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University of Ottawa
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PAULINA
ROMAN DES TEMPS APOSTOLIQUES
NIHIL OBSTAT
IMPRIMATUR
Die 2a Martii 1918
L. LiNDSAY, CAN.
Censor delegatus
L.-N. Caed. Begin,
Arch. de Québec
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LIBRARY
718835
UMIVERSITY OF TORONTO
Enregistré conformément à l'Acte du Parlement du Canada, concernant la propriété littéraire, l'an mil neuf cent dix-huit, par l'honorable juge A.-B. Routhier, au ministère de l'Agri- culture et des Statistiques, Ottawa.
QUELQUES LETTRES
I
Lettre de Mgr Paquet.
Séminaire de Québec,
25 mars 1918.
UHonœable Sir Adolphe B. Routhier L. D. et H. L. D. U. L., Juge de la Cour d'Amirauté, ancien juge de la Cour Supérieure à Québec.
Monteur le juge.
Vous m'avez fait Vhonneur de m'adresser en hommage un exemplaire de votre dernier livre : Paulina, roman des temps apostoliques.
Un roman : — il me faut bien vous avouer ma par- faite inaptitude, à apprécier, au point de vue de Vart, ces œuvres de fiction dont la structure varie avec le thème et le but, et où les secrets de composition et les procédés d'imagination échappent à mon humble compétence.
Mais il y a des romans qui visent plus haut que les effets de style, et l'amusement de l'esprit ou l'émoi de^ cœurs blasés.
En écrivant Paulina, l'auteur de cet autre livre si justement loué De l'homme à Dieu, a voulu offrir au public de l'apologétique en action. Et c'est ce dont j'ai le plaisir de le féliciter.
En vous lisant, Monsieur le Juge, nous assistons à
1
X QUELQUES LETTRES
la naissance merveilleuse de l'Eglise. Nous voyons le christianisme dans la personne du grand apôtre Paul de Tarse, aux prises, avec le judaïsme et le paganisme coalisés. Vous faites revivre sous nos yeux cette lutte décisive de la droiture contre le préjugé, de la vertu contre la passion, de la vérité contre l'erreur, du Dieu de Naza- reth contre les dieux de l'Olympe. La figure de saint Paul nous apparaît dans une série de tableaux où se peint toute la force divine, toute l'héroïque grandeur de ce fai- seur de tentes. L'Apôtre prêche, souffre et meurt ; mais dans son sang, et dans celui d'intrépides martyrs que sa parole et son exemple ont conquis à Dieu, la religion chrétienne puise une incomparable fécondité.
Voilà ce que nous montre en un style si élégant Pau- lina, et j'en conclus que l'auteur, fidèle aux plus nobles traditions de sa plume, a bien mérité, cette fois encore,, des Lettres Chrétiennes.
Veuillez agréer, cher Monsieur, avec mes félicitations^ l'hommage de mes sentiments respectueusement dévoués.
Louis-Ad. Paquet.
II
Lettre de L'Abbé Sylvio Corbeil.
Principal de l'Ecole Normale de Hull. Hull, P. Q. 2 avril 1918.
A Sir A. B. Routhier
Rue d'Auteuil, Québec.
Au sortir de la lecture de votre " roman des temps apostoliques " je viens vous dire mon contentement.
Au cours de ma vie, j'ai lu infiniment^ d'ouvrages littéraires. L'épopée, plus que tout autre genre, m'a donné d'exquises jouissances ; et c'est une vraie jouis- sance d'art que je viens de goûter en lisant Paulina.
A mon avis, c'est un poème épique que vous publiez : Le héros et l'œuvre que vous chantez dans votre prose har- monieuse, je veux dire saint Paul et l'établissement du Royaume de Dieu parmi les Gentils, sont un sujet plus grandiose que ceux de T Enéide et de riliade.
Homère et Virgile ont dû enchérir même sur les légendes nationales pour donner à leurs héros et à leurs actions des proportions surhumaines. Mais vous, vous avez raconté, avec la probité de l'histoire, des personnages et des événements dont la juste grandeur a suffi à votre muse, ou plutôt à votre génie, que l'enthousiasme sacré exalte, pour porter votre âme et la nôtre plus haut que la région du sublime en littérature, je veux dire jusque dans les hau- teurs du merveilleux chrétien.
XII QUELQUES LETTRES
Toutefois, dans ce poème de Paulina vous avez mêlé à l'histoire assez de fiction pour qu'on puisse le ranger parmi les romans. Ce double domaine de l'histoire et de la fiction vous a permis d'y buriner des personnages représentatifs de l'humanité en face de ceux de l'Evangile ; et votre imagination très riche, créatrice de grâce et de beauté, a su y faire évoluer les péripéties d'un drame sai- sissant, tour à tour humain et divin.
Tout le long du volume, j'ai savouré le charme des couleurs locales, qui font voir les choses et les âmes antiques dans leur éclat propre, et j'ai admiré en même temps les aspects psychologiques de ces âmes qui ont évolué autour de saint Paul et qui fuirent rebelles ou dociles à son apostolat.
La couleur locale s'étend également aux éléments pittoresques du poème, et fait ressortir la vérité des des- criptions.
Comme Lamartine et Chateaubriand vous avez visité les lieux décrits dans Paulina et dans le Centu- rion, et vous en avez esquissé les dessi7is de particulière beauté avec un grand bonheur d'observation.
Enfin, vous avez su, mieux que les auteurs de Ben- Hur et de Quo-Vadis, faire briller sur tout ce qu'il y a d'humain et de terrestre dans vos romans des reflets de la splendeur de Dieu.
Cet autre élément de couleur et de vérité est indispen- sable dans un poème qui célèbre V établisseinent du Roy- aume de Dieu,, et saint Paul, l'homme du troisième ciel.
Et voilà ce qui fait la bemdé de vos deux romans : Dans le Centurion je vois le Dieu de la Rédemption descendant parmi nous, et se reflétant dans les âmes
QUELQUES LETTRES XIII
dressées vers lui ; et, dans Paulina, c^est l'humanité rachetée qui monte vers son Père céleste, avec dans l'esprit, des splendeurs de foi qui illuminent les mystères, et dans le cœur, des ferveurs de charité qui précipitent aux hé- roïsmes du martyre.
De pareils sujets sont un péril pour l'écrivain, mais ils le grandissent quand il peut les porter, comme on porte des flambeaux, et les placer sur le piédestal qui leur con- vient. Les deux romans poèmes se complètent l'un l'autre, et forment un tout harmonieux, je pourrais dire un même ouvrage en deux volumes.
La même lumière jaillit du même sujet qui est divin, et donne aux deux œuvres les reflets que l'art exige.
Il m'est souvent arrivé dans les beaux soii's d'été, au bord d'un lac tranquille, de contempler le ciel constellé, tantôt en levant les yeux vers l'azur pers du firmament, tantôt en les abaissant vers le miroir des eaux limpides, et ces deux tableaux me paraissaient d'égale magnificence.
C'est une double beauté du même genre que j'admire dans les rayons qui jaillissent du sujet, et dans les reflets qui se dégagent de votre œuvre.
J'applaudis donc avec bonheur au nouveau succès de votre plume, et j'espère que vos lecteurs éprouveront à vous lire les satisfactions de l'esprit et les saines émotions que j'ai éprouvées moi-même.
Sylvio Corbeil, Ptre.
:XIV QUELQUES LETTRES
m
Lettre de Mr. A. D. DeCelles.
à l'Editeur de la Presse.
Mon cher ami,
Vous me demandez mon avis siir le roman Paulina, ■que Sir A. B. Routhier a publié dans la Nouvelle France et qui vient de paraître en volume. Votre culture littéraire m'est assez connue pour vous assurer que mon appréciation de ce magnifique travail doit concorder avec la vôtre. Je me suis délecté à le lire au fur et à mesure de sa publication, et c'était toujours avec un désir plus vif que j'en attendais la suite.
Ce n'est pas d'hier que les œuvres du Juge Routhier ont attiré mon admiration. En remontant la suite des années, je le trouve à ses débuts tenant tête à nos meilleurs écrivains de 1870 et de 1871, qui du camp opposé au sien, ne le ménageaient guère. C'étaient des hommes coinme Fréchette, Buies et Dessaides qui le guettaient pour le trouver en faute. Que lui reprochaient-ils 1 Tout sim- plement de trop imiter Louis Veuillot, au point de vue des idées et du style. Après avoir croisé le fer avec ces rudes polémistes, il dut en 1872, répondre à certains écri- vains anonymes qui le prirent à parti lui et ses amis. Mal leur en prit, car " Jean-Piquefort " pseudonyme alors de M. Routhier, leur renvoya la balle avec une verve iro- nique, un esprit mordant plein de malice, qui mirent les rieurs de son côté.
QUELQUES LETTRES XV
Ses critiques ri'eurent pas lieu de se féliciter d'avoir ■provoqué Routhier à cette bataille littéraire.
Depuis, Vauteur de Paulina, faute de combattants à pourfendre, se renferma dans une attitude de guerrier retiré des affaires ; mais il a publié plusieurs volumes dHmpressions de voyages et de discours.
V impression que V étude du dernier ouvrage du Juge Routhier m'a laissée, c'est qu'à mesure qu'il avance en âge son style rajeunit, avec plus d'ampleur, et plus de coloris qu'autrefois. Le sujet qu'il traite, — la carrière de saint Paul — de toute évidence, le passionne et commu- nique à sa narration une chaleur qui va jusqu'à l'enthou- siasme. Aussi n'est-il en dehors de la vie incomparable du Christ aucune existence plus susceptible de soulever l'émotion que celle de l'apôtre des Gentils f Depuis le jour, où sur la route de Damas, un coup parti du ciel lui ouvrait les yeux à la vérité, au moment où il songeait à continu£r la persécution des Chrétiens, — sa tâche jusque là — quelle suite d'événements merveilleux !
Enveloppé de la grâce et de la lumière d'en-haut, il parcouH maintes régions, arrachant à l'erreur, pour les ranger sous l'étendard du Christ, des milliers de païens convertis par sa prédication.
Au court de son récit, V auteur 7ious conduit à la suite de Paul à travers l'Asie Mineure, la Macédoine, la Grèce, à Athènes où il parle devant l'Aréopage, à Corinthe, à Ephèse, à Rome, établissant partout des Eglises Chré- tiennes.
En présence des merveilles que ne cesse d'accomplir Paul, armé du bouclier de la foi et du glaive de la parole, l'écrivain sent son admiratioii grandir, s'il est possible,
XVI QUELQUES LETTRES
au point que son style prend parfois le ton de l'épopée.
Certains critiques préféreraient un récit plus swiple. Ce n'est pas notre 7nanière de voir. Les plus belles choses ne méritent-elles pas d'être Us mieux dites pour être plus édifiantes ? "La lecture des Epîtres de saint Paul, dit un de ses admirateurs, me jette de plus en plus dans le ravissement de la vérité. C'est un océan dont Dieu est partout le rivage ! "
En l'an 67 de notre ère, Néron interrompt la course miraculeuse de Paul, il le fait décapiter le jour même où Pierre, le chef des Apôtres, est mis en croix. Portées sur les ailes de la foi, leurs âmes allèrent recevoir la cou- ronne des martyrs.
Parallèlement à l'histoire de saint Paul, se développe dans le livre de Sir Adolphe, un épisode romanesque aboutissant à un dénouement tragique. L'imagination de V auteur fait rencontrer le jeune Agrippa, fils de Félix, prince qui aspire au royaume de Judée, et Paulina, fille de Sergius Paulus, proconsul de Chypre, converti à la foi catholique pendant que sa femme et sa fille sont encore plongées dans les ténèbres de l'erreur. Ils se rencontrent sous les superbes portiques du temple de Salomon à Jéru- salem qui, sous la plume de Sir Adolphe revêtent les splen- deurs qui faisaient l'admiration du inonde antique.
Inutile d'ajouter que la jeune fille, au cœur prompt à s'attendrir, ne tarde pas à correspondre à la flamme d' Agrippa.
Le coup de foudre de l'amour n'a pas été inventé de nos jours. Mais un obstacle surgit entre leur affection et sa conclusion naturelle. Paulina touchée par la grâce renonce aux faux dieux pour s'agenouiller devant le vrai
QUELQUES LETTRES XVII
Dieu. Agrippa l'aurait peut-être suivie dans la voie du salut sans l'intervention de sa mère implacable qui le supplie d'oublier Failli na, car son amour pour cette chré- tienne l'empêchera de monter sur le trône de Jérusalem, auquel l'appellent ses relations politiques et sa naissance.
Agrippa se laisse entraîner, après la mort de Paulina, jusqu'à se plonger dans la débauche pour perdre le souve- nir de son amie tant admirée. Celle-ci meurt martyre au milieu des flammes ; sa foi éclate plus forte que l'a- mour, plus forte qu£ la 77iort. Agrippa périt au milieu d'une éruption du Vésuve à Pompéi.
La lecture de Paulina met en lumière la profonde éru- dition de l'auteur, ses connaissances des régions par- coût ues par le grand apôtre ; il les connaît aussi bien que la province de Québec, et les décrit avec minutie et splen- deur, sa plume, se transformant ici en pinceau pour don- ner au tableau une intense ccndeur locale.
Après la publication du Centurion et de THomme à Dieu, livres propres à raffermir les croyants et à rame- ner les incrédules, il est peut-être permis de ranger Sir A. B. Routhier parmi les bons combattants de l'Eglise. Il ne pouvait mieu.v terminer sa belle carrière qu'en consacrant à une grande cause une ardeur que ses amis souhaitent voir s'éteindre le plus tard possible. Le Centurion a été traduit — succès inouï dans la librairie canadienne — en anglais, en italien, en espagnol, en allemand et en hongrois.
Ce n'est pas souvent que l'on voit un Juge mener de front le travail d'un magistrat et de vastes études litté- raires, et il convient de citer la féconde entreprise de Sir Adolphe, bel exemplaire de ce que peut produire notre
XVIII QUELQUES LETTRES
race, exemplaire de luxe, pourrions-nous dire. Il représente un type d^ homme comme il en faudrait davantage pour la gloire et pour la santé morale et intellectuelle du pays.
IV Lettre du R. P. Làlande.
Colnmhus, Ohio U. S. ^4 avril 1918.
Cher Sir Adolphe,
Votre Paulina, dont vous m'avez fait un si délicat hommage, était dans ma valise, retour de Québec ; et ma valise a été volée.
Voilà au moins un voleur intelligent : il ne pouvait mieux choisir ! Non pas en prenant mon pauvre sac, en vieux cuir râpé, et mon linge, que je ne consens à porter qu^à condition que personne ne le voie, mais en me prenant Paulina.
// va faire une belle et intéressante lecture. Il va con- naître saint Paul, et les Actes des Apôtres, et les premières aimées du christianisme, comme bien peu de gens, qui ne volent pas de valise, les connaissent.
Il sera bien attrapé si Paulina le convertit, et si, pris de remords, il me rapporte mon vieux sac . . . et son contenu !
Heureusement j'avais lu Paulina, à Québec, entre deux instructions aux Voyageurs de Commerce ; et cette lecture m'a laissé des impressions assez profondes pour que je puisse vous dire combien et pourquoi je l'admire, et pourquoi je vous félicite et vous remercie.
QUELQUES LETTRES XIX
Evidemment, Paulina ne ressemble pas à votre ouvrage De l'Homme à Dieu, qui est un traité didactique.
Mais il .s'y trouve des enseignements nouveaux et pré- cieux, des rectifications importantes d^erreurs populaires, des faits historiques concernant VEglise mis en relief et en pleine lumière, des récits et des arguments éloquents pour la défense de la vérité.
La part que vous faites à la fiction n'atténue en aucune façon la parole révélée. Elle ajoute à Vintéiêt et à V agré- ment du récit. Et ce n'est pas de votre part une petite difficidté vaincue.
Certains chapitres de la seconde moitié surtout sont vraiment entraînants. J'ai trouvé là des vérités déjà connues, mais jamais sous un jour aussi lumineux.
Paulina est un bon et très bon livre. Il instruit, il élève, il met, avec plus de clarté dans l'esprit, beaucoup de fierté dans le cœur.
Et puis, l'une des belles leçons du livre n'est pas dans le livre lui-même : elle est dans l'auteur, dans sa vieillesse laborieuse, dans l'exemple admirable de toute sa vie d'é- crivain, de citoyen et de catholique.
Quelles bonnes années bien remplies que celles d'un magistrat, qui après avoir parcouru une longue carrière toute faite d'honneur et de dignité, continue à l'âge où tant d'autres ne songent qu'au repos, d'enrichir le trésor littéraiie de son pays, d'instruire et d'édifier ses compa- triotes, et d'apporter finalement sa part de gloire à l'Eglise sa mère et à Dieu.
Veuillez donc agréer, mon cher juge, mes sentiments d'admiration et mon cordial merci in Christo.
Louis Lalande S. J.
XX QUELQUES LETTRES
V
Lettre de l'Hon. M. Chapais. •
Québec, 28 avril 1918.
Sir A. B. Routhier, Québec.
Cher Monsieur,
J'ai achevé la lecture de votie Paulina. Elle m'a vive- ment intéressé. Je ne vous surprendrai pas en vous di- sant que la partie romanesque n'est pas celle qui m'a le plus attaché. Certes le portrait que vaiis avez tracé de la fille du proconsul de Chypre est plein de charme. C'est une pure et noble figure que celle de Paulina. Mais on sent bien, en vous lisant, que vous n'avez pas voulu faire du roman d'amour d' Agrippa avec la jeune patri- cienne convertie au Christ, comme son père et sa mère, V épisode central de votre livre. Votre vrai héros, c'est saint Paul. Sa physionomie grandiose, son génie, so7i âme remplissent votre œuvre. C'est lui qui nous captive ; ce sont les péripéties merveilleuses de sa carrière apos- tolique, à travers l'Orient et l'Occident, ce sont ses péré- grinations étonnantes, ses travaux, ses luttes pour établir dans le monde romain le règne de Jésus-Christ, qui sol- licitent et soutiennent notre intérêt.
Votre œuvre n'est pas purement une œuvre littéraire, c'est aussi une œuvre d'érudition. On y retrouve toute la substance des Actes des Apôtres et des Epîtres pauli-
QUELQUES LETTRES XXI
niennes. En même temps vos souvenii's de voyage en Orient, en Grèce, à Rome, viennent donner un attrait spécial à vos descriptions des lieux qui furent tour à tour le théâtre des travaux, des épreuves, des prodiges, des prédications de saint Paul.
Tel est bien l'objet de votre cEQxvre nouvelle : fixer Vattenlion des gens du monde sur la haute et sublime fi.gure de l'apôtre des Gentils. Vous nous l'avez dit dans votre avant-propos : " Paulina est un roman historique des temps apostoliques. . . dont le personnage principal est saint Paul." Laissez-moi vous féliciter d'avoir conçu cette pensée, et de l'avoir réalisée avec un talent auquel les années semblent rien n'enlever de sa vigueur.
Vous priant d'agréer mes remerciements pour l'envoi de votre livre, je demeure, cher monsieur,
Votre bien cordialement dévoué,
Thos. Chapais.
AVANT-PROPOS
Les événements que je vais raconter pourraient faire V objet d'un poème épique et, suivant V antique usage, je pourrais le commencer ainsi :
" Je chante le grand apôtre qui fit la conquête des nations païennes, et les fit entrer dans l'Eglise de Jésus-Christ malgré tous les efforts des démons qui soulevèrent contre lui les Juifs et les Romains.
" Infatigable missionnaire et docteur inspiré, il a parcouru le monde civilisé, prêchant partout VEvan- gile ; et sa parole, qui a retenti jusqu'aux extrémités de la terre, enseigne encore les peuples chrétiens. "
Mais ce n'est pas un poème épique que je vous présente, lecteur. " Paulina " est un roman historique des temps apostoliques, qui fait suite à mon " Cen- turion ", roman des temps messianiques, et dont le personnage principal est saint Paul.
Avec l'apôtre des nations et les autres disciples de Jésus-Christ, une nouvelle force divine est entrée dans le monde pour y établir la religion chrétienne et elle a engagé la lutte contre les puissances humaines.
Pierre était son chef, et Paul, son généralissime ;
XXIV AVANT-PROPOS
et c'est par une série de défaites qu'ils sont arrivés à la victoire. Ils étaient apparemment de perpétuels vaincus, et ils ont été les vainqueurs définitifs.
C'est dans les chaînes qu'ils ont conquis la liberté des peuples et c'est par leur mort qu'ils ont assuré la vie et l'immortalité de l'Eglise.
Voilà le fait historique incontestable dont je veux montrer le caractère divin.
PAULINA
AU PIED DES MONTS SACRÉS
Conune Elle de Thisbé, le prophète du Carmel, qui marcha quarante jours et quarante nuits vers la montagne d'Horeb, Saul de Tarse avait €u l'inspiration de faire le même pèlerinage. Sac au dos, et le bâton à la main, il cheminait las et triste, depuis des jours et des nuits, tantôt sur les grandes routes tracées par les caravanes de l'extrême Orient, et tantôt dans les sentiers perdus des pasteurs nomades, descendants d'Ismaël. Déjà il avait franchi les montagnes de Moab, semblables à des temples coupés d'ogives, et €ouronnés de flèches gothiques. Et maintenant il traversait des mers de sable aux vagues jaunes et mouvantes, qui crissaient sous ses pas, et qui brûlaient ses sandales.
2
2 PAULINA
Derrière lui, les syrtes onduleuses avaient fui bien loin, et sur sa tête planait toujours le ciel flamboyant, morne et illimité.
A l'horizon, des mirages décevants et toujours renouvelés lui montraient des îles de verdure et des lacs bleus qui s'évanouissaient à son ap- proche.
