# è t

1^ t.

I„#.^

•»ni:#"i.:i.,8Li»

fr3..i^.t i.t.^

t.àlILt

i I. iLi.,t

1 i n I f 1^

i'i :â.i t.4i #-..^

*-ViV*N%^'

'^^^^ '-r^' 'T^^^

. :':m^ -

m:.4

m-.

■f-iMi..

■IR*:

O s s I A N,

POÉSIES GALLIQUES.

TRADUITES DE L'ANGLOIS. TOME PREMIER.

O s s I A N,

FILS DE FINGAL,

BARDE DU TROISIEME SIECLE:

POÉSIES GALLIQUES,

Traduites fur r Anglais de M. MACPHERSONf Par m. le TOURNEUR.

TOME PREMIER.

A PARIS,

Chez M U S I E R , Fils , Libraire , rue du Foin-Saint- Jacques.

M. Dec. L X X F I I. AVEC APPROBATION ET PRIVILÈGE DU ROi.

♦sc^^^^^^sië^^^^^^^-

DISCOURS

PRÉLIiMINAIREi^).

il SX- IL vraifemblable qu'un Sauvage, un Barbare , foit l'Auteur d'un grand nombre de Poëmes, tels que les Chants de Selma, Car- thon , Carriclura , Calthon &c Colmal , Dar- thula , Lathmon , &c. tout refpire la géné- rofité, la grandeur d'ame, le véritable héroïs- me , le mérite de la compofition répond à la beauté des fentimens? Eft-il poflible que fans le fecours de l'écriture, ces Poëmes fe foient confervés jufqu'à nous , pendant près de quatorze cent ans, chez un peuple igno- rant & privé de tous les Arts ?

Quelques détails fur l'origine , le Gouver- nement ^ les mœurs Ôc les ufages des Calédo- niens éclairciront ces problêmes, ôc la fimple

Cedifcours eft extrait & compofé en grande partie des Dillertations Angloifes de M. Macpherfon. Tome I. a

^J

DISCOURS

expofirio» des faits en donnera la folution : ces détails abfolument néceflaires , pour l'in- telligence de plufieurs paflages ^Ojfian , font d'ailleurs de nature à intérefler tout Le£leur , & le merveilleux du roman eft ici uni à la vérité de l'hiftoire.

L'enfance des Etats , comme celle de l'hom- me, n'eft point le tems des a£tions éclatantes; quand elle feroit marquée par des événemens mémorables , ils feroient perdus pour la pollé- rité. Les Arts qui immortalifent les grands hommes, confervent feuls ôc aflurent le fou- venir de leurs actions, ne croilTent fie ne fleu- riflent que dans un fol cultivé par plufieurs générations. C'efl: chez un peuple déjà poli ôc civilifé que les Hiftoriens écrivent, que les monumens s'élèvent. Les faits des premiers âges reftent enfevelis dars l'oubli , ou font altérés fit exagérés par des traditions incer- taines. Toutes les Nations fe donnent pour fondateurs des héros fabuleux ^ ou des Dieux imaginaires. Toutes veulent illuftrer leur ori-

P R E L I M I NA I R

"7

gine aux dépens de la vérité. Les Grecs & les Pvomains, ne furent point exemts de cette vanité ; mais ils eurent de bonne heure d'ex- cellens Hiftoriens qui tranlmirent leurs, ac- tions à la poftérité , tandis que celles des autres peuples font mêlées de fables extrava- gantes, ou font reftées perdues pour les (iè- cles fuivans. Les Celtes , maîtres de l'Europe depuis l'embouchure de l'Oby , en Ruffie, jufqu'au Cap Finiftere, font à peine connus dans l'Hiftoire. Leur langue, qu'on parle en- core chez des nations féparées les unes des autres par des pays immenfes , eft le feul mo- jiument qui nous refte d'eux. Il attefte l'éten- due de leurs polTeflions , fans jetter aucune lumière fur leur hifloire.

De tous les peuples connus fous le nom de Celtes , les plus renommés font ceux qui ha- bitoient les Gaules ^ 6c ils ne doivent cette célébrité qu'aux Hiftoriens des nations contre lefquelles ils ont eu des guerres fréquentes. Suivant le témoignage des meilleurs Au-

D I s C O U R S

teurs (2) , la Grande-Bretagne fut le premier pays que peuplèrent les Celtes des Gaules. La fituation refpeftive des lieux rend cette opi- nion probable , ôc la conformité de langage ôc de coutume qui exiftoit du tems de Céfar , entre les Gaulois & les Bretons , femble ne îaifler aucun doute fur cette origine. La Colo- nie Gauloife s'établit d'abord dans cette partie de la Grande-Bretagne , qui eft vis-à-vis les Gaules; elle s'étendit vers le Nord, 6c peu- pla par degrés , l'ile entière. Tacite croit que les Calédoniens (3), qui habitoient les mon- tagnes au Nord de rÉcolTe , provenoient des Germains ; il en donne pour preuve la cou- leur de leur chevelure ôc la grandeur de leur taille (4). La langue, les ufages des anciens Celtes , qui fe font toujours confervés dans cette partie de la Grande-Bretagne, femblent contredire l'opinion de ce grand Écrivain (5). Quelle que foit l'origine des Calédoniens, il paroît que du tems de Jidius Agricola , ils étoient fort nombreux, ôc en état de réfifter

PRÉLIMINAIRE. y

aux Romains , maîtres du refte du monde con- nu ; ce qui fuppofe qu'il y avoit déjà long- tems qu'ils étoient établis dans le pays. Leur gouvernement étoit un mélange d'Ariftocratie & de Monarchie , comme chez tous les peuples les Druides s'étoient emparés du pouvoir fouverain. Leurs divinations , leur prétendu commerce avec le ciel , une vie auftère ôc re- tirée leur avoient acquis une grande confidé- ration parmi le peuple. Ces hommes adroits & ambitieux furent fi bien profiter de la vénéra- tion qu'ils infpiroient , qu'ils fe mirent infenfi- blement à la tête de toutes les affaires reli- ■gieufes & civiles. Les chefs veilloient à l'exé- cution des loix ; mais le pouvoir légiflatif étoit entre les mains des Druides : c'étoit par leur ordre que les tribus fe réuniffoient fous un feul chef, quand la nation étoit menacée de quelque guerre domeftique ou étrangère ; c'étoient eux qui choififfoient le Magiftrat ou Vergo- bret & fa dignité ne duroit, comme la dida- ture des Romains , que le tems du danger.

VJ

DISCOURS

Les Druices confcrvèrent long-tems cette autorité extraordinaire chez les nations Celtes , qui n'étoient pas foumifes aux Romains. Mais dès le commencement du deuxième fiècle leur puiflance commença à décliner parmi les Ca- lédoniens. Les guerres continuelles que ces peuples eurent à foutenir empêchèrent la no- bleffe d'entrer , comme auparavant , dans cet ordre , le nombre des Prêtres diminua , & les préceptes de leur religion furent négligés ôc bientôt oubliés dans le tumulte des camps. On ne nomma plus de Vergobret, ou bien il fut élu fans leur participation, 6c continué malgré eux.

Les Calédoniens étoient originairement d.'r vifés en Tribus ou Clans. Chaque Clan avoit fon chef, ôc chaque chef étoit libre & indé- pendant. Toujours en guerre contre le Roi du monde ( nom emphatique, que les Poèmes du tems donnent aux Empereurs Romains, ) le danger commun raflembloit toutes les tribus; mais comme aucun des chefs ne vouloit obéir à fon égal , comme tous vouloient comman-

P RE L J M I NA I R E. vij

der , leurs guerres furent mai conduites & par conféquent malheureufes. Trenmor, bifaïeuldu célèbre Fingal , fut le premier qui repréfenta aux chefs les funeftes conféquences de cette divifion ; il leur propofa de commander cha- cun à leur tour; la propofition fut acceptée. Tous furent vaincus. Trenmor prit à fon tour le commandement de l'armée & défit entiè- rement l'ennemi. Les Tribus viûorieufes le proclamèrent Vergohret d'une voix unanime. Alors, les Druides voulurent reclamer les pri- vilèges de leur ordre; ils députèrent G armai , fils de Tarno , vers Tz-^/z/nor, pour lui ordon- ner de fe démettre de fa dignité. Le refus de Trenmor occafionna une guerre civile, qui fut bientôt terminée par la deftrudion totale des Druides. Le petit nombre qui échappa au car- nage, fe cacha dans les forêts & dans les ca- vernes , ils avoient coutume de fe retirer pour fe livrer à la méditation.

L'extindion du Sacerdoce fut fuivie d'un mépris général pour la Religion. L'autorité

viij DISCOURS

que le Vergobret n'avoit eue que par éleftion ôc pour un tems , devint perpétuelle 6c hérédi- taire, & le nom de Vergobret fut changé en celui de Roi.

L'autorité royale, excepté en tems de guerre," étoit très- bornée j chaque chef relia toujours Souverain dans fa tribu , ôc fon pouvoir même n'y étoit pas illimité. On croit aflez générale- ment que les Montagnards d'Ecoffe vivoient dans le plus vil efclavage. Leur attachement à la famille de leur chef, la grande idée qu'ils avoient de fon mérite , ont pu donner lieu à cette erreur. Mais les premiers fiècles d'une fociété ne font jamais le tems du pouvoir arbitraire. Les hommes ayant peu de befoins confervent long-tems leur indépendance ; mais plus un peuple fe civilife, plus les efprits fe plient ôc fe façonnent à cette foumiiTion au gou- vernement, dont les Magiftrats ambitieux abu- fent pour rendre leur pouvoir abfolu. Quand la gloire ou la fureté de la tribu étoit menacée , Les ordres des chefs étoiçnt facrés, on leur

obéiflbit

PRELIMINAIRE. ix

obéilToit fans reftrittion ; mais fi un particulier étoit opprimé dans fa tribu , il pafToic dans une autre, 6c trouvoit dans cet afyle tous les avan- tages que fa Patrie lui refufoit ; la crainte de cette défertion rendoit les chefs très - circon^- fpecls dans l'exercice de leur autorité. Comme le degré de leurpuiflance dépendoit du nombre de leurs fujets , ils évitoient avec foin tout ce qui pouvoit le diminuer.

Dans les affaires civiles , ils ne fuivoient pas les ordres de leurs chefs, mais la coutume de leurs ancêtres , telle que la tradition l'avoit confervée , & qu'ils appelloient Clechda. S'éle- voit-il quelque différend entre deux particu- liers ; ils choififfoient quelques vieillards de la tribu pour les juger, fuivant l&'ClcchJa. Le chef interpofoit enfuite fon autorité , ôc don- noit force de loi à la décifien des arbitres. Pendant la guerre , le chef étoit moins réfervé dans l'exercice de fon pouvoir ; mais il l'éten- doit rarement jufqu'à ôter la vie à un membre de fa tribu. Il n'y avoit de crime capital que le Tome L b

DISCOURS

meurtre, & ce crime étoit très- rare; on n'infii- geoit jamais aucune punition corporelle. Le fouvenir de cet affront fe feroit confervé pen- dant plufieurs fiécles dans une famille, & elle auroit cherché fans ceffe les occafions de s'en venger. Mais quand le chef puniflbit un fujet de fa propre main, cette peine étoit alors regardée comme une correttion pater- nelle.

Ce qui contribua fur - tout à affermir l'au- torité des chefs dans leur tribu, & le pouvoir du Roi fur les chefs, ce furent les chants des Bardes {6). Les Bardes étoient des Druides d'un rang inférieur , dont l'emploi étoit de chanter les Jléros & les Dieux. Ils ne parta- gèrent poinPfcs malheurs de leur ordre. Le vainqueur, jaloux d'immortalifer fon nom; épargna les difpenfateurs de la gloire. Ils paf- sèrent dans fon camp & lui témoignèrent leur reconnoiffance , en le peignant dans leurs chants comme un héros doué de toutes les vertus. Le vulgaire incapable d'examiner de

P R E L I M I NA IRE.

XJ

près le caractère du Roi , fut ébloui des bril- lantes qualités que lui attribuoient les Bardes. Ces Poètes, difcipies des Druides, étoient initiés aux myftères 6c à la fcience de cet ordre fameux;- leur génie & leurs connoiffances les mettoient fort au-deffus de leurs compatriotes. Ils fe formèrent l'idée d'un héros accompli, & donnèrent à leur Roi le caractère qui n'e- xiftoit que dans leur imagination. Les chefs prirent ce héros idéal pour leur modèle, & les efforts qu'ils firent pour l'imiter créèrent dans leurs âmes tous les fentimens héroïques qu'on trouve dans les Poéfies de ces tems re- culés. Le Prince, excité par les louanges & par la rivalité de fes chefs , voulut fe diftin- guer par fes vertus , autant qu'il l'étoit par fon rang. Cette émulation continuelle forma à la fin le caraûère général de la nation , affem- blage heureux de la valeur fière d'un peuple fauvage , ôc des plus belles vertus d'une nation civilifée.

Les adions d'un tel peuple deviennent inté-

h 2

aj

DISCOURS

reflantes ôc dignes de paiïer à la poftérité. La gloire de la nation év^eille le génie de l'homme que la nature a doué dune ame fenfible ôc d'une imagination ardente. Il brûle d'immor- talifer la renommée de fa patrie. Le langage vulgaire lui paroît au-deflbus des adions qu'il veut célébrer : la mefure & l'harmonie aident à imprimer fes récits dans la mémoire de ceux qui l'écoutent. C'eût été fans doute l'ori- gine de la Poéfie parmi les Calédoniens , fi cet art n'eût pas fait partie de la religion de leurs Druides.

C'eft à la Poéfie que la plupart des nations ,' ainfi que les Calédoniens , ont confié leur hiftoire. L'ufage confiant de répéter les Poè- mes hiftoriques dans toutes les occafions fo- lemnelles ^ & de les enfeigner aux enfans , a fuffi pour les conferver long-tems fans le fe- cours de l'écriture. Cette chronique auriculaire s'efl perpétuée chez les Germains jufqu'au huitième ficelé , & c'eft d'après les traditions poétiques _, qu'on a écrit la première hiftoire

P R E L I M I N A IRE.

XUJ

des Incas du Pérou. Si des peuples dont le pays a été fouvent inondé de colonies étran- gères ôc qui en ont envoyé eux-mêmes dans les contrées éloignées , ont pu conferver fans altération ôc pendant pluileurs fiècîes leurs hiftoires traditionnelles , doit - on s'étonner que les Calédoniens , qui n'eurent pendant long-tems aucun commerce avec le refte du monde ^ ôc qui furent toujours fi attachés à la mémoire de leurs ancêtres , aient tranfmis de génération en génération les Poèmes hillori- ques de leurs Bardes ?

Le Roi n'étoit pas le feul qui eût des Bar- des à fa fuite. Chaque chef avoit les fiens , ôc ces Bardes avoient fous leurs ordres un cer- tain nombre de Bardes inférieurs proportion- né à la puifTance du chef. Le Roi donnoit tous les ansunefêtefolemnelle,où les Bardes de toutes les tribus s'aflembloient pour répéter leurs Poëmes. Iljugeoit, avec les chefs, ceux qui méritoient d'être enfeignés aux enfans. On trouve un exemple de ce concours dans les

DISCOURS

Chants de Selma. A l'armée , tous les Bardes fe réuniflbieut dans les occafions mémorables , ôc chantoieiit en chœur , foit pour célébrer une vidoire , foit pour déplorer la mort d'un per- fonnage diftingué. Les Pocmes que l'on chan- toit alors étoient toujours de la compofition de V Archibarde j ou chef des Bardes du Roi , qui ne devoit cette place éminente , qu'à la fu- périorité de fon talent pour la Poéfie.

Les Bardes fervoient de Hérauts , pour an- noncer la paix ou la guerre. Les chefs ôc le Roi n'employoient jamais d'autres Ambaffa- deurs; leur perfonne étoit facrée, & l'on voit dans Temora un Ufurpateur qui n'ofe lever fur eux la main qu'il venoit de tremper dans le fang de fon Roi.

Les honneurs dont ils jouiflbient & les émo- lumens de leurs places, rendirent, dans la fuite , leur ordre très-nombreux ôc très - info- lent; ils compofoient des fatyres fanglantes contre tous ceux que leurs prote£leurs n'ai- moient pas , ôc revêtus du caradère d'Am-

PRELIMINAIRE, xv

bafladeurs , ils portèrent la licence jufqu'à ac- cabler d'injures les chefs qui refufoient leurs propofitions.

Il paroît qu'après l'introdudion du Chriftia- nifme , quelques-uns fe firent Prêtres. Ce fut peut-être pour cette raifon qu'on les appella Clercs , du mot latin Clericus. Les Clercs quelle que foit l'étimologie de leur nom, devin- rent un fle'au public. Abufant de la confidé- ration qu'on avoit pour leur ordre, ils ve- noient en grand nombre chez les chefs , & y vivoient à difcrétion , jufqu'à ce qu'une autre troupe vînt les en chaflTer , avec les armes de la fatyre. La tradition nous a confervé quelques-uns de ces combats poétiques, & rien ne prouve mieux jufqu'à quel point les Bardes portoient alors la licence , ôc combien la Poélie avoit dégénéré. Leur indolence ôc leur penchant à la malignité avoient éteint ce feu pur, ce noble entlioufiafme, qui animoient leurs prédéceffeurs. L'infolence de leur con- duite, 6c la médiocrité de leurs talens, forcé-

CVJ

DISCOURS

rent enlin les chefs à leur oter des privilèges dont ils ne méritoient plus de jouir. Ils pro- diguoient la louange & le blâme, fans choix ôc fans difcernement. Ils érigeoient en héros accompli , un petit tyran , dont le nom étoit à peine connu au-delà du vallon il regnoir. Ces hommes lâches 6c corrompus, en prof- tituant ainfi fans pudeur la louange à ceux qui en étoient le moins dignes , rendirent leurs pa- négyriques méprifables. A la fin les chefs, lafTés d'eux, les chafsèrent honteufement. Alors , in- dignés d'un traitement qu'ils méritoient ^ ils s'abandonnèrent plus que jamais à leur ma- lice , 6c pendant près d'un ficelé, leurs ou- vrages ne font que des chanfons fatvriques. Les chefs méprisèrent leur impuiflante mé- chanceté. Le peuple qui ne craignoit pas leurs traits , les reçut, 6c les traita auffi-bien que fa tituation le permettoit. Errans de tribus en tribus , ils amufoient leurs hôtes , en répétant les compofitions de leurs prédécefiTeurs, ou en flattant leur vanité par de faufiles généalogies.

Enhardis

PRELIMINAIRE, xvij

Enhardis par ces premiers fuccès , ils eurent bientôt recours à des moyens plus puiflans pour charmer le vulgaire. Privés du talent de rendre la vérité intéreflante , ils inventèrent des fables, ils fubftituèrent les châteaux en- chantés, les géants, les nains, les magiciens, ôc tout le merveilleux des romans, à la fagefle de l'Hiftoire. Chaque Barde, en répétant ces contes , y ajoutoit les circonflances qu'il croyoit les plus propres à fixer l'attention, &: à exciter l'admiration de fes auditeurs. Ces hiftoires romanefques devinrent enfin fi dé- nuées de vraifemblance , que le peuple même les aimoit fans les croire. Un grand nombre de ces contes eft paflTé jufqu'à nous. Les Mon- tagnards (TEcoffe les récitent encore aujour- d'hui. Quelques - uns font fi longs qu'il faut plufieurs jours pour les répéter. Ceux qui les favent par cœur ont une mémoire fi prodigieu- fe , qu'ils n'omettent pas la moindre circon- flance. Ce qu'il y a de plus étonnant fans doute, c'eft d'entendre (bus un ciel rigoureux, au mi- Tome I. c

xvUj DISCOURS

lieu d'une chaîne de montagnes couvertes de neiges ôc de glaces , des defcriptions magniri- ques qui furpaflent toute la pompe orientale. Ces contes font remplis de détails peu natu- rels, ôc d'aventures invraifemblables , qui rebu- tent un homme fenfé. Mais je ne fais com- ment il arrive, dit M. Macpherfon , qu'ils atta- chent & ufurpent l'attention.

Tous ces romans font en vers , ou plutôt en profe rimce. Les Poèmes SOjfian & des an- ciens Bardes font en profe mefurde. Ils gar- doient la rime pour les morceaux lyriques dont ils femoient leurs Ouvrages , & qu'ils chan- toient en s'accompagnant de la harpe pour couper leurs récits 6c réveiller leurs auditeurs.

Leurs fuccefleurs en faifant confifter toute la beauté de la Poéfie dans le retour des mê- mes fons , hâtèrent l'extintlion de leur ordre. Bientôt il n'y eut point de berger parmi les Montagnards qui ne fit des vers paffables : tout homme qui a de l'oreille peut revêtir d'un lan- gage harmonieux & monotone des idées fans

PRELIMINAIRE, xix

fuite 6c fans intérêt. L'art devenu trop facile tomba dans le mépris, dès qu'il n'y eut plus ni gloire ni avantage à l'exercer ; quand les Montagnards furent devenus un peuple de ri- meurs, les vrais Bardes difparurent. Telle fut la fin d'un ordre que le génie , les exploits & les vertus à'OJfîan avoient porté au plus haut degré de fplendeur. Ce Barde célèbre vivoic avant l'établiflement de la Religion Chré- tienne en EcoJJe , c'eft-à-dire , vers la fin du troifiéme ou le commencement du quatriè- me fiècle. Ce fut l'an trois cent trois que la perfécution de Dloclétien fit pafTer quelques Chrétiens en Bretagne. La douceur & la tolé- rance de Conflantius Chlorus qui y comman- doit alors, y attira bientôt un grand nombre de fe£tateurs de la religion perfécutée. Quel- ques-uns, par crainte , ou par zèle pour la propa- gation de la Foi, quittèrent le pays fournis aux Romains, ôc vinrent s'établir chez les Calédo- niens; ils trouvèrent ces peuples d'autant plus difpofés à recevoir leur nouvelle dodrine ,

c 2

DISCOURS

qu'ils avoient abfoliiment oublié la religion des Druides. Ces premiers Miffionnaires Chré- tiens vécurent dans les cavernes & dans le fond des forets , ce qui les fit appeller par les Calédoniens , Culdccs ; c'eft-à-dire , Solitaires. Ce fut avec un de ces Guidées quOJfian, dans les dernières années de fa vie , difputa fur la Religion Chrétienne. La tradition a confervé cette difpute célèbre. Elle porte toutes les marques de l'antiquité la plus reculée ; OJJian y montre une telle ignorance des dogmes du Chriftianifme, qu'on ne peut pas fuppofer qu'il fût déjà introduit en EcoJJé. Il eft donc proba- ble que notre Barde fleurilToit lors de l'arrivée des premiers Miffionnaires Clirétiens en ÊcoJJè. Les allufions fréquentes qu'il fait à l'hiftoire de ce tems, femblent difliper tous les doutes qu'on pourroit former fur cette époque (7).

OJ/ian defcendoit de ce fameux Trenmor qui détruifit l'ordre des Druides, & fut pro- clamé Roi par toutes les Tribus (8).

Fingal, fils de Comhal, & petit-fils de Tren-

PRÉLIMINAIRE, xxj

mor , naquit le jour même de la mort de foa père. Quand il fut forti de l'enfance, il recon- quit fes Etats. Gaul, fils de Morni, devint fon ami, & l'accompagna dans toutes fes guerres. Le Barde OJfian étoit fils de Fingal & de Rof- crana (p). Dès o^OJJïan put porter les armes ,■ il accompagna fon père dans toutes fes expé- ditions. Ulrlande fût le théâtre des plus con- fidérables (lo). Ce fut dans une de ces ex- péditions qu'il époufa Rofcrana , fille de Cor- mac , ôc mère de notre Poëte (i i). Of- fian y dans les deux expéditions , partagea les dangers & la gloire de fon père. Le rétablif- fement de Ferard-Ârtho fur le trône d' Irlande f fut le dernier exploit de Fingal; alors il remit folemnellement fa lance à Ojfian. Notre Bar- de en fit un digne ufage^oz/r la défenfe du foi- ble & de ropprime'j jufqu'à ce que la vieillefTe l'eût fait tomber de fes mains. Alors privé de fon père & de fon fils Ofcar , que Cdirbar l'u- furpateur avoit tvié par la plus lâche des trahi-

xx:j DISCOURS

fons, aveugle & infinne, il charma fa dou- leur & fes maux , en chancant les exploits de fes amis. Il fe traînoit fouvent à la tombe de fon père , & fe confoloit comme il le dit lui- même, en la touchant de fes mains tremblan- tes. Malvina , l'époufe de fon cher Ofcar , ne l'abandonna point. C'eft à elle qu'il adrefle la plupart- de fes Poëmes , fur-tout ceux le vaillant Ofcar joue le principal rôle. La ten- dre amitié , les foins de notre Barde pour Mal- vina , la reconnoiflance Ôc l'attachement de la veuve d'Ofcar prouvent que la délicatefie des fentimens n'eft pas le partage exclufif d'un peu- ple civilifé.

Malvina apprenoit par cœur les Poëmes à'OJ/Ian , à mefure qu'il les compofoit, & les chantoit en s'accompagnant de la harpe. Après la mort à'OJfian, les Bardes les apprirent de Malvina, ôc les rdpétoient de préférence à leurs propres ouvrages. Les détails hifîoriques qu'ils contiennent , autant que la beauté de la Poé-

PRELIMINAIRE, xxiij

fie, les rendoient chers à tous les Calédoniens-, mais ce qui les rend précieux aujourd'hui, c'eft qu'on y trouve une peinture fidèle des mœurs de fon tems , & qu'ils peuvent fervir à l'hif- toire de refprit humain. Les opinions , les ufa- ges,les paffions ôc les plaifirs d'un peuple qui fort, pour ainfi dire, des mains de la Nature, ne font point un fpedacle indifférent pour le Philofophe.

La guerre étoit la paflion dominante des Calédoniens ; ils avoient un fouverain mépris pour la vie tranquille, & croyoient que le repos aviliflbit l'homme. En effet, quand l'ame eft oifive , elle perf fa vigueur naturelle. L'ac- tion au contraire, & les viciffitudes de la for- tune mettent en jeu toutes les facultés de l'ef- prit humain, ôc les fortifient en les exerçant; de-là vient que chez les" Nations policées la loi affure à chaque individu le repos & la pro- priété , vous trouvez rarement cette valeur in- domptable, ce mépris héroïque de la mort qui fembient caradérifer un peuple fauva^^e.

DISCOURS

La réfiflance invincible que les Calédonien^ opposèrent aux Romains ; cette muraille fa- meufe que les maîtres du monde bâtirent en Ecoffe pour fe garantir de leurs incurfions (12), attellent le courage de cette nation. L'éduca- tion perpétuoit parmi les Montagnards d'E- coffe y cet enthoufiafme guerrier qui élevé l'homme au-deflus de lui-mcme , change la fa- tigue , les périls & la mort même en plaifirs. A peine un Calédonien étoit-il forti de l'en- fance qu'il fuivoit fon père à la guerre. La crainte de fe déshonorer fous les yeux d'un tel guide, ôc le defir d'égaler fa gloire , trans- formoient les enfans en héros.

L'autorité paternelle étoit abfolue ; elle n'é- toit fondée fur aucune loi, mais fur le refpefl & l'amour: on verra dans un des Poëmes diOf- fian un jeune homme que Fingal avoit exclu du nombre de fes guerriers pour une adion honteufe, aller chercher lui-même le fer avec lequel fon père , aveugle & vieux , le frappe fur le tombeau de fon aïeul. Ce qui allumoit

fur-tout

PRELIMINAIR E.

fur-tout dans le cœur des jeunes gens, le defir de fe diftinguer , c'étoit l'ufage de ne point leur donner de nom, qu'ils ne leuffent mérité par quelque adion éclatante.

(13) On fent l'influence que devoit avoir cette coutume. Elle fervoit d'encouragement & de récompenfe à la valeur & à la vertu. Elle fervoit aulTi de punition au guerrier lâche ou cruel. Le nom feul d'un homme avertiflbic de fes vices ou de fes vertus; & cet ufage fe- roit fans doute plus néceffaire parmi une na- tion civilifée tous les cœurs font cachés fous un voile uniforme , que chez un peuple fau- vage l'on ignoroit l'art de déguifer fes fen- timens & fes palFions.

Les armes offenfives des Calédoniens étoient la lance, les flèches, le poignard ôc l'épée: leurs armes défenfives, le cafque & le bou- clier. Le cafque du Roi étoit orné d'une aîle d'aigle. Sur fon bouclier s'élevoient plufieurs bolTes qu'on appelloit les Voix de la Guerre^ p.arce que chaque boffe avoit un fon particu-

Tomc I. d

xxvj D I s C O U R S-

lier, ôc annonçoit un ordre différent. Quand le Roi fe préparoit à quelque expédition , un Barde fe rendoit à minuit dans la SalU des Fê- tes. Il entonnoit le chant de guerre , & invi- toit trois fois les ombres des anciens héros à contempler les exploits de leurs defcendans : il fufpendoit enfliite le bouclier du R-oi à un ar- bre, & le frappoit de tems en tems avec la pointe d'une lance , en continuant le chant de guerre. Il répétoit les mêmes cérémonies pen- dant trois nuits confécutives : on dépêchoit en même tems de tous côtés des Bardes pour af- femblerles tribus. Zt'Vt'r A' bouclier, étoit l'ex- preffion ordinaire pour dire commencer la guerre.

Quelquefois quand un chef apprenoit l'ar- rivée de l'ennemi fur fes terres , il tuoit auflî- tot une chèvre de fa propre épée ; il plongeoit à moitié dans le fang un morceau de bois noir- ci par le feu ; il le donno't aux guerriers de fa fuite qui le portoient avec une promptitude incroyable de hameau en hameau j & dans l'ef-

P R EL I M I NA I R E. xxvij

pace de quelques heures toutes les tribus étoient fous les armes.

Ce bâton brûlé & teint de fang étoit une es- pèce de manifefte par lequel le chef mena- çoit de punir par le fer & le feu ceux qui re- fuferoient de fe ranger fous fes étendards. Cette cérémonie qu'on appelloit Cramera ou Cran- tara , s'efl confervée long-tems , Ôc prefque jufqu'à nos jours dans le Nord de ÏEcoJfe.

Les Calédordens combattoient prefque tou- jours à pied. Les chefs feuls montoient quel- quefois un char ; de-là vient qu Oj/ian donne toujours aux chefs l'épithète de Carborne ^cqA- a.-dïre f foné fur un char.

Il y avoit dans la demeure du chef une grande falle il donnoit des fêtes à fes tri- bus dans toutes les occafions éclatantes. Lorf- que la vieillefle rendoit un héros incapable de porter les armes , il les attachoit folemnelle- ment au mur de la falle des fêtes , &c ne re- paroiffoit plus dans les combats. Cette époque de la vie s'appelloit le tems de fufpendre fei

dz

xxviij DISCOURS

armes. On y fufpendoit aufli les dépouilles & les armes conquifes fur l'ennemi.

Quand le jour du combat étoic fixé , le Roi paflToit la nuit qui le précédoit , fur une col- line éloignée de fon armée. , dans le fi- lence & dans la folitude , il méditoit le plan de la bataille ôc la difpofition de fes troupes. Au point du jour , il donnoit le commande- ment à l'un de fes chefs. Lui^ il reftoit fur une colline avec quelques Bardes. Les autres Bar- des fuivoient l'armée , & entonnoient le chant du combat. Si le Roi vpyoit plier fes guerriers, il dépêchoit un Barde pour ranimer leur cou- rage par des chants belliqueux ; mais fi les en- nemis continuoient à avoir l'avantage , alors le Roi defcendoit pour combattre en perfonne.

Quand les Calédoniens remportoient une vidoire fignalée , ils élevoient un monument pour en conferver le fouvenir. Ce monument étoit une pierre fous laquelle on plaçoit une arme ôc un morceau de bois brûlé, tandis que les Bardes jouoient de la harpe, & chantoient

P R E L I MI NA I R E. xxix

en chœur. On trouve encore de ces pierres dans le Nord de VEcoJfe.

Ils traitoient en général les vaincus avec hu- manité , ôc rendoient prefque toujours la li- berté aux prifonniers; mais lorfqu'un chef étoit déterminé à faire périr celui qu'il avoit en fon pouvoir, on lui fignifioit fon arrêt de mort en frappant fur un bouclier avec la pointe d'une lance , tandis qu'un Barde chantoit dans i'éloi- gnement le chant de mort. Les EcoJJois ob- fervoient dans ces circonflances un autre ufage qui fubfiftoit encore il n'y a pas long - tems. Tout le monde a entendu parler de la tête de Taureau qu'on fervit au Lord Douglas , dans le château d'Edimbourg , pour lui faire con- noître que fa mort approchoit.

Les haines de famille rendoient les combats particuliers très-communs. Deux chefs Calédo- niens fcfaifoient une guerre éternelle, fans au- tre raifon que rinimitic de leurs ancêtres; mais l'amitié fembloit être aufli héréditaire ; & au moment deux guerriers combattoient avec

D I s C O U R S

fureur, fi l'un d'eux Te nommoit à l'ennemi, & que leurs ancêtres eulTent été amis , l'autre auffi-tôt jettoit fes armes ôc embralToic fon ad- verfaire; c'étoit, il eft vrai, une tache éter- nelle à la gloire d'un héros d'éviter ainfi le combat , 6c reprocher à un guerrier qu'il difoit fon nom à V ennemi, c'étoit le taxer de lâcheté, & lui faire l'injure la plus fanglante.

Après la honte de déclarer fon nom à l'en- nemi , la plus grande croit de demander du fe- cours, aufli n'ctoit-ce qu'à la dernière extrémi- té qu'on avoir recours à fes amis ou à fes al- liés. C'eft peut-être pour ctttt raifon qaOJfian ne fait point intervenir les Dieux pour proté- ger fes héros ; il auroit cru diminuer leur gloire en faifant agir pour eux des êtres furnaturels. Auffi ne trouve-t-on dans fes Poèmes aucunes traces de la religion de fon tems ; tandis que la Poéfie des autres nations eft elTenti^Uement liée à leur mithologie.

Ceux qui venoient implorer le fecours d'un chef tenoient d'une main un bouclier teint

P R E L I M I N A 1 R E. xoc

XJ

de fang, & de l'autre une lance rompue. Le bouclier étoit le fymbole de la mort de leurs amis ^ ôc la lance rompue , l'emblème de leur foibleffe & de leur malheureufe fituation. Si le chef accordoit le fecours demandé , il rempliflbit la Coupe de la Fête, & la pré- fentoit au fuppliant en ligne de prote£tion & d'amitié.

Quand un guerrier entroit dans le pays, s'il portoit la pointe de fa lance en avant ^ il an- nonçoit par qu'il venoit avec l'intention de faire la guerre, & en conféquence on le traitoit en ennemi; mais s'il tenoit la pointe baillée derrière lui, c'étoit un figne d'amitié, on l'in- vitoit fur le champ à la fête, & l'on exerçoit envers lui tous les devoirs de l'hofpitalité.

Aucune nation du monde n'a porté l'hofpita- lité aufli loin que les anciens Ecojfois. C'étoit mie infamie pour un homme diftingué de fermer fa porte aux étrangers. Les Bardes l'appelloient le louage que les étrangers évitent -^ & après le reproche de lâcheté , c'étoit le plus outra-

xxxij D I S C O (J R S

géant qu'on pût faire à un Calédonien. Mais rAmi des étrangers dtoit le plus beau titre qu'on pût donner à un chef. Les Bardes «ftoient les premiers intérefTés à entretenir cet efprit parmi leurs compatriotes. La tradition nous a confervé un exemple fingulier de l'hofpitalité de cette nation. Un des premiers Comtes d'Argyle ayant appris qu'un Seigneur Irlandais venoit le vifiter avec une fuite nombreufe, craignit que fon château ne fïit trop petit pour le recevoir , il y mit le feu , fit drefler des ten- tes fur le rivage, & y reçut magnifiquement le Seigneur Irlandais. Cette aclion , qui nous pa- roît extravagante, fut admirée alors , ôc célé- brée dans tous les chants des Bardes,

C'étoit dans la falle des fêtes qu'on rece- voit les étrangers ; on leur donnoit une fête qui duroit trois jours. Leur demander leur nom avant ces trois jours , c'étoit manquer aux devoirs de l'hofpitalité; car fi la famille du chef & celle de l'étranger eufl'ent été en- nemies , le combat eût bientôt fuccédé à ia

fête.

PRELIMINAIRE, xxxiij

fête. Aufli quand ou vouloit reprocher à ua Calcdonien qu'il n'exerçoit pas généreufement rhofpitalicé , on difoit qu'il demandait le nom de PEtranger. Après la fête on propofoit à Tes hôtes l'honneur de la lance ; c'étoit une efpece de tournois qui a été long-tems en ufage par- mi les Montagnards d'EcoJfe. La chaffe faifoit partie de la fête ; le chef étoit obligé d'en faire les honneurs à l'étranger , en lui laiffant tout le péril , & c'eût été ne pas connoître les droits de rhofpitalité que de tuer un fanglier furieux qui eût menacé la vie de fon hôte.

Quand l'étranger partoit, le Calédonien qui l'avoit reçu prenoit fes armes ^ôc lui donnoit les fiennes. On confervoit ces armes dans les familles comme un monument de l'amitié de leurs ancêtres.

Les anciens ÉcoJJois brûloient dans toutes leurs fêtes un large tronc de chêne qu'ils ap- pelloient le Tronc de la Fête. Il n'y a pas long- tems que cet ufage fubfiftoit encore, & le tenis l'avoit tellement confacré, que le peu- Tome I. e.

xxxiv D I s C O U R S

pie en regarda l'abolition comme une efpèce de facrilége.

La tradition nous a tranfmis la manière dont fe préparoient les feftins. On creufoit une lar- ge fofle. Après en avoir revêtu l'intérieur de pierres polies , telles que les pierres à fufil , on amaflbit auprès une certaine quantité de pierres plattes de la même efpèce. On chaufFoit avec de la bruyère la foiTc ôc les pierres , jufqu'au degré convenable pour cuire les viandes ; on mettoit enfuite alternativement dans la foiTe une pièce de gibier & une couche de pierres jufqu'à ce qu'elle fût remplie. Alors- on cou- vroit le tout de bruyère pour concentrer la chaleur. On montre encore dans le Nord de l'Écoffe , des foffes que les Montagnards pré- tendent avoir fervi à cet ufage.

Les anciens Scots (14) , ainfi que les Monta- gnards de nos jours, buvoient dans de grandes coquilles. Voilà pourquoi l'on trouve fouvent dans les Poéfies Galliques , le Roi des Coquilles, la Salle des Coquilles , &'c. Il eft difficile de dire

PRÉLIMINAIRE, XXXV

la liqueur qu'ils buvoient & qu'ils appelloient la force de la coquilL. Le Traducleur Anglois dit qu'il connoît d'anciens Poëmes il eft fait mention de flambeaux de cire & de vin comme de chofes fort communes dans le Palais de Fin- gai Le nom du vin emprunté du Latin , prouve que j fi les Calédoniens l'ont connu, ils en fu- rent redevables aux Romains, & les Poëmes du tems attertent que ctttQ liqueur leur parut l'une des conquêtes les plus précieufes qui euffent été faites fur le Roi du Monde.

Pendant la fête qu'on donnoit aux Etrangers les Bardes chantoient & jouoient de la harpe : fouvent ils repréfentoient quelque événement mémorable : on verra de ces efpèces de Drames dans cette colleaion. S'ils connoiflbient l'é- tranger, ils ne manquoient jamais de chanter fes louanges 6c celles de fes ancêtres.

•La liberté avec laquelle les anciens Écof- fois fe vifitoient les uns les autres ne contribua pas peu à étendre leurs idées (i 5) , & à adoucir leurs moeurs.

e z

:v)

DISCOURS

On ne doit point fe repréfenter les Calédo- niens comme nos Sauvages modernes, qui, fans patrie & prefque fans famille , n'ont d'autre fo- ciété que celle que le befoin forme pour un moment, d'autres arts que la chaffe ôc la pê- che. Grâces à leur grande hofpitalité , les Calé- doniens connurent de bonne heure les dou- ceurs & les devoirs de I3 fociété , & c'eft peut- être la principale caufe de cette eftime & de cette déférence dont le fexe jouifloit parmi eux. M. Mallet , dans fon excellente Introdudion à i'Hiftoire deDannemarck, obferve avec raifon, « que les nations Celtes avoient une façon de » penfer & d'agir à l'égard des femmes , toute » oppofée à celle des AJiatiques , & de quel- » ques peuples du Midi. Ces derniers ^ par un » contraire fingulier , & cependant ordinaire , » femblent avoir eu pour elles beaucoup de » paflion ôc très-peu d'eftime; efclaves & ty- » rans à la fois , les difpenfant de la raifon , & » oubliant la leur avec elles , dans leur copi- » merce avec le fexe ils ne faifoient que pafFer

PRÉLIMINAIRE, xxxvij

» de l'adoration au mépris, ôc des fentimens » d'un amour idolâtre à ceux d'une jalou- » fie inhumaine ou d'une indifférence dédai- » gneufe^ & plus infultante encore que la » jaloufie ».

» Chez les autres au contraire , elles étoient » moins regardées comme les inftrumens d'une » volupté fenfuelle, que comme des égales » & des compagnes, dont l'eftime auflî pré- » cieufe que les faveurs , ne pouvoir être glo- » rieufement acquife que par des égards , des » procédés généreux , & des efforts de cou- » rage & de vertu ».

On verra dans les Poéfies âiOJJlan , que les Calédoniens ont porté ce refpeft & ces égards auffi loin qu'aucune autre nation Celte. Il ne paroît pas qu'ils miffent beaucoup de foleni- nité dans les mariages ; le beau-pere donnoic fes armes à fon gendre , 6c c'étoit la feule dot que l'époux voulût recevoir. Fidèles à la beauté que leur cœur avoit choifie , ils n'eurent jamais plufieurs femmes à la fois. L'époufe tendre-

xxxvlij DIS COURS

ment attachée à fon héros, le fuivok quelque- fois aux combats déguifce en guerrier. Ces fortes de déguifemens font frcquens dans les Poèmes de notre Barde, ôc y répandent tou- jours de l'intérôf.

La force ôc la beauté étoient les feules convenances auxquelles on fit attention dans les mariages. Les Rois & les chefs n'ayant au- cun intérêt de fe méfallier avec le vulgaire , tranfmettoient à leurs enfans la force ôc la taille majeftueufe qui les en diftinguoient. Ces qualités fembloient être inféparables de la no- bleffe du fang ( i ■5) , Ôc Suhnalla reconnoît qu Oj/îan , 6c fon fils Ofcar , font de la race des Roisj à la hauteur de leur taille ôc à la ma- jefté de leur démarche.

Les Calédoniens refpe£loient l'union con- jugale, ôc on verra Finça/ réprimander fé- vèrement un jeune guerrier qui avoit en- levé la femme d'un chef étranger , combat- tre à regret pour le raviffeur , demander la paix à l'époux offenfé^ ôc lui offrir de

PRÉLIMINAIRE, xxxlx

lui rendre fon époufe avec des prcfens confi- dérables.

Ce qui diftingue encore les Calédoniens des Sauvages modernes , c'eft le progrès qu'ils avoient déjà fait dans plufieurs arts, du tems ^OJJian. Ils cultivèrent de bonne heure ceux qui fe'ment de quelques fleurs la vie pafTagère de l'homme, tels que la Poéfie & la Mufique. On jugera par cette coUedion de leurs progrès dans le premier de ces deux arts. Il eft plus difficile de définir quelle étoit leur mufique. On ne fait point fi les harpes accompagnoient les voix à l'unifl'on. Il paroît pourtant par plu- fieurs paffages qu'ils connoiflbient les accords. M. Macpherfon croit qu'ils avoient emprunté des Scandinaves , le chant qu'ils appelloienc Fon-oimarra , ou chant des Sirènes. Quel étoit ce chant ? C'eft ce qu'il eft impoiïible de fa- voir par l'éloignement des tems 6c le défaut de monumens authentiques. (17)

Les vertus des plantes falutaires que la na- ture prodigue dans les pays de montagnes ne

xl DISCOURS

leur étoient point inconnues. Fingal eft célèbre dans le Nord par fes connoiflances en Méde- cine. Si l'on en croit quelques Pocmes Irlan- dois , il avoit dans une coupe l'eflence de plu- fieurs fimples qui fermoit fur le champ les bleC- fures. Il n'y a pas long-tems que l'art de les guérir étoit généralement connu des Monta- gnards cPEcoffe. On ne voit point que les Calé- doniens fuflent fujets aux autres maladies qui exigent les fecours de la Médecine. Une vie fru- gale^ atYive ôc laborieufe les préfervoit de cette foule de maux qui affligent les peuples civilifés en même - tems qu'elles adouciflbient ceux qui font inféparables de la nature humaine.

C'étoit fans doute leur genre de vie qui rendoit les douleurs des mères moins longues ôc moins cruelles, bonheur qu'on attribuoit alors à de certaines ceintures magiques qu'on croyoit propres, fuivant l'expreffion d'Offîanj à accélérer la naijjance des héros ; il n'y a pas long-tems qu'on confervoit dans le Nord de VEcoJfe, de ces ceintures; on y voyoit plu-

fieurs

PRÉLIMINAIRE, xlj

fleurs figures myftérieufes & on les ceignoit autour des femmes , avec des geftes & des pa- roles qui prouvoient que cet ufage venoit ori- ginairement des Druides.

Le mépris que les Calédoniens avoient pour la vie tranquille , les éloigna toujours des arts méchaniques & de l'agriculture même. On n'en trouve du moins aucune trace dans les Poéfies de ces tems-là , fi on en excepte fart de forger les armes.

Ils avoient de l'or ôc du fer.

L'or fervoit à décorer l'armure des guerriers, leurs armes étoient de fer ou d'acier. Ils n'em- ployoient point ce métal à d'autres ufages. Car on voit que lorfqu'ils enchaînoient un captif, c'étoit avec des liens de cuir.

C'étoit auin de longues courroies de cuir qu'ils fe fervoient dans leurs vaifTeaux au lieu de cordages. La navigation avoit déjà fait de grands progrès du tems de Fingal. Les Ca- lédoniens avoient traverfé plufieurs fois les mers orageufes de la Scandinavie. Ils connoif- Tome I. f

xlij DISCOURS

foient dcja les étoiles & les diftinguoient par des noms particuliers. On voit par ce que nous venons de dire , que les anciens Ecojfois n'étoient point des chafTeurs ignorans & con- finés dans leur île , à qui le refle de l'univers fiit étranger. Leurs nombreufes expéditions en Irlande , en Scandinavie , ôc dans le Nord de la Germanie, leur donnèrent occafion d'étendre leurs connoiffances, d'obferver les mœurs 6c les ufages des diffcrens peuples, & de trans- planter dans leur patrie les arts utiles qui fleu- riflbient chez les autres nations.

L'art de bâtir avec la pierre fut au rang de ces conquêtes précieufes qui, fans dépouiller ie vaincu , augmentoient les vraies richefles du vainqueur. Aucune des maifons de Fingal, ex- cepté Tifoirmal, n'étoit bâtie en bois. Tifoir- mal étoit une grande falle les Bardes s'af- fembloient tous les ans pour répéter leurs ou- vragesj avant d'aller les foumettre au jugement de Finoal. Cette maifon de bois fut brûlée , & M. Macpherfon nous apprend qu'un Barde a

PRÉLIMINAIRE, xliij

laiffé un Catalogue curieux de tous les maté- riaux dont elle étoit compofée.

On bâtiffoit toujours fur des dminences, afin de dominer fur le refte du pays, ou de peur d'être furpris par l'ennemi. Aufîi appel- loit-on beaucoup de ces châteaux Selama, c'eft- à-dire Bellevue, & c'eft de-là qu'étoit dérivé le nom du palais de Selma , réfidence ordinaire des Rois d'EcoJJe ; la maifon des chefs étoit ornée de tours. On ignore jufqu'à quel degré ils avoient porté l'architeaure. Ils ne bâtirent jamais de Temple ; aucun lieu n'étoit confacré particulièrement au culte de la Divinité. OJ/îart. témoigne même quelque mépris pour les Temples ôc le culte d'Gdiii , le Dieu des Scan- i/iMV£5, qu'il appelle Loda. l\s n'avoient au- cune effigie , aucune ftatue de leurs Dieux , différence qu OJfum a foin de marquer entre les Calédoniens ôc les Scandinaves , en repré- fentant ces derniers invoquant Odin autour de fa ftatue que notre Poëte appelle la Pierre du Pouvoir. Croyoient-ils que la nature en-

xllv DISCOURS

tière étoit le Temple de la Divinité F C'eft ce que nous n'ofons aflurer. Il paroît bien diffi- cile qu'ils n'euffent pas quelques notions de l'exiftence d'un Etre-Suprême ^ & O^ao, mal- gré fon filence fur la religion de fon pays ," montre un efprit trop éclairé pour qu'on puifTe le foupçonner de n'avoir pas eu d'idée de cette gr ande vérité ; quelques endroits de fes Poëmes pourroient fervir à prouver qu'il admettoit un Dieu.

Les Calédoniens n'ont fait , il eft vrai , f apo- théofe d'aucun de leurs Héros , différens en cela de prefque tous les peuples du monde. Mais on doit l'attribuer à l'idée qu'ils avoient de la puiffance ; ils la faifoient confifter dans la force du corps & dans la hauteur de la taille; qualités que la mort détruifoit. Com- ment n'auroient-ils pas admis un Etre- Su- prême ^ eux qui croyoient à l'immortalité de i'-ame , aux peines & aux récompenfes de l'au- tre vie?

Les nuages étoient, fuivant l'opinion des

PRELIMINAIRE, xlv

Calédoniens , le féjour des âmes après le trépas. Ceux qui avoient été vaillans & vertueux, étoient reçus avec joie dans le Palais Aérien de leurs pères. Mais les méchans ôc les barbares étoient exclus de la demeure des héros & con- damnés à errer fur les vents. Il y avoit même différentes places dans le palais des Nuages , & on en obtenoit une plus ou moins élevée à proportion de fon mérite 6c de fa bravoure ; opinion qui ne contribuoit pas peu à exciter l'émulation des guerriers.

L'ame confervoit dans les airs les mêmes goûts, les mêmes paflions qu'elle avoit eus pen- dant la vie. L'ombre d'un guerrier conduifoit encore des armées phantaftiques , les rangeoic en bataille, livroit des combats dans l'efpace. S'il avoit aimé la chafle, il pourfuivoit des fangliers de nuages, monté fur un. courjter de va- peurs. En un mot , le bonheur dont on jouif' foit dans le Palais Aérien étoit de fe livrer éter- nellement aux mêmes plaifirs qu'on avoit goû- tés pendant la vie.

xlvj D I s C O VUS

Les Calédoniens croyoient que les âmes commandoient aux vents ôc aux tempêtes; opinion qui fubfifle encore parmi le peuple des montagnes ; ils penfent que les tourbillons ôc les rafales de vents font occafionnés par les efprits qui fe tranfportent d'un lieu" dans un autre. Les anciens Ecoffols comptoient parmi les plus grands plaifirs des Ombres , celui ^e difpofer à leur gré des éle'mens ; mais ils ne leur sccordoient aucun pouvoir fur les hommes.

Jamais héros ne pouvoit entrer dans le Pa- lais Aérien de fes pères j fi les Bardes n'avoient chanté fon hymne funèbre. Cet hymne paroît avoir été la feule cérémonie effentielle de leurs funérailles. Car d'ailleurs ils mettoient beau- coup de fimphcité dans cette dernière fcène de la vie. On étendoit le corps fur une couclie d'argile au fond d'une foffe de fix ou huit pieds de profondeur. Si le mort étoit un guer- rier, on plaçoit à coté de lui fon épée & douze flèches. On couvroit le corps d'une fé- conde couche d'argile fur laquelle on mettoit

PRELIMINAIRE, xlvij

le bois d'un cerf ou d'une autre bête fauve , comme un fymbole de la chalfe ; quelquefois on tuoit le dogue favori du défunt , 6c on le pla<çoit fur cette féconde couche d'argile ; on recouvroic le tout d'une terre choifie, ôc qua- tre pierres élevées aux quatre coins de la tombe en marquoient l'étendue. C'eft à ces quatre pierres o^'OjJian fait fi fouvent allufion. On avoit ordinairement un Barde pour chan- ter fur le champ l'hymne funèbre , &; ou- vrir au héros la porte du Palais des nuages. Mais fi on oublioit cette cérémonie , l'âme ref- toit enveloppée dans le brouillard du lac de Lego. Comme les vapeurs de ce lac caufoient de fréquentes maladies j quelquefois mortelles , les Bardes feignirent que c'étoit le féjour des âmes pendant l'intervalle qui s'écouloit entre le trépas ôc l'élégie funèbre. L'ombre du plus proche parent du mort étoit alors chargée de prendre la vapeur qui enveloppoit fon ame & de la répandre fur fon tombeau : oncroyoit que ce pieux office confoloit i'ame infortunée.

xlvUj D I s C O U R S

On fent combien les Bardes étoient intéref- fés à entretenir ces idées pour rendre leur or- dre refpeûable & nécedaire.

On ne croyoit point que la mort pût rompre les liens du fang & de l'amitié. Les ombres s'intéreflbient àtous les événemens heureux ou malheureux de leurs amis , ôc il n'y a peut-être point de nation dans le monde qui ait donné une croyance aufli étendue aux aparitions. La fituation du pays y contrlbuoit fans doute au- tant que cette difpoficion à la crédulité, qui eft le partage ordinaire des peuples ignorans. Ils erroient fouvent dans de vades 6c fombres fo- litudes , dans des bruyères ôc des landes abfo- lument déferres; fouvent ils étoient obligés d'y dormir en plein air au milieu du fifflement des vents ôc du bruit des torrens; l'horreur des fcènes qui les environnoient étoit bien ca- pable de produire en eux cette difpofition mélancolique de Tame , qui lui flùt recevoir ii promptement les impreflions extraordinaires & furnaturelles.

L'efprit

P R E L I M I NA IRE, xlix

L'efprk occupé de ces fombres idées au moment ils s'endormoienc , troublés dans leur fommeil par le bruit des élémens ; il n'eft pas étonnant qu'ils crulTent entendre les voix des morts , tandis qu'ils n'entendoient réelle- ment que le murmure des vents dans le creux d'un arbre antique ou de quelque rocher voi- fin. C'eft à ces caufes qu'il faut attribuer tous les contes que les Montagnards débitent & croient encore aujourd'hui.

Ils mettoient une grande différence entre l'ap- parition des bons & des mauvais Efprits. Les premiers apparoiffoient fouvent à leurs amis pendant le jour, 6c dans des vallées riantes & folitaires ; les autres ne fe montroient jamais que la nuit au milieu des orages ou de quelque fcêne lugubre. La mort ne détruifoit point tous les charmes des Belles ; leurs ombres confer- voient les traits & les formes de leur beauté. La terreur ne les environnoit jamais. Elles raverfoient l'efpace avec ce mouvement doux ;ic gracieux qu'Homère attribue à fes Dieux. Tome I. g

DISCOURS

Quand un CaUlonien dcoit fur le point d'e- xécuter quelque grande entreprife , les ombres de fes pères defcendoient de leurs nuages pour lui en prédire le bon ou le mauvais fuccès. Si les efprits de fes aïeux ne lui apparoiflbient pas, ils l'avertiffoient au moins par quelque préfage , comme le fuccès d'une première ac- tion. OJfian , dans un de fes Poëmes , tire un augure favorable de ce qu'aufli-tôt qu'il aborde à Bcrratkon , il alloit ; combattre, il tue un fanglier. Les Montagnards d'aujourd'hui tiennent encore à cette fuperftition , donc bien des peuples éclairés n'ont pas été exemts.

Chaque homme avoit fon ombre tutélaire qui le fuivoit depuis fa naiffance. Quand fa mort approchoit , l'efprit protecteur prenoit fa forme ôc fa voix, apparoiflbit dans la fitua- tion il devoit mourir, ôc pouiToit par in- tervalle des cris plaintifs. Si c'étoit un per- fonnage diftingué , les ombres des Bardes décédés chantoient pendant trois nuits conr

P R E L I M I NA 1 R E. Ij

fécutives autour du Phantôme qui le repré- fentoit.

Les anciens Scots ont cru de tout tems qu'on entendoit crier une ombre à l'endroit il devoit fe commettre un meurtre. Cette opinion fubfifte de nos jours parmi les Mon- tagnards d'Ecoffe. 'L'Ombre arrive montée fur un météore, ôc fait deux ou trois fois le tour du lieu l'homme doit être tué : en- fuite elle marche lentement le long du che- min par paffera le convoi 6c poufle d' es- pace en efpace des cris lugubres ôc gémiffans. Enfin le météore & l'ombre difparoifTenc à l'endroit même l'on doit enfevelir le mort.

Dès qu'un guerrier ceiToit d'être , les armes qu'il avoit laifTées dans fa demeure paroiflbient teintes de fang. Son ombre alloit vifiter les lieux de fa naiffance; elle apparoilToit à fes dogues qui pouffoient à fon afped des hurle- mens affreux. Aujourd'hui même quand un animal treffaille fubitement fans aucune caufe

g ^

lij DISCOURS

apparente, le vulgaire croit que c'eft à la vue d'un efprit.

C'étoit aux efprits que les Calcdoniens attrl- buoient en général la plupart des effets na- turels. L'écho des rochers frappoit-il leurs oreilles ? C'étoit l'efprit de la montagne qui fe plaifoit à répéter les fons qu'il entendoit. Ce bruit fourd 6c lugubre qui précède la tem- pête, bien connu de ceux qui ont habité un pays de montagnes , c'étoit le rugiffement de l'efprit de la colline. Si le vent faifoit ré- fonner les harpes des Bardes , ce fon étoit produit par le ta£l léger des ombres qui pré- difoient ainfi la mort d'un perfonnage illuftre ; & rarement un chef ou un Roi perdoit la vie, fans que les harpes des Bardes attachés à fa famille rendiffent ce fon prophétique. Un Infortuné raouroit-il de l'excès de fa douleur ? Les Ombres de fes ancêtres le voyant feul & luttant fans efpoir contre le malheur, avoient emporté fon ame , &. l'avoient délivré de la vie.

PRELIMINAIRE. Bj

On fent combien il étoit confolant de peu- pler la nature des ombres de fes ancêtres ôc de fes amis, ôc de s'en croire fans ceffe environné. Ces idées étoient très - poétiques fans doute ; mais elles jettent une teinte de mélancolie fur toutes les compofitions d'Oj/ian. Il fe plaît fur- tout à décrire les fcènes de la nuit; il s'arrête avec plaifir fur les objets fombres ôc majeftueux qu'elle préfente.

La mélancolie âiOfmn étoit encore aug- mentée par fa fituation. Il ne compofa fes Poè- mes qu'après que la partie a£tive de fa vie fût pafTée. Il étoit aveugle ôc furvivoit à tous les compagnons de fa jeuneffe.

Il femble inutile d'avertir que c'eft M. Mac- pherfon qui a donné le titre de Poëme épique à Fingal ôc à Temora. Les termes Techniques étoient inconnus au Barde EcoJJbis. Il vivoit dans un fiecle ôc dans une contrée la Lit- térature Grecque ôc Romaine étoient abfolu- ment ignorées. Si dans plufieurs endroits de fes Poëm^'5 il reflemble à Homère, c'eft qu'ils

llv DISCOURS

ont eu Tun &: 1 autre la nature pour mo- dèle (iS;.

On ne doit point appliquer, dit M. Mac- pherjon , aux compofitions d'un Barde Celte j tous les préceptes (\\x Anjlotc a tirés d'Homère^ & refufer le titre de Poëte Epique à OJpanj parce que fa marche ne reffemble point à celle du Poète Grec. Le génie des Grecs & celui des Celtes ne fe reffembloient point non-plus. Les premiers étoient vifs, gais ôc babillards. Une concifion énergique , un caradère grave & fé- rieux diftinguoient les féconds : auïïi trouvons- nous que les Poéfies à^Homère & d^Of/ijn por- tent l'empreinte du caradère diftindif de leur nation. L'on ne doit donc point comparer en- femble les détails de leurs Poëmes. Mais , con- tinue le Traducteur yinglois , il y a des régies générales que les deux Poètes ont également obfervées, parce qu'elles font di£tées par la nature, & cette refTemblance prouve peut-être mieux la juftefTe de ces règles , que tout ce qu'AriJîote a écrit fur le Poëme épique.

PRELIMINAIRE. h

Tel eft le jugement du Traducleur Anglais , c'eft aufli celui du Traducteur Italien (15)) , qui voit prefque par-tout l'égal d'Homère dans le Barde Calédonien. Il n'eft pas inutile d'avertir ici que cette opinion leur appartient, & quei'expo- fer , ce n'eft pas l'adopter fans réferve. Cette pré- caution devient d'autant plus néceffaire , qu'au- jourd'hui un fentiment d'enthoufiafme pour le génie d'un Poëte étranger eft prefque mis au rang des crimes ; qu'il faut en Littérature ne pas oublier de faire fa profefflon de goût , fous peine d'encourir une efpece d'excommunication litté- raire , & que certains principes , fort fages à la vérité,mais qui n'enferment pas toutes les bornes de l'art , font érigés en dogmes facrés , hors def- quels il n'eft plus ni mérite ni falut. Sans placer Oj/ian fur la même ligne qu'Homère , nous fem- mes perfuadés qu'il fut aufli un grand Poëte; qu'il y a une foule de beautés & de traits pré- cieux dans fes Poèmes, & qu'après la ledurede cette colIeQion^ on faura quelque gré à M. Mac- pherfon du fervice qu'il a rendu à la Littérature;

Ivj DISCOURS

Il a paru étonnant que ces Poèmes admirés dans une partie de la Grande-Bretagne depuis quatorze cens ans , foient reftés inconnus dans l'autre jufqu'à nos jours, & que les Angloîs qui ont fait paffer dans leur langue prefque tous les bons Ouvrages , anciens ôc modernes , aient néglige fi long - tems d'exploiter une mine aufii riche, que la nature avoir placée dans leur patrie.

