je développe. Lorsqu'on fait évaporer une goutte de solution de salpêtre placée sur une lame de verre, les petits cristaux formés au centre de la goutte sont du système rhomboïdal, et ceux qui se forment sur les bords de la goutte sont du système hexagonal. Il en est de même pour l’azotate de soude. Lorsqu'on vient à toucher les petits rhom- boëdres de salpêtre, ils se troublent et se transforment en cristaux prismatiques. On se rend facilement compte de ces faits en admettant que l'équilibre moléculaire qui répond à l’une des formes est voisin de l’autre, quoique beaucoup plus stable que ce dernier. Celui qui est instable, formé dans des circonstances où les forces moléculaires se trouvaient modifiées, rentre aussitôt dans l'équilibre stable qui l’avoi- 16 ŒUVRES DE PASTEUR sine dès qu’il est dérangé, même par de faibles influences. Ce sont des faits analogues à ceux offerts par le soufre, par l’iodure de mer- cure, par l’arragonite portée à la température de 100°, par le séléniate de nickel exposé aux rayons solaires, etc. Sesquioxyde de fer. Les formes habituelles du sesquioxyde de fer dérivent d’un rhom- boëdre dont l'angle est de 86 à 87, c’est-à-dire voisin d’un cube. Le cube est, en effet, la limite des rhomboëdres obtus dont l’angle surpasse 90°, et des rhomboëdres aigus dont l’angle est au-dessous de 90°, L'autre système du sesquioxyde de fer est le système cubique. Un rhomboëdre étant complètement déterminé par l’angle des faces culminantes, je n'ai rien à ajouter quant à la relation des dimensions moléculaires. Sulfure de cuivre. — Sulfure d'argent. Ces deux sulfures sont isodimorphes. Il y a peut-être encore quelque doute sur le système cristallin du sulfure de cuivre naturel. M. Beudant et M. Dufrénoy adoptent le prisme hexagonal régulier, tandis que les minéralogistes allemands et anglais prennent pour forme primitive un prisme rhomboïdal droit très voisin de 120, L'autre système du sulfure de cuivre est le cube, comme l’a signalé M. Mitscherlich, lorsqu'on l’obtient cristallisé artificiellement dans les laboratoires. La forme primitive du sulfure d'argent naturel est au contraire le cube, tandis que sa forme artificielle est le prisme rhomboïdal droit voisin de 120°. Il serait très possible que ces sulfures fussent trimorphes, et que leurs formes primitives fussent le prisme rhomboïdal, le prisme hexagonal et le cube. Quoi qu'il en soit, si l’on calcule quel serait l'angle du rhomboëdre bs, né sur les arêtes de la base du prisme hexagonal, on trouve 929,507. Sulfate de potasse. Les idées nouvelles qui sont la base de ce travail reçoivent une confirmation frappante, surtout dans les cas où les deux formes cristallines portent des facettes de même signe. Alors, en effet, les angles presque égaux sur lesquels repose la comparaison des formes sont les angles mêmes que donne le goniomètre. Le calcul n’a pas besoin de venir en aide pour accuser la relation des dimensions DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE = SJ moléculaires des formes primitives. C’est ce que nous a déjà offert le.soufre, et ce que va nous présenter également le sulfate de potasse. M. Brewster a signalé depuis très longtemps des cristaux de sulfate de potasse qui ne possédaient qu'un axe optique, et qui étaient cristallisés en prisme hexagonal régulier. La forme la plus habituelle des cristaux de sulfate de potasse dérivant d’un prisme rhomboïdal droit très voisin de 120°, le sulfate de potasse est dimorphe. Il reste à comparer les deux formes quant aux dimensions moléculaires. M. Mitscherlich ayant indiqué que le sulfate de potasse cristallisé au sein d’une solution de carbonate de soude était en prismes hexa- gonaux réguliers, j'ai essayé d'obtenir ainsi la deuxième forme de ce sel. La dissolution abandonnée à l’évaporation spontanée fournit d’abord une grande quantité de sulfate de potasse sous la forme dodécaédrique ordinaire; Peau mère décantée fut de nouveau aban- donnée à l’évaporation, et au bout de quelques jours on obtint de très gros cristaux en tables hexagonales qui appartenaient réellement au prisme hexagonal régulier, ainsi que l’ont prouvé les phénomènes optiques. La plupart des cristaux étaient sans modifications; mais quelques-uns portaient heureusement de petites facettes tangentes aux arêtes des bases du prisme hexagonal. L’angle de la facette avee la base est de 123°, à quelques minutes près. Or le prisme hexagonal dérivé du prisme rhomboïdal droit, qui est la forme primitive du sulfate ordinaire, porte une bordure dont les facettes font avec la base un angle de 124°,20'. Il y a plus : je suis très porté à croire que ces prismes hexagonaux réguliers sont formés, en général, de prismes groupés sous les angles de 60° ou l’un de ses multiples, comme cela arrive pour le sulfate de potasse ordinaire, ainsi que je l’ai montré dans un travail publié par extrait aux Comptes rendus de l’Académie des sciences (!). Cette opinion m'est suggérée par l’existence de cer- taines lignes à la surface des bases des prismes, qui paraissent indiquer des plans de jonction, et aussi par le défaut de symétrie des modifications. Les facettes qui existent sur les arêtes des bases n'existent que sur quelques-unes de ces arêtes et jamais sur toutes à la fois, ainsi que l’exige la symétrie. Quoi qu’il en soit, il est certain que le prisme hexagonal qui répond au prisme rhomboïdal droit du sulfate ordinaire est non seulement très voisin du prisme hexagonal régulier; mais, de plus, les deux prismes offrent des facettes éga- lement inclinées sur leurs bases. 1. Voir p. 33-34 du présent volume. (Note de l’'Édition.) 18 ŒUVRES DE PASTEUR lodure de mercure. Les formes des iodures de mercure jaune et rouge ont été déter- minées par M. Mitscherlich (!, ainsi que les formes du bichlorure de mercure. Une Note de M. Warington ?) renferme des détails inté- ressants sur le changement de couleur de liodure jaune. La forme de liodure jaune n’est pas très bien connue. M. Mitscher- lich a trouvé que la forme des cristaux jaunes obtenus par sublimation était un prisme rhomboïdal droit dont l'angle des pans était de 114' environ. On ne cite aucune forme secondaire ; jusqu'ici on n’en a pas observé. L'iodure rouge a pour forme un prisme droit à base carrée, portant sur les arêtes des bases un octaëdre très aigu (fig. 4). Les angles sont : om O : P — 109,30. Jusqu'ici nous ne voyons aucune relation entre les deux formes. Il semble que le dimorphisme existe sans qu'il y ait forme limite. En effet, dans mon opinion, pour qu'une substance puisse cristalliser en prisme carré droit et en prisme rhomboïdal droit, il faut que le prisme rhomboïdal soit très voisin du prisme carré. Il faudrait donc que l’angle des pans du prisme de l’iodure jaune fût proche de 90°, ou, ce qui revient au même, que la forme des cristaux jaunes püt se déduire par une loi simple d’un prisme rhomboïdal, dont l'angle serait voisin de 90°. Je vais pour un instant laisser tout à fait de côté cette forme de l’iodure jaune que nous ne connaissons que très imparfaite- ment, et, au lieu de comparer l’iodure rouge à l'iodure jaune, je vais comparer l'iodure rouge au bichlorure de mercure. Il me restera une 1. Mrrsemeruien (E.). Ueber die Farbenveränderung des Quecksilberjodids durch die Wärme. Poggendorff. Annalen der Physik, XXVNIIT, 1833, p. 116-120. 2, WarINGTON (R.). Sur le changement de couleur du bi-iodure de mercure. Annales de chimie et de physique, 3 sér., VIT, 1848, p. 416-421. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 49 chose à faire : ce sera de montrer que le bi-iodure jaune de mercure est isomorphe avec le bichlorure du même métal. Voici, d’après M. Mitscherlich, les formes du bichlorure de mercure. Ce chlorure a également deux formes, mais compatibles entre elles : une quand il est obtenu par dissolution, l’autre quand il est obtenu par sublimation. La forme primitive des cristaux obtenus par dissolution de ce corps dans l'alcool est un prisme droit à base rhombe M, P avec les faces secondaires O et A (fig. 5) : M':M"=— 71055 ADTAINE6;12 AMP 1330 PME 9000 OMOL= 5730 ON PUS AS: Les cristaux obtenus par sublimation dérivent d’un prisme rhom- boïdal droit dont l’angle des pans est de 86°,8'. La projection (fig. 6) donne de suite une idée nette de la forme : NES NS GR! D EN rx, Z LE = Hi}, (6 Le ils, & DUR O0 MO AU NT = A A! :h! —108, 0 at 2)at—111,33 Del = La forme des cristaux sublimés peut très bien se déduire de la forme des cristaux obtenus par dissolution, bien que ces deux formes paraissent tout à fait distinctes, et que certaines faces saillantes dans l’une n’existent même pas dans l’autre. En effet, les faces À et P des cristaux obtenus par dissolution à la température ordinaire sont les faces M et À du sublimé, et les arêtes d’intersection des faces o! et o!!, o! et o" correspondent aux faces 2a!. Cependant, la formation constante de faces secondaires proéminentes sur l’une des formes, et qui ne se rencontrent pas du tout dans l’autre, engage M. Mitscherlich à considérer comme dimorphe le bichlorure de mercure. Comparons à présent les formes bien connues du bichlorure de mercure sublimé et du bi-iodure rouge. La forme primitive de l’iodure rouge est le prisme droit à base carrée. La forme primitive du bichlorure de mercure sublimé est un prisme rhomboïdal droit qui a pour angle des pans 86°,12!. Le rapport des dimensions du rectangle qui correspond au rhombe de la base est presque égal à l’unité. Ce DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 4 50 ŒUVRES DE PASTEUR rectangle est donné, en effet, par les faces 4! et 2! prolongées (fig. 6), et d’après les mesures citées on a 4! : M"— 133,4; si l’on avait k':M"— 135, le rectangle serait un carré, Voilà donc un premier point établi : la forme primitive du chlorure de mercure sublimé est une forme limite voisine du prisme droit à base carrée qui est préci- sément la forme primitive de l’iodure rouge. Cherchons maintenant si, en partant des dimensions du prisme rhomboïdal ou rectangle du chlorure, l’octaèdre aigu o (fig. 4), à base carrée, ne dérive pas par une loi simple de ce prisme rectangle représenté (fig. 6) par les faces X!, 2' prolongées. Soient (fig. 7) O0", OE, OT les trois axes ou dimensions moléculaires du cristal qui aboutissent 5 au sommet O dans la figure 6. Si l’on prend sur OE TR à partir du point O une longueur Oa proportionnelle à OE, et sur OO’ une longueur Ob proportionnelle à quatre fois O0’, on trouvera que la facette parallèle à OI menée par les points à et b fera avec la base du prisme rectangle (fig. 6) un angle compris entre 0’ 109 et 110°. Or on a vu que l’angle de la face O de Fi. 7. l’octaèdre aigu (fig. 4) avec la base est égal à 109,30". Ceci nous prouve qu’en adoptant les dimen- sions moléculaires du bichlorure sublimé pour les dimensions du prisme carré de l’iodure rouge, les faces O de celui-ei auraient pour signe } x. Il résulte de ce qui précède que, si le bi-iodure jaune de mercure était isomorphe avec le bichlorure de mercure, les deux formes pro- pres à l’iodure de mercure jouiraient des propriétés que nous ont offertes les deux formes des substances dimorphes. Malheureusement. cet isomorphisme ne peut être établi avec une entière certitude, parce que l’on ne connaît qu'imparfaitement la forme cristalline de l’iodure jaune. Si nous nous reportons à la figure 6, nous verrons que les faces + m!et X! font un angle de 115°3'. Supposons que les faces A! et + m! se développent de ! F Fire. 8. manière à faire disparaître deux faces + 7» opposées. On aura alors un rhombe (fig. 8) qui aura les mêmes angles que la base rhombe de l’iodure jaune. C’est là, je pense, ce qui a lieu dans les petites lames rhomboïdales d’iodure jaune, lorsqu'elles se subliment; deux des faces disparaissent par le développement des autres. Il faut remarquer que, d’après les obser- vations de M. Warington, il y a dans les cristaux d’iodure jaune un DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 51 clivage facile parallèle aux faces que je regarde comme supprimées ou au moins rendues microscopiques. Or on sait que toujours les plans de clivage sont parallèles à des faces qui peuvent exister dans le cristal. Je pense, en définitive, que le bi-iodure de mercure jaune est isomorphe avec le bichlorure de mercure. D'ailleurs on peut invoquer, à l'appui de cette opinion, l’isomorphisme généralement constaté entre les combinaisons de même ordre où le chlore remplace l’iode. Mésotypes et micas. Je suis très porté à croire que l’on réunira un jour définitivement les diverses variétés de mésotypes. La mésotype proprement dite cristallise en prisme rhomboïdal droit dont l’angle est de 91°,20'. C’est une forme limite qui peut passer au prisme droit à base carrée ou au prisme oblique à base rhombe tres peu oblique. On rencontre, en effet, des variétés qui ont pour forme primitive ces divers prismes. Il est vrai qu’on a trouvé la composition variable; mais il y a très longtemps qu'on a émis l'opinion, encore soutenable aujourd’hui, que la chaux unie à l’eau atome à atome pourrait bien être isomorphe avec la soude. De cette manière, la composition devient la même, etjon n’a plus qu’une espèce qui serait dimorphe et même trimorphe. Je ne parle pas de l'identité des dimensions des divers prismes. Les facettes des sommets sont inclinées de la même manière à très peu près dans les diverses variétés. Les micas à fdeux axes ont pour forme primitive un prisme rhom- boïdal droit très voisin de 120°. C’est une forme limite qui peut passer au prisme hexagonal régulier, comme nous en avons eu déjà plusieurs exemples. Alors le cristal est à un axe. Il est probable que beaucoup de micas à un et deux axes sont des variétés d’une même espèce dimorphe. Sulfotricarbonate de plomb. Cette espèce minérale, étudiée par MM. Brooke et Haidinger, est dimorphe. Certains échantillons cristallisent dans le système hexagonal régulier et sont à un axe (Brooke); d’autres sont des prismes obliques à base rhombe, mais dont l'angle des pans est de 120°,20' et l'angle de la base sur les pans 90°,40'. Cette dernière forme peut passer par une modification sur les arêtes verticales identiques à un prisme hexagonal presque régulier (1). 1. Les cristaux de sulfotricarbonate de plomb sont des tables minces hexagonales, biselées sur les bords. Tout annonce au premier aspect qu'ils appartiennent au prisme hexagonal 52 ŒUVRES DE PASTEUR Sulfate de nickel. — Séléniate de zinc. Ces deux sulfates sont isodimorphes, et par l’une de leurs formes ils sont isomorphes avec les sulfates de zinc et de magnésie. Il ne s'agit ici que des sulfates à 7HO. La forme ordinaire des cristaux de sulfate de nickel, de sulfate de zinc, etc., est un prisme rhomboïdal droit dont l'angle varie, pour ces diverses substances, de 90°,10/ à 919,30". C'est donc une forme limite, et elle peut passer par une faible varia- tion dans les angles des pans au prisme droit à base carrée. C’est, en effet, l’autre forme des cristaux de sulfate de nickel et de séléniate de zinc. M. Mitscherlich, qui a fait de si curieuses et si importantes observations sur les substances dimorphes, a fait voir que les cristaux rhombiques exposés au soleil se transformaient, après quelque temps, en cristaux quadratiques, même assez volumineux pour pouvoir en mesurer les angles. Le sulfate de nickel est trimorphe. Il cristallise à la température de 52° et au-dessus en prismes obliques à base rhombe. Il offre alors [1 même forme que les sulfates de zinc et de magnésie lorsqu'ils cristallisent également au-dessus de 52°. M. Haïdinger, qui le premier a observé ce fait, et M. Mitscherlich, qui l’a étudié de nouveau, ne donnent malheureusement pas les angles de cette troisième forme. J'ai essayé de l'obtenir, mais je n'ai pu me procurer que des cris- taux trop petits pour en pouvoir mesurer les angles. Si cette troi- sième forme ne répond pas à un arrangement moléculaire très diffé- rent de ceux qui correspondent aux deux premières formes, en d’autres termes, s’il y a simplement trimorphisme et non isomérie, je suis persuadé que l’inclinaison de la base sur les pans du prisme oblique ne différera que de 3 ou 4° au plus de 90°. Car ce prisme oblique devra être une forme limite. L'étude de la perte d’eau par exemple, à telle ou telle température, pourra servir à décider s’il y a isomérie, c'est-à- dire changement profond dans l’arrangement moléculaire. Le rapport de la base à la hauteur dans les sulfates précédents, cristallisés en prismes rhomboïdaux droits, est très sensiblement égal D A Or, si l’on calcule l'angle que ferait avec la base du prisme une facette dont le signe serait b*, on trouve 112°,38'. L’angle de la base régulier. En général, cependant, leur système est celui du prisme rhomboïdal oblique, comme l'attestent les phénomènes optiques. Aussi M. Brooke a-t-il pu être induit en erreur, s’il ne s'est pas assuré directement que ses cristaux étaient réellement à un axe optique. L'École des Mines possède plusieurs échantillons de cette espèce minérale. M. Dufrénoy voulut bien me permettre de les étudier : ils sont tous à deux axes. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 53 avec la face de l’octaèdre aigu du sulfate de nickel cristallisé dans le système du prisme droit à base carrée est égal à 110°,40/, La différence de ces deux angles est de 1°,58'. Nous voyons encore ici que les dimen- sions moléculaires peuvent être regardées comme sensiblement égales ou du moins sont dans un rapport simple, pour le prisme rhomboïdal et pour le prisme carré droit. Grenat. — Idocrase. Tous les minéralogistes allemands et anglais s'accordent pour dire que la composition chimique du grenat et de lidocrase est la même, et que c’est là un autre exemple de dimorphisme. Chacun sait que le grenat appartient au système cubique, et l’idocrase au système du prisme droit à base carrée. Il y a donc ici dimorphisme avec forme limite; mais il faut, en outre, si les conclusions de ce travail sont justes, que le rapport des dimensions puisse être regardé comme le même dans les deux formes primitives. L'une de ces formes étant le cube, il est nécessaire que dans l’idocrase le rapport de la base à la hauteur soit très sensiblement égal à 1. Or le rapport admis par les minéralogistes est celui de 25 à 13, ou celui de 12,5 à 13, en donnant le signe b! à la face b*. En d’autres termes, il faut que l’angle de l’octaèdre D = soit voisin de l'angle de l’octaèdre régulier. La différence n'est que de 1°,47. Chlorure de naphtaline. — Chlorure de naphtaline monochlorée. Ces substances ont été étudiées avec soin par M. Laurent, qui en a fait connaître aussi les formes cristallines. Je commencerai par décrire ces formes en citant les termes mêmes de son Mémoire (!). Chlorure de naphtaline. — « Les cristaux formés dans l’éther à 100° sont des prismes courts, obliques, à base rhombe, qui se présentent tantôt avec une modification, tantôt avec une autre. Je les ai toutes réunies dans la figure 9. La forme dominante est le prisme rhomboïdal CBB'. On rencontre toujours les modifications 00', dd! et rarement #/, ss!', PP', AA. DE 10%} (1) (01°) Ke CB! À — 108,30 CDN. CD” \ — 121540 DD! —118, 0 1. LAURENT (A.). Sur la série naphtalique. 31° Mémoire sur les types. Revue scientifique et industrielle, XI, 1842, p. 361-389; XII, 1848, p. 193-235 ; XIII, 1843, p. 60-98 et p. 579-609. (Note de l'Édition.) 54 ŒUVRES DE PASTEUR BD) JQe EDEN mt el CA —= {hé D O'A —147, 0 Æ ) — 1449 environ. CDD) EE Malgré ces mesures, malgré la parfaite symétrie des modifications, il me reste des doutes sur le Abe système ‘cristallin de ce corps. fosse avoir comparé cette forme avec celle d’un autre composé, j'ai cru devoir prendre de nouvelles mesures ; mais elles m'ont conduit aux mêmes résul- tats. Cependant, parmi les cristaux que J'examinais, j'en ai rencontré deux qui m'ont offert les facettes PP! et SS'; et les inclinaisons de ces facettes conduisent à un prisme oblique à base ere : SP — 139°30! SIMS 70 ( SC — 92, 0 | S'C — 88, 0 Les mesures ont été prises plusieurs fois et n’ont jamais varié de plus de + degré. CB ne devrait donc pas égaler CB; CD TE RC AGDE BD. 200 20 NN MORE ET Tout porte à croire que M. Laurent a pris ses mesures sur des cristaux de deux sortes. Les angles CB, CB',... ne peuvent être égaux, comme le fait observer M. Laurent, si les angles SC et S'C sont différents; et comme ces derniers différent de 4°, si les angles CB et CB' mesurés n’eussent pas été égaux, leur inégalité aurait certainement été mani- feste au goniomètre. Aussi, je suis persuadé que si M. Laurent avait mesuré les angles CB, CB' sur les cristaux qui portaient les faces PP', il aurait trouvé CB différent de CB'. Très probablement CB était égal à CB' dans les cristaux où CS était égal à CS’. En un mot, je prends pour exactes les mesures mêmes de M. Laurent, qu’il a répétées et prises avec soin, comme il le fait remarquer, et j’admets, par suite, que le chlorure de naphtaline est dimorphe, qu’il cristallise en prisme oblique à base rhombe et en Fic. 9. prisme oblique à base de parallélogramme obliquangle. Il est inutile d'ajouter, d’ailleurs, ‘que le dimorphisme existe ici avec forme limite, 1. LaurexT |(A.). Revue scientifique et industrielle, XIII, 1843, p. 74-79. (Note de L Édition ) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 55 et que les dimensions ou axes des deux formes cristallines primitives sont sensiblement égales. Je ferai ici une remarque qui va nous être utile. En donnant à la face o le signe o!, la face 0? ferait avec la base C un angle compris entre 129 et 1302. Chlorure de naphtaline monochlorée. — « Ce chlorure, assez soluble dans l’éther, se dépose de ce liquide sous la forme de prismes droits à base rhombe dont la figure 10 représente la forme dominante : BB! — 10945! AC : AC" —119/09 CB — 95 nee on Quelquefois on rencontre diverses facettes que Je réunis dans une seule figure 11 : MA — 1025! xM —210) CA —115:55 IA —"1/:0" 0 oÀ —1/10790 yA == (O0 oB ee. 132,50 dd' — 128,35 Cd | Ca! —_1//690 Ca "M 9 EN NU Le chlorure de naphtaline monochlorée cristallisé dans l’alcool possède une forme tout à fait différente de la précédente, et qui appartient au système prismatique oblique à base rhombe (fig. 1122) 8 BB' —110° environ. C à rs Cou HAS M9 Bd ere B'a! — 127 à 1280... » (QE Je remarquerai que ces dernières mesures ne sont point assez précises pour que l’on puisse placer cette dernière forme dans le système du prisme oblique à base rhombe, plutôt que dans celui du prisme oblique à base de parallélogramme obliquangle, si toutefois 1. LAURENT (A.). Revue scientifique; et. industrielle, XIII, 1845, p. 79-80. (Note de l'Édition.) 56 ŒUVRES DE PASTEUR ces deux prismes étaient très voisins comme nous en avons eu un exemple dans le chlorure de naphtaline. M. Laurent place la première forme du chlorure de naphtaline chlorée dans le prisme droit à base rhombe. Mais, en réalité, cette forme peut tout aussi bien appartenir à un prisme oblique à base rhombe dont la face GC, placée en avant (fig. 10), serait la base; et même, en adoptant cette manière de voir, le chlorure de naphtaline monochlorée se trouve isomorphe avec le chlorure de naphtaline qui cristallise en prisme oblique à base rhombe. En effet, la face C de derrière (fig. 10) fait avec la face C placée en avant un angle égal à 128°,10'. C’est précisément, comme je lai observé plus haut, l'angle que ' Fe Fi. 10. Fi. 11. la face 0? ferait avec la base C dans le chlorure de naphtaline (fig. 9). Ceci montre bien que l’un des systèmes du chlorure de naphtaline est le prisme oblique à base rhombe; car, s’il est isomorphe avec le chlo- rure de naphtaline monochlorée (fig. 10), il est du même système que ce dernier, et la symétrie des faces (fig. 10 et 11) ne permet pas de placer ces formes dans le système du prisme à base de parallélogramme obliquangle. Quant à la forme (fig. 12), il est bien probable maintenant qu'elle est isomorphe avec celle du chlorure de naphtaline qui cristallise en prisme oblique à base de parallélogramme obliquangle. En résumé, les deux chlorures précédents sont isodimorphes, ce qui nous explique l'observation curieuse de M. Laurent, à savoir, que ces chlorures peuvent cristalliser ensemble en toutes proportions sans que la forme cristalline change d'une manière sensible. Je reviendrai sur ce fait dans la Note que je publie à la suite de ce travail (1). 1. Voër p. 59-60 du présent volume. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 3 or Pyrite. — Acide arsénieux. — Acide titanique. y {l Parmi les substances dimorphes j'ai cité la pyrite de fer, les acides arsénieux et antimonieux, l'acide titanique. Ni l’une ni l’autre de ces substances ne se prête aux considérations que je développe. Mais il est à remarquer que très probablement ces substances nous offrent des exemples d’isomérie et non de dimorphisme. Je reviendrai, dans un travail spécial déja commencé, sur l’isomérie des acides arsénieux et antimonieux. La pyrite nous offre à coup sûr un exemple frappant d’isomérie. Chacun sait, en effet, que la pyrite jaune est inaltérable à l'air; que, quand on la trouve transformée, elle est à l’état d’hydrate de peroxyde de fer, tandis que la pyrite blanche s’altère facilement à l'air et donne du sulfate de protoxyde de fer. Pour que deux substances soumises à une action chimique aussi uniforme pour chacune donnent lieu à des résultats si différents, il faut bien qu'il y ait une séparation profonde entre les arrangements moléculaires correspondants. Quant à l’acide titanique, aucun fait ne prouve jusqu'ici son isomérie ; je suis seulement porté à l’admettre, parce qu'il ne nous offre pas les relations que j'ai signalées précédemment. Il serait important de constater, par exemple, si chacun de ses états ne correspond pas à une capacité de saturation différente, et S'il n’y aurait pas là un exemple d’isomérie analogue à celui que M. Laurent a fait connaître pour l'acide tung- stique des laboratoires. Conclusions. J'ai dit, en commençant, qu'il serait prématuré peut-être de géné- raliser les résultats auxquels conduisent les observations relatives aux substances dimorphes actuellement connues, et de les étendre à toutes celles, très nombreuses sans doute, dont le dimorphisme sera constaté ultérieurement. J'avoue que cette généralisation est séduisante pour l'esprit, car elle fait disparaître l’anomalie que le dimorphisme apporte aux lois de la cristallisation. Que déduisons-nous, en effet, de ce qui précède : c’est, d’une part, que les deux formes incompatibles d’une substance dimorphe sont voisines l’une de l’autre et, d'autre part, à cause de la relation des faces secondaires, que les dimensions molé- culaires, ou axes, qui correspondent à ces formes sont à peu près les mêmes ou peuvent être regardées comme telles. En d’autres termes, les deux arrangements ou équilibres moléculaires qui correspondent aux deux formes sont des équilibres stables voisins l’un de l’autre, quoique appartenant à deux systèmes différents et forcés d’en subir les lois générales. Ce voisinage leur permet de passer de l’un à l’autre 58 ŒUVRES DE PAS/REUR lorsque certaines circonstances, lors de la cristallisation, viennent modifier un peu les forces moléculaires. L’un des équilibres étant bien plus stable que l’autre, en général, on voit souvent l’un d’eux passer à l’autre sans difficulté. Le soufre, le bi-iodure de mercure, les nitrates de potasse et de soude, ete., nous en donnent des exemples. Les substances dimorphes, dans ma manière de voir, seraient des substances isomères dans lesquelles l’arrangement moléculaire est très peu différent; aussi les propriétés chimiques ne sont-elles que peu modifiées. Il est très probable que, dans chaque système, à toute formule chimique d’une substance qui fait partie de ce système répond un équi- libre moléculaire plus ou moins stable, mais bien déterminé. Dès lors, qu'une substance soit placée par sa forme à la limite de séparation de deux systèmes, comme tout porte à croire qu'il y a entre la forme et l’arrangement moléculaire une relation très étroite, il en résultera que l’arrangement ou équilibre moléculaire correspondant à cette substance pourra être très voisin d’un autre arrangement ou équilibre moléculaire, mais appartenant au système voisin. Et, surtout dans les cas où l’un des équilibres sera par la nature des forces moléculaires en jeu plus stable que lPautre, on verra un passage de lun à Pautre, ce qui se manifestera à nos yeux par l’incompatibilité des formes cristallines. La relation que nous avons reconnu exister entre les dimensions, ou axes moléculaires, n’exige pas que l’on conclue à l'égalité des dimensions des molécules physiques dans les deux formes, mais seule- ment que le rapport de ces dimensions est un nombre entier ou frac- tionnaire, rationnel et très simple. Ce qui précède nous montre que le dimorphisme peut être prévu à l'avance, et qu'il devra être recherché en général là où il y a forme limite. Beaucoup de substances minérales ont des formes limites sans avoir été encore trouvées dimorphes. Il en est de même de plusieurs substances des laboratoires ; on peut prédire que c’est parmi elles que lon rencontrera de nouveaux exemples de dimorphisme, et on peut en outre prédire d’une manière approchée quelle sera l’autre forme, encore inconnue, que ces substances pourront présenter. Je citerai comme substances artificielles dont la cristallisation peut être variée, et où cette recherche sera plus facile, l’'hyposulfate de baryte, et surtout le prussiate de potasse. Cette dernière substance, par ses angles et l'allure générale de sa forme ordinaire, est très voisine du prisme carré droit. Cette substance peut être dimorphe, et elle cristallisera dans ce dernier système, si en effet elle est trouvée dimorphe. Quant aux substances minérales, un grand nombre sont des formes limites. NOTE SUR UN TRAVAIL DE M. LAURENT INTITULÉ : SUR L'ISOMORPHISME ET SUR LES TYPES CRISTALLINS (1 M. Laurent, dans un travail publié en 1845 aux Comptes rendus de l'Académie des sciences [XX, p. 357-366], a émis lopinion que des substances pouvaient être isomorphes, quoique appartenant à des systèmes différents. Il suffisait que lune des formes fût limite par rapport à l’autre. Il citait pour exemple les chlorures de naphtaline et de naphtaline monochlorée qui pouvaient s'unir en toutes proportions sans que la forme cristalline cessät d’être voisine de celle de Pun ou de l’autre des deux corps composants. À priori, on pourrait affirmer qu'une telle proposition est impossible si elle devait impliquer cette autre, que les molécules appartenant à deux systèmes différents, quoique très voisines, peuvent s'associer, se juxtaposer les unes aux autres. Des molécules qui auraient la forme d’un prisme rectangulaire oblique ne pourraient pas, quelque faible que soit l'obliquité, ne füt- elle que d’une fraction de minute, se juxtapôser à des molécules en prisme rectangulaire droit; car une condition essentielle de la cristal- lisation, c’est que l’espace soit rempli, c’est qu'il n’y ait pas entre les molécules un vide de dimensions finies. Mais, en admettant l'opinion que j'ai développée précédemment, à savoir que, là où il y a forme limite, le dimorphisme est possible, non seulement le fait énoncé par M. Laurent est réalisable, mais il est nécessaire. Le chlorure de naphtaline et le chlorure de naphtaline monochlorée, par cela même qu'ils ont des formes limites, sont tous deux dimorphes, ils sont de plus isodimorphes. Lorsqu'on les mêle et qu'on les fait cristalliser ensemble, des molécules de même forme et exactement de même angle sont ou peuvent être en présence : le type chimique est d’ailleurs le même. Nous sommes dans le cas ordinaire de lisomor- phisme, et voilà pourquoi j'ai dit que la proposition de M. Laurent était nécessaire. 1. Annales de chimie et de physique, 3° sér., XXIIT, 1848, p. 294-295. 60 ŒUVRES DE PASTEUR J'aurai l’occasion ultérieurement de citer d’autres exemples d’iso- imorphisme dans des substances dont le système est différent, et j'apporterai des faits de divers ordres à l'appui des considérations que j'ai développées dans ce Mémoire (!). Les détails de ces faits trou- veront mieux leur place dans un travail qui sera publié prochaine- ment. 1. {1 s'agit du Mémoire précédent : Recherches sur le dimorphisme. Annales de chimie et de physique, 3° sér., XXIIT, 1848, p. 267-294 (avec 12 fig.). Voir p. 38-98 du présent volume. [Note de l'Édition.] MÉMOIRE SUR LA RELATION QUI PEUT EXISTER ENTRE LA FORME CRISTALLINE ET LA COMPOSITION CHIMIQUE, ET SUR LA CAUSE DE LA POLARISATION ROTATOIRE (EXTRAIT PAR L'AUTEUR) [!] Si l’on compare les formes cristallines de tous les tartrates quels qu'ils soient, y compris les émétiques, on s'apercevra sans peine que dans toutes ces formes plusieurs facettes se retrouvent inclinées entre elles de la même manière. En plaçant toutes ces formes les unes auprès des autres, on aura une série de prismes diversement modifiés aux extrémités et sur les arêtes des pans. Mais ces dernières modifi- cations relatives aux arêtes des pans se répéteront les mêmes dans tous les prismes, inclinées respectivement de la même manière, ou à très peu près. Les formes pourront appartenir à des systèmes différents, et à côté du prisme rhomboïdal on pourra trouver le prisme rectangulaire droit ou oblique, ou même le prisme tout à fait oblique du dernier système cristallin; mais néanmoins les angles des pans ou ceux des facettes de modification différeront très peu les uns des autres. Quand deux formes ne seront pas du même système, l’une sera pour l’autre une forme limite. Je fais ici abstraction des extrémités des prismes, et, en effet, c'est par les extrémités seules des prismes que different les formes cristallines de tous les tartrates. La composition chimique a beau varier, ces relations ne cessent pas d’avoir lieu, et on les retrouve dans les sels neutres comparés entre eux, et avec les sels acides, et avec les sels doubles, et, enfin, avec les émétiques. Je pense dès lors qu'il est impossible de douter qu'un certain groupe moléculaire reste constant dans tous ces sels; que l’eau de cristallisation, que les bases, reléguées aux extrémités de ce groupe, le modifient à ces extrémités seulement, ne touchant qu'à peine, et dans la mesure de la différence des angles observés entre les facettes, à 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 15 mai 1848, XX VI, p. 595-538. 62 ŒUVRES DE PASTEUR l’'arrangement moléculaire central. Assurément je ne fais que confirmer ici cette opinion que tous les chimistes énonceraient, savoir, qu'entre tous les sels d’un même acide, il y a quelque chose de commun. Ces faits cependant nous montrent, en outre, l’étroite relation qui existe entre la forme cristalline et la constitution moléculaire, et le jour que l’on peut jeter, par les études cristallographiques, sur l’arran- gement des atomes. Laissons de côté, pour un instant, les tartrates et comparons de même les formes cristallines de tous les paratartrates. On trouvera qu'elles présentent entre elles quelque chose de commun, et, ce qui surprendra au premier abord, à cause de l’isomérie bien connue de ces sels, leur relation est absolument la même que dans les tartrates. Toutes les formes ne diffèrent que par les extrémités des prismes qui leur correspondent; mais, de plus, les angles des pans et de leurs modifications sont à très peu près les mêmes que dans les tartrates. De telle sorte qu'il existe un groupe moléculaire commun à tous les paratartrales, et que ce groupe est le même que dans les tartrates. Cette conclusion, déduite d’études cristallographiques, est en désaccord avec les observations chimiques. L'isomérie de ces deux genres de sels n’est pas douteuse, c’est-à-dire que l’arrangement moléculaire de l'acide paratartrique diffère de l’arrangement molé- culaire de l'acide tartrique; qu'il en est de même de leurs sels. Si les extrémités du groupe moléculaire commun aux tartrates et aux paratartrates n'étaient pas modifiées de la même manière par l’intro- duction de nouveaux éléments dans les tartrates et les paratartrates, on concevrait encore très bien l'isomérie de ces sels. Or c’est ce qui a lieu en général. Que si l’on compare tous les tartrates, ai-je dit, les extrémités seules des formes seront différentes. Mais que l’on consi- dère un tartrate en particulier, et l’on verra bientôt, sans qu'il existe ombre de doute à cet égard, que dans ce tartrate les deux extrémités du prisme sont dissymétriques. La loi du célèbre Haüy, qui veut que les parties identiques soient modifiées de la même manière, est violée. En un mot, tous les tartrates sont hémiédriques. Ainsi ce groupe moléculaire commun à tous ces sels, et que l'introduction de l’eau de cristallisation et des oxydes vient modifier aux extrémités, ne reçoit pas à ces deux extrémités les mêmes éléments, ou du moins, ils y sont distribués d’une manière dissymétrique. Au contraire, dans la pluralité des paratartrates que j'ai examinés, je n'ai rien observé qui annonçât l’hémiédrie de ces sels. Je viens de dire que dans la plupart, et non pas dans tous les paratartrates, je n'avais pas rencontré de cristaux hémièdres. En DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 63 effet, il est un de ces sels qui est hémiédrique, et c’est ici que nous allons toucher au doigt en quelque sorte la véritable cause de la pola- risation rotatoire. Chacun sait, en effet, depuis les belles et nom- breuses recherches de M, Biot, que beaucoup de substances orga- niques jouissent de la propriété singulière de dévier à l'état de dissolution le plan de polarisation des rayons lumineux. Chacun sait aussi qu’une des différences capitales entre les tartrates et les para- tartrates Iconsiste en ce que l’acide tartrique et les tartrates dévient le plan de polarisation, tandis que l'acide paratartrique et ses sels ne le dévient pas. Il existe même une observation bien curieuse de M. Mitscherlich relative à cette différence des deux espèces de sels. Comme la Note où cette observation est consignée est très courte, je vais la reproduire ici telle qu'il l’a adressée à l’Académie, en 1844, par l'intermédiaire de M. Biot : « Le paratartrate et le tartrate (doubles) de soude et d’ammoniaque ont la mème composition chimique, la mème forme cristalline, avec les mêmes angles, le même poids spécifique, la même double réfraction, et, par conséquent, les mêmes angles entre les axes optiques. Dissous dans l’eau, leur réfraction est la même. Mais le tartrate dissous tourne le plan de la lumière polarisée, et le paratartrate est indifférent, comme M. Biot l’a trouvé pour toute la série de ces deux genres de sels ; mais ici la nature et le nombre des atomes, leur arrangement et leurs distances sont les mêmes dans les deux corps comparés » (1). Telle est l'observation de M. Mitscherlich. Pour ce qui concerne l'inaction du paratartrate sur la lumière polarisée, M. Biot a répété l'expérience du savant chimiste de Berlin sur un échantillon de ce paratartrate que lui avait remis M. Mitscherlich. Eh bien, par le plus grand des hasards, M. Mitscherlich a été induit en erreur, et M. Biot à son tour. Le paratartrate de soude et d’ammoniaque dévie le plan de polarisation; seulement, parmi les cristaux provenant d'un même échantillon, il en est qui dévient le plan de polarisation à gauche, d’autres à droite; et quand il y en a autant d’une espèce que de l’autre, la solution est inactive, les deux déviations contraires se compensent. Voici maintenant la différence cristallographique de ces deux espèces de cristaux. Ils sont tous hémiédriques; mais il y en a qui sont hémièdres à droite, d’autres à gauche, et la déviation dépend, pour le sens, de cette dissymétrie. Quand je veux une déviation à droite, je choisis les cristaux hémièdres à droite; quand je veux une déviation à gauche, je choisis les cristaux hémièdres à 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XIX, 184, p. 720. (Note de l'Édition.) 6* ŒUVRES DE PASTEUR gauche (1). Il n'est arrivé aussi de n'avoir pas de déviation; c’est que javais pris des cristaux mélés, sans faire aucun choix. N’est-il pas évident maintenant que la propriété que possèdent certaines molé- cules de dévier le plan de polarisation a pour cause immédiate, ou du moins est liée de la manière la plus étroite à la dissymétrie de ces molécules ? car voici, en résumé, les faits principaux : L’acide tartrique et les tartrates dévient le plan de polarisation ; ils sont tous hémièdres. Ils dévient tous à droite, et sont aussi tous hémièdres dans le même sens. Les paratartrates-ne dévient pas; ils ne sont pas hémièdres. L'un d’eux dévie, il est alors hémiedre. Il dévie tantôt à droite, tantôt à gauche; c’est qu'il est hémièdre, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. On dira, et avec juste raison : Toutes les substances organiques qui dévient le plan de polarisation lorsqu'elles sont dissoutes jouiront donc de lhémiédrie. J’aurais beaucoup désiré ne présenter ce travail à l’Académie qu'après avoir examiné les bases organiques, le camphre et d’autres substances. Mais ici on rencontre de grandes difficultés pour la recherche de lhémiédrie. La beauté des cristaux des tartrates, leur grosseur, m'a servi considérablement. Cependant j'ai pu faci- lement étudier le sucre candi, et je puis annoncer, d’après mes propres recherches, que cette substance est hémiédrique, et jouit à un haut degré de la pyro-électricité polaire. C’est même par l'étude de cette dernière propriété que j'ai été assuré de l’hémiédrie, dont je me suis rendu compte ensuite par l'observation attentive de la forme cristalline, Postérieurement, j'ai trouvé que cette détermination avait été déjà faite il y a longtemps par le D' Hankel. 1. Il existe ici dans le texte original un lapsus qui a été rectifié. (Note de l'Édition.) RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI PEUVENT EXISTER ENTRE LA FORME CRISTALLINE, LA COMPOSITION CHIMIQUE ET LE SENS DE LA POLARISATION ROTATOIRE (1 L'étude des questions relatives à la constitution moléculaire des corps à toujours excité le plus vif intérêt. Chacun apprécie limpor- tance d’une pareille étude, et mesure les conséquences nombreuses auxquelles peut donner lieu le moindre progrès fait dans cette voie Pour résoudre ces questions, les recherches purement chimiques ont eu déjà et peuvent avoir à l’avenir une grande influence. Mais il faut y joindre toutes les autres épreuves que fournissent la physique et la cristallographie; et, dans les applications de cette derniere science, il est très utile de ne pas envisager la forme cristalline à un point de vue purement géométrique. C’est avec cet ordre d'idées que jai entrepris et que je poursuivrai les recherches que j'ai Phonneur de présenter à l'Académie. Ce travail se divise en deux parties. Dans la première j'établis, entre les formes cristallines des tartrates et des paratartrates, des relations curieuses et peut-être fécondes en inductions nouvelles par leur existence constante dans des sels neutres ou acides, simples ou doubles, dont la composition chimique est tout à fait différente. En voyant ces analogies de formes entre des corps qui, au point de vue de la composition, n’offrent aussi que des analogies telles qu'il peut en exister entre tous les sels d’un même acide, on se demande si l’isomorphisme ne serait pas un cas limite en quelque sorte, et si la belle découverte de M. Mitscherlich ne serait pas un cas particulier d’une théorie plus générale. J’établirai, d'autre part, dans la première partie de ce travail, le fait important de l’hémiédrie de tous les 1. Annales de chimie et de physique, 3: sér., XXIV, 1848, p. 442-459 (11 figures). — Ce Mémoire, mentionné seulement dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 9 octobre 1848, XXVII, p. 367, sous le titre « Recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le sens du pouvoir rotatoire », a fait l'objet d'un rapport de M. Biot, qu'on trouvera à la fin du préseñt volume : Docu- ment I. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 66 ŒUVRES DE PASTEUR tartrates, ce qui nous conduira naturellement à la deuxième partie, qui a trait à la liaison de la forme cristalline avec le sens de la polarisation rotatoire. M. Delafosse a publié, il y a quelques années, des recherches remarquables sur la cristallisation, où l’hémiédrie est présentée dans ses relations avec la structure physique interne du cristal à un point de vue nouveau que confirment les résultats de ce travail. Je montre, en effet, que l’hémiédrie est liée avec le sens de la polarisation rotatoire. Or, ce dernier phénomène étant moléculaire et accusant une dissymétrie dans les molécules, l’hémiédrie, à son tour, se trouve done en étroite connexion avec la dissymétrie des derniers éléments qui composent le cristal. PREMIÈRE PARTIE Tartrates et paratartrates (1). M. de La Provostaye a publié, dans les Annales de chimie et de physique, 3° sér., t. TIT[1841, p. 129-1507, un travail étendu sur les formes cristallines des tartrates et des paratartrates. Les détails du Mémoire de ce savant physicien me permettront d’être court dans la description des formes cristallines de ces sels. Je dirai seulement ce qui est néces- saire à l'intelligence des observations nouvelles que j'ai faites sur chaque sel en particulier. Tartrate neutre d'ammoniaque. — Le tartrate neutre d’ammoniaque cristallise dans le système du prisme oblique à base rectangle (fig. 1 et 2) La forme primitive simple ne se rencontre pas; elle porte toujours diverses modifications; mais je ne considérerai d’abord que la modification b! portant sur l’arête B. On a : P:M— 88,9’ PES AB TPE Le prisme est très peu oblique puisque l'angle de la base sur la face verticale M ne diffère que de 1°,51! de l'angle droit. Cela posé, je puis dès à présent signaler la relation curieuse des formes cristallines des tartrates et des paratartrates. Nous allons voir, par l’examen de ces formes, qu’elles peuvent être regardées comme dérivant d’un prisme rectangulaire droit ou oblique, mais très 1. Dans le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur a changé au cours du texte paratartrate en racémate et il a mis cette note : « Les mots racémique et paratartrique sont synonymes. » (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 67 peu oblique, dans lequel le rapport des longueurs des arêtes C et D, c’est-à-dire de deux des trois axes de la forme primitive, sera donné par une facette D! toujours sensiblement inclinée de même sur les faces P et M. On aura toujours : Angle de P sur M, voisin de 90°; Angle de P sur à', voisin de 130°. Il n’y aura de différent, dans les formes cristallines de tous ces sels, que les facettes placées aux côtés de la forme primitive. Le tartrate neutre d’ammoniaque est hémièdre. Si nous considérons la forme primitive (fig. 1), nous y trouvons les angles O identiques, les angles E identiques. Cela veut dire que, si une modification quelconque porte sur les angles O, elle doit se trouver simultanément et la même sur ces quatre angles. Il en est de même pour les angles E. Mais à une extrémité seulement, les angles O' et E' sont tronqués; les angles O et E de l’autre extrémité ne le sont jamais. Cette observation, appuyée sur l'étude d’une multitude de cristaux, nous montre clairement que deux des extrémités du cristal sont dissy- métriques. Je n’ai jamais rencontré un seul cristal où les angles O Frc. 1. Fic. 2. et E fussent modifiés en même temps que les angles O' et E’. J'ai obtenu toute une cristallisation de ce sel où aucun des huit angles n’était modifié. Cela ne prouve rien contre l'existence de l’hémiédrie ; seulement elle n’était plus accusée directement par labsence de certaines faces comparée à l’existence d’autres faces. Il y a dans ce sel un clivage très net et très facile parallèlement à P. Bitartrate d’ammoniaque. — Le bitartrate d’'ammoniaque cristallise dans le système du prisme droit à base rectangle (. Les cristaux n’ont 1. J'ai reconnu ultérieurement que le bitartrate d’ammoniaque appartenait au système du prisme rectangulaire oblique. Néanmoins je n'ai pas modifié les observations qui le concernent dans cet alinéa, parce que le prisme est très peu oblique et que les cristaux ont l'aspect général et l'allure des cristaux du prisme rectangulaire droit, mème en ce qui regarde l'hémiédrie. (Note de Pasteur pour le volume qu'il progetait en 1878 sur la Dissymélrie moléculaire.) 68 ŒUVRES DE PASTEUR jamais les formes simples des figures 3 et 4; les arêtes G et les angles solides sont tronqués. On a : RENE NODE PPS ASS UE Il y a généralement, entre les faces P et b!, les facettes D? et #3. La moyenne de l'angle P : D!, dans les tartrates et paratartrates, est de 130° environ; et l'angle 125°,30! est celui qui s'éloigne le plus de celle moyenne. Il y a, dans le bitartrate d’ammoniaque, un clivage facile et net, parallèlement à P, comme dans le tartrate neutre, et un second également facile parallelement à M. Le bitartrate d’ammoniaque est hémièdre. En effet, la forme primitive étant un prisme rectangulaire droit (fig. 3), les huit angles solides sont identiques et doivent être modifiés simultanément de la même manière. Or les facettes qui portent sur ces angles sont toujours très inégalement développées. Quatre d’entre elles, dont deux à chaque extrémité latérale, sont très petites ou nulles, et les quatre autres FiG. 3. Fic. 4. faces beaucoup plus larges sont situées de maniere à ce que, Si elles étaient prolongées jusqu'à leurs rencontres mutuelles, elles donne- raient lieu à un tétraèdre irrégulier. De même qu’à chaque système cristallin correspond un ou plusieurs octaèdres, de même à chaque système correspond un ou plusieurs tétraèdres, et un tétraèdre est toujours une forme hémiédrique. Il n’est pas indifférent de noter la position des faces tétraédriques relativement aux autres éléments du cristal. Si les faces tétraédriques, et j'entends par là celles qui se développent le plus, sont tangentes aux quatre angles E' (fig. 5), le tétraëdre obtenu, en les supposant prolongées indéfiniment, sera, par rapport aux faces P et T, dans une position inverse du tétraèdre obtenu en prolongeant les faces qui seraient tangentes aux angles E. Or il arrive toujours, dans le bitartrate d’ammoniaque, que les faces DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 69 tétraédriques sont situées sur les angles E’. Je conviens dès à présent d'appeler hémiédrie à droite une pareille hémiédrie; je dirais hémiédrie à gauche si les facettes tétraédriques portaient sur les angles E. C’est là une pure convention, analogue à celle que M. Biot a adoptée pour indiquer le sens de la rotation du plan de polarisation; mais cette convention nous sera très commode. Un moyen simple de reconnaître l’espèce d’hémiédrie est celui-ci : Supposons que l’on ait entre les mains un cristal de bitartrate d’ammoniaque; plaçons-le de maniere que les faces P soient verticales et parallèles au corps de l'observateur, les faces T horizontales. À droite de la face P, la plus rapprochée du corps, se trouve la facette tétraédrique; c’est alors que nous disons que le cristal est Aémièdre à droite. Si la facette tétraédrique était à gauche de cette face P, nous dirions que le cristal est hémièdre à gauche. Je le répète, c’est une convention. Cette distinction de l’hémiédrie est très utile dans l'étude des tartrates et des paratartrates. Ce qui permet de létablir, en d’autres termes, ce qui permet de comparer tous ces sels au point de vue de l’hémiédrie, c’est l'existence constante des faces P, T, M, O1. Tartrate neutre de potasse. — Le tartrate neutre de potasse cristallise dans le système du prisme oblique à base rectangle; mais le prisme est très peu oblique. On a : PME RS 9260) AE ENT L'obliquité du prisme est donc déterminée par un angle de trente minutes seulement. Ce tartrate, ainsi que les deux précédents, dérive donc d'un prisme P, M; D; vou P.:"Mret P.:1—90, et oùle rapport de deux des axes est donné par une modifica- tion D! inclinée sur la base P de 130° environ. ; c à 4 IL y a deux clivages nets et faciles parallèle- 4 ment aux faces P et M; l’hémiédrie de ce sel est , très prononcée. Il y a cependant quelque diffi- culté à la constater, parce que l’on obtient assez rarement des cristaux complets. J'ai préparé E# 5 et fait cristalliser nombre de fois du tartrate F16. 5. neutre de potasse, et, dans tous les cas, j'ai vu les cristaux appuyés sur les parois des vases ou implantés dans la croûte cristalline par la même extrémité. Cette particularité, tout à fait digne d'attention, je l'ai retrouvée dans les cristaux de bitartrate de soude, dans ceux de sucre candi et de sucre de lait. Le sucre candi est hémièdre, et toujours les facettes hémiédriques sont placées à 70 ŒUVRES DE PASTEUR l'extrémité engagée dans la croûte cristalline ou dans la grappe des cristaux (1). Le prisme rectangulaire du tartrate neutre de potasse (fig. 5) est oblique; de à résulte que les angles E sont identiques, que les angles O sont identiques. Les modifications qui existent sur les angles E, à droite du cristal, doivent exister à gauche sur les mêmes angles E; j'en dirai autant des angles O. Mais il n’en est point ainsi : les angles E de droite sont modifiés, les angles O le sont aussi, mais par des facettes tout autrement inclinées. IL en est de même des angles O, qui sont modifiés à gauche sans l’être à droite. En supposant prolongées les facettes qui portent à droite sur les angles E, à gauche sur les angles O, on obtient un tétraèdre irrégulier, et, en se rappelant la convention faite ci-dessus (voyez bitartrate d’ammoniaque), on voit que les cristaux sont hémièdres à droite (2). Bitartrate de potasse. — Ge sel est isomorphe avec le bitartrate d’ammoniaque. On a : :M—90° =: Pi—H260 a 27e L'hémiédrie est encore ici plus prononcée que dans le bitartrate d’ammoniaque : les faces qui portent sur les angles E! sont très 1. Pour obtenir de beaux cristaux, limpides et très volumineux de tartrate neutre de potasse il faut ajouter du carbonate de potasse à la solution avant de la mettre à cristalliser, de manière à la rendre sensiblement alcaline. (Note de Pasteur pour le volume qu'il projetait en ne sur la Dissymétrie moléculaire.) . Dans le volume projeté en 1878, Pasteur a corrigé ainsi cet alinéa : « Le prisme rectan- ne. du tartrate neutre de potasse est oblique; de là résulte que les angles E sont identiques, que les angles O le sont également. Les modifications qui existent sur les angles E, à droite du cristal, devraient exister à gauche sur les mêmes angles E; j'en dirais autant des angles O. En réalité il n’en est point ainsi : les angles E de gauche sont modifiés; les angles E de droite FiG. A. Fic. B ne le sont pas, ou s'ils le sont c'est par des facettes tout autrement inclinées. Il en est de mème des angles O, qui sont modifiés à droite sans l'être à gauche. En supposant prolongées les facettes qui portent à droite sur les angles E, à gauche sur les angles O, on obtient un tétraèdre irrégulier, et, en se rappelant la convention faite ci-dessus (voyez bi-tartrate d'ammo- niaque), on voit que les cristaux sont hémiédres à droite. Il arrive aussi très souvent que les angles O de droite sont tronqués et que ceux de gauche ne le sont pas. On peut donc rencontrer les formes figure [A] et figure [B] ». (Note de l’Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 71 développées et conduisent à un tétraèdre irrégulier; les cristaux sont hémièdres à droite. Tartrate neutre de soude. — Le tartrate neutre de soude cristallise dans le système du prisme droit à base rectangle. On ne rencontre pas la forme primitive. On a ici : PME 90° RES ADI 35 Je ne peux rien dire sur l’hémiédrie de ce sel : je n’ai pu me procurer des cristaux complets, isolés; ils sont toujours implantés par une extrémité, et un seul biseau est visible. Dans deux cristallisations cependant, j'avais opéré sur plusieurs kilogrammes de ce sel, et les cristaux étaient beaucoup plus volumineux qu'on ne les obtient ordinairement; car ce tartrate cristallise généralement en aiguilles déliées (fig. 6) [f. Bitartrate de soude. — Le bitartrate de soude s'obtient difficilement en beaux cristaux. Les faces P, 0!, M sont brillantes, mais forte- Fe. 6. ment striées, ce qui en rend la mesure très difficile; et les sommets sont toujours, dans les cristaux un peu gros, terminés par des faces courbes et rayées. Mais j'ai obtenu de très petits cristaux d’une netteté parfaite. Si l’on fait cristalliser une goutte d’une dissolution chaude de ce sel sous le microscope, on ne tarde pas à voir de petits cristaux de la plus grande netteté, ayant la forme de prismes droits à base rhombe, SAN portant un biseau à chaque extrémité (fig 7). L'hémiédrie se voit facilement sur chacun de ces cris- taux, comme l'indique la figure. Le prisme étant un prisme droit, à base rhombe, au lieu d’un biseau à chaque extrémité il devrait y avoir une pointe octaédrique. Le biseau, d’autre part, est en sens inverse aux deux extré- mités, de manière que si l’on prolongeait ses faces indé- finiment, on donnerait lieu à un tétraèdre irrégulier Fic. 7. comme dans les bitartrates de potasse et d’ammoniaque. Comme je n’ai pu mesurer les angles de ce sel, je ne puis savoir si l’on y observe encore la relation des formes des tartrates. Cela est extrêmement probable, et dès lors les angles des pans du prisme rhomboïdal doivent étre voisins de 100 et 80°. En conservant, 1. Dans le texte original, les mots « fig. G » ont été omis. (Note de l'Édition.) ŒUVRES DE PASTEUR en effet, la notation adoptée jusqu'ici, les pans du prisme sont les faces b! qui, par leur développement, ont fait disparaitre les faces P et M. Or, d’après les angles des faces P, M, Of, si l’on prolonge indé- finiment les faces 0! dans tous les tartrates, on a un prisme rhom- bique dont les angles sont voisins de 100 et 80°. Tartrate neutre de chaux. — Ce sel forme de très petits cristaux durs et brillants, ayant la forme d’un prisme droit, à base rhombe, modifié par les faces de l’octaèdre sur les angles de la base. L’angle de l’octaèdre est de 122°,15',et les angles des pans sont 82°,30' et 970,30. Ces angles suffisent pour déterminer le cristal. Il est facile de voir que la relation générale des formes des tartrates se retrouve encore dans celui-ci; car, si l’on imagine le prisme rectangulaire correspondant au prisme rhombique, et si l’on désigne par P et M les faces du prisme rectangle, et par D! les faces du prisme rhombique, on a : P:M— 90° EI DIR Dans ce tartrate, que j'ai étudié avec soin, rien n’annonce l’hémiédrie. Peut-être, si lon pouvait obtenir de gros cristaux, certaines facettes viendraient indiquer ce caractère si constant dans tous les tartrates. Il faut bien remarquer que l’absence de l’hémiédrie n’est pas prouvée quand la forme ne lindique pas géométriquement. Une substance hémiedre peut donner des cristaux homoëédriques, c’est-à-dire des cristaux où existent toutes les faces que demande la loi de symétrie. Ainsi la pyrite jaune, qui, en général, cristallise en dodécaëdres pentagonaux, se trouve quelquefois en cubes portant toutes les faces du dodécaèdre rhomboïdal, Le cristal, au point de vue purement géométrique, est homoëdre; mais au point de vue de la structure moléculaire interne, il est toujours, à coup sûr, hémièdre, et ses propriétés physiques le manifestent. Tartrate double de potasse et d'ammoniaque. — Ce sel peut être obtenu par une évaporation lente, en gros cristaux complètement isomorphes avec le tartrate neutre de potasse, décrit précédemment. Tartrate double de soude et d'ammoniaque; tartrate double de soude et de potasse. — Ces deux sels, que lon peut obtenir en cristaux d’une grande beauté, ont la même forme cristalline, avec les mêmes faces et les mêmes angles. Ils cristallisent en prisme droit, à base rectangle (fig. 8 et 9). La forme primitive simple (fig. 8) ne se rencontre pas. Elle est toujours modifiée, comme lindique la ligure 9, par les facettes b!, b+, et les cristaux complets ont, en DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 73 outre, les angles solides tronqués. La relation des formes cristallines des tartrates se poursuit dans ces sels doubles; on a : P:M— 90° P:bL—14299,49/". Ces deux sels sont hémièdres. Puisque les cristaux peuvent dériver d’un prisme droit, à base rectangle (fig. 8), les arêtes B sont identiques, les arêtes C sont identiques. Par suite, dans la figure 9, les arêtes f'et les arêtes /! sont respectivement identiques; mais ne parlons que des arêtes f : ce sont les seules qui nous intéressent. C'est de la dissymétrie de leurs modifications que nous sommes partis précédemment pour distinguer les deux espèces d’hémiédrie. Les arêtes /, au nombre de huit, devraient être simultanément modifiées de la même manière. Or, toujours quatre seulement portent de petites facettes, et les deux arêtes modifiées à une extrémité latérale sont en sens inverse des deux arêtes modifiées à l’autre extrémité, de manière à fournir un tétraèdre irrégulier par leur prolongement. Chacun voit de suite qu'il y a deux tétraëèdres possibles, puisqu'il y a huit facettes f, et que, par rapport aux Fic. 8. Frc- 9. faces P et T, ces deux tétraèdres seraient en sens inverse. Ces deux tétraèdres sont symétriques; ils ne peuvent se superposer : ils sont l’un par rapport à l’autre ce qu'une image, dans une glace, est par rapport à la chose réelle. Dans les deux tartrates que nous examinons, si l’on place le cristal devant soi, les faces T horizontales, les faces P verticales, la facette /, placée à droite de la face P, la plus rapprochée du corps de l'observateur, est une des facettes tétraédriques. En d’autres termes, d’après la convention faite, l’hémiédrie est à droite dans les tartrates de soude et d’ammoniaque, de soude et de potasse. L'hémiédrie n’est pas indiquée par les facettes qui naissent sur les arêtes f'. J'ai en effet rencontré, dans certains cas, l’arête f modifiée à gauche, lorsque l’arête f était modifiée à droite, dans le SJ = ŒUVRES DE PASTEUR tartrate de soude et de potasse. Ce dernier sel ne porte qu’assez rarement les facettes hémiédriques bien développées; mais quand elles existent, elles ont toujours la position que j'ai indiquée. L'étude de l’hémiédrie se fait mieux sur les cristaux de tartrate de soude et d’ammoniaque. Émétique de potasse; émétique d’ammoniaque. — Ces deux sels, que l’on peut obtenir en beaux cristaux, surtout celui d’ammoniaque, sont isomorphes. Ils cristallisent en prismes droits, à bases rhombes, modifiés sur les arêtes des bases par les faces de l’octaèdre. Les faces de l’octaèdre, qui est d'ordinaire surmonté d’un autre octaèdre plus surbaissé, sont assez développées pour faire disparaitre, en presque totalité, les faces des pans. Le prisme droit, à base rhombe, qui forme les faces des pans, est souvent combiné avec les faces du prisme rectangulaire droit correspondant. Si nous désignons par P et M les faces du prisme rectangulaire, et par D! les faces du prisme rhomboïdal, nous aurons : Peut QUE DSP AS TOUS La relation des formes cristallines des tartrates s’observe donc encore dans les émétiques. Quant à l’hémiédrie, il est facile de voir, bien que les cristaux soient souvent homoëdres, qu'il y a une tendance du cristal à donner lieu à une forme tétraédrique : quatre des faces de l’octaèdre se déve- loppent plus que les autres, et finissent quelquefois par les faire disparaître. J'ai déjà fait remarquer précédemment que le développe- ment de toutes les faces exigées par la loi de symétrie ne prouvait pas la non-existence de l’hémiédrie. Nouvel émétique d'ammoniaque. — \orsqu'une solution d’émétique d’ammoniaque a donné, par refroidissement, des cristaux d’émétique isomorphe avec celui de potasse, et qu’on enlève ce premier émétique, les eaux mères donnent de suite, et en très peu de temps, une grande quantité de beaux cristaux prismatiques, allongés, beaucoup plus efflorescents que les cristaux d’émétique ordinaire, et qui n’ont plus du tout la forme de ces derniers cristaux. Les auteurs ne parlent pas de ce sel, et j'ai tout lieu de croire qu'il n’a pas encore été observé. On trouve, dans ce tartrate nouveau, et la relation des formes des tartrates et le caractère d’hémiédrie à droite. Ce sel cristallise en prismes droits, à base rhombe, portant les faces du prisme rectangu- laire correspondant très peu développées. Désignons toujours par DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 75 P et M les faces du prisme rectangle, par bt les faces du prisme rhom- boïdal: on a : P.M— 90° BP 1270.0! Sur tous les cristaux, l’hémiédrie est nettement indiquée. Deux arêtes seulement, à chaque base, sont modifiées de manière à donner un biseau qui, à l’autre base," est placé en sens inverse; ce qui conduit encore à une forme tétraédrique. L'hémiédrie est à droite. L’angle du biseau est de 85°,30/. | Acide tartrique. — L’acide tartrique est hémièdre. On ne peut pas spécifier le sens de l’hémiédrie. La forme des cristaux est tout à fait dissymétrique; et la propriété, si facile à vérifier, qu'a cet acide de donner deux pôles d’électricités contraires, lorsqu'on élève sa tempé- rature, vient confirmer l'existence de ce caractère : car on sait, depuis longtemps, que ces deux propriétés sont corrélatives en général. Je renvoie, pour l'étude détaillée de la forme de cet acide, au travail de M. de La Provostaye. La relation des formes cristallines des tartrates paraît se poursuivre encore dans l'acide tartrique; mais, dans tous les cas, elle est bien altérée. Cet acide dérive d’un prisme oblique à base rhombe, dont l’obliquité est assez prononcée. La facette b! fait avec la face P un angle de 135%, et la base est inclinée sur M de 103°. Paratartrate neutre de potasse. — Ce sel peut s’obtenir en beaux cristaux, qui dérivent d’un prisme rectangulaire droit (fig. 10) [1]. La Fi. 10. Erc. 11: forme simple ne se rencontre pas. Elle est toujours modifiée sur les arêtes B, par une facette D!, qui fait avec la base P un angle très voisin de 130°. On a : PEINE NO0 PE Tba—1282/20! !. Dans le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur a fait la correction suivante : « J'ai rapporté autrefois les cristaux de racémate neutre de potasse au prisme rectangulaire droit. C’est une erreur. Les cristaux que j'avais étudiés avaient bien cette forme, mais ils étaient formés de tartrate de soude et de potasse. Le racémate de potasse appartient au prisme oblique à base rhombe. C’est un sel facile à obtenir en cristaux limpides, volumineux et fort nets ». (Note de l'Édition.) 76 ŒUVRES DE PASTEUR Les faces b!, en se développant, font souvent disparaître les faces M, et les cristaux, ne portant pas d’autres modifications, se présentent en tables hexagonales (fig. 11), formées par les faces P, T et 1. Nous retrouvons dans ce paratartrate, ainsi que je l'ai annoncé, la relation des angles des faces principales des tartrates. Ce sel dérive, en effet, d’un prisme rectangulaire droit, dont le rapport de deux dimensions, C et D, est donné par une facette D!, inclinée sur la base P, d’un angle voisin de 130. Quant à lhémiédrie, je n’ai rien trouvé qui l’annoncçût. Paratartrate neutre d'ammoniaque. — Le paratartrate neutre d’ammoniaque s'obtient difficilement bien cristallisé. Les cristaux déri- vent d’un prisme rectangulaire droit, comme le paratartrate neutre de potasse, et lon a : PM" 90! PE 430015 Les cristaux n'étaient pas assez beaux pour que je puisse rien affirmer sur l’hémiédrie. Paratartrate double de potasse et d'ammoniaque. — Ce sel cris- tallise mal. On l’obtient, par évaporation lente, en cristaux aiguillés, Striés longitudinalement. Ils dérivent d’un prisme droit, à base rectangle, de mème que les sels précédents. Les arêtes B (fig. 10) sont modifiées par des facettes D, très développées, qui font dispa- raître les faces P et M. On a : P:M 90° RE ABOU SE ] Le prisme n’est pas modifié à ses extrémités. Paratartrate d'antimoine et de potasse. — Ce sel cristallise en prisme droit, à base rhombe, surmonté des faces de l’octaèdre. L’angle du prisme est de 85°,20'. Si on le suppose modifié par les faces du prisme rectangulaire correspondant, il est facile de voir, en appelant P, M les faces de ce dernier prisme, D! les faces du prisme rhombique, 20 : que l’on a : PM to Poe = Ye Je ne puis pas dire si ce sel est ou non hémièdre, car je n'ai pu l'obtenir qu’en petits cristaux mal déterminés. Je remets à un travail ultérieur la description des autres para- tartrates. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 7] DEUXIÈME PARTIE Corrélation de l'hémiédrie avec le sens de la polarisation rotatoire. Nous venons d'établir deux faits distincts dont limportance va ressortir plus clairement tout à heure. D'une part, tous les tartrates, quelle que soit leur composition chimique, dérivent d’un prisme droit ou tres peu oblique à base rectangle, dont deux dimensions sont sen- siblement les mêmes, la troisième variant seule avec la composition élémentaire. Il en résulte que les angles des faces principales de tous les cristaux sont sensiblement les mêmes, et qu'il n'y à de variation dans les formes qu'aux extrémités. En outre, cette relation paraît persister la même dans les paratartrates. J'ai montré, en second lieu, que tous les tartrates étaient hémiedres, et j'ai signalé ce fait, que, dans la plupart, l’hémiédrie avait le même caractère. Elle était accusée par quatre facettes dont le prolongement donnait lieu à un tétraèdre, et l'orientation de ce tétraèdre, par rapport aux faces principales du cristal, était la méme. En décrivant les formes des tartrates doubles isomorphes de soude et de potasse, de soude et d’'ammoniaque, nous avons remarqué que l'orientation du tétraèdre, type de l’hémiédrie, aurait pu très bien se trouver en sens inverse, toujours relativement aux faces principales du cristal. Cela ne se présente jamais, ni dans ces tartrates doubles, ni dans les autres, et voilà pourquoi nous disons que l’hémiédrie a, dans la plupart des tartrates, le même caractère. Or, dans les circon- stances ordinaires, les tartrates, ainsi que l'acide tartrique, dévient dans le même sens, à droite, le plan de polarisation. En 184%, M. Biot communiqua à l’Académie des sciences la Note suivante de M. Mitscherlich (1) : « Le paratartrate et le tartrate (doubles) de soude et d’ammoniaque ont la même composition chimique, la même forme cristalline, avec les mêmes angles, le même poids spécifique, la même double réfraction, et, par conséquent, les mêmes angles entre les axes optiques. Dissous dans l’eau, leur réfraction est la même. Mais le tartrate dissous tourne (?) le plan de la lumière polarisée, et le paratartrate est indifférent, comme M. Biot l’a trouvé pour toute la série de ces deux genres de sels; mais ici la nature D 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XIX, 1844, p. 720. 2. Dans le texte de Mitscherlich « tourne ». Dans le texte donné par Pasteur « dévie ». (Note de l'Édition.) 3 78 ŒUVRES DE PASTEUR et le nombre des atomes, leur arrangement et leurs distances sont les mêmes dans les deux corps comparés. » Lorsque j'eus découvert l’hémiédrie de tous les tartrates, je me hâtai d'étudier avec soin le paratartrate double de soude et d’ammo- niaque; mais je vis que les facettes tétraédriques, correspondant à celles des tartrates isomorphes, étaient placées, relativement aux faces principales du cristal, tantôt à droite, tantôt à gauche, sur les diffé- rents cristaux que j'avais obtenus. Prolongées respectivement, ces facettes donnaient les deux tétraèdres symétriques dont nous parlions précédemment. Je séparai avec soin les cristaux hémièdres à droite, les cristaux hémièdres à gauche; j’observai séparément leurs dissolu- tions dans l'appareil de polarisation de M. Biot, et je vis, avec surprise et bonheur, que les cristaux hémièdres à droite déviaient à droite, que les cristaux hémièdres à gauche déviaient à gauche le plan de polarisation. Ainsi, je pars de l'acide paratartrique des chimistes, j'obtiens, à la manière ordinaire, le paratartrate double de soude et d’ammoniaque, et la dissolution laisse déposer, après quelques jours, des cristaux qui ont tous exactement les mêmes angles, le même aspect; et pourtant, à coup sûr, l’arrangement moléculaire dans les uns et dans les autres est tout à fait différent. Le pouvoir rotatoire l’atteste, ainsi que le mode de dissymétrie des cristaux. Les deux espèces de cristaux sont isomorphes et isomorphes avec le tartrate correspondant; mais l’isomorphisme se présente là avec une particu- larité jusqu'ici sans exemple : c’est l’isomorphisme de deux cristaux dissymétriques qui se regardent dans un miroir. Cette comparaison rend le fait d’une manière très juste. En effet, si dans l’une et l’autre espèce de cristaux je suppose prolongées les facettes hémiédriques jusqu’à leurs rencontres mutuelles, j'obtiens les deux tétraèdres symé- triques dont j'ai déjà parlé, inverses l’un de l’autre, et que l’on ne peut superposer, malgré l'identité parfaite de toutes leurs parties respectives. De là j'ai dù conclure que javais séparé, par la cristalli- sation du paratartrate double de soude et d’ammoniaque, deux groupes atomiques symétriquement isomorphes, intimement unis dans l'acide paratartrique. On va voir, en effet, que ces deux espèces de cristaux, qui n'ont d'autre différence que celle de la symétrie de position de l'image dans un miroir à la réalité qui la produit, représentent deux sels distincts d’où l’on peut extraire deux acides différents. Si l’on traite par une solution de soude caustique la dissolution des cristaux hémièdres à gauche, déviant à gauche, de manière à chasser l’'ammo- niaque, on obtient un sel de soude qui dévie à gauche le plan de DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 79 polarisation ; et si l’on traite de même la dissolution des cristaux hémièdres à droite, déviant à droite, on obtient un sel de soude qui dévie à droite. La même expérience réussit en chassant directement l’ammoniaque par la chaleur. Ainsi le changement de la base n’a pas changé le caractère optique. Ceci pouvait s'attendre de l’analogie avec les tartrates alcalins dans lesquels la substitution d’une base alcaline à une autre ne change pas le sens de la polarisation. Quant à l'extraction complète des deux acides, voici comment j'ai opéré : J'ai précipité, par un sel de baryte; séparément les dissolutions des deux espèces de cristaux, et jai isolé l'acide des sels de baryte par l’acide sulfurique. On obtient un acide déviant à gauche, avec le sel de baryte provenant des cristaux hémièdres à gauche, un acide déviant à droite, avec le sel de baryte provenant des cristaux hémièdres à droite. Il était très important de rechercher si, dans la cristallisation du sel double de soude et d’amnioniaque, pour chaque molécule déviant à droite, il se déposait une molécule déviant à gauche. L'expérience suivante ne laisse aucun doute à cet égard : Lorsque la dissolution limpide du sel de soude et d’ammoniaque obtenu avec l'acide paratar- trique pur des chimistes a donné une cristallisation plus ou moins abondante, si l’on réunit tous les cristaux formés sans faire aucun choix, leur dissolution n’a pas la moindre action sur le plan de polari- sation des rayons lumineux. D'autre part, l’eau mère qui a fourni ces cristaux est elle-même complètement inactive. En définitive, les expériences qui précèdent semblent établir, d’une manière) incontestable, que l'acide paratartrique des chimistes, inactif sur le plan de la lumière polarisée, est composé de deux acides dont les rotations se neutralisent mutuellement, parce que lun dévie à droite, l’autre à gauche, et tous deux de la même quantité absolue. Et, je le répète encore, les sels doubles de soude et d’ammoniaque corres- pondant à ces deux acides sont complètement isomorphes, identiques même; seulement ils sont tous deux dissymétriques, et la dissymétrie de l’un est celle de l’autre sel, vue dans une glace. Ce sel double est le seul que j'ai examiné avec soin au point de vue cristallographique; mais tout annonce que les autres sels de ces deux acides m'offriront la même relation de formes et de propriétés. Si l’on se reporte maintenant à l’observation de M. Mitscherlich, on sera frappé de l'identité complète du tartrate de soude et d’ammo- niaque avec le sel de soude et d’ammoniaque hémièdre à droite, obtenu au moyen de l'acide paratartrique : même composition, même forme cristalline avec les mêmes angles, même poids spécifique, même double réfraction, même caractère hémiédrique, même pouvoir 80 ŒUVRES DE PASTEUR rotatoire !}. Il est donc extrêmement probable que l'acide déviant à droite, extrait par le procédé que j'ai indiqué de l'acide paratartrique des chimistes, n’est rien autre chose que de l'acide tartrique. Je ne me prononcerai cependant sur ce point que quand j'aurai extrait une suffi- sante quantité de cet acide, et que j'aurai comparé une à une toutes ses propriétés avec celles de lacide tartrique ordinaire. On ne peut être trop prudent dans les conclusions à déduire de l'expérience, lorsque l’on a affaire à des substances quelquefois si semblables en apparence, et qui peuvent être au fond si différentes. Je vais n'attacher sans relâche à résoudre cette question, et je sou- mettrai à l'Académie les résultats auxquels je serai parvenu dans le travail qui doit faire suite à celui que j'ai l'honneur de présenter aujourd’hui. 1. Le pouvoir rotatoire a été trouvé en réalité un peu différent, dans le rapport de 95 à 29. Mais il faut remarquer qu'il m'est très difficile de séparer complètement les deux espèces de cristaux hémièdres, et que, par suite, le pouvoir rotatoire donné par l'expérience pour l’une des espèces de cristaux est nécessairement trop faible. RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI PEUVENT EXISTER ENTRE LA FORME CRISTALLINE, LA COMPOSITION CHIMIQUE ET LE SENS DE LA POLARISATION ROTATOIRE (DEUXIÈME MÉMOIRE) [!] En poursuivant mes recherches sur la relation de la forme cristal- line avec la composition chimique et le sens de la polarisation rotatoire, je suis arrivé à des résultats nouveaux que j'ai l’honneur de communiquer par extrait à l'Académie, L’acide paratartrique, ou racémique, est bien réellement formé de deux acides distincts, l’un déviant à droite, l’autre à gauche le plan de la lumière polarisée, et tous deux de la même quantité absolue. Ces deux acides cristallisent très facilement dans des liqueurs concen- trées. Leurs formes cristallines sont identiques dans toutes leurs parties respectives ; seulement elles sont hémiédriques et représentent deux polyèdres symétriques, non superposables. Je proposerai d’ap- peler acide lévoracémique l'acide qui dévie à gauche, acide dextrora- cémique l’acide qui dévie à droite le plan de polarisation des rayons lumineux. L’acide dextroracémique est lacide tartrique ordinaire; et les dextroracémates ne sont autre chose que les tartrates, hémièdres à droite, comme je l’ai montré dans mon premier Mémoire. Les lévoracémates que j'ai examinés jusqu'ici sont identiques, par leurs formes cristallines, avec les tartrates ou dextroracémates corres- pondants; seulement ils sont hémièdres à gauche, L’acide lévoracémique, mis en présence de lacide dextroracé- mique, ou tartrique, donne immédiatement l’acide racémique cristal- lisé ordinaire. Les racémates sont, pour la plupart, formés d’acide racémique combiné aux diverses bases, 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 9 avril 1849, XX VIII, p. 477-478. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRES 6 82 ŒUVRES DE PASTEUR Le pouvoir rotatoire des lévoracémates et des dextroracémates, ou tartrates, est rigoureusement le même en quantité absolue. Je présenterai dans quelques mois, à l’Académie, le détail des analyses, des formes cristallines et de l’étude de la pyro-électricité de ces nombreux sels, si remarquables par les étroites relations de leurs formes et de leurs propriétés physiques et chimiques. En terminant, j'annoncerai à l’Académie un résultat qui me semble offrir beaucoup d'intérêt. J'ai trouvé le double caractère hémiédrique dans un autre sel organique, le formiate de strontiane. Ce sel cristallise en prismes droits à base rhombe, portant des facettes hémiédriques sur les arêtes des bases, et qui conduisent à deux tétraèdres identiques, mais inverses. Que la double déviation du plan de polarisation des rayons lumineux corresponde ou ne corresponde pas au double caractère hémiédrique, ce que je n’ai pu encore constater à cause de la petite quantité de matière dont je pouvais disposer, il est important de noter que, ce double caractère se retrouvant ici dans un autre sel organique, il est extrêmement probable qu'on l’observera dans beaucoup d’autres cas. RECHERCHES SUR LES PROPRIÉTÉS SPÉCIFIQUES DES DEUX ACIDES QUI COMPOSENT L'ACIDE RACÉMIQUE [EXTRAIT PAR L'AUTEUR] (!) Dans les premières recherches que j'ai eu l’honneur de présenter à l’Académie sur ce sujet et auxquelles elle a bien voulu accorder son approbation, j'étais parvenu, entre autres résultats, à extraire de l'acide paratartrique ou racémique, inactif sur la lumière polarisée, deux acides déviant l’un à droite, l’autre à gauche le plan de polarisa- tion des rayons lumineux. Mais j'avais obtenu ces acides en quantité si petite, que la déviation maximum qu'ils m'avaient offerte ne dépas- sait pas 1 degré. Aujourd’hui, grâce à l’obligeance avec laquelle M. Kestner, l’auteur de la découverte de l'acide racémique, a bien voulu mettre à ma disposition une quantité notable de cet acide, je puis soumettre à l’Académie une étude détaillée des deux acides let des sels auxquels ils donnent naissance. Je dois attacher d’autant plus de prix à l’obligeance de M. Kestner que ce singulier acide racémique ne se produit plus. Non seulement M. Kestner n’en obtient pas trace dans sa fabrication depuis l’époque de sa découverte, mais il a fait des essais variés pour le reproduire et il n’y est point parvenu. C’est donc une fois seulement, sans doute par une circonstance particulière de la fabrication, que cet acide a pris naissance. Les raisins des Vosges n’en renferment pas plus que ceux des autres contrées. Afin de rappeler à la fois l’origine de ces deux acides, et le sens opposé de l’action qu'ils exercent sur la lumière polarisée, je les ai appelés dextroracémique et lévoracémique, sans vouloir par là faire autre chose que les désigner positivement. J'expose d’abord, dans ces nouvelles recherches, les procédés perfectionnés à l’aide desquels je suis parvenu à obtenir ces acides plus aisément que je ne le faisais. Dans un chapitre spécial, je montre, à l’aide de preuves multipliées et incontestables, que l'acide déviant à droite ne peut être distingué en aucune façon 1, Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 17 septembre 1849, XXIX, Le 297-300. 84 ŒUVRES DE PASTEUR de lacide tartrique. Je fais ensuite l'étude comparative des dextroracémates ou tartrates et des lévoracémates. Rien n'est plus nouveau et plus curieux à la fois que la comparaison des propriétés physiques et chimiques des acides tartrique et lévoracémique, et des sels auxquels ils donnent naissance. Voici, du reste, en quelques lignes, le résumé de tout ce travail. J'ai établi, dans le Mémoire qui a précédé celui-ci, que l'acide tartrique et les tartrates sont hémiédriques, c’est-à-dire ont une forme cristalline qui, pour les modifications, déroge à la loi de symétrie d'Haüy. Je montre aujourd’hui que l'acide lévoracémique et les lévoracémates ont les mêmes formes cristallines que lacide tartrique et les tartrates, seulement la dissymétrie est à gauche au lieu d’être à droite. L’acide tartrique et les tartrates dévient à droite le plan de polarisation de la lumière. L’acide lévoracémique et les lévoracémates le dévient à gauche, de la même quantité absolue et suivant les mêmes lois de dispersion. A part ces deux faits, je veux dire la dissymétrie de la forme et le sens inverse de la polarisation rotatoire, il m'a été impossible de trouver la plus légère différence entre l’acide tartrique et l'acide lévoracémique, entre les tartrates et les lévoracémates. Mêmes angles des faces, même aspect physique, même solubilité, même poids spécifique, même composition chimique, même double réfraction. Toutes les propriétés chimiques sont aussi les mêmes. Que l’on prépare, à l’aide de Pacide tartrique, un lartrate quelconque, sel neutre, sel acide, sel double, émétique, en opérant de même avec lPacide lévoracémique on obtiendra un lévoracémate qu'il sera impossible de distinguer du tartrate, si ce n'est par le sens du pouvoir rotatoire et par ce fait que sa forme cristalline, quoique identique à celle du tartrate dans toutes ses parties respectives, ne pourra lui être superposée. C’est dans les singularités nombreuses offertes par l’acide tartrique que je pouvais penser reconnaître entre ces deux acides quelque différence. Ainsi, une des propriétés les plus curieuses assurément de l'acide tartrique est son pouvoir spécial de dispersion sur les plans de polarisation des divers rayons simples, étudié avec tant de détail par M. Biot. Eh bien, je l'ai retrouvé sans aucune modification dans lacide lévoracémique. J'ai formé des solutions d’acide lévora- cémique de même dosage que certaines solutions tartriques étudiées par M. Biot, et j'ai obtenu les mêmes teintes pour les divers azimuts, la mème déviation des rayons rouges, la même déviation pour la teinte de passage. La proportion d’eau dans les solutions tartriques, l'élévation ou DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 85 l’'abaissement de température ont une influence très sensible sur le pouvoir rotatoire de lacide tartrique. Cette influence est la même pour l’acide lévoracémique. Je rapporterai, en dernier lieu, une observation curieuse et qui montre d’une manière frappante cette corrélation étroite des propriétés des deux acides. Tous les tartrates dissous dans l’eau dévient à droite le plan de polarisation des rayons lumineux. Le tartrate de chaux jouit, au contraire, de la propriété singulière de le dévier à gauche quand il est dissous dans lacide chlorhydrique. On pouvait présumer que le lévoracémate de chaux dissous dans cet acide dévierait à droite. C’est précisément ce qui arrive. Ainsi, je le répète encore, à part la dissymétrie de la forme, droite dans un cas, gauche dans l’autre, et à part le sens opposé du pouvoir rotatoire, je n'ai pu trouver la moindre différence entre l'acide tartrique et l'acide lévoracémique, entre les tartrates et les lévoracémates. Je dépose sur le bureau de lAcadémie un grand nombre d'échantillons bien cristallisés de tous ces produits, avec les modèles des formes cristallines en liège dont j'ai coloré diversement les faces qui ne sont pas identiques. On peut tout de suite, à l’aide de ces échantillons et de ces modèles, se rendre compte des faits principaux que je signale (1). 1. La fin est conforme aux trois premiers alinéas du chapitre intitulé : « Considerations sur la relation du phénomène de la polarisation rotatoire avec l'hémiédrie » (p. 117) qui fait partie du Mémoire suivant. Le troisième alinéa cependant offre cette variante : « J'ajou- terai, en terminant, que jusqu'ici nous voyons que là où il y a hémiédrie superposable, la propriété rotatoire n'existe pas, et qu’elle existe, au contraire, dans les cas où il y a hémié- drie non superposable. En est-il toujours ainsi? C'est à l'expérience de répondre. J'essaierai de résoudre cette question et celles qui se rattachent en si grand nombre à ces études nou- velles, et je m'empresserai d'en communiquer les résultats à l'Académie. » (Note de l'Édition. RECHERCHES SUR LES PROPRIÉTÉS SPÉCIFIQUES DES DEUX ACIDES QUI COMPOSENT L'ACIDE RACÉMIQUE (1) Je me propose d'établir, dans ce travail, que l'acide paratartrique ou racémique est une combinaison de deux acides, l’un déviant à droite, l’autre à gauche le plan de polarisation des rayons lumineux, tous deux de la même quantité absolue et dont les formes cristallines, identiques dans toutes leurs parties respectives, sont des polyèdres symétriques, non superposables. Je montrerai, d'autre part, que Pun de ces acides est l’acide tartrique, et que les sels correspondants de ces deux acides offrent les analogies les plus nouvelles et les plus inattendues entre leurs propriétés physiques et chimiques. Toute la différence de ces sels consiste, comme celle de leurs acides, dans le pouvoir inverse qu'ils exercent sur le plan de polarisation de la lumière, et dans la symétrie de leurs formes cristallines. Afin de rappeler l'origine et l’action sur la lumière polarisée de ces deux acides, je les nommerai acide dextroracémique et acide lévo- racémique. l'acide dextroracémique est l’acide tartrique (2). Dans le Mémoire qui a précédé celui-ci (3), et auquel Académie a bien voulu accorder son approbation, je signalais déja l’existence de ces deux acides, mais je ne les avais obtenus qu’en quantité excessi- vement petite. Tout ce que j'avais pu constater, c’est qu'ils avaient des pouvoirs rotatoires inverses. Depuis lors, j'ai pu les produire avec abondance, grâce à l’obligeance extrême avec laquelle M. Kestner, de Thann, l’auteur de la découverte de lPacide racémique, a bien 1. Annales de chimie et de physique, 3° sér., XXVIII, 1850, p. 56-99 (avec 19 fig.) — Ce Mémoire a fait l'objet d'un rapport de M. Biot qu'on trouvera à la fin du présent volume : Document II. 2. Dans le volume qu'il projetait eu 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur a modifié ainsi cet alinéa : « Je nommerai ces acides acide tartrique droit, acide tartrique gauche. L’acide tartrique droit est l'acide tartrique ordinaire. » Au cours de ce mémoire corrigé de sa main, en 1878, Pasteur nomme toujours l'acide dextro- racémique acide tartrique droit, l'acide lévoracémique acide tartrique gauche. Voir Mémoire, p. 81 du présent volume. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 87 voulu mettre à ma disposition une assez grande quantité de cet acide. Je profite de cette occasion pour remercier ici publiquement cet industriel distingué. Je dois attacher d’autant plus de prix à cette obligeance que ce singulier acide racémique ne se produit plus. Non seulement M. Kestner n’en obtient pas trace dans sa fabrication depuis l’époque de sa découverte, mais il a fait des essais variés pour le reproduire, et il n’y est point parvenu. C’est donc une fois seulement, sans doute par une circonstance particulière de la fabri- cation, ou par une maladie du tartre dans les raisins, que cet acide a pris naissance. Les raisins des Vosges n’en renferment pas plus que ceux des autres contrées. J'ai la conviction qu’une fois l’attention des chimistes appelée sur ce sujet, et les résultats des recherches que l’on va lire étant connus, on ne tardera pas à transformer l'acide tartrique en acide racémique. Racémate double de soude et d'ammoniaque. La matière première à l’aide de laquelle je sépare de lacide racémique les deux acides qui entrent dans sa composition est le racémate double de soude et d’ammoniaque. C’est l'intermédiaire par lequel je suis obligé de passer pour arriver à la préparation de l'acide dextroracémique et de l’acide lévoracémique. Si l’on sature des poids égaux d’acide racémique par de la soude et de l’ammoniaque, et qu'on mêle les liqueurs neutres, il se dépose par refroidissement, ou par évaporation spontanée, un sel double en cristaux d’une grande beauté, et que l’on peut obtenir en trois ou quatre jours avec des dimensions extraordinaires, quelquefois de plu- sieurs centimètres de longueur et d'épaisseur. En examinant attenti- vement et un à un les cristaux qui se déposent dans cette opération, j'ai reconnu, ainsi que je l’ai expliqué dans mon premier travail, qu'il y avait deux sortes de cristaux, les uns hémièdres à droite, les autres hémièdres à gauche, et exactement en même poids, quelle que soit l’époque de la cristallisation. La solution des cristaux hémièdres à droite dévie à droite le plan de polarisation, celle des cristaux hémièdres à gauche dévie à gauche, de la même quantité absolue toutes deux, et, à part la disposition des facettes hémiédriques, les deux espèces de cristaux sont d’une identité parfaite sous tous les rapports. Dorénavant je nommerai dextroracémate de soude et d’ammoniaque les cristaux hémièdres à droite, lévoracémate de soude et d’ammo- niaque les cristaux hémièdres à gauche. Pour isoler ces deux sels lun de l’autre, il faut examiner successivement chaque cristal, en 88 ŒUVRES DE PASTEUR distinguer le caractère hémiédrique, et mettre ensemble tous ceux dont les facettes hémiédriques ont la même orientation. Si les cristaux s’enchevétrent, s’ils sont groupés et assis les uns sur les autres, on ne peut faire le triage que j'indique que sur une faible partie de la cristallisation. Autant que possible, il faut des cristaux isolés, très nets, portant les facettes qui accusent l’hémiédrie et son sens. J'ai remarqué que si à une dissolution saturée froide, eau mère d’une eris- tallisation par exemple, on ajoutait une certaine quantité des cristaux mixtes, qu'on fasse dissoudre ceux-ci à chaud dans cette solution, en trois ou quatre jours on avait de très beaux cristaux, isolés, faciles à choisir. La quantité de sel solide que l’on ajoute à l’eau mère varie avec la température, mais elle doit être telle que, par refroidissement, il ne se dépose dans les premières vingt-quatre heures que quelques cristaux seulement. Ceux-ci sont alors très éloignés, et dans les jours suivants on les voit grossir et augmenter en nombre. La dissolution de ce sel perd de lammoniaque par évaporation; il en résulte un dépôt peu abondant de sel acide en très petits cristaux. Pour empé- cher la formation de ce sel acide, j'ajoute quelques gouttes d’ammo- niaque à la solution au moment où je la mets à cristalliser. Lorsqu’en suivant ces précautions on a obtenu une belle cristalli- sation, on décante l’eau mère, on essuie chaque cristal séparément avec du papier buvard froissé entre les mains, et l’on procède au triage des deux espèces de cristaux. J'ajouterai encore qu'il faut toujours retirer une cristallisation le matin, parce que l’élévation de la température de la journée fait redissoudre les cristaux en partie, ce qui fait disparaître les petites facettes hémiédriques. On conçoit très bien que par ce triage il est difficile d'isoler complètement le dextroracémate du lévoracémate. En séparant deux cristaux inverses, accolés, il se peut qu’une parcelle de l’un reste sur l’autre. Ces cristaux renferment en outre à leur surface, si on ne les a pas bien essuyés, et toujours dans leur intérieur, une petite quantité d’eau mère, et cette eau mère contient les deux sels. La purification est très simple. Il suffit de faire cristalliser séparément le dextro- racémate et le lévoracémate extraits par un premier triage. On obtient ainsi les deux espèces de sels très purs, et, bien entendu, le caractère hémiédrique se conserve pour chacun. La solution de lévoracémate ne donne par cristallisation nouvelle aucun cristal qui porte à droite les facettes hémiédriques; la solution de dextroracémate n’en donne aucun qui les porte à gauche. C’est seulement la cristallisation des dernières portions d’eaux mères qui donnerait des cristaux droit et gauche. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 89 Si l’on veut s'assurer immédiatement, par une réaction chimique, que les cristaux qui se déposent quand on essaie de faire le racémate double de soude et d’ammoniaque sont de deux espèces, et qu'aucun pris isolément ne contient d'acide racémique, il suffira de prendre l’un de ces cristaux, de le dissoudre et de traiter la solution par un sel de chaux. On verra, si les liquides sont un peu étendus, qu'aucun précipité ne prendra naissance, et qu'après quelque temps il se déposera des cristaux brillants, isolés, en prisme droit à base rhombe, passant à l'octaèdre sur les angles des bases. Enfin, le sel de chaux se précipitera avec tous les caractères du tartrate de cette base. Les solutions des deux espèces de cristaux se comporteront exactement de même pour l'œil. Mais si, au lieu de prendre les cristaux séparés, on réunit deux cristaux, l’un hémièdre à droite, l’autre à gauche, et qu’on les dissolve ensemble, le précipité par le sel de chaux, même dans des liqueurs tres étendues, se formera tout de suite, ou après quelques secondes, à l’état de poudre amorphe ou en petites lames minces, isolées ou groupées en étoiles, selon le plus ou moins de lenteur de la précipitation ; enfin avec tous les caractères du racémate de chaux. Formes cristallines du dextroracémate et du lévoracémate de soude et d'ammoniaque. La forme cristalline du dextroracémate de soude et d’ammoniaque est représentée figure 1, celle du lévoracémate est représentée figure 4. C’est un prisme droit à base rectangle P, M, T, modifié par les faces latérales D! sur les arêtes des pans. L’intersection des faces b! avec la face T est modifiée par une facette XL. S'il n’y avait pas hémiédrie, c’est-à-dire, si la loi de symétrie d’'Haüy, qui veut que les parties identiques soient modifiées en même temps et de la même maniere, était respectée, il y aurait à chaque extrémité quatre facettes À qui, par leur prolongement, donneraient un octaëdre droit à base rhombe. Mais il n’y a que deux facettes À à chaque extrémité, et elles sont deux à deux en croix de manière à donner un tétraèdre irrégulier par leur prolongement. Si l’on place la face P devant soi, la face T étant horizontale, on a une facette L à sa droite au haut du cristal. Toute la différence entre le dextroracémate et le lévoracémate consiste en ce que, le cristal étant orienté de même, la facette 2 est à gauche de l'observateur. Du reste, les angles sont tout à fait les mêmes dans les deux sels. La forme cristalline de ces sels est en réalité plus compliquée 90 ŒUVRES DE PASTEUR que ne l’indiquent les figures 1 et 4. J’ai représenté fig. 3 la pro- jection du cristal sur un plan perpendiculaire aux arêtes verticales, et fig. 2 l’extrémité du cristal de dextroracémate. On voit que le prisme rectangulaire droit P, M, T est modifié latéralement par les faces b! et b+ et que les arêtes d’intersection de ses faces avec T sont modifiées par les facettes k, hf. Les arêtes d’intersection des faces M et P avec T sont également modifiées par les facettes 7», s! et s?. J'appelle toute l’attention du lecteur sur cette double modi- fication, st et s? portant sur l’arête d’intersection de P avec T. Elle est extrêmement utile pour reconnaître le sens de l’hémiédrie dans le triage qu’on est obligé de faire lorsqu'il s’agit de séparer le dextro- racémate du lévoracémate. Sans elle, en effet, on serait très souvent obligé, pour reconnaître la face P, afin de pouvoir orienter le cristal, de mesurer l'angle de P avec la face voisine, ce qui allongerait consi- re 1 Frc. 2. Fi. 3. Fc. 4 dérablement le travail. La double modification st, s? fait distinguer immédiatement la face P, et, celle-ci reconnue, on voit tout de suite si lhémiédrie est droite ou gauche. Il faut seulement ne pas confondre les faces m, qui existent toujours à droite comme à gauche, avec les facettes hémiédriques. Du reste, les faces 77 se reconnaissent à leur perpendicularité avec les faces s! et s?. Une circonstance très heureuse se présente dans les cristaux dont nous faisons ici l'étude. J'ai déjà remarqué dans mon premier travail, et l’on peut citer plusieurs exemples de ce fait, qu'une substance, qui possède réellement dans sa constitution intime cette dissymétrie spéciale que nous voyons accusée par le caractère de lhémiédrie cristalline, peut bien se présenter en cristaux homoëdres. Aïnsi la véritable forme de l’émétique de potasse est un tétraëèdre irrégulier, et souvent on le trouve cristallisé en octaèdres complets, où les huit faces sont développées également. Si cette circonstance se présentait pour le dextroracémate et le lévoracémate, il est clair qu'on ne DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 91 pourrait plus les distinguer par l'examen de leurs formes, puisque la facette À se trouverait à droite et à gauche. Cette homoédrie dans la forme cristalline de ces sels est excessivement rare. Je l’ai rencontrée quelquefois d’une manière non douteuse, mais j'ai reconnu par les propriétés chimiques que ces cristaux étaient toujours l’un ou l’autre des deux sels en question. D'ailleurs cette homoédrie n’est souvent qu'apparente. J'ai vu, en effet, sur des cristaux de dextroracémate de soude et d’ammoniaque les facettes X!' (fig. 2), exister à gauche comme à droite; mais les facettes L n’existaient qu’à droite. Je reviendrai sur cette homoédrie lorsque je parlerai du racémate double de soude et de potasse. La question suivante s’offrait naturellement à l'esprit : L’acide racémique lui-même ne serait-il pas un mélange à poids égaux de deux acides, droit et gauche, d’où résulteraient les dextroracémate et lévoracémate de soude et d’ammoniaque, que nous venons d’exa- miner? La réaction chimique, dont nous avons parlé plus haut, offerte par le sel de chaux, prouve qu'il n’en est rien. En effet, la solution d’un cristal d’acide racémique, quelque petit qu'il soit, donne, par le sel de chaux, du racémate de chaux. Nous verrons bientôt, d’ailleurs, que les deux acides dextroracémique et lévoracémique ne peuvent exister ensemble dans une liqueur sans donner immédiatement, par leur combinaison, de l'acide racémique, facile à reconnaître par sa forme et sa solubilité. C’est done seulement lorsque le sel double de soude et d’ammo- niaque prend naissance qu'il s'opère, par une cause inconnue, lors de la cristallisation, un dédoublement de l'acide racémique, et que deux sels prennent naissance. Il était très important de reconnaître si ce dédoublement s’opérait chaque fois que l’acide racémique passe à l’état de sel, ou s’il n’a lieu que dans certains cas exceptionnels. Déjà nous savons, par l'existence du racémate de chaux et par sa formation immédiate, dès qu’on mêle le dextroracémate et le lévoracémate de cette base, que l’acide racé- mique forme des sels où cet acide entre de toutes pièces, où la dernière molécule du sel renferme, combinée à la base, l’acide racé- mique lui-même. Il y a plus, je ne connais jusqu'ici que deux racé- mates, qui, au lieu de cristalliser à l’état de racémates véritables, sont des mélanges de dextroracémate et de lévoracémate. C’est le racémate double de soude et d’ammoniaque et le racémate double de soude et de potasse, sel isomorphe au précédent. Ce dernier sel est très facile à obtenir, contrairement à ce que disent certains auteurs, qui prétendent qu'un mélange de racémate neutre de potasse et de «© 1 ŒUVRES DE PASTEUR ‘acémate neutre de soude ne donne que du racémate neutre de potasse et non le sel double. Quant aux autres racémates, ils ren- ferment comme acide l'acide racémique. Tels sont le racémate neutre de potasse, le racémate neutre de soude, le racémate neutre d’ammo- niaque, le racémate de chaux. Que l’on prenne, en effet, un seul cristal de ces sels, et qu'on essaie de précipiter sa solution par un sel de chaux soluble, c’est du racémate qui prendra naissance. D’ail- leurs, l'étude très soignée de la forme cristalline de ces séls, et en particulier du racémate de potasse et du racémate de soude, qui donnent des cristaux d’une grande régularité, me permet d'affirmer que ces cristaux ne sont point hémiédriques. Préparation des acides dextroracémique et lévoracémique. Pour obtenir les acides dextroracémique et lévoracémique, il faut d’abord se procurer une assez grande quantité des cristaux qui se déposent lorsqu'on essaie de préparer le racémate double de soude et d'ammoniaque. On prend des poids égaux d'acide racémique; on sature l’un de ces poids par le carbonate de soude pur, l'autre poids par l’ammoniaque, et on mêle les deux liqueurs. On évapore et on fait cristalliser en suivant les indications que j'ai données précé- demment. Une solution de ce sel double, saturée à 11° centigrades, 2 marque 23° à l’aréometre de Baumé. Elle marque 28° si elle est saturée à la température de 21°. Ainsi que je l’ai expliqué, deux espèces de cristaux prennent naissance, les uns hémièdres à droite, les autres à gauche. On sépare les cristaux hémièdres à droite des cristaux hémiëedres à gauche. Ces deux espèces de cristaux sont dissous à part et remis à cristalliser. Acide dextroracémique. — Le dextroracémate de soude et d’ammo- niaque pur dissous dans l’eau est traité par le nitrate de plomb ou un sel de baryte. Le sel de plomb convient mieux parce qu'il y a moins de perte; le dextroracémate de ce métal est presque tout à fait insoluble dans l’eau. Le précipité, d’abord gélatineux, ne tarde pas à devenir cristallin, surtout à chaud; il se lave d’ailleurs facilement par décantation ou sur le filtre. J'ai lieu de croire cependant qu'il entraine avec lui un peu de nitrate de plomb que le lavage ne lui enlève pas. Les cristaux de dextroracémate de plomb, examinés à la loupe ou au microscope, ont la forme de prismes droits à base rhombe avec des modifications sur les angles qui conduisent à l’octaèdre. Par leur DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 93 aspect, ils ressemblent beaucoup au tartrate de chaux. Ce sel est anhydre et a pour composition C'H205PbO. 1 gr. 603 de ce sel calcinés dans une capsule de porcelaine ont laissé un résidu de 0,972. Le poids de plomb métallique obtenu, après avoir traité ce résidu par l'acide acétique, était de 0,479. On déduit de ces données que le dextroracémate de plomb renferme 62,9 pour 100 d'oxyde de plomb. C’est exactement ce qu’exige la formule précédente. L'expérience suivante prouve que le dextroracémate de plomb est presque tout à fait insoluble : 100 grammes de dextroracémate de soude et d’ammoniaque ont été traités par 130 grammes de nitrate de plomb. Le dextroracémate précipité et desséché pesait 135 grammes. Ce poids de dextroracémate de plomb correspond à 50 grammes d’acide anhydre, et, d’après la composition du dextroracémate de soude et d’ammoniaque, 100 grammes de ce sel renferment 50 gr. 5 d’acide anhydre. Le dextroracémate de plomb est traité ensuite par lPacide sulfu- rique à une douce température. Si l’on veut obtenir lacide cristallisé, il sera préférable d'ajouter un petit excès d’acide sulfurique. Dans le cas contraire, on n’emploiera que la quantité d'acide sulfurique nécessaire à la décomposition du sel de plomb. J'ai également préparé Pacide dextroracémique et l'acide lévoracé- mique en traitant les sels de plomb délayés dans leau par un courant d'acide sulfhydrique. Cette méthode est plus longue et n'offre aucun avantage. L'acide dextroracémique cristallise dans des liqueurs concentrées, surtout en présence d’une certaine quantité d'acide sulfurique. On obtient des cristaux limpides, volumineux, d’une grande beauté, par une évaporation lente. Cet acide dextroracémique est identique avec l'acide tartrique pour toutes ses propriétés physiques et chimiques. Je lui conserverai cependant le nom d'acide dextroracémique pour rappeler son origine. C'est dans cette intention seule que je lui donne ce nom, car il est impossible de douter de son identité parfaite avec l'acide tartrique de la crème de tartre ordinaire. Je vais, du reste, établir ce fait d’une manière incontestable. Identité de l'acide dextroracémique avec l'acide tartrique. La forme cristalline de l'acide dextroracémique est représentée figure 5. Elle est la même que celle de l'acide tartrique. C’est un prisme oblique à base rectangle P, M, 1 9% ŒUVRES DE PASTEUR Il y a un clivage facile et tres brillant parallèlement à la face M. P :b —145°32! PSM 140022 M : 6 —135,00 MET492250 PE 193630 M d—12822 CIE -A025 Ces angles s'accordent très bien avec ceux donnés par M. de La Pro- vostaye pour l'acide tartrique. On voit sur la figure que le cristal est hémiédrique. Les facettes € devraient, d’après la loi de symétrie, exister à gauche comme à droite sur les arêtes C, qui sont identiques. La figure indique une absence brasse ia totale des facettes c à gauche du cristal. ER | Souvent, en effet, elles disparaissent nait complètement; mais, plus souvent encore, elles existent à gauche et à Le 27 HEA droite, seulement elles sont à gauche 4 très peu développées. Il y a même Dre quelques cas, très rares, où le cristal est parfaitement homoëdre en apparence, et où les facettes « ont des dimensions égales à gauche et à droite. C'est un nouvel exemple de ce fait que la cause qui produit l’hémiédrie n’est pas toujours accusée à l'extérieur par une dissymétrie de la forme . Pyroélectricité des acides tartrique et dextroracémique. L’acide tartrique et l'acide dextroracémique sont fortement pyro- électriques. Les moyens les plus grossiers de constater la présence de telle ou telle électricité suffisent pour montrer que quand on chauffe ou qu'on refroidit l’acide tartrique, ou lacide dextroracé- mique, chaque cristal se charge des deux électricités. Si l’électroscope est très sensible, on peut reconnaître que la chaleur de la main accuse déjà les pôles. Par refroidissement, c’est le côté droit du cristal (fig. 5) qui se charge d'électricité positive, et le côté gauche d'électricité négative. Par échauffement, c’est le contraire. Poids spécifiques. — L'’acide dextroracémique est tout à fait insoluble dans lessence de térébenthine pure. J'ai pris son poids spécifique par rapport à cette essence, et j'en ai déduit le poids spéci- lique par rapport à l’eau, connaissant la densité de l’essence. On DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 95 trouve ainsi 1,750 pour le poids spécifique de l'acide dextroracémique. Les ouvrages de chimie donnent 1,75 pour le poids spécifique de l'acide tartrique. Composition chimique. — 0 gr. 5 d’acide dextroracémique cristal- lisé ont donné 0,583 d'acide carbonique et 0,181 d’eau. On déduit de là : Carbone en. ie RER EN la chcecter to la0 HIVORORÉTE EE EC EE 4,0 ORVPÉT ER RE D LOG 100,0. La formule CH O0ÿHO de l'acide tartrique exige : CARTON Eu TR AE D MO DUO HÉROS 5. 6 0 0 doloté colons hold ose k,0 CNE EE LS 20000 CRE RE co np LANUE Pouvoir rotatoire des deux acides. — Un des faits les plus curieux dans l’histoire de l’acide tartrique, c'est le pouvoir spécial de dispersion qu’il exerce sur les plans de polarisation de la lumière, dont l'étude a été faite d’une manière si complète par M. Biot. Les expériences suivantes sufliront pour montrer que la rotation exercée sur le plan de polarisation des rayons lumineux par l'acide dextroracémique est tout à fait la même que celle exercée par l'acide tartrique. On a dissous 31 gr. 428 d'acide dextroracémique dans 68 gr. 571 d’eau. La densité apparente de la dissolution a été trouvée égale à 1,1560. La température était 21°, et la longueur du tube d’obser- vation 500 millimètres. On peut voir que le dosage de cette solution est tout à fait le même que celui d’une expérience de M. Biot, rapportée page 169 de son Mémoire de 1836 (1). Toute la différence consiste en ce que la température d'observation était 25°,5 et la longueur du tube 519,5. Les teintes des images ordinaire et extraordinaire pour divers azimuts À sont consignées, pour l'expérience de M. Biot, dans le tableau suivant : 1. Bror. Méthodes mathématiques et expérimentales pour discerner les mélanges et les combinaisons chimiques, ete., présentées le 11 janvier 1836, Mémoires de l'Académie des sciences, XV, 1838, p. 93-279. 96 ŒUVRES DE PASTEUR E 00 ,00|Blanc sensiblement. Vert bleuâtre ou bleu verdätre pâle. 20 ,00 Idem. Bleu très visible. 21,00 Idem. Bleu évanouissant, violet rougeâtre non existant. 23,00 Idem. Rouge violacé. 27e L 00!|Blanc de lait. Rouge orangé ou orangé rougeûtre. 40,33| Blanc sensiblement. Jaune rougeûtre. 48,50|Vert bleuâtre pâle. Blanc rougeûtre. 90 00! Vert bleuâtre ou bleu verdâtre.|Blanc sensiblement. J'ai observé avec soin, pour les mêmes azimuts, les teintes des images ordinaire et extraordinaire offertes par la solution dextroracé- mique, et j'ai obtenu les mêmes teintes que celles qui sont signa- lées dans ce tableau. Seulement j'ai trouvé, à 20° exactement, l’azimut de passage au lieu de 21°. Quant à la déviation offerte par le verre rouge, elle a été de 17,5. M. Biot trouve 189,8. Dans mon expérience, je devais trouver une déviation plus faible que 21° pour deux raisons : d’une part, le tube était plus court dans le rapport de 50 à 52, et la température 21°, au lieu de 259,5, et l’on sait que le pouvoir rotatoire de l'acide tartrique augmente avec la température. M. Biot a donné une formule déduite de nombreuses expériences, au moyen de laquelle on peut déterminer le pouvoir rotatoire d’une solution tartrique, connaissant seulement la proportion d'acide tartrique qu’elle renferme. Cette formule est [AA MNES [x] est le pouvoir rotatoire moléculaire pour le rayon rouge; A est une quantité constante pour toutes les solutions, qui varie seulement avec la température; B est une quantité constante —14°,31; e est la proportion pondérable de l’eau dans le système mixte. Pour la température de 21°, A——0,17132. On a donc, pour le cas de la solution dextroracémique, [a] = — 0,17132 + 140,31 .0,68571 — 9,64. Si nous calculons, d'autre part, le pouvoir rotatoire au moyen de la formule = CHERS 1500; e — 0,31428, 0 —1;193 on trouve [xl — 9°, 681. L'accord est parfait pour de telles expériences. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 97 Si l’on comparait les teintes des images ordinaire et extraordi- naire offertes par une substance qui disperse les plans de polarisa- tion comme le quartz, le sucre, .…, à celles du tableau précédent, on verrait distinctement une différence pour la même déviation. D'ailleurs, pour toutes les substances qui suivent la loi de rotation générale des rayons simples, lazimut moyen du verre rouge et l’azimut de passage sont entre eux, à épaisseur égale, dans le rapport constant de ï- Or, pour passer de la déviation 20°, observée ci-dessus, pour la teinte de passage, à la déviation 17,5 du rayon rouge, il faut multiplier par 25. Ceci prouve que les solutions dextroracémiques ne dispersent pas les plans de polarisation des rayons simples comme le quartz. Dans l'expérience que j'ai rapportée tout à l'heure, et extraite du Mémoire de M. Biot, le rapport est Toutes les vérifications précédentes ne peuvent laisser aucun doute sur lidentité des acides tartrique et dextroracémique. L'examen de divers tartrates et dextroracémates achèvera tout à l'heure d’établir ce fait avec une entière certitude. Acide lévoracémique. La préparation de l’acide lévoracémique se fait absolument comme celle de l’acide dextroracémique. Le lévoracémate de soude et d’ammoniaque est traité par le nitrate de plomb : le lévoracémate de plomb est ensuite décomposé par l’acide sulfurique étendu. Cet acide cristallise facilement par évaporation lente, surtout s’il est mêlé d’un peu d'acide sulfurique, en très beaux cristaux limpides, volumineux, d’une grande netteté. Rien n'est plus curieux et plus extraordinaire à la fois, dans l’état actuel de la science, que l'étude de cet acide comparée à celle de l’acide dextroracémique ou tartrique. Entre l'acide tartrique et l'acide lévoracémique que l’on pourrait aussi appeler lévotartrique, il est impossible d’assigner d’autres différences que celles de l’hémiédrie et du sens de la déviation du plan de polarisation des rayons lumineux. Angles des faces, aspect physique, solubilité, poids spécifique, propriétés chimiques, composition, tout se ressemble dans ces deux acides ; mais la forme cristalline de l’un est la forme symétrique de l’autre. Le cristal d’acide tartrique, présenté devant une glace, offre une image qui est exactement la forme de l’acide lévoracémique. D'autre part, l’acide lévoracémique dévie à gauche le plan de polarisation des rayons lumineux, tandis que l'acide tartrique le dévie à droite, mais de la même quantité absolue. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. — 98 d ŒUVRES DE PASTEUR Forme cristalline de l'acide lévoracémique. — Va forme cristalline de l'acide lévoracémique est représentée figure 6. Comparée à celle de l’acide dextroracémique, figure 5, on voit que ces deux formes sont des polyèdres identiques dans toutes leurs parties res- pectives, mais non superposables, symiétriques. La su- perposition n'est pas possible, parce que P sur M diffère de 90°, que la face b n’est pas identique à la face k, en d’autres termes, parce que le prisme est oblique. Les angles sont les mêmes que dans l'acide dextroracémique. Fc. 6. Ce que j'ai dit en décrivant la forme de l’acide dex- troracémique des facettes c peut se répéter ici : elles disparaissent quelquefois complètement à droite, comme l'indique la figure. Le plus souvent elles existent à droite et à gauche; mais à part quelques cas très rares, elles sont toujours plus développées à gauche qu’à droite. Il y a un clivage facile et très brillant parallèlement à la face M. Pyroélectricité de l'acide lévoracémique. L'acide lévoracémique est fortement pyroélectrique, tout autant que l’acide dextroracémique. Seulement, lorsque le cristal se refroi- dit, c’est le côté gauche (fig. 6) qui se charge d'électricité positive, le côté droit d'électricité négative, tandis que c’est l'inverse pour l'acide tartrique ou dextroracémique. Poids spécifique. — Cet acide est tout à fait insoluble dans l'essence de térébenthine pure. J'ai trouvé 1,7496 pour le poids spécifique de cet acide. C’est le poids spécifique de l'acide tar- trique. Composition chimique. — 0 gr. 5 d’acide lévoracémique cristallisé ont donné 0,583 d'acide carbonique et 0,182 d’eau. On déduit de là : Carbone. . 31,9 Hydrogène 4,02 Oxygène. 64,08 100,00. La formule C*H205HO de l'acide tartrique exige : Carbone. 32,0 Hydrogène 4,0 64,0 Oxygène CPR EC COTE EN CCE DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 99 Solubilités comparées des acides lévoracémique et tartrique. — On a rempli deux tubes de cristaux d'acide lévoracémique et d'acide dextroracémique; on a ajouté de l’eau de manière à baigner les cristaux, et l’on a abandonné les tubes pendant une nuit. Le lendemain au matin on a pesé 1 gr. 226 de la solution dextroracémique et O gr. 996 de la solution lévoracémique. On a ensuite évaporé dans l’étuve à 100°, jusqu'à ce qu'il n’y eût plus aucun changement de poids. La solution dextroracémique a perdu 0,699, et la solution lévoracémique 0,567. Ces nombres indiquent que Ja première solution renferme 57,01 pour 100 d’acide, et la seconde 56,92. On a oublié de noter tout de suite la température des solutions saturées au moment de la pesée : cette température était de 19 ou 20°. Cette expérience montre que la solubilité des deux acides est la même. Pouvoir rotatoire de l'acide lévoracémique. — La rotation des plans de polarisation de la lumière exercée par lacide lévoracémique est exactement la même que celle exercée par l’acide dextroracémique ou tartrique en valeur absolue, La dispersion toute spéciale des plans de polarisation due à lacide tartrique, signalée pour la première fois par M. Biot, et que jusqu'ici on n’a rencontrée dans aucune autre substance, se retrouve sans changement dans l'acide lévoracémique. L'influence de la température, l'influence de la proportion d’eau sont aussi les mêmes. En un mot, quelles que soient les conditions de température et de concentration d’une solution tartrique, si l’on en forme une toute semblable d’acide lévoracémique, elle donnera exacte- ment la même déviation pour les divers rayons simples que la solution tartrique, en valeur absolue. La déviation sera droite avec la solution tartrique, elle sera gauche avec la solution lévoracémique. Les expé- riences suivantes ne laisseront pas de doute à cet égard. Cela résulte aussi et encore plus rigoureusement de la neutralité de l’acide racé- mique. Néanmoins, j'ai jugé utile de prouver cette identité d’action par des expériences directes. Une solution non dosée d’acide lévoracémique a été observée dans un tube de 50 centimètres, à la température de 20°. Son poids spécifique apparent était 1,21699; son poids spécifique réel PAVATÉ La déviation pour le rayon rouge, obtenue par une moyenne de plusieurs observations, était 18,90. La déviation correspondante à la teinte de passage était Ÿ 21°,28. Si l’on calcule, d’après la table donnée par M. Biot pour les solutions d’acide tartrique, la proportion d'acide renfermée dans la solution en partant du poids spécifique 100 ŒUNRES DE PASTEUR apparent, on trouve que la proportion d'acide en centièmes est égale à 0,42. La formule [ar = A + Be donne alors [œ]r — — 0,27840 + 14,31.0,58 — 89,02. En caleulant d'autre part [x], par la formule générale on à Ainsi que je lai rappelé plus haut, pour toutes les substances qui dispersent les plans de polarisation, comme le quartz, le rapport de la déviation pour le rayon rouge à la déviation de la : 23 teinte de passage est 5° Ce rapport se rapproche beaucoup plus de 9! l'unité quand on opère avec lacide tartrique. Il varie du reste pour {‘} La différence du pouvoir rotatoire 7°,41, déduit des données de l'expérience, avec le pouvoir rotatoire 80,02 calculé par la formule le], = À + Be, étant supérieure à toutes celles des autres expériences, m'avait fait douter de l'exactitude de cette observation. L'erreur correspond à 2 ou 3° sur la déviation mesurée directement, ce qui dépasse de beaucoup les limites des erreurs possibles. Il est très probable que le zéro n'a pas été vérifié avant l'observation, et qu’il a été déplacé par une variation dans l'atmosphère ou par toute autre cause accidentelle. J'ai remis à M. Biot cette même dissolution. Il l'a observée conjointement avec une solu- tion tartrique de même poids spécifique, et il a trouvé, à la température de 20,5, dans un tube de 520 millimètres pour la solution lévoracémique : a = — 210,925, a —=— 240,8. [œ}r — 80,078 lorsqu'on le calcule par la formule La], = À + Be déduite par M. Biot de ses expériences sur les solutions tartriques. En employant la formule générale on trouve CAR PRES Quant au rapport oo EST ; c La solution tartrique de même poids spécifique a donné a = + 2*0,15, a = + 240,5. [ar — 80,33 calculé par la formule Cr 27,1 Quant au rapport —, on trouve 5. D aj 30 DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 101 chaque solution de cet acide. Si l’on cherche par quel nombre expri- mé en 3 il faut multiplier 21,28 pour avoir 18,90, on trouvera Fe. L'expérience suivante sera plus concluante parce qu’elle pourra être comparée à une expérience de M. Biot faite dans des conditions peu différentes. 35 gr. 7 d'acide lévoracémique ont été dissous dans 64 gr. 3 d’eau; on a observé la solution dans un tube de 50 centimètres à la température de 17. Le poids spécifique apparent de la solution était 1,1806 ; le poids spécifique réel, 1,182. Cette solution est très voisine par son dosage de la solution n° 1, observée par M. Biot, page 144 de son Mémoire de 1836 cité plus haut. La solution de M. Biot était composée comme il suit : Ales ORNE ES ER CE Pr BA M ina lee oncles eee 00379 Poids spécifique apparent... 1,1725 BOT ISPÉCHQUE LEP PNEU 1,16919. La longueur du tube d'observation était 518 millimètres, et la température 26°. M. Biot a trouvé, pour les teintes des images, les résultats consignés dans le tableau suivant : 00 ,00|Blanc sensiblement. Vert bleuätre pâle. 19,00 1d. Vert bleuâtre de bonne teinte. 21,16 : Vert bleuâtre encore sensible, mais très faible en intensité. 22,50 ; Nul ou presque nul. 23,00 : Rouge violacé pourpre, sensible. 28,00 é Rouge orangé. 32,50 3 Jaune rougeûtre. 59,00|Blanc à peine verdâtre. Blanc à peine rougeûtre. L ? ? , L 90 ,00|Blanc verdâtre ou vert bleuâtre pâle.|Blanc sensiblement. La solution d’acide lévoracémique m’a offert des teintes que je n'ai pu distinguer des teintes de ce tableau pour les mêmes azimuts. Seulement la déviation de la teinte de passage a été 20°,5 à au lieu de 229,5 /”, et la déviation du rayon rouge 17,8 \, au lieu de 20°,1 trouvée par M. Biot. Si l’on calcule la valeur de [+], avec la formule des solutions LJ tartriques ' fc —"A"DBe 102 ŒUVRES DE PASTEUR pour la température de 1%, on trouve [x = — 0,62116 + 14,31.0,64 — 82,53 pour le pouvoir rotatoire de notre solution lévoracémique. En calculant, d'autre part, le pouvoir rotatoire au moyen de la formule générale [er Me: et des données de notre expérience = SE: 1—= 5Qcent ; 2=3,7 D—14162 on trouve [al — 8,43. L'accord de ces résultats ne peut être plus satisfaisant. Voici une autre vérification. Le pouvoir rotatoire de la solution de M. Biot est égal à 9,55 à la température de 26°. Or, si l’on calcule d’après la formule [a]r —= A Be quel serait le pouvoir rotatoire de la solution lévoracémique à 26°, on trouve - [ælr = 90,47. Enfin, si l’on prend le rapport exprimé en trentièmes de la déviation rouge à la déviation de la teinte de passage, on trouve pour la solution lévoracémique Te. M. Biot trouve 5e pour la solu- tion tartrique. Toutes ces vérifications s'accordent pour montrer qu'entre le pouvoir rotaloire de l'acide tartrique et celui de l'acide lévoracémique, il n'y a d'autre différence que le sens de la rotation, tout comme il n'y avait de différence entre la forme cristalline de ces deux acides que dans la position des facettes hémiédriques. Mais à côté de ces différences physiques, de la forme cristalline et du sens de la pola- risation rolatoire, nous voyons une parfaite identité de toutes les propriétés des deux acides. Afin de mieux faire sentir la correspondance si remarquable qui existe entre les propriétés des acides tartrique et lévoracémique, je vais rapporter tout de suite une expérience fort curieuse à divers Ütres, qui n'a été offerte par la solution de tartrate ou dextroracémate de chaux dans l'acide chlorhydrique comparée à la solution de lévora- cémate de chaux dans le même acide. J'ai constaté plusieurs fois que le lévoracémate de chaux dissous dans l'acide chlorhydrique donnait DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 103 une solution douée d’un pouvoir rotatoire très sensible vers la droite. J'ai constaté, d’autre part, que la solution de dextroracémate ou de tartrate de chaux dans cet acide déviait à gauche. Cette curieuse expérience montre toute la persistance de cette inversion du pouvoir rotatoire des deux acides correspondant à la différence de caractère hémiédrique des formes cristallines. Voici le détail d’une expérience faite avec le lévoracémate de chaux. Vingt grammes de ce sel cristallisé ont été dissous dans 63 centimètres cubes d’acide chlorhydrique. 100 centimètres cubes de cet acide à 21° renfermaient 11 gr. 25 d’acide chlorhydrique CIH. Le poids spécifique de lacide à 2195 était égal à 1,08157. On a trouvé pour la déviation de la teinte de passage ÉEA dans un tube dont la longueur était 39 cent. 8. Le poids spécifique de la solution était égal à 1,18595. Jai vérifié avec beaucoup de soin que cette solution de lévoracémate de chaux dans lacide chlorhydrique ne renfermait pas trace d’acide tartrique, ni d’acide racémique. C’est donc par une action spéciale de lacide chlorhydrique sur le lévoracémate de chaux que la déviation a passé à droite, sans production d’acide dextroracémique. Acide racémique. Il résulte des faits précédemment exposés que l’on peut dédoubler l’acide racémique en deux acides distincts, dont l’un est lacide tartrique, et qui offrent cet isomorphisme symétrique très remar- quable que nous venons de signaler. La preuve que telle est bien la constitution de cet acide sera complète, si nous montrons qu’une fois isolés, ces deux acides peuvent redonner l'acide racémique d’où on les a extraits. Cette preuve synthétique est des plus faciles. Il suffit de mêler des solutions concentrées d’acide dextroracémique ou d’acide tartrique et d’acide lévoracémique pour qu'à lPinstant il se forme, avec un dégagement de chaleur très sensible à la main, des cristaux abondants d’acide racémique. Tout se prend en masse solide et cristalline, et l’acide ainsi formé a toutes les propriétés physiques et chimiques de l'acide racémique. En faisant redissoudre et cristalliser, on obtient de beaux cristaux d’acide racémique, tout à fait identiques, par leur forme cristalline et leur composition chimique, avec l’acide racémique de Thann. 