I^ibrarg flf P^wsnnn OF COMPARATIVE ZOÔLOGY, AT BAEVAED COllECE, CAMBEIBCE, MASS. jFoun'De'lï jjrfbate subscrfption, în 1861. The gift ift qJ- ^ L No.'ri~^C>. T Æ. . rU. /d ■ /âry/ î ° O.^OUA^ (M- i/ è^JxxLjy^oJrojA.^ cL^ > VïfÀft.G'U v,vi oj(ioiA'i;.,oo’8ui -'.^73 r-i Souscription de M. DE MEAUX ministre de l’Agriculture, 5 février 1876 Rappel de MÉDAILLE D’ARGENT de la Société protectrice des animaux de Paris, 17 mai 1875 !Ï OISEAUX DE PASSAGE ET TENDUES PREMIÈRE PARTIE (Mémoire de 1874) INTRODUCTION Doit-on, oui ou non, permettre les tendues aux oiseaux ? C’est là une question encore très-controversée, malgré qu’elle ait été souvent discutée dans les con- seils généraux, dans les préfectures, au ministère et par le pouvoir législatif. Mes recherches ornithologiques m’ayant amené à l’étudier, j’ai trouvé, en faveur de la suppression des tendues, des arguments qui me semblent déci- sifs. Je crois, en effet, que ce genre de chasse est contraire à Uintérêt général et à l’esprit de notre législation ; c’est ce que je vais essayer de démon- trer. Saint-Dizier, le U" juin 1873. i I. Du droit de chasse. 1® DROIT NATUREL. Au point de vue de la chasse, le droit naturel con- tient deux principes fondamentaux. r Nous avons le droit de détruire un animal qui s’attaque à notre personne ou à nos biens et qui, d’une manière permanente, peut causer à la société de graves dommages. 2° Il nous est également permis de tuer les ani- maux sauvages qui peuvent servir à notre alimen- tation, et par conséquent les oiseaux. Ces deux libertés doivent être reconnues, mais à la condition qu’elles ne soient pas une cause de restriction pour d’autres libertés, aussi ou même plus précieuses qu’elles. Ainsi, il est essentiel avant tout de sauvegarder les intérêts de l’avenir, de ne pas tarir les sources de la reproduction par une destruction exces- sive. Pour cela il faut réduire par de sages mesures ie temps et les procédés de chasse, ce qui a pour conséquence de réduire aussi le nombre des chasseurs. T.a société ne doit pas surtout autoriser les prati- 4 OISEAUX DE PASSADE ques de chasse qui peuvent facilement être cachées, rendre impuissante et illusoire la loi, et dangereuse la surveillance des gardes. Au nom des intérêts bien entendus de la consom- mation, on doit détruire peu ou pas du tout les oi- seaux serviteurs, c’est-à-dire ceux qui par leurs travaux concourent efficacement à la production de nos richesses. Tels sont, au point de vue de la chasse, les droits et les devoirs que le pouvoir législatif a à consa- crer. DROIT FRANÇAIS. Voyons quelles applications la législation fran- çaise a faites de ces principes, comment nos lois doivent être interprétées et modifiées. l"* La loi du 3 mai 1844, qui est la principale et la dernière, apporte quelques restrictions au droit de détruire les animaux malfaisants ou nui- sibles. Elle maintient le droit que conférait la loi du 30 avril 1790 (art. 13), celui de repousser et de dé- truire même avec les armes à feu les bêtes fauves ; mais, en ce qui concerne les autres animaux mal- faisants et nuisibles, on ne peut employer que les moyens de destruction autorisés par arrêté préfectoral (1), et encore faut-il que ces animaux soient éclarés malfaisants par la même auto- rité. (1) Les arrèlés sont relatifs au lieu, au mode et aux iuslrumenls de desliuction. ET TENDUES. O L’institution de la loiiveterie est le complément de ces mesures. 2“ En quoi consiste le droit de chasser le gibier et quelles restrictions y sont apportées ? Chasser, c’est cherchera s’emparer d’un animal sauvage pour se l’approprier. La chasse étant devenue un droit inhérent à la propriété, un de ses attributs, on ne peut l’exercer sur la propriété d’autrui qu’autant qu’on en obtient l’autorisation {Loi du 30 avril ; — loi du 3 mai 1844, art. On ne devient propriétaire d’un animal sauvage qu’en en prenant le premier possession, d’après l’adage : Res nullius cedit primo occupanti, impli- citement rappelé par l’article 715 du C. C. et la loi des 11 août et 3 novembre 1789. 3'’ Sont considérés comme immeubles par desti- nation les oiseaux domestiques au nombre desquels sont compris les oiseaux de colombier et de volière, parce qu’ils vivent, s’élèvent, sont nourris et se re- produisent par les soins et sous le toit de l’homme (C. C. art. 524 ; arrêt de cassation, 14 mars 1861j. 11 est vrai qu’aux termes de beaucoup d’arrêtés de police, les pigeons sortis de leur colombier peu- vent être considérés et traités comme des oiseaux nuisibles. Le droit de chasse a été frappé de divers impMs qui ont eu pour conséquence de réduire le nombre des chasseurs. Ces impôts sont : 1° De 28 fr. pour le permis de chasse [Loi des 2 z>iV^mai m^) ; 2° De 4 fr. 75 c., de 6 fr. et de 7 fr. 75 c. pour 6 OISEAUX DE PASSAGE les dilïerentes poudres de chasse (Loi du 25 juil- let 1873) ; 3** Et de 6 fr. pour le chien de chasse (Loi du 2 mai 1855;. En y ajoutant les autres frais indispensables, on trouve que la chasse subit de très-lourdes char- ges. La chasse de nuit est défendue (Loi 1844, art. 9 e/12;. La jurisprudence est appelée à déterminer quel est, d’après les circonstances, le moment précis où commence et finit la chasse de jour. La chasse ne peut avoir lieu que lorsqu’elle est ouverte par arrêté du préfet. L'ouverture et la clô- ture de chaque espèce principale de chasse sont fixées de manière que la reproduction et la multi- plication des animaux sauvages soient assurées (Même loi, art. 9 et argument). Les préfets peuvent défendre la chasse pendant les neiges (même loi, art. 9j, et ils ont tous pris des arrêtés dans ce sens. Le permis de chasse donne à celui qui l’a ob- tenu le droit de chasser à tir et à courre : tel est le principe fondamental en cette matière (Même arti- cle). Les armes secrètes, et particulièrement le fusil à vent, ne sont pas plus permises pour la chasse que pour tout autre usage (Déclar. du 23 mars 1728; décrets des 2 nie. an 14 et 12 mars 1806 ; C. pén. 314; ordonnance 23 février 1837j. La plupart des maires des villes et des villages ont pris des arrêtés pour empêcher de tirer et par conséquent de chasser à tir dans l’enceinte déter- ET TENDUES. 7 minée de la commune, en vertu de l’art. 50 du 14-22 déc. 1789, des art. 3 et 4 du titre XI de la loi du 16-24 août 1790, de l’art. 46, tit. P" de la loi du 19-22 juillet 1791 et de l’art. 11 de la loi du 18 juil- let 1837. Il est défendu de faire usage de filets pour chas- ser (loi de 1844^ art. 9^^, si ce n’est pour la chasse du lapin. Dans ce cas, on peut employer les furets et les bourses (id.). A ce sujet une instruction du mi- nistre de la justice porte ce qui suit : « L’article 9 prohibe d’une manière formelle tous les genres de chasse, à l’exception de la chasse à tir et à courre, et de la chasse au lapin à l’aide de furets et de bourses. Sans faire une nomenclature qui aurait été impossible, il embrasse dans sa pro- hibition générale l’emploi des panneaux et des filets, avec lesquels on détruisait des volées en- tières de perdreaux, l’usage meurtrier des lacets, des collets, et, en un mot, de tous les instruments de destruction, qui ne profitaient qu’aux bracon- niers ». L’article 12 de la loi de 1844 complète l’article 9 par les dispositions suivantes : Seront punis d’une amende de 50 à 200 francs, et pourront en outre l’être d’un emprisonnement de 9 jours à deux mois : 2° Ceux qui auront chassé pendant la nuit à l’aide d’engins ou instruments prohibés, ou par d’autres moyens que ceux qui sont autorisés par l’art. 9; 3^ Ceux qui seront détenteurs ou qui seront trou- vés munis ou porteurs, loin de leur domicile, de filets, engins ou autres instruments de chasse pro- hibés ; 8 OISEAUX DE PASSAGE 5” Ceux qui auront employé des drogues ou appâts qui sont de nature à enivrer le gibier ou à le détruire ; 6° Ceux qui auront chassé avec appeaux, appe- lants ou chanterelles. Les peines déterminées par le présent article pourront être portées au double contre ceux qui auront chassé pendant la nuit sur le terrain d’autrui et par l’un des moyens spécifiés au paragraphe 2, si les chasseurs étaient munis d’une arme appa- rente ou cachée. Par suite des mêmes principes, est également défendue la chasse qui se fait à Laide de chiens lé- vriers {arg. de l’art. 9j. Cependant la loi a laissé au préfet le droit de l’autoriser (art. 9, Il est à remarquer que les préfets ne font pas usage de ce droit. D’après les articles 4 et 12, n° 4, en temps de chasse prohibée, il est défendu de vendre, acheter, transporter et colporter le gibier. Enfin, d’après l’article 9, n°l, le préfet peut pren- dre un arrêté pour prévenir la destruction des oi- seaux. L’instruction du ministre de la justice contient, à ce sujet, l’observation suivante : « La loi, en prohibant l’usage des filets, a déjà fait beaucoup pour empêcher la destruction des oi- seaux, mais cette interdiction peut n’être pas tou- jours suffisante. Les préfets sont autorisés à em- ployer d’autres moyens. Ainsi, ils pourront, s’ils le jugent nécessaire, étendre aux œufs et couvées d’oiseaux la défense que le dernier paragraphe de l’art. 9 n’a prononcée qu’à l’égard des œufs et ET TENDUES, {) couvées de faisans, de perdrix et de cailles ». Telles sont les différentes prescriptions de la lé- gislation française en ce qui concerne la cliasse ; il est facile devoir que dans leur ensemble et dans la plupart des détails elles consacrent les principes du droit naturel que nous avons exposés. 3" DE LA LÉGISLATION RELATIVE AUX OISEAUX. Examinons maintenant l’état de notre législation relativement aux oiseaux. La loi de 1844, art. 9, n*’ 1 , contient la disposition suivante : Néanmoins, les préfets, sur l’avis des conseils généraux, prendront des arrêtés pour détermi- ner : 1° L’époque de la chasse des oiseaux de passage, autres que la caille, ainsi que les modes et procédés de cette chasse. Il en résulte que le législateur a semblé vouloir faire une exception aux règles qu’il a consacrées par un ensemble très-remarquable de dispositions. Comme cette exception est une dérogation au droit naturel et à la loi française, elle doit au moins être strictement restreinte au cas spécifié dans le paragraphe cité, et il est du devoir d’un préfet, pour rester dans l’esprit de la loi, d’en diminuer autant que possible les applications. D’abord il reçoit du conseil général un avis et non pas un ordre ; et surtout il n’est pas obligé d’acce[>- ter les règlements qui lui sont proposés par ce con- seil, autrement il serait dépossédé du pouvoir que lui confère la loi. Ensuite, l’article 9, n° 1, confirme virtuellemeni 10 OISEAUX DE PASSAGE les principes généraux de chasse en ce qui concerne les oiseaux sédentaires. Le préfet ne devrait pas se croire le droit d’autoriser, à leur égard, d’autre mode de destruction que celui de la chasse à tir. Chacun sait, au moins d’une manière générale, que nos oiseaux sédentaires sont ceux qui nichent dans nos pays, qui y prennent part aux élimina- tions si nécessaires de la saison d’été et qui, chaque année, viennent reprendre leur tâche quand ils n’en sont pas empêchés. Beaucoup de leurs espèces nous fournissent des oiseaux pendant toute l’année. Ce que nous appelons nos oiseaux de passage sont les sédentaires des autres régions qui passent, en stationnant Iplus ou moins longtemps dans la nôtre. Les différentes espèces d’oiseaux sont en effet ré- parties sur la surface du globe de telle sorte qu’elles ont pour leurs opérations un ou plusieurs centres et des rayonnements très-étendus. Le nid est le cen- tre des explorations et des éliminations d’une fa- mille à l’époque de la bonne saison, et cette famille, pendant le reste de l’année, peut transporter son industrie souvent jusqu’aux limites des régions qui sont assignées à son espèce. C’est là ce qu’enseigne l’ornithologie. En poursuivant cette étude, nous verrons que la chasse à la tendue, même pour les oiseaux de pas- sage , telle qu’elle s’est faite pendant quelques années dans nos contrées, ne concorde ni avec l’ensemble de notre législation, ni avec l’intérêt général. L'étendue des terrains affectés par le Créateur à ET TENDUES. Il cliaque espèce des oiseaux sédentaires comprend , en général, un grand nombre de départements , et beaucoup des oiseaux de passage traversent deux fois par an la France du nord au sud et du sud au nord. Certains, départements permettant les tendues et d’autres les défendant, il en résulte une cho- quante inégalité devant la loi , une attribution inégale des droits de chasseîpar rapport à la pro- priété. Ensuite, si pendant qu’un département s’efforce de protéger certains oiseaux, comme étant des agents très-utiles à l’intérêt général, un départe- ment voisin néglige de prendre ce soin, ou même autorise à perfectionner l’art de les détruire pour un intérêt très-particulier, il en résulte un état de choses pour lequel certainement les hommes ne se sont pas constitués en société. Ces anomalies sont d’autant moins justifiables, que depuis quelques années cinq départements se permettent les tendues, quand tous les autres les proscrivent, et que de la sorte une infime minorité se constitue une espèce de monopole. Pour le moins, la loi aurait dû ne pas permettre à un préfet d’autoriser les tendues dans son dépar- tement, sans l’avis favorable des conseils généraux des départements limitrophes. En ces matières, un departement est à l’état d’enclave par^rapport aux départements qui l’entou- rent, et il eût été juste qu’on lui appliquât, au moins de cette manière, un principe consacré par la jurisprudence et d’après lequel est condamné un chasseur qui tend dans son clos, quand la tendue n’est pas autorisée dans son département. 12 OISEAUX DE PASSAGE De l’insuffisance de la loi et surtout de la con- descendance du ministre de l’intérieur, il est ré- sulté que le département de la Meuse a recommencé à autoriser les tendues. La Meurthe, les Vosges, la Haute-Marne, le Vaucluse ont suivi cet exemple. Pourquoi tous les autres départements ne feraient- ils pas de meme, ne serait-ce que pour montrer ce qu’il y a de défectueux dans ces détails de notre législation ? Poursuivons. Si l’impôt de la chasse s’explique , c’est surtout quand on se donne le luxe de vivre de rossignols, de rouges-gorges, de fauvettes à tête noire, de troglodytes, de roitelets. Ces chasses n’ont cependant à supporter ni Pimpôt du chien, ni celui de la poudre. Ne serait-il pas plus juste qu’elles supportassent un surcroît de charges proportion- nelles aux privilèges dont elles jouissent, surtout à une époque où tous les impôts sont si aggravés ? De plus, pendant que le maître chasse à tir ou à courre, le soin de la tendue est souvent confié à des manœuvres, à des domestiques, à des femmes, à des enfants âgés de moins de 16 ans, et même à des gardes. En fait, sinon en droit, il suffit d’avoir plusieurs manœuvres pour avoir plusieurs tendues. Il résulte de là un permis de chasse collectif, qui protège des enfants, des gardes, ce qui consa- cre à la fois plusieurs illégalités. Pour que la tendue donne de bons résultats, les chasseurs demandent et l’autorité accorde quel- quefois une priorité d’ouverture. En général, on peut tendre sans bruit, en ca- chette et sans se faire remarquer. On est souvent à ET TENDUES. la la tendue aux premières et aux dernières lueurs du jour, c’est-à-dire, quand pour la jurisprudence il fait nuit. Les engins restent même constamment tendus. Le braconnier n’a plus à craindre qu’on saisisse chez lui des lacets, puisqu’ils sont autorisés pour les tendues. De cette façon, la surveillance devient très-diffi- cile pour les gardes et quelquefois dangereuse, et la loi reste sans sanction. Dans les tendues faites en conformité de l’arrêté du préfet, on ne relâche pas la perdrix, ni la bé- casse qui s’est prise dans le lacet. Et surtout on prend aussi bien et mieux encore les oiseaux sédentaires que les oiseaux de passage, c’est même par ceux-là que l’on commence, ce qui est tout à fait contraire à l’esprit et à la lettre de la loi. En supposant, par impossible, qu’ils soient proté- gés dans le département où ils ont été sédentai- res pendant la période des pontes, ils pourront être sacrifiés le jour où ils quitteront le pays na- tal, parce qu’alors ils deviendront des oiseaux de passage. Et cependant les grandes migrations périodiques ont pour résultat la vérification, la rectification et le complément des travaux exécutés par les oiseaux sédentaires, et c’est grâce à ce merveilleux méca- nisme, que les oiseaux parviennent à enrichir des bienfaits de l’élimination toutes les contrées qu’ils visitent. En résumé, parmi les oiseaux, il en est qui nous sont extrêmement utiles comme ouvriers et comme U OISEAUX DE PASSADE artistes, et c’est contre eux seuls qu’on a étendu le droit de chasse. Il nous semble donc que la tendue estla négation du droit, le renversement des principes ; non-seule- ment elle n’est pas en harmonie avec l’ensemble de nos lois, mais elle est manifestement contraire à l’intérêt général ; c’est ce que nous allons cher- cher à développer. II. Statistique des tendues. Une tendue en 1832. — Dans la Haute-Marne, à la limite de la Meuse, il existe un petit bois séparé de 5 à 6 kilomètres des grandes forêts ; il a en lon- gueur environ 3 kilomètres et en largeur 2 kilo- mètres. Dans le sens de sa longueur, il s’étend du sud-est au nord-ouest. En 1832, la partie nord de ce bois, sur une étendue des deux tiers environ de la surface totale, était en taillis de 3 à 10 ans ; alors on pratiqua h la lisière de ces taillis un sen- tier qui avait environ 1,500 mètres de long sur 1 mètre de large. On l’entretenait soigneusement et on le balayait. On y plaça 1,500 raquettes et 400 la- cets ; les raquettes étaient k deux mètres les unes des autres et sur deux rangées chacune d’un côté du sentier. Les lacets étaient disséminés dans toute la longueur au milieu de la voie. En septembre, on amorçait quelques raquettes avec des grains de raisin. Cette tendue dura du 15 août au D" octobre. I^e préposé à la tendue, employé d’une grande ET TENDUES. i:i maison, taisait deux tournées par jour, la !"• de 7 à 9 heures du matin, la 2® de 5 à 7 heures du soir ; il était considéré comme manœuvre et n’a- vait pas de port d’armes : celui de son maître seul suffisait. On prit en moyenne, chaque jour, 15 oiseaux par cent raquettes, c’est-à-dire au total 225, plus 10 oiseaux dans les 400 lacets. Chaque soir, on avait donc en moyenne 235 oi- seaux ; une même personne, en 45 jours, arriva ainsi à en détruire 10,575. On prenait les trois quarts des oiseaux sur la li- sière du nord-est, et un quart seulement sur celle du sud-ouest. La tournée du matin fournissait les deux tiers des prises de la journée; elles étaient abondantes dans les lieux où les insectes se ma- nifestaient en grand nombre. Sur les 10,575 oiseaux, il y en avait environ 9,000 de petite taille ou de très-petite taille, beaucoup de rouges-gorges, de rouges-queues, de roitelets, ensuite des pouillots, des fauvettes, des rossignols, des torcols, des sit- telles, peu de pinsons, de bruants et de chardonne- rets, etc. Le surplus était composé d'oiseaux de moyenne taille, tels que grives, merles, gros-becs, pics, geais ; c’est surtout en septembre que se prenaient la plupart des gros oiseaux. On ne détruisit ni oiseaux de proie, ni corbeaux, ni étourneaux, mais au moyen de lacets on captura des perdrix grises, des perdrix rouges et des bé- casses. Les oiseaux étant pris par le pied, ils étaient à peu près tous vivants quand on venait les décrocher. OTSEAtX' t)E PASSAGE If» Des dix-neuf eenls bai^ueUes dont étaient faits les raquettes et les lacets, les trois quarts étaient en coudrier. Cette tendue se continua pendant sept ans^ de 1832 tà 1839. Dans les dernières années, elle donna des résultats moins considérables. J’ai également eu connaissance de quelques autres tendues faites de 1840 à 1850, dans des sen- tiers à la lisière des bois ou à l’abreuvoir. On m’a cité un propriétaire qui à lui seul avait 3,000 ra- quettes. J’ai visité beaucoup de tendues qui étaient bien plus modestes ; dans toutes, les faits signalés ci- dessus se reproduisaient à peu près de la même ma- nière; seulement on prenait moins d’oiseaux qu’en 1832. Les années 1871 et 1872 ont offert un intérêt par- ticulier au point de vue des tendues. En 1871, les pontes n’ont pas réussi, et de plus le nombre des oiseaux était sensiblement diminiié depuis quelques années. Au contraire, la végéta- tion vigoureuse de 1872 favorisa la multiplication des insectes ; sous les mêmes influences de tempé- rature, les pontes d’oiseaux donnèrent leur maxi- mum. Il en est résulté que les tendeurs n’ont pas réussi en 1871, mais qu’en 1872 ils ont pris beau- coup d’oiseaux. Il faut le remarquer, de temps en temps, des années aussi favorisées que celle de 1872 viennent rétablir, dans le monde des éliminateurs, l’équi- libre qui semblait devoir disparaître. Pour ces différentes raisons, je crois donc ulile de résumer les états de trois tendues faites pendant ET TENDUES. M ces deux années, sur trois points fort différents de la Meuse et de la Haute-Marne. Dans la crainte d’abuser de la patience de quel- ques lecteurs, je m’abstiens de produire tous les faits secondaires, et cependant bien intéressants, de ces tendues ; il me suffira, je l’espère, pour les édifier, d’en présenter un petit nombre. MEUSE CANTON DE REVIGNY rfl U •« 'A A < PETITS IN.SECTIVORES PETITS GRA- NIVORES INSECTI- VORES de moyenne taille OISEAUX des autres espèces N« 1. Petit bois en avant de la forêt, tendue de M. T. du le»- sept, au le»- déc. 1871, 91 jours, 800 raquettes. 