Avant M. MacphcrfoJi les Gens de Lettres qui entendoient la Langue Gallique , n'ont ja- mais tenté de traduire aucun Poëme des an- ciens Bardes, foit qu'ils n'en connufient que quelques morceaux détachés , foit qu'ils défef- péraflent d'en pouvoir conferver les beau- tés dans une traduction. M. Macpherfon nous apprend qu'il fut iong-tems de cet avis, & quoiqu'il eût raffemblé un grand nombre de Poèmes Galliques pour fon amufement , quoiqu'il les admirât dans la langue originale, il les garda long - tems fans fonger à les tra- /duire. Ce fut à la follicitatioa d'un Ecojfo'is

diflingué

P R É L I M I NA IRE. Ivij

diftingué parfes connoiflances, qu'il en Iiazarda quelques morceaux détachés , fous le nom de Fragmens d'anciennes Poéfies. Ces fragmens eurent un fuccès fi prodigieux , que toute la Nobleffe cCÊcoffe engagea M. Macpherfon à feire un voyage dans les montagnes & aux îles ilcbndes pour raflembler ce que la tradi- tion avoit confervé des ouvrages à'OJfum , fils de Fingal,h plus ancien ôc le plus eftimé des Bardes. ïi entretint pendant fon voyage, une correfpondance exacte avec fes an-ùs d'Edim- bourg, & les inftruifoit de fes fuccès & de fes découvertes. Au bout de fix mois il revint chargé des tréfors qu'il avoit pour ainfi dire arrachés des mains du tems. Il entreprit alors de traduire littéralement & en profe , les Poé- fies qu'il avoit recueillies , & il exécuta cette entreprlfe fous les yeux de plufieurs per- fonnes de mérite, qui entendoient la langue gallique, fie qui avoient l'original entre les mains. En publiant fa traduction il prit tous les EcoJJbis des montagnes & des îles

Ton2C I. h

IvUj DISCOURS

à témoin de fon exactitude & fa fidélité. Nous ne diflimulerons pas qu'il fe trouva en Angleterre quelques incrédules qui accu- sèrent M. Macphcrfon d'être l'Auteur des Poè- mes qu'il attribuoit à OJJîan. Mais comment s'imaginer, dit M. Blaïr , qu'un Auteur foit allez dépourvu de bon fens pour vouloir en jmpofer aufli grofTièrement , & fa fupercherie n'auroit-elle pas été découverte ? Il faudroit donc fuppofer qu'il auroit eu alTez de crédit pour rendre tous les habitans des montagnes 6c des lies d'EcoJfe complices de fon impoflure ; autrement mille voix fe feroient élevées à la fois contre lui ; tous auroient dit : « Ce ne font pas les Poëmes de nos Bardes , que nous entendons répéter tous les jours ». M. Blair ajoute à ce raifonnement & à plufieurs autres preuves fans réplique, une foule de témoigna- ges irréprochables, tous de perfonnes diftin- guées & a£tuellement vivantes.

Entre ces deux opinions extrêmes , il en eft une qui nous paroît la plus vraifemblable, &

P R E L I M I NA IRE, lix

qui a été adoptée par les Anglais les plus fcn-' fés & les plus inftruits. C'eft que les originaux de tous ces Poëmes exiflent en effet , & fe chantent encore dans les montagnes d'Eco fc ; ce fait eft inconteflable , & il n'y a pas moyen de méconnoître Fexiflence , le génie & les Ouvrages d'Oj/ian. Mais fes Poëmes n'ont pas été recueillis par M. Macpherfon tels qu'il les a donnés dans fa traduction en profe Angloife. Il n'aura trouvé que des lanv beaux épars qu'il a arrangés , liés enfemble , étendus peut-être, en confervant l'efprit, le ton & les couleurs du Poëte Calédonien. Édi- teur habile & en état de compofer lui-même, il a fait pour Ojjian, ce qu'il paroît qu'on a fait pour iïomcV^, dont les Poëmes ont été Ions;- tems difperfés 6c abandonnés au hazard de la mémoire, jufqu'à ce que Solon les ait fait tranfcrire & réunir en un corps d'ouvrage ; plufieurs paffages de riliade & de rOdyJfée^ font cités dans Efchine , Démojlhène , & dans les autres Orateurs ou Poètes Grecs ^ qu'on

h 2.

Ix D I s C O U R S

ne trouve point dans l'édition qui efl: parvenue jufqu'à nous.

Tandis qu'on conteftoit en Angleterre l'au- thenticité des Poëmes d'OJ/îan , l'Irlande ja- loufe de la gloire de l'EcoJJe, pre'tendoitquece Barde étoit dans fon fein. Quoique les dif- fertations qu'on a faites à ce fujet en ailurent la gloire à VEcoffe , nous avons confervé aux Poéfies à'OJfian le titres de Poéfies Erfes , ou Irlandoifes , parce que c'efl: fous ce nom que différens Journaux les ont fait connoître en France,

OJfian chantoit pour un peuple que le fpec- tacle de la nature ne lafToit jamais, C'eft de ce fpeclacle qu'il emprunte fans cefTe fes ima- ges ôc fes comparaifons : fi l'on y fait attention, on verra que celles qui au premier coup d'œil paroifient fe reffembler font pourtant fouvent diftinguées par des nuances différentes.

Nous avons beaucoup retranché de ces comparaifons dont le retour fatigue : mais nous

P R É L I M I N A IRE. Ixj

favons qu'il en refte beaucoup trop pour tout Le£teur qui voudra abfolument que les Mon- tagnes cTEcoJJc reffemblent à un coteau fleuri de la France, 6c le fiécle ^OJJlan au fie'cle de M. de Voltaire,

Ixij NOTES DU DISCOURS

NOTES DU DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

(i) C^far, lïh. j. Tac. Fie. Agr.

(i) Le nom même de CaUdoniens , compofc des deux mors Cael Gaulois, & i)o« Colline , paroît dé- montrer que les Calédoniens étoient originaires des Gaules. Les Montagnards d'EcoJfe fe donnent encore aujourd'hui le nom de Cael , & appellent leur langue Caelic, nom que les autres nations ont adouci & chan- gé en celui de Gallique.

(5) Namque ï\ii\\x Caledoniam habitantium Coma; , magni artus Germanicam originem afleverant. Tac. Fit. Agr.

(4) Les arts ont conquis l'homme Se l'ont fournis aux Rois. M. Fontaine.

(5) Il chante les vicftoires que Fingal fon père rem- porta fur Caracalla , fils de l'Empereur Scvère^ qui com- mandoit en Bretagne vers l'an 210 , & que les Cale'do- 7îidH5 appelloient Caracul ;_ il compte parmi les exploits à'Ofcar fon fils, une bataille gagnée contre Caraujîus, qu'il appelle Caros. Cet ufurpateur célèbre prit la pour- pre impériale l'an 287, & s'empara de la Bretagne après avoir vaincu l'Empereur Maximien Herculius dans

PRÉLIMINAIRE. Ixiij

un combat naval , vidoiic qui le fit furnommer par les Calédoniens , le Roi des Vaijfeaux.

(6) Trenmor étoit chef de cette paitie d'EcoJfe qui borde la mer au Nord-Oueft , & qu'on appelloit alors Aforven , c'eft-à-dire , Chaîne de hautes Montagnes. Il eut deux fils, Trathal , qui lui fuccéda fur le thiône à'Ecoffei Se Conar, qui fut Roi 6! Irlande. Trathal épouCa. Selïm Corma 3 qui fut mère de Comhal ôc de Colgar ^ dont la mort eft rapportée dans le Pocme de Témora, Comhal , héritier du trône d'Ecoffe , fut malheureux dans toutes fcs guerres. Il fut dépouillé de (es États, & dans une bataille par Morni , chef de Strumon , pro- vince au NordEft de l'EcoJfe.

(7) Eingal euidcClachoCa. Ceconde femme, Fillan, Fergus , RlnOi 6c la belle Bofmina.

(8) Cette île avoit été peuplée d'un côté, par les Belges, qui habitoient le Sud & le Sud-Ouefl; de la Grande-Bretagne •■, de l'autre par les Caels ou Calédo- niens. Les Belges , qu'on appelloit alors Firbolgs * , conduits par Larthon , s'établirent dans le Connaught,

* Ce nom eft compofé de deux mots , Fir homme , & Bolg carquois ; on appelU fans doute ainfi les Belges à caufe du grand ufage qu'ils faifoiem de l'atc dans les combats.

Ixiv NOTES DU DISCOURS

un peu avant que les Caels Te fullent emparés de l'Ul- Jier *. Ces deux colonies fe divisèrent en piullcurs petites tribus, gouvernées par autant de Rois indépen- dans les uns des autres. Les Ftrbolgs Se les Caels vécu- rent en paix jufqu'à l'enlèvement de Collama. Collama étoit fille de Cathmin , l'un des chefs de la nation des Caels. Crothar,\e plus puilfant des petits Rois Fir- holgSy épris de G beauté, l'enleva de la maifon de Ton père. Tudoch, jeune Calédonien , à qui Cathmin avoir promis fa fille , brûlant d'amour Se de rage , fe jcîta dans le Connaught à la tête d'une troupe de fes amis , rua Cornuel, frère de Crochar , Se ravagea les états du ravillcur. Crochar s'avança à la tête d'une armée nom- breufe pour repoulTcr cet ennemi furieux. Bientôt la guerre devint générale-, mais tout l'avantage demeura aux Firbolgs. Les Caels d'Irlande réduits à la dernière extrémité , implorèrent le fccours de leur ancienne patrie. Trathal , Roi de Morven , leur envoya Conar (on frère, déjà fameux par fes exploits. Gw^z/- défit les Firbolgs Se fut proclamé Roi de route \' Irlande ; mais

» Cette origine des Irlandois, telle que nous la rapportons d'après 0!fidn , ne s'accorde point avec les fables de leurs Hiftoriens , & cette longue lifte de Rois qui commence 1500 ans avant Jéfus-Chrift ; mais Qjjian cil d'accord avec les meilleurs Auteurs de l'antiquité. Diodoie Ae jjicile , liv. 5, avance comme un fait connu de Ion icms , que les /r- iandois étoient originaires de la Brtmgnc.

les

P R É L I M I NA IRE. Ixv

les Firholgs tentcient fouvent de fecoiier le joug , & d'enlever la couronne à la famille du Vainqueur. Cor- mac, fils& héritier de Conar, étoii fur le point d'être chalTé du trône par les chefs <.^Acha en Connaught ; il eut encore recours aux Caels d'Ecoire. Fingal qui alors étoit très- jeune, vint à fon fecours , vainquit Colculla. chef à'Acha , ôc remit Corniac en polTeflîon de toute Mlrlande.

(9) Caïrbar, fils de Cormac , Se qu'on appelle Cairhar- Mac-Cormac , pou^: le dillmguer de l'Ufurpareur , régna peu de tems, & tranfmît la couronne à (on fils Jrtho. Cormac le jeune , écoic encore enfant lorfqu'.^rr/zj foa père mourut. Pendant fa minorité on confia le gouver- nement à Cuchullin. Ce fut alors que les Scandinaves firent une irruption en Irlande. Ils avoient à leur tête Swaran j Roi de Lochlin , aujourd'hui le Jutland. Fin" , gai vint encore au fecours des Irlandais, défit & chatTa Swaran. L'invafion des Scandinaves & la vic- toire des Calédoniens , font ie fujet du Pocme de Fingal.

Les Firbolgs toujours ennemis des Caels , profitèrent de la minorité de Cormac pour fe révolter. La fr.millc à'Atha fit valoir fes prétentions au trône d'Irlande, Le parti de Cormac fut le plus foiblc. Caïrbar , chef à'Acha , a(ra(ruia le jeune Roi dans fon palais de Tc- Tome I. K

Ixvj NOTES DU DISCO URS

mora, & s'empara du trône d'Irlande. Fingal vola une troifieme fois au fecours de la famille de Conar. Après une longue viciflitude d'événeinens , il chafTa l'U- fiirpateur &C rétablit fur le trône ài' Irlande , Feradartho, fécond fils de Cairbar-Mac-Cormac , & le feu! rejettoii de la famille de Conar. C'eft le fujet du Pocme de Temora,

(lo) De-là vient que le nom des héros à'Offîan con- vient fi bien à leurs caradières. Pour fatisfaire la cu- riofité du Lefteur , nous avons mis à la fuite de ce Dif- cours l'explication des noms Galliques qui fe trouvent dans Ojjïan. Ce petit vocabulaire fervira fur-tout pour les anciens noms de Villes , de Rivières , Sec.

(il) Les incurlions fréquentes que les Calédoniens faifoient chez les Bretons, les firent nommer Scute qui fignifie vagabonds ^ errans fans cejfe ; c'cll: la vérita- ble étymologie du notti de Scoti que les Romains don- nèrent dans la fuite aux Calédoniens.

(12) On eft étonné du bon fens & de la fagacité qu'on remarque de nos jours dans les habicans du Nord de l'EcoJfe ; le peuple y eft plus éclairé que dans les pays les plus policés. Quand les hommes font entaf- fés dans les grandes villes , ils voient , il efl: vrai , beau- coup plus d'individus ; mais ils connoiilcnt «Se conipa-

PRÉLIMINAIRE. Ixvij

rcat ncs-peu de canuflcres. Ils fe divifent en petires fo- ciétés, & leuis idées ont les mêmes bornes que le qiiar- tier qu'ils habitenr. Ajoutez à cela, que les occupations mcclianiques rctiécinent lefprit. Les idées d'un payniii font encore plus bornées ; elles font pour ainli dire relferrées dans le cercle étroit de quelques arpens de terre , ou du moins elles s'étendent rarement au-delà du marché voifin. La ftérilité du fol donne aux Mon- tagnards d'EcojJe très - peu d'occupations domefliques. Ils paifenc leur vie dans de vailes landes , ils font paître leurs beftiaux ; fouvent ces animaux s'égarent & forcent ceux qui les gardent à les fuivre, ce qui les conduit tour-à-tour dans toutes les habitations des tribus EcolToifes , ils font fûrs de trouver tous les fecours de Thofpitalité. Cette vie errante leur donne un plus grand nombre d'obfervations à faire & d'idées à combiner. M. Macpherjhn.

(13) Voyez le Pocme de Sulmalla.

(14) Si l'on en croit M. Mdcpkcrfon , leur langue eft très-favorable à la Poéfie & à la Mufique ; fonore, harmonieuse , énergique , elle fe prête avec une égale facilité à la peinture du tumulte des combats de l'amour & de Çts douces impreflions.

( 1 j) Les Bardes appeiloient tous leurs Poèmes Ckants.

Ixviij NOTES DUDISCOURS, &c.

Ils diftinguoicnt feulement par le nom de Duan * , ceux dont la narration étoit interrompue par un grand nombre d'cpifodes & d'apoftrophes.

(16) M. l'Abbé Ccfarotd en a fait en Vers Italiens une excellente tradudlion.

» Dans les ficelés fuivans on donna ce nom à tous les Poèmes de» anciens Bardci,

EXPLICATION

Des Noms Galliques (P Hommes, de Villes, ùc,

qu'on trouve dans les Poëmes «i'Offian.

A

y\.LBioN OU Albin , haute Terre j ancien nom de la

Grande-Bretagne. Alclerha on Ald-CIadia , beauté fur fon déclin. Alnecma , ancien nom du Connaught , partie do

Virlande.

Alona ou Aluine , parfaitement belle.

Althos ou Ailthos , beauté parfaite,

Armin , Héros.

Ardan , orgueil.

Atha , rivière baffe , ancien nom d'un fleuve &: d une province du Connaught en Irlande,

B

Balclutha, ville du Clutha, aujourd'hui le Clyde , ou la Clyi , rivière d'EcoJfe, '

Balva , ruiffeau (îlencieux,

Berrathon , promontoire au milieu des flots , ancien nom d'une prefqu'île de la Scandinavie.

Ixx EXPLICATION

Berthim , gtdde noclurnc. Nom d'une croile.

Bolga , ancien nom de la partie méridionale de

V Irlande , les Fir-Bolg vinrenc s établir. Voyez

Firtolg. Borbardiuhul , Jîcr guerrier aux yeux noirs j père de

Cathmor &c de Caïrhar. Bofmina , main douce , lîlle de Fingal ôc de Clatho. Braiino ou Bran , torrent de la montagne.

c

Cael , étranger. Nom des Gaulois qui vinrent s'éta- blir en Ecojfe , &: de-là en Irlande.

Caïrbar, homme fort. Calmar ou Cal-mer, homme robujlc. Caumathon ou Ceau-mathon , tête de l'ours. Nom d'une étoile.

Carmona , baie entourée de collines noires. Carmora , grande montagne pleine de rochers. Carmor ou Cear-mor , homme grand & noir. Çarron ou Carun , rivière ferpemante. Nom que

conferve encore une rivière A'Ecoffe qui fe joiiu

au Forth.

DES NOMS GALLIQUES. Ixxj

Carthon , murmure des vagues.

Carul , qui a des yeux noirs.

Carhlin , rayon des flots. Nom d'une étoile,

Cathmin , calme dans la bataille.

Cathmor , grand dans les combats.

Cathul , œil de la bataille.

ClefTamor, grandes aciions.

Cloncath j rayon réfléchi.

Clonmal , fourcil recourbé.

Cloura , champ tortueux. Ancien nom d'une petite Province du Connaught.

Clunar ou Cluaner , homme de combat.

Clungalo , genou blanc , femme de Conmor , & mère

de Sulmalla. Clutha ou Cluadi ,ferpentant. Ancien nom du Clyde

ou de la Çlyd. Cette rivière prend fa fource au midi

de la province de Clydodail , palTe à Glas/^ow , Se Ce

jette dans la mer au nord. Colamon , fleuve étroit. Colculla , regard vif & intrépide, Colderna , rayon oblique & perdant. Nom d\ine

étoile. «

Ixxij EXPLICATION

Cûlgj.c j qui regarde fièrement,

Colgar , guerrier au regard fuperbe.

Colma , qui a de beaux cheveux.

Golnial ou Caol-mhal , femme qui a de petits fourcils'. Cetoit une beauté du rems à'Ojffîan d'avoir les fourcils ctroics.

Cûliiadona , l'amour des Héros.

Comala , _fi/Ie au beau front.

Concathlin , doux rayon des flots. Nom d'une éroile.

Conlama , douce main.

Coiimor 5 doux £■ grand.

Cromar , expert en navigation.

Cormul j yeux bleus. Nom d'un Héros Irlandais. 11 y

avoir aufll un rocher de ce nom dans VUltonic ou

YUlJler.

Craca , ancien nom d'une île de Schetland. Cromaglas ^ courbé & bafanné,

Cromla ou Crom-leach , fignifioit chez les Druides un lieu confacré au culte divin. C'eil l'ancien nom d'une montagne de VUlfler.

Crona, murmurant. Ancien nom d'une petite rivière

qui

DES NOMS GALLIQUES. Ixxiij

qui fe déchargeoit dans le Canon , aux environs de Sterling.

Crugal ou Cruthgeal , qui a un beau teint. Cuchullin , voix d'Ullin. Voyez Ullin. Culallin , èelie chevelure. Culmin , qui a des cheveux doux au toucher. Curach ou Curaoch , rage de la bataille. Cuthona , fon lugubre des vagues,

D

Dalrutlio ou Dalruath , plaine fabloneufe. Dardulena , forêt de Lena. Voyez Lena. Darthula , femme qui a de beaux yeux, Degrena ou Deo-ghrena , rayon du foleil, Defagrena , l'éclat d'un rayon du foleil. Dora ou Doira. Nom d'une montagne près du palais des Rois ^Irlande.

Drumanar , T Urumardo , J

Ducomar ou Dubh - Comar , homme noir & bien fait. Tome I. k

Lxxiv EXPLICATION

Dumarunno , noir & intrépide,

Dunlpra , colline des torrens bruyans.

Dunratho , colline qui a une plaine fur fon fommet.

Diifronnal. Nom d'un des chevaux de CuchuUin.

Duthcaron , homme brun.

Duthula, eau noire & rapide. Ancien nom dune ri- vière du Connaught.

Duvranna , noir torrent de la montagne. C'eft proba- blement l'ancien nom du DovJern , qui fe jette dans la mer à Banf.

E

Erin. Ancien nom de V Irlande, compofé de deux mors, ear , Oueji , & in , île , île d'OueJl.

Erfes. Ancien nom des Irlandois.

Evir-Coma , beauté douce & majejlueufe.

F

Ferchios , conquérant.

Fergus ou Feargutli , l'homme de la parole , ou le

Commandant d'une armée. Fiona , belle femme.

DES NOMS GALLIQUE S. Ixxv

Firbolg f ^f «j de trait. Nom des Belges de la Grande- Bretagne , qui vinrent s'établir en Irlande.

Fithil , Barde inférieur.

Flathal , beauté célejle.

Fovargornio , Li pointe bleue de l'acier.

G Gelchofla , qui a les jambes blanches. Glentivar , vallon folitaire. Golbun ou Golb-bhean , montagne penchée.

H

Hidalla , Héros aux regards farouches.

I

Innis - Fail. Ar.cien nom de l'Irlande. L'île des Fails. Fails ou Falans , nom d'une des premières colonies qui peuplèrent cette île.

Innis-Huna , île verte. Ancien nom de la partie méri- dionale de la Grande-Bretagne , qui eft vis-à-vis l'Irlande.

Inis-Tona , VUe des Vagues. C'étoit le nom d'une île de la Scandinavie , qui avoit un Roi particulier mais dépendant du Roi de Loclln. Voyez Loclin.

Ixxvj EXPLICATION

K

Kinfena ou Cean-Ieana , /e Chef du peuple,

L

Lamdarg , main fanglante.

Lamor , main redoutable.

Lanul , qui a des yeux à fleur de tête.

Lara. Nom d'une rivière du Connaughc.

Larthon , vague de l'Océan. C'eft le nom du Chef

de la colonie des Belges qui s'établit la première en

Irlande. Le_go , lac des maladies. C'eft l'ancien nom d'un lac

du Connaught ,dans lequel fe déchargeoit la rivière

de Lara.

Loklin ou Lochlin. C'ctoit le nom gallique de la Scandinavie en général , & en particulier du Jut- land.

Lona , plaine marécagcufe.

Lora, bruyant^ petite rivière qui couloir aux envi- rons de Selma , palais de Fingal.

Lotha. Ancien nom d'une des grandes rivières du nord de VEcojJe , & probablement du Lochi.

DES NO M S GAL L IQ UE S. Ixxvij

Liibar, rivière de l'Ulftef. Lumon , colline penchée.

Lutha , onde rapide. Ancien nom d'un fleuve & d'une vallée de Morven. Voyez Morven.

M

Mahnor , grande colline. Malthos , Une à parler. Malvina , vifage doux & agréable. Moïna 5 femme d'humeur douce. Moma. Ancien nom d'une province du Connaughr ; fameufe autrefois par la rélîdence du chef des Druides. Moran , plufieurs, c'eft-à-dire,qui feul vaut un grand

nombre de guerriers. Morannal ou Morannail , qui a beaucoup d'haleine. Morar , homme grand. Morlath , grand dans un jour de bataille. Moma , aimée de tout le monde. Moruth , large courant d'eau.

Morven , chaîne de hautes montagnes. Ancien nom de la partie d'Écofle qui eft fur les bords de la mer au nord-oueft.

IxxvUj EXPLICATION

N

Nannor ou Nea.rt;r.or , grande force. Nadios , jeune homme.

O

Oïchoma , _^//c; douce.

R Rachcol, plaine couverte de hols. Re'.durath , étoile du crépufcuk. Rofcrana , rayon du foleil levant , femme de Fingal Ik

mère à'Ojlan. Rothmar , liruit de la mer avant la tempête.

S

Salgar ou Sealgar , chajfcur.

Samia , apparition.

Sclama, belle vue. Nom de beaucoup d'habitations. Voyez le Difcours Prél.

Selma. Nom dérivé de Selama. C'ctoit le palais de Fingal 5 Roi de Morvcn.

Sifadda , qui marche à grands pas. Nom d'un des chevaux de Cuchulun.

DES NOMS GALLIQUES. Ixxix

Sithallin , bel homme.

Slimora , grande colline. Nom d'une montagne du Con- naught.

Slifama. Nom compofé de deux mors , Jlis , doux au toucher, Scfeamha, fein.

Son-mor, homme grand & joli.

Strumon, ruijfeau de la colline. Ancien nom d'une pro- vince d'Écoflè.

Strumor . torrent rugijfant.

Strutha , rivière quife divife en plujieurs ruiffeaux.

Sulallin , beaux yeux.

Sulmalla , roulant doucement les yeux.

Sulmath , homme qui a la vue bonne,

T

Temora ou Ti-mor-rath , maifon de bonheur. Nom

du palais des anciens Rois d'Irlande. Tlamin , douce & tendre. Togornia , /7/e des vagues bleues. Ancien nom de l'une

des Hébrides.

Tonthena , météore des vagues. Nom d'une étoile. Torman. Tonnerre.

Ixxx EXPLICATION DES NOMS, £-c.

Tromathon , vague pejantc & bruyante, Tura ,foncre(fe de l'Ulfter. Tuilathon , large tronc d'arbre. Turloch , qui porte un carquois. U

Ulérin , qui conduit en Erin. Nom d'une étoile.

Ulfadda, longue barbe.

Ullin , ancien nom de VUlionie ou de VUlJïer, partie

de l'Irlande. Uloïcho 5 feu de la colline. Nom d'une étoile.

V

Vinvela ou Vin-veul , femme qui a une voix we- lodieufe.

SUJET

SUJET

DU POÈME

DE F I N G A L.

u4rto, Souverain d'Irlande, étant mort dans Temora , Palais des Rois de cette Ile , laifla Cormac fon fils en minorité. Les Tribus s'af- femblèrent dans Temora , pour lui donner un Tuteur. Cuchullïn fut élu d'une voix unanime, & ne dut ce choix qu'à la grande réputation qull s'étoit acquife dans les armes : il étoit fils de Semo , Roi de l'une deS' Hébrides. A peine eut- il pris les rênes du Gouvernement, qu'il apprît que Swaran, Roi de Lodin, en Scandinavie, avoit formé le projet de faire une defcente en Irlande: à cette nouvelle, il envoya MoraUy fils de Fith'il , a Fingal , Chef de ces Calédo- niens qui habitoient la côte Occidentale d'E- cofle , pour lui demander du fecours. Fingal j autant par générofité qu'à caufe de fa parenté Tome I, A

2 SUJET DU Pue ME.

avec la Famille Royale dirlande, rcfolut de faire une expédition dans ce Fays ; mais avant qu'il arrivât, Swaran s'étoit déjà approché de rUlfter , Province d'Irlande. CuchuUin avoit raflemblé l'élite des Tribus Irlandoifes à Turay Forterefle de cette Province ; il avoit envoyé des efpions le long de la côte , pour être averti fur le champ de l'arrivée de l'ennemi : c'efl-là que le Poëme commence : l'action ne dure que cinq jours & cinq nuits : la Scène eft dans la plaine de Lena, auprès d'une montagne appel- lée Cromla, fur la côte de l'Ulfter. Fingal, père d'OJ/îan, & Roi de Morven en Écofle, eft le Héros de ce Poëme.

F I

POÈME,

C HA NT PREMIER.

SOMMAIRE.

CjUCHULLIN ejl ajfis feul fous un arbre ^ à la porte de Tara , tandis que les aut^s Chefs font allés chjjfer fur la montagne voifine. Il eft Informé par Moran , fils de Fithil , de la defcmte de Swaran , Roi de Loclin : il affemble les Chefs ; il fe tient un Confeil l'on débat avec chaleur fi on donnera bataille à l'ennemi. Connal, Roi de Togorma, & intime ami de Cuchullin, propoje

Az

4 F I N 6 A L,

de faire rctraue jufqu'à l'arrivée de Fin^al. Calmar , fils de Mâcha, Souverain de Lara, dans la Province de Connaugh:, était d'un avis oppofe' à celui de Con- nal ; il voulait le combat : CuchuUin adopte l'avis de Calmar. En marchant à l'ennemi , il s'appercoit de V ahfence de trois de fes plus braves guerriers , Fergus , DucDmar , & Caïtbat. Fergus arrive & apprend à Cu- chuUin la mort des deux autres Guerriers, ce qui amène Vépifode touchant de Morna, fille de Q,oivc\2.c. Swaran débarque : il découvre de loin l'armée de Cuchullin , (S* envoie le fils d'Kiï\o la reconnaître , & ohfeiyer les mouvemens de l'ennemi^ tandis queiui , range Jes troupes en bataille. Le fils d'Aïno revient^ 6' fait à Swaraii la defcnption du char de Cuchullin, & de la contenance terrible de ce Héros. Les armées fe joignent & combat- tent ; mais la nuit qui furvient les fépare , & laiffe la vicloire indéci/i. CuchuUin ,fuivant les Loix d'hofpita- lité pratiquées dans ces tems anciens _, envoie à Swaran une invitation en form.e de fe trouver à fa fête , par fon Barde Carril , fils de Ki«fenn. Swaran refufe. Carril raconte à Cuchullin l'hifioire de Grudar & Bralfolis. Sur l'avis de Connal , Cuchullin envoie un parti pour ebferver les ennemis , ce qui termine l'action de la pre- mière journée.

CHANT PREMIER. s

±R. È S des murs de Tura , CuchuUin ( i ) éroic aflîs au pied d'un arbre au tremblant feuillage. Sa lance étoit appuyée contre un rocher revêtu de moufTe. Son bouclier repofoit près de lui fur le gazon. îl révoit au puilîant Cairhar (i) , héros qu'il avoir tué dans le combat, lorfque Moran ^ chargé de veiller fur l'O- eéan , revient annoncer fa découverte.

« Leve-toi, CuchulUn, levé- toi , dit le jeune Guer- rier: je vois les vailTeaux de SvJaran: CuchulUn^ Feii- nemi efl: nombreux: la mer fombre rouie avec fes ondes une foule de héros. Enfant de Fich'd , répond le Chef aux yeux bleus , je te vois toujours trembler: ta peur a groffi le nombre des ennemis. Sais-tu fi ce n'eft pas Fingalj le Roi des Monts Solitaires (3) , qui vient me fecourir dans les plaines verdoyantes d'Z7//i/z? » *

i> J'ai vu leur Chef, reprit Moran-^ je l'ai vu haut &: menaçant comme un rocher de glace. Sa lance ref- femble à ce vieux fapin \ fon bouclier efl; aulli grand que la lune au bord de l'hûrizon. Il étoit affis fur un rocher du rivage , & fes troupes rouloient comme de fombres nuages autour de lui. Chef des guerriers , lui ai-je dit, il efl: grand le nombre de nos combattans :

* Ullin, ancien nom de l'Ulfter.

6 F I N GA L,

tu portes à jiifte ticre le nom de Piiidànt Guciiier j mais une foule de guerriers puillans t'attendent fous les murs tortiieiix de Tara. D'une voix feniblable au bruit d'une vague en courroux , Swaran me répond : jEh ! qui dans ces plaines marchefoit mon égal ? Les Héros ne peuvent foutenir mon afpecl : ils tombent dans la poujjière fous les coups de mon bras. Nul autre que Fingal , nul autre que le Roi des Collines Oragcufes j ne peut faire tête à Swaran dans les combats. Une fois nous avons mefuré nos forces fur la colline de Malmorj & le fol de la forêt fut labouré fous l'effort de nos pas. Les roches tombaient arrachées de leur bafe j & les ruif- feaux^ changeant leurs cours, fuyaient en murmurant loin de cette terrible lutte. Trois jours entiers nous rcnouvel~ lames le combat ; nos guerriers rejloient à l'écart immo- biles & tremblans. Au quatrième jour Fingal s'écria : le Roi de l'Océan efl tombé: il cjl debout , répondit Swaran. Moran, que le fombre CuchuUin cède au héros qui efl fort comme les tempêtes de Malmor. »

» Non , répondit CuchuUin, jamais je ne céderai à un homme. CuchuUin fera grand, ou mort. Va, Moran^ prens ma lance, & frappe fur le bouclier fonore de Cabaït (4) j il eft fufpendu à la porte bruyante de Tura. Ses fons ne font pas les fons de la paix (5). Mes guer- riers l'entendront (wï la colline. »

CHANT PREMIER. 7

Moran part : il frappe le bouclier : les coteaux & les rochers répondent : les fons s'étendent dans la forêc : le cerf trefTaille au bord du lac. Déjà Curach fe lève , s'élance du haut du rocher , & Co/zna/ après lui , tenant fa lance marquée de fang : le fein de neige du beau Crugal s'enfle & palpite : le fils de Favi a déjà quitté le noir fommec de la colline : c'efi: le bouclier de la ouerre, s'écrie Ronnar : c'eft la lance de CuchuUin , dit Lugar. Enfant de la mer. Calmar^ prens tes ar- mes , lève ton acier bruyant : lève-toi , Puno , héros terrible, lève-toi: Caïrbarj abandonne les forets de Cromla: plie tes genoux d'albâtre, b Eth , defcends du bord des torrens de Lena. Caok ^ déploie tes tnufcles mouvans , & fais fifler fous tes pas la bruyère de Mora : tes flancs font blancs comme l'écume de la mer agitée , lorfque les noirs ouragans l'épandent fur les rochers grondans de Cuthori.

* Je les vois tous rafTemblés : ils font pleins de l'orgueil que leur donnent leurs premiers exploits : leurs âmes s'enflamment au fouvenir des combats & des fiecles pafles : leurs regards étincelans cherchent

* C'eft O/Tîan qui parle. On le verra tantôt Hiftorien, tantôt 'Afteur dans le Poëme , & parler de lui, tantôt à la preiiiicre, tan- tôt à la troifième perfonne.

8 FINGAL,

l'ennemi. Leurs bras nerveux pofenc fur la poignée de leurs cpées , & l'éclair jaillit de leurs flancs d'acier. Ils defcendent par rorrens tiu haut des montagnes. Les Chefs s'avancent & brillent fous l'armure de leurs pères; fui vent leurs Guerriers fombrcs & mena- çans : tels on voit les nuages pluvieux s'a-flembler , fe preller derrière les météores enflammés du ciel. Le bruit de leurs armes qui fe choquent monte dans les airs : leurs dogues animés y mêlent leurs longs aboiemens. L'hymne des combats eft entonné à voix inégales , & fe prolonge dans les échos du Cromla. Arrivée au fom- met du Lena j la troupe s'arrête fur les noires bruyè- res , femblable à un brouillard d'automne , lorfque raflemblant fes flocons épars dans la plaine, il monte fur les collines obfcurcies, & de leur cime, élève fa tète dans les cieux.

« Salut , dit Cuchulliriy Enfans des vallons , & Vous chafleurs du cerf timide: d'autres jeux fe préparent; * ils font férieux \ ils font terribles comme ce flot mena- çant qui roule fur la côte. Combattrons-nous, Enfans de la guerre , ou céderons-nous au Roi de Loclin * les vertes plaines d'Inisfail? ** Parle, ô Connal , (6)

* Nom du Royaume Je Swaran en Scaudinavie. .** L'Irlande.

CHANT PREMIER. 9

toi , le premier des guerriers j toi qui brifas tant de boucliers j tu as combattu plus d'une fois contre les guerriers de Loclin j veux-tu manier encore la lance de ton père ? »

« CuchuUin, répond le guerrier d'un air tranquille, la lance de Cannai eft affilée; elle fe plaît à briller dans le combat, & à s'abreuver de lang; mais quoique mon bras demande la guerre^ mon cœur cft pour la paix. Chef des guerres de Cormac , vois la noire étendue de la flotte de Swaran : fes mâts s'élèvent aufll nombreux fur nos côtes , que le font les rofeaux fur le lac de Lego : la foule de fes vailfeaux préfente l'afpedt d'une forêt couverte de vapeurs , lorfque les arbres balancés plient tour-à-tour fous l'effort des vents im- pétueux. Le nombre de fes guerriers eft trop grand j Connal e(t pour la paix. Fingal, le premier des mor- tels , voudroit éviter le bras de Swaran ; Fingal qui balaie les guerriers comme les vents de la tempête difperfent la bruyère , lorfque les torrens mugiffent le long des échos de Cona, de que la nuit s'affied fur la colline environnée de tous fes nuages. »

« Fuis , Guerrier , ami de la paix, dit Calmar; fuis

dans tes collines filencieufes , ne brilla jamais la

lance des combats j va pourfuivre le chevreuil du,

Cromla, & arrêter avec tes flèches les cerfs bondiflans

Tome I. B

10 F I N G A L,

de Lena: mais toi, CuchuUin , fils de SemOj arbitre de la guerre, difperfe 1^ enfans de Loc/in; porte le ravage au travers de leurs bataillons orgueilleux j que jamais vaiireau du Royaume (les Neiges ne bondilTe* fur les flots agités à'inijlore. * Levez-voas , ô vents orageux à'Erin : ** mugilTez, ouragans des bruyères : puilHii-je mourir au milieu de la tempête enlevé dans un nuage par les fantômes irrités des morts; que Calmar meure au milieu de l'orage, Ci jamais lathafle eut pour lui autant d'attraits que les batailles. »

« Calmar, répliqua Connal d'ime voix tranquille, jamais je n'ai fui; j'ai volé aux combats à la tcte de mes guerriers j mais la renommée de Connal eft foi- ble encore. La bataille a été gagnée à ma vue, & le brave a triomphé: mais écoute ma voix, ô fils de Semo j & fouviens-toi du trône antique de Cormac : donne des richelfes &: la moitié de ce Royaume pour acheter la paix, jufqu'à ce que Fingal arrive avec fon armée; mais fi tu choifis la g erre, je filfis ma lance 6: mon épée : ma joie fera d'ctre au milieu des com-

■* L'Ile des Baleines; c'ctoit une des Orcades.

** Nom de riil.'.nde , compofc de deux mots, donc l'un Cgnifîe Ile, Se l'autre OueJi;Ylk d'Oucft.

CHANT PREMIER. ^ n

battans , & mon ame fe dcploieia dans le tort de la mêlée. »

" Pour moi , dit Cuchullin , le bruit des armes plaît à mon oreille i il me plaît comme le bruit du tonnerre, avant les douces pluies du printems. Raffemble toutes mes troupes \ que je voie fous mes yeux tous mes guerriers \ qu'ils s'avancent au travers des bruyères, brillans comme le rayon du foleil avant l'orage , lors- que le vent d'Occident alTemble les nuées , & que les chênes de Morven gémiffent le long des rivages.

Mais font mes amis, les compagnons de mon bras dans le danger? es-tu, Càubat , au fein d'al- bâtre ? eft ce Ducomar^ ce foudre de guerre ? Et toi, Fergus, m'as-tu donc abandonné au jour delà x.em- fhe} Fergus, le premier à partager la joie de nos fêtes?

Fils de Rojfa, bras de la mort, viens-tu comme le rapide chevreuil des collines retentilfantes de Mal- mor? * Salut au fils de Ro£j.; mais quel nuage obs- curcit ton "ame belliqueufe? »

« Quatre pierres, répondit i^er^r/j **, s'élèvent fur la tombe de Caïtbat; 8c ces mains ont placé dans la terre

* Fergus paroît.

'* Ceci fait allufion à la manière dont les anciens ÉcofTois en- féveliffoient les morts. Voyez le Difcours préliminaiie.

Bz

12 . F I N G A L,

le vaillant Ducomar. Fils de Tormcn _, tu ctois un altre fur-la colline j & toi, ô Ducomar! tu étois fatal comme les exhalaifons du marécageux Lano^ lorfqu'elles s'é- tendent fur les plaines de l'automne , & qu'elles por- tent la mort parmi les Nations. Morna! toi, la plus belle des Filles , ton fommeil eft paifible dans le creux du rocher! Tu es tombée dans les ténèbres , comme l'étoile qui traverfe les déferts dans fa chute oblique , & dont le voyageur folitaire regrette la lueur palTa- gère. » Dis à Cuchuliin^ dis comment font tombés les Chefs à'Erin ? Ont-ils péri de la main des enfans de Loclin en combattant dans le champ des Héros ? Ou quelle autre caufe a précipité les Chefs de Cromla dans l'étroite & fombre demeure? *

§ Caïtbat j repartit Fergus , a péri par l'épée de Ducomar, au pied d'un chêne , fur le bord du torrent. Ducomar vînt en fuite à la grotte de Tura j 8c adreflk ces paroles à l'aimable Morna.

Morna , la plus belle des femmes , aimable fille de Cormac, pourquoi te tiens-tu feule dans l'enceinte de ces pierres, dans le creux de ce rocher? Le ruilfeaa murmure triftement : le gémilTement de l'arbre anti-

* ExprelTion dont le Pocte fc fert fouvcnt pour dcfigner le tombeau.

CHANT PREMIER. 13

que s'cleve fur les vents : le lac eft troublé : un fombre iiuar;e voile les cieux : mais toi, tu es blanche comme la neige de ces bruyères , &c ta chevelure reiïemble aux vapeurs qui couronnent le fommet du Cromla j lorfqu'elles pendent en flocons fur les rochers , & qu'elles brillent aux rayons du couchant. Ton fein offre à la vue deux globes de marbre, tels qu'on en voit au bord des ruiffeaux de Branno ; tes bras ont la blancheur & la fermeté des colonnes d'albâtre du Pa- lais de Fingal.

D'où viens-tu, répond la Belle ^ d'où viens-tu, Du- comar, le plus fombre des hommes ? Tes fourcils font noirs & terribles; tes yeux roulent une prunelle en- flammée ; Swaran paroît-il fur la mer ? JDucomar\ quel- les nouvelles de l'ennemi? O Morna ! Je defcends de la colline des biches. Trois fois j'ai bandé mon arc , & j'en ai terrafTé trois. Trois autres ont été la proie de mes dogues légers. Aimable fille de Cormac,]e t'aime comme mon ame : j'ai tué pour toi un magnifique cerf: Ùl tête étoit parée d'un bois à plufieurs rameaux , & fes pieds égaloient la légèreté des vents. Je ne t'aime point , Guerrier farouche ; ton cœur a la dureté du roc , & ton œil noir m'infpire la terreur. Mais toi, Caàèatj toi, fils de Torman j tues l'amour de Morna ; tu as pour moi la douceur d'un rayon de foleil qui luit

14 F I N G A L,

fur la colline dans un jour d'orage! As-tu vu le jeune Cditbat ?' As-ru rencontre cet aimable guerrier fur la colline des chevreuils ? La fille de Cormac attend ici le retour du fils de Torman. Et Morna l'atten- dra long tems \ fon fang eft: fur mon épée: Morna l'at- tendra long-tems ; il eft tombé fur les rives du Branno: j'élèverai fa tombe fur le fommet du Cromla. Aiais fixe ton amour fur Ducomar; fon bras eft fort comme la tempête.

Il n'eft donc plus, le fils de Tcrman , dit fi jeune Amante , les yeux pleins de larmes ! Il eft donc tombé fur la colline, ce jeune & beau guerrier ! Il étoit tou- jours le premier à la tête des challeurs de la montagne: il étoit le fléau des ennemis apportés par l'Océan. Du~- comar, oui , tu es fombre & farouche , & ton bras cruel eft fune(b à Morna. Barbare , donne-moi cette épée ; j'aime le fang de Cditbat.

Ducomar touché de fes larmes lui cède fon épée : elle la lui plonge dans le fein. Comme un rocher qui fe détache de la montagne , il tombe , & étend un bras vers elle.

« Morna, tu as donné la mort .i Ducomar : je fens dans mon fein le froid de l'acier. Rends mon corps à la jeune Moïna ; Ducomar étoit l'objet de fcs fonges. Elle m'élévera un tombeau; le chalTeur le remarquera,

CHANT PREMIER. ly

& nie donnera des louanges. Mais de grâce j retire ce fer de mon fein : M orna ^ je le fens qui me glace. »

Elle s'approche toute en larmes , & elle retire l'cpée •du fein du guerrier : Ducomar en tourne la pointe fur elle, & perce fon beau fein. Elle tombe, & les bou- cles de fa belle chevelure font éparfes fur la terre : fon fang fort en bouillonnant de fa blelTure , & rougir l'albâtre de fon bras. Elle s'agite dans les convulfions de la mort j la grotte de Tara répéta fes derniers ^é- niiiïemens. §

« Paix éternelle ! dit Cuchullin , aux âmes des hé- ros : leurs adtions furent éclatantes dans les dangers. Que leurs ombres errent autour de moi , portées fur les nuages (7) ; que je voie leurs traits guerriers j à leur af- peét, mon ame fentira croître fa conftance dans les périls, & mon bras lancera les foudres de la mort. Mais toi, Mornaj viens à mes yeux fur un rayon de la lune : viens près de ma fenêtre pendant mon fommeil , quand j'oublierai la guerre & fes alarmes, pour ne fonger qu'aux loifirs de la paix.

RalFemblez nos Tribus , & marchez aux combats ; fiîivez mon char de bataille , & que vos accens guer- riers fe mêlent au bruit de ma courfe. Placez trois lances à mes côtés : volez fur la trace de mes courfiers bondiflàns : que mon ame fe fente foutenue du courage

F I N G A L,

de mes amis , lorfqiie la nuit du combat s'cpaiffira autour de mon cpce étincelante. »

Tels qu'un torrent écumant fe précipite de la cime efcarpée du Cromla j lorfque le tonnerre gronde , Sc que la fombre nuit a déjà noirci la moitié de la col- line; tels & plus terribles encore s'élancent les nom- breux enfans à'Erin. Leur Chef déploie toute fa va- leur , femblable à la baleine de l'Océan que fuivent toutes les vagues émues fur fa trace, ou au fleuve qui roule toutes fes eaux fur le rivage.

hQS enfans de Loclin entendirent de loin le bruit de fa courfe impétueufe. Swaran frappa fon bouclier, & appella le fils A'Arno. « Quel eft , dit-il , ce murmure qui vient roulant le long de la colline, & qui relTem- ble aux fourds bourdonnemens des infeâes du foir ? Ce font ou les enfans d'Inisfail qui defcendent,ou les vents qui mugilTent dans les profondeurs de la forêt lointaine. Tel eft le bruit du Gormal * , avant que les vagues agitées lèvent leurs têtes blanchiflantes. Fils d'j4rno , monte la colline , & porte tes regards fur la noire furface des bruyères. »

Ârno part & revient éperdu. 11 roule des yeux égarés.

Colline de LocUn.

Son

CHANT PREMIER. 17

Son cœur palpite. Sa voix elt ti'emblante, & n'articule que des mots interrompus.

« Leve-toi, hls de l'Océan, leve-toi: je vois def- cendre de la montagne le noir torrent des combats ; je vois s'avancer les files protondes des enfans à.'Erin. Le char de bataille , le rapide char de CuchulUn vient comme un tourbillon enflammé qui porte la mort. Il roule comme un flot fur la plaine liquide , ou comme un nuage d'or qui s'étend fur la bruyère. Ses larges côtés font incruftés de pierres brillantes j telle au milieu de la nui: la mer écincelle autour de nos vaifleaux. Le timon efl: d'if poli ; le liege efl: formé d'os éclatans de blancheur ; fes flancs font remplis de lances entalfées , & le fonds efl: foulé par les pieds des héros. Du côté droit on voit i*n courfier écumant , fuperbe j bondiflant, le plus fort , le plus léger de la colline : fon pied frappe & fait retentir la terre. Sa crinière flottante reflemble aux ondes de ce torrent de fumée qui roule fur le coteau : fes flancs font cou- verts d'un poil luifant: fon nom eft Sifadda. Au côté gauche efl: attelé un courfier non moins fougueux: Enfant impétueux des montagnes , fa noire crinière s'élève fur fa tête fuperbe , fes pieds font robufl:es & légers : les fougueux enfans de l'épée l'appellent Duf- Tonnai, Mille liens tiennent le char fufpendu. Les Tome I, C

i8 F I N GA L,

mors citirs &c polis brillent dans des flots d'écume. Des renés légères , ornées de pierres radieufes , flot- tent fur le cou majeftueux des courfiers, tandis qu'ils volent & franchiirent les vallons. Ils ont dans leur courfe la légèreté du chevreuil , & la force-de l'aigle fondant fur fa proie. L'air fîffle à leur paiïage, comme les vents de l'hiver fur les neiges du fommet du Cormal.

Sur le char s'élève le Chef des guerriers : le nom du héros eft Cuchuliin, (S) le fils de Semo. Sa Joue ba- fanée a la couleur de mon arc. Ses yeux farouches roulent fous de noirs fourcils. Sa chevelure tombe de fa tête en ondes de flammes , lorfque penché en avant il agite fa lance : fuis , Roi de l'Océan , fuis j il vient comme la tempête le long du vallon. »

« Quand m'as-tu vu fuir, quelque fût le nombre des lances ennemies ? Quand m'as-tu vu fuir , fils à'Arno , Guerrier fans courage ? J'ai bravé les tem- pêtes du Gormal (9) , & la hauteur des flots écumans. J'ai bravé les nues orageufes, & je fuirois un guerrier! Fut-ce Fingal lui - même , mon ame ne feroit point émue à fon afpedb. Levez-vous pour combattre , mes guerriers ; rafTemblez-vous autour de moi , comme les flots de la mer. Raflemblez-vous autour du brillant acier de votre Roi 3 fermes comme nos rochers qui

CHANT PREMIER. 19

attendent l'orage avec joie , & oppofenc les noires forêts qui les couvrent à la fureur des vents. »

Les héros s'avancent. Tels dans l'automne deux orages s'élancent l'un contre l'autre du haut de deux montagnes oppofées , ou tels qu'on voit deux torrens tombans de leurs rochers fe mêler , fe combattre & mugir confondus dans la plaine : ainfi fe heurtent & fe mêlent les armées de Lodln & à'Inlsfail. Le Chef combat le Chef: le guerrier joint le guerrier : l'acier frappe j eft frappé. Les cafques volent en éclats : le fang coule & fume dans la plaine : les cordes réfon- nenc fur les arcs tendus : les flèches filïlent dans l''air: les lances agitées tracent des cercles lumineux , qui dorent la face orageufe de la nuit.

Des cris aflreux fe contondent dans les airs. Tel eft le bruit confus de l'Océan , lorfqu'il roule fes vagues mutinées j tels font les dernier» éclats du ton- nerre. Quand les cent Bardes de Cormac réunis , eulTent chanté les événemens du combat , les cent Bardes de Cormac auroient eu des voix trop foibles pour tranfmettre à l'avenir toutes les morts célèbres. Les héros tomboient en foule fur les héros , & le fang des braves ruilfeloit à grands flots.

Pleurez , Bardes confacrés au chant , pleurez la mort du noble Sïthallïn. Que les gémilTemens de

C2

20 F I N G A L,

Fiond farfenc recentir la demeure de fon cher Ardan. Ils font tombés comme deux chevreuils du defert , fous la main du puiîfant Swaran. Swaran rugiiïoit au milieu defes guerriers, comme l'efprit de la tempête, lorfquaflis fur les fombres nuages qui couronnent le fommet du Gormal , il jouit de la mort du matelot.

Ta main n'ed: pas oifive , ô Chef de l'île des Brouillards ! CuchuUïn , ton bras donna plus d'une fois la mort. Son épée , étoit comme le trait de la foudre , qui frappe les enfans du vallon , lorfque les hommes tombent confumés , & que toutes les col- lines d'alentour font en flammes. * Dusronnal hennif- fbit fur les corps des héros , iSc Sifadda baignoit fes pieds dans le fang. Sous leurs pas le champ de ba- taille étoit dcvafté , comme les forêts du défert de Cromla (io)j lorfque l'ouragan charge des noirs efprits de la nuit iav:>ge l'humble bruyère , & déracine les arbres.

Pleure fur tes rochers, ô fille à'inijîore ! (i i) Fille plus belle que l'efprit des collines , lorfque fur un rayon du foleil il traverfe les plaines filentieufes de Alorven : penche ta belle tête fur les flots. Il eft tombé, ton jeune amant, il eft tombé pâle de fans vie

" * Chevaux de CuchuHin. Voyez ci-deffus.

CHANT PREMIER. 21

fous l'épée de CuchuUïn. Son jeune courage ne mon- trera plus en lui le digne rejetcon des Rois. Trcnardy l'aimable Trenard eft mort , ô fille à'inijlore ! Ses dogues fidèles heurlent dans fon palais , en voyant paflêr fon ombre. Son arc eft détendu dans fa demeure ; le filence règne dans fes forêts.

Mille flots roulent contre un rocher; ainfî s'avance l'armée de Swanm : le rocher reçoit Se brife ces mil- liers de flots ; ainfi les guerriers d'Inisfail attendent Se bravent l'armée de Swaran. La mort élevé toutes £es voix à la fois , & les mêle au fon des boucliers. Chaque' héros eft une colonne de ténèbres , &c fon épée eft dans fa main un rayon de feu. La plaine gémit , comme le fer , rouge enfant de la fournaife , fous les coups de cent marteaux qui s'élèvent & le frappent tourà-tour.

Quels font ces guerriers fi fombres , fi farouches fur la plaine de Lena ? Ils font comme deux nuages , Se leurs épées brillent comme l'éclair au-defl^us de leurs têtes. Les collines font ébranlées , Se les rocheft tremblent avec toute leur moufl^e. Sans doute c'efl: le fils de l'Océan (12) , & le Roi d'Erin (i 3). Les yeux inquiets de leurs guerriers fuivent leurs mouvemens ; mais la nuit dérobe les deux Chefs dans fes ombres , êc finit leur terrible combat.

22 F I N G A L,

Sur la pente du Cromla j Dorglas apprête un che- vreuil ; conquête matinale que les guerriers avoient faite fur la colline, avant d'en defcendre pour com- battre. Cent jeunes guerriers amaffent la bruyère : dix héros excitent la flamme : trois cent choififfenc des pierres polies j la fumée fe répand au loin , & annonce la fête. (14)

CuchuUïn a recueilli fa grande ame. Appuyé fur fa lance, il adreiïe ce difcours au vieux Carr'dj à ce chan- tre vénérable des évéïiemens partes.

" Cette fête fera-t-elle pour moi feul ? Le Roi de LocUn reilera-t-il fur le rivage à'Ulim , loin des fêtes & des concerts de fon palais ? Leve-toi , vénérable Carril, & porte mes paroles à Swaran. Dis à ce Roi, venu fur les flots mugiflàns , que CuchuUïn donne fa fête , qu'il vienne prêter l'oreille au murmure de mes bois , dans l'ombre de cette nuit nébuleufe. Triftes Se glacés font les vents qui fondent fur Çts mers écu- meufes ; qu'il vienne donner des louanges aux accords de nos harpes ; qu'il vienne entendre les chants de nos Bardes. »

Le vieux Ccirril part &c fa voix pleine de douceur invite le Roi des noirs boucliers. « Swaran , Roi des fo- rêts , lève-toi , &: quitte les fourrures de ta ciiaffe. Cu- chullin donne le feftin folemnel ; viens partager fa fête.

CHANT PREMIER. 23

Swaran d'une voix lugubre, comme le murmure du Cromla avanc la cempêre , répondit : " Quand toutes tes jeunes filles, odieufe Inisfail, étendroienc vers moi leurs bras de neige , offriroient à ma vue leur fein palpitant , & rouleroient avec douceur des yeux pleins d'amour , immobile comme les mon- tagnes de LocUrij Swaran refiera dans ce lieu , juf- qu'à ce que l'aurore , fe levant fur mes états, cou- ronnée de jeunes rayons , vienne m'éclairer pour donner la mort à CuchuUin. Le vent de Lodïn plaît à mon oreille; il fouftle fur mes mers ; il mufit dans mes voiles & rappelle à ma penfée les vertes forêts du Gormali dont tant de fois les échos répondirent à fes fifflemens , lorfque ma lance fe baignoit dans le fang du fanglier. Que le fombre CuchuUin me cède l'ancien trône de Cormac, ou fon fang rougira l'éciune des torrens à'Erin ».

Carril revient & dit : les accens de la voix de Swaran font fuiiftres finiftres pour lui feul, repar- tit CuchuUin. Carril, élevé ta voix, & redis les ex- ploits des tems palTés. Charme la longueur de la nuit par tes chants , & remplis nos âmes d'une douce trif- lelFe. Car la terre à'Inisfail a enfmté nombre de héros & de jeunes filles formées pour l'amour. 11 eft doux d'entendre les chants de douleur dont retentif-

24 F I N G J L,

fent les rochers à' Albion j lorfque le bruit de la chaiïe a ceiïe , & que les ruilTeaux de Cona répondent à la voix à'OJJian (15).

Carril chanr.i : ( i (î) § Dans les tems paiïes les enfans de l'Océan defcendirent fur les rivages à'Inisfail. Mille vailfeaux bondidoient fur les vagues , & cin- gloient vers les plaines agréables à'UIIin : les enfans à'£rin marchèrent à la rencontre de cette nation en- nemie. Ciiirbar , le premier .des mortels, & Grudar jeune & beau guerrier s'y trouvèrent ; ils avoienc long-tems combattu pour le taureau tacheté qui meu- gloit fur la colline retentillante (17) de Golbun. Tous deux le reclamèrent , & la mort fe montroit fouvent à la pointe de leur acier.

Les deux héros fe réunirent contre l'ennemi , & les étrangers de l'Océan prirent la fuite. Quels noms plus illuftres dans Inïsfail que les noms de Caïrbar & de Grudar ; mais hclas ! pourquoi ce fatal taureau mugit-il encore fur la moîitagne de Golbun ; ils l'ap- percurenr bondlifant cc blanc comme la neige , fa vue ralluma leur fureur.

Ils combattirent fur le gazon des rives du Lubar. Le jeune & brillant Grudar tomba. Le farouclie Caïr- bar vint aux v.iUons retentifîans de Tara j Braf- folisj la plus belle de fes fœurs , trille & feule , foupi-

roic

CHANT PREMIER. 2;

roit des chants de douleur. Elle chantolt les aclions de Grudar, jeune objet des fentimens fecrets de fon cœur. Elle déplorait les dangers qu'il courroit dans la plaine fanglante des combats : mais elle n'avoir pas encore défefpéré de fon retour. Sa robe entr'ouverte lailToit voir fon beau fein , comme on voit la lune for- tir à demi des nuages de la nuit. La harpe efb moins douce que fa voix , lorfqu'ellc chantoit fa douleur. Grudar occupoit toute fon ame , c'étoit lui qu'en fecret cherchoient toujours fes regards. « Quand re- viendras-tu dans tout l'éclat de tes armes , ô guerrier puiiïant dans les combats ! »

Caïrbar furvient & lui dit : Prens , Brajfolîs y prens ce bouclier enfanglantc: fufpens-le au haut de ma demeure: c'eft l'armure de mon ennemi .... A ces mots fon tendre cœur palpite : pâle, éperdue , elle vole au champ de bataille : elle trouve fon jeune amant baigné dans fon fang : elle expire à cette vue fur la fougère du Cromla. C'eft ici que repofent leurs cendres, CuchuUin, & ces deux ifs folitaires, nés fur leurs tombes , cherchent en s'élevant à unir leurs rameaux. Brajfoiis étoit la beauté de la plaine , 8c Grudar l'ornement de la colline. Les Bardes confer- veront leurs noms, & les rediront aux fiecles à venir. §

« Ta voix eft pleine de chatmes , ô Carril, dit le Tome I. D

25 F 1 N G A L,

C\\e( à'Erin, Se j'aime à entendre les récits des tems pafTés. Ils plaifent à mon oreille comme la douce ondée du printems, lorfque le foleil luit fur la plaine, & que les nuages légers volent fur la cime des mon- tagnes. O Barde , prens ta harpe pour célébrer mes amours. Chante cette belle folitaire , cet aftre de Dunscar (i8). Accompagne de ta harpe les louanges de Bragela (151), de celle que j'ai lailTée dans l'île des Brouillards: Epoufe du fils de Semo , leves-tu ta belle tète au haut du rocher, pour découvrir les vailFeaux de Cuchullin^ Une vafte mer roule Tes flots entre ton époux & toi. La blanche écume de fes vagues trompera tes yeux , tu les prendras pour les voiles de ma flotte. Retire-toi, car il eft nuit, retire-toi, mon amour, les vents de la nuit lîftlent dans ta chevelure : retire- toi dans le palais de mes fêtes , & rêve aux tems palTés. Je ne retournerai point dans tes bras, que la tempête de la guerre ne foit appaifée. O Connal , parle-moi de guerres 3c de combats ; bainiis-la de ma penfée , car elle m'eft trop chère la fille de Sorg/an , au fein d'albâtre , à la noire chevelure. »

" Défie-toi des enfans de l'Océan , répondit le grave & prudent Connal: envoie une troupe de tes guerriers obferver dans la nuit l'armée de Swaran. CuchuUïn , je fuis pour la paix , jufqu'à l'arrivée des

CHANT PREMIER.

27

eiifr.ns de Morven , jurqu'à ce que Fingal ^ le pre- mier des héros, paioliFe, comme l'aftre du jour, fur nos plaines. »

Le héros foiiiia l'allarme fur fon bouclier : les guerriers nommés pour veiller pendant la nuit , fe mirent en marche : le refte de l'armée couché fur la colline , dormoit dans les ténèbres au murmure des vents. Les ombres des guerriers, récemment décédés, erroient devant eux portées fur leurs nuages , & dans le lointain , dans le vafte filence de Lena, on entendoit les voix grêles des fantômes , préfages de la mort.

Fin du Chant premier.

Di

a8 F I N G A L,

NOTES DU CHANT PREMIER.

(i) Cuchullin , en Langue Gallique, fignifîe la voix dVllin. C'eft le nom que les Bardes donnèrent au fils de Semo , parce qu'il commandoit les troupes de VUifter contre les Firholg ou les Bilges qui iiabitoient le Connanglu. Cuchullin étant encore très- jeune , époufi Bragela , fille de Sorglan , & paffa en Irlande , il vécut quelque tems avec Connal, Roi de l'U/Jler. Il s'acquit bien- tôt une telle réputation de ûgefle & de valeur, qu'on lui confia le Gouvernemenr d'Irlande pendant la minorité de Cormac , & qu'il fiit chargé feul de conduire la guerre contre Swaran. Après s'être diftingué par quantité de belles aftions , il fut tué dans une bataille donnée dans la Province de Connane;hl , à l'âge de vingt - fept ans. Sa force étoit fi extraordinaire, qu'elle avoit paiïe en prover- be j & que pour donner une grande idée de la vigueur d'un hé- ros, on difoit qu'il avoit la force de Cuchullin. On montre enco- re les ruines de fon palais à Dunfcaich, dans l'Ile de S chic, & la pierre il attachoit Luat fon dogue , s'appelle encore aujour- d'hui lu Pierre de Cuchullin.