0 gr. 5 de cet acide ont donné 0,519 d’acide carbonique et 0,215 d’eau. 10% ŒUVRES DE PASTEUR D'où Garboôné +2 LLC EE RE 0 Hydrogène. TERESA PRO AN PER 4.96. La formule C*H205H0O, HO de l'acide racémique de Thann exige : Carbône 2211 eee TR RE PO) Hydrogène 0e OM EME EC ET EE C'est après avoir fait l'étude de la composition de l'acide racémique et des racémates que Berzelius appela l'attention sur les substances de même composition chimique et de propriétés distinctes. Dans le méme travail il proposa, pour désigner ces substances, la dénomina- tion d’ésomères adoptée par tous les chimistes. On a, pendant quelque temps, essayé de rendre compte de lisomérie de l'acide racémique et de l'acide tartrique, par la différence de capacité de saturation de ces deux acides. En réalité elle est la même. L'isomérie de ces deux acides est aujourd’hui parfaitement expliquée par la découverte des acides lévoracémique et dextroracémique. Je rappelais en commençant ce travail que ce singulier acide racémique, ainsi que me l’a assuré M. Kestner, n’a jamais été obtenu dans sa fabrique depuis l’époque où il l’a découvert. Nous voyons ici, d'autre part, que cet acide est une combinaison d'acide tartrique et d’un autre acide identique avec l'acide tartrique, si ce n’est qu'il offre en sens inverse cette dissymétrie moléculaire que présente l’acide tartrique. Nous voyons aussi que l'acide tartrique et l’acide lévoracémique ou lévotartrique se combinent immédiatement, dès qu'ils sont en présence, pour donner de l'acide racémique. Il est donc très probable que cet acide racémique s’est produit la première fois par une altération de l'acide tartrique, altération qui avait eu pour but de changer de sens la dissymétrie moléculaire de cet acide. Il faudrait trouver un agent capable de produire sur l'acide tartrique cette modification moléculaire, à peu près comme les acides étendus transforment le sucre de cannes déviant à droite en sucre de cannes déviant à gauche. Cette transformation a sans doute eu lieu lorsqu'on a découvert cet acide, soit dans la fabrique même de M. Kestner, ou, ce qui est moins probable cependant, par quelque maladie des raisins à cette époque. On sait, par les expériences précises de M. Biot, que le pouvoir rotatoire de l’acide tartrique diminue avec la température. D'ailleurs DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 105 entre l'acide tartrique et l'acide lévoracémique dissous il n’y a qu’une seule différence, c’est que le premier dévie à droite, lautre à gauche, le plan de polarisation des rayons lumineux. J’ai donc pensé qu’en soumettant à un grand froid la solution d'acide tartrique, j'obtiendrais de l'acide lévoracémique, qui, s’unissant immédia- tement à l'acide tartrique non transformé, donnerait sur-le-champ de l'acide racémique. Soumises au froid, les solutions aqueuses d'acide tartrique se congelent, et lon conçoit que le mouvement moléculaire n’est plus guère possible. Les solutions alcooliques résistent et demeurent liquides, mais l’on sait que lacide tartrique réagit sur les alcools, et, en réalité, on opère sur autre chose que sur l'acide tartrique. Les solutions qui paraissent le mieux convenir sont celles d'acide tartrique dans lacide sulfurique et l'eau. D'une part, elles restent liquides pour un froid assez considérable ; d'autre part, l’acide sulfurique‘abaisse considérablement le pouvoir rotatoire «de l'acide par sa présence seule. Enfin, on se rapproche ainsi des circonstances qui ont dû avoir lieu, lorsque, dans la fabrique de Thann, l’acide racémique a pris naissance. Dans son Mémoire sur plusieurs points fondamentaux de méca- nique chimique (!), M. Biot a étudié, page 301, une solution d'acide tartrique dans l’acide sulfurique composée comme il suit: ANCIdeMALtAIQUe RC 220-000 Acide sulfurique . . . . . . . . . . . 65 gr. 0225 (acide anhydre) HAUSSE Oo or 0 UE La déviation à travers ie verre rouge, dans un tube de 501°%*,5, a été de 2°,2 7 ,et, à travers le verre violet, de—4,95\, , à la tempéra- ture de 14°. J'ai formé une solution semblable, et je l'ai soumise à un froid de 1%. La liqueur est restée limpide, et il ne s’est pas produit d'acide racémique. Je dois ajouter que le raisonnement qui me conduisait à essayer de telles expériences n’est peut-être que spécieux; car, si le froid tend à diminuer le pouvoir rotatoire d’une solution tartrique et à la transformer en solution lévoracémique, il a aussi bien pour effet de diminuer le pouvoir rotatoire d’une solution lévoracémique en valeur absolue, et de la transformer, par là même, en solution dartrique. 1. Présenté le 27 novembre 1837. Mémoires de l'Académie des: sciences, XVI, 1838, p. 229-396. 106 ŒUVRES DE PASTEUR Quoi qu’il en soit, c’est avec un véritable regret que je présente ce travail à l'Académie sans avoir pu encore transformer l'acide tartrique en acide racémique. Lévoracémates el dextroracémates. Les relations de forme, de pouvoir rotatoire et de propriétés chimiques que nous avons signalées entre les acides dextroracémique et lévoracémique se reproduisent fidèlement entre tous les sels de ces deux acides. Toutes les propriétés chimiques des tartrates ou dextro- racémates se retrouvent, jusque dans les moindres détails, dans les lévoracémates correspondants. A un tartrate quelconque répond un lévoracémate, qui n’en diffère que par la position des facettes hémié- driques et le sens inverse du pouvoir rotatoire. Il y a, du reste, identité parfaite entre les angles des faces, la valeur absolue du pouvoir rota- toire, le poids spécifique, la composition chimique, la solubilité, les propriétés optiques de la double réfraction, etc. Lévoracémate d'ammoniaque. J'ai obtenu ce sel en saturant l'acide lévoracémique par Pammonia- que, en ayant soin d'ajouter à la liqueur un petit excès d’ammoniaque au moment où on la met à cristalliser, parce que la solution chaude perd de l’ammoniaque, et donne, par refroidissement, un mélange de sel neutre et de sel acide. On obtient, par évaporation spontanée d’une solution concentrée, de très beaux cristaux limpides, peu efflo- rescents et dont la forme cristalline est représentée figure 7. La forme FiG. 7. Fi. 8. Fic. 9. du dextroracémate ou tartrate est représentée figure 8. On voit que ces formes sont les mêmes ; seulement les facettes dissymétriques sont à gauche dans le lévoracémate, à droite dans le dextroracémate lorsqu'on se place devant le cristal disposé comme il se trouve dans DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 107 la figure, la face P horizontale et la face M verticale. Quant aux angles des faces, ils sont les mêmes. J'ai trouvé, pour le lévoracémate : PEN EPA PE 127725 Pad 1247 RM 125; 0 A — 11055 RME 20:20; M. de La Provostave donne, pour le tärtrate d’ammoniaque : û I Pad if €) BEVE=197740 PE 12/55 h: M—195, 0 EME—-12620; Nota. Les angles L : M et 2, : M sont de 145°,14' et 143°,50/ dans le travail de M.'de La Provostaye. J'ai mesuré les deux angles que je donne ici sur le dextroracémate d’ammoniaque. Je me suis assuré que les angles du dextroracémate étaient aussi les mêmes. Le lévoracémate, le dextroracémate et le tartrate ont tous trois un clivage net et facile parallèlement à P (1). Ces formes cristallines se rapportent à un prisme oblique à base rectangle (fig. 9) très peu oblique P, M, T dont les arêtes B, D, S sont modifiées par les facettes D, d, s. Les facettes dissymétriques X portent sur les arêtes d’intersection des faces d et M. Composition chimique. — 0 gr. 5 de lévoracémate d’ammoniaque cristallisé ont donné 0,482 d’acide carbonique et 0,297 d’eau. D’où l’on déduit pour la composition, en centièmes : Carbone. RE ec es tue 20:39 ÉNCRONÈNE oo 5 à 9 duo © nues à © » 0 ee colo 6 NUE La formule C#H20ÿ Az HO du tartrate d’ammoniaque ordinaire exige : Carbone . 26,0 Hydrogène. 6,5 Pouvoir rotatoire. — On a dissous 8 gr. 9585 de lévoracémate 1. Dans le volume qu’il préparait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur à modifié ainsi cette phrase : « Le tartrate droit et le tartrate gauche ont le mème clivage net et facile parallèlement à P. » (Note de l'Édition.) 108 ŒUVRES DE PASTEUR d’ammoniaque dans 64 gr. 728 d’eau. Le poids spécifique de la solu- tion était égal à 1,057, à la température de 18°,2. La solution a été observée, dans un tube de 50 centimètres, à 17%. On a trouvé Ÿ, 24,50 pour la déviation de la teinte de passage. La même solution, observée avec l’appareil de compensation de M. Soleil, a donné ù 10%*,2, ce qui répond à 24°,48. Si, d’après les données précédentes, on calcule le pouvoir rotatoire au moyen de la formule générale on trouve [«]—38°,195 pour le pouvoir rotatoire moléculaire corres- & . . ONE 23 2 pondant à la teinte de passage. Si nous multiplions par + pour obtenir le pouvoir rotatoire correspondant au rayon rouge, on a [al — 290,29 \, - Or M. Biot a trouvé, pour le pouvoir rotatoire du tartrate neutre d’ammoniaque, [a — 29°,004. de] Du reste, j'ai fait une expérience toute semblable à la précédente, dans les mêmes conditions exactement, avec le tartrate d’ammoniaque, et je suis arrivé au même résultat pour la déviation absolue. J’ajouterai, en terminant cette étude du lévoracémate d’ammoniaque, que, dans une préparation de ce sel, il s'est déposé d’abord des cristaux en tétraèdres irréguliers limpides, mais qui devenaient opaques à l'intérieur dès qu'ils étaient éloignés de la solution. Ces cristaux n'avaient pas du tout la forme ordinaire du lévoracémate. Je n’ai pu mesurer les angles à cause de l’opacité qu'ils ont prise tout de suite. Ces cris- taux ne se sont produits qu'une fois : la liqueur renfermait un excès d’ammoniaque; c’est dû peut-être à un état dimorphique du lévora- cémate d’ammoniaque. Tout porte à croire que le tartrate d’ammoniaque donnerait des cristaux de même forme. Je ne lai point recherché encore. Emétique lévoracémique de potasse. Après avoir préparé le lévoracémate acide de potasse, je l'ai traité par l’oxyde d’antimoine, j'ai fait cristalliser, et il s’est déposé de très beaux cristaux brillants, limpides, tout à fait semblables d'aspect à l’émétique de potasse ordinaire. Voici la différence : la forme cristal- line de l’émétique de potasse tartrique est représentée figure 10; celle de l’émétique lévoracémique est représentée figure 11. C’est un prisme DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 109 droit à base rhombe P, M, T (fig. 12), passant à l’octaèdre par des modifications sur les arêtes B des bases. Mais en général quatre des faces 4, ainsi que l'indique la figure, se développent beaucoup plus que les quatre autres, de manière que, si on les prolongeait, elles donneraient un tétraëèdre. Si l’on tient le cristal d’émétique tartrique à la main, et qu’on place parallèlement à soi la face g, P étant horizontale, on aura une large F1G. 10. Fire. 11. Fra. 19: face tétraédrique à à sa droite en haut du cristal; elle sera à gauche si l’on a affaire à l’émétique lévoracémique. IL arrive quelquefois que le cristal est homoëdre, c’est-à-dire que les huit faces octaédriques à sont également développées. Alors on ne peut distinguer les cristaux que par le phénomène de la polarisation rotatoire, en les faisant dissoudre dans l’eau. Ce cas d’homoédrie apparente est très rare. Quant aux angles des faces, ils sont les mêmes dans les deux sels. J'ai préparé l’émétique dextroracémique de potasse, et je l’ai trouvé identique avec l’émétique tartrique. Les facettes hémiédriques sont placées de même, et les angles des faces sont identiques (1. Poids spécifique. — J'ai trouvé le poids spécifique de l’émétique tartrique égal à 2,5569, et celui de l’émétique lévoracémique égal à 2,4768. Ces émétiques sont tout à fait insolubles dans l’essence de térébenthine. Composition chimique. — MM. Dumas et Piria ont donné plusieurs analyses de l’émétique de potasse ordinaire. Ils adoptent pour formule C*H205 Sp203 + C*H205KO + HO. Ces chimistes ont trouvé en centièmes : Carbone ETES 14,0 14,44 14,4 Hydrogène "#5". 4,5 4,5 4,4 4,5 1. Ce dernier alinéa a été supprimé de la main de Pasteur pour le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire. (Note de l'Édition.) 3 110 ŒUVRES DE PASTEUR 2 grammes d’émétique lévoracémique ont fourni 0,265 d’eau et 1,060 d’acide carbonique. Ce qui correspond à Carbone M SR MER RS Ed LED Hydrogène . 1,47. Pouvoir rotatoire. — Une solution d’émétique lévoracémique, saturée à 17°,5, a donné dans le tube de 50 centimètres une déviation à gauche de NSLE pour la teinte de passage. Une solution d’émétique ordinaire, saturée à 17°,2, a donné dans le même tube une déviation de 60° à droite. Ces solutions étaient les eaux mères de deux cristallisations de ces sels, On a dissous 5 grammes d’émétique lévoracémique dans 68 gr. 509 d’eau. Cette dissolution a été observée à 19 dans le tube de 50 centi- mètres. Elle a donné pour la déviation de la teinte de passage Ÿ, 55°,30/! à gauche. L'émétique ordinaire, dissous dans les mêmes proportions, et observé à la même température dans le même tube, a donné 550,30 à droite. Le poids spécifique de la solution lévoracémique était égal à 1,0447; celui de la solution tartrique était le même. La formule générale PA lEù [œ| — donne pour le pouvoir rotatoire de ces émétiques : [x]; — 156°,2 à émétique lévoracémique ; [x]; —156°,2 7 émétique tartrique. Emétique lévoracémique d'ammontiaque. Le lévoracémate acide d’ammoniaque, dissous dans l’eau et chauffé avec l’oxyde d’antimoine, donne le lévoracémate double d’ammoniaque et d’antimoine, tout à fait isomorphe avec l’émétique lévoracémique de potasse tétraédrique. Lorsque l’émétique tétraédrique a cristallisé, si l’on enlève les cristaux, l’eau mère laisse déposer des cristaux d’une forme et d’une composition chimique différentes. C’est exactement ce qui a lieu avec la solution de tartrate d’ammoniaque et d’antimoine, lorsqu'on sépare celle-ci des cristaux tétraédriques auxquels elle donne d’abord nais- sance. Voici l’analyse et la forme de ce nouvel émétique. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 111 Un gramme du sel cristallisé a fourni 0,314 d’eau et 0,515 d’acide carbonique. Ce qui correspond à CaThOUE es ER nes le 10 01. ÉÉGROMÈNE ob © 0 à à do nb 0e MONENEE 3,49. La formule C*H20ÿSp203 L C*H20ÿAzH#0 +4H0 exige 0] ND CALDONET Are A ee Poe PM re a ae ne NLO: ÉÇARO REDON NS PP ER EN EE PU: © NO) = Qt k Cet émétique s’effleurit avec la plus grande facilité. Sa forme cristalline est représentée figure 13. Le même émélique, mais préparé avec la solu- 4 tion tartrique, est représenté figure 14. N C’est un prisme droit à base rhombe NN P, M, M portant des modifications sur les arêtes des bases. Elles devraient étre au nombre de huit conduisant à un octaèdre. Il n’y en a que quatre en réalité, et, pro- longées, elles formeraient un tétraèdre irrégulier. Le tétraèdre de la figure 14 est SR AT symétrique du tétraèdre de la figure 13, J'ai donné dans mon ‘premier travail les angles des faces. Ils sont les mêmes dans les deux sels. Lévoracémate de chaux. Lorsqu'on traite la solution d’un lévoracémate par un sel de chaux, il se dépose après quelque temps, si les liqueurs sont très étendues, de petits cristaux brillants, durs, très nets, ayant la forme de prismes droits à base rhombe, portant des modifications sur les angles. Quel- quefois l’octaèdre est bien déterminé, parce que les faces des pans ont disparu. Il est impossible d’assigner la moindre différence entre la forme cristalline, la solubilité, les particularités de la formation de ce sel et les propriétés correspondantes du dextroracémate ou tartrate de chaux. Ici rien n’annonce l’hémiédrie. On peut obtenir assez facile- ment des cristaux assez gros pour en faire une étude attentive. Les cristaux sont toujours homoèëdres. Il est bien certain cependant que le lévoracémate de chaux est fort distinct du dextroracémate. Ainsi, mêlé 112 ŒUVRES DE PASTEUR au dextroracémate, il donne immédiatement du racémate de chaux, qui se distingue si facilement du tartrate ou du lévoracémate. J'ai insisté précédemment sur la propriété curieuse que possède ce sel de dévier à droite le plan de polarisation de la lumière quand on le dissout dans l'acide chlorhydrique, tandis que le tartrate dévie à gauche. Il arrive très souvent, lorsqu'on précipite le lévoracémate de chaux, le dextroracémate ou le tartrate, qu'il se dépose d’abord une très grande quantité de petits cristaux en aiguilles excessivement déliées, groupées et divergentes à partir d’un centre, formant de petites houppes soyeuses. Ces houppes disparaissent du jour au lendemain, et, à leur place, on trouve le sel de chaux octaédrique en cristaux isolés. J'ai analysé ce sel de chaux en houppes, et je lui ai trouvé la composi- tion du tartrate de chaux C'H?205Ca0 + 4H0. Le tartrate de chaux, le lévoracémate de chaux sont donc dimorphes. Je n'ai pu, même au microscope, distinguer la forme cristalline de ces petites aiguilles. Composition du lévoracémate de chaux. — Un poids de ma- üère = 1 gr. 000 a fourni 0,4215 d’eau et 0,544 d’acide carbonique. Ce qui donne en centièmes : Carbone ns, DR CE EN EC EN LS Hydrogenet "re ER ER RER ES CICR EU M. Dumas a trouvé dans une analyse du tartrate de chaux : Carbone: 2 RES A Re CO LE 0 Hydrogène CE TE La formule C*H?205Ca0 + 4H0O exige, en supposant que la chaux reste à l’état de carbonate : Carbone. 44 GR RP 5e Hydrogène." CON EC TC CCR T CRE 4,6. Le lévoracémate de chaux en houppes a fourni : Carbone: 2 50, ER SE HYUTOSÈNEL EN NC RS PERRIN RE Lévoracémate de soude et d'ammoniaque. Nous avons étudié déjà la forme cristalline de ce sel, comparée à celle du dextroracémate, en commençant ce Mémoire. Lorsque ce sel DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 113 a été purifié par une ou deux cristallisations nouvelles, ainsi que je l'ai expliqué précédemment, il a exactement le même pouvoir rotatoire que le tartrate en valeur absolue. On a observé, dans un tube de 50 centimètres, à la température de 16°5, la solution suivante : Poids de l’eau — 60 gr. 270 Poids du sel —30 gr. 135. « La déviation de la teinte de passage a été de 4%,8 \ à gauche. Le poids spécifique de la solution était, à 15°5, de 1,1499. En calculant le pouvoir rotatoire d’après la formule où + désigne la déviation obtenue 49,8, / la longueur du tube, € la proportion en centièmes du sel, 3 le poids spécifique réel de la solution, on à : [æ]; = 26°,0 S (teinte de passage). Poids spécifique. — J'ai trouvé pour poids spécifique du lévoracé- mate, du tartrate et du dextroracémate de soude et d’ammoniaque sensiblement le même nombre. La moyenne est égale à 1,576. Solubilités comparées du lévoracémate et du dextroracémate de soude et d'ammoniaque. Deux tubes pleins de gros cristaux de ces sels ont été placés dans la glace. On y a ajouté de l’eau froide, et, une heure et demie ou deux heures après, on a versé ces solutions rapidement dans deux capsules dont les tares avaient été faites. Le poids de la solution de dextroracémate était de 15 gr. 444, celui de la solution de lévoracémate était de 15 gr. 189. On a ensuite évaporé dans l’étuve à eau bouillante jusqu’à ce qu'il n’y eût plus aucune perte appréciable à la balance. Il a fallu chauffer plus de vingt heures pour arriver à ce terme. Les solu- tions perdent une quantité très sensible d’ammoniaque dans cette opération. On a trouvé ainsi que la solution de dextroracémate saturée à 0 degré renfermait 15,17 pour 100 de sel séché à 100°, et que la solu- tion de lévoracémate en renfermait 15,13 pour 100. Afin de savoir à quel poids de sel cristallisé correspondaient ces nombres, il fallait rechercher combien les sels cristallisés perdaient de leur poids quand on les chauffait dans l’étuve à eau bouillante. 4 gr. 093 de dextroracémate ont perdu 1,070, et 4,032 de lévoracé- mate ont perdu 1,138, ce qui correspond à 28,61 et 28,22 pour 100. On DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. ë 114 ŒUVRES DE PASTEUR déduit de ces nombres que 21,25 et 21,09 sont les poids de sels cris- tallisés qui répondent à 15,17 et 15,13 de sels séchés à 100. En résumé, 100 grammes de solution lévoracémique saturée à 0 degré renferment 21 gr. 09 de lévoracémate de soude et d’ammoniaque cris- tallisé; et 100 grammes de solution dextroracémique saturée à 0 degré renferment 21 gr. 25 de dextroracémate de soude et d’ammoniaque cristallisé. Les résultats précédents montrent de nouveau combien sont iden- tiques toutes les propriétés des lévoracémates et des dextroracémates ou tartrates, tant qu'il ne s’agit pas du pouvoir rotatoire, de la forme cristalline, ou de la pyroélectricité. Lévoracémate de soude et de potasse. Si l’on sature deux poids égaux d'acide racémique, lun par la soude, l’autre par la potasse, que l’on fasse cristalliser la liqueur, il se dépose deux espèces de sels, le lévoracémate et le dextroracémate de ces deux bases, en poids égaux. Il suffit, pour s’en assurer immé- diatement, de prendre un seul cristal, de le dissoudre et de le préci- piter par un sel de chaux. Il ne se formera pas de racémate de chaux, mais du lévoracémate ou du dextroracémate. Les cristaux sont isomorphes avec le sel double de soude et d’ammoniaque, étudié précédemment (fig. 1 et 4). J'ai préparé le lévoracémate de soude et de potasse avec lacide lévoracémique isolé, et j'ai obtenu un sel identique avec les cristaux hémièdres à gauche, qui se déposent quand on essaye de faire le racémate de soude et de potasse par le procédé que nous venons d'indiquer. Le lévoracémate a tout à fait la forme, les propriétés et le pouvoir rotatoire, en valeur absolue, du sel Seignette. Seulement, il est hémièdre à gauche au lieu de l'être à droite. Les cristaux de lévoracémate et de dextroracémate de soude et de potasse, obtenus en essayant de faire le racémate double de ces deux bases, diffèrent de ces sels obtenus directement avec les acides lévora- cémique et tartrique isolés, en ce que, dans le premier cas, les facettes hémiédriques existent toujours, tandis qu’elles sont souvent absentes dans le second cas, dans le sel Seignette ordinaire, par exemple. Il y a encore une autre remarque à faire sur les deux sels en ques- tion obtenus en essayant de faire le racémate de soude et de potasse, c’est que les cristaux sont souvent homoëdres en apparence, parce que les facettes hémiédriques se développent à gauche comme à droite. L'homoédrie est même quelquefois bien réelle. Car j'ai obtenu des cris- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 115 taux homoëdres isolés, qui, par le sel de chaux, donnaient du racémate de chaux, ce qui prouve que le lévoracémate avait cristallisé avec le dextroracémate. Mais généralement lhomoédrie n’est qu'apparente, ce que l’on reconnaît avec le sel de chaux ou par une étude très soignée de la forme cristalline. Ainsi, j'ai dessiné (fig. 15) l'extrémité d’un cristal de dextroracémate de soude et de potasse. Le prisme droit à base rectangle, forme primitive du cris- tal, dont ABCD est la coupe par un plan perpendicu- laire, est modifié sur les quatre arêtes vefticales, pro- jetées aux points À, B, C, D par trois facettes à droite et deux seulement à gauche, en plaçant devant soi la face dont DC est la projection. En outre, toutes les ES intersections, au nombre de dix, de ces faces modi- fiantes avec la base T sont tronquées, excepté les arêtes d’intersection de la face T avec les deux faces #. On voit qu'ici encore l’hémiédrie est indiquée; seulement, elle a revêtu un autre caractère. Comme les faces projetées en Æ étaient très peu larges comparées aux autres, le cristal paraissait d’une parfaite symétrie et d’une grande régularité. En en détachant une partie, j'ai très bien reconnu qu'il donnait un sel de chaux grenu, octaédrique, que, mêlé à du dextroracémate de chaux, il n’y avait pas formation de racémate de chaux, tandis que ce dernier sel prenait naissance dès qu'on mêlait la solution de cette portion de cristal, additionnée d’un sel de chaux, avec le lévoracémate de cette base Je ne m'arrêterai pas davantage à l'étude comparée des lévoracé- mates et des dextroracémates ou lartrates. Je dirai seulement que j'ai fait une étude détaillée de plusieurs autres lévoracémates et que je suis toujours arrivé aux mêmes résultats généraux. Je citerai princi- palement le lévoracémate de potasse, le lévoracémate acide de potasse, le lévoracémate acide d’ammoniaque, le lévoracémate neutre et le lévoracémate acide de baryte. Racémates. Tout annonçait, d’après les résultats que nous venons d'exposer, que les racémates, c’est-à-dire les sels que l’on peut regarder comme la combinaison des lévoracémates avec les dextroracémates, ne seraient jamais hémiedres, et ne dévieraient point le plan de polari- sation des rayons lumineux. J'ai fait une étude attentive de la forme STEUR DE P UVRES 116 ‘OUIOUUE p Je osseod op 9JPUOOEL ‘opnos 9pP 2JEUHOUU “osse]od op 9JEUOOUL “onbruoovioao)] 19 onbrtupowronxop Sa9ploe Ss9p UOSICUTŒUIOD UI ed onbruoovi 2PDODV “onberuotuure p JPIOE 9JUUHHIOLIOAO!T “osse]od 2P 2PpIDE 90H IOA9TT “onberu -OUUUR pp onbiurpoeioao onbnowury ‘ossv] -0d op onbruogovio4op onbnoury “onbveru -OUUUE D 19 OpNOS 9p OJEUIYOCIOAO! -0d op J9 opnos op ojeuoovi10491] ‘quopd op ojetpoer019 ‘XNEHO OP OJPLHYOOLIOAY!T “onberuoue p opetupovr019!] ‘osse]od 9P 9JPUHYODPIOA9!] “onbriuroot I0A9T JPI 4 “onberuourure, p opror OEUTHOPIOLIXO(] “osse]od op oproe OPUIHDPAOLIXO(] “onbuiu OU p onbiutpoeronxop onbnotwu: -0d op onbruoovronxep onbnour “onberuotu UE pP 19 2pnos JP JIUUHOLAOTIXO(] ‘08$b] -0d op Jo opnos op ojetuooeronxo(] “Œuord op opeurooer1o1xo(] ‘XNEUO 9P 2JEUYOOBIONXO(] “onberuounue p opemoorronxo( ‘osseod op ojetmrooeionxo(| “onbriugoeronxop DpPlOY “onberuourure P 9pPI9E 9JCATIR [ 28$B10d op opiov opaque, “onberuouure p onbnour “ossod op onbnouwr “onberuouue, p je opnos op O1PAVIE J, ‘osst10d op Jo opnos 9P OJAAR ‘quord op opeaque L ‘XNEHO 0p OJUIE “onberuourue p opemque “osseod op ojenae] “onbrnie) oploy DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 117 cristalline de trois beaux sels, le racémate de potasse, le racémate de soude, le racémate de potasse et d’antimoine. Les cristaux sont parfai- tement homoëèdres. Pour chacune de ces substances, j'ai obtenu des cristaux complets, où toutes les faces étaient bien développées, et je n'ai jamais vu qu'il y eût la moindre dissymétrie dans la forme. On pourrait objecter peut-être que l’hémiédrie, ou mieux la cause interne qui la produit, existe quand même il y a homoédrie géométrique. Mais que l’on prenne le plus petit cristal; isolé, de chacun de ces sels, qu'on le dissolve et qu'on précipite par un sel de chaux, c’est du Ê FiG. 16. Fra. 17. Fi. 18. racémate de chaux qui prendra naissance, ce qui prouve que les dernières molécules du sel renferment de l'acide racémique. J'ai repré- senté les trois sels dont il s’agit (fig. 16, 17 et 18). La figure 17 ne représente que la moitié du cristal de racémate de soude. Ce sont les dessins exacts de cristaux nombreux sur chacun desquels il y avait toutes les faces qu’indiquent les figures, et aussi régulièrement déve- loppées. Nota. — J'ai fait accompagner la présentation de ce travail d’un grand nombre d’échantillons très bien cristallisés avec les formes cristallines taillées en liège, dont j'ai coloré diversement les faces qui ne sont pas identiques. Voici [p. 116] la liste de tous ces produits, à l’aide desquels on peut voir tout de suite l'identité des tartrates et des dextroracémates, et la relation de forme des dextroracémates et des lévoracémates. Considérations sur la relation du phénomène de la polarisation rotatoire avec l'hémiédrie. 1 Dans l’étude de la corrélation de l’hémiédrie avec le phénomène de la polarisation rotatoire, il est nécessaire de distingüer deux espèces d’hémiédrie, et j'appelle sur ce point, d’une manière spéciale, latten- 118 ŒUVRES DE-PASTEUR tion des physiciens et des géomètres. IT y a une hémiédrie que lon pourrait appeler Lémiédrie superposable, dont la boracite, le spath d’Is- lande, l’azotate de soude, etc., nous offrent des exemples. La boracite cristallise en cubes portant quatre facettes sur les angles qui conduisent à un tétraèdre régulier. Le spath d'Islande, l’azotate de soude cristal- lisent en rhomboëdres dérivant du prisme hexagonal. Ce sont là des substances hémiédriques; mais il faut noter que tous les tétraèdres réguliers sont superposables, que tous les rhomboëdres de même angle le sont également. On ne peut pas construire, par la pensée, un rhomboëdre identique avec celui du spath d'Islande, et qui ne lui soit pas superposable. On ne peut pas imaginer un cube, passant à un té- traèdre régulier, non superposable à celui de la boracite. J'en dirais autant d’une substance qui cristalliserait en tétraèdres du système du prisme droit à base carrée. Il y a un second genre d'hémiédrie dont l'acide tartrique et les tartrates offrent des exemples. Toutes ces substances sont hémié- driques, mais à chacune de leurs formes cristallines en correspond une autre identique dans toutes ses parties respectives et qu’on ne peut cependant lui superposer. Et non seulement ces formes, qui ressembleraient aux premières comme la main gauche ressemble à la main droite, sont possibles; elles existent réellement. Ce sont les formes cristallines de l'acide lévoracémique et des lévoracémates. Comme autre exemple de ce second genre d’hémiédrie, que lon pourrait appeler hémiédrie non superposable, je citerai les deux variétés plagièdres du cristal de roche. Elles représentent deux polyèdres symétriques non superposables, et il y a entre elles la rela- tion que l’on trouve entre la forme cristalline d’un tartrate et celle du lévoracémate correspondant. J'ajouterai que, jusqu'ici, nous voyons que, là où il y a hémiédrie superposable, la propriété rotatoire n'existe pas, et qu'elle existe, au contraire, dans les cas où il y a hémiédrie non superposable. En est-il toujours ainsi? C’est à l'expérience de répondre. La cause qui produit l’hémiédrie peut avoir deux origines distinctes. Elle peut résider dans la molécule chimique elle-même, et se trans- porter à toutes les combinaisons de cette molécule. C’est ce qui à lieu pour lacide tartrique et l'acide lévoracémique. La dissymétrie de la forme peut, d’autre part, n'être qu’une consé- quence du mode d’agrégation des molécules dans le cristal, ce qui a lieu probablement dans le quartz. Or, dans ce dernier cas, la structure cristalline une fois détruite, il n’y a plus de dissymétrie, il n’y a plus de phénomène de polarisation rotatoire possible, et la substance, à DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 119 l’état de dissolution, ne peut dévier le plan de polarisation de la lumière. Elle le déviera à l’état cristallisé. Dans le cas même où la dissymétrie existerait dans la molécule chimique, par suite d’un arrangement spécial des atomes dans cette molécule, il pourrait arriver que la substance ne déviàt pas à l’état de dissolution. Je suppose, en effet, que l’on ait affaire à un sel hydraté, et que la dissymétrie de la molécule provienne de la position, dans le groupe moléculaire, des atomes d’eau. Il peut se faire qu’au moment de la dissolution du sel dans l’eau, les atomes d’eau se séparent du groupe salin, et que, par suite, la dissymétrie de la molé- cule n'existe plus. C’est probablement le cas du sulfate de magnésie et aussi du formiate de strontiane, sur lequel je reviendrai en détail dans un Mémoire spécial. Le sulfate de magnésie cristallise en prisme rhomboïdal droit, portant des modifications sur les arêtes des bases. Il n’y a que deux facettes à chaque extrémité, au lieu de quatre, et, par leur prolongement, elles conduisent à un tétraèdre irrégulier. Nous sommes ici dans le cas d’une dissymétrie qui entraine avec elle la déviation du plan de polarisation de la lumière. J'ai constaté cependant que ce sel dissous ne déviait pas d’une manière sensible, ainsi que le prouve l'expérience suivante : On a dissous 40 gr. 605 de sulfate de magnésie cristallisé, SO3MgO + 7HO, dans 129 gr. 040 d’eau. Le poids spécifique de la solution était 1,1239. Cette solution, observée dans un tube de 50 centimètres, direc- tement ou avec la double plaque de M. Soleil, n’a produit aucun indice sensible de déviation. En calculant, d’après le pouvoir rotatoire du tartrate de soude, la déviation qu'aurait fournie ce sel dans les mêmes conditions, on trouve De — AO! aj — 362,1 (teinte de passage) 30 e passage). Le sulfate de zinc est isomorphe avec le sulfate de magnésie. Je n’ai pas trouvé que sa solution déviàt le plan de polarisation. On a dissous 138 gr. 341 de ce sel dans 105 gr. 807 d’eau. Dissous dans ces mêmes proportions, le tartrate de soude aurait donné 108 de déviation pour la teinte de passage, d’après le pouvoir rotatoire donné par M. Biot pour ce tartrate. Je dois ajouter que, pour le cas spécial de ces deux sulfates, il y a une observation particulière à faire. La forme de ces sels est un prisme droit à base rhombe; mais ce prisme diffère excessivement peu du prisme droit à base carrée. Car l'angle du prisme rhombique 120 ŒUVRES DE PASTEUR est de 91° environ. On conçoit donc que le tétraèdre auquel conduisent les facettes hémiédriques est un tétraèdre excessivement voisin d’un tétraèdre du prisme droit à base carrée, et la dissymétrie qui conduit à un tel tétraèdre, d’après ce qui précède, pourrait ne pas entraîner de déviation du plan de polarisation. NOUVELLES RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI PEUVENT EXISTER ENTRE LA FORME CRISTALLINE, LA COMPOSITION CHIMIQUE ET LE PHÉNOMÈNE DE LA POLARISATION ROTATOIRE (EXTRAIT PAR L'AUTEUR) {:] Tout le monde connaît cette loi simple et remarquable de la cristal- lographie, due au célèbre minéralogiste Haüy, laquelle veut que, dans un cristal, les parties identiques soient toutes modifiées en même temps, et de la même manière. C’est la loi de symétrie. Or il arrive quelquefois, et Haüy en connaissait déjà les principaux exemples, que cette loi n’est pas respectée. Je comprends, sous l'expression commune d’hémiédrie, tous les cas où cette loi de symétrie n’est pas satisfaite. 1° Pour des motifs que j'ai indiqués dans un mémoire précédent, il est nécessaire de séparer les formes hémiédriques en deux classes. Lorsqu'un cristal est hémiédrique, on peut, dans certains cas, imaginer un autre cristal identique au premier dans toutes ses parties respec- tives, mais qui ne lui soit pas superposable; à peu près comme il existe une main droite identique, mais non superposable à la main gauche. Ce genre d'hémiédrie, que l’on pourrait appeler Lémiédrie non superposable, n’est pas le seul qui puisse s'offrir. Le tétraèdre régulier, le rhomboëdre, sont des formes hémiédriques; mais tous les tétraèdres réguliers sont superposables, tous les rhomboëdres de même angle le sont également. 2° Dans mes premiers travaux, accueillis par l'Académie avec tant de bienveillance, j'ai montré qu'il existait une connexion étroite entre l’'hémiédrie non superposable et le phénomène de la polarisation rota- toire moléculaire. 3 Cela posé, une question se présentait naturellement à l'esprit. Toutes les substances, aujourd’hui très nombreuses, qui dévient le plan de polarisation, lorsqu'elles sont en dissolution, ont-elles des formes cristallines hémiédriques? Réciproquement, l’hémiédrie accuse-t-elle toujours l'existence de la propriété rotatoire? J'entends parler iei de 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 30 septembre 1850, XX XI, p.480-483. 122 ŒUVRES DE PASTEUR l'hémiédrie non superposable ; car ces questions sont déjà, en partie, résolues pour ce qui regarde l’hémiédrie superposable. C'est à la solution de ces questions importantes, et très distinctes l’une de l’autre,que je viens apporter quelques nouvelles observations. Les faits que j'ai recueillis cette année se rapportent à l’asparagine, à l'acide aspartique, à la combinaison du glucose avec le sel marin, et au formiate de strontiane. 4° En examinant attentivement la forme cristalline de l'asparagine, j'ai reconnu d’une manière indubitable que tous les cristaux de cette substance sont hémiédriques. L'hémiédrie est, en outre, non superpo- sable. IL était donc probable que cette substance devait jouir de la propriété rotatoire moléculaire, et c’est, en effet, ce que l’expérience a confirmé. Le pouvoir rotatoire de l’asparagine s'exerce à gauche, quand l'asparagine est en dissolution dans l'eau ou dans les alcalis; il s'exerce, au contraire, à droite et d’une quantité relativement beaucoup plus considérable, quand l’asparagine est en dissolution dans les acides minéraux. 5° Les relations qui unissent l’asparagine à l'acide aspartique indi- quaient l'existence probable de la propriété rotatoire dans l'acide aspartique. En effet, l'acide aspartique dévie le plan de polarisation des rayons lumineux, et son pouvoir rotatoire a de grandes analogies avec celui de l’asparagine. 6° Enfin les recherches récentes des chimistes tendant à faire admettre que l'asparagine est l'amide de lacide malique, j'étais conduit à rechercher le pouvoir rotatoire dans l'acide malique et les malates. L'expérience encore a répondu à mon attente. L'acide malique, et les sels qui en dérivent, ont la propriété de dévier le plan de polarisation des rayons lumineux; et j'ai retrouvé l'hémiédrie non superposable dans plusieurs malates. Mais il est un fait sur lequel je veux surtout insister à propos de l'acide malique. Cet acide offre, dans les particularités de son pouvoir rotatoire, des analogies très grandes avec les acides tartriques droit et gauche ; et ces analogies conduisent naturellement à penser qu'il existe d'intimes relations d'arrangements moléculaires dissymétriques, entre l'acide malique et l'un ou l’autre des deux acides tartriques. Il est très vraisemblable qu'il doit exister, entre l'acide malique et l’un des deux acides tartriques, droit ou gauche, un groupement moléculaire commun, avec la modification que peut appor- ter, dans ce groupement, la différence de composition de ces acides. Cette idée, suggérée par les propriétés physiques, de l'existence d’un groupement moléculaire commun entre l'acide malique et l’un ou l’autre des deux acides tartriques, est bien éloignée de répugner aux DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 12: apparences que nous présente l'organisme. Dans les végétaux, partout où l’on trouve de l'acide malique, on trouve de lacide tartrique, et inversement. Peut-être la nature se sert de l’un de ces acides pour faire l’autre. Cette remarque porte même à soupçonner que le groupe- ment moléculaire en question serait commun à l'acide malique et à l'acide tartrique droit ordinaire; car c'est l'acide tartrique droit que l’on trouve en compagnie de l'acide malique, dans les fruits acides. Les relations qui existent entre les propriétés des deux acides tar- triques droit et gauche, donnent à ces inductions une importance toute particulière. Car, s’il existe un groupement moléculaire dissymétrique, commun entre l'acide tartrique droit et l'acide malique du sorbier, on doit présumer, par similitude, qu'il existera aussi un groupement moléculaire commun entre l'acide tartrique gauche et un acide malique encore inconnu, lequel serait à l'acide malique actuel des chimistes ce que l’acide tartrique gauche est à l’acide tartrique droit. En d’autres termes, il y aurait deux acides maliques, l’un droit et l’autre gauche, comme il y a deux acides tartriques. 7° Je donne ensuite, dans mon travail, une étude détaillée de la forme cristalline et du pouvoir rotatoire, de la combinaison du glucose avec le sel marin. Je regrette de ne pouvoir entrer ici dans les curieuses particularités de la forme cristalline de cette combinaison. Je dirai seulement qu'elle jouit de l’hémiédrie non superposable, qu’elle appartient au système du prisme rhomboïdal droit et que tous ses cristaux, quoique parfaitement limpides et simples en apparence, sont toujours le résultat du groupement de plusieurs cristaux ; comme l’arragonite, le sulfate de potasse, etc., en offrent des exemples. 8° Je termine par l’examen de la cristallisation du formiate de stron- tiane. Si l’on étudie avec soin les cristaux de formiate de strontiane, on reconnaît que, dans toute cristallisation de ce sel, ily a toujours deux espèces de cristaux, les uns hémièdres à droite, les autres hémièdres à gauche, identiques, mais non superposables. Cependant, si l’on isole les cristaux droits et les cristaux gauches, qu'on les dissolve à part, ni l’une ni l’autre des deux dissolutions n’agit sur la lumière polarisée. Ceci conduit à supposer que l'hémiédrie du formiate de strontiane ne tient pas à l’arrangement des atomes dans la molécule chimique, mais à l’arrangement des molécules physiques dans le cristal total; de telle manière, que la structure cristalline une fois disparue dans l’acte de la dissolution, il n’y a plus de dissymétrie; à peu près comme si l’on construisait un édifice, ayant la forme exté- rieure d’un polyèdre qui offrirait l’émiédrie non superposable, et que l’on détruirait ensuite. Il ne resterait plus rien de la dissymétrie pri- 12% ŒUVRES DE PASTEUR mitive, apres la destruction de l’ensemble. Aussi, quand on fait cristalliser de nouveau des cristaux droits ou des cristaux gauches de formiate de strontiane, chaque espèce unique fournit les deux espèces de cristaux. Nous voyons donc ici l’hémiédrie, et même l’hémiédrie non super- posable, exister dans des cristaux, sans y être accompagnée de la propriété rotatoire moléculaire, comme le quartz en offre déjà un exemple. Si l’analogie avec le quartz était complète, le formiate de strontiane jouirait de la propriété rotatoire à l’état cristallisé; et, tantôt il l’exercerait à droite, tantôt il l’exercerait à gauche, comme les deux variétés plagièdres du quartz, si toutefois l'existence des deux axes optiques, dans le formiate, ne met pas obstacle au phénomène. C'est une étude que je soumettrai ultérieurement à l'Académie. Déjà, j'ai signalé une substance qui possède l’hémiédrie non super- posable, sans être accompagnée de la propriété rotatoire moléculaire : c'est le sulfate de magnésie. Mais je me hâte d'ajouter que le formiate de strontiane et le sulfate de magnésie offrent des particularités, dans leurs formes cristallines, qui permettent de concevoir l'absence de toute propriété rotatoire dans ces substances, bien qu’elles jouissent de lhémiédrie non superposable. En effet, l'inspection des angles de la forme cristalline du formiate de strontiane montre que, si l’un des angles seulement était différent de ce qu'ilest, de 1°,17!, il serait impossible, en orientant convenable- ment les cristaux, de distinguer les cristaux droits des cristaux gauches ; et l’hémiédrie du formiate de strontiane deviendrait une hémiédrie superposable. Or jusqu'ici, dans tous les cas que j'ai eu occasion d'étudier, je n'ai jamais trouvé la propriété rotatoire coexistant avec l’hémiédrie superposable; et j'ai même de fortes raisons de croire que cela n’est pas possible. Il est très curieux que le sulfate de magnésie et ses isomorphes offrent une particularité tout à fait analogue. En effet, la forme de ces sulfates est un prisme droit à base rhombe, avec deux modifications sur les arêtes parallèles à chaque base, conduisant à un tétraèdre irré- gulier. C’est là l’hémiédrie non superposable. Mais l'angle du prisme de ces sulfates est de 90 à 919, et le prisme rhomboïdal droit est dès lors très voisin du prisme à base carrée. Il en résulte que l’hémiédrie, quoique non superposable rigoureusement, n’est éloignée que de quelques minutes de l’hémiédrie superposable, que n’accompagne pas jusqu’à présent la propriété rotatoire. On peut voir, sur des modeles de cristaux que je présente ici, la particularité de la cristallisation du formiate de strontiane.) NOUVELLES RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI PEUVENT EXISTER ENTRE LA FORME CRISTALLINE, LA COMPOSITION CHIMIQUE ET LE PHÉNOMÈNE DE LA POLARISATION ROTATOIRE (1) 1. Tout le monde connait cette loi simple et remarquable de la cristallographie, due au célèbre minéralogiste Haüy, laquelle veut que, dans un cristal, les parties identiques soient toutes modifiées en même temps et de la même manière. C’est la lot de symétrie. Or, il arrive quelquefois, et Haüy en connaissait déjà les principaux exemples, que cette loi n’est pas respectée. Ainsi, dans un prisme droit à base rhombe, les arêtes des bases sont géométriquement identiques, comme étant les intersections de faces identiques se coupant sous le même angle. Que lune de ces arêtes porte une modification, on devrait, d’après la loi de symétrie, la retrouver sur toutes les autres arêtes. Souvent néanmoins la modification n'existe que sur deux arêtes parallèles à chaque base, et les quatre facettes modifiantes suffisam- ment prolongées donnent lieu à un tétraëedre irrégulier. Je comprends sous la seule expression d’hémiédrie, empruntée aux minéralogistes allemands, tous les cas analogues à celui-ci, où la loi de symétrie de Haüy n’est pas satisfaite. Pour des motifs que j'ai indiqués dans un Mémoire précédent, il est nécessaire de séparer les formes hémiédriques en deux classes. Lorsqu'un cristal est hémiédrique, on peut, dans certains cas, imaginer un autre cristal hémiédrique identique au premier dans toutes ses parties respectives, mais qui ne lui soit pas superposable, à peu près comme il existe une main droite identique mais non superposable à la main gauche. Ce genre d’hémiédrie, que lon pourrait appeler hémiédrie non superposable, n’est pas le seul qui puisse s'offrir; et même les principaux exemples d’hémiédrie rencontrés dans le règne 1. Annales de chimie et de physique, 8° série, XXXI, 1851, p. 67-102 (avec 9 fig.). — Ce Mémoire a fait l'objet d’un rapport de M. Biot qu'on trouvera à la fin du présent volume : Document ILL. (Note de l'Édition.) ù 125 ŒUVRES DE PASTEUR minéral ne présentent pas ce caractère. Ainsi la forme primitive de la boracite et de la blende est le tétraèdre régulier. Or il est impossible d'imaginer un tétraèdre régulier qui ne soit pas superposable à un autre tétraèdre régulier. La forme primitive hémiédrique du spath l: or, tous les rhomboëdres de d'Islande est un rhomboëdre de 105°,5 105°,5' sont superposables. J'en dirais autant du dodécaèdre pentagonal, de la pyrite jaune et des formes cristallines hémiédriques de l’apatite, de la schéelite et de la pyrite de cuivre. Pendant très longtemps on ignora complètement quelle pouvait être la cause de cette dissymétrie de la forme cristalline. Il n’existe qu'un seul travail, celui de M. Delafosse, où, pour la première fois, on ait essayé d'établir que ce phénomène de l’hémiédrie tenait à la constitution intime du cristal. Pour rendre compte du phénomène, M. Delafosse s'arrête à la structure interne, à la disposition des molécules physiques, sans aller jusqu’au mode d’arrangement des atomes dans la molécule chimique. Il est probable que dans plusieurs cas, et notamment pour le quartz, le phénomène de l’hémiédrie n’a pas une cause plus profonde; mais souvent aussi ce phénomène tient à l’arrangement même des atomes dans la molécule chimique (f). Tel est probablement, par exemple, le cas de lhémiédrie de lacide tartrique. 2. Dans mes premiers travaux, accueillis par l'Académie avec tant de bienveillance, j’ai montré qu’il existait une connexion étroite entre l’hémiédrie non superposable et le phénomène de la polarisation rotatoire moléculaire. L’acide tartrique et les sels qui en dérivent, à l’état de dissolution, ont la propriété de dévier le plan de polarisation des rayons lumineux. Or ces substances sont toutes hémiédriques, et, en outre, celte hémiédrie est, en général, orientée de la même manière par rapport à certaines faces principales que l’on retrouve dans toutes ces formes des tartrates. Il était dès lors probable que la dissymétrie de la forme correspondait à cette dissymétrie accusée par le phénomène rotatoire. Le fait devint plus prochain lorsque j'eus découvert dans lacide racémique de Thann un acide identique à l'acide tartrique pour toutes ses propriétés, si ce n’est par la position des facettes hémiédriques dans sa forme cristalline et par le sens du pouvoir rotatoire. Si, devant une glace, on imagine placés l'acide tartrique et ses sels cristallisés, on verra des images qui, quoique identiques avec les réalités qui les produisent, ne leur sont pas 1. Dans le développement de ses savantes lecons à l’École Normale, M. Delafosse rendait compte également de l'hémiédrie par l'hypothèse d'un arrangement moléculaire spécial des atomes dans la molécule chimique. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 127 superposables, parce que celles-ci sont des polyèdres géométri- quement symétriques, et ces images, d'autre part, sont les formes mêmes de la série lévoracémique. Je rendrai ma pensée d’une manière plus abrégée, et toujours très juste, en disant qu'il existe un acide tartrique droit et un acide tartrique gauche, assimilant iei la relation de formes de ces acides à la relation qui existe entre la main droite et la main gauche. 3. Cela posé, une question se présentait naturellement à l'esprit. Toutes les substances, aujourd’hui très nombreuses, qui dévient le plan de polarisation lorsqu'elles sont en dissolution, ont-elles des formes cristallines hémiédriques ? Réciproquement, l’hémiédrie accuse-t-elle / toujours l'existence de la propriété rotatoire (1)? C’est à la solution de ces questions importantes, el très distinctes l’une de l’autre, que je viens apporter quelques nouvelles observations. Les faits que j'ai recueillis cette année se rapportent à l’asparagine, à l'acide aspartique, à l’acide malique, à la combinaison du glucose avec le sel marin, et au formiate de strontiane ?). I. — Asparagine. 4. L’asparagine a été découverte dans les asperges, par Robiquet [ 8 8 I et Vauquelin. Plusieurs travaux remarquables ont été publiés sur cette magnifique substance. On la trouvée dans un grand nombre de plantes, notamment dans la guimauve, la réglisse, la vesce, les pois 1. J'ai ici en vue l’hémiédrie non superposable, car les questions que je pose sont déjà en partie résolues pour ce qui regarde l’hémiédrie superposable. D'une part, en effet, je n'ai pas encore rencontré de substances jouissant de la propriété rotatoire et qui offrissent l'hémiédrie superposable ; d'autre part, on connaît beaucoup de substances qui ont l'hémiédrie superposable et qui ne possèdent pas le pouvoir rotatoire. J'ajouterai que dans ce Mémoire, comme dans ceux qui l'ont précédé, j'entends toujours parler de la propriété rotatoire moléculaire (de celle qui se manifeste par la déviation du plan de polarisation lorsque la substance est en dissolution), à moins d’avertir spécialement du contraire. 2. Dans le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur a supprimé les deux pages précédentes et les a remplacées par ces lignes : « Tous les corps doués de la propriété rotatoire moléculaire ont-ils des formes cristallines dissymétriques à image non superposable? En d’autres termes, l'acide tartrique constitue-t-il un exemple isolé, ou bien les caractères qu'il nous a offerts sont-ils régis par une loi générale applicable à toutes les combinaisons douées d'une action moléculaire rotatoire ? « Les observations contenues dans ce mémoire et les deux suivants [p. 160 et 203] ne laisseront aucun doute dans l'esprit. Elles n’embrassent pas tous les corps actifs sur la lumière polarisée, mais un certain nombre pris au hasard et l'ensemble des preuves montrera que les mémoires précédents ont mis en lumière une loi générale de la nature qui ne souffre probablement que de rares exceptions. « Le travail que l’on va lire n'a pas seulement pour but de faire connaître de nouveaux exemples de la corrélation du phénomène rotatoire et de l’hémiédrie, Il établit entre les acides 128 ŒUVRES DE PASTEUR et les autres légumineuses. Sa préparation, au moyen de la vesce, est extrèmement facile et sûre. Un pharmacien de Pise, M. Menici, obtint, en 184%, dans le jus de la vesce étiolée, après son évaporation, de beaux cristaux qu'il remit à M. Piria. Cet habile chimiste reconnut leur identité avec l’asparagine de la guimauve et publia bientôt de nouvelles observations fort curieuses, parmi lesquelles on distingue surtout la transformation de l’asparagine en bimalate et en succinate d’ammoniaque. 5. J'ai obtenu de la manière suivante l’asparagine qui a servi à mes recherches. Dans une grande cave j'ai fait transporter de la terre de jardin, à une hauteur de 6 à 7 centimètres, et j'ai semé ensuite de la vesce commune. Au bout de quinze jours ou trois semaines, les tiges de la vesce, simples, sans ramifications, incolores, avaient acquis une longueur variable de 40 à 60 centimètres. On a arraché la plante, on l’a lavée à grande eau, puis elle a été broyée et exprimée sous la presse. Elle a fourni 70 pour 100 d’un jus qui, porté à l’ébulli- üon, devint limpide et facile à filtrer. Ce jus renfermait 5 à 6 grammes d’asparagine par litre. Pour retirer cette substance, il suffit d’évaporer le jus. L’asparagine se dépose, par refroidissement, en cristaux bruns qu'on lave avec de l’eau et qu’on fait cristalliser de nouveau. Cette deuxième cristallisation donne de lasparagine presque tout à fait blanche et pure (1. M. Piria rapporte, dans son Mémoire (?), que la vesce qui a poussé en plein air, à la lumiere directe, fournit, par le mode de préparation précédent, tout autant d’asparagine que la vesce étiolée. Il ajoute seulement que lasparagine disparaît au commencement de la floraison et pendant la fructification. Aussi je suis très étonné d’avoir obtenu le résultat suivant, qui est tout à fait contraire à celui que je viens de rapporter. Guidé par les expériences de M. Piria, et n’ayant pour but que de préparer, pour mes recherches, une grande quantité d’aspa- tartrique et malique des relations importantes et il prouve en outre que le pouvoir rotatoire d'une combinaison persiste tant qu'on n’a pas fait subir à celle-ci des modifications capables d’altérer profondément son type moléculaire. Le pouvoir rotatoire de l'asparagine se retrouvera dans l'acide aspartique et dans l'acide malique. Mais il cesse de se montrer dans les acides pyrogénés des acides tartrique et malique. Rien n'établit mieux le caractère moléculaire de l'action optique que cette persistance du phénomène rotatoire dans des produits très différents quant à leur composition chimique, mais entre lesquels existent des analogies de constitution qui permettent de les envisager comme des dérivés d'un même type. L'asparagine, l'acide aspartique et l'acide malique sont dans ce cas ». (Note de l'Edition.) 1. L'évaporation du jus se fait à feu nu et à l'ébullition sans inconvénient. La première cristallisation affecte quelquefois la forme de feuilles de fougère, surtout quand on opère sur de petites quantités. 2. Prrra. Note sur l'asparagine. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XIX, 1844, p. 575-577. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 129 ragine, j'ai semé de la vesce dans le jardin de l’Académie de Strasbourg, et, plusieurs jours avant sa floraison, je l'ai traitée comme je l'ai dit plus haut. J’ai obtenu 200 litres de jus brut, d’où j'aurais dû retirer plus de 1 kilogramme d’asparagine pure, et cependant je n’en ai pas obtenu du tout. C’est alors que j'ai transporté la terre du même jardin dans la cave, et que j'ai fait l'opération qui a été rapportée tout à l’heure sur de la vesce étiolée. Ce sujet mérite donc de nouvelles études. 6. Forme cristalline. — En étudiant attentivement la forme cristalline de l’asparagine, j'ai reconnu d’une manière indubitable que tous les autres cristaux de cette substance étaient hémiédriques. La forme cristalline de l’asparagine est un prisme droit à base Fi. 1. rhombe PML (fig. 1)[f. Les angles aigus sont modifiés par les facettes « et les arêtes par les facettes (fig. 2). Voici les angles des faces : P — 90,00 PDA 657 a 4120746: D’après la loi de symétrie que j'ai rappelée précédemment, les huit arêtes des bases devraient être modifiées en même temps et de la même manière que les facettes 2. Or, si l’on place le cristal devant soi, la face P horizontale, et le plan passant par les grandes diagonales des bases parallèle au corps de l’observateur, jamais on ne verra les quatre arêtes B porter les facettes 4. Deux arêtes opposées seulement à chaque base sont modifiées,let, si on prolongeait les quatre facettes hémiédriques, elles conduiraient à un tétraèdre irrégulier. Le cristal étant orienté comme on vient de le dire, si l’observateur ne fait attention qu’à la base supérieure, ce sera toujours à sa gauche qu’il aura la facette hémiédrique la plus voisine de lui. Nous avons ici affaire à un cas d’hémiédrie non superposable, car 1. « Le dessin donné pour l'asparagine ne représente pas sa forme la plus habituelle, la faire recristalliser. » (Note de Pasteur pour le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 9 130 ŒUVRES DE PASTEUR on peut imaginer un cristal identique à celui que représente la figure dans toutes ses parties respectives, mais qui ne lui soit pas super- posable. Il suffit, pour obtenir un tel cristal, d'imaginer que les quatre arêtes B portent les facettes k. Ces facettes prolongées donneront un tétraèdre symétrique du tétraèdre dont nous avons parlé tout à l'heure. Il ne serait pas impossible qu’on découvrit un jour une substance qui aurait cette forme cristalline symétrique de la forme de l’asparagine actuellement connue (1); il y aurait, entre ces deux espèces d’asparagine, la même relation qu'entre les deux acides droit et gauche. 7. Pouvoir rotatoire (?). — Lorsque je fus assuré de l’existence de l’hémiédrie dans tous les cristaux d’asparagine, je pensai que cette substance pouvait jouir de la propriété rotatoire moléculaire, et cette prévision s’est, en effet, réalisée. L’asparagine, en dissolution dans l’eau ou dans les alcalis, dévie à gauche le plan de polarisation. Elle le dévie, au contraire, à droite, quand elle est en dissolution dans les acides. L’asparagine est très [peu soluble dans l’eau froide. Cette circonstance, jointe à la faiblesse du pouvoir rotatoire, fait qu’une dissolution aqueuse d’asparagine saturée à 8 ou 10° ne donne pas, dans le tube de 50 centimètres, une déviation sensible à l’œil, même en faisant usage de la double plaque de M. Soleil. La dissolution saturée à 25° donne déjà une déviation appréciable, qui devient manifeste si l’on observe une solution chaude concentrée. 8. Dès les premières recherches sur l’asparagine, on reconnut qu’elle se transformait, en présence des alcalis, en une nouvelle substance, acide, que l’on a désignée sous le nom d’acide aspartique. La formule de l’asparagine cristallisée est C3 H10AZ208 ; 1. Variante pour le volume projeté par Pasteur : « Il est très probable qu'on découvrira un jour une substance qui aura cette forme cristalline symétrique de la forme de l’asparagine actuellement connue. » (Note de l'Edition.) 2. Je ferai remarquer que toutes les déterminations de pouvoirs rotatoires que l'on trouve dans ce Mémoire ont été prises, soit avec l'appareil de M. Biot, placé dans un cabinet obscur disposé comme l’a souvent recommandé M. Biot dans ses travaux, soit avec l'appareil modifié de M. Soleil. J'ai eu souvent occasion de comparer les résultats fournis par les deux appareils. Presque toujours j'ai trouvé que les différences tombaient dans les limites des erreurs d'observation. Lorsque l'amplitude des déviations le permettait, j'ai opéré avec le verre rouge, notamment lorsqu'il s’est agi des dissolutions d'asparagine et d'acide aspartique dans les acides minéraux, et j'ai reconnu que le rapport des déviations de la teinte de passage et du verre rouge était sensiblement égal à 7° N'étant pas assuré que dans tous les cas il en serait ainsi, j'ai toujours calculé le pouvoir rotatoire correspondant à la teinte de passage, afin d’avoir une notation uniforme pour chaque expérience. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 131 celle de l’acide aspartique cristallisé est CS H7Az O8. On a donc CS H10 Az208 — CSH7 Az OS + Az HS. EE D tt Sn Asparagine. Acide aspartique. Les alcalis déterminent par conséquent la séparation des éléments de l’ammoniaque. De là un mode de préparation de lacide aspartique. On fait bouillir lasparagine en solution dans la soude, la potasse, la baryte, etc., puis on sature l’alcali par un acide, et l’acide aspartique, très peu soluble dans l’eau, se précipite en presque totalité. Cette transformation s'exécute même à froid. Que lon dissolve, par exemple, de lasparagine dans de la soude caustique en solution même peu concentrée, et, au bout d’un certain temps, quelquefois même immédiatement, la liqueur répand une forte odeur d’ammo- niaque. Mais pour que cette transformation soit complète, il faut faire bouillir la liqueur. Aussi, quand on a dissous lPasparagine dans un alcali, si l’on sature l’alcali par un acide immédiatement, l’asparagine se précipite en petits cristaux. L’acide borique convient bien pour effectuer cette opération. Les acides produisent le même phénomène que les alcalis, L’asparagine, en dissolution dans les acides, se transforme, soit à froid, soit à chaud, en acide aspartique. Un très bon moyen de préparer l’acide aspartique consiste à faire bouillir une solution d’asparagine dans Pacide nitrique, l’acide chlorhydrique, etc.; on sature ensuite l’acide par le marbre, et l'acide aspartique se dépose en petits cristaux. Cette transformation n’est pas non plus instantanée, car si l’on sature l'acide après que la dissolution de lPasparagine s’est opérée, c’est alors de l’asparagine qui se précipite en abondance. J'ai rappelé les faits précédents, qui paraissent accuser une analogie très grande entre la manière d’agir des acides et des alcalis sur l’asparagine, afin de mieux appeler l'attention sur la grande différence qui existe entre le pouvoir rotatoire des solutions acides et des solutions alcalines de cette substance. 9. Asparagine en dissolution dans la soude. — L’asparagine se dissout très facilement dans la soude caustique. La température du liquide s’abaisse un peu pendant la dissolution. Pour suivre la notation qui a été adoptée par M. Biot dans tous ses Mémoires, je désignerai par : la proportion pondérable de la substance active dans 132 ŒUVRES DE PASTEUR l'unité de poids de la solution; par e la proportion pondérable de substance inactive: par ? la densité de la solution rapportée à celle de l’eau à 4°; par / la longueur du tube d'observation. On a alors en désignant par [x]; la valeur du pouvoir rotatoire correspondant à la teinte de passage, et par x la déviation de la teinte de passage observée. Les résultats de trois expériences sont rassemblés dans le tableau suivant : Proportion pondérable d'asparagine . . . .|:—0,17899 | 0,088899 Proportion de substance inactive. . . . . .|e—0,82101 0,911101 Densité . , . . .| à —1,0950 1,07883 Température corr respondant : à la densité + 220,5 89,5 Température de l'observation. . . . . . . 220 89,5 Longueur du tube . . . . . . . . . . . .| 1—500 mm.| 500 mm. Déviation de la teinte de passage . . . . .|x—7°,68 a 39,6 à Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres. . .|[«]; ——7°,84 — 70,50 Les expériences 1 et 2 ont été faites avec une solution de soude caustique renfermant 4 gr. 84 de soude Na O pour 100. L'expérience 3 a été faite avec une solution renfermant 12 gr. 69 pour 100 de NaO. Si les faibles différences des trois pouvoirs rotatoires observés ne tombaient pas dans les limites d’erreurs des expériences, on pourrait croire que le pouvoir rotatoire diminue lorsque la proportion de soude caustique augmente. 10. Asparagine en dissolution dans l’ammoniaque. — L’asparagine se dissout avec une très grande facilité dans l’ammoniaque. Si l’on abandonne la liqueur au contact de l'air, elle perd son ammoniaque, et l’asparagine se dépose en cristaux d’une limpidité admirable. J'ai observé une dissolution composée comme il suit : Proportion pondérable d'asparagine. . . . . . e —0,127188 Proportion de solution ammoniacale . . . .. e—0,872812 Densité de la liqueur à 18°. . . . . - . . . . . à — 1,01548 Température de l'observation . . . . . . . .. —H100 Déviation de la teinte de passage . . . . . . . œ — 702 Longueur du tube . . . . . te PAUSE 1— 500 Pouvoir rotatoire pour 100 tes x]; —— 11918; DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 133 On voit que le pouvoir rotatoire de la solution ammoniacale d’asparagine est plus grand que celui de la solution sodique. 11. Asparagine en dissolution dans les acides. — J'ai observé le pouvoir rotatoire de l’asparagine en dissolution dans les acides nitrique, chlorhydrique, sulfurique, citrique. Un fait curieux se présente ici. Tandis que lasparagine en solution aqueuse ou alcaline dévie à gauche le plan de polarisation, l’asparagine en solution dans les acides le dévie à droite, et d’une quantité relativement beaucoup plus considérable. Ce résultat est digne d'attention, parce que, d’après les observations chimiques aujourd’hui connues, et que j'ai rappelées précédemment, l’action chimique des alcalis et des acides sur l’aspa- ragine est à peu de chose près la même. D'autre part, en se dissolvant dans les acides, l’asparagine n’éprouve tout d’abord aucune modifi- cation profonde. La dissolution se fait avec un léger abaissement de température, et si l’on sature tout de suite l'acide, l’asparagine se précipite en cristallisant. 12. Asparagine et acide nitrique. — J'ai fait avec cet acide plusieurs expériences afin d'étudier les variations du pouvoir rotatoire avec la proportion d’acide et avec la proportion d’eau. Je ne rappor- terai ici qu’une expérience qui a été faite avec un acide marquant 14°B. et ayant une densité de 1,1102 à 220, Proportion pondérable d'asparagine . . . . . . e—0,141083 Proportion d act de MitRIqQUE CEE e — 0,88917 Densité de la liqueur à 22° : 0— 1,130 Température de l'observation. . . . .... - .. —)0 Lonsnene die à à 6 6 2 5 © à © à mo cb 1— 500 Déviation de la teinte de passage . . . . . . . . a — 22908 Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres. . . . . [al;—+35°09. 13. Asparagine et acide chlorhydrique. — L’acide chlorhydrique marquait 9,5 à l’aréomètre de Baumé à la température de232,5ret avait une densité de 1,0706 à la température de 2%. J'ai formé une solution dont voici les éléments : Proportion pondérable d’asparagine. 20 141259 Proportion d’acide chlorhydrique . . . . . . . e — 0,888747 Densité de la liqueur à 219,2. SALE à — 1,10268 Température de l'observation (1) . Déviation de la teinte de passage . HUE 12 … Longueur du tube . . . .. Ce 1— 500 Pouvoir rotatoire olcoline e er 100 mm.. [xl ——+344. J'ai aussi déterminé le pouvoir rotâtoire de l’asparagine en 1. La température n’est pas indiquée. (Note de l'Édition.) 131 ŒUVRES DE PASTEUR solution dans l'acide sulfurique et dans l’acide citrique. Avec l'acide sulfurique marquant 20°,5 à l’aréomètre de Baumé, le pouvoir rotatoire a été de 35,42 4; et avec l'acide citrique renfermant 20,58 pour 100 d’acide citrique cristallisé, le pouvoir rotatoire n’a été que I 12°,5 {'. L’asparagi st b ins soluble dans lPacid de + 12°,5 {. L’asparagine est beaucoup moins soluble dans lPacide citrique que dans les acides minéraux. IT. — Acide aspartique. 14. En considérant les résultats qui précèdent et les relations qui unissaient l’acide aspartique à l’asparagine, l’étude optique de l'acide aspartique offrait un intérêt tout particulier. L'expérience va nous apprendre que cet acide dévie le plan de polarisation, et même qu’il y a beaucoup d’analogie entre son pouvoir rotatoire et celui de l’asparagine. L’acide aspartique est beaucoup moins soluble dans l’eau que l’'asparagine. Je n'ai donc pu étudier le pouvoir rotatoire de la solution aqueuse; mais l’acide aspartique est soluble dans les alcalis et dans les acides. En solution dans les alcalis, il exerce la rotation à gauche, tandis qu'en dissolution dans les acides il lexerce à droite, et d’une quantité relativement beaucoup plus considérable. 15. Acide aspartique et ammontaque. — Le pouvoir rotatoire de l'acide aspartique en solution dans les alcalis est très faible. Aussi je ne donne les deux expériences suivantes que comme une approxi- mation. Proportion d'acide aspartique cristallisé . . . e —0,0402 Proportion de solution ammoniacale renfer- man til) de poids d'AZ HE RE EEEE e —0,9598 Densité dela liqueur PERRET d —1;0230 OR EAGNENNES LS 5 à 25 à a+ 0 a ue 00 1 — 500 Déviation de la teinte de passage . . . . . . . x — 24 L Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres . . . . [xl; ——11°67, 16. Acide aspartique et soude caustique. — Le pouvoir rotatoire de l'acide aspartique en solution sodique est plus faible encore que celui de la solution ammoniacale. Une solution composée de : AGITE AS PATIIQUe LS CCE OO UE SOUDE CAUSTIQUES 0. CR ON UODS 1,00000 et ayant une densité de 1,0794 à 23° ‘a donné dans le tube de DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 135 500 millimètres une déviation à gauche de 1°,2 seulement. La soude caustique renfermait 4 gr. 84 pour 100 de soude NaO. Calculé d’après ces données, le pouvoir rotatoire serait égai à 20,22 DE Ce résultat, à cause de la faible valeur de +, ne peut être considéré que comme une approximation. 17. Acide aspartique et acide chlorhydrique. — Aïnsi qu'il arrive pour l’asparagine, le pouvoir rotatoire de l’acide aspartique en solution dans les acides s'exerce à droite. Proportion d'acide du dans l'unité 8 TOCE AMEN SE e —,0,050943 Proportion d'acide c He é dri 1e mem OP IB MEN Pen Is VMS 1e e — 0,949057 Densité la quete. à 22e. NC D ou 2 à — 1,08924 Température de l'observation . Les == 797) MONBUEURAUMUDE RER 1=500 Déviation de la teinte de passage. . . . . . x —7°68 re Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres . . [x]; — + 27°68 ( 18. Influence de l'acide nitrique sur l'asparagine. — J'ai cherché à reconnaître par l’examen du pouvoir rotatoire quelle était l'influence de l'acide nitrique sur l’asparagine. Une solution nitrique d’asparagine composée comme il suit : Proportion d’asparagine dans l'unité de poids . . . . 0,171752 Proportion d'acide nitrique à 36° B. . . . . . . . . . 0,828248 a été portée à l’ébullition pendant plus d’une heure dans un appareil distillatoire. J’ai réuni le liquide qui avait passé dans le récipient à celui qui restait dans la cornue. Le volume primitif de la solution avait varié de 1 centimètre cube environ. J'ai rajouté 1 centimètre cube d’acide nitrique afin de rétablir le volume primitif, et alors la solution observée dans un tube de 220 millimètres a donné une déviation de + 13°,68 /” pour la teinte de passage. Afin de rechercher quelle avait été l'influence de l'acide nitrique pendant lébullition prolongée de la liqueur, j'ai composé une nouvelle dissolution d’asparagine dans l'acide nitrique, identique à la précédente, et je l’ai observée dans le même tube de 220 milli- 1. Je dois faire remarquer que cette expérience est entachée d’une légère cause d'erreur. L'acide aspartique que j'ai employé avait été préparé par l’action de l'acide nitrique sur l’asparagine. L’acide nitrique avait été saturé ensuite par de gros morceaux de marbre. Un des morceaux, aminci sur les bords par l'action de l'acide nitrique, s'était brisé et avait été mêlé aux cristaux d’acide aspartique. Pendant la dissolution de ce dernier acide, le petit fragment de marbre s'est dissous avec désagement d'acide carbonique. Son poids ne s'élevait pas à O gr. 2. 136 ŒUVRES DE PASTEUR mètres, tout de suite après que la dissolution de l’asparagine a été achevée : Proportion d° asparagine. Proportion d'acide nitrique à 36° B* Densité du liquide à 21°,2 . Température de l'observation Déviation de la teinte de passage x Longueur du tube d'observation. . . . . . . . l Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres 2j 0,171752 0,828248 3303 O7 © m ï ( I IL Il L L 1, 229 19°53 220 + 38286. Ainsi, par l’ébullition de la liqueur première, la déviation est descendue de 19°,53 à 13°,68. Cette expérience indique, ce que nous savions par ce qui précède, que le pouvoir rotatoire de lacide aspartique en solution dans l'acide nitrique est moindre que celui de l’asparagine dans le même acide. Il restait encore à déterminer si toute l’asparagine avait passé à l’état d’acide aspartique dans cette opération. J’ai alors composé une solution nitrique d'acide aspartique renfermant une proportion d’acide aspartique égale à celle que pouvait fournir toute l’asparagine contenue dans les liqueurs précédentes, ce qui est très facile d’après les for- mules chimiques de lasparagine et de lacide aspartique. Cette nou- velle dissolution renfermait : Proportion d'acide aspartique CR 07e Proportion d'acide nitrique à 36° B. . . . . . . . . . . (0,8446. Elle a donné dans le tube de 220 millimètres, pour la teinte de passage, 14°,1 47: Or, après l’ébullition, la solution nitrique d’aspa- ragine avait donné dans le même tube + 139,68 /” - Toute l’aspa- ragine a donc été transformée par l'acide nitrique en acide aspartique. IIT. — Acide malique et malates. 19. Les chimistes sont arrivés à ce résultat remarquable, que l’asparagine devait être considérée comme l’amide de l'acide malique. La composition de l’asparagine ne diffère de celle du malate neutre d’ammoniaque que par les éléments de l’eau, et l’on peut transformer l’asparagine en ammoniaque et en bimalate d’ammoniaque par l'acide hypoazotique. C'était dès lors une recherche bien curieuse que celle de la propriété rotatoire dans l'acide malique et les sels qui en dérivent. L'expérience va nous montrer qu’en effet cette propriété y existe. DISSYMÉËTRIE MOLÉCULAIRE 137 20. Pouvoir rotatoire de l'acide malique. — L’acide malique en dissolution dans l’eau dévie à gauche le plan de polarisation des rayons lumineux. Saturé par les bases, il exerce la rotation tantôt à gauche, tantôt à droite. L'expérience suivante a été faite avec un acide malique du sorbier, que je n'avais pas préparé moi-même (!). Proportion pondérable d'acide RP On CSH#082| ne e — 0,32907 Popoion ATOME NE : pr e — 0,67093 Déneteduliquide amor + POELE à — 1,13603 Longueur du tube d'observation . . . . . . . . . . . . = 00 Température de l'observation ; — 10° Déviation de la teinte de passage. . . . . . . . . . . . = SON Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres . . . . . . . . [x]; = — 5°00. ù 21. Influence de l'acide borique. — On sait que M. Biot a trouvé ce fait remarquable, que l'acide borique dissous dans l’acide tartrique augmentait considérablement la valeur du pouvoir rotatoire et changeait même le mode de dispersion exceptionnel propre à cet acide. L’acide borique influe également sur le pouvoir rotatoire de l'acide malique, quoique dans des limites beaucoup plus restreintes. J'ai ajouté, à 97 gr. 390 de la solution précédente, 2 grammes d'acide borique cristallisé, et la déviation a été dans le tube de 500 millimètres égale à — 13°,2N, . Le rapport des deux déviations est égal à 1,4. L’acide borique augmente done le pouvoir rotatoire de l'acide malique. L'expérience que je vais rapporter a été faite avec un acide malique que j'avais préparé avec les plus grands soins. Elle montre aussi l'influence de l'acide borique. La solution aqueuse pure de cet acide malique ne donnait qu’un soupcon de déviation à gauche dans le tube de 50 centimètres. J'ai pris 76 gr. 045 de cette dissolution, et jy ai fait dissoudre 1 gr. 885 d’acide borique cristallisé pur. La nouvelle liqueur a donné une déviation sensible de #,32 à gauche. 22, M. Biot a reconnu que les acides minéraux et organiques avaient, contrairement à l’acide borique, la propriété de diminuer le pouvoir rotatoire de l'acide tartrique. On peut même, comme je l’ai découvert, faire changer le sens de ce pouvoir rotatoire dans certaines circonstances. Ainsi le tartrate neutre de chaux dissous dans l'acide chlorhydrique dévie à gauche le plan de polarisation. Ces mêmes influences se représentent pour l'acide malique. Les acides 1. Dans le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur a mis en note : « Cet acide était très impur ». (Note de l'Édition.) 138 : ŒUVRES DE PASTEUR minéraux où organiques tendent à faire passer à droite le pouvoir rotatoire de cet acide 23. On sait aussi, par les expériences de M. Biot, que le pouvoir rotatoire de l'acide tartrique augmente d’une manière très sensible avec la proportion d’eau et avec la température. Je ne puis encore publier les expériences que j'ai faites à cet égard sur l’acide malique. La faiblesse du pouvoir rotatoire de cet acide et d’autres difficultés exigent une grande circonspection dans les conclusions auxquelles conduisent les expériences. Si je m'en rapporte à de premiers essais, l'acide malique augmente également de pôuvoir rotatoire avec la proportion d’eau et avec la température. Pouvoir rotatoire du bimalate d'ammoniaque. — Le bimalate d’ammoniaque dévie à gauche le plan de polarisation des rayons lumineux. L'expérience suivante donne la mesure de son pouvoir rotatoire : Proportion de bimalate d'ammoôniaque dans l'unité de poids € — 0,230252 Proportion d’eau. Le e—0,769748 Densité de la liqueur à 8° . à — 1,09793 Température de l'observation . 20 Longueur du tube d'observation. 1— 500 Déviation de la teinte de passage . a— 912 \ Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres . [a]; = — 7022. Si l’on sursature l'acide malique libre du bimalate par Pammo- niaque, la déviation continue de s’exercer à gauche. Voici une expérience faite en dissolvant le bimalate d’ammoniaque dans l'acide nitrique pur à 21° B. Proportion Re de bimalate d'ammo- niaque. . . . SARL se — 0,268028 Proportion d’ de nitr tre ne à 91 B. e—0,731972 Densité de la liqueur à 2195 0 — 129102 Température de l'observation . 20 Longueur du tube PERS 1500 Déviation de la teinte de passage JE ax — + 9924 “4 Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres . . . . [xl;j— +560 Ainsi le pouvoir rotatoire du bimalate d’ammoniaque dissous dans l'acide nitrique est porté à droite. Ce fait rapproche encore l'acide malique de l’acide tartrique, ou mieux de lacide tartrique gauche. Le pouvoir rotatoire du bitartrate d’ammoniaque diminue et tend à jpasser de droite à gauche, quand ce sel est dissous dans l'acide nitrique. Au contraire, le pouvoir rotatoire du tartrate acide gauche DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 139 d’ammoniaque tend à passer à droite quand on dissout le sel dans les acides minéraux. On voit ici toute l'influence des acides minéraux sur le pouvoir rotatoire de l'acide malique. Aussi faut-il avoir soin d'opérer sur de l'acide malique préparé avec un soin tout particulier quand on veut étudier son pouvoir rotatoire. Cet acide ne cristallise que très diffici- lement; et souvent, par son mode même de préparation, il est mêlé à un acide minéral ou organique, qui altère son pouvoir rotatoire. 25. Formes cristallines du bimalate d'ammoniaque et du bimalate de chaux. — Jai montré, dans un travail antérieur, que dans la grande majorité des formes cristallines des tartrates on trouvait FiG. 5. Fic. 4. certaines faces principales inclinées entre elles sensiblement de la même manière. Les formes cristallines des tartrates dérivent toutes de prismes à base rectangle, droits ou très peu obliques. Deux des dimensions ‘de ces divers prismes sont sensiblement les mêmes; Or on retrouve cette relation de formes dans le bimalate d’ammo- niaque et le bimalate de chaux. Soit (fig. 3) un prisme rectangulaire droit ou très peu oblique. Le rapport de longueur des arêtes ou axes C: D se détermine, en cristallographie, par une modification telle que Pb! portant sur l’arête B (fig. 4). Or dans les tartrates on a toujours : Angle de P sur M voisin de 90°, Angle de P sur b' voisin de 130°. Cela posé, la forme des bimalates d’ammoniaque et de chaux est un prisme droit à base rectangle,"portant la modification L' et l’on a : P sur M— 90° P sur #'— 125045! pour le bimalate d'ammoniaque P sur b!— 13325 pour le bimalate de chaux. Malheureusement je n'ai pu, jusqu'ici, découvrir ni sur l’un ni sur l’autre de ces deux malates des signes d’hémiédrie; cela est très 140 ŒUVRES DE PASTEUR à regretter, parce que la position des facettes hémiédriques indi- querait tout de suite si ces formes cristallines des malates se placent à côté des tartrates droits ou des tartrates gauches. Cette absence de l’hémiédrie, dans des sels qui sont néanmoins susceptibles de la posséder, n’a rien qui doive surprendre. Ainsi la pyrite jaune est hémiédrique, et il y a des contrées où l’on ne la rencontre que cristallisée en cube, forme homoédrique. Il faudrait, dans les cristallisations artificielles des laboratoires, modifier les conditions de la cristallisation, de manière à faire varier les formes secondaires de chaque substance, comme cela est arrivé dans la nature. 26. Pouvoir rotatoire du malate neutre de chaux. — Le bimalate de chaux est très peu soluble dans l’eau. Une solution saturée à 8° donne une déviation à gauche de ; degré environ dans le tube de 50 centimètres. Dissous dans l’ammoniaque, ce bimalate de chaux dévie au contraire à droite, ce qui tient à ce que le malate neutre de chaux dévie à droite. On obtient facilement un malate neutre de chaux cristallisé, en dissolvant le bimalate de chaux dans l’ammoniaque et abandonnant la liqueur à l’évaporation. En vingt-quatre heures, si les liqueurs sont étendues, il se forme une cristallisation abondante. Ce sel est presque insoluble dans l’eau. Mais lorsqu'on le dissout dans l’acide chlorhydrique, puis qu’on rajoute de l’ammoniaque en excès, il met beaucoup de temps à cristalliser, de même que le tartrate neutre de chaux avec lequel il serait facile souvent de le confondre. La forme cristalline de ce malate est hémiédrique, Je la décrirai dans un autre travail, parce qu'il me manque certains angles que je n’ai pu encore mesurer avec exactitude. L'expérience suivante donne le pouvoir rotatoire de ce sel en dissolution dans l'acide chlorhydrique : Proportion pondérable de malate de chaux Cnistalisé "1. nl e—0,124736 Proportion d'acide cHlorpdniqnet à go. 5 Bu ; e — 0,875264 Densitéduliquide à 220 PERRET 5—1,13175 Température de l'observation . . . . . . DEN. Longueur du tube . . . .. ONE 1=50 Déviation de la teinte de passage. DCE 0 Dao — ju # Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres . . . . x); — 10°88. J'ai alors sursaturé ce liquide par lammoniaque, ce qui a fourni une solution aqueuse renfermant du sel ammoniac et du malate neutre de chaux. La déviation s’est maintenue à droite et de même DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 141 ordre. Voici, du reste, une observation précise qui donne le pouvoir rotatoire d’une solution de bimalate de chaux dans l’ammoniaque : Proportion pondérable de bimalate de chaux . e — 0,23506 Proportion de solution ammoniacale . e —0,76494 Denstedelaliqueunalés SE MEET ENT à — 1,06053 Température de l'observation. —47° PonctETRdUUDE CEE — 500 Déviation de la teinte de passage. . . . . . . . x — + 5°40 r 6 Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres. [a]; = + 4934 En résumé, le malate neutre de chaux dévie à droite, qu'il soit dissous dans l’eau ou dans l’acide chlorhydrique. L’acide tartrique gauche donne également un tartrate neutre de chaux qui, dissous dans l'acide chlorhydrique, dévie à droite; mais si l’on sature la solution chlorhydrique, elle dévie à gauche, tandis que la solution chlorhydrique du malate de chaux, saturée par l’ammo- niaque, continue de dévier à droite. 27. Malate neutre de zinc. — Ce sel est très peu soluble dans l’eau. La solution aqueuse saturée dévie à droite. 28. Pouvoir rotatoire du malate double d'ammoniaque et d'anti- moine. — L’oxyde d’antimoine a la propriété d'augmenter considé- rablement le pouvoir rotatoire de l’acide tartrique. Il n’est pas de tartrate où la déviation du plan de polarisation soit aussi marquée que dans les émétiques de potasse et d’ammoniaque. Ainsi le pouvoir rotatoire du tartrate neutre d’ammoniaque, d’après les expériences de M. Biot et les miennes, est, pour 100 millimètres, [æ}r — + 29°00, celui de l’émétique d’ammoniaque est La}. = + 119975. Le pouvoir rotatoire du bimalate d’ammoniaque est de même considérablement influencé par sa combinaison avec l’oxyde d’anti- moine. Seulement, tandis que le bitartrate d’ammoniaque dévie à droite, comme le tartrate double d’ammoniaque et d’antimoine auquel il donne naissance, le bimalate d’ammoniaque dévie à gauche, et le malate double d’ammoniaque et d’antimoine dévie à droite. Si l’on fait bouillir quelques instants une solution de bimalate d’ammoniaque déviant à gauche avec de l’oxyde d’antimoine, la liqueur filtrée donne une déviation considérable à droite. Cette liqueur, abandonnée à l’évaporation spontanée, fournit des cristaux volumineux de malate double d’ammoniaque et d’antimoine. Les facettes hémiédriques, très développées dans cette forme, la rendent 152 ŒUVRES DE PASTEUR extrêmement difficile à étudier, d'autant plus que quatre des faces sont toujours courbes et qu'on ne peut en mesurer les inclinaisons mutuelles. Par l’ébullition, même prolongée, avec l’oxyde d’antimoine, tout le bimalate d’ammoniaque n’est pas attaqué, et la portion restée intacte se dépose, en même temps que le malate double, en cristaux qu’il est quelquefois difficile de bien séparer. Quand cette circonstance se présente, elle tend à diminuer le pouvoir rotatoire du malate double. Proportion pondérable de malate double d'ammoniaque et d'antimoine . . . . . . . e — 0,068452 Proportiontdieaut EME ET CCE e—0,931548 Densitetdoiliquide M6 RE RE d —1,03513 Température de l'observation . . . . . . . . — 170 LOATENMRGNNENNE MEN SoLS SON À 0 1220 Déviation de la teinte de passage. . . . . . . x — + 1800 7 Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres . . . [xl; —+115°47. Je dois ajouter qu'en précipitant la solution de ce malate double par le sulfhydrate d’ammoniaque, jusqu’à redissolution du précipité, et évaporant ensuite de manière à chasser tout le sulfhydrate et à mettre en liberté le sulfure d’antimoine, la liqueur filtrée donne une déviation à gauche, ce qui prouve que le bimalate d’ammoniaque a été régénéré. 29. Conclusions. — L'ensemble des faits que je viens de rapporter, et qui nous sont offerts par l'acide malique et les malates, ne peut manquer d’avoir vivement frappé lattention. Ils conduisent forcément à admettre d’intimes relations d’arrangements molécu- laires dissymétriques entre l’acide malique et les acides tartriques. Il est très vraisemblable qu'il doit exister entre l’acide malique et l’un ou l’autre des acides tartriques, droit et gauche, un groupement moléculaire commun, avec la modification que peut apporter, dans ce groupement, la différence de composition de ces acides. Nous avons remarqué, en effet, toute l’analogie offerte entre la propriété rotatoire de ces acides tartriques et celle de l'acide malique. Nous avons vu, d'autre part, qu'il y avait une relation frappante entre les formes cristallines des malate et tartrate acides d’ammoniaque. Seulement il est difficile d'affirmer si le groupement moléculaire est commun à l’acide malique et à l’un plutôt qu’à l’autre des deux acides tartriques. Il n’y a de différence, en effet, entre les solutions correspondantes des deux séries tartriques que pour le sens de la déviation, et nous avons vu que le sens de la déviation des malates les rapprochait, tantôt de l’acide tartrique gauche, tantôt de l’acide tartrique droit. Rien n’est plus mobile d’ailleurs que ce sens de la DISSYMËTRIE MOLÉCULAIRE 143 déviation. Des influences très faibles en apparence transportent à droite une déviation gauche, et inversement. J’en ai donné plusieurs exemples nouveaux dans ce Mémoire, en traitant de l’asparagine et de l'acide aspartique. Il se pourrait aussi qu’il existât dans l’acide malique, et, par suite, dans les acides tartriques, deux groupements moléculaires dissymé- triques, capables de dévier le plan de polarisation, et que, sous cer- taines influences, l’un des groupements l’emportant sur l’autre par sa déviation, l'acide malique parût se rapprocher, tantôt de l'acide tartrique droit, tantôt de l'acide tartrique gauche (!). Cette idée, suggérée par les faits, de l’existence de relations molé- culaires entre l'acide malique et lun ou l’autre des deux acides tartriques, est bien éloignée de répugner aux apparences que nous présente l'organisme. Dans les végétaux, partout où l’on trouve de l’acide malique, on trouve de l'acide tartrique, et inversement. Peut- être la nature se sert de l’un de ces acides pour faire l’autre (?). Cette remarque porte même à induire que le groupement moléculaire en question serait commun à l'acide malique et à lacide tartrique droit ordinaire, car c’est l’acide tartrique droit que l’on trouve en compagnie de l'acide malique dans les fruits acides. J'ai retiré, notamment des raisins verts, si riches en acide tartrique droit, une quantité considé- rable d’acide malique identique avec lacide malique du sorbier. Ces inductions raisonnables, mais qui demandent encore le contrôle de nouveaux faits, prennent une importance toute particu- lière, si l'on se rappelle les relations de propriétés qui existent entre les deux séries tartriques droite et gauche. Tout ce que l’on produit, en effet, avec l'acide tartrique droit ordinaire, on peut le produire avec l'acide tartrique gauche. Il n’est pas un tartrate droit qui n'ait son correspondant dans la série tartrique gauche, et les deux tartrates correspondants ont toujours même composition, même forme cris- talline, avec les mêmes angles (si ce n’est la différence de position des facettes hémiédriques), même double réfraction, même poids 1. Dans le Mémoire qui a précédé celui-ci et qui est imprimé dans les Annales de chimie et de physique, 3 sér., XXVIII, 1850, p. 56-99 [p. 86-120 du présent volume], j'ai désigné les deux acides à pouvoirs rotatoires égaux et contraires, qui par leur union forment l'acide racémique, sous les noms d'acide dextroracémique, acide lévoracémique. Je préfère aujourd'hui, et j'ai employé dans tout le cours de ce Mémoire, les expressions acide tartrique droit, acide tartrique gauche. Cette nomenclature est plus claire, elle exprime les faits d'une manière plus saillante et plus juste ; elle se prête mieux également aux découvertes ultérieures possibles dans ce genre d’études. 2. Pasteur a modifié ainsi cette phrase dans le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire : « Il est très probable que la nature se sert de l’un de ces acides pour faire l’autre ». (Note de l'Édition.) ÿ 143 ŒUVRES DE PASTEUR spécifique, même solubilité. Conséquemment, s'il existe un grou- pement moléculaire commun entre l'acide tartrique droit et l'acide malique actuel du sorbier, il y a nécessairement un groupement moléculaire commun entre lacide tartrique gauche et un acide malique encore inconnu, et qui serait à l’acide malique actuel des chimistes ce que l'acide tartrique gauche est à l’acide tartrique droit. En d’autres termes, il y aurait deux acides maliques, l’un droit et l’autre gauche, comme il y a deux acides tartriques; et si la nature fait de l’acide tartrique droit avec l'acide malique actuel, elle doit faire de l'acide gauche avec l'acide malique inconnu, à l'existence duquel nous sommes ici conduits par induction. Ajoutons encore, car tous ces faits se tiennent par la main, que l’acide racémique prendrait naissance là où la nature réunirait les deux acides tartriques droit et gauche; et ainsi se trouverait éclairée l’origine mystérieuse de cet acide racémique de Thann. 30. Acide fumarique. — M. Pelouze (!) a établi, le premier, avec certitude, que l'acide malique pouvait fournir, par la distillation sèche, deux acides pyrogénés, qu’il désigna sous les noms d’acides maléique et paramaléique. Plus tard, M. H. Demarçay (?) établit chimi- quement l'identité de l'acide paramaléique avec l'acide fumarique de la fumeterre. J’ai recherché le pouvoir rotatoire dans le fumarate acide d’ammo- niaque. L'expérience suivante tend à prouver qu’il n’y existe pas Proportion pondérable de fumarate acide d'ammo- niaque FAR RER EE CREME TERRIER OP S EEE Proportion d'ammoniaque contenant 9 pour 100 de AZI SE Ne ee AT Ce US EU Densité de la liqueur à 14° . à —1,0987 Pongueur'duitube RER EERETENER ERU OUE Il n'y a pas eu de déviation appréciable à la double plaque de M. Soleil. L’acide qui a servi à préparer le fumarate acide d’ammoniaque employé dans cette expérience provenait de l'acide malique par le procédé de M. Hagen. J'ai également retiré l’acide fumarique de la fumeterre, et j'ai reconnu que le fumarate acide d’ammoniaque (acide retiré de la fume- terre) avait la même forme cristalline et les mêmes angles que le 1. Pecouze (J.). Mémoire sur les produits de la distillation de l'acide maléique. Annales de chimie et de physique, ? sér., LVI, 1834, p. 72-87. 2. Demarçay (H.). Identité de l'acide fumarique de M. Winckler avec l'acide parama- léique de M. Pelouze. Annales de chimie et de physique, % sér., LVI, 1834, p. 429-4383. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 145 paramaléate acide d’ammoniaque (acide retiré de l'acide malique). La forme cristalline n'offre, du reste, rien qui annonce l’hémiédrie. La forme cristalline du fumarate acide d’ammoniaque est un prisme oblique à base rhombe, très peu oblique. Je n'ai dessiné, figure 5, que la partie antérieure. Les faces b se répètent à la partie inférieure par derrière. On a : 106 — 36121: À 2 b :b 132952. L : L par derrière — 110. LA Il est bon de noter que, dans le bimalate d’ammo- niaque, la forme cristalline est un prisme droit à base rhombe L, L avec la face g et que l’on a L: L—108 re) à 1090. 31. Acide maléique. — J'ai opéré sur une dissolution de maléate d’ammoniaque très peu concentrée. Il n’y pas eu de déviation; mais ce serait une expérience à reprendre. Celle-ci prouve seulement que le pouvoir rotatoire du maléate d’ammoniaque, s’il existe, doit être très faible (1). 32. Acide pyrotartrique. — J'ai constaté qu'une dissolution de pyrotartrate d’ammoniaque renfermant 20 pour 100 d’acide pyrotar- trique ne déviait pas sensiblement dans le tube de 50 centimètres. Nota. — J'ajouterai ici, parce que les indications des ouvrages ne sont pas suffisantes à cet égard, que, pour obtenir l'acide fumarique avec la fumeterre, il faut, après avoir clarifié le jus de la plante par l’ébullition et la filtration, ajouter un excès d’acétate de plomb et filtrer tout de suite sur la toile. Le précipité très abondant qui prend alors naissance n’est pas le fumarate de plomb; celui-ci est un sel grenu, cristallisé qui ne se dépose dans la liqueur filtrée qu'après quelque temps, malgré son insolubilité dans l’eau. IV. — Glucosate de sel marin. 33. Je désigne sous l'expression de glucosate de sel marin, afin d’abréger le discours, cette combinaison cristallisable du glucosate de sel marin, à laquelle M. Peligot a donné pour formule : C#H?2#O%NaCl + 2(H0), et qui a été découverte par M. Calloud. 1. Dans le volume qu'il projetait en 1878, Pasteur a noté : « Une nouvelle expérience faite dans de meilleures conditions a donné le même résultat ». (Note de l'Edition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 10 146 ŒUVRES DE PASTEUR Cette combinaison se prépare très facilement avec le sucre de diabète. L’urine d’un malade de lhôpital civil de Strasbourg a été évaporée en consistance sirupeuse. On a délayé dans l’eau le résidu de l’évaporation, et l’on y a fait dissoudre du sel marin. La liqueur colorée, abandonnée pendant longtemps, a fourni, durant la saison froide, beaucoup de cristaux qui ont été lavés avec de l’alcool ordi- naire étendu de deux à trois fois son volume d’eau pour dissoudre le sirop noir qui les entourait. Une nouvelle cristallisation a donné la combinaison tout à fait pure et incolore. On voit qu’il n’est pas nécessaire de purifier d’abord le sucre contenu dans l’urine. Je tenais beaucoup à la forme cristalline de cette substance. Le glucose, quelle que soit son origine, donne toujours des cristaux dont il est difficile d’étudier la forme. Je ne pouvais donc reconnaître l'hémiédrie dans ce sucre; mais je pensais pouvoir en rechercher l'existence dans la combinaison en question, dont on peut obtenir des cristaux d’une beauté remarquable. Mes premiers essais ont porté sur un échantillon que M. Peligot avait eu l’obligeance de me remettre. 34. La forme cristalline du glucosate de sel marin est très curieuse. C’est un dodécaèdre à triangles isocèles, en tout semblable à celui que l’on rencontre dans le système du prisme hexagonal régulier (fig. 6). Il y a plus : trois des six faces de chaque pyramide qui composent le dodécaèdre portent les facettes 2 qui, suffisamment prolongées, conduisent à un rhomboèdre. Cependant, si l’on examine avec plus d’attention cette forme cristalline, on finit par reconnaître qu’elle dérive d’un prisme rhomboïdal droit, dont l’angle est très voisin de 120°. Voici les angles des faces : Angles des pans — 120°12' et 119054". h:b—161045". J'ai trouvé souvent cet angle — 162°4". DEAD GSSAE La faible différence qui existe entre l’angle des pans du prisme hexagonal de cette forme et l’angle de 120° du prisme hexagonal régulier ne suffirait pas pour éloigner cette combinaison du système rhomboédrique, à moins d’avoir prouvé, par les mesures les plus multipliées, que cette différence ne tombe pas dans les limites d'erreurs des mesures d’angles. Et, dans tous les cas, il y aurait à rendre compte de l'existence des facettes rhomboédriques 2. Pour reconnaître d’une manière certaine que la forme appartient au prisme rhomboïdal droit, j'ai taillé un grand nombre de cristaux en lames à faces parallèles, perpendiculairement à l’axe qui joint les sommets DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 147 des deux pyramides à six faces. Si l’on fait traverser normalement ces lames par de la lumière polarisée, et qu’on’ analyse celle-ci au sortir de la lame avec un prisme de Nichol, on voit tout de suite que l’on a affaire à un cristal à deux axes. On voit en outre, de la manière la plus nette, que tous ces cristaux, malgré leur limpidité et leur simplicité apparente, sont formés, comme les arragonites, le sulfate de potasse, etc., de plusieurs cristaux groupés sous des angles de 60, 90, 120, etc.; et nous avons ici la clef de l'existence des 25 F1G. 6 (1). FiG. 7. facettes rhomboédriques 2, qui ne sont autre chose que des facettes hémiédriques. 35. La forme primitive du glucosate de sel marin est le prisme rhomboïdal droit (fig. 7). Les huit arêtes des bases, quoique géomé- triquement identiques, ne sont pas modifiées en même temps. Quatre des arêtes seulement portent les facettes hémiédriques ; et ces quatre arêtes, suffisamment prolongées, conduisent à un tétraèdre irré- gulier. Nous avons affaire encore à une hémiédrie non superposable. On ne rencontre jamais cette forme primitive. Toujours les arêtes verticales qui répondent à l’angle aigu du prisme sont modifiées tangentiellement, ce qui conduit à un prisme hexagonal très voisin du prisme hexagonal régulier. Les six arêtes des bases de ce prisme sont à leur tour modifiées et l’on obtient le dodécaèdre. Jusqu'ici la loi de symétrie est respectée, puisque les huit arêtes des bases de la forme primitive sont modifiées en même temps et de la même manière. Mais l’hémiédrie est accusée par l’existence des nouvelles facettes À. Ces facettes seraient au nombre de quatre, et condui- raient à un tétraèdre par leur prolongement, si chaque cristal n'était pas le résultat du groupement de plusieurs cristaux. Ce qu’il y a de curieux, c’est que le nombre des cristaux groupés dans chaque cristal et le mode de leur groupement donnent toujours six 1. Dans le volume projeté en 1878, Pasteur a noté que la figure était « à refaire pour les faces À ». (Note de l'Edition.) 148 ŒUVRES DE PASTEUR facettes A et distribuées de manière à former un rhomboëdre si on les prolongeait. 36. On peut reconnaître par l'expérience que les facettes hémié- driques L correspondent aux arêtes et non aux angles des bases du prisme rhomboïdal de la forme primitive. Je m’en suis assuré par la position du plan des axes optiques. Cette position est facile à recon- naître, dans les lames taillées dont j'ai parlé plus haut, pour chacune des portions de cristaux qui, par leur assemblage, forment le cristal entier. On sait, d'autre part, que, dans un prisme rhomboïdal droit, le plan des axes optiques est toujours un des deux plans verticaux passant par les diagonales des bases du prisme (f). 37. En résumé, le glucosate de sel marin appartient au système du prisme rhomboïdal droit, et il est hémiédrique. C’est par erreur que certains ouvrages placent cette forme dans le système du prisme hexagonal régulier (). 1. Dans le volume projeté, Pasteur a noté : « 11 est extrêmement probable que les diffé- rences trouvées dans les valeurs de l'angle À sur b tiennent à ce que la face À porte quel- quefois sur l’angle aigu du prisme rhomboïdal et que les faces rhomboéëdriques ne sont pas alors de la même nature ». 2. Pasteur, dans le volume qu'il projetait, a ajouté la page suivante : « Il est difficile de rencontrer un exemple plus frappant, que celui offert par le glucosate de sel marin, de ces anomalies régulières, comme les appelle quelque part M. de Senarmont, présentées par les cristaux dans des circonstances si variées. Cette combinaison appartient au système du prisme rhomboïdal droit et elle se montre en dodécaèdres à triangles isocèles. Mais en outre elle porte des faces hémiédriques qui correspondent aux arêtes des bases du prisme. Or, que l’on imagine de telles faces sur des portions de cristaux groupées de diverses manières comme il arrive toujours dans cette substance, et cette forme du dodécaëdre, si régu- lière en elle-même, perdra sa symétrie ordinaire et ne présentera plus cette répétition de parties identiques suivant des lois simples, qui caractérise tous les cristaux. La nature alors, chose bien remarquable, dispose les éléments des cristaux groupés, de manière que les faces À obéissent à la symétrie du type rhomboëédrique. « Depuis la publication première de mon travail il a paru en Allemagne un ouvrage de cristallographie dû à M. Schabus, ouvrage couronné par l’Académie de Vienne et qui renferme la description de la forme cristalline du glucosate de sel marin, mais prise par erreur pour celle du glucose pur. [Jakob Scxagus. Bestimmung der Krystallgestalten in chemischen Labo- ratorien erzeugter Producte. (Mit XXX Tafeln.) Wien, 1855]. M. Schabus rapporte cette forme comme on l'avait toujours fait au type rhomboëédrique. Cette détermination nouvelle de la forme du glucosate de sel marin n'étant pas d'accord avec la mienne, j'ai voulu revoir le fait principal sur des cristaux volumineux que je devais à l'obligeance de M. Peligot. J'ai reconnu l'exactitude de mes premières observations. Des lames à faces paralléles, taillées perpendiculairement à l'axe cristallographique et qui serait l'axe optique si les cristaux appartenaient au type rhomboédrique, montrent avec la plus grande netteté à l'appareil de Nôrremberg des portions de cristaux à deux axes groupés sous les angles de 60, 90, 120... qui rappellent tout à fait les groupements bien connus des cristaux de sulfate de potasse, d'arragonite, etc... On peut voir dans les comptes rendus de l’Académie, t. XLII, p. 351, [1856] que M. Biot et M. de Senarmont ont bien voulu vérifier mes résultals sur des échan- tillons que j'avais eu l'honneur de leur adresser. Il est donc tout à fait hors de doute que le glucosate de sel marin appartient à un système à deux axes optiques, malgré l'apparence si régulière de sa forme qui le place à première vue dans le système rhomboédrique. » Voir page 283 du présent volume. (Notes de l'Edition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 149 38. Pouvoir rotatoire du glucosate de sel marin. — M. Dubrunfaut a indiqué le premier que le glucosate cristallisé, dissous dans l’eau, et observé tout de suite dans l'appareil de polarisation ‘avait un pouvoir rotatoire presque double de celui qu’il possède quelques heures plus tard. La déviation diminue progressivement. Ce fait bien étrange, je l'ai retrouvé dans le glucosate de sel marin. Voici le détail d’une expérience : On a pesé 9 gr. 978 de la combinaison cristallisée et l’on a ajouté 100 gr. 062 d’eau à 17°. L'eau a été versée sur les cristaux à 9 h. 40. La solution, terminée à 9 h. 52, a été filtrée et placée dans le tube de 500 millimètres. Je l’ai observée d'heure en heure : À 10 h. 8 la déviation de la teinte de passage a été de : 41°28 Allh.8 — — — 32,16 A12h.8 — — — 26,88 A {h.8 — — — 24,72 A De — — —_ 23,04 AMG h: 8 — — — 22/32 AMAR S — — _ 21,84 AMBENH-TS — — — 21,60. Le pouvoir rotatoire n’a plus varié. Le lendemain, la déviation a été de 21°,60. La variation totale s’est donc accomplie en sept heures. J'ai pris la densité du liquide lorsqu'il déviait de 28°,80. La tempé- rature était de 17%. Densité, 1,03925. J'ai pris aussi la densité du liquide altéré. La température était de 14°,5, Densité, 1,03968. On voit que la densité du liquide ne varie pas sensiblement pendant l’altération qui se manifeste dans le pouvoir rotatoire de la solution. Nous avons tous les éléments nécessaires pour calculer le pouvoir rotatoire moléculaire de la solution altérée : œ D Or, t—2il 00 1=—= 500; e — 0,090676, 3—1,03968, d’où [a]; = + 470,14 47. Cette propriété de la variation du pouvoir rotatoire avec le temps n'appartient qu'à la combinaison cristallisée. L'eau mère d’une cristal- lisation en train de se former ne la possède jamais. J'ai retiré d’une cristallisation l’eau mère qui lui donnait naissance. Elle avait une densité de 1,2316 à 4°, et elle a donné dans un tube de 200 milli- mètres une déviation de 42°,96 à la température de 7. J'ai étendu une portion de cette eau mère d’un volume égal d’eau pure, et j'ai observé la nouvelle liqueur dans le même tube. La déviation a été 150 ŒUVRES DE PASTEUR de 21°,84, presque exactement moitié de ce qu’elle était avant l'addition de l’eau, qui n’a eu d’autre action que celle de toute substance inactive, ne modifiant pas les molécules douées de la rotation. La déviation 21°,84 n’a pas du tout varié avec le temps. 39. Afin de jeter, s’il est possible, quelque jour sur ce phénomène mystérieux de la variation du pouvoir rotatoire avec le temps, je rapporterai les expériences suivantes, qui prouvent que le pouvoir rotatoire d’une solution de glucosate de sel marin, lorsqu'il a cessé de varier avec le temps, est précisément égal au pouvoir rotatoire du sucre que renferme la solution, considéré comme s’il était en solution aqueuse pure. J'ai d'abord fait dissoudre 15 grammes de la combinaison cristal- lisée, et j'ai amené le volume de la liqueur à être de ; décilitre exactement. Cette liqueur, après un jour de repos, a donné dans un tube de 500 millimètres une déviation de 23°,28. Après avoir fait dissoudre de nouveau 15 grammes de glucosate, je les ai précipités par 6 grammes de nitrate d'argent cristallisé. Le chlorure d'argent a été séparé par le filtre, et j’ai ensuite amené toute la liqueur et les eaux de lavage au volume de ; décilitre. La déviation de ce liquide, ne renfermant plus de sel marin, a été de 23°. Cette double expérience nous indique que le sel marin n’a aucune influence sur le pouvoir rotatoire du sucre de diabète, tant que le sel marin et le sucre ne sont pas combinés dans l'acte de la cristallisation. Je l'ai reconnu directement en faisant dissoudre du sel marin dans une solution ancienne de glucose cristallisé, et observant la disso- lution avant et après l'introduction du sel marin. Enfin, on peut confirmer ce résultat, en calculant le pouvoir rotatoire du glucose pur à l’aide de la solution de glucosate que nous avons observée précédemment. On trouve ainsi, pour le pouvoir rotatoire du glucose, [ch —+ 50,14 0 40. D’après les expériences que je viens de rapporter, on pourrait croire que le phénomène de la variation avec le temps du pouvoir rotatoire tient à ce que la combinaison du glucose avec le sel marin ne peut exister qu'à l’état cristallisé, et qu’elle se détruit lentement dès qu’elle est au contact de l’eau. Cela expliquerait comment le sel marin n’a pas d'influence sur le pouvoir rotatoire d’une solution de glucose. Mais cette hypothèse est inadmissible: car il résulterait de là que, pour expliquer le pouvoir rotatoire du glucose pur, il faudrait admettre que le glucose cristallisé se sépare de son eau de cristal- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 151 lisation, quand on le dissout dans l’eau, et que c’est là aussi la cause de la variation du pouvoir rotatoire. La molécule C#H#0?%**+4(H0) deviendrait en présence de Peau CA HA 0%. Or, si l’on dessèche du glucose à 100° de manière à lui faire perdre son eau de cristallisation, et qu’on le dissolve alors dans l’eau, la solution varie de pouvoir rotatoire avec le temps, absolument comme si l’on n'avait pas chauffé à 100. 4l. Je citerai une dernière expérience ‘qui prouve que la solution de glucosate de sel marin accomplit sa variation de pouvoir rotatoire beaucoup plus rapidement à chaud qu’à froid; une solution récente de glucosate a donné une déviation de 36°,48 à 9 h. 10. J'ai porté le liquide à 75°, puis je lai refroidi dans un courant d’eau froide. Observé dans le même tube, il a donné à 9 h. 20 une déviation égale à 190,7. La déviation s’est arrêtée plus tard à 18°,7. Ainsi en quelques minutes la variation s’est presque totalement effectuée à chaud. V. — Formiate de strontiane. 42. Les formiates de plomb, de cuivre, de baryte, de strontiane, de magnésie, ont des formes très nettes et faciles à déterminer. En faisant autrefois l'étude de ces formes, j'ai rencontré dans le formiate de strontiane un fait qui me revint à l'esprit lorsque j'eus découvert l’hémiédrie des tartrates et la constitution de l’acide racémique. La forme cristalline du formiate de strontiane est un prisme droit à base rhombe, portant un biseau sur les angles aigus (fig. 8). Voici les angles des faces : No AM m : m— 118,20 m : UE 143,16 HAINE 2) On remarquera la très faible différence des angles N : L et m2 : m. Les facettes devraient évidemmént, d’après la loi de symétrie, exister au nombre de huit. Or jamais cela n'arrive. Toujours il n'existe que quatre arêtes L, et placées de telle manière que, suffi- samment prolongées, elles donneraient lieu à un tétraèdre irrégulier. Ici encore nous avons affaire à une hémiédrie non superposable. On peut imaginer une forme identique avec celle de la figure 8 dans toutes ses parties respectives, mais qui ne lui soit pas superposable. Cette forme est représentée figure 9. Or ce qu'il y a de très curieux, c’est que, dans toute cristallisation de formiate de strontiaäne, on trouve 152 ŒUVRES DE PASTEUR ces deux formes symétriques. Il y a toujours ces deux espèces de cris- taux hémiédriques. Je désignerai ces formes sous les noms de /ormiate de strontiane droit et formiate de strontiane gauche. Ce fait remarquable rappelle les deux espèces de cristaux droits et gauches que l’on obtient quand on essaye de préparer le racémate double de soude et d’ammoniaque. Mais voici les différences tranchées qui existent entre ces deux cristallisations. 1°. Toujours dans une cristallisation de LT eo racémate double de soude et d’ammoniaque il existe, en poids, autant de cristaux droits que de cristaux gauches. Dans une cristallisation de formiate, ce résultat est très variable. J'ai vu des cristalli- sations où presque tous les cristaux étaient Fic. 8. Fic. 9. gauches. 2. Les deux espèces de cristaux de la cristallisation du racémate déviaient le plan de polarisation; les cris- taux droits à droite, les cristaux gauches à gauche. Le sens de la déviation seul n’est pas le même. Ni les cristaux droits, ni les cristaux gauches de formiate de strontiane, en dissolution dans l’eau, ne dévient le plan de polarisation. 30. Si l’on fait cristalliser une seconde, une troisième fois, etc., les cristaux droits ou les cristaux gauches du racémate, jamais une des espèces de cristaux n’en donne de l’autre espèce. Au contraire, si l’on choisit avec soin des cristaux de formiate droits ou gauches, et qu’on les fasse cristalliser de nouveau, on obtient les deux espèces de cristaux. 43. Ces faits prouvent que ni l’une ni l’autre des deux espèces de cristaux de formiate de strontiane ne possèdent la propriété rotatoire moléculaire, et que nécessairement ce qui cause l’hémiédrie disparaît au moment de la dissolution du sel dans l’eau. Le formiate de strontiane étant un sel hydraté dont la formule est C2H03$r0 + 2{(H0) |!] 1. On trouve dans les ouvrages de Chimie que le formiate de strontiane renferme 4 équi- valents d’eau. C’est une erreur. Ce sel perd toute son eau à 100° avec une grande facilité. Deux expériences ont donné chacune une perte de 17 pour 100. La formule C? HO3Sr0 + {H0) exige 16,9. Si l'on détermine d'autre part la quantité de sulfate de strontiane que fournit un poids donné de formiate de strontiane, on trouve 85,44. La formule exige 85,98 pour 100. DISSYMÉËTRIE MOLÉCULAIRE 153 il se pourrait que l’hémiédrie fût due à la position des atomes d’eau dans le groupe moléculaire, et qu’au moment de la dissolution ces atomes d’eau se séparassent du groupe. La dissymétrie de larran- gement moléculaire ayant disparu, le pouvoir rotatoire moléculaire ne pourrait exister dans la solution. Mais l’expérience suivante prouve que cette hypothèse est inadmissible. On a desséché, exactement à 100°, 20 grammes de formiate de strontiane cristallisé; on a laissé refroidir et l’on a ajouté de l’eau assez pour baigner le sel. Le thermomètre s’est élevé alors, de 2%, température de l’eau et du sel sec, à 40°, et il s’est régénéré en même temps une grande quantité de formiate de strontiane cristallisé ordinaire. Il paraît dès lors impossible que, quand on dissout le formiate cristallisé, ce sel perde son eau, puisque, quand il Pa perdue, il la reprend aussitôt avec dégagement de chaleur et en cristallisant. Les faits précédents conduisent à supposer que l’hémiédrie du formiate de strontiane ne tient pas à l’arrangement des atomes dans la molécule chimique, mais à l’arrangement des molécules physiques dans le cristal total; de telle manière que la structure cristalline une fois disparue dans l’acte de la dissolution, il n’y a plus de dissymétrie ; à peu près comme si l’on construisait un édifice, ayant la forme extérieure d’un polyèdre qui offrirait l’hémiédrie non superposable, et que l’on détruirait ensuite. Il ne resterait plus rien de la dissymétrie primitive après la destruction de l’ensemble. Nous voyons donc ici l'hémiédrie et même l’hémiédrie non super- posable exister dans les cristaux, sans y être accompagnée de la propriété rotatoire moléculaire, comme le quartz en offre déjà un exemple. Si l’analogie avec le quartz était complète, le formiate de strontiane jouirait de la propriété rotatoire à l’état cristallisé, et, tantôt il l’exercerait à droite, tantôt il l’exercerait à gauche, comme les deux variétés plagièdres du quartz, si toutefois l’existence des deux axes optiques, dans le formiate, ne met pas obstacle au phénomène. C’est une étude que je soumettrai ultérieurement à l'Académie (1). Déjà j'ai signalé une substance qui possède l’hémiédrie non superposable, sans être accompagnée de la propriété rotatoire molé- culaire : c’est le sulfate de magnésie. Mais je me hâte d’ajouter que le formiate de strontiane et le sulfate de magnésie offrent des particularités, dans leurs formes 1. Voir page 307 du présent volume. (Note de l'Edition.) 154 ŒUVRES DE PASTEUR cristallines, qui permettent de concevoir l'absence de toute propriété rotatoire sensible dans ces substances, bien qu’elles jouissent de. lhémiédrie non superposable. En effet, l'inspection des angles de la forme cristalline du formiate de strontiane montre que si l'angle » : m était de 117,3! au lieu de 118°,20/, il serait impossible, en orientant convenablement les cristaux, de distinguer les cristaux droits des cristaux gauches, et l’hémiédrie du formiate de strontiane deviendrait une hémiédrie superposable. Or, jusqu'ici, dans tous les cas que j'ai eu occasion d'étudier, je n’ai jamais trouvé la propriété rotatoire coexistant avec l’hémiédrie superposable, et j'ai même de fortes raisons de croire que cela n’est pas possible. Il est très curieux que le sulfate de magnésie et ses isomorphes offrent une particularité tout à fait analogue. En effet, la forme de ces sulfates est un prisme droit à base rhombe, avec deux modifi- cations sur les arêtes parallèles à chaque base, conduisant à un tétraèdre régulier. C’est là une hémiédrie non superposable. Mais l'angle du prisme de ces sulfates est de 90 à 91°, et le prisme rhomboïdal droit est dès lors très voisin du prisme à base carrée. Il en résulte que l’hémiédrie, quoique non superposable rigoureu- sement, n’est éloignée que de quelques minutes de l’hémiédrie superposable que n’accompagne pas, jusqu’à présent, la propriété rotatoire. MÉMOIRE SUR LES ACIDES ASPARTIQUE ET MALIQUE (EXTRAIT PAR L'AUTEUR) |] Dans le dernier travail que j'ai eu l'honneur de soumettre à l'Académie, (?) j'ai annoncé, entre autres résultats, que les acides malique et aspartique avaient la faculté de dévier le plan de polari- sation des rayons lumineux et qu’ils transportaient cette propriété dans toutes leurs combinaisons salines. J'ai montré, d'autre part, que l'acide fumarique naturel ou celui qui s'obtient par la distillation sèche de lacide malique ne jouissait pas de cette propriété. Quelques jours avant la présentation de mon travail, M. Dessaignes, habile chimiste de Vendôme, fit connaître à l’Académie la transfor- mation du fumarate acide d’ammoniaque en acide aspartique (#). Si l’on rapproche les résultats de M. Dessaignes et les miens, il semble- rait que l’acide aspartique, substance douée de l’action rotatoire, peut être obtenue artificiellement à l’aide du fumarate acide d’ammo- niaque, dénué de cette propriété. Or on n’a jamais jusqu’à ce jour donné naissance, par les procédés des laboratoires, à une substance ayant une action sur le plan de polarisation, en partant de composés qui ne possédaient pas eux-mêmes cette faculté. Je devais donc con- clure que l'acide aspartique de M. Dessaignes, selon toute probabilité, différait de l’acide aspartique naturel, je veux dire de celui que fournit l’asparagine, par l’absence de la propriété rotatoire moléculaire. J’attachais tant d'importance à la constatation de ce fait et dans la prévision même des résultats que je vais avoir l'honneur de commu- niquer à l’Académie, que je me rendis immédiatement à Vendôme, où M. Dessaignes, avec une complaisance dont je lui exprime ici toute ma gratitude, voulut bien partager avec moi la petite quantité d’acide aspartique qui lui restait encore. Dès mon retour à Paris, je 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 25 août 1851, XXXIIT, p. 217-221. 2. Voir le Mémoire précédent. 3. DessaiGNes. Nouvelles recherches sur la production de l'acide succinique au moyen de la fermentation. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 16 septembre 1850, XXXI, p, 432-433. (Notes de l'Édition.) ; 156 ŒUVRES DE PASTEUR reconnus, en effet, que l'acide aspartique nouveau, dérivé d’un corps inactif sur le plan de polarisation des rayons lumineux, était lui- même inactif. Je dois me hâter d'ajouter que tout chimiste, qui n'aurait pas considéré d’une manière attentive la forme cristalline et recherché comparativement la propriété rotatoire, aurait été conduit à la même appréciation que M. Dessaignes. Les deux acides aspar- tiques offrent, en effet, la ressemblance la plus frappante entre toutes leurs propriétés chimiques. Ce qui me séduisait le plus dans l'examen de la nouvelle substance, c'était sa transformation en acide malique. Les chimistes savent au- jourd'hui qu’il est très facile de passer de l’asparagine et de l'acide aspartique à l'acide malique, et je me suis assuré que l’acide ainsi obte- nu était en tout point identique, sous le triple point de vue chimique, cristallographique et optique, avec l’acide malique du sorbier, des pommes et des raisins. Or, en appliquant à l'acide aspartique nou- veau, inactif sur le plan de la lumière polarisée, exactement le même mode d'action qui a servi à M. Piria pour obtenir l'acide malique à l’aide de lPasparagine, je l'ai transformé en un acide malique égale- ment inactif. Je propose de distinguer ces acides et leurs dérivés par les noms actuellement dans la science, en ajoutant seulement les expressions actif et inactif. Ainsi on dira acide malique actif, acide aspartique actif ; acide malique inactif, acide aspartique inactif. Cette nomen- clature rend les faits d’une manière juste et saillante. Elle se prête bien surtout aux découvertes ultérieures possibles et très probables dans cet ordre d'idées. Rien n’est plus curieux et plus inattendu que la comparaison des propriétés de ces combinaisons actives et inactives. Sauf quelques dissemblances auxquelles on accorde, en général, une importance fort minime, il est impossible de distinguer chimiquement ces substances. Tout ce que l’on produit avec un des acides actifs, on peut le produire dans les mêmes conditions avec l'acide inactif de même nom, et les combinaisons résultantes ont toujours la même composition élémentaire et les mêmes propriétés chimiques. Quelques détails fixeront les idées. Tout le monde sait que lacide malique actif chauffé se transforme, à une température voisine de 150, en deux acides pyrogénés volatils, les acides maléique et fumarique. La même chose arrive pour l'acide malique inactif. Le malate de plomb a la propriété curieuse de fondre à une température inférieure à 100°, La même chose arrive au malate de plomb inactif. Le malate de plomb actif, amorphe au moment de sa précipitation, DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 157 cristallise en houppes soyeuses avec le temps. Le malate inactif offre la même propriété. Tous les malates et aspartates actifs ont leurs correspondants sans exception, et que l’on produit tout à fait par les mêmes procédés, parmi les malates inactifs. Enfin les sels correspondants ont toujours la même formule chimique. Quant aux formes cristalines des produits actifs et inactifs de même composition, elles offrent de curieuses observations : tantôt elles sont complètement distinctes et incompatibles, tantôt elles sont les mêmes sensiblement avec les mêmes angles. Ainsi l'acide aspartique et l’aspartate de soude actifs cristallisent dans le système du prisme droit à base rhombe, les produits correspondants inactifs cristallisent dans le système, incompatible avec le précédent, du prisme oblique à base rectangle. Au contraire, les bimalates d’ammo- niaque et de chaux actifs cristallisent dans le système du prisme droit à base rhombe, et les bimalates inactifs correspondants non seulement cristallisent dans le même système, mais aussi avec les mêmes angles; seulement, les substances actives portent des facettes hémiédriques, toujours absentes dans les formes des combinaisons inactives. On voit donc que la constitution moléculaire des substances inactives n’est pas incompatible avec une forme cristalline identique à celle des substances actives correspondantes, et l’on peut présu- mer, avec vraisemblance, que quand il y a incompatibilité dans les formes, c’est par suite d’un dimorphisme. On demandera sans doute si les acides aspartique et malique, neutres sur la lumière polarisée, ne sont pas des combinaisons d'acide droit et d'acide gauche analogues à l’acide racémique. Je montre, dans mon travail, que cette hypothèse est tout à fait inadmissible. Les résultats qui font l’objet de ce Mémoire éclairent d’un jour nouveau la constitution moléculaire des corps. Dans des recherches antérieures, j'ai montré que les substances douées d’une action sur la lumière polarisée devaient être assimilées à ces assemblages, si fréquents dans les règnes végétal et animal, dont la dissymétrie est telle, qu’on peut en imaginer d’autres identiques, quoique non superposables. Par exemple, les membres droits et les membres gauches; par exemple, ces plantes dont la ligne d'insertion des feuilles est une spirale dextrorsum ou sinistrorsum. Dans un cas, on se le rappelle, j'ai découvert les gauches des substances droites déjà connues. Aujourd’hui, nous voyons que les combinaisons actives sur la lumière polarisée peuvent être assez peu altérées dans leur groupement moléculaire constitutif pour conserver, sans exception, 158 ŒUVRES DE PASTEUR toutes leurs propriétés chimiques, en perdant seulement, dans leurs molécules constituantes, cette dissymétrie spéciale qui produit le caractère droit ou gauche. Aucun composé dans la science ne peut être rapproché des substances qui viennent de nous occuper, si ce n’est l'essence de térébenthine active ordinaire et l'essence de térébenthine inactive retirée, par l’action de la chaleur et de la chaux vive, du camphre artificiel solide de térébenthine. Mais je ne doute pas que ce nouveau genre d'isomérie ne soit propre aux substances douées de l’action rotatoire, et que des exemples du même ordre se multiplieront, aujourd’hui que l'attention est appelée sur cette nouvelle classe de produits chimiques. Il me reste à signaler à l'Académie des résultats d’un autre ordre, et qui me paraissent bien dignes d'intérêt. Dans le même travail que j'ai rappelé tout à l'heure, et où j'ai fait connaître l’existence de la propriété rotatoire dans l’asparagine, l'acide aspartique et l'acide malique, j'ai émis cette opinion, qu'il y avait d’étroites relations entre les constitutions moléculaires des acides malique et tartrique. Cette prévision, par les faits que je vais rapporter, acquiert la plus grande probabilité. Tout le monde se rappelle les principaux résultats des recherches nombreuses et précises publiées par M. Biot sur l’acide tartrique. Dès les premières études sur cette substance, il reconnut plusieurs particularités fort curieuses que je vais énoncer successivement, 1°. Le pouvoir rotatoire de l'acide tartrique augmente sensiblement avec la proportion d’eau. 2°. Le pouvoir rotatoire de l'acide tartrique augmente avec la tem- pérature. 3°. Le pouvoir rotatoire de l’acide tartrique est influencé par la présence de l’acide borique qui augmente beaucoup ce pouvoir rota- toire. 4. Enfin le mode de dispersion des plans de polarisation par l'acide tartrique ne suit pas du tout la loi de la raison inverse du carré des longueurs d’onde que présentent très approximativement le quartz et la généralité des substances douées de la propriété rotatoire moléculaire. L'ensemble de ces quatre particularités, qui forment autant d’ex- ceptions aux lois ordinaires du phénomène rotatoire, ne s’est présenté encore dans aucune substance. Or l'acide malique actif m’a offert ces mêmes particularités d’une manière plus saillante même que l'acide tartrique. Il est donc impossible de mettre en doute qu’il y a quelque DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 159 chose de commun dans la constitution moléculaire des acides tartrique et malique. Ce qu’il faut bien noter, d’autre part, c'est que ces ana- logies de constitution sont accusées par un phénomène dissymétrique, la propriété optique rotatoire. Il résulte de là forcément, même en laissant de côté toute généralisation théorique des faits relatifs aux substances droites et gauches, que, puisqu'il existe deux acides tar- triques, l’un droit, l’autre gauche, il faut qu’il existe deux acides ma- liques ‘correspondants à ces deux acides tartriques. Il n'importe pas de savoir si l’acide malique symétrique de l'acide malique des chi- mistes se trouve actuellement dans quelque plante spéciale. Ce que l’on peut affirmer, c’est l'existence possible de cet acide malique symé- trique, non superposable à l'acide du sorbier, des pommes et des raisins. J’expose dans mon travail des considérations qui tendent à établir que l’acide malique actuel correspond à l’acide tartrique droit, ce que l’on pouvait prévoir par l'existence simultanée et constante de l’acide malique et de l’acide tartrique droit dans tous les fruits acides. Il est très probable que, lorsqu'on aura retrouvé l’espèce de raisin qui a fourni du tartre renfermant de l’acide racémique, on découvrira dans ce même raisin l’acide gauche de l’acide malique actuel. Il est une autre conséquence à déduire des faits qui précèdent c'est qu'il peut exister une asparagine inactive correspondante aux acides malique et aspartique inactifs étudiés dans ce travail. Et le jour où l’on aura trouvé le moyen de préparer de l’asparagine active ordinaire en partant des acides malique et aspartique actifs, assuré- ment la même réaction appliquée aux acides inactifs de mêmes noms fournira de l’asparagine inactive. Il y a aussi de fortes raisons de croire qu’il peut exister un acide tartrique correspondant à l’acide malique inactif. Cet acide serait neutre sur la lumière polarisée comme l'acide racémique, mais différerait de ce dernier par sa constitution moléculaire, et ne pourrait être dédoublé en deux acides tartriques, droit et gauche. MÉMOIRE SUR LES ACIDES ASPARTIQUE ET MALIQUE (1) 1. Dans le dernier travail que j'ai eu lhonneur de soumettre à l'Académie (2), j'ai annoncé, entre autres résultats, que les acides malique et aspartique avaient la faculté de dévier le plan de polari- sation des rayons lumineux, et qu'ils transportaient cette propriété dans toutes les combinaisons salines. J’ai montré, d'autre part, que l'acide fumarique naturel ou celui que l'on obtient par la distillation sèche de l'acide malique ne jouissait pas de cette propriété. Quelques jours avant la présentation de mon travail, M. Dessaignes, habile chimiste de Vendôme, fit connaître à l’Académie la transfor- mation du fumarate acide d’'ammoniaque en acide aspartique. Si l’on rapproche les résultats de M. Dessaignes et les miens, il semblerait que l'acide aspartique, substance douée de l'action rotatoire, peut être obtenu artificiellement à l’aide du fumarate acide d’ammoniaque dénué de cette propriété. Or on n’a jamais, jusqu’à ce jour, donné naissance, par les procédés des laboratoires, à une substance ayant une action sur le plan de polarisation, en partant de composés qui ne possédaient pas eux-mêmes cette faculté. Je devais donc conclure que, très probablement, lacide aspartique de M. Dessaignes différait de l'acide aspartique naturel, je veux dire de celui que fournit l’asparagine, par l’absence de la propriété rotatoire moléculaire. J’attachais tant d'importance à la constatation de ce fait et dans la prévision même des résultats que je vais avoir l'honneur de commu niquer à l’Académie, que je me rendis immédiatement à Vendôme, où M. Dessaignes, avec une complaisance dont je lui exprime ici toute ma gratitude, voulut bien partager avec moi la petite quantité 1. Annales de chimie et de physique, 3% sér., XXXIV, 1852, p. 30-64 (avec 14 fig.). Ce mémoire a fait l'objet d’un rapport de M. Biot qu'on trouvera à la fin du présent volume : Document IV. Le début de ce Mémoire jusqu'au chapitre Acide aspartique actif reproduit presque inté- gralement le début du Mémoire précédent. 2, Voir p. 155 du présent volume. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 161 d'acide aspartique qui lui restait encore. Dès mon retour à Paris, je reconnus, en effet, que l’acide aspartique nouveau, dérivé d’un corps inactif sur le plan de polarisation des rayons lumineux, était lui-même inactif. Je dois me hâter d’ajouter que tout chimiste, qui n'aurait pas considéré d’une manière attentive la forme cristalline et recherché comparativement la propriété rotatoire, aurait été conduit à la même appréciation que M. Dessaignes. Les deux acides aspartiques offrent, en effet, la ressemblance la plus frappante entre toutes leurs pro- priétés chimiques. Ce qui me séduisait le plus dans l'examen de la nouvelle substance, c'était sa transformation en acide malique. Les chimistes savent, en effet, aujourd’hui qu'il est très facile de passer de l’aspa- ragine et de l'acide aspartique à l'acide malique, et je me suis assuré que l'acide malique, ainsi obtenu, était en tout point identique, sous le triple point de vue chimique, cristallographique et optique, avec l'acide malique du sorbier, des pommes, des raisins et du tabac. Or, en appliquant à l'acide aspartique nouveau, inactif sur le plan de la lumière polarisée, exactement le même mode d’action qui a servi à M. Piria pour obtenir l'acide malique à l’aide de l’asparagine, on le transforme en un acide malique également inactif. Je propose de distinguer ces acides et leurs dérivés par les noms actuellement dans la science, en ajoutant seulement les expressions actif et inactif. Ainsi on dira : acide malique actif, acide aspartique actif; acide malique inactif, acide aspartique inactif. Cette nomen- clature rend les faits d’une manière juste et saillante. Elle se prête bien surtout aux découvertes ultérieures possibles et très probables dans cet ordre d'idées. C’est dans la même prévision que j'ai proposé d'abandonner les expressions acide lévoracémique, acide dextrora- cémique dont je me suis servi dans le travail où j'ai fait connaître la constitution binaire de l’acide racémique. Les expressions acide tartrique droit, acide tartrique gauche me paraissent beaucoup plus convenables. C'est à l'étude comparée des deux acides aspartiques actif et inactif, et des deux acides maliques actif et inactif que le Mémoire actuel est consacré. Acide aspartique actif. 2. L’asparagine, découverte en 1805 par M. Robiquet dans les jeunes pousses d’asperge, trouvée plus tard dans les racines de diverses plantes et dans les tiges des légumineuses qui ont poussé DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 11 162 ŒUVRES DE PASTEUR dans l'obscurité, se présente en cristaux magnifiques. J'ai montré précédemment que la forme de ces cristaux jouissait de l’hémiédrie non superposable, accompagnée de la propriété rotatoire moléculaire. Sous diverses influences, l’asparagine, dont la formule chimique est CSH8Az206,2(H0) — CSH*0O6,Az2H* + 2(H0), EE Asparagine cristallisée, se transforme en un acide particulier désigné sous le nom d’acide aspartique, et dont la formule est SE À eristallisé, Cet acide aspartique jouit de la propriété rotatoire. Je l’appellerai désormais acide aspartique actif. Préparation. — Si l’on fait bouillir une solution d’asparagine en présence des alcalis ou des acides énergiques, une molécule d’eau se fixe sur une molécule d’asparagine, et celle-ci en même temps se transforme complètement en ammoniaque et en acide aspartique. Un moyen d'obtenir cet acide consiste à dissoudre l’asparagine dans l'acide chlorhydrique concentré, et à faire bouillir pendant une heure au plus. A la liqueur froide étendue d’eau, on ajoute de la craie ou du carbonate de magnésie tant qu’il y a effervescence. L’acide aspartique se dépose en partie, à l’état cristallisé, pendant la saturation. Pouvoir rotatoire, — Dissous dans la potasse, la soude, l'ammo- niaque, cet acide exerce la rotation vers la gauche. Il l’exerce, au contraire, à droite quand il est dissous dans les acides. Proportion d'acide aspartique cristallisé dans l'unité de poids . . . . . . € e —0,108749 Proportion d'acide chlorhydrique eur O5 BE CEE AR OU D CRE e—0,891251 Densité de la ee à 430. FRERES à — 1,10904 Température de l'observation . . . . . . . .. — 192 Longueur du tube . . . .. RER D te 1— 500 mm Déviation de la teinte de passage . . . . . . . ax — 16°8 Pal Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres . . . . [æ]; = 27086 7. Solubilité. — J'ai rempli un tube d'acide aspartique cristallisé, puis j'ai ajouté de l’eau. La température de l’eau était 13°. Elle est restée en contact avec les cristaux jusqu’au lendemain, dans un labo- ratoire spacieux, dont la température variait très peu. La solution saturée, filtrée rapidement dans une capsule dont la tare était faite, I I DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 163 pesait 15 gr. 705. La température était de 11°. On a évaporé au bain- marie, puis desséché à l’étuve à 100°. Le poids d’acide aspartique fut égal à 0,043; d’où il résulte que 100 grammes d’eau à 11° dissolvent 0,274 d'acide aspartique actif. En d’autres termes, 1 gramme d’acide aspartique actif exige 364 grammes d’eau à 11° pour se dissoudre. On trouve un résultat très différent si l’on fait une dissolution chaude saturée d'acide actif, qu’on la laisse cristalliser par refroidis- sement, et qu'alors on détermine la quantité d'acide qu'elle renferme. J'ai trouvé ainsi que 100 grammes d’eau à 6° dissolvent 0,430 d’acide actif. En d’autres termes, 1 gramme d’acide actif exige, dans ces circonstances, 232 grammes d’eau à 6° pour se dissoudre. La diffé- rence des deux résultats provient de ce que, dans le dernier cas, il y à sursaturation. Poids spécifique. — Le poids spécifique de lacide actif, par rapport à l'alcool absolu à 12°,5, est égal à 2,0737. Cet alcool avait lui-même une densité égale à 0,80113 à 12°,5. IL résulte de là que le poids spécifique de l'acide actif, par rapport à l’eau à 12,5, est égal à 1,6613. Forme cristalline. — La forme cristalline de l'acide aspartique actuf appartient au système du prisme droit rectangulaire. Elle est représentée figure L. Les cristaux d'acide actif sont rarement assez nets pour que SEA ! . . . S d 4 l’on puisse distinguer toutes les faces indiquées par la figure. Je les ai recon- | nues sur des cristaux limpides, en tables très minces, obtenus en abandonnant à une évaporation lente une solution up D d'acide aspartique dans l'acide nitrique - Es FiG. 1. F1G. 2. faible. Les cristaux sont, en général, fort petits, d’un aspect soyeux et micacé. Ce sont toujours des tables minces, rectangulaires, tronquées sur les angles. Leur profil est représenté figure 2. Les cristaux complets sur lesquels j'ai reconnu toutes les faces de la figure 1 étaient cependant trop minces, et les faces trop pelites pour que j'aie pu mesurer les angles. Cet acide a été analysé par divers chimistes. Sa formule est CSH6 Az 07,HO lorsqu'il est cristallisé. Î 16% ŒUVRES DE PASTEUR Acide aspartique inactif. Dans le mois de mars 1850, M. Dessaignes (1) annonça à l’Académie qu'il était parvenu à transformer le bimalate d’ammoniaque en acide aspartique. Voici le procédé qu'il emploie : « Le bimalate d’ammoniaque est chauffé au bain d'huile de 160 à 200°. Le résidu est une masse rougeâtre qui, par des lavages répétés à l’eau chaude, laisse une matière amorphe de couleur brique pèle. Ce corps est un nouvel acide azoté qui se dissout dans les acides concentrés, d’où une addition d’eau le précipite sans alté- ration. Mais, si on le chauffe cinq à six heures avec l'acide chlor- hydrique, il se transforme en acide aspartique. La solution évaporée fournit, par refroidissement, du chlorhydrate d’acide aspartique cris- tallisé. Ce chlorhydrate cristallisé, dissous dans l’eau, est divisé en deux parties égales, dont l’une, saturée exactement par lammoniaque, est ajoutée ensuite à l’autre. Par le refroidissement, il se forme une cristallisation abondante d’acide aspartique. » Quelques mois après, M. Dessaignes montra qu’en opérant de méme avec les maléate et fumarate d’ammoniaque, on arrivait au même résultat (?). J'ai dit précédemment les motifs qui m’avaient porté à croire que cet acide aspartique artificiel était isomeère de lacide aspartique extrait de l’asparagine. L’acide malique, ainsi que je l’ai établi dans un travail récent, jouit de la propriété rotatoire; mais, vers 150% donne lieu aux acides maléiqüe et fumarique, où l’on ne retrouve plus cette propriété. M. Dessaignes aurait donc obtenu une substance active à l’aide de substances inactives, les maléate et fumarate d’ammoniaque. La nature, jusqu'ici, s’est réservé le secret de pareilles transformations. Pouvoir rotatoire. — L'acide aspartique de M. Dessaignes, que je désignerai sous le nom d’acide aspartique inactif, ne dévie pas le plan de polarisation des rayons lumineux, ainsi que le prouve l'expérience suivante : J'ai dissous 10 gr, 353 d’acide aspartique dans 87 gr. 047 d’acide nitrique à 14° B. La dissolution est très facile, et la température de 1. DessaiGxEs. Formation d'acide aspartique avec le bimalate d’ammoniaque. (Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 18 mars 1850, XXX, p. 324-325. 9. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 16 septembre 1850, XXXT, 4 p. 432-433. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 165 la liqueur s’abaisse de 2 à 3°. Observée dans un tube de 500 milli- mètres, la solution n’a pas donné de déviation appréciable à la double plaque de M. Soleil. L’acide aspartique, extrait de l’asparagine, se dissout aussi très facilement dans l’acide nitrique avec un léger abaissement de tempé- rature. 7 gr. 898 d’acide aspartique actif, dissous dans 95 gr. 122 d’acide nitrique faible, ont donné une déviation de 13°. Solubilité. — J'ai rempli un tube d’acide aspartique inactif cristallisé, et j'ai ajouté de l’eau dont la température était 139,5. Le lendemain, la température, qui avait très peu varié pendant la nuit, était encore de 139,5. 12 gr. 742 de 2 la liqueur saturée renfermaient 0,061 d’acide aspartique . sec. Il résulte de là qu’à la température de 13,5, Ge 100 grammes d’eau dissolvent 0,4810 d'acide inactif. En d’autres termes, 1 gramme d’acide inactif exige 208 grammes d'eau pure à 13°,5 pour se dissoudre. L’acide inactif est donc très peu soluble, mais il l’est beaucoup plus cependant que Pacide actif. K Si l’on fait une dissolution d'acide inactif saturée Fi. 3. à chaud et qu’on la laisse refroidir, il y a aussi sursatu- ration, comme pour l'acide aspartique actif, et la solubilité ainsi déter- minée donne un chiffre très différent de celui que nous venons de trouver. Poids spécifique. — Le poids spécifique de l'acide inactif, par rapport à l'alcool absolu à 12°,5, est égal à 2,0760. Cet alcool avait pour densité 0,80113 à 129,5, la densité de l’eau à cette même tempé- rature étant prise pour unité. Il résulte de là que le poids spécifique de l'acide inactif, par rapport à l’eau à 12°,5, est égal à 1,6632. Forme cristalline. — La forme cristalline de l'acide aspartique inactif appartient au prisme oblique à base rhombe. Elle est repré- sentée figure 3. Voici les angles qui déterminent le cristal : L:L — 128528! P : L par derrière — 91,30 environ e:P 19129: Le prisme est très peu oblique, mais les modifications ne laissent aucun doute sur cette obliquité (1. 1. J'ai obtenu récemment une cristallisation d'acide inactif où tous les cristaux étaient hémitropes. Que l'on imagine un plan vertical passant par les arêtes d'intersection des faces L et situé dans le plan de la figure, puis, que la moitié antérieure du cristal tourne alors de 180 autour d’un axe horizontal; on aura la représentation de ces cristaux hémitropes. Alors on voit nettement que le prisme est oblique, par les angles rentrants (P : P) et (e : e). Lorsque les 166 ŒUVRES DE PASTEUR Les cristaux sont toujours très petits, fort nets dans certains cas, et réunis en croûtes étoilées. Quelquefois ils prennent une forme lenticulaire allongée, et les faces à sont courbes. Cette courbure provient de ce que chaque face 4 est double, et que l’angle des deux faces adjacentes est très obtus. J’ai déjà souvent rencontré dans les cristaux des faces arrondies, et j'ai toujours vu qu’elles étaient formées par la réunion de plusieurs facettes faisant entre elles des angles très obtus, dont les arêtes d’intersection s'étaient émoussées. Une cristallisation d’acide aspartique inactif pur a toujours un aspect spécial tout différent de celui d’une cristallisation d’acide actif. 0 gr. 400 d’acide inactif cristallisé ont donné 0,522 d’acide carbo- nique et 0,188 d’eau. On déduit de là, pour 100, Carbone NS ALES TE EC RE NOTE CR CNP PT Hydrogène. 552: La formule CSH7 Az OS de l'acide aspartique actif exige : Carbone}.uet rt EC PSN RNA CE ES Hydrogène nn EN TR ET RE EN IE IC TRUE M. Dessaignes avait déja trouvé que le nouvel acide aspartique avait la même composition que l’acide ordinaire. Chlorhydrates des acides aspartiques. Lorsque lon dissout les acides aspartiques actif et inactif dans l'acide chlorhydrique et qu'on évapore au bain-marie, on obtient, par refroidissement ou mieux par un repos et une évaporation prolongés, des combinaisons de ces acides et d’acide chlorhydrique. Ces chlorhy- drates sont très solubles. Leur composition chimique est la même; mais leurs formes cristallines différent, et le chlorhydrate fourni par l'acide actif a seul la propriété rotatoire. Le pouvoir rotatoire du chlorhydrate d’acide actif est donné par l'expérience suivante : faces a et o sont doubles, ce qui arrive souvent, si des faces naïissaient tangentiellement sur les arêtes des faces L de devant et L de derrière, l'acide inactif aurait alors l’aspect de l'acide actif (fig. 1). Il serait donc très important de mesurer les angles de la forme de l'acide actif, afin de les comparer avec ceux de l'acide inactif. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 167 Proportion de chlorhydrate cristallisé . . . . e — 0,055463 Densité de liqueur amsn ne d —1,0274 Déviation de la teinte de passage . . . . . . . x — 696 Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres , . . . [xl; — 249127 s ces Le chlorhydrate d'acide aspartique actif se décompose en se dis- solvant dans l’eau. Il se précipite une assez grande quantité d’acide aspartique. Je l'ai fait disparaître par l’addition de quelques gouttes d'acide chlorhydrique, dont on a tenu compte dans l'expérience précé- dente. Le chlorhydrate d’acide inactif peut se dissoudre dans l’eau sans précipitation d'acide inactif. On pourrait croire que cela constitue une différence dans les propriétés chimiques de ces deux chlorhydrates ; mais il n’en est rien. Le chlorhydrate d’acide inactif se décompose aussi en se dissolvant dans l’eau ; seulement, l'acide inactif, étant plus soluble que l'acide actif, reste en dissolution. Aussi y a-t-il, dans les deux cas, une précipitation abondante lorsque l’on opère avec une eau alcoolisée. D'ailleurs, si l’on verse de l’eau sur le chlorhydrate inactif et qu'on laisse la dissolution s’effectuer sans agiter, il se forme égale- ment un précipité floconneux d’acide aspartique inactif. Lorsque l’on abandonne au contact de l'air les chlorhydrates des acides aspartiques et qu'on suit par la balance la modification qu’ils éprouvent, on voit facilement que le chlorhydrate d’acide inactif est tout à fait inaltérable. En été seulement, les cristaux deviennent d’un blanc laiteux à la surface, et perdent leur éclat et leur transparence. Quant au chlorhydrate d'acide actif, son poids augmente beaucoup; il tombe en déliquescence et se couvre de taches blanches d’acide aspar- tique. Cette déliquescence du chlorhydrate d’acide actif ne permet pas de mesurer avec précision les angles de sa forme cristalline. Elle à un aspect tout autre que celle du chlorhydrate inactif. C’est un prisme droit terminé par des facettes tétraédriques. La forme est représentée figure 4. L, L sont les pans; k, k sont les facettes hémiédriques qui portent sur l’angle solide formé par les faces L, L et par la base du prisme. Ces facettes L devraient être au nombre de quatre à chaque extrémité du prisme ; il y en a deux seulement, et le couple d’une extrémité est en croix avec le couple de l’autre extrémité, ce qui est l'indice de l’hémiédrie. Autant que j'ai pu le reconnaître par des mesures prises au goniomètre d'application sur de pelits cristaux, on à PNR IE) L':L— 90°) mesures très grossieres, 168 ŒUVRES DE PASTEUR Il est probable que les facettes L porteraient sur les arêtes des bases du prisme droit qui serait formé par les quatre faces g. Deux de ces faces ne sont indiquées ni sur la figure, ni sur les cristaux naturels. I Éd La difficulté d'observer un cristal déliquescent et incomplet ne me permet pas de regarder comme rigoureuses la détermination de la forme de ce chlorhydrate et la position des facettes hémiédriques (1. La forme cristalline du chlorhydrate inactif est représentée figure 6; c'est un prisme oblique à base rectangle. On a pen 110045) g : M— 123,00 PES 0 80 Voici la détermination du chlore de ces deux chlorhydrates, dont l’ana- lyse a été déjà faite par M. Dessaignes qui leur avait trouvé la même composition. 1 gr. 487 de chlorhydrate inactif ont donné 1,243 de chlo- rure d'argent, ce qui correspond à 20,66 pour 100 de chlore; d’autre Fic. 4, part, 1 gr. 307 de chlorhydrate actif ont donné 1,083 de chlorure d’ar- gent, ce qui correspond à 20,48 pour 100 de chlore. La formule CS H7 Az O8,H CI exige 20,9 pour 100. Action de la chaleur. — Les chlorhydrates des acides actif et inactif se comportent de même sous l'influence de la chaleur. Tous deux perdent, sensiblement à la même température, de l'acide chlorhy- 1. Jusqu'à présent j'ai presque toujours vu les substances actives, tartrates, malates, aspartates, etc., appartenir au système du prisme droit à base rhombe, et l'hémiédrie être constamment indiquée par des facettes portant sur les arêtes des bases rhombes, de manière à conduire par leur prolongement à un tétraëdre irrégulier. Les exceptions sont assez rares. Je citerai cependant le sucre, l'acide tartrique, le tartrate neutre de potasse. L'hémiédrie, dans les substances qui cristallisent en prisme oblique à base rectangle, est accusée par des faces qui naissent d’un côté seulement du cristal. Soit, pour fixer les idées, le prisme rectangulaire oblique (fig. 9). Les facettes hémiédriques portent d'un côté seulement du cristal, sur les arêtes B ou sur les arêtes D. Dans ces deux cas l'hémiédrie est non superposable. Les mêmes modifications, placées de l’autre côté du prisme oblique et sur les arêtes de même nom, conduisent à un solide symétrique du précédent. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 169 drique et de l’eau, et fournissent cette substance insoluble, azotée, découverte par M. Dessaignes, et dont je donnerai plus loin l'analyse élémentaire. Voici la réaction : CSH7 Az OS,H CI — H CI + 3 (HO) + CSH#AzOÿ. La matière colorante qui accompagne toujours la production du corps CSH#AzOÿ ne se forme, dans l'expérience actuelle, qu’en très petite quantité. Aspartates de soude actif et inactif. Lorsqu'on ajoute de la soude caustique ou du carbonate de soude aux acides aspartiques jusqu’à neutralisation, et qu'on abandonne à une évaporation lente les liqueurs, elles fournissent des aspartates de soude parfaitement neutres, l’un actif, l’autre inactif, de même compo- sition chimique, offrant les mêmes réactions; mais leurs formes cris- tallines sont distinctes et incompatibles. Solubilité. — Les aspartates de soude actif et inactif sont très solu- bles dans l’eau. Afin de déterminer exactement et de comparer leur Frc. 7. Fic. 8. FiG. 8 bis. solubilité, j'ai rempli séparément deux tubes, l’un d’aspartate actif, l’autre d’aspartate inactif, et j'ai ajouté de l’eau de manière que le niveau du liquide, dans chaque tube, fût encore au-dessous des cristaux après la saturation. La température de l’eau était de 12°,3 lorsqu'elle fut versée sur les cristaux d’aspartate actif. Le surlendemain, la tem- pérature, qui variait très peu pendant la nuit, était de 12°,2. Jai alors filtré et j'ai reçu, dans une capsule dont la tare était faite à l'avance, 5 gr. 6085 de liquide. En abandonnant à l’évaporation lente jusqu’à ce que tout le liquide eût cristallisé, on trouva que les 5 gr. 6085 de solu- tion renfermaient 2 gr. 644 d’aspartate de soude cristallisé pur; il 170 ŒUVRES DE PASTEUR résulte de là que 100 grammes d’eau à 12°,2 dissolvent 89 gr. 19% d’aspartate de soude actif. Une expérience, faite à la même époque et de la même manière sur l’aspartate de soude inactif, a montré que 100 grammes d’eau à 129,5 dissolvent 83 gr. 791 d’aspartate de soude inactif; ce dernier est donc un peu moins soluble. Formes cristallines. — L'aspartate de soude actif cristallise en aiguilles prismatiques appartenant au prisme droit à base rhombe. La forme est représentée figure 7. Les facettes L sont des facettes hémié- driques; elles devraient être au nombre de quatre à chaque base, d'après la loi de symétrie. Il n’y en a que déux, en général, et leur ensemble conduit à un tétraèdre irrégulier. Lorsque les huit facettes X existent, quatre d’entre elles, placées comme nous venons de le dire, se développent beaucoup plus que les autres. Les faces des pans étant toujours striées et donnant lieu à des doubles images, je n’ai pas confiance dans les mesures que j'ai prises des angles du prisme. Quant à l'angle du biseau, il est de 106° à un 5 degré près. Ce qu’il importe surtout de remarquer, c’est que le prisme est droit et hémiédrique. L'aspartate de soude inactif cristallise en prisme oblique à base rectangle modifié, comme l'indique la figure 8. L’obliquité du prisme est très marquée, et il y a incompatibilité complète entre les formes des deux aspartates. On à : PE EL = 144046! M:M— 51,38 M 3 = 64,11 R:k —112,53. Il y a souvent hémitropie dans ce sel. Supposons un cristal iden- tique avec le cristal de la figure 8 placé derrière celui-ci, le touchant suivant sa face 9, mais sa base P inclinée en sens contraire de celle de la figure et faisant biseau avec celle-ci. Dans ce double cristal, les faces À se rejoignent deux à deux et donnent lieu à des angles ren- trants. La projection du sommet du cristal hémitrope est dessinée figure 8 bis. (k, k), (k, k) sont les angles rentrants. On peut encore se représenter le cristal hémitrope de la manière suivante : Supposons le solide (fig. 8) coupé par un plan vertical situé dans le plan de la figure et passant par les arêtes d’intersection des faces M. En faisant tourner de 1809, autour d’un axe horizontal, la moitié postérieure du cristal, on aura le cristal hémitrope. C’est la méme hémitropie que dans l'acide aspartique inactif. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 171 Pouvoir rotatoire de l'aspartate actif. Proportion d'aspartate de soude cristallisé . . e—0,134031 BLODOEUONITEAU EN ES TRE ee e — 0,865969 Dénsitédelatiqueur 1420 NE 0 d—4,12135 J'empératuretde Lobsén Nation." "7 — 58% Déviation de la teinte de passage . . . . . . . a — 11268 Pouvoir rotatoire pour 100 millimètres . . . . [xl;— 2°23 à ; Aspartates d'argent actif et inactif basiques. Si l’on dissout l'acide aspartique actif dans un excès d’ammoniaque el qu'on ajoute de l’azotate d'argent neutre, le précipité, qui prend naissance d’abord, se redissout ensuite par lagitation. Il persiste lors- qu'on a ajouté une assez grande quantité de sel d'argent, si les liqueurs ne sont pas trop étendues. Le précipité est blanc et amorphe. La liqueur filtrée laisse déposer, en vingt-quatre heures, des cristaux réunis en petites masses sphériques. Ce sel cristallisé a la même composilion que le précipité dont je viens de parler. 0 gr. 664 de matière desséchée à 100 degrés donnent 0,4125 d'argent métallique, ou 62,1 pour 100. La formule CSH5 Az O6, 2(Ag 0) exige 62,2; d'autre part, j'ai retiré, de 1 gr. 1925 de ce sel, après un traitement à l'hydrogène sulfuré, un poids d’acide aspartique actif égal à 0,453. La formule exige 0,457 (1). L’acide aspartique inactif se comporte exactement, dans les condi- 1, J'ai fait deux analyses de ce sel d'argent cristallisé comprimé entre des doubles de papier, puis exposé à l'air pendant vingt-quatre heures, sans le dessécher préalablement à 100», et j'ai trouvé dans un cas 60,7 pour 100 d'argent; dans l'autre cas 60,8. La formule CS H°Az07, 2(Ag O) exige 60,7. Il semble, d'une part, qu'un sel cristallisé en très petits mamelons durs et sablonneux ne peut retenir de l'eau interposée. D'autre part, il est étonnant qu’un sel d'argent perde aussi facilement à 100° 1 équivalent d’eau. Je laisse à des chimistes plus exercés le soin de décider si l'aspartate d'argent cristallisé renferme en effet 1 équivalent d'eau. L'aspartate de soude inactif additionné d'acétate de plomb ammoniacal donne un précipité caséeux. La liqueur filtrée, étendue de beaucoup d’eau, dépose en deux ou trois jours des cris- taux nacrés réunis en mamelons sphériques, trés durs, de structure rayonnée. J'ai trouvé que ce sel était anhydre, ne perdait rien à 100, et avait pour formule CSHSAz 07, 2(PbO). La formule correspond à 64,3 pour 100 d'oxyde de plomb, et l'on a obtenu 63,88. La formule CS H° Az Of, 2(PbO) exige 66,1. J'ai rencontré ici une cause d'erreur que je m’empresse de signaler. L'aspartate de soude actif se comporte avec l’acétate de plomb ammoniacal comme l'aspartate de soude inactif. Il se produit également un précipité qui se rassemble en masse molle, et par le repos des cristaux réunis en mamelons durs, rayonnés. Mais ces cristaux sont formés par un acétate de plomb basique particulier, qui renferme 65 pour 100 d'oxyde de plomb. J'ai pris d'äbord et pendant long- 172 ŒUVRES DE PASTEUR tions précédentes, comme l'acide actif. Le précipité formé dans la liqueur alcaline d'acide inactif, par le nitrate d'argent, se redissout d’abord et persiste ensuite. La liqueur filtrée et limpide laisse déposer, en vingt-quatre heures, des cristaux réunis en petites masses sphériques, qui ont aussi la composition indiquée par la formule précédente. 1 gr. 054 de sel séché à 100° ont donné 0,657 d’argent, ou 62,3 pour 100. Je pourrais multiplier les exemples de comparaison entre les dérivés des deux acides aspartiques. M. Dessaignes a reconnu, en effet, que l'acide aspartique donnait des combinaisons cristallisables non seulement avec l'acide chlorhydrique, mais aussi avec les acides nitrique, sulfurique, etc. Il a étudié également des aspartates cristal- lisés autres que celui de soude (!); mais ces détails n’ont aujourd’hui aucune utilité. J’y reviendrai dans un travail ultérieur. Les résultats précédents suflisent pour caractériser ce nouveau genre d’isomérie des substances douées de la propriété rotatoire molé- culaire. Tout ce que l’on produit avec l'acide actif se peut effectuer dans les mêmes conditions avec l'acide inactif. Les produits obtenus ont constamment même composition, mêmes propriétés chimiques ; ils se distinguent par de faibles différences dans la solubilité, par l'existence de la propriété rotatoire dans les uns, et surtout, en général, par des formes cristallines incompatibles. Si l’on faisait abstraction de la propriété rotatoire, on aurait deux séries de substances respectivement aussi voisines que peuvent l'être les variétés de substances dimorphes. Il n'y à pas plus de différence entre les deux acides aspartiques, les deux aspartates de soude, etc., qu'il n'y en a entre le spath d'Islande et l’arragonite, le soufre octaédrique et le soufre prismatique, si l’on met de côté le phénomène rotatoire. On peut s'étonner qu'une aussi grande similitude dans toutes les propriétés chimiques de ces corps actifs et inactifs ne soit pas accusée temps cet acétate pour un aspartate de plomb de même composition que l'aspartate inactif, et comme sous l'influence d’un courant d'acide carbonique il donnait lieu à un précipité de car- bonate de plomb, je trouvais là une preuve non équivoque que l'aspartate de plomb était un aspartate basique. L'acide aspartique s'offrail ainsi comme un acide monobasique. En réalité, bien qu'il y ait plusieurs motifs d'adopter cette opinion, je crois qu'elle réclame encore de nouvelles études. Quel que soit d'ailleurs le résultat auquel on arrive, les idées de M. A. Lau- rent sur la capacité de saturation des acides amidés ne trouveront ici aucune exception. En effet, l'acide aspartique n'est pas l'acide malamique, et l’asparagine n'est pas la malamide. Ce résultat vient d'être constaté par M. Demondésir au laboratoire de la Faculté de Strasbourg, et je le confirme ici comme étant de la plus entière exactitude. 1. Les recherches de M. Dessaignes sur l’asparagine et l'acide aspartique ne se trouvent que par extraits dans les Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences où dans le journal l'Institut. L'intérêt qu'offrent ces recherches, leur précision, font désirer vivement qu'elles soient publiées in extenso dans les Annales de chimie et de physique. RE DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 173 par certaines relations entre leurs formes cristallines ; mais, outre que ces relations ne sont peut-être que cachées pour nous, le dimorphisme offre une difficulté du même ordre. Nous verrons tout à l'heure, du reste, en examinant les formes cristallines des bimalates d'ammonia- que et de chaux, que la constitution moléculaire des substances inac- tives n’est pas incompatible avec une forme cristalline identique à celle des substances actives correspondantes; et peut-être, dès lors, n'y a-t-il, dans certains cas, incompatibilité des formes des substances actives et inactives de même composition que par suite d’un dimor- phisme. C’est ce que je m'efforcerai de rechercher dans mes études ultérieures. La nécessité de l'examen du pouvoir rotatoire de tous les produits organiques n'a jamais paru si pressante. L'identité d’un produit naturel avec un produit artificiel de même composition ne pourra désormais être acquise à la science qu'après une étude attentive et de la forme cristalline et du pouvoir rotatoire. Tous les chimistes qui ont eu l’occasion d’annoncer de pareilles identités sentiront le besoin de soumettre à ces nouvelles épreuves les résultats de leurs travaux, en s’aidant, dès à présent, de la remarque sur laquelle j'ai insisté tout à l'heure, savoir : que jamais on n’a obtenu une substance douée de la propriété rotatoire en partant de composés qui ne jouissaient pas eux- mêmes de cette propriété. Les résultats, aujourd’hui acceptés, qui nécessiteraient une révision du genre de celles que je viens d'indiquer, sont nombreux dans la science, et je crois inutile de les énumérer ici (1). Acides maliques actif et inactif. M. Piria a fait voir que l’asparagine et l'acide aspartique, soumis à l'action de l’acide nitrique nitreux, se transformaient en acide malique. J'ai répété plusieurs fois l'expérience de M. Piria, et je me suis assuré, par une étude rigoureuse de la forme cristalline du sel acide d’ammo- niaque et par l’examen de la propriété rotatoire, que l’acide malique ainsi préparé était identique à l'acide malique du sorbier, des pommes et des raisins. Je crois inutile de rapporter ici les angles de la forme de ce bimalate et les détails de l’expérience qui m'a donné la mesure de son pouvoir rotatoire. J’ajouterai seulement qu’au lieu de recher- 1. Je ferai seulement remarquer que certains chimistes ont émis l'opinion que l'éther nitreux se transformait avec le temps en divers produits, parmi lesquels se rencontre l'acide malique. Si cette observation est juste, l'acide malique ainsi obtenu doit être inactif, et identi- que avec celui que je fais connaitre dans ce travail. C'est ce que je rechercherai prochai- nement. 174 ŒUVRES DE PASTEUR cher le pouvoir rotatoire du malate acide d’ammoniaque pur, je lai d’abord fait bouillir avec de l’oxyde d’antimoine. Le malate double d’ammoniaque et d’antimoine a un pouvoir rotatoire considérable à droite, ainsi que je l'ai déjà fait voir dans un travail antérieur. On peut, en profitant de ce fait, reconnaître et mesurer le pouvoir rota- toire d’une solution qui ne renferme que 1 ou 2 grammes de bimalate d’ammoniaque. N'ayant à ma disposition qu'une petite quantité d’acide malique de l’asparagine, j'ai dû recourir à ce procédé pour en étudier le pouvoir rotatoire. Si l’on fait agir l'acide nitrique nitreux sur l'acide aspartique inactif, les choses se passent exactement comme avec l'acide aspartique actif ; il se dégage de l'azote immédiatement et en grande quantité. La liqueur acide sursaturée par l’ammoniaque, lorsque le dégagement de gaz a cessé, puis précipitée par l’acétate de plomb, fournit du malate de plomb. Celui-ci, traité par l'hydrogène sulfuré, donne un liquide acide qui, évaporé au bain-marie jusqu'à consistance sirupeuse, fournit une cristallisation abondante, mamelonnée, d’un acide malique dénué de toute propriété rotatoire. Acide malique inactif. L'acide malique inactif est très soluble dans l’eau; sa dissolution sirupeuse se concrète, par le repos, en masse blanche, cristalline, mamelonnée, comme il arrive pour l'acide malique actif. Il cristallise plus facilement que ce dernier, parce qu'il est moins soluble et non déliquescent. Desséché sous une cloche par l'acide sulfurique et amené à son plus grand état de siccité, l’acide malique inactif augmente très peu de poids si on l’expose à l’air. 603 milligrammes de cet acide pur et sec ont absorbé 0 gr. 0025 d’eau, ou 0,4 pour 100, après huit jours d'exposition dans un air peu humide. Pendant le même temps et dans le même air, 935 milligrammes d’acide actif pur et sec ont absorbé 49 milligrammes d’eau, ou 5,2 pour 100. Dans une autre expérience, l'air était plus humide: l’hygromètre de Daniel a donné 7% pour la température du point de rosée, la température extérieure étant de 12°. L’acide actif est tombé facilement en déliquescence. Le poids de l'acide inactif a, au contraire, très peu varié. 266 milligrammes ont absorbé rapidement 2 milligrammes d’eau, et le poids n’a plus changé, même pendant plu- sieurs jours. En général, l’acide inactif pur et sec, exposé à l'air, absorbe rapidement et en totalité, en une ou deux heures, la quantité d’eau, toujours faible, qu'il peut prendre à l'air, tandis que l'acide actif DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 1:5 absorbe l’eau lentement jusqu'à ce qu'il soit réduit en un liquide visqueux, ce qui n'arrive que dans un air un peu humide. L’acide inactif ne se liquéfie pas, même dans un air saturé d'humidité. 0 gr. 816 d’acide inactif cristallisé, pur, qui avaient passé une nuit sous une cloche avec de l'acide sulfurique concentré, ont donné dans le tube à combustion 1,070 d'acide carbonique et 0,340 d’eau. On déduit de là : (CATTONC ER M EC RS LUE Hans 0 686 Rs PRE NO NE LOMME 4,65 DRE a te oMe ep 08 oo LE TOME à A FOOT EN EEE) | l ph 100,00. La formule de l'acide malique ordinaire CSH#OS,2 (HO) exige : CATTONCE 01 do no ER do IMMO SMS MANN ALES SECTE T) RO AONENS ont 0 6 POS OO ET 20/0 0 EM 4,48 Ces ER ML ARE ER ES EU LE PR ES 59,70 100,00. Action de la chaleur. — L’acide actif commence à fondre dans l’étuve à eau bouillante. L’acide inactif n'est pas altéré à cette température. Si l’on chauffe davantage les acides maliques, tous deux éprouvent le même genre de décomposition et donnent les acides maléique et fumarique inactifs en proportions variables, suivant la manière dont on règle l'application de la chaleur. En plaçant dans un même bain d'huile deux tubes contenant, l’un de l'acide malique actif, l’autre de l’acide malique inactif, et élevant graduellement la température, on trouve que l’acide actif entre en fusion à 100 et l'acide inactif à 133° seulement. D’autre part, si l’on note avec soin l'instant précis où se forme le premier dépôt de vapeur d’eau sur les parois froides des tubes, ce qui est l’annonce de la décomposition des acides, on trouve que l'acide actif commence à se décomposer à 140° et l’acide inactif à 150°. Malates actifs et inactifs. L’acide malique actif donne lieu, avec les divers oxydes métal- liques, à des malates qui tous ont la propriété rotatoire s’exerçant tantôt à droite, tantôt à gauche. Ces malates sont bien connus et ont été étudiés par divers chimistes. Or, à chacun de ces malates actifs répond un malate inactif de même composition chimique, et qui prend 176 ŒUVRES DE PASTEUR naissance exactement dans les mêmes conditions. Je m'occuperai sur- tout, dans ce travail, des bimalates d’ammoniaque, des bimalates de chaux et des malates de plomb actifs et inactifs. J'apprécie très bien Putilité de l'examen comparatif de tous les malates et de tous les aspartates actifs et inactifs, et je me réserve de présenter cette étude dans un travail ultérieur, lorsque je serai en possession de grandes quantités de matière première, nécessaire à la production, sur une grande échelle, de ces intéressants produits. Mais les résultats principaux de ce travail sont suffisamment établis par les faits qui s'y trouvent consignés. L'étude comparative d’un plus grand nombre de produits actifs et inactifs n’ajouterait rien aux conséquences générales déja mises en évidence par les détails que j'ai précédemment exposés. Bimalate d'ammoniaque actif. Le bimalate d’ammoniaque actif cristallise en beaux prismes droits rhomboïdaux. Sa forme est représentée figures 9 et 10. En voici les angles principaux : UE —= ES" L : L par derrière — 108,24 L:R = PES m : m par derrière — 137,35 m': m'par derrière — 104,36. ! Ce sont tantôt les faces 77, tantôt les faces 77 qui sont le plus Fic. 11. Fic. 9. développées. Quelquefois il n’existe que l’un des deux couples (m, m) ou (m!, ml). Le bimalate d’ammoniaque se présente, en général, avec une forme cristalline homoédrique. Cependant j'ai obtenu des cristaux hémiédriques, et notamment dans le bimalate d’ammoniaque que .) j'avais produit au moyen de l'acide malique extrait de l’asparagine. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 177 Dans ce cas, il arrive souvent que la base P n’est pas rendue nulle par le développement des faces »m et m»!', et que les cristaux portent les facettes hémiédriques À (fig. 10). Poids spécifique. — Le poids spécifique du bimalate d’ammoniaque actif, par rapport à l'alcool absolu, à la température de 12°,5 est égal à 1,9349. Cet alcool avait pour densité 0,80113 à 12°,5; la densité de l’eau, à cette température, étant prise pour unité. Il résulte de là que le poids spécifique du bimalate actif, par rapport à l’eau à 12,5, est égal à 1,5500. ’ Solubilité. — J'ai trouvé que 100 grammes d’eau à 15°,7 dissolvent 32 gr. 15 de bimalate d'ammoniaque actif. Ce résultat a été obtenu en abandonnant à une évaporation spontanée un poids déterminé d’une solution de ce bimalate en train de cristalliser. 9 gr. 195 de solution ont donné 2 gr. 237 de bimalate cristallisé pur et sec. Pouvoir rotatoire. — J'ai trouvé, l’année dernière (Mémoire déjà cité) [f, le pouvoir rotatoire du bimalate d’ammoniaque égal À — HS. J'ai repris cette mesure, et j'ai trouvé ce pouvoir molé- culaire pour 100 millimètres plus voisin en réalité de 6 que de 7. Il ne sera pas sans utilité de donner, à ce propos, quelques détails sur la détermination des déviations, au moyen de l'appareil de M. Soleil. J'ai à ma disposition un appareil à compensateur, où je puis établir un tube de 50 centimètres et des tubes de moindre longueur. Le tube de 50 centimètres donne lieu à des réflexions intérieures qui déplacent le zéro de 1° environ. On peut faire varier beaucoup plus la position du zéro en ne regardant pas exactement dans l’axe du tube. IL faut faire usage de diaphragmes ou corriger chaque fois l'erreur due au déplacement du zéro. Quand on emploie des tubes de 20 centimètres environ, il n’y a pas de réflexions intérieures, et, partant, pas de correction à effectuer. Mais la position de l'œil a toujours de l'influence. Cette cause d’erreur, jointe à celle qu'occa- sionne la difficulté d'établir l'identité des teintes, surtout pour certains liquides, ne met pas trop en défaut des mesures de fortes variations. Mais pour celles qui ne dépassent pas 5 ou 6°, la déter- mination exacte d’un pouvoir rotatoire devient très difficile; à plus forte raison lorsque les déviations sont de 2 à 3° seulement. Or il y a beaucoup de substances pour lesquelles il est difficile, à cause de leur peu de solubilité, de dépasser une déviation de quelques degrés. Dans tous ces cas, il faut n’accorder qu'une confiance très réservée aux mesures des déviations. 1. Voir p. 188 du présent volume. (Note de l'Édition. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. L 12 178 ŒUVRES DE PASTEUR Que l’on me permette de revenir, à cette occasion, sur le pouvoir rotatoire de l’asparagine. Dans le travail où j'ai fait connaître l'existence de la propriété rotatoire dans l’asparagine, l'acide aspar- tique et l'acide malique Gone me suis exprimé de la manière suivante : « L'asparagine, en dissolution dans l’eau ou dans les alcalis, dévie à gauche le plan de polarisation. Elle le dévie, au contraire, à droite, quand elle est en dissolution dans les acides. — L’asparagine est très peu soluble dans l'eau froide. Cette circonstance, jointe à la faiblesse du pouvoir rotatoire, fait qu'une dissolution aqueuse d’asparagine saturée à 8 ou 10° ne donne pas, dans le tube de 50 centimètres, une déviation sensible à l'œil, même en faisant usage de la double plaque de M. Soleil. La dissolution saturée à 25° donne déjà une déviation appréciable qui devient manifeste si l’on observe une solution chaude concentrée ». Je me suis contenté, par conséquent, d'établir l'existence du pouvoir rotatoire de l’asparagine en solution aqueuse et le sens de cette déviation. Il est impossible de faire plus, à moins d'opérer à une température élevée et avec une solution assez chargée d’aspa- ragine pour que la déviation devienne mesurable avec quelque rigueur. J'insiste un peu sur ces détails, parce que M. Dubrunfaut a publié, dans les Comptes rendus de 1851, une Note où il dit : « L’asparagine pure possède un pouvoir rotatoire notable, quoique M. Pasteur déclare n'avoir pu le mesurer à la température de 25°. En effet, 28 grammes d’asparagine, dissoute dans un litre d’eau, ont donné 5 une rotation égale à = de millimètre de quartz, dans un tube de 50 centimètres » (?). Exprimée en degrés, cette déviation est égale à 0°,12. Cela indique déjà que l’'asparagine a un pouvoir rotatoire très faible. Mais ce qui montre bien le peu de valeur de ces mesures numériques dans des cas où les déviations sont si minimes, cest qu’en répétant l'expérience de M. Dubrunfaut j'ai trouvé 0°,6 au lieu de 0°,1. Je le répète donc, lorsque des substances ont un aussi faible pouvoir rotatoire, et surtout aussi peu de solubilité à froid, il faut se contenter d'indiquer l’existence et le sens de la déviation. Action de la chaleur sur le bimalate d'ammoniaque actif. — Lorsque l’on chauffe au bain d'huile. de 160 à 200°, comme l'a indiqué M. Dessaignes, le bimalate d’ammoniaque, il se transforme en 1. Voir p. 125 du présent volume. 2. DugruxrauT. Seconde Note sur la saccharimétrie. [Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 9 juin 1891, XXXII, p. 858. (Notes de Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 179 un produit peu soluble dont la composition est la même que celle de l'acide aspartique, moins les éléments de l’eau. Voici l’analyse de ce curieux produit : 0 gr. 289 de matière, bien lavée à l’eau et desséchée à l’étuve à 100, ont donné 0,483 d’acide carbonique et 0,102 d’eau. D’autre part, 0 gr. 242 ont donné 0,222 de platine en dosant l’ammoniaque par le procédé Will et Fresenius. Ces résultats correspondent à la formule C8H#Az0O. TROUVÉ CALCULE MARPONEr EP CARPE NE A CAUSE 45,57 45,29 ÉVÜTOSÉNEER e -= -C-U 3,87 SH ACCES RE TEE 1597 13,20 UV EN ER RE ee tic e 37,34 37,74 100,00 100,00. Cette composition nous montre que quand on fait bouillir cette matière avec l’acide chlorhydrique, dans le procédé de préparation donné par M. Dessaignes pour l’acide aspartique inactif, il y a simplement fixation de 3 molécules d’eau. En effet, on a CSH# Az O5 + 3(H0) — CSH7 Az O8. mr Ac. aspartique crist. Voici d’ailleurs la réaction principale de la décomposition du bimalate d’ammoniaque : CSH*O8AzH40 + HO — CSH# Az Oÿ + 5 (HO). Mais il est facile de reconnaître que l’eau qui se dégage est chargée d’ammoniaque, de telle manière qu’une partie de l'acide malique doit être mise en liberté. Aussi il prend naissance de l’acide fumarique et de l’acide maléique. J’ai retrouvé, en outre, dans la partie soluble du résidu de l'opération, les acides maliques actif et inactif (1). La présence de l'acide malique inactif dans la partie soluble du résidu de la décomposition du bimalate d’ammoniaque actif est un fait assez important pour que j'indique comment je lai constatée. J'ai 1. Il est facile de transformer en la substance C* H#AZO5 tout l'acide malique du bimalate d'ammoniaque. J'ai remarqué en effet que si l'on humecte d'ammoniaque le bimalate avant de le chauffer à 200o, le résidu ne cède presque rien à l’eau, et son poids est très sensiblement, après lavage et dessiccation, celui qui est exigé par l'équation C8 H#OS AZ H40, HO = C8 H#Az O5 + 5(H0). 180 ŒUVRES DE PASTEUR précipité la liqueur par lacétate de plomb, traité ensuite par lhy- drogène sulfuré le précipité lavé, puis j'ai transformé l'acide en bisel d'ammoniaque. Parmi les cristaux qui prirent naissance, j'ai reconnu la forme cristalline du bimalate d’ammoniaque inactif, que je ferai bientôt connaître, et j'en ai mesuré les angles. Il résulte de là que, dans les conditions actuelles, l'acide malique actif paraît se transformer en acide malique inactif, seulement par une élévation de température. Bimalate d'ammoniaque inactif. Le bimalate d’ammoniaque inactif se prépare comme le bimalate actif. On partage en deux une solution d'acide malique inactif, on neutralise l’une des liqueurs par lammoniaque, et on l’ajoute ensuite à l’autre. En évaporant la solution, deux espèces de cristaux peuvent prendre naissance. Ceux qui se déposent en premier lieu ont exactement la forme et la composition du bimalate d'’ammoniaque actif. C’est un prisme droit rhombique, avec biseau aux extrémités. Non seulement les formes de ces deux bimalates actif et inactif se ressemblent, mais les angles sont les mêmes, au moins à un ou deux degrés près. Je n'ai pu les mesurer que d'une manière approchée. C'est que les cristaux de ce bimalate inactif sont striés, très peu nets, et paraissent, si l’on peut s'exprimer ainsi, avoir eu de la peine à se former. Au contraire, le bimalate actif donne toujours et facilement de beaux cristaux limpides, à faces nettes et bien réfléchissantes. Le bimalate d’ammoniaque actif offre un clivage facile perpendi- culairement aux faces verticales du prisme. Le même clivage se retrouve dans le bimalate inactif de même composition. Le bimalate d'ammoniaque inactif ne présente pas de facettes hémiédriques. Ainsi que je l'ai fait voir précédemment, elles existent quelquefois dans le bimalate actif. J'ai dit que la solution évaporée du bimalate d’ammoniaque inactif pouvait donner deux espèces de cristaux. Lorsque ceux dont je viens de parler ont pris naissance (ce qui n'arrive pas toujours), si l’on décante l'eau mère qui les surnage et qu'on l'abandonne à elle- même, on voit se former immédiatement des cristaux qui, en deux ou trois heures au plus, deviennent très volumineux, durs, d’une lim- pidité admirable. Autant ceux dont j'ai parlé précédemment sont lents à se produire et irrégulièrement formés, autant ceux-ci prennent naissance facilement et sont remarquables par leur netteté. Ces nouveaux cristaux constituent un bimalate d'ammoniaque DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 181 inactif qui n'a pas encore son correspondant parmi les malates actifs. Sa composition s'exprime par la formule CSHOS8 Az H#O + 3(H0), ainsi que le prouvent les analyses suivantes : I. 0 gr. 5 de matière ont donné 0,520 d'acide carbonique et 0,290 d’eau. II. 0 gr. 4 ont donné 0,414 d'acide carbonique et 0,2315 d’eau. On déduit de là : TROUVÉ CALCULÉ RS TE Te DARDONDE SN EDEN ETAT ND AET 283 28,2 28, HMORODÉDE RER RE ET 6,4 6,4 6,2. Je me suis assuré que le bimalate d'ammoniaque actif ordinaire avait bien la formule généralement admise CSH#O8,Az H#0 + HO. Voici la formule cristalline du bimalate d’ammoniaque inactif à 3(HO). Elle appartient au système du prisme oblique à base rhombe. Cette forme est représentée figure 12. On a : mm —127020! 15 " 11 —— 124,39 TO MEN 522 119°22 2.149,33 Angle des arètes d’intersection des faces (m, m) et (L L)— 110956. Rien dans ces cristaux n’annonce l’hémiédrie. Nota. — Si l’on fait cristalliser un mélange à poids égaux de bimalate d’ammoniaque inactif à 3(HO) et de bimalate d’ammoniaque actif ordinaire, voici ce que l’on observe. IL se dépose en premier lieu des cristaux de la forme du bimalate actif ordinaire. L'eau mere fournit ensuite des cristaux en prismes obliques, identiques avec ceux que je viens d'étudier. La nouvelle eau mère laisse déposer des cristaux -de la forme du bimalate actif, puis, après décantation, des cristaux en prismes obliques, jusqu’à la dernière goutte. Mais je reviendrai plus tard sur la cristallisation des mélanges de substances actives et inactives. Action de la chaleur. — Le bimalate d’ammoniaque inactif soumis à l’action de la chaleur se comporte exactement comme le bimalate actif. Il y a perte d'eau et d’ammoniaque, et formation de cet acide 182 ŒUVRES DE PASTEUR azoté dont la composition est la même que celle de l’acide aspartique, moins 3 molécules d’eau. J'ai placé dans un même bain d’huile deux tubes renfermant, l’un du bimalate actif, l’autre du bimalate inactif de même forme et de même composition, et j'ai élevé graduellement la température. À une différence près de quelques degrés, les phénomènes sont identiques dans les deux tubes. Ainsi à 100° un papier de tournesol rouge, humide, commence à bleuir un peu dans le tube qui renferme le sel inactif. Ce n’est que vers 110° que le papier bleuit dans l’autre tube. A 160, le bimalate inactif entre en fusion, ce qui n'arrive que vers 170° pour l’autre sel. La vapeur d’eau est déjà en quantité sensible dans le tube inactif à 165°, tandis qu’elle n'apparaît qu'à 170° dans le tube actif. Si l’on retire les tubes à 180°, qu'on reprenne par l’eau les résidus, la dissolution est complète dans le tube actif, incomplète dans l’autre. La partie insoluble est l’acide découvert par M. Dessaignes, qui se transforme, sous l'influence des acides éner- giques, en acide aspartique. L'expérience précédente, répétée sur le bimalate inactif à 3 (HO), donne les résultats suivants. Le papier rouge commence déjà à bleuir vers 90, et le sel est complètement fondu de 125 à 130°. En reprenant par l’eau le résidu du tube porté à 180°, il reste une grande quantité de matière indissoute. Malates de chaux neutres actifs et inactifs. Une solution aqueuse d’acide malique inactif neutralisée par l’eau de chaux ne donne lieu à aucun précipité. Ajoute-t-on de l'alcool, il prend aussitôt naissance des flocons blancs, amorphes, de malate neutre. Si l’on fait bouillir la solution aqueuse neutre précédente, elle ne tarde pas à donner lieu à un précipité grenu, cristallin, de malate neutre de chaux, très peu soluble dans l’eau froide ou chaude, CSH# 08,2 (CaO). Enfin, si l’on ajoute à une solution de bimalate d’ammoniaque un sel de chaux soluble et de l’ammoniaque en excès, il n’y a pas formation de précipité; mais, en vingt-quatre heures, des cristaux limpides, d'ordinaire réunis en mamelons rayonnés, se déposent sur les parois du vase. Leur composition s'exprime par CSH“08,2(CaO) + 5(HO). DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 183 Or ces trois caractères sont exactement ceux que l’on sail appar- tenir à l’acide malique actif ordinaire. Bimalates de chaux actif et inactif. Le malate neutre de chaux actif, dissous dans l'acide nitrique faible, laisse déposer du bimalate de chaux hydraté en beaux cristaux limpides dont la forme est représentée figure 13. C’est un prisme droit à base rhombe, portant un biseau aux extrémités. L, L sont les faces des pans; 7», m celles du biseau. Souvent les cristaux portent les faces M d’un deuxième prisme rhomboïdal, et les faces d’un autre biseau 7»7!, m'. Quant aux troncatures 2, elles méritent de fixer l'attention. Ce sont des facettes hémiédriques. Elles n'existent pas toujours sur les cristaux de bimalate de chaux, et jusqu’à présent je n'avais pu découvrir l'hémiédrie dans cette substance. Mais j'ai obtenu récemment plusieurs cristallisations où pas un cristal n'était privé des quatre facettes 2, que l’on reconnait aux caractères suivants : si l’on place le cristal devant soi, disposé comme l'indique la figure, la facette X, la plus voisine de l'observateur à l'extrémité supérieure du cristal, est toujours inclinée à droite. La loi de FrG. 18. symétrie exigerait, par conséquent, une autre facette / inclinée à gauche de la même manière. Cela ferait en tout huit facettes L. Or il n’y en a jamais que quatre dont le prolonge- ment conduit à un tétraèdre irrégulier (1). On a, d’ailleurs : RL HE 95:26! DM 162 1% Rm— 136,33 m — 163,30 environ; quelquefois m':m"—160° env., la face m' étant remplacée par une autre un peu moins inclinée sur mn. Lorsqu'on dissout dans l'acide nitrique faible le malate neutre de chaux inactif, on obtient aussi de beaux cristaux limpides de bimalate de chaux inactif dont je n’ai pas encore fait lanalyse. Quant à sa 1. Les bimalates d'ammoniaque et de chaux, que je prouve avoir des structures cristallines hémiédriques, sont un exemple nouveau de cette corrélation que dans des recherches anté- rieures j'ai montrée exister entre l’hémiédrie et le phénomène de la polarisation rotatoire moléculaire. L'hémiédrie, quoique possible dans une substance, n'est pas toujours accusée matériellement par une forme dissymétrique. Cela n’a rien qui doive surprendre. Beaucoup de formes secondaires sont compatibles avec une forme primitive donnée. Toutes ces formes 18% ŒUVRES DE PASTEUR forme cristalline, elle est représentée figure 14. C’est la forme cristal- line du bimalate actif. Mais, de plus, j'ai trouvé que les angles des faces correspondantes étaient sensiblement les mêmes. Quant aux faces }, elles sont au nombre de quatre seulement, mais inclinées de la même manière à droite et à gauche. e Les deux espèces de cristaux ont un clivage net et facile, parallelement aux faces R. Ce clivage est accusé par des stries qui génent souvent la mesure exacte des angles dans ces deux formes cristallines. Je regrette de n'avoir pu encore disposer d’une quantité suffisante de bimalate inactif pour comparer SA A la solubilité de ce sel à la solubilité du bimalate actif correspondant. Une récolte abondante de sorbier me permettra prochainement de combler les lacunes que je laisse, à regret, dans le travail que je soumets aujourd'hui à l'Académie. Malates de plomb actifs et inactifs. On connaît les propriétés curieuses du malate de plomb ordinaire. Ce sel, qui a pour composition : CSH4OS, 2(PbO) + 6(HO), est amorphe au moment de sa précipitation, et au bout de quelques heures il se prend en cristaux aiguillés. Jeté dans l’eau bouillante, il entre en fusion et peut se tirer en longs fils soyeux. On retrouve exactement ces propriétés dans le malate de plomb inactif. Il est amorphe au moment de sa précipitation, et au bout de quelques jours on voit des houppes de cristaux soyeux prendre naïis- sance au sein de la masse et finir par l’envahir tout entière. Toute la différence que l’on remarque entre les deux malates de plomb, c'est que le malate inactif met plus de temps à devenir cristallin que le malate actif. Le malate inactif entre aussi, et très facilement, en fusion dans l’eau chaude (1. cependant ne sont pas indiquées dans le cristal qui pourrait les revêtir. Cela est surtout sensible pour les cristaux artificiels des laboratoires, où chaque substance s'offre presque toujours avec la même forme, parce qu'en général nous faisons très peu varier les conditions de la cristallisation. Il arrive de même que la forme déterminée par l’ensemble des facettes hémiédriques peut ne pas exister, quoique compatible avec la structure interne du cristal. Il est utile de noter que, dans tous les exemples nouveaux d'hémiédrie que renferme ce Mémoire, l'hémiédrie est toujours non superposable. 1. Le malate neutre de plomb actif, amorphe au moment de sa précipitation, ne met souvent que quelques heures à se transformer en cristaux aiguillés. J'ai toujours vu, au contraire, le malate inactif rester amorphe pendant plusieurs jours. Cette légère différence entre les deux DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 185 Ces deux sels se dissolvent dans l’acétate de plomb, qui, par une évaporation lente, les laisse déposer en cristaux aiguillés soyeux. Mais il est une circonstance fort importante à noter lorsque lon essaye de reconnaître les caractères que je viens de rappeler, la trans- formation du malate amorphe en malate cristallisé, et la fusion dans l’eau chaude. Je m'étonne même que cette circonstance ait jusqu'ici échappé à l'attention. Lorsque l’on verse de l’acétate de plomb dans un malate additionné d’ammoniaque, le précipité qui prend naissance est un malate anhydre qui renferme 4 molécules d'oxyde de plomb, CSH“OS, 4(PhO). Or ce sel ne cristallise jamais avec le temps et ne fond pas dans l’eau bouillante. Il fond en diminuant beaucoup de volume si l’on ajoute de l'acide acétique. Dans les mêmes conditions exactement, il se forme un malate de plomb inactif de même composition, CSH408,4(PbO). J'ai découvert ce! sel en premier lieu, et c’est l'extrême ressem- blance des propriétés chimiques des deux acides maliques qui m'a fait rechercher le sel correspondant actif. Ce malate inactif basique ne cristallise jamais avec le temps, et il ne fond dans l’eau bouillante qu'autant qu'elle est un peu acide. L'acide s'empare d’une partie de la base et régénère le malate neutre. Ces deux malates basiques sont solubles dans l’acétate de plomb, comme les malates neutres. Lorsque la solution est un peu concentrée, l’ammoniaque la précipite en blanc. Ils sont presque insolubles dans l’eau froide ou chaude. Cependant ils sont assez solubles pour bleuir le papier rouge quand on les place sur ce papier en fragments humides. Je dois ajouter que le malate actif basique ne m'a pas offert une composition constante, ce qui peut dépendre de causes diverses. sels se manifeste dans une autre circonstance que je crois utile de signaler. Si l'on fait bouillir dans l’eau les malates de plomb neutres actif et inactif, ils entrent aussitôt en fusion, mais une partie se dissout et se précipite par le refroidissement et le repos de la liqueur. Alors le malate actif se dépose après vingt-quatre heures en aiguilles brillantes, réunies en houppes. Au contraire, le malate inactif se dépose amorphe et recouvre uniformément les parois du vase. Mais, au bout de quelques jours, ce précipité amorphe disparait et se trouve remplacé par des cristaux aiguillés également réunis en houppes, et d’une ressemblance parfaite avec les cristaux du malate actif. Je crois que l'on peut employer avec succès ce caractère dans des cas où il s’agit de distinguer les malates actifs et inactifs, et que l’on dispose seulement de quantités fort minimes de ces produits. 186 ŒUVRES DE PASTEUR Deux échantillons provenant de préparations différentes m'ont donné, l'un 77,4, l’autre 74,5 d'oxyde de plomb. Le malate inactif m'a donné 79,09. La formule CSH# 08,4 (PbO) exige 79,43 pour 100 d'oxyde de plomb. Je n’ai pas encore recherché la cause de ces résultats variables. Il faut dire cependant que l'acide malique actif retiré du malate basique sent fortement lacide acétique lorsqu'on l’évapore; ce qui indique que de l’acétate de plomb est entraîné et que des lavages à l’eau ne l’enlèvent pas au malate basique. Il est presque inutile de dire que j'ai trouvé au malate neutre inactif cristallisé la même composition qu'au malate neutre actif CSH4#08,2(PbO) + 6(HO\. Lorsque le sel est amorphe, il peut perdre assez facilement toute son eau de cristallisation sous une cloche desséchée par l’acide sulfu- rique. La perte est plus longue, plus difficile, si le sel est cristallisé. Le malate de plomb cristallisé actif perd aussi de l’eau, mais très lentement, dans un air sec. Même à 100°, pour ces deux sels, la perte complète des 6 molécules d’eau est très longue à s'effectuer. Il faut chauffer au bain d'huile à 150° environ. 643 milligrammes de malate de plomb actif cristallisé ont perdu 91 milligrammes d’eau, ce qui correspond à 14,1 pour 100. 503 milligrammes de malate de plomb inactif cristallisé ont perdu 70 milligrammes d’eau, ce qui correspond à 13,9 pour 100. On avait, dans les deux cas, chauffé à 160°. La formule CSH#08,2 (Pb O) + 6(HO) exige 13,7. Les malates neutres de plomb qui entrent facilement en fusion quand on les jette dans l’eau chaude ne fondent pas dans l’étuve, ni à 100, ni à une température plus élevée. Ils conservent même tous deux leur aspect cristallisé jusqu’à la température de 170°, bien que la presque totalité de l’eau de cristallisation soit dissipée déjà depuis environ 100. Vers 170°, ils deviennent d’un blanc mat et lanugineux. Je dois traiter, en terminant cet examen des malates actifs et inactifs, une question qu'il est naturel de se poser, et qu’il me paraît facile de résoudre. Les acides aspartique et malique inactifs ne sont-ils pas des combinaisons d'acide droit et d’acide gauche, analogues à l'acide racémique? Cette opinion ne peut être soutenue. D'abord il y a beaucoup plus de ‘différence entre l'acide racémique et l’acide DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 187 tartrique qu'il n'y en a entre les acides maliques actif et inactif. Ainsi il est rare qu'un racémate possède la composition chimique du tartrate correspondant, et dans les seuls cas même où cette identité de composition est bien constatée, on voit le racémate se dédoubler, par la cristallisation, en tartrate droit et en tartrate gauche. Mais surtout ce qui éloigne cette manière de voir, c’est le mode de produc- tion des acides aspartique et malique inactifs. L’acide aspartique inactif dérive, en définitive, des acides maléique et fumarique. S'il a une constitution binaire, il faut admettre une constitution binaire analogue dans les acides qui lui donnent naissance, à moins que l’on ne suppose que les acides fumarique et maléique inactifs se trans- forment par la chaleur en des groupes binaires symétriques, ce qui est encore plus difficile à concevoir. Or, admettre une constitution binaire dans les acides fumarique et maléique, c’est vouloir que laction de la chaleur transforme une molécule d'acide malique actif en des groupes binaires de 2 molécules actives identiques, mais non superposables. Il est rationnel, au contraire, de penser qu’un arrangement moléculaire constitué dissymétriquement, soumis à l’action d’une température élevée, peut se changer en un autre arrangement moléculaire où la disposition spéciale qui produit la dissymétrie du premier arrangement a disparu (!). Les résultats qui font l’objet de ce Mémoire éclairent d’un jour nouveau la constitution moléculaire des corps. Dans des recherches antérieures, j'ai montré que les substances douées d’une action sur la lumière polarisée devaient étre assimilées à ces assemblages, si fréquents dans les règnes végétal et animal, dont la dissymétrie est telle qu'on peut en imaginer d’autres identiques, quoique non super- posables : par exemple, les membres droits et les membres gauches ; par exemple, ces plantes, dont la ligne d’insertion des feuilles est une spirale dextrorsum ou sinistrorsum. Dans un cas, on se le rappelle, jai découvert les gauches des substances droites déja connues. Aujourd’hui nous voyons que les combinaisons actives sur la lumière polarisée peuvent étre assez peu altérées dans leur groupement moléculaire constitutif, pour conserver, sans exception, toutes leurs 1. Le bimalate d'ammoniaque, par soustraction de 5 molécules d'eau à 2000, et l’acide aspartique par soustraction de 3 molécules, deviennent inactifs. On peut attribuer la perte de la propriété rotatoire à plusieurs causes : 19 à l'action de la chaleur; 2 à l'expulsion de l’eau, le groupe moléculaire étant dissymétrique avant la perte de l’eau, par la disposition des atomes de cette substance au sein du groupe; 3° on peut enfin supposer que la propriété rotatoire résidait dans l’arrangement relatif des molécules d'eau et des molécules du groupe déshydraté. Il serait très utile, pour avancer la solution de cette importante question, de soustraire les molécules d'eau des groupes actifs à une basse température, et de rechercher si la propriété rotatoire disparaît encore dans ces conditions. É 188 ŒUVRES DE PASTEUR propriétés chimiques, en perdant seulement dans leurs molécules constituantes cette dissymétrie spéciale qui produit le caractère droit ou gauche. Aucun composé dans la science ne peut être rapproché des substances qui viennent de nous occuper, si ce n’est l'essence de térébenthine active ordinaire et l'essence de térébenthine inactive retirée, par l’action de la chaleur et de la chaux vive, du camphre artificiel solide de térébenthine. Mais je ne doute pas que ce nouveau genre d’isomérie ne soit propre en général aux substances douées de la propriété rotatoire, et que des exemples du même ordre se multi- plieront, aujourd’hui que l'attention est appelée sur cette nouvelle classe de produits chimiques. OBSERVATIONS OPTIQUES SUR LA POPULINE ET LA SALICINE ARTIFICIELLE (1) (PAR M. BIOT, AVEC LA COLLABORATION DE M. L. PASTEUR) Dans la dernière séance de janvier, M. Dumas lut à l'Académie une lettre de M. Piria, de Pise (?), par laquelle cet habile chimiste lui apprenait qu'il était parvenu à dériver artificiellement de la substance appelée Populine un produit identique en composition, et dans toutes ses propriétés chimiques, à la Salicine naturelle. Comme cette der- nière, d’après l'observation de M. Bouchardat, exerce le pouvoir rota- toire, il importait de savoir si le produit obtenu par M. Piria en est également doué; et si la Populine dont il dérive possède aussi ce pouvoir ou ne le possède pas. Car, dans quelque sens que ces alterna- tives dussent se résoudre, elles devaient fournir des sujets de travaux, tout à fait analogues à ceux que M. Pasteur suit avec tant de persévé- rance et de succès, depuis ces dernières années. Malheureusement, personne n'avait eu l’occasion d’étudier les propriétés optiques de la populine, et l’on ne trouvait cette substance dans aucun laboratoire de Paris. M. Piria ayant appris, par les Comptes rendus, l'intérêt que sa découverte avait jeté sur elle, a eu l’obligeance de m'envoyer le peu qui lui restait, en m'indiquant les particularités physiques dont la connaissance m'était indispensable pour ne pas le consommer inutilement. Il m'avertit qu’elle est à peine soluble dans l’eau; qu'elle se dissout moins imparfaitement dans l'alcool, ou dans un mélange d’eau et d’acide acétique, surtout à chaud. Cette dernière condition n’est pas aisée à remplir avec nos appareils habituels, dans la saison où nous sommes; d’une autre part, l'acide acétique n’y est pas d’un emploi commode. Néanmoins, ne voulant pas répondre à la bonne volonté de M. Piria par un délai qui aurait res- semblé à de l'indifférence, je m'étais décidé à étudier seulement 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 26 avril 1852, XXXIV, p. 606-615. 2. Prxra. Recherches sur la populine. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 26 janvier 1852, XXXIV, p. 138-141. (Note de l'Edition.) 190 ŒUVRES DE PASTEUR l'échantillon de populine, réservant le produit artificiel pour M. Pasteur. Mais heureusement ce jeune et actif chimiste étant venu passer quel- ques jours à Paris, j'ai profité de cette rencontre pour examiner opti- quement, avec lui, les deux substances, avant de les lui remettre pour qu'il les étudie sous d’autres rapports. Le résultat de ces observations, qui nous sont communes, est le sujet de la communication que je pré- sente aujourd’hui à l'Académie. Nous avons d’abord examiné comparativement le mode de cristal- lisation de la populine, de la salicine artificielle, et de la salicine natu- relle, en déposant sur des lames de verre planes quelques gouttes des solutions de ces trois substances, que nous placions sous l’objectif d’un microscope polarisant, muni d’une lame sensible de chaux sulfatée. L'évaporation spontanée, surtout si elle est lente, laisse apercevoir les cristaux individuellement à mesure qu’ils se séparent; et, quand ils sont doués de la double réfraction, ce qui est le cas le plus ordinaire, tous les détails de leurs formes se distinguent par les vives couleurs dont ils se montrent revêtus. Voici maintenant les faits que cette épreuve nous a fournis. La populine, précipitée de sa solution dans l'alcool anhydre, se dépose en cristaux aiguillés, qui s’enchevêtrent les uns dans les autres ; parfois s’élargissant et se contournant en feuilles, mais toujours terminés par des pointes droites ou courbes, sans sommets définis. Ils agissent sur la lumière polarisée, et modifient la teinte propre de la lame sensible, de manière à montrer qu'ils exercent la double réfraction. Les deux salicines, la naturelle et lartificielle, précipitées lentement de leurs solutions aqueuses prises en quantités à peu près pareilles, se montrent exactement semblables l’une à l’autre, et très différentes de la populine. Les cristaux sont des lames rectangulaires, dont les bouts terminaux, nettement coupés à angles droits sur leurs arêtes longitudinales, se distinguent toujours, non seulement sur les cristaux isolés, mais encore sur ceux qui sont accolés, et implantés les uns dans les autres, soit par une de leurs” extrémités, soit par leurs pans latéraux plus où moins allongés ou divergents. Tous modifient la teinte propre de la lame sensible, et possèdent conséquemment la double réfraction. Ces observations faites, nous avons procédé à la recherche des pouvoirs rotatoires, en appliquant d’abord cet essai à la populine. Mais ici nous avons rencontré des difficultés de pratique fort génantes, provenant du peu de solubilité de cette substance dans les dissolvants les plus habituels, tels que l’eau et l'alcool, même DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 191 anhydre ; et aussi de ce que, possédant seulement 3 ou 4 grammes de matière, nous ne pouvions pas nous risquer à chercher d’autres liquides qui s'en chargeassent plus abondamment. C’est pourquoi nous nous sommes bornés à en faire une solution alcoolique saturée à la température ambiante de 14% ou 15° centésimaux où nous opérions ; puis nous y avons ajouté un léger excès du même dissolvant, pour qu'elle ne précipität pas dans nos tubes ; et nous l’avons observée à travers une épaisseur de 513°%,85, en nous servant des artifices physiques les plus délicats, pour y rendre sensibles les moindres traces de pouvoir rotatoire, puisqu'il n'y avait pas à espérer autre chose d’une solution qui devait être si peu chargée. Effective- ment, une analyse exacte nous prouva plus tard que la populine _ dans l'unité de poids, le reste étant de l'alcool anhydre, qui est inactif. En outre, à travers cette épaisseur, y entrait seulement pour elle se montrait affectée d’une légere nuance jaunâtre, qui nous annonçait l'extinction prédominante des rayons lumineux les plus réfrangibles, ceux-là précisément dont les déviations se manifestent d'ordinaire avec le plus d’évidence par l'excès relatif de leur grandeur. Malgré cette réunion de circonstances défavorables, la plaque à deux rotations de M. Soleil, employée dans la phase d'épaisseur de 3"",750, où elle est le plus impressionnable, nous attesta indubitablement l'existence d’une action rotatoire vers la gauche, dont l'effet moyen nous parut être de 12, sans que nous prétendions aucunement pré- senter cette appréciation comme rigoureuse. Nous confirmâmes le fait principal, c’est-à-dire l’existence et le sens de la déviation, par un autre procédé indépendant de tout intermédiaire, et au moins aussi sensible, lorsque le liquide observé est incolore. Il consiste à étudier les teintes qui se développent dans l’image extraordinaire quand on détourne quelque peu le prisme analyseur, à droite ou à gauche de la position où cette image est presque évanouissante. Car, si le liquide interposé est inactif, ces teintes sont pareilles; s’il est actif, elles sont différentes; et la moindre dissemblance qui ait lieu entre elles devient ainsi manifeste par comparaison. Or ici l’image naissante paraissait, à gauche du minimum, blanc-jaunâtre, ou jaune sale; à droite, blanc légèrement bleuâtre ou verdâtre; ce qui décèle une déviation à gauche, croissant avec la réfrangibilité. On verra tout à l'heure que c’était là Le fait essentiel à constater, et pourquoi il nous importait si fort de le saisir. Pour le moment, nous nous bornons à l’énoncer comme certain. Ayant terminé ces épreuves délicates mais décisives sur la populine, nous avons procédé à l'étude beaucoup plus facile de la 192 ŒUVRES DE PASTEUR salicine artificielle que M. Piria en a dérivée. Nous guidant sur les analogies que sa composition, ses propriétés chimiques et son mode de cristallisation sous le microscope lui donnent avec la salicine naturelle, dont M. Bouchardat a déterminé le pouvoir rotatoire, nous en avons formé une solution de dosage à peu près pareille à celles dont il avait fait usage, afin que l'identité des conditions rendit nos résultats plus immédiatement comparables avec les siens. Ils se sont trouvés sensiblement identiques. Nous y avons reconnu, de même, un pouvoir rotatoire s’exerçant vers la gauche, suivant un mode de dispersion semblable à celui des sucres. La déviation de la teinte de passage à travers nos tubes nous a paru être — 10°,3 Le .- Pour la salicine naturelle, dans les mêmes circonstances, elle aurait dû être — 109,376 \, d’après les évaluations de M. Bouchardat (!). La différence tombe dans les limites des erreurs que comportent ses expériences et les nôtres; n’y ayant, de part et d’autre, aucun intérêt à les multiplier autant qu’il serait nécessaire pour répondre de si petites quantités. Ainsi, dans cette épreuve, comme dans toutes les autres, la salicine artificielle de M. Piria se montre encore identique à la naturelle. Nous rapportons en note les éléments numériques de notre expérience, et nous y joignons le calcul qui prouve sa concordance avec celles de M. Bouchardat. Il nous faut maintenant rapprocher ce résultat de celui que nous a donné la populine, pour chercher quelles: inductions ils peuvent fournir sur la nature de la réaction qui en a dérivé la salicine; en nous indiquant, si elle a pour effet de dégager, d'isoler, cette substance déja préexistante, où de la former par un groupement nouveau, communiqué aux éléments pondérables qui la constituent. Cette application des pouvoirs rotatoires à l'interprétation des formules atomiques est surtout décisive, quand ils sont assez énergiques pour qu'on puisse les mesurer avant et après la réaction qui s’est opérée ; mais le seul fait de leur existence dans le système moléculaire primitif, et dans ses dérivés, fournit encore d’utiles lumières sur le mode réel de décomposition ou de dédoublement que ce système a pu subir. Pour cela, considérons idéalement le cas simple, où la populine, contenant les éléments de la salicine, associés à ceux de l'acide benzoïque et de l’eau, qui sont des corps inactifs, devrait son pouvoir rotatoire à la proportion de salicine qu’elle renfermerait toute formée, le pouvoir propre à celle-ci ne se trouvant que peu ou point modifié 1. Nous donnons le calcul numérique de cette comparaison dans la Note re. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 193 dans la combinaison. S'il en est ainsi, la populine aura une action moindre que la salicine pure, en raison des matières inactives qu'elle : à : 1 : : renferme, et qui font à peu près : de son poids. Mais en outre, le 3 produit ainsi formé se trouvant bien moins soluble que la salicine, ses effets observables seront encore atténués par la petite proportion que les dissolvants pourront en contenir. Si l’on tient compte de ces deux circonstances, et que l’on calcule les déviations que notre solution de populine aurait dû exercer, dans les conditions où nous l’'observions, en attribuant à la salicine pure le pouvoir spécifique assigné par M. Bouchardat, on trouve que la déviation aurait dû être — 1°,6 \, vers la gauche pour les rayons rouges, et —2°\ aussi vers la gauche pour les rayons moyens du spectre, en supposant la solution incolore (f. Nous l’avons évaluée à — LES, , Sans pouvoir répondre de la différence, gènés que nous étions par la faible nuance jaunâtre de notre solution. Ceci nous engage donc à examiner de plus près l'induction qui conduit à une concordance si prochaine. D’après les analyses effectuées par M. Piria, la formule de la popu- line cristallisée se représente par la réunion de trois groupes molé- culaires : 1 équivalent d’acide benzoïque, 1 de salicine, lun et l’autre à l’état de cristal, plus 2 équivalents d’eau ®). La réaction chimique par laquelle on retire de cet ensemble la salicine cristal- lisée pourrait donc se concevoir comme opérant, non pas une répartition nouvelle des éléments associés, mais la simple désunion des trois groupes, et l'isolement de celui qui constitue le cristal de salicine, déjà préexistant. Nos expériences optiques ne prouvent pas que cette interprétation soit certaine et nécessaire. Mais elles n'y répugnent point; et elles rendent du moins très probable que le groupe actif de la salicine, celui qui donne aux molécules de cette substance le pouvoir rotatoire, existe dans la populine, soit complet, soit incomplet. En suivant cette idée, il serait intéressant de tenter l'opération inverse et de chercher à former directement le cristal de populine par l’association des trois groupes moléculaires dont sa 1. Nous donnons tout le détail de calcul dans la Note If°. 2. Voici cette formule : C#0H22 015 L 4(HO) = C# HIS ON + CHHSOS + 2(HO); a D on 2 PO. A Populine Salicine Ac. benzoique cristallisée. cristal. cristal. le premier membre de cette égalité perd 4(HO) à la température de 1000. Les deux premiers termes du second membre, étant soumis #solément à la même épreuve, ne perdent rien. Mais le groupe complexe, qu'ils forment dans la populine, doit être tel qu'il perde 2HO) à 100», pour que l'égalité se conserve. Donc, ces deux groupes partiels n’y sont pas libres, mais combinés; puisque la température de 100 enlève à leur ensemble les 2(H0), qu'ils retien- draient isolément. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 13 19% ŒUVRES DE PASTEUR formule se compose. Mais dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, la reconstruction du système composé pourrait être bien plus difficile que ne l’est son dédoublement. Cette présomption que la salicine préexisterait dans la populine devait, pour conserver des caractères de vraisemblance, satisfaire à une épreuve expérimentale que nous n'avons pas négligée. On sait que l'acide sulfurique concentré dissout à froid la salicine et se colore en rouge de sang. C’est même là une particularité que l’on emploie comme indice, pour accuser la présence de cette substance dans l'écorce de saule. Cela nous a suggéré l’idée de faire le même essai sur la populine. Il y réussit de même. Si l’on dépose une goutte d'acide sulfurique concentré sur la populine, elle se colore aussitôt en rouge de sang, tout comme il arrive quand on agit ainsi sur la salicine, soit naturelle, soit artificielle. L’acide benzoïque seul, traité de même par l'acide sulfurique concentré, n'offre pas ce symptôme physique. S'il est pur, il reste incolore. Ce résultat, considéré isolément, ne déciderait pas si, dans cette expérience, la salicine est seulement séparée, où régénérée. Mais la préexistence du pouvoir rotatoire qui lui est propre rend la première supposition beaucoup plus vraisemblable que la seconde. On voit ici un exemple du genre de secours que l'observation des pouvoirs rotatoires, lorsqu'ils existent, peut fournir pour la juste interprétation des formules chimiques, en établissant des caractères moléculaires d'identité ou de dissemblance, que les groupes partiels, théoriquement conçus, devront reproduire, pour être conformes aux réalités. L'autorité de ces caractères ne se bornera pas à exclure comme fausses les interprétations qui n’y satisferaient point. Elle fortifiera la probabilité des véritables, et pourra l’élever jusqu’à la certitude physique, lorsque les pouvoirs rotatoires, tant du système principal que des systèmes partiels d’où l’on veut le faire résulter, se montreront assez énergiques, pour que l’on puisse, non seulement constater leur existence, mais mesurer leurs intensités individuelles, et apprécier le mode de dispersion qu'ils exercent sur les plans de polarisation des rayons lumineux de diverse réfrangibilité. Ce com- plément de vérifications nous a manqué dans l’étude de la populine. Mais le calcul qui nous a servi pour prouver l’excessive faiblesse des déviations qu’elle devait produire, en raison de la proportion de sali- cine que sa formule chimique peut y faire supposer, ce calcul, disons- nous, est le même qu'il faudrait appliquer à tout problème de ce genre. C’est pourquoi nous le rapportons en détail, comme type gé- néral, dans une note placée à la suite de cette communication. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 195 Note Ir. Comparaison optique de la salicine naturelle avec la salicine artificielle de M. Piria. Soit [a] le pouvoir rotatoire spécifique exercé par la salicine naturelle sur le rayon rouge, à travers une épaisseur de 1 décimètre, quand elle est dissoute dans un milieu inactif, tel que l’eau, où ses particules se répandent comme elles feraient dans un espace vide; en sorte que {+} conserve sensiblement la même valeur, quelle que 5oit la proportion du dissolvant. Considérons une solution ainsi formée, où cette substance entre pour la proportion € dans chaque unité de poids; et supposons que cette solution ayant la densité à soit observée à travers un tube dont la longueur exprimée en décimètres soit /. Si l’on nomme «- la déviation qui sera imprimée au rayon rouge, dans ces circonstances, on aura, d'après la théorie générale de ce genre de phénomènes, () a, [x],lei. Si l'observation était faite sur un rayon simple, différent du rouge, par exemple sur le rayon jaune, et que l’on représentât par [a]; le pouvoir rotatoire spécifique exercé par la salicine sur- ce rayon. la déviation @ qu'il éprouverait dépendrait de a; par une relation analogue; c'est-à-dire que l'on aurait (2) ei — [xl;tei. La déviation o- s'obtient communément par des observations faites à travers un verre rouge coloré par le protoxyde de cuivre, et l'on en conclut [«}., en renversant l'équation. Mais, pour un grand nombre de substances, à; et [a]; peuvent s’obtenir très exactement, sans recourir à cet intermédiaire, en mesurant la déviation de l’image extraordinaire lorsque le mouvement du prisme analyseur la fait passer presque soudainement du bleu sombre au rouge, en lui donnant, dans l'intervalle, une teinte bleue violacée, que l’on a nommée, par ce motif, /a teinte de passage. Dans tous les cas pareils, on trouve très approximativement 30 3 l“}r- a. =? 253 et, par suite, («= D'après les observations de M. Bouchardat, rapportées au tome XVIII des Comptes rendus, page 298, la salicine naturelle dissoute dans l’eau satisfait très bien à cette règle; et, comme celle de ses expériences qui paraît avoir été faite dans les conditions les plus analogues aux nôtres lui a donné [a], = — 550 D , on en conclut [4]; — - RE r17 ÿ é C'est ce dernier nombre qui va nous servir pour la comparaison que nous voulons effectuer, Notre solution aqueuse de salicine artificielle a été faite et observée dans les conditions suivantes : 2—0,027765 5—1,00848 7—5,1685, ou, en logarithmes, log e — 2,1434993 log à —0,0036681 log 7 —0,7133645, ce qui donne log 45 —1,1605319. La série des teintes développées dans l’image extraordinaire montrait que la dispersion s’opérait suivant le mode général, qui fait coîncider «; avec l’azimut de la teinte de passage. En conséquence, nous nous sommes bornés à l’observer ainsi. Avant de rapporter notre résultat, calculons la valeur qu'il aurait dû avoir, si notre expé- .rience eût été faite avec de la salicine naturelle. Pour celte substance, la détermination de M. Bouchardat donne : 196 ŒUVRES DE PASTEUR [a]; = — 7197, vonséquemment ee Te Bone ile Ca}; 1,8555192 — nous avons, en outre. . . . . . ste Cie OP —- 4151605919 Ce) qui donne ER Cr . loga —1,0160511 — et, par suile . . 4 . : - « ol: + + + ee ns - a; = — 10,376. L'observation nOouS A dONNÉ. -.--...- - ee = a; = — 10,3. La différence est d'un ordre de pelitesse dont on ne saurait répondre. Ainsi, dans cette épreuve, la salicine artificielle de M. Piria ne peut pas être distinguée de la naturelle. Elles s'accordent également, dans leur composition, leurs propriétés chimiques et leur mode de cristallisation sous le microscope. Tout porte donc à conclure qu'elles ne sont qu'un seul et même corps. Nore Ile. Calcul des déviations que notre solution de populine aurait du produire, en supposant que son action rotatoire dut être uniquement attribuée à la proportion de salicine que la populine contient. D'après l'analyse de la populine, faite par M. Piria, la formule de cette substance, dans l'état de cristal, est C#H#016-LA(HO). Elle peut donc se décomposer idéalement comme il suit : C#H22010 + 4 (HO) — C2H18014 + C14H604 + 2(H0). Des trois termes qui composent le second membre de l'égalité, le premier représente un équivalent de salicine cristallisée, le deuxième un équivalent d'acide benzoïque cristallisé, le dernier deux équivalents d'eau ajoutés aux précédents. Pour n'avoir à considérer que des nombres simples, nous n’exprimerons pas, comme on le : + nee ; p - c 100 fait d'ordinaire, l'équivalent O d'oxygène par 100, mais par p3 °u 8. Alors on aura : HA NO S ACTE: De là on tire : la populine cristallisée. . . . . . . . .. . . . . …« CH*3016+4(H0)—4% la salicine cristallisée . . . . . . . Me CRU HIAUE — 286 l'acide benzoïque cristallisé . . . . . . . . . . . . . (C:4H60! —122 Riéquivalents d'eau. "ME CCR. C2 (HO) — 48. Conséquemment, chaque unité de poids de populine contient : Salicine CristalliBée = - . .-. -0 = d'où log o — 1,8269564, 6 — 0,6713613. MAtÉrESANACELVER ee = ee ce = log a — 1,5167184, u — 0,3286385, Notre solution alcoolique de populine avait pour densité à — 0,81033, log à — 1,9086619. Elle a été observée dans un tube dont la longueur en décimèêtres était 1 = 5,1385, log ? — 0,7108364. Pour l’analyser on en a pris, en poids, 7 gr. 926 qui, évaporés, se sont trouvés contenir : Populine cristallisée. . , . . . . . . . . 0 gr. 083 Alcool'anbydre "tn = e ... Tgr. 843 SOMME EpAlES ER Ce 7 gr. 926. Ce résidu de populine se composait de salicine et de matières inactives qui s'évaluent comme il suit : log 0 gr. 083 —2,9190781 log 0 gr. 083 — 2,9190781 or on a ci-dessus log 6 — 1,8269564 log y = 1,5167184 log s — 2,7460345 log m — 2,4357965 donc Salicine cristallisée . . . s—0 gr. 055723, Matières inactives . . . . . #1 — 0,027277. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 197 Les matières inactives #1 doivent s'ajouter aux 7 gr. 843 d'alcool, ce qui donne pour somme 7 gr. 870277. La salicine s, seule, donne à la solution le pouvoir rotatoire qu'elle possède, Sa proportion, dans chaque unité de poids, y sera donc __ 0,055723 Son 7: 026 ; d'où log : = 3,8469804; e — 0,00703. Cette solution ne contenait ainsi qu'environ m5 de salicine active; ce qui fait assez comprendre pourquoi son action rotatoire était si faible. Mais on le verra mieux encore, en calculant les déviations absolues a; et &, qu'elle devait produire en raison de ce dosage, dans les circonstances où nous l'observions. Ce sera une opération toute pareille à celle que nous avons appliquée dans la Note précédente à notre solu- tion aqueuse de salicine. Prenant donc, dans cette Note, les formules (1), (2), et les valeurs de [æ}r, [xl;, trouvées par M. Bouchardat pour la salicine naturelle, le calcul s'effectuera comme il suit : 1— 5,1385 log ? = 0,7108364 log e — 3,8469804 5 — 0,81033 log 5 — 1,9086619 log 5 — 2,4664787 [],=—55 log[x], —1,7403627 — log a, — 0,2068414 —; «,. — — 10,6132 à caleulé. log 45 — 24664787 «= 71,7 log (+), = 1,8555192 — log a = 0,3219979 —; a; —= — 20,0089 Ne calculé. La déviation, que nous avons observée, semblait un peu moindre que ces évaluations ne l'indiquent. Cela peut provenir de la difficulté que nous avions à la saisir, à cause de la nuance jaunâtre du liquide. Mais il se pourrait aussi que la salicine, combinée chimiquement avec l'acide benzoïque et l'eau, comme elle l’est dans la populine, puis dissoute en cet état dans l'alcool, exerçât un pouvoir rotatoire un peu plus faible que lorsqu'elle est dissoute dans l'eau isolément. Car l'expérience prouve que le pouvoir rotatoire des substances actives n'est déterminable, en valeur absolue, qu'autant qu'on peut les observer isolées de tout autre corps. Lorsqu'elles sont mises en contact chimique avec des substances de nature différente, fût-ce même à l'état de solution, l'action rotatoire ne conserve jamais, avec une complète rigueur, la constance qu’elle devrait avoir, si le système résultant se constituait par une simple diffu- sion des particules distinctes qui le composent. Elle éprouve généralement des variations d'intensité, quelquefois de sens, qui décèlent l'existence de molécules nouvelles, produites par des actions à petites distances, comme de véritables combinaisons. Alors les calculs que l'on établit sur l'hypothèse d’une simple diffusion doivent toujours se considérer, en théorie, comme n'étant qu'approximatifs. Mais, heureusement, dans le très grand nombre des cas, l’approximation ainsi obtenue diffère si peu des réalités observables, qu'elle suffit dans la plupart des applications, NOUVELLES RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI PEUVENT EXISTER ENTRE LA FORME [CRISTALLINE, LA COMPOSITION CHIMIQUE ET LE PHÉNOMÈNE ROTATOIRE MOLÉCULAIRE (EXTRAIT PAR L'AUTEUR) [:] Dans la première partie du travail que j'ai l'honneur de présenter à l’Académie, je reviens encore, mais cette fois à un nouveau point de vue, sur la corrélation de l’hémiédrie et du phénomène rotatoire molé- culaire. J’ai fait voir, par mes recherches antérieures, que, dans la pluralité des cas, les formes cristallines des substances actives sur la lumière polarisée possèdent l’hémiédrie non superposable. Cependant j'ai rencontré un certain nombre de substances actives qui se pré- sentent toujours avec des formes cristallines homoédriques. La corré- lation des deux phénomènes souffre-t-elle done des exceptions, et l’hémiédrie n’accompagne-t-elle pas d’une manière constante le phé- nomène rotatoire ? Afin de résoudre ces questions, il faut d’abord rechercher si l'absence de l’hémiédrie dans les substances actives n’est pas un acci- dent provoqué par les conditions de la cristallisation, et si cette propriété n’est pas seulement cachée, quoique toujours possible. Ce ne peut être l’objet d’aucun doute, que la structure d’un cristal soit très souvent ce qu'exige le caractère hémiédrique non superposable, bien qu'aucune disposition physique extérieure n’accuse cette consti- tution moléculaire interne. Ainsi les formes cristallines des tartrates droits et gauches ne diffèrent que par la position des facettes hémi- édriques. Or, il est certains tartrates qui, dans les circonstances ordi- naires, ne portent jamais de pareilles facettes. Dans ce cas, il y a identité parfaite et absolue entre les formes cristallines des deux tar- trates droit et gauche. N’est-il pas incontestable néanmoins que l’hémi- édrie, quoique absente, est possible, et que la structure physique des deux espèces de cristaux est complètement différente. 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 2? août 1852, XXXV, p. 176-183. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 199 J'ai pensé que dans le cas où la structure cristalline propre aux substances actives sur la lumière polarisée ne serait pas visiblement et géométriquement accusée, il suffirait de modifier les conditions de la cristallisation pour faire apparaître forcément et d’une maniere constante les facettes hémiédriques. Jai, en effet, réussi dans tous les cas que j'ai soumis à l’expérience. Je citerai de préférence, dans ce résumé, le bimalate de chaux, le bimalate d’ammoniaque, la tartra- mide, le bitartrate d’ammoniaque. Le bimalate de chaux cristallisé dans l’eau pure n’est jamais hémié- drique. Que si, au contraire, on le fait cristalliser dans l'acide nitrique, tous ses cristaux portent alors quatre faces qui conduisent à un tétraèdre irrégulier. EL même, pour une certaine concentration de l'acide, les facettes hémiédriques font presque disparaître sous leur développement les faces principales ordinaires du cristal. Le bimalate d’ammoniaque cristallisé dans l’eau pure ou dans l'acide nitrique n’est jamais hémiédrique, mais on donne ce caractère à tous ses cristaux de la manière suivante : on chauffe ce sel jusqu’à fusion et commencement de décomposition, puis on ie fait cristalliser de nou- veau. L'action de la température donne naissance en petite quantité, à divers produits dont la présence provoque le développement des faces hémiédriques. La tartramide offre un résultat analogue et peut-être plus sensible. Cristallisée dans l’eau pure, cette magnifique substance, que lon doit à l’ingénieuse méthode de préparation des éthers de M. Demondésir, n'est jamais ou très rarement hémiédrique. Mais si, au moment où l'on met à cristalliser une solution chaude de tartramide, on ajoute quelques gouttes d’ammoniaque à la liqueur, presque tous les cristaux offrent des facettes hémiédriques, et souvent très développées. Enfin, pour le bitartrate d’ammoniaque, on rend tous ses cristaux hémiédriques en le faisant cristalliser dans une dissolution chargée de bitartrate de soude. J’étudie, en outre, dans la première partie de ce travail, un certain nombre de formes cristallines appartenant à des substances actives, parmi lesquelles se trouvent des dérivés des alcalis organiques naturels, genre de combinaisons que je n'avais point encore examiné, et j'y recon- nais également le caractère de l’hémiédrie non superposable. Ce sont : Les deux tartramides droite et gauche, Les deux acides tartramiques droit et gauche, Le valérianate de morphine, Le tartrate droit de cinchonine, Le chlorhydrate de papavérine. 200 ŒUVRES DE PASTEUR Enfin je montre que dans tous les cas la forme hémiédrique estune des formes secondaires les plus simples du corps actif, et que si on la prend pour forme type, toutes les faces que présente habituellement la substance ont des rotations excessivement simples. La deuxième partie de ce travail est consacrée à l'examen d’un nou- veau genre de combinaisons isomères qui présentent un bien vif intérêt, et sur les propriétés desquelles on ne se lasse point de méditer. Je rappellerai d’abord à l'Académie la grande ressemblance de propriétés physiques et chimiques que l’on rencontre dans les acides tartriques droit et gauche, et dans leurs dérivés correspondants. Il n'est rien que l’on fasse avec l’un de ces acides que l’on ne puisse effectuer avec l’autre dans les mêmes circonstances, et les produits obtenus ont constamment même solubilité, même poids spécifique, méme double réfraction, mêmes angles des faces. Tout est identique, en un mot, si ce n'est l'impossibilité de superposer les formes cristal- lines, et que le pouvoir rotatoire s'exerce à droite dans un cas, à gauche dans l’autre, mais rigoureusement de la même quantité en valeur absolue. Et que l’on ne croie pas que cette identité ne se manifeste que pour ces propriétés importantes, telles que la solubilité, le poids spé- cifique, ... ; on la retrouve partout avec la même intensité. Un tartrate droit ou en général un dérivé quelconque de l'acide tartrique droit, se dépose-t-il en cristaux volumineux ou aiguillés, limpides ou nébuleux, à faces striées ou planes, ces cristaux offrent-ils un mode de groupe- ment déterminé, se brisent-ils facilement ; enfin présentent-ils de telle ou telle manière ces mille détails qui échappent pour ainsi dire à la narration : on est assuré de les reconnaître avec les mêmes caractères dans le dérivé gauche de même nom. Cela posé, voici le fait remar- quable sur lequel je vais appeler l'attention de l’Académie. C’est que cette identité absolue pour tout ce qui n’est pas hémiédrie et sens du phénomène rotatoire n'existe qu'autant que les deux acides tartriques sont unis à des combinaisons inactives sur la lumière polarisée. Mais les place-t-on, eux ou leurs dérivés, en présence de produits qui ont une action quelconque surle plan de polarisation, et alors toute identité cesse d’avoir lieu. Les combinaisons correspondantes n’ont plus ni la même composition, ni la même solubilité ; elles ne se comportent plus de la même manière sous l'influence d’une température élevée. Que si par hasard leur composition est la même, leurs formes cristallines sont incompatibles, leurs solubilités extrêmement différentes. Enfin, il arrivera souvent que la combinaison sera possible avec le corps droit et impossible avec le corps gauche. Voici des exemples: Le bitartrate droit d’ammoniaque se combine équivalent à équivalent avec le bima- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 201 late d’ammoniaque actif ordinaire. Le bitartrate gauche ne se combine dans aucun cas avec ce même bimalate. La tartramide droite et la tartramide gauche se combinent toutes deux avec la malamide ordinaire active. Les combinaisons obtenues ont exactement la même composition; mais leurs formes cristallines sont différentes, ainsi que leurs solubilités. La combinaison où entre la tartramide gauche est beaucoup plus soluble que l’autre. L’acide tartrique droit donne très facilement avec l’asparagine une combinaison nouvelle en beaux cristaux. 1’acide tartrique gauche ne s’unit pas avec l’asparagine, ou mieux il donne avec elle une liqueur sirupeuse incristallisable. Mais on pourrait croire que les relations très probables de groupe- ment moléculaire qui existent entre les acides tartrique et malique ou leurs dérivés nous placent ici dans des conditions spéciales. J'avais un moyen très simple de lever la difficulté en étudiant les tartrates, droits et gauches des alcalis organiques des végétaux. On va se convaincre, par le résultat de ces nouvelles recherches, que le fait est général. Jai étudié seize de ces combinaisons, huit tartrates droits,etles huit tartrates gauches isomères correspondants, et j'ai toujours trouvé le même ordre de différences que celles que je viens de signaler. Ainsi, le tartrate neutre droit de cinchonine renferme 8 équivalents d’eau, le tartrate neutre gauche en renferme 2 seulement. Le tartrate droit se dissout facilement dans l'alcool absolu, le tartrate gauche y est extrêmement peu soluble. Le tartrate droit perd son eau et commence déjà à se colorer à 100, le tartrate gauche perd aussi son eau de cristal- lisation à 100°, et dès lors il est parfaitement isomère avec le tartrate droit, mais il peut supporter une température de 140° sans se colorer. Outre les tartrates de cinchonine, j'ai étudié ceux de quinine, de bru- cine, de strychnine, et je suis arrivé aux mêmes résultats généraux. Deux fois seulement j'ai rencontré la même quantité d’eau de cristalli- sation, et, par conséquent, isomérie complète dans les sels correspon- dants. Mais alors les formes cristallines sont incompatibles, les solubi- lités très différentes et les sels retiennent leur eau avec des énergies très inégales. En effet, les deux tartrates acides de strychnine ren- ferment 6 (HO) et perdent tous deux cette eau de cristallisation à 100, mais la perte est bien plus rapide pour le sel gauche que pour le sel droit. Si l’on verse de l'alcool absolu sur le tartrate gauche, il commence par s’y dissoudre en quantité très sensible, puis il devient opaque, s’effleurit et ne s’y dissout plus. Le tartrate droit, au contraire, ne se dissout pas dans l'alcool absolu, et il y conserve toute sa limpidité pre- mière. Les deux tartrates neutres de quinine renfermént aussi chacun 202 ŒUVRES DE PASTEUR 2 équivalents d’eau de cristallisation ; mais le tartrate gauche les perd” facilement déjà à 100°, tandis que le tartrate droit exige une température de 160° pour que la perte de ses 2 équivalents d’eau soit complète. Les solubilités des deux sels dans l’eau chaude sont en outre entièrement différentes (1). 1. La fin de cet extrait est conforme à la fin du Mémoire in extenso qui suit, $ V, pages 236 et suivantes. Les quelques variantes ont été indiquées en notes. (Note de l'Édition.) az NOUVELLES RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI PEUVENT EXISTER ENTRE LA FORME CRISTALLINE, LA COMPOSITION CHIMIQUE ET LE PHÉNOMÈNE ROTATOIRÉ MOLÉCULAIRE (!) PREMIÈRE PARTIE $ I. — PRODUCTION FORCÉE DE L'HÉMIÉDRIE NON SUPERPUSABLE DANS LES SUBSTANCES ACTIVES SUR LA LUMIÈRE POLARISÉE, QUI N'OFFRENT PAS HABITUELLEMENT CE CARACTÈRE. Dans la. première partie du travail que j'ai l'honneur de présenter à l’Académie, je reviens encore, mais cette fois à un nouveau point de vue, sur la corrélation de l'hémiédrie et du phénomène rotatoire moléculaire. J'ai fait voir, par mes’ recherches antérieures, que dans la pluralité des cas les formes cristallines des substances actives sur la lumière polarisée possèdent l’hémiédrie non superposable. Cependant, j'ai rencontré un certain nombre de substances actives qui se présentent toujours avec des formes cristallines homoédriques. La corrélation des deux phénomènes souffre-t-elle done des excep- tions, et l’hémiédrie n’accompagne-t-elle pas, d’une manière constante, le phénomène rotatoire (2)? Afin de résoudre ces questions, il faut d’abord rechercher si l’absence de l’hémiédrie, dans des substances actives, n’est pas un accident provoqué par les conditions de la cristallisation, et si cette 1. Annales de chimie et de physique, 3° sér., XXXVIII, 1853, p. 437-483 (22 fig.). — Ce Mémoire a fait l’objet d’un Rapport de M. de Senarmont, qu'on trouvera à la fin du pré- sent volume: Document V. (Note de l'Édition.) 2. En donnant toutefois ici à cette expression d'hémiédrie son acception la plus générale et désignant par là une structure cristalline spéciale que l'on peut se représenter plus ou moins exactement en partant du caractère géométrique qui ordinairement nous sert à en reconnaitre l'existence. Je préviens cependant que, pour abréger le discours et me conformer à l'usage, j'emploierai souvent dans ce Mémoire le mot hémiédrie, comme je l'ai fait dans mes recherches antérieures, pour exprimer seulement la manifestation géométrique de la structure cristalline hémiédrique. 20% ŒUVRES DE PASTEUR propriété n'est pas seulement cachée, quoique toujours possible. Ce ne peut être l’objet d'aucun doute que la structure d’un cristal soit très souvent ce qu'exige le caractère hémiédrique non superposable, bien qu'aucune disposition physique extérieure n’accuse cette consti- tution moléculaire interne. Ainsi les formes cristallines des tartrates droits et gauches ne diffèrent que par la position des facettes hémié- driques. Or, il est certains tartrates qui, dans les circonstances ordi- naires, ne portent jamais de pareilles facettes. Dans ce cas, il y a identité parfaite et absolue entre les formes cristallines des deux tartrates droit et gauche. N’est-il pas incontestable néanmoins que l’hémiédrie, quoique absente, est possible et que la structure physique des deux espèces de cristaux est complètement différente ? D'ailleurs, on doit regarder l’ensemble des faces hémiédriques d’un cristal comme l’une des nombreuses formes secondaires que peut toujours revêtir une substance quelle qu’elle soit; et l’on sait très bien que c’est par suite des circonstances de la cristallisation que le corps affecte de préférence telle ou telle forme dérivée parmi celles qu’il est susceptible de prendre. Cette manière de considérer les formes hémiédriques est d’accord avec l’ensemble des notions que l’on peut déduire de l’étude des espèces minérales connues qui nous présentent de pareilles formes. Une espèce minérale, qui a manifes- tement et toujours une structure cristalline hémiédrique, est bien loin de l’accuser constamment par la symétrie de ses modifications. Il faut qu'elle se soit constituée sous l'influence de circonstances particulières pour qu'elle porte les faces hémiédriques proprement dites, tout comme il faut des conditions spéciales pour qu’une substance qui appartient au système cubique se présente sous la forme d’un cube ou d’un octaèdre, ou de toute autre forme secondaire dérivée du cube. J'ai donc pensé que, dans les cas où la structure cristalline propre aux substances actives sur la lumière polarisée ne serait pas visi- blement et géométriquement accusée, il suffirait de modifier les conditions de sa cristallisation pour faire apparaître forcément, et d’une manière constante, les facettes hémiédriques. J'ai, en effet, réussi dans tous les cas que j'ai soumis à l'expérience. Aussi bien ai-je dû me borner, dans ces essais, à des substances qui, par leur facile cristallisation, la beauté de leurs formes et leur prix peu élevé, se prétaient commodément à ce genre d'expériences; persuadé d’ailleurs qu'il suffirait d'établir le fait dans quelques cas pris au hasard pour qu'il fût permis de le regarder comme général. DISSYMÈTRIE MOLÉCULAIRE 205 Bimalate de chaux (fig. 1 et 2). Le bimalate de chaux est un très beau sel, beaucoup plus soluble à chaud qu’à froid, qui cristallise facilement en cristaux volumineux. Lorsqu'il se forme dans l’eau pure, il n’est jamais hémiédrique. Mais Fic. 2. si on le fait cristalliser dans l'acide nitrique, les facettes hémiédriques se montrent sur tous les cristaux, ainsi que le représentent les figures 1 et 2. La forme du bimalate de chaux dérive d’un prisme droit à base rhombe. Les cristaux déposés dans l'acide nitrique faible ont la forme figure 2. Les faces 2 sont les faces hémiédriques, au nombre de quatre. Elles conduisent, par leur pro- longement, à un tétraèdre irrégulier. En général, le prisme est allongé dans le sens qu'indique la figure 2; les faces P, L, R sont beaucoup plus longues que larges, et les faces À sont peu dévelop- pées. Mais pour une certaine concen- tration de l’acide, les cristaux, par suite du développement des faces hémiédri- ques, prennent un tout autre aspect et sont représentées figure 1. On voit que les faces P, L, R sont devenues très étroites, bien plus hautes que larges, et même elles disparaissent quelquefois complète- ment. Le tétraèdre {A} devient alors la forme dominante du cristal. 206 ŒUVRES DE PASTEUR Voici les angles mesurés et calculés et la notation des faces, en prenant pour forme primitive la forme hémiédrique : Angles mesurés Angles calculés. h : R —140°56! » RENE A155#6 . » PEN 1565 Pardi ANNE 956 Not GÉN M : Mpar der. — 124 à 1 près. M:M— 124,24 NM 16133 NE: M—161,27 BEN 5350 P-1—133:26 Pardi ae 1—=N0326 Pardi NS RETEA62N0 RE M615 7% RIRE 12920: Paramètres. a — A b—1,89667 c—0,897902. Notation des faces. = (11 1) = (011) M— (110) P— (040) L — (021) N — (120). Considérons l’octaèdre dont le tétraèdre {2} est la forme hémié- drique. Ses angles sont : (411) : (T1) —101°52" (114) : (AT) — 90,52 A) A) AE 16" Les angles du tétraèdre jf (fig. 3) sont : (44) 1) = 80081 (111) : (UD) =38,44 (441) : (M) = 78, 8 (!) Bimalate d'ammoniaque. Le bimalate d'ammoniaque préparé avec l’acide malique ordinaire n’est jamais hémiédrique s’il a cristallisé dans l’eau pure. J'ai étudié 1. On pourrait demander si la cristallisation du bimalate de chaux inactif dans l'acide nitrique offre quelque particularité. Il ÿ a deux bimalates de chaux inactifs renfermant des quantités d'eau de cristallisation différentes, et qui peuvent se former tous deux soit dans l’eau pure, soit dans l'acide nitrique faible. L'un de ces bimalates a exactement la même compo- sition, la même forme cristalline que le bimalate actif; seulement les faces hémiédriques À n'existent jamais, quel que soit le mode de cristallisation. (Note de Pasteur.) Dans le volume qu’il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur a supprimé ce renvoi. (Note de l'Edition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 207 pendant bien longtemps cette substance avant de pouvoir y faire ap- paraître à volonté et d’une manière constante les facettes hémiédriques que déjà j'avais remarquées sur quelques cristaux de bimalate dont l'acide provenait de l’asparagine, mais qui ne se montraient jamais dans le bimalate préparé avec l'acide du sorbier, des pommes, des raisins et du tabac. Je suis enfin parvenu à produire forcément l'hémiédrie dans ce beau sel, plus remarquable encore que le bimalate de chaux par la facilité avec laquelle il cristallise, la netteté et la limpidité de ses cristaux. ’ Je sursature l'acide malique ou le bimalate d’ammoniaque ordi- naire par l’ammoniaque; puis j'évapore la liqueur jusqu’à ce qu'elle prenne une teinte brune par l'effet d’un commencement de décompo- sition, Pendant cette opération, le sel perd beaucoup d’ammoniaque, redevient sel acide, et il se développe en petite quantité divers produits. La masse fondue, refroidie, est reprise par l’eau et mise à cristalliser. Elle fournit d’abord une cristallisation grenue, mame- lonnée, souillée par une eau mère visqueuse colorée. Cette eau mére est enlevée en comprimant les cristaux entre des doubles de papier. La masse cristalline, grenue, presque incolore, que l’on obtient alors, donne facilement une nouvelle cristallisation assez nette de bimalate d’ammoniaque encore impur, mais dont tous les cristaux sont déjà visiblement hémiédriques. Une autre cristallisation les donne purs, très limpides, et encore tous hémiédriques. Mais, par de nouvelles cristallisations, on rend le bimalate parfaitement homoëdre, ce qui prouve que très probablement les cristaux ne sont hémiédriques qu'autant que l’eau mère, au sein de laquelle ils prennent naissance, renferme quelque produit étranger. Ce qui prouve encore que le caractère hémiédrique n’est pas dû à quelque modification éprouvée par le sel quand on le chauffe, c’est que, si l’on ajoute du bimalate d’ammoniaque ordinaire non hémiédrique à du bimalate qui a été chauffé, on rend hémiédrique le bimalate ajouté, c’est-à-dire que le poids total de la cristallisation hémiédrique est supérieur au poids de bimalate qui a été chauffé. Cependant, j'ai remarqué que quelquefois une cristallisation hémiédrique qui ne paraît nullement souillée de produits étrangers redonne une nouvelle cristallisation, qui est encore hémiédrique. Quant à la forme cristalline et aux angles des faces du bimalate hémiédrique, ils sont les mêmes que pour le bimalate ordinaire. Je crois utile de noter encore ici quelques particularités dignes d'intérêt que présente le bimalate d’ammoniaque hémiédrique obtenu dans les circonstances que je viens de rapporter. Lorsque le bimalate 208 ŒUVRES DE PASTEUR se forme dans une eau mère presque pure, par exemple à la troisième ou quatrième cristallisation depuis qu'il a été chauffé, il est en cristaux nets, limpides, qui ont la forme fig. 1: c’est-à-dire qu'ils res- semblent beaucoup, pour le nombre et la disposition des faces, à ceux du bimalate de chaux. Les angles seuls sont différents(). Les faces X sont les faces hémiédriques, placées comme dans le bimalate de chaux. J'ai pu étudier plusieurs cristaux complets où l’on voyait très nette- ment que les faces L étaient des faces tétraédriques. D’après la figure, ces cristaux purs offrent donc, outre les faces hémiédriques, les faces des deux biseaux que l’on rencontre en général dans le bimalate d’am- moniaque ordinaire. Mais dans les premières cristallisations, les faces X Fic. 4. He" 5 Fi. G. existent seules aux extrémités du cristal. Elles ont fait disparaître, par leur développement, le système des faces L et R. De plus, elles sont toujours très courbes. Aussi n'est-ce que par une étude attentive du clivage et des angles des pans du prisme que l’on arrive à se con- vaincre de l'identité de forme de ce bimalate avec le bimalate ordinaire. Les cristaux ont souvent alors les formes très simples fig. 4, 5 et 6. J'ai pu reconnaître sur quelques cristaux que la courbure des faces provenait presque certainement de l'existence de deux faces voisines, faisant entre elles un angle très obtus. En effet, dans ces cristaux l’arête d’intersection de 2 et de M est visiblement formée de deux lignes courbes se coupant sous un angle très obtus, comme l'indique la figure 6. J'ai déjà fait remarquer, dans des recherches antérieures, qu'en général la courbure des faces dans les cristaux était produite lorsque des faces faisaient entre elles un angle dièdre très obtus. 1. I faut aussi noter que l'arête d'intersection des faces À et L dans le bimalate d'ammo- niaque est située dans le plan vertical qui passe par la grande diagonale de la base du prisme MM', tandis que dans la figure 1, qui est, à proprement parler, la représentation du bimalate de chaux, c’est l'arête d’intersection de À avec R qui est située dans ce plan. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 209 La courbure des faces hémiédriques diminue avec le nombre des cristallisations. Enfin, une particularité curieuse, mais dont on ne voit pas l’expli- cation actuellement, c’est que dans les premières cristallisations, c'est seulement l’arête d’intersection de À avec M en avant qui tombe à droite, comme l'indiquent les figures. l’arète d’intersection de 2! sur M'par derrière est à peu près horizontale sur presque tous les cristaux. Mais dans la troisième ou quatrième cristallisation, bien qu'il y ait encore souvent une légère çourbure des faces , leurs arêtes d’intersection avec les pans sont horizontales de chaque côté du cristal. Voici les angles et la notation des faces du bimalate d’ammoniaque en prenant pour forme primitive le tétraëdre {Af : Angles mesurés. Angles calculés. REMEA2 50281 » R:R'—137,35 » L : L'— 104,36 L : L'— 104922! h:M— 142,54 hi: M—142,59. Paramètres. Gil b—1,38653 ce — 1,07606. Notation des faces. 114411) M— (110) LE — (011) R— (012) — (010) Les trois angles de l’octaèdre correspondant au tétraèdre {A} sont : (A1) : (111) — 99016! (441) : (411) — 105,58 (141) : (411) — 124,18. Les angles du tétraèdre {2} sont : (AAA) : (A) — 74 2 (141) : (TT) = 55,42 (141) : (111) — 80,44 Tartramide. La tartramide est l’un des plus beaux produits de la chimie orga- nique. Elle est due à l'ingénieuse méthode de préparation des éthers de M. Demondésir. On l'obtient très facilement en grande quantité. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 14 210 : ŒUVRES DE PASTEUR Je décrirai plus loin sa forme cristalline et celle de la tartramide gauche. Lorsque la tartramide cristallise dans leau pure, elle n’est presque jamais hémiédrique. Il est excessivement rare de trouver dans toute une cristallisation abondante quelques cristaux portant les facettes tétraédriques (fig. 12). Mais on fait apparaître l’hémiédrie sur la presque totalité des cristaux, en ajoutant à la liqueur, au moment où on la met à cristalliser, une petite quantité d’ammo- niaque. La même chose a lieu pour la tartramide gauche. Bitartrate d'ammontaque. Je m'occuperai d’abord, avant d'entrer dans aucun détail relatif à l'hémiédrie de ce sel, de l'étude générale de sa forme, qui est fort Frc. 7. Fic. 8. remarquable à divers titres, et qui montre combien des cristaux, identiques en réalité, peuvent paraître différents dans certains cas. On verra également par cette étude un exemple frappant d’un fait bien connu en minéralogie, et qui consiste en ce qu'une forme limite prend très souvent, par suite du nombre et de la disposition de ses modifications, l'aspect d’une forme propre au système voisin. M. de La Provostaye a déja décrit la forme du bitartrate d’am- moniaque, et j'ai reproduit (fig. 7) le dessin qu'il en a donné. M. de La Provostaye pense que cette forme appartient au système du prisme rectangulaire droit; et en effet, par la symétrie des modifi- cations, il semble qu'il en soit ainsi. Mais, en réalité, la forme dérive d’un prisme oblique. On peut tout de suite s’en assurer en mesurant sur un même cristal les angles À : P et Æ : P (fig. 7). Ils diffèrent de plus de 1°. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 211 J'ai reconnu l'obliquité du prisme en examinant des cristaux qui avaient pris naissance dans l'acide nitrique faible. Le bitartrate d’ammoniaque présente alors la forme fig. 8, et l’on trouve pour les angles de cette forme, si différente de l’autre en apparence : k:P—Kk,:P— 117 6 HAE h,: P—115,30 RE h=N 0230! RC A03 107 La forme du bitartrate dériverait donc alors d’un prisme oblique à base rhombe R, R, P avec les systèmes de modification X et Æ portant sur les arêtes de la base P. Or, si l’on compare les angles précédents avec ceux que l’on déduit du Mémoire de M. de La Provostaye, on voit que, dans les figures 7 et 8, les mêmes lettres désignent les mêmes faces; et je me suis assuré par des mesures directes que, dans la forme fig. 7, les deux angles 2 : P et Æ : P sont différents et égaux aux angles correspondants de la figure 8. Seulement les deux formes ont des aspects très différents, et les faces M de la figure 7 n'existent pas dans la figure 8, qui elle-même porte les faces R que l’on ne trouve pas figure 7. On voit, par ce qui précède, que le bitartrate d’ammoniaque cris- tallisé dans l’eau pure, quoique dérivant d’un prisme oblique, possède à un degré très marqué la symétrie des modifications et l'allure d’une forme appartenant au prisme droit. Mais les détails dans lesquels je vais entrer sur l’hémiédrie de ce sel rendent l'observation précédente beaucoup plus curieuse. Lorsque le bitartrate d’ammoniaque se forme dans l’acide nitrique faible, toujours les huit faces L, A, k, k!', etc., existent également développées, et rien n’annonce l’hémiédrie. La même chose a lieu dans la plupart des cas lorsque le sel cristallise dans l’eau pure. Cependant il arrive quelquefois, ou bien que quatre seulement des faces de l’octaèdre se développent plus que les autres, suivant une disposition tétraédrique, ou bien que les huit faces se réduisent réellement à quatre par la disparition complète des quatre autres. Ce cas est l'exception si le sel a pris naissance dans l’eau pure. Jai cherché le moyen de réduire toujours à quatre forcément les huit faces de l’octaèdre. On y parvient facilement en faisant cristal- liser le bitartrate d’ammoniaque dans une eau mère très chargée de bitartrate de soude. Il est inutile d’ajouter que le tétraèdre est toujours orienté de la même manière. | Cela posé, voici ce qu'offre de remarquable l’hémiédrie de ce sel 212 ŒUVRES DE PASTEUR considérée dans sa relation avec le système cristallin de la substance. Le prisme étant oblique, les huit faces octaédriques ne sont pas de la même espèce. Il y en a quatre d’une sorte et quatre d’une autre sorte; et, quand la forme devient hémiédrique, les quatre faces des tétraèdres sont deux à deux d'espèces différentes. En d’autres termes, l'hémiédrie est doublement accusée. Car la symétrie qui régit le système du prisme oblique à base rhombe exigerait seulement, pour la manifestation de l’hémiédrie non superposable, que deux faces du tétraèdre fussent développées. Le tétraèdre est toujours formé par les quatre faces deux à deux identiques k, X! et k,,k". Or, il suflirait de l'existence de l’un ou de l’autre de ces couples de faces, pour qu'il y eût hémiédrie non superposable. Et ce qui prouve que les deux couples ne se développent simultanément que par le fait de la forme limite, c’est que, dans les cas où j'ai rencontré des substances actives cristallisées en prismes obliques, telles que l'acide tartrique, le sucre candi, qui ne sont pas des formes limites, l'hémiédrie non superposable était, en effet, accusée par deux faces seulement. Alors la forme hémiédrique n’est pas fermée. Les faits de cette nature me paraissent remarquables, surtout au point de vue de l’étude des forces qui sont en jeu au moment de la cristallisation. Aussi crois-je utile d’entrer ici dans une digression du même genre sur le tartrate neutre de potasse et le tartrate double de potasse et d’ammoniaque. Cette nouvelle étude, étant relative à deux sels d’une beauté remarquable, confirmera en tous points celle que je viens de présenter sur le bitartrate d’ammoniaque, dont l'examen est beaucoup plus difficile. Les deux sels que je viens de nommer, le tartrate neutre de potasse et le tartrate double de potasse et d’ammoniaque, sont isomorphes. On peut les obtenir tous deux en cristaux admirables par leur limpidité, leur netteté et leur volume. Tout l’artifice consiste, pour le tartrate neutre de potasse, à ajouter à la solution concentrée de la potasse caustique ou du carbonate de potasse; puis on l’aban- donne à une évaporation lente et spontanée. Quant au tartrate double, il fournit immédiatement de très beaux cristaux, volumineux, quand on le prépare en quantité un peu considérable. Ce sel s’effleurit à l’air en perdant de l’ammoniaque. Ses cristaux deviennent d’un blanc de lait, tout en conservant leur forme. Le tartrate neutre de potasse est représenté figure 9 et le tartrate double de potasse et d’ammoniaque figure 10. Ce sont des prismes obliques à base rectangle. P est la base, M le pan antérieur. Ce qui caractérise ces prismes et les rapproche du bitartrate d’am- DISSYMÈTRIE MOLÉCULAIRE 213 moniaque, c’est que l’obliquité du prisme est extrémement faible. On a : RME S9530! 1 pt 27) DU AD 35; Cela posé, voici les particularités de l'hémiédrie de ces deux sels. La forme dominante du tartrate double est constamment et pour tous les cristaux un tétraèdre irrégulier formé par les quatre faces , ! Fi. 10. et k, k!, qui sont deux à deux d'espèces différentes. C’est exactement le même aspect, la même symétrie dans les modifications que si le prisme était droit. En effet, si P : M était égal à 90°, les faces b et 7 donneraient par leur prolongement un prisme rhomboïdal droit. Or, dans tous les tartrates qui dérivent d’un tel prisme, l'hémiédrie est accusée par quatre faces tétraédriques portant sur les arêtes des bases du prisme. Ce sont les quatre faces 4, X, k, }'. Notons d’ailleurs que les arêtes d’intersection des faces L et b, Æ et n sont situées dans un plan vertical. Nous retrouvons donc ici absolument comme dans le bitartrate d’ammoniaque une forme limite qui offre la symétrie des modili- cations du système voisin. Et ce qui prouve d’une manière péremptoire que l’un des couples seulement 24! ou kÆk' suffirait à la manifestation de l’hémiédrie non superposable, c’est que, dans le tartrate neutre de potasse, isomorphe avec le sel précédent, ül n'existe que le couple de faces 24/!, et l’autre extrémité présente une large face plane verticale, de manière que l’on croirait avoir affaire à une moitié de cristal. Si le couple Xk se développe, jamais les deux faces ne se rejoignent comme dans le tartrate double précédent. Elles sont à peine indiquées. Je dois ajouter que souvent, dans le tartrate neutre de potasse, le système des faces kk' est développé à droite du cristal. Mais elles sont très étroites, et toujours incomparablement moins larges que les faces L et h!. Elles n'existent pas dans le tartrate double. 21% ŒUVRES DE PASTEUR Tartrate neutre d’'ammoniaque. La forme cristalline du lartrate neutre d’ammoniaque a été décrite par M. de La Provostaye (1). Je reproduis (fig. 11) le dessin qu'il en a donné. Tous les détails qui suivent seront seulement relatifs à l'hémiédrie de ce sel. P est la base du prisme, M le pan antérieur. P : M—288°,9. Le prisme est donc oblique. D’après la symétrie propre au système du prisme oblique à base rectangle, les quatre faces z et les quatre faces n devraient être respectivement identiques. J'ai examiné la forme de ce sel cristallisé dans l’eau pure, dans de l’eau ammo- niacale, dans une eau chargée de bitartrate d’ammoniaque, et dans une liqueur arsénieuse obtenue en faisant bouillir le tartrate neutre d'ammoniaque avec l'acide arsénieux. Les cristaux formés dans l’eau pure et dans l’eau chargée d’ammoniaque offrent la même hémiédrie. Les quatre faces 2 2, n n, existent à droite dans tous les cristaux. Les faces 2! z!, existent quelquefois à gauche, mais à peine développées. Jamais on ne rencontre les faces 7! nl. Voilà un premier mode d’hémiédrie. Si les cristaux se sont formés dans une eau chargée de bitartrate d’ammoniaque, presque tous portent à gauche deux nouvelles faces situées entre les faces g' et les faces P et faisant partie de la même zone que celles-ci. Or jamais, dans les conditions actuelles, ces nouvelles faces ne se présentent à droite. Leur existence suffirait pour accuser la structure hémiédrique du cristal. C’est seulement par deux faces analogues que l’hémiédrie non superposable est caractérisée dans le sucre candi. Enfin, lorsque le sel se forme en présence du tartrate d’acide arsénieux, il ne porte aucune des faces 2! z!, n' n!, à gauche. Cette extrémité du cristal est terminée par le biseau g! gl, mais avec cette particularité que les deux faces de ce biseau sont courbes, ce qui 1. DE La Provosraye. Recherches cristallographiques. Annales de chimie et de physique, 3° sér., ILI, 1841, p. 129-150. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 215 n'arrive jamais lorsque le sel a cristallisé dans les autres dissolvants que j'ai cités. En outre, dans le cas actuel, la face P est toujours beaucoup plus large que la face M, circonstance très rare dans les cristallisations ordinaires du tartrate neutre d’ammoniaque. On voit donc toute l'influence du changement de dissolvant sur la manifestation de l’hémiédrie d’une substance active, et tout ce qu’il y a à espérer de ce genre d’études pour faire apparaître ce caractère quand il n'existe pas. Le tartrate neutre d’ammoniaque n’est pas isomorphe avec le tartrate neutre de potasse. D’après les analyses de M. Dumas, ces deux sels diffèrent par leurs compositions chimiques : T.2(KO)HO; T.2(AzHtO). Cependant il existe, entre leurs formes cristallines et leur mode d’hémiédrie, de grandes analogies qu'il est facile de reconnaître. On peut, par exemple, rapporter les deux formes à des paramètres dont les valeurs diffèrent très peu. Tartrate double de soude et de potasse; tartrate double de soude et d'ammoniaque. Ces deux sels sont isomorphes. Le tartrate ammoniacal cristallisé dans l’eau pure est hémiédrique et ne porte jamais qu’à droite les faces qui accusent ce caractère. C’est par exception que l’on rencontre dans ce sel des cristaux où l’hémiédrie est tout à fait absente. Au contraire, son isomorphe, le sel Seignette ordinaire, ne porte que rarement des faces hémiédriques. Quand elles existent, elles sont toujours à peine indiquées, quel que soit le volume des cristaux, excepté dans le cas où l’on fait cristalliser le sel dans le bitartrate de potasse ou dans le bitartrate d’ammoniaque. Mais ce qui est remar- quable, c’est que ces faces hémiédriques se montrent indistinctement à droite et à gauche. Le sel Seignette gauche présente éxactement les mêmes particu- larités. Je ne suis parvenu à développer à droite seulement les faces hémiédriques dans ces deux sels qu’en les faisant cristalliser dans une eau mère renfermant environ son poids de sel Seignette ammo- nique. Il est vrai que dans ce cas les deux sels se combinent équivalent à équivalent, et qu’en réalité le résultat n’est pas applicable au sel Seignette potassique pur. : 216 ŒUVRES DE PASTEUR Peut-être y a-t-il quelque relation accidentelle et mécanique entre les différences que nous offrent ces deux sels isomorphes quant à leur hémiédrie, et les différences d’élasticité et de double réfraction récemment étudiées dans ces mêmes substances par M. de Senarmont. D'après cette considération, il serait utile de rechercher quelle est la position du plan des axes optiques dans le tartrate neutre de potasse et le tartrate double de potasse et d’ammoniaque. Ces deux sels, quoique isomorphes, présentent aussi une légère différence dans leur caractère hémiédrique, ainsi que je l’ai expliqué tout à l'heure. $ II. — DESCRIPTION DE NOUVELLES FORMES CRISTALLINES HÉMIÉDRIQUES. Tartramide droite et tartramide gauche. La forme cristalline de la tartramide droite est représentée fig. 12. Elle dérive d’un prisme droit à base rhombe. Les faces k sont les faces hémiédriques. La tartramide gauche (fig. 13) a exac- tement la même forme cristalline, le même éclat, la même facilité de F1G. 13. cristallisation que la tartramide droite. Seulement le tétraèdre qui accuse l’hémiédrie est inversement placé. Les faces hémiédriques dans la tartramide droite sont extrêmement nettes et brillantes, ainsi que les faces du biseau. Au contraire, les faces des pans sont en général striées longitudinalement. Ces particularités se reproduisent avec une fidélité extraordinaire dans la tartramide gauche. D’autre part, la tartramide droite cristallisée dans l’eau pure ne porte pas de facettes hémiédriques. IL faut DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 217 la faire cristalliser dans une eau un peu ammoniacale. La tartra- mide gauche présente encore exactement les mêmes phénomènes. Voici les angles et la notation des faces, en prenant pour forme primitive le tétraèdre {Ai : Angles mesurés. Angles calculés. b : b' = 136°21' » RD 5520 » REME= 4192710 sh : M —122024! N : M — 162,36 N.M — 162,41 par difi. M :M'— 101, 6 M : M'— 101,46 NEINI=A5515 NAN 57 Paramètres. Gi b — 0,813159 c — 0,400477. Notation des faces. h=—= (111) b—(101) M— (110) N —: (120). Les angles de l’octaèdre qui correspond au tétraèdre jA} sont: (411) : (111) — 140928" (111): (111)— 64,48 (41) (4) 150102; Les angles du tétraèdre jA{ sont : (144) : (111) — 115042! (111): (111) = 49, 8 (111): (111)— 39,32. On rencontre quelquefois dans la tartramide droite et dans la tartramide gauche la face (011) également inclinée à droite et à gauche sur les deux faces du biseau, et qu’il ne faut pas confondre avec la face hémiédrique. Cette face fait un angle de 145°,30' avec les faces du biseau. Acide tartramique droit; acide tartramique gauche. M. Demondésir obtient très facilement le tartramate de chaux, et à son aide l’acide tartramique qui donne des cristaux d’une beauté remarquable. J'ai préparé l'acide droit et l'acide gauche, et je leur ai trouvé exactement la même forme cristalline avec les mêmes 218 ŒUVRES DE PASTEUR angles. Seulement l’hémiédrie est accusée par des tétraèdres inverse- ment placés par rapport aux faces principales du cristal. La forme dérive d’un prisme droit à base rhombe, modifié sur les angles so- lides (fig. 14 et fig. 15). Les faces hémiédriques sont les faces A qui portent sur les arêtes de la base du prisme. Angles et notations des faces en prenant pour forme primitive le prisme M, M. Angles mesures. Angles calculés. M:M 107254 107°34' b:b' = » c:c par derrière — 53,25 » h:M —19700 157,54. hk:c — 4] Paramètres. D="] b —0,366084 c—0,727876. Notation des faces. M— (210) = (211) c— (044) D 201); Angles du tétraèdre A{ : 211) : (211) — 44912! (211) : (211) — 96,46 (211) : (211) — 66,24. Nota. Si l'on calcule l'angle 4 :c d’après les données précé- dentes, on trouve 146°,48!, et la mesure directe donne 148°,11'. Cette DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 219 différence qui, je pense, ne résulte ni d’une erreur de calcul, ni d’une erreur de mesure, doit surprendre. Le prisme, malgré son allure et la symétrie de ses modifications, est peut-être oblique. Il y aurait ici un exemple analogue à celui que nous avons étudié précédemment dans le bitartrate d’'ammoniaque. Valérianate de morphine. Ce sel peut fournir de très gros cristaux qui, tous sans exception, sont hémiédriques. Leur forme est représentée fig. 16. Elle dérive d’un prisme droit à base rhombe MN avec les modifications m et g. Les faces L sont les faces hémiédriques, toujours placées, comme l'indique la figure, par rapport aux faces principales du cristal. Bien que les cristaux soient fort beaux et volumi- neux, les faces, d’un aspect gras et butyreux, man- quent de netteté. Le sel répand une forte odeur d'acide valérianique. Les mesures suivantes ne sont qu'approchées : M : M par derrière — 100° environ. M h:m — 148,28! m:Mm — 129547 h:N — 130° environ. FiG. 16. Les angles 2:N et M:M ont été pris au gonio- mètre d'application. Les deux angles XL : »m et m:m, dont la mesure est assez bonne, suffisent pour déterminer le cristal. Chlorhydrate de papavérine. La papavérine est un nouvel alcali organique cristallisable, décou- vert dans l’opium par M. Merck fils, de Darmstadt. Le chlorhydrate de cette base cristallise très bien. J'ai étudié des échantillons que m'avait remis M. Merck. M. H. Kopp a déjà donné la forme cris- talline de ce sel, mais il n’a pas indiqué son caractère hémiédrique. La figure 12 de la tartramide, en supprimant le prisme NN, peut servir à la représenter. Les faces hémiédriques sont toujours orien- tées, comme l'indique la figure, par rapport aux faces du prisme. Quelquefois les faces hémiédriques n'existent pas. Voici les angles donnés par M. H. Kopp: M : M par derrière— 80° 0' b:b! —4190; 220 ŒUVRES DE PASTEUR J'ai trouvé, à quelques minutes près, les mêmes angles, et en outre h : b—14945". Tartrate neutre droit de cinchontne. La préparation de ce sel est très facile. J'y reviendrai dans la seconde partie de ce travail où je donnerai l’analyse de ce tartrate. Il dérive d’un prisme droit à base rhombe, avec biseau reposant sur les angles aigus du prisme. Les faces hémiédriques portent sur les arêtes de la base (fig. 12, moins le prisme NN’. Les faces des pans sont striées longitudinalement. On a : M :M'— 133220! environ b:b! —127,40 LA AA: L’arête d’intersection des faces XL et D fait un angle obtus avec l’arête du biseau. Malamide. La malamide s'obtient tres facilement à l’aide de l’éther malamique ou de l’éther malique. Si l’on fait passer jusqu'à refus un courant de gaz ammoniac sec dans l’éther malique préparé suivant la méthode de M. Demondésir, le liquide s’échauffe en absorbant le gaz, et le lendemain il est pris en masse cristalline rayonnée. On laisse égoutter les cristaux sur un entonnoir et on les lave avec de l’éther ordinaire. C'est l’éther malamique pur. Ces cristaux, redissous dans l’alcool et traités de nouveau par un courant de gaz ammoniac, laissent déposer, après quelques jours de repos, des grains ronds mamelonnés de malamide pure. On peut aussi et préférablement obtenir la malamide en ajoutant de l'alcool concentré à l’éther malique, faisant passer un courant de gaz ammoniac sec, et abandonnant le liquide à lui-même. La malamide seule se dépose lentement en cristaux mamelonnés. Ces résultats ont été obtenus d’après les indications verbales que M. Demondésir a eu la complaisance de me donner. Son Mémoire n’a encore été publié que par extrait dans les Comptes rendus de l’Académie (1). 1. Demoxpésrr. Recherches expérimentales sur les éthers et les amides des acides orga- niques non volatils. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XXXII, 1851, p. 227-230. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 221 La malamide redissoute dans l’eau cristallise assez bien par une évaporation lente dans le vide. Sa forme est très simple : c’est un prisme droit à base rectangle MN portant le biseau bb! à ses extrémités (fig. 17). L'hémiédrie n’est pas accusée dans cette substance. On a : b:0b" 92950" DNS A5 DRANE= 1562 NMPINE= ROM! Il || La malamide diffère de l’asparagineé cristallisée par sa forme, sa composition, son pouvoir rolatoire el ses propriétés chimiques. $ III. — DisPosiTION GÉNÉRALE DES FACES HÉMIÉDRIQUES DANS LES SUBSTANCES ACTIVES SUR LA LUMIÈRE POLARISÉE. En réunissant toutes les indications cristallographiques que j'ai données sur les substances actives dans ce Mémoire et ceux qui l'ont précédé, on ne tarde pas à reconnaitre que toujours la forme hémiédrique dans ces substances est une des formes dérivées les plus simples, et que si on la prend pour forme primitive, on n’introduit aucune complication dans la notation des faces du cristal. La disposition très simple des faces hémiédriques est accusée, dans presque tous les cas, par un caractère physique qui m'a été souvent utile pour reconnaître l'existence de lhémiédrie. Le prisme droit à base rhombe est la forme type la plus ordinaire dans les substances actives que j'ai étudiées, et les modifications habituelles du prisme sont des faces qui portent sur les angles aigus ou obtus du prisme. Or il arrive presque constamment, 1° que les faces hémiédriques reposent sur les arêtes de la base du prisme; 2° que les arêtes d’intersection des modifications sur les angles du prisme (faces des biseaux), avec les faces hémiédriques, se projettent sur les diagonales des bases du prisme. Aussi peut-on assigner d'avance, et presque avec une entière certitude, quelle sera la forme hémiédrique de telle substance active déterminée. Ainsi il est très facile de prédire quelles seront les formes hémiédriques des substances suivantes, où je n'ai pas encore rencontré l’hémiédrie, quand on aura fait apparaître forcément ce caractère par des moyens semblables à ceux que j'ai mis en pratique dans ce travail. 222 ŒUVRES DE PASTEUR Tartrate neutre de soude: malamide; codéine cristallisée dans l’éther ; tartrate neutre de chaux. La forme cristalline du tartrate neutre de soude est représentée figure 18. Il est excessivement probable que l’hémiédrie sera accusée par quatre facettes tétraédriques reposant tangentiellement sur les arêtes d’intersection des faces » et g, et que son arête d’intersection avec la face M sera normale à l’arête d’intersection des faces M et g, ce qui détermine complètement sa position. On peut même, dans ce cas particulier, en partant des relations générales que j'ai fait connaître entre les formes cristallines de tous les tartrates, assigner la position du tétraèdre par rapport aux faces principales du cristal. Il est également très probable que, quand on aura rendu la malamide hémiédrique, les faces hémiédriques porteront sur les o F. Fic. 17. Fi. 18. FiG. 19. angles solides formés par la base et les pans N et M (fig. 17). Je ne puis davantage indiquer leur position, parce que le prisme lui-même de la malamide ne peut être déterminé par ses modifications en trop petit nombre. Mais on peut regarder comme presque certain que les faces tétraédriques reposeraient sur les arêtes de la base du prisme rhomboïdal droit qui correspond au prisme rectangulaire M, N. En résumé, et un peu plus abstraitement, on peut dire : Soit le prisme rhomboïdal type M, M, P (fig. 19) Ce prisme portera généralement une seule modification sur les angles E, une seule sur les angles O, dont les notations seront (011) et (101). DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 223 Cela posé, presque toujours la face hémiédrique sera (111). Si le prisme porte deux modifications sur ses angles, il arrivera quelquefois qu'il y aura aussi deux systèmes de faces hémiédriques, comme dans le tartrate double de soude et d’ammoniaque, et les notations des nouvelles modifications homoédriques et hémiédriques se correspondront encore. S'il y a deux systèmes de modifications sur les angles et un seul système de faces hémiédriques, on peut être assuré que ces dernières correspondront à l’un des deux systèmes de modifications homoé- driques. L'étude de l’hémiédrie dans le prisme oblique à base rectangle, pour les cäs que j'ai fait connaître, conduit à des remarques analogues, et il est tout aussi facile de préciser d’avance les divers modes d'hémiédrie qu'il peut présenter. DEUXIÈME PARTIE $ IV. — Sur UNE NOUVELLE CLASSE DE COMBINAISONS ISOMÈRES, ACTIVES SUR LA LUMIÈRE POLARISÉE. La deuxième partie de ce travail est consacrée à l’examen d’un nouveau genre de combinaisons isomères qui présentent un vif intérêt, et sur les propriétés desquelles on ne se lasse point de méditer. Je rappellerai d’abord à l’Académie la grande ressemblance de caractères physiques et chimiques que l’on rencontre dans les acides tartriques droit et gauche, et dans leurs dérivés correspondants. Il n’est rien que l’on fasse avec l’un de ces acides que l’on ne puisse effectuer avec l’autre dans les mêmes circonstances, et les produits obtenus ont constamment même solubilité, même poids spécifique, même double réfraction, mêmes angles des faces. Tout est identique en un mot, si ce n'est l'impossibilité de superposer les formes cristallines, et que le pouvoir rotatoire s’exerce à droite dans un cas, à gauche dans l’autre, mais rigoureusement de la même quantité en valeur absolue. Et que l’on ne croie pas que cette identité ne se manifeste que pour ces propriétés importantes, telles que la solubilité, le poids spécifique... On la retrouve partout avec la même intensité. Un tartrate droit, ou en général un dérivé quelconque de lacide tartrique droit, se dépose-t-il en cristaux volumineux ou aiguillés, limpides ou nébuleux, à faces striées ou planes : ces cristaux offrent-ils un mode de groupement déterminé, -se brisent-ils t LEA rss ŒUVRES DE PASTEUR facilement, enfin présentent-ils de telle ou telle manière ces mille détails qui échappent, pour ainsi dire, à la narration, on est assuré de les reconnaître avec les mêmes caractères dans le dérivé gauche de même nom. Cela posé, voici le fait remarquable sur lequel je vais appeler l'attention de l’Académie. C’est que cette identité absolue pour tout ce qui n’est pas hémiédrie et sens du phénomène rotatoire n'existe qu'autant que les deux acides tartriques sont unis à des combinaisons inactives sur la lumière polarisée. Mais les place-t-on, eux ou leurs dérivés, en présence de produits qui ont une action moléculaire quelconque sur le plan de polarisation, alors toute identité cesse d’avoir lieu. Les combinaisons correspondantes n’ont plus ni la même solubilité, ni la même composition; elles ne se comportent plus de la même manière sous l’influence d’une tempé- rature élevée. Que si, par hasard, leur composition est la même, leurs formes cristallines sont incompatibles, leurs solubilités extrêmement différentes. Enfin, il arrivera quelquefois que la combinaison sera possible avec le corps droit et impossible avec le corps gauche (!). Je vais entrer maintenant dans le détail des faits (?). Bitartrate d'ammoniaque droit et bimalate d'ammoniaque actif. La cristallisation d’un mélange de bitartrate d’ammoniaque droit et de bimalate d’ammoniaque actif donne lieu à plusieurs remarques fort curieuses. Si l’on fait un mélange des deux sels à équivalents égaux et qu’on le dissolve à chaud dans beaucoup d’eau, la première cristallisation obtenue par refroidissement est entièrement composée de bitartrate d’ammoniaque droit, pur, en lames carrées assez larges, biselées sur les bords. L'eau mère, après évaporation et refroidissement, fournit une nouvelle cristallisation homogène, en prismes fort peu nets, dont il est impossible d’assigner la forme exacte, et terminés par une pointe très aiguë. Je les appellerai, pour abréger, cristaux (B). La nouvelle eau mère, traitée de la même manière, fournit des 1. Dans le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur a ajouté : « Il est facile de comprendre (prévoir) quelle est la cause occasionnelle de ces diffé- rences. Toutes les fois qu'un corps actif se combine avec un autre corps également actif le pouvoir rotatoire de la combinaison est nécessairement très différent en valeur absolue de celui de la combinaison que fournirait le premier corps actif avec l'inverse du second. Tandis que deux combinaisons inverses unies séparément à un même corps inactif peuvent avoir et ont, en effet, l'expérience le prouve, des pouvoirs rotatoires égaux et de sens opposés. » 2. Dans le volume projeté, Pasteur a ajouté : « Nous verrons plus tard à quelles inductions très dignes d'intérêt ils peuvent nous conduire. » (Notes de l'Edition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 295 cristaux groupés en mamelons blancs, tuberculeux; je les appellerai cristaux (C). Enfin, la nouvelle eau mère donne uniquement, et jusqu’à la dernière goutte, du bimalate d’ammoniaque pur où à peine souillé des cristaux (C). Les cristaux (B) et les cristaux (C), je le prouverai tout à l'heure, sont une combinaison à équivalents égaux de bimalate d’ammoniaque et de bitartrate d’ammoniaque. Jai dit qu’il fallait employer beaucoup d’eau. Lorsque la quantité d’eau n’est pas assez considérable, la première cristallisation n’est pas du bitartrate pur, mais un mélange de bitartrate et de la combinaison à équivalents égaux des deux sels acides. C’est, par exemple, ce qui arrive lorsqu'on dissout le mélange des sels dans quatre fois son poids d’eau, limite approchée de la quantité d’eau nécessaire pour le dis- soudre à chaud. Mais ce qui est remarquable alors, c’est le bizarre assemblage des deux espèces de cristaux, et dont la reconnaissance a levé, pour mci, bien des difficultés de détails qui n'ont longtemps arrété. La cristallisation, quoique hétérogène en réalité, présente Phomo- généité la plus parfaite, surtout si Pon n’a pas opéré sur une quantité de matière assez considérable pour obtenir des cristaux un peu gros et faciles à étudier. En observant attentivement ces cristaux, on reconnait que tous, sans exceplion, sont RÉ ERTE formés, comme lindique la figure, de deux lames ACCUS N identiques qui comprennent entre elles une autre lame & de même largeur, mais de hauteur moindre, ce qui | laisse deux vides entre les lames latérales (fig. 20). [+ En général, le cristal compris est un peu plus épais \ que les lames qui le comprennent. Or, le cristal couché intérieur est du bitartrate d’ammoniaque parfaitement Fic. 20. pur, et les lames latérales sont la combinaison à équivalents égaux de bimalate et de bitartrate d’ammoniaque, identique, malgré l'aspect de sa cristallisation, avec les cristaux (B) et les cristaux (C). ; Si l’on a bien saisi tous les détails qui précèdent, on doit comprendre que, pour obtenir à coup sûr une cristallisation de la combinaison de bimalate et de bitartrate, il faut augmenter la proportion de bimalate. En effet, si l’on dissout à chaud un mélange de deux parties de bimalate et d’une partie de bitartrate dans 15 parties d’eau, la première cristalli- sation est formée des cristaux (B) uniquement. Je vais maintenant prouver que ces cristaux sont bien une combinaison à équivalents égaux de bimalate et de bitartrate. 1°. La cristallisation est parfaitement homogène, et, bien que la forme DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 15 226 ŒUVRES DE PASTEUR des cristaux ne soil pas facilement déterminable, il est certain qu’elle est la même pour tous. 2, J'ai pris deux fois, surles mêmes cristaux, la solubilité de la com- binaison en opérant de la manière suivante : Dans un tube fermé à une extrémité, j'ai placé la substance avec de l’eau qui, pendant tout le temps de la dissolution, n’a pas recouvert les cristaux. Le lendemain, la température qui n'avait pu varier qu'extrêémement peu pendant la nuit, était de 15°, comme la veille. On a alors filtré rapidement, dans une capsule tarée, une certaine quantité de la solution saturée, puis on a évaporé à siccité à 100°. 8,858 de solution ont fourni 0,689 de résidu. D'où l’on déduit que 100 grammes d’eau à 15° dissolvent 8,434 grammes de la combinaison. IL était resté beaucoup de la matière dans le tube. J’ai rajouté de l’eau à la température de 159,5, et le surlendemain la température étant de 14,5, j'ai, de nouveau, déterminé la quantité de sel contenue dans la solution saturée. 9,200 grammes de solution ont donné un résidu dessé- ché à 100° pesant 0,772; d'où l’on déduit que 100 grammes d’eau auraient dissous 8,516 de la combinaison. Ce résultat est d'accord avec le précé- cédent. [l’est donc impossible d'admettre que nous avions affaire à un mélange. : 3. Le sel en question n’est pas évidemment du bitartrate d’ammo- niaque pur; car la solubilité de ce dernier produit est de beaucoup moindre. En effet, à la température de 15°, une dissolution saturée, obtenue en suivant les indications précédentes, a donné le résultat suivant : 9,323 de la solution ont laissé un résidu de 0,200 à 100; d’où l’on déduit que 100 grammes d’eau à 15° dissolvent seulement 2 gr. 192 de bitartrate d’ammoniaque. 4. Le pouvoir rotatoire de la combinaison est exactement le même que celui d’un mélange fait à équivalents égaux des deux sels acides. 3 gr. 322 sursaturés par un léger excès d'ammoniaque portés au volume de 83,555 centimètres cubes ont donné une liqueur dont la déviation dans le tube de 50 centimètres a été de 2°,88 /’. Le bitartrate d'ammo- niaque pur, dans les mêmes conditions exactement, a fourni 7°,44 A. D'autre part, un mélange fait directement de 1,744 de bitartrate d’am- moniaque pur et de 1,577 de bimalate, nombres proportionnels aux poids équivalents de ces deux sels, et dont la somme est égale à 3,322, ont donné, après saturation par l’ammoniaque et sous le volume de 83.555 centimètres cubes, une déviation de 2,8 dans le tube de 50 centimètres. 5°. Enfin 3 gr. 32 des cristaux (C) traités de la même manière exactement ont donné 2°,64 7h dans le même tube. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 12 1 Eu] Les détails qui précèdent ne peuvent laisser le moindre doute sur l'existence d’une combinaison à équivalents égaux de bitartrate d’ammo- niaque droit et de bimalate d’ammoniaque actif. Et en suivant les indi- cations que j'ai données, on peut toujours l'obtenir à l’état de pureté dans une première cristallisation. Cette combinaison n’est pas stable, c'est-à- -dire qu'on ne peut la faire cristalliser sans la détruire en partie. Elle se comporte alors absolument comme un mélange fait directement à équivalents égaux des deux sels acides. Bitartrate d’ammoniaque gauche et bimalate d'ammoniaque actif. Si l’on fait cristalliser la solution d’un mélange à équivalents égaux de ces deux sels, ou renfermant 1 équivalent du premier et 2 équivalents du second, dans une quantité d’eau quelconque, jamais il n'y a combi- naison. Le bitartrate gauche ,cristallise en premier lieu, et il n’en reste que des traces dans l’eau mère. Il semble même que la solution de bimalate d’ammoniaque dissout beaucoup moins de bitartrate gauche que l’eau pure (1). Il y a done une différence notable entre la manière dont se comportent, vis-à-vis du bimalate d’ammoniaque actif, les deux bitartrates d’ammoniaque droit et gauche. Tartramide droite et malamide active. La tartramide droite se combine avee la plus grande facilité à la malamide active. I1 suffit de dissoudre ces deux substances dans l’eau en proportions équivalentes, et d’évaporer la liqueur. Jusqu'à la dernière goutte elle dépose de très beaux cristaux, parfaitement nets et lim- pides, ayant tous exactement la même forme. Si l’on force la proportion de tartramide, on la retrouve toutentière, mélangée aux cristaux de la combinaison précédente. D'ailleurs celle-ci est anhydre comme les deux amides qui lui donnent naissance. Solubilité. — 3 gr. 570 d’une solution prélevée à la température de 20° sur l'eau mère d’une cristallisation par évaporation lente, et proba- blement sursaturée, ont donné un résidu sec de 0 gr. 545. D'où l’on ! 1: 3 gr. 32 Dr sur la première cristallisation d'une solution renfermant 1 partie de bitartrate gauche, 2 parties de bimalate et 15 parties d’eau, saturées par un léger excès d'ammo- niaque et portées au volume de 83 em* 555, ont donné, dans un tube de 50 centimetres, une déviation de 70,4 De . On a vu précédemment qu’en opérant de la même manière avec 3,322 : . : . pe . . "at " A de bitartrate d'ammoniaque droit pur, la déviation avait été de 70,4 4 . + 5 4 228 ŒUVRES DE PASTEUR déduit que, dans ces conditions, 100 grammes d’eau dissolvent à 20° 18 gr. 01 de la combinaison. Pouvoir rotatoire. — Le pouvoir rotatoire de la combinaison est exactement le mème que celui d’un mélange fait directement des deux amides à équivalents égaux. La malamide dévie à gauche, mais beau- coup moins que la tartramide ne dévie à droite : de telle manière que le pouvoir rolatoire s'exerce à droite. J'ai trouvé pour le pouvoir rotatoire de la tartramide droite, comme moyenne de deux expériences, pour celui de la malamide, [x]; —47°500N"; et pour celui de la tartromalamide, [œ]; — 43002 { e Tartramide gauche et malamide active. La tartramide gauche se combine aussi équivalent à équivalent avec la malamide active. On fait dissoudre les deux substances en proportions équivalentes, et on évapore. La combinaison cristallise par grimpe- ment sur les parois du vase, si l’évaporation est très lente. Lorsqu'elle est plus rapide, et, par exemple lorsque la liqueur est assez concentrée pour crislalliser en un jour, il se forme au sein d’une eau mère un peu sirupeuse des houppes d’aiguilles très fines, d’un éclat soyeux et argenté, dont il est tout à fait impossible de déterminer la forme cristalline. Quelquefois il prend naissance, dans les dernières eaux mères, de petits cristaux limpides de tartramide qui a échappé à la combinaison. La tartromalamide gauche est anhydre, comme la tartro- malamide droite. Solubilité. — Elle est beaucoup plus soluble que la combinaison précédente. Je n'ai pas fait d'expérience précise ; mais je me suis assuré qu'il ne fallait pas trois fois son poids d’eau à 19° pour la dissoudre. Pouvoir rotatoire. — Le pouvoir rotatoire est le même que celui d’un mélange des deux amides, fait directement à équivalents égaux. J'ai déterminé d’abord le pouvoir rotatoire de la tartramide gauche, en opé- rant avec beaucoup de soins, mais sur une petite quantité de matières. On a dissous 1 gr. 1045 de tartramide gauche pure dans 83 gr. 530 d’eau. La densité de la liqueur à 11° par rapport à l’eau à 4° a été trouvée DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 229 de 1,0144. Cette solution, observée dans un tube de 50 centimètres, a donné une déviation de 8°,88 à gauche, pour la teinte de passage. On déduit de là [4]; — _ = 134°,15 N pour 100 millimètres. O7 J'ai pris alors un poids déterminé et égal à 76 gr. 955 de la solution précédente, et je lui ai ajouté un poids de malamide de 0 gr. 902 pré- cisément équivalent au poids 1,012 de tartramide qu'il renfermait. La nouvelle solution, observée dans le même tube de 50 centimètres, a donné une déviation de 11°,76 à gauche, qui n’a pas varié avec le temps. Puis, ayant fait cristalliser cette liqueur, j'ai pris le pouvoir rotatoire de la combinaison de tartromalamide. 1 gr.760, dissous dans un volume d’eau précisément égal à celui de la liqueur totale précédente, ont donné dans le tube de 50 centimètres une déviation de 10°,08. Si le poids employé eût été de 1,914 au lieu de 1,760, la déviation actuelle serait de 11°,2. Par conséquent, le pouvoir rotatoire de la combinaison est le même que celui d’un mélange fait directement à équivalents égaux de malamide et de tartramide. Enfin, en partant des pouvoirs rotatoires de la malamide et de la tartramide, on peut calculer quelle serait la somme des déviations des deux amides dans les circonstances précédentes. On trouve ainsi que 0,902 de malamide, portée en solution aqueuse au volume de 83 em*, 555 et sous une épaisseur de 50 centimètres, dévie de 2°,55 Ne et que 1,012 de tartramide gauche, dans les mêmes conditions, dévie de 8,13. La somme est égale à 10°,68 à , nombre peu différent de 11°,2. Le pouvoir rotatoire de la tartromalamide gauche est [4]; = 95°,71 Le On voit, par tout ce qui précède, que les deux tartramides droite et gauche se comportent tout différemment en présence de la malamide active. J'ai étudié d’autres combinaisons du même genre que celles qui précèdent, sans sortir des séries tartriques et maliques ; mais je n'ai pas encore achevé ces recherches. Je dirai seulement que lacide tar- trique droit fournit, avec l’asparagine, une combinaison parfaitement cristallisée, très facile à préparer, et que l'acide tartrique gauche ne s’unit pas à l’asparagine ; ou mieux, il donne avec elle une liqueur siru- peuse incristallisable. Nous voyons donc, parles faits qui précèdent, que les corps droits etgauches non superposables, dont les propriétés physiques etchimiques sont d’une identité absolue quand on les unit à des substances inactives sur la lumière polarisée, se comportent d’une manière toute différente dès qu’on les met en présence de produits actifs. Mais il se présente naturellement à l'esprit la question suivante : Les relations très probables 230 ŒUVRES DE PASTEUR de groupement moléculaire qui existent entre les dérivés de la série tartrique el ceux de la série malique ne nous placent-elles pas ici dans des conditions toutes particulières? J'avais un moyen très simple de lever la difficulté, en étudiant les tartrates droits et gauches des alcalis organiques des Yégétaux. On va se convaincre, par le résultat de ces nouvelles recherches, que le fait est général. Tartrates droits et gauches de cinchonine. Les tartrates droits et gauches neutres et acides de cinchonine se préparent très facilement, en faisant dissoudre à chaud, dans des pro- portions convenables, la cinchonine et l'acide tartrique. Soit posé Ci CH? Az 0?— 294 et T—C8H*01— 132; Tartrate acide droit. — Si l’on fait dissoudre à chaud la cinchonine et l’acide tartrique dans les proportions équivalentes Ci et T, on obtient par refroidissement une belle cristallisation d’un éclat nacré, très bril- lante, formée de cristaux assez nets, groupés en étoiles rayonnées. J'ai décrit, dans la première partie de ce Mémoire, leur forme cristalline hémiédrique. Même en doublant la proportion d’acide, c’est toujours ce méme sel qui prend naissance. Il faut la quadrupler pour obtenir, par refroidissement, une première cristallisation d’un autre tartrate acide de cinchonine qui se dépose en cristaux limpides fort nets, et dont je n'ai pas encore terminé l'étude. Plus on emploie d'acide au dela de la quantité rigoureusement nécessaire pour préparer le sel acide, moins est abondante la première cristallisation. Ce sel a pour formule TCiHO + S(HO). Perte d'eau. — 11 perd tres facilement ses 8 équivalents d’eau de cristallisation à 100° ; 1 gramme du sel cristallisé, desséché à Pair ordinaire, a perdu 0,140 ou 14,0 pour 100. Dans une autre expérience, la perte a été de 13,75. La formule exige 14,2. A 120, le sel se colore très sensiblement en rouge et commence à entrer en fusion ; mais, mal- gré celte coloration, la perte n’est pas de 1 milligramme en une demi- heure. Le sel ne peut donc rien perdre au delà de 100° sans se décom- poser. Exposé dans le vide de la machine pneumatique, le sel s’effleurit rapidement, et en quelques jours il perd 12,8 pour 100. La perte paraît s'arrêter à ce chiffre. Elle a continué à 100°. D DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE Le sel prend déjà à 100° une très faible teinte rose. Propriétés. — Ce sel est extrêmement peu soluble dans l’eau froide, beaucoup plus à chaud, d’où il se dépose en cristaux par le refroidis- sement. Il est surtout très soluble dans l'alcool pur. Cette solution est parfaitement neutre aux papiers réactifs; au contraire, la solution aqueuse est acide. Pouvoir rotatoire. — Un gramme de sel cristallisé dissous dans 65 gr. 770 d'alcool concentré a fourni une liqueur dont la déviation, sous l’épaisseur de 50 centimètres, a élé trouvée, pour la leinte de passage, de 8°,40 /7. J'ai fait dissoudre dans 65 or.770 d'alcool les poids d'acide tartrique et de cinchonine qui existent dans { gramme de sel, calculés d’après la formule TCiHO + 8(HO), et j'ai obtenu une liqueur qui m'a donné exactement 8°,4 dans un tube de 50 centimètres. Cette expérience prouve déja que les proportions d’acide et de base sont dans le rapport des quantités /T et Ci. Mais j'ai, en outre, déter- miné directement la quantité de cinchonine du sel, en précipitant celle-ci par la chaux et reprenant par l'alcool absolu bouillant, qui ne dissout que la cinchonine. La cinchonine ainsi régénérce était identique avec la cinchonine ordinaire. Tartrate acide gauche. — On le prépare aussi facilement que le tar- trate acide droit que nous venons d'étudier; et si lon emploie un grand excès d'acide, il se dépose un nouveau sel acide cristallisé en houppes brillantes, nacrées, formées d’aiguilles très ténues, fort diffé- rent par son aspect de ce deuxième lartrale acide droit auquel j'ai fait allusion tout à l'heure. Perte d'eau. — 0 gr. 5 de sel perdent 22 à 23 milligrammes à 1000," ce qui donne 4,5 pour 100. Le sel porté alors à 120° ne perd rien et ne se colore pas du tout ; il conserve son aspect cristallisé. À 140°, la perte est presque insensible. Le sel se colore, mais après un temps assez long. IL est donc certain que la perte la plus élevée que le sel puisse subir sans se décomposer est égale à 4,5 pour 100. La formule qui s'accorde le mieux avec cette expérience est TCiHO + 2(H0), qui exige pour 2 (HO) une perte de 3,97. 0 gr. 624 de sel ont donné 1,369 d'acide carbonique et 0,416 d’eau. 232 ŒUVRES DE PASTEUR On déduit de là : CALCULÉ Carbone: 20 NS ET CR 5070 60,93 HYATO SN CE EE D DD 6,40. On a omis dans cette analyse de terminer par un courant d'oxygène pur. Propriétés. — Ce sel est extrêmement peu soluble dans l'alcool et dans l’eau. Sa solution alcoolique est neutre ; sa solution aqueuse est acide aux papiers réactifs; 100 grammes d’alcool absolu à 19 dissolvent 0 gr. 296 de sel cristallisé. Pouvoir rotatoire. — La très faible solubilité de ce sel dans l'alcool pur ne permet pas de prendre de mesure rigoureuse. J'ai trouvé qu'il déviait à droite, et que son pouvoir rotatoire était sensiblement égal à celui du sel droit, correspondant dans le rapport de 6 à 8. Tartrates droits et gauches de brucine. Les chimistes s'accordent à donner à la brucine la formule C#5 H%6 Az2 08 + 8(HO) — Br + S(HO). La brucine étant très soluble dans l’alcool, ainsi que les deux acides tartriques, il est facile de dissoudre en proportions déterminées, et d’après les formules T2Br et Br: la brucine et l'acide tartrique. Le mélange des solutions donne lieu, dans les quatre cas, à des cristallisations abondantes. Le tartrate neutre droit commence à se déposer immédiatement en lames limpides. Le tartrate neutre gauche ne commence à se former en cristaux que plusieurs heures après le mélange, et le lendemain les parois du verre sont tapissées de gros mamelons blancs satinés. Le tartrate acide droit se précipite sur-le-champ et complètement en une poudre grenue, cristalline. Le tartrate acide gauche donne des houppes soyeuses, composées d’aiguilles très fines, faisant beaucoup de volume sous un faible poids. Les sels neutres et le sel acide gauche sont excessivement solubles dans l’eau chaude, et peu solubles dans l’eau froide, surtout le sel acide. Le meilleur moyen de préparer les deux sels neutres en beaux cristaux très nets, très limpides, consiste à dissoudre la brucine dans la solution aqueuse d’acide tartrique et à laisser refroidir. Il faut DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 233 avoir soin d'employer rigoureusement les quantités d'acide et de base qu'exige la formule T2Br. Les deux sels neutres sont efflorescents, le gauche plus que le droit. Tartrate acide droit. — Cesel, cristallisé dans l’eau ou dans l'alcool, est anhydre. Après avoir été desséché à l'air ordinaire, il perd 0,6 pour 100 d’eau d’interposition à 100°. On peut ensuite le porter à 1500 et au delà. Il n'éprouve aucune perte et ne se colore pas. À 200 seu- lement, il prend une très faible teinte jaune sans répandre d'odeur, et en conservant toujours son aspect de poudre cristalline grenue. 0 gr. 348 de matière desséchée à 100° ont donné 0,7635 d'acide carbonique et 0,194 d’eau. On déduit de là : CALCULÉ (Cadione EE ts M NS PE ATOS 59,55 HCREGÈNES, 2.310 8 'olidra s 016 66000, 0 8, à 60 AUCH) 5,88. Le calcul est fait avec la formule TBrHO, HO. Tartrate acide gauche. — Ce sel présente la même composition et le même aspect, qu'il se soit formé dans l’eau pure, ou dans lalcool concentré. Perte d'eau. — Un gramme de sel a perdu à 100° 133 milligrammes «d’eau, où 13,3 pour 100. Porté ensuite à 150°, il a perdu encore 12 milli- grammes sans se colorer. Vers 190°, il répand une forte odeur de caramel, et se charbonne sans entrer en fusion. La formule TBr(HO) +10(H0) est celle qui s'accorde le mieux avec l'expérience. 9(HO) seraient chassés à 100, et le dixième équivalent à 150°. Ce sel s’effleurit très facilement dans l'air sec. Tartrate neutre droit. — Préparé dans l’alcool à 95°, comme il a été dit tout à l'heure, il renferme 11 équivalents d’eau. Il en perd 10 à 100», et le onzième à 150°, température à laquelle il commence à se colorer. La perte a été de 10 pour 100 à 150° et de 9,2 à 100°. La formule T2Br2H0 + 11(H0) exige 9,54 et 8,75. Si l’on prépare ce sel avec de l’eau pure, il renferme 16 équivalents d’eau. Il en perd 15 à 100°, et le seizième à 150°. La perte à 150°, avant 234 ŒUVRES DE PASTEUR que le sel ne s’altère, a été de 13,22 pour 100 et de 12,70 à 1000. La formule (T2 Br2H0 + 16(H0) exige 13,18 et 12,36. Ce qui me parait établir avec le plus de certitude que le sel, desséché à 100°, renferme encore 1 équivalent d’eau, est l’analyse élémentaire suivante : 0 gr. 3 de sel cristallisé, desséchés à 100°, ont perdu 0,038 ou 12,66 pour 100, et ont donné ensuite 0,605 d’acide carbonique et 0,161 d’eau. D'où l’on déduit : Carbone, CE CRETE SE 62,99 Hydronene ME ECC CRETE 6,84. Le calcul donne : pour les formules T2Br2H0 et T2Br2H0 + HO. Tartrate neutre gauche. — Formé dans l’eau pure ou dans l'alcool concentré, ce sel a la mime composition. Il perd à 100° 20,66 pour 100 d'eau. Porté alors à 140 ou 150°, il perd encore environ 1 pour 100 d’eau, avant de s’altérer. 0 gr. 968 de sel cristallisé dans l’eau pure ont perdu 0,200 à 100, puis 0,010 à 140°, ce qui donne une perte de 21,69 pour 10) à 140° et de 20,66 à 1000. 0 gr. 968 du même sel, préparés avec l'alcool à 95 degrés par mélange de solutions d’acide tartrique et de brucine en proportions équivalentes, ont perdu 0,195 à 100, ou 20 pour 100. La formule T2Br2H0 + 28(H0) exige 21 pour 10) pour une perte de 28 (HO) et 20,25 pour une perte de 27 (HO. C'est donc la formule qui s'accorde le mieux avec l’expé- rience. Ce sel est très efflorescent en été. Tartrates droits et gauches de strychnine. On prépare tres facilement les sels neutres et les sels acides de strychnine en faisant dissoudre à chaud, dans l’eau pure, l'acide tartri- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 235 que et la strychnine dans les proportions atomiques qui correspondent aux formules T28St el IPS St—= CH? Az208 — 380. Par le refroidissement, on obtient quatre belles cristallisations qui présentent respectivement beaucoup d'homogénéité. Tartrate neutre droit. — Un gramme de sel cristallisé a perdu 0,143 à 100°, ou 14,3 pour 100. Porté à 170°, le sel reste parfaitement blanc et n'éprouve auéune perte nouvelle. C’est vers 190° seulement qu'il com- mence à prendre une faible coloration. La perte est alors de 0,146. Par conséquent, le sel ne perd rien au delà de 100° avant de se dé- composer. Tartrate neutre gauche. — Un gramme de sel cristallisé à perdu 0,078 à 100°, ou 7,8 pour 100. Porté à 170°, le sel reste blanc et n'éprouve aucune perte nouvelle. C’est à peine si, à 200°, le sel commence à prendre une très faible coloration, et la perte est nulle jusqu’à cette température. Si l’on abandonne, pendant le même temps, une demi- heure environ, le sel droit et le sel gauche à 200, l’altération est consi- dérable pour le sel droit, très faible pour le sel gauche. Tartrates acides droit et gauche. — Ces deux sels perdent chacun, à 100°, toute leur eau de cristallisation, et cette perte est la même, 10,3 [pour 100. Les deux sels n’éprouvent aucune diminution de poids appréciable à la balance jusqu’à 170° environ, température à laquelle ils commencent à se colorer, quoique très inégalement. Le sel gauche peut supporter longtemps celle température sans s’altérer d’une maniere sensible. Ainsi les tartrates acides de strychnine ont exactement la même composition chimique. Mais l’eau de cristallisation est retenue avec une énergie tres différente dans les deux sels. Le tartrate gauche la laisse échapper à 100°, bien plus vite que le tartrate droit. D'autre part, si l’on verse de lalcool absolu sur le tartrate gauche, ce sel commence par s’y dissoudre en quantité tres sensible, puis il devient opaque, s’effleurit et ne se dissout plus. Le tartrate droit, au contraire, ne se dissout pas dans l'alcool absolu et il y conserve toute sa limpi- dité première. En outre, bien que je n’aie pu encore déterminer exactement les formes cristallines des deux sels, je puis affirmer qu'elles sont certal- nement fort différentes. Les formules chimiques des deux tartrates sont TStHO, HO + 6(H0) 236 ŒUVRES DE PASTEUR Tartrates acides droit et gauche de quinine. Ces deux sels portés à 160° perdent toute leur eau de cristallisation et commencent à s’altérer, mais d’une manière insensible, si on ne les laisse pas trop longtemps à cette température. La perte est la même pour les deux sels et égale à 4,4 pour 100. C’est donc un nouvel exemple de deux tartrates droit et gauche complètement isomeres. Mais leurs formes cristallines sont tout à fait différentes. En outre, le sel gauche est beaucoup plus soluble que le sel droit, surtout dans l'eau chaude. Enfin, ils retiennent leur eau de cristallisation avec une énergie très différente. Car la perte pour le sel gauche est de 4,1 pour 100 à 100, c’est-à-dire qu'elle est totale à cette température, tandis que le sel droit ne perd que 1,4 pour 100 à 100°, c'est-à-dire moins de 1 équivalent d’eau. La perte totale de leau exige une température de 160° pour être complète. Formule des deux sels : TQHO+2H0, Q—C#SH2?A720i — 310. È J'ai préparé les sels précédents en faisant dissoudre séparément dans l'alcool la base et l'acide d’après les proportions Q et T2{H0), puis mélangeant les deux liqueurs. Nota. Je n’ai pas osé, dans ces recherches, émettre d'opinion sur les formules adoptées pour représenter les alcalis organiques, formules qui ont été discutées par les plus habiles chimistes. Je crois cependant que ce serait une étude à revoir encore, et je conseillerais de ne pas négliger alors l'examen des tartrates de ces bases, qui sont tous d’une préparation facile, qui peuvent supporter, en général, des températures élevées sans se décomposer, et dont l’eau de cristallisa- tion est expulsée aisément, et presque toujours en totalité, à 100°. $ V. — REMARQUES GÉNÉRALES ET CONSÉQUENCES. Nous pouvons évidemment, d’après tout ce qui précède, ériger en loi générale, ne souffrant quant à présent aucune exception, que les corps droits et gauches non superposables, dont l'identité chimique est absolue tant qu’on leur offre des molécules inactives sur la lumière polarisée, se comportent comme des êtres tout à fait distincts dès qu’ils sont en présence de molécules qui, elles-mêmes, sont actives (!). 1. Cet alinéa ne figure pas dans l'extrait de ce Mémoire, qui a paru dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences et que nous avons reproduit p. 198. (Note de l'Edition.) toaté DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE tr ce au Pour avoir maintenant une idée de la cause de ce mystérieux phéno- mène, si bien fait pour éclairer la partie mécanique des combinaisons, nous devons nous représenter les produits que nous avons obtenus en tant que substances actives sur la lumière polarisée. Lorsque l’on unit les deux acides tartriques droit et gauche avec un corps inactif tel que la potasse, le corps inactif, c’est l'expérience qui le prouve, modifie de la même manière le pouvoir rotatoire. Les deux acides étaient identiques et non superposables. Il en est ainsi des deux combinaisons nouvelles, et les pouvoirs rolatoires sont encore égaux et de sens opposés. Mais unit-on les deux acides à un corps actif tel que la cinchonine, il y a, dans un cas, addition des pouvoirs rolaloires ; dans l’autre, soustraction. Les déviations résullantes seront de même sens ou de sens con- traire, suivant la valeur relative des pouvoirs rotatoires des corps unis; mais jamais ils ne seront égaux et de mêmes sens où égaux en valeur absolue et de sens opposés. Il est matériellement impossible d’assigner une autre origine à la cause des différences que l’on remar- que entre les deux ordres de combinaisons que peuvent fournir les corps droits et gauches unis à des substances actives ou inactives. Ce qui me paraît devoir surtout fixer l'intérêt des chimistes sur les générali- sation possible des résultats auxquels je suis arrivé. Ainsi je regarde recherches que je poursuis depuis plusieurs années, c’est la comme très probable que toute substance droite peut avoir sa gauche, et réciproquement, offrant entre elles les mêmes relations que celles qui existent entre les acides tartriques droit et gauche ou leurs dérivés. Cette présomption puise en effet une très grande force dans l’étroite dépendance de l’hémiédrie et du phénomène rotatoire, car la forme d’une substance active est telle que lon peut en imaginer une autre identique et non superposable, se manifestant généralement par un tétraèdre irrégulier dont l’inverse est toujours possible. Or, puisque dans un cas, celui de la série tartrique, ces tétraèdres inverses existent et que le groupe moléculaire correspondant offre exactement la même stabilité que celui des tétraèdres directs, on ne voit pas pourquoi il n’en serait pas de même dans toutes les circonstances. D'autre part, je regarde également comme très probable que l’inactif de tout corps actif est possible, offrant entre eux les mêmes relations que nous avons trouvées entre les acides maliques actif et inactif. Ici même les présomptions sont plus fortes. D'abord il existe deux exem- ples de corps inactifs correspondants à des corps acUls : l’acide mali- que et l'acide aspartique; mais, en outre, je montrerai bientôt à PAca- démie, dans des recherches qui sont déjà très avancées, que l’on peut 238 ŒUVRES DE PASFEUR enlever facilement la propriété rotatoire à un grand nombre de produits organiques (1). Cela posé, imaginons qu'à chaque corps actif corresponde son iden- tique non superposable et son inactif, et l’on pourra former, avec deux groupes seulement, neuf combinaisons isomères dont voici le tableau symbolique : DÉS (SN TSRENSS - "p Are à =: x LME LAN CRE (6) TOC SACS (7) FC), y CCS (8) DONC (91 TeCie. Les combinaisons (1) et (5) seraient identiques et non super- posables. Il en serait de même des combinaisons (2) et (6), (3) et (7), 4) et (8) [1]. Si la nature pouvait se prêter à l'union de trois corps actifs, suppo- sition qui n’a rien que de très rationnel, l’ensemble des combinaisons ternaires s’élèverait à dix-sept, celui des combinaisons quaternaires à trente-trois, et ainsi de suite. Les résultats que je viens d'exposer conduisent à plusieurs remar- ques dont voici les plus prochaines : 1°. L'acide racémique est un cas particulier de ce genre de combi- naisons, celui où les deux termes du groupe sont identiques. Soit, en effet, Ci=T, et alors les quatre combinaisons (1), (2), (5), (6) du tableau précédent deviennent : A “ T sé — acide tartrique droit; nn . 11 à — acide racémique; in a T ss — acide tartrique gauche; TREET 4 — acide racémique. Les quatre combinaisons se réduisent à trois : les deux acides tartri- ques et l’acide racémique (*). 1. Dans le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur a supprimé ce dernier alinéa. Dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, Pasteur a ajouté : « Ainsi, je ferai voir que l’on peut transformer, presque poids pour poids, la cincho- nine et la quinine en nouvelles bases isomères, inactives sur la lumière polarisée. » 9, Ce dernier alinéa ne figure pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. (Notes de l'Édition.) 3. Dans le volume projeté, Pasteur a modifié ainsi le texte : « Cela posé, imaginons qu'à chaque corps actif corresponde son identique non superposable, DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 239 Il ne sera pas inutile de remarquer, à cet égard, que les trois sortes de différences que nous avons signalées entre les combinaisons des corps identiques non superposables avec les produits actifs sont exac- tement les mêmes que celles qui distinguent les tartrates des racé- mates. En effet, ces dernières combinaisons salines se] séparent 1° par leur composition chimique : c’est le cas le plus ordinaire ; 2° par leurs formes cristallines incompatibles ; 3° par leurs solubilités. Dans le cas exceptionnel où la composition chimique est la même, les solu- bilités sont encore différentes et les formes également incompatibles (1). et l'on pourra former, avec deux groupes seulement, quatre combinaisons isomères dont voici le tableau symbolique : HT ci ra OTN\NG\ (2) T < Gi à (4) T a Ci ra « Les combinaisons (1) et (3) seraient identiques et non superposables. « Les résultats que je viens d'exposer conduisent à plusieurs remarques dont voici les plus prochaines : « de L'acide racémique est un cas particulier de ce genre de combinaisons, celui où les deux termes du groupe sont identiques. Soit, en effet, Ci = T,, et alors les quatre combinaisons (1). (2), (8), {4) du tableau précédent deviennent : L < ir — acide tartrique droit ; mn ra B \ — acide racémique ; T n T 2e = acide tartrique gauche ; 31 , 3 _ — acide racémique. « Les quatre combinaisons se réduisent à trois : les deux acides tartriques et l'acide racémique. » (Note de l'Édition.) 1. Il est très rare de rencontrer exactement la même composition chimique dans un dérivé de l'acide tartrique droit et dans le dérivé correspondant de l'acide racémique. Je ne connais- sais encore aucun exemple bien constaté de ce fait. Mais si l’on prépare la paratartramide à l’aide de l'éther paratartrique de M. Demondésir, on obtient deux combinaisons, l'une anbydre, l’autre hydratée et très efflorescente, toutes deux bien cristallisées. Or la paratar- tramide anhydre, de même composition que la tartramide, n'a pas la mème solubilité que cette dernière, et leurs formes cristallines sont incompatibles. Les formes cristallines de la paratartramide anhydre et de la paratartramide hydratée déri- vent toutes deux du prisme oblique à base rhombe. Leurs formes sont représentées figures 21 et 22. On a pour la paratartramide anhydre : OI Angles mesurés. Angles calculés. F | \ P:M— 94012! » ! 13 M:M— 93,22 » 2 ON NP—A81/14 » 0 00—"162,22 » Par diff. o!: P — 113,36 ORPI 11304U 1e Paramètres. a —Û b —0,94786 c—1,14195. Notation des faces. P — (001) M — {110 = x Er Fic. 21. Fic. 22, u! — (201). Les cristaux de paratartramide hydratée sont souvent hémitropes. Be plan d'hémitropie 12 red [=] ŒUVRES DE PASTEUR 2°. En observant que la nature se plaît généralement à produire des substances actives sur la lumière polarisée, et considérant que l’exem- ple de lacide racémique n’est probablement pas un fait isolé, on admettra comme presque inévitable l'existence, dans le règne végétal, de combinaisons du même ordre que celles que nous venons de passer en revue. Pour fixer les idées, considérons celles que nous ont fournies les deux tartramides et la malamide active. Elles sont isomères, l’une dévie à droite, l'autre à gauche le plan de polarisation ; leurs solubilités sont différentes. N'y a-t-il pas entre ces deux corps neutres, formés de substances neutres, des ressemblances et des différences analogues à celles que lon trouve, par exemple, entre deux sucres isomères, inéga- lement solubles, dont lun dévie à droite, l’autre à gauche le plan de polarisation? Je porterai toute mon attention sur ces prévisions, dans des recherches ultérieures. 3. Nous pouvons conclure aussi des faits qui précèdent qu'il ne sera pas loujours nécessaire d'étudier avec l'appareil de polarisation une substance déterminée pour reconnaître si elle est active ou inactive. Il suffirait de constater qu'elle ne se comporte pas de la même manière en présence de deux corps droit et gauche non superposables, pour être assuré de ses propriétés actives. Ce procédé sera surtout utile dans l'examen des caractères optiques des matières colorantes, et dans le cas où l’on soupçonnerait dans un corps l'existence du pouvoir rota- toire, mais où il serait impossible d’en constater les effets, trop peu sensibles à l'appareil de polarisation. L'épreuve la plus simple sera de rechercher, par exemple, si la matière a exactement la même solubilité dans les deux acides tartriques droit et gauche ou dans deux de leurs dérivés correspondants, sels, éthers où amides. La moindre différence dans les résultats permettra de conclure rigoureusement à l'existence de la propriété rotatoire, ou tout au moins à l'existence d’une structure cristalline hémiédrique non superposable (1). Je pourrais appeler l'attention des chimistes sur d’autres consé- quences du fait général qui forme le sujet de la seconde partie de ce Mémoire, conséquences beaucoup plus fécondes, mais aussi peut-être plus éloignées de l’expérience que celles que je viens d’énoncer (?); autour duquel tourne de 180° une moitié du cristal est parallèle à la face antérieure verticale. (Note de Pasteur.) Le dernier alinéa du texte et le dernier de cette note ne figurent pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. (Note de l'Édition.) 1. Ce dernier membre de phrase : « … ou tout au moins etc... » ne figure pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. À 2. Dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences : « … mais aussi beaucoup plus éloignées … ». (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 2 F = aussi craindrais-je de nuire à la rigueur des unes par l'exposition des autres. Je les suivrai avec tout l'intérêt qu’elles méritent, et je m’em- presserai d'annoncer à l’Académie les résultats que je croirai être dignes d’être soumis à son examen (!). 1. Dans le volume projeté, Pasteur a supprimé ce dernier alinéa et il a terminé le Mémoire par la page suivante : « Mais quoi qu’il en soit de toutes ces considérations, elles me paraissent d’un ordre secon- daire à côté de celles que je vais développer. Lorsque l'on réfléchit à l'identité absolue des propriétés chimiques des corps droits et gauches, inverses les uns des autres, on ne peut s'empêcher de se demander pourquoi la nature ne fait pas en même temps et toujours une molécule droite et la molécule gauche correspondante. Les forces dont le concours amène la production d'un groupe moléculaire droit devraient, ce semble, provoquer la formation du groupe inverse. C'est là du moins l'opinion que l’on se forme quand on n’envisage que la manière d’être des corps actifs au contact des corps inactifs. Mais lorsque l'on voit les substances actives manifester des propriétés dissemblables en présence d'autres substances également actives on comprend que les choses puissent être ce qu'elles sont. La dissemblance des propriétés des corps actifs au contact d'autres corps actifs tient évidemment à la disposition dissymétrique des forces auxquelles donnent lieu les molécules actives, et il est probable que les corps actifs inverses continueraient de se montrer différents sous l'influence d'agents quelconques pourvu qu'ils soient dissymétriques. Pour se rendre compte de la formation exclusive de molécules d'un seul ordre de dissymétrie il suffit donc d'admettre qu'au moment de leur groupement les atomes élémentaires sont soumis à une influence dissymétrique et comme toutes les molécules organiques qui ont pris naissance dans des circonstances analogues sont identiques, quels que soient leur origine et le lieu de leur production, cette influence doit être universelle (*). Elle embrasserait le globe terrestre tout entier. A elle serait due la dissymétrie moléculaire des produits organiques naturels des végétaux, produits que nous retrouvons chez les animaux à peu près sans altération et où ils jouent un rôle mystérieux duquel nous n'avons encore aucune idée, » (Note de l'Édition.) (*) J'ai reconnu que le vin du Cap renferme de l'acide tartrique droit identique à l'acide tartrique ordi- naire et aussi que l’acide malique du tabac d'Amérique contieut le même acide malique que le tabac de France. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 16 NOTICE SUR L'ORIGINE DE L'ACIDE RACÉMIQUE (1) L'acide racémique a été découvert à Thann, par M. Kestner, vers 1820. Dans les travaux assez nombreux dont il fut l’objet pendant plu- sieurs années, on le regarda généralement, sans qu'aucune preuve fût donnée à l'appui, comme existant lout formé dans les tartres des raisins des Vosges. C'était une simple présomption, tirée de la position de la fabrique où il avait été découvert. Cette opinion fut répétée dans tous les ouvrages de chimie, même dans ceux qui ont été publiés récemment. Ce que l’on croyait suftout, c’est que cet acide n’avait pas cessé d’apparaître dans la fabrique de Thann. En 1849, j'appris tout le contraire de M. Kestner. On ne l'avait jamais revu depuis l’époque de sa découverte. Cette circonstance frappa vivement l’attention de tous les chimistes, et, sur la demande de M. Pelouze, M. Kestner publia, dans les Comptes rendus pour 1849, quelles étaient les modifications qu'il avait fait subir à ses opérations depuis 1820. M. Pelouze écrivit également à M. White, autrefois fabricant d’acide tartrique, qui, disait-on, avait obtenu de l'acide racémique. M. White répondit qu’en effet il avait reçu dans sa fabrication un produit différent de l'acide tartrique, produit qu'il avait pris pour de l'acide racémique ; et il ajouta que les tartres qu'il employait à cette époque venaient de Naples, de Sicile et d’Oporto. M. Pelouze ayant fait part à M. Kestner de cette remarque de M. White, M. Kestner se rappela aussitôt que, vers 1820, il faisait venir une partie de ses tartres d'Italie (voir Comptes rendus, tome XXIX, les Notes de M. Pelouze [?]). En l’absence de M. Kestner, retenu à Paris par ses fonctions de représentant, je m'empressai d'écrire à M. Gundelach, habile chimiste de sa fabrique, pour le prier de faire venir des tartres de lItalie, prin- 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 3 janvier 1853, XXX VI, p. 19-%. Cette Note de Pasteur est précédée, dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, d’une lettre de M. Kestner à M. Biot ayant pour titre « Nouveaux faits relatifs à l'histoire de l'acide racémique. » (Voir, à la fin du présent volume, Document VI.) 2. PeLouze. Sur l'acide paratartrique. (Extrait d'une lettre de M. Kestner à M. Pelouze.) Comptes rendus de l'Académie des sciences, XXIX, 1849, p. 526-527. — Sur l'acide para- tartrique. 1bid., p. 557. (Notes de l'Édition.) I RL re + DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 243 cipalement de Sicile et de Naples. Diverses circonstances, indépen- dantes de la volonté de M. Kestner, firent retarder les expériences que ces messieurs devaient entreprendre. La Société de Pharmacie de Paris eut l’heureuse idée, en 1851, de proposer pour sujel de prix les deux questions suivantes : 1°. Existe-t-il des tartres qui contiennent l’acide racémique tout formé ? 2°. Déterminer les circonstances dans lesquelles l'acide tartrique pourrait être transformé en acide racémique (1). À peine l'annonce de ce prix était-elle connue, qu’un savant distin- gué de Londres, M. Pereira, fit imprimer dans le Journal de phar- macie, par l'intermédiaire de M. Guibourt, que l'acide racémique existait en grande quantité dans le commerce anglais. Cette nouvelle me surprit beaucoup et me fit grand plaisir. Non seulement lacide racémique nravait occupé constamment pendant deux années, mais je venais de trouver entre les pouvoirs rotatoires de l’acide malique et de l'acide tartrique, et les formes cristallines hémiédriques des bitartrate et bimalate d’ammoniaque, des relations telles que, voyant d’ailleurs dans la nature les acides malique et tartri- que s'accompagner constamment, je regardais et je regarde encore comme très probable que, là où existe l'acide racémique, doit se trouver le racémique malique, c’est-à-dire la combinaison des acides maliques droit et gauche. Pour toutes ces raisons, j'attachais infiniment d’im- portance à ce qui se rapportait, de près ou de loin, à l’origine mysté- rieuse de l’acide de Thann. Je dois dire, d'autre part, que, malgré l'incertitude qui régnait sur ce point, je jugeais comme impossible, dans l’état actuel de la science, la transformation de l’acide tartrique en acide racémique. Voici, en effet, un raisonnement très simple, et qui, pour n'être pas infaillible, a au moins une valeur réelle. L’acide racémique étant la combinaison, à poids égaux, de l'acide tartrique droit et de l’acide tartrique gauche, il est clair que le problème de la transformation de l’acide tartrique droit ordinaire en acide racémique est le même que celui de la transformation de l'acide tartrique droit en acide tartrique gauche. Mais tout ce que l’on fait avec l'acide tartri- que droit peut être effectué, dans les mêmes circonstances, avec l'acide tartrique gauche. Par conséquent, dans une opération quelconque, sur- tout du genre de celle d’une fabrication d’acide tartrique, où l’on n'emploie comme agents que des substances dénuées de pouvoirs 1. Voir, à la fin du présent volume, le rapport de M. Grassi sur ce prix qui fut attribué à Pasteur en 1853 : Document VII. (Note de l'Édition.) ŒUVRES DE PASTEUR +2 F4 E rotaloires, si l'acide droit pouvait devenir gauche, la même opération, appliquée à l'acide gauche, le rendrait acide droit. En d’autres termes, la transformation paraît impossible. On peut tout au plus arriver à l'acide tartrique inactif. Je développerai plus tard les objections que l’on peut faire à ce raisonnement. Je n’expose ces idées que pour faire bien apprécier aux chimistes les motifs de la préférence que je donnais à celle opinion, que l'acide racémique était un produit naturel. Ces détails feront comprendre, d’ailleurs, mon empressement à éclaircir le fait annoncé par M. Pereira. Je lui écrivis, ainsi qu'à M. Hofmann (1), et tous deux mirent à me servir la plus extrême com- plaisance. Fappris ainsi que la personne qui vendait en Angleterre l’acide racémique était un M. Simpson ; que ce fournisseur Urait son acide d'Allemagne ; que la quantité en magasin paraissait limitée, car M. Simpson ne pouvait en obtenir autant qu'il en désirait de son correspondant d'Allemagne. M. Hofmann, d'autre part, eut la bonté d'écrire aux principaux fabricants d’acide tartrique d'Angleterre et d'Écosse : et il résulte clairement de toutes leurs réponses, que je possède par écrit, que l'acide racémique est tout à fait inconnu dans les fabriques d'Angleterre. Il ne faut pas en tirer la conséquence qu'il n'y existe pas; j'ai même la conviction du contraire, à cause de l’ori- gine des tartres des fabriques anglaises. La question en était là lorsque j'eus l'honneur de voir M. Mitscher- lich à Paris, à la fin du mois d’août dernier. Cet illustre chimiste m'apprit qu'un fabricant de Saxe préparait l'acide racémique, et qu'il lui en avait fourni. Peu de jours après, je me rendis chez ce fabricant, porteur d’une lettre d'introduction que M. Mitscherlich avait eu la bonté de me remettre. M. Fikentscher, homme très instruit, m’accueillit fort obligeamment. Il me dit : que l'acide racémique apparaissait dans sa fabrique, mais en très petite quantité; qu'il en obtenait davantage autrefois; que, peu de temps après la découverte de cet acide, il en avait préparé une assez grande quantité dont il lui restait encore quel- ques livres ; qu'aujourd'hui il le laissait perdre ; que la proportion qui prenait naissance était variable, et que, n’en ayant pas obtenu avec des tartres d'Autriche, il pensait bien comme moi que cet acide n’était pas du tout un produit artificiel; qu'enfin, lorsqu'il l’avait préparé en plus grande quantité, il tirait ses tartres de Trieste, mais qu'aujourd'hui il opérait avec des tartres de Naples. Lorsque je visitai ensuite la fabri- que, je fus surpris de la très minime quantité d'acide racémique 1. Le texte porte Hoffmann, mais il s'agit incontestablement du chimiste allemand \.-W. Hofmann qui vécut en Angleterre de 1845 à 1869 et qui fut en relation avec la plupart des chimistes français. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 245 qu'obtenait M. Fikentscher. Que l’on se figure, en effet, de grandes cuves en plomb couvertes d’une cristallisation en croûte épaisse d'acide tartrique en gros cristaux, et, dans les cavités que forment leurs parties saillantes, de petits cristaux aiguillés, se détachant en blanc sur les volumineux cristaux limpides d’acide tartrique, et l’on aura une idée de la manière dont apparait l'acide racémique dans la fabrique de Saxe ; en outre, ces pelits cristaux ne se forment jamais dans les pre- mières cristallisations. J'ai constaté, d’ailleurs, que la liqueur acide qui en fournit est loin d'en contenir de grandes quantités ; elle n’en donne presque pas davantage dans les cristallisations subséquentes, ce qui tient à ce que l'acide racémique est extrémement peu soluble dans une solution concentrée d'acide tartrique. Je fus bien étonné, et bien peiné, de voir l'acide racémique prendre naissance en aussi minime proportion. Je savais que M. Kestner, vers 1820, en avait obtenu de telles masses, qu'il l'avait expédié par cen- taines de kilogrammes. D'autre part, je désespérais que l’on pût jamais étudier l'acide malique des raisins qui contiennent lacide racémique d’une manière assez fructueuse pour y rechercher la présence du racé- mique malique. Mais une circonstance me rassura. En effet, M. Fikent- scher opère sur des tartres demi-raffinés ; et je pensai, ce qui se confirma plus tard, que si, en 1820, M. Kestner obtenait proportionnel- lement beaucoup plus d'acide racémique, c’est qu'il avait opéré sur des tartres tout à fait bruts. Il est clair, en effet, que, si l'acide racémique existe tout formé dans les tartres, il doit rester en majeure partie dans les eaux mères du raflinage, quel que soit son état dans le tartre brut. Le racémate de chaux lui-même est, en effet, un peu soluble dans le bitartrate de potasse. Aussi, M. Fikentscher n'ayant appris qu'il existait à Trieste et à Venise de grandes raflineries de tartres, je résolus de partir pour ces deux villes, afin d'y étudier les eaux mères de ces raflineries. Mais je devais, en passant, n''arrêter à Vienne pour voir d’autres fabriques d’acide tartrique, circonstance qui fut très heureuse, car, à Vienne, la question de l’origine de l'acide racémique s’éclaircit d’une manière complète, en tant qu'il faut considérer cet acide comme un produit purement naturel. Accompagné du savant professeur M. Redtenbacher, qui fut pour moi, durant mon séjour à Vienne, d’une complaisance extraordinaire, dont je ne puis assez le remercier, je visitai diverses fabriques d’acide lartrique. Dans aucune, l'acide racémique n'avait apparu. Cependant je ne tardai pas à reconnaître, en examinant les diverses qualités d'acide tartrique en magasin dans la fabrique de M. Nach, que plusieurs échantillons portaient à leur surface de petits cristaux, que je reconnus 216 ŒUNRES. DE PASTEUR sur-le-champ pour être de l'acide racémique; mais ils y étaient en si petite quantité que je mis plus de trois heures à en recueillir quelques décigrammes. M. Nach nous dit alors que ces petits cristaux s'étaient présentés depuis quelque temps dans sa fabrique et, pour certaines cristallisations, en quantité telle que cela avait déprécié son acide tartrique que les coloristes croyaient impur. Il se servit d’une expres- sion très juste en me disant que l’on aurait cru que l'acide tartrique avait été couvert d’une cristallisation de sel d’étain. C’est bien ainsi que se présente l'acide racémique dans la fabrique de Saxe. Seulement M. Nach avait pris ces petits cristaux pour du sulfate de potasse (il décompose le tartrate de potasse par le sulfate de chaux). Voici mainte- nant une circonstance fort importante et décisive. M. Nach nous assura que ces cristaux aiguillés ne s'étaient montrés dans sa fabrique que depuis une année environ, et que, depuis deux années seulement, il opère avec des tartres tout bruts d'Autriche. Jamais auparavant, lors- qu'il employait des tartres demi-raffinés, l'acide racémique ne s’est offert. Il résulte de là : 1°. Que les tartres bruts d'Autriche renferment de l'acide racé- mique tout formé; car il est évident que si cet acide était un produit artificiel, il se serait toujours montré dans une même fabrique qui n'a pas changé son mode d'opérer, mais qui a seulement changé la qualité des tartres qu’elle emploie ; 2, Que les tartres bruts d'Autriche doivent contenir cet acide en moindre quantité que les tartres bruts de Naples, puisque ceux-ci, déjà raffinés une fois, fournissent encore de l’acide racémique, et lorsque les liqueurs ne sont que depuis peu de temps en travail. En outre, comme les eaux mères étaient restées plus d’une année en mouvement avant d'offrir l'acide racémique, celui-ci n’est apparu que quand il a été accumulé par les opérations successives qui concentrent peu à peu, dans un petit volume, l'acide contenu dans une grande quantité de la matière première. Car on fait servir les eaux mères d’une opération à un traitement de nouveau tartre brut. Ce résultat fut confirmé par ce que nous vimes dans une fabrique qui n'avait que quelques mois d'existence, opérant également avec des tartres d'Autriche, et où l’acide racémique ne s'était pas encore montré. Enfin, dans la fabrique de M. Seybel, les conclusions précé- dentes furent encore confirmées, et par des faits du même ordre. On avait cessé, depuis deux à trois ans, d'employer le tartre demi- raffiné ; et, l'hiver dernier, avaient apparu les petits cristaux, que l’on prenait pour une impureté provenant des tartres bruts nouvellement employés. Il faut noter seulement que, dans la fabrique très considé- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 247 rable de M. Seybel, les tartres employés viennent principalement de Hongrie et de Styrie ; ce qui prouve que les tartres bruts de ces pays renferment l'acide racémique comme les tartres d'Autriche et de Naples. La question qui m'occupait se trouvant ainsi éclaircie, je n’allai pas jusqu'à Trieste ; d'autant plus que j'avais appris de M. Redten- bacher, autrefois professeur à Prague, qu'il y avait dans cette ville une grande fabrique d'acide tartrique. Je tenais à la visiter, et je retrouvai encore ici les cristaux aiguillés d'acide racémique, que lon y obtient depuis sept années. Le chimiste de la fabrique, M. le D' Rassmann, savait très bien que c'était de l'acide racémique; et il me dit même qu'il était occupé d'expériences à l’aide desquelles il espérait transformer l'acide tartrique en acide racémique. IL m'a assuré, du reste, ne pas avoir de résultat positif sur cette question. Il croit seulement que la transformation est possible. J'avais hâte de revenir en France, et de rendre compte des résultats de mon voyage à M. Kestner, afin de pouvoir expliquer, d’une part, l'absence complète dans sa fabrique du curieux acide, depuis plus de trente ans, et, d’autre part, sa présence en quantité notable vers 1820. M. Kestner était absent. Je m'entretins longuement avec M. Gundelach et M. Risler, gendre de M. Kestner, des essais qu'il fallait tenter pour qu'ils vissent apparaître de nouveau le mystérieux acide, et surtout de la manière dont il fallait les diriger pour qu'il s’en produisit des quantités notables, qui permissent de le rendre au commerce el à la science. Ainsi que je l’ai dit déja, M. Kestner employait, en 1820, des tartres d'Italie; mais, qu’on le remarque bien, il les employait tout bruts. Et, je le répète, puisque les tartres d'Italie raffinés une fois donnent de l’acide racémique, que cet acide est un produit naturel, il est clair que les tartres bruts de ce pays doivent fournir, dans les dernières eaux mères de la fabrication, des quantités notables d'acide racémique. C’est précisément le résultat de 1820. Aujourd’hui, et depuis longues années, M. Kestner retire prinei- palement ses tartres de l'Alsace et de la Bourgogne! Ces tartres sont employés bruts, comme les tartres d'Autriche et de Hongrie dont on se sert à Vienne. Les eaux mères restent jusqu'à trois et quatre années en mouvement. Par conséquent, il faut admettre que les tartres d'Alsace et de Bourgogne ne renferment pas d’acide racémique, ou en quantité tellement faible qu'il reste entièrement dans les dernières eaux mères rejetées, ce qui mériterait une étude spéciale. De retour à Strasbourg, j'écrivis longuement à M. Kestner les résultats de mon voyage en Allemagne et en Autriche. Je le priai 248 ŒUVRES DE PASTEUR surtout : 1° de faire venir des tartres bruts de Naples ; 2° des eaux mères évaporées des raffineries de tartre, puis d'opérer sur ces résidus comme sur les tartres bruts. M. Kestner, pour qui les sacrifices d'argent ne sont rien dans celle question, qui est toute sienne d’ailleurs, a déjà adressé ces commandes. Mais il a fait plus : dans une lettre, à la date du 24 décembre, il me communique les résultats auxquels il est arrivé tout récemment, depuis que j'ai eu l'honneur de lui écrire. Ces nouveaux résultats, l’un d’eux surtout, lui donnent un mérite particulier dans la question de l’origine de l'acide racémique, sans compter l’insigne honneur d’avoir découvert autrefois cet étrange produit. M. Kestner, en effet, vient d’intro- duire dans sa fabrication courante des tartres bruts de Toscane; et: déjà, à la troisième cristallisation, l'acide racémique s’est montré. Nouvelle preuve que l'acide racémique est un produit naturel; et que, dans les tartres bruts d'Italie, il existe en quantité assez appréciable. Mais un autre résultat plus important et confirmatif de ceux qui précèdent est le suivant : M. Kestner a traité à part une certaine quantité de tartrate de chaux provenant de la précipitation des eaux mères d’une fabrique qui a liquidé, et qui opérait avec des tartres de Saintonge, et il a obtenu plusieurs kilogrammes d’acide racémique. Ceci montre que les tartres de France, au moins ceux de certaines contrées, renferment de l'acide racémique, tout aussi bien que ceux d'Italie, d'Autriche et de Hongrie. C’est là le résultat nouveau qui fait surtout honneur à M. Kestner, et je ne doute pas qu'il ne l’étende bientôt à des tartres d’autres localités. Par une bonne fortune, le lendemain même du jour où je recevais la lettre de M. Kestner, c’est-à-dire le 25 décembre, M. Redtenbacher m'écrivait de Vienne que M. Seybel, pour répondre à nos désirs, venait de précipiter par la craie les dernières eaux mères de trois années de sa fabrication; qu'il avait traité à part le sel de chaux obtenu, et que la liqueur acide avait laissé déposer, dans les premiers jours de décembre, plusieurs kilogrammes d’acide racémique. Il ÿ avait environ 1.400 kilogrammes de liqueur en cristallisation. M. Redten- bacher m'adresse un échantillon de l'acide de M. Seybel. C'est de l'acide racémique très blanc et très pur. Cette expérience est exacte- ment celle que M. Kestner vient d'effectuer sur le produit des eaux mères de la fabrique qui travaillait avec le tartre de Saintonge. Tel est l'historique complet de la question de l’origine de l'acide racémique. J'ai cru nécessaire d'entrer dans tous ces détails, afin que l’Académie pût mieux juger des droits respectifs de MM. Kestner et Fikentscher. M. Fikentscher a le mérite d’avoir, en quelque sorte, DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 219 conservé le dépôt de l'acide racémique, que l’on croyait tout à fait perdu; M. Kestner a l'honneur d’avoir constaté pour la première fois sa présence dans des tartres provenant de raisins de notre pays. Je viens de recevoir de M. Fikentscher quelques kilogrammes de tartre demi-raffiné de Naples. Je serai bientôt à même de prouver que l’on peut extraire de toutes pièces du racémate de chaux de ce tartre. J’ai déjà fâit des essais, pendant mon voyage à Leipsick, dans le laboratoire de M. Erdmann ; mais je n'oserais en communiquer le résultat avant de lavoir confirmé par de nouvelles expériences exé- cutées plus en grand. Nota. J'ai l'honneur de joindre à cette Notice des échantillons d'acide tartrique portant à leur surface les petits cristaux d’acide racémique, et que j'ai recueillis dans les fabriques d'Allemagne et d'Autriche. M. Kestner, à qui jai soumis ces échantillons, m'a répondu que c'était exactement de celte manière que lacide s'était offert jadis et tout récemment, dans sa fabrique. Pour lobtenir à l’état de pureté et isolé, il suffit de jeter de l’eau sur la masse. L’acide racémique se dissout en même temps qu'une petite quantité d’acide tartrique ; mais, en évaporant la liqueur, l’acide racémique cristallise, en premier lieu et tout à fait pur, en gros cristaux. NOTE SUR LA QUINIDINE (1) Plusieurs Mémoires importants ont été publiés sur la quinidine, alcaloïde associé à la quinine et à la cinchonine dans divers quin- quinas, el dont le sulfate est employé, depuis quelque temps, à ce que l’on assure, pour falsifier le sulfate de quinine ordinaire. On est frappé, en lisant les recherches qui ont la quinidine pour objet, des divergences et des contradictions qui existent entre les résultats jusqu’à présent obtenus. Je crois avoir levé toutes les diffi- cultés, en extrayant de certaines quinidines du commerce deux alcaloïdes distincts, ayant des formes cristallines, des solubilités, et des pouvoirs rotatoires très différents. L'un d'eux est anhydre, l’autre est hydraté. Le mélange, en proportions variables, de ces deux alcaloïdes a donné lieu à toutes les contradictions de leur étude. Sans entrer aujourd'hui dans plus de développements sur ces produits, je me bornerai à présenter les détails de deux expériences comparatives, qui déterminent les valeurs de leurs pouvoirs rotatoires absolus à la température de 13°. J'aurai l'honneur de communiquer ultérieurement à l'Académie un travail plus étendu : Proportion dematière active "< | "00127026 0,0127026 Proportion d'alcool absolu à 43°... 7.110,9872974 0,9372974 Densité de la liqueur à 139. , . . . tv TS) 0,78393 0,78393 Longueur du tube d'observation , , , . . . , . . . 500 mm. 500 mm. Déviation de la teinte de passage, , . . . . . . L 12048 4 x Pouvoir rotatoire pour 109 millimètres, , . . . . . [a;! 250,75 Je ferai remarquer que l’alcaloïide qui dévie à droite, en sens contraire de la quinine, et d'une quantité beaucoup plus considé- rable, est précisément celui des deux qui offre, avec la quinine l. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 3 janvier 1853, XXXVI, p. 26-27. PE A M DISSYMÉTRIE MOLECULAIRE 251 ordinaire, l’analogie la plus marquée. Toute confusion entre ces deux produits est donc impossible. J'ai tout lieu de croire que M. Leers (!), dans le travail qu'il a publié récemment sur la quinidine, avait en sa possession l’un des alcaloïdes pur, sans mélange de l’autre. M. Van Heyningen ®?), au contraire, a opéré sur un produit formé en majeure partie de ce second alcaloïde, de celui qui dévie à droite le plan de polarisation. 1. Leers (H.-G.). Sur la composition chimique de la quinidine. (Trad.). Annales de chimie et de physique, XXXVI, 1852, p. 112-118. d 2. Recherches sur la chinoïdine [quinoïdine]. (Résumé). Journal de pharmacie, XVI, 1849, p. 280-289. (Notes de l'Édition.) RECHERCHES SUR LES ALCALOÏDES DES QUINQUINAS (1) Il y a environ un demi-siècle que la cinchonine, entrevue déjà par le D'° Duncan, d'Edimbourg, fut pour la première fois isolée et obtenue pure par Gomes (2), médecin de Lisbonne. Il attribuait à sa présence l'efficacité des écorces de quinquinas; mais il méconnut sa nature chimique alcaline, qui ne fut bien appréciée que vers 1820 par MM. Pelletier et Caventou (*), époque à laquelle ces deux chimistes firent en outre la découverte, devenue si importante, de la quinine. Douze années plus tard environ, deux autres chimistes français, MM. Henry et Delondre (*}, reconnurent dans le quinquina jaune un troisième alcaloïde nommé par eux quinidine. En 1839, Sertuerner (5), déjà célèbre par la découverte de la morphine, signala dans les eaux mères du sulfate de quinine une base incristallisable qu'il appela qui- noidine, et à laquelle il attribuait des vertus fébrifuges merveilleuses. Les propriétés générales de la quinine et de la cinchonine sont assez bien connues. Mais il règne sur la quinidine et la quinoïdine les opinions les plus contradictoires. Je crois avoir levé toutes les difficultés. Les résultats de mom travail mettent en outre en évidence des relations moléculaires toutes nouvelles entre les divers alcaloïdes des quinquinas. Voici les faits nouveaux auxquels je suis arrivé : S I. Cinchonicine. — La cinchonine engagée dans une combi- naison saline quelconque, soumise à l'action de la chaleur, se transforme en une nouvelle base isomère avec elle et entièrement 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 2 juillet 1853, XXXVII, p. 110-114. 2. Gomes (B.-A.). Ensaio sobre o cinchonino. Men. Acad. Scien. Lisboa, III, 1812, p. 202-217. 3. PELLETIER (J.) et Cavenrou (J.-B.). Recherches chimiques sur les quinquinas. Annales de chimie et de physique, XV, 1820, p. 289-318, et p. 337-369, et Journal de pharmacie, NII, 1821, p. 49-96. 4. Hexry et DELoNDRE. Sur une nouvelle substance alcaloïde découverte dans le quina jaune. Journal de pharmacie, XIX, 1833, p. 63-62. 5. SERTUERNER (F.-W.). Vermischte Notizen : 3. Ueber das Chinioidin als den allerwich- tigsten, aber kaum beachteten und ganz missverstandenen Bestandtheïl der Chinarinde-_ Liebig. Annalen der Pharmacie, XXIX, 1839, p. 229-232. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 253 distincte de la cinchonine. Je l'appelle cinchonicine. Tous les sels de cinchonine peuvent servir à la préparation de la cinchonicine; mais, pour que la transformation soit facile, complète, et que le but ne soit dépassé en rien, il faut placer le sel de cinchonine dans certaines conditions. En général, quand on chauffe les sels de cinchonine, ils fondent et se décomposent immédiatement; el si, par un artifice particulier, on ne provoque la fusion du sel à une température assez distante de celle de sa décomposition, la cinchonicine prend bien naissance, mais aussitôt elle se détruit paï une action plus profonde de la chaleur. Le sulfate de cinchonine ordinaire, par exemple, chauffé directement, entre en fusion, puis se détruit aussitôt et fournit une belle matière résineuse rouge qui est un produit d’alté- ration de la cinchonicine. Mais si l’on a soin d'ajouter au sulfate un peu d’eau et d'acide sulfurique avant°de le soumettre à l’action de la chaleur, il reste fondu, même après l'expulsion de toute l’eau, à une température basse, et il suffit de le maintenir dans cet état de 120 à 130°, pendant trois à quatre heures, pour qu'il soit entièrement transformé en sulfate de cinchonicine. La production de matière colorante est extrémement faible, presque impondérable. Je prouve, par des faits qui seront acceptés de tous les chimistes, que, si la chaleur joue un grand rôle dans cette transformation de la cinchonine, l’état vitreux, résinoïde du produit a une influence réelle, et l’isomérie actuelle se rattache certainement dans ses causes à ces transformations dont la chimie minérale nous offre plusieurs exemples dans le soufre mou, le phosphore rouge, l'acide arsénieux vitreux. $ II. Quinicine. — Tout ce que je viens de dire s'applique mot pour mot aux sels de quinine. Cette base, engagée dans un sel quelconque et soumise à l’action de la chaleur, se transforme en un nouvel alcaloïde isomère äe la quinine. Il faut et il suffit que le sel soit placé dans des conditions convenables, qui sont précisément celles que je viens de signaler pour les sels de cinchonine. J’appelle quinicine la nouvelle base. Le procédé le plus commode pour la préparer consiste à ajouter un peu d’eau et d’acide sulfurique au sulfate de quinine du commerce. Même après l'expulsion de toute l’eau, le sel reste fondu, et par trois à quatre heures d'exposition au bain d'huile de 120 à 130°, toute la masse est transformée en sulfate de quinicine, avec une production extrèmement minime de matière colorante. Quant aux propriétés générales de la cinchonicine et de la quinicine, elles offrent des analogies bien marquées avec les t2 ot E ŒUVRES DE PASTEUR isomères d’où elles dérivent. Elles presentent surtout entre elles les plus vives ressemblances. Toutes deux sont presque insolubles dans l’eau, très solubles au contraire dans lalcool ordinaire ou dans l'alcool absolu. Toutes deux se combinent facilement à l’acide carbo- nique et chassent à froid lammoniaque de ses combinaisons salines. Toutes deux se précipitent de leurs solutions sous forme de résines fluides à la manière de la quinine dans certaines circonstances. Toutes deux, enfin, dévient à droite le plan de polarisation. Elles sont également très amères et fébrifuges. $ IT. Quinidine. — J'ai fait allusion tout à l’heure à toutes les contradictions que lon rencontre dans les travaux des chimistes qui ont étudié la quinidine. Ces contradictions viennent toutes de ce fait qui leur a échappé, que sous le nom de quinidine on a confondu deux alcaloïdes entièrement distincts par leurs propriétés physiques et chimiques, et qui sont presque constamment associés par mélange dans la quinidine du commerce, si l’on n’a pas eu le soin de purifier celle-ci par plusieurs cristallisations successives. Aïnsi la quinidine découverte en 1833 par MM. Henry et Delondre est tout autre chose que ce qu'on appelle aujourd’hui de ce nom en Allemagne et en France, et le produit allemand est très souvent mélangé en forte proportion de celui qui a été découvert par MM. Henry et Delondre. On trouvera dans mon Mémoire (!) tous les détails nécessaires sur les propriétés et la composition des deux quinidines. J’ajouterai seulement, afin de les caractériser tout de suite, que l’une d’elles, à laquelle je conserve le nom de quinidine, est hydratée, efflorescente, isomère de la quinine, dévie à droite le plan de polarisation, et possède, à légal de son isomère la quinine, le caractère de la colo- ration verte par addition successive du chlore et de lammoniaque. L'autre base, à laquelle je donne le nom de cinchonidine, est anhydre, isomère de la cinchonine, exerce à gauche son pouvoir rotatoire et ne possède pas le caractère précité de la coloration verte. C'est elle qui est aujourd’hui la plus abondante dans les échantillons commerciaux. Il est toujours très facile, en exposant à l'air chaud une cristallisation récente de cinchonidine, de reconnaître si elle renferme la quinidine. Tous les cristaux de cette dernière base s’effleuriront immédiatement en conservant leurs formes et se détacheront en blanc mat sur les cristaux de cinchonidine demeurés limpides. On peut également recourir au caractère de la coloration verte par le chlore et l’ammoniaque. 1. Ce Mémoire ne fut pas rédigé. Il resta à l'état de notes manuscrites. (Note de l'Édition.) ET A ié atuties DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 255 En résumé done, il y a dans les écorces de quinquinas quatre alealis principaux : la quinine, la quinidine, la cinchonine, la cinchonidine. S IV. Action de la chaleur sur la quinidine et la cinchonidine. — J'ai soumis les deux nouvelles bases quinidine et cinchonidine à l'action modérée de la chaleur, comme j'avais fait pour la quinine et la cinchonine, et je suis arrivé exactement aux mêmes résultats. C'est-à-dire que les deux nouvelles bases se transforment en bases isomeres, poids pour poids, avec la même facilité et dans les mêmes conditions que les sels de quinine et de cinchonine. Mais, en outre, et c'est là sans contredit l’un des faits les plus essentiels de ce travail, les deux nouvelles bases obtenues par transformation de la quinidine et de la cinchonidine sont identiques, la première avec la quinicine, la seconde avec la cinchonicine. De telle manière que nous arrivons à celte conséquence remarquable : des quatre bases principales renfermées dans les quinquinas : quinine, quinidine, ein- chonine, cinchonidine, les deux premières peuvent être transformées, poids pour poids, en une nouvelle base, la quinicine, ce qui prouve qu'elles sont elles-mêmes forcément isomères; et les deux autres dans les mêmes conditions se transforment en une seconde base, la cinchonicine, ce qui prouve que de leur côté elles sont elles-mêmes forcément isomères. Les relations moléculaires que ces résultats signalent à l'attention des chimistes prennent un caractère nouveau lorsque l’on compare les pouvoirs rotatoires des six alcalis précédents. Considérons d’abord les trois isomères quinine, quinidine, quinicine. La quinine dévie à gauche, la quinidine à droite, et toutes deux considérablement. La quinicine dévie à droite, mais d’une quantité très faible comparée aux pouvoirs rotatoires des deux autres. Les mêmes rapports se présentent dans les trois isomères : cinchonine, cinchonidine, cinchonicine. La cinchonine et la cinchonidine dévient, l’une à droite, l’autre à gauche. toutes deux considérablement; la cinchonicine dévie au contraire très peu à droite. L'interprétation la plus logique, je dirais presque l'interprétation forcée de ces résultats, est la suivante. La molécule de la quinine est double, formée de deux corps actifs, lun qui dévie beaucoup à gauche, et l’autre très peu à droite. Ce dernier, stable sous l'influence de la chaleur, résiste à une transformation isomérique, et, persistant sans altération dans la quinicine, il donne à celle-ci sa faible déviation à droite. L'autre groupe, très actif au contraire, devient inactif quand on chauffe la quinine et que celle-ci se trans- forme en quinicine. De telle manière que la quinicine ne serait . . Or . autre chose que de la quinine dont un des groupes actifs constituants 255 ŒUVRES DE PASTEUR est devenu inactif. La quinicine serait également de la quinidine dont un seul des groupes actifs constituants serait devenu inactif; mais dans la quinidine, ce groupe très actif serait droit au lieu d’être gauche, comme dans la quinine, et toujours uni à ce même groupe droit peu actif et stable qui persiste dans la quinicine pour lui imprimer sa faible déviation droite. Je pourrais répéter mot pour mot tout ce que je viens de dire en lappliquant aux trois isomères cinchonine, cinchonidine, cinchonicine, qui sont constitués respec- tivement comme leurs trois congénères, car ils offrent exactement les mêmes relations. $ V. Quinoidine. — Je n'entrerai pas dans le détail des expériences que j'ai entreprises sur la quinoïdine; mais il est un point sur lequel je veux appeler l’attention des fabricants de sulfate de quinine et des compagnies qui récoltent les écorces de quinquinas en Amérique. La quinoïdine est toujours un produit d’altération des alcalis des quinquinas. Elle a deux origines distinctes. Elle prend naissance dans le travail de la fabrication du sulfate de quinine, et surtout dans les forêts du Nouveau Monde lorsque le bûcheron, après avoir enlevé à l'arbre son écorce, expose celle-ci au soleil pour la dessécher. Alors les sels de quinine, de cinchonine, etc., que renferment ces écorces, s’altèrent et se transforment en matières résineuses et colorantes qui forment la majeure partie de la quinoï- dine du commerce. J'ai reconnu, en effet, qu'en exposant au soleil, seulement durant quelques heures, un sel de quinine et de cinchonine quelconque, en solution étendue ou concentrée, il s’altère à tel point, que la liqueur prend une coloration rouge-brun extrêmement foncé. Cette altération est d’ailleurs de la même nature que celle qui s’ef- fectue sous l'influence d’une température élevée. Je crois donc que l’on éviterait des pertes notables de quinine, de cinchonine, etc., et que l’on rendrait plus facile l’extraction ultérieure de ces bases, si l’on avait la précaution de mettre à l'abri de la lumière les écorces de quinquinas dès qu’elles sont récoltées, et d'opérer dans lobscurité leur dessiccation. Le fabricant de quinine également doit éviter toute action d’une vive lumière. TRANSFORMATION DE L'ACIDE TARTRIQUE ‘EN ACIDE RACÉMIQUE ({!) Extrait d'une lettre de M. Pasteur à M. Biot. Je vous prie d'annoncer à l'Académie que je suis parvenu à trans- former l'acide tartrique ordinaire en acide racémique, complètement identique, pour toutes ses propriétés chimiques et physiques, avec l'acide racémique naturel; et se dédoublant comme celui-ci, dans les mêmes circonstances, en acide tartrique droit et en acide tartrique gauche, lesquels montrent des pouvoirs rotatoires égaux, et de sens contraires, dans leurs combinaisons avec les bases. Dans les différentes préparations que j'ai effectuées, je me suis toujours assuré, par des épreuves délicates, que l'acide tartrique que jemployais ne renfermait pas la plus petite quantité d’acide racémique naturel. 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 6 juin 1853, XXX VI, p. 973. DISSYMÉTRIFR MOLÉCULAIRE. 17 TRANSFORMATION DES ACIDES TARTRIQUES EN ACIDE RACÉMIQUE. DÉCOUVERTE DE L'ACIDE TARTRIQUE INACTIF. NOUVELLE MÉTHODE DE SÉPARATION DE L'ACIDE RACÉMIQUE EN ACIDES TARTRIQUES DROIT ET GAUCHE (!) Dans le travail que j'ai eu l'honneur de présenter à l'Académie dans la séance de lundi dernier (?), j'ai fait voir que tous les sels de cinchonine, de quinine, de quinidine et de cinchonidine, soumis à l'influence de la chaleur, pouvaient être transformés en sels de quinicine et de cinchonicine, nouvelles bases organiques, respecti- vement isomères de la quinine et de la quinidine, de la cinchonine et de la cinchonidine. Si, dans l’étude de ces transformations isomé- riques, on se sert des tartrates des alcalis précités, et que l’on pour- suive laction de la chaleur bien au dela du terme qui fournit la cinchonicine et la quinicine, on arrive à porter l'influence modifiante sur l’acide tartrique lui-même. Afin de mieux fixer les idées, consi- dérons exclusivement le tartrate de cinchonine. Ce sel, soumis à une température graduellement croissante, devient d’abord tartrate de cinchonicine. En continuant de chauffer, la cinchonicine s’altère ; elle perd de l’eau, se colore et se transforme en quinoïdine. L’acide tartrique éprouve, de son côté, des modifications importantes, et après cinq à six heures d’une température soutenue à 170°, une partie est devenue acide racémique. On brise la fiole. On traite, à diverses reprises, par l'eau bouillante la masse résineuse noire qu'elle renferme, et à la liqueur filtrée après refroidissement, on ajoute du chlorure de calcium en excès, qui précipite immédiatement tout l'acide racémique à l’état de racémate de chaux, d’où il est facile d’extraire l’acide racémique. Le rôle principal de la cinchonicine, dans cette opération, est de 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 1er août 1893, XXXVIT, p. 162-166. 2, Voir p. 252 du présent volume. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 259 29 donner un peu de stabilité à l'acide tartrique, et de lui permettre de supporter, sans se détruire, une température qui l’altérerait rapi- dement s'il était libre. La cinchonine et la cinchonicine, en tant qu'elles sont des substances actives sur la lumière polarisée, ne jouent aucun rôle dans cette transformation. L’éther tartrique, par exemple, qui est une combinaison où l'acide tartrique est uni à un corps inactif et qui peut supporter une température élevée sans se détruire, fournit par l’action de la chaleur des quantités notables d'acide racémique. L'acide racémique, ainsi obtenu artificiellement, est complètement identique, pour toutes ses propriétés physiques et chimiques, avec l'acide racémique naturel. Il possède surtout ce caractère si important, d’être résoluble en acide tartrique droit et en acide tartrique gauche, lesquels montrent des pouvoirs rotatoires égaux et de sens opposés dans leurs combinaisons avec les bases. Ce dédoublement de l'acide racémique artificiel en acides tartriques droit et gauche nous mène à cette conséquence que l’acide tartrique droit ordinaire peut être transformé artificiellement en son inverse, l'acide tartrique gauche; conséquence éminemment remar- quable quand on la rapproche surtout de ce fait extraordinaire, dont l'explication sera sans doute donnée un jour, que jamais, dans aucune circonstance, on n’a fait un produit actif sur la lumière polarisée en partant d’un corps inactif, quel qu'il soit, tandis que presque toutes les substances élaborées par la nature au sein de l'organisme végétal sont dissymétriques à la manière de l'acide tartrique. Ce qui donne encore à ce fait de la transformation de l'acide tartrique droit en acide racémique une originalité particulière, c’est que jai constaté que, dans les mêmes conditions, l'acide tartrique gauche se transforme à son tour en acide racémique. Quelle étrange aptitude se trouve révélée dans les combinaisons organiques natu- relles! un ensemble de molécules dissymétriques droites ou gauches se transformant à moitié, par la seule influence d’une température élevée, en molécules inverses qui, une fois produites, se combinent aux premières. Pendant longtemps j'avais regardé comme impossible la production de l'acide racémique à l’aide de l'acide tartrique. En effet, me disais-je, l'acide racémique est une combinaison d'acide tartrique droit et d'acide tartrique gauche. Le problème de la transformation de l'acide tartrique droit en acide racémique est donc le même que celui de la transformation de l'acide tartrique droit en acide tartrique gauche Or, tout ce que l’on fait avec l'acide droit, on le fait dans les mêmes 260 ŒUVRES DE PASTEUR conditions avec l'acide gauche. Si donc une opération quelconque appliquée au droit le rendait gauche, la même opération appliquée au gauche le rendrait droit. La transformation paraît donc impossible. On peut tout au plus arriver à un acide inactif. Heureusement, l’expérience a donné tort à ces déductions théo- riques. Quoi qu’il en soit, elles me servaient de guide, et autant j'étais peu disposé à chercher la transformation de l’acide tartrique en acide racémique, autant je multipliais les épreuves pour arriver à l'acide tartrique inactif. Non seulement celui-ci me semblait avoir une existence possible, en vue d'idées théoriques; je savais, en outre, toute l’étroite liaison des acides tartrique et malique, et j'avais obtenu antérieurement l’acide malique inactif. Or, c’est en cherchant l’acide tartrique inactif que j'ai trouvé l'acide racémique. Mais, chose singu- lière et fort heureuse, la même opération m'a fourni également des quantités très notables d’acide tartrique inactif. En d’autres termes, jai obtenu, en même temps que le racémique, un acide tartrique sans action aucune sur la lumière polarisée, et jamais résoluble dans les mêmes circonstances que le racémique en acide tartrique droit et en acide tartrique gauche, acide extrêmement curieux, cristallisant parfaitement et donnant des sels qui, par la beauté de leurs formes, ne le cèdent ni aux tartrates, ni aux racémates. J’ai dit précédemment qu'après avoir traité par l’eau le tartrate de cinchonine chauffé pendant plusieurs heures à 170°, et ajouté du chlorure de calcium, l'acide racémique formé aux dépens de lacide tartrique se précipitait à l’état de racémate de chaux. Or, si lon filtre immédiatement la liqueur afin d'isoler le racémate, en vingt-quatre heures il se dépose une nouvelle cristallisation, qui est du tartrate de chaux inactif pur, duquel il est facile d’extraire l’acide tartique inactif. Enfin, j'ai reconnu que l'acide tartrique inactif ne prenait nais- sance dans l’opération précédente qu'aux dépens de l'acide racémique déjà formé. Ce qui le prouve, c’est que si l’on maintient quelques heures le racémate de cinchonine à 170°, une portion notable se transforme en ce même acide lartrique inactif. La chimie se trouve donc aujourd’hui en possession de quatre acides tartriques : l'acide droit, l'acide gauche, la combinaison des deux ou le racémique, et l'acide inactif, qui n’est ni droit ni gauche, ni formé de la combinaison du droit et du gauche. C’est de l'acide tartrique ordinaire détordu, si je puis me servir de cette expression qui rend grossièrement ma pensée et peut-être va plus loin qu’elle, car on ne saurait avoir trop de prudence dans l’étude de ces questions difficiles. Assurément cette série de quatre isomères tartriques est un CNT 0 CTI US ONE TT ON D ne mn à DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 261 auprès duquel une foule d’autres se rangeront par la suite. ant une difficulté sérieuse dans les appli- type On peut craindre cepend cations ultérieures de ces nouveaux résultats. Pour aller, en effet, du terme droit au terme gauche, il faut passer par le racémique, qui est la combinaison des deux, et dédoubler ultérieurement cette combi naison. Or, quel procédé de dédoublement ai-je donné pour l'acide racémique ? L'Académie se le rappelle : je forme le sel double de soude et d’ammoniaque. Les cristaux qui prennent naissance sont de deux sortes; je sépare manuellement ces cristaux d’après le caractère il ny a rien là de général. Ce dédou- de leur forme hémiédrique C'est un phénomène tres blement s'offre ici comme un accident. curieux, sans doute, mais dont on ne voit aucune cause prochaine ; en outre, c’est un seul racémate qui présente celte faculté de dédou- blement : par conséquent, on obtiendrait dans une autre série que la série tartrique un nouveau racémique, que, très probablement, on serait arrêté par la difficulté insurmontable de le dédoubler, et l'inverse du produit d’où l’on serait parti pour l'obtenir resterait inconnu. Tel était, naguère encore, l'état de la question; mais je suis récemment arrivé à un procédé, non plus manuel et mécanique de dédoublement de l'acide racémique, mais à un procédé chimique qui repose sur des principes tout à fait généraux. En effet, dans le travail que j'ai présenté, il y a une année, à l'Académie, j'ai montré que l'identité absolue de propriétés physiques et chimiques des corps droits et gauches non superposables cessait d'exister quand on plaçait ces produits en présence de corps actifs. Ainsi les tartrates droits et gauches d’un même alcali organique actif sont entièrement distincts par leurs formes cristallines, leur solu- bilité, etc.; il était donc à espérer que l’on pourrait profiter de cette dissemblance pour isoler les deux acides tartriques composant le racémique : c’est le service que m'ont rendu, après bien des re- cherches infructueuses tentées sur divers alcalis, les deux bases qui- nicine et cinchonicine. Quand on prépare le racémate de cinchonicine, par exemple, il arrive toujours, pour une certaine concentration de la liqueur, que la première cristallisation est en majeure partie formée de tartrate gauche de cinchonicine; le tartrate droit reste dans l’eau Le] mère. Pareil résultat se présente avec la quinicine; seulement, dans ce cas, c’est le tartrate droit qui se dépose le premier. Lors donc que l'on soupçonnera dans un produit organique une constitution binaire acide racémique, on devra tenter son dédoublement analogue à celle de 1 la dissemblance en le mettant en présence d’un produit actif qui, par nécessaire des propriétés des combinaisons qu'il sera susceptible de 262 ŒUVRES DE PASTEUR former avec les composants du groupe complexe, permettra la séparation de ces derniers. Les résultats que je viens de faire connaître à l’Académie ouvrent un nouvel avenir aux recherches que je poursuis depuis plusieurs années. On peut affirmer aujourd’hui qu’il existe des procédés géné- raux permettant de passer d’un corps droit au corps gauche inverse et non superposable, et au corps inactif. Aussi vois-je de toutes parts s’aflermir, même dans les esprits les plus sévères, la généralisation des lois de mécanique moléculaire mises en évidence par l’ensemble de mes études. Elles recevront, dans cette séance même, un nouvel appui par une communication remarquable de M. Chautard (!), élève de l’habile chimiste de Vendôme, M. Dessaignes. 1. CHaUTARD (J.). Mémoire sur l'acide camphorique gauche et sur le camphre gauche. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 1* août 1853, XXXVII, p. 166-167. (Note de l'Édition.) SUR L'IDENTITÉ DE L'ACIDE PARACITRIQUE DE M, WINCKLER AVEC L'ACIDE MALIQUE (1) Lettre de M. Pasteur à M. À. Wurtz. Monsieur et cher collègue, Je trouve dans le dernier numéro du Journal de pharmacie l'extrait que vous avez fait d’un travail de M. Winckler sur la consti- tution chimique du vin (2), travail publié à Landau en 1852. M. Winckler annonce la découverte d’un nouvel acide qu'il appelle paracitrique, et qui présenterait, d’après ce chimiste, beaucoup d’ana- logies avec l'acide citrique ordinaire. Il y a environ six semaines, dans un voyage que je fis en Allemagne, j'eus l'honneur de voir M. Winckler à Darmstadt. Il me présenta son nouvel acide et les divers sels, en général bien cristallisés, qu’il en avait obtenus. Mais je reconnus immédiatement par l’examen des formes cristallines de ces combinaisons que le nouvel acide n'était autre que l'acide malique actif ordinaire sans mélange d'aucun autre produit. M. Winckler essaya d’abord de combattre mon assertion, mais j'écartai ses objections par quelques réactions chimiques très simples et je le laissai bien convaincu de son erreur. Vous jugerez sans doute utile la publication de cette lettre dans votre estimable journal. Recevez, monsieur, l'expression des sentiments d'affection intime de votre dévoué collègue, L. PASTEUR. 1. Journal de pharmacie et de chimie, 3 sér., XXIV, 1853, p. 75-76. 2. Ibid., & sér., NXIIT, 1853, p. 469. SUR LE DIMORPHISME DANS LES SUBSTANCES ACTIVES. TÉTARTOÉDRIE (1) J'ai établi dans mes recherches antérieures que toute substance cristallisable, active sur la lumière polarisée, avait une forme cristal- line telle, que son image ne lui était pas superposable. La proposition réciproque n’a pas lieu : c’est-à-dire qu'il ne faut pas conclure de l'existence de l’hémiédrie non superposable à l’existence de la pro- priété rotaloire moléculaire. Ainsi le sulfate de magnésie est hémi- édrique à la manière des tartrates, du sucre, de l’asparagine, etc., et cependant les solutions les plus concentrées de sulfate de magnésie n’ont aucune action sur la lumière polarisée. Le quartz présente une hémiédrie non superposable analogue à celle des produits organiques que je viens de citer, et l'expérience prouve que cette substance n'offre aucune action sur la lumière quand elle a été fondue ou dis- soute. Si l’on récuse l'exemple du quartz en objectant que les moyens énergiques de fusion ou de dissolution qu’on lui applique pourraient bien détruire la dissymétrie du groupe moléculaire chimique, ainsi que la chaleur transforme les acides malique et tartrique actifs en acides inactifs, je rappellerai la curieuse cristallisation du formiate de stron- Liane, qui offre avec celle du quartz les plus grandes analogies. Toute cristallisation de formiate. de strontiane renferme des cristaux hémi- édriques, et même les deux sortes droite et gauche, comme cela arrive pour les cristallisations naturelles de quartz. Mais ici le sel étant so- luble dans l’eau froide, il est facile d'observer en dissolution des cristaux droits ou des cristaux gauches, sans avoir été obligé de les soumettre préalablement à des actions énergiques. Or il n’y a jamais de déviation; et de plus la solution de cristaux exclusivement droits ou exclusivement gauches reproduit des cristaux soit droits, soit œauches. Par conséquent il est impossible de ne pas regarder la dis- D 1. Annales de chimie et de physique, 3° sér., XLII, 1854, p. 418-438 (avec 6 fig.). — Des extraits, avec quelques variantes de mots qui ne modifient pas le sens du texte, ont été publiés sous le titre : « Sur le dimorphisme dans les substances actives », in : Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 3 juillet 1854, XXXIX, p. 20-26 (avec 4 fig.). [Note de l'Édition.] DISSYMÉËTRIE MOLÉCULAIRE 265 symétrie de la forme comme le résultat d’un arrangement intérieur au cristal. Une fois le cristal détruit, toute dissymétrie disparait. Ainsi donc, des molécules inactives sur la lumière polarisée peuvent se grouper à l'instant de leur cristallisation de manière à former des cristaux qui, sous le rapport de la forme, ont tous les caractères des cristaux hémiédriques des substances actives. J’ajou- terai, d'autre part, que les substances hémiédriques, moléculairement ._inactives, présentent dans leur cristallisation tantôt la forme droite, accompagnée de la forme gauche, comme: on le voit dans le quartz et le formiate de strontiane, tantôt l’une seulement des deux formes non superposables, ainsi que le sulfate de magnésie et le bisulfate de potasse tétraédriques nous en offrent des exemples. Je me suis assuré, en effet, que pour ces deux substances le tétraèdre est toujours le même. On n’y trouve pas à la fois la forme directe et la forme inverse, ce qui arrive presque constamment dans le formiate de strontiane et le quartz. Ces résultats de l’expérience étant posés, et dans le but seul de mieux faire comprendre les observations nouvelles que je vais présenter, je suppose, pour un moment, que des molécules non plus inactives, mais douées, au contraire, de la propriété de dévier le plan de la lumière polarisée, se groupent à linstant de leur cristallisation de manière à présenter la particularité que nous offrent le sulfate de magnésie, le formiate de strontiane, etc. En d’autres termes, imaginons que les molécules d’un tartrate, par exemple, soient soumises, au moment où elles s’arrangent en cristaux, à des influences de l’ordre de celles qui déterminent le sulfate de magnésie à prendre la forme hémiédrique. Quel sera, dans cette supposition, le caractère hémiédrique de la forme? Il est très facile de voir & priort que les deux formes du tartrate dans de telles conditions ne pourront être deux formes comparables par leur hémiédrie aux deux formes du formiate de strontiane ou du quartz. Car ce tartrate dont nous parlons, quel qu'il soit d’ailleurs, a son inverse, et celui-ci, placé dans les mêmes circonstances que le premier, ne pourrait offrir évidemment que ces deux mêmes formes déjà présentées par son inverse. Il n'y aurait donc aucune différence de forme entre ces deux tartrates, l’un dérivé de l'acide tartrique droit, l’autre dérivé de l'acide tartrique gauche, ce qui est tout à fait impossible, parce que, dans le cas actuel, l'identité absolue des formes entraînerait forcément l'identité des deux produits, et cette identité n'existe pas en fait. Il résulte de ces considérations qu'il y avait un intérêt très grand à pouvoir étudier un cas de dimorphisme dans dés substances 266 ŒUVRES DE PASTEUR actives sur la lumière polarisée. On conçoit bien, en effet, que la réalisation de l’hypothèse que j'ai faite tout à l'heure de molécules actives qui se grouperaient à la manière des molécules inactives du sulfate de magnésie, ou du formiate de strontiane, ne peut être offerte que par dimorphisme d’une substance active. Et même, il y a plus : ce qui n’est qu'un accident lorsqu'il s’agit du dimorphisme dans les molécules inactives, pourrait bien être une particularité nécessaire chaque fois qu'il y a dimorphisme avec action rotatoire moléculaire, ainsi que nous le verrons tout à l'heure. Or, ce que j'ai à faire connaître, dans ce travail, c'est précisément le premier exemple de dimorphisme dans des substances actives ; et nous allons voir, en effet, que la dissymétrie de la variété dimorphe se présente avec des caractères tout particuliers. Le tartrate neutre droit d’ammoniaque s'obtient facilement en saturant l'acide tartrique droit par l’ammoniaque. La solution laisse déposer, par refroidissement ou par évaporalion spontanée, de beaux cristaux volumineux de tartrate neutre d’ammoniaque, qui appar- tiennent au système du prisme oblique à base rectangle, très voisin d'un prisme droit. Ce sera pour nous la première forme. Le tartrate neutre gauche d’ammoniaque s'obtient de la même manière avec l'acide tartrique gauche. Les formes des deux tartrates sont les mêmes et non superposables, comme cela a lieu pour toute la série de ces deux genres de sels. Lorsqu’à la dissolution de ces tartrates droit ou gauche on ajoute une petite quantité de malate neutre d’ammoniaque actif, le tartrate change absolument de forme en restant anhydre, et sans entrer d’ailleurs en combinaison avec le malate. La nouvelle forme, qui sera dite la deuxième, appartient au prisme droit à base rhombe. Elle est, par conséquent, incompatible avec la première, et constitue un nouvel exemple de dimorphisme. Ce dimorphisme est beaucoup plus facile à produire avec le tartrate gauche qu'avec le tartrate droit, ce dont il ne faut pas s'étonner; car c’est un corps actif, le malate neutre d’ammoniaque, qui produit ici la modification cristalline, et j'ai fait voir que les corps droits et gauches correspondants, parfaitement identiques pour toutes leurs propriétés chimiques, quand on les soumet à l'influence de corps inactifs, ne se comportent plus de la même manière en présence de substances actives. La deuxième forme apparaît encore lorsqu’au lieu de malate actif d’ammoniaque on se sert de malate inactif, et dans ces nouvelles conditions les deux tartrates manifestent leur propriété dimorphique DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 26 SI avec la même facilité. Cependant je fais observer que dans tous les cas la production de la deuxième forme se montre capricieuse. Il faut souvent répéter plusieurs fois la cristallisation pour y trouver en tout ou en partie des cristaux de cette deuxième forme, et, si l’on touche au liquide lorsqu'il est en train de la produire, on est presque assuré de voir la première se développer rapidement à partir du point ébranlé. Les tartrates d’ammoniaque cristallisés sous la première forme perdent leur limpidité pendant les chaleurs de l'été. Ils deviennent opaques et d’un blanc de lait. Cet effet est dû à une perle d’ammo- niaque. Il n’est pas le résultat d’une efflorescence ordinaire, puisque les sels sont anhydres. Les tartrates cristallisés sous la deuxième forme ont la même composition chimique et paraissent aussi efflores- cents. Le phénomène est même ici plus marqué et plus prompt à se produire. Le pouvoir rotatoire des deux espèces de cristaux pris à l’état de dissolution est rigoureusement le même, tant pour l'espèce droite que pour l'espèce gauche (1. Deuxième forme du tartrate droit d'ammoniaque. — La deuxième forme du tartrate neutre droit d’ammoniaque est représentée figure 1. Au premier aspect, elle est très bizarre ; mais elle est facile à étudier et à comprendre lorsqu'on la considère comme dérivant d’un octaëdre du prisme droit à base rhombe. Supposons un prisme droit à base rhombe portant des troncatures sur les huit arêtes identiques des bases, de manière à présenter à ses extrémités deux pointements oc- taédriques à quatre faces, et que l’on prolonge ensuite une face à chaque pyramide, jusqu’à ce que les six faces restantes des deux py- ramides disparaissent, on aura précisément une forme du genre de celle que nous étudions, si l’on a le soin de considérer deux faces extrêmes non parallèles. Cette dérivation de la deuxième forme du tartrate neutre droit d’ammoniaque sur le prisme octaédrique à base rhombe n'est pas arbitraire. La nature l'indique elle-même. Car on trouve souvent existantes les six faces que nous venons de supprimer dans l’octaèdre, et c’est alors par un développement inégal de deux faces que la dissymétrie actuelle est accusée. Le point le plus intéressant de mon travail consiste en ce que la forme qui nous occupe en comporte trois autres identiques et non superposables avec elle. Pour obtenir ces trois autres formes, il 1. Les quatre alinéas précédents ne figurent pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. (Note de l'Édition.) 268 ŒUVRES DE PASTEUR suffira de prolonger successivement dans l'octaèdre rhomboïdal deux faces extrêmes, non parallèles. En faisant toutes les combi- naisons possibles, on déduira quatre formes, composées des mêmes parties, inclinées de la même manière, et dont aucune n’est super- posable à l’une des trois autres. Le nouveau genre de formes n’est plus dérivé par suppression de la moitié des faces de la forme homoédrique, mais par suppression du quart de ces faces. Ce n’est donc pas une hémiédrie, mais une tétartoédrie non superposable. Cette expression de tétartoédrie est déjà dans la science : on la Fred: trouve dans les cristallographies allemandes ; mais elle n’a été appli- quée jusqu'à présent qu'à une conception abstraite de la géométrie des cristaux. Ici elle est réalisée, et d’une manière même qui n’avait pas été prévue. Les cristallographes allemands ne se sont occupés que du solide à quarante-huit faces, propre au système cubique qui par hémiédrie peut donner deux solides non superposables à vingt-quatre faces, desquelles on déduit, par une nouvelle hémiédrie, quatre formes pareilles et non superposables (1), composées chacune de douze faces (?). 1. Sur un exemplaire d'une Notice de ses travaux publiée en 1856 chez Mallet-Bachelier, on lit ces mots corrigés de la main de Pasteur: « Quatre formes pareilles deux à deux superpo- sables ». Et en marge Pasteur a ajouté : « Les quatre dodécaëdres dont il est ici question sont deux à deux superposables. C'est le genre de tétartoédrie du quartz ». Voir, sur cette question, p- 273 du présent volume : Note sur la tétartoédrie non superposable, « les quatre solides que considère Mohs... sont deux à deux identiques et superposables ». (Note de l'Édition.) 2. Chaque forme plagièdre de quartz peut être placée de deux manières sur le prisme hexagonal régulier. Si l’on désigne par AB AB AB les six angles solides de l’une des extré- mités d’un prisme hexagonal régulier et A'B' A'B' A'B' les six autres angles solides corres- pondants, les faces plagièdres droites peuvent porter sur les six angles (A, A') ou sur les six angles (B, B'). Il en est de même des six faces plagièdres gauches, et par conséquent il y a quatre positions des formes plagièdres. Mais ces quatre assemblages de faces, qui ont quatre positions distinctes sur le prisme, sont deux à deux identiques, et il n’y a à considérer ici qu'une hémiédrie non superposable et nullement une tétartoédrie, en tant qu'il s’agit de tétar- toédrie non superposable. [Cette note ne figure pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences.] DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 269 Jai déjà fait remarquer que la deuxième forme du tartrate droit d'ammoniaque se produisait rarement lorsqu'on faisait cristalliser un mélange de tartrate d’ammoniaque droit et de malate actif d’ammoniaque. On: lobtient beaucoup plus sûrement en faisant cristalliser un mélange de tartrate d’ammoniaque et de malate inactif d’ammoniaque. En général, la proportion de malate à employer est très faible comparée à celle du tartrate. Si la cristallisation dépose des cristaux de la première forme en même temps que des cristaux de la deuxième, ce qui arrive fréquemment, on peut toujours le reconnaître soit par une étude des formes, soit par l’e/florescence plus facile des cristaux de la deuxième forme. Il m'est arrivé une fois d'obtenir une cristallisation où j'ai reconnu ! N M Fire. 3. Fire. 4. distinctement les cristaux des deux formes. Le lendemain, les cristaux de la deuxième forme avaient disparu; il n’y en avait plus que de la première, et je n'avais cependant pas touché la veille à la liqueur. Deuxième forme du tartrate gauche d'ammoniaque. — Tout ce que je viens de dire du sel droit peut se répéter pour le sel gauche. Seulement, il est beaucoup plus facile d'obtenir la variété dimorphe du sel gauche par mélange avec le malate actif que la variété dimorphe du sel droit (1). La deuxième forme du tartrate gauche d’ammoniaque est repré- sentée figure 2. C’est l’une des quatre formes dont nous avons parlé tout à l'heure, et précisément celle qui est l’image, dans une glace, de la deuxième forme du sel droit (fig. 1) [2]. 1. Les trois alinéas précédents ne figurent pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. 2. Cet alinéa est remplacé dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences par le suivant : « Le tartrate gauche d'ammoniaque donne dans les mêmes conditions que le tartrate droit une deuxième forme incompatible avec celle qu'il prend habituellement. Elle est repré- sentée figure 2 et reproduit l’une des quatre formes que nous ayons déduites par tétartoédrie du prisme rhomboïdal octaédrique ». (Notes de l'Édition.) ' = 1] © ŒUVRES DE PASTEUR Les deux autres des quatre formes dérivées, comme nous l'avons dit, par tétartoédrie du prisme droit à base rhombe surmonté des faces de l’octaèdre sont représentées figure 3 et figure 4. L'une est l'image de l’autre dans une glace; mais elles ne sont les images d'aucune des deux formes que nous venons d'étudier (1). J'ai recherché avec soin si parmi les deuxièmes formes des deux tartrates d’ammoniaque je ne trouverais pas quelquefois les formes figure 3 ou figure 4; mais je ne les ai jamais rencontrées. C'est ici quelque chose d’analogue à ce qui se passe pour le sulfate de ma- gnésie (?), qui toujours présente l’une des deux formes hémiédriques possibles, et non toutes les deux à la fois. C’est le contraire, par con- séquent, de ce qui arrive dans le formiate de strontiane et le quartz, où l’on trouve à la fois les deux formes dans une même cristallisation. ie fn ITU / IT PE a | - F P _{!,,;\ È En ANS Û x ] [EN \ À NN | / 2 | NA ch | : y 2 al N Az KE ee PR 7 Fra. 9. F1G. 6. J'ai dit précédemment que quelquefois la tétartoédrie des tartrates d'ammoniaque n'était accusée que par un plus grand développement des faces tétartoédriques, mais que les huit faces de l’octaèdre exis- taient sur le prisme. Je dois ajouter que souvent aussi il n’y a que quatre faces tétraédriques, et que la tétartoédrie résulte alors d’un développement prédominant de deux de ces quatre faces; ce qui nous montre que la tétartoédrie peut être envisagée soit comme l’hémiédrie d’une hémiédrie, soit comme la tétartoédrie d’une homoédrie. J'ai dessiné (fig. 5) l’une des extrémités d’un cristal où l'on voit deux faces, À et 4, de tétraèdre dont l’une est beaucoup plus déve- loppée que l’autre. Ce cristal portait en outre sur les angles du prisme rhomboïdal les faces 7», ml, n, n'. Il appartenait au sel gauche. Enfin, j'ai remarqué dans les cristaux de la deuxième forme des tartrates d’ammoniaque un mode de groupement remarquable. Très souvent on trouve deux cristaux jumeaux, accolés par une arête, 1. Cet alinéa ne figure pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. 2, Dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, Pasteur a ajouté : « et le bisulfate de potasse ». (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 274 comme le représente la figure 6. L'un des cristaux est retourné, par rapport à l’autre, de telle sorte que si on les faisait se pénétrer, on n'aurait plus qu’un cristal portant les quatre faces d’un tétraedre. Les faces P des bases des prismes existaient dans le groupe que j'ai dessiné, comme le représente la figure, et elles étaient exactement sur le prolongement l’une de lautre. Les deux cristaux étaient d’ailleurs complets et d’égale grosseur. Voici maintenant les angles des faces des deuxièmes formes des tartrates d’ammoniaque, et leur notation dans le système de Miller Angles calculés. Notation des faces (‘). MAL — 65254! » R—= {4 1) R:M=—=199 17 » m—(011) h:P —142,41 140°43' n— (101) RS 36, 113,59 LE — (110) P : m — 154,30 » M— (110) HD DANS » P — (001) n!: P — 146,30 » R — (010) Paramètres... b—1 a —0,6482 c—0,4449 (2). Les faits qui précèdent ne font pas seulement connaître un nouveau mode de dissymétrie très remarquable des formes cristal- lines; je pense qu'ils peuvent en outre éclairer utilement la question du dimorphisme envisagée d’une manière générale. En effet, on peut se représenter le dimorphisme de deux manières, comme le résultat d’une faible altération dans l’arrangement des atomes de la molécule chimique, ou bien comme le résultat d’un groupement des molécules chimiques suivant un autre ordre dans le cristal, sans que d’ailleurs chacune d’elles soit modifiée en rien quant au mode d’arrangement de ses atomes élémentaires. Or je suppose qu'une substance active, telle que le tartrate d'ammoniaque, soit dimorphe par suite d’une altération quelconque dans l’arrangement des atomes à lintérieur de la molécule. La nouvelle molécule, dissymétrique à la manière de la molécule ordinaire, devra conduire à une hémiédrie du même genre que le sien, à une hémiédrie simple et non superposable. Que si, au contraire, le dimorphisme a seulement pour cause un nouveau mode de groupement des molécules naturelles dans le cristal, alors on conçoit que dans le cas de molécules actives ce 1. La différence assez grande qui existe entre les angles calculés et les angles mesurés exige que l’on reprenne la mesure directe des deux angles M : L et À : M qui ont servi à déterminer le cristal. J'aurai l’occasion de rectifier plus tard cette petite erreur de mesure, si en effet elle existe; car je n’en trouve dans mes notes aucune indication présumée. 2. Les trois alinéas précédents ne figurent pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences. (Note de l'Édition.) 272 ŒUVRES DE PASTEUR mode de groupement doive se produire lui-même dissymétriquement, soit dans un sens, soit dans un autre, ainsi que cela se voit, mais d’une manière exceptionnelle, chez les molécules inactives. Et la dissy- métrie première des molécules devant être traduite par quelque chose sur l'assemblage définitif, aussi bien que celle qui résulte du mode d’arrangement dans le cristal, il y aura alors deux dissymétries super- posées en quelque sorte, par conséquent quatre formes possibles, deux pour les molécules droites, deux pour les molécules gauches. D'ailleurs, comme il est matériellement impossible que les deux formes du sel droit soient les mêmes que les deux formes du sel gauche, les quatre formes, quoique identiques dans leurs diverses parties, ne seront pas superposables entre elles (1). Telle est, à mon avis, l'interprétation la plus naturelle des faits nouveaux que je viens d'exposer. Il y à une autre conséquence, peut-être plus grave, de l'existence du nouveau genre de dissymétrie propre aux molécules actives. Je n'ai pu étudier les propriétés optiques des cristaux tétartoédriques que je viens de faire connaître, parce que je ne les ai obtenus qu'en opérant sur de petites quantités de matière, et qu'ils se prêtent difficilement à de pareilles observations. On comprendra toutefois l'intérêt qui s'attache à de telles recherches. En effet, s’il y a une action du cristal sur la lumière polarisée dépendante de sa structure dissymétrique, et tout porte à croire que cette action doit avoir lieu, il est nécessaire que l'effet produit se répète quatre fois avec des caractères d'identité et de dissemblance correspondants aux quatre formes signalées. Le phénomène de la polarisation rotatoire, tout inconnu qu'il soit dans sa cause première, s'accorde parfaitement avec l’hémiédrie. La déviation peut être à droite ou à gauche, tout comme l’hémiédrie offre une forme directe et une forme inverse. Mais on ne voit plus & priori ce que pourrait être l’action optique propre aux formes tétartoédriques. Sans vouloir porter d'avance sur cette question un jugement qui serait nécessairement anticipé, je me contente d'appeler l'attention des physiciens et des géomètres sur des études qui, peut-être, nous feraient connaître un phénomène optique, capable de se répéter quatre fois, identique et non Superpo- sable à lui-même. 1. On comprend très bien aussi de cette manière que les deux formes propres à une espèce de molécules ne puissent être l’image l’une de l’autre : ce que nous avons vu exister en effet, puisque c'était la deuxième forme du tartrate gauche qui était l'image de la deuxième forme du tartrate droit. C’est que dans les deux formes propres à une espèce de molécules il y a une dissymétrie qui ne change pas, celle de la molécule. En se combinant aux deux modes d'arran- wement inverses dans l'intérieur du cristal, elle ne pourra donner deux formes, images l'une de l'autre. [Cette note ne figure pas dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences.] NOTE SUR LA TÉTARTOËÉDRIE NON SUPERPOSABLE (1) Dans mon travail intitulé : « Recherches sur le dimorphisme dans les substances actives. Tétartoédrie », inséré dans les Annales de chimie et de physique, 3° série, tome XLII [1854, p. 418-428] (?), j'ai prèté à Mohs et à ses successeurs une opinion erronée que je m'empresse de rectifier. Après avoir découvert (voyez le Mémoire que je viens de rappeler) [?] le premier exemple de tétartoédrie non superposable, j'ai cherché dans les auteurs si ce genre de tétartoédrie, très différent, comme je ai dit, de celui que les cristallographes allemands supposent, par exemple, dans le quartz, n'avait pas été prévu par eux au moins comme une conception abstraite de la géométrie des cristaux; et javais cru que Mohs en avait fait mention à propos du solide à quarante-huit faces du système cubique. Mais les quatre solides que considère Mohs et que l’on déduit par deux hémiédries successives du solide à quarante-huit faces ne diffèrent que par leur position. Ils sont deux à deux identiques et superposables. Il résulte de là que le genre de tétartoédrie que je fais connaître dans mon travail n'avait pas encore été prévu par les cristallographes. Je crois utile, en terminant cette Note, d'appeler de nouveau lPat- tention sur les formes remarquables qui sont l’objet de mon Mémoire. On croit généralement que deux polyèdres qui sont composés exacte- ment des mêmes parties, faces, angles et arêtes, sont toujours ou bien identiques ou bien symétriquement inverses. Les formes cristallines que j'ai décrites sont au nombre de quatre, composées des mêmes parties, et aucune n'est superposable à l’une quelconque des trois autres. Elles indiquent un genre de similitude qui mériterait quelque 1. Annales de chimie et de physique, 8° sér., L, 1857, p, 178-179. Cette Note, étant une rectification à propos du Mémoire précédent, qui date de 1854, a été placée ici, bien qu'elle soit de 1857. (Note de l'Édition.) 2. Voir p. 264-272 du présent volume. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 18 274 ŒUVRES DE PASTEUR attention de la part des géomètres. Dans la similitude par symétrie, telle qu'on la définit ordinairement, l'égalité des arêtes entraîne forcément légalité des angles dièdres correspondants. L'erreur de citation que cette Note a pour but de rectifier m'a été indiquée par une publication récente de M. Delafosse (Comptes rendus de l'Académie, 1857) [1]. 1. Derarosse. Sur la véritable nature de lhémiédrie et sur ses rapports avec les propriétés physiques des cristaux. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLIV, 1857, p. 229-233. (Note de l'Édition.) MÉMOIRE SUR L'ALCOOL AMYLIQUE (1) A la fin de l’année 1849, j’appris de M. Biot que Palcool amylique avait la propriété de dévier le plan de polarisation de la lumière. Occupé alors, et déjà depuis deux ans, de recherches sur les substances douées de ce précieux caractère moléculaire, je pensai, avec M. Biot, qu'il y aurait intérêt à le suivre dans les dérivés nombreux de lalcool amylique. Mais je fus bientôt arrêté par des difficultés considérables, du genre de celles qui ont rebuté presque tous ceux qui ont voulu approfondir l'étude des huiles essentielles. Malgré les secours que m'offraient les travaux de mes devanciers, et bien que j’eusse à ma disposition de grandes quantités d'alcool amylique brut, il me fut impossible d'obtenir un alcool irréprochable, présentant tous les caractères d’un corps pur. J’arrivais facilement à la composition en poids de l’alcool amylique, mais je n'étais jamais satisfait du point d’ébullition, ni du pouvoir rotatoire, que je trouvais très variables lorsqu’àa côté d'eux je rencontrais les caractères d’une substance définie... Après six mois d’études, j'abandonnai mon travail avec l'espoir d'y revenir plus tard, et mieux préparé. Quelques mois après j'appelais l'attention de l'Académie sur deux acides organiques auxquels j'ai donné les noms d'acide aspartique inactif et d'acide malique inactif. La particularité la plus remarquable, en effet, qui caractérise ces deux acides est l’absence totale de l’action optique moléculaire que j'avais récemment signalée dans les acides aspartique et malique. Tous les chimistes, qui auront parcouru avec attention l’ensemble de mes recherches et l'étude comparative que j'ai présentée de ces corps isomères actifs ou inactifs sur la lumière polarisée, auront sans doute porté le même jugement que moi sur les 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 20 août 1855, XLI, p. 296-300. [Pasteur ne donna à l’Académie des sciences qu’un extrait de son travail sur l'alcool amylique. Le Mémoire complet ne fut jamais publié. En 1878, lorsqu'il projeta d'écrire un volume sur la Dissymétrie moléculaire, il réunit ses notes sur l'alcool amylique et écrivit en tête : « On trou- vera ici le résumé publié dans les Comptes rendus et un certain nombre d'indications pour la rédaction définitive du Mémoire complet que j'ai eu le tort de ne pas rédiger dans son entier lorsque mon travail a été terminé, » (Note de l'Édition.) 276 ŒUVRES DE PASTEUR relations moléculaires qui lient si étroitement les substances dont je viens de rappeler les noms. Que si le phénomène de la déviation optique moléculaire est le résultat, comme tout porte à le penser, d’un arrangement dissymétrique des atomes élémentaires au sein de la molécule, si ces atomes sont soumis à une sorte de disposition tétraédrique ou à toute autre disposition du même ordre, assujettie seulement à ce que son image ne lui soit pas superposable, on peut raisonnablement affirmer que les acides aspartique et malique inactifs ne sont autre chose que les mêmes acides actifs, mais dans lesquels les atomes élémentaires auraient pris par exemple la disposition octaédrique correspondant à la disposition tétraédrique des groupes actifs. Qu'y at-il, en effet, de plus significatif que ces formes de certains malales inactifs qui ne different des malates actifs correspondants que parce que les facettes hémiédriques ont disparu pour être remplacées par d’autres, disposées de telle façon que la forme du malate inactif mis devant une glace y donne alors une image superposable à la réalité qui la produit. Quoi qu'il en soit, il suffit que quelques corps aient pu être rendus inactifs, détordus, si je puis ainsi parler, pour que l’on ait aussitôt l’idée préconçue que c’est là sans doute un fait général, et conséquemment que larrangement dissymétrique d’un groupe d’atomes n’est pas quelque chose d’absolu, de nécessaire, qu'il pourrait, en conservant une stabilité égale, un peu plus grande ou un peu plus faible, perdre seulement ce qui constitue sa dissymétrie pour devenir inactif. Les détails dans lesquels je viens d'entrer étaient indispensables pour faire comprendre les résultats du travail que j'ai l'honneur de communiquer à lAcadémie. Mes recherches se résument en effet dans cet énoncé fort simple : L'alcool amylique brut, tel qu'on le trouve en abondance dans le commerce, est principalement formé d’un mélange en proportions variables, suivant son origine, d’un alcool amylique actif et d’un alcool amylique isomère, inactif sur la lumière polarisée. Les propriétés chimiques de ces deux alcools sont exacte- ment pareilles. Tout ce que l’on produit avec l’un, on peut le produire avec l’autre, dans les mêmes conditions, avec la même facilité ou avec la même peine, et il serait impossible de distinguer les substances obtenues si l’on n'avait pas l’attention appelée d’une manière toute spéciale sur les différences qui les caractérisent. L'alcool actif ne donne que des produits actifs. L'alcool inactif ne donne que des produits inactifs. Mais tout se ressemble à première vue : odeurs, solubilités, formes cristallines, points d’ébullition, poids spécifiques. Au fond tout diffère, quand on est prévenu et que l’on apporte une DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE [2 SJ scrupuleuse exactitude dans chaque appréciation ou dans chaque mesure. La proportion des deux alcools actif et inactif est très variable, suivant que l’alcool a telle ou telle origine. Ainsi lhuile brute venant de la fermentation des jus de betteraves renferme environ un tiers d'alcool actif et deux tiers d'alcool inactif, tandis que celle qui provient de la fermentation des mélasses renferme environ parties égales des deux alcools. Il est matériellement impossible de séparer les deux alcools par des distillations fractionnées, soit qu'on effectue celles-ci sur le mélange des deux alcools ou sur le mélange de deux de leurs dérivés quelconques, lors même enfin que dans cette pénible méthode on s’aiderait constamment du phénomène rotatoire pour contrôler les résultats. Je prépare l'alcool amylique inactif et son isomère actif en passant par les sulfamylates de baryte inactif et actif cristallisés et purs. Toute la difficulté consiste à obtenir le sulfamylate de baryte complètement inactif et le sulfamylate actif sans mélange d’inactif. Pour atteindre ce résultat, il faut préparer une grande quan- tité de sulfamylate de baryte en partant d’un alcool amylique brut rec- tifié par une simple distillation, afin de lui enlever Peau et l’alcool de vin dont il peut être souillé. L'huile brute ainsi obtenue est mélée, comme à l'ordinaire, avec son poids d'acide sulfurique et le mélange traité par le carbonate de baryte. On filtre et on fait cristalliser. Les cristaux présentent tous le même aspect, le même éclat, la même forme, les mêmes angles; et, comme s’il s'agissait d’un corps toujours un, toujours identique à lui-même, on peut faire cristalliser en tout ou en partie un nombre quelconque de fois le sulfamylate de baryte sans que la cristallisation s'offre sous un aspect différent. Si l’on porte cependant l'attention non plus sur la forme cristalline, l'éclat, la manière d’être des cristaux, mais sur leur solubilité plus ou moins grande, on ne tarde pas à rencontrer dans deux cristallisations consécutives d’une même liqueur des différences de solubilité qui, pour être fort légères, n'en sont pas moins la manifestation d’un fait important. Et si enfin on fait marcher de front la comparaison des propriétés optiques des cristallisations avec leurs solubilités respec- tives, on acquiert bientôt la preuve évidente que le sulfamylate de baryte ordinaire est composé de deux produits entièrement distincts, l’un actif sur la lumière polarisée, l’autre inactif et jouissant exacte- ment des mêmes formes cristallines avec les mêmes angles, le même éclat, la même double réfraction, les mêmes allures. Ils sont tellement identiques d’aspect et de propriétés physiques que le plus habile chi- miste ne saurait les distinguer; mais leurs solubilités dans l’eau sont si différentes que l’un est deux fois et demie plus soluble que l’autre, 278 ŒUVRES DE PASTEUR et, en extrayant de tous deux séparément, par un procédé fort simple, l'alcool amylique dont ils renferment les éléments, on trouve que le premier, le plus soluble, donne un alcool amylique déviant à gauche, de 20° environ dans un tube de 50 centimètres, le plan de polarisation de la lumière, tandis que l’autre, le moins soluble, donne un alcool qui n’y manifeste dans les mêmes conditions aucune déviation appréciable. L'étude comparée de ces deux alcools actif et inactif présente beaucoup d'intérêt. Il n'est rien que l’on fasse avec l’un que l’on ne puisse effectuer avec l’autre dans les mêmes circonstances, et la ressemblance des produits obtenus va souvent presque à l'identité, sans que celle-ci soit jamais atteinte. D'ailleurs l’alcool inactif donne toujours des produits inactifs et l'alcool actif des produits actifs, pourvu que l’on ne touche pas au radical C!H" dans lequel réside la dissymétrie et l’activité sur la lumière polarisée. L'une des plus cirieuses différences offertes par ces deux alcools est celle de leurs densités respectives. L'alcool actif est plus lourd que l’autre, et la différence s'élève à près de + Ainsi des volumes égaux des deux alcools ne renferment pas en égal nombre les molécules actives et les molécules inactives. Il y a une plus grande quantité des premières que des secondes. Elles sont plus serrées, et la différence est considérable pour un tel ordre de phénomènes. Quant au point d’ébullition, l'alcool actif bout de 127 à 128° sous la pression ordinaire, et l’alcool inactif à 129. Les mélanges divers de ces deux alcools bouillent à des températures intermédiaires, et je ne m'explique que difficilement l'erreur toujours reproduite que l'alcool amylique bout à 132°. La simplicité de ces résultats cachera pour tout le monde les embarras que j'ai rencontrés dans le cours de ce travail. Il n'est cependant pas difficile de vérifier l'exactitude de mes recherches : car, en définitive, il suffit de préparer du sulfamylate de baryte, ce qui est très simple, et de faire recristalliser quinze à vingt fois les premiers cristaux obtenus. Les dernières cristallisations sont inactives. Puis, par des cristallisations sans cesse répétées et effectuées sur les eaux mères, il faut accumuler dans ces eaux le sulfamylate actif jusqu'à ce qu'il soit pur. La principale cause de la difficulté de la séparalion des deux sels réside dans un fait véritablement extra- ordinaire. En effet, les deux sulfamylates de baryte actif et inactif possèdent l’isomorphisme le plus complet, le plus absolu. Ils s'unissent l’un à l'autre en toutes proportions, et ce n’est que la différence très grande de leurs solubilités qui a pu rendre possible leur séparation. Cet isomorphisme est l’un des phénomènes qui méritent la plus sé- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 279 rieuse attention, parce qu'il y a, en effet, dans la constitution molé- culaire des deux sels le caractère de la présence ou de l'absence de la dissymétrie moléculaire qui paraissait devoir établir entre la réunion des molécules et leur cristallisation en toutes proportions une bar- rière infranchissable. Telle est, du moins, l'opinion qui s'offre « priori. Telle est aussi celle que lon peut déduire des études que j'avais faites jusqu’à présent sur les corps actifs et inactifs isomères. Aussi, en voyant toute cristallisation de sulfamylate de baryte ordinaire pou- voir être séparée par des cristallisations méthodiques en sulfamylate inactif et sulfamylate actif, j'ai eru longtemps que j'avais affaire à un véritable mélange de deux sels. IHn’en est rien. J’ai la conviction qu'iei se trouve caché l’un des secrets les plus utiles à connaitre du méca- nisme des combinaisons, et je ferai tous mes efforts pour le découvrir. NOTE SUR LE SUCRE DE LAIT (1) Lettre de M. Pasteur à M. Biot, Lille, 11 février 1856. Monsieur, Vous savez que je m'occupe depuis quelque temps du sucre de lait. Je vois par le Compte rendu de la séance du 4 février, arrivé aujourd’hui à Lille, que M. Dubrunfaut (2) étudie également cette substance. Je vous serais donc obligé de vouloir bien communiquer à l'Académie quelques résultats de mon travail, afin que plus tard, lorsque je serai en mesure de le publier en entier, je ne paraisse pas m'être emparé du sujet d'étude de l’habile chimiste que je viens de citer. Il n'est aucun ouvrage de chimie qui n’admette que le sucre de lait, sous l'influence des acides, se transforme en glucose ou sucre mamelonné de fécule. Cependant je ne crois pas {qu'il existe aucune expérience ayant eu pour {but d'établir l’exactitude de ce fait. On l’a admis à peu près comme certain, ‘après l'avoir regardé comme une présomption probable. Lorsque Kirchhoff, membre de l'Académie de Saint-Pétersbourg, eut publié la découverte si remarquable de la transformation de l’amidon en matière sucrée, Vogel (3 essaya l'expérience de Kirchhoff sur le sucre de lait. Il fit bouillir 100 grammes de sucre de lait avec 400 grammes d’eau et 2 grammes d'acide sulfurique, pendant quelques heures, en ajoutant de temps en temps un peu d’eau pour remplacer celle qui s’évaporait par l’ébullition. La liqueur, saturée par la craie, évaporée à l’étuve, donna un sirop brun, épais, qui se prit en masse cristalline au bout de quelques jours. Et il ajoute : 1, Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 18 février 1856, XLII, p. 347- 201. 2. Dupruxraur. Note sur le sucre de lait. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLII, 1856, p. 228-233. 3. VoceL. Mémoire sur le sucre liquide d'amidon, et sur la transmutation des matières douces en sucre fermentescible. (Extrait par M. Bouillon-Lagrange.) Annales de chimie, LXXXIN, 1812, p. 148-164. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 281 « Cette matière, analogue à la cassonade, a une saveur bien plus sucrée que n’est une dissolution aqueuse la plus concentrée de sucre de lait. Ce goût excessivement sucré a fait soupçonner qu'il s'était formé du véritable sucre, propre à donner naissance à la fermentation alcoolique. En effet, à peine avait-on introduit ce produit, sous des circonstances favorables, avec la levûre de bière, que la fermentation alcoolique s’est établie de la ma- nière la plus vive, tandis que le sucre de lait ne fermente jamais. » Tel est le sucre qui, avec de grandes apparences de raison sans doute, a été pris pour du sucre de fécule ; et, à toutes les époques, les idées physiologiques émises sur le sucre de lait ont eu pour base la prétendue transformation de ce sucre en sucre de fécule. Mais, en réalité, le sucre de lait modifié par les acides est tout autre que le glucose. Je propose de le nommer lactose. On réserverait le nom de sucre de lait ou de lactine pour le sucre cristallisable du lait. Le lactose cristallise beaucoup plus facilement que le glucose. Cependant il affecte presque toujours, comme ce dernier, une structure mamelonnée. Quelquefois les cristaux, quoique petits, sont limpides, assez nets, et on peut reconnaître à la loupe que ce sont des prismes droits portant un biseau à leurs extrémités. Le plus souvent ils sont en lames à six côtés, ordinairement arrondies sur les angles et un peu renflées vers le milieu. Aussi, lorsque ces lames sont vues de champ, elles ont l'aspect de petites lentilles. Le glucose cristallise dans le même système, également en tables rhomboïdales à six pans se coupant sous des angles très voisins de 120°; mais elles ne prennent jamais l'aspect lenticulaire et ne sont pas plus épaisses vers leur milieu que sur leurs bords. Elles sont aussi moins dures, plus fragiles, moins isolées et moins nettes que les lames cristallines du lactose. Le lactose cristallisé et pur, traité par l'acide nitrique, donne environ deux fois plus d’acide mucique que le sucre de lait, toutes circonstances égales d’ailleurs. Cette réaction permet de reconnaître les plus petites quantités de lactose pur. Son action sur la lumière polarisée présente cette particularité si curieuse, découverte dans le glucose par M. Dubrunfaut, et rappelée par ce savant dans sa Note du 4 février (!), savoir : que le glucose cristal- lisé dévie le plan de polarisation beaucoup plus lorsqu'il vient d’être dissous que quelques heures plus tard. Le lactose récemment dissous a un pouvoir rotatoire très élevé, qui diminue progressivement à la température ordinaire, et se fixe en quelques heures à un degré désor- 2. DusrunrauT. 1bid. (Note de l'Édition.) 282 ŒUVRES DE PASTEUR mais invariable. L'expérience suivante donne le pouvoir rotatoire du lactose dans l'eau pure : 1 gr. 2845 de lactose pur desséché à 100° ont été dissous dans 61 gr. 056 d’eau à 6°. La densité de la dissolution était de 1,008 à 5°. La longueur du tube, 500 millimètres. La déviation a été de 8°,64. On déduit de là, pour une épaisseur de 100 millimètres, [2] ; — 83, 22 7, Le pouvoir rotatoire du lactose est done beaucoup plus élevé que celui du glucose, et dans le mème sens (1). La déviation 8°,64 est celle qui a été mesurée vingt-quatre heures après que la dissolution fut terminée et les jours suivants. Observée tout de suite, dans le même tube, la déviation a été de 14,5 : ce qui donne, pour une épaisseur de 100 millimètres, [4];=—139,66 /. Je suis porté à penser que ces différences dans les pouvoirs rotatoires sont dues à des proportions différentes de chaleurs latentes dans le corps dissous et dans le corps cristallisé. Mais il est bien difficile de donner des preuves directes à l'appui de cette manière de voir. Le lactose ne n'a fourni jusqu'à présent aucune combinaison avec le sel marin. Si l’on arrête la fermentation du lactose à des époques différentes, en disposant l'appareil de manière à pouvoir peser exactement l'acide carbonique dégagé, afin d'en déduire le poids de sucre détruit, on trouve que le pouvoir rotatoire du liquide alcoolique restant est le même que celui du poids de sucre non altéré, considéré comme lactose pur; ce qui prouve que la fermentation ne le dédouble pas.] Dès l'instant où il est reconnu que le sucre de lait se transforme sous l'influence des acides en un sucre particulier, distinct du glucose, et qui dans aucune circonstance ne parait se changer en ce dernier sucre, on ne peut s'empécher de se poser différentes questions qu'il sera fort utile de résoudre. N’a-t-on pas confondu souvent, parexemple, le lactose avec le glucose dans les recherches physiologiques? Le sucre des diabètes, souvent formé de glucose, n'est-il pas mélangé dans l’urine de ces malades en proportions diverses avec le lactose ? La question de la production du sucre par le foie exige impérieuse- ment une connaissance exacte de la nature du sucre, ou des sucres, que l’on trouve dans cet organe. Le lactose n'y est-il pour aucune part? J’étudie ces faits avec les difficultés qu'ils doivent offrir en 1. Note de M. J.-B. Biot. Le nombre donné ici par M. Pasteur indique un pouvoir rota- toire [x]; supérieur à celui du sucre de canne candi, séché à l'air, [que j'ai trouvé être, pour l'épaisseur de 100 millimètres, 71 ou 72°. Quant au sucre de lait cristallisé, j'ai trouvé son pou- voir rotatoire [xl; égal à 609,28 “a , bien moindre que M. Pasteur ne l'obtient après l'avoir traité par l'acide nitrique. Mérnoires de l'Académie des sciences, XIIT, 185, p. 166. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 283 province, et j'aurais désiré ne rien communiquer à l'Académie sur le sucre nouveau qui fait l’objet de cette lettre, avant de les avoir résolues. Permettez-moi, Monsieur, en terminant, de signaler une double erreur qui s’est glissée dans un ouvrage de cristallographie qui a paru récemment en Autriche et qui a obtenu un prix de l’Académie de Vienne. L'auteur de cet ouvrage, M. Schabus (1), donne avec détails la forme cristalline du glucose, et il la rapporte au rhomboëdre. Il sera évident, pour toutes les personnes qui examineront avec attention le dessin et les mesures données par l'auteur, qu'il a pris pour des cristaux de glucose des cristaux de glucosate de sel marin. D'autre part, ces mesures rapportées au glucosate de sel marin sont inexactes, en ce sens que cette combinaison, ainsi que je lai fait voir ailleurs, appartient au système rhomboïdal droit. Seulement il arrive ici, comme dans le sulfate de potasse, et tant d’autres sels dont l'angle du prisme rhomboïdal est voisin de 120°, que les cristaux sont des groupements de portions de cristaux sous les angles de 60, 90, 1206. Ces associations de cristaux sont très visibles dans la lumière polarisée, à l'appareil de Nôürremberg. Vous savez trop, Monsieur, combien offrirait d'intérêt la découverte d’un corps moléculairement actif sur la lumière, et qui cristalliserait dans un système à un axe optique, pour ne pas être intéressé par la remarque que je présente en ce moment, et qui a également pour but de prouver que je ne m'étais pas trompé dans la détermination que j'ai donnée autrefois du glucosate de sel marin. Cependant l'ouvrage de M. Schabus est fait avec tant de soin que j'ai voulu revoir le fait principal sur de nouveaux cristaux que je dois à l’obligeance de M. Peligot. J'ai l'honneur de vous adresser, en même temps qu'un échantillon de lactose, de petites lames de glucosate de sel marin, taillées perpendiculairement à laxe cristallographique. Il vous sera facile d’y trouver les caractères des cristaux à deux axes et les grou- pements des cristaux élémentaires (?). Le glucosate de sel marin, pas plus que le glucose, ne cristallisé donc dans un système à un axe; et la science ignore encore l'existence d’un corps moléculairement actif sur la lumière polarisée, qui n’appar- tienne pas à un système à deux axes optiques. 1. Scæagus. Bestimmung der Krystallgestalten. Wien, 1859, in-8e. (Note de l'Édition.) 2, Note de M. J.-B. Biot. Nous avons vérifié, M. de Senarmont et moi, les indications optiques données ici par M. Pasteur, sur les échantillons de glucosate qu'il m'avait envoyés, et nous les avons trouvées très exactes. ISOMORPHISME ENTRE LES CORPS ISOMÈRES, LES UNS ACTIFS LES AUTRES INACTIFS SUR LA LUMIÈRE POLARISÉE (1) Le travail que j'ai l'honneur de présenter à l’Académie fait connaître une exception remasquable à la loi des corrélations de l’'hémiédrie et du phénomène rotatoire moléculaire, établie par mes précédentes re- cherches. L'Académie se rappellera peut-être que l'étude des formes cristallines des corps actifs sur la lumière polarisée n'avait conduit à reconnaître que ces formes offraient toutes une dissymétrie que j'ai caractérisée par l'expression hémiédrie non superposable, parce que leur image ne peut leur être superposée, pas plus que le gant de la main droite ne s’adapterait à la main gauche. En d’autres termes, ces formes n'ont pas de plan de symétrie. Tous les tartrates, tous les malates, un grand nombre d’autres produits, le sucre de canne, le sucre de lait, la tartramide, l’asparagine,... possèdent de pareilles formes. Certains corps actifs ne n'ayant pas présenté habituellement ce genre d'hémiédrie, et présumant que ce n’était là qu'un accident, j'ai cherché à faire apparaître les faces hémiédriques, en modifiant les conditions de la cristallisation ; et, dans tous les cas où j'ai poursuivi celte étude, je suis arrivé à déterminer diverses circonstances qui ont provoqué l'hémiédrie non superposable. Jusque-là, par conséquent, la loi de la corrélation du phénomène rotatoire et de l’hémiédrie paraît générale. Est-elle nécessaire ? Une substance peut-elle être, quoique active, homoédrique de forme et de structure ? On sait que l'inverse est possible. Un corps peut avoir une forme et une structure cristallines hémiédriques, sans posséder le pouvoir rotatoire moléculaire. Le quartz est dans ce cas. Il en est de méme du formiate de strontiane et du chlorate de soude de MM. Ram- melsberg et Marbach. Se peut-il inversement que le pouvoir rotatoire moléculaire existe et que la forme et la structure cristallines ne l’accusent pas ? On comprend tout l'intérêt que peut offrir la découverte 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 30 juin 1856. XLII, p. 1259- 1264. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 285 de semblables produits. Le travail que je soumets à l'Académie donne le premier exemple d’une substance active, privée de l'hémiédrie non superposable dans les formes cristallines de ses combinaisons. Cette propriété appartient à l'alcool amylique actif. J'ai prouvé l’année dernière que l'alcool amylique qui jusqu'à présent a fait le sujet des études des chimistes était un mélange à proportions variables de deux alcools isomères, l’un actif sur la lumière polarisée, l’autre inactif comme tous les alcools connus. La similitude profonde de ces deux alcools s'étend à toutes leurs combi- naisons. Ce que l’on fait avec l’un, on peut le produire avec l’autre dans les mêmes circonstances. Leurs températures d’ébullition et celles de tous leurs dérivés volatils sont si voisines qu'ilest impossible de les séparer par des ébullitions fractionnées. Le seul moyen de les isoler consiste à préparer une grande quantité de sulfamylate de baryte avec l'alcool du commerce rectifié, et de soumettre à des cristalli- sations répétées le sulfamylate brut. On accumule ainsi dans les eaux mères le sulfamylate actif, qui est plus soluble que linactif ; et celui-ei reste dans les dernières cristallisations. Au lieu de sulfamylate de baryte, on peut choisir d’autres sulfamylates ou d’autres dérivés cristallisables des deux alcools, mais le sel de baryte est préférable. Cela posé, voici la particularité curieuse de tous ces corps cristal- lisables, actifs et inactifs. Le corps actif a toujours la même forme cristalline que le corps inactif correspondant, sans que lhémiédrie vienne apporter la moindre différence. Dans mes recherches anté- rieures j'avais déjà rencontré des corps actifs et inactifs isomères, de même forme cristalline ; par exemple les bimalates de chaux et les bimalates d’ammoniaque. Mais les bimalates actifs se reconnaissent à un ensemble de faces qui, sur le cristal, tombent plus d'un côté que de l’autre, tandis que dans les bimalates inactifs ces faces sont redressées. En un mot, les actifs ont l’hémiédrie non superposable ; les inactifs ne la possèdent pas: c’est là toute leur différence. Dans les sulfamylates actifs et inactifs l'identité des formes est au contraire absolue ; circonstance d'autant plus remarquable que l'identité des formes cristallines ne s'était montrée jusqu'à présent que dans des produits où larrangement moléculaire était le même, c'est-à-dire dans les corps isomorphes. Ici l’arrangement moléculaire diffère et la forme ne l’accuse pas; et cette identité de formes et de composition chimique coïncide avec des différences de solubilité qui vont du simple au double et au triple. Mais une objection se présente tout de suite. J'ai rappelé moi-même en commençant cette lecture que l’hémiédrie dans.les corps actifs 286 ŒUVRES DE PASTEUR n'élait pas toujours accusée naturellement; que souvent, pour la faire apparaître, j'avais été obligé de modifier les conditions de leur cristal- lisation, afin de provoquer la naissance de nouvelles faces dans l’ensemble desquelles se trouvaient des faces hémiédriques. On pourrait donc objecter que si les formes des combinaisons amyliques ne m'ont pas offert l’hémiédrie géométrique, leur structure cristalline ne possède pas moins la dissymétrie que cette hémiédrie géométrique accuse le plus ordinairement. Il n’en est rien. En effet, une consé- quence de l'existence de la structure hémiédrique dans un produit organique, jointe à l'absence de ce caractère dans le produit isomère correspondant, paraît être l'impossibilité d’une association des molé- cules individuelles de ces corps, en diverses, ou en toutes proportions. Supposons, par exemple, que les bimalates actifs et inactifs de chaux, isomeres, soient mélangés en dissolution, et qu’en cristallisant leurs molécules individuelles se réunissent à la manière de celles de deux corps isomorphes. Il faudra dès lors que l’hémiédrie de la forme nouvelle accuse la nouvelle structure, non plus comme fait, mais comme valeur et comme proportion. On ne voit pas « priori qu'il y ait impossibilité nécessaire de pareilles conditions dans la cristallisation. Ce serait néanmoins un fait bien inattendu dans l’état actuel de nos connaissances. Quoi qu'il en soit, c’est à l'expérience de répondre. Jai donc essayé de faire cristalliser ensemble des corps actifs et inactifs, isomères et de mêmes formes cristallines, sauf la différence due à l'hémiédrie, et j'ai vu que dans tous les cas ils se séparaient l’un de l'autre, comme se séparent en cristallisant deux sels différents, non isomorphes, qui obéissent aux lois de leurs solubilités respectives. On dirait même que le plus souvent ces corps actifs et inactifs se repoussent. Quand l’un se dépose, l’autre reste dissous. Ce n’est pas qu'il ne puisse cristalliser, car si l’on vient à décanter l’eau mère, encore bien qu'on ne l’évapore pas de nouveau, on voit l’autre corps se déposer rapidement, et fournir en quelques instants une abondante cristallisation. Or il arrive, au contraire, que toutes les combinaisons amyliques actives et inactives correspondantes ont la même composition, la même forme cristalline, et montrent l’isomorphisme le plus absolu, le plus décidé. Non seulement les sulfamylates de baryte sont dans ce cas, il en est ainsi de ceux de plomb, de strontiane, et des aluns d’amylamine active et inactive, qui, pour le dire en passant, ne se sont jamais offerts dans mes expériences sous la forme d’octaèdres réguliers, comme on l’a annoncé, je crois par erreur, il y a quelques années. Je conclus de cet isomorphisme absolu des dérivés amyliques actif DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 287 et inactif que la structure hémiédrique n'existe pas dans les produits actifs. Mais cette preuve ne'suffit pas encore. La structure hémiédrique pourrait exister dans les conditions que j'assignais tout à l'heure par raisonnement. La forme restant la même, cette structure varierait dans ses proportions avec les proportions des deux corps qui se combinent, et une face hémiédrique pourrait l’accuser par une inclinaison variable sur les faces restantes et fixes du cristal. Les difficultés que présente l'étude des formes cristallines des sulfamylates de baryte et des aluns d’amylamine, dont les cristaux sont des lames minces où plusieurs faces échappent forcément à l'examen, me faisaient un devoir d’aller beau- coup plus loin dans les preuves d’un phénomène de chimie molécu- laire aussi imprévu que celui qui fait l’objet de mon travail. J'ai cherché alors à produire forcément lhémiédrie dans le sel provenant de la réunion des deux amyliques actif et inactif, non plus seulement par le fait du groupe amylique, mais par celui d’un {autre corps. L’hémiédrie du groupe amylique, si elle existe, devrait sans doute se montrer dans le nouveau produit, soit matériellement, soit en empêchant l’isomorphisme des deux groupes amyliques. Or les choses ne se sont point passées selon ces prévisions. J'ai réussi à préparer des cristaux bien déterminables de sulfamylates de cinchonine, c’est-à-dire d'une base active, qui a lPhabitude de communiquer à ses dérivés, comme la plupart des corps actifs, lhémiédrie de forme et de structure. Les sulfamylates actif et inactif de cinchonine ont encore eu les mêmes formes exactement, et ils ont ‘présenté aussi l’isomorphisme absolu des autres sulfamylates à bases inactives; toutefois, avec cette particularité très démonstrative que ces sulfamylates sont toujours hémiédriques, que leur hémiédrie est constamment la même, accusée par les mêmes faces, quelle que soit la proportion des deux sels réunis. Évidemment l’'hémiédrie est ici le fait seul de la cinchonine, et le groupe amylique n'intervient pour aucune part dans la structure hémiédrique de tous ces cristaux. Enfin, comme je ne dois rien omettre dans un sujet aussi délicat de tout ce qui peut faire penser que je ne me suis pas trompé, je suis heureux de pouvoir ajouter que les sulfamylates de cinchonine qui n'ont servi, lorsqu'ils sont préparés avec tous les soins que j’indiquerai, sont des sels admirables par la limpidité, la régularité et le volume de leurs cristaux. L'Académie pourra en juger par les échantillons que je mettrai prochainement sous ses yeux. C’est vraiment une chose bien digne de remarque que de voir des cristaux absolument identiques par leurs formes correspondre à des arrangements moléculaires très dissemblables qui varient, pour ainsi 288 ŒUVRES DE PASTEUR dire, à volonté dans leur dissemblance, et dont la solubilité diffère également d’une manière progressive entre des limites très éloignées. En résumé, de même que des corps dépourvus de toute dissy- métrie dans l’arrangement atomique de leurs molécules, le quartz, le formiate de strontiane, le chlorate de soude, peuvent s’agréger de facon à avoir une structure cristalline et une forme hémiédriques, de même, inversement, des corps peuvent ne montrer ni structure ni forme hémiédriques et être pourtant constitués par des groupes moléculairement dissymétriques. Dans le cas du quartz, du formiate de strontiane et du chlorate de soude, nous nous représentons les molécules de silice, de formiate ou de chlorate se groupant au moment de leur cristallisation suivant des dispositions dissymétriques. L’édi- fice, c’est-à-dire le cristal, est lui-même alors dissymétrique, mais les matériaux qui ont servi à le construire ne le sont pas. Et ce qui le prouve, c'est que, dans la dissolution, lorsque le cristal n'existe plus, toute dissymétrie disparaît, et la recristallisation de cristaux de for- miate ou de chlorate, exclusivement droits ou exclusivement gauches, donne les deux sortes de cristaux droits et gauches. De même et inversement, dans les nouveaux produits que je viens de faire connaître, les chimistes et les physiciens verront sans doute des molécules individuellement dissymétriques (le pouvoir rotatoire de leur dissolution le manifeste) qui s’agrègent au moment de leur cristal- lisation par groupes secondaires, lesquels se disposent suivant les lois de la structure homoédrique, de telle manière que la forme et la structure de l'édifice ou du cristal n’offrent plus aucune dissymétrie. C’est ainsi, par exemple, que l’on pourrait figurer un cube ou toute autre forme homoédrique avec des tétraëdres irréguliers. Mais vient-on à détruire l'édifice par dissolution, les matériaux qui le composent manifestent leur dissymétrie individuelle dans leur action optique sur la lumière polarisée. ÉTUDES SUR LES MODES D'ACCROISSEMENT DES CRISTAUX ET SUR LES CAUSES DES VARIATIONS DE LEURS FORMES SECONDAIRES [EXTRAIT PAR L'AUTEUR] (‘) Bimalate d'ammoniaque. — Je ne rappellerai pas ici la forme des cristaux du bimalate d'ammoniaque. Ce sont des tables rectangulaires biselées sur leurs bords. La première partie de mes observations est relative au mode de travail et d’accroissement des cristaux, lorsque, après les avoir brisés de telle ou telle manière, on les remet à grandir dans leur eau mère. Ainsi j'abattais par clivage ou par usure à la lime un ou plusieurs biseaux, un ou plusieurs angles, et je replaçais le cristal dans son eau mère préalablement transportée dans une pièce voisine dont la température était inférieure de quelques degrés, afin qu'il y eût sur- saturation et cristallisation. Voici un premier résultat général : Quand un cristal a été brisé sur l’une quelconque de ses parties, et qu’on le replace dans son eau mère, en même temps qu'il s'agrandit dans tous les sens par un dépôt de particules cristallines, un travail très actif a lieu'sur la partie brisée ou déformée, et en quelques heures il a satisfait non seulement à la régularité du travail général, mais au rétablissement de la régularité dans la partie mutilée. Il est même souvent difficile de se défendre d’un sentiment de surprise, lorsque, peu de temps après, venant examiner le cristal, on le retrouve avec son aspect naturel, malgré les déformations quelquefois excessives qu'on lui avait fait subir. Beaucoup de personnes aimeront à rappro- cher ces faits curieux de ceux que présentent les êtres vivants lorsqu'on leur à fait une blessure plus ou moins profonde. La partie endommagée reprend peu à peu sa forme primitive, mais le travail de reformation des tissus est en cet endroit bien plus actif que dans les conditions normales ordinaires. Avant d'aller plus loin, je rappellerai que le bimalate d’ammo- niaque en solution dévie le plan de la lumière polarisée, et que les 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 27 octobre 1856, XLIIT, p. 795-798. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 19 290 ŒUVRES DE PASTEUR substances de cette nature ont une structure cristalline dissymétrique le plus ordinairement accusée par des faces hémiédriques. Néanmoins le bimalate d’ammoniaque ne m'a jamais montré de telles faces quand il avait pris naissance dans l’eau pure. Mais j'ai fait voir qu'il les possède constamment lorsqu'on le retire d’une eau mère qui renferme une petite quantité des produits de son altération par la chaleur. Il y a une telle incompatibilité, au moins apparente, entre une eau mère pure et les faces hémiédriques du bimalate, que celles-ci dispa- raissent très rapidement dans une telle eau, quand on y dépose un cristal qui les porte; et réciproquement, le cristal qui n’en a pas les prend aussitôt dans l’eau mère impure. Des considérations très simples, que l’espace qui m'est réservé n'oblige à passer sous silence, m'ont porté à croire que le rôle prin- cipal des matières étrangères serait d’altérer les rapports d’accroisse- ment des cristaux suivant leurs diverses dimensions. J’ai donc cherché s'il y avait une corrélation entre la variation dans les formes secon- daires et la variation dans les modes d’accroissement. A cet effet, je pris un cristal entier très régulier de bimalate d’ammoniaque non hémiédrique, et je le coupai en deux moitiés suivant un plan de clivage. L'une des moitiés fut placée dans une eau mère donnant l'hémiédrie, et l’autre moitié dans une eau mère pure qui ne la produit pas. Le lendemain matin, la première moitié portait tous ses biseaux et des faces hémiédriques sur chacun des quatre angles solides. L'autre moitié avait également ses biseaux, mais ne montrait aucune face hémiédrique, conformément aux résultats que j'ai précédemment exposés. Or voici la particularité remarquable de cette expérience. Le cristal sans faces hémiédriques était beaucoup plus large que lautre; celui-ci, au contraire, s'était allongé considérablement. Les conditions de la cristallisation avaient été exactement les mêmes. Pour confirmer et étudier ce fait avec plus de soin, je pris un certain nombre de cristaux de tailles très variables, et je mesurai leurs dimensions linéaires à la machine à diviser; puis je les fis s’accroître, les uns dans l’eau mère pure, les autres dans l’eau mère impure, et je les mesurai de nouveau avec toute la précision possible. J’acquis ainsi la certitude que, dans l’eau mère pure, l'accroissement en largeur dépasse un peu l'accroissement en longueur; tandis que dans l’eau mère impure qui modifie la forme secondaire, l'accroissement en longueur est considérablement plus grand que celui en largeur. Dès lors on peut se demander si l'influence des matières étrangères n'aurait pas pour conséquence immédiate de modifier les rapports d'accroissement des cristaux, suivant leurs diverses dimensions, par DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 2 © = les attractions moléculaires individuelles qu’elles apportent au sein de la liqueur; et le changement dans les formes secondaires serait le résultat des différences occasionnées dans les modes d’accroissement. Si cette présomption est fondée, il doit étre possible de modifier les formes secondaires d’un cristal en apportant un dérangement con- venable dans les lois de sa formation. Il n’y aurait pas, dans cette hypothèse, une incompatibilité réelle entre l’état d’une liqueur et la combinaison de formes simples qu'elle occasionne ; mais plutôt cette incompatibilité existerait entre les modes d’accroissement propres à la liqueur et telle ou telle forme secondaire déterminée. De telle manière qu’en troublant, par exemple, à l’aide d’un artifice convenable le mode d'accroissement du bimalate d’ammoniaque dans l’eau pure, on devrait pouvoir lui faire prendre des faces hémiédriques au sein même de cette liqueur qui jamais ne les donne dans les conditions normales. Or, si nous nous reportons aux expériences que j'ai indiquées tout à l'heure, relatives à l'agrandissement des cristaux brisés, il sera facile de reconnaître que c’est là un des moyens efficaces de changer les modes d’agrandissement des cristaux. Le travail sur les parties brisées est très actif, et le cristal revient promptement à la régularité, tout en satisfaisant aux exigences du travail général. C’est dire que le mode d’accroissement sur la partie malade est tout autre que sur les parties saines. Car le cristal ne peut aller, d’une irrégularité arbitraire à une régularité déterminée, par un travail ordinaire et régulier. Consé- quemment, nous devrions trouver sur ces cassures en voie de refor- mation des faces qui n'existent pas sur des cristaux réguliers ; et ces mêmes faces devraient disparaître dès que le cristal aurait repris sa régularité première. C’est précisément ce qui arrive. Que l’on brise profondément un angle de bimalate d’ammoniaque non hémiédrique, et qu'on place le cristal mutilé dans l’eau mère pure qui jamais ne donne l’hémiédrie; pendant tout le temps que se rétablira la cassure, on verra sur les diverses parties saillantes de celle-ci une ou plusieurs faces hémiédriques et d’autres faces secondaires qui n’ont pas ce caractère. Mais il n'y en aura plus trace une fois que l’angle sera rétabli, c’est- à-dire dès que celui-ci aura repris le mode d’accroissement normal propre à la liqueur pure. J'ai cherché à établir plus directement encore la corrélation du mode d’accroissement et de la nature des faces secondaires. Nous avons reconnu que dans l’eau mère impure le bimalate d’ammoniaque devient hémiédrique et s'accroît beaucoup plus en longueur qu’en largeur, tandis que dans l’eau mère pure, qui ne donne pas ou qui ôte l’hémiédrie, il s’accroit un peu plus en largeur qu’en longueur. Cela 292 ŒUVRES DE PASTEUR posé, dans une eau mère pure de bimalate, j'ai placé un cristal non hémiédrique sur les faces latérales duquel j'avais collé de petites bandes de papier métallique et dont j'avais abattu par clivage les biseaux supérieur et inférieur, double condition qui devrait rendre nul l'accroissement en largeur et très grand l’accroissement en longueur, et placer, par conséquent, le cristal dans la situation que fait naître la liqueur impure. Le lendemain, le cristal avait repris sa régularité, et les faces hémiédriques étaient accusées sur les quatre angles solides. Cette expérience très démonstrative est délicate. Elle mérite d’être suivie avec beaucoup de soin, et il faut en quelque sorte prendre sur le fait la naissance des petites faces hémiédriques. On ne peut méconnaître que toutes ces expériences paraissent appuyer fortement l’idée d’une étroite dépendance entre les modes d'accroissement des cristaux et la nature de leurs formes secondaires. Formiate de strontiane. — J'ai essayé d'appliquer ces résultats à la solution d’une question très intéressante liée à l’histoire cristallogra- phique du quartz, ce minéral extraordinaire. Plusieurs années avant les observations de M. Marbach sur le chlorate de soude, j'avais découvert un corps qui offrait avec le quartz les plus grandes analogies de propriétés physiques et cristallographiques. C’est le formiate de strontiane. La cristallisation du quartz offre, en effet, des difficultés de plus d’un genre et principalement en ce qui touche à la loi de corrélation de la dissymétrie moléculaire et de l’hémiédrie. 1°. Une foule de cristaux de quartz ne portent pas de faces pla- gièdres ; 2°. On trouve des échantillons où certains angles portent des faces plagièdres à droite, d’autres angles des faces plagièdres à gauche ; 3. Il y a des échantillons qui, sur un même angle, montrent les deux sortes de faces. J'ai cherché à établir que ce n'étaient là que des accidents de cristallisation ; mais le quartz ne pouvant se prêter à des dissolutions ou à des cristallisations variées, je pensai que la question serait en grande partie résolue en prenant dans le formiate de strontiane les anomalies mêmes du quartz et prouvant que dans ce sel elles ne sont en effet que des accidents. C’est ce que j'ai fait en m'aidant des résultats et des moyens généraux d’expérimentation précédemment exposés. Nota. — J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Académie une série de beaux échantillons de cristaux soigneusement classés et étiquetés, qui démontrent l'exactitude des faits que je viens de lui soumettre. ÉTUDES SUR LES MODES D'ACCROISSEMENT DES CRISTAUX ET SUR LES CAUSES DES VARIATIONS DE LEURS FORMES SECONDAIRES (1!) INTRODUCTION (2). Tout le monde sait qu'un même corps peut affecter plusieurs formes cristallines distinctes : telle substance qui cristallise en cube offrira la forme de l’octaèdre régulier, du dodécaèdre rhomboïdal; telle autre qui se montre en rhomboëdre se trouvera également en scalé- noëèdre, en prisme hexagonal régulier... D'ailleurs les genres et les variétés de formes que présente une même substance sont liés entre eux par des lois fort simples qui résument toute la science des formes cristallines : la loi de symétrie d’une part, découverte par Romé de Lisle, mais précisée et agrandie par Haüy, et la loi de dérivation des faces dont tout l'honneur revient à ce dernier, bien qu’elle eût été préparée par les observations de Gahn sur le clivage du spath d'Islande et la manière dont Bergman rendit compte de la structure du scalénoèdre métastatique, en partant des observations de son élève (3). 1. Annales de chimie et de physique, 8° sér., XLIX, 1857, p. 5-31 (8 fig.). 2. Ayant appris par les Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 13 octobre 1856, XLIII, p. 705-706 (Note de M. Biot), que M. Marbach, de Breslau, s’occupait de recherches analogues à celles que je poursuis déjà depuis longtemps sur les variations des formes des cristaux, je me suis empressé de venir communiquer mes résultats à l’Académie, afin de con- server à mes études leur indépendance et à moi-même le droit de les continuer. 3. Voir la deuxième et dernière édition de la « Cristallographie » de Romé de Lisle, Paris, 1783. Voir également la traduction du Mémoire de Bergman, insérée dans le Journal de physique de 1792. Ce travail de Bergman a paru dans les Actes d'Upsal de 1779. Haüy en avait connaissance depuis le moment où il commença à se livrer à l'étude de la structure des cristaux. Voir le premier Mémoire d'Haüy sur les grenats (1781) et son « Essai d’une théorie sur la structure des cristaux... » (1783-1784). (Note de Pasteur.) Romé DE Lisce (J.-B.-L. de). Cristallographie. Paris, 1783, Didot jeune, 4 vol. in-8o. BERGMaAN. De la forme des cristaux et principalement de ceux qui viennent du spath. (Traduction de M. de Morveau). Journal de physique, XL, 1792, p. 258-270. — Vorr, à la fin du présent volume, parmi les pages inédites, la « Note historique sur la part qui revient à Romé de Lisle, Bergman et Haüy dans la découverte des lois fondamentales de la cristallographie ». Haüy (R.-J.). Extrait d'un mémoire sur la structure des cristaux de grenat. (Présenté à l'Académie royale des sciences, le 21 février 1781.) Journal de physique, XIX, 1782, p. 366- 10 (5 fig.), et Essai d'une théorie sur la structure des cristaux appliquée à plusieurs genres de substances cristallisées. Paris, 1784, Gogué et Née de la Rochelle, in-12 (8 pl. avec 91 fig.). [Note de l'Édition.] ; 29% ŒUVRES DE PASTEUR Mais sous quelles influences voit-on naître ces diverses formes cristallines d’un même corps ? Quelle est la véritable cause des varia- tons des formes secondaires ? Ce problème a toujours beaucoup préoc- cupé les minéralogistes. L'étude des minéraux naturels prouva depuis longtemps que la principale cause des variations des formes secon- daires était provoquée par la nature des substances qui avaient été présentes au moment de la cristallisation. Ainsi l’on avait reconnu que les cristaux d’une même localité offraient généralement des formes semblables, distinctes de celles que l’on trouvait, pour le même corps, dans des conditions géologiques différentes ; et le plus ordinairement, là où les gisements étaient analogues, les formes d’une même espèce minérale se ressemblaient, quoique l’époque de formation et la position géographique fussent quelquefois très éloignées. Certaines observa- tions de laboratoire confirmaient ces résultats dans ce qu'ils avaient de plus caractéristique. On savait, par exemple, que le sel marin cristallisé dans l’eau pure était cubique, et que celui qui se formait dans l’urine était en octaèdres réguliers. C’est à ma connaissance le premier exemple d’une substance de laboratoire capable d’être mo- difiée dans sa forme, à la volonté de l'opérateur, par l'influence de corps étrangers mêlés à sa dissolution (1). Le Blanc agrandit beaucoup le champ des observations sur les cristaux artificiels, et prouva de la manière la plus évidente l'influence des substances présentes dans la dissolution, pour modifier les genres de formes des cristaux d’un même corps. C’est lui qui reconnut que, pour avoir des cristaux cubiques d’alun, il faut que la liqueur renferme de l’alumine en excès, et que si dans l’eau mère qui donne des cristaux cubiques on place un cristal d’alun sous la forme de l’octaèdre, celui-ci passe peu à peu en grandissant à la forme du cube (?). M. Beudant (3) confirma et multiplia les expériences à la manière de Le Blanc . Bien souvent depuis, les chimistes ont pu se convaincre 1. Voir la Cristallographie de Romé pe Lusce, Paris, 1783; et le Mémoire de Fourcroy et VAUQUELIN, Annales de chimie, tome XXXII, an VIII, p. 80-162. (Note de Pasteur.) Il existe deux mémoires de Foureroy et Vauquelin sur l'urine humaine : — Extrait du pre- mier mémoire des citoyens Foureroy et Vauquelin pour servir à l'histoire naturelle chimique et médicale de l'urine humaine. Annales de chimie, XXXI, an VII, p. 48-71. — 2% mémoire pour servir à l'histoire naturelle chimique et médicale de l'urine humaine, dans lequel on s'occupe spécialement des propriétés de la matière particulière qui la caractérise. Annales de chimie, XXXII, an VIII, p. 80-162. (Note de l'Édition.) 2. Le Braxc. Extrait d'un mémoire qui a pour titre : Observations générales sur les phénomènes de la cristallisation. Journal de physique, XXXIII, 1788, p. 374-379. 3. Beupaxr. Recherches sur les causes qui déterminent les variations des formes cristal- lines d’une même substance minérale Annales des mines, LIT, 1818, p. 299-274. SR t2 ex DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE que la présence des matières étrangères avait une influence marquée sur la forme cristalline des corps. J'en ai donné moi-même plusieurs exemples dans un travail où j'avais intérêt à faire naître de nouvelles faces déterminées sur di- verses espèces de cristaux (1). Tout ce que nous savons sur les variations des formes secon- daires se borne aux faits que je viens de rappeler. J'ai essayé d'éclairer ces questions difficiles par des études nouvelles. Je vais exposer les résultats auxquels j'ai été conduit par l'examen minutieux des cristallisations de bimalate d’ammoniaque et de formiate de strontiane. Bimalate d'ammoniaque. Le bimalate d’ammoniaque ordinaire, c’est-à-dire actif sur la lumière polarisée, appartient au système du prisme droit à base rhombe; sa forme la plus habituelle lorsqu'il a pris naissance, aux températures ordinaires, dans leau pure saturée de ce sel, est indiquée dans la figure projetée (fig. 1. À B Fic. 1. Fi. 2. Nota. J'appellerai longueur du cristal le côté AC et largeur le côté AB. On trouve en même temps des cristaux (fig. 2) chez lesquels le biseau supérieur et inférieur est double ; souvent même ces faces de biseau sont striées par la formation alternative et successive des faces de l’un et de l’autre biseau. Ces stries ne se montrent jamais sur les biseaux latéraux. Il y a un clivage un peu fibreux, mais très facile, parallèlement aux arêtes horizontales des figures, et par conséquent aux arêtes des faces des biseaux multiples. Ce clivage est souvent 1. Pasreur. Nouvelles recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le phénomène rotatoire moléculaire. Annales de chimie et de physique, 3 sér., XXXVIII, 1853, p. 437-483. [Voir p. 203-241 du présent volume.] 296 ŒUVRES DE PASTEUR annoncé par des stries ou des plans de séparation intérieurs (1). Le rapport des dimensions des arêtes horizontales et verticales est très variable. Certains cristaux sont plus longs que larges ; c'est l'inverse pour d’autres. L’épaisseur est relativement petite, ce qui donne aux cristaux l'aspect de tables rectangulaires. Voici les angles et les notations dans le système Miller, adopté et introduit en France par M. de Senarmont : NOTATION DES FACES PAM 1250388! L : L — 104,30 M— (110) L— (011) R — (012) P — (010). Les valeurs des axes sont : b—1, a—0,7170, c—0,7743 (?). 1. Pour obtenir de beaux cristaux de bimalate d'ammoniaque, il faut placer la dissolution dans un cristallisoir de verre à fond plat, et employer assez d'eau pour que la cristallisation ne donne qu'un petit nombre de cristaux à la fois. Les cristaux seront d'autant plus volumi- neux que l'on aura opéré sur une plus grande quantité de matière. Pourtant avec une centaine de grammes de sel en dissolution on peut se procurer des cristaux complets de plusieurs milli- mètres en longueur et en largeur, et d’une limpidité parfaite. 2. L'étude de la forme du bimalate d’ammoniaque est difficile. Les remarques suivantes ne seront pas sans utilité. J'ai trouvé que l'angle M : M variait dans des limites étroites, de l'ordre de celles des mesures. Il n’en est pas de même des angles des biseaux parallèles au clivage. Dans les cris- taux non hémiédriques, plus longs que larges, L : L est le plus souvent égal à 103°,22!. Dans les cristaux limpides, plus larges que longs, L : L est égal à 1040,30!. Les cristaux hémi- édriques portent ces deux angles indifféremment. Ce sont les circonstances les plus habi- tuelles. Je me suis assuré que les faces de ces deux biseaux d'espèce différente faisaient respec- tivement des angles égaux avec les faces P. Cette précaution ne doit pas être négligée, parce qu'il peut arriver qu'un biseau résulte de l'intersection de deux faces de signes différents. Ainsi j'ai trouvé des biseaux de l'angle de 1060,22'; mais les deux faces de ces biseaux étaient inégalement inclinées sur les faces P. L'une d'elles faisait un angle de 1280,20' avec la face P adjacente, et l'autre un angle de 125°,20', angle à peu près égal à celui de la face M avec la face P. Les faces R donnent lieu à des observations du même genre. Voici un fait qui prouve bien que ces variations dans les angles des biseaux LL et RR sont dues à des faces particu- lières. Sur certains cristaux on les trouve réunies. Voici le profil et les angles d'un cristal qui portait les faces suivantes : P : L!— 128020! P:D =—=127,45 P : R'—111, 5 £ P:R —112,2 J'ai pris pour calculer les axes les faces M qui se coupent sous les angles 1080,43! et 719,17/, el les faces L qui se coupent sous les angles 104,80! et 750,30". Ces faces doivent être préférées parce que, des valeurs d'axes qu’elles fournissent, on déduit par le calcul R : R ou (012) : (012) — 137,40 qui est très sensiblement l'un des angles observés, tandis qu'en partant des valeurs d'axes données par les faces L'L/ qui se coupent sous les angles 103°,22 et 760,38 on obtient (012) : (012) — 136,54! qui ne répond à aucun des angles mesurés directement. On trouve en outre que À — (111)fait avec M un angle de 1420,54! qui est l'angle observé; en d'autres termes, DL ONE Se À DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 297 Ces cristaux peuvent porter des faces hémiédriques; mais jy reviendrai tout à l'heure. Mes premières observations ont eu pour but de suivre le mode de travail et d’accroissement des cristaux, lorsque, après les avoir brisés de telle ou telle manière, on les replaçait dans leur eau mère. I. Si l’on brise un cristal suivant un plan de clivage (fig. 3), et qu'on le replace dans son eau mère, préalablement transportée dans une pièce voisine dont la température soit inférieure de quelques degrés, afin qu'il y ait sursaturation et cristallisation à la nouvelle température, on voit un biseau se reformer avec une grande rapidité. Souvent déjà en quelques minutes il sera nettement accusé; et même j'ai cru remarquer qu'en laissant l’eau mère Be. à la température où elle se trouvait, le travail de refor- mation d’un biseau était manifeste au bout d’un temps assez court. Les nouvelles faces sont très planes, brillantes; la portion de cristal rétablie est limpide si le travail a été suffisamment lent; un peu nuageuse, surtout à la surface de séparation des parties anciennes et nouvelles, si le travail a été trop rapide (1). Il est bon dans ces expériences de se servir d’une eau mère décantée et de n'y placer que quelques cristaux où même un seul en expérience. Le travail peut être suivi à l’aide d’un microscope d’un faible grossissement. On place le cristal sur une lame de verre aux bords de laquelle on a collé d’autres lames longues et étroites, formant carré, de manière à faire une petite cuve. La cuve étant remplie d’eau mère et contenant le cristal, on la recouvre d’une autre lame de verre pour empêcher l’évaporation trop rapide et afin que lobser- vation ne soit pas génée par les courbures de la surface de niveau. On peut suivre le travail sur les gros cristaux en les retirant de temps à autre de leur eau mère et les examinant à la loupe. les arêtes d'intersection de la face hémiédrique À avec les faces M et L sont respectivement perpendiculaires aux arêtes des biseaux MM et LL. M. Nrexrës a publié dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, XXNII, 1848, p. 270-272, une Note intitulée: « Sur une cause de variations dans les angles des cristaux artificiels », dans laquelle il attribue les différences données par l'observation dans la mesure des angles du bimalate d'ammoniaque à des variations réelles dans les angles de faces déter- minées. Je pense qu'il a pu être trompé par les particularités que je signale dans la forme «ristalline de ce sel. 1. Je reviendrai, dans un travail spécial sur les cristaux nuageux, sur l'influence des corps en suspension dans la liqueur, et la manière dont le cristal emprisonne dans sa masse des substances étrangères. J'essayerai alors de rendre compte des principaux phénomènes de cristallisation dont parle M. pe SENARMONT dans son beau travail sur le polychroïsme [Expé- riences sur la production artificielle du polychroïsme dans les substances cristallisées], Annales de chimie et de physique, 3° sér., XLI, 1854, p. 319-336. 298 ŒUVRES DE PASTEUR Voici comment le biseau se rétablit : la face de clivage montre presque immédiatement les faces du biseau sur ses bords, ce qui annonce un développement correspondant en hauteur perpendicu- lairement au clivage. Ce dernier accroissement peut être manifesté et mesuré au microscope par l’empiétement de la projection de la face de rupture sur les lignes de division d’un micromètre introduit dans le microscope. Un peu plus tard, la face horizontale a diminué et les faces latérales du biseau se sont agrandies ; puis elles se rejoignent : le biseau est reformé. À partir de ce moment où tout est redevenu régulier, le travail, qui jusque-là avait été d’une rapidité exagérée sur la partie déformée, devient proportionnellement le même que sur le reste du cristal. Je dois ajouter que la face de rupture, qui est d’abord plane puisqu'elle est produite par clivage, ne reste pas constamment plane. Le plus ordinairement elle est couverte de stries provenant de la juxtaposition d’une foule de petits biseaux très surbaissés que l’on distingue à la loupe. II. Les choses se passent de la même manière lorsque l’on abat un biseau latéral par une face normale à P, et artificiellement obtenue par usure à la lime ou autrement, car il n’y a pas de clivage dans ce sens. Le biseau se reforme encore avec une rapidité surprenante, et, à part la production des stries, les choses se passent à peu de chose près comme dans le premier cas. III. J'ai usé les angles solides des cristaux, ensemble ou sépa- rément, et toujours après quelques heures de nouvel accroissement dans leur eau mère, ils avaient repris leur forme et leur régularité. Il est même souvent difficile de se défendre d’un sentiment de surprise lorsqu'on revient, après quelques heures, examiner le cristal et qu'on le retrouve avec son aspect naturel, malgré les déformations quelquefois excessives qu’on lui avait fait subir. IV. Enfin j'ai brisé des cristaux comme l'indique la figure 4. Le cristal s’est encore rétabli avec une très grande facilité, et, dans beaucoup de cas, c’est à peine si un léger nuage annonçait la trace des fractures ou de l'usure à la lime. J'ai suivi le travail de refor- mation du cristal dans ce dernier cas comme dans tous les autres. Voici ce qui a lieu. Sur ab, perpendiculaire au clivage, un biseau se forme à peu près comme dans le deuxième cas, et ce biseau s’avance progressivement-en restant parallèle à lui-même. Sur ac les choses se passent différemment : on voit partir de ac des lames qui s’avancent par des bords irréguliers, laissant entre elles des vides et se reliant au biseau sans règles déterminées, souvent par des lignes courbes fig. 4 bis). Ces lames grandissent peu à peu, et la régularité s’établit DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 299 à la fin lorsque les dernières traces de la blessure vont disparaître. Il résulte de l’ensemble de ces observations que quand un cristal a été brisé sur l’une quelconque de ses parties, et qu’on le replace dans son eau mère, en même temps qu'il s'agrandit dans tous les sens par un dépôt de particules cristallines, un travail très actif a lieu sur la partie brisée ou déformée; et en quelques heures il a Fr. 4. Frc. 4 bis. satisfait non seulement à la régularité du travail général sur toutes les parties du cristal, mais au rétablissement de la régularité dans la partie mutilée. Afin d’avoir une idée plus précise du mode d’accroissement suivant les divers sens, je prenais les longueurs de certaines arêtes du cristal à la machine à diviser, avant et après le travail de reformation. Je ne rapporte pas ces mesures qui n’ajou- teraient rien au fait général que je viens de signaler. Beaucoup de personnes aimeront à rapprocher ces faits curieux de ceux que présentent les êtres vivants lorsqu'on leur a fait une blessure plus ou moins profonde. La partie endommagée reprend peu à peu sa forme primitive, mais le travail de reformation des tissus est, en cet endroit, bien plus actif que dans les conditions normales ordinaires. Avant d'exposer différentes particularités des expériences qui précèdent et les autres observations que j'ai faites sur les cristaux de bimalate d’ammoniaque, je rappellerai que ce sel en dissolution dévie le plan de la lumière polarisée. J’ai établi que les substances de cette nature avaient une structure cristalline dissymétrique, le plus ordinairement accusée par des faces hémiédriques. Or le bimalate d’ammoniaque ne porte jamais de telles faces lorsqu'il s’est formé dans l’eau pure. J'ai observé des milliers de cristaux de cette substance qui avaient pris naissance dans les conditions les plus diverses. J’ai fait voir d'autre part que cette combinaison offre constamment des faces hémiédriques quand on la retire d’une eau mère qui renferme une petite quantité des produits d’altération par la chaleur de ce même bimalate d’ammoniaque. Les cristaux ont alors les formes figure 5 et figure 6. Le plus ordinairement, il n'existe 300 ŒUVRES DE PASTEUR qu’une face hémiédrique et deux biseaux. Dans des cas plus rares on trouve des cristaux avec deux faces hémiédriques et un seul biseau. Les faces hémiédriques sont quelquefois courbes : D'autre part, voici des observations faciles à reproduire. Si l’on fait agrandir des cristaux hémiédriques dans l’eau mère pure qui jamais n'en donne, ils ne tardent pas à perdre toutes leurs faces hémiédriques. Celles-ci sont comme une irrégularité artificielle ; elles deviennent rugueuses, chargées de parties saillantes et de parties creuses, et finissent par disparaître. La même chose arrive si l’on pratique artificiellement, par usure à la lime ou d'une autre manière, une face hémiédrique sur un cristal ordinaire et qu'on le place ensuite dans une eau mère pure. Inversement, si l'on trans- SRE L NE eo h — à FiG. 5. Fi. 6. porte dans la liqueur qui donne l'hémiédrie des cristaux formés dans l’eau pure, ceux-ci prennent peu à peu des facettes hémi- édriques nettement accusées; et si l’on a pratiqué sur eux, à la lime, des faces hémiédriques artificielles, elles se conservent et deviennent naturelles. Ces faits sont assurément très curieux; mais quelle est leur cause? Qu'est-ce qui provoque ainsi l'apparition ou la disparition des faces hémiédriques et des faces secondaires en général? Nul doute qu’elle soit due à l'existence, dans un cas, à l'absence, dans l’autre, de certaines substances qui se forment, sous l'influence de la chaleur, par un commencement de décomposition du sel, ainsi que je l’ai expliqué ailleurs (!. Mais d’où vient que ces matières étrangères aient une telle 1. Pasreur. Nouvelles recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique, et le phénomène rotatoire moléculaire. Annales de chimie et de physique, 3° sér., XXX VIII, 1853, p. 437-483, et p. 203-241 du présent volume. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 301 influence? Comment agissent-elles sur les particules salines au mo- ment de leur agrégation ? Une considération très simple n'a porté à croire que l’une des causes possibles des phénomènes observés, c’est-à-dire des variations des formes secondaires des cristaux, se trouverait dans les différences que les matières étrangères seraient susceptibles d’occasionner sur les rapports d’accroissement des cristaux suivant leurs diverses dimen- sions. Réfléchissons à ce qui a lieu lorsqu'on enlève un biseau sur les cristaux de bimalate par clivage ou usure à la lime, et qu'on les replace dans leur eau mère. Nous avons vu que sur les bords de la face de clivage on voyait naître les faces du biseau qui, par leur dévelop- pement progressif, faisaient disparaître peu à peu la face de clivage. En d’autres termes, perpendiculairement à cette face, le dépôt de particules est rapide; il Pest beaucoup moins dans le sens latéral. Or, il me paraît évident que cette face de clivage ne pourrait persister, comme face du cristal, avec un tel mode d’accroissement exagéré perpendiculairement à sa direction, combiné avec les faces du biseau sur ses bords, bien qu'en définitive cette face soit possible dans le système général des modifications du cristal. Je ne préjuge rien sur les rapports réels d’accroissement des cristaux réguliers de bimalate d’ammoniaque dans l’eau pure. Je fais remarquer seulement d’une manière générale que, si dans un cristal quelconque, les accroisse- ments dans divers sens étaient dans leurs proportions tels que nous les voyons dans le bimalate auquel on a abattu l’un de ses biseaux, la face tangente à l’arête de ce biseau ne pourrait exister comme face du cristal, bien qu'elle soit l’une des faces de la série des formes secondaires. Je pense donc que, dans l'étude des causes des variations des formes secondaires, il faut tenir compte du mode d’accroissement suivant les divers sens. Ce point de vue tout nouveau ne manque pas d’ailleurs d’analogie avec les idées d’'Haüy sur la structure des cristaux. Mais je veux rester dans le domaine des faits. J'ai donc cherché s’il y avait une corrélation entre la variation dans les formes secondaires et la variation dans les modes d’accroissement. J'ai pris un cristal entier, très régulier, de bimalate d’ammoniaque non hémiédrique, et je l’ai coupé en deux moitiés suivant un plan de clivage. L'une de ces moitiés a été placée dans une eau mère donnant l’'hémiédrie, l’autre moitié dans une eau mère pure qui ne la produit pas. Le lendemain matin, la première moitié portait tous ses biseaux et des faces hémiédriques sur chacun des quatre angles solides; l’autre moitié avait également ses biseaux, mais ne portait aucune face hémié- drique, conformément aux résultats que j'ai précédemment exposés. 302 ŒUVRES DE PASTEUR Or voici la particularité remarquable de cette expérience : le cristal sans face hémiédrique était beaucoup plus large que l’autre; celui-ci, au contraire, S’était allongé considérablement. Les conditions de la cristal- lisation avaient été les mêmes : les cristallisoirs étaient pareils, lun près de l’autre, sur la même table, et les cristaux avaient été placés et retirés en même temps. Ce fait méritait d'être confirmé et étudié avec plus de soin. Les mesures suivantes prouveront sans contestation possible qu'un cristal de bimalate d’ammoniaque s'accroît beaucoup plus en longueur qu’en largeur dans l’eau mère qui donne l’hémiédrie, tandis qu'il s’agrandit un peu plus en largeur qu'en longueur dans l’eau mère pure où les faces hémiédriques nous ont paru jusqu’à présent impossibles. Soient toujours AB et AC (fig. 1) la largeur et la longueur des cristaux de bimalate; AB parallèle au clivage. J'ai placé dans une eau mère pure, saturée à 10°, plusieurs cristaux de bimalate d’ammoniaque, limpides, complets, d’une régularité et d’une beauté qui ne laissaient rien à désirer: ces cristaux, mesurés à la machine à diviser, avaient les dimensions suivantes : millim. Re ce mb 20 AC—5,692 Ibis Sn ee CAB 07820 AC— 4,240 TMS LENS MAR == 112:0 AC—4,344 IV sat CAD DURE > AC—-HAS7/0; Les trois premiers cristaux étaient donc plus longs que larges, et le cristal IV plus large que long. L'eau mère pure contenant les cristaux a été placée dans une pièce voisine, d’une température de quelques degrés plus basse que celle où s'était formée la liqueur saturée, puis recouverte d’un papier. Au bout de cinq ou six heures on retira les cristaux, et, après les avoir essuyés, on les mesura de nouveau. Ils étaient restés limpides, aucun cristal ne s'était déposé à côté d'eux ni à leur surface; leur accroissement avait été tout à fait libre. Malheu- reusement il arrive toujours dans ces expériences que l’arête du biseau latéral se courbe un peu, elle se renfle vers son milieu, et les nouvelles mesures manquent de rigueur. J'ai pris la moyenne des largeurs des extrémités et du milieu du cristal; mais la cause d'erreur que je signale ne peut influer en rien sur le sens du résultat que j'avais en vue. Voici les nouvelles mesures : DISSYMËTRIE MOLÉCULAIRE 303 millim. MO DURE ol A SET) AC=— 6,030 TL PME ENS 380 AC — 4,610 ITS PNR AB AE 680 AC— 1092 IV A CP AB EE 5: 020 AG==2;210; Il résulte de ces mesures comparées aûx premières que les accrois- sements en largeur el en longueur ont été : millim. DRE EE HE 02510 0,338 AS PE TU CRE 27 0,380 NOR CPU 7 0 0 5AD 0,308 INA Dr Aer tD5 76 0,470. L'accroissement en largeur a donc, dans tous les cas, dépassé l'accroissement en longueur. Il est à regretter que l'incertitude qui règne sur la mesure de la largeur ne permette pas de tirer, de la comparaison des résultats numériques, les utiles conséquences qu’elles renferment. Quoi qu'il en soit, et telles qu’elles sont, elles prouvent que dans l’eau pure l'accroissement en largeur surpasse l’accroisse- ment en longueur; elles tendent aussi à établir que des cristaux de dimensions linéaires très diverses, mis à grandir dans une eau mère, ont des modes d’accroissement peu différents, et il y a tout lieu de croire qu'ils seraient plus voisins encore si les mesures, dans le cas particulier du bimalate, ne comportaient pas des difficultés et des erreurs, malgré la beauté admirable des cristaux qui m'ont servi. Il y a là une question importante sur laquelle je reviendrai. Il faudra aussi disposer les expériences de manière à pouvoir étudier l'accroissement suivant l'épaisseur. Voici maintenant les résultats obtenus, dans des essais séparés, sur deux cristaux déposés dans une eau mère qui donnait l’hémiédrie : millim. NV R Er L LIENB —1:612 AC— 5,094 NRC en AB)": 597 A5 1402; ©2 (=) rs ŒUVRES DE PASTEUR Après quelques heures ils avaient pris les dimensions suivantes : millim. A UN LE AC— 6,134 VI: ARE RENE EPS AC —6,500. Les accroissements en largeur ont donc été 0,114, 0,134, et les accroissements en longueur 1,040 et 1,398. L’accroissement en lon- œueur, loin d’être inférieur à celui en largeur, comme dans le cas de l'eau mere pure, a été environ dix fois plus grand (1). En résumé, limpureté de l’eau mère qui provient du bimalate chauffé ne provoque pas seulement la naissance de faces secondaires nouvelles, mais aussi un accroissement exagéré en longueur. J’ai lieu de croire que l'accroissement suivant l'épaisseur a également changé. Mes observations sur ce point sont incomplètes; je ne les rapporte pas. Cela posé, il est naturel de se faire la question suivante : Ces deux phénomènes, savoir la variation dans les formes secondaires et les variations dans les modes d’accroissement, sont-ils les effets d’une même cause inconnue; ou bien sont-ils déjà liés entre eux comme un effet l’est à sa cause? En d’autres termes, l'influence des matières étrangères n'aurait-elle pas pour conséquence immédiate de modifier les rapports d’'accroissement des cristaux, suivant leurs diverses dimensions, par les attractions moléculaires individuelles qu'elles apportent au sein de la liqueur: attractions, sans nul doute, très faibles si on les compare à celles des molécules similaires entre elles, mais suffisantes pour altérer les valeurs respectives des forces qui réunissent ces molécules par leurs parties homologues, au moment de l'arrangement cristallin. L'individualité d’un cristal ne réside pas dans sa matière propre avec sa forme visible et tangible; elle est tout entière dans la molé- cule chimique et dans les lois des distances des molécules chimiques identiques. Mais à côté de ces choses qui, par elles seules, constituent le corps cristallisé avec sa forme primitive, il faut considérer les rapports des nombres de molécules qui, dans des temps égaux, se juxtaposent selon les diverses dimensions linéaires. La part qui revient à la composition chimique et aux lois des distances mutuelles 1. Dans un nouveau travail je m'occuperai de la variation apportée dans le mode d'accrois- sement par la quantité plus ou moins grande, au sein de la liqueur, de ces matières étrangères qui ont la propriété de provoquer l'hémiédrie du bimalate d'ammoniaque. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 305 des molécules dans l’ensemble des propriétés du cristal est assuré- ment considérable et prépondérante, mais on ne doit pas négliger les manifestations phénoménales qui peuvent être dues aux rapports des nombres de molécules déposées dans des temps égaux, selon les divers sens. C’est là un point de vue qui m'a paru très digne d’être poursuivi par l'expérience. En définitive, si les présomptions qui me guident ont quelque ‘valeur, il doit être possible de modifier les formes secondaires d’un cristal en apportant quelque dérangement dans ses modes d’accrois- ment suivant ses diverses dimensions. Or, si nous nous reportons aux premières expériences que j'ai indiquées au commencement de ce Mémoire, et relatives à l'agrandissement des cristaux brisés, il sera facile de reconnaître que c’est là un des moyens efficaces que l’on peut mettre en pratique pour modifier les modes d’accroissement des cristaux. Nous avons vu que, dans tous les cas, le travail sur les parties brisées ou déformées était très actif, que le cristal reprenait très vite sa régularité; cet effet ne peut évidemment se produire qu'autant que le mode d’accroissement sur la partie malade sera tout autre que sur les parties saines. Conséquemment nous devrions trouver sur ces brisures en voie de reformation des faces quin’existent pas sur les cristaux réguliers, et ces mêmes faces devront disparaître dès que le cristal aura repris sa régularité première, celle qui est compatible avec la nature de l’eau mère. C’est précisément ce qui arrive. Ainsi jamais, comme je l’ai déjà dit, le bimalate d’ammoniaque ne présente de faces hémiédriques lorsqu'il a cristallisé dans Peau pure. Il n'en prend pas davantage si, après l'avoir retiré de son eau mère, on l'y replace pour qu'il s'y agrandisse de nouveau. Mais qu'on le brise profondément sur un angle et qu’on le place dans une eau mère pure, on verra presque toujours sur la cassure en voie de rétablissement, sur les bords de telle ou telle partie saillante, soit des faces hémiédriques, soit même des faces tangentes aux angles solides, que n'offre dans aucun cas une cristallisation ordinaire; mais toutes ces faces disparaissent dès que le cristal a repris sa régularité où son mode d’accroissement ordinaire, propre à l’eau mère sur laquelle on opère. Dans ces expériences, il y a indépendance complète entre les di- verses parties du cristal. Ce qui se passe sur un point n'a pas de rapport avec ce qui a lieu sur des parties semblables, mais éloignées. Tout paraît dépendre des conditions locales d’accroissement. Ainsi je possède un cristal que j'ai fait agrandir dans une eau mère pure, après l’avoir usé à la lime et par dissolution, de manière à le transformer en DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE, 20 306 ŒUVRES DE PASTEUR une sorte de petite boule assez irrégulière. Il est redevenu très régulier; mais l'ayant retiré dès que je me fus aperçu de cette régu- larité et du rétablissement de toutes ses parties, il offre sur l’un de ses angles une belle face hémiédrique. Aucun autre angle n’en porte, et assurément si je l'avais laissé grandir encore pendant quelque temps dans la même liqueur, il aurait perdu cette face. Celle-ci n’était que l'effet du genre particulier de travail et d’accroissement sur l’angle en question, et dépendant du mode d’irrégularité que j'avais déterminé en cet endroit. Bien que ces faits paraissent appuyer l’idée générale que jai énoncée, et sur la valeur de laquelle je cherche à n'éclairer, il était à désirer que des expériences fussent établies de manière à montrer plus directement la corrélation du mode d’accroissement et de la nature des faces secondaires. Or, nous avons reconnu qu'un cristal de bimalate, déposé dans une eau mère impure où il devient hémiédrique immédiatement, s’accroissait considérablement plus en largeur qu’en longueur, tandis que, s’il était déposé dans l’eau mère pure qui ne donne pas ou qui ôte l’hémiédrie, il s’accroissait au contraire un peu plus en largeur qu’en longueur. Si le mode d’accroissement est ici corrélatif de la variation de la forme, on doit pouvoir provoquer l’hémi- édrie avec l’eau mère pure qui ne la donne jamais dans les conditions normales, en empéchant le cristal de s’accroître latéralement, et en provoquant, au contraire, un agrandissement anormal en longueur. A cet effet, j'ai déposé, dans une eau mère pure de bimalate, un cristal non hémiédrique, sur les faces latérales duquel j'avais collé de petites bandes de papier métallique, et dont j'avais abattu par clivage les biseaux supérieur et inférieur, double condition qui devait rendre nul l'accroissement en largeur et très grand l’accroissement en longueur, et placer par conséquent le cristal dans la situation que fait naître l’eau mère impure. Le lendemain, le cristal avait repris sa régularité, et les faces hémiédriques étaient accusées sur les quatre angles solides. Si le papier métallique n’est placé que d’un côté, les faces hémiédriques ne se produisent également que de ce côté. J’ai répété plusieurs fois cette expérience avec succès. Néanmoins elle mérite d’être suivie avec beaucoup de soin, et il faut en quelque sorte prendre sur le fait la naissance des petites faces hémiédriques. Si l’on tarde trop à examiner le cristal, ou si la liqueur n’est pas dans de bonnes conditions de cristallisation, on pourra ne pas obtenir la production de l’hémiédrie. Il peut arriver, par exemple, que le cristal, en grandissant, dépasse le papier métallique et commence à le recouvrir, ou que celui-ci se décolle par la pression d’un dépôt de particules Rd DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 307 au-dessous de lui, dans certains vides laissés sur ses bords. Dans tous ces cas les faces nouvelles n'apparaissent pas. Il est bon quelquefois de faire un peu déborder le cristal par le papier vers les extrémités. En présence de tous ces faits, il est difficile de méconnaitre que l'un des principaux rôles des matières dissoutes ou en suspension dans la liqueur au moment de la cristallisation pourrait être d’altérer les rapports d’accroissement des cristaux suivant leurs trois dimen- sions ; ce serait un effet plutôt physique que chimique. Les rapports d'attractions mutuelles des molécules salines, suivant leurs différents côtés, seraient changés, et les nouveaux rapports entre les nombres de particules déposées dans l'unité de temps permettraient l’existence ou l'absence de certaines faces parmi celles qui sont compatibles avec la forme primitive du corps. Une forme cristalline quelconque est en effet compatible avec un grand nombre de faces secondaires que les lois de symétrie et de dérivation des faces permettent d’assigner à l'avance. On peut même imaginer la forme en question, associée par la pensée aux faces élémentaires de toutes les formes dites secondaires; mais celles-ci peuvent n'être pas compatibles avec les modes d’accroissement parti- culiers du cristal, et tel mode donnerait de préférence telle forme ou mieux telle combinaison de formes simples; tel autre mode fournirait telle autre combinaison. L'influence des matières étrangères pourrait avoir pour résultat d'amener ces modifications dans les modes d’ac- croissement, et du moment où, par des effets physiques quelconques, on forcerait le cristal à dévier des lois de sa formation, spéciales à telles conditions de la cristallisation, on pourrait produire le même résultat que par les matières étrangères présentes dans la liqueur. Je suis bien loin d’attacher à ces considérations une valeur exagérée. Si une circonstance fortuite ne n'avait obligé à les faire connaître, je les aurais suivies, pendant tres longtemps encore, avant de publier les faits qui s’y rapportent. Plus on vieillit dans l'habitude de la recherche de la vérité, plus on éprouve le besoin d'atteindre à une perfection toujours, hélas! bien relative. Au demeurant, nos hypo- thèses sont toujours bonnes quand on les prend comme des instru- ments capables de donner des idées pour varier et multiplier les expériences. Formiate de strontiane. J'ai essayé de faire l'application des résultats précédents à la solution d’une question qui offre beaucoup d'intérêt, et qui se lie à l'histoire cristallographique du quartz, ce minéral extraordinaire. 308 ŒUVRES DE PASTEUR Lorsque j'eus découvert l’hémiédrie dans les formes cristallines des produits moléculairement actifs sur la lumière polarisée et la singu- lière constitution de l’acide racémique, les analogies très marquées, comme aussi les différences profondes qui existaient cristallographi- quement et optiquement entre le quartz et ces produits, me firent penser que l’hémiédrie devait avoir deux origines distinctes, et je développai à plusieurs reprises cette opinion que l’hémiédrie était le résultat d’un arrangement dissymétrique des atomes élémentaires dans la molécule chimique, ou la conséquence d’un arrangement dissymé- trique dans les particules cristallines. Dans le premier cas, on a beau détruire le cristal par dissolution, le pouvoir rotatoire se manifeste à l'état liquide, parce qu'il réside dans la molécule chimique; dans le deuxième cas, au contraire, l’action optique n’est possible que dans le cristal constitué. La dissolution fait disparaître la cause du pouvoir rotaloire, à peu près, dirais-je, comme si l’on construisait un édifice ayant la forme extérieure d’un polyèdre qui offrirait l’hémiédrie non superposable, et que l’on démolirait ensuite; après la destruction de l’ensemble, il ne resterait rien de la dissymétrie première. Tel était le cas du quartz qui perdait toute dissymétrie optique par le fait de sa fusion ou de sa dissolution. Mais cette manière de voir, cette séparation établie entre la nature des causes des pouvoirs rotatoires du quartz et des substances orga- niques actives, souffrait diverses objections. Le quartz ne peut être dissous et soumis à la cristallisation de manière à permettre une étude facile de ses cristaux et de toutes leurs particularités géométriques. D'autre part, le quartz ne peut être fondu que par l'application d’une température tellement élevée que la disparition de ses propriétés dissy- métriques pourrait être due à l'influence de la chaleur, opinion qui parut corroborée plus tard, lorsque je reconnus que l’acide malique actif devient inactif quand on le soumet, dans certaines conditions, à une haute température. Il fallait donc trouver une substance hémiédrique à la manière du quartz, tantôt à droite, tantôt à gauche, sur laquelle on püût faire des épreuves de dissolution et de cristallisation par des moyens d’une action modérée, et qui, par la beauté de ses cristaux, se prêtàt à une étude cristallographique minutieuse. C'est alors que je fis connaître le formiate de strontiane, dont voici les curieuses propriétés (1). Toute cristallisation de formiate de strontiane donne des cristaux 1. Annales de chimie et de physique, æ sèér., XXXI, 1851, p. 98-102, et p. 191-154 du présent volume. {Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 309 de deux sortes : les uns hémièdres à droite, les autres hémièdres à gauche. L'hémiédrie est non superposable; dissoute dans l’eau, ni l'une ni l’autre espèce de ces cristaux ne manifeste de déviation d'optique. Si l’on fait redissoudre séparément les cristaux droits ou les cristaux gauches, et qu'on soumette la liqueur à une cristallisation par évaporation brusque ou spontanée, les deux sortes de cristaux prennent naissance. Ce sont les propriétés du quartz, et plus spécia- lement celles que M. Marbach découvrit, quelques années après, dans le chlorate de soude, mais avec une particularité qui donne à son sel un intérêt que n'avait pas le formiate de strontiane. En effet, le formiate de strontiane étant un cristal à deux axes, la double réfraction y masque le phénomène rotatoire, comme elle le fait pour les cristaux d'acide tartrique, de sucre candi et généralement de tout corps moléculairement actif, dont aucun ne s’est encore rencontré dans le système cubique ou dans l’un des deux systèmes à un axe. Le chlorate de soude, au contraire, appartenant au système cubique, où la double réfraction est absente, s’est montré optiquement droit ou gauche, en même temps qu'il était hémiédriquement droit ou gauche (*. Mais encore, bien que moins complètes que dans le chlorate de soude, les analogies du formiate de strontiane et du quartz sont tellement évidentes que j'ai cru pouvoir me servir du formiate pour éclairer des questions très délicates relatives à la cristallisation du quartz ®). 1. Dans le volume qu'il projetait en 1878 sur la Dissymétrie moléculaire, Pasteur a inséré cette page : « Il m'a été impossible de mettre en évidence la propriété rotatoire dans les cristaux de formiate de strontiane. Dans les divers essais que j'ai tentés, ce sel s’est comporté toujours comme un cristal ordinaire à deux axes. Je suis porté à croire que c’est la double réfraction (que l'on ne peut éviter) qui met obstacle à la reconnaissance du phénomène rotatoire. Dès que le quartz est taillé en lames inclinées sur l'axe optique, son action sur la lumière polarisée disparaît malgré l'intensité qu'elle présente dans les lames normales à l'axe optique unique dans cette substance. La question qui fait le sujet principal du cinquième Mémoire [il s’agit du Mémoire p. 264] laissait donc quelque chose à désirer. Mais tous les doutes ont été levés depuis lors par la publication de deux travaux remarquables, l’un de M. Rammelsberg, et l’autre de M. Marbach, de Breslau. M. Rammelsberg venait de reconnaître, en étudiant la forme cristalline du chlorate de soude, que les cristaux de cette substance offraient précisé- ment entre eux les relations des cristaux de quartz et de formiate de strontiane. Mais de plus, circonstance très heureuse, ils appartiennent au système cubique. M. Marbach, rapprochant aussitôt ces particularités des résultats de mes études antérieures et des considérations que j'avais développées à propos du formiate de strontiane, reconnut que les cristaux de chlorate de soude déviaient le plan de polarisation, les uns à droite et les autres à gauche, de la même quantité en valeur absolue. Et, comme il arrive pour le formiate de strontiane, les cristaux d’une espèce mis en dissolution dans l’eau pure ne communiquent à la liqueur aucun pouvoir de déviation, et, par recristallisation, ils fournissent les deux espèces de cristaux hémiédri- ques. » (Note de l'Edition.) 2. Un fait utile à signaler dans l'étude du formiate de stronliane est l'existence en nombre presque toujours très inégal des deux sortes de cristaux hémiédriques. Le poids total de l'une des espèces diffère beaucoup du poids total de l’autre. Il est à peu prés impossible de faire 310 ŒUVRES DE PASTEUR L'histoire des propriétés optiques et cristallographiques du quartz est bien connue; je n'ai pas à la rappeler avec détail. On sait qu’en 1811, Arago (1) fit l'observation devenue si féconde de la polarisation rotatoire de cette substance. Arago abandonna sa découverte, comme il fit toujours, car ce fut là l’un des côtés de la vie scientifique de ce grand physicien. Deux années après, M. Biot (?) présenta toutes les lois physiques du phénomène, l’isolant avec soin de tous ceux au milieu desquels Arago avait paru le confondre, et donnant à ses études une rigueur que le temps a respectée. Chemin faisant, M. Biot reconnut ce fait, éminemment curieux, de l'existence dans le quartz de deux sortes de cristaux, les uns déviant à droite, les autres à gauche, de la même quantité pour la même épaisseur. Plus tard, J. Herschel () remarqua une relation entre la position sur les cristaux du quartz des faces plagièdres signalées par Haüy et le sens de la déviation une comparaison rigoureuse des poids respectifs des cristaux de quartz droit et gauche dans une cristallisation naturelle de ce minéral. Cependant j'ai pensé qu'en prenant des cristallisations chargées d’une foule de cristaux, peu différents par leur taille et leur volume, tous plagièdres, faisant le dénombrement des droits et des gauches, on pourrait lever en partie la difficulté et reconnaître s'il y avait par égale part les deux espèces de cristaux. Voici mes résultats : Un premier échantillon m’a donné . . . . . . . . 125 gauches, 107 droits; Un deuxième de même origine. . . . . . . . . . . 200 gauches, 167 droits; Un troisième également de mème origine . . . . . 362 gauches, 319 droits. Sur deux autres échantillons d'origine différente j'ai trouvé : Pouxie Premie EEE E 71 gauches, 80 droits; Poux le SBCOn SE EE E 147 gauches, 162 droits. Je n’ai jamais rencontré dans aucune des collections de Paris (et j'ai employé plusieurs semaines à ce travail) un échantillon qui ne portäât qu'une seule sorte de cristaux plagièédres. J'ai fait tailler en outre un ensemble pris au hasard de soixante-dix canons de quartz du Brésil, de ceux qui servent aux opticiens dans la construction des appareils polarisants, et j'y ai reconnu par le sens des spirales d'Airy 33 gauches et 37 droits. Un très petit nombre de ces cristaux portaient des faces plagièdres. C’est ce qui m'avait obligé à les faire tailler pour reconnaître le sens de leurs propriétés optiques. M. Soleil pére, que j'ai consulté sur ce sujet, m'a affirmé que toujours dans les cristaux du Brésil il avait rencontré plus de droits que de gauches. Ces faits tendent à établir une nouvelle analogie entre le formiate de strontiane, le chlorate de soude et le quartz. 1. ARaGo. Sur une modification remarquable qu'éprouvent les rayons lumineux dans leur passage à travers certains corps diaphanes, et sur quelques autres nouveaux phénomènes d'optique. (Lu le 11 août 1811). Mémoires de la classe des sciences mathématiques et phy- siques de l'Institut, année 1811, 1e part., 1812, p. 93-134. 2. Bror. Sur de nouveaux rapports qui existent entre la réflexion et la polarisation de la lumière par les corps cristallisés. Zbid., p. 135-280 (fig.). — Mémoire sur un nouveau genre d'oscillations que les molècules de la lumière éprouvent en traversant certains cristaux. (Lu les 30 novembre et 7 décembre 1812, les 8 février et 5 avril 1813). Ibid., année 1812, 1re part., 1814, p. 1-371 (fig.). — Observations sur la nature des forces qui partagent les rayons lumineux dans les cristaux doués de la double réfraction. (Lu le 26 décembre 1814). Ibrd., années 1813, 1814 et 1815, 1818, p. 221-234. 3. Hersc&EL (J. F. W.). On the action of crystallized bodies on homogeneous light, and on the causes of deviation from Newton's scale in the tints which many of them develope on exposure to a polarised ray. Phil. Transactions of the Royal Society of London, 1820, Part. I, p. 45-100 (1 pl.). (Notes de l'Édition.) ds Abou. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 311 optique de ces mêmes cristaux. Mais la remarque d'Herschel offrait dans sa généralisation plusieurs objections. Voici les principales : 1°. Une foule de cristaux de quartz ne portent pas les faces pla- gièdres ; 2, On trouve des échantillons où certains angles portent des faces plagièdres à droite, d’autres angles des faces plagièdres à gauche ; 3%, Il ya des échantillons qui, sur un méme angle, portent les deux sortes de faces hémiédriques à droite et à gauche, et le cristal est toujours d’un seul sens optiquement, lors même que l’on étudie la portion de matière immédiatement située au-dessous de ces faces inclinées dans les deux sens. À l’époque où je m'occupais d'établir expérimentalement la corré- lation de l’hémiédrie et du phénomène rotatoire moléculaire, ces faits et d’autres encore, par exemple labsence totale des faces hémiédriques dans le bimalate d’ammoniaque, le bimalate de chaux, la tartramide, ...., se présentaient souvent à l'esprit des savants éminents qui voulaient bien m'admettre à discuter avec eux ces beaux phénomènes si intimement liés aux conditions les plus cachées de la mécanique moléculaire. Dans ma pensée, toutes ces anomalies n'étaient que des accidents, et je prouvai ultérieurement que, par des artifices de cristallisation, il était facile de faire apparaître des faces hémiédriques sur tous les corps moléculairement actifs qui jusque-là n’en avaient jamais pré- senté. Ainsi je fis voir que le bimalate d’ammoniaque, qui dans au- cun cas ne porte de faces hémiédriques lorsqu'il s’est formé dans l’eau pure, en prend constamment quand il cristallise dans une eau mère renfermant quelques-unes des substances produites par sa décompo- sition ignée. Je prouvai également que le bimalate de chaux, cristal- lisé dans l'acide nitrique, est toujours hémiédrique, tandis que, cristal- lisé dans l’eau pure, il ne l’est jamais. Les faces hémiédriques sont donc des faces assimilables à toutes les faces secondaires ; et l’on sait bien que celles-ci, quoique toujours possibles, existent ou sont ab- sentes suivant les conditions de la cristallisation. Mais comment lever les difficultés que présentait le quartz, qui ne peut se prêter à des cristallisations artificielles? Je pensai que l’on pourrait prendre dans le formiate de strontiane (capable de subir toutes les opérations de cristallisation et de dissolution) les anomalies mêmes du quartz, et montrer que dans le formiate elles ne sont en effet que des accidents (1). 1. C’est à l’occasion du formiate de strontiane et des services que je croyais pouvoir en tirer pour expliquer les anomalies du quartz, que j'ai commencé les recherches qui font l'objet 312 ŒUVRES DE PASTEUR C'est ce genre d’études qu'il me reste à faire connaître et pour lequel je me suis aidé des résultats généraux consignés dans la premiére partie de ce Mémoire. J'ai établi que l’un des moyens de faire naître sur un cristal des faces nouvelles était d’altérer ses modes d’accroissement suivant ses divers sens, et que l’une des pratiques qui atteignaient ce résultat était la reformation, sur cassure, usure à la lime, ou dissolution préa- lable par l'eau, d’une partie quelconque du cristal, parce que celui-ei revient toujours à la régularité que comporte sa nature, et qu’il ne peut aller d’une irrégularité arbitraire à une régularité déterminée par un travail ordinaire et régulier. Le mode d’accroissement est donc changé, et, à ce titre, des faces nouvelles prennent généralement nais- sance. Cela posé, examinons les anomalies du quartz. 1°. Beaucoup de cristaux ne portent pas de faces plagièdres. De même on trouve souvent toute une cristallisation de formiate qui ne porte aucune face hémiédrique. Mais pour les faire naître, il suffit d’user les cristaux, ou de les briser, ou de les faire dissoudre en partie et de les remettre à s’accroître. Les uns deviennent droits, les autres gauches, parce qu'il est dans leur nature d’être tels ou tels. 2°. On trouve des échantillons de quartz où certains angles portent des faces plagièdres à droite, d’autres angles des faces plagièdres à gauche; et il y a des cristaux qui sur un même angle portent les deux faces hémiédriques. Or rien n'est plus facile, en brisant des cristaux de formiate, ou en les usant sur les angles convenables et en les remettant à s’agrandir, de faire naître à droite et à gauche des faces hémi- édriques; et même, quand le cristal a été brisé profondément et qu’on le retire avant que sa blessure soit rétablie, on peut dire qu'il est surchargé de faces hémiédriques à droite et à gauche, à tel point que l’on ne saurait dire le plus souvent quel est son caractère hémiédrique, si l'extrémité qui n’a pas été brisée ne l’accusait sans laisser aucun doute. La partie brisée elle-même rentre plus tard dans la loi commune; car généralement, et en faisant la part des irrégu- larités inhérentes à ce mode d’expérimentation, on voit nettement que si un cristal exclusivement droit, ou exclusivement gauche, se de ce Mémoire. Les modes d’expérimentation que j'y ai employés m'ont été suggérés par la lecture d'un extrait des travaux de Le Blanc, publié dans le Journal de physique de de La- métherie, XXXIII, 1788, p. 874-379 : « Le Blanc a remarqué que des faces surnuméraires se ren- contraient sur les cristaux qui, après avoir souffert un commencement de dissolution, repre- naient leur accroissement. Un angle arrondi par la dissolution présente ensuite plusieurs faces qui ont des inclinaisons différentes entre elles, et toutes ces faces disparaissent à mesure que l'angle se rétablit. » SE ES ET Te bit. 2. Été St on nl ri a R. bd _{ DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 313 couvre, par mon artifice, de nouvelles faces hémiédriques à droite et à gauche simultanément, il y a prédominance d’une zone hémi- édrique sur l’autre, et de telle sorte que le cristal droit reste droit, que le cristal gauche reste gauche(!). La prédominance du caractère hémiédrique est accusée soit par un élargissement plus prononcé des faces hémiédriques d’un certain sens, soit plus ordinairement par un nombre de faces hémiédriques plus grand d’un côté que de l’autre, et indiqué par le sens hémiédrique primitif. Or, si l’on se reporte aux savants travaux sur les formes du quartz, on verra que, dans tous les cas où ce minéral a offert sur un même angle les deux sortes de faces hémiédriques, elles n'étaient pas toutes de même signe cristallographique à droite et à gauche, ou bien il y en avait un plus grand nombre d’un eôté que de l’autre. Nota. — J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Académie une série de beaux échantillons de cristaux, soigneusement classés et étiquetés; qui démontrent l'exactitude des faits que je viens de lui soumettre. 1. Je dis qu'il faut faire la part des irrégularités inhérentes à ce mode d’expérimentation. Rien n'est plus facile, en effet, que de rendre droit en apparence un cristal gauche, et inver- sement. Il suffit de forcer l'irrégularité à se montrer, et de retirer le cristal avant qu'elle ait disparu sous l'influence des conditions normales. RECHERCHES SUR LA DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE DES PRODUITS ORGANIQUES NATURELS Lecons professées à la Société chimique de Paris le 20 janvier et le 3 février 1860 (1). A Mowsreur J.-B. Bror, hommage du plus profond respect et de la plus vive reconnaissance. Ces lecons ont été faites sur l'invitation du conseil de la Société chimique de Paris. Les recherches dont elles offrent un résumé rapide m'ont occupé pendant dix années consécutives. J'ai eu souvent la pensée de les réunir, d’en revoir minutieusement les détails et d'y joindre tous les développements nécessaires à la coordination des différents mémoires où elles ont paru pour la première fois. Mais il y a, dans la vie de tout homme voué à la carrière des sciences expéri- mentales, un âge où le prix du temps est inestimable : cet âge rapide où fleurit l'esprit d'invention, où chaque année doit être marquée par un progrès. S'arrêter alors volontairement aux choses acquises est x rène et un danger, qui compensent trop le plaisir et lutilité D même de voir nos idées se répandre au gré de nos désirs. une Autant j'ai reculé ‘devant la tâche pénible de réunir, en les perfec- tionnant, mes recherches sur la dissymétrie moléculaire des produits organiques naturels, autant j'ai cédé avec empressement à la prière de plusieurs membres de la Société chimique, de publier les deux leçons dans lesquelles j'avais été chargé d'exposer les principaux résultats auxquels j'étais parvenu. Peu d’études ont été mieux accueillies, au moment de leur apparition successive, et néanmoins, j'avais bien des preuves qu'elles étaient à peine connues. 1. Publiées in : Lecons de chimie professées en 1860 par MM. Pasteur, Cahours, Wurtz, Berthelot, Sainte-Claire Deville, Barral et Dumas. Paris, 1861, Hachette et Cie, in-80, p. 1-48. DISSYMÉNRIE MOLÉCULAIRE 315 J'espère donc que cette publication pourra offrir quelque utilité. Du reste, n'y aurait-il que l'intérêt que ces lecons ont excité dans l'assemblée d'élite devant laquelle elles ont été professées, que je serais assez récompensé de mes efforts. La Société de chimie [chimique] a été très touchée de l'empresse- ment avec lequel une foule de jeunes savants sont venus prendre place dans l'auditoire. Elle a surtout remarqué l’encouragement sympathique donné à ses travaux par la présence de MM. Balard, Claude Bernard, Delafosse, Frémy, Serret, membres de l'Académie des sciences. Qu'il me soit permis, en outre, de remercier tout particulièrement, en mon nom et au nom de la Société, notre illustre président, M. Dumas, dont le haut et bienveillant patronage a toujours servi la science presque à l’égal de ses immortels travaux. L. Pasreur. Paris, 1860. PREMIÈRE LECON MESSIEURS, A la fin de l’année 1808, Malus (1!) annonça que la lumière réfléchie par tous les corps opaques ou diaphanes contractait de nouvelles propriétés fort extraordinaires, qui la distinguaient essentiellement de la lumière que nous transmettent directement les corps lumineux. Malus appela polarisation la modification que la lumière subit dans l’acte de sa réflexion. Plus tard, on désigna sous le nom de plan de polarisation du rayon le plan même de réflexion, c’est à-dire le plan passant par le rayon incident et la normale à la surface réfléchissante. Malus ne borna pas là ses découvertes sur la lumière polarisée. On savait depuis longtemps qu’un rayon de lumière directe se partage constamment en deux faisceaux blancs et de même intensité dans son passage au travers d’un rhomboïde de carbonate de chaux. Ainsi la flamme d’une bougie regardée à l’aide d’un tel rhomboïde est toujours double et les deux images ont le même éclat. 1. Marcus. Sur une propriété de la lumière réfléchie par les corps diaphanes. (Lu le 12 dé- cembre 1808). Nouveau Bulletin des sciences, par la Société philomatique de Paris, 1807-1809, p- 266-269 (fig.). — Sur les phénomènes qui dépendent des formes des molécules de la lumière. (Mars 1809). Zbid., p. 341-344 et p. 353-355. (Note de l'Édition.) 316 ŒUVRES DE PASTEUR Huyghens et Newton avaient déjà observé que la lumière qui a traversé un cristal de spath d'Islande ne se comportait plus comme: la lumière directe. Ainsi, que l’on regarde au travers d'un nouveau rhomboïde l’une ou l’autre des deux images de la bougie dont nous venons de parler : 1° il n'y aura pas toujours bifurcation du rayon; 2° quand il y aura bifurcation, les deux nouvelles images n'auront pas la même intensité. La lumière qui a traversé un cristal biréfringent est donc différente de la lumière naturelle ou directe. Cela posé, Malus prouva que la modification imprimée à la lumière par la double réfraction était identique à celle que produit la réflexion à la surface des corps opaques où diaphanes ; en d’autres termes, que les deux rayons ordinaire et extraordinaire, donnés par un cristal biréfringent, sont des. rayons polarisés. Malus établit si nettement, dès l’origine, ces fécondes découvertes, avec Lant de mesure et tant de précision dans les faits et le langage, que l’on croirait, en lisant ses mémoires, qu'ils sont rédigés d’hier. Mais il ne put suivre son œuvre: une mort prématurée l’emporta, en 1812, à l’âge de trente-sept ans. Heureusement pour la science, deux physiciens célèbres, jeunes alors et pleins d'activité, MM. Biot et Arago, recueillirent son héritage, et ne tardèrent pas à s'’illustrer par de brillantes découvertes dans la voie nouvelle que Malus venait d’ou- vrir à la science. En 1811, Arago (1) reconnut que, lorsqu'un rayon polarisé traverse normalement une lame de cristal de roche taillée perpendiculairement à son axe, si l’on analyse le rayon, à sa sortie de la lame, à l’aide d’un rhomboïde de spath d'Islande, il donne constamment deux images dans. toutes les positions du rhomboïde, et de plus, ces deux images sont colorées de teintes complémentaires. Lorsque l’épaisseur du spath ne permet pas une séparation entière des deux faisceaux, l’image est blanche là où ils se superposent en partie. Cette expérience accusait une double anomalie aux lois ordinaires des cristaux biréfringents. Tout autre cristal à un axe taillé norma- lement à cet axe aurait fourni deux images blanches au lieu d’être colorées, et, dans deux positions rectangulaires du rhomboïde ana- lyseur, les images se seraient réduites à une seule. La conclusion d’Arago fut que les résultats de l’expérience précé- dente sont précisément ceux qui auraient lieu, si l’on suppose que les rayons diversement colorés du faisceau blanc incident sont, en sortant de la lame de quartz, polarisés dans des plans différents. 1. AraGo. Loc. cit., p. 310. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 317 Arago ne revint plus sur ces brillants phénomènes, dont M. Biot présenta dès 1813 toutes les lois physiques, les isolant avec soin de tous ceux au milieu desquels Arago avait paru les confondre. M. Biot (!) forma le rayon polarisé successivement avec chacune des lumières simples du spectre, et trouva que le plan de polarisation primitif était dévié d’un angle proportionnel à l'épaisseur de la lame ; que cet angle est différent pour chaque couleur simple et va croissant avec la réfrangibilité, suivant une loi déterminée. M. Biot fit en outre la remarque très curieuse que des lames obtenues des diverses aiguilles de quartz, il y en avait qui déviaient à droite, et d’autres à gauche les plans de polarisation, en suivant les mêmes lois. Mais la découverte la plus remarquable de M. Biot, dans ce genre de phénomènes, est sans contredit celle de la déviation imprimée aux plans de polarisation par une foule de produits organiques naturels, l'essence de térébenthine, les solutions de sucre, de camphre, d'acide tartrique. La première annonce de ce fait se trouve dans le bulletin de décembre 1815 de la Société philomatique (2). Pour l'intelligence même de cette leçon, nous devons particulière- ment remarquer l'existence de la propriété rotatoire dans l'acide tar- trique et son absence dans l'acide paratartrique ou racémique, acide isomère de l'acide tartrique. Il existe donc des produits organiques liquides ou dissous dans l'eau qui jouissent de la propriété rotatoire, et rappellent sous ce rapport le quartz cristallisé et solide. Seulement, il est essentiel de noter ici que cette analogie avec le quartz était toute d'apparence. Il y avait dans les deux cas déviation du plan de polarisation, mais les caractères du phénomène étaient bien différents : Ainsi le quartz dévie ; mais il faut qu'il soit cristallisé. Dissous ou solide et non cristallisé, plus d’action. Non seulement il faut qu'il soit cristallisé, mais il faut le tailler en lames perpendiculaires à axe. Dès qu'on incline un peu la lame sur la direction du rayon, l'action s’amoindrit, puis s’annule. Le sucre dévie (et ce que je dis du sucre est vrai de tous les autres produits organiques), mais il faut que le sucre soit dissous ou solide et amorphe comme dans le sucre d'orge. A l’état cristallisé, il était impossible de découvrir une action. Le tube renfermant la solution de sucre peut être incliné, la déviation ne change pas pour la même épaisseur. Bien plus, en 1. Bror. Loc. cit. 2. Bulletin des sciences, par la Société philomatique de Paris, 1815, p. 176-183. (Notes de d'Edition.) À 318 ŒUVRES DE PASTEUR agitant vivement le liquide, à l’aide d’un mouvement d’horlogerie, le phénomène reste le même. Aussi M. Biot conclut-il, dès l’origine, en toute rigueur, que l’action exercée par les corps organiques était une action moléculaire, propre à leurs dernières particules, dépendante de leur constitution individuelle. Dans le quartz, le phénomène résulte du mode d’agré- gation des particules cristallines. Voilà les précédents physiques, si je puis m'’exprimer ainsi, des recherches dont j'ai à vous entretenir. Voici leurs précédents minéra- logiques. NE L'hémiédrie est assurément l’une des particularités de la cristal- lisation qu'il est le plus facile de saisir dans sa manifestation extérieure. Considérez, par exemple, une espèce minérale cristallisant sous la forme cubique. Cette espèce, comme chacun le sait, pourra revêtir divers genres de formes déterminés par la loi de symétrie, loi si naturelle qu’elle est pour ainsi dire un axiome physique. Cette loi exprime qu’un genre de forme étant donné, on obtient tous les autres compatibles avec celui-là par un artifice qui consisterait à modifier, à tronquer, comme disait Romé de Lisle, en même temps et de la même manière les parties identiques. On appelle d’ailleurs arêtes identiques celles qui sont l’intersection de faces respectivement identiques se coupant sous le même angle, et angles solides iden- tiques, ceux qui sont formés par des angles dièdres respectivement égaux et semblablement placés. Par exemple, dans le cube il n’y a qu'une seule espèce d’angles solides et une seule espèce d’arêtes. Qu'un des angles solides soit tronqué par une face également inclinée sur les trois faces de l’angle solide, et les sept autres angles devront l'être en même temps par une face de même nature. C’est ce que l’on observe dans l’alun, dans la galène et en général dans toutes les es- pèces cubiques. Considérons un prisme droit à base rhombe. Les huit arêtes des bases sont identiques. Si l’une est tronquée, les sept autres devront l'être et de la même façon. Les quatre arêtes verticales sont d’une autre sorte. Généralement elles ne seront pas tronquées en même temps que celles des bases, et si elles le sont, ce sera différemment. Ces seuls exemples suffiront pour bien faire concevoir la loi de symétrie et son application. Rien de plus simple actuellement que d’avoir une idée nette de l’hémiédrie. L'expérience a montré depuis longtemps, Haüy en con- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 319 naissait déjà les exemples les plus célèbres, que dans un cristal la moitié seulement des parties identiques sont quelquefois modifiées en même temps et de la même manière. On dit alors qu’il y a hémiédrie. Ainsi, le cube doit être tronqué à la fois sur ses huit angles solides. Mais, dans certains cas, il ne l’est que sur quatre. La boracite nous offre un exemple de cette nature. Dans ces circonstances, la modifi- cation a lieu de telle sorte, qu’en prolongeant les quatre troncatures de manière à faire disparaître les faces du cube, on obtient un tétra- èdre régulier. Si la modification était appliquée aux quatre angles restant, elle produirait un autre tétraèdre régulier identique et super- posable au premier, et n'en différant que par sa position sur le cube. De même, reprenons notre prisme droit tronqué sur les huit arêtes de ses bases. Pour certaines espèces, la troncature n’a lieu que sur la moitié des arêtes, et il arrive encore ici que les troncatures portant sur des arêtes opposées à chaque base et en croix aux deux extrémités, ces troncatures prolongées conduisent à un tétraèdre. Il y a deux tétraèdres possibles, comme pour le cube, différemment placés par rapport au prisme, suivant que l’on conserve tel ou tel groupe des quatre troncatures ; mais ici les deux tétraèdres ne sont pas absolu- ment identiques. Ce sont des tétraèdres symétriques. On ne peut les superposer. Ces notions suffisent pour nous faire comprendre ce que c’est que l'hémiédrie, et ce que l’on entend par faces ou formes hémiédriques. Or, le quartz, dont nous parlions tout à l'heure, est l’une des rares substances minérales chez lesquelles Haüy a rencontré des faces hémiédriques. Tout le monde connaît la forme habituelle de ce minéral, un prisme hexagonal régulier surmonté de deux pyramides à six faces. Il est clair que les angles trièdres situés à la base des faces de la pyramide sont identiques, et conséquemment, si l’un d’eux porte une face, elle devrait se reproduire également sur tous les autres. C’est ce qui arrive pour la face dite ‘rhombifère par les minéralogistes. Mais Haüy a remarqué le premier, dans certains échantillons, une face très différente de celle-ci, qu’il a désignée par la lettre +, laquelle tombe plus d’un côté que de l’autre sans être double, comme l’exige- rait dans ce cas la loi de symétrie. Une autre particularité très cu- rieuse de ces cristaux n'avait pas échappé aux cristallographes. C’est que cette face x s’incline tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Haüy, qui aimait à donner des épithètes propres à chaque variété d’une espèce, avait nommé plagièdre la variété de quartz portant la face x. 320 ŒUVRES DE PASTEUR On désigna sous le nom de plagiedres droits les cristaux où la face x s’inclinait à droite, le cristal étant orienté d’une manière convenue ; et plagièdres gauches, les cristaux où la face x s’inclinait en sens inverse. Du reste, rien de plus variable que ce caractère. Ici il existe; là il est absent. Sur un même cristal, il y a des angles qui portent la face x, d’autres qui devraient la porter ne l'ont pas. Quelquefois on trouve des faces plagièdres à droite et à gauche. Néanmoins, toutes les personnes versées dans la connaissance des cristaux s’accordaient à admettre qu'il y avait dans le quartz une véritable hémiédrie dans deux sens opposés. Ici se place un rapprochement très ingénieux dû à sir John Herschel, communiqué à la Société royale de Londres, en 1820 (1). M. Biot, ai-je dit précédemment, fit l'observation remarquable que parmi les échantillons de quartz, les uns déviaient dans un sens le plan de la lumière polarisée, et les autres dans un sens opposé, à droite et à gauche. Cela posé, John Herschel mit en rapport l’obser- valion cristallographique d'Haüy avec la remarque physique due à M. Biot. L'expérience confirma l’idée d’une relation de fait entre les plagièdres droit et gauche et les sens droit et gauche des déviations optiques. Les échantillons de quartz qui portent dans un même sens la face x dévient dans le même sens le plan de la lumière polarisée. Tel est l'exposé des faits principaux qui ont précédé les recherches dont j'ai à vous tracer l’histoire abrégée. III. Lorsque je commençai à me livrer à des travaux particuliers, je cherchai à me fortifier dans l'étude des cristaux, dans la prévision des secours que j'en retirerais pour mes recherches chimiques. Le moyen qui me parut le plus simple fut de prendre pour guide un travail un peu étendu sur des formes cristallines, de répéter toutes les mesures et de comparer mes déterminations avec celles de l’auteur. En 1841, M. de La Provostaye ©), dont l'exactitude est bien connue, avait publié un beau travail sur les formes cristallines de l'acide tartrique, de l'acide paratartrique et de leurs combinaisons salines. Je m'’attachai à ce mémoire. Je fis cristalliser l’acide tartrique et ses sels, et j’étudiai 1. HerscnEeL (J. F. W.). Loc. cit., p. 310. 2, De La Provosrave. Recherches cristallographiques. Annales de chimie et de physique, 3e sér., III, 1841, p. 129-150 et 358-355 ; IV, 1842, p. 453-460; V, p. 47-51. (Notes de l'Edition.) DISSYMÉÈTRIE MOLÉCULAIRE 321 les formes de leurs cristaux. Mais, chemin faisant, je m’aperçus qu'un fait très intéressant avait échappé au savant physicien. Tous les tartrates que j'étudiais m'offraient des indices non douteux de faces hémiédriques. Cette particularité des formes des tartrates n'était pas très évi- dente. On le conçoit bien, puisqu'elle n'avait pas été encore aperçue. Mais lorsque, dans une espèce, elle se présentait avec des caractères douteux, j'arrivais toujours à la rendre plus manifeste, en recommen- çant la cristallisation et en modifiant un peu les conditions. Quelque- fois les cristaux portaient bien toutes les faces exigées par la loi de symétrie, mais l’hémiédrie était encore accusée par un développement inégal d’une moitié des faces. Cela se voit par exemple dans lémétique ordinaire. Il faut dire que ce qui ajoute à la difficulté de reconnaître l'hémiédrie, ce sont les irrégularités si fréquentes des cristaux qui ne se développent jamais à l'aise. Il en résulte des déformations, des arrêts de développement dans tel ou tel sens, des faces supprimées par ac- cident, etc... A moins de circonstances presque exceptionnelles, la constatation de l’hémiédrie, surtout dans les cristaux des laboratoires, exige une étude très attentive. Ajoutons à cela que, bien que l’hémié- drie soit possible dans une forme, bien qu'elle soit une fonction de la structure interne du corps, elle peut ne pas y être accusée exté- rieurement, pas plus qu'on ne trouve sur chaque cristal d’une espèce cubique toutes les formes compatibles avec le cube. Mais quoi qu'il en soit, je le répète, je trouvais les tartrates hémiédriques. Cette observation eût été probablement stérile sans la suivante. Soient a, b, c, les paramètres de la forme cristalline d’un tartrate quelconque; «, 8, 7, les angles des axes cristallographiques. Ces angles sont droits ordinairement ou peu obliques. En outre, le rapport de deux paramètres, tels que à et b, est à peu près le même dans les divers tartrates, quelles que soient leur composition, leur quantité d’eau de cristallisation, la nature des bases ; + seul diffère sensiblement. Il y a une sorte de demi-isomorphisme entre tous les lartrates. On dirait que le groupe tartrique domine et imprime un cachet de ressemblance entre ces diverses formes, malgré la différence des autres éléments constituants. Il résulte de là qu'il y a quelque chose de commun dans les formes de tous les tartrates, et qu'il est possible de les orienter semblablement, en prenant, par exemple, pour caractère de position semblable, la position des axes « et 8. Or,-si l'on compare sur tous les prismes des formes primitives DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE, 21 322 ŒUVRES DE PASTEUR des tartrates, orientés de la même maniere, la disposition des faces hémiédriques, on trouve que cette disposition est la même. Résumons en deux mots ces résultats, qui ont été le point de départ de toutes mes recherches ultérieures : Les tartrates sont hémiédriques et ils le sont dans le même sens. Guidé alors, d’un côté, par le fait de l'existence de la polarisation rolatoire moléculaire, découvert par M. Biot dans l'acide tartrique el dans toutes ses combinaisons, de l’autre, par le rapprochement in- génieux d'Herschel, en troisième lieu par les vues savantes de M. De- lafosse, pour qui l’hémiédrie a toujours été une loi de structure et non un accident de la cristallisation, je présumai qu'il pourrait y avoir une corrélation entre l’hémiédrie des tartrates et leur propriété de dévier le plan de la lumière polarisée. Il importe de bien saisir ici la suite des idées : Haüy et Weiss constatent que dans le quartz il existe des faces hémiédriques, et que ces faces tombent à droite sur certains échantillons, à gauche sur d’autres. De son côté, M. Biot trouve que les cristaux de quartz se partagent également en deux groupes, sous le rapport de leurs propriétés optiques, les uns déviant à droite, les autres déviant à gauche le plan de la lumière polarisée, suivant les mêmes lois. Herschel arrive à son tour, place entre ces deux faits, jusque-là isolés, un trait d'union et dit: Les plagièdres d'un sens dévient dans le même sens, les plagièdres de l’autre sens dévient dans le sens opposé. Pour moi je trouve que tous les tartrates sont plagièdres, si je puis ni'exprimer ainsi, el qu'ils le sont tous dans le même sens. Je devais done présumer qu'ici comme dans le quartz il y avait corrélation entre l’'hémiédrie et la polarisation circulaire. Toutefois, les différences essen- tielles que j'ai rappelées tout à l'heure entre la polarisation cireulaire du quartz et celle de l'acide tartrique ne devaient pas être négligées. Nous voilà done, grâce aux faits nouveaux qui précèdent et aux rapprochements que je viens d’énumérer, en possession d’une idée préconçue (car ce n'est encore que cela) sur la corrélation possible de l’'hémiédrie et du pouvoir rotatoire des tartrates. Très désireux de trouver dans l'expérience un appui à cette preuve encore toute spéculative, ma premiére pensée fut de rechercher si les produits organiques cristallisables très nombreux, qui jouissent de la propriété rotatoire moléculaire, ont des formes cristallines hémi- édriques, ce à quoi personne n'avait songé malgré le rapprochement d'Herschel. Cette étude eut le succès que j'en attendais. Je n'’occupai également de l'examen des formes cristallines de DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 323 l'acide paratartrique et de ses sels, substances isomères des combi- naisons tartriques, mais que M. Biot avait trouvées toutes inactives sur la lumière polarisée. Aucune ne se montra hémiédrique. L'idée de la corrélation de l’hémiédrie et du pouvoir rotatoire moléculaire des produits organiques naturels gagnait donc du terrain. Bientôt je fus conduit à la mettre dans tout son jour par une dé- couverte tres inattendue. INF IL est nécessaire que je place d’abord sous vos yeux une note fort remarquable de M. Mitscherlich qui fut communiquée à l'Académie des sciences par M. Biot. La voici textuellement : « Le paratartrate et le tartrate (doubles) de soude et d’ammoniaque ont la même composition chimique, la même forme cristalline avec les mêmes angles, le même poids spécifique, la même double réfraction, et par consé- quent le même angle des axes optiques. Dissous dans l’eau leur réfraction est la même. Mais le tartrate dissous tourne le plan de la lumière polarisée et le paratartrate est indifférent comme M. Biot l’a trouvé pour toute la série de ces deux genres de sels. Mais, ajoute M. Mitscherlich, ici la nature et le nombre des atomes, leur arrangement et leurs distances, sont les mémes dans les deux corps comparés (1). » Cette note de M. Mitscherlich m'avait singulièrement préoccupé à l’époque de sa publication. J'étais alors élève à l'École Normale, méditant à loisir sur ces belles études de la constitution moléculaire des corps, et parvenu, je le croyais du moins, à bien comprendre les principes généralement admis par les physiciens et les chimistes. La note précédente troublait toutes mes idées. Quelle précision dans tous les détails! Y a-t-il deux corps qui aient été mieux étudiés, mieux comparés dans leurs propriétés? Mais dans l’état actuel de la science, concevait-on deux substances aussi semblables sans étre identiques ? M. Mitscherlich nous dit lui-même quelle était dans sa pensée la conséquence de cette similitude : La nature, le nombre, l'arrangement et la distance des atomes sont les mêmes. S'il en est ainsi, que devient donc cette définition de l'espèce chimique si rigoureuse, si remarquable pour le temps où elle a paru, donnée en 1823 par M. Chevreul? Dans les corps composés l'espèce est une collection d'êtres identiques par la nature, la pro- portion et l'arrangement des éléments. Bref, la note de M. Mitscherlich n'était restée dans l'esprit comme 1. Comptes rendus de l'Aradémie des sciences, XIX, 1844, p. 720. (Note de l'Édition. 324 ŒUVRES DE PASTEUR une difficulté de premier ordre dans notre manière de considérer les corps matériels. Chacun comprendra maintenant qu’étant préoccupé, et pour les raisons que j'ai dites, d’une corrélation possible entre l’hémiédrie des tartrales et leur propriété rotatoire, la note de M. Mitscherlich, de 1844, dût me revenir à la mémoire. M. Mitscherlich, pensai-je aussitôt, se sera trompé sur un point. Il n'aura pas vu que son tartrate double était hémiédrique, que son paratartrate ne l'était pas, et si les choses sont telles, les résultats de sa note n'ont plus rien d’extraordinaire; et j'aurai là en outre le meilleur criterium de mon idée préconçue sur la corrélation de lhémiédrie et du phénomène rotatoire. Je m'empressai donc de reprendre l'étude de la forme cristalline des deux sels de M. Mitscherlich. Je trouvai, en effet, que le tartrate était hémiédrique comme tous les autres tartrates que j'avais étudiés antérieurement, mais, chose bien étrange, le paratartrate se montrait également hémiédrique. Seulement les faces hémiédriques qui, dans le tartrate, avaient toutes le même sens, s’inclinaient dans le para- tartrate, tantôt à droite, tantôt à gauche. Malgré tout ce qu'il y avait d'inattendu dans ce résultat, je n’en poursuivis pas moins mon idée. Je séparai avec soin les cristaux hémièdres à droite, et les cristaux hémièdres à gauche, et j'observai séparément leurs dissolutions dans l'appareil de polarisation. Je vis alors, avec non moins de surprise que de bonheur, que les cristaux hémièdres à droite déviaient à droite, que les cristaux hémièdres à gauche déviaient à gauche le plan de polarisation, et quand je prenais de chacune des deux sortes de cristaux un poids égal, la solution mixte était neutre pour la lumière par neutralisation des deux déviations individuelles égales et de sens opposés. Ainsi je pars de l'acide paratartrique; j'obtiens à la manière ordinaire le paratartrate double de soude et d'’ammoniaque, et la dissolution laisse déposer, après quelques jours, des cristaux qui ont tous exactement les mêmes angles, le même aspect, à tel degré que M. Mitscherlich, le célèbre cristallographe, malgré l'étude la plus minutieuse et la plus sévère qui fut jamais, n'avait pu y reconnaître la moindre différence. Pourtant l’arrangement moléculaire dans les uns et dans les autres est entièrement différent. Le pouvoir rotatoire l'atteste ainsi que le mode de dissymétrie des cristaux. Les deux espèces de cristaux sont isomorphes et isomorphes avec le tartrate correspondant; mais l’isomorphisme se présente là avec une particu- larité jusqu'ici sans exemple : c’est l’isomorphisme de deux cristaux dissymétriques qui se regardent dans un miroir. Cette comparaison DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 325 rend le fait d’une manière très juste. En effet, si dans l’une et l’autre espèce de cristaux je suppose prolongées les facettes hémiédriques jusqu'à leurs rencontres mutuelles, j'obtiens deux tétraèdres symé- triques, inverses et que l’on ne peut superposer malgré l'identité parfaite de toutes leurs parties respectives. De là j'ai dû conclure que j'avais séparé, par la cristallisation du paratartrate double de soude et d’ammoniaque, deux groupes atomiques symétriquement isomorphes, intimement unis dans l'acide paratartrique. Rien de plus facile que de prouver que ces deux espèces de cristaux représentent deux sels distincts, d’où l’on peut extraire deux acides différents. Il suffit d'opérer comme dans tous les cas semblables, de précipiter chaque sel par un sel de plomb ou de baryte et d'isoler ensuite les acides par l'acide sulfurique. L'étude de ces acides offre un immense intérêt. Je n’en connais pas de plus intéressante. Mais avant de l’exposer, permettez-moi de placer ici quelques souvenirs relatifs à leur découverte. VE L'annonce des faits qui précèdent me mit naturellement en rapport avec M. Biot, qui n'était pas sans concevoir des doutes au sujet de leur exactitude. Chargé’ d’en rendre compte à l'Académie, il me fit venir chez lui pour répéter sous ses yeux l'expérience décisive. Il me remit de l’acide paratartrique qu'il avait étudié lui-même préala- blement avec des soins particuliers, et qu’il avait trouvé parfaitement neutre vis-à-vis de la lumière polarisée. Je préparai en sa présence le sel double avec de la soude et de l’ammoniaque qu'il avait également désiré me procurer lui-même. La liqueur fut abandonnée dans l’un de ses cabinets à une évaporation lente, et lorsqu'elle eut fourni environ 30 à 40 grammes de cristaux, il me pria de passer au Collège de France, afin de les recueillir et d'isoler sous ses yeux, par la reconnais- sance du caractère cristallographique, les cristaux droits et les cristaux gauches, me priant de déclarer de nouveau si j'affirmais bien que les cristaux que je placerais à sa droite dévieraient à droite et les autres à gauche. Cela fait, il me dit qu'il se chargeait du reste. Il prépara les solutions en proportions bien dosées, et au moment de les observer dans l’appareil de polarisation, il m'invita de nouveau à me rendre dans son cabinet. Il plaça d’abord dans l’appareil la solution la plus intéres- sante, celle qui devait dévier à gauche. Sans même prendre de mesure, par l'aspect seul des teintes des deux images ordinaire et 36 ŒUVRES DE PASTEUR extraordinaire de l’analyseur, il vit qu'il y avait une forte déviation à gauche. Alors, très visiblement ému, l'illustre vieillard me prit le bras, et me dit : Mon cher enfant, j'ai tant aimé les sciences dans ma vie que cela me fait battre le cœur. Vous excuserez, messieurs, ces souvenirs personnels qui ne se sont jamais effacés de mon esprit. De nos jours, avec nos habitudes, on y répugnerait dans le cours d’un mémoire scientifique, mais ils m'ont paru de mise dans une exposition orale; et peut-être que l'intérêt biographique de semblables souvenirs constituera lun des avantages du genre d'enseignement que la Société chimique inaugure aujourd’hui. Du reste, il y a plus ici que des souvenirs personnels. A l'émotion du savant se mélait chez M. Biot le plaisir intime de voir ses prévi- sions réalisées. Depuis plus de trente années, M. Biot s'était efforcé vainement de faire partager aux chimistes sa conviction que l’étude de la polarisation rotatoire offrait l'un des plus sûrs moyens de pé- nétrer dans la connaissance de la constitution moléculaire des corps. NATÉ Revenons aux deux acides que fournissent les deux sortes de cristaux déposés d’une manière si inattendue par la cristallisation du paratartrate double de soude et d’ammoniaque. Rien de plus inté- ressant, disais-je, que l'étude de ces acides. En effet, l’un d'eux, celui qui provient des cristaux du sel double hémièdre à droite, dévie à droite, et il est identique avec l'acide tartrique ordinaire. L'autre dévie à gauche comme le sel qui le fournit. La déviation imprimée par ces deux acides aux plans de polarisation est rigoureusement la même en valeur absolue. L’acide droit suit dans sa déviation des lois particulières qu'aucun corps actif n'avait encore offertes. L’acide gauche les offre en sens inverse de la manière la plus fidèle, sans que jamais on puisse soupçonner la plus légère différence. Et la preuve que l’acide paratartrique est bien la combinaison, équivalent à équivalent, de ces deux acides, c’est que si l’on vient à mêler, comme je vais le faire sous vos yeux, des solutions un peu concentrées de poids égaux de chacun d'eux, leur combinaison s'effectue avec dégagement de chaleur, et la liqueur se solidifie sur- le-champ par une cristallisation abondante d'acide paratartrique, iden- tique à l'acide paratartrique naturel (!). 