1871 lis. 429 Gram. -3254K90 Ois 37 Gram. 500625 Os 61 G ram . 291766 Ois 7 Gram. 477620 N° 2. Idem, du 26 août au 31 octob. 1872, 67 jours, 300 raquettes. 1872 644 4580S40 10 133670 50 252166 12 .520654 MEUSE CANTON D'ANCERVILLE N° O. Petit bois en avant de la forêt, tendue de M. 0. du 27 août au 27 octobre 1871, 61 jours, 2.50 raquet. et 50 lacets. 1871 212 1493685 5 178625 13 62664 7 5606 N“ 4. Idem, du 2 sept, au 22 oct. 1872 (14 jours d’absence), 37 jours, 400 raquettes et 100 lacets. 1872 422 3005609 5 128650 14 60366 8 6406 HAUTE-MARNE CANTON DE SAINT-DIZIER N® 5. Lisière de la forêt, tendue de M. D., du 20 sept, au 25 oct. 1871, 34 jours. 800 raquettes. 1871 504 3521627 2 24650 5 1986 1 15810 N® 6. Idem, du 4 sept au 8 nov. 1872, 350 raquet. 1872 1028 i 6888634 . 2 9566 2 1856 323S 1 2274368Ê . 5£ »l96562( ) 37 23 9 76 84 3298 oiseaux \ 23709 gr.O; i i4t . 69626J 3443 oiseaux 1 30671 gr. 85 37 ’ 2397684 3480 oiseaux 1 33069 gr. 69 2 18 OISEAUX DE PASSAGE Voici le nombre, les espèces et le poids de la chair des oiseaux de la tendue N° 2, en 1872. Gobe-mouches gris 2 15 gr. Troglodyte 8 32 Mésange charbonnière 101 782 75 Mésange noire 9 33 30 Mésange bleue 40 150 Mésange nonnette 14 63 70 Pouillot véloce 3 12 Ilippolais ictérine 1 9 25 Pouillot sylvicole 18 66 60 Fauvette à tête noire 4 28 40 Fauvette des jardins 15 189 Fauvette grisette 2 15 40 Effarvatte 2 10 80 Rouge-gorge 384 2 803 20 Rouge-queue 41 369 Merle 24 1 344 Grive chanteuse 21 831 6 Grive draine 5 346 Moineau domestique 1 14 7 Bruant jaune 6 90 Pinson 2 18 6 Bouvreuil 1 10 4 Pie-grièche écorcheur 1 15 1 Pie-grièche grise 1 33 60 Geai 2 160 Cresserelle 1 171 Martin-pêcheur 7 140 84 Total 716 7 756 24 On pourra encore, par le tableau suivant, se faire une idée exacte des divers oiseaux pris dans les six tendues ci-dessus mentionnées : p:t tendues. 19 NOMS TENDUES < DES OISEAUX \ 2 11° 3 n° 4 11° 5 11° 6 O H Gobe-mouches gris 9 2 » )) » )) 11 Pipit des arbres 1 )i » » » )) 1 Troglodyte 12 8 10 )) 11 45 86 Roitelet moustache » )) )) » » 1 1 Roitelet huppé » » » 2 1 2 5 Mésange charbonnière 10 101 20 20 45 51 247 Mésange noire 1 9 )) » 11 8 29 Mésange bleue 14 40 13 27 15 36 145 Mésange normette .3 14 4 3 9 5 38 Mésange à longue queue.. 7 » 3 2 4 6 22 Pouillot fitis » )) » )) » » w Pouillot véloce 3 3 )) )) T> 18 24 Pouillot sylvicole 9 18 )) 8 1 9 45 Hippolaïs ictérine » 1 » » )) » 1 Accenteur 4 » )> » » » 4 Fauvette à tête noire 1 4 1 n » » 6 Fauvette des jardins 16 15 1 )) » » 32 Fauvette babillarde » 2 » » )) » 2 Fauvette grisette 9 » » » )) )) 9 Effarvatte 9 2 » )) » » H Rouge-gorge 208 384 143 329 391 479 1934 Rossignol 7 » 2 1 » » 10 Rouge-queue 104 41 15 25 11 11 207 Sittelle torchepot » » )) 5 )) 1 6 Pic-vert » » )) » » 1 1 Pic-épeiche 1 » » )) » 1 Grimoereau 2 » )) » 5 1 8 Merle 27 24 5 3 » 1 60 Grive chanteuse 32 21 7 11 5 1 77 Grive draine 2 5 1 » » » 8 Friquet 7 » » » » » 7 Moineau domestique » 1 » » » » 1 Bruant jaune 22 6 » » » » 28 Pinson 4 2 » 1 » » 7 Pinson d’Ardennes 1 » » 1 2 » 4 Bouvreuil 3 1 » » )) » 4 Pie-grièche écorcheur 2 1 » » 1 » 4 Pie-grièche grise » 1 » » » » 1 Geai 3 2 7 8 » 1 21 Cresserelle 1 1 )) » )) » 2 Martin-pêcheur » 7 » » » » 7 Gros-bec » » 5 3 » » 8 3125 Insectivores de petite et de très-petite taille de la tendue n* 6, dont les espèces n’ont pas été déterminées, par suite d’une absence du tendeur ordinaire. 356 Total général. . . 3481 20 OISEAUX DE PASSAGE Aces états de tendue, je pourrais en ajouter d’au- tres qui ont été également et consciencieusement établis, mais ils n’en diffèrent pas sensiblement. Je me contente d’en signaler les particularités qui peuvent avoir de l’intérêt pour la science et la b';- gislation. D’abord, et il est bon de le mentionner, dans beaucoup de pays, et dès le août, de rusés bra- conniers font des tendues volantes ; dans les jours de sécheresse surtout, ils vont camper leurs lacets autour d’une fontaine, d’un ruisseau, d’une eau croupissante, vers lesquels affluent les grives, les merles, les pics, les tourterelles, les ramiers ; aussi prennent-ils relativement plus de gros oiseaux que les tendeurs munis d’un permis de chasse. Souvent ces braconniers vont furtivement visiter les grandes tendues, y décrocher les oiseaux et même prendre les lacets et les raquettes. Voici quelques faits qui prouvent qu’il y a moins d’oiseaux qu’autrefois. En septembre 1819, M. X. a pris dans une tendue de 50 lacets, en un jour, 7 pics-verts. Le 2 novembre 1820, un tendeur, M. D., a attrapé, avec 150 lacets tendus autour de quelques mares d’eau, 99 gros oiseaux et 2 sittelles ; à part 11 geais, ces oiseaux étaient des merles, des grives chan- teuses et des grives mauvis. Le 16 octobre 1826, un autre tendeur a capturé, avec 25 lacets, en une matinée, 3 bécasses, 1 pic- vert, 2 merles, 2 grives chanteuses et 1 geai. De vieux tendeurs de tous pays m’ont dit que dans leur jeunesse il y avait beaucoup plus d’oiseaux que maintenant; aussi, dans la tendue dont l’état figure ET TENDUES. 21 sous les numéros 1 et 2, de 1820 à 1850, on prenait annuellement et en moyenne de 1,000 à 1,200 oi- seaux ; une année on est allé à 1,500. Nous avons vu que dans la tendue dont j’ai donné l’état, et qui existait en 1832, on prenait par jour 8 oiseaux par cent raquettes et lacets. Au contraire, on n’obtenait. Dans la tendue n° 1 du tableau, que 1 oiseau par 133 raquettes. 2—2 3—2 4 — 4 130 id. et lacets. 106 — 108 5 6 3 — 123 — 5 — 110 — Il n’est donc pas étonnant que les dénicheurs se plaignent de trouver moins de nids qu’autrefois, et que la rareté des oiseaux ait été très-remarquée sur les rives des plaines et surtout par les horticul- teurs. A des tendues dont j’ai eu connaissance, on a pris des coucous dans la première quinzaine d’août, des engoulevents, des gobe-mouches à collier, des tra- quets tariers, des traquets rubicoles, des pouillots fitis, des fauvettes babillardes, des locustelles tache- tées, des torcols, des huppes, des tarins, des li- nottes, des sizerins, des bouvreuils ponceaux, des pics, des corbeaux-corneilles, des gélinottes. Dans les raquettes de la tendue de M. X., 9 moyens-ducs ont été capturés en un instant. On a également relevé dans des raquettes ou dans des lacets, des souris, des belettes, des couleuvres, des grenouilles vertes, des chauves-souris, des pu- tois, des écureuils, des hérissons, des levrauts ; ils s’y sont trouvés, il est vrai, en très-petit nombre. 22 OISEAUX DE PASSAGE De la statistique qui précède, il résulte donc déjà : r Qu’il y a en ce moment moinsd’oiseauxqu’au- t refoi s ; 2° Que l’on prend aux tendues des o iseaux gibiers etdes oiseaux sédentaires ; 3° Que les petits oiseaux, et surtout les petits in- sectivores, forment les deux tiers, les trois quarts et même quelquefois les neuf dixièmes des oiseaux capturés. 111. Avantages de la tendue. Le but principal de la tendue, et même le but unique pour quelques [chasseurs, est la possession de la chair de l’oiseau. Il importe donc d^être fixé sur le poids de ces animaux. Ces renseignements sont surtout utiles pour les consommateurs qui les achètent. Ils paient actuellement de 1 fr. 25 c. à 1 fr. 30 c. la douzaine de rouges-gorges qui, en 1832, se ven- dait 30, 35 et 40 centimes. Les chiffres que je vais produire, ainsi que d'au- tres du même genre qui se trouvent dans cette étude, résultent d’analyses que j’ai faites très-exactement. Cependantje ne les donne pas comme indiscutables, parce que, pour établir un maximum, un mini- mum et une moyenne relatifs à chaque espèce d’oi- seaux de nos pays, il faudrait faire des milliers de pesages. ET TENDUES. 23 POIDS NET d’oiseaux PLUMÉS, VIDÉS ET DÉSOSSÉS, PRIS DANS LA RÉGION DE SAINT-DIZIER. NOMS DES OISEAUX roiDS de la chair. Engoulevent gi’- 35 85 Gobe-rnouches gris 7 50 Gobe-mouches à collier. 5 80 Gobe-mouches noir 6 80 Pipit des arbres 11 65 Traquet tarier 8 15 Traquet rubicole 7 35 Troglodyte d’Europe 4 Roitelet huppé 2 62 Roitelet triple bandeau, . 2 Mésange charbonnière.. . 7 75 Mésange noire 3 70 Mésange bleue 3 75 Mésange nonnette 4 55 Mésange à longue queue 3 85 Pouillot fitis 4 50 Pouillot véloce 4 Pouillot siffleur 4 10 Accenteur mouchet 10 75 Fauvette à tête noire . . . 7 10 Fauvette des jardins 12 60 Fauvette babillarde 5 80 Fauvette grisette 7 70 Hippolaïs ictérine 9 25 Hippolaïs polyglotte 5 30 Rüusserolle-effervatte. . . 5 40 Locustelle tachetée 6 70 Rouge-gorge 7 30 Gorge-bleue 13 65 Rouge-queue tithys 8 90 Rossignol de muraille... 9 Rossignol 11 40 Grimpereau 3 40 Sittelle torchepot 11 50 NOMS DES OISEAUX POIDS de la chair. Torcol gr- 26 40 Pic-épeichette 10 Pic-épeiche 36 Pic-vert 105 Huppe 41 j Coucou 71 ! Merle noir 56 Grive chanteuse 39 60 Grive mauvis 41 70 Grive draine 69 20 Grive litorne 68 50 Moineau friquet 12 80 Bruant jaune 15 Pinson ordinaire 11 60 Pinson d’Ardennes 8 96 Chardonneret 6 50 Tarin 7 50 Linotte vulgaire 8 Sizerin cabaret 4 80 Verdier 15 Bouvreuil vulgaire 10 40 Bouvreuil ponceau 9 65 Gros-bec 35 65 Martin-pêcheur 20 12 Pie-grièche grise 33 60 Pie-grièche écorcheur. . . 15 10 Geai .80 ■ Pie 140 Corbeau-corneille • 220 If Grand-ramier ■ 257 Tourterelle 115 I Perdrix grise ‘ 219 80 Faucon cresserelle ' 171 Buse vulgaire • 363 24 OISEAUX DE PASSAGE Tel est le poids de la chair d’oiseaux qu’à ma connaissance on a pris en plus ou moins grand nom- bre aux tendues. Pour les amateurs qui ne vident pas les petits oi- seaux, le poids est un peu moins insignifiant, mais il n’est jamais assez considérable pour justifier ce genre de chasse exceptionnelle. 11 faut, d’ailleurs, pour compter juste, déduire de la valeur brute de la viande tous les frais de cons- truction et d^entretien de la tendue, de la prépara- tion des oiseaux. Par exemple, on ne fait que 100 raquettes en cou- drier par jour, on n’en fabrique que 50 avec res- sort en fil de fer. Pour plumer et vider une douzaine d’oiseaux, il faut au moins une heure. Les chiffres que j’ai livrés à l’attention du lecteur restent donc avec toute leur éloquence. Les défenseurs de ce genre de chasse font valoir que les tendues sont l’occasion de promenades agréables et surtout excellentes pour la santé, qu’elles développent et entretiennent, surtout chez les enfants, l’énergie, la vigilance, l’adresse, les goûts militaires . Comme nous le verrons plus loin, ces allégations ne sont pas sans ré- plique. ET TENDUES. 2o IV. Conséquences malheureuses de la tendue. AL POINT DE VUE DES OISEAUX SÉDENTAIRES. Le poids de la chair des petits oiseaux étant si peu considérable , on voit qu’une tendue n’est avantageuse qu’à la condition d’en détruire beau- coup. Or, s’ils nous sont nécessaires comme travail- leurs ou comme artistes, si la destruction que l’on en fait est excessive, au point de nous priver d’avan- tages incomparablement plus grands que celui de leur chair, il est évidemment de l’intérêt général de supprimer ce genre de chasse. L’observation démontre que la plupart des oi- seaux pris dans les tendues des bois sont nécessaires àla conservation et au développement de larichesse publique, et que nous trouvons beaucoup d’autres avantages à les laisser vivre. La loi l’a reconnu pour les oiseaux sédentaires, et cependant ce sont eux qu’on prend les premiers aux tendues. Quand cette chassecommence, les oiseaux qui ont vécu paisiblement dans leur résidence habi- tuelle vont, sans défiance, se percher sur les ra- quettes aussitôt qu’elles sont installées. On y détruit aussi bien et mieux encore les oi- seaux de jardins. Pour la plupartde nos oiseaux sédentaires, l’heure du départ arrive également bientôt; alors ils se met- tent en marche pour le Midi ; ils deviennent ainsi des 26 OISEAUX DE PASSAGE oiseaux de passage et cessent de jouir de la protec- tion de la loi. Il leur suffit quelquefois de changer de territoire pour franchir la limite d’un départe- ment. Au 29 septembre 1871, j’avais encore dans mon jardin des fauvettes à tête noire qui, grâce à ma protection, avaient pu travailler et orner ma de- meure depuis le 31 mars, jour de leur arrivée. Aussitôt leur départ , ces chers oiseaux ayant quelques raisons de croire que tous les perchoirs des bois et bosquets sont aussi inoffensifs que ceux de mon jardin, auront été tête baissée se jeter dans un piège. De même, et c’est là un fait très-curieux au point de vue scientifique, au moyen d’un nid artificiel, en 1869, j’ai attiré dans mon jardin deux mésanges bleues. Elles ont, chaque année, fait deux couvées et n’ont pas émigré. En hiver, pendant les grandes gelées de 1870 et 1871, elles venaient plusieurs fois par semaine visiter leur nid. Assurément, pendant leurs excursions, elles auraient pu être prises aux raquettes. Ne conviendrait- il pas que les chasseurs des pays voisins, et surtout ceux du Midi, per- missent aux ouvriers ailés que j’ai, en quelque sorte, élevés, de venir reprendre leur tâche au prin- temps? Il est bon qu’on sache, en effet, que l’oiseau revient s’établir là où il a déjà niché, si rien d’ex- traordinaire ne s’y est passé, si la maison de Ehi- rondelle n’est pas brûlée, si le bois n’est pas défri- ché, l’étang desséché, le champ planté, si, en un mot, les conditions de vie ne sont pas radicale- ment changées. ET TENDUES. 27 T AU POINT DE VUE DE l’OISEAU DE PASSAGE. D’après la loi, il semblerait que l’oiseau de pas- sage ne rend pas de services : c’est une très-grave erreur. D’abord, aussitôt Télevage terminé, les petits s’éloignent de la résidence maternelle et vont jusqu’au moment des migrations explorer le voisi- nage. Les travaux qu’ils accomplissent sont complétés par les oiseaux de passage. Ces derniers sont, en effet, dans ces cas-là, des ré- gulateurs de l’élimination. Ce qui prouve qu’ils rendent de grands services, c’est que, bien qu’ils soient très-nombreux, ils sont extrêmement gras. Ils arrivent en automne, non-seulement pour éli- miner ce qu’il y a de surabondant parmi les végé- taux et les animaux, mais surtout pour tempé- rer l’action des agents chargés de la décomposition des corps. Or, ne serait-il pas juste que les propriétés que doit traverser l’oiseau quittant dans le Nord son do- micile d’été, pour aller pendant l’iiiver stationner et résider dans le Midi, profitassent également des travaux des oiseaux de passage , par analogie de ce que, conformément à l’article 644 du code ci- vil , celui dont l’héritage est traversé par une eau courante peut en user, mais à la condition de la rendre à la sortie de ses fonds à son cours or- dinaire ? Enfin, même relativement aux pays dans lesquels 28 OISEAUX DE PASSAGE nos oiseaux de passage sont sédentaires, nous ne sommes pas aussi désintéressés qu’on pourrait le croire. 11 existe une certaine solidarité d’intérêt entre tous les habitants d’une même région du conti- nent;, solidarité que les divisions de territoire et de propriété laissent subsister. Quand les bois du Nord manquent, nous les payons plus cher. Quand le Midi de la France et TAfrique n’ont pas des produits abondants, nous en ressentons le contre- coup. De plus, les insectes qui se sont multipliés d’une manière anormale dans une contrée, émigrent sou- vent dans une autre. Ces émigrations ne se portent pas en un jour à de grandes distances, mais par leur marche progressive elles finissent par s’éten- dre d’une commune à une autre, de canton à canton^, de département à département. C’est ainsi que le coccus, insecte mycroscopique, finit par envahir la plupart des arbres du Midi de la France. Pour qu’on puisse juger de l’importance des oi- seaux de passage dans les bois, je produis des états que j’ai dressés en t872 et 1873 d’après mes observa- tions pour la région de Saint-Dizier. ET TENDUES. 21) NOMS DES OISEAUX ARRIVÉE du premier FIN DÜ passuge COMMENCEMENT du passage DÉPART du dernier Engoulevent ler mai 15 septembre Gobe-mouches gris 27 avril 18 septembre Gobe-mouches h collier. . 29 avril 25 septembre Gobe-mouches noir 25 avril 2 octobre Pipit des arbres 12 avril 25 octobre Traquet tarier 8 mars 15 octobre Traquet rubicole 6 mars 18 octobre Roitelet huppé 17 avril 9 octobre Roitelet triple bandeau . 11 avril 1er octobre Mésange charbonnière . . Septembre et octobre Mésange noire. Août et septembre Mésange bleue Septembre et octobre Mésange à longue queue. Septembre et octobre, les blanches vers le 25 oct. Pouillot fitis 20 mars 1er septembre Pouillot véloce 18 mars 30 septembre Pouillot siffleur 19 mars En septembre Accenteur mouchet 2 octobre Fauvette à tête noire. . . 31 mars 29 septembre Fauvette des jardins 15 avril 25 septembre Fauvette babillarde 19 avril 5 septembre Fauvette griselte 11 avril 15 septembre Hippolaïs ictérine 26 avril 5 septembre Rousserolle-efTarvalte. . . 16 avril 29 septembre Locustelle tachetée 20 avril 25 août Rouge-gorge Septembre et octobre Rouge-queue Du 10 sept, au 10 oct. Rossignol 12 avril Du 12 sept, au 12 oct. Torcol 14 avril 15 septembre Pic-épeichette Du 20 sept, au 1er oct. Huppe 2 avril 15 septembre Coucou 3 avril 15 août Merle noir 1er décembre Grive chanteuse 16 janvier 25 novembre Grive mauvis 1er octobre Grive draine- 25 février 4 octobre Grive litorne 20 avril 16 octobre Pinson d’Ardennes l®r avril 24 septembre Tarin 1er mars 1er octobre Sizerin cabaret le^mars 1er octobre Tourterelle 22 avril 11 octobre. 30 OISEAUX DE PASSAGE En examinant ce tableau, on peut voir que certai- nes espèces d’oiseaux de passage nous fournissent plus de journées de travail que quelques espèces de nos oiseaux sédentaires , que le plus sou- vent elles nous en donnent un grand nombre, tandis que nos oiseaux sédentaires travaillent souvent très-longtemps au dehors de notre ré- gion. 3° DOMMAGES OCCASIONNÉS DANS LES FORÊTS, PRÈS DES HABITATIONS, SUR LES RIVES DES EAUX ET DANS LES PLAINES , PAR LA DESTRUCTION DES OISEAUX DES BOIS. Quand les oiseaux sédentaires et de passage ne sont pas assez nombreux pour compléter leur tâche, il en résulte des dommages très-grands dans les bois. Cela ne frappe pas les yeux et l’esprit de tous, parce que ces dommages se produisent à longue échéance; ainsi, souvent un beau chêne devient sans valeur, parce que, 5, 10, 20, 30 ans avant, il a été attaqué par les insectes sans qu’on ait pu s’en apercevoir. La diminution excessive des oiseaux, qui a été remarquée dans ces derniers temps, pourra bien être pour un avenir prochain une cause de dé- sastres sur lesquels nous n’aurons plus alors qu’à gémir. Actuellement déjà, il se produit dans les forêts des dommages que chacun peut constater, et beau- coup d’entre eux ont eu pour cause au moins par- tielle l’insuffisance des oiseaux. Tels sont les places dénudées, le bois mort, des variétés de chablis, les ET TENDÜES. 3i chênes sans feuilles, dépérissant, décoiironnés ou rongés au pied. Depuis une yingtaine d’années, nous n’a^ons plus que de loin en loin les glands et les faînes en abondance. La destruction excessive des oiseaux serviteurs des bois a des conséquences bien autrement éten- dues. Ce sont les bois qui fournissent le plus grand nombre des oiseaux nécessaires aux habitations, aux jardins, aux rives des eaux et même à la plaine, et à ce titre ces sylvains se trouvent être d’une uti- lité générale, car ils fournissent un contingent annuel et très-considérable, qui va nicher dans ces divers lieux. De plus, et surtout au moment des grandes mi- grations, nous voyons apparaître dans les petits bois, dans les jardins, les mésanges, les pinsons, les fauvettes, les roitelets, surtout quand leurs congénères n’ont pu y nicher ; dans les vignes, après les vendanges, les pies, les tourterelles ; dans la plaine, après les moissonneurs, les tourterelles, les linottes, les moineaux domestiques, les char- donnerets, les étourneaux, les corbeaux. Aussi il est à remarquer que les espèces d’oi- seaux proprement dits de plaine ne sont pas nom- breuses, et qu^elles se complètent parle contingent d’oiseaux qui leur vient des bois. Supposons que les forêts de France soient défri- chées, ou, ce qui revient au même, que le nombre des sylvains ait subi une très-notable diminution, il en résulterait des conséquences malheureuses, même en dehors des forêts, notamment sur les arbres fruitiers. 