Sous les feux du soleil, la plaine fauve s'em- brasait, et le sable d'or formait un réflecteur impi- toyable. Il se sentait comme plongé dans une foui'lfàise ardente. Mais cela n'était rien, pensait- il, comparé à l'embrasement du ciel qui l'avait terrassé sur le chemin de Damas.
Une incurable ophtalmie rendait le pauvre voyageur presqu'aveugle, et lui infligeait des tortures indicibles.
Quel bonhem* quand il voyait enfin surgir à l'horizon sans hmite et monotone les tentes grises ou brunes, en peaux de chameau, des pasteurs arabes, et leurs troupeaux de brebis jaunes et noD'es.
Quel soulagement quand sous la verdure des rares oasis, il entendait les murmures d'une eau courante, aussi doux que les paroles d'un ami.
QueUes déUces quand lui apparaissaient les premières étoiles, piquées comme des diamants dans le velours cramoisi du firmament !
Il s'enroulait alors dans son manteau, et som- meillait pendant quelques heures sur la dune
PAULINA 3^
immobile et tiède ; puis il reprenait sa marche à la lueur des étoiles. Il s'était dit en quittant Damas, que le Seigneur qui l'avait foudroyé aux portes de cette ville le nourrirait, comme les anges avaient nourri le prophète du Carmel. Or aucun envoyé céleste n'était venu lui apporter un pain cuit sous la cendre ni un vase d'eau. Mais d'autres messagers, des oiseaux inconnus de lui, s'approchaient et se laissaient prendre, comme ceux qui nourrirent les Hébreux dans le désert. Pendant quelques jours il avait voyagé, soit avec une caravane .qui lui avait fourni du pain et des viandes séchées, soit avec des ber- gers qui paissaient leurs troupeaux dans une vallée herbeuse, et qui l'avaient nourri et désaltéré. Souvent il avait souffert de la faim et de la soif, et ces terribles privations s'étaient jointes aux douleurs de ses yeux malades ; mais ces peines physiques, comparées aux souffrances de son âme, n'étaient rien.
Les souvenii's de sa vie passée le torturaient ; et, dans ses longues insomnies, le fantôme d'Etien- ne lui apparaissait, agitant encore ses bras au- dessus du monceau de pierres qui était devenu son tombeau ; Etienne, son camarade d'études aux pieds du vieux Gamaliel, son rival et son supé- riem' en éloquence, dont il avait été jaloux peut- être, et qui avait été cruellement mis à mort sous ses veux et de son consentement !
4 PAULINA
C'est à la suite de ce crime qu'il avait apporté tant de fanatisme et de cruauté dans la persécu- tion des premiers disciples de Jésus de Nazareth.
Mais ce n'était plus contre eux qu'il aurait à lutter désormais. Car Jésus de Nazareth avait déployé contre lui une puissance surhumaine, et l'avait vaincu. Il l'avait terrassé violemment, brusquement, avec une force qui était venue d'en haut, pleine de mystère, de terreur, de co- lère, et d'amour. Il l'avait aveuglé physique- ment pendant quelques jours ; et puis il lui avait rendu à la fois la Yue des yeux et la vue de l'âme, pour lui faire bien comprendre qu'il était son vainqueur et son maître.
Sa conversion avait été soudaine, entière et absolue. C'en était fait de ses mouvements d'or- gueil, de ses instincts homicides et de ses fureurs.
Mais il ne voyait encore qu'à travers un voile mystérieux la grande et glorieuse mission que Jésus paraissait vouloir lui confier.
C'est pour cela qu'il avait senti le besoin de se retirer dans la solitude pour y méditer. C'est pour cela qu'il s'était dirigé vers les monts sacrés où Jéhovah descendait jadis pour enseigner Moïse et le grand prophète EHe.
C'était un long et difficile pèlerinage. La séche- resse et la famine n'étaient pas seulement sur -la terre, comme au temps d'Ehe ; eUes étaient dans son cœur. Il avait faim et soif de la parole de
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Dieu, et il se disait : Là-bas, sur le mont Horeb, Jésus de Nazareth me parlera. Car s'il ne me parle plus, je n'aurai qu'à mourir.
Dans les nuits sans lune, il suspendait sa mar- che, et se reposait parce qu'il ne pouvait plus se diriger dans les sentiers perdus du désert. Et quand la chaleur du jour était excessive, et qu'il trouvait quelques palmiers arrosés d'un maigre filet d'eau, il s'asseyait à l'ombre et il Usait le Deutéronome qui lui servait d'itinéraire, car il re- faisait en sens inverse le grand voyage que le peuple d'Israël avait fait à la suite de Moïse et de Josué.
Toutes les étapes de cette merveilleuse émi- gration d'un peuple étaient devenues des heux historiques.
Les Amalécites, les Chananéens, les Jébuséens, les Amorrhéens, les Moabites, condamnés à périr par Jéhovah, avaient disparu. Mais au màheu des ruines de leurs villes, des bergers dres- saient leurs tentes, ou habitaient de pauvres vil- lages, dont les noms primitifs avaient à peine survécu dans les souvenirs des générations.
Qu'étaient devenues Hésébon, Basan, Astaroth, Cadès, les villes des Amorrhéens ? Un soir, Saul s'arrêta au bord d'un torrent surnommé Néhélescol, " Grappe de raisin ". C'était là que les explorateurs de Moïse avaient trouvé cette grappe merveilleuse qu'ils avaient apportée à lem* chef, et qui prouvait la fertihté de la Terre
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Promise. Caleb, chef des explorateurs, était d'avis qu'il fallait poursui\Te le grand voyage vers cette terre de prédilection, et s'en emparer; mais les autres étaient effrayés, et ils disaient :
" Les habitants de ces pays sont des géants très forts ; comparés à eux, nous paraissons comme des sauterelles. "
Une sédition avait éclaté alors parmi les Israé- lites, et un grand nombre avaient refusé de sui- vre Moïse, ce qui fit que Dieu les condamna à mom'ir dans le désert.
Jamais ils ne virent cette patrie que Jéhovah leur avait promise, et vers laquelle il les condui- sait par une série de miracles, tantôt en les châ- tiant, tantôt en les comblant de faveurs.
Saul, l'infatigable pèlerin qui devait plus tard parcomir le monde civilisé, souffrait autant que les Israéhtes ses aïeux ; mais il ne murmurait pas comme eux. Il marchait toujours avec cou- rage, non pas vers la Terre Promise, mais vers les saintes montagnes de l'Horeb et de Sinaï.
Un jour qu'il se mourait de soif, il était arrivé à un puits célèbre dans toute la contrée. C'était autour de ce puits que les Israélites s'étaient réu- nis jadis par l'ordre de Moïse, et qu'ils avaient chanté au Seigneur ce cantique : " Que le puits monte !" Et le puits montait, comme une marée de l'Océan, pour abreuver tout Israël.
Conrnie il traversait le pays des Moabites, on
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lui montra l'endroit où s'était passé l'étrange his- toire du prophète Balaam et de son ânesse. Pauvre prophète qui fut moins intelligent que sa bete, et plus aveugle qu'elle.
L'ânesse voyait l'ange du Seigneiu* qui lui bar- rait le chemin, l'épée haute ; mais Balaam ne le voyait pas et il battait sa monture pour la ramener dans le sentier.
Alors l'ânesse prenait la parole, et reprochait à son maître sa cruelle conduite. Et c'est ainsi que les stations de son douloiu-eux pèlerinage lui rappe- laient celles du peuple de Dieu dans son long exode vers la Terre Promise.
Enfin, au matin d'un beau jour, il vit surgh* à l'horizon un groupe isolé de hautes montagnes. Et, vers le soir, épuisé de fatigue et d'angoisse, il entra dans une gorge profonde de l'Horeb. Des bergers arabes, de la race d'Agar et d'Ismaël, lui indiquèrent la grotte où s'était réfugié le grand prophète du Carmel, et elle devint son habitation. Une eau claire et limpide coulait auprès. C'était la source que Moïse avait fait jailhr du rocher. Sur ses bords croissaient des buissons de tamaris et des palmiers nains, dont la verdure reposait ses yeux malades. De leurs rameaux séchés, il faisait, la nuit, un petit feu pour chasser les mou- ches et les bêtes fauves, et poiu- préparer les ali- ments que des bergers nomades lui fournissaient généreusement.
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Cette vie solitaire était à peine tolérable ; mais ce n'était pas le bien-être d'une oasis qu'il était venu chercher au pied des monts sacrés.
Dans toute l'histoire du monde, qu'on lui avait enseignée dans les écoles de Tarse, et dans les Saints Livres étudiés à Jérusalem sous la direction de Gamaliel, il y avait deux hommes qu'il avait admirés avec passion, et qu'il plaçait au-dessus de tous les autres : c'étaient Moïse et le prophète EUe.
Il était venu les évoquer dans cet endroit, où tous deux avaient reçu les visites de Dieu. Et comme eux, il jeûnait, il méditait et il priait. Il priait surtout ce Jésus, qu'il avait persécuté, de lui apporter les lumières et les consolations dont son âme avait tellement besoin. Corome EUe, il mon- tait souvent sur le sommet de l'Horeb dans l'espoir d'y voir passer le Seigneur. Et voilà qu'un vent impétueux renversait les hautes cimes et brisait les rochers ; mais le Seigneur n'était pas dans ce vent7~Et voilà qu'après le vent la terre était vio- lemment ébranlée, mais le Seigneur n'était pas dans le tremblement de terre. Et voilà, que les buissons s'embrasaient soudainement, mais le Seigneur n'était pas dans le feu.
Et plein de tristesse et d'ennui, Saul descendait de la montagne, dans l'ombre calme des rochers. Mais voilà que le souffle d'une brise légère effleu- rait son visage, et qu'une voix douce lui parlait à
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l'oreille. Oh ! qu'il la reconnaissait bien, cette voix ! C'était ce timbre surhumain et mysté- rieux, qui n'était pas de la terre, et qu'il avait entendu sur le chemin de Damas. C'était l'accent divin de cette parole qui depuis lors n'avait cessé de résonner au fond de son cœur, et qui lui avait dit : " C'est moi ! Jésus, que tu persécutes ! "
Et dans ces moments ineffables il écoutait les révélations du Seigneur. Dans quelles mesures son corps participait-il à ces mystérieux ravisse- ments ? Personne ne peut le dire, puisque lui- même s'en déclara incapable, quand il raconta plus tard ses visions dans sa deuxième épitre aux Corinthiens. Mais c'est évidemment dans ces col- loques avec Jésus qu'il a puisé la doctrine trans- cendante répandue dans ses admirables épîtres, qui ont formé comme un cinquième évangile dans. le Nouveau Testament.
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II
SAUL AU DÉSERT
Saul avait alors vingt-cinq ans. Il était né à Tarse, en Cilicie, et il avait été instruit dans les écoles de cette ville, qui étaient très renommées. Comme toute sa famille il appartenait à la secte des Pharisiens. Lorsqu'il avait été circoncis, on lui avait donné le nom de Saul ou Saûl, en l'hon- neur du premier roi d'Israël, et il semble qu'il eût hérité de son caractère violent.
Vers sa vingt-deuxième année il était allé per- fectionner ses études à Jérusalem, à l'école du cé- lèbre Gamahel. Parmi les Scribes, il avait surtout fréquenté Onkelos, très versé dans la littérature grecque et dans les Ecritures des Juifs. Ses cama- rades d'étude les plus illustres avaient été Barnabe, origmaire de Chypre, le prince Nicodème et Etienne, qui était Juif.
Tout d'abord, il avait eu pour ce dernier une grande adinkation ; mais quand il apprit qu'E- tienne était devenu l'un des disciples de la nouvelle rehgion fondée par Jésus de Nazareth, il le prit €n haine.
Etienne n'était pas seulement l'un des sept diacres chargés de collecter et de distribuer les
PAULIN A 11
aumônes ; il était aussi un prédicateur zélé de la foi au Christ.
Nous n'avons de lui qu'un seul discours, celui qu'il prononça devant le Sanhédrin. Mais il sufht à montrer quel puissant orateur il était. Il prêchait devant les synagogues helléniques dans la belle langue grecque qu'il possédait à la perfec- tion, et s'il avait vécu plus longtemps, il aurait joué peut-être un rôle équivalent à celui de saint Paul.
Si Jésus l'avait choisi comme apôtre, il aurait été un ardent défenseur et un éloquent docteur de son EgUse. Il semble donc au point de vue hu- main ciue ce fût une faute de ne l'avoir pas appelé à l'apostolat. Mais Jésus ne raisonnait pas comme les fondateurs humains. Il voulait que les chefs de son Eglise fussent des ignorants et des simples, et que le plus brillant de ses disciples fût le premier de ses martyrs.
Quel début malheureux ! quel échec ! dira la sagesse humaine. Le plus fort lutteur, le plus digne du Maître, qui aurait pu être un des piliers de son Eglise, est précisément celui qui échoue au pre- mier combat, et qui meurt avant d'avoir rien fait.
Mourir, dans la croyance humaine, c'est finir. Mais depuis Jésus-Christ, mom*u- c'est commencer, c'est étabUr, c'est fonder. C'est par sa mort que le Rédempteur a consommé son œuvre, parce que
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l'humanité ne pouvait être lavée que dans son sang.
Désormais, la loi du salut sera dans le sacrifice, et seul le sang effacera les péchés du monde, et fera des œu^Tes durables.
Et voilà pourquoi, selon le plan divin, Etienne a moins fait pour FEghse en parlant éloquemment qu'en répandant le premier son sang pour, le Christ.
Un jour, d'âpres discussions éclatèrent entre les deux amis ; et comme Etienne l'emportait sur Saul par son éloquence, celui-ci en de^dnt peut-être jaloux. Bientôt il le dénonça au Sanhé- drin, avec l'appui d'Onkelos ; et à la suite d'un procès plus ou moins sommaire Etienne avait été condamné et lapidé.
Mais cette sanglante exécution à laquelle Saul avait présidé n'avait pas apaisé sa fureur. L'au- teur des Actes des Apôtres nous dit " qu'il res- pirait encore la menace et la mort contre les dis- ciples du Seigneur ". Et c'était la persécution la plus \dolente qu'il s'en allait organiser à Damas contre le Seigneur Jésus, qu'il n'avait pas connu, et qu'il avait pris en haine.
Qu'il était loin de prévoir alors que le Divin Persécuté l'attendait sur le chemin de Damas, et prendrait pour le dompter le même moyen dont Saul se servait à l'égard des autres : la violence.
PAULIN A 13
Dieu appelle les âmes à lui de façons souvent étranges et bien différentes. Tantôt il les éclaire graduellement, il les touche, il les attendrit, il leur témoigne son amour de mille manières, tantôt par des bienfaits, tantôt par des épreuves. Parfois il les châtie, et c'est après avoir longtemps souf- fert que certains pécheurs reviennent à lui et demandent pardon.
La vocation des apôtres s'accomplit par une douce parole de Jésus-Christ. Il jette sur eux un regard pénétrant et plein de bonté, et il leur dit avec une tendresse infinie : " Suivez- moi ! "
Mais à l'égard de Saul, son ennemi fougueux et emporté, il agit tout autrement. Il ne s'adresse ni à son intelligence, ni à son cœur. Il ne trouble pas sa conscience, et ne lui donne aucune lumière, ni aucune inspiration.
Il le saisit violemment, comme un athlète fait avec son adversaire, il le précipite en bas de son cheval, il le foudroyé d'un éclair dont le flamboiement le rend aveugle, et avant même que Saul se soit rendu compte exactement de ce qui lui arrive, il comprend que c'est une force surhiunaine qui l'a terrassé.
Mais alors une voix mystérieuse se fait enten- dre. C'est la voix de Jésus de Nazareth, et dès que cette voix a parlé, Saul est instantanément converti. Il n'a pas un doute, pas une hésitation,
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et il se met immédiatement au service de celui qu'il recomiait pour Maître :
" Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? "
Il était midi. Le soleil inondait de ses feux la terre où Saul gisait sans mouvement.
'' Lève-toi, lui répondit la voix, et entre dans la ville ; on te naarquera là ce qu'il faut que tu fasses. "
Saul se leva, mais il était aveugle, et ses com- pagnons le prirent par la main pour le guider. Le loup furieux et assoiffé de sang était devenu un agneau muet qui se laissait traîner vers l'inconnu.
Quelle attitude humiliée pour celui qui, quel- ques minutes auparavant, était plein de fureur et ne rêvait que persécution !
C'est dans cette attitude de vaincu qu'il mar- che vers la ville. Il y entre par la Voie Droite, (quel symboUsme dans le nom de cette rue !) et il est conduit dans la maison d'un ami, qui s'appelle Judas ! (le premier Judas était un traître, mais celui-ci est un ami fidèle).
Pendant trois jours il reste là, seul, plongé dans les ténèbres mystérieuses qui l'enveloppent, sans manger, sans boire, méditant et priant.
" On te dira là ce qu'il faut que tu fasses, " lui a dit la voix, et il attend. Après trois jours, dans une vision, un homme lui apparaît, lui impose les mains et le guérit. Mais ce n'est qu'une
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vision, et il attend encore, dans une angoisse mêlée d'espérance.
La voix qui lui a dit : " Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? " n'a pas parlé sur le ton de la colère. Non, c'était plutôt une plainte, un doux reproche ; et puisqu'elle doit lui appren- dre ce qu'il doit faire, c'est qu'elle veut lui par- donner. C'est donc avec confiance qu'il attend. Quand une grande douleur vient soudainement assaillir son âme, l'homme sent le besoin de s'éloi- gner de l'homme. Il cherche la solitude ; et seul, il se recueille en lui-même, il médite, il étudie le mystérieux ébranlement survenu dans sa vie.
Tout naturellement il cherche Dieu, qui seul pom-ra lui exphquer le mystère de son affliction, et à qui seul il pourra dire : " Que voulez- vous de moi. Seigneur ? "
C'est ce qui arriva à Saul après son mystérieux foudroiement sur le chemin de Damas.
La foudre est un éclair, et sa luem- éblouit, mais elle n'aveugle pas. Celle qui avait terrassé Saul l'avait rendu aveugle. Ses yeux étaient ouverts, mais pendant trois jours et trois nuits, il ne vit rien.
Ananie lui rendit la vue extériem-e. Mais c'était la lumière intérieure qu'il voulait avoir.
Pour la trouver, il sentit l'irrésistible besoin de se retirer dans le désert. Et comme Moïse, et comme Ehe, il voulut en habiter non pas les
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bords, mais les profondeurs. Il s'enfonça jusque dans l'intérieur de l'Arabie.
Il s'éleva jusqu'à l'Horeb, la montagne de Dieu.
Et maintenant, il habitait ce sol sacré où Dieu lui-même était descendu bien des fois pour parler aux hommes.
Sans doute il y descendrait encore pour lui donner la lumière intérieure, et pour lui faire entendre sa parole.
Tout son être moral avait été bouleversé. Dans la pleine manifestation de sa haine, dans toute la fougue de sa passion rehgieuse, il avait •été foudroyé, et ce coup de foudre allait changer radicalement sa vie, et lui donner une direction toute contrau'e à celle qu'il s'était donnée lui- même.
Mais quelle étrange parole Jésus lui avait adressée quand il l'avait renversé sur le chemin de Damas : "Il t'est dur de regimber contre l'aiguillon. "
Qu'est-ce que cela voulait dire ? Cela voulait dire sans doute : " Tu seras pom- moi ce qu'est le bœuf pour le labourem\ Tu laboureras la terre porn* que j'y sème la vérité ! Ce sera dur pour toi, mais si tu regimbes je te ferai sentir l'aiguillon de la souffrance jusqu'au martyre. Piqueur sans pitié, je labourerai ton corps de plaies, ton sang arrosera les sillons que tu auras
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creusés. C'est à ce prix que tu seras mon élu, mon apôtre, la gloire de mon Eglise ! "
Oh ! la gloire ! Il l'avait aimée jadis et ar- demment convoitée. Mais maintenant c'était fini, et tout ce qu'il ambitionnait c'était de voir briller et grandir la gloire de son maître, sans prévoir qu'un jour elle serait aussi la sienne. Que de fois dans les années qui allaient suivre il sen- tirait cet aiguillon qui le pousserait à travers le monde jusqu'à ce qu'il eût terminé les divines semailles dans la Ville Eternelle !
Alors l'aiguillon serait remplacé par une chaîne ; elle serait la forme de sa captivité ; et des sol- dats le traîneraient un jour, enchaîné sur la voie d'Ostie, voie douloureuse comme celle du Calvaire ; et ils lui trancheraient la tête !
Mais dans la suite des siècles des temples magnifiques célébreraient et immortaliseraient son nom sur le sol consacré par la semence de son corps.
Rome tout entière chanterait sa glohe, et sa statue dressée au sommet d'une colonne, con- sacrée jadis à l'empereur Marc-Aurèle, attirerait la vénération des peuples de l'univers jusqu'à la fin des temps.
Mais ce n'était pas à la gloire que Saul songeait au pied du mont Horeb. Il méditait sur le mer- veilleux événement qui allait changer sa vie. Il interrogeait son esprit et son cœur. Il se deman-
3
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dait dans quel avenir mystérieux il allait entrer. Pourquoi donc était-il A^enu s'ensevelir dans cette lointaine solitude ?
Pourquoi avait-il soudainement abandonné ses travaux et ses études, renoncé à ses projets d'ave- nir, trahi la mission qu'on lui avait confiée, et qu'il avait lui-même sollicitée avec tant d'ardeur et d'emportement ?
Comment lui, exécuteur des hautes œuvi'es pharisaïques, meurtrier d'Etienne, son camarade d'études, persécuteur acharné des disciples de Jésus de Nazareth, avait-il tout à coup interrompu son œuvre de violence et de sang ?
