3HH-5 \V l 'e, • MSI WVU - Médical Center Library Locked Cage QH 45 B64o cl v.9 WVMJ Oeuvres d'histoire naturelle et de / Bonnet, Char ■ MAY 3 1 1955 \VEST VIKùWvU JiiiVERSJTY MEDICAL SCHOOL LIBRARY OLD BOOKS QH4S B6^o V.9 1781 ^ i$(\ të& Digitized by the Internet Archive in 2009 with funding from Lyrasis Members and Sloan Foundation http://www.archive.org/details/oeuvresdhistoire09bonn COLLECTION COMPLETE DES ŒUVRES DE CHARLES BONNET. TOME IX. ' ŒUVRES D'HISTOIRE NATURELLE ET DE JP 33T XJLO S OJP J£r X JET DE CH. BONNET, De Y Acad. Imp. Léopold. & de celle de St. Pétersb. des Acad. Roy. des Sci. de Londres , de Montpel. de Lyon , de Gottingue , de Stockolm , de Cop- penhague ; Honoraire de celle des Beaux-Arts de la même Ville ; des Acad. de Ylnftitut de Bologne » de Harlem , de Munich , de tienne , de Caffel ; des Curieux de la Nature de Berlin } Correfpon- âant de Y Acad. Roy. des Sci. de Paris. TOME IX. Contemplation de la Nature. jfSSSfiSa A NEUCHATEL, De l'Imprimerie de Samuel Fauche, Libraire du Roi' M. D. CC. LXXXI. • "B ù fà ■m CONTEMPLATION j DE LA NATURE. A-u^" ONZIEME PARTIE. $E L'INDUSTRIE DES ANIMAUX* Ç&- j^K2è ara,.- *&% 1 INTRODUCTION. u s CLU1! c I nous n'avons guère envifagé leè Animaux que du côté de Porganifation , & de les réfultats les plus immédiats & les pjus gé- néraux. Contemplons maintenant leur induttrië qui nous imércfle encore davantage. Nous ne Towe IX, A 2 CONTEMPLATION nous fervirons pas des yeux du Naturalifte dîs de rObfervateur -, ils voyent trop de chofes & dans un trop grand détail : nous n'employerons que ceux du Contemplateur , qui ne faillirent dans chaque genre , que les traits les plus frap- pans , qui les parcourent rapidement , & laiffent fans ceiFe échapper les détails. CHAPITRE PREMIER. Généralités fur VinfimEi des Animaux, i L efl; des Animaux qui femblent réduits an toucher. D'autres ont tous nos fens , & s'élè- vent prefque jufqu'à l'intelligence. Du Polype au Singe la diftance paroit énorme. L'imagination & la mémoire fe font re- marquer chez diverfes Efpeces : l'imagination dans leurs rêves ; la mémoire dans le fouvenir des chofes qui les ont affectées. Les lieux , les personnes , les objets animés & inanimés fe retracent dans leur cerveau , & elles âgiiTent relativement à ces repréientations. Le degré de connoiflanee de chaque Efpece xépond à la place qu'elle occupe dans le Plan b Ê LA NATURE. Fart. XL £ général. La fphere de cette conrioiffance s'étend si tous les cas où l'Animal peut fe rencontrer naturellement. Et fi par le fait de l'Homme ou autrement , l'Animal vient à être tiré de fon cercle naturel , & que néanmoins il n'en foit poitiC dérouté , on pourra en conclure que cette nou- velle fituation a du rapport avec quelqu'un des cas auxquels la fphere de fa counoitfance s'é- tend. Le plus ou le moins de facilité qu'il mon- trera alors dans fon jeu, indiquera fî ce rapporté eft prochain ou éloigné , direct ou indirect. La manière dont les Animaux varient au befoin leurs procédés , fournit un des plus forts argùmens contre l'opinion qui les- transforme en pures Machines. Le Philofophe qui leur attri* bue une Ame, fe fonde fur l'analogie de leurs organes avec les nôtres , & de leurs actions avec plufieurs des nôtres. Ceux qui font cette Ame matérielle , oublient que la (implicite du fenti- ment eft incompatible avec les propriétés de la matière ( I ) , & que la Foi eft très^indépeudante de nos fyftêmes fur la nature de l'Ame. (0 tt Quand nous avons à la fois plufieurs perceptions di& fin&es , nous ne fentons pas en nous autant île Moi que nous avons de perceptions. C'eft toujours le même Moi qui voit* entende , goûte , flaire, touche, agit. Le fentiment de ce Moi eft toujours un , fnnple , indivifible. Si ce Moi étoit matière , il feroit étendu , & il y auroit autant de Moi qu'il y auro^ A % '4 Ï0XT£M?LATIÛ% Plvs le nombre des cas auxquels la connoifi Tance d'un Animal s'étend ou peut s'étendre , eft grand , & plus cet Animal eft élevé dans l'échelle. La. confervation de la vie , la propagation de î'Efpece & le foin des Petits, font les trois prin- cipales branches du favoir des Animaux , mais tous ne fe font pas également admirer à ces trois égards. L'Huître , immobile fur la vafe 5 ne fait qu'ou- vrir & fermer fon écaille. L!Ara.ignÉ:e induftrieufe tend un filet à fa proie. Elle attend en Chaffeur patient , que cjlieU qu'Infecte vienne donner dans ce piège. A peine l'a - 1 - il touché , qu'elle s'élance fur lui. Eft-iî armé eu trop vif? elle lui lie les membres avec vne adrefle merveiileufe, & le réduit ainfi à ne pouvoir ni fe défendre ni fuir. Diverses Efpeces d'Animaux vivent au jour le jour , fans s'embarraifer du lendemain. D'autres > qui femblent doués d'une forte âe points matériels affe&és par les objets. Je ne fais qu'efquifV fer cette preuve de l'immatérialité de l'Ame ; je l'ai plus ag^ jroftfittjie dsuis iui autre Écrij;, JD E LA NATURE. Paré. XI. ; de prévoyance, conftruifent avec beaucoup d'art des magafins qu'ils remplirent de différentes for- tes de provifions s tels font l'Abeille & le Caftor. Parmi les Animaux qui vivent de proie, les uns , comme l'Aigle , le Lion , attaquent à force ouverte. Les autres , comme l'Epervier , le Re- nard , joignent la rufe à la force. Les uns mettent leur vie en fureté par la faite ; d'autres en fe cachant fous terre ou fous peau ; d'autres recoin- rent à diverfes rufes qui affurent leur fuite & déroutent leur ennemi. Le Lièvre fournit un exemple familier de ceux-ci. D'astres enfin ©ppolent la force à la force.. Les Philofophes qui fe tourmentent à définir Vinftinïï , ne fongent pas , que pour y parvenir,, il ^adroit paffer quelque tems dans la tête d'un Animal fans devenir Animal. Dire en général , que l'inRincl eft le réfultat de l'impreffion de certains objets fur la Machine , de la Machine fur l'Ame , & de l'Ame fur la Machine ; c'eft fubf- tituer des termes un peu moins obfcurs à un tanne très-obfcur ; mais l'idée ne fort point des ténèbres épaiiTes qui la couvrent. Nous fa von s bien ce que l'inftindt n'efî pas & point du tout ce qu'il eft. Il n'eft pas l'Intelligence , la Raifoii. La Brute n'a ni nos notions ni nos idées A 3 6 e 0 N T E M P'L A T I 0 f moyennes; c'eft qu'elle n'a pas nos fignes (2)« (i) ff Les fignes dont je parfois ici , font les mots ou ces expreffions articulées , qui conftituent ce qu'on nomme le lan- gage artificiel ou la parole. Nous impofons des noms aux difFé- rens Êtres ; nous représentons par 4es mots leurs qualités , leurs accidens , leurs actions , & ces représentations qui ont reçu le nom de ff.nholiques , font le fondement des notions que nous nous formons des differens Etres. La fimple per- ception ou la fimple vue de ces Etres n'eft pas une notion ; elle n'eft que le réfultat de l'iinpreffion de l'objet fur l'organe : mais quand nous exprimons par des mots ou par des fignes ifTiiiftitution tout ce que cette impreflion nous fait éprouver, & que nous défignons ainfi les cara&eres fous lefquels l'objet s'offre à nos yeux, nous acquérons une fiction de cet objet; & jette notion, qiù eft l'ouvrage de notre entendement, eft, comme l'on voit , bien différente de la fimple perception. La Brute a, comme nous, des perceptions , puifqu'elle a des fer/s qui lui tranfmettent l'impreffion des objets; mais elle netranf- forme pas ces imprefîions en notions , parce qu'elle n'a pas l'ufage de la parole. Elle ne raifonne donc pas ; car le raifon- ncment fuppofe des notions pour juger de leur rapport ou ^ leur oppofition ; & ces notions dont il fe fert alors , font «e que les Logiciens nomment des idées moyennes. Nous reviendrons ailleurs à la prééminence que la parole donne à l'Homme fur toiîs les Animaux. *8§^ V E LA NATURE, fart. XL rf CHAPITRE IL E Sagejje dans l.i confervation des Efpeces. N même tems que la Nature a appris à divers Animaux la manière d'attaquer & de p.our- fuivre leur proie , Elle a appris à d'autres celle de fe défendre ou d'échapper. Si nous avions communication des Livres de la Nature , nous y verrions fans doute , que le profit balance conftamment la perte. Un Régiftre des nairTances & des morts de quelques Efpeces mectroit cette; vérité en évidence ( I ). (i) ff Un habile Homme (f) , qui s'eft beaucoup occupa de la population de notre Globe, obferve que par une ilifpenfa- tion particulière de la Sagesse , le nombre des naiiïances fur- paiTe dans l'Efpece humaine celui des morts; enforte que le nombre des Hommes va toujours en croiffant ; ce qui rend l'Ef- pece fupérieiire aux accidens & aux révolutions qui tendraient g la détruire.. La multiplication excefîive qu'on obferve de tems en tems dans certaines Efpeces & fur -tout chez celles qui éraigrent, a. peut-être pour fin de rétablir la balance lorsqu'elle incline trop vers la deftrucfcion. S'il nous étoit permis de pénétrer ici juf- ques dans les plus grands détails , nous reconnoitrions avec au- tant de furprife que d'admiration , que rien n'a été abandonné au hafard , & que tout a été calculé dans un rapport exact à la nature & au nombre l\qs Efpeces , aux accidens divers quf (f)Mr. SussmilCK. A 4 '1 COXTEMPIATIÛIÇ Les Efpeces qui multiplient le plus ont le plus d'ennemis. Les Chenilles & les Pucerons font attaqués tant au-dedans qu'au-dehors par je ne fais combien d'Inie&cs toujours occupes à détruire les Individus , & qui ne parviennent point à détruire TEfpece ( Z ). Beaucoup d'Efpeces cherchent leur vie ou leur retraité dans 1 -intérieur de la taire ou dans celui des Plantes & dey Animaux. D'autres fe conflruiTent avec un art mer- veilleux des nids, ou des coques , où elles paiîenfi les tems d'ina&ion & de ibibleife. D'autres, plus habiles encore, favent» coni- ks menaçoient , à leurs relations réciproques & à la conftitu- tio.n générale à particulière du Globe. Ce feroit une forte de fjémonftration dG fait de l'exiftence d'une Sagesse Conser- va tsice: mais combien d'autres preuves n'avons -^ous point de cetle cxilteiice dont l'idée efb n chère au vrai Philofophe ! 00 f t Je n.c pou vois choifir ici un exemple plus frappant que celui des Chenilles & des Pucerons. Il faut voir dans les beaux Mémoires de leur célèbre Hiftorien , l'hiftoire intéreffante de leurs nombreux ennemis. Mais les Chenilles ont d'autres ennemis plus redoutables encore : ce font les Oifeaux. Le cu- rieux Bxadley , qui enitivoit avec fuccès la Botanique , avoit calculé que deux Moineaux apportent par femaine a leurs Petits trois mille trois cent foixante Chenilles. DE LANATUR& Part. X'I. ? me nous , fe faire des habits , & des matières mêmes dont elles fe nourrilTent. Elles dépouillent nos draps & nos fourrures de leurs poils , Se en fabriquent avec de la foie une efpece d'étoffe dont elles fe vérifient. La forme de leur habit eft très - fimple , mais très- commode. C'efl: une forte de manchon ou de fourreau , qu'elles enten- dent à alonger & à élargir au befoin. Elles l'alon- gent en ajoutant à chaque bout de nouvelles couches de foie & de poils s elles Félargiifent comme nous élargirions une manche , en le fendant par le milieu fuivant fa longueur, & en y mettant une pièce. Vous devinez que je parle des Teignes domeftiques -, les Teignes champê- tres , qui fe font des habits de feuilles , les fur- paifent encore en induftrie. Nous jetterons ail- leurs un coup-d'œil fur leur travail. Plusieurs Efpeces de PoiiTous & cVOifeaux changent à tems marqué de demeures ou de cli- mats. On connoît les nombreufes caravanes des Harengs & des Morues , & les épaiifes nuées d'Oies , de Cailles , de Corneilles , &c. qui quel- quefois obfcurciiîent l'air. C'efi: par de, telles émi- grations périodiques que ces Efpeces fe confer- vent , & dans leurs longs pèlerinages la Nature eft leur Pilote & leur Pourvoyeur. ï6 CONTEMPLATION L CHAPITRE III. in; propagation de PEfpece. E Polype , privé de fexe , ne connoît point les plaifirs de l'amour. Le Papillon plus heu- reux , voltige autour de fa Femelle , à follicite par fes jeux des faveurs , qu'elle ne femble d'a- bord lui refufer que pour mieux enflammer fes defirs. La Reine-abeille, placée au milieu d'un Serraii de Mâles , choifit celui qui lui plaît le plus , & dompte par fes agaceries fa froideur & fon indolence naturelle ( I ). Le Crapaud tient fa Femelle embraffée pendant quarante jours , & lui fert d'Accoucheur lorfque le tems de fa délivrance eft venu. Le fier Taureau , dédaignant de folâtrer autour de la jeune Ge- nifTe , s'élance fur elle avec impétuofité. Le Pi- geon , fidèle à fa Compagne , ne prodigue point à d'autres fes carelfes. Le Coq , moins réferve (i) ff J'admettois ici comme vrai ce que Mr. de Reaumur a raconté fi en détail des proftitutions de la Reine - abeille. Il avoit été induit en erreur par des apparences très -propres à en jmpofer. Des faits qu'il ne foupçonnoit point , paroiflent prou- ver que cette prétendue Proftituée vit , au contraire , dans ujj célibat perpétuel. ( Confultez la Note ç du Chapitre VII de U "Partie VIII.) DE L A N A T U R E. Fart XL x 1 ^fans fes amours , partagées fiennes entre plu- sieurs Poules. Voyez encore les foins emprefTé* que *es Mâles de plufieurs Efpeces prp-^ent de leurs Femelles , foit en leur faii>t part des nourri- tures qu'ils découvrent , »fc en les foulageant dans leur tr^ai/ ; foit enfin en les défendant contrp JcS infultes de leurs femblables ou de leurs pVinemis ( 2 ). (2) ff Cette petite Efpece de Perroquet ou de Perruche, connue des Oifeleurs fous le nom de Moineau de Guinée , nous offre un exemple frappant de ces tendres foins que les Mâles prennent de leurs Femelles. Les jolies Perruches dont je veux parler font fur -tout renommées pour leur tendrefTe conjugale ; & j'avoue que , quoique je fois fort éloigné de prêter aux Ani- maux nos affe&ions morales, je n'ai rien vu qui s'en rapprochât plus que ce qui fe paffe dans la fociété con jugale de nos petites Perruches de Guinée. J'en ai été témoin bien des fois & tou- jours avec le même intérêt. Il eft vrai qu'il étoit encore accru par celui qu'y prenoit une tendre & vertueufe Époufe qui fe plait a contempler avec moi la Nature , & qui fait charmer ainîî fa folitude champêtre , & adoucir la douloureufe épreuve à la- quelle des maux habituels expofent fa patience depuis près de vingt -quatre ans. Parmi les Oifeaux de différentes Efpeces qu'elle avoit raffemblés autour d'elle , étoit une paire de nos petites Perruches. Elle ne perd oit prefquc pas de vue ce cou- ple intéreffant , & chaque jour il lui donnoit lieu de faire quel- que nouvelle obfervation. Elle en a écrit elle-même l'hiltoire, & ce que je vais en rapporter n'en fera guère que l'extrait. - Les deux Oifeaux avoient été logés dans une cage quarrée , appropriée à cette Efpece de perruche. L'auget qui ïenfermoic I* CONTE M ? L A r r 0 7f la nourriture, étoit placé au bas de la cage. Le Mâle étoit pref* que toujours perché fur le même juchoir à côté de fa Femelle. & fetenoient collés &fe regardoient fréquemment d'un air ten- dre. b"Ac s'éloignoientl'im de l'autre , ce n'étoit que pour quelques inftans , & *i ies voyoit bientôt fe rejoindre & fe ferrer l'un contre l'autre, n, alloient enfemble prendre leurs repas , & letournoient bien vite fe percher fur le juchoir le plus élevé de la cage. De teins en texh, i\s feiT1bloient lier une forte de coiu verfation à voix baffe & fe rt10ndre l'un à l'autre : ils faifoient entendre alors de petits fous aïïez variés. , CjU{ hauffoient & jbaiffoient alternativement : quelquefois même il naroiffoient le quereller ; mais ces petites querelles n'étoient que pax,,Teres & fe terminoient toujours par de nouvelles tend relies qu'ils G* prodîguoient mutuellement. L'heureux couple paffa ainfi quatre ans dans rai Climat bien différent de celui où il étoit né: mais au bout de ce terme, qui étoit apparemment affez long pour cette Efpece de Per- Tuche , la Femelle tomba dans une forte de langueur qui avoit tous les caractères de la vieilleffe : fes jambes enflèrent & il y parut des nodolités comme fi elles euffent été goutteufes. Il ne lui fut plus poflible d'aller prendre fa nourriture comme au- paravant : mais le Mâle , toujours officieux & toujours empreffé , alloifc la prendre pour elle & la lui dégorgeoit dans le bec. 11 fut ainfi fon vigilant pourvoyeur pendant quatre mois en- tiers. Les infirmités de fa chère Compagne accroiffoient chaque jour & la réduinrent à ne pouvoir plus fe percher. Elle fe te-? n oit accroupie au bas de la cage , & faifoit de teins en tems d'inutiles tentatives pour gagner le premier juchoir. Le Mâle qui s'y teuoit perché tout près d'elle x fécond oit de tout fon pouvoir fes efforts impuiffans. Tantôt il faififfoit avec fon hec- le haut de l'aîîe de fa Femelle pour la tirer à lui* tantôt il la prenoit par le bec &tâchoit de la foulever en réitérant fes efforts à pluiicurs reprifes. Ses mouvemens ,fes geftes , fa contenance, fa follicitucle continuelle ; tout en un mot ihdiquoit dans l'inté- reflant Oi-feau, le delir ardent d'aider à la foibictïe de fa Com- pagne & de foulager fes infirmités. Mais le fpectacle devint DE LA 2ï A T V R E. Part XI: ij kien plus touchant encore quand la Femelle fut fur le point d'expirer : jamais on ne vit chez les Oifeaux de fcene plus àttendriffante : le Mâle infortuné tournoit fans ceffe autour de fa Femelle expirante ; il redoubloit fes emprelfemens & fes ten- dres foiiis ; il effayoit de lui ouvrir le bec pour lui dégorger quelque nourriture ; fon émotion accroiffoit d'inftant en iuftant * 21 alloit & venoit de l'air le plus agité & le plus inquiet h il ponifoit par intervalles des cris plaintifs ; d'autrefois , les yeux collés fur la Femelle , il gardoit un morne filence : il étoit im- poffîble de fe méprendre fur les exprefiions de fa douleur ; je* dirois prefque de fon défefpoir $ & l'Ame la moins fenfible ea eût été émue. Sa Hdele Compagne expira enfin, & lui-même ne fit plus que languir, & ne lui furvécut que quelques mois. Le Kamichi , grand Oifeau de l'Amérique, demi - aquatique , d'un genre fort fingulier & très - réfra&aire â la nomenclature^ eft bien plus remarquable encore par fa fidélité conjugale , que par la corne qu'il porte fur la tête , & par les éperons dont fes ailes font armées. Le Mâle & la Femelle demeurent unis toute leur vie & ne fe féparent prefque jamais. Il femble même que la mort qui met fin à tout , ne puiffe rompre ks doux liens par Icfquels l'amour avoit uni les deux fexes : on voit l'individu qui a le malheur de furvivre à fa moitié , traîner une vie langùiïTante , errer fans ceffe en pouffant des cris lugu- bres, &fe. confumer près dès lieux ©ù ii a perdu l'objet de fe tendreife. 14 CONTEMPLATION afa =gSftO= ■ ' CHAPITRE IV. Réflexions fur la multiplication par le concourt des Sexes. \^E concours ne nous frappé point, parce qu'il eft toujours fous nos yeux -y mais lorfqu'ort vient a l'examiner philofophiquement , il fur^ prend autant qu'il embarraffe ; fur^tout quand oïl fonge à ce qui fe parTe chez les Pucerons ( £ ) & chez les Polypes ( 2 ). De-la naît une queftion : quelle eft la raifort métaphyfique du concours des Sexes ? Cette raifon , comme celle de tous les fyitèmes parti- culiers , eft dans le fyftème général , dont notre foibîe vue ne peut iaifir que quelques portion- cules. Bornons- nous donc ici à obferver le fak & fes conféquences immédiates ou médiates. On voit d'abord que la diftindtion de Sexe donne lieu à une efpece de fociété entre le Mâle & la Femelle , d'où réfultent des avantages communs à l'un & à l'autre , & qui s'étendenë (i) Part. VIII, Chap. VIII. ( % ) Ibid. Chap. XI , XII , XIÎI , XV* DE LA NATURE. Part XL i<£ encore aux Individus qui proviennent de leur union. On obferve que les Animaux féconds par eux- mêmes vivent fans paroître former de véritables ibciétés , quoique raflemblés en graa^d nombre dans le môme lieu. On remarque encore qu'ils ne prennent aucun foin de leurs Petits. Il eft vrai que ces derniers ont été mis en état de fe paiTer de leur fecours. Autre remarque : les Animaux féconds pas eux-mêmes multiplient prodigieufement & avec une extrême facilité. La Terre n'auroit pas fuffi, à contenir & à entretenir les Efpeces qui la peu- plent , M toutes avoient été douées d'une pareille fécondité. La dépendance abfolue & mutuelle des deux Sexes rend la propagation moins fûre, moins abondante , moins facile que chez de tels Androgynes. Ain fi les mêmes moyens qui opè- rent la multiplication de la plupart des Animaux , lui fervent en même tems de barrière ou de frein. Enfin , la diftindtion de Sexes répand dans la Nature une agréable variété ( 3 ) , & donne (3) ff La diftinttion de Sexe chez les Plantes donne lien à des variétés analogues , fu-r-tout chez celles où les Sexes font fe- parés. * i6 CONtEMPtÀtiÔX plus d'étendue aux divers fervices que l'Homme tire des Animaux* C'est un grand argument en faveur des fins ? que ce mouvement fecret qui porte les deux Sexes à f^ chercher & à s'unir. Ce mobile , in- hérent; à la nature de l'Animal , ne dépend point de eau les étrangères. Il agit dans les Animaux élevés en folitude comme dans ceux qui vivent en fociété. La température de l'air , les alimens , l'éducation & d'autres circonstances peuvent bien modifier fou jeu ; mais non le détruire. Et en- core , quelle foule de rapports très - compliqués entre les organes propres à chaque Sexe , & entre les organes correfpondans des deux Sexes? Combien de fins particulières qui tendent toutes- ici vers une fin générale 2 Que de liaifons , que de convergence dans les moyens ! Que d'uti- lités dans le but & de conféquences de toufr ccia î Le plus fouvent il eft dans les Femelles des terns marqués pour la génération: les Mâles les attaqueroient vainement en d'autres tems : elles les repoufleroient ou fe fouftrairoient à leurs re- cherches. La raifon de cet ordre eft fenfibîe : la vénération auroit été troublée ou interrom- pus 1) t LA 2f A T U R E. Part. XL 17 £ue fi les Femelles avoient reçu les Mâles en tout tems (4)* CHAPITRE V. . • Le lieu & V arrangement des œufs £j? le foin des Fetits. JLf, îa Sauterelle , le Lézard , la Tortue , le Cro- codile fournhTent des exemples d'Animaux qui ne prennent psefque aucun foin de leurs œufs > & qui n'en prennent point du tout des Petits qui en éclofent. Ils pondent dans la terre ou dans le fable , & laiffent au Soleil le foin d'é- chauffer leurs œufs. Les Poiifons à écailles en. ufent de même : les uns frayent dans l'eau , les autres entre les cailloux ou dans le fable ( 1 ). (4) tt La plupart des Quadrupèdes ont un tenls marqua pour la copulation : les Loups & les Renards en Janvier ; les Chevaux , en Eté; les Cerfs , en Septembre & Octobre, les Chèvres fauvages, en Décembre; les Chats , en Janvier, Mai & Septembre. Le Printems & l'Été font les faifons des amours des Oifeaux, des Poiffons & des Infe&es. (1) ff La Sauterelle pond en Automne , à l'aide d'une forte de plantoir dont fon derrière eft pourvu , & qui eft formé de- deux lames écailleufes en manière de petit fabre : elle introduit fes œufs dans la terre ; elle les y feme en quelque forte. Au fortir du ventre , ils giiflfeat eatre las deux lames du plantoir Tome IX, B 18 CONTEMPLATION L'instinct de différentes Efpcces fe borne à placer les leurs dans des endroits où les Petits qui les place à une profondeur convenable. Les Petits en éclo- fent au retour du Printems. C'eft un petit Animal bien formi- clablq que la Sauterelle : elle eft un des grands fléaux qui dé- f oient de tems en tems les Campagnes. Les plus anciennes Hif- toires ont confacré fes ravages. Elles nous peignent les armées innombrables de Sauterelles obfcurciiTant l'air par leurs épaiffes phalanges , traverfant d'un vol rapide de grandes Contrées , s'abattant fur les Prairies & les transformant en déferts. Le Lézard pond dans les vieilles mafures ou dans le fable , & toujours dans des lieux os fes œufs peuvent être échauffés par le Soleil. Leur enveloppe u'eft que membraneufe. J'en ai fait couver plus d'une fois dans une terre féche & très-pulvérifée, que j'expofois au Soleil. Le Lézard eft un petit Quadrupède très-joli , très-agile & qui a beaucoup de grâce dans tous fes mou- vemens ; mais il eft bien plus joli encore au fortir de l'œuf : il eft alors une vraie miniature dont on a peine à détacher fes yeux» Le Lézard fe rapproche affez par fa forme de la Salamandre aquatique : il s'en rapproche encore par le privilège de repro- duire fa queue lorfqu'il l'a perdue : mais cette reproduction n'a pas été fuivie avec autant de foin que celle de la Salamandre , & mériteroit bien un examen plus approfondi. Ce que divers Auteurs en rapportent eft bien vague, & prouve trop qu'ils n'avoient pas obfervé cette reproduction avec toute l'attention qu'elle exige. Non - feulement il conviendroit de répéter les expériences fur la reproduction de la queue; mais il faudroit encore les étendre aux autres membres pour s'aflTurer fi le Lé- zard , comme la Salamandre , peut refaire fes mains , fes pieds , fes doigts , &c. Si elles ne réuffîiïoient pas fur des Lézards par- venus à leur parfait accroifiement ou à - peu - près , elles réufli roient peut-être fur les plus jeunes, dont les membres plus mois & plus fouples fe prêteraient davantage à l'opération , & çn favoriferoient le fuccès. &cs Tortues de mer , celles d'eau douce & de terre pondent DE LA N A T U RE. Part. \XL î| trouveront à leur naiflatice des nourritures con- venables. Les Mères ne fe méprennent point également clans le fable on dans une terre légère. Lorfque les Tortues de mer on d'eau douce font fur Ie* point de fé décharger de leurs œufs , elles abandonnent l'eau , fe rendent fur terre , y pratiquent des foffes dans lef quelles elles placent leurs œufs, & ne les recoiivrent que légèrement de fable afin que le Soleil puiffe mieux les échauffer. Elles creufent ces foffes avec leurs mains on ailerons , & à une petite diftance de l'endroit où le flot va battre. Les œufs , qui font fouvent au nombre de deux ou trois cents , de figure ronde & de la groffeur d'une orange , ne font revêtus que d'une enveloppe membraneufe , de la con- fiftance du parchemin. Les petites Tortues en éclofent au bout de trois femaines ou un mois , & inftruites de bonne heure par la Nature, elles ne manquent point de gagner l'eau qui eft leur vraie patrie. Le Crocodile , ce terrible Amphibie , dont la voracité eft extrême, qui hante les grands fleuves de l'Inde, de l'Afrique & de l'Amérique, & qui reffemble tant par fa forme au Lézard, eft , comme lui , ovipare , & pond comme lui , dans le fable. Ses œnfs , de la groffeur de ceux d'une d'Oie, & au nombre de cinquante ou foixante , multiplieroient trop la race redouta- ble de cet énorme Amphibie , fi l'Ichneumon , qui eft très-friand de ces œufs , n'en détruifoit un grand nombre. C'eft donc par ce petit Quadrupède que la fage Nature prévient les ravages que cauferoit la trop grande multiplication du Crocodile. Nous venons de voir les Tortues aquatiques abandonner l'eau pour aller pondre fur le bord de la mer ou des rivières : quel- ques Amphibies , tels que les Crapauds terreftres & la Grenouille des Arbres , abandonnent au contraire la terre , pour aller pou* dre dans les eaux. Ils femblent favoir que ce n'eft que dans les eaux que leurs Petits peuvent éclorre , & trouver à leur uaif- fance les nourritures qui leur conviennent. De petits Infe&es aquatiques font la pâture qui leur a été afïignée ; mais cette» pâture n| fe trouve que daos fâ eajjx, croup iffantes; aujlia'eft- £ 2 es CONTEMPLATION 4* îà-deifus. Le Papillon de la Chenille du Chou ne va point pondre fur la viande , ni la Mouche' de la viande fur le Chou. Le CouGn ( 2 ) qui voltige dans Pair, a d'a- bord été habitant de l'eau. C'eft auffi fur l'eau qu'il va dépofer fes œufs. L'amas qu'ils compo- fent a de l'air d'une petite nacelle que l'Infecte fait conftruire & mettre à flot. Chaque œuf a la forme d'une quille. Toutes les quilles font ver- ticales & adoflees les unes aux autres. Le Coufin ne pond qu'un œuf à la fois. On ne devine pas comment il parvient à faire tenir fur l'eau îe premier œuf ou la première quille. Son pro- cédé eft pourtant très - fimple , & n'en eft que plus ingénieux. II porte en arrière fes plus lon- gues jambes s il les croife , & c'eft dans l'angle qu'elles forment alors , qu'il reçoit le premier œuf & qu'il le tient aiîujetti. Un fécond œuf eft bientôt dépofé contre le premier , puis un troifîeme , un quatrième , &c. La bafe de la pyramide s'élargit amii peu -à-peu, & elle fe ibutieiït enfin par elle-même. cq que dans de fttKifetafeléS eaux que nos Amphibies fe rendent an texàs de lu ponte : jamais on ne les voit pondre dans lefc £aux courantes. O) Culex ppism Linn. fyft. nat. Voyez Reaumhjr, IhC. '"JL ****** XV î) E Là NATURE. Part XI. tf Quelques Efpeces collent leurs œufs avec beaucoup de fymmétrie & de propreté autour des branches ou des menus jets des Arbres , en manière de bagues ou d'anneaux. On dirois qu'une main adroite ait pris plaifir à ajufter à ces jets , des braifelets de perles. Une Chenille , que la diftribution de fes couleurs a fait nommer Livrée , fe transforme en un Papillon qui arrange ainfi fes œufs 9 & qui en compofe de ces jolis braiTelets. D'autres Papillons font plus encore; ils fe dépouillent de leurs poils , & en conftruifent à leurs œufs une efpece de nid où ils repofent mollement & chaudement. Tel eft en particulier le procédé induftrieux du Papillon de la Che- nille appellée commune , parce qu'elle eft en eifet la plus commune dans nos Contrées. Certaines Efpeces font Ci attachées à leurs œufs, qu'elles les portent par -tout avec elles. L'Araignée-loup renferme les Mens dans une pe- tite bourfe de foie , dont elle charge fon der- rière. Vient-elle à la perdre ou vient-on à la lui enlever ? fa vivacité & fon agilité naturelles l'abandonnent : elle fembîe tomber dans une forte de langueur. Eft -elle allez heureufe pour recouvrer le précieux dé^ot ? elle s'en faifit à B 3 \% 'CONTEMPLATION l'inftant, l'emporte & fuit. Dès que les petites Araignées font éciofes s elles fe raffembîent & s'arrangent adroitement fur le dos de leur Mère, qui continue encore quelque tems à leur donner les foins , & à les tranfporter par-tout avec elle. Une autre Araignée loge fes œufs dans une petite poche de foie , qu'elle enveloppe d'une feuille. Elle fe poie fur cette poche , & couve fes œufs avec une afîiduité merveilîeufe. Une autre enfin , renferme les liens dans deux ou trois petites boules de foie qu'elle fufpend à des fils, mais avec la précaution de fbfpendre au- devant & à quelque diftance un petit paquet de feuilles feches 3 qui les dérobe aux regards de* Curieux. Diverses Efpeces de Mouches folitaires ne fe font pas moins admirer par leur prévoyance à amaifer des provisions pour leurs Petits , que par l'art qui brille dans les nids qu'elles leur préparent. L'Abeille - maçonne , ainil nommée parce qu'elle fait comme nous , l'art de bâtir, exécute en maçonnerie des ouvrages qui fem* bleroient devoir furpalfer de beaucoup les forces d'une Mouche. Avec du fable choifî grain à grain , & lié avec une forte de ciment bien préférable au nôtre , elle couftruit à fa Famille DE LA NATURE. Part. XL 25 uneMaifon, à la vérité très-fimple, mais éga- lement folide & commode. E!!e eft divifée inté- rieurement en plusieurs chambres ou logectes , adoifées les unes aux autres , & qui ne doivent point communiquer enfemble. Une enveloppe générale qui eft , pour ainfî dire , un mur de clôture , les renferme toutes & ne lailfe au-dehors aucune ouverture. Il faut brifer ce mur pour voir les chambres , & on lui trouve la dureté de la pierre. Ces nids font très-communs fur les faces des maifons : ils y paroiifent comme des monticules ovales 5 d'un gris différent de celui de la pierre. La Mouche , qui eft l'Architecte de ces petits bâtimens, dépofe dans chaque chambre un œuf, & y renferme en même tems une pro- vilion de cire ou de pâtée , qui eft la nourriture appropriée à les P.tits. Une autre Mouche, qu'on pourroit appeller l'Abeille - Charpentier e , parce qu'elle travaille en bois, conftiuit aufîi des logemens à fa Famille; mais dans un autre goût que la Maqonne. Tantôt elle diftribue les chambres par étages , tantôt elle les difpofe en enfilade. Des planchers ou des cloifons artiftement façonnés , féparent tous les étages ou toutes les chambres , & dans tous eft dépofé un œuf avec la mefure de pâtée néeek faire auvPetit. B4 «14 CONTEMPLATION Ces divers ouvrages exigent en général moins d'adreffe & de génie que de travail & de patience. Il y a bien autrement d'art & d'induftrie dans le nid qu'une autre Mouche conftruit avec de fimples morceaux de feuilles. Ce nid eft un vrai prodige. Quand on le décompofe & qu'on en examine de près toutes les pièces , on ne fau- roit comprendre comment une Mouche a pu par- venir à les tailler , à les contourner & à les aflfcrnbler avec tant de propreté & de puécifionr Vu par dehors , ce nid reffemble très-bien à un étui de cure-dents. L'intérieur eft divifé en plu- sieurs cellules qui ont la forme d'un dé à coudre, & qui iont emboîtées les unes dans les autres , comme les dés le font chez le Marchand. Cha- que dç eft compofé de plufieurs pièces , qui ont été taillées féparément fur une feuille , & dont 3a figure , les contours & les proportions répon- dent à la place que chacune doit occuper. Il en eft de même des pièces qui forment l'étui ou l'enveloppe commune. En un mot , il règne dans ce petit chef-d'œuvre tant de jufteffe , de fym- jnétrie 5 de rapports & d'habileté , qu'on ne croi- roit point qu'il fût l'ouvrage d'une Mouche , (i Ton ne favoit à quelle école elle a appris à le conftruire. On devine affez que chaque dé eft le logement d'un Petit > mais ce qu'on n'imagine pas 3 c'eft que la pâtée que la Mère approvisionne DE LA NATURE. Part XL s$ j3our lui eft prefque liquide , & que la cellule , toute compofée de petits morceaux de feuilles , eft pourtant un vafe fi bien clos , que cette pâtée lie fe répand point, lors môme que le vafe eft incliné ( 3 ). C'est moins pour elles-mêmes que pour leurs Petits , que les Abeilles-Républicaines conftruifent (3) f f Ici l'habile Traduéteur Italien de l'Ouvrage que je commente , a placé une Note dont je donnerai le précis. Un autre Infe&e ne montre guère moins d'induftrie que 11$ Mouche coupeufe de feuilles. C'eft dans une forte de cornet qu'il dépofe fes œufs , & ce cornet eft fait de feuilles. Pour parvenir à le faqonner il commence par courber la feuille , & pour que fon reffort ne dérange point la courbure qu'il veut lui donner , il en aflfujettit les bords au moyen de quelques fils de foie. Mais comme il eft fort petit & affez foible , il ne, parviendroit pas à courber à fon gré la feuille & à vaincre fon reffort naturel , fi la Nature ne lui avoit enfeigné un moyen aufïi fimple qu'ingénieux d'en venir à bout. La feuille ne ré* fifte que par fa vigueur : l'Infe&e a donc été inftruit à l'affoi? blir ou à diminuer la quantité de nourriture qu'elle reçoit à çhaqu'inftant de la branche qui la porte. Pour cet effet , il en ronge, un peu le pédicule , & intercepte ainfi une partie des fucs nour- riciers. Il en refte affez pour l'entretien de la feuille , & point affez pour lui conferver tout fon reffort. L'adroit Infeéfce la manie enfuite comme il lui plait. Il la courbe de manière que la furface inférieure eft à l'intérieur du cornet , & c'eft contre cette furface qu'il colle fes œufs. Ce joli Charanfon doré , efpec^ de petit Scarabé , connu fous le nom de Bêche ou Lifette , roule auffi avec beaucoup d'art les feuilles de la Vigne , & dépofe de même fes œufs dan$ l'intérieur du rouleau. i6 CONTEMPLATION ces Gâteaux dont l'ordonnance & les proportion? font déterminées fur les règles de la plus fine Géométrie. Une partie des cellules dont ils font compofé? fert de berceaux aux Petits j & comme ceux-ci font de trois grandeurs, les Abeilles conftruifent aulîî de trois ordres de cellules. Chaque jour elles apportent à manger à leurs nourriffons , & par une attention flnguiiere , elles proportionnent la nourriture à leur âge & à leurs forces. Elles ont encore foin d'entretenir autour d'eux une chaleur toujours à- peu- près égale, en fe raffembîant fur leurs cellules dans les jours froids , & en s'en éloignant dans les jours chauds: Enfin , torique le tems eft venu où les Petits n'ont plus befoin de nourriture & où ils doivent fe préparer à la métamorphofe , elles ferment exactement leurs alvéoles avec un couvercle de cire. L'inftind; de la Mère -abeille dans le choix des cellules pour y dépofer fcs œufs eft auifi très - remarquable. On ne la voit point loger un œuf de Mâle dans une cellule d'Ouvrière, ni un œuf d'Ouvrière dans une cel- lule de Mâle (4). (4) tt Jc parfois ici d'après Mr. de Reaumur ; mais des Obfervateurs plus modernes refufent un tel difcernement à la Reine -abeille , & prétendent que ce font les Ouvrières qui en font douées , & qui ont été chargées de diftribuer les œufs dans les cellules appropriées aux Petits qui en doivent éclorre.Jls f) È LA NATURE. Part. XI. 27 Les Petits de différentes Efpeces de Mouches font carnaciers , & ne fe nourrhTent que d'Ani- maux vivans. Les Mères renferment donc dans leurs nids ; les unes , de petites Araignées ; les autres , de petites Mouches ; d'autres , de petits Vers , qu'elles affujettuTent contre les parois de la cellule, & qu'elles arrangent les uns fur les autres en manière de cerceaux. Le Petit dévore fu cceflî vement ces malheureufes vi&imes con- damnées à lui fervir de pâture , & lorfqu'il a achevé de dévorer la dernière , le tems eft arrivé où il n'a plus befoin de manger & où il a pris fou parfait accroiiïement. D'autres Mouches ont été inftruites à aller dépoter leurs œufs dans le Corps des Infedes vivans ou dans leurs nids. Ni l'agilité de ces Infectes , ni les armes oifenfives & défend ves dont ils font pourvus , ni la folidité ou l'épaif- alTurent que la Reine pond fouvent & en grand nombre les trois fortes d'œufs dans des cellules communes, & que bien- tôt ces œufs font diftribués dans les alvéoles qui leur convien- nent. Ce fait demanderoit à être mieux conftaté : car les meil- leurs Hiftoriens des Abeilles n'ont rien raconté de femblable ; ils ont bien remarqué à la vérité , que la Reine pond quelque- fois plufieurs œufs dans la même cellule , & que les Ouvrières ont toujours foin d'enlever les furnuméraires ; mais ils ne les ont point obfervé replacer ces œufs uo àim dans les cellules appropriées. 2S CONTEMPLATION feur des parois de leurs logemens ne fauroienS triompher de Padreffe , du courage & de la vigi- lance des Ichneumons ( f ). Les procédés analogues de quelques autres Mouches font encore plus frappans. L'une fe tient à l'entrée de l'anus des Chevaux , & attend le moment où il doit s'ouvrir s pour fe gliifer dans les inteftins & y dépofer fes œufs. Une autre entre dans le nez des Moutons, & va pondre jdans les finus frontaux. Une autre, plus hardie encore , enfile les conduits nafeaux du Cerf, defcend dans fon palais , & dépofe fes ceufs dans deux bourfes charnues placées à la racine de la langue ( 6 ). ($) C'elt le nom que les Naturaliftes ont donné aux Mou* ches qui vont dépofer leurs œufs dans le corps des Infeéles vi- vans. Ce nom eft pris de Y Ichneumon , efpece de Chat d'Egypte , qui détruit les œufs du Crocodile. f(6) ff Ces Mouches courageufes en rappellent une autre .«E LA NATURE. Part. XL % i fier des cellules qu'elle difpofe fymmétrique- nient , & dans chacune defquelles elle pond un œuf ( 10 ). lent infiniment, la Mouche pratique jufqu'à vingt -quatre lo- gettes dans la même branche , dans chacune defquelles elle dé- pofe un œuf, qu'elle arrofe d'une liqueur vifqueufe. Ces œufs de la Mouche à fcie font au nombre de ceux dont j'ai parlé ailleurs , & qui offrent une fmgularité remarquable , celle de* croitre après avoir été pondus. ( Partie VI JI , Chapitre VI. ) La Cigale, fi connue par fon chant , & qui appartient à la clatTe des Mouches à quatre ailes , e'ft auffi pourvue d'un ins- trument admirable qu'elle porte au derrière, & à l'aide duquel elle pratique de longues entailles dans de menues branches de bois fec. Cet infiniment eft une double tarière compofée de deux pièces terminées en pointe , qui font affemblées à cou- liffe & à languette dans un fupport commun , & qui jouent alternativement & parallèlement fans s'écarter jamais l'une de l'autre. C'eft toujours au bois vert ou qui végète encore, que la Mouche à fcie confie fes œufs ; & c'eft toujours au bois fec que la Cigale confie les fiens. Elle les diftribue avec beaucoup d'ordre dans les différentes logettes qu'elle creufe au centre du brin de bois qu'elle a choifi. Il fort de ces œufs un Ver à fix jambes , dont les deux premières ont une conformation particulière , qui le met en état de fouiller la terre , & d'aller chercher fa nourriture fur les racines de quelque Plante. (10) ff Les procédés des Efcarbots pilulatres méritent bien que j'en faffe mention. Ce font des Scarabés , & le nom de piiulaires qui leur a été donné par les Anciens , ne rend pas mal rinduftrie qui les caractérife. Ils hantent les fumiers & les excrémens , & en forment des pilules ou des boulettes t qu'ils arrondiffent de plus en plus _n les roulant fur le terreinj! Plufieurs Efcarbots s'occupent à la fois à promener la bou- lette. Ils la pouffent avec leurs jambes de derrière en marchant à reculons; & quand il arrive que les inégalités, du terreiu fî CONTÊMPLATIO apportent des obftacles à la marche de îa petite boule , ils fortf effort pour les furmonter , & quelquefois d'autres Efcarbots furviennent , qui partagent leurs efforts, & leur aident à pouffer la boule plus loin. Ils font opiniâtres dans leurs manœuvres & ne fe découragent point : lors môme qu'on vient à les ma- nier ou à les interrompre dans leur travail , ils ne manquent point de le reprendre. Souvent ils 'roulent avec leur balotte dans des foffes plus ou moins profondes ; mais nos petits Si- fyphes , toujours infatigables , ne fe rebutent point , & redou- blant leurs efforts ils parviennent ordinairement à retirer la ba- lotte de la foffe , 8c à la conduire plus loin. Ils vont enfirr l' enterrer à une affez grande profondeur , & cette opération exige de leur part autant de travail que de patience. Ce n'eft pas fans bonne raifon que nos Efcarbots font fi? attachés à leurs boulettes : elles renferment un dépôt précieux. Un œuf dffc logé au centre de chacune 5 & cet œuf demandoit apparemment à être enveloppé d'excrémens & enterré à une certaine profondeur pour que le Petit pût en éclorre. Le foin des œufs n'a point été confié par la Nature aux feules Mères qui les ont pondus : la Société entière des Efcarbots a été chargée de s'en occuper & y prend un égal intérêt. Des Ef- carbots étrangers font rouler les boules avec autant d'activité et de confiance que ceux qui les ont eux - mêmes façonnées , & que les Mères qui ont pondu les œufs. Tous les Efcarbots ne renferment pas leurs œufs dans des- boules d'excrémens : il en eft qui les logent dans les cadavres de petits Animaux, tels que les Taupes, les Grenouilles , les' Sauterelles, &c. Quand ces Efcarbots rencontrent fur la furface de la terre, de pareils cadavres, ils fe hâtent d'en prendre pcf- fefïion; mais ils n'ont garde de les laiffer fur la place: ils s'y deifécheroient ou s'y confumeroient inutilement ou leur feroient bientôt enlevés par des Animaux rôdeurs & carnaciers. Ils tra- vaillent donc à mettre en fureté leur capture ; & mon Le&eur n'imagine pas peut-être le moyen auquel ils ont recours. On n'en pouvoit choifir un meilleur. Us fe mettent à enterrer le cadavre, mais on conviendra que c'eft prefquun travail d'Her- ciilè DE LA NATURE. Part. XL $* cule pour de fi petits Infe&es que d'enterrer le cadavre d'une grotte Taupe. Ils y parviennent néanmoins, & en bien moins de tems qu'on ne le croiroit. Il ne faut quelquefois qu'un jour ou deux à deux paires d'Efcarbots pour enterrer une Taupe à trois ou quatre doigts de profondeur. Je puis dire plus : Mr. Gleditsch s'eft affuré qu'un feul Efcarbot peut enterrer une Taupe en entier dans le court efpace de vingt -quatre heures. Un pareil travail tient du prodige. C'eft avec leur tête , leur corcelet & leurs pieds que les Efcarbots creufent la foffe dans laquelle ils veulent enterrer le cadavre. Ils amoncellent autour la terre qu'ils retirent de la fofle; ils en conftruifent une forte de couronnement ou de rempart qui trace les con- tours du tombeau , & dont les dimenfions font exactement propordonnelles à celles du cadavre. A mefure qu'ils creufent la foffe , le cadavre s'enfonce davantage , & la terre qui étoit amaffée autour de lui , vient peu - à - peu à le recouvrir. Il fe forme alors au-deiïus une petite élévation qui indique l'en- droit fous lequel il repofe. La petite éminence s'afFaiiTe infen,- fiblement , fe met au niveau du terrein , & bientôt on ne re- connpît plus l'endroit où le cadavre eft. enterré. Lorfque la fépulture eft achevée, les Efcarbots vuident le cadavre , & dépofent leurs œufs dans lira intérieur. Si 011 le retire de fon tombeau au bout de quelques jours , on le verra fourmiller de Vers d'Efcarbots. Ce ne font pas feulement des cadavres entiers de petits Ani- maux , que les Efcarbots enfeveliffent pour fournir une nour- riture allurée à leurs Petits ; ils enfeveliffent de même pour la même fin , des morceaux de chair des grands Quadrupèdes qu'on met à leur portée. En cinquante jours l'Académicien de Berlin a vu quatre Efcarbots enterrer complètement deux Taupes , quatre Gre- nouilles , trois petits Oifeaux , deux Sauterelles , les entrailles d'un Poiffon , & deux morceaux de foie de Bœuf. Nos laborieux enterreurs enfeveliffent ainfi les cadavres de- puis le mois d'Avril jufqu'au mois d'Octobre. On juge bien que ce n'eft que dans une terre légère & un peu humide qu'ils Tome IX. Q 24 CONTEMPLATION CHAPITRE VI. Continuation du même fujet. Les Oifeaux. hez les Oifeaux , la Femelle n'eft pas char- gée feule du travail 5 le Mâle le partage ( 1 X peuvent pratiquer de femblables fépultures : une terre forte 0© grnveleufe réfiftèroit trop à leurs efforts.. (1) ff On dit que les Oifeaux fartent: il femble qu'on puiiTc dire qu'ils fe marient $ car chez la plupart l'union du Malè & de la Femelle femble être une forte de paéte conjugal contracté pour îa procréation & l'éducation des Petits. L'amour paroît donc prendre chez les Oifeaux une teinte de moral qui l'ennoblit & nous retrace l'image touchante de la Société conjugale la plus tendre & la plus parfaite. Appelles à travailler en commun au petit édifice qui logera la poflérité prête à. naître , le Mâle & la Femelle , déjà unis par les doux liens d'une fyinpathie naturelle , s'attachent d'autant plus fortement l'un à l'autre , qu'ils ont été mis dans une obligation plus étroite de remplir les devoirs de la Société conjugale & de s'entr'aider dans un travail pour lequel la Nature a fu les in- téreflèr tous deux également. Non - feulement le Mâle aide fa Femelle' à conftrui're le nid ; aûez fouvent encore il partage avec elle les ennuis de l'incubation. 11 fait plus ■■> tandis qu'elle demmre collée fur fes œufs, il va lui chercher la nourriture. & revient la lui dégorger dans le bec. D'autres fois , placé- auprès de fa compagne , il femble vouloir la réjouir par foa chant & chcU'niGr, en quelque forte, l'ennui de fa fituajtifltt. tjï| ï) E LÀ NATURE. Part Xt jf} La fimplicité de leur architecture eft admirable* Le nid eft creux , & de forme à - peu - près fendre attachement à fuccédé aux feux de l'amour, & la naifc fance des Petits , qui eft pour l'heureux couple une autre jouif- fance , refferre de plus en plus les liens de l'union conjugale en la rendant plus néceiTaire. De nouveaux foins appellent alors le Père & la Mère, & toujours fidèles à la voix de la Nature * ils s'y livrent tous deux avec un égal empreffement. Gomme ils ont travaillé de concert à la conftruéHon du nid , ils travail- lent encore de conpert à l'éducation de la Famille. Occupé* fans relâche de cet important ouvrage , ils ne ce'ffent point de fe prêter des fecours mutuels. Leurs peines , leur follicitude ,■ leur vigilance redoublent avec leurs plaifirs , & l'on croit voir dans l'aimable Société la peinture fidèle du ménage le mieux réglé & le plus honnête. Mais tous les Oifeaux né nahTent pas Architectes ; tous n'en-f tendent pas à conftruire des nids. Divers Oifeaux no&urnes , tels que le Hibou & la Chouette noire , favent néanmoins fup- pléer à leur ignorance dans l'art de bâtir , eu profitant adroite- ment des nids qui ont été conftruits par des Oifeaux Archi- tectes. D'autres -Oifeaux no&urnes pondent à crud dans des mafures ou dans des creux d'Arbres. Il en eft à -peu -près dé même de quelques Méfanges , des Pics , des Martin - pê«." éheurs , &c- Ces Oifeaux qui dépofent leurs oeufs dans des nids étrangers , rappellent auffi-tôt à l'efprit le fameux Coucou, fur lequel on a débité tant de fables. Il ne va pas feulement pondre fori œuf dans un nid qu'il n'a pas fait ; îL abandonne encore lé foin de £a progéniture à des Nourrices étrangères, qui en ont autant dé foin que de leurs propres nourrifTons. On connoît bien des Efpeces de petits Oifeaux que le Coucou charge ainfi de l'édu- cation de fa Famille : la Fauvette , le Rouge-gorge , la Méfange , kRofîignol, &e. font de ce nombfe. On aflfuré que le Coucou ne pond guère que deux œufs , & qu'il a foin de les vif, fi éveillé, fi léger à la coirrfe , dont la figure eft fi gra- cieufe & la forme fi élégante , n'abandonne point fa Femelle après qu'il en a joui. Il lui demeure fidèlement & tendrement attaché , & fe plaît à vivre en famille avec elle & les Petits qui font nés de leur union. Cette douce fociéte , qui n'eft inter- rompue que pendant le petit nombre de jours que dure le rut , ne finit que lorfque les Faons font appelles à former eux- mêmes une nouvelle famille. La Louve féroce & cruelle a de quoi nous intérefTer par le foin qu'elle prend de fes Louveteaux , & l'art avec lequel elle les dreiïe à la cha(Te. Lorfqu'elle eft fur le point de mettre bas , elle cherche dans un bois le lieu le plus fourré : elle y applanit un certain efpace en coupant & en arrachant les épines DE LA NATURE. Part. XL 4$ fa propre confervation. On voit les Pères & les Mères foutenir de rudes travaux , & s'expofer avec fes dents. Elle couvre cette efpace d'un lit épais de moufle ou de menues herbes pour que fes Petits foient couchés molle- ment. Elle les allaite pendant pluiieurs femaines , & leur ap- prend enfuite à manger de la chair qu'elle a foin de leur pré- parer en la mâchant. Bientôt elle leur apporte des proies vi- vantes , des Mulots , des Levrauts , des Perdrix ou d'autres Vo- lailles. Les Louveteaux jouent avec ces proies & unifient par les étrangler : enfuite la Louve fe met à les déplumer Se à les écorcher, & après les avoir dépecées , elle en fait la diftribu- tion aux Louveteaux. Devenus plus forts , ils commencent à fuivre leur Mère qm les mené boire à quelque mare voifine , & les ramené au gîte. Elle les défend avec une intrépidité admi- rable, s'oublie elle - même , ne fonge qu'à eux, & s'expofe à tout pour les délivrer. La Lionne , moins hardie & moins courageufe que le Lion , le furpaffe en courage & en intrépidité lorfqu'clle a des Petits. L'amour maternel devient chez elle une pafîion furieufe. Elle ne redoute aucun danger, quand il s'agit de pourvoir à leur nourriture ou de les défendre. Elle fe jette alors far les Hommes & fur les Animaux , les met à mort , fe charge de fa proie , la porte à fes Lionceaux , la leur partage , & les accoutume ainfi à fe repaitre de fang & de chair. Quand elle eft près de mettre bas , elle fc retire dans des lieux écartés & prefqu'inac- ceffibles, & pour n'être point découverte elle dérobe fes traces en retournant pluiieurs fois fur la paflTée ou en les effaçant avec fa queue. Mais fi fes craintes augmentent, elle prend le parti de tranfporter ailleurs fes Nourririons , & fi on tente de les lui enlever , elle les défend avec fureur & jufqu'à la dernière ex* fitémité. Tout le monde connoit les fouterrains de la Taupe ; mais tout le monde ne fait pas ce que ces fouterrains renferment de curieux. C'eft là, qu'à l'abri des infultes des Animaux car- naffiers, loin du trouble, du bruit & des Regards des curieux, 44 CONTEMPLATION aux plus grands dangers pour fournir de la nourriture à leurs Petits ou pour les fecourir r.'rdnftrieufe Taupe élevé fa nombreufe famille dans une heu- reufe obfcnrité qui affure fa tranquillité & fon bonheur. Il Ti'eft pas facile de donner une idée nette de l'habitation de la Taupe. Le nid qu'elle conftruit à fes Petits avec tant d'in- telligence , eft un petit édifice d'une conftruftion allez recher- chée & qui eft admirablement bien appropriée au genre de vie & aux befoins de l'Animal. L'habile Ouvrière travaille d'abord à pouffer , à amailer la terre pour en former une forte de voûte ou de dôme plus ou moins élevé. Ces dômes font très -connus fous le nom de taupinières, & an en rencontre, par -tout dans les Jardins & dans les Prairies. Ils ne font pas tous d'une égale grandeur: les plus grands, les plus élevés font ceux qui recèlent le logement de la Famille. Après avoir élevé fa voûte , la Taupe pratique dans l'intérieur , des ef- peces de cloîfon ou de piliers qu'elle efpace fiûvant certaines proportions. Elle prefTe & bat fortement la terre qui forme les parois de la voûte ; elle la lie encore avec de menues ra- cines & des herbes , & la rend fi compacte que la voûte en devient impénétrable à l'eau des pluies , qui ne peut même y féjourner à catifë de la convexité de l'édifice. Au -défions de la voûte , la Taupe élevé un petit tertre , qu'elle recouvre d'herbe & de feuilles pour fervir de lit ou de matelas à fes Petits. Ils fe trouvent ainfi placés au-deffus du niveau du terrcia voifm , & par -là à l'abri des petites inondations, en même temps qu'ils font à couvert de la pluie par le dôme qui recouvre le nid. Tout autour du tertre, la prudente Taupe perce des boyaux , qui descendent plus bas , & fe prolongent de tous cotés comme des rayons qui partent d'un centre. Ces routes fouterraines , fermes & bien battues , facilitent le tranfport des provifions que la Taupe chaiïe pour fes Petits , & qui con- ilftent ordinairement en des fragmens de racines ou d'oignons. Il paroît au moins que ce font les premières nourritures qu'elle donne à fa famille } mais elle la nourrit enfuite de Vers & D E LA NATURE. Pan. XI. 4$ dans le befoin. On ne lit point fans émotion l'hiftoire d'une Chienne , qui tandis qu'on la «Tlnfedtes. SI l'on entreprend de pénétrer dans fon fouterrain , la Taupe attentive au moindre bruit , Congé anffi - tôt à mettre fes Petits en fureté , & s'efforce de les tranfporter ailleurs. Le gentil Écureuil , auffi vif, auffi léger , auffi induftrieux que l'Oifeau , fait , comme lui , conftruire fur les Arbres un riïd à fes Petits. Il amalfe des bûchettes , les entrelace avec de la moufle , ferre & foule le tout , & donne au petit logement une capacité & une fclidité qui lui permet d'y être à l'aife & en fureté au fein de fa famille. Une feule ouverture étroite ou très-jufte eft ménagée vers le haut du nid pdur l'entrée & la fortie. Au-defTus de cette porte d'Écureuil bâtit un petit toit en manière de chapiteau conique , qui met l'intérieur à couvert de la pluie & facilite l'écoulement de l'eau. L'Opofliun , originaire de l'Amérique , & qui a quelques traits de refîemblance avec le Singe & le Renard , eft de tous; les Quadrupèdes connus le plus remarquable par la manière fmguliere dont il allaite , recelé & élevé fes Fetics.. Ils naiffent long -temps avant terme; car l'accouchement de la Mère eft toujours une forte d'avortement. Nous ignorons les raifons d'un arrangement fi extraordinaire , & qui pourtant ne nuit point ni au bien être des Petits ni à la multiplication de l'Efpece. Sous le ventre de la Mère eft placée une poche garnie de poils au -dehors & au -dedans, & qui peut s'ouvrir & fe fermer au gré de l'Animal. C'eft dans cette poche que les mamelles font logées. Les Petite naiffent nuds & aveugles. Ce ne font que des Embryons , qui ont à peine la groffeur d'une fève. Avec fes pieds de devant, comme avec des mains , la Mère les prend adroitement & les met dans fa poche. Ils faififfent auffi -tôt les mamelles & s'y collent. Ils y demeurent attachés jufques à ce que leurs yeux s'ouvrent & qu'ils aient pris im certain ac- croiifement. Bientôt après la Mère ouvre fa poche , les en fait fortir pour les expofer à la chaleur du Soleil & jouer avec eux : mais dès qu'elle entend quelque bjuit ou qu'elle a quclqu'in- 4<5 C 0 X T È M P L A T 1 0 #' diflequoit , fe mit à lécher fes Petits , comme s'ils eufTent charmé fes fouffrances > & qui lorf- qu'on les éloignoit, poufïbit d&s cris plaintifs. Pour mieux affurer le fort des Petits , la Nature n'auroit - elle point intéreifé ParTediotî des Mères, en difpofant les chofès de manière que les Petits deviennent pour elles une fource de fenfations agréables & d'utilités réelles ? quiétude , elle pouffe un certain cri; âufli-tôt tous fes Petits -f qui fe jouoient fur l'herbe, accourent vers elle, & vont fe cacher dans la poche, qui fe referme à l'inftant ; la Mère fuit & les emporte avec elle. Sans être expofés à aucun danger , les jeunes Opoffums rentrent de même dans la poche pour fucer de temps en temps les mamelles , & c'eft ainfi. quïils prennent de jour en jour plus d'accroiflfement , & que leur éducation fe perfectionne. Il femble donc que les Petits de cet Animal fmgulier aient , en quelque forte , à naître deux fois : la matrice interne ne fournit qu'à la conception & aux pre- miers développemens : les développemens ultérieurs s'opèrent dans la poche comme dans une matrice externe. La Marmofe , compatriote de l'OpolTiim , & qui lui refîem- blc beaucoup par la forme & par le genre de vie, lui reifem- ble encore par la précocité' de l'accouchemenw A leur fortie de la matrice , les Embryons de la I^.armofe font même plus petits proportionnellement que ceux de l'OpoiTum. Cependant la Nature ne leur a pas préparé , comme à ces derniers , une poche pour leur fervir de féconde matrice & de retraite : mais elle y a fupplée par des plis longitudinaux & profonds , placés fous le ventre de la Merc & garnis de mamelles auxquelles les Embryons ne manquent pas de s'attacher en s' enfonçant & f* sachant iUn^ l'iatcntur des pUs» ï) E LA NATURE. Part XL 47 Quelques faits femblent confirmer cette conjecture. L'action d'allaiter eft la plus impor- tante de toutes pour les Petits , puifque leur vie en dépend immédiatement. Les mamelles ont été faites avec un tel art , que la fuccion & la preffian des Petits excitent dans les nerfs qui s'y distribuent un léger ébranlement, une douce commotion , qui eft accompagnée ÏÏun fentiment de ptaifir. Ce fentiment foutient l'af- fection naturelle des Mères , s'il n'en eft une des principales caufes. On en peut dire de même de l'action de lécher , qui d'ailleurs eft récipro- que. Enfin les Mères font quelquefois incom- modées de l'abondance de leur lait 3 les Petits les foulagent en les t et tant. La chofe n'eft pas fi fenfible chez les autres Animaux qu'elle l'eft chez les Quadrupèdes j mais c'eft peut-être parce qu'on ne s'eft pas encore avifé de tourner fes recherches de ce côté -là. On peut cependant obferver par rapport aux Petits des Oifeaux , & particulièrement par rap- port aux Pouffins , qu'ils font fentir à la main qui repofe fur eux , une efpece de petit frémi f- fement univerfel , plus fenfible apparemment à la Poule , dont le ventre alors dépourvu de plu- mes, eft doué d'un fentiment très -délicat. Ce frémiflement ébranle légèrement les papilles 11er- 48 CONTEMPLATION f - veufes , y excite de petites vibrations , d'où re fuite un chatouillement modéré , caiife de plaiilr. La chaleur douce que la Mère & les Petits fe communiquent réciproquement 3 doit encore en* trer ici en ligne de compte. L'incubation paroît un myftere plus diffi- cile à pénétrer. On ne conçoit point ce qui peut retenir des femaines entières fur fes œufs , un Oifeau qui n'a jamais couvé , & qui par eonfé- quent n'a pu avoir appris de l'expérience , que decss œufs doivent éclorrc des Petits. On pour- roit cependant douter s'il n'en eft; point de ceci , comme de la faim & de la foif ou du defir de propager l'Efpece , dont les caufes réfident prin- cipalement dans la conftitution de l'Animal ou dans les mouvemens inteftins de certaines hu- meurs (i). Un indice que l'incubation pour- roit n'être que l'effet d'un befoin naturel , eft qu'on voit des Poules couver des morceaux de craie , de petits cailloux , & des œufs d'Efpece (i) ff- Tout femble indiquer dans la Poule qui veut couver, une chaleur interne , extrême à la région du ventre. Le fang paroît refiuer de la circonférence au centre. En fe pofant fin- ies œufs froids qu'on lui donne à couver , la Poule tempère un peu cette chaleur. Elle eft encore tempérée par le repos & le filcuce. Il cil fi vrai que dans cette cireonftance la chaleur in- terne de la Poule accroît , que fi on la rafraîchit par le bain «u par certains alimens, on éteindra en elle le defir de couver. très» DELA NATURE. Part. XL très - différente de la leur. L'inftinâ: eft , ce fembîe 5 plus fur dans fou difcernement (2). A l'égard de la conftmcHon du nid , elle a peut - être une liaifon fecrete & phyfique avec r(s) ff Mr. de Montbeillard , qui s'cft plu à appro- fondir l'hiltoire du Coucou & à la purger des erreurs dont elle étoit infe&ée, ( Cliap. VI , Note i. ) a fait à ce fujet diverfes expériences fur l'incubation des œufs étrangers , dont les ré- fultats font trop remarquables pour que je ne les tranfciïve pas ici dans fes propres termes. „ Il réfulte,dit-il, de ces expériences, i gauche & ftuplde à l'excès $ réduit à ne parcourir qu'une toife en une heure ; ce triiïe Animal fernble avoir été condamné par k Nature à mener la vie la plus miférable : mais y tounurs DE LA NATURE. Part. XL çj îa vivacité de l'Ecureuil , font des exemples aux- quels on peut rapporter beaucoup d'Efpeces de différentes Gaffes, Ces divers caraâeres font fufceptibles de mo- difications. On apprivoife jufqu'à un certain point les plus féroces : l'Ours & le Loup peuvent acquérir une certaine docilité , & fe foumettre à la dire&ion â'uïie main également adroite & courageufe. Mais le naturel qui ne fauroit être détruit , reparoît toujours ; l'Ours demeure Ours , 8c le Loup ne celle point d'être Loup (2). Mère & jamais Marâtre , elle lui a accordé des dédommage- mens qui compenfenfc fa mifere ••> elle l'a fait robuîie , très* vivace, fort peu fenfible &aulîi peu foucicux; elle l'a constitué de manière que, quoiqu'il ne prenne que des nourritures fechês & peu fuceulentes, il engraifle beaucoup. Au refte, le PareîTeux eft propre aux Contrées méridionales du nouveau Monde , & on ne l'a point encore trouvé dans l'ancien. (2) ff Dans le premier âge , le Loup s'apprivoife afTez facilement , & femble fe rapprocher de La docilité du Chien , avec lequel il a d'ailleurs de grands rapports de conformation : mais le naturel féroce du Loup n'eft jamais que mafqué par la domefticité & l'éducation : dès qu'il a pris un certain accroifle- ment le fond de fon être fe décelé , & il mord cruellement la main qui le nourrit ou qui le careffe. „ L'Ours, dit M. de Buffon, eft très-fufeeptibie de colère, 5, & fa colère tient toujours de la fureur , & fouvent du caprice : „ quoiqu'il paroifle doux pour fon Maître, & même obeiflfant 9, lorfqu'il eft apprivoife , il faut toujours s'en défier & le s, traiter avec circonfpettion. .... Pour lui donner un: eXpefl E>3 Ç4 CONTEMPLATION La pofîîbilité de ployer ou de modifier }ut qu'a un certain point le naturel des Animaux, & de lui faire prendre dos imprcffions nouvelles » efë une fuite de Pinftincl qui les porte à recher- cher ce qui eft utile h leur confervatiôn , & à éviter, au contraire, ce qui peut lui nuire. La faim & la crainte font les deux grands mobiles qui les déterminent , & l'Homme fait mettre en œuvre ces mobiles. Remarquons ici l'attention de PAutëur de la Nature à éloigner de nos demeures les Ani- maux féroces , & à revêtir de qualités foetales ceux qui doivent vivre auprès de nous ($). Sa. 5, d'éducation, il faut le prendre jeune , & le contraindre pené 39 dant toute fa vie ". Le Tigre , toujours altéré de fang & jamais raftafié , qui déchire & dévore tout Ftre vivant qu'il rencontre ; le Tigre., farouche & cruel par effence , ne cède ni à la force ni à la vio- lence ni à La contrainte y & fon naturel fanguinaire Si pervers demeure conftamment indomptable. L'Ocelot , auCi altéré de fang que le Tigre , mais bien moins puiffant que lui , ne fléchit point non plus fous la m:t;i de l'Homme. La ficre Panthère ne s'apprivoife pas proprement ; on ne peut que la domter : on la drefle même pour la cliaiïe; mais lî dans cet exercice elle maiv que fa proie, elle entre en fureur & fe jetteroit fur fon Maître-, s'il ne prévenoit le danger en lui jettant de la chair ou quelque Animal vivant. ( 3 ) "H" C'eft principalement le Climat qiù décide de l'habit tation des Animaux. Les plus redoutables , les plus féroces , le DE LA NATURE. Part. XL & Sagesse a caché à ceux-ci leurs forces, & un nombreux troupeau de Boeufs plie fous la ba- guette d'un Enfant. CHAPITRE X. Des fociétés animales en général. c ' E s T une grande diftindHon des Animaux, que celle en folitaires & en foctables. On peut distribuer les fociétés des Animaux en deux claiTes générales : en fociétés improprement dites , ou celles dont les Individus ne travaillent point de concert aux mêmes ouvrages •> & en fociétés proprement ainfi nommées ou celles dont les Individus travaillent en commun* Le gros & le menu Bétail , les diverfes Ef- peces d'Oifeaux domeitiques & de parTage , les Efpeces de Poiflbns qui nagent par troupes , plufieurs Efpeces d'Infectes qui fe tiennent raf- femblés dans le même lieu , tels que les Pucerons , les Gallinfe&es , &c. fourniiTent des exemples des fociétés de la première cîaffe. Lion, le Tigre, la Panthère, &c. ne vivent & ne propagent ?. fembîent en hardes , & forment des troupes d'au- tant plus nombreufes que la faifon eft plus âpre. Ils fe réchauffent de leur haleine. Au printemps ils Te divifent , les Biches fe cachent pour mettre bas. Les jeunes Cerfs demeurent enfemble , ils aiment à marcher de compagnie , & la néceffite feule les fépare. Les Moutons , expofés aux ardeurs de la cani- cule dans une plaine découverte, fe rapprochent les uns des autres de manière que leurs tètes fe touchent s ils les tiennent inclinées contre terre s & hument l'air frais qui vient par- deffous. Les Canards fauvages , appelles à changer de climat , fe rangent de faqon que leur vol forme un coin ou un V renverfé , comme pour fendre l'air plus facilement. Le Canard qui eft à la pointe, conduit le vol & fend l'air le premier. Au bout d'un certain temps , il eft relevé par un autre , celui-ci l'eft à fon tour par un troifieme , &c* Chacun prend ainfi fa part de tout ce que cette fonction peut avoir de pénible. Les Pucerons fe rafTemblent en grand nom- bre fur les Plantes : on ne connoît qu'imparfai- tement les avantages qu'ils recueillent de cette efpece de fociété $ mais ou peut conje&urcr avec $8 CONTEMPLATION fondement, que les piquures réitérées d'un plus grand nombre de ces Infectes , attirent propor- tionnellement plus de fucs nourriciers dans la partie de la Plante, fur laquelle ils fe font établis. Cela paroît avec plus d'évidence dans la forma- tion des veilies de POrme. Quand on les ouvre, on les trouve farcies de Pucerons. Ce font réel- lement leurs piquures qui occafionent ces tu- meurs fingulieres. En même temps que chaque Puceron pompe le fuc qui doit le faire croître r il contribue à la production de la veille qui doit fournir à tous la fubfiftance & le logement. **?