(i) Ce n'eftpas ce Caïrbar, fils de Borbarduthul , & frère de Cûthmor , dont il fera queftion dans Temora.

(3) Fing^l, fils de Comhal &. de Morna , fille de Tiiaddu. Il eft fouvent queftion dans les Poèmes fuivans de Trathal, fon aïeul , & de Trcumor fon bifaieul. Suivant la tradition , Treumor eut deux fils; Trathal qui lui fuccéda fur le trône d'EcolTe, & Conar , ap- pelle par les Bardes Conar le Grand , qui fut élu Roi de toute l'Ir- lande. C'cft de ce Conar que defcendoit Cormac qui occupoit le ttônc d'Irlande, lors de l'invafion de Swaran. Quand on voit Cu-

C HA N T P R E AI I E R.

2p

chuU'm avoir fitôc recours a un Prince étranger, on en peut con- clure que l'Irlande n'étoic p»s alors auflî peuplée qu'elle l'a été de- puis ; ce qui feroit une forte préfomption contre la haute antiquité de cette nation. Tacite nous dit que du tems d'Agricolà, on crut qu'il fuffifolt d'une légion pour réduire l'Ile entière fous le joue des Romains. Ce qui n'auroit pas été poflible fi elle avoit été habitée depuis pluueurs Cécles.

(4) Graud-pere de Cachall'm, (\ renommé pour fa valeur, que fes dîrfcendans fe fervoient de fon bouclier pour fc donner le lignai du combat Nous verrons Fingall-Àwe. le même ufàge de fon bou- clier. On fe fetvoit ordinairement d'une e{pece de cornemufe pour aflembler l'armée j nous avons toujours traduit par trom- pctte, ou par cor.

(j) Il y avoit fur leurs boucliers plufieurs boflès , dont les fbns diftcrens annonçoient les ordres du Général On frappoit, les uns en figne de paix , & les autres en figne de guerre. Voyez la Def-. criptJon du bouclier de Fingat , dans le Poërae de Temora.

(é) Conna! , ami de CuchuUin, étoit fils de Cabaït, Prince de Togorma, ou l'Ile des vagues bleues, probablement l'une desiïf- brides. Sa mère étoit fille de Congj/, Se s'appelloit Fior.comn. Il eut un fils de Foba, fille de Connnchar-'Nejfar, qui lui fuccéda fur le trône de VUlJier. En récompenfe des fervices qu'il rendit dans la guerre contre Swurjn, on lui donna une certaine étendue de pays qui s'appella Tir-Chonnuil ou Tir-Connal , c'eft-à-dire , Terre de Connal.

(7) On croyoit alors (& c'eft encore l'opinion de quelques Montagnards d'Écofle ) , que les âmes des morts erroiem autour

50 FIN G J L,

de leurs amis , & qu'elles leur apparoiiïoient à la veille d'une grande entreprife. .

(8) Il y a dans l'original, Roi des Cofjuilles; voyez le Difcours préliminaire.

(p) Colline de Loclin.

(lo) L'Ile AeSchye. Ce u'eft pas fans raifon qu'on la nomme Tille des Brouillards : les hautes montagnes arrêtent les vr.peurs de l'Océan, & y caufent des pluies prefque continuelles.

•(il) La fille à'Iniflore étoit la fille de Gor'o , Roi d'Ini/lore oH des Iles Orcades, Trenar étoit frère du Roi A'Inifco , qu'on croit être une des Iles de Skeiland. Les Orcades Se les Iles de S/ietljnd étoieat alors foumifes au Roi de Loclin, On voit ici que les dogues de Trenar favent fa mort aiiflîtôt qu'il eft tué. On croyoit alors que les âmes des héros alloient immédiatement après leurs morts fur les collines de leurs pays , & qu'elles vifitoient les lieux oii ils avoient pafle le tems le plus heureux de leur vie. On croyoit auflî que leurs ombres r.pparoiffoient à leurs dogues & à leurs chevaux.

(il) Swuran,

(15) Cuckullin.

(14) Voyez dans le Difcours préliminaire la manière dont ils préparoient leurs fefiins.

(1 5) OJ/ian , fils de Fingal, & Auteur de ce Poème. On ne peut iquadrairer l'adreffe avec laquelle il met fon éloge dans la bouche «le Cuchuliitt. Cona, dont il eft fait mention ici , eft peut-être

CHANT PREMIER. 31

cette petite rivière qui travevfe Gleuco en Arpyle-Shire. Une des collines qui environne cette vallée romantique , s'appelle encore Scorna-Fcnsi , ou la colline du peuple de Fingal.

(16) Cet t'pifode eft bien amené. Calmar & Connal , comme on l'a vu ci deffus , fe font vivement difputés avant le combat. Carril tâche de les réconcilier en leur racontant l'hiftoire de Caïrbar & ^e Grudar , qui, quoiqu'ennemis avant la bataille, combattirent vaillamment à côté l'un de l'autre. Le Poète ne manqua point l'on but , car on voit au troiiieme livre que Calmar & Connal font par- faitement réconciliés.

(17} Montagne du Comté de 5//^o,

(iS) DunfcMch.

[\$) Bragela étoit fille de Scrg/an , & femme de CuchuUin. Ctickiillin après la mort A'Arto, paffa en Irlaude, fans doute par ordre de Fingal , pour prendre le gouvernement de cette île pen- dant la minorité de Cormac , fils ê! Arto, Il laifTa Bra^cla fa femme à Dunjcakh,

CHANT DEUXIEME.

SOMMAIRE.

JL'OMBRE de Crugal , un des héros d'Eiin ou d'Ir- lande, qui avait été tué dans le combat ^ apparou à Connal. // lui prédit la défaite de Cucliullin, dans la prochaine bataille j & l'exhorte à faire la paix avec Swaran. Connal fait part de fa vijîon à CuchuUin qui refte inflexible. Par un principe d'honneur :, il ne veut pas être le premier à demander la paix j, & il efl décidé à continuer la guerre. Le jour paroît ; Swaran propofe des conditions hontcufes ; Cuchiiilin les rejette. La ba- taille commence , & les deux armées fe battent quelque tems avec beaucoup d'opiniâtreté , jufqu' à ce que Gru- nial ayant pris la fuite j toute l'année d'Irlande aban- donne le champ de bataille. CuchuUin & Connal cou- vrent leur retraite. Carril les conduit fur une -montagne voijîne , ils font bientôt fuivis par CuchuUin, qui appercoit la flotte de Fingal , avançant vers la côte ; mais la nuit vient la dérober à fa vue. CuchuUin conf terné de fa défaite , attribuait ce mauvais fuccès à la mort defon ami Feida, qu'il avoit tué quelque tems au- paravant. Carril , pour lui prouver que tous ceux qui ont

CHANT DEUXIEME. 33

eu le malheur de tuer innocemment leurs amis , n'en ont pas toujours été' punis par des revers j raconte l'Hif- tolre de Connal & de Galvina.

C ONN^t (i) couché au pied d'un arbre antique, dormait au murmure du torrent. Une pierre, vêtue de moufle , foutenoit fa tète. Les voix aiguës des fan- tômes de la nuir, venoient au travers des bruyères de Lena , frapper fon oreille. Il étoit feul , 8c loin du refte des guerriers : car cet enfuit de la guerre ne craignoic pas l'ennemi.

Mon héros voit en fonge un torrent de feu defcen- dant du haut de la colline, & Crugal porré fur le mé- téore enflammé : Crugal étoit tombé fous les coups de Swaran , en combattant dans le champ de la gloire.

Son vifage eft pâle comme les rayons de la lune à fon couchant : il eft vêtu des nuages légers de la colli- ne: fes yeux éteints relfemblent à deux lumières mou- rantes : la pfciiede fon fein paroît noire 8c profonde.

« Eft-ce toi , Crugal, IvÀ dit l'intrépide Connal? Fils de Dedçral, fameux fur la colline des chevreuils , eft- ce toi ? Pourquoi te vois -je fi pâle & fi trifl:e, toi qui brifcis les boucliers? Jamais la crainte ne te fit pâlir. D'où vient ton trouble, enfant de la colline ?

Sombre 5< lailTant tomber A^s pleurs , le fantôme Tome I. E

34 F I N GA L,

étend fa main glacée fur le héros : fa voix éteinte pouiïe un murmure foible , comme le zéphyr dans les rofeaux du Lego. " Mon ombre , ô Cannai, erre fur les collines qui m'ont vu naître j mais mon corps eft gillant fur les fables à'Uilin. Tu ne t'entre- tiendras plus avec Crugal. Jamais tu ne reverras la trace de fes pas folitaires, empreinte fur la bruyère. Je fuis léger comme le vent du Cromla : je ne fuis qu'une vapeur mouvante & fugitive. Fils de Colgar (i) , je vois s'avancer le fombre nuage de la mort : il s'arrête fufpendu fur les plaines de Lena. Les enfans des vertes contrées à'Erin fuccomberonr. Eloigne- toi de cette plaine, remplie de fantômes. «

Semblable à la lune qui s'éclipfe il difparoît daixs un tourbillon de vent. « Arrête, s'écria Connal, arrête, ombre de mon ami : reviens encore fur ton rayon cé- leftê. Quelle grotte eft ta demeure folitaire? Quelle colline eft l'afyle de ton repo?? N'entendrai-je plus ta voix dans le bruit des orages, dans le nlHirmure des torrens, lorfque les fantômes, portés fur le fouffle des vents , traverfent le défert? »

Connal fe levé : fes armes retentiiTent. Il frappe fon bouclier à l'oreille de Cuchullïn , & le héros s'éveille.

« Pourquoi Connal vient-il ainfi me furprendre

CHANT DEUXIEME. 3^

dans la nuit? Ma lance, provoquée par le bruit, auroic pu frapper dans les ténèbres , & Cuchullin auroit à pleurer la mort de fon ami. Parle , fils de Colgar, parle : ton confeil relTemble à l'aftre qui répand la lumière. »

» Fils de Serno , répondit Connal, l'ombre de Crugal eft fortie de fa grotte. La foible clarté des étoiles per- çoit au travers de fa fubftance légère ; & fa voix ref- fembloit au murmure d'un ruiireau dans l'éloigne- ment. Il eft le melTàger de la mort. Il parle du tom- beau. Demande la paix , ô Cuchullin , ou fuis au tra- vers des plaines de Lena. »

)3 Tu dis que l'ombre de Crugal t'a parlé, & que tu voyois les étoiJifs briller au travers de fa fubftance légère. Fils de Colgar, c'étoit le bruit des vents mur- murant dans les grottes êS^Lena : ou fi c'étoit l'om- bre (3) de Crugal , pourquoi ne l'as-tu pas forcée à ve- nir fe montrer à ma vue? Lui as-tu demandé eft fa grotte ? en quel lieu repofe cet enfant de l'air ? Mou épée fauroit le trouver , & forcer fa voix à nous ré- véler l'avenir. Mais que peut-il nous apprendre ? Hier encore il étoit parmi nous : il n'a pas eu le tems de franchir nos collines; & qui a pu l'inftruire de notre mort ? >j

» Les efprits montent fur les nuages & volent fur

Ez

F I N GA L,

les vents, répondit le fage Connal. Ils repofent enfem- ble dans leurs cavernes, & s'entretiennent des mortels. Qu'ils s'entretiennent des mortels à leur gié j •mais qu'ils laifTent en paix le Chef à'£rin : qu'ils m'oublient dans leurs cavernes. Moi je ne fuirai point devant Swaran. Si je dois fuccomber , ma tombe in- ftruira l'avenir de ma renommée. Le chalfeur arrofera ma pierre de quelques larmes, & le deuil environnera la demeure de la belle Bragela. Je ne crains point la mort 5 mais je crains de fuir : Fingal m'a toujours vu viftorieux. Toi , finiftre fantôme de la colline, offre- toi à ma vue j defcends fur ton rayon de lumière, montre-moi ma mort dans tes mains , & tu ne me verras pas fuir encore, foible enfantdes vapeurs.

Va, fils de Colgar , frappe le bouclier de Caithat: il eft fufpendu entre les^lances : que mes guerriers s'éveillent au biuit de fes fons, & fe préparent aux combats d'Erin, Quoique Fingal tarde à paroître avec fon armée, nous combattrons, fils de Colgar, ôc nous mourrons dans le champ des héros. »

Le fon du bouclier fe répand au loin : les guerriers fo lèvent en foule fur la colline: debout, ils relTem- blent à autant de chênes entourés de tous leurs ra- meaux, lorfqu'ils font battus du bruyant gréfil , <S^ qi^c les vents fifflent dans leurs feuilles dclTéchées.

CHANT DEUXIEME. ^7

La cêce grisâtre du Cromla s'élève dans les nuages : la lumière du jour nailTànr tremble fur l'océan à demi éclairé : un brouillard bleuâtre chemine lentement & cache les guerriers à'Inisfail.

«' Aux armes, dit Swaran, aux armes, Guerriers de Loclin. Les eufans d'Erin ont fui devant nous. Pour- fuivons-les dans les plaines de Lena. Et toi, Morla, vole au palais de Cormac: femme -le de fe foumettre à Swaran, avant que tout fon peuple foit englouti dans la tombe, &c que le filence de la mort règne fur les collines à'UUin. »

A ces mots , tous fes guerriers fe levant à la fois, tels qu'une nuée d'oifeaux de mer,*chairés du rivage par les vagues en tureur. On eut cru entendre le fracas de mille torrens , qui fe choquent & fe confondent dans les vallées de Cona , lorfqu'après une nuit ora- geufe, ils roulent leurs ondes encore agitées , àlapàle clarté de l'aurore.

Comme on voit les noires ombres de l'automne s'étendre &: fuir fur le penchant des vertes collines , tels & plus fombres &: plus rapides encore fe fuivent & palFcnt les guerriers des forets rétentiflantes de Loclin. Superbe Se fier comme le cerf de Morven, marchoit à leur tête l'intrépide Swaran. Son bouclier brille à fon côté , comme ces feux noûurnes qui par—

38 F I N G A L,

courent la plaine , loifque le monde eft plongé dans in nuir & dans le filence , & que le voyageur trem- blant croit voir un fantôme qui fe joue dans ces météores.

Un vent s'élève de l'Océan agité , & d'un fouffle dilTîpe le brouillard qui repofoit fur l'onde. Les ba- taillons d'Inlsfail paroiflent lur le rivage , comme une chaîne de rochers.

« Morla, diti'rw7nî/z,pirs, & va leur offrir la paix, aux conditions que nous impofons aux Rois, quand les peuples fléchilfent devant nous , que les braves font étendus fur le champ de bataille, & que les jeu- nes hlles pleurent, errantes dans la plaine. »

Le fils de Suarc , le grand Morla, traverfe l'efpace à grands pas : il fe préfente fièrement , Se parle en ces termes an Chef à' Erin , entouré de fes guerriers.

« Reçois la paix de Swaran : il te l'offre telle qu'il la donne aux Rois , quand les nations vaincues fléchilTent devant lui. Cède -nous les plaines agréa- bles à'Ui/in: abandonne à Swaran, ta belle époufe 8c ton dogue fidèle , qui devance les vents : cède ces témoins de la folblelTe de ton bras , & vis foumis à notre puiiTance. Dis à Swaran , dis à ce cœur plein d'orgueil , que Cuchullln ne céda jamais .... Je lui abandonne les flots de l'Océan, ou je donnerai à

CHANT DEUXIEME. yj

fon peuple des tombeaux dans Erïn. Jamais étranger ne fera poireireiir de l'aimable Bragela : jamais che- vreuil des collines de Loclin ne fuira devant mon léger Luath. »

>5 Foible condufteur des chars , répondit Moria , veux-tu donc combattre nion Roi , ce Roi dont les vailTeaux nombreux pourroient entraîner ton île fur les eaux, \ant la colline à'Ullin paroît petite devant la puilTiince du R.oi de l'Océan? Maria, dans un vain combat de paroles , je cède volontiers ; mais cette cpée ne cédera jamais à perfonne. Tant que Connal Se CuchuUin gefpireront , Erln ne reconnoîtia d'autre maître que Cormac. O Connal, le premier des braves, tu as entendu les paroles de Morla^ réponds; ton avis fera-t-il maintenant pour la paix ? Efprit de Crugal , pourquoi nous, as-tu menacés de la mort? Je defcen- drai c^ns la fombre demeure \ mais éclairé du flam- beau de la gloire Levez, Enfans d'InisJaU, levez

vos lances , bandez vos arcs , fondez fur l'ennemi dans les ténèbres. )>

Il dit, Se fes nombreux bataillons s'ébranlent dans leurs files profondes; ils s'avancent avec bruit &, s'é- tendent comme la nue qui s'abbat fur le vallon , quand l'orage envahit les plaines brillantes Se tran- quilles du firmament.

40 F I N G A L,

Leur Chef marche à leur tête couvert de fes ar- mes, & femblable à un fantôme précédant le nuage, environné de météores enflammés , & tenant dans fa main les vents furieux. Carril embouche la trom- pette de la guerre , & fait retentir au loin le fignal des combats. Il entonne Ihymne de la bataille , & verfe fcn ame dans l'ame des héros.

" eft-il maintenant, difoit le Barde, ce guerrier renverfé par la mort? eft Crugal} Il repofe oublié

fous la terre , &c le trifte filence habite fa demeure

L'époufe de Crugal encore étrangère dans le palais de îon époux , eft plongée dans le deuil (4) : mais quelle eft cette beauté , qui , comme un rayon de lumière , fuit devant les rangs des ennemis? C'efi: Degrena , l'ai- mable époufe de Crugal. Sa chevelure flotte derrière elle au gré des vents j fes yeux font rouges de pleurs, voix éteinte. Hélas, ton cher Crugal n'ed pluonain- tenant qu'une ombre vaine & téncbreufe , confinée clins la grotte de la colline. Elle vient dans ton foni- meil murmurer à ton oreille des accens foibles Sc fourds , comme le bourdonnement de l'abeille des montagnes .... Mais Degrena s'évanouit comme ua nuage du matin : le fer de Lod'in a percé fon fein. Cairbar , elle eft tombée, celle qui occupoit les pen^ fées de ton jeune âge. O Cairhar , elle n'eft plus. »

Caïrbar

CHANT DEUXIEME. 41

Cdïrbar entendit ces lugubres ch.ints : il vole vers- fa fille j telle la baleine s'élance«dans l'Occan. Il voit Degrena fans vie. A cette vue , il ri:gir & fond au milieu, des ennemis : fa lance attein un guerrier de Loclin , &c le combat s'engage d'une aîle à l'autre. De toutes parts tombent à grand bruit les vaftes bataillons : on eût cru voir les forets de Loclin déra- cinées par les vents conjurés , ou l'incendie ravager les pins de leurs collines. CuchuUin abat les héros, de Loclin connue les chardons de la plaine. Swaran ravage Erin. Sous fes coups tombent , & Curach 8c Caïrbar que défend en vain fon bouclier. Morglan dort d'un fommeil éternel. Caok frilfonne & meurt; fon fein d'albâtre elt teint de fon fang, & fa blonde chevelure eft fouillée dans la pouiliere de fa terre na- tale. Plus d'une fois il donna la fcte dans les lieux mêmes il eft gilfant : plus d'une fois il y fit refoii- ner fa harpe : fes dogues émus bondilToient de joie au fon de l'inftrumen.t , & les jeunes chalTeurs prépa- roient leurs arcs.

Swaran avan^-oit , comme un torrent qui fort du dé- fett & roule dans fa courfe les rochers & les terres écroulées. Mais Cuchullin réfifte tel qu'un monc inébranlable qui attire les nuages : les vents lut- tent autour de fa tête couronnée de pins : la grêle Tome /. F

42 F I N GA L,

. tombe &C frappe fur {qs rochers : ferme fur fa bafe , il refte immobile, & couvre de fon ombre les valées fi- lencieafes de Cona. Tel Cuchullïn procégeoic les en- fans d'Erin , &c levoic fa tcte alciere au milieu des bataillons.

Le fing des héros expirans autour de lui ruiflelle comme la fource du rocher. Mais l'armée à'£rin d'un bout à l'autre , fe fond comme la neige aux rayons du foleil.

« O Enfans à'Inisfaïl, dit Grumal, Lodln a con- quis le champ de bataille. Pourquoi, foibles rofeaux, réhfter à l'effort des vents ? Fuyons vers la colline des chevreuils : » il dit &: fuit comme un cerf de Morven , & fa lance baiffée marque de fes éclairs fes pas fugi- tifs. Peu de guerriers fuirent avec le lâche Grumal-^ des milliers périrent dans le champ des héros & ref- terent fur ia plaine de Lena.

Debout fur fon char éclat.ant de pierres brillantes , Cuchullïn combattoit fans relâche : il terrafla encore un des puiffans guerriers de Loclin , & dit à Connal : « Connal, le premier des mortels , tu enfeignas à mon bras à donner la mort : quoique les enfans èiErln aient pris la fuite , ne combattrons-nous pas encore l'ennemi? O vénérable Carril , conduis ce qui refte de mes amis vers les buiifons de cette colline, iSc nous.

CHANT DEUXIEME. 43

Connal , reftons ici , & protégeons la retraite de nos guerriers. » Connal s'élance fur le char : tous deux op- pofent leurs boucliers : leurs matTes relfemblent au difqueobfcurci de la lune, lorfque cette fille des cieux étoiles , ne trace qu'un cercle ténébreux dans l'éten- due du firmament. Sifadda & le fier Dufronnal , haletans , montent la colline : des flots d'ennemis les fuivent & fe preflent fur leurs traces.

L'armée à'Erin s'arrêta fur le penchant du Cromla : les guerriers font triftes: leurs rangs font éclaircis com- me une forêt qu'a traverfée la flamme , épandue par les vents d'une nuit orageufe. CuchuUïn étoit debout, appuyé près d'un chêne. 11 rouloit dans un morne fi- ience fes yeux enflammés , & fembloit prêter l'oreille aux vents fifllans dans fon épaiffe chevelure , lorfque des bords de l'Océan, revient A/ora/z , fils de Fïthïl. «< Les vailTeaux, crie Moran, les vaifTeaux de l'île foli- taire ! Voici Fingal , le premier des guerriers , le fléau des boucliers. Les vagues écument fous fes noirs vailfeaux : fes mâts avec leurs voiles étendues préfen- tent à l'œil une forêt dans les nuages. »

« Accourez , foufflez enfemble , dit CuchuUin , 6 vents qui régnez dans mon île agréable. Viens , Fingal, viens donner la mort à mille ennemis. O mon ami ! tes voiles réjouiflent ma vue comme les

F2

4| F I N GA L,

nuages de l'aurore : tes vailTeaux me font éprouver le,, même plaifir que la lumière des cieux , & tu es pour moi une colonne de feu qui vient guider mes pas dans les ténèbres. O Connal , refpeftable Vieillard, que l'arrivée de nos amis nous émeut délicieufement! mais la nuit s'épaiilît autour de nous : font maintenant les vaiffeaux de Fingal} PalTons ici ces heures de ténè- bres, & hâtons par nos vœux, les clartés de la lune. »

Les vents defcendoient fur les forêts : les torrens tomboient des rochers : la pluie s'amaiïoit fur la tête du Cromla, & les étoiles ne jettoient qu'une lumière tremblante au travers des nuages volans dans les airs. Le Chef à'Erin étoit affis trifte & penfif , fur le bord d'un ruilfeau , dont le murmure retentiffoit dans le creux de l'arbre planté fur fa rive. Auprès de lui étoient Co/2/Zi2/ , & le vieux CarrlL.. . " Malheureufe eft la maiji de Cuchullïn , dit le Chef d'Erin-y malheureufe eftla main de Cuckullln , depuis qu'elle a donné la mortàfonami Ferda^\c t'aimois comme moi-même. >>

3> Comment a-t-il péri, ce brave guerrier, dit ConnaP. Je me fouviens du vaillant Jils de Daman : fa ftaturc étoit majeftueufe & belle comme l'arc-en-ciel fur le côreau. »

§ Fada , reprit Cuchullïn , étoit venu à' Albion :

CHANT DEUXIEME. 4.?

il appri: à manier les armes dans l'école de Mûri (5), & gagna lamicié de Cuchulim. Toujours nous chaf- fîons enfemblei toujours nous repofions à côté l'un de l'autre fur la bruyère.

Deugala étoit l'époufe de Càirbar, Chef des plai- nes à'UUin : elle brilloit de tout l'éclat de la beauté j mais fon cœur étoit l'afyle de l'orgueil : elle aima le jeune fils de Daman. " Càirbar, dit-elle, donne-moi la moitié de nos troupeaux : je ne veux plus demeurer avec toi. Fais le partage. »

» Que ce foit CuchuUin, dit Càirbar, qui faiïe les lots : fou cœur eft le fiége de la Juftice. Pars, aftre de beauté. » J'allai fur la colline & je fis le partage des troupeaux: il reftoit une génifle blanche comme la neige : je la donnai à Càirbar. A cette préférence la rage de Deugala s'alluma.

M Fils de Daman, dit cette belle , Cuchulim afflige mon ame. Je veux être témoin de fa mort , ou les flots de Lubar vont rouler fur moi. Mon pâle fantôme te pourfuivra fans relâche , & te reprochera l'outrage dont CuchuUin a blelFé mon ame jaloufe. Verfe le fang de CuchuUin , ou perce mon fein. »

" Deugala , répondit le jeune homme à la belle chevelure , comment pourrois-je donner la mort au fils

45 F I N 6 A L,

de Semo ? Il eft mon ami, le confident de mes plus fecrecces penfées , &: je leverois mon épée contre lui? » Tiois jours entiers elle le fatigua de fes lar- mes : le quatrième il confentit à combattre.

« bien, Deuga/a, je combattrai mon ami! Mais puiffë-je tomber fous fes coups ! Ah ! pourrois-je er- rer fur la colline , Se foutenir la vue du tombeau de CuchuUin ?

" Nous combattîmes fur les collines de Mûri. Nos cpées cvitoient de bleiïer j elles glifToient fur l'acier de nos cafques , ou frappoient vainement nos bou- cliers. Deugala étoit préfente & fourioit. « Fils de Da- man j dit-elle , ton bras eft foible : jeune homme , les années ne t'ont pas donne la force de manier le fer. Cède la vidoire au fils de Scmo. 11 eft pour toi le ro- cher de Malmor. »

A ces mots, les yeux du jeune homme fe rempli- rent de larmes : d'une voix entre-coupée de fanglots, il me dit: " CuchuUin, oppofe ton bouclier, défend- toi contre la main de ton ami. Mon ame eft accablée de douleur : il faut que ce foit moi qui donne la mort au premier des mortels.

Je pouffai un foupir profond : je levai le tranchant de ma lame j le jeune Fcrda tomba fur la terre j Fer^

CHANT DEUXIEME. 4.7

da, le premier des amis de Cuchullïn. Malheureufe eft la main de Cuchullïn , depuis qu'elle a donné la mort à ce jeune héros. !> §

)> Ton récit , o Chef des guerriers , efl: trifte Si tou- chant, dit le Barde Carrll. Il fait rétrograder ma pen- fée vers les tems qui ne font plus: j'ai fouvent oui parler de Connal , qui comme toi , eut le malheur de tuer fon ami: mais la viéloire n'en fuivit pas moins les coups de fa lance j & les ennemis difparoilfoient devant lui.

§ Connal étoit un guerrier à' Albion. Cent collines obéilToient à fes Loix. Son chevreuil buvoit à fon choix , l'onde de mille ruiffeaux. Mille rochers répon- doient aux aboyemens de fes dogues. Les grâces de la jeunelFe étoient fur fon vifage. Son bras étoh la mort des héros. Une belle fut l'objet de fon amour : elle étoit belle la fille du puilfant Comlo : elle paroilloit au milieu des autres femmes comme un aftre éclatant: fa chevelure étoit noire comme l'aile du corbeau ; fes chiens étoient dreflTés à la chalTe : elle favoit tendre l'arc &: faire fitler la flèche dans les forêts. Le choix de fon coeur fe fixa fur Connal. Souvent leurs regards amoureux fe rencontroient : ils chalFoient enfemble , & le bonheur étoit dans leurs entretiens ièçrets. Mais

48 F I N G A L,

cette belle fut aimée du féroce Grumal. Cet ennemi de l'infortuné Cannai , cpioit les pas de fon amante.

Un Jout , fatigués de la challe , & féparés de leurs amis que le brouillard déroboit à leurs yeux , Connal 6c la fille de Comlo vinrent fe repofer dans la grotte* de Ronan, C'étoit l'afile ordinaire de Connal : les armes de fes pères y étoient fufpendues : leurs bou- cliers y brilloient auprès de leurs cafques d'acier.

« Repofe ici , dit Connal, repofe , ô Galvina mes amours. Un chevreuil paroît fur le front du Mora : j'y cours , & bientôt je reviens vers toi. Je crains, lui dit-elle, le noir Grumal, mon ennemi: il vient fouvent à la grotte de Ronan : je vais me repofer au milieu de tes armes : mais reviens promptement , ô mon bieif aimé. i>

Tandis que Connal pourfuit le chevreuil , Gal- vina veut éprouver (on amant j elle prend fes vcce- mens & fon armure , S<. fort de la grotte. Connal l'apperçut , & la prit pour fon ennemi. Son cœur bac & s'irrite : il pâlir de fureur j un nuage s'épaillîc fur fes yeux : il bande l'arc j la flèche vole : Galvina. tombe dans fon fang. Connal court à pas précipités à la grotte j il appelle Galvina : nulle réponfe dans le rocher folitaire. « es-tu , ô ma bien-aimée ? » Il

reconnoît

CHA NT DE UXIE ME.

49

reconnoît à la fin que c'eft elle donc le cœur palpite fous le trait fatal, » O Galvina\ eft-ce toi?... Il tombe & s'évanouit fur le fein de fon amante.

Les chafleurs trouvèrent ce couple infortuné & fe- coururent Connal. 11 promena depuis fes pas fur la colline j mais il erroic fans celfe dans un morne fîlence autour de la tombe de fon amante. L'Océan vomit fur la côte une flotte ennemie j il combattit j les étrangers prirent la fuite; il cherchoit par tout la mott dans la mêlée : mais quel bras pouvoir la donner au puiiïant Connal} Il jette fon bouclier & combat nud. Une flè- che atteignit enfin fon fein robufte .... il dort en paix à côté de fa chère Galvina, au bruit des flots du rivage, & le matelot découvre en partant leurs tombes revê- tues de moulfe , lorfqu'il vogue fur les mers du nofd. §

Fin du Chant deuxième.

Tome I.

5^o F 1 N G A L,

NOTES DU CHANT DEUXIEME.

(i) L'endroit fe repofa Connal eft connu de tous ceux qui ont été fur les montagnes de l'Ecofe. Le Poëte l'éloigné de l'armée pour ajouter par la folitucfe du lieu plus d'horreur à l'apparition de l'ombre de Crugal.

(i) Connal , fils de Caïtbat , ami de CuchuUin, eft quelque- fois appelle fils de Colgar , du nom du fondateur de fa famille.

(3) Le Poète nous indique ici l'opinion qui régnoit en ces tems fur l'état des âmes des morts. D'après les exprelîîons de Can- na/, que Us étoiles brillaient à travers l'ombre de Crugal, & la ré- ponfe de CuchuUin , il paroit qu'on croyoit les âmes matérielles, & une fubftance à-peu-près femblabic à l'iiJ'aAo» des anciens Grecs.

(4) Crugal avoit «poufé Degrena, peu de tems avant la bataille.

(5) Suivant les Bardes Irlandois , Afu« étoit une Académie, dans la Province i'L/lJler, l'on enfeignoit le métier des ar- mes. La lignification du mot Mûri, qui veut dire ajjemb/êe, rend cette opinion probable. On attribue à CuchuUin l'invention de l'armure complète d'acier : il eft fameux parmi les Senachies, ef- pece de Bardes , pour avoir enfeigné aux Irlandois à monter à cheval , & pour s'être fervi le premier d'un char dans les combats; c'eft fans doute la raifon qui a porté Ojfîan à faire une dcfcrip- tion détaillée du char de CuchuUin dans le premier Livre.

lÉW

CHANT TROISIEME,

SOMMAIRE.

i^ucHULLiNj charmé du récit de Carril j lui ordonne de continuer fes chants. Le Barde raconte les actions de Fingal ^ dans le pays de Loclin y & la mort de la belle Agandecca^ fœur de Swaran. A peine av oit-il fini ^ que Calmar j _/?/j de Matha, qui avait confeillé le premier combat y revient blejfé du champ de bataille y & apprend à CuchuUin que Swaran fe propofoit de furprendre les rcfi.cs de l'armée d'Irlande. Il offre d'arrêter fieul les forces de l'ennemi dans-un défilé , tandis que fies troupes feront retraite. Ciichullin touché de l'offre généreufie de Calmar^ veut l'accompagner y & ordonne à Carril d'em- mener avec lui le peu de foldats qui lui refioient. L'au- rore paraît : Calmar meurt de fes bleffures. Swaran ap- percevant la flotte des Calédoniens ^ cejje de pourfuivre l'armée d'Irlande j pour aller s'oppofcr à la defcente de Fingal. Cuchiillin j honteux de paroître après fia défaite devant Fingal ^yè retire dans la caverne de Tura. Fingal engage le combat avec Swaran , & fait plier fion armée; mais la nuit qui fiurvient , laiffe la vicloire indécifie.

Gt

52 F I N G A L,

Fingal qui avait remarqué la valeur de fon petit-fils Ofcar , lui donne des avis fur la conduite qu'il doit tenir dans la guerre & dans la paix. Il lui recommande d'a- voir toujours devant les yeux l'exemple de fes pères j comme le plus beau modèle qu'il puiffe fuivre ; ce qui amène l'epifode de Faïnas-Ollis j _/^//e du Roi cfeCraca, çue Fingal avoit pris fous fa proteciion dansfajeunejfe. Fillan & Ofcar font détachés pour obferver les mouve- mens de l'ennemi pendant la nuit. Gaul, fils de Monii, demande le commandement de V armée dans la prochaine bataille j & Fingal promet de le lui confier. Quelques réf exions générales du Poète terminent la troifième journée.

(i) J'aime les chants des Bardes, dit CuchuUin. Je me plais à entendie les récits des tems palTcs. Ils font pour moi comme le calme du matin &: la fraîcheur de la rofée qui humefte les collines, lorfque le foleil ne jette fur leur penchant que des rayons languilfans , & que le lac eft bleuâtre & tranquille au fond du val- lon. O Carrill élevé encore ta voix , Se fais entendre à mon oreille les chants de Tura ; ces chants de joie dont retentît mon palais , lorfque Fingal aflîftoit à mes fêtes , &: que je le voyois s'enflammer au récic des exploits de fes pères.

CHANT TROISIEME. ss

§ Fingdl , chanta Carril , toi, héros des combats, tes adions guerrièies iîgnalèrent ta première jeunefTe. Lodin fur confumé du feu de ta colère , dans cet âge ta beauté le difputoit à celle de nos jeunes filles. Elles foûrioient aux grâces épanouies fur le vifage du jeune héros j mais la mort étoit dans fes mains : il étoit fort & terrible comme les eaux du Lora. Ses guerriers impétueux le fuivoient. Ils vainquirent & enchaînèrent Starno, Roi de Lodln-^ mais ils le ren- dirent à fes vailFeaux: fon cœur étoit gonflé d'orgueil & de refTentiment ; il méditoit au fond de fon ame tcnebreufe, la moit du jeune vainqueur : car jamais , jamais nul autre que Fïngal , n'avoit dompté la force du puilFant Starno (i). Starno rentré dans fes forêts de Lodin , s'afsî: dans la falle il donnoit fes fêtes : il appelle Snivan , vieillard aux cheveux blancs , qui chanta plus d'une fois autour du cercle de Loda. Au fon de fa voix la pierre f acre e du pouvoir * étoit émue, & la fortune des combats changeoit dans la plaine des braves.

Vieillard , dit Jr^zrw , va fur les rochers <i'.>4rven

* Ce paffage fait allulîoii à la Religion Je Lodin ; & !a Pierre du pouvoir étoit, fans doute , l'image d'une des Divinités de la Scandinavie.

54 F I N GA L,

que la mer enviionne. Dis à fingaly dis à ce Roi du défer:, le plus beau de tous les guerrieis , que je lui donne ma tille ; ma fille , la pluf aimable des belles. Son fein a la blancheur de la neige , fes bras , celle de mes flots écumans •, fon ame eft douce de généreufe. Qu'il vienne, accompagné de fes plus vaillans héros , s'unir à ma fille élevée dans la retraite de mon palais.

Snivan arrive aux monts à' Albion : Fingal part : fon cœur enflammé par l'amour , devance le vol de fes vailTeaux fur les vagues du nord.

" Sois le bienvenu , dit le fombre Scarno, Roi des rochers de Morven , fois le bienvenu ; & Vous auflî , Héros qui le fuivez aux combats, Enfans de l'île foli- taire : trois jours entiers vous célébrerez la fête dans mon palais ; vous pourfuivrcz trois jours les fangliers de mes bois , afin que votre renommée puilTe péné- trer jufqu'aux demeures fecrettes habite la jeune Agandecca. «

Le Roi des Neiges (3) méditoit leur mort , en leur donnant la fête de l'amitié. Fingal (\m fe défioitdu fom- bre ennemi , y parut couvert de fes armes. Les aflaiïins effrayés ne pîirent foutenir les regards du héros , &c s'enfuirent de fa préfence. Cependant les accens de la joie fe font entendre ; les harpes frémilfenr, & rendent des fons d'allégrelTe. Les bardes chantent les

CH4NT TROISIEME. ^;

combats des guerriers , ou les charmes des belles. Le barde de Fingal, Ullïn , cette voix mélodieufe de la colline de Cona , s'y faifoit entendre. Il chanta les louanges de la fille du Roi des Neiges, &' la gloire de rilluftre héros de Morven (4). La belle Agandecca entendit fes accens; elle quitta la retraite elle fou- piroit en fecret, & parut dans toute fa beauté, comme la lune au bord d'un nuage de l'orient. L'éclat de (qs charmes l'environne comme des rayons de lumière j le doux bruit de fes pas légers plaît à l'oreille comme une mufique agréable. Elle voit , elle aime le jeune hcros. 11 fut l'objet des foupirs fecrets de fon cœur. Ses yeux bleus le cherchoient & fe fixoient tendrement fur lui: elle fit des vœux dans fon ame pour le bonheur du Chef de Morven.

Le troifième jour fe leva radieux fur les forêts des fangliers. Starno , aux noirs fourcils , part pour la chaiïe & Fingal avec lui. Déjà la moitié du jour s'eft écoulée , & la lance de Fingal eft teinte du fang des hôtes féroces du Gormal. Ce fut alors que la fille de Starno vint le trouver, fes beaux yeux pleins de larmes ,& avec les accens de l'amour elle lui adrefla ces paroles:

" Fingal, Héros d'une race illuftre , ne te fie point au cœur fuperbe de Starno : dans cette foret font cachés

S6 F I N GA L,

fes guerriers. Garde-coi de cette forêt t'attend la mort: mais fouviens-toi , jeune étranger , fouviens- toi 6!Agandecca. Roi de Morven , fauve-moi de la fureur de mon père, »

Le jeune héros , fans crainte & fans émotion , s'a- ▼a.ice accompagné de fes guerriers. Les miniftres de la mort périrent de fa main ; & la forêt de Gormal retentit du bruit de leur chute.

Les chafleurs fe font rafTemblés devant le palais de Starno. Sous la fombre épailîeur de fes fourcils , Star- no rouloit des yeux enflammés. « Qu'on amené ici , cria-t-il , qu'on amené jîgandecca à fon aimable Roi àt Morven. Ses paroles n'ont pas été vaines, & la main de Fingal s'ed rougie du fang de mon peuple, u

Elle parut les yeux baignes de larmes , fes cheveux noirs étoienr épars ; fon fein j éclatant de blancheur , étoir gonflé de foupirs. Starno lui perça le fein de fon épée : elle tomba comme un flocon de neige qui fe décache des rochers du Ronan , lorfque les forêts font en {îlence , & que l'écho muet s'enfonce dans la vallée.

Fingal jette un regard fur fes guerriers, & fes guerriers ont déjà pris leurs armes. Un horrible combat s'engage : les enfans de Loclin meurent ou fuient .... Fingal emporte iSc dépofe dans fon vaiiïeau

le

CHANT TROISIEME. jy

le corps inanimé de la belle Agandccc.i. Sa tombe s eleve fur le fommet à'Arven , ôc la mer mugi: à l'entour. §

« Paix profonde à fon ame , dîc CuchuHin , 6c au Barde qui nous charme parfes chants. Redoutable ctoic Fingal dans la force de fa jeunefTe , redoutable eft en- core fon bras dans fa vieillelle. Loclin fuccombera encore devant le Roi de Morven. O lune ! montre-toi au travers de ton nuage j éclaire dans la nuit fes blan- ches voiles fur les flots , & s'il eft quelque efprit puif- fant (5) des cieux alfis fur cette nue abbaiiïée vers la terre , Conduéteur des orages , écarte des écueils fes vaifleaux voguans dans les ténèbres. »

Ainfi parla CuchuHin près du torrent murmurant de la montagne , lorfque le fils de Matha, Calmar montoit la colline. Il revenoit de la plaine, blefle & couvert de fon fang, & s'appuyoit fur fa lance. Le bras du héros étoit affoibli ; mais fon ame étoit pleine de force.

«' Tu es le bien venu , ô fils de Mathal lui dit Can- nai \ tu es le bien venu au milieu de tes amis: mais pourquoi ce foupir étouffé s'échappe-t-il du fein d'un guerrier qui jamais n'avoit connu la peur? Et qui ne la connoîcra jamais. Connal , mon ame s'enflamme dans le danger , & treflaille de joie au bruit des Tome I. H

58 F I N G A Z,

combats. Je fuis de la race des Braves : jamais mes ancêrres ne connurent la crainte. >'

" Colmar fut le premier de ma famille. Il fe jouoit au milieu des tempêtes. Son noir efqiiif bon- difToit fur rOcéati , & voloit fur l'aile des ouragans. Une nuit un Efprit fem^ la difcorde parmi les élé- mens. Les mers s'enflent, les rochers retentifTent, les vents chafTent devant eux les nuages menaçans ; l'é- clair vole fur fes aîles de feu. Co/war trembla &; revint au rivage \ mais bientôt il rougit de fa frayeur. Il s'é- lance de nouveau au milieu des flots en courroux &: cherche l'Efprit des vents : tandis que trois jeunes matelots gouvernent la barque agitée , il eft debout l'épée nue. Lorfque le nuage abailTé pafTa près de lui , il faifit fes noirs flocons , & plongea fon épée dans fes flancs ténébreux. L'Efprit de la tempête abandonna les airs : la lune &: les étoiles reparurent. »

" Telle étoit l'intrépidité de ma race; & Calmar reflemble à fes ancêtres. Le danger fuit l'épée du brave : la fortune fe plaît à couronner l'audace. >j

« Mais vous, Enfans des vertes vallées d'friff , reti- rez-vous des plaines fanglantes de Lena. RaûTemblez les triftes reftes de nos amis, & rejoignez Fingal. J'ai entendu le bruit de la marche de Loclïn qui s'avance : Calmar va refter & combattre. Ma voix fe fera en-

CHANT TROISIEME. ^9

tendre, ô mes amis! comme fi j'ctois foncenude mille gueiriers. Mais, fouviens-toi de moi, fils de Semo. Souviens-toi du corps inanimé de Calmar. Après que Fingal aura dcvafté le champ de bataille , place-moi fous quelque pierre mémorable , qui parle de ma re- nommée aux cems à venir. Fais que la mère de Cal- mar [6) fe réjouiire en voyant la pierre qui attellera ma gloire. »

« Non , fils de Aiatha, répondit CuchuUin : non, je ne te quitte point: ma joie eft de combattre à forces inégales : dans le péril mon ame s aggrandit. Connal Se toi , vénérable Carril, conduifez les triftes enfans d'Erin, Se quand le combat fera fini , revenez chercher nos corps giiïans dans ce défilé; car nous relierons près de ce chêne au milieu de la mêlée .... Moran au pied léger , vole fur la bruyère de Lena ; dis à Fingal c[\.\Erin eft tombé dans l'efclavage , & prelTe-le de hâter fes pas. »

Le matin commence à blanchir la cime du Cromla ; les enfans de la mer * montent le coteau. Calmar les attend de pied ferme: le feu du courage s'allume dans fon ame irritée: mais le vifage du guerrier pâlit. Foi- ble, il s'appuyoic fur la lance de fon père, fur cette

* Les Guerriers de Swaran.

Ha

6o F I N G A L,

lance qu'il détacha des falles de Lara, à la vue de fa mère affligée. Mais bien-tôt le héros s'affbiblit & tombe comme l'arbre fur les plaines de Cona. Le fombre CuchuUin refte feul , mais immobile comme un rocher ifolé au milieu des fables : la mer vient avec fes flots &<. mugit fur fes flancs endurcis : fa tête fe couvre d'écume, &c les collines d'alentour retentif- fent. Enfin du fein grisâtre des brumes parolifent fur l'Océan les voiles de Fingal; la forêt de Ces mâts fe balance fur les vagues roulantes.

Swaran du haut de la colline les apperçoit , il aban- donne les enfans à'Erin & revient fur fes pas. Tels que la mer rentraînant fes ondes à travers les cent îles mugifîantes d'inijlore , tels reviennent contre Fingal les vaftes & impétueux bataillons de Loclïn.

CuchuUin trifte , l'œil en pleurs , & la tète balflee , marche à pas lents , traînant derrière lui fa longue lance; il s'enfonce dans le bois de Cromla , gémilîànt fur la perte de fes amis. Il redoutoit la préfence de Fingal qui étoit accoutume .1 le féliciter en le voyant revenir des champs de la gloire.

« Combien de mes Héros ( difoit-il ) font couchés fans vie fur cette plaine ! Les Chefs à'Inisfail, ceux dont la joie éclatoit dans la falle de nos fêtes ! Je ue rencontrerai plus leurs pas fiu- la bruyère, je n'enten-

CHANT TROISIEME. 6i

diai plus leurs voix à la chafle des chevreuils. Pâles &c muets ils font couchés fur des litsfanglants, ces guer- riers qui furent mes amis ! Efprits de ces héros , n'a- gueres pleins de vie , venez vifiter Cuchullin dans fa folitude ; venez fur les vents qui font gémir l'arbre de la crrotte de Taw; venez converfer avec moi^ c'eft qu'éloigné des humains, je vais habiter ignoré. Nul Barde n'entendra parler de moi ; nul monument ne s'élèvera pour conferver ma mémoire. Pleure moi, oBraoelal compte Cuchullin parmi les morts, ma re- nommée s'eft: évanouie. ■>

Tels étoient les regrets de Cuchullin , en s'enfon- cant dans les bois de Cromla.

Fingal debout fur fon vailfeau , levoit fa lance brillante : terrible étoit l'éclat de fon acier , comme les feux fombres du météore de la mort , lorfque le voyageur eft feul , & que le large difque de la lune eft obfcurci dans les cieux.

« On a combattu, dît Fingal , Se je vois le fang de mes amis. La triilefTe efb fur les champs de Lena ; le deuil eft dans les forêts du Cromla : elles ont vu tom- ber leurs chafiTeurs dans la force de l'âge ; Se le hls de Semo n'eft plus. Ryno , Fillan , mes Enfans , faites retentir le cor de la guerre. Montez fur cette colline du rivage , près du tombeau de Landarg , & appeliez

62 FINGA L,

les ennemis. Que votre voix tonne comme celle de votre père , lorfqu'il engage le combat &c déploie fa valeur. J'attends fur ce rivage le fombre, le puiffant Swiiran. Qu'il vienne avec toute fa race ; car ils font terribles, dans le combat, les amis des morts

Le beau Ry/io vola comme l'éclair ; le noir Fillan , comme les ombres deJauromne. Déjà leur voix s'eft fait entendre fur les bruyères de Lena : les enfans de l'Océan ont reconnu les fons du cor de Fingal. L'océan mugilTànr ne defcend pas des rivages du royaume des Neiges avec plus de violence & de rapidité, que les enfans de Lociin du penchant de la colhne. A leur tête marche leur Roi dans l'appareil effrayant de fes armes. La rage allume fon noir vifage, &: fes yeux roulent étincelans des feux de la valeur.

Fingal apperçoit le fils de Starno , & fe rappelle Agandecca. Swaran jeune encore , avoir donné des pleurs à la mort de fa fœur. Fingal lui envoyé le Barde UlUn pour l'inviter à fr fcte j fon ame eft tendrement émue au fouvenir de (es premières amours.

UlUn , d'un pas rallenti par l'âge , marche vers le fils de Starno , &c lui dit : « ô toi qui habites loin de nous environné de tes flots, viens à la fcte du Roi, & paffe ce jour dans le repos ; demain , ô Swaran, nous com- battrons , nous-briferons les boucliers. »

CHANT TROISIEME. 6^

" Aujourd'hui, répond le fils de Starno plein de rat^e j c'eft aujourd'hui que nous briferorjs les boucliers. Demain ma fête fera célébrée , & Fingal fera gilTanC fur la terre. » Ullin revient vers Fingal : « bien , dit Fingal (7) avec un foûrire , que demain Swa- ran donne fa fête j oui , aujourd'hui , mes Enfans , nous briferons les boucliers. Ojjian , refte à mes côtés : Caul , levé ton épée terrible ; Fergus, bande ton arc j & toi , Fillan , fais voler ta lance dans les airs. Levez tous vos larges boucliers ; que vos lances foient des météores de mort. Suivez- moi dans la route de la gloire , & égalez mes aftions dans le combat. »

Mille vents déchaînés fur Morven , ou les nuages volant amoncelés à travers les cieux , ou les flots du noir Océan fondant fur les rivages du défert, leur bruit , leurs ravages , la terreur qu'ils infpirent : telle efl l'image de l'horrible mêlée des deux armées fur la plaine rétentilTante de Lena. Les cris des combat- tans fe répandent fur les collines ^ comme les éclats de la foudre dans la nuit, lorfque la nue crève fur Cona, & qu'on entend dans les vents les cris de mille fan- tômes.

Fingal s' éhnce , terrible comme l'efprit de Trenmor, lorfque d'un tourbillon il vient à Morven , vifirer fes illullres enfans. Les chênes émus gémilTent, Se les

£4 F I N GA L,

rochers tombent déracinés fur fon pafTage. Le fang des ennemis inondoit la main de mon père lorfqu'il agitoit fon épée dans un cercle flamboyant. 11 fe rap- pelle les combats de fa jeunelfe , & dans fa courfe il dévafte le champ de bataille. Ryno s'avance comme une colonne de feu. Le front de Gaul eft menaçant. Fergus & Fïllan fondent fur l'eimemi. Moi-même, je marchai triomphant fur les traces du Roi. Mille fois mon bras donna la mort , & l'éclair de mon épée en étoit le lignai effrayant. Mes cheveux alors n'étoient pas blanchis par les ans , & la vieillelTe ne faifoit pas trembler mes mains : mes yeux n'étoient pas couverts de ténèbres , & mes jambes ne m'abandonnoient paç dans ma courfe.

Qui pourroit nombrer les morts , ou les exploits des héros, dans cette journée célèbre Fïngal brû- lant de rage , foudroya les enfans de Lodin ? Gémif- femens fur gémiflemens fe répétoient de colline en colline , jufqu'à ce que la nuit vint tout envelopper de fes ombres. Pâles & frilfonnant d'etfroi comme un troupeau de timides chevreuils , les enfans de Lodin fe ralTemblenr fur la colline. Nous nous afsîmes pour entendre les fons de la harpe aux bords du paifible ruiffeau du Lubar. Fingal placé le plus près de l'ennemi , ècoutoit les chants des bardes qui célé-

broient

CHANT TROISIEME. 6s

broient fa race illuftre. Aflls & appuyé fur fa lance , il prêcoi: une oreille attentive. Le vent agitoit fes che- veux blancs, & fes penfces fe promenoientfurlepafTc. Près de lui ccoir mon jeune , mon cher Ofiar, penché fur fa lance j il admiroit le Roi de Morven , & fon ame s'aggrandiffoit au récit de fes allions.

» Fils de mon hls , dit le Roi, Ofcar, l'honneur du jeune âge , j'ai vu briller ton épée, & je me fuis enor- gueilli de ma race : fuis la trace glorieufe de nos aïeux , & fois ce que furent Trenmor, le premier des hommes , & Trathal , le père des héros. Ils fignalé- rent leur jeunefle dans les combats ; ils font chantés par les Bardes. Ofcar , dompte le guerrier qui fe défend \ mais épargne le foible : fonds , comme un tor- rent, fur les ennemis de ton peuple : mais fois doux comme le zéphir qui carefle le gizon, pour ceux qui implorent ta clémence: tel vécut Trenmor-^ tel fut Trathal , & tel a été Fingal ; mon bras fut toujours l'appui de l'opprimé , &: le foible s'eft repofé derrière les éclairs de mon épée.

§ Ofcar\ j'étois jeune comme toi, lorfque la belle FauiûfoUis s'offrit à moi , ce rayon de foleil , cette douce lumière d'amour, la fille du Roi de Craca (8). Je revenois des bruyères de Cona , n'ayant avec moi que quelques-uns de mes guerriers. Les voiles d'un efquif Tome I. I

66 F I N G A L,

fe préfeiitenc à nos yeux fur le lointain des mers : il paroiiroit comme un nuage qui s'élève fur les veius de l'Océan. Bientôt il s'approche, & nous apperçûmes cette belle. Son beau fein étoit agité & gonHé de fou- pirs. Le vent jouoit dans fes cheveux dénoués , fes joues de rofe étoient couvertes de pleurs. « Fille de la beauté , lui dis-je avec douceur , d'où viennent tes foupirs ? Puis-je, jeune encore, puis-je te défen- dre, fille de la mer? Mon épée peut trouver mon égal dans le combat j mais mon cœur efi: indomptable. »

r> Je fuis dans tes bras, ô Chef des braves, dit-elle en foupirant: c'efl: toi que j'implore, généreux protedteur du foible. Le Roi de Craca chérilToit en moi le rejet- ton le plus brillant de fa race , & plus d'une fois les collines de Cromala ont répondu aux foupirs d'amour adreirés à l'infortunée FainafoUis. >>

» Borbaly Roi de Sora, vit ma beauté & m'aima; fon épée brille à fon côté comme l'éclair du ciel , mais fon fourcil eft noir & fombre, & les orages font dans fon cœur. C'efl: lui que je fuis à travers les flots •■, c'eft lui qui me pourfuit. »

" Viens te placer, lui dls-je, à l'abri de mon bou- clier, & raffure-toi , beauté ravivante. Il fuira, le fombre Ciicf de Sora , il fuira, (i le bras de Fingal ré- pond à fon cœur. Je pourrois bien, fille de la mer , te

CHANT TROISIEME. 67

cacher dans quelque grorte folitaire & profonde: mais jamais Fingal n'a fui des lieux le danger menace. C'eft au milieu de la tempête des combats Se des lances que fon ame s'épanouit de joie. ,. Je vis des larmes couler fur les joues de la belle. Je m'at- jtendris fur fon fott.

Bientôt , telle qu'une vague menaçante , paroît fur le lointain des mers le vailTeau du fougueux Borbar. Ses voiles fe jouent autour de fes mâts élevés fur lej flots ; les ondes blanchilTent 5c roulent fur les flancs du vailTeau, & l'Océan mugit à l'enrour. " Quittes , lui dis-je , quitte l'Océan , Etranger porté fur les tem- pêtes. Viens partager ma fête dans mon palais. Ma demeure eft l'afyle des étrangers. » La belle étoit tremblante à mes côtés : il décoche un trait: elle tom- be. « Ta main eft %mc, Borbar; mais cette bejle étoit un foible ennemi. " Nous combattîmes & ce combat fut fanglant 6c mortel : Borbar tomba fous mes coups. Nous plaçâmes fous deux tombes de pierre, cette belle infortunée , &: fon cruel amant. §

Tel je fus dans mon jeune âge: mais toi, Ofcar , imite la vieillefle de Fmgal; ne cherche jamais le combat: s'il fe préfente, ne l'évite jamais. Fillariy Ofcar, devancez les vents , volez fur la plaine & ob- fervez les enfans de Lodin. J'entends le tumultueux

li

58 FI iV G A Z,

défordre les jette la peur. Allez , qu'ils n'échappent pas à mon épée en fuyant fur les vagues du Nord. Car combien de guerriers de la race à'Erin font ici couchés fur le lit de mort ! «

Les deux héros volèrent comme deux fombres fan- tômes fur leurs chars aériens , lorfqu'ils viennent ef- frayer les malheureux mortels.

Alors , le hls de Morni , (9) Gaul , s'avance , Se fe préfente dans une attitude intrépide: fa lance reluit aux étoiles. " O Fingal! cria le héros , dis aux Bardes d'appellerparleurschants le douxfommeil furtesguer- riers fatigués. Et toi , Fing.1l, remets dans fon fourreau ton épée homicide , & lailfe combattre ton peuple. Nous languiffons ici fans gloire, & notre Roi eft le feul qui combatte & triomphe. Quand le matin blanchira nos collines , obferve de loin nos exploits. Que les guerriers de Loclin fentent l'épée tranchante du fils de Mornï , & que les Bardes puilFent célébrer ma re- nommée. Telle fut jadis ia conduite des nobles an- cêtres de Fingal i telle fut auffi la tienne , ô Fir.oal! »

» Fils de Morni , répondit Fingal, ]e chéris ta gloire. Combats j mais ma lance te fuivra de près , pour vo- ler à ton fecours au milieu du péril. Elevez, élevez vos voix , Enfans des concerts , & faites defcendre fur moi le paifible fommeil. Fingal va dormir ici au murmure

CHANT TROISIEME. 69

des vents de la nuit. Et toi, ô Agandecca, tu es près de ces lieux , parmi les enfans de ta patrie , ou ru es affife fur un iiuage au-deiTus des mâts & des voiles de Loclin, viens me vifiter dans mes fonges : Belle , qui me fus fi chère , viens réjouir mon ame du douxafpetSt de ta beauté. »

Mille harpes & mille voix unirent leurs fons mélo- dieux. Les Bardes chantèrent les nobles aiflions de Fingal , & de fon augufte race 5 & quelquefois on en- tendit prononcer dans leurs chants le nom d'OJJïan; à'Ojfian aujourd'hui plongé dans le deuil! J'ai com- battu , j'ai vaincu fouvent dans les guerres à'Erin : mais maintenant, aveugle , dans les larmes & délaifTé je me traîne confondu dans la foule des mortels vulgaires. OFingal, je ne te vois plus environné des guerriers de ta race : les bêtes fauvages viennent paître fur la tombe du puiiïant Roi de Morven. Paix éternelle à ton om- bre , Roi des épées , Héros le plus fameux des coIlLnes de Cona,

Fin du Chant troijïème.

70 F INGA L,

NOTES DU CEANT TROISIEME.

(i) La féconde nuit, depuis le commencement du Poème, con- tinue. Cuchullin, Connut S: Carril, font adîs au même endroit od on les a vus dans le livre précédent. L'Épifode SA^andecca eft bien amené & n'eft pas inutile. Le Poëte, dans tout le cours de cet ouvrasse, fait de fréquentes allulîons à cette aventure, & elle amené en quelque façon la cataftrophe.

(il Startio ctoit père de Swaran & A' Agandecca. Tous les Poèmes du tems lui donnent un caraftere féroce & cruel.

(3) Nom poétique qu'Oj/îun donne à Starno , à caufe de la grande quantité de neiges qui couvroit fes poffeflions.

(4) Toute la côte de l'Ecoire au Nord-Oueft s'appelloit, fans doute , M.orven\ chaîne de hautes co'd:".cs'.

(5) C'eft ici le feul palTage de ce Poëme , qui prouve quelque notion de la Divinité. Encore l'apoftrophe de Cuchullin com- mence-t-elle par un doute fur l'exiftence de l'Efprh des deux.

(6) Alcletha : voyez fa complainte fur la perte de fon fils, dans le Poëme intitulé : La Mon de Cuchullin.

(7) Le Poëte ne s'arrête point à dire qa'Ullin revient, & qu'il rapporte à Fingal la réponfe de Swaran. On le verra fouvent fup- primer ces iiaifons intermédiaires.

(S) M. Macpherfon croit que c'étoit une des Iles de Shetland.

(9) Gaul, fils de Morr.i, étoit Chef d'une Tribu puiffante, qui ditputa long-tems la Souveraineté à Fingal; mais enfin ce dernier l'emporta, & Gaut devint fon ami, & un de fes plus braves guer- licrs j nous aurons occalion d'en parler plus au long dans la fuite.

CHANT QUATRIEME.

SOMMAIRE.

1^' ACTION du Poème étant interrompue par la nuit y Offian en profite pour raconter fes propres. actions ^ près du lac de LegOj & fan amour pour Evirallina , mère d'OCca.v , qui e'toit morte quelque tems avant l expédi- tion de Fingal dans l'Irlande ; fon ombre lui apparoit^ & lui dit ça'Ofcar qui avait été envoyé au commence- ment de la nuit pour obferver l'ennemi^ avoit engagé le combat avec un parti avancé ., & qu'il étoit prêt à fuc- comber. Offian vole aufccours de fon fils , & une alarme avertit Fingal de l'approche de Swaran. Fingal lève j rajjemble fcn armée ; & comme il l' avoit promis j il en donne le commandement à Gaul. Apres avoir ex- horté fies enfans à bien combattre pour fion peuple j il fie retire fiur une montagne d'où il pouvait tout obfierver. On en vient aux mains : le Poète célèbre les grandes aclians if'Ofcar. Mais tandis ^«"Ofcar , avec fion père j faifioient plier une aile de l'armée ennemie , Gaul qui fie battait avec Swaran , était fiur le point de faire retraite.