Comment ce lion dévorant était-il devenu un agneau docile aux paroles mystérieuses qui avaient subitement frappé ses oreilles sm' le chemin de Damas ? Et maintenant quelle serait la direc- tion de sa vie ? Quelle mission serait-il appelé à remplir dans le monde ? Dans quelle voie nouvelle allait-il entrer ?
Telles étaient les questions qu'il se posait à lui-même, et dont il était venu chercher la solu- tion dans les solitudes du Sinaï et de l'Horeb.
Loin du bruit et de la foule, sur les sommets mystérieux où la voix de Jéhovah avait jadis retenti, il était venu, dans le trouble profond de sa conscience, interroger cette grande voix divine, et lui demander les inspirations et les connaissances dont il avait besoin.
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N'était-ce pas cette voix qui lui avait parlé aux portes de Damas ? Et ne lui parlerait-elle pas encore ?
S'il y avait sur terre un lieu sacré où les voix célestes se faisaient entendre n'était-ce pas dans cette retraite tantôt inondée de soleil et tantôt ténébreuse, qui avait vu les éclairs et entendu les tonnerres du Dieu terrible des Hébreux ?
Oui, et c'était dans cet endroit, illustré de si grands souvenirs, que le Seigneur Jésus lui en- seignait toutes choses et surtout la Loi nouvelle.
Jusqu'ici il avait cru que la Loi ancienne, la Loi de Moïse, contenait toute la vérité, -et que celui qui la connaissait n'avait plus rien à appren- dre.
Il l'avait crue immuable, cette Loi, et souve- raine et définitive. C'est en son nom qu'il avait persécuté les disciples de Jésus et fait mourir son condisciple Etienne. IVIais voilà que Jésus était venu et avait apporté aux hommes la loi nouvelle. Jésus de Nazareth était donc plus grand que Moïse, et cette Loi nouvelle devait donc remplacer la Loi ancienne ?
Voilà le programme et le mystère qu'il venait scruter dans la solitude. Une chose était cer- taine : c'était bien Jésus de Nazareth qui l'avait renversé de son cheval, ébloui, aveuglé, et qui lui avait rendu la vue trois jours après. C'était bien lui qui lui avait parlé, et qui lui avait inspiré
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de venir en cette endroit miraculeux, recevoir le nouvel enseignement.
La loi de crainte et de rigoureuse justice allait- elle faire place à une loi d'amour et de misé- ricorde ?
Jéhovah était un Dieu terrible, et Saul avait été son disciple, absolu, violent, et sanguinaire. Mais Jésus était doux et humble de cœur.
La loi ancienne avait été donnée au peuple Juif seul. Mais la loi nouvelle serait donnée à toutes les nations, aux Gentils comme aux Juifs ! Et quand il voudra parler à ceux qu'il aura convertis à Jésus-Christ, et loin desquels il sera forcé de vivre, il leur écrira ces épîtres admirables que l'Eglise étudiera et méditera dans la suite des siè- cles. Et c'est aux nations qu'il écrira, et non aux individus, aux Romains, aux Hébreux, aux Ga- lates, aux Corinthiens, etc . . .
Quel conquérant, et quel dominateur a jamais gouverné, instruit, dirigé, discipliné un plus vaste empire sans le secours d'un soldat ou d'une épée ?
Ah ! ce mystère de la Rédemption, Jésus le lui révélait dans toute l'amplem- et la subhmité du plan divin ; et bientôt il n'aura plus rien à ap- prendre des hommes.
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III
UNE VISITE INATTENDUE
Seul, toujours seul dans sa retraite lointaine et sauvage, Saul se recueillait et priait. Souvent il jeûnait des jours entiers, faute de nourriture, quand le soleil trop ardent desséchait les plan- tes sauvages dont il se nourrissait, ou quand les bergers de Madian s'en allaient bien loin à la recherche de meilleui's pâturages poiu- leurs trou- peaux.
Quand ses yeux moins malades lui permettaient de lire, il lisait les li\Tes de IMoïse, qu'il avait em- portés avec lui, et il essayait de pénétrer les grands mystères du Mosaïsme et du Messianisme.
Il lisait aussi le prophète Isaïe. Mais bien sou- vent, comme l'eunuque, ministre de la reine d'E- thiopie, il lisait sans comprendre. Il priait alors, et l'Esprit l'inspirait. Parfois, il avait des ravis- sements, et c'était Jésus de Nazareth qui lui appa- raissait et qui l'enseignait. Quelles leçons admira- bles tombaient alors de la bouche du divin Maître !
Hors ces visites de Dieu, dont il était favorisé, comme ses maîtres humains Moïse et Elie, il ^'ivait dans la solitude la plus absolue.
Un joiu- qu'il était monté sur une des crêtes de l'Horeb, et qu'il inspectait l'horizon pour y décou-
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YTir quelque tente de berger, il aperçut au loin un cavalier vêtu de blanc, monté sur un blanc méhari, qui venait du nord, et qui se dirigeait vers l'Horeb.
Saul descendit aussitôt, et le cavalier quittant sa monture s'écria : '' O Saul ! Est-ce bien toi ? "
Saul avait reconnu Onkelos, le scribe célèbre qui était membre du Sanhédiin, et dont il avait suivi les leçons c^uelques années auparavant.
— C'est moi, cher Onkelos, et que \dens-tu faire dans cette sohtude ?
— Je viens te chercher. Il y a de longs mois que tu es disparu mystérieusement de Damas, et qu'on se demande partout, en Syi'ie, en Galilée, et en Judée, ce que tu es devenu.
— Et que dit-on de moi ?
— Les uns disent que tu as été frappé par la foudi'e aux portes de Damas, et que depuis lors tu es sujet à des hallucinations, que tu souffres d'une fiè\Te cérébrale, et que tu t'es retiré dans le désert pour te reposer et te guérir.
" D'autres disent que ce Jésus de Nazareth que nous avons crucifié, et que j'ai vu de mes yeux réellement mort, s'est montré à toi dans une vi- sion, et que maintenant tu crois à sa divinité. Qu'y a-t-il de vrai dans ce que Ton raconte ? C'est pour le savoir que j'ai fait ce long et pénible voyage.
— Asseyons-nous, Onkelos, et je vais te raconter mon histoire."
PAULINA 23
Tous deux s'assirent alors, sur une large pierre, à l'ombre des projections de l'Horeb, et Saul fit à Onkelos le récit suivant :
'' Tu n'as pas oublié, bien sûr, le jour où nous avons fait lapider notre ancien camarade d'études, Etienne.
— Non certes, car ce fut un chagiin pour moi de m'en séparer. Etienne et toi, tout jeunes encore, vous aviez suivi avec moi les leçons de Gamaliel ; et quand je commençai moi-même à enseigner, vous étiez devenus mes plus brillants disciples, dans l'étude des Lettres grecques, et dans l'art de l'éloquence. Par quel prestige extraordinaire les disciples de Jésus ont-ils réussi à pervertir notre admirable Etienne ? Je l'ignore, mais tu te sou- viens, Saul, quel fanatique il est devenu, du jour au lendemain, et avec quelle rage il parlait contre le Temple et les institutions mosaïques. Toi- même, tu t'élevas contre lui, et quand il fut amené devant le Sanhédiin, il proféra de tels blasphèmes que mes collègues et toi, fm'ieux de l'entendre, l'avez traîné hors de la ville, sans jugement, et l'avez lapidé jusqu'à ce qu'il expirât.
— Quel triste souvenir et quels remords tu as réveillés dans mon âme, Onkelos !
— Et moi aussi, je l'aimais, le malheureux Etienne. Il était si beau, si noble, si généreux et si éloquent. Il avait tous les dons et il obtenait tous les succès. Jamais je n'oubUerai avec quelle élo-
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quence il se défendit devant le Sanhédrin. Hélas î quand il nous apostropha en nous appelant " têtes dures. . . cœurs incirconcis. . . persécuteurs des prophètes, et mem'triers du Juste promis au mon- de," la rage s'empara de nous, et nous le traînâmes au lieu ordinaire des lapidations. Je le vois encore, les yeux levés vers le ciel, le visage transfiguré, et je l'entends s'écrier : " Voici que je vois lescieux ouverts, et le fils de l'homme debout à la di'oite de Dieu ! "
— Cela me parut du délire, Onkelos . . .
— Evidemment c'était du délire ...
— Mais non, Onkelos. Il voyait \Taiment ce qu'il disait ; car la même vision m'a été donnée. Moi aussi j'ai xm les cieux entr'ouverts, et c'est bien Jésus de Nazareth qui m'a parlé aux portes de Damas.
— C'est une hallucination, mon pau^Te ami !
— Non, Onkelos, c'est une réahté, que je vais te raconter.
" Comme toi, je venais d'être homicide, et je voulais continuer de l'être, lorsque vous m'avez envoyé à Damas. Je chevauchais tête haute, plein de haine et de fureur, cherchant d'autres Etienne pour les lapider ; et, tout à coup, j'ai été frappé, comme par la foudre, précipité par terre comme mort ; et quand j'ai recouvré l'usage de mes sens, mon front orgueilleux était plongé dans la poussière du chemin. C'est alors que Jésus de
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Nazareth m'a parlé, enveloppé d'une gloire éblouissante, qui m'a rendu soudainement aveugle. Mais j'entendis bien distinctement sa voix.
— Et qu'a-t-il dit ?
— Il m'a crié d'une voix forte qui paraissait venir du ciel : " Saul, Saul, pourquoi me persé- cutes-tu ? " J'ai répondu : " Qui êtes- vous. Seigneur ?" Et la même voix a dit : "Je suis Jésus que tu persécutes. — Seigneur, ai-je repris, que voulez-vous que je fasse ? — Entre dans la ville, et l'on te dira là ce qu'il faut que tu fasses."
" Ceux qui m'accompagnaient entendaient comme moi la voix qui me parlait, mais ils ne voyaient personne. Ils me conduisirent en me te- nant par la main (car j'étais aveugle) dans la maison d'un nommé Judas, et j'y restai trois jours, attendant que le Seigneur me parlât de nouveau ou m'envoyât quelqu'un pour me faire connaître sa volonté.
" Alors, un disciple de Jésus, nommé Ananie, vint me trouver, et, après m' avoir imposé les mains, il me dit : " C'est le Seigneur Jésus qui m'envoie vers vous afin que vous recouvriez la vue et que vous soyez rempli du Saint-Esprit." Au même instant des écailles sont tombées de mes yeux, et j'ai recouvré la vue.
" Depuis lors, Onkelos, je sens en moi cet esprit mystérieux que les apôtres de Jésus appellent l'Esprit-Saint, et c'est lui qui m'a inspiré de venir
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dans cette solitude, où il m'instruit lui-même, et me prépare à la grande mission que je vais avoir à remplir auprès des Gentils.
— Cher Saul, tu déraisonnes, et tes ^^sions n'ont rien de réel.
— Pardon, Onkelos, ce sont des apparitions aussi réelles que ta visite. Aux portes de Damas, je ne l'ai pas vu, mais je l'ai entendu. Il m'a parlé comme tu me parles. Et dans ce désert, il converse souvent avec moi. Oh, si tu connaissais les choses divines qu'il me fait entendre !
— Pauvre Saul ! Et que veut-il de toi ?
— Il veut que j'évangélise les nations.
— Les nations ? Toutes les nations ?
— Toutes les nations du monde ci\'ihsé.
— Alors, tu vas partir à la conquête du monde ?
— Oui.
— C'est un rêve impossible.
■ — Impossible à l'homme et non pas à Dieu.
— Mais tu n'es pas un Dieu.
— Oh non ! Je ne suis qu'un misérable pécheur. Je ne suis rien, je ne sais rien, je ne puis rien par moi-même ; mais, Lui, il peut tout !
— C'est une folie.
— En effet, c'est une folie, mais une folie qui ressemble à toutes celles dont l'Ancien Testament est rempli et qui étaient des actes de la suprême Sagesse ! Quand Moïse entreprit de déH\Ter nos pères de la servitude d'Egypte, il faisait une folle
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entreprise ; et quand il commanda à la Mer Rouge de les laisser passer, on crut bien qu'il était fou ! Et quand il frappait un rocher de sa baguette pour en faire jaillir une source, on se moquait de lui, mais la source jaillissait miraculeusement du ro- cher.
" Quand Josué faisait sonner de la trompette autour des murs de Jéricho pour les renverser, il conmiettait une étrange folie ; mais les murailles tombaient vraiment.
" Et que d'autres folies du même genre nos pères et nos prophètes ont accomplies, et qui sont deve- nues des merveilles de sagesse et de gloire ! C'est sur leurs traces, et sous l'inspiration de Jésus de Nazareth, que je marcherai vers l'accomplisse- ment de ma mission.
— Mais, mon pau\Te Saul, tu n'es ni Moïse ni Josué ; tu es un docteur de la Loi, plein d'in- telligence et de science ; tu es l'espoir et, si tu le veux, un futur membre du Sanhédrin. Le Grand Prêtre a pour toi la plus haute admiration, et il m'a confié qu'il projetait de te donner sa fille Caïpha en mariage. Les plus grands honneurs et les plus hautes dignités t'attendent dans le sacerdoce juif. Vas-tu renoncer à tout cela pour te mêler à une secte vulgaire, méprisée des gi-ands, sans iiïfluence et sans fortune, qui ne peut t' assurer aucun ave- nir ?
— Je ne comprends plus le langage que tu me
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parles. Je ne suis plus le Saul de Tarse que tu as connu, plein d'orgueil et d'ambition, et tu me fais injure en m'offrant des honneurs et des biens pour me faire renoncer à ma foi religieuse.
— Mais non, Saul, je veux plutôt t'empêcher de renoncer au Judaïsme qui a été la foi de tes pères.
— Tu oublies, Onkelos, que la foi de mes pères était une religion d'attente. Elle avait pour dogme l'espérance d'un Messie promis au monde et surtout aux Juifs. Or ce Messie est venu. C'était Jésus de Nazareth. Nous ne l'avons pas reconnu, mais c'était bien lui, et dès lors le Judaïsme doit s'effacer devant la religion du Christ, comme l'é- toile du matin devant le soleil. L'Eglise que le Messie est venu étabUi- sur la terre est l'accomplis- sement de la promesse faite à nos pères, le perfec- tionnement de leur religion, et c'est en y entrant que je reste fidèle à la foi de mes pères. Ah ! mon cher Onkelos, comme tu rabaisses ces grandes questions en y mél-ant des intérêts personnels, de \Tilgaires ambitions, et la considération des faux biens de ce monde !
'' Je crois, Onkelos, en Jésus de Nazareth. Il est mon seul Seigneur, et mon seul Dieu. Sois bien convaincu qu'il n'y aura jamais d'autre Messie que lui.
— Pauvre Saul !
— Ce n'est pas moi qui suis à plaindre ; car je
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possède la vérité, et je n'en puis douter, puisque c'est Jésus de Nazareth ressuscité qui me l'a en- seignée. Je ne l'ai pas reçue de Pierre ni des autres Apôtres ; je ne l'ai pas trouvée dans les li\Tes, ou dans mes méditations ; elle est entrée dans mon âme soudainement comme la lumière entre dans nos yeux quand nous enlevons le bandeau qui les couvre. Elle y est entrée, quand je ne la cherchais pas, quand j'étais indigne de la voir, par l'action violente de Dieu, qui m'a foudroyé dans mon or- gueil, et qui m'a dit : "Je suis Jésus de Naza- reth ". Le changement qui s'est opéré en moi a été radical et instantané. J'ai senti la force de Dieu qui s'emparait de moi, et contre laquelle j'é- tais impuissant. Et depuis lors je lui appartiens tout entier et pour toujours. Je suis sa chose et il fera de moi tout ce qu'il voudra. . .
— Pauvre ami, ton discours m'afflige profon- dément. On croit généralement à Jérusalem que les disciples de Jésus sont pris de folie, et je vois que tu as été frappé de la même infirmité dans ta visite de Damas.
" J'avais espéré te trouver guéri et te ramener à Jérusalem pour nous aider à combattre cette secte détestable des Nazaréens. Mais je vois bien que le fantôme de Damas t'a poursuivi jus- qu'ici, et qu'il te possède. Je m'en retom-nerai donc seul à Jérusalem et quand le Sanhédrin aura entendu mon rapport, nous reprendi'ons notre
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lutte plus \dgoureusement que jamais contre tes condisciples d'hallucination.
" Nous avons l'autorité, nous avons la force ; le Sacerdoce et l'Etat sont avec nous. Le roi Agrippa, qui a besoin de nous, sera l'âme et le bras de la persécution que nous allons organiser, et là-bas, à Rome, nous am-ons l'appui de César. Crois-tu, Saul, que Juifs et Romains unis ensemble puissent être vaincus dans une lutte aussi inégale ? Si les prisons ne peuvent retenir les chrétiens, la mort les tiendra !
— Elle n'a pas tenu Jésus de Nazareth.
— Allons donc, qui est-ce qui l'a vu viA^ant ?
— Un grand nombre de témoins véridiques, et moi-même.
— Pau^rre ami ! Et sur la foi de cette vision illusoire tu vas entreprendre la conversion des na- tions ?
— Oui.
— Et tu crois que tu réussiras ?
— Pas moi. Oh ! non ; mais il vaincra le mon- de, Celui qui est mon Seigneur et mon Dieu. "
Onkelos ne répondit rien.
Il dit adieu à Saul, et il reprit le chemin de Jéru- salem à travers le désert arabique.
PAULINA 31
IV LE RETOUR A DAMAS
Les maisons orientales sont à l'extérieur des blocs de pierre, presque sans ouvertui-es, dont l'aspect sévère attriste ; et quand vous en fran- chissez le seuil, vous croyez entrer dans la nuit ; mais, à l'intérieur, s'ouvre une vaste cour sans toitm*e, et la lumière du soleil, inonde, réchauffe, et colore toutes choses.
C'est une illumination de ce genre qui se fit dans l'âme de Saul quand il s'abandonna entière- ment à la direction de Jésus de Nazareth, avec cette différence que la nuit n'y pénétra plus jamais. Le Soleil de la vérité entra en lui, et il y suspendit sa course, à la parole du nouveau Josué. Jamais plus la vérité ne cessa de l'éclairer ; et cet homme devint un phénomène de lumière, un mii'acle de sagesse et de science transcendante.
C'est que l'Horeb n'avait pas été pom* lui une solitude absolue. Il avait été une école, dont Jésus de Nazareth était le professem*.
Bien souvent, après des hem es de prière, de supplications et de larmes, il s'était vu enveloppé d'une lumière intense, éblouissante. C'était le buisson qui lui seivait d'cmbiage contre les ar- deurs du soleil qui s'était soudainement embrasé ;
32 PAULINA
et du milieu des flammes ardentes une voix puis- sante et douce à la fois lui adressait la parole :
" Saul, Saul, reconnais- tu ma voix ?
— Oui, Seigneur, répondait Saul, c'est la même voix qui m'a parlé sur le chemin de Damas. Dai- gnez me parler encore ; votre serviteur écoute."
Et la voix du Seigneur répondait à Saul, et l'ins- truisait.
Jésus de Nazareth restait invisible, mais il s'en- tretenait avec Saul, comme jadis avec ses disciples aux bords sacrés du Jourdain.
Il lui annonçait la grande mission qu'il aurait à rempUr chez les Gentils, et au prix de quels sacri- fices il aiderait Pierre à bâtir son Eglise. Il lui pré- disait les mêmes épreuves, les mêmes souffrances. " Souviens-toi, lui disait-il, du berger de Madian, et de la mission que Jéhovah, mon Père, lui confia de déli\Ter les enfants d'Israël de la terre d'Egypte. — Moïse Fa remplie cette mission.
" Aujourd'hui, ce n'est plus seulement les en- fants d'Israël, c'est toutes les nations que je veux retirer de la terre de perdition, et c'est toi que j'ai choisi pour les soustraire à la domination du prince de ce monde qui est le démon.
" Nouveau Moïse, il faut que tu leur apprennes à traverser le désert de cette vie pour arriver à l'éternelle Terre Promise, où je réunirai un jour les rois et les peuples qui me seront fidèles. C'est
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toi qui leur donneras ma loi, qui est une loi d'a- mour et de miséricorde. . .
" C'est ici que Moïse a reçu de mon Père les Tables de la Loi Ancienne. C'est ici que je te donne les Tables de la Loi Nouvelle que j'ai déjà données à mes apôtres. . ."
Ces ravissements de Saul se renouvelaient sou- vent, et la science de Dieu s'était développée de plus en plus dans l'âme du futur apôtre des Gentils.
Dorénavant il connaissait sa mission ; et la carrière qui allait s'ouvrir devant lui n'avait d'au- tres limites que les confins du monde civilisé.
Sa formation spirituelle avait duré trois ans comme celle des Apôtres, et il avait eu le même maître, Jésus de Nazareth. Un jour l'Esprit lui dit : " Retourne maintenant à Damas, et tu porteras mon nom chez les Gentils jusqu'aux con- fins de la Terre."
Et Saul se remit en route. Il retraversa le dé- sert d'Arabie. Il repassa par les montagnes des Amorrhéens, et par la vallée de la Grappe de Raisin. Il revit la Pétrée, et la montagne d'A- bouim, et le pays de Moab.
Sur le mont Nébo, il s'arrêta longtemps. C'é- tait là que Moïse était mort, et qu'un tumulus de pierres marquait son tombeau. Quels souvenirs historiques lui rappela la vie extraordinaire du lé- gislateur des Hébreux ! Il regarda vers Jérusalem,
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et il se demanda en descendant vers le Jourdain s'il passerait par cette \dlle qui avait pour lui tant d'attraction. Mais dans les dispositions de son es- prit, et les mystérieuses élévations de son âme il redouta le bruit et la foule. Il se demandait quel accueil lui feraient les apôtres qu'il avait persé- cutés? Comment lui pardonneraient-ils la mort cruelle d'Etienne ?