•■ ^*$&g^ CHAPITRE XII. Réflexions, L E s Animaux auxquels la compagnie de leurs femblables étoit utile , ont été rendus propres à c'ette efpece de commerce. Et il PAuteur de la Nature a eu en ceci l'Homme en vue , comme on peut le penfer fans orgueil, on trouvera que les moyens répondent bien à la fin. En eifet , combien d'embarras & d'inconvéniens n'auroient pas accompagné les divers fervices que nous re- tirons des Animaux domeftiques , fi les Individus DE LA NATURE. Part XL s? d'une même Efpece n'avoient pu cohabiter en- femble '{ Cet efprit de fociété n'eu: pas abfolument borné aux Individus d'une même Efpece, il s'étend auffi jufqm'à un certain point à ceux d'Efpeces différentes, & l'Homme y trouve en- core Ton avantage. L'habitude de fe voir, de prendre leurs repas en commun , de coucher fous le même toit , développe ou fortifie ces dif- poiltions naturelles des Animaux domeftiques à vivre en fociété. Les liaifons qui en rcfultent deviennent par conféquent d'autant plus fortes , qu'elles ont commencé plutôt ou plus près de la nainance. C'efl: ainfi que des Animaux qui n'ont pas été appelles à vivre enfemble , peuvent néanmoins former une efpece de fociécé : la dif- poiltion naturelle de chacun d'eux à vivre avec fes femblables , eft fufceptible de modification ou d'extenfion ( I ). ( i ) tf Cette liaifon qui naît de l'habitude ou de la coha- bitation s'étend aux Individus des Efpeces les plus éloignées. Si l'on donne à couver à une Poule des œufs de Canards & de Dindons , les Petits qui en proviendront vivront enfemble dans une liaifon auffi étroite que des Poufïms , & cette liaifon fab- fiftera plufieurs mois. Quand les Canards s'écarteront on enten- dra les Dindons les rappelier par des cris plaintifs , qui annon- ceront leurs peines & leurs defirs. Ils fe chercheront mutuelle- ment avec empreffement , & cet attachement réciproque fub- iiftera encore dans un âge affez avancé. {• CONTEMPLATION Chaque Individu reconnoît fon femblable; ceux d'une même fbciété le reconnoiifent auffi. L'on remarque que s'il s'introduit dans une baffe- cour des Poules étrangères , celles du lieu les maltraitent pendant plufieurs jours , jufques à ce que la cohabitation ait rendu celles-là mem- bres de la fociété. L'extérieur du corps offre divers caractères au moyen defquels les Individus d'une même fociété, peuvent fe reconnoître & diftinguer les Individus étrangers. Mais entre ces caractères phyfiques , il peut y en avoir de mixtes ou qui appartiennent autant à l'ame qu'au corps , que les Animaux de la claffe dont nous parlons , font en état de faifir -, comme font l'air , la contenance , la démarche , &c. Les Individus de cette Efpecs , qui ne fe font pas encore familiarifés avec la nouvelle habitation , paroiffent craintifs ou em- barraffés : cette crainte ou cet embarras les dé- celé, & excite ou enhardit les autres à les atta- quer. L'espèce de fociété dans laquelle vivent les Animaux domeftiques , donne lieu à une obfer- vation remarquable ; le jeune Agneau démêle fa Mère au milieu de plufieurs centaines de Brebis ; quoiqu'il n'y ait pas entr'elles de différences feniibies» 2) É LA N A T U R È. Part, XL 6t Explication du fait. Les objets qui nous, paroiifent parfaitement femblables , ont fouvent des différences réelles , mais que nous n'apper- cevons pas , foit parce que leur petketTe les dé- robe à nos yeux , foit parce qu'elles font d'une nature à ne pas s'attirer l'attention. L'Agueau, plus intéreffé à découvrir ces différences , les découvre en effet ; & voilà qui fuffit pour la folution du cas , fans qu'il foit befoin de re- courir à des principes cachés. Si cependant oit Vouloit joindre à ce moyen , celui par lequel le Chien reconnoît fon Maître au milieu d'une grande multitude > je veux dire l'odorat , il îv v auroit rien là que de fort naturel. On pourroit encore admettre des différences entre le bêlement d'une Brebis & celui d'un autre > différences qui, quoiqu'infenfibles pour nous , frappent néan- moins l'oreille de l'Agneau ( 2 ). ( 2 ) ff Un habile Cultivateur a fait fur ce fujet une obfer- vation intéreffante. Il arrive aîfez fouvent qu'une Brebis met' bas deux Agneaux , quelquefois trois. Si la Mère vient à mourir tandis qu'elle les allaite , on a beaucoup de peine à les faire irdopter à d'autres Brebis. On y rénfïit néanmoins en enve- loppant l'Agneau adoptif de la peau du vrai Nourriffon. La Brebis paroît d'abord avoir des doutes & marquer de. la répu- gnance ; mais elle adopte enfin l'Agneau qu'on lui donne $ ïîoumr. €z CONTEMPLATION CHAPITRE XII I. Les Oifeaux de potjfage. JT\. ie N de plus admirable que ces légions de Volatiles qui à temps marqué , parlent d'un pays dans d'autres très- éloignés. Quel inftinct les rat femble ? Quelle bouiîble les dirige? Quelle carte leur trace la route? On conçoit d'abord que le changement de faifon & le manque de nour- ritures convenab'fs avertirent ces différentes Efpeces d'Qifeaux de changer de demeure £ i ). (i) ff- Ceci eft bien confirmé par les obfervations d'un KatâïraÛfté célèbre , Mr. de Montbeillard. Il regarde le défaut de fubfiftance comme une des caufes générales & déter- minantes des migrations des Oifeaux. Il remarque que ceux qui vivent d'Infeétes voltigeans , partent les premiers , parce que ces Infe&es manquent les premiers. Les Oifeaux qui fe nourriiTent d'Infe&es terreftres , comme de Vers , de Che- nilles , de Fourmis , &c. partent plus tard , parce qu'ils trouvent plus long -temps de quoi fe nourrir. Ceux qui vivent de graines & de fruits qui ne parviennent à leur maturité qu'en Automne, n'arrivent aufïi qu'en Automne & habitent nos Campagnes une partie de l'Hiver. Enfin , les Oifeaux qui fe noiiriïfîent des mêmes chofes que l'Homme & de fon fuperflu , relient toute l'année aux environs des lieux habités. On a même obfervé , que de nouvelles cultures occafionent à la longue de nouvelles migrations. Depuis qu'on cultive à la Caroline le Riz , l'Orge, le Froment , on y voit arriver régulièrement chaque année, des volées 4'Otfçaux inconnus auparavant aux Colons , & que DE LA -NATURE. Part. XI. 65 Mais comment ont -ils appris qu'^s trouveront dans d'autres régions la température & les ali- mctis qui leur conviennent ? Pour être en état de répondre à ces queftions î& à toutes celles qu'on peut faire fur ce fujet intérei'Fant , il fau- drait avoir examiné foigneufement toutes les circonftances qui accompagnent les marches de ces Oifeaux. Le degré de froid ou de chaud qui les accélère ou les retarde , mérite fur-tout d'être obfervé ; car il ny a pas lieu de douter que ce ne foit ce qui influe le plus ici. Il y a peut être un rapport fecret entre la température qui con- vient à certaines Efpeces , & celle qui e(t nécef- cette circonftance a fait nommer Oifeaux de Riz , Oifeaux de Bled, &c. Mais , outre les eaufes externes générales que j'ailîgnois aux migrations des Oifeaux , il femble qu'il faille y joindre encore une caufe non moins générale , mais interne , & qui fait fentir fon aftion à tous les Individus de l'Efpece : je veux parler d'un certain mouvement intefHn , qui furvient à tems marqué h tous les Individus, & qui fe manifeile par l'inquiétude qu'ils témoi- gnent alors. Une obfervation très-fûre &; répétée bien des fois ne permet pas de fe refufer à cette idée. Ou a vu de jeunes Oifeaux de palTage , des Cailles , par exemple , élevées en cage depuis leur naifTance , éprouver conftamment deux fois chaque- année une inquiétude & une agitation extraordinaires , préci- fément dans le tems du pafTage en Septembre & en Avril. Cette inquiétude duroit environ un mois, & recommenqoit tous les jours environ une heure avant le eoucher du Soleil. Toute la, nuit fe pafToit dans ces agitations , & le jour ces Oifeaux p;v» x«;iiToieut triftes , ajbattus & affoupis. \ 64 C 0 N T E M P L A f I 0 # faire pour la production des alimens dont elleâ fe nourrufent. Les vents paroiifent avoir une grande in- fluence fur les émigrations des Oifeaux. L'hif- toire de ces émigrations eft eiîentiellement liée aux obfervations météorologiques & les fuppofe. Sans doute qu'il feroit plus aifé de dire , pour- quoi les Oifeaux dont il s'agit > volent par nom- breux efeadrons , que féparés ou épars. Ils font âinii moins expofés à devenir le jouet des vents. Mais cet avantage n'eft pas probablement le feu! que leur procure l'état de fociété (z). Nous ( 2 ) ft Chez les Oifeaux de pafîàge , comme le remarque auiïi Mr. de Buffon,' les Pères & les Mères raiïemblent leurs Familles lorfque le tems du départ approche. Plufieurs Famil- les fe raffemblent pour ne former qu'une mîrae caravane, & fe mettre par-là plus en état de furmonter les r-élilt-ances & s'op- pofer à leurs ennemis. Mais tous les Oifeaux voyageurs ne fe forment pas en cara-* vanes pour palier d'un Pays dans un autre. Il en eft qui émigrent folitaires : d'autres n'émigrent qu'avec leur propre Famille : d'autres émigrent par petites troupes. On connoît en général les migrations des Cailles , des Étour- neaux , des Grives , des Bécaffes , des Corneilles , des Oies , &c. 5 mais de toutes les migrations des Oifeaux il n'en eft point de plus connues que celles des Hirondelles T & fur lefqueîles les ÏNaturaliftes aient plus varié. On fait que les lins ont admis qu'elles émigr oient , & que d'autres ont cru qu'elles fe précï- pitoient dans des marais ou elles demeuroient engourdies & accrochées les unes aux autres jufqu'au retour du Printems,* manquons- D £ LA NATURE. Part XL 6i Manquons de recherches aflez approfondies fur ces différentes Efpeces d'Oifeaux «Se fur les Poif- fons de partage* On s'étonne que des Savans en Ànatomie & en Hiftoire natu> relie, & même des Savans d'un grand nom , aient pu admettre fcme opinion auflî étrange que celle de cette immerfioi des Il :rond elles. Ils ont tait néanmoins de fi grands efforts pour la rendre croyable, que le judicieux Mr. de Montbeillari> i'eft trouvé dans l'obligation de la réfuter férieufement , & il n'a pas eu beaucoup de peine à y réunir. Comment des Hom- mes inftruits ont-ils pu fe perfuader un irtftant , qu'un Animal tout aérien , dont les poumons ont infpiré & expiré l'air pen« dant fix mois , peut vivre fous Peau ou dans la vafé pendant fis: c utres mois fans refpirer , & reparoître enfmte avec fa vivacité naturelle ? Les poumons des Hirondelles , comme ceux de tous les Habitans de l'air , ne font point du tout organifés à la ma* niere des poumons des Amphibies ; & pourtant l'opinion dont il s'agit transforme gratuitement l'Hirondelle en Amphibie. Mais l'Hirondelle eit. fi peu en état de vivre fous l'eau, qu'elle y périt en peu de temps loriqu'elle y eft plongée. Elle ne fau-t roit même réfifter au froid médiocre de cinq degrés au-deflus de la congélation. L'expérience en a été faite par un bon Phy- h ien. D'ailleurs , fi la prétendue immerfion des Hirondelles étoit chofe auffi ordinaire qu'on a tenté de le faire croire, 011 les verrqit chaque Printemps forrir en grandes troupes des ma-» rais , comme on voit alors les Loirs & les Marmottes fortir de leurs retraites. C'eft néanmoins ce qu'on n'a jamais vu , & que très-fùrement oli ne verra jamais. On ne trouve pas même un feul Auteur qui ait rapporté fur l'immerfion & l'émerfioii des Hirondelles aucune observation fur laquelle on puilfe tant foit peu compter. Ce font toujours des oui-dire , & jamais des f irs bien confiâtes. Mais ii eft une Efpece de ces Oifeaux dont les Individus s'affemblent en grand nombre dans les joncs des marais , & qui s'y noyent quelquefois : de pareilles Hirondelles Tome IXl E 66 CONTEMPLATION pêchées pende temps après leurfubmerfion, ont pu revenir à ig fie & donner naifiance à la fable de l'immerfion & de l'émer* fion de ces Oifeaux. C'eft vers la fin de Septembre , ou au commencement d'Oc- tobre , fuivant la température de la faifon , que les Hirondelles- quittent nos Contrées pour pàffei? dans les Pays chauds. Elles fe raftemblent alors en grandes troupes fur les cordons & les faîtes des édifices , & font entendre fans cefie un cri de rallie- ment. Non-feulement toutes les Familles de la même Efpece fe réunifient pour fe préparer au départ ; mais la caravane s'accroît encore par la jonction d'Hirondelles d'Efpeces différentes, qui avoient vécu auparavant féparées , & qu'un même inftinct porte àfe réunir aux autres pour partir & voyager de conferve. Le Savant Adanson a vu nos Hirondelles d'Europe arriver au Sénégal dans la féconde femaine d'Octobre : il les a même rencontrées en mer , ainfi que d'autres Voyageurs : mais elles ne nichent pas au Sénégal. Elles en repartent fur la fin de Mars. Il eit donc bien vrai que les Hirondelles de nos Contrées vont paifer l'Hiver dans les Pays chauds , & point du tout fe ploii5er dans les marais. Si mon Lecteur demandoit encore une preuve de la fauiïeté de cette immerfion , je la trouverois dans une expérience de Frisch. Ce Naturalifte ayant attaché aux pieds de quelques Hirondelles un fil teint en détrempe , revit l'année fuivante ces mêmes Oifeaux garnis de leur fil qui n'étoit point -décoloré. Cette ingénieufe expérience prouve encore que les mêmes Hirondelles reviennent au Printemps dans les mêmer lieux qu'elles avoient quitté en Automne. Mais les Hirondelles. domeftiques ne retournent pas pondre dans le nid de l'année précédente. Elles en conftruifent un nouveau au-defius de l'an- cien , fi le lieu le permet. On a vu jufqu'à quatre de ces nids, placés les uns au-deifus des autres dans le même canal de che- minée , & conftruits d'année en année. Les Grives , les Etourneaux r les Cailles , les Pinfons , les Fauvettes, &c. partent en Automne ; & c'elt alors que les Bê- tifies & ks Bécatfines arrivent dans nos Contrées. Je viens de nommer l'Etourneau parmi les Oifeaux de paflàgej mais je DE LA NATURE. Part XL ë% tlois ajouter qu'il n'eft proprement Oifeau de paflfage que dans les Pays froids tek que la Suéde. Dès que les Etourneaux ue nichent plus, ils fe railemblent en grandes troupes. Leur ma- nière de voler elt iinguliere , & ne fe retrouve dans aucune autre Efpece. On la diroit foumife à une forte de tactique : ils tourbillonnent fans ceffe en Pair , & tandis que leur inilinct. les entraine ve/rs le centre du tourbillon , la rapidité de leur vol les emporte continuellement au-delà. Ils circulent ainfi & fe croi- fent en tout feus , & la fpliere entière paroit tourner fur elle- même, fans fuivre de direction confiante. Ce tournoiement fin- gulier n'eft pas inutile aux Etourneaux : il écarte les Oifeaux de proie qui fe trouveroient mal de s'engager dans l'épais tour< billon où ils feroie'nt expofés à mille chocs divers. Je ne Snirois point fi je voulois parcourir avec nos ph& célèbres Ornithologiftes , l'intéreffante hiftoire des Oifeaux émi- grans , mais je m'arrêterai encore quelques momens fur l'émi-< gration des Grues , qui font de tous les Oifeaux voyageurs ceux qui exécutent les courfes les plus longues & les plus hardies. Originaires des Contrées fepcentrionales , les Grues parcou- rent les Régions, tempérées & s'enfoncent dans celles du midi* Elles s'élèvent à une grande hauteur dans les airs, &, s'y clif- pofent en ordre de bataille : leur phalange forme une efpece de triangle comme pour diminuer la réfîftance que l'élément léger apporte à la rapidité de leur vol. Mais quand le vent devient impétueux & qu'il menace de rompre la phalange , elles fe difpofent en cercle en fe refTerrant de plus en plus. Elles en ufent de même à la rencontre des grands Oifeaux ds proie dont elles ont à repouffer les attaques. C'eft pour l'ordi- naire dans les ombres de la nuit qu'elles fendent le; airs, & leur voix éclatante annonce au loin leur pafTage. Il femble qu'elles aient un Chef qui dirige leur marche, & qui les avertit fréquemment par un cri de reclame de la route qu'il tient : la troupe répète ce cri comme pour faire entendre qu'elle fuit & garde la direction. Si elles présentent l'orage, elles atbaiffenfc leur vol & fe rapprochent de la terre. Quand elles s'y rafièni- blent pendant la nuit , elles ont foin d'établir une garde qui J£ % et CONTEMPLATION veille tandis que la troupe dort , & qui l'avertit par un cri tî& danger qui la menace. De -là ces hiéroglyphes où la prudente Grue eft repréfentée comme le fymbolc de la vigilance. Ces grands Oifeaux émigrent dès les premiers froids de l' Automne. On les voit paffer alors du fond de l'Allemagne en Italie , & pourfuivre leur marche vers le Midi. Elles nichent dans les marais du nord. A peine l' éducation des Petits eft-elle achevée, «jue le temps du départ arrive : ils fe mettent en route avec leurs Parens , & font déjà allez forts pour les accompagner dans leurs longues traverfées. Les vrais Oifeaux de palfage émigrent périodiquement dans une certaine faifon : mais il arrive quelquefois qu'on obferve «le nombreufes migrations d'Efpeœs fédentaires , foit que des ©rages violens les châtient des lieux qu'elles habitent , foit qu'elles viennent à y manquer de fubfiftance. Ce font là des migrations irrégulieres qui n'ont lieu que trois à quatre fois dans un fiecle , & dont le Bec-croifé & le Caffe-noix fournuTeitÊ à%s exemples. B E LA NATURE. Tart.XL 6* gpfe ■=■■ ' ■ *3ftgs j -l- ' - CHAPITRE XIV. Les Harengs* L E s Harengs émigrent pat grandes troupes du pôle boréal vers les côtes d'Angleterre & de Hol- lande. Ces émigrations femblent être occaiionées par les Baleines & autres grands Poiiîbns que les mers glaciales renferment dans leur fein , & qui pourfuivent les Harengs. Ces Monftres ma- rins en avalent à la fois des tonnes entières. Ils îuivent fouvent leur proie jufques fur les côtes d'Angleterre ou d'Ecofle. Les Harengs multiplient excefîîvement , & ils font peut-être de tous les Poiiîbns ceux qui multiplient le plus. Ils fem- blent être une manne préparée par la Provi- dence, pour la nourriture d'un grand nombre de Poiiîbns. & d'Oifeaux de mer. Pour que l'Ef- p.ece des Harengs fe confervât, il falloit qu'ils fulfent fe fouftraire àJa pourfuite de leurs En-* ne mis.. Les Harengs arrivent fur les côtes d'Ecoife Se- d'Angleterre, vers le commencement de Juin, Leurs nombreufes légions fe partagent alors en piuueurs divifions. Les unes dirigent leur ccurfe E3 «70 CONTEMPLATION vers Peft , les autres vers l'oueft. Après avoir navigé quelque temps , les différentes troupes fe divifent encore , «Se parcourent les divers parages des mers Britanniques & de celles d'Allemagne , fe réunitrent enfuite , & difparoirlent enfin au bout de quelques mois. Plufieurs milliers de Hollandois font occupés annuellement à la pèche du Hareng , on peut juger par ce feul trait de rétonnante multiplication de ce Poiiïon ( I ). ( i ) ff De tons les Poiiïbns qui vivent an fein des mers , \\ n'en eft point où la magnificence de la Nature dans la multi- plication des Êtres vivans. brille avec pins d'éclat que dans le Hareng ; & c'eft fur-tout ici qu'il faut admirer le merveilleux çcjuilihre qu'elle entretient fans ccfTe entre la multiplication & la deftru&ion. Malgré le nombre prodigieux d'ennemis qui font aux Harengs une guerre perpétuelle & toujours heurenfe , on voit chaque année des flots de ces Poiffons s'avancer vers les mers d'Allemagne & d'Angleterre , & fournir conitamment aux Pécheurs les récoltes les plus abondantes. En vain les Baleines, les Requins, les Marfonïns & une foule d'autres Poiflbns font- ils une énorme confommation de Harengs ; en vain les Oifeaux de mer en confomment-ils encore une immenfe quantité; en vain des milliers d'Anglois , de Hollandois , d'Allemands , de Franqois ne ceiTent-ils d'en remplir leurs filets ; la pullulation en eft toujours à-p^u-près la même, & l'Efpece vittorieufe de tous fe.s Ennemis , fe confërve de fiecle en liecle & envoie chaque année de nouvelles légions dans nos mers. „ Les Ha- „ rengs, dit Tillnître Hlftorien (f) des PoiMbns, entrent par 5, fois en fi gr.m.le quantité dans la Manche , qu'ils refîemblent n aux fio^s d'une msr agitée; c'eft eejj que les Pêcheurs nom-. (f) Mr. Duhamel. B E LA NATURE. Part XL 71 „ ment des lits ou bouillons de Harengs : quand les filets don- v nent dans ces bouillons , il arrive qu'ils font tellement char- „ gés de Poiflbns qu'ils rompent & coulent bas". Ce n'eft pas uniquement pour fe fouftraire aux pourfuites des grands Poiflbns qui hantent les mers du Nord , que les Harengs s'avancent en grandes troupes vers les mers d'Angleterre & d'Allemagne; c'eft encore pour y recueillir une abondante nour- riture que la Nature leur a préparée dans ces parages : ils four- millent alors de Vers & de petits Poiflbns dont les Harengs font très-avides, & qui les engraiflent beaucoup. Ils y fraient en même temps. Et peut-être encore que lorfqif ils abandonnent ies mers du Nord , ils n'y trouvent plus affez de nourriture pour fournir à leur fubfiftance. On peut conjedturer avec fon- dement , qu'il en eft à cet égard des Harengs & des autres Poiflbns qui émigrent , comme des Oifeaux de paflagc. Le même inftin& & les mêmes befoins peuvent déterminer les migrations chez les uns & chez les autres ; & ces migrations font elles-mêmes le moyen que la fage Nature emploie pour «onferver ces Efpeces fi nombreufes en Individus. E4 $2 CONTEMPLATION CHAPITRE XV. Les Rats de paffàge* ^\^# e S Éats , particuliers aux contrées les plus Septentrionales, de l'Europe, apparoinent de temps en temps en fi grand nombre dans les campagnes delà Norwege & delà Laponie , que les Habitans, s'imaginent qu'ils tombent du Ciel. Un Natu- ralifte célèbre ( i ) qui leur a donné l'attention qu'ils méritent, a reconnu que ces Rats ont des émigrations périodiques , tous les 18 ou 20 ans. Ils fortent alors de leurs demeures & fe mettent en campagne. En chemin faifant , ils tracent dans. la terre des fentiers ou filions de deux doigts.. de profondeur , & qui occupent quelquefois la» largeur de plufieurs toifes. Mais ce que ces émi- grations offrent de plus fingulier , eft que les Rats fuivent conitamment dans leur marche la ligne droite, fans fe détourner jamais qu'à la rencontre d'un obftacle impénétrable. Ainfi 9. quand il leur arrive d'être arrêtés par un rocher ,. ils erTaient d'abord de le percer , & comme ils n'en peuvent venir à bout , ils en font le tour » & regagnent au - delà la ligne droite. S'ils ren- contrent une malle de foin ou de paille , ils. 1$ (i) Mx, LiNNEys, DE LA NATURE. Part. XL 7* percent de part en part , toujours en ligne droite. Un lac ne les arrête point : ils le traverfent de même ou entreprennent de letraverfer en ligne droite , & s'ils trouvent fur leur partage une barque ou quelqu'autre bâtiment , ils grimpent dellus auflî-tôt , le traverfent & defcendent de Fautre côté par une .ligne parallèle à celle qu'ils ont tracée en montant ( 2 ). ( 2 ) -j-f Le petit Quadrupède dont je parle dans ce Chapitre , Jiabite les montagnes de Nonvege & de. Lapouie. Il y a requ le nom de Leming-, que Mr. de Buffon lui a confervé, C'eft un des plus terribles fléaux qui déf oient de temps en temps les cam- pagnes de ces Contrées. Ils dévàftent les jardins , les champs , les prairies , confument toutes les productions de la terre , & «'épargnent que ce qui eft ferré dans les maifons ou dans les greniers où heureufement ils n'entrent point. Ils courent avec afifez de vîteffe, fe creufent des fouterreins , comme la Taupe, & mangent comme elle , des racines. Quoique petits , ils font très - courageux , £e défendent contre leurs ennemis r vont au- devant de ceux qui les menacent , & ne fuient point à l'approche des Hommes. Si on les frappe du bâton , ils fe jettent delfus & le ferrent fi fortement entre leurs dents , qu'ils ne lâchent point prife & fe lailTent tranfporter ainli à quelque diftance. Ils font entendre un aboiement femblable à celui des petits Chiens. Quand ils ont émigré en grandes troupes de leur Pays natal , ils n'y retournent plus. On aiTure même qu'ils meurent tous an retour de la verdure ; & comme le nombre de Içurs petits cada- vres eft prodigieux , l'air en eft fi infe&é qu'il en naît des maladies. Ils fe dévorent aufii les uns les autres , comme tous les Rats , & de-là vient que leur deftruftion femble auffi prompte que leur multiplication. Un Auteur raconte, que lorfqu'ils fe font la guerre , ils fe partagent en deux bandes quiw fe jettent l'une fur l'autre & s'entredétruifent. 74 CONTEMPLATION CHAPITRE XVI. Les fociétés proprement dites. p a. R M I les fociétés improprement dites , il eu eit plufîeurs qui dépendent du hafard ou du fait de l'Homme , finon en tout , du moins en partie. Iî n'en va pas de même des fociétés proprement dites. Elles ne doivent leur origine à aucun fait humain ni à aucune circonftance étrangère 5 mais elles relèvent uniquement de la Nature. Les membres qui les compofent ne font pas feule- ment unis par des befoins ou des avantages com- muns, & cela pour un temps fouvent affez court; ils le font encore par un lien plus fort , & qui fubfifte jufqu'à la mort de Px^nimal ou du moins pendant une grande partie de fi vie ; je veux dire la propre confervation de l'Individu ou celle de fa Famille. L'une & l'autre font néceifairement attachées à fétat de fociété.C'cft pour cette grande fin que ces différentes Eipeces d'Animaux focia- blés , ont été inftruits à travailler en commun à des ouvrages (I dignes d'être admirés. Les fociétés proprement dites pourroient être divifées en deux claiïcs > la première compren- DE LA N A T U R E. Part. XL 7c droit celles dont la fin principale fe borne à la confervation des Individus , la féconde celles qui ont pour but & la confervation des Individus & l'éducation des Petits. Plusieurs Efpeces de Chenilles & quelques Efpeces de Vers appartiennent à la première de ces deux claffes ; les Fourmis , les Guêpes , les Abeilles , les Caftors , &c. à la féconde. La première claffe auroit fous elle deux genres principaux ; l'un comprendroit les fociétés à temps , l'autre , les fociétés à vie. Epfe' -^Sftfé ^»j*« CHAPITRE XVII. Les Chenilles communes ( 1 ). \J N" Papillon dépofe fes œufs vers le milieu de l'Eté fur une feuille de Prunier > le nombre de ces œuFs eft d'environ trois à quatre cents. Au bout de quelques jours il fort de chacun d'eux une très - petite Chenille. Loin de fe difperfer fuc ( 1 ) ff Ces Chenilles font celles qui fe conftruifent ces nids de pure loie , qu'on rencontre fi fréquemment en Hiver fur les- haies & fur les Arbres fruitiers , & qui fe font remarquer par leur blancheur. La forme & la grandeur de ces nids varient beaucoup. T6 CONTEMPLATION les feuilles voifines , toutes demeurent raffermi b!ées fur celle qui les a vu naître : le même efprit; de fociéte les unit; Elles fe mettent auffi- tôt à filer de concert une toile, d'abord très -mince, mais qu'elles fortifient en fuite peu - à - peu en y ajoutant de nouveaux fils. Cette toile eft une vraie tente , dreifée fur la feuille , & fous la- quelle les jeunes Chenilles fe mettent à- couvert. A mefure qu'elles groffiflent , elles étendent leur logement par de nouvelles couches de feuilles & de foie. Les efpaces compris entre ©es couches font les appartenons qui fe communiquent tous par des portes ménagées à deflein. G' eft dans ce nid qu'elles paifent l'Hiver , couchées les; unes auprès des autres, fans mouvement, juf- ques à ce que le retour du; Printemps les, ranime v. & les invite à aller ronger les feuilles nauTantes. Enfin , vers le mois de Mai, la fociéte fe diffout ; chaque Chenille tire de fon côté , & va paiîer le refte de fa vie dans la folitude. Alors, devenues plus fortes, l'état de fociéte ne leur eft plus, uéceffaire s elles n'ont plus befoin d'habitation commune. Ce léger précis de l'hiftoire de la Chenille nommée Commune, parce qu'elle eft de celles, qu'on rencontre le plus fréquemment , donne une idée des fociétés à temps 3 & qui ont pou« DE LA NATURE. Part. XL 77 fin prochaine & dire&e la confcrvation des In- dividus. CHAPITRE XVIII. Les Chenilles procefJJonnaires. c ES Chenilles, qui vivent fur le Chêne, & dont les fociétés font beaucoup plus nombreufes que celles des Communes , ont des procédés plus finguliers. Elles fortent de leur nid au Soleil couchant, & marchent en proceflion fous la conduite d'un Chef , dont elles fuivent tous les mouvemens. Les rangs ne font d'abord que d'une Chenille , en-fuite de deux , de trois , de quatre & même de plus. Le Chef n'a rien d'ail- leurs qui le diftingue , que d'être le premier, & il ne Peft pas conftamment , parce que chaque Chenille peut à fon tour occuper cette place. Après avoir pris leur repas fur les feuilles des environs , elles regagnent leur nid dans le même ordre, & cela continue pendant toute la vie de Chenille. Parvenues enfin i leur dernier accroif- fement, chacune fe conftruit dans le nid une co- que , où elle fe change en Chryfaîide , & revêt enfuite la forme de Papillon. Ces métamorphofes 78 QONTEMPLATlOft font fuccéder à l'état de fociété un nouveau genre de vie , tout diflérent de l'ancien ( i). Voila un exemple des fociétés à vie , dont la fin principale eft la confeivation des Indi- vidus (2). ( 1 ) ff Ces curieufes Républicaines ne doivent être obfer- vées qu'avec précaution : elles font les plus venimeufes de toutes les Chenilles de nos Contrées. Elles font naître fur la peau des ampoules lors même qu'on ne les touche point. Il fuffit quel- quefois de fe trouver couché au pied d'un Chêne où elles fe font établies , pour éprouver bientôt des démangeaifons très- incommodes. On fait que les Chenilles ne font point venimeufes par elles-mêmes; elles ne le font que par accident. C'eft la robe qui eft venhneufe & point du tout la Chenille. Les petits poils dont les Chenilles velues font fournies , fe détachent faci- lement de leur peau & entrent dans 3a nôtre comme de petites épines. Ce font uniquement ces poils qui y font naitre des dé- mangeaifons & des ampoules. Toutes les Chenilles rafes peu- vent être maniées impunément. Nos proceffionnaires du Chêne font très-fournies de poils fort courts , qui fe détachent de leur peau au moindre frottement. L'air qui les environne, en eft quelquefois rempli. Leur nid en abonde , & quoique les Che- nilles ne l'habitent plus, il ne fauroit être manié fans rifque. Les poils de ces Chenilles pourroient donc tenir lieu de véli- catoires. ( 2 ) ff On trouve en Hiver & au Printemps fur les Pins , de très - nombreufes fociétés de Chenilles qui vivent auffi en- République pendant toute leur vie. Elles ne font pas li veni- nieufes que les proceffionnaires du Chêne ; mais on doit néan- moins éviter de les manier. Elles fe conftruifent des nids de pure foie d'une grande blancheur , & qui égalent quelquefois en groifeur ^a tcte ti>un Enfant. Les couches déploie, plus ou î) E LA NATURE. Part XI 79 3&ûins nombreutes , dont elles enveloppent les jeunes branches & les feuilles de l'Arbre , forment ces nids. Elles y pratiquent une principale ouverture pour l'entrée & la fortie. Elles font de grandes proceflionnaires : elles marchant toutes une à iu\q & à la file dans le plus grand ordre. La file qui eil fouvent très-longue, €Ïfc prefque par-tout continue. La Chenille qui eft à la tête dé- termine les évolutions de toute îa troupe. Tantôt elles défilent fur une ligne droite , tantôt elles tracent des courbes plus ou moins irrégulieres , aun imitent quelquefois des guirlandes , d'autant plus agréables à l'œil , que toutes les parties de la guirlande font en mouvement & varient fans celle leurs afpeéls. Elles s'éloignent du nid à de grandes diftances, fouvent par mille détours , & pourtant elles favent toujours le retrouver. On Î6s voit revenir par les mêmes chemins fans fe détourner ni à droite ni à gauche. Quand plufieurs de ces fociétés s'avoifinent , Jes guirlandes ou les cordons fe multiplient , fe dirigent en dif- férens fens , tracent une multitude de figures , & le fpectacle en devient plus amufant encore. Leur marche eft allez lente , uniforme & prefque grave. On la diroit affujettie à une efpece de tactique. Lorfque le tems de la métamorphofe approche , elles fe conftruifent des coques de foie -, mais non dans le nid même , comme les proceflionnaires du Chêne : leur inftinct eft différent à cet égard : c'eft dans la terre qu'elles vont les conf- truire; & ces coques ne fout pas aufîi fournies de foie propor- tionnellement, que le font les nids. v$s 8* 'CONTEMPLATietf CHAPITRE XIX. Procédé remarquable des Chenilles qui vivent eyl fociétéi i Lya plufieurs Efpeces de ces Chenilles , qui • frmt de vraies républicaines, & dont la di(ci- pline , les mœurs , le génie fe diveriirlent autant que ceux de différens Peuples. Il en eft qui , comme quelques Sauvages $ fe conftruifent des branles ou des hamacs , dans lefquels elles pren- nent leurs repas, où elles pafTent même toute leur vie & fe transforment ( i ). Il en eft d'au- ( i ) ff Ces Chenilles qui fe tiennent dans des efpeces de hamac" qu'elles favent fe conftruire , font au nombre des pins communes de nos Contrées. On les trouve au Printemps fur les Pommiers & fur divers Arbuires qui croiiïent dans les haies ; tels que le Prunier fauvage , le Fufain , &c. Elles ne mangent que le parenchyme de la furface fupérieure des feuilles , & ce qui eft afiez remarquable , leur corps ne touche jamais la feuille qu'elles rongent , comme s'il étoit trop délicat pour fupporter ""cet attouchement. Il n'eft au moins recouvert que d'une peau très -molle & douée d'une grande feniibilité. Pour peu qu'on touche ces Chenilles , elles avancent ou reculent en droite ligne dans leur hamac , avec une extrême vitefle. On eft furpris de voir qu'elles ne fe détournent ni à droite ni à gauche tandis qu'elles exécutent des mouvemens fi prompts : mais on celle de l'être dès qu'on vient à découvrir que chaque Chenille eft logée dans* une farte de très-longue gaîne à claire-voie, que l'œil ne très 1) M L A NATURE. Part. XL §* très qui vivent à la manière des Arabes ou des Tartares, fous des tentes qu'elles dreiTent dans les prairies , & quand elles ont confumé toute Pherbc des environs de la tente , elles lèvent le piquet & vont, camper ailleurs (2). démêle pas, & qu'elle s'eft elle-même filée. Tout le nid on tout le hamac eft. formé d'un alTembkge de ces gaines couchées parallèlement les unes fur les autres , dans chacune desquelles eft renfermée une Chenille. Le nid enveloppe un certain nom- bre de menus jets ou de feuilles ; & quand le parenchyme de toutes ces feuilles a été confumé , les Chenilles vont tendre un autre hamac fur les feuilles voifnies. Elles en tendent ainli plufieurs fucceîïivement dans le cours de leur vie. On les pren- droit au premier coup-d'œil pour des toiles d'Araignées. C'eft dans le dernier que s'opère la métamorphofe. Chaque Chenille s'y prépare en fe renfermant dans une coque de pure foie. Toutes les coques font adoiïees les unes aux autres , & arran- gées par paquets en manière de gâteau. Je ne fais s'il eft né- ceffaire à ces Chenilles , ou plutôt à leurs Chryfalides , d'avoir toujours la tête tournée en en-bas: mais toutes celles que j'ai exa- minées dans leurs coques affe&oîent cette fituation. O) tt Je pfeffoîs un peu trop ia compâraifon entre nos Chenilles & les Arabes* Elles ne lèvent pas proprement le piquet & n'emportent pas avec elies leur tente , comme les Arabes. Elles laiflent en place celle qu'elles ont tendue fur les herbes des prairies , dont elles ont achevé de confumer les feuil- les. Comme elles font de bonnes fil: aies , il leur en coûte peu de dreffer une nouvelle tente fur d'autres herbes qu'elles dévo- rent bientôt. Elles fe conitruifent ainfi pendant le cours de V Automne une fuite de tentes , qui font des logemens fuffifans pour la faifon. Mais quand l'Hiver approche , elles fongent à fe loger plus chaudement. Elles fe renferment alors dans une iorte de bouffe d'Une toile forte, épaitte & opaque, où elles Tome IX. F (i CONTEMPLATION Les nids que fe conftruifent les Chenilles re publicaines font pour elles de véritables retraites 5 elles y font à l'abri des injures de l'air , & toutes s'y renferment dans les temps d'inaction ou de maladie. Mais elles en fortent à certaines heures pour aller chercher leur nourriture. Elles vont ronger les feuilles des environs : elles tes con- fument de proche en proche. Souvent elles s'é- loignent beaucoup de leur domicile & par dif- férens détours. Cependant elles favent toujours le retrouver & s'y rendre au befoin. Ce n'eft pas la vue qui lés dirige fi ferrement dans leurs marches ; cela eft très -prouvé. La Nature leur a donné un autre moyen de regagner le gîte » & ce moyen revient précifément à celui qu'em- ploya Ariadne pour retirer du labyrinthe fou cher Thésée. Nous pavons nos chemins ; nos Chenilles tapiffent les leurs. Elles ne marchent jamais que fur des tapis de foie. Tous les. che- mins qui aboutiiTent à leur nid , font couverts de fils dë::'foie. Ces fils forment des traces d'un fclartc luftré , qui ont au moins deux à trois lignes 4e largeur. C'eft en fuivant à la file ces traces 9 Welles ne manquent point le gîte , quelque tortueux que foient les détours dans lefquels elles patTent la mauvaife faifon, clans 1111 état d'engonrdiiïement. Elles en fortent dès le mois de Mars pour reprendre leur premier genre de vie» DE LA NATURE. Part. XL g$ s'engagent. Si l'on paffe le doigt fur la trace „ Ton rompra le chemin , & on jettera les Chenilles dans le plus grand embarras. On les verra s'ar- rêter tout-à-coup à cet endroit , & donner toutes les marques de la crainte & de la défiance. La marche demeurera fufpendue , jufques à ce qu'une Chenille plu? hardie ou plus impatiente que les" autres , ait franchi le mauvais pas. Le fil qu'elle tend en le franchiifant , devient pour une autre un pont fur lequel elle paife. Celle-ci tend en paffant un autre fil > une troifieme en tend un autre , &c. & le chemin eft bientôt réparé ( 3 ). Les procédés induftrieux des Infedles, & en général des Animaux , s'emparent facilement de notre imagination. Nous nous pîaifons à leur prêter nos raifonnemens & nos vues. Il y a bien loin du procédé des Chenilles républicaines, à celui de Thésée. Elles ne tapiffe-nt pas leurs che-< 'mins pour ne point s'égarer; mais elles ne s'éga- rent point, parce qu'elles tapiifent leurs che- ( 3 ) tt Ce fut fur les Chenilles livrées que j'obfervaî pour la première fois, en 1738 , ce procédé remarquable, au moyeu duquel les Chenilles qui vivent en fociété , favent retrouver la chemin de leur nid. Je l'ai revu depuis dans d'autres Chenilles républicaines , & en particulier dans celles qui vivent fur les Pins , dont j'ai parlé , Note z du Chap. XVIIJL II eft commun , £ms doute, à toutes les JProceflïoiînïiirçs. F3 84 CONTEMPLATION mins. Elles filent: continuellement , parce qu'elles- ont continuellement befoin d'évacuer la matière foyeufe que la nourriture reproduit , & que leurs intetuns renferment. En fatisfaifant à ce befoin, elles affurefot leur marche , fans y fonger , & ne le font que mieux La conftruehon du nid eft encore liée à ce befoin. Son architecture P-eft à la forme de l'Animai * à la ftructure & au jeu defes organes , & aux circonftances particulières où il fe trouve. Nous effleurons ici un des prin- cipes les plus généraux & les plus philofophiques qu'on punTe former fur les opérations des Bru- tes : nous y reviendrons. jgS&-!... . '.—r jg3%P= CHAPITRE XX. QuèJHon. Il » e s fociétés que nous venons de parcourir , ne devroient - elles point leur origine à cette circonftance commune aux Chenilles qui les compefent , de naître d'œufs dépofés les uns au- près des autres ? Il n'y a pas lieu de le foupçonner ; puifque cette circonftance fe rencontre dans beaucoup d'Efpeces de Chenilles, qui cependant ne travail-* DE LA NATURE. Part XL fy îent point de concert aux mêmes ouvrages. Les Vers- à -foie en font un exemple très - Familier. Il eft vrai qu'ils demeurent volontiers raiTemblés dans le même lieu -, difpofition qui nous eft très- avantageufe ; mais les Individus de quantité d'autres Efpeces fe difperfent après leur naifTance pour ne fe réunir jamais. Les Araignées nouvel- lement éclofes commencent par filer en commun , & finiffeut bientôt par fe dévorer les unes les autres. On efl; donc oblige de recourir ici à ce prin- cipe ou à cet inlttnét , en vertu duquel chaque Animal agit de la manière 3a plus conforme à fou bien-être ou à fa deltination ( i ). ( î ) ff Mr. de Reaumur avoit déjà touché à la queftion que je propofe dans ce Chapitre, & l'avoit décidée d'après fes propres obfervations. Voici comment il s'exprime là-deiïus. „ Nos fociétés de Chenilles ne font qu'une même famiLle, & ,, font compofées des Chenilles fortics des ceufs pondus par un 5) même Papiilon & dépofés dans un même tas. On pourroit „ croire que c'eil une règle générale peur les Chenilles qui „ fortent d'eeufs dépofés les uns auprès des autres , que toutes 3, celles qui naiffent enfemfale commuent d'y vivre. Mais fi on „ fuit les hiftoires des Chenilles de diverfes Efpeces , on re- 5, connoitra que ce n'eft pas cette circonftnnce qui décide de „ leur faqon de vivre , que les unes naiffent avec un efprit de ,j fociété que les autres n'ont pas ". Notre Obfervateur le prouve par la comparaifon de la Chenille nommée à oreilles avec la Commune. „ Les Papillons femelles des Chenilles de yy l'une & l'autre Efpece , ajoute-t-il , arrangent leurs œufs avec F3 g* CONTEMPLATION Il y auroit néanmoins une expérience curieufe à tenter fur ce fujet : ce feroit de difperfer les œufs du Papillon de la Chenille commune , de îaiffer vivre quelque temps en folitude les Che- nilles qui en éclorroient , & de les raifembler en- fuite : Ton s'affureroit par ce moyen de l'influence de la circonftance dont nous parlons. On pour- roit encore tenter de former des fociétés d'In- dividus d'Efpeces différentes , & de réunir en un fcul Corps plufieurs fociétés de même Efpe- ce , &c. 53 le même art, ils les raffemblent dans un nid bien rembourré 5, de poils, & bien couvert de poils par-defîus. Les petites 5j Chenilles qui fortent des œufs du Papillon de la Commune , 9, travaillant de concert aux mêmes ouvrages pendant la plus s, grande partie de leur vie , elles habitent enfemble ; au lieu 55 que dès que les Chenilles à ordlles font nées & dès qu'elles 9, font forties de leurs nids , elles fe difperfent , chacune de fou s, côté 5 elles ne travaillent en commun à aucun ouvrage '\ Et combien d'Efpeces de Mouches qui naiffent les unes auprès des autres , & qui fe difperfent au moment qu'elles éclo* fent , tandis que les Guêpes , les Abeilles , les Fourmis , &c. forment des fociétés nombreufes qui travaillent en commua aux mêmes ouvrages \ E LA NATURE. Part. XL $| CHAPITRE XXL Les fociétés qui ont pour fin principale F éducation des Petits. c omme les Chenilles n'engendrent point qu'elles ne foient parvenues à l'état de Papillon , il ne s'agit point dans leurs fociétés de l'éduca- tion des Petits. Leur propre confervation eft Tunique fin de leur travail. Il règne parmi elles la plus parfaite égalité : nulle diftm&ion de fexes, & prefque nulle diftinclion de grandeur. Toutes fe refTemblent ; toutes ont la même part aux travaux : toutes ne compofent proprement qu'une feule famille hTue de la même Mère. Les fociétés des Fourmis , des Guêpes , des Abeilles font formées fur des modèles bien dif- ierens. Ce font des républiques compofées de trois ordres de Citoyens , qui fe distinguent par îe nombre , la grandeur , la figure & le fexe. Les Femelles , ordinairement plus grandes & moins nombreufes , tiennent le premier rang : les Mâ- les, d'une taille un peu moins avantageufe , mais en plus grand nombre , forment le fécond or- dre: les Mulets ou les Neutres , privés de fexe, F4 %i CONTEMPLATION toujours plus petits à toujours plus nombreux 2 compoient le troisième ordre ( i \ ( i ) ff Mr. de Geeb. nous a fait connoitre une Punaife champêtre qui vit en famille avec fes Petits , & qui les conduit comme une Poule conduit fes Poïiffins. On la trouve en Eté fur le Rouleau. Une Mère Pnnaife de cette Efpece conduit trente ou quarante Petits. Elle ne les, quitte point ; & dès qu'elle fe met à marcher, tous fes Petits la fuiventf. & loifqu'elle fe fixe fur quelque feuille de l'Arbre pour en pomper le fuc , toute fa Famille fe raiTembîe autour d'elle. Elle la promené ainfi de feuille en feuille, & de branche en branche. Cette Punaife, prefqu'aufii vigilante qu'une Mère Foule , fait la garde auprès- de fes Petits, & leur prodigue. fes foins ,. tandis qu'ils font jeunes- encore. „ Il m'arriva un jour , dit notre Obfervateur , de couper „ une branche de Bouleau, peuplée d'une telle Famille, & je 3, vis d'abord la Mère fort inquiète battre fans celle des aîles 3, avec un mouvement très-rapide , fans cependant changer de 35 place, comme pour écarter l'ennemi qui venoit de l'appro» 3, cher 7 tandis que dans toute autre circonftance elle fe feroit 3, d'abord envolée ou auroîl tàehé de s' enfuir •-, ce qui prouve qu'elle ne reftoit là que pour la dé'fenfe de fes Petits. On obferve que c'elr. principalement contre le PVlâle de fon Ef- pece , que la Punaife Meré fe trouve obligée de défendre fes- Petits-, parce qu'il cherche à les dévorer par -tout où il les rencontre, & c'eft alors qu'elle ne manque jamais détacher de les garantir de tout fon pouvoir contre fes attaques ".. 3? 35 35 35 3> ^# DE LA NATURE. Part A7. g? CHAPITRE. XXÏL Iw Fourmis. u E L L E n'eft point la merveilleufe activité de ces Infedes laborieux à raffembîer les maté- riaux qui doivent entrer dans la conftrudion de leur nid ! Voyez comment ils favent fe réunir & s'entr'aider pour excaver la terre, pour la char- nier , pour tranfporter à leur habitation les brins d'herbe , les pailles , les fragmens de bois , h les autres corps de ce genre, qu'ils emploient dans leurs travaux. Ils femblent ne faire que les entafler pèle - mêle ; mais cette forte de con- fusion cache un art & un deiTein qu'on découvre dès qu'on cherche à le voir. Sous ce monticule qui eft leur logement , & dont la forme facilite l'écoulement des eaux , fe trouvent des galeries qui communiquent les unes avec les autres , & qui font comme les rues de la petite ville ( i ). ( i ) ft Chez les Fourmis , comme chez les Abeilles , les Guêpes , &c. il y a de trois fortes d'Individus ; des Mâles , des Femelles , & des Neutres ou des Individus privés de fexe. Ces trois ordres de Fourmis différent par divers caractères & en particulier par la taille. Les Femelles font les plus grandes ; les Neutres font, en général , les plus petits, & les Mâles femblent tenir le milieu entre ces deux grandeurs. Les Individus diftin- gués de fexe ont quatre ailes j les Neutres en font toujours dé- $o CONTEMPLATION On eft fur- tout frappé des follicitudes conti- jiuelles des Fourmis pour leurs Nourririons , des pourvus. Il eft finguîier que vers l'arriere-faifon les Individus ailés perdent leurs ailes ; c'eft au moins ce qu'un bon Obfer- vateur (f) a remarque' fur un grand nombre de ces Individus. Les Neutres , beaucoup plus nombreux que les Mâles & les Femelles , ont été chargés feuls de tous les travaux de la four- milliere : il en eft donc encore à cet égard , des Fourmis comme des Abeilles & des Guêpes. On a vu ci-deiïïis ( Part. IX , Chap. IX) , que les Fourmis appartiennent à la claffe des Infe&es, qui parlent par l'état de Nymphe : après la dernière transformation , les Mâles & les Femelles fortent de la f ourmilliere , voltigent dans l'air , s'unif- fent de l'union la plus intime , & dès que les Femelles ont été fécondées , elles rentrent dans la fourmilliere pour y faire leur ponte. Les œufs font extrêmement petits, liffes , blanchâtres» cblongs & membraneux. Il en éclot des Vers à tête écailleufe, fans jambes, toujours roulés fur eux-mêmes, & qui ne chan- gent prefque pas de place. Incapables de pourvoir par eux- mêmes à leur fubiiftance , ils font alimentés journellement par les gendres foins des Ouvrières. Parvenus à leur parfait accroif- femeirt , ils fe filent une coque de foie blanche , dans laquelle ils fubiflfent la métamorphofe. Ce font de pareilles coques que le Vulgaire prend pour les œufs des Fourmis , & que les Ou- vrières tranfportent de côté & d'autre au befoin , & pour lef* quelles elles montrent un fi grand attachement. Elles n'en mon- trent pas moins pour les véritables œufs : ils font difpofés par tas , & quand on les difperfe , elles les raffemblent de nouveau avec une extrême diligence. La coque que fe file le Ver, eft très - néceffaire à la confer- vation de la Nymphe : elle prévient un trop prompt deiféche- ment qui expoleroit la vie de celle-ci. Ce n'eft point la Nym- phe elle - même qui perce cette coque pour venir au jour : le (f) Mr. de Geer. D E LA N A T V R JE. Paré. XL 91 foins qu'elles prennent de les tranfporter à pro- pos d'une place dans une autre , de les nourrir, & de leur faire éviter tout ce qui pourroit leur foin de la percer a été encore confié aux laborieufes Ouvrières. Si on la perce avant le temps, la Nymphe périt : les Ouvrières connoiffent donc le moment où il convient d'ouvrir la coque- Mais les Nymphes de toutes les Efpeces de Fourmis, n'ont pas befoin pour venir à bien , d'être renfermées dans des coques : il en eft dont les Nymphes demeurent toujours à découvert, parce que les Vers ne fe filent jamais d'enveloppes. Les Vers & les Nymphes demandent à être tenus dans une température qui ne foit ni trop feche ni trop humide : les Ouvrières , qui paroiffent le favoir , fe conduifent en confé- quence. Tantôt elles apportent leurs NourrhTons à la furface de la fourmilliere pour les expofer au foleil ou au grand air , tantôt elles les rapportent dans l'intérieur, toujours un peu humide , foit pour prévenir leur deffe'chement , foit pour les mettre à l'abri du froid. Elles les élèvent ou les abaiffent ainft dans leurs forcer reins , fuivant que les circonftances l'exigent. Il paroit que les Fourmis alimentent leurs Petits à la manière des Guêpes , en leur dégorgeant la nourriture qu'elles ont elles- mêmes digérée , & qui fe montre au- dehors fous l'afpecT: d'une liqueur vifqueufe. Mais lorfqu'elles demeurent privées d'ali- mens , leur affection pour les Petits fe change en cruauté , & elles les dévorent. J'ai dit qu'il eft des Fourmis dont les Vers ne fe conftruifent point de coques & fe transforment à nud. M. de Geer nous fait connoître une Efpece de ces Infectes laborieux , qui nous offre en ce genre une fingularité bien remarquable : une partie des Individus fe renferme dans des coques pour y fubir la mé- tamorphofe, tandis qu'une autre partie néglige cette précaution & fe transforme à découvert. L'enveloppe de foie n'eft donc pas aiuTi néceffaire aux Nymphes de cette Efpece, qu'elle paroîfc l'être à celles de quelques autres. 92 CONTEMPLATION nuire. On admire la promptitude avec laquelle? elles les fouftraifent au danger, & le courage avec lequel elles les défendent. On a vu une Fourmi partagée par le milieu du Corps , tranfporter les uns après les autres huit eu dix de fes Nourrit fons. Enfin , elles ont foin encore d'entretenir autour d'eux le degré de chaleur qui ieur con- vient. Elles vont chercher au loin leurs alimens 8c leurs provisions. DirFérens chemins, alfez fou- vent fort tortueux , abouthîent à la fourmi !!iere„ Les Fourmis les fuivent à la file, & ne s'égarent point» non plus quelec Chenilles républicaines. Comme ces dernières , elles laiiîent des traces par tout où elles paiïcnt. Ces traces ne font pas fenfibles aux yeux ; elles le feroient plutôt à l'o- dorat : on fait que les Fourmis ont une odeur pénétrante. Quoi qu'il en {bit , Ci l'on paffe le doigt à piufîeurs reprifes fur un mur le long duquel des Fourmis montent & defeendeut à la file, on les arrêtera tout court, & on sVrnufera quelque temps de leur embarras. Il en fera de ces procédions de Fourmis comme je l'ai raconté de celles des Chenilles. - La prévoyance des Fourmis a été fort celé- Tarée. L'on répète depuis près de trois mille ans , 'B È LA NATURE. Part XL 95 qu'elles amaiTent des provifions pour l'Hiver; qu'elles favent fe conftruire des magafins où elles renferment les grains qu'elles ont recueillis pen- dant !a belle faifon. Ils leur feroient très inu- tiles , ces magafins , elles dorment tout l'Hiver , comme les Marmottes , les Loirs , & bien d'au- tres Animaux. Un degré de froid aflez médiocre fuffit pour les engourdir. Que feroient - elles donc de ces prétendus magafins ? aulîî n'en conftruifeht - elles point. Les grains qu'elles char- rient 3vec tant d'activité à leur domicile , ne font point du tout pour elles des provifions débou- che , ce font de (impies matériaux qu'elles font entrer dans la conftruclion de leur édifice, comme elles y font entrer des brins de bois , des pailles , &c. Les faits atteftés par l'antiquité la plus vénérable , ont donc encore befoin de l'œil de PObfervateur , & de la Logique du Philo- sophe (2). (2) ff Mr. de Geer nous apprenti, qu'ayant interrogé par Lettie Mr. de Reaumub. fur cette multitude de petits corps légers que les Fourmis charrient avec tant d'activité" , ce grand Observateur lui avoit fait la réponfe fuivante : Je ne crois pas. f»'# y faille entendre aucun myflere. Il n'eji peint de petit ■corps que quelques Efpeces de Fourmis ne mettent en œuvre: petits fragmens de bois , petits fragmens de feuilles &f de tiges de Plantes , graines d° divers fruits , petites pierres , tout ce qu'elles peuvent tranfporter leur efi bon lorfqiCil ejl fous leur Uytin. fui vu de petites fourmillieres confinâtes entièrement de 94 CONTEMPLATION grai?ts d'orge , dont les Fourmis n'avoient -pas envie de tâter pour fe nourrir. Le célèbre Obfervateur Suédois tranfcrivoit ce fragment de fon illuftre Correfpondant , à l'occafion d'une récolte de réfine que certaines groffes Fourmis vont faire fur les Pins de la Suéde, & qu'elles tranfportent par petits morceaux dans leur habitation avec des brins d'écorce & des feuilles feches, pour en épaiiîir de plus en plus la couverture hémifphérique. ï% s'étoit bien afïïiré de fon côté , que cette réfme ne leur fervoit point de nourriture. „ Les véritables alimens, dit -il, que je „ leur ai vu ramavTer , & avec lefqueis je les ai vu defeendre „ le long dés Arbres & porter dans leurs nids , c'étaient de „ petits Infect.es , comme des Mouches , des Vers , de petites 5, Chenilles qu'elles avoient pu attraper. Je les ai vu auflt 3, avaler avec avidité les gouttes d'eau que je mettois à leur 3, portée ". On fait que les Fourmis diffequent avec toute l'adreffe d'un Anatomifte , les cadavres qu'elles viennent à rencontrer : elles en enlèvent toutes les parties molles ou charnues , & n'y laif- fent que les parties tendineufes & oiTeufes. Mais les Fourmis fie font pas feulement carnivores , elles font encore frugivores j & l'on n'ignore pas combien elles font avides de fruits & de liqueurs lucréés. Ainfi que les Abeilles , les Fourmis ont eu bien plus de Romanciers que d'Hiftoriens, & l'hiftoire des unes & des autres a été également gâtée par l'amour du merveilleux. Les Voya- geurs & les Écrivains d'Hiftoire naturelle , qui les ont copiés & qui fe font copiés les uns les autres, nous ont reprefenté les marches ou les expéditions des Fourmis comme celles des ar- mées les mieux difeiplinées» Il leur ont donné des Généraux, *ies Maréchaux des Logis , des Pourvoyeurs , des Coureurs , &c Ils nous ont débité que ces Coureurs étoient chargés d'aller à la découverte , & que lorfqu'ils avoient fait rencontre de quel- ques groiîes vi&uailles qu'ils ne pouvoient tranfporter eux- mêmes à la fourmilliere , ils rcvenolent auffi-tôt en donner avk à la troupe , qui çuvoyoit fur-le-champ des détaehemens pour DE LA NATURE. Part. XL 95 ^emparer du butin. Je n'achevé pas ce petit roman 5 il vaut mieux que je dife tout Amplement à quoi tout cela fe réduit» Pour l'ordinaire les Fourmis fuivent affez conftamment les fentiers qm conduifent à leur habitation 5 mais il arrive fouvent , qu'attirées par certaines odeurs ou par d'autres fcnfations à nous inconnues , elles quittent les routes battues pour s'en frayer de nouvelles de côté & d'autre. Si une Fourmi qui enfile une de ces nouvelles routes , eft conduite par hafard à quelques viéhiailles , elle en détachera un fragment qu'elle em- portera dans la fourmilliere. Mais la Fourmi qui a fait cette heureufe découverte , laiffe des traces fur fon paffage , qui indi- quent fa route : ces traces font bientôt reconnues par d'autres Fourmis qui ne manquent point de les fuivre : la nouvelle route eft de plus en plus fréquentée , & en peu de temps de nombreufes troupes arrivent au lieu de la découverte & fe jet- tent fur le butin. C'eft ainfi qu'une feule Fourmi peut déter- miner un grand nombre de fes Compagnes à fe rendre dans un certain lieu , fans qu'il foit befoin de lui prêter un langage par- ticulier, au moyen duquel elle leur annonce la découverte qu'elle vient de faire. Il fuffit d'admettre qu'un inftinct naturel porte tjus les Individus de la même Société à fuivre les traces que tous laiffent fur leur paffage. Il y a une foule de pareils faits que nous préfente l'hiftoire des Animaux, qui s'expliquent heu- reufement par des moyens analogues & auffi fimples , & qu'on femble vouloir rendre inexplicables par le faux merveilleux dont on fe plaît à les furcharger. Il y a affez de vrai merveil- leux dans les procédés induftrieux des Animaux , pour qu'un Écrivain foit très-fùr d'intéreffer les Leéteurs judicieux en les peignant au naturel. Nous avons à regretter que le célèbre Lyomet n'ait pas été lui-même témoin des curieux procédés de certaines Fourmis des Indes orientales, qu'il ne nous raconte que fur le témoignage de Perfonnes qu'il affure être dignes de foi. Je trauferirai le fait dans fes propres termes. „ Ces Fourmis, dit -il, ne mar- „ chent jamais à découvert j mais elles fe font toujours des jj chemins en galerie pour parvenir là où elles veulent être» $6 CONTEMPLATION 5j Lorfqu'occupées à ce travail elles rencontrent quelque corpà 5, folide qui n'eft pas pour elles d'une dureté impénétrable , 3> elles le percent & fe font jour au travers. Elles font plus : 3, par exemple, pour monter au, haut d'un pilier, elles ne cou- 5, rent pas le long de fa fupcrficic extérieure; elles y font un 35 trou par le bas , elles entrent dans le pilier même , & le 3, creufent jufqu'à ce qu'elles foient parvenues au haut. Quand ,5 la matière , au travers de laquelle il faudroit fe faire jour , 35 eft trop dure , comme le feroient une muraille , un pavé de 35 marbre , &c. elles s'y prennent d'une autre manière. Elles 3, fe font le long de cette muraille ou fur ce pavé , un chemin 35 voûté, compofé de terre, liée par le moyen d'une humeur. 3, vifqueufe , & ce chemin les conduit où elles veulent aller* 3, La chofe eft plus difficile lorsqu'il s'agit de paiTer fous ml 35 amas de corps détachés. Un chemin qui ne feroit que voûte 35 par-deflfus , laiiferoit par-deiïbus trop d'intervalles ouverts , 35 & fonnercit une route trop raboteufe , cela ne les accorn- 33 moderoit pas ; auffi y pourvoient-elles , mais c'eft par Un plus ,5 grand travail. Elles fe conftruifent alors une efpece de tube, „ un conduit en forme de tuyau, qui les fait paffer par-ci effus 35 cet amas en les couvrant de toutes parts. Une Perfonne qui 35 m'a confirmé tous ces faits, m'a dit avoir vu elle-même, ,5 que des Fourmis de cette Efpsce ayant pénétré dans un 3, Magafm de la Compagnie des tildes orientales , au bas duquel „ il y avoit un tas de doux de Giroffle qui alloit juf qu'au „ plancher , elles s'étoient fait un chemin creux & couvert qui 95 les avoit conduites pav-defïïis ce tas , fans le toucher, au 35 fécond étage , où elles avoierit percé le plancher & gâté en 35 peu d'heures pour plufieurs milliers en étoffes des Indes , au 35 travers def quelles elles s'étoient fait jour. Des chemins d'une 35 conftruéKon fi pénible , femblent devoir coûter un temps ex- 3, cefîif aux Fourmis qui les font. Il leur en coûte pourtant 35 beaucoup moins qu'on ne croiroit. L'ordre avec lequel une 35 grande multitude y travaille , fait avancer la befogne. Deux 3, grandes Fourmis, qui font apparemment deux Femelles, ou â, peut-être deux Mâles , pudique les Maies &; les Femelles font „• ordinairement DE LA RATURÉ. Part XL 97 5) ordinairement plus grandes que les Fourmis du troifieme ordre ; 5, deux grandes Fourmis , dis-je , conduifent le travail & mar-» 5, quent la route. Elles font fuivies de deux files de Fourmis „ ouvrières , dont les Fourmis d'une file portent de la terre, «& 5, celles de l'autre une eau vifqueufe. De ces deux Fourmis les i3 plus avancées , l'une pofe fon morceau de terre contre le ,j bord de la voûte ou du tuyau du chemin commencé : l'autre 5, détrempe ce morceau, & toutes deux le pêtrififent & l'atta-» „ chêne contre le bord du chemin. Cela fait, ces deux ren- 55 trent , vont fe pourvoir d'autres matériaux & prennent en* 55 faite leur place à l'extrémité poitirieure des deux fileSé 5, Celles qui après celles - ci étoient les premières en rang , _), anffi-tôt que les premières font rentrées, dépofcnt pareille-» „ ment leur terre , la détrempent , l'attachent contre le bord 5, du chemin , & rentrent pour chercher de quoi continuer? 5, l'ouvrage. Toutes les Fourmis qui fuivent à la file, en font „ de même, & c'eft ainfi que pluiieurs centain.es de Fourmi* ,5 trouvent toutes moyen de travailler dans un efpace fort étroit, ,5 fans s'embarraiïer , & d'avancer leur ouvrage avec une viteife „ furprcnante ". Ce ne font que les Fourmis des grandes Efpecês qui élèvent au - deifus de leurs fouterreins un monticule arrondi , dont la bafe a quelquefois deux à trois pieds de diamètre , & qui eifc formé de rentaftement d'une multitude prefqu'infinie de petits corps légers , qu'elles charrient continuellement avec une adrefife & une activité furp reliantes. En même temps que cette couver- ture en manière de dôme facilite l'écoulement des eaux , elle entretienc une certaine chaleur dans les galeries, & procure aux Fourmis une terraffe commode & agréable $ où elles aiment à fe râffembler \ & où elles expofent leurs Nourri (Tons aux douces influences du Soleil & du plein air. De petites ouver-- turcs ménagées qà & là fur cette forte de terralfe , font autant de portes qui communiquant avec les galeries fouterreines , per- mettent aux Fourmis d'y rentrer & d'en rtlïbrtir à volonté. Si l'on renverfe le monticule & qu'on en difperfe au loin les ma* téiïaux , les iaborieufes & diUgejates Ouvrières s'ejnprqdcrout Tome IX. G 98 CONTEMPLATION à les raflembler de nouveau & à en former un monticule parei au premier. Mais les Fourmis des petites Efpeces ne fe logent pas à ft grands frais : le défions d'une pierre , un trou d'Arbre , l'inté- rieur d'un fruit dcflféché ou tout autre corps caverneux leur fournit un domicile convenable & dont elles favent profiter. Il en eft néanmoins qui s'établiffent dans la terre , & que la Na- ture a condamnées à un affez grand travail. Elles ont à creufer des fouterreins de plufieurs pouces de profondeur , ou des ef- peces de boyaux , fouvent fort tortueux , qui vont aboutir à la furface du terrein. Elles ont donc beaucoup à excaver; & elles s'occupent de ce travail pénible avec un foin , une diligence & une afliduité qui attachent fortement le Speétateur. Je ferai encore remarquer, qu'il eft dans nos Contrées une très-grofle Fourmi noire , qui n'amaffe point de matériaux pour en former un monticule ; mais qui fe niche dans l'intérieur des vieux arbres , ou dans les bois pourris , qui les creufe fans re- lâche avec fes fortes pinces , en détache des tas de fciure , & s'y pratique des logemens fpacieux. Je prolongerois beaucoup cette Note fi je touehois à ce que divers Ecrivains nous racontent des fameufes Fourmis de vijîte de Surinam ; des Fourmis de Guinée , qui fe conftruifent avec une terre maftiquée des huttes de plufieurs pieds d'élévation, & à plufieurs logemens ; des Fourmis du Pégu qu'on affine produire la Lacque , &c. &c. La plupart de ces faits demande- roient à être vérifiés par de meilleurs Obfervateurs que ceux auxquels nous les devons. Il n'eft pas même bien fur que tous les Infe&es que les Voyageurs ont pris pour des Fourmis & dont ils nous rapportent les procédés, en fuflent réellement. Il eft des Mouches qui reffemllent beaucoup aux Fourmis , & qui ont pu quelquefois les induire en erreur. \ I DE LA NATURE. Part. XL 99 g3& -=■ .■ z&m-- u, CHAPITRE XXIII. Les Guêpes fouterr aines. N E république de Guêpes , quelque noni-^ breufe qu'elle foit , doit fa naiffance à une feule Mère. Celle - ci fans aucune aide , perce la terre au Printemps , & y pratique une cavité , dans laquelle elle conftruit un petit gâteau, qui eft un aifemblage de cellules hexagones , dont les ouvertures font tournées verticalement en en- bas. Dans chaque cellule , elle pond un œuf de Neutres , c'eit - à - dire , de Guêpes - ouvrières ; car chez les Guêpes , comme chez les Abeilles , les Neutres font chargés du gros des ouvrages s il convenoit donc ici qu'ils nâquiifent les pre- miers , afin de foulager la Mère dans fes travaux. Ils le font en effet , dès que par fes foins infati- gables ils font parvenus de l'état de Ver à l'étac de Mouche. Ils fe mettent à conftruire de nou- veaux gâteaux attachés au premier & les uns aux autres par de petits fupports en manière de colonnes ( 1 ). ( 1 ) tt Les Petits des Guêpes fouterreines demandoicnfc à avoir toujours la tête tournée en en-bas : les cellules qui leur fervent de berceaux , font difpofées en confequence. Tous les gâteaux du guêpier font donc parallèles à l'horifon , & toutes G % * o* CONTEMPLATION Des œufs de Femel'es, de Mâles & de Neu- tres font dépofés dans les cellules de ces gâteaux par la Mère - Guêpe , & les Petits qui eu éclçv fent , font élevés par les Neutres ( 2 ). Deve- les cellules ont leur ouverture tournée en en -bas. Le guêpier eft ainfi un petit édifice à plulieurs étages ; & comme fa forme eft ovale, on comprend que les étages du milieu ont plus d'é- tendue que ceux des extrémités. Le nombre de ces étages eft d'environ douze à quinze dans les grands guêpiers. Entre cha- que étage règne une colonnade qui lie le gâteau inférieur au fupérieur. La hauteur des étages eft proportionnée à la taille des Habitans. La partie fnpérieure de chaque gâteau eft un plancher fur lequel ils marchent commodément ; car les cellules n'ont pas un fond pyramidal comme celles des Abeilles ; le leur n'eft que légèrement arrondi. L'ouvrage de nos Guêpes n'eft donc pas fi géométrique que celui des Abeilles , & ne devoit pas l'être. Chaque gâteau ne devoit porter qu'un feul rang de cellules , pour qu'elles euffent toutes leur ouverture tournée en en -bas. Le nombre des cellules d'un guêpier va à plus de feize mille. Il y en a de trois grandeurs qui répondent à la diverfité de taille des trois ordres d'Individus. Les plus grandes font deftinées aux Vers qui doivent devenir â.QS Guê- pes-femelles : les plus petites font deftinées aux Vers qui de- viendront des Neutres. Celles - ci ne fe trouvent jamais mêlées dans le même gâteau avec des cellules de Mâles ou de Femel- les ; mais elles occupent en entier un même gâteau. Il n'en va pas ainfi. des autres ; on les trouve fouvent diftribuées enfemble dans le même gâteau. ( 2 ) ff Ce ne font pas les feul s Neutres qui ont été char- gés de l'éducation des Petits , un bon nombre de Femelles par- tagent aiiffi ces foins. Il n'en eft donc pas à cet égard de la république des Guêpes comme de celle des Abeilles, où il n'y a qu'une feule Femelle uniquement occupée à poad$g. Chez les \ DE LA NATURE. Part.XL ioî nus Mouches dans leur temps, les Femelles & les Neutres s'occupent à étendre la ville naif- fante : les Mâles ne prennent point de part à ce Guêpes il y a plufieurs centaines de Femelles & à -peu -près autant de Mâles. Ces Mâles ne font pas non plus auffi pareflfeux que ceux des Abeilles : ils ont de petites fondrions dont ils s'acquittent très-bien : ils aident aux Ouvrières à nettoyer les gâteaux & à tranfporter les cadavres hors de l'habitation : Ci ceux - ci font trop gros , ils les partagent & les charrient par morceaux. On fait que les Guêpes font frugivores & carnivores : elles recherchent avec avidité les fruits qui abondent en liqueurs fucrées , elles font une guerre cruelle aux Mouches & fur-tout aux laborieufes Abeilles , dont elles emportent le ventre, pour fe- faifir du miel qu'il recelé. Elles favent auffi fe pourvoir de chair dans nos boucheries & dans nos offices. Elles en coupent des morceaux quelquefois auffi. gros qu'elles , & les tranfpor- tent dans leur guêpier, où ils font diftribués à leurs Compagnes & à leurs Petits. Il y a lieu de penfer que les Femelles & les Ouvrières pro- portionnent la qualité de la nourriture à l'âge dès Petit;. On obferve qu'elles n'adminiftrent qu'une forte de liqueur aux plus jeunes , & qu'elles donnent des nourritures fondes aux plus •âgés. Elles leur diftribucnt la béquée à la manière des OiTeaux , en la leur dégorgeant dans la bouche , après l'avoir digérée en partie. On voit les Petits s'avancer hors de la cellule & ouvrir la bouche pour la recevoir. On peut même les élever , pour ainfi dire , à la brochette comme les Oifeaux. Quand ils n'ont plus à croître , ils ferment eux - mêmes leur cellule avec un couvercle de foie, & s'y transforment bientôt en Nymphes. Mais ces mêmes Guêpes qui montrent en Eté tant d'affection pour leurs Nourriflons , & qui en prennent un fi grand foin les maflacrent tous impitoyablement à l'approche des premiers froids. On s'étonneroit d'une telle barbarie fi l'on ne favoic g 3 *©2 CONTEMPLATION travail > leur principale fonction eft de féconder les jeunes Femelles. Ils font pourtant encore chargés , jufqu'à un certain point , de pourvoir à la fubfiftance des jeunes Nour niions. La petite république augmente ainfi de jour en jour ; & vers la fin de l'Eté elle eft déjà une grande ville peuplée de plusieurs milliers d'Habitans. Le guê- pier a communément alors i^ à 16 pouces de longueur, fur 12 à 13 de largeur. Les gâteaux font recouverts d'une épaifle enveloppe de la même matière que celle dont ils font eux-mêmes compofés ; favoir s d'une efpeçe de papier , fait que ces premiers froids qui tuent le plus grand nombre des Guêpes , tueroient infailliblement les Petits bea'ueoup plus dé-« îicats que leurs Mères - nourrices. Elles abrègent donc leurs foufifrances en les mettant à mort, Ainfi le guêpier n'eft plus qu'un cimetière à la fin de l'Au- tomne : quelques Femelles feulement échappent à la morta- lité générale. Elles demeurent engourdies tout l'Hiver fans prendre aucune nourriture , & au retour du Printemps chacune d'elles peut devenir la fondatrice d'une nouvelle république. "fîie jette fous terre les fondemens d'un nouveau gâteau, & les œufs qu'elle ne tarde pas à y pondre , font tous prolifiques , parce qu'elle a été fécondée par un Mâle à la fin de l'Eté ; car les amours des Guêpes ne font pas équivoques comme ceux des Abeilles, & il eil bien prouvé par les obfervations de leur plus iUuitre Hiftorien (*{■), qu'elles s'accouplent comme, la plupart 4es Mouches, (f) Mr. de Reaumus. X LA NATTÉE. Part. XL ioy de vieux bois; & cette enveloppe eft comme l'enceinte de la ville ( 3 ). (3) tt Ce font de grandes Mineufes que les Guêpes dont j'efquilfe l'hiftoire ; elles entendent à merveille à excaver la terre & à y pratiquer un fouterrein fpacieux pour y loger com- modément leur guêpier. Quelquefois néanmoins elles trouvent le moyen de retrancher beaucoup de ce rude travail en profi- tant habilement des fouterreins que fe creufe la Taupe. Une galerie plus ou moins longue & plus ou moins tortueufe con- duit à la porte de la petite ville fouterreine ; c'eft un chemin battu que les Habitans favent toujours retrouver & dont l'en- trée imite celle d'un clapier de Lapin. Cette grande cavité que les Guêpes fe creufent à un pied ou un pied & demi fous terre , eft très-propre à les mettre à cou- vert des infultes de leurs ennemis , & à les dérober aux regards des Curieux , mais elle n'eft pas la vraie enveloppe des gâteaux; je veux dire , qu'ils ne font pas appuyés immédiatement contre les parois de la cavité. L'architeéture de nos Guêpes n'eft point auffi fimple , & fuppofe des vues qui, pour être remplies , exi- gent un travail d'un tout autre genre & qu'on admire dès qu* on vient à le découvrir. L'eau des pluies , qui perce peu-à-peu la terre , pénétreroit enfin jufqif aux gâteaux , & les Guêpes ont un grand intérêt à prévenir cet accident. Elles ont donc été ins- truites à donner a leurs gâteaux une enveloppe particulière qui les préferve de l'humidité. Elle eft compoiee d'une multitude de petites voûtes pofées les unes au-dclTus des autres & les unes à côté des autres , & qui forment enfemble une enceinte d'environ un pouce & demi d'épanTcur. Quoique toutes les petites voûtes ne foient que d'un papier gris affez fin , elles ne laiflent pas de répondre très -bien au but par leur ingénieufe conftruttion. On fent d'abord que l'humidité qui pénétreroit quelques - unes des voûtes fupérieures feroit arrêtée par les voûtes inférieures bien mieux qu'elle ne le feroit par un fimple ir^uTif de même épaiflfeur j & cela précifément parce que les, G4 io4 CONTEMPLATION couches de papier n'étant pas appliquées immédiatement les tmes aux autres, les intervalles qui relient entr' elles s'oppofent aux progrès de l'humidité & en facilitent encore l'évaporation. Les cellules & les colonnes font faites de la même matière que les voûtes. Les Guêpes ne bâtiiTent qu'en papier. Elles ont potTédé de tout temps l'art de le fabriquer, & les Hommes auraient pu apprendre d'elles , il y a bien des fiecles, ces pro- cédés fi utiles dont nos Modernes fe glorifient. C'eft fur les vieux bois qui ont été long-temps expofés à l'action du Soleil & de la pluie , & qui ont été , en quelque forte , rouis , que nos indtiftrieufes Mouches vont fe pourvoir de la matière dont elles fabriquent leur papier. Avec leurs dents tranchantes elles en détachent de menus filamcns , qu'elles mettent en charpie , & qu'elles réduifent peu-à-peu en pâte molle en les broyant & les humectant dans leur bouche. Elles en forment des pelotes arrondies, qu'elles trnnfportent dans leur habitation. Elles les étendent en lames minces en s'aidant de leurs dents & de leurs jambes , 8c c'eft d'un nombre prodigieux de ces lames qu'elles conftruifent ces jolis ouvrages oii brille tant d'induftrie. Je rif- querai peut-être de palier moi-même pour un Romancier fi j'ajoute , que nos ingénieux Architectes ont attention de donner aux colonnes beaucoup plus de folidité qu'au refte de l'ouvrage, & qu'elles ont foin d'en élargir iv bafe &. le chapiteau pour qu'elles puiflfent mieux embraffer les parties de l'édifice qu'elles put à foutenir, DE LA NATURE. Part. XL ioç CHAPITRE XXIV. Les Frelons £5? quelques autres Efpeces de Guêpes, L •fjJLiES Frelons , qui appartiennent au genre des Guêpes & qui les furpaifent toutes en gran- deur , ne poflTedent pas au môme degré que les Guêpes fouterraines , Part de fabriquer du pa- pier avec des fragmens de vieux bois. Le leur eft groffier , épais & fort caffant. Il n'eft fait que de fciure de bois pourri, dont il retient la cou- leur. L'architecture des Frelons refïemble d'ail- leurs beaucoup à celle des Guêpes qui bâtiffent fous terre ; mais les colonnes qui foûtiennent les gâteaux font plus hautes & plus maffives , & celle du milieu furpafTe toutes les autres en grolfeur. Les Frelons recouvrent aullî leurs gâ- teaux d'une enveloppe de papier , à laquelle ils donnent d'abord la forme d'une cloche ou d'un chapiteau arrondi. Ils fufpendent leur guêpier dans des greniers , dans de vieilles mafures , & le plus fouvent dans de vieux troncs d'Arbres dont ils agrandirent la cavité à l'aide de leurs fortes tenailles , auxquelles le bois ne fauroit réiifter. W CONTEMPLATION Mais toutes les Guêpes ne cachent pas leur nid comme les Guêpes fouterraines & les Fre- lons : il eft de petites Efpeces de ces Mouches induftrieufes , qui bâtifïent à découvert. Toutes ne forment que des Sociétés peu nombreufes, qu'il eft facile d'obferver. Elles attachent leur nid à une menue branche d'Arbre ou d'Arbufte ; & le papier dont il eft fait n'eft pas moins fin que celui des Guêpes fouterraines : il en a aufîî la couleur : la pluie pénétreroit donc facilement dans fon intérieur , Ci nos adroites Ouvrières ne prenoient point de précautions pour l'en ga- rantir. Les procédés de toutes les Efpeces ne font pas les mêmes à cet égard ; mais tous ré- pondent bien à la fin. Les unes recouvrent leur guêpier d'un très - grand nombre de feuilles de papier , qui laiffent entr'elles des intervalles , & qui imiteroient parfaitement les pétales d'une rofe fi elles en avoient les belles couleurs. Ce font les plus jolis ouvrages que ces petits guê- piers qui imitent 11 bien une rofe à cent feuilles. D'autres Guêpes , qui ne fa vent pas donner une enveloppe à leurs guêpiers , y fuppléent très -bien en les attachant à la branche, de manière que le plan du gâteau eft à - peu - près vertical : l'axe des cellules eft ainfî horifontal & la pluie ne pénètre pas dans leurs ouvertures. Mais nos petits Architectes ne fe bornent pas à DE LA NATURE. Part.XL 10? jette feule précaution : ils ont foin encore de ;ourner vers le nord ou vers Peft la face du gâteau où fe trouvent les ouvertures des cellules 5 k ce qui eft plus confiant & plus remarqua- ble , ils enduifent le guêpier d'un vernis impé- îétrable à l'eau. CHAPITRE XXV. j Les Guêpes cartonnieres. tLu G-,. *.«<*■.*..,- «ta, 2 plus dans l'art de fabriquer le papier , ne nous >aroîtront que des Apprentiffes fî nous les com- tarons aux Guêpes cartonnieres du nouveau Aonde , dont les ouvrages en ce genre ne le edent point en beauté à ceux de nos plus habi- ts Ouvriers. Le nom qui a été donné à ces Guêpes fî finguliérement induftrieufes , indique léja qu'elles ne travaillent qu'en carton ( 1 ). I faut que je le répète 5 celui qu'elles favent jbriquer a une blancheur , une force & un poli u'on ne fe laife point d'admirer. Nos habiles )uvrieres n'excellent pas moins dans l'art de âtir ou d'employer leur carton , que dans celui (1) Ces Mouches portent aiifli le nom de Guêpes de Cayenne. io8 CONTEMPLATION de le fabriquer. Elles conftruifent elles-mêmes la ruche où elles logent leurs gâteaux ; & cette ruche eft une forte de boîte de carton en forme de cloche, plus ou moins alongée ou plus ou moins évafée , qu'elles fufpendent folidement par fon extrémité fupérieure à une branche d^rbre. Il eft de ces cloches qui ont plus d'un pied & demi de longueur. L'ouverture de la cloche eft fermée par un couvercle convexe du même car- ton ; mais les Guêpes ménagent fur un des côtés du couvercle , une petite ouverture ronde qui eft la feuîe porte de la ruche. Les gâteaux qui en occupent l'intérieur font difhïbués par étages comme ceux de nos Guêpes fouterraines : mais ils ne font point foutenus par des colonnes : ils font corps avec la boîte & tiennent immédiate- ment à fes parois. Ce n'eft point ilmplement le fond des cellules qui forme le plancher ou la partie fupérieure du gâteau fur laquelle les Guê- pes fe promènent ; elles conftruifent un vrai plan- cher très -uni , fous lequel elles bâtuTent les cel- lules , dont les ouvertures font ainfi tournées en en-bas. Les planchers ou les gâteaux ne font pas plans j ils ont en deifous la même convexité que le couvercle qui ferme la boite. On aime à découvrir la rai fon de cette convexité : cha- que plancher ou chaque gâteau a été lui-même un couvercle s car nos prudentes Cartennieres DE LA NATURE. Part. XL &$ veulent que la boîte foit toujours fermée quand elles travaillent à la conftrudion des cellules. Re- préfentez - vous cette boîte lorfqu'elle ne con- tient encore que deux gâteaux : elle eft fort courte, & les Guêpes vont travailler à la prolonger & à augmenter le nombre des gâteaux. Pour y par- venir, elles prolongent les bords de la boîte \ la font defcendre par de - là le couvercle , & contre le bord inférieuride la partie prolongée, elles conf- truifent un nouveau couvercle convexe par- deflbus , comme le précédent qui n'eft plus à préfent un couvercle > mais qui eft devenu un nouveau plancher fous lequel les Guêpes vont bâtir de nouvelles cellules. Ce plancher conferve l'ouverture ronde qui étoit auparavant la porte de la ruche , & qui fert maintenant de porte de communication d'un étage à Pautre. Chaque éta- ge a ainfi là porte, parce que tous les étages ont été dans leur origine un couvercle ou un fond de ruche. Les cellules des Cartonnieres font hexagones comme celles de toutes les autres Guêpes, & fervent aux mêmes ufages. Lorfque les Vers qu'elles y élèvent ont atteint leur parfait accroît fement , ils tapiifent de foie la cellule & y met- tent un couvercle du même tiifu. Il y a auiîî chez les Cartonnieres de trois fortes d'Individus > mais $£ eQNTJZMPLATIOtf on ne fait pas encore quelle part chaque forte prend aux travaux de la ruche. Il y a apparence que les bois qu'emploient nos Cartonnieres in- fluent fur la beauté de leur carton , & les leçons qu'elles nous donnent en ce genre pourroient nous devenir d'autant plus utiles , que nos chif- fons fournilfent à peine à la prodigieufe confom- mation que nous faifons journellement des car- tons & des papiers. Ces Mouches & les autres Guêpes qui vivent en fociété femblent nous in- viter à imiter leurs procédés en effayant de fabri- quer des papiers avec des bois & des écorces. Il eft bien d'autres pratiques des Animaux , qui nous donnent des inftru&ions importantes aux- quelles nous ne prêtons pas l'attention qu'elles méritera (2). ' ( 2 ) Un bon Obfervateur , M. Schiffer , s'eft emprefle à entrer dans les vues vraiment utiles que Mr. de REAUiMUR. avoit propofées dans fon intéreffante hiftoire des Guêpes , & il a très - bien réuiîï à faire diverfes fortes de papiers avec desr bois ou des écorces de différentes efpeces de Plantes. Il m'en a envoyé des échantillons , qui montrent affez tout ce qu'on peut fe promettre des procédés auxquels il a eu recours, ■•«M* f> E LA NATURE. Part. XI. ni CHAPITRE XXVI. Xw Abeilles, L E gouvernement des Abeilles tient plus du monarchique que du républicain. Une feule Mou- che y dirige tout. Cette Mouche eft non-feule- ment la Reine du peuple, elle en eft encore la Mère au fens le plus étroit, Des 30 à 3f mille Mouches, dont une ruche eft fouvent fournie, la Reine eft la feule qui engendre. C'eft à cette prérogative , plus réelle que beaucoup de celles qui diftinguent les Souverains , qu'elle doit l'ex- trême affe&ion que fon Peuple lui porte. Elle eft prefque toujours environnée d'un cercle d'A* beilles , uniquement occupées du foin de lui être utiles. Les unes lui préfentent du miel, les au- tres patient légèrement leur trompe fur fon corps à diverfes reprifes , afin d'en détacher tout ce qui pourroit le falir. Lorfqu'elle marche , toutes celles qui font fur fon paffage fe rangent pour lui faire place. Elles lavent ou parohTent favoir que cette marche a un objet important , celui d'augmenter le nombre des Citoyens En effet , elle cherche alors des cellules pro- ui CONTEMPLATION près à recevoir Tes œufs. Ces cellules font , comme celles des Guêpes , de figure hexagone , mais leur fond a une forme beaucoup plus recherchée : au lieu d'être à- peu- près plat , il ell pyrami- dal , & compofé de trois lozanges égales & fem- blables , dont les proportions font telles , qu'elles réunifient ces deux conditions très - remarqua- bles -, la première, de donner à la cellule la plus grande capacité s la féconde , d'exiger le moins de matière pour fa conftruclion. L'Architecture des Abeilles furpaffe encore celle des Guêpes dans l'ordonnance des gâteaux > ils n'ont chez celles - ci qu'un feul rang de cel- lules : chez celles-là, le terrein eft mieux mé- nagé ; chaque gâteau porte un double raîig d'al- véoJes. Ils font appuyés les uns contre les autres par leur fond , de manière que l'ouverture de ceux d'un rang regarde du côté oppofé à celui veis lequel ceux de l'autre rang font tournés («)• ( i ) tf Ce que je dis ici de h conftruétion des cellules eft bien imparfait. Les cellules qui occupent les deux faces d'un même gâteau , font bien appuyées les unes contre les autres par leurs fonds ; mais ces fonds ne font pas plats ou un peu arron- dis , comme dans les gâteaux des Guêpes ; Lis font pyramidaux & formés de trois petites pièces en lozanges , égales & iembla- bles. C'eft cette figure pyramidale qui permet aux fonds des C Jules des deux faces oppciées du gâteau , de s'ajulter les uns contre les autres de manière qu'ils ne laifient entr'eux aucun Leur D £ LA NATURE. Part. XL 1 1 3 Leur axe eft parallèle à Phorifon , & le gâteau qu'elles compofent lui eft perpendiculaire. Cette pofition , directement contraire à celle des gâteau^ de Guêpes , e(t déterminée par des circonftances particulières , & dont la confervation des Petits dépend (2)» vuide. Il en eft de même chi corps des cellules : fa fleure hexa- gone leur permet aufli de s'appliquer immédiatement les unes aux autres , fans qu'il refte entr' elles aucun intervalle. ( 2 ) f f Les trois ordres d'Individus qui compofent la foeiété" des Abeilles différent en grandeur. Les Mâles font les plus gros & reffemblent aiïez aux Bourdons ; ce qui a porté les Natura- lises à leur donner le nom de Faux- bourdons. Les Femelles , moins groffes que les Mâles , ont le ventre plus alongé & les ailes plus courtes proportionnellement au corps. Les Neutres font moins longs que les Feinelles , moins gros & moins velus que les Mâles , & on ne leur découvre point de parties fexuelles. Les Vers dont proviennent ces trois ordres d'Individus , dif- férent aiuTÎ par leur taille , & demandoieut à être élevés dans des cellules de capacité différente. Les Ouvrières conftruifent tlonc des cellules de trois ordres. Les cellules deftinées aux Mâles & aux Neutres font toujours hexagones ; mais celles des Mâles font plûâ grandes que celles des Neutres , dans un rap- port déterminé à la différence de taille de ces deux ordres d'Individus. Mais lès cellules deftinées aux Vers qui doivent devenir des Reines, ne différent pas feulement des antres par La grandeur ; elles en différent encore par la forme , par la pofition & par la quantité de matière qui entre dans leur conf- tru&ion. Quand les Ouvrières bâtiffent ces cellules , elles ne fuivent point les règles ordinaires de leur architetture : ce ne; font plus des tubes hexagones qu'elles conftruifent ; ce font desr efpeces de bouteilles ou de matras, dont le ventre affez renfîç Tome IX, H ï 14 CONTEMPLATION Ce font les Neutres ou les Abeilles ouvriereè qui conftruifent ces gâteaux où brille une fi fine Géométrie. Elles en vont recueillir la matière fur les fleurs : la cire eft faite des poufîieres des étamines. Elles préparent ces poufîieres > elles les digèrent. Elles en font des amas dans leurs ruches , foit pour fournir à la conftruction de eft tourné en en-haut. Ces fingulleres cellules pendent du bord inférieur d'un gâteau , comme les ftala&ites pendent de la voûte tl'une caverne. Elles font fi maflives , que la quantité de ma- tière employée à bâtir une feule de ces cellules fuffiroit à la conftru&ion de cent ou cent cinquante cellules ordinaires. Les Ouvrières n'ufent donc point ici de cette épargne qui fe fait tant admirer dans leurs autres ouvrages. Je viens de dire que les cellules royales font verticales : leur ouverture eft toujours tournée en en-bas comme dans les cellules des Guêpes : le Ver qui y eft logé a aufli la tête conftamment dirigée en en-bas dès qu'il a pris la plus grande partie de fon accroifîement ; mais clans les premiers temps il eft roulé fur lui - même en manière de cerceau , comme les Vers communs. Voilà ce que Mr. de Reaumur. nous avoit appris touchant les trois ordres de cellules que conftruifent les Abeilles. Mais lin Cultivateur de Lautcr dans le Palatinat , Mr. Rie m , m'a communiqué fur ce fujet des faits nouveaux qu'il m'a affiné avoir bien vus, & qui avoient échappé au principal Hiftorien des Abeilles. Il a vu que les Ouvrières élèvent i\qs Vers com- muns dans de vieilles cellules royales , & que jamais elles n'en élèvent dans des cellules royales nouvellement conftruices. Il affirme encore, qu'elles élèvent aulli des Vers de Faux -bour- dons dans des cellules communes , qu'elles ont foin d'agrandir pour les proportionner à la taille des Faux-bourdons : mais que les Vers qui doivent devenir des Reines » ne iauroient être élevés «nie dans des cellules royales» DE Là NATURE. Part XI. tif Nouveaux gâteaux , foit pour fervir à leur nour-. ri turc. Pendant qu'une partie des Abeilles s'emploie à recueillir la matière de la cire , à ia préparer & à eu remplir les magalîns , d'autres s'occupent de différens travaux. Les unes mettent cette cire en œuvre & en conftruifent des cellu'es : d'au- tres polilfent l'ouvrage & le perfectionnent : d'au- très vont faire fur les fleurs une autre forte de. récolte , celle du miel , qu'elles dépofent enfuite dans les cellules , pour les befoins de chaque jour & pour ceux de la mauvaife faifon : d'au- tres ferment avec un couvercle de cire les cel- lules qui contiennent le miel qui doit être con- fervé pour l'Hiver ; précaution qui en prévient l'altération : d'autres donnent a manger aux Petits : d'autres mettent un couvercle de cire aux cellules de ceux qui font prêts à fe meta- morphofer, afin qu'ils puiiTent le faire fûrement : d'autres bouchent avec une forte de poix les moindres ouvertures de la ruche par lefquclles l'air ou de petits Infectes pourroient s'introduire : d'autres enfin portent dehors les cadavres dont la corruption infecteroit la ruche : les cadavres qui font trop gros pour être tranfportés, elles les recouvrent d'une épaiife enveloppe de cire ou d'une forte de gomme ou de réfine , fou$ Ha lié C 0 N T E M P L A T I 0 9 laquelle ils peuvent fe corrompre fans caufei? aucune incommodité. Pour faciliter tous ces différens travaux , les Ouvrières ont foin de iaxÉer entre les gâteaux des efpaces qui font comme des efpeces de rues dont la largeur eft proportionnée à la taille des Abeilles : elles favent encore ménager des portes dans les gâteaux , au moyen defquelles elles évitent les détours. La Reine anime les Ouvrières par fa pré- fence ; & cela eft plus à la lettre qu'on ne l'ima- gineroit. Si l'on partage un eifaim , la partie qui demeurera privée de Mère , périra , fans conftruire la moindre cellule ; tandis que la partie fur laquelle la Mère régnera , remplira la ruche de gâteaux & de proviilons de tout genre ( 3 ). "Le travail des Ouvrières eft ordinairement r ( 3 ) tt Cela n'eft vrai que d'un efTaim qu'on partage à fa fortie de la mère ruche , ou d'un eilaim qiù n'a point encore travaillé. Mr. de Reaumur a bien prouvé que dans ce cas, la partie de l'eflaim qui demeure privée de Reine , ne conftruit point de gâteau. Mais il n'en iroit pas de même d'un efTaim, qu'on priverait de fa Reine , mais auquel on laiîferoit des gâ- teaux où fe trouveroient des œufs & des Vers. Un Eifaim traite «le la forte ne tomberoit pas dans l'ina&ion & parviendra bientôt à fe procurer une nouvelle Reine. DE LA NATURE. Vert. XL fï| proportionné au nombre d'oeufs que la Mère doit pondre. Ain fi , plus fa fécondité ett. grande, & plus les Abeilles conftruifent de gâteaux. Ce feroit pourtant en vain qu'on tenteroit de faire conftruire aux Neutres plus de gâteaux en introduifant dans la ruche pluiîeurs Mères : les Mères furnuméraires feroient bientôt mifes à mort. La constitution de la focîété n'en permet qu'une feule. Les Mâles, incomparablement moins ^ nom* breux que les Neutres , mais pourtant très-nom- breux pour une feule Femelle , ne prennent au- cune part à ce qui fe fait dans la ruche ; toute leur occupation le borne à la fécondation , & encore ne s'y livrent- ils qu'avec peine: il faut; que la Reine faffe les avances , & qu'elle mette en mouvement par des careffes réitérées celui fur lequel fou choix efl; tombé. Nous avons va ailleurs (4), que ce renverfement de l'ordre général efl: fondé fur des raifons très - fages. Les Mâles font nourris & foignés jufques vers le mois- d'Août , temps auquel , devenus inutiles & même (4) Part. VIII , Chap. VIL f.f Confnltez. en particulier H Note ç , où j'indique la nouvelle découverte qui a été faite fuir ca fujet , & qui rend cette incontinence de la Reine-abeille plus- que doutcuffiLi. jiS CONTEMPLATION ttuifibles , les Neutres les exterminent entière* ment. Ils auroient à craindre en les confervanfc qu'ils n'en iuiTent affamé^ pendant l'Hiver ( 5 ). Au retour du Printemos , on voit cependant teparoît-e des Ma! es dans la ruche s on y dé- couvre même pîufieurs Femelles (6) & le nom- ( ç ) ff Les plus célèbres Hiftoriens des Abeilles affurent- Unanimement , que les Ouvrières tuent les Mâles ou Faux- bourdons. Mr. de Reaumur , en particulier, parle de ces exé- cutions des Neutres comme d'un majfacre , d'un carnage affreux,. d'une horrible tuerie. Je puis pourtant affirmer, qu'ayant exa- miné avec la plus grande attention les cadavres de ces Mâles qui avoient été ainfi facrifiés, je n'ai pu y découvrir le moin-, dre indice de blefïure : ils étoient tous bien entiers. J'ai vu & revu bien des fois deux à trois Neutres qui montoient fur le- corps d'un Mâle, fembloient vouloir l'exterminer , & qui néan-. moins ne lui faifoient aucun mal. Il ne paroiftbit pas même s'en mettre fort en peine , & ne laiffoit pas de marcher d'uok pas tranquille fur les gâteaux en entraînant avec lui ces Neu- tres incommodes. Quelquefois même on auroit pu préfumer, à la manière dont ceux-ci s'y prenoient, que e'etoknt plutôt des careffes que des violences qu'ils faifoient aux Mâles. Cependant j'obfervois , que tous les Mâles étoient chailés peu - à - peu de deffus les gâteaux , & réduits à fe retirer dans un coin de la niche oà ils mouroient de faim. ( 6 ) ff Si l'on jugeoit du nombre des Reines qui uahTenfc au Printemps , par celui des cellules royales que les Ouvrières, conftruifent , ce nombre feroit aîfez considérable , quoique fort inférieur à celui des deux autres ordres d'Individus. Mr. de Reaumur a compté jufqu'à quarante cellules royales dans cer- taines ruches. Mais en général on ne compte guère que trois à Quatre cellules royales dans U92£ ruche. B S L £ -NATURE. Part XL ri* fere des Neutres augmente aufli de jour en jour. L'extrême fécondité de la Mère fournit à cette; îiombreufe génération. » Enfin , il fort de la ruche un ou plufîeurs effaims qui ont chacun une Reine à leur tète, Ce font des colonies qui vont chercher ailleurs un établiifement qu'elles ne fauroient trouver dans la métropole furchargée d'habitans. ra - — fSgfl» C H A PI TRE. X X V IL Continuation du même fujet. Idées fur Ici police des Abeilles» ie fpectacle d'une ruche d'Abeilles efl: , fanj contredit, un des plus beaux qui puifle s'offrir aux yeux d'un Obfervateur : il y règne un air de grandeur qui étonne. On ne fe laife point de contempler ces atteliers où des milliers d'Ou- vriers font fans ceffe occupés de travaux diffé- rens. On elt fur-tout frappé de la régularité Se de la précifion géométrique de leur ouvrage. On l'eft aufîi beaucoup à la vue de ces maga- sins remplis de tout ce qui efl: néceifaire pour fournir à. l'entretien de la fociété pendant IdBU bo CONTEMPLATION ïTiauvaffe faifon. On s'arrête encore avec plaifir à confidérer les Petits dans leurs berceaux , & à obferver les tendres foins des Mères - nourrices à leur égard ( i ). Mais ce qui fixe tous les yeux , c'eft la Reine : la lenteur , j'ai prefque dit la gravité de fâ démarche, fa taille plus avantageufe que celle des autres Abeilles , & fur - tout les efpeces d'hommages que lui rendent celles-ci, la font aifément recormoître. On a peine à en croire fes propres yeux , quand ou obferve les atten- tions & les empreffemens des Neutres pour cette? Reine chérie. Mais l'étonné ment augmente beau- coup quand on voit ces Mouches fi laborieufes & fi actives , . ceffer abfolument de travailler & fe laiifer périr , dès qu'on les prive de le^r Reine ( 2 X ( i ) ff Les Ouvrières ont foin d'approprier la nourriture à l'âge du Ver : elles l'approprient même au fexe. Cette nourrie ture eft toujours une liqueur çpaiffie ou une forte de bouilliç blanchâtre , dont le Ver eft environné & fur laquelle il repofe mollement. La bouillie qui eft adminiftréc aux Vers communs eft à-peu-près infipide j celle , au contraire , qui eft adminiftree aux Vers qui doivent devenir des Femelles ou des Reines a ri* goût un peu fucré,.mêlé à du poivré & de l'aigre: on diroit que les Pourvoyeufes veulent qu'elle foit une forte de ragoût affaifonné. Une découverte imprévue & très-moderne rend cette remarque importante comme on le verra bientôt. ■ " (s) ft Confultez la Note 2 du Chapitre précédent. DE LA NATURE. Part.