82 OISEAUX DE PASSAGE 11 est à remarquer que les comices agricoles, dans ces derniers temps, n’ont pas cessé de se ]daindre de l’envaliissement des insectes et des désastres dont ils sont la cause. L’utilité des sylvains par rapport à la plaine se démontre encore autrement. Dans tous les bois, il y a des herbages dont vixent les insectes de la plaine et qui les attirent. Les insectes ailés des bois font souvent des excur- sions dans les champs, les insectes des champs viennent très-souvent confier leurs œufs aux lisiè- res des forêts, aux bosquets, aux arbres, aux haies. Ces œufs y trouvent à la fois un abri et, aux premiers rayons du soleil, une chaleur concentrée, et ils sont moins exposés que ceux qui sont déposés dans la plaine si souvent parcourue par le laboureur et son bétail. Il en résulte que beaucoup de sylvains n’ont pas de déplacement à faire pour les détruire. De plus, les oiseaux de passage aiment à stationner aux lisières des forêts et dans les bosquets pour réparer leurs forces et se préparer à de nouvelles fatigues. C’est là surtout que les tendues sont éta- blies ; c’est logique pour les chasseurs, mais peu consolant pour l’agriculteur. A'' PROPORTION DES PERTES OCCASIONNÉES PAR LA DES- TRUCTION DES PETITS INSECTIVORES. IMPOSSIBILITÉ d’y remédier. C’est bien à tort que les tendeurs disent que les travaux des oiseaux sont insignifiants. L’oiseau ser- viteur a, dans le mouvement des forces de la pro- duction, le rôle que remplissent le frein et l’ai- ET TENDUES. 33 giiillon par rapport à l’animal de trait, le compen- sateur, le régulateur dans les machines ; pourquoi prétendre être plus sage que Dieu et vouloir faire d’un frein un moteur principal ? D’ailleurs, en observant, on voit que l’oiseau est un frein et un aiguillon, un régulateur d"une puis- sance relativement très-grande, et cela est vrai, surtout des sylvains et des petits oiseaux qu’on prend dans les tendues. De la coïncidence remarquée entre la diminution des oiseaux et l’augmentation des insectes^ on a conclu qu’en cela il y avait une relation de cause à effet. De la spécialité des diverses espèces d’élimina- teurs, et surtout de la spécialité si remarquable des oiseaux, on a conclu facilement aussi que le vide produit par leur absence ne pouvait être com- blé, et que la destruction de ce moteur ailé ame- nait fatalement de graves perturbations dans le mouvement des forces végétales. En ce qui concerne les sylvains, et surtout les plus petits d’entre eux, ajoutons quelques faits et observations qui démontreront suffisamment que le rôle de ces oiseaux est loin d’être insignifiant, que même il est très-considérable, et qu’en raison de leurs aptitudes particulières iis ne peuvent être remplacés. Les petits insectivores ont pour mission surtout de rechercher les petits insectes, leurs œufs, et aussi les œufs des plus gros, qui en très-grand nombre sont disséminés et cachés sur les branches touffues des buissons et sur les écorces des arbres, dans les herbages qui couvrent la surface du sol, par consé- OISEyVUX DE PASSAGE (jueiit dans les lieux d’un accès difficile, souvent très-sombres, surtout au moment principal des re- pas, le matin et le soir. J’ai pu calculer qu’une mésange bleue avait fait en une journée d’été 23 kilom. ; chacun a pu cons- tater, en effet, que cet oiseau et beaucoup d’autres de la même taille sont sans cesse en mouvement. C’est à peine si le roitelet laisse au chasseur le temps de le viser ; aussi n’est-il pas étonnant que les au- teurs aient donné à ces petits oiseaux le nom géné- rique de passereaux (1). Les déplacements si multipliés des petits passe- reaux sont nécessaires, parce que ces petits oiseaux, chargés de l’élimination des infiniment petits, ont besoin, pour se mettre à la recherche de leur proie, de passer sans cesse d’un observatoire à l’autre. Leurs yeux ont la pénétration du microscope ; mais pour découvrir dans les herbages, dans les mousses, dans les crevasses du bois et de la terre, un œuf de mouche ou de puceron, il leur faut les braquer constamment et dans toutes les directions. Les pe- tits passereaux peuvent d’ailleurs se transporter sur le roseau ou l’arbuste des marais sans nacelle, tra- verser une rivière sans pont, monter sur un arbre sans échelle, gagner l’extrémité des plus petites branches sans échafauds, traverser un massif sans tunnel, aller très-vite sans chemin de fer, pratiquer toutes les éliminations nécessaires sans l’outillage (1) D’après mon savant ami M. Vincelot {Les noms des oiseaux expliqués par leurs mœurs, p. 132), le mol passereau, comme le latin passerulus (Pline), est le diminutif de passer, passeris, il a la même racine que passus (pas), d’où est venu le verbe de la basse lati- nité, passare (passer), signifiant aller d’un ondroit à un autre sans s’y lixer longtemps. ET TENDUES, 35 si varié, si compliqué de l’industrie humaine, c’est- à-dire, se transporter toujours et très-vite là où l’élimination a besoin d’un complément de forces, inspecter en une journée un ou plusieurs terri- toires. Comment le tendeur pourra-t-il remplacer un agent si spécialement, si merveilleusement orga- nisé ? Malgré la difficulté du métier, les petits passereaux trouventmoyen de faire des insectes une destruction bien étonnante. D’après Gloger [De la nécessité de pi'otéger les animaux utiles, p. 43, 44), la mésange bleue ne détruit pas moins de 200,000 insectes en une année. Cette appréciation ne semble pas exagérée, car 20,000 œufs de papillon de grandeur moyenne ne pèsent que 16 grammes, et 20^000 œufs de puceron n’en pèsent pas moitié. En hiver, il n’est pas rare que les œufs d’insectes figurent pour le sixième, le quart et même le tiers dans un repas de mé- sange, et cet oiseau a besoin chaque jour pour le moins de 8 grammes de nourriture. M. de la Blan- chère {Les Oiseaux utiles et les Oiseaux nuisibles^ p. 83) dit même que la mésange bleue mange par jour, d’après sa conduite en captivité, 15 grammes d’œufs de papillon. En ouvrant des estomacs de mésanges, j’ai cru reconnaître que ces chiffres donnés par des auteurs se rapprochaient beaucoup de la vérité. J’ai établi moi-même que deux de ces mésanges, en nourris- sant 10 petits, avaient détruit en une journée de 1,000 à 1,200 insectes, dont 400 chenilles. Le 18 mai 1870, à quatre heures du matin, je me suis installé 36 OISEAUX DE PASSAGE près d’un nid de cet oiseau, et j’y suis resté jus- qu’à 8 heures du soir ; de 4 h. 30 m. du matin jus- qu’à 7 11. 8 m. du soir, les père et mère ont fait 459 voyages. En moyenne chaque voyage, aller et re- tour, était de 100 mètres, ce qui donne un total de 45,900 mètres pour tous les voyages de la jour- née. C’est en tenant compte de ce que j’ai vu ce jour- là et de ce que j’ai constaté en d’autres circons- tances, que j’ai pu établir ce total de 1,000 à 1,200 insectes. 11 est donc très-vraisemblable que la mésange bleue détruit annuellement plus de 200,000 des rongeurs du règne végétal. Pour se faire une idée exacte des services qu’elle rend à l’agriculture, il faut tenir compte de l’innombrable progéniture qui était assurée à ces 200,000 insectes, et des ravages dont les hommes auraient eu à souffrir. M. Morren a calculé qu’un seul couple de puce- rons du printemps était la souche annuelle d’un quintillon d’individus {Dictionnaire universel dliis- toire naturelle^ au moi puceron, par Charles d’Orbi- gny). Il importe aussi de remarquer que la mésange bleue fait chaque année 2 pontes, la première de 10 œufs, du 6 au il mai ; la seconde de 8, du 19 mai au 15 juin, sauf quelques variations. Cette reproduction si remarquable s’explique non-seulement par l’immense fécondité des in- sectes que cet oiseau détruit, mais encore parce que lui-même est soumis à de nombreuses chances de destruction soit pendant la période des nids, soit pendant le reste de l’année. ET TENDUES. .37 Ces chiffres ne démontrent-ils j)as surabondam- ment combien cette mésange est un rouage essen- tiel dans le mécanisme de l’élimination ? La sittelle mange deux fois plus que la mésange bleue. Les rouges-gorges et les rouges-queues, que nous voyons sans cesse en obsei’vation et en chasse , c’est-à-dire en mouvement dans les buissons et dans les herbages, font également une très-impor- tante consommation des insectes, de leurs œufs et de leurs larves. C’est en effet sur le sol et à proxi- mité du sol que le plus grand nombre des insectes réside et opère ses éliminations, parce que là sont déposés les graines, et que la surface du sol est complètement occupée par les racines des plantes et des arbres. C’est là que le chêne est attaqué, quand il sort du gland pour devenir un baliveau, puis une futaie. Assurément les tendeurs n’ont jamais eu à leur disposition ces renseignements et d’autres du même genre ; ils n’ont jamais su que, pour manger 75" de mésange bleue, 7^" 30" de rouge-gorge, ils pou- vaient causer d’aussi graves préjudices aux plantes et aux arbres si nécessaires cependant à la vie hu- maine. Je les prie de s’inspirer de ces chiffres et de cal- culer combien de mal on a pu faire au moyen des tendues dont j’ai donné plus haut la statistique. On a pris en 1871 et 1872, dans 6 tendues, 3,239 insectivores, qui n’ont produit que le poids insigni- fiant et dérisoire de 22*" 743^" 85" de viande, et on a ainsi détruit 3,239 machines appelées à rendre notre vie matérielle moins difficile et moins coii- 38 OISEAUX DE PASSAGE teuse, et notre vie spirituelle et morale beaucoup plus agréable. 5" RÉPONSES A QUELQUES OBJECTIONS. Après cet exposé, il semble inutile de faire une plus longue critique des tendues, cependant il im- porte de ramener les tendeurs et les dénicheurs, sinon à l’admiration, du moins au respect de l’oi- seau et surtout des petits insectivores. Ajoutons donc quelques mots de réponse aux ob- jections qu’on a produites. On dit : il y a moins d’oiseaux qu’autrefois, mais cela ne vient pas des tendues. — Cependant, on ne trouve de l’intérêt à tendre que lorsqu’on prend beaucoup d’oiseaux ; on n’en épargne aucun de ceux qu’on peut atteindre, on donne aux déni- cheurs l’exemple d’une destruction qui n’est pas rationnelle. On détruit et on fait ainsi détruire un grand nombre d’oiseaux utiles. 11 faut d’autant moins agir de la sorte, qu31 existe d’autres causes de destruction moins connues et pour lesquelles il n’y a point de remèdes. Un tendeur dira au contraire : Je ne remarque pas que je prenne moins d’oiseaux que par le passé. Cela pourrait être, sans qu’on puisse en conclure qiUil y en a autant qu’autre foi s ; comme les hommes, les oiseaux ont des voies qu’ils fré- quentent plus que d’autres. Un tendeur intelligent s’est naturellement installé là où on a toujours remarqué des passages abon- dants. 11 peut y être très-favorisé, quoiqu’il y ait ailleurs pénurie d’oiseaux. bT TElNDUES. 30 Le propriétaire ({ui détruit beaucoup d’oiseaux dans son bois, soit en les prenant à la tendue, soit en tolérant le dénicbage, peut même n’être pas im- médiatement, victime de cette destruction, parce qu’en général, si l’oiseau niche où il a niché, et si lors des grandes migrations il passe dans les con- trées qu’il a déjà visitées, il va aussi nicher et il opère ses passages dans les lieux où il trouve les insectes très-abondants, et par suite la vie plus facile. Cette répartition des oiseaux sur tous les points de la terre au fur et à mesure des nécessités de l’élimi- nation fait que, quand ils ne sont plus assez nom- breux, le propriétaire qui a le plus contribué à leur destruction n’est pas puni dans la proportion de sa faute. Et n’est-ce pas là une raison, pour que ceux qui ne tendent pas demandent la suppression des tendues ? A ceux qui objectent que les tendues produisent au département de la Meuse une valeur de plusieurs millions, il faut répondre qu’ils se trompent. Si on faisait la statistique de toutes les tendues de la Meuse, on trouverait un total de grammes de viande insignifiant en comparaison des produits de la bou- cherie de cette région, et on constaterait, par la même occasion, que ce département, en détruisant par centaines de mille d’utiles éliminateurs, pro- duit un certain renchérissement de denrées de toute sorte dans la Meuse et même dans des pays très-éloignés de ce département. Aux tendues, dit-on, on prend des geais et autres animaux nuisibles. C’est déjà reconnaître implicite- ment que les autres oiseaux ne sont pas nuisibles. Pour être édifié à ce sujet, que l’on consulte les 40 OISEAUX DE PASSAGE tableaux de la page 19. J’ai dans mes cartons d’autres tableaux du même genre et qui les con- firment. Oui, on prend aux tendues des geais et quelques oiseaux de proie, précisément parce que ces oiseaux sont attirés, comme les braconniers, par l’appas d’un oiseau facile à prendre, mais ils sont en petit nombre, et en une pipée au fusil on détruirait autant de geais qu’on en prend pendant une saison à la tendue. ()" DES EFFETS DE LA TENDUE AU POINT DE VUE MORAL. Pour justifier les tendues, on a dit que cette chasse était un moyen de développer les forces, la vigilance, l’énergie des enfants, et qu’elle était une excellente préparation à la vie militaire. Dans ces assertions il y a du vrai, mais en cela comme toujours, il faut dire toute la vérité. Il existe beaucoup d’autres moyens de favoriser le développement des forces physiques et morales de l’enfance et de l’adolescence. Les tendeurs ne sont pas assurément ceux qui ont fourni le plus de héros et de grands capitaines. Au contraire, la tendue développe facilement de mauvais instincts ; n’est-ce pas prendre le contre- pied de la générosité et s’aventurer dans les voies d’une indifférence coupable et même de la cruaulc, que de s’habituer à voir souffrir de charmants [)C- tifs êtres et n ême à causer leurs souffrances ? Le tendeur qui a pris 1,000 oiseaux, leur a fait subir les supplices de l’agonie pendant plusieurs milliers ET TENDUES. 41 d’iieures avant de leur tordre le cou ou de leur écra- ser le cœur, ce qui est très-contraire à l’esprit de la loi dite de Grammont. Il ne faut pas oublier non plus que l’enseignement le plus universel et le plus pénétrant est celui de l’exemple. Or^quel est l’enseignement principal que donne le tendeur? Voici ce que d’une manière pratique il dit: Tous les oiseaux, même les plus jolis, les meilleurs chanteurs, ceux qui rendent d’immenses services par leurs travaux, sont surtout créés pour servir de nourriture. Donc la tendue, malgré ses répugnances pour les âmes trop sensibles, ne peut être illicite pour qui l’exerce sur sa propriété. 11 est à remarquer que la tendue prend sans pitié tous les oiseaux. Cette théorie est d’une morale trop facile pour ne pas être acclamée par tous ceux qui, pour une rai- son quelconque, se sentent portés à capturer les oi- seaux. Leur conscience est allégée par l’exemple de ceux qui, par la richesse de leurs propriétés forestières, la renommée de leur chasse, jouissent d’une certaine considération ; il n’y a plus qu’une question de garde ou de gendarme. Pasvu,pasp7'is, cette formule vulgaire devient la limite du droite, et il arrive que l’enfant de l’ouvrier va dénicher les jeunes oiseaux et même prendre les mères au piège pendant l’incubation. Plus tard il fait des tendues volantes , il glisse dans le braconnage, l’allié naturel du vice et du crime. La tendue est donc très-proche parente du dénichage, souvent sa mère ; c’est une occasion grave d’infractions continuelles au droit naturel et au droit posilit. 42 OISEAUX DE PASSAGE Ces faits sont très-connus de ceux qui habitent des pays de bois ; or, les propriétaires de ces bois ne sont-ils pas intéressés |)lus que d’autres à ne les autoriser d’aucune façon ? N’est-il pas juste qu’ils donnent l’exemple du respect des oiseaux serviteurs, s’ils veulent que le pauvre les respecte? C’est au respect traditionnel de l’hirondelle que nous devons l’élimination si profitable et si [irodigieuse des insectes ailés. 7" LES OISEAUX NOUS CONVIENT AUX ENSEIGNEMENTS ET AUX NOBLES JOIES QUE l’ON TROUVE DANS LA CONTEMPLATION DU BEAU. Je li’ai guère parlé de l’oiseau qu’au point de vue matériel. Je serais incomplet, assurément, si je ne m’étendais davantage sur son importance morale. Qu’on me permette donc de reproduire à ce sujet quelques pages d’un livre que j’ai publié en 1872. Dieu merci, nous ne vivons pas seulement de pain et des autres productions de la terre, de tout ce qui se cote à la Bourse et au marché. La vie matérielle n’est qu’un moyen pour notre vie intellectuelle, et nous avons une soif insatiable du beau, du vrai et du bien. Rien ne nous arrête quand il s’agit de chercher les joies de l’esprit et du cœur : les beaux-arts ont toujours tenu une grande place chez les peuples civilisés ; mais est-il rien de comparable au beau de la nature ? Les chefs- d’œuvre des artistes sont aux sublimités de l’uni- vers ce que l’homme est à son Créateur. Comment, en entrevoyant (|iiel(iues-unes de ces ET TENDUES. 43 liannoiiies du monde des oiseaux, ne pas se sentir profondément ému et saisi d’admiration et d’a- mour? N’est-ce pas merveilleux que, sous les apparences de la liberté ou même du caprice, les oiseaux for- ment les rouages d’une immense et bienfaisante machine qui englobe notre monde, que certains de ces rouages fonctionnent souvent en quelques jours sur un espace de plusieurs centaines de lieues^ avec une régularité et une grâce parfaites, selon les desseins du Créateur ? Malgré ses nombreuses et élégantes évolutions, l’iiirondelle va, en huit jours, d’Angleterre en Guinée ! Dans l’exposé qui précède, combien de fois n’avons- nous pas eu l’occasion d’admirer le rôle si remar- ([uable de l’oiseau dans les grandes harmonies de l’élimination? A d’autres points de vue, il n’est pas moins digne d’attention. 11 est un chef-d’œuvre de mécanique, la plus ad- mirable des machines agricoles, le modèle des ma- chines de locomotion aquatique et probablement aérienne. Aussi les palmipèdes ont donné l’idée de la rame, les nageurs et les plongeurs ont servi de modèle pour la construction et la décoration des navires. Les formes des oiseaux sont toujours complète- ment en rapport avec leur spécialité de travailleurs, ot elles ont toutes la beauté et la grâce que compor- tent ces formes. Les harmonies organiques ne sont pas moins remarquables dans les détails que dans l’ensemble, peut en juger [>ar la beauté d’une plume. U OISEAUX DE PASSAGE Les couleurs des yeux, du bec, des pieds et surtout des plumes sont si merveilleusement combinées, qu’elles caractérisent distinctement et embellissent chacune des milliers d’espèces connues, d'après son sexe, son âge et les sai- sons. Les plumages gris qui ont été départis au plus grand nombre dans nos pays tempérés, ont eux- mêmes reçu des nuances et des variétés de dessins qui leur donnent un cachet particulier. Il est d’ail- leurs beaucoup d’oiseaux, surtout dans les pays chauds, qui, comme le.s papillons et les minéraux, ont été dotés des plus riches couleurs, et ils ont souvent fourni des [>arures aux femmes et aux guerriers. Beaucoup d’entre les oiseaux sont de véritables musiciens. Toujours et partout, ils prodiguent leurs concerts : ils les donnent à ceux (|ui sont dé- shérités des joies du monde etdes délicatesses de la musique du Conservatoire. Les oiseaux de nos contrées possèdent dans leur voix plus de timbres divers que les plus grands or- chestres. Ils se jouent des commas de notre gamme, eC dans la libre carrière qu’ils parcourent, ils trouvent des hardiesses originales qui ne produisent jamais rien de discordant pour l’harmonie; ils abordent une bonne partie de notre échelle des sons, et ils ont ainsi à leur façon des ténors, des barytons, des basses. La plupart font, dans les ensembles, des parties d’accompagnement; ils composent un fonds d’har- monie qui s’enrichit constamment de solos donnés ET TENDUES. 45 par l’alouette, le pouillot, l’iiippolaïs, la fauvette, le rouge-gorge, le troglodyte et surtout le rossignol. Tous leurs accents sont empreints d’entrain et de gaieté. Il en résulte des psalmodies pleines de vie et de chaleur, une harmonie variée, de délicates et bruyan- tes ariettes. Cette musique est si expressive qu’on lui a donné le nom de chant. Or, les chants des oiseaux ne sont-ils pas des actes de reconnaissance et d’espérance, et, pour les hom- mes, une invitation à la prière? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils n’éveillent aucune mauvaise idée, aucun mauvais sentiment, et qu’ils sont l’expression des joies pures que nous trouvons dans toutes les harmonies de la na- ture. Le chant des oiseaux est un Te Deum qui s’élève de tous les points de la campagne et des bois. La beauté qui, sous tant de formes, leur a été pro- diguée, sera toujours pourles poëtesune inépuisable mine. Quels attraits n’ont pas la tendre sollicitude de la couveuse, de la mère pour ses petits, les touchantes unionsde presque toutes nosespèces, les affectueuses démonstrations de l’oiseau apprivoisé, la majesté de l’aigle, la noble gravité du duc, la magnificence du paon, l’aimable pétulance des passereaux, la grâce de la fauvette, l’élégance de la bergeronnette, le vol on- dulé de l’hirondelle, la course légère etrapide du che- valieiy l’imposante navigation du cigne, les nuances variéesdesplumages,sui’toutsousleslivréesduprin- 40 OISEAUX DE PASSAGE temps, le blanc lustré tUi grèbe, les éclatantes cou- leurs du chardonneret, le plastron pourpré du bou- vreuil, le manfeau vert du martin-pêcheur, la robe dorée du loriot, la couronne du roitelet, l’hymne de l’alouette, le cbantéclatant du serin, du chardonneret et de la linote, l’air brillant de la grive, les sons de voix filés et les douces mélodies de la fauvette, le chant si varié, si harmonieux et si étendu du rossi- gnol, l’intéressante construction des nids, la légè- reté et la grâce de ces berceaux, le riche coloris de l’œuf? A combien d’agréables rêvei ies n’ont pas donné lieu tous ces joyaux des parures de la nature? Par- tout et toujours elles ont surexcité l’imagination des poètes et des peuples. 11 en est résulté pour l’histoire naturelle une surcharge de contes les plus fantastiques. De là rinvention du phénix, qui renaissait de ses cendres ; de la harpie, qui avait une belle tête de femme et un corps d’oiseau de proie, etc. La science héraldique a aussi trouvé que les oiseaux, malgré leurs variétés, ne suffisaient pas aux nécessités de son langage et de ses insignes symboliques ; elle les a modifiés et même de- figurés, de telle sorte qu’il faut les étudier souvent plus dans l’histoire du blason que dans l’histoire naturelle. Assurément donc, l’oiseau est bien admirable, et cependant il n’a que l’ombre de la liberté; il est comme un simple, mais magnifique instrument entre les mains de Dieu. Le rossignol chante toujours le même air; toujours les chardonnerets ont fait le même nid; les migra- KT TENDUES. 47 ' lions doul)los ot périodiques de chaque année n’ont pas Tarie d’une manière sensible. lééliide de l’oiseau nous mène donc directement à Dieu, et son vol rapide dans les hautes régions de l’air attire notre regard et nos pensées vers le ciel. Cet être si admirable est tout à la fois un artiste et un professeur; si Dieu n’avait pas voulu qu’il en fut ainsi, il aurait pu lui donner le mutisme de l’in- secte et la laideur de la chauve-souris. 11 a donc été créé pour nous convier auxjoies de l’esprit et du cœur, pour exciter notre foi et nos e pérances, en développant le sentiment du beau, du vrai, du bien. 48 OISEAHX DE PASSAGE CONCLUSION. Ü’abord, et ainsi que nous l’avons dit, un Conseil général ne peut avoir la prétention d’imposer son avis. Le préfet a, malgré cet avis, qui n’est que con- sultatif, le droit de ne pas autoriser les tendues. Il appartient surtout au ministre de l’intérieur de consulter les conseils généraux et les autres auto- rités compétentes d’une région entière et de recom- mander aux préfets les mesures qui lui paraissent les [)lus utiles à l’intérêt général. A notre époque et dans nos régions, il semble évident qu’il n’y a plus assez d’oiseaux et surtout de petits insectivores. Il est nécessaire d’empêcher, non-seulement de tendre, mais même de prendre, de tuer au fusil, d’exposer en vente, de vendre, d’acheter, de trans- porter ou de colporter les petits oiseaux insecti- vores que le préfet désignerait sous le nom d’oi- seaux utiles. En fait, cette dernière défense n’imposerait pas de grandes privations aux chasseurs, car un petit insectivore ne vaut pas un coup de poudre et de plomb. Elle aurait surtout pour résultat d’empê- cher les fraudes des tendeurs. L’Assemblée législative pourrait en cela complé- ter les pouvoirs du ministre et des préfets. Il importe aussi que des règlements internatio- naux viennent sauvegarder ces principes. ET TENÜÜES. il) A tout prix le dénicliage doit être défendu et em- pêché. Enfin, les lois de répression ne seront efficaces qu’autant que l’enseignement des écoles et des familles démontrera jusqu’à l’évidence l’utilité des oiseaux serviteurs. FL\ DE LA PREMIÈRE PARTIE. 1 dexjxikme: paiitie [Méitioire de 187tî) INTRODUCTION Depuis quelque temps les questions qui se rat- tachent à l’utilité des oiseaux ont été souvent mises à Tordre du jour dans les comices agricoles, dans quelques conseils généraux et dans les assemblées législatives, et il a été reconnu que la société devait intervenir de manière à protéger efficacement le [)lus grand nombre de leurs espèces. Le 27 juin 1861, un très-remarquable rapport a été présenté au Sénat par M. Bonjean, depuis Tune des nobles victimes de la Commune. Il était Torgane de la deuxième commission, chargée d’examiner diverses pétitions demandant l’introduction de mesures sévères pour la conser- vation des oiseaux qui détruisent les insectes nui- sibles à l'agriculture, et le Sénat a prononcé le renvoi de ce rapport au Ministre de l’agriculture, du commerce et des travaux publics. L’intervention du pouvoir n’ayant pas eu l’effica- cité désirable, de nouvelles pétitions ont été en- voyées à l’Assemblée nationale. De là un nouveau rapport présenté par M. Ducuing, le 7 février 1874, 52 OISEAUX DE PASSAGE et un nouveau renvoi aux Ministres de l’agriculture et de l’intérieur. Pour donner satisfaction à la chambre, M. le Mi- nistre de l’intérieur prit des mesures nouvelles et écrivit la lettre suivante à son collègue des finances, le 10 août 1874 : (( Monsieur le Ministre et cher collègue, « Des plaintes nombreuses s’étant produites dans beaucoup de départements au sujet de la dispa- rition croissante des petits oiseaux, j’ai invité récemment MM. les Préfets à rechercher, de concert avec les chambres consultatives d’agriculture, les moyens de remédier à un mal, que le rapporteur de la loi du 24 janvier dernier sur la police de la chasse, qualifiait un fait déplorable pour ï agri- culture. « Il résulte de la plupart des rapports qui me sont parvenus à ce sujet que la disparition des oiseaux doit être attribuée au dénicliage des jeunes oiseaux et des œufs, ainsi qu’à la prise ou à la destruction des oiseaux en général, au moyen de pièges de toute sorte, malgré les prohibitions édictées dans les arrêtés émanant des préfets ou des maires ; on a constaté, en même temps, que les agents chargés de la police de la chasse, tels que les gendarmes, les gardes forestiers et les gardes champêtres, né- gligent dans beaucoup de localités (notamment dans les départements du midi, du nord et de l’est), de relever les infractions aux règlements pris en vertu de la loi du 3 mai 1844. « J’ai déjà recommandé à MM. les Préfets de pres- crire un redoublement de surveillance pour arriver ET TENDUES. 53 à mettre un terme au braconnage qui détruit le gibier proprement dit, ainsi qu’aux déprédations commises par les enfants, qui sont également très- regrettables au point de vue de l’agriculture ; mais j’ai pensé qu’en appelant votre attention sur cette question, dont vous apprécierez toute l’importance, vous voudrez bien me donner votre concours en adressant une instruction spéciale à MM. les Con- servateurs des arrondissements forestiers, pour qu’à l’avenir les agents placés sous leurs ordres prêtent un concours très-actif pour assurer la répression de toute infraction aux dispositions lé- gales ou réglementaires qui ont pour objet la con- servation des oiseaux utiles à l’agriculture. « Je vous serai obligé de me faire connaître la suite que vous aurez bien voulu donner à la présente communication. « Agréez, Monsieur le Ministre, etc. « Le Ministre de l’intérieur, « Signé : général de Chabaud la Tour A la suite de cette lettre, M. le Ministre des finances s’est lui-même adressé à MM. les Con- servateurs des forêts et leur a demandé leur con- cours pour empêcher la destruction excessive des oiseaux, ainsi que le constate la lettre suivante en date du 15 septembre 1874 : « Monsieur le Conservateur, « Je vous transmets ci-joint copie d’une dépêche que M. le Ministre de l’intérieur a adressée, le 10 août dernier, à M. le ministre des fi- nances au sujet de mesures à prendre dans l’in- o4 OISEAUX DE PASSAGE térêt de la conservation des oiseaux utiles à Tagri- culture. « M. le Ministre exprime, dans cette dépêche, le désir de trouver chez les gardes forestiers un concours actif dans la constatation des infrac- tions aux règlements arrêtés à cet elfet en exécution de la loi du 3 mai 1814. (( L’article 11 de la loi précitée assimile les infrac- tions de l’espèce aux délits de chasse proprement dits ; les gardes négligeraient donc, en ne les rele- vant pas, un des devoirs qui leur sont imposés. « Je vous invite, en conséquence, à donner les instructions nécessaires aux agents placés sous vos ordres, afin qu’il soit donné satisfaction au désir de M. le Ministre de l’intérieur, et à tenir la main à leur exécution. « Vous m’informerez, le cas échéant, des diffi- cultés qui se produisent. (( Vous me rendrez compte des résultats obtenus à la fin de chaque année. « Recevez, Monsieur le Conservateur, l’assurance de mes sentiments de considération et d’atta- chement. (( Le directeur général des forêts. « Signé : Faré ». Après des actes de cette importance^ il était na- turel de penser que tout allait être mis en œuvre pour empêcher la destruction abusive des oiseaux. On a donc lieu d’être péniblement étonné que quelques Préfets aient récemment pris des arrêtés contraires à l’esprit de ces prescriptions. Appelé par la nature de mes recherches sur les ET TEx\DUES. 55 oiseaux à étudier les questions de dénichage et de tendue, j’ai traité la première dans un ouvrage couronné par la Société centrale d’agriculture, ayant pour titre : Architecture des nids sous le titre de Tendues, fait sur la seconde une étude pu- bliée dans les Mémoires de T Académie de Reims et qui m’a valu un rappel de médaille d’argent de la Société protectrice des animaux de Paris, et de nom- breuses approbations d’ornithologistes, de comices agricoles et de sociétés savantes. Or, dans ce dernier écrit, j’ai démontré que la chasse des tendues était contraire à l’intérêt géné- ral et à Tesprit de notre législation. Depuis, je me suis enquis de savoir quelles ob- jections nouvelles on pouvait faire, et je n’en ai trouvé aucune qui ne puisse être aisément réfutée. Mes convictions demeurent entières. Pour essayer de les faire partager à tous, j’ajoute à ce que j’ai déjà avancé, quelques développements, des faits, et j’apporte des arguments nouveaux; ce complément ayant surtout pour objet la réhabilitation des oiseaux de passage^ je donne pour titre aux deux parties de mon étude : Oiseaux de passage et tendues. Les tendues détruisent sans profit pour l’ali- mentation les plus petits oiseaux insecti- vores. — Dommages qui en résultent. On désigne, sous le nom de piège, une machine qui sert à prendre les oiseaux par les pattes, et, par extension, on entend toute machine destinée à leur ravir la liberté. Les animaux ayant, à la différence des plantes que le botaniste saisit facilement, le privilège de se mouvoir, et ne pouvant vivre sans faire des dépla- cements continuels, les chasseurs ont d’abord cher- ché à connaître leur mode de locomotion et surtout les lieux où ils sont obligés de se rendre pour boire ou pour manger. Afin de s’en emparer, ils ont ensuite inventé des engins et des modes de chasse très-variés et appropriés à l’organisme et aux habitudes de chaque espèce. On attrape le cormoran, très-habile plongeur, en tendant des filets sous l’eau; les hirondelles également avec des filets, mais que l’on dresse à une certaine hauteur, comme sur les côtes de la Méditerranée, ou à ras de terre, comme dans les prairies de la Gironde; le canard, en plaçant des pièges à la surface de beau; le vanneau, avec des filets qui se meuvent sur des terrains humides et marécageux ; les perdrix, les alouettes et les bergeronnettes, au moyen de col- lets suspendus par une baguette à la surface de la 58 OISEAUX PE PASSAGE terre; et beaucouiude passereaux qui perchent, en convertissant un perchoir en un piège. Ce dernier mode de chasse se pratique dans les tendues au moyen de raquettes, de lacets et de gluaux. On nomme raquette un piège qui se détend quand un oiseau vient se poser sur un petit perchoir des- tiné à l’attirer et le faire prendre par les pattes ; ce perchoir est placé le plus souvent à 60 ou 80 centi- mètres au-dessus du sol. Le lacet à nœud coulant, tendu au moyen d’une branche flexible et faisant ressort, est un genre de raquette, pour laquelle un perchoir placé très-près de l’eau ou de la terre est encore une pièce prin- cipale. On se sert aussi, mais plus rarement, de lacets simplement suspendus soit à la surface du sol, soit à différentes hauteurs; on les nomme le plus sou- vent collets, parce que l’oiseau se prend par le cou. Enfin, les gluaux sont de petites baguettes de bois enduites de glu et fixées légèrement sur des branches, de manière à retenir l’oiseau qui se pose dessus et l’entraîner avec elles dans leur chute. Avec les raquettes et les gluaux, on attrape les plus petits oiseaux; les lacets sont destinés aux plus gros et sont tendus, en général, sur le bord d’une fontaine, d’un ruisselet ou d’une flaque d’eau. C’est sur le bord des eaux que l’on attrape le plus grand nombre d’espèces. On trouve principa- lement des insectivores dans les chemins, dans les sentiers et sur la lisière des bois, tandis que l’on voit les petits granivores dans les plaines et dans les jardins. ET TENDUES. 59 Ces explications sont, je crois, snflisantes pour faire voir que chaque mode de tendue a un but très-spécial et très-déterminé; avec le fusil on chasse tout, tandis que tel ou tel piège n’est des- tiné qu’à tel ou tel oiseau. Ainsi le piège à canard n’est pas fait pour les passereaux, la raquette pour le cormoran ; sur le chardon on ne prend pas les rossi- gnols, ni les chardonnerets dans le sentier de la forêt. Essayons maintenant de déterminer la spécialité de la chasse connue sous le nom de tendue. Les oiseaux, avons-nous dit, se portent de tous côtés pour boire et pour manger; or, plus il faudra multiplier leurs déplacements à la surface de la terre et de l’eau ou à de faibles hauteurs, plus ils devront chercher des perchoirs et plus ils seront exposés à être pris dans une tendue de raquettes, de lacets ou de gluaux. On sait quelles sont les espèces de sylvains qui changent le plus souvent de place. Si, en se cachant, on peut observer les oiseaux pendant leurs repas ; si, quand on les tient, on exa- mine leur taille, leurs proportions, leur organisme, leurs pieds, surtout leurs becs nommés à si Juste titre becs fins, et si l’on détermine les aliments qui ne sont pas encore décomposés dans leur estomac au moment de leur mort violente, on se convainc facilement que ce sont les plus petits des oiseaux insectivores. En effet, ils ont pour mission d’eliminer les in- sectes infiniment petits et leurs œufs, qui sont tou- jours disséminés, isolés et cachés dans les herbes, lesmousses, les lichens elles feuilles des buissons, des taillis et des arbres. OISEAUX DE PASSAGE m Beaucoup de ces insectes sont à peine visibles et saisissables. La cécidoinyie est un moucheron de deux millimètres de longueur, le[^cliarançon a cinq millimètres, la pyrale a vingt millimètres ; quant aux œufs, ils sont presque imperceptibles, tant par leur petitesse que par les lieux où la plupart sont déposés. La recherche des petits insectes et de leurs œufs est donc bien difficile, surtout pendant les heures sombres du matin et du soir, des temps brumeux et pluvieux. Quelquefois ils sont placés comme les plus me- nues graines que le chardonneret va cueillir, à l’ex- trémité d’une faible tige. Pour échapper, il suffit qu’un insecte de la gros- seur d’un puceron passe d’un côté à l’autre d’un brin d’herbe, ou qu’il se laisse tomber comme \ écrivain, vulgairement appelé (jrihouri ; et, quand il voit ou entend un bec croquer son voisin, il sait très-bien mettre à profit toutes ses chances de salut. Enfin, pour rassasier un oiseau même de petite taille, il faut beaucoup de ces insectes et surtout de leurs œufs. Aussi les petits insectivores sont-ils constamment en observation et en chasse ; ils volent, ils sautenf ils marchent, ils vont, ils viennent, ils montent, ils descendent, ils se tournent et se retournentdans tous les sens. C’est un mouvement perpétuel. Quelques- uns, comme le roitelet, changent de place 15 à 20,000 fois par jour. Avec ce genre de vie comment ne pas être pris dans les raquettes. LT TH:nDUES. (y[ Aussi les états que nous avons produits dans notre premier mémoire démontrent que les petits oiseaux insectivores sont plus que tous autres sa- crifiés dans les tendues ? Ëtcependant ils détruisent considérablementd’in- sectes, qui, en se multipliant à l’excès, deviennent de dangereux ennemis pour les végétaux, et nous savons s’il y a quelque chose de comparable à la fé- condité de la plupart des insectes : en très-peu de temps ils forment des légions, des armées innom- brables ; le puceron et le coccus, l’écrivain et le phylloxéra sont là pour nous dire combien sont redoutables leurs invasions. M. Ducuing estime à 300 millions les pertes annuelles moyennes que les insectes occasion- nent à la France, et dans cette évaluation il ne comprend pas les ravages du phylloxéra vastatrix. Des avis à peu près unanimes venus de tous les points de la France, il résulte, ajoute-t-il, que le nombre d insectes augmente dans une région à mesure que décroît le nombre des oiseaux insecti- vores. Ces derniers forment, ainsi que nous venons de le voir, un genre d’une spécialité très-caractéris- tique. Pour tout homme il est facile de constater que, si la mésange, le rouge-gorge et la sittelle ne sont pas créés pour exercer les industries du ra- mier, du canard et de la chouette, ces derniers, ainsi que des centaines d’autres moyennes et grosses espèces d’oiseaux^ sont généralement incapables de remplacer avantageusement la mésange , le rouge-gorge et la sittelle. En supposant qu’ils aient, ce qui n’est pas, les goûts et les appareils digestifs OISEAUX DE PASSAGE G2 de ces derniers, ils sont trop lourds pour se poser sur une brindille et pour sauter d’un si petit per- choir sur un autre aussi flexible, trop gros pour se glisser et passer dans un fourré de feuilles comme la souris dans les herbes, ils ont la voilure trop grande pour voleter au milieu des branches, ils ne sont pas assez bien éperonnés pour essayer de grimper. Beaucoup d’entre eux qui, cependant, excellent à accomplir dans l’espace des déplace- ments longs, multipliés, deviennent impuissants quand il s’agit d’opérer de nombreuses et rapides évolutions dans les vides que traversent en tous sens les petites branches des arbres, des arbustes et des herbes, quand, en allées et en venues, en ascensions et en descentes, il faut, pendant une ma- tinée dans un buisson, faire plusieurs kilomètres. De plus, dans beaucoup de cas, les petits oiseaux insectivores suppléent les gros insectivores, les crapauds, les grenouilles, leslézards, lescouleuvres, tandis que par l’infériorité de leurs modes de locomotion, ces derniers ne peuvent se substituer aux oiseaux. Indépendamment de sa valeur générique chaque espèce de ces oiseaux a encore son importance par- ticulière. Dans la première partie de cette étude nous avons déjà parlé de la mésange, et nous nous occuperons un peu plus loin du rouge-gorge ; nos observations au sujet de ces deux espèces suffi- ront, je l’espère, pour justifier cette énonciation. Or, par quoi les tendeurs remplaceront-ils ces admirables agents d’élimination? Combien faudra- t-il d’appareils, d’ingrédients chimiques, d’hommes de service, d’argent et de temps pour procurer les ET TENDUES. Üo mômes avantages sur les rochers, dans les marais, les fourrés de la forêt, au sommet et dans l’inté- rieur des arbres, dans les airs et enfin par- tout ? Et l’on sait si la chair des oiseaux est une sérieuse compensation à la perte du travail de ce petit être. Qu’on en juge parle fait suivant que je dois à l’obli- geance d’un homme fort honorable : « J"ai été», m’a-t-il dit, « invité à déjeuner chez M. X....; nous étions douze à table. Après un repas que je croyais terminé et dans lequel avaient figuré un salmis de bécasses et un cuissot de chevreuil, on apporte des brochettes de petits oiseaux. Quatre des convives en mangèrent chacun six douzaines, les autres allèrent de deux à quatre, seul je m’abstins ». N’est-ce pas le cas de citer ce passage du rapport de M. Bonjean : « Ce n’est pas sérieusement qu’on voudrait légitimer ainsi la destruction de ces petits êtres dont chacun fait à peine une bouchée. Est-ce aussi une nourriture que ces oiseaux-mouches de l’ancien monde, le troglodyte et le roitelet, qui ne sont qu’une bouffée de plumes ? non, ce n’est pas alimentation, c’est gourmandise brutale qu’il fau- drait dire ». Assurément tant de douzaines d’oiseaux auraient rendu de plus grands services à la société s’ils avaient continué à vivre pendant 5, 10, 15, ou 20 ans. Les chiffres que j’ai produits dans la première par- tie de cette étude sont du reste assez éloquents pour éclairer et trancher cette question : 3,239 pe- tits insectivores pris dans les tendues n’ont fourni que 22,743 gr. 85 de chair. Il faut détruire de 200 a OISEAUX DE U ASS A GE ()4 '250 roitelets pour en obtenir 500 gr. Il est bon de dire que, pour arriver à ce poids, je compte la peau aussi bien que la chair. Comme le rouge-gorge est un oiseau que l’on prend en grand nombre dans les tendues, je dirai plus loin quelques mots de son utilité; en attendant, et puisque nous parlons en ce moment du poids de la chair, je livre à la médi- tation du lecteur quelques chiffres. ,Cai demandé à des tendeurs la permission de pe- ser leurs rouges-gorges: 80 pesées m’ont donné en poids moyen, pour chaque individu, 17 grammes 20 centigrammes. Maintenant, si je me reporte aux analyses que j’ai faites sur 200 espèces environ d’oiseaux, je trouve pour le rouge-gorge ce qui suit : 28 octobre 1871. — Poids d’un oiseau avant dissection, 16,50 Poids de la plume Poids des parties qui ne se man- gent pas ordinairement Os Poids de la chair Poids de l’oiseau après dissection. . Différence provenant de l’évapora- tion et de la manipulation 1 45 1 3 15 3 30 -7 90 7 30 15 20 1 30 5 avril 1875. — Poids d’un oiseau avant dissection, 15.80 Petites plumes 0 87 c.i Moyennes 0 25 >1 44\ Grandes 0 32 ) i Appareils de l’élimination et de la transfor- L million : larynx, pharynx, estomac, foie, ( i reins, poumons, cœur, inlérieur 2 95\ Os.. 3 3o) I Contenu de l’estomac et des intestins 0 42 Chair du cou, du corps, des pattes et des ailes 8 11 5 62 13 73 Différence provenanl de l’évapoi'ation et de hi manipulation... 