1. Cette belle expérience a provoqué les applaudissements de l'auditoire. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE Q2 Le SJ Relativement à leurs propriétés chimiques et cristallographiques, tout ce que l’on fait avec l’un des acides peut se répéter avec l’autre dans les mêmes conditions, et dans tous les cas on obtient des produits identiques, mais non superposables, des produits qui se ressemblent comme la main droite et la main gauche. Mêmes formes, mêmes faces, mêmes angles, hémiédrie dans les deux cas. La seule dissemblance est dans l'inclinaison droite ou gauche des facettes hémiédriques, et dans le sens du pouvoir rotatoire. VARIE Il est manifeste par l'ensemble de ces résultats que nous avons affaire à deux corps isomères dont nous connaissons les rapports généraux de similitude et de dissemblance moléculaire. Rappelez-vous la définition de l'espèce chimique que j'indiquais tout à l'heure : c'est la collection de tous les individus identiques par la nature, la proportion et l’arrangement des éléments. Toutes les propriétés des corps sont fonctions de ces trois termes, et le but de tous nos efforts consiste à remonter par l'expérience des propriétés à la connaissance de ces trois choses. Dans les corps isomeres, la nature et la proportion sont les mêmes. L'arrangement seul diffère. Le grand intérêt de l’isomérie a été d'introduire dans la science ce principe que des corps peuvent être et sont essentiellement différents par cela seul que larrangement des atomes n'est pas le même dans leurs molécules chimiques. Mais il n'existait pas de corps isomères dont nous connussions les rapports d’arrangements moléculaires. Cette lacune se trouve comblée une première fois par la découverte de la constitution de l'acide paratartrique et des relations de constitution des acides tartriques droit et gauche. Nous savons en effet, d’une part, que les arrangements moléculaires des deux acides tartriques sont dissymé- triques, et de l’autre, qu'ils sont rigoureusement les mêmes, avec la seule différence d'offrir des dissymétries de sens opposés. Les atomes de l'acide droit sont-ils groupés suivant les spires d’une hélice dextrorsum, ou placés aux sommets d’un tétraèdre irrégulier, ou disposés suivant tel ou tel assemblage dissymétrique déterminé ? Nous ne saurions répondre à ces questions. Mais ce qui ne peut être l’objet d’un doute, c’est qu'il y a groupement des atomes suivant un ordre dissymétrique à image non superposable. Ce qui n’est pas moins certain, c'est que les atomes de lacide gauche réalisent préci- sément le groupement dissymétrique inverse de celüi-ci. Nous savons 328 ŒUVRES DE PASTEUR enfin que l'acide paratartrique résulte de la juxtaposition de ces deux groupements d’atomes inversement dissymétriques. Dès lors la constatation des ressemblances et des différences chimiques et physiques, qui correspondent à ces arrangements dont les rapports nous sont connus, offre un intérêt particulier et donne à la mécanique moléculaire des bases assurées. Elle nous permet d'établir la liaison des propriétés physiques et chimiques avec l’arran- gement moléculaire qui détermine leur existence propre, ou inver- sement elle nous permet de remonter des propriétés à leur cause première. Ces rapports généraux des propriétés et des arrangements ato- miques correspondants peuvent se résumer comme il suit : 1°. Lorsque les atomes élémentaires des produits organiques sont groupés dissymétriquement, la forme cristalline du corps manifeste celte dissymétrie moléculaire par Phémiédrie non superposable. La cause de l’hémiédrie est donc reconnue. 2, L'existence de cette même dissymétrie moléculaire se traduit en outre par la propriété optique rotatoire. La cause de la polarisation rotatoire est également déterminée (1). 3° Lorsque la dissymétrie moléculaire non superposable se trouve réalisée dans des sens opposés, comme il arrive pour les deux acides tartriques droit et gauche et tous leurs dérivés, les propriétés chimiques de ces corps identiques et inverses sont rigoureusement les mêmes; d’où il résulte que ce mode d'opposition et de similitude n'altère pas le jeu ordinaire des affinités chimiques. Je me trompe : sur ce dernier point il y a une restriction à faire, restriction importante, éminemment instructive. Le temps me ferait défaut aujourd’hui pour la développer à loisir et comme il convient. Elle trouvera sa place dans la leçon suivante. 1. Fresnel, par une de ces vues de génie, comme il en eut tant, avait en quelque sorte pressenti cette cause de la polarisation rotatoire. Il s'exprime ainsi dans un de ses mémoires au tome XXVIII des Annales de chimie et de physique, année 1825, [page 279] : « Le cristal de roche présente des phénomènes optiques qu'on ne peut concilier avec le parallélisme complet des lignes moléculaires, et qui sembleraient indiquer une déviation progressive et régulière de ces lignes dans le passage d’une tranche du milieu à la suivante. » DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 329 DEUXIÈME LECON MESSIEURS, Si l’on considère les objets matériels, quels qu'ils soient, sous le rapport de leurs formes et de la répétition de leurs parties identiques, on ne tarde pas à reconnaître qu'ils se distribuent en deux grandes classes dont voici les caractères : Les uns placés devant une glace donnent une image qui leur est superposable ; l’image des autres ne pourrait les recouvrir, bien qu'elle reproduise fidèlement tous leurs détails. Un escalier droit, une tige à feuilles distiques, un cube, le corps humain..., voila des corps de la première catégorie. Un escalier tournant, une tige à feuilles insérées en spirales, une vis, une main, un tétraèdre irrégulier..., voilà autant de formes du second groupe. Ces derniers n'ont pas de plan de symétrie. Nous savons d'autre part que les corps composés sont des agrégats de molécules identiques, formées elles-mêmes d’assemblages d’atomes élémentaires distribués d’après des lois qui en règlent la nature, la proportion et l’arrangement. L’individu, pour chaque corps composé, c'est sa molécule chimique, et celle-ci est un groupe d’atomes, non pas un groupe pêle-méêle; il y a au contraire un arrangement très déter- miné. Telle est la manière dont tous les physiciens envisagent la con- stitution des corps. Cela posé, il eût été assurément bien étonnant que la nature, si variée dans ses effets, et dont les lois permettent l'existence de tant d'espèces de corps, ne nous eût pas offert, dans les groupes atomiques des molécules composées, l’une et l’autre de ces deux catégories dans lesquelles se distribuent tous les objets matériels. Il eût été bien extraordinaire, en d’autres termes, que parmi toutes les substances chimiques, naturelles ou artificielles, il n’y eût pas des individus à image superposable et d’autres à image non superposable, Les choses se passent en effet comme il est naturel de les prévoir; toutes les combinaisons chimiques sans exception se distribuent éga- lement en deux classes ; celles à image superposable, et celles à image non superposable. Ê 330 ŒUVRES DE PASTEUR IT. Il est facile de montrer que c’est là une conséquence légitime, obligée de notre première conférence. Pour la mettre dans tout son jour, je rappellerai brièvement les conditions principales de lexpé- rience décisive par laquelle nous avons terminé la précédente leçon. Je prépare, à l’aide de l'acide paratartrique naturel, le paratartrate de soude et d’ammoniaque. Il se dépose de beaux cristaux. Si l’on observe dans l'appareil de polarisation la solution d’une portion quelconque de ce sel double, elle n'offre aucun indice de déviation optique ; et en séparant des cristaux l'acide qu'ils renferment, on reproduit lacide paratartrique, identique à celui qui a servi à les former. Jusque-là tout est simple et naturel et l’on croit avoir affaire à la cristallisation d’un sel ordinaire. Il n’en est rien cependant. Reprenez une autre portion de ces mêmes cristaux, et examinez-les un à un. Vous trouverez qu'une moitié a la forme dont je présente ici le modéle, caractérisée par une hémiédrie non superposable, que l’autre moitié a la forme inverse identique à la première dans toutes ses parties respectives, et néanmoins ne pouvant lui être superposée. Sépare-t-on alors les deux sortes de cristaux pour les dissoudre isolé- ment, on observe que l’une des deux solutions dévie la lumière pola- risée à droite, l’autre à gauche, et toutes deux de la même quantité en valeur absolue. Enfin si l’on extrait par les procédés chimiques ordinaires les acides de ces deux sortes de cristaux, on reconnaît que l’un d’eux est iden- tique à l'acide tartrique ordinaire, et que l’autre lui est de tous points semblable, sans pouvoir lui être superposé. Ils offrent entre eux les relations des deux sels d’où on les a séparés. Ils se ressemblent comme la main droite ressemble à la main gauche, mieux encore, comme se ressemblent deux tétraèdres irréguliers symétriques ; et ces analogies et ces différences se retrouvent dans tous leurs dérivés. Ce que l’on fait avec l’un on peut le répéter avec l’autre dans les mêmes conditions, et les produits résultants manifestent constamment les mêmes propriétés, avec cette seule différence que chez les uns la déviation du plan de polarisation s'exerce à droite, chez les autres à gauche, et.que les formes des espèces correspondantes, encore bien qu'identiques dans tous leurs détails, ne peuvent se superposer. Tous ces faits si clairs, sidémonstratifs, nous obligent à transporter les caractères généraux extérieurs de ces acides et de leurs combinai- sons à leurs molécules chimiques individuelles. S'y refuser serait DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 331 manquer aux règles de la logique la plus vulgaire. C’est ainsi que nous arrivons aux conséquences suivantes : 1° La molécule de l'acide tartrique, quelle qu’elle soit d’ailleurs, est dissymétrique, et d’une dissymétrie à image non superposable. 2° La molécule de l'acide tartrique gauche est précisément formée par le groupe d’atomes inverse. Et à quels caractères reconnaitrons-nous l'existence de la dissymétrie moléculaire ? D'une part à lhémiédrie non superposable, de l’autre, et surtout, à la propriété optique rotatoire lorsque le corps est en dissolution. Ces principes étant posés, examinons tous les corps de la nature ou des laboratoires, et nous trouverons facilement qu'une foule d’entre eux possèdent à la fois ce genre d’hémiédrie et la propriété rotatoire moléculaire, et que tous les autres ne nous offrent ni l’un ni l’autre de ces caractères. J'avais donc raison de le dire : La conséquence légitime et forcée de notre premier entretien peut s'exprimer de cette manière : Tous les corps (j'emploie ici cette expression dans le langage chimique) se partagent en deux grandes classes, les corps à image superposable, les corps à image non superposable ; les corps à arran- gements d’atomes dissymétriques, ceux à arrangements d’atomes ho- moédriques. NUE Ici nous rencontrons un fait qui mériterait bien de fixer l'attention, lors même qu'on l’envisagerait seul et isolé de l’ensemble des consi- dérations qui vont suivre. Le voici : Tous les produits artificiels des laboratoires et toutes les espèces minérales sont à image superposable. Au contraire, la plupart des produits organiques naturels (je pourrais même dire tous, si je n’avais à nommer que ceux qui jouent un rôle essentiel dans les phénomènes de la vie végétale et animale), tous les produits essentiels de la vie sont dissymétriques et de cette dissymétrie qui fait que leur image ne peut leur être superposée. Avant d’aller plus loin je veux écarter quelques objections qui ne manqueraient pas de s'offrir à votre esprit. Io Le quartz, direz-vous d'abord ? Nous avons vu dans la dernière leçon que le quartz possédait les deux caractères de la dissymétrie, l'hémiédrie dans la forme, observée par Haüy, et le phénomène rota- 332 ŒUVRES DE PASTEUR toire, découvert par Arago ! Néanmoins toute dissymétrie moléculaire est absente dans le quartz. Pour le comprendre, entrons un peu plus avant dans l'intelligence des phénomènes qui nous occupent. Nous y trouverons en outre l'explication des analogies et des différences déja signalées précédemment entre le quartz et les produits organiques naturels. Permettez-moi de représenter grossièrement, quoique au fond avec justesse, la structure du quartz et celle des produits organiques na- turels. Imaginez un escalier tournant dont les marches seraient des cubes, ou tout autre objet à image superposable. Détruisez l'escalier, et la dissymétrie aura disparu. La dissymétrie de l'escalier n’était que le résultat du mode d'assemblage de ses marches élémentaires. Tel est le quartz. Le cristal de quartz, c’est l'escalier tout construit. Il est hémiédrique. Il agit à ce titre sur la lumière polarisée. Mais le cristal est-il dissous, fondu, détruit dans sa structure physique d’une manière quelconque, sa dissymétrie se trouve supprimée et avec elle toute action sur la lumière polarisée, comme il arriverait, par exemple, pour une dissolution d’alun, liqueur formée de molécules à structure cubique distribuées sans ordre. Imaginez, au contraire, le même escalier tournant formé de té- traèdres irréguliers pour marches. Détruisez l’escalier, et la dissy- métrie existera encore, parce que vous aurez affaire à un ensemble de tétraèdres. Ils pourront avoir des positions quelconques, mais chacun d'eux n’en aura pas moins une dissymétrie propre. Tels sont les corps organiques où toutes les molécules ont une dissymétrie propre qui se traduit dans la forme du cristal. Lorsque le cristal est détruit par la dissolution, il en résulte une liqueur active pour la lumière polarisée, parce qu'elle est formée de molécules, pêle-mêle, il est vrai, mais ayant chacune une dissymétrie de même sens, sinon de même intensité dans toutes les directions. Le quartz n’est donc pas moléculairement dissymétrique, et quant à présent nous n'avons aucun exemple de minéral qui possède la dissymétrie moléculaire. J'ai dit qu'il fallait étendre cette proposition aux composés artificiels des laboratoires. Ici encore on pourrait avoir quelques scrupules. On pourrait objecter, par exemple, que le camphre naturel, qui est dissymétrique, donne artificiellement de l'acide cam- phorique également dissymétrique ; que l'acide aspartique provenant de l’asparagine par une réaction de laboratoire est dissymétrique à la DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 999 99 manière de l’asparagine, et je pourrais citer bien d’autres exemples pareils. Mais il ne sera douteux pour personne que les acides campho- rique et aspartique doivent au camphre et à l’asparagine leur dissymétrie propre. Celle-ci existait dans les produits mères, et elle s'est transportée, modifiée plus ou moins par substitution, de ces produits mères à leurs dérivés. On ne saurait même en général assigner de meilleures preuves de la conservation du type primitif, dans une série de produits liés entre eux par une origine commune, que la permanence de la propriété optique. Lorsque j'affirme qu'aucune substance artificielle n’a encore offert la dissymétrie moléculaire, j'entends parler des substances artificielles proprement dites, formées de toutes pièces avec des éléments miné- raux ou provenant de corps non dissymétriques. Exemple : L'alcool n'est pas dissymétrique. Sa molécule, si nous pouvions l’isoler et l’étu- dier, placée devant une glace, offrirait une image qui lui serait super- posable. Or, pas un dérivé de l’alcool n’est dissymétrique. Je pourrais à l'infini multiplier les exemples de cette nature. — Il y a plus : prenez un corps dissymétrique, quel qu'il soit, et si vous le soumettez à des réactions chimiques quelque peu énergiques, vous pouvez être assuré de voir disparaître la dissymétrie du groupe primitif. Ainsi, l'acide tartrique est dissymétrique. L’acide pyrotartrique ne l’est plus. L’acide malique est dissymétrique. Les acides maléique, paramaléique de M. Pelouze ne le sont plus. La gomme est dissymétrique, l'acide mu- cique ne l’est pas. Les produits artificiels n’ont donc aucune dissymétrie moléculaire ; et je ne saurais indiquer l'existence d’une séparation plus profonde entre les produits nés sous l'influence de la vie et tous les autres. Insistons un peu, parce que vous verrez dans la suite de cette leçon se dégager de plus en plus le côté physiologique de ces études. Passons en revue les principales classes des produits organiques naturels : Cellulose, fécules, gommes, sucres, acides tartrique, malique, quinique, lannique,.. morphine, codéine, quinine, strychnine, bru- cine, essences de térébenthine, de citron, albumine, fibrine, géla- tine. Tous ces principes immédiats sont moléculairement dissymé- triques. Toutes ces matières ont le pouvoir rotatoire à l’état de disso- lution; caractère nécessaire et suffisant pour établir leur dissymétrie, lors même que, par l'absence de la cristallisation possible, l’hémiédrie ferait défaut pour la reconnaissance de cette propriété. Dans cette énumération figurent toutes les substances les plus es- sentielles de l'organisme végétal et animal. Il y a beaucoup de substances naturelles qui ne sônt pas dissymé- 334 ŒUVRES DE PASTEUR triques. Mais sont-elles naturelles au même titre que les autres? Ne faut-il pas voir dans des corps tels que l'acide oxalique, l’hydrure de salicyle, l'acide fumarique.... des dérivés des substances naturelles proprement dites, formés par des actions analogues à celles des labo- ratoires. Ces produits me paraissent être dans l'organisme végétal ce que l’urée, l'acide urique, la créatine, le glycocolle.….. sont dans l’orga- nisme animal, des excrétions plutôt que des sécrétions, si je puis ainsi parler. Il serait très intéressant de suivre ce point de vue expé- rimentalement. Ajoutons à cela que beaucoup de corps non dissymétriques en ap- parence pourraient être des paratartriques. Il manque encore un mot à la langue chimique pour exprimer le fait d’une double dissymétrie moléculaire cachée par la neutralisation de deux dissymétries inverses, dont les effets physiques et géométriques se compensent rigoureu- sement. La double proposition à laquelle nous venons d’être conduits sur la dissymétrie habituelle des principes immédiats organiques et sur l'ab- sence de ce caractère dans tous les produits de la nature morte va nous permettre d'agrandir et de préciser davantage notre manière de voir au sujet de cette remarquable propriété moléculaire. VI. En 1850, M. Dessaignes (!), dont tous les chimistes connaissent l'ingénieuse habileté, annonça à l’Académie qu'il était parvenu à transformer le bimalate d’ammoniaque en acide aspartique. C'était un progrès qui venait confirmer les résultats importants que M. Piria (?) avait obtenus quelques années auparavant. M. Piria avait réussi à trans- former l’asparagine et l'acide aspartique en acide malique. M. Des- saignes, à son tour, montrait qu'inversement on pouvait revenir de l'acide malique à l'acide aspartique. Jusque-là rien que de très naturel dans lobservation de M. Des- saignes, même au point de vue optique. Car de mon côté j'avais reconnu que l’asparagine, l'acide aspartique et l'acide malique étaient actifs sur la lumière polarisée. Le passage chimique de l’un de ces corps aux autres n'avait rien qui pût surprendre. Quelques mois plus tard M. Dessaignes fit un pas de plus. Il 1, DESSAIGNES. Loe, cit. 2. Pirra. Loc. eit. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 335 annonça que non seulement le bimalate d’ammoniaque, mais aussi les fumarate et maléate d’ammoniaque avaient également la propriété de se transformer par la chaleur en acide aspartique. Ici je voyais une impossibilité ; ou, si la chose était telle que l’avan- çait M. Dessaignes, cet habile chimiste avait fait une découverte dont il ne se doutait pas. En effet, j'avais observé que les acides fumarique, maléique et tous leurs sels étaient sans action sur la lumière polarisée. Si donc M. Dessaignes avait réussi à transformer leurs sels d’ammo- niaque en acide aspartique, il aurait réalisé pour la première fois la production d’un corps dissymétrique à l’aide de composés qui ne le sont pas. Mais il me paraissait plus raisonnable de croire que l'acide aspar- tique de M. Dessaignes différait de l'acide aspartique naturel notam- ment par l'absence de la propriété rotatoire moléculaire. M. Dessaignes, il est vrai, avait comparé avec soin les propriétés de l'acide artificiel avec celles de l’acide naturel, et il les avait, disait-il, trouvées iden- tiques. Mieux que personne, par exemple de M. Mitscherlich, dont j'ai parlé dans la dernière séance, je savais combien ces constatations d'identités d'espèces chimiques étaient choses délicates, dans des études où la plus grande similitude de propriétés cache souvent de profondes différences. Je n’hésitai donc pas à croire que le fait nouveau annoncé par M. Dessaignes avait besoin de confirmation. J'attachais tant d'importance à éclaircir cette question et dans la prévision même des résultats que je vais avoir l'honneur de vous exposer, que je fis immédiatement le voyage de Vendôme, où je rendis compte de mes préoccupations à M. Dessaignes, qui s'empressa de me remettre un échantillon de son acide aspartique. Dès mon retour à Paris, je reconnus, en effet, que l'acide de M. Dessaignes n’était qu'un isomère de l'acide aspartique naturel, c'est-à-dire de l'acide dérivé de l’asparagine, et il en différait, comme je l'avais prévu, par la propriété rotatoire, tout à fait absente dans l'acide artificiel, non douteuse dans lacide naturel. Mais toutes les autres propriétés physiques et chimiques offraient les plus grandes analogies, si grandes que M. Dessaignes, qu'aucune idée préconçue ne mettait en garde, avait conclu à l'identité réelle des deux substances. Ce qui me séduisait le plus dans l'examen du nouveau composé (qui par lui-même n'offre pas de combinaisons cristallisables bien remar- quables), c'était sa transformation en acide malique. On sait en effet que M. Piria, je viens de le rappeler tout à l'heure, a donné depuis longtemps le moyen de passer de l’asparagine et de l'acide aspartique à l’acide malique, et je m'étais assuré par les épreuves lés plus précises 336 ŒUVRES DE PASTEUR que cet acide malique était identique avec celui du sorbier, des pommes, du raisin, et du tabac. J'appliquai done à l'acide nouveau le mode d'action trouvé par M. Piria, et je le transformai effectivement en un acide malique nouveau très semblable à l'acide naturel, si voisin de ce dernier qu'un chimiste aurait bien de la peine à les distinguer, même étant prévenu de leur dissemblance réelle ; seulement, cet acide malique n'avait aucune action sur la lumière polarisée, et il en était ainsi de toutes ses combinaisons salines. Il y a certains dérivés de ces deux acides maliques dont Ja comparaison ne manifeste pas très bien la véritable dépendance mutuelle d’arrangements moléculaires de ces curieux isomères, mais il en est d’autres où elle se montre dans tout son jour. Consi- dérons, par exemple, le bimalate de chaux ordinaire actif et le bimalate correspondant inactif. Leur composition chimique est exac- tement la même, et leurs formes cristallines sont pareilles, avec cette différence que la forme de l'actif porte quatre petites faces hémi- édriques toujours absentes dans la forme de linactif. D'où il résulte que, placée devant une glace, l’image de l'actif ne peut lui être su- perposée, tandis que l’image de l’inactif est absolument identique et superposable à la réalité qui la donne. Mais quoi qu'il en soit pour tout ce qui n’est pas faces hémiédriques, il y a ressemblance parfaite des deux formes. Qui pourrait douter, d’après cela, des rapports d’arrangements moléculaires de ces deux sels? N'est-il pas évident que nous avons ici affaire à un acide malique identique au naturel, sauf la simple suppression de sa dissymétrie moléculaire ? C’est l'acide malique naturel détordu, si je puis n’exprimer ainsi. L’acide naturel est-il un escalier tournant pour l’arrangement de ses atomes, celui-ci est le même escalier formé des mêmes marches, mais droit au lieu d’être en spirale. On pourrait se demander si le nouvel acide malique n'est pas le paratartrique de la série, c’est-à-dire la combinaison de lacide malique droit et de lacide malique gauche. Cela est bien peu probable, car alors non seulement avec un corps inactif on aurait fait un corps actif, on en aurait fait deux, un droit et un gauche. D'ailleurs j'ai reconnu que, de même qu'il existe un acide malique inactif non dissymétrique, il y a également un acide tartrique inactif non dissymétrique très différent de lacide paratartrique et qui ne peut se résoudre en acide tartrique droit et en acide lartrique gauche. Il n’est pas possible ici de douter que l’on a bien DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 337 affaire à l’acide tartrique droit ou gauche rendu non dissymétrique. J'ai également découvert l'alcool amylique inactif qui donne lieu à toute une série de produits inactifs correspondant à la série de l'alcool amylique actif. Nous voilà, grâce à la découverte des corps inactifs, en posses- sion d’une idée féconde : une substance est dissymétrique, droite ou gauche; par certains artifices de transformations isomériques qu'il faudra rechercher et découvrir pour chaque cas particulier, elle peut perdre sa dissymétrie moléculaire, se détordre, pour employer une image grossière, et affecter dans l’arrangement de ses atomes une disposition à image superposable. De telle manière que chaque substance dissymétrique offre quatre variétés, ou mieux quatre sous- espèces distinctes : le corps droit, le corps gauche, la combinaison du droit et du gauche, et le corps qui n’est ni droit ni gauche, ni formé par la combinaison du droit et du gauche. VAE Cette conclusion générale des études qui précèdent éclaire d’un jour nouveau nos idées de mécanique moléculaire. Nous y voyons que si les produits naturels organisés sous l'influence de la vie végétale sont ordinairement dissymétriques, contrairement à ce que nous offrent les produits minéraux et artificiels, cette disposition des particules élémentaires n’est pas une condition de l'existence de la molécule, que le groupe organique tordu peut se détordre et prendre alors le caractère général des substances artificielles ou minérales. Par contre, il me paraît logique de regarder ces dernières comme susceptibles de présenter un arrangement dissymétrique de leurs atomes à la manière des produits naturels. Les conditions de leur production sont à découvrir. En dernière analyse, et pour résumer ce qui précède, les groupes d’atomes élémentaires qui constituent la matière composée peuvent revêtir deux états distincts, correspondant aux deux types généraux dans lesquels on peut faire rentrer tout objet matériel. La forme du groupe est à image superposable ou à image non superposable; mais ce dernier type est double parce que son inverse peut exister au même titre que lui. Il faut y ajouter le cas de l'association de ces deux types inverses qui rappelle l'union par paires des membres identiques et non superposables des animaux supérieurs. De telle sorte qu'il y a en réalité pour les groupes d’atomes qui constituent DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 22 338 ŒUVRES DE PASTEUR la matière quatre dispositions remarquables. Tous nos efforts doivent tendre à les produire pour chaque espèce particulière. Il y a dans ‘presque toutes ces considérations une telle rigueur qu'il est comme impossible de les révoquer en doute. Ainsi comment se refuser à admettre qu'un corps droit a son gauche possible, connaissant comme nous la connaissons la signifi- cation du caractère droit ou gauche? Ce serait douter qu'un tétraèdre irrégulier a son inverse, qu'une hélice dextrorsum a son inverse sinistrorsum, qu'une main a sa gauche possible. Et dès lors si l'influence mystérieuse à laquelle est due la dissy- métrie des produits naturels venait à changer de sens ou de direc- tion, les éléments constitutifs de tous les êtres vivants prendraient une dissymétrie inverse. Peut-être un monde nouveau s’offrirait à nous, Qui pourrait prévoir l’organisation des êtres vivants, si la cellulose de droite qu’elle est devenait gauche, si l’albumine du sang de gauche devenait droite? I y a là des mystères qui préparent à l'avenir d'immenses travaux et appellent dès aujourd'hui les plus sérieuses méditations de la science. VELUUIE Seulement, comme'la chimie à été jusqu'à présent impuissante à préparer des corps dissymétriques, on pourrait craindre d'ignorer toujours le mode de production des corps inverses des substances organiques naturelles. Heureusement cette crainte est exagérée. J'ai reconnu en effet que, par des procédés chimiques ordinaires, tels que l’action de la chaleur, on pouvait passer d’un corps droit à son gauche et inversement. Ainsi, en chauffant l'acide tartrique droit dans certaines conditions déterminées qu'il serait trop long de spécifier ici, 1l se transforme en acide tartrique gauche ou mieux en acide paratartrique. Et inversement dans les mêmes conditions, exacte- ment, l'acide tartrique gauche devient droit. Voilà 10 à 12 grammes ‘d'acide tartrique gauche tout à fait pur, qui ont été obtenus de cette manière. Leur préparation m'a coûté bien des peines. Mais, M. Biot désirait d’une manière toute particu- lière étudier les caractères de dispersion de cet acide tartrique gauche si remarquable par son origine. Il a voulu faire lui-même les frais de l'opération, fort dispendieuse, car la transformation repose sur l'emploi du tartrate de cinchonine ou de quinine, et la base est perdue parce que le tartrate doit être chauffé à une tempé- ralure qui la détruit. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 339 J'ai préparé par ce procédé assez d'acide paratartrique pour pouvoir en retirer 12 grammes d'acide tartrique gauche qui a offert, en sens inverse, rigoureusement les mêmes caractères optiques que l’acide tartrique. On devra toujours considérer comme un grand progres de la chimie organique toute transformation analogue d’un corps naturel dissymétrique en son inverse. IX°. J'ai fait allusion en terminant notre première conférence à des observations auxquelles il est temps que nous donnions toute l’atten- tion qu'elles méritent. Ces observations sont relatives à la comparaison des propriétés physiques et chimiques des isomères droits et gauches correspondants. J'ai insisté déjà sur l'identité parfaite de toutes leurs propriétés, en exceptant toutefois l’inversion de leurs formes cristal- lines et l'opposition de sens de leurs déviations optiques. Aspect phy- sique, éclat des cristaux, solubilité, poids spécifique, simple ou double réfraction, tout y est, non pas seulement pareil, semblable, très voisin, mais identique, dans l’acception la plus rigoureuse du mot. Cette identité est d'autant plus remarquable que nous allons la voir remplacée par une opposition générale et considérable des pro- priélés de ces mêmes substances, lorsqu'elles se trouvent dans les conditions particulières que je vais indiquer. Nous avons reconnu qu'il fallait distribuer tous les composés chimiques artificiels ou naturels, minéraux ou organiques, en deux grandes classes : les composés à image superposable non dissymé- triques, et les composés à image non superposable dissymétriques. Cela posé, l'identité de propriétés dont je viens de parler pour les deux acides tartriques et leurs dérivés similaires existe constam- ment avec les caractères absolus que j'ai rappelés, toutes les fois qu'on place ces substances en présence d’un composé quelconque de la classe des corps à image superposable — tels que la potasse, la soude, Pam- moniaque, la chaux, la baryte, l’aniline,.…. l’alcool, les éthers,... — en un mot, de tous les composés, quels qu'ils soient, non dissymétriques, non hémiédriques de formes, sans action sur la lumière polarisée. Vient-on à les soumettre, au contraire, aux produits de la seconde classe à image non superposable, l’'asparagine, la quinine, la strychnine, la brucine, l’albumine, le sucre, etc... etc, corps dissymétriques comme eux, tout change à l'instant. La solubilité n’est plus la même. S'il y a combinaison, la forme cristalline, le poids spécifique, la quan- 310 ŒUVRES DE PASTEUR tité d’eau de cristallisation, la destruction plus ou moins facile par la chaleur, tout diffère, autant que diffèrent les corps isomères les plus éloignés. Voilà donc que la dissymétrie moléculaire des corps s’introduit dans la chimie comme un modificateur puissant des affinités chimiques. Vis-à-vis des deux acides tartriques, la quinine ne se comporte pas comme la polasse, uniquement parce qu'elle est dissymétrique et que la potasse ne lest pas. La dissymétrie moléculaire s'offre dès lors comme une propriété capable à elle seule, en tant que dissymétrie, de modifier les affinités chimiques. Je ne crois pas qu'aucune décou- verte ait été encore aussi loin dans la partie mécanique du problème des combinaisons. Essayons de nous représenter la cause de ces identités et de ces dissemblances. Que l’on suppose une hélice dextrorsum et une hélice sinistrorsum pénétrant séparément deux blocs de bois identiques et à filets droits. Toutes les conditions mécaniques des deux systèmes seront les mêmes. Il n’en sera plus ainsi du moment où ces mêmes hélices seront associées à des blocs contournés eux-mêmes en hélices de mêmes sens ou de sens opposés. Xe Voiciune application très intéressante des faits que je viens d'exposer. En voyant les acides tartriques droit et gauche engagés dans des combinaisons devenues aussi dissemblables par le fait seul du pouvoir rotatoire de la base, il y avait lieu d'espérer que de cette dissemblance même résulteraient des forces chimiques capables de balancer l’affinité mutuelle de ces deux acides, et par suite un moyen chimique de dissocier les deux éléments de l'acide paratartrique. Jai cherché longtemps sans réussir ; mais j'y suis arrivé à l’aide de deux bases nouvelles isomères de la quinine et de la cinchonine, et que j'obtiens très facilement, sans la moindre perte, à l’aide de ces der- nières : la quinicine et la cinchonicine. Je prépare le paratartrate de cinchonicine en neutralisant la base, puis, ajoutant autant d'acide qu'il en a fallu pour la neutralisation, je fais cristalliser, et les premières cristallisations sont formées de tartrate gauche de cinchonicine parfaitement pur. Tout le tartrate droit reste dans la liqueur, parce qu’il est plus soluble. Puis il finit par cristalliser lui-même et sous un aspect différent, parce qu'il n'a pas la même forme cristalline que le gauche. On croirait avoir affaire à la cristallisation de deux sels très distincts, d’inégale solubilité. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 341 XI: Mais la dissemblance des propriétés des corps droits et gauches correspondants, lorsqu'on les soumet à des forces dissymétriques, me paraît offrir un intérêt de premier ordre par les idées qu’elle nous suggère sur la cause mystérieuse qui préside à la disposition dissymétrique des atomes dans les substances organiques naturelles. Pourquoi cette dissymétrie? Pourquoi même telle dissymétrie plutôt que son inverse ? Reportez-vous avec moi par la pensée à l’époque où, ayant reconnu l'identité absolue des propriétés physiques et chimiques des corps droits et gauches correspondants, je n'avais aucune idée, pas même le soupçon de différences possibles entre ces corps. C’est en effet à plu- sieurs années de distance que j'ai reconnu ces identités et ces diflé- rences. IL m'était alors impossible de comprendre comment la nature pouvait faire un corps droit sans faire en même temps le corps gauche. Car les mêmes forces qui sont en jeu au moment de l’élabo- ration de la molécule d'acide tartrique droit devaient, ce semble, donner la molécule gauche, et il n’y aurait eu que des paratartriques. Pourquoi même des droits ou des gauches ? Pourquoi pas seule- ment des non-dissymétriques, des substances de l’ordre de celles de la nature morte ? Il y a évidemment des causes à ces curieuses manifestations du jeu des forces moléculaires. Les indiquer d’une manière précise serait assurément chose bien difficile. Mais je ne crois pas me tromper en disant que nous connaissons un de leurs caractères essen- tiels. N’est-il pas nécessaire et suffisant d'admettre qu'au moment de l'élaboration dans l'organisme végétal des principes immédiats, une force dissymétrique est présente ? Car nous venons de voir qu'il n’y avait qu’un seul cas où les molécules droites différaient de leurs gauches, le cas où elles sont soumises à des actions d’un ordre dissy- métrique. Ces actions dissymétriques, placées peut-être sous des influences cosmiques, résident-elles dans la lumière, dans l'électricité, dans le magnétisme, dans la chaleur? Seraient-elles en relation avec le mouvement de la terre, avec les courants électriques par lesquels les physiciens expliquent les pôles magnétiques terrestres ? Il n’est pas même possible aujourd’hui d'émettre à cet égard les moindres conjectures. 342 ŒUVRES DE PASTEUR Mais je regarde comme nécessaire la conclusion de l'existence de forces dissymétriques au moment de l'élaboration des produits organiques naturels, forces qui seraient absentes ou sans effet dans les réactions de nos laboratoires, soit à cause de la brusque action de ces phénomènes, soit pour toute autre circonstance inconnue. XII. Nous arrivons enfin à une dernière expérience dont l'intérêt ne le cède à aucune de celles qui précèdent, par la preuve qu’elle nous donnera manifestement de l'influence de la dissymétrie dans les phénomènes de la vie. Déja nous avons vu tout à l'heure la dissy- métrie intervenir comme modificateur des affinités chimiques ; mais il s'agissait de réactions purement minérales, artificielles, et lon sait toute la prudence qu’il faut avoir dans l’application aux phéno- mènes de la vie des résultats des laboratoires. Aussi ai-je conservé pour moi presque toutes les vues de cette leçon jusqu'au moment où j'ai reconnu de la manière la plus certaine que la dissymétrie moléculaire s’offrait comme un modificateur des affinités chimiques, non plus dans les réactions de la nature morte, mais dans celles de l’ordre physiologique, dans les fermentations. Voici le phénomène remarquable auquel je fais allusion. On savait depuis longtemps, par l'observation d’un fabricant de produits chimiques d'Allemagne, que le tartrate de chaux impur des fabriques, souillé de matières organiques, et abandonné sous l’eau en été, peut fermenter et donner divers produits. Cela posé, j'ai mis en fermentation le tartrate ordinaire droit d’ammoniaque de la manière suivante : je prends le sel très pur, cristallisé, je le dissous, en ajoutant à la liqueur une dissolution très limpide de matières albuminoïdes. 1 gramme de matières albu- minoïdes sèches suffit pour 100 grammes de tartrate. Très souvent il arrive que la liqueur placée dans une étuve fermente spontané- ment. Je dis très souvent; mais on peut ajouter que cela a toujours lieu si l’on a soin de mêler à la liqueur une quantité très petite d’une de ces mêmes liqueurs pour lesquelles on a réussi à obtenir la fermentation spontanée. Jusque-là rien de bien particulier, c’est un tartrate qui fermente. Le fait est connu. Mais appliquons ce mode de fermentation au paratartrate d’ammo- niaque, et dans les conditions précédentes il fermente. Il se dépose la même levûre. Tout annonce que les choses se passent absolument DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 343 comme dans le cas du tartrate droit. Cependant, si l’on suit la marche de l'opération à l’aide de lappareil de polarisation, on reconnaît bien vite des différences profondes entre les deux opéra- tions. Le liquide primitivement inactif possède un pouvoir rotatoire à gauche sensible qui augmente peu à peu et atteint un maximum. Alors la fermentation est suspendue. Il n’y a plus trace d'acide droit dans la liqueur, qui évaporée et mélée à son volume d'alcool fournit immédiatement une belle cristallisation de tartrate gauche d’ammo- niaque. Remarquons d’abord dans ce phénomène deux choses distinctes : comme dans toute fermentation proprement dite, il y a une substance qui se transforme chimiquement, et corrélativement il y a développe- ment d'un corps possédant les allures d’un végétal mycodermique. D'autre part, et c’est là ce qu'il importe de noter en ce moment, la levûre qui fait fermenter Île sel droit respecte le sel gauche, malgré l'identité absolue des propriétés physiques et chimiques des deux tar- trates droit et gauche d’ammoniaque, toutes les fois qu'on ne les soumet pas à des actions dissymétriques. Voilà donc la dissymétrie moléculaire propre aux matières orga- niques intervenant dans un phénomène de l’ordre physiologique, et elle y intervient à titre de modificateur des affinités chimiques. Il n’est pas douteux le moins du monde que ce soit le genre de dissymétrie propre à l’arrangement moléculaire de lacide tartrique gauche qui est la cause unique, exclusive, de la différence qu'il présente avec l'acide droit, sous le rapport de sa fermentation. Et ainsi se trouve introduite dans les considérations et les études physiologiques l’idée de l'influence de la dissymétrie moléculaire des produits organiques naturels, de ce grand caractère qui établit peut- être la seule ligne de démarcation bien tranchée que l’on puisse placer aujourd'hui entre la chimie de la nature morte et la chimie de la nature vivante. XIII. Tels sont, Messieurs, dans leur ensemble les travaux dont j'ai été chargé de vous entretenir. Vous avez compris, chemin faisant, pourquoi j'ai intitulé mon exposition : De la Dissymétrie moléculaire dans les produits organiques naturels. C'est en eflet la théorie de la dissymétrie moléculaire que nous venons d'établir, Pun des chapitres les plus élevés de la science, complètement imprévu, et qui ouvre à la physiologie des horizons tout nouveaux, éloignés, mais certains. 344 ŒUVRES DE PASTEUR Je porte ce jugement sur les résultats de mes propres recherches sans qu'il se mêle à l'expression de ma pensée aucune satisfaction d’'amour-propre d’auteur. À Dieu ne plaise qu'il y ait jamais dans cette chaire de personnalités possibles! Ce sont comme des pages de l’histoire de la chimie que nous écrirons successivement avec le sentiment de dignité qu'inspire toujours l'amour vrai de la science (1). 1. Ces deux lecons ont été traduites en anglais par W.S. W. Ruschenberger : Researches on the molecular dissymmetry of natural organic products. Translated from « Leçons de chimie professées en 1860 ». American Journal of Pharmacy, 3 sér., X, 1862, p. 1-16 et 97-112 : et (Philadelphia), 1862, broch. de 82 p. in-8. — Il en existe aussi une traduction en allemand : Ueber die Asymmetrie bei natürlich vorkommenden organischen Verbindungen. Uebersetzt und herausgegeben von M. und A. Ladenburg. Leipzig, 1891, W. Engelmann, broch. de 36 p. in-12. (Note de l'Édition.) _ LETTRE ADRESSÉE AUX RÉDACTEURS DES ANNALES DE CHIMIE ET DE PHYSIQUE (!) [AU SUJET D'UNE NOTE DE MM. PERKIN ET DUPPA : « SUR LA TRANSFORMATION DE L'ACIDE SUCCINIQUE EN ACIDE TARTRIQUE »| (°) MESSIEURS, Permettez-moi de vous adresser quelques observations au sujet de l'important travail de MM. Perkin et Duppa, inséré dans le cahier d'octobre des Annales de chimie et de physique. Tous les chimistes ont appris avec un vif intérêt le procédé à l’aide duquel MM. Perkin et Duppa sont parvenus à transformer l'acide succinique en acide tartri- que. L'annonce de ce résultat me suggéra néanmoins des doutes, de même nature que ceux que j'avais eus autrefois, à l’époque où M. Des- saignes avait avancé que les acides maléique et fumarique pouvaient être transformés dans les acides aspartique et malique. En effet, l’acide succinique paraît n’avoir aucune action sur la lumière pola- risée. Passer de l'acide succinique à l'acide tartrique par une réaction de laboratoire, c'était obtenir un corps actif sur la lumière polarisée à l’aide d’un corps inactif. Je ne connais pas d’exemple bien prouvé de ce fait. Dès que j'appris, au mois de juillet dernier, que MM. Perkin et Duppa avaient annoncé que l’on pouvait faire de l’acide tartrique avec l'acide succinique, je m'empressai d'écrire à M. Perkin pour lui communiquer mes scrupules et le prier de vouloir bien me confier une petite quantité de son acide tartrique artificiel. Dès qu'il eut reçu ma lettre, M. Perkin mit la plus grande obligeance à m'envoyer les quel- ques décigrammes qui lui restaient de cet acide. Mes prévisions se réalisèrent, mais en partie seulement. Je 1. Annales de chimie et de physique, æ sér., LXI, 1861, p. 484-488. 2. PEriN et Duppa. Sur la transformation de l'acide succinique en acide tartrique. Annales de chimie et de physique, 3 sér., LX, 1860, p. 127-128. — Sur l'acide bibromosuc- cinique et sur la production artificielle de l'acide tartrique. Zbid., p. 234-236. (Note de l'Édition.) 346 ŒUVRES DE PASTEUR reconnus que l'acide tartrique dérivé de l'acide succinique n’est pas l'acide tartrique ordinaire, mais bien l'acide paratartrique. La nouveauté de ce résultat, et les réflexions qu'il suggère, seront mieux comprises si je rappelle d’abord quelques-unes des consé- quences de mes recherches sur la dissymétrie moléculaire des produits organiques naturels. Nous savons aujourd’hui que les groupes d’atomes qui forment les corps composés peuvent affecter, sans changer de nombre ni de nature, quatre arrangements distincts. Voici comment on peut les distribuer (1) : Droits. Exemple : l'acide tartrique ordi- naire. Gauches. Exemple: l'acide tartrique gauche. Corps actifs : Groupes moléculaires l'acide tartrique inactif. Ni droits ni gauches, par compensation. Exemple : l'acide paratartrique. / Ni droits ni gauches, par nature. Exemple : Corps inactifs : Groupes moléculaires | Ainsi, de même qu'il existe quatre acides tartriques, nous devons croire à l'existence possible de quatre acides succiniques : l'acide succinique droit; l'acide succinique gauche ; l'acide succinique inactif par nature ; l'acide succinique inactif par compensation ; et toutes les fois que l’on considérera une substance chimique quel- conque, et à plus forte raison une substance que l’on soupçonnera être identique avec un principe immédiat naturel, il faudra se demander laquelle des quatre sous-espèces précédentes elle représente. Quant aux transformations de ces isomères les uns dans les autres, voici ce que nous savons. Les actifs peuvent se transformer dans les inactifs. Avec l'acide tartrique droit, aussi bien qu'avec l’acide tartrique gauche, j'ai fait de l'acide paratartrique, et de l’acide tartrique inactif par nature. J'ai pu transformer également lacide paratartrique en acide tartrique inactif par nature. Relativement aux transformations inverses des inactifs en actifs, nous savons seulement que le paratar- trique, ou inactif par compensation, est résoluble en ses deux compo- sants droit et gauche; mais on n’a pas réussi à transformer linactif par nature en inactif par compensation, ou en actif simple, droit ou gauche. Revenons à l’acide succinique. 1. Bror. Introduction aux recherches de mécanique chimique, dans lesquelles la lumière polarisée est employée auxiliairement comme réactif. Annales de chimie et de physique, 3e sér., LIX, 1860, p. 306. PR PS TT ee DISSYMÉTRIE MOLECULAIRE 347 Maintenant que nous savons que l’acide tartrique qui en dérive n'est pas l’acide tartrique inactif (au moins exclusivement, car on va voir que ce dernier acide prend naissance dans la réaction), mais bien l'acide paratartrique, il est raisonnable de se demander si l'acide sucei- nique est réellement inactif par nature. Ne serait-ce pas, et notamment celui qui a servi à MM. Perkin et Duppa, un corps inactif par compen- sation, auquel cas on comprendrait mieux sa transformation en acide paratartrique ? Enfin l’on doit rechercher si l'acide succinique employé par ces chimistes ne serail pas un cofps actif dont l’action sur la lumière polarisée serait tres faible et difficile à mettre en évidence. La question pourra être singulièrement éclaircie par une décou- verte toute récente que vient de faire M. Simpson (1). Il a réussi à s'élever par des modifications successives du gaz oléfiant à l'acide succinique. On ne peut guère douter que l'acide succinique préparé de cette manière ne soit inactif par nature. Il y a lieu de se hâter de le trans- former en acide tartrique par le procédé de MM. Perkin et Duppa. Fournira-t-il également de l'acide paratartrique, ou seulement de l'acide tartrique inactif par nature? Cette recherche pourra lever bien des doutes. Vous aurez remarqué, Messieurs, le passage de la Note de MM. Per- kin et Duppa où ces chimistes signalent la production d’un acide siru- peux qui prend naissance en même temps que leur acide tartrique. Ils ajoutent, en terminant, que ce résidu sirupeux paraît être l'acide pyruvique. Sur ma demande, M. Perkin a bien voulu m'envoyer également ce résidu sirupeux. Or j'ai reconnu qu'il renferme une proportion notable d’acide tartrique inactif par nature, acide que je n'avais rencontré jusqu’à ce jour que parmi les produits de transformation des tartrates ou paratartrates de cinchonine. Voilà, Messieurs, une lettre bien longue pour les personnes habi- tuées aux considérations que j'y développe. Mais peut-être n’est-il pas inopportun d’y insister, aujourd'hui’que de divers côtés surgissent des travaux pleins d'avenir, au sujet des acides tartrique, succinique et malique. M. Kekulé (?), par exemple, vient de transformer également l'acide succinique en acide malique. Quel acide malique a-t-il obtenu ? 1. Simpson (M.). On the synthesis of suceinie and pyrotartaric acids. Philosophical Trans- actions of the Royal Society of London, CLI (part I), 1861, p. 61-67. (Note de l'Édition.) 2. Kexkuzé. Note sur l’action du brome sur l'acide succinique et sur la transformation des acides succiniques bromés en acides tartrique et malique. Annales de chimie et de physique, sc sér., LX, 1860, p. 119. 348 ŒUVRES DE PASTEUR M. Dessaignes (!) a annoncé récemment qu’il était parvenu à descen- dre de l'acide tartrique à l'acide malique. Quel acide malique a-t-il obtenu ? Nul doute d’ailleurs que le procédé de M. Dessaignes ne s'applique avec le même succès aux quatre acides tartriques ; et dès lors il faut espérer que nous serons bientôt en possession des quatre acides maliques. Je m'empresse de mentionner ici un scrupule que j'ai toujours eu en ce qui concerne l'acide malique que j'ai appelé inactif. Est-ce bien l'acide malique inactif par nature ? Ne serait-ce pas l’acide malique inactif par compensation, le racémique malique (2), si je puis ainsi parler? On le saura dès que les quatre acides maliques auront été obtenus. Vous excuserez, Messieurs, la liberté que j'ai prise, soit en vous indiquant plusieurs desiderata de la science, soit en vous soumettant mes doutes sur des points délicats. Ces études m'ont toujours offert tant d'intérêt que je n’aurais laissé à personne le soin d'aborder les uns et les autres, si je n'étais tout entier dans d’autres travaux, dont la difficulté ne me laisse ni trêve ni repos (*). 1. DessarGxes. Acide malique obtenu par la désoxydation de l'acide tartrique. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LI, 1860, p. 372. 2. Que l’on me passe cette mauvaise locution. Je regrette chaque jour davantage que nous n’ayons pas encore des dénominations univoques, applicables d’une manière générale, pour exprimer le fait de la dissymétrie moléculaire, le sens dans lequel elle s'exerce, ou son absence dans les groupes moléculaires qui constituent les corps composés. Ce serait peut-être à moi d'oser, le premier, combler cette lacune. Mais c'est un périlleux honneur que celui de créer des mots nouveaux dans notre langue. Le mieux, semble-t-il, serait d'ajouter au nom de l'espèce type des syllabes euphoniques qui caractériseraient l’état des quatre variétés sous lesquelles on peut la rencontrer. 3. Pasteur est alors en pleines recherches sur les fermentations. (Note de l'Édition.) [REMARQUES SUR LA CONSTITUTION MOLÉCULAIRE DE L’ACIDE PARATARTRIQUE|] (!) M. Carlet ayant eu l’obligeance de me communiquer, depuis plu- sieurs jours, les faits si intéressants qu'il vient d'annoncer à la Société chimique (?), j'ai réfléchi aux conséquences que l’on peut en déduire rela- tivement à la constitution de la dulcine, de lPacide succinique, de la mannite, de l'acide mucique et de tous les corps inactifs, probablement très nombreux, chez lesquels on reconnaîtra ultérieurement la pro- priété de fournir, par oxydation ou autrement, de l'acide paratartrique. L'idée la plus naturelle qui se présente à l'esprit, c’est que toutes ces substances inactives renferment un groupe moléculaire double, analo- gue à celui qui constitue l’acide paratartrique, et le plus grand intérêt des résultats dont il vient d’être question est de nous conduire à cette vue de l'esprit sur la constitution moléculaire de corps tout à fait inconnus jusqu’à ce jour pour le mode d’arrangement de leurs atomes. Comme nous ne connaissons pas encore, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer ailleurs, d'exemple bien prouvé de la transformation de corps inactifs en corps actifs, il n’est pas logique d'admettre que les corps inactifs en question n'ont fait que se transformer en un corps actif double, et que le résultat n'indique rien de particulier sur leur propre constitution moléculaire. Cependant il y a une autre manière de voir sur laquelle je désire appeler lattention de la Société. Rien n’est mieux prouvé assurément que la constitution moléculaire de l'acide paratartrique. L’acide tartrique droit et l'acide tartrique gauche se combinent, équivalent à équivalent, avec dégagement de chaleur et forment par leur union de l’acide paratartrique. Ce dernier, par diffé- rents procédés, aujourd’hui au nombre de quatre, se dédouble en acide tartrique droit et en acide tartrique gauche. Par l'analyse et par 1. Bulletin des séances de la Société chimique de Paris, séance du 9 août 1861, t. IT, p. 103-104. 2. CarLer. Sur la formation de l'acide paratartrique au moyen de la mannite et la déri- valion des acides tartrique et paratartrique. 1b:4., p. 101-108. (Note de l’Édition.) 350 ŒUVRES DE PASTEUR la synthèse, nous sommes donc conduits à envisager l'acide paratar- trique comme une combinaison, à équivalents égaux, d'acide tartrique droit et d’acide tartrique gauche. Je me demande cependant de quelle nature est cette combinaison. S'il nous était permis de voir une molé- cule d’acide paratartrique, la verrions-nous double? L’acide tartrique droit y existe-t-il tout formé ainsi que l'acide tartrique gauche ? N'’est- ce pas virtuellement, si je puis parler ainsi, que l'acide paratartrique est une combinaison d'acide tartrique droit et d'acide tartrique gauche ? La diagonale d’un parallélogramme est en grandeur et en direction la résultante des deux forces que représentent les côtés du parallélo- gramme. Elle peut les remplacer dans leurs effets ; elle peut se décom- poser en ces deux forces élémentaires. Cependant elle ne renferme pas individuellement lune et l’autre de ces forces. N'est-ce pas ainsi que l'acide paratartrique peut être considéré comme une combinaison d'acide tartrique droit et d’acide tartrique gauche, formant un groupe moléculaire inactif où n’existeraient pas individuellement tout con- stitués les deux acides tartriques, mais prête à se dissocier sous des influences diverses en deux groupes droit et gauche, de même qu'on pourrait imaginer une pile de boulets arrangée de telle sorte qu'elle se séparerait par certains chocs en deux assemblages stables, inverses et non superposables ? C’est ainsi qu'un octaëdre irrégulier peut être considéré comme constitué par la réunion de deux tétraèdres inverses et non superposables. OBSERVATIONS ({!) [AU SUJET D'UNE NOTE DE M. LOIR SUR LES DÉRIVÉS DE LA MANNITE ET DE LA DULCINE]{(? La nitromannite ayant une action sensible sur la lumière polarisée et reproduisant de la mannite identique à celle qui avait servi pour la préparer, selon l'observation intéressante de M. Loir, il est bien pro- bable que la mannite est un corps actif d’un pouvoir rotatoire molécu- laire très faible dans les conditions d'observation optique pratiquement réalisables avec nos appareils, et pour les conditions de solubilité de cette matière aux températures ordinaires. J'ai reconnu, par exemple, il y a déja longtemps, qu'une solution d’'asparagine ne donne aucune déviation sensible, même dans un tube de 50 centimètres et avec l’aide de la double plaque de Soleil, bien que la solution soit saturée aux températures ordinaires. Mais, en dissolu- tion dans les alcalis et mieux encore dans les acides, l’asparagine offre un pouvoir rotatoire considérable, et si évidemment en rapport avec la nature du dissolvant et des combinaisons que l’asparagine forme avec lui, que le sens de la déviation est gauche pour les solutions alecalines et droit pour les solutions acides. Les relations de constitution et de type moléculaire identique qui existent entre la mannite et la nitromannite rendent plus difficile encore l'interprétation qui placerait le pouvoir rotatoire dans le dérivé en le refusant au produit primitif. Néanmoins, il y a lieu de rechercher avec soin les preuves directes du phénomène. L'étude de l’hémiédrie non superposable dans les cristaux de man- nite obtenus en présence de divers dissolvants se présente en premier lieu à la pensée. Mais il y a un autre caractère dont j'ai indiqué au- trefois l’application pour reconnaître l’action optique, soit précisément 1, Bulletin des séances de la Société chimique de Paris, séance du 13 décembre 1861, t. II, p. 115-116. 2, Lorr. Ibid., p. 113-114. (Note de l'Édition.) 352 ŒUVRES DE PASTEUR dans le cas où elle est trop faible pour être appréciable à nos appareils, soit dans le cas de matières colorées qui mettraient l’observation di- recte en défaut. L’artifice auquel je fais allusion consiste simplement à déterminer avec précision la solubilité de la substance dont on soup- conne le pouvoir rotatoire dans des solutions de corps identiques et non superposables, tels que le tartrate droit et le tartrate gauche de potasse, le tartrate droit et le tartrate gauche d’ammoniaque, les deux acides tartriques droit et gauche, etc. La plus légère différence de so- lubilité de la mannite dans des solutions aqueuses de même dosage de ces corps droits et gauches correspondants permettrait d'affirmer rigoureusement que la mannite est active. Enfin, il se pourrait que, comme cela se présente pour P asparagine, l'observation optique seule des dissolutions de mannite dans les acides nitrique, sulfurique, chlorhydrique, permit de reconnaître l’action optique de cette substance, si tant est qu'elle soit réelle. REMARQUES (1) AU SUJET D'UNE NOTE DE M. DESSAIGNES : « SUR DEUX ACIDES NOUVEAUX DÉRIVÉS DE LA SORBINE »| (2? En m'adressant la Note qui précède avec prière de la communiquer à la Société chimique, M. Dessaignes a eu l’obligeance de m'envoyer des échantillons de l'acide qu'il appelle acide mésotartrique, afin que j'essaye de décider la question soulevée par lui-même de lidentité possible de cet acide avec l'acide tartrique inactif. L'examen que j'ai fait de ces échantillons cristallisés m'autorise à affirmer que le nouvel acide de M. Dessaignes est, en effet, identique avec l'acide tartrique inactif que j'ai rencontré, pour la premiere fois, mêlé à l'acide paratartrique, parmi les produits de transformation, sous l'influence de la chaleur, des tartrates droits ou gauches-(et des para- lartrates) de certaines bases organiques. C’est encore ce même acide qui s’est trouvé récemment, et toujours associé à l'acide paratartrique, dans les produits lartriques que MM. Perkin et Duppa ont réussi à préparer à l’aide de l'acide succinique. Les réactions très intéressantes que vient de nous faire connaître M. Dessaignes permettront d'obtenir plus facilement et assez abon- damment l'acide tartrique inactif. 1. Bulletin des séances de la Société chimique de Paris, séance du 28 novembre 1862, t. III, p. 107-108. 2. DessalGxes, [bid., p. 102-107. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 42 NOTE HISTORIQUE SUR LES RECHERCHES DE MM. GERNEZ ET VIOLLETTE RELATIVES A LA CRISTALLISATION DES DISSOLUTIONS SURSATURÉES (4; Le 29 novembre 1863, j'ai reçu de M. Viollette, professeur à la Faculté des sciences de Lille, une lettre dont j'extrais textuellement les lignes suivantes : « Je trouve dans le Cosmos du 27 novembre une Note de votre obstiné contradicteur (2), dans laquelle il demande aux chimistes : Y a-1-il des germes de sulfate de soude dans l'air ? « Je suis aujourd'hui en mesure de répondre à cette question. J'attendais pour publier mon travail qu'il fût complet; mais je vois que j'aurais trop à faire pour. présenter l’histoire complète des solutions sursaturées. Mon intention serait de publier seulement ce qui est relatif au sulfate de soude ; plus tard, je m'occuperai des autres sels, qui présentent avec ce dernier certaines différences fort importantes. Ainsi, pour n’en citer qu'une, la cause de la cristallisation du sulfate de soude est détruite à 30°; mais, tandis que cette cause subsiste encore à 110° pour le sulfate de magnésie, elle ne disparait pour ce sel qu'un peu au delà. Je ne puis pas vous donner le nombre exact, mais il est inscrit sur mon registre de laboratoire. Il y aurait done des germes différents (puisque germes il y a) pour le sulfate de soude, le sulfate de magnésie, ete. Tout ce que je sais, c'est que les germes de sulfate de soude sont détruits à 30°, qu'ils sont solubles dans l'eau, insolubles dans l’esprit-de-vin, et qu'en tout cas ils sont disséminés par place, çà et là, dans l'air. Ils paraissent même plus rares que les germes organiques. « Il me faut encore un mois pour terminer mon travail sur le sulfate de soude. Pensez-vous que je doive le publier ou faut-il attendre ? » J'ai répondu sans retard à M. Viollette qu'il ferait bien, avant l'achèvement de son travail, de prendre date pour les résultats très nouveaux qu'il m'annonçait, soit par un paquet cacheté adressé à l’Académie, soit par une lecture à la Société impériale des sciences de Lille, société qui avait déjà reçu communication de bon nombre des 1. Annales scientifiques de l'École Normale supérieure, II, 1866, p. 163-165. 2. Lettre adressée par Pouchet au Cosmos, XXIII, 27 novembre 1863, p. 605-608, (Note de l'Édition. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 359 résultats obtenus antérieurement par M. Viollette dans cette même étude de la cristallisation des dissolutions sursaturées, notamment en août 1860. Bien que M. Viollette eût négligé de suivre mon conseil et qu’il eût ainsi perdu ses droits à la priorité, il est sensible qu'à cette date déjà reculée de novembre 1863 ses idées étaient à peu près fixées sur la cause à laquelle il fallait probablement attribuer la cristallisation subite des solutions sursaturées de divers sels. Lorsque M. Gernez me fit part, au mois de mars 1865, de la conclu- sion très précise à laquelle il était arrivé sans rien connaître des travaux de M. Viollette, je crus devoir écrire à ce dernier qu'une personne, dont je ne lui donuais pas le nom, m'avait prié d’être son interprète auprès de l’Académie pour la publication de résultats in- téressants sur les dissolutions sursaturées, et, sans rien confier à M. Viollette de la nature de ces résultats, je l’engageai à m'adresser une Note sur le même sujet, que je communiquerais également à l’Académie. En agissant ainsi, j'ai imité ce qui se passe à l'Académie toutes les fois qu'un membre s’empresse de donner connaissance de faits qui lui ont été annoncés confidentiellement, s’il arrive qu'une personne tierce vienne à publier occasionnellement ces mêmes faits. M. Viollette me répondit en m'annonçant l’envoi très prochain d’un Mémoire étendu. J’extrais de la lettre de M. Viollette, qui porte la 5} date du 3 avril 1865, le passage suivant : « Il faut que j'aie été d’une négligence bien sotte, de n'avoir pas consi- gné les résultats auxquels je suis arrivé dans un paquet cacheté adressé à l’Académie... Je n'ai pas changé dans mes convictions. Mon travail peut se résumer ainsi : « 1° La cause de la cristallisation du sulfate de soude, etc poussière solide en suspension dans l'air. « 2° Cette cause est insoluble dans l'alcool de vin, l'alcool amylique, les essences, ete. Elle est soluble dans l’eau. « 3° Cette cause cesse d'agir pour le sulfate de soude entre 34° et 35°,3 dans le vide sec. eStUNEe « Cette cause est différente pour le sulfate de magnésie, qui dans ce cas ne cesse d'agir qu'à 108° (dans le vide sec). « En présence de pareils résultats et connaissant la facilité avec laquelle le sulfate de soude à 10 HO s’effleurit, je me demande si la cause qui fait cesser la sursaturation ne serait pas tout simplement du sulfate de soude déposé sur les poussières de l'air, ou du sulfate de magnésie. Qu'en pensez- vous ? Il y a dans l'air de la soude, dans le sel marin de l'acide sulfureux ou sulfurique provenant de la combustion. Pourquoi n'y aurait-il pas du sulfate de soude, du sulfate de magnésie, ete. ? Je soumets cette hypothèse à votre appréciation. » à 356 ŒUVRES DE PASTEUR Le 24 avril 1865, je présentai à l’Académie les Notes de MM. Gernez et Viollette, qui ont été insérées au Compte rendu de la séance de ce jour. Je déposai en outre sur le bureau un Mémoire manuscrit de de M. Viollette. C’est ce même Mémoire que les Annales scientifiques de l'École Normale publient à la suite de celui de M. Gernez. Ces différents travaux, ainsi que les explications qui précèdent, permettent de constater que MM. Viollette et Gernez sont arrivés, chacun de son côté, à la conclusion qu'il faut attribuer la cristallisation subite des solutions sursaturées de sulfate de soude à la présence dans Pair de particules de ce sel, résultat remarquable qui tire une grande force de vérité de la circonstance même que je signale, à savoir, qu'il a été déduit de deux séries d'expériences tout à fait indépendantes. J’ai pensé qu'à ce titre, autant que par la juste convenance qu'il y avait de rendre à chacun le mérite propre qui lui appartient, je devais au lecteur les détails dans lesquels je viens d’entrer. LETTRE A M. LE DIRECTEUR DE LA REVUE SCIENTIFIQUE (!) [AU SUJET DE LA PRÉPARATION DE L’'ACIDE TARTRIQUE PAR SYNTHÈSE TOTALE] Paris, le 28 janvier 1873. Je lis dans un compte rendu de la séance de la Société chimique du 20 décembre [1872] inséré dans votre dernier numéro : « M. Jungfleisch a préparé de l'acide tartrique par synthèse totale, au moyen du bromure d’éthylène converti en acide suceinique. Il a reconnu que l'acide tartrique dérivé de l’acide succinique artificiel est un mélange d'acide tartrique inactif et d'acide racémique, qu'il a dédoublé en acide droit et en acide gauche. Ces recherches importantes lui ont fourni des acides doués du pouvoir rotatoire, en prenant pour point de départ des corps complètement dénués d'action sur la lumière ; elles viennent infirmer la proposition établie par M. Pasteur, d'après laquelle les corps produits artificiellement dans les laboratoires ne pourraient exercer d’action sur la lumière qu'autant qu'ils dériveraient eux-mêmes de substances actives. C’est là une conséquence des plus remarquables du beau travail de M. Jungfleisch, et sur laquelle nous ne saurions trop attirer l’attention (2). » Je prends la liberté de vous adresser au sujet des lignes précé- dentes quelques observations. La nouveauté des importantes recherches de M. Jungfleisch n’est pas bien rendue, selon moi, dans ce court résumé. D'une part, ce sont MM. Perkin et Duppa qui, les premiers, ont obtenu par synthèse des composés tartriques au moyen de l'acide succinique artificiel (#). Par l'examen des produits que MM. Perkin et Duppa avaient eu lobli- geance de m'adresser, j'ai reconnu, d’autre part, que ce n'était point de l'acide tartrique ordinaire que ces savants chimistes avaient réussi à préparer de toutes pièces, mais un mélange d'acide racémique et de l'acide que j'ai appelé acide tartrique inactif. . Revue scientifique, 2 sér., IV, 1873, p. 739-740. . TD1G., p- 715. Voir p. 345 du présent volume. {Notes de l'Édition.) C9 29 — 358 ŒUVRES DE PASTEUR Toutefois, l’objet de ma lettre consiste surtout à rectifier cette autre assertion que les résultats dont il s’agit « viennent infirmer la proposition établie par M. Pasteur que les corps produits artificielle- ment dans les laboratoires ne peuvent exercer d’action sur la lumière qu'autant qu'ils dérivent eux-mêmes de substances actives ». Il faut bien remarquer, en effet, que ce n’est pas de l’acide tartri- que actif que MM. Perkin et Duppa ont produit, mais de l'acide racé- mique et de l'acide tartrique inactif. Ce dernier, et c'est en ceci que réside la principale nouveauté du travail de M. Jungfleisch, se trouve être également un racémique résoluble en acide tartrique droit et en acide tartrique gauche. La proposition que je discute a pris un nouveau caractère, comme je l'ai déjà, je crois, fait remarquer antérieurement, à l’occasion du travail de MM. Perkin et Duppa, mais elle est toujours exacte. On peut même ajouter que les recherches dont nous parlons n'ont fait que caractériser davantage tout ce que cette proposition ren- ferme d’étrange et de digne de remarque au point de vue de la mani- festalion des forces moléculaires, puisque, dans une opération chimique où tout indiquait pour la finesse des vues préconçues de MM. Perkin et Duppa que de l'acide tartrique allait prendre naissance, des racémiques seuls ont apparu sans la moindre trace du groupe tartrique proprement dit, à l’état d'isolement. Je me résumerai en ces termes : j'estime aujourd’hui, comme hier, qu'il aura fait une grande et profonde découverte, pleine des plus graves conséquences pour l'avenir de la physiologie et de la philoso- phie naturelle, celui qui aura formé un corps actif simple en partant d'éléments minéraux ou de produits de laboratoire bien et dûment inactifs. Veuillez agréer, etc., L. PASTEUR, de l’Institut. OBSERVATIONS (1) [AU SUJET D'UNE NOTE DE M. VIGNON « SUR LE POUVOIR ROTATOIRE DE LA MANNITE »] {2 M. Pasteur, après avoir communiqué les résultats qui précèdent, au nom de leur auteur, annonce que cette question du pouvoir rotatoire de la mannite est étudiée depuis plusieurs mois au laboratoire de physique de l'Ecole normale par M. Bichat, qui arrive à la même conclusion que M. Vignon par des épreuves peut-être plus décisives encore. En elfet, M. Bichat a reconnu que la mannite en solution aqueuse manifeste le pou- voir rotatoire dans un tube de 4 mètres de longueur. La mannite n'est donc pas, comme on avait été porté à le penser, un corps inactif qui donne des combinaisons actives : c’est une substance douée du pouvoir rotatoire, dont l’action est trop faible seulement pour qu'on puisse la constater dans les saccharimètres ordinaires. l'asparagine a déjà présenté des faits du même ordre. 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences. Séance du 17 novembre 1873, LXXVII, p. 1192-1193. 2. ViGxox. 1bid., p. 1191-1192. (Note de l'Édition. [OBSERVATIONS SUR LES FORCES DISSYMÉTRIQUES] (!) Je désirerais que les produits obtenus par M. Cloëz fussent soumis à l'action de la lumière polarisée, comparativement avec des produits similaires qui auraient été préparés à l’aide d’un acier aimanté. Voici les motifs du vœu que je forme, quelque étrange qu'il puisse paraître au premier aperçu. Tous les produits minéraux, toutes les substances organiques qu'on obtient artificiellement en si grand nombre dans les laboratoires sont privés de la dissymétrie moléculaire et de l’action corrélative sur la lumière polarisée, propriétés qui sont, au contraire, l’une et l’autre, inhérentes à un grand nombre de substances organiques naturelles et des plus considérables sous le rapport physiologique, telles que la cellulose, les sucres, l’albumine, la fibrine, la caséine, certains acides végétaux, etc. J'ai reconnu, il est vrai, que l'acide succinique ordinaire, corps inactif, avait fourni, entre les mains de MM. Perkin et Duppa, de l'acide paratartrique résoluble en acide tartrique droit et en acide tartrique gauche, et, postérieurement, M. Jungfleisch, dans une série de travaux accomplis avec une rare habileté, est arrivé au même résultat, en partant de l'acide succinique de synthèse, que M. Maxwell Simpson avait réussi à préparer au moyen des éléments carbone et hydrogène. Ces derniers faits n’entachent pourtant en quoi que ce soit la vérité de cette proposition, que, jusqu’à présent, on n’a jamais formé un corps actif simple à l’aide de corps inactifs. Je suis même très porté à croire que le nombre des paratartriques et des paratartriques résolubles est considérable. Les paratartriques sont une des formes des corps qui ont un plan de symétrie, et ils prennent naissance sous l'influence d'actions qui n’ont rien de dissymétrique. 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 1+ juin 1874, LXXVIII, p. 1515-1518. À propos d’une note de M. Caevreuz : Observations relatives aux études de M. Bous- singault sur la transformation du fer en acier. Ibid., p. 1510-1512. (Note de l'Édition .) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 361 L'opposition entre l'existence d'actions chimiques d’ordre symétri- que et d'ordre dissymétrique a été introduite dans la science le jour où il a été reconnu que les propriétés physiques et chimiques des acides tartriques droit et gauche, identiques toutes les fois qu'on fait agir en leur présence des corps inactifs non dissymétriques, deviennent, au contraire, dissemblables lorsque ces acides sont soumis à l'influence de corps actifs dissymétriques. Le rôle de la dissymétrie moléculaire a été introduit également comme facteur des phénomènes de la vie, le jour où il a été constaté qu'un ferment 6rganisé vivant faisait fermenter facilement l'acide tartrique droit et non son inverse l'acide tartrique gauche, et que des êtres vivants empruntaient à l'acide tartrique droit le carbone nécessaire à leur nutrition, de préférence au carbone de l'acide tartrique gauche. Dès lors, puisqu'il y a dissymétrie dans les principes immédiats naturels, notamment dans ceux qu'on pourrait considérer comme primordiaux, c'est-à-dire dans les principes immé- diats constitutifs de la cellule vivante ; puisque les végétaux produisent des substances dissymétriques simples à l'exclusion de leurs inverses ; puisque, contrairement à ce qui a lieu dans les réactions de nos labo- ratoires, le règne végétal ne forme pas exclusivement des paratar- triques ou des inactifs simples, et que probablement même il ne forme de ces derniers produits que par des actions oxydantes ou réductrices secondaires, de l’ordre de celles de la chimie minérale, témoins les acides oxalique ou acétique naturels, je conclus qu'il faut de toute nécessité que des actions dissymétriques président pendant la vie à l'élaboration des vrais principes immédiats naturels dissymé- triques. Quelle peut être la nature de ces actions dissymétriques ? Je pense, quant à moi, qu'elles sont d'ordre cosmique. L'univers est un ensemble dissymétrique, et je suis persuadé que la vie, telle qu'elle se manifeste à nous, est fonction de la dissymétrie de l'univers ou des conséquences qu'elle entraine. L'univers est dissymétrique, car on placerait devant une glace l’ensemble des corps qui composent le système solaire, se mouvant de leurs mouvements propres, qu'on aurait dans la glace une image non superposable à la réalité. Le mouvement de la lumière solaire est dissymétrique. Jamais un rayon lumineux ne frappe en ligne droite et au repos la feuille où la vie végétale crée la matière organique; le magnétisme terrestre, l'opposition qui existe entre les pôles boréal et austral dans un aimant, celle que nous offrent les deux électricités positive et négative ne sont probablement que des résul- tantes d’actions et de mouvements dissymétriques. De tout ce qui précède, je crois pouvoir déduire qu’on ne parvien- 362 ŒUVRES DE PASTEUR dra à franchir la barrière qu'établit, entre les deux règnes minéral et organique, l'impossibilité de produire par nos réactions de laboratoire des substances organiques dissymétriques, que si l’on arrive à intro- duire dans ces réactions des influences d'ordre dissymétrique. Le succès dans cette voie donnerait accès sur un monde nouveau de substances et de réactions et probablement aussi de transformations organiques. C’est la, selon moi, qu'il faudrait placer le problème, non pas seulement de la transformation des espèces, mais aussi de la création d'espèces nouvelles. Qui pourrait dire ce que deviendraient les espèces végétales ou animales, s’il était possible de remplacer dans les cellules vivantes la cellulose, l’albumine et leurs congénères par leurs inverses ? La difficulté de résoudre ces problèmes ne doit pas empêcher d'en marquer l'existence. Puisqu'on a réussi à trouver l'inverse de l'acide tartrique droit, sans nul doute on réussira un jour à posséder tous les principes immédiats inverses de ceux qui existent; quand on voudra aller {plus loin dans l’ordre physiologique, quand on voudra faire passer ces nouveaux principes immédiats dans les espèces vivantes par la nutrition, la grande difficulté, je le crains, sera de l'emporter sur le devenir propre aux espèces et que contient en puis- sance le germe de chacune d'elles, germe où se manifestera toujours la dissymétrie des principes immédiats actuels. Quoi qu'il en soit, cherchons, par tous les moyens possibles, à provoquer la dissymétrie moléculaire par des manifestations de forces ayant une action dissymétrique. Aujourd'hui, et pour en revenir aux carbures d'hydrogène dont il vient d’être parlé devant l’Académie, il me suffit de savoir que le magnétisme a des propriétés mystérieuses d'opposition et que Ampère a pu se représenter les aimants comme formés par des courants électriques en solénoïdes, pour que je me croie autorisé à me faire cette question : l’aimant, pénétré de ce je ne sais quoi qui le fait aimant et qui est, j'imagine, à image non super- posable, ne donnerait-il pas, au moment de la mystérieuse combinai- son de son carbone avec l'hydrogène, des molécules dissymétriques ? J'irais plus loin : je voudrais comparer les carbures d'hydrogène formés simultanément et séparément par l'attaque des deux pôles d’un aimant, bien qu’on puisse considérer les aimants comme formés d’une infinité d’aimants élémentaires, dont les résultantes des effets constituent les propriétés des aimants naturels ou artificiels. Notre confrère M. Thenard et son fils, dans une suite de recher- ches originales et profondes, obtiennent, par des effluves électriques, des substances nouvelles ou déjà connues. Ces substances n’auraient- elles pas la dissymétrie moléculaire ? Il est bien d’autres circonstances É “ DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 363 où l’on peut soupçonner l'influence d'actions de solénoides, si je puis m'exprimer ainsi. Celles que j'ai indiquées suffiront à faire comprendre ma pensée. Engagé dans des travaux plus que suffisants à absorber ce qui me reste d'activité et de force, je livre aux jeunes savants de la nouvelle génération les idées qui précèdent, avec l'espoir qu'ils sauront les rendre fécondes (1). 1. Ce sont les recherches sur les fermentations dont il est ici question. (Note de l'Édition.) SUR UNE DISTINCTION ENTRE LES PRODUITS ORGANIQUES NATURELS ET LES PRODUITS ORGANIQUES ARTIFICIELS (1) « Tous les produits artificiels des laboratoires sont à image superpo- sable. Au contraire, la plupart des produits organiques naturels, je pourrais dire tous ces Le si Je n'avais à nommer que ceux qui jouent un rôle essentiel dans les phénomènes de la vie végétale et animale, sont dissymé- triques, de celte dissymétrie qui fait que leur image ne peut leur être superposée. » Ce passage est extrait d’une Leçon sur la dissymétrie moléculaire que j'ai professée, en 1860, devant la Société chimique de Paris (?). J'ajoutais : « On n'a pas encore réalisé la production d’un corps dissymétrique à l’aide de composés qui n'ont pas ce caractère. » Dans l'introduction de l'ouvrage que M. Schützenberger vient de publier sur les fermentations, l’auteur, après avoir rappelé les passages qui précèdent, leur oppose le fait de la production de l'acide paratar- trique au moyen de l'acide succinique inactif du succin ou de l'acide succinique de synthèse directe, et il conclut en ces termes : « Ainsi tombe la barrière que M. Pasteur avait posée entre les produits naturels et artificiels. Cet exemple nous montre combien il faut être réservé dans les distinctions que l’on croit pouvoir établir entre les réactions chi- miques de l'organisme vivant et celles du laboratoire. » (3) Contrairement à ce que pense M. Schützenberger, cette barrière existe toujours. Les propositions que je viens de rappeler sont aussi vraies aujourd'hui qu'en 1860. Non, il n'existe pas dans la science un seul exemple d’un corps inactif qui ait pu être, jusqu’à présent, trans- formé en un corps actif par les réactions de nos laboratoires. Transformer un corps inactif en un autre corps inactif, qui à la faculté de se résoudre simultanément en un corps droit et en son 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 19 juillet 1875, LXXXI, p. 128-130. 2. Voir p. 329-344 du présent volume. 3. ScnÜrzeNBERGER. Les fermentations. Paris, 187%, in-8. Introduction, p. 6. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 3 symétrique, n'est en rien comparable à la possibilité de transformation d’un corps inactif en un corps actif Simple. C’est là ce qu'on n’a jamais fait; c'est là, au contraire, ce que la nature vivante fait sans cesse sous nos yeux, el telle est la proposition formulée dans les citations précédentes. On peut ramener à des formes octaédriques la plupart des substances minérales où organiques. Je comprendrais aisément que le sulfate de potasse lui-même et beaucoup des corps minéraux ou orga- niques artificiels pussent se dédoubler en des symétriques inverses, parce que tout octaèdre contient en puissance deux tétraëdres symé- triques, dont il peut être considéré comme l'assemblage. Ce que je ne crois pas possible, par le jeu des forces non dissymétriques auxquelles sont soumises nos réactions artificielles, c’est la transformation d’un corps ou d'éléments non dissymétriques en des corps dissymétriques. Toutefois, c’est une distinction de fait et non de principe absolu que j'ai établie en 1860, ainsi que le lecteur peut s’en convaincre par la Note que j'ai insérée dans les Comptes rendus, Séance du 1e juin 1874 (1). Non seulement je ne crois pas que cette barrière entre les deux règnes minéraux et organiques soit infranchissable, mais j'ai assigné, le premier, des conditions expérimentales qui seraient pro- pres, selon moi, à la faire disparaître. Tant que ces conditions n'auront pas élé réalisées avec succes, il est sage de croire à la distinction dont il s’agit et de la prendre pour guide. C'est, en effet, en partant de la conviction que les réactions ordi- naires de nos laboratoires sont impuissantes à créer la dissymétrie moléculaire, que j'ai osé prédire successivement : 1° que M. Dessaignes n'avait pu découvrir les acides malique et aspartique, mais seulement leurs isomères inactifs; 2° que MM. Perkin et Duppa n'avaient pu pro- duire l'acide tartrique ordinaire, au moment où ces habiles chimistes venaient d'annoncer qu'ils y étaient parvenus. 3° Enfin, récemment, j'ai soutenu que la mannite n’était qu'apparemment inactive; que son pouvoir rotatoire devait exister, mais trop faible pour être mis en évidence par les moyens habituels, et cela, au moment même où deux chimistes (?) étaient portés à conclure que la mannite était un corps inactif pouvant donner des dérivés actifs. Depuis lors, ma prévision a été confirmée par M. Bichat et par M. Bouchardat. 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, LXXVIIT, 1874, p. 1915-1518, et p. 360-363 du présent volume. 2, Sur un exemplaire des Comptes rendus de l'Académie des sciences, Pasteur a corrigé au crayon « deux » par « divers » et il a noté en marge : « Est-ce qu'il y avait deux dans ma note manuscrite que je n'ai pas sous les yeux étant présentement à Arbois. Ce doit être divers et non deux. » (Notes de l'Édition.) NOTE AU SUJET D'UNE COMMUNICATION DE M. WEDDELL CONCERNANT L’AVANTAGE QU'IL Y AURAIT À REMPLACER LA QUININE PAR LA CINCHONIDINE ({) Notre savant correspondant M. Weddell, dont le nom fait autorité dans nos connaissances sur les quinquinas, a présenté récemment à l’Académie (séance du 22 janvier) une Note intéressante concernant les propriétés fébrifuges de la cinchonidine ?. En cela, il est tout à fait d'accord avec le célèbre quinologiste anglais, M. Elliot Howard. Dans cette Communication, M. Weddell dit incidemment que la cinchonidine a été découverte par moi. C’est trop n'attribuer, et je désire, par respect pour la vérité, qu'une rectification soit faite dans nos Comptes rendus. Il y a vingt-cinq ans environ, lorsque je m'occupais de l'étude de la dissymétrie moléculaire dans ses rapports avec la polarisation rota- toire et la cristallisation, j'ai publié, dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, deux Notes relatives aux alcaloïdes des quinquinas ($). En 1833, MM. Henry et Delondre avaient découvert un alcaloïde des quinquinas, qu’ils nommèrent quinidine. Un an après, ils revin- rent sur leur travail et déclarèrent que le nouvel alcaloïde n’était autre chose que de la quinine sous une forme cristalline particulière. En 1848, M. Winckler découvrit, lui aussi, un nouvel alcaloïde dans les quinquinas, qu’il appela également du nom de quinidine. Postérieurement parurent, sur ces questions, plusieurs travaux contra- dictoires et confus. 1. Comptes rendus de l'Académie des scrences, séance du 26 mars 1877, LXXXIV, 2. WeDDELL. 1bid., séance du 2 janvier 1877, LXXXIV, p. 168-172. 3. Pasreur. Note sur la quinidine. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XXXNI, 1853, p. 26-27. — Recherches sur les alcaloïdes des quinquinas. 1bid., XXX VII, 1853, p. 110-114. Voir ces deux Notes p. 250-251 et p. 252-256 du présent volume. (Notes de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 367 Voici ce que je démontrai en 1853 : 1° Il existe, en effet, un alcaloïde qu'on peut légitimement appeler quinidine, car cet alcaloïde offre, avec la quinine, certaines propriétés remarquables, par exemple le caractère de la coloration verte par addition successive du chlore et de lammoniaque. 2 La quinidine est isomere de la quinine. 3° La quinine et la quinidine se transforment toutes deux, dans des conditions bien déterminées, en une nouvelle base isomère que j'ai appelée quinicine. 4° La quinidine d'Henry et Delondre diffère essentiellement de la quinine par son pouvoir rotatoire, qui est à droite et considérable, tandis que celui de la quinine est à gauche et beaucoup moindre. 5° La quinidine de Winckler diffère complètement de la véritable quinidine isomère de la quinine dont nous venons de parler. 6° La quinidine de Winckler est, au contraire, isomère de la cinchonine et, pour rappeler tout à la fois cette propriété etla propriété dont je vais parler, j'ai appelé cet alcaloïde du nom de cinchonidine. 7° La cinchonine et la cinchonidine se transforment toutes deux également en une nouvelle base organique isomère que j'ai nommée cinchonicine. En résumé, et par suite des résultats que je viens de rappeler, il fut établi qu'il existe les deux séries d’alcaloïdes suivantes : Quinine, quinidine, quinicine, toutes trois isomères. Cinchonine, cinchonidine, cinchonicine, toutes trois isomères. Je ne regrette pas que l’occasion n'ait été offerte par M. Weddell de revenir sur ces faits, à cause de la circonstance suivante : Un chimiste allemand, M. Hesse, a inséré, dans les Annales de chimie et de pharmacie allemandes, des travaux intéressants, mais qui me paraissent apporter, sur un point capital, une confusion nouvelle dans nos connaissances relatives aux alcaloïdes des quinquinas. L'auteur dont je parle décrit en effet, sous le nom de cinchontine, un alcaloïde, qu'il croit nouveau, et qui semble n'être autre chose que la quinidine dont j'ai parlé ci-dessus (1). C'est M. de Vry, de La Haye, un des hommes qui connaissent le mieux les quinquinas et leurs alcaloïdes, qui a bien voulu appeler mon attention sur le travail de M. Hesse. Je rappellerai à ce propos que ces difficiles études doivent à M. de Vry la connaissance d’un réactif précieux pour la distinction de la quinidine et des autres alcaloïdes du quinquina. 1. Hesse. (O0.) Ueber Cinchonin. Annalen der Chemie u. Pharmacie, CXXII, 1862, p. 226-240. (Note de l'Édition. 368 ŒUVRES DE PASTEUR M. de Vry, en effet, a reconnu que la quinidine forme, avec lacide iodhydrique, un sel neutre excessivement peu soluble, car il exige pour sa dissolution 1250 parties d’eau à la température de 15°. L'iodhydrate de quinidine est assez peu soluble pour que le sulfate de quinidine, qui n'est lui-même que médiocrement soluble dans l’eau froide, précipite abondamment par l'iodure de potassium. Bien plus, une écorce qui contient de la quinidine forme, dans la teinture qu'on en fait avec de l'alcool fort, des cristaux d’iodhydrate de quinidine par l'addition de quelques gouttes d’acide iodhydrique. LA DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE (1) (CONFÉRENCE FAITE A LA SOCIÉTÉ CHIMIQUE DE PARIS LE 22 DÉCEMBRE 1883) MESSIEURS, Dans ces dernières années, nos connaissances sur les composés organiques dissymétriques se sont enrichies de données nouvelles par les intéressants et remarquables travaux de deux savants chimistes français formés par deux de nos grandes écoles de chimie : M. Jung- fleisch, élève de M. Berthelot, et M. Lebel, élève de M. Wurtz. Toute- fois, lorsque j'entends parler de ces études, que je lis les ouvrages qui en rendent compte, il ne me paraît pas que la signification de leurs résultats soit toujours appréciée avec exactitude. Je voudrais essayer d'apporter dans le sujet un peu plus de rigueur et je suis, en vérité, fort reconnaissant au président de la Société chimique, M. Lauth, de n'avoir permis de venir vous en entretenir familièrement. Les fondements de ce chapitre de chimie moléculaire, désigné sous le nom de dissymétrie, sont déjà d’une date un peu éloignée. Peut-être ne sont-ils pas présents à la mémoire de cette jeune réunion de chimistes, que je me plaisais à considérer l’autre jour à la brillante leçon de M. Wurtz. Permettez-moi donc de rafraîchir un peu les idées sur ces principes en vous disant quelques mots de l'acide tartri- que gauche. Aussi bien ce sont mes premières joies de chercheur. Celles qu'inspire la science n’ont pas moins de poésie que les autres. Souffrez que je m'y arrête un instant. J'étais élève à l'École Normale supérieure, de 1843 à 1846. Le hasard me fit lire à la bibliothèque de l'École une note du savant chimiste cristallographe Mitscherlich, relative à deux combinaisons salines, le 1. In : Conférences faites à la Société chimique de Paris. 1883-1884-1889-1886. Paris, 1886, p. 24-37; el Revue scientifique, 3 sér., VII, 1884, p. 2-6. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. # 370 ŒUVRES DE PASTEUR tartrate et le paratartrale de soude et d’ammoniaque. Dans ces deux substances, concluait Mitscherlich, à la suite de l’étude approfondie de toutes leurs propriétés, « la nature et le nombre des atomes, leur arrangement et leurs distances sont les mêmes. Cependant le tartrate dévie Le plan de la lumière polarisée et le paratartrate est indifférent ». Je méditai longtemps cette note ; elle troublait toutes mes idées d'étudiant ; je ne pouvais comprendre que deux substances fussent aussi semblables que le disait Mitscherlich, sans être tout à fait iden- tiques. Savoir s'étonner à propos est le premier mouvement de l'esprit vers la découverte. Ce n’est pas à vous que je rappellerai tout ce que nous devons à nos maitres, combien est grande leur influence sur la direction donnée à nos travaux, à vous qui avez le bonheur d’avoir des professeurs embrasés du feu sacré, comme nous en donnait l’autre jour un exemple si particulier mon très éminent confrère M. Wurtz. A l’époque dont je vous parle, M. Dumas et M. Balard enflammaient notre ardeur pour la chimie. Un autre de nos maîtres à l'École Normale, aussi modeste que savant, M. Delafosse, nous passionnait pour l'étude des cristaux. A peine sorti de l'École Normale, je formai le projet de préparer une longue série de cristaux, afin d’en déterminer les formes. Je pensai à l'acide tartrique et à ses combinaisons salines, ainsi qu'à celles de l'acide paratartrique par ces deux motifs que les cristaux de tous ces corps sont aussi beaux que faciles à obtenir et, d’autre part, que je pouvais à chaque instant contrôler l'exactitude de mes déterminations en me référant à un mémoire d’un habile et très précis physicien, M. de La Provostaye, qui avait publié une étude cristallographique étendue sur l'acide tartrique et l'acide paratartrique et les combinai- sons salines de ces acides. A peine engagé dans ce travail, je vis, à n'en pas douter, et après avoir levé toutes les difficultés de détail, que l'acide tartrique et toutes ses combinaisons avaient des formes dissymétriques. Cette observation avait échappé à M. de La Provostaye. Toutes ces formes tartriques avaient individuellement une image dans une glace qui ne leur était pas superposable. Je vis, au contraire, que rien de semblable n'existait pour les formes de l’acide paratartrique et de ses combinaisons. Tout à coup, je fus pris d'une grande émotion. J'avais toujours gardé la surprise profonde que m'avait causée la note de Mitscherlich sur le tartrate et le paratartrate de soude et d’ammoniaque. Malgré le soin extrème de son étude, me disais-je, au sujet de ces deux combinaisons, Mitscherlich, pas plus que M. de La Provostaye, n'aura vu que le tartrate était dissymétrique, car il doit l'être; il n’aura pas vu davan- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 371 tage que le paratartrate ne l’est pas, ce qui est très probable également. Aussitôt, avec une ardeur fiévreuse, je préparai le tartrate double de soude et d’ammoniaque et le paratartrate correspondant et je me mis en devoir de comparer leurs formes cristallines, avec cette idée préconçue que j'allais trouver la dissymétrie dans la forme du tartrate et l'absence de dissymétrie dans celle du paratartrate. Alors, pensais- je, tout sera expliqué; la note de Mitscherlich n'aura plus de mystère, la dissymétrie de la forme du tartrate correspondra à sa dissymétrie optique; l’absence de dissymétrie de la forme dans le paratartrate correspondra à l’inactivité de ce sel sur le plan de la lumiere pola- risée, à son indifférence optique. En effet, je vis que le tartrate de soude et d’ammoniaque portait les petites facettes accusatrices de la dissymétrie; mais quand je passai à l'examen de la forme des cristaux du paratartrate, j'eus un instant un serrement de cœur; tous ces cristaux portaient les facettes de la dissymétrie. L'idée heureuse me vint d'orienter mes cristaux par rapport à un plan perpendiculaire à l'observateur, et alors je vis que dans cette masse confuse des cristaux du paratartrate il y en avait de deux sortes sous le rapport de la disposition des facettes de dissymétrie. Chez les uns, la facette de dissymétrie la plus rapprochée de mon corps s’inelinait à ma droite, relativement au plan d'orientation dont je viens de parler, tandis que, chez les autres, la facette dissymétrique s’inclinait à ma gauche. En d’autres termes, le paratartrate se présentait comme formé de deux sortes de cristaux, les uns dissymétriques à droite, les autres dissymé- triques à gauche. Une nouvelle idée, toute naturelle, se présenta bientôt à mon esprit. Ces cristaux, dissymétriques à droite, que je pouvais séparer manuel- lement des autres, offraient, eux, une identité absolue de formes avec ceux du tartrate droit. Poursuivant, dans toute la logique de ses déductions, mon idée préconçue, je séparai du paratartrate cristallisé ces cristaux droits; je fis le sel de plomb et j'isolai l'acide. Cet acide se montra absolument identique à l'acide tartrique du raisin et jouis- sant, comme lui, de l’action sur la lumière polarisée. Je fus plus heureux encore le jour où, prenant à leur tour les cristaux à forme gauche du paratartrate et isolant leur acide, j’oblins un acide tartrique absolument pareil à l'acide tartrique du raisin, mais d’une dissymétrie de forme inverse de l’autre, et d’une action optique inverse. Sa forme était identique à celle de l’image de l'acide tartrique droit placé devant une glace et, toutes choses égales, il déviait à gauche de la même quantité que l'acide droit en valeur absolue. Enfin, mettant en présence des solutions de ces deux acides à poids ŒUVRES DE PASTEUR ©9 si rt égaux, le mélange se résolut en une masse cristalline d’acide para- tartrique, identique à l'acide paratartrique connu. Les principes de la dissymétrie moléculaire étaient fondés. Il existe des substances dont le groupement atomique est dissymétrique et ce groupement se traduit au dehors par une forme dissymétrique et par une action de déviation sur le plan de la lumière polarisée; bien plus, ces groupements atomiques ont leurs inverses possibles dont les formes sont identiques à celles de leurs images et qui ont une action inverse sur la lumière polarisée. A vrai dire, Messieurs, on comprend que les choses soient telles. Vous n'avez peut-être jamais fait une remarque qui vous paraîtra bien simple quand je vous l’aurai signalée une première fois. Considérez un objet quelconque, naturel ou artificiel, du règne minéral ou du règne organique, vivant où mort, fait par la vie ou disposé par l’homme, un minéral, une plante, cette table, une chaise, le ciel, la terre, enfin un objet quelconque. À n'envisager que la forme de tous ces objets, que leur aspect extérieur et la répétition de leurs parties semblables, s'ils en possèdent, vous trouverez que tous peuvent se partager en deux grandes catégories : la première catégorie comprendra tous les objets qui ont un plan de symétrie, la seconde catégorie comprendra tous ceux qui n'ont pas de plan de symétrie. Avoir un plan de symétrie — il peut y en avoir plusieurs pour un même objet — c’est pouvoir être partagé par un plan, de telle sorte que vous retrouviez à gauche ce qui est à droite. Cette table a un plan de symétrie, car, si j'imagine un plan vertical passant par ses deux bords opposés, je trouve à droite exactement ce qui est à gauche; la chaise sur laquelle vous êtes assis a un plan de symétrie — elle n’en a qu'un, la table en a deux; elle eût été ronde qu'elle en aurait eu une infinité —; faites passer un plan vertical par le milieu du dos de votre chaise et par le milieu de son siège et vous laisserez à droite ce que vous retrouverez fidèlement à gauche. Au contraire, il y a des corps qui n’ont pas de plan de sÿmé- trie. Coupez une main par un plan quelconque, jamais vous ne laisserez à droite ce qui sera à gauche. Il en est de même d’un æil, d'une oreille, d'un escalier tournant, d’une hélice, d’une coquille spiralée. Tous ces objets et bien d’autres n’ont pas de plan de symé- trie ; ils sont tels que, si vous les placez devant une glace, leur image ne leur est pas superposable. La main droite placée devant une glace vous donne pour image la main gauche. Un escalier tournant placé devant une glace vous donne l'escalier tournant en sens inverse. Or les groupements atomiques qui composent les molécules de toutes les DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 359 espèces chimiques sont des objets et des assemblages comme tous les objets et tous les assemblages que nous trouvons autour de nous. A priori done, on peut croire qu'eux également doivent se partager en nos deux catégories : les groupements d’atomes qui ont un plan de symétrie et une image qui leur est superposable, et les groupe- ments d’atomes qui n'ont pas de plan de symétrie et une image qui ne leur est pas superposable. En d’autres termes, il doit y avoir des groupes d’atomes symétriques et d’autres dissymétriques, c’est-à-dire des groupes droits et gauches, des groupes inverses les uns des autres. Ceux-ci, nous les connaissons; c’est, par exemple, le groupe tartrique droit et le groupe tartrique gauche. Il existe une foule de groupes d’atomes dissymétriques qui attendent encore la production artificielle ou naturelle de leurs inverses. Nous avons le sucre droit; nous igno- rons l'existence du sucre gauche. Nous avons l’albumine gauche ; nous ignorons l’albumine droite. Nous avons la quinine gauche ; nous igno- rons la quinine droite. Je veux que vous fassiez tout de suite une remarque : elle consiste en ce que, dans les corps qui ont un plan de symétrie, très souvent les parties que le plan de symétrie laisse à sa droite et à sa gauche n’ont pas, elles, de plan de symétrie. La chaise sur laquelle vous êtes assis a un plan de symétrie, comme je le disais tout à l'heure ; c’est le plan vertical qui passe par le milieu du dos et le milieu du siège. Mais les deux moiliés de la chaise séparées par ce plan n'ont pas de plan de symétrie. Songez-y un instant : vous reconnaîtrez que la moitié droite n'est pas superposable à la moitié gauche. En d’autres termes, si vous me permettez cette assimilation, la chaise peut être considérée comnre un paratartrique. Le corps humain est dans le même cas. C’est égale- ment un paratartrique; il a un plan de symétrie qui passe par Île milieu du front et le nombril. Or toutes les parties qui sont à droite ne peuvent être superposées à celles qui sont à gauche. Les unes et les autres n'ont pas de plan de symétrie. En d’autres termes, la symétrie est compatible avec une dissymétrie double et inverse, tandis que la symétrie est absolument incompatible avec une dissymétrie simple. Disons tout de suite, quoique ce sera plus clair tout à l'heure, que, si la dissymétrie simple est le produit d'actions et de forces dissymétriques, la dissymétrie double est le produit de forces symétriques. Messieurs, une particularité singulière concerne la dissymétrie molé- culaire. On trouve la dissymétrie établie dans un très grand nombre de principes immédiats des animaux et des végétaux, notamment dans les principes immédiats essentiels à la vie. Tous les produits, pour ainsi dire, de l'œuf et de la graine sont dissymétriques. 374 ŒUVRES DE PASTEUR Il existe, sans doute, chez les animaux et les végétaux des prin- cipes immédiats, tels que l’urée et l'acide oxalique, qui ne sont pas dissymétriques ; mais ce sont des produits de seconde main, en quelque sorte, comparables à nos produits des laboratoires chez lesquels la dissymétrie est absente. En d’autres termes, lorsque le rayon de lumière solaire vient à frapper une feuille verte et que le carbone de l'acide carbonique, l’hy- drogène de l’eau, l'azote de l’'ammoniaque et l'oxygène de cet acide carbonique et de cette eau forment des composés chimiques et que la plante grandit, ce sont des corps dissymétriques qui prennent naissance. Vous, au contraire, tout habiles chimistes que vous êtes, quand vous unissez par mille manières diverses ces mêmes éléments, vous faites toujours des produits dépourvus de dissymétrie moléculaire. Il n’existe pas, à ma connaissance, un seul produit de synthèse chimique, né sous l'influence des causes qu’on peut considérer comme propres à la vie végétale, qui ne soit dissymétrique, qui n’ait, en d’autres termes, la forme générale d’une hélice, d’un escalier tournant, d’un tétraèdre irrégulier, d’une main, d’un œil... Par opposition, il n'existe pas un seul produit de synthèse, préparé dans les laboratoires ou dans la nature minérale morte, qui ne soit de la forme d’un octaèdre, d’un escalier droit... On a annoncé souvent la production directe de substances dissy- métriques. M. Dessaignes a cru avoir fait l'acide aspartique de l’aspa- ragine naturelle à l’aide des acides malique et fumarique inactifs. M. Loir, le premier, a vu que la nitromannite était active. M. Bichat, reprenant alors, à ma sollicitation, l'étude du pouvoir rotatoire de la mannite, a reconnu que cette substance n’était pas inactive, comme on le croyait auparavant. MM. Perkin et Duppa ont annoncé avoir fait l'acide tartrique du raisin en partant de l'acide succinique inactif tiré du succin. J'ai fait voir que l’acide aspartique de M. Dessaignes était un isomère de l'acide aspartique et inactif, que l'acide tartrique de MM. Perkin et Duppa était de l'acide paratartrique et de l'acide tartri- que inactif. J'ai dédoublé, il est vrai, cet acide paratartrique du succin en acide tartrique droit et en acide tartrique gauche et M. Jungfleisch a fait davantage. Il a reproduit ce dédoublement avec l'acide paratartrique dérivé de l'acide succinique de synthèse totale, que M. Maxwell Simp- son nous avait appris à préparer. M. Lebel, en outre, découvrant, devinant plutôt, par des vues théoriques ingénieuses, l'existence de divers paratartriques dans certains produits organiques de synthèse, ayant dans leurs formules ce qu'il appelle du carbone asymétrique, le DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 375 propylglycol de M. Wurtz, par exemple, a dédoublé également ces paralartriques en corps droits et en corps gauches inverses. Dès lors, on a dit : il n’y a donc pas que la vie végétale qui fasse des dissymé- triques et la ligne de démarcation signalée par M. Pasteur entre la chimie chez les végétaux et chez les minéraux n'existe pas (1). C’est ici qu'est l'erreur d'appréciation. J'ai la prétention de vous montrer que cette séparation, cette barrière est, au contraire, affirmée par les résultats observés par moi d’abord, ensuite par M. Jungfleisch et par M. Lebel. On peut exprimer les faits qui concernent la dissymétrie moléeu- laire de la manière suivante : quand les principes immédiats essentiels à la vie prennent naissance, c'est sous l'influence de forces dissymé- triques et c’est pourquoi la vie fait des substances dissymétriques. Quand le chimiste dans son laboratoire combine des éléments ou des produits nés de ces éléments, il ne met en jeu que des forces non dissymétriques. Voila pourquoi toutes les synthèses qu'il détermine n'ont jamais la dissymétrie. Me demanderez-vous : quelles sont donc les forces dissymétriques qui président à l’élaboration des principes immédiats naturels? Il me serait difficile de répondre avec précision; mais la dissymétrie, je la vois partout dans l’univers. L'univers est dissymétrique. Imaginez le système solaire placé devant une glace, avec le mouvement propre de ses astres, vous aurez dans la glace une image, non superposable à la réalité. Placez devant une glace la terre avec les courants électriques en solénoïdes qu'imaginait Ampère pour rendre compte du magné- tisme terrestre et de ses pôles, vous aurez une image non superpo- sable à la réalité et, surtout, placez devant une glace la plante verte avec le rayon solaire qui la frappe, rayon qui ne la frappe jamais qu'étant en mouvement, vous aurez une image non superposable à la réalité. Sans nul doute, je le répète, si les principes immédiats de la vie sont dissymétriques, c’est que, à leur élaboration, président des forces cosmiques dissymétriques; c’est là, suivant moi, un des liens entre la vie à la surface de la terre et le cosmos, c’est-à-dire l’ensemble des forces répandues dans lunivers. Vous, dans vos laboratoires, 1. Voici comment s'est exprimé M. Schützenberger : « Ainsi tombe la barrière que M. Pasteur avait posée entre les produits artificiels et les produits naturels. Cet exemple montre combien il faut être réservé dans les distinctions que l'on croit pouvoir établir entre les réactions chimiques de l'organisme vivant et ceux du laboratoire. » [ Loc. cit.| Dans une lecon récente de M. Jungfleisch (voir Moniteur scientifique, septembre 1883, 3e sér., XIII, p. 862), l’auteur dit : « Jusqu'à ces dernières années, on regardait les phénomènes de la vie comme étant seuls susceptibles de communiquer à la matière l’action sur la lumière polarisée. Cette barrière a été renversée. Voici des échantillons d'acide tartrique et de tartrates préparés par synthèse complète. » 376 ŒUVRES DE PASTEUR avec vos dissolvants, vos actions de froid et de chaleur, vous n’avez à votre service que des forces symétriques. Est-ce à dire qu'il y ait là une séparation absolue? Non, certes. Loin que je l’aie jamais dit ou pensé, j'ai, le premier, indiqué les moyens de la faire disparaître. Que faut-il faire pour imiter la nature? Il faut rompre avec vos méthodes qui sont, à ce point de vue, surannées et impuissantes. Il faut chercher à faire agir des forces dissymétriques, recourir à des actions de solénoïde, de magnétisme, de mouvement dissymétrique lumineux, à des actions de substances elles-mêmes dissymétriques. Lorsque, entraîné, enchaîné, devrais-je dire, par une logique presque inflexible de mes études, j'ai passé des recherches de cristallographie et de chimie moléculaire à l’étude des ferments, j'étais tout entier à la pensée d'introduire la dissymétrie dans les phénomènes chimiques. “) A Strasbourg déjà, j'avais fait construire par Ruhmkorff de puissants aimants ; à Lille, j'avais eu recours à des mouvements tournants, provoqués par des mécanismes d’horlogerie. J’allais essayer de faire vivre une plante, dès sa germination, sous l'influence des rayons solaires renversés à l’aide d’un miroir conduit par un héliostat. Je ne vous dirai rien de ces tentatives dont quelques-unes me semblent aujourd’hui grossières. Pourtant les efforts que j'ai faits dans le but d'introduire la dissymétrie dans les actions chimiques des laboratoires n’ont pas été stériles. En combinant la cinchonicine, substance active dissymétrique, avec l'acide paratartrique, j'ai vu se déposer du tartrate gauche de cincho- nicine et le tartrate droit rester dans la liqueur. Avec un corps inactif, l'acide paratartrique, j'ai donc fait des actifs (1) simples séparés, l'acide tartrique gauche et l'acide tartrique droit. Quoique, à vrai dire, j'aie le premier imité la nature dans ses méthodes et établi une harmonie de fait entre les produits naturels et artificiels, je me garde bien d’en conclure que la barrière entre les deux chimies soit ren- versée. J'en conclus, au contraire, que l'expérience dont je vous parle consacre cette proposition, savoir que les forces mises en jeu dans nos laboratoires diffèrent de celles auxquelles la nature végétale est soumise. J'ai introduit d’une autre manière, et d’une manière beaucoup plus intéressante, la dissymétrie dans les actions chimiques. J’ai montré que le paratartrate d’ammoniaque peut fermenter sous l'influence de petits champignons microscopiques et que l'acide tartrique gauche 1. Dans le texte est imprimé «inactif ». Sur un exemplaire de la Revue scientifique, Pasteur a corrigé de sa main « inactif » par « actif ». (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 377 apparaissait. Le tartrate droit d’ammoniaque se décompose, le tartrate gauche reste intact. Avec un inactif paratartrique, j'ai donc fait apparaître la dissymétrie simple, mais pourquoi? C’est parce que le petit ferment est un corps vivant formé, comme tous les grands êtres, d’un ensemble de produits dissymétriques et que, pour sa nutrition, ce petit être s’accommode mieux du groupe tartrique droit que du groupe lartrique gauche. J'ai fait plus encore : j'ai fait vivre de petites graines de penicillium glaucum, de cette moisissure qu'on trouve partout, à la surface de cendres et d'acide paratartrique, et j'ai vu l'acide tartrique gauche apparaitre. C’est encore la dissymétrie simple obtenue avec un corps inactif; mais toujours également, pour arriver à ce résultat, il a fallu, vous le voyez, faire intervenir des actions de dissymétrie, la dissymé- trie des produits immédiats naturels qui composent la graine de la moisissure. Telles sont précisément les méthodes auxquelles M. Lebel a eu recours lorsqu'il a voulu extraire de ses paratartriques des actifs simples, des dissymétriques. Il a eu recours à l'emploi d’un dissymé- trique ou à l'emploi d’une moisissure ou d’un microbe. Encore une fois, ces expériences accusent la ligne de démarcation profonde entre le règne minéral et le règne organique, puisque pour imiter ce que fait la nature, c'est-à-dire préparer un corps droit où un corps gauche, nous sommes contraints de faire intervenir des actions toutes particulières, des actions de dissymétrie. La ligne de démar- cation dont nous parlons n’est pas une question de chimie pure et d'obtention de produits tels ou tels, c’est une question de forces; la vie est dominée par des actions dissymétriques dont nous pressentons l'existence enveloppante et cosmique (1). Je pressens même que toutes les espèces vivantes sont primordialement, dans leur structure, dans leurs formes extérieures, des fonctions de la dissymétrie cosmique. La vie, c’est le germe et le germe, c’est la vie. Or qui pourrait dire ce que seraient les devenir des germes, si l’on pouvait remplacer dans ces germes les principes immédiats, albumine, cellulose, etc., etc., par leurs principes dissymétriques inverses ? La solution consisterait, d’une part, dans la découverte de la génération spontanée, si tant est 1. Je suis persuadé que le paratartrate double de soude et d'ammoniaque ne se dédouble lui-même, à l'ordinaire, dans sa cristallisation, que parce qu'une force dissymétrique est présente, et si ce n’est pas une action de lumière ou de magnétisme, je crois volontiers que cette force est due à quelque poussière organique dissymétrique à la surface des vases de cristallisation. Rien ne serait plus facile que de faire cristalliser une solution de paratartrate de soude et d'ammoniaque en dehors de toute poussière organique. On devrait obtenir le paratartrate non dédoublé. 378 ŒUVRES DE PASTEUR qu'elle soit en notre pouvoir; d'autre part, dans la formation de produits dissymétriques à l’aide des. éléments carbone, hydrogène, azote, soufre, phosphore, si, dans leurs mouvements, ces corps simples pouvaient être dominés, au moment de leurs combinaisons, par des forces dissymétriques. Voudrais-je tenter des combinaisons dissymétriques de corps simples? je ferais réagir ces derniers sous l’influence d’aimants, de solénoïdes, de lumière polarisée elliptique, enfin de tout ce que je pourrais imaginer d'actions dissymétriques. Si je me suis fait comprendre, vous devez vous dire : oui, il y a une séparation profonde entre le règne organique et le règne minéral. Cette ligne de démarcation a deux expressions : d’une part, on n’a jamais fait un produit de synthèse, minéral ou organique, ayant d'emblée la dissymétrie moléculaire. On fait des paratartriques, mais les paratartriques sont des résultantes de forces symétriques. C’est se tromper entièrement que de croire qu'on fait de la dissymétrie quand on produit des paratartriques. D'autre part, la dissymétrie préside aux actions chimiques qui donnent lieu aux principes immé- diats essentiels de la vie végétale et tout le prouve, en effet. De toute nécessité, nous devons chercher à mettre en jeu des forces dissymé- triques, ce qu'on ne fait pas dans nos laboratoires actuels. Permettez-moi de terminer cette exposition par des considérations d’un autre ordre qui me paraissent également très dignes d'attirer votre attention. Combinons un corps dissymétrique avec un corps ayant un plan de symétrie. Supposons, par exemple, que de ma main droite je tienne ce livre. IL en résulte un assemblage tout pareil, et non superposable à l'assemblage que nous obtiendrions si je tenais ce même livre et de la même manière, avec ma main gauche. Par exemple, le tartrate droit de potasse (la potasse est un corps sans action sur la lumière polarisée, non dissymétrique) réalise un ‘tel assemblage. Le tartrate gauche de potasse sera l’inverse de ce tartrate droit. Si ces tartrates cristallisent, et ils cristallisent, leurs formes seront identiques et non superposables ; l’une sera l’image de l’autre dans une glace; ces formes possedent l'hémiédrie que j'ai appelée non superposable. C’est là un fait absolument général. Tous les tartrates droits de bases inactives ont leurs dissymétriques inverses dans les tartrates gauches de ces mêmes bases. Mais supposons l'assemblage d’un corps dissy- métrique avec un corps dissymétrique; supposons, par exemple, que je prenne de ma main droite un pied humain. Cet assemblage n'aura DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 379 plus une dissymétrie simple, mais double et très différente, au total, de la dissymétrie de l'assemblage de ma main gauche avec le même pied. Dans un cas, la dissymétrie droite de ma main droite s’ajoutera à la dissymétrie droite du pied, si c’est le pied droit, tandis que ma main gauche étant associée à ce pied droit, les deux dissymétries se contrarieront. Et comme ïl y a une main droite et une main gauche, un pied droit et un pied gauche, quatre assemblages seront possibles : main droite, pied droit; main gauche, pied gauche; main droite, pied gauche ; main gauche, pied droit. Les formes extérieures de ces quatre assemblages renfermeront toutes les mêmes parties, mais autrement distribuées. Combinons, pour plus de précision, l'acide tartrique avec l'acide malique, ou plutôt le tartrate d’ammoniaque avec le malate d’ammoniaque. L'acide malique est dissymétrique comme l'acide tartrique. Ce tartromalate d’ammoniaque donne une idée d’un des quatre groupes dont nous venons de parler. Que sera sa forme? Elle sera telle qu'elle en com- portera trois autres semblables, mais ces quatre formes ne seront pas superposables les unes aux autres, c’est la tétartoédrie. Voici ces quatre formes. — J'ai étudié et préparé deux d’entre elles. Conti- nuons : au lieu de deux corps dissymétriques, prenons-en trois; supposez, par exemple, que, tenant de ma main droite ce pied droit, jy associe, en outre, ce corps qui est lui-même dissymétrique, parce que c’est une pyramide à quatre faces irrégulières. En considérant chacun des inverses de ces trois corps dissymétriques, j'aurai huit assemblages pareils, mais non superposables. Supposons que j'unisse l'acide tartrique à l’acide malique et à la quinine (à la morphine, à la cinchonine...), j'aurai trois groupes actifs réunis. Or, la forme cristal- line de l’assemblage en comportera sept autres pareils non superpo- sables. Au lieu de trois groupes dissymétriques réunis ensemble, prenez-en quatre et en les combinant avec leurs inverses, quatre à quatre, vous aurez seize assemblages possibles et, par conséquent, chaque forme en comporterait quinze autres pareilles. — La combi- naison de cinq groupes dissymétriques comporterait trente-deux assemblages, et ainsi de suite. Eh bien, Messieurs, il y a ici une impossibilité cristallographique. La dissymétrie simple correspond à une dissymétrie inverse. Au droit répond le gauche. Une dissymétrie double peut donner lieu à quatre combinaisons. Dans le premier cas, c'est l’'hémiédrie; dans l’autre cas, c’est la tétartoédrie ; mais, étant données les lois de la cristallographie, il n’est pas possible d'imaginer l’octoédrie; ce mot même n'a jamais été employé, et encore moins a-t-on imaginé toutes les dissymétries plus élevées suivantes. Les 380 ŒUVRES DE PASTEUR plus habiles cristallographes, praticiens ou mathématiciens, je le répète, non seulement n'ont pas rencontré, mais encore n'ont pas supposé l'existence possible de loctoédrie. Ici se présente une des propositions, à mon avis, les plus curieuses. Vous savez que les molé- cules les plus complexes de la chimie végétale sont les albumines. Vous savez, en outre, que ces principes immédiats n’ont jamais été obtenus à l’état cristallin. Ne peut-on ajouter que, vraisemblablement, ils ne peuvent pas cristalliser? Pour comprendre l'impossibilité de leur cristallisation, d’après ce qui vient d’être dit, il suffit d'imaginer qu'ils sont constitués par trois groupes moléculaires dissymétriques ; à plus forte raison, s'ils l’étaient par quatre, par cinq, etc., ete. S'il en est qui cristallisent, comme l’hémoglobine, on peut croire que ces produits ne sont pas dissymétriques ou qu'ils ne contiennent que deux groupes dissymétriques, non trois, non quatre, etc. Il serait fort intéressant d'établir expérimentalement cette proposition. La chose est facile. — On pourrait tenter, par exemple, de faire le tartromalate de quinine ou de toute autre base active. La cristallisation de telles com- binaisons n'est-elle pas impossible (1)? En d’autres termes, pour faire les produits essentiels de la vie, les principes immédiats de nos tissus, de notre sang, principes qui doivent être mous, flexibles, glissants, non cristallins, la nature, pour faire ces produits de la vie, n'aurait qu'à unir un nombre minimum de trois groupes dissymétriques. Vous jugerez sans doute avec moi, Messieurs, que cette limitation d’une part de la puissance de la nature par les lois de la cristallogra- phie et cette extension de ses ressources au contraire dans la forma- lion des principes immédiats de la vie, avec leurs caractères propres, sont bien dans l'harmonie générale des lois de l'univers où l’on retrouve tout à la fois la simplicité des moyens et la fécondité des résultats ! 1. Dans le cas contraire, il faudrait imaginer qu'un des groupes dissymétriques serait placé dans l'assemblage total, de facon que son influence ne se fit pas sentir au pourtour du groupement général, ce qui, vraisemblablement, n’est pas possible. RÉPONSES (1) AUX REMARQUES DE MM. WYROUBOFF ET JUNGFLEISCH SUR « LA DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE » Je suis très surpris de la confusion établie par M. Wyrouboff (2 entre la dissymétrie moléculaire et la dissymétrie d’arrangement dans le cristal. La différence entre ces deux dissymétries n'est-elle pas assez démontrée par cette circonstance que le quartz fondu dissous, le chlorate de soude dissous, le formiate de strontium dissous n’ont aucune action sur la lumière polarisée; que, d'autre part, un cristal dissymétrique droit ou gauche d’une de ces substances, telle que le chlorate de soude, par exemple, donne par cristallisation nouvelle les deux sortes de cristaux hémiédriques ? M. Wyrouboff s'élève contre l'hypothèse que j'ai faite dans une note de ma communication du 22 décembre à la Société chimique (), consistant en ce que le dédoublement du paratartrate de soude et d’ammoniaque aurait pour origine la présence de poussières organi- ques dans la solution ou à la surface des cristallisoirs. C’est là, de ma part, une idée préconçue, mais je l'ai donnée pour ce qu'elle vaut. Les idées à priori, les hypothèses, n’en déplaise à mon contradicteur, sont l’âme des progres de la science. Si l'expérience que j'ai indiquée ne réussissait pas à empêcher le dédoublement du paratartrate, j’essayerais si ce dédoublement ne serait pas dû à une autre cause également dissymétrique, soit de la lumière, soit du magnétisme terrestre. M. Wyrouboff croit triompher en assurant que les conditions de formation du paratartrate non dédoublé et du paratartrate dédoublé sont aujourd’hui très bien connues et qu’elles relèvent de questions de solubilités plus ou moins grandes de ces combinaisons salines. 1. Bulletin de la Société chimique de Paris, nouvelle sér., XLI, séance du ® janvier 1884, p. 215-220. 2. WyrouBorr. 1bid., p. 210-214. 3. Voir p. 377 du présent volume. (Notes de l'Édition.) 382 ŒUVRES DE PASTEUR Mais M. Wyrouboff ne paraît pas comprendre, à mon avis, que la formation du paratartrate non dédoublé n’a rien que de très naturel, puisque tous les paratartrates sont non dédoublés, excepté un; que ce qui est exceptionnel, c'est qu'il y ait un paratartrate qui se dédouble. Il m'est impossible de trouver raisonnable l’opinion qui place la cause de ce dédoublement dans une influence de solubilité. Pourquoi le paratartrate de soude et d’ammoniaque dépose-til des cristaux de deux sortes, pourquoi donne-t-il lieu à deux tétraèdres inverses ? Pour- quoi l'existence de ces deux tétraèdres inverses, et pourquoi pas l'octaèdre qui leur correspond, lequel octaèdre pourrait avoir la solu- bilité des cristaux tétraédriques ? Il y a là, suivant moi, une cause à chercher. Je persisterai à croire, tant que l'opération ne m’aura pas donné tort, que ce dédoublement ne peut avoir lieu, tout au début de la cristallisation, que sous une influence de dissymétrie. M. Wyrouboff, dans une autre partie de son argumentation, m'oppose l'existence des corps actifs sur la lumière polarisée qui n’ont aucune dissymétrie de forme. Lui, qui me reproche gratuitement de ne pas connaître le sujet, paraît ne pas se douter que j'ai examiné cette circonstance avec grande attention autrefois, et que j'ai montré qu'il était facile par des artifices de cristallisation de faire apparaître des faces dissymétriques toutes les fois que la dissymétrie moléculaire interne l’exigeait. J'ai cité la tartramide dont la cristallisation dans l'eau pure n’a pas de faces hémiédriques, mais qui les prend quand elle cristallise en présence d’une solution ammoniacale. J'ai cité le bimalate d’ammoniaque qui en cristallisant dans l’eau pure n’a jamais de faces hémiédriques et qui en prend lorsqu'on modifie la liqueur où ce sel cristallise par un procédé très simple auquel je renvoie. M. Wyrouboff fait grand cas du fait suivant : En ajoutant, dit-il, du citrate d’ammoniaque au tartrate droit d’ammoniaque, les faces hémié- driques se portent de l’autre côté du cristal et inversement pour le tartrate gauche et même, ajoute-t-il, on peut faire disparaître l’hémié- drie. Mais tout cela correspond à des accidents de cristallisation dont j'ai donné bien des exemples ; j'ai constaté qu'on pouvait rencontrer des cristaux droits de sel de Seignette qui portent à gauche les faces hémiédriques. Un cristal est compatible avec une multitude de formes secondaires. Les faces hémiédriques font partie de l'ensemble de ces formes secondaires, et celles-ci se montrent ou sont absentes suivant les conditions de température, de nature, de milieu, etc., etc. On ne voit pas pourquoi des conditions extérieures de cristallisation ne l’'emporteraient pas sur la manifestation dissymétrique propre à la structure interne des molécules. Quant à considérer avec M. Wyrouboff DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 383 les formes de l'acide tartrique droit et de l’acide tartrique gauche et celle de l'acide paratartrique comme des effets de dimorphisme et même de trimorphisme, j'avoue que mes connaissances en cristallo- graphie ne peuvent se prêter à de telles conceptions hypothétiques ; j'avoue également que le non-dédoublement du sel de Seignette thallique ne saurait atteindre en quoi que ce soit les vues que j'ai développées devant la Société chimique. M. Jungfleisch (1) nous dit qu’il est porté à se trouver d'accord avec M. Wyrouboff pour croire à une influence de solubilité dans le fait du dédoublement du paratartrate de soude et d'ammoniaque en deux sortes de cristaux inverses. En vérité, je suis bien étonné du genre de preuves qu'il invoque et qui est si étranger au phénomène dont il s’agit. M. Jungfleisch nous dit que, modifiant l'expérience de M. Gernez, il dépose dans un cristallisoir, contenant jusqu’à 1500 grammes d'acide paratartrique, à l'état de sel double, d’un côté un cristal droit, de l’autre un cristal gauche, et qu'il trouve après un certain temps les deux paquets de cristaux déposés de poids inégaux. _ Dans un cas, par exemple, il a eu 585 grammes de sel droit contre 557 grammes de sel gauche. Peut-on, pour juger un fait aussi délicat et aussi mystérieux que celui du dédoublement du paratartrate de soude et d’ammoniaque, avoir recours à une expérience aussi compli- quée dans ses causes et ses effets! Mais M. Jungfleisch, ce me semble, placerait dans une cristallisation simple quelconque d’un sel, d’un côté un cristal de ce sel et de l’autre un autre cristal du même sel, que je suis convaincu qu'il obtiendrait deux paquets de cristaux de poids inégaux. Et puis M. Jungfleisch sait bien la difficulté de ces pesées des tartrates dont il parle. Il y a des quantités d’eaux mères emprisonnées, de poids très variables. M. Jungfleisch, d’ailleurs, ne nous dit pas, et certainement il l’eût indiqué s'il l'avait fait, si, dans le paquet des cristaux droits, il n’y avait pas de cristaux gauches et inversement. Il nous dit encore : La proportion des droits est foujours un peu plus grande que celle des gauches. Si cela est bien exact, c'est un fait qui s’accorderait bien, même en tenant compte des considérations que je signale, avec mon opinion que quelque cause dissymétrique inter- vient dans le phénomène du dédoublement. Dans tous les cas, je ne 1. JuNGrLEISCH. Ibid., p. 214-215. — Sur le dédoublement des composés optiquement inactifs par compensation. Zbid., 222-996. — Sur la synthèse des composés doués du pouvoir rotatoire moléculaire. Ibid., p. 226-233. (Note de l'Edition.) 