Non, il ne prendrait pas la route de Jérusalem. Il sui\Tait plutôt la rive orientale de la Mer Morte et du Jourdain. Il longerait ensuite la chaîne des montagnes de Moab, et traverserait le vaste dé- sert de l'Ai'abie Pétrée.
La route qu'il suivait était encaissée dans un ravin profond. Des nuées odorantes flottaient dans les matins clairs, et déchiraient lem*s écharpes blanches aux crêtes des rochers. Un torrent lim- pide éparpillait des poignées de brillants dans la verdure de la montagne coimne un bijoutier range ses pierres précieuses sur le velours de sa \'itrine.
Tout à coup, dans l'échancrure des montagnes désolées, sans verdure et sans couleur, il aperçut Jérusalem. Il s'assit sur un sommet rocheux, et il la contempla longtemps.
C'était donc là cette \àlle des prophètes qui était devenue le tombeau d'un Dieu ! La ville tantôt sainte et tantôt maudite, tantôt royale et tantôt esclave ; la superbe, et la captive chargée de chaînes, lançant vers le ciel tantôt ses lamenta-
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tions et tantôt ses impiétés et ses blasphèmes, la glorieuse et la déicide, siège de Jéhovah sur terre, trône et gibet du Dieu-Homme !
Bien des fois détruite et toujours rebâtie. Tou- jours vaincue et jamais anéantie. Objet de haine et d'amour. Berceau et cimetière des peuples. Mystère du passé et de l'avenir. Morte pour son crime, immortelle par le tombeau de sa victime.
Radieuse de gloire et de puissance. Ruine la- mentable noyée dans les larmes, lavée dans le sang et purifiée par le feu !
Ce ne fut pas sans émotion qu'il parcourut de nouveau la route de la Galilée à Damas. Quel contraste entre ses sentiments d'aujourd'hui et ceux qui agitaient son âme trois ans auparavant !
En même temps, quel changement s'était opéré à Damas depuis qu'il avait quitté cette ville ! Jésus de Nazareth y comptait déjà de nombreux disciples, et ses premières prédications reçurent tout d'abord le meilleur accueil.
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V
SAUL ET PIERRE
Il est facile de comprendre que la population de Damas fût curieuse d'entendre Saul prêcher Jésus- Christ. On connaissait son histoire, et il la racon- tait lui-même dans tous ses détails avec une en- tière franchise. " Vous êtes étonnés, disait-il aux Juifs, et vous avez bien raison de l'être, et de vous demander si je suis le même homme que vous avez entendu il y a trois ans, et qui persécutait avec rage les disciples de Jésus de Nazareth. Etonnez- vous, mais croyez-moi. C'est moi qui ai fait lapider Etienne, et qui maintenant prêche à sa place le même Evangile. Le Seigneur l'avait choisi et ad- mirablement doué pour cette prédication, et je l'ai fait m.ourir. Et maintenant, c'est moi qui prêche le nom de Jésus, avec le même zèle que je l'ai combattu. Et pour la gloire de ce nom je su- birai toutes les souffrances et la mort. Le Seigneur me l'a prédit : je serai lapidé comme Etienne, et mis à mort, mais tant que j'aurai un souffle de vie, je me dévouerai tout entier au ser\'ice de ce Jésus que vous avez crucifié, et qui est ressuscité."
Les Juifs ne supportèrent pas longtemps ces discours enflammés de Saul qui opéraient de nom- breuses conversions parmi les Grecs. On le chassa
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des synagogues, on le dénonça aux autorités, et il devait être arrêté pendant la nuit, lorsque les dis- ciples organisèrent son évasion de la ville dont les portes étaient fermées. Ils le hissèrent sur la mu- raille, et ils le descendirent en dehors dans une corbeille.
Saul se cacha d'abord pendant quelques jours, et il partit secrètement pour Jérusalem. Il re\'it sans s'y arrêter l'endroit où le Seigneur l'avait foudroyé. Mais dès qu'il fut arrivé à Jérusalem, il voulut visiter le lieu où Etienne avait été lapidé.
Le petit tertre de pierres sous le'quel le saint martyr avait rendu l'âme subsistait encore. Saul s'agenouilla, et pria : " O doux Etienne, qui mê- me avant de mouiir avez vu les cieux ouverts, et qui maintenant vivez de la vraie vie à côté de Jésus, demandez-lui de me pardonner et de me préparer une place à côté de vous."
Saul demanda ce qu'on avait fait du corps du saint martyr, et il apprit que Gamaliel l'avait re- cueilli, et lui avait élevé un tombeau dans sa villa. Il voulut visiter ce tombeau, et il le trouva dans la crypte d'une petite chapelle que Gamaliel, devenu disciple de Jésus-Christ, avait fait construire en l'honneur du premier martyr chrétien.
Saul y pria longtemps en versant des larmes amères. Puis il alla visiter Gamaliel son ancien maître, qui logeait tout à côté. Il lui raconta sa merveilleuse histoire, et toutes les faveurs extra-
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ordinaires dont Jésus de Nazareth l'avait comblé. Le vieux Gamaliel l'écoutait en pleurant. Paul n'oublia pas d'aller visiter le Golgotha, et de baiser le rocher où la croix de son divin Maître avait été plantée. Puis il descendit au sépulcre, que Joseph d'Arimathie avait transformé en autel et entouré d'une gi-ille. Il y pria longtemps avec d'autres pè- lerins qu'il y rencontra.
De là, il se rendit au temple, et il y retrouva les abus qui avaient soulevé l'indignation de Jésus, les vendeurs avec leurs échoppes, et leurs hypo- crisies, et les troupeaux de victimes sanglantes fu- mant sur l'autel des holocaustes. Il était révolté de voir ses compatriotes offrir encore à Dieu le sang des taureaux, quand l'Agneau di\dn était venu lui- même verser son sang pour le salut du monde.
Son cœur se souleva à la \ue de ce spectacle, et il alla se rasséréner au Cénacle qu'il ne connaissait pas encore. Là enfin il trouva le nouveau temple, le nouvel autel, le nouveau sacrifice, le vrai culte de Dieu en esprit et en vérité.
Mais ce n'était pas tout ce qui l'avait attiré à Jérusalem. C'est Pierre qu'il était venu voir, Pierre qu'il reconnaissait dès lors comme le chef de l'Eghse ; et il se dirigea vers la maison de Marie la mère de Jean, surnommé Marc, non loin du Cénacle. C'est là que Pierre habitait.
Il avait tant de choses à lui raconter et tant d'autres à lui demander.
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Pierre connaissait déjà la miraculeuse conver- sion de Saul. Il savait comment ce persécuteur acharné des premiers chrétiens était devenu sou- dainement un disciple de Jésus, plein de foi, et tout brûlant du zèle apostolique.
Mais c'était pour lui un grand bonheur de voir Saul et de l'entendre.
Avec une sincérité parfaite et une émotion pro- fonde, Saul lui fit le récit complet de tout ce qui lui était arrivé à Damas, et de ce qu'il avait fait depuis. On l'accusait d'être un contempteur de la loi de Moïse, et cependant c'est lui qui était allé jusqu'au Sinaï demander à Moïse des inspirations . C'est lui qui dans la grotte de l'Horeb, sur le sol sacré où la loi de Jéhovah avait été donnée à Moïse avait étudié de nouveau et médité pendant trois ans la Loi ancienne et ses mystères.
Non, il n'avait pas cessé de croire à la divinité de cette Loi ; mais il y avait un homme qu'il pla- çait bien au-dessus de Moïse, puisqu'il était Dieu, et au service duquel il voulait consacrer le reste de sa vie : c'était Jésus de Nazareth.
Il comprenait maintenant que Moïse n'était qu'un précurseur, une figure du Messie promis, non pas aux seuls Juifs, mais à toutes les nations et il croyait fermement que ce Messie était venu, et que c'était Jésus de Nazareth.
" O vous, qui avez eu le bonheur de le connaître, disait Saul, parlez-moi de Lui !
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— O Saul, répondait Pierre, c'est un bonheur que nous n'avons pas su apprécier. Si tu savais combien longtemps nos cœui'S et nos esprits lui sont restés fermés ; combien nous avons été lents à comprendre ses enseignements et surtout à croire à sa divinité.
— Espérez- vous encore le revoir sur cette terre ?
— Non, Saul. Pendant les quarante jours qui ont sui^d sa résurrection, nous l'avons re\Ti bien des fois, parce qu'il avait pitié de notre faiblesse, et qu'il voulait nous confirmer dans notre foi.
" Certes, il était bien nécessaire qu'il \'int nous consoler, nous encourager, nous donner la fermeté qui nous faisait défaut. Mais depuis qu'il nous a envoyé son Esprit, qu'il nous avait promis, cet Esprit nous enseigne toutes choses, et doit nous suffire.
■;— C'est vrai, disait Jacques, présent à l'entre- tien.
— Et cependant, reprenait Pierre, combien j'aimerais le revoir encore tel qu'autrefois pour me jeter à ses pieds, et les baigner de mes larmes ! Tu ne sais pas toi, Saul, qu'à son dernier jour sur terre, j'ai été assez lâche pour le trahir et le renier. Je le pleure encore tous les jours ce crime impar- donnable, et souvent je suis éveillé la nuit par ma douleur.
— Il y a longtemps qu'il t'a pardonné ta fai- blesse, disait Jacques. As-tu donc oublié le jour
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mémorable où il nous apparut au bord du lac de Génésareth, notre pèche miraculeuse, notre dé- jeûner avec lui sur la grève de Capharnaum ? Ne te souviens-tu pas qu'il te choisit alors pour le chef de son Eglise ?
— Et c'est à toi, notre chef, que je viens parler de la grande œuvre de l'évangélisation des nations païennes, dit Saul.
" Sans doute, il faut travailler à la conversion des Juifs qui ont été les premiers appelés. Mais s'ils refusent le salut qui leur est offert, comme ils ont refusé de reconnaître le Messie en Jésus, il faut aller vers les Gentils ; et c'est la mission qui m'a été confiée plus spécialement par Jésus, chaque fois qu'il a daigné me parler et m'instruire. A quoi bon d'ailleurs nous attarder à vouloir faire de Jérusalem le siège de l'EgHse du Christ ? C'est une ville condamnée à périr ! Son déicide a comblé la mesure de ses crimes, et son sort est scellé. Le Seigneur n'a-t-il pas prédit que le temple lui-même sera détruit, et qu'il n'en restera pas pierre sur pierre ? Je ne l'ai pas entendue moi-même cette effrayante prophétie ; mais vous qui l'avez en- tendue, en doutez-vous ?
— Non, Saul, nous n'en doutons pas. Le Sei- gneur a parlé clairement et énergiquement. Il n'a pas pu nous tromper. Le sort de notre peuple sera lamentable ; mais il l'a voulu, il l'a appelé sur sa tête, ce châtiment. Au jour du grand crime, le
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plus grand que l'homme ait commis, il a prononcé sa propre sentence : " Que son sang retombe sur nous et siu" nos enfants ! "
— En attendant ce châtiment national, y a-t-il eu déjà des châtiments individuels parmi ceux qui ont pris part à l'accomplissement du grand crime ?
— Oui, Saul. Tu sais d'abord que Judas s'est fait lui-même justice. Eh bien ! Caïphe a subi le même sort. Un an après la mort du Christ, il a été déposé comme grand prêtre, et sa disgrâce l'a plongé dans lui tel désespoir qu'il s'est suicidé !
*' Anne a vu sa maison détruite dans une émeute, et son fils flagellé et traîné dans les rues par les émeutiers. Hérode Antipas a été détrôné et exilé en Germanie, et la malheureuse Hérodiade y a trouvé la mort d'un façon dramatique. En traver- sant un lac glacé, la glace s'est ouverte sous ses pas, et quand elle a été plongée dans l'eau jusqu'au cou, les morceaux de glace se sont rapprochés et lui ont tranché la tête, comme elle avait fait déca- piter Jean-Baptiste.
— Et Pilatus ? Qu'est-il devenu ?
— Il a été dénoncé à César par les Juifs, con- damné et banni. C'est à Vienne, dans la Gaule, qu'il subit maintenant son exil. Longtemps il a été en proie aux remords et au désespoir. Mais Claudia, sa femme, qui est devenue chrétienne, a tant prié pour lui qu'elle a réussi à ramener un peu de calme dans son âme. Ses accès de désespoir
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sont aujourd'hui moins fréquents, et Caïus Oppius, qui est son beau-frère et qui commande encore ici les troupes romaines, est plein d'espoir que Pilatus se fera chrétien ! C'est au moins ce que sa belle- sœur lui écrit de Vienne.
— La miséricorde de Dieu est infinie. Pilatus a péché par ignorance, par faiblesse^ et les Juifs ont péché par haine. Puisque le Seigneur m'a pardonné, il peut bien pardonner à Pilatus.
— Et Nicodème ? Qu' est-il devenu ?
— Il est maintenant prêtre du Christ."
Et c'est ainsi que Saul fut renseigné sur les cormnencements de la foi nouvelle, et sur le sort néfaste de ses ennemis primitifs. Mais ce qu'il voulait avant tout, c'était de se mettre d'accord avec Pierre sur toutes les questions de doctrine, et quand ils se furent mutuellement éclairés, Saul se mit à prêcher surtout aux Hellénistes et aux Gentils.
Ce fut une sensation parmi les princes des prêtres et les scribes. Ils ne voulaient pas en croire leurs oreilles. Etait-ce bien Saul de Tarse, le bouillant pharisien, l'ardent persécuteur des premiers chré- tiens, qui était devenu l'apôtre zélé de Jésus de Nazareth ressuscité ? Cette conversion extraor- dinaire attirait la foule, et la parole de Saul entraî- nait des centaines et des milUers d'Hellénistes,
1. Nous verrons plus loin quelle fut la fin de Pilatus.
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de païens et même de Juifs à embrasser la nou- velle religion.
Les autorités juives en prirent bientôt ombrage, et menacèrent de le mettre à mort. Les disciples furent effrayés, et saint Luc nous dit qu'ils le fi- rent partir pour Tarse.
VI TARSE ET ANTIOCHE
Tarse était une grande et florissante cité gréco- romaine plutôt que juive. Ses écoles rivalisaient avec celles d'Athènes et d'Alexandrie, mais ses mœui's n'étaient pas meilleures.
Il y avait là comme dans les autres grandes \dlles des Gentils un quartier juif, ce qu'on nommait à Rome un ghetto, et c'est dans ce quartier que Saul était né. Car il était bien hébreux, de la tribu de Benjamin, dont le caractère était le plus belhqueux.
Dans l'hymne adressée à ses fils par Jacob, le vieux patriarche disait de Benjamin : " C'est un loup qui déchire sa proie le matin, et qui le soir partage le butin."
Au matin de sa vie, Saul avait bien été un loup dévorant, mais il est devenu un conquérant paci- fique et bientôt il partagera entre ses disciples le
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produit de ses conquêtes, en les établissant évêques dans les nombreux diocèses qu'il aura fondés.
Sans doute il aimait son pays natal qui était d'ailleurs très beau. Tarse était bâtie dans une vallée, à proximité de la mer, et elle s'adossait à la chaîne du Taïu-us. Elle était traversée par le Cydnus, joli fleuve aux eaux pures et froides qui prenait sa source dans les montagnes.
Alexandre le Grand s'était laissé tenter par la beauté de ces eaux, quand il s'était arrêté à Tarse, et il y avait pris un bain qui l'avait mis aux portes de la mort.
Mais Saul fut-il jamais bien sensible aux beautés de la nature ? — Rien ne l'indique dans ses épî- tres. Il dut lui être agréable cependant de revenir dans sa ville natale, après sa longue absence et ses merveilleuses aventures. Il est probable que ses parents y vivaient encore, et qu'il trouva au foyer paternel un repos dont sa santé délicate avait besoin.
Fut-il tenté de retom'ner dans ces écoles qu'il avait fréquentées jadis ? Certes, les philosophes et les rhéteurs de Tarse n'avaient rien à lui appren- dre ; et, sans doute, il essaya plutôt de les con- vertir à la foi nouvelle. Mais la reUgion du Christ était bien sévère pour ces hommes qui avaient choisi Sardanapale pour leur dieu.
Le séjour prolongé qu'il fit alors dans sa famille ne fut pourtant pas du temps perdu. Quand ses
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parents et ses amis d'enfance apprirent sa prodi- gieuse histoire, ils ou^Tirent sans doute les yeux à la lumière de l'Evangile ; et quand il entrait dans la synagogue, aux jours du Sabbat, il dût faire en- tendre sa parole éloquente aux descendants de Benjamin.
Les autres jours étaient consacrés à l'étude des Livres Saints, et à la méditation. Je me le repré- sente se promenant seul aux bords du Cydnus, à l'ombre des grands pins parasols, enveloppé dans un manteau de bure, semblable à celui que por- tent aujourd'hui les Fils de saint François, et son- geant aux missions lointaines qu'il se proposait d'entreprendre. Ce grand avenir l'inquiétait.
Ne devait-il pas attendre un appel de la part des chefs de la nouvelle Eglise ? Pouvait-il sans quelque invitation spéciale prendre place parmi les apôtres, et commencer seul ses missions apos- toliques ?
Il y avait sans doute dans ces incertitudes et ces hésitations qui durèrent des mois une épreuve douloureuse que Jésus lui envoyait. Il la supporta patiemment, malgi'é sa nature impétueuse, et il attendit.
Pendant ce temps-là, Barnabe, qui s'était mon- tré son ami sincère à Jérusalem, prêchait l'Evan- gile à Antioche, et la Gentilité s'éveillait à l'appel du Christ. Il n'avait pas oublié Saul, et il eût l'ins- piration d'aller le chercher à Tarse pour travailler
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avec lui à la vocation des Gentils. C'était l'invi- tation que Saul attendait, et il n'hésita pas à suivre Barnabe à Antioche.
Pierre avait déjà établi dans cette grande ville un centre d'évangélisation, et les disciples qu'il y avait envoyés, Luc, Barnabe, Manahem, Simon le noir, Lucien de Cyrène y avaient opéré de nom- breuses conversions.
Sans doute, Jérusalem continuait d'être la plus grande et la plus célèbre ville de l'Orient. On l'ap- pelait toujours la " Ville Sainte," en dépit de ses crimes. Capitale de la nation juive, siège de la reli- gion de Jéhovah, elle gardait la suprématie sur toutes les cités orientales.
Mais la malédiction du Fils de Dieu pesait sur elle. Les disciples de Jésus de Nazareth ne pou- vaient pas oublier qu'elle avait tué leur maître. Déicide et régicide, sans Dieu et sans roi, elle était condamnée à périr. — La sentence de mort avait été prononcée par le divin et royal martyr, et ra- tifiée par le peuple lui-même qui avait dit : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! "
L'aveuglement des Juifs les empêchait de voir le Mane Thécel Phares — écrit sur les murs de la grande ville.
Mais les disciples de Jésus-Christ croyaient à l'exécution plus ou moins prochaine de la sentence, et dès lors Jérusalem n'avait pas la stabilité né- cessaire, pour devenir le siège de la nouvelle
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religion, à laquelle un grand avenir était promis.
Pierre songea-t-il dès lors à Rome, le centre du monde, pour y fixer le souverain pontificat ? — Peut-être, mais cela ne pouvait être réalisé que plus tard.
L'Eglise de Jésus-Christ devait être établie tout d'abord en Asie, et dans une ville païenne, plutôt que dans une \dlle juive, puisque les Juifs continuaient de poursuivre partout de leur haine déicide les disciples du Crucifié.
Or, parmi les cités asiatiques, la plus importante, et la plus accessible par terre et par mer était Antioche, bâtie au bord de l'Oronte, à quelques milles de Séleucie qui lui servait de port de mer.
Ce fut donc de là que la foi rayonna d'abord par les grandes routes que suivaient les caravanes, à travers le monde oriental, en attendant qu'elle eût franchi les mers.
A cette époque la grande ville comptait plus d'un demi million d'habitants, venus de la Syrie, de la Phénicie, de la Grèce, de la ^Macédoine et des contrées qu'arrosent l'Euphrate et le Tigre. Elle occupait un site admirable de pittoresque et de variété.
Séleucus, son fondateur, un des généraux d'A- lexandre le Grand, en avait admiré les beautés naturelles ; et il y avait accumulé les créations les plus parfaites de l'art grec, des temples, des
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théâtres, des cirques, des thermes, et un forum entouré de portiques.
Une grande avenue la traversait toute entière de l'Orient à l'Occident, et en franchissait môme les fortifications. Elle en sortait du côté occidental par la porte des Chérubins ainsi nommée à cause des deux chérubins en bronze doré qui semblaient la garder, comme ceux qui défendaient l'entrée de l'antique Eden.
Au sud, sur le sommet le plus avancé du mont Silpius, dernier contrefort du Liban, s'élevait la citadelle, à l'intérieur de l'enceinte fortifiée.
Au nord, coulait l'Oronte, et, dans une île qu'il avait formée en se divisant, de somptueux palais avaient été érigés pour ses rois, avant la conquête romaine. Ils servaient maintenant de demeures aux proconsuls et aux grands fonctionnaires de Rome.
La civilisation grecque y avait apporté son luxe, ses plaisirs, sa corruption, et l'on disait même qu'au point de \aie de la dépravation des mœurs Antioche éclipsait Corinthe.
Cela n'arrêta pas les premiers ou\Tiers de l'E- vangile, et la propagation de la foi y fit des progrès rapides parmi les Gentils.
