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PARIS IMPRIMERIE EDOUARD BlOT

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HllGÉSIPPE MOREAU

Nouvelle Edition

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HÉGÉSIPPE MOREAU

Hét;ésippc iMorcau. îi Paris on avril 1810, ôlail is d'un honinu' qui doviiU protesseiir au collt^i^e de "rovins, el il fui coiuluit, toul enfant, dans eelte ville. 4*1 naissance fut irréi^ulière . bien k\\\\\ eoniuit ses arents. Son père le laissa orphelin en has ài^eisa 1ère se plaija elle/ une dame de ProNins, madame uérard. depuis madame Faviei'. el reniant, reeueilli ar cette l)ienfaitriee, grandit près d'elle; les lils de la mison surtout s'iméressaienl tendrement à lui. Il ommeneait l'i prendre des leçons au eolléj^e de IVo- ins, lorsipie des eireonslaiiees lirent (juitter la ville à »is bienfaiteurs, (jui allèrent habiter la campagne.

'est alors (pi'il fut plaeè, d'abord au petit séminaire

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HÉGÉSIPPE MOREAU

ll('j^«'si|)|)e iMui'cau, à l*aris l'u umH ISIO, riail lils d'im lioinnu! qui devint proIVssiMii' au c'olléj;e de Provins, (M il fui conduit, tout cnraiil, dans c'(4te ville. Sa naissance lut irrc^ulicrc, l)icn (ju'il connut ses l)aivnts. Son père le laissa orphelin en l»asài;v;sa mère se plaça clie/ une dame de l*i(»\ins, niadaino Guéranl. dei)uis madame Tas ici-. e( reiitaïU. recueilli par cette hienlaitrice, grandit pivs d'elle; les lils dt» la maison sui'Ioiil sinhTcssaienl lendiHMueiil à lui. Il coinmencail à preiidn» des leçons au colh'^e de Pro- vins, lorscpie des ciiconslances liivul (|uiltei' la \ille à ses bienl'aileui's . (jui allèrenl liahiler la campagne, (l'est alois ((ii'il lui placé, dahord au pelil séminaire

2 HEGESIPPE MOREAU

de Meaiix, puis à celui d'Avon, près Fontainebleau, il lit ses études, d'excellentes études classiques, sans oublier les vers latins qu'il variait et tournait sur tous les rliythmes d'Horace. Au sortir du collège, sa mère n'était plus. Il pouvait se croire orphelin dans le monde et délaissé; mais non, c'eût été une injustice; lui- même nous le dit :

Car de l'école à peine eus-je franchi les grilles, Que je tombai joyeux aux bras de deux familles.

Madame Favier, retirée à Champ- Benoist, lui conti- nuait encore ses soins ; surtout il trouvait un accueil affectueux et délicat auprès de madame Guérard, sa belle-lille, qui le recevait à sa ferme de Saint-Martin : Moreau a consacré le souvenir de cette hospitalité par la charmante romance de la Fermière. Vers le temps de sa sortie du collège, il enti-a en apprentissage dans l'imprimerie de M. Lebeau, maintenant encore impri- meur à Provins. La fdle de celui-ci, mademoiselle Louise Lebeau (aujourd'hui madame J.), est celle même qu'il a célébrée si purement et si chastement sous le nom de ma sœur dans quelques-unes de ses plus jolies pièces, et à laquelle il a dédié ses Contes. (( Je m'étais arrêté, dit-il quelque part, dans une im- primerie toute petite, mais proprette, coquette, hospi-

llKGESllU't: MU lit AL" 3

lalièrc; vous la connaissez, ma sœur. » Mon cœar^ dit-il encore :

Mou cœur, ivre à beize ans de vuluplé céleste, S'emplit d'un chaste amour dont le parfum lui re.>le. J'ai rêvé le bonheur, mais le rêve fut court.

11 y eut en ces années ini lléi^ésippe Moreau piimilil, pur, naturel, adolescent, non irrité, point irrélii^icux. dans toute sa lleur de sensibilité et de bonté, animé de tous les instincts i>énéreiix et non encore atteint des maladies du siècle. 31omeiit uni(iue et rapide ([uil a essayé de ressaisir plus d'une fois, de retracer dans ses vers, et qui nous en niai(|ue aujoui'd'liiii les plus doux passaj^es. Il y a ainsi en chacun de nous, pour peu ipie notre fonds originel soit bon. un éli'e piimilif. id('\'il. (pie la iialure a (bassiné de sa main la plus It-i^érc cl la pins malenicllr. mais ipic riiommc hop soiinciiI ic- convre. éloiili'c on corrompt. Ceux ipii nous ont connu el nui nous (tnl aimé sous celle l'oinie picmière C(Ui- limn'fil de nous \oir ainsi; el, si l'on a le bonheur d'avoir une sieiir (jui ail coiilinué elle-même de \ivre d'une \'w simple el miih)rnie, d'une \ie lidèle juix son- Miiirs. elle nous conserve à jamais présent dans cette pureté adolescente; elle nous garde un culle dans son

4 HEGESIPPEMOREAU

cœur, elle nous adore telle que nous étions alors sous ces premiers traits d'un développement aimable et pudique. Ce nous-même d'autrefois, qui souvent, hélas f n'est plus actuellement en nous, subsiste en elle et vit comme un ange de Fra-Bartolommeo peint sur l'autel dans l'oratoire.

Hég'ésippe Moreau a eu ce bonheur au milieu de toutes ses infortunes, et aujourd'hui, si l'on interroge sur le compte du poëte celle qu'il appelait alors sa sœm% elle répond en nous montrant au fond de son souvenir ce Moreau de seize ans, « de l'âme la plus délicate et la plus noble, d'une sensibilité exquise, ayant des larmes pour toutes les émotions pieuses et pures. »

Je prends plaisir à marquer ces premiers traits , parce que ceux qui ont le plus loué Moreau à l'heure de sa mort en ont fait un poëte de guerre, de haine et de colère. Il l'était trop devenu en effet, mais il ne l'était point d'abord ni aussi essentiellement qu'on le voudrait dire. Étendu sur son lit de mort à l'hospice de la Charité, le caractère qui était le plus empreint sur sa face, me dit une personne qui ne l'a vu que ce jour-là, était une remarquable douceur.

En parlant ici d'Hégésippe Moreau, je ne viens faire, on peut le croire, le procès ni à la société ni aux poètes. Les poètes sonl une race à part, une race des plus

HEG?:SIPPE MOREAU 5

intéressantes quand elle est sincère, quand l'imitation et la singerie (comme il arrive si souvent) ne s'y mêlent pas; mais, dans aucun temps, cette race délicate ou sublime n'a paru se distinguer par une connaissance bien exacte et bien pratique de la réalité. Quant à la société, c'est-à-dire à la généralité des hommes réunis et établis en civilisation , ils demandent cpi'on fasse comme eux tous en arrivant, qu'on se mette à \env suite dans les cadres déjà tracés , ou si l'on veut en sortir, qu'alors, pour justifier cette prétention et cette exception, on les serve hautement ou ((u'on les amuse; et,jns(iu'à ce qu'ils aient découvert en quelqu'un ce don singulier de chai'me ou ce mérite de haute utilité, ils sonl naturellement fort inattentifs et occupés cha- cun de sa |)ropre allaire. Pciil-on son éloiuKM':'

llégésippe Moreau , en cnlraul dans la vit^ . avait pourtant rcnconti'é (iciix faiiiillcs. dii l'a \n, phis (juo. dis|)()sé(\s à racciu'illir et pr«'S(|in' à l'adopltM'. Dès son premier pas dans le inonde, v\ lioi's de son pi'c.nicM' C(M('I(> . il lr()n\a t'^alenicnl de l'appui. .M. Lebrun, lanliMir de Mnric Sfntt/f, et noti'e conhvre à l'At'a- déniie, n'est pas à Pr<)\ins. mais il en est depuis longues aiin(''es par les habilutbs (>t par les liens dt» familh*. i'oéle dont chacun sait le talent, mais lioninn» dont C(Mi\ (pii l'ont approché sa\(Mit seuls touli' la nobl(\ss(^ et la délicatesse de cdMU-, il considérait

tt HÉGÉSTPPR MOREAU

comme un devoir, lui, arrivé le premier, de tendre la main à ceux qui viendraient ensuite, et nous le trouvons également aux débuts d'Hégésippe Moreau et à ceux de Pierre Dupont. Moreau connut M. Lebrun dès 1828; il était alors âgé de dix-huit ans : c'était au moment Charles X revenait d'un voyage que lui avait fait faire M. de Martignac. Le roi passa par Provins, et, h cette occasion, Moreau fit sa chanson patriotique qui a pour litre : Vive le roi! et pour refrain : Vive la liberté ! J'ai sous les yeux quelques pièces de vers manuscrites adressées, vers cette époque, par le jeune homme à M. Lebrun, ou écrites d'après ses conseils, ime pièce notamment en l'honneur de La Fayette, après son voyage triomphal d'Amérique. Moreau vint à cette époque à Paris, et, toujours par les conseils de M. Lebrun, il adressa à M. Didot son È pitre sur l'Imprimerie , qu'on peut lire dans ses Poésies, et dans laquelle se trouvent quelques jolis vers descriptifs :

Au lieu de fatiguer la plume vigilante , De consumer sans cesse une activité lente A reproduire en vain ces écrits fugitifs, Abattus dans leur vol par les ans destructifs ; Pour flonner une forme, un essor aux pensées, Des signes voyageurs, sous des mains exercées,

IIKGKSIPPE MOREAU

Vont saisir on courant lour place dans un mot ; Sur 00 métal uni l'encre passe, et bientôt. Sortant multiplié de la presse rapide. Le discours parle aux yeux sur une feuille humide.

Mais la fin ôo l'Épître est surtout lieurcuso : lo jeuno compositeur s'y montre dévoré, souvent du (lésii* d'iTiliv. ([q, composer pour son propre compte, tandis (|nil est ohlii-é d'iniprimer les autres.

Ilélas! pourquoi faut-il qu'aveuglant la jtMmesse, (iomme tous les phusirs, l'étude ait son ivresse? Les chefs-d'œuvre du goût, par mes soins reproduits, Ont occupé mes jours, ont (Miciiaiili'' mes nnils, El souviMil , insensé! j'ai répandu des liimies, S«'nd)lal)le au loi>;('ntu (pu, lut'piiiiuil {\v< luines, Avide iW<, expidils ipi'il ne piuiiige pas, Sillle lu) air hellicjuenx et rè\e ^\o> eoiulials...

Moreati . à celle dah^. n'avait que dix-iienl' ans. Il fut admis (hnis rinipiimtMii* de M. Didoi . \'\w Jacob. jusIemeiU en lace de c(M liospici» de la Charité, depuis... . i>|;ic,'> p^j de temps après jiiilbM iS.'tO. à la diivclioii (le llinpiiineiie roNale. M. Lebrun cher- cha à \ inlrnduiri» Morcaii; mais celui-ci. (|ui avait

8 HEGESIPPE MOREAU

quitté rimprimerie Didot , suivait dès lors une autre voie , et il n'était pas de ceux qui se laissent protéger aisément.

Moreau ressentait vivement les tortures secrètes de cette pauvreté que La Bruyère a si bien peinte , et qui rend l'homme honteux, de peur d'être ridi- cule. Ainsi , la première fois qu'il avait voir M. Lebrun à Provins , il n'avait pas voulu lui faire cette visite parce qu'il avait des bas bleus. Il ne se guérit point de cette disposition à Paris, lors même que les privations les plus réelles, les souffrances positives et poignantes vinrent y joindre leur ai- guillon.

On me le peint alors déjà atteint par le souffle d'irritation et d'aigreur qui se fait si vite sentir sous les soleils trompeurs de Paris, méfiant, aisément effarouché, en garde surtout contre ce qui eiit semblé une protection , ayant le dédain et la peur de la pro- tection; ne se laissant plus apprivoiser comme il s'était laissé faire à Provins quelques années plus tôt; enfin ayant contracté déjà cette maladie d'amour-propre et de sensibilité qui est celle du siècle, celle de l'aris- tocratique René aussi bien que du plébéien Oberman ou du mondain Adolphe , celle de Jean-Jacques avant eux tous , comme depuis eux elle l'a été de tant d'au- tres qui ont eu la même maladie sous des formes et

HKOKSÎPPE MOREAU 9

(les variétés difTérentes. Il nous siéi'ait peu, à nous qui parlons, do nous montrer trop sévère, l'aNiuit ressentie h notre jour et même décrite autrefois dans notre jeunesse. Moreau fut donc malade de ce que j'appellerai la petite vérole courante de son temi)s : il fut mécontent, sauvac^e, ulcéré, évitant ou repous- sant ce qui eût été possible, voulant autre chose que ce qui s'offrait à lui , et ne se définissant pas cette outre chose. Pauvre , timide et fier, et à xiivj^i ans , on est aisément pour les doctrines ardentes qui promet- tent le bouleversement du présent cl la remise en question de l'avenir, de même qu'à cinquante^ ans, établi, rassis, ayant éi)uisé les passions, et raison- nant i)lus ou moins à son aise sur les vicissitudes di- verses, on est naturellement iH)ur un sfafu quo plus saj^e. Noire saj^a^sse ou notre folie n'est i^^uère en j;é- néral que b* l'ésultatde notre àjçe et de notre situation. Tour s'élever au-dessus de ces circonstances , en (piel- (|ue soite nialérielles et pliysi(|nes, diMix choses sont nécessaires, el elles son! ran^s : du cnructhe et des /)rin('i/)rs. Ilé^ésippe Moreau n'avail ni l'un ni l'autre; il avail de l'àine el du lalenl , mais son caraelere élail faible, eoiunie e"esl tiop souvent le cas des orga- nisations d'artiste, el bvs impressions du dehors i)re- naient fortement et inésistibltMnent sur lui. Ses poésies et ses inspirations, du inonient (pi'elhs cessenl d èln'

I.

10 HÉGÉSIPPE MOREAU

intimes, ne sont pour la plupart que le reflet ardent et mélangé , le conflit des divers éclairs qui se croi- saient orageusement alors dans l'atmosphère poli- tique.

Après les journées de juillet 1830 , auxquelles il avait pris part vaillamment, Moreau quitta pendant un temps l'imprimerie ; il s'était fait maître d'études , mais ce n'était pas une carrière. Il s'accoutuma, du- rant cette période fatale et fiévreuse de deux ou trois années, à une vie irrégulière, désordonnée, errante, toute d'émotions et de convulsions. Il avait faim , et il composait à travers cela des chants qui se ressen- taient de ce cri intérieur, par leur âpreté et leur amer- tume. Il rêvait au suicide ; il commençait à se détruire.

11 eût, en 1833, une première maladie qui le força d'entrer h l'hospice. Convalescent , une bonne pensée le saisit; il partit pour Provins et alla demander l'hos- pitalité à madame Guérard, à la ferme de Saint- Martin. , aux derniers rayons d'automne, repassant ses douloureux souvenirs , ceux de sa maladie , ceux de l'insurrection et des émeutes, et du choléra, rap- pelant même ses imprécations de colère, il se rétrac- tait d'une manière touchante :

Ainsi jo m'égarais à des vœux imprudents, Et j'attisais de pleurs mes ïambes ardents.

HÉGÉSIPPR MOREAU j 1

Jo liaïssais alors, car la souffranco irrito;

Mais un peu do bouhour m'a converti bien vite.

Pour que son vers clément pardonne au f^enre humain ,

Que faut-il au poêle? Un baiser et du pain.

Dieu ménagea le vent à ma pauvreté nue ;

Mais le siècle d'airain pour d'autres continue...

Et se considérant liii-niémc conimo délivré des souris à l'approclio i\o l'Iiivor, il souhaitait à daiilivs le même soula?;cment et la même douceur :

Dieu , r('v('l(>-t(ti bon pour tous connue pour moi ! Que ta manne, eu tombant, étonlTc If blasphème, l'iiiiprciic de soiiIVrii", luii-^ciiic lu veux (m'on aiiuf ; i'niir ([lia It's lils <''lus. Ifs (ils (it-slir-iités Ne liiiicciil plus ircii bas des regards irrités, Aii\ jiflils (li's nis(MU\ loi ipii ijniiiics pi'iliirc, N(»inri> lnulrs les lniiiis; ;i Iniil tliiiis la iialiiit' Une ton hiver soit doux; et, son rè^ne lini , l-c pot'lr cl roiscau chanlcniMl : Suis bt-ni !

l)(Mi\;iiis:ipivs. lesouvenird»' ('(Mli^ diuice In^spitalilê lui i"ev(Miail à l;i nit''ni;Mi"t\ cl il (Mi\(i\ail piuii' t'Ii'eiHies fjanviiM' iS.'IC)) ('('Itc (bdiciiMise roiuaiice à c-'lle à(|iii il avait (In, poui' un jour du iu<Mii< . m's pures et iuiio- ('cnhs (',h;u incites :

12 HÉGÉSIPPE MOREAU

LA FERMIÈRE

Amour à la fermière ! elle est

Si gentille et si douce ! C'est l'oiseau des bois qui se plaît

Loin du bruit dans la mousse. Vieux vagabond qui tends la main ,

Enfant pauvre et sans mère, Puissiez-vous trouver en chemin

La ferme et la fermière !

De l'escabeau vide au foyer

le pauvre s'empare , Et le grand bahut de noyer

Pour lui n'est point avare ; C'est qu'un jour je vins m'asseoir,

Les pieds blancs de poussière; Un jour .. puis en marche ! et bonsoir

La ferme et la fermière !

Mon seul beau jour a finir,

Finir dès son aurore ; Mais pour moi ce doux souvenir

Est du bonheur encore : En fermant les yeux je revois

L'enclos plein de lumière , La haie en fleur, le petit bois,

La ferme et la fermière !

HÉGÉSIPPE MORKAT I .T

Si Diou, comme notre curé

Au prône le répète, l\'iye un bienfait (même égare),

Ah ! (ju'il songe à ma dette! Qu'il prodigue au vallon les fleurs,

ï.a joie à la chaumière! Kt garde des vents et des pleurs

l.a ferme et la fermière.

(Iliaque hiver qu'un groupe d'enfants

A son fuseau sourie, Comme les Anges aux fils lilancs

De la Vierge Marie ; Oiie tous, par la main, j)as à pas,

(iiiidanl un petit frère, iléjouissent de leurs ébats

l,a ternie et la termière.

K N N' 0 I

IVÎa r.liansoiniette, prends (on vol!

Tu n'es qu'un raii)le lionunai^e; Mais (pi'eii avril le rossi^^'iiol

rhanli* et la dédommage. Ou'elVrayi' piir ses cliiinls d aiiimir.

L'oiseau du ciiiielièie I.onf;l(Mnps, loiif^lenqjs se taise pour

i,a ferme et la fermière î

14 HÉGÉSIPPE MOREAU

Il fallait à Hégésippc Moreau, comme à tous les poètes doux et faibles, sauvages et timides, tendres et reconnaissants, il lui aurait fallu une femme, une sœur, une mère, qui, mêlée et confondue avec l'a- mante, l'eût dispensé de tout, hormis de chanter, d'aimer et de rêver.

Cependant, avec la santé qui lui revenait, la né- cessité, et aussi le génie ou le démon qui ne par- donne pas, le ressaisirent. C'était le moment du grand succès de Barthélémy, et sa Némésis produisait çà et des imitations et des contrefaçons oii il n'entrait guère que des violences. Hégésippe Moreau essaya de faire à Provins une Némésis à sa manière , un journal en vers sous le titre de Diogène, un vilain patron qu'il avait adopté depuis quelque temps, et que le doux automne passé Saint-Martin ne lui avait pas fait assez ahjurer. Le talent qu'il y montra ne put sauver une telle publication partout très-aventurée, et qui rétait surtout au milieu des rivalités et des suscepti- bilités d'une petite ville. Il avait eu beau faire appel à toute la contrée de Brie et de Champagne, et s'éciier :

Qu'il me vienne un public! ma poésie est mûre,

le public répondit peu. Le poète blessa et aliéna ceux même qui l'avait d'abord soutenu. Il eut finale-

HÉGÉSIPPE MOREAU 15

ment un duel, el dut s'en rovcnir bientôt à Paris, di'-s- appointéde nouveau et irrité comme après un échec. De 1834 à 1838, sa vie ne fut qu'une lutte pénit)li^ et haletante, oîi son talent, de plus en plus réel, el qui achevait de se dégager chaque jour, ne put triomplier de la dureté des circonstances ni supj)léer aux inlir- mités du caractère ^ Qu'il sullise de rappeler qu'Hégt'-

1, Dans tout ce que j':ii touché du caraclùrc et de la vie intime de Moreau, j'ai été guidé de la manière la pins sûre par des lettres, par des renseignements directs provenant des personnes qui Tout le mieux connu. Ces documents qui ont servi à mon ami, M. Octave Lacroix, dans son édition d'IIégésippe Moreau, m'ont été connnuniqucs à moi-même : je n'en ai fait usage qu'avec pudeur et discrétion. Les personnes de Provins qui ont le plus connu et le mieux aimé Moreau de son vivant ont pain me savoir gré de ce sentiment à la lois de réserve et de sympathie. J'ai donc été un jieu surpris (si jamais c qui est peu raisonnable pouvait surprendre) de lin> dans la Fenille de Vrovins, du 7 juin 1851, un article de M'"^' C. .\ngehert, dans Icipiel C(>tte personne à principes et à sentiments me reproche d'avoir l'ail tort ;i Moiv.ui dans mon appréciation morale tout indulgente. Kilo continue de vouloir faire de Moreau l'homme d'une cause ]tolitique. Si M"'" .\ngehert tient plus à la vérité qu'à la fausse exaltation, elle peut aisément s'informer à son tour .■mpirs des personnes de lMo\ins (|ni nous (Mil li' mieux initie à la connaissance de ce louchant mais trop faihle caractère; elle |xHit, par exemple, demander à M""' Guérard connnnnication des lettiv.s de Moreau écrites en janvier 1834, el elle verra ipiil faut se résoudn>, (juauil on a le sens juste et bieuveillaut. à ne voir dans le chantre (!»> la \otd/.ie qii'un poète.

16 HÉGÉSIPPE MOREAU

sippe Moreaii, au moment il venait de trouver un éditeur pour ses vers, et le Myosotis, publié avec luxe (1838) et déjà loué dans les journaux, allait lui faire une réputation, entrait sans ressource à l'hospice de la Charité et y mourait le 20 décembre 1838, renouvelant l'exemple lamentable de Gilbert et fai- sant un pendant trop fidèle au drame émouvant de Chatterton, dont l'impression était encore toute vive sur la jeunesse. Il n'avait pas vingt-neuf ans.

Si l'on considère aujourd'hui le talent et les poésies d'Hégésippe Moreau de sang-froid et sans autre préoc- cupation que celle de l'art et de la vérité, voici ce qu'on trouvera, ce me semble. Moreau est un poëte ; il l'est par le cœur, par l'imagination, par le style : mais chez lui rien de tout cela, lorsqu'il mourut, n'était tout à fait achevé et accompli. Ces trois parties essentielles du poëte n'étaient pas arrivées à une pleine et entière fusion. Il allait, selon toute probabilité, s'il avait vécu, devenir un maître, mais il ne l'était pas encore. Trois imitations chez lui sont visibles et se font sentir tour à tour : celle d'André Chénier dans les ïambes , celle surtout de Barthélémy dans la sa- tire et celle de Béranger dans la chanson. Dans ce der- nier genre pourtant, quoiqu'il rappelle Béranger, Mo- reau a un caractère à lui, bien naturel, bien franc et bien poétique ; il a du drame, de la gaieté, de l'espièglerie.

HÉCtÉSIPPE MOREAU 17

un peu libertine parfois, mais si vive et si ]éç^he qu'on la lui passe. Qu'on relise le Joli Costume, les Modistes hospitalières. Une des pièces sérieuses qui me sem- blent le plus propre à démontrer ses qualités et ses défauts est celle qui a pour titre : Un quart d'heure de dévotion. Le poëte, qui s'est vanté d'être un pa'ien de l'Attique ï\\GC André Cliénier et avec Verc^niaud, qui a été trop souvent impie , irrévérent jusqu'à l'insulte , a un bon retour pourtant. Un joiu' de tristesse, un soir, il est entré dans l'éi^lise de Saint-Ktienne-du-Moiit. Il n'y entrait (jue pnr désncuvrenieiil d'abord, pour rc- jçarder et admirer comme d'autres curieux les uwv- veilles (rarcbitecture élégante et fine qu'ollVe celle éjçlise :

VA la rou^'oiir an front jp j'avonrai moi-m^mo.... Dans l(Mn[il(' au liasanl j avt'iitiirais nus pas, Mi j'«'fll«Mirais l'iUiU'l »'t je m' juiais pas.

iMais insensibleuKMil il se rappelli» l(' lenips (tii,daiis sa premièi'e eiifaiice,!! piiail . el oi'i il sciAail iiièiiie le prèli'e à l'a ni cl :

Anln»rois poin* juicr, mes Irvrcs (Mil'anlines hclli's ni("'iiics 's"oiivr;iit'iit ;iii\ svlhln's |;ilini'

18 HÉGÉSIPPE MOREAU

Et j'allais aux grands jourS; blanc lévite du chœur, Répandre devant Dieu ma corbeille et mon cœur. Mais depuis

et il énumère toutes les manières diverses d'écja- rements et de chutes parmi lesquelles il a eu la sienne :

Combien de jeunes cœurs que le doute rongea !

Combien de jeunes fronts qu'il sillonne déjà !

Le doute aussi m'accable, hélas! et j'y succombe :

Mon âme fatiguée est comme la colombe

Sur le flot du désert égarant son essor;

Et l'olivier sauveur ne flemlt pas encor...

Ces mille souvenirs couraient dans ma mémoire , Et je balbutiai : « Seigneur, faites-moi croire ! » Quand soudain sur mon front passa ce vent glacé Qui sur le front de Job autrefois a passé. Le vent d'hiver pleura sous le parvis sonore , Et soudain je sentis que je gardais encore Dans le fond de mon cœur, de moi-même ignoré, Un peu de vieille foi, parfum évaporé.

Sous cette impression intérieure, sous le rayon de cette ferveur retrouvée, le poëte, agenouillé devant le tombeau de Racine (qui se trouve dans cette église). fait un vœu. Ce vœu, ce n'est pas d'aller à Jérusalem

IllUlKSlI'lM-: MORE AT \9

en p«*lcrin, mais c'est d'y aller en idée et en poi'sie. c'est de retracer à sa manii're, en une suite de cliants, quelques-uns des sujets saints, à peu pr(îs, j'iniac^ine, comme M. Victor de Laprade l'a pu faire depuis dans ses Poëmes évanc^éliques. Et réfléchissant avec humi- lité à l'étincelle qui peut jaillir sur les âmes de celte œuvre modestement accomplie, le porte se rappelle et s'applique un fabliau charmant que son aïeule bre- tonne, dit-il. Ini a souvent raconté. Ov ce fabliau b' voici : Un jonr, Dieu permit, dans ses desseins, que l'é- lément de vie, le f(Mi. s(> retirât tout à coup de l'aii'. et vînt à manquer à la nalni(\ Tirand cflroi soiulain parmi lesoiseaux.Touss'eflVaveiil, se ('oiisI(M'fi<mi1 ous'eUarenl. Les vautours en devienneni plus ini'clianls de tenvnr. et s'entre-balteiil de plus belle. Le rossiii'uol si» (b'coii- raj^e. et. a_\anl chanté sa dernière chanson, il cache sa tète dans son nid. L'ai,^le liii-niènie. habiliK' à porter la foudre, la laiss(» s'éteindre ccWo bus ei s'i'chapptM'. Dans celle a,i;(uiie nniverselle . il n'\ cul (pTun senl oi- seau . le plus pelil . le |)lus hiiinble de tous, le roitelet. qui ne se dt'coiu'aj^iM point . et (pii \ollii^'ea laul l'I ^i bien, (pi'il alla jusipi'au haut des cicux riNsai^ii' li-lin- C(>ll(> p(UM' la rapporter au monde. Mais il lut coFisumé en la lui rendant.

On seul tout ce (pi'uni^ telle pièc(» a d"t'le\('. dt' |»oé- liqiie el (i(* louchant: (|ue lui inaucpu'-l-il donc pour

20 HÉGÉSIPPE MOREAU

être un chef-d'œuvre ? Il lui manque la pureté et le goût dans le style. Dès l'abord le poëte nous montre le curieux, l'amateur artiste, qui entre à Saint-Etienne regardant et admirant les sculptures et les tableaux :

Époussetant de l'œil chaque, peinture usée.

Ailleurs il parlera du livre des Évangiles :

Page de vérité qu'à sa ligne dernière

Le Golgotha tremblant sabla de sa poussière.

C'est ainsi que dans une autre pièce, représentant l'en- trée du Tasse à Rome au milieu d'une pluie de cou- ronnes et de fleurs, il dira :

Le pauvre fou sentit, dans la ville papale, Une douche de fleurs inonder son front pâle.

Epousseter^ sabler, douche de fleurs; voilà le détestable style moderne, le style matériel, prétentieux et gros- sier, que certes on ne s'aviserait jamais d'aller cher- cher si près du tombeau de Racine, et qui, j'ose le dire, n'aurait jamais entacher non plus et charger le berceau de notre École romantique, telle du moins que je l'ai toujours conçue. Oui, l'on pouvait se mon-

HÉGÉSllM'i: M OUF, AU 21

trci" plus voisin de la nature encore, de la l'éalilé simple, niodesle et sensible, que ne l'avaient été nos illustres poètes classiques, sans toniber pour cela dans ce style lourd, plaqué et technique qui prévaut presque partout aujoui'd'liui. Hégésippe Moreau a eu le tort d'y trop sacrifier en commençant, et il n'a pas vécu assez pour s'en débarrasser et s'en alFrancliir.

Ofi nous assure pourtant qu'il était tout à lait iv>emi, vers la lin, de l'illusion (pie lui avai<'nl laite certains portes ou rimeurs matériels et mécaniipies, et philùt robustes que réellement puissants.

Une de ses pièces iri'éprocliables, et (pron aime lou- joui's à citer, est son VA("/ic à la Voul/ic, jolie livicre ou ruisseau du pays il était venu passer son enfance,

l)lu('l ûclus [lariiii les roses ilc Provins.

On n'aiiiail |)(»iiit paib' coiiNciiahliMiMMil de Moi'caii. si i On ne iii|»|U'l:iil chatiuc lois à son sujet ses \crs dcli- cieux, il a coiiinic raliaiclii son lalcnl cl s(in iiinc

S'il csl lin nom Itii'ii doux, liiil ponr la poésir, Oli! (lih's, n'csl-cr |ta> le nom df la NOnl/.ic? I.a \ (Mil/.ic , ('>l-c(' nn IIciinc aii\ mandes ilo ? Nnii : Mais, avec nn nun'innre aii>si Ao\\\ (juc xhi nom.

22 HEGÉSIPPE MOREAU

Un tout petit ruisseau coulant visiiile à peine ; Un géant altéré le boirait d'une haleine; Le nain vert Obéron, jouant au bord des llols, Sauterait par-dessus sans mouiller ses grelots. Mais j'aime la Voulzie et ses bois noirs de mûres. Et dans son lit de fleurs ses bonds et ses nmrmures. Enfant, j'ai bien souvent, à l'ombre des buissons, Dans le langage humain traduit ces vagues sons; Pauvre écolier rêveur et qu'on disait sauvage, Quand j'émiettais mon pain à l'oiseau du rivage. L'onde semblait me dire : « Espère! aux mauvais jours, Dieu te rendra ton pain. » Dieu me le doit toujours !

Et rappelant tous ses malheurs, ses pertes doulou- reuses, tous ses mécomptes et même ses colères, il ajoute dans un sentiment attendri et qu'on lui voudrait plus habituel :

Pourtant je te pardonne, o ma Voulzie! et même. Triste, j'ai tant besoin d'un confident qui m'aime. Me parle avec douceur et me trompe, qu'avant De clore au jour mes yeux battus d'un si long vent, Je veux faire à les bords un saint pèlerinage. Revoir tous les buissons si chers à mon jeune âge, Dormir encor au bruit de tes roseaux chanteurs, Et causer d'avenir avec tes Ilots menteurs.

81 .Moreau a pardonné à la Voulzie, ces charmants vers t'ont aussi qu'on pardonne beaucoup à Moreau. On

H É G É s 1 1' 1:: M u u 1-: A U 'l]

jctlc un voile sur ses faiblesses et sur ses erreurs; on Noudrait ai)olir toute trace des quelques taches aflli- i^eantes de sa muse. Lui-même, dans une pièce A mon Ame, l'exhortant à s'envoler vers les cieux, et à laisser ce corps qu'il a troi) souillé, il lui dit :

Fuis, Aniu blanche, un corps malade cl iiii; Fuis en chantant vers le monde inconmi ! Fuis sans lremi)ler : veiil" d'une sainte amie, Quand du i)laisir j'ai senti le besoin, De mes erreurs, loi, (loloudie endormie, Tu n'as été complice ni témoin. iNe trouvant pas la manu*' (ju'elle implore, Ma faim mordit la [RUissicre (insensé! j; Mais loi, mon Ame, à hieu , ton liancé, Tu peux demain le dire vi('i|:i' luicore!

(Ml voit ((lie Aioi'eaii l'eiuiiividle en un p(niil la doeliiiie indulj;eiile de eci tains nivsli(|ues, (|ui ne foiil point l'àine ii'sponsahlc cl e(Mnpliee des absences et des dis- Iraehons du corps, .le ne pndciuK \)<s doiniei" etda pour de la théologie exacte, mais [loui' de la poésie charmante.

Les Coules en proc d'ilé^ésippe Moreaii sont 1(MiI à lait purs et iiK'proehables; ils pouriali lit nit-nu' se détacher du reste des (HCuMi's et se vendre en ini fascicule à paît pour se donner a lire aux ji unes

24 HÉGÉSIPPE MOREAU

personnes et aux enfants. On y voit à nu le fond (le son âme et de son imagination aux heures riantes et aux saisons heureuses. Tel il était auprès de sa sœm\ à seize ans, avant d'avoir laissé introduire dans son âme rien d'amer ni d'insultant. Conter chez lui n'était pas une moindre vocation que de chanter :

Je préfère un conte en novembre Au doux murmure du printemps.

La pitié, le sentiment fraternel porté jusqu'au culte, la compassion féminine la plus exquise, respirent dans le Gui de chêne. La faiblesse tendre qui a besoin d'appui, la souffrance et le martyre d'un être délicat, se retrouvent mêlés à de l'espièglerie et à de la lutinerie gracieuse dans la Souris blanche; c'est le plus joli conte de fées et le plus attendrissant; c'est moins naïf que Perrault, mais aussi aimable, aussi léger, et cela ne se peut lire jusqu'à la fin sans une larme dans un sourire. Que dites- vous de cette Fée des Pleurs, la consolatrice des affligés qui voltige plutôt qu'elle ne marche sur la pointe des gazons et des ileurs ? « Elle avait adopté cette allure, de peur, disait-elle à ceux qui s'en étonnaient, de mouiller ses brodequins dans la ro- sée; mais, en effet, parce qu'elle craignait d'écraser ou de blesser par mégarde la cigale qui chante dans le

HÉGÉSIPPB MUHEAU 25

sillon, et le lézard qui frétille au soleil; car elle était si prodii^aie de soins et d'amour, la bonne fée! qu'elle en répandait sur les plus humbles créatures de Dieu. « Tel nous apparaît Moreau avant la politique, avant la misère extrême, avant l'aii^n'eur; tel il se retrouva sans doute à l'heure expirante et aux approches du grand moment (jui élève les belles âmes et les pacide. On devine, en lisant ces jolis récits et celui des Petits SouHcts, et celui même de Thârhe Sureau, à voir celte imai^nna- tion. cette gaieté, cctic invention de délai!, combien il devait être charmant ({iiand il osait étiv familier, et qu'il consentait à être heureux.

SAINT K H F. U V V. .

LE MYOSOTIS

nix-iniT ANS

.r.ii (li\-liiiil, ;ms : loiil clKinj^'o, cl rKspcM'anri» Vers riiorizon ino condiiil par Li niaiii. Miifoii; III) jour à liaiiHM- ma soiitlVaiic)', l']| le lionliciir iiic sniiiira (Icinaiii. .!(» vois (It'jà croiliM^ pour ma ((iiHdiiiH» QiK'lipics laiiritMS dans 1rs nciHN du piinltMiip- (l'csl lin dt'diiv... Ah! (pùiii me le pardoiiiu' : J'ai di\-liiiil ans!

raimc l'idviiis, j'aime ers vieilles tomlws les Aiiumis vont clii'irlicr d»'< aliri^; Tes murs dc^crls (pilialutciil les colombes, l'.l dont mes pas t'oiil Iremhirr les dt'hris.

28 LE MYOSOTIS

Là, je m'assieds, rêveur, et dans l'espace Je suis des yeux les nuages flottants. L'oiseau qui vole et la femme qui passe : J'ai dix-huit ans!

Bercez-moi donc, ô rêves pleins de charmes! Rêves d'amour!... Mais l'aquilon des mers A jusqu'à moi porté le bruit des armes : La Grèce appelle en secouant ses fers. Loin de la foule et loin du bruit des villes, Dieux ! laissez-moi respirer quelque temps. Le temps d'aller mourir aux Thermopyles : J'ai dix-huit ans!

Mais quel espoir! la France, jeune et fière. S'indigne aussi de vieillir en repos; Des cieux, émus par quinze ans de prière, La Liberté redescend à propos. Foudre invisible et captif dans la nue. Hier encor, je te disais ; Attends! Mais aujourd'hui, parais; l'heure est venue : J'ai dix-huit ans !

1828.

LH MYOSOTIS "29

VrVK LE HOI

Vivo l«' nti!... Comino los faux j)ropliètos I/oul (Miivn'' (le »•(> souhait Iroiui'tMir! (loiniiic (III a vu {jriuiac(M' à st^s frfos La Vanil.', riiilt-ivl cl la Peur! Au lniiil (le l'or cl des croix (|u'ou ramasse, Dcvaul le cliar (oui s'csl pivcipilé; Et s«Mil, (Ichoiil, je iiiiiiiiiiirc à voix l>a<sc : Vive la liltcrh'!

Vive le roi! (Juaiid des luai^es serviles I) iiii lM)-u iiiorlel llallaieiil aiii>i l'oif^ueiL lu aiiire «ri, t(imi>aul des Tlienuopylt'S, Viiil (oui à eoiip ( liaii-er leur l'èle eu deuil. De l'Areliipel ,iu\ rives du UoNpluue, Après mille au>>. réélu» l'a n''p(''l«''. I",l la xicloiie a pour desise encore : \ ive la lilterle!

2.

30 LE MYOSOTIS

Vive le roi ! de nos vieilles tourelles Ce cri souvent ébranla les arceaux, Quand les seigneurs faisaient pour leurs querelles, Au nom du prince, égorger les vassaux. Dans ces débris, leur ombre guerrière Agite encor son glaive ensanglanté. Le voyageur écrit sur la poussière : Vive la liberté !

Vive le roi! La voix de la vengeance Se perd toujours au bruit de ce refrain ; Pour endormir son éternelle enfance. Voilà comment on berce un souverain ; Mais quand la foudre éclate et le réveille, Seul, sans flatteurs, le prince épouvanté Entend ces mots gronder à son oreille : Vive la liberté!

Provins, 1828.

LE MYOSOTIS 31

BÉRANGRR

La Liberté rhfz nous se réfugie; Joyeux buveurs, à tal)Ie et loin du jour, Que Déranger, pour terminer l'orgie, De ses refrains nous enivre à son lonr. Cliargé (le gloire et «l'injures nouvelles. Des bnis dini i)euple il tombe dans les fers; Il est eaj)lif, mais sa muse a des ailes : Tout bas, tout bas, amis, cbantons ses vers!

Quand tour à lonr, au iiied di» nos Iropbées, Les rois (ond);iienl, i:nploi';nil leur i);iiilon, De son hei'iMMU. (|ne li;il;iiu;aieiil les iV-es, Il s't'JMnea, réveiih' i);n' un nom... (!e nom s:ieré, (pTil n'ii pu d(''s;i|>piendre, l'^.st mainlenani prosnil d;nis l'univers; l?éi'angei' seul ose le l'aiie enlendie : Tout bas, tout bas, amis, clianlons ses \ersl

l'i'ondant labiis de la victoire même, \\i roi des rois il n'a saeiilio

32 LE MYOSOTIS

Que sur sa tombe, et quand du diadème Par le malheur il fut purifié. Le vieux soldat, dont il sèche les larmes, Brûlant encor de souvenirs bien chers. Semble écouter si l'on appelle aux armes : Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers!

Qu'ai-je osé dire? Ah! je sens que ma muse. Rebelle aussi, déraisonne en buvant : Comme le vin, qui sera mon excuse, La poésie enivre bien souvent; Mais aujourd'hui, quand Thémis au poète Fait expier des sarcasmes amers. Pour les venger, la France les répète : Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers !

On l'a frappé dans sa noble misère; Il faut de l'or, et je n'ai que des pleurs : Jeune soldat, quêtant pour Bélisaire, Ma voix du moins attendrira les cœurs. Qui ne voudrait, bravant la tyrannie. Payer sa gloire au prix de ses revers? Enflammons-nous aux rnyons du génie : Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers !

1828.

LR MYOSOTIS 33

ËPITRE A M. FIRMIN DIDOT

SUR I-' I M P R r M K R I F.

Quand les miisos, pIcMirant la gloire de la Franre, Avec (les souvenirs lui leiideiil l'espiMance, Poëte et citoyen, dr (|iicl d'il |)('ux-lii voir Une limie hypocrite aliunicr le poiiviiii-, Et, IViipiiaut au {guichet de S;iiiile-lV'l;i;4ie, Taulùl pour la chanson, laulùl poui- l'idéf^ie. Avec le l'cr des lois poursuivre sans repos l'u ail dont lit luiuici'c a Irahi ses coinpiols? Mais de TtipinioM, souveraine iinniorlelle. Il éclaire les jtas, il liiouiplie avec elle, Va le poiilile-roi, lulniinanl un «Mit, l'!n vain sur leiu" euipiic a lau( c l'iiilerdil. Ils ne son! plus ces leuips la sainte parole Tonnait et foudroyait du linut du ('.apitoie; (Ml la raison liinide, eu Initie aii\ oppresseurs, Dans l'exil ou hvs l'ers suivait ses d(''fenseurs.

34 LE MYOSOTIS

Et, comme leurs écrits, aux pieds du saint office

Les voyait quelquefois brûler en sacrifice.

Zélateurs du passé, qui vers cet âge d'or

Prétendez aujourd'hui nous repousser encor.

N'avez vous donc jamais déroulé ses annales?

Elles offrent à peine, à de longs intervalles,

Au lecteur, fatigué de tableaux odieux.

Quelques pages de gloire reposer ses yeux.

Comme le diamant perdu dans la poussière,

Qui n'attend pour briller qu'un rayon de lumière,

Que de talents alors méconnus, avilis.

Dans un cercueil obscur tombaient ensevelis !

Un Voltaire, un Rousseau, sous le chaume champêtre.

Ignorés de leur siècle, et d'eux-mêmes peut-être.

Expiraient tout entiers ; l'étude au feu divin.

Qui, captif dans leur âme, y bouillonnait en vain,

Pour éclairer le monde eût ouvert un passage.

L'étude... Mais, hélas! de ce trésor du sage

Les peuples malheureux ne sachant pas jouir

A l'ombre des autels le laissaient enfouir.

Ces transfuges légers de Grèce et d'Ausonie,

Ces livres, les dieux du goût et du génie

Traçaient pour l'avenir leurs oracles sacrés.

Voltigeaient au hasard, dispersés, déchirés.

Semblables dans leur suite aux réponses qu'envoie

LK MÏUSUTIS 3H

La Sibylle île Cuiiie à l'exilé de Troie.

Un peuple envahissant, l'incendie à la main.

Foule aux pieds les débris du colosse romain,

Et le vent du désert sur l'Europe tremblante

Souffle, pour l'engloutir, sa poussière brûlante.

Déjà tout s'obscurcit : mais lorsque, avec elîroi.

Ramenant du passé mes yeux autour de moi.

Je cherche les fléaux (ju'il semblait nous prédire,

Quel contraste! partout le Fanatisme exitire;

A la voix (le la {gloire et de la liberté.

Un autre enthousiasme a partout éclaté.

Plus fécond en exploits que cette frénésie

Dont l'Europe chrétienne éintuvanlait l'Asie,

Terrible, mais laissant an\ [leuples satisfaits

Après un jour (l'elVroi, des siècles de bionfails.

Qui donc précipita ce moiiNcnient rapide,

Et connue les Hébreux , ([uand lont inarcliail >an> |;;;uide^

Quel nuaj^e de llaunnc éclaira par degrés

l'ne ronle inconiuic aux iicuples égarés?

Iloinienr à (inti-nbcrj^î »'t pMi>M' (Tàue en d'âge

Son nom Nivrc cl |;iandii' ain^i (|ne son onvrai^e!

lloniiiMn' a loi, .MaNciucl il a dans tc^ remparts

Découvert l'ail ma^itpie inile a tous les arts.

An lien de l'ali^nei' la plume vi|;ilaiile,

Hc consumer sans cesse une activité lent"

36 LE MYOSOTIS

A reproduire en vain ces écrits fugitifs. Abattus dans leur vol par les ans destructifs. Pour donner une forme, un essor aux pensées. Des signes voyageurs, sous des mains exercées. Vont saisir en courant leur place dans un mot; Sur ce métal uni, l'encre passe, et bientôt, Sortant multiplié de la presse rapide. Le discours parle aux yeux sur une feuille humide. 0 vous, que dépouillaient des vainqueurs insolents, Muses! ne craignez plus que vos trésors bridants Éclairent leur triomphe, ou que la tyrannie Dans la prison d'un sage enferme le génie. Ou que sur un bûcher elle étouffe sa voix : Bravant la faux du temps et le sceptre des rois. L'œuvre de la pensée est rapide comme elle, Comme elle insaisissable, et comme elle immortelle. Sans peine, l'univers s'unira bien souvent Aux rêves du poëte, aux veilles du savant. Le génie en courroux, qui, dans un beau délire. Contre les oppresseurs fait révolter la lyre. Croit voir autour de lui le monde s'assembler. Le peuple s'émouvoir et les tyrans trembler; Ainsi, lors([ue la Grèce, ivre de chants épiques, A grands flots se pressait aux fêles olympiques. Agités par les sons du luth national,

L !•: M ï (J s U 'l' i b 3"

Tons les cœurs [)ali»it;ii(Mil (11111 iikhim'iiiciiI ci^al,

Tous les cris iiienaçaicnl la jmissaiicc ii>iir|tt'M»,

Tous les bras (Houdus iuiploniiciil une ('pce.

Les peuples aveu^'lés, frappés par W j)ouvoii',

(Jui traînaient dans la nuit kiirs cliaînes sans les voir,

Se n'Ièveiit eiiliii, se parlent, s(» répondent;

Puis, connue les (htuieiu's, les plaintes se conlondcnl,

Kt ne l'ornicnt hirnlul (piiiii snd cii menaçant :

Libertt'! Si ce nom fut Mtiiilir' par le san^,

S'il lut im cri de moit contic Ir diadème,

l.a f;l(iirc, la vciln... c'est (pic le peuple mcme

Des fers du despotisme armait la liberté,

Kt, SMccesscnr des l'ois, comme eii\ ("tait Halle;

(l'est (pi'aiix pieds des bomicauv la presse, cncor miu'tic

N'osait à 1.1 douleur ollVir un inlerpièle.

.Mais, terrible et lecdiid, Idra;:»' s'est euliii,

l.e ciel s'e>l (''pin('': c'est en Nain (pi aiijoiird liiii

h'iiiie épo(pie saiiiilaiite on roiiM'e les abiines,

l\l (|ue pour allument on sihiIi'Nc des crimes:

i.ibcih'', c'e>l en Nain (pi'oii clierclie à le IbMiir!

lu ne lieux iiiaiiileiiaiit l'(''^arer ni mourir.

Nul abus ne pourra grandir dans je silence;

(.oillre le (lespotiMue cl Cdiilie la licence

Les partis lonl Inniier leur conrrou\ elotpieiit.

lA la lumière entre eii\ jaillit d'un choc lre(pieiit.

38 LE MYUtSUTlS

Ainsi la vérité^ faible solliciteuse. Qui, comme la prière, à la cour est boiteuse, Moins timide et moins lente, osera quelquefois A travers leur conseil se glisser jusqu'aux rois. Ils entendront les cris de la douleur plaintive; La gloire poursuivra la vertu fugitive, Et, quand même Thémis oublîrait de frapper. Les forfaits au carcan ne pourront échapper. Chaque jour, un essaim d'écrits périodiques, Innombrables hérauts des combats politiques. Signalant les dangers, vole à l'appui des lois Rallier tous les cœurs, armer toutes les voix. Le jeune citoyen, que cet écho réveille, S'enflanniie chaque jour aux débats de la veille^ Lt peut-être, embrassant un avenir flatteur^ Du temps qui le vieillit accuse la lenteur^ Soulïre de tous les maux de la patrie esclave^ Et rêve en contemplant le buste de Barnave. Avec un autre siècle ils ont fui pour toujours. Ces héros de scandale honorés dans les cours, (jui, d'un nom glorieux subissant l'ironie. Savaient au plaisir seul sacrifier leur vie. Le Français, jeune encore, échappant au repos. Verse, pour l'ennoblir, son sang sous les drapeaux, Et lorsque avec la paix les muses consolantes

[. K MVOSdTIS 30

VieiiiKMit jeter des Heurs sur des palmes suDglaiiles,

Tantôt associant 1 étude à ses plaisirs.

Des jeux de Melponiène il iharnie ses loisirs;

Tantôt, ivre d'espoir, à la tril)Uii(; il vole

D'iuie bouche élo(juente épier la parole;

Tanlôt, dans un convoi, siiiviuit la {gloire en dcnil.