72 FIN G AL,

Fingal envoie Ullin j fon Barde , pour l'encourager par fes chants ; cependant Swaran demeure vainqueur ^ & oblige Gaul & fon armée à reculer. Fingal defcend de la montagne i rallie fes troupes ; Swaran cejfe de les pour- fuivrcj s'empare d'une hauteur j rétablit l'ordre dans fes rangs _, & attend l'approche de Fingal. Le Roi ayant encouragé fes troupes j donne les ordres néccf aires , & recommence la bataille. Cuchiillin qui , avec fon ami Coiinal , 6' Qzïûïfon Barde ^ s'étoit retiré dans la ca- verne û?eTuraj vient j au bruit du combat ^fur lefommet de la montagne qui dominoit le champ de bataille , & voit Fingal aux prifes avec l'ennemi. Il veut aller join- dre Fingal qui étoit fur le point de remporter une vic- toire complette , Connal l'en empêche. CuchuUin envoie Carril féliciter le Roi de fon fuccès.

(i) V^uELLE eft celle qui defcend en chantant de la montagne , biillante comme l'arc pluvieux qui cou- ronne la colline de Lena ? C'eft cette belle dont la voix infpire l'amour c'efl: l'aimable fille de Tofcar : plus d'une fois tu prêtas l'oreille à mes chants , plus d'une fois je vis couler les larmes de tes beaux yeux. Viens-tu pour être témoin de nos combats , ou pour entendre le récit des aftions à'Ofcar (z) ? Quand

eeflerairje

CHA NT QUA TRIE ME. 75

ceflerai-je de pleurer au bord des ruiireaux de Cona ! Mes années fe font écoulées dans les batailles , & la douleur aiîîege ma vieilleire.

Belle Malvina,je n'écois pas, comme aujourd'hui, aveugle & flétri par les chagrins ; je n'étois pas ainfi trifte & dans l'abandon , lorfque la belle Evlrallina m'aimoit, Evïralllna aux cheveux noirs, à la gorge éblouiffante. Mille hcros lui offrirent leurs vœux : elle refufa fon amour à mille héros : une foule de braves guerriers fe retirèrent dédaignés. OJJian feul plaifoit à fes yeux.

J'allai vers les ondes noires du Lego , pour obtenir fa main : douze guerriers de ma nation , enfans va- leureux des plaines de Morven , m'accompagnèrent. Nous arrivâmes à la demeure de Bmnno; l'ami des

étrangers.

" De quels lieux, dit -il, viennent ces armes étrangères ? Elle n'eft pas ficile , la conquête de la beauté qui a déjà refufé tant de guerriers d'Erin. Mais fois heureux, ô toi, fils de Fir^gal : heureufe eft la belle qui c'eft réfetvée. EulFe-je douze beautés qui m'appellafTent leur père, je les offrirois à ton choix , illuilie enfant de la renommée. » A ces mots, il ouvrit la falle étoit la belle Ey'irallma : d fa vue

Tome I. L-

74 F INGA L,

la joie ti: palpiter nos cœurs fous l'acier , &c nous fîmes des vœux pour l.i fille de Branno.

Mais au- delTus de nos cctes , au fommet de la colline parut la troupe du fuperbe Corir.ac. Huit guerriers le fuivoient , & la plaine refplendifloit des éclairs de leurs armes. étoit Colla j & Duna cou- vert de blellures , & le puiHant Tofcar & avec eux Togo & le vidtorieux Freftat. Suivoient Dairo heu- reux dans les combats , & Dala le boulevard des guer- riers dans leur retraite. L'épce flamboyoit dans la main de Cormac , fes yeux étoient pleins de douceur. OjfLan prît avec lui huit de Tes guerriers , l'impétueux UUin i le généreux Mullo ; le noble & gracieux Sce- lacha j Oglan & le fougueux Cerdal , &c le fuouche JDumarïccan : Et pourquoi te nommai-je le dernier , Ogjr, fi fameux fur les collines d'^^rven.

Ogar attaque Dala j ils combattent fur la plaine. OgLir fonge .1 fon poignard j c'eft l'arme qu'il aiFec- tionne: il l'enfonça neuf fois dans les flancs de Dala: le fort du combat eft changé : trois fois je perçai de ma lance le bouclier àe Cormac j trois fois fa lance fe rom- pit fu.- le mien : ô jeune &c malheureux Amant ! je lui tranchai la tîte : cinq fois je l'agitai par fa cheveluie: ks amis de Cormac priient la fuite. Quiconque alors ,

CHANT QUATRIEME. 75-

aimable Malvina , m'eût ofé dire qu'un jour aveu- gle &c infirme je palTerois les nuits dans la folitude , eue eu befoin d'avoir une cotte d'armes d'une trempe bien forte , & un bras invincible.

( 5 ) Mais déjà l'on n'entend plus fur la plaine obfcure du Lena le fon des harpes & la voix des Bardes. Les vents inconftans fouflloienc avec violen- ce , & le chêne alcier balançoit fur ma tête fon trem- blant feuillage : EviraUma occupoit mes penfées lorfque dans toutTéclat de fa beauté , & roulant dans (qs pleurs l'azur de fes beaux yeux , elle m'apparuc fur fon nuage & d'une voix foible.

« 0//?a/2, dit-elle , leve-toi & fauve mon fils: fauve mon cher Ofcar. Près du chêne qui eft au bord du

Lubar , il combat contre les enfans de Lodin

Elle dit & fe replongea dans foji nuage : je me revêts de mon armure , & ma lance foutient Se précipite mes pas : mes armes retentirent : je répétois à demi voix , fuivant ma coutume dans les dangers , les antiques chanfons des héros. Les guerriers de Loc- lin entendirent le brait lointain de ma marche : ils fuient, mon fils les pourfuit. » Reviens , mon fils , lui cnai-je, reviens , ne pourfuis plus l'ennemi, quoique OJJlan foit derrière toi. « Il obéit à ma voix & revient fur (es pas : c'étoit un charme pour mon

K2

F I N GA L,

oreille que 1& bruit des armes A'Ofcar. «< Pourquoi , me dit-il , arrêtes-tu mon bras , avant que la mort les ait tous enveloppés de fes ombres ? Sais-tu que farouches & terribles ils ont affailli ton fils & Fillan ? qu'ils veilloient attentifs aux allarmes de la nuit? Nos épées en ont détruit quelques-uns : mais tels que les flots de l'Océan poulFcs par les vents fur les fables de Aîora , tels s'avancent les guerriers de Loc'.ïn fur la plaine de Lena : les fantômes de la nuit jettent des cris finiftres, & j'ai vu ctinceler les météores, avant- coureurs de la mort. LaifTe-moi réveiller le Roi de Morvcn , lui qui foûrit au danger : il reflemble au radieux enfant du Ciel , lorfqu'il fe lève & diiîipe l'orage. »

/"i/z^ij/venoit de s'éveiller brufquement d'un fonoe, &c s'appuyoit fur le bouclier de Trenmor , bouclier fameux que fes pères levèrent jadis mille fois dans, les guerres de leur famille. Le héros avoir vu dans fon fommeil l'ombre aftligce d'y4gandecca. Elle étoit venue de l'Océan , &c s'étoit avancée feule & à pas lents fur la plaine de Lena : fon vifage étoit pâle , &C fes joues étoient baignées de larmes : plufieurs fois de fa robe de nuages elle avance fa main livide : elle l'étend fur /"iwo-a/ en filence, & en détournant les yeux. «' Pourquoi la fille de Starno verfe-t-elle des pleurs ?

CHANT QUAT RIEME. 77

lui die Fïngal en foupirant \ pourquoi cette pâleur fur ton vifage ?».... Elle difparoît fur les vents , & lailfe Fingal au milieu des ténèbres. Elle pleuroit les guerriers de fa nation qui alloient périr fous les coups de Fingal.

Le héros s'éveille, & voit encore Jgandecca dans (qs penfées. 11 entend le bruit des pas d'Ofcar j il apperçoit la lueur de fon bouclier : car le rayon nailTànt du matin avoit déji traverfé les mers à'UlUn.

« Que fait l'ennemi , dit en fe levant le Roi de Morven} Entraîné par la peur, fuit-il fur les flots de l'Océan ? Ou attend-il un nouveau combat ? Mais qu'ai-je befoin de le demander : ce font leurs voix que m'apporte le vent du matin. Ofcar , vole fur la plaine , & réveille nos amis pour combattre. »

Le Roi fe plaça près de la roche de Lubar , Se trois fois il éleva fa voix terrible. Le cerf tr^lfaille près des fources du Cromlu , Se les rochers tremblent fur les collines. Tels que les nuages amaffent les tempêtes & voilent l'azur des cieux, tels à la voix de Fïngal accourent les enfans du défert : toujours fes guerriers étoient émus de joie aux accens de fa voix : fouvent il les avoit conduits au combat , & ramenés chargés des dépouilles de l'ennemi.

« Venez, Guerriers intrépides, venez donner h.

78 F 1 N G A L,

mort : Fingal vous vena combattre. Mon épce reluira fur cette colline : elle fera l'appui de mon peuple : mais puillîtz-vous n'avoir jamais befoin de fon fecours , tandis que le fils de Morni va combattre à ma place.... C'eft lui qui va marcher à votre tête : il faut que fa gloire devienne célèbre dans nos chants. O vous, ombres des héros décédés , hôtes légers des nuages , accueillez avec bonté mes guerriers rerraffes, & con- duifez-les dans l'afyle de vos collines. Qu'ils puif- fent un jour , portés fur les vents , traverfer l'efpace de mes mers , me vifiter dans mes fonges , & réjouir quelquefois mon ame dans le filence de la nuit & du repos.

Fillan , Ofcar , 8c toi beau Ryno à la lance re- doutable 5 marchez au combat avec intrépidité •, fuivez le fils de Morni , contemplez les adlions de fon bras , & que vos épées foient rivales de la fienne. Proté- gez les amis de votre père , & que les guerriers des anciens tems foient préfens à votre fouvenir. Mes Enfans , quand vous tomberiez ici fur les champs d'Erin , je vous reverrois encore : bientôt , bientôt nos froides Se pâles ombres fe rencontrerojit dans les nuages , & traverferont enfemble les coteaux de Cona. »

Tel qu'une nue cpailTe & orageufe , dont les flancs

CHANT QUATRIEME. 79

enflammes foiu armés" d'éclairs , & qui fuyant les rayons du matin s'avance vers l'Occident ; tel s'é- loicrne le Roi de Morven. Deux lances font dans fa

main , & fon arrhure jette un éclat terrible Il

abandonne au vent fes cheveux blancs : fouvent il fe retourne &: jette un regard fur le champ de bataille : trois Bardes l'accompagnent , prêts à porter fes paroles à fes héros. Il s'allied fur la cime du Cromla\ les mou- vemens de fa lance étincelante régloient notre marche. La joie s'épanouit fur le vifage àHOfcar : fes joues fe colorent;-fes yeux verfent des larmes de plaifir : fon épée . paroît dans fes mains un rayon de lumière. 11 s'avance Se avec un foûrire, il dit à Offian : « ô Chef des com- bats , mon Père, écoute ton fils. Retire-toi aufli , va joindre le Roi de Morven , & cède moi ta gloire. Si je péris ici , fouviens - toi de cette belle folitaire , objet de mon amour , de la fille de Tofcar. Car je la vois panchée fur les bords du ruifleau , les joues en feu , & l:s cheveux épars fur fon fein , jettant fes re- gards du haut de la montagne , & foupirant pour Ofcar. Dis lui que je fuis far mes collines , hôte léger des vents , & que je vole fur mes nuages à la rencontre de l'aimable fille de Tofcar. Elevé , Ofcar, élevé plutôt ma tombe : je ne veux point te céder le combat : il faut que mon bras foit le plus fanglant, & t'enfeigne

8o F I N G A L,

à vaincre. Mais, mon fils, fouTiens-toide placer cette épée , cet arc , & ce bois de cerf dans mon étroite & fombre demeure , que tu marqueras par une pierre grisâtre. Ofcar, je n'ai plus d'Amante à recommander aux foins de mon fils j j'ai perdu EviraUina j l'aimable fille de Branno n'eft plus.»

Nous parlions ainfi , lorfque la voix de Gaul , ap- portée par les vents , vînt frapper nos oreilles : il agi- toit dans les airs l'épée de fon père , Se Ce précipite furieux au milieu de la mort & du carnage.

Les deux armées s'attaquent Se combattent , guer- rier contre guerrier, fer contre fer. Les boucliers &c les épées fe choquent & retentiffent. Les hommes tombent. Gaul fond comme un tourbillon à'^rven : la deftrudtion fuit fon épée : Swaran dévore comme l'incendie allumé dans les bruyères du Gormal. Comment pourrois-je redire dans mes chants tant de noms &C de morts ? L'épée d'Offian fe fignala •nuill dans ce fanglant combat : & toi , ô mon Ofcar, o le plus grand (4) , le meilleur de mes enfans, que tu étois terrible ! Mon ame éprouvoit une fecrete joie , lorfque je voyois fon épée étinceler fur les en- nemis terrallés. Ils fuient en défordre fur la plaine de Lena : Nous pourfuivons , nous mafTacrons : comme la pierre bondit de rocher en rocher j comme ,Ia

hache

CHANT QUATRIEME. 8t

hache frappe &: retenti: de chêne en chêne ; comme le tonnerre roule de colline en colline fes efFrayans éclats; tels de la main d'Ofcar & de la mienne tom- bûient Se fe fuivoienc 8c le coup & la mort (4).

Mais Swaran afliege & environne le fils de Morni , comme un cercle de flots irrités. Fingal à cette vue fe levé à demi , & fait un mouvement de fa lance : « Va , UUin , mon antique Barde , va trouver Gaul , rappelle A fa mémoire les combats & l'exemple de fes ancêtres : foutiens de tes chants fon courage chance- lant : les chants raniment les Guerriers. » Le vénéra- ble UUin part ; il prefle fes pas appéfantis j il arrive Se adrelTe à Gaul ces chants belliqueux.

a Enfant des climats nailfent les courfiers géné- reux : jeune Roi des lances \ toi dont le bras eft ferme dans le péril , dont le courage inflexible ne cède jamais j toi qui diriges les coups de la mort , frappe , renverfe l'ennemi : que nul de leurs vaif- feaux ne reparoilFe jamais fur la côte à'Iniflore. Que ton bras foit comme la foudre , tes yeux comme l'éclair , ton cœur comme un rocher. Levé ton bou- clier ; plonge & replonge ton épée ; frappe ; dé- truis (5). »

A ces chants le cœur rie Gaul s'enflamme & pal- pite y mais Swaran s'avance à la tête de fon armée : Tome I, L

82 F I N GA L,

il fend le bouclier de Gaul en deux , & les enfans à'Erin prennent la fuite.

Alors Fing.il fe leva , & trois fois fit cclater fa voix. Cromla repondit à fes fons , & fes Guerriers fuyans s'arrèterenr. Ils baiflerent vers la terre leurs vifages confus , & rougirent à la préfence de Fïngal. Il s'avançoit comme un nuage pluvieux dans les ar- deurs brûlantes de l'été , lorfqu'il roule & s'étend fur la colline , & que les plaines en filence atterrdent fa rofée. Swaran apperçoit le terrible Roi de Morvcn , &: s'arrête au milieu de fa courfe. Farouche & rou- lant fes yeux autour de lui , debout , appuyé fur fa Innce &c gardant un morne filence , il relTembloit dans fa taille gigantefque à un chêne antique des bords du Lubar , dont la tête panche fur le fleuve , & dont les rameaux furent jadis noircis des feux du tonnerre. Il marche & fe retire à pas lents fur la plaine. Les flots de fes guerriers l'entourent , & le nuage de la bataille fe forme fur la colline.

Fingal brille au milieu de fes héros , & leur dit : " Prenez mes étendarts , déployez - les aux vents de Lena, qu'ils flottent comme les flammes ondoyantes de cent collines : que leurs frémiflemens dans les airs nous excitent au combat. Accourez, enfans à'Erin, venei vous placer près de votre Roi , foyez attentifs à {qs or-

cii.lNT QUATRIEME. 8?

dres. Caul , bras invincible de la mort j jeune Ofcar , qui croîs pour les combats ; vaillant Connal , Dermid à la brune chevelure, Se toi, OJJïan, Roi des chants, venez tous vous placer près du bras de votre père. »

Nous élevâmes le Soliflame {<f) , le brillant étendart du Roi : l'ame des héros treflaillit de joie en le voyant fe jouer dans les vents : il étoitparfemé d'or , comme l'azur nodrurne de la voûte étoilée du ciel. Chaque héros avoir fon étendart , de chaque étendart fa troupe de guerriers.

« Voyez, dit le Roi, comme l'armée de Loclin fe partage fur la plaine; ils relTemblent à une foret de chê- nes à demi dévaftée par l'incendie ; lorfque fes arbres éclaircis iaiffent voir par intervalles les efpaces du ciel , & les météores volans dans la nuit. Que chaque chef des amis de Fingal choifiife & attaque fa troupe d'ennemis; & qu'en dépit de ce front menaçant qu'ils nous oppofent , nuls d'eux n'échappe fur les flots à^lnijlore. Moi , dit Gaul, je me charge des fept Chefs qui font venus du lac de Lano. Que le fombre Roi à'inijlore, dit Ofcar , foit abandonné à l'épée du fils à'Offian. Confiez à la mienne le Roi à'inijîore, dit Cannai au cœur d'acier. . . Ou Mudan ou moi , dit Dermid , dormira fous la terre. Et moi , qui maintenant fuis aveugle & foible , je choifis le bel-

L2

8^ F I N G A T.,

liqueux Roi de Terman. Je promis de ne p.is revenir fans fon bouclier. a Revenez triomphans & victo- rieux , ô mes Héros , dit Fingal avec un regard fe- rein : toi , Swaran , Fingal te réferve pour lui. jj Aullî- tôt , comme mille vents furieux déchaînés fur les vallons , nos bataillons fe divifent & fondent fur l'ennemi : les échos de Cromla retentilTent au loin.

Comment raconter toutes les morts qui fignalèrent nos armes dans cette afFreufe mêlée ? O fille de Tofcar, nos mains étoient toutes fanglantes j les rangs fuper- bes de Lodïn tomboient l'un fur l'autre , comme les terres éboulées de la montagne de Cona. La victoire fuivit nos armes : pas im chef qui n'accom- plît fa promefle. Tu t'aflîs plus d'une fois près du murmure des eaux du Branno, 6 fille Tofcar: ton fein éblouififant de blancheur s'enfloit & s'élevoit , comme le duvet du cygne voguant doucement fur la furface du lac, lorfque les zéphirs enflent fes aîles. tu as vu plus d'une fois le foleil rougeâtre fe retirer, &c defcendre lentement derrière un épais nuage ; la nuit amafTer fes ombres autour de la montagne , lorfque le vent fouftle par tourbillons , & mugit par intervalles dans les vallées profondes. La grêle tovnbe , le tonnerre roule, éclate, & la foudre rafe les rochers. Les efprits montent fur des rayons de feu : d'irréfifti-

CHANT QUA TR ! E ME. 8y

blés & vaftes torrens fe verfenc à grand bruit des montagnes : telle eft, ô Mulvuia, l'image de ce com- bat Ah ! poui-quoi cette larme ? C'eft aux filles de

LocL'm à pleurer. Les guerriers de leur patrie tom- boieiu par milliers , Se le fang avoir rougi le fer de nos héros j mais je ne fuis plus hélasPle compagnon des héros \ je fuis trifte , aveugle &c délaifle. Donne- moi , aimable Malvina , donne-moi tes larmes j car j'ai vu les tombeaux de tous mes amis.

Ce fut alors que Flngal vit avec douleur tomber fous fes coups un héros inconnu. Le guerrier rouloit dans la poullîère fes cheveux gris , & levoit vers le Roi fes yeux mourans : Ah ! c'eft donc de ma main que tu péris , s'écrie Flngal qui le recon- noît , ô toi l'ami A'Agandecca ! J'ai vu tes larmes couler pour l'objet de mon amour clans les falles du fanguinaire Scarno. Tu fus l'ennemi des ennemis de mon Amante , Se c'ell de ma main que tu péris ! Elevé , ô UUin , cleve la tombe du fils de Mathon , & mêle dans tes chants fon nom au nom d'^ganJecca, à'A- gandecca qui fut fi chère à mon cœur !

DlI fond de la caverne de Cromla , CuchuU'm entendit le bruit des coiîibattans. Il appella le brave Connal & le vieux Carril. A fa voix ces héros en cheveux blancs prirent leurs lances. Us s'avancèrent

8^ F T N a ^ r.

& virent de loin les flocs de la bataille, comme les vagues entaffees de l'Occan agité j lorfque les vents fouftlant du côté de la mer , roulent devant eux fes vaftes lames fur les fables du rivage.

A cette vue CuchuUin s'enflamme -, & fronce le fourcil : fa mmk fe porte fur l'épie de fes pères j fes yeux roulent dans le feu & s'attachent fur l'ennemi. Trois fois il voulut courir au combat j & trois fois Connal arrêta fes pas. « Chef de l'île des Brouillards , lui dit-il , Fingal triomphe : ne cherche point à ravir une portion de fa glbite : il ravage iSc détruit comme la tempête. »

bien , Carrll , reprît CuchuUin , va féliciter le Roi de Morven. Dés que Loclin fe fera écoulé comme le torrent après la pluie , dès que le filence régnera fur le champ de bataille j que ta voix mélodieufe fe faffe entendre à l'oreille de Fingal , Se chante fes louanges. Donne lui l'épée de Caithbat : car CuchuUin n'eft; plus digne de porter les armes de fes pères.

Mais vous , Ombres du folitaire Cromla , EfpritS des héros qui ne font plus ; foyez déformais les com- pagnons de CuchuUin, Se parlez lui quelquefois dans la grotte il va cacher fa douleur. Non , je ne ferai plus renommé parmi les guerriers célèbres. J'ai brillé comme un rayon de lumière ; mais j'ai palTé

CHANT QUyJTRIEME. 87

comme lui ; je m'évanouis comme la vapeur que diffipeii: les vents du matin , lorfqu'il vient éclairer les collines. Connal , ne me parle plus d'armes ni de combats: ma gloire eft morte. J'exhalerai mes gémilTemens fur les vents , jufqu'à ce que la trace de mes pas s'efface fur la terre ... Et toi , belle & ten- dre Bragela , pleure la perte de ma renommée : car jamais je ne retournerai vers toi : je fuis vaincu. -

Fin du Chant quatrième.

88 F J N G A L,

NOTES DU CHANT QUATRIEME.

(i) Le Poëte fuppofe que Malvina defcend de la montagne , pour entendre le récit des aftions à'Ofiar, fon époux & fils à'Of- fian. Il paroît qu'après la mort à'Ofcar, elle refta toujours près SOJJian. Le Poète lui adrefle ce chant, ainfi que la plupart de fes Poèmes.

(î) Fïngal é:zM endormi , & l'aftion fufpendue par la nuit, le Poète introduit ici l'Hiftoire de fe<! amours avec Evirallina; cet ëpifode eft nécelTaire pour l'intelligence de plulïeurs paflàges qui fuivent.

(3) Le Poëte revient à fon fujet : on fe fouvient que Fingal ayant envoyé Fil/an, fon fils, & Ofcar, fon petit-fils, à la décou- verte , avoit ordonné à fes Bardes de chanter.

(4) OJJîan ne manque jamais l'occafion de peindre en beau le caraftere de fon fils chéri. Le difcours SOfca'- à fon père , eft celui d'un héros, & d'un fils plein d'amour & de refpeft pour fon père.

(5) Le chant à'Ultin, dans l'original gallique eft, fuivant M. Macpherfon , d'une verfification différente de celle du refte du Poëme ; il eft tout en épithétes. L'ufage d'encourager les guer- riers par ces fortes d'impromptus, a fubfifté dans le Nord de l'É- coffe, prefque jufqu'à nos jours.

(6) L'étendart de Fingal s'appelloit le Soliflamme , ou le rayon du Soleii, probablement à caufe de fes brillantes couleurs, & de l'or dont il étoit enrichi.

CHANT

CI$ANT CINQUIEME,

SOMMAIRE.

CucHULLiN & Connu rejlent fur la colline. Fint^al & Swaran combattent. Defcription de leur combat. S^a.- ran eji vaincu ^ enchaîne & confié à la garde d'Offizn & de Gaiil ^ fils de Morni. Fingal^ avec Ofcar & fes au- tres enfans , pourfuivent l'ennemi. Epifode a''Orla , Chef de Loclin^ mortellement bleffé dans le combat. Fingal touché de la mort de ce guerrier, ordonrtt la retraite ; & rappellant fes enfans, il apprend que Ryno^ le plus jeune , a été tué ; il pleure fa mort , écoute l'hiftoire de LamJarg à de Gelcoira^ 6- revient à la place il a laijfé Svfàtzn. Carril^ que Cuchiillin avoit envoyé féli- citer ¥ingd fur fa vicloire , va dans cet intervalle trou- ver Offian. L'entretien de ces deux Bardes termina la quatrième journée.

* A L o R s fur le pench-int de Cromla , Connal adr^ITa la parole à Cuchullin : <■<■ Fils de Semo, pourquoi cette

* Le Poète en mettant ce récit dans la bouche de Connal, qui étoit demeure avec Cuchullin fur le coteau de Cromla, amené' Tome J. yi

£o FINGA L,

fombre trifteflTe ? Nos amis font puilTans^lns les combats ; & toi , Guerrier , ta renommée eft célèbre: nombreufes font les morts que ta lance a données. Souvent Bragela faifant éclater la joie dans fes beaux yeux bleus, alla au devant de fon héros lorfqu'il re- venoit viétorieux, & fumant de carnage au milieu des braves , & que fes ennemis étoient muets fous la tombe. Tes Bardes charmoient ton oreille en chantant tes exploits.

Mais vois le Roi de Morven, il s'avance, & l'in- cendie, les torrents, les tempêtes font l'image de fa force. Hemeux ton peuple , ô FïngaV. ton bras com- battra pour lui. Tu es le premier des Héros dans la guerre; tu es le plus fage des Rois dans la paix. Tu parles, & tes nombreux guerriers obéiflent; ton acier

à propos l'elot^e de Fingal. Le commencement de ce cliant eft dans roiiginal gallique, un des plus beaux endroits du Poème, la verfification eft régulière & fouteni'e, & bien aflbrtie au carac- tère tranquille de Coiinal. Nul Poète n'a mieux conformé la ca- dence de fes vers au caraftère de fes perfonnages; il eft plus que probable que le Pocme entier fut originairement compofc pour être chanté avec l'accompagnemenr de la harpe : la variété de la verfification qui fc prête conftaniment aux difFérens tons de clia- que paffion donne lieu de le prcfumer.

CHANT CINQUIEME, pi

retentit, & les ennemis tremblent. Heureux eft ton peu- ple , ô Fingal !

Quel eft ce guerrier fi terrible & fi impétueux dans fa fource?

Quel autre que le fils de Starno oferoit venir à la rencontre du Roi de Morven ? Contemple le combat des deux chefs. Tels combattent deux efprits fur l'O- céan, &difputent à qui roulera fes flots. Le chaffeur fur la colline entend le bruit de leurs efforts , & voit les vagues s'enfler & s'avancer vers les rivages A'An'en. » Ainfi parloir Cannai lorfque les deux héros fe joigni- rent au milieu de leurs guerriers tombans de toutes parts. C'eft qu'on entendit le bruit du choc des armes & des coups redoublés. Terrible eft le combat des deux Rois ; terribles font leurs regards; leurs bou- cliers font brifïs & l'acier de leur cafque vole en éclats; ils jettent les tronçons de leurs armes , chacun d'eux s'élance pour faifir au corps fon adverfaire ; leurs bras nerveux font enlacés ; ils s'emUÉKent , ils s'atti- rent fe balançant à droite & à gauche ; dans leur lutte fanglante leurs mufcles fe tendent & fe dé- ploient. Mais quand leur fureur au comble vînt à développer toutes leurs forces , alors la colline ébran- lée par leurs efforts trembla au haut de fa cime. Enfin

Mi

£2 F I N G A L,

la force de Swaran s'épiiife , il tombe & le Roi de Loclin eft enchaîné.

Ainfi j'ai vu fur le Cona , Cona que ne voient plus mes yeux, ainfi j'ai vu deux collines arrachées de leurs bafes par l'effort d'un torrent impétueux ; leurs mafles inclinées l'une vers l'autre fe rapprochent ; la cime âe leurs arbres fe touche dans les airs; bientôt toutes deux enfemble tombent & roulent avec leurs arbres & leurs rochers : le cours des fleuves eft changé , & les ruines rougeâtres de leurs terres éboulées frap- pent au loin l'œil du voyageur.

Œ Enfans du Roi de Morven, dit Fingal, gardez le Roi de Loclin ; car il a la force de mille flots irrités; fon bras eft inftruitaux combats ; il a toute la vigueur des anciens héros de fa race. Brave Gaul , Si toi Of- fian , accompagnez le frère à'Agandecca , &c rappeliez la joie dans fon ame attriftée. Et vous , Cfcar, Fillan &c Ryno , pourfuivez les débris de Loclin ; & que jamais nul vai(reairtl|e revienne infulter nos mers. Ils partent & volent comme l'éclair.

Fingal les fuit à pas lents & s'avance comme un nuage qui porte la foudre , lorfque les plaines brîilées par l'été font dans le filence. Son épée étincelle de- vant lui : il rencontre un des chefs de Loclin, Se lui

CHANT CINQUIEME. 93

adreile ces paroles : " Quel eft celui que je vois appuyé contre le rocher ? 11 ne peut franchir le torrent : fa con- tenance annonce un héros; fon bouclier eft à fes côtés j & fa lance s'élève comme un arbre du défert. Jeune inconnu, es-tu des ennemis de Fïngal}

Je fuis un enfant de Loclin, cria le guerrier, & mon bras n'eft pas foible. Mon époufe eft en pleurs dans ma demeure j mais Orla (i) n'y rentrera jamais.

Veux- tu te rendre ou combattre , dit Fingal} Les ennemis ne triomphent point en ma préfence ; & mes amis font célébrés dans mon Palais. Etranger , fuis moi , Se viens partager mes fêtes j viens pourfuivre les daims de mes déferts.

Non, dit le héros , je fecours le foible; je prête- rai toujours ma force à celui qui fuccombe. Mon épée n'a pas encore trouvé fon égale ; que le Roi de Mor- ven me cède.

Jamais , Orla, jamais Fingal n'a cédé à un mortel. Tire ton épée & choifis ton ennemi parmi la foule de mes héros.

Et le Roi refufe-t-il ce combat ? dit Orla. Fingal eft , de toute fa famille, le feui rival digne à' Orla.

Mais , Roi de Morven , fi je fuccombe , puifqu'il fa.ut que tout guerrier périife un jour, élevé ma tom-

£4 F I N GA L,

be au milieu àwLena, Se que ma tombe domine toutes les auttes. Renvoie au travers des mers l'épée d'Orla à fa tendre époufe, afin que, les yeux trempés de lar- mes, elle puilfe la montrer à fon fils, & allumer dans fon cœur l'amour de la guerre.

Jeune infortuné, luiditZ-'i/î^i:/, pourquoi parces triftes difcours , réveilles-tu ma douleur ? 11 vient un jolir il faut que les guerriers meurent. Se que leurs jeunes enfans voient leurs armes oifives &c fufpendues aux murs de leurs demeures ; mais, tes vœux , Oria , feront remplis. J'élèverai ta tombe , & ta belle époufe pleurera fur ton épée. »

Tous deux combattirent fur la plaine j mais le bras d'Orla étoit foible ; l'épée de Fingal defcend & tran- che en deux fon bouclier. Ses éclats volent èc brillent fur la terre , comme la lune dans la nuit fur l'onde d'un ruiffeau.

" Roi de Morven , dit le héros, levé ton épée & me perce le fein. Blelfé dans le combat, je fuis refté ici foible & abandonné de mes amis j bientôt ma trifte avanture fe répandra fur les rives du Loda , & parvien- dra jufqu'à ma bien-aimce, lorfque feule elle erre dans les forêts.

Non , répondit le Roi du Morven ^ jamais tu ne feras percé de ma main : je veux que ton époufe te

CHANT CI N QUIE M E. cj j

revoie encore fur les bords de Loda , échappé des mains de la guerre j je veux que ton vieux père , que peut ccre la. vieilleire a déjà privé de la vue , entende du moins ta voix dans fa demeure. . . . Il fe lèvera plein de joie , & fes mains errantes chercheront fon fils. 11 ne le trouvera jamais , Fingal : je mourrai dans les champs de LcncL\ des Bardes étrangers parle- ront de moi : mon large baudrier cache une plaie mortelle \ vois , je l'arrache de mon fein , & le jette aux vents. »

Son fang noir fort à gros bouillons de fes flancs. Ils'é- pulfe, il pâlit , il tombe , & Fingal attendri fe panche fur le héros expirant: il appelle fes jeunes guerriers: '' Ofcar , Fillan , mes Enfans , élevez la tombe d'Orla ; il repofera fur cette plaine, loin du murmure agréable du Lodii 5 loin de fa malheureufe époufe : un jour les foibles guerriers verront l'arc fufpendu dans fa de- meure : ils eflayeront , mais en vain , de le plier ; fes dogues fidèles heurleat de douleur fur les collines ; les bêtes fauvages , qu'il avoir coutume de pour- fuivre, fe réjouilTent de fa mort: il eft défarmé , le bras terrible des batailles j le premier des braves n'eft plus!

Elevez vos voix , embouchez le cor , Enfans du Roi

96 F I N G A L,

de Morven : retournons vers Swaran , & partons la nuit dans les chants. Fdlan , Ofcar , Ryno , volez fur la plaine. donc es -tu, Ryno , jeune enfant de la gloire? Tu n'as pas coutume de répondre le dernier à la voix de ton père. »

« Ryno , dit UlUn , le premier des Bardes a rejoint les ombres de fes aïeux , les ombres de Trathal ôc de Trenmor. Le jeune Ryno n'eft plus, fon corps inani- mé efl: étendu fur la plaine de Lena. »

«' N'eft-il donc déjà plus, s'écria le Roi , celui de mes enfans quiétoit le plus léger à la courfe, le plus prompt à bander l'arc? . . . O mon fils , à peine ton père a-t-il eu le tems de te connoître. Ah ! pourquoi faut-il que fi jeune tu fois déjà tombé? Repofe en paix fur leLenaj Fingal te reverra bientôt. Bientôt ma voix cefTera d'être entendue j bientôt on ne verra plus la trace de mes pas. Les Bardes chanteront le nom de Fingal de les pierres parleront de fa gloire. Mais toi , jeune Ryno, tu as péri, & les Bardes n'ont point encore chanté ta renommée. Ullin , touche la harpe pour Ryno; dis quel héros il eût été. Adieu , toi qui étois toujours le premier fur le champ de bataille ; ton père ne dirigera plus ton javelot : toi , le plus beau de mes eiifans , mes yeux ne te voient plus : adieu.

Les

CHANT CINQUIEME, 'j-j

Les larmes couloient fmr les joues de Fingal ; il pleu- roic fou fils , fon fils fi jeune & déjà fi redoutable dans les combats !

» Quel eft le guerrier dont cette tombe confacre la gloire , dit alors le généreux Fingal? Je vois quatre pierres revêtues de mouffe , marquer ici la fombre demeure de la mort. Que mon jeune Ryno dorme à côté de lui, qu'il repofe auprès du brave. Peut-être gît ici quelque guerrier fameux, qui accompagnera mon fils fur les nuages. O Ullin ! chante & rappelle à notre mémoire les triftes habitans de la tombe. Si jamais ils n'ont fui le danger dans les champs de la valeur, mon fils , loin de fes amis , repofera près de ces héros. »

» Ici, chanta le Barde , ici dorment les premiers des héros. Lamdarg &C le fier Ul/in (i) font muets fous cette tombe. Mais quelle eft celle qui me fourit du haut de fon nuage , & montre à mes yeux fon beau vifage? Fille de Tuathal, la plus belle des jeunes fil- les du Cromln , pourquoi cette pâleur ? O Gelchojfa ! dors-tu avec les héros que ta beauté rendit ennemis ? Tu fus l'amour de mille guerriers j mais Lamdarg feul fut aimé de toi. n

§ Il vint vers les tours antiques de Selma , & frap- pant fon bouclier, il dit : « eft Gelchojja, eft mon Tome /. N

£8 F I N GA L,

amante, l'aimable fille un nobre Tuathal. Je l'ai laiÏÏee dans le palais de Selma, en partant pour combattre le farouche Vlfadda.... Reviens bientôt, ô Lamâarg , me dit-elle; car je refit ici dans la douleur. Son beaufein fat gonflé de foupirs : fes belles joues étoient baignées de larmes. Mais je ne la vois point venir au devant de fon amaut, & s'emprelfer d'adoucir fon ame après le combat. Lefilence règne dans la demeure m'atten- doit la joie : je n'entends point la voix des Bardes. . . . Je ne vois point Brano (5) fecoiier (ts chaînes à. la porte & trelFaillir de joie au retour de Lamdarg. eft GelchoJJa , mon amourj eft la fille fenfible du gé- .néreux TuathaP. » a Lamdarg , dit Ferchios , peut-être Gelchojja eft-elle fur le Cromla, à. pourfuivre avec fes compagnes les biches fugitives. »

« Ferchios, répondit le guerrier , nul bruit ne fe fait entendre à mon oreille : je n'entends aucun fon dans les bois de Lena : je ne vois aucunes biches fuir de- vant mes yeux, aucun dogue haletant les pourfuivre- Je ne vois point Gelchojfa mon amour. . . . Va , Ferchios, va trouver dans fon rocher le vénérable Allad (4) : fa demeure eft dans un cercle de pierres ; ilfaura nous apprendre en quels lieux eft Gelchojfa. »

Le fils à'Aidon , Ferchios , part &c fe paiiche près de

CHANT CINQUIEME. 99

l'ûieilledu vieillard. "Allai, lui dit-il, habicant fo- litaire du rocher , vieillard chargé d'années , parle ; qu'ont vu tes yeux? »

" J'ai vu, répondit le vieillard, j'ai vu UUïn^Xo. fils de Cairbar\ il ell venu comme un nuage du Cromla\ il murmuroit un chant finiftre , comme le bruit des vents dans la forêt dépouillée de fes feuilles j il eft entré dans les falles de Selma. Sors , a-t-il aie, fors , invincible Lamdarg ; viens combattre UUin , ou cède- lui Gelchorta. Lamdarg n'efi peint ici , a répondu la belle, il ejl allé combattre le redoutable Ulfadda. Mais apprends que Lamdarg ne céda jamais ; il combattra le fils de Caïrbar. Tu es aimable & belle , a dit l'atroce Ullin,_^//e de Tuathal ,je t'emmène dans ma demeure ; Gelchoflii fera le prix du brave. Je rejle ici trois jours fur le Cromla , a attendre le retour de ce guerrier, 6" le. quatrième , Gelchoffa efi à moi j fi mon rival évite le combat.

AUad, il fuftit , dit Lamdarg, que la paix accompagne tes fonges dans ta caverne. Ferckios, embouche le cor, qu'Ullin entende fes fons fur le Cromla. Furieux il s'é- lance j il monte la colline en murmurant des chants belliqueux. Arrivé fur lefommet, il s'arrête comme un nuage donc les vents changent ôc varient les formes.

Ni

too F I N GA L,

Du haut de la colline il roule une piene cnoime; c'eft le fignal de la guerre : du fond de fa demeure Ullin en entendit la chute. 11 trelTaillit de joie à l'approche de fon ennemi , & fe faifit de la lance de fon père. Un fourire éclaircit fon vifage fombre, au moment il ceint fon épée. Le poignard étincelle dans fa main j il s'avance en fifflant.

Gekhojfa vit ce farouche guerrier montant la col- line dans un fombre filence. Elle frappe fon beau fein palpitant. Muette, les yeux en larmes, elle tremble pour Lamdarg.

" Caïrbar, dit la belle au père à' Ullin , je veux aller tendre l'arc fur le Cromla: j'y apperçois des biches. »

Elle court fur la colline; mais en vain: les deux guerriers étoient déjà aux prifes. Pourquoi racon- rerai-je au Roi de Morven l'hiftoire de leur combat? Le fier Ullin fut renverfé j le jeune Lamdarg revint pâle & fanglant au-devant de Gekhojfa.

" Quel eft ce fang , s'écria la belle ? Quel eft ce fang qui couvre le flanc de mon héros " C'eft le fang à'Ullin, répondit le guerrier. O Gekhojfa ! lailTe-moi me repofer ici quelques momens » Le brave Lam- darg expire.

quoi ! déjà , déjà plongé dans le fommeil de la

CHA N T CINQ VIE ME. loi

moit ? O chef de Cromla. ! Elle pleura nois jours auprès de fon amant. Les chaiïeurs la trouvèrent morte j ils élevèrent cette tombe & y enfermèrent ces trois infortunés. Oui , Roi de Morven , ton fils dor- mira ici avec des héros. » §

« Oui , die Fingal , mon fils dormira avec eux : le bruit de leur renommée a fouvent retenti à mon oreille. Fdlan, Fergus, apportez ici le corps du jeune Orla. Ryno ne fera point auprès d'un rival indigne de lui en repofant près d' Or/a. Pleurez, filles à^ Morven , Se vous auffi, filles de Loda, pleurez ! Ils croilfoienc tous deux comme deux jeunes chênes fur nos collines: ils font tombés comme eux , lorfaue couchés fur la largeur du torrent ils fe flétrilfent au vent des mon- tagnes.

O/t-izr , Chef des jeunes guerriers, tu vois comme ils ont péri en braves : lailTe , comme eux , ta renommée fur la terre ; comme eux , fois le fujet des chants de nos Bardes. Dans la guerre , l'afpeft de leurs vifages étoit terrible Se menaçant; mais Ryno étoit doux 5c calme dans la paix. Il étoit riant comme l'arc de la pluie qu'on apperçoit de loin courbe fur le ruifFeau , lorfque le foleil fe couche fur Mora, & que le (ilence règne fur la colline. Dors en paix , 6 le plus jeune de mes enfans ! ô mon cher Ryno ! repofe fur la plame

1Q2 F I N GA L,

de Lena. Et nous aulîi , nous cefTerons de vivre: tôt ou tard il faut que le brave pcrKTe. »

Tels étoient tes regrets, ô Flngal\ fur le corps du jeune Ryno. Quelle doit donc être la douleur d'0///ij/2? depuis que toi-même , tu n'es plus, ô mon Père! je n'entends plus le fon de ta voix: mes yeux ne peuvent plus te voir : fouvent dans ma mélancholie foli taire & fombre, je vais m'alfeoir auprès de ta tombe, Se je me confole en la touchant de mes tremblantes mains. Quelquefois je crois encore entendre ta voix; mais ce n'eft point ta voix , ce n'eft que le murmure des vents du défert. Il y a déjà long-tems que tu es endormi pour toujours , ô Fingal\ arbitre fuprême des combats!

Alors Ojjian Se Gaul s'affirent avec Swaran fur le doux & verd gafon des bords du Lubar : je touchai ma harpe , pour charmer la triftelTe du Roi : mais fon front étoit chargé d'ennuis. Souvent il portoit ùs re- gards douloureux vers la plaine : le héros gémifToit fur la mort de fes guerriers.

Je levai les yeux vers la montagne de Crorr.la , Se j'apperçus le fils du généreux Semo. Trifte , il le retiroit à pas lents .vers la caverne folitaire de Tura. Il avoit vu Fingal vi>5lorieux , Se la joie fe mêloit à fa douleur. Le foleil brilloit fur fon armure : Connal le fuivoit lentement. Ils defcendirent & difparurenr

CHANT CINQUIEME, loj

deri-ieie la montagne , comme deux colonnes de feii que dans la nuit les vents chairent fur les monts , &c qui laifTent la bruyère enflammée fur leur paflfage.

Près d'un ruilTeau aux ondes écumantes eft fa grotte dans le creux d'un rocher j un arbre penché la couvre de fon ombre : les vents mugilTent dans les échos d'alentour. s'eft retiré le fils de Semo. Ses penfées font toujours occupées de la bataille qu'il a perdue; & fans cefTe des larmes coulent fur fes joues. Sans cefTe il pleure la perte de fa renommée. O Bragela ! tu es trop loin de lui pour que ta préfence puiife con- foler l'ame affligée du héros. Ah! puilTe-t-il du moins voir ton image au fond de fon ame ? Que les pen- fées repofent fur le fouvenir de la belle Bragela.

Quel eft ce vieillard en cheveux blancs qui s'avance vers moi ? C'eft le chantre des héros. « Je re falue , ô vénérable Carril , ta voix eft harmonieufe comme la harpe fafpendue aux murs de Tura. Tes paroles onc à mon oreille la douceur de la rofée qui defcend fur Us champs bridés par le foleil. Vénérable Cuiril, pourquoi quicres-tu le généreux fils de Semo ?

"OJ^an, répondit Carril , tu es le premier des Bardes : il y a long-tems que tu es connu de Carril , 6 toi ! brave condufteur des batailles. Plus d'une fois j'ai touché la harpe pour l'aimable Everallina, plus d'une

104 F I N G A L,

fois, tu accompagnas ma voix dans les ialles de Bran- no, aux jours de fes feras j & fouven: l'on entendit la tendre Everallina mêler fa voix à nos chants. Un jour elle chantoit la chute de Cormac , jeune amant , qui mourut vidtime de fon amour pour elle. Je voyois les larmes couler fur fes belles joues, & fur les tiennes , ô Chef des braves. Son ame étoit touchée du fort de cet infortuné , quoique fon cœur n'eût pas été fenfible pour lui. Qu'elle étoit belle la fille du généreux Bran- no ! Que fa beauté étoit au-deflus de la beauté de fes compagnes ! »

« Ne me la rappelle point , lui dis-je , ô Carril, ne la rappelle point à ma mémoire. A fon fouvenir , il faut que mon cœur fe fonde de douleur , il faut que mes yeux s'inondent de larmes. Hélas ! elle eft fous la terre , pâle & défigurée , cette belle fi douce , fi ti- mide , ce tendre objet de mon amour. Mais viens t'alTeoir fur la bruyère , ô Barde refpeilable ! & fais- nous entendre les accens de ta voix. Elle me plaît autant que le zéphir du printems , qui foupire à l'o- reille du chaffèur , lorfqu'il fe réveille d'un fonge heureux , & qu'il a entendu dans fon fommeil les doux concerts des efprits de la montagne. »

Fin du Chant cinquième.

NOTES

C HA NT CINQUIE M E. lo;

NOTES DU CHANT CINQUIEME.

(i) Suivant M. Macpkerfon , l'Hiftoire i'Orla eft fi belle & fi touchante dans l'original Gallique , que bien des gens, dans le nord de l'ÉcoITe , la favent par cœur , fans avoir entendu une fyllabe du refte du Poème. Elle ranime l'aftion & réveille l'attention du lefteur, qui s'attendoit à ne trouver que langueur dans la fuite du Poëme, après la défaite de Swaran.

(z) U.'lin, fils de Caïriar, c^a'il ne faut pas confondre avec la Barde U/nn.

(3) Bran eft le nom qu'on donne ordinairement dans le nord de l'Écoffe aux chiens de chafTe; & en général les Montagnards don- nent a leurs dogues les noms des héros de ce Poëme; ce qui prou- ve que ces noms font familiers à leurs oreilles , & que ces héros font connus du peuple.

(4) JlLzd eft certainement un Druide. Offian l'appelle Enfant du rocher, parce qu'il demeuroit dans une caverne. On croyoit alors que les Druides avoient des connoiiïànces furnaturelks.

Tome /. O

CHANT SIXIEME.

SOMMAIRE.

JLa nuit vient. Fingal donne une fête à fon armée ^ à laquelle Swaran ajjijle. Le Roi ordonne à Ullin fon Barde , de chanter la chanfon de paix j ufage toujours obfervé à la fin d'une guerre. Ullin raconte les aciions de Trenmor, bif aïeul de Fingal , dans la Scandinavie ^ & fon mariage avec Imhzza. , fille du Roi de Loclin , un des ancêtres de Swaran. Ce motif joint à ce qu'il était frère J'Agandecca, que Fingal avoit aimée dans fa jeu- nejfe j, détermine Fingal à lui rendre la liberté. Il lui permet de retourner dans Loclin avec fon armée j fous la condition de ne jamais revenir hofiilement dans l'Ir- lande. La nuit fe paffe à faire les préparatifs du départ de Swaran , & à entendre les Bardes. Fingal demande à Carril des nouvelles de Cuchullin , ce qui donne lieu à l'hifloire de Gnimal. Au lever de l'aurore Swaran part: Fingal fait une partie de chafjê , & confole Ciicliii!lin qu'il rencontre dans la caverne de Tiua. Le lendemain il s'embarque pour l'Ecoffe ^ aïnfi finit le Pocme.

CHANT SIXIEME. 107

(OJLes nuages de la nui: loulen: l'un fur l'autre , &c s'arrêtent fufpendiis fur la cime efcarpée du Crorrda. Les étoiles du Nord s'éleventau-defRisdes flots d'Ullin, & montrent leurs têtes brillantes au travers des va- peurs fugitives du Firmament. Un vent fourd mugit dans la forêt lointaine : le filence & les ténèbres cou- vrent le champ de la mort.

La voix niélodieufe de Carr'd continuoit encore de réfonner à mon oreille au milieu des ombres : il chantoit les compagnons de notre leunefle , & les beaux jours de nos premières années ; lorfque nous nous rendions fur les bords du Lego , ôc que nous faifions circuler la coupe de la joie. Tous les échos du nébuleux Cromla répondoient aux accens de fa voix. Les ombres des morts qu'il célébroit accouroient fur leurs nuages. On les voyoit fe pancher, & d'un air fatisfùt écouter leurs louanges.

Que ton ombre , ô Carril , foit heureufe au fein de fes tourbillons. O que tu viniïes quelquefois me vifiter dans ma demeure , lorfque je fuis feul au

milieu de k nuit ! Tu y viens en effet , ô mon

ami , fou vent j'entends ma harpe frémir fous ta main légère : fufpendue à la muraille éloignée , fes foibles fons parviennent encore à mon oreille. Pourquoi ne

Oi

io8 F I N G A L,

me parles-tu pas dans ma triftefle ; poiuquoi ne me dis-tu pas quand je reveirai mes amis? . . . Tu te tais & difparois fur ton nuage , & le vent qui te porte fifle dans les cheveux blancs à'OJfian.

Cependant fur le penchant du Mora les guerriers fe raiïeinbloient pour le feftin. Cent chênes antiques s'enflamment au foufle des vents. La coupe de la fête s'emplit & circule à la ronde. La joie brille fur le vifage des guerriers : le feul Roi de Loclin garde \\n morne filence. La douleur & le reflentiment fe peignent dans fes yeux enflammés. Souvent il tour- noir fes regards fur la plaine de Lena , &c foupiroit en fe rappellant fa défaite.

Fingal cio'n debout appuyé furie bouclier de fes pères. Ses cheveux gris flottoient doucement au foufle des vents , & reluifoient aux clartés de la nuit j il remarqua la douleur profonde AtSwaran, Se adreflant la parole au premier de fes Bardes : " Entonne , U/lin , entonne l'Hymne de la Paix : adoucis mon ame après la bataille, que j'oublie le bruit des armes qui mur- mure encore à mon oreille : que cent harpes s'apprê- tent & confolent le Roi de Loclin. Il ne faut pas qu'il nous quitte , avant qu'un fentiment de joie foit rentre dans fon cœur: jamais homme n'a quitte Fingal l'ame attriftce. Ofcar , mon cpée foudroyé

CHAI^T SIXIEME. 109

dans le combat les guerriers armés j mais dès qu'une fois ils m'ont cédé la vidoire , elle repofe paifible à mes côtés. »

Uilin chante : § « Trenmor v'ivoit dans des tems déjà éloignes de nous : compagnon des orages il voguoit fur les flots du Nord. Les pointes des rochers de Loclin , &i les touffes de fes bruyantes forêts fe dé- couvrent à la vue du héros , au travers des brumes. Il abaiiïa fes blanches voiles , defcendit fur le rivage, & déjà il pourfuit le fanglier qui rugit dans les bois du Gormal : plus d'un guerrier avoit fui devant l'ani- mal redoutable. Trenmor le perça de fa lance.

Trois Chefs , qui furent témoins de fa vidtoire , vantèrent la forcg & le courage du héros étranger. Le Roi de Loclin prépara la fête & y invita le jeune Trenmor : elle dura trois jours , & dans le combat qui devoit la terminer , Trenmor eut le choix des armes.

La terre de Loclin n'eut point de héros qui ne lui cédât. La coupe de la joie fut vuidée à la ronde , & tout retentit des louanges du Roi de Morven.

Dès que le matin du quatrième jour parut , Tren- mor mit à flot fon vaifleau , Se fe promena fur le rivage , attendant que le vent qui murmuroit dans

iio FIN G A L,

les forêts lointaines , vint faite ceiFcr le calme des mers.

Parut alors un jeune habitant des bois du Gormal , couvert de fes armes. Sa belle chevelure relevoft 1 e- clat de fes joues vermeilles : i^s bras ctoieiic blancs comme la neige de Morven. Un doux fourire ani- moit {&% beaux yeux : il s'avance vers Trenmor , & lui dit : « Arrête , brave Héros : arrête , tu n'as pas vaincu le fils de Lonval. Mon épée s'eft: fouvent nie- furée avec le brave , & l'homme prudent évite les traies de mon arc. »

" Jeune 5^' beau guerrier , répondit Trenmor, je ne combattrai point le fils de Lonval. Ton bras eft trop foible , retire-toi , &i va pourfuivre les biches du Gormal. »

« Je me retirerai , dit le jeune homme ^ mais en emportant l'épée de Trenmor ^ & alors le bruit de ma renommée fera trelTaillir mon ame. Les jeunes vierges environneront en fouriant le vainqueur de Trenmor. Elles lailTeront échapper des foupirs d'a- mour : elles admireront la longueur de ta lance , lorf- que je la porterai fièrement au milieu d'elles , & que j'en lèverai la pointe brillante aux rayons du foleil.

« Jamais tu n'emporteras ma lance , dit le Roi de

CHANT SIXIEME. \\\

Morvcn irrité .... Ta mère te trouvera pâle & fans vie fur le rivage de Gormcd : elle jeccera fes regards fur l'étendue des flots , & verra encore les voiles du guerrier qui aura tué fon fils, jj

« Je ne lèverai point ma lance , dit le jeune guer- rier : les années n'ont pas encore nourri la force de mon bras j mais mes flèches ont appris à percer de loin l'ennemi. Dépouille cette cotre d'armes : tu es tout couvert de fer : je te montre l'exemple , & le premier je dépofe la mienne fur la r^rre .... Lance maintenant ton traie , Roi de Moiyen. jj Trznmor apperçoit le fein d'une jeune fille : c'étoit la foeur du Roi de Loclln. : elle avoir vu le jeune étranges dans le palais de Gormal , & fon cœur s'étoic enflammé d'amour. La lance tomba des mains de Trenmor , il penche vers la terre fon vifage vermeil : la vue de cette beauté l'avoit ébloui comme un rayon fou- dain de lumière qui frappe les yeux des enfans des cavernes, lorfque tout -à- coup forçant des ténèbres ils vont revoir les champs du foleil, & fermenta demi leurs yeux blefTés de fa fplendeur.

« Qh.t£ d.Q Morve n , dit la belle , permets que je me retire dans l'afyle de ton vaifleau , loin de l'amour Se des pourfuites de Corlo : c'eft pour Inibacca , un objet auffi terrible que le tonnerre du défert : il

112 F I N G A L,

m'aime , & ce guerrier farouche Se fuperbe marche fuivi de dix mille lances. »

" Repofe en paix , dît le vaillant Trenmor , repofe à l'abri du bouclier de mes pères : malgré fes dix mille lances , eu ne me verras point fuir devant lui. »

Trois jours entiers il attendit fur le rivage : fon cor fit retentir les collines du fignal de la guerre , & appella Corlo au combat : Corlo ne parut point j alors le Roi de Loclin defcendit fur le rivage , y donna la fcte à Trenmor, & lui fit don de cette belle. §

" Swaran , dit Fingal , ton fang coule dans les veines de ton ennemi. Nos deux familles ont fou- vent combattu ; l'amour de la guerre les rendit en- nemies j mais plus fouvent encore elles fe font don- né des fêtes mutuelles , & ont couronné dans la paix la coupe de l'amitié .... Qu'un rayon de joie éclaircifle ton fombre vifage , que ton oreille foit fenfible aux fons de la harpe ; ta valeur s'eft déployée fur nos plaines avec la force dont la tempête fe dé- ployé fur les mers : ta voix retentilToit comme les voix de mille guerriers , marchant au combat. De- main étends tes voiles , digne frère à'Agandecca : fouvent fon image brillante revient s'offrir à mon ame attriflée. Je vis tes larmes couler pour la belle , & je t'épargnai dans le palais de Starno , lorfque mon

glaive

CHANT SIXIEME. 113

glaive éroit rougi de carnage , & que mes yeux étoient humides de pleurs. Ou bien préfères -tu le combat ? Je t'en offre le choix , comme tes pères l'ont offert à Trenmor : je veux que tu te retires de cette contrée tout rayonnant de gloire , comme le foldl à fon coucher.

" Non , Roi de Morven , non , jamais Swara/z ne combattra contre toi. Je t'ai vu .dans le palais de Scarno , & tu ne comptois gueres plus d'années que moi. Quand , me difois-je en moi-même , quand lè- verai - je la lance avec la même force que le noble Fingal ? Depuis nous avons combattu fur le pen- chant du fourcilleux Malmor. Enfuite mes flots me portèrent vers ton palais , & tu m'y donnas la fête de l'hofpitalité. Ce fut un combat mémorable que le combat de Malmor. Que les Bardes tranfmettent à l'avenir le nom du vainqueur. Fingal , plufieurs vaiffeaux de Lochn ont perdu leurs jeunes guerriers : accepte ces vaiffeaux & fois l'ami de Swaran. Et lorf- que tes enfans viendront vers les tours antiques du Gornial , je ferai préparer la fête , & le combat leur fera offert. »

« Fingal, reprit le Roi , n'acceptera ni vaiffeaux ni terres. Mon royaume , mes forêts & leurs cerfs me Ton2e I. p

114 F I N G A L,

fuiHfeiu.Remonre furies flots, gén'reuxami à'Agan- decca-y préfeme tes voiles étendues à la lumière du matin , & retourne vers les montagnes du Gormal.

" Roi des fèces, dit Swaran, paix & bonheur à ton ame bienfaifante : reçois ma main en %ne d'amitié , g--n;reux Fingal; que tes Bardes pleurent les guerriers qui ont péri ; que la terre d'Erin donne un afyle aux enfans de Loclin , & que les pierres élevées fur leur tombe attellent leur renoinmcej que dans l'a veni ries enfans du Nord puilTenc reconnoître les lieux com- battirent leuis pères. Quelque chaireur,en s'appuyant fur la moufle de leurs tombeaux , dira: ici combatti- rent Fingal & Swaran , héros des fiecles pajfd's. C'eft aind qti'il parlera de nous, & notre renommée ne périra jamais. »

« Swaran , reprit le Roi de Morven , aujourd'hui notre gloire eft à fou comble. Mais nous pafierons comme un fonge ; le lîlence régnera dans les plaines nous avons combattu ; nos tombes feront cachées fous la bruyère, &c le chaTeur ignorera les lieux ou nous repoferons j nos noms vivront dans les chants des Bardes ; mais la force de nos bras fera anéantie, OJfian, Cam7, W/i/î, vousfçavez l'hiftoire des héros qui ne font pli:s: célébrez les exploits des fiécles

CHANT SIXIEME. n;

paires ; charmez par vos chants la longueur de la nuit , & que l'aurore à fon retour , nous trouve encore dans la joie. »

Nous chantâmes & cent harpes accompagnoient nos voix. Le fombre vifage de Swaran s'cclaircit: ainfi brille le globe arrondi de la lune quand les nuafres fe diffipent & la laifTcnt calme & dans tout fon éclat au milieu du firmament.

«' Carr'd, dit alors Fingal , eft CuchuUïn} Le vail- lant fils de Semo s'eft-il retiré dans la Tombre caverne de Tura\ »

" Oui , répondit Carr'd, Cuchullïn eft couché dans l'antre de Tura , la main pofée fur fa redoutable épée , toujours fongeant à la bataille qu'il a perdue. Le deuil eft dans l'ame de ce héros accoutumé à la vidloire. Il renvoie fon épée , il veut qu'elle repofe au zoxi de Fingal, qui d'un foufle a- didipé tous iss ennemis. Prends l'épée de ce guerrier, ô Fingal''. fa gloire s'eft évanouie comme la vapeur légère devant la rafFale qui fond fur le vallon. »

«Non, je ns prendrai point fon épée. Il s'eft (ignalé dans les combats: dis-lui que jamais fa renommée ne pcrira. On a vu mille héros vaincus , reparoître enfuite avec honneur dans le champ de la gloire.

Bannis ta Kn^itSc , ô Swaran\ Les vaincus, s'ils font

P i

11(5 % F I N G A L,

braves , ne perdent point leur renommée. Le folei cache quelquefois fa tète dans un nuage du midi: mais bientôt il luit de nouveau fur la verdure des collines.

§ Grumal étoh Chef de Co7ia\ il cherchoit les com- bats fur toutes les côtes. La vue du fang rcjouilToit fon cœur , le bruit des armes plaifoit à fon oreille j il def- cendit avec fes guerriers fur la côte de Craca.

Le Roi de cette contrée fortit de la foret il adreiïoit alors fes vœux à la Pierre du pouvoir , au milieu du cercle de Brunco (i).

Ce fut pour une belle que ces héros combattirent avec fureur. La renommée de cette beauté avoit re- tenti jufqu'à Grumalj il réfolut d'enlever la jeune vierge ou de périr. Le combat dura trois jours , le quatrième , Grumal fut vaincu & enchaîné.