^KI. 121 Par quel lien fecret , par quelle loi fupé- rieure à celle en vertu de laquelle chaque Indi- vidu pourvoit à fa propre confervation , les Abeilles fon$- elles attachées à leur Reine au point de négliger abfolument le foin de leur propre vie , lorsqu'elles viennent à en être fépa- rées ? Ce lien , cejte loi paroît n'être autre chofe que le grand principe de la confervation de TEfpece : les Neutres n'engendrent point (3)5 (3) ff Divers Cultivateurs Allemands aïïurent Fort, que les Neutres ne font point de vrais Neutres j qu'ils appartiennent tous au fexe féminin; qu'ils pondent des œufs, & ce qui n'eîfc pas moins étrange , que de ces œufs il ne fort jamais que des Faux-bourdons. Mr. Rie m eft un de ceux qui croient s'être le mieux aiïiirés du fait. Il m'écrivoit même , qu'il avoit décou- vert un ovaire dans deux Neutres. Mais les faits fur lefquek ces Cultivateurs s'appuient ne me paroiffent point afTez décififs ni avoir été vus afTez bien & allez fouvent pour qu'on puiife y compter en bonne Logique. Swammerdam , ce grand Anatomifte , qui avoit difféqué avec tant de dextérité & de patience les trois fortes d'Abeiiles , regardoit les Ouvrières comme de vrais Neutres , parce qu'elles lui avoient toujours paru totalement privées des organes relatifs à la génération. Mr. de Reaumur en avoit porté le même jugement. On fur- prend facilement la Reine dans des ruches vitrées, tandis qu'elle eft occupée du travail de la ponte : on la voit pondre fueceiïi- vcment pendant plufieurs femaines , des centaines d'œufs dans autant de cellules différentes ; & jamais aucun Obfervateur n'elt parvenu à furprendre une feule Ouvrière dans le même travail , quoique les Mouches de cette forte foient au nombre de plu- fieurs mille. D'ailleurs, pourquoi les ovaires des Ouvrières ne çontiendroient-ils que des œufs de Maies, puifque , fuivant i'Aolmon des Cultivateurs dont 'û s'agit , elles font toutes , 122 Ç 0 NTEJfTPLATIOIT ar- mais ils favent que la Reine pofTede cette facultés c'eft pour recevoir les œufs qu'elle efl: prête à dépofer, qu'ils conftruifent ces cellules dont nous admirons les proportions. La Nature les a autant intérefles pour les Petits qui en doivent éclorre, qu'elle a intéréfle les Mores des autres Animaux en faveur des leurs propres. Mais, demandera -t- on encore , comment la feule préfence de la Reine excite- 1- elle les Abeilles au travail, engage- t - elle les unes à élever des cellules , les autres à amafTer de la cire , les autres à recueillir du miel , &c. ? Ne feroit-ce point ici l'effet de quelque irru preffion purement phyfique ? Les œufs dont le corps de la Mère eft rempli, n'affecleroient- ils point les Abeilles au moyen de l'odorat ou de quelqu'autre fens à nous inconnu ? comme les Reines , de vraies Femelles ? Pourquoi encore le nombre des Faux -bourdons feroit - il fi inférieur à celui des Ouvrières ? Mais s'il eft vrai , comme l'allure un Obfcrvateur Anglois (f) , qu'il y ait dans les ruches des Reines d'une auffi petite taille que les Abeilles ouvrières , ce feroient apparemment ces petites Reines , inconnues à nos Cultivateurs , qui les auroienb trompés , & qui auroient engendré ces Faux-bourdons qu'ils oui cru provenir des Ouvrières. ■w.. (t) Mr. Needham. DE LA NATURE. Vart^Kl. 125 Quoi qu'il en foit de cette conjecture , il paroît qu'on ne doit pas fuppofer que la pré- fence de la Reine faife différentes impreiîions fur différentes Abeilles, détermine les unes à conf. truire des cellules , les autres à amaifer de la cire , les autres , du miel , &c. L'imprefîion dont il s'agit eft une \ elle détermine les Abeilles au travail \ mais ce travail eft différent fuivant les circonftances particulières où chaque Abeille fe trouve placées par exemple, quand une Abeille fort de fa ruche , il n'y a pas lieu de croire que ce foit avec un deffein déterminé de recueillir de la cire plutôt que du miel , mais elle ren- contre une fleur qui abonde en pouffieres d'éta- mines & qui n'offre que peu de miel : elle fe charge donc de matière à cire. Aufli remarque- t on , que c'eft principalement le matin que fe fait cette récolte. Alors les pouilieres n'ont pas encore été defféchées par la chaleur du Soleil ; elles confervent une certaine humidité qui en lie les grains , & qui en rend ainfi la récolte & te tranfport plus faciles. Le miel , au contraire , étant un fuc qui exfude des fleurs par l'action du Soleil, elles en rendent peu le matin ; le mi- lieu du jour eft un temps plus favorable à cette efpece de récolte ; auffi voit-on alors peu d'Abeilles qui reviennent à la ruche chargées de cire \ le plus, grand nombre y apporte du miel. 124 CONTEMPLATION Mais , d'où vient que les Abeilles privées- dV Mère fe briffent périr faute de nourriture? conf- inent oublient- elles à ce point le foin de Leur propre vie ? À la bonne heure qu'elles ne conk truifent pas des gâteaux : on entrevoit des raû- fons de ce procédé: mais, au moins pourroient> elles aller recueillir fur les fleurs le miel & la cire nécelfaires à leur fubfidance actuelle. Ici la caufe finale eft; aflez évidente : la con- fervation de l'Efpece importoit plus à la Nature que celle des Individus : dans le cas dont il s'agit» celle-là ne pouvant avoir lieu , celle-ci devenoit inutile. A l'égard de la caufe efficiente, il n'eft pas facile de la pénétrer. Les Neutres feroientu ils abfolument privés du fentiment de la faim ? Ne feroient-ils portés à recueillir de la cire & du miel & à en manger , que par l'impreiîîon agréable que la préfence de ces matières fur les fleurs produiroit dans l'organe? Cela feroit fort <ïn?ulier i car la faim eu: un fentiment commun à tous les Animaux , ou qui paroît l'être. Il eft un moyen fagement établi pour prévenir la rîeftruction des Individus , & qui les excite à réparer les pertes continuelles que les différentes- évacuations occafionent. Mais, dans le choix du moyen dont il s'agit, la Nature pourroit ne s'ètr>e pas propoié pour principal objes la conlervatica. DE LA NATURE. Part XI. iaç des Individus , comme Individus ; mais plutôt somme auteurs de la génération ou conferva- teurs de l'Efpece. En effet , chez les Quadru- pèdes , chez les Oifeaux , les PoiiTbns , les Rep- tiles, & chez prefque tous les Infecles, chaque Individu eft Mâle ou Femelle , ou tous les deux enfemble , comme chez les Vers - de - terre , la Limace , &c. Là , comme l'on voit , la confer- vation de l'Efpece dépend immédiatement de •elle des Individus. Il n'en eft pas ainfi chez les Abeilles : le plus grand nombre de celles qui compofent la même fociété eft dépourvu de fexe , & ne concourt à la confervation de i'Ef- pece qu'en qualité de caufe fecondaire. Il ne devroit donc pas paroître improbable que les Neutres fuffent privés du fentiment de la faim. On voit bien que la Reine & les Mâles ne fau- roient en être privés : aufB mangent-ils fouvent. Mais, fi les Neutres n'ont pas le fentiment de la faim , comment font-ils avertis de réparer leurs forces abattues par le travail & par la tranfpiration ? Les Neutres qui ont à leur tète une Reine, font excités au travail par fa pré- fence. Ils ne fauroient vaquer aux divers travaux dont ils ont été chargés , fans avoir de fré- quentes occafions de prendre de la nourriture. La raifon en eft , qu'indépendamment de la 126 CONTEMPLATION fenfation agréable qui peut réfulter de l'action de la cire & du miel fur l'organe des Neutres 3 ces matières doivent nécefîairement paifer par leur eftomac , s'y digérer & s'y préparer avant que d'être dépofées dans la ruche pour fervic aux u Pages auxquels elles font deftinées. On objectera peut-être, qu'il feroit étrange, que parmi les Individus d'une même Efpece , il y en eût qui fuiTent doués d'un fentiment tout^ à- fait inconnu aux autres. Mais n'euVil pas aufîî étrange que parmi ces mêmes Individus , il y en ait qui font pourvu d'organes qu'on ne trouve point dans les autres ? Les Abeilles ou- vrières ont diverfes parties qu'on ne voit point à la Reine & aux Mâles ; & ceux- ci en ont pareillement qu'on ne rencontre point chez les Ouvrières. La deftination n'étant pas la même pour tous les Individus , les moyens qui y ré- pondent doivent néceflairement différer. Une autre réflexion vient à l'appui de la con-i jeclure que je hafarde ; la faim eft un fentiment preïiant, actif, inquiet; or les Neutres , privés de leur Reine , tombent dans une forte d'affou- piirement qui ne finit qu'avec la vie. Si dans cet état de léthargie , on leur donne une Reine, ils fe réveillent auffi-tôt & fe mettent au travail. .1 ï) B LA NATURE. Part XL 127 Dans la vue de découvrir la loi fondamen- tale du gouvernement de nos Mouches républi- caines , on avoit partagé un enaim en deux par- ties à -peu -près égales , & l'on avoit toujours obfervé que les Abeilles qui n'avoient point de Reine ne conftruifoient point de gâteaux (4). C'étoit déjà une expérience très - decifive : mais il y en avoit une autre à tenter : c'étoit de par- tager une ruche bien fournie de gâteaux , d'Ha- bitans & de Petits, & de fuivre avec foin tout ce qui arriveroit dans la partie de cette ruche où la Reine ne feroit point. On pourroit con- jecturer probablement que les Neutres conti- nueroient à s'occuper de l'éducation des Petits , -& qu'ils ne cefferoient de travailler que lorfque ces derniers feroient devenus Mouches ( 5 )- (4) ft Ccnfultcz la Note 3 du Chap. XXVI. ( O tt L'expérience que je propofois ici ou une expérience très-analogue a été répétée une multitude de fois par un habite Cultivateur de Luface , & elle lui a valu une découverte qui a fait bruit parmi les Naturalises : on voit que je veux parler de celle de feu Mr. Schirach , dont j'ai donné ailleurs le détail, d'après les Lettres qu'il m'avoit adreiïees. Il rèTulté de fe? nombreufes expériences répétées en différentes faifons , & qui l'ont été depuis par d'autres Cultivateurs , que fi l'on renferme dans une ruche vuide quelques centaines d'Abeilles ouvrières avec un petit gâteau qui contienne des Vers communs , âgés de trois à quatre jours , les Ouvrières fauront fe donner ^une ou plusieurs Reines , en transformant , pour ainfi dire , ces Vers eammuiis en Vers royaux. Elles y parviendront en détruifant ïcg CONTEMPLATIVE Par un moyen très - fimple on oblige deux eiïaims à faire un échange réciproque de leur ruche & de leurs gâteaux : ils fe font à ce chan- les cellules communes où ils font logés , en bâtifTant à leuf place des cellules royales , & en adminiftrant aux Vers la nour- riture appropriée à ceux qui doivent devenir des Reines. (Note i.) Comme cette curieufe expérience fe répète journel- lement en Luface & en Saxe par des Cultivateurs de tout ordre & même par de fimples Villageois , qui s'en fervent comme d'un nouveau moyen très-facile de multiplier à volonté les effaims y il femble qu'on ne puivTe plus douter de l'efpece de converfion! des Vers communs en Vers royaux : au moins le fait paroît - il folidement établi au jugement des plus affidus Cultivateurs de l'Allemagne. 11 a encore été confirmé par un Obfervateur An- «dois , qui a enrichi l'hiftoire des' Abeilles d'une autre décou- verte dont je parlerai dans quelques moinens. Cependant, un. Naturalifte célèbre (f) , qui n'avoit point fait difficulté d'ad- mettre la transformation d'un Végétal eu Animal & d'un Animal en Végétal , s'eft élevé avec chaleur contre la découverte de l'induftrieux SCHIRACH, qu'il compare à celle de la d-ent d'or. La converfion' d'un Ver commun en Ver royal lui paroît le renverfement de la faine Phyfique. Il préfère donc d'admettre que la Reine pond indifféremment les trois forces d'oeufs dans des cellules communes , & que ce font les Ouvrières qui les. tiiiïribuent un à un dans les cellules appropriées aux Vers qui doivent en éclorre. Le meilleur Hiftork-n ( ft ) *fes Abeilles avoit dit pourtant , d'après fes propres obfervations : „ que la 3, Reine ne manque jamais de loger dans une petite cellule, 3) l'œuf qui donnera une Abeille ouvrière ; dans une cellule hexagone plus grande , l'œuf qui doit donner un Mâle}. & M (f) Mr. Needham. (ff) Mr. de Reaitmou gement r DE LA NATURE. Part, XL 129 gement , & les Neutres de chaque euaim pren- nent autant de foin des Petits qu'ils trouvent dans leur nouvelle habitation , que s'ils étoient „ dans une cellule royale , l'œuf plus précieux dont fortira ur „ Ver qui deviendra une Reine "' Mais, quand l'opinion dis Naturalifte dont je parle feroit vraie , on pourroit toujours lut objecter qu'il feroit bien fingulier que dans les expériences ii fréquemment répétées des Cultivateurs de Luface, il fe fût tou- jours trouvé à point nommé un Ver royal parmi le petit nom- bre de Vers de trois à quatre jours , qu'on avoit renfermés avec des Abeilles ouvrières. Le hafard offre-t-il jamais une telle confiance? Il y a plus ; l'expérience ne réufiit point , fi le petit gâteau qu'on renferme avec les Abeilles ouvrières , ne contient que des œufs. L'Inventeur l'affirme de la manière la plus pofi- tive. Il faut toujours pour que l'expérience réiifMe, que le gâteau renferme des Vers qui n'aient que trois à quatre jour.-., Ces Vers (ont donc des Vers communs , puifqu'ils font tous logea dans des cellules communes, & que fuivant le Détracteur de la nouvelle découverte , les Ouvrières ne laiffent pas ordinaire- ment des œufs royaux dans des cellules communes. Il eft au mains très -fur, que tous ces Vers de trois à quatre jours ne donneroient que des Abeilles ouvrières , s'ils reitoient tous dans leur propre cellule, & s'ils étoient nourris de l'aliment ordinaire. Si donc il arrive eonftamment que lorfque les Abeilles ouvrières conftraifent à un , deux ou trois de ces mêmes Vers , des cellules royales & qu'elles leur adminiftrent un aliment par- ticulier , ib donnent des Reines , comment pourroit-on rçfufer d'admettre la concluilon que l'Inventeur tiroit de fes nom- breufes expériences , & qui a été adoptée par tous fes fuçcefTeûrs ? Mais il ne faut pas s'imaginer qu'il y ait ici une vraie tranf- formation d'un Ver d'une forte en un Ver d'une autre forte. En fuppofant que le fait fm^nlicr affirmé par tous les Cultiva- teurs de Luface, eft aufli vrai qu'ils le croient, il n'y aiuoifc point proprement ici de transformation. La Reine ne pondroit Tunis IX. I ki* CONTEMPLATION leurs Nourriffons naturels. L'affection des Neil« très s'étend donc indifféremment à tout ce qui eft Ver d'Abeille. Cet inftinct a donc un rapport direcl à la confervation de l'Efpece. Il faudroit que de deux fortes d'oeufs , des œufs de Mâles & des œufs de Femelles : il n'y auroit donc réellement dans une ruche que de deux fortes d'Individus », comme dans la plupart des Efpeces d'Infectes , & les Abeilles ouvrières qui ont requ le nom de Neutres, ne feroient point de vrais Neutres :' elles feroient des Femelles d'origine, mais des Femelles qui n'auroieot pu acqué- rir la grandeur propre aux Reines , & dont les ovaires feroient demeurés oblitérés , parce que leurs Vers feroient demeurés renfermés dans de petites cellules , & qu'ils auroient été nourris iVun aliment inférieur en qualité à celui qui efr. dépofé dans les cellules royales. Il ne doit pas paroître improbable, qu'un logement plus fpacieux > une (ituation différente , & une nour- riture plus abondante & plus élaborée opèrent un plus grand développement de certains organes : rien de tout cela ne choque les notions de la faine Phyfique. Les Abeilles ouvrières auroient donc été inftruites par la Nature à fe donner au befoin une ou plufieurs Reines , & la confervation de la fociété entière ne tiendroit plus , comme le croyoit Mr. de REAUMUR,à la vie d'une feule Mouche. Mais comment les Ouvrières viennent-elles à découvrir que les befoins de la ruche exigent qu'elles travaillent à fe donner une nou- velle Reine? Comment font -elles déterminées dans le choix qu'elles font de tel ou tel Ver commun pour l'élever à la dignité royale? Pourquoi le nombre des nouvelles Reines qu'elles font naitre eft -il toujours variable? Nous ne faurions encore fatif- faire à ces queftions ni à une foule d'autres que nous préfente l'hiftoire de ces Républicaines fi induilrieufes , car malgré le nombre & la grolfeur des Volumes dont elles ont fourni la matière, nous tenons à peine les premiers élémens de leur feience. 8 È LÀ NATURE. Part XL iji! Varier un peu cette expérience , pour fonder le difcernement des Neutres , & fubftituer adroi- tement aux Nournifons de leur Efpece , des Nourrirons d'Efpece différente. Les Neutres n'ont point de fexe ; ils n'en- gendrent point; comment leur fuppofer pour les Petits de leur Reine précifément le. même amouc qui meut les Mères des autres Animaux ? Ils agiifent pourtant comme elles dans les mêmes circonftances. Si donc la Nature a fu intéreifer l'attachement des Mères par les fenfations agréa- bles que les Petits leur font éprouver , ou pat les fervices qu'elles en retirent , il y a bien de l'apparence qu'elle en a ufé à-peu-près de même à l'égard des Abeilles ouvrières , & qu'elle a placé pour elles dans les Petits une caufe fecrete de fenfations agréables , qui les attachent à eux <& les déterminent à dégorger dans leurs ber- ceaux l'efpece de bouillie dont ils fe nourrit fent ( 6 ). ( 6 ) ff Toutes les expériences qu'on a tentées fur les Abeilles pour tâcher de découvrir le principe fondamental de leur gou- vernement , concourent à établir , que c'eft l'amour qu'elles portent à leur Reine, ou fi l'on aime mieux, l'amour de leur poitérité , qui détermine tous leurs travaux. Si l'on donne une Reine à un elfaim qui demeure dans l'inaciion , il fe mettra siuiri -tôt au travail, recueillira du miel & de la cire, les em- magafinera & conftruira de nouveaux gâteaux , &c. i z i^z € 0 N T E M P L A T 1 0 2* Nous avons vu , que fi Ton introduit dans tuie ruclie plufieurs Reines , i! n'y en aura jamais qu'une feule qui confervera l'empire : toutes les autres feront miles à mort. On ne Tait point encore fi i'empire demeure toujours à îa Reine légitime, & comment & par qui les Reines fur- numéraires font facnfiées ( 7 ). Il n'eft pas pro- (7) ff- Les Membres de îa Société économique de Luface ont décidé ce point, & fe font allures que les Reines fui-numé- raires font mifes à mort par les Abeilles ouvrières. Mr. de Reaumur ne l'avoit pas feupqonné; lui qui avoit vu bien des fois ces mêmes abeilles ouvrières accueillir des Reines étran- gères comme leur propre Reine. Il avoit conje&uré que les Reines fe livroient des combats finguliers, & que l'empire de- meuroit à la plus forte ou à la plus heureufe. On fait que les Reines font armées d'un aiguillon comme les Ouvrières : le» Mâles feuls en font dépourvus. 11 en eft de même chez les Fourmis, les Guêpes & les Bpurdons. Mr. Riem a été auffi témoin des combats que les Ouvrières livrent aux Reine?. Il m'a raconté, qu'un jour qu'il fe tenoit en fentinelle auprès d'une ruche où il fe trouvoit plufieurs Reines, il vit paroitre au -dehors une de ces Reines que deux Ouvrières ferroient de très-près, & dont elle parvint néanmoins à fe débarraffer : maïs qu'au bout d'un quart d'heure, trois autres Ouvrières fur vinrent , qui Te jetterent fur la Reine, & qu'elle obligea encore à fe retirer : que bientôt après accouru- rent quatre autres Ouvrières, qui. s'efforcèrent d'arracher la malheur eufe Reine de deffus l'appui auquel elle fe tenoit cram- ponnée ; & que touché de fon trifte fort , il l'avoit dérobée aux p ourfuites de fes ennemies aeharnées , en la renfermant dans une boîte. Les Cultivateurs de Luface ont encore remar- qué, que les Ouvrières fe défont quelquefois de leur propre Reine. , DE LA X A T U R E, fiqt. XL 1 3 3 ba-hle que les Neutres fpient chargés- de ces cruelles exécutions ; ils rendent aux Reines étrangères les mêmes hommages qu'à leur Sou- veraine légitime IVLtis les Reines font armées d'un fort aiguillon , & l'on ne voit, pas trop de quelle utilité leur fèroit cette 'arme ofFeniïve , fi elles ne s'en fervoieut point pour déîeiidre ou conquérir ie trône. Quoi qu'il en foit , on comprend aifez pourquoi il a été ordonné qu'il n'y aurok jamiis qu'une feule Reine dans chaque ruche, tjji eiïaim , quel.jue nombreux "qu'il foit,* ne l'eft pas ordinairement trop pour une feule Mère ; celle-ci peut fort bien pondre. dans. l'an- née quarante mille œufs: 11 faut pour ces œufs-- un nombre de cellules proportionné , & toutes ne "font pas employées à loger des Petits. Auili arrive-t-il que lorfque i'eiîaim eu: un peu foible, la Mère e(t obligée de dépofer juiqu'à trois , quatre & cinq œurs dans une même cellule, & comme il n'y a de la place dans chacune que pour un feul Ver, les œufs furnuméraïres fout toujours fa cri fié s , & c'enV une perte pour la république. ■ Ç}g font certainement les Neutres qui font périr les Mâles quand ils fout devenus inutiles à "la communauté. Mais les Neutres favent-ils qu'ils l'arRimeroient il on les confervoit '< Il efl: 13 154 CONTEMPLATION plus que probable que leurs connoiflances ne s'étendent pas jufques-ià. Il iuffiroit d'admettre» qu'il vient un temps où les Mâles font fur les feus des Neutres une impreiîion qui les irrite , & qui ies porte à s'en défaire ( 8 ). ( 8 ) f f Les Mâles ne prennent aucune part aux travaux de- là ruche ; toute leur occupation fe borne à Féconder les œuf* que la Reine pond journellement au Printems & en Été. Cette fécondation a été long-temps un inyftere. Dès le fiecle rî'ARlS^. tote on penfoit que les œufs des Abeilles étoient fécondés à\ Ja manière, de ceux des Poiffbns à écailles & de quelques Am^ phibies , par une liqueur vivifiante dont ils étoient arrofés après avoir été pondus. Un Obfervateur exad, Fillnftre Maraldi>; avoit relïufcité cette opinion : mais Mr.. de Reaumur ne l'avoit, point adoptée. Il avoit obfervé dçs faits intérefîans qui le por- toient à penfer que la Reine s'unit aux Mâlçs par une vraie. copulation j & il s'étoit plu à nous raconter fes amour? ou plutôt {es proftitutions. Cependant ce grand Obfervateur n'ayojt rien ■yu d' allez déciiif pour qu'on pût êtçe. aîïiiré que la fécondation s'opère chez les Abeilles comme chez ta plupart des Animaux, & il reftoit encore des cloutes fur ce point ciïentiei de leur hiftoire. Ces doutes étoient fur -tout entretenus par la coniid é- ï-ation de ce graud nombre de Maies qui ont été accordés chez. les Abeilles à une feule Femelle , ou au moins à un très -périt jioittbre de Femelles, & dont on ne pouyoit rendre de raiibn ipitisfaifante. Mais, aujourd'hui ces doutes femblent fe dirïïper, & l'opinion des Anciens , reproduite par Mar al pi , paro.it être la vruie. C'eft à ûH Cultivateur Angiois , M, Bebravv, que nous devons de nouvelles lumières fur un fujet qui piquoit beaucoup la curiofité des Naturaiiftes. Des obfervations faitcs; avec foin & répétées plus d'une fois, lui ont appris que les* œufs que pond la Reine font fécondés dans les eclluies par la, liqueur, prolifique qu'y répandent les Mâles. Il les a vus & revus Introduire leur derrière dans la cellule pu un cenf venoit d'être DE LA 2ÏATURE. Part. XT. fcfcç Tant que la faifon eft favorable à larécolte <^u miel & de la cire , les Neutres ne ceiîent point d'en recueillir & d'en remplir les mngafm.s. Ce dépofé & l'arrofer de leur liqueur. Tous lès œufs qui avoient: <5te ainfi arrofés devenoienfc féconds ; & tous ceux qui ne l'avoient. point été demeuroient ftériles. Mais ces Mâles que l'Obferva- teur v.oyoit introduire leur derrière dans les cellules , n'étoient pas ces gros Fanx-bourdons qui font les plus connus : c'étoicnfc «le petits Faux-bourdons dont la taille n'excédoit pas celle des Abeilles communes, Ma.raldi avoit parlé de ces petits Faux-, bourdons , & Mr. de Reaumur les conuoiffoit auili : mais ils lui avoient toujours paru en très-petit nombre, &' il penfcit que la petiteîTe de leur taille étoit due au peu de capacité des cei* Iules dans lef quelles leurs Vers avoient été élevés. La.découvcrte de rObfcrvateur Anglois indiquerait qu'ils ne doivent pas être, rares dans les ruches. Il refte.roit néanmoins à découvrir quel; eit l'ufage des grands Faux-bourdons ,, dont le nombre va com- munément à plusieurs centaines. Leur derrière eit trop gros pour pouvoir être introduit dans les- cellules communes; mais il pourroit Pitre dans les grandes cellules hexagones ou dans les. cellules de l'ordre de celles où ils ont pris eux-mêmes naiiTance Se où ils ont été élevés.. Je ne fais pourtant fi les grands Faux-bourdons ne parvien* lient pas à féconder les œufs dépofés dans les plus petites cel-* Iules; une ohfervatiqa que je n'.ai faite encore qu'une fois , & que je defirerois fort de. répéter, me porteroit à le croire. On. fait que pour bien obferver les AbeiMes , il faut les loger dans des ruches. vitrées de forme très-applatie : là, elles font forcée0 de s'étaler aux yeux de l'Obfervateur , parce qu'elles ne peu veut y conftruire de front que deux grands gâteaux. Un joui que j'obfervois un effaim nouvellement établi dans une fem- biable ruche , & qui y avoit déjà conftruit des gâteaux affez étend us , j'apperejus fur un de ces gâteaux, entièrement corn... y ,iV de.celiules communes, un giand Faux-bourdon qui le mit 14 136 CONTEMPLATION n'efl: pas non plus qu'ils prévoyent de loi'n qu'il arrivera une faiion où ces récoltes leur feront interdites. Il feroit peu philofophique d'attribuer à marcher lentement fur les cellules , & nu: en pnîTant donnoit de petits coups de fon derrière, preftement réitérés, fur l'ou- verture des cellules. Un œuf venoit d'etre d.'pofe dans ces mêmes cellules î elles étaient bien à découvert; mais leur- fond étoit trop hors de la -portée de mes yeux pour que je pufTe m'a'lurer que le Faux-bourdon y avoit répandu quelques gtrat- telet.es de fa liqueur. Je ne pus néanmoins me refufer à l'idée bien naturelle, que les petits mouvemens fi preilement répétés , que je venois d'obfer*rer & que je n'avois point encore vus dans aucun Faux -bourdon, n'euîTent pour fin la fécondation. Je jugeai que la conformabon felguliëre des parties fexuclles «lu Mâle , que Swammerdam & Reaumuk. nous ont fait admirer , pouvoient le mettre en état de feringuer fa liqueur jufquau fond de la cellule. Les ténèbres qui couvroient la fécondation chez les Abeilles,, ont donc commencé à s'éclaircîr, mais elles ne font pas entiè- rement difïipées. Mr. de Reaumur avoit prouvé rigoureufe- ment, que depuis le mois d'Août jufqu'au mois d'Avril, il n'y a pas à l'ordinaire dans les ruches un feul Faux - bourdon : & pourtant les œufs que la Re'ne pond dis les mois de Février & de Mars ne laiifent pas d'être féconds. Comment donc font- ils fécondés? La Reine s'uniroit-elïe aux Maies pendant l'Eté, & demeureroit-eilc aïnfi féconde juFqii'à7 l'approche du Printemps? ou les petits Faux-bourdons dont j'ai parlé auroient-ils échappé à VObfervateur , & feroit-ce ces petits Mâles , que les Neutres n'auroient pas fait périr, qui féconderoient dans les cellules les céufs q~;e îa Reine y por.ci à la fin de l'Hiver? Mais ces petits Mâles qui auraient échappé à l'œil perçant de rGbfervateur , auroient-ils échappé aufll à l'iniKnér. des Ouvrières qui décla- rent en Juillet' & Août une fi cruelle guerre à tout ce qui eft Faux-bourdon ? Car elles ne fe contentent pas de faire périr les £ E LA NATURE. Part. XL 137 une telle prévoyance à des Mouches. Des Etres qui n'ont & ne peuvent avoir que de pures fen- fations , porteroient-ils des jugemens fur l'ave- nir ? Tout a été f\ bien arrangé , que les Abeilles font approvifionnées , fans avoir fongé ni pu fouger à faire des provisions. Elles ont été irf- uuites à récolter la cire & le miel : elles «'oc- cupent de ce travail pendant toute la belle faiibn , & quand l'Hiver arrive, les gâteaux fe trouvent pleins de cire & de miel ( 9 ). Mâles eux-mêmes ; elles arrachent encore des cellules les Vers & les Nymphes appelles à donner des Faux-bourdons. Mr. Schirach avoit fouveiit expérimenté , que les jeunes Reines qu'il obtenoit au moyen du Ver commun $ pondoient des oeufs féconds, quoiqu'il n'eût renfermé dans fe^ caiffes que des Ouvrières. Il fembieroit donc qu'on pût inférer de ces expé- riences , que la Reine eft féconde par elle-même à la manière des Pucerons ; fi toutefois il n'y avoit pas lien de foupqonner que quelques Maies de la petite taille avoient échappé à l'Ob- fervateur. ( 9 ) tt Je n'ai rien dit de la manière dont les Abeilles recueillent le miel & la cire , ni de l'art avec lequel elles em- ployant celle-ci dans la conftruftioii de leurs beaux Ouvrages. Je dois fuppïéer ici à cette omiffion , puifque l'induftrie des Animaux eîc actuellement mon principal objet. Je parcourois trop rapidement la curieufe hiftoirc de nos Mouches. Les dents , la trompe & les fix jambes font les principaux înitrumehs qui ont été accordés aux Ouvrières pour exécuter leurs différens travaux. Les dents font deux petites écailles tran- chantes , qui jouent horizontalement , & non de bas en haut eomoje les nôtres. La trompe , que l'Abeille déplie & âlmigè à i}8 CONTEMPLA T I 0 X Des gâteaux où brille une Ci profonde géo- métrie , feroient-ils encore l'ouvrage d'Infecles- Géomètres ? Qui ne voit que plus l'ouvrage eft fon gre, n'agit point à la manière d'une pompe; je veux dire,, que l'Abeille ne s'en fert pas pour fucer : elle eft une forte de langue très -longue & garnie de poils-; & c'eft en léchant les fleurs , qu'elle fe charge d'une liqueur qu'elle fait palier dans- la bouch« , pour defcendre par l'œfophage dans un premier* eftomac, qui en eft comme le réfervoir. Ou voit bien que cette, liqueur eft le miel : les Abeilles connoiffent les petites glandes neftariferes , -fituées au fond du calice des fleurs & qui le- contiennent. Quand elles en ont rempli leur réfervoir, elles vont le dégorger dans les cellules. Elles les en remplirent :. elles l'y mettent en réferve, en prenant la précaution de bou* cher les cellules avec un couvercle de cire. Mais il eft d'autres cellules à miel , qu'elles ne bouchent point , parce que ce font des magafms qui doivent relier ouverts pour les befoins jour-, naiiers de la communauté'.. C'eft encore fur les fleurs que les Ouvrières vont recueillir la matière à cire ou la cire brute. Les poufîieres des étamincs; {ont cette matière. L'induftrieufe Abeille fe plonge dans l'inté-. rieur des fleurs qui abondent le plus en pouiBeres. Les petits, * poils b ranch us dont fon corps eft garni , fe chargent de ces poufîieres: l'Ouvrière les. en irttache- enfuite à l'aide des broffes dont fes jambes font pourvues. Elle les raiTemble , & en forme: deux pelotes que les jambes de la féconde paire vont placer, dans une cavité en manière de corbeille, qui fe trouve à chaque jambe de la troifierne paire. Chargée de fes deux pelotes de. matière à cire , la diligente Abeille retourne à la ruche, &: va, les dépofer dans une cellule defi;inée à les recevoir. Cette cel- lule devient ainfi un magaiin à cire, qui demeure ouvert. Mais: l'Abeille ne fe contente pas de fe décharger ainfi de fon far^ deau : elle entre dans la cellule la tète la première , étend les, ((eux pelotes , les pétrit &. y diftille un peu d'une liqueur fucrie^. BELA 13 A TU R £. Part. XL 139 géométrique , & moins il fuppofe de géométrie dans l'Ouvrier '< Il iaute aux yeux que le Géo- mètre eft ici PAuteur de l'Infe&e. Celui-ci exe- Si la peine qu'elle a prife à faire fa récolte l'a trop fatiguée , «ne antre Abeille furvient qui fe charge d'étendre & de pétrir les pelotes ; car tous les Ilotes de la petite Sparte font égale- ment inftruits de tout ce qui fe préfente à faire dans chaque cas particulier, & s'en acquittent également bien. Mais il n'arrive pas toujours que l'Abeille n'ait qu'à fe plonger dans les fleurs pour en recueillir les pouflieres au moyen de fa toifon : il eft des circonftances où cette récolte n'eft point auiîi facile , & où elle exige de la part de l'Ouvrière d'autres manœuvres. Avant Jeur parfaite maturité , les pouflieres font renfermées dans ces fortes de capfules que les Botaniftes ont nommées les fommets des étamines : l'Ouvrière qui veut s'emparer des pouflieres que les capfules n'ont point encore laiflfé échapper, eft donc obligée d'ouvrir ces capfules , & elle le fait avec fes dents : puis elle faifit avec fes premières jambes les grains qui fe préfentent à V ouverture 5 les articulations qui terminent la jambe , font ioi l'office de main. Les grains qu'elles ont faiii , elles les donnent aux jambes de la* féconde paire , qui après les. avoir dépofées dans la petite corbeille des jambes de la troifieme paire , les y aifujettiffent en frappant deflus à plufieurs reprifes La légère humidité des grains aide encore à les y retenir & à les lier les uns aux autres. L'Ouvrière répète les mêmes manœuvres , achevé de remplir fes deux corbeilles , & fe hâte de regagner ]a ruche, chargée de fon butin. Ces pouffieres que les Abeilles recueillent fur les fleurs , ne font pas certe même cire qu'elles mettent en œuvre avec tant d'induftrie ; elles n'en font que la matière première ; & cette matière demande à être préparée ou digérée dans un eftomac particulier, dans un fécond eftomac. C'eft-là qu'elle devient de -la véritable cire. L'Abeille la rejette enfuite par la bouche fous 1% ionnç d'une bouillie ou d'une écume blanche , qui fe fige 140 CONTEMPLATION ente par une forte de méchanique un travail dont les Koenig & les Cramer calculent avec étonnement les admirables proportions , & dont promptement à l'air. Tandis que cette forte de pâte eft encore duclilc, elle fe prête facilement à toutes les formes que l'Abeiile- veut lui donner : elle eft pour elle ce que l'argilie eft pour le Potier. Un grand Phyfteien qui a" beaucoup philofophé fur le travail géométrique des Abeilles, a cru le réduire à fa jufte valeur en le faifant envifager comme le iimple réfuitat d'une inéchauiuie allez grofïiere. Il a pente , que les Areilies pretTécs les unes contre les autres, faifoient prendre naturellement à la cire uïiq figure hexagone, & qu'il en étoit à cet égard des cel- lules des Abeilles, comme des boules d'une maticre molle, qui prefféès les unes contre les autres,. revêtent la figure de dez à jouer. Je fais gré a ce Phyficien de s'être tenu en garde contre les feductions du merveilleux : je voudrois avoir à le louer encore fur la jufteîTe de fa eomparaifon ; mais on va voir qu'il s'en faut bien que le travail des Abeilles réfuite d'une mécha- nique auiïi iimple que celle qu'il lui a plu d'imaginer. On n'a pas oublié que les cellules des Abeilles ne font pas ftmplemcnt des tubes hexagones : ces tubes ont un fond pyra- midal, formé de trois pièces en lofanges ou de trois rhombes. Or, les Abeilles commencent, par façonner un de ces rhombes $ "& c'eft de la forte qu'elles jettent hs. premiers fondemens de la cellule. Sur deux des cotés extérieurs de ce rhombe, elles élèvent doux des pans de la cellule. Elles façonnent enfuite ua fccon.i rhombe, qu'elles lient avec. le premier, en lui donnant i'inclinaifon qu'il doit avoir , & fur ces. deux cotés extérieurs elles élèvent deux nouveaux pans de Fhéxagone. Enfin , elles- 'conftruïfcnt le troiilomc rhombe ce les deux. derniers pans. Tout cet ouvrage eft d'abord allez mailif &. ne doit point demeurer tel. Les habiles Ouvrières s'occupent enfuite à le perfectionner T à l'amincir , à le polir , à le drefler. Leurs dents leur tiennent lieu de rabot & de iime. Une vraie langue charnue , placée à DELA NATURE. Part. XL 141 ils ignorent le fecret. LTntelligence qui con- noîtroit à fond la (trudure du corps de l'Abeille , y verroit , fans doute , la petite Machine qui conftruit ces cellules fi régulières & fi économi- quement régulières. Elle jugeroit des effets que cette machine doit opérer, comme un Mécha- nicien juge de ceux d'un métier ou de toute autre machine. Jugeons par ce trait fi décifif, des autres opérations des Abeilles. Peu ferons-nous qu'elles Jbient moins mécaniques? N'avançons pas que les Abeilles, ainfi que tous les Animaux, font de pures machines , des horloges , des métiers , &c. Une Ame tient probablement à la machine : elle en fent les mouvemens ; elle fe plait à ces mou- vement ', elle reçoit par la machine des imprei- fions agréables ou déplaifantes , & c'eft cette fen- fibilité qui eft le grand & l'unique mobile de IWnimai. Cet exemple fuffiroit feul pour faire fentir à tout Lecteur judicieux, combien nous nous mé- l'origine de la trompe , aide encore au travail dès dents. Un Lon nombre d'Ouvrières fe fuccedent dam ce travail ; ce que l'une n'a qu'ébauche', une autre le finit un peu plus , une troi- fieme le perfectionne, &c. •■> & quoiqu'il ait paffé ainfi par tan? 4c mains , on le diroit jette au moule. f&t« CONTEMPLATION prenons, quand nous prétons Ci libéralement aux Animaux notre manière de penfer , de raifonner , & prefque notre génie. L'on n'a , pour s'en con- vaincre , qu'à appliquer à la conftruclion des gâteaux des Abeilles ces idées de raifonnement que nous adoptons avec fi peu de réflexion eu faveur des Animaux, & l'on transformera tout d'un coup les Abeilles en Géomètres fublimes. Elles fauront donc aufli la Botanique ; car elles connohTent très- bien , & peut-être mieux que nous , les parties fexuelles des Plantes. Malgré toute l'attention que les plus grands Obfervateurs ont donné aux Abeilles , elles ont encore plus de ehofes intér {Tantes à nous mon- trer , qu'on n'en a découvert. Il faudroit fur- tout imaginer quelque moyen de les épier de plus près , lorfqu'elles travaillent à former ces petites lozanges qui font la bafe des cellules & la partie la plus recherchée de l'ouvrage. A force d'obferver , on découvrira enfin des particulari- tés qui décèleront le fecret de la méchanique dont j'ai parlé. Les Abeilles font toujours attrou- pées en fi grand nombre quand elles commen- cent à conftruire un gâteau , qu'ii n'elt pref. que pas polFible d'appercevoir leur travail. Un point bien eifentiel feroit de parvenir à ne faire travailler qu'un petit nombre d'Ouvrie- DE LA NATURE. Part. XL 14$ tes ( 10). L'Obfervateur fait fe retourner, in- venter , & tirer des obftacles mêmes , de nou- velles inftru&ions & de nouvelles vues. L'étude de Phiftoire naturelle femble être celle qui per- fectionne le plus la fagacité de PEfprit. Remarquons en finifTant, la fingularité des moyens que PAuteur de la Nature a choifis pour conferver l'efpece des Abeilles. Elle pré- fente trois fortes d'Individus , qu'on diroit être eux-mêmes trois Efpeces diftindes. Les Mères , ;prefque par -tout fi occupées du foin de leurs Petits , ne font ici que leur donner le jour. D'autres Mères , des Mères nourrices les élè- vent , & ont pour eux autant d'attachement que il elles leur avoient donné naiffance. Non- feulement elles les foignent, les nourrirent, les défendent; mais elles conftruifent encore les nids ou les berceaux dans lefquels ils doivent croître ; & la conftruclion de ces nids eft Ci favante , le (10) tt C'eft ce que Mr. Schïrach avoit pratiqué bien •des fois à Toccafion de fa nouvelle découverte fur l'origine de la Reine -abeille. Il renfermoit une poignée d'Ouvrières dans de petites caiiies de bois avec un gâteau de trois à quatre pou- ces en quarré , qui ne contenoit que de jeunes Vers communs. Les Ouvrières travailloient dans ces caiffes à conftruire des cel- lules royales, & elles s'occupoient enfuite à approvifionner les Petits. Si au lieu de faire cette expérience dans des caiffes de bois , on la faifoit dans de petites ruches vitrées , on auroit une grande facilité à fuivre toutes les manœuvres des Ouvrières. 344 $ "CONTEMPLATION terrein & la matière y font fi habilement mé- nagés , qu'il n'y a qu'une géométrie tranfcen- dante qui puiiîe bien apprécier tout cela (n). (il) On vient de voir dans la Note neuvième , que le fond de chaqua cellule eft pyramida1 , & que la pyramide eft formée de trois rhombes égaux & femblables. Les angles de ces rhoin- bes pouvoient varier à l'infini; c'eft-à-dire , que la pyramide pouvoit être plus ou moins élevée ou plus ou moins écrafée. Le Savant Ma&ALDI , qni avoit mefure'les angles des rhombes avec une extrême précifion, avoit trouvé que les grands angles étoient en général de 109 degrés 28 minutes , & les petits de 70 degrés 32 minutes. Mr. de Reaumur, qui favoit méditer fur les procédés des Infeéfces , avoit ingénie ufemènt foupçonné , que le choix de ces angles , entre tant d'autres qui auroient pu être également choifis , avoit pour raifon fecrete l'épargne de la cire ; & qu'entre les cellules de même capacité & à fond pyramidal , celle qui pouvoit être faite avec le moins de ma- tière , étoit celle dont les angles avoient les dimenfions que donnoient les mefures actuelles. Il propofa donc à un habile Géomètre , Mr. Kcenig , qui ne favoit rien de ces dimenfions, de déterminer par le calcul, quelles dévoient être les angles d'imQ cellule hexagone à fond pyramidal , pour qu'il entrât le moins de matière poflible dans fa conftraction. Le Géomètre eut recours pour la folution de ce beau problème, à l'analyfe des infiniment petits, & trouva que les grands angles des rhom- bes dévoient avoir 109 degrés 26 mïfliitès , & les petits 70 degrés 34 minutes : accord furprenant entre la folution & les mefures actuelles! Mr. Kœnig démontra encore, qu'en pré- férant le fond pyramidal au Fond plat, les Abeilles ménagent en entier la quantité de cire qui feroit ntceifaire pour -conf- truire un fond appïati. En raifonnant d'après l'Hiftorien des Infectes fur la forme géométrique des cellules des Guêpes & des Abeilles , l'iîluftre JVIairan s'exprimoit ainfi : „ Que les Bêtes penfent ou ne 5, penfent pas , il eft toujours certain qu'elles fe oonduifent en „ mill? 1 È Ë LÀ NATURE. Vdrt. KL |4e $j fnille occafions comme fi elles penfoient ; l'illiifion en cela, 5, fi c'en eft une , nous avoit été bien préparée. Mais fans pre- j, tendre toucher à cette grande queftion , & quelle que foit la j, caufe,- livrons - nous un moment aux apparences, & parlons $, le langage ordinaire. „ Des Géomètres , & il faut compter parmi eux Mr. de 5, Reaumur , fe font exercés à faire fentir tout l'art qu'il y „ avoit dans les gâteaux de cire , & dans ces guêpiers dé papier, ,, fi ingéiiieufemént divifés par étages foutenus de colonnes , jj & ces étages ou tranches par une infinité de cellules fexan- „ gulaires. Ce n'eiO: pas fans fondement qu'on a obfervé que 3, cette figure étoit entre tous les polygones poifibles , le plus „ convenable ou même le feul convenable aux intentions qu'on 5, eft en droit d'attribuer aux Abeilles & aux Guêpes qui favenfe 3, les conftruire. Il eft vrai que l'hexagone régulier fuit nécsf- 35 fairement de l'appofition des corps ronds, mous & flexibles, 35 lorfqu'ils font preiïes les uns contre les autres , & que c'efè 35 apparemment pour cette raifon qu'on le rencontre fi fou* 3, vent dans la Nature , comme dans les capfules des graines 35 de certaines Plantes , fur les écailles de divers Animaux , & 3, quelquefois dans les particules de neige , à caufé des petites à,, gouttes ou bulles d'eau fphériques ou circulaires , qui fe font 33 applaties les unes contre les autres en fe gelant. Mais il y i „ tant d'autres conditions à remplir dans la conftrudion des 35 cellules hexagones des Abeilles & des Guêpes , & qui fe trou- ,5 vent fi admirablement remplies , que quand on leur difpute- 35 roit une partie de l'honneur qui leur revient de celle - ci , i! 35 n'eft prefque plus poffible de leur refufer qu'elles n'y aient 3, beaucoup ajouté par choix , & qu'elles n'aient habilemen't 33 tourné à leur avantage cette cfpece de néceffité que leur 3, impofoit la Nature ". •#• tome il. & 14* CONTÉMPLATIOXf CHAPITRE XXVIII. I^j Bourdons. jj- JLiEs Bourdons, qui font de vraies Abeil- les républicaines , mais plus groffes & plus velues que les Abeilles domeftiques , leur font bien in- férieurs dans Part de . bâtir : ils le font encore par leurs mœurs , par leur police & par leur popu- lation. Les Bourdons font de fimpîes villageois' qui logent fous un humble toit de mouffe * n'habitent que des hameaux , & ne s'occupent que d'ouvrages greffiers , affortis à leur condi- tion. Les Abeilles domeftiques , au contraire , font des Citoyennes d'un grand Etat , bien policé , où les arts tk les fabriques font en honneur. Les foeiétés les plus nombreufes de nos groffes Mouches velues, ne font guère que de foixante à quatre-vingts membres. Il s'y trouve aufîi de trois fortes d'Individus , des Mâles , des Fe- melles & des Neutres. Ceux-ci font communé- ment les plus petits. Tous les Individus pren- nent une part à-peu-près égale aux travaux de la communauté, DE LA NATURE. Part. XL 147 Les Bourdons conftruifent leur nid dans les prairies. Ils favant carder avec leurs dents & leurs jambes la mouffe dont ils le recouvrent, lis donnent à la couverture la forme d'un petit dôme à-peu-près hémifphérique , qu'ils plafon^ nent proprement avec de la cire. Quand on enlevé cette couverture $ on trouve au - defïbus deux ou trois gâteaux. Ils ne font pas faits dé cire, & leurs cellules ne font pas hexagones: ce font des coques de foie , de figure ovale , & que fe filent les Vers des Bourdons. Les unes font fermées a ies autres font ouvertes & réf. femblent mieux à des cellules. Celles-là loeent une Nymphe , celles-ci ont été ouvertes par la Mouche qui a pris l'eifor. Çà & là , entre les coques , on Voit des amas de pâtée 5 de forme irréguliere, au centre des- quels repofent des œufs ou des Vers. Parvenus à l'âge de maturité , ces Vers ne tardent pas à fe conftruire des coques qui augmentent l'éten- due du gâteau. Mais il n'eft pas- entièrement compolé de pareilles coques : on y obferve eii divers endroits , de petits vafes de cire , façon- nés par les Bourdons , & qu'ils remplirent de miel. C'eft de ce miel dont ils fe fervent pour détremper la pâtée deftinée à nourrir leur? Petits, lis fe nourrirent eux-mêmes de ce nmi K 2 *4$ CONTEMPLATION qui eft toujours à leur portée dans les ma- gafins. La manière dont nos Abeilles fauvages cha- rient la mouiTe qu'elles emploient dans leur édifice , eft tout- à- fait ingénieufe. Un premier Bourdon , tournant le dos au nid , faifit avec fes dents & fes premières jambes quelques fila- mens de moufle : les premières jambes donnent les filamens aux jambes poftérieures , qui , les faifant paffer par-delà le derrière , les donnent à un fécond Bourdon placé à la fuite du pre- mier : celui-ci tranfmet de même les filamens à un troifieme Bourdon , qui les fait pafTer à un quatrième , qui les pouffe vers un cinquiè- me , &c. & c'en: ainfi que la petite provifion de moufle eft conduite par une chaîne de Bourdons du lieu où elle eft recueillie , jufqu'à celui au elle eft mife en œuvre. Au bas du logement eft une porte, à laquelle aboutiflent des galeries en berceau , recouvertes- de moufle comme le toit. Lorsque la moufle vient à manquer dans les environs de la demeure, & que le logement exige des réparations , les Bourdons n'héfitent pas à fe fervir d'une partie de la moufle des, DE LA NATURE. Part XL tïj galeries pour fournir à la réparation. Ils mon- trent une grande ardeur dans ce travail , & la préfence de l'Obfervateur ne les arrête point. Les Mâles & les Neutres périflent en Au, tomne , & il n'y a que les Femelles qui fe eon, fervent pendant l'Hiver & bâtifTent au retour du Printemps de nouveaux nids ( I ). ( i ) On remarque chez les Bourdons deux fortes de Neu- tres : les uns font auiïi grands que les Mâles ; les autres font plus petits : mais tous travaillent également à la conftru&ion ou aux réparations du nid. Voilà donc des Neutres dans un genre d'A-- fceilles , qui font bien tels d'origine , & qui ne doivent point leur état de Neutres à des caufes accidentelles comme les Neu- tres des Abeilles domeftiques. Ceci jetteroit quelque doute fur l'opinion de Mr. Schirach, fi elle n'étoit confirmée par un très-grand nombre d'expériences. K 5 s;o CONTEMPLATION Éfr ■ i ■ ■ ?5S&g===== . i — CHAPITRE XXIX. Les Caftors. 'e tous les Animaux qui vivent en fociété , il n'en eft point qui approchent plus de l'intel- ligence humaine ? que les Caftors ( i ). On eft frappé d'étonnement & comme ftupéfié à la vue de leurs ouvrages , & peu s'en faut qu'en lifant leur hiftoire, l'on ne s'imagine lire celle d'une Efpece d'Hommes, L'on ne fait ce qu'on doit admirer le plus dans leurs travaux , de la gran- deur & de la folidité de l'entreprife ou de l'art prodigieux 3 des vues fines & du delfein général qui brillent de toutes parts dans l'exécution. Une fociété de Caftors femble être une Académie d'In- génieurs , qui travaillent fur des plans raifon- nés , qui les rectifient ou les modifient au befoin 3 qui les fuivent avec autant de confiance que de précifion , qui font tous animés du même efprit , & qui réuniïTent leurs volontés & leurs forces pour un but commun , qtîi eft toujours, le bien général de la fociété. En un mot , il falloit ( i ) ff Mr. Sarrasin , Médecin du Roi de Franc© à Québec , eft le Natiiralifte qui nous a donné les meilleures qbier- vatioiis fur les Caftors. DE LA NATURE. Part. XL jffÇ découvrir les Caftors pour les juger poflibles. Un Voyageur qui les ignoreroit , & qui viendroit à rencontrer leurs habitations , croiroit être chez un Peuple de Sauvages très-induftrieux. C'est vers les mois de Juin ou de Juillet que les Caftors fe forment en corps de fociété , au nombre de deux à trois cents. Ils s'affemblent aux bords des lacs ou des rivières. On fait qu'ils font amphibies. Il leur importe fur - tout de fc rendre maîtres des eaux au milieu defquelies ils bâtifTent , & de prévenir les effets de leurs crues & de leurs baiiTes. Ils y parviennent , comme nous , par des digues & par des éclufes. Le niveau des eaux d'un lac varie peu & lentement : fi donc ils s'établiffent fur un lac , ils fe difpen- fent des frais d'une digue ; mais ils ne manquent point d'en élever une s'ils s'établiffent fur une rivière. Cette digue eft quelquefois un ouvrage im- menfe , & qu'on ne comprend point que des Brutes ayent pu projetter , commencer & finir. Repréfentez- vous une rivière de quatre-vingts ou cent pieds de largeur -, il s'agit de rompre l'eifort de fon courant. Les Caftors conftruifent donc une digue ou une chauffée de quatre-vingts ou cent pieds de longueur . fur dix à douze K4 fîl CONTEMPLATION d'épaiiïeur à fa bafe. Rien de plus vrai ni de moins vraifemblable , & quand on l'a vu & jrevu, on veut le revoir encore pour le croire. Les Caftors n'ont reçu pour tous inftrumens que quatre fortes dents inciilves , quatre pieds , dont les deux antérieurs font garnis d'efpeces de doigts , & une queue écailleufe faite en ma- nière de pelle ovale. C'eft pourtant avec de pareils inftrumens qu'ils maîtrifent les eaux , & qu'ils ofent défier nos Maçons & nos Charpen- tiers , munis de leur truelle , de leur plomb & de leur hache. S'ils trouvent fur le bord de la rivière un grand arbre , ils le coupent par le pied j ils re- tranchent pour le coucher fuivant fa longueur & en faire la principale pièce de la digue. Tandis qu'une partie des Caftors s'occupent à ce travail ? d'autres vont chercher de plus petits arbres , qu?ils coupent & taillent en forme de pieux, & Qu'ils voiturent d'abord par terre , enfuite par «au, jufqu'au lieu où ils doivent être employés. Ils conftruifent avec ces pieux un pilotis , qu'ils fortinenr en entrelaçant entre les pieux des bran- ches d'arbres. En même temps d'autres Caftors apportent une forte de mortier qu'ils ont pétri avec leurs pieds. Ils le font entrer dans les yuide? DE Là NATURE. Part. XI. *$j du pilotis , & le battent enfuite avec leur queue, Ils plantent ainfi plufieurs rangs de pilotis dont tout Pintérieur eft folidement maçonné. Sur le haut de la digue ils pratiquent deux à trois ouvertures pour ménager des décharges à l'eau , & ils favent les élargir ou les rétrécir félon que la rivière hauffe ou baifle. Si par l'impétuofité de fon courant elle fait une brèche à la digue, ils fe mettent auflî-tôt à la réparer. La. digue eft proprement un ouvrage public auquel tous les Caftors travaillent de concert. Dès qu'il eft achevé , la grande fociété fe partage en plufieurs fociétés particulières , qui prennent chacune leur quartier & s'y conftruifent une habitation commode. Cette habitation eft une manière de hutte ou de cabane , ovale ou ronde , à un ou plufieurs étages , bâtie fur un pilotis plein & qui fert à la fois de fondement & de plancher. Les murs ont environ deux pieds d'épaiffeur , & font très - bien maçonnés. Les parois font revêtues d'une forte de ftuc appliqué avec tant de propreté , qu'il femble que la main de l'Homme y ait paffé ; & ce n'eft pourtant que la queue du Caftor qui exécute cela. Le plancher eft couvert d'un tapis de verdure , fur Jequel ils ne fouffrent jamais de faletés. La cabane a toujours deux iffues ou forties , Punç 54 CONTEMPLATION pour aller à terre , l'autre pour aller à Peau. Les plus grandes cabanes ont huit à dix pieds de diamètre ; les plus petites , quatre à cinq. Celles- là logent feize , dix-huit ou vingt Caftors ; celles- ci deux , Cix ou huit Caftors. Il y a toujours autant de Mâles que de Femelles. Leur nourriture ordinaire eft l'Ecorce de quelque bois tendre , comme l'Aune , le Peuplier , Je Saule. Ils en font des amas pour l'Hiver , qu'ils renferment dans des magafins placés fous l'eau. Chaque cabane a fon magafin où tous les membres de la petite fociété vont puifer ( 2 ). Les plus grandes bourgades des Caftors font de vingt à vingt - cinq maifons ; mais de telles bourgades font rares. Les plus communes font de dix à douze. Chaque république a fon dif- trict, & ne fouffre point d'Etranger. Ici l'union du Mâle & de la Femelle femble être moins l'effet de la néceiîîté que du choix. Après avoir travaillé de concert avec les autres Caftors aux ouvrages publics & particuliers , ( 2 ) tt Les Caftors préfèrent le bois verd & non flotté an bois fcc. Ils coupent menu celui dont ils font provifion , & la provifion pour huit ou dix Caftors eft de 2$ ou 30 pieds eu $uarré,fur s à 10 de profondeur. BELA2TATURE. Part XL 15c" l'heureux couple goûte les douceurs domeftiques & tous les plaifirs attachés à la fociété conjugale. La Femelle fait communément deux à trois Petits, & elle a été chargée feule des foins de l'éducation. Le Mâle ne les partage point. Il s'abfente alors de la maifon ; il y revient néan- moins de temps en temps > mais il n'y fé- journe pas. Lorsque de grandes inondations viennent à endommager les établiifemens des Caftors , tou- tes les fociétés particulières fe réunifient pour concourir aux réparations néceflaires. Si les Chaifeurs leur déclarent une guerre cruelle , s'ils détruifent entièrement leur digue & leurs ca- banes , ils fe difperfent dans la campagne , fe réduifent à la vie folitaire , fe creufent des ter- riers , & ne montrent plus cette industrie que nous venons d'admirer. ïfti CONTEMPLATION <<**■ L CHAPITRE XXX. Réflexions fur les Caftors. E s Caftors femblent faits pour confondre tous nos raifonnemens. Leur réunion en grand corps de fociété pour travailler de concert à des ouvrages immenfes ; leur divifion en petites fa- milles ou en fociétés particulières, chargées de la conftruction des maifonnettes ; la nature de; ces ouvrages , leur grandeur, leur folidité , leur propreté , leur appropriation Ci marquée à un but général , qui renferme tant de fins fubordon- néess en un mot, leur reffemblance prefque par- faite avec les ouvrages que les Hommes conf- truifent dans les mêmes vues ; tout cela donne au travail des Caftors une fupériorité bien dé- cidée fur celui des Abeilles , & paroit indiquer qu'il eft bien moins méchanique. En effet, abattre des Arbres choifis à deffein , les tailler , les débiter, en faire de grandes pièces de tra- verfe , les mettre en place , couper de plus petits Arbres , en former des pieux , planter dans une rivière plufieurs rangs à& ces pieux , les entre- lacer de branches d'Arbres, pour les fortifier & tes lier les uns aux autres ; pétrir du mortier * LE LA NATURE. Part. XI. 197 & maçonner foiidement l'intérieur des pilotis > procurer à tout cet aifemblage la forme , les pro- portions & la folidité d'une grande digue -, éta- blir fur cette digue des efpeces d'éclufes , les ouvrir & les fermer félon que les eaux haulTent ou baifTent -, bâtir derrière la digue des maifon- nettes à un ou plusieurs étages , les fonder fur un pilotis plein, les maçonner au -dehors, les incrufter ou les revêtir nu-dedans d'une couche de ftuc, appliquée avec autant de préciûon que de propreté -, couvrir les planchers d'un tapis de verdure 5 ménager dans les murs des jours & des forties pour dirférens befoins 5 conftruire des magafins & les remplir de provilions -, réparer avec diligence toutes les brèches qui furvien- lient aux ouvrages publics , & fe réunir de nou- veau en grand corps de fociété pour travailler en commun à ces réparations : voilà des traits étonnans d'une induftrie , qui fembleroit fbp- pofer chez les Caftors , un rayon de cette lumière qui élevé l'Homme fi fort au - delfus de tous les Animaux. Défions - Nous cependant de ces premiers mouvemens de l'admiration. L'admiration faifit trop fortement fon objet , & ne fouffre guère que la raifon l'apprécie. AiTurément il n'en e(t pas de la conftru&ion d'une grande digue & de ï$g CONTEMPLATION celle d'une maifon , comme de la conftruction d'un gâteau de cire & de celle de cellules hexa- gones à fond pyramidal. On fent que le gâteau & les cellules pourroient être , en quelque forte , jetés au moule i mais il n'y a point de moule pour une digue & pour une maifon. Vous ne prendrez pas au pied de la lettre une expreffion figurée. Le travail des Abeilles n'eft pas moulé ,- comme un Phyficien voudroit nous le perfuader fur des comparaifons déceptrices. Il eft façonné, pour ainfi dire , à la main 5 n;ais cette main peut opérer méchaniquement. On ne fauroit comparer la récolte , la préparation & l'emploi des pouf- fieres des étamines , à la collection , la prépara- tion & l'emploi des matériaux d'une digue. Les ouvrages des Caftors font certainement d'une toute autre nature que ceux des Abeilles -, ils affectent avec les nôtres une foule de rapports qui les feroient juger réfléchis , Ci l'on cédoit aux premières impreffions * & fi l'on n'analyfoit point les idées que le mot de réflexion repréfente. Les Caftors ne font fûrement pas plus Ingé- nieurs ou Architectes , que les Abeilles ne font Géomètres. Ne voit-on pas 4 que fi les Caftors avoient nos notions de Génie & d'Architecture 5 les Caftors d'aujourd'hui ne bâtiroient pas pré- cifément comme ceux du temps de Vespuge? DE LA NATURE. Part. XL içç L'Efprit humain combine & perfectionne fans ceife y FEfprit des Caftors ne combine & ne perfectionne jamais. Si feulement ils élevoient une fois des cabanes quarrées; mais ce font éter- nellement des cabanes rondes ou ovales. lis ie meuvent , comme les Planètes , dans le cercle que la Nature leur a tracé , & ne le franchiflent jamais. En vain objecteroit-on , que les Sauvages d'aujourd'hui bâtilfeut comme ceux d'autrefois: fi les Sauvages ne perfectionnent pas , ils n'en ont pas moins la faculté de le faire. Leur cerveau eft organifé comme le nôtre ; ils font doues de la parole j ils pratiquent entr'eux un certain droit des Gens , fort fupérieur à toute la police des Caftors. Et (î jamais il s'élevoit au milieu de ces Nations groiîieres , des Vaubans & des Per- raults , leurs bourgades deviendroient des villes, & leurs cabanes des palais. Attendrez- vous des Vaubans & des Perraults chez les Caftors ? Le limon avec lequel la Nature a pétri ces Animaux , n'eft point celui avec lequel elle pétrit les Architectes 5 mais elle paroit quelque- fois faire des Architectes & des Géomètres, quand elle ne fait que des Manœuvres & des Automates. Chaque Animal a reçu fes dons par- ticuliers & fa mefure d'induftrie , relatifs à fa deftination. Il en eft où le méchanique eft (ï palpable , que nous ne pouvons nous le défli. i6o CONTEMPLATION muler. Il en eft d'autres où il eft déguifé foité une apparence de réflexion & de génie qui nous féduit d'autant plus fùrement, que nous aimons davantage à l'être. D'ailleurs , il nous eft biem plus facile de faire raifonner la Brute en Homme,- que l'Homme en Brute. Avouons-le , les Caftors feront toujours pour; les Philofophes une énigme indéchiffrable. Us font doués d'une forte d'intelligence qui fembld les placer entre l'Homme & les autres Animaux. Qu'il me foit permis néanmoins de hafirder une conjecture , que je ne donne que pour ce qu'elle eft. La dodtrine des idées innées j qui a eu jadis tant de partifans , & qui a été depuis il folide- ment réfutée , ne fcroit-elle point applicable aux Brutes ? La Brute eft en naiflant ce qu'elle fera toute fa vie. Ses coups d'eiTai font toujours des coups de Maître. Point de tâtonnemens , point de méprifes proprement dites. Les jeunes Abeilles travaillent aufîi régulièrement que les plus expé- rimentées. Des Oifeaux qui n'ont jamais vu do nid , nichent comme leurs Aïeux. Les Caftors n'ont point d'école où la Jeu- nelTe étudie. Les Abeilles, les Oifeaux, les Caf- tors n'apporteroient-ils donc point en naiifaiH des idées de gâteaux , de nid , de digue , dé cabane ? Jb È LA NATURE. Part.XJ. i6ï cabane? Leur corps n'auroit-il point été conftruit & monté fur des rapports déterminés à ces idées ? Ne repréfenteroit - il point par fes mouvement divers , l'efpece , la fuite & l'ordre de ces idées i Mais on convient affez que les idées tirent leur origine des feus , & ceja ne faûroit fouffrir de difficulté à l'égard des Animaux, puifque toutes leurs idées font purement fenfibles. Elles tien- nent donc toutes aux fens : il eft même proba- ble 5 que chaque idée a dans le cerveau des fibres qui lui font appropriées ; nous l'avons vu ail- leurs ( t ). Ainsi nous ne penferons pas que l'Âme de l'Animal naiffant renferme actuellement toutes les idées relatives à fa confervation & à celle de fon.Efpeee: mais nous fuppoferons que le cer- veau contient actuellement des fibres propres à exciter dans l'Ame ces idées , à les y exciter dans un certain ordre & relativement à telle ou telle circonftance où l'Animal fè rencontrera quelque jour. Ce ne feroient donc pas proprement des idées innées que, nous admettrions j ce feroient des fibres innées. Suivant cette hypothefe , le cer- veau des Caftors contiendroit originairement lin affemblage de fibres propres à repréfenter à Yhtiéë (i) Part.V, Chap. HT* \ï tome IX. 1 i6z CONTEMPLATION une digue , une cabane , des pilotis , &c. & l'exécution de tout cela. ïl y auroit ainfi dans l'Animal deux fytièmes particuliers , qui correl- pondroient l'un a l'autre > un fyftême repréfeu- tatif, qui auroit ion fiege dans le cerveau , & un fyftème exécutif, qui reiideroit dans les mem- bres & les autres organes défîmes à exécuter les repréfentations ou à les réalHer. Et comme ces deux fyitèmes auraient été calculés fur des rap- ports déterminés aux différentes circonitances où l'Animal pouvoit fe rencontrer , il feroit bien naturel que leur jeu variât relativement à la t\ï- veriité des fituations de l'Animal & à fes befoins actuels. Le Lecleur a faifi ma penfée : il voudra bien préfumer allez favorablement de moi , pour n'imaginer pas que je croie avoir trouvé le vrai mot de l'énigme : je n'ai fait que fubftituer à ce mot un terme qui le repréfente (2). ( 2) tt Les légères conjectures que je propofois ici pour evTayer de rendre raifon de l'étonnante induftrie des Caftors „ ne fauroient être bien faifies que par ceux de mes Lecteurs qui ont quelque connoiffance des principes de VJSjfai analytique fur V Ame. Toutes nos idées dérivent originairement des fens , & les fens communiquent avec le cerveau. Ils lui tranfmettent donc les diverfes impreffions qu'ils reqoivent des objets. Mais ces impreflions ne s'effacent pas au moment que les objets ont celle d'agir fur les fens & par les fens fur le cerveau : elles font plus ou moins durables } & c'effc à la faculté qui les conferve qu'on a donné le nom de mémoire. Des caufes , des accidens qui ne fauroient affecter que le cerveau , affoiblifTeut & détruifent I) E LA NATURE. Part. XL i6% Au refte , que les Caftors ne déploient leiiif induftrie & leurs talens que dans l'état de fo- ciété , qu'ils ceffent de travailler quand ils font; réduits à vivre folitaires ou prifonniers , qu'ils paroiifent alors pielque ttupides , cela n'eft pas plus furprenant que la langueur & l'inadion totale où tombent les Abeilles privées de leur Reine. Cinq ou fix Abeilles féparées de leur; ruche ne conftruiroient pas le moindre alvéole, * même la mémoire. Cette faculté a donc dans le cerveau uti fiege phyfique , & ce fiege peut - il être autre chofe que les dernières ramifications des fibres des fens ? Et fi ces fibres retiennent pendant un temps plus ou moins long les impref* fions des objets, n'eft-oil pas fondé à en inférer qu'elles font organifées dé manière que les objets y produifent des détermi- nations durables , en vertu defquellcs elles rap-pellent à l'Ame les idées des objets? Mais les fibres ou les très -petits organes qui font le flege de la mémoire , communiquent les uns aux autres > puifque les idées de tout genre fe rappellent les unes les autres : l'ordre dans lequel ces petits organes s'ébranleront, déterminera donc la fuite & l'efpece des idées qui feront re- produites. Si donc Ton fuppofe , que le cerveau d'un certain Animal a été originairement conftruit de manière que fes fibres peuvent exciter dans l'Ame une fuite ordonnée de différentes idées analogues à celles que nous recevons par l'éducation ; que ces fibres , par exemple , excitent dans l'Ame de l'Animal les ïiiées d'un certain travail ou d'une certaine fuite d'opérations, nous concevrons jufqii'à un certain point, comment cet Animal peut du premier coup & fans éducation exécuter à point nommé ce travail ou ces opérations, Le Le&eur me comprendra peut- être un peu mieux , s'il premf la peine de confulter le Chapitre V£ de la Partie V. Je ne fais dans le moment que rappellex les principes les pluk généraux de mon fujet. §64 COïïTEMPLATîOlt pas même un feul pan de cet alvéole. Cette forte de folitude ne les priveroit pas néanmoins de leurs talens ni de leurs organes. Mais les Abeilles républicaines ont été appellées à vivre en fociété : elles ont été organifées pour cet état: la folitude laiife leurs organes dans l'inaction , ils y man- quent de mobile. D'autres Abeilles , appellées à vivre folitaires ( 3 ) s ont été organifées dans un rapport à cette destination différente : chaque In- dividu exécute donc par fes feules forces des ouvrages admirables, qui font ailleurs le produit des forces réunies d'un grand nombre d'Indivi- dus. Les Caftors n'avoientpas été organifés prin- cipalement pour la folitude $ ils Pavoient été prin- cipalement pour la fociété. C'étoit elle qui devoit mettre leurs talens en valeur & leurs organes ert exercice. La folitude laine la plus grande partie sle ces renorts fans action & fans vie. Les Caftors demanderoient encore à être étu- diés , & par des Obfervateurs que le merveik îeux ne féduisk jamais. Il faudroit tenter de les dérouter en leur oppofant différens obftacles, en modifiant plus ou moins la forme de leurs ouvrages , en fubftituant adroitement à leurs matériaux des matériaux étrangers , &c. Un kni O) Voyez lo Chapitre V de cette Partie, DE LA 'NATURE. Part. XI. i<5ç nombre d'expériences faites dans cet efprit phi- iofophique , porteroit la lumière dans les recoins où nous ne voyons que ténèbres. g*fc „ .