Il dispute l'iionnenr de jiorlcr ini cercueil.

Qu'on Ircnihlc d'rloulTcr ces nninines généreuses! C'est en les inilanl (pi'on les rend dani^ereuses. Kn \;iin le despotisme, aiMné du l'er des lois, (Commandait le silence à l:i presse aux cent voix, Kteij^nanl les fanaux sur le Itoid de rabiine, De son Iriomplie même il lïit lond))' sielime; lit, s'il l'aul d'un exeiii|i|e a|tjinyer mes di>cours^ \oye/de l'Oiienl les peuples e( les coins : Au lil du sniiNcrain^ la, le >alnt' ([ui Neillc D'un niurninie indisciel |n-e>erve son oreille; Inaccessible même à la \ni\ du leinord. Au sein (le> \o|u|»le> il se |t|ou;^e cl s'eiiduil. Il doi'l... niai> loul à coup la re\oll(> liar<lie Dans >on palais en (eu uronde a\ei' rimcndie; lad-uièuie louibe aux pied^ de ce peuple rampaiil, i;i l'oia^e imprcNU IV'elaiie imi le iVappanl. l.onirc les allenlals dime aNcu:^le pui>«^ance

40 LE MYOSOTIS

Déjà que de douleurs se soulevaient en France !

Menacés par les lois, que d'artisans obscurs

S'entretenaient tout bas de leurs destins futurs.

Et, loin de la patrie esclave et désolée.

Se choisissaient d'avance une tombe exilée !

Jeune encore et tremblant pour l'art qui m'a nourri.

Moi, j'ai pleuré comme eux, et comme eux j'ai souri,

Lorsque de nos cités, à la douleur en proie.

S'élevèrent des feux et des concerts de joie.

Non, sur des bords lointains il ne faudra jamais

Devant ses ennemis rougir du nom français.

Et, dans l'état obscur le ciel nous fit naître.

Notre sort coulera paisible, heureux peut-être !

Quand l'art hospitalier nous laisse des loisirs.

Ainsi qu'à nos besoins, il veille à nos plaisirs.

Et qui donc n'a jamais puisé dans la lecture

Un oubli consolant, une volupté pure?

Les livres, autrefois vendus au poids de l'or,

Dont l'avare opulence amassait le trésor,

Des cloîtres, des palais secouant la poussière.

Se sont enfin glissés jusque dans la chaumière;

Pénates vigilants, en tous lieux aujourd'hui

Ils bercent les douleurs et dissipent l'ennui ;

Souvent ils sont fêtés même par l'ignorance.

Notre cœur languit-il en deuil d'une espérance.

L K M Y 0 s ( I T I s 41

Df»tromi>é d'aniitié, désenchanté d'amour,

Walter Scott à nos yeux fait passer tour à tour

L<'s Ijii^ands féodaux (jui coiuaiciit, pleins de zèle,

Puiilier leurs mains dans le sauf; infidèle,

Ou ses ^ais l)oliémi<Mis, ou ses chefs helli(jueux,

Kt des temps, des climats aussi hizarres (iii'enx.

Le lecteur, IVancliissant l'espîu'e des années.

Vil de leurs passions el de leurs destinées,

Kt (le ces grands malheurs, (pi'il essaye un moment.

Vers les siens plus lé^eis il revoie gainuMit.

Ilélas! |Miunpi(»i faul-il (lu'aveii^laut la jeunesse,

Connue tous les plaisirs, l'élude ail sou ivresse?

Les cliers-(r(euvre du f^oùl, par mes soins reproduils,

Oui (Mcup*' mes jours, oui eurliaule mes uuils,

Etsoiiseiil, iiiseiis)' ! jai n'-pandu des larmes :

Semhlahle au Ini^cron ipii, pii-paranl des armes,

Avide des evploils (pi'il ne parla^e pas,

Sil'lle un air helliipieux el rè\e de> (•oiul>al>...

f829.

42 LE MYOSOTIS

DIOGÈNE

FANTAISIE POÉTIQUE»

P P, F, F A C R D K T, A U T F, (1 P,

Du fond de son tonneau, tribune populaire,

Il exhalait sans peur sa maligne colère;

La censure pour lui n'avait pas de bâillons,

Le glaive de la loi respectait ses haillons.

Au passant, dont l'aumône était sa nourriture,

En revanche il jetait quelque sot en pâture;

Pour enivrer le peuple et consoler ses maux.

Comme un vin |)ur, sa tonne épanchait les bons mots.

Puis, sou front soucieux, ridé par la satire.

Aux phalènes d'amour que sa lanterne attire

1. Cette pit^ce et tontes celles qui suivent, jnsqu'aiix Modistes hospitalières exclnsivement, composent la collection entit've de Pidcène, ijni fnt publiée en 1833.

LE MYOSOTIS 43

Soiiriîiil, ol, narguant ses rivaux él)nliis. Il IVotlail sa laidour aux charmes de Laïs...

Quand l'usafio, al)>()Iii, n-giic i»ar ordonnanr<>s.

Et que tout se nivelle au joug des convenances.

Malheur à l'imprudent qui s'égare dini pas

Mors dii ccrric hanal (ju'a tracé h' compas!

l)r\anl des ;^ueii\, (l(»rés de litres cl de izrades.

S'il (yse elTronh'menl liiiei- leurs mascarades,

I.a loide do It'pieiix s'écarle avec cITioi :

C'est un (\oi(pie: l^h hien! je sois cynique, omi!

I",l, p(»ur di)ter IMdvius d'uoe muse iodiuèoe,

.l'ose la baptiser do 0(»m de Dio^zèoel

Ooi, ce droit m a|»piolienl, moi qoi roole ii lous veoh,

tlomoie loi son loiioe;ni, mes pi'oales iooo\aiils;

.Moi qoi, perstMiil»'' de visiteurs saos oomhre,

loqtalieol eiilio tic ;^rel(»ller à l'oodoe.

Quand ils me prooieltuicnl assislamc el conseil.

N'ai répoodo (pion mol : (l;ire dr mon xileilî

l*oor èhe, jcooe cncoi', \it'u\ au mdier de ^au'e.

Il m'a l'allu soliii' oo rode aii|ireolissage.

< onooe UarlIieieoiN , rapsode loarx'illai^ .

Dool la \oi\ m'a Irooble lorsqoe M>onneill.iiN,

haos la Inise sool'Hanl de la (Irèct» ou de Hou>e,

Je oai |Miinl respir/' dt> p(M''li(|ue aronie.

44 LE MYOSOTIS

Kt, loin dn Midi, je n'eus pas même, enfant,

A défaut, de soleil, un foyer réchauffant.

Un ogre, ayant (lairé la chair qui vient de naître,

M'emporta vagissant, dans sa robe de prêtre,

Et je grandis, captif, parmi ces écoliers.

Noirs frelons que Montrouge essaime par milliers,

Slupides icoglans, que chaque diocèse

Nourrit pour les pachas de l'Église française.

Je suais à traîner les }»lis du noir manteau;

Le camail me brûlait comme un san-henito;

Regrettant mon enfance et ma libre misère,

J'égrenais dans l'ennui mes jours, comme un rosaire.

Oh ! quand les peupliers, long rideau du dortoir.

Par la fenêtre ouverte à la l)rise du soir.

Comme un store mouvant rafraîchissaient ma couche,

Je croyais m'éveiller au souffle d'une bouche;

Devant le crucifix et le saint bénitier.

Profane! j'enviais le sort d'Alain Chartier!

Et quand le mois de mai, pour la reine des vierges,

Faisait neiger les lis et rayonner les cierges.

Priant avec amour l'idole au doux souris.

Je convoitais un ciel parfumé de houris.

Dans la forêt de pins, grand orgue qui soupire.

Parfois comme un oracle interrogeant Shakspeare,

Je l'ouvrais au hasard, et, (jnaud mon œil tombait

LK MYOSOTIS 45

Sur la prédiction d'Iphictone à Ma('l)etli,

Berçant de rêves d'or ma jeunesse orpheline,

11 nie semblait ouïr une voix sibylline

Qui murmurait aussi : « i/avenir est ii Idi;

l-;i Poésie est reine; enfant, tu scnis roi! »

Vains présages, hélas! in;i muse voyageuse

A tenté, sur leur loi, cette mer orageuse

On, comme Adamaslor debout sur un écueil.

Le spectre de dilixTl pliiiie sur ini cercueil.

J'ai visité P;iris; Paris, sol plus aride

Au malheur su|)pli:inl «pie les rocs de Tiiinide;

On l'air man(|Me iiiix ai^^ioiis niédil;iiil leur cssoi-;

les jeunes t.dents, cahotés pur le sort,

Tivbuchaut ;i la lin, de stMoiisse en secousse,

(loutre la l'osse ouverte dis|tarHl Mscousse,

N'ont plus, en s'abordant, (|m un saint à s"olTiir,

la' saint monacal : Frères, il tant mourir!

Mon doux pays, alors, me Muniait en rêves,

(.oinnie à .lean-.lac(pie eidant son beau lac elsesgrrv»^;

Je revoyais Provins et ses coteaux aimes,

Pe tant de souvenirs, de tant de llenrs semés;

Son dôme occidental, dont cliaipie soir le l'aile

S'illumine au soli'il connue pour une tV-te;

Sa tour, dont le lichen crevasse le granit.

la guerre tonnait, foiseau fait <on nid :

3.

46 LE MYOSOTIS

Géants contemporains qui, le front dans la nue. Se parlent tête à tête une langue inconnue; Médailles des césars ou des rois, Sphynx jumeaux, Qui jettent aux passants des énigmes sans mots...

Pour semer de mes vers un sol vivace en friche. J'ai choisi Seine-et-Marne, et mon domaine est riche C'est Meaux, d'où les éclairs de l'aigle gallican Effrayaient le hihou qui règne au Vatican; Provins, docte ruine oià l'histoire s'épelle; La cité d'Amyot, veuve de Lachapelle; Fontainebleau, qui dort à l'ombre de ses bois, ne résonnent plus le cor et les abois. Et montre avec orgueil, dans ses cours féodales, Le pied de l'empereur imprimé sur les dalles.

Sur les partis heurtés j'aurai les yeux ouverts. Et leur choc trouvera de l'écho dans mes vers. La marotte n'est pas mon attribut unique : Je mentirai souvent à mon titre cynique; Souvent j'exhumerai quelque vieux fabhau; Mon journal poétique, au dernier folio. Pour le lectour suant d'une longue tirade, Sèmera de? couplets, en guise de charade; Mais, épi(juo ou badin, mon vers précipité

LK MYOSOTIS 47

Chaulera toujours Dieu, l'Amour, la Liherlé!

La Liberté surtout ! ee uoui jdeiu d'iiaruiouie Sur mes lèvres de feu n'est pas une ironie; Car je l'ai confessé, non tout bas, à luiis clos. Dans les refrains qu'on jcltc à des murs sans échos; Non comme l'orateur du bancjiiet iioi)ulaire. Dont la flauunc du jimitii ;ittise la colère; Counne un boiilluii iU' clid) dans ses parades, non! Mais les pieds dans le sani:, en race dii canon. Quand une dièle année, en Imis jnnrs de séance, S(Mis les [loiiinai'ds d'nn roi voliul sa décliéance; Quand, p(inr sanver l'Klal el clianu't'r S(tn deslin. Des balles rein|ila(;aieiil les hoides du scniliii, Ll (|ne, de |(»ns lùlé's, les villes dn lov.innie LnvoyaienI des eliis à ce j^i'and Jeu de |i;nnne. Pour mes cnneiloyeiis j'(»|»inais sans mandai , Kl Proxins enl aii>si ^on de|iult''-M.|dal.

Pour i^laner des snjeN. si nos leuïps sont aride<. Ma innse ronilleia dans les é|i|ieint''rides; Sur chaque anniversaire on de joie on île denil, .le IroiiNei.ii le lemps de ulisser ni) coup dtcil; Quand sur nos boulevards le mmiI d'aulonnie pleure. Je \eu\ \ nicdiler une i''l('':^ie. ;"i l'Iienre.

48 LE MYOSOTIS

A riieure même où, purs de crainte et de remord. Les Girondins martyrs chantaient lem- chant de mort; Et, sans doute, le mien remûra l'auditoire. Car notre nom se mêle à leur funèhre histoire : C'est parmi nos aïeux, c'est à notre foyer, Que le bourreau jaloux redemanda Boyer!

J'ai médité longtemps ces noms que je murmure; Qu'il me vienne un public : ma poésie est mûre. Prêtez-moi donc secours, habitants riverains Du sol qu'ont baptisé les deux fleuves parrains; Souffrirons-nous toujours que le proverbe rie Des talents champenois comme des vins de Brie? Diogène aux railleurs porte un défi mortel : Frères, j'attends vos noms pour signer le cartel.

1833.

L'ABEILLE

Comme l'abeille fugitive

Qui fait son miel en voyageant;

LE MYOSOTIS 49

I,t' cliansdiinicr de rive ni rivo V;i l)()nril(inii;iiil cl V(»lli;i<'iinl ; r.oinnie elle, du iiiyile à lii Iroilie, Il recomnionce vin^l, délours : Vole, Vdic, p«^,til(^ al)uille, Volo, vole, vole lonjoiirs.

llélas! je rampais, demi-niie, Sans ailes d'or, sans aifziiillon, (jiiaiid Idiil iiinii essaim vers la mie S'eii\()la dans im t(»iirl)ill(»ii ; Mais Dieu incî sourit, Dieu (|ui veille Sur im insecte sans secours. Me dit : « Vole, petite abeille, » Vole, vole, vole loujoiu's.

)) Loin i\o> tomltillons de poussière

» U"e lonl les {grands et lems latpiais,

» Dans la mansarde ou la cliaumièrc

» Murmure à de joycuv bainpiets;

» Mais en l'uvanl, |ti<pic à lorcillc

» l,es Midas (pii peuplent les couin :

)) \(>lc, vole, petite altejlle.

» Vole. vole. \(i|e IdUjours.

oO LE MYOSOTIS

» Oui, garde bien, pauvre orpheline, » Un dard caché pour les méchants; » Mais si quelque vierge enfantine » Cueille des bluets dans les champs, » Va bourdonner dans sa corbeille, » Et fais-la rêver aux amours : » Vole, vole, petite abeille, » Vole, vole, vole toujours.

» Mon souffle a reverdi la terre,

» Teinte du sang des oppresseurs;

» Longtemps l'éclat du cimeterre

» Sur l'Hymette effraya tes sœurs;

» Mais il la Grèce qui s'éveille,

» La Liberté rend ses beaux jours.

» Vole, vole, petite abeille,

» Vole, vole, vole toujours. »

Moi, dans les paroles divines Je me confie, et sans savoir Si sur des fleurs ou des épines Il faudra m'endormir le soir; Quand vient la brise, je sommeille, Et je m'abandonne à son cours :

LE MYOSOTIS

Vole, volo, potito ;i1)(mI1p, Volo, \()W, volo toujours.

54

1828.

LE PAHTT BONAPA 1{ T I S T K

A JOSEPH B 0 N A P V n T F.

VA loi, vicilliinl, .'lussi! lu virus diius \o cliinui» clos l;i plunit' cduihal, <iù rciirrr cdiili' à lliils, .Ich'i' aux fadious, dispiilanl la |iuissauc(*, Ku l'orme de cailrl un acir de uaissaurc! A Iravt'i's les ^zrauds ikmus, rrlVaiu de iKts débals. Ton nom mys((''ii(Mi\ est jirouitnrr loul has. (Jn('|(|ut's afiilalt'urs, ralliés |iour drlruiii', Sol(lal('si|m' sans IVcin (|u"(in rniit;il de conduir»'. Ourlant |iarlnul un rlifl" pour di'lioucr un loi. De iidus eu rrliis soni londx's juxju'à loi.

Mais le in'\\u\ \\'c>\ \Au<, ri les uain^ de >a racf nonuiraicid aiséuirnl lilolli> dans sa ruira«>Mi; Tous ses paionN oliscurs. l'nMi's, so-ius ri nr\ru\.

52 LE MYOSOTIS

Qiii poiir Sun héritage osent former des vœux, De l'astre impérial satellites sans nombre. Depuis quil s'est éteint sont retombés clans l'ombre. L'orphelin dans Texil n'a qu'un moment langui : Sur le chêne abattu le vent frappa le gui. I/empire, dont la chute a fait trembler les pôles, Pour vestige ici-bas n'a laissé que deux saules : L'un, que brûle au midi le simoun étouffant, L'autre, pendant au nord sur un tombeau d'enfant.

Bonaparte ! trouver dans ta biographie, A côté de ce nom. rien qui le justifie? Ton glorieux aîné, dans ses obscm^ cadets. Vit dix ans une tache au veloms de son dais. 11 les brodait en vain d'or sur chaque couture, Sous leur habit de prince on flairait la rotme. Lorsque, du nord au sud, le pontife des camps Les sacrait rois d'un jour sur les trônes vacants, De l'orgueil fratern»^! leur vanité complice Se courbait à ses pieds sous un brillant cilice. A l'hommage des cours le dédaigneux vainqueur Les jetait en passant, comme ce dieu moqueur Qui livre dans l'Asie aux prières publiques Ses excréments divins, façonnés en reliques. Tel le sabre adoré des héros osmanlis

LK MYOSOTIS o3

Découpe aux ico^lans le monde en paclialiks; Tel secouant, la peau du lion de Némée, Hercule en fait loudxM- loul un jicuple pygnu'c

Malheiu- aux potentats créés par son dédain.

S'ils l'olTensaient d'un niol (tu d'un ^estc! Soudain

Happ courait clifilirr la majesté vassale;

Kl (|u nid SCS éperons résoimaicnt dans la salle.

Sous son miniti'an de roi le coupable suait,

Treudilanl connu*' un piiciia surpiiN piu' le murl !

(Jufl ennui rt'IonlVail dans rKscurial sond)n' !

Sur Ion lil sans sonnneil tu croyais voir dans riunitn'

Klamlioycr W poignard ri Td'ij (Tim guérillas;

VA puis, Icrmanl !('>> yeux, lu n'V(»yais, hélas!

Ij's montaf;iH's dont l'air cnivic la poilrin»',

i.a plaine >alilonnen<e el la roclif marine.

On, sans pii'voir du sort les (•cueils inc(tunus.

KufanI in^oiieieiix lu bondissais pieds uu«<!

Aussi, ipiand hieu liii>a l'idole clianrelauh', Nile lu secouas la couroinu' hrnlanl»'. Oue dis-je? ;^iàce à loi, le monde n'-xolle De ipielipies juurN plus |o| diUa sa liberlt''. Oui, l'aii^le impc'iial. Iianele dans son air»\ Se deball.iii eucoi' poui- saisir un loniierii';

54 LE MYOSOTIS

Les barbares, tremblant de profaner Paris, S'arrêtaient sous ses murs, fascinés et surpris; Mais, dépouillant un rôle écrasant pour ta taille, Par un sauve-qui-peut ! tu cédas la bataille. Et c'est toi qui voudrais déployer pour drapeau La redingote grise et le petit chapeau!

Non, la gloire pour toi n'eut jamais de baptême ! Non, Joseph tu n'es pas Bonaparte, et quand mêmeî, Quand même il reviendrait gigantesque, celui Devant qui peuples, rois, empereurs, tout a fui ; Quand même du tombeau le nouvel Encelade Bondirait, et des cieux tenterait l'escalade, Pense-t-on qu'à la soif de l'aigle renaissant La France-Prométhée irait livrer son sang? 0 vous qui l'adorez, tribuns dont la colère S'allume au nom du roi dans le club populaire, C'est alors qu'il faudrait hurler le désespoir. Sur le tableau des droits jeter un voile noir. Et se taire ou trenibhn' : de sa main colossale. Qui de Saint-Cloud jadis a balayé la salle. Il vous briserait, vous et vos tréteaux forains, Et vous regretteriez, la baïonnette aux reins. Ces bourreaux palernels dont le clysoir talonne L'émeute Pourceaugnac autour de la colonne.

LE MYOSOTIS 55

Vous qui crachez l'iujurc au uiiliaill(nir on froc, Avez- vous oublié (juc l'iiounno de Saiul-Hocli, Flélri d'un souvenir qu'aucun exploit u'eiïace, A son (l('l)ii( s;m^'Iiiii( nous api)aru( en face Dans ce Paris (|u'au jour {\('i< san^ilanls désespoirs I.e canon blasonna d'Iiiérof^lyphcs noirs? nisliufiuez-vous (jucl mot «'sl ^Mavé sur la pierre? (-Iiai'le ou Napoléon? Juillel on Vrndéiiiiairt'? Oin'l or espérez-vous, (piand vos cn'usels liai'dis Fondent (pialre-viii;:l-li('i/t' avec mil Imil c«'iil di\? A vos yeu\, si Hrutus vous a sourib'- son àuir, I,a race de Tai'(pun est niir wur iiilïiiiir. Craclii'/, di)Mr >\iv >;\ ('ciidii' ahaiiddUiicc aii\ viMiK. Ntitt'Z des écliidaiids à ses rcslcs vivants, ()n"]\> meuri'ul aluciivés de lentes aiionie-^, VA (pnm les liaine morts aux vers des p''monie<. (i'esl peu : ressnseile/ contre iU'<. noiiiN maudit^ l,es lois dont le lilas|ilièMie était IVappé jadi<. IMiililez par le fer, liiùle/. par les acides La ItoMclie qui xonnl les sons lilierticide"^: Car, si l'un ('voqnidt l'ondire du soldat-mi. I.a lilterlé' l"ec(»iide avdileiait d'elTmi. Mais il dori sans réveil, le ^^tMol de l'empire: l,"\nulais a bien c|niii'> le cercueil du vampire. Ou'nn n'(»ppnse don<' plM< ^ur d aiitiqu«'< penn<>n<

56 LE MYOSOTIS

L'aigle à la fleur de lis et, des noms à des noms. La science héraldique est éteinte, et la France, En vieillissant, confond dans son indifférence Sa race tricolore et ses blancs souverains. L'huile de Notre-Dame et l'ampoule de Reims...

Mais, que fais-je? et pourquoi, sur un bruit populaire,

Traîner devant ma barre un homme consulaire.

Qui, sans doute, ignorant le factum publié,

Oublieux des partis, s'en croyait oublié.

Heureux colon ! semblable au pasteur de Virgile,

Tu couronnes de fleurs tes pénates d'argile.

Dans un riche désert, que peuplent à la fois

Les révolutions et la haine des rois,

Tranquille au bord des mers, comme une écume immonde.

Tu repousses du pied le bruit de l'ancien monde,

Et si, frappant chez toi, les partis pèlerins

Pour leur pavois désert quêtent des souverains :

Insensés! réponds-tu, quel espoir vous anime?

Pourquoi dans son jardin troubler Abdolonyme?

La couronne avant l'âge a blanchi mes cheveux;

J'en connais trop le poids : il suffit à mes vœux

Que mon pré soit en fleurs et que mon champ jaunisse.

Peuples qui mendiez des rois, Dieu vous bénisse!

27 juillet 1833.

LE MYUSUTIS iil

LA PRINCESSE

Ne parlons plus de liberté : Je viens de voir une itiiiieesse. Pour mettre aux picils de Son Altesse A iM(»ii lour, (jue nai-je hérité DiMi \H'\i (le lé^itiinilé! Kllc scrail, pour ma eliandirelli', I II meuble lorl joli, ma foi; Mais piiis(|u'elle n'es! pas j^riselle, Ali! (|iiel hoiilieur si j'étais roi!

hès (|u'eii soi! cliar cllr a paru, IMoiidr l'I ri<mlc à la |iorliéi'(\ A travers do Ilots de poussière Am'c la louli' j'ai couru, lauprrssc (le \oii, cl j'ai mi... .1 ai NU son Iroiil (|ui >c colore, Sou seiii i|u"a:;ilc uu doux «'iiioi ; .Mai^. piiiir \ow un peu mieux encore. Ah! ({uel bonheur si jetais roi!

58 LE MÏUSOTIS

Je veux prendre aussi mon essor : L'ambition devient vulgaire, Tel sot, qui végétait naguère. Se réveille plus sot encor. Chargé d'honneurs et cousu d'or. D'un souhait qui semble frivole Vous riez sans doute, et pourquoi? Amis, la Providence est folle -, Ah! quel bonheur si j'étais roi!

Sous les palais, comme un volcan, La Liberté s'allume et gronde; Ne puis-je trouver en ce monde, Oii les trônes sont à l'encan, Quelque petit trône vacant? Dussé-je, en prince bon apôtre. Caresser le peuple et la loi, Dussé-je régner comme... un autre, Ah! quel bonheur si j'étais roi!

Je le sais, l'Hymen et l'Amour Traitent les rois connne la foule, Et l'on dit qu'à la sainte ampoule. D'âge en âge et cour en cour. diable a joué plus d'un tour;

Mais bi dans les devoirs suprêmes Mon peuple usurpait mon eini)!oi, Du moins il })aîrait les baptêmes : Ali! quel bonheur si j'étais roi!

D'un loi espoir j»' m'enivrais; Mais (iih'l ivvcil ri (picl viu'arin»'! L(^ galop liiiilal d'un gendarme Tout à ((Hip me renverse auprès De l'idcdc (|iit' j'addiiiis. Dans le lnnii»ill(iii de ses ^ardt'>, Klle luil vers le LdiiMc, el moi Je gagne en boilanl les mansardes... Ah! i(ut'l hdidieur si j'étais roi!

MKULI.N l)i: ÏIIKKNN ILM

(''ranyais régénérés de la i^rande semaine. Suivons le déni! uniixcan (|iie la i.ihi'ile mène! l'ille perd cliaiine jniir ses derniers \eleran''. VA, eonmie Niobe, nunrl sur ses lils inonranis..

trO LE MYOSOTIS

HéJas! quand le tribun du peuple et de l'année, Merlin de Thionville est mort, la renommée. Qui suivait à grand bruit le triomphe d'un roi. N'a point jeté les yeux sur cet obscur convoi. Rien ne s'émut autour de cette gloire morte; Quelques rares amis ont seuls formé l'escorte. Et les mille clochers dont il fondait Tairahi Pour voter un budget au peuple souverain. Et les mille canons qu'il pointait aux batailles, N'ont point hurlé dans l'air un glas de funérailles ; Et rien ne rappela qu'il fut un des cent rois Devant qui tous les rois chancelaient à la fuis. Puissant par la parole et puissant par l'audace, H résume en lui seul l'époque à double face Que d'une explosion de gloire deux volcans Éclairaient à la fois, la tribune et les camps. Fallait-il dégrader Dumouriez ou Custines, Rallier au drapeau des légions mutines. Réveiller dans nos rangs la victoire qui dort, Et noyer dans le Rhin les Pharaons du nord? Carnut montrait du doigt la frontière entamée, Et Merlin y tombait pesant comme une armée. Dans leur métier de feu qu'il n'avait point appris, 11 révélait un maître aux généraux surpris; Debout, le sabre en main, sur l'alTùt oratoire.

L E M Y 0 s 0 T 1 s (^1

La veille du combat, décrélail la victoire.

Et, dans les rangs prussiens iilongeant seul bien bouvent.

En rapportait le droit de crier : En avant!

Puis, des bords enllannués du Hiiin ou de la Saïubre,

Quand un coup de tocsin l'appelait à la chambre.

Plus intrépide encor dans un nouveau danger.

Sur l'ardente montagne il revenait siéger.

A ta place, Merlin, la séance est ouverte.

Des triumvirs jaloux onl médité sa perte.

Il regarde pensif les vides (pieu lombanl

Danton et Desmoulins dul laissés sur leur banc;

Mais, nouveau Danioclr^, rciKinvaulc dans rame,

H ne restera [las acciouiii scms la lame.

C.onlre ses ennemis, silnl {[u'ils iiaraitioiit.

Il s'armera du Ter qu'ils prudt'iil >iir miu IViinl;

El, piiisipi'à leius ^riidiiv Tliciiiis |iàle s'esl lue,

Détomiiera mm' eux le Imrs la l"i i|Mi lue,

ll()bes|iierre esl |iuissml. Uobesiiiene a |Minr lui

Des piipies doul l'ecliiir eu \aiii n a jam.u> lui.

Des canous deiuandanl audience a la purle.

Les raubuurgs, une ainn'e el Sainl-Jusll mai> qu imj'orle?

Sa Voix releuliiii, qu'où lapplauilisse ou uou.

Plus liaiil (|ue les laubouriis, Sainl-Jusl el le eauon.

62 LE MYOSOTIS

Le bouillant proconsul^ venu de la Gironde^ Assiège le premier Ja tribune qui gronde. Écoutez!... Oli! jamais^ sur les glacis d'un fort. Les cœurs avant l'assaut n'ont palpité plus fort. Le Sina, d'où tombaient des lois et des tempêtes, La montagne ébranlée a fendu ses deux crêtes. Et les pics fraternels, s'entre- choquant tous deux, Volcanisent le sol, qui palpite autour d'eux. De spectateurs béants la salle est crénelée; Comme un troupeau de loups qui flaire la mêlée, La plèbe anthropophage attend là, pour savoir Quelle chair et quel sang on lui promet ce soir... Mais tout à coup le monstre hésite à s'en repaître : Le lion d'Androclès a reconnu son maître; Les décrets promulgués expirent sous les cris; Des bras nus et sanglants relèvent les proscrits; Par tous ses soupiraux^ le vieil Hôtel de Ville, Haletant, a souftlé la tempête civile, Et sur les quais bruyants oi^i Paris est debout Aux feux de thernndor la séchtion bout. Merhn se lève alors, fier d'un rôle à sa taille; Encor poudreux des camps, il vole à la bataille. H part; les cris de mort ne l'intimident point; 11 plonge dans l'émeute, un pistolet au poing, Devant les conjurés se dresse, loi vivante,

L E M V 0 s 0 T I s ft3

Comme dans un filet,, les prend dans rt'i)ouvanlo, Et, sans qu'ils aient tiré le glaive du fourreau, Les ramasse treniblanls et les jette au bourreau, r/est bien : justice est faile, el, joyeux dnns leur tonijje, Les cordeliers martyrs acceptent l'iiécalouibe. Un nouveau roi déclin lait liomma^je à Samsdu: L;i hache, (prébrécliail une longue moisson, ilimiidc d'un siiii^' pur, diins le sauu esl lavée.

Merlin, repose-loi, la séance est levée!

Kn face d'im tel homme, uhî (piils semhlent petits, (les lé^isliitenis nains dans le ccnlie iiiollis! (les rhéteurs lanfanMis à la voix menaçante, Uni tonnent sans (lan;4er contre rémenle alt-^enle, l'it râlent un Ion:; cri d'é|ionvant(> et de denil. Sitôt (pi'nn lunit snspeci honidoime sur le senil! Si, (lu moins, surgissait dans un coin de leur salle Hn siècle Av^, ^l'anls ipichpn» ombre colossale!... Mais sur nos vieux tribnns, hisloriipies landu'aux. L'oubli pesait axant la [lieire des lond»ean\. (Juand le lion rugit les trois jours dr colère, Sans doute le Nicillard hiMut la nouvelle è|-e. Ml, coinuii' le pays, connue la liluTte. l*our im avenir d"(ir se crut re^su^citi'-.

64 LE MYOSOTIS

Sans doute il espéra que la voix des collèges Aux sénateurs déchus restitCirait leurs sièges. Vain espoir î ce grand nom retentissait trop fort. Peut-être, en l'écartant, la France n'eut pas tort. Quand on eût présenté Merlin de Thionville Comme un épouvantai! à la chambre servile. Quand sur nos girondins le fougueux montagnard Eût lancé sa parole et brandi son poignard. Oh! sans doute, devant cet homme de l'histoire. Reculant de terreur, comme devant Grégoire, Dans les bras de la France ils auraient rejeté Le tribun glorieux de son indignité...

Quoi ! des récits menteurs, que la peur accrédite. Font de l'époque sainte une époque maudite ! Par des auteurs vendus tout royal attentat Est absous et paré du nom de coup d'État, Et pour les nations il n'est point d'indulgence! Après avoir longtemps amassé sa vengeance. Lorsque le peuple-roi se relève, et s'assied Sur les partis vaincus qui le mordent au pied. Il faudrait qu'il n'eût pas de fiel dans les entrailles. Qu'il étoudàt la soif des justes représailles. Et ne réveillât pas contre ses ennemis Le beffroi, chaud encor, des Saints-Barthélemisî

LE MYOSOTIS 65

Pour les Foiiqiiiers royaux l'Iiisloire est sans colères,

Kt ne pardonne pas aux Jeffreys populaires!

Ef quand même ils auraient frappé d'aveugles coups,

Lâches accusateurs, silence! oubliez-vous

Que leur âme de feu purifiait leurs œuvres?

Oui, d'un pied gigantesque écrasant les couleuvres.

Par le fer et la flamme ils voulaient aplanir

l'ne route aux Français vers un ho\ avenir.

Us niarcliairnl pleins de foi, {lieins d'amour, et l'histoire

Absoudra, comme Dieu, (|ui sut aimer et croire.

Sem])lal)les au Mogol, pourvoyeur de vautours.

Oui de crânes humains édiliail des tours,

Au dieu (lu'ils confessaient votant d'horribles fêtes,

Pnui' lui hàlir un leni|»le ils entassaienl les têtes;

VA, (juand il le lalhit, résignés au malheur,

(louroniiaitMit rr-dilict^ en y jtorlant la leur.

Sans doute il leur fallait, d'une main pacillcjne,

Caresser des mt'cliaiits la lace prolirapie,

Au lieu de fatiguer la hache du tn'pas;

(lonnne (Ml nos jours de honte il fallait, n'est-ce pas?

(iaridllei- de rubans, déporter dans les places.

Mes ennemis vaincus (|ui hurlent des menaces,

Fl, plutôt ipi'un mandat, jeter un passe-port

A ces preux chevaliers galopant vers le nord.

Uni. pour tailler en liefs la Kranc(> di'coujiee,

i.

66 LE MYOSOTIS

Aux sabres des uhlans aiguisaient leur épée... Eh bien ! moi, je vous dis que leur pied trop clément Sur l'hydre féodale a pesé mollement; Car elle siffle encor, car le monstre vivace, Des qu'ils furent passés, a bondi sur leur trace; Ils n'ont régné qu'un jour, et quand, le lendemain. Sur la couronne à terre un Cromwell mit la main, Pour son infâme Rump il sut trouver des membres, Repeupla, d'un coup d'œil, les vieilles antichambres, Et fit dans le château surgir, on ne sait d'où. Les mannequins vivants balayés le dix août.

A l'anathème, un jour, substituant l'éloge.

On fera de leurs noms un saint martyrologe ;

Un jour on votera des honneurs immortels

A leurs tombeaux maudits transformés en autels.

Mais nous, dont le cœur chaud repousse un froid système.

Nous, peuple, qui voulons la liberté quand même,

Devançons l'avenir, et d'un pieux accueil

Honorons ces proscrits, au moins dans le cercueil.

Qu'en guise de cyprès, le chêne populaire

Prodigue à leur sommeil son ombre séculaire!

Décoré de leurs noms, pavoisé de drapeaux.

L'arbre poussera bien dans le champ du repos;

Car du tronc à la tige une chaude poussière

L E M Y 0 s 0 T I s 67

Circulera chanfiéo on sève nourricière;

Dan^ chacun des rameaux qui frissoniioiit an vent

Nos (ils vénéreront un ancctre vivant,

Kt le soir, allontifs au conseil que leur iloinic

I 11 jiioplièto semblable à celui de Dodone,

Alix jours de grande alarme ils diront à f^enoux :

Mânes de nos aïeux, (pie l'aire? iiispirez-nous!...

A l\l. C. OPOIX, DK PROVINS

K X - r. 0 N V K N T I O N N K I,

\y jmi'te aux dt''l»ris vtnia loujdurs nu eiilli' :

Pour uii(> âme ivveusc ils oui iiii cliariut' omdle.

l/ima^inaliou fii l'ail sortir drs voix

Oui parlriil ;mx vivaiils des choses d'aulrefois,

l',l le veis iM»ii»(' hicii, ('(iiiimi' la ^ironct>,

Alix ei('\asN(>s diMi mur, au iiii'ii dim iiiausolt'c.

Oh! rouvrir sous mes pas.au descrl d'Oricul,

l.i's Iracesdc l5Nrou t't do (.haleauhiiaud ;

llespinu', aceoiiiit' sur un Iroue do eolouuo.

I,a poussièro ipii lui l'aliiiMc ou rv;ih\|iiiii' .

68 LE MYOSOTTS

Quel bonheur ! mais, hélas ! c'est un rêve : le sort

A de sa main de fer encloué mon essor.

Et, comme le chevreau captif au pied d'un chêne.

Pour brouter quelques fleurs, je tiraille ma chaîne.

Du sol natal au moins j'exploite les trésors.

Et que me servirait d'aller, de bords en bords ,

Évoquer du tombeau quelque nation morte?

Une grande ruine est debout à ma porte.

Oui, venez parmi nous, curieux pèlerins.

Dont la voile frissonne à tous les vents marins.

Des voyageurs ont dit que dans sa vieille enceinte

Provins rappelle aux yeux Jérusalem la sainte.

Voilà pourquoi sans doute, infidèle au Jourdain,

La fleur qu'y moissonna le comte paladin.

Cessant de grelotter loin du soleil d'Asie,

Comme au fleuve natal se mire à la Voulzie.

Là, quand le vent du soir gémit, on croit encor

Sur quelque pont-levis ouïr le son du cor,

Ou descendre, furtifs, des créneaux dans les plaines.

Les appels amoureux des dames châtelaines;

Là, quand dans les roseaux il chante comme un luth,

Le passant rêve et dit : Comte Thibaut, salut!

Et, si vous ignorez quel savant artifice

Des temps qui ne sont plus restaure l'édifice,

Vous interrogerez l'ermite qui, souvent.

LE MYOSOTIS (H>

A travers ces débris erre, (lt''I)ris viviiiil.

Commo Cluimpollioii an pays des califes,

Il vous oxpliiiucra de vieux hiéro^ly[>lios.

Et la baguetlo il'or de ce maf^icien

l'Aliumera pour vous l'Agendicum aucien.

Hegardez : il chancelle en foulant des décombres,

Cet homme séculaire, ombre parmi les ombres;

Le bâton, qui soutient ses pas mal assurés,

Frap|)e au séjour des morts, coniinc pour dire : Ouvrez!

SiU' son front chauve, Mina blanc de neige et (pii brûle.

De (piatre-vingls hivers le fardeau s'accimnde;

Mais, cpiand rncnie la fondic on les vents pluvieux

Dégraderaient encore cr nioiuinicnt si vieux,

Ou;uid il ne resterait de cet homme débile

(Ju'ini son dans l'air; semblable à rauTnpie ^ihvlle,

(di! celte voix sérail un itracle |tour nous.

Nous en recueillei-joiis la itarole à genoux;

(!ar aux jeinies croyants tpi'atlire rerniita^e

l'!ll(i n'|)i'leiait (sublime radotage!)

(les mots (pii dans les C(eins bn'danls de pnberli'

Ne toud)enl jamais froids : Vnfiii' rt Lil>n(r !

La sainte l.ibeile, naissante an Jen de paume.

Connue Ciiicinnalns. Peideva sons le cliamne.

Certes, ce n"elaienl pas ;ilois de vils crétins

Uni de la noble l'iance agitaient 1(>n desiinv.

70 LE MYOSOTIS

Des écoliers barbons^ tremblants sous la férule, Automates mouvants sur la chaise curule, Bétail que le pouvoir engraisse de ses dons, Bâillonne d'un frein d'or et sangle de cordons; Alors les députés haranguaient les tempêtes, Ballottaient au scrutin leurs boules et leurs têtes; Le bourreau ramassait tous les partis tombants, La mort à plein sillon fauchait entre les bancs, Le tocsin dans la Chambre étouffait la sonnette, Et rémeute y frappait à coups de baïonnette... Eh bien ! s'enveloppant d'un héroïsme obscur, De l'époque sanglante il sortit le front pur; Il osa pour Capet armer sa boule blanche, Au pied de la Montagne affronter l'avalanche. Et, bravant du malheur le contact dangereux, Coudoyer sans pâlir les girondins lépreux... Que sont-ils devenus, ces hommes consulaires? Ceux qu'on n'a point jetés aux lions populaires Ont traîné dans l'exil leurs destins ignorés. Et la terre d'exil les a tous dévorés. Si de la France un jour l'idolâtrie avide Revendiquait leurs os pour le Panthéon vide, Dans un large sillon, creusé du sud au nord. Il nous faudrait glaner sur les pas de la Mort, Et, labourant le sol de chaque cimetière.

L !•: An 0 s U T 1 s

CoiiiiiK' iiiitî J(»sai)lial loiiillcr rii;uro[tc eiiliciv. En vain la Liberté, renaissaule aux trois jours, llappelu ces proscrits : hélas I les morts sont sourds!

Lui (lu nioius nous rcsia : la vicillL' dynastie N'atteignit pas son IVonl des coups' de l'anniistie. Connue l'italieu, harcelé de héros, (Jui, dans un lein|ile ouvert, se sauve des hoiureaux. Le vieillard; poursuivi par Tarlide et Hasile, S'enfuit vers Ir l'amasse, en s'éeiianl : Asile! Mais, dé(lai;«'u»'ii\ du iiiondr ri de ses lauriers \aiu>, (loniiue Mil linceul pit-cocc il ic\cli( Provins; Lt l'aiule, i|ui peul-clie eùl (K'Noré l'espace. Se lapil, \er olisciir, &i\\\> celle cininnicc. C'est le iiiatiicicii dr nos hois encli;inlcs. I,e l'anloine iddeur de nos di'luis llanlé^; Il ordonna Ircnic an> ce Innclirc niu>ée, Trenle an> é|ionsN('la cliat|nc iicinluic usée, Ll \ien\, pour reconi|ien>e il ne deniaudii iien. liien, <|ue l'Iionnenr olisein' d Cn nionrir le ^ardn-n. hu liaul de nos leniparis. philosophe shiile, IMananI sur le champ clos (»n Ijjnope indile. Il \oil, depuis (|uin/.e ans, \o\.iuer Innr .i Inni Les iMinihttns hi^^ilils, les Honrhons de reionr. i;i, del(»innanl l'oreille au luuil de leur passuf:»»,

72 LE MYUSUTIS

Il dort, enveloppé dans le manteau du sage.

Nul rayon de faveur sur ses vieux jours n'a lui;

Les rois (se souvenant!) reculaient devant lui.

Quand juillet s'alluma, du moins on pouvait croire

Qu'il se réchaufferait à ce soleil de gloire.

Qu'une langue de feu Tirait chercher; mais non :

Rien aux puissants du jour ne révéla son nom.

Et seule, quand il pleut tant de croix dans l'ornière,

La rose de Provins brille à sa boutonnière.

Que dis-je? son pays renia ses travaux;

11 lui fallut subir d'ironiques bravos,

L'outrage médité, l'insulte irréfléchie.

Essuyer des crachats sur sa barbe blanchie.

Et passer, sous les yeux des pharisiens jaloux.

Vêtu, comme le Christ, de la robe des fous.

11 dut se rappeler, dans ces jours d'amertume.

Que de vieillards, sans foi dans leur gloire posthume.

De l'âge et du malheur ont cunmlé le faix.

Et recueilli l'injure en semant des bienfaits :

Dante a bu lentement une agonie amère.

Et des chiens ont bavé sur les haillons d'Homère!

Dors en paix maintenant, Nestor des Provinois, Je veille à ton repos, comme l'enfant chinois. Dont l'éventail défend la tête paternelle

LE MYOSOTIS 73

Du luouclieruii «jui peut rerileurer df buii aile;

Je ne traliquc pas d'un hommage vendu :

Mon lulli aux lambris d'or ne fut jamais pendu :

Mais si, montrant du doigt le Iront nu d'Elisée.

On l'insultait encor d'une lâche risée,

Oh ! mon vers gronderait, semblable à l'ours vengeur

Qui, s'élançant des buis vers le saint voyageur,

Dispersa, déchira sou escorte insolente,

Kt lui lécha les pieds de sa fiueule sanglante...

le ne te connais pas; d«»s accents de la voix

Mon oreille est encor vierge; mais (pie de lois.

Dans la bruyante rue on dans la solilud»-,

J'ai suivi ton pas lent avec sollicitude!

J'aurais voulu pour loi ramollir le clicmiu;

El ma main s'égarail, prèle à saisir la niaiu;

J'épiais siu' ta bouche un sourire prospère,

Kt la miemu* s'ouvrait jMiur te dire . Mou père...

VA puis, je veu\ seuirr aliu de recueillir :

Moi, liévreux de jnuiesse, il luc l'iiudra vieillir;

l/liuile, nu jour, dnil luiuupu'r :i ma Nrillr ;i»i(lu«>;

Le Ncut emporleia ma pamlc perdue;

Mais (piaiiil, (lé>eiir|i;ml(« de mes rêves (Teuraid,

l/oultli m'auia cdUNerl d'uu linceul éloulVaul;

Ouaud mes coucitoNeiis, eu me \o\aul paraiire.

Se diront : ()uv\ es|-il? et pa»ei(>ul; peul-èire

74 LE MYOSOTIS

De la sainte vieillesse un poëte amoureux Les fera souvenir que j'ai chanté pour eux, Réjouira mon cœur d'une parole amie^ Versera des parfums sur ma gloire momie. Et, payant au rimeur la dette du savant, De funèbres lauriers m'embaumera vivant.

LE POETE EN PROVINCE

Le moi présomptueux de Montaigne et de Sterne Est mal reçu, venant d'un auteur subalterne ; Mais comme un premier-né, Diogène m'est cher; Je ne distingue pas mon œuvre de ma chair, Et je dois me laver des reproches qu'on lance Tantôt à mes discours, tantôt à mon silence; Sur des abus flagrants, dit-on, je me suis tu^ J'ai porté des défis et n'ai point combattu; Puis, j'avais annoncé qu'en un large domaine Mon Pégase ouvrirait un sillon par semaine; Je n'ai pas su tenir ce que je promettais. Et mon jeune crédit mourra sous les protêts...

Lt MYUSUTIS 75

Hélus! j'ai préludé sous de riants auspices;

Tout semblait à uiuii vol olVrir des cieux propices;

Ceux même qu'autrefois, dans ma {^aîté sans frein,

J'avais égratignés d'un insolent refrain.

Oui, tuteurs généreux de ma muse inconnue.

Prèle des ailes d'or à son épaule nue;

La voix, <ii(i )n'a troublé lorsque je sommdllais.

Applaudit ma satire à ses premiers feuillets.

A vous, braves amis dont le bravo m'accueille,

Quand ni<»n poème au vent s'en allait feuille à feuille;

A vous, dont la pilié récliaulïa ilans son sein

Ces passereaux frileux effarés par essaim,

Honneur! honneur >inl(»iil ;i ces ànies fer\enles,

Dans notre Béotie antithèses vivantes,

(Jiii <le leurs conseils d'or inOid paNe le tribut;

Honneur à vous, C***, M*** et C***!

Je suis las de ciimpir sur Notre h-rriluire.

De pi'odij^ner des chanl> (|ui n'ont point d auditoire î

Je l>ars, et de ces hoiiU, ipp- je cro\;n>« amis,

Je secoue, en luviuit, la poudre et les foiuini^;

Je piirs, ni'iis >;nis iidieu : mii satire allumée

Iji ( in(| explorions ne ^'e>t pa> eon^^unn'e;

Je pour>uiNrai suis peur mon lole jusqu'au bout :

I,e Ihéàlre a crouh', mais l'aeleur e^t delmul.

r.it'aneiers de mes xers; poiii' a('t|niller ma délie

76 LE MYOSUTIS

Je serais s'il le faut, et manœuvre et puëte ; De l'art et du travail cumulant les eimuis^ Je sûrai le matin sur l'œuvre de mes nuits..,

Vous dont j'entends gronder le bruyant anatlièiiie, Savez-vous bien (hélas ! je l'ignorais moi-même !j Savez-vous quel fardeau je m'étais imposé? Quel miracle inouï je rêvais, quand j'osai En forme d'Hélicon tailler notre montagne. Et dire fiât lux aux brouillards de Champagne? Comme le voyageur dans son nautique essor. Baptisant de son nom une île vierge encor. Insensé, j'avais cru, Cook de la poésie, Conquérir le premier les bords de la Voulzie ; 0 mes concitoyens, pardonnez! je le vois. Vos gloires pour fleurir n'attendaient pas ma voix. Heureux pays! ton sol fourmille d'Aristarques; Tes Solons inconnus attendent des Plutarques ; Rivaux des troubadours qui t'illustraient jadis, Tes nouveaux lauréats, grands hommes inédits. De l'ombre d'un bureau, du fond d'une boutique ;, Régnent sur les beaux-arts et sur la politique. Et l'on ne peut toucher à ce double terrain Sans attenter aux droits d'un orgueil suzerain.

LE MYOSOTIS 77

Poëte infortuné, sous ta plumo prufUMito,

En vain tu retiendras l'épigramme pendante ;

A chaque livraison un jury menaçant

Donnera la torture au poëme innocent :

11 flairera partout des délits et des crimes,

Ainsi qu'iui or suspect contrôlera tes rimes,

VA les fera sonner leur à lour, à dessein

D'en lirer (|url(jii(' i)ruit ressemblant an locsin.

Ou monlrera du (loiizt à la tonle. i;.'n(tnuitc

L'injure personnelle, à cIkkhic mol flagrante.

Tu m.igislrat, dit-on, par l'un (>sl hafoué;

L'autre IVapp»' im notaire, et l'autre un avoué;

I/autre un bourgeois du lieu, colossal d'importance. Dont loi scnl n'avais pas soupçoiiiK' rcxisteiice. Lances-tu des cailloux aux (loliatlis des cours! Sur (picl(pic IVoul obscur ils ricochent toujours. A la lace des rois, jcllcs-lu Ar la bouc? lu maire cl deux adjoiuls vmil s'essuver la joue; l'',l des ollicieux, eu ;_'riuiacaul l'iMYroi, Te paileroiil tout bas du procureiu" du roi... |)oiiiies-lu (iuel(|ues pleurs à Ion noble Mécène, honl l'exil iniprcNu (il inuruuirer la Seine? L'iK'Uiislicbe. à Midun, se glissant pai hasard, Khunbloie aux murs dore^ d'ini p«>tit JtalthaNar. I.l. des ju^'e< tardifs excilanl les enquêtes.