Le vainqueur le fit placer loin de fes amis , dans l'horrible cercle du Brunco , l'on dit que les fan- tômes poulToient des hurlemens affreux autour de la pierre redoutable: mais bientôt il reparut avec gloire. Ses ennemis tombèrent fous fes coups , &: Crumal re- conquît toute fa renommée. §

Chantres des cvénemens pafTés , faites retentir les airs des louanges des héros. Calmez l'agitation de mon amepar le récit de leurs exploits, & banniffez la

CHANT SIXIEME. 117

triftetre du cœur de Swaran. .3 FuigulSc Swamn fe cou- chent fur la colline de Mora, les vents fifflent autour d'eux. Cent voix s'élèvent à la fois, cent harpes ré- fonnent à la gloire des héros des ficelés palTés.

Quand mon oreiUe entendra-t-elle les chants des Bardes? Quand mon cœur palpitera-t-il de joie au récit des adions de mes pères? La harpe ne fait plus retentir les bois de Selma. La colline de Cona ne ré- pond plus aux accens des Bardes ^ ils dorment dans la tombe avec les héros , & la renommée eft muette dans les déferts de Morven.

Déjà la lumière naiffante du matin fort de l'Orient 6c commence à blanchir la tête grisâtre du Cromla. Le cor de Swaran fe fait entendre dans la plaine de Lena ; fes guerriers fe raffemblent autour de lui. Triftes & dans un morne filence , ils montent fur leurs v^lTeaux. Les vents d'Ullin enflent leurs voiles } ils flottent fur l'Océan,

" Appeliez, dit Fingal, appeliez mes dogues bon- diflans , Branno &c le fier Luath. Fïllan , & toi , Ryno. . . . Mais Ryno n'eft plus ! Mon fils repofe fur le lit de mort! Flllan, Fergus , embouchez le cor de Fingal ; qu'à Ces fons les chaffeurs tranfportcs de joie s'élancent, & que le cerf treflaille au bord du, lac.

ii8 FINGA L,

Le cor refonne dans les boisj les guerriers de Alor- ven partent , mille dogues légers les devancent, cha- que dogue atteint un chevreuil ; trois font la proie de Branno. Ce cliien fidèle pour rappeller la joie dans l'ame de fon maître , les amené haletans à iss pieds, mais par malheur un d'eux va mourir fur la tombe de Ryno. Alors la douleur deFingal fe réveille, il apper- çoit la pierre froide Se muette fous laquelle repofe ce jeune guerrier qu'on voyoit toujours à la ttte des chaiïeiirs. " Tu ne te lèveras plus , ô mon fils ! pour partager nos fêtes. Bientôt ta tombe fera cachée fous l'épaififeur de l'herbe. Le foibîe paHera fur cette pierre & ignorera qu'elle couvre un héros. »

" OJJian, F'dlan, mes enfans, & toi Gaul, intrépide guerrier , montons à la caverne de Tura , cherchons le vaillant Cv.chullm. Eft-ce le palais de Tura} Ce n'eftplus qu'une vafte folitude. Le Roi des fêtpseft ac- cablé de douleur & fes falles font déferres : allons confoler Cuchullin Sc faifons palTer notre joie dans fon ame. Mais Fill-an, ell-ce lui que j'apperçois fur ha colline , ou n'eft-ce qu'une colonne de fumée? Le vent du Cromla fouffle fur mes yeux & m'empêche de dif- tinguer mon ami. »

" Fïngal, répondit Fïllan , c'eft le fils de Scn:o : il s'a- vance trifteiSc foinbrc, la main fur fon épée. Salut au

CHANT SIXIEME. 119

iils de la giiene , au Héros qui brife les boucliers. »

«'Salut à FUlan, répartit Cuchullin, falut à tous les eiifansde Murven. Fingal , ta préfence me remplit de joie : le chalîeur errant fur le Cromla, revoit avec moins de plaifir entre les nuiges l'aftre dont l'abfence rattriftoit.Tes enfans font autant d'étoiles érincelantes qui fuivent ta courfe &: brillent dans la nuit des com- bats. Cen'efc pas ainfi que tu m'as vu, ô Finaal\ reve- nant de la guerre du défert, quand le Roi du mon- de (2) fuit devant moi , & que je ramenai la paix fur nos collines. »

" Cuchullin ( dit Connan guerrier fans gloire ) tu nous vantois fans cei^t ton courage : font les ex- ploits qui ont honoré tes armes? Pourquoi avons-nous traverfé les plaines de l'Océan pour fecourir ta foi- blellè ? Fuis & vas cacher ta douleur dans ta caverne , tandis que Connan combat à ta place. Quittes ces ar^ mes éclatantes , cede-les moi , foible guerrier À'Erin,»

«Jamais, r^^pliqua le fils de Semo^ jamais héros n'a tenté d'en'ever les armes de Cuchullin , ôc quand mille guerriers enfemble l'auroient tenté, leurs efforts auroient été vams. Jeune préfomptueux , je n'ai point caché ma douleur dans une caverne , tant que les guer- riers d'fri/2 ont vécu. ,>

«Tais-toi , jeune homme , dit Fingal; Cuchullin eft

120 F I N G A L,

terrible dans les combats & fameux dans les dcferts de Morven. Oui, Chef d'/w^/Iii/ , j'ai fouvenc enten- du raconter tes exploits. Déploie tes voiles, pars pour l'île des Brouillards , & revole dans les bras de ton époufe. Bragela, les yeux baignés de larmes , s'appuie contre un rocher , les vents foulevent fa longue che- velure & découvre fon beau fein. Elle prête l'oreille aux vents de la nuit pour entendre les chants de tes rameurs (4) & les fons lointains de ta harpe fur les mers. »

a Son efpérance eft vaine : jamais CtichuUin ne re- tournera à Dunfcar. Comment pourrois-je revoir Bra- gela &c porter la douleur dans fon ame? Fingal, je fuis toujours revenu vidoricux. » " Et tu le feras encore, reprît Fingal ; la gloire de Cuchuliin croîtra comme les nombreux rameaux de l'arbre du Cromla j d'autres combats t'attendent, & plus d'une fois encore ton bras fera fatal à l'ennemi. Ofcar, apporte le chevreuil & prépare la fête. RéjouilTons-nous après le danger, Sc que nos amis partagent notre joie. »

Nous nous afsîmes à la fête de Fingal. Nous en- tonnâmes des chants d'allegrelTe. L'ame de Cuchuliin fe releva de fon abattement. Son bras reprît fa force & la gaité reparut fur fon vifage : Ullin chanta ; les doux accens de Carril fe font entendre. Je joignis ,

par

CHANT SIXIEME. 121

par intervalles , ma voix à celles des Bardes. Je chantai les batailles fouvent j'avois combattu.... Mais aujourd'hui je ne combats plus , la gloire de mes premiers exploits s'eft évanouie 5 trifte, aban- donné, je m'affieds fur la tombe de mes amis.

Ce fut ainfi que la nuit fe palla dans les chants, & le matin nous retrouva dans la joie. Fingal fe levé &c agite fa lance étincelante. Il marche vers la plaine de Lena , nous le fuivona. Déployez mes voiles, dit le Roi , & profitons de ce vent favorable qui foufle de la plaine de Lena. Nous montons , en chantant, fur nos vaiffeaux , & triomphans , nous fendons les flots écu- meux de l'Océan.

Fin du Chant Jîxïème & du Pocmc de FingaL

Tome I.

122 FINGAL, CHANT SIXIEME.

ILOTES DU CHANT SIXIEME.

(i) Allufion à la religion Ju Roi de Craca\ nous avons déjà dit que par la Pierre du pouvoir, Ojpan entend l'image de quelque Divinité; & par le cercle, l'enceinte de pierres on l'adoroit.

(i) Nom (p'O/fjn & les Bardes de fon tems donnoient aui Empereurs Romains,

(3) C'eft un ufàge général parmi les habitans du nord-oueft l'ÉcofTe, de chanter en ramant, pour charnier la longueur du voya- ge , & animer les rameurs.

C O M A L A3

FORME DRAMATIQUE.

SUJET.

i/E fonds de ce Poème ejl entièrement hijlorlque. Co- mala jfi'li de Saino, B.oi i'Iniftoieow des îles Orcades, était devenue éperduement amoureufe de Fingal. Sa pajjton était fi violente , qu'elle fe déguifa en jeune ouerrier pour le fuivre : elle fut bientôt reconnue par Hidallan, un des Chefs de l'armée de Fingal, dont elle avait méprifé l'amour, Fingal étoit à la veille de l'épou- fer i lorfqu'on vint lui annoncer l'invafion de Caracul: il marcha à l'ennemi ^ accompagné de Comala. En par- cane pour le combat j il la laijfa fur une colline ^ & lui promît de venir la rejoindre dès le foir même j s'il fur- vivoit à la bataille. Il remporte la- victoire , & envoie Hidallan pour annoncer fon retour à Coniila. Celui-ci

124- COMALA,

■pour fe venger des dédains de Comala , lui dit que fon amant a été tué. Tandis quelle fe livre à toute fa dou- leur, Fingal arrive; elle n'ofe en croire f es yeux ; elle le prend pour fon ombre: mais quand elle ejl sûre que c'ejl lui 3 elle expire de l'excès de fa joie. Caraciil , donc il ejl fait mention ici, ejl Caracalla , _^/j de Septime févè- re , qui en 2 1 1 entreprit une expédition contre les Calédoniens^

PERSONNAGES.

FINGAL.

COMALA, fille de Sarno, Roi A'IniJîore, amante de Fingal.

HIDALLAN, fils de Lamor 3 amant malheureux de

Comala.

DESAGRENA & MELILCOMA, filles de Morni ^ compagnes de Comala.

BARDES.

DESAGRENA.

AjA chafle eft finie. On n'entend plus fur yArven que le bruit du torrent. Fille de Morni, viens des ri- ves de Crona (i) , dcpofe ton arc, &: prends ta harpe j,

POEME. 12J

que nos chants de joie commencent avec la nuit , & falFe retentir ces collines,

MELILCOMA.

La nuit defcendj fon voile fombre s'étend fur la plaine. Un daim repofoic fur les bords du ruiffeau de Crona. Je l'ai pris dans l'obfcuritc pour un tertre cou- vert de moufle ; mais bientôt je l'ai vu bondir & dif- paroître. Un météore jouoit entre les rameaux de fon bois , & les fantômes avançoient leurs têtes finiftros au bord de leurs nuages.

DESAGRENA.

Ah ! ce font les préfages de la mort de Fingal. Le

Roi des boucliers eft tombé , & Caracul triomphe !

Leve-toi, Comala, fors de tes rochers: fille de Sarno,

leve-toi, & verfe des pleurs; le jeune objet de ton

amour n'eft plus , & fon ombre erre déjà fur nos

collines.

MELILCOMA.

Vois , Comala. ed aflife & s'abandonne au défef- poir. Deux dogues au poil gris fecouent près d'elle leurs oreilles hérilTées, & refpirent l'haleine fugitive' du zéphir. La joue ardente de Comala repofe fur fon bras, &c le ven: de la montagne fe joue dans fes che^

J26 C O MA LA,

veux. Elle toiiine (es beaux yeux vers les champs d'où fon amant lui a promis de revenir avant la fin A<i jour. Mais hélas ! la nuit s'épaiflît autour de nous j Fingal, ô Fingal! es-tu?

C O M A L A.

Torrent impétueux de Carron\ pourquoi roules-tu des flots de fang? Le bruit de la bataille s'eft-il fait entendre fur tes bords? Dort-il, le Roi de Morven} O lune, fille du ciel! leve-toi , perce le nuage épais qui te couvre j fais rayonner dans la nuit les annes de mon amant , ou plutôt que le météore qui éclaire les ombres de nos pères, fafle briller fa lumière rougeâ- tre, & me conduife aux lieux mon héros eft tom- bé ... . Qui- me défendra contre la douleur ? qui me défendra contre l'amour d'HidalIan} ... Je ne verrai donc plus Fingal , brillant au milieu de fon armée , comme le premier rayon du jour à travers le nuage qui porte l'ondée matinale.

H 1 D A L L A N, envoyé par Fingal pour annoncer fon recour â Comala

Leve-toi, brouillard du fombre Crona, enveloppe le chaffeur dans tes voiles j dérobe à mes yeux la trace 4e fes pas. Je veux perdre jufqu'au fouvenir de mou

POEME. 127

ami. Les combactans font dirperfés , les giieiriers ne fe prelîeiit pins aurour de fon bouclier. O Carron\ roule des flots de fang : le Chef du peuple eft tombé.

C O M A L A.

Quel Héros eft donc, tombé fur les bords du Car- ron ! enfant de la nuit ? Ètoit-il blanc comme la neige d'^rve/2, éclatant commel'arcde la pluie? Sa chevelure douce Se bouclée reffembioit-t-elle au brouillard de Il colline, roulant en pelotons aux rayons dufoleil? Etoit-il dans le combat terrible comme la foudre du eiel, léger comme le chevreuil du défère?

H 1 D A L L A N.

O j que ne puis-je voir fon amante penchée fur fon rocher, voir fes yeux rougis, obfcurcis par les pleurs, & fa joue enflammée à moitié cadiée dans fes che- veux : fouffle , doux zéphir , fouleve l'épaiiïe chevelure de cette fille aimable ; découvre à mes yeux fes bras d'albâtre, & fa joue colorée par la douleur.

C O M A L A.

Le fils de Comhal n'eft donc plus , guerrier finif- tre ! . . . Le tonnerre roule fur la montagne : l'échif vole fur fes ailes de feu. Mais qui peut effrayer Ca-

128 C O M A LA,

mala, quand fon Fingal n'eft plus? Parle, cruel, eft- il tombé, celui qui brifoit les boucliers ?

H 1 D A L L A N.

Les Nations font difperfées fur leurs collines î elles n'entendront plus la voix de leur Chef.

C O M A L A.

Que le malheur te pourfuive dans tes plaines, Roi du monde , (z) que la deftruâion fonde fur toi, que tes premiers pas rencontrent le tombeau j qu'une apiaute chérie te pleure , qu'elle expire de douleur au matin de fa vie comme l'infortunée Cpmala. Pour- quoi m'as-tu dit, Hidallan , que mon Héros eft mort? J'aurois efpéré quelque tems fon retour; j'aurois cru l'dppercevoir fur le rocher éloigné. La forme d'un arbre auroit pu tromper mes yeux , & le bruit des vents imiter fon cgr à mon oreille déçue . . . . O , que ne fuis-je fur les bords du Canon ! Mes larmes brû- lantes rechaufferoient fa joue glacée, HIDALLAN.

II n'eft point couché près du Carron ; c'eft fur At' ven que les guerriers élèvent fa tombe. Luis fur eux, ô lune, à travers tes nuages; luis fur le fein de Fin- gal; qu'à ta clarté ComaUi puifle voir encore l'éclat de

(on armure.

COMALA,

P O E M E. i2£

C O M A L A , s'adrejfam à ceux quelle croit voir porter le corps de Fitigal.

Arrêtez, eiifans du tombeau, arrêtez; Je veux voir

encore une fois mon amant. Hélas! il m'a laiflee feule

à la chalTe; j'ignorois qu'il partoit pour la guerre : il

me difoit qu'il reviendroit avec la nuit 5 & c'eft ainfî

qu'il revient , le Roi de Morven ! . . . Pourquoi ne

m'as-tu pas die qu'il devoir périr , trifte habitant du

rocher (3)? Tu voyois dans l'avenir le jeune Héros

nageant dans fon fangj &: tu ne l'as point dit à Co-

mala.

MELILCOMA.

Quel bruit entends-je fur Arvcn} Quels font ces

objets qui fe meuvent & brillent dans le vallon ,

comme les ondes amoncelées d'un fleuve à la clarté

de la lune,

C O M A L A.

Quel autre feroit-ce que l'ennemi de Cotnala (4), le fils du Roi du monde ?

Ombre de Fingal , du fein de ton nuage, dirige l'arc de Coinala , que Caracul tombe comme le lièvre de la forêt .... (5) Mais c'eft Fiw^a/ accompagné des ombres de fes aïeux. Objet de mon amour, pourquoi ton ombre vient-elle effrayer & charmer mon ame? Tome I. R

I30 C O MA L A,

F I N G A L.

Bardes , élevez vos chants , célébrez la guerre de Carron. Caracul a fui lievaiit moi dans le champ même fou orgueil efpéroic triompher. Il a fui de- vant moi , femblable au météore , dont le fein recèle un fantôme de la nuit, quand les vents le challent fur la bruyère , & que fa lumière fugitive eft réfléchie

par les fombres forêts d'alentour J'entends une

voix douce comme la plainte du zéphir fur mes col- lines. Eft-ce la chaiïereire de Cona , la fille de Sarno ? Sors de tes rochers, mon Amante j que j'entende la voix de Comala.

C O M A L A croyant toujours parler à l'ombre de Fingal.

Emporte-moi dans la caverne tu repofcs, om- bre chérie.

FINGAL,

Viens dans la caverne je repofe , viens .... l'orage a celle , le foleil dore nos campagnes , viens aimable chaflTereire de Cona.

COMALA reconnoijfant Fingal.

C'eft lui , il revient avec fa gloire. Je touche \a main qui gagna tant de batailles .... ; mais je fens

^ POEME. 131

que j'ai befoin de repos. LailTez-moi me recirer der- rière ce rocher, laiflez à mon ame le tems de fe remet- tre de fa frayeur. Vous cependant, filles Morni , approchez avec vos harpes. Que vos chants s'élèvent dans les airs.

DESAGRENA.

Trois dains fo/it tombés fous les traits de Comala; la flamme s'e'leve fur le rocher. Venez , Roi de Morven , venez à la fête de Comala. F I N G A L.

Etvousenfans de l'harmonie, chantez la guerre de Carron, rappeliez la joie dans l'ame de mon Amante, tandis que je vais m'aiïeoir à fa fête.

BARDES.

Roule impétueux Ctzr/W2, roule avec joie tes flots. Les ennemis ont fui, leurs fuperbes courfiers ne foir- lent plus nos champs {6) , leur aigle orgueilleufe va planer fur d'autres contrées. Le foleil déformais va fe lever dans la paix , la joie defcendra avec les ombres de la nuit , on n'entendra plus que les cris de la chalFe , & nos boucliers refteront fufpendus dans nos falles. Si nous combattons encore , ce fera contre les fils de l'Océan : cette guerre fera pour nous un plaifir.

Ri

ij2 C O MA LA,

& nous rougirons nos mains du ûng des enfans de Lodïn. Roule impétueux Canon , roule avec joie tes flots. Le» ennemis ont fui.

MELILCOMA appercevant Comala qui expire de l'excès de fa joie.

Defcendez, brouillards légers, &c vous rayons de la lune , élevez fon ame dans les airs.; elle eft couchée fur le rocher pâle & fans vie. . . . Comala n'eft plus.

F I N G A L.

Efl: - elle. morte , la fille de Sarno, celle qu'avoit choifie mon amour ? Viens me vifiter , tendre Co- mala , quand je ferai ailis feul au bord de mes ruif-

feaux.

H I D A L L A N.

On ne l'entend donc plus la voix de la chafTerefiTe de Cona ? Pourquoi ai-je porté le trouble dans foa ame? Je n'aurai donc plus la joie de te voir à la cJiaiïe pourfuivant une biche!

F I N G A L.

Jeune homme, au fombre regard , tu ne viendras plus t'afleoir à mes fêtes , tu ne fuivras plus ma ciiaiïe , & mes ennemis ne tomberont plus fous tes

POEME. 133

coups .... {7) Condiiifez-moi vers le lieu repofe mon amante , que je contemple encore fa beauté. Êa voilà étendue fans vie fur le rocher : le foufle glacé des vents fouleve fes beaux cheveux , & fait réfonner la corde de fon arc, fa flèche s'efi: brifée fous le poids de fon corps. Chantez les louanges de la fille de Sarno ; faites répéter aux échos de la col- line le nom de Comala.

BARDES.

Voyez les météores rouler autour de cette infor- tunée : voyez fon ame s'élever dans les airs fur les rayons de la lune. Autour d'elle font panchées les ombres de fes pères, Sarno (8) aux fombres regards, & Fiiallan (9) aux yeux enflammés. Quand ta belle main voltigera-t-elle fur la harpe ? Quand ta voix fe fera-t-elle entendre fur nos rochers ? Tes compagnes te chercheront fur la bruyère, & ne te trouveront ^plus. Tu les vi (itéras quelquefois dans leurs fonges, «Se tu apporteras la paix dans leur ame. Ta voix retentira long-tems à leur oreille , & elles fe fouviendronc avec joie des fonges de leur fommeil. Voyez les mé- téores rouler autour de cette infortunée. Voyez fon ame s'élever dans les airs fur les rayons de la lune. Fin du Poème de Comala^

134 C O MA LJ, POEME.

NOTES DU POEME DE COMALA.

(i) CrondtSk le nom d'un petit torrent qui fe dédiarge dan» celui de Carron.

(i) L'Einpereuf Sévère, père de Caraculla, qui avoir ordonné l'expédition contre les Calédoniens.

{5) Sans doute qu'il exlftoit encore quelques Druides au com- mencement du régne de Fin^al , & que Cotnala en avoir confulié un fur l'événement de la guerre contre Caracalla. Elle l'appelle Enfant du Rocher , parce que l'ordre des Druides étant détruit, ceux qui reftèrent, fe recirèrent fur les rochers dans des cavernes.

(4) Caracalla.

(î) Elle apperçok Fingal , & toujours perfuadée qu'il ejl mort, elle croit que ceft fon ombre.

(6) Il y a dans l'original , les ailes de leur orgueil , c'eft-â-dire l'aigle Romaine.

(7) On verra dans le Poëme fuivant la fuite de l'hijlolre d'H'i- dallan.

(8) Sarno, père de Comala, ne furvécut point à la fuite de fa fille.

(9) Fidallan, ancêtre de Comala , fut le premier Roi à'Iniftore,

LA GUEE.R

DE C A R O S,

SUJET.

(_j A R o s ejl cet ufurpateur célcbre connu dans l'Hïf- tûïre y fous le nom de Caraufius. Il fc fit déclarer Em- pereur en l'an 184. // s'empara des iles Britanniques j <S' gagna plujîeurs batailles navales centre l'Empereur Maximien Herculiis \ c'eft fans doute ce qui lui fit donner par les Calédoniens le furnom de Roi des Vaif- feaux. Il répara cette fameufe muraille t/'AgricoIa, dont nous avons parlé dans le Difi:ours préliminaire , bâtie pour empêcher les incurfions des Calédoniens. Il paraît que tandis qu'il y travaillait ^ il fut attaqué par un parti que commandait Ofcar. C'eft ce cojnbat qui fait le fujet de ce Poème adreffé à Malvina, jf//e de Tofcar.

135 LA GUERRE PL CAROS,

Tille d'Ofcar appoite-moi ma harpe. Le dcfir de chanter vient comnae un rayon de lumière , éclairer mon ame fombre : mon ame eft trifte comme la plaine , lorfqae robfcuritc couvre les collines d'a- lentour , & s^étend par dégrés fur les champs qu'é- clairoient le foleil. O Malvina , je vois l'ombre de mon fils près du rocher de Crona . . . ; mais non ce n'eft qu'une vapeur que colorent les derniers rayons du couchant. Que j'aime le image qui trompe mes yeux fous la forme d'Ofcar! Eloignez-vous de lui, vents impétueux qui rugilfez fur Arven. Quel eft ce vieillard qui s'approche de mon fils , & dont j'en- tends la foible voix? Un bâton dans fa main foutient fes pas chancelans , fes cheveux blancs flottent fur fes épaules , une gaitc fière brille fur fon front. Il tourne fouvent les yeux vers l'^j^mée de Caros. C'eft Ryno , ce chantre célèbre , il vient d'obferver l'en- nemi. " Chantre des tems pafles , lui dit mon fils , que fait Caros ? Le Roi des vailTeaux déploie-t-il les aîles de fon aigle fuperbe ? »

«' Oui, Ofcar, il les déploie, répondit le Barde, mais c'eft derrière ces pierres amoncelées 5 ( i ) il regarde en tremblant par-delfus ce rempart j il te voit & tu lui iiiPpu-es la même terreur que l'ombre qui defccnd

pendant

POEME. 137

pendant l.i nuit , & roule les vagues contre fis vaif- feaux. » « Va, Chef de mes Bardes, reprît Ofcar^ prends la lance de Fingal , fixe fur la pointe un tifon enflammé, & agite-le dans les airs (1); dis à Caros de quitter les bords de l'Océan , & de s'avancer vers moi j dis-lui que je brîde de combattre , que mon arc eft fatigué de la chalfe \ dis- lui que les braves font abfens , que je fuis jeune , & que mon bras ell foible. »

Le Barde part en chantant. Ofcar appelle fes guerriers. Sa voix retentit à leurs oreilles comme le mug irement de la caverne qui répète le bruit des vagues. Ils fe raflemblent autour de mon fils , fem- blables aux torrens , quand après l'orage leurs flots enfles roulent avec orgueiL R.yno aborde Caros , en fecouant fa lance enflammée. " Viens combat- tre Ofcar 1 ô toi qui t'alHeds fur les ondes roulan- tes de rOcéin : Fingal eft abfent. Tranquille dans fon palais il écoute les chants de fes Bardes. Sa lance redoutable , fon large bouclier repofent oilîfs à fes côtés. Viens combattre Ofcar , ce Héros eft feul. »

Caros ne traverfa point l'impétueux Carron. Le Barde retourne feul auprès à' Ofcar. Les ténèbres de la nuit s'épaiflKTent fur Crona. : on prépare la fête. Tome J, S

138 LA GUERRE DE CAR OS,

Cent chênes allumés pétillent dans les airs : un jour pâle éclaire la bruyère. A cette foible lueur on ap- perçoit dans l'éloignement les fantômes légers. On découvre à moitié rombre de Coma/a fur fon mé- téore. Hidallan eft auprès d'elle dans une contenance trifte & fombre. Ryno fut le feul qui l'appcrçur. « Hidallan , lui dit-il , pourquoi cette triftelfe ? Les Bardes n'ont-ils pas célébré ta gloire. (3) Les chants à'Ojfian. fe font fait entendre. Tu t'es penché fur le bord de ton nuage pour écouter la voix de nos Bardes , & ton ombre a brillé dans les airs.

« Chef de mes Bardes , dit Ofcar, tes yeux voient donc ce Héros. Raconte-moi la mort de ce Chef célèbre du tems de nos pères. J'ai vu fouvent les torrens de fes collines , &: fon nom retentit encore fur les rochers de Cona.

Fbigal , reprit le Batde, défefpéré de la mort de Comala , ne pouvoit plus fupporter la vue à'Hidal' lan ; (4) il le bannit du champ de bataille. Ce jeune guerrier accablé de douleur, s'éloigne à pas lents , & dans un morne filence fes armes pendent en défordre à fescôtés j fa chevelure dérachée des liensde fon cafque, flotte au hafard ^ il baiffe vers la terre fes yeux pleins de larmes j il poufle par intervalles de profonds foupirs.

POEME. 139

II erra crois jours entiers avant d'arriver fur les bords du Balva ,(5)3 l'antique palais de fes aïeux. Le vieux Lamor, fon père, étoit alïïs à l'ombre d'un chêne, il écoic feul , tous fes guerriers avoient fuivi fon fils à la guerre de Fingal : le torrent couloir à Ç&s pieds , & fa tête chauve étoit appuyce fur fon bâton. La vieilleiïe avoic fermé fes yeux à la clarté du jour. Il murmuroic à demi voix les chants des tems pa.Tcs. Il entend du bruit, il reconnoît les pas de fon fils. Eft-ce le fais de Lamor que j'entends , s'écria -t-il , ou bien eft-ce fon ombre qui palFe devant moi ? ô mon fils ! as-tu péri fur les bords du Carron ; ou fi c'eft toi, Cl tu vis, font les braves qui t'ont fuivi ? HïdalLin , font mes guerriers ? Tu avois coutume de les ramener triomphans au bruit des boucliers. Tous ont-ils péri dans le combat? Non , répon- dit le jeune homme en foupirant , tes guerriers font vivans , ils font couverts de gloire; mais ô mon père , il n'eft plus de gloire pour ton fils. Je fuis condamné à languir honteufement fur les bords du Balva j tandis que j'entends redoubler le bruit des combats. Ah ! res ancêtres , répliqua Lamor indi- gné , ne venoient point fe repofer fur les bords du Balva ^ tandis qu'on combattoif. Ne vois-tu pas cette tombe que mes yeux ne diftinguent plus ? C'eft -

Si

140 LA GUERRE DE CAROS,

que repofe le vaillant Gcrmalon , qui n a jamais fui devant l'ennemi. Il me femble qu'il me dit : viens , mon fils , guenier comblé de gloire , viens à la tombe

de ton père Ah! Germalon, comment puis-je

être comblé de gloire? mon fils a fui devant l'ennemi.

Roi des rives àuBalva, dit Hidallan, en poulTanC un profond foupir , pourquoi aftliges-tn mon ame ?

Lamor , je ne connus jamais la crainte C'eftr

Fïngal qui défefpéré de la mort de fon amante m'a privé de l'honneur de combattre à fes côtés : retourne, m'a-t-il dit , retourne dans tes plaines , va te defle- chir fur le bord de tes rorrens , comme un chêne dépouillé de fes feuilles , & courbé par les vents fur les bords du Balva pour ne jamais fe relever.

Quoi, répondit le vieillard, j'entendrai les pas à'Hidalldn dans ce lieu folitaire ; il repofera fur les bords de mes torrens , tandis que des milliers de

héros fe lignaient dans les combats ! Ombre du

vaillant Germalon , guide , guide Lamor vers fa der- nière demeure : mes yeux font dans les ténèbres , mon ame eft accablée de triftelfe , mon fils a perdu fa gloire.

En quels lieux , s'écria le jeune homme , irai -je chercher la gloire pour réjouir l'ame de mon père ? De quelle contrée puis-je revenir triomphant pour

PO E ME. M-i

charmer fon oreille par le bruit de mes aimes. Si je vais à la chalfe des biches , mon nom reftera oublié, Lamor n'éprouvera aucune joie à mon retour de la colline , &C n'aura point de plaifir à toucher de fes mains tremblantes mes chiens carefTans j il ne s'in- formera pas de ce qui s'eft palFc fur fes montagnes j il ne me fera point de queftions fur les cerfs qui habitent fes deferts. 11 faut donc , dit Lamor , que je tombe comme un arbre décrépit, qui s'élevoit fur la cime d'un rocher , & que les vents ont ailément renverfé : on verra mon ombre errer fur mes collines pleurant la honte de mon jeune Hidallan ? Elevez- vous alors j épais brouillards , dérobez Hidallan à la

vue de fon père irrité Mon fils , va dans mon

palais \ les armes de nos ancêtres y font fufpendues. Apporte l'épée de Gernialon , ton aïeul j il la con- quît fur un ennemi,

Hidallan part , rapporte l'épée avec fon éclatant baudrier , & la donne à fon père. La main errante du vieillard en cherche la pointe , la fent & s'y ar- rête. — Mon fils , conduis- moi à la tombe de Ger~ malon : elle s'élève auprès de cet arbre au tremblant feuillage : j'entends lîffler les vents dans le gazon flétri qui la couvre : un ruiffeau murmure auprès S< Ya joLidre fes ondes à celles du Balvu. C'eft-U que

142 LA GUERRE DE CAROS,

je veux me repofer. 11 eft midi &c le loliel brûle nos campagnes.

HiddUan couduic le vieillaid à la tombe. A peine font-ils auprès , que Lamor perce le flanc de fon fils .... ils dorment tous deux dans le même tombeau, èc leur antique palais couvre de fes ruines les bords du Balva, A midi les fantômes errent à l'entour. Le lilence règne dans la vallés , &c les hommes craignent d'approcher de ce lieu funefte. » Ainfi parla Ryno.

" Chantre des Héros , lui dit OJcar, ton récit m'aflli- ge : mon cœur gcmit fur le fort à'Iiidalian: il mourut dans les beaux jours de fa jeunefTe. Regarde ; il s'en- vole fur l'aîle des vents , &: va errer fous un ciel étran- ger. Fils de JSlorven , approchez- vous des ennemis de Fingal: charmez par vos chants la longueur de la nuit, & veillez pour obferver l'armée de Caros. Ofcar va confulter les Héros du tems parte : je vais monter fur la colline filencieufe ^Arvai , mes aïeux font affis fur leurs nuages obfcurs , & découvrent dans l'avenir le fort des combats. Et toi , Hidallan , ton ombre défolée y habite-t-elle ? Montre-toi à mes yeux dans ta douleur , Chef de Balva, « Les héros de Mor- ven marchent en chantant. Ofcar monte lentement. la colline : les pâles météores de la nuit s'avancent fur la bruyère. Un torrent bruit fourdement dans

P O E M £. 143

le loincain , d'intervalle en intervalle. Les vents font gémir les chênes antiques. Le globe échancré de la Imie ne jettoit derrière la colline qu'une lueur ob- fcure 8c rougeâtre. On entend les voix grêles des fantômes.. .. Cfi^-rrzne l'on épée. " Ombre de mes pères 5 s'écrie le héros , vous qui jadis avez combattu contre les Rois du monde , {6 } venez , dévoilez l'avenir à mes yeux ; apprenez - moi quels font vos entretiens fecrets dans vos antres profonds , lors- que vous voyez vos delcendans dans le champ de la gloire )5,

Trenmor vînt à la voix de fon fils. Un nua^e femblable à l'orgueilleux courfier de l'étranCTer por- toit fon corps aérien. Le funefce & mortel brouillard de Lano compofoic fa robe légère. Son épée n'eft qu'un météore à demi éteint. Son vifage n'eft qu'une forme ténébreufe & fins traits. Trois fois il foupira fur (on fils , & trois fois les vents de la nuit gémi- rent fur la colline. Il parla , mais l'oreille à'Ofcar n'entendit que des fons imparfaits, des mots demi formés , &c fes difcours étoient obfcurs comme l'hiftoire de nos pères, avant que le génie des Bardes eûtéclairéle pafTé. 11 s'évanouit infenfiblement comme un brouillard qui fe fond aux rayons du foleil. Ce fut alors, ô Alalvina, qu'une fombre douleur s'em-

144- LA GUERRE DE CAROS,

para , pour la première fois , de l'ame de mon fils. Il croyoit voir dans l'avenir la chute de fa race. Il tomboic quelquefois dans une rêverie profonde ; mais il en forcoit tout-à-coup femblable au foleil , dont un nuage voile un moment la fplendeur , &: qui bien- tôt après reluit fur les collines.

Ofcar pafla la nuit au milieu de fes pères , & l'au- rore le trouva fur les bords du Carron.

Dans un vallon tranquille s'élève une tombe anti- que : d'efpace en efpace de verds coteaux portent dans les airs leurs tètes couronnées de vieux chênes 5 c'eft- que les guerriers de Caros attendoient le retour de la lumière ; ils avoient pafTc le torrent de Carron pendant la nuit. A la pâle lueur des premiers rayons du jour on les eût pris pour une noire forêt de pins deiïcchés.

Ofcar s'arrête près de la tombe, il appelle trois fois fes guerriers: le fon terrible de fa voix fait trembler les collines : le chevreuil treffaille & bondit : les ombres effrayées s'enfuient fur leurs nuages , & pouffent des cris aigus ; alors mille épées brillent à la fois , les guerriers de Caros s'avancent Malvlna , pour- quoi cette larme? Mon fils eft feul, mais il eft brave. Ofcar eft comme la foudre du ciel ; il brille & l'en- nemi tombe. Son bras eft comme celui d'un fantôme,

qui

F O E M E. . 14;

qui du fein des vapeurs , poice des coups invisibles &: fins : on ne voit point s'arrête l'ombre cruelle j mais la mort moiiFonne les habitans de la vallée.

Mon fils apperçoit l'ennemi , s'arrête & délibère un moment en fdence : « Je fuis feul au milieu de l'armée ennemie. Quelle forêt de lances affilées ! Que de-fombres regards attachés fur moi! Retournerai- je fur la colline A^Arven ? . . . Non , mes pères n'eut jamais fui. Leur bras a laifle dans mille batailles des traces de leur valeur , & moi aufiî je fuis brave & je me couvrirai de gloire. .. . Venez, ombres de mes pères , foyez témoins de mes exploits. Je périrai fans doute , mais je périrai avec gloire , en digne rejetton de la race de Morven.

On combat , tout fuit devant Ofcjr ; fon épée dé- goutte de fang; fes guerriers fur la colline de Crona entendent le bruit du combat; ils fe précipitent dans la plaine. L'armée de Caros prend la fuite. Ofcar refte fur le champ de bataille, comme un rocher que la mer abandonne en fe retirant.

Caros guidant fes fuperbes courfiers, s'avance tel

qu'un torrent rapide & profond, qui roule & ravage :

les ruilTeaux fe perdent dans fon cours orageux , &c les

collines tremblent à fon palTage. La bataille s'étend

Tome I. T

145 LA GUERRE DE CAROS,

d'une aile à l'autre, dix mille épées brillent dans les airs.

Mais pourquoi OJjian chante-t-il les combats ? Ce n'eft qu'avec douleur que je me rappelle les beaux jours de ma jeunefle , quand je fens la foiblefTe de mon bras. Heureux ceux qui font morts à la fleitr de l'âge , dans tout l'éclat de leur gloire; ils n'ont pas vu les tombeaux de leurs amis: ils n'ont pas fenti leur arc réfifter aux vains efforts de leurs mains affoiblies.

Oui tu es heureux , mon cher Ofcar , au milieu de tes tourbillons : fouvent tu vifites le champ de ta gloire , &c les lieux tu vis Caros fuir devant ta redoutable épce. Fille de T ofcar , quelle nuage fe ré- pand fur mon ame? Je ne vois plus l'ombre de mon fils près du Canon ; je ne vois plus Oy^^r fur la col- line de Crona. Les vents l'ont emporté au loin , & la triftelTe revient dans le cœur de fon père .... Mais , ô Mahina , conduis-moi dans mes forêts , au bord de mes torrens ; c]ue les cris de la chalfe fe falfenc entendre fur Cona , pour me rappeller les tems heu- reux qui ne font plus. Apporte ma harpe , aima- ble fille; je la toucherai, quand je fentirai renaître en moi le feu du génie : alors , ô Malvina , viens écouter mes chants.

POEME. 147

L'avenir entendra parler à'OjJian. Un jour les def- cendans du lâche élèveront leurs voix fur Cona j ils s'écrieront, en regardant ce rocher : œ Ici habita jadis OJjîan j j) ils admireront & les générations qui ne font plus, & les héros que j'ai chantés : Et nous, ô Mal- vina , montés fur nos nuages , nous voyagerons fur l'aîle des vents. Nos voix fe feront quelquefois en- tendre dans le défert , & les rochers répéteront le foible murmure de nos chants.

Fin de la Guene de Caros.

Ti

148 LA GUERRE DE CAROS, &c.

NOTES DE LA GUERRE DE CAROS.

(i) La muraille S Agricole , que Caraufius icpaioit.

(i) Telle dtoit la manière dont les Calédoniens déclaroicnt la guerre.

(j) Voyez le Difcours préliminaire.

(4) Mort if' Hidallan.

(5) Petite rivière qui porte encore ce nom, & qui traverfe la Taflée de GUntivar, en Stirlingsliire.

(6) Les Empereurs Romains.

L A

D' I N I s T O NA.

SUJET.

INISTONA cu\n\Ç[\\onz.,écoit une lie de laScandïna\'ie\ elle étoLt gouvernée par un Roi, mais qui dépendait du Roi de Loclin. Ce Poïme ejl un épifode inféré dans un autre ouvrage^ Offian célébroit les exploits de tousfes amis & defon c/2er Ofcar. Ce grand ouvrage efi perdu j la tradi- tion n en a confervé que quelques epifodes. Plujieurs perfonnes actuellement vivantes j l'ont encore entendu chanter tout entier dans leur jeune ffe par les Montagnards d'EcoJfe. Cormalo, gendre d' Anii: , Roi d'inldoiu, s'é- tait révolté contre lui & voulait le détrôner. Fingal indigné de cette injuflice ^ envoya QÎqzx fan petit- fils ^ aufecours d' k.\\\t. Les deux armées en vinrent aux mains ; grâces à la conduite & à la valeur d'Oic^v j le parti d'Aiùi. rem-

i;o LA GUERRE D'INISTONA ,

porta une vlcloire complcttc , £' la guerre fut terminée par la mort de Cormalo ^ ça'Ofcar tua dans un corhbat Jînguller. C'ejl aïnji que la tradition rapporte l'hifiolrc de cette guerre. Le Poète pour faire briller davantage la valeur defonfils ,fuppofe que c'ejl lui qui difftande à par- tir pour Im^om.

JNoTRE jeunelTe refTemble au rêve du chafTeur ; il s'endort fur la colline aux doux rayons du foleil j il fe réveille au milieu de l'orage j l'éclair vole autour de lui , Se le vent de la tempête fecoue violemment la tête des arbres. Alors fon ame fe reporte au moment de calme il s'ell: endormi , & fe rappelle les rêves agréables de fon fommeil.

Quand reviendra la jeuneiïe à'Offian} Quand le bruit de la guerre réjouira-t-il encore mon oreille ? Quand maicherai-Je comme Ofcar , couvert de mes armes? Collines de Cona, fufpendez le bruit de vos torrens , pour écouter la 'voix d'Offian. Le defir de chanter fe réveille dans mon ame, & à la vue du pafle mon cœur fent le frémilTementde l'enthoufiafme.

Je vois tes tours , ô Selma ! (i) Je vois les chênes touffus qui ombragent tes murs ; mon oreille entend le bruit de tes torrens ; tes héros fe rallemblent fur leurs fives, Fingal eft allis au milieu d'eux , appuyé fur le

POEME. I j I

bouclier de Trenmor\ (z) fa lance ell pofce contre le mur. Ce héros écoute la voix de ies Eardes j ils chan- tent la force de (o\\ bras, & les exploits de fa jeunefle.

Ofcar revenoit de la chafle. 11 entendit les louanges de Fingal. Il prend le bouclier de Branno (3) , qui étoit fufpendu au mur du palais. Ses yeux fe remplif- fent des larmes. Le feu de la jeuneiTe colore fes joue^. Sa voix eft folble & tremblante j il faifit ma lance & l'agite d'un air menaçant. Il adreffe ces paroles au Roi de Morvcn :

« Fingal , Roi des héros , iSc toi , Ojfian , le premier après lui, vous avez combattu dans votre jeuncire, vos noms font fameux; mais Ofcara^x. ici comme le brouil- lard de la colline qui paroît un moment & s'évanouit pour toujours. Mon nom fera ignoré des Bardes ; le chaffeur ne cherchera point ma tombe fur la bruyère. Héros comblés de gloire , lailFez-moi combattre dans la guerre d'inijïona. C'eft un pays lointain; le bruit de ma mort ne viendra point jufqu'à vous; mais quelque Barde m'y trouvera , & recommandera mon nom dans fes chants. La fille de l'étranger verra ma tombe &c donnera quelques larmes au jeime guerrier venu de fi loin pour combattre. Le Barde , au milieu de la fête , s'écriera : écoute^ j je vais chanter Ofcar , ce vaillant étranger. »

1J2 LA GUERRE D'INJSTONJ,

« Tu combattras, héritier de ma rénommée, ré- pondit le Roi de Morven. Qu'on prépare un vaifleau pour porter mon héros fur la côte à'inijlona. Fils d'Ojfian , fouviens-toi de nos exploits , fouviens-toi que tu es de la race des héros. Que l'étranger ne dife pas, avec dédain: "Ils font foibles, les enhins de jîV/or- ven. . . . Dans les combats , renverfe & rugis comme la tempC-te j dans la paix , fois calme comme le foir d'un beau jour. Dis au Roi à'inijlona , que je me fou- viens de fa jeuneflTe , & du jour nous combattîmes fous les yeux à' Agandecca. ,>

Déjà les voiles font déployées, le vent fiffle dans les cordages des mâts. (4) Les rochers font battus parles flots, &c l'Océan mugit fous le vailTeau êiOfcar. Mon fils découvre enfin du fein des mers la côte à'inijlona, il entre dans la baie retentilfantede Runa , & renvoie fon épée au malheureux Anir.

A la vue de l'épée de Fingal , ce héros en cheveux blancs fe levé 5 fes yeux fe remplifTent de douces lar- mes ; il fe rappelle les combats de fa jetmeiïe. Deux fois Fingal Sc lui combattirent fous les yeux de l'ai- mable Jgandccca.hes héros tremblans , fe tenoient à l'écart comme s'ils euffent vu deux fantômes furieux lutter enfemble dans les airs.

»< Maintenant, dit Anir , je fuis vieux: mon épée

oifive

POEME. in

oifive repofe dans mon palais. Digne rejetton de la race de Morven, Anïr leva aiiffi la lance dans les com- bats. Mais il eft foible maintenant & flétri par les an- nées. Je n'ai point de fils que je piiifTe envoyer au- devant de toi , qui puiffe te conduire au palais de fes aïeux. Axgon eft dans la "tombe, & Ruro n'eft plus. Ma fille eft dans le palais du rébelle étranger, (5) elle lan- cruit du défir de voir ma tombe: fon époux commande à dix mille lances , & vient de Lano comme un nuage qui porte la mort. Enfant de il/orve/z, viens t'alTeoir à la fête d'unir. »

La fête dura trois jours , & le quatrième , Jnir con- nut le nomd'O/car (^): la joie redoubla, & ils allèrent enfemble pourfuivre les fangliers de Runa.

Fatigués , les deux héros fe reposèrent au bord

d'une fontaine: des larmes s'échappent en fecret des

yeux à'Jnir. 11 poufte un profond foupir. " , dit-il ,

dorment les enf.ins de ma jeunelfe. Cette pierre

couvre mon cher Ruro : ce chêne gémit fur la tombe

à'Jroon.O mes enfans! du fond de votre fombre de- o

meure , entendez-vous ma voix ? Eft-ce la vôtre qui murmure dans ce feuillage qu'agitent les vents ? « « Roi à'inijlona, dit Ofcar; comment font-ils tombés, tes enfans ? Le fanglier farouche paiïe fouvent fur leurs tombes j mais il ne les détourne pas de leur chaflc : ils Tome I. V,

1^^ Z^ GUERRE DINJS70NA ,

pourfuivent encore dans l'efpace , des nuages légers qui ont pris la forme des cerfs & des chevreuils j ils bandent leur arc aérien , ils aiment encore tous les amufemens de leur jeunelTe & montent avec joie fur les vents (7). »

. § Cormah, reprit le vieillard, commande dix mille guerriers. Il habite les bords du lac de Lano (8) , dont les noires ondes exhalent les vapeurs de la mort. Il vint au palais de Ruro , il combattit à la joiite des lances (9) j il étoit jeune & beau comme le premier rayon de l'aurore. Mes guerriers lui cédèrent la vic- toire , Se ma fille lui donna fon cœur.

Argon & Ruro revenoient de la chafTe , ils verfe- rent des larmes de dépit, ils ne purent voir fans indi- gnation , que les héros de Runa eurent cédé à un étranger^ ils donnèrent pendant trois jours des fêtes à Cormalo. Le quatrième Argon jouta de la lance avec lui. Mais qui pouvoit combattre contre Argon ? Le Chef de Lano fut vaincu , fon orgueil s'en irrita : il réfolut en fecret la mort de mes deux fils.

Un jour qu'ils pourfuivoient enfemble les biches timides fur les collines, la flèche de Cormalo fend l'air & mes deux fils tombent. Le perfide revint trouver l'objet de fon amour, la fille à'Iniflona : ils s'enfui- rent enfemble à travers le dcfert, & Jnir rcfta feul-

POEME. \$s

La niiic vient, le joui" lui fuccéde , &c je n'entends ni la voix à" Argon ni la voix de Ruro. Enfin parut leur chien fidèle j le bondiflTant & léger Runaro. Il entre dans mon palais, il poulTe des hurlemens dou- loureux , fans ceffe il tournoie fes regards vers le lieu funefte fes deux maîtres étoient gilTans. Nous le fuivîmes : nous les trouvâmes & nous les enfevelîmes auprès de cette fontaine. C'eft toujours qu'unir fe repofe , quand la chalfe efl: finie \ je me penche fur leurs tombes , & mes larmes coulent. « §

et Ogar, Ronnan , Chefs de Morven, s'écria le bouil- lant O/car, raifemblez tous mes guerriers. Aujour- d'hui nous allons fur les bords du lac empefté de Lano-, Cormalo ne fe réjouira pas lang-temps: la mort eft à la pointe de nos épées, »

Us traverfent le défert , femblables au nuage qui porte la foudre , les vents le roulent fjr la plaine, l'é- clair bleuâtre fillone fes flancs, & les bois d'alentour re- doutent l'orage. Déjà le cor d'Ofcar annonce la ba- taille , toutes les vagues du Lario frémiflent , & les guerriers de Cormalo fe raflemblent autour de fou bouclier.

Ofcar combat, comme Ofcarz toujours combattu. Cormalo tombe fous fes coups , & fes guerriers vont fe cacher dans leurs obfcures vallées. Le vainqueur ra-

is6 LA GUERRE D'INISTONA ,

mène la fille à'inijîoiid au palais d'^fii/ : la joie brille fur le front du vieillard : il bénit le héros de Morven.

Quels furent les tranfports d'Offïan , quand il apper- çut de loin le vailfeau de fon fils ! Le voyageur égaré dans une terre inconnue, & qu'une nuit affreufe en- vironne avec fes fantômes , voit avec une joie moins vive briller un nuage lumineux aux portes de l'Orient.

Nous le conduisîmes en chantant, au palais de Sel- ma. F'mgal ordonne une fête j mille Bardes élèvent aux nues le nom du vaillant Ofcar. Morven retentit des accens de leur voix. La fille de T ofc ar c\\a.niG aufll les louanges du héros j fa voix étoit douce comme une harpe qu'on entend le foir dans l'éloignement , &; dont le zéphir apporte à l'oreille les fons harmo- nieux.

O vous , qui voyez encore la lumière , conduifez- moi fur mes collines : placez-moi près d'un rocher , au milieu d'une touffe épailfe de coudriers , non loin d'un chêne .au mobile feuillage. Placez-moi fur un gazon verd , je puifiTe entendre le murmure d'un torrent éloigné. Fille de Tofcar , prends la harpe , chante l'hymne de Sclma. Qu'à ta voix le doux fom- meii furprenne mon ame au milieu de fa joie , que les fonges de ma jeuneiïe reviennent & me retracent les jours glorieux de Flngal.

POEME. 1^7

Je vois tes tours, ô Sdma\ je vois tes arbres & tes murs qu'ils ombragent. Je vois les héros de Morven , & j'entends les chants des Bardes. O/Z'^r levé l'épée de Cormalo : mille jeunes guerriers en admirent l'éclatant baudrier. Ils regardent mon tils avec étonnement, ils vantent la torce de fon bras 5 ils remarquent la joie qui brille dans les yeux de fon père, ^-c foupirent après la même renommée.

Vous l'obtiendrez , Enfans de Morven , je célébre- rai aullî votre gloire. Souvent mon ame s'échauffe , je cède au delîr de chanter , & je n'oublie point les compagnons de ma jeuneiïe; mais le fommeil defcend au fon de la harpe de Malvina , &c les fonges com- mencent à m'environner de riantes images. Loin de moi , enfans de la chaiïe , ne troublez point mon re- pos. Offlan converfe maintenant avec fes aïeux. Loin de moi , enfans de la chafîe , ne troublez point les fonges d'OJJtan.

Fin de la. Guerre É^'Iniftoua.

lyS LA GUERRE D'INISTONA,

NOTES DE LA GUERRE D'INISTONJ.

(i) QJJîan étoir aveugle quand il compofa ce Poëme, mais il fe ttanfporte aux jours de fa jeunefle ; & dans fon entlioufiafme , il s'écrie qu'il voit les tours de Selma , Sic.

(z) Palais de Fingal.

(3) Bifaïeul de F/ng-a/.

(4) Branno , père à' Evirallina j ou Evir-Allin , femme XOf- fian , & mère à'Ofcar. La tradition a confervé le fouvenir de fes exploits, & fon holpitalité étoit paffée en proverbe.

(5) II y a dans l'original, le vent fifle dans les courroyes des mâts , parce que du tems SOIJinn , on fe fervoit de courroyes de cuir au lieu de -cordes.

(6) Cormalo, fon gendre , qui vouloit le détrôner , comme on l'a vu dans le fujet du Poerae.

(7) Nous avons dit dans le Difcours préliminaire, qu'on croyoit dans ces tems héroïques, que c'étoit enfreindre les loix de l'hofpi- talité , que de demander le nom d'un étranger avant de l'avoir traité pendant trois jours. Quand on difoit de quelqu'un qu';7 de- mandait le nom de [étranger, c'étoit l'injure la plus grave qu'on pût lui dire alors : c'étoit lui reprocher qu'il n'exerçoit pas l'hof- pitalité. .

(8) Il y a dans l'original, ilsfe réjouirent dans les coquilles. On difoit alors fe réjouir dans les coquilles , pour dire faire bonne chère Je boire largement. Les Calédoniens , comme nous avons

POEME. 1^9

déji eu occalîon de le remarquer, buvoieut dans de grandes co- quilles.

(9) Ofian croyoit , ainfi que les Grecs & les Romains, que l'ame fcparée du corps coiifervoit encore les mêmes goûts qu'on avoir eu pendant fa vie. Virgile , Enéide , liv. 6 , qus. cura iiiiemcs pafcere equos , eadem fequitur tellure repojios,

(10) Lano étoic un lac de Scandinavie, célèbre du tems à'Of- JTun , par les vapeurs empeftées qu'il exhaloic dans l'automne.

(i i) On appelloit cette joute en uûge chez les anciens peuples du Nord j l'Honneur de la lance.

LA BATAILLE

DE L O RA.

SUJET.

Ce Po'cme ejl complet ^ & il ne paroit pas qu'il ait fait partie d'un des grands Ouvrages d'Omzn. On l'appelle dans l'original 3 Pocme de Culdée, parce qu'il ejl adreffé à un des premiers Mifflonnaires Chrétiens qu'on appelloit Cu IDÉES ^ c'efi-à-dire j Solitaires y à caufc de la vie retirée qu'ils menaient. Voici l'hijloire fur laquelle ce Poëme efl fondé. Fin- gai à fon retour d'Irlande, d'où il avait chafjé Swa- ran j donna une fête à tous fes héros. Il oublia d'inviter Maronijan & Aldo, deux Chefs qui ne l'avaient point accompagné dans fon expédition. Ils conçurent un vif reffentiment de cet oubli _, & pafscrent au fervice d'Ei:- ragon, l'ennemi déclaré de Fingal, & Roi d'un canton de la Scandinavie , appelle Soia. La valeur d'Aldo

lui

F O E iM E. i6i

lui acquit bientôt une grande réputation dans Sora , & Lormaj femme J'Erragorij conçut pour 7ui une vio- lente pajjlon. Il trouva les moyens de s'évader avec elle £' de revenir auprès de Fingal j qui demeuroit alors à Selma. Ei'iagon fit une defcente en Ecojje ^ & fut tué dans le combat par Gaul j fils de Morni j après avoir rejette les propofitions de paix ç«e Fingal lui avait offertes. k\ào fut tué par Eii:a.gon fan rival j & l'infor' tunée Loniia mourut de douleur. Lora étoït une petite ri- vière dans les environs de Selma j palais des Rois de Morven j c'efi fur fies bords que fe livra la bataille qui fait le fujct de ce Poème,

r ILS de l'étranger, habifant de la caverne filencieufe, eft-ce le vent qui murmure dans res bois ? Eft-ce le fon de ta voix qui frappe mon oreille? Le torrent gronde , mais j'entends aulli des accens mélodieux. Chantes-tu les héros de ta patrie ? Chantes - tu les ef- prits du ciel (i) ? Habitant folitaire du rocher , prome- né tes regards fur cette vafte bruyère: tu vois ces tombes couvertes d'épaiffes touffes de gazon j tu vois leurs pierres revêtues de moulTe ; tu les vois , mais les yeux à'OJfian font fermés à la lumière. Un torrent tombe de la montagne & roule fes ondes autour d'une verte colline : fur le fommet quatre pierres s'élèvent Tome I. X

i62 LA BATAILLE DE LORA ,

au milieu d'un gazonflétri. Deuxaibies courbés par les tempêtes étendent à l'enrour leurs branches gémiirantes. C'eft que tu repofes , Erragon , c'eft ton étroite de- meure : depuis long-tems tes fctes fontoubliées dans So- ra. Se la rouille a noirci ton bouclier dans le palais de tes pères. Erragon, Roi des vaifTeaux, Chef des pays lointains, comment as-tu péri fur nos montagnes?

Enfant de la caverne folitaire , le rhant plaît-il à ton oreille? Ecoute le récit de la bataille de Lora ; elle efl: ancienne cette bataille , & le bruit des armes a celTé depuis longtems. Ainfi la foudre fur la colline obfcarcie grande & n'ell plus : le foleil revient avec le calme, &c les rochers brillans & la cime verdoyante des montagnes femblent fourire à fes rayons.

A notre retour à'UHin (i), la baie de Cona reçut nos vailîeaux. Nos voiles baifTées pendoient aux mâts , 6i les vents impétueux allèrent rugir derrière les bois de Morven. Le cor de Fingal retentit ; nos flèches meurtrières volèrent dans les forêts j on prépara la fête, nous étions dans la joie j nous venions de vaincre le terrible Swaran.Tons les héios furent invités 5 deux furent oubliés , Aldo Se Maronnan. Ils en conçurenr un violent dépit 5 ils rouloient en (ilence des yeux étincellans , leurs foupirs éclatoient m.algré eux j on les voyoit s'entretenir enfemble & jetter avec indi-

POEME. i£3

giiation leurs lances fur la bruyère. Ils paroiiroient au milieu de la joie univerfelle comme deux colonnes de brouillard fur une mer calme & riante ; les flots bril- lent aux rayons du foleilj mais lenautonnier tremblant prévoit la tempête.

Que mes voiles, dit Maronnan, fe déploient aux vents de l'Occident. Jldo , fendons les vagues écu- manses de la mer du Nord , nous avons été oubliés à la fête; cependant nos bras fe font baignés dans le fang des ennemis. Quittons les collines de Fmgal , al- lons fervir le Roi de Sora , il efl: vaillant & fier, la guerre l'environne; allons, JIdo, allons nous com- bler de gloire dans les combats d'Erragon.

Ils prennent leurs armes & volent à la baie de Lu- mar. Us arrivent au palais du fier Souverain de Sora ; il revenolt en ce moment de la chalTe ; fa lance ctoic teinte de fang , fon viiage fombre étoit baiffé vers la terre \ il fiffloit en marchant.

Ce Héros invita les deux étrangers à fes fêtes. Il les vit combattre &C vaincre fous fes étendarts.

Aldo retourne triomphant au palais de Sora. L'c- poufe à'Erragon , l'aimable Lorma étoit fur fes tours , fes yeux humides rouloienr dans les feux de l'amour ; fa noire chevelure flotte fur fes épaules ; fon fein s'e- leve & s'abaiffe comme la neige qu'un vent doux

Xi

1^.1- LA BATAILLE DE LOixA,

fouleve mollemenr aux rayons du foleil. Elle voit le jeune Aldo ; elle le voit & fon tendre cœur foupire : fes beaux yeux font mouillés de larmes : fa tête eft ap- puyée fur fou bras d'albâtre. Elle refta trois jours dans le palais de fon c-poux , cachant fa paillon fous les ap- parences de la joie. Le quatrième, elle s'enfuit avec le héros qu'elle aimoit.

Ils arrivent dans la baie de Cona, Se fe rendent au palais de Fingal. « Orgueilleux Aldo , dit le Roi de Morven , dois-je te fauver de la vengeance du Roi de Sora} Qui voudra déformais recevoir mes guerriers dans fon palais ; qui voudra faire affeoir les étrangers à fes fêtes , depuis que le téméraire Aldo a enlevé répoufe à'Erragon ? Retire-toi fur tes collines , injufte ravilleur, la guerre tu nous engages avec le Roi de Sora eft une guerre déplorable. Ombre du généreux Trenmor , quand donc Fingal ceflera-t-il de com- battre (3) ? Je fuis au milieu des batailles , & juf- qu'à mon tombeau il faut que je marche dans le fang ! Mais du moins mon bras n'infulta jamais le foible , ce fer épargna toujours le guerrier fans défenfe. . . . O Morven ! je vois dans l'avenir les tempêtes renver- fer mon palais. Quand mes enfans feront morts dans les combats j quand il ne reftera plus d'habitans dans Selma, une race dégénérée viendra & ne verra plus

POE M E. i6s

ma tombe , ma renommée vivra encore dans les chants 5 mais les actions de Fi«^a/ paroîtront un fonge aux fiécles à venir. »

Les guerriers A'Erragon fe rafTemblent auprès de lui comme les tempêtes autour d'un fantôme de la nuit qui les appelle du fommet de Morven &c fe pré- pare à les lancer fur les plaines étrangères. Le Roi de Sora defcend fur la côte de Cona &c députe un Barde à Fingal pour lui demander le combat ou la fou- veraineté de plufieurs collines.

Les jeunes guerriers de Morven étoient partis pour la chafle, & s'égaroient rflx loin dans le défert. Fingal eft aflis dans fon palais au milieu des compagnons de fa jeuneffe. Ces héros en cheveux blancs s'enrrete- noient des faits des tems palTés &: de leurs premiers exploits lorfqu'ils virent entrer le vieux Narmor , Souverain des bords du Lora.

« Ce n'eft point ici le tems, leur dit-il, d'écouter l'hiftoire des tems anciens. Le fombre Erragon eft fur la côte , frémiflant d'indignation au milieu de fes guerriers. »

« Viens, Bofmina, dit aufli-tôt Fingal, viens ma fille ^ & toi , Narmor, prends les fuperbes courfiers que nous avons conquis fur l'étranger (4) tk accompagne la fille de Fingal. Bofmina^ invite le Roi de Sora à

\66 LA BATAILLE DE LORA,

notre tête , qu'il vienne dans les murs ombragés de Selma, offre-lui la paix &c toutes les richelFes du gé- néreux Aldo. Nos jeunes guerriers font éloignés & la vieillefle pèfe fur nos mains tremblantes. »

La belle arrive au milieu de l'armée à'Erragon \ & paroît un rayon de lumière au milieu d'un fombre nuage. Une flèche d'or brille dans fa main droite ; elle tient dans la gauche une coupe étincelaiite. C'eft: le fignal de la paix. A fon afpeét le front à'Erragon s'é- claircit , comme un rocher fubitement frappé des rayons du foleil , quand ils fortent d'une nue brifée par les vents.