384 ŒUVRES DE PASTEUR puis admettre, avec M. Jungfleisch, que l'expérience dont il vient de parler établit que les tartrates droit et gauche de solubilités identiques à l’état isolé ont des solubilités inégales en présence de leur mélange. Dans une autre partie de son argumentation, M. Jungfleisch soutient que la ligne de démarcation signalée par moi entre les produits miné- raux des laboratoires et ceux de la nature végétale a été tranchée par le fait de la préparation synthétique de l'acide paratartrique et de son dédoublement ultérieur; c'est une grave erreur selon moi. Aujour- d'hui, comme à l’époque de mes Leçons de 1860 devant la Société chi- mique, il est vrai de dire que jamais la chimie, livrée à ses ressources extraordinaires, n’a fait par synthèse un produit dissymétrique actif simple, et que la nature végétale, au contraire, ne fait que cela pour ainsi dire. M. Jungfleisch dit : Quand j'ai abordé mes études, des doutes exis- taient, doutes formulés par M. Pasteur lui-même, sur la vraie consti- tution de l'acide succinique de sublimation employée par MM. Perkin et Duppa; c’est très juste. Et M. Jungfleisch a raison d'ajouter que j'avais indiqué le moyen fort simple de lever ces doutes. Il fallait refaire la synthèse tartrique de Perkin et Duppa avec l'acide succinique de synthèse totale de Maxwell Simpson. Le premier j'ai établi : 1° Que l'acide tartrique de synthèse, de Perkin et Duppa, était de l'acide paratartrique ; 2% Que cet acide pouvait se dédoubler en acide tartrique droit et en acide tartrique gauche ; 3% Que si l'on pouvait conserver des doutes sur linactivité par nature de l'acide succinique sublimé, on n'avait qu'à faire l'acide tartrique de Perkin et Duppa avec lacide succinique de Maxwell Simpson. J'ajoutais que, engagé dans d’autres études, Je n'avais pas le loisir de la faire et que j'invitais à la faire. C'est cette dernière manipulation demandée par moi qui a été réalisée avec talent par M. Jungfleisch. On voit que ce n'est pas là du tout que s’est exercé l'esprit d'invention de M. Jungfleisch, mais bien dans la production facile, sur une grande échelle, de l'acide paratar- trique à l’aide de lacide tartrique, transformation que j'avais obtenue le premier, mais sur une petite échelle. J'avais dit, il y a vingt-trois ans, devant la Société chimique alors naissante, dans des Lecons que vient de rappeler M. Jungfleisch : «Les produits artificiels n’ont donc aucune dissymétrie moléculaire, et je ne saurais indiquer l'existence d’une séparation plus profonde entre les produits nés sous l'influence de la vie et tous les autres. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 385 « Lorsque j'atteste qu'aucune substance artificielle n’a encore offert la dissymétrie moléculaire, j'entends parler des substances artificielles proprement dites, formées de toutes pièces avec des éléments miné- raux ou provenant de corps non dissymétriques. » Après avoir signalé cette profonde séparation entre les produits naturels et artificiels, je disais : « N’est-il pas nécessaire et suffisant d'admettre qu'au moment de l'élaboration dans l'organisme végétal des principes immédiats, une force dissymétrique s’est produite ? Car nous venons de voir qu'il n'existe qu'une seule circonstance dans laquelle les molécules droites diffèrent de leurs gauches, c’est quand elles sont soumises à des actions dissymétriques. » Puis j'indiquais diverses sortes d'actions dissymétriques qui seraient propres à provoquer des dissymétries moléculaires. Enfin, j'indiquai aussitôt que, mettant en jeu des actions de dissy- métrie moléculaire propre à un ferment, j'avais réussi à produire, pour la première fois, avec un corps inactif sur la lumière polarisée et non dissymétrique de forme, l'acide paratartrique, un corps actif simple, l'acide tartrique gauche. En d’autres termes, car c’est la traduction littérale de ce que j'avance : non seulement je n’ai pas posé comme absolue l'existence d’une barrière entre les produits des laboratoires et ceux de la vie, mais, le premier, j’ai prouvé que ce n’était qu’une barrière de fait et indiqué les procédés généraux pour la franchir, à savoir qu'il fallait recourir à des actions de dissymétrie, ce que vous ne faites jamais dans les laboratoires, et tel est le motif pour lequel nous n'avons jamais fait un actif dissymétrique simple. Dans de très remarquables et importantes recherches, M. Lebel l’a réalisé après moi et précisément en faisant avec une grande originalité ce que j'ai dit qu'il fallait tenter. C'est donc tout à fait à tort et par une erreur grave de raisonne- ment que M. Jungfleisch, dans sa leçon publique, reproduite par le Moniteur scientifique du D' Quesneville, du mois de septembre dernier (3° sér., XIII, 1883, p. 862], s’est exprimé ainsi : « Jusqu'à ces dernières années, on regardait les phénomènes de la vie comme étant seuls susceptibles de communiquer à la matière cette structure particulière (la dissymétrie). Si une semblable opinion avait été justifiée, si les matières actives sur la lumière polarisée s'étaient trouvées réelle- ment placées au delà de la limite d'action de la synthèse chimique, la puissance de la chimie eût été singulièrement réduite. Il eût fallu, en effet, regarder la science comme incapable de produire des matières sucrées 5 E Ù amylacées, cellulosiques, les alcaloïdes, les albuminoïdes, etc… « Mais il n'en est pas ainsi. Cetle dernière barrière elle-même a été renversee. » 22 ot DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 386 ŒUVRES DE PASTEUR Non. La barrière n'a pas été renversée. Elle existe telle que je Pai formulée tout à l'heure et que je la formulais il y a vingt-trois ans. Non. La chimie n’a jamais fait un corps actif avec des produits inactifs. Un paratartrique est un corps inactif et non hémiédrique. Il est sans dissymétrie. Pour le dédoubler il faut introduire des actions dissymétriques. La chimie sera impuissante à faire du sucre, de la quinine, etc., tant qu'elle restera dans les errements de ses procédés actuels, qui sont exclusifs de l'emploi et de l'exercice des forces dissymétriques. Voilà ce que M. Jungfleisch n'a pas compris, pas plus que M. Wyrouboff. OBSERVATIONS (1) [A PROPOS DE LA NOTE DE M. PIUTTI : « SUR UNE NOUVELLE ESPÈCE D’ASPARAGINE » | (2) Pourquoi cette grande différence dans la saveur des deux aspara- gines ? On pourrait peut-être supposer l'existence d’une isomérie toute spéciale. Je pense autrement. Je serais tres porté à croire, au contraire, qu'il faut rapprocher ce fait physiologique de cet autre que, si deux corps dissymétriques inverses offrent dans leurs combinaisons avec des corps inactifs des propriétés chimiques et physiques absolument semblables et même identiques, ces mêmes corps dissymétriques inverses donnent.des combinaisons fatout à it différentes de propriétés quand ils s'unissent à des corps eux-mêmes dissymétriques et actifs sur la lumière polarisée. Le corps actif dissymétrique qui interviendrait dans l'impression nerveuse, traduite par une saveur sucrée dans un cas et presque insi- pide dans l’autre, ne serait autre chose, suivant moi, que la matière nerveuse elle-même, matière dissymétrique comme toutes les sub- stances primordiales de la vie : albumine, fibrine, gélatine, ete. Mais, dira-t-on, comment n’a-t-on pas encore trouvé des différences de saveur dans les corps droit et gauche inverses ? Ce n'est pas là une objection de principe. En outre, on n’a jamais eu peut-être l’idée de faire ces comparaisons de saveurs. Aujourd’hui que l'attention est appelée par ce que je viens de dire sur ces singula- rités de grande importance, les choses changeront peut-être : c’est du moins mon espoir. 1, Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 12 juillet 1886, CIIT, p. 188. 2, Prvrmi. 1bid., p. 184-137. (Note de l'Édition.) PAGES INÉDITES DE PASTEUR Pasteur rassembla en 1878 ses anciens travaux sur la dissymétrie moléculaire pour les publier dans leur ensemble sous le titre : « Études de chimie moléculaire ou recherches sur la dissymétrie dans les pro- duits organiques naturels ». Il reprit la préface d’un volume ébauché en 1854 sur la polarisation rotatoire. Il écrivit une introduction et une note historique. On trouvera ici cette préface, cette introduction et cette note. Le livre projeté ne fut pas achevé. PRÉFACE Les recherches que je réunis aujourd’hui m'ont occupé pendant dix années consécutives. Telles qu’elles sont, elles me paraissent offrir un enchaînement de faits et de principes généraux assez bien liés entre eux pour qu’elles puissent être utilement l’objet d’une publication distincte et collective. Mais ces études sont loin d’être à leur terme. Je crois qu’elles ouvrent à la science des horizons tout nouveaux, qu’elles laissent entrevoir des problèmes d’une haute portée physiologique. Jai la conviction que je leur consacrerai toute ma vie. Et, lorsqu'elles seront entrées plus avant dans le domaine public, que la cristallographie et la physique auront pris en chimie la place que leur réserve l'avenir, beaucoup de jeunes savants assurément leur apporteront le concours de leurs efforts. Plusieurs des mémoires qui composent ce volume ont paru séparé- ment à des époques différentes. Mais quoique distribués dans un certain nombre d'années, ils forment une suite non interrompue, et je les présente ici comme les divers chapitres d’un même travail. D'ailleurs ils ont été revisés, mis en harmonie les uns avec les autres (1). La plupart ont reçu des développements. D’autres sont tout à fait nouveaux, ou n’ont été publiés que d’une manière très incomplète. Je crois devoir marquer ici quelle est, à mon sens, la véritable place que ces recherches occupent parmi les travaux de la chimie moderne. Si peu que l’on étudie, à un point de vue philosophique;lla marche des progrès de la ‘chimie, il est facile de reconnaître que le but vers lequel tendent tous ses efforts est de s'élever de la connaissance des propriétés des corps à celle du mode d’arrangement des atomes au sein de leur molécule individuelle. Scheele, Priestley, Lavoisier et leurs successeurs immédiats se préoccupaient surtout de la nature, de la qualité, des proportions des éléments. Il fallait bien, avant de sonder les mystères de la constitution moléculaire, savoir de quoi la matière était 1. Cette révision ne fut qu'ébauchée. (Note de l'Édition.) 392 ŒUVRES DE PASTEUR composée. Ces grands travaux remplirent la fin du siècle dernier et le premier quart de celui-ci. Mais du jour où il fut établi que la nature et les proportions des particules élémentaires n'avaient qu'une part souvent restreinte dans l’ensemble des propriétés, on s’efforça de remonter de l’étude de celles-ci à l’arrangement des atomes dans la molécule. Telle a été l’impulsion, dont le mouvement se continue, donnée en grande partie par la découverte de l’isomérie. C’est elle qui a le mieux servi à fixer les idées sur la manière dont il fallait envisager la constitution des corps. Elle a montré que l’individualité de l'espèce chimique ne résidait pas tout entière dans la nature et la proportion des éléments, mais aussi dans leur disposition respective. C’est ce qu’exprime avec netteté et une précision rigoureuse la définition de l'espèce chimique donnée par M. Chevreul déjà en 1823 [1824] : Dans les corps composés l'espèce est une collection d'êtres identiques par la na- ture, la proportion et l'arrangement des éléments (!). Les progrès de la chimie, depuis l’époque de Lavoisier, correspondent en quelque sorte au développement des trois termes de cette définition. Les lois sur la nature et les proportions des éléments furent d’abord établies par les immortels travaux qui se succédèrent sans interruption jusque vers l’année 1820. Depuis lors c’est l’arrangement des particules élé- mentaires qui préoccupe tous les chimistes. Pour approcher du but vers lequel concourent tant d’efforts, il y a deux routes à suivre. On peut partir des propriétés chimiques propre- ment dites, altérer le corps par des agents divers, étudier avec soin les produits résultants, puis essayer de conclure au mode de disposition des atomes d’après la manière dont leur groupe primitif s’est dissocié. Cette marche analytique est puissamment aidée par la synthèse, c’est-à- dire l'étude des procédés qu'il faut mettre en œuvre pour reconstituer le groupe individuel en partant de groupes plus simples. Telle est ce que l’on peut appeler la méthode chimique proprement dite, méthode extrêmement vaste et que suit à peu près exclusivement l’universalité des chimistes. Mais il y a une autre manière d’aborder le problème. Elle consiste surtout à ne pas altérer la substance et à interroger scru- puleusement ses propriétés toutes faites, si je puis ainsi parler, notamment celles qui sont plus directement en rapport avec le mode d’arrangement intérieur. Et comme alors certains caractères physiques tels que la forme cristalline, ou les effets résultant des changements imprimés à la lumière quand elle traverse les corps cristallisés ou 1. CHevreuL. Considéralions générales sur l'analyse ‘organique et sur ses applications. Paris, 1824, in-8o, p. 18. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 393 dissous, doivent jouer le plus grand rôle, cette manière de procéder peut être appelée la méthode physique. Encore bien que plus restreinte que la méthode chimique elle est peut-être plus précise et plus sûre. Par goût et par occasion aussi sans doute, c’est cette dernière méthode que j'ai plus spécialement suivie dans mes recherches, tout en ne négligeant pas la première. Préparée par les beaux travaux d’'Haüy dont la persévérance fit le génie, la méthode physique débuta par les fécondes découvertes de l’isomorphisme et du dimorphisme. Le cas le plus simple qui pouvait s'offrir dans l'étude des relations des propriétés physiques et de l’arrangement moléculaire était évidemment celui qui a donné lieu à l’isomorphisme. Si les découvertes se faisaient avec préméditation, assurément M. Mitscherlich se serait dit: Ce qu'il faut trouver d’abord c'est la relation des propriétés avec l’arrangement lorsque l’on peut présumer que ce dernier est le même dans divers corps. La marche logique des sciences est d’aller en effet du plus simple au plus composé. On sait ce qui arriva: La forme cristalline, ce précieux caractère qui sera toujours au premier rang parmi les qualités physiques de la matière, se trouva être la même lorsque l’arrangement des atomes était le même. À dater des savantes recherches de l’illustre chimiste de Berlin, aucune application remarquable ne fut faite de la méthode physique à l'étude de la constitution moléculaire des corps. Cependant depuis 1815 M. Biot avait assigné dans une foule de produits orga- niques naturels l'existence jusque-là inconnue d’une propriété merveil- leuse par son caractère essentiellement moléculaire. Prévoyant tout le parti que la science retirerait de la connaissance approfondie de ce phénomène dans les études chimiques, M. Biot ne cessa d’appeler l’attention sur les conséquences des lois physiques de sa découverte. Mais ce fut vainement. L’impulsion donnée à la méthode chimique par les beaux travaux de M. Dumas en France, de M. Liebig en Allemagne absorbait toutes les jeunes intelligences que séduisait la science des corps organiques. Après l’isomorphisme qui définit la relation des propriétés et de l’arrangement atomique lorsque celui-ci est le même, l'étude la plus simple qui pût se présenter était celle d’arrangements moléculaires non plus identiques, mais peu différents et dont la dissemblance fut assignable & priori. Or, à prendre les choses dans ce qu’elles ont de plus essentiel, l’ensemble de mes recherches est précisément appli- cable à l’étude des relations qui peuvent exister entre les propriétés et les arrangements moléculaires de substances isomères chez lesquelles ces arrangements diffèrent, mais d’une manière connue et déterminée 394% ŒUVRES DE PASTEUR dans leurs conditions les plus générales. Ces recherches continuent donc l’œuvre commencée par la découverte de l’isomorphisme. Ai-je besoin d'ajouter que c’est seulement aux observations, aux expériences nouvelles consignées dans cet ouvrage que j'attache quelque prix. Malgré la circonspection avec laquelle j'ai présenté certaines vues qui m'ont paru pouvoir en être déduites, je suis disposé, dès que l'expérience m’aura éclairé, à faire bon marché de celles-ci. Je reconnais même qu'entre elles et les faits nouveaux que je signale, il y a bien des vides à combler. « Mais, comme le dit quelque part Lavoisier, c'est le sort de tous ceux qui traveillent (!) d’apercevoir un nouveau pas à faire sitôt qu'ils en ont fait un premier, et ils ne donneraient jamais rien au public, s’ils attendaient qu’ils eussent atteint le bout de la carrière qui se présente successivement à eux et qui paraît s'étendre à mesure qu’ils avancent pour la parcourir. » (2) Je serais bien heureux si la lecture de ce livre, indépendamment des recherches qu’elle peut provoquer, contribuait à répandre parmi les jeunes chimistes le goût des études cristallographiques. Il n’est pas à mon avis d’auxiliaire plus puissant ni plus sûr dans toutes les recherches du laboratoire que la connaissance un peu approfondie des formes cristallines. Elle épargne le temps, fait éviter bien des erreurs, et met sur la voie de nombreuses découvertes. Soyons d’ailleurs plus jaloux de notre gloire. La cristallographie fut à son berceau une science toute française. Mais depuis les persévérants travaux de Romé de Lisle et d'Haüy elle paraît avoir changé de patrie. L'Allemagne nous a donné les simplifications apportées aux premières méthodes, la connaissance du dimorphisme, la féconde découverte de l’isomorphisme, tout ce qui en un mot occupe une grande place dans ces belles études depuis la mort de leurs célèbres fondateurs. 1. Dans le texte de Lavoisier : « ... tous ceux qui s'occupent de recherches physiques et chimiques... ». D'ailleurs, sur un feuillet détaché, Pasteur avait mis le texte intégral de Lavoisier. 2. Lavorsrer. Mémoire sur la calcination de l’élain dans les vaisseaux fermés, et sur la cause de l'augmentation de poids qu'acquiert ce métal pendant cette opération. Hestotre de l'Académie royale des sciences, année MDCCLX XIV, 1778, p. 391-367. (Notes de l'Édition.) INTRODUCTION Les corps composés sont des agrégats de molécules identiques, formées elles-mêmes d’assemblages d’atomes élémentaires distribués d’après des lois qui en règlent la nature, la qualité, la proportion, le nombre et l’arrangement. Telle est la manière dont tous les physiciens envisagent la constitution des corps. C’est aussi l'hypothèse que j'ai adoptée. D’ailleurs l’expérience nous apprend que les molécules simples ou composées ont la plus grande tendance à se juxtaposer par leurs parties similaires et à constituer des masses sensibles terminées par des faces planes, assujetties à des lois d’une simplicité admirable. On les appelle cristaux. Cela posé, si l’on considère les objets matériels quels qu'ils soient, sous le rapport de leurs formes et de la répétition de leurs parties identiques, on ne tarde pas à reconnaître qu’ils se distribuent en deux grandes classes dont voici les caractères : Les uns ont un plan de symétrie, les autres n’en ont pas. Les uns placés devant une glace donnent une image qui leur est superposable. L'image des autres ne pourrait les recouvrir, bien qu’elle reproduise fidèlement tous leurs détails. Un escalier droit, une tige à feuilles distiques.. sont des corps de la première catégorie. Un escalier tournant, une tige à feuilles insérées suivant une ligne spirale, une main... voilà au contraire des objets qui n’ont pas de plan de symétrie (f). Les parties qui les composent sont groupées de telle sorte que le gant qui les recouvrirait exactement ne pourrait s'adapter à leur image, pas plus que le gant de la main droite ne s’adapte à la main gauche. Or, cette division générale des choses matérielles comprend également toutes les formes cristallines des produits naturels ou artificiels. Le cube, l’octaèdre et le tétraèdre réguliers, le dodécaèdre rhomboïdal, le rhomboëdre, le prisme hexagonal régulier, le prisme oblique à base rhombe... placés devant une glace y montrent des images qui leur 1. Ces dernières lignes sont la reproduction du début d'une Lecon professée à la Société chimique de Paris, le 3 février 1860. Voir p. 329 du présent volume. (Note de l'Édition.) 396 ŒUVRES DE PASTEUR sont superposables. Les tétraèdres irréguliers en général, les prismes obliques à bases rectangles, tronqués sur les arêtes des bases d’un côté seulement... toutes formes que l’on trouve réalisées par la nature, n’ont pas de plan de symétrie et leurs images ne peuvent leur être superposées. On apprécie bien vite l'intérêt qu'il peut y avoir à rechercher et à découvrir les causes de ces différences dans les caractères généraux des formes de la matière, pour ce qui concerne les produits naturels, notamment les cristaux. De quelle manière en effet faut-il envisager la constitution d’un corps cristallisé? On sait que Bergman et plus tard Haüy, par la considération des clivages qui se répètent en divers sens, démontrèrent qu'un cristal peut être considéré théori- quement comme engendré par l’apposition progressive de molécules simples, ou de groupes de molécules, réunies par séries linéaires qui se distribuent elles-mêmes en lames planes, suivant certaines lois régulatrices des distances mutuelles de ces divers éléments constitutifs. En matérialisant par la pensée les plans de clivage ou les intervalles qui séparent les molécules, le cristal peut être envisagé comme formé de petits polyèdres générateurs infiniment petits, tous de même forme et groupés parallèlement les uns aux autres. Dans chacun des solides générateurs il y a un centre de figure par lequel on peut mener trois droites ou axes rectilignes qui se terminent à sa superficie, et qui sont respectivement parallèles à ses arêtes. Ces trois droites s’appellent les axes cristallographiques; et les rapports de leur longueur, joints à leur obliquité relative, caracté- risent les divers systèmes cristallins. On en distingue six. Dans le plus simple que l’on appelle régulier, les trois axes sont d’égales longueurs, et font entre eux des angles droits. Dans le plus complexe, ils sont obliques les uns sur les autres, et ont tous trois d’inégales longueurs. Les solides cristallographiques ainsi définis possèdent toujours certains éléments géométriques, angles, faces ou arêtes, qui, dans leur conformation, leurs dimensions propres, et leur mode d'assemblage avec les parties adjacentes, présentent un ou plusieurs couples, dont le dispositif est identiquement pareil. Si on les envisage sous les mêmes aspects, si l’on en prend pour ainsi dire le moule local, on n’aperçoit rien qui les distingue entre eux ; tandis que d’autres, au contraire, sont manifestement dissemblables. Si lon suppose que de tels corpuscules, ayant des dimensions insensibles, viennent à s’agréger, librement et avec lenteur, dans un milieu homogène illimité, en vertu de forces attractives s’exerçant à petites Le distances, toute particularité de superposition qui s’appliquerait à un DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 397 des éléments du solide primitif devrait s’opérer également sur tous ses semblables, puisque linfiniment petite étendue d'efficacité des formes rendrait les conditions déterminantes localement identiques pour tous. Cette similarité d’effets pareils, devant résulter de la similarité des actions physiques exercées par les parties semblables, a été justement appelée par Haüy la loi de symétrie, loi qu'avaient préparée les travaux de Romé de Lisle. Quoique l’ensemble de conditions abstraites, qui en établirait physiquement la nécessité, ait dû, sans doute, ne pas se trouver-toujours complètement réuni dans la formation des cristaux naturels, l'influence mécanique de la similarité des parties paraît y avoir été bien puissante. Car les conséquences de cette loi abstraite se voient, en effet, réalisées avec une prédominance incontestable dans la généralité des produits de la cristallisation. Elle semble exprimer le cours ordinaire et régulier du phénomène; de sorte que les formes qu'on lui voit permettre ou exclure, dans chaque cristal de dimension sensible, fournissent les indications les plus évidentes, comme aussi habituellement les plus sûres, pour découvrir son type générateur. Il résulte de ces consi- dérations que la loi de symétrie est la loi naturelle de la cristallisation : elle est comme un axiome de physique. Toutefois on rencontre des cas nombreux, où la cristallisation y déroge; non pas en présentant sur tel ou tel élément du cristal quelque particularité isolée que l’on puisse imputer à des circonstances accidentelles; mais en offrant au contraire un ensemble symétrique d'effets dissymétriques, qui se correspondent avec une diversité régulière et constante sur les plages diamétralement opposées du cristal. Haüy avait aperçu et signalé ces exceptions qu'il assimilait à ce qui arrive dans les plantes, lorsque l’on y voit occasionnellement avorter un certain nombre des organes que les lois générales de la végétation leur assignent; et il les attri- buait à des influences indépendantes de l’attraction moléculaire, par exemple à la polarité électrique. Mais le phénomène a beaucoup plus d'importance qu'il ne le croyait. Dans de tels cas, si l’on considère le système total de facettes secondaires, toujours en nombre pair, que la loi de symétrie aurait exigées ou permises, on trouve que la moitié juste de ce nombre y manque, ou s’y trouve remplacée par d’autres dissemblables, soit en dérivation, soit en grandeur, à leurs opposées. Quoique Haüy ait eu l’occasion de voir, et de signaler, presque toutes les individualités de ces formes régulièrement incom- plètes, il semble ne pas avoir aperçu ce que leur dérogation à la loi de symétrie avait elle-même de symétrique et de général. C’est ce qu'a fait depuis un célèbre cristallographe allemand,'M. [C. S.] Weiss, 398 ŒUVRES DE PASTEUR en ramenant l’étude comparée des cristaux à dépendre de conceptions géométriques plus abstraites, qui font plus aisément découvrir leurs rapports d'ensemble. Il a désigné ce remarquable phénomène par le nom général d’hémiédrie, qui est aujourd’hui adopté universellement dans l’acception qu'il lui a donnée. Les cristallographes ont déterminé depuis, par le calcul, toutes les circonstances géométriques dans les- quelles il peut mathématiquement se produire ; mais ils ont beaucoup moins cherché à découvrir les rapports physiques, ou mécaniques, qu'il peut avoir avec la constitution des particules cristallines mêmes. C’est vers ce but que j'ai dirigé tous mes efforts (!). Dans un travail remarquable, M. Delafosse ?), maître de conférences à l'École Normale, avait déjà présenté sur l’'hémiédrie des observa- tions très judicieuses. Après avoir soigneusement distingué la molécule chimique du corps, de l'élément polyédrique infiniment petit délimité par les plans de clivage, il s'efforce de faire disparaître l’anomalie offerte par le phénomène de l’hémiédrie en montrant que l’on a fait une fausse application de la loi de symétrie, et que l’on s’est mépris sur la nature des parties auxquelles on a accordé la même valeur. Ilne suffit pas de dire, comme le remarque M. Delafosse, que les parties identiques doivent être semblablement modifiées ; il faut surtout examiner l’état réel de ces parties, et les conditions qui déterminent leur similitude. Dès mes premières recherches je fus porté à croire que l’hémiédrie était probablement la manifestation d’une propriété moléculaire, prenant sa source dans les dernières particules du corps. En effet je reconnus que non seulement l'acide tartrique avait une forme cristal- line hémiédrique, mais que cette particularité se montrait dans les formes de tous les tartrates, c’est-à-dire dans toutes les combinaisons où la molécule chimique de l'acide tartrique peut être regardée comme n'ayant subi aucune altération dans la disposition la plus essentielle des atomes élémentaires qui la composent. Bientôt de nouveaux faits vinrent corroborer ces premières indica- tions et agrandir considérablement leur importance. M. Biot avait trouvé que l’acide tartrique et ses combinaisons salines, en dissolution dans l’eau, avaient la propriété de dévier le plan de polarisation des rayons lumineux et il avait clairement établi que ce phénomène était 1. Voir l'un des rapports sur mes recherches, présenté à l’Académie des sciences par M. Biot. Comptes rendus de l'Académie [XX VIL', année 1848, p. 401-411. [Document I, p. 415- 1235 du présent volume.] 2. DeLarosse. Sur la véritable nature de l’hémiédrie et sur ses rapports avec les propriétés physiques des cristaux. Comptes rendus de l'Académie des sciences, XLIV, 1857, p. 229- 23. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 399 moléculaire. Or le pouvoir rotatoire se manifeste par une action dissymétrique, puisque les particules constituantes des substances qui le possèdent l’exercent dans un seul sens, lantôt à droite, tantôt à gauche. Ces particules sont donc individuellement dissymétriques, soit dans leur forme, l’arrangement de leurs éléments chimiques, leurs qualités externes, ou dans plusieurs de ces accidents à la fois. Cela posé, lorsque des molécules ainsi faites viennent à s’agréger sponta- nément, et à se grouper d’elles-mêmes en cristaux de dimension sensible, leur dissymétrie propre ne se trouvera-t-elle pas encore empreinte dans ces agglomérations ; et si elle l’est, les signes obser- vables de son influence ne seront-ils pas une dissymétrie quelconque de la forme géométrique du corps ? En d’autres termes, la dissymétrie de la forme et la dissymétrie accusée par le phénomène rotatoire ne sont-elles pas corrélatives ? La lecture de cet ouvrage ne laissera aucun doute à cet égard. Il y est établi à l’aide des preuves les plus variées que l’hémiédrie et le phénomène rotatoire moléculaire ont une étroite connexion et que l’'hémiédrie, autrefois la propriété en apparence exclusive d’un petit nombre de substances, est le caractère habituel de celles qui dévient le plan de polarisation de la lumière, et que, pour abréger, nous appellerons substances actives. J'ai démontré avec certitude que le pouvoir rotatoire moléculaire et l’hémiédrie traduisent au dehors une dissymétrie propre à l’arran- gement des atomes dans la molécule chimique. Voici la preuve la plus décisive de cette proposition. Le caractère de l’hémiédrie dans les substances actives consiste en ce que l’image de la forme du corps n’est pas superposable à cette forme, bien que, comme toute image, elle reproduise fidèlement la réalité qui la fait naître. Considérons, pour fixer les idées, l’acide tartrique. Sa forme extérieure est repré- sentée figure à (!). Elle est dissymétrique. Son image dans une glace ne lui est pas superposable, quelque position qu’on lui donne, parce que l'angle P sur M n’est pas droit. Or nous verrons qu'il existe un corps qui a précisément pour forme cristalline la figure D, corps que nous nommerons tout naturellement acide tartrique gauche, par opposition à l'acide tartrique ordinaire que nous appellerons acide tartrique droit. La comparaison des propriétés de ce nouvel acide avec l’acide tartrique ordinaire offrira le sujet d’études le plus remarquable. Toutes les propriétés chimiques de ces deux corps sont identiques jusque dans les plus minimes détails. En dehors de la non-superposition possible 1. Les figures ne Sont pas représentées dans le manuscrit. (Note de i'Édition.) 400 ŒUVRES DE PASTEUR de leurs formes cristallines, toute leur différence se réduit à l’oppo- sition de sens de leurs déviations optiques. L’acide tartrique gauche dévie à gauche le plan de polarisation des rayons lumineux, rigoureu- sement de la même quantité que l’acide tartrique ordinaire le dévie à droite, et en reproduisant fidèlement toutes les particularités de son action. Hormis ces deux caractères de formes inverses et de déviations optiques égales mais de sens contraires, l'identité de toutes les propriétés physiques et chimiques est absolue. La distinction chimique des deux corps est matériellement impossible. Tout ce que l’on fait avec l’un on peut le produire avec l’autre dans les mêmes conditions, avec les mêmes résultats. Seulement les formes cristallines et les actions optiques des combinaisons obtenues manifestent constamment l'opposition qui existe entre les deux acides. Mais vient-on à dissoudre ces acides séparément et mélange-t-on les liqueurs, immédiatement ils se combinent avec dégagement de chaleur très sensible et des cristaux d'acide racémique prennent naissance, ce qui dévoile de la manière la plus inattendue la constitution de cet acide, et rend compte de l’iso- mérie qu'il présente avec l’acide tartrique. Par la nature même des relations de ces deux acides je ne crois pas que l’on puisse s'empêcher de voir dans leur exemple un cas particulier d’une loi générale. Lorsque l’on compare les formes des acides tartriques et de leurs combinaisons à celles des produits naturels actifs et que l’on retrouve chez ces derniers le caractère essentiel de la forme des acides tartriques, savoir, la propriété d’une image non superposable, il est bien difficile de ne pas admettre que tous les inverses des produits naturels sont possibles. Et dès lors si l'influence mystérieuse à laquelle est due la dissymétrie des produits naturels venait à changer de sens ou de direction, les éléments constitutifs de tous les êtres vivants prendraient une dissymétrie inverse. Peut-être un monde nouveau s’offrirait à nous. Qui pourrait prévoir l’organisation des êtres vivants si la cellulose de droite devenait gauche, si l’albumine du sang de gauche devenait droite. Il y a là des mystères qui préparent à l'avenir d'immenses travaux et appellent dès aujourd’hui les plus sérieuses méditations du savant et du philosophe. Il est bien digne de remarque que la propriété rotatoire molécu- laire ne se soit encore présentée que dans des substances élaborées par l’organisme vivant. Aucun produit minéral naturel ou artificiel ne la manifeste. Et ce qui ajoute à la singularité de cette opposition entre les produits de la nature morte et ceux de la nature vivante, c’est la fréquence de la dissymétrie moléculaire dans les matières organiques DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 401 naturelles, à tel point que cette dissymétrie paraît être une nécessité de la constitution des molécules qui se sont édifiées sous l'influence de la vie. Sucres, fécules, gommes, acides, alcalis, huiles essentielles, albumine, gélatine, fibrine, cellulose, toutes ces matières sont actives sur la lumière polarisée, toutes, lorsqu'on peut les faire cristalliser, affectent des formes à images qui ne leur sont pas superposables,. Il y a bien des produits naturels non dissymétriques, tels que l'acide oxalique, l'acide fumarique, l’hydrure de salicyle et beaucoup d’autres. Il serait à mon avis téméraire de regarder ces substances comme fai- sant exception à la règle commune. Je suis disposé à croire que ces produits inactifs ne sont pas naturels au même litre que les autres, qu'ils résultent d'actions secondaires plus ou moins analogues à celles des laboratoires. L’acide malique actif sur la lumière polarisée serait par exemple formé de toutes pièces ou dériverait d’un produit actif au sein duquel son groupe moléculaire serait déjà constitué. Ce serait un produit vraiment naturel. Au contraire l'acide fumarique inactif de la fumeterre prendrait naissance dans des conditions différentes, du genre de celles qui permettent de le préparer artificiellement à l’aide de l’acide malique. En d’autres termes il faudrait en quelque sorte dis- tinguer chez les plantes des produits primordiaux, nés sous l’influ- ence de la vie et des conditions les plus secrètes de l'organisme végé- tal, d’autres secondaires résultant des premiers par des phénomènes d’oxydation, de combustion lente, d’isomérisme, analogues à ceux que nous pouvons réaliser directement. Ces derniers seraient en quelque sorte des excrétions, analogues à l’urée, à la créatine, à l’acide urique, qui évidemment ne sont pas des substances naturelles du même ordre que l’albumine, la fibrine. dont elles dérivent lorsque celles-ci, ayant accompli leur rôle, sont expulsées pour faire place à leurs similaires de plus récente élaboration. De même que l’urée, la créatine, l'acide urique, et tous leurs analogues sont inactifs et homoéd riques, de même les acides oxalique et fumarique, l’hydrure de salicyle... le®sont éga- lement, qu'ils soient extraits des plantes ou directement formés dans nos laboratoires. Ces considérations sur la distinction à établir entre les divers principes immédiats des végétaux méritent de servir de point de départ à des études nouvelles qui auraient un immense intérêt. Quoiqu'il en soit, la dissymétrie moléculaire mise en évidence par le phénomène rotatoire et l’hémiédrie établit quant à présent une ligne de démarcation profonde entre les produits organiques naturels et les produits artificiels, non pas dans les modes généraux*d’action de ces deux classes de substances, non pas qu’elles aient des allures diffé- rentes dans leurs réactions chimiques, mais au moment de leur DISSYMÉTRIE MOLÉGULAIRE 26 402 ŒUVRES DE PASTEUR formation, alors que les atomes élémentaires qui doivent constituer la molécule du corps sont en présence et que la combinaison va se produire, une influence secrète groupe dissymétriquement les atomes s’il s’agit d’une combinaison de l’ordre vital. C’est là, à mon sens, dans le cadre des études scientifiques, un fait considérable qui touche aux conditions les plus cachées de la création et de la vie, et qui signale à l'attention l’un des plus importants mystères de l’organisation. Quelle est d’ailleurs la cause de ce mode spécial de groupement des atomes dans les produits formés sous l’influence de la vie végétale ? Réside- t-elle dans la lumière, lélectricité, le magnétisme, la chaleur, serait-ce l'impulsion initiale donnée par le mouvement de la terre, la plus profonde obscurité règne encore sur ce difficile problème. C’est à peine si nous pourrons parvenir à indiquer l’une des conditions phénoménales de l’influence probablement cosmique, à l'existence de laquelle nous ne pourrons nous refuser. Encore moins nous sera-t-il permis d’assigner le rôle de la dissymétrie moléculaire dans la dispo- sition des formes ou dans l’accomplissement des actes de l’organisme. La deuxième partie de cet ouvrage est consacrée à des recherches dont les résultats précisent et agrandissent ceux que je viens d’exposer brièvement. Divers moyens, notamment l’action de la chaleur, nous permettront de modifier plusieurs corps actifs de façon à les rendre inactifs sur la lumière polarisée et homoédriques. Tels sont entre autres les acides tartrique et malique. Nous obtiendrons de cette manière deux acides, isomères des acides tartrique et malique, et n'ayant aucune action sur la lumière polarisée. Mais ce qui est très digne d’attention, c’est que les composés inactifs conservent l’ensemble des propriétés phy- siques et chimiques les plus importantes des corps correspondants actifs. Ainsi la composition élémentaire est la même. Leurs molécules sont formées des mêmes principes pondérables, unis dans les mêmes proportions atomiques. Toute opération qui, appliquée à l’un d’eux, le fond, le dissout, le décompose, ou le détermine à se combiner avec d’autres substances, produit sur son correspondant des effets sem- blables, et donne des produits dont la composition élémentaire est identique. Néanmoins la similitude ne va jamais à l'identité absolue, comme il arrive pour les corps actifs droits et gauches inverses et isomères dont nous parlions tout à l'heure. En supposant une opération effectuée comparativement, on re- marque généralement des dissemblances dans les détails de sa marche et de ses effets. Ce seront par exemple des différences souvent légères, constantes toutefois et appréciables, dans la fusibilité, la solubilité, DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 403 ou le temps nécessaire pour que certaines transformations s’accom- plissent; comme s’il y avait, entre les molécules des corps que l’on compare, une aptitude relative, plus grande ou moindre, à se mettre simultanément dans tel ou tel état. Ainsi, quand on place ensemble, dans un air humide, des cristaux d'acide malique actif et d’acide ma- lique inactif, qui sont complètement isomères, les inactifs absorbent en deux ou trois heures la très petite quantité d’eau qu’ils peuvent prendre, après quoi leur poids ne change plus. Les cristaux actifs au contraire absorbent l’eau lentement, progressivement, jusqu’à ce qu’ils se convertissent d'eux-mêmes en un liquide visqueux. Les chlorhy- drates d'acide aspartique, acüf et inactif, présentent le même genre de dissemblance, encore plus marqué. Les malates de plomb actifs et inactifs, quand ils se précipitent de leurs dissolutions respectives, sont amorphes, et après un certain temps ils se disposent l’un et l’autre en cristaux aiguillés. Mais, dans des circonstances en tout pa- reilles, ce temps, pour le malate actif, n’est souvent que de quelques heures; et pour le malate inactif il est souvent de plusieurs jours. Tous les produits correspondants des deux séries se montrent ainsi dis- semblables dans ce que l’on pourrait appeler leurs dispositions indi- viduelles. Il est évident que nous avons affaire ici à des substances isomères d'une nature toute particulière. Leurs arrangements moléculaires diffèrent, mais ils conservent entre eux des relations intimes et on est naturellement porté à croire que les groupes inactifs ne sont autres que les groupes actifs, moins la disposition dissymétrique qui leur est propre. Le corps inactif est, si l’on peut s'exprimer ainsi, l’actif détordu, lactif dont les atomes se sont groupés de manière à ce que l’ensemble offrit un plan de symétrie, à peu près comme si les marches d’un escalier tournant se disposaient en escalier droit. La dépendance mutuelle des arrangements moléculaires de ces corps isomères actifs et inactifs est mise au jour, dans sa véritable nature, par la relation des formes de certains dérivés correspondants des deux séries. Nous verrons en effet dans quelques cas le produit inactif avoir exactement la forme de l'actif, son isomère:; mais l’actif est hémiédrique et l’inactif ne l’est pas. C’est là toute leur différence Nous avons vu également l'acide tartrique gauche ne différer de l’acide tartrique droit que par sa forme cristalline et sa déviation optique. Mais ici, et pour emprunter une comparaison analogue à celle de tout à l'heure, la différence serait celle de deux escaliers égaux tournant en sens contraires. Cette découverte des corps actifs et inactifs isomères agrandit sin- 40! ŒUVRES DE PASTEUR gulièrement nos idées de mécanique moléculaire. Elle nous montre que si les produits naturels organisés sous l'influence de la vie végé- tale peuvent être dissymétriques en deux sens différents, contraire- ment à ce que nous voyons dans les produits minéraux et artificiels, cette disposition des particules élémentaires n’est pas une condition nécessaire de l’existence de la molécule, que le groupe organique tordu peut se détordre et prendre alors le caractère général des sub- stances artificielles ou minérales. Par contre il me paraît logique de regarder ces dernières comme susceptibles de présenter un arrange- ment dissymétrique de leurs atomes à la manière des produits naturels, de devenir actifs et hémiédriques, au moins dans la plupart des cas. Si l’on pouvait penser que la composition plus simple des groupes moléculaires des substances minérales fût un obstacle à leur dispo- silion dissymétrique, cette hypothèse serait dans tous les cas inadmis- sible pour les produits organiques artificiels, tels que la naphtaline, l'hydrure de salicyle, les alcools et tant d’autres produits dont la complication moléculaire égale ou dépasse celle des produits naturels actifs. En dernière analyse les groupes de particules élémentaires qui constituent la matière composée peuvent revêtir deux états distincts, correspondant aux deux types généraux dans lesquels on peut faire rentrer tout objet matériel lorsqu'on l’envisage sous le rapport de la disposition et de la répétition de ses parties identiques. La forme du groupe est à image superposable où non superposable. Elle a ou elle n’a pas un plan de symétrie. Mais ce dernier type est double parce que son inverse peut exister au même titre que lui. Il faut y ajouter le cas de l'association de ces deux types inverses qui rappelle l'union par paires des membres identiques et non super- posables des animaux supérieurs. De telle sorte qu'il y a en réalité pour les groupes d’atomes qui constituent la matière quatre dispo- sitions remarquables. Tous nos efforts doivent tendre à les produire pour chaque espèce particulière. La troisième partie de cet ouvrage renferme la solution d'un problème très intéressant, celui de la transformation d’un corps actif en son inverse. Nous verrons que, par l’action de la chaleur seule, l'acide tartrique droit se transforme en acide racémique qui est la combinaison à poids égaux de lacide tartrique droit avec lacide tartrique gauche et qui est résoluble en ces deux acides. De même et inversement, l'acide tartrique gauche peut être transformé en acide racémique et par suite en acide tartrique droit. C’est là un des faits les plus dignes d'attention. On pouvait craindre que les inverses des DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 405 substances actives fussent toujours inconnus à moins que la nature ne les offrit elle-même, puisque dans aucun cas, jusqu’à présent, on n'a pu préparer artificiellement un corps actif. Tel est le résumé rapide des idées les plus essentielles contenues dans cet ouvrage. Je pense qu’à côté de l'intérêt individuel des faits, les conséquences générales qui s’en déduisent mériteront une attention spéciale. On ne peut douter que le rôle de la dissymétrie moléculaire soit considérable et peut-être son influence va-t-elle très loin dans les procédés de la vie végétale et animale. DE LA PART QUI REVIENT A ROMÉ DE LISLE, BERGMAN ET HAUY DANS LA DÉCOUVERTE DES LOIS FONDAMENTALES DE LA CRISTALLOGRAPHIE Loi de symétrie. — Parlant de la loi de symétrie et de la structure dans les cristaux, j'ai associé au nom de Haüy ceux de Romé de Lisle et de Bergman, contrairement à l'usage de la plupart des auteurs qui ont écrit sur ces matières. Moi-même j'ai cru longtemps qu’il fallait attribuer à Haüy tout le mérite des découvertes fondamentales de la cristallographie. Cette opinion, bien qu’à peu près générale, est loin de la vérité. Pour ce qui est de la loi de symétrie elle a été préparée et pour ainsi dire mise en évidence par les travaux de Romé de Lisle dont la carrière finissait à l’époque où Haüy commençait ses premières publications, c’est-à-dire vers 1780. Romé de Lisle le premier érigea en science l’étude des formes cristallines. Avant lui on ne croyait pas que la cristallisation fût un caractère constant. Chaque corps avait une certaine allure dans sa cristallisation, comme chaque espèce d’arbre a son port, comme chaque peuple a sa manière de se vêtir. On ne croyait pas du tout que les divers cristaux d’un même groupe fussent les mêmes par la forme, et encore moins qu'ils fussent les mêmes lorsqu'ils provenaient de localités différentes. Ils se ressemblaient au même titre que se ressemblent les chênes de diverses forêts. Les détails n'étaient pas les mêmes. Ainsi au moment de l'impression de l'ouvrage de cristallographie de Romé de Lisle (1), en 1783, parut le premier volume de l'Histoire naturelle des minéraux de Buffon où l’on trouve ce passage : « J’ai observé dans les spaths calcaires des variétés presque innombrables dans la figure de leurs cristallisations; et en général la forme n’est pas un caractère constant, mais plus équi- 1. Rowé pe Lisce (J.-B.-L. de). Cristallographie. Paris, 1783, Didot jeune, 4 vol. in-8°, Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 40 Del voque et plus variable qu'aucun autre des caractères par lesquels on doit distinguer les minéraux » (1). Il est impossible de marquer la place qui revient à Romé de Lisle comme l’un des fondateurs de la cristallographie avec plus d’exactitude que ne l’a fait Haüy dans le passage suivant de l’une de ses leçons à la première École Normale en 1796. Après avoir rappelé les bizarres hypothèses de Linné et de Tournefort sur la cristallisation, Haüy ajoute : « Enfin Romé de Lisle ramena létude de la cristallisation à des principes plus exacts. Il mit ensemble tous les cristaux qui étaient composés des mêmes éléments; parmi leurs différentes formes, il en choisit une qui, par sa simplicité, lui parut propre à pouvoir être regardée comme la forme primitive; et en la supposant tronquée de diverses manières, il en déduisit les autres formes et détermina une gradation, une série de passages entre cette même forme et celle des polyèdres qui paraissaient s’en écarter davantage. Aux descriptions exactes et aux figures qu'il donna des formes cristallines, il joignit les résultats de la mesure mécanique de leurs principaux angles; et, ce qui était un point essentiel, il fit voir que ces angles étaient constants dans chaque variété. En un mot, sa cristallographie est le fruit d’un travail immense par son étendue, presque entièrement neuf par son objet, et très précieux par son utilité » (2) Parmi les variétés d’une même espèce, souvent une forme plus Fi&. a. F1G. 0: composée ne diffère d’une forme plus simple que par certaines facettes semblables à celles qui résulteraient des sections faites sur les angles solides ou sur les arêtes de cette dernière. Ainsi dans les formes de 1. Le texte de Buffon porte : « ... Il n'y a guère de formes de cristallisation qui ne soient communes à plusieurs substances de nature différente, mais réciproquement il y a peu de substances de même nature qui n’offrent différentes formes de cristallisation, témoin la pro- digieuse variété de formes des spaths calcaires eux-mêmes …. ». (Burrox. Histoire naturelle des minéraux. Tome 1, Paris, 1783, in-4c, p. 242.) 2. Dans son Traité de minéralogie, Paris, 1801, in-8°, tome I, p. 17, Haüy a employé les mêmes expressions. (Notes de l'Édition.) 408 ŒUVRES DE PASTEUR l’alun 4, b, la figure b a la forme d’un cube dont les 8 angles solides abattus laissent à découvert autant de facettes triangulaires qui suffi- samment prolongées conduiraient à une troisième forme de l’alun : l’octaèdre régulier. C’est cette observation fort simple qui fit naître à Romé de Lisle l’idée de la méthode des troncatures, expression con- sacrée par l'usage et qui lui appartient. Voyant dans beaucoup de circonstances un passage en quelque sorte naturel d’une forme à une autre par troncatures d’angles, comme dans l’exemple que je viens de citer, ou par troncatures d’arêtes, Romé de Lisle essaya de généraliser ce fait; et il ne tarda pas à voir ses prévisions réalisées. Il trouva que dans tous les cas on pouvait par la méthode des troncatures passer d’une forme à une autre et que très souvent le passage était indiqué par la nature elle-même. Ainsi que le fait remarquer Haüy dans le pas- sage que je viens de citer, Romé de Lisle appelle forme primitive cette forme de laquelle il fait dériver toutes les autres dans la série des formes d’une même substance. D'ailleurs il ne cherche dans Fappli- cation de sa méthode qu’à faire apercevoir les rapports plus ou moins sensibles qui lient un terme aux autres dans l’ensemble des formes propres à un même corps et nullement à rendre raison des procédés de la nature dans les métamorphoses d’une forme primitive en d’autres formes secondaires. « Je sais très bien, dit-il, que la nature ne commence point par faire un cristal entier pour le tronquer ensuite plus ou moins dans telle ou telle de ses parties. Quand je dis qu'un cristal est tronqué sur ses angles solides ou sur ses bords, j'exprime seulement par ce mot l'apparence sous laquelle le cristal s'offre à nos yeux et j'emploie une expression très connue pour désigner une opération de la nature qui est encore pour nous un mystère impé- nétrable. » (1) Il faut reconnaître cependant que Romé de Lisle n’a pas assujetti sa méthode à une règle générale. Il n’énonce pas lune loi applicable à tous les cas particuliers. Il ne montre pas où est le guide du travail dans la méthode des troncatures, et c'est assurément pour cette raison que la loi dite de symétrie est attribuée exclusivement à l'abbé Haüy. Ce célèbre cristallographe n’a fait pourtant que préciser et en quelque sorte mettre en règle le travail que faisait Romé de Lisle pour chaque cas particulier. Structure des cristaux. — Tout le monde a entendu raconter cette anecdote piquante dans laquelle Haüy laissant tomber par mégarde 1. Romé pe Lisce. Cristallographie, Préface, p. xxvrr-xxvur. Dans le texte original de Romé de Lisle existent quelques variantes. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 109 un prisme hexagonal de spath d'Islande est aussitôt frappé de la manière étrange dont s’est faite la cassure et en déduit bientôt l'ensemble de ses idées sur la structure cristalline. On lira avec intérêt le récit historique que donne Cuvier dans son éloge d'Haüy des premières découvertes de ce célèbre cristallographe (1). « Ce fut presque sans s'en être douté qu'Haüy fut jeté dans une carrière à laquelle pendant quarante ans il n'avait pas songé à se préparer. Au milieu d’occupations obscures, une idée vient lui sourire; une seule, mais lumineuse et féconde. Dès lors, il ne cesse de la suivre; son temps, ses facultés, il lui consacre tout; et ses efforts obtiennent enfin la récompense la plus magnifique. Aussi nul exemple ne montre-t-il mieux que le sien tout ce que peut opérer de grand, j'oserais presque dire de miraculeux, l’homme qui s'attache avec opinià- treté à l'étude approfondie d’un objet; et combien cette proposition est vraie, du moins dans les sciences exactes, que c’est la patience d’un bon esprit, quand elle est invincible, qui constitue véritablement le génie. « Voyant un jour la foule entrer à la leçon de minéralogie de M. Daubenton, il y entra avec elle, et fut charmé d’y trouver un sujet d'étude plus analogue encore que les plantes à ses premiers goûts pour la physique. « Mais le Jardin du Roi avait un grand nombre d'élèves, et M. Dau- benton beaucoup d’auditeurs qui laissèrent la botanique et la minéralo- gie ce qu'elles étaient. Peut-être savaient-ils l’une et l’autre mieux que M. Haüy, parce qu'ils les avaient étudiées de meilleure heure; mais cette habitude plus longue était précisément ce qui les avait familiarisés avec des difficultés qu’ils finissaient à force d’habitude par ne plus apercevoir. Ce fut pour avoir appris ces sciences plus tard, que M. Haüy les envisagea autrement. Les contrastes, les lacunes dans la série des idées frappèrent vivement un bon esprit, qui, à l’époque de sa force, se jetait tout d’un coup dans une étude inconnue. Il s’étonnait profondément de cette constance dans les formes compliquées des fleurs, des fruits, de toutes les parties des corps organisés, et ne concevait pas que les formes des minéraux, beaucoup plus simples et pour ainsi dire toutes géométriques, ne fussent point soumises à de semblables lois; car en ce temps-là on ne connaissait pas même encore cette espèce de demi-rapprochement que propose Romé de 1. Eloge historique de M. Haüy, prononcé dans la séance publique de l'Académie royale des sciences, le 2 juin 1823, par M. le Baron Cuvier, secrétaire perpétuel, Mémoires de l'Académie royale des sciences de l'Institut de France, VIT, 1829,:p. CXLIV-CLXXVIII. (Note de l'Édition.) 410 ŒUVRES DE PASTEUR Lisle, dans la seconde édition de sa Cristallographie (parue en 1783) [1]. Comment, se disait Haüy, la méme pierre, le même sel, se montrent-ils en cubes, en prismes, en aiguilles, sans que leur com- position change d’un atome, tandis que la rose a toujours les mêmes pétales, le gland la même courbure, le cèdre la même hauteur et le même développement. « Ce fut lorsqu'il était rempli de ces idées, qu'examinant quelques minéraux chez un de ses amis, M. Defrance, maître des comptes, il eut l’heureuse maladresse de laisser tomber un beau groupe de spath calcaire cristallisé en prismes. Un de ces prismes se brisa de manière à montrer sur sa cassure des faces non moins lisses que celles du dehors, et qui présentaient l’apparence d’un cristal nouveau tout différent du prisme pour la forme. Haüy ramasse ce fragment; il en examine les faces, leurs inclinaisons, leurs angles. A sa grande surprise, il découvre qu’elles sont les mêmes que dans le spath en cristaux rhomboïdes, que dans le spath d'Islande (?). « Un monde nouveau semble à l'instant s'ouvrir pour lui. Il rentre dans son cabinet, prend un spath cristallisé en pyramide hexaëdre, ce que l’on appelait dent de cochon; il essaie de le casser, et il en voit encore sortir ce rhomboïde, ce spath d'Islande; les éclats qu'il en fait tomber sont eux-mêmes de petits rhomboïdes; il casse un troisième spath, celui que l’on nommait lenticulaire; c’est encore un rhomboïde qui se montre dans le centre, et des rhomboïdes plus petits qui s’en détachent. Tout est trouvé! s’écrie-tl; les molécules du spath calcaire n'ont qu'une seule et même forme; c'est en se groupant diversement qu’elles composent ces cristaux dont l’extérieur si varié nous fait illusion; et partant de cette idée, il lui fut bien aisé d'imaginer que les couches de ces molécules s’empilant les unes sur les autres, et se rétrécissant à mesure, devaient former de nouvelles pyramides, de nou- veaux polyèdres, et envelopper le premier cristal comme d’un autre cristal où le nombre et la figure des faces extérieures pourraient diffé- rer beaucoup des faces primitives, suivant que les couches nouvelles auraient diminué de tel ou tel côté, et dans telle ou telle proportion. « Si c'était là le véritable principe de la cristallisation, il ne pouvait manquer de régner aussi dans les cristaux des autres substances; 1. 1783 est la date de la première édition. (Note de l'Édition.) 2. À la page 10 de son Essai d'une théorie sur la structure des cristaux, Paris, 1783 1784], Haüy s'exprime ainsi : Une observation que je fis sur le spath calcaire en prisme à G pans terminé par deux faces hexagones, me suggéra l’idée fondamentale de toute la théorie dont il s’agit. D'autre part, à la page 28 de la 1re édition de sa minéralogie [Haüy. Traité de minéralogie. Paris, 1801, 4 vol. in-8& et 1 vol. in-4° (86 pl.)], il parle de cette observation comme ayant été faite par hasard sur un cristal de la collection de M. Defrance. (Note de Pasteur.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE AT chacune d'elles devait avoir des molécules constituantes identiques, un noyau toujours semblable à lui-même, et des lames ou des couches accessoires, produisant toutes les variétés. M. Haüy ne balance pas à mettre en pièces sa petite collection; ses cristaux, ceux qu'il obtient de ses amis, éclatent sous le marteau. Partout il retrouve une structure fondée sur les mêmes lois. Dans le grenat, c’est un tétraèdre; dans le spath fluor, c’est un octaèdre; dans la pyrite, c’est un cube; dans le gypse, dans le spath pesant, ce sont des prismes droits à quatre pans, mais dont les bases ont des angles différents, qui forment les molé- cules constituantes; toujours les cristaux se brisent en lames paral- lèles aux faces du noyau; les faces extérieures se laissent toujours concevoir comme résultant du décroissement des lames superposées, décroissement plus ou moins rapide et qui se fait tantôt par les angles, tantôt par les bords. Les faces nouvelles ne sont que de petits escaliers ou que de petites séries de pointes produites par les retraites de ces lames, mais qui paraissent planes à l’œil à cause de leur ténuité. Aucun des cristaux qu’il examine ne lui offre d'exception à sa loi. Il s’écrie une seconde fois, et avec plus d'assurance : Tout est trouvé! » Ailleurs dans ce même éloge Cuvier ajoute : «Les minéralogistes accusèrent M. Haüy d'avoir emprunté à Bergman ses idées, lui qui à peine connaissait le nom de Bergman, et n'avait jamais aperçu son mémoire. » Haüy dit en effet dans la première édition de sa minéralogie pu- bliée en 1801, t. I, p. 18 : L'Académie des sciences avait déjà connais- sance de mes premiers essais relativement à cet objet (il s’agit de la structure des cristaux), lorsqu'elle reçut le mémoire de Bergman qui me fut communiqué comme étant propre à m'intéresser, par le rapport qu’il avait avec mon travail (". En résumé Bergman a devancé Haüy dans la théorie de la structure des cristaux. La priorité lui appartient sans conteste. Mais d’après les termes de Cuvier et ceux d'Haüy ce dernier semble n'avoir rien emprunté à Bergman. Haüy a d’ailleurs maintes fois dans ses écrits reconnu la priorité de Bergman. En 1783 [1784] il fit paraître un petit ouvrage intitulé : Æssai d'une théorie sur la structure des cristaux appliquée à plusieurs genres 1. BERGMAN (T.). De formis cristallorum, praesertim a spatho ortis, Nov. Soc. Reg. Scient. Upsal. Act., I, 1773, et in : Opuscula physica et chemica. Upsaliae, 1719-1783, 3 vol. in-80. Vol. II, 1780, p. 1-%5 (Tab. I, 19 fig.). BERGMAN (T.). Dissertation douzième : De la forme des cristaux et principalement de ceux qui viennent du spath. Zn : Opuseules chimiques et physiques, traduits par M. de Morveau, avec des Notes. Dijon, 1780-1785, 2 vol. in-80. Tome II, 1785, p. 1-27 (PI. IL avec 19 fig.). [Note de l'Édition.] 412 ŒUVRES DE PASTEUR de substances cristallisées, par M. l'abbé Haüy, de l’Académie royale des sciences, professeur d'humanités dans l’Université de Paris. Or, à la page 39 de l’Introduction de cet Essai, Haüy s'exprime ainsi « Dans le temps où je commençais à me livrer à l’étude de la structure des cristaux j'ai eu occasion de lire un mémoire de M. Bergman sur la cristallisation qui se trouve parmi ceux de l’Aca- démie d'Upsal pour l’année 1779 [1773;. Le but de cet illustre chimiste, comme il en avertit dès le commencement de son Mémoire, est de rapporter la formation de différents cristaux à la figure du spath d'Islande dans lequel l’angle obtus de chaque face est de 101° 1/2. Cette forme est comme la base sur laquelle travaille M. Bergman, pour expliquer la formation de plusieurs spaths calcaires, de l’hya- cinthe, du grenat dodécaèdre, de quelques schorls, et de la mareas- site à douze plans pentagones. Il conçoit que ces différents cristaux sont formés par des plans tantôt constants, tantôt décroissants, qui s'accumulent sur les faces du rhomboïde central. « J'ai été frappé surtout de lexplication qu'il donne du spath calcaire à douze faces qui sont des triangles scalènes (dent de cochon) : on la trouvera exposée dans cet ouvrage. Cette explication est très bien vue, entièrement conforme à la nature; et M. Bergman l’a vérifiée lui-même par les fractures faites 'dans le cristal comme je le dirai : et s’il eût également suivi pour les autres cristaux l'indication de la nature; sil ne se fût point livré à des conceptions purement . théoriques (!), qui ne s'accordent point avec l'observation, ainsi qu’om en pourra juger par la discussion où je suis entré au sujet de lexpli- cation qu'il donne du spath à douze plans pentagones, il eût ajouté l'honneur d’avoir obtenu un plein succès à celui d’avoir publié le premier des vues satisfaisantes sur la structure des cristaux. » Il n’est pas inutile de faire remarquer en terminant ces détails. historiques que les observations de Bergman eurent pour point de départ une expérience de Gahn, son élève, qui avait reconnu le clivage et le noyau central du spath calcaire pyramidal (2). C’est la même observation qu'Haüy dit avoir faite par hasard chez M. Defrance. IL résulte de tout cela que si la véracité et la bonne foi d’Haüy pouvaient être suspeclées, ce que je n’oserais croire, il paraîtrait avoir puisé dans. le Mémoire de Bergman ses premières idées et ses premières. expériences sur la structure des cristaux. Il y aurait même pris les. expressions royau et décroissement que l’on trouve dans le Mémoire de Bergman. 1. Le texte de Haüy porte : «. des conceptions purement hypothétiques ... ». 2. BErGMax. Loc. cit. (Notes de l'Édition.) DOCUMENTS AA à r 4 La : PUR NT 12 "M | La LL re il Cd ES I. — RAPPORT (!) SUR UN MÉMOIRE PRÉSENTÉ A L'ACADÉMIE PAR M. L. PASTEUR, AVEC CE TITRE : RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI PEUVENT EXISTER ENTRE LA FORME CRISTALLINE, LA COMPOSITION CHIMIQUE ET LE SENS DU POUVOIR ROTATOIRE (?) Commissaires : MM. Recxauzr, Bazarn, Dumas, Bior rapporteur (#). Le sujet de travail que M. Pasteur s'est ici proposé est un des plus élevés, probablement aussi des plus fructueux, dont les chimistes puissent s’occuper. Découvrir, dans les formes extérieures des substances cristalli- sables, des caractères sensibles, qui se trouvent en relation de fait avec leurs actions moléculaires, c’est donner à la science des éléments d’investi- gation qui, dans les circonstances où ils sont applicables, suppléent à la connaissance de ces actions mêmes. Sans doute, de pareilles relations ne peuvent ètre que lointaines; car les particularités de configuration des cristaux, même microscopiques, sont déjà des résultantes phénoménales, opérées par le concours d’actions moléculaires en nombre presque infini. Mais l’identité des groupes matériels qui concourent à la formation d’un cristal continu et homogène, étant combinée avec la similarité de leur apposition, peut très bien produire, dans beaucoup de cas, des effets d'ensemble qui, ayant un caractère constant et spécial, deviennent pour nous des indices assurés, quoique empiriques, de leur action propre et individuelle ; indices doublement précieux à constater, par les applications immédiates qu'ils nous fournissent, et comme devant offrir un jour, au calcul mathématique, autant de conditions nettement définies, en apparence les plus prochaines du principe des forces élémentaires, qui serviront, comme les ellipses des planètes, pour remonter, s’il est possible, au prin- cipe mécanique des actions. Le travail dont nous allons rendre compte n’a pas seulement le mérite d’avoir été dirigé avec une sagacité rare vers ce but élevé; l’auteur est arrivé, par cette voie, à une découverte des plus imprévues, et le procédé 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 28 octobre 1848, XXVII, p. 401-411 (avec 2 fig.). 2. Voir ce Mémoire, p. 65 à 80 du présent volume. (Note de l'Édition.) 3. Les quatre Commissaires ici désignés ont pris une connaissance personnelle des obser- vations et des expériences de M. Pasteur; ils les ont examinées et discutées, ensemble et séparément, à plusieurs reprises, avec un intérêt égal. Le Rapport que l'on va lire est l’expres- sion fidèle de leur commune opinion. 416 ŒUVRES DE PASTEUR d'investigation qu’il a employé peut avoir les applications les plus fécondes. M. Pasteur s’est attaché à étudier comparativement deux classes de sels cristallisables, les tartrates et les paratartrates. Considérant d’abord les caractères géométriques généraux de ces corps, il a reconnu que tous, du moins tous ceux qu'il a réussi à former au nombre de dix-neuf, sels neutres simples, doubles, ou sels acides, peuvent être cristallographiquement dérivés de prismes droits à base rectangle ou, par exception, très peu obliques, toujours symétriques. Les prenant alors individuellement, il a constaté entre eux un premier caractère d'analogie et un premier caractère de dissemblance qu’il est indispensable de spécifier, car c’est là son point de départ. Des prismes, ainsi configurés, présentent trois sortes d’arêtes, qui sont les mutuelles intersections de leurs faces, et qui ont généralement d’inégales longueurs. Appelons-les respectivement À,B, C, en affectant les deux lettres A, B, aux côtés de la face, toujours rectangle, que nous pren- drons pour base. Dans tous les tartrates et paratartrates que M. Pasteur a pu observer, le rapport de longueur d’un de ces côtés, de B par exemple, avec l’arête non basique C, s'est trouvé, sinon tout à fait constant, au moins presque constant, quelle que füt la nature de l’oxyde uni à l'acide, et quelle que fût la quantité d’eau de cristallisation. Cette similarité de pro- portion est attestée dans tous ces corps par l'existence d’une face secon- daire, qui s’y produit toujours suivant l’arête A, et dont l'inclinaison sur les faces contiguës BA, CA, fait connaître le rapport de B à C. Car, en mesu- rant cette inclinaison sur la face basique BA, M. Pasteur l’a vue osciller entre d’étroites limites autour d’une moyenne d’environ 130°; sa plus petite . valeur étant 125°30' dans le bitartrate d’ammoniaque, sa plus grande 132°40! dans le paratartrate de potasse et d’antimoine. Voilà le premier caractère d’analogie, on pourrait dire de parenté, qu'il signale entre tous ces sels ; et cela lui sert ultérieurement pour reconnaitre dans chacun d’eux, par la mesure angulaire, ou même au simple aspect, les faces qu'il doit y considérer comme bases, et mettre en correspondance. Quant au caractère général de dissemblance, ou, si l’on veut, d’individualité, il le tire de ce fait, que la longueur relative de l’arête basique À, qui porte la facette déter- minatrice, varie avec la nature des substances chimiques unies à l’acide, sans aucune loi ni règle qu'il puisse ou qu'il prétende assigner. S'étant procuré, par ces observations, des indices sensibles, pour distin- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 417 guer, dans tous ses prismes, certaines faces qu'il pouvait y définir compa- rativement comme bases, d’autres comme pans latéraux, M. Pasteur s’est mis à étudier spécialement les détails des tartrates. Il avait reconnu que tous les cristaux de ce genre de sels peuvent être mathématiquement dérivés d’un prisme à base rectangle droit, ou très peu oblique. Or, dans les solides ainsi configurés, il y a certains éléments géométriques, angles ou arêtes, qui, par leur conformation, leurs dimensions propres, et leur assemblage avec les parties adjacentes, sembleraient jetés dans un même moule. De sorte que, si on les envisage sous des aspects pareils, on n'apercoit rien qui les distingue; tandis que d’autres, au contraire, leur sont manifeste- ment dissemblables. Si l’on suppose que des corpuscules, de dimension insensible, en nombre infini, d'une même nature, et ayant ces mêmes formes, viennent s’agréger librement et avec lenteur dans un milieu homo- gène illimité, en vertu de forces. attractives s’exercant à petites distances, toute particularité de superposition qui s’appliquerait à un des éléments du solide primitif devrait s'opérer également sur tous ses semblables, puisque les circonstances déterminantes seraient identiques pour tous. Cette simul- tanéité d’eflets pareils, résultante de la similarité d'actions physiques exer- cées par les parties semblables, a été appelée par Haüy la loi de symétrie. Ses conséquences se trouvent en eflet réalisées, avec une prédominance incontestable, dans la généralité des produits de la cristallisation. Elle semble exprimer le cours ordinaire et régulier de ce phénomène; de sorte que les modifications de forme, qu’on lui voit permettre ou exclure dans chaque cristal de dimension sensible, fournissent les indications les plus évidentes, comme aussi, habituellement, les plus sûres, pour découvrir son type générateur. Toutelois, on rencontre des cas nombreux où la cristalli- sation y déroge : non pas en présentant, sur telle ou telle face, quelque particularité isolée que l’on puisse attribuer à des perturbations acciden- telles ; mais en offrant, au contraire, un ensemble évident d'effets dissymé- triques, qui se correspondent entre eux avec une diversité régulière et constante sur les plages diamétralement opposées du cristal. Dans de tels cas, si l’on considère le système total des faces secondaires, toujours en nombre pair, que la loi de symétrie aurait permises ou exigées, sur ces mèmes parties, on trouve que la moitié juste de ce nombre y manque alter- nativement par opposition, ou s'y trouve remplacée par autant d’autres dissemblables, soit en dérivation, soit en grandeur, à leurs opposées. Les cristallographes ont donné à ce remarquable phénomène le nom d’hémi- édrie, et ils en ont établi toutes les conditions géométriques ; mais on a beaucoup moins étudié les conséquences physiques, de la plus haute impor- tance, qu’il semble recéler. C’est dans cette voie nouvelle que M. Pasteur est entré, et il y a trouvé le fil d'induction qui l’a conduit à sa découverte. En étudiant les facettes secondaires qui se développent toujours, plus ou moins complètement, sur les huit angles solides des prismes de tartrates, et comparant leurs directions, ainsi que leurs grandeurs relatives, avec les conditions de similitude ou de dissemblance que la loi de symétrie leur assignerait, il a reconnu que les cristaux de cette classe de sels sont géné- ralement hémièdres; avec cette particularité, que l'hémiédrie s’y manifeste habituellement par un seul système de facettes, l’autre étant tout à fait DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 97 et 418 ŒUVRES DE PASTEUR évanouissant. Prenons toutefois comme exemple le cas général qui se réalise dans les cristaux de bitartrate ammoniacal, où les deux systèmes se mon- trent, à 'des degrés seulement très inégaux de développement. Si, dans un quelconque de ces cristaux, supposé complet, on prolonge idéalement les quatre facettes d'une même sorte, et les quatre facettes de l’autre, jusqu'à ce que les semblables se coupent mutuellement, on obtient deux tétraèdres distincts, non superposables, dont les arêtes analogues s’entre-croisent dans l'espace. Etant toujours corrélatifs, on n’a besoin de définir qu’un seul des deux. M. Pasteur s'attache à celui dont les facettes directrices subsistent toujours, et sont constamment les plus développées dans chaque cristal quand l’autre se montre ; et il leur affecte spécialement la dénomination de facettes tétraédriques. Sachant alors que les éléments moléculaires de tous les tartrates détournent généralement les plans de polarisation de la lumière dans un même sens, que l’on caractérise en © disant qu'il est dirigé vers la droite de l’obser- vateur, M. Pasteur a jugé convenable de définir la situation de ses facettes tétraédriques relati- vement à la masse du cristal, par un énoncé correspondant à celui-là: d'autant qu'une indue- tion très vraisemblable lui faisait considérer aussi leur existence comme liée à la constitu- tion moléculaire, sinon comme cause, au moins comme effet. La règle qu'il donne pour les rattacher aux phénomènes rotatoires consiste | dans les prescriptions suivantes. Reconnaissez d'abord, dans le cristal, la base rectangulaire AB, soit par pratique, soit, au besoin, par la mesure de son inclinaison sur la face secon- daire, toujours existante, qui détermine le rapport presque constant de longueur des arêtes B, C, dans tous ces cris- taux. Ceci constaté, placez verticalement l’arête À, et tournez vers vous la base AB. L’arête B se trouvera horizontale. Regardez le cristal suivant un plan vertical, qui lui soit perpendiculaire. Vous pourrez voir occasionnelle- ment une, et même deux facettes, qui lui sont parallèles ; ce ne sont pas les tétraédriques; mais leur parallélisme avec l’arête B vous conduira vers celles-ci qui sont établies sur les angles de la base, à droite et à gauche. Elles pourront toutefois paraître occasionnellement séparées de sa surface visible, par le prolongement de faces secondaires parallèles aux arêtes A ou B. Si les deux systèmes de facettes hémiédriques sont réalisés, en sorte que leur dissymétrie ne se manifeste que par l'inégalité constante de leur déve- loppement, comme M. Pasteur le montre sur le bitartrate d’ammoniaque, vous en verrez deux sur les angles les plus proches de l'œil, l’une à droite, l’autre à gauche; la plus grande à droite. Si l’un des systèmes s'évanouit, l’autre persistant, comme dans tous les tartrates neutres, la facette qui appartient à ce dernier système se montre encore la plus proche de l’æil, à votre droite comme précédemment. C’est done toujours cette facette-là, caractérisée par sa position à votre droite, que M. Pasteur nomme spéciale- ment tétraédrique ; et un peu d'habitude vous la fera reconnaitre, en moins : ' : : ' 1 ' : 1 : ' ) ' ! 1 h : ’ LS : 3 3 0 , , ; 3 0 DISSYMÉËTRIE MOLÉCULAIRE 419 de temps que nous n’en avons mis à la désigner. Quand vous l'aurez vue, retournez verticalement le cristal, vous verrez son homologue encore à droite. C’est ainsi qu'une dissolution de tartrate vous présente toujours sa déviation de même sens, lorsque vous retournez le tube dans lequel vous l'observez. En un tel cas, M. Pasteur dit que l’hémiédrie a lieu vers la droite. Il dirait qu'elle a lieu vers la gauche, si, le dispositif de l’observa- tion restant le mème, la facette tétraédrique se présentait à la gauche de l'observateur. Mais, avec les tartrates, ce second cas ne s’observe jamais. Après avoir établi ce caractère, et en avoir constaté la constance, M. Pasteur a étudié, sous le même point de. vue cristallographique, les paratartrates neutres de potasse, d’ammoniaque, et de ces deux bases réunies. Il n’y a point découvert les signes de l’hémiédrie, ni aperçu aucun indice qui l’annoncät. Les solutions de ces sels, de mème que l'acide para- tartrique, n'ont laissé Jusqu'ici apercevoir aucune trace de pouvoir rotatoire moléculaire. Alors il a porté son investigation sur le paratartrate double de soude et d'ammoniaque, qui a été signalé par M. Mitscherlich comme parti- culièrement remarquable, pour la complète identité de toutes ses propriétés de masse avec celles du tartrate correspondant, ayant la même forme eris- talline et les mêmes angles, le même poids spécifique, la même double réfraction, des axes optiques semblablement situés, et une intensité égale de réfraction simple, à l’état de solution; offrant, en un mot, cette différence unique, mais capitale, dans la constitution de ses éléments moléculaires, d'ètre dépourvu du pouvoir rotatoire que le tartrate exerce. Cette faculté ne s'aperçoit pas, en effet, dans les solutions de ce paratartrate, quand on les forme avec l’ensemble de tous les cristaux qu’on obtient dans une même préparation. Mais, en examinant ces cristaux individuellement, lorsqu'ils se séparent d’une solution aqueuse d'abord non saturée, puis abandonnée à une évaporation lente, M. Pasteur a reconnu, et nous a fait reconnaitre aussi, non pas sur quelques-uns, mais dans tous, des signes d'hémiédrie manifestes, exactement du même genre que ceux qu'il avait découverts dans les tartrates, portant sur des parties analogues, et s’apercevant de la même manière ; avec cette différence, jusqu'ici sans exemple dans une opération de cristallisation, d’ailleurs si complètement similaire, que, sur les uns l'hémiédrie est à droite, comme dans les tartrates, tandis que dans les autres, indistinctement égaux aux précédents en nombre, en grandeur, ainsi qu'en masse, elle est à gauche; et, ce qui met le comble à l’imprévu du phénomène, les cristaux de chaque sorte possèdent un pouvoir rotatoire moléculaire, du même sens que leur hémiédrie. M. Pasteur nous a d’abord rendus témoins de ce fait avec des cristaux qu'il avait antérieurement pré- parés, et dont il nous a fait reconnaitre les caractères hémiédriques propres. Mais il a ensuite répété devant nous l’expérience, avec un égal succès, en se servant de cristaux formés sous nos yeux, avec un acide paratartrique dont nous avions constaté préalablement la complète neutralité optique. Ayant pris deux poids de cet acide exactement égaux, il a premièrement saturé l’un par la soude, jusqu'a ce que la solution mixte se trouvât neutre aux réactifs colorés ; puis il ÿ a mêlé l’autre poids d'acide, et il a complété la saturation par l’ammoniaque, jusqu'à ramener la neutralité. Les principes constituants du sel double étaient ainsi mis en présence, dans un état de 420 ŒUVRES DE PASTEUR solution parfaitement homogène; et l'on avait eu soin que la quantité d’eau füt assez grande pour que Von n'eût pas à craindre un dépôt immédiat. Le liquide So a été versé dans un cristallisoir circulaire en verre, puis abandonné à son évaporation lente et spontanée, à l'abri de tout mouvement et de tout changement artificiel de température. Après deux jours, des cristaux ont commencé à se déposer, d'abord très petits, isolés les uns des autres et parfaitement limpides. Ils ont grossi progressivement; leur nombre s’est accru; et lorsqu'ils ont paru ètre en quantité suffisante pour fournir des solutions exercant des pouvoirs rotatoires sensibles, M. Pasteur a retiré un à un les plus beaux, les a séchés au papier pour ne pas altérer leurs formes, puis les a distingués par l'opposition de leur caractère hémiédrique qu'il nous a fait reconnaitre. Au moyen de ce caractère, 1l les a séparés en deux groupes, dont il nous à annoncé d'avance le sens propre de pouvoir rotatoire, le même que celui de leur hémiédrie; ce que l'expérience a plei- nement confirmé. Ces deux sortes de cristaux, comme l’a dit M. Pasteur, ne diffèrent dans leur forme que par la position de leurs facettes tétraédriques, lesquelles, respectivement prolongées sur les uns et sur les autres, y pro- duisent deux tétraèdres géométriquement symétriques ; de sorte que, suivant l'expression fort juste qu'il en donne, ceux de droite sont l’image de ceux de gauche vue dans un miroir. Après qu'on a fait une première récolte, l'évaporation continuant, des cristaux de deux sortes continuent de se déposer simultanément; et, pendant tout le temps que l'opération dure, la portion de la solution qui reste liquide, mais toujours saturée, demeure optiquement neutre pour la lumière polarisée. La formation des cristaux à rotation contraire s'opère donc de manière que, dans toutes les phases de leur solidification et de leur développement, la somme de leurs pouvoirs rotatoires redeviendrait nulle, par opposition, s'ils étaient tous de nouveau réunis dans une mème solution liquide. M. Pasteur avait constaté avec la dernière rigueur cette persistance de la neutralité optique du liquide mixte, au moyen des plaques à deux rotations de M. Soleil. Nous avons vérifié l'exactitude de sa remarque par le même procédé. Nous avons décrit en détail toute cette remarquable expérience, pour faire bien voir la communauté, l'identité complète, des circonstances phy- siques dans lesquelles les deux espèces de cristaux se séparent simultané- ment du mème milieu. Nous reviendrons sur les conséquences qui s’en déduisent, quand nous aurons rapporté les compléments que lui a donnés M. Pasteur. Il a pris séparément la solution de paratartrate de gauche que nous nommerons G, celle de paratartrate de droite que nous nommerons D; et, les ayant doucement chauffées, il y a versé graduellement de petites quan- tités d’une solution de soude qui ont dégagé l’ammoniaque, en maintenant toujours la neutralité aux papiers Ésacli fs? Les deux sels doubles étaient done devenus, très approximativement, des sels simples de soude. Leurs solutions, observées après ce changement, ont manilesté des pouvoirs rota- toires de mème sens et de mème ordre qu'auparavant. L'intensité absolue de ces pouvoirs était même à peine changée, parce que chacune des solutions se trouvait fortuitement ramenée à un volume très peu différent de son volume antérieur. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 421 Cette persistance des pouvoirs rotatoires propres et contraires, après le changement de base, attestait surabondamment la présence de deux acides moléeulairement distincts. Il ne restait qu'à les extraire. M. Pasteur fit ce dernier pas. Il précipita chaque acide par un sel de baryte, et les retira de ces sels par l’acide sulfurique. Il essaya aussitôt leur action sur Ja lumière polarisée, et la trouva telle qu'il devait l’espérer. Le paratartrate G lui avait donné un acide déviant à gauche, le paratartrate D un acide déviant à droite, chacun suivant le sens de l’hémiédrie qu'il avait si habilement distinguée dans leurs cristaux. Les quantités extrêmement petites de chacun de ces acides, qu'il a pu jusqu'à présent obtenir, ne lui ont pas encore permis d'en faire une étude complète, Il suppose aussi, non sans vraisemblance, que l'énergie de leurs pouvoirs rotatoires pourrait bien se trouver, en partie, affaiblie et masquée par la présence de l'acide sulfurique, dont il ne les a pu entièrement isoler. Car il produit des effets pareils sur l'acide tartrique. Mais ce peu qu'il a obtenu, étant étudié avec les plaques à deux rotations de M. Soleil, lui a suffi pour constater le sens propre de chaque rotation, qui. est son caractère distinctif principal; et les preuves qu’il nous en a fait voir nous permettent de dire que le fait est parfaitement certain. Revenons maintenant à l'expérience fondamentale de M. Pasteur, à celle dans laquelle l'acide paratartrique primitif, reconnu d’abord optiquement inactif, étant dissous dans l’eau, puis neutralisé dans son ensemble, par des doses équivalentes d’ammoniaque et de soude, dépose, sous la seule influence d’une évaporation spontanée, lente et tranquille, deux sortes de produits cristallins, en quantités d'apparence égales, mais invariablement distincts par le sens de l’hémiédrie de leur forme, exerçant sur la lumière polarisée des actions moléculaires de sens contraire, que ne manifestait nullement l'acide primitif; et desquels on retire des acides exercant aussi ce pouvoir avec le mème caractère d'opposition. Ces derniers proviennent-ils d'une décomposition chimique qui se serait opérée entre les éléments de l'acide inactif ? ou bien s’y trouvaient-ils préexistants et cristallisés ensemble, pré- sentant l’apparence d’an corps unique et défini? Si l’on considère l'identité complète de circonstances physiques dans lesquelles sont placées les parti- cules du liquide mixte qui donne les deux systèmes de cristaux, l'absence de toute force externe, chimique ou physique, qui puisse les impressionner inégalement, enfin la continuité constante avec laquelle le double dépôt s'opère depuis le commencement jusqu'à la fin, l'idée d’une véritable décom- position moléculaire semblera peu supposable. Une simple séparation, au contraire, offrira seulement un fait nouveau, très imprévu, très considérable par les résultats analogues auxquels il peut conduire; mais il ne renfermera rien qui répugne aux notions que nous pouvons avoir sur la mécanique méléculaire. Une étude plus intime des deux nouveaux acides achèvera de décider l'alternative. Il ne manque à M. Pasteur que de les avoir obtenus en quantités suffisantes, pour qu'elle puisse ètre complètement résolue. Il trouvera sans doute aussi des résultats d’une grande importance dans le développement de leurs rapports avec l'acide tartrique, ce corps jusqu’à présent si mystérieux. Déjà, sans sortir d'une réserve prudente, M. Pasteur signale les analogies singulières qu'il semble avoir avec l'acide paratar- trique D. Le sel double que celui-ci forme avec la soude et l’ammoniaque eS 1 Le ŒUVRES DE PASTEUR donne des cristaux tellement identiques à ceux du tartrate neutre des mêmes bases, qu'il est impossible de les en distinguer. Ces deux combinaisons possèdent un pouvoir rotatoire de même sens et d’une intensité si approxi- mativement égale, qu'on ne saurait répondre de la différence, dans les circonstances où l’on a pu jusqu'à présent les comparer. M. Pasteur nous avait annoncé ce fait. Nous l'avons vérifié par une expérience effectuée sur des solutions des deux sels exactement dosées. Elle ne différait de l'épreuve directe faite par M. Pasteur, qu'en ce que nous y avions employé les cris- taux donnés par l'acide G, ce qui offrait l’occasion de savoir s'ils se com- pensaient optiquement avec les autres, à masse égale. Leur pouvoir rota- toire s’est trouvé être, relativement à celui du tartrate, comme 25 à 29. Or, une différence en ce sens, et de cet ordre, était inévitable dans la supposi- tion d'égalité; et l'on devra s'étonner qu'elle ne soit pas plus considérable, si l’on fait attention aux circonstances dans lesquelles les cristaux de chaque sorte sont obtenus. En effet, comme le remarque judicieusement M. Pasteur, ils ne se déposent pas, matériellement séparés et isolés les uns des autres. Leur isomorphisme est au contraire si intime, qu'ils s’entremélent et s’accolent entre eux avec la plus grande facilité. Il faut qu'il les distingue par leurs caractères hémiédriques propres, qu'il les sépare un à un des groupes où ils sont engagés; et, dans chaque groupe, il s'en trouve habi- tuellement des deux sortes. On conçoit que ce triage manuel peut bien ne pas être toujours complètement rigoureux. Les cristaux de sens opposés, lorsqu'on les détache les uns des autres, doivent souvent laisser quelques fragments de leur substance dans la cassure; et leur présence neutralise optiquement une masse égale du cristal d'autre sorte qu'ils ont pénétré. Le peu de différence que l’on trouve en les pouvoirs rotatoires de ces cristaux et ceux des tartrates après un tel choix, ainsi que le sens de cette différence, rendent donc l'égalité de ces pouvoirs plutôt probable qu'improbable. Au reste, l’alternative sera décidée quand M. Pasteur aura obtenu ses deux acides purs, et en quantité suffisante pour les observer isolément. Car, si l'acide D est l’acide tartrique lui-même, on devra retrouver dans son action rotatoire le singulier caractère de dispersion que celui-ci présente, jusqu'ici exclusivement à tout autre corps. Il était aussi jusqu’à présent le seul acide où l’on eût reconnu des pro- priétés rotatoires. La découverte de M. Pasteur nous en donne maintenant au moins un de plus, si ce n’est deux. Ce caractère, qui permettra de les reconnaître à l’état de liberté ou de combinaison dans les solutions liquides, donnera lieu à des épreuves de mécanique chimique d’une grande impor- tance. Mais l'usage très habile, que M. Pasteur a fait des indices cristallo- graphiques, particulièrement de l'hémiédrie, peut le conduire à étendre beaucoup ce cadre. Il n’est nullement probable que l'acide tartrique et ses deux congénères soient seuls doués du pouvoir rotatoire. Les acides citrique, malique, et d’autres encore, pareillement organiques et fixes, ne nous semblent peut-être dépourvus de ce pouvoir que parce qu'on les a observés tels qu'ils se présentent; et la même méthode pourrait conduire M. Pasteur à montrer qu'ils le possèdent, en les dédoublant. Nous lui signalons ceux-là d'abord, non pas exclusivement sans doute, mais comme présentant le plus de chance de succès. Car, parmi le très grand nombre de substances ou de DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 423 combinaisons, dans lesquelles on a constaté l'existence du pouvoir rotatoire moléculaire, on n’en a pas encore trouvé une seule qui ne renfermät au moins un principe organique; et si ce n'est pas un motif suffisant pour croire qu'il soit exclusivement propre à ces principes, c’est au moins une raison plausible pour chercher d’abord à l'y découvrir. Après l'analyse que nous venons de donner du Mémoire que vous a présenté M. Pasteur, nous n'avons pas besoin d'en faire l’éloge. Nous pro- posons à l’Académie de lui accorder son entière approbation, et nous le lui désignons comme très digne de figurer dans le Aecueil des Savants étrangers. II. — RAPPORT (!) SUR UN MÉMOIRE PRÉSENTÉ A L'ACADÉMIE PAR M. L. PASTEUR, AYANT POUR TITRE : RECHERCHES SUR LES PROPRIÉTÉS SPÉCIFIQUES DES DEUX ACIDES QUI COMPOSENT L'ACIDE RACÉMIQUE (2) Commissaires : MM. Dumas, Recxauzr, Bazarp, Bior rapporteur. Il y a précisément une année que M. Pasteur fit connaitre à l’Académie la résolution de l’acide racémique en deux acides distincts, exerçant des pouvoirs rotatoires égaux et contraires; de sorte que, se trouvant réunis dans ce corps, en masses égales, ils constituent un système qui doit être, et qui est, en effet, neutre pour la lumière polarisée. L'Académie a remarqué, avec un vif intérêt, le concours heureux et nouveau d'inductions cristallographiques, physiques, chimiques, par lesquelles M. Pasteur avait été conduit à cette découverte. Mais, quoiqu'il eût réussi dès lors à constater indubitablement l'existence simultanée de ces deux acides dans l'acide racémique, et l'opposition de leurs pouvoirs rotatoires propres, il ne lui avait pas été possible de les extraire de leurs combinaisons basiques en quantités suffisantes pour faire une étude complète de leurs propriétés indi- viduelles. Or, la connaissance de ces propriétés devenait indispensable, sinon pour constater la découverte elle-même qui était désormais certaine, du moins pour suivre avec sûreté les importantes conséquences qui parais- saient s’en déduire. C’est ce complément de son premier travail que vous présente aujourd'hui M. Pasteur : et il y a rassemblé un si grand nombre d'observations, de faits, de produits réalisés, que l’on ne saurait presque y rien ajouter comme preuves, ou y rien désirer comme résultats. L’exécution de ces recherches présentait une difficulté matérielle qu'il n'aurait pas été au pouvoir de M. Pasteur de surmonter, si elle n'avait été levée en sa faveur par un acte bienveillant de désintéressement scienti- fique. Tout ce que les chimistes ont eu jusqu'à présent d’acide racémique provient de la formation qui s’en est faite une seule fois, accidentellement, dans la fabrication d’acide tartrique de M. Kestner, à Thann. Personne jusqu'à présent n’est parvenu à le reproduire ; et d’après ce que M. Pasteur nous apprend dans son Mémoire, M. Kestner lui-même n’a pas réussi à en 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 22 octobre 1849, XXIX, p. 433-447. 2. Voir ce Mémoire, p. 86 à 120 du présent volume. (Note de l'Édition.) DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE = ] [SA fabriquer de nouveau. Cet acide était devenu tellement rare dans le com- merce que M. Pasteur n'aurait pas pu s’en procurer des quantités sulfi- santes pour ses recherches, même à des prix exorbitants. Par un rare bonheur, M. Kestner en possédait encore plusieurs kilogrammes ; et, par un sentiment de générosité qui complétait cette bonne fortune, il a remis le tout en don à M. Pasteur pour ses travaux. M. Pasteur lui en témoigne sa vive reconnaissance dans son Mémoire, et nous y joignons volontiers la nôtre. Telle est la circonstance qui a rendu possible le travail si étendu et si complet que nous avons à examiner. Pour le faire avec ordre, nous allons en extraire une série de propositions, qui embrassent toute l’étendue de la découverte, depuis son origine jusqu'à ses derniers résultats actuels. Ces propositions se trouvent successivement énoncées dans le Mémoire de M. Pasteur. Nous ne ferons que les rapprocher, afin qu'on en voie l'ensemble. Nous exposerons ensuite les divers genres de preuves par lesquelles il les établit; et nous rapporterons les expériences que nous avons faites, soit pour vérifier ces preuves, soit pour les compléter. L'Académie aura ainsi une vue générale de ce nouveau chapitre de la chimie, et elle pourra en apprécier toute la valeur. Voici d’abord la série des propositions. Acide dextroracémique et acide lévoracémique. Lorsque l’on forme des racémates neutres de soude, de potasse, d’ammoniaque, de plomb, ou encore, un racémate double de potasse et d’antimoine, les solutions qu’on en obtient n’exercent aucun pouvoir rota- toire. Si on laisse l’évaporation s’opérer spontanément, les cristaux progres- sivement précipités sont, dans chacune, identiques entre eux, quant à la forme, et pour toutes les autres propriétés physiques. Rien ne les distingue les uns des autres que leur grosseur. Il en est autrement quand on forme des racémates doubles de soude et d'ammoniaque, ou de soude et de potasse, ce qui donne un sel isomorphe au précédent. Dans ces deux cas, les solutions se présentent encore dépourvues de pouvoir rotatoire ; mais les cristaux qui se déposent de chacune, par une évaporation lente et spontanée, sont de deux sortes, qui se distinguent l’une de l’autre par des facettes hémiédriques de sens opposés. Si on les sépare, d’après ce caractère, et qu’on dissolve de nouveau ceux de chaque sorte à part, on obtient deux solutions douées de pouvoirs rotatoires égaux et inverses. Si, au contraire, on les mêle de nouveau à poids égal, et qu'on les redissolve ensemble, on reproduit un système dont le pouvoir rotatoire résultant est nul, comme l'était celui de la solution primitive avant la séparation. Toutefois, un seul triage, ainsi effectué manuellement, ne serait pas assez rigidement exact pour rétablir ces parfaites conditions d'équilibre. Mais on le rend tel, en redissolvant chaque sorte de cristaux à part, et recueillant ceux qui se déposent de nouveau, avant que la solution soit trop épuisée. Ils se forment alors, généralement isolés et d'une seule sorte; 126 ŒUVRES DE PASTEUR résultat que l’on facilite encore, et que l’on assure, par certains artifices de manipulations qui sont indiqués dans le Mémoire de M. Pasteur. D'après cela, on peut dire que le racémate double de soude et d’ammo- niaque ainsi que le racémate double de soude et de potasse n'existent pas réellement. Car, en fait, ils n'existent que pour des yeux qui ne sont pas exercés à y distinguer des produits dissemblables. L'acide propre à chaque sorte de cristaux s’extrait de ces sels comme l'acide tartrique des tartrates analogues, en choisissant les procédés qui donnent le moins de perte. L'un de ces acides exerce la rotation vers la droite, comme l'acide tartrique, avec les mêmes caractères spéciaux de dispersion, avec une énergie absolue égale quand la proportion d’eau est la même; et en présentant les mêmes conditions de variabilité quand la proportion d’eau ou la température varient. Sa densité, sa pyro-électricité, sa composition chimique sont identiques à celles de l’acide tartrique. Il se comporte exactement comme lui en présence des bases alcalines, nous ajoutons et en présence de l'acide borique. Il donne des cristaux exac- tement de même forme, soit isolé, soit à l’état de combinaison. Enfin, jusqu'à présent, rien ne peut le faire distinguer de l'acide tartrique ordi- naire. Toutelois, l’auteur du Mémoire lui donne le nom d’acide dextro- racémique pour rappeler son origine, et pour ne pas se prononcer trop hâtivement sur son identité. Nous ferons de même, par les mêmes motifs. L'autre acide, tiré des cristaux de sorte contraire au précédent, est pareillement identique à l’acide tartrique, conséquemment aussi au dextro- racémique, quant à sa densité, sa solubilité et sa composition pondérale. Mais sa forme cristalline propre est l’image du premier, vue dans un miroir. Ses propriétés physiques relatives se ete presque toutes de cette opposition, et la reproduisent. Ainsi, il est pyro-électrique comme l’autre; mais, quand il se refroidit, chaque espèce d'électricité y domine sur des plages contraires. Ses propriétés rotatoires sont pareilles, mais dirigées vers la gauche, comme celles de l’acide tartrique ou dextroracémique vers la droite. Elles s’exercent d’ailleurs avec une énergie égale, avec les mêmes lois de dispersion, en variant de même avec la proportion d’eau et la tempé- rature. Il manifeste des affections toutes pareilles quand on le met en présence des autres corps. L'auteur le nomme l'acide lévoracémique, ce qui rappelle à la fois son origine et son sens d'action. Ses combinaisons avec les bases alcalines cristallisent sous les mêmes formes que leurs analogues de l'acide dextroracémique, sauf qu'elles portent des facettes hémiédriques de sens opposés, et reproduisent aussi leurs images vues dans un miroir. L'acide lévoracémique et l’acide dextroracémique étant dissous ensemble, à poids égaux, se combinent immédiatement et reforment l'acide racémique. La solution mixte redevient neutre pour la lumière polarisée. Les cristaux qui se déposent, soit d'elle-même, soit des solutions de sels simples, ou du sel double formé avec la potasse et l’antimoine, ne présentent plus aucune différence extérieure qui les distingue entre eux. La dissymétrie indivi- duelle des deux composants a disparu dans leur réunion. Mais, dans ce rapprochement des deux acides, il s’opère un dégagement sensiblé de chaleur; la solubilité diminue, et les cristaux qui se déposent ultérieu- DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 427 rement ont la forme, la composition, ainsi que les propriétés physiques et chimiques qui caractérisent l'acide racémique primitif. Tous ces phéno- mènes annoncent que les deux acides constituants ne se sont pas simplement mélangés, mais qu'il s’est opéré de nouveau, entre eux, une véritable combi- naison. Une expérience aussi délicate que curieuse, rapportée par M. Pasteur, parait même prouver que cette combinaison des deux acides s'opère encore quand ils sont mis en présence de la chaux, non pas isolés, mais déjà indi- viduellement unis aux mèmes bases qui les avaient séparés. Si l’on dissout ensemble, à poids égaux, des cristaux de lévoracémate de soude et d'ammo- niaque, avec des cristaux de dextroracémate de même base, et qu'on intro- duise dans la liqueur un sel de chaux soluble, il se forme immédiatement, ou presque immédiatement, un précipité cristallin qui présente tous les ca- ractères spécifiques du racémate de chaux, tel que le produit directement l'acide racémique non décomposé. L'auteur du Mémoire a représenté toutes ces similitudes et dissimili- tudes de formes cristallines dans un grand tableau figuré, où on les saisit avec évidence au simple aspect. Nous le mettrons tout à l’heure sous les veux de l'Académie. Elle a déjà ici, devant elle, les produits eux-mêmes, en échantillons beaucoup plus nombreux, très purs, et parfaitement cristallisés. L'ensemble des propositions que nous venons d’énumérer a été établi par M. Pasteur sur trois sortes de preuves : l'étude du pouvoir rotatoire des corps considérés ; leurs analyses chimiques; l’inspection et la discussion de leurs formes à l’état de cristal. L'étude du pouvoir rotatoire des deux acides peut être abrégée, en s'appuyant sur une condition de connexité mathématique à laquelle leurs effets sont astreints. Puisque l’acide racémique est neutre pour la lumière polarisée, et que les deux acides qui le composent le rétablissent dans cet état quand on les mêle en poids égaux, si ces acides sont individuellement doués de la faculté rotatoire, leurs pouvoirs doivent être de sens contraires, et identiquement égaux entre eux. Il suffit donc d'étudier et de mesurer un seul des deux pour connaitre l'autre par complément. Le même caractère d'opposition et d'égalité doit aussi exister entre les pouvoirs rotatoires des lévoracémates et des dextroracémates, par une raison analogue. Mais toute légitime que füt cette déduction, M. Pasteur ne s'en est pas appuyé. Il a étudié isolément et successivement les pouvoirs propres de ses deux acides, et des sels de deux sortes qu'on en obtient. De manière que ce double travail lui a donné, par analyse et par synthèse, l'épreuve ainsi que la contre-épreuve de toutes les vérités qu’il voulait établir. Commencant d’abord par l'étude de ses deux acides, voici comment il y a procédé : Les recherches antérieurement faites sur les solutions aqueuses d’acide tartrique ont prouvé que les valeurs de leurs densités et les proportions de leur dosage sont astreintes à une relation numérique continue, qui est tel- lement précise que, l’un de ces éléments étant connu, l’autre peut s’en conclure par le calcul, à peu près aussi exactement que par l'expérience immédiate. M. Pasteur a d'abord constaté que cette relation s’appliquait également bien aux solutions formées avec chacun de ses acides ; en sorte 428 ŒUVRES DE PASTEUR que la même Table de nombres, qu'on avait dressée pour l'acide tartrique, pouvait encore servir pour tous deux. On avait trouvé pareillement une relation continue entre le dosage des solutions d'acide tartrique et le pouvoir rotatoire absolu que cet acide exerce sur le plan de polarisation du rayon rouge, à chaque température assignée depuis + 6° jusqu'à 26° centésimaux. M. Pasteur a constaté par des expériences nombreuses que la même relation reproduisait aussi les pouvoirs rotatoires absolus de ses deux acides, entre ces limites de tempé- rature, sans aucun changement dans les nombres. Il a rendu la compa- raison encore plus assurée, en donnant à ses solutions des proportions de dosage identiques, ou presque identiques, à celles que l’on avait employées dans les expériences d’où la relation avait été conclue. Alors il à vu se succéder, dans tous les azimuths du prisme analyseur, les mêmes séries de teintes qui se trouvaient consignées dans les tableaux de ces expériences, sans qu'il fût possible de découvrir la moindre différence entre les unes et les autres. Seulement, dans les solutions dextroracémiques, l’identité de succession se manifestait comme dans les solutions tartriques, quand on tournait le prisme analyseur de la gauche vers la droite; et au contraire, dans les solutions lévoracémiques, elle se manifestait quand on tournait ce prisme de la droite vers la gauche, toujours avec une similitude absolue de coloration. De là, M. Pasteur a conclu que, dans ces phénomènes, la molécule d'acide dextroracémique agit exactement comme une molécule d’acide tartrique; et la molécule d'acide lévoracémique, comme si elle était l’image de l’autre, vue dans un miroir. La conclusion était indubitable, si les faits étaient certains. En conséquence, nous nous sommes attachés à les vérifier. Les pouvoirs rotatoires des deux acides devant être nécessairement opposés, et complémentaires l’un de l’autre, puisque leur somme est neutre, il suffit d'en étudier un seul. Nous avons choisi le lévoracémique, comme présentant une individualité nouvelle, dont les caractères propres étaient surtout essentiels à constater; et nous allons décrire sommairement les épreuves que nous lui avons fait subir. Les détails numériques de nos expé- riences sont consignés dans une Note à la suite du Rapport (1). M. Pasteur nous avait remis une solution de cet acide, qui avait servi à ses recherches. Le volume en était plus que suffisant pour tous les essais que nous voulions tenter ; mais M. Pasteur ne se rappelait plus quel en était le dosage. En conséquence, partant des analogies qu'il avait lui-même constatées, nous nous sommes décidés à le calculer d’après sa densité, comme nous aurions fait pour une solution tartrique; et, ayant mesuré cet élément avec soin, nous l'avons pris pour donnée unique de toutes nos déterminations ultérieures. Une continuité de dérivations si exclusive, se soutenant à travers toutes les applications subséquentes, devait, évidemment, 1. Gette Note a été effectivement rédigée. Mais, après y avoir rassemblé les détails qui nous paraissaient nécessaires pour qu'elle fût utile, elle s'est trouvée trop étendue et trop: chargée de nombres pour pouvoir être convenablement insérée au Compte rendu. Nous aurons prochainement l'occasion de la publier ailleurs. Elle fut publiée dans les Annales de chimie et de physique, 3 sér., XX VIII, 1850, p. 99- 117, à la suite du Mémoire de Pasteur. (Note de l'Édition.)] DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 229 offrir l'épreuve la plus sévère des identifications que M. Pasteur avait annoncées. La densité nous a donné, pour les proportions de dosage, 0,42 d'acide, et 0,48 d’eau en poids, avec quelques fractions d'ordres inférieurs, extré- mement petites, que nous avons négligées, dans la persuasion que les principales étaient plutôt celles que Dee avait voulu établir. Effectivement, à l’aspect de ces nombres, M. Pasteur s’est rappelé qu'il en était ainsi Nous désignerons cette solution d'acide lévoracémique par la lettre L.. Alors, nous avons formé une solution d'acide tartrique lee à laquelle nous avons donné ces mêmes proportions de dosage, aussi exac- tement qu'il nous a été possible de le faire par des pesées très précises. Nous désignerons celle-ci par la lettre T.. Les deux solutions L,, T, ont été introduites dans des tubes en cuivre étamé, dont les bouchons mobiles avaient été amenés aux positions précises, qui donnaient aux colonnes liquides une même longueur, égale à 519um 8. Les deux tubes ont été placés à côté l’un de l’autre sur la table de l'appareil de polarisation ; et nous les avons mis en expérience, par alter- natives, afin que les conditions de leur température fussent identiques. Les déviations observées dans cette communauté de circonstances se sont trouvées pareillement identiques entre elles, sauf l'opposition de sens, tant pour le rayon rouge que pour la teinte de passage ; et elles se sont aussi ac- cordées toutes deux avec les valeurs théoriques, assignées par les anciennes expériences aux solutions tartriques pour des dosages pareils, à la tempé- rature où nous opérions. Les petites incertitudes de un ou deux dixièmes de degré que ces observations nous ont offertes, sur des valeurs absolues d’en- viron 25°, sont difficilement inévitables dans ce genre d’expériences ; et nous n'avons pas jugé utile de chercher à les annuler par des moyennes, ayant en vue des épreuves bien autrement décisives, auxquelles heureusement M. Pasteur n'avait pas songé. Elles se fondent sur les mutations considérables qu'éprouve le pouvoir rotatoire de l’acide tartrique, lorsqu'on introduit additionnellement l’acide borique dans l’eau où on l’a dissous. Les plus petites quantités d'acide borique, appréciables à la balance, apportent déjà dans ce pouvoir des modifications sensibles à l'œil. On voit qu'il augmente, et que sa spécialité de dispersion commence à s'altérer. Elle n’est plus perceptible quand la proportion de l’acide borique dans la solution mixte s'élève seulement à rw en poids. Dès lors les déviations des divers rayons simples reprennent les lois de dispersion générales ; et leur grandeur absolue croit continèment à mesure que la dose d'acide borique augmente, sans autre limite que celle qui est attachée à sa condition de solubilité. L'influence de la température devient aussi beaucoup moindre que sur les solutions purement tartriques. Le pouvoir rotatoire absolu de l’acide tartrique, dans ces solutions ternaires, varie avec les proportions pondérales des trois éléments qui les composent. Les lois numériques suivant lesquelles ces changements s’opèrent ont été reconnues par l'expérience, sinon pour des proportions quelconques des trois ingrédients, du moins pour les séries de solutions où la quantité absolue de l'acide borique varie seule, relativement aux deux autres: le poids de l’eau et celui de l'acide tartrique conservant un rapport constant 430 ŒUVRES DEPASMEUR dans toutes les solutions comparées. Ce fait a été établi par l’expérience, sur trois séries ainsi constituées, pour lesquelles les poids respectifs de l'eau et de l'acide tartrique étaient entre eux comme 1,03673 à 1, 3à 1, 5à 1. Dans ces trois cas, la relation numérique obtenue a été assez continue et assez précise pour que la déviation exercée sur le rayon rouge, par chacune des solutions qui s'y trouvaient comprises, püt s’en conclure aussi exac- tement que par l'expérience même (1). Quant aux déviations des teintes de passage, leur rapport avec celles du rayon rouge rentre dans les lois communes à la généralité des corps doués de pouvoirs rotatoires. Il est très approximativement _ Ces faits nous offriront une épreuve très sévère des résultats annoncés par M. Pasteur. Suivant lui, son acide dextroracémique se présente comme en tout point identique à l'acide tartrique ordinaire. Il devra done, si l’assertion est vraie, se combiner comme lui avec l'acide borique, et produire alors sur la lumière polarisée des phénomènes pareils. Or, des expériences antérieures, étrangères au Mémoire, nous ont appris que l'acide racémique, mis en présence de l’acide borique, reste neutre pour la lumière polarisée. Donc, en admettant l'identité supposée, l'acide lévoracémique, mis en présence de l'acide borique, devra agir sur la lumière polarisée comme l’acide tartrique, sauf le sens inverse des déviations. La conséquence est logiquement rigoureuse. Il ne reste plus qu'à voir si l'expérience la confirme. Ici nous devons aller au-devant d’une pensée qui devra naturellement se présenter à beaucoup de personnes. Puisque l'acide lévoracémique, dissous dans l’eau, agit sur la lumière polarisée exactement de même que le tartrique, sauf l’opposition de sens, ne devra-t-il pas nécessairement agir encore de même quand il sera mis en présence de l'acide borique, en sorte que la seconde épreuve serait superflue? Mais cette induction, qui paraîtrait n'être qu'une application très légitime de la constance qu'on observe entre les rapports des capacités de saturation, dans les combi- naisons chimiques définies, d'ordre semblable, pourrait se trouver fautive si on l’étendait aux combinaisons indéfinies qui s’opèrent à l’état de liquidité. Car des expériences, que l’un de nous présentera prochainement à l’Académie, prouveront qu'un même corps, d'abord cristallisé, puis rendu seulement amorphe par la fusion, sans rien perdre de ses principes pondérables, peut, dans ces deux états, conserver la même action sur l’eau, et en exercer une toute différente sur d’autres corps, au moins tempo- rarement. Pour réaliser cette nouvelle épreuve par l'acide borique, nous avons procédé de la manière suivante : Nous avons pris ce qui nous restait des deux solutions tartrique et lévo- racémique déjà comparées. Nous les avons pesées avec beaucoup de soin dans des fioles sèches bouchant à l’émeri, dont nous connaissions le poids propre: et nous avons obtenu, par différence, les poids absolus de ces deux solutions. De là nous avons conclu, d’après leur dosage, les poids absolus d'acide et d’eau que chacune contenait; et nous y avons ajouté les quantités d’eau 1. Bior. [Sur l'emploi de la lumière polarisée pour étudier diverses questions de mécanique chimique.] Annales de chimie et de physique, 3° sér., X, 184, p. 5-53, et XI. p. 82-112 (3 tabl.). DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 4131 nécessaires pour que le poids de ce liquide y devint triple de celui de l'acide. Nous avons eu ainsi deux nouvelles solutions, l’une tartrique, l’autre lévo- racémique, dont les dosages étaient pareils, et, de plus, identiques à celui d'une des séries d'expériences que nous voulions leur faire reproduire. Nous les appellerons T, et L,. Nous avons pris leurs densités; elles se sont trouvées égales, et conformes à celles d'une solution tartrique de même dosage. Nous avons observé leurs actions optiques sur la lumière polarisée, dans des tubes d’égale longueur ; elles ont été identiques, sauf l'opposition de sens, comme précédemment. Les déviations qu'elles imprimaient aux rayons lumineux étaient affaiblies par la dilution, comme l’exigeait leur dosage. Celle du rayon rouge n’était plus que de 15° au lieu de 22°. C'était là une nouvelle confirmation des identités annoncées par M. Pasteur, et nous n'avions pas voulu l'omettre. Il ne restait plus qu'à en constater la persistance sur l'acide borique, en l’introduisant à des doses proportion- nelles dans les deux solutions L,, T, ainsi préparées. Pour cela, nous avons déterminé de nouveau les poids absolus qui nous restaient de chacune d'elles. D'après leur dosage connu, nous avons calculé les quantités absolues de chaque acide qui étaient contenues dans ce poids; puis nous y avons ajouté des quantités d’acide borique égales à : du poids de l'acide. Nous avons ainsi obtenu deux solutions ternaires T,, L,, de proportions exactement égales, et immédiatement comparables aux solutions tartroboriques, comprises dans la deuxième série d'expériences déjà publiées (!). Les densités de ces deux solutions T,, L,, où la nature de l’acide primitif était le seul élément de dissemblance, ont été trouvées égales. Leurs actions sur la lumière polarisée ont été égales aussi, avec le grand accroissement de puissance propre à des solutions tartroboriques de dosage pareil. La déviation du rayon rouge y était devenue de 50° au lieu de 15°, par la seule présence des + d’acide borique qu'elles renfermaient. La déviation de la teinte de passage atteignait 68. Ainsi, dans ce cas de combinaison ternaire, de même que dans les solutions aqueuses, les molécules d'acide lévoracémique agissaient identiquement, comme si elles eussent été l’image des molécules d'acide tartrique vues dans un miroir; et par un complément nécessaire, les molécules d’acide dextroracémique, dans les mêmes circonstances, doivent agir identiquement, comme les molécules d'acide tartrique, sans que l’on puisse découvrir aucune dissemblance d'effets entre les unes et les autres. Alors, pour réaliser matériellement ces conditions de compensation entre les molécules mêmes, nous avons versé des volumes égaux de nos deux solutions dans une éprouvette divisée, bouchant à l’émeri. Après les y avoir laissées reposer quelque temps, nous avons fortement agité le liquide mixte, pour l’amener à un état intime d’homogénéité ; puis nous l'avons observé opti- quement, dans un tube dont la longueur était de 522°*,3. Le pouvoir rotatoire résultant s’est trouvé absolument nul, sans aucune trace de déviation. Ainsi, dans cette dernière expérience, les molécules lévoracé- miques étaient individuellement compensées par des tartriques, comme elles 1. Annales de chimie et de physique, 3e sér., XI, 1844, p. 112, tableau. Voyez aussi l’exposé général de ce genre d'expériences, même volume, p. 82 et suivantes: 432 ŒUVRES DE PASTEUR l’auraient été par des dextroracémiques. Cela est conforme à la conclusion générale de M. Pasteur, que l'acide dextroracémique doit être l'acide tartrique même. Maintenant, si l’on veut considérer que toutes les épreuves successives qui viennent d'être détaillées ont été dérivées d’une donnée unique, de la seule densité d’une solution aqueuse d’acide lévoracémique, dont le dosage était inconnu, on regardera sans doute comme presque impossible que l'identité supposée par M. Pasteur se fût maintenue si constante et si précise, sous la double épreuve des densités et des obser- vations optiques, à travers une telle filière de pesées, de dilutions, de changements dans les dosages, dans la nature des corps en présence, et après tant de computations numériques, si elle n'était pas une vérité de fait. Cette probabilité s’élève jusqu’à la certitude physique, par une multitude d’autres épreuves expérimentales, que M. Pasteur expose dans son Mémoire, et que nous allons résumer. Il a analysé comparativement les acides lévoracémique, dextroracé- mique, et l’acide tartrique ordinaire. La composition de ce dernier, qui est bien connue, s’est trouvée être aussi celle des deux autres. Il a formé, avec ces deux-c1, de l'acide racémique artificiel, en les réunissant, à doses égales, dans une même solution aqueuse qu'il a fait cristalliser. Les cristaux ainsi obtenus, et ceux de l'acide racémique primitif de Thann, lui ont présenté identiquement la même forme, et la même composition chimique, qui était celle de l'acide tartrique ordinaire, plus 1 atome d’eau. Il a ensuite formé séparément une multitude de sels, tant simples que doubles, avee chacun de ses nouveaux acides et avec l'acide tartrique ordinaire. Pour chacun de ces produits, il a déterminé expérimentalement la densité, la forme, l’action sur la lumière polarisée, et il en a fait l’analyse chimique. Dans tous les sels de même base, le dextroracémate s’est trouvé absolument identique aux tartrates analogues. Le lévoracémate a toujours été l’image de l’autre, vue dans un miroir, tant pour la forme que pour le mode d'action sur la lumière polarisée. La densité et la composition chi- mique se sont toujours montrées identiques dans chaque couple avec celles de l’acide tartrique ordinaire. L'opposition qui existe entre les formes moléculaires des deux acides et de leurs sels ne se manifeste donc plus dans ces deux derniers résultats, soit qu'elle y disparaisse par compensation, ceux-ci étant d'un ordre plus complexe ; soit que les molécules individuelles des deux acides aient un même poids et une même composition. Ce dernier fait présentait assez d'intérêt pour que l’on dût chercher à en étudier les conséquences dans la réfraction, que tout annonce être un phénomène d’un ordre plus complexe que les actions moléculaires. Dans le résumé que M. Pasteur a présenté à l'Académie, il a mentionné des épreuves de ce genre qu'il avait faites sur des lames des deux acides amincies artificiellement; et les couleurs qu’elles ont produites dans la lumière polarisée lui ont paru indiquer des doubles réfractions égales. Mais il ne les a pas rapportées dans son Mémoire, probablement par défaut de temps, et nous y avons suppléé par une expé- rience comparative, dont l'application est plus directe. Parmi les nombreux cristaux de ses nouveaux acides qu'il avait mis à notre disposition, nous DISSYMÉTRIE.MOLÉCULAIRE 133 en avons choisi deux, l’un dextroracémique, l’autre lévoracémique, exac- tement pareils, sauf dans la position de leurs faces hémiédriques latérales, et présentant tous deux une face oblique de même nature, formant un même angle avec leur base. Nous les avons fixés par cette base, avec une goutte de gomme, sur une des faces d'un prisme de verre, accolés l’un à l’autre, de manière que leurs faces obliques se prolongeaient suivant un même plan: et nous avons regardé, à travers ce système, la flamme verticale d’une bougie placée à quelques mètres de distance. On voyait, à travers chaque prisme, deux images de la flamme inégalement déviées, qui étaient placées par couples, Elena dans la même verticale l’une que l’autre. Ainsi, les deux réfractions exercées par chaque cristal étaient d’une amplitude égale. Interposant alors une plaque de tourmaline entre les rayons émergents et l’œil, nous avons trouvé que les deux images les moins réfractées s'éteignaient ensemble dans une certaine position de l’axe de la plaque; et les deux images les plus réfractées disparaissent aussi ensemble à leur tour, dans la position rectangulaire, les premières ayant repris leur éclat. La réfraction, tant simple que double, est donc de même nature, soit attractive, soit répulsive, dans les deux acides. Pour savoir lequel de ces cas a lieu, il faudrait étudier le phénomène dans des cristaux d'acide tartrique ordinaire, dont le volume et la pureté se prétassent à ces épreuves. Nous n'en avions pas de tels à notre disposition; mais il suffisait à notre but d’avoir constaté l'identité de ce genre d'action dans les corps de constitution moléculaire contraire, ce qui s'accorde avec les autres considérations physiques qui la désignent comme un résultat de groupement. On savait que, dans certains dissolvants, et aussi sous l’influence de températures très basses, le pouvoir rotatoire de l’acide tartrique, générale- ment dirigé vers la droite, s’affaiblit par degrés, et passe vers la gauche. M. Pasteur a fait beaucoup d’essais pour le fixer dans cet état, et le changer ainsi en acide lévoracémique ; mais il n’a pu réussir à le lui conserver. Ces essais lui ont, toutefois, fourni une observation extrèmement curieuse. Le tartrate de chaux en solution aqueuse exerce la rotation vers la droite. Dissous dans l’acide chlorhydrique, M. Pasteur lui a vu prendre la rotation à gauche. Comme le racémate de même base se maintient neutre pour la lumière polarisée dans ce même milieu, il fallait, par complément, que le lévoracémate y prit la rotation à droite. C'est, en effet, ce que M. Pasteur a constaté. Ces effets d’inv ersion, aujourd’hui très multipliés, dépendent d’un fait général que l’un de nous a établi directement, par des expériences qui vous seront prochainement soumises. Lorsqu'un corps, doué du pouvoir rotatoire, est dissous dans un milieu inactif sur la lumière polarisée, les molécules de ce corps, et celles du milieu, se constituent généralement, par leur réaction mutuelle, en groupes moléculaires nouveaux, dont l’action rotatoire varie d’ énergie, et peut même changer de sens avec la nature des corps mis en présence. Dans le très grand Soins des cas, surtout quand le dissolvant est chimiquement De comme l’eau ou l’alcool, ces varia- tions sont très petites, et ne peuvent être constatées que par des expériences fort délicates, ayant pour but spécial de les manifester. Voila pourquoi on ne les a pas aperçues dans les premières études que l’on fit de ces phéno- mènes; et l'on put ainsi reconnaitre expérimentalement toutes leurs lois DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 28 434 ŒUVRES DE PASTEUR principales, en considérant la substance active comme simplement dissé- minée entre les molécules du milieu inactif. Il est heureux que le hasard les ait présentées d’abord, dans ces conditions les plus fréquentes de simpli- cité. Car il aurait été infiniment plus difficile de démêler celles-ci à travers des apparences plus complexes. Sans vouloir aucunement comparer les petites choses aux grandes, on peut croire que Kepler aurait eu beaucoup plus de peine à reconnaitre la loi abstraite et simple des ellipses planétaires, si les observations de son temps avaient été assez exactes pour lui faire apercevoir, de prime abord, les orbites troublées. L'Académie se rappelle que la découverte des deux nouveaux acides ne doit pas son origine au hasard. M. Pasteur s’y est trouvé directement con- duit par le soupcon qu'il avait conçu, que l’hémiédrie des cristaux de dimen- sion sensible pouvait déceler la dissymétrie de forme, ou d'action physique, existante dans leurs particules ; dissymétrie qui est une condition du pouvoir rotatoire moléculaire. Mais, comme ïl y a des hémiédries de plusieurs sortes, dont quelques-unes s’observent dans des corps dépourvus de ce pouvoir, M. Pasteur s’est judicieusement attaché à spécifier et à définir le caractère spécial de celle qui s’y trouvait annexée, dans ses deux acides et dans leurs sels. Il a reconnu avec évidence qu’elle y avait pour condition que les cristaux qui en dérivent ont des formes hémiédriques dont les correspondantes ne leur sont pas superposables; en sorte que, dans chaque couple de ces formes, l’une offre précisément l’image de l’autre, vue dans un miroir. S'arrétant donc à ce caractère d'opposition, il a cherché à le décou- vrir dans des corps de nature chimique différente; et il l’a trouvé réalisé dans deux autres sels, dont l’un est le sulfate de magnésie, l’autre le sulfate de zinc, lesquels sont isomorphes entre eux. Mais les solutions de ceux-ci, étudiées par les procédés optiques les plus subtils, ne lui ont présenté aucune trace de pouvoir rotatoire. Pourtant les circonstances dans lesquelles il les observait étaient éminemment favorables à la manifestation de cette propriété. Car, si elles eussent été appliquées, par exemple, au tartrate de soude, la déviation de la teinte de passage, dans les conditions où se trouvait le sulfate de magnésie, aurait été de 36°; et elle se serait élevée à 108° dans les conditions où l’on avait employé le sulfate de zinc. M. Pasteur nous a rendus témoins de ces résultats négatifs ; et il les a consciencieuse- ment rapportés dans son Mémoire. Ils sont conformes à un fait qui se montre, jusqu'à présent, commun à tous les corps doués du pouvoir rota- toire moléculaire. C'est que dans tous, sans aucune exception, ce pouvoir se trouve attaché à un principe organique, qui le possède primitivement, et qui souvent le conserve encore après que son mode de groupement inté- rieur, toujours fort complexe, a été attaqué, ou même en partie changé par la substitution de quelques autres éléments chimiques; de sorte qu'il ne le perd tout à fait qu'après avoir été modifié profondément, jusqu'à un degré d'intimité dont on n’a pas encore fixé la limite, probablement diverse. Or il ne paraît pas que la complication de l’atome chimique soit la seule con- dition qui détermine l'existence de cette propriété, quoiqu'elle ÿ semble essentielle. Car, parmi tant de produits artificiellement formés par les chimistes avec des substances originairement dépourvues de pouvoir rota- toire, aucuns, même les plus complexes, ne l'ont présenté. L'épreuve la Æ ce ot DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE plus fra appante que l'on ait faite de cette privation, jusqu'ici générale, est la comparaison de la nicotine et de l’aniline; M. Aug. Laurent ayant constaté que la première exerce un pouvoir rotatoire ERA énergique vers la gauche, tandis que l’aniline, dont l'atome chimique est à peu près aussi complexe, n’en possède aucun. Toutefois, nous ne voulons que rapprocher et résumer cet ensemble de faits; car il faudra sans doute aceumuler un bien plus grand nombre d'observations analogues, pour en conclure avec sûreté l'existence, ou la non-existence, d’une nécessité physique. Quant à l'absence du pouvoir rotatoire moléculaire dans les solutions de sulfate de magnésie, de sulfate de zinc, ou de tout autre produit, dont les cristaux, comme ceux de ces deux sels, présenteraient le caractère de l’hémiédrie non superposable, M. Pasteur fait remarquer que ce caractère pourrait occasionnellement ne plus exister dans les molécules du sel dissous; par exemple, si ce sel, hydraté à l’état solide, perdait, en se dissolvant, un atome d’eau, dont le départ détruirait la dissymétrie hémiédrique du groupe moléculaire résultant. Au reste, il promet de suivre cette question dans ses derniers replis, par des investigations nouvelles, et nous pouvons tout attendre de sa persévérance, comme de sa sagacité. L'Académie voit que ce travail de M. Pasteur est la continuation à la fois intelligente, habile et patiente de celui qu'il lui a présenté il y a précisé- ment une année. Comme nous l'avons dit au commencement de notre Rapport, ceci est tout un chapitre nouveau de chimie que M. Pasteur a eu le bonheur, ainsi que le talent, de commencer et de finir. Nous le signalons unanimement à l'Académie comme très digne de figurer dans le Aecueil des Savants étrangers. III. — RAPPORT (!) SUR UN MÉMOIRE PRÉSENTÉ A L'ACADÉMIE PAR M. L. PASTEUR, AYANT POUR TITRE : NOUVELLES RECHERCHES SUR LES RELATIONS QUI PEUVENT EXISTER ENTRE LA FORME CRISTALLINE LA COMPOSITION CHIMIQUE ET LE POUVOIR ROTATOIRE MOLÉCULAIRE () Commissaires : MM. Cnevreuz, Dumas, Recnaucr, BALar», Bror rapporteur. L'Académie se rappelle qu'il y a maintenant deux années, M. Pasteur lui présenta la découverte fort imprévue de la décomposition de l'acide racémique cristallisé en deux acides distincts, pareillement cristallisables, possédant des pouvoirs rotatoires égaux et de sens contraires, qui se neutra- lisent mutuellement, quand ces deux corps, mis en solution aqueuse, se combinent spontanément, à masses égales, et reproduisent l'acide racémique par leur union. M. Pasteur avait été conduit à ce résultat, par une indica- tion cristallographique très délicate, dont l'existence et encore davantage la signification dans cette circonstance avaient échappé aux observateurs les plus exercés. En étudiant la combinaison simultanée de l'acide racé- mique avec la soude et l’ammoniaque, il remarqua qu'elle donne des cris- taux de deux sortes, essentiellement distincts, quoique faciles à confondre. La proportion des deux alcalis y est la même; et ils ont une forme primi- tive commune, qui se présente toujours modifiée par des facettes secondaires de même espèce, en même nombre, placées dissy métriquement sur le solide primitif. Mais elles y sont réparties, dans chaque sorte, en sens opposé; et les cristaux d’une même sorte, étant redissous séparément, reproduisent toujours leur forme propre, jamais l’autre. L'une des deux est complète- ment identique au tartrate double des mêmes bases, lequel, ainsi que tous les tartrates, possède le pouvoir rotatoire moléculaire, qui ne se manifeste jamais dans les racémates. L'autre est l’image de ce tartrate double, vue dans un miroir. Le racémate double que l’on avait voulu produire semblait donc s’être constitué spontanément sous ces deux formes. Or il s'était réel- lement opéré une décomposition bien plus surprenante encore, et plus 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 28 octobre 1850, XXXI, p. 601- 611 ; et Mémoires de l'Académie des sciences de l'Institut de France, XXII, 1853, p. 67-82. 