78 LE MYOSOTIS

Le proconsul jaloux veut te livrer aux bêtes; As-tu blessé l'orgueil d'un bel esprit mutin? Pour sauver ton repos, fuis, ou, quelque matin. Pâle encor d'une veille, il faudra que tu coures Brûler au nez d'un fat tes vers cbangés en bourres...

Hélas! c'est mou bistoire... Eb bien! à vous aussi, Zoïles spadassins, je répondrai : merci! Vous avez retrempé mon cœur dans l'amertume; Le fiel dont il est plein déborde sous ma plume. Pourtant, dormez en paix : de mon brûlant coiutoux Je n'égarerai point un seul éclair sur vous; Je ne vous rendrai pas outrage pour outrage, Car vos bourdonnements ne sont pas un orage. Vous ne méritez pas que l'on vous crache un vers. Et d'un large mépris je vous ai tous couverts. Pour la prostituer, j'estime trop ma haine; L'ouragan, dont le vol courbe l'orgueil du chêne, Dédaigne d'effleurer l'insolent végétal. Qui se carre au soleil sur le fumier natal. Pour cible hebdomadaire, à mes coups polémiques. Je veux des fats titrés, des sots académiques, Je veux des ennemis que je puisse, en chemin. Écarter d'un soufflet sans me salir la main. Venez, gens du pouvoir, dans son nouveau refuge,

LI-: MYOSOTIS 7H

Kelanccr et. traquer l'insolent qui vous juj^e.

Comme un épouvantail dressez-vous devant moi!

Je suis plus fort (\\u\ vous, c'est pour vous qu'est l'elTroi.

Qu'importe qu'on m'enlève une presse, qu'importe

Que riiospitalité ferme sur moi sa porte;

Qu'inijtorlc, pour s'asseoir, au poëte rêvant,

La chaise du foyer ou lii borne en plein vent !

Quand il s<» iVolle au peuple, un contact électriipie

Fait jaillir de son sein la llamme satirique.

Je ne m'inspire pas sur des coussins moelleux,

Je liens mal une iilnnie entre mes doifits calleux;

Je n'écris pas, je rliaiile, cl. Minerve nouvelle.

Ma satire s'élance en bloc de ma cervelle.

Qu'on m'encliainc, ma voix est liiire, c'est assez;

Oui, lanl (|u'oii n'osera, f(»nnne aux siècles passés,

Par le fer cl la llaunne éloulVer le blasphème.

Il landra (pi'on ineiileiule; et, diissi'-je luoi-nièine

Quêler des auditeurs, comme ces lroubadoui"s

Dont roiuue savoyard nasille aux canelours,

.ranieiilerai le pciqtle à mes vérit«'S crues.

Je pnqihéliserai sur le trépied des rues...

('.ha(|iie iniir, placardt' d'iiii vers n'>publieaiii.

.StM'a poiii- uu'< la/./i^ le socle de Pasquin.

f^O LE MYOSOTTS

A HENRI Y

Henri Cinq! à ce nom n'augurez point d'outrage Pour l'héritier des lis, emporté par l'orage. l'on salue un roi, je ne vois qu'un enfant, Et respecte le front que sa candeur défend. Pourquoi te maudirai-je? infortuné! sans doute, Tu hais la royauté plus qu'on ne la redoute; Je garde ma colère à tes bourreaux, à ceux Qui stimulent pour toi l'avenir paresseux. Et qui, pour t' ajuster à la robe virile. T'imposent un effort douloureux et stérile. Les cruels t'ont volé ton âge d'or! ils ont Imprimé sur le tien les soucis de leur front; Te versant goutte à goutte une espérance acide, ils consomment dans l'ombre un long infanticide. Ah! maudit soit le jour, Paris étonné Comme un présent d'enfer accepta Bieudonnél Hélas ! quand les valets du trône héréditaire De l'auguste naissance adoraient le mystère, Quand le canon hurlait l'avis officiel,

LR MYOSOTIS 81

Par pitié pour la France et pour toi, plût au riel Onun boliémien, fouillant dans ton berceau de fête, Au l)apteme royal eût dérobé ta tête! Tu pourniis aiijounVbui danser sous tes haillons, La chevelure au vont, courir les papillons, Moissonner, à pleins bras, les campagnes fleuries, Écloses sans parfum sur tes tapisseries, l'I l'eudormir à l'aise aux portes du palais Oui fait peser sur toi ses murs et ses valets. Ivre (le joie et d'air, riclie d'un ImkIj-M'I mine»». Tu vivrais mendiant, toi (jni véfiètes prince. hit'M iK^ l'a pas voidu ' siw des panjut'ts luisants. Tu licnrtes les j^enoux au front ih'^ courtisans, VA les ambassadeurs, (pTun Iniissicr te iiréscMitc, lirisent les hoclicis d'or dans Icnr marcin» pi^sanle. Piiisses-tn sMccomluM" à cfl ennui profond! Car l'avenir ponr loi s'ouvre noir et sans fond, Car les perst'cntenrs font briller sur la tèti^ Un joyan, dont l'aimant allire la tempête... Ta raison, disent-ils, a nniri prnmplement, Tn lis (ioMbe et Sebiller sur le texte allemand; l'di bien! tn comprendras mon arrêt jHoplietitpie, KnfanI ! si (piebiue joni' la elianee poliliipie Te renvoyait an trône, et courbait son< ta Itii l'n |teuple frtMnissanl (pii ne veut pa^ de loi :

l).

82 LE MYOSOTIS

Si lu (levais un jour (ce qu'au destin ne plaise !) Allonger d'un Bourbon la chronique française, Une émeute sans fin bourdonnerait dans l'air. Et livrerait Paris aux brigands de Schiller. Pour chasser les démons ardents à ta poursuite, Tu t'armerais en vain d'un aumônier jésuite ; Tu flairerais de loin chaque placet, de peur Que son pli n'exhalât une horrible vapeur; Sand heurterait encore au seuil des ministères, Staabs irait troubler tes fêtes militaires; I.ouvel de son tombeau sortirait furibond; Son vivace poignard a soif du sang Bourbon.

Mais ne te flatte pas même d'un jour prospère; Tu ne dois pas mourir de la mort de ton père; Et, si tu te mêlais à des brigands bénis. On creuserait ta fosse ailleurs qu'à Saint-Denis. Miraculeux sauveur, n'écoute pas les mages, Dont ta crèche dorée attire les hommages : On dit que, pour tenter l'Achille de treize ans. Ils glissent une épée à travers leurs présents. Ah! si par leurs conseils ta jeunesse est trompée. Malheur! car nous aussi nous t'ofl'rons une épée; Mais, sentant à la fin notre clémence à bout. Nous te la présentons par la pointe, et debout!...

LE MYOSOTIS 83

Et qu'as-tu pour appui? Quelquns Ivlos ridées,

Dont les cheveux de neige ont glacé les idées.

Des menins du régent, des docteurs es l)Iasou,

Imbéciles Calebs de ta vieille maison,

Dont le sang, rare et froid, se figeant sous hi liii(ln%

A la main du bourreau ne ferait point de tache,

Parmi ces noms obscurs, il en est un brillant,

Un que nous t'envions, un seul : Chateaubriand !

Mais, sur les l;iuriers veris qui lornient son trophée,

Pâle tige (le lis, eu viiin il l'a grefl'ée.

Son génie est puissant cl nous le délions;

Hélas! il est passé le temps des Anq)liions...

Sur les palais détruits, ses pleurs et ses prières.

Abondants, (ml coidé sans émouvoir les jiierres.

INtnr écuiitcr ce |nvlrr aux cIkuiIs iiK'IodiruN,

Nous voyons trop les vers ipii nmticiil ses liiiix dii'ii\.

Sa voix, loisipi'à l:i ciiiisc il jmmiik'I I;i vitloire.

Pitiir i;i pit'iniric lois se jicrd s;ms aiidilniit';

Kl, (Lilis s;i l(i\;iiilt'' de clirviiruT cliit'i itMi.

Il perd son Mvciiir siiiis rf^liiiircr le lien.

his donc à <•<' vieillard, piiisipril daigne ^f nn'llrc

Aux ficiionx d'un tMilaiil qu'il appelle son niaili-e.

Dis-lui de lefiiser aux profanes débals

Des mois (pli ne son! point la lanuue d'ici-bas;

De se jvfiiuier an monde (pTil s)> crée.

84 L E M Y 0 S 0 T 1 S

Et de ne point offrir une tête sacrée

la vieillesse pèse, tant de gloire a lui.

Au glaive que la loi craint d'égarer sur lui.

Quant aux preux chevaliers que ton exil attire.

Qui vont, gras et vermeils de trois ans de martyre,

Prosterner à tes pieds leur dévoûment profond,

Pour hâter ton retour, sais-tu bien ce qu'ils font?

Ils élèvent au ciel leurs mains et leurs prières,

Attisent de soupirs des feux incendiaires;

Comme le peuple juif, dans un heu souterrain,

Aux profanes regards cachant leur sanhédrin.

Avides du grand jour qui ne doit jamais naître.

Quand la tempête gronde, ils ouvrent leur fenêtre.

Poussent un cri de joie, et regardent en l'air

Si l'envoyé du ciel tombe dans un éclair.

Je me trompe : aux grands jours, la basilique ouverte

Nous lâche, pour défi, sa procession verte,

Et, quand la nuit est sombre, un marguillier tremblant

A son clocher honteux arbore un haillon blanc.

Ton nom remue encore, au fond des sacristies,

Des fous que nos dédains ont couverts d'amnisties,

Et ces Bretons, marqués du type originel.

Suçant l'horreur des bleus sur le sein maternel.

Bétail aveugle et sourd qu'un Gondi populaire

Fouette vers rabatteur à coups de scapiilaire.

\. ]■] MYOSOTIS .*^5

Mais, chaquo jour, pâlit leur fanatique instinct; Le grand buisson ardent de lui-même s'éteint. Tu seras homme à peine, et déjà l'Armorique Ne verra plus en toi qu'un fantôme historique. Si lu parais alors, si quelque Ilot marin Jette sur les récifs l'élève de Tharin, Les pêcheurs, oublieux d'iuiç épo([uc eiïacée. Demanderont d'où vient l'étrange cétacée, VA, connue les débris d'un navire lépreux, (lonniic les os (Tini plioipie anonyme pour eux. Repousseront du pied, à la mer (|ui l'apporte. Le cadîivre (lottani de la royauté morte. Si ton clan vagabond, pour vaincre sans danger. Se glissait dans nos ports derrière l'étranger, La terre de l'ouest, giasse de funérailh^s, \\\\ français nMiégats ouvrirait ses entrailles; A Tapitel de Sinon, les ennemis venns heeideraienl (rellVoi devant ces bords connns, Car ils verraient iMicore ini linceid d'aligné verte Honler des (»s hlancliis sur la pla;^e diserte, l'ît le Hot pro|ili(''li(|ne, an\ conps de l'aviron, Hépondiail I II gidiidanl : (,Miibeidii ! O'dberoii!

l'.coute, cepiMidant : (piaiid lu pleures la France. Si le mal dn pavs es! la seule sniilTiance,

86 LE MYOSOTIS

Si l'exil t'est mortel, espère ; mais attends

Que les nouveaux Bourbons aient achevé leur temps.

Un règne à l'agonie aurait peur d'un fantôme,

Un trône chancelant craint le choc d'un atome ;

Ta légitimité doit effrayer la leur,

Mais tu n'es rien pour nous, que faiblesse et malheur.

Phis radieux après une éclipse totale.

Quand juillet brillera sur notre capitale.

Fuis ta prison dorée, et viens, sans appareil.

Libre et seul, refleurir à ton premier soleil.

Nous aurons oublié quel fut ton apanage,

Nous fermerons les yeux sur ton pèlerinage ;

Viens : nous te promettons un spectacle inouï.

Dont les fêtes des rois ne t'ont point ébloui.

Alors quelque David, aux dessins gigantesques.

Prenant le Champ de Mars pour toile de ses fresques,

Devant la Liberté fera mouvoir les chœurs

Des citoyens joyeux et des guerriers vainqueurs.

Qui sait? le tourbillon de cette farandole

T'entraînera peut-être aux pieds de notre idole ;

La voix du sang français, dans ton cœur enfantin,

Étouffera la voix du sang napolitain,

VA, fier de partager notre gloire future.

Tu solliciteras des lettres de roture.

Alors, si des bivouacs fument à l'horizon,

I. K M Y 0 s 0 T 1 s Hl

Soldat, va «'onquérir un liiiiricr [loiir Idiisou, Et, commo Ivanhoë Irtinsfiii^c do SolyniP, Élonnaiil son pays d'un coiirapo anonyme, Dans le tournoi sanglîint (ju^nivrc la Liberté, Fais dire aux spécial eiirs : filoire nu (Uahéritpl

Oui, confonds pour jamais ton avenir an iiôlre,

Sois vraimenl fih de France , el jilùl an cifl (pie rinilrr...

L'autre orphelin, débris d'nn empire pins ix-an.

Pût revenir aussi de Texil dn lonilieanl...

Mais (pic seil (rcinbrasstT nne vaine cliinière? Ils sont perdus Ittus deux pour la France, leur mère. Dans la grande cité (pii leur donna son iail. Ma pitié caressante en vain les rappelait : L'un ne peut soulever la pierre si'pniciaie. L'autre, ininnui' vivant dan^ sa pourpic royale, (irelolle cfiiniHc lui sitns l(>s brouillarils du nord. Je p;u"lais à deux som-iis ; rét.'oï»snit' cl la mort.

88 LE MYOSOTIS

L'APPARITTON

0 vous ! qui, recueillant ma première parole.

Au ménestrel quêteur glissâtes votre obole.

Je vous devais un hymne, et je soupire un lai ;

Au poëte insolvable accordez un délai.

J'ai promis d'exploiter les trésors de nos fastes;

A tous nos jours de gloire, à tous nos jours néfastes,

J'ai promis un salut, et ma voix sommeillait

Quand celle du canon cria : Vingt-neuf Juillet.

La rime, dont Boileau se plaignait à Molière,

Regimbe quelquefois sous ma plume écolière;

Il est de ces moments de fatigue et d'ennuis

l'on dort, enfumé par la lampe des nuits.

le front soucieux est labouré de rides.

Sans qu'il fleurisse un vers dans leurs sillons arides.

Pour déranger le vol des habitants de l'air,

11 ne faut qu'un atome ; or, il advint qu'hier,

Mon sylphe pèlerin, dansant autour du globe,

S'égara par hasard dans les plis d'une robe.

L E M Y 0 s 0 T 1 s 89

Et depuis, loin du jour, formant ses ailes d'or,

Dans ce filet de soie il se berce et s'endort.

Et pourtant, je rêvais à co plan d'épopée,

Le plus large de ceux qu'on taille à coups d'épée ;

Je voulais étourdir sur les chagrins présents,

Les Français, à ma voix rajeunis de trois ans ;

dalvaniser, armer pour leur œuvre qui tombe,

Ces morts (|u'im deuil railleur insulte dans loin- Um\\)o ;

Ce peuple qui, sur Vor jonché devant ses pas,

Vainqueur, marchait pieds nus, et ne se baissait pas :

Et ces adolescents déjà mûrs poiu* la ^Moire,

Déjà tiers de mourir, t>t (pii ne pouvaient croire,

Hélas! (pi'ils s»» livraient en pâture aux canons

Pour C()nf|uérir des mots et détrôner des noms;

Et puis, j'aurais fouetté d'ardentes philippicpies

Les Thersites fuyards de nos (•onil)ats éiM(|iies,

Spectateiu's iiniiciial.inls (|ni, de leiii- italcon d'or.

Applaudissaient Paris coiiinie un lon-ador;

Oui, le diaine aciievt', lonilièreiil de leur loi;e

Pour s'inscrire vivants sur un niarlvroloL'e,

S'enivrer an banquet dressé pour les vaincpuMirs.

VA. rougir d(» cordons leurs jioilrint's sans (MPurs.

Je marchais : les ravons qui bn'daienl nie^ jtanpières, (lonnne des dianianis l'aisaienl brilliM' les |»iene«s.

90 LE MYOSOTIS

Et je me rappelais qu'aux Trois-Jours le soleil Sur les dalles du Louvre étincelait pareil. J'explorais du regard les maisons pavoisées De bannières au vent, de femmes aux croisées : Errant de groupe en groupe, avec des yeux ravis, Je m'arrêtai soudain, car je vis... oh! je vis Une de ces beautés qu'entre mille on rencontre, Que le ciel ironique un seul instant nous montre, Frais mirage qui glisse aux yeux du pèlerin Dans un désert brûlant et sous un ciel d'airain, Types de la peinture et de la statuaire. Si pures que leur toit devient un sanctuaire. Si belles qu'un cœur mort s'épanouit auprès. Et qu'en se rappelant, un demi-siècle après, Cette femme sans nom qu'on n'a plus retrouvée, On se dit : L'ai-je vue ou bien Tai-je rêvée? L'étendard, agitant son ombre sur le sol. Nous éventait tous deux de son frais parasol ; Mais, rouge de pudeur, la figure charmante S'abrita sous ses plis, comme sous une mante. Immobile à la place oi^i son œil me troubla, Je répétai longtemps encore : Elle était ! Et cependant la foule inondait l'avenue... Je tressaillis, touché par une main connue, El la voix d'un ami : Par Apollon, mon cher.

LE MYOSOTIS 9i

Qiiello rime, béani, flaires-fu (kmc Anu^ l'air?

Dans mon obscur Éden pourlant j'avais une Eve

(jue je m'étais créée et, (jue j'aimais eu r^ve.

Pour essuyer des pleurs, le succube ciirri

[nclinait, sur mes yeux ses yeux bleus île pf'ri.

Ses baisers enivraient mes lèvres altérées.

Mes (loif^ls vierges palpaient ses loiiues étbérées:

Je m'élançais la nuit, euiportt' dans ses bras.

Vers un monde id(''al i>arsemé d'Alliambras,

VA lorsque, fatigués de leurs mélamorpboses.

Les Sylpbes V(mt dormir dans le liiimac des roM's ;

A ce soir, disait-il imi fuyaid ; cl le xtii-.

Sur mes ^enoiix tiicnrc il levt'Uiiil siisscdii-.

De ma bhinclic sliduf, ici-bas s;uis modelé,

Je fus lonj^lciiips IV-poux cl le pivlic lidcle;

Mais je l'iii vue, ô loi dont jijjuoi-c le nom.

Je r.ii vue, et, soudain, iionicux ry^malion,

T'iuau}4uranl d/'cssc en mon âme «'\all»''e.

J'ai sur sou pii'dcsial bris»' ma (ialalt-c;

Toulrc mi doux souvenir jai lulli', mai^ en vain :

l/an^e a ployé Jacob sons >ou i^cnou divin.

Patriole> marlyrs, pardonne/.... Mais, (pie «lis-je?... Uuelie l«''le brûlante est pure de Ncrli^e?

92 LE MYOSOTIS

Ceux que j'ai vus passer sur le fatal brancard.

Que mes pleurs ont bénis clans leur fosse à l'écart.

Quand ils tombaient aux pieds des Suisses victimaires,

Soupiraient d'autres noms que le nom de leurs mères.

En donnant des baisers à des cadavres saints,

Le peuple fossoyeur découvrait sur leurs seins

Des boucles de cheveux, odorantes encore,

Scapulaires d'amour qu'à vingt ans l'on adore.

Les tribuns précurseurs, dont le nom nous est cher,

Dans leur forte poitrine avaient un cœur de chair :

Danton, l'ours montagnard, souffrant qu'on le muselle,

Grognait d'amour, charmé par des yeux de gazelle ;

Louvet, dans les déserts la loi le traqua,

Comme la liberté pleurait Lodoïska;

Un ange blond veillait au chevet de Camille;

Vergniaud, pour parer un sein de jeune fille.

Condamné, détachait de son sein de martyr

La montre qui tintait le moment de partir ;

Et quand Chénier frappait sa tête volcanique,

Que livrait à la hache un tribunal inique.

Sentant battre son cœur qu'une image brûla,

11 pouvait dire aussi : « J'ai quelque chose là. »

Et nous prétendrions, nous, enfants que nous sommes. Marcher droit dans la route chancelaient des hommes!

1. h: M Y 0 s U T 1 b 93

Oh ! nous pouvons conniK; (3ux unir avec lierté Au culte de l'honneur celui de la beauté. Grâce à ton souvenir, toi que j'ai vue écloie Au soleil de juillet, sous un [ili tricolore, Avec plus de ferveur mes hymnes saliiront L'étendard amoureux (jui caressa ton Iront, Et je me souviendrai, si son vul me réclame, Uue ces nobles couleurs sont celles de ma ilame...

Mais, paladin rêveur, mou cultes e\trava{^aul N'aura pas eoïKpiis lunnc un baiser sur le j^ant : Connue dans un liarein, captive au {gynécée. Nul souflle ne Icrnit sa limi)ide pensée; Dans les sentiers cunniis on ne la froisse pa>. Le f;rand air e>l trop nII poiu' ses t'iilciK appa^, Ainsi, dans nos vallons la rose orieiilale, Que Thibaut transplanta de la rive natale, S'cxilanl à l'écart, semble dire à ikis ILmus : l'aies lilles du N(tid, vous n'èlo pas nii's Meni>>. Si la presse demain, bruyante enlienietteoM', î.ni {glisse, buinide enciir, mon cpitre llatteuse, Hélas! connue au liasard, sa main lioidtMtUNrira Celle paf^e (pii brûle, et tien ne Ini dira (ju'nn souille de sa boucbe a t'ait \ibrer ma Ivre, Que son regard créa les vers (pi'il Nient de lire;

94 LE MYOSOTIS

Et, peut-être, la feuille je les ai semés Bouclera sur son front ses cheveux parfumés.

6 août 1833.

LES NOCES DE GANA

De Cana l'on sait l'aventure. Mais d'un vieux grimoire je tiens Quelques détails, dont l'Écriture iN'a pas égayé les chrétiens. Un peu gourmet, quoi qu'on en dise, Le Bon Dieu, qui s'était grisé. Se permit mainte gaillardise Dont Judas fut scandalisé*

Car chaque apôtre se signait, Et Judas surtout s'indignait : Hélas! disait-il, mes amis, Le Bon Dieu nous a compromis;

L f-: MYOSOTIS 95

D'abord, en comptant les bouteilles, Frères, dit-il, en vérilé. De mes jours si pleins de merveilles Ce jour sera le mieux fêté : Mes prêtres futurs, en mémoire D'un tour de ^'obelet divin. Vendant des oremus pour boire. Changeront l'eau bénite en vin.

Et diaiiue apùtre se signait. Et Judas surtout s'indifçnait Hélas! disait-il, mes amis, Le l3on Dieu nous u C(Uiiproim>.

Aux t'poiix, liéros de la IV'lc, Il (lit d"uM Ion d épicurien ; Uuve/, triii(|Ui'/, loi de pitti'lirlc, li'Amour, ce Miir, n'y [icrdra rii'ii; Mon prési'iit de noce e>l un rr.sle ht' te \in iiinnne on n'm l'ail pln.s. Oui, pour (ItMiipln- un im r>li'. Hajt'innl un de mes élu.>...

\'A cliiiipic apôlre se signait, \l Jiida> surlont ^'indi^nait :

96 LE MYOSOTIS

Hélas! disait-il^ mes amis.

Le Bon Dieu nous a compromis.

Puis à Madeleine la sainte, Qui, belle de honte et d'attraits. Détournait, loin de cette enceinte, Vers le désert ses yeux distraits : De ce monde, Yotre conquête, Pourquoi, dit-il, vous séparer? Ma sœur, ce n'est qu'en tête à tête Qu'au désert il faut s'égarer...

Et chaque apôtre se signait. Et Judas surtout s'indignait : Hélas! disait-il, mes amis. Le Bon Dieu nous a compromis.

Narguant le pharisien qui gronde, Oui, poursuit- il, faites toujours Des bienheureux en ce bas monde. Pour qu'on vous canonise un jour. Au ciel, pénitente confuse. Quand vous frapperez en mon nom. Ne craignez point qu'on vous refuse. Vous qui jamais n'avez dit : Non.

L t M Y U ij U II S

Et clia(iue apôtre se signait. El Judas surtout s'indignait : Hélas ! disait-il, mes amis. Le Bon Dieu nous a compromis.

Moi-même, je veux à plein verre Boire roubli du lendemain; ("-lia(iue instant me pousse au Calvaire. J'en veux égayer le climiin. Suivez donc mes Iraci's divines : En atlendanl (pie les douleurs Viennent vous couronner d'éiiino, Enfants, couronnez-vous de llenr>.

Et cJKKpie ;ipùlre se sif^nail, Et Judas .siiitout s'indif:Mail : Hélas! disait-il, nies amis, Le Bon Dieu nous a c(tlllpl(lllli^.

Des convives Irouhlant la \iie, Sur leiiis plai->iiN l'auhe a\ail lui; Mais ipiaiid riiiimaiiil«' \aiiiciie Toiiiltail en loiile autour de lui ; Miracle 1 iiilrepide à sa placr, L'Homme-hieu, se versant toujours.

98 LE MYOSOTIS

Détonnait un liynnie d'Horace Sur le Falerne et les Amours.

Et cha(iue apôtre se signait, Et Judas surtout s'indignait : Hélas! disait-il, mes amis, Le Bon Dieu nous a compromis.

LE HAMEAU INCENDIÉ

Dans ces bois, souvent une muse chérie

S'est révélée à moi comme une autre Égérie*

Hier, épouvanté, je vis à l'horizon.

riait un hameau, fumer un noir tison>

Et j'osai blasphémer : Oh! si j'étais l'Archange

Que Dieu fait voyager dans nos chemins de fange.

Le visiteur sanglant que^ pour sauver les siensj

Il envoya heurter aux seuils égyptiens,

Du moins je choisirais avec intelligence

La place doit frapper le glaive de vengeance,

L K MYOSOTIS m

Et je rospccterais le loit j)atiianal Dont le poteau reçut le baptême pascal. Je balaîrais du sol, au vont de ma col«''re, Les nouveaux Baltliazars que le monde tolère ; Et sur les noirs débris de leurs palais en fen Je graverais ces mots : Tyrans, il est un Dieu ! Mais si je rencontrais, errant de pla}i;e en plaj.'e, Dans un désert en fleuis l'oasis d'un villa{j;e, Où, (lu travail des jours se délassant le soir. Les vierges vont danser et les vieillards s'asseoir, Tribu qu'im long soleil vil ni;in lier liiilrhinlc, VA (\\\\, trouviinl cnlin oii di'ployer sa Inili', Hespire la l'raîebeiir sous le figuier (U's piiils. Je leur dirais : Kid'anis, pidx et conra;^»'; cl piiiv. De |iein" iVon (Varei' siii- eux les étincelles. Je passerais bien vile en repliant mes ;Mle<.

Mais l'Ange lut aveugle, et le hameau dé-lruil!

0 Fontaine-Dianle! il |t;iss;iit, clunpie nuit. Dans tes clieuiins obscurs, tout noirs de i:ramiueeN. Des brodequins l'uitils, des jand»es aviné-es; Chaque brise envoyait à tes échos dormants Des relVains de buveurs et des soupir^ (rinn,inl><. Tu ciiùniiiis nue fêle ('ternelle et p.iiviliji'.

100 LE MYOSOTIS

Et, dans le fond des bois, ton orchestre invisible Semblait au voyageur, épiant chaque son, Un nid mélodieux caché dans un buisson.

Embaume de tes fleurs la jeune fille morte, 0 muse! elle a passé dans l'ombre; mais qu'importe? Quand un tourbillon gronde et ravage, souvent, Dédaigneux des palais qui croulent à sa vue. Le poëte rêveur suit des yeux, dans la nue, La feuille qui tournoie au vent.

Quand ses pas cadencés foulaient la molle arène, La veille encor, du bal on la saluait reine : Elle entraînait les cœurs dans son joyeux essor; Mais tout sceptre est fragile, et les Parques moroses Hélas! foulent aux pieds les couronnes de roses, Comme les diadèmes d'or.

Nul pressentiment froid n'a glacé son épaule ; Elle ne chante pas la romance du Saule, Comme Desdemona sur sa couche d'hymen : Non, dans ses souvenirs s'endormant satisfaite, Aux voluptés du bal, à sa robe de fête, Elle semblait dire : A demain.

LE MYOSOTIS iO\

I/espf^ranre ol l'iimoiir !'af^itai(Mil : duiicos (ièvros ! ï.es syllabes d'un nom s'échappaiont de ses lèvres. Quand, tout ù coup, du seuil qu'il venait d'embraser, Le feu, comme Othello, bondissant sur sa couche, Interrompit le mot commencé i)ar sa bouche, Et l'étoufl'a dans un baiser.

Mainlenant, dites-moi ce qu'elle est devenue! Peut-être t'oulons-nous sa poussière inconnue : La llamme s'acharna sur ce corps frais et benu, E\, (juand on étei^^nit le bûcher funéraire, ïlorrenr! il n'en resliiit |»;is inniie de (pioi fiiin^ t'n cadavre pour le lniid)Ciiii.

Plaignons aussi, mêlan! ce (pic le l)t>stin niclc. Dans ccl iiiilo-da-lc son père mkhI cominc elle, Lt sa mère surloul, sa incrc qui la vit Dans son linceul bnilaul se (It'hallrc... cl ijui vil! L'est assez : dclouriioiis les ycn\ Ao celle rive. On la voix de Itacliel. (|ui san;il»>le, luarrivc. On l'on heuilf du pied iW< débris et des (»s. On les âmes iU'<> morts pleurei\l dans les ros«»an\. Où, dans les doux parfums ipie la brise pi'oinèue. Ou craint de respirer une ptiussit'ii' humaine.

«.

i02 LE MYOSOTIS

Frères, dans votre cœur mon cantique de mort

Réveillera du moins des douleurs sans remord !

Oh! si mes chants obscurs s'élevaient jusqu'au trône,

A l'avare trésor j'arracherais l'aumône;

Au soleil de Juillet, nous verrions du tombeau

Le village phénix ressusciter plus beau;

Dans ce mois qu'on dédie à la Liberté-Reine,

Elle-même à l'enfant servirait de marraine.

D'un souvenir de gloire ennobli pour toujours.

Il serait appelé le hameau des TROIS-JOURS !

Et vous dont le shako, civil ou militaire,

Étincela dans l'ombre au reflet du cratère.

Artisans dont le feu tatoua les bras nus,

D'une Iliade obscure Achilles inconnus,

Sur vos seins fraternels, sillonnés par la flamme.

Les roses de l'honneur pleuvraient comme un dictanie.

Aux malheureux chassés de leurs toits en débris Hélas ! ouvrons du moins nos foyers pour abris ; Ne laissons pas, semblable au voyageur biblique, Le pèlerin gémir dans la place publique. Riches, dont l'existence est un banquet sans fin, C'est à vous de jeter à la soif, à la faim. Les miettes du gâteau que votre main découpe. L'écume du nectar débordant de la coupe.

L E M Y 0 S 0 T l S 1 O.T

J»; ne vous dirai pas, comm»^ le vioiix ciin''.

Que J(^sus mendiant pleure, Iransli^uré;

Je ne vous dirai pas : « Pour que Dieu vous pardonne.

» Donnez, car c'est ii lui (pie la cliarih'' doiuu'.

» Au suppliant qui frappe ouvrez, car le ^'rillun

» Est propice au foyer, la ci^'ale au sillon ;

» Car le bonheur souril aux toits (pic riiiniU'it'ilt'

» Réjouit de ses chants et (^aresse ù coujts d'aiic... »

Non; car dans tous les coMirs la vieille foi s'cndorl,

Kt siu' i'aiilcl dt'scri on a mis le venu d'or.

Je dirai seulement : Donnez, poiii- que lii fouie

()uhli(», eu le haisiinl, ipie voire pied l;i foule;

Pour (pie votre or, siK' par tant de lualiieureux,

l^JoulTe leurs soupirs en reloiidiaiit sur eu\;

l\»iir (pie voire Piielole, iilile diuis su coince.

Fasse, comme le Nil, perdre tW< veux sa source,

Et poiir(|ue le p;iss;nil vous tende un jour l,i m;iiu.

Si votre cliai- vous jelle ;iu\ eailioiiv du clieiuiii;

Donnez, car, agitant tW:^ loiclies fun(''raires,

1-e spectre de Midnciif pièclie di>s lois ;it:raires ;

l,e sol es! un volcan; il luMuhle, e(, C(tmme Dieu.

I.;i Prison vitus diia : j.'.iuinône «'leiiit le feu.

(jii.nit M moi, pi"'l(Miu, jouet de l;i foilune.

Oui me cli;nilTe .ni soleil el dor< au clair de lime.

Moi, (pii 11:0 pour tout Meii. couime nu ::ueu\ espa^'UoI,

iOA LE MYOSOTIS

Que mes cliaiUs, ma j^uilare, un beau ciel, un beau sol. Je n'ai pu leur jeter l'obole qui me manque ; Mais je quête en leur nom : sans puiser à la Banque, Mon portefeuille est riche; et de ses plis ouverts J'ai secoué sur eux mes seuls trésors : des vers.

19 juillet 1833.

UN SOUVENIR A L'HOPITAL

Sur ce grabat, chaud de mon agonie. Pour la pitié je trouve encor des pleurs; Car un parfum de gloire et de génie Est répandu dans ce lieu de douleurs ; C'est qu'il vint, veuf de ses espérances, Chanter encor, puis prier et mourir : Et je répète en comptant mes souffrances : Pauvre Gilbert *, que tu devais souffrir! '

1. Ce nom fatal vient se placer comme de lui-même sons les jennes plnmes qni tremblent en l'écrivant. L'auteur de la Satire du dix-huitième

LE MYOSOTIS <0»

Ils me disaient : Fils des Muses, courage! Nous veillerons sur ta lyre et ton sort ; Ils le disaient hier, et dans l'oraj^e La Pitié seule aujourd'hui m'ouvre un port. Tremhiez, méchants', mon dernier vers s'allume, Et si je meurs, il vit pour vous flétrir... Hélas! mes doi{.;ts laissent tomher la |)lunie : Pauvre Gilhert, (|ue tu devais souffrir !

Si seulement une v(»ix consolante Me répondait (piiiinl jiii lontiteinps iiruù ! Si je pouviiis scnlii- ma main Ircmhlanlt' Se réchaiilTcr dans la main d'un ami! .Mais (pir d'amis, som'ds à ma voix plainlixi', A leui's l)an(juels, ce soir, vont acconrii-. Sans remaniucr raliscncc d'un convivi'!... Paiivi-c (iilbcil, (pic lu (lrvai< soutïrir!

.l'ai hien maudit le jour ()ui m'a vu naître:

.v/Vr/é" ost une gloiro con.sacréo dovnnt laqueUo on s\ippnoiiilIfl on ffrm.TiM livs y*M)x. Ponr quironquf oso 1ns ouvrir, il flst évidtMil ipie (lilbort ne fut ni un C.hattiMtoii, ni un .Vndru Clu'uior, ni mdmo un M.illil.itrA: iu«is il ilnt à son ngonii' solitairo une m.ignill(|uc inspir.ition, i>t »r.s .-iilicui .H U vio, que tout lo monde .Kait par ca>ur, siiftlraiont m;uIs, aujourd'hui qu'il a pris rang jvirnu los vrrilables iK><^tes, pour faire l.iir« .\ sos j>i«Hl« loul ri>|iio('lio d'nsurpatitu). H. Mi>nr\i.

106 LE MYOSOTIS

Mais la iiatnre est brillante d'attraits. Mais chaque soir le vent à ma fenêtre Vient secouer un parfum de forêts. Marcher à deux sur les fleurs et la mousse, Au fond des bois rêver, s'asseoir, courir. Oh! quel bonheur! oh! que la vie est douce!. Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir!

1832.

1/ H I V E K

Adieu donc les beaux jours ! Le froid noir de novembie

Condamne le poëte à l'exil de la chambre.

riaient tant de fleurs, de soleil, de gaîté.

Rien, plus rien; tout a fui comme un songe d'été.

Là-bas, avec sa voix monotone et touchante.

Le pâtre seul détonne un vieux noël; il chante.

Et des sons fugitifs le vent capricieux

M'apporte la moitié; l'autre s'envole aux cieux.

La femme de la Bible erre, pâle et courbée,

Glanant le long des bois quelque branche tombée.

LK M VU SUT l S 107

Four attiser eiicor son foyer, pour nourrir

Encore quelques joui's son entant, et mourir.

Plus d'amour sous l'ombrage, et la torèt complice

(iémit sous les frimas comme sous un cilice.

La foret, autrefois belle nympbe, laissant

Aller ses cheveux verts au zéphyr carcîssant,

Maigre et chauve aujourd'hui, sans parfum, sans toilette,

Sans vie, agite en l'air ses grands os de squelette.

Un bruit mystérieux par intervalle en suri.

Semblable à cetti; voix qui disait : Pan e>t muri !

Oui, la nature entière agonise à cette heure.

Et pourtant ce n'est pas de son deuil cpic je idiur»'

Non, car je me souviens et songe avec elTroi

(Jue Voici lu ^ilis(»ll dr la faim et du froid:

Une plus d'un mallicurcux trendjle et ><> dit : u Om- n ai-jr,

») Pour m't'iivolcr aus>i, l(»in de iio> cli.iini'^^ de in'ii:e,

)) JA's ailes de I'oImmu, (jui sa clicrclicr aillt'Ui'««

•) Du griiin dans h'.s sillons el dt'> iiiiU iliiii> les llt'in>>!

I) Vers ces boriU >iiii> liiv.r (|iif rontiiucr ii.uriiiue,

» l'dii a pour foNcr le Vounc qui ruine,

); devant les palais, sur le marbre iillit'di,

» l,e Niipoliliùn dml aux ray(tn<> du midi,

«) Oli ! <|ui m'euiiKtitera?.., » Mais riqdif à sa |ilaee.

Ilela^! le piiUM'e nieurl d;iiis >a priMiu de i;laee:

Il nu'nil. el eependanl le riche in^uncieuv

108 LE MYOSOTIS

De son char voyageur fatigue les essieux.

Les beaux jours sont passés ; qu'importe ! heureux du monde !

Abandonnez vos parcs au vent qui les émonde ;

Tombez de vos châteaux dans la ville, toujours

On peut avec de l'or se créer de beaux jours.

Dans notre Babylone, hôtellerie immense^

Pour les élus du sort le grand festin commence.

Ruez-vous sur Paris comme des conquérants;

Précipitez sans frein vos caprices errants;

A vous tous les plaisirs et toutes les merveilles_,

Le pauvre et ses sueurs, le poète et ses veilles.

Les fruits de tous les arts et de tous les climats.

Les chants de Rossini, les drames de Dumas;

A vous les nuits d'amour, la bacchanale immonde :

A vous pendant six mois Paris, à vous le monde!...

Ne craignez pas Thémis : devant le rameau d'or,

Cerbère à triple gueule, elle s'apaise et dort.

Mais, pour bien savourer ce bonheur sohtaire

Qu'assaisonne d'avance un jeûne volontaire,

Ne regardez jamais autour de vous; passez

De vos larges manteaux masqués et cuirassés.

Car, si vos yeux tombaient sur les douleurs sans nombre

Qui rampent à vos pieds et frissonnent dans l'ombre.

Connue un frisson de fièvre, à la porte d'un bal,

LK MYOSOTIS 100

La pitié vous i)ren(lrail, et lu pitié l'ait mal.

Votre face vermeille on devieiulrait morose,

Et le soir votre couche aurait un pli de rose.

Tremblez, quand le punch bout dans son cratère ardeni,

D'éj^arer vers la porte un coup d'œil imprudent;

Vos ris (!;vo(}ueraient un fantôme bizarre,

Et vous rencontreriez face à face Lazare

Qui, béant à l'odeur, voudrait et n'ose pas

Disputer à vos cliiciis les uiirllcs du rt'i>as.

Éblouissant les yciix de l'or (|ui le blasoune,

Quand votre char bondit sur un pont (pu lésonue,

I*assez vite, de peur d'eulcudro JM>(pj'à vous

Monter le bmil (pie l'ont ceu.v (pii passent dessouh;

Car voici W moment de la débâcle hinuaine;

La Mordue va ix^lier les corps (pie l'eau i>romène ;

L'éyo'isme, en siillan, joiiil el rè^ne ; il a

Des crimes à ciiclier, el son 15 spliore est là...

il « st vrai, (pielpiel'ois mie plainie N'j^ère r.lesse la map'>lé du riche (pii dip-n»; Des liouunes, (pie la l'aini moissonne par million^^. En se complani des \en\ disent : Si nous \oulious! Le sanglot de\ienl cri. la douleur >e coin ronce. El plus d'une cile rei:arde la (adix-Uous>e. Mais (pioi! n'ave/.-vous pas des oralein> lervenls

no LE MYOSOTIS

Qui, par un qaos ego, savent calmer les vents ; Qui, pour le tronc du pauvre avares d'une obole. Daignent lui prodiguer le pain de la parole. Et, comme l'Espagnol qui montre, en l'agaçant. Son écharpe écarlate au taureau menaçant. Jettent, pour fasciner ses grands yeux en colère. Un lambeau tricolore au tigre populaire?

Oh! quand donc viendra-t-il, ce jour que je rêvais.

Tardif réparateur de tant de jours mauvais.

Ce niveau qui, selon les écrivains prophètes,

Léger et caressant passera sur les têtes?

Jamais, dit la raison, le monde se fait vieux;

Il ne changera pas; et dans mon cœur : Tant mieux,

Ai-je dit bien souvent; au jour de la vengeance

Si l'opprimé s'égare, il est absous d'avance.

Spartacus ressaisit son glaive souverain.

Il va se réveiller, le peuple souterrain.

Qui, paraissant au jour des grandes saturnales_^

De mille noms hideux a souillé nos annales :

Truands, mauvais garçons, bohémiens, pastoureaux^

Tombant et renaissant sous le fer des bourreaux;

Et les repus voudront enfui, pour qu'il s'arrête.

Lui tailler une part dans leur gâteau de fête;

Mais lui^ beau de vengeance et de rébellion :

LK MYOSOTIS !11

A moi toutes les iiarts, je nie noiuiiie lion ! Alors s'accomiilira l't'iiouvuntable scène Qu'Isnard prophétisait au peuple ilc la Seine: Au rivage désert les barbares surpris. Demanderont fut ce qu'on nonnnait l*aris. Pour eiïacer du sol la reine des Sodomes, (Jiie ne di'fendra i)as l'aiguille de ses dûmes, La foudre éclatera; les quatre venls du ciel Sur le terrain fumant feront {jrêler du sel; Et moi, j'api)laudirai : ma jeunesse enj^ourdie Se récliauiïera bien à ce {irand incendie.

Ainsi je m'é{^arais à des vcrux iiiipiiidi iils,

VA j'attisais de pleurs mes ïambes iiideiils.

Je baissais alors, car la sonlTrinice irrile;

iMais un peu de bonlnMir iii';i coiiveili bien \ile.

Pour (jiie son vers ch'inenl paiduiine au ;^eiire lium;iiii.

(Jue laul-il au pnele? l'ii b;ii>er et du pain.

hieii méuai^ea le vent à ma pnuMele nue;

Mais le siècle d'iiirain p(mr d'autres continue,

Kl {\v> iiiiiux rinteiiieU mon etnn* est eu émoi.

Dieu, révèle*U>i bon pour tous comme pour uioi.

(Jiie ta maïuie en toudtanl éloulTe le blaspliènie;

KnipOcbe de soulTrir, piiisipie lu \eii\ ipi'oii .onir;

l'onr (pie les lils élus, les tils déshérités

112 L E M Y 0 S U T 1 S

Ne lancent plus d'en bas des regards irrités, Aux petits des oiseaux toi qui donnes pâture, Nourris toutes les faims j à tout dans la nature Que ton hiver soit doux ; et, son règne fini. Le poëte et l'oiseau chanteront : Sois béni !

Saiat-Martin , novembre 1833.

LES MODISTES HOSPITALIÈRES

ANECDOTE DE JUILLET 1830

Un pauvre diable de héros. Laissé pour mort la veille.

Dans un bon lit frais et dispos Tout à coup se réveille.

Il admire, en se récriant,

Des nymphes au minois riani. Friand :

LE MYOSOTIS 113

Oh! oli! oli! oh! ah! nii! ah! ali! Qiinl joli couvent celait h'i, La la!

Paix (loue! murinure avec douceur

Quelcju'un i)rès de sa couche ; Et puis la houche d'une sœur Vient lui fermer la houche. De ce rappel au règlement Le mode lui semhla vraiment

(1 h armant : Oh! oh! etc.

A son lit point de noir ahlié.

Point de d(Mi<'ur prorane. Dans les luaius d'une saiule \\vht\

Va\ ^:ui^e de tisane. Le convalescent diMailli \'(»il niou.sMT d'un n'd fhahi

L'ai : Oh! oh î vU\

!\!ira(le î le voilà ^uéri î

Lt deux lionnes {gentilles OIVrenI au jeniic homiiit» altciitln

H4 LE MYOSOTIS

Leurs bras nus pour béquilles. Sur ce bâton , sans se blesser, On le voit parfois se laisser

Glisser. Oli ! oh ! etc.

Le chroniqueur, un peu succinct, Ne dit pas et j'ignore

Quel est dans ce cloître le saint Que la recluse adore;

Mais les bons cœurs le béniront ,

Mais les chrétiens qui me liront Diront :

Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah!

Quel joli couvent c'était là, La la !

VIVE LA BEAUTÉ

Dès l'aurore quand pour boire Adam Billaut se levait, Un baiser rend la mémoire

L K MYOSOTIS H 5

A ma Suzon qui rôvait ; Dans ses bras, heureux esclave , Je dis au vieux chansonnier : Tu peux descendre à la cave , Moi, je suis bien au grenier.

Vous dont le cœur bat au ventre , Chantez Bacclius et Cornus ; Pour moi , s'il faut opter entre Les divinités en ?/s, Dieux gourmands, je vous né;^lige, l"]t suivant un rit i)lus beau , C'est ù Vénus Callypige (Jue je (lis : Introibo.

L'Alcoran, (pic je n'vrre, Traite le vin de juùson : Le vin noie au loiu! d im verre l/amoiu" eouiiut> l.i imIsmi. I/inforliUK' , (ju'il (Miivre , CliinuM'lie (>u pail.mt d auioin'; l'i donc ! raïuiiul (pii s;ut vivre Ne doit t(»iulter (pi'à sou Ituir.

Tout votre ov dcvicnl polid)lo ,

LE MYOSOTIS

Et bien souvent au dessert, Gourmands, vous quittez la table Comme on quitte un tapis vert. Prodiguez : je suis avare, Et le soir, quand je m'endors, Pour que rien ne m'en sépare , J'ai la main sur mes trésors.

Sur les genoux de ma belle Je dîne, et, pour un amant. Cette méthode nouvelle Offre plus d'un agrément. A l'étiquette on échappe. Puis, à la fin du repas. On n'a qu'à lever la nappe , Et l'on met la table à bas.

En vain un docteur morose Me dit : Jouir c'est vieillir; Une guêpe est dans la rose, Prends des gants pour la cueillir. Au hasard je marche et j'aime. Aventureux pèlerin; Vive la beauté quand même ! Sera toujours mon refrain.

LR MYOSOTIS 117

L'AMANT TIMIDE

A scizo ans, |);mvr(' cl liinidr Dovaiit les [)liis IViiis appas, 1^0 cd'iir itallaiil, l'iril liiimidi'. Jo voulais cl n'osais pas, Kl j(; priais, et sans cesso J«^ répétais dans mes vœux ; «Jésus! rien (pTunc niaîlrcsso, Uicii qu'une ui.iilrcssc... nu deux î »

ïiOi's une lieault', (pii daiiiue M'af^acer d'un air UKMpieur, Me dit : *. Kn'aul , loii cd'ur saij^ne, l']| l'ai [litic de loii (MeiU'. l'dur le iîiiérir ipn»! didaïue l"aiil-il doue , paiivn» auioiueux? Oli! lieu (pi'uu It.ii^er. iuad;uuc! Oli ! lieu ipi'uu liai^cr... ou deux '.

H8 LE MYOSOTIS

Puis le beau docteur, qui raille ,

Me tâte le pouls , et moi ,

En façon de représaille ,

Je tâte je ne sais quoi !

« vont ces lèvres de flamme ?

Oii vont ces doigts curieux?

Puisque j'en tiens un , madame , Laissez-moi prendre les deux. »

La coquette sans alarmes

Rit si bien de mon amour.

Que j'eus à baiser des larmes

Quand je riais à mon tour.

Elle sanglote et se pâme :

« Qu'avons-nous fait là, grands dieux?

Oh ! rien qu'un enfant, madame. Oli! rien qu'un enfant... ou deux! »

L E M ^' 0 s 0 T 1 s no

LES

JEUX DE L'AMOrn ET DU HASARD

Quoi ! vous qui demeuriez sans voix Devant un couplet trop f^rivois, Vous si juiiilt', niadeniolselle. C'est V(»ns (|ui me donnez... Ali ! Dieu ! Peut -on liiilicr à si l)e;ui jeu ? J'ai i[i\{im la... I,a prime ;^ ec^ jeu-là , Et ponriant Hose est i)res(|ne lidèit'.

I/un de mes frères lis rimenis M'amait il sounit' ses primeurs? Il n't'st plus de muse pueelle , !•',( les Itdis du l*iud(>. malsains. Mènent tout droit aux (".apueins. J'ai f^a^né , df.