« Fils de l'étranger , lui dit Bofmina en rougiffant & d'une voix animée; viens à la fête du Roi de Morven-^ viens dans les murs ombragés de Selma j accepte la paix que t'offrent les héros , & laiffe repofer ce fer à ton côté. Si les richeffes des Rois peuvent toucher ton cœur , écoute les proportions du généreux Aldo. Il te donnera cent fuperbes courfîers , que fes pères ont rendus dociles , cent belles étrangères , & cent fau- cons aux ailes étendues , qui pourfuivent leur proie dans les airs 5 il t'offre encore cent ceintures deftinéesà cemdre le fein des époufes , à accélérer la naiffance des héros, &: à calmer les douleurs de leurs mères (5).

Dix coupes ornées de pierres précieufes brilleront.

P O E M E. i£7

fi tu veux, dans le palais de jS'or.j j l'eau tremblante autour de leurs bords étoiles , femble un vin pétillant. Les Rois du monde (6) en ornèrent jadis leurs fctes. Toutes ces richefles feront à toi : ou fi tu préfères ton époufe , tu reverras ta belle Lorma dans ton palais: Finga! Éiine le généreux A/do , fon bras etl invincible; mais Fingal n'infulta jamais un héros. »

«Aimable fille de Fingal, répondit Erragon , dis-lui qu'il prépare en vain fa fête: qu'il vienne lui-même dépofer toutes fes richelPes à mes pieds , qu'il flé- chilfe fous ma pullFance, & qu'il m'apporte les bou- cliers & les épées de fes aïeux , afin que mes enfans puilTencdire en les voyant dans mon palais, " voilà les armes de Fingal. »

Œ Tes enfans ne les y verront jamais , répliqua fiè- rement la fille de Morven ; ces armes font dans les mains de hérqj qui n'ont jamais cédé, fils de l'étran- ger , l'orage fe forme fur nos collines , ne prévois-tu pas la chute de tes guerriers ? «

Bofmina revient au palais de Sclma : Fingal^ en la voyant s'avancer les yeux bailTés vers la terre, fe lève aulîi-tôt de fa place : fes cheveux blancs s'agitent fur fon front irrité. 11 revêt l'armure de Trenmor Se prend le bouclier de fes pères. Quand il porta la main à fa lance , l'obfcurité fe répandit dans fon palais j mille

168 LA BATAILLE DE LORA ,

ombres s'approchcrent.d.ins leurs mi.iç^es Se préfagè- lent la chute des héros. Une joie terrible fe montre fur le vifiige des vieillards qui l'accompagnent , ils marchent à l'ennemi; leur penfée s'arrête fur les faits des tems palTés & fur la gloire qui doit les fuivre dans le tombeau. # *

A l'inftant vers la tombe de Trathal , paroilFent les dogues revenans de la chaiïe. Fingal ccim[n'n que {es jeunes guerriers les fuivoienr. II s'arrête au milieu de fa courfs : Ofcar parut le premier , Gaul marchoit après lui avec le fils de Nemi , Fergus les fuivoit d'un air fombre. Dermid abandonnoit fa noire chevelure aux vents. OJJian venoit le dernier. Enfant du rocher, je venois en murmurant les chants des tems palTés ; je m'appuyois fur ma lance pour franchir les torrens, &: mon ame étoit remplie du fouvenir des héros. Fingal frappe fur fon bouclier & donne le fîgnal du combat. Mille épées tirées à la fois rayonnent fur la bruyère ondoyante. Trois Bardes en cheveux blancs font entendre des aecens lugubres & mélodieux.

Nous marchons à grands pas dans la plaine en un bataillon profond & ferré, femblables au torrent formé par l'orage qui coure s'engouffrer dans une étroite vallée.

Fingal s ?iiiieà fur une colline, & déployé dans les airs

l'étendard

POEME. 169

l'étendaLd de Morven j les vieillards, compagnons de fa jeunelfe, font auprès de lui. La joie brilla dans les yeux de ces héros en cheveux blancs, lorfqu'ils virent leurs fils combattre avec courage , & foutenir dans la mêlée la gloire de leurs pères. Erragon s'élance dans la plaine ; les bataillons fe renverfent fur fon palfage, & la mort vole à £ts côtés.

« Quel eft , dit Fïngal , ce gVierrier dont la marche eft i\ rapide? Son bouclier brille à fon côté, & fes armes rendent un fon lugubre ? » Il attaque Erragon. . . . Amis , contemplez le combat de ces deux héros. . . , Mais tu tombes , jeune habitant de la colline, & ton fang ruilféle fur ton fein. Pleure , infortunée Lorma , Aldo n'eft plus ».

Fingal, irrité de la mort de ce guerrier , prend fa lance, & jettant fur l'ennemi un regard mortel, il alloit d.efcendre 5 mais Gaul fond fur Erragon. Qui pourroit décrire le combat de ces deux héros ? . . - Erragon tombe & meurt.

« Enfans de Morven , s'écria Fingal, arrêtez le bras de la mort. Il étoit redoutable celui que vous voyez couché fur la poullîere j que de larmes vont couler dans Sora ! L'étranger -entrera dans le palais Se fera étonné de fon vafte filence. Le Roi n'eft plus, ëc la joie qui animoic fes fêtes eft morte avec lui. Etranger, Tome I. Y

lyo LA BATAILLE DE LORA ,

prête l'oreille au bruit de fes forêts. Peut-être fon ombre erre-t elle en ces lieux. Pour lui tombé fous les coups d'un guerrier des contrées éloignées , il dort fur le Morvcn. >•

A'inli parl.i Firigal , les Bardes entonnèrent l'hymne de la paix j nos épées levées pour frapper encore , s'arrê- tent & épargnent les vaincus. Nous plaçâmes Erragon dans cette tombe. Je fis'entendredes chants de douleur. La nuit defcendit fur nos collines, l'ombre à' Erragon apparut à quelques-uns de nos guerriers, il avoir l'air fombre & trille , il fembloit foupirer. Paix à ton ame , ô Roi Ac Sorj\ ton bras fut terrible dans les combats.

Lorma étoit affife dans le palais à'Aldo devant un chêne brûlant. La nuit defcend fur la plaine; mais Âldo ne revient point. Se l'ame de Lorma eft trifte. " Qui peut te retenir aimable chaiïeur ?Tum'aYoispro-' mis de revenir avec le foir. Le cerf que tu pourfuivois t'a-t-ii conduit dans une plaine éloignée ? Dans quelle bruyère lointaine les vents de la nuitfoupirent-ils au- tour de toi? Je fuis feule dans le pays des étrangers; je n'ai point d'autre ami qnJ/do. O mon bien aimé l defcends de ta colline. »

Ses yeux fe tournent fans cefle vers la porte du pa- lais , elle prête l'oreille au brait 'des vents , elle croit éprendre les pas à' Aldo , & la joie rayonne fur fon

POEME. 171

vifage j mais bientôc la douleur l'oblcurcir de nouveau. « Tu ne reviens point, objet de mon ainoui" ! Je vais porter mes regards fur ta colline. La lune eft à l'O- rient , le fein du lac eft calme & brillant. Quand ver- rai-je tes dogues fidèles revenir de la chafle? Quand pourrai-je entendre ta voix chérie fe mêler au fiffle- ment des vents. Defcends de ta colline, aimable chaf- feur. )j

L'ombre à'Aldo parut fur un rocher, femblable au pâle rayon de la fille du ciel lorfqu'il perce entre deux nuages , & que l'ondée de minuit tombe fur la plaine. Lorma comprît alors que fon héros n'étoit plus : elle fuit le fantôme le long de la bruyère j j'entendois fes cris plaintifs; ils relfembloient, dans l'éloigne- ment , au murmure du zéphir, quand il foupire dans le gazon d'un antre folitaire.

Elle arrive , elle trouve fon amant. . . . Alors fa voix celTa de fe faire entendre : elle roule en filence des yeux éteints; pâle & baignée de larmes , elle ref- femble à la vapeur pluvieufe qu'on voit s'élever d'un lac à la foible clarté de la lune. Elle vécut peu de jours dans Morven , bientôt' elle defcendit dans la tombe j & les Bardes, par ordre de Fingal , chantè- rent fes malheurs. Tous les ans , quand les vents

i-j% LA BATAILLE DE LORA,

d'automne ramènent les tempêtes, les belles de I\lor- ven confacrenc un jour à la pleurer.

Étranger , (7) tu habites ici une terre couverte de héros. Chante quelquefois la gloire de ces morts cé- lèbres 5 que leurs ombres légères viennent fe réjouir autour de toi. Que la malheureufe Lorma defcende fur un rayon de la lune , quand cet aftre luira dans ta caverne Se qu'elle éclairera ton fommeil. Tu la verras , cette infortunée ; elle eft belle encore , mais fes joues font toujours trempées de larmes.

Fin de la Bataille de Lora.

POEME. 175

NOTES DE LA BATAILLE DE LORA. (i) II fait allufion aux hymnes religieux du Guidée. (1) Au retout de l'expédition contre Swarun.

(5) Connu/, père de Fingal , fut tué dans un combat contre la tribu de Morni, le jour même de la naiffànce de Fingjl; ainfi c'eft avec raifon qu'il dit qu'il eft au milieu des batailles.

(4) Sur les Romains.

(y) Il n'y a pas longtems que l'on confervoit encore de ces cein- tures dans plufieurs familles du Nord de rÉcofle. On les attachoit autour des femmes en travail, & l'on croyoit qu'elles foulageoient leurs douleurs , & hâtoient la naiflânce de l'enfant. Les fio-ures niyftérieufes dont elles étoient chargées, les paroles, les geftes, avec lefquels on les attachoit, prouvent que cette coutume venoit originairement des Druides.

(6) Les Empereurs Romains. Ces coupes étoient f.uis doute les dépouilles de quelques provinces Romaines.

(7) Le Poëte parle au Solitaire à qui il a adreflié ce Poërae.

jTfe^'itaàSàè'SSèî

L AT H

E T

C U T H O N A.

SUJET.

V<OMLATH était le plus jeune des fils de Morni j <& frère de ce fameux Gaul dont il efl fi fiouvcnt quefiion dans Us Poèmes ^"Offian ; il aimait Curhoiia i fille de Rumor j quand TofcaVj fils de Kenfena, & Fergus ou FeKuth fon ami , arrivèrent d'Irlande à Mora j de- meure de Comlath. Comlath , fuivant l'ufage du tems j exerça envers eux tous les devoirs de l'hofpitalité; illesfê- tapendant trois jours ; le quatrie'me y ils mirent h la voile encôt ayant l'île des Vagues y qui étoitfans doute une des Hébrides. Tofcar vit Ciithona à la chaffcj en devint amou- reux j & l'emmena de force dans fon vaijjeau. Le mauvais tems l'obligea de relâcher à l'île deferte ^'Ithoiia. En même-

POE M E. 17?

tems Comlath apprenant l'enlèvement de fon amante j s'embarqua pour pourfuivre le ravijjeur; il le joignit au moment il alloit faire voile pour la côte d'Irlande ; ilsfe livrèrent un combat fanglant j ils périrent l'un & r autre, ainfi que tous leurs guerriers. Trois jours après Cuthona mourut de douleur. Fingal informé de leur mort malheureufe ^ envoya Stormalj//j de 'b^ioxa. ^ pour les enfévelir; mais il oublia d'envoyer un Barde pour chanter leur, hymne funèbre fur leur tombe. Depuis l' om- bre de Comlach apparou à OiIian ^ pour lui demander de tranfmettre fon nom a celui </e Cuthona à la pojlérité. Car on croyait alors , comme nous l'avons dit j que les âmes ne pouvoienc être heureufes tant qu'un Barde n'a~ voit pas chanté leur élégie funèbre.

OssiAK na-t-il pas entendu une voix? ou n'ed-ce qu'une illuilon ? Souvent le fouvenir des tems pafTés vient luire fur mon ame. Le bruit de la chalîe fe re- nouvelle dans mon imagination, & je lève en idée la lance des combats. . . . Mais ce n'efl point une illufion, Ojfian a entendu une voix. Qui es-tu, enfant de la nuit? Tout dort autour de moi, & le vent de minuit fiffle dans ma demeure. . . . Peut-ctre ed-ce le bouclier de Fingal qui réfonne au fouffle des vents : il eft fufpendu à la muraille, & je le touche quelque-

1 7 6 COMLA TH ET C UTHONA ,

fois de mes mains. . . . Alais ce n'cft point iineillufion, je reconnois ta voix, ô mon ami ! 11 y a long-tems qu'elle ne s'eft fait entendre à mon oreille. Généreux Com lat h ! quel fiijec t'amène vers OJJlan? Les amis du trifte vieillard font-ils avec toi? eft mon cher Ofcar} Ce fils de la gloire étoit fouvent près de toi au milieu des batailles.

L' OMBRE DE COMLATH.

Dort-il dans fa demeure , le clianrre harmonieux de Cona} Il dort j ic fes amis fjnt dans la tombe, fans qu'un Barde ait chanté leur gloire. OJJlan, \a. mer roule autour de la fombre Ithona, Se l'étranger n'ap- perçoit point nos tombeaux. Jufqu'à quand nos noms feront-ils laiflés dans l'oubli ?

O S S I A N.

O fi mes yeux pouvoient te voir alfis fur ton nuage obfcur ! Es-tu femblable au brouillard de Lano , ou à un météore à demi éteint ? De quelle matière font formées les franges de ta robe & ton arc acrien ? . . . Mais il a difparu fur fon tourbillon , comme une vapeur légère. Defcends du mur tu repofes , ô fna harpe , Se viens réfonner fous mes doigts.

Que le flambeau de la mémoire porte fa lumière

POEME. 177

fut Itkona , &c montre à ma penfce mes amis décè- des Oui , je les vois dans le fein de cette île

bleuâtre : j'apperçois l'antie de Thona , fes rochers couverts de mouffe , & fes arbres inclinés: un ruil- feau murmure à l'entrée j Tofcar fe penche fur fes bords. Cuthona eft affîfe & pleure ; ne les entends- je pas s'entretenir enfemble , ou le bruit des Hocs , apporté par les vents, trompe-t-il mon oreille? (i),

T O S C A R.

La nuit étoit orageufe : les chênes gémiir-ms tom- boieiit des montagnes : la mer foulevée par les vents rouloit dans les ténèbres , & les vagues rugiiTantes s'élançoient contre les rochers. De fréquens éclairs fillonnoient les cieux , & faifoient voir la fougère deflechée. Fergus , j'ai vu un fantôme : (1) il ctoic debout & en filence fur le rivage. Sa robe de brouil- lards flottoit au gré des vents. Je voyois couler fes larmes ; il avait l'air d'un vieillard plongé dans une rêverie profonde.

FERGUS.

C'étoit ton père , ô Tofcar ; il prévoit la mort quelque héros de fa race : ce fut ainfi qu'il apparuE fur le Cromla , avant la chute du grand Maronan, Tome I. Z

f

1 7 8 COMLA TH ET C U THON A ,

Riante Uiiin y que j'aime tes coiiiiies revêtues de gazon , & tes vallons fleuris ! Le calme habite fur les bords de tes torrens , &c le foleil dore tes campagnes. Qu'il eft doux d'entendre les fons de la harpe dans le palais de Sélama , ( 3 ) & les cris du chalfeur fur la montagne de Cromla ! Mais nous fom- mes dans la fonibre Itona , environnés de la tem- pête -y les vagues lèvent leurs têtes blanchilfanres au- defliis des rochers , & nous tremblons au milieu de

la nuit.

T O S C A R.

Fergus , Héros en cheveux blancs , qu'eft devenu ton courage ? Tu étois l'ame des combats , je te vis toujours intrépide dans les dangers , & la joie étin- celoit dans tes yeux au milieu des batailles. Fergus, qu'eft devenu ton ame belliqueufe ? Nos pères ont- ils jamais tremblé ? Regarde ^ la mer eft calme , les vents orageux fe taifent , les flots frémiflent encore fur l'abîme , & femblent craindre le retour de la tempête ; mais tout eft tranquille. Vois fur nos ro- chers la naiffance de l'aurore. Le foleil fortira bien- tôt de l'orient dans toute fa fplendeur.

J'avois déployé mes voiles avec joie , devant le palais du généreux Comlatk. Je pafTai près de l'île des Vagues fon Amante pourfuivoit une biche J

POEME. I7P

je II vis , elle reirembloic d ce premier rayon du jour qui perce les nuages de l'Orienr. Ses ciieveux flot- toienc fur fon fein palpitant. Le corps penclié en avant , elle tiroir de l'arc , &c dans l'efFort , fon bras tendu en arrière cblouiiroit comme la neige du Cromla. Viens fur mon cœur , m'écriai - je , belle

chafTerefTe mais elle palfe les jours & les nuits

dans les larmes , & penfe fans cefTe au généreux Comlath. Aimable fille , pourrai-je retrouver la paix de ton cœur ?

C U T H O N A.

Loin de ces lieux eft une colline efcarpée , qui penche fur la mer fes vieux arbres & k^ rochers couverts de moulTes : les flots roulent à fes piedsj fur fes flancs habitent les biches légères : on la nomme Arven. s'élèvent les tours de Mora. Comlath, les yeux attachés fur les flors , attend l'unique objet de' fon amour. Les jeunes filles reviennent de la chaflèj Comlath voit leurs yeux bailFés & remplis de lar-

f"" "Où eft la hWQà^Rumar} .... Mais hélas î'

elles ne répondent point Fils de l'étranger, ce

n'eft que fur Arven que moH cœur peut retrouver la paix.

Zi

i8o COMLATH ET CUTHONA,

T O S C A R.

Eh bien .' Cuthona retournera fur Arven , eft la paix de fon cœur : elle retournera vers la demeure du généreux Comlach : il efl: l'ami de Tofcar. J'ai partagé fes fêtes : levez - vous , vents doux & légers d'UI/in , tendez mes voiles vers les rivages d'Ar- ven , Cuthona y retrouvera le bonheur j mais Tofcar coulera fes jours dans la trifteffe. Affis dans ma ca- verne folitaire , je prêterai l'oreille au vent murmu- rant dans mes arbres: je croirai entendre la voix de Cuthona : . . . j mais elle fera loin de moi , dans la demeure du vaillant Comlath.

CUTHONA.

Ah ! quel efl: ce nuage? Il porte les ombres de mes pères. Je vois les franges de leurs robes aériennes. Quand me faudra-t-il mourir, Rumar'^ Cuv la triflie Cuthona prélfent fa mort. Comlath ne me reverra-t-il point , avant que je defcende dans mon étroite de- meure ?

O S S I A N.

11 te reverra , fille infortunée; fon vaiffeau fend les v.ngues roulantes de l'Océan. Il arrive : la mort de

POEME. 1 8 1

Tojcar a enfanglanté fa lance : il a reçu lui - même un coup mortel dans le flanc : je le vois à l'encrée de la caverne de Thona, pâle Se montrant fa large plaie.... es-tu , Cuthona , es -tu ? Le Chef de Mora expire & te demande des larmes ....; mais cette vifion , toutes ces images s'effacent de ma penfée : je ne vois plus ces héros. Bardes des fiecles à ve- nir, ne vous rappeliez jamais la mort de Comlath^ fans verfer des larmes. Il mourut avant le tems , & la triftelfe fe répandit dans Mora. Sa mère regarda fon bouclier fufpendu à la muraille , & le vit teint de fang ; (4) elle comprît alors que fon fils n'étoit plus , & Mora. retentit des cris de fa douleur.

Infortunée Cuthona , tu relies auprès des morts. La nuit vient , & le jour fuccéde , fans que perfonne paroiffe pour élever leurs tombes. Tu écartes de leurs corps les oifeaux de proie : pâle Se défefpérée, tu ne cefles de les arrofer de tes pleurs.

Les guerriers de i^i/ï^^a/ arrivent & la trouvent morte de fa douleur j ils élèvent ime tombe fur les deux héros ;

à côté de Comlach rcpofe fon amante Ne viens

plus te montrer dans mes fonges , ô Comlach ! J'ai chanté ton hymne funèbre; que ta voix n'éloigne plus de ma demeure le fommeil bienfaifant.

1 8 2 COMLA TH ET eu THON A ,

O que ne puis-je oublier mes amis , jufqu'à ce qu'on ne voie plus la trace de mes pas : jufqu'au jour je pourrai les rejoindre avec joie dans les airs , tandis que mes membres fatigués par les ans , repo- feronc dans le tombeau !

Fin de Comlatli & Cuthona.

POEME. 1S5

NOTES DE COMLATH ET CUTHONA.

(i) Le Poëte les entend parler dans l'île à'hkona, & répète leurs entretiens.

(1) On a cru pendant long-tems dans le Nord de l'Écofle, que c'étoit les ombres des morts qui formoient les tempêtes. Ce préju- gé fubfifte encore parmi le peuple , car ils croient que les tourbil- lons & les coups de vent font occafîonnés par des efprits qui fc tranfportent de cette manière d'un lieu dans un autre. Voyez le Difcours préliminaire.

( 3 ) Palais de Tofcar, fur la côte à'Ulfler, près la montagne du Cromla.

(4) On croyoit alors que les armes que les héros avoient lailTés dans leur palais, fe couvroient de fang aulTitôt qu'ils étoient morts ^ quelqu'éloigné que fiît le pays ils avoient été tués.

Rlli

SUJET.

l" I .•< G A L revenant d'une Province Romaine , il avoit fait une expédition j réfolut de vijîter Catiila , Rci ^'iniftoie , & frère de Comala dont on a vu l'hif- toire dans un des Poèmes précédens. Quand il fut à la vue de Canictura , palais de Catiila , il apperçut une flamme fur le faîte ; c'étoit alors le Jignal du danger: il entra dans une baie à quelque dijlance de Carridtiu'a, & fut obligé de paffer la nuit fur le rivage. Le lendemain il attaqua l'armée de Frothal , Roi de Sora , qui affié- geoit Catula dans fon palais ^ & prit Frothal lui-même prifonnier. C'ejl la délivrance de Carriftura qui fait le fujet de ce Poème ^ mais il efi femé d'épifodes. Il paroit par la tradition ^ que ce Poème étoit adreffé a un Culdee ou Solitaire j ( ce fut j comme nous l'avons déjà dit y le nom qu'on donna aux premiers Mijfionnaircs Chré- tiens , ) & qu'Offi3.n n'introduit l'épifode de l'cfprit de

Loda,

POEME. 18?

Loda, qu on fuppofe être l'Oà'm de Scandinavie :, que pourl'oppoferàla doctrine du Culdee. Quoiqu'il en fou :, on voit du moins par-là y ^«'Offian avoit des notions de l'Etre fuprême y & que fan efprit et oit dégagé des fuper- fiitions qui regnoientfur le monde entier avant la naif- fance du Chrifiianifme.

" Fils du Firmament, à la chevelure d or, tu-as donc quitté la plaine azurée des cieux. L'Occident t'a ou- vert les portes. C'eft-là qu'eft le lit fuperbe tu repofes. Les vagues de l'Océan s'approchent pour confidérer ta beauté ; elles élèvent leurs têtes trem- blantes j elles te voient plein de majefté dans ton fommeil , & reculent avec refpeéV. Repofe dans ton afyle noéturne , ô foleil ! pour recommencer dans la joie ta brillante carrière. . . \ mais qu'au fon des harpes mille torches ardentes s'élèvent dans Selma \ qu'un chêne brûlant éclaire la falle des fêtes , le grand Fin- gai revient triomphant. La guerre de Crona (i) eft terminée ; elle a paffé comme un fon qui frappe l'oreille & n'eft plus. Chantez , Bardes de Morven , Fjngal reviens comblé de gloire » (z).

Ainfi chantoit Ullin quand Fingal revenoit de la guerre de Crona. La fleur de la jeunefTe étoit épa- Tome I. A a

185 C A R R I C T U RA,

nouie fur fon vifage : une épaiire & noire cheve- lure ornoit fa tère. Son armure bronzée couvroit fon corps , comme un nuage grifâtre couvre le foleil , quand il s'avance enveloppé dans fa robe de brouil- lard , & qu'il ne lailfe échapper que la moitié de fes rayons.

Fingal eft fuivi de i&s guerriers : on prépare la fête.

«' Chantres harmonieux de Cona, dit le Roi , en fe tournant vers fes Bardes , vous dont les âmes fe re- tracent les images des armées de nos pères , faites retentir mon palais des accords de vos harpes , faites entendre vos chants à Fingal. La triftelfe a fes char- mes , & fa douceur eft comme l'ondée du printems , quand elle amollit l'écorce d'un chêne antique , & que la jeune feuille montre fa tête verdoyante. Chantez, ô mes Bardes , demain nous déployons nos voiles. Demain je traverfe l'Océan , & je me rends à Carrïclura , au palais de Sarno , qu'habitoit autrefois Comala. C'eft-là que le généreux Catula donne fes fêtes : fes forêts fon: peuplées de fangliers \ nous y ferons retentir les cris de la chalfe. »

" Cronan (5) enfant de l'harmonie , dit UUin , & toi, Minona, qui touches la harpe avec tant de grâce , faites entendre les chants de ShUric : ils plairont au

F O E M E. i_87

Roi de Morven. Que Vinvela paroilFe dans toiue fa beauté : elle vient , ô Flngd , j'entends fa voix : elle eft douce , mais plaintive.

V I N V E L A.

Mon Amant erre fans celfe fur la montagne , il pourfuic le chevreuil léger. Ses dogues halerans l'en- vironnent , & la corde de fon arc réfonne dans l'air. Te repofes-tu , cher Amant , au bord de la fource du rocher , ou près du torrent de la montagne ? Le vent balance les joncs , & fait voler le brouillard par deiïiis tes collines. Je vais , fans erre apperçue , m'ap- procher de mon Amant, & le voir du haut du rocher. Que tu me parus aimable , ô Shilrïc , quand je te vis , pour la première fois , près du chêne antique de Branno j (4) tu revenois de la chalTe , tu étois le plus grand , le plus beau de tous nos amis.

S H I L R I C.

Quelle eft la voix que j'entends ? Elle eft douce comme le zéphir dans les ardeurs de l'été. Je ne fuis point affis près des joncs ondoyans, je n'entends point le murmure de la fource du rocher. Je fuis loin de toi, Finvela j je combats fous l'étendard de Fingal. Mesdogues ne me fuivent plus : je n'erre plus fur

Aai

iS8 CARRÎCTURA,

ma colline : je ne ce vois plus du haur du rocher , marcher avec grâce dans la plaine, & fuivre le cours de nos ruiHeaux , « brillante & belle comme la lune , qui réfléchit fon image fur la mer d'Occident.

V I N V E L A.

Tu m'as donc quittée , ô Shilrlc ! Je fuis feule fur la montagne ! Le chevreuil fe promené fur le fommet: il paît fans crainte l'herbe tendre j le bruit du vent , le frémilTement de la feuille ne lui donne plus d'allar- mes. Le chafteur eft abfent ; il eft allé dans les pays éloignés : il efl: maintenant dans le champ de la mort :. Etrangers, Enfans de l'Océan, épargnez mon aimable Sbilric.

S H I L R I C,

S'il faut que je périiïe dans le champ des combats , Vrnvcla , n'oublie pas de m'élever un tombeau. Quel- ques pierres grifàtres , couvertes de terre , me rap- pelleront au fouvenir des fiècles futurs. Quan le clialleur viendra s'affeoir près de ce tertre , pour y prendre , à midi , fon repas frugal , il dira , c'ejl un- guerrier qui repofe ici , Se ma renommée vivra dans fes éloges. Souviens-toi de m.oi, Finvela , qu3.nd je ferai fous la terre.

P O E AI E. ]^

V 1 N V E L A.

Oui , je me fouviendrai de toi. . . Ah ! fans doute , mon aimable ShUric périra. Que ferai-je, cher Amanr, quand ru feras difp.aiu pour toujours ? A midi je vien- drai fur ces cùlUnes : j'irai dans cette plains filen- cieufe, je verrai k place tu te repofois au retouc de la chalfe ... Ah ! fans doute , mon Shilric périra j mais toujours , toujours je me fouviendrai de lui.

<' Je n'ai point oublié ce héros, dit le Roi de Mor-

ven : c'étoit un feu dévorant au milieu des combats ;

mais maintenant mes yeux ne le voient plus. Un jour

je le rencontrai fur la colline , la pâleur étoit fur fes

joues ; fon front étoit fombre ; de fréquens foupirs

s'élevoient de fa poitrine ; il portoit fes pas vers le

défère. Il n eft plus dans la foule de mes guerriers ,

quand le fon de mon bouclier les appelle. Repofe-r-il

dans Tétroite demeure , ce vaillant Chef de Carmora.

<■<■ Cronan , dit U/Un , fais-nous entendre les chants

de Shilric , quand il revînt clans fa patrie , & qu'd ne

trouva plus fa chère Finvela : il la croyoit vivante &

marchoic fur fa tombe : il la voit porter fes pas légers

dans la plaine j mais l'aimable fanrôme ne le rrompe

pas long-tems. Bientôt ce foible rayon celle de luire.

i5^o CARRICTUKA,

&C l'ombre de Vinvda difparoîc. Ecoutons les chants de l'infortuné Shïlrk ; ils font pleins de douceur j mais ils font pleins de triftefle.

S H 1 L R I C.

Je fuis affis au fommet de la colline fur la moufle qui borde le torrent ; le feuillage d'un arbre antique frémit fur ma tète \ à mes pieds les flots bourbeux du torrent roulent fur la bruyère ; plus bas le lac préfente une furface trouble & fangeufe. Le chevreuil defcend de la colline, on n'iipperçoit aucun chalfeur dans le lointainjon n'entend point fiftler le tranquille bouvier. Il eft midi, tout eft calme ; je fuis feul , & la trifl:efle s'empare de mes penfces ? Eft-ce toi , Vïnvda , que j'entrevois à peine fur cette bruyère ? Tes longs cheveux flottent fur tes épaules : ton fein d'albâtre s'élève & s'abailfe en exhalant de profonds foupirs : tes beaux yeux font remplis de larmes. Tu pleures tes compagnes , que le brouillard de la montagne a dé- robées à ta vue. Je veux te confoler , mon amour , je veux te ramener à la demeure de ton père .... Mais eft-ce toi que je vois ? Franchis-tu les rochers & les montagnes pour voler dans mes bras ? . . . Elle parle : que le fon de fa voix eft foible! C'eft le murmure du zéphir entre les rofcaux.

P O E M E. ip_i

V I N V E L A.

Es-tu enfin de retour , mon aimable Skilric} Es-tu échappé aux dangers de la guerre ? font tes amis? Le bruit de ta mort a retenti fur la colline , je l'ai entendu , & mes larmes ont coulé pour toi. S H I L R I C.

Oui , je reviens , beauté chérie , mais je reviens feul , tes yeux ne verront, plus mes amis ; mes mains ont élevé leurs tombeaux dans la plaine ; mais pour- quoi reftes-tu feule fur cette colline déferte ?

V I N V E L A.

Oui, je fuis feule , ô Shïlric , feule dans la fombre & froide demeure. Je fuis morte de douleur pour toi; Shilric je fuis dans la tombe.

S H I L R I C.

Elle s'envole & difparoît, comme une vapeur lé- gère au iouffle des vents ! ... Arrête, chère Amante, arrête & vois couler mes pleurs. Je t'ai vue belle pen- dant ta vie, belle tu m'apparois encore après ta mort.

V 1 N V E L A.

A midi , quand le filence régnera dans nos plai- iies , je viendrai m'alfeoir au bord de ce torrent fur

ip2 C A F. R I C T U RA,

le fommet de cette colline ; calots viens conveifer {ivec moi , chat objet de mes larmes, viens fur l'aîle du zéphir ou du vent de la montagne , fais-moi en- tendre en partant le doux Çon de ta voix , au milieu du câline univeifel..

Ainfi chantoit Cronan , à la fête de Sdma \ maïs déjà le matin commence à blanchir l'Orient, & les flots azurés roulent à fa clarté naiffante. Fïngal or- donne à fes guerriers de préparer fon vaifleau : les vents quittent les collines de Morvcn , & viennent enfler fes voiles. Déjà l'on découvre la côte d'inijlore , &C les tours antiques de Carrlclura mais Fingal ap- perçoit au haut du palais , le fignal du danger , une flamme mêlée de fumée ^ à ce fpedacle , le Roi de Morven fe frappe la poitrine , & faifit fa lance : fon vifage, l'impatience éclate , eft fans cefTe tourné vers le rivage: fes regards indignés accufent la lenteur des vents : fes cheveux flottent en défordre : il refte dans un filence terrible.

La nuit defcend fur les flots , & la baie de Rotha reçoit le vaifleau de Fingal : Un rocher chargé de forêts fe prolonge le long de la côte. Sur le fommet eft le cercle de Loda , {^) 8c la Pierre du pouvoir. Au pied de la colline , s'étend ime plaine étroite , fans

celle

POE M E. \9^

cefle couveite des cl.-bris des plantes &: des acbi-es , que les veins du minuit ont arrachés du roclier four- cilleux. D.ins ce vallon ferper.te l'onde bleuâtre d'un ruitleau , & le veut folitaire de l'Océan y tait voler fans cclfe le chardon lé^er.

Trois ciiènes embrafés éclairent le rivage. La fête eft préparée j mais l'ame de Fingal eft trifte , & fans celfe occupée du danger de fon ami. La lune mon- rrolt à l'Orient fa pâle & froide lumière .:1e fommeil defcendit fur l'armée : lès cafques des guerriers af- foupis brilloient au feu mourant des chines ; mais le fommeil ne ferma point les yeux de Fingai. U fe lève , il prend fes armes , & monte lentement la colline , & veut revoir encore la Hauime fmil^re du palais de Cathul^i.

Elle ne jettoit dans l'élcignement qu'une lueur obfcure : la lune cachoit fa face rougeâtre dans les nuages de l'Orient : tout-à-coup foiid de la montagne un vent impétueux : il poitou l'efprit de Locla. Le fantôme vient fe placer fur fa pierre : la terreur & les feux l'environnent : il agi:e fa lance én.-.rme : fes yeux fem.blent des flammes fur fa face rénébïeufe , & fa voix eft comme le roulement lointain du tonnerre. L'intrépide Fingal s'avance i'épée levée , & lui parle en ces termes :

Tome I. Bb

\ç)-^ CARRICTURA,

" Fils ri.e la nuit , appelle tes vents , & fuis loin de moi. Pourquoi m'appatois-tu avec tes armes fan- taftiques ? Crois-tu m'effi ayer par ta forme gigantef- que ? Sombre efprit de Loda, quelle force a ton bou- clier de nuages, & le météore qui te fert d'épée? Les vents les roulent dans l'efpace , & tu t'évanouis avec eux : appelle tes vents , & fuis loin de moi , foible enfant de la nuit. »

« Veux-tu me forcer à quitter l'enceinte l'on m'adore , répondit le fantôme , d'une voix fépul- crale. Les peuples fe profternent devant moi : Le fort des armées eft dans mes mains : je regarde les Nations , & elles difparoiffent : mon fouSle exhale Se répand la mort : je me promené fur les vents : les tempêtes marchent devant moi j mais mon féjour eft paifible au-delTus des nuages. Rien ne peut trou- bler mon repos dans l'afyle je réfide. »

« Refte en paix dans ton afyle , répliqua Fingal, Se oublie le fils de Comhal. M'as-tu vu porter mes pas du fommet de mes collines dans ton paifible fejour ? Ma lance t'a-t-elle jamais attaqué fur ton nuage , fombre efprit de Loda ? Pourquoi viens-tu donc , en fronçant le lourcil fur moi , agiter ta lance aérienne ? Mais ta menace eft v.ùne. Le Roi de Alorven n'a jamais fui devant les plus braves des hommes , & les enfans de

POE M E. ^19 s

l'air pourroient l'efFrayer ! Non , il connoîc l'impuif- fance de leurs armes. »

«' Retourne dans ta patrie , reprît le fantôme : fuis , je te donnerai des vents favorables : je tiens tous les vents emprifonnés dans ma main , & c'eft moi qui di- rige la courfe des tempêtes. Le Roi de Sora eft mon fils ; il fléchit le genou devant mes Autels. {6) Son ar- méeafTiegeCarncîura-.ieveuxquû triomphe. Retourne dans taTpatrie , fils de Comhal , ou redoute ma colère. >j

A ces mots , le fantôme leva fa lance aérienne , & pencha vers Fingal fa ftature immenfe. Aufiî-tôt le Roi s'avance , tirant fon épce , fameux ouvrage du célèbre Luno (7) ; il frappe & l'acier brillant traverfe fans réfiftance le corps aérien. Le fantôme perd fa forme , & s'étend dans l'air comme une colonne de fumée que le bâton d'un enfant a rompue au moment elle fortoit d'une fournaife à demi éteinte.

L'efprit de Loda jette un cri , fe roule fur lui- même , & fe perd dans les vents. A ce cri terrible Iniftore trembla , les vagues l'entendirent dans leurs abîmes & s'arrêtèrent épouvantées. Les compagnons de Fingal {& réveillent tous à la fois, & faififfent leurs lances \ ils s'apperçoivent que leur Chef eft abfent : furieux ils fe lèvent , & le bruit de leurs armes re- tentit dans la nuit.

Bbi

ipg CARRICTURA,

Cependant la lune s'avançoit dans lesCieux. Fingal rejoignit fon armce. Quelle fut alors la joie de fes jeunes guerriers ? Leurs âmes fe calmèrent com- me les flots après la tempête. UUin entonna des chants d'allégrelfe ; fes accens rejouirent les collines à'Inijlore j on s'affembla autour des arbres allumés , & l'on raconta jufqu'au jour l'hiftoire des anciens héros.

Frothû! , Roi de Som, croit alTis & trifte au pied d'un chêne : fon armjc environnoit Carricïura : il lan- çoit fur les murs des regards furieux : il brûloir de fe baigner dans le fmg de Cathula, pour venger l'affront qu'il en reçut un jour. Anir, (8) père de Frothal, ré- gnoit encore dans Sora : un vent favorable s'éleva fur les flots , & conduifit Frothal fur la côte à' I ni/lore. H vint au palais de Sarno , &c pafla trois jours dans les fêtes : il y vit la belle Comala\ il la vit , l'aima avec fureur , & voulut l'enlever. Cathula s'oppofe à fes efforts : le combat s'engage : Frothal fut vaincu & enchaîné dans le palais de Sarno. 11 y refta trois jours dans le défefpoir : le quatrième , Sarno le renvoya a fon vaifleau. Frothal retourna dans fa patrie j mais fon ame étoit ulcérée contre le ncble Cathula. Dès que la tombe eut enfermé Anir 3 Frothal ïevïnt à. la tête d'une nombreufe armée. Le feu de la guerre

P O E M E. 191

envifOJina de toutes parts Carriclura,&: meiwçoit de confumer les tours antiques de Sarno.

Les premiers rayons du jour éclairent Iniflore. Frothal frappe fon noir bouclier. Ses guerriers s'é- veillent , & leurs yeux à peine ouverts fe tournent vers rOccan j ils apperçoivent le vaillant Fi«^(z/ fur le rivage.

« Quel efl: celui qui s'avance à pas précipités , dit Tubar ? Frothal, c'eft un ennemi j je vois fa lance levée : (9) peut-être eft-ce le Roi de Morven, Fingal ^ le premier des mortels , fes exploits font connus dans le Gormalj &c le fang de fes ennemis rougir encore les murs du palais de Sarno. Irai-je lui demander la paix des Rois? (10) La foudre du ciel eft moins terri- ble que lui. »

" Homme foible , répondit Frothal, veux-tu donc que ma vie commence par une lâcheté ? Veux-tu que je ccde avant d'avoir jamais vaincu? Le peuple de Sera diroit : Frothal s'avançait comme un météore bril- lant • mais un fombre nuage l'a rencontré , & l'a fait évanouir. Non, Tubar, je ne céderai jamais, je veux que l'éclat de la gloire m'environne. Non , Tubar , ne me parle jamais de céder. »

A ces mots il s'élance : les flots de fon armée inon- dent la campagne j mais ils rencontrent un rocher

ipS C A R R I C T U RA,

inébranlable : c'eft Fingrd ; ils fe brifent & roulent en défordre à fes côtés. Ces toibles guerriers ne trou- vent point leur falut dans la fuite. La lance de F'mgal les pourfuit : la campagne eft couverte de morts : une colline efcarpée fauve à peine le refte des fuyards. Frothal voit la déroute de fon armée : il écume de rage j fes yeux enflammés font bailTés vers la terre ; il appelle le généreux Tubar\ « Chef de Tara , mes guerriers ont fui devant Fingal , &c ma gloire périt en nailTIint. Je veux combattre le Roi de Morven j je cède à la rage qui brûle mon cœur. Députe un Barde''à Fingal pour lui demander le com- bat. Ne réplique point , £c exécute mes ordres ; . . . . mais, Tubar, j'aime une belle , fa demeure eft fur les bords du torrent de Tano j c'eft l'aimable fille A'Her- man j c'eft Utha aux yeux doux & au fein d'albâtre. Sa tendre jaloufie craignoit la fille d'inijlore (i i) , 8c mon départ lui coûta bien des foupirs. Vas lui dire que je ne fuis plus , mais qu'elle fut toujours les dé- lices de mon cœur. »

Ainfi parloir Frothal , réfolu de combattre. Près oe lui la belle Utha foupiroit tout bas : elle avoit pris l'armure d'un jeune guerrier , pour fuivre fon amant fur les flots : le front caché fous uiT cafque bijllam , elle ne quittoit point des yeux le jeune

POE AI E. ips>

héros ; mais quand elle vie partir le Barde , la lance tomba de fa main , fes cheveux flottèrent en défor- dre; les foupirs enflèrent fon fein d'albâtre; elle leva les yeux fur fon amant ; trois fois elle voulut lui parler, 3c trois fois la parole expira fur fes lèvres.

Aulîi-tôt que Fingal eut entendu le difcours du Barde , il s'avance couvert de ies armes péfantes : déjà les lances meurtrières des deux héros fe croi- ent & confondent leurs coups. Les éclairs jailliffent de leurs épées ; mais le fer de Fi^j'a/ frappe & coupe en deux le bouclier de Frochal : fon beau flanc refte découvert ; à demi panché , il attendoit le coup mor- tel. A ce fpeètacle , la belle Utha , le cœur glacé d'etfroi, le vifage inondé de larmes, fe précipite pour couvrir fon amant de fon bouclier : mais fes pas ren- contrent un chêne abattu ; elle tombe fur fon bras de neige ; fon cafque, fon bouclier roulent fur la terrej fon fein d'albâtre palpite fous les yeux des guer- riers , Se f i noire chevelure eft éparfe fur la poulîière, Fingal eut pitié de cette jeune beauté , & retînt fon bras prêt à frapper ; il fe panche vers Frothal. « Roi de Sora , lui dic-il , la larme aux yeux , cefTe de craindre l'épée de Fingal , jamais elle ne perça un ennemi ter- raffé , jamais elle ne fe fouilla de fon fang. Que ton peuple fe réjouiife encore , que les jeunes filles qui

20O CARRICTURA,

te font chères vivent dans la joie. Pourquoi te ferois- je périr dans ta jeunefle ? »

Frothal entend avec furprife le difcours de Fïngal: il voit la belle Utha qui fe relève : ces deux amans reftent muets , l'un devant l'autre j femblables à deux jeunes arbres de la plaine , quand la douce ondée du printems arrofe leurs feuilles nailTantes , & que les vents bruyans fe taifent dans les airs.

Œ Fille à'Herman, à^n Frothal , as tu quitté les tran- quilles ruilTeaux de Tara , es - tu venue dans cette terre étrangère pour voir fuccomber ton amant ? Mais s'il fuccombe , c'efl: devant un héros. Ce u'eft pas un foible guerrier qiii a vaincu le fils du géné- reux ^nir. Que tu es terrible dans les combats , ô Roi de Morvenl mais dans la paix tu relTembles au foleil , quand il luit au milieu de la rofée filencieufe du printems : à fon afpeiT: les fleurs lèvent leurs têtes brillantes , & les zéphirs agitent leurs ailes légères. Ah ! que n'es-tu dans le palais de Sora , que ue puis- je t'y donner une fête ? Mes fuccelTeurs verroient tes armes dans mon palais , & ils fe féliciteroient de la gloire de leurs pères qui auroient eu le bonheur de voir l'immortel Fingal. »

« Fils à'Jnir, répondit le Roi , la gloire de la race de Sora ne périra jamais. Quand les guerriers font

braves

POEME. 20I

braves &c gciii'reux , leiu- nom vie dans les chants des Bardes ; mais fi leur épée a frappé l'ennemi vaincu , fi le fang du foible a fouillé leurs armes , le Barde les oublie , & leur combe refte à jamais inconnue. L'étranger viendra bâtir aux lieux ils repofenc ; il écartera la terre amoncelée fur eux : une épée à moitié rongée par le tems frappera fa vue , il dira en la cpnfidérant: ce font les armes d'anciens guer- riers ; mais leurs noms ne fe trouvent point dans nos chants. Viens, û Frothal , viens à la fête d'Ini^ore ; que l'aimable objet de ton amour t'y accompagne , de nous ferons tous dans la joie. »

Fingal prend fa lance Se marche à Carriclura. Les portes s'ouvrenr , la fête eft préparée , les concerts font retentir les voûtes. La gaieté brille dans tout le palais. Ullin fait entendre fa voix mélodieufe , & l'accompagne de fa harpe. La belle Utha l'écoutoit avec plaifir : elle lui demanda quelques chants de douleur , & des larmes vinrent mouiller fes beaux yeux , quand Ullin fit parler la tendre Crimora : Crimora , fille de Finval , habitante des bords du lotha. (il) L'hiftoire de fes malheurs fut longue, niais intéreffante , & elle plut à la jeune Utha qui l'écoutoit en rougiiïant.

Tome I. Ce .

2Ô2 CJRRICTURA,

C R I M O R A.

Quel eft celui qui defcend de la colline, comme le nuage que colorent les derniers rayons du foleil ? Quelle efl: cette voix forte comme la voix des vents , mais ngréabîe comme la harpe de Carrïl ? C'eft celle de mon amant. Je vois 1 éclat de fes armes j mais les ombres de la triftefle obfcurciirent fon front. Eft-elle éteinte la race du puifIantFi/7^a/, ou quel eft donc le fujet qui trouble mon cher Connal ? (i 5)

C O N N A L.

Non, elle n'eft pas éteinte , la race de Fïngal\ j'ai vu revenir fes guerriers de la chalTe. Le foleil dar- doit fes rayons fur leurs boucliers : on eût cru voir un fleuve de feu defcendre de la colline. Les jeu- nes héros pouffent des cris d'allégrelle. La guerre approche , ô Crimora , demain le terrible Dargo vient mefurer fes forces avec les nôtres j il vient dé- fier la race de FingLil , cette race aguerrie aux com- bats & aux blefTures.

CRIMORA. Connais j'ai vu les voiles de Dargo fur l'Océan , elles approchent lentement de la côte. O mon cher Connal , que la troupe qui le fuit eft nombreufc !

POEME. 203

C O N N A L.

Apporte-moi le bouclier de ton père , le bouclier de Vinval.

C R I M O R A.

Le voilà , ce bouclier de fer, ô ConnaV. mais il n'a pas fauve mon père. Il expira fous la lance de Gormar. Peut-ccre périras-tu aulîi , ô mon cher Connall

C O N N A L.

Oui, fans doute, je peux périr; mais alors élevé ma tombe , ô Crïmora ! Quelques pierres grisâtres & un léger monceau de terre conferveront ma mémoire; arrête fur ma tombe tes yeux baignés de larmes ; frappe dans ta douleur ton fein palpitant. Quoique tu fois belle comme la lumière du jour , plus douce que le zéphir de la colline, ô mon amie! je ne puis relier avec toi. Adieu: fouviens-toi d'élever mon tombeau.

C R I M O R A.

Eh bien! donne-moi ces armes éclatantes, cette épée , cette lance d'acier ; je veux aller avec toi au- devant du terrible Dargo : je veux fecourir mon aima- ble Connal. Adieii, rochers à'Arverr^ adieu, chevreuils, & vous torrens de la colline. Nous ne reviendrons

Cci

204 C A R R 1 C T U R A,

plus. Nous allons chercher des tombeaux dans les pays lointains.

Ne revirent-ils donc jamais les rochers à'Arven, dit la belle Utha. , en pouffant un foupir ? Le brave Cannai pérît-il dans le combat ? Et Crimora pût-elle lui furvivre? Ah, fans doute, elle fe cacha dans la folitude , & fon ame regretta toujours fon cher Can- nai. N'étoit-ce pas un jeune & beau guerrier?

UUin vit couler les pleurs A'Utha, il reprit fa harpe harmonieufe. Ces chants infpiroient une douce mélan- colie. Chacun fe tut pour l'écouter.

Le fombre automne, continua-t-il , règne fur nos montagnes; l'épais brouillard repofe fur nos collines. On entend fiftler les toui'billons de vent. Le fleuve rou- le des ondes fangeufes dans l'étroite vallée. Un arbre folitaire s'élève au fommet de la colline , & marque l'endroit repofe Cannai: le vent fait voler &: tour- ner dans les airs fes feuilles delféchées ; la tombe du héros en eft jonchée : les ombres des morts apparolf- fent quelquefois en ce lieu , quand le chalfeur penfif fe promené feul à pas lents fur la bruyère. Qui peut remonter à l'origine de ta race , ô ConnaR Qui peut

POEME. 20J

compter tes aïeux ? Ta famille cioilloic comme un chêne de la montagne , dont la cime touffue brave la fureu: des vents. Mais maintenant cet arbre fuperbe efi: arraché du fein de la terre. Qui pourra jamais rem- placer Connal ?

Ce fut qu'on entendit le choc affreux des armes, &; les gémiffemens des mourans. Que les guerres de Fingal font fanglantes ! ô Connal ! ce fut que tu péris. Ton bras lançoit la foudre , ton épée étoit un trait de feu , ta ftature s'élevoit comme un rocher fur la plaine , tes yeux étinceloient comme une fournaife ardente , Se ta voix dans les combats étoit plus forte que le bruit de la tempête , les guer- riers tomboient fous ton épée comme les chardons volent fous la baguette d'un enfant. Dargo s'avance , femblable au nuage qui porte le tonnerre : fes yeux creux s'enfoncent fous des fourcils épais & menacans. Les épées étincelent dans la main des deux héros & leurs armes fe choquent avec un horrible fracas.

Près d'eux , la fille de Vinval ^ Crïmora brilloit fous l'armure d'un jeune guerrier \ fes blonds cheveux flottoient négligemment , un arc pefant chargeoit fa main délicate j elle avoit fuivi fon amant , fon cher Connal au combat. Elle bande fon arc & tire fur Dargo mais , ô douleur ! le trait s'égare & va percer

2o6 C A F. R I C T U R A,

Cc)/2/2i7/. Il tombe. . . . Que feias-tu, fille infortunée? Elle voit couler le Hing de fon amant; fon cher Can- nai expire. Le jour, la nuit, elle crioit en pleurant : " ô mon ami ! mon amant ! mon cher Connal ! » Mais enfui la douleur termina fes jours.

C'eft ici que la terre renferme ce couple aimable j l'herbe croît entre les pierres de leur tombe. Je viens fouvent m'aiïeoir fous l'ombrage , dans ce trifte lieu ; j'entends foupirer le vent dans le gazon, & leur fou- venir fe réveille dans mon ame. Vous dormez enfem- ble dans la tombe , amants infortunés , & rien ne trouble votre repos fur ce mont folitaire.

« Repofez en paix, dit la belle Utha, couple mal- heureux. Je me fouviendrai de vous en pleurant"; je chanterai dans la folitude l'hiftoire de vos malheurs, quand le vent agitera les forêts de Tora , & que j'en- tendrai rugir les torrens de ma patrie. Alors vous viendrez vous offrir à mon ame, & l'attendrir fur vos touchantes avantures. »

Les Rois pafsèrent trois jours dans les fctes à Carnc- tura : le quatrième leurs voiles blanchirent la furface de l'Océan. Le vent du nord conduifit le vailTeau de Fingal à Morven : mais l'efprit de Loda étoit ailis fur fa nue, derrière fuivoit le vaifTeau de Frothal (14) ; il fe penchoit en avant pour diriger les vents favorables

POE M E.

207

&: pour enfler toutes les voiles: il n'a pas oublie le coup que Fingal lui a porté , &c il redoute encore le bras du Roi de Morven.

Fin de Carri<^ura.

2o8 CARRICTURA,

NOTES DE CA RI CTU RA.

(i) Ofjlan a chanté la guerre de Crona , dans un Po'éme parti- culier. M. Machpherfon n'a pu en recouvrer que quelques lambeaux qu'il n'a point traduits en Anglois.

(i) Cet hymne à'VlUn qui commence le Poème, eft en vers lyriques dans l'original. Quand F/n^a/revenoit de quelque expé- dition militaire, fes Bardes le précédoient en chantant. Ojjtan ap- pelle cet efpece de triomphe , V hymne , ou U chant de la viBoire.

(3) On pourroit croire que les rôles de Shilric & de Vinvela étoient repréfentés par Cronan & Minona. Leurs noms indiquent ailèz qu'ils jouoient & chantoient en public ; car Cronan fignifie fon lugubre , & Minona , air tendre. 11 y a apparence que tous les Poëmes dramatiques SOjfian étoient repréfentés devant Fingal, dans les occafions folemnelles. Ici, Cronan joue le rôle de Shilric, & Minona celui de Plnvela.

(4) Branno ou Bran , fignifie torrent de la montagne. C'étoit le nom d'un fleuve. Il y a encore plufieurs rivières dans le Nord de l'ÉcofTe, qui s'appellent Bran.

(5) La différence que les anciens Êcoiïbis mettoient entre le* bons & les mauvais e(prits , étoit que les bons apparoiffoient fou- vent le jour dans des lieiuc écartés, au lieu que les mauvais ne pa- roiiïbient que la nuit.

(6) Nous avons déjà dit que l'efprit de Loda étoit probablement )c Dieu Odin des peuples du Nord. Le cercle de Loda eft l'enccini te de pierres on l'adoroit , & la Pierre du pouvoir eft l'idole.

(7)

POE M E. 209

(7) 11 y a dans l'original, devant la pierre Je mon pouvoir,

(8) Forgeron de Loclin.

(9) Anir étoit auflî père à'Erràgon , dont la mort eft le fujet de la bataille de Lora.

(10) Nous avons déjà dit que c'étoit le fignal de la guerre; la lance baiflee étoit celui de la paix.

(i i) Une paix honorable.

(11) Comala.

(15) Lotha étoit le nom de quelque grand fleuve dans le Nord è&ÏEcoJfe. Il y a une rivière dans {'Invcrnefshire , qui porte un nom à-peu-prcs feiublable.

(14) Connal, fils de Diaran , étoit un des plus fameux guerriers ic Fingal, il (ut tué en combattant contre un Breton nommé Dargo.

(ij) L'Hiftoire de Fingal Se de l'Efprit de LoJa, (qu'on croit être le fameux Odin) , eft la fiftion la plus extravagante qui fe trou- ve dans les Poefies d'OjJïan. Nos meilleurs Poètes fournilTent pour- tant de pareils exemples, Se l'on peut dire à l'avantage ^OJfian, que tout ce qu'il dit eft abfolument conforme aux opinions qu'on avoit alors des efprits. On croyoit les araes des morts matérielles, & par conféquent fufceptibles de douleur.

É5S

Tome I, D d,

LES CHANTS

DE SE LM A,

SUJET.

jL,£5 Bardes s'ajfi.mbloient tous les ans ^ comme on l'a Vu dans le Difcours préliminaire j dans le palais du Chif auquel ils étaient attachés. Ils récitaient leurs Poè- mes ■ le Roi nommait ceux qu'il jugeait dignes d'être (onfervésy & on les apprenait avec foin aux enfans pour les tranfmâttre à la poJlérité.Cefut une de ces fêtes folem- nelles qui fournit à Offian le fujet de ce Poëme. Il efl entièrement lyrique & la vcrff cation en cjl très-variée dans l'original gdllique. L'apoftrophe à l'étoile dufoir^ qui efl au commencement ^ efl fuivant M. Macphcrfon , pleine d'une harmonie douce: les vers ont pour ainfl dire le calme & la fraîcheur de la fcene que le Poète veut peindre.

POE M E. 2 i I

XliToiLE 5 compagne de la nuit, dont la the fort bril- lante des nuages du couchant , & qui imprimes tes pas majeftueux fur l'azur du firmament, que regardes- tu dans la plaine? Les vents orageux du jour fe taifent •, le bruit du torrent femble s'être éloigné : les vagues appaifées rampent au pied du rocher- les moucherons du foir rapidement portés fur leurs ailes légères, rem- plilTent de leurs bourdonnemens le filence des airs. Etoile brillante que regardes-tu dans la plaine ? Mais je te vois t'abaifler en fouriant fur les bords de l'ho- rizon. Les vagues fe ralTemblent avec joie autour de toi & baignent ta radieufe chevelure. Adieu, étoile filencieufe^ que le feu de mon génie brille à ta place. Je fens qu'il renaît dans toute fi force , je revois à fa clarté les ombres de mes amis ralfemblés fur l'a colline de Lora : j'y vois Fiiigal au milieu de fes Héros, Je revois les Bardes mes rivaux , le vénérable UUin, le majeftueux Rynoj Alpin à la voix mélodieufe , la tendre & plaintive M'tnona. O mes amis ! que vous êtes changés, depuis ces jours , dans les fêtes de Sel- ma nous difputions le prix du chant, femblables aux zéphyrs du printems qui volent fur la colline & vien- nent tour à tour avec un doux murmure agiter molle- ment l'herbe naiffante !

Ddz

212 LES CHANTS DE SELMA ,

Ce fut dans une de ces fèces, qu'on vit la cendre Minona s'avancer pleine Je c'narmes. Ses yeux baifles s'humcdtèrent de pleurs : les âmes des Héros furent attendries , quand elle éleva fa voix mélodieufe. Sou- vent ils avoienr vu la combe de Salgar , & la fombre demeure de l'infortunée Colma j Colma à qui Salgar avoir promis de revenir à la fin du jour j mais la nuic defcend autour d'elle \ elle fe voit abandonnée fur la colline , &i feule avec fa voix. Ecoutons fa tendre complainte.

COLMA.

11 eft nuit; je fuis délaillée fur cette colline , fe ralfemblent les orages. J'entends gronder les vents dans les Hancs de la montagne, le torrent enflé par la pluie rugit le long du rocher. Je ne vois point d'a- file, je puiffe me mettre à l'abri. Hélas ! je fuis feule & délailTée.

Levetoi, Lune, fors du fein des montagnes. Etoiles de 1?. nuit , paroilTez. Quelque lumière bienf aifante ne me guidera- 1- elle point vers les lieux efl: moa amant ? Sans doute il fe repofe en quelque lieu foli- taire , des fatigues de la chaffe, fon arc dérendu à fes- côtés , & fes chiens haletans autour de lui. Hélas ! il faudra donc que je pafle la nuit abandonnée fur cette.

POEME. 213

colline ! Le bruit des torrens ôc des vents redouble en- core , & je ne puis entendre la voix de mon amant.

Pourquoi mon fidèle Salgar tarde-t-il fi long-tems, malgré fa promelle? Voici le rocher, l'arbre iSc le ruif- feaii, tu m'avois promis de revenir avant la nuit. Ah ! mon cher Salgar y es-tu ? Pour roi , j'ai quitté mon frère: pour toi, j'ai fui mon père. Depuis long- temps nos deux familles font ennemies ; mais nous , ô mon cher Salgar! nous ne fommes pas ennemis. Vents , cefTez un inftant. Torrens , appaifez-vous , afin que je fafle entendre ma voix à mon amant : Salgar ^ Salgar, c'eft: moi qui t'appelle : Salgar , ici elt l'arbre, ici eft le rocher , ici t'attend Calma : pourquoi tardes- tu ?

Ah ! la lune paroît enfin: je vois l'onde briller dans le vallon ; la tête grisâtre des rochers fe découvre, mais je ne le vois point fur leurs cimes. Je ne vois point fes chiens le devancer & l'annoncer à foa amante. Malheureufe 1 il faut donc que je refte feule ici ! Alais qui font ceux que j'apperçois couchés fur cette bruyère ? Seroit-ce mon frère & mon amant * l O mes amis ! parlez-moi donc. Ils ne me répon-

Colma s'approche des deux guerriers qu'elle a vus fut Isf truyère.

2 14 LES CHANTS DE SELMA,

Jenr point : mon ame eft: agitée de terreur. Ah ! ils font mores, leurs cpées font rougies de fang. Ah! mon frère , mon frère , pourquoi as-tu tué mon chef Sal- gar ? O S^ilgar ! pourquoi as-cu tué mon frère ? Vous m'étiez chers tous deux ! Que dirai-je à votre louan- ge? Salgar, tu étois le plus beau des habitans de la colline. Mon frère ! tu étois terrible dans le combat. O mes amis ! parlez-moi , entendez ma voix. Alais hélas! ils fe raifent, ils fe taifent pour toujours; leurs cœurs font glacés & ne battent plus fous ma main.

Ombres chéries , répondez-moi du haut de vos rochers , du haut de vos montagnes ; ne craignez point de m'etfrayer. 'Où êtes-vous allés vous repofer? Dans * quelle grotte vous trouverai-je? Je n'entends point leur voix au milieu des vents 5 je ne les entends point me répondre dans les intervalles de filence que laiflent les orages.

- Je m'afîîeds, feule avec ma douleur , & je vais at- tendre dans les larmes , le retour du matin. Amis des morts , élevez leur tombe ; mais ne la fermez pas que Colma n'y foit entrée. Ma vie s'évanouit comme un fonge. Poutquoi refterois-je après eux ? Je veux repofer avec les objets de ma tendrelTe , près de la fource qui tombe du rocher. Quand la nuit montera fur la col- line , je viendrai fur l'aîle des vents, déplorer en ces

POEME. 215

lieux la mort de mes r.mis j le cIialFear m'enrcndra de fon humble cabane , il fera effrayé '& charmé de ma voix j car mes accens feront doux & touchans quand je pleurerai deux héros fi chers à mon cœur.