2 07 ET TENDUES. 03 Cette différence est plus grande que celle de la première analyse, parce que la deuxième opération est plus complète. Les chiffres ne sont eux- mêmes que des totaux relatifs à des détails que je ne crois pas devoir porter ici. Au moinsvoit-on que la chair ne pèse que de 7 à 8 grammes. Des oiseaux de passage. § 1. — DE LA RÉPARirnON DES OISEAUX A LA SURFACE DE LA TERRE. DES MIGRATIONS, DE LEURS CAUSES, DE LEURS MOYENS ET DE LEURS EFFETS UTILES. Pour justifier les hécatombes des petits insecti- vores, des tendeurs disent : Sans doute ces oiseaux rendent des services, mais ils peuvent devenir trop nombreux, et par cela même nous causer des préju- dices. J’ai déjà exposé qu’il y a moins d'oiseaux qu'au- trefois et que nous n’en avons pas assez ; j’ajoute que nous n’avons pas à redouter leur trop grand nombre. La plupart de nos oiseaux émigrent en hiver, mais, en général, ils reviennent dans les lieux où ils ont été élevés. Il est même probable que dans leurs migrations, ils suivent souvent la même direction. Toutefois il y a à cette règle de merveilleuses ex- ceptions, et il se fait de ces éliminateurs une répar- tition trop importante et trop rationnelle pour que nous n’en donnions pas l’explication. OISEAUX UE PASSAGE De même que l’eau est transportée des réservoirs de l’Océan dans toutes les directions de la terre sur les ailes des vents, comme disent les poètes, et qu’elle tombe sous forme de pluie pour tout rafraî- chir et laver ; de même certains agents de l’élimi- nation ayant forme d’oiseaux se portent à tire-d’ailes sur tous les points où le travail dont ils sont char- gés devient opportun. L’action de ces grandes' forces de l’arrosement terrestre et de l’élimination ne se produit pas au hasard, comme il semble à tant de personnes ; les nuages et les oiseaux se distribuent providentielle- ment là où ils sont nécessaires. Les lois de leurs déplacements sont absolues, immuables, et de même qu’à l’aide des sciences de l’astronomie et de la météorologie, et en consultant dans un grand nombre d’observations les dépres- sions barométriques, on peut annoncer plus ou moins longtemps à l’avance les grandes variations atmosphériques; de même, à l’aide de l’ornithologie et d’observations suivies sur les diverses phases de la végétation et de la production des insectes et autres petits animaux, on peut s’expliquer et pré- voir les grands déplacements et les migrations des oiseaux en général, et en particulier des syl- vains. Ainsi que nous l’avons déjà dit ailleurs, un prin- cipe capital en ces matières est le suivant : « L’éli- mination apparaît partout où les forces de la vie végétale ou animale se montrent en excès ou en dé- composition, et aussitôt qu’elles ont besoin d’être partiellement déplacées, augmentées ou dimi- nuées. ET TENDUES. 67 Nous avons déjà, dans de nombreuses pages (1)^ donné les développements que comporte cette définition ; cependant, pour rendre le présent cha- pitre plus intelligible par lui-méme et sans recourir ailleurs, résumons en quelques mots ce que nous avons déjà exposé. Rappelons d’abord un premier principe. Pour ne pas l’épuiser, il ne faut pas demander à une force plus qu’elle ne peut donner, à un homme de porter la charge d’un mulet ou de courir comme un cheval, à une poule de couver trente œufs, à un corbeau d’élever vingt petits^ à un are de terrain de produire comme un hectare. C’est en tenant compte de ce principe que l’on plante, à une certaine distance les uns des autres, les choux dans les jardins^ les betteraves dans la plaine, les peupliers dans les lieux boisés. En ces circonstances il faut que l’homme intervienne de sa propre main, soit pour planter, soit pour rem- placer les plants morts, et il peut même arriver que tous les plants périssent et, avec eux, les espèces. C’est, par exemple, ce qui est arrivé pourla laitue Bossin. Un jour, en entrant chez un jardinier, cet éminent horticulteur fut frappé de voir des laitues grosses comme des choux etd’ailleursfort bonnes, il s’empressa d’en demanderde la graine. Après beau- coup d’hésitations, et après s’être assuré qu’il avait affaire à un savant, et non à un confrère qui lui fe- rait concurrence, le jardinier se décida à donner trois graines. Quelques années plus tard, etmalgré tous ses soins, il perdit la race qu’il avait créée ; (1) Lfs oiseaux dans les Harmonies de la nature. 68 OISEAUX DE PASSAGE désolé, il alla trouver M. Bossiii qui l’avait conser- vée et qui fut très-heureux de lui en rendre des graines, (^’esten raison de cette aventure que cette laitue est connue et vendue dans le commerce sous le nom de laitue Bossin. Dieu a prévu les négligences des hommes, et il a voulu, par l’intermédiaire d’agents indépendants de lui, de ses erreurs et de ses passions, revêtir les productions végétales et animales de la plus grande puissance, tout en assurant la conserva- tion de leurs espèces. C’est pourquoi il a donné aux végétaux une force reproductive extrêmement considérable, cà leurs graines et à leurs fruits le pouvoir de se conserver longtemps. De plus, cette re- production a lieu chaque année. La fécondité des petits animaux, disons-le en passant, n’est pas moins remarquable: heaucoup se reproduisent plusieurs fois dans un an. Cependant la propagation a aussi sesexeès; pour y remédier Dieu a créé et a fait intervenir d’autres forces, celtes de l’élimination, pour ne laisser sur- vivre qu’en nombre utile les végétaux et les ani- maux et sans jamais compromettre leurs espèces. «Tantôt j)ar l’action du froid, de l’humidité et du vent, l’élimination opère de véritables razzias, mais seulement dans telle ou telle contrée, telle ou telle région et par intermittence ; tantôt, quand les végétaux sont trop rapprochés, elle fait succomber les plus faibles sous l’action des plus vigoureux. Le plus souvent, elle se porte d’un point cà un autre pour produire en détail et d’une manière avanta- geuse tous ses efforts. « Les insectes et les oiseaux qui sont chargés de ET TENDUES. r>9 ce dernier travail et de répartir l’élimination sur tous les points où elle devient particulièrement né- cessaire, sont conformés et outillés de manière à attaquer, dans certains pays ou certaines parties du territoire, tels ou tels êtres, telles ou telles por- tions de ces êtres pour les détruire et les transfor- mer immédiatement. « C’est pour accomplir la partie la plus difficile et la plus importante de cette tâche, que les oi- seaux ont le privilège de faire des déplacements très-multipliés^ très-rapides et très-éloignés, mal- gré tous les obstacles ». De ce qui précède, il suit donc que là où il n’y a pas excès ou décomposition des végétaux ou des animaux, l’élimination n’a pas à intervenir. Or, quand l’automne est venu mettre un terme cà la végétation de l’année, qu’il a amené la pre- mière et principale des décompositions végétales et animales, que sous l’action de l’iiiver la nature se repose et se prépare à Tenfantement du prin- temps, il se produit pour beaucoup d'éliminateurs un chômage qui devrait amener une famine géné- rale et même faire périr beaucoup d’espèces, si le Créateur n’y avait pourvu. Par exemple, quand les feuilles des arbres sont tombées et desséchées, et que les herbes des champs sont fanées etàderni décomposées, quand les fleurs ont disparu, que les fruits ont été cueillis ou qu’ils sont pourris, les chenilles, les criquets et beaucoup d’espèces de diptères ne peuvent plus vivre. Aussi un grand nombre d’éliminateurs, tels que les insectes, les batraciens et les reptiles, ont le 70 OISEAUX DE PASSAGE sang relativement froid et nous font éprouver une sensation désagréable quand nous les touchons. En s’enfonçant et en restant en terre assez profon- dément, ils peuvent échapper aux froids de l’hiver, et, plongés dans un profond engourdissement, ils vivent sans manger ; beaucoup ne se réveillent qu’au souffle du printemps, quand les travaux de l’élimination vont recommencer ; quelques-uns de ceux qui peuvent encore trouver un peu de nourri- ture sortent quelques instants de leur léthargie quand ils sont passagèrement et vivement pénétrés par l’ardeur du soleil d’hiver. On s’expliquerait difficilement qu’en raison de leur constitution, de la température de leur sang qui atteint le maximum de la chaleur animale, les oiseaux eussent pu être soumis à un pareil régime, et d’ailleurs leurs services n’eussent été utilisés que pendant une partie de l’année. On comprend au contraire très-bien qu’une constitution toute privilégiée leur ait été donnée, que non-seulement ils aient reçu en partage tous les modes de locomotion des autres animaux, mais qu’eux seuls de tous ils aient été gratifiés de la merveilleuse puissance du vol et d’un revêtement de plumes aussi chaudes que légères, que pour leur mission il leur ait été accordé des instincts et des organes presque infaillibles, qu’ainsi pendant l’hiver les uiis soient restés dans leur pays natal, que beaucoup aient pu aller porter leurs indus- tries et leurs services dans d’autres contrées et en revenir au printemps, et qu’enfin il ait été possible à tous, à toute époque, d’opérer de grands déplace- ments pourcompléteretrégulariserleséliininations. ET TENDUES, 71 Ces aptitudes remarquables frappent très-vive- ment l’observateur, même au milieu des magnifi- cences de la nature. L’architecture des nids, en mettant en relief la su- périorité de l'oiseau, nous fait par cela même déjà concevoir à quels puissants instincts il obéit, soit quand il se fixe longtemps en un lieu, soit quand il opère ses plus grands déplacements. D’abord la spécialité du travail et du lieu où il s’accomplit était une condition de succès pour les éliminations qui lui sont confiées ; aussi les mêmes oiseaux ne se trouvent pas partout. Des 8,000 espè- ces et plus, 521 seulement ont été observées en Eu- rope (J). Dans notre vallée de la Marne, nous avons le moineau domestique, tandis que le moineau soul- cie, qui s’y montre très-accidentellement, est com- mun en Espagne. Parmi nos sédentaires d’été, nous comptons la grive chanteuse et la draine, tandis qu’à la même époque le mauvis et la litorne ni- chent dans le nord. Chaque espèce sédentaire est comme parquée dans une région plus ou moins grande comprenant souvent des millions d’hectares, et elle ne se repro- duitjamais en dehors de ces limites. De plus, chaque famille aime à revenir au lieu de sa naissance, et elle ne s’en éloigne que par né- cessité. Cet amour du même lieu se concilie avec l’impé- rieux instinct qui porte l’oiseau à accomplir ses migrations et ses retours. (1) Ornithologie européenne, par Deglaiid el Gerbe. 72 OISEAUX DE PASSAGE Tout au moins ces actes si extraordinaires de sa vie s’expliquent partiellement. L’oiseau évite la douleur^ comme tout animal, et il recherche la jouissance. Il se donne donc le moins de peine possible , et il se porte de préférence dans les contrées et dans les lieux de sa circonscription où il y a surabondance de nourri- ture. C’est ainsi que les éliminations sont si profi- tables à la richesse publique. L’impressionnabilité de son corps est également calculée de manière que dans les lieux où, selon le temps et la saison, il doit résider, il ne souffre pas plus du froid et de la chaleur que de la faim. Il possède ainsi en lui une sorte de thermomètre et de boussole à l’aide desquels il sent, quand il doit se fixer ou passer. Les gelées printanières ne surprennent que peu d’hirondelles. Quelques oiseaux n’émigrent pas; en voici la raison : Rien n’égale la légèreté et la chaleur des plumes. Elles servent à composer la partie la plus chaude de nos lits; au moindre des désirs de l’oiseau elles se soulèvent pour laisser arriver l’air frais, ou elles se plaquent et se resserrent pour contenir et déve- lopper la plus grande chaleur. A l’approche de l’hiver, beaucoup d’entre elles s’allongent, se com- plètent, et le duvet qui recouvre la peau s'épaissit. C’est ainsi que la perdrix et le moineau domestique ne nous quittent pas même au plus fort de la mau- vaise saison. Les plus grandes distances n’effraient pasToiseau. Par la rapidité et la grâce de son vol, il est l’image vivante de la pensée. ET TEP^DUES. 73 La ténuité de la proie, et meme l’obscurité, ne le déconcerte pas. La vue de beaucoup d’oiseaux possède, avec une longue portée, la pénétration d’un microscope. Les ducs et les chouettes ne chassent que la nuit. Pour beaucoup la tâche d’élimination est variée de telle sorte que quand la nourriture principale vient à manquer, ils ne se trouvent pas dans l’al- ternative de mourir de faim ou d’émigrer. C’est ainsi que le merle, la litorne et l’accenteur-mouchet se nourrissent complètement de baies pendant les neiges. Cet admirable organisme de l’oiseau suffirait donc pour faire deviner le rôle supérieur, qui lui est assigné parmi les agents de l’élimination et dans les grandes harmonies de la création. Il nous explique cornment un être de proportions si petites est comme rivé à d’aussi grands devoirs et sert si parfaitement nos intérêts. Une jeune hirondelle de fenêtre, quittant son nid vers le 30 août, est prête à partir deux mois après pour la Guinée et le midi de l’Afrique ; son corps n’a pour cube que trois centimètres, et pour poids que 17 grammes, et cependant dès son premier voyage elle pourra jeter un regard de pitié sur notre voierie, nos ponts, nos bateaux, nos vais- seaux, nos ballons, nos bagages et nos provisions de route, nos cartes géographiques et nos bous- soles. Il lui arrivera, à huit jours d’intervalle, de tra- vailler en Champagne et au Sénégal, de se mettre au service d’un blanc et d’un noir et de se repaître de cousins et de moustiques. Autre exemple : Une grande outarde, dont j’ai OISEAUX DE PASSAGE 7A raconté l’histoire (i), la dernière jeune que l’on ait élevée et même vue en Champagne, était, au moment des passages, tellement agitée et insupportable, que son propriétaire se vit obligé de s’en défaire malgré son attachement pour elle. Les cailles en cage s’agitent aussi beaucoup au moment de la migration. Faisons maintenant ressortir la nécessité des mi- grations par les températures des divers milieux. Si nous portons notre attention sur les parties de notre globe connues sous les noms d’Europe et d’Afrique, nous verrons que leurs climats et leurs productions sont très-variés, et que ceux de l’Eu- rope sont échelonnés du nord au midi et de l’orient à l’occident, de telle sorte que le travail de beau- coup d’espèces d'oiseaux peut être utilisé au profit des peuples fort éloignés les uns des autres. La température moyenne des régions polaires semble comprise entre 25° et 38° au-dessous de zéro (2) ; elle s"est abaissée jusqu’à 40° à 50° (3). Dans la zone torride la température moyenne est comprise entre 27° 5 et 29° 6 au-dessus de zéro (4) ; elle s’est élevée à 40° et même 54° (5). (1) Lettre reproduite par mon savant ami Vincelot dans son ouvrage intitulé : Les noms des oiseaux expliqués par leurs mœurs, t. ii. (2) Régions polaires. — Les diverses expéditions qui ont été faites vers le pôle boréal, dans ces dernières années, ont fourni un grand nombre d’observations précieuses, desquelles il semble résulter que la température du pôle lui-même serait comprise entre 25° et 38° au- dessous de zéro. {Eléments de physique, par Pouillel (185G), t. ii, G79. (3) Dans les régions polaires, le capitaine Parry a observé quel- quefois des températures de 40° à 50° au-dessous de zéro. [Ibid., p. G81.) (4) L’ensemble des observations indique que la température moyenne est, sous l’équateur, comprise entre 27°, 5 et 28°. Cependant, pour Pondichéry, elle est de 29°, G. [Ibid. p. G78.) (.5) Il parait aussi que les plus hautes températures de l’air qui aient ET TENDUES. 