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120 LEMYOSOTIS

Apprenant que Châtel dort mal Dans son grenier pontifical , Par pure obligeance aurait-elle Accepté l'honneur hasardeux D'être papesse une heure ou deux? J'ai gagné, etc.

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Feu mon curé, plein d'onction, En un vase d'élection Vint-il exprès changer ma belle, Pour que Satan , son héritier. Se brûlât dans un bénitier ? J'ai gagné, etc.

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Mais non : Rose voit de travers Les marchands de prose et de vers. Les dieux de facture nouvelle ; Et quant au goût du tonsuré. Trois lycéens m'ont rassuré. J'ai gagné , etc.

Fermons les yeux, pour cent raisons; S'il le faut même, supposons Quelque ange ou diable amoureux d'elle. Amants chrétiens, imitez-moi :

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Pour vivre on paix ayez la foi. J'ai gagné la... î.a primo à co jou-là, Et pourtant Rose est presque lidèlo

CHANSON P A T lU 0 TIQUE

D K s DANSEUSES DE 1, l> I' K H A

Pour fêler l'anniïersaire de la Réîolulion de Juillet.

Dr poliliijur ft cœtera S'()C('ii|i;iul ;ipirs boire,

l,t's (limu's (In ;:r;iii(l Opt'r.i Hier rli;inl;iil : \ ii loiro ! A s'éiiiaïuipcr ;inssi Los Aniniirs oui H'ussi : \ii\ iii;iir|i;inils (li> lori:iM'IN'N

.liiillrl (lu moins ;i prolile. \ i\t'nl les pii-oU('llt's ! Vivo la liliorit' !

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120 LEMYOSOTIS

Apprenant que Châtel dort mal Dans son grenier pontifical , Par pure obligeance aurait-elle Accepté l'honneur hasardeux D'être papesse une heure ou deux? J'ai gagné, etc.

Feu mon curé, plein d'onction, En un vase d'élection Vint-il exprès changer ma belle , Pour que Satan, son héritier. Se brûlât dans un bénitier ? J'ai gagné, etc.

Mais non : Rose voit de travers Les marchands de prose et de vers, Les dieux de facture nouvelle ; Et quant au goût du tonsuré , Trois lycéens m'ont rassuré. J'ai gagné , etc.

Fermons les yeux, pour cent raisons; S'il le faut même, supposons Quelque ange ou diable amoureux d'otle Amants chrétiens, imitez-moi :

LE MYOSOTIS

Pour vivre en paix ayez la foi. J'ai gagné la... I.a prime à ce jeu-là, Et ])Ourtant Rose est presque iidèle

CHANSON PATRIOTIQUE

I) K s DANS F, r S F. S 1) K I. 0 I' K II A

Pour (êler l'anniversaire de la Réïolution de Juillet.

\)o pdliliipu^ et cïvtera S'occiip;iiit ;i|)irs boiic,

l.i's (hiiiics (In i^iiiiid Opi'ia Hier clianlail : \ irloiii» ! A s'iMiiaiicipcr aiis<i la'S Amours oui rciissi : \ii\ marcliaiiiU de lor-iicIlcN

.liiillcl (In moins ;i prolilc. \ ivcnt les pii-oucllcN ! \ i\(' la lilicrlc !

122 LE MYOSOTIS

Devant des galbes et des nus. Tartufe, qui s'indigne.

Dans nos jardins coiffait Vénus D'une feuille de vigne : Il eût, sans des jours meilleurs.

Aux marchands de lorgnettes Juillet du moins a profité. Vivent les pirouettes î Vive la liberté!

Consolez-vous, gens maladroits.

D'être vainqueurs et dupes : Si là-bas on rogne vos droits.

On rogne ici nos jupes.

Votre étendard, vieux haillon.

Vaut-il un frais cotillon?

Aux marchands de lorgnettes Juillet du moins a profité.

Vivent les pirouettes !

Vive la liberté !

Contre nous, sans nous effrayer

Caton crie au scandale, El la Chambre veut nous rayer

LE MYOSOTIS 123

De son budf,'et vandale. Que de pantins il paîra Même ailleurs qu'à l'Opéra! Aux marchands de lorgnolles Juillet du moins a profité. Vivent les pirouettes ! Vive la liberté!

Au duc, soucieux et levant.

La sylphide coipiettc, FHc flaCf dit en jclaiil au vcnl

Les ]»lis de sa jiKiuelle :

Vous (|ui iilcuK'Z (!liaiies dix,

\\\v/. (Idiic : Vdilii (les lis !

Aux iiiarciiiiiids de lnif^iictlts Jiiillt^l du iiioius a piolitt'.

VivtMit les iiiioucUcs!

\ ivc la liltcilt' !

Vous (jui salMvz, lainbour ballant,

Les iMutMitcs civiles, A nous, bourj^eois : vous aime/, tant

i,(»s victoires faciles!

Tuer esl elianuanl : (TaiM-ord;

Mais peupler n.uiI mieux eiieor.

124 LE MYOSOTIS

Aux marchands de lorgnettes Juillet du moins a profité. Vivent les piroueltes ! Vive la liberté !

Républicains, ayez de l'or.

Vous aurez des prêtresses; Nous nous sentons d'humeur encor

A devenir déesses.

Vos aînés, francs étourdis,

Ont vécu : De profundis.

Aux marchands de lorgnettes Juillet du moins a profité.

Vivent les pirouettes !

Vive la liberté!

L^ËGOLIÈRE

Approchez, aimable écolière. Vous qui fûtes maîtresse im jour; Approchez, et, moins familière Avec Lhomond qu'avec l'amour,

LE MYOSOTIS 125

Instruisez- vous : chacun son tour. Mais, i»ar un doux air de folie. Grand Dieu! comme elle est embellie. Finissez, Rose, finissez : Est-ce l'instant d'être jolie? Finissez, Rose, finissez. Je suis le maitre, obéissez.

Quoi! vous épelez, incertaine, Même un chapitre de nmian; Attendez-vous la soixantaine Pour savoir lire couiainnuMil I.es jM'tils vers de voli'e aniaiil? Mais (jue (leniaiide ce Miiuire? i*oiir(|iioi ce bra^ nu (|ui m'allire? Finissez, Rose, linissez : K>l-ce dans mes yeux (|u'il laiil lire? Finissez, R(»se, finissez. Je suis le maître, obéissez.

La prammaire V(»ns clTaroncln\ Ft j'entends rire à mon côté Lorsque les S tians votre bombe Isurpent la place des T : Onel NMilllel pour ma vanité !

126 LE MYOSOTTS

Mais cette bouche que j'accuse Veut se défendre par la ruse. Finissez, Rose, finissez : Un baiser n'est pas une excuse. Finissez, Rose, finissez : Je suis le maître, obéissez.

Hélas! elle est encor maîtresse;

Le livre échappe de sa main :

II tombe et s'effeuille... Ah! traîtresse.

Vous le foulez avec dédain !

Vous triomphez, mais c'est en vain.

Ne pas céder est mon système :

Passons au chapitre deuxième.

Vite, vite, recommencez,

(Dût la leçon finir de même!)

Vite, vite, recommencez :

Je suis le maître, obéissez.

l.K MYOSOTIS 127

n K R A N G E R

Il dort sous dos onil)ragos voris,

Qiiiind la lil)(M"l<' le r;iit|M'll(' :

Il (lorl, lo poi'le, inlidèlo

A cos cajjlifs (|ui, dans los fers,

Alt(Midai(Mi( l'auinoiio d*iin vors.

VA pas (\o lyros (|ni les |ilaiuiiiMil,

Pas un nioudcl pour soidatitT

Tons CCS Cd'in'^-de-Lioft (pii sai;4ncnl !...

Ail Dieu! si j'('lais Hi'rim^cr!

Ail î.ii\tMnl)(iiirL', niiin vers vcnjzciir

Irail IVapitaiil dt» slallc en slallc,

l'^l sa cliiiiiiciiaiidc liriilalc

An IVoiil d'airain dn \it'ii\ jn^ciir

l'rrail funnallrc la roii^ciir.

Je saurais dci^'onlcr, j'csjicri»,

i;i l'cnin Daiidin de jniior,

i'.l Pelil-.ItMii d'èlre Odoipèrc...

Ali ni(Mi ! si |"('lais lltMaii:.')'!- !

128 LE MYOSOTIS

Je consolerais les Amours : De la beauté j'ai vu les larmes Couler sur des gants de gendarmes. Et sa plainte tomber toujours Sur des cœurs et des barreaux sourds. Triste, en rêvant au long mailyre Qu'on lui défend de partager, Lisette a perdu son sourire... Ah Dieu! si j'étais Béranger!

L'avenir est si beau là-bas!... A des chants d'espoir tout l'engage. A-t-il remis sa montre en gage. Le poëte? et ne sait-il pas Combien le temps a fait de pas? Pour montrer du doigt sur la rive. Au siècle qui va naufrager, Les fleurs dont le parfum m' arrive, Ah Dieu! si j'étais Béranger!

Lui-même a vingt fois en chantant

Bravé les bêtes du prétoire ;

De dormir avant la victoire.

Après avoir guerroyé tant,

11 a droit, sans doute, et pourtant...

LE MYOSOTIS

Il l'aiil, viciiiK'iil les représailk's, VitMiiK' un Juillet »ni rétranger. In Tyilrc aux cliamiis do halaillcs!... Ali Dieu! si j'étais Déranger!

1 2'.)

I83b.

L A M V S i:

Nyiniilic, ([iii ^U('lli'> ;iu passage L'écolier (lu ii;i\s liilni. Assez laide pdur èlre sage, (juti mauvais sort le lit catin? Hélas! n''|i(tuil, un peu eduliiNe, La (•onrli>ane au bas emlti'. Vous vitye/, une jtau\re Muse; Soyez heureux par charité!

iN'e rie/. |ias, dui, de la l.dire J't'galais [tiexpie l,i Sapin»; .l'élais i^enlille, el l'audiloiie, i-omuellt' en main, ( riail l-im >>.

30 LE MYUSUTIS

D'un gros garçon et d'un poëme J'enrichis la postérité. Entre nous, le père est le même ; Soyez heureux par charité !

A Paris_, un journaHste ivre Prôna mes vers qu'il ne lut pas_, Ce monsieur, pour juger mon livre. Avait feuilleté mes appas. Quand, d'une main, le bon apôtre Brochait l'article à mon côté, Dieu sait ce qu'il faisait de l'autre !. Soyez heureux par charité !

Dans les salons je fus admise. Mes conquêtes ont fait du bruit : J'ai vu Lamartine en chemise Et Byron en bonnet de nuit. Sur mon sein traçant une épître, En le baisant ils l'ont chanté. Je mets en vente leur pupitre. Soyez heureux par charité !

Mais survint une maladie. Adieu la gloire, adieu l'amour!

LK MÏUSOTIS 1:51

Il fallut tomber, enlaidie,

De lord Byroii à lord Seyiiiour.

Je n'ai d'autre espoir que l'iiospice,

Sauf un roman frais édité.

Pauvre Muse l Dieu te bénisse !

Soyez heureux par charité!

I. r: TOCSIN

l'n peu d'or, je ne sais cuninuMil, Du ciel me tombe, et vilt;

A mangcM' mon avoir ^'aînicnl, Amis, je vous invile.

Accourez ;i ce gai lin lin

Tiiilin, lintin. liiiliii, ilintinliii,

Accoure/, à ce iiM linlin Tinlin c'est le tocsin!

C'est le ttu'sin, ri diins l'aris Sitôt qu'il lions rasscndilc, (iendarmes, lillclles^ maris.

132 LE MYOSOTIS

Pour cent raisons tout tremble. Gisquet y perdra son latin Tintin, tintin^ tinlin, rJintintin^ Gisquet y perdra son latin

Tintin : c'est le tocsin I

A sac les cabarets! à sac!

Écoliers, en besogne! Comme au bon temps des Armagnac,

Le mot d'ordre est Bourgogne; On peut y joindre Chambertin Tintin, tintin, tintin, rlintintin. On peut y joindre Chambertin

Tintin : c'est le tocsin !

Puis, faisons l'amour en passant :

Sur le cœur d'une femme Ce son magique est tout-puissant Comme : Ouvre- toi, Sézame. Tout va flamber : punch et catin Tintin, tintin, tintin, rlintintin. Tout Ya flamber : punch et catin Tintin : c'est le tocsin !

Il faut des Midas au pouvoir

L1-: MYOSOTIS 133

(nintoiiillor les on'illcs : lN)iir le fliarivaii du soir

Vidons Ireiite lioulcilles : liisiir^coiis le iiays latin Tiiiliii, tinlin^ tiiiiii), riiiitiiitiii, liisui'i^euns le pays ialiii

Tiiitiii : c'est le tocsin!

J'ai, pour vous |tousser aux combats.

De réltMiui'Ucc (Ml iMM'Iie, El si (iU('l(iU(' diahit' n'a pas,

AvanI, fondu la cloclie, Je somiciai jnM|u'au malin Tin lin, linlin, linlin, rlinlinlin. Je somii'i'iii iuMpTau malin

Tinlin : (•'r>l le loisin !

SOI vi:mhs i)'i:n i am:k

Après dix ans je vous revoie, \()us, (pie l'aimai luntc pclile ; (Mii, Noii.i liicn lc> Nfux, la \«ii\

8

■134 LE MYOSUTIS

El le bon cœur de Marguerite. Vous m'avez dit : « Rajeunissons Ces souvenirs pleins d'innocence. » Ah ! j'y consens, recommençons Un des beaux jours de notre enfance.

Comme ils sont loin ces jours si beaux ! Gais enfants que le jeu rassemble, En souliers fins, en gros sabots, Sur Therbe nous courions ensemble. Dans la vie, nous avançons. Nous ne marchons plus qu'à distance. Ah! j'y consens, recommençons Un des beaux jours de notre enfance.

Pauvre ignorant, vous m'instruisiez

Avec une peine infinie;

Plus d'une fois, lorsqu'à vos pieds

J'épelais Paul et Virginie,

Je fus distrait à vos leçons.

Pour y rester en pénitence :

Ah ! j'y consens, recommençons

Un des beaux jours de notre eid'ance.

Quoi! je chante et pas un souris,

LE MYOSOTIS 13.';

Pas un regard (|ni iii'iipphiudisse ! Autrefois, quand je vous appris L'air dont m'a bercé ma nourrice, Un baiser fut de mes cban.-ons Le refrain et la récompense : Aiil j'y consens, recommençons Un des l)eaux jours de notre enfance.

LA FAUVETTE DU CALVAIUE

I \ n I. I \ »' N i> U M A N I>

Aux amis de M. M***, qui me conseillaienl de lui rendre lisile pour le consoler d'un grand malheur,

(Ml! non, je n'irai pas, sous son titil solitaire. Troubler ce jn>lt' l'U pli'iirs |t;ir li' bruit «le mes pas; Car il esl, voye/.-vitiis, de friands dniiU >iir l.i ItMi»', iJi'vaul ijui ranulii' dttil priiT cl se taire: Oli ! non, je n'irai pas.

Lors(|ue de ses douleurs 1(> blond tils dt> Mari»*.

136 LE MYOSOTIS

Mourant,, réjouissait Sion et Sauiarie^

Hérode, Pilate et l'enfer; Sou agonie émut d'une pitié profonde Les anges dans le ciel, les femmes en ce monde

Et les petits oiseaux dans l'air.

Et, sur le Golgotha noir du peuple infidèle ,

Quand les vautours, à grand bruit d'aile. Flairant la mort, volaient en rond ;

Sortant d'un bois en fleur au pied de la colline. Une fauvette pèlerine

Pour consoler Jésus se posa sur son front.

Oubliant pour la Croix son doux nid sur la branche. Elle chantait, pleurait et piétinait en vain, Et de son bec pieux mordait l'épine blanche.

Vermeille, hélas ! du sang divin :

Et l'ironique diadème Pesait plus douloureux au front du moribond, Et Jésus, souriant d'un sourire suprême,

Dit à la fauvette : A quoi bon?...

A quoi bon te rougir aux blessures divines? Aux clous du saint gibet à quoi bon fécorcher? il est, petit oiseau, des maux et des épines

LE MYOSOTIS 137

(Jiio (lu front, ol <lu ccrur ou no [mmiI arracher.

La tempête qui m'environne

Jette au vent ta [ilnme et ta vui.v. Et ton stérile effort, au poids de ma couronne, Sans même l'efleuiller ajoute un iiuuve;ui iioids.

La fauvette comprit, et, déployant son aile, Au perchoir éiiincux dé'ciiii-ée à moitié, Dans !;on nid, (pic hcrrail la hraiiche maternelle. Courut ensevelir ses clianls et sa pitié.

Oh! ncn, je n'irai pas, sous ce toit solitaire. Troubler ce juste eu [ilcurs p;u- le bruit de mes pas; ('ar il est, voye/.-vous, de j^'iiuids deuils sur la terre, Devaul (pii ramili('' doit prier et se taire; Ob', non, je n'irai |tas.

A UN AUTI-rU IIKUM ArilHOniTF

!''(''(' ou dtMuon, niai:icienue ou sorrier, .11' le uiaiiili^^ de manil coMir el pour cau^e :

S.

138 LE MYOSOTIS

Depuis hier je suis ton créancier. Quand j'implorais un sourire de Rose^ La pauvre enfant sanglotait sur ta prose ; Elle y perdit un bon quart d'heure^ et moi, Mille baisers, baisers de bon aloi, Baisers sonnants... Adonc, Muse immortelle, En t'acquittant, fais acte de vertu ; Mille baisers sont une bagatelle; Tu me les dois : quand donc me paîras-tu?

LE JOLI COSTUME

Dans l'alcôve de ma voisine. Un mardi gras, me réveillant. Sous mes habits je vois Rosine Qui se mirait en souriant : A sa bouche un cigare fume ; D'un grivois elle a le maintien :

Oh ! (\\ielle est bien !

Oh ! (\nil est bien î Ronii masque, à ce joli costume

LE MYOSOTIS \39

Pour mon bonlieur no clian^^o rien.

Je comprends que d'un jeune esclave

Virgile ait soupiré le nom;

Je comprends les mœurs du conrlnve

Et les soupers d'Auaoroon.

Mais son Batliyle, je présuuie,

Aiu'ait pâli rival du mien :

Oh ! qu'e//e est bien !

Oh ! qniJ est bien ! Reau mascjue, à ce joli coslinur Pour mou hoidicur ne (liante rien.

Mais, sur une lèle iiii^iKnuie, Eufaiit, ce chapeau ditil iicscr. I.cs ciit'vcux iKiii's ([u'ii (MU|iiis(>uui' Hier appelaicul le baiser. I.aisse-les suiv;iul la couluiue, Kluller s;mis voile el sans lien :

Oli ! t|u'» !h' e.sj lijcn !

Oli ! t|u'// e^l bien ! heau luascpie, à ce joli coslume

(iiàce poui' deux eaplils «Mieore !

140 LE MYOSOTIS

Oui^ foule aux pieds ce frac étroit. En vain, sur la vitre sonore, L'aquilon souffle humide et froid : Mon cœur, que le désir consume, Palpitera chaud près du tien :

Oh ! qnelle est bien !

Oh I qu'il est bien ! Beau masque, à ce joli costume Pour mon bonheur ne change rien.

Et je poursuis, et la fillette. Riant toujours, toujours cédant. Se voit réduite à la toilette Qui parait Eve aux yeux d'Adam. Trésor à trésor, sur la plume. Je puis recompter tout mon bien :

Oh ! qu'elle est bien !

Oh! quil est bien! Beau masque, à ce joli costume Pour mon bonheur ne change rien.

LE MYOSOTIS 144

A JEAN DE PAIUS

IraproTisé à une représenlalioii de Don Jaaa.

J(';m {\o l^iris, l)r;iY(t! r;i(li(Mi\' diiiis la l^>^o,

Prodij^iic ;i Ion |ialn»ii {U'> sourires (l'rioj,'»';

Tu peux balln» dos mains à ses inoiiosscs, mais

l/imilcr, rai'cmciil, le comiirriKlrr, jamais.

l/cscrimr fali;.'iia les mains iiKifciiin'Cs;

Ttin |iisl()l(l, an lir aballil ('«Mit |iom[»('('s,

l*ar la canne dansante ini cnranl ('rilrini»

Plt'inT, cl In le Ineras jiarce (|n'il a plcnn'';

lit In dira^, le soii\ l'niissanl nn coriK de fcinint^ :

« Ks-ln cniilenl de moi, don .In.ni, mon mailrc? >i Infâme!

Non, In n'es pas don .Inan; car don .Inan, le mandil,

A l'crii cmeivcill»' connm» nn specire i^randil.

Auprès de ce f^t'anl In n'as pas nne lojse;

il viMiail de renier, loi In viens de... INmloise.

Il ciianlail, il raillail, cl loi. In n'es «pùm ^,,1

On'on peni hier d"nn vers, cl bâillonner d'nn mol.

142 LE MYOSOTIS

C'était un oiseleur qui^ d'un coup de résille,

Attrapait Elvira^ Léonor, Inésille,

Papillons qu'au Prado le soir voyait courir,

Si frêles qu'un baiser trop lourd les fit mourir.

Et si beaux qu'on aurait enrichi vingt chapelles

Avec la poudre d'or que secouaient leurs ailes.

Convoitait-il un ange aux cheveux noirs o:\ blonds,

Son échelle de soie avait tant d'échelons

Qu'il eût, de cieux en cieux, pu monter, je parie.

Pour baiser les pieds nus de la vierge Marie.

Si la foudre eût bougé, prêt à tous les combats,

A la vieille grondeuse il aurait dit : Plus bas!

Par une corde à puits te hissant aux gouttières.

Toi, tu vas dénicher des fdles de portières;

Auprès de la beauté qui te doit sa pâleur,

La duègne, qui plaida ta cause avec chaleur,

Ne froisse étincelants ni missel ni rosaire,

A des haillons pour mante, et pour nom : la Misère.

L'oiseau dans les filets ne tomba pas vaincu

A l'appel de ton chant, mais au son d'un écu.

Tu n'as rien, fils du nord, de ce sang qui pétille

Sous un regard de femme, au soleil de Castille ;

Sang créateur des Cids, qui plus tard même a pu

Produire encor des Juans, lorsqu'il s'est corrompu.

Le peuple, ivre de faim, qui ronfle au coin des bornes.

I. K M V U S U T 1 S 1 43

Quand le taureau royal le pique de ses cornes, Se réveillant d'un bond du lourd sommeil qu'il dort, I.iii du moins sait combatlre en beau toréador. Mais toil... soulève encor des bruits de Baccbanales; Essuie encor du sanj,' ù des gorges vénales; Crève encor des chevaux, blesse encor des maris; Tu ne seras jamais rien... que Jean de Paris.

Oli! si le plébéien (pie Un\ pi>t(tlel lue

Sur sa lusse à Clamart revivait en slalue,

Kt (pTaii son de minuit, cpiand nieuil le gaz Irenililaiil,

(JuillaiM son piédestal, l'Iionnin' de marbre blanc,

Dans le sondjre calé que la visilc liinKirc,

Allongeait ses pas lourds sin- la dalle hmiuk' ;

l*oiu' le manpier au IVunt d'un .^i^iic llélrissaul,

Il n'aurait pas Irenqté son index dans le sang;

Non, mais ses doigts de picnc, en sout'llelanl la joue,

V laisseraient eni[)ieiiile une lailie de Ixiue,

Large, noire, et sa voix loimeiMil en ees mots;

«Ton eiil'ei- n'e>l pas pirl, làelie auteur de iiie^ tnaux...

») \ i> : hieu le eoiiMi' eiieoi' d'un mépris dcltoiiiiaire ;

» Tu ne dois pas mourir par un coup de toiiiienc :

» Sous le poids du mépris, \ieux sans aM'ir \eeu,

>' lii niouiras... tu mourras tl'un eoiqi de ..! >'

144 LE MYOSOTIS

SURGITE MORTUI

Coiiplds chantés à m déjeunec doni lous les conviïes aïaienl tenlé ou médité le suicide.

Vous, qui mourez à tout propos Et six fois par semaine,, Çà reprenez haleine : Le dimanche est jour de repos. Sortis de terre Par un mystère. Morts, buvons frais : le suicide altère; Déjeunons encor, puis mourons... Mourons de rire, ou bien courons Nous pendre ailleurs... à des bras blancs et ronds. Surgite, pour me suivre, Mortuif qu'on s'enivre; Le verre en main, essayons de revivre!

Bien qu'aux mansardes logés tous, L'Espérance nous reste;

\a: mv(js'jtis 14o

ilal)iluiite côlcslc, I)«; i»laiii pieil elle entre chez nous. Sous la tutelle De riinniortelle. Mai't'lioiis unis : Knrore ini jour, dit-elle; Deuiain les roses lleuriront, Demain les viynes unniionl, Demain vos (llnisis du loiulieau sculironl. SimjUe, poiu' nie suivre, Mortui, (|n ou s'enivre; \a\ verre en main, essayons de revivre!

lloucoulani d'amour sur un loit. Vrai ('(eur de Uiurlcrclle, (Juaiid lu niiiiir;iis pour elle. Ami, Claire vivail ponr l(»i : Maiiiciemic, Aérieime, De sa rniètn' elle lorgnait l.i tienne, lit par les l'enles du Vdicl, Vers Ion l'ioiil soiis le pisjolcl De ses d(ti;;ls l»lane> un l»iu>er s'euvulail. SnrijUr, pour me suivre, Mi>r(ui \ ipi'ou s'enivre ; Le verre en main, essavon> de re\i\rel

i46 LE MYOSOTIS

Point de blasphèmes : autant vaut Aboyer à la luiie^ La Gloire et la Fortune On fait leurs nids d'aigle bien haut; Mais en campagne Sur la montagne, Jeunes chasseurs, si le sommeil vous gagne, Qu'au voisin glacé par le vent Un camarade bon vivant Tende sa gourde et répète : En avant ! Surgite, pour me suivre, Mortuiy qu'on s'enivre; Le verre en main, essayons de revivre !

J'ai quelque droit, vous le sentez, De prêcher sur ce thème : J'en suis au quatrième De mes suicides tentés. En vain je blâme Ce siècle infâme ; En vain cent fois j'ai dit : Variez, mon àinc! Que Dieu seul la pousse dehors; Rose y tient : je garde mon corps; Ses jolis yeux font revenir les morts. Surgite, i)our me suivre,

IJ-: MYOSOTIS II

Mtjviul, (ju'oii b'eiiivrc ; l.c verre cii main, essayons de revivre !

Snieide, monstre odieux, DevanI, iiolriî eau héiiile lleidre aux enfers l)i<'n vih;... Mais il vieni e( sur nous, ^'rands dieux! Frelon morose, Il se repose : Pour 1(5 chasser prenons le seliall di' Uoso. Les eidiinls ms dans ce repas D'une rasade cl d'un Taux jias Vivront cciil ans, cl ne se lucronl p.i>'... SuvQÏtc, pour me sniM'c, Moi lui , qu'on s'enivre ; l,c vcire en main, essayons de rc\i\rc!

ij: ni:uMi:n .nu ii

J'ai dil vouvcnl : hirii ctiiilondc Ce monde c( inul a\cc lui !

148 LE MYOSOTIS

Mais, (luaiul de ce pauvre monde Le jour suprême aura lui, Changeant de ton dès l'aurore, Je dirai, j'en fais l'aveu : Pauvre globe, tourne encore. Tourne, tourne encore un peu.

A cette heure épouvantable. Tous vos hôtels trembleront. Riches; et de votre table Bien des miettes tomberont. Aiïamés, qu'on se restaure ! Dirai-je, et trinquons, morbleu! Pauvre globe, etc.

L'effroi que ce jour fait naître (Et pour ma part j'en ris bien) Empêche de reconnaître Son lit, sa femme et son bien. Plus de bourgeois matamore. Plus d'huissiers! le Code au feu! Pauvre globe, etc.

Le vieux soleil (ile, fdc,

Et s'éteint dans le brouillard :

I, K MYOSOTIS

Allons, truands, |i;ir l;i villt; Jouer à (-oliii-iii.'iill.'U'd. Tn'Uil»l<'z, Hoso, HorlcMisc^, I,;uu'(' .l'iii lii niiiiii liciirciisc ;iu jeu. pMiivrc gl(tl)»', lîlc.

I-'J vile, (lie/ la iciiicllc Dmil III) soii' ji' lus r|iris. Allons (le ma (•liaii^^oiiiiciic Hr-clanici- iiannciil le |iri\. Aiiv appas (pi'cn vers j'adort' Allons dire en jirosc adieu. PaiiMc filolu', «'le.

Puis à mon liôle <ir<''|-'oir»' llt'prloii>>, le vi'iTc m main : N'ayr/, souci du im-moirc, J'allriids mon prir demain. Car (pii ma la il ? .1 l'it^iiore. Mon f'riilo dil iine cCsi Dieu. Pan\ ic ulidic, clc.

40

Je IVcdonnais de la sorle, normaiil. rèvaiil à demi, Onand loni à eonp ,i ma porte

50 LE MYOSOTIS

Retentit un pas ami. Avril en llcur vient d'écloro, Mes vitres ont un ciel bleu : Pauvre globe, tourne encore, Tourne, tourne encore un jieu.

LES 5 ET f) JUIN 1832

CHANT FUNÈBRK

Ils son! tous morts, morts en liéros, Et le désespoir est sans armes; Du moins, en face des.bourreaux Ayons le courage des larmes!

Ces enfants qu'on croyait bercer Avec le hochet tricolore Disaient tout bas : 11 faut presser L'avenir paresseux d'éclore; Quoi ! nous retomberions vainqueurs Dans les filets d(i l'esclavage ! Hélas! pour foudroyer trois fleurs

LE MYOSOTIS 151

Fall;iil.-il donc trois jours d'orale?

Ils sont tous moils, moils on lirros, Et le désespoir est sans armes; Du moins, on face des bourreaux Ayons le courag;e des larmes !

Le peuple, ouvrant les yeux onlin, Murniin'ail : On liiihil ma cause; l'ii roi s'cngi'aissc do ma faim Au Louvre, (jiif ludii sani,' arroso; Moi, dont les [tiods nus lonlaionl l'or. Moi, (loni l.i iiiiiiii Itiisiiil ini liônt\ (Jlliilld clli' |icill ((iliiliiillli' rnciil',

Irai-jo la ioiidi-o à raumôin'?

Ils soiil Ions morjs, moih en Ihtos, l'.l le (l(''M's|i(iir csl sans .u'incs; Du moins, en laci' iU'^' \un\v\v,\\\\ Ayons le (•ouraL;o {U'> larinos!

l.a lil)i'il«> |)l(Mir:iil <-i'|ni

(Jucllc ins|iii-.i >i liicn naunèii';

.M.ii^ nn fer saorik-^o ;i lui,

l'.l l'omlirt' pon>^^l• ini ci i tic ::ni'rn' :

152 LE MYOSOTIS

Guerre et mort aux profanateurs ! Sur eux le sang versé retombe, Et les Français gladiateurs S'égorgent devant une tombe.

Ils sont tous morts, morts en béros, Et le désespoir est sans armes; Du moins, en face des bourreaux Ayons le courage des larmes!

Alors le bataillon sacré Surgit de la foule, et tout tremble ; Mais contre eux Paris égaré Leva ses mille bras ensemble. On prêta, pour frapper leur sein. Des poignards à la tyrannie, Et les derniers coups du tocsin N'ont sonné que leur agonie.

Ils sont tous morts, morts en béros, Et le désespoir est sans armes ; Du moins, en face des bourreaux Ayons le courage des larmes!

Non, non, ils ne s'égaraient pas

LE MYOSOTIS

Vers un avenir illusoire :

Ils ont, prouvé par leur In-pas

Qu'aux Déeius on pouvait croire.

0 ma pallie ! ô liberté!

Quel réveil, (piaud sur nos frontières

I-a Hépuhliipic aui'ail jclé

(!e laisecaii de liuiipcs i^uerriénsî

Ils sont tous morts, morts en Immck, VA If (lé'scspoir est sans aiiiics; Du moins, en Tact' iU'^ hoinicaux Ayons 11' eoMl'a^'c des l.iiiiK's !

Sous Ir dômr tlu Panllit'on, Vous tpii rrvic/ au ('.apitoie, Knfanls, ipir l'iipprl du (muoii l'il hondii" drs lianes iriuic ('•colc. Au loi! (pu icrui vos adieux (Juc les douli'urs orront amères, Lorsipic d'un liiompln' odiruv l.c liruil cvcilli'iji mk nirii'- !

153

Ils sont tous morl<, morts en lii-ros, l"",l le di'sespoir ol san^ iiiiucs; \h] nioin^, en fiicc des hoiureaux

454 LE MYOSOTIS

Ayons le courage des larmes !

On insulte à ce qui n'est plus, Et moi seul j'ose vous défendre : Ali ! si nous les avions vaincus, Ceux qui crachent sur votre cendre, Les lâches, ils viendraient, absous Par leur défaite expiatoire, Sur votre cercueil à genoux. Demander grâce à la victoire.

Ils sont tous morts, morts en héros, Et le désespoir est sans armes; Du moins, en face des bourreaux Ayons le courage des larmes!

Martyrs, à vos hymnes mourants Je prêtais une oreille avide; Vous périssiez, et dans vos rangs La place d'un frère était vide. Mais nous ne formions qu'un concert, Et nous chantions tous la patrie. Moi sur la couche de Gilbert*,

1. Voir page 104t

LE MYOSOTIS \:\^

Vous sur l'échafaud de Borie.

Ils sont tous morts, morts eu liéros, Et le (It^scspoir est sans armes ; Du moins, en face îles Ijourreanx Ayons le coura^'e des larmes!

MIL HUIT CENT TUENTK-SIX

« Tu ne tueras pas ! d ( Dh'aiflijkt'.

nirii l'ordonne, cl je vous en l>rie, .Miii i|iii v.iis ('li;inl;nil sur vo^ \k\>^ Mrinc pour >;niV('r l:i pairie, 0 mes IVrri's, iii' lue/ |>a>! Quanti (('lit' aiinr (|ui lnmi> cneort' \ Iniinc, mon vers Irieolore H('( nia soudain Manr d'cnVoi : iMa itili('' di'vint dn délire, l'.l, K'uianl ses dicoN, ma Ivre A niununi't' : Vivr le roi î

\nc^

LE MYOSOTIS

Quand un jury tue, à la face Si nous lui jetons le remord; Si du code rouge on efface Par degrés la phrase de mort, A Tliémis, tant de fois trompée, Si l'on veut arracher l'épée pendent des gouttes de sang ; Ce n'est pas pour que, dans la rue, Le fer justicier tom])e et tue, Ramassé par vous en passant.

Dans le palais, aux jours d'alarme, Regardez : ne voyez-vous rien, Rien, que le sahre du gendarme Ou du marchand prétorien? Oh! quoi qu'ait prêché dans ce livre. Dont le parfum de sang enivre, Saint-Just, l'apôtre montagnard, Enfants, la morale éternelle Au seuil des rois fait sentinelle Pour en écarter le poignard.

Forgeron, laisse sur l'enclume Le fer vengeur inachevé : L'arme du siècle, c'est la plume.

LE MYOSOTIS

\'M

L(;vi«M- (|ir.\r(Iiiiiir(I(' ii \v\r ! Écrivons : (juaiid |itmr la patrie La jilumc fie 1er veille et erie Alix mains dn talent. indi;;n«'', Hois, prinees, valets, tout ensemble S'énicnl... cl la |ilimH> dor Ireiiilile ncvaiil l'airèt (juVIle a si;j;né...

Mais, Idcii (|iie mon vcis f:r(tiide cl prêche

Ne eraii^nc/ pas pour volic ami

Tne insnile à la l'ossc IVaiclic

On vos san^lols l'onl endormi.

Laissant à l'esclave tni Ici i-ôlc.

.le dirai, dùl à ma parole

l'n brnil de venons relcnlii' :

« Apôlres des sani^lanls systèmes,

» Nns cnllcs ne soid pas les mèine><,

)i Mais vous com|i|e/. nn beau marivr! »»

l'J (piel pr-re n'a vn ses lille^ Honorer de picnis iniii-nns l.c p'niic liei(K CM ^^ncnilles, l.c beau paliiole an\ pied^ nns? Il sanva des Ilots Inné d'elles, l'.l leurs ;iiii(Hirs lin snni lidelc^...

158 LE MYOSOTIS

Donnez des lis, car il n'est plus ! Des lis, des pleurs, ô jeunes filles : Car son sang tacha ses guenilles; I/écliafaud meurtrit ses pieds nus !

Jeune, et sans pain, sans fiancée, Des rêves d'amour l'ont nourri. Et l'ombre de Cymodocée Au Martyr du peuple a souri. Sous notre chêne populaire. Que la sainte croix tumulaire Prodigue l'ombre à son tombeau; Si le Dieu chrétien qu'il adore Le repousse en tonnant, Eudoro Prîra Jésus pour Alibaud.

Hélas ! de l'hymne funéraire Qu'aujourd'hui j'abandonne au vent. J'aurais voulu, mon noble frère. Parer ton front, ton front vivant : Tel, quand chaud de mille agonies, Ankastroëm aux Gémonies Doutait, on vit ou l'on crut voir. Pour parfumer la claie infâme, Des mains d'un auge ou d'une femme

LE MYOSOTIS i59

Quelques l)rins de lauriers pleuvoir.

Gagnons les bourreaux de vitesse, Disais-je, Alibaud va mourir : Vers le Gol^^otlia de Lutèce Le char court : Muse, il faut courir. Mais un vers me fuyait encore, Et déjà du coteau sonore Tombai! ce cri : Mort en héros! I/œuvre rivale riait complète : J'arrivais trop lartl ; le poi'lc Étail vaincu par les bmiireaux.

N I C 0 L A S

Chanson à boire écn'.c sur h carie à paver d'un reslauraleur.

An; : /'m Cun- </<• Voiuponr.

Chez Nicolas, inni, je me l•lai•^,

Malf^ré sou air si>vère. \près Imire au ne/, dcx valeK

Si l'on jelle ^(Hi verre.

inO LE MYOSOTIS

Si l'on s'oscrime avec les plats, Il gronde et veut qu'on parte : Ne vous emportez pas,

Nicolas; Mettez ça sur la carte.

Ce mot apaise en un moment Notre hôte qui s'effraie;

Sous ce bon prince on a vraiment Les libertés qu'on paie.

Attable-t-on certains appas. Il gronde et veut qu'on parte : Ne vous emportez pas,

Nicolas; Mettez ça sur la carte.

Priant de ne pas l'oublier, Quand la gentille Rose

Voit chacun dans son tablier Lui glisser quelque chose.

Il gronde et veut qu'on parte : Ne vous emportez pas,

Nicolas; Mettez ça sur la carte.

I.E MYOSOTIS

Si (|iifl(jii(' vt'iil, loil ;i |ii(>|M)s Kleijjnaiil lii cIiiiikIcIIc,

l'iiil li('lni(li('r parmi les puis Son r|Miils<' lidrlc,

Si (le la iiapp i l'ail (l('^ draps,

Il ^ioikIc cl vciil (lu'oii jiaile Ne vous «Miipoiic/, pas,

Nicdias; .Mcllc/- r,\ sur la carie,

F.c pmivnir ol de ses amis : Dans un cnin de la salle

Il a \\i\'j.\ l'ois mis cl riMnis <!eilain liuslc ini peu sale.

Uii-iiid le plàlrc vdl,. rn ('-clals, Il f,'iitndc cl Vcnl (pi'on parle Ne vous emporic/, pas,

Nicolas; Melle/, ça sm- la carte.

ICI

Nicolas, di;.'ne pclil-llls

De madame (in''i,'(ùrc, Toii \in in'ins|iiiail (piand je lis

Ces coii|)|(>|s à |;i i:|iiiic. Ton vni cs| JKin. mes \civ sont plaN

162 LE MYOSOTIS

Mais il fiuit que je parle : Je te les offre, hélas !

Nicolas, Pour acquitter la carie.

LES CROIX D'HONNEUR

Vieux chevalier, blanchis par tant d'exploits, Sous vos haillons cachez bien votre croix.

Elle brillait d'un éclat fabuleux. L'étoile sainte, aujourd'hui dérisoire, Quand, pour parer des uniformes l)leus^ Elle pendait aux mains de l'Ilomme-Gloire.

Vieux chevaliers, blanchis par tant d'exploits. Sous vos haillons cachez bien votre croix.

A ce trésor^ que son sang achetait. Le mutilé, dont la mori élail sûre,

LK MYOSOTIS 103

Tondait, joyoïix lo !)ras ((ui lui rosluii, FI (If huiliers piirriimiiit sa l)l('SMir('.

Vieux cliovaliors, Ijlaiiciiis par laul (Toxiildils, Sous vos haillons caclioz Iticu voiro croix'.

li'asirc (l'Iionnour, sous la lenlo, au loruiu, Lanrail toujours ses rayons au jilus (li^uic; l*oiu' nos S(»l(lals ce nouveau laltarum IVtrlail ('ciil : Tu vdùicras jxir ce sùjne!

Vieux elieviiliers, Maneliis [nw tiuil d'exploils, Sous vos haillons e;iclie/. iiini voire eroix.

.l'iii vu, (|iiiii/.e an^, Ioiin les iMiiivoirs iii(i(|Meiirs Pour leurs Viilels eu fiiire inie livn'e; •lai VII, (|uin/.e ans, i\v> jxiilriues sans cirurs S'eiiller dormieil sous l'i-loile s;ien''e.

Vieux elievaliers, l»l;ulelli•^ par l.iiil (rcxploils. Sons vos haillons eacluv. hieu volii' eroix.

Ou'ai-ji» dil? non : le iieiiple saiiia hieu. Vous S(''|iiuaul d'une li^iie euuemie. Au lâche esclave, an iiohie eilo\eii.

CI LE MYOSOTIS

Tailler leur part de gloire ou d'infamie.

Vieux clievaliers, blaucliis par tant d'exploits, Sur vos haillons étalez votre croix.

A vous la honte, à vous, brillants valets! Prévenez tous le grand jour de colère : Pour que le feu consume vos ])revets, N'attendez pas la foudre populaire !

Et vous, guerriers, blanchis par tant d'exploits. Sur vos haillons étalez votre croix.

F/ILE DES BOSSUS

CONTE - CHANSON

Dans le pays dos bossus, Il faut rétro Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus

L K M V U S U T I S

lO.i

Au pays des bossus.

Uu jour, le veut iiKxpKMir y jclle lu |uiiiié (le Jciiii de Calais; Jean débaiHiiic cl [urnd sa loi'^iicile : « Tudieu ! que ces niaj^ols mmiI l;iid> 1 »

Et Jean, d'un air sii|iL'il>e,

Les loise à clia(iu(î pas ;

Car il csl iiii piovcilic

(Jue Jeau ne eoniiail p.is :

Dans le pays i\c< lios^us, Il Tau! l'être

Ou le iiiiiailrc : I.i'S dos pliils sont mal rcru> Au pays des Itossu>.

D'un air li'ioni|ili;iiil . il >V'lal(' !.«' siiir aux lîmillrN; mais ^(tudai^ Autour de lui , de slallc l'W >lall(' . nourdounr un rire de dcdaiii. Maint l'ai^mr d'cpiurannur Cric : A la poitc ! il \a l'"inrc .iNoi Ici le di.nnc 1^1 la iloittt (Itia.

(3<i LE MYOSOTIS

Dans le pays des bossus ; Il faut l'être

Ou le paraître ; Les clos plats sont mal reçus

Au pays des bossus.

Jean le comprit , et d'une haleine Vite à son auberge il courut Endosser deux bosses de laine; Puis dans le monde il reparut : Et soudain chaque belle , Prise à ce tour subtil , Du beau Polichinelle Voulut tenir le fil.

Dans le pays des bossus, Il faut l'être

Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus

Au pays des bossus.

Mainte yieillc, à la dérobée. Épuisa pour lui soins et lard; Mainte fois sa bosse est londjée Aux pieds d'une autre Putiphar;

LK MVUSUTIS 1C7

Ijiliii, i»()uv;iii( à [iciiic Sullirc à son bonheur, .It'iiii (riiiic énorme reine l'nl... i'éeuyer d'iioinieur.

Diins le pays des bossus, li laul l'être On U\ inii'nili'c, Les dos plats son! n\;\\ irnis An pays des l>ossus.

Mais (In mi Ponl il \il la lillc; I.'aufinsle enlanl, des pins jolis, Kpouvnniail de >a raniillc, Avait poussé didil ronnnc un lis.

I)e ce coli' s;nis ecssc

.Icioi sun|iii(', cl, viiiiKpicnr

An\ pinls de la princesse

M(!t su busse et son l'o-nr.

Diins II' |i;iys des bossus , Il l'anl l'rliv On le pin.iiln' :

l.cs (lus pliils MMll ni. il K'ciiv An pa\s des Imssus.

168 LE MYOSOTIS

Tous deux s'esquivent ; bon voyage! Puis en France ils vont saintement Ajouter à leur mariage La formule du sacrement.

Bref, de sa double bosse.

Inutile à Calais,

Pour danser à la noce,

Jean se lit des mollets.

Dans le pays des bossus, 11 faut l'être Ou le paraître : Les dos plats sont mal reçus Au pays des bossus.

H eul un enfant, deux, trois, quatre, Fut éclievin et marguiller, Vit des abus sans les combattre^ Écouta des sots sans bâiller.

Et, vieux, de la jeunesse

Devenu le Mentor,

Au sortir de la messe

il fredonnait encor i

Dans le pays des bossus.

LH M VU SUT 1 S IbU

Il faut rrin; On 11', |i;ii;iilr(! : Les dos plais soiil, mal rorus Au pays tics bossus.

I. A !• i: Il Al 1 1: i; i:

K O M A N t K

Élrennes à niadame 0***

AiiKiiii" à la rcriiiiiMc ! clic est

Si i^tMililIc et si (Iducc 1 C/csl l'oiseau des liois (pii >c plail

Loin du luiiil dans la mousse. \ icu\ va;4al>oud i[ui lcnd> la maiu ,

l'adaul |»aUMc cl saii^ mcre , Puissiez. -vous lroii\cr eu chemin

I,a fciiuc cl la fciniicrc !

He l'escahcau vide au foyer

le pauMc s'empare , l'.l le -raud jtahul de u<t\cr

170 LE MYOSOTIS

Pour lui n'est point avare; C'est qu'un jour je vins m'asseoir,

Les pieds blancs de poussière; Un jour... puis en marche ! et bonsoir

La ferme et la fermière !

Mon seul beau jour a linir^

Finir dès son aurore ; Mais pour moi ce doux souvenir

Est du bonheur encore : En fermant les yeux je revois

L'enclos plein de lumière^ La haie en fleur^ le petit bois,

La ferme et la fermière !

Si Dieu, comme notre curé

Au prône le répète , Paye un bienfait (même égaré).

Ah ! qu'il songe à ma dette! Qu'il prodigue au vallon les Heurs,

La joie à la chaumière! Et garde des vents et des pleurs

La ferme et la fermière.

Chaque hiver qu'un gruui)c d'enfants

LK MYOSOTIS

171

A son riisfvin sourie, (loiiimi^ les Auges aux (ils lilaucs

De la Vicrgo Mario ; Que tous, par la main, pas à pas,

Guidant un [iclit frèn», Iléjouissent (le leurs ébals

!-a feruK^ et la rermièn».

Ma Cliansonnelli», prends Ion vol!

Tu n'es (pTiin l'uiltle li(innn;me; Mais (pi'eii avril le ros>i},'Uol

( liiHile el la (l<''(!i)nnnai:e. Ou'elïrayé par ses cliaiils (ranioui\

l/(iise;iu du cinielière I.(Ui;«'(enips, Imi^leiups m' laise pour

l.a l'eriuf ri la leiinirre !

J.iini.r |s.i(..

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172

LE MYOSOTIS

Sf vous M'AIMIEZ

ROMANCE

Ménestrel , qui vais par le monde , N'ayant rien que mon gai savoir, Si vous m'aimiez, ô belle blonde, Je me croirais un riche avoir; Comme Pétrarque aux pieds de son idole , A vos genoux courbé bien bas, bien bas. J'oublierais tout, voire le Capitole, Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.

Si vous m'aimiez, ô belle blonde,' De vos baisers seuls j'aurais faim, Et, sourd à son voisin qui gronde. Mon cœur s'enivrerait enfin ; Cœur mendiant, il va, de femme en femme. Criant misère, et sans secours, hélas! l.o pauvret meurt : il nuialtrait, madame. Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.

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LE MYOSOTIS

173

Et mes chansons fraUlies éclo-es, Au vent du matin et du soir, Iraient à vous, comme les roses Qui pleuvent devant l'ostensoir. Purifiant Pair de Paris, madame, vous iriez j'irais, cl, sur vos pas, Comme un parfum je brùlnais mon âme, Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.

ip-

Sur vous, firand' dame que l'on Hatlc,

Un lor{;non d'or s'«'sf promené ,

VA par Ir no'iid d'un»' i ravale

Voilà votre cdMir cncliaîn»'. IVun plus licuicux (pic riioMMuai:»' vous plaise Soiu"iez-lui , fiiarriiez Hère à son liras : Sou liras! deniaiu je sauiais ee qu'il |iès(^. Si Vdiis m'aimiez... niai> vous ue ui'aimez |>as.

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«0.

172 LE MYOSOTIS

SI vous M'AIMIEZ

ROMANCE

Ménestrel, qui vais par le monde, N'ayant rien que mon gai savoir, Si vous m'aimiez, ô belle blonde, Je me croirais un riche avoir; Comme Pétrarque aux pieds de son idole , A vos genoux courbé bien bas, bien bas, J'oublierais tout, voire le Capitole, Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.

Si vous m'aimiez, ô belle blonde,' De vos baisers seuls j'aurais faim. Et, sourd à son voisin qui gronde. Mon cœur s'enivrerait enfin; Cœur mendiant, il va, de femme en femme, Criant misère, et sans secours, hélas! Le pauvret meurt : il renaîtrait, madame. Si vous m'aimiez... mais vons ne m'aimez pas.