^S&gi: CHAPITRE XXXI. Les Rats mufqiiés. tt -I— 'E Caftor, Habitant du Canada, a un Compatriote qui lui reffemble un peu par la forme, par la couleur, par le poil, par le duvet épais placé au - deffous , & plus encore par les mœurs & l'induftrie ( i ) : je parle du Rat mu£ que , qui n'eft pas plus gros qu'un petit Lapin , & qui établit fa demeure dans les marais , ou fur le bord des lacs & des rivières. Il fait, comme le Caftor , fe conftruire des maifonnettes où plu- fieurs familles logent enfemble. Ce font des huttes rondes , dont la foone fe rapproche de celle des ruches d'Abeilles en panier. Leur gran- deur eft proportionnée au nombre des Rats qui fe font réunis pour les conftruire. Les plus ( i ) Les Sauvages difent que le Caftor & le Rat mufqué font frères ; mais que le Caftor , beaucoup plus gros, eft l'aîné, & qu'il eft plus intelligent. On prendroit au premier coup-d'cei! lin vieux Rat mufqué & un Caftor d'un mois pour deux Ani« jtiaux de même Efpece. L 3 Vrt CONTEMPLATION les Pays chauds , ne fe conftruifent point de teî§ iogemens : ils fe contentent de fe, creufer des terriers comme les Lapins ( 2 ). (2) L'Hiftorien des Rats mufqnés du Canada, Mr. Sar- rasin, regrettoit de n'avoir pu les fuivre dans leur travail ingénieux •-, mais il avoit au moins pénétré bien avant dans leur anatomie , & y avoit découvert des particularités très - remar- quables. Je n'en indiquerai que quelques-unes. Le mufcle peau- çier eft fi puiffant , qu'en fe contractant il raccourcit tout le corps. Les faïuTes - côtes ont auffi une telle foupleiïè , qu'elles permettent à l'Animal de parler par des trous où des Animaux plus petits ne fauroient pafïer. Dans les temps du rut , qui tom- bent en Eté , les tefticules , placés près de l'anus , font auffi gros qu'une mufeade , & rentrent dans l'intérieur & difparoiffent entièrement dans les temps intermédiaires. Il en eft de même des follicules qui contiennent le mufe , fous la forme d'une liqueur laiteufe , & qui touchent aux parties fexuelles. Enfin, i'uretre s'ouvre chez la Femelle dans une éminence velue & percée, placée fur l'os pubis. Je dois ajouter, que le Rat muf« que n'a point les doigts des pieds de derrière unis par des mem- branes comme le Cafter : fon genre de vie n'eft pas précifément fe même. DE LA NATURE. Part Xlh 169 UZIEME PARTIE- SUITE DE VINDUSTRIE DES ANIMA VX. Epfcg ■■ = *5&g5: CHAPITRE PREMIER. , Généralités fur les procédés induftrieux de divers Infe&es , relatifs à leurs Métamorphofes. c E font les procédés d'Animaux folitaires que nous allons parcourir. S'ils n'affectent pas ce grand air de réflexion & de prudence , cette lueur de génie , cette apparence de police & de législation , qui nous frappent dans ceux des Animaux fociables , ils ne laiffent pas de nous intéreffer, foit parleur {implicite & leur fingu- larité, foit par leur diverfité & leur appropria- tion à une fin commune , dont ils font les moyens ingénieux & naturels. Après avoir contemplé le gouvernementales mœurs & les travaux d'une République , Ton peut fe plaire encore à confi- plérer la vie & les occupations d'un Solitaire , & à paffer ainfi des monumens de Rome à la cabane CONTEMPLATION îes Pays chauds , ne fe conftruifent point de teî§ îogemens : ils fe contentent de fe, creufer des terriers comme les Lapins ( 2 ). (2) L'Hiftorien des Rats mufqués du Canada, Mr. Sar- SAS in , regretîoit de n'avoir pu les fuivre dans leur travail ingénieux , mais il avoit au moins pénétré bien avant dans leur anatomie , & y avoit découvert des particularités très - remar- quables. Je n'en indiquerai que quelques-unes. Le mufcle peau- çiçr eft fi puififant , qu'en fe eontradtant il raccourcit tout le corps. Les faillies - côtes ont auffi une telle fou pie Me , qu'elles permettent à l'Animal de paffer par des trous où des Animaux plus petits ne fauroient paîTer. Dans les temps du rut , qui tom- bent en Été , les tefticules , placés près de l'anus , font auffi gros qu'une mufeaie , & rentrent dans l'intérieur & difparoiffent entièrement dans les temps intermédiaires. Il en eft de même des follicules qui contiennent le mufe , fous la forme d'une liqueur laiteufç, & qui touchent aux parties fexuelles. Enfin, i'uretre s'ouvre chez la Femelle dans une éminence velue & percée, placée fur l'os pubis. Je dois ajouter, que le Rat muf~ que n'a point les doigts des pieds de derrière unis par des mem- branes comme le Cailor : fon genre de vie n'eft pas précifément |e même. DE LA NATURE. Paré. XII. 169 DOUZIEME PARTIE- SUITE DE L'INDUSTRIE DES ANIMAUX. CHAPITRE PREMIER, , Généralités fur les procédés induflrieux de divers Infe&es 5 relatifs a leurs Métamorphofes. c E font les procédés d'Animaux folitaires que nous allons parcourir. S'ils n'affectent pas ce grand air de réflexion & de prudence , cette lueur de génie, cette apparence de police & de législation , qui nous frappent dans ceux des Animaux fociables 9 ils ne laiifent pas de nous jntéreffer, foit parleur fimplicité & leur fingu- larité, foit par leur diverfité & leur appropria- tion à une fin commune , dont ils font les moyens ingénieux & naturels. Après avoir contemplé le gouvernementales mœurs & les travaux d'une République , l'on peut fe plaire encore à confi- plérer la vie & les occupations d'un Solitaire , & à paffer ainfî des monumens de Rome à la cabane 170 CONTEMPLATION d'un Robinson. Ces ouvrages que les Animaux fociables exécutent, & qui nous étonnent autant par leur grandeur que par la beauté de leur ordonnance, réfuitent du concours de quantité d'Individus. Ils ont à pairei\par différentes mains.: les unes les ébauchent,, les autres les perfec- tionnent, d'autres les finiffent. Les ouvrages des Animaux fbiitaires partent d'une feule tète 5 la même main qui les commence , les continue s les achevé, les répare. Chaque Individu a reçu fou talent particulier , fou tour d'adreffe , par lequel il fe fuffit à lui-même , & pourvoit à tout. Arrêtons-nous ici aux procédés relatifs à la métamorphofe : ç'eft une grande affaire pour un de nos Hermites , que de s'y préparer. Sa confervatiou dépend des précautions auxquelles il a recours à l'approche de cette époque , la plus importante de fa vie. Les Chenilles nous offrent icules des exemples 'de prefque tous les procé- dés que la Nature a enfeignés aux Infectes en ce genre. Bornons-nous fur-tout à cette claffe» %*# f DE LA NATURE. Part. XII. 171 g5& -■« = ^sag* ■ . == iW& CHAPITRE IL Les Chenilles qui fe fnfpendent par le derrière. v. o u s avez vu ( 1 ) que la Chryialide ne peut agir, & pourquoi. C'eft la Chenille qui fait tout , & doit tout faire. Le point le plus eiïentiel et! de mettre la Chrvfalide en état de fe tirer fans rifque du fourreau de Chenille. Pour y par- venir, les Chenilles ont divers moyens. Le plus fimple eft de fe fufpendre par le derrière (2 ). Elles filent fur quelque appui un petit monti- cule de foie 5 elles y cramponnent fortement leurs deux dernières jambes , & fe pendent ainlî la tète en en-bas. Dans cette attitude fiuguliere , elles fubiifent leur metamorphofe à découvert. Le fourreau de Chenille s'ouvre , & mille paraître la Chryfalide. De moment en moment el|e fe dégage davantage. Mais, que deviendra - 1^ elle quand elle aura entièrement abandonné le four- Ci) Part. IX,Chap. X, &c. (2) ff Ce procédé eft commun à ces Chenilles demi-velues, qui ont été nommées éj>i;:eufcs , parce que leurs poils reflem- blent à des épines. L'Ortie nourrit de ces Chenilles , fur lef- quelbs il eft très-facile de fuivre les petites manœuvres que je décris dans ce Chapitre. On les trouve au Printemps. 172 CONTEMPLATION reau ? Comment fe foutiendra- t-elle en Pair? Comment parviendra - t - elle à s'accrocher au même endroit où la Chenille l'étoit auparavant? Elle a une petite queue , & cette queue efl garnie de crochets. Tout Ton corps eft encore très-fou- ple. Avec fes anneaux , comme avec des mains, elle faifit une portion du fourreau & s'y cram- ponne. Un inftant après elle alonge fa partie poftérieure , & faifit avec d'autres anneaux une portion plus élevée du fourreau. Elle rampe "ainfi à reculons fur la dépouille comme fur un gradin , & parvient enfin à accrocher fa queue au mon- ticule de foie. Le voifinage de la dépouille fin- commode 5 elle fe met à pirouetter fur elle-même pour la faire tomber , & en vient ordinairement à bout. Probablement ces pirouettes n'ont pas une fin auffi raifonnée qu'un grand Admirateur des Infectes paroît l'avoir cru : l'attouchement de la dépouille irrite plus ou moins la peau très- délicate de la Chryfalide , & met celle-ci en mou- vement. Comme elle eft fufpendue par un fil, iî eft bien naturel qu'elle pirouette , & que la dé- pouille cède à ces petites impulfions réitérées. Il y a une infinité de pareils faits qu'on exalte trop , & où il ne faut pas chercher plus de mer* yeilleux qu'il n'y en a ici. B E LA NATURE. Part. XII. 17? CHAPITRE III. Les Chenilles qui fe lient avec une ceinture. 1 L ne convenoit pas à d'autres Chenilles d'être" pendues de cette manière. Il falloit que leur corps fût un peu affujetti contre l'appui , & la Nature leur en a enfeigné le moyen. Elles fe paffent autour du corps une ceinture , faite de PafTernblagc de quantité de fils de foie, dont les bouts font collés à l'appui. Elles cramponnent aufîî leurs dernières jambes dans un monticule de foie. Il eft tout (impie , après cela , que la Chryfalide fe trouve liée & cramponnée comme l'étoit la Chenille. La ceinture eft lâche , & laiffe à la Chryfalide la liberté d'exécuter fes petites manœuvres ( 1 )„ ( 1 ) tt Quoique le procédé dont je parle dans ce Chapitre foit affez fimple , il ne laiffe pas d'offrir des variétés remarqua-* blés chez les différentes Efpeces de Chenilles qui y ont recours. Toutes ne s'y prennent pas de la même manière pour filer leur «einture Si la paffer autour de leur corps. Une affez belle Che- nille , très-commune fur le Chou , & une autre plus belle encore, qui vit fur le Fenouil, & qui eft fur -tout cara&érifée par une «orne charnue placée près de la tête, & qu'elle fait fortir & ren- trer à volonté , font au nombre des Efpeces où il eft le plus facile d'obferver le procédé dont il s'agit. Ces Chenilles paroif- &nt en Été'* i74 CONTEMPLAT! -ON CHAPITRE IV. les Chenilles qui fe CQ?iftruifent des coques. E aucoup d'autres Efpeces recourent à des pratiques bien différentes pour fe préparer à la métamorphofe. Elles fe renferment dans des co- ques , où elles fubiifent à couvert leurs trans- formations. A qui le Ver-à-foie n'a-t-il pas fait connoître cette induftrie ? Mais on fe tromperoït fi l'on penfoit que toutes les Chenilles qui fe conftruifent des coques travaillent fur le modèle du Ver- à- foie. Leurs fabriques fe diverfifient autant que celles qui nous fourniffent nos habits & nos meubles. Nous avons à regretter que notre marche ne nous permette pas de nous arrêter dans ces petits atteîiers , pour y confi- dérer de p'us près les procédés ingénieux Se variés des Ouvrières , la forme & les effets des Inftrumens qu'elles mettent fi adroitement en œuvre : mais nous prendrons au moins une légère idée de leur travail & de la diverfité de leurs manœuvres. Les coques les plus généralement connues font de pure foie. Telle eft celle de ce Ver qui I) E LA NATURE. Part. XIL 17c fournit tant à notre luxe. Leur forme eft oilli- nairement ovale. E!les la doivent au corps même de 11 11 fe de , fur lequel elles font comme mou- lées ( 1 ). Tandis qu'il travaille , il fe contourne ( 1 ) ff II faut pourtant que je le fa (Te remarquer : toutes les Chenilles qui fe filent des coques de feie ne les modèlent pas fur leur propre corps ; je veux dire , qu'elles n'y font pas tou- jours renfermées tandis qu'elles en tracent les contours & qu'elles en fabriquent le tiiTu. Mr. de Geer nous a donné la curieufe hiftoire d'une très-petite Chenille mineufe qui s'y prend d'une manière fort fmguliere pour construire fa coque. On regrette que cette coque l'oit fi petite , & qu'il faille le fecours de la loupe pour la bien voir ; car c'eft un vrai chef-d'œuvre en ce genre. Elle efc ornée de jolies cannelures qui s'étendent dans toute fa longueur. Sa forme ovale & très<-aîongée , imfte celle d'une navette ou d'un bateau renverfé. Concevez qu'une femblabie coque eft partagée en deux tranfverfalement : l'Ou- vrière commence par en tricoter une moitié 5 mais tandis qu'elle la tricote , elle fe tient an-dehors , & il n'y a que la tête & fes premières jambes qui s'appliquent au tiffu pour l'étendre en tout fens. Elle travaille dont- à -peu -près comme nos trico- teufes. A mefure qu'elle prolonge le tiiTu , elle va à reculons , en fe tenant toujours en alignement avec la longueur de la coque commencée. Quand elle a achevé de tracer les contours de la première moitié de la coque & d'en fabriquer le tiffu , elle y entre la tète la première , fe retourne bout par bout & fe met à travailler à la féconde moitié. Elle porte fa tête en avant & alonge fon corps comme pour mefurer la longueur que doit avoir la partie de la coque qui lui refte à conftruire. Elle en façonne d'abord l'extrémité pointue , & à mefure qu'elle pro- longe le tiffu , eîle retire fon corps en arrière en le faifant ren- trer dans la première moitié. Lorfque les bords des deux mo'- tiés font prêts à fe toucher , la Chenille n'a plus qu'à tendre des fils de l'un à l'autre pour les réunir. j 176 CONTEMPLATION en# manière d'S ou de demi-anneau , & Ton voit afîîz que les fils dont il s'enveloppe alors , doi- vent tracer autour de lui un ovale plus ou moins alongé. La coque eft une efpece dé pelotton produit par les circonvolutions d'un même fil. Je me fers là d'une comparaifon grof- fiere & peu exa&e : il y a bien plus d'art dans la conitru&ion d'une coque , que dans la formation d'un pelotton 5 mais cet art eft caché en partie. Le tiflfu de cette jolie coque préfente à la loupe un fpeclracle très - agréable : on croit voir un filet de Pêcheur. Les fils qui vont d'une cannelure à une autre , fe croifent & forment les mailles bien terminées du réfeau. Ceux qui partent oblique- ment d'une cannelure vont fe rendre à la cannelure qui la fuit immédiatement , & cela fe répète de cannelures en cannelures. Mais un pareil tiflfu ne feroit pas affez ferré au gré de la Che- nille : il lailferoit trop de tranfparence à la coque , & la Chenille veut qu'elle foit opaque. Dès qu'elle a achevé d'en réunir les moitiés , elle s'occupe à fortifier tout l'intérieur en le revêtant de couches de foie. Je n'ai point dit comment l'adroite Fileufe parvient à former ces cannelures qui parent tant l'extérieur de fa coque, j'ai omis bien d'autres détails qui ne pourroient être failis par une fimple' defeription & fans le fecours des figures : mais j'ajouterai , que la Fileufe fait fi bien prendre fes mefures quand elle fabrique la" féconde moitié de fa coque ,• que les cannelures de cette moitié correfpondent exactement à celles de la première. Le corps de notre petite Chenille ne fert donc pas de moule a fa coque ; mais on peut dire qu'il lui fert de mefurc , ou qu'il eft une forte de métier monté pour exécuter l'ouvrage : c'eft ce qu'on croira remarquer en lifant avec attention dans les Mé- moires de l'Obfervateur le détail très-ci reonftancié des procédés* «k la Fileufe.- DE 'LA NATURE. Part. XII. 177 Le fil ne fait pas proprement des révolutions autour de la coque ; il y trace une infinité de zigs-zags , qui compofent différentes couches de foie, d'où réfuite Fépailfeur du tiflii. Une filière, placée près de la bouche de l'Infecte , moule ce fil précieux. Avant que de palfer par la filière , ia matière à foie fe montre fous l'afpect d'une gomme prefque liquide , contenue dans deux grands réfervoirs, repliés en manière d'inteftins» & qui vont aboutir à la filière par deux conduits déliés & parallèles. Chaque conduit fournit ain(î la matière d'un fil : la filière réunit ces deux fils en un feul , & le microfcope démontre cette réunion. Un fil de foie, qui nous paroît (impie, eft donc réellement double. Un fil de foie d'A- raignée eft bien autrement compofé , quoique prodigieulement fin : il eft formé de la réunion de pi u Meurs milliers de fils , qui paffent par dif- férentes filières. L'Historien immortel du Ver- à -foie s'eft affuré que la coque de cet Infecte eft formée des lacis d'un même fil , dont la longueur eft de plus de neuf cents pieds de Bologne. Des Ecri- vains trop épris du merveilleux, nous ont beau- coup vanté la prévoyance du Ver- à« foie: ils nous l'ont préfenté comme prévoyant fa fin prochaine , & ordonnant lui-même les préparatifs Tome IX. M I7S CONTEMPLATION de fa fépulture. Il ne manque à ces jolies chofef qu'un peu plus d'exaclitude. Le Ver-à-foie agit, il eft vrai , comme s'il prévoyoit : s'enfuit - il néanmoins qu'il prévoie , & ne pourroit-il pas agir précifément de la même manière fans rien prévoir ? Quand il a pris tout fon accroiiTement, fes réfervoirs à foie font aufH remplis qu'ils peuvent l'être : il eft apparemment preffé du befoin d'évacuer cette matière > il l'évacué , & la coque eît le réfultat naturel de ce befoin & des attitudes que prend l'Animal en y iatisfaifant. Ces attitudes font , fans doute , celles qui lui conviennent le mieux. Il fe foulage encore en les variant, & comme il eft à -peu -près cylin- drique , de quelque manière qu'il fe ploie , il tend toujours à tracer un ovale. En promenant fa filière de tous les côtés , il épaiiîit de plus en plus le tiffu de fa coque. Telle eft en général la fabrique de toutes les coques de ce genre. Il en eft dont le tiifu eft fi fin , fi ferré , lî uni , qu'il femble purement membraneux. Quelques-unes de nos Fileufes donnent h leur coque une forme plus recherchée, & qui imite celle d'un bateau renverfé. La coque du Ver- à- foie eft Faite, pour ainfi dire, d'une feule pièce. Les coques en bateau font faites de deux pièces principales > façonnées en manière de î) É LA NATURE. Part. Xïl. ifg coquilles , «Se réunies avec beaucoup de propreté & d'adreife. Chaque coquille eft travaillée à- part, & formée d'un nombre prefqu'infini de très-* petites boucles de foie. Sur le devant de la coque, qui repréfente le derrière du bateau , eft Un rebord un peu faillant , dans lequel on ap- perçoit une fente très-étroite qui indique Pou- verture ménagée pour la fortie du Papillon Là ^ ' les deux coquilles peuvent s'écarter l'une de l'au- tre, & laiffer palier le Papillon. Elles font conf- truites & afTemblées avec un tel art, qu'elles font reiîbrt , & que la coque dont Plnfecle eft forti , paroît aufli bien clofe que ce le où >i i habite encore. Par cet artifice ingénieux le Papillon eft toujours libre & la Chryfalide en fureté. Nousi reviendrons ailleurs à des procédés analogues plus finguliers (2). Nos Fileufes n'ont pas toutes une égale pro- vifion de foie , & toutes femblent néanmoins- vouloir fe dérober aux yeux. Celles qui ne font ( 2 ) ft On trouve au Printemps fur l'Ofier & fur le Chêne 5- de ces Chenilles qui Favent fc eonftruire ces coques d: forme recherchée , qui ont l'air d'un bateau renverfé. Ce que je dis ici de la Fente ménagée pour la fortie du Papilfoft , &érrtoif fort d'être remarqué & ne l'avoit pas 4e : c'eft que la coque pafôît feien fermée , quoique réellement: elle re ïe"£oit p.j.s. Il fsttt y regarder de fort près pour reco re le p : (fiifioe d,- U Chenille. J'ai donné dans un ai t le détail de fe | 7, igo CONTEMPLATION pas aflez riches pour fe faire une bonne loge de foie , fuppléent à cette difette par différentes matières plus ou moins grofîieres , qu'elles ont l'adreife de faire entrer dans la construction de la loge. Les unes fe contentent de lui donner une couverture de feuilles qu'elles lient enfem- ble , fans aucun art. Les autres ne fe bornent pas à entaifer ces feuilles & à les aifujettir, mais elles les arrangent avec une forte de régu- larité. D'autres s'avifent de poudrer tout le tiifu de leur coque avec une matière qu'elles rendent par le derrière , & qu'elles font pénétrer entre les fils ( 3 )• D'autres fe dépouillent de leurs poils , & en compofent un tifïu mi - foie & pofs (4). D'autres, après s'être dépouillées, plantent leurs longs poiîs autour d'elles , & en ( 3 ) tt Cette Efpece de Chenille que la diftribution de fes couleurs a fait nommer Livrée , & qui vit en fociété une partie de fa vie , pondre ainfi fa coque pour diminuer la tranfparenee de foh tiiïïi & le rendre aflez opaque. Cette Chenille eft très- commune & f e trouve an Printemps fur les haies & fur les Arbres fruitiers. (4) tt Ce procédé eft commun à plusieurs grandes, Efpeces de Chenilles velues qui vivent en Eté fur le Charme ,1e Cou- drier , &c. Il l'eifc encore à différentes Efpeces de Chenilles que l'arrangement fingniier de leurs poils a fait nommer Chenilles à brojes , & qu'on trouve dans la belle faifon fur le Prunier & fur quelques antres Arbres* DE LA NATURE. Part. XII. 181 forment une efpece de pa'iffade en berceau ( f )* D'autres joignent à la foie & aux poils une matière graife , qu'elles tarent de leur intérieur & dont elles bouchent les mailles du tiiîu , qui en eft comme vernis (6~). D autres Renfoncent dans le fable ou dans le menu gravier, & s'y conftruifent clés coques de fable dont tous les grains font liés avec de la foie (7,). D'autres enfin 3 qui n'ont point dj foie , percent la terre, ( Ç ) tt Ce procédé curieux eft celui d'une petite Chenille qui fe nourrit des Lychcns qui croiffent fur les murs. On la trouve au Printemps. Mr. de Reaumur eft le premier Natu- ralisé qui en ait parlé. (6) ff Pluficurs grandes Chenilles velues qu'on trouve dans la belle faifon fur le Charme , fur l'Orme, &c. te conftruifent de ces coques , dans la fabrique defquelles elles font entrer leurs poils & une matière graffe. J'ai racont ailleurs les petites manœuvres que ces Chenilles & quelques Chenilles à broffes m'avoient offertes. (7) tf" Quantité de Chenilles entrent en terre pour s'y eonftruire des coques avec des grains de fable qu'elles lient au moyen de leur foie. Une belle Chenille qui vit en Eté fur le Bouillon -blanc au fur le Bon - homme , eft une de celles dont rinduftrie en ce genre fe fait le plus remarquer. On peut l'o- bliger à travailler à découvert en retirant de terre îa coque & en y faifant une brèche plus ou moins grande. Si l'on met du petit gravier à la portée de la Chenille, on la verra avancer fa tête hors de la brèche , failir les grains de gravier avec fes dents, les pofer contre le bord de la brèche, les y aiïujcttir avec de la foie, & parvenir ainfi à réparer le défordre fait à £a coque. M ? ïS2. CONTEMPLATION s'y pratiquent une cavité ( 8 ) en forme cls coque, & en enduifent les parois avec une forte de glu ou de colle. Une autre Efpece , bien plus induftrieufe que les précédentes , exécute un ouvrage qu'on ne fe laife point d'admirer. Vous venez de voir des coques qui reifemblent à un bateau renverfé > ç'eft encore la forme que cette Efpsce donne 3 fa coque ; mais elle ne la construit pas de pure foie. Avec fes dents elle détache de petites lames d'écorce , de figure rectangulaire, à -peu -près égales & femblables , qu'elle aifembîe avec toute )a propreté & toute FadrefTe d'un Ebénifte , & dont elle compofe les principales pièces de la coque. Ces grandes pièces font ainfi formées d'une multitude de très -petites pièces de rap- port , poiées les unes au bout des autres & liées. ( 8 ) ff Ce procédé , le plus {impie de tons , eft celui que pratiquent les plus grandes Chenilles rafes de nos Contrées , & pn particulier la belle Chenille qui vit en Eté fur le Fufain & far le Jafmin, & qui donne le fameux Papillon à tête de mort. Cette grande Chenille , très-commune dans la belle faifon fur le Tithymalc à feuilles de Cyprès, & qui eft très-remarquable par la beauté & la diftribution de fes couleurs , recourt aux mêmes procédés pour arTurer fa métamorphofe , & fe contente de pra- Êiquer*dans la terre une cavité proportionnée à fa grandeur; mais les grains qui forment les parois de la cavité , font liés avec ::-v? forte de glu ou d'humeur yifqueufe. B E LA NATURE. Part. XII. \%% avec de la foie. En un mot , on croit voir un parquet ou un ouvrage de marqueterie ( 9 ). C'est encore en bois que travaille une autre Chenille, mais non avec le même art. Sa coque, de forme ordinaire , n'eft faite que de petits fragmens irréguliers détachés du bois fec. Le fecret de l'Infecte confifte à lier ces fragmens & à en compofer une efpece de boîte. Il y parvient en les tenant quelques momens dans fa bouche , en les y humectant, & en les collant les uns aux autres au moyen d'une forte de glu qui lui tient lieu de foie. Il fe forme de ce mélange une coque dont la folidité égale prefque celle du bois. Le Papillon n'a point d'inftrument pour la percer , il peut apparemment la ramollir. La Chenille eft celle qui pofïede cette liqueur acide dont j'ai parlé ( 10 ). Cette liqueur ramollit fenfiblement la coque , & l'on a conjecturé avec fondement, qu'elle étoit préparée de loin pour mettre le Papillon en état de fe faire jour ( 1 1 )f (9) tt C'eft à Mr. de Reaumur que nous devons l'inté- reffante hiftoire des procédés induftrieux de la petite Chenille qui fe conftruit une coque fi remarquable. On la trouve en Mai fur le Chêne : je l'y ai cherchée inutilement pendant bien des années. Il faut qu'elle foit allez rare. (10) Part. VIII, Chap. V. (11) ff Je parlois ici d'une grande Chenille rafe , qui vit .M 4 ig4 CONTEMPLATION CHAPITRE V. _Lej Vauffe s -chenille s qui fe conjlruifent des coques doubles* JLJ'E s Infectes , que leur reiTembîance avec les Chenilles a fait nommer F auffe s -chenilles ( i ) , favent aufïî fe conftruire des coques , & ces coques ont de nouvelles fîngularités à nous offrir. Elles font réellement doubles -, je veux dire , que deux cuques font renfermées Tune en Eté fur le Sau^e & l'Ofier, & qui eft la plus remarquable de toutes par la fingularité de fa forme: elle a quelque air d'un Poiffon. Sa partie poftérieure, affez effilée, fe termine par une queue fourchue & écailleufe. Chaque branche de la fourche eft un tuyau qui renferme une forte de corne mobile & charnue y que i'Infe&e en fait fortir à volonté. Cette Chenille offre d'au- tre» particularités anatomiques plus remarquables encore. MM* de Reaumur & de Geer l'avaient beaucoup obfervée; & elle m'avoit fourni à moi-même la matière d'un petit écrit que je publiai autrefois. ( i ) f f Mr. de Reaumur a donné le nom de Faûjfes- chenilles à ces Vers qui ont plus de jambes membraneufes que n'en ont les Chenilles ; mais qui leur reîTemblent d'ailleurs beaucoup par leur forme , par leur ftru&ure , par leur genre de vie & leurs procédés. Il en eft de rafes & de demi -velues comme les Chenilles. Les Mouches à quatre ailes dans lef quelles elles fe transforment , ont un air de famille , un air lourd & pefant , qui aide à les faire reconnoitre* DÉ LA NATURE. Part. XII. 185 dans l'autre , fans tenir Tune à l'autre. La coque extérieure femble faite de parchemin > quelque- fois ce parchemin eft un ouvrage à réfeau. La coque intérieure , au contraire , eft d'un tiiTu très- fin , très-foy?ux , très-luftré ( 2 ). Çfë — ^Ç^ CHAPITRE VI. Les Infe&es qui vivent dans les fruits. ■Il ies plus folitaires de tous les Infectes font ceux qui vivent dans l'intérieur des fruits. Il eft prouvé , que chaque fruit ne loge qu'une Chenille ou qu'un Ver ( 1 ). Nous ignorons la ( 2 ) tt J a* £ût admirer ailleurs la beauté & la compofition du tiiïu de cette coque intérieure. Je dois ajouter ici, qu'il eft des Chenilles « brojfes qui paroiiTent fe conftriiire de doubles eoques, comme je l'ai fait remarquer dans un autre écrit, j (1) tt Mr. de Reaumur s'étoit affiiré de ce fait par fes ebfervations fur les petites Chenilles qui vivent dans l'intérieur de différentes efpeces de fruits , tels que les poires , les pom- mes , les prunes , les cerifes , &c. On nomme communément ces Chenilles des Vers , & l'on dit que les fruits où elles logent font véreux: il eft pourtant très -vrai que la plupart de ces Infe&es font de vraies Chenilles qui fe métamorphofent en Papillons. Les Femelles pondent fouvent bien des œufs fur le même fruit, & pourtant il ne renferme jamais qu'une feule Chenille , quoi- qu'il pût en loger & en nourrir un bon nombre. Oh obferve la même chofe fur les petites Chenilles qui fe nichent dans ïS6 CONTEMPLATION caufe de ce fait remarquable. Nous favons feu- lement qu'un Obfervateur ayant tenté de faire vivre enfemble des Chenilles de cette Efpece , elles fe livroient de furieux combats toutes les fois qu'elles fe rencontroient (2). Il eft donc bien décidé que l'humeur de ces Chenilles eft antifociable. Plufieurs fe métamorphofent dans le fruit même qui leur a fervi de retraite & de pâture ; elles s'y creufent des cavités qu'elles tapiffent de foie ou dans lefquelles elles fe filent » des coques. D'autres , & c'eft le plus grand nombre , fortent du fruit & vont fe métamor- phofer dans la terre. l'intérieur des grains : il n'y a jamais qu'une feule Chenille dans chaque grain. Mr. Duhamel qui avoit beaucoup obfervé de très-petites Chenilles de ce genre , qui dévoroient les grains de rAngoumois , & qui nous en a donné un curieux Traité , dit exprefTément : qu'ayant ouvert avec toutes les précautions pojjî* blés un grand nombre de grains endommagés , il ri 'avoit jamais trouvé deux Chenilles dans un même grain. ( 2 ) ff C'eft fur la petite Chenille qui vit dans l'intérieur de la tête du Chardon à bonnetier , que l'Auteur avoit fait les tentatives dont il parle dans ce Chapitre , & qu'il a racontées ailleurs très en détail & peut-être trop. Il les avoit allez variées, & toujours les petites Hermites qu'il vouloit forcer à vivre enfemble , fe livroient des combats de corps à corps avec un acharnement inexprimable : la mort d'un des Combattons en étoit ordinairement la fuite. On remarquoit qu'ils évitoient foi- gneufement de fe rencontrer , & qu'ils fe tenoient pour l'ordi* naire à quelque diftançe les uns des autres. DE LA RATURE. Part. XII. ïg7 CHAPITRE VII. Les Infectes qui plient & roulent les feuilles des Plantes. c E foi-it encore de parfaits Hermites que la plupart des Infectes qui plient ou roulent les feuilles de quantité de Plantes ( I ). Ce procédé eft commun à beaucoup de Chenilles (2). Elles fe procurent ainfi de petites cellules , qui font des logemens commodes , & où elles trouvent en tout temps une nourriture afTurée ; car elles mangent les parois de la cellule ; mais elles ont grand foin de ne toucher jamais à l'enveloppe deftinée à les couvrir. Les différentes manières dont ces Chenilles fe logent , donnent lieu de les diitlngucr en Lieufcs 3 en Plieufcs & en Rou- leufes ( $ )• ( 1 ) ff II eft pourtant quelques Efpeces de ces Infe&cs de la claffe des Chenilles , qui vivent en fociété. ( 2 ) ff Di/Fé rentes Efpeces de Vers & d'Araignées favent auîïî rouler adroitement les feuilles des Plantes. (3) ff Toutes ces Chenilles font affez petites & pour l'or- dinaire dépourvues de poils. Elle; fe transforment en Pkaleihcs pu en Papillons de nuit. Il en ell de bien des Efpeces , toutes 188 CONTEMPLATION L'art des Lieufes eft en général le plus fîmple. Il co nfifte à lier avec des fils de foie plufleurs feuilles , à en former un paquet au centre duquel eft la loge du petit HermJte. Le procédé des Plieufes fuppofe des mani- pulations p'us recherchées. Elles plient les feuilles en entier ou en partie. En entier, lorfque la portion pbée eft ramenée à plat fur une autre portion de la feuille : en partie , lorft]u'elles ne font fimplement que courber la feuille plus ou moins. Maïs c'efl le travail des Rouleufes qui fe faits fur -tout admirer. E'ies habitent une efpece de rouleau , dont la forme , les dimenfions & la pofition varient en différentes Efpeces. Les unes lui donnent une figure cylindrique : les autres lui donnent la forme d'un cornet , & ce cornet eft aufli bien fait que ceux des Epiciers. La feuille eft toujours roulée en fpirale y ou comme le font les oublies ( 4 ). Ordinairement le rouleau ou le plus ou moins diverfifiées. Il eft peu de Plantes qui ne nouiv riffenfc de ces Chenilles. La plupart font très -vives & comme convulfionnaires. ( 4 ) ff La Chenille ne ferme pas en entier le rouleau à fes extrémités : elle veut pouvoir en fortir au befoin, & fe dérober ainli à fes ennemis. B E LA NATURE. Part. XII. 189 cornet eft couché fur la feuille ; mais quelque- fois , ce qui eft plus flngulier , il y eft planté comme une quille. Mon Le&eur imagine-t-il la méchanique qui préfide à la conftruction de ces divers ouvrages? Conçoit - il comment un Infecte , qui n'a point de doigts , parvient à rouler une feuille & à la tenir roulée? L'on fait en général que les Che- nilles filent : on entrevoit que c'eft à l'aide de leurs fils que nos adroites Rouleufes font pren- dre aux feuilles la forme d'un tuyau cylindrique 011 conique. L'on voit en effet des paquets de fils diftribués de diftance en diftance , qui tien- nent le rouleau afîujetti à la feuille. Mais comment ces fils , qui ne femblent foire que la fonction de petits cables , ont-ils pu opé- rer le roulement de la feuille ? Voilà ce qu'on croit deviner , & qu'on ne devine point. On croit qu'en attachant des fils au bord de la feuille , & en tirant ces fils à elle , la Chenille force ce bord à s5élever & à fe contourner : ce n'eft point du tout cela. L'application que l'induftrieux In- fecte fait de fes forces, eft d'une plus fine mé- chanique. Il attache bien des fils au bord de la feuille j mais il ne les tire point à lui. Il en colle l'autre bout à la fur face de la feuille. Les fils *9° CONTEMPLATION d'un même paquet font à-peu-près parallèles , & ûompofent un petit ruban. A côté de ce ruban 9 l'Infecte en file un fécond , qui palfe fur le pre- mier & le croife. Voici donc le fecret de fa méchanique. Eu paifant fur le premier ruban pour tendre le fé- cond 3 il pefe fur le premier de tout le poids de fon corps ; cette preffion , qui tend à enfoncer le ruban , oblige le bord de la feuille auquel il tient à s'élever. Le fécond ruban qui eft colle à limitant fur le plat de la feuille a conlerve au bord l'élévation ou la courbure que l'Infecte a voulu lui donner. Si Pou examine de près ces deux rubans 5 leur effet fera fenMble. Le fécond paroitra fort tendu & le premier fort lâche, c'ed que celui-ci n'a plus d'action & qu'il n'en doit plus avoir. Vous comprenez à pré feu t que le rou- leau fe forme peu -à- peu par la répétition des mêmes manœuvres fur différens points de la feuille ( 5 ). (O tt Ce que je difoia ici d'après Mr. de Reaumùr fur ringénieaie méchanique de nos Rouleufes, paroit exiger quel-j que corrosion. Son illuftre Emule, Mr. de Geer , qui les avoit fuivies avec beaucoup d'attention , ne croyoit pas que le poids de la Chenille contribuât fenriblement à l'effet du roulement. Une Piieufe qui vit fur le Cerfeuil fauvage , lui avoit offert des? procèdes d'un plus grand effet. Il avoit remarque' que la Che=» nille faifit avec fes premières jambes le fil de foie qu'elle terni d'un bord de la feuille k l'autre, U qu'elle le tire à elle pous DE LA tf A f V R Ê. Part. XIÎ. ici Mais il arrive fouvent que les grofTes nef-» vures réfiftent trop : l'Infecte fait les affoiblir en les rongeant çà & là. Pour former un cornet, il faut quelques manœuvres de plus. La Rouleufe coupe fur la feuille avec fes dents la pièce qui doit le compofer. Elle ne l'en détache pas en entier : il manquèrent de bafe : elle ne détache que îa partie qui formera les contours du cornet. Cette partie eft proprement une lanière qu'elle roule à mefure qu'elle la coupe. Elle dreife le cornet * fur la feuille à-peu-près comme nous redrelTons un obélifque incliné. Elle attache des fils ou de petits cables vers la pointe de la pyramide -, elle les charge du poids de fon corps , & force ainfi cette pointe à s'élever. Vous devinez le refte s c'eft la même méchanique qui exécute un rouleau. Ces cellules où la Chenille paiTe fa vie, fer- vent auffî de retraite à la Chryfalide. Cette der- niere ne s'accommoderoit pas apparemment d'une iîmple enveloppe de feuille : la Chenille donne à la cellule une tapiiferie de foie. D'autres Efpeces s'y filent une coque. D'autres abandonnent la cellule , & vont fe transformer fous terre. forcer fes bords à fe rapprocher ; & que lorsqu'elle tend le fé- cond fil , elle ne lâche point le premier qu'elle n'ait achevé de tendre le fécond. Ces fils font donc de vrais petits cables , à l'aide defquels la Chenille exécute fa manœuvre avec autant de. célérité que d'adreffe, i92 90NTEMPLATI0N A. CHAPITRE VIII. Les Infe&es mineurs des feuilles des Plantes. JLl eft des feuilles de Plantes qui n'ont guère que l'épaufeur du papier. Croiroit-on qu'il y a des Infectes qui lavent fe loger dans l'épaifleur de femblab'es feuilles & s'y mettre à l'abri des injures de l'air? Une feuille eft pour ces très- petits Infectes un vafte Pays , où ils fe pratiquent des routes plus ou moins tortueufes ; ils minent dans le parenchyme de la feuille , comme nos Mineurs minent dans la terre. Ils en ont auflî pris le nom de Mineurs de feuilles ( i ). Ils font extrêmement communs : les uns ap- partiennent à la clarTe des Chenilles ; les autres à celle des Vers. Ils ne peuvent fouffrir d'être à nud , & c'efi: pour fe couvrir qu'ils fe gliifent entre les deux peaux d'une feuille. Ils y trou- vent en même temps leur fubfiffiançe. Ils en mangent le parenchyme ou la pulpe , & ils font chemin en mangeant. ( i ) ff C'eîîr le Naturalise auquel nous devons la meilleure hiftoire de ces très-petits Infe&es , qui leur a donné le nom de Mineurs de feuilles : on comprend que je parle de Mr. de RïAUMUB.. Les DE LA NATURE, Part XII. i9i Les uns s'y creufcnt des boyaux droits ou iortueux. Ce font des Mineurs en galeries. Les autres minent tout autour d'eux , dans des ef. paces circulaires ou oblongs 3 & ce font des Mi- neurs en grand ( 2 ). Les dents font les inftrumens au moyen defl quels les Chenilles minent ; mais parmi les Vers mineurs on en voit qui piochent le parenchyme à l'aide de deux crochets équivaiens à nos pio- ches ( 3 )• ( 2 ) ff La galerie de nos Mineurs eft ouverte à une de fes extrémités , à celle par laquelle l'Infe&e naitTant s'eft introduit entre les deux membranes de la feuille. On voit bien que la galerie doit aller toujours en s'élargiiTant à mefure que l'Infecte fait chemin dans la feuille ; car il en proportionne la capacité à la groffeur de fon corps , & comme il prend chaque jour plus d'accroilTement , chaque jour il élargit davantage fa galerie. Les Mineurs en grand ou en grandes aires minent tout autour d'eux dans l'épaiffeur de la feuille. La figure de la mine elt ordinairement déterminée par les nervures de la feuille entre lefquelles elle fe trouve placée. Ces nervures font pour le très- petit Infeéte, des montagnes qu'il ne franchit pas. Divers Mi- neurs de ce genre recourent à un procédé remarquable pour augmenter la hauteur de la mine & s'y mettre plus à l'aife : ils pliiTent l'épiderme qu'ils ont détaché ; tantôt ils n'y forment qu'un pli ^ tantôt ils en forment deux ou pluneurs. Ces plis fe montrent fur l'épiderme comme autant d'arrttes. O^'tt La plupart des Mineurs vivent dans une parfaite folitude : on trouve pourtant des mines en grandes aires , qui renferment plufieurs Mjùneurs qui me pajroifTent ni le cherchsg , Tgme IX. N S?4 CONTEMPLATION C'est clans la mine même que plufieurs de £es Infedr.es fe filent la coque où ils doivent fe transformer. D'autres fortent de la mine & vont filer ou fe métamorphofer ailleurs. Les Papillons- qui proviennent des Chenilles mineufes , font de petits miracles de la Nature. Elle leur a pro- digué l'or, l'argent & l'azur. Elle a même mieux fait que de les prodiguer ; elle les a alïociés avec goût à des couleurs plus ou moins riches , & l'on regrette qu'elle tf ait pas travaillé en grand de tels chef-d'eeuvres. Mais les Mineurs onfe quelque chofe de plus admirable à nous offrir. Donnez votre attention à ces feuilles de Vigne que vous avez fous les yeux. Elles font percées de trous ovales , qui femblenty avoir été faits avec un emporte-pièce. Des Chenilles mineufes ont 'fait ces trous en détachant de la feuille deux morceaux de peau , ni fe fuir : telles font les mines que fe pratiquent les Vers de la Jufquiame , qui font de très -gros Infe&es en comparaifon des autres Mineurs. Quand on les retire de leur mine , ils fe mettent aufli-tôt à en creufer une nouvelle , ce que le commun des Mineurs ne fait pas faire. Si après qu'un Mineur Je la Juf- quiame a commencé à creufer une nouvelle mine , on y intro- duit un fécond Mineur , puis un troifieme & un quatrième , ils continueront tous à s'avancer dans l'intérieur de la feuille fans, s'attaquer les ims-le* autres j. mais chacun, travaillera à part £ d'appui, & faifant effort , elle tire la coque à elle. Les fils qui la retjenoient cèdent , & la Çhft* >9* êÙïïTEMPLÀTIoyf nille emporte fa petite maifon , comme le Limai çon fa coquille. Voyez-la. cheminer : fa marche eft un nou- veau myftere. L'on avoit dit, que toutes les Chenilles ont au moins dix jambes : celle-ci en eft abfolument dépourvue , & nous montre ce qu'on doit penfer des Nomenclatures (4). Op- pofons à fa marche un verre très - poli , pof© verticalement. Elle n'en eft point arrêtée ; & la voilà qui grimpe fur ce verre comme fur une feuille. Par quel art fecret y trouve-t-elle prife > car elle n'a ni jambes ni crochets pour s'y cram- ponner ? Vous avez vu des Chenilles , qui filent de petits monticules de foie , où elles fe fixent (f). Notre Mineufe file de prureils monticules- de dit (4) ff Mr. de Reaumur avoit donné pour un des carac- tères efTentîels de la Chenille , d'avoir au moins dix jambes & au plus feizei & il avoit nommé Faujfes- chenille s des Infe&cs fort femblables aux Chenilles ? mais qui en différent principale* ment en ce qu'ils ont plus de fei?e jambes. (Chap. V, Note, i.) X'induftrieufe Mineufe dont il s'agit a&uellement , contredit lç caractère que notre illuftre Obfervateur avoit établi à l'égard des Chenilles. Toute l'Hiftoire naturelle eft pleine de pareille* exceptions à nos règles prétendues générales ; & rien n'eft plus propre à nous faire fentir combien nous devons être réfervés ^ tirer de ces conclufions générales , puifque no* prénuffes font toujours plus ou moins particulières. ii) Chap. ^de cette Partie. DE LA NATURE. Fart. Xîï. 197 tance en diftance , fur le plan qu'Ole parcourt. Avec fes dents, elle faifit un de ces monticules, qui devient pour elle un point d'appui ? elle tire à elle la coque , & l'amené près du monticule » elle l'y attache > elle porte enfuite fa tète en avant , file un fécond monticule , & s'y cram- ponne comme au premier ; elle fait effort pour détacher la coque , la détache , la traîne vers le nouveau monticule , l'y attache encore , & ce fécond pas fait vous dévoile le fecrefc de fon ingénieufe méchanique. Elle laine ainfi fur les- corps qu'elle parcourt de petites traces de foie ,. produites par les monticules qu'elle file d'efpacs €11 efpace. Parvenue au lieu où elle veut fe fixer , elle y arrête fa coque à demeure , & la place dans une fituation verticale. Il en fort enfuite un très- joli Papillon , aulîî richement vêtu , que ceux des autres Milieu fes , Se du même genre (6). (6) ft CTeft Mr. Godeheu de Ri ville , Commandeur *te Maîthe , excellent Obfervateur , qui nous a donné l'intérêt- fente- hiftoire de cette Mi neuf e. N a ï9S CONTEMPLATION' «•• CHAPITRE IX. X(?x FauJJes - teignes. JLJ''a.utres Infectes habitent dans de grandes galeries de foie , qu'ils prolongent & élargiifend à mefure qu'ils croifTent. Ils les recouvrent de matières groflîeres , & fouvent de leurs excré- mens. Ils conftruifent de ces galeries fur les divers corps dont ils fe nourrifTent , & qui varient fuivant l'Efpece de l'Infecte. L'on a donné le nom de FauJJes - teignes à toutes les Efpeces qui fe font de femblables fourreaux. Vous favez s que ceux des vraies Teignes font portatifs. Les Fauffes-teignes les plus remarquables font celles qui s'établiffent dans les ruches des Abeil- les , & qui en détruifent les gâteaux. Elles n'ont point d'armes défenfives , eiles ne font recou- vertes que d'une peau molle & délicate, & pour- tant la Nature les a appellées à vivre aux dé- pens d'un petit Peuple guerrier 9 très-bien armé & très-difpofé à détendre fes étabîiifemens. Nos Ingénieurs recourent fouvent aux mines & à la fappe pour réduire les Places. Il étoit encore plus néceifaire à nos Fauifes-teigues d'exceller dans D S LA NATURE. Paré. XII. t$i #ette forte d'attaque , & leurs ouvrages prouvent qu'elles y excellent. Elles ne marchent jamais qu'à couvert. Elles pouffent dans l'épaiifeur des gâteaux , de longs boyaux qu'elles dirigent à leur gré , & où elles font toujours en fureté contre l'ennemi. Ces efpeces de galeries font garnies intérieurement d'un tiifu de foie affez ferré * & revêtues par- dehors d'une épaiffe couche de grains de cire & d'excrémens. Ainfi les beaux ouvrages des laborieufes Abeilles font détruits lourdement par un Ennemi qu'elles ne peuvent découvrir , & qui les force quelquefois à abandonner leur ruche. Ce n'eft point au miel que les Faulfes- teignes en veulent : elles ne percent point les cellules qui en contiennent. Elles ne mangent que la cire , & cette matière que la Chymie ne fait pas diffoudre , leur eftomac Panalyfe ( i ). Quand ( I ) ff Ces Fauffes-teignes peuvent s'accommoder au befoin de matières très-différentes de la cire , fe nourrir & fe vêtir de papier, de cuir, de plumes, de poils, &c. Leurs excrémens retiennent , comme ceux des Teignes , les couleurs des matières qu'elles ont rongées ; & ces excrémens elles peuvent les digérer de nouveau & digérer encore le réfidu groffier qui en provient. Ces FaulTes -teignes appartiennent à la nombreufe clafTe des Chenilles , & les Papillons no&urnes qui en proviennent , cou- rent avec une grande vrteffe & font très-habiles à fe gliffer dans 4#s ruches pour y dépofer leurs œufs, N 4 lot 'CONTEMPLATION elles ont pris tout leur accrouTement , elles fe font au bout de la galerie une coque de foie, qu'elles ne manquent point d'envelopper de grains de cire. C'est dans nos greniers que d'autres Fauffes* teignes s'établiffent & qu'elles multiplient avec excès. Elles en veulent à notre plus précieufe denrée. Elles lient enfemble des grains de Bled ; elles fe filent au milieu de cet amas de grains un petit tuyau où elles fe logent. Là , elles font toujours à portée d'une nourriture abondante. Elles rongent à leur aife les grains qu'elles ont eu foin d'aflujettir à leur fourreau , & qui en font comme l'enveloppe. A l'approche de la meta- morphofe elles abandonnent ce fourreau ; elles fe nichent dans l'intérieur d'un grain , ou dans les petites cavités qu'elles creufent dans les plan- chers : elles les tapilfent de foie , & s'y transfor- ment en Chryfaiides ( 2 ). f . ( 2 ) ff J'indiquerai encore quelques autres Fauflfes-teignes qui méritent d'être connues. Tout le monde connoît les Teignes qui rongent les étoffes de laine , & qui favent fe faire des four- reaux portatifs. Il éft auffi une Fauffe - teigne qui furpaffe en grandeur les vraies Teignes , & qui vit fur de pareilles étoffes. Elle s'y confirait avec art une forte de berceau de foie & de poils , fous lequel elle demeure renfermée. Ce berceau n'eft / ouvert qu'à fon extrémité antérieure , & c'eft par cette extré- mité <£ue la .Fauffe - teigne le prolonge à mefure qu'elle croit* ® B L A V A T V R E. Part. XII. sor CHAPITRE X. Des Teignes en général. Les Teignes àomefiiqiiesl 3ll eft peu cTInfe&es, qui aient autant de droit à notre admiration , que ceux qui favent , comme nous , Te faire des habits , & qui Pont fu fans doute avant nous. Comme nous , ils naiffent nuds j mais à peine font-ils nés , qu'ils travaillent à fe vêtir. Vous comprenez que je parle des Teignes. Elle file d'abord un tiflii de pnre foie, auquel elle donne la forme de berceau, & elle finit par le garnir de poils. Quand elle veut rejetter fes excrémens , slle fe retourne bout par bout pour ramener fon derrière à l'ouverture du berceau. Ces excré- mens n'ont pas comme ceux des vraies Teignes, la couleur des étoffes que l'Infe&e a rongées : ils font toujours noirs. Une autre FaulTe - teigne attaque les cuirs ; & en particulier ceux qui forment la couverture des livres. Elles font donc de celles que les Gens de Lettres ont le plus d'intérêt à connoître. Les galeries qu'elles fe conftruifent font recouvertes de leurs excrémens. Mais ,ce n'eft pas feulement fur les cuirs qu'elles s'établùTent, elles fe logent auffi fous l'écorce de vieux Arbres, &. s'y nourriffent de cadavres d'Infe&es. Une autre Fauffe-teigne eft friande de Chocolat, & choifit le plus parfumé. Elle y creufe des cavités & s'y conftruit «ne galerie de foie, qu'elle prolonge au befoin. Toutes les FaulTes-teignes dont je viens de parler , fe rangent «ians la clalfe des Chenilles , parce que toutes fe transforment en Papillons. 202 CONTEMPLATION Toutes ne s'habillent pas d'une manière uniforme, & n'employent pas dans leurs habil- lemens les mômes matières. Il y a peut-être plus de diveriité à cet égard dans les modes des Tei- gnes de différentes Efpeces , que dans celles de dirférens Peuples de la Terre. Spe&acle intéref- fant pour l'Obfervateur , & que le Contemplateur de la Nature ne peut confidérer comme tout le refte, que d'une vue très-générale. V Nous avons entrevu les Teignes domefti- ques ( i ) j elles méritent bien que nous leur donnions encore quelques momens d'attention. La forme de leur habit étoit la plus convenable : elle répond précifément à celle de leur corps. C'eft un petit fourreau cylindrique ouvert aux deux bouts. L'étoffe eft de la fabrique de la Teigne. Un mélange de foie & de poils en com- pofe le tifïu : mais il ne feroit pas aifez doux pour l'Infecte j il le double de pure foie. Nos meubles de laine & nos fourrures fourniifent à ces Teignes les poils qu'elles emploient dans la fabrique de leurs étoffes. Elles font un choix de ces poils > elles les coupent avec leurs dents , & les incorporent artiftement dans le tiffu foyeux, Elles ne changent jamais d'habit : celui ( i ) Part. XI , Chap. II. D JE LA NATURE. Part XII. zo'j cjTPelles portoient dans leur enfance , elles le portent encore dans l'âge de maturité. Elles fa- vent donc Falonger & l'élargir à propos. L'a- îonger n'eft pas une affaire ', elles n'ont pour cela qu'à ajouter de nouveaux fils & de nou- veaux poils à chaque bout. Mais , l'élargir n'eft pas chofe fi facile. Vous avez vu ( 2 ) qu'elles s'y prennent précifément comme nous nous y prenons en pareil cas. Elles fendent le fourreau de deux côtés oppofés , & y infèrent adroite- ment deux pièces de largeur requife. Elles ne fendent pas le fourreau d'un bout à l'autre : les côtés s'écarteroient trop , & elles feroient à nud. Elles ne le fendent de chaque côté , que jufques vers le milieu de fa longueur. Ainfi , au lieu de deux pièces ou de deux élargiffures , elles en mettent quatre. La raifon ne procéderont pas mieux. Leur habit eft toujours de la couleur de l'étoffe fur laquelle il a été pris. Si donc la Teigne dont l'habit eft bleu , paffe fur un drap rouge , les élargiffures feront rouges ; elle fe fera un habit d'Arlequin , fi elle paffe fur des draps ou des étoffes de plufieurs couleurs. Elles vivent des mêmes poils dont elles fe 0 ( 2 ) Part. XI , Chap. II. *«4 CONTEMPLATION vêtent. Il eft fingulier qu'elles les digèrent , plus? fmguîier encore que les couleurs ne s'altèrent point par la digeftion , & que leurs excrémens foient toujours d'une aufïï belle teinte que celles des draps quelles rongent. Les Peintres pour- roient s'affortir auprès de nos Teignes , de pou- dres de toutes couleurs & de toutes les nuances de la même couleur. Elles font de petits voyages : celles qui s'é- tabliflent dans les fourrures , n'aiment pas à marcher fur de longs poils ; elles coupent tous ceux qui fe trouvent fur leur route , & ne mar- chent jamais que la faux à la main. De temps en temps elles fe repofent : alors elles fixent leur fourreau par de petits cordages , & le met- tent, pour ainfi dire*, à l'ancre. Elles l'arrêtent plus folidement encore quand elles veulent fe métamotphofer. Elles en ferment exactement les deux bouts , pour y revêtir plus en fureté la forme de Chryfalide, & enfuite celle de Papil- lon ( 3 )• ( 3 ) ff L'admiration que les Teignes domeftiqucs avoient Infpirées pour elles à leur Hiftorien , ne l'avoit pas empêche de chercher des moyens efficaces de les détruire & de préfêrver «le leurs ravages nos meubles & nos étoffes. Il avoit eu le bon- heur de réuffir dans cette recherche fi utile, & il nous a appris que l'odeur de l'huile de térébenthine leur eft toujours fatale» Une couche légère de cette huile étendue fur des feuilles àc- DE LA NATURE. Paît. XII. fto{ |^& ■ i £3ft£= 1 es -ffig CHAPITRE XL Les Teignes champêtres , & les Teignes aquatiques. es Teignes champêtres , dont nous n'avons point à redouter les attaques, l'emportent beau- coup en induftrie fur les Teignes domeftiques. Elles prennent dans les feuilles des Plantes la matière de leurs habits ; mais il faut qu'elles apprêtent cette matière & qu'elles lui donnent la légèreté & la foupleife propres à leurs vêtemens. Ces Teignes font des efpeces de mineufes , & elles fe gliifent entre les deux membranes d'une feuille , qui font pour elles ce qu'une pièce de drap eît pour un Tailleur, avec cette diffé- rence , que celui - ci a befoin d'un patron , & que nos Teignes favent s'en paffer. Elles déta- chent de ces membranes toute la fubftance char- nue qui leur eft adhérente : elles les amincilfent & les poliffent. Elles coupent en fuite dans ces membranes ainfi préparées , deux pièces à-peu- près égales & femblabLes 5 elles travaillent à leur papier , donne infailliblement la mort à ces Infe&es destruc- teurs. L'odeur qui s'en exhale les fait tomber en convuliion; ik çxpireut bientôt couverts de taches livides. zo6 CONTEMPLATION donner la concavité , la courbure , les contour & les proportions que requiert la forme de leur fourreau , & cette forme eft fouvent très-recher- chée. Elles les aifemblent & les uniffent avec une propreté & une adreiTe incroyables, & finit fent par les doubler de foie. Elles n'ont plus alors qu'à défengrener l'habit de dedans la feuille où il a été pris & taillé , & cela n'exige que quel- ques efforts. Il eu: de ces fourreaux qui portent du côte du dos , de petites dentelures qui les ornent beaucoup & les font paroître plus compofés. Ces dentelures ne font autre chofe que celles de la feuille dans laquelle ces fourreaux ont été fa- çonnés. Les Teignes champêtres fe métamorphofent dans leurs habits, comme les Teignes domefti- ques dans le leur. Nous n'avons fait encore qu'entrevoir l'art induftrieux des Teignes cham- pêtres y nous le conOdérerons ailleurs de plus près , & nous ne reviendrons point de notre étonnement. Au refte , l'habit de ces Teignes n'eft pas fait pour être alongé & élargi ; quand il devient trop étroit , elles en font un autre. Quantité de Teignes champêtres & ds* D B LA NATURE, fart. XII. ïô* "Teignes aquatiques , car les eaux ont aulîî leurs Teignes 9 n'entendent point à préparer l'étoffe de leurs vètemens. Auilî les matières qu'elles mettent en œuvre ne font-elles fufceptibles d'au- eune préparation. s Des brins de bois , de petites baguettes, des Fragmens de feuilles , des morceaux d'écorce , &c, pofés en recouvrement comme les tuiles , re- vêtent extérieurement le fourreau qui eft de pure foie. D'autrefois il eft recouvert de gravier, de petites pierres , de morceaux de bois , de par- celles de rofeau, de petites coquilles, tantôt de Moules , tantôt de Limaçons ; & ce qu'on n'ima- gineroit pas , les Moules & les Limaçons habi- tent encore ces coquilles : enchaînés au fourreau , ils font forcés de fuivre la Teigne qui les porte où il lui plaît. Une Teigne vêtue ainiî ne re£. femble pas mai à certains Pèlerins. Celles qui font couvertes de bois , de gravier , de pierres & d'autres matières auffi lourdes , liées en fem- ble , rerfemblent affez à un Soldat Romain pefam- ment armé. Vous jugez bien que de pareils habits doi- vent avoir des formes très-baroques : il en eft 20% CONTEMPLATION pourtant de fort jolis , & où l'arrangement fyrrW métrique des matériaux compenfe un peu leur groilîéreté. Les Teignes aquatiques trouvent quelque avantage à s'habiller d'une faqon fi étrange, lî faut qu'elles foient toujours en équilibre avec l'eau au milieu de laquelle elles vivent. Si leur fourreau devient trop léger , elles y attachent une petite pierre; s'il devient trop pefant, elles y attachent des brins de rofeau ( i ). ( i ) ff Tout eft bon à la plupart des Teignes aquatiques pour rcceuvrir le fourreau de pure foie qu'elles fe filent: on les voit fe faifir indifféremment de tous les petits corps qu'elles rencontrent dans Peau & les attacher à leur habit. Il eft pour- tant des Efpeces de ces Teignes qui ne s'habillent pas indiffé- remment de toutes fortes de matières, & qui femblent choifir par préférence des matières d'un certain genre dont elles revêtent conftamment leur fourreau. Les unes préfèrent des grains de gravier ou de petites pierres ; d'autres , des feuilles ou des fragmens de feuilles 5 d'autres, des brins de joncs 5 d'au- tres , des graines , &c. Nos Teignes aquatiques ne fortent pas d'elles-mêmes de leur îourreau : il leur fert de retraite ou de défenfe , & fi l'on veut les obliger à en fortir , elles ne l'abandonnent qu'à la dernière extrémité : le met -on enfuite à leur portée? elles y rentrent aiuTi-tôt. Il n'en eft pas de même des Teignes domeftiques £ elles ne rentrent plus dans Leur fourreau , quand on les force à l'abandonner. Les Teignes aquatiques font pourvues de dents comme les Chenilles , & rongent comme elles les feuilles des Plantes : mais elles font en même temps carnivores , & dévorent les Vers & Toutes DE LA NATURE. Fart. XII. 209 Toutes ces Teignes fe rnétamorphofent dans leur fourreau ( 2 ) ; les unes en Papillon , les autres en Mouches ( 3 ) , d'autres en Scarabés. les Nymphes des Infectes aquatiques. Elles fe dévorent même les unes les autres, & une Teigne qui a ?: o't le malheur d'être privée de fon fourreau , feroit bientôt dévot ée par les Teignes de fon Efpece. A l'approche de la première métamorphofe , les Teignes aquatiques amarrent leur fourreau , mais de manière que l'eau puifie toujours s'y renotivellcr : elles ne le fixent donc jamais fur l'extrémité qui doit demeurer ouverte : quelquefois il leur arrive de le fixer au fonrreau d'une autre Teigne , qui le tranf- porte ainfi avec le fien. Quelques-unes de ces Teignes nou> montrent un procédé particulier : à l'approche de la métamorphofe , elles raccour- ciffent leur fourreau. Comme la Nymphe eft moins longue que la Teigne , elle peut être très -bien logée dans un fourreau plus court , & apparemment qu'il lui convient que le fourreau foi't raccourci. (2) ff Les Teignes aquatiques ne fubhTent dans leur four* reau que la feule transformation en Nymphe. Mr. de Geek s'en eft afïuré. Le fourreau fe trouve fouvent placé à une allez grande profondeur fous l'eau : fi la transformation en Mouche s'opéroit dans cette enveloppe, la Mouche, toute aérienne, rifqueroit de fe noyer en traverfant la couche d'eau qui la fépare de l'air. La Nature, qui a voulu la confervation de i'Infe&e^a enfeigné à la Nymphe à fortir du fourreau à l'approche de la dernière métamorphofe. Celle-ci n'a point à redouter l'eau , fon élément naturel : elle ouvre donc la porte de la maifonnette > traverfe l'eau , s'élève à la furface & gagne le plein air , où elle fe défait de l'enveloppe de Nymphe pour paroître fous fa dernière forme de Mouche. (3) tt Les Teignes aquatiques font des Vers à fuc pieds 9 Tome IX. Q 2io € 0 y T E M V L A T î 0 ¥ Quelques Teignes champêtres n'empruntent point pour (e vêtir des matières étrangères ; elles s'habillenr de pure foie ; mais leur tiiîu eft bien plus ferré , bien plus fin , bien plus luftré que celui des plus belles coques des Chenilles. Il a encore une fingularité de plus ; il eft tout corn- pofé de petites écailles fembîables à celles des PohTons , & qui fe recouvrent un peu les unes les autres. Le fourreau eft quelquefois furmonté d'une enveloppe en forme de manteau , qui le ©ouvre prefque en entier , & qui eft compofé de deux pièces principales , dont la figure imite celle d'une coquille bivalve ou à deux battans. Des Teignes qui puifcnt dans leur propre fond la matière de leur habit , dévoient favoir î'alonger & l'élargir : il leur en auroit trop coûté de s'en faire un neuf au befoin. AufTi enten- dentelles à merveille à l'agrandir. Elies n'y met- tent pas des élargilnnes à la manière des Tei- gnes domeftiques : elles le fendent de place en qui fe transforment en des Mouches à quatre ailes, d'un genre particulier : leurs ailes font colorées à -peu -près comme celles des Papillons; mais elles ne doivent pas leurs couleurs, comme ces dernières, à de petites écailles diverfement colorées. (Part- III, Cjhap. XVIII , Note 4.) La forte de reflemblancc de ces Mouches avec les Papillons ,' a port* Mr. de Reaumuk. à leur, donner le nom de pa$illçmtaçies% D'autres Nsturaliftes les ont g$p&é®9 Frignitts* b E LA NATURE, Paru Xît ài£ place fuivant fa longueur , & rem'pliflent fiir-1©-. champ les intervalles par de nouveaux fils d'une longueur proportionnée à l'ampleur requife. Ce fourreau , de forme finguliere , devient auffi pour elles une forte de coque où elles fe transforment en Papillons. CHAPITRE XII. Les Infe&es qui fe recouvrent des matières qiCili i ejettent, i\\*JE font des Hommes bien dégoûtans que ces Hottentots qui fe font des ceintures & des butanes d'inteftins de Bœuf, qu'ils négligent, de vuider. Le Peuple des ïnfeétes a auiîi fes Hottentots. Un petit Ver à fix pieds, jaunâtre y très - dodu , grand mangeur de fon naturel 3 & qui dévore les feuilles des Lys , fait plus encore que le Hottentot ; car il recouvre tout fon corps^ de fes propres excrémens. Sa peau délicate , fine & tranfparente demandoit apparemment à être défendue contre l'ardeur du Soleil j & tout a été bien difpofé dans l'Infe&e pour qu'elle le fui. par les matières qu'il rejette. Au lieu d'être phcé ) comme à l'ordinaire? du côté du venue ^ 0 Z si2 CONTEMPLATION l'anus eft place du côté du dos, & l'inteftin qui va y aboutir chaire les excrémens vers la tète. Il ne les pouffe rxis loin ; mais un mouvement ondulatoire des anneaux , que le Ver fait diriger & modifier à propos , chaflTe la matière de place en place , cSc retend peu-à-peu fur le dos & fur les côtés. Elle gliiîe facilement fur la peau unie du petit Hottentot , & l'humidité qui la pénètre facilite encore fa marche. A peine le Ver a~t-il mangé deux à trois heures , que tout le deiFus de fon corps eft recouvert d'une couche d'ex- crémens. Cette couche , d'abord très mince, s'é- paifîit à chaque repas , & les repas de notre Infecte font toujours copieux. Elle s'épaiifit enfin au point d'acquérir un volume trois à quatre fois plus grand que celui de l'Animal. Affublé de cette énorme couverture , enterré , pour ainfi dire, fous un monticule d'excrémens, il ne montre plus que fa tête , qui eft fort petite , & fous cet afpect étrange , il trompe l'œil du Spectateur peu inftruit, qui croit ne voir qu'un tas d'excrémens. Cette épaiile enveloppe tient peu au corps de l'Infecte , & quand il le veut il s'en débarraffe facilement : quelquefois elle tombe d'elle-même , & une nouvelle lui fuccede, qui ne coûte pas plus à fabriquer que la pre- mière. Cette forte de Teigne n'a fimplement qu'à manger pour fe vêtir. Son accroiifement eft aflez DE LA NATURE. Vart. XII. zi% rapide : il ne lui faut qu'une quinzaine de jours pour acquérir la grandeur propre à l'Efpece. Alors elle entre en terre & s'y conftruit une coque qui mérite fort d'être examinée. L'exté- rieur ne préfente qu'un petit amas de terre : mais l'intérieur offre une tapifferie de fatin qui a tout l'éclat de i'argent le plus pur. On la croi- roit de la foie la plus fine & la plus luftrée ; elle n'ell pourtant formée que d'une- matière moutfeufe que la Teigne rend par la bouche, & qui fe feche ptomptement à l'air. C'eft avec cette matière fingulicre qu'elle lie les grains de terre qui recouvrent fa coque & lui fervent de défenfe. Après y avoir revêtu la forme de Nym- phe, l'Infecte fe montre bientôt fous celle d'un très-joli Scarabé , dont l'écaillé brillante eft du plus beau rouge de vermillon , & dont la tète , les jambes & le ventre font d'un noir très-luftré. Un autre Ver à fix pieds , d'une figure plus remarquable que le précédent , & qui vit fur l'Artichaut, ne couvre pas tout fon corps de fes excrémens & ne les applique pas immédia- tement fur fa peau. Il a été mis en état de les employer avec plus d'art & de propreté. Il ne s'en fait pas une enveloppe ; il s'en fait un pa- rafai, auquel il donne la direction & l'élévation qu'il veut. Il l'incline en avant ou en arrière, O 3 >i4 CONTEMPLATION l'élevé ou fabaiffe félon fes befoins. Les pièces du parafol font uniquement de la main de la Nature ; PétofFe eft fournie par Tlnfedle. Près de l'anus eft attachée une longue fourchette écailleufe & mobile , fur laquelle les excrémens s'arrangent à mefure qu'ils fortent. Bientôt toute la fourchette en eft garnie , & l'Infe&e eft en poifeiFion d'un parafol qui le met à l'abri du Soleil. Mais ce ne font pas feulement les ma- tières qu'ilrejette par l'anus, qui fervent à com- pofer la toile du parafol : comme bien d'autres Infères, il change de temps en temps de peau, & la peau dont il fe défait s'ajufte auffi fur la fourchette & fert quelquefois de fond à l'étoffe du parafol Notre curieufe Teigne . fi pourtant on peut donner ce nom à notre Ver à parafai , fe me- tamorphofe fur la feuille où elle a vécu , & fans fe faire de coque : parvenue à fon dernier état, elle fe montre fous la forme d'un Scarabé , £3- ractériie par une forte de camail. % DE L A N A T U R E. Part. XII. 21$ i!Hîr:! CHAPITRE XIII. Les Infe&es qui habitent dans une forte d'écume. f| J-JA Cigale , fameufe par fon chant, eft une tres-groffe Mouche à quatre ailes. Il eft d'-autres Efpeces de Cigales qui ne font connues que des Naturaliftes , & qui en différent par divers ca- ractères. Entre ces Efpeces il en eft une affez petite , qui , fous fes premières formes de Ver & de Nymphe , mené un genre de vie fort fm- gulier. Quand on fe promené au Printemps dans les prairies , on rencontre fréquemment fur les Plantes dès amas d'une forte d'écume d'un blanc vif 3 toute imprégnée de bulles d'air , &, qu'on prendroit pour de la falive ( I ) : c'eft au milieu de cette écume que vit l'Infecte dont je veux parler. Il en eft entièrement couvert , & pour parvenir à le voir il faut écarter délicatement fon enveloppe , prefque toute aérienne : on met ( i ) On a donné le nom d'écumes prînt ■ minier es à ces airm de matière mouffeufe qu'on voit an Printemps fur les Herbes des prairies. Le Peuple, qtii en ignore la vraie nature, les prend pour des crachats de differens Animaux, PouçaPvT eft le pre- mier qui nous en ait donné l'hiftoire. Mr. de Geee. l'a per- fectionnée : il les avoit édudiées dès 1737. Je tes avois aufli sbfervées en 1740, & vérifié la plupart des faits dei'ouPAK.T* o 4 2i6 CONTEMPLATION alors à découvert uni petit Animal tout nud , qui femble fortir du bain. Sa peau , de couleur jaunâtre , paroît molle & délicate : il eft porté fur fix pieds , & marche avec affez de vîteife. A l'aide d'une trompe, il pompe le fuc d'une mul- titude de Plantes , & plus il pompe , plus il accroît l'amas d'écume fous lequel il loge. Il la rejette peu- à- peu par l'anus. On voit alors le derrière très-mohîie de l'Infede fe donner divers mouvemens , s'alonger & fe raccourcir , fe dilater & fe contracter , & l'écume fortir fous la forme de petites bulles qui s'arrangent les unes auprès des autres. Il s'en forme par degrés un amas confldérable qui cache entièrement l'Infecte. Cette finguliere enveloppe lui eft bien nécefc faire : s'il en demeure privé , il fe deffeche & périt enfin. E:ie peut encore le préferver des attaques des Infedies carnaffiers (2). Tandis que les Petits de cette forte de Cigale font jeunes encore , ils demeurent volontiers eniemble dans -le même amas d'écume j ils sem- blent travailler en commun à l'augmenter : mais quand ils ont pris un certain accroiilé- ment , ils fe difperfent fur les Herbes , & on ne trouve alors , pour l'ordinaire , qu'un feul Ver ( 2 ) II eft pourtant des Guêpes qui fondent dans l'écume & en enlèvent l'Habitant pour le porter à leur guêpier. DE LA N A T V R E. Part. XII. 217 ou une feule Nymphe dans chaque amas d'é- cume: il n'eft pas rare cependant d'en rencon- trer deux à trois. On juge bien que les amas d'écume qui recèlent plusieurs Nymphes font les plus gros. Il n'en eft pas de ces Nymphes comme de celles de la plupart des Mouches , qui demeurent dans une parîaite immobilité jufqu'à leur transformation : elles font aufîi agiles que les Vers eux - mêmes , & ne peuvent en être diftinguées que par deux tubercules qu'elles ont fur le dos , & qui cachent les ailes de la Ci- gale ( l ), C'est au milieu même de l'écume que la Nymphe fubit fa transformation ; mais dans cette circonftance importante l'écume ne tou- che plus la peau de l'Infecte. Il s'en forme , on ne fait encore comment , une forte de voûte mince , unie & tranfparente , qui l'environne de toute part à quelque difbnce. Sous cette voûte s'opère commodément la dernière meta- morphofe , & la Nymphe devenue Cigale , la perce aufîî - tôt pour fe mettre en liberté & commencer un nouveau genre de vie tout dif- férent du premier. Elle court & faute dans les (3) Ce font donc des demi -Nymphes ou faujfe s- Nymphes, (Confultez le Chap. IX de la Partie IX. ) "a\% CONTEMPLATION praires , & cette vie vagabonde fe termine chez les Femelles par la ponte des œufs ( 4 ). g&r. .9SSaa=ae CHAPITRE XIV. V 'Araignée qui fe fait un logement de bulles d'air* \\ Jt\ la fuite des Infectes qui fa vent fe loger ou fe vêtir , s'offre une Araignée dont les pro- cédés en ce genre ont bien plus encore de quoi nous furprendre par leur extrême fingu- larité. Elle efl: déjà très - remarquable par l'élé- ment dans lequel elle vit. Les Araignées les plus généralement connues font des Infectes pure- ment terreftres ; celle que je veux faire con- noitre vit au milieu des eaux dormantes : elle en fort néanmoins de temps en temps pour chaffer fur leurs bords : elle efl: donc une ef- pece d'Amphibie , mais qui efl plus aquatique que terreftre. Elle nage avec une merveilleufe célérité , tantôt fur le dos , tantôt fur le ventre-, (4) Mr. de Geer a remarqué que cette Efpece de Cigale pond fcs œufs en Automne , & qu'ils n'éclofent qu'au Prin- temps. Le derrière de la Femelle eft pourvu d'un bel infini- ment , compofé d'un afifemblage de quatre lancettes écailleufes , delKnécs fans doute à faire dans les Plantes les entailles qui doivent loger les œufs. DE LA NATURE. Part. XII. -19 & plus fouvent encore fur le dos. Elle eft. une admirable plongeufe , & pourfuit fa proie jus- qu'au fond de l'eau avec une agilité Surprenante. D'autrefois elle la pourfuit fur terre , & après l'avoir faille , elle la tranfporte au fond de l'eau. C'eft là qu'elle fe pratique un logement qui eft unique en fon genre. Elle en pofe les fondemens fur quelques brins d'Herbes , & ce fondement eft de pure foie. Elle s'çleve enfuite à la furface de l'eau en nageant fur le dos , expofe fon ventre à l'air , & comme il eft toujours enduit d'une forte de vernis , l'eau ne fauroit s'y attacher , mais l'air s'y attache ; un inftant après elle le retire promptement fous l'eau , chargé d'une lame d'air qui y eft demeurée adhérente , & qu'elle va placer adroitement dans fon tiffu foyeux. Elle répète aufîi-tôt la même manœuvre, s'élève de nouveau à ia furface de l'eau , préfente fon ventre à l'air , replonge à l'inftant , & va dépofer une féconde bulle d'air à côté de la première. Elle multiplie fes courfes , continue fon travail, & fe trouve enfin en polfelîîon d'un petit édifice tout aérien , j'ai prefque dit d'un palais enchanté , qui lui procure une retraite affurée & commode où elle loge à fec au milieu de l'eau. Mais elle deflre un peu plus de folidité à fon édifice; elle veut fur-tout que les bulles d'air qui en fout les matériaux , ne puifleut 220 CONTEMPLATION s'échapper \ dans cette vue elle le recouvre ex- térieurement de foie dont les fils très-fins font fort rapprochés. Elle fort de ce palais enchanté pour fe promener aux environs & chafler aux Infccles. Dès qu'elle en eft fortie, le palais fe rerTcrre de lui-même , fa capacité diminue ; bien- tôt f Araignée y rentre chargée d'une proie : il s'élargit aullî tôt ; l'Araignée s'y trouve logée à l'aife & y dévore fa proie en fureté. Le Mâle ■ & la Femelle entendent également à conltruire ce logement fiugulier. Dans la faifort des amours , le Mâle quitte le iien , s'approche de celui de la Femelle , s'y introduit , l'agrandit même par la bulle d'air qu'il porte avec lui , & le logement devient une chambre nuptiale où les heureux Amans fe prodiguent leurs faveurs ( i X ( i ) Chez les Araignées , la fécondation s'opère d'une ma- nière fort particulière. Les parties fexuelles du Mâle font pla- cées dans un endroit où l'on ne s'aviferoit pas de les chercher : elles font placées dans les antennes. On n'a pas oublié que les cintcnrrs font ces deux cornes mobiles, que les Infc&es portent à ia tête, & dont on ignore encore le véritable ufage. (Part. III, Ckap. XVIII.) Les antennes de l'Araignée Mâle font ter- minées par nn bouton qui renferme ia partie deftinéè à féconder la Femelle. Chez ces Infectes féroces , & qui fe dévorent les uns les autres , les approches du Maie & de la Femelle ne fe font qu'avec précaution , & dans la faifon où l'amour adoucit leur férocité naturelle. En tout autre temps les Araignées vivent dans la plus grande foiitude au centre de leur toile , &. évitent DE LA NATURE. Part. XII. 221 avec foin la rencontre de leurs femblables. Mais dans le temps des amours on voit Couvent deux Araignées fur la même toile, & on les reconnoît aifément pour deux Individus de fexes diffe- rens , que les mêmes befoins tendent à rapprocher. Le Mâle fait toutes les avances : il s'approche à pas lents & mefurés 5 il montre de la défiance, & femble craindre de n'être pas bien reçu : il s'enhardit néanmoins , & quoique beaucoup plus petit & moins fort que la Femelle , il ofe s'en approcher an point de la toucher d'une de fes pattes 5 mais , faifi. aufîi-tôt d'une frayeur fubite , il recule à l'inftant : la Femelle demeure pourtant im- mobile au centre de fa toile , la tête tournée en en-bas , & ne paroît point chercher à intimider le Mâle. Bientôt il réitère fes approches , & devenu plus hardi , il follicite plus vivement des faveurs qu'on n'eft point dans l'intention de lui refufer : le bouton d'une de fes antennes s'ouvre ; il en fort un petit corps charnu qu'il applique à la partie fexuelle de la Femelle , placée fous le ventre , affez près du corcelet : il répète la même ma- nœuvre avec l'autre antenne , & la femelle eft rendue féconde. Telles font , en particulier , les amours de ces Araignées de Jardin qui fe filent des toiles verticales en polygones , & dont plufieurs Efpeces font remarquables par leurs belles couleurs : les amours de quelques autres Efpeces offrent d'autres parti- cularités que je ne m'arrêterai pas à décrire. Mr. Geoffroy, un des Hiftoriens des Infe&es, a vérifié ces faits, qui avoient déjà été obfervés par les Lyonet 8zhs Geer , & il a vérifié pareillement ceux qui concernent l'Araii gnée aquatique , qui avoient été découverts par un Anonyme. %& 222 CONTEMPLATION ^ mm — - ffifr CHAPITRE XV. V Araignée niïneufe. No» fj- In o u s avons vu des Infe&es qui minenÉ dans le parenchyme des feuilles des Plantes , & qui s'y pratiquent des boyaux oii des galeries , comme nos Mineurs en pratiquent dans la terre ( i ). Ils en ont pris le nom de Mineurs de feuilles. Il eft un autre Infecte , d'un genre très-différent , auquel le nom de Mineur paroît bien mieux convenir , parce que c'eft dans la terre qu'il mine, & cet Infecte eft une Araignée,; fort femblable par fon extérieur à celle des caves * mais qui en diffère beaucoup par fon genre de vie & fon induftrie. Elle s'établit fur la pente plus ou moins rapide d'une giaife franche & pelée , où l'eau des pluies puilfe s'écouler faci- lement. Elle y creufe avec fes fartes pinces une mine en galerie , d'environ deux pieds de lon- gueur , & dont la largeur, par-tout à-peu-près égale & proportionnée à fa groffeur , lui permet de monter & de defcendre commodément dans- le ibuterrein. Elle en tapûTe tout l'intérieur d& ( i ) Consultez le Chap. VII! de cette- Partie. DE LA N A T U È È. Pùrt.XÎL 225 toile de foie qui facilite encore fa marche , retient les grains de terre qui pourroient fe détacher de la mine, & l'avertit de ce qui fe paffe à l'entrée. Là eft un ouvrage étonnant pour être fait de main d'Infecte , & qu'on feroit même tenté de révoquer en doute , s'il n'avoit été bien vu & bien décrit par un Naturalifte exact ( 2 ). Cet ouvrage , unique chez les Infectes , eft une porte ou plutôt une vraie trappe , formée de plufieurs couches d'une terre détrempée , liée avec de la foie , & dont les contours font Ci parfaitement circulaires , qu'ils femblerit tracés au compas. Le derrière de la trappe ou la face qui regarde l'intérieur de la mine eft convexe & unie : la face extérieure , qui eft à fleur de terre, eft, au contraire , plane & raboteufe , & fe confond fi bien avec le terrein voifin , qu'on ne fauroit l'en .diftinguer ; & on juge facilement que l'a* droite Mineufe l'a voulu ainfi pour mieux dé- rober le lieu de fa retraite. Mais je n'ai point dit encore tout ce que le travail de cette ingénieufe trappe renferme de plus admirable ; je crains feulement que ce qu'il me refte à en rapporter ne paroiffe fabuleux. Sa face poftérieure eft doublée d'une toile, dont les (a) Mi, l'Abbé Savvagsî. 