Ainfi c\ï:Lnion Minona , & une aimable rouo-eur co- loroit fon vifage. Nos cœurs étoient ferrés & nos lar- mes couloient pour Calma. Uliin s'avança avec fa harpe, & nous répéta les chants A' Alpin. La voix à" Alpin écoir pleine de charmes , lame de Ryno étoic de feu; mais alors ils étoient defcendus dans la tombe, & leur voix ne retentiffoit plus dans Selma. Ullin re- venant un jour de la chalfe , entendit leurs chants ; ils déploroient la chute de Morar , le premier des mor- tels. Il avoir l'ame de Fingal , fon épée étoit terrible comme l'épée à'Ofcar ; mais il périr. Son père le pleu- ra , fa fœur répandit des torrens de larmes

Cette fœur inforranée, c'étoir Mimna elle-même. Quand elle entendit chanter UUïn , elle s'éloigna , femblable à la lune qui prévoit l'orage & cache fa belle tête dans un nuage. Je touchai la harpe avec Ul- lin , Se le chant de douleur commença.

RYNO.

Les vents & la pluie ont celTé , le milieu du jour eft calme. Les nuages volent difperfés dans les airs. L*

2i6 LES CHANTS DE SELM^ ,

lumière inconftante du foleil fuit fur les vertes col- lines ; le rorrenc de la montagne roule fes eaux rougc-.îtres dans les rocailles du vallon. Ton murmure me plaît, ô torrent ; mais la voix que j'entends ell: plus douce encore. C'efl: la voix à' Alpin qui pleure les morts. Sa tête eft courbée par les ans, fes yeux rouges font remplis de larmes. Enfant des concerts , Alpin j pourquoi ainfi feul fur la colline filencieufe ? Pourquoi gémis-ru , comme le vent dans la torêt j ou comme la vague fur le rivage folitaire?

ALPIN.

Mes pleurs , o Ryno , font pour les morts ; ma voix pour les habitans de la tombe. Tu es debout maintenant , ô jeune homme ! & dans ta hauteur ma- jeftueufe, tu es le plus beau des enfans de la plaine. Mais tu tomberas comme l'illuftre Morar ; l'étranger fenfible viendra s'alTeoir &: pleurer fur ta tombe. Tes collines ne te connoîtront plus &z ton arc reliera dé- tendu dans ta demeure. O Morar ! tu étois léger com- me le cerf de la colline , terrible comme le météore enflammé. La tempête étoit moins redoutable que toi dans ta fureur. L'éclair brilloit moins dans la plaine que ton épée dans le combat. Ta voix étoit comme le bruit du torrent après la pluie , ou du tonnerre gron- dant

POEME. 217

dan: dans le loincaiii. Plus d'un héros fuccomba fous tes coups , & les feux de ta colère confumoieiu les guerriers. Mais quand tu revenois du combat , que ton vifage étoit paifible &c ferein ! Tu reiïemblois au foleil après l'orage , à la lune dans le fdence de la nuit; ton ame étoit calme comme le fein d'un lac lorfque les venrs font muets dans les airs.

Mais maintenant que ta demeure eft étroite & fom- bre ! En trois pas je mefure l'efpace qui te renferme , ô toi qui fus fi grand: quatre pierres couvertes de moulfe font le feul monument qui te rappelle à la mémoire des hommes \ un arbre qui n'a plus qu'une feuille , un gazon dont les tiges allongées frémilfent au fûuffle des vents , indiquent à IcEil du chatTeur le tombeau du puilûnt Morar. O jeune Morar ! il eft donc vrai que tu n'es plus. Tu n'as point lailfé de mère , tu n'a point lailTé d'amante pour te pleurer. Elle eft morte celle qui t'avoit donné le jour , & la fille de Morglan n'eft plus !

Quel eft le vieillard qui vient à nous appuyé fur fon bâton ? L'âge a blanchi fes cheveux ; (qs yeux font en- core rouges des pleurs qu'il a verfés 5 il chancelé à chaque pas. C'eft ton père , ô Alorar'. ton père , qui n'avoir d'autre fils que toij il a entendu parler de ta renommée dans les combats , & de la fuite de tes en- Tome I, Ee

2i8 LES CHANTS DE SELMA ,

nemis. Pourquoi n'a-t-il pas appris aufTi ta bleiïure ? Pleure , père infortuné, pleure ; mais ton fils ne t'en- tend point ; fan fommeil efl profond dans la tombe, & l'oreiller il repofe efl: enfoncé bien avant fous la terre. Morar ne t'entendra plus j il ne fe réveillera plus à la voix de fon p2re. Quand le rayon du marin entrera- t-il dans les ombres du tombeau? Quand viendra-t-il finir le long fommeil de Morar? Adieu pour jamais le plus brave des hommes; Conquérant intrépide, le champ de bataille ne te verra plus ; l'ombre des forêts ne fera plus éclrdrée de la fplendeur de ton armure : tu n'as point lailTé de fils qui rappelle ta mémoire. Mais les chants à' Alpin fauveront ton nom de l'oubli , les fiécles futurs apprendront ta gloire, ils entendront parler de Morar.

Aux chants à' Alpin la douleur s'éveilla dans nos amas; mais le foupir le plus profond partit du cœur à'Armin. L'image de fon fils qui périt à la fleur de fes ans, vient fe retracer à fa penfée. Carmor (i), étoit auprès du vieillard. ^^r/Tzi/z , lui dit-il, pour- quoi ce foupir fi profond ? Ces chants doivent- ils t'attrifter ? La douce mélodie des chants atten- drit & charme les âmes ; ils font comme la vapeur qui s'élève du fein d'un lac & fe répand dans la vallée filencieufe : les, fleurs fe remplilTeju de rofée; mais le

F O E M E. 2^

foleil reparaît & la vapeur légère s'évanouir. Pourquoi donc cette fombre trilleire , Chef de l'île de Gorma?

A R M I N.

Oui, je fuis triftc, & la caufe de mes regrets u'eft pas lé- gère. Crrwor, tu n'as point perdu ton fils, tu n'as point perdu ta fille. Le vaillant Colgar &c la charmante Anjra vivent fous tes yeux.Tu vois fleurir les rejetions de ta fa- mille ; mais Armin relie le dernier de fa race. Que le lit tu repofes , eft fombre, ô Daura ! ô ma fille ! que ron foiiimeil ell profond dans la tombe ! Quand te réveil- leras-tu , pour faire entendre à ron père la douceur de tes chants ? O nuit cruelle. . . . Levez-vous , vents d'automne , levez-vous, fouftlez fur la noire bruyère : torrents des montagnes rugilTez , & vous ^ tempêtes grondez dans la cime des chênes. Roule fur les nuages brifés , ô lune ! montre par intervalles ta face mélan- colique & pâliiïante. Rappelle à mon ame cette nuit cruelle, j'ai perdu mes enfuis, le brave Arin- d.il, mon fils, efl: tombé, h belle DcLura, ma fille, s'efl éteinte. '

O ma fille ! tu étols belle comme la lune fur les collines de Fura; ta blancheur furpaAToit celle de la neige , & ta voix étoit douce comme l'haleine du zéphir. O mon fils ! rien n'égaloit la force de ton

Ee2

220 LES CHANTS DE SELMA ,

arc & la rapidité de ta lance dans les combats j ton regard rellembloit à la fombre vapeur qui s'élève fur les flots, & ton bonclier au nuage qui porte la foudre.

Armar , Guerrier fameux, vint à ma demeure 6c rechercha l'amour de Daura ; il n'efluya pas de longs refus. Les amis de ce couple aimable concevoient de leur union de flatteufes efpérances.

Le fils d'Odgal j Erath j furieux de la mort de fon frère , qa Armar avoir tué, dcfcend fur le rivage , dé- guifé en vieux matelot. Il lailfe fa barque à flor. Ses cheveux fembloient blanchis par l'âge ; ion œil étoit férieux &c calme. " La plus belle des femmes , dit- il, aimable fille A'Armin, non loin d'ici s'élève dans la mer un rocher qui porte un arbre chargé de fruits, vermeils. C'eft l.i qu Armar attend fa chère Daura. Je fuis venu pour lui conduire fon amante au travers des- flots.

La crédule Daura le fuit : elle appelle Armar \ mais l'écho (i) du rocher répond feul à fes cris : " Armar , » Armar i mon amant , pourquoi me laifles-tu dans » ces lieux mourante de frayeur? Ecoute, Armar,. « écoute , c'efl Daura qui t'appelle ». Le perfide Erath regagne le rivage en éclatant de rire. Elle élevé la voix , elle appelle fon frère , fon père , " Arïnial ^, M Armln I quoi ! perfonne pour fecoutir voire Dauia^^?

POE M E.

Sa VOIX parvient jiifqu'au rivage. Arindal delcendoic de la colline tout hériffe des dépouilles de la chafTe : fes flèches letenrilToient à fon côte : ion arc étolc dans fa main: cinq dogues noirs fuivoient fes pas. Il voie le perfide Erath fur le rivage , il l'atteint, le faifit^ l'attache à un chêne : de robuftes liens enchaînent its membres ; il charge les vents de fes hurlemens. Arindal s'éhnce clans le bateau , il monte fur les flots pour ramener Daura fur le rivage. Armar accourt & le prend pour le ravifleur : tranfporté de rage , il décoche fa flèche ; elle vole , elle s'enfonce dans ton cœur, ô mon iîls ! tu meurs, au lieu du perfide Eratk. La rame refte immobile. Mon fils tombe fur le rocher, fe débat iSc meurt. Quelle fut ta douleur , ô Daura ! quand tu vis le fang de ton trere couler à tes pieds ? Les vagues brifent le bateau contre le rocher. Ar- mar fe jette à la nage , réfolu de fecourir Daura ou de mourir. Un coup de vent tond tout-à-coup du haut de la colline fur les flots. Armar s'.abîme & ne repa- roîc plus.

Seule fur le rocher que la mer environne , ma fille faifoir retentir les airs de fes plaintes. Son père enten- doit fes cris redoublés, & fon père ne pouvoit la fe- courir! Toute la nuit je reftai fur le rivage. J'encre- voyois ma fille à la foible clarcé de la lune y toute la.

22 2 LES CHANTS DE SELMA,

nuit j'entendis fes cris. Le vent fouftloit avec fureur , & lapluie orageufe battoit les flancs de la montagne. Avant que l'aurore parût, fa voix s'afFoiblitpar degrés & s'éteignit comme le murmure du zéphyr n-.ourant dans le feuillage : la douleur avoir épuifé fes forces j elle expira : elle te lailTla ieul , malheureux y^r/r,'i/2. Tu as perdu le fils , qui faifoit ta force dans les combats. Tu as perdu la fille , qui faifoit ton orgueil au milieu de fes compagnes.

Depuis cette nuit affreufe , toutes les fois que la tempête defcend de la montagne , toutes les fois que le vent du nord foulève les flots , je vais m'alfeoir fur le rivage & mes regards s'attachent fur le locher fatal. Souvent, lorfque la lune luit à fon couchant , j'entre- vois les ombres de mes enfans ; elles s'entretiennent triftementenfemble. Quoi, mes enfans! n'aurez-vous point pitié à'Armin? Ne répondrez- vous jamais à fa voix? Hélas! ils partent & ne regardent point leur père. Oai, Carmor, je fuis trifte , & la caufe de mes regrets n'eft: pas légère.

Tels étoient les chants des Bardes dans Selma : ils fi- xoient l'attention àeFingal, par les accords de leurs har- pes & par les récits des temps paflcs. LesChefsaccou- roient de leur colline pour entendre leurs concerts har- monieux^ & combloiem d'éloges le chantre de Co/J^( 3),

P (J E M E. _ 223

le premier des Bardes. Mais mainrÉiiaiit la vieilleffe a glacé ma langue , ôc mon ame eft éteinte : j'entends en- core quelquefois les ombres ces Bardes & je tâche de re- tenir leurs chants mélodieux. Mais ma mémoire m'a- bandonne- j'entends la voix des années qui me crie en pAlFant : " Pourquoi Ojftan chante-t-il encore? Il fera bientôt étendu dans fon étroite demeure, ts; nul Barde ne célébrera fa renommée ».

Roulez fur moi , trilles années , & puifque vous ne m'apportez plus de joie , que la tombe s'ouvre & re- çoive Qjjîan ; car fes forces font épuifées. Les enfans des concerts font allé jouir du repos j ma voix refte après eux comme un bruit qui murmure encore dans un ro- cher battu des flots , quand tous les vents fe taifent , ëc que le nautonnier apperçoit de loin les derniers ba- lancemens des arbres.

Fin des Chants de Selma.

224 LES CHANTS DE SELMA , &c.

NOTES DES CHANTS DE SELMA.

(i) Chef Je Kle de Gorma.

(i) D y a dans l'original, /e fils du Rocher: ils croyoicnt que l'écho étoit un efprit habitant du rocher, qui fe plaifoit à répéter les fons qu'il entendoic.

(3) Oj;,n.

CALTHON

C A L T H O N

E T

C O L M A L.

SUJET.

Ce Poème j ain/î que beaucoup d'autres d'Offizn , ejl adrejfé à un des premiers Miffion/iaires Chréciens qui vinrent en Ecoire. Voici l'aventure fur laquelle il ejl fonde' i telle que la tradition l'a tranfniife. Diintalir.o régnait fur les rives du Teutlia j qu'on croit être le Tweedcj & Rathmor hahitoit fur les bords du Cluthrij aujourd'hui le Clyde. Rathmor étoit autant renommé pour fa générofité & fon hofpitalite' j que Duntalmo /'e'roir pourfon ambition & fon infime cruauté'. Dunralmo , par jaloufe ou à caufe de quelque haine de famille , af- faffina Rachmor dans une fête. Mais enfuite touche du Tome I. F f

22(5 CALTHON ET COLMAL,

remords j il éleva dans fon propre Palais les deux Jils de Rathmor j Calthon & Colmar.

A peine jurent-ils fortis de l' enfance qu'ils laifsèrent entrevoir quelques dejjeins de venger la mort de leur père, AuJJi-tôt Duntalmo les enferma dans deux cavernes fur les bords du Teiitha , dans l'intention de les faire périr fecrètement. Mais Colmal ,_yf//e de Duntalmo j qui n'a- voit pu voir Calthon avec indiffcrencij lui aida à fortir de fa prifan, & s'enjuit avec lui che^ Fingal j dcguifée en jeune guerrier. Fingal envoya Cdian à la tête de trois cens hommes pour fecourir Co\ma\. Mais il n'étoit plus tems. Duntalmo l'avait poignardé , Ofllan attaqua ce Roi barbare , défit entièrement fon armée , & le tua de fa propre main. Calthon époufa Colmal /ii libératrice & OlTîan revint à Morven.

XIabitant folitaire du rocher, le fon de ta voix me charme. Tes accens fe mêlent au murmure du ruilfcau qui fait dans cetts ctroire vallée. A tes chants mon ame fe réveille , au milieu de ma demeure. J^c- tends encore mon bras vers ma lance comme autre- fois dans Iss jours de ma jcuneife ; mais bientôt je fens que mon bras eft fuis force & mon cœur foupire. Enfant du rocher, refuferas-tu d'écouter les chants

POEME. 227

à'Ojîan ? Mon ame efl: remplie des évéuemens pafles. Je feus renaître la joie de ma jcuneire. Tel paroît le foleil à l'occident , quand il a dégage fa tête brillante des nues qui portoicnt l'orage : les vertes collines feni- blenc lever leurs tttes himiides au-devant de fa lu- mière •■, les ruilîeaux coulent plus gaiment dans la plaine j le vieux guerrier fort de fa demeure appuyé fur fon bâton ^ les rayons du foleil dorent fes cheveux blancs.

Vois-tu ce bouclier fufpendu dans la demeure à'OjJlan ? Il porte les marques des combats , & fes bofles brillantes ont perdu leur éclat \ c'effc le bouclier du vaillant Duntalmo, le Chef de Teutha. 11 le porta dans les combats, jufqu'au moment il tomba fous le fer à'OJJian. Ecoute , enfant du rocher , écoute l'hiftoire des tems palTés.

Rathmor étoit le Chef de Clutha. Sa demeure ctoit l'afyle du foible. Les portes de Rathmor n'écoient ja- mais fermées à l'étranger , il étoit toujours admis à fes fêtes , & il s'en retournoit en bénilfant le généreux Rathmor. Ses Bardes chantoient: ils toucholent leurs harpes ; l'homme accablé de tnftefTe entendoit leurs accords , & la joie reparoilfoit fur fon front. Duntal- mo, le fu-ouche Duntalmo vint & provoqua Rathmor au combat. Le Chef de Clucha eut l'avantage. Duntalmo fa

Ffi

228 CALTHON ET COLMAL,

retira, la rage dans le cœur.' Quelque tems aptes il re- vint pendant la nuit , à la tcte d'une troupe nombreu- fe, &: le g'-'néreux Rathmor fuccomba. Il relia étendu fans vie au milieu de fon Palais, il avoir fi fouvent admis l'étranger à fes fêtes.

Ses deux fils , Colmar Se Calthon , croient encore dans l'âge le plus tendre. Ils entrent avec la gaité de l'enfince , dans le Palais de leur père , ils le voient baigné dans fon fang, leurs larmes coulent. A la vue de ces inaliieureux entans , l'ame féroce de Duntalmo s'at- tendrit , il les fit conduire dans fon Palais à'Alteutha.

Déjà les deux orphelins avoient grandi dans la maifon de leur ennemi ; déjà leur bras tendoit l'arc en fa préfence ; déjà ils conibattoient à fes côtés. Us vi- rent les murs de leur père renverfés , & la ronce croif faut dans fa demeure j leurs larmes couloient en fecrer, & la triftelfe fe montroit quelquefois malgré eux fur leur vifige.

Duntalmo s'apperçut de leur chagrin. Son ame té- nébreufe réfolut aufii-tôt leur mort. 11 les enferma dans deux cavernes fur les rives du Teutha.

Jamais le foleil ne pénétra dans ces alfreufes pri- ions ; jamais la lune n'y répandit fa douce clarté pen- dant la nuit. Les fils de Rathmor, plongés dans ces épailfes ténèbres , attendoient la morr.

P O E M E. 22£

La fille de Duntalmo , Colmal , à la belle cheve- lure, aux yeux bleus & languUrans , pleurait dans le filence. Ses regards s'étoient arrêtés fecretemeut fur Cakkun , dont les traits étoient gravés profondémeuc dans fon ame.

Elle tremble pour fon jeune héros i mais que pou- voit fixire Colmal? Sa main délicate ne pouvoit lever la lance. L'cpée meurtrière n'étoit pas faite pour bril- ler à fon côté. Son beau fein ne s'étoit jamais élevé fous une cotte d'armes, & fes yeux n'infpiroient pas la terreur aux guerriers. Que peux-tu , Colmal, pour fecourir ton amant? Elle marchoit à pas inégaux, fes cheveux flottoient en défordre. Se fes yeux égarés ne voyoient plus qu'à travers fes larmes.

Une nuit elle entre dans la falle des fêtes (i) ; elle couvre d'acier l'albâtre de fon corps. C'étoit l'armure d'un jeune guerrier qui avoir péri dès fon premier combat. Elle court à la caverne de Calthon , &: détache les liens qui caprivoienc fes mains.

«' Lève-toi , fils de Rathmor ^ lui dit-elle , lève-toi ; la nuit eft obfcure j fuyons enfemble vers le Roi de Sd- ma. Je fuis le fils de Langal, qui trouva jadis un afyle dans la maifon de ton père. J'ai appris que tu étois enfermé dans cette fombre caverne, «Se mon cœur s en

230 CALTHON ET COL MAL,

eft indigné. Lève-toi, hls Je Rathmor j prolicons de robfcuiité de la niiir. »

« O voix favoiable ! répondit Calthon^ fors-tu du fein des nuages? Souvent dans mes fonges j'ai vu def- cendre les ombres de mes ancêtres, depuis que le fo- leil a retiré ks rayons loin de mes yeux , & que robfcu- rité habite autour de moij ou es-tu en effet le hls de Langal, ce guerrier que j'ai vu fi fou vent dans le palais de Clutha? Mais fuir vers Fïngal , & laifl'er périr Cc?/- mar ; laiflTer mon frère enfermé dans les ténèbres , & m'enfuir dans le pays de Morven ! Non, donne-moi cette lance, fils de Langalj Se Calthon court défendre fon frère ».

" Mille guerriers, répliqua la jeune Colmal, aflié- gent ton frère. Que peut Calthon contre cette multi- tude? Fuyons, te dis-je , vers le Roi de Morven. Il vien- dra à la tête de fon armée. Il tend une main fecoura- ble aux malheureux , & fon épée tutélaire étincelle autour du foible. Lève-toi, fils de Rathmor; les om- bres de la nuit vont bientôt s'évanouir. Duntalmo verra la trace de tes pas fur la plaine, & il te faudra périr dans ta jeuneiTe ».

Le héros fe lève en foupirant. Le fouvenir de fon frère lui fait verfer un torrent de larmes. Il prend avec

POE M E. 2ri_

fou guide le chemin du palais de Selma; mais Cal- thon ignorait que ce fût la belle Colmal. Son beau vifaire étoit caché fous le cafque , & (on fein d'albâcie refpiroit fous l'acier. Fingal revenant de la chafle trouva les deux jeunes étrangers dans Selma.

Le Roi entendit le récit de leur malheur & tourna fes regards fur la troupe qui l'envircnnoit. Mille héros fe lèvent à la fois & reclament l'honneur de conduire la guerre de Teutha. J'accourus avec ma lance du haut de la colline , & l'efpérance du combat fit palpiter mon cœur.

« Mon fils , me dit le Roi, ptends la lance de Fi/2- c'j/j vole aux rives de Teutha, îk fauve le malheureux Calmar. Que ta renommée précède ton recour comme im zéphir agréable , afin que mon cœur nage dans la joie, quand j'apprendrai que mon fils fiit revivre la gloire de nos aïeux. OJJlarij fois une tempête dans le combat^ triais appaife-toi, quand l'ennemi fera ter- raflé. C'eft à cette conduite que je dois toute ma gloire. Tâche , mon fils , de reflembler au chef de Selma.

Quand le guerrier préfompcueux vient dans mon pa-

lais, mes regards ne daignent pas s'arrêter fur lui. Mais je tends une main bienfaifante au malheureux , & mort épée protège le foible. »

252 CALTHON ET COLMAL,

Traiifporté de joie , je prends mes armes, Diaran êc Dargo (i) fe lèvent pour m'.iccompagner. Trois cens jeunes guerriers fuivenc mes pas. Les deux ai- mables étrangers marchoient à mes côtés. Bientôt Duntalmù entendit le bruit de notre approche \ il raf- femblc toutes fes forces 6c s'arrête avec fa troupe fur le fommet d'une colline. Ainfi paroilTent des rochers que la foudre a frappés, quand leurs arbres noircis & dépouillés penchent vers la terre, & que les ruiffeaux de leurs grottes font taris.

Le torrent de Teutha rouloit avec orgueil devant le fombre ennemi. J'envoyai un Barde offrir ÀDuntalmo le combat dans la plaine. Il ne répondit que par un fourire infultant. Auiîl-tôt fon armée fe meut fur la colline , on eût cru voir un nuage s'ébranler fur la montagne, quand les vents entrés dans fon fein, éten- dent & déploient de toutes parts fon voile immenfe.

Le barbare fait traîner le malheureux Calmar lié de mille liens, fur la rive de Teutha. Ce jeune héros pa- roilTôit accablé de triftefle. Ses yeux s'arrêtent fur (qs amis. 11 nous voyoit fous les armes, fur la rive oppo- fée. Duntalmo vient, &C lui perce le flanc de fa lance. L'infortuné roule dans fon fang & nous entendîmes (es derniers foupirs.

Calthon

^ POEME. 2J2

Calthon furieux fe précipite au milieu du torrent. Je m'appuie fur ma lance & m'élance à l'autre bord. Les ennemis tombent fous nos coups. Mais la nuit vient & nous fépare. Duntalmo fe retire fur un rocher au milieu d'une antique forêt. Son cœur brûloir de rage contre l'aimable Cdlthon. Ce jeune guerrier étoit debout fous un arbre , plongé dans une morne douleur. Il pleuroit fon cher Colmar\ Colmar , enlevé à la fleur de fon âge , avant d'avoir rien fait pour la gloire.

J'ordonnai aux Bardes de faire entendre des chants de douleur pour adoucir la fombre triftefTe du héros ; mais toujours dans la même attitude , il frappoit fou- vent la terre de fa lance. Près de lui les yeux humides de la jeune Colmal rouloient en fecret dans les larmes ; elle preirentoit que fon amant , ou Duntalmo , alloient périr.

La nuit étoit au milieu de fa courfe. Le filence & les ténèbres regnoient dans la plaine. Le fomnieil repofoitfur les yeux des guerriers. L'ame de Calthon commençoit à fe calmer & fes yeux étoient déjà à demi fermés. Mais le torrent de Teutha murmuroit encore dans fon oreille; l'ombrede CcZ/Ki^r liri apparoir pâle & montrant fes blefliires ; elle pencha fa tête fur le héros, & élevant fa foible voix : «■ Le Fils de Rathmor dore Tome I, G g

2 31. <^'^ L THO N ET COL MAL,

plein de vigueur, & fon frère eft étendu fans vie fur la terre ! Ne t'accompagnois-je pas à la chaiïe ? Ne pourfuivions-nous pas enfemble la biche timide? Col- mar n'a point été oublie jufqu'au jour il a péri, jufqu'au jour la mort a delfcché la fleur de fa jeu- neffe. Mon corps pâle & froid eft couché au pied du rocher de Lona. Lève-toi , Calthon ; l'aurore s'avance avec fes rayons ; Duntalmo va outrager le corps de ton frère .i. A ces mots l'ombre fe retire & difparoît. Cal- thon vit en fe levant le lillon lumineux qu'elle traça dans l'air. 11 part , il vole Se fait retentir au loin fes ar- mes. L'infortunée Colmal fe lève ôc fuit fon amant dans les ténèbres, traînant derrière elle fa lance péfante. Lorfque Caltkon fut arrivé au pied du rocher de Lona , il trouva le corps de fon frère étendu fur la terre. A ce fpeétacle la rage s'empare de fon ame, il fe précipite au milieu des ennemis. Les gémiflemens de la mort montent dans les airs. Bien-tôt l'armée en- nemie l'environne ^c le prelTe. Il eft pris , enchaîné, & conduit au farouche Duntalmo. Des cris de joie s'é- lèvent & les collines y répondent au milieu de la nuit, A ce bruit je me réveille en furfaut & je faifis la lance de mon père. Dïaran & le jeune Dargo fe lèvent Se marchent à mes côtés. Nous cherchâmes en vain le

POE M E. 23?

■brave Calthon. Son abfence attrlfta nos âmes : je crai- gnis pour ma gloire , & mon courage fe réveilla.

" Enfans de Morven , m'écriai-je , ce n'écoic pas ainfi que nos pères combattoient , ils ne fe repofoienr point fur la terre de l'étranger , que l'ennemi ne fût tombé fous leurs coups. Leur force égaloit celle des aigles du ciel : leur gloire eft le fujer de nos chants. Alais nos guerriers tombent l'un après l'autre , & notre gloire dégénéra. Que dira le Roi , fi OJJïan re- tourne à Morven fans avoir vaincu? Levez- vous. Guer- riers, prenez vos armes & fuivez Ojjian. Il ne reverra point fans gloire les murs de Selina ».

L'aurore commençoit à rougir les ondes du Teutha. Coimalfe tenoit derrière moi & répandoit des larmes. Elle demandoit des nouvelles du Chef de Clutha. Trois fois la lance tomba de fa foible main.

Ma fureur fe tourna contre le jeune étranger , & mon ame qui trembloit pour le fort de Cakhon,sïn- digna de fes pleurs.

" Jeune homme j dont les mains font fi foibles, lui dis-je , les guerriers de Teutha combattent-ils avec des larmes? Ce n'eft pas la douleur qui gagne les ba- tailles, (Se le cœur de la Guerre ne connoît point les foupirs. Va pourfaivre les daims timides de Carmun, &c les troupeaux bêlans de Teutha, Mais cède ces armes,

G S.2.

2;5 CALTHON ET COLMAL,

ame timide , cede-les à un guerrier qui puilFe les le- ver dans le combat. »

J'arrache de fes épaules fa cotte d'armes. Alors {o\\ fein de neige parut à découvert. Confufe, elle rougit & bailTa la tête. Je regardai mes guerriers en filence. La lance s'échappe de ma main, & je poulfe un fou- pir. Mais quand j'appris le nom de cette belle, des flots de larmes coulèrent de mes yeux. Je fis des vœux pour la jeune étrangère, & j'ordonnai à mes guerriers de marcher au combat.

Habitant folitaire du rocher , pourquoi OJJlan s'ar- rèteroit-il à raconter , comment périrent les guerriers de Teutha ? Ils font maintenant oubliés dans leur pro- pre pays , & l'on ne pourroit pas même retrouver leurs tombeaux dans la bruyère. Les années & les tem- pêtes les ont détruits , & les tertres qui les couvroient font réduits en pouflîère. A peine apperçoit-on la tom- be de Duntalmo. A peine remarque-t-on la place , il eft tombé fous la lance d'OJJian. Quelque guerrier dont l'âge a blanchi les cheveux & afFoibli la vue , allîs le foir auprès d'un chêne brûlant, raconte main- tenant à fes enfans mes exploits & la chute du fau- vage Duntalmo. Les jeunes héros fe penchent pour écouter le vieillard. La furprife & la joie brillent dans leurs yeux euHammés.

POE M E.

2n

Je trouvai Calthon lie i un chcne. ivion épée trancha fes liens , & je lui rendis l'aimable Colmal. Ces deux amans fixèrent leur féjour à Teutha^ & Ojjian retour- na au Palais du Roi de Morven.

Fin de Calthon & Colmal.

238 CALTHON ET COLMAL,

NOTES DU POEME DE CALTHON, &c.

(i) C'ttoit qu'on fufpenJoit en trophées les armes des en- nemis qu'on avoit vaincus.

(z) Diaran ctoit le père de Connal , qui fut tué fi mallieureu- fement par Crimoni fa maitreffe , voyez Carriclura.

Dargo étoit fils de Colath , & Souverain de L.irt/w ; il en eft fouvent queftion dans les autres Poèmes SOjfian, On dit qu'il fut tué à la chaffe par un fanglier. M. Macpherfon a publié la com- plainte de Mi/igdia , époufe ou maitrelTe de D^rgo : mais fans af- furer qu'elle fût d'Offian. En voici la tr.:duflion.

L'époufe de Dargo accourt toute en larmes. Dargo n'cft plus. Ses amis foupirent autour de fon corps. Que fera l'infortunée Mingu/a i « L'homme farouche & cruel difparoilToit devant » Dargo, comme la vapeur du matin; mais les cœurs généreux » biilloient à fon alpcft comme l'étoile qui précède le jour. Qui » étoit le plus beau, le plus aimable de tous les héros î C'étoit le » vaillant fils de Colath\ quel autre que lui s'alTeyoit dans fa jeu- » neffe au milieu des Sages î Ta main légère touchoit la harpe » avec grâce. Ta voix avoit la douceur du zéphir dans les ardeurs » di l'été. Hélas! que diront les guerriers? C'eft un fanglier qui a » donné la mort à Dargo ; la pâleur eft fur ces joues autrefois fi » vermeilles. Ces yeux fi pleins d'audace dans les dangers font » éteints. Pourquoi es- tu mort fur nos collines, jeune héros, plus » beau que les rayons du foleil ? La fille X Adonfion étoit aimable 1) aux yeux des braves j elle étoit aimable à tous les yeux ; mais elle » choifit Dargo pour fon époux. Maintenant , MingaLt , tu es » l'cule & délaifféc, La nuit vient environnée de nuas^es. cft le

POEME.

23P

» lit tu vas repolev? Cùî Dans la tombe de Dargo ? Barde, «pourquoi pofes-tu cette pierre? Pourquoi fermes-tu l'entrée de » cette étroite demeure? Les yeui de Mingala s'appéfantilTem, elle » va dormir avec fon époux. Cette nuit j'ai entendu des chants de » joie dans le palais de Lartho ; maintenant le lîlence & l'horreur » habitent autour de mon lit ; Mingalj va lepofer avec Durgo. »

L A T H M O N.

SUJET.

J_iATHMON ,fils de Nuath , Prince Breton j profita de l'abfence de Fingalj qui était en Irlande :, pour faire une defcente dans le pays de Morven. // s'avança juf- qu'à la vue du Palais de Selma. Mais comme il était fur le point de l'affiéger^ Fingal arriva : Lathmou fe retira fur une colline j il fut furpris pendant la nuit & fait prifonnier par Offi3.n 3 & par Ga.u\ fils de Morni. Le Poëme commence au moment Fingal parou fur la côte, & finit à la moitié dujourfuivant. Le premier Pa- ragraphe efi en vers lyriques , & on le chantait fans doute autrefois comme un prélude avant la partie narra- tive du Poème qui efi en vers héroïques.

Selma

POE M E. 241

Selma, le filence règne dans tes murs. Nul fon ne retende dans les bois de Morven. On n'entend que le bruit des flots qui fe brifent fur la côte. Le foleil verfe les torrens de fa lumière fur la plaine tranquille. Les filles de Morven s'avancent, & tournent fans cefle les yeux vers les collines à'Ullin ; leurs regards inquiets cherchent fur l'Océan les voiles du Roi de Morven ; il leur a promis d'être bien-tct de retour. Mais le vent du nord s'efl: levé , il retient les vaifTeaux de Fingal.

Quel eft ce noir torrent, qui defcend de la colline de l'orient? C'eft l'armée de Lathmon. Il a appris l'abfen- CQ àt Fingdl. Il fe confie fur le vent du nord, qui s'oppofe au retour du Roi & fon cœur palpite de joie. Lathmon , pourquoi reviens-tu avec l'appareil mena- çant de la guerre ? Les braves font abfens de Selma, Les filles de Morven combattront-elles? . . . Mais fufpens ta coutfe , Lathmon j n'apperçois-tu pas ces voiles ? Déjà je te vois fuir & difparoître. Tremble , la tempête ell derrière toi : Fingal pourfuit tes pas.

Les vagues rouloient à leur gré notre vaifFeau an milieu de la nuit. Fingal fe réveille en furfaut, & porte la main à fa lance. Ses guerriers fe lèvent au- tour de lui. Nous comprîmes qu'il avoir vu les ombres As fes pères. Elles defcendoient fouvent au milieu ds Tome L. H h

242 LA T H M O N,

fes fonges , quand le fer de l'ennemi menaçoit {qs Etats , & que Torage de la guerre croit près d'éclater fur nous.

« ères-vous , s'écria le Roi de Morven , vents fa- vorables , êtes-vor.s? RugilTez-vous dans les antres du midi? Pourfuivez-vous les nuages pluvieux fous un ciel étranger ? Pourquoi ne venez-vous point en- fler mes voiles , Se rider la furface azurée de mes mers ? L'ennemi eft dans mes Etats , & je fuis abfent ! Amis , que chacun fe couvre de fa cuirafTe & faifilTe fon bouclier. Etendez routes vos lances au-defTus des flots ■■, que toutes les épées fortent du foureau. Lath- mon eft devant nous, à la tête d'une armée nombreufe : Lathmon, qui a fui devant Fingal dans les plaines de Conjj mais il revient comme un torrent, qui s'eft grofli dans fon cours. Se rugit entre nos collines. >■>

Ainfi parla Fingal. Nous entrâmes dans la baie de Carmùna. Ojfian monta fur la colline & frappa trois fois fon bouclier. Le rocher de Morven en rcpét.i les fons , & les biches s'enfuirent en bondiflant. A ma préfence les ennemis fe troublèrent; leurs bataillons épars fe ralTemblent. Fier de ma jeunelfe 6c de mes acmes, je m'offrois à eux far la hauteur, comme un nuage menaçant.

Morni (i) étoit aflis fous un arbre près des eaux du

POE M E. 243

Strumon, Ce héros en cheveux blancs , la tcta appuyée fur fon bâton , raconcoit les combats de fa jeiinefiTe. A fes côtés le jeune Gaul fon fils l'écoutoit avidement} fon ame s'enflammoit au récit des exploits de fon père. Souvent dans les tranfports de fon jeune courage, hors de lui , il fe levoit brufquement.

Le vieillard entendit le fon du bouclier d'OJJîan. Il reconnue le fîgiial du combat ; il trelTàille & fe lève. Ses cheveux blancs fe partagent fur fes épaules. Le fouveniï de fes exploits palfcs a ranime fes forces. " Mon fils, dit- il au jeune Gaul , j'entends le fignal de la guerre; il annonce le retour de Fingal. Va dans mon palais de Strumon ^ va me chercher mes armes^ choifis celles que mon père portoit dans fa vieillelTe; car je fens que mon bras commence à s'affoiblir. Et toi , mon fils, prends ton armure & vole à ton premier combat. Tâche d'atteindre à la gloire de tes pères. Elance-toi dans le champ de bataille comme l'aigle dans les airs. Pourquoi mon fils craindroit-il la mort? Les braves tombent avec gloire ; ou leur bouclier re- poufle les traits de la mort , & la renommée repofe fur leurs cheveux blancs. Ne vois-tu pas, ô Gaul, combien les pas de ma vieillcfTc font honorés? Morrû s'avance, les jeunes guerriers vont au-devant de lui j ils le con- templent avec refpedt, & le fuivent des yeux dans uti

Hh2

244 LA T H M O N,

lilence mc!c de joie. Aullî , mon hls , n'ai-je jam.iis fui le danger ; mon cpée a brillé dans l'orage de la guerre : l'étranger difparoiiroit devant moi , & ma préfence renverfoit l'ennemi, n

Gaul apports les armes de Morni. Le vieillard fe couvre d'acier. Sa main affoiblie reprend la lance , que jadis il avoir fouvent rougie du fang ennemi. 11 marche vers Fingal-^ fon fils le fuit : le Roi de Morven ne put contenir fa joie à la vue de ce vénérable guerrier.

« Roi de Sttumon, lui dit- il, je te vois ejicore cou- vert de tes anr.€s , malgré la foiblelTe de l'âge. Morni a hrillé dans les combats comme le rayon du foleil le- vant, quand il difperfe les nuages orageux qui noir- cilloient la colline, & qu'il rend le calme à mes rian- tes campagnes. IVIais pourquoi ne te repofestu pas au. terme de ta courfe? Tes exploits font le fujetde nos chants j le peuple te contemple & bénit ta vieillelTe. Repofe-toi , généreux vieillard; c'eft affez as F in gai pour faire évanouir l'ennemi. ?>

" Fils de CootA*:/, répondit Morni, mon bras a perdu fa force. J'eflaie de tirer l'épée de ma jeunelfe. Im- mobile , elle réfifle à mes efforts. Je jette ma lance , elle n'atteint point au but, (S: je fens la péfanteur de mon bouclier. Nous nous flétrilFons comme l'herbe d^s collines, & notre force nous ab.andonne faus le-

P O E M E. 245

tour. Mais Fingal , j'ai un fils ; je l'ai vu s'enflammer au récit des exploits de ma jeunelfe j il n'a point en- core tiré l'épée contre l'ennemi. Sa renommée n'a point encore commencé. Je viens avec lui au combat pour diriger fon bras. Sa gloire fera l'aftre qui éclai- rera mon ame à l'heure ténébreufe 011 je quitterai la vie... Ah ! puiiTe le nom deMorni être oublié des guer- riers , ôc qu'en me voyant déformais , les héros difenc feulement : Regarde^ U père de Gaul. »

<■<■ Roi de Strumon , reprit Fingal, Gaul combattra, mais à mes côtés , mon bras protégera fa jeunelTe. Va, te repofer dans Selma-^m entendras bien-tôt parler de nos exploits. Dis aux Bardes de prendre leurs harpes & d'élever leurs voix , afin de réjouir les ombres de ceux qui vont périr dans le combat, & de remplir de joie l'ame de Morni, Toi , OJfian , tu as combattu plus d'une fois j le fang des étrangers a coulé fur ta lance -, OJJian, accompagne Gaul Azns le combat; mais ne vous éloignez pas de Fingal, de peur que l'ennemi ne vous furprennefeuls, & que vous ne voyiez tous deux, périr votre gloire naiiTante. »

Je vis Gaul fous les armes , «Se mon ame fe confoii' dit avec la fienne ; car le feu de la guerre brilloit dans fesyeux. Il fixoit l'ennemi avec joie. Nous nous dîmes «a fecret les paroles de l'amitié. Seuls derrière la fcv

24<5 Lyj T H M O N,

rèc , nous fîmes j:iillir enfemble les éclairs de nos épées, & nous elfayâmes la force de nos bras dans le vuide de l'air.

la nuit defcendit fur Morven : Fingal ctoit aflis devant le chêne brûlant, & Morni étoit à fes côtés. Ils s'enrretenoient enfemble des tems palTés & des aûions de leurs ancêtres. Trois Bardes touchoient en mème-tems la harpe. UUin près d'eux nicloit fa voix à leurs accords. Il chante le puiflant Comhal. A ce nom le front de Morni s'obfcurcit. Son œil en- flammé lance un regard terrible fur U//in , 8c le Barde cefla de chanter (i). -Fi/ro-tî/ s'apperçut de l'agitation du vieillard , & lui dit avec douceur « : Roi de Sera- mon, pourquoi cet air fombre? Que le pafTé s'efface de notre mémoire. Nos pères fe font livré de terribles combats. Mais nous nous atfeyons enfemble aux fêtes de l'amitié. Nous avons tourné nos armes contre l'en- nemi: il a difparu devant nous. Oublions les que- relles fanglantes de nos pères , vaillant Roi de Siru' mon. »

" Roi de Morven , répliqua Morni , je me fouviens toujours avec plaifir de ton père. 11 étoit terrible dans le combat j mes yeux fe remplirent de larmes , quand je le vis tomber. Le brave périt , o Fin- gal ! & le lâche vieillit fur fes collines. Que de

P O E M E. 247

héros j'ai vu difparoître dans le cours de ma vie ! J'ai cependanr bravé comme eux tous les danrrers , & je n'ai jamais évicc le combat, Fingal, la nuit nous couvre de fes voiles ; ordonne le repos à tes guerriers , afin qu'au retour de la lumière ils fe lèvent pleins de force & de courage pour aller com- battre le vaillant Lathmon. J'entends le bruit de fon armée 5 OJJian, & roi, Gaul, Yons êtes légers à la cour- fe j montez fur cette colline couverte d'arbres ^ obfer- vez les ennemis de Fingal. Mais n'approchez pas. Vos pères ne feroient point à vos côtés pour vous couvrir de leurs boucliers. Ne vous expofez pas tous deux à perdre votre gloire: la valeur de la jeuneiïe peut s'égarer. »

Nous obéîmes avec joie aux ordres de Momi. Nous partons couverts de nos armes. Déjà nous fommes dans les bois de la colline. Le ciel ctoit enflammé d'é- toiles : les météores , préfige de la mort des héros , voloient fur la plaine, & le bruit lointain de l'armée ^ ennemie frappoit notre oreille. Ce fut alors que Gaul^ , emporté par fon bouillant courage , la main fur fon épée à demi-tirée, me dît: « Fils de Fingal , pourquoi fens-je brûler mon ame ? Mon cœur bat avec violence. Mes pas font mal alTurés, & ma main tremble fur mon épée. Quand je tourne les yeux vers l'ennemi ,

2^8 LATHMON,

il me femble que mon ame s'élance au-devant de moi, de me montre leurs troupes endormies. Ojfian, ell-ce que le cœur du brave tremble ainil dans le com- bat ? . . . Ah ! quelle joie pour mon père , fi nous fondions fur l'ennemi ! Notre renommée croîtroit dans les chants des Bardes , & les braves nous verroient marcher leurs égaux. »

" Fils de Morni , lui répondis- je , mon ame fe plaîc aufli dans les combats. J'aime à briller feul dans le champ de bataille & à faire chanter mon nom par les Bardes. Miis fi l'ennemi avoir l'avantage, irois-je fans toi ra'offrir aux yeux de mon père ? Les yeux de mon père font terribles dans fa colère , ils lancent les feux de la mort. Non, je ne m'offrirai pointàfes regards in- dignés. OJJlan va mourir ou vaincre. Mais eft-il quel- que gloire pour les vaincus ? Ils paffeut comme l'om- bre. . . . 0/7?l7« ne paffera pas ainfi, fes exploits éga- leront ceux de fes aïeux. Gaul , fondons l'épée à la main fur l'ennemi. Si tu reviens feul du combat, va dans les murs de Selma. Dis à la belle Evirallinaj que je fuis tomoé avec cioire. Porte-lui cette épée.' Dis-lui de la donner à mon fils Ofcar, dès que fa jeu-, neflTe commencera à fleurir. »

«< Retourner à Selma, quand OJJlan ne feroit plus, dit Gaul en foupirant! (^^ue diroit mon père ? Que diroit

F'inpal?^

^ POEME. 24P

Fingul? Le foible détoiirnerou de moi f.i vue avec mé- pris & diroit : Voye-{ ce. brave Gaul , qui a laijfé fort ami haigné dans fort fang. Non , vous ne me verrez qu'environné de ma gloire. OJJian, l'ame s'aggrandic dans les dangers, & mon père m'a fouvent raconté les exploits des héros, quand ils ont combattu feuls. »

" Fils de Morni, répliquai-je, en m'avançant le pre- mier fur la colline, nos pères louerojit notre valeur en pleurant notre mort, & Ci leurs yeux fe rempliirent de larmes , leurs cœurs nageront dans la joie. Us di- ront : nos enfans ne font poinc tombés comme l'herbe des champs ; Us ont femé la mon autour d'eux.... Mais pourquoi nous occuper du tombeau ? L'épée défend le brave ; la mort pourfuit le lâche dans fa fuite ..''c fon nom périt avec lui. »

Nous nous élançons à travers les ténèbres de la nuit. Un torrent tournoit autour de l'armée ennemie , & rouloit entre des arbres , dont l'écho répétoit fon mur- mure. Nous arrivons fur fes bords & nous voyons les ennemis endormis, leurs feux éteints, leurs gardes- éloignées ^ je m'appuyais déjà fur ma lance pour fran- chir le tprrent , quand Gaul me prenant par la main , me parla en héros.

Le fils de Fïngal veuc-il fondre fur un ennemi qui Tome I. - I i

2JO LATH M O N,

dort? Veut-il reirembler au vent fuiieux , qui déracine en fecret les jeunes arbres au milieu de la nuit? Ce n'eft pas ainii que Fingal a immortalifé (on nom. Ce n'efl: pas pour de tels exploits que la gloire couronne les cheveux blancs deAIomi. Frappe , Ojfian^ happe le bouclier des combats. Que tous ces ennemis fe réveil- lent, qu'ils viennent attaquer Gaul\ c'eft fa première bataille, il veut effayer la force de fonbras. »

Ce difcours me tranfporta', & me fit verfer des lar- mes de joie. " Oui , fils de Aforni, l'ennemi viendra te combattre en fice. Ta gloire va s'élever jufqu'aux cieux. A-Iais ne te laifie pas emporter trop loin , ô mon héros! Que les éclairs de ton épée étincellent tou- jours près èi Qjjian ^ reftons unis dans le carnage , & que nos bras frappent enfemble. Gaul, vois-tu ce rocher dont les flancs obfcurs font foiblement éclairés par la lueur des étoiles? vSi nous n'avons pas l'avanta- ge , appuyons-nous contre ce rocher , & faifons face à l'ennemi: il craindra d'approcher de nos lances, car la mort eft dans nos mains. »

Je frappai trois fols mon bouclier : l'ennemi tref- fiiille & fe lève ; nous nous précipitons à Tinllant j ils iuirent en foule au travers des bruyères, ils crurenc que Fingal lui-même les pourfuivoit ; la force & ie

POEME. 2JI

courage les abandonnent. Le bruit de leur fuite ref- fembloit au mugiflTement de la flamme qui parcourt & dévore les forêts.

Il falloit voir alors, comme la lance de 6"^ voloit, comme fon épce frappoit j Cremor tombe &: Lech avec lui. Dunthormo fe débat dans fon fang ; l'acier traverfe le flanc de Cracha au moment il fe relevoit fur fa lance : le fang coule de fa bleirure & jaillit fur les ti- fons à demi éteints du chêne embraie. Cdunln fe voit pourfuivi par le héros , il monte précipitamment à un arbre defléché; mais la lance l'atteint par derrière, il jette un cri aigu , il tombe, il entraîne dans fa chute la moulTe & les branches mortes , qui viennent couvrir les armes de Gaul.

Tels furent tes exploits, vaillant fils de Morni , dans ta première bataille j & toi , dernier rejetton de la race de Flngal , ton épée ne dormoit pas à ton côté. OJJian s'élance & les ennemis tombent fous fes coups comme l'herbe ou la tête du chardon fous le bâton d'un enfant, qui frappe avec indifférence & traverfe la campagne en lîftlant.

L'aurore fe levé , les ruilTeaux brillent en ferpen- tant dans la plaine. Les ennemis fe raflemblent fur une colline. Lathmon écume de rage. Ses yeux enflam- més font baillés vers la terre. Il garde dans fa douîeui un

lii

;2j2 LA 7 H M O N,

fileiice farouche; il frappe fouvenc fur fon bouclier 5 Se fes pas font inégaux & prelfcs. Je l'apperçusdans 1 eloi- gnement , & je dis au fils de Morni : « Héros de Strw mon, vois-tu les ennemis ? Furieux , ils fe ralfemblent fur cette colline. Retirons-nous vers Fingal: il paroîtra & nos ennemis ne feront plus. Jeune Guerrier, la gloi- re nous environne , Fingal & Morni nous reverronc avec joie \ mais retirons - nous : Lathmon defcend déjà la colline. Retirons-nous donc lentement , afin que l'ennemi ne dife pas avec un fourire infultant : Voye^ ces Héros nocturnes _, ils font comme les fantô- mes : terribles dans les ténèbres ^ ils s'évanouijfent au premier rayon du jour. Ojjian , prends le bouclier de Gormar que tu as terraiïc : les héros qui nous ont don- né le jour verront avec joie la valeur de leurs en- fans. j>

Tan<lis que nous parlions ainfi , Sulmath s'appro- cha de Lathmon ; Sulmath , chef de Dut ha j fur les bords du noir torrent de Duvranna (j). « Lathmon^ lui dit-il, pourquoi ne pas fondre fur eux à la tète de mille de tes héros? Pourquoi ne pas defcendre avec ton armée , tandis qu'ils font encore en notre pre- fence , avant qu'ils fuyent. La lumière naiflànte fe ré- fléchit fur leurs armes , & nous les voyons fe retirer devant nous tranquillement. »

POEME. 2S3

" Guerrier peu généreux , répond Lathmon , tu veux que je falTe defcendre mon armée j ils ne font que deux, &: je ferois briller mille épées contre ces héros. Nuath mon père pleureroic dans fon palais la perce de fa gloire: il détourneroit de moi Çqs regards indignés , fi j'ofois approcher de lui. Sulmath , va trou- ver ces guerriers j j'apperçois le fuperbe OJfian, fa gloire le rend digne de fe mcfurer avec moi. Dis-lui que Lachmon lui propofe le combat. Sulmath vint à nous , j'acceptai avec joie le défi de Lathmon. Je po- fai mon bouclier fur mon bras , & Gaul plaça dans ma main l'épée de Morni. Nous revînmes au bord du torrent. Lathmon s'avança couvert de fes armes bril- lantes , & fon armée rouloit derrière lui comme un amas de nuages. »

" Fils de Fingal , me dit-il, ta gloire s'efl: accrue de nos défaftres. Quelle foule de guerriers je vois ici ter- rafTés de ta main ! Lève maintenant ta lance contre moi , étends Lathmon mourant au milieu de fon peu- ple ou meurs toi-même. 11 ne fera jamais dit que les guerriers de Lathmon aient péri fous fes yeux, & que fon épée foit reftée oifive à fon côté. Les beaux yeux de Cutha (4) , rouleroient dans les larmes , elle cache- loit fa douleur dans mes vallons folitaires. «

«' Et il ne fera jamais dit, répliquai-je , que le fils

2^4 LATHMO N,

de Fingal aie fui; qLiand il auroit déjà un pied dans le tombeau , Ojfmn ne fuiroit pas. Une voix intérieure lui crieroit : « Çluoï le Barde de Selma craint l'enne- mi ! 1) Non, il ne le craint pas, & les combats font fes délices. »

Lathmon perce mon bouclier de fa lance , je fentis la fraîcheur de l'acier contre mon flanc. Je tire aullî-tôt lépée de Morni. Je coupe en deux la lance de mon ad- verfaire, la pointe brillante roule fur la bruyère. Lath- ;7ZD/z brûlant de rage, lève fon bouclier , il en efl: cou- vert, & je ne vois plus que fes yeux fombres rouler au-delîus de ce rempart d'airain. M lis ma lance en perça les bolfes éclatantes & alla s'entoncer dans l'ar- bre qui ctoit derrière lui , le bouclier refte fufpendu au bout de la lance tremblante. Cependant Lathmon s'avancoit toujours Gaul voulut prévenir la chute de ce héros , il étendit fon bouclier devant mon épée au moment oii elle tomboit comme un trait de feu fur mon adverfaire.

Lathmon regarde le fils de Morni, il ne peut rete- nir fes larmes, & jettant fon épée fur la terre : " Pour- quoi , nous dit-il , pourquoi Lathmon combattroit- il les premiers des mortels ? Vos âmes font des rayons du ciel ; vos épées font des flammes dévorantes. Qui peut égaler la gloire de ces Héros , dont Ja /eu-

POE M E. 2£j

nelTe s'illuftre déjà par de fi grandes adlions ? Ah! que n'êces-voiis dans le palais de mon père j il ne diroit pas que fon fils cède à des foibles gueL-riers. . . . Mais quel eft celui qui s'avance vers nous ; les coteaux rrem- blenc au bruit de fa marche. Un effaim d'efprits aé- riens voltigent au milieu des éclairs qui partent de fes armes: ce font les efprits tutélaires (^) des guerriers qui doivent tomber fous les coups du Roi de Morven. Que tu es henr^iw^o F m g al! Tes enfans combat- tront dans tes guerres; ils te devancent & reviennent à toi couverts de gloire, n

Fingal s'approche d'un air doux & férein. 11 fe ré- jouit en fecret des exploits de fon fils. Le contente- ment éclate fur le vifage de Mornï , les yeux du vieil- lard font obfcurcis par des larmes de joie. Nous allons tous enfemble au palais de Selma, & nous nous alfeyons à la fête de Fingal. Les filles de Morven vi'ennent à nous en chantant j la douce & timide Eviraliuhi (6) les accompagne , fa chevelure noire tombe fur fon cou d'albâtre. Elle tourne en fecret les yeux fur OJfian. Sa main légère touche la harpe , 5c nous applaudiiïons tous à la fille de Branno.

i^i/zo.:/ fe lève & parle à Lathmon. A chaque mou- vement de fon bras l'épée de Trcnmor tremble à ^on coté, " Fils de N'ùath , pourquoi viens-tu chercher la

2^6 L A T H M O N,

renonimce dans Morven? Nous ne fommes pas de la race des foibles , & nos épées font teintes du fang des braves. Avons-nous jamais porté la guerre dans ta patrie ? Fingal ne fe plaît point dans les combats , quoiqu'il fente la force de fon bras. Ma gloire s'accroît par la chute des téméraires qui m'ou- tragent, & ma foudre tombe fur les guerriers fu- perbes : le combat s'engage , les tombeaux de mes guerriers s'élèvent de toutes parts. O mes ancêtres ! bientôt je relierai feul j mais du moins je relierai couvert de gloire, & mon départ de la vie laiflera derrière moi une trace de lumière. Retire-toi, Lath- mon , va porter la guerre dans d'autres contrées. La race de Morven eft renommée dans les combats , &C malheur à fes ennemis !

Fin de Lathfnoii.

JSOTES,

POEME. 2n

NOTES DU POEME DE LATHMON.

(i) Monii étoit Chef d'une tribu nombreufe du tems de Fin^ gai Se de Coml'.i' fon père. Comhui fut tué dans un combat contre cette tribu qui s'étoit révoltée. La conduite & la valeur de Fingal I4 ramenèrent bientôt .1 l'obéifTance.

(i) U'im avoit mal choili fon fujet ; Morni craignoit qu'en chantant les exploitsde Comhal, le Bardene réveillât dans l'ame de Fingal le fouvenir de leurs anciennes querelles.

(3) Femme SOJJlan.

(4) On nomme encore aujourd'luii Duvran, une rivière d'E- eoiïe , qui a Ton embouchure à Banf.

(5) Femme de Lathmon.

(6) Les Calédoniens croyoient que chaque homme avoit fou efprit tutélaire.

(7) Evir-Allin,

"^^ftÉ

Tome L Kk

N A.

SUJET.

JLathmon aprh avoir été vaincu par Fingal ^ comme on l'a vu dans le Pocme précédent j fe retira dans fort pays. Gaul l'y accompagna^ Nuath^^ere ^eLathmon, reçut magnifiquement le héros Calédonien , qui ne pût voir Oitliona, fa fille j fians l'aimer. Oithona répon- dit à l'amour de Gaul , & l'on avait fixé le jour l'on devait les unir ^ quand Fingal envoya ordre à Gaul de fe rendre à Moiven, pour l'accompagner dans une ex- pédition qu'il projettoit contre les Bretons, Le fils de Morni obéit j mais en partant il promit à Oithona que s'il furvivoit à cette entreprife , il reviendroit fur le champ , & il fixa même le jour de fon retour. D'un au- tre côté Lathmon fut aujfi obligé de fuivre Nuath à la guerre^ & Oithona refia feule à Danhihmon , féjour ordinaire de fa famille j elle avoit autrefois dédaigné

POEME. 2^9

l'amour de Duromatj Souverain de l'ile c/'Uthal , qu'on croit être une des Orcades. Cet amant me'prifé profita de Vabfence des héros qui pouvoient défendre Oithona , l'enleva j la conduifit dans une île déferte ^ nommée Tro- mathoii , & la cacha dans une caverne. Le Poëme com- mence au moment Gaul revient à Dunlachmon j & n'y trouve plus fa maitreffe.

-L'obscurité règne dans le palais dérert de Dun~ lathmon : il li'eft éclaire que par les foibles rayons de la lune qui ne montre que la moitié de fou globe fur la colline. La fille de la nuit femble détourner fes regards , &: prévoir la triftefle qui va régner dans ces murs.

Le fils de Morni eft dans la plaine \ mais quel filence dans le palais de fon amante ! Nul rayon de lumière, qui perce lepaiiTeur des ténèbres. La voix à'Oithona n'eft point entendue au milieu du bruit des torrens.

" donc es-tu , belle Oithona? Lathmon ton frère eft dans le champ de la gloire ; mais toi, tu m'avois promis de demeurer dans ton palais , tu m'avois pro- mis d'y attendre le retour du fils de Morni : j'avois va à mon départ tes belles joues fe mouiller de lar-

Kki

ado O I T H G NA,

mes , & ton fein fe gonfler de foupirs ? Pourquoi ne viens-tu pas au-devant de ton amant , en ac- compagnant tes chants de joie des fons de ta harpe. » Telles étoient les plaintes de Gaul en approchant des tours de Dunlathmon. Les portes étoient ouver- tes : aucune clarté dans le palais: les vents impétueux mugiiroient dans les falles : les arbres avoient jonché le feuil de leurs feuilles , & l'on n'entendoitau-dehors que le murmure de la nuit.

Trifte & rêveur , le fils de Morni s'affied fur un rocher. Son ame frilîonne dans lincertitude du fort de fon amante ; il ne fait de quel côté tourner fes pas. Modo , qui l'a voit accompagné , s'éroit arrêté à quel- que diftance : il vit la douleur profoiide de fon ami, & il n'ofoit lui parler.

Le fommeildefcend fur les deux héros , & avec lui tes vifions de la nuit. OirAona apparoir au fils à.(t Morni, Sa noire chevelure flottoit en défordre , fes yeux char- mans rouloient dans les pleurs , le fang couloir fur fon bras de neige , fa robe cachoit à demi la plaie de fon beau fein : " I! dort, le fils de Morni , lui que mes yeux contemploient avec tant d'amour ! Gaul re- pofe fur ce rocher , loin de fon amante abîmée dans le défefpoir! Une mer valle environne l'île de Troma-

P O E M E. 261

thon : , je fuis aflîfe dans les pleurs au fond d'une fombre caverne , & je n'y fuis pas feule , ô ISdorni : l'afFreux Duromath y eft avec moi. Il y efi: avec toutes les fureurs de l'amour : que peut faire la malheureufe Oithona ? »

Une bouffée de vent ébranle plus violemment la cime des chênes , & la vifion s "évanouit. Gaul s'é- veille, faifît fa lance , &c fe lève furieux: il tourne fans celTe fes yeux vers l'Orient , & maudit la lenteur du jour. Enfin l'aurore paroît : il déployé fes voites : les vents foufilent, & fon vailTeau bondit fur l'abîme. Le troilième jour l'île de Tromachon fort à fes yeux du fein de l'Océan : elle femble un bouclier bleuâtre au milieu des eaux , & la vague blanchilTante mugit contre fes rochers. La trifte Oithona étoit alTife fur Je rivage, les yeux attachés fur les flots & baignés de larmes. Quand elle apperçut Gaul couvert de fes ar- mes éclatantes, elle trelfaillit d'horreur , & détourna la vue. Elle penche fon vifage vers la terre •■, la honte rougit fes belles joues \ fes bras tremblans pendent à {^s côtés. Trois fois elle veut fuir, & trois fois fes genoux chancelans fe dérobent fous elle.