Il y avait en dehors de la ville, au fond d'un amphithéâtre de montagnes, une vallée solitaire arrosée par des sources d'eau vive, embaumée par les parfums des cyprès, des lauriers roses et
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des myrtes. On l'appelait Daphné ; et ce n'était pas seulement un jardin de délices, im centre de plaisirs et d'amusements pour les habitants d'An- tioche : c'était aussi un sanctuaire, où sur des autels entourés de fleurs on offrait à Phébus et à Artémis des libations et des sacrifices. Aux chan- sons des cascatelles qui descendaient des monta- gnes, se mêlaient les accords des chœurs et des fanfares, et les acclamations joyeuses des visiteurs. La licence s'y joignait à la joie, et les bosquets de lauriers roses servaient de retraites aux adorateurs de Vénus.*
La prédication évangélique transforma cet éden de luxure, et il devint presque un lieu de prière.
La belle route, qui le reliait à la ville par la porte appelée Daphné, en traversait la partie haute nommée L'Epiphania. Là se trouvaient le Pan- théon, le Forum, les théâtres et autres Ueux d'a- musements.
C'est dans ce quartier aristocratique que Paul inaugura son apostolat des Gentils. Avec Bar- nabe, il s'y hvra avec ce zèle infatigable qu'il ap- porta toujours dans toutes ses œu\Tes, et après quelques mois les milhers de païens que Paul groupait autour de lui dressaient des autels à Jésus-Christ le seul \Tai Dieu.
Les faux dieux de l'Olympe et ceux du Panthéon romain allaient disparaître. Mais les maîtres de la terre tentaient depuis Auguste de les remplacer ;
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et jusque dans les colonies romaines de l'Orient de vils courtisans gorgés d'or et d'honneurs encen- saient leurs divinités, et leur érigeaient des temples.
VII LES NOUVEAUX DIEUX
L'homme ayant été créé à l'image et ressemblan- ce de Dieu, a des aspirations à toutes les grandeurs, même aux grandeurs divines.
Ce sont ces aspirations de la nature humaine dont Satan se servit pour perdre le premier homme.
" Mangez de ce fruit, dit-il à nos premiers pa- rents, et vous deviendrez comme des dieux."
Bien des fois au cours de l'histoire, cette même tentation diabolique s'est renouvelée, et quand les grands ambitieux sont arrivés au sommet de toutes les grandeurs terrestres, ils ont voulu gravir la cime de l'Olympe, et prendre rang parmi les dieux.
Les légendes des Titans et de Prométhée, l'his- toire de la Tour de Babel, et de tous les demi-dieux de la Fable, ont été des manifestations de cette grande ambition des hommes ; et le rêve suprê- me de leur orgueil a été d'être divinisés.
Les peuples se prêtaient d'ailleurs volontiers à la réalisation de ces souveraines ambitions, car ils
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avaient, ils ont toujours eu et ils auront toujours le mystérieux besoin d'adorer quelqu'un ou quel- que chose. Quand ce ne sera pas un homme, ce sera un animal, le bœuf, le serpent, l'éléphant, ou des idoles d'or et de pierre.
La divinisation fut le suprême honneur que la Grèce accorda à ses héros ; et les Césars romains les imitèrent en se faisant décerner un culte et ériger des temples.
Dégoûtés des dieux trop connus de l'Olympe, et de leur culte public inavouable, les Romains en grand nombre leur préférèrent d'abord des cultes entourés de mystère. C'est le propre de la religion d'avoir des mystères, dont Dieu lui-même est le plus profond.
Les mystères d'Isis et ceux d'Eleusis les atti- rèrent, mais ces mystères finirent par être divul- gués. Ils ne consistaient d'ailleurs que dans le se- cret de certaines pratiques religieuses, et non dans le mystère des dogmes.
Et quand ils cessèrent d'être des mystères, on s'en dégoûta, parce qu'ils n'étaient guère plus purs que l'ancien culte, et qu'ils ne répondaient pas aux nobles aspirations de l'âme.
Alors on finit par se dire : Puisque César est tout, pourquoi n'est-il pas dieu ? Car il nous faut un Dieu. Et le Sénat décréta que les Césars seraient proclamés dieux après leur mort.
Dès ce moment, et de son vivant, Auguste fut
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dieu, au moins dans les Provinces, tandis qu'il continuait d'être simple mortel en Italie. Il en fut de même de Tibère. — De son vivant, on voulut le proclamer dieu. — On le pria, on le supplia de vouloir bien se laisser adorer, et chose étonnan- te, il refusa ; mais les villes d'Asie reçurent la permission de reconnaître sa divinité !
" J'avoue que je suis mortel, et que je subis les lois de l'humanité," répondait-il aux supplications de Rome de se laisser diviniser.
Mais au lieu d'admirer ces paroles, quelques- uns les attribuèrent à la bassesse d'âme. Il n'a- vait pas, croyait-on, la haute et noble ambition d'Auguste.
Les villes d'Asie se disputèrent la gloire de lui élever un temple ; et finalement ce fut Smyrne qui se donna le dieu Tibère.
Au fait, il n'était pas plus gênant pour la vie que Bac chus et Vénus.
Ses successeurs, qui furent encore de plus grands scélérats que lui, se firent moins prier pour accep- ter la divinité.
Caligula eut partout des temples, môme au Capi- tole. Et Drusille, sa sœur et sa concubine, fut aussi proclamée déesse.
Ils fiu'ent aussi des dieux, les Claude et les Néron, et leur culte avait ses prêtres. Mais le dieu Auguste écHpsait les autres. Il était le Jupiter du nouveau polythéisme.
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En même temps la superstition était générale. — L'astrologie et la magie devenaient très popu- laires.
Et les philosophes, ne sachant que penser, payaient eux-mêmes tribut à la superstition.
Ils se moquaient des dieux — excepté de celui qui régnait, et qui pouvait les faire mourir — et ils s'abandonnaient à toutes sortes de supersti- tions. Voilà où en était le monde. Il voulait des dieux nouveaux. Mais le seul vrai Dieu que le ciel a^'ait promis à la terre avait paru à Jérusa- lem, et les Juifs l'avaient tué.
A l'imitation des Césars, Hér ode- Agrippa, petit- fils d'Hérode-le-Grand, crut que le jour était venu poitr lui de se proclamer dieu.
Après une vie de débauche, menée à Rome, avec Drusus, fils de Tibère, ce dernier l'avait pris en haine et chassé. Sa digne sœur Hérodiade, femme incestueuse d'Hérode Antipas, l'avait recueilli et hébergé à Tibériade ; puis il était retourné en Italie. Rentré en grâce auprès de Tibère, retombé en disgrâce et emprisonné, il avait su malgré tout emprunter des millions des usm'ieurs juifs et ga- gner l'amitié de CaUgula, le futur empereur, et le futur dieu nouveau.
Et c'est ainsi qu'à la mort de Tibère le nouveau César le tira de prison, et le fit roi des petits Etats dont il avait dépouillé son oncle Philippe, fils d'Hérode-le-Grand.
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Aux faveurs de Caligula avaient succédé celles de Claude, et, eu peu d'années. Agrippa avait re- constitué le royaume de son grand-père en s'em- parant de la Syrie, de la Samarie, de la Judée, et en enlevant à son oncle Hérode-Antipas les té- trarchies de la Galilée et de la Pérée.
Il ignorait sans doute qu'il avait été l'instru- ment de la Providence, en châtiant le mari inces- tueux d'Hérodiade et le meurtrier de Jean-Bap- tiste. Et il avait réussi à devenir l'idole des Juifs en agrandissant et embellissant Jérusalem et le Temple. Plusieurs étaient disposés à reconnaître en lui le Messie. Agrippa I en était flatté, et il songea peut-être que s'il faisait reconnaître sa messianité par le sacerdoce juif, cela grandirait sa puissance et son prestige, et rendrait plus facile son accession à la divinité. Or, il ne pouvait pas y avoir deux Messies, et s'il était lui-même reconnu pour le Messie, Jésus avait été un imposteur, et ses disciples étaient une secte détestable et digne de mort.
Hérode-Agrippa devint ainsi le persécuteur des disciples de Jésus dont le nombre grandissait mer- veilleusement ; et il crut faire un acte de politi- que habile en faisant décapiter Jacques, frère de saint Jean, et premier évêque de Jérusalem.
Mais le chef de la nouvelle église était Pierre ; et c'était lui qu'il fallait supprimer. Agrippa le fit donc arrêter et jeter en prison, avec l'intention
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de l'y détenir jusqu'à la fête de Pâques qui appro- chait, et de le faire ensuite décapiter en présence de tout le peuple.
Or, voilà qu'à la veille du supplice, pendant la nuit, Pierre qui dormait, enchaîné au miheu des gardes, fut soudainement réveillé par un ange qui lui dit : " Suis-moi." Les chaînes tombèrent de ses mains, et il suivit l'ange devant lequel toutes les portes s'ou\Tirent.
Quand, au matin, la chose fut racontée à Hérode- Agrippa, il entra en fureur, et il fit décapiter les gar- des au nombre de seize. En même temps, il ordonna qu'on recherchât Pierre, mais on ne le trouva pas.
Le digne petit-fils d'Hérode-le-Grand fut donc forcé d'ajourner la décapitation de Pierre, et il se rendit alors à Césarée pour y célébrer solennel- lement son apothéose, et la proclamation de sa divinité. L'occasion était bien choisie. On allait y célébrer par de gi^andes fêtes pubhques le retour triomphal de Claude, qui venait de faire une ex- pédition en Bretagne. Les hauts fonctionnaires de l'empire d'Orient, les proconsuls et les gouver- neurs de province y étaient invités ; et l'orgueil- leux Agrippa voulait les éblouir de son luxe et de l'éclat de sa popularité.
Césarée n'était pas une ville orientale, mais une vraie ville romaine. Elle avait un forum, une voie sacrée et des temples, des thermes, des théâtres, et un cirque spacieux.
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Le grand théâtre était admirablement situé, et commandait un large horizon sur la mer. Les gradins étaient échelonnés en hémicycle, et ados- sés à un amphithéâtre de colHnes.
Le premier jour fut consacré aux jeux du cirque, aux courses de quadriges, aux luttes des cavaUers contre les bêtes sauvages, et aux combats de gla- diateurs. Des régates occupèrent tout le second jour, et le spectacle de la baie, couverte de galères et de barques de formes et de couleurs variées, fut un des plus beaux de la fête. Sur la galère royale, où flottaient des oriflammes, s'élevait un trône pour Agrippa, entouré des grands de sa cour, et la brise de mer se jouait dans les vélums qui om- brageaient sa tête. Sous les efforts de 100 rameurs elle circulait rapidement au milieu des trirèmes de course.
Mais c'est le troisième et dernier jour qui devait être le plus brillant et le plus pompeux. Car Agrippa I et toute sa cour, et ses illustres invités, devaient y figurer dans tout l'éclat de la magni- ficence royale.
La voie sacrée était pompeusement décorée et pavoisée. De longues rangées de légionnaires en bordaient le parcours, et leurs cuirasses d'acier et leurs armes polies étincelaient au soleil. De chaque côté étaient dressés des trophées, rehés entre eux par des guirlandes de lauriers et de roses. Sous la colonnade des basiliques et sous les porti-
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ques des temples étaient groupés des pontifes en toges de soie de divei ses couleurs, et des Vestales enveloppées de longs voiles aussi blancs que la neige. Les terrasses des maisons étaient couvertes de spectateurs agitant des palmes et lançant des fleurs. Dans les rangs du cortège qui accompa- gnait le char triomphal d'Agiippa, traîné par quatre éléphants richement caparaçonnés, des fanfares se faisaient entendre, et des chœurs nom- breux chantaient :
O divin Agrippa,
Vois à tes pieds
Tes innombrables adorateurs,
Venus des confins de l'Orient et du Couchant.
Tu es plus brillant que le Dieu-Soleil
Et les raj'ons de ta couronne
Ont illuminé les terres lointaines.
Il est temps que ton trône se change en autel,
Que l'immortalité des dieux
Descende sur toi.
Et couronne ton front de la céleste auréole !
Et la foule criait :
Vive Hérode-Agrippa I ! Ce n'est pas un homme, C'est un dieu !
On n'avait pas fait marcher derrière son char, comme on le faisait à Rome, un esclave chargé de lui redire souvent : Respice post te, hominem
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te mémento ; " Regarde en arrière, souviens-toi que tu es un homme ! "
Quand le cortège fut anivé au théâtre, Agrippa, revêtu d'un manteau de pourpre lamé d'or, et coiffé d'une tiare étincelante de pierreries, monta les degrés du proscenium, et ses courtisans se gi'oupèrent en arrière de lui.
Les grands personnages étrangers prirent place dans les loges les plus rapprochées de la scène. On y distinguait quelques roitelets d'Orient, et plusieurs descendants et alliés des Hérodes : Agrippa, fils du nouveau dieu, qui devait lui suc- céder sous le nom d' Agrippa II, et Bérénice, sa sœur, veuve de son oncle Hérode, prince de Chalcis, et que sa beauté et ses amours avaient déjà rendue célèbre ; Félix, ancien affranclii, favori de Claude, et futur gouverneur de la Judée ; Drusilla, sa femme, sœm' de Bérénice et d' Agrippa II, et dont ceUe-ci était jalouse, parce qu'elle était encore plus belle qu'elle ; Sergius Paulus, citoyen romain, de la gens Sergia, et Chryséis, sa femme, une belle grecque qu'il avait épousée à Corinthe pendant une mission qu'il était allé remplir en Grèce, sous le règne de Tibère.
Félix et Drusilla avaient avec eux leiu* fils unique, qu'ils avaient nommé Agrippa, et qui avait alors seize ou dix-sept ans. A côté de lui était assise Paulina, à peine âgée de dix ans, fille de Sergius Paulus et de Chryséis. Les deux enfants
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causaient et riaient ensemble, tout en admirant les spectacles variés de la fête. Mais le jeune Agrippa était surtout ébloui de la beauté et de l'intelligence précoce de Paulina, et quand il s'aperçut que sa mère l'observait, il se pencha vers elle, et lui dit à l'oreille : " Mon cœur est pris, ma mère, et quand je serai d'âge à me marier, c'est Paulina que j'épouserai. "
Plusieurs ambassades de Tyr, de Sidon, et d'autres villes s'approchèrent alors du roi, et lui présentèrent des adresses.
Après les réponses d' Agrippa, et la distribu- tion des faveurs royales, un chœur de \derges entonna un hymne en l'honneur du dieu nouveau, pendant que des groupes de danseuses exécutaient dans l'arène des rondes sjTnboUques.
Bientôt une procession de thuriféraires défila devant Agrippa, et lui offrirent de l'encens. La foule poussa des acclamations, et quand Agrippa se leva pour saluer, elle cria : Deus, ecce Deus !
Mais, à ce moment, Agrippa pâht, et poussa un cri de douleur. Un mal effroyable venait de le saisir aux entrailles, et il s'affaissa sur les mar- ches du trône, au miUeu des tortures les plus atroces. Quelques chrétiens perdus dans la foule crièrent : Ecce homo : toile, toile ! " Emportez- le ! " Et les serviteurs le prirent dans leurs bras, et l'emportèrent sans connaissance dans son palais. Des médecins furent appelés, et lui pro-'
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diguèrent tous leurs soins, et les médicaments que l'art leur suggéra. Mais le roi se roulait sur sa couche en hurlant de douleur.
Sergius Paulus avait amené avec lui son magi- cien Bar-Jesu, et le célèbre spii'ite épuisa vaine- ment toutes les ressources de la magie. Les souffrances d' Agrippa croissaient toujours, et il sentait venir la mort.
Alors il se rappela les guérisons que Pierre avait opérées, disait-on, au nom de Jésus de Nazareth, et il cominanda qu'on allât chercher Pierre. Mais Pierre avait quitté Jérusalem, et ses disciples disaient qu'il était parti pour Antio- che, où il allait prêcher la divinité de Jésus, le seul vrai Dieu !
A cette nouvelle, le roi Agrippa poussa un grand cri et expira.
Ainsi mourait le nouveau dieu, roi et prétendu Messie des Juifs, pendant que les nouveaux dieux des Romains, Caligula et Claude, devenaient fous.
Mais vers le même temps Saul de Tarse se préparait à faire le tom* du monde, pour lui faire connaître le seul \Tai Dieu nouveau, Jésus de Nazareth.
62 PAULINA
VIII
SAUL ET B.ARNABE DANS L'ILE DE CHYPRE
Un matin du printemps de l'an 44, trois hom- mes sortaient d'Antioche. Ils suivaient un sentier sinueux, qui s'élevait au milieu des cactus, vers le sommet d'un promontoire, coupé à pic, à gau- che de rOronte. Ils étaient las, et leurs pas deve- naient lents et lourds. Enfin ils arrivèrent à la cime, et ce fut avec un soupir de soulagement qu'ils découvrirent la mer déployant au loin son immense arène éblouissante d'azur, et tout en- soleillée.
Plus près, au pied du promontoire, une haute tour, dont la vague venait battre la base, indi- quait l'entrée du port de Séleucie, conmie une sentinelle. Une belle colonnade annonçait un temple de quelque faux dieu.
Ils s'assirent pour causer sur une roche tapissée de mousse, et aspirèrent l'air frais qui montait de la mer. Il s'y mêlait des parfums d'hysope et de romarin.
On était arrivé au miheu de mars, et la navi- gation méditerranéenne allait s'ou\Tir. Les vergers étaient en fleurs sur les bords de l'Oronte,. et les orangers étaient encore chargés de fruits.'
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Tous les torrents qui chantaient dans les gorges profondes du Silpius roulaient sur un lit de ba- salte leurs eaux tourbillonnantes vers le petit fleuve.
L'aube étendait à peine sur les cimes du Liban un léger voile teinté de rose, et sur la route qui suivait les méandres du fleuve, les trois voyageurs reprirent bientôt leur marche à grands pas.
De plateaux en plateaux, ils descendirent des hauteurs, et devant eux l'échancrure des monta- gnes en s'élargissant agrandissait et éclairait leur horizon.
Bientôt, au détour des collines, ils aperçurent la mer endormie dans sa robe de moire azurée.
" Ainsi donc, dit le plus jeune des trois, à celui qui marchait à sa di-oite, vous êtes sûr, Barnabe, que nous trouverons à Séleucie un vaisseau fai- sant voile pour Chypre ?
— J'en suis sûr, répondit Barnabe. Il y a un petit vaisseau marchand, le Sidonia, qui partira demain matin à l'aurore, et si le vent souffle du nord, nous serons à Salamis avant la nuit.
— Chypre est votre patrie, Barnabe ?
— Oui, et c'est aussi la patrie de Marc. Nous l'aimons bien tous deux. C'est une île enchan- teresse, et sa population a bien besoin de conver- sion, elle est tellement livrée au culte de Vénus.
— Le proconsul se nomme Sergius Paulus, dit Marc, et je crois qu'il nous fera bon accueil.
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C'est un esprit droit, qui ne croit plus guère aux dieux de l'Olympe. Il cherche la vérité, de bonne foi, et depuis quelque temps il croit l'avoir trouvée dans la magie. Un magicien nommé Elymas a gagné sa confiance. "
Après un silence, Barnabe reprit la parole.
" Hier, sm* le forum de l'Epiphania, j'ai eu une sm'prise : j'ai rencontré Onkelos.
— Onkelos de Jérusalem, interrompit Saul ?
— Lui-même.
- — Que \dent-il faire à Antioche ?
— Il y est envoyé par les princes des prêtres de Jérusalem, pour constater les progrès que nous faisons, et pour réveiller la synagogue.
— Et que dit-il de Jérusalem ?
— Il ne fait que répéter la parole du prophète : *' Par la désolation a été désolée toute la terre . " Les prêtres et les scribes se lamentent, et lèvent les bras au ciel de désespoir. Ils l'ont pourtant bien vu mourir, ce Jésus de Nazareth qui trou- blait leur vie. Et cependant ils confessent qu'il est plus vivant que jamais, que le nombre de ses amis grandit, que son nom est dans toutes les bouches, et qu'il accomplit plus de merveilles aujourd'hui que lorsqu'il parcourait les rues de Jérusalem.
" Des rivages de la Syrie, de l'Egypte, de la Macédoine et de la Grèce, des foules de pèlerins, dit Onkelos, viennent visiter les lieux où il a vécu.
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Ils remplissent le temple pour entendre les prédi- cations de ses apôtres. On les chasse, et ils re- viennent. On les emprisonne, on les enchaîne, et l'on ne sait quel pouvoir invisible brise leurs chaînes et ou\Te les portes des prisons.
" On les bat de verges, on les laisse tout san- glants, à demi-morts, dans la cour du Prétoire, et le lendemain on les retrouve dans le temple annonçant que leur Christ est vivant.
" Les infirmes et les malades qui se traînent sui' les chemins sont guéris au nom de Jésus. Nous en avons appelé à l'autorité d'Hérode- Agrippa, et pour se rendre populaire auprès du sacerdoce il a fait décapiter l'apôtre Jacques, mais les autres ont continué de prêcher, et leur voie douloureuse devient une voie triomphale.
" Ce qui paraît surtout extraordinaire et même miraculeux, c'est qu'ils font de leurs disciples, en leur imposant les mains, des Nabis, c'est-à-dire des prophètes qui se mettent à prêcher dans des langues différentes de leur idiome national, et qui chassent les démons.
— Et c'est Onkelos qui t'a dit tout cela ?
— Lui-même.
— Est-ce qu'il ne serait pas possible d'en faire un disciple de Jésus-Christ ?
— Je le crois, s'il n'était pas le gendre du grand-prêtre.
— Oui, je comprends, dit Saul. Sa femme, ses
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enfants, sa position, ses rêves ambitieux dans le sacerdoce juif : voilà les obstacles. Et il n'est pas le seul, parmi les prêtres et les scribes, que des motifs du même genre empêchent • d'entrer dans nos rangs. "
Vers le soir, ils arrivèrent à Séleucie, et dèh le matin, le jour suivant, ils s'embarquèrent à bord du Sidonia qui faisait voile vers Chypre.