324- CONTEMPLATION fils très - forts & très - ferrés fe prolongent de manière qu'ils forment une forte de penture ( 3 ) qui fufpend artiftement la trappe à la partie la plus élevée de l'ouverture de la galerie. Au moyen de cette penture , comme à l'aide d'une char- nière 3 la trappe peut s'élever & s'abailfer, ouvrir & fermer la galerie. Son propre poids fuffit à l'abaiifer, foit parce que la galerie eft fort incli- née à l'horifon , foit parce que la Mineufe a eu PadreiFe de la fufpendre à la partie Jùpérieure de l'ouverture , comme fi elle connoiilbit l'effet de la pefanteur. Cette ouverture eft façonnée en entonnoir, & fon évafement forme une efpece de feuillure contre laquelle la trappe va battre quand elle s'&baiiTe. Elle s'ajufte alors avec tant de précilîon dans la feuillure , qu'elle ne laiife par - dehors aucune prife pour la foulever , & qu'elle femble faire corps avec la feuillure. Si pourtant on introduit adroitement la pointe d'une épingle dans le joint, on parvient à fou- lever un peu la trappe , mais alors on éprouve une réfiftance dont on eft étonné. Elle augmente à mefure qu'on tente de foulever davantage la trappe. Mon Lecteur devine-t-il ce qui produit cette réfîftance? L'Araignée avertie par l'ébran- ( 3 ) Oa nomme penture , en terme tic l'art , cette bande de fer qui fert à foutenir une porte. lement' £>£ LA MATURE. Part. XIL ** cher, & l'on n'en eft pas moins étonné qu'un G petit Animal puiffe faire une (î grande réllfc tance. L'Obfervateur force enfin la porte , ou la fouleve entièrement , & l'Araignée eft réduite à fuir à toutes jambes au fond de fa galerie. On peut répéter bien des fois les mêmes procédés avec l'induftrieufe Mineufe , & éprouver chaque fois de fa part la même réfiftance. Toujours elle accourt à fa porte & fait les plus grands efforts pour empêcher qu'on ne l'ouvre. Appellée à vivre dans la retraite la plus obfcure 3 cette Araignée femble ne pouvoir fup- porter l'éclat du grand jour. Quand on la retire de fa mine , fon agilité naturelle l'abandonne $ elle paroît languilfante & comme engourdie 5 & il elle fait quelques pas , c'e'ft en chancelant. On ne peut même parvenir à la conferver long-temps Tome IX. Ç 226 CONTEMPLATION hors de fa mine , & toutes les Araignées && cette Efpece qu'on renferme dans des vafes , y périfTent (4). (4) On defireroït que Mr. l'Abbé Sauvages eût pu fuivre Thabile Mineufe dans fon curieux travail. C'en eft un bien confidérable pour un fi petit Infeéte , que celui de fe creufer dans la glaife une galerie d'environ deux pieds de longueur: mais c'eft fur-tout à la conftru&ion de l'admirable trappe qu'on- voudroit le voir occupé. Le lieu où elle eft conftruite rentî l'obfervation bien difficile. On pourroit pourtant imaginer des moyens qui en diminueroient la difficulté. La Mineufe ne refu- feroit peut-être pas de travailler fous les yeux de l'Obfervateur. J'ai fouhaité de faVoir, fi depuis la publication de fon inté- refiante obfervation en 175:8 r Mr. Sauvages n'avoit rien- découvert de nouveau fur fou Araignée : je l'ai done fait in» terroger par un Ami, & fa réponfe a été qu'il n'avoit rien de plus à m'en apprendee. Il ne nous a pas dit le principal ufage' «îe cette trappe finguliere qu'il nous a fi bien décrite. On pour- roit foupqonner que l'Araignée a un moyen de la foulever de temps en temps , & que lorfqu'un Infe&e fe préfente à l'ou- verture du fouterrein, elle la laide fur-le-champ retomber pour retenir la proie captive. La trappe feroit ainfi un piège que la Mineufe tendroit aux Infe&es. On trouve cette Araignée aux environs de Montpellier : mais , fans doute qu'elle n'eft pas propre au Languedoc. DELA 2sF A T V R Ë. Part. XII. iij — i gS&£= - BS=±3 CHAPITRE XVI. Réflexions fur ces divers procédés des Infe&es, v, ous avez parcouru d'une vue rapide les procédés d'une multitude d'Infectes différens , & Vous vous étonnez avec raifon de la grande Variété qui règne dans ces procédés , tous rela- tifs à une même fin générale , & tous auffi diver- sifiés que le font ceux de nos Artifans ou de nos Artiftes. D'où vient que parmi les Infectes qui fe préparent à la métamorphofe , les uns fe pen- dent par le derrière , les autres fe lient avec une ceinture, d'autres fe conftruifent des coques? D'où vient que parmi ceux qui fe conftruifent des coques , les uns les font de pure foie , tandis que les autres y emploient des matières de di- vers genres ? Pourquoi la forme de ces coques eft- elle fi différente chez différentes Efpeces ? Pourquoi eft -il des Infectes qui roulent artifte- ment les feuilles des Plantes , tandis que d'au- tres ne font que les lier ou les plier ? D'où vient que d'autres minent ces feuille*, & pourquoi ne les minent -ils pas tous de la même manière? Pourquoi enfin , toutes les Teignes ne portent- elies pas le même habit ? P % £2% CONTEMPLATION Tous ces pourquoi , & mille autres qu'oîî peut former fur les productions de la Nature, font autant d'énigmes pour des Etres relégués dans un coin de l'Univers , & dont la vue , auffi courte que celle de la Taupe , ne fauroit appercevoir que les objets les plus voifins & les rapports les plus directs & les plus faillans. Les ouvrages des Infectes font les derniers réfultats de leur organifation, & cette organifation répond au rôle qu'ils dévoient jouer dans la grande Machine du Monde. Ils eîi font , à la vérité, de bien petites Pièces ; mais ces Pièces concourent à un effet général par leur engrenement avec des Pièces plus importantes. Ainfî la ceinture que fe file une Chenille , a fes rapports à l'Uni- vers , comme l'Anneau de Saturne. Mais , com- bien de Pièces différentes interpofées entre la ceinture & l'Anneau , & entre Saturne & les Mondes de Syrius î Si l'Univers eft un Tout , & comment en douter après tant & de fi belles preuves d'un enchaînement univerfel ( î ) ? la ceinture de la Chenille tiendra donc auiîi aux Mondes de Syrius. Quelle Intelligence que celle qui faifit d'une feule vue cette chaîne immenfe de rapports divers , & qui les voit fe réfoudre tous dans l'Unité & l'Unité dans fa Cause î (i) Paît. I,Chap. III & VII, 7) JS LA R A T V R E. Part Jtfî. i%f Il faut bien que nous demeurions dans la place qui nous a été aflîgnée , & d'où nous ne pouvons découvrir que quelques chaînons de la chaîne. Un jour nous en découvrirons davan- tage , & nous les verrons mieux. En attendant > nous pouvons envifager les procédés (î variés & ii induftrieux des Infedes , comme un agréa- ble fpedacle que la Nature pré fente aux yeux de l'Obfervateur , & qui devient pour lui une fource intarifTable de plaifirs ré&échis & d'inf- trudions utiles. Il eft conduit à I'Auteur de l'Univers par le fil de la Chenille , & il admire dans la variété des moyens, & dans leur ten- dance au même but , la fécondité & la fagefTe de I'Intelligence Ordonnatrice. Le Spectacle eft plus intéreifant encore , lorf- que TObfervateur entreprend de dérouter les Infedes & de les tirer de leur cercle naturel. Ils montrent alors des reffources qu'il n'avoit pas lui-môme prévues & qui trompent fon attente. Lorfque les Fauiîes-teignes de la cire manquent; de cire , elles favent fe faire des galeries de cuir, de parchemin ou de papier. On a vu une Che- nille parvenir à fe conftruire une coque avec de petits morceaux de papier qu'on lui avoit offerts & qu'on avoit coupés comme on avoit voulu* Elle les faififlbit avec fes dents & fes premières. ? 3 s;d CONTEMPLATION- jambes , les tranfportoit au lieu où elle s'étoîfc établie , les mettoit en place , les lioit avec des Êls , pofoit les uns fur la tranche , les autres de plat, & fornioit de tout cela un aflemblage un peu bizarre , il eft vrai , mais qui répondoit par- faitement à une coque. Elle lui auroit donné une figure plus régulière fi elle avoit travaillé avec les matériaux deflinés à fou Efpece. Avant que nous eurlions appris à préparer & à apprêter ]es laines & les peaux des Animaux, les Teignes domefKques n'ailoient pas apparemment toutes nues (2). Peut-être qu'elles s'habilloient alors à la manière des Teignes champêtres ( 3 ). Cette réflexion nous achemine à tenter d'obliger dif- férentes Teignes à fe vêtir différemment. Il fe* roit curieux encore d'en obliger d'autres à aller nues. Il s'en trouverait probablement qui fe pafferoient fort bien d'habit. Une fuite de gé- nérations de ces Teignes , élevées nues , nous ( 2 ) ff Les draps & les fourrures ne font pas les feul? ail- Siens qui conviennent aux Teignes domefKques : elles s'accom- modent très - bien des plumes des Oifeaux , Se les emploient auiïi dans la fabrique de leur fourreau. ( 3 ) tt Je ne veilx Pas dire à la manière xles Mineufes : rinduftrie des Teignes mineufes diffère trop de celles des Tei- gnes domeïljques : mais on peut fuppofer avec fondement , que les Teignes domeftiques fe fervoient alors des poils des Végé- taux ou de brins d'Herbes fort déliés. Il faudroit elfayer d'o- bliger des Teignes de cette Efpece à fe vêtir de pareils poils , &c. D E, L 4 V A T U R E. Part. XII. 2%t apprendroit fi elles oublieroient enfin Part de fe vêtir , &c. &c. CHAPITRE XVII. 'Procédés des Coquillages, La Moule de rivière. J.^1 o u s n'attendons pas beaucoup des Coquil- lages : renfermés dans un étui prefque pierreux & qui fait partie de leur être , ils nous paroif. fent bien lourds , & pour peu qu'ils nous mon. trent d'induftrie , nous leur en tiendrons grand compte. Tous ne font pourtant pas auffi lourds qu'ils le paroiiTent : nous allons contempler avec plaifir les procédés de quelques-uns. Vous favez , que les Moules habitent une coquille à deux battans. Les deux pièces fone unies par une forte de charnière, que la Moule fait jouer pour ouvrir & fermer à fon gré la coquille. La ftructure de l'Animal n'eft pas notre objet actuel : nous voulons voir ce qu'il fait faire. Il s'agit de la Moule des Rivières, En voilà une dont la coquille repofe à plat fur le fable. Dans peu de temps , cette coquille fera affez loin du lieu où elle vous paroît main- P 4 ïjz CONTEMPLATION tenant collée. Ce ne fera pas la rivière qui lui fera changer de place j ce fera la Moule elle-* même qui la tranfportera. Vous cherchez à pénétrer comment elle s'y prendra , & vous ne le découvrez point. Laiffez- la faire, & fuivez-la. Elle entr'ouvre fa coquille: elle en fait fortir une efpece de langue ou de trompe charnue. Je vous préviens , que fon def- fein eft de mettre fa coquille fur le tranchant : elle repofe encore fur un de fes côtés , & ce côté eft à- peu-près plat & le terrein horifontal. Comment donc réuifira-t-elle à élever la coquille & à la pofer fur fa tranche ? Elle n'a pour tout infiniment que fa trompe. Avec cette trompe , elle laboure le fable autour de fa coquille -, elle creufe un petit foffé & elle y fait tomber la coquille , qui fe trouve ainfi pofée prefque verticalement fur fon tranchant. !La Moule porte fa trompe en avant x elle l'alonge le plus qu'elle peuti elle en cramponne l'extré- mité dans le fable , & à l'aide de ce point d'ap- pui, elle tire à elle la coquille , qui achevé de fe relever : la voilà qui pofe toute entière fur fa. tranche» Mais , la Moule veut aller en avant. Sa trompa / DE LA NATURE. Part XII. 2^ Irace dans le fable un fillon ou une rainure : elle fe cramponne comme la première fois : la Moule tire à elle la coquille 5 celle-ci griffe dans la rainure , qui la maintient fur fon tranchant. La Moule fait ainfî chemin , & nous montre dans fa méchanique une reflburce que nous jrç'avions pas imaginée. Sa trompe lui tient lieu de mains & de pieds , & fuffit à tout : aulîi eft- elle plutôt une main ou un pied ; qu'une véri- table trompe. g^ - » f&jg* CHAPITRE XVIII. Autres Coquillages. La Telline. jLJ'ivers Coquillages de Mer dont la coquille eft encore à deux battans , fe meuvent par une méchanique peu différente. La plupart font pourvus de deux tuyaux , au moyen defquels ils refpirent Peau , & qu'ils ont grand foin de tenir élevés au - deffus de la vafe dans laquelle ils ont coutume de s'enfoncer plus ou moins. Il en eft qui font jaillir l'eau à plufîeurs pieds de diftance ( 1 ). ( 1 ) ff Les Lavignons , les Soin-dons , les Palourdes , &c. font du nombre de ces Coquillages de Mer, dont la coquille eft %li CONTEMPLATION La partie unique , qui dans quelques - uni exécute le mouvement progreflif ou rétrograde , reffemble fort bien à une véritable jambe munie de ion pied -, mais cette jambe eft un Prothée , qui prend toutes fortes de formes pour fatif- faire aux befoins de l'Animal. Elle ne lui fert pas feulement à ramper , à s'enfoncer dans la vafe ou à s'en retirer ; mais , il s'en fert encore avec beaucoup d'adreffe pour exécuter un mou- vement dont on ne fe douteroit pas qu'un Coquillage fût capable. Un Coquillage qui faute doit paroître un fpedacle bien nouveau. C'eft une Telline que vous avez actuellement fous les yeux. Remar- quez qu'elle a mis fa coquille fur la pointe ou bivalve , & qui s'enfoncent nlus ou moins dans la vafe. Ils appartiennent au genre des Cames. Les tuyaux des Sonnions, en particulier , font des efpeces de pompes afpirantes & fou- lantes, qui attirent & rejettent alternativement l'eau de la Mer. Ceux de la Palourde peuvent faire jaillir l'eau à près de quinze pieds de diftanec. Les Cames , proprement dites , favent voguer fur une Mer tranquille, ou qui n'eft agitée que par les Zéphirs. Elles élèvent alors un des battans de leur coquille & s'en fervent comme de voile , tandis que l'autre leur tient lieu de nacelle. On voit de petites flottes de ces Cames voguer ainfi au gré des vents. Sur- vient-il quelqu'ennemi ? les Cames referment leur coquille , fe plongent au fond de l'eau , & la petite flotte difparoît. Les Came^ anroient donc un moyen que nous ne connoiflbns pas de rega^ gner la furfacc de l'eau. & J? L A N A T U R E. Part. XIL %%$ îe fommet , comme pour diminuer les frotte- mens. Elle alonge fa jambe le plus qu'il lui eft pofîible } elle lui fait embraffer une portion con- sidérable du contour de la coquille , & par un mouvement fubit , analogue à celui d'un reifort qui fe débande , elle frappe de fa jambe le ter- rein 3 & faute ainfi à une certaine diftance, CHAPITRE XIX. Le Coutelier. !E Coutelier ne rampe point. Il perce le fable perpendiculairement. Il s'y creufe un trou ou une forte de cellule , qui a quelquefois deux pieds de longueur, & dans laquelle il monte & defcend à fon gré. Sa coquille , dont ia figure imite un peu celle d'un manche de couteau , lui a fait donner le nom de Coutelier. Elle eft com- pofée de deux longues pièces creufées en gout- tière , & réunies par des membranes. C'eft un étui qui renferme le corps de l'Animal. La partie à l'aide de laquelle il exécute tous fes mouve- niens , eft logée au centre. Elle eft deftinée à faire principalement la fonction de jambe , & elle s'en acquitte au mieux, Elle eft charnue , cylin- \%6 CONTEMPLAT TOT* drique & aifez longue. Son bout peut , quand il le faut, s'arrondir en manière de boule. Voyez ce Coutelier étendu de fon long fur le fable. Il va travailler à s'y enfoncer. Il fait fortir fa jambe par le bout inférieur de la co- quille : il l'alonge & fait prendre à fon extré- mité la forme d'une pèle tranchante des deux côtés & terminée en pointe. Il la dirige vers le* fable, & fe fert du tranchant & de la pointe pour l'y engager un peu avant. L'ouverture faite , il alonge fa jambe encore davantage ; il la fait pénétrer plus bas dans le fable , il la recourbe en crochet , & faiiiifant avec ce cro- chet un point d'appui , il tire à lui la coquille 9 l'oblige à fe redreifer peu-à-peu & à defcendre dans le trou. Veut-il continuer à s'enfoncer? il fait fortir toute fa jambe hors de la coquille ; il engage dans le fable la boule qui la termine alors ; il raccourcit auffi - tôt cette jambe ; la groife tête , engagée fortement dans le trou , réfifte plus à remonter , que la coquille à def- cendre : elle defcend donc , & c'efl; un premier pas que le Coutelier fait dans le fable : il n'a qu'à répéter les mêmes manœuvres pour s'enfoncer toujours plus. Veut-il remonter ? il ne fait fortir que la boule ; il fait en même temps effort pour aionger la jambe : la boule qui réfifte £) Ë LA NATURE. Part XII. %%% k defcendre , pouffe la coquille vers le haut du trou. Il eft afTez fingulier que le Coutelier , qui vit dans Peau falée , craigne le fel. Si Ton en jette une pincée dans fon trou , il en fortira promp- tement. Si on le prend, & qu'on le laiffe enfuite rentrer dans fa cellule , on aura beau y jetter du fei , il n'en fortira plus. On diroit qu'il fe fou- vient d'avoir été pris , & cela eft Ci vrai , que lorfqu'on ne cherche point à le prendre, on le fait toujours fortir à volonté , en jettant du nou- veau fei dans le trou. Il femble donc qu'il cou- noifTe le piège qu'on lui tend , & qu'il ne veuille pas s'y biffer prendre. te&m âe saffig CHAPITRE XX. Les Dails ou Tholas. •y ettez les yeux fur cette pierre que je viens de ramaffer au bord de la Mer. Un Coquillage vivant y fait fa demeure. Si je n'ajoutois pas qu'il eft vivant , vous croiriez que je veux vous montrer une pétrification , & votre curiofité ne feroit pas excitée par une chofe fi commune. 438 GÙNfÈMPLÀTlàti Remarquez fur la furface de la pierre un trou fort petit : c'eft par-là que le Coquillage y eft entré , & vous jugez de la petiteiTe de ce Coquillage par celle de cette ouverture. Parta- geons la pierre pour voir le fîngulier Animal qui l'habite. Quelle n'eft point votre furprife î voilà un gros Coquillage , qui a plus de trois pouces de longueur , & dont la coquille eft formée de trois pièces unies par une membrane ligamen- teufe ( I ). Il eft logé dans une grande cavité , creufée en manière d'entonnoir ou de cône tron- qué. Le fommet du cône eft dans ce petit trou que vous voyez à la furface de la pierre. Ce Coquillage eft un Daii ou un Pholas. Comment a-t-il pu parvenir à percer une pierre fi dure? Comment a-t-ii pu paiTer par un trou fi petit? Approchez-vous de ce banc de terre glaife où le flot va mourir. Il eft percé d'une multi- tude de trous pareils à celui de la pierre que1 vous avez à la main. Tous ces trous font habités ( î ) ff II n'eft pas apparemment bien facile de déterminer le nombre des pièces de la coquille du Dail. Mr. de R.EAUMJJJR. > que je fuivois ici, lui en donnoit trois. D'autres Naturalises ne lui en donnent que deux, & Mr. la Faille lui en donne fix. Y auroit-il plufieurs Efpeces de ces Coquillages diftinguées par le nombre des pièces de leur coquille? ou les pièces principales de la coquille feroient - elles divifées , ou , fi l'on veut , com- posées ? D E LA NATURE. Part. XII. 259 par de jeunes Dails , qui n'ont que quelques lignes de longueur. Ils n'ont donc pas eu à percer une pierre dure : une fimple glaife & une glaile abreuvée réfifte peu. Mais la Mer convertit infen- fiblement cette glaife en pierre : le Dail, qui fe trouvoit d'abord logé dans une terre molle , fe trouve par la fuite niché dans une cellule pier- reufe. Le mouvement progrefîif de ces Coquillages eft fans doute le plus lent qu'il y ait dans la Nature > car il fuit les proportions de leur accroif- fement. A mefure qu'ils croiffent , ils s'enfoncent davantage. Ainfi la mefure de l'accroiffement eft celle du mouvement progreflîf. De-là vient que la cellule eft un entonnoir renverfé. Nous avons vu , que le Coutelier fort de fou trou quand il lui plaît > le Dail ne fort jamais du tien , & n'en peut fortir : la forme de cette forte de cellule s'y oppofe. Tout ce qu'il peut faire , c'eft d'alonger deux tuyaux à l'ouverture du trou avec lefquels il tire & rejette l'eau. Le Coutelier en fait de même. Vous êtes impatient de connoitre l'inftfument au moyen duquel le Dail creufe fa cellule. Cet infiniment n'a rien de tranchant : il eft purement |4« CONTEMPLATION charnu & taillé en forme de lofange. Vous jugei •avec raifon qu'il doit opérer bien lentement , mais vous ne vous doutez peut-être pas , qu'il eft capable de percer la giaife pétrifiée : au moins eft: -il très -fur qu'il peut percer le bois. Appa- remment que les Dails vivent long-temps , puif- que ce n'eft que très à la longue que la giaife fe pétrifie fa). C 2 ) tf Je venois de dire , que le Dail eft capable de percer la giaife pétrifiée ,- & cela eft très -vrai. Des Naturaliftes dont le témoignage mérite la plus grande confiance , tels que MM. Vallisnieri , la Faille, Fortis , Fougeroux , ont îîgoureufement démontré que les Dails percent la pierre & même le marbre le plus dur. On trouve des Dails dans les pierres des fortifications de Toulon, & dans les colonnes d'un vieux Temple d'EscuLAPE près de Naples; & les Dails qui logent dans ces pierres & dans ces colonnes font vivaus , & il en eft de toute grandeur. Mr. Fougeroux , qui a beaucoup étudié ce Coquillage , n'eft point parvenu à découvrir la mécha- nique au moyen de laquelle il perce la pierre , & ne nous donne là-delfus que de légères conjectures. Mr. la Faille Mi'écrivoit de la Rochelle en Novembre 1765: : que ce n'ejt point la partie charnue de l'Animal, ou la partie faite en lofange , qui lui fert à cr enfer fa cellule dans les hanches du rivage j mais , qu'il y emploie uniquement les dents dont fa coquille eft armée à V extérieur , & qui font fur la pierre V effet d'une rappe. Au rap- port de Mr. ADANSON,le Dail du Sénégal fe loge dans un limon un peu durci. Les Dails font phofphoriques au -dehors & au -dedans, & la liqueur qui fort de leur corps eft phofphorique auffi. Les Dails «îefiechés perdent leur lumière ; mais ils la recouvrent en partie lorfqif on les hume&e. Les corps qu'on humecte de la liqueur de ces coquillages, paroifïent lumineux 5 & lorfque cette lumière CHAPITRE b E LA NATURE. Part XII. US CHAPITRE XXI. Divers Infectes ou Animaux de Mer. Les Orties. L. !AISS0NS pour quelque temps les Coquilla- ges y nous les reprendrons enfuite. Divers In- fectes ou Animaux de Mer ont aufFi à nous entretenir des merveilles de leur Auteur, Prê- tons-leur l'attention qu'ils méritent : ce qu'île nous diront vaudra bien un Chapitre de Théo- logie naturelle. Sur ces rochers qui bordent ia Mer, vous" àppercevez de petites maures charnues , de la groifeur d'une Orange , & dont la forme imite «empruntée S'éteint , on la fait reparoitre en plongeant ces corps dans l'eau j mais alors elle eft beaucoup plus foible. : Le Coquillage de Mer bivalve , qu'on nomme Datte fur les Côtes de Provence , & qu'on range parmi les Moules, eft phof- phorique comme le Dail. Il perce auffi.les pierres les plus dures , & le loge encore dans différens Coquillages , dans les Madrépores & d'autres Corps marins. Malgré les retraites que les Dails & les Dattes lavent fe creufer dans les corps les plus durs, il ne laiflent pas d'y être attaqués par des Scolopendres & d'autres Infectes de Mer , qui ont été inftruits à pénétrer dans ces retraites profondes & obf-' cures : tant il eft établi dans la Nature , que chaque Efpece «TÊtrcs vivans a fes Ennemis , & que tout y fubiifte par uil éombat perpétuel. Tomi lit CL %& COXTJSMPLATÎOJ? celle d'une bouffe de jettons , qui eft affez eeto' d'un cône tronqué. Toutes ces marTes vous pa- roiflent immobiles & collées au rocher par leur bafe. Les unes font chagrinées, les autres liifes. Nous venons de les comparer à une bourfe de jettons > mais cette bourfe n'eft pas piiifée , & elle manque de cordons. Ce font des Orties ( I ) que vous voyez j Animaux fort finguliers , & qui (i) ff Le noni d'Ortie eft très - impropre , & ne réveille Fidée d'aucun des caractères par lefquels l'Animal eft connu. Le nom de Cul - de - Cheval qu'il porte fur quelques Côtes dé France, réveille au moins l'idée de fa figure : celui de Méâufe que lui a donné le Pline du Nord paroîtra peut-être préfé- rable. Les Anciens lui avoient impofé celui d'Ortie, parce qu'ils s'étoient imaginé f autrement qu'il produifoit fur la main le môme effet que la Plante de même nom. Les dénominations ne font pas des chofes indifférentes , & il feroit à fouhaiter que celles par lefquelles on défigne les Êtres de la Nature réveil- laiïent toujours dans l'efprit l'idée de quelqu'un des cara&eres principaux par lefquels ces Etres s'offrent d'abord a nous. Les Nomenclateurs rangent les Orties de Mer parmi ces Animaux que leur rnolleffe naturelle les porte à nommer des Mollufqucs $ tels font tous les genres de Polypes , & en général la plupart des Zoophytcs. Mais les claffiiications de ces Etres marins , qui ne repofent fouvent que fur des fondemens très -légers, four- millent d'imperfe&ions , & l'arbitraire y domine par-tout. Cha- que jour la Mer offre aux Obfervateurs des formes nouvelles & infoiites -, qu'ils ne fauroient rapporter à des formes connues r & que les Nomenclateurs ne favent comment d'aligner & clafTer, La Mur eft bien plus riche que la Terre en Productions fmgu- îicres , & tout l'art des pitié habiles Nomenclateurs s'épuife bientôt quand ils ofent entreprendre de les affujettir à leurs méthodes. On peut en juger par les divers échantillons q,uer t> Ê LA 2V A f U R E. Part XII. 343 demandent à être obfervés de plus près. Le corps de l'Animal eft en effet renfermé dans une forte: de bourfe charnue , de figure conique. Au fom- met du cône eft une ouverture que l'Ortie aug-? mente ou diminue à fon gré. Parcourons les Orties que nous avons ac-< tuellement fous les yeux : en voilà une qui s'ou- vre & s'épanouit comme une fleur ( 2 ). Elle a faic fortir cent cinquante cornes charnues, femblables à celles des Limaçons , diftribuées fur trois rangs autour de l'ouverture. Vous remarquez que de petits ]ets-d'eau jailliffent de ces cornes : elles n'ont donc pas les mêmes fonctions que celles du Limaçon: vous jugez qu'elles font analogues aux tuyaux des Dails , des Couteliers & des autres Coquillages que vous avez vus , & ce jugement eft très-vrai* Vous remarquez encore 9 que la figure âa toutes ces Orties varie beaucoup ; que leur bafe eft tantôt circulaire, & tantôt ovale, & que îa hauteur du cône varie comme les dimeniions de flous préfentent les Mémoires cuis l'inf attable Dicquemaee publie de temps en temps. ( 2 ) ff Les couleurs agréables & variées de ciiverfes Orticr ■rendent cette Gomparaifon avec imp fleur plus jiifte eacôïe. *44 CONTEMPLATION fa bafe. Ii s'élève ou s'ubaiiTe fui vaut que la bafë* fe rétrécît ou s'élargit. Touchez un^ de ces Orties épanouies , voyes- avec quelle promptitude elle fe ferme & fe &on<* tracte. Mais vous n'appercevez point de mouve- ment progrefîif: les Orties font-elles donc con- damnées à paffer toute leur vie collées à la même? place ? Les Anciens l'ont cru. Que devons-nous Cn penfer? Il y a environ une heure que cette grofT© Ortie , que vous avez à votre droite , touchoit cette pointe du rocher : remarquez qu'elle en eft à préfent éloignée de plus d'un pouce. Vous vous étonnez de ne l'avoir point apperqu cheminer, car vous l'avez regardée plus d'une fois : c'eft que ce mouvement progreffif eft auffi lent que celui de l'aiguille d'une horloge. Nous devons être curieux de connoître comment l'Ortie l'e- xécute* Tout fô'n corps eft garni extérieurement de divers ordres de mufcles. Ceux de la baie vont, comme des rayons , du centre à la circonférence 5 d'autres defcendent du fommet vers la bafe. Ces mufcles font en même temps des canaux pleins d'une liqueur qu'on en fait iortir en les piquant» DM LA 2ï A T îf R E. Part XII. zi'i lis fe remplirent & Fe vuident au gré de l'Ortie. C'eft par le jeu de ces mufcles ou canaux que s'exécute ce mouvement progreffif que nous cherchons à connoître. Suivons l'Ortie lorfqu'elle veut aller en avant. Sa bafe eft circulaire. Elle enfle les mufcles qui regardent le côté où elle tend. Elle y envoie fa liqueur , qui en les enflant, les alonge. Ils ne peuvent s'alonger que le bord correfpondant de la bafe ne change de place & ne fe porte un peu en avant. En même temps, elle relâche les mufcles oppofés , elle en vuide les canaux. Ils fe raccourciiTent : ils ne peuvent fe raccourcir que le bord de la bafe qui leut correfpond , ne rentre un peu en dedans , & précifément d'autant que le bord oppofé s'eft porté en dehors. Telle eft la Méchanique qui exécute le premier pas de notre Ortie. Pour en faire un fécond , elle fait prendre de nouveau à la bafe la forme circulaire , en gonflant égale- ment tous les canaux , puis elle répète les mêmes manœuvres que nous venons d'entrevoir. Tout le mouvement progreffif des Orties ne fe réduit pas à celui-ci. Elles ont une autre, rna- niere de marcher , qui le rapproche plus. de celle des Infedes. Elles favent fe.fervir de leurs cornes en guife de jambes. Mais ces cornes font au fommet de leur corps s l'Ortie eft appliquée 0.3 $0 CONTEMPLATION par fa bafe contre le rocher : comment les cor* aies feront-elles la fonction de jambes ? L'Ortie que vous fuivez va vous rapprendre. Elle fe renverfe fens delfus deflbus ; la bafe abandonne le rocher, & le cône eft placé fur fon fommet» Toutes les cornes fortent , & vous les voyez s'accrocher au rocher. Elles font gluantes & rudes au toucher : elles ont donc beaucoup de facilité à fe cramponner. SOUPÇONNERIEZ-VOUS qu'un Animal qui eft tout charnu & qui n'a aucun inftrument pour ouvrir ou pour percer les coquilles , fe nourrit de Coquillages ? D'affez petites Orties avalent de fort gros Coquillages , & l'on a peine à com- prendre comment ils ont pu fe loger dans l'in- térieur de l'Ortie. Il eft vrai <|ue celle-ci étant purement charnue, elle eft fufceptibîe d'une grande diftenfion. Elle eft une forte de bourfe fort fou pie qui s'agrandit au befoin. L'ouverture delà bourfe eft proprement la bouche de l'Ortie. Comme fon intérieur n'eft pas tranfparent , on lie petit voir ce qui s'y paffe & comment l'Ortie "vient à bout de vuider le Coquillage. Au moment qu'elle; l'a avalé , elle fe referme. Voyez cette jeune Ortie exactement fermée : elle vient d'a- valer un aifez gros Limaçon : elle eft occupée à le vuider & à le digérer* La voilà qui fe rouvre , "DE LA NATURE. Part XII. 247 Se qui rejette la coquille vuide. A côté eft une autre Ortie qui fixe votre attention : elle a en- glouti une grande Moule , & elle fait d'inutiles efforts pour en rejetter la coquille. Elle ne peut y réuflîr : la coquille fe préfente mal à l'ouver- ture, & vous commencez à être inquiet pour la malheureufe Ortie. Elle a une reffeurce que vous ne devinez pas. Regardez vers fa bafe : la co- quille s'y fait jour par une large plaie ; FOrtie s'en délivre , & cette large plaie ne fera pas plus pour elle que n'eft pour nous une égratignur.e. Toutes les Orties ne fe délivrent pas par un moyen aufïi violent : elles en ont un autre qui leur réufTit pour l'ordinaire» Elles fe renverfene comme un gant ou un bas , de manière que les bords de l'ouverture , qui font des efpeces de lèvres , fe replient fur la bafe. La bouche eft alors d'une grandeur démefurée , & le fond de la bourfe prefque à découvert. On y apperçoifc une forte de fuqoir , qui eft probablement l'inf- trumerit avec lequel l'Ortie vuide les coquilles. Elle rejette donc par la bouche le rélidu des Corps dont elle fe nourrit. Ce n'eft pas feulement pour fe délivrer des Corps étrangers , que les Orties fe renverfent âinjij elles fe mettent dans la même polture/ Q_4 s48 C0NTEMPLAÎI07* pour accoucher. Elles font vivipares. Les Petits «aillent tout formés > & l'on voit paroître desi Orties en miniature. L'ouverture qui leur livre paffage eft fi grande , qu'elle en pourroit laiifer paiTer à la fois une multitude. Il ne fort pour- tant jamais qu'un feul Petit à la fois. Tous font d'abord renfermés dans certains replis cachés au folicj de la bourfe. Ces Orties , que vous ne vous larTez point; d'obierver, ne. réveillent-elles point dans votre Efprit lidée de ces fameux Polypes à bras ( 3 ) qui nous ont orTert tant de merveilles ? Ils font auffi tout membraneux, très-voraces , & pourvus de cornes qui leur tiennent lieu de bras & de jambes. Ils rejettent de même par la bouche le réficlu des alimens. Les lèvres de cette bouche peuyent aufli fe renverfer fur le corps. Voilà bien des traits d'analogie. Les Orties reiîemble- ïoient-elles encore aux Polypes par la finguliere propriété de pouvoir être multipliées de bouture & grerfées? C'eft ce que les expériences les plus modernes ont mis hors de doute. D'une feule Ortie partagée fuivant fa longueur ou fuivant fa largeur , on fait deux ou trois Orties , à qui , au bout de quelques Jemain.es 3 il ne manque (3) Part. VIII, Cha]>:jïV.] ] t DE LA "N A T V R E. Part XII. 24* rien. On peut auflî les greffer ; mais il faut avoit recours à la future. Vous n'êtes plus furpris à préfent de la confolidation de cette énorme plaie faite à la bafe d'une Ortie par une grande coquille qui s'y faifoit jour. Ce n'eft rien du tout qu'une femblable plaie pour un Animal qui peut être mis en pièces fans ceifer de vivre & de multiplier dans chaque pièce. Les Orties feront donc des Efpeces de Polypes à bras d'une grandeur monf- trueufe , ou fi vous l'aimez mieux , les Polypes^ bras feront des Efpeces de très-petites Orties. Quittons ces rochers peuples d'Orties , & portons nos pas vers cette petite anfe où la Mec eft fort tranquille. Penchez - vous , & regardez la furface de l'eau. Qu'appercevez - vous ? une efpece de gelée verdàtre qui fumage. Sa forme imite celle d'un Champignon en parafol. Elle a près de deux pieds de diamètre. Prenez-en un morceau entre vos doigts; maniez -le quelques momens : vous le voyez fe réfoudre en eau. La chaleur de votre main a fuffi pour le fondre. Vous vient-il dans l'Efprit que cette Gelée eft un véritable Animal , & même une efpece d'Or- tie ? Elle a été nommée Ortie errante ( 4 ) , parce ( 4 ) ff Elle feroit mieux nommée Gelée de Mer , comme l'a remarqué Mr. de Reaumur , dont j'efqinflrois ici les décoifc- rertes. Toutes ces fortes de Mollufques ou de Zoophytes qu'on ï?o COVTEMPLATlOiï qu'elle ne fe fixe point & qu'elle flotte de côte & d'autre. Sa furface convexe ne préfente qu'une infinité de petits grains ou mamelons. Mais fa furface inférieure , qui eft concave , eft très- organifée. On y voit un grand nombre de ca- naux , difpofés régulièrement & façonnés avec beaucoup d'art , les uns circulaires , les autres diftribués comme les rayons d'une roue , & qui font pleins d'une liqueur aqueufe qui palfe des uns aux autres. Cet étrange Animal erre dans la Mer. Il eft fpécifiquement plus pefant que l'eau. Il ne peut s'y foutenir qu'à l'aide d'un mouvement volon- taire , qui mérite d'être obfervé & qu'on ne peut bien voir que dans les endroits où l'eau eft calme. Elle l'eft dans cette petite anfe fur le bord de laquelle nous fommes afîîs. Fixez vos regards fur la furface de la Gelée qui s'offre à nous. Remarquez qu'elle fe donne des mouve- mens que vous êtes tenté de comparer à des mouvemens de fyftoîe & de dyaftole. Ils n'en font pas néanmoins : ils n'ont pour fin que de faire rencontre par-tout dans les Mers , font d'autant plus difficiles k caraétérifer , que leurs formes font plus étranges , je dirois prefque plus bizarres , & que leur fcru&ure eft en apparence j>lus iimple. La Nature femble travailler dans les Mers fur des #iodeles abfolumen.t nouveaux. (Note x.) DELA N A T V R Ê. Tari. XII. sçr furnager l'Ortie. Vous voyez que dans l'efpece de fyftole > la fur foc e de l'Animal devient très- convexe , & que dtyus la dyaftole , elle s'applatît. & s'élargit fubitement. Telle eft la manière de nager de notre Ortie gélatineufe. Séchée au Soleil , elle fe réduit prefque à rien. On s'ima- gine voir un petit morceau de parchemin ou dé- colle fort tranfparent. Il n'y a pas lieu de douter que cette Efpece d'Ortie ne multiplie, comme les autres , de bouture ; mais je ne fâche pas que l'expérience en ait été faite. Une Gelée doit avoir bien plus de facilité àfe régénérer, que des Corps organifés de même genre , d'un tiiTu plus ferré» & plus ferme ( 5 ). ( ç ) ff II y a lien de conjecturer que l'Ortie errante ou 1$ Gelée de Mer pourroit être confervée au fec comme le Noftoch, ia Trémelle , le Rotifere & bien d'autres Corps organifés dont j^ai parla dans mes Notes additionnelles. J'invite les Natura- liftes à en faire l'épreuve. Il faudroit la tenter encore fur d'au- tres Productions marines de la même claffe. Le nombre des Animaux qui peuvent , en quelque forte , reflufeiter après avoir été delTéchés , eft probablement bien plus grand qu'on ne penfe. sut. *Ç2 CONTEMPLATION BP3-S CHAPITRE XXII. I Les Étoiles. Il L n'eft point de formes régulières ou bizarres , dont le Règne animal ne nous préfente des mo- dèles. Le fpectacle le plus intérefTant aux yeux: du Naturalise eft , fans doute , celui de ces for^ mes fi prodigieufement variées & Ci propres à lui faire concevoir les plus hautes idées de la fécon- dité inépuifablç de la Nature» Voici un Animal dont la figure eft précife- ment celle fous laquelle Ton nous peint les Etoiles du Firmament. Le moyen de ne pas lui donner le nom d'Etoile! Il eft prefque plat. Du milieu de fou corps partent quatre ou cinq rayons , à-peu-près égaux & femblables ( c ). Sa ( i ) ff Ce font les Etoiles les plus communes qui n'ont que quatre à cinq rayons. On en voit d'autres , moins communes , qui en ont jufqu'à douze à treize. On en compte une quaran-* taine dans une Efpece d'Étoile qu'on rencontre dans la Mer des Indes. Une pareille Etoile méritait bien le nom de Soleil de Mer , que les Nomenclateurs lui ont impofé. On obferve bien des variétés dans les différentes Efpeces cl'Etoiîes. Les unes font liffes , les autres font épineufes ou garnies de petites épines qui ne permettent pas de les manier I) t LA y A T V R E. Part XII. i§f îurface fupérieure eft couverte d'une peau dure j calleufe & fort chagrinée. Au centre de la fur- face inférieure eft placée la bouche , garnie d'un fuqoir , dont l'Etoile fe fert pour tirer la fubf- tance des Coquillages dont elle fe nourrit. Cinq petites dents ou pinces les retiennent affujettis pendant qu'elle les fuce , & lui aident peut être à ouvrir la coquille* Les jambes de l'Etoile font une vraie curkw fité. Elles font attachées à fa furface inférieure , & diftribuées avec fymmétrie fur quatre rangs 9 chacun de foixante & feize jambes $ enforte que chaque rayon eft pourvu de trois cents quatre jambes , & l'Etoile entière de quinze cents vingt. Cependant, qui le croiroit ? Malgré tout ce pro- digieux attirail de jambes , l'Etoile ne va guère plus vite que la Moule avec fa jambe unique. Après cela , hâtons-nous de décider du haut de notre tête fur les fins particulières. Je renvoie ici mon Le&eur à la réflexion que je faifois à Tentrée du Chapitre XIV de la Partie VIII. Ces jambes, qui ont été fi excefîîvement mul- tipliées dauis les Etoiles , refTembient parfaitement impunément. Les unfs ont leurs rayons plus ou moins renflés, les autres les ont plus ou moins applatis. Tantôt les rayons font itmples , tantôt ils font compofes ou ramifiés , &o. Z54- CONTEMPLATION aux cornes du Limaqon , foie par leur figure'* foie par leur coniiftance ou par leur jeu. Quand l'Etoile veut marcher , elle déploie fes jambes , comme le Limaçon fes cornes , & faifit avec leur extrémité les divers Corps marins fur lefquels elle rampe. Ordinairement elle ne fait fortir qu'une partie des jambes, le refte demeure en réferve pour les befoins qui furviennent. La méchanique qui préfide à leurs mouvemens eft une belle preuve d'une Intelligence Créa- trice. Ouvrons un rayon en le partageant iui- vant fa longueur, & nous mettrons à découvert les principaux relforts de la Machine. Une cloifon prefque cartilagineufe , faite en forme de vertèbres* divife tout le rayon. De part & d'autre de cette cloifon , vous appercevez deux rangs de petites boules , femblables à des perles de la plus belle eau. Que le plaifir que vous goûtez à les contempler ne vous farTe pas perdre le fait le plus intéreifaiit : remarquez , je vous prie , que le nombre de ces petites boules eft précifément égal à celui des jambes. Comptez le$ unes & les autres : vous voyez que chaque boule répond ainfi à une jambe. Vous croyez démêler dans ces boules une liqueur limpide 5 vous ne vous trompez point. Panez le doigt deifiis > elles fe vuident , la liqueur pafle dans les î) Ê l A tf A T tf R E. Part. XII. 2ç$ }ambes correfpondantes , & elles s'aîongent auflî- tôt. L'Etoile n'a donc qu'à prelTer les boules pouc déployer fes jambes. Mais elles font capables ds contraction , & lorfqu'elles fe contractent , elles refoulent la liqueur dans les boules , d'où elle fera de nouveau chaffée dans les jambes , pour procurer le mouvement progrefïif. Vous avez du penchant à conjecturer que ce& jambes affez femblables aux tuyaux avec lef- quels divers Coquillages refpirent , fervent auilî aux mêmes ufages. Mais la Nature qui a pro- digué les jambes aux Etoiles , leur a encore pro* digue les organes de la refpiration. Elle les a même beaucoup plus multipliés que les jambes. Ce font de très-petits tuyaux coniques , difpofés par grouppes , & qui produifent autant de petits jets-d'eau. Parmi nos Etoiles , vous en obfervez qui n'one que deux ou trois rayons > & en y regardant de plus près , vous découvrez de très-petits rayons qui femblent commencer à pouffer. Seroit-ce donc, me demandez - vous , que les Etoiles multiplienc auffi de bouture ? Des Animaux formés de la ré^ pétition d'un Ci grand nombre de parties tans extérieures qu'intérieures , fe régénereroient-ils comme les Polypes , dont la ftructure nous parois z<>$ SÔXTEMPLATI02? fi fimple ? Rien n'eft plus vrai, & les Etoiles que vous avez fous les yeux vous en fourniifent lar preuve. Il arrive affez fouvent à ces Animaux de perdre deux ou trois de leurs rayons , & cette perte n'eft pas plus pour eux que pour les Po- lypes celle de quelques bras. On a beau déchi- queter les Etoiles , on a beau les mettre en pièces , on ne parvient point à les faire périr; Elles renaiiTent toujours de leurs débris , & cha- que morceau devient une Etoile complète. Cette admirable reflburce étoit fur - tout néceifaire à une Efpece d'Etoile, dont les rayons font fort caffans , & lui tiennent lieu de jambes. En prodiguant les jambes avec tant de complai- fance aux autres Etoiles , la Nature fembleroié avoir oublié celle-ci, & l'avoir, en quelque forte, difgraciée , fi elle ne lui a voit donné des rayons auffi flexibles que la queue du Lézard , & dont elle fe fert avec aiTez d'adrelfe pour ramper fur le fond de la Mer ( 2 ). ( 2 ) ft Cette Efpece d'Etoile dont les rayons font auffi! flexibles que la queue du Lézard, a été auffi nommée Étoile à queue de Lézard. Ses rayons font arrondis & articulés comme l'a queue du petit Quadrupède qu'ils femblent imiter. Ils font fort caffans , & l'Etoile eft fort fujette à les perdre en tout oit en partie : mais cette perte eft bientôt réparée par de nouveaux' rayons qui repouffent à la place des premiers. Le corps de l'Étoile a une figure qui approche de la lenticulaire ; mais quelquefois il eft ta^lé en pentagone. J'ai1. DE LA N A T V T\ E. Part. XII. 257 J'ai dit , (Note 1 ) qu'il eil des Etoiles dont les rayons font ramifiés ou branehus. Elles en ont pris le nom iV Étoiles arho- refcentes. Dans de telles Etoiles , les foudivifrons des rayons vont quelquefois fi loin , qu'on y compte jufqu'à quatre-vingt à quatre-vingt-dix mille rayons principaux ou fubordonnés. L'Etoile fe fert de ces nombreux rayons comme de bras ou de mains pour faifir fa proie & la porter à fa bouche. Je ferai remarquer à cette occafion, que les Nomenclateurs qui fe font preffcs de caraétérifer les Etoiles de Mer par le nombre de leurs rayons , ont probablement commis bien des méprifes ••> car les Etoiles qui font fort fujettes à perdre deux ou plufieurs de leurs rayons, & qui jouiffent du privilège de les refaire , peuvent en montrer plus ou moins dans certaines circonftances , fans ceflèr d'appartenir à la même Efpece. IL en eft de leurs rayons comme des bras du Polype d'eau douce; & fi l'on vouloit caraélérifer les Polypes de ce genre par le nombre de leurs bras , on feroit bien plus d'Efpeces de ces Zoouhytes qu'il n'y en a repliement. Ainfi l'Etoile que les Nomenclateurs ont défignée par le nom de Comète , parce qu'elle n'a qu'un feu} rayon fort long, accompagné de plufieurs rayons fort courts , pourroit bien n'être qu'une Etoile qui avoit perdu tous fes rayons à l'exception d'un feul, & qui réparoît actuel- lement la perte des autres. Il faudroit donc avoir fuivi les dif- férentes Efpeces d'Etoiles pendant tout le cours de leur vie , pour être eu droit daffurer , qu'une certaine Etoile n'a ponf- tamment qu'un feul rayon fort long , accompagné de plufieurs autres fort courts , ou qu'une autre Etoile n'a pour l'ordinaire que quatre à cinq rayons , une autre dix à douze , &c. Je le répéterai encore ; l'immenfe Gaffe des Zoopbytes fera toujours celle dont on aura le plus de peine à cara&érifer les Genres Se les Efpeces. Les Individus qui lui appartiennent femblent faits pour torturer l'Efprit des Nomenclateurs. Tome IX. R *-ç3 CONTEMPLATION CHAPITRE XXII ï. Les Hêrljjbns. V voici des Animaux travaillés avec bien pt'irâ d'appareil encore 5 j'ai prefque dit , où éclate un bien plus grand luxe. Les HériJJbns de Mer ( 1 ) , comme ceux de Terre , doivent leur nom à leurs piquans. Mais les piquans des Hériffons de Mer font tout autre chofe que ceux des Reniions de Terre. Les piquans des premiers font leurs jambes. Faifons-nous une idée de l'extérieur de ces Animaux , où la Nature a pris plaiiir à ac- cumuler avec tant de profudon les organes rela- tifs au mouvement progreiîif. La forme de ces Hériffons eft celle d'un "bouton arrondi ( 2 }. Il eft creux intérieurement, & fa furface eft très- ouvragée. L'on pourroit en ( 1 ) ff Ou les nomme auffi Ourjins. Il en eft de différentes Efpeces , qu'on distingue fur -tout par le nombre & la diftri- biition des petites pièces dont leur extérieur eft garni , & qui le parent beaucoup. (2) j-f La forme des Hériffons de Mer varie beaucoup. Il en eft d'arrondis ou de façonnés , comme des boutons ou des turbans, & d'applatis comme des giteaux, &c. Cette diverfîri de forme a fait naître différentes dénominations plus ou ni®ùis DE LA -RATURE. Part. XII. %tf comparer le travail à celui de certains boutons de cuivre ou de trait. Une multitude de tuber-» cules , femblables à des mamelles , distribuées dans un ordre régulier, y repréfentent par leur arrangement de petits triangles , qui divifenfc toute la furface du bouton en différentes" aires- Ces triangles font féparés par des bandes efpacées régulièrement , & percées de trous diftribaés avec beaucoup de fymmétrie fur plusieurs lignes.» Ces trous traverfent de part en part toute Pé- paiifeur du fquelette 5 car le corps de nos Hé- filions eft une forte de botte olîeufe. Chaque trou eft une gaine où eft logée une corne charnue , pareille à celle du Limaçon , & fufceptible des mêmes mouvemens. Il y a donc autant de cornes que de trous , & Ton compte au moins treize cents trous. Comme le Limaçon , le Hêriiîbn fe fert de fes cornes pour tâter le terrein & les divers corps qu'il rencontre fur fa route. Mais il s'en fert fur - tout pour s'y cramponner & f§ mettre à l'ancre. Les tubercules font les bafes d'autant d'épines ou de jambes , & leur nombre eft au moins dg arbitraires : on dit les Hérijfdns en turban , les Hèrtjfons jH gâteau j çyc; L'intérieur des Héritions eft gélatineux. On les mange comm? tes Ecreviffes j & ils en ont le £QÛt3 R % z6o CONTEMPLATION deux mille cent. Ainfi il n'eft prefque aucun point du corps du Hérillbn où il ne fe trouve une jambe. Il peut donc marcher fur le dos comme fur le ventre 5 & en général , quelle que Toit la pofture , il y a toujours un bon nombre de jambes prêtes à le porter & de cornes prêtes à le fixer. Les jambes dont il fe fert le plus volon- tiers font celles qui environnent la bouche -, mais, quand il lui plaît , il marche en tournant fur lui-même comme une roue. Sa bouche , munie de cinq dents , eft au milieu du ventre. Sur le dos , ou au fommet du bouton , eft une autre ouverture qu'on croit être l'anus. Voila donc un Animal pourvu au moins de treize cents cornes & de deux mille cent jam- bes. Combien faut-il de mufcles pour mouvoir tant de cornes & tant de jambes î Combien y a-t-il de fibres & de fibrilles dans chacun de ces mufcles î Quelle étonnante multiplication de pièces dans ce petit Animal ! Quelle régularité , quelle fymmétrie , & même quel agrément dans leur diftributionî Quelle variété dans leur jeu (3)! ( 3 ) j-f H exifte des Hériflbns de Mer bien plus compofes rnctwe que ceux dont je crayonnois ici la ftruélure d'après Mr. de Reaumub.. Un Académicien de Rouen a décrit en dernier DE LA NATURE. Part. XII. 261 Lorsque le Hériflbn veut faire chemin , il fe tire avec les jambes qui regardent l'endroit où il tend , & fe pouffe vers le même endroit avec les jambes oppofées : toutes les autres demeu- rent alors dans Pinadlion. En même temps qu'une partie des jambes travaille , les cornes qui les avoifment fe déploient pour fonder la route ou ancrer l'Animal. lieu un Hériiïbn de Mer , de quatre pouces de longueur fur deux de largeur & trois de hauteur , qui étoit formé de neuf cents cinquante pièces , fur lefquelles étoient diftribués quatre mille cinq cents mamelons , de chacun defquels partoit un piquant mobile ; & le nombre des petits trous dont il étoit comme criblé , alloit à trois mille huit cents quarante , dont fortoient autant de cornes charnues. Il n'y a pas lieu de douter que les jambes & les cornes fi prodigieufement multipliées de ces Hérififons , ne fe reproduifent de "bouture comme les bras du Polype , & il en eft apparemment de même de celles des Étoiles. Quelle immenfe quantité de Germes réparateurs n'a donc pas tté diftribuée dans ces Animaux de genres fi finguliers ', i M CONTEMPLATION CHAPITRE XXIV. 2> Bernard -Th ermite ( i ). E s Coquillages nairTent vêtus. La coquille qu'ils apportent en naiffant croit avec eux & par eux. L'Animal qui s'offre à nos regards , & qu'on prendroit pour une forte d'Ecreviife, vient au jour dépourvu de coquille , & pourtant il lui en falloit une pour couvrir la plus grande partie de fon corps , dont la peau mince & délicate fouffriroit trop d'être à nud. La Nature Pau roi U elle donc traité en Marâtre en lui refufant un tégument fi néceffaire ? Point du tout : bienfait faute envers tous les Animaux , elle n'a point oublié celui-ci. Elle ne l'a pas revêtu d'une coquille , il eft vrai; mais elle a fait l'équivalent, en lui enfeignant à s'en revêtir. Inftruit par un fi grand Maître , notre Hermite fait fe loger dans la première coquille vuide qu'il rencontre. Il s'adreflê aîfez indifféremment à toutes celles qui font tournées en fpirale. Souvent il s'y retire ( i ) tt On le nomme aufïi le Soldat , parce qu'il femble ïogé dans fa coquille d'emprunt comme un Soldat dans fa guérite. Le nom de Bernard -V hermite , fous lequel ce Cruftacé jpft plus connu , lui a été impofé pour exprimer la folitude pro- fonde ri?,ns laquelle il yit. ï) E LA NATURE. VmL XIL 26$ fi avant qu'on ne l'apperqoït point , & que la coquille paroît vuide. Veut-il changer de place ? il fait fortir fes groiTes pattes ou pinces , fera- fclables à celles de L'EcrevifTe , & faifiilant avec ces efpeces de tenailles les corps qui i'avoifinent , il tire à lui la coquille 9 en même temps qu'il s'entortille fortement autour des parois ou de la ïampe , pour ne point fe trouver à nud. Si la coquille devient trop étroite , il l'abandonne , & va fe loger dans une autre mieux proportionnée à fa taille. On dit qu'il y a quelquefois des com- bats entre nos Hermites pour une coquille , & qu'elle demeure à celui qui a la plus forte pince. Nos combats n'ont prefque jamais un objet auilî important (2). ( 2 ) ff Ce n'eft pas feulement dans des coquilles , que notre Hermite fait fe loger : il fe niche auiïi dans differens corps caver- neux , qui ont alfez de capacité pour qu'il puiiïe y être à l'aife, & affez de légèreté pour qu'il puivle les traîner facilement. On Ta rencontré dans des os & dans des enveloppes de fruits deffé- chés. Il effaie , en quelque forte , ces différentes loges comme nous eiïayons un vêtement. C'eft même un fpeclacle très-amu- fant que celui que préfente ce petit Cruftacé , tandis qu'il eft occupé à chercher fur le bord de la Mer un nouveau domicile & à en faire l'elfai. Sa partie antérieure eft très-bien défendue par des tégumens femblables à ceux de l'Ecreviffe ; mais fou ventre n'eft recouvert que d'une peau molle & délicate, & il lui convenoit de défendre c^tte parti e par le feeours d'un tégii- inent étranger. Il y a pourtant dans riiiftoire de notre petit Diogenç une incertitude que je ne dois pas diiîimuler. S wam- j-^dam , cuii s'en étoit fort occupé , ne crovoit point qu'il &Jf K .4 264. CONTEMPLATION %^=^ - fSftg» — i_j- ^l-jit ^ CHAPITRE XXV. Z?/ Coquillages qui filent. Les Moules &f les Firmes marines. JLje titre de ce Chapitre vous furprend fans doute. Vous ne vous attendiez pas à ce nou- veau trait de l'induftrie des Coquillages qui pro- fût jamais logé que dans une coquille d'emprunt. Il prétendoit, au contraire, s'être bien affuré qu'il a fa propre coquille, à laquelle il adhère par des productions tendineufes , comme la Moule adhère à la fienne. 11 avoit même décrit ces attaches & reconnu le période de la coquille, M J'en ai conclu, difoit-il , 3, que la coquille de cet Animal eft fon enveloppe propre & 3, comme fa peau pierreufe , ainfi que cela a lieu dans tous les 5, Coquillages. Je fuis doncitrès-furpris , ajoutoit-il , de ce que 3, Rondelet avance, que le BernarA-Vhermiiefe loge toujours 3, dans les coquilles $ autrui) i & qu'il n'en a -point de propres, 3, car de même que dans l'Efeargot , non-feulement les mufcles 3, font attachés à la coquille , mais que les tendons des mufcles 3, y font incorpores & connus identifiés $ ainfi. dans le Bernard- 5, l'hermite les tendons des mufcles s'attachent fortement & 3, s'incorporent au noyau de la coquille, vers fon fécond tour 3, de fpiraie-, mais comme cette infertion n'occupe pas un grand 3) efpace, le corps de L'Animal mort fe détache aifément de la 3, coquille, & c'eft peut-être ce qui a trompé Rondelet > 33 qui, entraîné par l'autorité d'ARlSTOTE, a négligé de con- 35 fuite r robfervation ". Après des afTcrtions fi expreffes , comment douter qu'un aulïï habile Anatomifte que Swam.merdam s'en fût laiffé impofer fur un fait anatomique fi aifé à conllater? Cependant il n'en DE LA N A T U R E. Part. XII. 2é<; mettaient (1 peu. Vous aviez déjà été fort étonné de Padreiîe qui brille dans le mouvement pro- greflîf de pîoGeurs : votre étonnement redouble en apprenant qu'il en eft qui lavent filer, & vous êtes impatient de les voir à l'ouvrage & de juger de leur travail. Promenons -nous fur le bord de la Mer. Vous découvrez quantité de Moules , les unes ifolées , les autres entafiées par eft pas moins certain qrn'èii a trouvé de nos Hermites dans drs coquilles d'Efpeces très ;- diffé rentes &dans des corps caverneux très-différens des coquilles. Il eft très-cértaiu encore , qu'on a retire facilement ces Craftacés des coquilles où ils étoient logés; ce qui n'auroit pu fe faire avec autant de facilité , s'ils enflent adhéré à la coquille par des tendons un peu forts. J'ajoute, qu'on ne eonnoît aucun Coquillage dont la confiftance & la ftruchire fe rapprochent le moins du monde de celles du Ber- nard -l'hermite : tous font mois ou gélatineux ; & le Bernard- l'hermite, qui appartient à la Famille des Crabes , n'a rien de gélatineux ni rien qui paroiffe analogue à la coquille qu'il trahie après lui. Seroît-ce donc qu'il arrive allez fouvent à notre Her- mite de fe détacher par accident de fa propre coquille ? ou feroit-ce que le point J aillant , dont parle Swammekdam , qui fe trouve ajfez près du thorax , £$f qui fcmble être un centre où tous les tendons du thorax çjf de V abdomen- fe réuni fent & s' at- tachent à la coquille j feroit-ce, dis -je, que ce point faiîlant auroit été organifé de manière à aider l'Animal à fe crampon- ner à la coquille étrangère dont il a fait choix? Swammerdam auroit -il été trompé par l'adhérence plus ou moins forte ou plus ou moins immédiate de ce petit organe à l'intérieur de la coquille ? La queftion feroit biente: décidée fi l'on obfervoit ces Craftacés au fortir de l'œuf : on verroit s'ils naiflent vêtus comme tous les Coquillages. L'Anatomifte Hollandois ne les avoit pas obfervés à leur naiffance. t66 CONTEMPÉATlOtf paquets. Çonfidérez-les un peu plus attentive- ment : vous obferverez que toutes fonc attachées aux pierres , ou les unes aux autres , par un grand nombre de petits cordages déliés. Choi- fîfïbns une de ces Mou! es pour Pobferver de plus près : nous en démêlerons mieux toutes leurs manœuvres. En voici une qui travaille k s'attacher à cette pierre qui eft prefque à fleur de Peau. Sa coquille eft entr'ouverte : elle en fait for tir une forte de langue fort fouple , qu'elle alonge & qu'elle raccourcit alternativement. Re- marquez qu'elle en applique fouvent le bout contre la pierre, & qu'elle la retire aulîî-tôt dans fa coquille pour l'en faire reifortir un mo- ment après. De la racine de cette efpece de langue partent des fils dont la groffeur égale celle d'un cheveu ou d'une foie de Porc. Ces fils vont en s'écartant les uns des autres, & leur extrémité eft collée à la pierre. Regardez-les de fort près 5 vous appercevrez qu'ils fe terminent tous par un petit empâtement qui les attache plus fortement à la furface de la pierre. Ce font autant de petits cables qui tiennent notre Moule à l'ancre. Il y a fouvent plus de cent cinquante de ces petits cables employés à amarrer une Moule. Chaque cable n'a guère que deux pou* .ces de longueur. DE LA 'NATURE. Fart XII. î6j C'est la ivloule elle-même qui a filé tous ces cordages. En contemplant le mouvement pro- greilif de la Moule de rivière & de quelques autres Coquillages ( i ) , vous avez fort admiré l'adrefTe avec laquelle ils fe fervent de leur efpece de langue. Vous avez vu que cette partie unique leur tient lieu à la fois de bras & de jambes. La langue de nos Moules de Mer s'acquitte auffi des mêmes fondions ; mais chez celles - ci , ce petit inftrument eft bien plus admirable encore. Non- feulement il leur fert comme aux autres Coquillages , de bras pour fe cramponner & de jambes pour ramper , il eft encore la filière qui fournit ces fils nombreux au moyen defquels la Moule réfifte à FimpulGon du flot. De l'origine de la langue jufqu'à fou extré- mité s'étend une rainure qui la divife fuivant fa longueur en deux parties égales. Cette rainure eft un véritable canal, garni d'un grand nombre de petits mufcles qui l'ouvrent & le ferment. Dans ce canal pane une liqueur vifqueufe qui eft la matière des fils que tend la Moule. A fa naiflance , ce canal eft exactement cylindrique» & ç'eft là proprement que les fils font moulés. Les divers mouvemens que fe donnoit il n'y f i ) Çhap. XVII & XVIU de cçtto Partie. 2«58 CONTEMPLATION a qu'un moment la lan-gue de la Moule que nous obfervons , avoient tous pour fin de l'attacher à la pierre. Ces fils plus blancs & plus tranfparens que les autres , font ceux qu'elle a tirés récem- ment de fa filière. Elle n'a pas achevé de s'an- crer î & voilà fa langue qui s'alonge de nouveau d'environ deux pouces, & dont le bout s'appli- que contre la pierre. La liqueur vifqueufe coule dans le canal & arrive à fon extrémité. Cette liqueur eft déjà moulée, elle eft déjà un fil cy- lindrique. La Moule colie le bout de ce fil à la pierre ; mais elle veut qu'il s'y applique par une fur face un peu large pour y être plus adhérent. Elle lui procure donc avec le bout de fa langue ce petit empâtement que vous avez obfervé & qui eft très-fenfible. Il s'agit à préfent de tendre un autre cable à quelque diftance de celui-ci. La langue doit donc abandonner ce dernier pour aller travailler ailleurs. Comment l'abandonnera-t-elle ? Le canal s'ouvre dans toute fa longueur & laiife fortir le fil. La langue dégagée de ce fil , fe retire promp. tement fur elle-même , rentre dans la coquille , & en reffort un inftant après pour attacher un peu plus loin un nouveau cable. Avez - vous pris garde à une petite adreiTe DE LA NATURE. Part. XII 269 de notre Moule ? Elle venoit de tendre le pre- mier fil : pour s'affurer s'il étoit bon , elle l'a mis fur-Ie-champ à l'épreuve ; elle l'a tiré forte- ment à elle comme pour le rompre. ïl a réiÏÏté à cet effort, & fatis Faite de l'épreuve , elle a été tendre le fécond fil , qu'elle a éprouvé comme le premier. Ces cordages que les Moules de Mer filenc avec tant d'art , font réellement pour elles ce que les cables font pour un vaiiTeau qui eft à l'ancre. Vous me demandez , fi elles fa vent aulli lever l'ancre ? Diverfes expériences paroiffent prouver qu'elles n'ont pas cette induftrie : fans doute qu'elle ne leur étoit pas nécelfaire. Mais elles chalfent quelquefois fur leurs ancres ; il leur importoit donc de pouvoir fe tranfporter d'un lieu dans un autre , & d'avoir en réferve de nouveaux cables (2). (s) ff Quelques Naturalises très - modernes n'admettent point avec Mr. de Reaumur , que la langue des Moules de Mer leur ferve quelquefois de bras ou de jambe pour fe traîner d'un lieu à un autre, & ils veulent qu'elles foient abfolument privées de la facilité loco-motive. Ils rapportent à ce fujet des ofcfervations qui leur ont paru prouver que la confervation des Moules exige indifpenfablement qu'elles foient toute leur vie enchaînées les unes aux autres, ou aux différens Corps qui tapiffent le fond de la mer 5 & que lorfque la Mer rompt ces ihaînes & qu'elle difperfe les Moules , elles périiTent. Mais les Moules que les Pêcheurs jettent dans les marais faians peur 270 CONTEMPLATION Ainsi la Mer a fes Fileufes comme la Terres Les Moules font à la Mer, ce que les Chenilles font à la Terre; Il y a néanmoins une différence remarquable entre les unes & les autres. Le tra- vail des Chenilles répond précifément à celui des Tireurs d'or. Le fil de foie fe moule en paf- fant par le bec de la filière, & la Chenille lui donne la longueur qu'elle veut, qui eft dans cer- taines coques de pluuetirs centaines de pieds (3). Le travail des Moules doit être plutôt comparé à celui des Ouvriers qui jettent les métaux en fonte. La filière de ces Coquillages eft un véri- table moule qui ne détermine pas feulement lai pcrfe&ionner leur chair , & qu'ils difpcrfent ainfi à différentes diftances , fe trouvent au bout d'un certain temps raiTemblée;» par paquets, comme elles i'étoient auparavant. Elles ont donc eu un moyen de fe raffembler & de fe groupper de la forte; & combien eft-ii naturel de penfer que c'eft à l'aide de leur langue, comme à l'aide d'un bras ou d'une jambe qu'elles y parvien- nent ! Il eft au moins très -fur que les Moules d'eau douce fe tranfportent ainfi d'un lieu dans un autre, & il y a bien' des rapports entre ces Moules & les Moules de Mer. Celles-ci ne naiffent certainement pas avec leurs chaînes , comme le préten- dent encore les Naturalises eîKmables dont il s'agit : ces chaî- nes font des fils que les Moules tirent de leur intérieur & qu'elles attachent elles-mêmes à la furface des corps auxquels' elles veulent s'amarrer. Ce fait a été trop bien vu & trop bien détaillé par M. de Reaumur, pour qu'on puiffe raifonnablw tnent le révoquer en doute. (3) ChapylV de cette Partie^ s >D B LA NATURE. Part. XII. *fi groffeur du fil , mais qui détermine encore fa longueur , toujours égale à celle de la filière ou de la langue. Les Pinnes marines , efpeces de fort grandes Moules , font de plus habiles fiîeufes encore. Leurs fils , longs au moins de fept à huit pouces 5 font d'une grande finelfe, & l'on en-fait de beaux ouvrages (4). Si les Moules font les Chenilles dé la Mer , les Pinnes en font les Araignées, Les fils des Pinnes fervent, comme ceux des Moules , à les amarrer & à les défendre de l'agitation des flots. Us font prodigieufement nombreux, & for- ment par leur réunion une forte de houppe ou d'écheveau de foie , du poids d'environ trois onces. L'inftrument qui les prépare & les moule reffemble pour l'eifentiel à celui des autres Co- quillages de ce genre ; il eft feulement beaucoup plus grand, & la rainure qui le divife fuivant fa longueur, eft plus étroite. A fon origine eft un fac membraneux , compofé de plufieurs feuillets charnus, qui féparent les feuillets foyeux dont la houppe réfulte. ( 4) ff Ces ouvrages , qui fe fabriquent fur-tout en Sicile , font fi fins, qu'une paire de bastie cette foie peut être renferme'e clans «lie petite boite telle qu'une tabatière de médiocre grandeur, y 27^ CONTEMPLATION >yv,>-__ _£-, CHAPITRE XXVI. Xw Coquillages & autres Animaux de Mer , qui s'attachent far une forte de glu ou de Juc pierreux. 'il n'a pas été donne à tons les Coquillages ik Animaux de Mer de s'amarrer avec autant cVadreife 0,11e les Moules & les Pinnes, la Nature les en a dédommagés par des moyens qui ne font pas moins efficaces. Avant que de quitter ce rivage qui nous a offert tant d'objets inté- reltans , arrêtons-nous quelques momens à confi- dérer ce petit Coquillage que vous voyez atta- ché à ce rocher. C'eft un Oeil de bouc ou une Patelle. Sa coquille , qui eft d'une feule pièce, eft faite en manière de chapiteau conique , ious lequel tout le corps eft à couvert , comme fous un toit. L'Animal peut élever ou abaiher ce toit à fou gré. Quand il fabairfe , il cache le corps en en- tier & repofe immédiatement fur la pierre. Un gros mufeie qui occupe toute la largeur de la • coquille , & qui en eft comme la bafe , attache l'Animal à cette pierre. Eifayez de l'en détacher : vous- DELA NATURE. Part XIL 27? vous n'en pouvez venir à bout. Il ne tient pour- tant à la pierre que par une bafe d'un pouce de diamètre. Pafïons une corde autour de la co- quille : fufpendons à cette corde un poids de vingt huit à trente livres : le Coquillage ne lâche prife qu'au bout de quelques fécondes , & vous vous étonnez qu'un fi petit Animal foit doué d'une aufïi grande force d'adhéiion. Vous êtes curieux de connoitre d'où lui vient une telle force : vous examinez la pierre : elle vous paroît très -polie, & votre étonnement redouble. Seroit-ce que le mufcle s'engrène dans les parties infenfibles de la pierre? Partagez l'A- nimal traufverfalement : il adhère tout auflî for7 tement qu'auparavant : feroit-ce qu'il tient à la pierre comme deux marbres polis tiennent Purï à l'autre ? Mais les marbres gliiîent facilement l'un fur l'autre, & vous ne pouvez faire gliifer le Coquillage. Voici donc la caufe fecrete de cette adhéfion qui vous étonne. Le mufcle eft enduit d'une humeur vifqueufe qui le colle à la fur- face de la pierre , & qui fe fait feu tir aifez for- tement au doigt. ; Mais l'Oeil de bouc n'a pas été condamné à demeurer collé toute fa vie à la même place : il doit aller chercher fa nourriture. En voilà un Tome IX. S *74 CONTEMPLATION qui rampe fur le rocher : fou gros mufcle lut iert de jambe , & s'acquitte des mêmes fonctions que celui que vous connoiffez au Limaçon. L'Oeil de bouc lait donc fe détacher quand il lui plaît* Il fait brifer ces liens qu'un poids de vingt-huit livres rompt à peine. Humectez votre doigt , paiîez-le fur le mufcle, la colle naturelle dont il eft enduit n'y trouve plus de prife. Cette colle eft diffoluble à l'eau. Toute la furface du mufcle eft femée de petits grains pleins d'une liqueur dirfolvante. Lorfque l'Animal veut lever le piquet,, il n'a qu'à preifer fes nombreufes glandes j le dif- folvant en fort, & les liens font brifés. L'oeil de bouc n'a qu'une certaine provifiou cîe colle : Ci on le détache pîulieurs fois de fuite, fa provifiou s'épuifera & il ne s'attachera plus* Cette manière de s'amarrer eft commune à divers Animaux de Mer. Elle l'eft en particulier aux Orties ( i ). Leur peau n'eft qu'un amas de* glu qui fe diffout très-promptenient dans l'eau- de-vie. C'eft avec cette abondante provifion de glu que ces Animaux finguliers- fe collent aux rochers. C'est encore par î'e même moyen que les Etoile» ( i ) .Cbnp. .XXI de cette Partie* S B LA NATURE. Part XIÎ. tfjf fe fixent (2). Une matière vifqueufe eft portée à l'extrémité de ces efpeces de cornes qui leur tiennent lieu de jambes , & dont elles ont bien des centaines. Quoique très-foibles , ces jambes deviennent de forts liens à l'aide de cette glu qui en exfude , & lorfqu'elles font une fois cram- ponnées , il eft plus aifé de les rompre que de les détacher. Il en eft précifément de même des cornes des Hérifîons ( 3 ). Toutes ces adhéfions font volontaires & dé- pendent uniquement dû bon plaifir dé l'Animal. Il s'attache ou fe détache , félon que les circonf- tances l'exigent. Mais il eft d'autres adhérions qui font tout-à-fait involontaires. Les Vers de Mer , qu'on, nomme à tuyau, font enfermés dans un tuyau rond, d'une fubftance femblable à celle des coquilles , & attachés aux pierres oirnu fable dur ou même à d'autres Coquillages. Ce tuyau fuit les contours de la furface à laquelle il eft collé. Le Ver n'abandonne jamais cette cellule , qu'il prolonge & élargit à mefure qu'il croît. Il vous rappelle les Fauifes-teignes (4) : ce fera, fi vous* (2) Chap. XXII cfe cette Partie, (3) Ibid. Chap. XXIIL (4) Ibid. Chap. IX, i % -7 leine : ils fondent fur elle avec impétuofité , lui enlèvent cha- cun de leur côté de gros morceaux de chair, & ne ceïïent de la harceler jnfqii'à ce qu'excédée de fatigue elle ouvre fa gueule & en fafie fortir fon énorme langue. A l'inftant fes Ennemis acharnés fe jettent fur cette langue dont ils font friands , l'ar- rachent & la dévorent. Les Cétacées font des Animaux fouffleùrs\ qui rejettent avec force , par leurs évents , & fouvent à plufieurs toifes de dif- tance , l'eau de la Mer qu'ils ont avalée. Ces t'orrens d'eau qu'ils font jaillir avec tant de force peuvent dans certains cas étour- dir leurs proies & leur en faciliter la capture. C'eft à la force prodigietife de leurs poumons , à la conformation particulière de leur larynx, à une forte d'aqueduc fitué au bas du front, & à un mtifcle fort puiiïant, que ces grands Animaux fouf- fleurs doivent la finguliere propriété de lancer l'eau à des dif- tances conîidérables & en grande abondance. ( s ) ff J'ai parlé au long de la Torpille & de fon admi- rable infiniment électrique , dans la Note $ du Chap. XIII de la Partie V : j'y renvoie le Lecteur. La Torpille , qui eft du genre des Raies , appartient à la claflfe des Poifibns cartilagineux: , (Voy. Part. III , Chap. XXV, Note 7.) Un Voyageur célèbre fait mention d'une très - grande Raie de l'Amérique , qui n'a pas , comme la Torpille , la propriété d'engourdir fa proie; mais qui a un autre moyen bien remarquable de s'en faifir. Les Amé- ricains la nomment Ment» ou Couverture ,= & ce nom lui con- vient à merveille : elle fe roule comme une couverture autour de fa proie & l' étouffe. Il arrive quelquefois aux Plongeurs d'être enveloppés fubitement par cette Couverture vivante, & tïen être étouffés. Elle a neuf à dix pieds de longueur fur une largeur proportionnée. On pourroife douter néanmoins que ce PoivTon l'oit une véritable Raie 3 car le Voyageur rapporte qu'i£ DE LA y A T V R É. Part. XII. 2S7; s'élance hors de l'eau , pour fe réfugier dans l'air , où il fe foutient à l'aide de les grandes nageoires ( 6 ); C'est encore une chofe ïntéreffmte , que la manière donc divers Poitëbns fraient. Phifieurs quittent alors les Mers ou les Lacs , & entrent dans les Rivières. Le Mâle joue avec la Femelle > & après qu'ils fe font livrés à leurs chaires amours , ils rentrent dans leurs anciennes de- meures ( 7 ). 