2. Voir ce Mémoire, p. 125 à 154 du présent volume. (Note de l'Edition.) DISSYMÉTRIE MOLÉ CULAIRE 437 profonde. En effet, chaque sorte de cristaux étant dissoute séparément se montra douée d’un pouvoir rotatoire propre, dont l'intensité absolue était égale pour les deux, mais le sens relatif opposé, comme celui des facettes qui les distinguaient. Les bases alcalines s’y trouvaient par conséquent combinées avec deux acides distincts, qui devaient être les composants du racémique. M. Pasteur les retira tous deux de ces combinaisons par les procédés chimiques, les épura, les fit cristalliser, et en recomposa l'acide racémique dont ils résultaient. Il retrouva, dans leurs cristaux, le même caractère constant d'identité dans la forme primitive, et de dissymétrie, ainsi que d'opposition, dans les facettes secondaires qui les modifiaient. L'un d'eux, celui qui exerce la rotation vers la droite, est identique à l'acide tartrique ordinaire C’étaient là sans doute de très beaux faits, et très neufs. Mais l’applica- tion qui les avait fournis ne leur donnait encore que la valeur d’une parti- cularité isolée. M. Pasteur comprit, dès le premier abord, qu'ils pouvaient être l'indice d’une relation générale de physique-mécanique, en vertu de laquelle les substances moléculairement douées du pouvoir rotatoire porte- raient l'empreinte de cette propriété dans les cristaux qui en dérivent. La manifestation expérimentale de cette relation a été depuis le but spécial des recherches persévérantes de M. Pasteur. Les nouveaux faits qu'il vous apporte aujourd'hui, quoique fort curieux en eux-mêmes, tirent leur impor- tance principale de cette direction intelligente, dans laquelle il les a cher- chés, découverts, étudiés. Nous devons done signaler ici clairement la série d’idées qui la constitue, et qui le guide; c’est ce que nous allons faire en peu de mots. Le pouvoir rotatoire moléculaire se manifeste par une action dissymé- trique, que les particules constituantes des substances qui le possèdent exercent sur les rayons de la lumière polarisée. Ces particules sont donc alors individuellement dissymétriques, soit dans leur forme, l’arrangement de leurs éléments chimiques, leurs qualités externes, ou dans plusieurs de ces accidents à la fois. Cela posé, lorsque des molécules ainsi faites viennent à s'agréger spontanément, et à se grouper d’elles-mêmes en cris- taux de dimension sensible, leur Cp propre se trouvera-t-elle encore empreinte dans ces agglomérations ? et, si elle l’est, quels sont alors les signes observables de son influence? L'expérience seule peut fournir une réponse à ces deux questions; et M. Pasteur s’est attaché à la faire sortir de l'examen des produits qu'il avait obtenus. Pour cela, il s’appuie sur une grande loi cristallographique que Haüy a très habilement signalée. Voici en quoi elle consiste. Tous les cristaux simples, d’une même substance, peuvent être consi- dérés théoriquement comme engendrés par l’apposition progressive de solides géométriques infiniment petits, tous d’une même forme, qui se sont groupés parallèlement les uns aux autres, sous toutes les configurations d'ensemble compatibles avec ces conditions générales de parallélisme et d'identité. Dans chaque solide générateur, convenablement choisi, il y a un centre de figure, par lequel on peut mener trois droites, ou axes rectilignes, qui se terminent à sa superficie, et qui sont respectivement parallèles à ses arêtes. On appelle ces trois droites, les axes cristallographiques; et les 438 ŒUVRES DE PASTEUR rapports de leurs longueurs, joints à leur obliquité relative, caractérisent les divers systèmes cristallins. On en distingue six. Dans le plus simple, que l’on appelle régulier, les trois axes ont d’égales longueurs, et font entre eux des angles droits. Dans le plus complexe, ils sont obliques les uns sur les autres, et ont tous trois d’inégales longueurs. Les solides cristallographiques ainsi définis possèdent toujours certains éléments géométriques, angles, faces ou arêtes, qui, dans leur conforma- tion, leurs dimensions propres, et leur mode d'assemblage avec les parties adjacentes, présentent toujours un ou plusieurs couples, dont le dispositif est identiquement pareil. Si on les envisage sous les mêmes aspects, si l’on en prend pour ainsi dire le moule local, on n’apercoit rien qui les distingue entre eux; tandis que d’autres, au contraire, sont manifestement dissem- blables. Si l’on suppose que de tels corpuscules, ayant des dimensions insensibles, viennent à s’agréger, librement et avec lenteur, dans un milieu homogène illimité, en vertu de forces attractives s’exerçcant à petites distances, toute particularité de superposition qui s’appliquerait à un des éléments du solide primitif devrait s’opérer également sur tous ses sem- blables, puisque l’infiniment petite étendue d'efficacité des forces rendrait les conditions déterminantes localement identiques pour tous. Cette simi- larité d'effets pareils, devant résulter de la similarité des actions physiques exercées par les parties semblables, a été justement appelée par Haüy la loi de symétrie. Quoique l’ensemble de conditions abstraites, qui en établi- rait physiquement la nécessité, ait dû, sans doute, ne pas se trouver tou- jours complètement réuni dans la formation des cristaux naturels, l'influence mécanique de la similarité des parties paraît y avoir été bien puissante. Car les conséquences de cette loi abstraite se voient, en effet, réalisées avec une prédominance incontestable dans la généralité des produits de la cris- tallisation. Elle semble exprimer le cours ordinaire et régulier du phéno- mène; de sorte que les formes qu'on lui voit permettre ou exclure, dans chaque cristal de dimension sensible, fournissent les indications les plus évidentes, comme aussi habituellement les plus sûres, pour découvrir son type générateur. Toutefois, on rencontre des cas nombreux, où la cristalli- sation y déroge; non pas en présentant, sur tel ou tel élément du eristal, quelque particularité isolée que l'on puisse imputer à des circonstances accidentelles ; mais en offrant, au contraire, un ensemble symétrique d'effets dissymétriques, qui se correspondent, avec une diversité régulière et constante, sur les plages diamétralement opposées du cristal. Haüy avait apercu et signalé ces exceptions, qu'il assimilait à ce qui arrive dans les plantes, lorsque l’on y voit occasionnellement avorter un certain nombre des organes que les lois générales de la végétation leur assignent; et il les attribuait à des influences indépendantes de l'attraction moléculaire, par exemple à la polarité électrique. Mais le phénomène a beaucoup plus d’im- portance qu'il ne le croyait. Dans de tels cas, si l’on considère le système total de facettes secondaires, toujours en nombre pair, que la loi de symé- trie aurait exigées ou permises, on trouve que la moitié juste de ce nombre y manque, ou s'y trouve remplacée par d’autres dissemblables, soit en dérivation, soit en grandeur, à leurs opposées. Quoique Haüy ait eu l’occa- sion de voir, et de signaler, presque toutes les individualités de ces formes DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 139 régulièrement incomplètes, 1l semble n'avoir pas aperçu ce que leur déro- gation à la loi de symétrie avait elle-même de symétrique et de général. C'est ce qu'a fait depuis un célèbre cristallographe allemand, M. Weiss, en ramenant l'étude comparée des cristaux à dépendre de conceptions géomé- tiques plus abstraites, qui font plus aisément découvrir leurs rapports d'ensemble. Il a désigné ce remarquable phénomène par le nom général d’hémiédrie, qui est aujourd'hui adopté universellement, dans l’acception qu'il lui a donnée. Les cristallographes ont déterminé depuis, par le calcul, toutes les circonstances géométriques, dans lesquelles il peut mathémati- quement se produire; mais ils ont beaucoup moins cherché à découvrir les rapports physiques, ou mécaniques, qu'il peut avoir avec la constitution des particules cristallines mêmes. En se dirigeant vers ce but, M. Pasteur a été conduit à sa première découverte. Il en a fait depuis l’objet constant de ses travaux; et c'est également sous ce point de vue que nous devons surtout envisager ceux qu'il vous présente encore aujourd'hui. Car c’est de là qu'a nos yeux, ils tirent leur principale importance. Il s’est CRE d’abord, à spécifier exactement les caractères propres de l’'hémiéärie que présentaient les cristaux de ses deux acides constituants du racémique, ainsi que les nombreuses combinaisons salines cristallisables, toutes douées comme eux de pouvoir rôtatoire, dans lesquelles il les avait séparément engagés. L'étude comparative de tous ces produits lui fit recon- naître la Pere de partager les formes hémiédriques en deux grandes classes, qu'il distingue par les dénominations de superposables, et de non superposables. Voici le motif de cette séparation. Prenez un cristal hémiédrique quelconque, appartenant à une substance dont vous aurez reconnu la forme primitive; et l'ayant placé devant vous, dans une position fixe, restituez-lui par la pensée les facettes qui lui manquent, pour que la loi de symétrie S y trouve satisfaite. Puis, suppri- mez-y fictivement les facettes réelles, et ne lui laissez que les idéales. Vous obtiendrez ainsi un second cristal, qui sera encore individuellement hémi- édrique; et qui, de plus, appartiendra encore à la même substance, soit en fait, si la nature le réalise, soit par dérivation géométrique, si elle ne vous le présente pas. Or, dans certains cas, ee second cristal ne sera autre chose que le premier, qui aurait tourné angulairement, d'un certain nombre de degrés, autour d’un de ses axes; de sorte qu'il deviendra complètement identique et superposable à celui-là, si vous lui imprimez ce même mouve- ment angulaire, en sens opposé. C’est la ce que M. Pasteur appelle une hémiedrie superposable. Mais, dans d’autres cas, le cristal fictif, en quelque sens qu'on le tourne, ne se trouvera jamais identique et superposable au réel. Il lui sera seulement symétrique, en prenant ce mot dans l’acception que les géomètres lui donnent; c’est-à-dire qu'il sera l’image de l’autre vue dans un miroir. C’est là ce que M. Pasteur appelle Ace die non superposable. Ce dernier genre d’hémiédrie est le moins ordinaire. Or c’est celui qu ‘ont présenté es deux acides tartriques, droït et gauche, de M. Pasteur, ainsi que tous les sels, également doués de pouvoir rotatoire qu'il en a dérivés, lorsque le ie hémiédrique s'y laissait apercevoir. La mention de cette réserve est essentielle; car l'absence du signe n ‘entraine pas l’im- 430 ŒUVRES DE PASTEUR possibilité absolue de sa manifestation. L'expérience apprend en effet que, parmi les cristaux d'une même substance, on en trouve occasionnellement qui sont pourvus de facettes hémiédriques, tandis que sur d’autres, sem- blables dans tout le reste de leur ensemble, ces facettes manquent, ou sont toutes développées simultanément, comme l’exigerait la loi de symétrie. L'importance du fait que nous venons de rappeler consiste donc en ce que, dans les deux acides tartriques droit et gauche, comme dans leurs sels, la seule sorte d’hémiédrie qui apparaisse est la non superposable. C’est encore l'hémiédrie non superposable que M. Pasteur vient de constater dans l’asparagine, dans quelques malates et dans le glucosate de sel marin. Mais il n’a pu en distinguer d'aucune sorte dans l’acide aspartique, l’acide malique et les autres malates, quoiqu'il y ait pareillement constaté l’exis- tence du pouvoir rotatoire moléculaire. L'ensemble de ces faits peut con- séquemment se résumer dans la proposition suivante. Toutes les substances douées de pouvoir rotatoire, que l’on a pu jusqu’à présent observer à l’état de cristal affecté de signes hémiédriques, présen- tentent l’hémiédrie non superposable. L’hémiédrie superposable ne s’y rencontre jamais. Si les expériences ultérieures que l’on pourra faire con- tinuent de confirmer cette exclusion, cela établira une connexion méea- nique bien curieuse, entre la dissymétrie propre aux molécules qui possèdent le pouvoir rotatoire et le genre de dissymétrie spécial qu'elles impriment aux cristaux formés par leur agglomération. Ceci conduit naturellement M. Pasteur à discuter la proposition inverse. L'hémiédrie non superposable, lorsqu'elle s’observe dans des cristaux d’une substance, est-elle un indice constant du pouvoir rotatoire moléculaire ? Lui-même avait déjà trouvé des cas, où cette réciproque n'a pas lieu, par exemple le sulfate de magnésie, le sulfate de zine, et leurs isomorphes. Il y ajoute aujourd’hui le formiate de strontiane, avec des particularités bien dignes d'intérêt. La dissolution de ce sel est dépourvue de pouvoir rotatoire. Pourtant, les cristaux qu’elle dépose sont tous hémiédriques, et de l'espèce d'hémi- édrie non superposable. Mais, ce qui est fort à remarquer, les deux formes opposées, droite et gauche, s’y produisent, toujours simultanément, sans proportions fixes, dans une même cristallisation. Si l’on sépare les cristaux d’une même sorte, qu'on les redissolve, et qu'on les abandonne de nouveau à leur propre réaction, ils reproduisent des cristaux des deux sortes, indif- féremment mélés ensemble. Or, ni les uns ni les autres, étant dissous à part, ne manifestent le pouvoir rotatoire moléculaire. Ainsi, jusqu'à présent, l'existence du pouvoir rotatoire dans les molé- cules parait entrainer, comme conséquence, l'hémiédrie non superposable des cristaux qu’elles forment. Mais l'existence de celle-ci n'atteste point l'existence du pouvoir rotatoire moléculaire. Ce manque de réciprocité n’a rien qui doive surprendre. Car la dissymétrie décelée par les effets optiques, dans les molécules qui possèdent ce pouvoir, parait être d'une nature spéciale, puisqu'il s’est trouvé jusqu'ici exclusivement appartenir à des produits complexes, élaborés par l'organisme vivant. On n’a donc aucune difficulté à comprendre que de telles molécules impriment aux cristaux qu'elles forment des modifications que d’autres pourraient également DISSYMÉTRIE -MOLÉCULAIRE AA produire, sans leur être, en tout, pareilles ; et conséquemment sans posséder la même spécialité optique dont elles sont douées. À cela, il faut joindre une remarque très curieuse de M. Pasteur. C’est que, dans le petit nombre de substances dépourvues de pouvoir rotatoire, où l’on a jusqu'ici observé l'hémiédrie non superposable, l'impossibilité de la superposition ne tient qu'à une dissemblance d’angles dièdres extrêmement faible; de sorte qu'on pourrait la dire géométrique, plutôt que physique. Les observations ulté- rieures feront voir si l’hémiédrie non superposable ne deviendrait un indice assuré du pouvoir rotatoire que dans les cas où les conditions angulaires qui l’établissent dépassent certaines limites d'amplitude. Nous venons d'analyser ce que l’on pourrait appeler la partie cristallo- graphique du Mémoire de M. Pasteur. Nous allons maintenant en considérer la partie chimique. Elle n’est pas moins intéressante que l’autre. Voici d’abord le point de vue où il se place. Lorsque les groupes matériels qui constituent les molécules d'un corps possèdent le pouvoir rotatoire, l’existence de ce pouvoir n’est pas attachée, par une condition de nécessité absolue, à l’ensemble total du système qu’elles composent. Cet ensemble détermine seulement le sens et l'intensité de l’action. La preuve, c'est qu'on peut faire varier à volonté ces deux effets, en mettant le groupe actif, déjà formé, en présence d’autres groupes matériels, même inactifs, avec lesquels il peut se combiner chimiquement, sans décomposition. Car le système moléculaire résultant conserve le pouvoir rotatoire, qui se trouve modifié seulement quant aux deux particularités précitées. Il est bien entendu que ces combinaisons, comme aussi les variations de pouvoir qui en résultent, s'effectuent sous la condition que les groupes moléculaires sont mis en présence à l’état liquide, de manière à pouvoir réagir librement, et tous ensemble, les uns sur les autres, dans l’espace total où ils sont répartis. Réciproquement, si l’on retire de la combinaison la substance individuel- lement inactive qu’on y avait introduite, le groupe actif, non décomposé, reparait avec le même pouvoir qu'il avait primitivement. D'après cela, quand un produit organique défini, doué du pouvoir rotatoire, a été ainsi observé, dans l’état de composition complexe que la nature lui donne, ce doit être une étude bien curieuse que d’essayer de lui enlever un ou plusieurs de ses principes constituants chimiques, soit partiellement, soit en totalité, puis de les remplacer par d’autres et de suivre les variations du pouvoir rotatoire dans ces états divers, Jusqu'à ce que l'on arrive à reconnaitre le groupe le moins complexe auquel ce pouvoir est essentiellement attaché, et dont la destruction le fait disparaitre. M. Pasteur présente, dans son Mémoire, une suite de recherches chimiques, faites sur l’asparagine, l'acide aspartique, et l'acide malique, en vue des considérations que nous venons de signaler. Prenant d’abord la première de ces substances, dans l’état où la nature la donne, il y a constaté l'existence du pouvoir rotatoire moléculaire, et il a reconnu les différences considérables que ce pouvoir présente, selon que l’asparagine est dissoute dans l’eau pure, ou avec l’adjonction des alcalis et des acides, sous les restrictions de temps et de température nécessaires pour qu'elle ne soit pas altérée chimiquement par eux. Il a alors excité la réaction, de manière à lui enlever, soit 1, soit 2 équivalents d’'ammoniaque, ce qui, comme on le 442 ŒUVRES DE PASTEUR sait, laisse pour résidu les deux groupes moléculaires qui constituent l'acide aspartique et l'acide malique. Chacun de ces dérivés lui a encore présenté le pouvoir rotatoire, dont il a de même étudié les variations dans des milieux divers, ainsi que dans toutes les combinaisons salines où il a pu les engager. L’acide malique ainsi obtenu s'est montré identique à celui que l’on retire immédiatement des baies du sorbier (}. On sait que la plupart des acides végétaux, lorsqu'ils sont attaqués par la chaleur, donnent, dans leur décomposition progressive, divers produits encore acides, que l’on appelle pyrogénés. L’acide malique, traité ainsi, en fournit successivement deux, isomères l’un à l’autre, et dont la composition pondérale ne diffère de la sienne que par la privation d’un certain nombre d’équivalents d’eau. On les distingue entre eux par les dénominations de maléique, et de para- maléique. Ce dernier a été nommé aussi fumarique, parce qu'on le trouve formé naturellement dans la fumeterre. M. Pasteur a reconnu que ni l’un ni l’autre ne possèdent le pouvoir rotatoire. Il a observé aussi l’absence de ce pouvoir dans l'acide pyrotartrique, qui dérive du tartrique par des procédés pareils, mais qui en diffère par la privation d’un certain nombre d’équivalents d’eau et d’acide carbonique. Ainsi, les molécules qui composent ces corps pyrogénés n'ont plus le mode spécial de constitution, d'où la faculté optique résulte. Mais l’ont-ils perdue parce que la chaleur a seulement enlevé à leurs groupes primitifs quelques-uns de leurs éléments chimiques, ou aussi parce qu'elle aurait dérangé leur mode d'organisation ? Il est fort à présumer que re dernier effet s’y est opéré concurremment avec l’autre ; car on l’observe déjà, quoiqu’a un degré moindre, dans des circon- stances où l’action de la chaleur a été beaucoup moins vive, et n’a même enlevé au groupe primitif aucun de ses éléments pondérables. Par exemple, lorsqu'on fait fondre l'acide tartrique cristallisé, sans lui rien faire perdre de ses principes constituants, et qu'on en dérive ainsi son isomère qu'on appelle le métatartrique, on trouve que celui-ci a éprouvé dans sa faculté rotatoire des modifications très considérables, qui ne disparaissent qu'après un certain temps, lorsqu'il a repris, de lui-même, sa constitution primitive dans l’état liquide, en présence de l’eau, ou d’autres corps, sur lesquels on le fait agir; comme si cette réaction la ramenait, plus ou moins promptement, à son premier état. Il n’y a donc pas lieu de s'étonner, si l'effet beaucoup plus profond de la chaleur, dans la formation des acides pyrogénés, imprime aux groupes primitifs une perturbation assez puissante, pour qu'ils perdent totalement le pouvoir rotatoire, après qu'ils l'ont subie. Il nous reste à signaler, dans le Mémoire de M. Pasteur, un dernier sujet d'étude expérimentale qui s’offrait directement à ses recherches, et dont les conséquences ultérieures pourront être fort importantes. L’acide 1. L'identité de ces deux produits, quant aux propriétés ophques, n'est pas formellement énoncée dans le Mémoire de M. Pasteur, comme ayant été constatée expérimentalement. Elle ne l’est pas non plus dans l'extrait inséré aux Comptes rendus (séance du 30 septembre 1850). On la mentionne ici, d'après ce que l’on croit lui avoir entendu exprimer, dans des communi- cations orales. L'ensemble de ses expériences a été fait sur l'acide malique naturel. Il se pourrait qu’il n'eùt pas été en position de sacrifier une quantité d’asparagine suffisante, pour obtenir la quantité d'acide malique ou de bimalate d'ammoniaque artificiels que les obser- vations optiques exigent. Dans ce cas, ce serait une vérification essentielle à effectuer. (Note ajoutée à l'impression par le Rapporteur.) DISSYMÈTRIE MOLÉCULAIRE 443 malique et l'acide tartrique ont entre eux des analogies qui semblent très intimes. Tous deux sont bibasiques; et le second ne diflère chimiquement du premier que par l’adjonction de deux équivalents d'oxygène. Ils se produisent simultanément dans le raisin, et on les y trouve en re diverses, aux diverses phases de la maturation; de sorte que la nature paraît les y transformer progressivement l’un dans l’autre. M. Pasteur s’est attaché profondément à étudier ces relations analogiques. Il les a suivies comparativement, dans les modifications du pouvoir rotatoire, dans les ré- actions chimiques, dans les formes cristallines des sels. Tout cela le conduit, non pas à affirmer, mais à présumer avec beaucoup de vraisemblance, qu'il doit exister deux acides maliques à rotation inverse, ayant entre eux des relations pareilles à celles de l'acide tartrique gauche avec l'acide tartrique droit. Ceci est une induction qu'il faudra suivre, et s’efforcer d'établir par l'expérience. Mais, avec les réserves qu'il y a mises, il a eu toute raison de la signaler. L’Ac le voit, par cet exposé, que tous les résultats, si nombreux et si imprévus, qui lui ont été présentés depuis deux ans par M. Pasteur, sont dus à l'application heureuse et constamment suivie d’un caractère cristal- lographique dont, avant lui, l'importance physique avait été seulement soupconnée et signalée par conjecture, sans qu'on l’eût jamais employé comme élément de recherche chimique. M. Pasteur a montré, par des faits irrécusables, que ce caractère peut offrir un indice délicat, mais cependant apercevable, de relation et de dépendance mutuelles entre la configuration externe des.cristaux de dimension sensible et la constitution mn iiduelle des groupes moléculaires qui les engendrent. Cet indice lui a servi de fil conducteur pour diriger ses investigations, et pour leur appliquer avec elairvoyance, sans hasard, les ressources de la chimie et de l’optique, deux sciences dont l'association à la cristallographie est indispensable pour pénétrer dans le mécanisme intérieur des corps. Cette persévérance à pour- suivre une même idée, en y faisant concourir l'ensemble des connaissances acquises qui peut la ue féconde, est un gage assuré de succès ulté- rieur, auquel, malheureusement, on uble se fier trop peu aujourd’hui. Si M. Pasteur persiste dans la voie qu'il s’est ouverte, on peut lui prédire que ce qu'il y a déjà trouvé n’est que le commencement de ce qu'il y trouvera. Le caractère cristallographique auquel il s’est attaché n’est sans doute qu'un des filons de cette mine. Il faut que, en s’aidant des agents physiques et mécaniques, il le force à se découvrir quand il est possible et qu'il ne se manifeste pas spontanément ; ou encore, ce qui sera peut-être moins difficile, qu'il en cherche ou en fasse naître d’autres, qui puissent au besoin le suppléer. La cristallographie physique est un sujet d'étude à peine abordé. Les découvertes qu’on y pourrait faire ne seraient pas seulement précieuses à titre de vérités nouvelles, mais encore, et surtout, comme four- nissant des instruments nouveaux d'investigation. Cela nous dévoilerait, peut-être, les relations secrètes qu'ont entre eux tant de corps que la nature dérive si aisément les uns des autres, et qui se présentent jusqu'ici à notre ignorance comme des individualités isolées. La constitution binaire de l'acide racémique n’est vraisemblablement pas un fait unique ; d’autres cas analogues sont à soupçonner, n’attendant qu'un nouvel artifice de résolution. 444 ŒUVRES DE PASTEUR M. Pasteur est mieux préparé que personne à explorer fructueusement ce champ de travaux. L'accueil favorable, que l’Académie avait accordé aux précédentes recher- ches de M. Pasteur, a été pour lui un puissant encouragement à y persé- vérer. Nous espérons qu'elle sera disposée à lui continuer ces témoignages d'une bienveillance, qui ne fait qu'accroître ses efforts pour s’en rendre digne. C’est pourquoi nous proposons à l’Académie d'accorder encore à ce nouveau Mémoire de M. Pasteur l'honneur d'être inséré au Recueil des Savants étrangers. IV. — RAPPORT (!) SUR UN MÉMOIRE DE M. L. PASTEUR, RELATIF AUX ACIDES ASPARTIQUE ET MALIQUE (?) Commissaires : MM. Tuexarp, REcNauLT, Bior rapporteur. Le travail dont nous allons rendre compte à l’Académie est, essen- tiellement, une étude de chimie moléculaire. C’est l'examen d’un cas d’isomérie, le plus étendu, le plus intime, que l’on ait encore observé, et il est accompagné de particularités contrastantes, d’un genre tout nouveau. Le phénomène de l’isomérie est, en lui-même, un de ceux qui peuvent le mieux nous éclairer sur le mécanisme des réactions chimiques, en nous donnant lieu de rechercher, par comparaison, les conditions moléculaires qui peuvent les rendre si différentes dans des substances composées des mêmes ingrédients, réunis dans les mêmes proportions de poids. Mais ces abstractions, qui résument toute la science, ne peuvent s’extraire des effets observables qu’en suivant une série de considérations physiques et méca- niques, dont le premier terme commence à leurs apparences les plus simples, et le dernier aboutit à leurs réalités les plus cachées. Nous sommes donc obligés de reproduire ici les principaux anneaux de cette chaine logique, pour montrer ce que les faits étudiés par M. Pasteur y ajoutent d'éléments nouveaux. Si l'exposé rapide que nous allons en donner semblait, au premier abord, nous éloigner du but d'appréciation que nous devons atteindre, nous dirons, pour notre excuse, que nous avons inutilement cherché une autre voie, par laquelle nous pussions y arriver, en ménageant, comme c’est notre devoir, l'attention de l’Académie, sans sacrifier la sévérité de raisonnement et de langage, que le sujet nous commande. Poser nettement les questions scientifiques, c’est le premier pas à faire pour les résoudre. Nous appliquerons ce précepte à celle que nous allons traiter. Dans l’idée que l’on se fait généralement des phénomènes chimiques, et il faut bien les envisager spéculativement pour les coordonner en une science, on considère les substances entre lesquelles ils s'opèrent comme autant de systèmes corpusculaires de diverses natures, dont les molécules constituantes sont plus ou moins complexes. Ilyena qui, jusqu'ici, sortent inaltérées de toutes les opérations qu'on leur fait subir. Elles appartiennent 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 24 novembre 1851, XXXTIIT, p. 549-567; et Mémoires de l'Académie des sciences de l'Institut de France, XXIII, 1855, p. 389-366. 2. Voir ce Mémoire p. 160 à 188 du présent volume. (Note de l'Édition.) 446 ŒUVRES DE PASTEUR aux substances que l’on appelle simples. D’autres au contraire, et c’est le plus grand nombre, peuvent être subdivisées, par les procédés chimiques, en groupes moléculaires d'ordres moins complexes, que l'on réduit fina- lement à se résoudre en molécules appartenant aux substances simples. Ces molécules chimiquement décomposables constituent les substances que l’on appelle composées. Dans tous ces systèmes, les corpuscules constituants sont individuel- lement imperceptibles à nos sens, par leur petitesse. Toutefois, avec cette ténuité qui nous échappe, on leur attribue toutes les qualités de la matière tangible. Ainsi on les concoit étendus, figurés, composés eux-mêmes de parties physiquement assemblées en nombre quelconque. Ce sont, en un mot, pour notre pensée, autant de petits corps distincts, doués, comme les plus grosses planètes, de la force attractive proportionnelle aux masses et réciproque au carré des distances, qui s'y manifeste par leur poids quand ils sont assemblés en grand nombre; peut-être aussi agissant les uns sur les autres, à distance, en vertu de forces plus rapidement décroissantes, qu'ils exerceraient conjointement avec celle-là, et que nous en devons distinguer par leur mode d'action apparent, quoiqu'elles pussent n'être, en réalité, que des dérivées complexes de la même loi générale. Les corpuscules ainsi définis conservent toutes ces qualités individuelles dans les masses sen- sibles, formées de leur assemblage. Mais, conformément aux notions que la physique générale nous donne sur les conditions d’existence de ces agrégats, on les y concoit toujours maintenus hors du contact mutuel, soit par des forces répulsives qui émanent d'eux, soit par l’interposition de milieux sensiblement impondérables, qui les empécheraient de se joindre, en leur résistant, ou les repoussant. Ces conditions d’état sont communes à toutes les substances sur lesquelles la chimie opère. Elles sont l’expression mécanique de leur mode d’existence actuel, tel qu'il s'offre à nous. Mais l’organisme des êtres vivants donne naissance à beaucoup de composés, dont les parties, chimiquement simi- laires, ont entre elles une corrélation intime, et comme raisonnée, qui est due à leur mode de génération physiologique. On les appelle des substances organisées. Les corpuseules chimiques qui les composent, étant considérés indépendamment de toute coordination relative, sont appelés des matières organiques, par allusion à leur origine naturelle; sans attribuer, d’ailleurs, à leurs éléments simples d’autres propriétés que celles qu'ils manifestent, dans la généralité des combinaisons où ils entrent. La délicatesse des appareils qui confectionnent ces corpuseules invisibles pourrait-elle, dans certains cas, leur imprimer à eux-mêmes un caractère d'organisation inté- rieure ? Nous l’ignorons. Jusqu'à présent, le pouvoir rotatoire moléculaire n’a été constaté que dans cette classe de substances, élaborées par l'organisme vivant. Sans connaître la nature des forces particulières, qui émanent des corpuscules disjoints dont chaque substance se compose, l'expérience nous montre que celles qui déterminent principalement les effets chimiques exercent des actions dont l'intensité décroit très rapidement quand la distance augmente. Car toutes les variétés de ces eflets se produisent entre des limites d’éloignement inappréciables pour nous. Ils consistent en ce que DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 447 les substances, dont les molécules s’entremélent, et s’approchent mutuel- lement, dans ces limites, s’assemblent occasionnellement, ou se séparent, en systèmes corpusculaires différents des primitifs. Ces actes mécaniques constituent ce que l'on appelle les combinaïsons et les décompositions chimiques. On n’en aurait vraisemblablement qu'une idée imparfaite, en concevant deux nébuleuses célestes qui se pénétreraient mutuellement. Malgré l’excessive complication que leur assigne cette comparaison même, on devra, au moins par la pensée, distinguer dans ces réactions deux ordres de phénomènes, qui diffèrent entre eux par les conditions méca- niques de leur accomplissement. Les premiers s’opéreront quand les distances mutuelles des corpuscules, qui réagissent les uns sur les autres, se trouveront si grandes comparativement à leurs dimensions propres que tous les éléments de masse de chaque corpuscule, qui sont de nature pareille, y exercent des actions d'intensité sensiblement égales, quelle que soit leur situation relative dans son intérieur. Les autres phénomènes commenceront à s'opérer, quand les distances mutuelles des corpuscules mis en présence seront devenues assez petites, pour que les situations relatives de leurs éléments de masse produisent des inégalités sensibles dans les intensités absolues de leurs actions individuelles. La première classe d’effets dépendra seulement de la nature propre, et de la masse totale, des divers ingrédients contenus dans les corpuscules de chaque substance; comme aussi des propriétés spéciales que la nature peut avoir attachées à chacun d’eux, pris dans son ensemble. Les derniers dépendront en outre de la place que chaque ingrédient y occupe, de leur arrangement relatif, et de la configuration du corpuscule entier. Ces deux ordres d'effets des forces attractives se réalisent avec une entière évidence, dans les mouvements des corps qui composent notre système planétaire: et ils peuvent y être aisément distingués. Les mouve- ments généraux de circulation que les planètes exécutent dans leurs orbites, et les dérangements occasionnels qu'elles y éprouvent, s’opèrent, sans différence appréciable, comme si leurs masses étaient individuellement concentrées en un point mathématique, coïncidant avec leur centre de gravité. Voilà le premier ordre de phénomènes. Mais les situations relatives des éléments de masse, qui composent le corps de chaque planète, ont une influence sensible et déterminante, dans les oscillations des fluides qui les recouvrent, et dans les mouvements divers que chacune éprouve autour de son centre de gravité, indépendamment de sa rotation constante sur elle- même. Voilà le second ordre de phénomènes. Au point de vue mathéma- tique, l’un et l’autre doivent s’opérer avec des caractères analogues, dans tous les systèmes de corps libres doués d’actions réciproques, qui s’exercent à distance. Mais les effets qui leur appartiennent peuvent avoir des propor- tions toutes différentes de celles que nous leur voyons dans notre système planétaire. Leurs phases d'accomplissement simultané peuvent devenir tellement soudaines, et mêlées ensemble, que l’observation, tout en sachant qu'ils existent, se trouve inhabile à les discerner. C'est là justement ce qui arrive dans les réactions chimiques; et l’on concoit trop bien qu'il en doit être ainsi, quand on compare les conditions mécaniques des deux problèmes. Les corps permanents de notre système 448 ŒUVRES DE PASTEUR planétaire ont tous des formes presque sphériques. Les intervalles qui les séparent restent toujours très grands, comparativement à leurs dimen- sions propres. À ces distances, l'attraction proportionnelle aux masses et réciproque au carré des distances est l'unique force qui ait une influence appréciable sur leurs mouvements. Ils se meuvent dans un espace sensi- blement dépourvu de résistance, et leurs masses s’y maintiennent con- stantes; ou, du moins, depuis des siècles qu’on les observe, il ne s’y est opéré aucun changement que l'on püût apprécier. Enfin ils sont en petit nombre, et leurs masses sont toutes très petites comparativement à celle du corps principal autour duquel ils circulent. Cette réunion de circon- stances donne au problème céleste toute la simplicité que puisse comporter sa nature. Dans les phénomènes chimiques, au contraire, les conditions méca- niques des mouvements, et leurs phases mêmes, nous sont cachées. Nous ignorons la forme et la constitution intime des corpuscules qui réagissent les uns sur les autres. Eux-mêmes, ainsi que les intervalles qui les separent, échappent à nos sens; de sorte que nous ne pouvons connaître le rapport de leurs dimensions à leurs distances mutuelles, ni dans quelles propor- tions ces dernières varient. Les forces propres, que chaque corpuscule exerce entre ces limites invisibles d'écart, nous sont inconnues. Le seul caractère que nous puissions y attacher, c’est de décroître avec tant de rapidité quand la distance augmente, qu’elles deviennent inefficaces à toute distance sensible pour nous. De plus, elles ne déterminent pas seules les phénomènes, ou du moins leur influence n'y est pas absolue. Car nous voyons sans cesse leurs effets modifiés par l'intervention de principes impondérables, que nous employons comme agents sans savoir en quoi ils consistent, ni comment ils concourent aux résultats. Enfin, pour surcroît de complication, les actions ainsi exercées sont tellement puissantes que les masses propres des corpuscules en éprouvent des changements convulsifs, qui les résolvent en groupes moins complexes, ou les font s'agréger en groupes nouveaux. Ces convulsions nous représentent, avec des proportions incomparablement agrandies, ce qui arriverait aux fluides qui recouvrent notre sphéroïde terrestre, si les astres, qui tour à tour Îles soulèvent et les abandonnent, s'approchaient assez de son noyau solide pour les soustraire, totalement ou en partie, à la prépondérance de son action. Dans ce dénûment de données immédiates, pour attaquer un problème si complexe, la chimie moderne, et c'est là sa gloire, n’est pas demeurée une pure science de faits. À mesure que ses opérations lui en ont fait découvrir un plus grand nombre, elle s'est d’abord efforcée de les rattacher entre eux, d'après leurs rapports les plus apparents. Ce travail de coordi- nation a fait apercevoir des lois expérimentales, qui, dans la sphère d'application que chacune embrasse, font prévoir, presque infailliblement, tous les résultats analogues qui doivent s’y produire, sinon jusque dans leurs détails, du moins dans les circonstances générales de leur accomplis- sement. De là, elle a tiré des inductions qui, dans beaucoup de cas, montrent, avec une grande vraisemblance, quel mode de décomposition, de recomposition, ou de déplacement mutuel, a dû mécaniquement s'opérer dans les substances mises en présence; et quels systèmes de groupes DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 419 corpuseulaires ont été définitivement désunis, ou formés, dans leur réaction. Reportant alors, par la pensée, les actions de ces groupes aux corpuscules invisibles qui les composent, elle a pu légitimement, sans hypothèse, carac- tériser ceux-ci individuellement, dans chaque substance, par le triple concours de leurs propriétés observables, avec la nature et la quotité relative des ingrédients pondérables qui les constituent. La voie de progrès par laquelle la chimie est arrivée jusqu’à ces abstrac- tions, qui semblaient devoir lui être inaccessibles, présente deux sections, nous pourrions dire deux étapes distinctes : celle de la coordination, celle de la spéculation. Dans la première, la chimie ne s’appuie que sur elle- même, et n'étend pas encore ses vues au delà de ses résultats immédiats. Elle perfectionne ses analyses, découvre la loi des proportions multiples, crée le calcul des équivalents. Ce calcul a été pour elle le principe de toute généralisation. Car, d'abord, définissant les résultats des analyses, non plus d’après leurs détails numériques, qui les laissaient isolées, mais par les masses relatives des divers ingrédients simples qui constituent chaque substance, il a rendu manifeste une des principales conditions mécaniques de leur existence individuelle, que l’on a pu exprimer généralement par une notalion littérale d’une extrême simplicité. Alors, comme Ja loi des propor- tions multiples était naturellement réalisée dans ces expressions, toutes les substances analysées se sont trouvées représentées symboliquement par l'association de deux caractères : l’un spécifiant la nature propre de chaque ingrédient, l’autre désignant le multiple résultant de son unité convention- nelle, qui entre dans chaque substance considérée. Ces deux caractères résumaient toutes les données que l'analyse immé- diate peut fournir. Mais, d'après l'exposé que nous avons fait du probleme chimique, leur réunion devait être insuffisante pour établir une qualification complète. Car ils ne définissent nullement les rapports de masse, que peuvent avoir entre eux les corpuscules constituant des substances diverses ; ils n'expriment rien qui soit relatif aux configurations propres de ces corpuscules, non plus qu'à la distribution intérieure des divers ingrédients qui les composent. Or ce sont là autant de particularités Terminé des actions exercées par eux. Aussi a-t-on rencontré beaucoup de substances, qui, étant composées des mêmes ingrédients simples, unis dans les mêmes proportions de poids, possèdent des propriétés physiques et chimiques très différentes. On les a nommées isomères. Il a donc fallu dès lors chercher, hors de l'analyse immédiate, des caractères généraux d'identité ou de dissemblance qui pussent être annexés à la formule symbolique, comme complément de qualification, dans ces cas-là comme dans tous les autres. Ce problème se résout par une analogie très naturelle, lorsque les substances considérées, étant placées dans des circonstances pareilles, lorment, avec d’autres substances, des combinaisons similaires, dont les produits constants et nettement définis ne diffèrent, dans leur composition, que par les quantités relatives des masses étrangères, qui se sont respec- livement associées à un même poids des balances isomères que l'on compare. On proportionne alors les équivalents de poids, conséquemment les masses propres des corpuseules, à ces quantités relatives ; ce qui donne le facteur commun par lequel il faut multiplier leurs formules symboliques, DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 29 450 ŒUVRES DE PASTEUR pour les astreindre à cette proportion (1). C’est ainsi, par exemple, que l’on caractérise par un facteur distinct les quatre combinaisons isomères du cyanogène avec l'oxygène, que l’on appelle l'acide cyanique, l'acide cyanu- rique, la cyamélide, substance indifférente, et l'acide fulminique. La dissem- blance de notation ainsi appliquée à ces quatre corps est évidemment inat- taquable quand on l’emploie comme symbole des faits observés. Mais son interprétation physique implique une induction qui est seulement vrai- semblable. C'est que, dans ces expériences, l'inégale composition des produits pris pour épreuve doive être uniquement attribuée, et propor- tionnée, aux masses relatives des corpuscules isomères dont les ingrédients s’y trouvent combinés. Aussi, en de tels cas, la chimie se prévaut-elle de toutes les analogies qui peuvent confirmer la proportionnalité qu’elle admet. L'étude des substances organiques, si agrandie de nos jours, présente un grand nombre de faits d’isomérie plus difficiles à définir que celui-là, même symboliquement, parce que les réactions qui s’y opèrent, dénaturant presque toujours la substance que l’on veut éprouver, ne la caractérisent alors qu'indirectement, par les produits qui résultent de sa décomposition, et pour ainsi dire après qu'elle n’existe plus; ce qui tend à éteindre les caractères primitifs de disparité, qui résoudraient les isoméries. Pour sortir de ces ambiguïtés, la chimie a cherché, a trouvé, dans les sciences qui la touchaient, des épreuves auxiliaires dont l'application est exempte de toute opération destructive. Elle a reçu de la physique la loi des volumes ; puis, l'évaluation de la densité des vapeurs des corps, tant vaporisables que non vaporisables, et la mesure des chaleurs spécifiques, qui lui ont fourni, pour caractériser les diverses substances, de nouveaux ordres d’équivalents à joindre aux équivalents de poids. La cristallographie lui a donné les conditions de l’isomorphisme:; et c’est assurément une chose curieuse autant qu'instructive, que de voir combien une science, qui s'occupe seulement des formes, a pu rendre de services à celle qui s'occupe exclusivement de phénomènes moléculaires. Mais la séparation que les convenances de notre esprit nous font établir entre ces études n’est qu'artificielle; et leur connexité est réellement très profonde. Le mot isomorphisme, tel que les chimistes l’appliquent, exprime une triple analogie de propriétés, que présentent, non pas toujours, mais très fréquemment, les substances qui ont des formules chimiques semblables ; c’est-à-dire dont l'unique distine- tion consiste dans la nature des ingrédients, simples ou complexes, que désignent leurs symboles littéraux. Parmi ces substances, à formules semblables, un grand nombre, lorsqu'elles cristallisent isolément, s'agrègent, par leur propre action, en solides géométriques, dont les formes sont iden- tiques entre elles, ou peu différentes. Elles cristallisent aussi, conjoin- tement, par leurs actions réunies, quand on les a dissoutes ensemble suivant toutes sortes de proportions; et alors, si l'opération est bien ménagée, les cristaux qu’elles donnent, ayant une structure continue, et une composition 1. Pour deux substances de composition différente, les masses des corpuscules chimiques sont entre elles comme les nombres qui expriment les équivalents de poids, respectivement multipliés par deux facteurs entiers dont les valeurs sont inconnues. Quand les substances comparées sont isomères, ces facteurs sont égaux, ou multiples simples d'un mème nombre; et les masses des corpuscules sont proportionnelles aux équivalents adoptés. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE ESS ex = homogène dans toute leur masse, offrent encore des formes semblables entre elles, et aux précédentes, sauf quelques faibles inégalités dans leurs angles; comme si les corpuscules de nature diverse qui constituent ces mélanges, quand ils s'agrègent en groupes cristallins identiques entre eux, et de composition hétérogène, étaient amenés, par leurs réactions mutuelles, à y prendre des positions relatives toujours peu différentes de celles qu’ils auraient eues dans leurs groupements isolés. Il n'est pas difficile de concevoir comment des analogies, si prochainement dépendantes des forces moléculaires, ont pu être utiles à la chimie. Elles lui ont donné d’abord le moyen d'expliquer, et de ramener à la grande loi des combinaisons définies par multiples simples, une foule de prôduits naturels ou artificiels, dont la composition complexe et inconstante semblait y faire une grave exception. En outre, les corps composés devant, d’après ce principe, être rapprochés ou éloignés analogiquement les uns des autres, selon qu'ils se montrent isomorphes ou non isomorphes entre eux, on a tiré de là des inductions très puissantes, pour distinguer, par comparaison, ceux qui doivent être rapportés à un même ordre, ou à différents ordres de combi- naisons atomiques; ce qui à fourni à la théorie des points d'appui nouveaux, et des conditions nouvelles de coordination. Enfin, comme cela arrive toujours dans les alliances des sciences, le principe de l'isomor- phisme n’a pas seulement profité à la chimie. La minéralogie s'en est aussi éclairée. Car elle a pu alors concevoir, et définir par des formules précises, les types abstraits de beaucoup d'espèces minérales que la nature ne présente presque jamais pures, parce qu’elles se trouvent habituellement mêlées à des substances isomorphes de leurs éléments principaux, lesquelles ont pu, ont dû même en général, ètre présentes avec eux en proportions plus on moins abondantes, quand la combinaison s’est formée. C’est ainsi que les géomètres ont une notion parfaite du cercle, quoique la nature ni l’art ne leur aient jamais présenté de cercle parfait. A mesure que la chimie s’avancera dans l’étude intime des corps, et c’est là qu'est son avenir, elle ne pourra que gagner davantage au contact des sciences qui les explorent sous des points de vue et par des procédés différents des siens. Deux surtout, la cristallographie et l'optique, semblent devoir lui ètre désormais des auxiliaires, non pas seulement utiles, mais indispensables, pour éprouver et légitimer les théories que ses recherches lui suggèrent. La première, il est vrai, ne lui fournira pas de caractères, qui soient immédiatement applicables aux corpuseules entre lesquels s'exercent les actions chimiques. Selon toute apparence, les petits solides similaires, dont l’agrégation compose chaque cristal de dimension sensible, sont des assemblages nombreux de ces corpuscules, que leurs attractions réciproques ont déterminés à se grouper entre eux, suivant un certain mode d’arran- rangement relatif, dans les circonstances physiques où ils se trouvaient placés. La forme cristalline qu'on observe dans les masses doit donc être un résultat complexe de ces attractions, combinées avec les circonstances qui les modifient. Ainsi, en faisant varier ces circonstances, et suivant avec attention les particularités qui s’opèrent dans l’ensemble et les détails de Ja forme, sous leurs influences diverses, on devra y trouver des indices qui auront une connexion plus ou moins prochaine avec les forces attractives ŒUVRES DE PASTEUR ES Zn +2 exercées par les corpuscules chimiques, dont l'assemblage constitue l'embryon cristallin. Ces études générales pourront être considérablement facilitées, et assurées, par l'observation du pouvoir rotatoire moléculaire qui, dans les cas nombreux où il existe, nous découvre des propriétés spéci- fiques inhérentes aux corpuscules chimiques eux-mêmes: non pas à la suite d'épreuves qui auraient pu les modifier, mais par la seule inspection d'effets sensibles qu'ils produisent sur la lumière polarisée, dans l’état actuel où on les observe. Jusqu'à présent ce pouvoir est, après la pesanteur, le seul caractère observable, que l’on puisse leur appliquer individuellement. Il y a donc là un puissant motif pour s'attacher d’abord, et par préférence, à l'étude des combinaisons où sa présence peut servir de guide. Or ce sont, à la fois, les plus diversifiées, et les plus embarrassantes à interpréter sûrement, d'après les seules indications chimiques, à cause de leur mobilité, jointe à la faiblesse souvent indécise de leurs réactions. La série de recherches, si neuves et si fécondes, que M. Pasteur poursuit depuis quatre ans, avec un succès digne de sa persévérance, confirme toutes les considérations que nous venons d'exposer. Ces recherches ont été faites avec le triple concours de la cristallographie, de la chimie et de l'optique moléculaire. Là se trouve le principe de la réussite, et c'en était aussi la condition. En effet, supprimez un des termes de cette alliance, n'importe lequel : les deux autres, séparés ou réunis, n’auraient pu fournir à l'esprit le plus sagace que des résultats isolés, disjoints, dont la connéxion, qui fait aujourd'hui leur principal mérite, serait encore ignorée: et qui n'auraient, chacun en particulier, que la valeur d’un fait de détail, ajouté à tant d’autres. Mais, par l’heureuse union de toutes les épreuves expérimen- tales, au moyen desquelles le champ d'investigation où était entré M. Pasteur pouvait être exploré, l’ensemble des phénomènes qu'il étudiait s’est découvert à lui. Non seulement l'acide racémique, jusque-là supposé un être simple, a été matériellement séparé en deux autres moléculairement distincts, doués de pouvoirs rotatoires égaux et contraires ; mais, en outre, les caractères cristallographiques, par lesquels ces composants se distn guent du système neutre que leur combinaison forme, ont été recherchés, suivis, constatés, dans ces corps mêmes, ainsi que rs tous leurs sels cristalli- sables. Ces caractères ont été ensuite retrouvés, dans beaucoup d’autres produits organiques, doués ou dépourvus de pouvoir rotatoire; ils sont devenus des indices, non pas encore généraux, mais très habituels de ces deux états. On a vu ainsi, pour la première fois, se manifester des relations observables entre les qualités.propres aux molécules imperceptibles qui composent les corps et la configuration des masses sensibles qui résultent de leur agrégation en cristaux. Le nouveau travail que M. Pasteur vient de vous soumettre, et dont nous allons vous rendre compte, est exécuté avec le même concours de connais- sances, et d'épreuves expérimentales, que les précédents. Seulement, cette fois, une occasion qu'il n'avait pas prévue lui en a fourni le sujet et les premiers matériaux. De sorte que l’on pourrait dire qu'ils lui ont été donnés par le hasard; si l'on devait appeler hasard, la poursuite d’un fait récemment annoncé comme un résultat isolé dans la science, dont un esprit préparé saisit l'importance en le rapportant à ses études antérieures et nr PRET DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 153 développe les conséquences générales. Les circonstances qui ont amené ce développement dans le cas actuel méritent qu'on les rappelle ; car elles confirment pleinement la thèse que nous avons voulu établir au commen- cement de ce Rapport. L'année dernière, M. Pasteur avait porté ses recherches sur l’asparagine, l'acide aspartique et l'acide malique. Ces deux acides se dérivent théori- quement et pratiquement de l’asparagine, en lui enlevant 1 ou 2 équivalents d'ammoniaque. C'était pour cela précisément qu'il avait choisi ces trois corps comme sujet d'étude. La molécule de l’asparagine possède le pouvoir rotatoire. Il voulait savoir si ce pouvoir se conserve après la soustraction progressive des éléments de l’'ammoniaque ; et, dans ce cas, quelles modifi- cations il éprouve. L'expérience lui montra qu'il persiste, et qu'il cesse seulement d'exister quand on passe de l’acide malique aux acides pyrogénés appelés maléique et paramaléique, ‘dont le dernier a été nommé aussi fumarique, parce qu'on le trouve tout formé dans la fumeterre. Ce court résumé suffit pour notre but. Pendant que M. Pasteur vous présentait ce travail, M. Dessaignes, de Vendôme, annonçait à l'Académie qu'il était parvenu à former artificiellement l'acide aspartique, en traitant le fumarate acide d’ammoniaque par des procédés qu’il indiquait (f). Cet énoncé présenta tout de suite à M. Pasteur une alternative, dont la discussion expérimentale ne pouvait manquer de conduire à une découverte importante : ou l'acide aspartique, dérivé du fumarate, possédait, comme l'acide naturel, le pouvoir rotatoire, et alors il offrirait le premier exemple d'un corps actif qui aurait été dérivé artificiellement d’un corps inactif; ou l'acide aspartique artificiel était inactif, et alors, malgré l’identité de la composition chimique, il différerait moléculairement du naturel. C'est ce dernier cas qui a lieu. M. Pasteur le constata immédiatement sur des quantités minimes de l'acide artificiel que M. Dessaignes avait eu l’obligeance de partager avec lui, après qu'il l’eut informé de l'intérêt inattendu qui s’y attachait. Il reconnut également, sur quelques-uns de ses petits cristaux, des dissemblances de formes avec ceux de l’acide naturel. La concordance de ces deux caractères attestait la spécialité du nouveau produit; et le chimiste ingénieux qui l'avait formé doublait ses droits à la reconnaissance de la science, en se montrant si généreux à le communiquer, pour qu'on l'étudiät sous un point de vue qui était hors de ses études propres. Mais ces premiers aperçus ne faisaient qu'indiquer un sujet fécond de recherches comparatives, qu'il fallait suivre dans tous leurs détails avec une industrieuse patience. M. Pasteur y a consacré une année; et les résultats qu'il a obtenus sont rassemblés dans le Mémoire qu'il vient de vous soumettre. Nous ne pouvons que les résumer brièvement. 1. M. Dessaignes avait d'abord obtenu son acide aspartique artificiel, en opérant sur le bimalate d'ammoniaque. Il l’annonça ainsi dans une Note qui fut présentée à l'Académie, dans sa séance du 18 mars 1850, et qui est insérée aux Comptes rendus, t. XXX, p. 324 Mais dans une Note postérieure, présentée aussi à l'Académie, le 16 septembre de la même année, et insérée au tome XXXI des Comptes rendus, p. 482, M. Dessaignes ajouta qu'il avait reproduit ce même acide aspartique artificiel, en le dérivant du maléate et du fumarate d'ammoniaque par les mêmes procédés. Cette seconde annonce frappa M. Pasteur, parce que les deux sels qui y sont désignés comme générateurs ne possèdent pas le pouvoir rotatoire. I] a d'ailleurs censtaté à plusieurs reprises que le second mode de dérivation indiqué par M. Dessaignes n'est pas moins exact que le premier et conduit effectivement au même résultat. 45% ŒUVRES DE PASTEUR Il a soumis les deux acides aspartiques, l'actif et l'inactif, à toutes les épreuves physiques et chimiques, dans lesquelles l'identité ou la dissem- blance de leur constitution moléculaire pouvait se manifester. Les consi- dérant d’abord en eux-mêmes, à l’état libre, il a déterminé comparativement leur composition élémentaire, leurs formes cristallines propres, leur densité, leur solubilité dans les mêmes dissolvants. Il les a ensuite combinés avec des bases et des acides de nature pareille, et il a déterminé la composition de leurs sels respectifs, qu'il a trouvée constamment identique, par couples, avec des particularités de formes dissemblables, qu'il a soigneusement fixées. Enfin il les a suivis dans leurs dérivés chimiques; et, en leur appliquant des procédés de modification pareils, il en a déduit deux acides maliques, l’un doué, l’autre dépourvu de pouvoir rotatoire moléculaire, comme les corps qui leur avaient donné naissance. Il a alors soumis ces deux produits aux mêmes séries d'épreuves qu'il avait fait subir à leurs générateurs; c'est-à-dire qu'il a pareillement déterminé leurs caractères cristallographiques, physiques et chimiques, tant à l’état libre que com- binés. De sorte que le problème inattendu qui s'était offert à lui a été ainsi étudié dans toutes ses parties, sur tous les matériaux qu'il pouvait fournir, et par tous les procédés d'observation, ainsi que d'expérience, qu'on pouvait leur appliquer. De là ont résulté trois ordres de faits généraux, appartenant aux trois 5 points de vue sous lesquels il l’avait envisagé. Nous les rassemblerons D d'après lui, en signalant, pour chacun d'eux, le genre d'épreuves qui l'a mis en évidence, et les conséquences qui s’en déduisent. 1°. Etude optique : Le pouvoir rotatoire moléculaire que possède l'acide aspartique naturel se communique à tous ses sels, à l'acide malique qu'on en dérive, et à tous les sels de ce dernier. Il disparait dans les acides pyrogénés ultérieurs. Ce pouvoir est nul dans l'acide aspartique artificiel, dans tous les sels qu'on lui fait former, dans l'acide malique qu'on en extrait, et dans tous les sels de ce dernier acide. Il n'existe pas non plus dans les acides pyro- génés ultérieurs qu'on en déduit. Pour abréger, nous désignerons ces deux classes de corps par les déno- minations de série active, et de série inactive. La possession, ou la privation du pouvoir rotatoire moléculaire, qui les distingue, atteste que les termes correspondants des deux séries, sels ou acides, ont leurs molécules chi- miques constituées différemment: puisque les unes produisent individuel- lement, sur la lumière polarisée, des effets observables, que les autres ne produisent pas. 2. Etude cristallographique : Les corps correspondants de la série active et de la série inactive, étant dissous dans les mêmes milieux, et placés dans des circonstances pareilles, donnent généralement des cristaux de formes dissemblables, quelquefois peu différentes, quelquefois incompa- tibles. Les cas d'incompatibilité pourraient sans doute, par supposition, être attribués à des accidents de dimorphisme. Mais leur persistance à se produire, entre certains termes correspondants des deux séries, quand toutes les circonstances sont pareilles, jointe à la constance des différences que cette même identité de circonstances amène dans les autres cas, DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE [21 suffisent, indépendamment de toute interprétation, pour montrer que les molécules composantes des corps correspondants que l’on compare doivent être constituées différemment dans les deux séries ; ce qui est conforme à la proposition que la dissemblance de leurs propriétés optiques avait déjà établie. 3, Etude chimique : La composition élémentaire des corps correspon- dants est identique dans les deux séries. Leurs molécules sont formées des mêmes principes pondérables, unis dans les mêmes proportions atomiques. Toute opération qui, appliquée à l’un d'eux, le fond, le dissout, le décom- pose, ou le détermine à se combiner avec d’autres substances, produit sur son correspondant des effets semblables, et donne des produits dont la composition élémentaire est identique. Mais, en supposant toujours l’opé- ration effectuée comparativement, sous des conditions et dans des circon- stances pareilles, on remarque généralement des dissemblances dans les détails de sa marche et de ses effets. Ce seront, par exemple, des diffé- rences souvent légères, constantes toutefois et appréciables, dans la fusibi- lité, la solubilité, ou le temps nécessaire pour que certaines transformations s’accomplissent ; comme s’il y avait, entre les molécules des corps que l’on compare, une aptitude relative, plus grande ou moindre, à se mettre simul- tanément dans tel ou tel état. Ainsi, quand on place ensemble, dans un air humide, des cristaux d'acide malique actif et d'acide malique inactif, qui sont complètement isomères, les inactifs absorbent, en deux ou trois heures, la très petite quantité d’eau qu'ils peuvent prendre, après quoi leur poids ne change plus. Les cristaux actifs au contraire absorbent l’eau lente- ment, progressivement, jusqu'à ce qu'ils se convertissent d'eux-mêmes en un liquide visqueux. Les chlorhydrates d’acide aspartique, actif et inactif, présentent le même genre de dissemblance, encore plus marqué. Les malates de plomb actifs et inactifs, quand ils se précipitent de leurs disso- lutions respectives, sont amorphes, et après un certain temps ils se disposent l'un et l’autre en cristaux aiguillés. Mais, dans des circonstances en tout pareilles, ce temps, pour le malate actif, n’est souvent que de quelques heures ; et, pour le malate inactif, il est souvent de plusieurs jours. Tous les produits correspondants des deux séries se montrent ainsi dissemblables dans ce que l’on pourrait appeler leurs dispositions individuelles. Des dispa- rités de cet ordre sont comptées pour peu de chose dans la pratique habi- tuelle des opérations chimiques ; et peut-être a-t-on souvent raison de les négliger, comme pouvant dépendre d'accidents physiques étrangers à la constitution moléculaire, ou comme trop minimes pour devoir lui être appliquées à titre de caractères essentiels. Mais, dans les deux séries de corps actifs et inactifs que M. Pasteur a étudiés, ces faibles inégalités prennent une tout autre importance. Car elles y deviennent des signes sen- sibles et des conséquences naturelles de la dissemblance que le: épreuves optiques et cristallographiques avaient déjà fait reconnaitre dans la consti- tution moléculaire As corps qui se correspondent dans ces deux séries. M. Pasteur fait remarquer avec raison qu'il se présente là un exemple d’isomérie, aussi intime, et en même temps plus suivi, plus étendu, que tous ceux qui ont été jusqu'ici observés en chimie, où l’on en connait un si grand nombre. La constante identité des effets, que les mêmes réactions 456 ŒUVRES DE PASTEUR produisent sur les termes correspondants de ces deux séries de corps, lui fournit de puissants motifs pour présumer que si l’on réussissait à remonter de l'acide aspartique actif à l’asparagine active, comme on descend de celle-ci à l'acide, un procédé pareil appliqué à l'acide aspartique inactif donnerait une asparagine inactive, isomère aussi à la naturelle. La mème raison d'analogie, fortifiée par d’autres exemples déjà connus, lui parait donner lieu de croire que beaucoup de substances organiques, naturelle- ment douées de pouvoir rotatoire, pourraient bien avoir également leurs isomères inactifs, que la chimie devrait chercher à former. Comme aussi, par inverse, un produit organique obtenu artificiellement ne peut plus dé- sormais être identifié avec la substance naturelle que sa composition e! même ses réactions représentent, si l'on n'y a constaté l'identité, ou au moins l'équivalence des formes cristallines, et surtout la présence du pouvoir rota- toire moléculaire quand la substance que l’on a voulu reproduire le possède naturellement (!). Considérons un moment ces mêmes faits d’isomérie, au point de vue purement chimique, en faisant abstraction de toutes les données que la cristallographie et l'optique ont fournies pour les résoudre. Supposons que les deux acides aspartique, malique, et leurs sels, aient été obtenus occasionnellement, sans avoir la connaissance des caractères moléculaires qui les distinguent. On y verra deux séries de corps, dont les couples correspondants se montreront identiques entre eux, par leur composition, leurs réactions, leurs expressions atomiques, et les produits qu'on en dérive. Ainsi, d'après les règles, nous devrions plutôt dire d’après les habitudes pratiques adoptées jusqu'à présent par les chimistes, on sera inévitablement conduit à les confondre en une seule série de corps. C'est effectivement ce qui est arrivé, dans l’origine, quand on eut découvert l'acide aspartique artificiel, et il ne pouvait en être autrement. Toutefois, en y regardant de plus près, on apercevra des différences, légères, à la vérité, mais fixes et appréciables, dans la facilité avec laquelle les diverses transformations de ces corps s'accomplissent, dans les temps qu’elles mettent a s’opérer, dans les températures et les quantités des mêmes dissolvants, qui sont nécessaires pour les produire pareilles. Or ces particularités, que d'ordinaire on néglige, se trouvent ici ètre intimement liées à des dissem- blances moléculaires que leur existence aurait suffi pour accuser. Cela nous apprend done qu'elles sont, en elles-mêmes, beaucoup plus importantes que l’on n'avait eu jusqu'ici occasion de le croire ; et qu'il faut leur accorder, en général, beaucoup plus d'attention que l’on n'avait coutume de le faire. Il arrive ici à la chimie ce qui est arrivé à l'astronomie. Au temps de Ptolémée, des différences d'observations qui ne montaient qu'à trois ou quatre minutes, étaient négligées, et l’on confondait leurs résultats. Tycho fit pénétrer les instruments dans ces amplitudes d'appréciation, et il y 1. Le pouvoir rotatoire moléculaire fournit un indice puissant, mais non pas assuré, d'identité, quand on le trouve le même pour le sens, l'intensité absolue, et le mode de dispèr- sion, à doses égales, dans des dissolvants pareils, pris à une même température. Le manque d'une de ces conditions est une preuve indubitable de dissemblance. L'identification des formes cristallines peut quelquefois être rendue incertaine par les accidents du dimorphisme. C'est ce cas d'ambiguïté possible, attaché aux caractères cristallographiques, que nous avons voulu indiquer dans notre rédaction. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE on 1 distingua des inégalités nettement définies. Bradley resserra ces limites jusqu'aux secondes de degré; et, dans ces secondes, il trouva deux des plus importants phénomènes que l'astronomie ait découverts, la nutation de l'axe terrestre et l'aberration de la lumière. De même, aujourd'hui que la chimie est parvenue à connaitre, à diriger, à caractériser comparativement, les résultantes d'action exercées par les diverses substances, prises en masses sensibles, la recherche des propriétés spécifiques, attachées aux corpuscules imperceptibles qui les composent, est son plus pressant besoin, et lui offre l'espoir des découvertes les plus profondes. Cette voie est, par exemple, la seule où, en s'aidant des pouvoirs rotatoires, elle puisse trouver des données sûres pour répartir les formules symboliques de ses produits complexes entre les groupes partiels qui les constituent réellement; ce qui est main- tenant le sujet de tant d’interprétations contradictoires. M. Pasteur a indiqué, dans son Mémoire, beaucoup de détails d'obser- vations qu'il n’a pu qu'entrevoir, ayant à peine assez des diverses substances sur lesquelles il opérait pour constater leurs distinctions fondamentales. Sous ce rapport, son travail est achevé, puisqu'il a mis dans la plus com- plète évidence la dissemblance moléculaire des produits isomeres qu'il étudiait. Mais, maintenant que ce fait est bien établi, nous l’engageons avec instance à reprendre la question sous un point de vue inverse, c'est-à-dire pour les détails mêmes, qui, dans l’état où elle est amenée, nous paraissent avoir une importance toute principale. En effet, les deux séries de corps isomères qu'il a obtenus offrent ces particularités : que les termes corres- pondants se forment par des opérations semblables, sous des conditions physiques pareilles, et qu’ils exercent des réactions, dont les résultats, infiniment variés, peuvent être toujours nettement définis. Dans cette simi- litude de formation et de conditions physiques, la dissemblanee molécu- laire que l’on constate entre les termes comparés n’a sa raison d’être qu’en concevant qu'elle porte sur une ou plusieurs des trois qualifications sui- vantes : la masse des corpuscules chimiques, leur configuration, l’arrange- ment intérieur des ingrédients similaires qui les constituent. La supposi- tion de l'inégalité des masses s’exelut ici par la même épreuve qui la fait admettre entre les quatre produits isomères du cyanogène. Car les capa- cités de saturation des termes comparés se trouvent toujours exactement égales, au lieu que, dans ces produits du cyanogène, elles sont inégales, et s'échelonnent entre elles par des rapports simples, que l'on transporte aux masses des corpuseules constituants. Il ne reste done de supposable que les deux autres causes de dissemblance : la diversité de la configuration, celle de l’arrangement, soit isolées, soit réunies. Or il se présente là une occa- sion unique d'étudier leurs effets, à part de la première, de pouvoir les suivre dans une infinie variété de combinaisons toutes définies, presque toutes cristallisables ; et, si l'on n'arrivait pas à les y distinguer l’une de l’autre, on arriverait toujours à reconnaitre les caractères qu'elles y portent, ensemble ou séparément. Ce sont là des avantages considérables, qu'aucun autre problème chimique n'avait jusqu'à présent offerts; et nous attendons de M. Pasteur qu'il ne manquera pas de les suivre dans toute l'étendue de leurs conséquences. Une autre recherche, beaucoup plus facile, pourrait maintenant devenir 58 ŒUNRES DE" PASTEUR très fructueuse pour lui et pour tous ceux qui voudraient s’y livrer. Jusqu a présent, le nombre des acides végétaux, dans lesquels on a reconnu l'existence du pouvoir rotatoire moléculaire, est fort restreint. Ce sont les acides dextrotartrique, et lévotartrique, leurs dérivés tartroviniques et tartrométhyliques; les acides camphorique, camphoramique, aspartique, malique et quinique. Il est infiniment vraisemblable qu'on en trouverait d’autres doués comme eux de ce pouvoir, si on les cherchait dans les sues des plantes recueillis aux différentes époques de leur croissance, et dans les jus des fruits, exprimés aux diverses phases de leur maturation. Ces études avaient peu d'intérêt, quand on n’en pouvait espérer que des résultats isolés, qui ajoutaient seulement une variété de plus à cette classe de produits si mobiles. Mais, la présence du pouvoir rotatoire, dans ceux qui le posséde- raient, leur donnerait une tout autre importance. Car, en suivant les modi- fications de ce pouvoir, dans leurs sels, leurs éthers, leurs dérivés chi- miques, et dans toutes les combinaisons quelconques où l’on pourrait les engager, la chimie, la cristallographie et l'optique moléculaire y gagne- raient une abondance de faits nouveaux, qui les enrichiraient et étendraient leurs vues. Les sciences expérimentales se perfectionnent par l'appréciation plus précise des résultats déjà trouvés et par la découverte de faits nou- veaux qui agrandissent le champ des applications. Nous indiquions tout à l'heure ce premier genre de services à la persévérance de M. Pasteur. Nous recommandons maintenant le second à son zèle, et au zèle de tous les expérimentateurs qui pourraient avec lui y concourir ; car il y a de l'emploi pour tous. Après avoir arrêté si longtemps l'attention de l’Académie sur la question d'isomérie, qui était l’objet capital du Mémoire de M. Pasteur, nous devrons résumer plus brièvement la deuxième partie, où il a présenté, dans un petit nombre de pages, des considérations comparatives sur la constitution moléculaire des acides malique et tartrique. Ce n’est pas qu'il ne s’y trouve des analogies très vraisemblables, et des faits d'observation fort curieux, que l’auteur a eu raison de signaler. Ainsi, il a constaté que l'acide malique est, comme l'acide tartrique, très considérablement impressionné par la nature et les proportions des dissolvants dans lesquels on l’observe; qu'il l’est aussi instantanément par l'acide borique ; tout cela avec des différences singulières, dans le mode, même dans le sens des dispersions. Mais, en premier lieu, pour faire apprécier ici lés conséquences que ces résultats optiques peuvent suggérer ou légitimer, il faudrait préalablement en exposer d’autres qui sont relatifs aux particularités de l’action que l’acide tartrique exerce sur la lumière polarisée; et cela étendrait notre Rapport au delà des bornes convenables. Puis, un motif encore plus décisif, c’est que les petites quantités d’acide malique dont M. Pasteur a pu disposer ne lui ont pas permis d’en suivre l'étude optique, avec autant de détails qu'il aurait souhaité de le faire’; et la même difficulté nous a pareiïllement réduits à pouvoir seulement constater par l'expérience les résultats généraux qu'il avait annoncés. Mais nous savons que l’obligeance de M. Liebig l’a mainte- nant pourvu abondamment de cet acide, de sorte qu'il va en reprendre l'étude complète avec le zèle qui le distingue; et nous lui laisserons le temps de la terminer avant d'entretenir spécialement l’Académie de ce qu'il DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 459 a pu déjà y découvrir. Nous bornant done à faire remarquer le rare con- cours de procédés, la sagacité, ainsi que la ténacité de travail avec lesquels M. Pasteur a traité le cas imprévu d'isomérie que ses études précédentes lui avaient fait habilement saisir, nous considérons son Mémoire comme très digne d'approbation, et nous proposons unanimement à l'Académie de lui accorder l'honneur d'être inséré au Recueil des Savants étrangers. RAPPORT (!) SUR UN MÉMOIRE DE M. PASTEUR, INTITULÉ : NOUVELLES RECHERCHES SUR LES RELATIONS. QUI PEUVENT EXISTER ENTRE LA FORME CRISTALLINE, LA COMPOSITION CHIMIQUE ET LE PHÉNOMÈNE ROTATOIRE MOLÉCULAIRE (2) Commissaires : MM. Bior, Dumas, DE SExARMONT rapporteur. Le Mémoire de M. Pasteur, dont nous avons l'honneur de rendre compte l’Académie, est une suite de ses premiers travaux, un progrès de plus dans la voie toute nouvelle qu'il s’est ouverte lui-même, et où il a déjà rencontré tant d'intéressantes découvertes. L'Académie n’a pas oublié que le point de départ des recherches de M. Pasteur est une idée préconcue; cette idée fondamentale, qu'une dissy- métrie dans l’arrangement moléculaire interne doit se manifester dans toutes les propriétés externes, capables elles-mêmes de dissymétrie; de sorte que des phénomènes physiques, qui paraissent indépendants, ont réellement entre eux les rapports latents qui doivent unir les effets divers d’une même cause. Ces propriétés externes capables de dissymétrie, M. Pasteur les a cher- chées dans l'étude comparée de certains caractères optiques et cristallogra- phiques bien définis, et susceptibles de mesure. L'un de nous, le doyen de cette Académie, a découvert depuis longtemps qu'un grand nombre de substances, naturellement fluides, ou rendues telles, soit par voie de dissolution, soit par la chaleur, déplacent, par un mouve- ment de rotation de gauche à droite, ou de droite à gauche, le plan de polarisation des rayons lumineux qui les traversent, même sous l'incidence normale : il y a done là, dans une propriété essentiellement moléculaire, un sens d'action spécifique déterminé. Il n’est pas moins manifeste dans la forme cristalline, quand l’hémiédrie dissymétrique y détermine la formation de poly èdres géométriquement égaux dans toutes leurs parties, mais égaux par inversion, parce qu'ils présentent leurs éléments divers avec une même coordination, tantôt de gauche à droite, et tantôt de droite à gauche. M. Pasteur, généralisant un rapprochement ingénieux qu'on devait à 5 M. Herschel, a vu dans ce dernier phénomène une dépendance nécessaire l. Comptes rendus de l'Académie des sciences, Séance du 2 mai 1853, XXX VI, p. 797-764; el Mémoires de l'Académie des sciences de l'Institut de France, XXIV, 1854, p. 395-406. 2. Fou ce Mémoire, p. 208 à 241 du présent volume. (Note de l'Édition. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 161 du premier, et les a considérés l’un et l’autre comme les signes extérieurs d'un,arrangement moléculaire particulier ; devant, par conséquent, lorsqu'il se manifeste semblablement, mais en sens opposé, constituer, avec les mêmes éléments chimiques, des corps essentiellement différents. Ses conceptions théoriques, si elles étaient exactes, lui montraient ainsi dans les phénomènes chimiques un champ entièrement inexploré, et lui suggéraient des moyens d'investigation très délicats. C’est ainsi, en effet, qu'il a d’abord découvert, par une sorte de prévision divinatoire, les deux acides tartriques, où les phénomènes lumineux, les particularités de forme hémiédrique, ont une complète égalité inverse; où tout le reste, au con- traire, est, jusque dans les plus minutieux-‘détails, absolument identique ; de sorte que les réactions chimiques ordinaires demeurent tout à fait impuissantes à les distinguer. Premier exemple de deux corps qui échappent ainsi à tous les agents des laboratoires, et qui cependant présentent autre chose que des différences physiques, puisqu'ils peuvent former une de ces unions dont on ne connaissait d'exemple qu'entre des bases et des acides, et qu'ils se combinent entre eux, directement, avec chaleur, en proportion définie, en constituant un composé où leurs propriétés premières ont disparu pour faire place à des propriétés nouvelles. Une découverte non moins remarquable a bientôt suivi la premiere, je veux parler de celle des deux acides maliques. L'identité des caractères chimiques n’est guère moins complète dans ces derniers que dans les deux acides tartriques ; mais ce n'est pas, comme ceux-ci, tout à fait une égalité inverse qu'ils présentent dans leurs caractères optiques et cristallogra- phiques. Dans le premier cas, en effet, les cristaux étaient semblablement hémièdres, les uns à droite, les autres à gauche; ici, l'un des deux acides présente des cristaux hémièdres à gauche ; l’autre, au contraire, des cris- taux où la forme hémièdre à droite et la forme hémièdre à gauche coexistent, et se complètent l’une par l’autre. Dans les deux acides tartriques, le pouvoir rotatoire est inverse de sens, égal de quantité; dans l’un des acides mali- ques le pouvoir rotatoire existe et correspond à son hémiédrie; dans l’autre, il est nul et semblerait s'être évanoui en même temps que la dissymétrie cristalline : comme si des propriétés optiques, égales et opposées, s'étaient superposées pour se compenser dans une neutralité optique complète, de mème que les deux formes hémièdres inverses se superposent en effet dans une même forme géométrique homoëdre pour y établir la symétrie. L'Académie a depuis longtemps donné sa haute approbation aux beaux Mémoires dans lesquels M. Pasteur a fait connaitre ces faits importants, et si nous avons cru devoir les rappeler ici, c'est pour mieux faire comprendre ce que ses récents travaux ont ajouté à ses anciennes découvertes. M. Pasteur a donc été, comme on vient de le voir, constamment dirigé par la pensée que le pouvoir rotatoire et l'hémiédrie non superposable ne sont que les effets divers d’une même cause; aussi s'est-il appliqué sans cesse à en donner de nouvelles preuves. Il pouvait, il est vrai, regarder à bon droit les faits si eurieux que ses inductions théoriques lui avaient fait prévoir, comme une éelatante sanction des principes qui les lui avaient révélés; mais son bon esprit était en garde contre la trompeuse sécurité 462 ŒUVRES DE PASTEUR qu'on puise trop souvent ainsi dans des idées préconcues, et, par un scrupule qu'on ne saurait pousser trop loin dans les sciences d'observation, il a voulu ne pas laisser place au doute, et porter la démonstration jusqu'à l'évidence. Il lui était arrivé de rencontrer plusieurs substances optiquement actives, dont la forme ne s'était pas montrée hémiédrique. L'hémiédrie, il est vrai, ne parait pas toujours de nécessité essentielle dans la cristallisation d’une même matière; et il ne serait pas difficile de citer plusieurs exemples d’une substance, dont les formes se présentent tantôt absolument hémi- èdres par l’entière suppression de la moitié de leurs faces, tantôt incomplè- tement hémièdres par un amoindrissement relatif plus ou moins marqué de celles qui viennent d’autres fois à disparaitre, tantôt enfin avec une absence complète d'hémiédrie, et montrant, dans toutes leurs parties, le développe- ment égal et régulier qui constitue la symétrie proprement dite. Dans notre ignorance complète des causes déterminantes de la eristalli- sation, et bornés, comme nous l’avons été jusqu'ici, à l'examen de leur manilestation géométrique extérieure, nous ne saurions done voir dans l'hémiédrie autre chose qu'un phénomène du même ordre que celui qui fait naître ou prédominer tantôt l’une, tantôt l’autre des formes simples dont l'ensemble constitue le type cristallin : elle nous apparait plutôt comme une disposition et un mode habituel de l'enveloppe géométrique de certains corps que comme une propriété absolument inséparable de leur nature, et M. Pasteur avait, pour toutes les exceptions qu'il avait rencontrées, le droit de supposer, sans témérité, que l’hémiédrie, non visiblement accusée, existait cependant à l’état latent; n'attendant pour apparaitre que le déve- loppement des formes sur lesquelles elle se serait manifestée de préférence. Il a au contraire pensé, avec raison, que dans l'étude de la nature toute généralisation trop prompte est imprudente ; et il a cherché à démontrer expérimentalement ce qui eût été ainsi gratuitement supposé. Tel est le but de la première partie de son travail. . Pour modifier les formes cristallines des substances optiquement actives, dont la cristallisation ne s'était pas montrée spontanément hémiédrique, M. Pasteur a fait usage d’une méthode bien des fois éprouvée, quoiqu'on n’en puisse expliquer les principes ni en prévoir les effets. À limitation de Romé de l'Isle, de Leblanc, de Beudant, il a fait varier la nature des dissol- vants. Il a introduit dans la dissolution tantôt un excès d’acide ou de base, tantôt des matières étrangères incapables de réagir chimiquement sur celles qu'il s'agissait de modifier, il a même employé quelquefois des eaux mères impures; et il a fait naître ainsi des facettes nouvelles. Chaque fois elles ont montré le genre d'hémiédrie que le caractère optique enseignait à prévoir. Le bimalate de chaux, le bimalate d'’ammo- niaque, la tartramide, le bitartrate d’ammoniaque, le tartrate neutre de potasse, le tartrate de potasse et d’ammoniaque sont venus ainsi se ranger à la place qui leur était assignée à l'avance; et quoiqu'il ait dù, comme il le dit lui-même, se borner aux substances qui, par leur facile cristallisation et la beauté de leurs formes, se prêtent le mieux à ce genre grand nombre de cas pris au hasard, l'expérience complètement d'accord avec les prévisions théoriques, on doit regarder ce fait comme général, et qu'il ne peut raison d'épreuves, nous pensons avec lui qu’en voyant, sur un si list mm“ DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 463 nablement rester aucun doute sur la corrélation nécessaire de l'hémiédrie avec le pouvoir rotatoire, alors même que cette hémiédrie ne se montre pas de prime abord visiblement accusée par la structure extérieure. M. Pasteur termine cette première partie de son Mémoire en faisant connaître de nouvelles formes cristallines où cette corrélation se manifeste avec la même évidence. Il la retrouve entre autres dans les deux tartramides, dans les acides tartramiques droit et gauche, que les belles expériences de M. Demondésir lui ont permis de préparer; et là encore, on peut suivre le parallèle constant des deux acides dans leurs dérivés. Il serait inutile d’ailleurs d'énumérer toutes les autres substances sur lesquelles il a con- staté les mêmes faits; M. Pasteur accumule ici les preuves à l'appui d’un principe qu'on peut, grâce à lui, regarder aujourd’hui comme surabondam- ment démontré, Ces preuves, d’ailleurs, se multiplient chaque jour : et nous nous plaisons à citer une thèse remarquable et divers travaux où M. Loir vient de faire connaître un grand nombre de substances cristallisées qui, toutes, obéissent à la loi posée par M. Pasteur. Dans la seconde partie de son Mémoire, M. Pasteur tire, des prémisses qu'il a établies dans ses précédents travaux, des conséquences nouvelles et très importantes par leurs résultats actuels, par ceux surtout qu'on est en droit d’en attendre encore. L'expérience prouve, en effet, que tous les corps doués du pouvoir rota- toire le portent à divers degrés dans leurs combinaisons ou dans leurs dérivés; lors done que deux de ces corps découverts par M. Pasteur, où tout est chimiquement identique, et qui se distinguent seulement par la forme géométrique et par le pouvoir rotatoire, sont entrés en combinaison avec une substance optiquement et cristallographiquement inactive, tout a pu se conserver, de part et d'autre, chimiquement identique dans les combi- naisons nouvelles, parce que tout a pu s’y maintenir optiquement et cristal- lographiquement comparable; l'élément inactif n'ayant rien ajouté, rien retranché aux facultés propres de la substance active. Introduisons, au contraire, dans ces combinaisons, une substance possédant par elle-même des propriétés spécifiques de ce genre. Il faudra qu'elle les conserve en y entrant; dès lors, elle ajoutera quelque chose aux propriétés de l'élément qui agit comme elle, retranchera quelque chose aux propriétés de l'élément qui agit en sens opposé. Les effets résultant de ces causes, tantôt concordantes, tantôt antagonistes, cesseront de se maintenir comparables en quantité absolue ; et si c’est là, comme l'a toujours supposé M. Pasteur, la condition nécessaire de similitude dans l’arrangement molé- culaire, cette similitude aura cessé d'exister ; et avec la dissemblance interne vont commencer à apparaître toutes les différences de propriétés physiques et chimiques qui en sont les manifestations extérieures. Les faits ont pleinement répondu à ces déductions si logiques, à ces vues intelligentes; et il a suffi à M. Pasteur de mettre des substances iden- tiques, que les réactifs optiques et cristallographiques apprenaient seuls à distinguer, en présence d’une substance, active elle-même optiquement et cristallographiquement, pour créer immédiatement toutes les différences qui n’existaient pas primitivement entre elles, et pour faire rentrer leur manifestation expérimentale dans le domaine ordinaire de la chimie. an re ŒUVRES DE PASTEUR Les premiers essais de M. Pasteur ont porté sur des corps capables de s'unir par cristallisation, sans former toutefois de combinaison bien intime. Le pouvoir rotatoire moyen de ces alliages cristallins s'établit, comme il l'avait prévu, tantôt par addition, tantôt par soustraction; et par cela seul qu'il est très différent, à la fois, de sens et de quantité, la forme et toutes les propriétés physiques et chimiques ne sont pas moins dissemblables. Ainsi, tandis qu'une combinaison définie se forme entre le bitartrate d’ammoniaque droit et le bimalate actif de la même base, ce bimalate et le bitartrate gauche mélangés se séparent en cristallisant. Ainsi les deux tartramides droite et gauche s'unissent à la malamide active ; mais la forme et la solubilité des deux espèces de cristaux complexes sont très différentes. Des contrastes bien plus marqués vont d’ailleurs se montrer dans les com- binaisons plus énergiques. Les bases organiques qui possèdent, comme l’a montré M. Bouchardat, un pouvoir rotatoire propre, se combinent en effet avec les deux acides tartriques, et forment, comme les bases optiquement inactives, deux séries parallèles de sels isomères. Mais tandis qu'avec ces bases inactives les sels présentent une identité absolue, non seulement dans toutes leurs propriétés chimiques essentielles, mais jusque dans ces minutieux détails qui échappent presque à la description, les bases actives, au contraire, y introduisent, par leur pouvoir rotatoire propre, des dissemblances extrêmement prononcées. Ainsi, pour nous borner à quelques exemples choisis parmi les faits nombreux que renferme le Mémoire de M. Pasteur, la cinchonine formera avec l'acide tartrique droit un sel acide en cristaux nets et limpides, avec l'acide gauche un sel en aiguilles indéterminables. Le sel neutre du premier acide contient 8 équivalents d'eau, et commence, après l'avoir perdue, à fondre, en se colorant, vers 120°; le sel neutre du second en contient seulement 2 équivalents, et on le verra, dans les mêmes circonstances, infusible et inaltérable. Le tartrate droit de brucine est anhydre, et précipitable immédiatement en poudre grenue; le tartrate gauche est hydraté à 10 équivalents, et cristallise lentement en houppes soyeuses et efflorescentes. La strychnine formera deux sels acides qui renferment, il est vrai, la même proportion d’eau, mais la retiennent avec une énergie très inégale, et commencent à se décomposer à des limites de température fort éloignées. La même chose aura lieu enfin pour les sels de quinine, qui présenteront en outre de grandes différences de solubilité. En voyant les acides tartriques droit et gauche engagés dans des combi- naisons devenues aussi dissemblables, par le fait seul du pouvoir rotatoire de la base, il y avait lieu d'espérer que, de cette dissemblance même, résul- teraient des forces chimiques capables de balancer l’affinité mutuelle de ces deux acides, et, par suite, des moyens nouveaux de dissocier les éléments de l’acide racémique. Cette conséquence probable n’a point échappé à la sagacité de M. Pasteur ; il a cherché à la réaliser, et nous pouvons, dès à présent, annoncer à l’Académie que ses tentatives ont été couronnées de succes. Voici done que l'étude de la forme et des propriétés optiques, après avoir révélé l'existence de ces singuliers isomères, si différents à cause de DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 465 leur arrangement moléculaire symétriquement inverse, el si semblables en mème temps à cause de la nature chimiquement identique des matériaux ainsi coordonnés, vient nous enseigner aujourd’hui à introduire dans leur structure intérieure une dissymétrie prévue, pour y créer, de toutes pièces, des dissemblances qui commenceront à donner prise sur ces corps aux réactifs ordinaires de la chimie. De pareils faits nous paraissent capables de jeter un grand jour sur la partie mécanique du problème des combinaisons. Il est bien évident, en effet, que c'est en multipliant les exemples semblables, et en isolant ainsi dans les phénomènes complexes de la combinaison les conditions qui dépendent de la nature même des éléments chimiques, et celles qui résultent seulement de leur arrangement, qu'on pourra distinguer un jour ce qui appartient en propre aux unes ou aux autres, et définir la part que chacune d'elles prend à l’acte total par lequel la combinaison s'opère. En créant ainsi des substances isomères qui posséderont, à volonté, dans toutes leurs propriétés chimiques, soit une identité, soit des dissem- blances complètes et préméditées, M. Pasteur a, par conséquent, doté la chimie de procédés absolument nouveaux, de nature à fournir d’utiles documents pour la solution de ces questions ardues; et les caractères optiques et cristallographiques sont devenus, entre ses mains, de véritables réactifs, auxquels il a donné prise sur des phénomènes qui avaient, jusqu'à ce jour, échappé à tous les moyens d'investigation. Ces instruments nouveaux doivent être féconds en découvertes nouvelles ; il suffit, en effet, de porter un regard en arrière sur l’histoire de la chimie, pour reconnaître quels pas elle a faits chaque fois qu'il lui est arrivé de sortir ainsi des routes battues. N'est-ce pas à la physique qu'elle a dû déjà l’eudiomètre et la balance, sur lesquels reposent les belles lois des volumes et des proportions multiples ? N'est-ce pas la géométrie des cristaux qui l’a mise en possession du grand fait de l’isomorphisme ? Est-il nécessaire, enfin, de rappeler ici tout ce qu'a produit l'emploi de la pile voltaïque ? Les sciences ont toutes à gagner à ces emprunts mutuels : en s’offrant l’une à l’autre un utile appui, elles viennent se toucher sans se confondre, et chaque nouveau point de contact est marqué, pour elles, par de nouveaux progrès. Les résultats obtenus par M. Pasteur offrent un exemple de plus de ce que peut, dans les sciences d’observation, une idée préconçue fécondée par un esprit Juste, qui ne s’en laisse ni préoccuper ni éblouir, et ne voit dans les théories a priori qu'un stimulant de plus à de nouveaux efforts, un devoir plus étroit, une obligation plus impérieuse de les soumettre à des épreuves sévères et multipliées, en épuisant sur elles tous les moyens possibles de vérification expérimentale. Son Mémoire renferme, en même temps, un complément très intéressant de ses précédents travaux, et une introduction entièrement neuve à des recherches qui promettent de n être pas moins fructueuses. Nous avons l'honneur de proposer à l’Académie l'insertion de ce Mémoire dans le Recueil des Savants étrangers. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE. 30 VI. — NOUVEAUX FAITS RELATIFS A L'HISTOIRE DE L'ACIDE RACÉMIQUE Lettre de M. Kestner à M. Biot (!). Permettez-moi de vous exprimer, quoique un peu tardivement, toute ma reconnaissance pour la manière dont vous avez mentionné mon nom dans l'intéressant Rapport que vous avez fait, dans la séance du 22 octobre 1849, sur le Mémoire de M. Pasteur. Vos paroles flatteuses auraient dû m'encourager à contribuer pour ma part à l'étude de l'acide racémique, mais les travaux de l'industrie sont trop absorbants pour permettre des recherches scientifiques. Une circonstance heureuse me vient en aide et je ne crois pas pouvoir mieux répondre à l'honneur que m'a fait l’Académie, qu'en vous adressant, Monsieur, une petite quantité d'acide racémique que nous avons retrouvé dans le cours de nos opérations. Je vous en envoie quatre flacons dans une cassette, vous priant, Monsieur, d'en conserver une partie et de mettre le surplus à la disposition de l’Académie. Voici, Monsieur, comment cet acide s’est produit de nouveau dans notre fabrication. En 1850, j'ai acheté de M. Praquin, pharmacien à Saint-Maixent (Deux- Sèvres), une partie de tartrate de chaux, provenant de la liquidation d’une fabrique de crème de tartre et d'acide tartrique, les eaux mères ayant été précipitées en tartrate de chaux. M. Gundelach, qui est attaché à ma maison, comme chimiste, reconnut la présence de l'acide racémique, ce qui nous décida à traiter seul ce tartrate de chaux, et nous en avons retiré ainsi environ un centième de son poids. Récemment, nous avons mis en fabrication une partie de tartre de Toscane, dans lequel, il est vrai, nous n’avons pas reconnu d’une manière directe la présence de l'acide racémique; mais, peu de temps après son emploi, nous avons trouvé de petits cristaux de cet acide, superposés, en très faibles quantités, sur les cristaux d’acide tartrique. Dans notre opinion, l'acide racémique que nous avons retire en assez grande abondance du tartrate de chaux de Saint-Maixent a dû s'accumuler dans les eaux mères par une fabrication prolongée, et démontre la présence de cet acide dans les tartres de la Saintonge qui avaient été employés. Dans notre opinion aussi, l'acide racémique, que nous venons de trouver en 1. Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 3 janvier 185, XXXVI, p. 17-19. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 467 dernier lieu, provient du tartre de Toscane; mais il y est contenu en si petites quantités qu'il faut opérer sur des masses pour le trouver. Je viens de communiquer ces résultats à M. Pasteur, dont les travaux importants ont jeté tant de jour sur l’acide racémique, et qui parviendra certainement à résoudre le problème de sa formation; je vous les transmets également, Monsieur, dans l'espoir qu'ils ne seront pas sans intérêt pour l'Académie. A la suite de cette lettre de M. Kestner, M. Biot présente les expli- cations suivantes : L'opinion que M. Kestner émet dans’cette Lettre sur le départ presque total de l’acide racémique dans les eaux mères provenant de la purification des tartres bruts, et sur la nécessité de l’y rechercher spécialement pour l'obtenir en abondance, cette opinion, dis-je, est, en tout point, conforme à celle que M. Pasteur s'était formée l’été dernier pendant un voyage en Allemagne, et qu’il nous avait communiquée, dès cette époque, à M. Dumas et à moi, dans des Lettres que nous possédons encore. C’est la certitude évidente que nous paraissaient offrir les conclusions auxquelles il était arrivé sur la marche qu'il fallait suivre pour retrouver ce précieux produit, depuis si longtemps et si bizarrement disparu, qui nous a donné la confiance de demander à l’Académie d'accorder à M. Pasteur les fonds nécessaires pour en achever la recherche. La Lettre de M. Kestner et les produits qui l’accompagnent prouvent que les intentions de l’Académie ont été promp- tement remplies et sa libéralité bien placée, puisque la question est désormais résolue et le but atteint. M. Pasteur a pensé que c'était pour lui un devoir de rendre compte à l’Académie des résultats qu’il avait obtenus. Il l’a fait dans une Note qu'il nous a adressée pour elle; et nous demandons la permission de lui en donner lecture (!). 1. Voir : Notice sur l’origine de l'acide raçémique, p. 242 à 249 du présent volume. (Note de l'Édition.) VII. — PRIX SUR L’ACIDE RACÉMIQUE Rapport présenté par M. Grassi à la Société de pharmacie de Paris, au nom de la Commission des prix (1). L'acide racémique a été découvert à Thann, par M. Kestner, vers 1820. Dans les travaux assez nombreux dont il fut l’objet, on le regarda généra- lement, sans qu'aucune preuve fût donnée à l'appui, comme existant tout formé dans le tartre des raisins des Vosges. C'était une simple présomption tirée de la position de la fabrique où il avait été découvert. L'on croyait aussi que cet acide n'avait pas cessé d'apparaître dans la fabrique de Thann; il n’en était rien cependant : on ne l'avait pas revu depuis l’époque de sa découverte. Cette circonstance devait frapper et frappa vivement l'attention des chimistes ; l’acide racémique est en effet un produit fort intéressant, il est un isomere de l’acide tartrique. Les deux acides ont la même origine; l'acide tartrique est extrait du tartre des vins; c'est dans un traitement de iartre que l’acide racémique a été obtenu. Les deux acides ont exactement la même composition, et l'identité se conserve jusque dans les combinaisons salines, semblables dans leur composition, distinctes dans leurs propriétés ; ce sont les mêmes éléments réunis de manière à former deux molécules différentes. La polarisation circulaire est venue confirmer le fait, car tandis que l’acide tartrique dévie à droite le plan de polarisation, l'acide racémique est dépourvu de la puissance rotatoire. De plus, M. Pasteur, pénétrant plus avant dans leur constitution, a fait voir que l'acide racémique pouvait se dédoubler en deux acides différents. Si l’on sature, par exemple, des poids égaux d’acide racémique par la soude et l’ammoniaque, et que l’on mêle les dissolutions neutres de ces deux racémates, on obtient un racémate double qui cristallise facilement. Mais en examinant ces cristaux, on en voit de deux sortes : les uns hémièdres à droite, les autres hémièdres à gauche; il y a donc deux racémates doubles. Les cristaux hémièdres à droite dévient à droite le plan de polarisation, tandis que ceux qui sont hémièdres à gauche ont un pouvoir rotatoire vers la gauche. Ce sel double de soude et d’ammoniaque et celui de soude et de potasse sont les seuls qui présentent ce dédoublement singulier. Si maintenant l’on traite séparément chacun de ces groupes de cristaux pour en obtenir l'acide correspondant, on obtient avec le sel hémièdre à 1. Journal de pharmacie et de chimie, 3° sér., XXIV, 1853, p. 387-392. DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 469 droite un acide identique avec l'acide tartrique que l’on désigne, vu son origine, sous le nom d'acide dextro-racémique. — Les cristaux hémièdres à gauche donnent un acide qui dévie à gauche la lumière polarisée et qui reçoit le nom d’acide lévo-racémique. Entre l'acide dextro-racémique et l'acide lévo-racémique, il est impossible d’assigner d’autres différences que celle de l'hémiédrie de leurs cristaux et du sens de la déviation du plan de polarisation. Angles des faces, aspect physique, solubilité, poids spécifique, propriétés chimiques, composition, tout se ressemble dans ces deux acides, mais la forme cristalline de l’un est la symétrique de l’autre; ils sont comme la main droite et la main gauche; un cristal d'acide tartrique ou dextro-racémique placé devant une glace, produit une image qui donne exactement la forme cristalline de l'acide lévo-racémique. De plus, l'un dévie à droite, et l’autre à gauche de la même quantité, le plan de polarisation, de telle sorte que l’action nulle de l'acide racémique sur la lumière polarisée résulte de la neutralisation de deux pouvoirs égaux et de sens contraire. D'après ce qui précède, on voit qu'il était très intéressant de rechercher si l'acide racémique existe tout formé dans le tartre de certaines localités, ou si c’est un produit artificiel ; enfin si l’acide tartrique peut se transformer en acide racémique. C'est pour atteindre ce but que la Société de pharmacie a voulu décerner un prix de 1.500 francs à l’auteur du mémoire où se trouveraient résolues les deux questions suivantes : Existe-t-il des tartres qui contiennent l'acide racémique tout formé ? Déterminer les circonstances dans lesquelles l'acide tartrique pourrait être transformé en acide racémique. Un seul candidat se présente au concours, c’est M. Pasteur. Comme on a pu le voir par ce qui précède, ce chimiste distingué s'était déjà beaucoup occupé de ces questions, et l’Académie des sciences, qui plaçait une juste confiance dans son habileté, lui avait alloué les fonds nécessaires pour terminer ses recherches. La Société a recu de M. Pasteur deux notes différentes : l’une imprimée, relative à l’origine de l'acide racémique (1); l’autre, manuscrite, donne le moyen de transformer l'acide tartrique en acide racémique (?). — Nous allons les examiner successivement. M. Pasteur s'est mis en rapport avec plusieurs fabricants d'acide tartrique, il a visité un grand nombre de fabriques et a recueilli de la sorte des renseignements qui lui ont permis de résoudre complètement la question de l’origine de l'acide racémique. — Que l’on se figure de grandes cuves en plomb couvertes d’une cristallisation, en croûte épaisse, d'acide tartrique en gros cristaux et, dans les cavités que forment leurs parties saillantes, de petits cristaux aiguillés, se détachant en blanc sur les volumineux cristaux limpides d'acide tartrique, et l’on aura une idée de la manière dont apparaît l'acide racémique dans les fabriques d'acide tartrique de Saxe. On dirait 1. Voir p. 242 à 249 du présent volume : Notice sur l'origine de l'acide racémique. 2. Cette Note a été publiée dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences, séance du 1er août 1853, XXXVII, p. 162-166. To p. 258-262 du présent volume. (Notes de l'Édition.) - 470 ŒUVRES DE PASTEUR que l’acide tartrique est recouvert d’une cristallisation de sel d’étain. L’acide racémique apparait donc en très petite quantité, tandis qu’en 1820, M. Kestner en avait obtenu de telles masses, qu’il l’avait expédié par centaines de kilo- grammes, Or, depuis cette époque, le mode de fabrication n'a pas changé ; la seule différence à noter, c'est que M. Kestner se sert maintenant de tartres demi-raffinés, tandis qu’à cette époque, en 1820, il employait des tartres bruts venant de Naples, de Sicile et d'Oporto. Cette circonstance donne à penser que l'acide racémique existe tout formé dans les tartres bruts et qu'il reste dans les eaux mères, le racémate de chaux étant soluble dans le bitartrate de potasse; cette prévision s'est confirmée. Dans la fabrique de M. Nach, ces cristaux d'acide racémique ne se sont montrés que depuis un an environ, et depuis deux ans il opère avec des tartres bruts d'Autriche. Jamais auparavant, en employant des tartres demi- raffinés, l'acide racémique ne s'était montré. Même observation dans la fabrique de M. Seybel. On a cessé depuis deux ans d'employer des tartres demi-raffinés et, l'hiver dernier, se sont montrés les cristaux d’acide racémique. M. Seybel se sert de tartres de Hongrie et de Styrie ; il résulte de ces observations que les tartres bruts d'Autriche, de Hongrie et de Styrie renferment de l'acide racémique tout formé, car il est évident que si cet acide était un produit artificiel, il se serait ioujours montré dans une même fabrique qui n’a pas changé son mode d'opérer, mais qui a seulement changé la qualité des tartres qu’elle emploie. De plus, les tartres bruts d'Autriche doivent contenir cet acide en moindre quantité que ceux de Naples, puisque ceux-ci, déjà demi-raffinés, en contiennent encore. M. Kestner tire depuis plusieurs années ses tartres de l'Alsace et de la Bourgogne ; ils sont employés bruts et ne donnent pas d'acide racémique. Il faut en conclure qu'ils n’en contiennent pas ou qu'ils en contiennent une très petite quantité, qui reste dans les eaux mères. M. Kestner, qui a eu l’honneur de découvrir l'acide racémique et que cette question intéresse particulièrement a mis en fabrication, sur la demande de M. Pasteur, des tartres bruts de Toscane, et déjà à la troisième cristallisation l’acide racémique s’est montré. De plus, il a fait traiter à part une certaine quantité de tartrate de chaux provenant de la précipi- tation des eaux mères d’une fabrique qui a liquidé et qui opérait avec des tartres de Saintonge; il a obtenu ainsi plusieurs kilogrammes d'acide racémique. M. Seybel a fait la même opération sur des eaux mères de plusieurs années de fabrication et s’est procuré de la sorte une assez grande quantité d'acide racémique. Tous ces faits démontrent d’une manière irrécusable que l'acide racé- mique est un produit naturel, et qu'il existe dans les tartres bruts de Naples, de Sicile, d'Oporto, d'Autriche, de Hongrie, de Styrie, et dans ceux de plusieurs contrées de la France. La seconde note de M. Pasteur est manuscrite. Il a eu le bonheur de transformer l’acide tartrique en acide racémique et de produire en outre l'acide tartrique neutre, c’est-à-dire l'acide tartrique n'agissant pas sur la lumière polarisée comme l’acide racémique, DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 471 mais ne pouvant pas comme lui se dédoubler en acides racémiques droit et gauche. M. Pasteur ne fait qu'indiquer ce dernier fait et ne s'occupe que de la question posée par la Société de pharmacie. Pour transformer l'acide tartrique en acide racémique, il suffit de main- tenir pendant plusieurs heures à une température élevée le tartrate de cinchonine. Ce sel se prépare facilement en dissolvant deux parties de cinchonine dans une solution bouillante d’une partie d'acide tartrique. Par le refroidissement de la liqueur, il se forme une cristallisation abondante de tartrate de cinchonine. Si l’on porte ce sel dans un bain d'huile, à une température successivement croissante, il perd d’abord toute son eau de cristallisation vers 100°; un peu au delà il entre en fusion et sa base éprouve alors une transformation rapide extrêmement curieuse. Après deux heures environ d'exposition à 130°, toute la cinchonine se trouve changée en une nouvelle base, à laquelle M. Pasteur donne le nom de cinchonicine. Jusque-là l'acide tartrique est encore intact, mais si l’on continue d'élever la température et qu'on la maintienne quatre ou cinq heures vers 170°, en opérant sur 400 grammes de sel, l'acide tartrique se trouve partiellement trans{ormé en acide racémique. Pour extraire cet acide de la masse résineuse noire restée dans la fiole, on brise celle-ci, on traite par l’eau bouillante qui fluidifie la matière, et dans la liqueur refroidie et filtrée on ajoute du chlorure de calcium. Après quelques instants, il se forme un dépôt de racémate de chaux, entrainant avec lui un peu de matière colorante et dont il est facile d’extraire ensuite l'acide racémique en déplacant la chaux par l'acide sulfurique. M. Pasteur a constaté par des épreuves très précises que l'acide racé- mique ainsi obtenu était complètement identique pour toutes les propriétés physiques et chimiques avec l’acide racémique naturel, et qu’il se dédoublait comme ce dernier en acide tartrique droit et acide tartrique gauche, lesquels montrent des pouvoirs rotatoires égaux et de sens contraires dans leurs combinaisons avec la base. Messieurs, 1l ressort clairement de cette analyse que M. Pasteur a complètement résolu les deux questions mises au concours par la Société de pharmacie et nous n’hésiterions pas à vous demander de lui accorder le prix de 1.500 francs, si une considération particulière ne devait avant vous ètre présentée. ] Comme nous avons eu l'honneur de vous le dire en commencant, l'une des deux notes de M. Pasteur a déjà été publiée et se trouve imprimée dans le compte rendu de la séance du 3 janvier 1853 de l’Académie des sciences. Dans la stricte acception du programme, on n’admet au concours que les mémoires qui n’ont pas été livrés à la publicité. Cependant, il faut le dire, une circonstance plaide en faveur de M. Pasteur. Il avait été chargé par l'Académie des sciences de s'occuper de la question intéressante de l’origine de l’acide racémique et, pour répondre dignement à sa confiance, il a dû publier immédiatement le résultat de ses recherches. Aussi votre Commission a pensé qu'elle pouvait écarter ce défaut de forme. Elle à cru que la Société de pharmacie, qui, dans son noble désir de concourir à l'avancement des sciences, consacre généreusement chaque 472 ŒUVRES DE PASTEUR année une partie de ses ressources à créer des prix destinés à exciter l'émulation des travailleurs, se montrerait satisfaite de voir le but atteint et ses intentions bien remplies. C’est dans cet espoir que votre Commission vient, avec confiance, vous proposer d’accorder à M. Pasteur, professeur de chimie à la Faculté des sciences de Strasbourg, le prix de 1.500 franes proposé pour la résolution des deux questions relatives à l'origine et à la production artificielle de l’acide racémique. VIII. — LA ROYAL SOCIETY OF LONDON DÉCERNE A M. PASTEUR LA MÉDAILLE DE RUMFORD (1) The President, Lord Wrottesley : The Rumford Medal has been awarded to M. Pasteur for his discovery ol the nature of racemie acid, and its relations to polarized light. Chemists had long been acquainted with a peculiar acid, racemie or paratartarie acid, which had the same composition as tartarie acid, and the same saturating power, and resembled it in its properties in a very remarkable manner. Yet the two acids were not identical, and the cause of their difference, notwithstanding their close agreement, remained a mystery. The resemblance between the two acids had been rendered still more striking on a comparison of the physical characters of their salts; for their crystalline forms were the same, their specific gravities the same, their double refraction the same. Yet the solutions of the tartrates rotated the plane of polarization of polarized light, while those of the racemates were inactive. In a careful scrutiny of the crystalline forms of the tartrates, M. Pasteur was led to recognize the almost universal presence of hemihedral faces, of such a character that the two hemihedral forms which together make up the holohedral, were ‘ dissÿmmetric ”, that is, could not be superposed on each other, but each could be superposed on the image of the other in a mirror. Sometimes the hemihedrism was indicated merely by the greater development of one pair of faces than of another pair. A hemihedrism of such a character that the two hemihedral forms were distinguished by right-handedness and left-handedness, seemed to be associated with the rotatory power of the solutions of the tartrates. IF so, the crystals of the racemates might be expected not to exhibit the character of right-or left-handedness, since their solutions were known to be inactive on polarized light. Accordingly, on forming several of the racemates, and carefully examining the crystals, M. Pasteur found that the hemihedrism which had been observed in the tartrates was wanting in the racemates. These patient and laborious researches in pursuit of truth were presently rewarded with an unexpected and brilliant discovery. On examining the crystals obtained in an attempt to form the double racemate 1. Proceedings of the Royal Society of London. December 1, 1856, VIII, 1857, p. 294-297. ŒUVRES DE PASTEUR Æ Fes of soda and ammonia, M. Pasteur observed that the crystals were hemihedral, and of two kinds, which differed only as to right- “handedness and left-handedness: the one kind, which for distinction’s sake may be called right-handed, absolutely agreeing with the corresponding double tartrate, the other with the image of the tartrate in a mirror. On separating the crystals of the two kinds mechanically, and dissolving them apart, the solution of the right-handed crystals was found to rotate the plane of polarization of polarized light right-handedly, like a solution of the tartrate, that of the left-handed crystals left- handedly. These solutions yielded on evaporation, the one only right-handed, the other only left- handed crystals. The crystals of the two salts were purified by recrystal- lization, their acids isolated, and the chemical, optical, erystallographie and pyroelectric properties of the acids themselves or their salts or solutions carefully compared. A like comparison was instituted between these acids and the well-known tartarice acid. The acid obtained from the right- handed crystals proved to be absolutelr identical with tartarie acid in all its properties, that obtained from the left-handed crystals proved to be identical, so to speak, with the image of tartaric acid in a mirror, the two acids absolutely agreeing in all Me properties except as to right- handedness and left- Pandedaess Where the one acid yielded crystals hemihedral right-handedly, the other vielded crystals similar, except that they were benvhedrl left- handedly ; where the one Le a solution rotating the plane of polorization right- handedly, the other yielded a solution rotating it left-handedly to the very same amount, and w ith the very same peculiar dispersion of the colours. On mixing equal quantities of the acids from the right-handed and left-handed crystals, racemic acid was reproduced. Stimulated by this remarkable discovery, M. Pasteur has continued his labours in the same direction, and the results which he has since obtained are given in a series of papers published in the ‘Annales de chimie ” and extending nearly to the present time. Hitherto no ‘‘active” substance (7. e. one whose solution has the power of rotating the plane of polarization of polarized light) has been obtained artificially from inactive substances, except in the case of the splitting up, or at least separation, of racemic acid into a right-handed and a left-handed substance; and this law seems worthy of the attention of chemists who attempt the artificial formation of the organic alkaloids. This law would have been violated had two acids which chemists had obtained from fumarie acid, an inactive substance, and which appeared to be identical with aspartie and malice acids respectively, been really so. But M. Pasteur found that these acids were inactive, unlike aspartic and malie acids, from which they also differed in some other respects. The two acids obtained from racemic acid were found to be identical in their properties (except as to right-handedness and left-handedness) so long as they were mixed or combined with inactive substances only, but M. Pasteur found that this is no longer the case when they are combined with active substances, as for example the organic alkaloids, in which case the salts obtained differ widely in solubility, crystalline form, ete. a mr ddl DISSYMÉTRIE MOLÉCULAIRE 475 Itis to the stimulus afforded by the investigations of M. Pasteur that we must ascribe the more recent discovery by M. Marbach, that several crystals belonging to the cubical system possess the power of rotating the plane of polarization. Thus M. Pasteur’s original discovery has already begun to bear fruit in discoveries made by others. TABLE DES MATIÈRES DU TOME PREMIER AVANT-PROPOS. INTRODUCTION DU TOME PREMIER. Thèse de chimie. — Recherches sur la capacité de saturation de l'acide arsénieux. Etude des arsénites de potasse, de soude et d'ammoniaque (avec 10 fig.) Thèse de physique. — 1. Etude des phénomènes relatifs à la polarisation rotatoire des liquides. 2. Application de la polarisation rotatoire des liquides à la solution de diverses questions de chimie. Notesurlacristallisation du soute... Recherches sur divers modes de groupement dans le sulfate de potasse. . . Recherches sur le dimorphisme. (Extrait par l’auteur). . . Recherches sur le dimorphisme (avec 12 fig.) . Note sur un travail de M. Laurent intitulé : Sur l'isomorphisme et sur les types cristallins. Mémoire sur la relation qui peut exister entre la forme cristalline et la composition chimique, et sur la cause de la polarisation rotatoire. (Extrait par l’auteur). Recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le sens de la polarisation rotatoire {avec 11 fig.) . Recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le sens de la polarisation rotatoire (Deuxième mémoire) . Recherches sur les propriétés spécifiques des deux acides qui composent l'acide racémique. (Extrait par l’auteur) . . . . . . . .. Recherches sur les propriétés spécifiques des deux acides qui composent l'acide racémique (avec 19 fig.}. Nouvelles recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le phénomène de la polarisation rolatotneiERtCaltpanliaUteUt) RCE ER ET. VII 61 65 s1 53 478 ŒUVRES DE PASTEUR Nouvelles recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le phénomène de la polarisation rotatorellavec 9 fig). : - 4 CL Re CES, Mémoire sur les acides aspartique et malique. (Extrait par l’auteur). . . . . Mémoire sur les acides aspartique et malique (avec 15 fig.) Observations optiques sur la populine et la salicine artificielle. (Par M. Biot, avec la collaboration de M. L. Pasteur): + : + + - Nouvelles recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le phénomène rotatoire molé- culaire ((Estrait par l'auteur) OO Nouvelles recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le phénomène rotatoire molé- culaire (avec 22 fig). EN CCC Notice sur l’origine de l'acide racémique . + Note sur la quinidine. +: ..- + +... + CCC Recherches sur les alcaloïdes des quinquinas . . . . + + - + + + + + - - - : Transformation de l'acide tartrique en acide racémique. (Extrait d'une lettre de M. Pasteur à M. Biot). : + . =. 4. + + à: Transformation des acides tartriques en acide racémique. Découverte de l'acide tartrique inactif. Nouvelle méthode de séparation de l'acide racé- mique en acides tartriques droit et gauche NPC. NN ERPRCERE Sur l'identité de l'acide paracitrique de M. Winckler avec l'acide malique. (Lettre de M. Pasteur à M. A. Wurtz). . . .... te cc © Sur le dimorphisme dans les substances actives. Tétartoédrie (avec 6 fig.) . Note sur la tétartoédrie non superposable . . . . . . . . . . - +: + + - - - L Mémoire sur l'alcool amylique. . . . -. - - - : . - - Note sur le sucre de lait. (Lettre de M. Pasteur à M. Biot). . . . - - = Isomorphisme entre les corps isomères. les uns actifs, les autres inactifs sur la lumière polariséé, + : . + + et IS Etudes sur les modes d’accroissement des cristaux et sur les causes des variations de leurs formes secondaires. (Extrait par l'auteur) . . . . . Etudes sur les modes d'accroissement des cristaux et sur les causes des variations de leurs formes secondaires (avec 8 fig.) . . . . . . . TRÈS Recherches sur la dissymétrie moléculaire des produits organiques natu- rels. (Leçons professées à la Société chimique de Paris le 20 janvier et le 3:févrien 1860)". 0 EEE Premièré leçons. :.: 2 + eee CRC EME EEE Deuxième leçon. 2: 2 ee EEE Lettre adressée aux rédacteurs des Annales de chimie et de physique [au sujet d'une note de MM. Perkin et Duppa : « Sur la trans‘ormation de l'acide succinique en acide taftrique »|. . . . . . - - +++." (Remarques sur la constitution moléculaire de l'acide paratartrique] . . . . Observations [au sujet d'une note de M. Loir sur les dérivés de la mannite et dela dulcinel MER ME EEE ECS SERRES 125 155 160 189 198 289 293 314 315 329 345 349 351 TABLE DES MATIÈRES Remarques |au sujet d’une note de M. Dessaignes : « Sur deux acides nou- veaux dérivés de la sorbine »] . . . . . Note historique sur les recherches de MM. Gernez et Viollette relatives à la cristallisation des dissolutions sursaturées . . . Lettre à M. le directeur de la Revue scientifique [au sujet de la préparation de l'acide tartrique par synthèse totale] Observations [au sujet d'une note de M. Vignon : « Sur le pouvoir rota- TOME AMANDITE RE EE Ce ee ON CR [Observations sur les forces dissymétriques] . . Sur une distinction entre les produits organiques naturels et les produits ORPADIQUESS ALUACIE IS Er Re Note au sujet d'une communication de M. Weddell concernant l'avantage qu'il y aurait à remplacer la quinine par la cinchonidine. , . . . . .. La dissymétrie moléculaire. (Conférence faite à la Société chimique de anse 22 EdEceMmhLER OS) 0 re de Re ee Réponses aux remarques de MM. Wyrouboft et Jungfleisch sur « la dissy- MÉLREIMOlÉBUIAITERD A Ne LC CU Observations [à propos de la note de M. Piutti : « Sur une nouvelle espèce ASparioineb | Ce ER Le NT Cr Ce PAGES ANÉEDIDES DE PASTEUR. ne OU Brétacen y Mr É : Imtroduction Se De la part qui revient à Romé de Lisle, Bergman et Haüy dans la décou- verte des lois fondamentales de la cristallographie (avec 2 fig.). DOCUMENTS ER ER cm Aire on 5 : I. — Rapport sur un Mémoire présenté à l'Aca lémie par M. L. Pasteur, avec ce titre : Recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le sens du pouvoir rotatoire (avec 2 fig.). . . . . ; Il. — Rapport sur un Mémoire présenté à l'Académie par M. L. Pasteur, ayant pour titre : Recherches sur les propriétés spécifiques des deux acides qui composent l'acide racémique . 5 HI. — Rapport sur un Mémoire présenté à l’Académie par M. L. Pasteur, ayant pour titre : Nouvelles recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chi- mique et le pouvoir rotatoire moléculaire. . . . . . ... . . . . IV. — Rapport sur un Mémoire de M. L. Pasteur, relatif aux acides aSpartiqueetmalique ee V. — Rapport sur un Mémoire de M. Pasteur, intitulé : Nouvelles recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le phénomène rotatoire MOIÉCUIAITERENENEE ; 479 353 394 369 381 436 445 460 480 ŒUVRES DE PASTEUR VI. — Nouveaux faits relatifs à l'histoire de l'acide racémique. Lettre de MétKestner à M. Biot..s #2 ne CE REC EEE 466 VII, — Prix sur l'acide racémique. Rapport présenté par M. Grassi à la Société de pharmacie de Paris, au nom de la Commission des 00e ET MO 00 0 C0 Gb clan aNLOtS à 9 0 2 0 à à 468 VIII. — La Royal Society of London décerne à M. Pasteur la médaille de Rümford : {2 ISSN ET AE ER ER 473 Paris. — L. MARETHEUx, imprimeur, 1, rue Casselle. ee “ . 1 \ 1 L f, ï C (0 + Es . 1 Li ü L 6 l : = Cm 2 1 Eat Ce à Re Tr 7 Fa vu è … > Fe 4 ; d e de a) : < . er Pr ei ” oi. 8 Re Ÿ | ON = ee Le : ! ‘ è . 2 _ ae : à 2h 5 LU |