LE MYOSOTIS 173

El iMOs cliirnsoiis friiiclics (''clo es,

Au vcnl. (In innliii et du soir,

Iraient à vous, comme les roses

Oui pieuveut devant l'ostensoir. PiH'iOaMt l'air de Paiis, madame, vous iriez j'irais, <'t, sur vos pas, Comme un parfum je hrfderais mon âme, Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.

Sur vous, prand' dame que \\)\\ flalle,

l'n Idi'iJiKtn d'oi' s'est promeut' ,

VA par le iiiend d'une cravate

N'oilà voli'e eti'ui' eiieliaim''. IVoii plus heureux tpie riioiiim;i;^'e vous plaise Souriez-lui , m;ueliez lièi'e à s(tn liras : Son hiMs! deuiiiiu je sauiais ei' (pi'il |»èse, Si vous m'aimiez... mais nous ue m'aimez |»as.

«0.

174 LE MYOSOTIS

A UNE DAME

Qui se plaigaail de voir aux Tuileries sa chaise entourée de jeunes gens, .

Blonde à l'œil bleu, lis tremblant sur sa tige, Vous vous plaignez, lorsque, prenant l'éveil, Autour (le vous la jeunesse voltige Comme un essaim qui bourdonne au soleil. Plaignez un peu les jeunes cœurs sans nombre En plein midi soupirant sur vos pas; Plaignez surtout ceux qui battent dans l'ombre Belle, mais ne vous })laignez pas!

LES DEUX AMOURS

Pourquoi donc^ jeune Laïs, Rêveuse au bord do ma rouelie ,

LE MYOSOTIS 17:;

Sur mes amours au pays M'intorro^or bouche à bouche? J'ai, i»our eux, daus nos déserts, Chauhî sur toutes les notes... Mais , à propops de mes vers , Fuites donc vos papillotes. Vous soupirez, et jtounpioi?

Riez vite!

Ma petite : Vous soupirez, et pourquoi? niez vile, ri l»;iis(7.-iii(ii.

Ihi angf snl iik» cliiiiiiicr, Vi\ aii^^'c .111 ('(l'iii- piii' cl Ifiith"!' ; De loin , nmjciil de r.iiiiicr, 1)(», la voir cl de j'ciilcndre, .\c la suiviMs sans icpos, l\l mes Icvrcs ciir;iiilincs Haisaicul sa Iracc... A i>i-opos. Délacez doue V(k bollines. Vous soupirez , et pounpioi '.'

Hie/ vile ,

Ma petite : Vous soupire/ . cl |MMinpioi ? Hie/, vile , cl It.nsez-nioi.

76 LE MYOSOTIS

De sa bouche quand j'ai su Obtenir enfin : Je l'aime! Les mains jointes j'ai reçu Son baiser comme un baptême ; J'ai, le front sur ses genoux, Prié des heures entières... A propos, qu'attendez- vous? Otez donc vos jarretières. Vous soupirez, et pourquoi?

Riez vite.

Ma petite : Vous soupirez, et pourquoi? Riez vite, etbaisez-moi.

Oh! si j'avais par hasard Effleuré de mon haleine, Profané de mon regard. Son sein rond sous la baleine. J'aurais dit cent fois : Pardon ! Moi, bàtnrd de Diogène... A propos, débouclez donc La ceinture qui nous gêne. Vous soupirez, et pourquoi?

Riez vite.

Ma petite :

L ?: MYOSOTIS

Vous soiipiroz, cl ponr([noi? Hicz vil(^, cl l)iiis('/,-m(ti.

Cos hc.aux jours sont onvolrs : One le souvenir en niinirc! I.ors(|ii(' vous me consolez, Peul-êlre ([n'en sa deiiieure, lléliis ! son onitli in'iiltsoul T)e rnon plaisir inlidèle : Amours purs, eioyanees, tout ST'Ieinl... soufllez la eliaihielle. Vous soupirez, et |M>ur<pi(ti?

niez vile,

Ma petite, : Vous soupirez, el poiuipioi? niez vile, el liaisez-nioi.

177

Li:S CI) NTKS

Oiplieliu, sous un eiel avan\ HaiielilTe m .1 ilouue son l.iil : Puis (je |;i reine de Navarre.

17S LE MYOSOTIS

Je devins amant cl varlci. Schérazade est ma faYorite, Et la nuit, rimeur ennuyé,

Sur ma petite

Couche d'ermite,

Quand je m'agite,

Si par pitié La sultane entrait chez moi, vite Elle en obtiendrait la moitié.

Je préfère un conte en noYcmbre Aux doux murmures du printemps. Bons amis, qui peuplez ma chambre. Parlez donc, j'écoute et j'attends : Tombant des tréteaux de la foire. Ou glissant du sopha des cours.

Que YOtre histoire

Soit blanche ou noire.

Chante la gloire

Ou les amours, Vieil enfant, je promets d'y croire : Contez, amis, contez toujours.

En tremblant, voilà qu'un beau page ^

A sa dame écrit ses douleurs;

LK MYOSOTIS 171»

Il écril, L'I sur i:li;i(|uc [K\^(' Il('[i;iii(l moins de vers ([11(3 de |ileurs. Pauvre Artluir! son leinl Irais se [tlunibe; .Mais eu loucoulaut sous les lours,

Tendre coluinbe,

Quand il succombe,

L'n baiser tondx;

Sur ses yeu\ lourds; (!e baiser reulève à la Inmbc...

(IdUlt'Z, amis, ((luli-z l(Hi|nui>.

Pèli'riu, dans l'Iiôlellerie,

Vois : de y,\\\'^ les draps soûl lacliés;

An\ irons de la lapissi'iie

Vois les \t'n\ {{('<• Iiri;^auds caclics.

Ib'las! sulTixiiK' par la crainl»',

(louliT ('u\ il san^lolc : Au secours!

Mais minuil liulc I...

!>(• leur allt'inlc,

( > \ irrp' sainte,

S.uivc/. ses jour>!

Hailumons uolir lam|t(' clciid»'. Mes amis, cl «•onle/, toujours.

Uni balMlle eu cet ttraloircV

180 LE MYOSOTIS

Ce sont les nymphes d'un couvent, Long cliapelet aux grains d'ivoire Que dévide un moine fervent; Le jour en chaire il moraUse; Mais, sans bruit, au déclin des jours,

Hors de l'église,

11 catéchise

Quelque Héloïse

En jupons courts... Un instant, que j'embrasse Élise, Mes amis, et contez toujours.

Ou bien, histoires plus charmantes, Épanchons nos cœurs, et parlons De nos sœurs et de nos amantes; Parlons de cheveux noirs ou blonds. Doux secrets que le monde ignore. Allez, partez : les murs sont sourds.

En vain l'aurore,

Qui vient d'éclore,

Brille et veut clore

Nos longs discours : Jusqu'à la nuit contons encore, Jusqu'à demain contons toujours.

LU MYOSOTIS

SI

I.'OISKAL (JUE J'ATTENDS

Il 0 M A N t E

Les Ihsuix sok'ils iiKirls V(tii( iciKiiliv, VA \oi(i (l<'|ii mille (tiscaux l'ciidiiiil leur iiiil à la fciirlrc, l'ciiplaiil les bois, rasaiil les eaux. Tous les matins un doux hiiiil irailcs Me ri'vciljt', cl jVs|irr('... In''la>! A mes carreaux, noirs (riiinmdelles, l/oiscau (jue j'allcnds ne viciil pas.

I.'and)itii)n m** lui comme. Un. nul je \i> l'ai-le au lar^c \o|. In jour, eonlenijdci' de la nuo Les in^cclcs |Hiudreux du sol ; -le vois à la Icmpclc noire 1/ai^le, eneor livrer des comhab;

11

82 LE MYOSOTIS

Je le vois sans rêver la gloire : L'oiseau que j'attends ne vient pas.

Voici le rossignol, qui cueille Un brin d'herbe pour se nourrir, Puis se cache au bois sous la feuille Pour chanter un jour, et mourir : Il chante l'amour. . . Ironie ! Oiseau moqueur, chante plus bas; Et qu'ai-je besoin d'harmonie? L'oiseau que j'attends ne vient pas.

Plus loin, le martinet des grèves, Sur un beau lac d'azur et d'or, Gomme un poëte sur ses rêves^ Se berce, voltige et s'endorl. Dors et vole à ta fantaisie> Heureux frère ; devant mes pas, Moi, j'ai vu fuir la poésie : L'oiseau que j'attends ne vient pas.

Arrive enfin, je l'en supplie. Noir messager dont Dieu se sert; Corbeau qui, sur les pas d'ÉHe, Émiettais du pain au désert.

L !•: MYOSOTIS

Porluiit la purt que Dion iii'ii l'iiilr, Ai'iÎNc, il est Iciiips...; iimis, lirlio! Moil Siiiis (loiile avec l(! iiroplirlc, L'uiscau (juc j'allemU ne vieiiL pus.

183

LKS Cf. ( m: m: S

Par ma IciuMn' s'csl ciiruic l/lllii^ioii, cl |i(Hir jaiiiais ! |)(Hi\ ir\('s, adini : jf nrriiiiiiic An son des rlorlics que j aimais, h'iiilci int'lcr It'iir liaiiilla{;t', l*(M'lt', à sfi/.c ans j Vns le dini. l'oin- IV'Irr le saini Aw villa^zc. Les rliiclics tlivairnl : Alltm> donc!

Arii\»'/ donc !

\rii\c/. donc !

ArriM'/, donc !

Mais jr snis peu dc\ol, cl nicun' Il me Mm\ iciil d a>oir (»s('

LE MYOSOTIS

Faire un gai repas en carême. Repas d'amis bien arrosé. Hommes de Dieu, point de reproches Il excuse un jour d'abandon; Puis... c'était la faute des cloches Qui nous répétaient : Allons donc!

Grisez-vous donc!

Grisez- vous donc!

Grisez-vous donc!

Quand je donnai mon cœur à celle Qui n'en veut plus, et l'a toujours, Le tocsin même et la crécelle Parlaient aux vents de nos amours. A l'ombre des bois, sur la mousse, Rêvant mieux que sur l'édredon, i\ous entendions, de leur voix douce, Les cloches nous dire : Allons donc !

Aimez- vous donc!

Aimez-vous donc !

Aimez-vous donci

Puis, j'arrivai, jeune et plein d'àme. Dans la grand' ville en pèlerin; Le Te Deum de Notre-Dame

LE MYOSOTIS «85

Alors borçiul un souverain ;

Miiis à iï'lcr s.i bionvenuo, (juiind on i'iili^iiiiit le Itonnloii, J'nsp«'rais, moi; car dans la nnc l/aiiiiin {^Tommclail : Allons donc!

Armez-vons lionc !

Arnu'z-vons d(»nc î

Armc/.-vons donc!

|N>nr moi les cloches^ [lanvrc Kiancc, N'onl |ilns nn lan^^aj^c an>si cl;nr: D'innonr, (W iiUmv et d'cspciancc, l*onr moi, rien ne parle dans l'inr. Je n'entends, connne loni le monde, Oii'nn ('■leinel drelin dindon. Une l:i it'pnltlitpie vons l'onde! (lloclies li;iv;ii(les. allons donc î

Taise/, vons donc !

Taise/.-V(ins donc !

'l'aisez-viMis donc !

186 LE MYOSOTIS

LE REVENANT

J'ai lu Pytliagore, et souvent Je me confie A sa philosophie. Après la mort, son, flamme ou vent, Chose légère comme avant, J'aimerai ce que j'aime en vie : Fuyons un corps que nul ne bénira, Vers mon pays mon âme s'en ira.

Si, rêveuse après mon trépas, Vous, pleurez, Laure, Et visitez encore Ces champs croissaient sous nos pas Des fleurs... que je ne voyais pas; A votre appel, sœur que j'adore, Un feu follet en dansant vous suivra : Pour vous aimer mon ume survivra.

LE MYOSOTIS <87

Quand, sylplio joyeux des Iiivors, Le iiuncli blouâtre Danse et rit devant l'àln»; Amis, si vous cliantez les vers DonI je |i;irruiM!iis vos desscrls; ToiH" à IdUi' |)l;iiiilir ou l'olàlfc, Siu' la iiKiulaunc uu ('rlm s'culi'udi'a A vos cliansuns mou âme r('|»oudia.

(Juaud s(»uu(' riiliii riicuiv d'oS(M-, S'il vous anivc (Juc la liraïUi' ciiiiulivc l'essaie cucorc de rrru<('r l'.l uiuiMiurc >oMs h' Itai^rr; l']ui|Mii'laul >a |ilaiiHi' lardi\i'. In vcnl comiilicc l'ulii' rjlc cl \niis luira A V(K amours mou ùmo sourira.

.!•' ui(MU>! t>l |iourlaul, I.ilirrli'. Tu lions a|tp('llt'> A des IV'It's nouvelles, tjne Ion elièiie ri'ssuseili''. Sur ma I'osm» ;m nioin«< s(»ii |i|.iiUe ! Ml elianlaul el l»allaul de< aile»;, i^e Inam lie en luMiirlie une f.iuvelte iia :

LE MYOSOTIS A ton réveil mon âme applaudira.

J'ai lu Pythagore , et souvent Je me confie A sa philosophie. Après la mort, son, flamme on vent. Chose légère comme avant, J'aimerai ce que j'aime en vie : Fuyant un corps que nul ne bénira. Vers mon pays mon âme s'en ira.

BORDEAUX

ODE

A madame ***, de la Gironde,

Bordeaux, paradis de mes anges, Olympe de mes dieux, Bordeaux. J'irai te chanter des louanges, La besace homérique au dos.

LE MYOSOTIS 189

Sur le grand clieniiii noir de itluic Ou'nn biniic rayon toiniK' o\ l'essnit^ Et demain, tronhadonr |)it't(»n, Dans la liai»' an\ fzi"a|»|»es vcrnicillcs. dansent mes sœurs les abeilles, Je veux nn' lailler un liàlnn.

Humble oiseau, ma voix (rcniblc, il nri^'e...

ncllf veuve du beau nM<-os,

JNiMi' diie les L'Ioires, <|iie n'iii-je

l'n liilli IV-eoiid en mille tM-ln^!

Vers la rive. (|u'il a clioisie,

'{'((Ml mon ileiive de |Mt(''sie

Ilnndirail, di'Norant ses bords,

Kl eli;i(|ne v;iL'Ue, cliiniiie rime,

Bordeaux, l'eiiiil le iiniil sublime

Un»' liiil rOet'an dans les |M»rls.

Aux i-'rands por-tes, et» faraud rôle. I,es [lieds |iendanl> au lil de re;iM. Moi, j'aime à r«"'ver sous un sude Avec l'iunanle dOlliclio ; Kl pourlanl. voiei la semaine

HiUlLie dune jier.iliiiniti' iMUU.iine. Ib»u:.:e du '^awj. de \ in::! Iieros.

i\.

i90 LE MYOSOTIS

Qui jetaient, fiers et sans murmures, Leurs belles têtes demi-mûres Dans la corbeille des bourreaux.

J'ai caché de la Muse antique L'autel proscrit dans mon grenier. Je suis un païen de l'Attique, Comme Vergniaux et les Chénier. Dans tes troupeaux à blanche laine, 0 ma fermière châtelaine, Laisse-moi choisir deux agneaux. Deux agneaux noirs, car je veux faire Un sacrifice funéraire Aux mânes plaintifs de Vergniaux.

« Enfant, la Liberté momie

» De ton cœur vierge eut les primeurs;

» Tu crois ton amante endormie;

» Pauvre enfant, elle est morte... Meurs! »

Ainsi, dans leur funèbre ronde.

Les fantômes de ta Gironde

M'entraînaient lorsque je te vis.

fiirondine, qui me répèles :

« J'aime à veiller sur les poètes :

» Espère en moi, ])oëtc, et vis. »

L E M Y 0 s 0 T I s \\)[

Du pain quo chaque jour m'apporto,

C'est par toi que je me uouriis;

C'est toi (|Mi vas, de porte eu porle,

Pour mes vers queler uu souris.

Contre moi si l'enfer se lève,

Sur le serjM'iil tu mets comme Eve

Tnii picii sacré, ton pied vainqueur.

Knlrc mes idoles jumelles,

Oli ! viens donc, viens réf^ner comme dlc^

Dans le Panlliéon de m(tu cœur,

Nos murs N'urcuv par ton lialciiic

Siiiil A pciiic [loriliés;

Nos pav(''S sales ont à peine

Poussé (juelques Heurs sous les iiied^:

l",l In luis, ViililL'e cnldmiie,

Tu liiiv!... Si Ion l'Ioile en luiuhe,

llt'lii>! mon ( iel sera jiieu noir :

|;ianer un souris de iViniMe?

A quelle finie iillunier inon Ame V

iVllls ipiel d'il hleil elierelier lespoir?

Au pays ipi)> la Ivre lioiiore. J'irai, j'irai : (le|,'i lu voi»;, Comme ;iii \eiil nu rose. m sonore.

102 LE MYOSOTIS

S'éveiller la mienne à ta voix. Toujours à la nef voyageuse, Qu'elle fende une onde orageuse, Ou se berce en un doux chemin, Toujours l'hymne pieux d'Horace! Toujours deux pieds nus sur la trace! Toujours deux lèvres sur ta main !

Bordeaux, paradis de mes anges, Olympe de mes dieux, Bordeaux, J'irai te chanter des louanges, La besace homérique au dos. Sur le grand chemin noir de pluie. Qu'un blanc rayon tombe et l'tssuie, Et demain, troubadour piéton, Dans la haie aux grappes vermeilles, Oi^i dansent mes sœurs les abeilles. Je veux me tailler un bâton.

1

LE MYOSOTIS iO.T

L ACENAIH R POKTR

... Mais, (lira-t-on, il f;iit des vers ! C'est donc une donn'-o bien rare que les vers ? .1. .1.

(juiiinl il faisiiil des v«'rs dans sa diTuirr»* vrille,

(livdnir au\ iiiillr V(ii\ i|iii rt-ju-lait'iil : McrNcilIc !

Il t'sl duiK- viai, disiiis-jt', un imicIc voleur !

l'ii |ii)ël(^ assassin ! Iiélas! el ma douleur

(^hercliait (|uerelle à Dieu, qui voidul (|u'en iioln» Aizo

La sainte [joésio essuyai cel outrage.

Noire père Villon, (|ue harcelai! sans lin

Ce dt''ni(»n leulaleur (|u'ou a|i|ielle la Fniin,

M»''dila de sou leiups nioius de ver^ (|ue de ruses;

Salvalor se jela Itaudil dans les \i)ru/7.es.

l'-t l'eseopelle au |M>iuu', liivouai|uaul vur I(>n monts,

Pour mieux |it>iudr" lenler \eeul elie/. Ii>s demon<.

Mais autour du premiei-, de liaul> vo^mun sui^ nondin»

t.ouNonuuaienI au soleil ee (juil leulail A.w]^ l'oudire.

^94 LE MYOSOTIS

Et Ton dut pardonner au troubadour forain

D'avoir, Immble vassal, les goûts d'un suzerain.'

De MaSaniello le poétique élève

Contre la tyrannie avait brisé son glaive,

Et pour sauver ses jours, le proscrit montagnard

Des morceaux qui restaient dut se faire un poignard.

Mais tuer sans combat, égorger qui sommeille,

Ramasser un écu dans le sang d'une vieille,

Et pouvoir dire après : Je suis poëte!... Non!

Car il ne suffit pas, pour mériter ce nom.

D'emprunter au public de banales pensées

Qu'on rejette au public en phrases cadencées :

Le poëte, amoureux du bien comme du beau.

Attend deux avenirs par delà le tombeau,

Et riche, en vieilhssant, de candeur enfantine.

N'a rien à démêler avec la guillotine.

Le poëte ne voit qu'un seul bourreau de près :

Le Malheur! ou, frappé par d'iniques arrêts.

S'il meurt, c'est en martyr, et le ciel est en fête,

Et personne ici-bas ne dit : Justice est faite!

Interrogez Samson : depuis qu'André Chénier

D'un sang si précieux parfuma son panier.

Jamais son doigt savant (Thémis en soit bénie!)

Sur un front condamné ne palpa le génie.

C'est un roi qu'iui poëte, et la hache des lois

LK MYOSOTIS lOii

Tiin Cliriiit r ilii tomps que l'on liiiiil les ntis...

Mais cliacun peut tracer des lignes parallèles.

Accorder en duo des syllabes jumelles;

ï.a rime, dont Boileau trouvait Ir jouji pcsaul,

Au moindre appel (voyez!) obéit à présent,

I-^l d'AiiiolplM' iiujourd'bui la naïve écolièrc

Au jeu du corhiUon ferait capot M(tliùrc.

nadaihl <iiii, sur la foi d'un (Awjlv odieux,

(Jonfonds l'ariiot du baigne et la langue dcv diciix.

Admires eu tremblant I-accnain*, et soidiaites

In iiaisi'i- (If sa veuve au dniiicr des ikicIcn,

Adiniit' cl liTin'olt' inniiis : mit ton i nïnc int'i,'al,

I.a sottise en relie!" eût (''|Miuvinili'' (iidl.

Des rêves d'arf^enl seuls onl li(»ul»li'' Ion iilcc'ive,

l,";nillnnéti(|ue seide \\<\\ la |ilnine eliiinve :

l'.li bien! |ienilaiil deux nnils lunlle sni" un Kevj.mi,

Dors snr nn Kii lielel, el in poiuMas bientôt,

.\p|trenli de hi veille el di'jà passt' maille.

Anner dinis Ion eoinpioir la strophe et riiexamèlie.

VA ponrtani, loni l';ni> à lassiissin li m-

Soniil, el dévora se<. \ers ihns ji-nr |trinii nr. Onini anieur iilT.nne. ponr lailler ini \olnnie. Tasse avee le poii^nard IValerniser la plnnie

196 LE MYOSOTIS

De vin et de biscuit, pour nourrir son caquet, Qu'on agace au perchoir riiorrible perroquet, Qu'on secoue un album teint de sang rime à rime, De l'argot en patois qu'on traduise le crime : Bien! il faut que Paris ait du roman nouveau, Que Lacenaire mort renaisse in-octavo, Que la presse en travail donne un frère à Justine, Et qu'on batte monnaie avec la guillotine!... Mais sans être argousin, bourreau ni romancier, Aux veilles du cachot on vint s'associer. Les mains de ce lépreux dégoûtant d'infamies Tombaient à son réveil entre des mains amies. Et les journaux du temps, souillés de ses envois, A nous dire sa gloire enrouaient leurs cent voix. Pour enivrer cet homme et son pale complice. Si Ton eût annoncé, la veille du supplice, A Paris, l'hiver fait grêler tant de mnux. Un raout au profit des assassins jumeaux, La charité dansante, avare de centimes. Eût secoué de l'or à ce bal de victimes,.. Que dis-j€? la comtesse, au sortir de son bain, Caressait dans son cœur le hideux chérubin, Et sous un i)li coquet, à travers les gendarmes. Lui glissait cachetée une aumône de larmes. 0 femmes de Paris! sur son grabat désert,

LK MYOSOTIS i!t'

Un souriro do vous aurait sauv»'' fiilbort !

Et dans sos (ils nombreux Gilbert n-spire oncore ;

Il leur souflla, mourant, i'àm(; cpii les (h'-vore.

Ml! sur les éclios sourds la lyre est sans |MMiV(iir!

Il ImuI (les ( (nidiunnés à mort pour t'émouvoir,

l*aris! Kli bien! rcoiilc : ici, coMMut' à \'enist',

lu p('npl(! coiidamur' sous les plombs ajJîonise.

i.e Malheur, les preuanl loudx's du sein niil.d,

Manpia ces {.'iaours de son cachet fatal,

l'!l sur leur iVonl. depuis, ;^liss;nit avec .k t'uiiih l

Nul baiser n'essuya cet infernal baptême.

Sans éveiller de bruits, sans prètie ;i leiu's côtés.

Ils vniil moiiiir, cciiv-l;!, diueiiieul cidioh'S.

(iliaipie jonr le^ c(iud;uuue, et cdiiuue au roi (pii p.isse.

A chaipie, iendeiiiinu iU deiM;nidi'Ul leur i.'ràce.

I/Msp('rauce. avociil ;i l;i uiai^iipie vni\.

Les haine \\\\\>.\ lnMi:leiup> de pourvois eu pourvois...

Mais piireji ;iii Ikmiiic.ui. (pii vieiil cl frappe à riieure.

i.e Suiciilc eidiii les prend... cl nid ne pienre;

Nnl ne mène le deinl \ers le ('Ii,unp du rolier,

|'",l le pofle mort :^il |j. nioil loni entier...

\nè|e/-vous :ni bord de la Iosm* dKscousse. l'.nliniK \ien\ de donlenrs ipie son ("loile \ pouss.-.

lOS LE MYOSOTIS

Plus de chants, plus d'espoir : sur votre muse en deuil

Comment des éditeurs appeler le coup d'œil ?

Pour y saisir au vol une chanson, peut-être

Tous veillent maintenant au guichet de Bicêtre,

Et le public, sans foi dans vos noms sans crédit.

S'abonne chez Darmaing au scandale inédit...

Mais votre impatience en frémissant m'écoule.

Vous pairiez sans murmure un grand nom, cpioi qu'il coûte;

Eh bien ! pour éblouir et fixer le regard,

Secouez devant vous les éclairs d'un poignard;

Marchez, frappez, d'un meurtre ensanglantez les rnes;

Devant la Renommée et la garde accourues,

Fiers, et pour piédestal prenant un corps humain,

Relevez-vous alors, des chansons à la main!

LE CORSE

A l'heure où, pAle encore, le jour hésite à nnllre. Une étrange rumeur passa sons ma fenêtre, « N'est-ce pas au réveil la voix dn carnaval? » Dis-je; et dans le brouillard déchiré par les sabres,

L[- MYOSOTIS !!)!•

Je vis, (•(Uiiiiic 011 on Y(»il dans les danses niacahros. Passer dos ombres à cheval.

l'nis 1111 jxMiiilc liidenx, dont le vrai nom s'ignore, Tombant, je ne sais d'on, sur le pavi' sonore, fironillait... un même espoir scnililail le iviimcr. Allin'' |tar le sani: don! le pairnin Triiivre, I-e Paris de l'iVonl s'en rcicvail, pour suivre In Imninin (]u'<in allai! lucr.

Onand la r.(tr>e eut doiiiK' Napolt'oii an nioiidc. De si's conciles de i;loire arrière-laix iinnionde, l!lle y jeta l-"iesclii, ropproltie imil vivaiil. Mais ne lè;ine-t-il pas ini icniords ;i iiolie 'i-e, (!et lionime? el son déclin csi-il \\'\i>\\ mmi oiin ratie? (Jni sait? miinniiiai-je en rèvaiil...

Il va rendre au supplice une àine iiieii Irempée, nil-on; ne pou\ait il s'allor.Lcr m ('pée, (!e poignard ipii frappa ^ans demander pour <pii? I.e lie!, dans ce iiravil (pii meiirl aux pieds d im prrire, Voulul doiiuei' au monde un urand liouiuie peiU-èlre. 1,1 le monde lui reud... l'iesclii !

Si l"(''iude eùl passi' sur cet âpre :^enie.

200 LE MYOSOTIS

S'il eût bu In morale à sa source bénie. Quand il gardait pieds nus ses chèvres au coteau; Si le monde eût ouvert à sa jeune fortune Ce chemin qu'il voulut, dans la foule importune, Se tailler à coups de couteau !

On va bien loin, guidé par une étoile amie; Entre l'homme de gloire et l'homme d'infamie. Pour combler la distance il fallait un peu d'or. De l'orl un horizon plus large que le nôtre, Et Fieschi, l'enfant corse, eût grandi comme l'autre, Le beau Corse de messidor.

A MÉDOR

Heureux Médor, si j'ai bonne mémoire, Je t'ai connu jadis maigre et hideux; Chien sans pâtée, et poëte sans gloire, Dans le ruisseau nous barbotions tous deux. Lorsqu'à mes chants si peu d'échos s'émeuvent.

I. K iMVUSOTlS "201

Lorsijuc (lu rit'l mou pjiiii loiiihc à rrjjn't, A tes abois Dieu suiinl, Its us iilciivciil : Chien parvenu, (lujiue-niui luu b«.'ciet.

Aux cliiens h'in'cux, oui, le luiillicur lu rf;;ilc : Liallu (.les veiils, par la loulc oulra^é, Si je caresse, ou a peui- de la i-'air; Si j'é^ratigne, on nfaiiiicllc ciuaj^é. Pour qu'au Itoulicur jr [nii»!' l'uliu n-uailu'. Dieu sait pourlaul (pi'uu jh'U d'or >unirail; Miru peu... relui de lou collirr pcul-rlic : ('.liicii itaivt'iMi, doinic-iuoi Ion sccirl.

J'eus coiiiiue loi lues lon^s jours de paresse,

lu lit UKM'Ilcux cl de IViauds luorct'auN ;

J'ai fiisscnuM' sous plus d'uuc ean'sse,

h'idxiis iU(Hpi('ui> j'ai laiouiu' les sols.

l'uis daus la inul»' l'ou pou^x', l'on ln-u^le,

J'ai vu s'eiduir IMutu> t\\\\ >"ei:arail :

Poui' di'vruir \r chiru d<' cel aNeui:le.

(.lùru paiNciui, doimr-uioi lou secit'I.

Au\ douiiuos >ai> lu (ouiuit'iil l'ou liii le ? Nouveau lVui>>, ailtilre de Itraulc As-lu (louuc la pouuuc à la plu^ riclic.

202 LE MYOSOTIS

Fait le gentil, fait le mort, ou sauté?

Ton sort est beau : moi, chien d'humeur bizarre,

Pour égayer le Riche à son banquet,

Je ne sais rien... rien que flatter Lazare :

Chien parvenu, donne-moi ton secret.

Tombé, dit-on, dans un pays de fées, Dont la laideur mit le peuple en émoi, On essuya tes pattes réchauffées. De blanches mains te bercèrent; mais niui !... Chien trop crotté pour que la beauté m'aime, Si j'entrais là, le pied me balaîrait> Hué de tous, et mordu par toi-même : Chien parvenu, donne^moi ton secret.

Les voleurs

Dame Justice a fait merveille! Disais-je, croyant voir un jour Douze voleurs, libres la veille,

I-K MÏUSUTIS

Huilier caplils devant la loiir. Avant ([ue l'écrilcau (riisaizc A leur [lilori .soil collé, Lavater, sur leur jdat visage. Lirait (li'jà ([u'ils ont vulé.

(Ict lioiiiiiic au Iront cliaiive, à r(L'il lerue^

Est uu usurier Itiru cuiuiu;

Le passant ([ui, dans sa caverne,

Lntre alïann'', sort dcini-uu.

Au front d'aiiain, au co'ur Av rocln',

11 rit du pauvre dç>ol»'',

L'iulanie !... et justpie dans ma poche

Il a volt', volé, volé.

Ce pelil drôle, ipii rt';^ard<' Les poches du voi>in sou\cnl ; (Monsieur (luillanine, prenez, uardc' C'est l*ateliu toujours sisauL Pour omei' le drap ipi il derohe. Ii"aulre jour luènie il a collé

I n rulian lon^e sur >a ruhe...

II a Noii", Vi»le, \(iK'.

:io;j

^'oilvl de> lourn.»eius d'arniéc :

204 LE MYOSOTIS

Lorsqu'aux pieds d'un vainqueur treniblautj

La France tombait^ renfermée

Vivante dans un linceul blanc;

Ces alchimistes^ pêle-mêle,

Autour du soldat immolé,

Soufllaienl de l'or dans la gamelle :

Ils ont volé, volé, volé.

Salut au baron de Wormspire ! Littérateur, blagueur, voleur, Sur le Parnasse, dès l'empire. Il a fait métier d'oiseleur. Métiez-vous, s'il vous accueille. Frères : tout poëme envolé S'est pris l'aile à son portefeuille : Il a volé, volé, volé.

Mais las ! l'erreur était complète : Mon voisin Prudliomme l'expert. je croyais voir la sellette. M'indiqua les jurés au i)air; Et tous CCS voleurs, (ju'entre mille Au bagne on eût dit racolés, Y jetaient un gueux sans asile Pour de l'air et du pain volés!

L K MYOSOTIS 205

M. PAILLA Kl)

Et lloii, flou, lluii, misrreiT, Monsieur Paillard csl ciiterré.

A(li«Mi, jM'i'c (le la (MMiiimiiH', Dit If HosMicl (In momnil ; Mais an (Irliiiil f;anlaiil iaiii'uiii>, Le itauMc ii('in>li; dil fiaiiiicnl :

Et 11(111, lion, lion, miscivic, Munsieur Paillard est iiilcnv.

Traitant la niis('M»' en vassale, IMeniicr ina^i>tial dn caillou, Aux |>auvr(>>s('s. de >ii main sait», M(»iiS(M{;u(Mn' priMiail le menton.

i:t lion, lion, etc.

12

•JOO LE MYOSOTIS

Lui volaient-elles noix ou ponnne, Sous le pommier, sous le noyer, A l'instant même le digne homme Les jetait bas pour se payer.

Et lion, tlon, etc.

Fredonnant de sa voix de chantre. Flânait-il dans quelque dessein, Ses breloques sur son gros ventre Alentour sonnaient le tocsin.

Et lion, tlon, etc.

Jacques, défends-lui bien la porte. De peur qu'au logis, en tremblant. Ta l'ennne, cet hiver, n'apporte De rinfamie et du pain blanc;

Et lion, lion, etci

A la vertu la mieux armée,

L'or en main, portant des délis, 11 lenle la mère alTamée

L !•: MYOSOTIS 20'

Aujtn's (lu iR'i'ccaii de son lils.

RI, flou, lion, etc.

IHiis quand il u, sans rien déballro. Payé son trioniitlie insolent. Il so dit, lier comme Henri Qualre Tudieii, je suis un vert calant!

Kt flun, ilun, elr.

i;i le cuit' jt' ( auouix' ;

Il me danmeiail, moi, (lio>-Iean ;

Mais ciiMmic au It , à l'éiilise.

Il eu aura jmur mui ar^'eul,

i;i lion, lion, 11(111, iiiisertM'e. .MtiUNicur l\iill;n'd i-^l l'iilcnv.

20.S LE MYOSOTIS

RÉPONSE A UNE INVITATION

Sur l'adresse de cette lettre, Quelle erreur fit tomber mon nom? Est-ce bien moi qu'on daigne admettre Aux plaisirs brillants d'un salon? la mode commande en reine. Hélas! on m'accueillerait mal. Je suis moins heureux que Sedaine.., Non, non, je n'irai pas au bal.

Là, sous les lois de l'étiquette. Il faut plier à tout moment; Chaque pas est une courbette, Et chaque phrase un compliment. Moi, j'ose, dans mes épigrammes. Contester en vrai libéral. L'empire absolu même aux femmes : Non, non, je n'irai pas au bal.

Aurais-je assez de patience

LE MYOSOTIS 200

Pour souffrir, sans les bafouer. Ces beaux esprits dont la science Se boriKî à l'art do saluer? Contre les clercs (jiii font merveilles. Un bon mol immiI in'être fatal ; Tous ces messieurs ont dos oreilles : Non, non, je n'irai pas au bal.

T.orsque les n«*aux do la vio Sur mes pas ploiivaioiil tour à tour. Dans los bras iW. la |>(K^sio J'écliappais du moins à l'amour : Mais tnMublons! partout ou n'prlo (juo, sous l(^ voilo nnplial, Tuo Cràco (irnora la IV-lo : Non, non, jo n'ii'ai pas an bal.

T. A CONM'^ESSÎON

(Jnoi! lu l'as dit, phis d'amours à ta suito! Oii"i! tu voudrais. rolTonillant xuin la croix.

210 LE MYOSOTIS

Rose, ma Rose, égayer un jésuite,

De tes péchés, un peu des miens, je crois!

Ah! pèche encor, pécheresse gentille;

Et si nos cœurs de quelque ennui sont lourds,

Couple fervent, l'un à l'autre sans grille

Confessons-nous, confessons-nous toujours.

Jeunes beautés, avec les hirondelles. Quand vous voyez les sylphes accourir, Lorsqu'au doux bruit de leurs battements d'ailes, Vous vous sentez défaillir et mourir. Pas n'.est besoin contre un charme éphémère Du beau curé ni de ses beaux discours : Cœur de seize ans, au cœur de votre mère Confessez-vous, contessez-vous toujours.

Mais, tôt ou tard, l'hymen, l'hymen despote, A vos beaux yeux enseignera les pleurs.

Qu'en suppliant alors Trilby s'arrête. Un soir d'orage au coin de votre feu. Grondez bien bas... puis, après la tempête. Confessez-vous, contessez-vous à Dieu.

LE MYOSOTIS 2il

Vous qui marchez pieds nus, cl, sur la roule. Dans le ruisseau trempez votrt> pain noir; Vous qui cliantez sans que la dame écoute, I.à-l»as, pcucliéo au l)al(M)M du niaïKiir; Vous qui rêvez amour, gloire, cliimère, Puis, au réveil, le cœur battant d'eiïroi. Les bras lendus, vous écrie/, : Ma mère!... Confessez-vous, confessez-vous à mui.

Mainte l)lessiu(' à Tauii le plus tendre Souvent échappe et saij^'uc à l'abandon; Sduveut pour l'Iionnue il serait doux d'eulendie Au noui de Dieu sonner le mot jiai'dnn: Mais la soutaiu' ii balayé la laniie. Mais le péelit' iVélille pai'-dessoUN. Ouaud tu verras tdiubci' du rici un anu'e. Aveilis-inoi, llose, et edidessons-ncais; N ilc à ses pieds, vile conlcssons-non^.

l AIM. K

<( Que je sui^ bien sou-^ mon ciel dt> i ri^t.ilî A me UinuTii- la terre est »''|iuiNft' ;

212 LE MYOSOTIS

A moi chaleur et lumière et rosée : Certes, je suis un noble végétal! » Ainsi parlait maint cornichon sous verre : Le jardinier passe, et, d'un ton sévère, A ces vantards dit : <( Taisez-vous, mes fils : Un coup de vent peut briser votre cloche; Vous mûrissez, et le bocal approche; Encore un jour, et vous serez confits. »

Hélas! hélas! philosophe, astronome.

D'un ciel étroit coitîés, quand nous marchons,

Fiers et clamant: « L'homme est tout, gloire à l'homme ! »

Dieu tonne et dit : « Taisez-vous, cornichons! »

L'ISOLEMENT

ELEGIE

A Madame

* **

De mon riche avenir vous voilà créancière. Madame; quand l'oubli me jetait en poussière.

LE MYOSOTIS 2i3

Sur moi, poëte obscur, l'autre jour, on passant.

Vous laissîMes tomber un mot compatissant.

Un mot, voilà tout... mais, quand vous fûtes passée.

Celte parole d'or, oli! je l'ai ramassée.

J'ai caclié dans mon sein ma relique, et, depuis,

Je la porte les jours, je la baise les nuits.

Si ma reconnaissance avec délire éclate,

Si mon baiser brutal mord la main (jui me flatte,

Madame, pardonnez, c'est <pie voilà deux ans

(Et deux ans à porter tout seid sont bien pesants!)

Qu'aux tourments de mon cœui- nul cdMir ne s'.issocie,

Kt j'avais onblit' comment (tu remercie.

J'ai support»' deux ans le mépris et la faim

Sans mrler do blasphème à ma iilidnte sans lin.

Je disais, résij^'ué : Lorsipic Dii'ii l'ail un lioiiiiU(\

De st's boidiewrs futurs il lui coniiilc la soiiiiiio :

(( Prends, lui dll-il, cl niarclicl » cl moi, drs le dt'parl,

l'rodif^uo voyai^eur, j'ai dévoré ma i)arl.

Kid'anI, j'ai vu passer dans ma vauue luéuïoire Des prêtres (pn clianlairMl sur nue bièie noire; A travers les sanglots, de niouient en inomeiil. l'u U(tui (lier maniNail... mais ee souvenir uienl ; Car de l'éc(tle à pi'ine eu^-je rramlii le^ ;:iilles, (Jiie le londiai joNenx aux bra^ de deux laniilles;

214 L E M Y 0 S 0 T I S

Moi qui la veille, hélas! rêvant un autre accueil. Me croyais orphelin sur la foi d'un cercueil.

Mon cœur, ivre à seize ans de volupté céleste.

S'emplit d'un chaste amour dont le parfum lui reste.

J'ai rêvé le bonheur, mais le rêve fut court...

L'ange qui me berçait trouva le fardeau lourd.

Et. pour monter à Dieu dans son vol solitaire.

Me laissa retomber tout meurtri sur la terre.

depuis mon regard dans l'horizon lointain

Plongeait sans voir venir le bon Samaritain.

Je veux bien acquitter mes dettes amassées.

Et payer en douleurs mes délices passées.

Dieu ! mais puisque ta loi défend de murmurer.

Fais-nous donc des tourments que l'on puisse endurer!

La Pauvreté n'est pas l'hôte que je redoute;

Je l'aime, c'est ma sœur; la Faim, sans qu'il en coûte

Une heure à mon sommeil, un vers à mes chansons.

Entre s'assied chez moi, car nous nous connaissons.

Je n'ai pas convoité sur mon lit d'agonie

L'or du voisin, qui sonne avec tant d'ironie;

Ce qu'il me faut à moi, ce n'est pas seulement

Le vin de la vendange et le pain de froment ;

Mo prière avant tout demande à Dieu pour vivre

le pain qui nourrit l'Ame et le vin qui l'enivre

LE MYOSOTIS 215

L'amour!... Et je suis scul^ déjà seul, quand j'entends

Frémir encor l'airain (jui m'a sonné vingt ans!

La fatigue m'endort cl le besoin m'éveille

Sans qu'un souliait ami caresse mon oreille.

Uuand j'allais au printemps chercher dans vos jardins

Un sentier vierge encor du pied des citadins,

Sur mon cœur solitaire et qu'un vague amour lue.

J'ai pressé bien souvent un socle de statue;

El, mirach; du (,i(.'lî bien souvent j'ai cru voir

Lu froide Galatée en mes bras s'émouvoir,

Voir des pleurs «le pilié pendus à sa i)aupière.

Voir des souris éclos de ses lèvres de pierre;

Kl (juand in;i plainte au m;irbre inspirait lanl d'émoi^

Les cœurs vivants restaient pélriliés pom* moi!

Oh! voilà le ((luiiiicnl iiiupiel rien n'habitue, (Jui dévore les nuits et les jours, et ipii lue. (le supplice iuoui, (piand je nous le nounnais. Vous m; eompieuie/, pas : w eoiiipreuez jamais, Madame!... Au j^rand désert de voire eapilale, I/hounne seul, voye/.-vous, c'est l'aiillipi»' Tanlale; C'est le serpeni coupé, \i\ace el bondissani, hoill elia<|Me liduçoii veiil' pour>uil >on livre ab>i'nl ; C.'esl riiomuie enseveli loiil \i\aul dan>^ la londte (Jui se réveill<> au bruil d»* l.t l<'i ic (|ui tombe,

216 LE MYOSOTIS

Et,, hurlant des appels que le ver entend seul.

Se débat convulsif dans les plis du linceul.

Mais au bonheur, après celte agonie amère.

Vous m'avez fait renaître, et vous êtes ma mère.

Pour me guérir enfin du coup qui m'étourdit.

Il ne fallait qu'un mot : ce mot, vous l'avez dit.

Et tout à coup voyez comme le charme opère :

« Courage! » et je suis fort : « Espérance! » et j'espère;

Et d'un sommeil fiévreux je me réveille sain.

Honteux de ne pouvoir payer le médecin.

Oh! patience! un jour j'acquitterai ma dette.

J'ignore quel sera mon destin de poète :

Dois-je, tendant ma coupe à l'Amour échanson,

De l'écume qui tombe arroser la chanson;

Phalène qui tournoie à l'éclair d'une épée,

ïrai-je dans le sang picorer l'épopée,

Cueillir la blanche idylle en fleur dans le hameau.

Ou du saule pleureur effeuiller un rameau.

Je doute encor; mais cette moisson de gloire.

Vous l'aurez fait éclore, et j'ai longue mémoire.

Et, de mon frais butin parfumant vos genoux,

« Prenez, dirai-je alors : tout cela, c'est à vous!... »

I.E MYUSUTIS 217

SOYEZ J5ÉNIE

Je soupirais, triste et malade :

« Que sont devenus le fuseau.

Et le baiser et la ballade

Qui ni'endurniaienl dans mou bcivcau?)) Mes [ileurs coulaient... lorscinuiic iMnliaiileresse Me dit : « Ijifant, verse-les dans mon sein. » Soyez bénie, ù vous dont la tendresse

Donne une mère à rorpiielin!

Je réjtélais : u Du moins (|ue n'ai-jc Ton liras pour i^iiide cl pour appui, l'rèrc ' (piCii un linceul de neii^'e I.e vriil (In nord itérée aujourd'hui!... »> Mais, lonl à coup, une chaule caresse Snr mon l'ioni paie cs^nya le cliaijiin : Soyez, hcnic, ô vous (K»ul la Icndresse Donne une sieur à rori>licliu!

1. Sohl.(t ilo lu gtaïuto aniue, inorl eu lUi6»ic.

13

218 LE MYOSOTIS

En Vtun, ardent à me poursuivre,, Le destin flétrit mes beaux jours; De tous les bonheurs je m'enivre. Car j'aime de tous les amours. L'astre charmant levé sur ma jeunesse Promet encor d'échauffer mon déclin : Soyez bénie, ô vous dont la tendresse Est le trésor de l'orphelin î

SUR

LA MORT D'UNE COUSINE DE SEPT ANS

Hélas! si j'avais su^ lorsque ma voix qui prêche T'ennuyait de leçonS;, que, sur toi, rose et fraîche, Le noir oiseau des morts planait inaperçu; Une la fièvre guettait sa proie, et (jue la porte tu jouais hier te verrait passer morte..* Hélas! si j'avais sul...

Je t'aurais fait, enfant, l'existence bien douce; Sous chacun de tes pas j'aurais mis de la mousse;

LE MYOSUTlii 219

Tes ris auraient sonné chacun de les instants; Et j'aurais fait tenir dans ta petite vie Un trésor de Ijonheur immense... à faire envie Aux lieurcux de cent ans !

Loin des bancs pâlit l'enfance prisonnière. Nous aurions fait tous deux l'école buissonnière Dans les bois pleins de chants, de parfum cl il'amour; J'aurais vidé leurs nids pour emplir ta corbeille; Et je t'aurais donné plus de lleurs (ju'une abeille N'en peut voir (lan> un jour.

Puis, (pumd le vieux Janvier, les épaules draiiécs D'un lon{4 manteau de ncific, et suivi de [>ou[tées. De lua^ots, de piuilius, luiuuit Miuiiaul, aecourl; Au milieu des cadeaux «pii pleu\enl pour elreuue, Je t'aurais fait asseoir eoumie luu' jeune reine Au milieu de sa cour.

iM;ii> je ne siivais pus... el je pièeliai> eueoie; Sur de Idu uNeiiir, je le pressais d'eelure, (Juaud loul à eiiup, pleuraul lui lou^ e^poii" deMi. 1U> les pelile> uiaiii>^ je \is (tuidier le livre; lu cessas a la luis de lu'euleudrc el de \i\iv... llclasi si iavai> su!

220 LE MYOSOTIS

L'ENFANT MAUDIT

CONTE

A mon jeune ami Paul B***

Autrefois dans Bagdad^ la ville des merveilles^ Grandissait Abdallah^ fils du cheik El-Modi^

Que les derviches et les vieilles^ Dont ses propos moqueurs échauffaient les oreilles. Nommaient dans leur colère Abdallah le Maudit.

11 n'avait, orphehn, ni mère ni sœur tendre, Hélas ! pour l'enchaîner doucement au devoir. Pour payer son travail par les baisers du soir. Ou punir sa paresse en les faisant attendre. Une mère, une sœur, c'est le premier des biens : Vous le savez, enfants... et moi, je m'en souviens!

Passe encor s'il n'eût fait qu'agacer par derrière Le derviche immobile en son culte fervent Et lui tirer la barbe, ou bourrer de poussière

L E M Y 0 s 0 T 1 s 221

La pipft du soldat qui dormait on pioin voni ;

Mais fiourmand fit voleur!... oui, j'ai lu dans riiislnirc

(Jn'il aimait un pou trop la figno ot lo raisin

Dn voisin; Fécond en malins tours, il y mettait sa gloire,

Et cadis, marchands, bateleurs, Dit-on, se méfiaient de lui les jours de foire

Plus (pit; des Quarante voleurs!

Las enfin d'en ftémir, à sa folle conduite

l'u viril oni'le l'aliaudoiiiia ; IVAlxIallidi if .Maudit (iiacun se, (It'tourua; Le liruil seul de ses pas iiictlail les jeux tMi Inilc Il it'llécliit alors : la voix ipTil éloulTail,

(]elte eouipa^'ue intéricuii'

Qui cliaulc de Joie un i|ni [ilcurc,

Suivant (pi'ou a hini mi mal l'ail, La ronseit'iirc en lui ;;rouila, jut:»' iiiiplaialtlc

Alors dans le ih-scil un saiiil lioiiiiiit> vivail IVaiunôuc et d'iMO, jrayaut «pic Ir roc pour rlicviM, Ll, pli'iiic de pardons, (piaud sa main vi'Ut'ialilt'

Les rt'iiaudait swv un coiipahli'. A l'arrrl iuspin'' toujours Dieu soiisciivail :

« II iu«' panloiiiit'ra sans tloiili'.

222 LE MYOSOTIS

S'il pardonne au remords, » dit l'enfant, et voilà An milieu du désert ses petits pieds en route : Le désert est bien grand ! Dieu conduise Abdallah !

Le désert est bien grand, et presque infranchissable : C'est un champ de poussière et de feu; rien n'y croît, Ni mûres ni bluets, enfants, et l'on n'y voit

Que du soleil et du sable.