1 fe laiffe tomber fur fa proie ou fur le Plongeur pour l'enve- lopper & s'en rendre maître : il faut donr que ce Poiffon puiffe quitter le fond de l'eau pour en agir ainfi; & l'on fait que les' Raies font des PoifTons rampems , qui ne quittent pas. le fond «le l'eau. (Ibid. ) ( 6 ) ff Voyez fur le Poiffon-volant la Note 1 du Chapitre XXVI de la Partie III. ( 7 ) tt On fait que les vrais Poiffons ou les PoifTons a ouie ques vers leur origine pour y chercher les nourritures qu'ils aiment le plus & pour y frayer. Ils fe plaifent dans les eaux vives & claires qui courent fur un lit de gravier. Ils narent avec une grande célérité & ne font point arrêtés dans leur courfe rapide par des catarades aviez hautes. Ils favent les franchir avec autant d'adreffe que de force , & la manœuvre à laquelle ils ont alors recours eil bien remarquable. Ils ploient leur corps en arc de cercle , ils le bandent comme un reflbrt , & en frappant l'eau de leur queue ils s'élancent à une hau- teur confidérable , & furmontent ainli en bondifTant l'impé- tuofité de la cataracte. Après qu'ils ont frayé dans les fleuves , la plupart les defcendent pour regagner la Mer & fe mettre à l'abri des fortes gelées. Les Naturaliftes font fort divifés fur les marches des Saumons , & on ne peut pas trop compter fur ce qu'ils nous racontent de quelques particularités de leur vie. Il en eft qui nous affurent que les Saumons ont l'adreiTe de Tome IX. T tço 90XTEMPLATI01? pour recevoir la pâture des mains de leûV Pour- voyeur ( 8 )• creiifer dans le lit des fleuves des fofles fpacki^fcs pour y dé-* pofer leurs œufs , & empêcher ainfi. que le courant ne les en- traîne. Et comme fi ce n'étoit pas déjà là une aflez grande adrefTe pour un Poifïbn , ces Naturaliftes veulent encore que le Mâle & la Femelle travaillent de concert à élever une petite digue de gravier autour des fofles pour garantir mieux les œufs de l'effort du courant. Il y a fûrement beaucoup à rabattre d'un- récit fi embelli ; & nous nous bornerons à adin ettre avec le plus fage des Hiftoriens ( f ) des Poiifons , que l'amour du merveilleux ne féduifit jamais, que toute l'adrefle des Saumons Ce réduit ici à creufer dans le fable ou le gravier des filions plus «il moins profonds, où ils dépofent leur frai. La Truite , qui eft de la famille des Saumons , pafTe , comme eux, delà Mer dans les fleuves pour y frayer. Mais toutes les Truites n'habitent pas également les eaux faîées & les eaux douces. Il en eft qui n'habitent que les eaux douces : ce font îes Truites fiuviatïks. Elles fe plaifent aufïi dans les eaux vives & claires , & ont peut-être plus de force que les Saumons polir xompre les courans les plus rapides & franchir les cataraftes. Les Truites du Lac de Genève , fameufes par l'excellence de leur chair & par leur groffeur , commencent au Printemps à abandonner le Lac pour defeendre dans le Rhône & y frayer : mais les plus grottes ne defeendent dans le fleuve qu'en Au» tomne. Il eft néanmoins des raifons de penfer que quelques- unes fraient dans le Lac. L'Anguille , qui femble fe rapprocher plus des Reptiles que des Poiflons , & qui eft vivipare comme la Vipère , pafTe des rivières dans la Mer pour y mettre bas fes Petits. La plupart' des Mères rentrent eniuite de la Mer dans les rivières r & les jeunes Anguilles les y fuivent. D'autres Efpcces de Poiflons entrent dans les marais falai». (f ) Mr. Duhamew t) E LÀ NATURE. Part. XII. z9i Que n'a- 1- on point débité en ce genre fûc pour y dépofer leur frai , & retournent enfuite à la Mer. Prefque tous les PoiiTons font très - voraces j & leurs migra- tions ont toujours pour objet de faire la guerre à d'autres PoiiTons , & de chercher des lieux propres à fournir au Fretin îles nourritures convenables. Dans cette claffe fi. nombreufe d'Animaux aquatiques, nous ne connoifïbns point encore d'Ef- peces qui pourvoient à l'éducation des Petits. L'amour maternel, qui fe fait tant admirer dans diverfes Efpeces d'Oifeaux & de Quadrupèdes , ne fe retrouve point chez les PoiiTons. Les Fe- melles abandonnent à la Nature le foin de leurs Petits , & cette bonne Mcre a bien pourvu à leurs befoins. Quelques CétacéeS néanmoins prennent un grand foin de leur Progéniture 5 mais les Cétacées qui font tons vivipares & qui tous alaitent leurs Petits , fe rapprochent bien plus à cet égard des Quadrupèdes que des vrais PoiiTons. Les Femelles ehez les vrais PoiiTons ne connoiiTent point leurs Progénitures , & les dévorent comme toute autre proie. Ainfi cnez cette grande Famille d'Êtres vivans , il n'y a pas plus de tendreffe maternelle qu'il n'y a d'amour conjugal. Au refre , il eft rigoureufemeiit prouvé qu'on rencontre quel- quefois chez les Poiffons de vrais hermaphrodites Ou des Indi- vidus qui portent d'un côté des uves & de l'autre des laites. La Carpe, le Brochet & le Merlan en ont fourni des exemples à des Naturalises célèbres, qui ne pouvoient s'enîailTer impofer par des apparences trompeufes. Ce font des Monftres d'un genre finguîier. * Si îe PohTon de risJf-de-Bourbdn , dont Mr. de Reaumue. avôit parle à l'Académie de Paris , étoit bien un vrai PohTon , l'art de filer ne feroit pas inconnu aux Animaux de cette elàffej car ce Poiffon fe renferme avec fes œufs dans une enveloppe de foie. Mais il me paraît plus probable que cet Animal marin appartenoit au genre des Teîlacées ou des Infeéles , avec lefquels 011 a trop fouvent confondu les PoiiTons. (8) ff Les Carpes apprivoises dans les viviers accourent T 3 292 CONTEMPLATION le Dauphin ! Combien les Anciens , amateurs nés du merveilleux, nous ont-ils vanté fon adreffe, fon agilité , fes jeux , fa tcndrcfTe pour l'Homme, fa confiance , & même fa gratitude î Mais il faut laiiîer aux Poètes à célébrer ce Pilade marin ( 9 ). Vraisemblablement les Poifîons font de tous les Animaux ceux à qui il a été donné de vivre le plus long-temps. On a vu des Carpes de cent cinquante ans ( 10). Les PoifTons tranf- au fon d'une clochette ponr recevoir leur nourriture. On pou- voit douter de ce fait avant qu'on eût exécuté les expériences qui prouvent que l'eau tranfmet les fons , & qu'on eût démontré l'exiftence de l'organe de l'ouie dans les Poifîons. Confultez la Note 4 du Chap. XXV de la Part. III. Il feinhle même que les Carpes aient l'ouie afTez fine : elles fuient dès qu'on fait quelque bruit & vont fe cacher dans la vafe. (9) ff Voyez fur le Dauphin la Note 6 du Chap. XXV de la Partie X. r ( 10 ) ff L'Auteur des Epoques de la Nature parle de Carpes de plus de deux cents ans '■, & il dit à ce fujet , que puisqu'une Carpe vit plus de deux cents ans , une Baleine peut bien vivre mille ans. Mais il n'y a probablement qu'un très- petit nombre de Baleines qui meurent de vieillette : la carrière de la plupart eft fort abrégée par les armes des Pêcheurs , ou par celles des Monftres marins qui leur font une guerre éternelle. On affigne différentes caufes de la longue durée de la vie des PoifTons : celles que j'indique dans mon Texte paroiiïent être es principales. Mais cette partie ii confidérable de l'Hiitoire des D S LA NATURE. Paré. XII. 295 pirent & s'endurcilfent peu : ils n'ont pas pro- prement des os. Mais ils vivent dans un état de guerre perpétuelle. Tous dévorent ou font dévorés. Ceux qui vivent âge de Poifïbn , dot- vent acquérir une grande expérience des affaires de la Mer. Ce feroient de tels Nestors qui pourroient nous valoir de bons Mémoires fur PHiftoire fecrcte d'un Peuple fi peu connu (11). Animaux eft bien imparfaite encore , & nous n'avons fur la vie & fur ies procédés des PoiiTons , que des obfervations détachées qui ne fuffifent point pour nous donner leur hiftoire L'élément qu'ils habitent & les profondeurs dans lefquelles ils fe retirent, les mettent trop hors de la portée des Obfervateurs. Nous avons au moins de bonnes défaisions d'un allez grand nombre d'Efpcees & des notices allez exa&es les Oifeaux nocturnes dans leurs retraites fombres , &c. ( 3 ). ( z ) Confultez fur les migrations des Oifeaux & fur leurs différentes caufes , les Notes 1 & 2 du Chapitre XIII de la partie XI. ( 3 ) tt Les Oifeaux , beaucoup plus nombreux en Efpeces ^ue les Quadrupèdes, & bien autrement induftrieux que les Poillbns , offrent une grande pcrfpe&ive aux yeux du Contem- plateur de la Nature : mais un fi vafte tableau ne fauroit être renfermé dans Pefpace étroit de quelques Notes : je me bor-< nerai donc à en de'tacher un petit nombre de traits , & je ren-> voierai mon Lecteur à la belle Hiftoirrç des Oifeaux des deux iiluftres François, où les mœurs, les inclinations & les procé* T4 î96 CONTEMPLATION Je ne m'arrêterai donc pas à vous faire ad- mirer la longue langue du Pic- vert , le reflort dés de ces nombreux Habitant! de l'air font décrits avec tant de nobleffe, d'agrément & de vérité. L'Aigle, qui domine fur les Oifeanx comme le Lion fur les Quadrupèdes, fontient avec ce noble Animal bien des rapports phyfiques & moraux , qu'on fe plaît à contempler. Tous deux régnent en Monarques, l'un fur les hautes Montagnes & dans • les régions les plus élevées de l'Atmofphere , l'autre , dans les déferts brûlans ou dans l'épaiffeur des forêts. Tous deux fe plaifent dans ces lieux {biliaires & inaccciîibles où l'antique & vénérable Nature ne fe montre que par fes faces les plus agref- tes. Appelles tous deux à vivre de proie & de carnage , ils ne foufrrei.lt point qu'aucun autre Animal de leur Efpece ofe s'in- troduire dans leur domaine , & l'amour feul , le plus doux & le plus impérieux des tyrans , force le Mâle & la Femelle à s'unir pour fatisfaire à des befoins communs. Fiers & magnanimes , autant qu'intrépides & courageux , ils dédaignent de foiblcs ennemis & répugnent de s'en venger. Tous deux enfin ne veulent que du butin qu'ils ont eux-mêmes conquis, & de proie , que celles qu'ils ont immolées à leur appétit toujours renaiflaiit. Ils ne les dévorent pas même en entier, en aban- donnent les relies aux autres Animaux , & ne touchent jamais aux cadavres. Chez la race impériale de l'Aigle , les nœuds que l'amour a cimentés entre le Mâle & la Femelle fubfiftent encore après la jouifïanee. Le Couple guerrier demeure uni & pourvoit à l'édu- cation de la Famille. Il fait une guerre perpétuelle aux gros Oifeaux & à divers Quadrupèdes, fond fur eux avec impétuo- fité , les faifit avec fes fortes ferres, & les transporte d'un vol hardi dans fa haute retraite. C'eil-là que dans l'enfoncement d'un rocher eft un nid fpacieux , proportionné à la grandeur & à la force des Oifeaux qui l'ont conftruit. Très - différent de celui des Oifeaux fubalternes , fa forme n'eft point hémifphé* DE LA NATURE. Part. XII. 297 rique & il n'eft point creux pour concentrer la chaleur. C'eft une forte d'aire on de plancher , forme' de perches de cinq à fix pieds de longueur , fixées par leurs extrémités & croifées par des branches Couples , fur lesquelles repoteiit pluiieurs lits d'her- bes & de bruyères. Cette aire , qui n'a d'autre recouvrement que les avances du rocher , eft fi folidement conftruite , qu'elle fuffit à porter toute la Famille & une grande quantité de pro- vifions. Le Faucon , auffi fier , aufli indépendant , auiïi courageux que l'Aigle , mais qui lui eft bien inférieur en grandeur & en force , fe plaît, comme lui, dans les lieux folitaires & agreftes, & niche de même dans l'intérieur des rochers les plus élevés. Il fe perd comme l'Aigle dans la nue , & fou vol eft fi rapide que for. apparition eft toujours fubite & imprévue. Son courage franc & mâle lui interdit la rufe & les détours : il fond à-plomb fur fa proie, & en fe relevant dans la même direction, il l'em- porte dans les airs. Il fait la guerre au Milan ; mais parce qu'il fe défend en lâche , le Faucon généreux le traite avec dédain & ne le tue point. L'Homme, dont la raifon fupérieure à tous les inftin&s fait fervir tous les Êtres à fes plaifirs & à fes befoins, fait mettre à profit les nobles qualités du Faucon , & en les perfectionnant par une éducation bien entendue , transforme en art l'inftiivffc du fier Oifeau , & foumet à des loix confiantes cet Etre indé- pendant qui fembloit né pour n'obéir qu'à la Nature. Au dernier rang des Oifeaux de proie paroit un Oifeau qui n'eft guère plus gros qu'une Alouette , dont le courage eft tel qu'il ne craint point d'attaquer das Oifeaux qui lui font fnpé- rieurs en force & en grandeur, & même des Oifeaux de proie; qui oie voler de pair avec ces Tyrans de l'air & chaffer jufques dans leur domaine. Mais c'eft fur -tout dans la defenfe de fes Petits que l'intrépidité de ce petit Oifeau fe fait le plus admirer : il n'attend pas pour commencer le combat , que l' Oifeau de rapine s'approche de fon nid > il fuffit qu'il paroilfe vouloir s'en approcher ; il lui va au-devant, fond fur lui, le blette cruelle- ment , le force à fuir , & dans une lutte fi inégale il eft affez X 29S CONTEMPLATION rare que le petit Oifeau cède à la force on qu'il fc laiflTe em* porter: aufîi eft-il refpe&é de tous les Oifeaux de proie Cubai- ternes. Ce petit Achille eft la Pie-gricche. Tandis que les Oifeaux de proie fe jouent dans les nues & qu'ils exercent leurs brigandages dans les airs , les Oifeaux aqua- tiques fe jouent fur les eaux & y font la guerre aux Poiïïbns. Les uns fendent les flots & s'y enfoncent } les autres ne font que les rafer par un vol rapide. L'élément mobile eft pour tous un domicile aMuré : tranquilles au milieu des orages , ils s'y raffemblent en grandes troupes , luttent contre les vents , badi- nent avec les vagues , & n'ont point à redouter les naufrages. Ces Oifeaux , dont les Efpeces font très-nombreufes , ne quit- tent la Mer que pour aller pondre fur le rivage. Ils y retour- nent fouvent pour fournir les nourritures à leurs Petits ; & dès qu'ils ont pris un certain accroifTement , ils les conduifent à la Mer , & leur enfeignent par leur exemple le double art de nager & de voler. Navigateurs nés , leurs corps & leurs mem- bres font merveilleufement appropriés à l'élément liquide qu'ils dévoient habiter de préférence; & Ton croiroit que c'eft fur ce modèle naturel que les Hommes ont conqu l'heiireiife idée de leurs navires. Le corps de l'Oifeau aquatique eft bombé comme la carène d'un vaifTeau : fon col qui s'élève fur une poitrine éminente, repréfente aflez la proue du navire : fa queue courte & niffembléc en pinceau femble être un gouvernail : fes pieds palmés font de vraies rames : enfin , le duvet fin , épais & verni qui revêt tout le corps , eft une forte de goudron naturel qui le défend contre l'imprefïion de l'eau. Ea général, les eaux font pour les Oifeaux de Mer m\ féjour de repos & de plaifir , & où ils exercent toutes leurs facultés avee plus d'aifance encore que les Oifeaux de l'air ne les exer- cent dans cet élément léger. „ Voyez ces Çignes nager avec 3, moUeffe, ou cingler fur l'onde avec majefté; ils s'y jouent, M s'ébattent , y plongent & reparoiifent avec les mouvemens 3, agréables , les douces ondulations & la tendre énergie qui, „ annoncent & expriment les fentimeus fur lefquels tout amour « eft fondé: aijfli le Ciguë eft-il l'emblème de la grâce * 35 DE LA NATURE. Part. XII. 299 premier trait qui nous frappe , même avant ceux de la beauté. „ La vie de P Oifeau aquatique eft donc plus paifible & moins L pénible que celle de la plupart des autres Oifeaux. . . L'élé- 5, ment qu'il habite lui offre à chaque inftant fa fubfiftance ; il „ la rencontre plus qu'il ne la cherche ... & cette vie plus „ douce , lui donne en même temps des mœurs plus innocentes 39 & des habitudes plus pacifiques. Chaque efpece fe raffemble- 3, par le fentiment d'un amour mutuel ; nul des Oifeaux n'at- „ taque foii femblable , nul ne fait fa vittime d'aucun autre 9y Oifeau , & dans cette grande & tranquille Nation , on ne voit 5) point le plus fort inquiéter le plus foible. . . Le Peuple ailé 9i des eaux, par -tout en paix avec lui-même, ne s'eft jamais „ fouillé du fans de f°n Efpece, Refpettant même le genre „ entier des Oifeaux, il fe contente d'une chère moins noble, 93 & n'emploie fa force & fes armes que contre le genre abjedfc jj des Reptiles & le genre muet des Poilfons ". Parmi les Oifeaux qui vivent de pêche , il en eft de pion* geurs, qui favent furprendre leur proie fous l'eau, d'autres la faifuTent leftement à la furface ou lorfqu'elle bondit en l'air. Souvent même ils n'ont qu'à la recevoir dans leur bec , parce que le flot complaifant la leur apporte. Tous font très-voraces : & il en eft dont l'appétit eft fi véhément qu'ils fe jettent fur tout ce qu'ils rencontrent. Les Oies & les Canards de nos baffes- cours nous en fournirent des exemples. Quelquefois néanmoins la pêche eft funefte à l' Oifeau pêcheur, & il eft avalé lui-même par le PohToiij car il faut bien que les Animaux qui détruifent foient détruits à leur tour. Des Oifeaux dont le corps eft comme élancé , dont le col & les jambes font démefurément longs , & qu'on diroit montés fur des échaifes; des Oifeaux enfin, dont les pieds font entièrement dépourvus de membranes , ne font affurément pas faits pour nager fur les eaux , mais ils font admirablement bien faits pour marcher dans les marais & dans les eaux baffes : aufii la Nature les a- 1- elle placés fur les rivages, &, pour ainfi dire, fur les confins de la terre &z des eaux. Ils vivent de PouTons , de Rep- 5oo CONTEMPLATION tiles & d'Infe&es. Lenr bec, pour l'ordinaire long &aflTez effilé, paroît façonné tout exprès pour fouiller dans le limon vafeux, & y chercher la pâture qui leur convient. N'oublions pas de remarquer un petit procédé commun à divers Oifeaux pêcheurs : comme ils avalent les Poiffbns fans les mâcher, on juge facilement qne Tes ailerons & les nageoires s'oppoferoient à la déglutition s'ils fe préfentoient a contre-fens à l'ouverture du gofier : quand donc POifeau a faifi un PoifTon par la queue ou par le ventre, il le rejette en l'air , lui fait faire un demi-tour fur lui-même, qui le ramené la tête la première dans le bec de POifeau , & celui-ci exécute cette petite manœuvre avec tant de promptitude & d'adreiTe, qu'il ne manque prefque jamais fon coup. Ce tour d'adreiTe fe fait fur-tout admirer dans le Cormoran , grand Oifeau aquatique , auquel la conformation fingulïere & très - avantageufe de fes jambes & de fes pieds donne une merveilleufe facilité pour nager , & qui n'eft pas moins bon plongeur que bon nageur. Il eft fufceptible d'une forte d'éducation , & on le dreife à la pêche comme le Faucon an vol. Un anneau de fer ou tout autre lien placé au bas du col de l' Oifeau pêcheur , empêche que le PoifTon qu'il a faift fous l'eau ne defeende dans Peftomac , & le conferve pour la table du Maître. Le Martin-pécheur ou l'Alcyon fuit le cours des ruiffeaux, fc perche fur une branche qui incline fur l'eau , attend le moment du paffage d'un petit PoifTon , fond fur la proie en fe biffant tomber dans l'eau, en reffort la tenant au bec, la porte fur le terrein voifm contre lequel il la bat avant que de l'avaler. S'il ne trouve pas de branches pour fe percher, notre Pêcheur fe pofe fur quelque pierre du rivage, &au moment qu'il découvre un petit PoiiTon, il bondit à douze ou quinze pieds de hauteur, & fe laiffe retomber fur la proie. Ennemis de la lumière, les Oifeaux nofturnes ne peuvent en fupporter l'éclat. Ils dérobent pendant le jour leur trifte & laide figure aux regards de l'Homme & des autres Animaux & fe cachent dans des troncs d'Arbres , dans de vieilles mafureî ou dans les réduits les plus obfcurs. Ils en fortent à l'approche DE LA NATURE. Part. XII. fol qui la met en jeu , & la manière dont il la darde dans les trous des Arbres pour faiiir adroite- ment les petits Infedes qui y font logés (4). de la nuit & vont à la chaffe des petits Oifeaux , des Rats , des Mulots , des Campagnols , &c. Ils les avalent tout entiers & en rejettent enfuite toutes les parties cornées ou oifeufes , & la peau toujours roulée en manière de tuyau ou de cornet. Quel- ques-uns néanmoins plument adroitement les Oifèaux avant que de les avaler. Comme ils ehaifent en filence & au milieu des ombres de la nuit, ils ont beaucoup de facilité à furprendre les autres Oifeaux pendant leur fommeil. Il en eft même qui, malgré leur grotte corpulence , charTent avec affez de légèreté & d'adreffe , & c'eft ce qu'on remarque en particulier dans le gros Oifeau de nuit nommé le Grand-duc. Il eft affez courageux & allez puiffant pour attaquer les Oifeaux de rapine & leur enlever leur proie. Il n'eft , pour ainîi dire , que demi noc- turne , & une lumière qui blefferoit les yeux de la plupart des Oifeaux de fa claffe . ne blefîe pas les fiens. Mais celle de la Lune eft agréable à tous , & c'efi: à fa clarté qu'ils font les meilleures chaffes; car il ne faut pas s'imaginer que les Oifeaux qu'on nomme nocturnes , chaffent dans les ténèbres les plus pro- fondes • ils ont toujours befoin d'un certain degré de lumière pour diriger leur vol •■> mais parce que leur prunelle eft fufeep- tible d'une très-grande dilatation , ils voient mieux à une lumière très-foible que les autres Oifeaux. ( 4 ) ff II eft des Animaux fi heureufement nés , qu'ils fem* blent être les Enfans gâtés de la Nature : fans ceffe environnés d'un riche fond de fubfiitances , ils jouiflent fans fatigue & fans trouble des biens qu'elle leur prodigue. D'autres Animaux, au contraire, femblent des Enfans difgraciés, qu'elle a condamnés au genre de vie le plus pénible & le plus laborieux, & qui ne fe procurent la fubfiftance qu'à force de recherches, de peine # de travail. Tel eft, en particulier , le genre de vie du Pic- 5os ÙONTEJIPLAflOÏÏ Quelle foule de traits intérefTans la confL' trudion des nids ne nous orTriroit - elle point Vert, dont le trifte fort diffère peu de celui du galérien. Son air rude & demi-Farouche répond bien au genre de vie groffier qui lui a échu en partage , & les accens plaintifs annoncent ait ioin fes efforts & fes peines. Il vit folitaire , ordinairement cram- ponné à" l'écorcc des Arbres , qu'il travaille fans relâche à percer pour failir les petits Infe&es qu'elle recelé : fouvent même il faut qu'il perce jufqu'au bois pour faire un chétif repas ; & fouvent encore dans ce pénible travail, il eft placé à la renverfe & dans la fituation la plus fatigante. Mais , la Nature qui avoit impofé au malheureux Pic une tâche fi rude, n'a pas négligé de le munir de tous les inftrumens qui pouvoient lui en faciliter l'exécution. Ses jambes affez groffes , courtes & mufculeufes, font terminées par quatre forts doigts bien arqués & garnis d'on-*' gle3 tivs-crochus. Sa queue , courte & formée de plumes roides & courbées en dedans , paroît bien faite pour lui fervir de point d'appui. Son bec droit , dur , tranchant & pointu eft un excellent inftrument pour entamer l'écorce &le bois. Mais c'eft fur-tout fa langue qui eft fon plus bel inftrument , & qui mérite le plus d'être admirée; aufïi l'a-t-elle été par des Hommes dont' l'admiration étoit tres-éelairée , par les Borelli-, les Mery, les Camper. Elle paroît fort longue, & fa ftruéhire très-- recherchée renferme une multitude de particularités anatomi- ques qu'une {impie defeription ne fauroit bien rendre. Je dis' qu'elle paroît fort longue ,* c'eft que ce qui fe montre hors du bec & que l'Oifeau darde dans les trous qu'il pratique, & qu'on prendroit pour un long Ver , n'eft pas en entier une langue ; iî n'y a proprement que l'extrémité cornée de ce iingulier organe qui en feit une. Le refte eft l'oflelet nommé hyoïde, renfermé dans une forte de gaine membraneufe , qui après s'être divifé en deux rameaux fe courbe fur la tête , fe couche dans une rai- nure creufée dans le crâne , & va s'implanter dans le front à lu racine au bec. Ce font ces rameaux , partie offeux , partie car-*- D E L A N A T V 1? E. Fort. XlT. 30* encore ! Quelle ne feroit point notre admiration à la vue de ces petits bâtimens Ci réguliers , com- pofés de tant de matériaux difîérens , rafîemblés les uns après les autres avec tant de peine & de choix , mis en œuvre & arrangés avec tant d'induftrie , d'élégance & de propreté, par un Animal , qui n'a pour tout inftrument qu'un bec tilagineux & élaftiques , qui opèrent l'alongement & le jeu de la langue du Pic. Tout l'appareil fe déroule comme un reiîbrt quand l'Oifeau fait jouer fa langue. L'extrémité cornée de celle- ci eft armée de petits crochets deftinés à faifir & à retenir les petites proies vivantes dont le Pic fe nourrit. Une humeur vif- queufe qui enduit extérieurement tout l'inftrument , eft très- propre encore à retenir les VermifTcaux qu'il vient à toucher. Il n'arrive pas toujours néanmoins que notre petit galérien pourvoie à fa fubnftance avec autant de peine & de labeur que lorfqu'il eft forcé de la chercher fous la dure écorce des Arbres : nous avons vu que les Fourmis marchent à la file dans des ren- tiers qu'elles ont elles-mêmes tracés & qui fe rendent tous à la fourmilière: (Part. XI, Chap. XXII.) le Pic rufé attend les Fourmis au paffage , couche fa longue langue dans le fentier , & quand il la fent bien chargée de proies , il la retire & les avale. Mais lorfque le mauvais temps retient les Fourmis dans leur domicile , le Pic s'y prend d'une autre manière : il va fe camper fur la fourmilière , y fait une grande brèche avec fou bec & fes pieds, & y dévore bien à l'aife les Fourmis & leurs Nymphes. Le Pic niche dans des trous d'Arbres , qu'il élargit & appro- fondit à grands coups de bec. Le Maie & la Femelle s'entr'ai- dent dans ce rude travail , & à peine les Petits font-ils en état de marcher , qu'on les vcit gririiuer comme des P.ats le long, lies Arbres, 504 CONTEMPLATION cartilagineux & deux pieds î Un nid de Pinfon ou de Chardonneret nous occuperoit des heures entières. Nous chercherions dans quel Heu le Chardonneret a pu fe fournir de ce coton il fin» il foyeux ,fi doux , qui tapifle l'intérieur de ion joli nid , & qui en fait un lit fi mollet & fi chaud. Après bien des recherches , nous découvririons enfin, qu'en enveloppant d'un coton très-fin les graines de certains Saules ,'la Nature a préparé au Chardonneret le duvet qu'il emploie avec tant d'art. Nous ne nous lafTerions point de confidérer l'efpece de broderie dont le Pinfon orne fî agréa- blement les dehors de fon nid , & en la regar- dant de près , nousreconnoîtrions qu'elle eft due à une infinité de petits Lycheus , liés artiftement les uns aux autres , diftribués & appliqués avec la plus grande propreté fur toute la furface du nid. La couleur de ces Lychens qui eft fouvent celle de l'écorce de l'Arbre fur lequel le nid eft affis , nous apprendroit que le Pinfon femble avoir voulu que l'on confondît fon nid avec la branche qui le porte ( 5 ). ( ç ) ff De tous les Oifeaux Archite&es qui habitent nos Contrées, il n'en eft point, au jugement de Mr. de Buffon , qui bâtiflent avec autant d'adrefle , de propreté & d'élégance, que le Chardonneret & le Pinfon. Je m'étois donc rencontré avec ce grand Natwralifte , lortyue je leur avois donné dans mon Texte la préférence fur beaucoup d'autres Oifeaux des Nous DELA NATURE. Part. XII. 305 Nous obferverions d'autres Efpeces qui fe nichent dans les trous des Arbres , dans les fentes mêmes Contrées , auxquels la Nature a enfeigné l'art de bâtir. Je fus fur-tout frappé des talens du Chardonneret & du Pinfon lorfqu'au Printemps de 1746 j'entrepris de /aire uue petite colie&ion des nids des Oifeaux de nos Campagnes. En compa- rant les nids de nos deux petits Architectes avec ceux de plu- fieurs de leurs Émules , la fupériorité me parut bien décidée en faveur des premiers , foit que je les confidérafTe dans le rap- port au choix & à l'emploi induftrieux des matériaux , foit que je les confidéraîTe relativement à la forme , au contour & aux proportions. Je vis des nids de Chardonneret , construits fur les plus'petites proportions, dont les contours étoient fi exactement circulaires, qu'ils fembloient tracés au compas , & dont l'exté- rieur & l'intérieur étoient formés de matériaux fi proprement & fi artiftemeut arrangés , que je ne pouvois me laïïer de les admirer. Une mouffe fine, de petits LychenV , de menues racines , de petites feuilles, de la bourre de Chardons, entrelacés fort adroitement, revètoient tout l'extérieur de ces jolis nids : l'inté- rieur, qui repréfentoit une demi-fphere creufe, étoit garni de crin '& d'un duvet cotonneux très -fin, très -ferré & très- mollet. Le Roitelet , le Pouïllot & le Troglodyte , qui font au nombre des plus petits Oifeaux de notre Europe , donnent tous trois à leurs nids la forme d'une boule, creufe, comme pour concen- trer mieux la chaleur pendant l'incubation. C'eft fur un des cotés de la boule qu'eft pratiquée l'ouverture du nid. Les de- hors de celui du Roitelet font tiilus de moufle fine & de toiles d'Araignée, & au-dedans il eft garni du duvet le plus fin & le plus doux. Il en eft à-peu-près de même de la conftru&ion dit nid du Pouillot. Mais le Troglodyte qui femble bâtir avec moins d'art & de propreté , n'en réuffit que mieux à dérober fon nid aux regards des cu^eux : il en enveloppe tout l'extérieur d'un Tome IX. V }o6 CONTEMPLATION des rochers , dans des cavités qu'elles creufenS fous tsrre,: nous en verrions qui travaillent en bois , d'autres en maçonnerie. L'Hirondelle nous offriroit un exemple familier de ces dernières % nous verrions avec plaifir comment elle prépare ion mortier , comment elle le détrempe , & l'em- ploi induftrieux qu'elle fait en faire pour donner amas informe de moufle , qui fembîe fe trouver là par hafard ,• & fous lequel on ne s'avife pas de le chercher. La Méfange , qui eft encore un très-petit Oifeau , ne montre pas moins d'induftrie dans la couftruftion de fon nid. Elle l'é- tablit dans un trou d'Arbre , dont elle a foin d'arrondir , de polir & de façonner avec fon bec tout l'intérieur. Mais , pitifque je touche aux Méfanges , je dirai un mot d'une Méfange du Cap de Bonne - Efpérance, qui offre un procédé bien remarquable. Elle conftruit fon nid avec des matières cotonneufes , & le place dans les builfons les plus épais. Sa forme imite celle d'une bouteille dont le col feroit étroit. A l'extérieur du nid & fur un de fes côtés , l' Oifeau pratique un petit enfon- cement en manière de logctte où le Mâle fe retire pendant que k Femelle couve. Quand celle-ci fort du nid , le Mâle qui l'accompagne frappe avec force de fes aîles fur les côtés du nid : par ces coups réi- térés , il force les bords de l'ouverture à fe rapprocher de plus en plus & à fermer l'entré du logement : précaution ingénieufe par laquelle l' Oifeau pourvoit a la' confervation de fa Famille. Mais nous verrons bientôt d'autres Méfanges dont l'induilrie en ce genre & les précautions fe font bien plus admirer encore. On n'eft embarraffé que du choix quand on traite des procédés des Oifeau», tant ce lu jet eft riche & fécond. DE LA 2f A T tl It È. Fart. Xll. 30? à fon petit édifice toute ia folidité qui lui eft iiéceflaire ( 6 ). (6) ft La Fie, qui a beaucoup de tendreffe pour fes Petits, & qui paroît favpif qu'ils font fort menacés par les Oifeaux de proie, met beaucoup d'art & de composition dans la conftruc- tion de fon nid, & femble multiplier les précautions en raifon de fa tendrelie & des dangers que courent fes Nourriffons; Elle l'affied ordinairement au fommet des plus grands Arbres , & ne néglige rien pour L'afliirér & lui donner la plus grande folidité. Le Mâle aide la Femelle dans ce travail. La Pie fortifie tout l'extérieur de l'édifice avec des bûchettes & un mortier de terre gâchée, femblable à celui qu'emploie l'Hirondelle; & elle lui donne une forte d'enveloppe à claire voie, qui le re- couvre en entier , dans la fabrique de laquelle elle fait entrer de petites branches épineufes entrelacées les unes dans les autres ; elle a encore l'attention de ne pratiquer l'ouverture que dans le côté du nid le mieux défendu & le moins acccffible. Au- dedans l'indultrieufe Pie place une efpecc de matelas de figure arrondie , & fur lequel les Petits repofent mollement & chau- dement. Tout cela fait un afTez grand édifice , car il a au moins deux pieds en tout fens. Le Moineau, dont le cri. perçant , monotone & fans cq(Ts répété eft fi déplaçant à nos oreilles, & qui par fa pullulation & fa gourmandife caufe fouvent de fi grands dégâts dans nos roaifons & dans nos champs, peut néanmoins nous intéreiïer par fa fineffe , fes rufes & fon induftrie. Quoique groffiére- ment pétulant , il ne donne point en étourdi dans les pièges qu'on lui tend ; il les reconnoit facilement , fait les éviter & lafle fouvent la patience de l'Oiieleur. Ce n'efc guère que dans la mauvaife faifon , que prelle par la faim , il relâche de fes pré cautions & fe laifTe furprendre. Infatigable dans le travail au- tant qu'induftrieux , il fe conftruit en moins de deux jours un très - grand nid , en manière de poche ou de fac. Il l'établit pour l'ordinaire nu fommet des Arbres, en revêt tout l'extén V n V ^y 3og CONTEMPLATION Mais les nids qui nous frapperoient le plus , fe- roient ceux que certains Oiieaux des Indes fuf- pendent habilement à des btanches d'Arbres , pour Te garantir des iufultes de divers Animaux. Nous nous afiurerions qu'on a fort exagéré ici le merveilleux lorfqu'on a dit, qu'il y avoit de femblables nids à deux appartenons , l'un pour de foin ou de paille , & en garnit l' intérieur de plumes •-, & fi on le détruit, en vingt - quatre heures il en conftruit un autre. Mais je n'ai pas dit encore ce que ce nid offre de plus curieux : pour en mettre l'intérieur à l'abri de la pluie , le prudent & adroit Moineau le recouvre d'une calotte , an - deffous de la- quelle il pratique une porte pour l'entrée &la fortie. Mais ce qui fait le plus d'honneur à l'inftinét. du Moineau, & qui eft aîTurément bien remarquable, c'efr que lorfqu'il bâtit fon nid fous les tuiles ou fous les entablcmens des édifices ,. il fe dif- penfe des frais de la calotte, qui feroit dans ce cas très-fuperflue. Le Tuilier , dont le genre fe rapproche beaucoup de celui du Martin -pêcheur , nous fournit un exemple des Oifeaux qui nichent dans la terre. Il la creufe avec fon bec & fes pattes ; ïl y fait une excavation qui va en s'évafant dans le fond; & là il amalfe de petites pailles, de la moufle , du coton & des plumes qu'il arrange avec art , en plaçant à l'extérieur les ma- tières les plus groflieres , & à l'intérieur , les plus fines & les plus molles. Le Motteux ou Cul -blanc niche , comme le Todier , fous terre '-, mais d'une manière différente , & avec des précautions que le Todier n'eft pas obligé de prendre. C'eft fous une motte de terre que le Motteux Jétablit ordinairement fon nid : il le conftruit de moufle & de menues herbes , & il en garnit l'in- térieur de plumes , de laine ou de coton : mais il y ajoute une forte d'auvent ou d'abri qu'il aflujettit à la motte fous laquelle il repofe. I) E LA NATURE. Part. X1L 309 le Mâle , l'autre pour la Femelle. En examinant la chofe de plus près , avec les yeux d'un Ob- fervateur , nous trouverions qu« ce prétendu appartement du Mâle, n'eft qu'un vieux nid, le nid de l'année précédente ( 7 ) , auquel l'Oi- feau a jugé plus commode ou plus expéditif d'en ajouter un autre que d'en faire un nouveau en entier. g3fci b =i rzS&gzr- ■ ? =^g CHAPITRE XXIX. Continuation du même fujet. ff \** E s Oi féaux , auffi prudens qu'incUif- trieux , qui fufpendent leur nid aux branches des Arbres , & qui lui donnent des formes & des proportions 11 différentes de celles des nids les plus connus , femblent avoir bien plus de droit à notre admiration que la plupart des autres Oileaux qui nailTent Architectes. Il y a bien des Efpeces (1) de ces Oifeaux, auxquelles ( 7) tt Ceci m'avoit été communiqué par Mr. de Reaumur. ( 1 ) Parmi ces Efpeces il en eft plufieurs qui appartiennent au -Nouveau Monde ; de ce nombre font le Troupiale , le Caflî- que, le Carouge , le Guit-guit, &c. Le Troupiale fufpend fon nid à l'extrémité des plus hautes branches , & le laifle flotter au gré des vents j enforte que les Petits y font continu ellemen y3 3io CONTEMPLATION h Nature a en feigne l'art ingénieux de fufpeii" dre leur nid pour fouftraire leur couvée à h dent meurtrière de quantité d'Animaux voraces : nous ne les parcourrons pas toutes } mais nous nous arrêterons quelques momens à celles dont Pindultrie le fait le plus admirer. Approchons -nous de ce ruhTeau peuplé bercés. La forme de ce nid eft cylindrique. Celui du Cafîique reffemble à une cucurbite. Il a jufqu'à dix-huit pouces de lon? gueur j mais la cavité n'en a guère que douze. La partie fupé- grienre eft pleine : elle n'eft proprement qu'un cordon qui fert à fufpendre le nid. De longs filamens qu'on prendroit pour des crins, & qui font adroitement entrelacés avec des feuilles de Plantes graminacées , Gompofent le tiffu du nid. Les Caffiques nichent en fociété , & on a vu jufqu'à quatre cents de leurs nids iufpendus aux branches du même Arbre. Le Carouge donne à fon nid la forme d'une bourfe 5 & ce qui le diftingue beau- coup des nids précédens , ce font des réparations qui le parta- gent en différentes chambres appropriées à différentes nichées. Le Guit-guit , du genre des Grimperaux , & qui n'eft pas moins remarquable par fes belles couleurs que par fon induftrie, met beaucoup d'art dans la couftrutHon de fon logement. Il lui donne la forme d'une cornue, & c'eft par fa bafe que la cornue eft fufpendue à l'extrémité d'une branche fouple & mobile. Le col de la cornue, qui eft à -peu -près droit & de la longueur d'un pied , regarde donc la terre. A fon extrémité eft l'ouver- ture qui permet à la Mère d'entrer & de fortir pour fatisfaire aux befoins de fa Famille. Elle grimpe le long du col de la cornue , & s'introduit dans le ventre où fe trouve le nid pro- prement dit. La Mère & fes Petits y font ainli à l'abri des |iifuices des Animaux mal-faifans, DE LA NATURE. Part. XII. 5 1 1 d'une multitude d'Infe&es : voyez cette forte de bourfe fufpendue par un cordon à cette branche qui s'incline fur Peau : c'eft le nid d'une EC- pece de Méfange ( 2 ) qui favoit que fes Petits trouveroient là une nourriture abondante. Re- marquez que la bourfe eft exactement fermée par le haut , mais qu'elle a une ouverture fur le côté qui regarde la furface de l'eau : elle n'eft point un fîmple trou rond ; fes contours font façonnés en manière de rebord un peu faillant ou de tuyau court. Mais examinons de plus près l'ouvrage de notre adroite Méfange ; il gagnera beaucoup à être mieux connu. Obfervez , je vous prie , avec quel art le nid eft fufpendu. De longs filamens d'écorce , raffemblés en forme d'éche- veau , compofent une forte de cordon que TOi* feau a fu entortiller autour de la branche fou- pie & mobile qui devoit porter le nid. Confi- dérez attentivement l'extérieur de ce nid : vous n'êtes pas furpris de le trouver revêtu de me- nues racines , & de fllamens plus ou moins groffiers : vous avez fait la même obfervation fur les nids les plus communs , & vous avez toujours remarqué que les Oifeaux revêtent l'ex- térieur de leur édifice des matériaux les plus bruts j tandis qu'ils placent les plus fins à l'in- ( 2 ) Cette Méfange eft le Remiz , allez commun en diffe-t jrentes Contrées cfe l'Europe, & particulièrement en Pologne v4 3i2 ÔONTEMPLATIOX térieur. Mais écartons ia groiiiere enveloppe qui recouvre le nid que nous avons actuellement fous les yeux: qu'appercevez- vous ? un tiiTu épais & ferré , affez femblable à un drap ou à un feutre : vous êtes dans Pétonnement & vous avez peine à comprendre qu'une pareille étoffe ait pu être fabriquée par un Oifeau , car vous n'aviez point vu encore d'Oiieau qui eût le talent d'ouvrer les matières qu'il emploie dans fon travail. L'art de notre Méfange vous paroit doncautîî nouveau que recherché ; & vous tâchez de découvrir la forte de matière qu'elle fait en- trer dans la fabrique de fon drap : vous vous aifurez bientôt qu'elle n'eu: autre chofe que ce duvet fin & léger qui enveloppe les graines de diverfes Plantes qui croirfent dans le voifînage des eaux. Vilitez à préfent l'intérieur du nid , & vous verrez que c'eft encore de ce même duvet qu'il eft entièrement tapiifé : mais prenez garde que la Méfange ne lui a point donné la forme d'un tiiîu ferré : il n'auroit été ni aifez mol ni aifez chaud : elle l'a îaiifé tel qu'elle l'a recueilli , & s'eft contentée d'en former un lit plus ou moins épais , fur lequel fes nourrilfons repofent mollement «Se chaudement. Le nid ett une efpece de branle ou de hamac où ils font bercés doucement , & où ils font toujours à portée des nourritures qui leur conviennent. DM LA MÂTURE. Part XII. }i% Voyez cet autre nid prefqu'auflî gros qu'un œuf d'Autruche , & qui en a aiTez la forme : fon grand axe a environ fix pouces , & le petit , trois à quatre. Il eft fufpendu à la bifurcation d'une branche flexible de Peuplier. C'eft encore l'ou- vrage d'une petite Méfange (3), non moins induftrieufe que celle dont vous venez d'admirer le travail Donnez votre attention à la manière dont le nid eft fufpendu : remarquez que pour le fufpendre plus folidement , la Méfange a en- touré la branche d'un ruban de laine fur une longueur de fept à huit pouces. Comme la Mé- fange précédente , elle a fait entrer dans la conf- tru&ion de l'édifice, de menus filamen?, de petites racines & le duvet cotonneux de diverfes Plantes. Elle a pratiqué de même fur le côté du logement une petite porte ronde ; & au lieu de ce rebord en manière de tuyau , que vous avez obfervé dans l'autre nid , vous voyez ici une forte d'auvent qui faille au - deifus de la porte de près de deux pouces , & qui , en même temps qu'il met les Petits à l'abri des intem- péries de la faifon , les dérobe aux regards de leurs ennemis. L'art du Gros -bec d'Abyfîînie vous paroî- (3) Cette Méfange eft la Penduline j très -connue en Lan- guedoc, & qui a beaucoup de rapports avec le Remiz. 3H CONTEMPLATION troit bien plus recherché encore cjt>?--£sftii d il les pourfuit avec au- tant d'acharnement que de fureur 3 fe cramponne à leur corps , fe laiffe emporter par leur vol , ne (7) Voyey «i-deiTns Chap. XXVIII, Nott 6. DE LA NATURE. Part. XII. 317 cefle de les becqueter , & ne lâche point pnfe qu'il n'ait affouvi fa petite rage. Maïs ce qui pique le plus la euriofité dans l'Hiftoire de POifeau - mouche , c'eft (on nid: on eft preffé de favoir comment il eft fait & s'il répond à l'extrême petitelfe du charmant Vola- tile. Heureufement que fes Hiftoriens nous fi- tisfont très - bien fur ce point intéreflant. Ce nid , tout mignon , n'eft pas plus gros que la moitié d'un abricot, & taillé de même en demi- coupe. Il eft attaché pour l'ordinaire à un brin d'Oranger ou de Citronnier , quelquefois à un fétu qui pend du toit de quelque hutte. On ne s'étonnera pas qu'un brin d'Oranger ou un fétu puifle le foutenir , quand on faura qu'il ne pefe, même avec l'Oifeau , que vingt -quatre grains. C'eft la Femelle qui le conftruit , & c'eft le Mâle qui en recueille les matériaux. L'intérieur pré- fente un joli tiifu ferré , foyeux , épais & fore doux , fur lequel repofent mollement deux ou trois œufs tout blancs , & qui ont à peine la grofleur des plus petits pois. L'extérieur eft , en quelque forte, un ouvrage de marqueterie -y il eft formé de petites lames d'écorce , artiftement collées au nid & les unes aux autres. La Femelle emploie brin à brin l'efpece de bourre foyeufe dont elle compofe fou tiifu : elle arrange ces j ig CONTEMPLATION brins avec Ton bec & fes pieds; polit avec fa gorge les contours ou les bords du très-petit berceau, & fe fert de fa queue pour en polir de même le dedans. Les Nourriflbns éclofent au bout de douze à treize jours : qu'on juge de leur petitefTe par celle de leur Mère , & or* croira voir de petites Mouches d'une délicateffe extrême. À proprement parler la Mère ne leur porte pas la becquée : on veut qu'elle fe borne à leur donner fa langue emmiellée à fucer. Le Colibri , compatriote de POifeau - mou- che ( 8 ) ? auffi riche que lui dans fa parure , auffi rapide dans fou vol, auffi léger , auffi vif, auffi aérien , qui a les mêmes mœurs , les mêmes inclinations, le même genre de vie , & qui eft' taillé à - peu - près fur le même modèle , n'en diffère que par des caractères peu faillans & qui ne font faits que pour les Nomenclateurs. En général , il eft feulement un peu moins petit que l'Oifeau- mouche , & fa taille eft plus alongée.- Mais entre les Efpeces des Colibris l'on en cotu n oit qui ne furpalfent pas en grandeur le plus ( 8 ) Le Colibri & l'Oifeau Mouche ne fe plaifent que clans les climats les plus chauds : ils vivent entre les Tropiques. Ce font des Oifeanx folitaires & pailionnés pour la liberté : on ne fauroit parvenir à élever leurs Petits 5 au moins n'y a-t-on point encore r^udi. î) E LA NATURE* Part XII. 319 grand Oifeau - mouche. On a vu le Père & la Mère Colibris continuer à prendre foin de leurs Petits, quoiqu'ils eufTentété enlevés avec le nid & réduits en captivité : la tendreffe maternelle triomphoit de leur amour exceflif pour la liberté. ff%j ... _■ ■ gs&g= . -W$ CHAPITRE XXX. Procédés des Quadrupèdes. Le Lapin v 1 s 1 T E r o N s-N o u s les retraites des Rats, des Mulots , des Blaireaux , des Renards , des Loutres , des Ours , &c. ? Nous entreprendrions un trop long voyage , & d'autres objets plus intéreflans nous appellent. Bornons -nous aux procédés du Lapin & de la Marmotte , comme^les plus curieux, après ceux du Caftor (1) dont nous nous fommes fort occupés ( 2 ). (1 ) Part. XI, Chap. XXIX , XXX. ff J'ajouterai ici que le Caftor n'eft pas propre au Canada, somme on l'avoit cru : on le trouve aufïi en Sibérie. On peut l'apprivoifer & le dreffer pour la pêche. ( z ) ff Nous avons vifité les curieux fouterreins de la Taupe. (Part. XI , Chap. VII , Note 1.) Ceux du Hamfter ou Rat de bled ne font pas moins curieux. Ce petit Quadrupède, du genre des Souris & qui multiplie à l'excès en divers Cantons ds l'Allemagne, s'établit ordinairement à trois ou quatre pieds 520 CONTEMPLATION Le Lapin & le Lièvre , fi fembîablcs dans leur extérieur & dans leur intérieur, nous appren- ions terre. Les terriers qu'il s'y pratique font proportionnés à l'âge & au fexe de l'Animal. Les plus fpacieux font ceux que fe creufènt les vieux Mâles , & qu'ils partagent en différentes chambres , qui font autant de magafins où ils renferment jufqu'à cent livres de grains de différentes fortes. Chaque terrier a deux ouvertures ou galeries : Tune defeend obliquement, & c'eft celle que le Hamfter a creufée pour pénétrer fous terre ; l'autre , qu'il pratique de dedans en-dehors , eft perpendiculaire. Les terriers des Femelles , bien moins fpacieux , n'ont pour l'ordi- naire qu'un feul magafm , parce que les Petits ne demeurent pas affez long-temps avec leur Mère pour qu'il foit néceffaire qu'elle amaffe une grande quantité de provifious. Mais elle a une attention qui fait honneur à fon inftinct : au lieu d'une feule galerie perpendiculaire pour donner entrée & fortie à la Famille , elle en pratique fept à huit , comme fi elle vouloit proportionner le nombre des galeries ou des portes à celui des Petits. L'éducation de ceux-ci eft bientôt achevée , & alors la Mère les chafle hors du terrier qui leur avoit fervi de berceau. Quelquefois elle y refte après l'expuliion des Petits : d'autres fois , elle abandonne à fon tour le terrier pour s'en creufer un nouveau qu'elle remplit de provisions. Les Hamfters ont une grande facilité à amaffer des grains & des provifious de toute efpece : la Nature les a pourvus de deux bourfes qui peuvent contenir chacune une once & demie de grains , & qu'elle a placées de chaque côté de l'intérieur de la bouche. Ces bourfes ou bajoues font propres à cette efpece de Rats. Quand le Hamfter les a remplies de grains , il retourne à fon terrier, & y vuide fes poches en pre fiant fe; joues des deux pieds de devant. Il amaffe auffi la paille la plus douce, &: s'en fait un lit fur lequel il repofe mollement pendant fon long fommeil. Les Kamfters font de petits Animaux d'une férocité éton- nent ï) E '■■■ LA NATURE. Part XII. j3J lient à nous défier des reffembîances. Ils s'accou- plent fort bien l'un avec l'autre, & ne produis liante , & dont l'audace égale la férocité. Ils fe jettent fur tous les Animaux qu'ils rencontrent , & ils ne s'effraient pas plus de la grandeur du Cheval ou de celle du Bœuf , qu'ils ne redoux tent l'adreffe du Chien ou les rufes du Chat. Incapables de fauver leur vie en fe retirant du combat , ils fe battent jufqu'àî extinftion, mordent cruellement & ne lâchent jamais prife. Lé Chien fe plaît à donner la chaffe au Hamfter : dès que celui - ci le découvre , il fe hâte de vuider fes poches fi par hafard elles font pleines de grains j car il ne pourroit autrement fe fervir de fes dents '-, puis il les enfle fi prodigieufement que la tété & le col furpaflfent de beaucoup le corps en groffeur , & fé dreffant fur fes pieds de derrière , il s'élance courageufement fur l'ennemi, & ce combat fi inégal ne finit que par la mort de l'un des Combattaris. Les Hamfters ne font pas moins cruels envers leurs femblables qu'envers tout autre Animal : ils fé livrent avec fureur des combats finguliers où le vaincu devient toujours la pâture du vainqueur. L'amoiïr feul triomphe pour un temps du naturel féroce dé ces petits Quadrupèdes $ mais ce temps eft affez court. Les Mâles entrent alors dans le terrier des Femelles ; les deux fexes s'u-^ nififent par les liens les plus doux , & tandis que cette unioii fubfifte , ils fe foulagent réciproquement dans leurs befoins Se fe défendent l'un l'autre contre leurs ennemis; La tendrefle conjugale paroît même l'emporter chez ces Animaux fur là tèndreffè maternelle : la Femelle combat avec courage pour foit Mari, & ne combat pas pour fes Enfans. Mais , lorfque la faifon des amours eft paifée , les Hamfters reprennent leur férocité naturelle ; & fi un Mâle & une Femelle qui avoient vécu dans la plus étroite & la plus tendre union., viennent enfuite à fe î-encontrer , ils ne manquent point de fe livrer à plufieurs re'- prifes un furieux combat, dont la durée eft d'autant plus longue que leurs forces font plus égales, Tome /& % jii CONTEMPLATION ' II eft heureux pour le Cultivateur que les Hamfters fe dé*, ▼orent les uns les autres -, car leur excefîive pullulation mettroït en péril toutes les récoltes. Dans certaines Contrées de T Alle- magne où le Magiftrat met leur tête à prix, il y a eu îles années qui ont coûté la vie à plus de quatre - vingt mille de ces Ani- maux deftrutteurs. Vers le milieu ou la fin de l'Automne , nos Rats de bled fe retirent dans leurs fouterreins : ils en bouchent foigneufement les ouvertures & vivent des provifions qu'ils ont amaffées pendant la belle faifon. Ils n'en confument avant l'Hiver qu'une petite partie, & ne confument le refte qu'au retour du Printemps. Pendant tout l'Hiver ils demeurent engourdis comme les Loirs & les Marmottes. L'efpece de léthargie où ils tombent à cette «poque de leur vie eft fi profonde , qu'elle diffère peu d'une véritable mort. Tous leurs membres font d'une roideur extrême , leur corps paroît auIÏÏ froid que la glace , & le cœur qui , dans la belle faifon , bat cent foixante ou cent quatre-vingt fois par minute , ne bat plus alors que quinze fois. L'intérieur de l'A- uimal eft aufli froid que fon extérieur , & les inteftins , ces vif-, ceres fi irritables , ftimulés par la puiffante a&ion de l'huile de Yitriol , ne donnent pas le plus léger figne d'irritabilité : opé- ration bien cruelle , & qui pourtant ne peut retirer l'Animal de fa léthargie. Cet état fmgulier a bien de l'analogie avec celui de ces Infe&es qui, quoique defféchés depuis long -temps, ne ViiTent pas de cenferver un principe de vie. ( Part. IX , Chap. II, Note 13.) Qu'on ne croie pas néanmoins que c'eft unique* ment le froid qui réduit les Hamfters à cet état fmgulier de- mort apparente : expofés en plein air à la gelée , ils ne s'en- gourdiffent point, mais ils s'engourdiifent au bout d'un certain temps , fi on les renferme dans un lieu auffi froid & où l'air n'ait point d'accès. C'eft un fpe&acle intéreïïaiit que celui qu'offre le réveil d'un Hamfter. On voit fes membres perdre peu-à-peu de leur roideur: bientôt ils fe donnent quelque -mouvement : l'Animal refpire profondément & par de longs intervalles : U bâille à plufieurs reprifes & fait entendre des fons déplaifans. Il «uvre. enfyi les yeux : fon corps qui étoit replié fur lui-même, I) È LA NATURE. Part. XII. ^% fe déploie : il tâché de fe mettre fur fes pieds : mais toits les- mouvemens font peu affurés , & ne relTemblent pas mal à cëiué d'un Homme ivre. Il femble s'effayer à marcher : il y parvient en réitérant fes effais, & bientôt il reprend avec fes allures naturelles fa première férocité. On peut endormir & réveiller à volonté le Hamfter , comme l'on peut delféeher & refïufeiter à volonté le Rotifere. Les Mulots n'entendent pas moins bien que les Hàmfters à faire de grands amas de graines & d'autres provifions ; mais leurs terriers ne font ni auffi profonds ni auffi fpacieux que ceux des Hàmfters. Les terriers des Mulots ne vont guère qu'à douze ou quinze pouces fous terre. Le plus fouvent ils font partagés en deux loges ; la Mère & fes Petits habitent dans l'une , 8t l'autre eft le magaiîn des provifions. H n'eit pas rare de trouver dans ce magafin jufqu'à un boiileau de glands , de! noifettes ou d'autres graines. Après avoir cliarié pendant l'Eté & l'Automne ces différentes provifions , & les avoir entaflfées dans leurs fouterreins , les Mulots y jouiffent en paix du fruit de leurs travaux : ils s'y retirent à l'entrée de l'Hiver , & comme" ils ne s'engourdiflTent point alors , ils ne ceifent point de manger1 & de profiter des provifions qui abondent autour d'eux. Mais fi elles viennent; à leur manquer , ils fe jettent impitoyablement les uns fur les autres, & les gros dévorent les petits. Les Mu- lots , comme tous les autres Rats , multiplient au point de deve- nir fouvent bien redoutables : ils mettent bas plufieurs fois l'année , & leurs portées font toujours très-nombreufes, Le Blaireau, qui fuit la lumière, palTe la plus grande partie de fa vie dans l'obfeurité d'un bois ou d'un terrier. Les galeries qu'il fe creufe fous terre font profondes ou tortueufes. Elles lui étoient bien néceffaires j car comme il ne peut courir bien Vite, il ne fauroit échapper à fes ennemis qu'en s'y retirant. Si on le force à déloger , il fe creufe à peu de diftance mi nouveau terrier. Ses jambes de devant eut una conformation & des proportions qui lui donnent une grande facilite à percer la terre , & cet Animal eft un fcrès-hnjbik Mineur* Lorfque li Femelle eft fur le point de .mettre bas, elle coupe l'iuabc , la ik x % 42^ V ON TEMPLATION fent rien. Ce font deux Efpeces très- diftindtes* malgré toutes leurs affinités ( 3 ). €11 botte, & la traîne jufqii'au fond de fon terrier, où elle err fait 1111 lit commode pour elle & fes Petits. Quand ceux-ci ont pris un certain accroiffement , elle leur apporte de petites proies y des Lapereaux, des Mulots, des Reptiles, &c. Le Renard , moins habile Mineur que le Blaireau , p rofite fouvent du terrier de celui - ci , ou des fouterreins pratiqués par d'autres Animaux : il fait fe les approprier & les agrandir au befoin. La Loutre, qui fait fi bien faire la guerre aux Poifions, ne fe' creufe point de domicile •-, mais elle profite habilement des cavités qu'elle rencontre , foit dans les racines des vieux Ar- bres, foit dans les fentes des rochers. Ce qu'on avoit débité fur le logement qu'elle fe pratique & le plancher qu'elle y eonflruit, eft purement fabuleux. La Femelle prépare un lit à fes Petits, qu'elle garnit d'herbes, de racines ou de bûchettes. L'Ours, auffi folitaire que fauvage, fe retire pendant l'Hiver dans des grottes profondes , au fein des rochers les plus inac- ccffibles , ou dans de vieux troncs d'Arbres au milieu d'une épaiffe forêt. Il ne fait point de provisions : il n'en a aucun befoin : il porte dans fon intérieur la nourriture qui le fait fubfîfter pendant la mauvaife faifon : la graille qui furabonde chez lai à la fin de l'Automne, rentre'dans le fang & le fuftente pendant fon long fommeil qui n'eft point léthargique. (3) tt Un Naturalifte Anglois, Mr. Bar ring ton, vou- tlroit que Mr. de Euffon eût indiqué l'âge des Lapins & des Lièvres qu'il avoit renfermés enfemble pour s'avTurer s'ils peu- vent s'unir & produire. L'Obfervateur Anglois remarque avec r?.ifon , que l'âge doit beaucoup influer fur les réfultats de cc£ fortes d'aifociations. L'Obfervateur François avoit décidé fur fes- premières expériences , que le Chien & la Louve ne peuvent procréer enfemble : les Individus qu'il avoit tâché d'affocier étaient apparemment trop jeunes . piiifqiie la même tentative f / DE LA NATURE. Paré. XII. 32c* Il y a plus 5 le Lièvre imbécille fe contente du g îte qu'il fe pratique à la furface de la terre (4) : le Lapin, plus induftrieux , perce la terre & s'y procure un afyle allure. Le Mâle & la Femel.e vivent enfemble dans cette retraite paifible : ils y élèvent leur petite Famille , fans craindre le Renard ni l'Oifeau de proie. Inconnus au refte in Monde , ils paffent des jours heureux & tran- quilles , & goûtent dans les douceurs domefti- ques les plaifirs les plus touchans de la vie. Le Lièvre pourroit aufîï creufer la terre , & ne la creufe point. Le Lapin clapier ( f ) ne la creufe point non plus. Il n'en a pas befoin : fou domicile eft tout fait : il fe conduit comme s'il 1-e favoit. Le Lapin de garenne femble favoir qu'i! n'eft pas logé , & il fe loge. Les Lapins clapiers bien reufli depuis à d'autres Curieux. Il pourroit en être de même du Chien & du Renard , du Lapin & du Lièvre. (4) Il y a lieu de penfer que les Lièvres de toutes les Contrées ne fe bornent pas à fe faire un gîte à la furface de la terre , & qu'il en eft qui , comme les Lapins , favent fe creufe" des terriers : c'eft ce qu'on a déjà découvert chez les Lièvres des Pyrénées, au rapport de Mr. de Buffon lui-même, dont ?!Q Lapin domeftique;. . x 3 1*6 CONTEMPLATION dont on peuple les garennes , fe gîtent comme Je Lièvre : mais au bout de quelques généra- tions, ils commencent à fe faire des terriers. Les infultes de leurs Ennemis , les injures de Pair, & les divers inconvéniens attachés à la vie er- rante , les inftruiroient -ils de la nécefîitié de fe pratiquer des retraites fouterreines ? Mais , ap- percevoir les rapports de ces retraites à leur propre confervation , juger qu'elles les mettront à l'abri de tous les inconvéniens qu'ils éprou- vent , ç'eft une opération de l'Ame , qui efl: bien voifiue de la réflexion , iî elle n'eft la réflexion même. Et comment accorder la réflexion à des Brutes ? Ne feroit - il pas plus philofophique de fuppofer que le genre de vie des Lapins clapiers affoiblit & détériore un peu leur tempérament , relâche leurs organes , & leur ôte la force de creufer la terre? Le plein air rétablit en eux la Nature , & leur rend la vigueur propre à l'Ef- pece : mais ce rétabliflement exige un temps plus ou moins ioug ; & ce n'eft qu'après un certain nombre de générations qu'il eft complet. Une Famille de Sauvages élevée dans nos demeures, y dégénérerott bientôt , & la féconde génération ne pourroit foutenir les travaux pénibles , & la vie dure des Ayeux 9 &c Lorsque la Lapine eft près de mettre bas* DE LA N A T V E. E. Tari. XlL %*ï elle fe creufe un nouveau terrier. C'eft un boyau tortueux ou pratiqué en zig - zag. Au fond de ce boyau elle ménage une grande cavité , qu'elle tapifle de fes propres poils. Voilà un lit très- mol qu'elle prépare à fes Petits. Elle ne les quitte point les premiers jours > elle ne fort enfuite que pour prendre de la nourriture. Le Père ne con- noit point encore fa Famille : il n'oferoit entrer dans le terrier. Quand la Mère va aux champs , elle pouffe fouvent la précaution jufqu'à boucher l'entrée du terrier avec de la terre détrempée de Ton urine. Devenus un peu plus grands, les Laperaux commencent à brouter l'herbe tendre. Le Père les reconnoît alors , les prend entre fes pattes , leur lèche les yeux , leur luftre le poil , & partage fes careffes & fes foins également entre tous. Des obfervations qui paroiffent exactes , prou- vent que la paternité eft fort refpectée chez les Laping. L'Ayeul demeure le Chef de toute la norabreufe Famille , & il femble la gouverner en Patriarche. '!&>&£' X4 - g CONTEMPLATION S #A*Ai» SfiSfi! CHAPITRE XXXI. Z# Marmotte. L E s gentllleffes de la Marmotte font connues de tout le monde, L'on fait qu'elle s'apprivoife facilement , & qu'on la drefie à danfer & à gef» ticuler fur un bâton. Ce qui n'eft pas fi générale- ment coiïnu , ce font fes procédés ingénieux dans les hautes Alpes , où elle fait fa demeure 2 au milieu des neiges & des frimats. Vers le mois d'Octobre , elle entre en quartier d'Hiver & fe renferme pour ne plus fortir. Sa retraite mérite d'être obfervée. Elle e fi; faite avec lin art & des précautions qui fembleroient partir d'une forte d'intelligence , fi l'intelligence ne eom- biiioit & ne varioit fans cerfe fes plans. Sur le penchant d'une Montagne , l'induftrieufe Mar- motte établit fon domicile. C^ft une grande ga- lerie , creufée fous terre & faite eu manière d'Y. Ces deux branches qui ont chacune une ouver- ture 9 aboutirfent à une efpece de cul - de - fac. Là , eft l'appartement de la Marmotte. Une des branches defçeud au - delTous de Pappartement %< çn fuivant la pente de la Montagne^ elle eft une DE LA N A T U R E. Taré. XII. $29 forte d'Aqueduc qui reqoit & charie les excré- mens & les immondices. L'autre branche , qui s'élève au - deiïus du domicile , fert d'avenue Se de fortie ( 1 ). L'appartement eft la feule partie de la galerie qui foit horizontale. Il eft tapirTé d'une épaiiTe couche de Mouffe & de foin. Il eft fur que les Marmottes font fociables, & qu'elles travaillent en commun à fe loger. Elles font pendant l'Eté d'amples provifion de mouffe & de foin. Les unes , à ce qu'on dit , fauchent i'Herbe, d'autres la recueillent s & tour - à - tour elles fervent de char pour la voiturer au gîte. Une des Marmottes fe couche fur le dos , dreffe fes pattes pour tenir lieu de ridelles , fe laiffe charger de foin & traîner par les autres , qui ia tirent par ia queue , & prennent garde que le char ne verfe fur la route. Leurs pieds font "armés de griffes , qui leur donnent une grande facilité de creufer la terre, & elles le font avec une célérité merveilleufe. A mefure qu'elles ex- cavent , elles jettent derrière elles la terre qu'elles 'tirent de la mine. Elles paffent la plus grande partie de leur vie dans leur habitation ; elles s'y retirent pendant la pluie ou à l'approche de l'orage , ou à la vue de quelque danger. Elles n'en fortent guère que dans les beaux jours , & ( 1 ) Lorfque la faifon devient rude , les Marmottes ont foin, fie fermer exa&enient les ouvertures de leur terrier. W CONTEMPLATION ne s'en éloignent que peu. Tandis que les une* jouent fur le gazon , les autres s'occupent à le couper , & d'autres font en fentinelle fur des lieux élevés , pour avertir par un coup de fifflet les Fourageurs de l'approche de l'Ennemi ( 2j). Pendant l'Hiver , les Marmottes ne mangent point & ne peuvent manger. Le froid les en- gourdit , fufpend ou diminue beaucoup la tranf- piration & les autres excrétions. La graifTe dont leur ventre eft très - fourni , paffe dans le fang & le répare. On diroit qu'elles prévoient leur lé- thargie, & qu'elles favent qu'elles n'auront alors nul befoin de nourriture *, car elles ne s'avifent point d'amaifer des provifions de bouche , comme elles amaifent des matériaux pour en revêtir Tin- ( 2 ) ff Les Natnraliftes racontent la même chofe des Lions- marins , efpeces de Phoques de la plus grande taille. La couche énorme de graifTe dont tout leur corps eft enveloppé , & qui a un pied d'épaiffeur , les rends lourds , pefans & grands dor- meurs : mais ils prennent, dit -on, la précaution de placer des- Sentinelles autour du lieu où ils repol'ent , & qui ont grand foin, de les éveiller à l'approche du danger. Cela fe réduit, fans cloute , à ce que tous ces Phoques ne s'endorment pas à la fois : ceux qui veillent encore , effrayés par le danger , pouffent des cris qui éveillent les autres. Ces cris font fort bruyans & ref- femblcnt au grognement du Cochon ou à l'heuniffement du Cheval. Ils vivent en fociété. Les Mâles les plus puiffans s'affu- jettiffent plufieurs Femelles , & empêchent les autres Mâles d'eii approcher. { Voy. Part. III , Chap. XXVI , Note 2.) \ DE LA NATURE. Part. XII. îjî teneur de leur domicile. Elles feconduifent donc à cet égard comme les Fourmis ( 3 ). ( 3 ) tt Ce n'eft qu'à un affez grand degré de froid que la Marmotte s'engourdit. Mr. de Reaumur avoit vu un de ces Animaux qui avoit confervé toute fon agilité à un froid de cinq degrés au-deïïbus de la congélation. Il faut favoir gré à Mr. de Buffon d'avoir recherché le premier la caufe fecrete de l'eu- gourdiffement de divers Animaux, tels que la Marmotte, te' HerhTon , le Loir , la Chauve-fouris , &c. Ce point fi intéref. fant de Phyfiologie comparée méritoit bien l'attention d'un Phyficien de cet ordre. Il croit s'être bien aflfuré que l'efpece de torpeur dont il s'agit, eft due uniquement au refroidiffement du fang , occafioné par le froid de l'air ambiant. Il penfe que la chaleur naturelle de ces Animaux eft pour l'ordinaire à-peu- près égale à celle de î'athmofphere , & qu'elle augmente on di- minue dans îe rapport aux variations de température de cette dernière. Il fonde cette aifertion fur des expériences thermos métriques, qui paroiffent au premier coup-d'ceil bien décifives. Elles lui ont appris , que li à une température de dix degrés , on introduit la boule d'un petit thermomètre dans l'intérieur de plufieurs Loirs vivans , l'inftrument indiquera à-peu-près le même degré de chaleur naturelle dans l'Animal. Mr. de Buffom ïegarde donc comme des Animaux à fang froid , tous ces Ani- maux qui s'engourdhTent pendant l'Hiver. Mais Mr. Spal- lanzani , qui a répété L'expérience avec le plus grand foin fur des HérnTons, fur des Marmottes, fur des Chauve-fouris, s'eft convaincu que ces Animaux ne font point du tout des Animaux à lang froid , & que leur chaleur naturelle eft la même que celle de l'Homme. Il a vu la liqueur du thermomètre s'élever à 31 degrés dans la bouche d'une Marmotte , lorfque la température de l'air extérieur étoit de 1 ç degrés , & fes «xpériences fur les Hériflbns & les Chauve-fouris lui ont donné précifément les mêmes réfultats. Mais l'habile Naturalifte, tou- jours inventif , ne s'en eft pas tenu là : il a démontré de la 552 CONTEMPLATION manière la plus rigoureufe , que l'engourdiffement en queftîoît ne dépend point du tout du refroidiffement du fang. On fait que les Grenouilles , les Crapauds , les Salamandres aquatiques > s'engourdiffent auffi pendant l'Hiver , & qu'ils deviennent alors, aufli roides que les Loirs , les Héritions ou les Marmottes. Mais , ce qui n'eft pas aufli connu , c'cft qu'on peut ouvrir le cœur de ces Amphibies ou en couper l'aorte fans qu'ils ceffent de fauter, de courir & de plonger. Mr. Spallanzani a fu mettre à profit ce fait finçulier dont il s'étoit affuré bien des fois par fes propres expériences : il a évacué ainfi tout le fang; contenu dans le corps de ces Amphibies ; il les a enfuite enfe- velis dans la neige : ils s'y font tous engourdis comme les Ani- maux de leur Efpece ; & après les avoir expofés dans cet état à une température convenable, il les a vu reprendre le fenti- ment & le mouvement. Il n'a même obfervé à cet égard aucune différence entre les Amphibies entièrement privés de fang, & les Amphibies qui n'avoient point fubi l'opération de la faignée- Quelle eft donc la véritable caufe de cette étrange torpeur ,. de cette forte de léthargie plus ou moins profonde , qui furvient à différentes Efpeces d'Animaux pendant la mauvaife faifon , & qui dure des mois entiers ? Notre Obfervateur paroît avoir percé ce myftere : il remarque , que tous les mufcles de l'Ani- mal engourdi font d'une rigidité extrême : les plus puiflans ftimulans ehymiques , l'étincelle éledrique, les piquures,les incifions y produifent à peine quelque léger figue d'irritabilité. Toutes les fibres mufculaires font alors trop fortement contrac-. tées pour qu'elles puiffent céder à l'adion de la puiffance vitale : cette action eft donc fufpendue , & de cette fufpenfion naît l'engourdiffement ou la torpeur. Au refte , tous les Animaux ne s'engourdiffent pas au même degré de froid : les variétés qu'on obferve en ce genre tiennent , fans doute , à la nature, particulière des fibres mufculaires & au degré d'énergie de la puiffance vitale. Les Loirs , par exemple , commencent à s'en* gourdir dès que le thermomètre defcend au-deffous du degré de la température j les Crapauds , les Salamandres , &c. ne s'en- gourdiffent que par un degré de froid très-voifin de celui d? U congélation. D E LA 'NATURE. Part XII. jjj CHAPITRE XXXII. D/* langage des Bêtes. c E Tu jet n'a pas toujours été traité affez phi- losophiquement. Comme l'on a accordé de l'in- telligence aux Bêtes, il s'en faut peu qu'on ne leur ait accordé auflî la parole, & qu'on n'ait entrepris de nous donner leur Dictionnaire. L'on nous a traduit leurs entretiens précifément comme les Voyageurs nous ont rendu ceux de quelques Nations fauvages. Ici le vrai a été diifous dans une grande quantité de faux. Effayons d'en faire la Séparation., Quand on demande, fi les Bêtes ont un lan- gage 9 il faut diftinguer foigneufement deux fortes de langages , le naturel & Y artificiel. Dans la pre- mière efpece doivent être rangés tous les lignes par lefquels l'Animal donne à connoitre ce qui fe paffe dans fon intérieur. Mais , fi nous vou- lons nous borner aux feuls fons , le- langage na- turel fera un aiTemblage de fons non - articulés , uniformes dans tous les Individus de la même Efpece , & liés tellement aux fentimens qu'ils expriment , que le même fon ne représente ja- 3H COXTEMPLATIO mais deux fentimens oppofés. Le langage artifi- ciel, au contraire, fera un aifemblage de fons articulés & arbitraires, qui n'ont d'autre liaifbn avec les idées qu'ils repréfentent , que celle que leur donne finititution ou la convention ; en- forte que le même fou peut être figne d'idées très - différentes & même oppofées ( i ). ( I ) ff Si tout a fa caufe ou fa raifon , le langage artificiel, n'a pu être arbitraire dans fon origine. Il a fallu un motif pour' que les premiers Hommes défîgnaffent un certain objet par/ un certain fon articulé , & ce motif n'a pu exifter que dans la" Nature ou dans la conftitution de l'Homme & dans fes rapports aux divers Êtres. L'imitation eft naturelle à l'Homme , & fon infiniment vocal , comme fon infiniment auditif , eft fufceptible d'une multitude de modifications diverfes. Les premiers Hom- mes frappés des fous que rendoient certains objets , imitèrent ces fons , & les fons plus ou moins articulés que produifit cette imitation, furent les premiers mots de la langue primitive. Plus l'imitation fut parfaite , & plus les mots furent pittoref» ques ou repréfentatifs; & plus ils furent repréfentatifs , plus ils furent durables. Mais , comme l'inflrument vocal ctoit fournis à l'influence du climat, du genre de vie, de l'éducation, &c. il clevoit naturellement en réfulter chez différentes Peuplades des" variations dans l'articulation , qui modifièrent plus ou moins les mots primitifs , & dégrafèrent plus ou moins leur première origine. Les mots primitifs furent des racines fécondes qui pro-* duifirent d'autres mots , & ces mots furent des dérivés , &c. Ainii le langage artificiel fut à fa naiffance une peinture appro- priée à l'oreille : mais dans la fuite , par une autre imitation tout aufîi naturelle , on appropria cette peinture aux yeux , en efquillant groîliérement les principaux traits de l'objet, & cette efquiffe grofîiere donna naiffance à l'écriture alphabétique, qui ie perfectionna de plus en plus par le retranchement fucceflil' DE LA NATURE. Part. XII. ;Yç Le langage artificiel eft proprement ce que nous nommons la parole. L'Homme eft le feul Animai qui parle , & ©ette admirable prérogative lui donne l'empire fur tous les Animaux. Par la parole , il règne fur la Nature entière , remonte à fon Divin Auteur , le contemple , l'adore % & lui obéit. Par la parole , il fe connoît lui- même , connoît les Etres qui l'environnent , & les tourne à fon ufage : il peut dire Moi , juger de fes relations , s'y conformer , & accroître ainlî fon bonheur. Par la parole, il devient un Etre vraiment fociable , & les Sociétés qu'il forme, il les gouverne par des loix qu'il crée , change ou modifie félon les temps , ies lieux & les oc- currences. La Brute , bornée au langage naturel , ignore tout , hormis fes befoins & les objets qui peu- vent les fatisfaire : mais une multitude de feu- fations tient à ces befoins divers , & toutes ou prefque toutes ont leurs fignes naturels. L'efpece de ces lignes , leur nombre , leur emploi , l'or- dre dans lequel ils fe fuccedent , la manière dont ils font variés & combinés , conftituent le génie de differens traits de la peinture ou de Pefqiiiflfe originelle. Il faut voir dans l'intérefîante Hifioire de la parole du favant & eftiirypble Gebelin le développement de ces idées, que je ns fei* qu'ébaucher» 156 CONTEMPLATION de la langue des diiférens Animaux , & fournit fent aux Naturaliftes une fourçe intariffable d'ob«. fervations curieufes , de recherches fines , de détails intéreifans î mais s'il veut éviter Terreur , il ne puifera dans cette fource féconde , qu'à l'aide d'une faine Logique* Les obfervations qui prouvent que les Bêtes ont un langage naturel , font en grand nombre» Nous ne ferons embarraffes que fur le choix. Nous ne reftreindrons pas ce langage aux fons :; nous y joindrons tous les (ignés par lefquels la Brute exprime ce qu'elle fent. Il n'eft pas befoin d'aller bien loin pour étudier cette langue : une baffe - cour eft l'école où l'on peut le mieux s'ea inltruire. Prêtons donc une oreille attentive aux Animaux domeftiques , & prenons - les pour nos Maîtres. Suivons une Poule qui conduit des Pouffins. Â-t- elle fait quelque trouvaille? elle les appelle pour leur en faire part : ils l'entendent & aecou- rent ' auffi - tôt. Viennent- ils à perdre de vue cette Mère chérie ? leurs cris plaintifs témoignent affez leurs peines & leurs befoins. Remarquons encore les différens cris du Coq cjuand il entre un Homme ou un Chien dans te* DE LA NATURE. Part. XII. 337 la baffe- cour 5 foit quand il découvre l'Eperviet ou quelqu'autre objet qui l'effraie* foit enfin quand il raiîemble fes Poules ou qu'il leur ré- pond. Que veulent dire ces Tons lugubres de cette Poule- d'Inde? Voyez fes Petits fe cacher & fe tapir à i'inftant. On les diroit morts. La Mère regarde vers le Ciel , & redouble fes gémiife- mens. Qu'y découvre - 1 - elle ? un point noir que nous avons peine à démêler, & ce point noir eft un Oifeau de proie , qui u'a pu tromper la vigilance & la pénétration de cette Mère ins- truite de loin par la Nature. L'Ennemi difparoît, la Poule pouffe un cri de joie 5 les alarmes ceiîent , les Petits reifufcitent *, & les voilà tous rendus auprès de leur Mère & à leurs plaifirs (2 J. Observons les Canards lorfqu'ils veulent aller au bain. Ne femble-t-il pas qu'ils en con- (2) ff L'Hirondelle qui habite avec nous, eft un autre exemple familier de la manière dont les Oifeaux varient leurs cris fuivant leurs befoins ou leurs circomtances. „ Outre fou „ chant le plus ordinaire, elle a encore, dit Mr. de Mont- 3, beillard , le cri d'affemblée , le cri de plaifir , le cri d'ef- 35 froi , le cri de colère , celui par lequel la Mère avertit fa 3, couvée des dangers qui la menacent , & beaucoup d'antres 33 expreflions compofées de toutes celles-là : ce qui fuppofe une j, grande mobilité dans leur fens intérieur ". Tome IX. Y 5î8 CONTEMPLATION viennent entr'eux par des fignes de tête réitérés ^ analogues à ceux que nous faifons nous-mêmes quand nous approuvons ? Le Chat par fes miaralemens divers , exprime à ion Maître fes befoins , à fa Femelle , fou amour , & à fon Rival , fa colère. Ecoutez cette Chatte qui follicite fe£ Petits à quitter le galetas où ils ont été élevés , & à defcendre dans les offices , pour partager avec elle les avantages de ce nouveau féjour. Voyez- la encore jouer avec eux. Elle vient de prendre une Souris : elle les appelle 5 ils accourent à fa voix. Elle leur lâche la proie vivante, & leur apprend à s'en jouer. Quel concert dans leurs jeux î quelle vivacité & quelle variété dans leurs mouvemens ! quelle exprefîion dans leurs geftes, dans leurs contorfions , dans leurs attitudes ! Que d'efprit dans tout cela î paifez - moi ce mot, que ma Logique a beau réprouver. Le langage du Chien, le plus exprefTif de tous , eft (1 varié , fi fécond , Ci riche , qu'il four- xiiroit feul à un long Vocabulaire. Qui pourroit demeurer infenfible à Lla manière dont ce Do- meftique fidèle fait éclater la joie que lui donne le retour de fon Maître ? Il iaute , danfe , va a *) E LA NATURE. Part. XIL |f| revient, retourne, circule rapidement & aveé grâce autour de ce Maître chéri ; s'arrête tout- à-coup au milieu de fa courfe , fixe fur lui des regards pleins de tendreffe, s'en approche, là lèche à plufieurs reprifes , reprend fa courfe, dit paroît , reparoît un inftant après pour mettre à fes pieds quelque chofe * gefticule, aboie , conte à tout le monde fa bonne fortune ; fa joie s'ex- travafe par mille endroits & de mille façons 5 il ne fe poffede plus , il redouble fes aboiemens ; on diroit qu'il va parler : mais , quelle diiïérencè du ton qu'il prend à préfent , à celui qu'il pren- dra la nuit, lorfque placé en fentinelle fur la porte du logis , il appercevra un Voleur ! quelle; différence encore entre ce nouveau ton & celui dont il ufera à la vue du Loup î Suivez ce Chien à la chaife : quelle expreffion dans tous fes mou. vemens , & fur - tout dans ceux de fa queue i Quelle fage ardeur î quelle mefure ï quelle faga- cité î quel accord avec le Chaifeur î quel art à fe faire entendre, à modifier à propos fes allures, à diverfifter fes indications î Un Lièvre eft lancé 5 le Chien donne de voix, & qui pourroit fe mé- prendre aux fons redoublés qu'il rend alors ï Je côtoie un bois : j'entends deux Oifeaux qui fe répondent l'un à l'autre. Je les vois fe rap- procher peu - à - peu : je reconnois que ce font Y % 340 CONTEMPLATION deux Fauvettes. Après avoir fauté quelque temp3 de branches en branches , je les vois fe pofer l'un auprès de l'autre3, commencer à fe bec- queter , & en venir à de petites agaceries : les careffes redoublent : rien de plus expreflîf que tout cela , l'heureux Couple s'unit. Le Mâle ga- zouille tout bas j La Femelle l'écoute & lui 'ré- pond par intervalles. Ils ne doivent plus fe fé- parer , & tous deux vont travailler de concert à conftruire le nid qui recevra le Fruit de leurs amours. Ils l'ont conftruit , la Femelle a pondu $ & elle couve. Le Mâle fe tient auprès d'elle , & iemble vouloir charmer par fcs accens l'ennui de l'incubation. Les Petits éelofent; le Père & la Mère pourvoient à leur éducation & les foignent tour - à - tour Je les entends demander la pâture *, ils l'ont reçue ; ils fe taifent ( 3 ). (3) tt Vive, gaie, légère, prefqne volage, l'aimable Fau- vette ne fembleroit pas fufceptibie d'un grand attachement , & pourtant elle eft très - aimante , & l'union que le Mâle & la Femelle contraétent dans la faifon des amours , fubfifce encore îorfque les Petits n'ont plus befoin de leurs tendres foins. Tou- jours fidèles l'un à l'autre , toujours empreiïes, ils ne ceffcnt de fe prodiguer réciproquement les marques de leur tendreffe. Ils partagent également leurs peines & leurs plaîfirs , & tout cfi: commun entr'eux. Le Mâle couve alternativement avec la Fe- melle , & partage avec elle tous les foins de l'éducation des Petits. La Fauvette a bien plus de difcernement que la Poule & bien d'autres Oifeaux î on ne la trompe point , comme eux , & fi l'on tente de lui donner à couver des œufs étrangers, elle ks Tcconnoît auffi-tôt, les cafTe ou les. rejette. DE LA NATURE. Part. XII. h* Je chaffe à la pipée , & je me fers d'une Chouette. Une Hirondelle l'apperqoit , crie & vole quelque temps autour du trifte Oifeau , & difparoît. Au bout d'un quart -d'heure , je vois accourir des efcadrons d'Hirondelles , qui me forcent d'abandonner la chaife. La première Hirondelle avoit donc été former le tocfin î J'entre dans la Ville ; j'entends un Chien qui aboie avec force «Se prefque fans interruption : d'autres Chiens le joignent bientôt , & tous ne eeffent d'aboyer. Je cherche ce qui peut les ameuter ainfi : je découvre un Homme vêtu d'une forte d'uniforme & appuyé fur un bâton. Cet Homme eft un de ces Archers prépofés par la Police pour tuer & empoifonner les Chiens dans certains temps de l'année : ces Animaux les con- noiffent , & leur rendent guerre pour guerre. Après le Roffignol, la Fauvette eft le pins grand Muficïen des bois , & nous annonce par fa douce mélodie le réveil de la- Nature & le retour des beaux jours. Elle eft au nombre des Oifeaux de paiïage : elle nous quitte en Automne , & revient au Printemps charmer de nouveau nos oreilles & animer nos bocages.. Y î 542 CONTEMPLATION CHAPITRE XXXIII. Continuation du même fujet, s I nous defcendions des Efpeces fupérieures aux Efpeces inférieures , & iî nous nous arrêtions aux In fe&es , nous trouverions qu'il en eft qui ne font pas mal habiles à peindre leurs petites pallions , & à exprimer leurs plaifirs ou leurs befoins. Les amours des Araignées , des Demoi- feiles, des Papillons nous préfenteroient bien des traits qui ne nous permettroient pas de douter que le Mâle & la Femelle n'aient une manière de s'entendre, & 'même très -.exprefïiye. Leur manège adroit, leurs tours variés, leurs petites rufes nous prouveroient qu'ils ne font point novices dans cette langue que tous les Etres fen- tans pofledent plus ou moins , & dont les fignes ne font prefque jamais équivoques. Nous ver- rions le Mâle folliçiter long- temps par fes jeux , par fes careffes , par fa confiance , des faveurs qu'on ne fembleroit d'abord lui refuferque pour exciter plus fortement fes defirs & fa pafïion. Nous obferverions la Reine - abeille fe proïtituer aux faux- bourdons, triompher de leur indo- lence par des agaceries redoublées , caufer la LE Z A NATURE. Part. XII. 34? i mort de celui qu'elle auroit ainfi vaincu , s'effor- cer par fes careffes de le rendre à la vie , & lui demeurer fidèle même après la mort ( i ). Les prévenances & les empreifemens des Neutres pour cette Reine fi néceffaire à fon Peuple , les efpeces d'hommages qu'ils lui rendent , ne grof- firoient-ils pas encore le Dictionnaire des In- fectes ? Quand on connoît un peu l'admirable composi- tion de l'organe de la voix de l'Homme, & de celui de la voix des Quadrupèdes & des Oifeaux , l'on ne s'avife guère de mettre en queftion fi de tels organes leur ont été donnés pour rendre des fons & pour les modifier. L'imagination fuccombe prefque à la vue du nombre prodigieux de pièces , & de pièces différentes qui entrent dans la ftrudure de ces organes merveilleux , qui font à la fois des inftrumens à cordes & à vent. Ces inftrumens font û bien montés pour rendre les fons propres à PEfpece , que (ï l'on fouffle dans la trachée d'un Mouton ou d'un Coq morts , on croira entendre l'Animal lui-même ( % ). La ( i ) tt J'abrégeois fort ici le long & curieux détail qu^ le principal Hiftorien des Abeilles nous a donné des amours d'une Reine - abeille qu'il avoit renfermée avec quelques Faux -bour- dons. Confultez fur ces détails la Note 5 du Chap. VII de la Part. VIII. ( 2 ) ff Voyez Part. VII , Chap. V , Note 2 , diverfes parti- Y 4 $44 CONTEMPLATION Cigale pourroit nous offrir en ce genre des mer- veilles qu'on ne s'attendroit pas à rencontrer chez les Infectes. Si l'on ne reftrcignoit point le mot de voix à cet air modifié par les fibres teiv dineufes de la glotte & par les autres parties du larynx, la Cigale auroit une voix, & l'or- gane de cette voix nous paroîtroit prefque auiïï admirable que celui de la voix des Quadrupèdes & des Oifeaux. Ne réfiftons point à la tenta- tion de defcendre dans un détail Ci propre à nous convaincre que les plus petites Productions de la Nature font l'ouvrage de cette Intelli- gence Adorable qui s'eft peinte dans le petit comme dans le grand. La. Cigale efl; une efpece de Ventriloque : tfeft dans fon ventre qu'eft placé l'organe de fa voix ( 3 ). Le Mâle feui fait chanter; la Femelle efl muette , & apparemment que le chant du Mâle ne lui déplaît pas. Sur le ventre de ce dernier font deux plaques écailleufes , à- peu- près circulaires , attachées d'un côté par des cularités anatomiqnes fur la ftru&ure fi remarquable de l'or- gane de la voix dans l'Homme , dans quelques Quadrupèdes & dans quelques Oifeaux. ( 3 ) tt C'eft à Mr. de Reaumur que nous fournies rede- vables des curieux de'tails que j'cxpofois ici d'après kii fur l'ink trament vocal de la Cigale. £ E L A N A T XTR E. Part. XII. £& ligamens & mobiles de l'autre. Eiies peuvent être foulevées, & pour qu'elles ne le foient jamais trop, elles font retenues par deux petites che- villes. Si l'on enlevé ces plaques , l'on fera frappé de l'appareil qu'elles recouvrent, & l'on ne pourra s'empêcher d'y reconnoître un but déterminé > un but analogue à celui que nous découvrons (î clairement dans un larynx ou dans une glotte. L'on voit d'abord une grande cavité agréable- ment rebordée dans fon contour fupétïeur , & partagée en deux loges par une pièce triangu- laire. Au fond de chaque loge eft une efpece de miroir , du plus beau poli , & qui regarde obli- quement , préfente toutes les couleurs de l'arc- en-ciel. Il femble que ce foient deux fenêtres vitrées par lefquelles on peut voir dans l'inté- rieur de l'Animal. Mais ces fenêtres ont chacune un volet , qui les couvre ordinairement , & ce volet eft une de ces plaques écailleufes dont j'ai parlé. Au - derfous de chaque volet , eft un petit chevalet qui foutient le Volet , & l'empêche de s'abahfer trop dans la cavité. Voila déjà bien des pièces employées à faire chanter une Cigale , & pourtant ce ne font en- core là que les dehors d'un organe dont nous allons entrevoir l'intérieur & les pièces vraiment eifentielles. Outre les loges garnies de miroirs , il 34* CONTEMPLATION y a dans la grande cavité deux petits réduits 1 tapifTés d'une membrane très - élaftique , fillon- née régulièrement , & deftinée à faire les fonc- tions de la peau des timbales. C'eft ce qui a fait nommer ces réduits les timbales de la Cigale.Si l'on pafle une plume fur la peau de ces timbales , l'on fera chanter la Cigale , & cela arrivera dans une Cigale morte depuis long - temps , comme dans une Cigale vivante. Les filions ou les plis ré- guliers de la membrane élaftique font autant de petits inftrumens fonores qui ont chacun leur fon propre. L'air ébranlé & modifié par ces inf- trumens , va réfonner dans les loges , où il eft encore modifié par les différentes pièces qu'elles renferment, comme il eft modifié dans les Qua- drupèdes & dans l'Homme par les cavités de la bouche & du nez. Deux grands mufcles , for- més de la réunion d'un nombre prodigieux de fibres droites, font chargés de mettre en jeu ies filions fonores , & telle eft la caufe immé- diate d'un cri qui nous paroit Ci ennuyeux. Nous nous étonnons que la Nature fe foit mife en de Ci grands frais pour le produire; elle s'eft mife en plus grands frais encore pour opérer le braiement de l'Ane; & dans l'un & dans l'autre , elle n'a pas dû , je penfe , confulter notre oreille. Mais l'organe de la voix fuppofe un organe relatif à celui de l'ouie : la Cigale DELA21ATUR E. Part. XII. H7 aurait- elle donc des oreilles ? Le Mâle flatteroit- ïl agréablement celles d^la Femelle ? ou fe plai- roit-il lui-même à fon chant ou au moins à l'exercice qu'il exige? Nous ne faurions rien dire de pofitif la- deffus. "Il n'eft pas facile de découvrir dans les Infectes le fiege de l'ouie. Tous n'en font pas fans doute dépourvus. Le Lézard & la Grenouille ont des oreilles , & ils font bien voifîns des Infecles. Les organes fem- blables ou analogues ont été fi diverfifiés dans le Règne animal , qu'il ne feroit pas étrange que nous euiîions vu cent fois les oreilles des Infectes , fans avoir pu les reconnoître ( 4 \ D'ailleurs n'oublions point que la Nature fait fouvent fervir le même inftrument à plufieurs ( 4 ) ff Le Lézard , le Caméléon & la Tortue viennent à l'appui de la réflexion que je faifois ici. On avoit cru que le Lézard & le Caméléon étoient privés de l'organe de l'ouie , parce qu'on ne le découvroit point fur leur extérieur. On ne favoit pas , que pour le découvrir , il failoit ouvrir la bouche au petit Quadrupède. On apperqoit alors le conduit auditif, fitué vers l'extrémité des mâchoires. Le fon ne peut donc par- venir à l'organe principal de l'ouie de ces Animaux que par la bouche ou par les narines. On obferve une fmgularité analogue dans la Tortue : elle n'a point d'oreille externe : l'endroit de ia tête qui correfpond à l'organe de l'ouie eft recouvert d'une peau écailieufe comme le refte du corps ; mais fi on prefTe un peu la peau à cet endroit ■* on y fentira une forte d'enfoncement qui indiquera la cavité qu'elle recouvre. 