75 Comme on le voit, ces chiffres donnent environ 100® pour la limite des variations extrêmes de tem- pérature que l’on puisse éprouver à la surface de la terre. La moyenne de la France est de 12 (l) ; à Paris, celle de trente années, de 1825 à 1855, a été de 10.80 ;2). Sous la même latitude la température varie éga- lement d’après les différences d’altitude. Elle di- minue à mesure qu’on s’élève dans l’air. Cette di- minution est en moyenne d’un degré par 150 mètres au plus en été, par 200 mètres en hiver. Il en ré- sulte que vers 4,000 mètres d’altitude, aux moments les plus chauds de l’été, vers 3,000 ou 2,000 au printemps ou en automne, à moins de 1,000 mètres en hiver, on est sûr de trouver, en montant dans l’atmosphère, la température de la glace (3). Ces faits se remarquent, par exemple, sur les qua- torze sommets les plus élevés des Alpes qui ont chacun, au-dessus du niveau de la mer, de 3,936 à 4,810 mètres, et surtout sur le Chamalari de la chaîne de l’Himalaya en Asie qui les dépasse encore de 5,064 mètres; comme le Chamalari, le x\Iont-Blanc est couronne de neiges perpétuelles. Les différences de climat dépendant de la tempé- rature de la longitude, de la latitude et de l’altitude sont encore modifiées par la direction des vents do- minants et des chaînes de montagne, par le voisi- été observées sous la zotie torride se sont élevées de 40“ à 50“ et que Lyon et Bitchnic ont même observé une température de 54“ à l’oasis de Mourzouch. {Ihid , p. 681.) (1) Douillet, Dictionnaire. (2) Pouillet. {Ibid., p. 676.) (3) A. Michel. OISEAUX DE PASSAGE 7f) nage de la mer ou de marais considérables, de ri- vières, de forêts, par l’exposition, etc. Les variétés de sol et de climat ont naturellement donné lieu à des espèces variées de plantes, d’in- sectes et de petits animaux qui s’étagent, surtout du nord au midi. Quel géographe, quel agriculteur pourrait in- diquer à l’oiseau ce qu’il a de mieux à faire pour se créer des facilités de vivre et rendre en même temps les plus grands services aux peuples divers et souvent inconnus que forment 250 millions d’Eu- ropéens et 106 millions d’Africains (1)? Heureusement l’oiseau peut se passer du concours des hommes et même de leur science, il ne leur demande qu’une chose, de ne pas être traité en ennemi. Il est pourvu de tout ce qui lui faut pour fonctionner suivant les desseins de Dieu comme l’ouvrier, l’apôtre, et le prédicateur de sa Pro- vidence. Dès le 28 juillet, les martinets laissent aux hiron- delles d’écurie, de fenêtres et de rivage, le soin d’é- liminer les diptères, et ils transportent leurs in- dustries en Afrique, qui regorge alors d’insectes ailés. Pour des raisons du même genre, la cigogne traverse notre pays en août, la tourterelle nous quitte en septembre , le rouge-gorge passe en septembre et octobre , le canard pilet en no- vembre. Mais, en émigrant, certains genres nous laissent, pour les représenter en leur absence, quelques-unes de leurs espèces. Pendant l’iiiver, les becs-fins sont (l) Douillet, aux mots Populniion et Europe. ET TENDUES. suppléés par l’étourneau, le merle, le rouge-gorge, racceiilcur-moucliet. Après le départdestourterellesles ramiers restent. La draine, qui nous quitte généralement en oc- tobre et en novembre, est remplacée par la litorne du nord, qui travaille et jacasse dans nos cbamps et nos prés jusqu’en mars. Le climat maritime de l’Océan est quelquefois très-sensiblement plus clément que celui de l’Orient, ce qui nous vaut alors la visite du beau jaseur de Bohême en décembre et de la grande outarde en janvier. Pour des raisons de climat et surtout à cause de la proximité, nous voyons aussi dans nos vallées de la Marne des oiseaux du littoral de l’Océan, des goélands, des sternes, d’autres palmipèdes, quel- quefois môme le macareux-moine et l’huitrier-pie. L’accenteur des Alpes {accentor alpinus) descend quelquefois pour nous visiter dans la mauvaise saison. Les périodes froides ou très-froides de l’automne, de l’hiver et du printemps, sont souvent entre- coupées de journées relativement chaudes pendant lesquelles une partie de la végétation reparaît et avec elle certains insectes. Ces variations ainsi que les vents défavorables amènent les oiseaux à mo- difier leur marche, à stationner, à se porter de côté , à revenir en arrière, en sorte qu’aucune contrée ne reste inexplorée. L’hiver de 1873 à 1874 a été extrêmement doux ; alors les morelles et les grèbes-castagneux, qui vont presque toujours hiverner dans le midi, ne nous quittèrent pas. 78 OISEAUX DE PASSAGE Quand la température s’élève et se continue au printemps, des oiseaux du midi, tels que le cysti- cole ordinaire, la fauvette mélanocéptiale, le rollier commun, le guêpier, poussent des reconnaissances dans notre vallée , quelques-uns s’y établissent même, quand les ressources de la vie leur semblent abondantes ; c’est ainsi que l’on a trouvé sur nos marchés, au printemps^ la spatule, l’ibis fascinelle, l’avocette, et que le canard nyroca et la sterne-leu- coptère nichent sur nos étangs. Entre les variétés de climat et de production et l’apparition de certains oiseaux il y a en général une concordance si grande, une relation si intime de cause à effet, que la précocité des passages des oiseaux du nord est le plus souvent l’annonce de l’hiver, et leur retour la bonne nouvelle du prin- temps. Ces répartitions générales d’éliminateurs ne s’ac- complissent jamais sans porter avec elles de grands enseignements et des joies nouvelles à tous ceux (jui ne sont ni aveugles, ni sourds, ni indifférents. Voyez cette bande joyeuse de chardonnerets, ({uelle ardeur et quelle vivacité dans ces évolutions ! Elle s’abaisse, et en un instant des touffes de char- dons desséchées, ridées , hérissées d’aiguilles se couronnent de fleurs qui scintillent, frétillent et chantent. Ecoutez encore, d’autres voix se font entendre, timbrées comme le cuivre, c’est un passage de grues qui sont parties des régions polaires ; c’est encore dans l’espace la vie portée sur de gracieuses voiles ; ces oiseaux formant le triangle d’une flèche, fendent l’air et les nuages. Eux aussi avec beau- KT TKNDUES. 71) coup d’autres proclament à leur façon, comme au son (le la trompette, du haut des nues, les mysté- rieuses splendeurs de la création, et alors cju’ils ont déjà disparu, leurs notes adoucies viennent encore animer les bruissements des vents. Quand les feuilles d’automne sont tombées et que des âmes en si grand nombre ont quitté leurs familles éplorées, ces austères harmonies de l’iii- ver, le mouvement, la manifestation de la vie dans l’espace, dans les hauteurs du ciel, sont-elles sans poésie, surtout pour nos pins chères espé- rances ? A la grandeur de nos aspirations nous sentons que nous ne sommes pas créés pour nous com- plaire dans les sphères de la vie matérielle et dans les vulgarités de la vie. Ce serait donc une erreur que de rapetisser les questions, ce serait un mal- heur que de ne pas apprécier les joies d’esprit et de cœur dont nous sommes redevables aux oiseaux de passage. Tous les déplacements, toutes les manœuvres dont nous venons de parler, s’expliquent plus en- core si l’attention se porte sur certains chiffres. J’ai calculé qu’une hirondelle rustique a franchi 8,882 mètres en deux minutes, que dans une jour- née de juin cet oiseau fait 600 kilomètres en un jour, et que pendant le même laps de temps une mésange bleue a parcouru 22,900 mètres. Or, l’Europe a environ 4,000 kilomètres de long sur 3,500 de large ; la longueur de l’Afrique est de 7,550 kilomètres. L’étendue de la France est de 1,064 kilomètres du nord-ouest au sud-est, et de 924 kilomètres du 80 OISEAUX DE PASSAGE sud-ouest au nord-est; sa superficie est de 52,305,744 hectares. kilomètres. il y a du littoral de la France à la Corse 150 De la Sardaigne à l’Afrique 180 De la Sicile à l’Afrique 150 Et d’une côte à'^l’autre de Gibraltar 15 En multipliant nos observations, nous sommes donc amenés à reconnaître et par les faits et par le raisonnement qu’il se produit à la surface du globe, et particulièrement en Europe et en Afrique, une répartition des oiseaux en parfait rapport avec la régularisation des éliminations végétales et ani- males, et je reste persuadé que plus ces questions, en ce qui concerne surtout l’Europe et l’Afrique, se- ront étudiées comme elles doivent rêtre^, plus on pourra se convaincre de cette vérité et répéter cette phrase d’une lettre que son Eminence le cardinal Donnet me faisait l’honneur de m’écrire le 28 août 1872 : « Les oiseaux mettront encore longtemps à l’épreuve la sagacité des savants, mais ce qu’on peut affirmer sans crainte, c’est que plus on les étudiera, plus on sera frappé de leur utilité ». § 2. — UTILITÉ DES OISEAUX DE PASSAGE. Peut-être, au jugement 'de quelques lecteurs, nous sommes-nous trop étendu sur les harmonies de la répartition des oiseaux à la surface du globe ; mais cette étude intéressante était nécessaire, au moins à l’état d’ébauebe, pour jeter quelque lu- mière sur le sujet que je me suis proposé de trai- ter ici. Revenons donc aux tendues. ET TENDUES. SI On duiine coiiiine argument en faveur de ce genre de chasse, qu’il s’agit seulement de prendre des oiseaux qui ne font que passer dans notre pays. D’abord, je ne connais pas de moyen de préserver les oiseaux sédentaires des pièges qui sont tendus aux oiseaux de passage. Ensuite, et on a pu s"en convaincre, ces derniers ne vont pas d’un trait aux frontières de l’Italie et de l’Espagne. Ils stationnent sur tous les points de la France. Dans notre région, certaines de leurs espèces séjournent aussi et plus longtemps que quelques-unes de nos sédentaires. Les premiers martinets nous sont arrivés cette année le 24 avril, et les derniers ont disparu le 28 juillet, tandis que les passages de rouges-gorges durent deux mois, rien qu’en automne ; c’est même par ces considérations que les tendues sont autori- sées en général du septembre au 1®'' novembre. Au printemps, les oiseaux parcourent également pendant longtemps nos contrées en se rendant vers le nord. A en juger parle nombre, la durée et l’ordre des passages, ces travaux du printemps et de l’automne ne sont pas moins remarquables parleur spécialité que ceux qu’accomplissent nos sédentaires d’été ; les uns et les autres sont absolument nécessaires à l’équilibre des forces végétales et animales et à la richesse agricole. Le nombre des insectes est très- grand en automne ; c’est alors surtout qu’ils sont surabondants et qu’ils arrivent ainsi à former contre nous une armée d’ennemis d’autant plus dangereuse, qu’ils vont en partie prendre dans le sein de la terre leurs cantonnements d’hiver et pre- G 82 OISEAUX DE PASSAGE parer pour le printemps suivant de nouveaux et in- nombrables contingents, quelquefois une véritable invasion. Or, les petits oiseaux insectivores forment égale- ment une armée, mais une armée d’alliés qui com- battent pour nous, et ils restent sur le champ de bataille jusqu’à ce que les derniers de nos ennemis aient disparu dans la mousse , les herbes , les écorces d’arbre et surtout dans le sein de la terre. En automne, et principalement en octobre, nous avons souvent, on le sait, des alternatives de beau et de mauvais temps, de chaleur et de froid, et, selon les circonstances, les insectes se montrent ou se cachent; se produit-il une douce température, un rayon de soleil^ ils font une sortie, alors passe une escouade d’oiseaux insectivores qui s’abat sur eux ; comme les passages de nos alliés se succèdent sans cesse pendant deux mois, beaucoup de nos enne- mis qui, pour une raison quelconque, ont échappé aux uns, sont croqués par les autres. Un grand nombre de sédentaires sont à cette époque-là aidés ou suppléés par des oiseaux de même espèce venus du nord, et même par d’autres espèces ; c’est ainsi que la litorne arrive en général^, ainsi que nous l’avons dit, quand la draine part. Il y a même des espèces de Suède, d’Angleterre, de Hollande et de Belgique qui, pendant tout l’hi- ver, nous apportent une industrie pour laquelle nos sédentaires d’été n’ont pas d'aptitude ; tels sont les roitelets et la petite mésange noire. Enfin, ce serait perdre son temps que de faire des tendues pour les oiseaux de passage irrégulier ou accidentel, comme l’accenteur alpin ; on prend ET TENDUES. 83 presque toujours des oiseaux de double passage régulier, ceux qui chaque printemps viennent re- prendre leur tâche ; alors la chaleur printanière qui les ramène dans nos pays fait également repa- raître les insectes et met encore ceux-ci en pré- sence de leurs éternels ennemis ; en sorte que cer- taines espèces d’insectes qui échappent en automne sont atteintes au printemps. A cette dernière époque la fauvette grisette, qui mange deux pucerons, mâle et femelle, peut par ce seul fait nous avoir évité un quatrillon de pucerons. Il se trouve de la sorte, et c’est un fait très-remar- quable, que les insectes, qui pendant un an ont pullulé à l’excès, ne sont détruits, avant leur re- production de l’année suivante, qu’â l’époque de l’automne et du printemps, c’est-à-dire grâce sur- tout aux oiseaux de passage. Ainsi donc, dans le pays même où une tendue est établie, les oiseaux de passage ne sont pas moins essentiels que les oiseaux sédentaires. Les uns et les autres ont des spécialités d’époques et de mode de chasse. Les oiseaux de passage sont les travail- leurs de V automne et du printemps, ils complètent et régularisent les travaux de nos sédentaires d^été, et les bienfaits de l’élimination ne nous sont assurés que par le concours de tous. En voyant ce qui se passe dans un autre ordre de choses, nous trouvons des analogies, qui , à elles seules^ feraient déjà deviner cette providen- tielle répartition du travail des oiseaux. Dans un atelier bien organisé comme celui d’hor- logerie, il y a un ouvrier chef ou un contre-maître qui vérifie les travaux partiels. 84 OISEAUX DE PASSAGE Dans une exploitation agricole rien ne se fait bien et ne se complète sans la main ou au moins l’œil du maître. Dans toutes les grandes administrationspubliques il y a, au-dessus des employés ordinaires, les yéri- ficateurs et les inspecteurs qui rayonnent, les uns simplement dans tel ou tel arrondissement, tel ou tel département, les autres dans tout l’Etat. Les Receveurs de l’Enregistrement ont au-dessus d’eux des vérificateurs et des inspecteurs ; nous voyons, au-dessus de la police communale, la haute po- lice ; souvent même les inspecteurs sont obligés de prendre le train-poste. On ne s’explique pas que, pour le plus grand pro- fit de tous ceux qui travaillent en commun, les ou- vriers d’élite ne soient pas chargés d’inspecter, de rectifier et de compléter le travail des autres. Dans la nature Dieu a pourvu à des besoins du même genre ; d’innombrables éliminateurs de végé- taux et d’animaux sont pour ainsi dire vérifi- cateurs et inspecteurs. On dirait qu’ils prennent une espèce de train-poste, celui du vol, pour se transporter partout où leur intervention devient nécessaire. Dieu, qui a créé des hommes supérieurs pour guider et protéger les autres, l’architecte pour diriger le maçon, le docteur pour éclairer l’i- gnorant, n’a point laissé les innombrables élimi- nateurs sans supérieurs chargés de régulariser leurs travaux. Farces considérations on voit que les oiseaux de passage ne sont pas moins utiles que les autres et qu’ils sont, dans l’économie de l’élimination, des instruments nécessaires. ET TENDUES. 85 • C’est donc à tort que les législateurs de 1844 ont semblé en douter, et il importait d’autant plus d’entreprendre la réhabilitation de ces serviteurs de l’homme. Je me suis demandé aussi ce que des auteurs peuvent entendre par espèces erratiques. On s’ex- plique qu’un oiseau, surpris par la tempête et la nuit, ou entraîné par son ardeur, soit un instant dévoyé ; mais on ne comprendrait pas que des es- pèces fussent condamnées à se mouvoir ordinaire- ment en dehors des lois de répartition dont nous avons parlé, et du reste les faits et les observations n’autorisent nullement des interprétations de ce genre. 11 est donc bon de ne pas employer l’expres- sion d’erratique en lui conservant sa signification naturelle, et alors il convient encore moins d’en faire un mauvais usage. § 3. — INTERVENTION DE l’HOMME EN FAVEUR DES OISEAUX DE PASSAGE. Nous avons dit que les oiseaux en général et ceux de passage en particulier devaient être et sont des régulateurs de l’élimination. Mais pour la vie des hommes une loi impérieuse est celle du travail. Partout et toujours ils doivent intervenir et travailler pour obtenir de la nature tout ce qu’elle peut leur offrir de plus avantageux. Quand ils viennent habiter des contrées vierges, ils ont le droit et le devoir d’en modifier les produc- tions indigènes au moyen de la culture. Par cela même qu’ils deviennent les ouvriers et les direc- teurs de la transformation des produits naturels. 86 OISEAUX DE PASSAGE il leur incombe également la tâche d’y modifier parallèlement les forces de l’élimination, car, ainsi que nous l’avons vu, les forces de la production et de l’élimination doivent toujours parfaitement concorder entre elles pour que la richesse agri- cole atteigne sa plus grande valeur. Ainsi l’homme devient régulateur des éliminations. C’est donc pour lui un devoir d^étudier la nature de leurs forces et de leurs agents, et, selon les circonstances, de modérer l’action des uns et d’activer celle des autres. Pour ne pas exposer les plantes du midi, qu’il transporte dans ses jardins, à des éliminations trop considérables que produirait le froid, il les remi- sera en hiver dans une orangerie ou dans une serre. Il plantera à l’ahri du vent ses meilleurs arhres. 11 emploiera les procédés que lui conseille la science pour faire périr des insectes devenus trop nom- breux. Il fera la chasse à certains oiseaux de proie, pour qu’ils ne détruisent pas le gihier , et les oiseaux qui sont ses meilleurs auxiliaires comme éliminateurs ; il s’opposera au dénichage et à la chasse à la tendue. C’est pour ne pas s’être suffisamment inspiré de ces principes et avoir en ces matières laissé à la libre initiative de chaque individu le droit d’agir d’après son intérêt particulier, ses caprices et son ignorance, que la France a fait et fait chaque jour des pertes immenses, que tel homme, telle com- mune et tel département sont victimes des erreurs et de l’incurie de leurs voisins. Quelques exemples suffiront pour expliquer com- bien sont vraies ces assertions. ET TENDUES. 87 Le pâturage des terrains incultes de la Cham- pagne procurant très-peu de profit, des proprié- taires pensèrent qu’il y aurait avantage à les plan- ter de pins sylvestres. Seulement, au lieu de n’em- ployer que des plants provenant de semis faits dans le pays, ils en achetèrent dans le nord^ et avec ces arbustes fut importé le lopyriis pini. En Ecosse et en Irlande cet éliminateur des feuilles du pin est contenu par les influences de la température et par certains ennemis au nombre desquels se trouvent le roitelet huppé, le roitelet triple bandeau et la mésange noire. Transporté sous un climat différent et plus chaud, il s’est trouvé soustrait à l’action de ses éliminateurs naturels, et il s’est multiplié de telle sorte qu’il s’est répandu dans la plus grande partie des sapinières. Il a attaqué surtout les jeunes plantations ; le mai 1872, j’ai traversé sept cents hectares de sapins âgés de 30 à 40 ans et complète- ment dépouillés de leurs feuilles. On eût dit que ce bois avait été incendié ;un certain nombre d’arbres moururent, les autres sont en ce moment si lan- guissants que le propriétaire hésite à les conserver plus longtemps. Or, on a remarqué, dans quelques pays, que les mésanges percent les cocons du lopyrus pini et qu’elles aiment à en extraire et à manger les larves. Seulement sur les coteaux de la Champagne il n’y a pas d’eau en été, pas de trou dans lequel un oi- seau puisse nicher, pas d’arbres des essences in- digènes sur lesquels la mésange trouve un appoint de sa nourriture ordinaire, et ainsi l’intervention de cet oiseau de bonne volonté est très-difficile. Mais le mois d’octobre arrive, et avec lui leroite- 88 OISEAUX DE PASSAGE let huppé, le roitelet moustache et la mésange noire. Ces oiseaux du nord se répandent alors dans les sapinières et y trayaillent sans relâche pendant six mois. Ils yiennent ainsi réparer en partie l’im- prévoyance des planteurs de sapins. Mais pour cela il importe qu’ils ne soient pas pris aux tendues. Quelques roitelets et mésanges noires sont déjà restés en Champagne pour nicher. En août 1873, des cigognes se sont arrêtées dans une sapinière du canton de Marson (Marne) et ont passé plusieurs jours à manger des chenilles du lopijrus pini. Autre erreur dont les conséquences sont effrayan- tes: si d’Amérique en France on avait importé des pépins et non des pieds de vigne, on ne nous aurait pas amené le phylloxéra. L''insecte qui attaque le bois des arbres, n’est pas en général le même que celui qui détruit sa graine. Ainsi que le dit M. Godron, « on a introduit en Europe par graines et non par plants, le platane, le maronnier d’Inde, le catalpa, etc., et pour cette rai- son ces arbres ne sont pas atteints par les insectes (jui les rongent dans leur pays natal. Toujours est-il que le phylloxéra a pris possession d’un grand nombre de vignes du midi delaFrance, et que l’on a signalé ses envahissements en Suisse, en Autriche, en Portugal, en Grèce et dans les serres d’Angleterre et d’Irlande. N’étant pas contenu par ses éliminateurs naturels, trouvant dans le midi des espèces de vignes beau- coup moins vig^oureuses que celles .de l’Amérique du Nord, il commet des ravage? tels que le gouver- ET TEiNDUES. 8î) nement a offert 3()0,000 francs à celui qui trouvera le moyen de préserver efficacement la vigne de ce nouveau fléau. Si des oiseaux peuvent rendre quelques servi- ces soit en happant le phylloxéra au moment où il s’élance de terre à l’état ailé, ou même quand il marche sur le sol, soit en croquant des œufs dépo- sés sur le vieux bois des souches de vigne (1), ces oiseaux ne peuvent être que de petits insectivores du genre des mésanges et des becs-fins, les élimi- nateurs par excellence des insectes qui attaquent les plantes arborescentes ou ligneuses. Dans la vallée de la Marne nous ne connaissons le phylloxéra que par les relations des journaux du midi ; mais nous avons à nous méfier de la py- rale et de l’écrivain. L’un et l’autre ont déjà causé de grands préjudices en Bourgogne et en Champa- gne ; cette année, l’écrivain vient d’apparaître sur les bordures du département de la Meuse, notam- ment à Ancerville et à Nettancourt, et il a déjà commis des ravages très-remarqués des vignerons. C’est donc le moment d’attirer et de protéger les petits oiseaux insectivores. Des nids artificiels pré- (1) MM. Balbiani et Boiteau ont observé que le phylloxéra sexué, dérivé de Tinsecte ailé, pond son œuf au mois de septembre, sur le vieux bois de souche de vigne, dans la partie qui est située hors de terre. Cet œuf, qu’ils ont appelé œuf d’hiver, parce que son éclosion n’a lieu qu’au printemps suivant, produit des générations extrêmement prolifiques. Il n’en est pas de même des phylloxéras qui passent riiiver sur les racines de la vigne ; ils sont exclusivement composés de femelles parthénogènes, qui ont épuisé une grande quantité de leur fé- condité par les pontes de l’année précédente. L’œuf d’hiver est donc le seul à redouter, et il importe absolument de le détruire. Ramier, délégué de l’Académie des sciences. [Journal de l’agri- eulture, 11 mars 1876, p. 431.) 