« Oithona _, lui cria Gaul , pourquoi veux-tu me fuir ? La mort eft-elle dans mes yeux , ou la haine

252 O I T H O NJ,

dans mon cœui? Tu-es un rayon de l'aurore , qui vient m'éclairer dans une terre inconnue: mais quoi! la triftelTe obfcurclt ton front ! Ton ennemi eft - il près toi ? Mon ame brûle de le rencontrer j mon épée s'a- gite à mon côté, impatiente de briller dans ma main. Parle , fille de Nuath ^ rcponds-moi , ne vois-tu pas mes larmes? »

«Ah! Gaul , répon-Jit-elie en foupirant, pourquoi viens- tu à travers tant de mers , chercher la malheu- reufe Oïthona ? Que n'ai-je pu mourir dans le fecret & pafler comme la fleur qui naît & meurt inconnue fur le rocher! Pourquoi viens-tu recevoir mon der- nier foupir ? J'expire au matin de ma vie, & l'on ne prononcera plus mon nom; ou l'on ne le prononcera qu'avec horreur , & mon père verfera un torrent de larmes. Tu feras trifte , fils de Morni j tu déploreras la perte de la gloire à'Oithona ; mais elle dormira dans la tombe & n'entendra plus la voix & les gé- miflemens de fon amant. Ah ! Gaul , pourquoi es-tu venu dans cette île funefte ? »

" Fille de Nuath ^ je viens combattre ton ennemi : je le vois déjà mort. ... ou Gaul périra. Si je fuc- combe , élevé mon tombeau fur ce rocher , & quand m verras quelque vaifleau bondiflant fur les flots ,

POE M E. 25|

appelle à grands cris les fils de l'Occaii , * appelle-les , & donne-leur cette ép:e: qu'ils la portent au géné- reux Mornï j afin que ce vieillard celFe de tourner fes regards vers le défer: dans l'efpérance de voir revenir fon fils. »

" Et tu crois , répliqua Oïthona avec un profond foupir , tu crois que je vivrai dans cette île odieufe , quand le fils de Mornï ne fera plus ! Mon cœur n'eft pas formé de ce rocher , & mon ame n'efi: pas infent- fible comme cette mer, qui fouleve fes vagues à tous les vents , & roule avec indifférence dans le calme ou dans la tempête. Le même coup qui te renverfera , ni'étendra dans la tombe. Fils de Morni , nous mour- rons enfemble : oui , le trépas m'eft cher ; le tombeau a des charmes pour moi. Ile fatale , jamais je ne quit- terai tes rochers. »

« Lathmon venoit de partir pour la guerre: il alloit combattre à côté de mon père fur les rochers de Du- tormo. La nuit vint. J'étois aiïife dans mon palais, à la clarté d'un chêne embrafc. Les vents mugiffoient dans la cime des arbres : j'entendis des armes reten- tir: je trelTàillis de joie : je crus que c'éroit roi qui revenois de Morven. Hélas ! c'etoit.le farouche Du-

^ Les Matelots.

2 54 OIT HO N A ,

rcmaLh : il entre Ijs yeu\ ctincelans , fo;i c^pce fumant encore du fang de mes amis : le cruel avoir malfacré tous ceux qui pouvoienr défendre la malheureufe Okhona. Que pouvois-je faire ? Mon foible bras ne pouvoit lever la lance : il me faific , Je fourd à mes cris , il m'entrihie pleurante dans fon vailTeau : il craignoit le rerour du brave Lathmon , du frère de la trifce Okhona ; mais regarde , c'eft lui , le voilà qui fend les flots de l'Océan : il vient environné de fes guerriers. Qu'ils font nombreux ! Fils de Alorni , p'jrteras-tu tes pas ? Au combat, dit le héros en ti- rant fon épée. Je n'ai jamais fui, & je commencerois à connoître la peur , quand tes ennemis s'avancent ! Retire toi dans cette caverne jufqu'à la fin du combat. Èlorlo , apporte les arcs de nos aïeux , & le carquois de mon père : que les trois guerriers qui nous accom- pagnent décochent les flèches , & nous , combattons avec la lance. Quelle foule de guerriers fur le rocher ! C'eft une armée j mais nos âmes font intrépides. »

Qkhona fe retire dans fa caverne : un rayon de joie luit au milieu du trouble de fon ame , comme l'éclair trace un lîUon de feu fur le nuage orageux : elle s'ar- réte au delTein qu'elle a formé : fon œil devenu fa- rouche n'a plus de larmes.

^ l'afpeâ: du fils de Morni, Duromat s'avançoit

POE M £. 25?

à pas lencs. Le mépris contradtoic fon viiage affreux ; le fourire infukant écoit fur fes lèvres ^ fon œil rougeâtre s'enfonçoic fous l'épaiiïeur de fes noirs fourcils.

" D'où viennent ces étrangers , dit-il ? Sont-ce les vents qui vous ont poufTcs fur les rochers de Troma- thon , ou venez-vous enlever la belle Oukona} Mal- heur à ceux que rencontre le bras de Duromath. Moi , je n'épargne pas le foible ; j'aime à me baigner dans le fang de l'étranger. O'uhona eft pour moi un aftre fbliraire. Je jouis feul de fa beauté. Foible guerrier , prétends-tu troubler mon bonheur. Tu viens fans doute dans ce delFein : oui \ mais retourneras - tu dans le palais de tes pères ? »

« Tu ne reconnois donc pas le fils de Morni , lui ré- pondit Gaul ? As-tu donc oublié le jour tu fuyois lâchement devant moi , quand mon épée pourfuivoic l'armée de Lathmon fur les collines de Morven ? Du- romath , tu me parles avec infolence, tu fens que tes guerriers fe rafTemblent derrière toi j mais crois- tu que leur nombre m'intimide ? Je ne fuis pas de la race des lâches. »

A ces mots , Gaul s'élance : Duromath fe cache derrière fes guerriers j mais Gaul l'atteint avec Tome I. L 1

2£5 O I T H O NA,

lance, lui perce le flanc , & d'un coup d'épée lui tran- che la tête au moment elle fe penchoit dans la mort. Trois fois le fils de Morni faifit par les cheveux , & fecoue cette tête fanglante. Les guerriers de Du- romath fuient épouvantés : les fléchas de Morven les pourfuivent, dix tombent & enfanglantent la mouffe des rochers. Le refte court au vailfeau , déployé les voiles , & difparoît fur les mers.

Gaul covxn auflî-tôt à la caverne d'Oichona , il ap- perçoit un jeune homme appuyé contre un rocher» Une flèche étoit enfoncée dans fon fein , & fes yeux éteints rouloient encore fous fon cafque. Le cœur de Morni fur attendri; il s'approche, & dit au jeune guerrier ces paroles pleines de douceur.

<' Malheureux jeune homme, la main de Gaa/ peut- elle te guérir? Je connois les plantes de la montagne» j'en ai cueilli fur les bords des torrens folitaires. Souvent ma main ferma la blelfure des braves , & leur bouche & leurs regards reconnoilfans ont béni le fils de Morni. Quel pays habitoient tes aïeux ? Sans doute ils furent illuftres , jeune infortuné. Quel deuil dans ta patrie ! Tu péris à la fleui-de tes ans. " Oui , répondit l'inconnu, mes parens font illuftres ; mais ils ne pleureront point ma mort : car ma gloire

POEME. 2£7

s'eft évanouie comme la vapeur du matin. Un palais s'élève fur les bords de Duvranna , & voit fes tours couvertes de mouffe réfléchies dans les eaux du tor- rent. Il eft dominé par un rocher charge de fapins antiques : tu peux le voir dans ce lointain j c'eft-là que mon frère habite , il eft: renommé dans les combats : remets lui ce cafque brillant. «

Le cafque tombe des mains de Gaul à la vue d'Oi- thona. Blelfée & mourante : elle avoit pris dans la caverne l'armure d'un jeune guerrier , pour aller chercher la mort au- milieu des combattans : elle ouvre à peine fes yeux appéfantis j le fang coule encore de fa bleiïure.

" Fils de Morni j dit-elle , prépare ma tombe 5 le fommeil de la mort s'empare de mon ame , les yeux d'Oitkona fe couvrent de nuages. Ah ! cpie n'ai-je pu refter a Duvranna ! J'aurois joui de ma gloire , mes jours auroient coulé dans la joie , &: mes jeunes com- pagnes auroient béni mes pas. Mais hélas , mon cher Gaul , je péris à la fleur de l'âge , & mon père dans fa demeure rougira de fa fille. »

Elle tombe pâle & fans vie fur le rocher de Tro- mathon. Le héros élevé en pleurant Ion tombeau. II revint dans fa patrie ^ mais nous nous apperçûmes de fa profonde ttiftefle. Je pris la harpe , & je chantai

Llz

26S

O I T H O N A, &c.

les louanges d'Ouhona : la joie reparut fur le vifage de Caul ; mais il foupiroit fouvent an milieu de fes amis ; ainfi quand la tempête eft paiïée , les vents ea- core par intervalles agitent les airs.

Fin du Poème ^'Oithona.

C R

SUJET.

WLa l V I n a pleure la mort d'Oi^cîit/bn aman:. Oflîau l'entend , & pour charmer fes ennuis , il lui raconte l'expédition qu'il a faite contre Rorhniar , à Croma j petit canton de l'Irlande. Ctocliar, Tîoit^e Croma , était vieux & aveugle. Fovar - Gormo , fon fils _, étoit trop jeune pour porter les armes. Rothmai: crut que l'occa- fion étoit favorable pour s'emparer de Croma , & joindre ce petit Royaume à fes États. Crothar effrayé de l'en- treprije de Rothmar , envoya demander du fecours à Fingal , liai d'Ecojfe. VingaX fit partir aujfi-tôt fon fils Oiliaii pour Croma ; mais avant l'arrivée d'Offnn , Fovar-Gormo , malgréjajeunefie jofe attaquer Rothmar, // perd la vie dans le combat j & voit en mourant la. déroute entière de fon armée. Olîîan arrive j recommence- la guerre j combat Roihmar , le tue j délivre Croma- de tous j es ennemis j & retourne en Ecojfe.

270 C R O MA,

M A L V I N A.

Wui , c'ctoit la voix de mon amanc ! Raremenr (on ombre vient me viliter dans mes fonges. Ouvrez vos palais aériens, pères du puilFant Tofcar. (i) Ouvrez leurs portes de nuages ; Malvina efl; ptcte à vous re- joindre. Une voix me l'a annoncé dans mon fom- meil , & je fens que mon ame eft prête à prendre fon vol. O vents, pourquoi avez-vous quitté les flots du lac ? Vos ailes ont agité la cime de ces arbres , &C le bruit a fait évanouir la vifion. Mais Malvina a vu fon amant j fa robe aérienne flottoit fur les vents : ce rayon de foleil en doroit les franges : elles brilloient comme l'or de l'étranger. Oui, c'étoit la voix de mon amant: rarement fon ombre vient me vifiter dans mes fonges !

Fils à'OJJian , cher Ofcar , tu vis dans le cœur de Malvina : mes foupirs fe lèvent avec l'aurore , Se mes larmes defcendent avec la rofée de la nuit. Cher amant, je fleurilTois en ta préfence comme un jeune arbriffeau ; mais ta mort , comme un vent brûlant , '"eft venu flétrir ma jeunefle. Ma tète s'efl: penchée : le printems eft revenu avec fes rofées bienfaifantes & ne m'a point fait refleurir. Mes jeunes compa- gnes me voyoient dans un morne filence au milieu

P O E M E. 271

de ma demeuie : elles touchoient la harpe pour rap- pelle! la joie dans mon ame j mais les larmes coii- loient toujours fur les joues de Malvina : elles voyoient ma trifteile profonde , &: elles me difoient: « Pourquoi €s-tu fi obftmce dans ta douleur, toi la première des belles de Lurha? Ton amant étoit donc à tes yeux ai- mable & beau comme le premier rayon du matin ?

O S S I A N.

O ma fille , ta voix charme mon oreille : tu as , fans doute , entendu dans tes fonges les chants des Bardes dccédés , lorfque le fommeil defcendoit fur tes yeux au doux murmure du Morue : tu as entendu leurs concerts dans un beau jour au retour de la chafle , & tu répètes leurs chants mélodieux. Tes acrens,ô Mtiivina j font doux ; mais ils attriftent l'ame : il eft un charme dans la trillelFe j lorfqu'elle eft douce, & que le cœur eft en paix ; mais le chagrin , ô Malvina, confume l'homme , 8c fes jours s'écoulent bientôt dans les larmes : il tombe comme la fleur que la nuit a couverte de rofée , & que le foleil du midi vient brûler de fes rayons. Ma fille , prête l'oreille aux ch.uKs à'OJJlan j il fe rappelle les jours heureux de fa jeunefle.

Fingal m'ordonna de déployer mes voiles. J'obéis;

^72 C R O MA,

j'airive 6i j'eiure dans la baie de Crama , d;;iis le riant pays d'Inlsfai/. On voit s'élever fur Irr côte les tours antiques du palais de Crothar. Ce hé- ros combattit avec gloire dans fa jeuneffe ; mais alors les années accabloient ce guerrier. Rotkmar l'afiicgeoir dans fon palais. Flngal brûlant de rage envoya fon fils OJJîan fecourir le compagnon de fa jeunelfe , iS». combattre Rothmar. Je députe un Barde , qui me devance : j'arrive enfuite au palais de Crothar. Je trouve le vieillard aflîs au milieu des armes de fes pères. Ses yeux ne voyoient plus : fes cheveux blancs voloient autour du bâton fur lequel il appuyoit fon corps chancelant. Il murmuroit tout bas les chants des lîecles palfés : le bruit de nos armes frappa fon oreille , il fe lève avec effort , étend fa main trem- blante, me touche èc bénit le fils de Fingal. « OJfian j me dit-il , mes forces font évanouies. Que ne puis- je lever cette épée, comme le jour je combattois près de ton père à Strucka} Ton père étoit le premier des mortels j mais Crothar n'étoit pas non plus fans gloire. Le Roi de Morven loua mon courage & plaça fur mon bras le bouclier de Calthar ^ qu'il avoir tué dans la guerre. Ne le vois-tu pas fufpendu à cette voûte ? Hélas ! mes yeux ne peuvent plus le voir. OJJian, as-tu la force de ton père? Lailfe-moi toucher

ton

POEME. 27?

ton bras. » J'obéis à fon defir j (es mains tremblan- tes couchèrent mon bras : il foupire ^ il pleure ] « Mon fils , me dit- il, tu es robufte ; mais non pas au- tant que le Roi de Morven j mais qui eft fembiable à ce héros ? Qu'on prépare ma fête j que nos Bardes chantent. Amis , c'efi: un héros que vous voyez aujour- d'hui dans mon palais. »

On prépare la fête. Les harpes réfonnent. La joie règne dans le palais ; mais cette joie bruyante ne fait que couvrir la douleur qui habite au fond des cœurs. C'efl: le foible & pâle rayon de la lune qui effleure un nuage épais , fans le pénétrer. Les chants celFent. Le Roi de Croma élevé la voix : il me parle fans verfer une larme j mais fes fanglots interrompent cent fois fes paroles. «Fils de Fingal ^ ne rem.arques-tu pas la rrifteiTe qui règne dans mon palais ? Je n'étois pas trifte dans mes fêtes , quand mes guerriers vivoienr. Je me réjouilTois avec les étrangers, quand mon fils étoit près de moi j mais il a difparu cet aftre naif- fant, & n'a laifFé derrière lui aucune trace de lumière. Il eft mort , ce jeune héros, en combattant pour fon père!

Le Chef de Tromlo , Rothmar , apprit que j'étois aveugle , &: que mon bras afFoibli étoit oifif. Son ambition s'éveille , il vient à Croma , mes guerriers Tome I, M m

274 C R O MA,

tombent fous fes coups. Indigné, je prenas mes aimes j mais foible , piivc de la vue, que pouvoit Crothar ? Mes pas erroient au hafard dans mon palais. Je m'a- bandonnois à ma douleur. Je rappellois par de vains delîrs les jours heureux de ma jeuneire, ces jours je combattois , je triomphois dans le champ du carnage. Mon fils (2.) revint de la chafle : fon bras rrop jeune encore , n'avoir pas levé l'épée dans le combat ; mais fon cœur écoit magnanime , & le feu de la valeur brûloir dans (es yeux. Il vit le défordre & les pas chancelans de (on père. Je l'entendis fou- pirer: " Mon Père , me dit-il , eft-ce ma foiblefTe qui t'afflige ? Gémis-tu de n'avoir point de fils qui puiiïe te défendre? Mon Père , je commence à fentir la force de mon bras. Déjà j'ai tiré l'épée , & déjà je fais ban- der l'arc. Permets que j'aille attaquer ce fier Rothmary permets-le moi , ô mon Père , je fens brûler mon cœur, Oui , tu le combattras , lui répondis-je , va \ mais que les autres guerriers marchent devant toi , afin que fi mes yeux ne peuvent te voir revenir vain- queur, je puilTe du moins entendre ta marche triom- phante.

Il part , il combat , il meurt. L'ennemi s'avance vers mon palais : le meurtrier de mon fils approche la tête de fon armée 1 »

POEME. 27?

« Ce n'ell pas ici le tems , dis-je alors à Crothar^ à^ remplir la coupe de la joie. » A ces mots , je prends ma lance , mes guerriers virent mes yeux lancer la flamme , & fe levèrent autour de moi. Nous marchâmes toute la nuit fur la colline. Au retour de la lumière une vallée étroite & couverte de verdure fe découvre devant nous. Sur les bords du ruilfeau qui l'arrofe , nous re- connoiirons les guerriers de Rothmar à l'éclat de leurs armes. Nous les farprenons dans le vallon : ils fuient: Rochmar périt de ma main. Le foleil n'étoit pas encore defcendu vers le couchant , lorfque je revins préfen- ter à Crothar les armes de fon ennemi. Le vieillard voulut les toucher de fes mains , & la joie reparut fur fon vifage.

Les guerriers fe ralTemblent dans le palais : la fête recommence :1a coupe de la viiStoire eft vuidéed la ronde : cinq Bardes s'avancent S<. chantent tour - à- tour les louanges à'OJfian : tout le feu de leur ame paflbit dans leurs chants , de dix harpes accompa- gnoient leurs voix. Le retour de la paix répandoit l'allégrefle dans Croma. La nuit vint fans troubler la douce fécurité , & l'on vit fans allarmes reparoître l'aurore. Nul ennemi ne fit briller fa lance dans les ténèbres. Tout le pays étoit dans la joie : Rothmar n'é- toit plus.

M m 2

2-i6 C R O M A,

J'élevai ma voix pour ch-'.nter le fils de Çrothar 3 tandis qu'on le portoic à fa dernière demeure. Son père écoit préfent : on ne l'entendit point foupirer : fa main cherchoitla blefTure de fon fils. Il la trouve au cœur. La joie éclate fur fon vifage : il vient à moi & me dit:

5J Félicite-moi , Ojfian j mon fils n'eft pas mort fans gloire. Le jeune guerrier n'a pas fui : il a ren- contré la mort , mais en face. Heureux ceux qui meu- rent dans leur jeunelTe , quand tout retentit du bruit de leurs noms! L'homme foible & lâche ne les verra point vieillir dans leur demeure : il n'infultera point par un foiirire à leurs mains tremblantes. Leur mé- moire eft célébrée dans les chants. Les larmes des jeunes filles coulent pour eux \ mais les vieillards dé- clinent par degrés , & voient la renommée de leur jeunelfe fe perdre dans l'oubli : ils tombent dans le fecret : ils n'ont plus de fils pour les pleurer. La joie environne leur tombe , & la pierre qui doit confer- vcr leurs noms eft pofée fans larmes. Oui , heureux ceux qui meurent dans leur jeunelTe environnés de toute leiu: gloire !

Fin du Poème de Croma.

P O E M E.

277

NOTES nu POEME DE CROAIJ.

(i) Malvina étoit fille de Tofcar, (i) Fovargormo,

BERRATHON.

SUJET.

(ViV regarde ce Poème comme le dernier qu'0(^\3.n ait compofè , & on le nomme ^ en Eco£€ ^ le dernier hymne d'Offixn. Fingal dans fon voyage de Loclin j il avait été appelle par Sarno , père (f'Agandecca , ( voyez Fin- gal j livre 3 , ) relâcha à Berrathoii , petite île de la. Scandinavie. Il fut reçu magnifiquement par Larmon , Roi de cette île y & vajfal du Souverain de Loclin. Fingal lui jura dès-lors une amitié' éternelle _, <S" lui en donna bientôt une preuve éclatante. l.a.ïmon fut détrôné & mis en prifon par \]x.h.x\ fon propre fils. Fingal envoya auffi- tôt Olîlan 6' Tofcai" , père de Malvina , pour hrifcr les fers de Larmon , & punir la conduite dénaturée d'\Jx.ha\. Uchal étoit d'une beauté rare , & qui était pa(fée en proverbe j aujfi fut-il chéri des femmes. La belle Niqa-

POEME. 27P

Thoma , fil/e de Toi" - Thoma , Prince \olJin de Ber- rathon j en devint éprife & s'enfuit avec lui. Il la quitta bientôt pour une autre : il eut mime la cruauté de con- duire Nina dans une île déferte j dans le deffein de l'y abandonner. Elle fut délivrée par OlTîan , qui arriva à Berrathon avec Tofcar , défit l'armée </'Uthal (S- le tua de fa main. Nina dont l'amour n'étoit pas éteint par la perfidie defon amant j mourut de douleur en apprenant fa mort. Oflîan & Tofcar rétablirent L.irmoi" fur le trône de Berrathon y & retournèrent triomphans vers Fingal.

\J TORRENT ! roule tes flots azurés autour de l'étroite vallée de Lutha j (i) forêts des montagnes j penchez- vous pour l'ombrager , quand à midi le foleil y darde tous fes feux. On y voit le chardon folitaire , dont la chevelure grisâtre eft le jouet des vents. La fleuc incline fa tête au fouftle du zéphir , «Se femble lui dire : « Zéphir importun , lailfe-moi repofer , laifTe- moi rafraîchir ma tête dans la rofée du ciel dont la nuit m'a couverte. L'inftant qui doit me flétrir eft pioche , & le vent jonchera bientôt la terre de mes feuilles delféchées. Demain le chalfeur , qui m'a vue dans toute ma beauté j reviendra : Çqs veux me cher-

B E R RA T II O N,

clicront dans la prairie que j'embelliirois : Ces yeux ne m'y trouveiont plus. » Ainfî l'on viendra do.ns ces lieux piêter en vain l'oieille pour entendre la voix à'OjJîan : elle fera éteinte. Le chafTeur au lever de l'aurore s'.ipprochera de ma demeure ; il n'y en- tendra plus les fons de ma harpe. " ej} le fils de l'illufire Fingal ? « Les larmes couleront fur fes joues.

Viens donc , ô Malvïna , viens en chantant me coiiduire dans la riante vallée de Lutha, cleve-y mon tombeau. Malvina , es-tu ? Je n'entends point ta voix chérie , je n'entends point tes pas légers : appro- che , fils à' Alpin, dis ; eft la fille de Tofcar f Le fils d"A L P I N.

Ojfian , j'ai palTc prcs des murs antiques de Tar^ Lij.tha. (2) La fumée ne s'éievoit plus de la falle des fêtes : les cris de la chalTe avoient cefTé : un morne filence régnoit dans les bois de la colline. J'ai vu les filles de Lutha qui revenoient un arc à la main. Je leur ai demandé étoit Malvina : elles ont tourné la tète fans me répondre , & leur beauté paroiiïoit cou- verte d'un voile de trifteiïe : telles dans la nuit s'obl- curciiïent les étoiles , lorfque leur lumière s'éteint dans un humide brouillard.

OSSIAN,

POE M E. 281

O s s I A N.

Repofe en paix , fille du généreux Tofcar. Aftre charmant , tu n'as pas brillé long-tems fur nos mon- tagnes. Belle & majeftueufe , au moment tu as difparu , tu refTemblois à la lune quand elle réfléchit fon image tremblante fur les flots \ mais tu nous as lailfés dans une afFreufe obfcurité. Nous fommes alîîs près du rocher ,aa milieu d'un vafte filence , & fans autre lumière que celle des météores. Aflre char- mant 5 tu-as bientôt difp.iru !

Mais femblable au point brillant qui part de l'O- rient , tu t'élèves dans les airs \ tu vas rejoindre les ombres de tes aïeux : tu vas t'afl^eoir avec eux dans le palais du tonnerre. (5) Un nuage domine la montagne de Cona\ fes flancs azurés touchent au firmament 5 il s'élève au-delFus de la région fouftlent les vents: c'eft-là qu'eft la demeure de Fingal. Le héros eft aiîis fur un trône de vapeurs : fa lance aérienne eft dans fa main. Son bouclier , à demi couvert de nuages , reflemble à la lune, quand la moitié de fon globe eft encore plongée dans l'onde, & que l'autre luit foible- ment fur la campagne. Les amis de i^iwD-i^/ font alîîs autour de lui fur des fièges de brouillards ; ils écou- tent les chants A'Ullin. Le Barde touche fa harpe

faatallique , & élevé fx foible voix. Les héros moins Tome I. Nn

282 BERRATHON,

diltingaés éclairent de mille météores le palais acrien. Au milieu d'eux , Malvina s'avance en rougilTant : elle contemple les vifages inconnus de fes ancêtres , & détourne fes yeux humides de pleurs.

" Pourquoi, lui dit Fingal , pourquoi viens - tu fi-tôt parmi nous , Fille du généreux Tofcar ? Quel deuil dans le palais de Lut ha j quelle douleur pour la vieillelfe de mon fils ! (4) J'entends le zéphir de Cona , qui fe plaifoit à foulever ton épailFe chevelure. U vole à ton palais , tu n'y es plus : il gémit entre les armes de tes aïeux. Étends tes ailes frémifTantes , ô zéphir , va foLinirer fur le tombeau de Malvina. U s'élève au pied de ce rocher fur les bords du torrent bleuâtre de Lutha. Les jeunes filles qui chantoient à l'entour fe font retirées. Toi feul , ô zéphir , y fais entendre tes plaintes.

Mais qui part du fombre Occident , porté fur un nuage ? Un fourire femble animer les traits obfcurs de fon vifage j fa chevelure de brouillard flotte fur les vents j il fe penche fur fa lance aérienne. O , Malvina , c'v-ft ton père : « Pourquoi , dit-il, pourquoi brilles-tu fi-tôt fur nos nuages , aftre charmant de Lutha} Mais tu es ttifte , ô ma fille : tu as vu difparoître tous tes amis. Une race ( 5 ) dégénérée nous remplace dans nos palais , & de tous ces héros , il ne refte plus c^\iOjJian ».

POEME. 283

Eh quoi , tu ce fouviens d'OJjlan _, illaftre Tofcar? Qui poarroic compter les combats de notre jeuneiïe ? Nos épées moillonnoient eiifemble dans le champ de bataille : nous tombions fur l'ennemi , comme deux rochers qui fe détachent du fommec de la montagne , & les fils de l'étranger difparoilfoient : voilà les guer- riers de Cona j s'écrioient-ils en fuyant , jamais ils ne combattent fans vaincre. Approche , fils à' Alpin , prête l'oreille aux chants du vieillard : les actions des fiècles écoulés font gravées dans mon ame , ma mé- moire dilTipe les ténèbres qui couvrent le pafle : elle fait revivre les exploits qui illuftrèrent le vaillant Tofcir y quand nous voguions enfemble fur l'abîme des mers. Approche , fils èi Alpin ^ écoute les derniers accens du chantre de Cona [6).

Fingal commande, je déploie mes voiles , & Tofcar Chef de Lutha , traverfa avec moi les plaines de l'Océan. Nous dirigeâmes notre courfe vers l'île de Berrathon. La mer qui l'environne , eft fans celTe agitée par la tempête ; c'eft-là qu'habitoit le géné- reux Larmor , courbé fous le poids des années : il avoir donné des fêtes à Fingal ^ quand ce héros vint au palais de Starno difputer le cœur à'Agandecca. (7) U thaï y fi fier de fa beauté , l'amour de toutes les bel- les, Uthal , fils de Larmor, voyant fon père accablé

Nni

284 B E R RA T H O N,

de vieilleiïe , le chargea de chaînes, &; uûirpa fou palais.

Le vieillard languit long-tems dans une caverne fur le rivage de fes mers. Le jour nailLant ne pcné- troi: point dans cette fombre demeure. Un chêne embrafé ne l'éclairoit point pendant la nuit : on y entendoit les mugiiremens des vents de l'Océan : l'antre obfcur ne recevoir que les derniers rayons de la lune à l'horifon , & Larmor voyoir luire l'étoile rougeâtre au moment elie tremble en fe plongeant dans les Hors de l'Occident.

'Snïcho j le compagnon de la jeunefle de Larmor j vint au palais de Fingal , il lui raconta les malheurs du Roi de Berrathon. Fingal s'en indigna : trois fois il porta la main à fa lance , réfolu d'étendre fon bras vengeur fur le perfide Uthal ; mais le fouvenir de fes exploits fe réveille dans fon ame & l'arrête (8) : il ordonne à fon fils & Tofcar de partir. Nous étions tranfportcs de joie en traverfant les fiots : nos mains impatientes fe portoient fans ceiïe à nos épées à demi tirées ; car jamais encore nous n'avions combattu feuls. La nuit defcendit fur l'Océan , les vents fe taifoient , la lune pâle & froide rouloit dans les cieux , les étoi-» les levoient leurs têtes étincelantes. Nous vogâmes quelques tems le long de la côte de Berrathon ,

POEME. 28j

les vagues blanciuirantes fe bi-ifoienc contre les

rochers.

» Quelle eft, me dit Tofcar, cette voix qui fe mêle au bruit des flots , elle eft douce mais trifte ? Eft-ce la VOIX de l'ombre d'un Barde? Mais j'apperçois une fille feule, aflife fur un rocher, fa tête pa.ichée fur fon bras de neige , les cheveux épars & flottans. Écoutons , fils de Fingal , écoutons fes chants , ils font agréables comme le gazouillement du ruUTeaude Lavach. Nous approchâmes à la faveur de la clarté .filencieufe de la lune , &; nous entendîmes cette complainte.

" Jufqu'à quand roulerez - vous autour de moi , fombres vagues de l'Océan ? Ma demeure n'a pas toujours été dans un antre profond, au pied d'un chêne cémilfant : il fut un tems je m'affeyois aux fêtes du palais de Tonhoma: mon Père fe plaifoit à enten- dre ma voix : les jeunes guerriers fuivoient des yeux ma démarche gracieufe , & bénilToient la belle Nina. Tu vins alors , mon cher Uthal , (9) tu me parus beau comme le foleil : les cœurs de toutes les jeunes filles font à toi , fils du généreux Larmor i mais pourquoi me laiires-tu feule au milieu des flots , mon ame a- t-elle médité ta mort ? Ma foible main a-t-elle levé le fer contre toi ? Mon cher Uthal , pourquoi m'abaii- domies-tu ? )>

28<5 BERRATHON,

Je ne pus entendre les plaintes de cette infortunée , fans rjpandre des pleurs : je me prcfentai devant elle couvert de mes armes , & je lui dis avec douceur : « Aimable habitante de cette caverne , pourquoi foupires-tr, ? Veux -tu c^nOjJian levé l'épée pour ta défenfe ? VeuK-tu qu'il déu'uife tes ennemis. Fille de Torchoma leve-toi , j'ai entendu tes plaintes touchan- tes. Les enhins de Alorvcn t'environnent : toujours ils protégèrent le foible , viens dans notre vaiireau , fille plus belle que cette lune qui brille à fon couchant , viens , nous dirigeons notre courfe vers les rochers de Berrathon , vers les murs retentiirans de Finthormo. »

Elle nous fuivit : Ça. démarche développoit toutes fes grâces. La joie reparut fur fon beau vifage \ ainfi quand au printems , les ombres qui couvroient la campagne font dillîpées , les torrens azurés brillent dans leurs cours , & l'épine verdoyante fe panche fur leurs ondes.

Le jour renaît , nous entrons dans la baie de Rothma. Un fanglier s'élance de la forêt , ma lance lui perce le flanc. Je me réjouis en voyant couler fon fang , &c je prévis l'accroilLement de ma gloire. (lo) Mais déjà la colline de Finthormo retentit fous les pas des guerriers d'Ut/ial ; ils fe répandent dans la plaine , & pourfuivent les fangliers. Uthal s'avance .i

F O E M E. 287

pas lencs, fier de fa force & de fa beauri. Il love deux lances affilées. Sa terrible épée pend à fon côté. Trois jeunes guerriers portent fes arcs polis : cinq dogues lécers bondilTeut devant lui. Ses guerriers le fui- vent , à quelque diltance^ & admirent fa démarche altière. Rien n'égaloit ta beauté, fils de Larmor; mais ton ame étoit fombre comme la face obfcure de la lune , quand elle annonce la tempête.

Uthjil nous apperçolt fur le rivage , il s'arrête j fes guerriers fe ralfemblent autour de lui. Un Barde en cheveux blancs s'avance vers nous, a D'où font ces étrangers , dit - il , ils font nés dans un jour malheureux , ceux qui viennent à Bcrraihon ^ braver la force à'Uthal : il ne prépare point de fêtes dans fon palais pour recevoir les étrangers ; mais leur fang rougit les ondes de fes torrens. Si vous venez de Sdma j du palais antique de Fïn- pal , choifilFez trois de vos jeunes guerriers , pour aller lui porter les nouvelles de l'entière deftruétion de fon peuple. Peut-être il viendra lui-même , fon fang coulera fur l'épée à'Uihal , & la gloire de Fin- thormo s'élèvera , comme un jeune arbre , l'honneur du vallon. »

«' Non, jamais, repliquai-je en courroux. Ton Roi

288 BERRATHON,

fuira devant Fingal. Les yeux du Roi de Morvcn lan- cent les foudres de la mort 5 il s'avance & les Rois ne font plus. Le foufïle de fa rage les fait rouler au loin, comme des pelotons de brouillards. Tu veux que trois de nos jeunes guerriers aillent annoncer à Fingal que ion peuple a péri , ils iront peut-être j mais du moins ils lui diront que fon peuple a péri avec gloire. »

J'attendis l'ennemi de pied ferme. Près de moi Tofcar tire fon épée : l'ennemi vient comme un tor- rent : les cris confus de la mort s'élèvent : le guerrier faifit le guerrier : le bouclier choque le bouclier : l'acier mêle fes éclairs aux éclairs de l'acier : les dards fîftlenr dans lair : les lances réfonnent fur les cottes d'armes , &; les épées rebondilFent fur les boucliers rompus. Tel au foufïle impétueux des vents , gémic un bois antique , quand mille ombres irritées rom- pent (es arbres au milieu de la nuit.

Vthal tombe fous mon épée , & les enfans de Berrathon prennent la fuite , à l'afpect de fa beauté je ne pus retenir mes larmes. " Tu es tombé , m'e- criaije , ô jeune arbre , £<. ta beauté eft flétrie. Lu es tombé dans tes plaines, & la campagne efl: trifte Sc dépouillée. Les vents du défert fouftlent j mais l'on

entend

F O E M E. 289

enrend plus frcmu- ton feuillage. Fils du généreux Larmor , tu es beau, même dans les bras de la mort.

Nina , aflîfe fur le rivage , écoutoit le bruit du combat. Lethmal y vieux Barde de Sdma , étoit reftc près d'elle : » Vénérable Vieillard , lui dit -elle en tournant fur lui fes yeux humides de larmes , j'en- tends le rugiiïement de la mort. Tes amis ont atta- qué Utkuly & mon héros n'eft plus. Ah ! que ne fuis- je reftée fur mon rocher , au milieu des vagues de l'Océan : mon ame feroit accablée de douleur ; mais le bruit de fa mort n'auroit pas frappé mon oreille. Es-tu tombé dans tes plaines , aimable Souverain de Finthormo ? Tu m'avois abandonnée fur un rocher ; mais mon ame étoit toujours pleine de ton image. Uthal j es-tu tombé dans tes plaines ? »

Elle fe levé pâle & baignée de larmes ; elle voit le bouclier à'Uchal couvert de fang ; elle le voir dans les mains d'Offian ; elle vole éperdue fur la plaine ; elle vole ; elle trouve fon amant ; elle tombe : fon ame s'exhale dans un foupir : fes cheveux cou- vrent le vifage de fon amant. Je verfai un torrent de larmes : j'élevai un tombeau à ce couple malheureux, & je chantai :

Repofez en paix , jeunes infortunés , repofez au murmure de ce torrent. Les jeunes filles en allant à Tome I, Oo

2>po B E R RA T H O N,

la chaife verront votre tombeau , & détourneront leurs yeux. Vos noms vivront dans les chants des Bardes j ils toucheront à votre gloire leurs harpes har- monieufes : les filles de Selma les entendront , & votre renommée s'étendra dans les contrées lointaines : dormez en paix , jeunes infortunés , dormez au mur- mure de ce torrent.

Nous reftâmes deux jours fur la côte. Les Hé- ros de Berrathon s'y raiïemblèrent. Nous condui- sîmes Larmor à fon palais : on y prépara la fête. Le vieillard faifoit éclater fa joie. Il ne fe lalfoit point de regarder les armes de fes aïeux , ces ar- mes antiques qu'il avoir lailfées dans fon palais , quand il en fut arraché par l'ambitieux UthaL Nos louanges furent chantées en préfence de Larmor : il bénit lui-même les Héros de Morven : il ignoroit que le fuperbe Uthal , fon fils , avoir péri dans le combat : on lui dit qu'il s'étoit enfoncé dans l'épaif- feur de la forêt pour cacher fa douleur & fes lar- mes j mais , hélas ! il étoit muet fous la tombe , au milieu de la bruyère de Rothma.

Le quatrième jour nous déployâmes nos voiles au fouffle favor.ible du Nord. Larmor vint fur le ri- vage ; fes Bardes le fuivoient en chantant : il re- gardoit avec joie la vafte bruyère de Roihma (13).

P O E M E. 2£2

Il apperçoic un tombeau ; le fouvenir de Ion fils fe réveille aulîi-tôt dans fon cœur ? " Quel eft celui de mes guerriers qui eft couché dans cette tombe ? Il paroît qu'il fut Roi. Étoit-il renommé parmi mes guerriers avant la révolte de l'orgueilleux Utkal ? Enfans de Berrathon , vous gardez le filence ! Le Roi des héros n'eft-il plus ? O mon cher Uckal , quoique ta main fe foit armée contre ton père , ta mort dé- chire mon cœur. Que ne fuis - je refté dans mon antre obfcur ! Mon fils habireroit encore le palais de Fïmhormo : j'enrendrois le bruit de fes pas , quand il pourfuivroit le fanglier dans la plaine. Sa voix auroit pu , fur les vents , parvenir jufqu'au fond de ma caverne , & mon ame alors eut goiité quelque joie : mais la triftelFe va pour jamais habiter mon palais. »

Tels étoient mes exploits , fils A' Alpin , quand mon bras avoit la vigueur de la jeunelfe. Telles étoient les grandes adions de Tofcar ; mais Tofcar eft maintenant fur le nuage qui vole dans les airs , & je fuis refté feul à Lutha. Ma voix eft comme le bruit mourant des vents , quand ils abandonnent les forêts \ mais Ojfian ne fera pas long - tems feul : il voit la vapeur qui doit recevoir fon ombre : il voie le brouillard qui doit former fa robe , quand il ap-

Ooi

25^2 B E R RA T H O N,

paroîtra fur fes collines. Nos foiBles defcendans me verront, & admireront la haute ftature des héros da tems palTé : ils fe cacheront dans leurs grottes , & ne regarderont le Ciel qu'en tremblant : car je marche- rai dans les nuages, & les orages rouleront autour de moi. j>

«'Conduis, fils à' Alpin ^ conduis le vieillard dans les bois. Les vents fe lèvent : les fombres flots du lac frémifTent. Ne vois -ru p.is un arbre dépouillé de {es feuilles fe pencher fur la colline de Mora ? Oui , fils à! Alpin j il fe penche au fouffle des vents bruyans. Ma harpe eft fufpendue à une branche deflechée. Ses cordes rendent un fon lugubre. Eft-ce le vent , ô ma harpe \ ou quelque ombre qui te touche en paiïant ?

C'eft , fans doute , l'amant de Malvina Mais

apporte-moi ma harpe , fils d'Alpin. Je veux chanter encore. Je veux que ces doux accords accompagnent le départ de mon ame. Mes aïeux les entendront dans leurs palais aériens. La joie brillera fur leurs faces obfcures 5 ils fe pencheront fur le bord de leurs nua- ges ; ils étendront les bras pour recevoir leur fils. »

Un chêne antique & revêtu de moulTe fe penche & gémit fur le torrent. La fougère flétrie frémir au- près , & fes longues feuilles ondoyantes fe mêlent aux cheveux blancs à' OJJian. Elfaie ta harpe, Ojfian^

POE M E. ?-93

& commence tes chants : approchez , ô vents , & déployez toutes vos aîlesj portez mes triftes accens jufquau palais aérien de Fingal , qu'il puilfe enten- dre encore la voix de Ton fils , la' voix du chantre des héros. Le vent du Nord ouvre tes portes , ô Fuigal y je ce vois ailîs fur les vapeurs , au milieu du foible éclat de tes armes. Tu n'es plus la terreur des braves. Ta fubftance u'eft qu'un nu.ige pluvieux , dont le voile tranfparent nous lailfe voir les yeux humides des étoiles. Ton bouclier eft comme la lune à fon déclin : ton épée eft une vapeur à demi enflammée j qu'il paroîc fombre & foible , ce héros qui jadis mar- choit fi brillant & fi fort !

Mais ru te promènes fur les vents du défert , &: tu tiens les noires tempêtes dans ta main. Dans ta colère tu faifis le foleil , &: tu le caches dans tes nua- ges. (15) Les enfans des lâches tremblent > & mille torrens tombent du ciel.

Mais quand tu t'avances calme &: paifibie , le zéphir du matin accompagne tes pas. Le foleil fouric dans fes plaines azurées: le ruiiïeau plus brillant fer- pente dans fon vallon : les arbrilfeaux balancent leurs têtes fleuries, & le chevreuil bondit gaiement vers la forêt. Un bruit fourd s'élève dans la bruyère , les vents orageux fe taifent. J'entends la voix de Fin-

2P4 B E R RA T H O N,

gi-il j cette voix qui depuis fi loiig-tems n'a frappé mon oreille : « Viens , me dit-il , viens OJJian , il ne manque rien à la renommée de Fingdl. Nous avons brillé un moment comme des flammes pafTagères ; mais nous avons quitté la vie comblés de gloire. Quoiqu'un éternel filence règne dans les plaines nous avons vaincu , notre renommée vit dans nos tombeaux : la voix à'Offlan s'eft fait entendre , 5c fa harpe a fait retentir les voûtes de Se/ma. Viens, OJfian , viens.. . . A ces mots , Fingal s'envole avec fes aïeux au milieu des nuages.

Oui , je vais te rejoindre , ô Roi des héros : la vie à'Offlan touche à fon terme. Je fens que bientôt je vais difparoître , bientôt l'on ne verra plus la trace de mes pas dans Se/ma. Je vais m'endormir près du rocher de Mora , & les vents fifflans dans mes che- veux blancs ne m'éveilleront plus. O vents , que vos ailes légères vous emportent loin de ces lieux : vous ne pouvez plus troubler le repos du Barde , fes yeux s'appéfantifTent. La nuit fera longue.... retirez-vous, vents impétueux.

Mais , fils de Fingal j pourquoi cette triftelfe , pourquoi ce nuage fur ton ame ? Les héros des tems anciens ne font plus , & leur renommée a péri avec eux. Les enfans des fiécles à venir pafferontj une race

P O E M E. 2££

nouvelle les remplacera : les hommes fe fiiccèdeiic comme les flots de l'Océan , ou comme les feuilles des bois de Morven. DelTéchées , elles volent au foufle des vents j mais bientôt on voit reverdir un feuillage nouveau. Ta beauté , O Ryno , * a-t-elle été durable ? Ta force, mon cher Ofcar , a-t-elle réfifté au tems ? Fingal lui-même n'a-t-il pas fuccombé , & les falles de fes aïeux n'ont-elles pas oublié l'empreinte de fes pas? Et toi. Barde décrépit, tu refterois fur cette terre d'où les héros ont difparu ! Non , mais ma gloire reliera j elle y croîtra comme le chêne de Morven , qui oppofe fa large tête à l'orage , & fe rit des efforts des vents.

* Fils de Fingal, voyez le Poème fuivant.

Fin du Poème de Berrathon.

2^6 BERRATHO N,

NOTES DU POEME DE B ERRA THON.

(i) Luiiij étol: la patrie de Matvlna.

(z) La tradition n'a pas traiifmis le nom de ce fils A' Alpin. Al- pin ilov. un des principaux Bardes de Fingal.

(3) FaUis de /"o/Ijr.

(4) La defcription de ce palais idéal de Fingal eft poétique & conforme aux opinions du tems. On croyoit, comme nous l'a- vons déjà dit , que ces héros confervoient après leur mort , les mêmes goûts, les mêmes padîons qu'ils avoicnt pendant leur vie.

^y) Ojftan éîoit très-attaché à Malvina , tant à caufe de l'amour qu'elle conferva jufqu'à la mort pour Ofcar, que pour les foins qu'elle avoit de fa vieiUelTe, & l'attention avec laquelle elle écou- toit fes Poèmes.

(6) Tofcar, il étoic fils de Contock, Se frère de l'infortunée dent on a vu la mort tragique dans le fécond livre de Fingal.

(7) Ojjtan appelle ceux qui fuccédèrent aux héros dont il célè- bre les aftions , Fils des petits hommes , pour marquer le mépris qu'il a pour eux. La tradition eft abfolument muette fur ce qui s'eft palTé dans le nord de l'Écoïïè après la mort de Fingal, & de tous fes héros. Mais on peut conclure de l'expreflîon méprifante êïOf- Jîan, que les defcendans de ces célèbres Fingaliens avoient bien dégénérés,

(8) OJfian fait entendre par cette expreiîion que c'eft le dernjec

PocmÊ

POEME. 2£7

Poëme qu'il compofa; ainlî c'eft avec fondemer,: que la tiaditioii lui a donné le titre de dernier Hymne aOjfian.

(9) Il fe battit pour cette belle avec Swaran : voyez Fingal, livre premier.

(îo) Fingal auroit cru compromettre fa gloire , en fe niefurant avec un petit Souverain, dont la valeur & les forces éîoient fi peu confidérables.

(i i) Ut Aal était Roi de Finthormo; les noms de cet épifode ne font point Celtiques, d'où l'on peut conclure que le Poërae à'OjJtan cft fondé fur une aventure réelle.

(I^) Ojjtan croit que le fanglier qu'il a tué à fon arrivée à Ber- rathon eft un préfage favorable pour le fuccès de fon entreprifc. Les montagnards d'EcofTe font encore une attention fuperftitieufc au fuccès de leur première aftion , quand ils fe font engagés dans quelque grande entreprife.

(13) la bataille s'étoit livrée. \

(14) Ici commence la pièce lyrique, qui, fuivant la tradition, terminoit les Poëfies A'Ojfan. Elle eft mife en mufique, & on la chante encore dans le nord de l'Ecoffe ; l'air en eft (impie & fau- vage & peu varié.

(15) Cette magnifique defcription du pouvoir de Fingal fur les vents, fur les tempêtes, fur le foleil Q^\îil faific , î5 qu'il cache dans Us nuages , fjmble contradiiftoire avec ce c^n'Ojfian a dit dans le

Tome I. Pp

^9^ __B E R RA THON, &r.

paragraphe précédent , il repréfence Fingal comme une ombre foible, & qui n'cft plus la terreur des braves. Mais tout cela eft con- forme aux opinions du tems: on croyoit que les ombres comnian- doient aux vents & aux tempêtes , mais qu'ils n'avoient plus de force pour combattre.

V A N E.

SUJET.

XXYNO , fils de Fingal , qui j comme on l'a vu dans le

Pùéme de Fingal , fut tué en Irlande , dans la guerre

contre Swaran j e'toic remarquable par fa beauté _, fa

légèreté à la courfe j & par fes exploits. Minvane ,

fœur de Gaul , do.-it il efl fl fouvent quefiion dans les

Poëmes dO'X\3.\\ , aimait Ryno. Sa complainte fur la

mort defon amant , était un épifode d'un long Poème

d'OiTïd.n , & cet épifode ef le feul fragment du Poème

qui J'oit parvenu jufqu'à nous. Le Poëte reprtfente

Minvane fur un rocher j & voyant arriver d'Irlande la flotte de Fingal.

Ppz

M I N V A N E,

iVliNVANE trille, le vifage enflammé , fe penchoit du haut du rocher de Morvcn , fur la vafte étendue des mers. Elle vit nos jeunes guerriers s'avancer , couverts de leurs armes brillantes. « es-tu Ryno > es-tu ? )j

Nos regards , triftes & baillés , lui difoient que Ryno n'étoit plus , que l'ombre de fon amant s'étoit en- volée dans les nuages, qu'on enrendoit fa foible voix murmurer avec le zéphyr dans le gazon des collines.

" Quoi ! le fils de Fing^il efl: tombé dans les vertes plaines d'Ul/in ! Le bras qui l'a terraffé étoit donc bien puifTant ! Et moi , hélas ! |e refte feule. Non , je ne relierai pas feule , ô vents qui foulevez ma noire chevelure , je ne mêlerai pas long - tems mes foupirs à vos (ifïlemens. Il flrut que je dorme à côté de mon cher Ryno. Cher amant, je ne te vois plus revenir de la chilfe , avec les grâces de la jeu- iielTe. L'ombre de la nuit environne l'amant de Minvane j & le filence habite avec Ryno.

font tes dogues fidèles ? eft ton arc ? Ton bouclier impénétrable ? Ton épée femblable au feu du ciel ? Ta lance toujours enfanglantée.

Hélas ! j'apperçois tes armes entafTées dans ron vaiiïeau. Je les vois couvertes de fajig : on ne les a

.. POEME. ;oi

donc pas placées près de toi dans ta fombre demeure , o mon cher Ryno. Quand la voix de l'aurore vien- dra-t-elle te dire : lcve-toi,jcunc guerrier , les chajeurs font déjà dans la plaine : le cerf ejl près de ta demeure. Retire-toi , belle aurore , retire-toi , Ryno dort : il n'entend plus ta voix , les cerfs bondilTent fur fa tombe. La mort environne le jeune Ryno; mais je marche- rai fans bruK , ô mon héros , & je me glilferai dou- cement dans le lit tu repofes. Mmvarze fe cou- chera en filence d côté de fon cher Ryno : mes jeunes compagnes me chercheront ; mais elles ne me trou- veront point : elles fuivront en chantant la trace de mes pas ; mais je n'entendrai plus vos chants , à mes compagnes : je m'endors auprès de Ryno.

Fin du Poème de Minvane.

D'UNE NUIT DU MOIS D'OCTOBRE DANS LE NORD DE L'ECOSSE.

,v ... .. .SUJET.

>^ . .r;. •■^. ,].' .:.. * C-TNQ Bardes raffemblcs la nuit che^ un Chef qui ejl

Poète lui-même , fartent tout-à-tour ^^ pour ohferver les

variations de l'athmofphèrc , & décrivent en rentrant ce

qu'ils ont vu.

* Ce Pocnie n'eft point d'Ojpan , il a même éié compofé

plus de mille aus après lui ;• mais coinaie l'Auteur de cette

pièce a beaucoup de manière - du 'Barde ÉcofTois , nous

croyons faire plaiûr à nos Lecteurs en la joignant ici.

P_0_E Jil E- 30^

PREMIER BARDE.

J_iA nuit eft tride & fombre , les nuages repofent amoncelés fur les collines : la lune ne paroîc point dans les cieux : pas une étoile qui brille. J'entends le bruit fourd & confus des vents dans la foret loin- taine : le torrent murmure tiiftement au fond du vallon : la chouette glapillante crie au haut de l'arbre qui eft auprès de la tombe des morts. J'apperçois un fantôme dans la plaine ; c'efl: l'ombre d'un guerrier qui n'efl: plus. Elle fe dillips : elle s'efl: évanouie. On portera par ce chemin quelqu'un dans la tombe : ce fantôme lui a tracé fa route.

J'entends un chien aboyer dans une cabane éloi- gnée j le cerf eft couché fur la moulTe de la monta- gne ; fa biche repofe à fes côtés : elle a entendu lè- vent réfonner dans fon bois , je la vois qui fe drelTe avecefFroi : elIeferalFure&fe recouche fur la bruyère. Le chevreuil dort dans le creux d'un rocher , la tête du coq de bruyère eftcachée fousfon aîle. Nul animal, nul oileau dans la plaine que le renard & la chouette. L'une eft perchée fur un arbre fans feuilles , l'autre paroît dans un nuage fur la cime du coteau.

Le voyageur ttifte , hâl'etant , trenrblant dans les ténèbres a perdu fa route : il aivaiice ait traVers des

304. DESCRIPTION D'UNE NUIT,

I ^^^laiM»! iiii iiif ' - r

épines & des buiiïbns , &c fait avec inqiiicrude le ga- zouillement du luifiTeau : il craint les rochers & les marécages: il redoute les fantômes de la nuit. Le vieux arbrç gémit fous l'effort des vents : la branche tombe , retentit fur la terre, & le vent chafTe devant lui fur le <Tazon les clouterons flétris & enchaînés enfemble : il croit entendre les pas légers d'un fantôme: il fiil- fpnne dans l'obfcurité.

La nuiteft fombre, nébuleufe , orageufe : les vents, les fantômes , les morts font dans la plaine : mes amis, recçvez-moi : fauvez-moi de la nuit.

SECOND BARDE.

Le vent s'eft élevé , la pluie defcend , l'efprit de 1.x tnonragne crie , les arbres. fe choquent iSc tombent ^vec fracas , les portes battent contre les cabanes. L'our.agan chafle de la colline le cheval , la chèvre & la géniire mugilTante ; battus de la pluie ils tremblcnf ai^iprès d.u bord qui s'écroule. Le torrent fe gonlle Ôf roule â'graiid bruit fon onde écumante. Le voy..a- geur fonder le gué : entendez - vous ce cri ? U meurt. Le chalIeiH- fe réveille brufquement dans fa hutte folitaiie ,,il rallumç Içs dernières étincelles de fon foyer, Ses dogues huuiidcSi& fumans fe rangent au- tour de Ipju irpxcjrç. 1,1 |bruyC'^j9. datif If^ .cvévplfes de

P O E M E. 5^

fa cabane :piès 'de la porte, deux rorrens qui defcen- dent de la montagne , fe choquent & fe mêlent en mugUTant. Le berget égaré, s'aflied , trifte & rêveur , fur le penchant de la colline ; il attend que la lune fe lève pour le guider vers fa chaumière.

Les fantômes montent fur l'orage : on croit en- tendre les fons de leurs voix foibles , dans les inter- valles que laiffent les bouffées de >vent ; leurs chants font de l'autre monde. La pluie a celTé : un vent fec fouflle : les torrents grondent: des gouttes froides tom- bent du toît. Je vois le ciel femé d'étoiles ; mais la pluie s'amoncelle de nouveau : le couchant eft chargé d'épais nuages. La nuit eft orageufe , épouventable. Mes amis, fauvez-moi de la nuit.

TROISIEME BARDE.

Le. vent continue de mugir dans le creux des montagnes , Se de fiffler dans le gazon des rochers. Les fapins tombent déracinés : la cabane de chaume eft emportée : les nuages volent partagés au travers des cieux , & lailfent voir par intervalles les étoiles qui étincellent. Le météore , préfage de la mort , voltige & brille dans l'épailfeur des ombres ; il s'ar- rête au haut de la colUne , je vois à fa clarté la fou- gère defféchée , le noir fommet du rocher , le chêne Tome I. V

5o6 DESCRIPTION D'UNE NUIT,

renverfé ! Quel eft celui que je vois près du torrent, enveloppé de (es vêtemens funèbres? Les vagues fe pouffent à flots preiTés fur le lac , & battent les ro- chers de fes bords. Une barque eft fur le côté , les rames fe balancent fur les flots : une jeune bergère eft affife près du rocher, &c regarde triftement couler le torrent. Son amant lui a promis de venir à la fin du jour : elle a vu fa barque fur le lac. Ah ! l\ c'étoit celle qu'elle voit brifée fur le rivage ! Sont - ce les gémiiremens de fon amant , qu'elle entend dans le fîfflement des vents ?

Ecoutez comme la grêle tombe j des flocons de neige defcendent en lilence des nues : la cime des monts blanchit , les vents fe taifent, la nuit eft in- conftante &c froide ! O mes amis , fauvez-moi de la jiuit.

QUATRIEME BARDE.

La nuit eft calme iSc pure j les étoiles étincellent fur un fond d'azur ; les vents ont fui ave<c les nuages j ils s'abîment derrière la colline : la lune eft fur le fommet de la montagne : à fa clarté brillent les ar- bres , les rochers , le lac tranquille, & le torrent du .vallon.

Je vois la terre jonchée des débris des aibres ; les

POE M E. 307

gerbes de bled difperfées dans la plaine j le valet vigilant qui les ralfemble en fîfflanr.

La nuit eft calme & belle , qui vois-je venir du féjour des morts ? J'apperçois un fantôme revêtu d'une robe de neige , aux bras d'albâtre , à la noire chevelure. Ah ! c'eft la fille de notre chef, que n'a- guère la mort nous enleva. Viens, belle ombre, viens te montrer à nos yeux. Tu faifois les délices des héros .... ; mais le fouftle des vents chaffe devant eux le fantôme j il perd fa forme, ce n'ed: plus qu'une blancheur qui s'étend fur la colline. Un vent frais chalfe lentement le brouillard léger qui repofoit fur le vallon : iws'élcve fur la colline : il monte dans les cieux. La nuit eft azurée , calme , étoilée : la lune brille. Mes amis , laiffez - moi jouir de cette belle nuit.

CINQUIEME BARDE.

' La nuit eft calme, mais menaçante. La lune eft af- fife fur un nuage du couchant : fa pâle lurnière fe meut lentement le long de la colline qui s'obfcurcit par dégrés. On entend le bruit fourd des vagues éloi- gnées. Le torrent murmure fur le rocher j le coq chan- te. La nuit a patfé le milieffde fa courfe: la ménagère s'éveille dans l'obfcurité , & va ranimer le feu caché

Vi

3o8 DESCRIPTION D'UNE NUIT,

Ibus la cendre. Le chaireiir croit que h jour approche , il appelle fes dogues qui accourent & bondilfent de- vant lui. Il monte en fifllant la colline : une bouffée de vent écarte les nuages j le char étoile da r.ord fe dé- couvre à fa vue. L'aurore eft loin encore; il fe couche & fommeille fur la mouffe du rocher.

Ecoute le tourbillon qui agite la foret fc murmure triftement dans le vallon : c'eft la redoutable armée des morts qui revient du haut des airs.

La lune s'efl: tout-à-fait cachée derrière la colline, fes derniers rayons en blanchlffent foiblement le fom- met. L'ombre des arbres s'allonge encore : maintenant tout eft ténèbres. La nuit eft noire , filerifieufe , épou- ventable j mes amis , recevez-moi , & fauvez-moi de la nuit.

LE CHEF.

Qu'importe que les nuages repofent fur les collines , que les fantômes voltigent dans la plaine , &c fiffent frifTonner les voyageurs , que les vents grondent dans la forêt , que les bruyans orages defcendent du fein des tourbillons , que les torrens mugiffent , que les météores enflammés rempIifTent les airs , que la lune pâliiTance s'élève au-deffi.i? des montagnes ou cache fa tête dans les nuages , que la nuit foit orageufe ou

POEME. 509

calme , azurée ou fombre ; la nuir fuit devant le rayon qui part de l'orient j le jour rajeuni, renaît du fein des ombres ; mais nous , hélas ! nous ne revenons point du fein du tombeau. font nos Guerriers des /îécles paffés ? font nos Rois fameux ? Le filence rcgne fur leurs champs de bataille; à peine leurs tom- bes cachées fous l'herbe fubfiftent encore : Et nous aullî , bientôt nous ferons oubliés! Cette demeure nous chantons s'écroulera ; nos defcendans n'en pour- ront trouver les ruines. Ils demanderont aux plus an- ciens vieillards : « s'élevoient les murs de la de- meure de nos pères ? u

Elevez vcs voix Se touchez vos harpes, videz à la ronde la coupe de la joie. Sufpendez cent torches al- lumées 5 jeunes Bergers, jeunes Bergères, commencez vos danfes. Qu'un vieux Barde fe tienne auprès de moi , & me raconte les exploits des tems palTés , l'hif- toire des Rois célèbres de notre pays, & de tous les Guerriers que nos yeux ne voient plus. Charmons ainfi le refte de la nuit, jufqu'à ce que l'aurore éclaire nos demeures ; alors que l'arc foit tendu , que les chiens &c les chaffeurs foient prêts , nous monterons les coteaux avec le jour, 3c nous réveillerons les cerfs endormis.

Fin du Tome f re m j e r.

jd:^

W^.^. ;l;; , >S..^ _;.t ■-■ .:ÂÎ -■y^r i^'^

;^'^^;?

.-^K^if^i^

:'^r^,^v..*:

z^^!.^'^'

:^;;*lé'

. -, ,. I.^'# i'i ir. i «M L . . . .. ,

:^ * * ■«■ t .* f # «'# n'ê ^^ 0'M^^ 't i^ i ^ -^ ^* # # t't ■§ f 'i #^-* 1 « t #' f ¥.#^- ^ ^^^ - * -1 I .f f i È $ i II.* « i 4 fit

. .:: -' ^ ^ -^ M ^ -^ i ê 4 t ^,11

i^J-j:*

- f t f i i .0 ..

4 l'* ê M M .* f

# * .tfe * ,*

# *'*^

i-i fïï il'

^ * H «../l * t

'•••■■^•'^^^^^ ^K•^^ •^»^*:'&^^:y''*"

*«*■■*■»

Vi^i»»»V»V»%V.

r f^ r*5^

jîSNmsmstÊB

.; 4 M' Ê * ^ '^'^ « i # #? fM«e «^ i^ w ^

t a â '* f *.

. i' i, l'if M # *

; f If f *. - * « ^; ^ ,9. .|

^é'^îi

■■■ 1

■■M

■^B ' ^M ^mM

V

i

■■■■,

■■■ii:

a J>, V. -a. s.

j i $ * i a^t « i i I, # il.,:

^ ^ . ,. . i. i t .i'

# il t 1^ f ,1^