548 CONTEMPLATION fins. La langue des Moules ne leurfert- elle pas à la fois de bras , de jambes & de filière (5) ? Les Animaux qui naiffent & vivent en fo- ciété, qui travaillent comme de concert aux mêmes ouvrages, font*ceux auxquels un langage fembloit être le plus néceffaire. En effet , ap- pelles à ne former qu'une même Famille , à fe foulager mutuellement dans leurs befoins , à s'entr'aider dans leurs travaux , quel moyen plus convenable que celui-là pour répondre à cette deftination ? Aufîi a - 1 - on obfervé chez ces Ani- maux , des particularités qui paroilfent prouver qu'ils s'entendent. Nous avons vu ( 6) les Mar- mottes en fentinelle donner à leurs Compagnes, par un coup de fifflet , le lignai de la fuite. Les Caftors ont un fignal analogue : ils frappent fur l'eau un grand coup de leur queue , & chacun eft averti de pourvoir à fa fureté. Il y a mille traits de ce genre, qu'il fèroit long & inutile d'indiquer. Mais en conclurons - nous que les ouvrages que ces Animaux conftruifent en com- mun font dirigés de même par un langage qui leur eft particulier? Il me femble qu'il n'eft pas ( ç ) Chap. XIII & XXI de cette Partie. ( 6 ) Chap. XXVI de cette Partie, DE LA NATURE. Part. XII. 349 befoin de recourir ici à un pareil moyen. Une comparaifon éclair cira ma peu fée. Cinquante Architectes font raffembles dans le même lieu pour travailler à la conftruétion d'un édifice. Ils ne doivent point fe parler 5 tous font muets de naiifance -, mais tous ont fous leurs yeux un plan de l'édifice , & ont requ les mêmes difpofltions & les mêmes initrumens pour l'exé- cuter. Tous font doués des mêmes talens & de la même mefure d'intelligence. Les mêmes idées qui font dans la tête de l'un, fe trouvent pa- reillement dans la tête de l'autre. Ainfi tous ju- gent & agiffent uniformément dans chaque cas particulier , & toujours dans un rapport déter- miné à ce cas. Les matériaux que les uns ont amailes , les autres les mettent en œuvre. Ce que le premier a commencé, le fécond le fuit, un troifieme l'achevé, un quatrième le perfec- tionne. Nulle contradiction , nulle diverfité dans les fentimens & dans la façon d'agir , nulle con- fufion, parce que les idées, les volontés & les moyens font précifément les mêmes chez tous. Ceci nous repréfenteroit-il ce qui fe paffe dans les Républiques des Fourmis , des Abeilles , des Caftors , &c. ? Quoi qu'il en foit , on ne fauroit difconven;r $f* CONTEMPLATION que les Bètes n'aient un langage naturel : cent & cent obfervations concourent à l'établir. Non- feulement elles donnent à connoître ce qu'elles éprouvent ; mais nous parvenons encore à les diriger à notre gré 9 par le feul fecours de la voix. Certains fons qui ont plufîeurs fois frappé leurs oreilles , & qui les ont toujours frappées dans des circonftances propres à faire fur le cer- veau une forte impreiïîon s s'y gravent profon- dément; enforte qu'à Fouie de ces mêmes ions, l'idée de la cliofe ou de l'acte qui y a été at- taché , fe réveille à Pinftant , &c. La manière dont on dreffe les Animaux domeftiques , & celle dent on apprivoife les Animaux fauvages, en fournifTent des exemples fans nombre* Le Vulgaire croit qu'on enfeigne aux Bètes à parler : il ne fait pas que parler , c'efl; lier fes idées à des figues arbitraires qui les repréfen- tent. Les phrafes que le Perroquet répète avec tant de précifion , ne prouvent point qu'il ait les idées attachées aux mots qu'il prononce : il pourroit prononcer aufli-bien les termes des Sciences les plus abftraites.Qui ne voit que c'eft ici un jeu purement automatique? Si l'on elt parvenu à enfeigner à quelques Animaux domeftiques à diftinguer les caractères de l'alphabet , à les lier, à en compofer des mots , à mélanger les cou- DE LA N A T U R E.Part.XlL ^£- leurs & les aflbrtir , &c. , &c. , tous ces faits & cent autres de même genre, qui étonnent le Vulgaire , prouvent fimplement que le cerveau des Animaux eft capable de former des aiTocia- tions d'idées fenfibles ( 7 ). ( 7 ) tt ®n montroit à Paris en Ï760 un Serin âgé de quatre ans , qui affortiffoit toutes les nuances des étoffes brochées qu'on lui préfentoit , qui formoit de cara&eres féparés tous les mots qu'on lui demandoit , indiquoit par des chiffres l'heure marquée à une montre , fans même oublier les minutes , & qui enfin , exécutoit avec autant de facilité que de promptitude différentes opérations arithmétiques. Le Maître de ce Serin merveilleux avoit paffé plus de trois ans à perfectionner fes talens & fon éducation. La facilité du Perroquet à imiter la parole , fuppofe bien de l'analogie entre fes organes auditifs & vocaux & ceux de l'Homme. Il imite avec la même précifîon tous les bruits qu'il entend , le miaulement du Chat , l'aboiement du Chien , les cris des Oifeaux , ceux des Enfans , &c. Mais on fait que le Perro- quet n'eft pas le feul Oifeau qui foit doué du talent dont il s'agit : la Pie , le Merle , le Geai , le Sanfonnet , &c. apprennent aufli à parler. La langue de tous ces Oifeaux eft épaiffe & arrondie à-peu-près comme celle du Perroquet. Il eft même un Quadrupède c'efl: qu'elles ne font point douées de la parole. Elles ne généralifent point leurs idées ; elles ne forment point des al) (tractions intellectuelles. Le fujet fe confond pour elles avec fes attributs , ou plutôt il n'eft bien d'autres de même genre & de genres differens , prouvent feulement que le cerveau des Animaux peut , comme le nôtre , former des aiïbciations d'idées purement fenfibles. Plus ces afl.b- ciations font nombreufes & variées , & plus les aitions qui leur correfpondent & qui les repréfentent paroiffent merveilleufes. L'imagination du Spe&ateur échauffée par le merveilleux & la nouveauté des faits , a bientôt transformé l'Animal en Être intelligent. Cette capacité pftyfique d'affocier des idées fenfibles de divers genres , permet h l'Animal de lier les perceptions auditives ou vifuelles des mots ou des nombres à celles des caractères ou des chiffres qui les repréfentent , &c. Sa mémoire retient fidèlement une fuite de fons , & la correfpondance fe- crete qui eft entre l'organe de l'ouie & celui de la voix, le met en état de répéter ces fons. Tout ceci eft bien plus méchanique qu'on ne le penfe communément. -Mais on fe preife d'admirer , & l'admiration qui n'eft pas éclairée commet ici bien des mé- prifes. Il y a, fans doute , beaucoup à admirer dans ce jeu mé- chanique que nous ne faifons encore qu'entrevoir j mais cette forte d'admiration n'appartient qu'au Philofophe , parce qu'elle «ft très-raifonnée. point DE LÀ N A T U R E.Part.XïI. j$f point pour elles de fujet ni cfattabut. Les Etres he leur font connus que par quelques qualités fenfibles. Toutes leurs comparaifons , tous leurs jugemens repofent immédiatement fur ces qua- lues. Les Bètes ne raifonnent donc point , à parler/ exactement : elles n'ont point nos idées moyen-» nés , parce qu'elles n'ont point nos fignes ( s ). Lors donc qu'eUes paroiifent raifonner, elles né font que comparer ou Ce rappeller certaines idées fenfibles , d'où réfultent tel ou tel mouvement , telle ou telle action; Plus les idées comparées ou rappelîées feront nombreufes, variées , & plus les Bètes paroîtront raifonner. Ce ne fera pour- tant jamais qu'une apparence qui ne trompera point ceux qui auront aOTez de philofophie dans l'Efprit pour analyfer ce mouvement ou cette action & remonter au principe ( 9 ). ( 8 ) ft Le Lecteur voudra bien confulter ici là Note i âii Chap. I de la Part. XI : ceci eidgc quelqu'attentioii pour être bien iaifi. (9) H y a des actions des Animaux qui affectent un air ⣠prudence ou de réflexion , qui féduiroit le Philofophe lui-même „-■ s'il pouvoit oublier un inftant que la Brute , bonue aux pures fenfations , ne fauroit s'élever au rang des Êtres intelligens. Le Secrétaire ou le Mciïager , Oifeau lingulier qui femble tenir à la fois de l'Oifeau de proie & de l'Oifeau de rivage , s'y pre Tome iX % ^4 CONTEMPLATION Donnez aux Caftors l'ufâge de la parole ; pen- fe-z-vous qu'ils s'en tiendroient éternellement (Pline manière bien remarquable pour fe rendre maître des Ser- pens dont il fait fa p.iture. D'abord il étourdit à coup d'ailes le •redoutable Reptile ; il le faifit enfuite par la queue, l'élevé en "l'air , le laiiïb retomber d'une allez grande hauteur , & ne celle elle 3> 3Î 3) 3> D E LA NATURE. Part XII. 3 fi Mais , ce n'efl; pas ici le lieu d'approfondir ce fujet de métaphyfique , & de montrer comment 3, leur a cédé un empire plus étendu fur les Habitans de l'air , 9, de la terre & des eaux. ... Si nous ajoutons à toutes ces 3, prééminences de Force & de vîteffe , celles qui rapprochent 3, les Oifeaux de la nature de l'Homme , la marche à deux 3, pieds , l'imitation de la parole, la mémoire mivficale , nous 3, les verrons plus près de nous que leur forme extérieure ne 3, paroît l'indiquer ; en même temps que par la prérogative 3, unique de l'attribut des ailes & par la prééminence du vol 3, fur la courfe , nous reconnoîtrons leur fupériorité fur tous 3, les Animaux terreftres ", Ailleurs Mr. de Buffon affignoit la première place à l'Elé- phant, &i'ôtoitau Singe. (Part. IV, Chap. III, Note 1.) Ici, ce font les Oifeaux qu'il place au premier rang ou immédiate- ment après l'Homme. Mais , fi lorfque l'on compare entr'eux des Etres mixtes ou des Etres formés de la réunion de deux fubftances différentes , on doit avoir égard à la fois aux rapports ou aux reffemblances qui naiffent des attributs réunis des deux fubftances , ne fera-t-on pas dans l'obligation philofophique de placer au premier rang l'Etre qui , par fa forme extérieure & intérieure, par fes mœurs , par fes inclination;, par fes talens, par fa perfectibilité enfin , fe rapproche le plus du premier des Êtres terreftres? Or , combien l'Orang-outang eft-il plus près de l'Homme à tous ces égards , que l'Aigle ou le Perroquet ! Il eft vrai que l'Orang-outang ne parle pas , ou plutôt ne jafe pas comme le Perroquet : & pourtant fon infiniment vocal eft in- comparablement plus parfait que celui de l'Oifeau, puifqu'il eft parfaitement femblable à celui de l'Homme. Seroit-il donc im- poffible d'enfeigner à un jeune Orang-outang à parler? On a bien fait parler le Chien , ( Note 7 ) dont l'inflrument vocal • paroiffoit beaucoup moins propre à fe ployer à ce genre d'exer- cice. Qui ne voit d'ailleurs, qu'on ne doit pas faire entrer ici en confidération la force refpe&ive du corps , la légèreté jointe Z3 \tf C 0 tt T E M P L A T t 0 N la parole perfectionne toutes nos facultés. Il me fuffit d'avoir indiqué la principale fource des méprifes que Ton commet Ci généralement fur les opérations des Bêtes. La méprife efl: bien plus grande encore , lorf- qu'oti leur prête toutes nos vues & toute notre prévoyance. Je ne diffimulerai point néanmoins qu'il eft en ce genre des faits qui étonnent , qui s'emparent violemment de notre admira- tion , & qui ieduiroient le Philofophe lui-même , s'il n'étoit continuellement fur fes gardes. à la folîdite de l'organifation , la puifTance de voler , la rapidité de la courfe , &c. car fi Ton avoir, égard aux qualités de ce genre, il fe trouveroit que l'Oifeau devroit être placé au-deiïiis de l'Homme môme. Un feul trait d'intelligence dit plus que toutes ces prérogatives phyfiques de l'Oifeau. Quand l'Ame du Perroquet auroit la même capacité de connoitre & d'agir que celle de l'Orang-outang, il fuffiroit que les membres du Perro- quet Biffent: dans rimpoflibilité abfolue d'exécuter ces avions prelqu' humaines que l'Orang-outang exécute 11 bien, pour que l'Oifeau ne pût obtenir la première place après l'Homme. Tout harmonife effentiellemeiit dans l'Etre mixte : l'Ame & le Corps y font entr'eux dans un rapport qui correfpond exadement au rôle que l'Etre étoit appelle à jouer fur le grand Théâtre du Monde. Il me paroît donc que nous lie faurions mieux juger de la prééminence d'un Etre mixte , que par le nombre , la diverfité & l'efpece da rapports qu'il ibutient avec l'Homme , . Je plus parfait de tous les Etres mixtes. Mais , encore une fois, c'eft l'enfemble de tous les rapports connus, foit anatomiques ', foit pfychologiques , qu'il faut faxfir, comparer & apprécier. DE LA NATURE. Fart XII. \f$ J'en ai déjà raconté plufieurs : je vais en raf- fembler d'autres , qui ne frapperont pas moins » & qui manqueroient à mon ouvrage fi je les •mettais. CHAPITRE XXXIV. i La Chenille qui fe conftruit uns coque en najje de Pùijfon. Irrégularités dans le travail des btfe&es. Réfexiorts à ce fujet. DaN s le Chapitre IV de cette Partie , nous avons pris une idée de la conuruclion des co- ques des Chenilles , & des variétés les plus re- marquables de cette conftructionchez différentes Efpeces. Il s'en faut beaucoup que nous ayons épuifé cet agréable fujet; nous- ne devions pas même entreprendre de le faire \ mais nous pou- vons y revenir avec plaifir. Une grande Chenille ( i ) qui fe fait aifément (i) ff On trouve cette Chenille en Été £hr le Poirier & le Prunier. Elle n'eft pas moins remarquable par fa grandeur &fa groflfeur , que par les tubercules brillans dont fes anneaux font ornés. J$i eu bien des occafions de la fuivre dans fon li\gé~ Z4 $6o CONTEMPLATION remarquer par des boutons ou tubcrcu'es, fem- blabies à de petites turquoifès , dont Ces anneaux iont ornés , fe conftruit une ^.toife coque de pure foie fort lufirée & très-épu. fi . Cette co- que enrichirok nos Fabriques, fi Ton favoit en tirer parti. Examinez attentivement celle que j'ai ren fermée dans cette boite. Un de fes bouts eft arrondi ; l'autre fe termine en pointe. Fixez vos regards fur celui - ci : il eft ouvert. Comment l'Infecte , dans fon état d'inaction , eft - il à l'abri des infultes des petits Animaux voraces , tandis qu'il demeure dans une coque ouverte à tout yenant ? Il eft appelle à y paifer ordinairement neuf à dix mois, & quelquefois il arrive par des, circon fiances particulières , à nous inconnues , qu'il y paire plu Meurs années. Vous reprochez déjà à la Chenille fa négli- gence , & vous demandez pourquoi elle n'a pas la précaution de fermer exactement fa coque , pieux travail , & j'ai expofé ailleurs fort en détail l'art avec lequel elle confirait fa double nafTe. Sa manière de la filer ne reffemble point à celle dont elle file le relie de la coque. Elle s'y renferme en Août & fe transforme en Mai en cette belle & grande Efpeee de Papillon de nuit, qui a requ le nom de Pa- f Mon -paon , parce que fes ailes font parées de taches colorées en forme d'yeux , qui imitent celles qui brillent fur la queue du Faon. Il ji'eft point dans nos Contrées de Papillon dont les ailes foient aiifli amples. J) E LA NATURE. Part. XII. %6Î comme le Ver-à-foie & tant d'autres Chenilles? Sufpendez un moment vos reproches : le Papillon dans lequel cette Chenille fe transforme n'a au- cun inftrument pour rompre ou couper les fils jde la coque & pour s'y frayer une iifue. Il ref- teroit donc toute fa vie prifonnier dans cette coque que vous voudriez qui fût fi bien clofe.. La Chenille la laiffe donc ouverte \ mais elle fait en même temps en interdire l'entrée a tout Infecte vorace. Elle y pratique une efpece de na(Te de Poif- fon : les fils qui compofent cette naffe font beau- coup plus forts que ceux du refte de la coque : ils ont de la roideur , & font comme guipés ou frangés. Tous font couchés & dirigés dans le même fens, & fe terminent à l'ouverture. La naife ou l'entonnoir qu'ils forment par leur arTem- blage , a fon embouchure tournée du côté de l'intérieur de la coque. Ouvrons cette coque avec des cifeaux : vous voyez diftinctement tout l'artifice de la petite naife. Vos reproches fe changent maintenant en éloges , & vous admirez l'adrelfe de la Che- nille. La naife fe préfente au Papillon qui veut fortir , comme nos nalfes fe préfentent aux Poif- fons qui veulent y entier 3 par conféquent , elle 362 CONTEMPLATION fe préfente aux Infe&es voraces , comme no# naflcs , aux Portions qui tentent d'en fortir. Je ne vous ai pas montré encore tout l'art de la Chenille. Une feule naife ne fuffiroit pas fans doute : il pourroit fe trouver des Iufe&eS' qui s'y introduiroient , & qui dévoreroient la Chryfalide Notre Chenille pratique donc une féconde na fie au - deifous ou dans l'intérieur de la première , & les fils de cette féconde naife font encore plus ferrés que ceux de la naife ex- térieure. Observez, je vous prie, avec quelle préci- fion les deux naffes font emboîtées l'une dans l'autre : vous vous écriez > qui pourroit méconnoî- tre ici une fin déterminée ! Ne vous y mé- prenez pas : ce îveft point la Chenille qui s'eft propofé cette fin ; c'eit F Auteur de la Che- nille. Analyfez un peu toutes les connoiifauces & tous les raifonnemens que cette fin fuppo- feroit dans la Chenille , & vous reconnoîtrez bientôt , qu'elle n'eft qu'un instrument aveu- gle , qui exécute méchaniquement un travail néceffake à la confervation de l'Individu. Cet infiniment peut fe déranger dans fes opé- rations , comme toute autre machine : il peu& DE LA NATURE. Part. XlL ;<*$ même fe déranger davantage , parce qu'il eft moins (Impie , & qu'il n'eft pas une pure ma- chine. Auifi a- t- ou vu une coque d'une Che- nille de cette Efpece , qui écoic toute ronde , bien ciofe de toutes parts > fans naffes , & dont il ne fortit point de Papillon ( 2 ). On obferve de pareils dérangemens dans îe travail de divers Infecles , & en particulier dans celui des Abeilles ( 3 ). Ce ne font pas proba- { 2 ) ff La groffe coque que fe file notre grande Chenille à tubercules , eft toujours de couleur brune : la coque toute ronde dont je parlois ici & que j'envoyai à Mr. de Reaumur, étoit d'un beau blanc très - argenté , Se un peu moins groffe que les coques ordinaires. ( 3 ) tt Les variétés & les irrégularités que l'œil attentif de l'Obfervateur découvre dans le travail des Abeilles font prefque innombrables , & il en eft de bien des genres. Je n'ai jamais man- qué de donner beaucoup d'attention à ces fortes d'anomalies depuis environ quarante ans que j'obferve ces Mouches induftrieiifcs : c'eft que rien n'eft plus propre que de telles anomalies à per- fuader que les Bétes ne font pas de pures Machines. Il m'eft arrivé de renfermer fuccefTivemcnt bien des eflaims dans la même ruche vitrée, & je puis affurer que je n'ai jamais vu deux eflaims conduire leur travail précifément de la même ma- nière , foit à l'égard de l'emplacement des gâteaux, foit à l'égard de leurs directions refpectives , foit enfin relativement à leur figure ou à leurs proportions. On n'obferve pas moins d'anomalies dans la forme & dans les dimenfions des cellules. J'en ai vu dont l'ouverture etoit ellyp- tique ; dans d'autres elle étoit à-peu-urès circulaire , & dans les 3*4 CONTEMPLATION blement des méprifes de l'Animal , comme oit le penfe communément. Des méprifes fuppofent la poiîîbilité d'un choix , & les Animaux choi- sirent - ils à parler philofophiquement ? N'eft- il pas plus vraifemblable , que le jeu des or- ganes , troublé ou modifié plus ou moins par des circonftances particulières , produit ces irré- unes, comme dans les autres, cette ouverture ne retenoit aucun veftige do la figure hexagone. Le fond des cellules ne m'a pas offert des irrégularités moins remarquables : affez fouvent j'ai reconnu qu'au lieu d'être formé, comme à l'ordinaire , de trois petites pièces en lofange , égales & femblables , il étoit formé de quatre , cinq ou fix pièces , de figure plus ou moins irré- guliere , mais qui fe rapprochoit plus de la quadrilatère que de toute autre. Je renvoie ici pour plus d'écîaircifîement à la Note i du Chap. XXVI de la Part. XI , & à la Note 1 1 du Chap. XXVII de la même Partie. Les dimcnfions des cellules communes m'ont paru varier plus encore que leur ouverture & leur fond. A l'ordinaire , la pro- fondeur de ces cellules eft d'environ cinq lignes ; & j'en ai obfervé fréquemment dont la profondeur étoit de dix - huit à vingt lignes. Ces cellules, fi démefurément profondes, rampent toujours par un de leurs cotés fur le verre de la ruche , & ne fervent jamais qu'à contenir du miel. Il en eft qui font plus ou moins inclinées à l'horifon ; au lieu que les cellules ordinaires nii font parallèles ou à-peu-près. Enfin on rencontre fouvent des cellules qui , loin d'être des tubes droits , font , au contraire , tles tubes courbés en divers fens. Je pafTe'fous filence bien d'autres anomalies dont il ne me feroit pas poffible de donner une idée un peu nette fans le fecours de figures : mais j'en ai bien dit aîTez pour détromper ceux qui pourroient croire que le travail des Abeilles eft toujours régulie? & uniforme. DELA NATURE. Fart XII. jtftf gularités qu'on interprète fouvent d'une manière trop favorable à la liberté de l'Infecte? Il eft vrai , qu'il réfulte quelquefois de ces irrégularités des avantages réels dont l'Infe&e profite; mais ces avantages il ne les a ni prévus ni cherchés : ils étoient des exceptions d'ut fyftême phyfi- que, lié à d'autres fyltênu'S phyfiqucs, par l'Au- TEUR de l'enchaînement univerfel , qui a vu de toute éternité les écarts de la Chenille ou de l'Abeille , comme IL a vu ceux des Corps ce- leftes (4). (4) ff Le grand Infe&ologifte , Mr. de Geer , parle de coques de Chenilles qui avoient la confiftance du parchemin, & dont la conftrudion offroit une particularité bien remar- quable. Le bout antérieur étoit faqonné de manière qu'en le preffant un peu avec fa tête , le Fapillon pouvoit le détacher facilement du refte de la coque , & fe mettre ainfi en liberté. On voyoit alors une forte de couvercle ou de calotte qui aban- donnoit le corps de la coque. Une petite adreflfe de la Fileufe avoit rendu cette féparation facile : elle n'avoit lié les bords de la calotte à ceux de la coque que par des fils aifés à rompre ; tandis que par - tout ailleurs elle avoit donné à l'ouvrage une grande folidité. ttJ 'egf* ce -._ 366 CONTEMPLATION CHAPITRE XXXV. Zj Chenille roulettfc qui fe confinât une coque en, grain d'avoine. JL^I 0 u s avons fort admiré la méchanique in- génieufe & prefque Savante au moyen de laquelle diverfes Chenilles roulent les feuilles des Ar- bres ( T ). Nous nous fommes affez arrêtés à con- fidérer leurs différentes manœuvres, foit lors- qu'elles font prendre à la feuille la forme d'un tuyau , foit lorsqu'elles lui donnent celle d'un cornet, pofé fur fa bafe comme une pyramide. 1 Voyez ces feuilles de Frêne roulées ainfi en cornet : elles font habitées par une petite Che- nille, qui s'y eft conftruit une coque de pur© foie , affez femblable à un grain d'avoine. Nous ne Saurions obferver cette coque fans ouvrir le cornet : ouvrons - le avec précaution : la coque eft logée au centre. Vous appercevez de petites cannelures fur fou extérieur : elles ne font pas ce qui mérite le plus votre attention. Remarquez fur- tout comment cette jolie eoque eft fufpendue au milieu du cornet , à l'aide (1) Chap. VII de cette Partie. DE LA NATURE. Part. XII. 367 «rua fil ou d'un petit axe de foie , dont une des extrémités tient au fommet du cône , & l'autre à fa bafe ou au plat de la feuille. Re- gardez de fort prcs l'endroit où le fil s'attache fur le plat de la feuille : vous y appercevez une petite pièce exa&ement circulaire , noyée dans FépairTeur de la feuille , & qui vous paroît ca- cher quelque deffein fecret. Vous la retrouverez dans bien des cornets > mais il arrivera fouven* que vous verrez à la place un petit trou rond , bien terminé , & qui femblera avoir été fait par un emporte -pièce. La. pièce circulaire eft l'ouvrage de la Che- nille : elle a rongé adroitement la feuille à cet endroit j elle en a coupé circulairement une petite portion , qu'elle a eu grand foin de laiifer en place. Vous commencez à démêler le but de ce travail : il tend à ménager une iffue fecrete ai* Papillon, en même temps qu'il interdira l'entrée du cornet aux Infe&es malfaifans. Notre induf- trieufe Chenille pratique donc une petite porte à fa cellule. Cette porte ne doit s'ouvrir qu'après la dernière métamorphofe : fes contours s'en- grenant dans la feuille , elle y demeure comme encadrée. Au fortir de la coque , le Papillon des- cend le long du fil qui la tient fufpendue; il en fuit la direction , arrive à la porte , & la fait CONTEMPLATION fauter en la pouffant avec Ta tête. Ces cornets que vous voyez percés , ont été abandonnés par les Papillons. jpg „ f$ftg* . - - W3 CHAPITRE XXXVI. Procédés analogues de quelques autres Infe&es» o s grains font fujets à être mangés par une très- petite Chenille qui fe loge dans leur intérieur & s'y métamorphofe. L'enveloppe du grain eft une forte de boite bien clofe que la Chenille tapiife de foie. Mais le Papillon n'a poinë d'inftrument pour percer cette boîte , & il y demeureroit captif , fi la Chenille n'avoit été inf- truite à lui préparer une fortie. Elle s'y prend comme la rouieufe du Frêne : avec fes dents , elle taille dans l'enveloppe du grain une petite pièce ronde , qu'elle fe donne bien de garde d'en détacher entièrement. Le Papillon n'a qu'à pouf- fer cette pièce pour fe mettre en liberté ( i ). (i) ff On n'imagine pas tous les ravages qiîe eette très- petite Chenille peut faire dans nos greniers : elle peut convertir en des tas de fon les plus grands amas de grains. Ses dévafts'- tions ne l'ont rendue que trop fameufe en France : pendant plus de trente ans elle n'a celle de défoler deux cents ParoiiTes de l'Angoumois. Elle avoit été très -bien obfervée car Mr. de DE LÀ NATURE. Part. Xïï. tf$ Au centre de la tète du Chardon à bonnetier » eft une grande cavité oblongue , habitée ordi- Keaumur ; mais Mr. Duhamel, appelle par le Gouverne- ment à fe tranfperter clans l'Angoumois pour y approfondir davantage l'hiftoire de cet Infecte devenu il redoutable , nous en a donné un Traité aulfî utile qjie curieux: , & dont je déta- cherai les particularités les plus dignes de l'attention de mon Lecteur. Notre petite Chenille des grains n'a guère que deux lignes & demie de longueur. Elle eft rafe , blanchâtre , & a feize jambes. Sa partie antérieure, beaucoup plus renflée qu'elle ne l'eft ordi- nairement dans les Chenilles , offre une petite fingnlarité affez remarquable ; ce font deux cornes en manière d'antennes , pla- cées l'une à droite , l'autre à gauche. Le Papillon ne pond pas fes œufs un à un , comme les autres Papillons : il les pond par paquets de foixante , quatre - vingts ©u nouante œufs. Ils fcmblent dardés hors du corps du Papillon, & à chaque jet , il en fort trois , quatre ou fix à la fois. Ils font enduits d'une humeur vifqueufe qui les colle au grain fur lequel ils font dépofés. Ils font oblongs , (triés & chagrinés, & leur petiteffe eft telle , qu'ils paitent par le trou que la plus fine éguille a fait dans une feuille de papier. Le plus fouvent le Fapillon les colle à la bafe du grain ou près de fon fupport. Les Chenilles en éclofent au bout de cinq à fix jours. On peut juger de leur extrême petiteffe par celle des œufs. Elles font rouges à leur nailfance , & blancb ilTent bientôt. A peine font -elles éciofes, qu'elles s'efforcent de pénétrer dans l'intérieur du grain: elles y parviennent en le perçant près de fa rainure. On ne trouve jamais ou prefque jamais qu'une feule Chenille dans chaque grain, fans qu'on fâche précifément comment celle qui s'y eft introduite en défend la poffeffion contre tant d'autres qui pounoient également y pénétrer : ( Chap. VI, Note i.) mais il y a bien lieu de préfumer qu'il en eft de cette petite Chenille comme de celle qui vit dans l'intérieur de la tête du Chardon à bonnetier. Çlbtd. Note 2.) ' Tome IX, A a i?e* C 0 N T E 'M F L A T I 0 W nairement par une petite Chenille , qui s'y fôifr une forte de coque où elle fe transforme. L'é- Un grain de bled qui renferme une Chenille parvenue à foir parfait accroifTenlent , ne diffère point à l'extérieur d'un grain fain. La Chenille qui en a confumé toute la fubflance farineufe, a fu en nîénager l'écorce ou l'enveloppe. Et comme le Papillon n'a aucun infiniment pour percer cette écorce , la Chenille y pratique une forte de porte ou de petite trappe , que le Papillon n'aura qu'à fouiever pour fortir de fa prifon. Après avoir conf- truit cette trappe , la Chenille fe file dans le grain une coque «te foie , où elle fe transforme en Chryfalide. Lorfqu'on ouvre lin grain habité par une de ces Chryfalides, on voit qu'il eft partagé en deux logettes inégales : dans la plus grande eft niché rinfeéte ; dans l'autre font les excrémens de la Chenille. Quand les Papillons font fur le point de venir au jour , leur apparition prochaine s'annonce par une chaleur vive qui fe fait fentir dans les tas de grains , & qui élevé la liqueur du thermo- mètre à 25 ou 30 degrés, tandis qu'au dehors elle n'eft qu'à 1$. Mr. Duhamel foupçonne, que cette augmentation de chaleur peut ne pas dépendre entièrement des Infedles; mais qu'elle eft occafionée en partie par l'humidité qu'ils entretiennent dans les grains , & qui les fait fermenter. Cette chaleur favorife à foi* tour la propagation de l'Infedle. Il y a au moins deitx. générations de ces Papillons chaque aimée : la première paroît eu Mai & Juin , & va pondre fur les épis en pleine campagne : la féconde paroît à la fin de l'Eté ou en Automne, & celle-ci pond fur les grains renfermés dans les greniers. Celle-ci paiTe l'Hiver fous la forme de Chenille, & donne la première génération de Papillons. Ici s'offre tin fait bien digne de remarque ? c'efl que les Papillons qui éelofent en Juin dans les greniers , en fortent par un vol rapide , après le coucher du Soleil , pour fe difperl'er dans les champs encore invêtus, & pondre fur les épis, au lieu que les Papillons qui ietôfèiit dans les greniers après la moifton , y demeurent & 11e « t E LA N A T U RE. Fart.Xlt 57* fforce du Chardon eft beaucoup plus dure que celle de nos grains : il feroit impoffible au Pa- pillon de s'y faire jour : il lui faudroit de fortes dents pour y parvenir , & il n'a point d'inftru- mens femblables ou analogues. La Chenille , qui fenible le favoir , pourvoit habilement aux be- foins du Papillon. Elle perce de part en part leg parois de fa cellule ; elle y pratique un petit trou rond , vis -à- vis le bout de fa coque , par lequel le Papillon doit fortir. Mais , G ce trou demeuroit ouvert , la Chryfalide feroit trop ex- cherchent point à en fortir. Il eft encore prouve , que les Che<= nilles logées dans les grains qui ont été femés en Automne , s'y ■■ co'nfervent, s'y métamorphofent , & que les Papillons percent' deux à trois pouces de terre pour venir au jour : mais diverfes circonflanees en font périr beaucoup , & les générations' qui doivent leur origine à ces Papillons qui ont écloi fous terre , font bien moins nombreufes que celles qui proviennent des EfTaims qui fortent des greniers. \ Ces Papillons , d'un jaune blanchâtre , appartiennent à la cîarTe des Phalènes ou des Papillons de nuit. Le Mâle & là Femelle, «'accouplent à plufieurs reprifes ; ce qui n'eft point cTdinair» aux Papillous. Notre célèbre Obfervateur qui n'avoît approfondi l'hiUoiré tle l'Infefte deftru&eur que pour découvrir des moyens fiirs tic préferver nos grains de fes attaques , nous a appris qu'oit peut y parvenir à l'aide des étuves. Il s'eit affuré par une longue fuite d'expériences , que l'Infeéte périt à un degré de chaleuî inférieur à celui qui peut nuire au germe du grain. Du bled expofé pendant vingt-quatre heures dans une étuve à une ebsP- îeur de nonante degrés , a très-bien levé , & il eft bien tfbnftstâi gue l'Infeéte ne fauroit foutenir une chaleur de 60 degrés* Wï C é £.* E M ? t A TIÏ> ÏÏ pofée : la Chenille s'avife d'un moyen fort Gm» pie pour en boucher l'ouverture. Tout l'exté- rieur de la tète du , Chardon eft couvert des graines de la Plante : elles font implantées dans 1 ecorce , entre les piquans. Ce font de petits corps oblongs & cannelés , pofés les uns auprès des autres. La Chenille aifujettit à "l'extérieur dm trou quelques - uns de ces petits corps : ils y font l'office des naffes de la coque dont j'ai parlé dans le Chapitre précédent. En parcourant les procèdes des Teignes aqua« tiques ( % ) , nous avons remarqué qu'elles fe transforment dans leur fourreau. Il faut que l'eau puiife fe renouveller fans ceife dans ce fourreau : il faut aufîi qu'aucun Infecte vorace ne puiife y avoir accès. Au lieu de mettre une porte pleine à chaque bout de fon logement , la Teigne y met une porte grillée , & ce grillage fatisfait à tout. Ne prenons pas à cette Teigne notrç manière de raifonner : fait- elle que des Infectes voraccs en veulent à fa vie ? fut -elle qu'elle revêtira une forme fous laquelle elle ne pourra fuir ? Non , elle ne fait point tout cela , & elle n'a que faire de le favoir. Elle a été inf. truite à tendre des fils cjui fe croifent > elle les £2 ) Chap. XI de cette Partie, &ÏÏ LA N'A t'U'Ê. S. Part. XII. jf* tettd ; en les tendant , elle fatisfait à un befohi purement phyfique, & pourvoit machinalement à. des inconvénient qu'elle ne connoît point & ne peut connoître. Jugez fur le même principe des autres faits de ce genre. C'eft toujours FAU- TE ur de PInfecle qui eit feul admirable, CHAPITRE XXXVIL La Teigne des feuilles : effai- d'explication de [es procédés. o u s nous fommes promis de revenir- aux Teignes champêtres ( 1 ) : en voici le lieu. Leurs procédés font fi fingulieis , & en apparence fi réfléchis 5. PInfe&e fait les- varier ii à propos,. qu'ils exigent que nous entrions dans quelque détail, & que nous tâchions de nous en former des idées philofophiques. C'est, comme nous Pavons vu (2), avec— des membranes de feuilles , que notre Teigne s'habille. La forme de fon fourreau eft- recher- chée. Elle tient de la cylindrique ; mais les bouts - ( 1 ) Chap. XI de cette Partie. (2) IbiiK Aa 3 474 CONTEMPLATION font différemment façonnés. L'antérieur, celui jdù fe montre la tête de ia Teigne , eft arrondi * coudé & rebordé. Le poftérieur eft formé de trois pièces triangulaires , que leur reiîbrt na- turel tend à réunir par leurs extrémités , & qui peuvent s'écarter pour laiîTer fortir le derrière de l'Infecte. Quelquefois le fourreau eft orné du côté du dos , de dentelures qui imitent ks ailerons pu pinnes des Carpes. Pour conftruire ce fourreau, la Teigne fe glifle dans l'épaiffeur d'une feuille verte ; elle s'infinue entre les deux membranes qui la com- pofent. Elle en détache la pulpe ou le paren- chyme qu'elles renferment. Ce parenchyme eft la nourriture appropriée à la Teigne. Âinfi, en môme temps qu'elle fatisfait au befoin de man- ger , elle prépare l'étoffe dont fon habit doit être fait : les deux membranes font cette étoffe. Cha- cune d'elles eft pour la Teigne 3 ce qu'une pièce de drap eft pour un Tailleur. Comme ce der- nier , elle donne aux différentes pièces de PhabiÊ les contours & les proportions qu'elles doivent avoir féparément , pour répondre à l'ufage au- quel elles font deftinées. L'habit que la Teignp veut fe tailler, doit être formé de deux mor- ceaux de feuille égaux & femblables , réunis fm; Jg dos & fous le ventre. Elle coupe donc cj^us DE LA NATURE. Part. XII. $7* chacune des membranes entre lefquelles elle eft placée 3 une pièce de telle figure & grandeur , qu'elle formera la moitié de l'habit. Notre Teigne -exécute cela avec autant de juftetfe & de pré- Kifion , que fî elle avoit un patron qui la guidât. L'habit taillé , il refte à le finir. La Teigne en affemble d'abord les pièces allez groffiére- ment *, elle ne fait , pour ainfi dire , que les faux* filer : elle veut , avant que de les réunir plus exactement , s'afïurer de leur jufteiîe , les eifayer 9 & leur faire prendre le bon pli fur ion propre corps. C'en: auflî en fe retournant, en fe met- tant dans toutes les pofitions où elle aura par la fuite befoin de fe mettre , qu'elle les écarte l'une de l'autre autant qu'il eft néceffaire , 8c que de planes, elle les rend convexes. Elle les coud e-nfuite à points plus ferrés, & elle le fait Ci bien 8c avec tant de propreté , qu'on a peine à démêler les endroits où les deux bords ont été ajultés l'un contre l'autre. Je fupprime à regret bien de petits détails qui releveroient beaucoup l'art merveilleux de notre habile Ouvrière. Je n'ai pas même dit affez combien les contours de chaque pièce font va- riés. Ils le font prefque autant que ceux des pièces de no? habits, Je n'ai que peu infifté fuç A a 4 |7# VQKTEMPLATIQX la manière dont la Teigne prépare l'étoffe , dont elle la polit, l'amincit, la décharge de tout le parenchyme , & la rend auiîi fouple que légère. Tous ces détails appartiennent à FHiftoire par- ticulière des Teignes ; je ne dois préfenter ici que les grands traits de cette Hiftoire. Enfin , la Teigne ne fe contente pas d'un fimple fourreau de feuille : il ne feroit apparem- ment ni aifez doux ni afîez chaud. Elle le dou- ble de pure foie , & elle a foin de tenir la dou- blure plus épaiife dans les endroits où le frotte- ment eft le plus grand* Apre» avoir mis ainfi la dernière main à fou babit , elle travaille à le dégager des parties de Ja feuille dans lefquelles il eft 'demeuré comme encadré. Pour y parvenir , elle a moins befoin d'adreife que de force. Elle fait for tir fa tètt bors du fourreau > elle la porte en avant ; elle fe cramponne fur la feuille avec fes premières jambes \ elle fait effort pour avancer en ligne droite , en même temps qu'elle faiOt avec fes dernières jambes l'intérieur du fourreau, &c. La Teigne , qui vient de s'habiller fous nos yeux , a taillé fon habit dans le milieu d'une feuille à mais fou vent elle le taille près des bords. DE LA V A T V R F. Part. XII. $7-7 Alors elle n'a à couper les membranes que d'un côté feulement , de celui qui eft oppofé aux den- telures ; car près du bord de la feuille ces mem- branes font réunies par la Nature bien mieux encore qu'elles ne fauroient l'être par main d'In- fecle. Elles y ont de plus la courbure qu'exige la forme du fourreau. Le travail de la Teigne fe réduit donc à vuider les dentelures , à en dé- tacher le parenchyme qui chargeroit trop le fourreau , ou qui , en fe defféchant , en altéreroit la Gonftru&ion. Pendant qu'elle eft occupée à ce travail , emportons avec des cifeaux les dentelures : que fera la Teigne ? Achèvera- 1- elle de couper les pièces qui doivent former fon habit ? Nous venons de les couper du côté des dentelures ; il lui refte à les couper du côté oppofé : mais re- marquez qu'elles ne tiennent plus à la feuille que par ce côté : fi donc la Teigne va les tailler à ce-t endroit, elles n'auront plus de foutien , elles s'écarteront l'une de l'autre , & il lui fera impoffible de les réunir & de leur donner le pli convenable. Encore une fois , que fera la Teigne dans cette circonftance difficile ? Comment s'y prendra- 1» elle pour réparer le défordre que nous venons d'occafioner dans fon travail ? \ 57S CONTEMPLATION Comment fe tirera - 1 - elle d'une fituation auffi nouvelle qu'imprévue ? 9 Les Infectes vous ont accoutumé à comptée beaucoup fur les relfources de leur génie > & vous vous attendez bien que notre Teigne faura fe retourner & trouver quelqu'expédient que vous ne devinez point , & qui remédiera à tout. En effet , elle renonce fur -le - champ à fon premier projet : elle abandonne fa manœuvre ordinaire * elle change de méthode , précifément parce qu'il faut en changer. Au lieu de fe mettre à couper les pièces de fon habit , elle travaille à réunir avec des fils de foie les deux membranes que les cileaux ont féparées. Enfuite , elle les dou- ble avant que de les couper. On voit ces mem- branes , d'abord fort tranfparentes , devenir de plus en plus opaques & changer de couleur. On reconnoit que cette opacité & ce changement de teinte font dus à la doublure de foie que la Teigne a coutume de donner à fon fourreau. A mefure qu'elle double les membranes , elle les rend plus convexes : elle tend à leur faire re- préfenter un tuyau cylindrique, &'déja elles le repréfentent affez bien. H ne s'agit prefque plus que de les tailler du côté où elles tiennent à la feuille. Mais comment ia Teigne parviendra-t- dk à les tailler à cet endroit ? La doublure çO; D £ L A NATURE. Part. XII. $7* proprement un fourreau de foie : en fe renfer- mant dans ce fourreau , la Teigne ne s'eft-elle pas ôtée toute communication avec les mem- branes qui le recouvrent ? S'avifera- t - elle donc de fendre la doublure avec fes dents , pour fe faire jour au travers ? Point du tout 5 elle a eu la précaution de s'y ménager de loin des ou- vertures de diftance en diftance : elle a laifle eà & là des vuides dans la toile : elle fait parler fa tète par ces ouvertures , & taille à fon gré les membranes , les affemble , les unit étroite- ment , & finit par garnir tous les vuides de la doublure. En Ivérité , en voilà , ce femble , bien afTez peur donner une grande idée de l'induftrie de notre Teigne. Je n'ai pourtant pas achevé d'in- diquer tout ce que fon favoir-faire offre d'ad- mirable. Vous vous* rappeliez que les bouts du £iuireau font façonnés fort différemment : l'an- térieur eft rond , rebordé & un peu coudé j le poftérieur eft formé de trois pièces triangu- laires , que leur reifort naturel tient rappro- chées. Si nous euflîons laiffé la\ Teigne à elle* même , elle auroit coupé le bout antérieur de fon fourreau dans la partie de la feuille la plus voifine du pédicule 5 le bout poftérieur auroic ttanc été taillé dans la partie oppofée.. Mais h ■ iffc CONTEMPLATION retranchement que nous avons fait des dente*-* lures a occafioné Un défordre qui ne permee- plus à la Teigne de fuivre Ton premier plan. Nous avons ôté à la feuille les contours & les- proportions fur lefqueîs elle avoit droit dé- compter, & qui dévoient déterminer le lieu & la forme des bouts du fourreau. Elle prend donc Tinverfe de fa méthode ordinaire : elle va tailler le bout antérieur du côté de la pointe de 1&* feuille , & le poilérieur du côté qui avoifina ls pédicule. Si notre Teigne étoit une pure Machine ,. l'on ne comprendroit pas trop , comment elle- varieroit au befoin fes opérations. N'en con- cluons pas néanmoins qu'il n'y a rien du tout ici de machinal, & n'attribuons pas à l'intelli- gence , ce qui ri'éft que le produit de certaines, fenfations & de la ftruclure du corps. Au fond, la plus grande merveille ,. la merveille la plus embarraiïante eft ici le changement de manœuvre de la Teigne. Quand elle taille fou habit près du bord d'une feuille, elle rt'a à couper les membranes que d'un côté feulement. Ce côté ei! celui qui couvrira le ventre de l'Infecle. Le côté oppofé cil déjà tout façonné des mains de la Nature -, il a tout ce que la Teigne defire , re- teivement aux contours & à l'union des rnem- B £ LA N A T JJ R E. Part. XIL i%t ânes. Le dos du fourreau retiendra donc les : dentelures de la feuille, il en fera orné , & la Teigne n'a autre chofe à faire que de les vuider, exa&ement. Si pendant qu'elle s'occupe de ce travail, on emporte les dentelures par un coup de cifeau , on fépare les deux membranes que la Nature avoit étroitement unies j & Pair a un libre accès dans la mine. Mais aucune Teigne ne s'accommode du contact immédiat de l'air: toutes paroiiîent s'habiller pour s'en mettre à l'abri. Notre Teigne , trop à découvert , travail- lera donc d'abord à fe couvrir. Elle tendra des fils de Tune à l'autre membrane. Elle a d'ailleurs à évacuer la matière foyeufe que la nourriture reproduit fans ceffe : elle vient de dévorer le pa- renchyme renfermé dans les dentelures , & cet aliment s'eft converti en, foie. Le befoin de filer concourt avec la fenfation incommode du con- tad de l'air. La Teigne ne fe détermine pas fur des réflexions dont elle eft abfolument incapable : elle ne s'abftient pas de couper les membranes , parce qu'elle juge qu'elles lui échapperoient faute d'appui. Ce jugement fuppoferoit des connoiC lances , des comparaisons , des conclurions qui font très- évidemment au- deifus de la portée do Fiiiftinct. Qu'on prenne la peine d'approfondir un peu cela , & j'ofe préfumer qu'on fe rangera -i mon avis. Notre Teigne ne fe met donc 4 îU €OXTEMPLÂTlài} couper les membranes qu'après les avoir "remîtes du côté ou elles avoient été féparées. Elle a dou- blé de foie ces membranes , elle a tapiffé tout Fintérieur de la mine, & nous demandions com- ment cette doublure ne lui étoit point en obf- tacle lorfqu'il eft queftion de couper les mem- branes ? Nous avons remarqué qu'elle laiffoit qà & là des vuides dans la doublure pour y faire paffer fa tète , & nous avons admiré cette forte de prudence. Un illuftre Obfervateur ( 3 ) l'a fans doute trop exaltée , ainfi que les autres pro- cédés de cet Infecte induftrieux : peu s'en faut qu'il ne lui ait accordé une portion de cette intelligence qui brille avec tant d'éclat dans fes ïavantes recherches. Ces vuides , qui paroilfent fi habilement ménagés dans la doublure , ne fe- roient-ils point l'effet tout (impie de la difette de foie ? La Teigne doit s'en être fort épuifée eh réuniffant les membranes & eu les doublant : il ne feroit donc pas merveilleux que la dou- blure ne fût pas par-tout continue ; ellenel'elî pas effectivement , & nous nous plaifons à en faire honneur à la prudence de la Teigne. (3) tf Mi", de Reaumur. Aucun Naturalise n'avoit fuivr avec autant de fagacité que lui le travail des Teignes , & cette partie de fon grand Ouvrage efi une des plus intéreffantes brau* dïcs de l'Hiftoire des Infedes, DTLA H A T V H% Part £11. ny Nous ignorons , fi dans ce changement do manœuvres , le bout antérieur du fourreau prend toujours la place du poftérieur, & réciproque- ment : mais le renverfement en queftion ne prou- veroit autre chofe , finon qu'en retranchant les dentelures , nous avons fait perdre à une des extrémités de la feuille les contours que requiert la façon du bout antérieur de l'habit. L'extrémité oppofée de la mine préfente apparemment des conditions plus favorables à cette partie du tra- vail , & il eft aifez naturel qu'elles déterminent la Teigne à y placer l'ouverture antérieure de fort fourreau , &c. Quoique la Teigne s1épargne du travail en faifant entrer les dentelures dans la façon de foil habit , il arrive pourtant aflez fouvent qu'elle préfère de le tailler en pleine feuille. Si l'on y prend garde , l'on reconnoitra qu'elle en ufe ainfi lorfque les bords ont commencé à fe def- fécher. Il eft dans l'ordre de fes fenfations que certaines circonftances influent fur fes manœu- vres. Il n'eft pas moins dans l'ordre de la mé- chanique de fes organes , que certaines opéra- tions qui nous étonnent , en réfultent comme de leur principe immédiat. On infifte. un peu trop fur la coupe de l'habit ; 384- CONTEMPLATION on la repréfente comme plus recherchée qu'elle ne l'eft en effet. Ce n'eu; pourtant , au fond , que celle d'un tuyau à -peu- près cylindrique, donc le corps alongé de i'Infe&e pourroit déterminer méchaniquement la forme & les dimenfions , fans qu'il fût befoin d'admettre ici la moindre ombre d'intelligence. Il eit vrai , que les bouts de ce tuyau font façonnés différemment; mais les parties de la feuille dans lefquelles ces bouts font taillés , doivent influer plus ou moins fur la façon de chaque bout , &c. (gpfc: =g L-^— «3ftg=>= ,m 3 CHAPITRE XXXVIII. Réflexions fur tinditftrie des Animaux. E n'ai fait qu'indiquer les fources où je vou- drois puifer la folution de tous les petits pro- blèmes que nous offre le travail de la Teigne des feuilles. Ce feroit dans des fources analogues que je puiferois la folution de tant d'autres pro- blêmes que nous préfentent les Animaux dont rinduftrie nous frappe le plus. Je ne fuppofe- rois pas qu'ils fe propofent , comme nous , un but dans leurs diverfes opérations : les idées d® but, de fin , de moyen font beaucoup trop ré- fléchies pour entrer dans la tète d'un Animal, qui DE LA NATURE. Part XII. i$$ qui ne fauroit avoir des notions proprement dites , & qui eft réduit à de pures fenfations. Il nous eft Ci naturel de réfléchir , parce qu'il nous eft fi naturel de lier nos idées à des fignes , & d'en former des notions de tout genre , que nous imaginons fans peine que l'Animal réfléchit auiîi. Nous le faifons donc agir précifément par les mêmes motifs qui nous détermineroient en cas pareil. Avons -nous à rendre rai fou de quelque procédé remarquable où nous croyons décou- vrir des vues fines ? nous fuppofons auffi-tôt de telles vues ; nous y joignons de petits rai- fonnemens implicites, & tout s'explique le plus heureufement du monde > mais , c'eft comme je l'ai dit ailleurs , en transformant , fans y fon- ger, l'Animal en Homme, de pures fenfations en vraies notions. Si l'Animal pouvoit , fttfs eeifer d'être Animal, juger de nos propres opé- rations, il eft à croire qu'il ne nous prêteroit point les motifs qui nous déterminent. Il nous feroit agir comme il agit lui - même î il nous transformeroit en purs Animaux ( 1 ). ( 1 ) tt Nous a'malïbns des provifions pour l'Hiver , & divers Animaux en amalïent auffi. Nous en concluons atiffi-tôt cjue ces Animaux prévoient , comme nous , qu'il viendra un temps où ces provifions leur deviendront nécefîaires : mais un Animal qu? fj'a jamais vu d'Hiver, peut-il en prellentir au milieu de l'Été la futurition ? Si donc il recueille avec beaucoup d'a&ivitc des grains de différentes Efpeces, ce tfeft point du tout qu?il veuille' Tome IX» Wb 386 CONTEMPLATION Ce ne feroit donc pas du lut que* nous dé- couvrons dans l'ouvrage d'un Animal induf- fe prccfliitionner contre un avenir fâcheux qu'il ne connoîfc point & ne peut connoitre ; mais c'eft uniquement parce qu'il aime ces grains, & qu'il goûte un certain plaifir à les charier, à les amaffer dans fa retraite , «a les y empiler : & tout cela dérive ellentiellement de fa conftitution , qui eft déterminée elle-même par la place qu'il devoit occuper dans le Syftême de l' Animalité. A l'approche de l'Hiver , l'Animal fe trouve ainfi bien approvisionné , fans avoir fongé ni pu fonger un inftant à faire des provifions. On obferve , que les Mulots amaiïent plus ou moins de pro- vifions , fuivant que le fouterrein dans lequel ils fe font logés eft plus ou moins fpacieux. Ce n'eft donc pas à leurs befoins qu'ils proportionnent les provifions ; mais c'eft uniquement à la capacité du lieu. Ces provifions font fur leurs fens des impref- fions agréables ; ils en amalTent autant que le lieu & la faifon le leur permettent. ( Chap. XXX , No:e 2.) Nous admirons le difeernement du Moineau, qui fe difpenfe de donner une calotte à fon nid lorfqu'il l'établit foin un toit ou fous quelqu'autre abri : ( Chap. XXVIII, Note 6. ) mais , fi Ton y faifoit bien attention, l'on reconnoîtroit , fans doute, que fi le Moineau fe conduit ainfi dans ce cas , ce n'eft pointe du tout qu'il juge que la calotte feroit alors fupeifîue : un tel jugement fuppoferoit évidemment une réflexion dont il eft abfolument incapable, mais très -probablement l'Oifeau ne fe difpenfe des frais de la calotte , que parce qu'il manque de place pour la conftruire : il eft apparemment gêné par le toit ou par l'abri. Nous admirons encore le foin que les Femelles de divers Animaux prennent de leurs Petits , la manière dont elles les «lèvent, le courage avec lequel elles les défendent-, &c. (Part. XI , Chap. VI , VII , & les Notes. ) Notre fenfibilité s'émeut à la vue de tous ces faits , & nous nous complaifons à oppofet I) E l A ■ tf A T U R E. Part XII. 38? trieux , que je voudrons partir pour rendre rai- fon de cet ouvrage. Je ne dirois pas , l'Araignée tend une toile pour prendre des Mouches ; mais je dirois, l'Araignée preud des Mouches, parce qu'elle tend une toile , & elle tend une toile , parce qu'elle a befoin de filer. Le but n'en eft pas moins certain , moins évident ; feulement ce n'elt pas l'Animal qui fe l'eft propofé ; c'eft FAuteur de l'Animal. Par cette manière phi- lofophique de raifonner , que perdroit la Théo- 1 Hirondelle ou la Taupe aux Mères barbares de notre Efpece: mais nous ne fongeons pas que l'attachement des Femelles des Animaux pour leurs Petits à une tout autre origine que celle que nous lui prêtons trop gratuitement: tout a été difpofé ici de manière que les Petits font pour les Mères des fources toujours fécondes de fenfations agréables ou d'utilités dire&es. (Voyez Part. XI,Chap. VIII.) Enfin , nous fommes touchés à la vue d'un Animal qui lèche à pluiieurs reprifes 1# main qui l'a gratté ou qui l'a careflfé , & nous ne manquons point d'envifager fon action comme une marque de fa reconnoiflfance , tandis qu'elle pourroit n'être qu'une fuite toute naturelle du plaifir que l'Animal trouve à lécher, ou de l'habitude qu'il en a contra&é. Et combien d'autres actions des Animaux , que nous nous plaifons à embellir des couleurs de la réflexion ou de celles du fentiment , & qui ne tiennent ni à la réflexion ni au fentiment ! Mais pour n'y être jamais trompé , il faut avoir plus de Pfy- chologie dans l'efprit , que n'en a le commun des Spectateurs. En un mot , toute explication qui fuppofera quelque moralité dans l'Animal , choquera la bonne Philofophie ; car la moralité fuppofe effentiellement des notions ou des idées réfléchies , & il #it bien prouvé que l'Animal ne fauroit former de telle? idées. Bbî 388. CONTEMPLATION logie Naturelle ? N'y gagneroit- elle pas, an contraire , plus d'exaditude , plus de précifion ? Raifonnons donc fur les opérations des Ani- maux , comme fur leur ftrudure. La même Sagesse qui a conftruit & arrangé avec tant d'art leurs divers organes , qui les a fait con- courir à un but déterminé , a fait de même con- courir à un but les diverfes opérations qui font les réfultats naturels de l'économie de l'Animal. Il eft dirigé vers fa fin par une Main invifible : il exécute avec précifion & du premier coup , des ouvrages que nous admirons > il paroit agir comme s'il raifonnoit , fe retourner à propos, changer de manœuvre au befoin , & dans tout cela il ne fait qu'obéir aux refforts fecrets qui le pouffent ; il n'eft qu'un infiniment aveugle qui ne fauroit juger de fa propre action , mais qui eft monté par cette Intelligence Ado- rable qui a tracé à chaque Infede fon petit cercle, comme elle a tracé à chaque Planète fon orbite. Lors donc que je vois un Infede tra- vailler à la conftrudion d'un nid , d'une coque ou d'un fourreau , je fuis faifi de refped , parce qu'il me femble que je fuis à un fpedacle où le Suprême Artiste eft caché derrière la toile. Les Animaux qui ont un plus grand nombre DE LA X A T V R E. Vart. XII. 38» de fens , ont un plus grand nombre de fenfa- tions & de fenfations diverfes. Et comme ils les diftinguent, ils les comparent à leur manière. De là naiiTent des jugemens *qni paroiffent tenir de la réflexion , & qui ne font pourtant que de fimples réfultats de la comparaifon de certaines idées purement fenfibles. J'ai encore quelques traits frappans à racon- ter de l'induftrie des Animaux. Je ne reviendrai pis à prémunir mon Lecteur contre les réduc- tions de la furprife & de l'admiration : j'en ai dit affez pour qu'il ne puilfe plus s'y mépren- dre ( 2 ). Je l'ai mis à portée de traduire en langage phiiofophique les exprerlions peu exactes qui m'ont échappé ou qui pourroient m'échapper dans la fuite. Il eft permis de s'écarter un peu de la rigueur phiiofophique , & d'accorder quel- que chofe à l'intérêt de la narration , lorfqu'on a eu foin de fixer le fens des mots , & de donner, pour ainG dire , la clef du difcours. ( 2 ) Onfultez les Chapitres XIX , XXVII , XXX de la focic XI , & le Chap. XXXIV de cette Partie, %a? £b 3 39o CONTEMPLATION CHAPITRE XXXIX. V Abeille qui confirait un nia avec une forte de ghu Jm N parcourant rapidement les divers pro- cédés des Infect.es relatifs à la manière dont ils logent leurs œufs , j'ai parlé d'un nid admirable qu'une Abeille folitaire cotiftruit avec des mor- ceaux de feuille ( I ). J'ai dit qu'il eft compofé d'une fuite de cellules , femblables à des dez à coudre, & emboîtées les unes dans les autres comme les dez le fo it dans les boutiques. J'ai indiqué l'art prodigieux qui brille dans la conf- trudhon de ce nid , dont chaque cellule eft formée de plufieurs fragmens de feuilles , cou- pés , roulés & affembîés avec autant de préci- iioii que de propreté , & capables comme un vafe bien clos , de contenir une liqueur fans la laiiTer jamais fe répandre. Enfin , j'ai fait remarquer, que cet affemblage de cellules Ci régulièrement & fi adroitement découpées , eft recouvert d'une en- veloppe générale , de même matière que les cel- lules , & qui imite la forme d'un étui. (i) Part. XI,Chap. V. DELA NATURE. Part. XII. 59c Ce nid , dont je viens de retracer Pidée , eft eaché fous terre. L'Abeille y creufe une cavité proportionnée à la grandeur de l'étui. C'eft auiiï fous terre qu'il faut aller chercher le nid d'une autre Abeille foîitaire , dont l'induftrie ne le cède guère à celle de laCoupeufe de feuilles, & qui travaille à- peu- près fur le même modèle. Son nid eft de même compofé de plufieurs cellules en forme de dez , enchàflees habilement les unes dans les àtftrcW; mais qui ne font point recou- vertes d'une enveloppe commune. Chaque cellule eft faite de deux ou trois membranes , appli- quées les unes fur les autres , & dont la fineffe eft inexprimable. Examinées au microfcope, elles ne préfen- tent rien qui puiife fùre fôupçbhnér qu'elles ont été prifes fur des Plantes. On les diroit pure- ment foyeufes , & de la p!us belle foie blanche. Mais aucune Abeille ne fr.e : quelle eft donc la matière de ces membranes fi fines , Ci luftrées, fi blanches ? En obfervant attentivement la cavité où le nid eft renfermé , on la trouve enduite d'une légère couche de matière luftrée , precifément femblable à celle des cellules , & qu'on pourroid comparer à cette humeur vifqueufe que les Li- ft b 4 ^z CONTEMPLATION maçons répandent fur leur route. Notre Abeille a , fans doute , une ample provifion de cette forte de glu qu'elle met en œuvre avec tant d'art : mais comme elle travaille fous terre & dans une profonde obfcurité , l'on n'eft point encore parvenu à la furprendre à l'ouvrage. Malgré l'extrême fineffe de leurs membranes , les cellules ne iaiilent pas d'avoir aflfez de coniïftance , & l'on peut les manier fans altérer leur forme. La pâtée qu'elles renferment , foutient leurs parois & les empêche de céder. Cette pâtée eu; une efpece de cire médio- crement détrempée , & qui quelquefois ne l'eu; point du tout. Un œuf eft dépofé au fond de chaque cellule. Après être éclos , le Ver fe trouve au milieu d'une abondante provifion de nour- riture. Il la confume avec une forte d'intelli- gence , & paroît fe conduire comme s'il vouîoit çouferver aux parois de fa loge un appui nécet faire : il ne creufe pas la pâtée en tout fens > il la creufe perpendiculairement de bas en haut: il s'y pratique ainfi un petit tuyau qui en oc- cupe l'axe ou le centre. A mefure qu'il croît , il agrandit ce tuyau i il l'étend en longueur & en largeur. Il arrive enfin aux parois j alors il a çonfumé toute la p^tée «Se n'a plus à croître. DE LA NATURE. Part. XII. 595 CHAPITRE XL. V Abeille tapijjiere. Di verses Abeilles folitaires fe bornent à percer la terre. Elles y creufent des cavités cy- lindriques dont elles poliflent les parois. Elles y pondent un œuf, & y amaflcnt une quantité fuffifante de nourriture. Il eft une autre Efpece de ces Mouches. qui percent la terre , dont rinduftrie eft beaucoup plus remarquable. Elle ne fe contente pas , comme les autres , d'une cavité toute nue. Quand on vifite l'intérieur du logement immédiatement après qu'il a été conftruit , on eft agréablement furpris de le voir tendu en entier d'une tapifferie du plus beau fatin cramoifi , appliquée fur les parois comme, nos tapiiferies le font fur les murs de nos appartenons, & avec plus de propreté encore. Non - feulement l'Abeille tapiffe ainfî tout l'intérieur de fon logement ; mais elle étend encore de femblables tapis autour de d'entrée, à deux ou trois lignes de diftance. Nous avons obfervé quantité de Chenilles qui tapiifent de foie l'intérieur de leur coque ou de leur four- 594 CONTEMPLATION reau (i) : notre Abeille eft le feul Infecte connu, qui , à proprement parler , tapiiTe fon nid comme nous tapiifons nos chambres. C'eft donc à bon droit que cette Mouche induftrieufe a reçu le nom de tapiffiere. Vous êtes impatient de fa voir où elle fe pourvoit de la riche tapilTerie : voyez ces fleurs de Coquelicot nouvellement épanouies : remar- quez qu'elles ont été échancrées qà & là. Com- parez - les avec la tapilTerie dont vous cherchez à connoître le tiifu ; vous ne pouvez vous y méprendre : cette tapilTerie n'eft autre chofe que des fragmens de fleurs de Coquelicot, & voilà Porigine fecrete de ces éehancrures que vous remarquez fur les Coquelicots qui avoifinent le nid. Votre "curiofité n'eft point fatisfaite s vous voulez que nous fuivions un peu le travail de notre adroite tapiffiere. Le trou qu'elle creufe perpendiculairement dans la terre', eft d'environ trois pouces de profondeur. 11 eft exactement cylindrique jus- qu'à fept à huit lignes du fond. Là, il com- mence à s'évafer , & s'évafe de plus en plus. Lorfque l'Abeille a achevé de lui donner les § (i) Chap. IV & fuivans.de cette Partie. DE LA "NATURE. Fart. XII. %$% proportions convenables , elle fonge à le ta» pifTer. Dans cette vue, elle va couper avec beau- coup d'adreffe fur les fleurs du Coquelicot , des morceaux de pétales (2) de figure ovale , qu'elle faïïit avec Tes jambes & tranfporte dans Ton trou. Ces petites pièces de tapifferie y arrivent fort chiffonnées : mais la tapiffiere fait les étendre , les déployer ~& les appliquer fur les parois avec un art étonnant. ' Elle applique au moins deux couches de pétales : elle tend donc deux tapifferies Tune fur l'autre. Si elle va s'en pourvoir fur les fleurs du Coquelicot plutôt que fur celles de quantité d'autres Plantes, c'efl: que les fleurs du Coque- licot réuniffent à un plus haut degré toutes les qualités qu'exige l'ufage auquel la Mouche les dit ' eftine. Quand les pièces que l' Abeille a coupées &' tranfportées fe trouvent trop grandes pour la place qu'elles doivent occuper, elle en retran- ' che tout le fuperflu , & tranfporte les retailles hors du logement. . (2) Ceft le nom que les Botanifas donnent aux feuilles des fleurs. $96 CONTEMPLATION Après qne la tapifferie a été tendue, l'Abeille remplit le nid de pâtée jufqu'à fept à huit lignes de hauteur. C'eft tout ce qu'il en faut pour la nourriture du Ver. La tapiiferie eft des- tinée à prévenir le mélange des grains de terre avec la pâtée. Vous vous attendez, fans doute , que la pru- dente Mouche ne manquera pas de fermer exac- tement l'ouverture du nid pour en interdire Tentrée à divers Infeéles friands de pâtée : elle n'y manque point en effet -, & il vous eft actuel- lement impoffible de reconnoître fur la furface du terrein le lieu où eft le nid dont vous venez de contempler la conftruction , tant l'Abeille a fu adroitement le boucher. Cette petite pierre blanche étoit au bord du trou ou fort près > elle n'a pas changé de place i elle nous indique donc l'endroit au - deflbus duquel eft le nid que nous cherchons. Il femble donc que nous n'ayions qu'à enlever une légère couche de terre pour mettre à découvert l'entrée de ce trou qui a été il bien rebouché. Rien de plus facile & de moins douteux. Quelle eft votre furprife! vous avez déjà enlevé plus de deux pouces de terre , & vous ne trouvez pas le moindre veftige de trou ni de tapiflerie. Que veut dire ceci i Qu'eft devenu ce nid ii arciftement confirait, fi proprement DE LA U A T V R E. Part. XII 397 tapifle , & qui avoit plus de. trois pouces de pro- fondeur? Il n'y a que quelques heures que vous en admiriez l'ingénieufe ordonnance, & main- tenant tout a difparu , au point que vous n'en découvrez pas la plus légère trace. Quel eft donc ce myftere ? Le voici. Lorsque l'Abeille a pondu & qn'elle a fini d'amaffer la pâtée , elle détend la tapûTerie , elle la replie fur la pâtée , elle l'en enveloppe , à- peu-près comme nous replions fur lui-même un cornet de papier à moitié plein. L'œuf & la pâtée fe trouvent ainfi renfermés dans un petit fae de fleurs. La Mouche n'a plus qu'à garnir de terre tout Pefpace vuide qui eft au-deffus du fac , & c'eft ce qu'elle exécute avec une ac- tivité merveilleufe , & Ci exactement qu'on ne reconnoît plus la place du nid. 39S CONTEMPLATION CHAPITRE XLI. L« £rf2é?jfé - maçonne. i L ne faut pas confondre cette Mouche avec l'Abeille maqonne dont j'ai parlé (i). Le travail de ces 'deux Mouches diffère autant que leur forme. La Guêpe que je veux vous faire con- noître, a requ le furnom d'Ichneumon , de fa reflemblance avec les Mouches -ichneumons qui vont dépofer leurs œufs dans le corps des In- fectes vivans (2). Elle vit folitaire, & quoique fes procédés n'aient rien de commun avec ceux des Guêpes - républicaines ( 3 ) , ils ne leur ce- dent guère en induftne. L'on ne fera pas fâché que j'entre ici dans quelque détail. Notre Guêpe -ichneumon creufe dans un fable dur un trou d'environ deux pouces de profondeur. Son travail ne fe borne point à cxcaver ce trou , à lui donner une forme cylin- drique, à en polir les parois, à tranfporter au ( 1 ) Part. XI , Chap. V. (;) Ibkl. (3) Part. XI, Chap. XXIIL DE LA NATURE. Part XII. 599 dehors le fable qu'elle en tire : elle forme de ce fable un tuyau qui a pour bafe l'ouverture du trou , & qui s'élève au - deffus à une hauteur à-peu-près égale à la profondeur de ce dernier. Ce tuyau paroit être un ouvrage important & qui doit durer. Il efl: fait avec art , en manière de filagrammes ou de guillochis. La. Guêpe travaille dans un fable fort dur, & que l'ongle auroit peine à entamer. Quoi- qu'elle foit pourvue de très-bonnes dents , ce n'eft point de ces dents qu'elle fe fert pour per- cer le fable, & en détacher les grains comme de force : elle a un moyen très facile & très- fimple d'en venir à bout. Elle fait le ramollir , le réduire en une pâte molle , & qui fe lailfe manier comme elle veut. Elle y répand une li- queur pénétrante dont elle a provifion. Elle pétrit avec fes dents & fes premières jambes les molécules qu'elle a ramollies & dé- tachées. Elle en compofe une petite pelotte , un peu alongée. Elle pofe cette première pe- lotte fur le bord du trou qu'elle a commencé à creufer , & elle jette ainfi les premiers fon-. démens du tuyau qu'elle fe propofe d'élever. IL fera tout compofé de pareilles pelottes , arran- gées circulairement les unes à côté des autres 4oo CONTEMPLATION & les unes fur les autres. En mettant en placé de nouvelles pelottes , la Guêpe les étend un peu avec fes dents & fes jambes. Elle interrompt fréquemment fon travail , fans doute , parce que la liqueur détrempante' s'épuife a(fez promptement- Elle quitte fon atte- lier , s'envole & revient quelques momens après* fe remettre à l'ouvrage. Elle a été fe pourvoir de nouvelle liqueur. L'outrage va très - vite , & beaucoup plus vite qu'on ne Pimagineroit. En peu d'heures, elle a creufé un trou de deux à trois pouces de profondeur , & bâti au - deflus un tuyau qui a autant d'élévation ou à - peu - près. Elle couftruit fuccefîivement pluMeurs de ces nids , qui ont tous la même forme effentielle & la même fin. Apres s'être élevé perpendiculairement au- deffus du trou , le tuyau fe courbe un peu , & fe courbe enfuite de plus en plus, en confer- vant toujours fa forme cylindrique. La Mouche ne proportionne pas conftam- nient l'élévation du tuyau à la profondeur du trou : t) Ë LA NATURE. Part Ttîï. ^oï troii : fouvent il eft moins élevé que celui - ci n'eft profond. Ce n'eft pas manque de pelottes ; on la voit continuer d'en pétrir ; mais , au lieu de les mettre en place > elle les jette hors du tuyau. Vous devinez aifémertt que le trou que la Guêpe-maçonne creufe perpendiculairement dans un maifif de fable , eft un nid deftiné à rece- voir un œuf. Mais vous ne devinez point Pufagd du petit édifice en filagrammes , bâti au-deiTiis * & qui fuppofe bien plus de travail & d'mduftrie «que la (impie opération d'excaver. La fuite des manœuvres de notre laborieufè Ouvrière vous apprendra que ce tuyau , (Î artif- tement façonné , n'eft qu'une efpece d'échafau- dage qui ne doit pas fubfifter. Les pelottes qu* le compofent font pour la Mouche ce qu'un alfemblage de matériaux ou de moellons eft pour un Maçon. Notre Maçonne les a arrangées ainfi afin de les avoir plus à fa portée. Elle s'en fert pour reboucher ou combler le trou, après qu'elle y a dépofé un œuf. Elle démolit donc le petits édifice , & bientôt il n'en refte plus de veftiges. Cette efpece de petite tour a encore tut autre ufage bien important j elle prévient les Tome IX. C c 402 CONTEMPLATION entreprifes des Ichneumons. On fait que ces Mouches rodent fans ceffe autour des nids des Infectes pour y dépofer leurs œufs : la petite tour leur rend plus difficile l'accès du nid de la Maqonne 5 elles n'ofent s'engager dans un défilé fi long & fi obfcur. Un Ver doit éclorre de l'œuf que la Guèpe- maqonne a pondu au fond de fou trou. La niche eft bien murée : le Ver ne pourroit ni recevoir ni aller chercher fa nourriture : la Mouche l'a approvifionné. Il repofe au fond du trou : la Mouche a fu réferver un efpace de fept à huit lignes qu'elle n'a point muré, & qu'elle a rempli de provifions de bouche. Quelqu'un qui ignoreroit PHiftoire des In- fectes n'imagineroit pas de quelle nature font ces provifions, & le Naturalise qui le fait, ne l'admire pas moins. Si l'on ouvre le nid avec précaution , on remarquera que la partie qui n'eft point murée , a été remplie de petits Vers vivans , de couleur verte & fans jambes , arran- gés adroitement les uns fur les autres, & con- tournés en manière de cerceaux. Ces Vers rem- pliffent toute la capacité de la petite caverne. L'on en compte ordinairement dix à douze dans chaque nid : c'eft précifément 1$ quantité de / t DE LA NATURE. Part XII. 40$ provision néceflàire à Paccroiflement du Petit de la Guêpe. Des qu'il eft éclos , il attaque le Ver le plus proche de lui; il lui perce le ventre, & le fuce tout à fon aife. Il vient enfuite à celui qui étoit pofé immédiatement au-deiîus , & quand il a achevé de con fumer ainfi toute la provi- fion , il n'a plus à croître 5 il eft fur le point de fe transformer. Le plus habile Pourvoyeur de vivres ne s'y prendroit pas mieux que le faie notre Mere-guêpe : ele a été inftruite par Celui qui pourvoit aux befoins de toutes fes Créatures.. La Guêpe connoît les Vers qui ont été ap- propriés à la fubfiftance de fa Famille. Elle va à la chaiTe de ces Vers ; elle les faiiit délicate- ment, & les tranfpofte dans fon nid fans les bleffer. Tous ceux qu'elle y renferme font de la même Efpece , & tous font dans l'âge où ils n'ont plus à croître. Si elle les renfermoit plus jeunes, ils périroient de faim dans la caverne , fe cor- romproient enfuite , & feroient périr à fon tour le Petit. Elle ne choifit donc parmi les Vers d'une même Efpece, que ceux qui font parve- nus à l'âge où ils peuvent foutenir un aiTez long jeûne. Tous ne font pas néanmoins de la même grandeur. Quand la Guêpe approvifionne fon Petit avec les plus grands Vers , elle lui en donne moins, elle lui en donne davantage s'ils font» Ce 2 404 CONTEMPLAT-ION de plus petite taille. On diroit qu'elle entend à compenfer la grandeur par le nombre & réci- proquement ( 4 ). (4) tt Nous venons de voir une Guêpe - ichnenmon qui renferme dans fon nid toute la provifion d'alimens dont fou Petit aura befoin pendant le cours de fa vie : mais il eft une Guêpe de la môme Famille, qui ne fe conduit pas ainfi, & qui nourrit fon Petit à plufieurs reprifes. Après avoir renfermé dans fon nid une Chenille vivante ., elle le ferme foigneufement , & au bout de quelques jours , lorfque la Chenille a été confumée , elle rouvre le nid , y renferme une féconde Chenille vivante , le bouche encore , & continue de la forte à approvifionner fa «hère Progéniture. C'eft à la clatte allez nombreufe des Guêpes -iehneumons- qu'appartiennent ces Mouches guerrières qui vengent leurs fem* blables des infultes des Araignées. Elles fondent hardiment dans leur toile , les faiftffent fur le deflus du corps , les percent de leur aiguillon, les étourdiiïent , les arrachent de leur filet, & les tranfportent dans leur nid , où elles les claquemurent pour fervir de pâture à leur Famille. D'autres Guêpes -iehneumons ne craignent point de confier leur Géniture aux Araignéees. Elles dépofent leur œuf fur le corps de celles - ci , & le Ver qui en éclot vit aux dépens de rinlefte redoutable , qu'il n'a pourtant point à redouter. ® E LA V A T V R E. TarLXTL. &% ffife« i i ■ *®m . ■■ aggj CHAPITRE XLIL La Foitryiilion. Al n'eft point d'Infecle plus célèbre par fort induftrie, que l'eft celui-ci. Son nom eft lié dans l'efprit à l'idée de procédés très-ingénieux, dont on ne manque pas d'entretenir les Jeunes gens auxquels on fouhaite d'infpirer quelque admira- tion pour les merveilles de la Nature. Je connois un Naturalifte , qui n'ayant pas encore dix-fept ans , commença par douter de ces procédés , & n'eut aucun repos qu'il ne les eût vérifiés : il les vérifia, les admira, en découvrit de nouveaux, & devint bientôt le Difciple & l'Ami du Pline de la France ( i ). En crayonnant dans fes ou- vrages les découvertes de cet Homme illuftre , <~ (i) ff Mr. de Reaumur , mort en 1757 , & avec leque l'Auteur avoit été en commerce de Lettres pendant plus de dix- neuf ans. Il communiquoit dans le plus grand détail à cet excellent Naturalifte tout ce qu'il découvrait , & les réponfes amicales qu'il en recevoit , l'excitoient de plus en plus à ponr- fnivre fes recherches. Il a publié en 1779 la fuite des Obfer- vations qu'il avoit faites fur les Infedt.es dan? fa première jeu- neffe , & dont il avoit déjà publié une partie en 174Ç. La. plupart de fes recherches étoient demeurées bien imparfaites ; mais des Naturaliftes plu»; habiles & plus heureux ont fait depuis çn ce genre , beaucoup plus qu'il n'auroit pu faire. Ce a 4.o* C 0 ^ r E M P L'A T I 0 N J il a jette quelques fleurs fur Ton tombenu*, foi-, bles expreiîïons de fe* regrets & d'un fouvenir qui lui fera toujours cher. Tout le monde fait que le Fourmilion fe creufe dans un fable Fe-c ou dans une terre fort' pulvérifée , une fouVen manière de trémie ou d'entonnoir , au fond de laquelle il fe tient en embufeade. Comme il ne marche qu'à reculons , il ne peut pourfuivre fa proie: il' lui tend donc un piège , & c'eft fur - tout fur la Fourmi qu'il fonde fes efjjérances. Il eût été mieux nommé Fourmi-renard , G ce nom n'avoit paru trop long. A l'ordinaire , il demeure caché fous le fable: foit qu'il repofe au fond de fon entonnoir ou qu'il change de place , il ne montre jamais que le bout de fà tête. Elle eft quarree , platte , & armée de deux petites cornes mobiles , en forme de crochets ou de pinces très - fines , dont la finguliere ftru&ure étonne l'Obfervateur , & lui montre à quel point la Nature eft admirable jufques dans fes moindres Productions. L'ana- tomie du Fourmilion n'eft point notre obi et actuel : vous êtes moins curieux de favoir com- ment il eft fait, que ce qu'il fait. Vous fwez en général , que fa forme tient un peu de celle du Cloporte, & que fon corps porté fur fix jambes > BELA NATURE. Fart. XII. 407 ii terminé en pointe , eft compofé d'une fuite d'anneaux purement membraneux. C'eft tout ce qu'il vous importe de connoître de fa flructure > un plus grand détail feroit fuperflu. Pour ereufer fon entonnoir , le Fourmilion commence par tracer dans le fable un fillon circulaire , dont l'enceinte déterminera l'ouver- ture de l'entonnoir. Il y a toujours un certain rapport entre cette ouverture & la profondeur de l'entonnoir : celle-ci eft ordinairement de neuf lignes , quand celle-là eft de douze. En général , la grandeur des entonnoirs varie beaucoup : les plus grands ont environ deux à trois pouces d'ouverture ; les plus petits, deux à trois lignes, Ce n'eft pas une règle que les plus grands Four- milions creufent les plus grandes foifes : fouvend un Fourmilion de grandeur médiocre fe trouve logé dans une très-grande foiîe, & un très-grand Fourmilion dans une fofle de grandeur médiocre : cela tient à des circonftances particulières , qu'il feroit inutile d'indiquer. Après avoir déterminé l'ouverture de fon entonnoir , ou tracé le premier fillon circulaire ,. le Fourmilion en trace un fécond concentrique au premier. Vous comprenez , que fon travail doit aboutir à enlever tout le fable renfermé Ce 4 *og CONTEMPLATION dans l'enceinte du premier fillon. Imaginez donc un cône de fable , dont le diamètre foit égal à celui de l'enceinte, & dont la hauteur égale la profondeur que doit avoir l'entonnoir -, c'eft ce cône de fable qu'il s'agit d'enlever. C'est avec fa tête , comme avec une pelle , que l'Infecte en vient à bout. Vous avez vu qu'elle eft quarrée & platte s fa forme répond donc très- bien à cette fonction. Il fe fert d'une de fes premières jambes pour la charge* de fable, & quand elle en eft fort chargée , il le lance brufquement hors de l'enceinte. Toute cette pe- tite manœuvre s'exécute avec une promptitude & une adreife furprenançes : un Jardinier n'opère pas fi vite ni fi bien avec fa bêche & fon pied, que le Fourmilion avec fa tête & fa jambe. Je n'ai prefque pas befoin de vous dire , que la fuite des manœuvres de notre Infecte ne fera que la répétition de celle que je viens d'efquiffer. Il tracera de nouveaux filions , toujours concen- triques aux premiers. Le diamètre de l'enceinte diminuera auffi graduellement, & le Fourmilion defcendia de plus en plus dans le fable. Mais , je ne dois pas négliger de vous faire remarquer , qu'il ne charge jamais fa tête que DE LA NATURE. Paré. XII. 40»' du fable renfermé dans l'enceinte du fiilon qu'il trace a&uellement. Il lui feroit pourtant tout aufïi facile de la charger du fable qui eft à l'ex- térieur de l'enceinte , puifque la jambe qui ré- pond à ce côté du filon, eit capable des mêmes fondions que la jambe correfpondante. Vous ne le voyez point s'y méprendre > il paroît ftvoir que pour parvenir à creufer fa trémie , il ne doit enlever que le fable compris dans l'aire ou l'enceinte du filîon. Il n'y a donc que la jambe qui eft du côté de l'aire , qui foit en action ; l'autre fe repofe : celle-ci travaillera à fon tour, quand celle-là fera fatiguée. L'on voit alors le Fourmilion fe retourner bout par bout ou tra- verfer l'aire en ligne droite , & commencer un nouveau fiilon en feus contraire. Par ce chan- gement de fituation , la jambe qui étoit d'abord placée à l'extérieur de Taire , fe trouve placée vers l'intérieur, & prête à manœuvrer. Il arrive fouvent qu'en creufant fa trémie, le Fourmilion rencontre de gros grains de fable ou de petits grumeaux de terre feche : il n'a garde de les biffer dans la trémie ; ils ferviroient d'échelons aux petits Infectes qui tenteroient d'en fortir. Il en charge fa tête , & par un mou- vement fubit & bien calculé , il les projette hors du trou. 4io CONTEMPLATION Si au lieu de ces corps aifez légers , il ren* contre de petites pierres trop pefantcs pour être lancées avec fa tète , il fait s'en débarraifer par un moyen nouveau & fort fingulier. Il fort de terre , & fe montre tout entier à découvert. Il va ainfi à reculons, jufqu'à ce que le bout de fon derrière ait atteint la pierre : il femble alors la tâter j il eifaie de la pouiier & de la foulever: il redouble fts efforts , parvient à la charger fur fon dos , maintient habilement l'équilibre par des mouvemens prompts & alternatifs de fes anneaux , gagne avec h charge le pied de la rampe , la gravit , porte la pierre à quelque dif- tance du trou , revient dans le trou , & achevé de le creufer. Cependant , malgré tout fon favoir-faire en tours d'équilibre, la pierre lui échappe quelque- fois au moment qu'il eft fur le point d'arriver au haut de la rampe. Il ne fe rebute pas , il def- cend, va chercher la pierre , la eharge.de nou- veau fur fon dos , regagne la rampe , remonte » fe décharge , & retourne à fon travail. * Sa patience eft prefque inépuifable : on l'a vu répéter ûx à fept fois de fuite les mêmes ma- nœuvres , parce que la charge lui avoit échappé autant de fois. Il offroit aux yeux du Spe&a- BELA Ht A TV R E. Part XII. 411 fceur étonné & prcfque attendri , une image bien naturelle de l'infortuné Sisiphe. Enfin > le Fourmilion jouit du fruit de fcs travaux : il a tendu fon piège , & le voilà à l'affût. Caché & immobile au fond de la foife , il attend en Chaifeur rufé & patient la proie qu'il ne fauroit pourfuivre. Si quelque Fourmi vient à roder autour du précipice , il eft rare qu'elle n'y tombe point. Les bords en font efcarpés , & s'éboulent facilement. lis entraînent avec eux l'imprudente Fourmi ; le Fourmilion la faille preftement avec fes cornes , la fecoue pour l'étourdir , la tire fous le fable , & la fuce à fon aife. Il rejette enfuite le cadavre qui 11'eft plus qu'une peau feche & vuide , répare le dé- fordre furvenu à la foife , & fe remet en em- bufeade. Il n'a pas toujours le bonheur de faifir fa proie au moment qu'elle tombe dans le piège. Souvent elle échappe à fes pinces meurtrières, & fait effort pour gagner le haut de l'enton- noir. Alors , le Fourmilion fait jouer fa tête j il lance fur la proie des jets de fable redoublés, qui la précipitent de nouveau au fond de la foife. J'ai parlé ( 2 ) d'une Araignée qui eft fi atta- O) Part. XI,Chap. V. Sfxï CONTEMPLATION chée à fes œufs , qu'elle les porte par - tout avec? elle. Elle les renferme dans un petit fac de foie qu'elle lie à fon derrière. On. le prendroit pour le ventre de l'Araignée. Elle eft très - farouche , très - agile , court avec rapidité , & ne fe def- faifit jamais de fes œufs. Une Araignée de cette Efpece ayant été jettée dans la foffe d'un Four- milion , celui - ci faiiit d'abord le fac aux œufs » & fe mit en devoir de l'entraîner fous le fable. L'Araignée s'y lailfoit entraîner avec lui ; mais la foie , qui le tenoit collé à fon derrière , rom- pit , & elle s'en vit féparée. Elle fe retourna fur- le-cliamp , faifit le fac avec fes pinces , & fit les plus grands efforts pour l'arracher au Four- milion. Ce fut en vain ; il entraîna le fac tou- jours plus avant fous le fable, & l'Araignée, plutôt que de lâcher prife , fe laiffa enterrer toute vivante. On la déterra bientôt; elle étoit pleine de vie ; le Fourmiliou ne l'avoit point attaquée : cependant, quoiqu'on la touchât à plufîeurs re- prifes avec un brin de bois , elle ne fuyoit point : cette Araignée (1 agile , fi fauvage , Ci farouche , fembloit ne vouloir point abandonner le lieu où elle avoit perdu ce qu'elle avoit de plus cher. Parvenu à fon parfait accronfement , le Fourmilion quitte le métier de Chaffeur qui lut eil devenu inutile ; il ne tend plus de piège j & DE LA 2? A T V R F. Part. XII. £*| après s'être promené quelque temps près de la furface de la terre , il s'y enfonce & s'y cons- truit une petite coque de forme fphérique , qu'il revêt intérieurement d'une tapifTerie de fatin du plus beau gris de perle , où il fe transforme dans une de ces Mouches qu'on a nommées De- moifelles. * On a découvert une nouvelle Efpece de Four-? milion , qui eft rare dans nos Contrées , & ur* peu plus grande que i'Efpece commune ( 3 ). Elle eft fur- tout remarquable par fes allures; elle marche en avant avec afTez d'agilité , & c'eft apparemment la raifon pour laquelle il ne pa-» roîc pas lui avoir été donné de fe faire un en- tonnoir. Elle fe contente de fe cacher à la fur- face de la terre , & de faifir les Infe&es au paf- fage. Probablement elle fait avancer fur eux quand il le faut. Ces procédés ingénieux qui ont rendu cé- lèbre le Fourmilion , ne lui font point particu- liers. On connoît aujourd'hui un Infecte très- ( 3 ) tt Cette nouvelle Efpece de Fourmilion que l'Auteur découvrit autrefois aux environs Je Genève, diffère de I'Ef- pece commune par d'autres carafteres , que la grandeur. Il a détaillé ailleurs ces caractères. Cette nouvelle Efpece lui a paru *ftre, & ij, n'en a jamais eu .juVuu. tr-h-petic nombre d'Individus, 4i4 C 0 X T E M P L ~A T'I 0 ÏÏ différent , qui habite comme lui une terre pul- vérifée & mobile , qui s'y creufe une foffe eu entonnoir , & qui lance des jets de fable fur la proie qui tente d'en fortir. Cet Infe&e eft un Ver blanchâtre , mol & fans jambes , qui a requ le nom de Ver-lion , par analogie à celui dont il imite les procédés. Son entonnoir eft plus pro- fond proportionnellement à l'ouverture , que ne l'eft celui du Fourmilion. Pour creufer cette foife profonde le Ver - lion s'y prend d'une ma- nière fort lîmple. Il ne commence point , comme le Fourmilion , par tracer un fillon circulaire qui en détermine l'ouverture : il n'eft pas û Géo- mètre : il fe contente de jetter le fable oblique- ment de tous côtés. A mefure qu'il excave ainii , il s'enfonce davantage , & il continue d'excaver & de projetter de la forte , jufqu'à ce qu'il ait donné à fa foffe la profondeur qu'il lui veut C 4-)- ( 4 ) tt ^r* "e Reaumur eft le premier qui nous ait donné en 1753 une bonne hiftoire du Ver-lion. Il étoit pourtant connu dès le commencement du fiecle; mais ce qu'on en favoit n'étoit îii affez exadt ni allez circonftancié. Le Ver4ion refifemble fort, à ces Vers de la viande que tout le monde connoît : il en a même les cara&eres les plus effentiels. Sa partie antérieure eft très-effilée , & la poftérieure eft grofle & arrondie. Sa tête , de forme variable , eft armée de deux crochets écailleux , & fou derrière porte deux ftigmates auxquels vont aboutir deux mai-, trelles trachées qu'on apperqoit au travers de la peau. Mais, le Ver . lion ne fe métamorphofe pas en houle afongée somme les DE LA NATURE. Part. XII. 41c Vers de la viande. ( Voyez Part. IX , Chap. VI. ) Il fe défait de fa peau de Ver, comme tant d'antres Infe des, & fe montre? fous la forme de Nymphe , qui devient bientôt une Mouche à deux ailes , affez femblable à celle de certains Vers mangeurs de Pucerons, qui font du même genre que le Ver-lion. Lorfque notre Chaffeur a achevé de creufer fon entonnoir, il fe met en embufeade fort pr^s du fond. Sa partie antérieure eft alors tendue horifontalement en ligne droite de l'une à l'autre paroi : on la prendroit à la vue fimple pour un brin de bois, tant elle paroît roide & immobile : la partie poftérieure , au contraire, cachée fous le fable, eft recourbée en crochet du coté du dos, & nous allons voir que cette pofition eft bien néceflaire à l'Infecte pour affurer fa chaiTe. J'ajoute , que lorfqu'il eft étendu en ligne droite , il a environ huit à neuf lignes de. longueur. Son piège eft tendu à tous les petits Infe&es rôdeurs , & malheur à celui que fon imprudence entraîne dans le précipice. Le Ver-lion le faifit à l'inftant , s'entortille autour de lui comme un Serpent , le ferre de plus en plus , le tranfperce avec fes crochets , & le fuce tout à fon aife. Mais il arrive fouvent que la proie , trop vigoureufe , fait. les plus grands efforts pour s'échapper , & c'eft alors qu'il im- porte beaucoup au Ver -lion que fa partie poftérieure , recour- bée en crochet , foit bien cramponnée dans le fable. Si pour- tant la proie réuffit à lui échapper , & qu'elle fe mette à grimper le long des parois de l'entonnoir , le rufé Chafleur lance au- deflus d'elle, avec une merveilleufe preftefTe, des jets de fable réitérés , qui l'étourdiflfent & la forcent à retomber au fond dw précipice , où le petit Lion s'en reffaifit. S*3?