Tantôt d'un rocher caverneux, Aux pieds du voyageur égaré dans l'espace. Un boa sort, fouettant la terre de ses nœuds;

Tantôt c'est un lion qui passe, Calme et superbe, avec de la chair vive aux dénis, Et de gros yeux pareils à des charbons ardents.

A travers le soleil et les vents et l'orage. Notre pénitent va, n'ayant pour tout fardeau Qu'un gâteau de maïs, un bâton de voyage, Et, pendante au côté, sa gourde pleine d'eau.

Mais voilà qu'au désert un cri mourant l'implore : C'était un pauvre chien qui, sur le sable ardent, Dévoré par la soif, hurlait en le mordant. La route à parcourir était bien longue encore; Sa gourde résonnait à moitié vide : eh bien î

LE MYOSOTIS 223

II en épuisa l'oaii dans la ^iionl(» du cImcu;

VA lo clnen bondissant, tout joycuv de rciiirilrc,

Dit par une caresse : « Abdallali, sois mon maître. »

Il marche, il marclio cncor, puis s'arrclo, voyant Son nouveau compagnon Iremltlcr eu alioyanl : Un serpent, au soleil s(» dr»^ssail sur sa (jueue; Le serpent-roi, cclin (pToii appelle Deviu; VA, sous les mille ('clairs de son écaille Itlcue, l'n oiseau fasciné se déliallail eu Viuii. Noire héros s'élance, iuvoipie le Proplirjt», l!l, loi! i\r sa jiili»', jorl du secouis (li\iii. Frappe à coU|>s redouMt's le iiioii'>lre swv ta li'-le. I,e Devin se loidil sui' le sahle et sil'lla,

IMiis luoiu'ut aux pieds d'Alidallali.

I,e vaiiupienr dan> sou sein mil Toiseau, sa con(pièli»,

l'.l le haise, eudoiini snr >-(»n mol oreiller,

MoMcemeul. doncenieiil. de peui" de IV'veiller.

I.e voilà parvenu devant la iiiolle sainl(\

ladiu!... et snr le senil il lii'silc, n'osant.

laii coupable et |ioiidien\, luofatier celle iMiccinle;

Mais, ù sm'pri^e! aux |iieds A\\ vieillard impit^anl,

(Jnand le Mandil conibait la t»"'le, \r chien (|ni le snivail à la porte ::ratta.

224 LE MYOSOTIS

L'oiseau battit de l'aile au réveil et chanta; Et le saint comprit tout, car il était prophète; Sur le front du pécheur alors il étendit

Ses deux mains tremblantes, et dit :

« Levez-Yous, Abdallah : Dieu pardonne et vous aime

En paix avec le ciel, en paix avec vous-même,

Allez : vous n'êtes plus Abdallah le Maudit.

Pour que Dieu le bénisse, un enfant doit soumellre

Ses caprices mutins aux volontés d'un maître;

Il doit n'être gourmand, espiègle ni moqueur;

Mais sur les vertus les plus hautes Ce qui l'emporte, et peut racheter bien des fautes, Ne l'oubliez jamais, enfant : c'est un bon cœur ! »

LES SIGNES DE CROIX

Là-bas, là-bas, dans la forêt bretonne. Un vieux château pend au flanc d'un rocher; des enfers le chœur danse et détonne. Les pèlerins n'osent en approcher. Sur manoir

L E M Y 0 s 0 T 1 s 225

Volent on corcln noir Mille oiseaux de malhonr... Hélas, ma bonne, liélas, (pie j'ai f:ran(r|)(Mirî

D'nn rlififelain arborant la baniiirre, Satan Irioniitlie en ce séjour de inorl. La jeune Iseult lanfinil sa prisonnière : Tu eéderas, dit-il, ou, par la inoil...! Par le saint nom

Klle a jiné cpie non,

il l)(»ii(lil de foriMir... Hélas, ma Itoinic, ln'las, {\\\o j'ai ^'rand'pfnr!

Fort à propos nn coi- d'ivoire sonne : (l'est Enj^nerraiid, le vaillaiil paladin; Mais en cliaiiiii clos Salan ne craiiil piM'sonne. I,a llenr d»'s preux va pt'rir, tpiaiid Mtodaiii iscnll lui dit :

Sij^ne-toi, le iii:iudit

Faiblira de terrein"... Hélas, ma bomic. \u'\;\<, que j'ai lirand'penr!

Il s'est sif^né trois fois, trois rri^ d'alainif ()\\\ l'iappc' l'air, et Satan s'est l'ofiii. ht' nos cxpluils, (lit le pit'iiv ipTon ili's.nnu'.

«3.

220 LE MYOSOTIS

Grâce à l'amour, payons-nous aujourd'hui. Il dit, mais las! Le héros est bien las, La vierge est dans sa fleur...

Hélas, ma bonne, hélas, que j'ai grand'peur!

*

Il traite un peu sa grand'dame en fillette. Puis tout à coup se lève, au désespoir : Du diable soit le noueur d'aiguillette ! Il m'a charmé : damoiselle, au revoir! Mais, restant coi, Iseult dit : Signe -toi, Mon doux maitre et seigneur... Hélas, ma bonne, hélas, que i'ai grand'peur!

A cette voix dont il connaît l'empire, Il obéit, se signe, et fait si bien Que douze fois la colombe soupire : Honneur, amour au chevalier chrétien ! Et douze fois L'écho joyeux des bois Répète : amour, honneur... Hélas, ma bonne, hélas, que j'ai grand'peur!

Oui, j'ai grand'peur que ce récit n'éveille

LE MYOSOTIS 227

V.n rcilain lion dos rogrols superflus : Si ma cliiiusoii, Hoso, vous (^morvoillo, Si, |ii'oiiaiit ^'(imI aux ovploils (U'> rliis, Vous vous llallo/.

De les voir iuiilôs

Pai- moi, piiiivro [lôclicur, Ilf'las, ma bouuo, lii'las, (|ii(^ fai firaud'pour!

UN QUAUT D'IIKrUi: l)i: DKVOTION

\'(ius (Icmamlo/., ami<, roimncnl s'osi ('cli-ippôo Dr ma pliiiiii' pi'olanc imo >aiiil<' t'pop(''o? Ilcoiiioz : l'àiiic on dcnil, cl la lii>li'ssi> mi fmiil, In soir, jo visilai Sain! -I^limno du Monl.

A tcllo licnit' sai'ivo, licuro la nnil oonmiouco. Ou(>l(pios raro>; ( Ini'lions pi'npItMil sonl> rondin* immtMi^o r'osl l'oidanl à la Ixhh lie ciicoi' Idanolio de l;iii, HiM dans SOS doii^ls vriinoils (''::ivno nn oliiipt'ld. I'!l scndilo drmandor. dan^ >a IVaiflu' |tiii"'H', lu soinis IValorm'l iin\ clu-ndiiu^ df piorr»':

228 LE MYOSOTIS

La pfile mère en deuil, devant un crucifix.

Au vainqueur de la mort redemandant son fils;

Le vieillard qui mourant, de ses lourdes sandales,

Comme pour dire : ouvrez, heurte aux funèbres dalles,

Et prêt à s'endormir de son dernier sommeil.

Aux pieds de Jésus-Christ s'étend comme au soleil...

Mais plus souvent, hélas! c'est l'artiste profane

Contemplant aux piliers l'acanthe qui se fane.

Admirant des couleurs sur la toile revit

Le fait miraculeux qu'un siècle expiré vit,

Époussetant de l'œil chaque peinture usée,

Et du seuil à la nef parcourant un musée.

Au milieu des autels qui s'écroulent partout.

L'autel païen des arts est seul resté debout.

Et la rougeur au front, je l'avoûrai moi-même. Qui suspens à la croix l'ex-voto d'un poëme, Dans le temple, au hasard, j'aventurais mes pas Et j'effleurais l'autel et je ne priais pas.

Autrefois, pour prier, mes lèvres enfantines D'elles-mêmes s'ouvraient aux syllabes latines. Et j'allais aux grands jours, blanc lévite du chœur, Répandre devant Dieu ma corbeille et mon cœur. Mais depuis, au courant du monde et de ses fêtes

LE MYOSOTIS 2*20

Emporté, j'ai suivi les pas des faux prophôlos.

("omplicfi dos docteurs ot dos pharisiens,

J'ai blasphémé le Christ, persécuté les siens.

Quand l'émeute aux bras nus, pour la traîner au fleuve.

Arrachant une croix à la coupole veuv(»,

Insultait, blasphémail Dieu {disant sur le sol,

De loin sur les inaiilt'aux je veillais connue S;iul.

Mais (le vagues remords assailli de bonne heure :

|uiiser, ai- je dit, la jtaix intérieure?

inarclier dans l;i iniit sans éloiles aux rieux.

l'it sans ^uide ici-bas? Knfants insoucieux.

Les uns, poin* ne lien voir ih'< lioinnies ni {h'< clioses.

Abaissent sur leur front leurs couronnes de roses;

D'autres, eu proclamant l'idole liberté.

Sous le glaive l(';_';d toinbeid avec lierlé,

l",l jiroMietleul. iMourauls, de leur voix falidit|ue.

Au Teulati's moderne uu culte druidi(|ue;

Ou, xiufnanl la terreur sui- rtliilise et Tlltat,

Toiuieut, biiiyanis échos, autour de l'apostat.

Oui, ili>ciple du C.brisl, au finnl sanulant du maître

Posa le bonnet i'oui:e, avec ses mains de |irèlre.

Ooudueu de jeiuies c(ruis (|ue le doute rouijea î

r.oudtieu lie jeunes iVonIs ipi'il silloinu' d('«jji !

I.e doute aus>i m'accable, ludasl et j'y succinubt» :

Mon àme fatiguée e>^l connue la coloudie

230 LE MYOSOTIS

Sur le flot du désert égarant son essor; Et l'olivier sauveur ne fleurit pas encor...

Ces mille souvenirs couraient dans ma mémoire; Et je balbutiai : « Seigneur, faites-moi eroire! » Quand soudain sur mon front passa ce vent glacé Qui sur le front de Job autrefois a passé. Le vent d'hiver pleura sous le parvis sonore, Et soudain je sentis que je gardais encore Dans le fond de mon cœur, de moi-même ignoré. Un peu de vieille foi, parfum évaporé.

Cependant mon genou, fléchi par la prière. Se heurta contre un livre oublié sur la pierre. Et la secrète voix qui parle aux cœurs élus Murmura dans le mien : « Prends, et Hs; » et je lus, Je lus avec amour ces quatre chants sublimes. Dont l'auteur s'est voilé de quatre pseudonymes. Mais sur chaque mot le poète à dessein Imprima son génie à défaut de son seing. Page de vérité, qu'à sa ligne dernière. Le Golgotha tremblant sabla de sa poussière. Quand je me relevai plus léger de remords. Comme au dedans de moi, c'était fête au dehors : La vitre occidentale, allumant sa rosace.

1

LE MYOSOTIS TW

D'une laiifiiio dr feu m'illumina la kcc;

Los (Ipux l»lan('s cliônihiMs, lovant leur IVonl coiirlK',

AvftC pins (lo n^rvonr priôrent an jnbé;

Et l'orgue, s'éveillant sous un doigt invisible,

D'im long et iloux murmure emplit la nef pai>il)le.

El je versai des pleurs, et reconquis à Dieu,

Au tombeau de Racine alors je fis un vœu.

Ce vœu, je l'accomplis en écrivant ces pages. I>es temps (étaient |)assés des sainis jirlerinages Je ne j)0uvais aller, cduibé sous le bourdon, lîoii'e au Jourdain caplir le céb'sle pardon; Au rivage llcinit la parole divine Ma muse ira du moins. Pars, muse pèlerine, Conduite à nelldéem par Icloile i\o<. rois, Au Ciloria (\i'> cieux mêle la douée voix;

llalliinK» l'àlre éleiiil de Mai II I de Marie;

Consulte le voyant an puils de Sainarit'; )''!, lidèle au i^ibel de loii Dieu luéconnu. Sous le sang ii'deinplcur pro>^lerne Ion IVonl nu. Puis, malgn'' iluerédide e| ses bruils de risi-e, Delève lièreinenl la lèle baplisc'e.

Dieu bénira mes cbanis; siu' les auli'N ilivers rMiNi|irou sème des Heurs, on peut jeltT d»'^ ver<.

232 LE MYOSOTIS

Depuis le temps antique, vibrait à tes fêtes La harpe de David et des anciens prophètes, N'est-ce pas, ô Seigneur, un encens précieux Que l'encens du poëte? et les anges des cieux Ne se courbaient-ils pas, avides, pour entendre Jean Racine toucher son luth pieux et tendre, Quand il eut pour le cloître abandonné les cours Et dans ton amour pur éteint tous ses amours? Et puis, mon grain d'encens, qui sait, fera peut-être Pétiller l'urne éteinte entre les mains du prêtre.

J'ai dans mes souvenirs un fabliau bien vieux Dont, au bruit de la mer et des vents pluvieux, Mon aïeule bretonne, à la voix sibylline. Berçait pendant la nuit mon enfance orpheline. Un jour, Dieu sait pourquoi, l'élément nourricier Qui prodigue la vie à ce limon grossier. Le feu, manqua dans l'air; la nature vivante Tressaillit tout à coup de froid et d'épouvante. Les oiseaux, qu'un vent noir chassait en tourbillons. Désertaient effarés les bois et les vallons. Plus cruels de terreur, dans l'atmosphère humide. Les vautours se battaient; Le rossignol timide- Dit sa chanson de mort, et, lorsqu'elle finit. Se cacha résigné, la tête dans son nid.

LE MYOSOTIS l?:i'{

Tnligiié d'un long vol, l'oiseau porto-tonnorro

Reidia sa grande aile et dormit dans son aire.

Seid pour sauver le monde agonisaot déjà,

T.e petit roitelet voltigea, voltigea

Jusqu'au sommet des cieux; mais, couvert d'étincelles,

A l'élémt^nt conquis il se brida les ailes,

Et dans les bois, chantant pour le bénir eu chœur,

!>(' Promélhée obscur tomba mort et vainqueur.

Que je succombe ou non à l'œuvre expiatoire, A celui (pii m'insi)ire, à Pieu lonamic et f/Zonr.' Quand la brise du soir eu i)assaul à tiavt'rs L'orgue du marécage, aux millf tuyaux verts. En pouss(* vers le ciel une plaiule toucliaiile, Voyageur, ne dis pas : « (Iloire au roseau qui chaule! » Mais, le loidaiit aux pieds, dis : (( (iloire au Hieii \ivaul Qui l'écoude la boue et qui conuuaiide au veiil ! »

234 LE MYOSOTIS

LE CHANT DES ANGES

ROMANCE 1

A fêter la Vierge suprême, Là-haut, chaque ange est invité; Et mon ange gardien kii-même Dès l'aurore, hélas î m'a quil té. Bel ange, à la reine céleste Porte Ion bouquet, moi, je reste, La reine de mon cœur est là, Et pour célébrer ses louanges. J'emprunte le refrain des anges . Ave Maria, ave Maria.

Je lui coûtai, petit encore. Petit comme l'enfant Jésus,

1. Composée pour le jeune Paul B***, qui Ta mise en musique et dédiée à sa mèi'e, qui se nomme Marie, le jour de sa fête.

LE MYOSOTIS 235

Dm\ (les alnrmos qu'on ignoro, Ri(Mi (l«'s ^ilciirs (juc DirMi S(Mi1 a mis. Chassant Tinsocto qui bourilonno, Combien de fois, douro madone, Près de ma couclie elle veilla ! Aussi, pour clianter ses louanges. J'emprunte le refrain des anges : Ave Maria, ave Maria.

Au front de la sainte (pie j'aime,

i!('lasî j'aurais voulu jioser

Des étoiles pour diadème...

Je n'y peux nicllic (piun baiser.

Mais espérance, ù ma piiliunnc.

J'ose révei' poui- la roiimniu*

Quelques lauiicrs... el jusque-là

A les jiieiU eliiinliuil le< louanges.

Je veux l'ediic» avec le< aiiiies :

Ave Maria, ave Maria.

236 LE MYOSOTIS

LA SOEUR DU TASSE

Pans l'ombre de mon cœur mes pins fraîches amours, Mes amours de seize ans refleuriront toujours.

B R I Z E U X .

Oh ! bien avant Mercœur, la Sapho de la Loire, Le poëte a servi de pâture à la gloire, Sphinx dévorant qui veille aux portes de Paris; Et peut-être (qui sait?) de la chambre oià j'écris Le Tasse un jour fat l'hôte, et ma table de hêtre Boiteuse sous son coude a chancelé peut-être. Assis sur fescabeau, peut-être, oi^i je m'assieds. Il écoutait Paris bourdonner à ses pieds. Et pensif, arrêtant chaque nue au passage, Pour son pays lointain la chargeait d'un message. Il ne l'envoyait pas à Ferrare, pourtant Aux genoux d'une Armide il dormit un instant; Non : sa blessure au cœur était enfin guérie; Non, mais il soupirait : « Loïsa, sœur chérie, Mes premières amours, que faites-vous là-bas?

LK M VU S UT I S 237

(Jnaiid j(5 jette au Uesliii le j^aj^e des combats,

Dame de ma pensée, au Christ d'un oratoire

Sans doute vos soupirs demandent ma victoire.

Oli! [>riez : veuf de vous, mon co'ur n'a point vécu;

Mais je ne reviendrai (pi'après avoir vaincu.

Vous sauriez l)ien encor, généreuse en silence,

De votre pauvreté me faire une o[»ulence;

Mais pour dot à ma sœin- je n'irai plus olTrir

Mon trésor de misère, et je saurai souIVrir.

La Poésie aidant!... pour conduire ma plnme,

Seid llambcau de mes imils, (juaiid Id'il d'un ciiiil ï>'allmnc.

Des clid'urs (r('>prils lollcls, puéliipies sahlials,

Viennent llcurir sons moi la paille iW> firahats;

Des palmiers, (\r> drapeaux IVissonneiil vur ma joue :

Salul, W\ OrienI ! adieu, Paiis de luiue!

Clievalier.s, ouvrez-moi vos ran{j;s liosi»ilaliers;

l^our le (llnisi el rimiuieur, ((Huballons, clievalieis... ;

Puis, vient l'Auitiur Piolt'e et >es métamorphoses :

llemmd, l'honnnc de 1er, se rouille >ur des roses;

Cloriutle l'iulidèle expire, et Sdii amant

llaptise avec ses pleurs ini i'iunt pâle et cliannant.

Mais l'Illusion luit 1<> jour ipii riutimide;

11 brille, et tout s'en \a : les pr« u\, (.lorinde, Aiiuide,

Les arnu's, les drapeaux, le^ pahnier>. tout enliu.

Tout : il lU' ^e^^e ipi'un poète el la l'aim !

238 LE MYOSOTIS

Oli ! Sorreiîte^ Sorrente ! et^ sur la i)lage verle^ Lue blanche villa que le pampre a couverte; Un banc sous l'oranger d'où tombe la fraîcheur, Et nos entretiens si doux que le pêcheur S'écriait, quand le son en frappait son oreille : « Longue nuit, longs amours aux époux de la veille ! »

La Fièvre n'osait plus s'asseoir à mon chevet; Même avant la douleur le remède arrivait; Vous jugiez mes travaux, querelliez ma paresse; Et toujours sur mon front pendait une caresse. Souvent mon cœur, saisi d'un prophétique émoi, Me révélait quelqu'un debout derrière moi; Puis, sur mes yeux tombait une main enfantine; Puis, entre deux baisers, on me disait : Devine ! Je devinais toujours : des parfums inconnus Annonçaient aux païens l'invisible Vénus. Ainsi^ ({uand un nuage à mes yeux vous dérobe. De vos cheveux bouclés, des plis de votre robe, Je ne sais quel parfum d'une exquise douceur Se répand et m'enivre, et vous trahit, ma sœur !

Aussi, j'ai bien souvent frémi d'un doute étrange, Et les yeux sur vos yeux dit . « Est-ce pas un ange? M P(3ndant que je suivais là-bas un paladin,

LE MÏUSUTIS '16\)

)) Lu deuil sur la luaisuii Cbl-il luiiibé suiulaiii?

)) Derrière moi sans bruit la vieille Alix a-t-elle

)) Dans un linceul liirLil' cuusu ma sœur murtelle?

» El.^ puur troniixT mon cœur, cet an^c au IVuiil ^i beau

» Daii^ua-lil emprunter un nom sur un lumbeau? »

Des bienfaits ijruilij^^jués [tar vulre amuiu' céleslc,

Dût cet amour s éteindre, un souvenir me reste,

El ce lon<^ souvenir est encore un bienfait;

Oui, ce (|ue vous faisiez, votre inia{^(; le fait :

i'ar le méchant ([ui rèj^ne et le sot (jui [iros[ièr('.

Coudoyé, si je pleure et si je ilésespère.

Kilo est : sou souris me défend de i»leurer;

Son œil, ardent de foi, m'ordoime d'espérer.

Oli! le siècle eidendra les cli;inl> ([Uf je lui livre;

Il naura pas ouvcil nia lombe avant mon livre;

Ce livre, }irucl;un;nit Nuire sninlc iiniilit',

hini avriiir cdntpiis Nous proniel lu moitié;

1^1 «piiuid, ^ur nos |ond)eau\, relu pur des Noi\ lendie^.

Voix de so'urs ou d'.unaiih, il ivnnu'uiios cenilre>;

Nos spetires enlacés vt»llij^eri>nt près il'eux;

Nous ne ferons, ma sieur, (pi'une gloire à nous deux!

La yloire!... en répélanl «e mol vide et >onore, Il souril de pilie; pin>, d'espérance encore;

240 LE MYOSOTIS

Il s'endormit rêvant bonheur et gloire, mais

L'mie arriva bien tard, l'autre ne vint jamais.

Quand il revit Sorrente, et, sur la plage verte,

La villa tant aimée, il la trouva déserte.

Au vent de ses destins, alors de cour en cour,

De prison en prison il tomba; puis, un jour,

Le pauvre fou sentit, dans la ville papale.

Une douche de fleurs inonder son front pfde.

« Pour qui donc cette pompe et ce peuple à genoux? »

Disait-il, et chacun lui répondait : « Pour vous!

Pour vous Rome est en fête, et son prince en étole

Avec les saintes clefs ouvre le Capitole;

Pour vous il s'illumine, et ses joyeux échos

Chantent comme ils chantaient sur les pas des héros;

Car vous avez tenté des conquêtes plus rares,

0 poète, et comme eux triomphé des barbares;

Car d'un laurier rival vous êtes possesseur :

Voyez... » « Hélas! dit-il, je ne vois pas ma sœur! »

LE MYOSOTIS

241

LA voulzip:

E L K C I K

S'il est iiii nom Iticii dniix l'iiil [Htiii' la |iut''sit". Oh! dites, n'cst-t'e pas \v iiiuii ili' la Vdiil/.ic? I.a Voiilzic, est-ce un lleiive aux i^iaiides ilesV .Non; Mais, avec un iimiimire aussi doux (|ue sou nom. Un Imil [letiL ruisseau (-(ndaul vi>ilile à [leine; Vn géant altéré le boirait d'iuie haleine; Le nain \eit OIm'imu, jouant au hoid Ao>- l1ol>, Sautiirait pai-dessus sans mouiller >es firelols. Mais j'aime la NOul/ie el ses Ihhs noirs de imires, VA dans >ou lit de lleurs S(\s bonds el >es murnnue>. l'jdanl, j"ai bien souvent, à Tondue des buiNM>u>, Dans le lani;ai:e bum.iin traduit ees vamie^ ^ons; l'.nivre écolier rèveui-, el (|u"on dirait sauxai^e, Unand j\Mniellais mon pain à l'oiseau du rivaf^e, i.'ondc sendijail me dir«' : u l'lsi»cre ! aux mausais jtuus Dieu te rendra Ion pain. » Dieu lue le doit toujours!

I i

I

242 LE MYOSOTIS

Celait mon Égérie, et l'oracle prospère

A toutes mes douleurs jetait ce mot : « Espère!

Espère et chante, enfant dont le berceau trembla.

Plus de frayeur : Camille et ta mère sont là.

Moi, j'aurai pour tes chants de longs échos... » Chimère !

Le fossoyeur m'a pris et Camille et ma mère.

J'avais bien des amis ici-bas quand j'y vins,

Bluet éclos parmi les roses de Provins :

Du sommeil de la mort, du sommeil que j'envie, m

Pres(iue tous maintenant dorment, et, dans la vie.

Le chemin dont l'épine insulte à mes lambeaux.

Comme une voie antique est bordé de tombeaux.

Dans le pays des sourds j'ai promené ma lyre;

J'ai chanté sans échos, et^ pris d'un noir délire.

J'ai brisé mon lulh, puis de l'ivoire sacré

J'ai jeté les débris au vent... et j'ai [deuré!

Pourtant, je te pardonne, ô ma Voulzie! et méme^

Triste, tant j'ai besoin d'un confident qui m'aime^

Me parle avec douceur et me trompe, qu'avant

De clore au jour mes yeux battus d'un si long vent^

Je veux faire à tes bords un saint i»èlerinage.

Revoir tous les buissons si cliers à mon jeune fige,

Dormir encore au bruit de tes roseaux chanteurs.

Et causer d'avenir avec tes flots menteurs;

LE MYOSOTIS

L'4:î

LE BAPTKME

]o iiK'ditiiis iino (Klt\ 011 pis poiil-rlro, Oiiiiiid tout à ('(»ii|t i-Tiind hrnil dans 1»^ qnarlitM' « A r«Milro-S()l un ^'invon vient de nailre; » Noire |iorlière aceonclie d'un |Muiier!... » OrnanI de Heurs ses lau^'es un peu sales, je l'ai vn iieaii, itean e(tnnne un lils de mi. Pleurer an biuil iU's <d(>tiies |)a|ilisniale< : I)(»i's, mon eidanl, rien n'a S(tnnt' pour loi.

A fou haplèiue un emv bon apôli'e. nuel(|ues voisins, (piehpies luoc^ de vin vieux. Cela sullil : le voilà (dinnie nn anii-e Coltnifirr (lu Viii/itunir Jes riruA'. Convive ailleurs d'un plus friand liaplT-nie, Si (pielqne saint, firas martyr île la loi. r»('Miil loni II, ml. piii< murmun* : Anatlirmi>î Hors, mon enfant, dors, ee n'est pas sur loi.

In n'as |ininl \ ii la roiie et la linanee

244 LE MYOSOTIS

Crier bravo lorsque tu vagissais;

Tu n'as point eu, comme un enfant de France,

A digérer maint discours peu français.

Pour premiers bruits, le monde à ton oreille

N'a point jeté des paroles sans foi,

Près d'un berceau si la trahison veille,

Dors, mon enfant, dors, ce n'est pas chez toi.

Dors, fils du pauvre : on dit qu'il est une heure Lente à passer sur les fronts criminels; Le fils du riche alors s'éveille et pleure Au bruit que font les remords paternels. Lorsque minuit descend plaintif des dômes, En secouant leur linceul et l'effroi, On dit qu'au Louvre il revient des fantômes : Dors^ mon enfant, Dieu seul entre chez toi.

A l'hôpital, sur le champ de bataille. Chair à scalpel, chair à canon, partout Tu souffriras, et lorsque sur la paille Tu dormiras, la Faim crira ; Debout! Tu seras peuple, enfin; mais bon courage ! Souffrir, gémir, c'est la commune loi. Sur un palais, j'entends gronder l'orage : Dors, mon enfant, il glissera sur toi.

LE MYOSOTIS 21o

A MON AME

Fuis, Amo blanclio, un corps nialado cl nii ; Fuis en chantant vers un monde inconnu!

A (lix-huil ans, je n'«Miviais pas, certes! Le froid bandeau (pii presse les yeux niitrls. Dans les grands Ititis, dans les canip.iizncs vrrics, Je me plonfi;eais avec d(Mice alors; Alors les vents, le soleil cl la pluie, Faisaient rèv(>r mes yeux toujours (tuverls; Pleurs et sueurs depuis les oui eoiiverls; Je connais trop ce monde... et je m'emuiie;

Fuis, hww Itlauejie, un corps malade et lui; Fuis eu cli.uilaut vers le monde inconnu!

ï-as cl ])oudreu\ d'une route oratreuse. Je clianeeliiis sur un salili- llollanl ; Hepose-loi, pauvre .une vo\aL:eu^e; Fin» oasis, là-liaul, sduvre et l'allend.

U.

240 LE MYOSOTIS

Le ciel qui roule, étoile, sans nuage, Parmi des lis semble des flots d'azur : Pour te baigner dans un lac frais et pur, Jette en plongeant tes haillons au rivage !

Fuis, âme blancbe, un corps malade et nu; Fuis en chantant vers le monde inconnu!

Fuis, sans pitié pour la chair fraternelle : Chez les méchants lorsque je m'égarais. Hier encor tu secouais ton aile Dans ta prison vivante... et tu pleurais; Oiseau captif, tu pleurais ton bocage; Mais aujourd'hui, par la fièvre abattu, Je vais mourir, et tu gémis!... Crains-tu Le coup de vent qui brisera ta cage?

Fuis, àme blanche, un corps malade et nu; Fuis en chantant vers le monde inconnu!

Fuis sans trembler : veuf d'une sainte amie,

Quand du plaisir j'ai senti le besoin.

De mes erreurs, toi, colombe endormie.

Tu n'as été complice ni témoin.

Ne trouvant pas la manne qu'elh; implore,

LE MYOSOTIS 247

Mil fniin nionlil la poussière (insensé!); Mills loi, mon âmo, à Dion, ton fiMiicr, Tu poux demain le dire vierj:,'e encoie.

Fuis, âme blandie, un corps malade cl un ; JMiJs en cliantant vers le monde inconnu!

Tu veilleras sur tes sœurs de ce monde,

De l'autre monde Dieu nous tend les hras;

Quand d<'S enfaiils à trie fraîciic cl iiloiidc

Auprès i]o> iMorls ioi'intiil, lu souriras :

Tu souriras lorsque sur ma poussièn*

lis cueilleront les siiiuts pavois Ircinblanis,

Tu soiniias l()rs(pravcc mes os Mancs

lis ahallroul les noix du ciiuclicrc...

l'nis, âme Itlmclif, un coi|k nialinlc cl un; l'uis CM cliaulaiil vers le inoiidr inroiinn !

248 LE MYOSOTIS

A MES CHANSONS

Au Val-Bénit partez, fils de ma muse ! A peine éclos, c'est qu'il faut aller; Parlez sans moi , vous direz pour excuse . (( Il n'a pas, lui, d'ailes pour s'envoler. »

Lisant Rousseau qu'aiment tous les poètes , Là, j'ai coulé peu de jours bien remplis; Mais sans remords j'ai quitté mes Gharmettes; L'air en est pur, ma pervenche est un lis.

Oh ! quel bonheur de revêtir la brume Sur le coteau comme un linceul flottant, Et de chercher à l'horizon qui fume, Là-bas, là-bas, le toit qu'on aime tant;

Et de poursuivre aux champs, aux bois, sans terme.

Un papillon, un rêve, un feu follet.

Sûr de trouver, de retour à la ferme ,

Un doux accueil , du pain blanc et du lait !

LE MYOSOTIS 249

Avec \o, pàlro au ravin j'allais boiro. M'inspiranI là, {taiivre et gai, j'y vécus; Fontaine aux vers, quel conte dérisoire T'a fait nommer la fontaine aux écus ?

Je n'eus jamais ce qu'a la boulangère; Mais quand l'amour me caressait alors,' S'il étreignait une bourse légère, Il sentait battre un cœur plein d(» trésurs.

Trésors perdus ! la semenc»^ diviin» Qik; |'('lalais, vanilcnv possesscnu', S'est cnvolt'e, et l'icn n'a piis racine, VA (•('|i('M(liiiil jt' lui disais : Ma Sd'Ui'.

l'ii IxMii i.iiirici' siii' votre froiil d'ivoire Heiiiiiliieeia la rose du lunsson. Je le (lisids el iimn ivve de gloire A, comme tout, Uni par des eliauMUis,

Au Val-Ht'iiil iiarle/ , lils de ma iniiS(< ! A pi'ini' (mIos, e'est (pi'il faiil ;dler; Piii le/, saM^ Miiii . viiiis diic/. poui" excuse : «t il n'a pas, lui, d'ailes pitiU' >*envoler. »

CONTES

A MA SœUR

CONTES

I.K (il I l)i: cil KM-

1 11 jiuii', lu (l;ilt' procisc inï'(li;ni|n' , iiiiiis (•"('liiit tltMi\ .iii> l'iiviinii ;i|in''S lii iiKirl (riicrciili', il y ;iv;iit fjiiiiulf roiilr ri j:i;iii(l hiiiil à hrlplics. Ce jour élail le tlciiiirr des jen\ pNliiieiis, el, chose iiioiiie ! les liilles cl ic> ((HUm's t'\|iii ;iiriil Siiiis sjiecliileiirs, les iillilèles el les ((mIicis lrioiii|i|i;iiciit ineoMliiis, el l'on dil iiiciiie (|iic 1(> jMM'Ie Simoiiidc, i|iii cli.m- liiil ulois en plein veid la ;;loirc de je ne sais (juel elieval, n'eut, ou [)en s'en l'.iid, (pie son Iii'tos pour audileur. Mais si l'arèiie élail vide, en revanclie la foule déliord lil du teuiplo d'Apollon. In nnti, un mol uia^iipie avait siilli pour l'y pn''eipiler : Voici les llciaclidcs 1 ri ce mouNciiicnl de toiil un peuple souli \v par un iioiii, \ou> le couipreudrc/, sans peine, ma sieur : il nesl pas nue Kraui^'aise, je pcii>c. tpii ueiil sacriliô tle ?:raiid iieur une lo^e au speclaile pour Noir le lil> dc

254 LE GUI DK CHÊNE

Napoléon (ce pâle jeune Iionnne qui s'est laissé voir si peu de temps!) Eh bien! Hercule était le Napoléon de cette époque, et les Héraclides étaient ses fils. Un mois auparavant, Athènes les avait trouvés, à son réveil, détrônés, persécutés, sans asile, et embrassant sur la place publique l'autel de la Miséricorde. Leur plainte y avait remué tous les cœurs et toutes les épées, et la ville hospitalière, armée en leur faveur, les envoyait en ce moment à la tète d'une théorie, interroger, suivant T usage, l'oracle de Delphes sur l'issue de la guerre. Delphes, connue vous le savez sans doute, était une ville sainte et pleine de merveilles, mais tout le monde traversait alors ces merveilles avec indifférence, et je ferai comme lout le monde. Je ne vous promènerai pas du Parnasse à l'Hippodrome et de l'Hippo- drome au trépied, bien convaincu que vous avez fait depuis longtemps ce pèlerinage avec le jeune Anacharsis, cicérone plus habile que moi; et d'ailleurs, je l'avouerai, j'ai hâte aussi de voir ces fameux Héraclides.

La Grèce entière, à leur aspect, n'éprouva qu'un senliment, l'admiration; et ce senliment éclata par une exclamation unanime et bruyante : « Dieux innnortels I qu ils sont grands et forts! »

Un vieillard de haute taille, qu'à son bâton doré et à son bandeau de laine blanche on pouvait reconnaître pour un des vingt rois de la Grèce, se pencha vers l'oreille d'un prêtre d'Apollon, qui traversait le temple, portant une cassolette de parfums :

J'ai connu beaucoup Hercule et Déjanire, dit-il, et nC leur savais que trois fils. Quelle est donc cette vierge voilée^ assise au même banc (j[ue les Héraclides ?

Vous ne vous trompez })as, mon père : Hercule n'eut ({lie liuis enfants de Déjanin;; mais sa dernière épouse, lolc...

C'est juste! interrompit le vieillard, se frappant le front du doif^t (Ml si}^ne de réminiscence : Philoctcte m'a viu^l fuis raconté ces détails, mais... deux siècles en londjani sur iiin' tèt(î y peuvent bien ébranler la mémoire... Oui, je nu; rappelle liarfaileuieuLà celle heure (pTuue lille est née de ce mariap\..

\'\n\ lille et un garçon, mon père, prononça nue voix douce derrière le vieux roi. Il tourna la tète et vil un adoles- cent [làle et frêle (pii portait le costume de l'Ar^olid»'.

L'ue lille et un garçon, réi»éla rinterruptein- en rougis- sant : Ixus et iMacaria.

VA le vieillard sourit : Voyez, dil-il au jirèlre ; ou admire ma science à l'ylos, et voilà mainleuaul (pi'Arj^os m'eUNoie ses écoliers pour nriu>lruire.

Oui vous a si bien appris, et couuueiit vous aiipe!e/.-\ous, niou bel eufaut?

J\lais l'adolesceul, sans répondre, ;j;lissa sous une i'are»e de Nestor, car c'élail lui, cl se perdil dans la ioide.

I,a mèuu' louante y bourdounail >.ins variaules : u Hieiix! (inils sont {grands et foris! »

l'!u France, ce compliiueiil vous parait sans doiile bien étrange et pres(pu' iroiiiipie; mais songez, (pie \ous èles ici dans un pays (pie les caprices du terrain et de linubiliou découiiaieni eu nIu^I pelils i;i;ils, dont les roitelets lier> et iiar^lU'UX elaieul >erres les mis contre les autres et se cou- «loyaienl eu f;rou(lant, et (mi l'usaj^e, counnuu à toute l'anli- (piit('\ de cond).itlre homme à houuue et cor[>s à corps, faisait de la force physi(pu; la ^n\W puissance, je dirai pres(pie la

2o(i LE GUI DE CHÊNE

seule vei'lii. Ou augurait alors du mérite d'après les poiuj^s et Uîs épaules^ comme on le cherche à présent sur le front et dans les yeux. Enfin, et c'est tout dire. Hercule, la personni- fication de la force, Hercule était dieu !

La pythie tardait bien à paraître, et Ton n'entendait pour- tant aucun murmure d'impatience. La curiosité publique avait sa pâture. Hyllus, l'aîné des Héraclides, attirait surtout les regards. C'était un guerrier gigantesque, aux bras musculeux et nus, à la grosse face insouciante, et qui, une peau de lion sur les épaules, une massue à la main, atVectait les poses pa- ternelles : on eût dit Hercule lui-même. Hercule à vingt ans. Anténor, le puîné d'Hyllus, avait les trails plus fins et la taille plus élancée. Il se drapait avec complaisance dans sa divinité luule neuve, soiu'iait aux jeunes Grecques, et, les narines gonlîées, humait avec délices les parfums de l'admiration. En un mot, le divin Anténor était ce que nous autres mortels nous appelons vulgairement un fat. Quant à leur frère Égyste, il n'avait rien, sauf la force et la bravoure, de commun avec ses aînés. C'était à cette époque et dans ce pays un anachronisme vivant. Chose étrange ! il avait les cheveux blonds, et sa figure exprimait la mélancolie , sentiment tout moderne et tout chrétien. 11 revenait des combats les plus terribles, doux et timide à la maison : on eût dit, sous le soleil de l'Attique, un de ces blonds guerriers du Nord qui terrassaient des géants et des monstres, puis courbaient la tête sans murmurer sous la baguette d'une petite fée. U sendjlait, en regrettant Argos, pleurer quelque chose de mieux qu'un trône. OiJ donc s'en- volaient ses soupirs? au foyer d'un ami? au tombeau d'une mère? Nul ne le sait, car il n'a jamais dit son secret à per-

f

LK r,UT DE rHKNK 2:17

soniio, pas nirinc à sa jciiiic sa-iir Macaii;i, la ((tiiliili'iilc pourtant dos douleurs de tojito la famille ! A côlé de lui iMacai ia priait. Pardonnez-moi, ma sœur, d'avoir si longtemps oïdilir- la vicr^^e poin* les héros. N'est-ce pas sa faute? Voyez! cachée à l'ondjre de ses frères, elle fait tout pour (\\ù\u l'onhlie : elle n'a pas encore levé son voile, et ses traits vous sont inconnus; mais vous l'aimez d'avance, n'est-ce pas ? car vous savez déjà (pi'elle est pieuse et modeste.

On annonce enlin la pylhie : toute hrisi'-e encore de ses dernières convulsions prophérupies , elle se traîne lentement jns(|u"ini Iréjiied , appuyée sui' deux prêtres d'Apollon. Voilà Ion! à coup ipi'aii fond du saiichiaiit' une porte >'ouvrr à deuv hatlants, cl (|iriiiic houHV'c de veut s'en précipite, large et soiioi'c, l)id;iy;iiit l;i l'iinit'e des sacrifices, et secoiiiiiit >iii' l'as- seud)lée cet avis sacramentel prononcé diuie voix lounaule : Le diul voici le tJirii ! Déjà la proj^n'le^se diiu< la doideui- s'agite sur le trépied, cl Ton écoule, r.e riirenl d'ahord des sanglots, puis de> ssllabes plainlives, iU'> niol^ iusaisissahles. l-jilin le dieu [wuia :

« Minerve oomliatlia!... Sur son casqno ilivin I) Le liibou (lit : J'ai soif, et so ili'l'al en vain...

» Minerve appelle la Victoire... » I-a Victoire est sa siiMir, et no la fnit jamais... J(< i'eiitiMiils : elli' arrive ;\ grantl lunil d'ailos... mais t. l.e liihon (lit : J'ai soif ^ et vont ilu san;; à boin\ u Arpn.s attend ses rois potir les déiller : M Tremble, Argos! le hibou, dans son vol homicide, » 'lonmo, et cherche un front pnr qu'il faut .<i,icrifler, » Tourne, tourne et s'abat... Uiou ! sur un llls d'Alcide !

A ccll(> cpoipie si r.il.de pour les llt'raclides , il n'v eul

258 LE GUI DE CHÊNE

dans le temple que trois hommes qui ne frémirent pas : les Héraclides.

Désigne la victime par son nom, cria Hyllus à la pythie. Mais elle haletait presque mourante sur les marches du

trépied.

Le dieu a été bien terrible, et une seconde épreuve la tuerait, dit solennellement le chef des prêtres; qu'un des Héraclides se dévoue.

Je me dévoue, cria dans la foule une douce voix, la mf-me qui tout à l'heure avait parlé derrière Nestor.

Qui es-tu, et comment te nommes-tu? dit le prêtre d'un ton sévère.

Je suis un (ils d'Hercule, et je m'appelle Ixus.

Un bourdonnement de surprise accueillit cette réponse.

S'il dit vrai, il est bien nommé, murmura une voix railleuse.

Vous saurez, ma sœur, qu'Ixus est, ou peu s'en faut, un mot grec qui signifie le gui. Les parents de l'enfant, à sa naissance, lui avaient sans doute jeté ce nom dans leur dé- dain, et, en eflet, cette débile créature, entée sur une aussi forte race, ressemblait beaucoup à la petite plante parasite qui frissonne au vent sur les grands chênes.

Nous t'avions défendu de nous suivre à Delphes, dit Anténor, qui s'avança menaçant vers ïxus... Mais la hlle d'Hercule, immobile dans l'ombre jusqu'alors, s'élança entre les deux frères, saisit la main du plus jeune, et l'entraîna hors du temple, sourde à la voix d'Hyllus qui la rappelait, sourde à l'admiration qui murmurait sur son passage, car dans la rapidité de sa marche son voile s'était soulevé de lui-

LE on DE ni î:ne 2:;o

mr'mo, Pl Mararia élail licllc! 1m-1Ip de» IkmuIi' cl do jiiràct», «'t Ix'llc siiiloiil (Ml ('(' moiiiciil de celle \\\\w dans les yeux et dans la voix. (|iii embellirait la laideur nièiiie.

De retour à Alliènes, le inènie char ramena loute la famille, les trois {guerriers décidèrent (ju'ils tireraient au sort le lendemain, dans le temple de Minerve, pour savoir leijuel d'entre eux devait mourir. Mais (juand le pauvre; Ixus arriva, tout joyeux et tonl lier, pour glisser son nom dans l'urne avec ses frères, ils le repoussèrent, pensant cpie ce sérail insnller les dieux (jue de piV-seidei- ainsi au j)e>liii, souvent moiiueur, roccasioii (le leiii- jelei' celle (tlTraiide uiaii^re et dérisoire. Ouaid à Macaria , ils ne soullVii'enl pas iiou plus, mais jidur nue raison dilTérenle, (pTclle couiùt avec eux une chance de morl. VA\o élait liancée à Lycus, un iU'^ chefs iidliu'uls d'A- thèm's (d'AthèiU's (pii s'armail pour eux), et, soit politique, soit reconnaissance, ils exij^èrcnl (pie les préparatifs du ser- vice n'inlei'rompisseut eu rien ceux des noces. Aussi Macaria Irouva-t-elle au retour sa chaudtre loule |»arfumée des pré- seuls lie l.ycus. Mais dans un pareil niouieiil , s(S peuxM's, (pii d'avance poilaienl le deuil d'iui fièie, u'i'laieiil pas des pensées (riiynieu; et pnuilaul la ::uiilande nuptiale ('lait com- posée de si heauv lis (pie, d'une uiaiu di>lraile et presipie iuvoloidaii'cment, Macaria la posa sur son fnud. Mlle enlendil eu ce uioiuenl im soupir mal éloulïé derrière elle et se re- htuiiia... ('('lait l\u^, Ixus son frère, et dont elle l'iait la mère autant (pie la S(cui'; Ixun, qu'elle enlaçait de ses soins parce (pi'il ('lail soulVrant et dédaiiziK' ; Ixus, ipii ne pouvait pas faire ini pas dans la uiaiNon sans Iroiiver Macaria pour lui sourire. •'1 à "pii la luaiNou allait semhler hieu vidi< cl bien uraud»»

260 LE GUI DE CHÊNE

lorsque Ma<'aria no l'omplirail, jiliis. Il rogai'daiL los lleurs symboliques avec des yeux brillants de larmes , ei sa figure alors exprimait une telle douleur que sa sœur, habituée pour- tant depuis douze ans à le voir souffrir, en fut épouvantée.

Oh! pauvre enfant, dit-elle, pardonne-moi.

Te pardonner, Macaria ! quoi donc ? tous les bonheurs que tu me fais ?

Ne me remercie plus de mes soins pour toi : c'est une dette, c'est une expiation...

Les regards ébahis de l'enfant sollicitaient le mot de cette énigme.

(( Écoute, dit-elle, il y a quatre ans (tu en avais huit alors, et moi quatorze), il s'est passé dans notre famille des clioses merveilleuses et fatales que mon. père et mes frères ont toujours ignorées.

» Tu te souviens de cette cabane qu'ils bâtirent au bord de la mer, pour se dérober à. de nombreux et puissants persécu- teurs? Un soir, mon père et mes frères étaient à la chasse : las d'avoir couru tout le matin p;ir les bois, tu venais de t'en- dormir d'un profond sommeil, bercé par le bruit monotone de la pluie sur la cabane . la nuit était tombée depuis longtemps, et mon père et mes frères ne rentraient pas encore. Enfin, j'entendis heurter à la porte, et j'ouvris, croyant leur ouvrir. C'était un voyageur qui sollicitait, pour un instant, un abri et un foyer. Il entra. Assise à ton chevet, pendant qu'il faisait sécher ses habits devant l'àtre, je vis avec surprise une douce et vague lumière courir sur ses cheveux blonds. J'attribuai cela d'abord au reflet du foyer; mais le foyer s'éteignit, et le front du voyageur resta lumineux. Alors je reconnus Apollon ;

LE on T)E THÊNE 261

Apollon qui, clinssn «le l'Olyinpp, courait (léiiuisé par 1»» mondo , mais (pii n'avait pu parvenir ii ('Icindir tout à fait son auréole.

» Grand Dieu! m'écriai-jo on joiirnanl les mains, (pie voulez- vous de moi?

» Rion, me répondit-il, rien qu'un abri; mais le temps va se faire beau et je pars : reçois cv baiser d'adieu.

» Alors je m'avançai fremblanle an-devant de mon oiicN' ; et le conduisant par la main vers la couche tu dormais en- core : Caressez plutôt ce pauvre eiilaiit, lui dis-jf, car aucun dieu ne le caresse; tondiez ses joues pâles poiu" (ju'elles refleurissent, et sonflle/, sur ses lèvres pour qu'elles cliaiileiil.

» Le (lien sourit à ma prière; il se pruclia siu* lui el sdullla sur la bouciie; mais celte haleine ardente j^lissant jusqu'à Ion cieur Tenqdit et le jj;onlla... el voilà poiu'ipioi ce cirur brrde et [iali)ih' toujours; voilà pourquoi tu lan;^uis cl lu meurs, pauvre enfant... Kt mainlen;uit «pie tu sais loul, dis, me par- donnes-tu ? »

l\us l'embiassa : c'éliiil rt'inmilrc.

« Mil bien! prouve It'-iiioi doue «mi suivant mes «-(insciU. Imprudent! par «pie! Iicuiriix prodii.'i' ire>-lu pa< moi! de faim el de soif sur le loiij^ cluMuin «l'Athi'MH's à Delplh's !

Oh! dit l\us, j'avais l'ail, de»; malin, ma «hanstin de voya|4«\ O'iiiiid je v«)yais sur une maison la fuun'e d'un bau- «puM , je frappais à la porte en clianlaul el liiu m'ouvrail l«Mijoms.

Chauson merviMlleust» î dit Ma«'aria «mï souriant; il faut m«' l'apinvndre, l\us, pour (pit> je la (hante au^^^i. mt»i quand j'iiai à Delphes ou à (>lympi«\ "

i5.

262 LR GUT DE rilENE

Ixds, par une coquette modestie, commune, à ce qu'il pa- raît, aux faiseurs de cliansons de toutes les époques, se lit prier (juelque temps, puis céda.

CHANSON D'IXUS

Ouvrez! je suis Ixiis, le pauvre gui de chêne qu'un coup de vent ferait mourir.

Un jour, il y a douze ans, un pygmée tomba de la peau de îion d'Hercule : ce pygmée, c'était moi. Mon père ne m'ai- mait pas, parce que j'étais faible et petit ; et lorsque, enfant, je me heurtais à ses genoux, j'entendais sur ma tête une voix gronder comme l'orage. Mes frères me battent quand je les appelle tout haut mes frères, et pourtant je veux vivre, car j'ai une sœur, une sœur qui m'aime... Elle est si bonne, Macaria!