Une forte brise soufflait du nord, et les pous- sait vers l'île, qu'ils avaient aperçue des hauteurs qui dominent Séleucie.
Le soleil était encore assez haut sur l'horizon, quand la belle Cypris leur apparut de loin, comme une étincelante émeraude que la mer enchâssait dans un cadre de nacre.
La côte nord de l'île avait un aspect peu hos- pitaUer. Mais sur la côte orientale, au fond d'une baie large et profonde, brillait toute blanche la grande ville de Salamine, nonchalamment assise à l'embouchure du fleuve Pediocus.
Elle s'adossait à de belles collines, plantées de vignes et d'orangeries, et au-dessus se dressaient de hautes montagnes et des forêts de cèdres, de pins et de cyprès.
Un juif cypriote, parent de Barnabe, offrit l'hospitaUté aux missionnaires, et dès le jour suivant ils pm"ent commencer leur prédication à la synagogue.
Là, comme dans ses missions postérieures^
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Saul constata bientôt que l'hostilité à la religion du Christ venait surtout des Juifs, et que les Gentils se montraient plus ouverts à la vérité évangéUque.
Après avoii- lutté quelques jours contre cette ré- sistance de leurs compatriotes, les trois mission- naires quittèrent Salamine, et se rendirent à Paphos, la capitale de l'île.
IX SAUL ET SERGIUS PAULUS
L'île de Chypre était une pro\'ince sénatoriale; ce qui veut dire qu'elle était gouvernée par un proconsul, nommé par le Sénat de Rome. Il s'ap- pelait Sergius Paulus.
C'était un noble romain, descendant d'une très ancienne famille sénatoriale, qui comptait parmi ses ancêtres les Paul-Emile et les Scipions. Il était versé dans les lettres et les sciences, et il avait la réputation d'être un homme de bien. A Rome, il s'était lié d'amitié avec PUne l'An- cien, qui le loue dans son Histoire du Monde.
Pendant une mission qu'il avait remphe en Grè- ce, et qui lui avait été conjâée par le Sénat romain, il avait passé deux ans à Corinthe, et il y avait
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épousé Chryséis, fille d'un prêtre d'Apollon. Elle était d'une grande beauté. Elle avait ce type de la femme grecque que les sculpteurs d'Athènes ont reproduit si souvent dans leurs Vénus tant admi- rées.
La société de Corinthe, à cette époque, était bien dissolue, et c'était Vénus qui comptait dans cette ville le plus grand nombre d'adoratem's. Mais le père de Chryséis n'avait jamais permis à sa fille de prendre part au culte scandaleux de la belle déesse, et elle n'avait jamais adoré d'autre dieu qu'Apollon.
Sergius Paulus avait beaucoup étudié l'histoire des rehgions, et il en était venu à ne plus croire aux dieux du paganisme. Mais il ne voyait aucun mal à ce que sa femme, et sa fille Paulina, ren- dissent un culte à Apollon et à Diane, parce qu'il les considérait comme des dieux honnêtes — Diane surtout, puisqu'elle était restée vierge, dans la <;royance antique.
La religion juive cependant l'attirait plus que les autres, à cause de Moïse dont il connaissait la merveilleuse histoire, et surtout à cause de la pro- messe d'un Messie-Sauveur dont le monde, à son avis, avait grand besoin.
En attendant, il cherchait la vérité, et comme un grand nombre des hommes les plus illustres de son temps, il croyait à la magie, et aux oracles des sibylles et des pythonisses.
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Un magicien qui se nommait Bar-J6su, et qui avait pris le surnom d'Elymas qui signifie mage ou prophète, avait su gagner sa confiance. C'était évidemment un homme très versé dans l'histoire et dans les sciences occultes. Il prétendait apparte- nir à l'école des mages de la Perse, et il se réclamait en même temps de Moïse.
Le proconsul l'avait attaché à sa maison. Mais quand il apprit l'arrivée de Saul à Paphos, et ses prédications sur Jésus de Nazareth, il invita l'apô- tre à venir chez lui. Paul s'y rendit avec Barnabe et Marc, et Sergius Paulus ne tarda pas à les in- terroger sur la doctrine nouvelle qu'ils avaient commencé à prêcher dans les synagogues.
" Je connais, leur dit-il, l'histoire de votre Jésus de Nazareth. C'était un personnage bien extra- ordinaire, d'après ce que l'on m'a raconté ; mais il était ennemi de Rome, et il voulait se faire roi.
— On vous a mal renseigné, répondit Saul. Jésus de Nazareth n'était pas un ennemi de Rome, non plus que des autres puissances de ce monde. Il n'avait qu'un ennemi, Satan, qu'il appelait le Prince de ce monde. Deux fois on a voulu le faire roi, mais il a refusé. Le titre de roi des Juifs n'eût été pour lui qu'un vain hochet ; car il est le Roi des rois, le souverain suprême de toutes les nations puisqu'il, est Dieu.
— Voilà une prétention qu'il te serait bieo
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difficile d'établir, répliqua le proconsul.
— Cela n'est pas seulement difficile, dit Ely- mas, c'est impossible. "
La discussion s'engagea alors entre Saul et le magicien, à la grande satisfaction de Sergius Paulus.
Eljnias fit appel à toutes ses habiletés de pa- role, et à toutes ses supercheries pour empêcher le proconsul de se laisser convaincre par la chaude et forte parole de Saul.
Mais l'argumentation de l'apôtre était serrée et puissante. Après avoir exposé avec beaucoup de force les preuves de la résurrection de Jésus- Christ, il raconta sa propre histoire au proconsul : comment il avait été le persécuteur de la reU- gion nouvelle, et comment Jésus l'avait radica- lement changé en le foudroyant aux portes de Damas, et en lui enseignant la vérité.
A ce récit, Elymas éclata de rire, et dit :
" Les cas d'hallucination de ce genre sont fréquents dans tout l'Orient, et surtout dans la Perse. D'ailleurs vous admettez vous-même que vous avez été frappé de cécité, et il est évi- dent que l'aveuglement de votre esprit a suivi celui de vos yeux."
Saul fut transporté d'une sainte indignation, et fixant son regard plein de feu dans les yeux mêmes du magicien, il lui dit d'une voix forte : " O homme plein de toutes sortes de ruses et
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de fourberies, fils du diable, ennemi de toute justice, tu ne cesseras donc pas de pervertir les voies droites du Seigneur ? Eh ! bien, voici que la main de Dieu est sur toi. Tu seras aveugle, et, pour un temps, tu ne verras pas le soleil. "
" Aussitôt, raconte l'écrivain sacré, d'épaisses ténèbres tombèrent sur Elymas, et il cherchait en se tournant de tous côtés quelqu'un qui lui donnât la main. "
Le miracle qui fermait les yeux du magicien ouvrit tout à fait ceux de l'honnête proconsul. Il se déclara plein d'admiration pour la doctrine que Saul lui avait enseignée, et il crut en Jésus- Christ.
Mais Chryséis ne fut pas si prompte à se dé- tacher du culte d'Apollon, et Paulina, leur fille, qui n'avait pas encore onze ans, resta hésitante entre la foi de son père et celle de sa mère. Toutes deux pensèrent même que Saul avait été bien cruel poiu- le pauvre Elymas. Elles ne compri- rent pas combien ce faux prophète, instrument de Satan, avait été coupable, et dans quelle me- sure il avait mérité son châtiment. Elles n'avaient pas remarqué non plus que Saul avait dit : "Tu seras aveugle pour un temps. "
Et, en effet, quand Barnabe revint quelques années après pour achever l'évangélisation de Paphos, il y trouva Elymas à demi converti par le châtiment que Saul lui avait infligé ; et,
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quand Barnabe le baptisa, la vue lui fut rendue. Sergius Paulus était resté chrétien, mais sa fem- me et sa fille ne l'étaient pas encore.
Paulina s'épanouissait alors en grâce et en beauté. On disait qu'elle serait encore plus belle que sa mère. Il y avait dans ses yeux profonds quelque chose de chaste, de serein, de mysté- rieux ; et ses longs cils voilaient une mélancolie rêveuse.
Sa voix était une musique, expressive et riche de nuances, une symphonie qui n'avait rien d'étu- dié ni de conventionnel. Elle ne riait jamais bruyamment. Mais elle souriait volontiers, et son sourire était suave. Quand elle rêvait, les yeux fixés dans le vague, elle semblait regarder au-delà des choses de ce monde.
X
CHEZ LES CALATES
Le culte de Vénus avait sans doute fait perdre aux Cypriotes le goût des choses spirituelles et religieuses. Les plaisirs de la chair les avaient tellement corrompus que leur esprit et leur cœur atrophiés ne pouvaient plus s'élever au-dessus des biens de la terre et des amusements du monde
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La prédication de Paul en Chypre fut donc cette semence tombée parmi les ronces qui fut étouffée par les mauvaises herbes.
Mais la conversion du proconsul avait produit un effet considérable sur la population ; et, quand Paul le quitta il en avait fait un véritable apôtre du Chi'ist. — "Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve à tous deux, lui dit Paul en lui faisant ses adieux, mais soyez sûr, Sergius, que nous nous retrouverons quelque part en ce monde, et que vous deviendrez comme moi un apôtre de la religion nouvelle. Je m'en vais vers les Gentils. Le peuple juif n'a pas reconnu son Messie. Il Fa fait mourir, et il a demandé que son sang retombe sur lui et sur ses enfants. Ce vœu de son cœur per\erti sera exaucé. Il y aura partout dans le monde des Juifs qui se conver- tiront. Mais la masse du peuple, la race elle- même, restera entêtée dans son incrédulité. Elle est condamnée à toujours attendre un messie qui ne viendra jamais, et elle mourra dans son péché, chassée de sa patrie, loin de Jérusalem et de son temple qui seront détruits.
" Mais les Gentils entendront la voix de Dieu qui les appelle, et c'est pourquoi je m'en vais vers eux dans tous les pays où l'Esprit m'empor- tera. De ce jour, je renonce à mon nom hébreu, Saul, et je vais prendi-e le second nom qui m'a été donné au jour de ma circoncision, Paul, qui
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•convaindra mieux à mon titre de citoyen romain, dans mes relations avec les Gentils. Je vous reverrai, Sergius, soit en Grèce, soit à Rome, et je vous associerai à mon œu\Te apostolique, qui est l'œuATe du Christ,
" Ne vous troublez pas au sujet de Chryséis €t de Paulina. Soyez vous-même fidèle au Dieu que je vous ai fait connaître ; et votre exemple les amènera un jour au pied des autels de Jésus- Christ."
Paul et ses deux compagnons s'embarquèrent à Nea-Paphos et firent voile vers le Nord. Leur mission plus ou moins fructueuse en Chypre n'avait pas duré trois mois. Après deux jours de navigation très orageuse, dans laquelle ils furent bien près de périr, ils abordèrent à Atta- lia, et se rendirent à Perge en remontant le Ces- trus, qui était alors navigable.
En cette saison de l'été, la population des rivages de la mer émigrait aux flancs des monta- gnes, où la température était plus fraîche, où la brise purifiait l'air, où les bois exhalaient des parfums et ombrageaient les habitations. Les premières pentes du Taurus abondaient en sites charmants de villégiature, au bord des lacs et des rivières.
Paul ne fit donc que passer à Perge qui était presque déserte, et il communiqua à ses deux compagnons le dessein qu'il avait formé de fran-
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chir la chaîne du Taurus, et d'aller évangéliser les Galates.
Barnabe le voulut bien ; mais Jean-Marc s'y refusa pour des raisons que Paul n'approuva pas. Marc se décida donc de retourner à Jérusalem.
Le Cestrus creusait une profonde vallée dans la montagne du Taurus, et les caravanes y avaient tracé d'étroits sentiers. Mais à l'endroit où la route atteignait les sommets élevés, couverts de hautes futaies, elle devenait difficile et périlleuse. C'était un pays inhabité et sauvage qui servait de retraite aux bj-igands.
Les deux missionnaires ne craignirent pas de s'aventurer dans ces solitudes redoutées.
Un soir, ils entrèrent dans une forêt, en sui- vant un sentier qui paraissait bien tracé. Barnabe proposa d'y chercher un gîte dans les broussailles, €t d'y passer la nuit.
" Demain, dit-il à Paul, en plein jour, nous pourrons nous aventm-er dans l'épaisseur des bois. Nous serons plus sûrs de la route à sui\Te, et moins exposés à faire des rencontres dangereuses."
— Peut-être, répondit Paul, mais la nuit est belle et fraîche ; je me sens plus dispos à mar- cher qu'au soleil, et la route est bien marquée par des pistes de chevaux — ce qui prouve qu'elle est fréquentée. — Quant aux rencontres dange- reuses, elles sont aussi fréquentes le jour que la nuit dans les forêts du Taurus.
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"Ayons confiance, Barnabe ; le Seigneur doit protéger ses missionnaires. Quand il a daigné envoyer un ange au jeune Tobie, qui s'en allait en pays lointain retirer une somme d'argent due à son père, crois-tu qu'il abandonnera ceux qui s'en vont prêcher son évangile chez les Gentils ?
— Non, " reprit Barnabe ; et les deux apôtres se remirent en marche.
L'obscurité et le silence qui se prolongent finissent par dégager certaines terreurs. Vous sentez que ce n'est pas le vide qui vous entom^e ; que des êtres in\dsibles et mystérieux flottent dans l'air autour de vous. Et vous entendez des bruits inexphcables qui Adennent des pro- fondeurs. Sont-ce les forces de la nature qui accompHssent leurs évolutions, ou les plaintes des bêtes fauves qui souffrent de la faim, ou les appels de ralhement des malfaiteurs errants à la recherche de leurs victimes ? — Peut-être.
" Mais non, dit Paul, c'est le mouvement universel des êtres qui ne se reposent jamais, et dont les voix grandissent dans les ténèbres.
''Tiens, voici une clairière qui s'ou\Te devant nous, et qui va nous permettre d'admirer la séré- nité de la nuit et la beauté du ciel.
• — Oui, dit Barnabe, et voici là-haut des étoiles qui scintillent.
— Elles sont belles et lumineuses, reprit Paul ; mais que leurs lumières sont faibles et tremblan-
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tes ! Dans leur course régulière sur le ciel noir, elles ressemblent aux bonnes âmes qui cherchent la vérité dans les ténèbres qui enveloppent le monde. Elles gardent encore au fond de leurs consciences quelques pâles rayons de la lumière que Dieu y alluma quand il leur donna l'existence, €t elles attendent qu'il vienne de nouveau les éclairer. C'est la mission que nous allons remplir au nom de Jésus-Christ. "
Oui, c'était bien le rôle de ces premiers messa- gers de l'Evangile, et de tous ceux qui ont suivi leurs traces dans les déserts de ce monde. Dans les sphères mystérieuses où gravitent les âmes, «lies luttent contre l'ombre qui voile la vérité, comme les étoiles luttent contre la nuit. Souvent l'ombre paraît invincible, tant elle est épaisse ; mais quand l'apôtre paraît, portant dans sa main le flambeau de la foi, l'ombre se dissipe.
Que sont-ils pourtant ces humbles missionnaires qui n'ont ni or, ni argent, ni pouvoir, ni influence d'aucune sorte, auxquels manquent même souvent le talent et la science, que sont-ils en présence des obstacles et des ennemis à vaincre ? — En appa- rence rien. Et cependant ils triomphent de l'espa- ce illimité, du désert, de la forêt, des puissants et des savants.
C'est qu'il y a en eux un élément divin ; et, grâce à cette force cachée, ils triomphent à la fois de l'hostihté de la nature et de l'hostilité humaine.
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Après avoir traversé la clairière, où les infatiga- bles marcheurs avaient pu contempler un coin du ciel étoile, il leur fallut gravir une montagne cou- verte d'un bois touffu. Les ténèbres s'épaissirent, et ils perdirent leur chemin. Barnabe ralentissait le pas, mais Paul marchait en tête, et bientôt ils trouvèrent un étroit sentier, qui longeait l'escar- pement d'un ravin.
Un sourd rugissement leur fit comprendre qu'ils étaient dans le chemin d'une bête fauve. Ils con- tinuèrent de marcher lentement, et tout à coup ils aperçurent le feu d'un campement au fond du ravin.
" Tiens, dit Barnabe, voilà une habitation humaine.
— Les hommes sont plus dangereux que les fauves, dit Paul ; mais c'est aux hommes que nous sommes envoyés : allons visiter ceux-ci."
De la hauteur que le sentier suivait ils domi- naient le campement, et ils purent l'observer ai- sément. C'était une large tente, circulaii'e et coni- que, en peau de chameau, ouverte par le haut pour laisser passer la fumée d'un grand feu qui flambait au milieu. Autour du feu dormaient plusieurs hommes enveloppés dans leurs manteaux de laine brune ; et au dehors, une sentinelle veillait, de- bout, le dos appuyé sur un grand pin.
En les apercevant, la sentinelle fit entendre un coup de sifflet, et les dormeurs s'éveillèrent. En
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un instant, ils s'élancèrent tout armés hors de la tente.
" Qui va là ? cria le chef.
— Des aniis, répondit Paul.
— Nous n'avons pas d'amis.
— Vous voulez dire que vous n'aimez personne^ et c'est peut-être vrai. Mais moi, je veux dire que nous aimons tout le monde, même vous que nous ne connaissons pas. Pouvez-vous nous empêcher de vous aimer ?
— Oui, en vous faisant du mal.
— Vous vous trompez ; car le Dieu que nous servons nous conunande d'aimer ceux qui nous font du mal.
— Alors, prouvez-nous que vous nous aimez en vous dépouillant de tout ce que vous avez, et en nous le donnant. Sinon nous le prendrons de force, comme nous faisons à tous ceux qui tombent entre nos mains. Comprenez- vous ?
— Je vous comprends très bien, et vous allez me comprendre aussi. Si je possédais quelque bien, je le partagerais volontiers avec vous ; mais je ne possède rien. Je vis d'aumônes, et cette besace contient toute ma fortune : quelques vieux vê- tements et quelques livres. Je n'ai nulle part au- cune habitation. Vous êtes plus riche que moi, puisque vous avez une tente, et je vais vous demander une faveur, que vous ne me refuserez pas — l'hospitahté pour la nuit.
SO PAULINA
— Mais vous n'avez pas peur de passer la nuit avec des brigands ?
— Non.
— Je pourrais vous tuer cependant.
— Non, vous êtes trop intelligent pour tuer un homme sans motif. J'ai d'ailleurs beaucoup de choses à vous dire, des choses que vous avez inté- rêt à savoir, et que je vous dirai demain.
— Vous êtes un singulier personnage. Juif, grec ou romain ?
— Je suis Juif et citoyen romain. Je parle les trois langues.
— Et où allez- vous ?
— Nous allons visiter Antioche de Pisidie, et Iconium, et Lystres, et les autres villes de la Ga- latie.
— Vous n'êtes pas des touristes, ni des commer- çants, puisque vous n'avez ni or ni argent. Qu'allez-vous donc faire dans ces villes ?
— Nous allons y prêcher une religion nouvelle.
— Ah ! Je croyais que nous a\'ions déjà beau- coup trop de divinités. Le dernier dieu qu'on nous a fait connaître se nommait Cahgula, et il n'a pas mieux enseigné aux autres à faire le bonheur de l'humanité. Est-ce le divin Claude que vous allez annoncer aux malheureux de la Galatie ? Alors, je suis bien tenté de ne pas vous permettre d'aller plus loin.
— Non, le nouveau Dieu, le seul vrai Dieu, dont
PAULIN A 81
nous sommes les envoyés, se nomme Jésus-Christ, et, quand je vous l'aurai fait connaître, vous serez heureux de devenir un de ses disciples."
Le chef des brigands prit alors la besace de Paul et celle de Barnabe, et les plaça dans un coin de la tente. Il invita les deux apôtres à s'y coucher, et il s'étendit lui-même auprès d'eux.
Le lendemain, les brigands prièrent les deux missionnaires de passer la journée avec eux, et se montrèrent très attentifs aux discours de Paul qui leur raconta son histoire et celle de Jésus-Christ.
Au lever du soleil, le surlendemain, quand les deux missionnaires se préparèrent à partir, les brigands demandèrent le baptême. Un ruisseau coulait au fond du ravin, et Paul les y baptisa.
Les adieux furent touchants, et les nouveaux amis promirent de se retrouver à Antioche.
Vers le soir, les deux voyageurs furent heureux de sortir de la forêt, après avoir franchi le sommet du Taurus.
Sur le versant septentrional ils trouvèrent la nature plus hospitahère, et de grands pâturages, avec une population de pasteurs qui les hébergea et leur fournit la nourriture dont ils avaient besoin.
Enfin, après plusieurs jours de marche, ils arrivè- rent à iVntioche de Pisidie, ville florissante, admira- blement située, non loin de beaux lacs bleus aux rives boisées. Les Juifs y étaient nombreux, et très influents ; mais à côté des synagogues s'élevaient
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82 PAULINA
un temple à Bacchus, et un autre à la Lune.
Quand vint le jour du sabbat, Paul et Barnabe se rendirent à la synagogue et furent présentés aux anciens. Paul y fut invité à prendre la parole.
Le discours rapporté aux Actes des Apôtres n'est évidemment qu'un résumé très incomplet, comme le sont d'ailleurs tous ses autres discours. Comme les autres, et comme ceux de Pierre, et celui du premier martyr Etienne, il se divise en trois parties.