90 OISEAUX T)E PASSAGE parés en été pour les mésanges, des buissons comme les groseillers laissés aux fauvettes pour nicher, des arbres et arbustes à baies qui fournis- sent aux insectivores un appoint de nourriture par- fois indispensable sont autant de moyens bons à recommander, d’autant que dans les meilleurs sols on a fait disparaître tout ce qlii gêne la vigne. Dans le même ordre de choses, il est encore d’autres faits qu’il importe de signaler. On a arraché complètement dans les meilleures plaines, comme dans les meilleurs vignobles^ les buissons et les haies, et ainsi on a éloigné les oi- seaux qui y nichaient ou qui s’y arrêtaient en pas- sant. La trop grande liberté de défricher a eu pour résultat de déboiser les montagnes, d’envaser le lit des fleuves et de favoriser les inondations. Le do- maine forestier de la France n’est plus que de 8,593,866 hectares ; ces forêts occupent les seize centièmes du territoire. En même temps que disparut une partie des fo- rêts, la reproduction des sylvains diminua d’une manière très-sensible. Par suite elle n’a plus fourni, comme autrefois, un contingent annuel capable de répartir ses ouvriers en très-peu de temps dans tous les lieux où il y a des vides à combler, des suppléments de travaux à exécuter. N’est-il pas surabondamment expliqué combien il est opportun d’étudier et de faire connaître les ad- mirables lois de l’élimination, comme aussi d’inter- venir à tout prix pour favoriser l’équilibre de ses forces et en assurer tous les bienfaits ? Trop d’hommes sont maintenant disposés à ne ET TENDUES. 91 pas tenir compte des traditions. Fascinés par le mirage du progrès, ils quittent sans hésitation les voies dans lesquelles nos ancêtres sont entrés et restés à la suite d’observations séculaires, ils s’élan- cent en dehors des lois providentielles de l’ordre physique et moral, ils entraînent avec eux les ignorants et les indifférents ; qu’attend-on pour les arrêter ? Il n’y a pas jusqu’aux hirondelles qui maintenant ne soient traitées comme des animaux malfaisants. Ces oiseaux, les plus utiles de tous, que la tradition nous avait appris à aimer et à protéger, sont tués sans pitié dans deux arrondissements de la Gironde ; que l’on en juge par le passage suivant d’un dis- cours prononcé au Comice de Saint-Emilien, le 5 octobre 1873, par Son Eminence le Cardinal de Bordeaux. « Grâce à l’obligeance deM. Daleau qui a fourni à ce sujet de précieux renseignements, je puis avec confiance communiquer les chiffres auxquels s’élève la destruction des hirondelles dans quel- ques-unes de nos localités. Hirondelles. « Dans les grands palus de Blaye 381,000 « Dans les palus de St-Ciers-Lalande. . . 240,000 « Dans les palus de Bourg 5,000 « Aux environs de Bourg 4,000 « Dans les marais de Magrine. 35,000 « Dans les marais d’Ambès 180,000 « Aux environs de St-André-de-Cubzac 1,500 A Gauriaguet 1,500 « A Sainte-Foix-la-Grande 222,000 «Total 1,073,000 92 OISEAUX DE PASSAGE « Il serait temps », ajoute M. Dubalen, « que cette chasse stupide à des oiseaux si utiles fût définitive- ment et sérieusement prohibée. La meilleure des lois pour réprimer cet abus serait l’enseignement de l’ornithologie, au point de vue agricole, dans les écoles primaires des deux sexes ». Cette chasse se fait au moyen de grands filets que Ton tend à la surface des prairies, et que l’on nomme pentes . Dans la grotte de Bedeillac (Ariége), m’écrit M. Dubalen, on prend chaque année environ 20,000 hirondelles de fenêtre (chelidon urbica). Il est à remarquer que dans les départements du nord on ne fait pas la guerre à l’hirondelle. Plu- sieurs arrêtés préfectoraux prohibent cette chasse ; ainsi l’article 11 d’un arrêté de Meurthe en date du 20 décembre 1861 porte ce qui suit : « La chasse aux hirondelles par quelque mode que ce soit, est prohibée d’une manière absolue ». Et maintenant comment la réhabilitation des oi- seaux de passage n’est-elle pas entreprise et pour- suivie partout? L’indignation n’est-elle pas à son comble ? Beaucoup d’hommes ne semblent-ils pas, quand il s’agit d’oiseaux, pris de vertige ou de folie? Devant la leçon sévère des faits, la société n’est-elle pas assez instruite ? En face d’un incendie qui se propage reste-t-on les bras croisés ? Je reçois à l’instant, 15 novembre 1875, de Son Eminence le Cardinal de Bordeaux une lettre aussi paternelle que savante, et je transcris le passage suivant, comme couironnement naturel de mon chapitre : « Continuez, Monsieur, à prendre la défense des ET TENDUES. 93 hôtes de nos forêts, de nos vergers et de nos bos- quets. Ils sont si désintéressés, si prêts toujours à être dévoués pour nous, le jour, la nuit, par le froid, par la chaleur, quelles que soient les intempéries de la saison. En ajoutant aux pièges et à tous les engins inventés pour leur destruction, le déboise- ment des montagnes, on semble vouloir prouver qu’à tout prix il faut se débarrasser de ces êtres bienfaisants. A nous de réagir. Il importe au plus haut point, non-seulement de s’opposer à leur dis- parition, mais encore de prendre des mesures pour les attirer dans notre zone et les fixer sur notre sol* en facilitant leur reproduction ». Ce chaleureux appel d’une voix si autorisée^ je suis heureux de le répéter aux ornithologistes et à tous ceux qui aiment leur pays. III. De quelques principes d’équité et de droit invoqués par les tendeurs. § 1®". — DE l’égalité devant LA LOI. Je crois avoir démontré dans mon Mémoire pu- blié par l’Académie de Reims, que la chasse des tendues n’est pas conforme à l’espritde notre légis- lation, et que celle-ci s’est inspirée du droit natu- rel. Examinons encore quelques objections faites à ce sujet. C’est, dit-on, en se prévalant surtout de l’égâlite devant la loi, que les tendeurs ont obtenu le der- 94 OISEAUX DE PASSAGE nier arrêté prefectoral de la Haute-Marne daté du 7 octobre 1875. En fait, voici ce qui s’est passé. Malgré le rap- port de M. Ducuing^ en date du 7 février 1874, et le renvoi de ce rapport par l’Assemblée législative aux Ministres de l’agriculture et de l’intérieur, mal- gré diverses instructions ministérielles ayant pour objet la protection des oiseaux utiles, le préfet de la Meuse, cédant en cela à la pression du conseil général de ce département, a permis les tendues. Les tendeurs des départements de la Meurthe et des Vosges se sont alors autorisés de cet exemple pour demander à leurs préfets le rétablissement de ce genre de chasse, et ils l’ont obtenu. Les ten- deurs de la Haute-Marne ont invoqué l’exemple de leurs voisins et viennent d’obtenir la même faveur. L’argument dont se prévalent les tendeurs de la Haute-Marne, devait précisément empêcher Mon- sieur le préfet de Chaumont de céder à leurs désirs. Nous savons, en effet, que pour la plupart les oiseaux de double passage régulier dans notre val- lée de la Marne, sont attirés pendant une partie de l’hiver dans nos départements du Midi par la dou- ceur relative de la température, et dans ceux du centre et de l’Ouest par le climat maritime. Beau- coup de sylvains passent des forêts sur les arbres et arbustes de la plaine et des vergers; en sorte que ces ouvriers ne sont pas simplement, comme quelques tendeurs affectent de le dire, du gibier de parc, de commune, de canton et même de dépar- tement, mais bien encore et surtout des ouvriers interdépartementaux et internationaux. Nous savons que nos hirondelles transportent ET TENDUES.- 95 leur industrie d’Europe en Afrique. Il serait donc équitable, du moment où dans la Haute-Marne on peut détruire les petits insectivores en très-grand nombre, sans pitié et sans reconnaissance pour les services qu’ils nous rendent, qu’on accordât ce droit à tous les départements où passent ces oiseaux; on arriverait au moins de cette façon à démontrer aux plus aveugles l’absurdité d’une pareille réglementation. Le mal ne se faisant que dans quelques départe- ments, les vides sont toujours en partie comblés par de nouveaux contingfents qui viennent des autres. D’après les principes que nous avons expo- sés, il n’y a pas de doute à cet égard; et alors quelques tendeurs peuvent dire avec une apparence de raison : Voyez, la diminution des oiseaux n’est pas sensible chez nous. Il serait beaucoup plus profitable à l’intérêt gé- néral et beaucoup plus juste d’invoquer contre les tendeurs l’argument qu’ils ont produit; ainsi Mon- sieur le Préfet de la Haute-Marne leur aurait dit : Nous avons en France 86 départements ; dans 3 seu- lement les tendues sont permises ; en nous autori- sant de l’exemple de 83 départements, demandons que Monsieur le Ministre de l’intérieur intervienne conformément aux délibérations du Sénat du 27 juin 1861 et de l’Assemblée législative du 7 fé- vrier 1874, et qu’il proscrive les tendues dans tous les départements. Je suis heureux de dire qu’une délibération en ce sens a été prise par le Conseil général du dépar- tement de la Marne. M. Margaine, un de ses membres et député, s’appuyant sur l’exemple donné par le OISEAUX UE PASSA UE 9Ü département de la Meuse, a demandé, en 1873, le droit de tendre pour les chasseurs de la Marne. Après mûre délibération, sa proposition a été re- poussée par la presque unanimité du Conseil (1). (1) Séance du 28 août 1873. — Compte-rendu. )f. Margaine saisit, à propos de la pêche, Toccasion de demaader à M. le préfet s’il ne lui serait pas possible d’autoriser, dans le dépar- tement de la Marne, la chasse aux petits oiseaux, permise dans la Meuse. M. le Préfet. — Une foule de circulaires ministérielles recom- mandent aux préfets de protéger les petits oiseaux, qui sont d’utiles auxiliaires de l’agriculture. M. Margaine. — Encore faudrait-il prendre dans tous les départe- ments des mesures uniformes. M. Ponsard, président du comice départemental de la Marne^, demande énergiquement le maintien de la prohibition dans ce dépar- tement. M. le Président. — Cette discussion doit éclairer suffisamment M. le préfet sur les intentions du conseil général. Nous le prions d’en tenir compte autant qu’il lui sera possible. Arrêté du Préfet des Ardennes, en date du 24 mars 1862. Art. 18. — La chasse aux oiseaux avec filets, lacets, sauterelles et gluaux, ainsi que le tir des hirondelles, sont interdits en tout temps. 11 n’y a d’exception que pour la bécasse et les échassiers. Arrêté du Préfet de l’Aube, en date du 30 janvier 1862. Art. 11. — Les oiseaux de pays ou sédentaires et les oiseaux de passage autres que ceux désignés ci-dessus (oiseaux de proie) ne pourront être chassés que pendant le temps où la chasse est ouverte, et au fusil seulement. Tous autres modes de chasse à ces oiseaux, tels que la pipée, les lacets, filets, sauterelles, raquettes, appeaux, appelants, chanterelles et engins quelconques sont formellement interdits. Arrêté du Préfet de la Meurthe en date du, 20 décembre 1861. Article premier. — La chasse des oiseaux ne pourra plus se faire, dans le département de la Meurthe, que pendant le temps où la chasse ordinaire sera ouverte, et seulement à tir. Art. 2. — Tous les autres procédés de chasse, tels que la pantière ou pantaine, le filet traînant, la tirasse, les sauterelles ou raquettes, la ET TENDUES. 97 Autant il me plaît d’étudier et d’apporter ma pari de recherches pour la solution de questions d’ordre social, autant il me répugne de m’occuper de per- sonnalités. Les questions relatives à l’utilité des oiseaux sont nouvelles, spéciales et ardues. On comprend donc jusqu’à un certain point que M. X... ait tourmenté Monsieur le Préfet, pour obtenir un arrêté en faveur des tendeurs ; mais peut- être que demain, quand il sera mieux éclairé, il le priera de le rapporter. Toutefois, on ne doit pas laisser subsister certains arguments qui ont été invoqués, assure-t-on, avec succès. J’ai dit que le règlement de chasse aux petits oiseaux dans quelques départements, était au point de vue de l’équité un privilège constitué au profit des uns et au détriment des autres; or, dans le même ordre d’idées, on peut ajouter d’autres con- sidérations d’une certaine gravité. 11 y a deux ans, en passant dans un bois du dé- partement de la Meuse, je rencontrai un pauvre diable qui venait de dénicher cinq grives. Je lui fis pipée, les gluaux, les lacets ou collets, soit de pied, soit suspendus, sont formellement interdits. En 1875, les tendues ont été de nouveau permises. Arrêté du Préfet de Seine-et-Mcnme, en date du 15 juillet 1874. Art. 9. — Est interdite, en tout temps, la destruction des petits oiseaux, par quelque moyen que ce soit. Arrêté du Préfet de l'Aisne^ en date du 2^ janvier 1867. Art. 10. — La chasse aux oiseaux, avec filets, chanterelles, et gluaux, est interdite en tout temps. Vosges. — Arrêté d'ouverture de la chasse en 1875. Art. 6. — Reproduction de l’art. 5 de l’arrêté du 1er août 1874, ainsi conçu : la chasse aux petits oiseaux est interdite de toute autre manière qu’au tir. En 1875, les tendues ont été de nouveau permises. 7 98 OISEAUX DE PASSAGE observer que cela n’était légal dans aucune nation d’Europe pas plus qu’en France, et que cette dé- fense n’était établie que dans l’intérêt général. Les raisons que vous me donnez, me répondit-il en un patois très-pittoresque et intraduisible , ne me semblent pas mauvaises; cependant vous ne me ferez pas accroire que je fais plus de mal que les gros richards qui tous les Jours vont clierclier des cargaisons d’oiseaux dans leurs tendues. Je suppose que ces paroles n’ont pas besoin de commentaire. Il faut bien le reconnaître, il est de l’essence d’une loi d’être la même pour tous à tous les étages de la société. S’il est de l’intérêt général de protéger les oiseaux les plus utiles, il faut ne tolérer en fait de destruction rien de ce qui est excessif, pas plus les tendues que le dénicliage. En rétablissant en ce moment les tendues, on crée des anomalies fort gênantes ; comment, par exemple, recommander dans une école la protection de l’oi- seau et de son nid, quand en sortant de classe les enfants pourront savoir que ces oiseaux seront pris par milliers dans des raquettes ? Toutes les distinc- tions possibles arriveront-elles à persuader que l’arrêté de M. le Préfet n’est pas une déviation de l’enseignement de l’école ? L’an dernier, à la demande du comice agricole de Saint-Dizier présidé par M. le vicomte Charles de Hédouville et de M. l’inspecteur des écoles de Chau- mont, j’ai fait aux instituteurs du canton de Saint- Dizier, des entretiens sur l’utilité des oiseaux ; ces Messieurs faisaient, le jeudi, par des chaleurs ex- cessives, de longs et très-péniblesdéplacements ; en ET TENDUES. 99 reproduisant cet enseignement ils ont déployé un très-grand zèle et sont arrivés à des résultats ines- pérés; aussi le comice agricole a beaucoup regretté de ne pouvoir les récompenser tous. Toutefois des médailles etdes primes ont été données aux plus mé- ritants, et des écoliers ont reçu des livrets de caisse d’é[)argne. Le comice a même décidé qiTil continuerait cette bonne œuvre. M. le sous-directeur de l’agriculture m"a écrit plus tard qu’il trouvait utile et opportun d’intro- duire cet enseignement dans toutes les écoles agri- coles de la région de l’Est. Des sociétés protectrices des oiseaux ont été for- mées dans chaque école, et, d'après leurs registres, un grand nombre denids ont été connus etprotégés. Dans la seule école de Roches-sur-Marne, et sous la direction de son instituteur, M. Dallemagne, les écoliers ont connu et protégé 192 nids qui ont fourni 855 oiseaux. Eh bien ! dans ces sociétés de protecteurs qui, sans instruction et livrés à leurs instincts, formeraient des sociétés de dénicheurs et de braconniers, com- ment justifier le privilège que se trouvent avoir les tendeurs du département de la Haute-Marne ? Car enfin ces oiseaux rendent des services dans un grand nombre de communesetde départements, non-seu- lement dans les forêts, mais encore dans les plan- tations de la plaine et des jardins, aux pauvres et aux riches, à tout le monde, et un seul tendeur en prendra par milliers !M. X.... écrivait dans le journal La Haute-Marne, n*" du 27 octobre 1875, qu’il en avait pris en 25 ans cent mille 1 iOO OISEAUX UE PASSAGE § 2. — RESTRICTION DU MODE DE TENDUES. Pour donner satisfaction aux réclamations des as- semblées législatives et aux instructions ministé- rielles, on a cherché par certaines restrictions à atté- nuer les mauvais effets de la tendue. Par exemple, on a imposé de ne mettre au lacet que deux crins, au lieu d’un plus grand nombre ; ainsi les perdrix et les bécasses ont des chances d’échapper quand la loi est exécutée ; on a même interdit le lacet qui est, comme on le sait, destiné aux plus gros oiseaux. 11 en est résulté que l’action du tendeur s’est de plus en plus concentrée sur la chasse aux petits et très-petits insectivores. Disons bien haut que ces restrictions ne sont qu’un subterfuge impuissant dont on couvre un abus nui- sible à l’intérêt public. § 3. — LA TENDUE CONSIDÉRÉE COMME QUESTION ÉLECTORALE. Un conseiller général de la Haute-Marne, avec le- quel je m’entretenais dernièrement de ces ques- tions, me répondit : que les tendeurs de certains cantons avaient déclaré qu’aux prochaines élections ils voteraient contrôleurs conseillers et contre leurs députés, qu’ainsi la tendue était devenue un piège à élection, et que la question d’économie rurale se transformait, jusqu’à un certain point, en une ques- tion électorale et même gouvernementale. Il est d’ailleurs à remarquer que les tendeurs jouissent en général d’une certaine position sociale, qu’au ET TENDUES. loi iiioment des élections ils sont souvent consultés et que quelques-uns s’en mêlent activement. Cette variété du mandat impératif n’a pas été sans donner quelques inquiétudes à plusieurs ; on au- rait dû, en s’inspirant des délibérations du Sénat et de l’Assemblée législative, et des rapports à Tappui, essayer de démontrer aux réclamants que la chasse excessive des tendues est contraire à l’intérêt géné- ral et qu’elle n’est pas sans donner des goûts de dé- nichage et de braconnage au grand préjudice futur et certain de la chasse en plaine et au bois. On a [>référé aller demander à M. le Préfet d’autoriser ce genre de chasse. En ne refusant pas, M. le Préfet a cru assurément donner satisfaction à un intérêt lé- gitime et éviter un conflit. ElibienIJe recommande aux solliciteurs deux pas- sages du rapport de M. Bonjean. f°Page 17. — « Ces auxiliaires indispensables, ces amis et ces alliés fidèles, Thomme reconnais- sant les aura sans doute pris sous sa recommanda- tion spéciale ; il se sera appliqué à détruire les es- pèces ennemies qui leur font la guerre, l’oiseau de proie qui les saisit au vol, la couleuvre qui se glisse dans le nid pour y dévorer la couvée et souvent la mère avec ses petits. . . non, comme s’il voulait jus- tifier une fois de plus cette apostrophe du fabuliste: trouve bon qu’avec franchise, En mourant au moins je te dise, Que le symbole des ingrats. Ce n’est point le serpent, c’est l’homme. O C’est l’homme qui, parmi étrange aveuglement, se montre le plus terrible ennemi de ces douces et 102 OISEAUX DE PASSAGE utiles créatures ! Plus cruel que le milan et l’éper- vier qui tuent pour se nourrir, lui, tue pour le seul plaisir de détruire. « Le fusil n’est pas assez meurtrier, on le réserve d’ailleurs pour un plus noble gibier. C’est avec une multitude d’engins, filets, gluaux, collets, raquettes, sauterelles, etc. qu’il poursuit, avec une rage aveu- gle, ces amis aussi charmants qu’indispensables que la bonté de la Providence lui avait accordés. « Je vous épargnerai. Messieurs, la description de ces chasses barbares. Il en est qui soulèvent le cœur de dégoût et d’horreur, la raquette ou saute- relle, par exemple, où la victime, ses pauvres petits os brisés par le piège, expire d’épuisement et de souffrances, après plusieurs heures d’agonie. « Page 26. — Il ne faut pas se le dissimuler, les réformes proposées par les pétitionnaires vont heurter bien des préjugés, bien des habitudes invé- térées en certaines parties du pays. Ne conviendrait- il pas que la persuasion accompagnât ou même précédât les moyens de coercition ? « § 4. — DES TENDUES COMME QUESTION INTERNATIONALE. Si j’en crois la lettre du journal La Haute-Marne que j’ai déjà citée, la question des tendues serait même devenue une question internationale d'une certaine gravité. On y lit : a D’ailleurs la chasse de ces petits oiseaux pris aux tendues ii’cst réellement fructueuse et avantageuse qu’au moment des pas- sages qui nous viennent d’Allemagne où les tendues sont permises. « C’est ce dernier motif qui a déterminé MM. les ET TENDUES. 