Ouvrez, je suis Ixus, le pauvre gui de chêne qu'un coup de veni ferait mourir.

II

Mes frères m'ont dit un jour : « Sois bon à quelque chose; appivuds à élever des statues et des autels, car nous serons

LR n ri DR CIIKNR îll.'l

(lionx poiil-rlro. » El j'ossayai (r()l)fMr à nios fivrps, mais le cisoaii cl le niarlcaii ('laicnl bien lourds! El itiiis i\r> vivions Plraugos passaient, passaient sans cesse enirc moi cl le bloc (le Paros; cl mon (loijzt distrait écrivait sm- la poussière un nom, toujours le mcine, le doux nom de Macaria.

Ouvrez! je suis Ixiis, 1(^ panvie gui de clicnc (pi'nn cou[t de veni lerait mourir.

ni

Alors mes frcns m'oid dit : « Nous avons pour liôle au palais un blanc viciilaid de la Clialdée, (jui sail lire dan^ le ciel les clioses à venir : écoute ses leçons, et dis-non< >i tu vois dans les nues venir des trésors ou des victoires. » El jai (écouté le vieillard , j'ai itiissé de longues nuils sereines à re- garder le ciel; mais je n'ai vu ni victoires ni trésors, je n'ai vu (|ue des étoiles bumides cl brillantes (pu me reganlaient avec amoui'... connue les yeux de MaciU'ia.

Ouvre/! je suis Ixus, le |tauvre gui de cbène (puni coup d«> vent l'eiiiii mourir.

IV

Aloi's mes l'rèris nTonl dit : « Prends un \\\v et «les flèclies, et va cliass(»r dans les bois. » Et j'ai couru par les bois avec un arc et iU'<. Ilèclies; mais j'oubliai bientôt la cliasse et mes trères. iV'udanl (pie j'écoulais cbanler les vents et les rossi-

264 LE GUI DR CHÊNE

gnols, une biche mangea mon pain dans ma robe^ et un petit oiseau, fatigué d'un long yoI, vint s'endormir dans mon car- quois. Je l'ai porté à Macaria.

Ouvrez! je suis Ixus, le pauvre gui de chêne qu'un coup de vent ferait mourir.

Alors mes frères m'ont dit : « Tu n'es bon à rien, » et m'ont battu; mais je n'ai pas pleuré, parce que je pensais à ma sœur. Et demain, on me prendra ma sœur, et demain, quand Macaria, assise au banquet nuptial, dira : « Quelle est donc cette fumée bleue qui monte là-bas derrière ce bois de lau- riers ? Oh ! ce n'est rien, diront les convives.

C'est le bûcher d'Ixus, le pauvre gui de chêne qu'un coup de vent a fait mourir.

Non, tu vivras! s'écria la jeune fille attendrie. Je t'abri- terai si bien dans mon cœur que toutes les tempêtes passeront sans que le moindre souflle t'en arrive. Lycus est heureux et fêté, lui, et les vierges d'Athènes sont nombreuses. A toi, seul et soutîrant, toutes mes heures et tous mes amours ! Pauvre gui de chêne! tu pareras mon sein mieux que le bou- quet des mariées. Tiens, mon frère, tiens, mon poète, voilà le prix de ta chanson... Et arrachant de ses cheveux la guirlande nuptiale, elle la jeta, trempée de larmes, aux pieds d'Ixus. Ixus voulut répondre; mais foudroyé d'émotions imprévues, le pauvre enfant eut à peine la foi'ce d'une exclamation. « Oh! »

LE OUI DE CHÊNE 26.i

fil-il ; ot portant la inuiii à son cdîur, il tomba. I.a fièvre l'aj^ita toute la nuit, et toute la iniit Maciuia veilla et jilenra près de la condie de son frère.

C'«!tait le lendemain ipie les trois Héracliiles devaient aller au temple interroger sur le choix de la vicliine. Ils se présen- tèrent à raiitcl coinmo au coinl)at : intrépides et insouciants. Après les cérémonies d'usage, réi>étition à peu près exacte de ce (jue nous avons vu à Delphes, un prêln; de Minerve ballotta les noms dans l'urne. Un enfant s'approcha, les yeux couverts d'un baiidt'iui. Sa main emcurait déjà les bords du vase sacré pour en sorlir bientôt avec un arrêt de mort... (juand loiil à coup une voix de fcunne relenlit au seuil du temple,

Arrêtez! voici la victime.

C'était I\Iacaria (pii s'avançait lentement vers r;iulrl; M.icaria pâle et parée, (M, balanraiil sur sou be;ni iVdiil Is baudi'lelles fuiièbics. Ki^'vsle s'élança vei's elle : \Oiis ici, ma su-iir ! vous m'aviez, piomis de rester près d'Ixiis!

l\us! (lit elle eu ('loulViiut un s.iuulot, uKtrl '... VA uiaiu- leuiMil rien ne iirempèelie de mourir pour vous.

lit elle [loursuivit sa marche lenle vers l'aulel.

La foule applaudit, les llt'rai'lides s»» rcsijiuèrcut. A celle épO(pie, l'on croyait voir la main des dieux derrière toutes les choses extraordinaires, ou attribua naturellcmenl à ime inspiration un dt'vonemeut si sublime. Aussi Mai'aria s'a^e- nouilla-l elle sans obstai'le deviiut raulel. l'.lle arrêta d'un p'>le le fer iiup.ilieul du sacrilicateur, jiour jeter sou derui»M- sourire à ses frères; puis ferma les yeux, eutr'ouvrit le voiK' (pii couvrait son sein...

VA deux miiuites après, son corp< p.alpitait ^ur l'autil.

206 LE GUI DR CHÊNE

On ne fit qu'un bûcher pour Ixus et, Macaria. Et alors^ par un prodige ou une illusion qui se répéta plus tard au supplice de notre Jeanne Darc, on vit ou l'on crut voir quelque chose qui s'élança des flammes vers la nue^ avec un doux bruit d'ailes.

Ce qui contribua sans doute à propager cette tradition tou- chante^ c'est qu'après la victoire des Héraclides, victoire payée trop cher pour que les dieux la leur fissent longtemps attendre, les habitants de Mycènes, après avoir inauguré en triomphe la statue d'Hercule au bord des mers, y surprirent un jour deux alcyons dans la peau du lion de Némée.

voilà comment passèrent un jour, à travers un siècle antique, les deux plus belles choses de ce monde et de tous les siècles : la Poésie et la Vertu !

I.A S omis lU. AXCIIR

Il y .'iviiil uiio [dis, mn sœur, un viliiin loi de Frniitt^, lioimiK' Louis \l, ri un ticnlil (l;niii|iin, i\\ùtu ;i|i|M'l;iit (Ji.nlol, eu iillciiiliinl (|u"il s'iiii|ii'|;'il Cliiuif'v \ 111. 1) ni-ilin;iin\ le vifiix l'oi, sup(M'slili(Mi\ cl in;iliiilt', rt'ijniiil, liriiilthiil cl sonlTr;iil, iiivisil)lc, à l'oiiibrc des rpaissos iiun-aillcs ih> sou cliàlciui du Plossis-lc/,-Toui's. .Mais, vci's le milieu de j'aïuu'c I is.{, il venait de se IraiiUT eu pclerina^^e à Nuire-naine de (iléry, souleuu par Trislau rileruiile, son boiUTeau, Coietier, son inédeeiii, cl l'iançois Ar Paule, sou ('oufe^i'ur; car il avail ;>'rand'p(MU-, le vieux lyi;ni, {U'> liouiines, de la uiori cl Ac nien. l'ii souvcuii' de saiiL', cuire luille, celui ilc la luori de .lac(pics d'Aïaua^uac, duc de >('Uiour>, louiiuciiliiil <{\\\ au'ouie. (!e i^raud vassal avail jadis payi' de sa Icle une leulidive de rébellion conlre sou su/,eiaiu. .lu^(pic-l,i cT'Iail jusiice; mais le cruel vaiuipicur avail forci' les Irois jeunes enfaul^ ilu con(lamn('' d'assisler au snppli«'e de Icm* père, el dcpui< lon^jcmps il se repeulail devaul Hicu de ce luxe de \en- fjeance; il se l'cpculiul. dis-je. el pourlaut il ih' s'amendait pas. I*ar luic iucoiiMMpuMic»» étranue, mais comnnme ;\ bien de^ luccliiuils. le remords clic/, lui uCl.iil pas la pitié, cl. dau^ le momcul mcme m'i il plaçait eu Ircuddanl sa maiKuic

208 LA SOURIS BLANCHE

enli'o lui et, le fantôme de Nemours, un des fils innocents du feu duc languissait et mourait dans un cachot du Plessis-lez- Tours.

C'était une demeure terrible et mystérieuse que ce château : ses vestibules noirs de prêtres, ses cours étincelantes de soldats, ses chapelles toujours ardentes, ses pont-levis tou- jours en émoi, lui donnaient le double aspect d'une citadelle et d'un couvent. On parlait bas et l'on marchait sur la pointe du pied dans ces grandes salles, comme dans un cimetière. Et, eu eiïet, des captifs, par centaines, gémissaient ensevelis dans les souterrains; ceux-ci pour avoir parlé du roi, ceux-là pour avoir parlé du peuple, les autres enfin, et c'était le plus grand nombre, pour rien. Chaque dalle du château pouvait être regardée comme la pierre funèbre d'un vivant; et c'était que grandissait, oisif avec un esprit aventureux, seul avec une âme ardente, le dauphin Charles, alors dans sa douzième année. Pauvre fils de roi ! il cherchait en vain oii reposer ses yeux des horreurs qui l'entouraient. Une forêt verte et fraîche ondoyait au pied du château; mais les chênes y balançaient moins de glands que de pendus. La Loire serpentait vive et joyeuse à l'horizon; mais chaque nuit la justice du roi trou- blait et ensanglantait son cours. Aussi, quand il avait long- temps ébréché son épée vierge aux murailles, longtemps épelé les majuscules rouges et bleues du Rosier des guerres ou du Saint Évangile, l'enfant rêveur, accoudé à sa fenêtre, passait le temps à regarder le beau ciel de Touraine et à chercher dans les formes changeantes de la nue des armées et des batailles.

Un jour pourtant ses gestes et sa physionomie trahissaient

L.V SOURIS HLANCIiK 2C,\)

lin cmiiii pins vit cl do moins vngnos piTorciipalinns. \, Ai- il<:lns (le midi linlait d«''jà, et son ropas du matin, cumiinsé, sur sa demande, de pâtisseries léfîères et de sucreries, l'aiiarail vaiiK'ineiil de ses parfums, et restait inlad sur iiin' |;di'r (|iii' le jeune prince frappait du poing avec impaliciice. Il >c le\;iii par inlervalles, JM-aiit, iialclant d'espérance et (rinqnit-liidc, l'oicille an ;-'iicl, cl rcptHant : « lîlanclietle, HIanclictIc, viens donc! le déjeuner fond au soleil, et si tu tardes encore, les mouches vont mau'.'er ta part. » El, comme l'oiildieux convive ne répondait pas à l'appel, le i)auvre ampliylrion nM-ommcncait à se dé'solcr et à lié» pi fin ci- de plus liellc. Tout à coup un lt''L:ei' lniiil dans la la[tisseiie le lit lic»aiirn'; il tourna la lèjc, poussa un cri et rctoinlia sin- smi fauteuil, ivie de jdic, cl iiiiiniiiiiaiit avec un xmpir : « 'jiHn 1 » N'ous muiv iin;i;:iii('/ sans doiile, ma so-iir, que celle illanclielte lanl désin'-e l'Iait (piel(pic iioltle daine, Mciir on confine du jrime |irince; d»'- ti'oinpez-voiis : r.lanclieltc l'Iail tout simplement un»' petite souris hlam'lie, connue son nom l'indique ; si vive (pi'on eTil dit, à la voir trotlei'. un rayon de soleil (pii filisse; el >i gen- tille, (pTcllc eut Iroiivt' L'ràce en tcuqis de guerre devant (iiip- pcminaiid, llodill, nd cl H(tniinau'-rnl»is, soudard^ peu deli' al», (•(Uiiine voii^ savez. C.liaile» «-aressa la jolie visii. iisc. il la conlcniplii liiiii^tciiqK avec di'licrs piMidanI ipi'clle ::riun(>lail un lii^ciiil dans sa main: puis, se souven.iiil qu'il devait à sa di^^uiti' de fjiDiiiJci un peu : \|| çj, mademoiselle, dit-il d'un Ion plaiNanimcnl i^iave, urappreudre/-vou» enlin ce que je dois peiisrr d'une pareille conduite ? (louuuent! on vous traite ici coiniiie une duchesse: j'ai dcfeiiilii ma porte à Olivier le haini . don! la pliNsimiomie cl l allure .1. .Iiii \..iix .IT.iinii-

270 LA SOURIS BLANCHE

client; Bec-d'Or, mon beau faucon^ en est mort de jalousie; et tous les soirs vous me quittez, ingrate^ pour courir les champs comme une souris sans aveu! Et allez-vous de la sorte, sans souci de vos dangers et de mes in(|uiétudes? allez- vous? répondez! je veux le savoir, je le veux! » L'interro- gatoire était pressant, et pourtant, comme vous le pensez bien, la pauvre Blanchette n'y répondit pas; mais, fixant d'un air triste ses petits yeux intelligents sur ceux de l'enfant grondeur, elle cliiiïonna les pages d'un Évangile entr'ouvert sur la table, et arrêta ses pattes roses sur ces paroles : Visiter les lyrisonnien. Charles demeura surpris et confus, comme il advient aux présomptueux qui reçoivent une leçon à finslant même ils croyaient en donner une; car plus d'une fois il avait entendu raconter des choses étranges sur les habitants souterrains du Plessis-lez-Tours, e"t plus d'une fois il avait médité un pieux pèlerinage à la prison de ce jeune d'Armagnac dont l'âge et la naissance excitaient plus particulièrement sa curiosité et sa sympathie; mais la terreur que lui inspirait sou père l'avait retenu jusqu'alors, et maintenant il se repro- chait sa prudence comme un crime. Dès le soir même il résolut de l'expier. Quelques minutes après le couvre -feu, il s'esquiva de sa tourelle, suivi d'un jeune valet chargé d'une corbeille qui renfermait du pain, du vin et des fruits, et descendit dans une des cours intérieures du chfiteau. Une compagnie de la garde écossaise y rôdait au clair de lune le long des mu- railles. « Qui vive? cria une voix rauque et menaçante. Charles, dauphin. On ne passe pas! » Mais Charles s'approcha de l'officier de ronde, et lui souffla deux mots à l'orfulle. (( S'il en est ainsi, allez, monseigneur! dit alors le

LA sornis n LANfiir. 271

soldai, visihlomoiil (l('('oii('orU', alh^zl cl (jin' Hit'u Vdus pro!«';:o; car si vous ôtos (I('coiiv(mIj j(^ suis pcKlii. » Nolro Ih'tos eniitloya, pour ('veiller le {zartlien des prisons el. lever ses scrupules, le inriuo moyeu avec le même succès, rciil-rlic, ma sœur, êtos-vous curieuse de couiiaUre les nia^i(iues paroh-s qui, dans la liouclie d'un enfant, faisaient baisser les éitées et loniher les verrous; les voici : Le roi est biiii mahnJe. (lliarles avait foi dans celle formule dont il avait souvent éprouvt' la loule puissance : car elle rappelait ;iux fiens du vieux Louis \i, sold;ils, coinlisans, geôlier ou valets, qu'une bouderie d'enfant pouvait se clianfier tout à cou[i eu luic bonne el silide rancune de l'oi.

liC daupliin cl je pa{^e, sous la coiuluile du i:côlier, s'aven- linvicul, non sans (piclipic li(''>itati(>ii, s(iii< uni- vnùtc buniide <'l sond»re,et \o Um'^ d'un escalier en s|iiralc dnni cliaqiie mai'cli(» ^'luanle les menaçait d'un l'au\ pa<. Tons Irois mar- cliaieiit à la lueur précair(> d'une torche de résine, tantôt battue pai' l'aile aveugle des chauves-souris, tantôt ai.'onisaiil stius les {4outt<'s d'eau (pu» suait la vitùle. Ijilin un binit vaf:ue d'aboni, mais plus distinct de pas en pas, un bruit de plaintes el (!e soupirs lem- aininnça je Iciiih' du voNa::e. i-e izuidc >"r'loiuna, cl ('liarlcs iccula dhorrrur dcNanl le s|i,'(laclc qu'il avait <oUn les yeux. Ki;,'iMc/.-\(ins, ma S(cur, une caiie de ici" >ccllee dans le mni\ ba<-e, (''Iroile. o\i chaque niouveuicnl devait elle une douleur, (tù le sonnucil devait être un cauchemar, et tlaiis la- »|ue|le gt'missait el ^«' tordait un cnriut! Je dis c/</(nj/, quoique le dnc de NeiiKims, l'hôte de cette alTieusc demeure, altei- f^nit hieulôt sa di\-seplième aum''e; mais, à le v«>ir si };rèle el si pâle, on lui eùl sii|i|i(ise dnu/e ans ;iii plu<. A peine dau<

272 LA SOURIS BLANCHE

l'adolescence, il avait tant soufler^ qu'il émorvoillait ses bour- reaux par sa tenace longévité, et que le geôlier, dont il rece- vait la crnclie d'eau et le pain noir quotidien, hésitait chaque jour sur le seuil du cachot, se demandant s'il ne vaudrait pas mieux envoyer à sa place le fossoyeur. Le dauphin, pour abor- der le prisonnier, chercha de douces paroles et ne trouva que des larmes. Nemours comprit ce muet salut, et y répondit par un sourire de reconnaissance; puis tous deux causèrent à tra- vers les barreaux. Quand l'un déclina timidement sa qualité de lils de Louis XI, l'autre ne put se défendre d'un mouve- ment de surprise et d'effroi ; mais cette fâcheuse impression ne tint pas longtemps contre la parole et la figure si franches du dauphin. Étranger depuis dix ans aux choses de ce monde, le reclus fit d'abord à son noble visiteiir de naïves questions qui rappelaienf celles des anachorètes demandant aux rares voya- geurs dans le désert : Bâtit-on encore des villes? célèbre-t-on encore des mariages? lorsqu'une circonstance imprévue donna un tour nouveau et plus piquant la conversation. Un tiers vint se jeter étourdiment entre nos vieux amis d'une heure, et ce personnage mal appris, j'ai honte de l'avouer, ma sœur, n'était autre que la commensale du dauphin, la rivale de Bec- d'Or, Blanchette, puisqu'il faut l'appeler par son nom; pas- sant au travers des grilles à la faveur de sa petite taille, elle escaladait les jambes et les bras enchaînés de Nemours, et pro- diguait au prisonnier des caresses toutes semblables, sinon plus vives, à celles que le prince avait obtenues le jour même : « Tiens! vous connaissez Blanchette? dit Charles surpris et piqu('. Si je la connais! répondit Nemours, depuis dix ans c'est ma souris à moi, c'est mon amie, c'est ma sœur, L'in-

LA SOL" m S MLANCllK 273

^ratf! LT' malin encore elle partageait au cliàleau les biscuits de mon déjeuner. Depuis dix ans, monseigneur, elle \icnt dans mon cachot partager mon pain noir. Jour dr DiruI » murmura le jeune princ»;... Mais sa colère enfantine s'évanouit devant un sourire malicieux de iNemours. « Je crois, nionsei- gneur, dit le jeune duc, (|ue vous me feriez volontiers l'Iiun- ninn- de rompre une lance avec moi [)our les beaux yeux d'une souris. Il m'est impossible en ce moment de répondre au car- tel : voyez... » \'A il soulevait aux yeux de son rival ses bras (pii pliaient sous les cluiines. Alors s'éunil un (It'bal original et lonclianl eniri le lil> de Louis XI el le |iriM.»unier de Louis M, cliat nu d'eux prétendant surpasser l'aulre en mallieiu'; Inu faisaid. tourlier à son adversaire les paiois humides et les bar- reaux épais d(! sa [irison, l'autre peignani ralmos[ilière d'ennui et la chaîne viv iiile de courlisans el d'e^pinus dont le poids l'étoulTail ; l'un inoiihinil son corps lorlin-t', l'aulre son cienr sai};nanl, el Ions deux Irriniiiiinl Icnr plaidoyer par l.i même coii«'ln>ion : u Tu viti> bien, >rnioni's, \om«^ mimv. bien, m(in>ei;:nenr, tpie j'ai besoin de Hlaiiebelle pour m'aider à vivre e| à souflrir. » Aprè^ une di^cn^inn lon^n el sleiile. ils linirenl par on ils ainaienl roiniUi i'i- : il> couNinieiil de preuilre l'ubjel même dn debal pour arbitre. « Voyons, made- iiKtiM Ile , dil le (lanpliin à {{iaiiebelle , déclare/ franchemeul auquel de nous deu\ \ous de.sire/. appai tenir. » l'.l Hiudain vous eus>ie/. vu la petite soinis aller de l'un à I aulre aNcc force genlilless«'S, puis sairèler rnlie eii\ m les reganlaut lour a lonr avec ,ves petits Neu\ brdl.int> ipn M-ndilaienl tlne : .1 tous (/t'//.r, nus nif'unls!

Ici, ma Mcnr, j'epinnve le bevoin (l'uii a\eu «pie j'avais

274 LA SOURIS BLANCHE

ditleré jusqu'à présent dans l'intérêt dramatique tie niun récit. L'esprit^ le bon cœur et les manières de Blancliette vous éton- nent sans doute^ et je le conçois; car moi-même^ qui eus autrefois mainte occasion d'étudier de près le }»euple intéres- sant des souris^ jamais^ je l'avoue, je n'ai rien observé de sem- blable. Il est donc urgent de 'e dire, Blancbette n'avait d'une souris qne la forme, Blancbette était une fée! Les liistoriens du temps, il est vrai, n'ont rien dit de cette métamorpliose; mais je puis vous en garantir l'autlienticilé, et de plus vous en révéler les causes secrètes, sur la foi de certain manuscrit gros et gras de science, qui m'est écbu pour lot dans riiérilage de ma grand'tante. Des rats bibUopbiles en ont mangé les trois quarts, les vers l'ont illustré de broderies à jour, et ce n'est pas sans peine, je vous jure, que je suis parvenu à décliitlrer et à traduire pour vous, de la langue romane en français mo- derne, le cbapitre suivant, intitulé ; Comme quoi la Fée des Pleurs fut cJuunjée en blanche sourctte.

Un jour, jour de printemps et de nouvelle lune, il se fit un grand mouvement dans le royaume des fées. Les sylpbides s'éveillaient avant l'aurore pour se parfumer avec la poussière des lis; les ondines cbercbaient, pour se mirer, l'endroit le plus clair de leur fontaine ; les dames des bois oubliaient d aga- cer et d'égarer les voyageurs, pour se couronner de violettes et d'anémones; car toutes étaient conviées à une grande fête que domiait le soir même la reine des fées à son peuple. A 1 beure conveiuie, comme vous le pensez bien, ces dames arri- vèrent en foule, exactes et empressées, cbacune voyageant à sa manière, Tune dans une conque de sapliir attelée de pa- pillons, l'autre dans une feuille de rose em[)ortée par le vent;

I

•17:

LA SOI' 111 S in.A.NCllK j.iO

riiiilrcs ('iiliii, et (T lui le jiliis yrainl ikhiiIhv^ ili('\;nirli;iiit en CTuui»(', ti)iil, l)(tiiii(iiiciil , ((iiuiDc (le. simples reines, iivec un clievjilier de la 'ral)le-J{oii(le. L'nc seule luaiKiiiail au ivikIc/.- voiis. Dès le malin, riiiic des Miivanles Ar la ifinc, Aii^t'liiia, surnommée la Fcc des rieurs à cause d»; sa iiilié vij:ilanle ituur toules les inlorlinieSj était sortie i'm'livenn'iit du palais. I/oi';^ane de l'ouïe, chez (die plus délicat encore tpie «liez ce fameux f^éant Finc-Oreillr (lui entrndait h'icr le hjô, dit l'Iiis- loiic, lui faisait distinguer de loin les plus timides palpitations «les cuMirs soulTranls, et jamais un appel de celle naluic ne l'avail iu>(pral<ir> liunvt'»' Miurde ou né<;li<;ente. Or, des ciis plainlifs, des cris d( idanl lavaieiil éveillée en sursaut, et mhi- dain (die s'élail diiigi'-r vers l'eiidioil d'iu'i venait le luuil : l<'> cheveux au \v\\\, vrluc d'une rohe llotlaute oi" et a/nr, tenant à la main la ha^uette d'ivoire, manpic de >a jtuissance, et vol- ligeant plut(>t (pi'tdie ne marchait >ur la pointe des |^a/.ons et {W<, Heurs. I'!lle avait adopté' celle allure, de peur, disait-elle à ceux «pii s'en ('lonnaicid , iV' UKHiilIcr ses hrodiMpiins dan> la i"o.>ée , m. lis en clVrl parce tpiidle craii;nait d écraser tui de hiesseï' par UK-vardc la ci;:a!i' ipii clianlr dans le sillon, et h' li'/ard tpii IVclilIc au Milcil; car elle elail >i protli::u<' d»' N'iu^ cl daniour, la hoinir IVt ! (pirllr v\\ n'-pandait ^ur les plus humilies créalm'es de Uieii. Apiè>>a\oir inaiché l(»n^tt'mp> de la Mirle, elle s'arréla riiliu devaiil une petite cahaue sur la li- .sière d'une ron''t. Il serait inutile de vous en faire la descrip- tion, ma Mi'Ui", car je soupçonne rml (pie viuin avez eu ronnne moi le lioiilii iir d'y l'aiie plus d'un voyai^e en compagnie de renchanteur Peiranll. Nnus croyez la nMonnaitu' , et vous n«* voii.s liompe/, pas : celle cahane du hùclieion c^l luen celle du

276 LA SU U lus BLAiNGHE

Petit Poucet. Ce {^rand personnage historique était alors bien jeune, et ne préludait pas encore au rôle important qu'il joua depuis dans le monde. C'était lui, c'étaient ses frèies dont les plaintes avaient éveillé Angélina : leurs parents, occupés au loin dans la forêt, y avaient passé la nuit pour être prêts au travail dès l'aurore, et, ne les voyant pas revenir à l'heure accoutumée, la jeune famille avait eu grand'peur.

La visite de la fée, que ces pauvres enfants connaissaient déjà, ramena pour quelque temps la paix et la joie dans la ca- bane. A la chute du jour, Angélina se souvint que la fête allait commencer et voulut partir; mais tous, rendus familiers par sa complaisance, la rappelaient et la retenaient à l'envi, qui par un pan de sa robe, qui par une tresse de ses cheveux, qui par le bout de sa baguette magique; et la boiuie fée résistait un peu d'abord, puis souriait et cédait. Cependant un grillon, venu on ne sait comment du palais des fées (lui-même en était une peut-être), se mit à crier dans l'àtre : « A table, Angélina! le prince Charmant vient d'arriver, on n'attend plus personne, et le banquet solennel commence : on verra figurer au dessert les nèfles et les noisettes dont le prince Myrtil a fait, l'autre jour, hommage à la reine. A table', à table! car, de mémoire de grillon, jamais on ne vit plus beau festin. »

Puis voilà qu'un papillon du soir vint danser autour de la lampe en répétant : « Au bal, Angélina ! la salle est déjà pleine d'harmonie et de lumière, j'ai failli tout à l'heure m'y brûler les ailes à certaine lampe merveilleuse qu'un beau jeune homme vient d'apporter d'Arabie. Au bal! au bal! car, de mémoire de pbiilène, jamais on ne vit plus brillante soirée. »

[il Angélina voulait partir; mais les enfants la retenaient

LV S OU lus 1JLANCH1-: 277

avec des cris et des pleui's. a Oliî ne nous qiiillez pas encore, disaient-ils; et (jne deviendrons-nous, bon Dieu! seuls, hi nuit, (juitnd la lampe s'éteindra, (piand le loup nionlreia ses grands yeux à travers les feules de la porte, et (pn* nous entendrons dans la clairière silller les vents et les voleurs. »

Kt la honue I'im^ souriait et cédait toujours ; mais rnlin l«'s esitrits de l'air, Ironhlés, lui apporléirul à la lialc Irs sous d'une voix loiiuaulc : a Aiii^dina! Angélina! » C'était la reine des fées (jui l'appclail, irritée d'uur >i Inuf^ue absence. K|m(u- vantée, Anj^élina se débarrassa des i)etites maius (pii l'eurli.ii- naient et S(»rlit vile. Tidji vile, lit'las! car, dans sou Inuible, elle oublia sa baguette, dnul le plus jeune des enfants s'était fait, sans songer à mal, un bocliet dans S(»n berceau. Or, V(iu> saurez, ma soMir, qu'une fée tpii [lerd si baguette e>l une fée perdue. I,a pauvre Angt'liiui no s'aperud de son malbeur tpia I expjosinii (le niuiiuui'o ipii salua son reloui' au palais, l'ar ce fut un giaud xaiidale pour toutes les |V'e> , et ime uraiide joie pour les \ ieilles, eiicbaulees il'luuuilier euliu uue eoui- pauiie doiil lo cliaiiues cl la boule laisaieiil ressortir leur ma- lice el leur Liideur. Ouel.pies jiMUies gens aus>i, primes, sor- ciers et encbaiiteurs, dont Augelina, toute bonne (pi'eile était, n'avait pu s'em|iè{|ier de railler (juelipitd'ttis la sutlisanee, triompliaient de sa coid'usiou. uParole d'Iiouneur, répétait au.\ eunes fées b' prince Mi/rlil, (pii n'était pas sorcier, avec ses grands airs de \erlu, uolie Au;^eliua u'e>l ipTinu' bégueule. Ali! elle a penlu sa ba-uelle'.,. I.li bien! ligure/,-vous. nu»s- dauies , (jii'iin jour je maxi-ai de louelier à (elle baguette uiaudile.el ipie la [M'iile uiasipie m'en donna >«ur les «loiyls >i

lli

27S LA SOURIS BLA.NCHE

lorl^ si furl, (^110 je fus un mois sans pouvoir me servir d'un casse-noisette. »

Bref^ la coupable fut traduite devant un tribunal i»rcsidé par la reine et composé de vieilles fées, dont la baguette^ de- venue béquille ; faisait peur aux enfants, qui n'avaient garde d'y touclier. La bonne Urgèle essaya vainement quelques ob- servations en faveur de sa jeune amie : le délit était llagrant et la loi précise ; or, cette loi portait contre la condamnée une peine singulière : elle devait courir le monde un siècle durant, sous la forme d'un animal à son choix. Angélina fut quelque temps indécise ; rossignol, elle eût chanté sous la fenêtre de la jeune iille qui veille et qui travaille au chevet de sa mère malade; rouge-gorge, elle eût donné la sépulture sous des feuilles aux enfants égarés et morts dans les bois; chien d'aveugle, elle eût présenté l'aumônière avec une grâce ca- pable de toucher le cœur le plus dur et d'ouvrir la main la plus avare ; mais le privilège exclusif de pénétrer dans les gre- niers et les prisons la tentait surtout et la décida. Et voilà, ma sœur, comme quoi la Fée des Fleurs fut changée en blanche sourette, et c'est ainsi qu'elle se promenait, depuis quatre- vingt-dix-neuf ans et plus, du palais à la prison (deux prisons, bien souvent!) et de douleur en douleur, rongeant sans pitié tous les mauvais livres (on n'en voit plus de ces souris-là!) et grignotant parfois des arrêts de mort jusque dans les poches de Tristan.

Ce digne comi)ère de Louis XI ne tarda pas à revenir au château, et son maître avec lui, et avec eux la déliance et la terreur. Cependant le prince n'en continua pas moins ses visites au i)risonnier. Elles devinrent de jour en jour plus Ion-

LA SOrRTS TîLAXriIK 279

f,Mios oX i»lns fiéqiioiilcs, et iiir-mo, c.o qui irpùt pas mnnqiU' (l'évc'illor les soupçons (riin (Mifant moins caiidido rpio le daii- ])liin Cliarles, le geôlier, qui jusqu'alors n'avait été qu'à regret cl. (pTen tremblant complice de ces entrevues, semblait main- tenant les encourager et les provoquer par sa comi)laisance. Un soir, ils causaient comme à l'ordinaire, Charles accoudé sur la parlie saillante du guichet, et IManchelle Iroltanl de l'iui à l'înitre el leiu' distribuant ses caresses avec une édilianlc im- partialité, f.a conversation, longtemps vagabonde, tomba entin et s'arivla sur les jtrojels de Charles pour son règne futur. « Voyons, (joe ferez-vous (piand vous serez mi? dit gaiemtMit le prisomiit'i', qui, plus vieux (rannées et surtout de malheurs, avait dims la conversation une supériorité manpiée sur son jeinie anii. licllc (leniaiidf ! jr IViiii la ::ui'rre. Nemours sourit Irisicmcnl. Oui, pouisui\il le dauphin en se frappant le IVoul de l'index, depuis Inu^lemps j'ai mou projet là. D'abord j'iiai eouipiérir l'ilalie : l'Italie, vois-tu, Nemours, c'est un pays merveilleux, les nu-s sont pleinc^s de nmsique, les buissons couverts d'oranges, et il y a autant d'églises que de maisons, le ;,'arderai l'Italie pour moi: puis j'irai pp'udre en passant (ioiislautiiiople pour mou ami André l'al('olo::ue ; et enliu, avec l'aide de Dieu, je compte bien délivrer le Saiiil- Sépidere.

Kt après? dit malignement le jeune due, Paine? a|)rès... après... après... répéta l'ignorant daiqdiin, (luelijue peu embarrassé, j'aurai le temps iteut-ètre de eonquèler en- core d'autres royaumes, s'il y eu a. l'.t le soin de vt>tre ^loir(» vous fera-t-il négliger voire pt»uple? ne lerez-vons rien pom' lui, mouseiiineur? Si vraiment! et d'abord, avant tb'

280 LA SOURIS BLANCHE

parlir^ je (luiiiierai Olivier et ïrislan au diable, s'il en veut; je supprimerai les bourreaux. »

Et comme Blanchette, à ces mots, frétillait plus joyeuse et plus caressante que jamais : « Je ferai, poursuivit-il gaiement, quelque chose aussi pour toi., Blanchette : je supprimerai les chats. »

Tous deux éclatèrent de rire à cette saillie ; mais leur accès de pétulante gaieté n'eut que la durée d'un éclair. Us s'arrê- tèrent tout à coup, et se regardèrent avec épouvante; car il leur avait semblé que d'autres éclats de rire , trop différents des leurs pour en être un écho, retentissaient à côté d'eux dans l'ombre... Ils finirent néanmoins par se rassurer.

« Espérance et courage ! » dit alors le dauphin au jeune duc en lui tendant la main en signe d'adieu. Le pauvre captif se souleva pour saisir et presser cette main consolante; mais ses membres, engourdis par une longue torture, servirent mal son pieux désir. Il poussa un cri de douleur, et retomba sur son escabeau : « Mon Dieu! quand donc serai-je roi? » ne put s'empêcher de dire le jeune prince ému jusqu'aux larmes.

Bientôt! Dieu le veuille! dit Nemours. Jamais, répliqua un troisième interlocuteur, jusqu'alors invisible. Et Louis XI parut, puis Tristan, puis Coictier, et quelques autres familiers du vieux roi. A la lueur d'une lanterne qu'un d'eux avait tenue jusqu'alors cachée sous son manteau, le dauphin put voir le terrible vieillard s'avancer à pas lents, comme un spectre, en murmurant ces mois, entrecoupés par une toux opiniâtre: « Ah ! galant damoiseau, tu fais de mon vivant les doux yeux à ma couronne!... Ah ! fils pieux et prévoyant, tu songes

LA SOURIS BLANC HE *28l

(l'avanco à mes fum'iailles!... Misi'niljlcî Idii ôikh*! »> In m-crs (le toux, plus violent que les autres, riiiterromiiit. (.liarles ne fit aucune résistance; seulement il repoussa, par un geste d'in- dignation, Tristan qui s'avançait pour le désarmer, et remit de lui-même son épée à l'un des gentilsliommes présents. Hientôf, sur nu sifiii(> du roi, il disparut- entraîné par {U'> gardes. Louis \l, avant de (|iiitt(M' le si»ut(>rrain, jela un r(';.ard plein d«; Jiaine sur la cage de sa victime, puis, se penchant vers son compère Tristan, lui glissa queljues mois dans l'oreille.

« J'entends, répondit le boinreau; il faut en finir: conq)tez sur moi; dès ce soir à minuit... » VA, complélani par la pan- tomime le sens d'une phrase déjà trop claire, il frappait s;i main gauche du revers de la droite. Puis le cortège s'éloigna, cl, au niiheu du bruit (!('( loissaiil i\v> pas, Nemours jiul dis- tinguer longtemps encore la V(ti\ du despote moribond qui toussait, grondait et crachait des arrêts de moi t avec ses der- nières dents.

Pauvre Nemours! ce doux rayon du ciel «pi'on nomme l'espé- rance n'avait donc glissé dans son cachot tjue pour lui en faire paraîlreensuite l'obscuritc' plus profonde. «Avoir sei/.e ans.pen- sail-il, un livre comme le dauphin (Iharles, une sieur comme nianchette, et mourir ! » Kl, dans chaipie son vague et lointain lie la grosse horloge du château ipii lui mesnrail s»s dernières heures, il iToyait distinguer ces mots : Mourir, il faut mourir!

l'Ji elVet , le long escalier en spirale, qui eondiii.sait au souterrain, retentit bientôt smis des pas précipités, lu ruban de lumière, échappé .sans doute à la lanterne des bourreaux, lapissa le .seuil de la porte. Alors le cond.unné. sentant bien <pie son heure était venue, mit i)recipitanum nf à terre lasimris-

Hi.

282 LA SOURIS BLANCHE

fée. qu'il tenait pressée sur son cœur. « Adieu, ma sourelte, dit-il, sauve-toi vite^, et cache-toi bien : ils te tueraient aussi. » Cependant le bruit redoubla par degrés, le ruban de lumière s'élargit, la porte roula sur ses gonds; et alors, croyant voir déjà se dessiner gigantesque sur le mur la silhouette de Tristan, Nemours joignit les mains, ferma les yeux, recommanda pour la dernière fois son âme à Dieu, et attendit... Il n'attendit pas longtemps.

« Duc de Nemours, dit une voix douce et bien connue, vous êtes libre. » Le captif tressaillit à ces mots, hasarda ti- midement un regard autour de lui, et crut rêver : Charles était là, non plus timide, contraint, abattu comme la veille, mais calme, grave, parlant et marchant en maître, déjà mûri et grandi par une heure de royauté. De nobles dames l'entou- raient, contemplant le jeune prisonnier dans sa cage, avec des sourires et des pleurs; puis les gentilshommes qui, devant cet outrage à l'enfance , chose sacrée pour la chevalerie , tour- mentaient de la main, par un mouvement convulsif d'indi- guation, le pommeau de leur épée; et enfin, des varlets, des pages, dos écuyers en foule, portant des flambeaux, et agi- tant aux cris de : Vive le roi ! leurs loques de velours em- panachées.

« Oui, poursuivit Charles Vlll, le ciel, depuis une heure, m'a fait orphelin et roi. Nemours, pardonnez à mon père, et priez Dieu pour son âme. » Puis, se tournant vers sa suite : « Qu'on abatte cette cage à l'instant, et qu'on en jette les débris à la Loire; car il n'en doit rester ni vestige ni sou- venir. ))

Les ouvriers, mandés d'avance, se mirent à l'œuvre avec

LA SOriUS T5 LA NT II F,

^2.^:^

ardeur; luiiis, ô sur[ii'iso! la lime s'élondail aux harroaiix sans y inonli'e, cl, la [licrrc dans latjiiclle ils élaient scclKs, iiK-- liiaidahlc , ne répondait aux cmuts de marlcaii (jiic ji.ir un lirnil, sonni cl mrxiiicnr.

« Siro, dit un vieux moine en liocliani la Irle, Ions les elToi'ls Iniinaiiis seraieni, ini|inissants à cxceuler vos ordres; car, ajonla-t-il en nionlranl la cn^o, ceci n'est pas œuvre hu- maine. J'ai ouï dire qu'un lîoliémien, sorcier comme ils le sont, fous, l)àlit celle cai:e juitrefois, afin de se racheter de la potence. Il l'aiidiail. poiu" la renverser aujourd'hui, la ha- ^uelle d'une IV'c (mais il n'existe plus j^'uère de fi't's (|ut' je sache), ou bien enrorc |;i m;nn inrcniid»' (|U! l'a construile; mais depuis lon;.;!('nips le i'dlM'uiicn a disp.iiii,

(Ju'on (•Imm'cIic cet iKiminc ri (pi'on r;nn.''ne , dit le \n\. A (pii le dt'couviira honneurs et larj^cssesî un diamant de ma roinomie s'il est noble ; son pesant d'or si c'est un vilain ! » VA d'un {^este il conjiédia son brillant corttV'c,

Les deux amis, dememvs seuls, saut" (pudipies paires (pii veillaient sur (Uix à distance, se re^'ardi'rent silencieux, l'm» inipiii'ludr Icnible, cl (pTils n'osaient se commnuitpicr, t';us;nt batli'c b'urs comus à l'unisson : « Si l'ouvrier m.iuiiiuc cl. ni lUHil, pcu^aicul ils, si |;i c;!;^!' cnclianlt'c ne s'ouvrait plu<! » VA ils pIcnraiiMil ; et. rhoNC (''t^au^»'! IMauchetle, pour la pn*- mière l'ois, semblait m^ pas s'émouvoir de leiu's larmes, (l'esj (pi'uue préoccupation bien vive ( t bien nalmelle j'aiiitail alors. Vous vous rappelé/,, ma sicur, que la nK'tamtMpliose expiatoire devait durer cent ans. Oi\ il y avait, au moment nous jtar- lons, !M) ans ."{il'i joiu's '2'.\ hennis et il!» miniiles qu'AnpMina ('lait devenui' Hiam bette. l.'lioili>i:e ibi ries.si/.-|e/,-Tours s'é-

2.^4 LA SOURIS BLANCHE

branla pour sonner une heure. Et voilà qu'aussitôt le sombre et fétide souterrain s'emplit de parfums et de lumière^ la cage de fer s'émut d'un bloc comme un décor théâtral de nos join-s^ et s'abîma... Dieu sait où... sans doute dans l'enfer qui avait inspiré l'architecte inconnu. Les orphelins épouvantés crurent que la foudre venait d'éclater dans la prison. « Blanchette, Blanchette, es-tu? s'écrièrent-ils, tremblant pour l'exis- tence de leur sœur adoplive. Me voici, mes enfants, ré- pondit une voix douce au-dessus de leurs têtes. » Alors, levant les yeux, ils aperçurent, ébahis, Angélina dans son costume de fée, debout sur le piédestal d'un nuage, et tenant à la main sa baguette reconquise. « N'ayez pas peur, enfants, poursui- vit'elle : c'est moi que vous appeliez Blanchette; mes com- pagnes m'appellent la Fée des Pleurs... Les vôtres viennent de tarir, et ma mission près de vous est accomplie... Adieu! »

Le petit duc et le petit roi, comme jadis les enfants du bû- cheron, répétaient enjoignant les mains : « Bonne petite fée! ne nous abandonnez pas encore! Il le faut, répliqua-t-elle d'un air grave: vous n'avez plus besoin de consolations, vous, et l'on en réclame ailleurs. J'entends près d'ici une petite men- diante dont les sanglots m'appellent, et j'y cours... Adieu, sire; adieu, monseigneur. »

Elle dit, et disparut dans un éclair.

LES PETITS SOULIERS

I>o janvier 177(1, joui- de ri^piphanio, il so passa sur ]o ^'aiilanl (rairiri'c du viiisstMii IVaiiçais Ir lîcroîi imc iiclilc scène assez piijiiante |)()iir iiK-rilcr (pi'(ni la raconic. Tous les officiers que le service de I «Mjnipai^e ne nclainait pas aillenrs se promenaient, cansant et fninantsnr le pont, lorsipi'ini jennc aspirant de marine, montant l'escalier cpii condnisait à la cliand)r(' (\\i ca|)ilaine, |)arnt et s'écria : (lliapcan bas, mes- sieurs! voici la reine!...

Et cependani , Marie-Antoinette n'avait pas (piillé Ver- sailles; à r.iide d'Asinodc'e ou de la st'conde vur des moiita- lafziiiirds d'Ecosse, on l'aurail pu voii- en ce niuneul , dans un coin du cliàlean, à l'aliri di- rt'li(pielli' , son eiuiemic in- linic, jouer la coun'die eu ramille , recevant sa rt'plitpie du eoiule (TArlois, cl ayant pour sdiillleur le comte de Provence, tous ihMix ses heanx-frères. VMo remi)lissait le rôle itrinci|ial dans /(' Jh'vin ilii VilhKir, et chantait :

J'ai jxMiln mon soivitiMir.

J'ai |>(*ri{ii tout iiioii iKuilionr...

paioles (pi'cjle eul depuis roi'ca>itin de n'-pcter hieu îles luis

2.Sfi LES PETITS SOULIERS

sans chanter! cette pauvre reine qui est déjà tombée dans l'histoire, et qui tombera bientôt dans le drame, aussi poéti- que, aussi belle et plus pure que Marie Stuart.

Quelle était donc l'usurpatrice qui ramassait alors à douze cents lieues de Versailles le sceptre que la reine légitime abandonnait un instant pour la houlette?

Hâtons-nous de le dire, il n'y avait ni fourberie ni crime de lèse-majesté. La royauté que saluait l'équipage du Héron n'était que l'innocente et fugitive royauté de la fève. Elle ve- nait d'échoir, par la grâce du sort, à une jolie petite créole de la Martinique, parente du capitaine, et qui, sous la conduite d'une vieille tante, allait, comme la Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, poursuivre, dans la métropole, de vagues es- pérances de fortune et d'héritage.

Et c'était dommage^ en vérité, que la jeune reine ne fut qu'une reine pour rire; car elle s'acquittait de ses hautes et nouvelles fonctions avec un aplomb et une grâce qu'eussent enviés Catherine III et Marie-Thérèse.

« A genoux! beau page, disait-elle au jeune aspirant qui » l'avait annoncée; ne voyez-vous pas que j'ai laissé tomber )) mon gant?— A moi ! mon conseil des ministres, et ne rie? » pas, messieurs, car le cas à discuter est grave. J'aime mion » peuple, entendez-vous, et je veux que mon peuple m'aime; » il s'agit de décider si , pour attirer à mes pieds ses hom- )) mages, une rosette bleue sur mes souliers ne siérait p;is » mieux qu'une rosette blanche. Comment donc! je crois » que mon premier médecin se permet de lancer au nez de )) sa souveraine des bouffées de tabac, en guise d'encens! )) Qu'un de mes ambassadeurs monte sur l'Iiippogriffe à l'in-

LKS l'KTfTS SOTMKIîS 2S7

)) slaiil , |i(»iii' iillcr voir (l;iii> la lune >i la raison du Ihmi (Iko » leur n'aurait pas suivi ce malin, ;ii»rès boire, le même clie- » min (pie celle de feu Uolanil... »

El mille innocentes saillies, mille coipiels enlanlillages dnnl tous ces bons marins riaient de si j^rand cœur et si lon^^lemps que leurs grosses pipes s'éteignaient oisives entre leurs mains.

Mais celui de Itius (pu semblait se réjouir le plus du IridUi- plie de l'aimable cnfanl ('lail im vieux malelol breton mmimé Pierre Hello, ayant moins de ride> (pic de blessures, (pii ce jour-là même avait rrrii une métlaille d'iionueur, tardive ré- compense de ses longs services! et iiu'à celle «■(in>idéraliou le capitaine venait d'admellre à sa table, au rejias présidé par les deux dames créoles, ses i»arenles. Marie-Rose, ainsi se nommait la jeune lille, s'était émerveillée depuis longtemps au récit des belles actions de IMerre llello. Llle l'avait com- plimenté, caressé, et le co'ur du rude vieillard, neuf encore à de [lareilles émotions, avait palpil»', suus ces caresses d'eidant, aussi lurl (pi'à la n'ccpliou de sa médaille d'Iioiun'iii-. C'clail lin >v\\\ (pii la servait : c'était ciuore, ou peu >'en l'anl , lui seul (pli xeillail sur elle ; car la laiilc de Maiic-Uox' , bonne vieille cloU(''e sur >a eliaise par la ^nulte , pa>>ait toid le jour absorbée dans la lecture de saint Augustin, ne l'interroiupanl par iider\alles (pie pour dire : »* Ici, Minette! i . Maric- Ho^el » (|uaud elle voyait son clial courir dans la cale après une souris, ou sa nièce sur le pont après un rayon de soleil. Mais élevée , connu»' la plupart des tilles de colons , dans la plu> tarife iudepeiidaiiee . Marie-Hose n'e»(»utail pa^ ou lei- guail de ne pa> entendre, lanlol elle montait aux eebell«'> el se balant^ait aux cordages, et alors Pierre lldlo la rejjardail

288 LES PETITS SOULIERS

d'en bas, prêt, si elle tombait sur le pont, à la recevoir dans ses larges mains, conmie il eût reçu un oiseau que la fatigue abat, ou à la repêcher à la nage si le vent l'eût jetée à la mer. Tantôt elle amusait l'équipage oisif par ses chansons et par ses danses, et alors Pierre Hello, attentif, semblait avoir trouvé tout à coup de l'intelligence pour comprendre les vers, et du goût pour sentir la grâce. Le lendemain de l'Epiphanie et de sa courte royauté, l'aimable enfant parut triste et pensive, et le vieux loup de mer se posa devant elle, inquiet et silencieux comme un caniche qui voit pleurer son maître. Elle ne put s'empêcher de répondre par une confidence à ce regard com- patissant et interrogateur. Une vieille négresse marronne, qui passait pour sorcière, et à (jui Marie-Rose portait en cachette du pain dans les bois, lui avait fait une prédiction étrange qui la préoccupait, et dont elle avait retenu les paroles textuelles :

c( Bonne petite maîtresse , moi avoir vu dans la nue grand » condor monter bien haut, bien haut, avec rose dans son » bec... Toi, être Rose... Toi, bien malheureuse^ puis toi » reine, puis grande tempête, et toi mourir. »

)'ai été reine hier, ajouta-t-elle, et je n'attends plus maintenant que la tempête qui doit m'emporter...