L'orateur résume d'abord la merveilleuse his- toire du peuple de Dieu et de son glorieux législa- teur Moïse. Puis il raconte l'avènement du Messie en Jésus que les Juifs de Jérusalem n'ont pas re- connu. Après avoir rappelé sa mort ignominieuse, il affirme et prouve sa résmTection glorieuse. Et comme conclusion il proclame le dogme fondamen- tal de la religion nouvelle : le salut de tous par la seule foi en Jésus, sans l'assujétissement aux pres- criptions de la loi mosaïque.
Ce sermon fut certainement un succès puisque Paul fut invité à parler encore sur le même sujet au sabbat suivant.
Pendant la semaine qui sui\àt on causa beaucoup dans la ville de cette première prédication qui faisait du bruit, et l'on discuta tout naturellement la nouvelle doctrine. Au sabbat suivant, toute la ville se porta à la synagogue pour entendre les prédicateurs. Un grand nombre de GentUs s'y
PAULINA 83
trouvèrent, et cela suffit sans doute pour exciter la jalousie des Juifs.
A peine Paul eut-il commencé d'exposer sa doctrine que les murmures éclatèrent. Chaque application des prophéties à Jésus de Nazareth, pour prouver sa messianité, soulevait des contes- tations. Bientôt les prêtres et les scribes juifs en vinrent aux imprécations et aux blasphèmes contre Jésus-Christ. Alors Paul leur adressa ces paroles, qu'il aura l'occasion de répéter bien des fois dans la suite de ses missions : "C'est à vous les premiers que la parole de Dieu devait être annoncée ; mais puisque vous la repoussez, et que vous-mêmes ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les Gentils. Car le Seigneur nous l'a ainsi ordonné : Je t'ai établi pour être la lumière des nations, et pour porter le salut jusqu'aux extrémités de la terre."
Les deux hommes de Dieu secouèrent alors contre les Juifs la poussière de leurs pieds, et se dirigèrent vers Iconium. Mais ils laissaient der- rière eux de nombreux disciples, remplis de joie et de l'Esprit-Saint.
Parmi eux se trouvaient plusieurs des brigands qui avaient donné l'hospitalité aux deux apôtres dans la forêt du Taurus.
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XI
PERSÉCUTIONS ET MIRACLES
Paul et Barnabe étaient aussi dans la jubila- tion : ils avaient souffert pour leur maître. Ils avaient connu les obstacles de la nature, les mon- tagnes sauvages, les forêts noires sans chemins, les torrents, les précipices, les cavernes peuplées de bêtes fauves et de brigands ; les rocs escarpés avaient tour à tour obstrué leur marche dans l'as- cension du Taurus, et les contradictions haineuses, opiniâtres, et perverses des Juifs avaient entravé leur œuvre d'évangéUsation.
Malgré tout cela cependant la semence divine avait germé dans des milhers d'âmes, conquises au Christ, et ils s'en allaient gaiement vers Ico- nium rêvant de nouvelles conquêtes.
" Faites-nous souffrir davantage, demandaient- ils à Jésus-Christ. Pour vous nous voulons verser notre sang, pourvu qu'il ne soit pas inutile, et qu'il serve comme le vôtre à la rédemption du monde."
Iconium était une vaste oasis au milieu des dunes de sable et des steppes sauvages de la Lycaonie, peu- plée de Juifs, de Grecs et de Romains. Les deux missionnaires y prêchèrent dans la synagogue avec tant de succès " qu'une grande multitude de Juifs et de Grecs embrassèrent la foi," disent les Actes.
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Les Juifs incrédules en furent irrités, mais ils ne réussirent pas tout d'abord à ameuter le peuple contre les deux disciples de Jésus, et ceux-ci con- tinuèrent à annoncer partout la bonne nouvelle.
Leiu" séjour dans Iconium se prolongea aussi longtemps qu'on leur laissa la paix et la liberté. Mais le nombre des prosélytes parmi les Gentils augmentait tellement que les Juifs organisèrent, avec les Gentils restés païens, un mouvement po- pulaire dans le dessein de les outrager et de les lapider. Informés du complot, les deux apôtres s'esquivèrent sans bruit, et se dirigèrent vers Lystres et Derbé.
On croira peut-être que les succès évangéliques de Paul étaient dûs à son éloquence et à ses charmes personnels. Mais son éloquence était rude, et il ignorait les séductions de la rhétorique. Quant à sa personne, elle n'avait guère de charme. Il était petit, faible de santé et toujours souffrant . Une ophtalmie incurable inconnue en Occident, mais fréquente dans les pays d'Orient brûlés par le soleil, rongeait ses paupières et les cou\Tait de plaies saignantes qui inspiraient du dégoût. Il y a plusieurs de ses épîtres où il se plaint de cette maladie qui lui rendait la lecture et l'écriture ex- trêmement difficiles.
C'est évidemment par allusion à ses yeux ma- lades qu'il écrira plus tard aux Galates, si aimants et si dévoués : "Je vous donne ce témoignage
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que si la chose eût été possible vous vous fussiez arraché les yeux pour me les donner."
Non, ce n'est pas l'éloquence ni le prestige per- sonnel de saint Paul qui peuvent exphquer les im- menses succès de son apostolat. L'œu\Te entre- prise était surhumaine, et il fallut des forces surhu- maines pour l'accomplir. Aussi Paul avait-il re- cours au miracle quand sa parole était impuis- sante.
L'écrivain sacré affirme que Paul accomplit de nombreux prodiges à Iconium, mais il ne les raconte pas.
C'est la tradition qui nous a transmis l'histoire merveilleuse de sainte Thècle. Plusieurs récits apocryphes ont ajouté à cette histoire de nom- breuses fictions, et des prodiges extraordinaires dont plusieurs sont \Tais sans doute, et d'autres imaginaires.
Thècle était la fille d'un riche marchand grec d'Iconium. Elle était très belle et d'une intelh- gence remarquable. Elle avait fait des études très complètes dans les lettres et la philosophie païennes.
Le fils d'un proconsul d'Antioche en était devenu amoureux, et les parents la lui avaient promise en mariage. Mais, un jour de fête, sur la place pubh- que d'Iconium, elle entendit prêcher Paul dont tout le monde vantait la parole persuasive.
Son père et sa mère étaient avec elle, et ils en-
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tendirent tomber de la bouche du grand apôtre ees paroles extraordinaires : " Celui qui marie sa fille fait bien, celui qui ne la marie pas fait mieux."
" Quelle est cette doctrine étrange ? se dirent entre eux les parents de Thècle. Nous ne l'avons jamais entendue dans l'enseignement d'aucune école juive, grecque ou romaine. Nous ne l'avons jamais lue dans aucun livre. Elle est contraire à la loi naturelle de l'humanité.
" L'état de mariage c'est l'union que Jéhovah bénit, et c'est la fin de l'homme sur la terre.
— Oui, répondait la jeune fille, mais l'apôtre soutient qu'il y a un état supérieur, dégagé de la chair, quasi-angélique, l'état de virginité ; et c'est cette vie supérieure qui m'attire."
Et sans entendre cette controverse entre ses auditeurs, l'apôtre développait son enseignement sur la virginité :
" Pour ce qui est des vierges, je n'ai pas de commandement du Seigneur ; mais je donne un conseil. . .
" La femme est liée à son mari aussi longtemps qu'il est \dvant. Si son mari meurt elle est Ubre de se remarier ; mais elle est plus heureuse si elle ne le fait pas . . . Es-tu hé à une femme, ne cherche pas à rompre ce hen. N'es-tu pas lié à une femme, ne cherche pas de femme. Celui qui n'est pas marié a souci des choses du Seigneur ; celui qui
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est marié a souci des choses du monde ; mais il n'a pas été donné à tout le monde d'atteindre aux honneurs de la virginité. Ce don n'est fait qu'aux âmes d'éUte. . ."
L'enseignement de saint Paul avait opéré de nombreuses conversions parmi les grandes dames d'Iconium ; et Thècle, devenue chrétienne, fit le vœu de virginité, quand elle eut entendu la prédi- cation de l'apôtre sur le mariage et le célibat.
Le proconsul d'Antioche et son fils, ainsi que les parents de Thècle, furent très affligés, et même indignés d'apprendre cette résolution de la jeune fille. Tous les moyens de persuasion furent em- ployés pour la détourner de la vie rehgieuse, si non de la vie chrétienne. Mais elle fut inébran- lable.
Le jeune homme fit un dernier effort, qui selon les apparences devait assurer son mariage, car il lui dit :
"Non seulement je vous permettrai de rester chrétienne si vous m'épousez ; mais j'embrasserai moi-même le christianisme, et je ferai de vous la plus heureuse des femmes dans la pratique de vos croyances religieuses."
Mais Thècle lui répondit : "Je ne connais aucun homme qui soit plus digne que vous de mon estime et de mon affection ; mais j'ai fait choix d'un époux qui est au-dessus de tous les honmies.
— Est-ce donc un Dieu ?
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— Oui c'est un Dieu, auprès duquel tous les dieux de l'Olympe ne sont que fable et chimère."
Dénoncée comme chrétienne par ses parents eux-mêmes, elle fut livrée aux magistrats, qui la condamnèrent à être dévorée par les bêtes dans l'amphithéâtre d'Antioche. Le proconsul et son fils voulurent eux-mêmes assister au supplice. Mais quand les lions entrèrent dans l'arène, ils poussèrent un rugissement en s'approchant de la vierge, et, comme séduits par sa beauté, ils se cou- chèrent à ses pieds.
Le proconsul la fit alors jeter dans une chaudière d'huile bouillante. Elle leva les bras au ciel, et prononça le nom de Jésus en ajoutant qu'elle se sentait dans un bain déhcieux.
Le proconsul et son fils furent plongés dans l'admiration, et se convertirent, avec toute la famille de la jeune vierge.
Thècle travailla pendant vingt ans à la conver- sion des familles païennes dans les villes de l'Asie- Mineure et de la Grèce. Elle retrouva saint Paul à Rome, et dans l'année qui suivit la mort de l'a- pôtre, elle y cueillit les palmes du martyre.
Au début, les succès des deux apôtres ne furent pas moins grands à Lystres qu'à Iconium.
Dès sa première prédication, Paul aperçut dans son auditoire un malheureux infirme, boi- teux de naissance, qui n'avait jamais marché. Son attitude exprimait à la fois son désir d'être
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guéri, et sa confiance. Paul lui dit d'une voix forte : " Lève-toi droit sur tes pieds." Le boiteux sauta, et se mit à marcher.
La foule qui connaissait l'infirme depuis long- temps fut émerveillée. Elle n'hésita pas à voir dans ce prodige l'intervention divine ; et comme elle ne connaissait pas d'autres dieux que ceux de l'Olympe, elle crut que Jupiter et Mercure étaient descendus parmi eux. Ce fut une joie délirante parmi le peuple. Il courut au temple de Jupiter pour annoncer au prêtre que le souverain des dieux venait de faire son apparition dans la \dlle. Bar- nabe, qui était grand et de noble prestance, était certainement Jupiter, et Paul, qui était petit et chétif, mais qui portait la parole, était Mercure.
Le prêtre ne fut pas incrédule, et bientôt, à la tête d'un nombreux cortège de peuple, il défila dans la ville, conduisant des taureaux tout en- guirlandés, destinés au sacrifice en l'honneur de Jupiter. La procession s'approchait de la demeure des deux apôtres, lorsqu'ils furent informés de ce qui se passait. Ils en furent tout horrifiés, et se précipitant au devant du cortège, ils déchirèrent leurs vêtements en protestation contre le sacri- lège. Et Paul prit la parole :
" Que faites- vous là ? dit-il à la foule exaltée. Nous sommes des hommes comme vous, sujets aux mêmes infirmités que vous. Celui que nous vous prêchons, c'est le Dieu vivant qui a fait le
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ciel et la terre ..." Mais ce ne fut pas sans peine qu'il convainquit les manifestants de leur erreur grossière.
Ils n'en restèrent pas moins convaincus que les deux prédicateurs étaient des hommes extraor- dinaires, à cause des miracles dont ils étaient les témoins, et un grand nombre crurent au Dieu nouveau que Paul leur annonçait.
Comme dans Iconium, les deux apôtres fondè- rent à Lystres une église ; et ils se réjouissaient de la diffusion rapide de l'évangile, lorsqu'ils fu- rent l'objet d'une nouvelle guerre suscitée par des Juifs envoyés par les synagogues d' Iconium et d'Antioche. Et, comme bien d'autres avant eux et après eux, ils firent cette expérience que la Roche Tarpéienne est tout près du Capitole.
Plusieurs de ceux mêmes qui les avaient accla- més comme des dieux ne \drent plus en eux que des criminels dignes de mort.
Mais les menaces et les prédictions de mort n'arrêtaient pas l'activité apostolique de Paul. Loin de là, il soupirait après la persécution pour ressembler davantage à son maître. Il se souvenait d'avoir été lui-même un persécuteur, et d'avoir fait lapider Etienne. Bien souvent il se disait : '' Que ne puis- je expier complètement ma faute en subissant le même supplice ! "
Ce vœu de son zèle apostolique fut exaucé à Lystres. Un jour il termina son ardente prédica-
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tion par cette prédiction terrible : "Je suis Juif comme vous, et je porte comme vous la responsa- bilité de la mort de Jésus-Christ. Eh bien ! je vous le prédis, dans l'histoire des siècles futurs on nous appellera le peuple déicide !" La foule in- dignée s'écria : "Il mérite la mort ! Qu'il soit lapidé !"
On se précipita sur lui. On l'attacha à une bor- ne, à la porte de la synagogue, et les plus furieux firent cercle autour de l'apôtre.
Une grêle de pierres tomba sur lui. Il protégeait sa tête de ses bras et de ses mains. Mais bientôt ses bras tombèrent impuissants et ensanglantés. Une grosse pierre lancée avec violence l'atteignit au front, et il s'affaissa.
Les exécuteurs ne se lassèrent pas ; ils ne s'arrêtèrent que lorsqu'ils le crurent mort.
Il avait perdu connaissance, et il gisait sous un monceau de pierres comme dans un tombeau. Alors ils l'arrachèrent à ce tumulus rouge de sang, et le traînèrent en dehors de la ville. Quand les bourreaux et les curieux se furent retirés, quelques disciples osèrent s'approcher pour em- porter son corps et lui donner la sépulture. Mais ils l'entendirent qui disait : " Etienne, Etienne ! Aie pitié de moi, qui n'ai pas eu pitié de toi. "
Alors ils le relevèrent tout couvert de plaies^ le couchèrent sur une civière formée de branches de palmier, et le transportèrent dans la demeure
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de Lois et d'Eunice qu'il avait converties quel- ques jours auparavant. Cqs deux femmes ont été les amies inoubliables de saint Paul ; et Timothée qui fut son disciple bien-aimé était le petit-fils de la première et le fils de la seconde. Les pieuses fenunes lui prodiguèrent les soins les plus dévoués et les plus intelligents. Elles pansèrent ses plaies et le réconfortèrent. Le dévouement de ses disciples le consola, et dès le lendemain il put quitter la ville ingrate et in- constante, qui, la veille, l'avait acclamé comme un dieu !
Timothée, on le sait, devint son disciple bien- aimé, et ne le quitta que lorsqu'il devint évêque d'Ephèse. C'est là qu'il fut lui-même lapidé, et mourut de ce supplice.
94 PAULTNA
XII
EN MACÉDOINE
Après la Galatie, il restait encore en lAsi^ Mineure un vaste champ ouvert à l'évangéli- sation, et Paul se préparait à y poursuivre sa laborieuse mission.
Mais TEsprit-Saint, dont toutes les inspira- tions étaient pour lui des ordres, le détourna de l'Asie et lui montra la route de l'Europe.
Il descendit des montagnes vers la mer, à tra- vers la Troade ; et pour qu'il n'hésitât pas sur l'itinéraire à suivre, un Macédonien lui apparut en songe, et lui dit : " Passe en Macédoine et viens à notre secours. "
En traversant les champs fameux où fut Troie. . .
Campos ubi Troja fuit,
Paul et ses compagnons éprouvèrent-ils quel- qu'émotion au souvenir des héros d'Homère ? S'arrêtèrent-ils rêveurs aux bords du Simoïs- ou du Scamandre ?
Il est probable que les gloires, déjà si lointaines alors des temps fabuleux, les laissèrent assez froids.
Ils connaissaient une histoire bien plus inté-
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ressante que celle du vieux Priam et d'Hector : c'était l'histoire de Jésus-Christ.
Ils faisaient eux-mêmes sur terre et sur mer des voyages bien plus accidentés que ceux d'Ulys- se, et le royaume qu'ils cherchaient était plus grand que la petite île d'Ithaque.
Mais ils ne songeaient pas plus à leur propre gloire qu'aux autres gloires terrestres.
Et pourtant ils avaient déjà conquis des pro- vinces et des villes et c'est à la conquête du monde entier qu'ils aspiraient, non pas de ce monde que les Alexandre et les César avaient conquis, mais du monde spirituel où évoluent les âmes entre terre et ciel.
Le petit port de Troas s'ouvrait devant eux ; ils y cherchèrent un vaisseau qui les transpor- terait en Macédoine. Une felouque bien voilée leur fut offerte, et grâce à une forte brise du sud ils arrivèrent à NéapoHs en deux jours, ce qui était une traversée très rapide.
Ce port de la Macédoine ne les retint guère, et dès le lendemain ils gi-avirent à pied les mon- tagnes qui dominent la baie de Néapolis.
Vers le soir ils étaient à Philippes. Là encore,, que de souvenirs historiques auraient arrêté des voyageurs ordinaires ! Philippe, roi de Macé- doine et père d'Alexandre-le-Grand, avait donné son nom à cette ville, après l'avoir agrandie, fortifiée, embelUe.
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Là s'étaient réfugiés avec leurs troupes, Cassius et Brutus, les meurtriers de Jules César. Là étaient venues les légions romaines conmiandées par Antoine et Octave pour atteindre les meur- triers et leur infliger la défaite et la mort.
Mais ces drames du passé étaient bien enterrés dans la plaine de Philippes ; et c'est une vie nouvelle que Paul apportait à ces populations mêlées de Grecs, de Romains et de Juifs.
C'est un idéal nouveau qu'il venait leur révéler et qui allait substituer une civilisation nou- velle à la décadence universelle des peuples gou- vernés par Rome.
Paul chercha d'abord une synagogue où il pourrait commencer sa prédication. Mais il n'y en avait point à Phihppes.
Quand vint le jour du sabbat, les trois apôtres, Paul, Silas et Luc, virent une foule composée en grande partie de femmes, qui sortait de la ville, et qui se dirigeait vers une colline couronnée d'un grand bois d'oliviers. Ils pensèrent qu'il y avait peut-être là un heu de prière, et ils suivirent cette foule. Ils ne se trompaient pas. Une petite rivière d'une eau fraîche et hmpide descendait en serpen- tant du haut de la colline. Au pied s'étendait un val- lon tout verdoyant entouré d'une haie de myrte.
C'était l'oratoire en plein air où se réunissaient les prosélytes de la gentiUté, et qu'on nommait prosenque.
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Et ce fut là que Paul rencontra le premier au- ditoire européen auquel il annonça la venue du Messie.
Sans doute, il se souvint de Jésus évangélisant les foules aux bords du Jourdain, dans les cam- pagnes de la Galilée. Comme son maître il n'avait qu'à leur dire : " Suivez-moi." Ou plutôt il leur dirait : " Suivez le Seigneur que je vous annonce, lui seul est Dieu ! "
Bientôt il sentit en leur parlant que ces âmes simples s'ouvraient à la vérité. Elles lui rappelè- rent la Samaritaine auprès du puits de Jacob, et il se dit : Dans quelques instants elles s'en retour- neront vers la ville en criant à tous : " Venez, venez voir et entendre un prophète qui nous annonce le Messie ! "
Le succès de sa prédication fut considérable, et quand Paul cessa de parler, l'une des femmes prit la parole et dit : " Hommes de Dieu, venez dans ma maison et demeurez-y."
Qui était cette femme, et quel était le nom de sa famille ? On ne le sait.
Elle était marchande de pourpre. Elle venait de Thyatire en Lydie, et on lui a donné le nom de son pays.
O Lydie ! le nom que la postérité t'a donné est devenu immortel, et l'Eglise honore en toi la pre- mière néophyte de l'Europe chi'étienne !
Paul, Silas et Luc acceptèrent la généreuse hos-
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pitalité de Lydie, et ils séjournèrent pendant quelques semaines dans la capitale de la Macé- doine.
Chaque jour ils retournaient au lieu de prière, et le nombre des Romaines, des Grecques et même des Juives qui venaient les entendre allait grandissant.
Les conversions étaient nombreuses, et la parole de Dieu se propageait de famille en famille. Ceux mêmes qui n'assistaient pas aux prédications s'y intéressaient et se demandaient qui étaient ces hommes, et quelle était cette religion nouvelle qu'ils annonçaient.
Or il y avait à Philippes une jeune fille pytho- nisse que tout le monde connaissait et qui jouis- sait d'un grand crédit comme devineresse. EUe était esclave, et ses maîtres exploitaient les dons extraordinaires qu'elle possédait. On venait de partout la consulter et ses réponses étaient lar- gement payées par ceux qui les sollicitaient.
Sans doute, elle était allée à la proseuque en- tendre les prédicateurs et elle en était revenue profondément impressionnée.
Ce qui est certain, c'est qu'elle s'était mise à suivre les apôtres et à les acclamer en disant : " Ces hommes-là sont les ser\'iteurs du Dieu Très- Haut qui vous annoncent la voie du salut."
Elle manifestait en même temps une agitation extrême, une espèce de délire incontrôlable. On
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essaya de la calmer et de la faire taire, mais en. vain.
Paul se rendait bien compte qu'elle était pos- sédée du démon, et il se demandait ce qu'il devait fflire. Pouvait-il accepter cette espèce de colla- boration de l'esprit du mal dans son œuvre ?