£ 4i* CONTEMPLATION CHAPITRE XLIIÏ. Zff Crapaud* j E ne fais pas difficulté de produire ici cet Animal hideux. Sa confiance dans fes amours s fa patience infatigable , fa dextérité merveilleufe lui mériteront bientôt les éloges de mes Lec- teurs. Il appartient à la claife des Ovipares (ï). ( i ) tf Ce n'eft qu'allez improprement qu'on peut dire que le Crapaud eft ovipare: c'eft que les petits corps qu'il met ait jour en fi grand nombre , ne font pas proprement des œufs : ils font, à parler exa&ament, les Têtards eux-mêmes, déjà tout formés , & dont les tégumcns propres font très-reconnoiffables même avant la fécondation. Confultez fur ceci la Note 2 du Chap. X de la Part. VII. Si l'on joint cette découverte à celle qui démontre la préexiftence du Poulet dans l'œuf, (Part. VII, Chap. X, & les Notes) & à celles qui démontrent plus rigou- reufement encore que la plantule préexifte ainTi dans la graine, (Part. X, Chap. XXXIV, Note ç) on ne pourra fe refufer à admettre cette grande vérité; que la préformation & l'évolution des Corps organifés font une des loix les plus générales de la Nature. A leur fortie du ventre de la Mère , les très - petits Têtards' font environnés d'une épaiflTe couche de glaire , que le fperme du Mâle ne laiffe pas de traverfcr ifans l'inftant de la féconda- tion. Nous avons vu ailleurs quelle eft l'étonnante énergie de cette liqueur fécondante , & combien eft petite la dofe de fperme qui fuffit à opérer la fécondation. ( Confultez la Note 9 du Chap. XXIH de la Part. X.) Mr. Spallanzani s'eft afîuré Ses DE LA NATURE. Part. XII. 417 Ses œufs très - nombreux , & revêtus d'une membrane qui a de la confiftance , font liés les uns aux autres par une efpece de cordon. Fi- gurez-vous un long chapelet, dont les grains font à -peu «près égaux. Il faut que la Femelle Te décharge d'un pareil chapelet , roulé dans ion ventre. C'efl: pour elle un grand travail que de mettre dehors le premier œuf; mais , quand une fois elle y eft parvenue, tout le refte lui coûte peu , parce que le Mâle lui prête fon fecours. I/Accoucheur le plus expérimenté ne s'acquitte pas mieux de f&s fondions , que ce Mâle offi- cieux & emprefle s'acquitte des fiennes. Cram- ponné depuis un temps plus ou moins long fuc Je dos de fa Femelle , il la tient étroitement em* braffée avec fes pattes de devant, tandis qu'avec une de fes pattes de derrière il faiiit le pre- mier œuf & le bout du cordon. Il fait paffer ce cordon entre fes doigts , alonge la patte & extrait le fécond œuf. Saififfant alors de l'autre que la glaire qui enveloppe les Têtards à leur naiffance eft leur première nourriture ; & il penfe , que c'eft la raifon pourquoi les Têtards qu'on eiïaie de féconder artificiellement dans l'ovaire ou dans la partie fupérieure des trompes , ne parviennent pas à fe développer : ils y manquent de cette première nourriture qui leur eft abfolument néceffaire. Les Têtards qu'il avoit dé- I ouillés entièrement de leur glaire , n'ont jamais pu être fécon- dés, tandis que ceux qui n'en avoient été dépouillés qu'en parti© itoient prefque tous rendus féconds. Tome II. D d 4i8 .CONTEMPLATION patte une portion plus élevée du cordon , il amené le troifieme œuf, qui eft fuivi de près par le quatrième. G'eft en réitérant cette adroite manœuvre 5 qu'il réuiîit à extraire enfin tout le chapelet ( 2 ). (s) tf C'était d'après Mr. Demours , de l'Académie des Sciences de Paris , que je crayonnois ici l'intéreffantc hiftoire du Crapaud accoucheur. Les détails aufli circonftanciés que curieux dans lefquels ce favant Académicien étoit entré à ce fujet, ne me permettaient pas de douter de l'exactitude de fon ebfervation. Il eft pourtant bien fingulier que Rœsel , qui avoit tant obfervé les Crapauds & les Grenouilles , & qui nous en a donné une li magnifique hiftoire , n'eût jamais furp-ris le Cra- paud mâle dans fa fonction d'accoucheur : il ne l'eft pas moins aiïurément que Mr. Spallanzani n'y foit point parvenu non plus. Mais ces deux témoignages négatifs ne fauroient infirmer le témoignage fi affinnatif & fi détaillé de Mr. Demours. Mr. Rœsel dit feulement: que le Crapaud aquatique retient les ceufs entre fes pattes de derrière jufqu'à ce qu'il les ait arrofés «le fa liqueur, & que le Crapaud terreftre femble vouloir les extraire de force du ventre de la Femelle j qu'il ne le fait pourtant pas ; mais qu'il les ramaffe en monceau , comme s'il vouloit ainfi les arrofer plus facilement & plus promptement. Les amours des Grenouilles ne différent pas effentiellement de celles des Crapauds : mais les chofes fe paffent bien diffé- remment chez les Salamandres aquatiques , & leurs amours font bien plus chaftes. Le Mâle ne tient point fa Femelle embraflfée, il fe borne à lui faire de petites agaceries qui la préparent à la fécondation : enfuite il darde dans l'eau fon fperme , qui y forme mi petit nuage blanchâtre , qui va envelopper l'anus ouvert & renflé de la Femelle ; & c'eft de la forte qu'elle eft rendue £a coude. La Fable n'avoit pas feint de plus chaftes amours. Le fperme des Salamandres , qui eft très-épais , demandoit à être èé trempé dans l'eau. Cela eft même fi vrai , qu'on ne réulXït; DE LA NATURE. Part Xlh 4:9 £oint à féconder artificiellement leurs œufs , fi l'on n'a pas foir* auparavant de détremper la liqueur féminale , & d'imiter ainfi le procédé de la Nature, qui la répand dans l'eau avant que d$ l'employer. Puifque je viens de parler du Crapaud , je ne puis m'empê-* cher de dire quelque chofe d'un Ahimal de ce genre , qui nous offre des particularités extrêmement fingulieres , & qu'on n'a encore rencontrées dans aucun autre Animal , foit de même genre, foit de genres différens. On devine qu'il s'agit du Fipté ou Crapaud de Surinam , qui furpaffe en grandeur nos Crapauds d'Europe. Il en diffère encore par beaucoup d'autres caractères que je ne détaillerai pas dans cette Note , mais dont j'ai détaillé une partie dans un autre Écrit. Le dos de la Femelle eft une grande curiofité anatomique ï on l'avoit révoquée en doute , parce qu'on fe défioit trop du merveilleux j mais elle eft aujourd'hui fi bien conftatée , qu'on ne peut plus refufer de l'admettre; & il n'eft pa~ même befoirt de l'œil de l'Obfervateur pour fe convaincre de la réalité : les yeux les moins exercés à voir peuvent facilement la décou- vrir. Cette curiofité i unique en fon genre , confifte dans un am& de cellules , d'environ cinq lignes de profondeur , fur un peu plus de deux lignes d'ouverture, dont tout le dos de l'Animal eft garni , & qui , placées les unes à coté des autres , parohTenfc diftribuées irrégulièrement. L'intérieur en eft très - liife , & le fond exactement fermé. On ne leur découvre aucune commu- nication directe ou indirecte avec les parties intérieures que recouvre la peau épaiffe & chagrinée du dos. Cette peau a une forte de duplicâture qui renferme les cellules. Toutes s'ou- vrent fur le dos ; mais il eft un temps où chacune d'elles eft fermée par un' petit opercule, d'une peau mince & transpa- rente , qui s'ajufte très-proprement & très-exactement aux bords de l'ouverture circulaire ou ellyptique de la cellule. Je fuppriine bien des détails, & me hâte d'eu venir au priiK cipal ufage de ces cellules fi fingulieres & fi artiftement façon- nées. Il vient un temps 0.1 chacune de ces cellules loge un Cra- paud parfait , vraie miniature , qui offre dans un raccourci & DcU 4:o 0 0 '2f T E M P L A T I 0 # dans un fini admirables toutes les parties extérieures qui caraco tarifent l'Efpece. Ces jolies miniatures ; je prie qu'on me pa(Te une épithete que l'idée de l'Animal hideux dont je parle re- poufife fi fortement , & qui pourtant convient au mieux à fes Petits ; ces miniatures, dis-je, font fi adroitement empaquetées & arrangées dans leurs cellules ,- comme dans autant d'étuis , qu'elles n'y occupent que le plus petit efpace poflible : elles les remplifTent néanmoins en entier , en s'ajuftant exa&cment à leurs parois. On peut les en retirer & les y replacer à volonté : elles n'adhèrent aux parois par aucun vaiflfeau ni par aucun ligament : elles font Amplement emboîtées dans la cellule comme une Nymphe dans fa coque, ou une Abeille dans fon alvéole. Mais , comment nos petits Pipas fe trouvent-ils logés dans les cellules dont le dos de la Femelle eft fi bien pourvu? comment y font -ils parvenus? Car je viens de remarquer, qu'on ne dé- couvre point de communication entre les cellules & l'intérieur du corps : c'eft pourtant dans cet intérieur que les Embryons prennent leurs premiers accroiffemens , puifque c'eft-là que fc trouvent les ovaires , les trompes & la matrice. Un ingénieux Obfervateur (f), témoin ocidaire des amours des Pipas, paroît avoir percé ce myftere. Il nous afTure , qu'il a vu le Mâle ac- courir après la ponte de la Femelle , prendre les œufs avec fes pattes de derrière , & les placer fur le dos de fa Compagne ou dans les cellules deftinées à les recevoir. Ces cellules feroient donc , en quelque forte , des matrices externes qui procureroient le développement ultérieur des Embryons. Ils y demeureroient renfermés jufqu'au temps où, parvenus à un certain accroiffe- ment , ils ouvriroient la porte de leur logette pour venir au jour une féconde fois & fe mettre en liberté. Mais , l'hiftoire déjà fi curieufe du Pipa exigeroit des éclaircifTemens que nous «'obtiendrons que des recherches très - approfondies des meiU leurs Obfervateurs. (f) Mr. FïRMlN. DE LA V A T U R £. Part XII. 42% CHAPITRE XLIV. Les rufes du Lièvre £5? celles du Cerf. Oi le Lièvre ne poflede pas , comme le Lapin ,' Part de fe creufer un terrier ( 1 ) , il ne manque pas néanmoins de fagacité pour fe conferver & échapper à fes Ennemis. Il fait fe choifir un gîte , & fe cacher entre des mottes de terre , qui imitent la couleur de fon poil. En Hiver , il fe loge au midi , & en Eté au nord. Lancé par les Chiens , il fuit quelque temps un fentier , revient fur fes pas , s'élance de côté , fe jette dans un buiflbn & s'y tapit. Les Chiens fuivent le fentier, pa fient devant le Lièvre, & le manquent. L'Ani- mal rufé , qui les voit pafler & s'éloigner , fort de ïà "retraite , rentre dans le fentier , confond fes traces , & met la Meute en défaut. Sans ceifç il varie fes rufes , & fe conduit toujours relati- vement aux circonftances. Tantôt à fouie des Chiens, il part du gite , s'éloigne d'un quart de lieue , fe jette dans un étang , & fe cache entre des joncs. Tantôt il fe më'e à un troupeau de Brebis qu'il n'abandonne point; tantôt il fe cache fous terre ; tantôt il s'élance fur une vieille mu* (1 ) Chap. JCXX de cette Partie. Dd â %%% CONTEMPLATION raille , fe tapit entre des lierres , & laifTe paffer les Chiens : (Vautres fois il file le long d'un des côtés d'une haie , tandis que les Chiens filent de l'autre. Quelquefois il pafTe & repaiTe à plu- sieurs reprifes une rivière à la nage : d'autres fois enfin il oblige un autre Lièvre à quitter le gîte, pour fe mettre à fa place , &c. Le Cerf, qui par l'élégance & la légèreté de fa taille , par ce bois vivant dont fa tète eft parée plutôt qu'armée , par fa grandeur , par fa force , par fon air noble , eft un des grands ornemens des Forêts , rufe plus favamment encore que ïe Lièvre , & exerce bien plus la fagacité du CharTeur. Poursuivi par les Chiens, il parte & reparTe plufîeurs fois fur fa voie \ il leur donne le change en fe faifant accompagner d'autres Rètes , perce <& s'éloigne auili tôt, fe jette à l'écart , fe dérobe & fe couche fur le ventre. La terre le trahiffant toujours , il fe met £ l'eau. La Biche qui nourrit, fe préfente aux Chiens pour leur dérober fon faon ; elle fe lahTe courir & revient à lui. THS Z A 27 A T U RE. Part XII. **g CHAPITRE XLV. Le Renard. JLiE Renard, fameux par fes rufes , & qui joué un fi grand rôle dans ces Fables ingénieufes où la Morale vit & refpirej le Renard , dis- je , fe conduit avec autant de prudence que d'efprit- Non moins circonfpect qu'adroit , non moins vigilant que rufé , il pefe fes moindres démar- ches, étudie les circonftances , épie fans ceffe, n'agit qu'à propos , & a toujours quelque moyen en réferve pour fubvenir aux occurrences. Son génie fécond en reflburces multiplie prefqu'à Fin* fini fes tours , fes rufes & fes ftratagêmes. Quoique très -vite à la courfe , il ne fé fie point à fa légèreté naturelle : il juge qu'elle nd fuffiroit pas toujours à fa cotifervation , il fe. ménage de bonne- heure un afyle fouterrein , où il fe réfugie au befoin , où il fe loge & élevé fa Famille. Il établit fon domicile au bord des bois & dans le voifinage des métairies. Il prête de loin une oreille attentive au chant des Volailles ? Dd 4 424 CONTEMPLA T I 0 H- < dirige fa marche eu conféquence , la couvre habilement, arrive par divers détours , fe tapit, fe traîne fur le ventre, fe met en embufcadcfl & manque rarement fon coup. S'il eft affez heureux pour pénétrer dans l'enclos , il met à profit tous les momens , & égorge toutes les Volailles. Il fait retraite fur-le- champ , emporte une Proie , la recelé f revient en chercher une autre , la cache comme la pre- mière , & ne renonce à butiner que lorfqu'it s'apperqoit qu'il a été découvert» Il entend à merveille à chaiTer les jeunes Le- vreaux > à furprendre les Lièvres au gîte, à dé- couvrir les nids des Perdrix , des Cailles , &c„ & à faiiîr la Mère fur fes œufs. Hardi autant que fin , il ofe attaquer les Abeilles : il en veut à leur miel , dont il eft friand. Il eft bientôt anaiili par ces Mouches guerrières , & en peu de momens il en eft cou- vert. Il fe retire à quelques pas de diftance , fe roule fur la terre , les écrafe , retourne à la charge , & force enfin le petit Peuple laborieux à lui abandonner le fruit de' fes longs travaux. Je n'ajoute plus qu'un trait : fi le Renard DE LA NATURE. Paré. XII. 42? reconnoît qu'on ait inquiète fes Petits en fou abfence , il les tranfporte tous les uns après les autres dans une autre retraite. , CHAPITRE XLVI. V Éléphant. \\ J\ voir cette mafïe de chair fi énorme ( 1 ) , fî lourde , Ci informe , cette Montagne ambu- lante qui fait trembler la terre fous fes pas , & que l'œil du Spedateur ne parcourt point fans étonnement, imagineroit-on qu'elle recelé une Ame fupérieure , douée de talens & cîç qualités rares , & qui ne peut guère être fur- paffée que par l'Ame tranfeendante du premier des Etres terreftres. A voir ce prodigieux Co- loffe , dont les membres maflîfs font fi étrange- ( 1 ) Les pins grands Eléphans ont quatorze à quinze pieds de hauteur, fur autant ou à -peu- près de longueur. On calcule qu'un Eléphant de cette taille pefe autant que cinquante Hoint mes. C'eft fur les côtes orientales de l'Afrique & dans les par* ties méridionales de l'Afie que fe trouvent les plus grands Elé- phans. On préfume que ceux qui demeurent en liberté peuvent vivre plus de deux cents ans i mais ceux qu'on réduit en fer- vitude vivenc beaucoup moins. Un grand Eléphant çonfume paf jour jufqu'à cent cinquante livres d'herbe. 42* CONTEMPLATION ment configurés ( 2 ) , fbupqonneroit - on qu'il n'eft peut-être fur notre Planète aucun Animal plus adroit ni plus intelligent , (i Ton en excepte le plus adroit & le plus intelligent de tous? Sagacité , prudence , fens-froid , courage , doci- lité , modération , l'Eléphant tient de la Nature toutes ces éminentes qualités , & l'éducation qui les perfectionne , les ennoblit , les dirige , femble en faire un Etre prefque raifonnable. A ces qualités , pour ainfi dire morales , qui «'emparent fortement de notre admiration \ l'E- léphant joint des qualités phyfiques que nous ne fommes pas fi furpris de rencontrer dans le plus coloffal des Animaux terreftres. Sa force mufculaire nous étonne néanmoins : avec fa trompe il déracine les Arbres , & d'un coup de fon corps il renverfe les murs. Seul , il met en mouvement les plus grandes machines , tranf. porte des fardeaux que plufîeurs Chevaux re^ mueroient à peine , & porte fans fucccmber une ( 2 ) Le corps de l'Eléphant eft trop épais pour être foupîe: Son col trop court ne fléchit que fort peu. Sa tête eft petite & difforme : fon nez & fes oreilles font démefurément longs ; fes jambes droites & maflives, comme de gros piliers, font ter- minées par un pied fi court, fi petit, qu'il fe diftingue à peine: fa peau enfin eft dure , épailfe & calleufe. Voilà bien des dir- Ibfi»ili4si & qui choquent d'autant plus qu'elles font plus exa-< gérées dans l'Animal. DE LA NATURE. Paré. XIL 42? tour armée en guerre & chargée de nombre de Combattans (3). Que dirai -je enfin? De fes fortes défenfes il peut percer le plus terrible des Animaux, & celui que les plus puiffans redoutent le plus. L'Eléphant n'en redoute aucun, parce qu'il réfifte autant par Pénormité de fa maffe & Tépaifleur de fon cuir , que par les armes meur- trières dont il eft pourvu (4). Mais, ce font les qualités aimables de l'Elé- phant qu'on fe plaît à contempler. Cet Etre qui , au premier coup-d'œil , ne paroît qu'un entaffe- ment monftrueux de matière , eft pourtant un Etre très- fentimental : je demande grâce pour cette expreiîîon qui vient de m'échapper , & qui n'eft pas dans la rigueur philofophique. Très- mémoratif des bienfaits reçus , il ne méconnoît jamais fon Bienfaiteur, lui témoigne fa recon- noùTance par les fignes les plus exprefîifs , & lui demeure toujours attaché. Mais il conferve ( 3 ) Une charge de quatre à cinq milliers n'eft pas trop forte pour un grand Éléphant. Il eft même un Voyageur qui aiTure avoir vu un de ces Animaux porter l'efpace de cin$ cents pas deux pièces d'artillerie , fufpendues à fes défenfes , &, qui pefoient chacune trois milliers. (4) On connoît les défenfes de l'Eléphant : elles groflifTent quelquefois au point d'acquérir chacune un poids d'environ cent yingt livres, 42» . CONTEMPLATION aufïî un long fou venir des offenfes , & ne péri point Poccafion de s'en venger. Exigeroit-on d'un Animal une générofité qu'on rencontre (î rarement dans notre Efpece ? Domeftique au 15 docile que fidèle, & auffi intelligent que docile* il femble prévenir les defirs de ion Maître , de- viner fa penfée , & lui obéir par infpiration» Attentif aux divers tons du commandement , il ( les démêle tous , ne fe méprend point fur leur lignification, exécute avec jugement, agit avec mefure , ne précipite rien , & fait tout à propos. Il ne fe refufe à aucun genre de fervice , pas même aux plus longs & aux plus pénibles , pour- fuit fa tâche avec confiance & fans fe rebuter, l'achevé comme il l'a commencée , & fe croit toujours affez récompenfé de fon travail quand on lui témoigne par quelques careffes qu'on cft- fatisfait de l'emploi de fes forces. Plus il eft fenfîble aux bons traitemens , & plus il s'irrite des châtimens qu'il n'a point mérités. Doux par tempérament, il n'emploie fa force ou fes armes que pour fe défendre lui-même, fecourir fort Maître , ou protéger fes fembîables. Souple , com- plaifant & careffant , il rend avec fa trompe careffes pour careffes , fléchit les genoux devant celui qui veut le monter, fe foumet à fa direc- tion, aide lui-même à fe charger, fe lailfè vêtir & parer, & paroît même prendre plaifir à cette LE LA NATURE. Part XII. 42* parure. Enfin , fes mœurs fociaies qui ('éloignent de la fo'itude & d'une vie errante , le portent à rechercher la compagnie de fes femblables & à ieur être utile -, & les fociétés que forment en- tr'eux ces Animaux demi-rai fonnables , font fou- mifes à des loix qu'on aime à connoître , quoi- qu'on ait toujours à fe défier un peu du Code que les Nauiraliftes anciens & modernes en ont publié. Le plus vieux des Eléphans , comme le plus expérimenté , eft à la tête de la troupe & la conduit : le plus âgé après lui ferme la marche: les jeunes & les foibles font au centre du batail- lon ; & les Mères qui allaitent encore , portent leurs Petits qu'elles embraifent de leur trompe. Tel effc Tordre que les prudens Eléphans obfer- vent dans les marches périlleufes , & qu'on croi- roit fuggéré par la raifon elle - même. Mais , quand ils n'ont rien à redouter , ils relâchent beaucoup de leurs précautions , fe promènent dans les forêts, dans les, champs, dans les prai- ries , y pâturent à ieur aife , mais fans s'écarter aiTez les uns des autres pour fe priver de leurs fecours mutuels ou de leurs avertiffe- mens ( 5 ). ( ç ) L'Eléphant n'eft ni Carnivore ni pifcivore , il n'eft que frugivore ; il vit de racines, d'herbes, de fruits & de grains. Lorfqu'il rencontre quelque pâturage abondant , il appelle les autres Eléphans & les invite à en venir prendre leur paît. 4$o CONTEMPLATION Je n'ai pas achevé d'efquirTer le tableau de l'Eléphant : le plus éloquent de fes Hiftoriens m'en fournit encore quelques traits qui s'affoi- bliront en panant par ma plume. Ses yeux , petits à la vérité , mais vifs , brillans & fpirituels , pei- gnent avec fidélité toutes les nuances dû fenti- ment > & quand il les tourne lentement vers fou Maître chéri , ils ne réfléchirent que douceur , amitié & tendreife. Fixés fur fon Maître , fes regards , pleins d'expreffion , annoncent qu'il Fa écouté & faifi , & que prêt à exécuter fes ordres , il n'attend plus que le dernier figne qui les lui manifeftera. Ses yeux, en un mot, font des miroirs qui rendent avec énergie toutes les affections que fon Ame fenfible éprouve tour-à- tour , & qui révèlent au Spectateur étonné la fupériorité de cet Etre. ' Doué d'une oreille muficale , l'Eléphant fe délecte à l'harmonie , mêle à propos fa voix aux fons des tambours & des trompettes, apprend •à battre la mefure & à fe mouvoir en cadence, Il ne fe plaît pas moins aux parfums qu'aux accords de la mulique : il aime fur - tout le parfum des fleurs ; & cet Animal coloffal entend à les choifïr , à les cueillir une à une , à en faire des bouquets , & ne fe bornant pas à en favoures' 3 E LA NATURE. Part. XII. 4*1 Tocleur, il les porte encore à fa bouche, comme pour les goûter. Sa trompe , infiniment admirable , réunit au fens de l'odorat celui du toucher, & tous deux font exquis. Mobile en tout fens & d'une mer- veilleufe flexibilité , cette trompe fe termine par un rebord qui peut s'alonger en manière de doigt, & avec lequel l'Eléphant peut exécuter tout ce que nous exécutons avec les nôtres. C'eft à l'aide de cette forte de main qu'il cueille les fleurs , ramaffe les plus petites pièces de mon. noie , dénoue les cordes , ouvre & ferme les portes en tournant les clefs ou pouffant les ver- roux , & qu'il trace des caractères réguliers avec un inftrument auflî fin qu'une plume. En formant la trompe de l'Eléphant, j& en y raffemblant avec un art infini des organes très- divers , laô Nature a concentré dans' cet inftru- ment unique des puiffances qu'elle a diftribuées ailleurs en différences régions du corps animal. Cette trompe merveilleufe n'eft pas feulemenc un double & même un triple fens, elle eft en- core un bras puiifant & une main très-adroite (6). ( 6 ) Cette trompe , au moyen de laquelle l'Eléphant exécute tant & de fi grandes chofes , devoit être très-richement pourvue de nerfs : aufli l'Anatomie prouve - 1 - elle que les nerfs qui s'y Vji CONTEMPLATION Ain fi , en même temps que l'Eléphant flaire" • goûte , touche par cet organe unique , il mefure les diftances des corps, juge de leur réfiftance, démêle' leurs qualités tangibles , & toutes ces cliofes fe combinant à la fois dans le cerveau , il en naît des aiibciations d'autant plus fortes , que ces chofes dérivent d'un même organe , & qu'elles font, en quelque forte, contemporaines. De -là cette fiipériorité d'inftincl; , cette forte d'intelligence ; je dirai mieux , cette imitation de la raifon , qui ennoblit tant l'Eléphant & le rap- proche il fort du premier & du plus parfait des Etres de notre Globe , dont il eft pourtant (x éloigné par fon étrange conformation & Ténor- mité de fa maife ( 7 ). diftribuent, équivalent à tous ceux du refte du corps. Mais elle nous apprend en môme temps que le cerveau de cet Animal fi intelligent, eft néanmoins plus petit proportionnellement à la malTe du corps que celui de la plupart des autres Animaux. Comme l'Éléphant a le défavantage de ne pouvoir rien failir à terre avec fa bouche, parce que fon col trop coWct ne peut fe ployer afiez , il faut qu'il prenne fa nourriture & fa boitlbn avec le nez , c'eft-à-dire, avec fe trompe. Il ne fuffit pas même qu'il porte fa nourriture à l'entrée de la bouche , il faut qu'il l'enfonce afifez avant dans le gofier. Il eft obligé d'en ufer à-peu-près de même à l'égard de l'eau dont il s'abreuve : il en remplit fa trompe & la feringue avec force dans l'œfophage. Il fe divertit aufli à la feringuer fur ceux qui lui déplaifent ou qui lui ont fait quelqu'infulte. ( 7 ) Il n'eft point d'Animal fur lequel l'imagination des Voyageurs <% des Naturalises fe foit plus échauffée que fur l'Eléphant : 3> 3-J DE LA If A T V R 4 Part XlL 4? | l'Eléphant: non - feulement on lui a attribué un inftinft bien Supérieur à celui du Caftor , du Chien ou du Singe ; mais on a plus fait encore j on l'a peint comme un Etre moral & très- moral. De bons Efprits , & même des Philofophes , n'ont pi? rentier toujours à la forte de féduftion qui naît des grandes qualités de ce noble Animal , & ils ont inféré dans fon hiftoire des faits étonnons qu'ils n'ont pas paru envifager d'un œil alfcz philofophique. Je n'en citerai qu'un feul exemple , que je tire de Mr. de Euffon. Il le rapporte d'après Mr. de Montmi- s ail, de l'Académie des Sciences de Paris, qui le tcnoit lui- même de Mr. de BUSSY , qui à demeuré dix ans dans l'Inde, qui y poffédoit plufieurs Eléphans , & qui avoit eu bien des occafions de les obferver. Mr. de Bùffon ajoute, que le témoi- gnage de Mr. de Bussy mérite la confiance du Leéfcenr- „ Le Conducteur de l'Éléphant , ( c'eft Mr. de Montmi- rail qui parle d'après Mr. de Bussy) veut-il lui faire faire quelque corvée pénible , il lui explique de quoi il eft quef- 53 tion , & lui détaille les raifons qui doivent l'engager à lui 3, obéir 5 fi. l'Eléphant marque de la répugnance à ce qu'il exige 35 de lui j le Cornac (c'eft ainfi qu'on appelle fon Condufteur) à, promet de lui donner de l'arac ou quelque chofe qu'il aime : à, alors l'Animal fe prête à tout; mais il eft dangereux de lui 5, manquer de parole ; plus d'un Cornac en a été la vi&ime* 3, Il s'eft pafle à ce fujet dans le Dekan , un trait qui mérite 35 d'être rapporté , & qui , tout incroyable qu'il paroît , eft 5, cependant exa&ement vrai. Un Eléphant yenoit de fe venger 35 de fon Cornac en le tuant : fa Femme , témoin de ce fpecla-* 35 cle , prit fes deux Enfans & les jetta aux pieds de l'Anima} 55 encore tout furieux , en lui difant : fui/que tu as tué v.iov- 35 Mari , éte-moi aujjila vie , ainji qu'à mes Enfans* L'Eléphant 55 s'arrêta tout court , s'adoucit , & comme s'il eût été touché 5, de regret , prit avec fa trompe le plus grand de ces dein? 35 Enfans, le mit fur fon cou, l'adopta pour Ion Cornac, & n'en 3, voulut point fouffrir d'autres ". Un Lecteur qui fe plaît au merveilleux, aime fort à rente ;- trer de tels faits dans l' Hiftoire des Animaux, & s'il ^c Fort Tome IX, E e |j4 'ÏOUTEMPLATIO N Senfible , il faura très-mauvais gré au Philofophe un peu fevere qui les dépouillera de leur moralité apparente, & les réduira k leur juite valeur. Cet Eléphant furieux qui venoit d'exercer une fi cruelle vengeance fur fon Conducteur , pouvoit - il juger tlu défefpoir de fa Femme , faifir la valeur des termes par les- quels elle exprimoit fi énergiquement la douleur qui déchiroit fon Ame ? Les doux noms de Père , de Mère , d'Enfans font-ils tbien faits pour l'oreille d'un Animal qui n'a & ne peut avoir l'ufage de la parole, & qui eft borné aux pures fenfations? Mais, dira-t-on, /' Éléphant s'arrêta tout court , s' 'adoucit , adopta fur-le-champ pour fon Conducteur le plus grand des deux Enfans , le plaça avec fa trompe fur fon cou, & ne voulut point foujfrir d'autre Conducteur > Voilà comment les Ames fenfibles interprè- tent à leur manière les a&ions des Brutes qui affectent un air de fentiment ou de réflexion : mais rien de mieux prouvé que l'attachement des Éléphans pour les Enfans ; & cet attachement purement phyfique , tient à certaines qualités fenfibles , qui affectent agréablement les fens de l'Animal , & dont nous ne faurions juger. La préférence que l'Éléphant dont il s'agit donna au plus grand des deux Enfans de la Femme défolée , tenoit, {ans doute , aufli à quelqu'impreflion fecrete du même genre. ( Confultez le Chap. XXXIII & les Notes : confultez encore le Chap. XXX^III & la Note. ) Quand nous prêtons fi libérale- ment aux Animaux nos idées morales , nous ne fongeons point qu'ils ne font pas pourvus , comme nous , de l'inftrument né- ceffaire à leur formation. Je ne révoque point en doute le trait que Mr. de Montmirail raconte fi agréablement , & dont il dit que, tout incroyable qu'il par oit , il eft cependant exactement vrai} je ne fais que le traduire en une antre langue. Le Ledteur Philofophe me pardonnera fi je m'arrête encor e quelques momens fur un autre paîïage de la belle Hiftoire de l'Éléphant de Mr. de P>uffon , que je n'ai pu lire fans furprife. L'Éléphant, dit -il , comme le Caftor , aime la fociété de fes femblables , il s'en fait entendre : on les voit fouvent fe raf. „ femblcr , fe difperfer , agir de concert, & s'ils n'édifient rien, ,-, s'ils ne t» vaillent point en commun, ce n'eft peut-être qut DE LA NATURE. Part XII. 4$ ç 3, faute d'affez d'efpace & de tranquillité : car les Hommes fe 3, font très-anciennement multipliés dans toutes les terres qu'ha- w bite l'Eléphant : il vit donc dans l'inquiétude , & n'eft nulle 55 part paifible poffeffeur d'un efpace aiïez grand , affez libre 5, pour s'y établir à demeure. Nous avons vu qu'il faut toutes „ ces conditions & tous ces avantages, pour que les talens du 5j Caftor fe manifeftent , & que par-tout où les Hommes font 55 habitués, il perd fon induftrie & celle d'édifier *'. Si les Caftors inquiétés par les Hommes cejfent d' 'édifier , ils peuvent néanmoins toujours le faire, parce qu'ils en ont tou- jours la capacité phyiique , & que leur cerveau a été organifé dans mi rapport déterminé aux beaux ouvrages qu'ils dévoient exécuter dans certaines circonftances données. ( Confultez le Chap. XXX de la Part. XI, & la Note correfpondante. ) Des circonftances différentes fufpendent l'exercice àe$ admirables facultés de ces Animaux induftrieux ; mais ils ne les détruifent pas. Ce n'eft donc pas parce que les Hommes fe font très-ancien* nement multipliés dans toutes les terres qu'habitent les Eléphans , que ces grands Animaux fi intelligens ri édifient rien ; c'eft uni- quement parce que leur cerveau n'a point été organifé dans le rapport au genre de travail qui a rendu les Caftors fi célèbres. Les Eléphans n'édifient rien , parce qu'ils n'ont pas les idées de la chofe ; & ils ne fauroient avoir ces idées , précifément parce qu'ils ne font pas doués des facultés qui brillent dans les Caftors. Chaque Animal a reçu de la Nature fes dons ou fes talens particuliers , que l'éducation peut perfectionner dans les Individus de cer- taines Clalfes j mais ce perfectionnement s'arrête toujours à l'Individu & ne paffe jamais à l'Efpece. Notre illuftre Auteur fait lui-même une femblable remarque dans un autre end roi de fes Ecrits. L'Efpece chez les Animaux n'eft donc point per- fectible. Chaque Efpece eft eîTentiellement circonferite dans les limites de fon organifme aétuel , qu'il lui eft impoffible de fran- chir. Auffi voyons - nous que les Animaux les plus induftrieux ne perfectionnent rien, que les Infeétes & les Oifeaux Arclû- teétes bâtiifent de nos jours comme ils bathToient du temps d'A- JMSTOTJ&. Ainfî , quand iln'y aurait jamais eu d'Hommes dans E e 2 4|« CONTEMPLATION CHAPITRE X L V I L V Orang-outang. ffu>i l'Eléphant paroît fe rapprocher de l'Homme par l'intelligence , l'Orang-outang pa- roit s'en rapprocher bien davantage par la con* formation tant intérieure qu'extérieure, & par les inclinations , les habitudes & les talens qui en dérivent ( i ). L'Orang-outang eft fi fem- bîable à l'Homme , que l'Anatomifte qui les com- pare , croit comparer deux Individus de la même Efpece y ou au moins du même Genre ; & frappé des reiïemblances fi marquées & (i nombreufes qu'il découvre entre ces deux Etres , il n'héfite pas à placer l'Orang-outang immédiatement après le groffier Hottentot ( 2 ). Ce Singe , le premier & îe plus grand de tous les Singes , paroit, en effet, poiféder tous les terres qu'habitent depuis fi. long-temps les Eléphans, je en penfe pas qu'ils fe fuiïent jamais réunis pour édifier en commun ia moindre cabane. ( i ) Confulfccz la Note i du Chap, XXX de la Part. III , 8c la Note du Chap. III de la Part. IV. L'Orang-outang habite fur-tout les Contrées méridionales de l'Inde , & ne propage que dans ces Climats brùîans. ( 2 ) Voyez la Note 4 du Chapitre X de la Partie IV- DE LA X A T U R E. Fart XII. 4jff ies attributs de l'Humanité ( 3 ) , fi vous en exceptez ce grand attribut , le plus bel apanage de FHomme , qu'il ne partage avec aucun autre Animal , & auquel il doit fa prééminence j je veux dire , la parole ou la penfée. L'Orang- outang ne parle point -y ii ne penfe donc point > car pour penfer , il faut parler. Il a pourtant , comme l'Homme , tous les organes extérieurs de la paroles mais il eft privé de l'organe inté- rieur, ou de cette partie du cerveau qui correk pond dans l'Homme à l'organe de la voix , & qui lui donne la capacité de lier fes idées aux fons articulés qui les repréfentent 9 de les affo- cier & de les combiner de mille & mille ma- nières ( 4 ). Mais , Ci l'Orang-outang n'eu: point un Hom- rne , il en eft au moins le Prototype le plus par- fait qui foit fur la Terre ( f ). Aufîî haut & un ( 3 ) Cela va au point , que la Femelle de POrang- outang eft fujette , comme la Femme , à l'écoulement périodique. On obferve la même chofe dans les Femelles des Singes , qui fe rapprochent le plus de l'Orang-outang. (4) Voyez le Chap. XXXIII & la Note 7, ( S ) Après avoir énuméré les caractères affez légers qui dif- férencient l'Ourang-outang de l'Homme , & les caractères nom- breux & frappans qui l'en rapprochent, Mr. de Bu f font ajoute : y> Toutes les parties tant extérieures qu'intérieures de Ee 3 ^38 CONTEMPLATION peu pjus gros que l'Homme , il marche , comme lui, fur deux pieds, en le fervant d'un bâton donc il s'eft lui - même pourvu , & dont il fait 5, l'Orang-outang, font fi parfaitement femblables à celles de 59 l'Homme , qu'on ne peut les comparer fans admiration , & „ fans être étonné que d'une conformation fi pareille & d'une „ organifation qui eft abfolument la même , il n'en refaite pas „ les mêmes effets. Par exemple , la langue & tous les organes 5, de la voix font les mêmes que dans l'Homme , & cependant „ l'Orang-outang ne parle pas ; le cerveau eft abfolument de la 5j même forme & de la même proportion , & il ne penfe pas : 5, y a-t-il une preuve plus évidente que la matière feule , quoi- ,, que parfaitement organifée , ne peut produire ni la penfée 3, ni la parole qui en eft le figne , à moins qu'elle ne foit ani- 3, mée par un principe fupérieur?. . . Enfin, l'Orang-outang 35 relTemble plus à l'Homme qu'à aucun autre Animal , plus 3, même qu'aux Babouins & aux Guenons. . . Ainfi les Indiens 3, font excufables de l'avoir affocié à TEfpece humaine par le 35 nom d' Orang-outang , Homme fauvage , puifqu'il relTemble à 35 l'Homme par le corps plus qu'il ne relTemble aux autres 35 Singes ou à aucun autre Animal "» Je ferai fur ce paîTage de notre iîluftre Naturalifte une re- marque qui s'offre d'abord àl'efprit d'un Pfychologue. Il paroît attribuer uniquement au Principe immatériel la fupériorité de l'Homme fur l'Orang - outang , parce qu'il admet d'après la diffe&ion , que le cerveau de celui-ci eft parfaitement femblable au cerveau de celui-là. Mais , combien eft-il de raifons de douter de cette parfaite fimilitude des deux cerveaux ! Ici , les plus légères variétés dans le nombre , l'arrangement & la ftru&ure des parties peuvent différencier beaucoup les opérations du Principe immatériel. Le cerveau eft l'inftrument de l'Ame ; elle agit fur lui & par lui , & nous ne connoifTons guère de cet ijiftrumefit admirable que le dehors : les pièces infiniment petites & proi'oiidémenc gâchées auxquelles. l'Ame eft immédiatement DE LA -NATURE. PétrtXÎÎ. 45Ï Faire ufage pour fe défendre ou pour attaquer. On le voit , avec étonnement , prendre fa place à table , & s'aifeoir parmi les Convives , déployer fa ferviette , fe fervir , comme nous , de four- chette , de cuiller & de couteau pour prendre & couper les morceaux qu'on met fur fort afîîette , verfer lui - même fa boiifon dans un verre, le choquer, lorfqu'on l'y invite , s'effuy^r de fa ferviette les lèvres , apporter fur la table une taffe avec fa foucoupe , y mettre du fucre , la remplir de thé , laùTér refroidir la liqueur avant que de la boire ; enfin , préfenter la main aux Convives pour les reconduire, & fe promener gravement avec eux* •unie , ne font point de celles qyte le microfeope & le fcalpeî peuvent mettre à la portée de nos fens j & toutes les compa- raifons que l'Anatomie inftitue en ce genre , ne portent jamais que fur les greffes pièces de l'inftrument. Je me crois done bien fondé à penfer , que le cerveau de l'Homme eft intérieu- rement d'une beaucoup plus grande composition que celui de l'Orang-outang , qu'il fe trouve dans le premier des pièces qui ne fe trouvent point dans le dernier , & que les pièces com- munes aux deux cerveaux différent encore par leur arrange- ment , par leurs proportions & leur ftru&ure. J'en juge par les produits relatifs des deux cerveaux qui différent fi prodi- gieufement & à tant d'égards. Mais, parce que l'Orang-outang eft de tous les Animaux celui qui reffemble le plus à l'Homme, & que toutes les parties tant extérieures qu'intérieures du corps animal doivent être en rapport , j'admettrai en même temps , que le cerveau de l'Orang-outang eïfc de tous les cerveaux celui qiii fe rapproche le plus du cerveau de l'Homme. E e 4 440 CONTEMPLATION On n'eft pas moins furpris de voir l'Orang- outang fe coucher , comme nous , dans un life qu'il a fait lui-même , pofer fa tète fur le chevet, îa ceindre d'un mouchoir , ajufter fur lui les couvertures , & fe faire foigner comme nous dans la maladie ( 6 ). Très - susceptible d'éducation , l'Orang- outang devient un bon Domeltique, qui obéit promptement aux fignes & à la voix j au lieu que les autres Singes n'obénfent guère qu'au bâton. DreiTé au fervice de la maifon , il s'ac- quitte avec autant d'adreiTe que d'exa&itude des différentes fondions qui lui ont été affîgnées ; rince les verres , fert à boire , tourne la broche , pile dans un mortier ce qu'on lui donne à piler , va chercher l'eau à la fontaine 3 en remplit une cruche ^la place fur fa tête , l'apporte au logis, &c* Les Orang - outangs vivent en fociété dans (6) Un Orang-outang avoit été faigné deux fois au bras droit dans une maladie : toutes les fois qu'il fe trouva depuis Incommodé , il montroit fon bras , comme s'il eût voulu qu'on le foulageât par une nouvelle faignée. Ceci revient à ce que j'ai raconté ailleurs d'un Maki qui , dans une circonftance analogue , préfentoit fon derrière pour recevoir un lavement. (Chapitre XXXIII, Note 9.) Deux fenfations s'étoient fortement aifc« çiées dans le cerveau du Maki & dans celui de l' Orang-outang „ (k, l'une rappelloit l'autre, LE LA NATURE. Part XII. 44* les bois , & font afTez forts & affez courageux pour en chaifer les Eléphans à coups de bâton. lis ofent môme fe mettre en défenfe contre des Hommes armés. Plus induftrieux que les Elé- phans , ils favent fe conftruire des cabanes de branches entrelacées , & aiforties à leurs befoins. Pafîîonnés pour les Femmes , ils les pourfuivent avec ardeur , en jouiffent s'ils peuvent les attein- dre , les nourriffent & en prennent grand foin. Les Femelles , tendrement attachées à leur Nourriflon , le portent dans leurs bras , lui don- nent la mamelle , pourvoient à tous fes befoins & le défendent avec courage. J'hésite à placer ici un dernier trait de l'inf- tincT: de l'Orang-outang, qui me femble plus fait pour figurer dans la Fable que dans l'Hit toire : nous le tenons pourtant d'un Voyageur, célèbre , & l'Hiftorien de la Nature ( 7 ) n'a pas dédaigné d'en enrichir fon Livre. Lorfque PO* rang-outang ne trouve plus de fruits fur les montagnes ou dans les bois , il va fur les bords de la Mer chercher une groffe Efpece d'Huître, du poids de plufieurs livres , & qui eft fouvent béante fur le rivage : mais le Singe circonfped; (7) I/auteur 4c Vffijloire naturelle, générale & ' pcrrtkulicreJ 44* CONTEMPLATION qui craint que l'Huître en refermant preftementf fa coquille ne lui faififTe la main , jette adroite- ment dans la coquille une pierre qui l'empêche de fe refermer, & qui lui permet de manger l'Huître tout à fon aife ( 8 ). ( 8 ) Le Babouin, le plus lubrique de tous les Singes & peut- être de tous les Animaux, eft encore le plus rufé fripon. Cette, efpece de Singe forme fouvent de nombreufes fociétés qui pil- lent les jardins. Une partie de la troupe franchit l'enclos, une autre partie demeure en fentinelie fur la eloifon , tandis que le refte forme au-dehors une longue chaîne jufqu'au lieu du rendez- vous général. Les Babouins qui ont pénétré dans le jardin jettent les fruits à mefure qu'ils les cueillent , aux Babouins qui font fur la eloifon , ceux-ci les jettent à leur tour aux premiers Babouins de la chaîne, qui les font paffer ainfi de main en main jufqu'à l'extrémité de la file. Ils ont le coup -d'oeil fi fur & ils font fi adroits , qu'ils laiflent rarement tomber les fruits qu'ils fe jettent les uns aux autres dans un profond filence. Mais fi au milieu de l'expédition les fentinelles découvrent quelqu'un , elles pouf- fent un cri , & toute la troupe des voleurs fe difperfe à l'inftant & s'enfuit avec une vîtefTe furprenante. Parmi les Singes à queue , du genre des Guenons , il y en a qui font auffi de grands pillards , & qui , très-habiles à voler les fruits & les légumes , les emportent dans leurs mains ou fous leurs bras : mais ils ne manquent pas de s'en débarraffer quand ils font pourfuivis. Il en eft encore qui , lorfqu'ils manquent de fruits on de légumes , vont à la pèche des Crabes , qu'ils pèchent , pour ainfi dire , a la ligne d'une manière affez adroite : ils mettent leur longue queue entre les pinces de ces grandes Écrevifles, & dès que celles-ci la ferrent fortement, les Singes les enlèvent preftement & vont les manger l'écart. D'autres Singes , du genre des Sapajous ou des Singes à queue prenante , fe fervent pareillement de leur queue avec beaucoup d'avantage pour pêcher le PoiiTon: ils le faififfent avec leur queue, comme DE LA NATURE. Part Xlh 44? C 0 N C L U S I 0 N. j E borne ici ma courfe : j'ai préfenté aflez de faits & de faits tntéreflans , pour que mes Lec- teurs puisent juger des plaifirs attachés à la contemplation de la Nature. Mais cette contem- plation feroit bien ftérile , (ï elle ne nous con^ duifoit point à PAuteur de la Nature. Ceft cet Être adorable qu'il faut chercher fans celfe dans cette Chaîne immenfe de Productions diverfes , où fa Puissance & fa Sagesse fe peignent avec tant de vérité & d'éclat. Il ne fe révèle pas à nous immédiatement -, le Pian qu'lL a choifi ne le comportait pas ; mais II a chargé les Cieux & la Terre de nous annoncer ce qu'lL eft. Il a proportionné nos Facultés à ee langage divin , & il a fufcité des Génies fublimes qui en approfondiifent les beautés & en deviennent les Interprètes. Relégués pour un temps dans une petite Planète allez obfcure , nous n'avons que la portion de lumière qui convenoit à notre état préfent : recueillons précieufement tous les avec une main. Ils ont encore l'adreffe de caffer avec une pierre l'écaillé des Huîtres pour les manger. Ces Singes favent fe fuf- pendre les uns au bout des autres pour traverfer un ruiffeau oft pour s'élancer d'un arbre à mi autre. 444 CONTEMPLATION traits de cette lumière ; n'en laiffons perdre aucun : marchons à fa clarté. Un jour nous pui- ferons dans la Source Eternelle de toute lumière , & au lieu de contempler I'Ouvrier. dans l'Ouvrage , nous contemplerons l'Ouvrage dans I'Ouvrier. Fréfentement nous voyons les chofes confufêment , & comme par un verre obfcitr $ mais alors nous verrons face à face. Fin dît neuvième Volume. TABLE 3DMS C3££JL3PXTTLfc$ ' Contenus dans ce neuvième Volume. SEBsa gessaa e .,..r— rss* .- , ssstsss i'i,i ONZIEME PARTIE. DE VINDUSTRIE DES ANIMAUX, JLntroduction. Page l Chapitre Premier. Généralités fur VinJtinB des Animaux. % Ch a p. IL Sageffe dans la conservation des Efpeces. 7 Chap. III. La propagation de PEfpece. 10 Chap. IV. Réflexions fur la multiplication par le concours des fexes. 14 Chap. V. Le lieu & l'arrangement des œufs & le foin des Petits. 1 7 Chap. VI. Continuation du même fujet. Les 0/- feaux. 34 Chap. VIL Continuation du même fujet. Les Qua- drupèdes. 40 Chap. VIII. Réflexion fur P amour des Animaux pour leurs Petits. 4.Z Chap. IX. Du naturel des Animaux-, 51 44# TABLE Chap. X. Des fociétés animales en général. Page f Ç Chap. XI. Les fociétés improprement dites. ^6 Chap. XII. Réflexions. 58 Chap. XIII. Les Oifeaux de pajfage. 62 Chap. XIV. Les Harengs. 69 Chap. XV. Les Rats de pajfage. yz Chap. XVI. Les fociétés proprement dites, 74 Chap. XVII. Les Chenilles communes. 75 Chap. XVIII. Les Chenilles procefjlonnaires, 77 Chap. XIX. Procédé remarquable des Chenilles qui vivent en fociété. %0 Chap. XX. Qiteftion. 84 Chap. XXI. Les fociétés qui ont ponr fin principale l'éducation des Petits. 87 Chap. XXII. Les Fourmis. 89 Chap. XXIII. Les Guêpes fout er reine s. 99 Chap. XXIV. Les Frelons & quelques autres Efpeces de Guêpes. 105 Chap. XXV. Les Guêpes canonnières. 107 Chap. XXVI. Les Abeilles. 1 1 1 Chap. XXVII. Continuation du même fu] et. Idées fur la police des Abeilles, 119 Chap. XXVIII. Les Bourdons. 146 Chap. XXIX. Les Cajîors. î^o Chap. XXX. Réflexions fur les Caflors. J56 Chap. XXXI. Les Rats mufqués. 16$ DES CHAPITRES. 447 SSCS. 5SS5 arc DOUZIEME PARTIE. ^U/r^ D£ V INDUSTRIE DES ANIMAUX. \^hapitre Premier. Prmx J^ procédés in- dujlrieux de divers Infe&es , relatifs à leurs métamorphofes. 1 69 Chap. II. JLfj Chenilles qui fe pendent par le der- rière. 171 Chap. III. Les Chenilles qui fe lient avec une ceinture. 173 Chap. IV. Les Chenilles qui fe conjlruifent des coques. 1 74 Chap. V. Les fauffes Chenilles qui fe conjlruifent des coques doubles. 184 Chap. VI. Les Infectes qui vivent dans les fruits, 18Ç Chap. VII. Les Infe&es qui plient & roulent les feuilles. 1 87 Chap. VIII. Les Infe&es mineurs de feuilles des fiantes, 192 Chap. IX. Les Faujfes-teignes. 198 Chàp.X. Des Teignes en générai Les Teignes domejliques. 20 1 Chap. XI. Les Teignes champêtres & les Teignes aquatiques. 20Ç Chap. XII. Les Infe&es qui fe recouvrent des ma- tières qu'ils rejettent, air 448 TABLÉ Chap. XIII. Les Infe&es qui habitent une forte d'écume. Page 2i£ CHAP. XIV. U Araignée qui fe fait un logement de bulles d'air. 2 ' 8 Chap. XV. U Araignée mineufe. 222 Chap. XVI. Réflexions fur ces divers procédés des Infe&es. 227 Chap. XVII. Procédés des Coquillages. La Moule de rivière. 23 1 Chap. XVIII. Autres Coquillages. La Telline. 233 Chap. XIX. Le Coutelier. 235 Chap. XX. Les Dails ou Pholas. 237 Chap. XXI. Divers Infetles ou Animaux de Mer. Les Orties. 24 1 Chap. XXÎI. Les Étoiles. 252 Cha p. XXIII. Les Hérijfons. 2 ç 8 Chap. XXIV. Le Bernard Phermite. 262 Chap. XXV. Les Coquillages qui filent. Les Moules & les P inné s marines. 264 Chap. XXVI. Les Coquillages & autres Animaux de Mer qui s'attachent par une forte de glu ou de fuc pierreux. 27 Z Cha-P. XXVII. Procédés des Poiffons* 279 Chap. XXVIII. Procédés des Oifeaux. 254 Chap. XXIX. Continuation du même fujet. 309 Chap. XXX. Procédés des Quadrupèdes, Le Lapin* 3 9 Chap. XXXI. La Marmotte. 328 Chap. XXXII. Du langage des Bêtes. 333 Chap. XXXIII. Continuation du même fujet. 342 Chap. XXXIV. La Chenille qui je confirait une coque en najfe de Poiffon. irrégularités dans DES CHAPITRES. 449 le travail des Infe&es. Réflexions à ce fujet. Page 359 Chap. XXXV. La Chenille roiileufe qui Je cons- truit une coque en grain d'Avoine. $66 Chap. XXXVI. Procédés analogues de quelques autres Infe&es. 36$ CHAP. XXXVII. La Teigne des feuilles, tjfai d? explication de [es procédés. 37£ Chap. XXXVIII. Réflexions fur Pindujlrie des Animaux. 384. Chap. XXXIX. V Abeille qui conftruit un nid avec une forte de glu. 390 CHAP. XL. L Abeille tapiffiere. 39 £ Chap. XLI. La Guêpe maçonne. 39 S Chap. XLII. Le Fourmilion. 40^ Chap. XLIII. Le Crapaud. 416 Chap. XLIV. Les rufes du Lièvre & celles du, Cerf. 421 Chap. XLV. Le Renard. 423 Chap. XLVI. V Eléphant. 42 f Chap. XLVII. V Orang-outang. 436 Conclufion. 44 j % Tome IX. Ff 4ÏO INDICATION ,^*********************-*-£ «£ T ****** * ****************"** Des nouveaux Chapitres & des Notes princi- pales ajoutées par l'Auteur à cette nouvelle Edition. =3 ONZIEME PARTIE. CHAPITRE PREMIER. Note I, JlREVVE de V immatérialité de l'Ame , tirée de la [implicite ou de l 'unité du fentiment du Moi. Page 3 Note 2. Sur le langage artificiel ou la parole considérée comme un cara&ere propre à dis- tinguer l'Homme de la Brute. Ce que font les idées moyennes dans le raisonnement. 6 CHAPITRE IL Note I. Sur la population du Globe. Balance entre la multiplication & la iefiruUion dans les différentes Éjpeces. 7 CHAPITRE III. Note 2. Hijiojre de deux Perruches de Guinée. Exemple jri^ulier d> tendrejfe conjugale. Autre exemple. Le Kamichi* 1 $ DES NOUVEAUX CHAPITRES , &c. 4fï CHAPITRE IV. Note 4. Temps ajfignés à la copulation de diffe* rens Animaux, Page 1 7 CHAPITRE V. Note i. Tontes de la Sauterelle, du Lézard, de la Tortue , du Crocodile & d§ quelques Am- phibies, ibid- Note 3. Indujtrie remarquable d'un petit Infe&e qui roule en cornet les feuilles des Fiantes pour y dépofer [es œufs. 2 f Note 4. Remarques fur le difceirnement attribué à ta Reine abeille relativement à la ponte. 2a Note 6. Sur les tumeurs des Bêtes k corne & fur le Ver qui croit dans ces tumeurs. 28 Note 8- Des galles que la piquure de différens Infe&es fait naître fur les Plantes. 2? Note 9. Sur la Mouche àfcie & fur la Cigale. ?o Note to. Procédés finguliers des Efcarbots pilu- laires qui renferment leurs œufs dans de peti- tes boules d'eyccr émeus. Autres procédés non moins fmguliers des Efcarbots enterreurs on qui enfevelijfent les cadavres de differens Ani- maux pour y dèpofer leurs œufs. 3 * CHAPITRE VI. NOTE t. Amours £f? ménage des Oifeaux. Divers Oifeaux qui ne conjiruifent pas des nids , ç$ qui pondent dans des nids étrangers ou dans des mafures , dans des creux d'arbres , &c~ Procédés finguliers du Coucou. Oifeaux de baffe-cour. 34 Note 2. Exemple de l'art avec lequel les Oifeaux. favent ajfeoir leur nid. Le Loriot. 37 4f 3 INDICATION NOTE 4. Courage avec lequel les Oifeaux défetu dent leurs Petits & les foins qu'ils en pren- nent. La Poule. Le Loriot. La Cigogne. P. 3 S NOTE 5. Soins des Oifeaux pour dreffer leurs Petits au vol. La Cigogne. V Aigle. L'Hiron- délie. 3 9 CHAPITRE VIL *NoTE 1. Amours des Qiiadrupedes , bien différent de ceux des Oifeaux. Exemple d'union conju~ gale chez les Quadrupèdes : le Chevreuil. Divers foins des Qtiadrupedes pour leurs Petits : intrépidité à les défendre. La Louve. La Lionne. Souterreins & nid de la Taupe : éducation de fes Petits. V Ecureuil. V Oppof- fum. La Marmofe. 41 CHAPITRE VIII. NOTE I. Sur l'incubation de la Poule. 48 NOTE 2. Réfultats de diverfes expériences de M. de MONTBEILLARD fur F incubation des œufs étrangers. 49 CHAPITRE IX. NOTE l. Sur le Pare/Jeux. ?2 Note 2. Exemples d'Animaux féroces dont les uns s"1 apprivoifent fufqyùk un certain point , §§ dont les autres ne fiéchijfent jamais fous la main de l'Homme. Le Loup ,* l 'Ours j le Tigre ; /' Ocelot ; la Panthère. 5 3 CHAPITRE XII. NOTE I. Exemple d'Animaux de clajfes diffé- rentes qui contra&ent entr'eux des liaifons par l'habitude & la cohabitation : les Canards & les Dindons. 59 DES NOUVEAUX CHAPITRES , &c. 4? 3 CHAPITRE XIII. NOTE i. Caufes générales externes qui détermi- nent les Oifeaux à émigrer. Caufe non moins générale , mais interne , qui influe fur ces émi- grations. Page & Note 2. Variétés qu'on obferve dans les migra* tions des différentes Efpeces d'Oifeaux. Migra- tions des Hirondelles . Erreurs fur ce fuj et. Vol fingulier des Etourneaux. Pajfage des Grues & leur difcipline. Migrations irrégulieres de quelques EJpeces fedeutaires. 64 CHAPITRE XIV. NOTE i. Etonnante fécondité des Harengs. Caufes qui déterminent leurs migrations. 7° CHAPITRE XV, Note 2. Sur les Rats de pajfage ou les Lémings. 73 CHAPITRE XVIII. Note i. Sur la qualité venimeufe des Chenilles procejfionnaires du Chêne 3 & en général des Chenilles velues. 78 Note 2. Sur les Chenilles procejjionnaires du Pin & leurs évolutions. ibic*. CHAPITRE XIX. NOTE i. Sur les Chenilles qui vivent en fociété dans des efpeces de hamacs de pure foie. 80 Note 2. Sur les Chenilles qui vivent en fociété fous des tentes de foie. 8 1 CHAPITRE XX. NOTE i. Sur la quejïion, fi l'état focial dans le- quel vivent différentes Efpeces de Chenilles dépend uniquement des circonfiances qui ont préfidé à leur uaifance. &? r J F f 3 |T4 INDICATION CHAPITRE XXL NOTE I. Sur une Punaije qui conduit & défenil fes Petits comme une Foule Je s PouJJîns. P. 88 CHAPITRE XXII. NOTE I. Sur les trois fortes d'Individus qu'on rencontre chez les Fourmis $ fur leurs œufs, fur leurs Vers & fur les coques qu'ils fe filent. &9 Note 2. Différentes obferv citions fur l'induftrie & fur la police des Fourmis. 93 CHAPITRE XXIII. Note i. Sur l'architecture des Guêpes fouter- reines. 99 Note 2. Sur la police des Guêpes fouterreiues; & fur les foins qu'elles prennent de leurs Petits. 1 go Note 3. Sur la conflruBion du guêpier , fur la matière dont il ejl fait , & l'art avec lequel les Guêpes la recueillent , la préparent Çff remploient. - 103 CHAPITRE XXIV. (Chapitre entièrement neuf.) Les Frelons & quelques autres Efpeces de Guêpes. 105 CHAPITRE XXV. (Chapitre entièrement neuf.) Les Guêpes car- tonnieres. 1 07 Note 2. Papiers faits de bois ou d'écorces par .M. ScHiEFFER , à l'imitation de ceux des Guêpes. 1 1 0 f CHAPITRE XXVI. Note I. Sur la forme des cellules des abeilles & leur arrangement refpe&if 112 DES NOUVEAUX CHAPITRES 5 &c. 4^ •Note 2. Sur les trois ordres d'Individus qui compofent la fociété des Abeilles , & fur les trois ordres de cellules que les Ouvrières leur approprient. Obfervations de M. Rit M à ce fujet. ' Page I 1 3 Note 3. Remarques importantes fur les ùffaims d'Abeilles qu'on partage à leur fortie de la mere-ruche , & qu'on plaœ féparément dans une ruche vuide. Différence entre le procédé de ces ejfaims & les procédés de ceux qu'wf partage après qu'ils ont déjà travaillé. 1 16 Note 5. Sur le prétendu majfacre des Mâles par les Abeilles-ouvrières. 1 1 8 Note 6. Sur le nombre des cellules royales c[ïLi peuvent fe rencontrer dans la-ynème ruche. ib„ CHAPITRE XXVI L : Note i. Que les Abeilles approprient la nour- riture à l'âge & à la qualité des Vers. 1 20 Note 3. Improbabilité de l'opinion de quelques Cultivateurs Allemands qui prétendent ..que chez les Abeilles les Neutres engendrent , & même qu'ils n'engendrent que des Faux-bourj- dons. Petites Reines qu'on croit fe trouver dans les ruches. 121 Note 5. Découverte de M SchîRACH fur Poru gine de la Reine - abeille. Objection. Réponfe. Réflexions fur cette découverte. 127 Note 7. Que ce font les Abeilles ouvrières qui tuent les Reines furnumèr air es. Obfervations à ce fujet. 13^ Note 8- Dérouverte de Mr. Debraw\/w A* fécondation des œufs des",Akilles par lefperms Ff 4 %tf INDICATION que les Mâles répandent dans les cel/uîef. Obfervatioyis de P Auteur fur ce fujet. Qtte le myftere de cette fécondation rfeft pas encore entièrement éclair ci. Page 134. NOTE 9. De la manière dont les Abeilles recueiU lent le miel £f? la cire , £f? de Part avec lequel elles mettent cette cire en œuvre. Faujfe opi- nion d'un Naturalifie célèbre fur la figure hexagone des cellules. 137 Note ii. Beau problême fur les cellules des Abeilles, & fa folutioyi par Koenig. Pajfage de Mr. de M AIR AN fur ce fujet. 144 CHAPITRE XXVIII. ( Chapitre entièrement neuf. ) Les Bourdons. 14^ CHAPITRE XXX. Note 2. Petit éclair ciffement fur les conjectures propofèes par P Auteur pour effayer de rendre raifon de Pinduftrie des Cajiors. 16Z CHAPITRE XXXI. ( Chapitre entièrement neuf. ) Les Rats muf qués. 16% Note 2. Particularités anatomiques fur le Raë mufquL 168 Ç&assg DES NOUVEAUX CHAPITRES , &c. 4?? DOUZIEME PARTIE. CHAPITRE IV. In OTE t. Sur une petite Chenille découverte par de Geer , qui conjiruit fa coque par dehors & fans y être d'abord renfermée. Page 17 Ç NOTE 7. Indujîrie des Chenilles qui fe conjîrui- fent des coques de grains de fable qu'elles lient avec de la foie. igï CHAPITRE VI. Note I. Sur les Infe&es qui habitent dans l'inté- rieur des fruits , & la vie folitaire qu'ils y mènent. 1 $ ï Note 2. Sur la petite Chenille qui vit dans la tête du Chardon à bonnetier. \%6 CHAPITRE VIL Note f- Obfervation de Mr. de Geer , fur la méchanique au moyen de laquelle diverfes Efpeces de Chenilles parviennent à rouler les feuilles des Plantes. 190 CHAPITRE VIII. Note 2. Sur les petits InfeBes qui minent les feuilles des Plantes. Procédé remarquable auquel recourent les Mineurs en grand pour fe mettre plus à l'aife dans la mine. 193 Note 3. Sur les Mineurs de la Jufquiame. ibid. CHAPITRE IX. Note i. Sur les Fanjfes - teignes & leurs Pa« plions* ij9 4?8 INDICATION CHAPITRE X. Note 3* Procédés pour détruire les Teignes d&- mejiiques. Page 204. CHAPITRE XI. Note i. Divers procédés des Teignes aquati- ques. 20& Note 2. Procédés relatifs à la dernière métamor- phofe des Teignes aquatiques. 209 CHAPITRE XII. (Chapitre entièrement neuf.) Les Infectes qui fe recouvrent des matières qu'ils rejettent. 2ir CHAPITRE XIII. ( Chapitre entièrement neuf. ) Les infecles qui habitent dans une forte dH écume. 2 1 f CHAPITRE XIV. (Chapitre entièrement neuf.) V Araignée qui fe fait un logement de bulles d'air. 2ïg Note i. Manière dont s'opère la fécondation chez les Araignées. 223 CHAPITRE XV. ( Chapitre entièrement neuf. ) V Araignée mi- neufe. 22 3 Note 4. Remarques fur l'Araignée mineufe. 226 C H A PI T R E XVIII. NOTE i. Sur divers Coquillages de Mer qui re- jettent leau par de> tuyaux , Çfj fur les Cames en particulier. 233 CHAPITRE X X. Note 2. Q.te les Dails peuvent -percer les pier- res les pins dures : manière dont un Natura- lise croit qu'ils les percent. Phofphore de ce Coquillage. Les Dattes , genre ds Coquillage DES NOUVEAUX CHAPITRES, &c. 4S3 dont les procédés imitent ceux des Dails. Page 240 CHAPITRE XXl/ NOTE l. Remarques fur les nomenclatures des Zoophytes , a toccafion des Orties de Mer. 24.2 Note 5. Conje&ure fur le Zoophyte nommé Gelés de Mer. 2^1 CHAPITRE XXII. Note i. Variétés des Etoiles de Mer. 2. Sur les Vers de Mer qui fe logent dans des tuyaux crnfiacés. Erreur fur la conjlruc- tion de ce tuyau. Divers genres de ces Vers : leurs rapports avec les Polypes des Coraux 9 des Corallhies , &c. Orgues de Mer. 276 Note 6. Variais dans FadbwjïQn des Huîtres : que 1 tfo INDICATION les mêmes variétés fe rencontrent dans lef Huîtres fqffiles. Réflexion à ce fujet. Ferles : leur origine. 277 CHAPITRE XXVII. Note i. Sur les mouvemens des PoiJJbns & leur manière de nager. 279 Note 2. Particularités fur laflruBure de la Sèche. Remarque fur Pémi/flon de fon encre. 2 go Note 3. Animaux de Mer qui percent les coquilles pour fe nourrir de la fubjiance quelles ren- ferment. 283 Note 4. Procédés de quelques Cétacées. VEfpadon. Le Narhwal. V Empereur. ibid. Note f. Procédé du Poiffon nommé Monta. 2$6 Note 7. Fécondation naturelle & artificielle des Poijfons à écailles. Variétés dans la manière dont les Poijfons fraient. La Morue : fes mar- ches : fa fécondité prodigieufe. Le Saumon & la Truite : leurs procédés : leurs migra- tions : leur manière de frayer. C Anguille. Vrais Hermaphrodites chez les Poijfons. Poif- fon de Pis le ♦ de- Bourbon. 287 Note 10. Longue durée de la vie des Poijfons. Exemples : la Carpe , la Baleine. Réflexion fur Phifloire des Poijfons. Accroiffement de la Carpe : fa fécondité merveilleufe. 29 2 Note II. Poijfons & Coquillages qui vivent dans une eau thermale très - chaude. 293 CHAPITRE XXVIII. Note 3. Divers traits de Phifloire des Gif eaux. V Aigle 5 fes rapports avec le Lion , fes chajfes & fon aire. Le Faucon. La Fie-grieche. Gé? DES NOUVEAUX CHAPITRES , &c. 46 r néralités fur les Oifeaux aquatiques & fit* les Oifeaux de rivage. Procédés de plu fie ur s. Le Cormoran. Le Martin-pêcheur. Les Oifeaux noilurnes & leurs chajfes. Pa§e 29^ NOTE 4. Le Pic ; fin genre de vie & fes pro- cédés. 30 1 Note S- admirable conftniclion du nid du Char- donneret & du Pinçon. Remarque fur le nia du Roitelet , du Pouillot & du Troglodyte. Particularités fur le nid d'une Mèfange du Cap de Bonne - Efpérance : procédé remar- quable de POifeau. 304 Note 6. lndufirie de la Pie dans la conjlru&ion de fin nid , £f? fa tendrejfe pour fes petits. Particularité remarquable du nid du Moineau. Nids du Todier & du Mot eux. 307 CHAPITRE XXIX. (Chapitre entièrement neuf.) Continuation du même fujet. Procédés indujlrieux de quelques Oifeaux qui fufpendent leur nid à quelques branches d'Arbres , tels que le Remiz , la Peiu duline , le Gros-bec dJ Abyjjlnie. Particularités fur £ Oif eau-mouche & le Colibri. 30^ NOTE i. Indication de quelques Efpeces d' Oifeaux qui fufpendent leur nid à des branches : Is Troupiale , le Cajjique , le Carouge , le Guit- guit. ibid. Note 4. Qiielques Perroquets qui fufpendent aujjl leurs nids. 314 CHAPITRE XXX. Note 2. Procédés du Hamjler ou Rat de bled : fin terrier : fes m%urs : fa profonde léthargie %€% INDICATION 'pendant P Hiver. Procédés du Mulot & feè fo-uterrains. Le Bléreau & le Renard: leurs terriers. La Loutre : fin domicile. L'Ours & fa retraite. Page 319 Note 3. Remarque touchant les expériences par lefquelles M. de Buffon croit s'être ajjuré que le Lapin & le Lièvre ne propagent pas enfemble. 324 Note 4. Observation particulière fur les Liè- vres des Pyrénées. 32f CHAPITRE XXXI. Note 2. Sur iin procédé des Lions marins. 33° Note 3. Opinion de M. de Buffon fur la caufe de P engourdiffement de certains Animaux pendant P Hiver. Curieufes expériences de M. SPALLANZANI, qui détruifent cette opi- nion : fentiment de ce Naturalise fur ce fujet. .. 331 CHAPITRE XXXII. Note i. Ébauche de quelques idées fur P origine du langage & de P écriture. 334 Note 3. Sur la Fauvette. 340 CHAPITRE XXXIII. Note 4. Pofition fmguliere de P oreille dans queU que s petits Qifadrupedes. 347 Note 7. Serin merveilleux. Talent du Perroquet h imiter la parole & divers cris. Chien qui articulait des mots. Réflexions à ce fujet. 3^1 Note 9. Exemples de quelques Animaux dont cer- taines actions femblent réfléchies. Premier exemple -, POifeau nommé Secrétaire ou Mef- fager. Second exemple* un Perroquet vert. DES NOUVEAUX CHAPITRES \ fec. 46$ Troifieme exemple \ un Maki de l'Efpece des Mongoits. Page 353 Note 10. Remarques fur la place que M. de , ., Bu FF ON a, 0 igné aux Gif eaux dans l'échelle des Etres vivons. 356 CHAPITRE XXXIV. N0TE-3.. Sur les variétés & les irrégularités dit ■ travail des Abeilles. 363 Note 4. Coque à calotte d'une Chenille obfervée par M. de Geer. , 36Ç CHAPITRE XXXVI. Note I. Divers traits de l'hijloire de la petite . Chenille qui vit dans l'intérieur des grains 9 & defon l'api lion. 36g CHAPITRE XXXVIII. No.TE I. Réf exions philofophique. s fur divers pro- cédés des Animaux , qu'on fe plaît trop à embellir.. 38 f CHAPITRE X L I. NOTE 4- Guêpes -ichneumons qui fe faififfent des Araignées. Autres Guêpes de la même Eamïlle , qui pondent fur le corps des Araignées. 404 CHAPITRE X L fi. Note 4. Particularités fur le Ver -lion. 4*4 CHAPITRE XL III. Note 1. Sur la ponte du Crapaud: vraie nature des petits corps qu'il met au jour. Principal ufage de la glaire dont ils fout enveloppés, 416 Note 2. Remarques fur le Crapaud accoucheur. Amours des- Salamandres aquatiques. Le Pipa, ou Crapaud de Surinam* 41 § 4*4 INDICATION, &£ C H iP 1 T R E X LVL ( Chapitre entièrement neuf. ) V Éléphant. P. 42 f Note I. Généralités fur l'Eléphant. ibid» Note 2. Difformités de l'Eléphant. 4.26 Note 3. Force de l'Éléphant. 427 Note 6. Trompe de l'Eléphant , £ff Vufage qu'il en fait. 431 Note 7. Trait fingulier d'un Éléphant , rapporté par M. de Bu FF ON. Réflexions fur ce trait & fur un autre pajfage du même Auteur. 433 CHAPITRE XLVII. (Chapitre entièrement neuf. ) L'Orang-outang. 436 Note 3* Conformité particulière de la Femelle Orang - outang avec la Femme. 437 Note ^. Remarques fur un pajfage de Phifloire de l' Orang - outang de M. de BuFFON. ibid. Note 8- Ordre que les Babouins obfervent dans leurs pillages. Autres Singes pillards. Singes pécheurs & mangeurs d'Huitres , &c. 44^ l?m de la Table, Page 303 , lig. 2 de la note ,fhnt ,* lif. font.' 309, lig. 12, Je ; lif. Ici. 335 , lig. 1 , a ) lif. la. 340 , lig. dernière de la note , cmifejle ; lif. manifefte. 341 , lig. 6 de la note , lieur; lif. lieu. 346 , lig. 1 iféminale , lif. féminale. 3SÎ j ng- 4 5 extérieur ; lif. l'extérieur. 356, lig. ^ de la note , comment ; lif, comme. i£/J. lig. dernière de la note , retardait ; lif. retardant. 360 , lig. 3 , le Conferve ; lif. la Conferve. lbid. lig. dernière de la note, fongeufe-, life2 fongueufe, 366 , lig. 26, eomprenây lif. comprend. 367 , lig. 4 . des y lif. de. Ibid. lig. IJ 9 peut, être $ lif. peut-être. 377 5 lig» 4 5 des jardins de prairies $ lif. des jardins des prairies. 3 S 9 , lig. 1 1 y mais ce ,• lif. mais Ç\ ce. lbid. lig. 12 , après pleinement effacez les , & placez une virgule. 434 , lig. dernière de la note, enriaine ,• lifez entraine. 447 , lig. dernière , Achart ; lif. Achard. 4s 7 , lig. 27 de la note , à ; lif. à. 467 , lig. 12 , Ecureil ; lif. Ecureuil. 476 > lig. 8 > qu elEtre > lif. que l'Etre, TOME IX. Page 3 , lig. 4 de la note, entende \ lif. entend. 82 , Hg. 24 , biC elles y lif. qu'elles. 10 1 , lig, 25 de la note , n'on j lif. n'ont. 131 , lig. 7 de la note, recuiilira $ lif. re- cueillera. 246', Hg. 4,/éw; lif. fans. 260 , lig. 2 de la note , rncore -, lif. encore. 28 1 , Hg. dernière , Lecat s lif. Le Cat. 5 1 4 , Hg. * 9 , Aï yàf/ow ; lif. que la faifon. 342 , lig. *8 ? fembleroit y\i£. fembloit. 54Ï , lig. 1 3 , regarde $ lif. regardé. 40 < , }\g. I de la note , leque 5 lif. lequel. 41 f » lig. 9 j jparoi j lif. parois. .' I