N'ayez pas peur, mademoiselle, répondit Hello; s'il arri- vait malheur au Héron, vous n'auriez qu'à saisir le pan de ma ceinture... là... comme ceci, et, avec l'aide de Dieu et de mon patron (un grand saint, voyez- vous! car il marchait sur l'eau sans enfoncer, ce qui, foi de marin, est un bien beau miracle!) vous aborderiez aussi doucement à terre qu'une goélette remorquée par un trois-mâts.

Marie-Rose, un peu rassurée, paya le dévouement du brave

LHS PKTITS SOULIRRS '2S0

hoiniiH'- <Mi lui cliiiiilaiit iiiio romance (\\w, Tsoniio n'avait encore entendnr. (délaient, ([iiand son départ lui décidé, ses adieux et ses plaintes (|n'un jeune créole, son voisin, avait mis pour elle en vers et en nnisiipic :

Petit uoprc, au camp qui flcnronne, Va moissonner pour ma couronne : La négresse fuyant aux bois,

Marronne , M'a prédit la grandeur des rois

Vingt fois.

Petit nègre, va, qui l'arrcle ? Serait-ce déjà la teaipèto (Jiii doit effleurer si souvent

Ma tète, Kl i'tu' mon hoiiheur niniivanl

Au veut?

Las ! j'en pleure dt!Jà la perte. Adieu ilunc, pour la mer déserte, I.i rivière des Trois-llels

Si verte, <hi, dans ma tiarquo aux bloudsi tlleb,

J'allais !

Adieu : les vents m'unl eutrainéo , Ma patrie et ma suMir ainée ! La fleur veut mourir ou la fleur

Kst née , Et j'étais si bien sur ton ctrur ,

Ma sirur !

Mais il e>t un àf:e Imiles l(»s doMleiu's passent lép'Tes el lii:iili\es, la nidancolic du soir >t'"i lie .m malin coinmc la rosée; et Marie-Uose a\ail cel aue. le N'iulemain . «die dan-

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2!J0 LES PETITS SOULIERS

sait encore; les jours^ les semaines s'écoulèrent^ sans user cette gaieté pétulante ; mais il n'en fut pas de même de ses petits souliers. Le dernier bond d'une farandole en emporta les derniers lambeaux. Par malheur, la garde-robe de ces dames était légère ; elles allaient à Paris, et avaient cru de- voir, pour la remonter, attendre les conseils de la Mode dans son empire. Bientôt Marie-Rose fut réduite à s'asseoir immo- bile à côté de sa tante , cachant ses pieds nus sous sa robe , remuant la tête et le corps dans un besoin fébrile du mouve- ment, mais n'osant risquer un pas, semblable à cette Daphné des Tuileries dont le buste est vivant encore quand ses pieds ont déjà pris racine. La petite reine pleurait là, captive comme dans une tour enchantée , et attendant qu'un chevalier, pas- sant, la délivrât.

Ce chevalier passa, et ce fut Pierre Hello. « Laisser nus de si jolis pieds, disait-il avec l'accent de l'indignation, il fau- drait n'avoir pas pour deux hards de cœur ! » Mais si le poète a dit : L'indignation fait des vers , il n'a pas dit qu'elle put faire des souliers. Pierre Hello réfléchit, se frappant le front, se grattant la tète, et promenant d'une joue à l'autre, ce mor- ceau de tabac que les marins ont l'habitude de mâcher... enfin sa chique. C'est un vilain mot; mais pardon, il n'y en avait qu'un }tour exprimer la chose, et cette chose est trop impor- tante quand il s'agit de mœurs maritimes, pour qu'un narra- teur consciencieux n'en parle pas. La chique est à la pensée du matelot ce que l'aiguille est à l'horloge : quand la pensée va, la chique tourne. C'est qu'aussi il s'était posé une ques- tion bien ardue j[)our un mathématicien novice : Faire quelque chose avec rieuj problème que Dieu seul a pu résoudre.

LES l'KTITS SOUL 11:11 S 291

tt Un iiiurcoau do cuir ! ma iiipo cl, ma mcdaiile pour un morceau de cuir! » disail-il avec l'cucrgio dcses[)ért'c de Ricliiinl III, criaul : « Une épée î mon loyaume pour une épée! » Certes, tous les lilcU de rc(pnpage se fussent dé- ployés bien vile à la mer s'il eût connu riii>loire de don Oui- cliotte, et osé se llatter d'avoir la main au.ssi heureuse que Sanclio l*ança, (pii, jetant ses hameçons aux truites, y voyait mordre {W<< savates. Il chercha, fureta, renma ; sa main passa jtaitoul nm» souris pouvait passer. Enlin, il poussa un cri de joie , un cii stMublahle à celui d'nar[»ayon retrouvant su cassette, ou de J.-J. Housseau cituvantdes yeux sa pervenche. Ce n'était [las une Ih-iir, ce n'était pas un lrés(»r (pic Pierre llello vciinil de d»''((in\rir, c'était ipiclcpie chose de iiicii plus précieux, ma fui: c'était une liollcl la luillf dim >uldal du'' dans im abordaj^e; elle avait niuN' daus un (("in de la cale. Dieu sait cduuneni ! Depuis elle (•lait re>U''e , pnil.iul le deuil de sa scrur jumelle novi-e dans la mei- mi ensevelir dans le veutre d'un leipnn; ( t croyaiil Itien, ciiiiiiiic Ir rai de La Udulaine, (pie s choses (rici-itas ne la reuardaicnl plus. Mais Pierre Ihdlo eu décida aiilrciiienl : se servant de son poi|;nard en ^Miise d'alcue cl de Iraiiclicl, il piMça, il tailla si bien, (piil lit en moins d'une licuic... je voudrais bien pou\oir dire ipul lit nue paire de souliers; mais, par re>pecl pour la \erité, je n'use... Ce (piil lil, ce n'était précisément in des souliers, ni {W> biddiMpiins, ni dr> bottines, ni des chaussons, ni dos soctpu's, ni des cothurnes, ni des baboucin's , ni îles mocas- sins; c'était, dans l'art de la chaussure, ime (cuvre orifiinale, fanlasti(pi(> , romantiipic, une chose sans nom; mais enlin cette chose sans nom pouvait ù la rii^ueur sinleri)oser connue

292 LES PETITS SOULIERS

une armure défensive entre l'épiderme du pied humain et le parquet. Le brave Hello courut aussitôt à la cabine de Marie- Rose^ après avoir, à grand'peine et aux éclats de rire de la jeune fille, emboîté, ficelé ses pieds nus dans cette bouf- fonne chaussure, il se releva, croisa triomphalement ses bras sur sa poitrine, et dit : Voilà!... et une heure après, la baya- dère dansait encore, dansait avec un poids à chaque pied, aux applaudissements de son parterre, conquis cette fois à double titre, car il y avait dans cette danse le mérite combiné de l'art et (lu tour de force : c'était mademoiselle Taglioni et madame Saqui résumées d'avance en deux jambes.

Enfin, après une longue traversée, la vigie cria : Terre ! Et ce fut, je vous assure, une scène vraiment touchante que celle du matelot et de la jeune créole. « Je penserai toujours à vous et je garderai vos souliers comme un souvenir, comme une relique, disait Marie-Rose pour consoler Pierre Hello, qui pas- sait sur ses yeux humides le revers de sa main calleuse. Oh! répondait-il en secouant la tête, vous allez à Paris, de nouveaux amis vous feront perdre le souvenir du pauvre Hello, qui ne vous occupera guère. Toujours! » répéta-t-elle, en- traînée par sa tante. U la suivit longtemps des yeux ; elle se retourna souvent, et il ne pouvait déjà plus l'entendre qu'elle répétait encore en agitant son mouchoir : « Toujours, Hello, toujours! »

Pierre Hello ne put savoir si la jeune fille tint parole, car il toucha bien rarement la terre, et fut tué dans la guerre d'Amérique. Quanta Marie-Rose...

Mais voici, au travers de mon histoire, le grand fleuve de la révolution française qui passe ; fleuve étrange et qu on ne sait

LES PETITS SOULIERS 293

comment nommer : Pactole au salile d'or, Simoïs teint de sang, Enrôlas anx lauriers-roses. Son bruit et sa profondeur vous causeraient des vertiges. Donnez-nioi la main, ma so'iir, fermez les yeux et sautons par-dessus...

Bien! nous voici tombés au milieu de l'empire, et nous sommes à la Malmaison, retraite de la noble et mallieureuse Joséphine, veuve, par une séparation légale, de Napoléon vi- vant encore, mais toujours impératrice et toujours adorée des Français, qui l'avaient épousée, eux aussi, dans le cœur, et qui n'avaient point souscrit au divorce.

Accoudée dans sa chaud)re stn- la boîte d'un piano, elle écoutait en souriant une députatioii de jeunes demoiselles at- tachées à sa personne, et qui sollicitaient, tnMnblantes, la permission de jouer des proverbes au château, a Volontiers, mes enfants, répondit la bonne Joséphine; je veux même me charger des costumes. (îràce à la générosité de l'em- pereur, ma garde-robe y peut abondamment fournir. Tenez, voici ce (piiî Marchand vient encore de in'appoilrr toul à l'heure. »

Et elle repoussait négligemmenl du pied une fourrure l'ien- due sur le la[MS. (leth^ parure était si belle, (pie niademoi- selli; S. -il., la plus jeune des and)assadrices, ne put sempè- cher de dire, en frappant l'une, contre l'autre ses blanches mains en signe d'admiration :

« Dieu' (pu» Voire Majesté est heureuse !

IleuiciiM'! iMiMinura Joséphine, heureuse!... »>

lOlle parut n''ver un inoniinl, i>t ses doigt> «listraits, errant sur les touches de sou piano, en tirèrent qnehpies notes de la romance cpie nous connaissons di'jà :

294 LES PETITS SOULIERS

La fleur veut mourir la fleur

Est née , Et j'étais si bien sur ton cœur.

Ma sœur !

Puis, secouant les souvenirs qui l'oppressaient, elle se leva :

« Qui m'aime me suive, mesdemoiselles; venez voir et choisir vos costumes. »

Et, précédant le jeune et fol essaim, elle entra dans sa garde-robe. Toutes les jeunes fdles ouvrirent alors des yeux émerveillés, comme le fils du biiclieron descendu pour la pre- mière fois dans la caverne d'Ali- Baba. Il y avait des gazes si légères , qu'elles se fussent envolées comme les fils de la Vierge, n'eût été le poids des pierreries qui les bordaient; il y avait des mantilles espagnoles, des mezzaros italiens, des peignoirs d'odalisques, tout imprégnés encore des parfums du harem et de la poudre d'Aboukir, et enfin des robes de ma- done si belles, que la Vierge de Lorette elle-même ne les eût mises autrefois que le jour de l'Assomption.

« Prenez, enfants, dit la bonne impératrice, et amusez-vous bien. Je vous abandonne toutes ces belles choses qui vous font ouvrir de si grands yeux, toutes, hormis une seule, car celle-là m'est trop précieuse et trop sacrée pour qu'on y touche. »

Puis, voyant à ces mots la curiosité étincelante sous toutes les paupières : « Je puis cependant vous faire voir ce trésor, » ajoula-t-elle.

Je vous laisse à penser, ma sœur, si l'imagination, cette

LES PETITS SOULIERS 2'.).'i

folle (lu lo(jif^, qui en ost la maltresse à quinze ans, prit ses éi)ats dans toutes ces tètes enfantines.

nu'élait-ce donc que celte merveille qu'il était défendu de toucher quand ou froissait à loisir tant de merveilles?

Une robe couleur du temps, de la lune ou du soleil, comme dans Peau d'Ane? Cet œuf d'oiseau qui, suivant les contes arabes, est un diauiant et peut n'iulrc invisible? Un évent;iil fidt avec les ailes d'un j^'énie de rAlliand)ra? Le voile d'une IV'c, ou bif'u (|uel(pie ouvraiic jilus pn'cieux (Micor»» commandé |»;u- rem[tereur à l'un de ses démons familiers, Icpctit homme rùwjc ou le petit homme vert ? (ju'élait-ce donc?

Uniin, jinMiant pilié de la curiosité impatiente qu'elle ve- nait dinilcr clle-mènie avec une innocente malice, Joséphine fouilla dans un coin de sa {4arde-rol)e impériale et en tira. .

Ce n'élail , crllc loi<, ma sn'ur, ni un ciidciiu tic N;qttilt''ou ni ro'iivi'e triin ^t'-iiit' : (•'(•Liil l'iruvic cl li' |ii-c-ciil du marin bit IdU, IMcii'c llclio, c'(''liiiciil les souliers de .M;irie-Hose.

Uai\ vous l'iiNe/ (leviiii' i|e|."i , riiii|ii''r;illiee .lost'pbine e| l;i danseuse iiu\ pieds nus ne vont (prune iiièiiii» personne et un nièuie eu'ur. (Juand l'i'pi'e île l^onaparte coimnençail à dé- couper rUiiropc comnie un L'àleau, .lo>épbine-.V(//7V-i{()Sc Tascber de l.a Pa^'crie, lieiircusc celle fois, eut la fève et re- fîna. l'Ile réj.'na lon^leuqx; mais voilà (pi'un jour il se tit tout à coup une ;jrande tiMUpèli» en i'.urope; les neiges de la \\\\>- sie se souhnèrciil d'elles mèiues pour r(»tond>er en blanc lin- ceul sur nos soldats; les quati'c veuts nous soufllèrenl tles avalanches (renneiuis, et il y cul ;dors en l'rance, aux éclairs du sabre (M du c;mon , et sous le>; lourds pii'MinemeutN de la

200 LES PETITS SOULIERS

bataille^ des tremblements de terre aussi forts que ceux des Antilles... Lorsque enfin notre ciel redevint beau, la prédic- tion de la négresse était accomplie tout entière... le grand condor foudroyé avait laissé tomber la rose, et la créole des Trois-llets, deux fois reine, était morte dans la tempête!

T II K R K SE S r U E A V

Je nànais un juur avec délice, bouche liéante et le nez en l'air, sons les niarronniurs en llciirs du jardin des Plantes; car ce jour élait un dim.iiiclie, et j'clais alors de mon un-ticr coin- positeur d'iniprinicritî; or, par la littérature (jui court, c'est un lorrihlc métier, je vous jure. Ki^urez-vous (jue j'avais pâli vX hàillé toute la semaine sur le nouveau nunan «l'un auteur en vo|.;ue. « Mais [lourcpioi donc, avais-je nnu'uuué vinj^t fois, » soulllcter ainsi, hrulalemenl et à tout propos, Vaut.'elas, » Hestaul cl Wailly, avec Icsfiuels je gagerais que ce monsieur » n'enl jamais ri»Mi à démêler!... » Ans>i, dès le malin du jour libérateur, ma main, romiilico involonlairc cl noire en('(»re de mille atU'nlals à la lanj^ue, .s'i'lait cacliée honteuse sous un {^anl. I,e dimanche, comme vous savez, est pour le peuple un jour de ini'tamorphoses; je m'avisai ce jour-là d'être f^alant.

Parmi les iMdinemnus f^roupés, toujours curieux <'t toujours 1(S mêmes, devant rcnceinle close >e pavane relépliant, je venais d'apercevoir une jeune dame don! j'avais peine à nre\pli(pier la présence en pareil lieu, car, bien tpie >a mise IVil d'une grande simplicité, sa ligure, éclatante de pâleur >ous un bandeau Ai' cheveux noirs, ne maïupiait \k\> tic distinclivm, et ses lèvres plu> d'une l'ois avaient accueilli par un mouvc-

17.

?98 LES PETITS SOULIERS

ment ironique les sottes observations qui pleuvaient autour de nous. J'épiais l'occasion de lui adresser la parole : elle ne se fit pas attendre. Son sac, qu'elle avait ouvert, m'avait laissé voir, entre un rouleau de papier et un in-octavo, trois petites pommes de reinette. Un mouvement de l'inconnue me fit croire qu'elle voulait, elle aussi, payer son tribut au vorace animal : « Prenez garde, lui dis-je; une dame, dimanche dernier, avançait étourdiment comme vous le bras oià pendait son sac pour offrir un échaudé à l'éléphant, et ce gastronome peu délicat happa et engloutit du même coup le sac et l'é- cliaudé ; prenez garde ! » Encouragé par un sourire de ma voisine, je poursuivis ; « Tenez, lui dis-je, c'est ainsi qu'il faut s'y prendre. » Et, saisissant une des pommes entre le pouce et l'index, je l'offris à l'animal. Il l'avala de si bonne grâce que je pris à l'instant la seconde, qui disparut comme sa sœur. J'aurais fait suivre le même chemin à la dernière, si la main que j'étendais n'eût plongé dans le vide : la jolie pro- meneuse avait disparu.

Je m'éloignais, soucieux et marchant au hasard, lorsqu'au détour d'un sentier solitaire, j'aperçus l'objet de ma préoccu- pation. Assise sur un banc de pierre, la dame aux pommes de reinette en croquait à belles dents la dernière, sans la peler, et, tout en mangeant, parcourait des yeux et de la main les pages du livre déployé sur ses genoux. Je m'arrêtai à quelques pas, pétrifié de surprise et de confusion. Hélas ! je le comprenais eniin, mais trop tard, ce n'était point à l'éléphant qu'était destiné ce plat de dessert, et, dans ma gauche courtoisie, j'avais volé à la dame de mes pensées les deux tiers de son déjeuner. Que faire? c'eût été ajouter à la sottise et à l'offense

THÉRÈSE SUREAU 299

que (le lui en offrir brutalement d'autres, et cependant je mourais d'envie d'acquitter ma dette.

Son repas pylliagorien fini, elle continuait sa lecture qui paraissait l'intéresser beaucoup. Alors j'eus une idée bizarre. Je me souvins (ju'un étudiant de mes amis avait conquis autrefois les bonnes grâces d'une reine de comptoir en usur- pant le nom de Casimir Delavigne, et soudain mon projet fut arrêté. Au moment la jeune lectrice, par un mouvement d'admiration idolâtre, touchait de ses lèvres roses un feuillet du livre : « Merci,» dis-je braveniriit, et je m'avaneai. I. in- connue leva les yeux : « ('.onunenl, dit-elle, rouL'e i-oiiiiue une cerise, vous seriez... » Je rinterrompis en m'iuelinant d'un air modeste. Alors vous eussiez vu la jKiuvre enfant fn'iuir d'un saint respect, et vous-même, vous frémiriez d'indiiznation, lecteur, si je vous disais de (pielle auréole poétique je m'étais elTronlément coilïé. J'olïris mon bras à la i»romeneuse solitaire, il va sans dire (|u'il lut accepté. ('.Iiemin faisant, ma compa^'ne me prodigua les C(iiilitlences : c'était une fennne auteur, fraîchement débaniuiM», eoiinui' tant d'autn s, de la province (pii ne la comprenait pa-;, à Paris, (pii se soueiail fort peu de la «'omprendre. Klle avait composé lidini ht solitude et le silence^ disait-elle, lui volume de juiésie, (pii courait i:rand riscpie, pensai-je. de mourir connue il était ur. He plus, elle venait de jeter dans les cartons d'un théâtre du boulevard un drame en cinij actes, intitulé», autaid ipi'il m'en souvient, '/Anot'ir. \.c soufth'ur, ralluineur, le machiniste et autres lilléralcurs lui avaient eon>eille, dans l'intérêt de la pièce, d'y tailler un rùlo pour un éléphant, ( c qui m expli(piail enliii son altenlion de tout à Iheure aux allures du yii^anliVNpie (omcilien. ilelasl la

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pauvre dévote croyait se confesser au grand prêtre de la reli- gion romantique; et moi, je l'écoutais, rougissant et balbutiant, comme l'écolier espiègle qui s'est caclié, la veille de Pâques, dans un confessionnal pour surprendre aux jolies pénitentes Taveu de leurs péchés mignons. Notre promenade vagabonde nous avait entraînés hors du jardin. J'allais, j'allais toujours, et ma compagne suivait sans détiance; ce n'était pas un homme, mais un poëte qu'elle suivait. Pour elle, le bourdon de Notre-Dame, sonnant vêpres, sonnait ma gloire ; pour elle je portais sur le front une flamme bleue comme les Génies des contes, et, sur la foi de cette étoile, elle m'eût suivi sans hésiter jusque dans la Cour des Miracles. Nous nous trouvâmes ainsi, loin, bien loin de notre point de départ, en face d'une jolie guinguette que je connais. « Si nous entrions là, lui dis-je, nous serions plus à l'aise pour causer, » et, sans attendre de réponse, je franchis le seuil, entraînant avec moi la naïve pro- vinciale, quelque peu étonnée de ces lestes façons, et les attribuant sans doute in petto à l'originalité, compagne ordi- naire du génie. Les deux pommes volées m'avaient pesé jusque-là sur la conscience; mais enfin mes remords s'éva- nouirent entre un rôti et un dessert. Cependant la conversation ne cessait pas d'aller son train. « Comment me conseillez- vous de signer mon nouveau recueil? dit la muse : vous le savez, un nom sonore impose quelquefois au lecteur, et Ton aurait grand'peine à croire au talent d'un poëtu qui s'appelle- rait prosaïquement Thérèse Sureau. »

Je bondis à ce nom bien connu, et, béant, immobile, je fixai sur celle qui me parlait des yeux épouvantés. « Ma cousine ! » balbutiai-je en retombant sur ma chaise.

THl'RÈSE SUREAU 301

Elle trahit par un geste son désappointement. « Non, je ne suis pas un poëte et je vous ai trompée, poursuivis-je en pré- venant ses questions. Je suis tout simplement, jjelle muse, Pierre- Jacques, votre cousin, ouvrier imprimeur... pour vuus servir! »

Et en effet c'était bien Thérèse, Tliérèse, la mieux aimée de mes compagnes d'enfance, et dont, sous un masque récent de pfdeur, la figure, autrefois si rose, n'avait d'abord éveillé chez moi (lu'uii vague souvenir. A dix-sept ans, elle était devenue ma cousine (rien (jue ma cousine, hélas!) en épousant un gros, gras et riciie fermier, mon parent, qui ne tarda pas à la laisser veuve, en tombant un soir, après de ferventes libations au saint du village, dans un i)i(';:(î à loup, d'où on le r lira mort le lendemain.

Élevée par les dames du chàleau, el leur deuioiselle de compagnie avant ce mariai^e, la jeune veuve se laissa bientôt aller à la vie élégante (ju'elle avait essayée autrefois et à la poésie, ses premières amours. Iiiondt' de pluie, de grêle et de procès, son pelit doiuaiiie s'en alla sous ses {lieds eoimue un sable mouvant, tandis (pi'elle regardait le ciel. A sou arrivée à Paris, elle ('-(ait riche encore d'une vigne et d'un pré; mais il fallait [layer les frais d'impression de ses poésies, mais il fallait jeter un peu de poudre d'or sur les feuillettms, si bien (jue la jeune fermière n«' possédait plus rien au soleil (jue sii jeunesse et sa beauté; et Thérèse n'entendait rien, Dieu merci! à l'exploitation d'un pareil fonds.

Après un nioniciil de silenee : u Je n'essaierais pas. lui dis-je. de vous détourner d'ime carrière à la(|uelle vous seriez fatalement prédestinée; mais ètes-vous bien >ùre tle votre

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vocation? De quel droit vous proclamez-vous poëte? Est-ce pour avoir quelquefois aligné des alexandrins et accouplé des rimes? Mais, à ce compte, je suis poëte aussi, moi ; mon voisin l'étudiant, mon antipode l'épicier, le sont encore; et mon por- tier, qui l'est tant soit peu lui-même, balaie tous les malins de la poésie à chaque étage. Prenez garde de vous tromper, et de prendre pour votre étoile un feu follet qui vous conduirait... Dieu sait ! à la misère, à la honte, à la mort ! Mon élat, cousine, me donne le droit de vous parler ainsi. La typographie, voyez-vous, est l'antichambre de la littérature, et, comme tout valet de grande maison, je regarde quelquefois par le trou de la serrure. L'autre jour, par exemple, le prote me députa chez un auteur qui faisait attendre de la copie. C'était, comme vous, Thérèse, une jeune fille de vingt ans. Je la trouvai malade, au lit, et soignée par sa mère. Elle écrivait. De temps en temps sa tête fatiguée retombait sur sa poitrine, la plume s'arrêtait sous ses doigts amaigris, et alors elle demandait une tasse de café. C'était pour s'inspirer, disaitelle; mais la perfide liqueur lui versait à la fois la lièvre et l'inspiration, et chaque phrase, chaque vers coûtait à la malade un quart d'heure de vie. « Hàtez-vous, madame, lui avais-je dit étourdiment, car nous attendons, et nous avons besoin de travailler. Vous avez besoin de travailler, murmura-t-elle en regardant sa mère, et moi donc!... »

« Ceci n'est pas un roman, cousine; la jeune muse chantait liier encore; elle est muette aujourd'hui, et si vous désirez savoir son nom...

Silence, grâce, dit vivement Thérèse! ce nom, je le connais ; cette histoire, je la sais. Pauvre sœur aînée, si le

TIIKRi:S-E SrUKAU 303

sommeil de la mort a des n-ves, ta gloire posthume du moins te console aujourd'hui dans la tomhe!

Sa gloire, cousine! interrompis-je en souriant avec tris- tesse.

Oseriez-vous l'allaquer?

A Dieu ne plaise que je veuille arracher avec mes mains noires quelques hrins de laurier à une tête de mort ! Mais si j'étais père et qu'on m'eût invite, comme tant d'autres, à souscrire pour le monument funèbre de la jeune hretuiuie : « De grand cœur, aurais-je répondu; mais à condition ({u'un y gravera pour épilaphe : r/-;//7 une honnête fille tuée à vin(jt a//s par la manie d'écrire, et plus has : IJ c^t ih'fiUihi do dq)oser des vers sur cette tomtie.

» Et quand même la foi qtie vous ave/, dans votre génie ne serait pas une erre ur, écrire, eliaiiter, jeter de l'éclat et faire du bruit, est-ce bien là, Thérèse, le rôle (jui convient à une femme? (|u'eii dites-vous? Pour moi, le cdMir me saigne et la rougeur me moule au froul. to\iles les fois que je lis dans un journal ces paroles ou riMpiivaleut :

)) l'ne jeum» dauie ([ui se e;i(lie sous le i*siMi(lonyuie trans- » jtarent de •' •■ vient de puMier un nouveau roman auquel » la vogue est assurée, (.itte fois, plus de voile sur les situa- » lions, plus de réticence dans les e\pressi(tns. On devine » (|ue l'aimable auteur s'est inspirée de ses souvenirs, etc. )) l'riv : 7 fr. .'iO c. »

» r.ett(> annonce, à votre avis, n'e>t-eUc pas le di^ne pendant de c(>lte auli(> (pie j'entendis un jour hurler siu' les tréteaux de la foire :

» r.nirc/.. Messieurs et Dames; viMis y verrez la petite

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)) Ourliska, princesse de Caramanie, qui a eu des malheurs. » Elle est âgée de seize ans, danse sur la corde sans balancier, » marche sur la tête comme un ange, et fait le grand écart... » Que c'est étonnant pour son âge! Entrrrrez... ça ne coûte » que deux sous !... »

» Un honnête homme, dit-on, à qui des Bohémiens avaient enlevé sa fille au berceau, faillit devenir fou de douleur en la retrouvant un jour déguisée en princesse de Caramanie. Et que dirait le vôtre, cousine, le vôtre, qui est pieux et qui sait lire, s'il vous rencontrait un beau matin, dansant sur la phrase dans un journal ou faisant le grand écart dans un roman ? »

Une larme coula sur la joue de Thérèse.

«Victoire! dis-je; voici une perle assez précieuse pour acheter le pardon d'un père. Courons lui offrir cette larme chaude encore : son baiser l'essuiera, j'en réponds. »

Elle résista, mais j'insistai; elle discuta, mais je suppliai; bref, je fis près de ma cousine, pour la ramener à Dieu, ce que j'eusse fait près d'une autre pour la gagner au diable; si bien que le soir même je l'entraînai à la diligence avec ses bagages (presque aussi légers qu'elle ! ), et que le lendemain nous roulions tous deux sur la roule de Champagne, elle pâle et souffrante encore de sa gloire avortée, moi gai, triomphant, et criant au postillon : « Ne verse pas, camarade : tu portes une Muse et sa fortune ! »

Je ne pus assister à l'entrevue de l'enfant prodigue et de son père, je m'étais arrêté en chemin, à deux lieues du village, dans une imprimerie toute petite, mais proprette, coquette, hospitalière (vous la connaissez, ma sœur), je me reposais voluptueusement sur d'innocentes affiches de la littérature

THÉRÈSE SUREAU 30:;

parisienne. Mais le dimanche suivant, comme vous pensez bien, j'arriviii cliez mon oncle presque aussitôt (pie l'aurore. Je trouvai ma cousine chantant à sa fenêtre pour bercer un petit enfant tourmenté par la dentition ; et si, d'aventure, vous êtes curieuse de connaître sa romance, je l'ai relemie, la voici :

LES DENTS DE LAIT

Pauvre muse dédaignée Dans le pays des luccliants, A ton berceau, résiguée, Lois, j'apporte mes cbants; Cette fois , ma gloire est sûre : Mon public est sans sifflet , Et son baiser sans nlbrsure : Il n'a (pio ses dents de lait.

Dans les sentiers de la vie, A tous les buissons pendant. Un finit nommé Pvi'sie Tente la main et la dent; A l'enfant qui le regarde Sa couleur veiinfillo pl.iît : Hoau Lois, un jour, prends garde D'agacer tes dents île lait !

Le ciel de la ville est sombre :

Oiseau tidèle ;\ ton nid ,

Si tu chantes, clianle ;\ l'onibrr

De noire doclier bruit.

Potir b> bonlieur seul respire.

Et mt''nic>, à riionre ijn'il osf ,

300 THÉRÈSE SUREAU

Qu'en dormant nn long sourire Laisse voir tes dents de lait.

Oui, qu'une douce chimère Caresse ton front vermeil ; Rêve des baisers de mère, Je vais, pendant ton sommeil, Au pâle éclair de la houille, Filant comme elle filait, Demander à sa quenouille Du pain pour tes dents de lait.

Bravo! m'écriai-je^ et d'un bond je fus dans la chambre. Tliérèse m'accueillit cordialement, mais d'un air un peu froid. Ses manières trahissaient une préoccupation secrète, et faisaient soupçonner que la jeune métromane n'était pas tout à fait guérie, mais seulement convalescente. Je me trouvai nn mo- ment après attablé entre elle et son père, devant une excel- lente soupe au choux que l'ex-muse prétendit avoir faite elle- même et sans collaboration, la vaniteuse ! Le repas fut gai : on rit, on jasa beaucoup, je soupçonne même que l'on déraisonna un peu : la piquette et la joie font de ces tours. Malheureuse- ment, comme je portais mon mouchoir à mes yeux, attendri par les remercîments du bonhomme, le mouvement fit sauter de ma poche une lettre à l'adresse de Thérèse. Pendant que je présidais, à Paris, au transport de ses effets, allant et venant du troisième étage à la rue, son portier m'avait remis pour elle ce billet, qui était resté jusque-là oublié et enseveli dans la poche de mon habit des dimanches. Hélas! plût à Dieu que les souris de ma chambrette eussent mangé la lettre et l'habit! c'était une invitation d'un directeur de théâtre à l'auteur de

THÉRÈSE Si: ri: AT 307

Zénobie, que Ton attendait, disait-il, pour cominoncer !•■< ré- pétitions de son drame, reçu la veille par acclamation. Tliérùse en fit leclure à liante voix, et dés lors je sentis que c'en était fait de son boniieur. Nous n'opposâmes (luuiic résistance faible et sans espoir à l'invincible fascination (jui l'entraînait : elle [larlit... et sans retour!

Un mois après nous pleurions, son pérc et moi, sur une lettre au cacbet noir portant le timbre île Paris. Tbérèse impa- tiente de partir, n'avait trouvé, aux messa^'eries de la ville voisine, de place vacante (|ue sur l'impériale, et battue tout un jour \mr l;i pluie cl le vent, avait pa?;sé, à son arrivée, de la voiture sur un lit d'agonie. La {.doirc l'eut ^'uérie peut-être; mais à l'insliinl même on elle se traînait avec clïort vers le lliéàlre dont les appels l'av.iient égarée, ce Ibéàlre, comme par une vengeance du ciel, croulait dans les namnies avec ses oripeaux, ses décors, ses cartons, bêlas ! et le drame de Zrnobic! Dès lors la fièvre reditnbla et eut bon marclié de sa victime, l'ne circonstance singulière mar([ua les derniers moments tie Tbérèse; connue son bùtesse l'invitait à essayer de (pielipie iiounilun^ :

(( .le diiiiM'ai (M> soir, dil-elle avec l'air et l'aeeenl du délire, je diiierai en belle et nombreuse eniMpagnit* ! )->

l".l, d'tnie main li-embl;uite, elle se mil à tracer des invita- lions. Or, voici (pielle ('tait la liste iW> convives :

Dryden, Mallilàlre, Savage, Cballirloii, (iilb'vl, l'scousso, l'jisa MercuMU"

Les jours, les siMuaines, les mois (pii suivirent ces falale< nouvelles, buent j'our moi, citmme vous pense/ bien, remplis de distractions douloureuses. Les caractères répondaionl les

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THÉRÈSE SUREAU

uns pour les aulres à l'appel de mes doigts talonnants : je me barbouillais d'encre en essuyant mes pleurs, et une fois entre autres, m'étant pencbé sur la forme humide d'un placard qui devait annoncer la mise en location de je ne sais quel appar- tement, je trouvai, en me relevant, ces mots, imprimés sur mon gilet, à l'endroit du cœur : a Vacant par suite de décès. »

Note. « Thérèse Sureau était dans l'origine nn feuilleton plutôt qu'une n Ti.elle. Le drame (si drame il y a) servait de prétexte au développement t. un paradoxe. Des conseils prudents, mais tardifs, imposèrent à l'auteur de larges suppressions qui , faites sur Y épreuve et quand il était trop tard poxir supprimer la pièce entière , l'ont dénaturée complètement. «

HÉGÉSIPPE MoREAU. (Édition de 1838.)

Nous devons ajouter à cette Note , trop sévère à la fois et trop modeste, que Thérèse Sureau est restée , à travers toutes les corrections, un des plus jolis contes, d'un haut intérêt et d'une moralité profonde.

0. L.

LE NEVKU DE LA FiUITIÈKE

« Commont, niallicureux ! iviu'lait à son lils le père Lazare, cuisinier à Versailles, lu auras six ans à Noël, et lu ne |>os- sètles pas enrore le niuimlre talent d'ai^rénienl : lu ne sai> ni tuuriier la broelie, ni ('runier le |i(ttî »

\A il laut avduer (jue le [lère l.a/.are avait (puM(jue raison dans ses réiiriniandes, car, au iiiniMeiil se jiasse cette scène, en 1771), il venait »le siuprendre son héritier présomiilif en lla;^ranl ilélil d'esplèj^leric et de paresse, s'eseriuiant , armé d une liroclietle en f^uise de llcunl, coidrc le mur enfumé de la cuisine, sans souci diiuc volaille (pii alleudail pileusejnenl sur la l;d»lf' le nionicnl d'être ein|ia!ee. et de la marnùle pater- nelle, qui jelail eu murmurant des cascades d'écume dans les cendres.

Allons, pardoiiue/.-lui el eud)ra>^c/.-le, c(> pauvre enfant : il ne le fera plus, disait ime paysmue jeune encore! frui- tière à Montreuil, el s(eur de l'irritable cuisinier. iMarlIie (celait son nom) était venue à \ersailles sons prétexte tie eon- sulti'r son frère sur je ne sais ipiel procès, mais en elTet pour apporter d(»s baistMs et d''s pèches à son neveu ilt>nt elle était folle, l'ont, dans le caractère el rcxlerieur de cet enfant. p»>u- vail iu>ldicr celle alVection exlraonliuaire; cai il était espièjîlc

310 LE NEVEU DE LA FRUITIERE

et turbulent, mais bon et sensible, et gentil, gentil!... qu'on se tenait à quatre en le voyant pour ne pas manger de caresses ses petites joues, plus fraîches et plus vermeilles que les pêches de sa tante. Mais le père Lazare grondait toujours. Six ans! répétait-il, et ne pas savoir écumer le pot! je ne pourrai jamais rien faire de cet enfant-là !

Le père Lazare, voyez-vous, était un de ces cuisiniers ren- forcés et fanatiques, qui regardent leur métier comme le pre- mier de tous, comme un art, comme un culte, dont la main est posée tièremenl sur un couteau de cuisine comme celle d'un pacha sur son yatagan; qui dépouillent une oie avec l'air solennel cVun hiérophante consultant les entrailles sacrées^ battent une omelette avec la majesté de Xercès fouettant la mer; qui blanchissent sous l'inamovible bonnet de coton, et tiendraient volontiers, en mourant, la queue d'une poêle^ comme les Indiens dévots tiennent, dit-on, la queue d'une vache.

11 n'y a plus de ces hommes- là.

Quant à Marthe la fruitière, c'était une bonne et simple créature, si bonne qu'elle en était»., non pas bete comme on dit ordinairement, mais, au contraire, spirituelle. Oui, elle trouvait parfois dans son cœur des façons de parler touchantes et passionnées, que M. de Voltaire lui-même, le grand homme d'alors, n'eût jamais trouvées sous sa perruque.

Il y a encore de ces femmes-là.

Frère, dit-elle, émue et pleurant presque de voir pleurer son petit Lazare, vous savez, ce grand bahut-que vous trou- viez si commode pour serrer la vaisselle, et que j'ai refusé de vous vendre? je vous le céderai maintenant si vous le voulez.

J'en donne encore dix livres, connue avant.

LE NHVKL' !)!•: LA F I{ Il T I L H L .ill

Vivre, j'rii veux (hivantafio.

Allons, dix livres dix sous, vX n'en piirloiis [ilus.

Oli! j'en exi^e plus encore. C'e^t un hésor(iue ju veuxl Le père Lazare regarda sa sœur lixcinenl, connue pour voir

si elle n'était pas folle.

Oui, poursuivit-elle je veux mon petit Lazare chez moi, et pour moi toute seule. Dès ce soir, si vous y consentez, le bahut est à vous, et j'cnnnène le petit à Monlreuil.

Le frère de Marthe lit bien quebiues dilTicultés, car au fond il éliiil bon iionnne et bon pèie; mais l'enfant en liligc lui faisait faire, suivant son expression, tant de mauvais sainj v[ de mauvaises sauces!... les instances de Marthe étaient ^i vives... et, d'un aulre côté, le bahut en (jutslion élait si conmiode [luur serrer la vaisselle!... enlin, il céda.

Viens, nu»n enfant; viens, disait Marihe, en enlraiuant 11' pdil Lazai'i; vers sa carriole, lu seras mieux chez moi, au milieu de mes pununes dapi, (|ue lu nian|;es avec tant de t»laisir, (jue dans la S(tciélé des oies rôlies de ton père. l'auvie enfani ! tu au mis pi'-ii i la us celle fumée... Ndis [i lu loi, .ijnul.i- l-elle a\ee une iiaive épouvaule, niitu bnni|Ue| de \iulclles, ^i frais Iniit à l'heure, est (h'-jà faut'! Oh ! \ii us cl marcluin> \ile : si Ion père allait se déilire el h; iciuuloiv!

Lt elle enlraiuail sa proie ^i \ile, (pie les passants l'eussent prise à coup sûr, sans sa mise ilécente et l allure libre el ^aic de son jeune compai;non , pour une bohémienne voleuse d'enfants.

Le premier soin (pu* prit la bouut' laule, après avoir in>lallé son neveu chez elle, fut de lui apprendre elle-mèuie à lin», ce dont le père Lazare ne ^e fût jamais avise; car, totalement

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LE NEVEU DE LA FRUITIERE

dépourvu d'instruction , le brave homme n'en connaissait pas le prix, et on l'eût bien étonné, je vous jure, en lui apprenant qu'une des plumes qu'il arrachait avec tant d'insouciance à l'aile de ses oies pouvait, tombée entre des mains habiles, bouleverser le monde. Le petit Lazare apprit vite, et avec tant d'ardeur, que l'institutrice était souvent obligée de fermer le livre la première, et de lui dire : « Assez, mon ange, assez pour aujourd'hui; maintenant, va jouer, sois bien sage, et amuse- toi bien. » Et l'enfant d'obéir et de chevaucher à grand bruit dans la maison ou devant la porte, un bâton entre les jambes. Quelquefois l'innocente monture semblait prendre le mors aux dents. Mon Dieu, mon Dieu! il va tomber, s'écriait alors la bonne Marthe qui suivait l'écuyer des yeux; mais elle le voyait bientôt dompter, diriger, éperonner son manche à balai avec toute la dextérité et l'aplomb d'une vieille sorcière, et, rassurée, lui souriait de sa fenêtre comme une reine du haut de son balcon.

Cet instinct belliqueux ne fit qu'augmenter avec l'âge; si bien qu'à dix ans, il fut nommé, dune voix unanime, général en chef par la moitié des bambins de Montreuil qui disputaient alors, séparés en deux camps, la possession d'un nid de merle, liuitile de dire qu'il justifia cette distinction par des prodiges d'habileté et de valeur. On prétend qu'il lui arriva même de gagner quatre batailles en un jour, fait inouï dans les annales militaires. (Napoléon lui-même n'alla jamais jusqu'à trois.) Mais son haut grade et ses victoires ne rendirent pas Lazare plus fier qu'auparavant, et lous les soirs le baiser filial accou- tumé n'en claquait pas moins franc sur les joues de la fruitière. Mais, hélas! la guerre a des chances terribles, el un beau jour

LE NKVEU D1-: LA F UT I T I K R L 313

le conquérant éprouva une mésaventure (lui faillît le dégoûter à jamais de la manie des conquêtes. Voici le fait : connue il se baissait pour observer les mouvements de l'enneiiu, la iiiaiu appuyée sur un tronc d'arbre et à peu près dans la posture de Napoléon pointant une batterie à Montmirail, le pantalon du général observateur craqua, et se décbira par derrière, vous savez, laissant pendre et flotter un large bout de la petite clie- mise que Marthe avait blanchie et repassée la veille. A celte vue, les héros de Monlreuil poulTèrent de rire, aussi fort que l'eussent pu faire les dieux d'Homère, grands rieurs comme chacun sait. L'armée se mutina, le général cul beau crier comme Henri IV dont il avait lu l'histoire : « Soldats, ralliez- vous à mon panache blanc! » on lui répondit (|u'un panache ne se mettait pas là, et qu'on ne pouvait, sans faire injure aux couleurs françaises, les arborer sur une pareille brèche; si bien que le pauvre général brisa sur le dos d'un mutin son bàluu de connnandement, et rentra dans ses foyers, triste et penaud connue les Anglais abordant à Douvres après la bataille île i'on- lenoy... Ce nom me rappelle une circonstance que j'aurais tort d'omettre, car cil»! iidlua bi'aucoui» sur le caniclcrc cl la des- tinée du licros de cette histoire, lii p.iuvre sieuv xildiil (|ui venail de Irmps en temps chez .Marthe, ^ii parente cloi;:nee. fumer sa pipe au cdiii de làlre, cl se rcch.ndïer le cirur d un verre île ralalia, ir,iN;ul pas nian(|né d'y ra«onlei Inutilement connue quoi lui et le maréchal de Saxe avaient uiif^ne la célèbre bataille. Je vous laisse à piMiser si ce n'cit ine\acl, mais chaud, avait enilinumer l'imaizinaliiin du jeune ainlileiu'. Depuis lors, endornn ou i-veilli', il enîendail sans cesse pialler l«'s che- vaux, sil'ller les halles, cl gronder les canons; e| plu> d'une

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314 LE NEVEU DE LA FRUITIÈRE

fois, seul dans sa petite chambre, il se fit en pensée acteur de ce grand drame militaire. 11 eût fallu le voir alors trépigner, bondir et crier : Tirez les premiers, messieurs les Anglais! Maréchal, notre cavalerie est repoussée î La colonne ennemie est iné- branlable ! En avant la maison du roi ! Pif ! paf ! Baound! baound ! Bravo ! le carré anglais est enfoncé ! A nous la vic- toire! vive le roi! Le pauvre Lazare se croyait pour le moins alors écuyer de Louis XV ou colonel. Une pareille ambition vous fait rire sans doute! C'eût été miracle, n'est-ce pas, que le neveu de la fruitière pût s'élever si haut? Oui, mais sou- venez-vous que nous approchons de 1789, époque féconde en miracles, et écoutez :

Lazare, engagé d'abord dans les gardes françaises, malgré les larmes de sa tante, qu'il tâchait en partant de consoler par ses caresses, ne tarda pas à devenir sergent. Puis le siècle marcha, et la fortune de bien des sergents aussi. Enfin, de grade en grade, il devint... devinez. Colonel? Il n'y avait plus de colonels. Écuyer du roi? -^ Il n'y avait plus de roi. Vous ne devinez pas? Eh bien ! Lazare, le fils du cuisinier, Lazare, le neveu de la fruitière, devint général; non plus général pour rire, et en casque de papier; mais général ^îour de bon, avec un cliapeau empanaché et un habit brodé d'or; général en chef, général d'une grande armée française, rien que cela, et si vous en doutez, ouvrez l'histoire moderne, et vous y lirez avec attendrissement les belles et grandes actions du général Hoche. Hoche était le nom de famille de Lazare. Hâtons -nous de dire à sa louange que ses victoires, bien sérieuses cette fois, le laissèrent aussi modeste et aussi bon que

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SOS victoires enfantines à Montreuil. Aussi, lorsqu'un jour de revue , il passait au galop devant le front de son armée , il y avait encore, à une fenêtre près de là, une bonne vieille femme qui couvait des yeux le beau général, balelante de plaisir et de crainte, et répétant comme vingt ans auparavant : « Mon Dieu ! mou Dieu! il ta tondx'r! » Oiiant au cuisinier grondeur de Versailles, il était aussi, émerveillé d'avoir donné un héros à la patrie, répétant avec un certain air de suflisance, à ceux qui l'en félicitaient: Vous ne sauriez croire combien j'iii eu de peine à élever cet enfant-là! Figurez-vous, citoyens, (pià six ans il ne savait pas écumer le pol !

I I \

I

TABLE

PAfilS

IIÉGÉSIPPE MOREAl) 1

Dix -huit ans 27

Vive le roi 29

Déranger 31

Kpitre à M. Firuiin Uidol, sur rimpriiiierK; 33

DioGÉNE, fantaisie poétique. Piéfaee de rAutciu 42

L'Abeille 43

I.fi Parti bonapartiste, à Joseiih Honaparic 51

l.a l'rincesse ."j?

Merlin de Thionville 59

A M. C. Opoix, do Provins, cx-convenlionnel OT

Le PiW'te en iirovinrc "4

A Henri V 80

L'Apparition î»!<

Les Noces de C,:\ua 94

Le Hameau incendié. ... . . 98

l'n Souvenir à l'hôpital tOl

L'Hiver t^'b

les .Modi.stfs ho.'ipitalii'rei, anocilolo iK' Juillet lS3ti ••-

Vive la lloauté .11»

1/Aniant tinude . . IIT

Les J(>iu .le lAinoiir et dn ll.is;ir.l . it".^

318 TABLE

PAGES

Chanson patriotique des Danseiises de TOpéra , pour fêter l'anniversaire

de la Révolution de Juillet 121

L'Écolière 124

Béranger 127

La Muse 120

Le Tocsin 131

Souvenirs d'enfance 133

La Fauvette du Calvaire, fabliau normand. . . .' 135

A un Auteur iiermaphrodite 137

Le Joli Costume. 138

A Jean de Paris, improvisé à une représentation de Don Juan. . . . 141 Surgile mortui , couplets chantés à un déjeuner dont tous les convives

avaient tenté o\\ médité lo suicide 144

Le Dernier Jour 147

Les 5 et 6 Juin 1832, chant funèbre 150

Mil hiiit cent trente -six. . . . , 155

Nicolas, chanson à boire écrite sur la carte à payer d'un restaurateur. 159

Les Croix d'honneur. . . . .- 162

L'Ile des Bossus, conte -clianson 1G4

La Fermière, romance Ifi9

Si vous m'aimiez, romance 172

A une Dame qui se plaignait de voir aux Tuileries sa chaise entourée

de jeunes gens 174

Les Deux Amours 174

Les Contes 177

L'Oiseau que j'attends , romance l8l

Les Cloches 1S3

Le Revenant 186

Bordeaux, ode à Madame ***, de la Gironde 188

Lacenaire poëte 193

Le Corse 198

A Médor 200

Les Voleurs 202

M. Paillard 205

Réponse à une invitation 208

TAbLK 319

PAGES

La Confession 209

Fable iilt

L'holement, élégie, à Madame *•* 21i

Soyez bénie ! 217

Sur la Mort d'une Cousine de sept ans 218

L'Bnfant maudit , conte 22o

Les Signes de croix tii

Un Quart d'Heure de dévotion 227

Le Ciiaut des Anges, romance 234

La Sœur du Tasse 237

la Voulzie, élégie 2 il

Le Haptème 213

A mou Ami; iVj

A mes Chansons ^iS

Contes. Le Gui de chiliio ili3

La Souris blaïuiio -67

Les Petit:; Snuliers iSo

Thérèse Sureau 2",»7

Le Neveu de la Fruilicrc 3u'.»

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