103 Préfets des Vosges et de la Meuse à autoriser dans leur département respectif cette innocente récréa- tion. « Par conséquent M. le préfet de la Haute-Marne, en prenant son arrêté du 7 octobre dernier, qui permet la cliasse des petits oiseaux, pour répondre au vœu bien légitime du conseil général, loin de mériter un blâme, a accompli envers notre pays un acte de justice dont le louent et le remercient sincèrement tous les tendeurs de raquettes des cantons d’Andelot, Saint-Blin et Bourmont. « M. X. » î xaminons la valeur de cet argument. On sait qu’en Allemagne des mesures nom- breuses et très-sévères ont été prises pour la pro- tection des oiseaux utiles (1) ; comment expliquer que dans l’Alsace-Lorraine, les Allemands aient accordé le privilège de faire des tendues ? serait-ce parce que le département de la Meuse ayant rétabli les tendues aussitôt la paix faite, ils ont voulu accorder a ux annexés un semblant de compensation, de petits os à ronger ? Toujours est-il que dans cette région de l’Europe qui est la nôtre, la législation donne de singuliers signes d’incapacité ou d’impuissance. Pour nous en rendre compte, supposons, en effet, qiTen septembre 1875, un rouge-gorge soit parti (1) Rapport Bonjean. — Noie Je la lin. Le ministre du royaume de Prusse a adressé aux instituteurs une circulaire destinée à prévenir la destruction des œufs et des oiseaux utiles (Geoffroy Saint-Hilaire, De V acclimatation, p. 120). Des lois protectrices des oiseaux ont été portées eu divers Etats de l’Allemagne, notamment dans la Hesse, le NVurtemberg, la Saxe, etc. (Tschudi, p. 28.) 104 OISKATJX DE PASSAGE de Hollande pour aller hiverner dans le midi de la France (la chose n’est pas rare), et qu’il ait traversé la Belgique, le département de la Meuse ou l’Alsace- Lorraine, les Vosges et la Haute-Saône. Pendant ses étapes en Belgique il aura pu s’ar- rêter à loisir partout où il aura trouvé un travail abondante! rémunérateur, rendre des visites à un bûcheron dans la forêt, à un pâtre le long d’une haie, et même à un citadin dans son jardin et sous ses fenêtres. Certes, il se sera laissé aller à fredonner son Joli chant d’automne si doux, si gracieux et si sympathique. Mais il a voyagé avec une espèce de passe-port Belge. Nous trouvons, en effet, dans la législation de ce pays les dispositions suivantes d’une ordon- nance royale du 21 avril 1873 : « Léopold II, roi des Belges ; « Vu la loi du 29 mars 1873 qui autorise le gou- vernement à prévenir par un règlement d’admi- nistration générale la destruction des oiseaux in- sectivores ; « Vu la loi du 26 février 1846 ; « Vu l’article 67 de la constitution ; « Sur la proposition de notre ministre de l’Inté- rieur ; « Nous avons arrêté et arrêtons : « Art. 1®^ — Il est défendu de prendre, de tuer ou de détruire, d’exposer en vente, de vendre, d’ache- ter, de transporter ou de colporter les oiseaux in- sectivores, ainsi que leurs œufs ou couvées ; « Art. 2. — Sont considérés comme oiseaux in- sectivores: 105 ET TENDUES. « En tout temps ^ les espèces désignées ci-après : « L’accenteiir-moiicliet ou traine-buissons, les fauvettes, les gobe-mouches ou bec -figues, le grimpereau, les hirondelles les hoche-queue, bergeronnettes ou lavandières, l’hyppolaïs ou con- trefaisant, les mésanges, les pouillots ou becs-fins, le roitelet huppé, le rossignol, le rouge-gorge, le rouge-queue tithys etlerossignol de muraille, la sit- telle ou torchepot, les traquets tariers et motteux, le troglodyte ou roitelet. « 2° Pendant la chasse où la perdrix n'est pas auto- risée ; toutes espèces d’oiseaux à l’état sauvage, sauf quelques exceptions relatives aux oiseaux de proie ». Ne dirait-on pas que cette ordonnance a été ins- pirée au roi des Belges par le savant rapport de M. Bon jean? « Mais incontestablement au premier rang, pour les services qu’ils nous rendent, viennent tous les oiseaux purement insectivor-es : les grimpereaux, le pic-vert, l’engoulevent, le coucou, les différentes variétés d’hirondelles, mais surtout ces charmants musiciens des champs, tous ces insectivores vul- gairement désignés sous les expressions collec- tives de petits-pieds ou becs-fins : rossignols, fau- vettes, traquets, rouges-gorges, rouges-queues, bergeronnettes, pipits, pouillots, roitelets et le tro- glodyte, cet ami des chaumières, qui tous à l’envi nous rendent d’inappréciables services, services aussi gratuits que mal récompensés, parce qu’on ne s’en fait pas une idée suffisamment exacte (1) ». [l) Hdi>iJOi l Bonjean, (i. 16. 106 OISEAUX UE PASSAGE M. Ducuing a conclu dans le même sens. « La chasse aux espèces utiles doit être interdite par tout autre engin que le fusil. « Doivent être déclarés espèces utiles tous les oi- seaux insectivores, et notamment ceux dont la no- menclature suit : riiirondelle, récorclieur, le gobe- mouches, le traquet, l’alonette, le rossignol, les becs-fins de toutes les variétés, le bruant, la fau- vette, le troglodyte, le roitelet, la mésange, la ber- geronnette, le chardonneret, le bouvreuil, le moi- neau, l’engoulevent, la sittelle, le grimpereau, la huppe, le pic, le torcol et l’étourneau, etc. La chasse au corbeau sera interdite ou tolérée suivant la région (1) ». Grâce donc à la législation belge, notre rouge- gorge arrive tout guilleret jusqu’aux douanes fran- çaises ou allemandes, mais alors son attention est attirée par des scènes bien peu rassurantes. A ses regards apparaissent comme autant de potences des milliers et des milliers de raquettes. Pris dans ces engins meurtriers, des rouges-gorges se débat- tent pendant de longues heures en attendant qu’on leur torde le cou. Sont-ce des contrebandiers ? Non ? Ont-ils com- mis (jLielques crimes dans nos départements de la frontière et dans l’Alsace-Lorraine ? Aucun. Supposons même qu’une bonne fée ait donné à l’un de ces rouges-gorges une forme humaine, il obtiendrait sans doute beaucoup de récompenses dans notre société française. Dans une salle d’asile il aurait le prix de i>ro- (1) Rapport Ducumrp à la lin. ET TENJ)UES. 107 prêté et d’appétit, et dans im pensionnat de demoi- selles celui de belle tenue ; car il est joli, gracieux, sa robe d’un gris modeste est rehaussée d’une collerette empourprée et éclatante, ce qui lui a valu le nom de rouge-gorge. Perché sur une branche de buisson, comme sur un piédestal, en- guirlandé de verdures, il apparaît parfois comme pour charmer les regards d’un artiste, pour inspirer une Rosa Bonheur. Dans un conservatoire de musique ne concour- rait-il pas avec succès ? Dans son chant l’on trouve tour à tour les sons doux et veloutés de la flûte, les pénétrantes vibrations des hauts-bois et les accents émus de la voix. Il semble se complaire loin des trivialités de la musique. Il chante les joies de la famille, et, à n’en pas douter, les beautés de la créa- tion, le rayon du soleil^ le beau ciel, la verdure et les fleurs; comme notre admirable virtuose de l’hi- ver, le troglodyte, il gazouille encore sous les voûtes et les ogives de neige. Dans un comice agricole il obtiendrait une mé- daille de vermeil. Il a 18 ans d’âge et de bons ser- vices ; 32 fois dans sa vie il a traversé la Hol- lande, la Belgique et la France ; il a parcouru des milliers de kilomètres, pénétré et fureté dans les retraites les plus inconnues des forêts, des bos- ([iiets et des jardins. Aussi il a délruitdes milliards d’insectes qui, en restant ou en devenant surabon- dants, auraient gaspillé de précieuses richesses agricoles (I). Ces innombrables ennemis il les a im- (\) En examinant le contenu d’estomacs que j'avais soumis k son ap- préciation, M, Godron n’a trouvé que des larves d’insectes, des débris de petits coléoptères, des fragments de perce-oreilles. J’ai vu dans 108 OISEAUX DE PASSAGE médiatement convertis en guano qu’il a semé par- tout. Toujours il a été le premier levé et le dernier couché. En fait de cabaret il n’a connu que la fon- taine et le ruisseau. En dehors de ses repas il n’a guère ouvert le bec que pour édifier son nid ou pour chanter. Sa conduite à l’égard de sa famille et à l’égard des hommes a été particulièrement louable. Il y a de cela dix-huit ans, en Hollande, dans un nid de mousse à ciel de verdure, naissaient sept tout petits enfants ; quand vinrent les migrations d’automne, toutela famille partit, notre jeunerouge- gorge, qui en était, fit alors son premier tour de France, il accomplit ses devoirs en toute occasion et retourna au printemps dans sa patrie. Depuis 1859, il compta en 17 fois 65 petits ; ce que lui coûtèrent les tribulations de la famille, per- sonne ne le saura jamais. De ces chers enfants beaucoup lui furent mangés. De plus, le rouge-gorge est par excellence un ami de l’homme, c’est chez lui une qualité tellement dominante que tous les auteurs se plaisent à la lui reconnaître ; ils ont constaté quTl s’approche des d’antres des écailles de jeunes escargots. Un mémoire récompensé par la société d’agriculture, commerce, science et arts de la Marne, et produit par M. Deleur, mentionne encore comme nourriture de cet oiseau les insectes dont les noms suivent : Anthomyie des oignons {anthomyia cepanim), puceron du prunier {aphis pruiii) , pyrale blanc de céruse {ghjphiptera cenisana), mouche {a) (musca domestico) , pyrale des bourgeons du pin [coccyx turionnna), tenthrède humérale {tentvedo humcmlis), pu- ceron du pommier {aphis mali), teigne hémérobe {coleophora heme- robiello) tipule des potagers {h) {stipula olevacea). (a) Ou compte 24 especes de mouches ordinaires. (h) Les tipules pondent plus de 300 œufs en une seule portée. ET TENDUES. toi) habitations en hiver, qu’il pénètre même dans les maisons et dans les chaumières ; aussi M. Gerbe, d’après Blyth, le nomme-t-il rouge-gorge familier, ruhecula familiaris. Si, en cheminant dans la forêt, il rencontre un bû- cheron, un charbonnier, il aime à s’arrêter et a s’approcher de lui, et à lui faire de gracieuses mi- nauderies. De même que lèvent apporte de l’Océan la goutte d’eau qui rafraîchit la fleur desséchée, et qu’un rayon de lumière et de chaleur part du so- leil pour raviver la sève du chêne endormie dans les ténèbres et le froid de la nuit, de même au plus fort de l’hiver et quand les arbres plient sous le poids de la neige, le rouge-gorge vient offrir au cœur de l’ouvrier de bois un regard d’ami, comme un sourire de la Providence. « Une vieille légende bretonne raconte que le rouge-gorge accompagna Jésus-Christ sur le Cal- vaire, chercha à le consoler par son chant et déta- cha une épine de la couronne du divin Rédempteur pour adoucir, autantqu’il le pouvait,^ses souffrances. Afin de récompenser sa courageuse sympathie, Dieu laissa sur la poitrine du rouge-gorge l’empreinte d’une goutte de son sang divin, et cet oiseau reçut alors la mission de s’attacher aux pas de ceux qui travaillent et qui souffrent, pour continuer ainsi son rôle d’ami et de consolateur (1) ». Ainsi donc le dévouement du rouge-gorge pour ses enfants et ses nourrissons, ses vives sympathies pour les hommes, surtout pour les plus humbles et pour ceux qui souffrent^ ont été très-remarquées (1) M. Vincelot. l'iO OISEAUX DE PASSAGE parles savants et parles chrétiens, eti)Oiirraientliii valoir plus d’une recommandation. Mais, il faut le reconnaître, les bonnes fées, dont j’ai parlé, sont de plus en plus rares, et les qualités qui viennent d’attirer notre attention et que la so- ciété aime à louer, à récompenser et à proclamer comme de nobles exemples chez les hommes, ap- partiennent à un tout petit être emplumé, sans qu’il s’attende à récompense. Au moins, tendeur, et c’est là que je voulais en venir, laisse-le donc vivre; car, tu le vois, le rouge- gorge a sa place marquée dans les ateliers, dans les musées, dans les concerts et dans les temples de la nature, et il me semble que pour persistera ne pas le reconnaître, il faut être d’un incurable aveugle- ment d’estomac ; étudie et protège les oiseaux, tu jouiras de promenades hygiéniques, et de plus tu seras porté à méditer sur les merveilleuses harmo- nies dont les oiseaux sont une des plus belles ex- pressions. Tu seras à la source des grandes idées et des grandes convictions, celles qui donnent la force et le courage. Mais revenons à notre rouge-gorge. Supposons qu’il a été assez heureux pour échap" per à toutes les potences de la Meuse, des Vosges et de la Haute-Marne, il met le pied dans le dépar- tement de la Haute-Saône. A son grand étonne- ment et à son extrême contentement il ne voit plus rien de sinistre, et il peut, sans de continuelles alarmes, se laisser aller au cours naturel de sa vie. — l’explication de ce fait se trouve dans un arrêté de M. le préfet de la Haute-Saône pour 1876. « Art. 3. — La destruction au fusil, comme par KT TENDUES. lll tout autre mode de chasse des petits oiseaux pro- prement dits, essentiellement insectivores, qu’ils soient de passage ou non, est formellement inter- dite. Une seule exception est établie en ce qui con- cerne les alouettes que l’on peut chasser au fusil à l’aide du miroir. En outre, des gratifications de 8, 10, 15, et 25 francs sont accordées aux gardes (jui auront dressé des procès-verbaux, suivis de condamnations, pour divers délits de chasse, et no- tamment pour les lacets et la destruction des nids. Le gibier pris aux lacets peut être saisi et donner lieu à une condamnation ». Il me semble que ces contradictions de la légis- lation humaine et internationale, qui disent oui et non dans la même question, ne sont pas faites pour inspirer le respect de la loi et la considération des législateurs. La plupart des oiseaux ne sont-ils pas avant tout des professeurs et des ouvriers que la Providence envoie à toutes les nations, pour le plus grand bien de tous, des pauvres et des riches, de la vie matérielle, morale et intellectuelle? Pourquoi ne seraient-ils pas accueillis partout avec la même bienveillance qu’en Belgique et dans les départe- ments de la Haute-Saône et de la Marne ? Quand bien même il nous en viendrait d’Alle- magne, est-ce que beaucoup d’entre eux ne sont pas pour l’agriculture française des auxiliaires de l’automne, du printemps et souvent de l’hiver? Ce n’est pas avec cette guerre à coups d'épingles, la guerre des raquettes, que nous affaiblirons la Prusse. Ce n’est pas avec des brochettes à la Lucul- lus que nous relèverons les caractères. Laissons 112 OISEAUX DE PASSAGE donc ces chers et admirables oiseaux accomplir la tâche que dans notre intérêt Dieu leur a assignée. Qu’ils aillent chaque année chanter en Allemagne l’hospitalité de la France, qu’à chaque printemps ils aillent redire aux Alsaciens et aux Lorrains que notre patrie a toujours pour ses enfants un cœur de mère. En fait de droit international, meme quand il s’agit de tendues, aimons à ne proclamer et à ne suivre que les principes de l’équité et de la justice. Il est à désirer, ainsi que nous l’avons écrit plu- sieurs fois, que les peuples interviennent pour pro- téger efficacement les oiseaux serviteurs et pour adopter à ce sujet des règlements communs. Ce serait pour la France un bonheur de prendre l’initiative d’un congrès dans lequel seraient éta- blie une carte ornithologique d’Europe et préparés les documents nécessaires pour cette spécialité de législation. En attendant, et pour faciliter les voies, donnons au moins le bon exemple. i:i TENDUES. 1 1:{ CONCLUSION. Nous eu avons fini, je l’espère, avec les objections de quelques tendeurs ; elles ont eu au moins le mé- rite de nous affermir dans nos convictions. Aussi je m’explique ce passage d’un rapport de M. Bonjean, page 20 : « Le mal est grand encore une fois, le danger imminent ; il faut des remèdes prompts et énergi- ques... Voilà ce que vous crient les honorables pétitionnaires et, avec eux, nombre de conseils gé- néraux, ainsi que les sociétés de tout genre qui s’oc- cupent, à des titres divers, d’agriculture et de zoo- logie. C’est ce que vous répètent, avec un accord chaque jour plus unanime et plus pressant, les naturalistes et les agriculteurs les plus distingués qui, par état ou par vocation, se sont occupés d(î cette question. MM. Geoffroy Saint-Hilaire, Florent- Prévost, Saac, Gloger,Koecblin, Dumast, Jonquières- Antonelle, Chatel, Gadebled, Valserres et tant d’au- tres dont nous n’avons été, en ce rapport, que l’écho très-affaihli )>. M. Ducuing ajoute que son rapport est basé sur les réponses collectives émanant de 63 sociétés ou comices agricoles de toutes les régions de la France. En résumé, il nous semble de toute évidence que la chasse à la tendue est aussi contraire à Fintérêt général qu’à l’esprit de nos lois. i\i OISEAUX DE PASSAGE ET TENDUES. Elle est moins tolérable qii’aiitret'ois, car elle devient bien vite plus générale et plus destructive, elle sert d’excuse ou de prétexte aux braconniers, (|ui dénichent et qui font des tendues volantes dans les forêts en été et près des liabitations pendant les neiges, enfin elle est en trop flagrante contra- diction avec renseignement que l’on commence à donner dans les écoles sur l’utilité des oiseaux. 11 importe donc que les assemblées législatives, le pouvoir exécutif, les conseils généraux, les sociétés savantes et agricoles interviennent à nou- veau pour l’interdire. Il y a une intervention qiEon ne peut trop recom- mander, elle consiste à démontrer aux chasseurs, aux conseillers généraux et à leurs électeurs que la voix, qui depuis quelque temps s’élève en faveur des oiseaux, est la voix de la science, de la morale, de Eestliétique et de la richesse. J’ai déjà eu l’extrême satisfaction d’apprendre que, malgré l’insuffisance de mes écrits, j’avais converti des hommes d’une grande valeur et qu’ils avaient cessé de pratiquer ce genre de chasse. Je pourrais citer les noms d’un Président de Comice, de conseillers généraux et de tendeurs passionnés. Ayons donc confiance dans le triomphe de la vérité. D’autres chasseurs ne demandent que d’être convaincus pour brûler leurs raquettes. Dans un précédent ouvrage, nous avons établi les différences qui existent entre les oiseaux-gibier et les oiseaux-serviteurs. Il est facile de voir que la présente étude se rapporte à ces derniers. TABUi DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE rages Introduction I I. Du droit de chasse : 1° Droit naturel 3 2° Droit français 4 3“ De la législation relative aux oiseaux. 9 II. Statistique de tendues 14 III. Avantages de la tendue 22 IV. Conséquences malheureuses de la tendue : 1” Au point de vue des oiseaux sédentaires 23 2<* Au point de vue des oiseaux de passage 27 3“ Dommages résultant de la destruction excessive des oiseaux sédentaires et des oiseaux de passage, dans tes bois, près des habitations, dans la plaine et sur les rives d’eaux 30 4» Proportion des pertes occasionnées par la destruction des petits insectivores; impossibilité d’y remédier 32 5* Réponses à quelques objections 38 6° Effets de la tendue au point de vue moral 40 7° Les oiseaux nous convient aux enseignements et aux nobles joies que l’on trouve dans la contemplation du beau 42 Conclusion 48 DEUXIÈME PARTIE. Introduction 51 I. Les tendues détruisent, sans profit sérieux pour l’alimentation, les plus petits oiseaux insectivores. — Dommages qui en ré- sultent IL Oiseaux de passage : § 1er. — De la répartition des oiseaux à la surface de la terre. Des migrations, de leurs causes, de leurs moyens, et de leurs effets utiles 65 MG TABLE DES MATIÈRES. l’aÿcs. § 2. — Utilité des oiseaux de passage 80 § 3. — Intervention de l’homme en faveur des oiseaux de pas- sage - 85 III. — De quelques principes d’équité et de droit invoqués par les tendeurs : § 1er. _ i>e l’égalité devant la loi 93 § 2. — Restriction du mode de tendues 100 § 3. ~ La tendue considérée comme question électorale 100 § 4 — Des tendues comme question internationale 102 Conclusion 113 JJ:u — Tyi)oyrai)liio dus Cki.kstins. — l>Ki:Tii,vNi>. k; I > I / ». * *( I , >. ’f ' I -, # \ MCZ ERNST MAYR LIBRARY 3 2044 128 439 395 T }r \ ■-«.rJ d*V.