Evidemment non. Car après son départ on di- rait que la pythonisse avait prêché la même doc- trine que lui, et le démon qui la possédait ne man- querait pas, avec son habilité bien connue, d'em- ployer le prestige de l'apôtre pour faire accepter du public les erreurs les plus grossières en y mêlant un iota de vérité.
Et donc Paul n'hésita plus. Il se retourna vers la pythonisse qui le suivait en criant, et il lui dit en s'adressant au démon lui-même : " Je te l'or- donne au nom de Jésus-Christ, sors de cette fiUe."
A l'instant même la possession démoniaque ces- sa, et la pythonisse fut entièrement changée. L'agitation, le délire, les cris cessèrent, et la jeune fille rentra chez ses maîtres calme et silencieuse.
Son changement les frappa, et ils se firent ra- conter ce qui était arrivé. Alors ils entrèrent en fureur, et ce furent leurs clameurs qui succédèrent à celles de la pythonisse. Ils soulevèrent une émeu- te, coururent chez Lydie, se saisirent de Paul et de Silas, et les traînèrent sur l'Agora, devant les magistrats de la \'ille.
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Mais quelle accusation allaient-ils porter contre les deux apôtres ?
Les duumvirs se seraient moqués d'eux s'ils leur avaient dit : " Nous avons une esclave qui avait l'esprit de Python et nous nous en ser\'iorife pour exploiter la crédulité publique et gagner beaucoup d'argent. Or l'un de ces hommes a pro- noncé certaines paroles qui lui ont fait perdre son esprit de Python, ce qui lui enlève toute sa valeur."
C'était leur vrai et unique grief : mais ces grands défenseurs de l'ordre, que l'on retrouve dans tous les pays et tous les siècles, formulèrent autrement leur accusation : "Ces hommes, dirent- ils, troublent tout dans notre ville ; et ils ensei- gnent une reUgion et des pratiques qui ne sont pas d'accord avec les lois romaines qui nous gouver- nent."
Le nombre des émeutiers et le tapage qu'ils faisaient étaient tels que les magistrats perdirent la tête.
Ils crurent avoir devant eux des malfaiteurs notoires ; et sans forme de procès, sans jugement, ils appelèrent les licteurs pour les châtier. Ceux- ci les attachèrent à un poteau dressé sur la place pubhque, leur arrachèrent leurs vêtements, et les flagellèrent impitoyablement aux yeux de la foule.
La vue de leur sang parut irriter encore ces étranges magistrats et ils ordonnèrent que les
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deux apôtres fussent emprisonnés, gardés dans un cachot, et que leurs pieds fussent mis dans les ceps.
Ni Paul ni Silas n'avaient pu seulement ou\Tir la bouche ; et quand il furent étendus quasi- mourants sur la pierre de leur cachot, les pieds serrés dans leurs ceps cruels, ils se mirent à chan- ter des hymnes au Christ ressuscité.
Leur cœur déborda d'une joie surnaturelle d'avoir versé leur sang pour le Seigneur Jésus, qui avait répandu le sien pour le salut du monde.
Mais le Seigneur ne les abandomia pas. Ils chantaient encore ses louanges lorsque tout à coup, vers minuit, une secousse violente de tremblement de terre ébranla la prison jusqu'en ses fondements. Toutes les portes s'ou\Tirent d'elles-mêmes. Les chaînes et les ceps des prisonniers furent brisés, et tous les captifs se trouvèrent hbres.
Le gardien de la prison accourut épouvanté, et crut que tous les prisonniers s'étaient échappés. Il tira son épée pour se suicider, convaincu que les autorités le condamneraient à mort pour avoir laissé sortir les prisonniers. Mais Paul lui dit : " Ne te fais pas de mal, nous sommes tous ici."
Le pauvre geôlier rassuré constata en effet que les prisonniers étaient immobiles de stupeur et ne pensaient pas à s'évader, quoique les portes de la prison fussent ouvertes.
Il se rappela le cri de la pythonisse que les
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apôtres étaient serviteurs du Très-Haut et qu'ils annonçaient la voie du salut, et il en fut lui-même convaincu.
Il se jeta à genoux devant eux, et s'écria : ** Que faut-il faire pour être sauvé ?■ — Croire au Seigneur Jésus," répondit Paul.
Toute la famille du geôlier était accourue et se prosterna devant les apôtres, en affirmant haute- ment sa foi en Jésus-Christ. Il y avait une fon- taine dans la cour de la prison, et sans retard Paul leur donna le baptême.
Le tremblement de terre avait secoué toute la ville, et épouvanté toute la population. Les ma- gistrats eux-mêmes étaient en proie à une telle frayeur qu'ils voulurent réparer l'injustice qu'ils avaient conmiise, et ils envoyèrent les licteurs au geôlier avec l'ordi-e de hbérer les deux captifs.
Mais Paul avait la noble fierté du citoyen ro- main, et le souci de sa dignité épiscopale. Il ré- clama la reconnaissance publique de son innocence, et il voulut que l'injustice dont les duumvirs s'é- taient rendus coupables fut réparée au grand jour.
" Eh ! quoi, dit-il aux Hcteurs, vous nous avez publiquement battus de verges, sans forme de procès, nous, citoyens romains ; vous nous avez injustement jetés en prison, et maintenant vous voulez nous en faire sortir secrètement ! Il n'en sera pas ainsi. Qu'ils viennent eux-mêmes, ces dépositaires de l'autorité romaine, réparer publi-
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quement leur injustice, et nous mettre en liberté ! "
Les licteurs rapportèrent aux magistrats cette fière réponse, et ils comprirent toute la gravité de leur faute. Ils avaient commis contre les lois romaines une double offense, qui méritait un châ- timent sévère : ils avaient condamné les accusés sans procès, et ils avaient flagellé des citoyens romains !
Tout tremblants et inquiets des dénonciations qui pouvaient être faites contre eux à Rome, ils s'empressèrent d'aller à la prison et ils offrirent aux deux apôtres toutes les excuses et les répara- tions convenables. Ils les accompagnèrent eux- mêmes hors de la prison, et ils les supphèrent de quitter la ville pour éviter de nouveaux troubles.
Evidemment ils ne voulaient plus avoir aucun rapport désagréable avec un homme qui se dé- fendait à coups de tremblements de terre.
Ce fut une grande joie pour Lydie, et pour les nombreux néophytes de revoir Paul et Silas après le triomphe qu'ils venaient de remporter sur les ennemis de Jésus. Mais ce fut aussi un grand cha- grin d'apprendre que Paul allait les quitter.
C'était sa mission d'aller de ville en ville, et de pro\'ince en province, annoncer l'évangile et ga- gner de nouveaux disciples à Jésus-Christ.
Après avoir organisé cette église de Phihppes, qui lui donna plus tard tant de consolations, il y laissa Luc et quelques autres frères, et prenant
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Silas avec lui, il suivit la voie Equatienne qui le conduisit à Amphipolis.
Il y arriva après une journée de marche ; mais il ne s'y arrêta pas, non plus qu'à ApoUonie. C'est à Thessalonique qu'il voulait continuer ses pré- dications.
C'était le port le plus important et l'une des plus grandes villes de la Macédoine. Un des gé- néraux d'Alexandre-le-Grand l'avait fondée et lui avait donné le nom de sa femme, Thessaloni- que. Par abréviation on l'appelle aujourd'hui Saloniki, et les événements qui s'y passent sont bien différents de ceux qui sont ici racontés. Y ré- veilleront-ils la foi que Paul y a prêchée ?
Il y avait là une synagogue florissante, et Paul y prêcha trois sabbats consécutifs avec un grand zèle.
Mais, là comme ailleurs, les Juifs s'obstinèrent à rejeter le Messie que Paul leur annonçait. Un petit nombre de Juifs seulement se convertirent, pendant qu'une grande multitude de païens em- brassaient la foi nouvelle.
A la suite d'une émeute, soulevée par les Juifs à prix d'or, Paul et Silas se rendirent à Bérée et leur succès fut le même parmi les païens de cette viUe.
Une nouvelle émeute organisée par les Juifs venus de Thessalonique obhgea Paul à fuir. Il y laissa Silas et, Timothée, et il leur recommanda de venir le rejoindre à Athènes.
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XIII
LE DERNIER DES HÉRODES
Laissons le grand apôtre des nations poursuivre ses courses apostoliques, emporté par le souffle de rEsprit-»Saint, et revenons au royaume des Hérodes.
Nous avons raconté l'horrible mort d' Agrippa l'Ancien, le jour même où le peuple de Césarée l'avait mis au rang des dieux nouveaux.
Il avait laissé quatre enfants, un fils et trois filles.
Son fils, alors âgé de dix-sept ans, faisait ses études à Rome, et l'empereur Claude l'avait jugé trop jeune pour lui transmiettre le royaume de son père. C'est lorsqu'il eut atteint l'âge de vingt ans seulement qu'il lui remit une partie de ses domaines. La Judée n'y fut pas incluse, et Cuspius Fadus en était devenu gouverneur.
Les trois filles se nommaient Bérénice, Marianne et Drusille, toutes trois remarquables par leur beauté. Elles se firent dans le monde en gran- dissant des réputations fort peu enviables.
Bérénice, l'aînée, avait été mariée, à quinze ans, à son oncle Hérode, roi de Chalcis ; mais elle était devenue veuve à vingt ans ; et elle avait épousé Polemo, roi de Cilicie.
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Bientôt après elle l'avait abandonné, et quand son frère était arrivé au trône sous le nom d' Agrip- pa II, elle était allée vi\Te avec lui.
Drusille était encore plus séduisante que sa «œur aînée. Elle avait cette beauté qu'on appelle la beauté du diable ; et le sang des Hérodes qui coulait dans ses veines n'y avait pas infusé la vertu.
Très jeune encore, elle avait épousé un roite- let d'Orient, nommé Aziz. Mais peu après elle avait fait la rencontre de Félix, qui promettait d'acquérir quelque célébrité. Avec son frère Pallas, il avait su gagner successivement les bon- nes grâces des Tibère et des Claude, et c'est ainsi qu'il fut nommé plus tard gouverneur de la Judée.
Félix avait épousé en premières noces une princesse d'Orient, fille d'un roi de Mauritanie, €t petite-fille d'Antoine et de Cléopâtre. Sous le nom de Drusille, elle avait la réputation de beauté et de mœurs légères de son illustre aïeule, la reine d'Egypte.
Mais elle n'avait pas vécu longtemps, et c'est alors que Félix était devenu follement amoureux d'une seconde Drusille, fille d' Agrippa et femme du roi Aziz.
Pour s'en faire aimer, et pour la décider à aban- donner son mari, il avaft eu recours à Simon le magicien. Quels furent les artifices magiques ou diaboliques employés par le célèbre Simon ?
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L'histoire ne le dit pas. Mais la magie opéra le résultat désiré, et Drusille, épouse du roi Aziz, devint la femme de Félix.
Ils eurent un fils, auquel ils donnèrent le nom de son grand-père Agrippa ; et il était encore bien jeune que ses parents rêvaient déjà de le voir monter un jour sur le trône de Judée.
Nous l'avons dit, ce trône était vacant depuis la mort du grand-père, le divin Agrippa, la Judée ne faisant pas partie des Etats attribués par l'empereur Claude à Agrippa IL
Natm-ellement Pallas et Félix, tout puissants à Rome, s'employaient de leur mieux à prolonger cette vacance jusqu'à ce que le jeune Agrippa, fils de Drusille et de Félix, fût assez âgé pour être placé par Rome sur le trône de la Judée.
A cette phase de notre récit, Drusille est à Jérusalem avec son fils. Il a dix-huit ans ; et il complète dans les écoles des docteurs et des scribes ses études de grec et d'hébreu.
Félix est toujours à Rome, mais il espère venir bientôt les rejoindre à Jérusalem ; car il s'attend que Pallas le fera nommer gouverneur de la Judée, pour remplacer Cumanus, que les Juifs ont dé- noncé à Rome.
Agrippa II, avec sa sœur Bérénice, habite alternativement Césarée et Tibériade ; et il a permis à sa sœur Drusille de se loger avec son fils dans le palais des Hérodes à Jérusalem, bâti
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non loin du temple, et relié à son portique méri- dional par un \daduc.
Les portiques du temple étaient la promenade favorite du jeune Agrippa. Un jour qu'il y pro- menait ses rêveries sentimentales, il vit sortir du par\ds des femmes une jeune fille, qui é\ddem- ment n'appartenait pas à la race juive, et qui était d'une beauté éblouissante. Elle était ac- compagnée d'une femme plus âgée, apparemment sa mère, et qui était aussi très belle. Agi'ippa les suivit. Elles longèrent la colonnade du tem- ple, du côté occidental, contournèrent le mur de la tour Antonia, et en franchirent la porte, où la sentinelle les salua.
Agrippa s'approcha du soldat romain, et lui demanda qui étaient ces deux femmes.
" Ce sont, répondit la sentinelle, la femme et la fille du proconsul de Chypre qui est arrivé à Jérusalem hier. Ils sont les hôtes du gouver- neiu" Cumanus.
— Savez- vous s'ils feront un long séjour à Jérusalem ?
— Je l'ignore. Elles sont bien belles, n'est-ce pas, mon prince ? "
Agrippa regarda le soldat qui souriait, et s'en retoiu-na vers le palais royal.
" Il me semblait, se dit-il, qu'elles ne m'étaient pas inconnues. C'est à la mort de mon grand-père Agrippa, à Césarée, que je me souviens de les
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avoii- vues. Mais la jeune fille n'était alors qu'une enfant, et moi aussi. Comme elle a grandi ! et qu'elle est belle ! " . . .
En arrivant au palais, Agrippa courut à la chambre de sa mère : " Dites-moi, ma mère, connaissez-vous le proconsul de Chypre ?
— Oui, sans doute, depuis plusieurs années. Sa famille est une des plus illustres de Rome. Il se nomme Sergius Paulus, et il compte les Paulus Emilius et les Scipions parmi ses ancêtres. Sa femme est une corinthienne, fille d'un prê- tre d'Apollon. Mais quel intérêt prends-tu au proconsul de Chypre ?
— Ce n'est pas à lui que je m'intéresse le plus. C'est à sa fille, que je viens de rencontrer au temple, et qui est aussi belle. . . que vous, ma mère.
— Platteur, tu veux dire plus belle. Je le vois à ton enthousiasme.
— Elle est plus jeune, évidemment.
— Je suis sûre qu'elle n'est pas plus belle que sa mère.
— Je n'ai regardé que la fille. Eh ! bien, ils sont à Jérusalem depuis hier.
N'aimeriez-vous pas à renouveler connais- sance avec eux ?
— Oui, où sont-ils ?
— Ils sont les hôtes de Cumanus.
— Ah ! très bien, ce sera facile. "
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Deux heures plus tard, Drusille alla visiter les Cumanus et leurs hôtes. Et le lendemain son fils et elle furent invités à dîner chez le gouver- neur.
Agi'ippa était radieux, et le dîner fut des plus agréables. Le gouverneur et sa femme savaient exercer l'hospitalité, et inspirer la sympathie. Sergius Paulus appartenait à cette élite de la société romaine qui se distinguait par les belles manières et le beau langage. Drusille avait l'art de faire briller à la fois son esprit et sa beauté. Les deux jeunes gens parlaient peu, mais leurs regards étaient plus éloquents que des paroles, et ils se comprirent très bien.
Chryséis et Paulina trouvèrent que le jeune prince était beau et sympathique.
Quand Drusille et son fils furent revenus au palais, ils conversèrent longtemps sur les suites possibles de leurs relations futures avec la famille du proconsul de Chypre.
DrusiUe reconnut que Paulina était vraiment ravissante, et que son fils n'avait pas tort de l'aimer. Pour le moment, et jusqu'à nouvel ordre, elle ne mettrait pas d'obstacle à cet amour.
" Tu sais, mon fils, quel avenir nous rêvons pour toi. La Judée, depuis la mort de ton grand- père, n'a pas de roi. Il va sans dire que mon frère a la prétention de l'ajouter à ses domaines ', mais ton père, et ton oncle Pallas, et moi-même.
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nous prenons secrètement tous les moyens pour l'en eûipêcher, et jusqu'à présent nous avons réussi. L'empereur Claudius est avec nous.
" Tout naturellement, le mariage que tu feras dans quelques années, non seulement ne devra^ pas être un obstacle à ton accession au trône, mais au contraire devra l'aider.
" Or, il me semble qu'une alliance avec Pau- lina augmenterait nos chances. Elle appartient- à l'une des grandes familles sénatoriales de Rome. Son père est très riche, et il jouit d'une grande influence politique. Ta descendance des Hérodes, et la religion juive à laquelle nous appartenons tous les deux, nous seront d'un grand secours, auprès des Juifs, tandis que la religion et la natio- naUté de Paulina nous serviraient auprès des Césars. Pallas et Félix feront le reste. "
Ce fut une grande joie pour Agrippa d'enten- di"e sa mère parler ainsi. Il n'en dormit pas du reste de la nuit, et il lui sembla qu'aucun obsta- cle ne pouvait plus empêcher la réalisation de son rêve d'amour.
Les jours qui suivirent ne firent qu'agrandir ses espérances. Car il eut le bonheur de revoir PauUna plusieurs fois, et il ne put retenir l'aveu de son amour. Sans doute, elle eut plus de dis- crétion, et ne révéla pas les secrets de son cœur. Mais il crut lire dans ses beaux yeux des senti- ments au moins très sympathiques.
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Le temps de parler d'ailleurs n'était pas venu pour elle. Elle n'avait encore que quinze ans, et dans les circonstances où ils étaient tous deux, il ne pouvait pas être question d'engager l'avenir.
XIV
AU TEMPLE
Le temple de Jérusalem, tel que rebâti et em- belli par Hérode le Grand, était alors une des merveilles du monde. Le temps n'avait pas en- core terni la blancheur des marbres ni l'éclat des ornements d'or et d'argent.
Ses proportions étaient colossales, et les pierres qui en formaient les assises mesuraient chacune quarante coudées de longueur. Les colonnes qui en composaient les galeries étaient des monolithes de marbre blanc de vingt-cinq coudées de hau- teur, et ces galeries avaient trente coudées de largeur, et six stades de longueur. C'était im- mense.
Les divers parvis de l'intérieur étaient étages symétriquement, et reliés entre eux par des séries de gradins en pierre, et d'élégantes balustrades enrichies de lames d'or.
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Rien n'cg;alait la beauté et la richesse des or- nements qui couvraient les dix portes de bronze, lamées d'or et d'argent. Elles avaient trente coudées de hauteur et quinze de largeur.
Les portiques extérieurs formaient une pro- menade publique incomparable, et c'est là qu'Agrippa avait quelque fois le bonheur de rencontrer Paulina.
Un matin, il lui offrit de lui montrer en détail toutes les beautés artistiques du temple ; et quand ils furent arrivés aux portiques nonmiés de Salo- mon, qui faisaient face au mont des Oliviers, et qui surplombaient la vallée du Cédi'on, ils s'assirent sur le piédestal d'une colonne de jaspe, et ils con- templèrent longtemps, en causant, l'admirable perspective qui se déployait sous leurs yeux.
Le ravin profond du Cédron s'ouvrait comme une porte monumentale à droite, et leur montrait le vaste éboulis de montagnes qui se creusait vers l'orient. Devant eux se levait le mont des OUviers comme un immense rideau de verdure, avec ses grands cèdi'es, ses noirs cyprès, et ses oliviers séculaires. A gauche, la vallée de Josa- phat échelonnait les stèles blanches de ses in- nombrables tombeaux.
A la vue de cet immense cimetière du genre humain, les confidences sentimentales de nos deux amoureux se changèrent bientôt en propos plus graves :
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114 PAULIN A
" A quels dieux croyez-vous ? demanda Agrippa à Paulina.
— Aux dieux de Rome, répondit-elle, et sur- tout à l'Apollon des Grecs, qui est le dieu favori de ma mère.
— Et votre père ? Quelle religion a-t-il ?
— Mon père a cru longtemps aux dieux de Rome. Mais après beaucoup d'études, et bien des voyages, il en est venu à regarder toutes les divinités de Rome comme des fables. Il a cru alors à la magie et aux oracles. Mais il y a quel- ques années, un nommé Saul de Tarse est venu prêcher une religion nouvelle dans l'île de Chypre, et mon père a été endoctriné par ce nouveau prophète.
— Ah ! oui, je connais ce dieu nouveau dont on parle beaucoup. Son histoire est bien étrange. Pendant trente ans, il a vécu dans l'obscurité, à Nazareth, en Galilée. Il y exerçait le métier de charpentier.
" Après ce temps, U s'est mis à prêcher une rehgion qu'il semblait vouloir étabUr sur la loi de Moïse. Mais à la fin il parut vouloir renverser la Loi mosaïque, et se proclamer Dieu lui-même. On dit qu'il parlait admirablement, et que de grandes foules se pressaient autour de lui, et l'acclamaient même dans ce temple.
" Naturellement le sacerdoce juif s'est ému. Le Sanhédrin l'a fait arrêter, et l'a condamné à
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mort comme blasphémateur. Cette sentence a été exécutée avec l'assentiment de Pilatus alors gouverneur de la Judée. Le malheureux Naza- réen a été crucifié sur le mont Golgotha, à deux pas d'ici.
" Mais chose incroyable, ses disciples préten- dent qu'il est ressuscité, qu'ils l'ont revu vivant, et qu'il est monté au ciel. C'est sur cette croyance qu'ils ont fondé leur nouvelle religion, qui se propage d'une façon extraordinaire. Il est étrange qu'un homme aussi éclairé que votre père ait pu ajouter foi à de pareilles inventions.
— Et vous, interrompit Paulina, est-ce pour prier que vous venez dans ce temple ?
— Non, je ne sais pas prier. Ni mon père ni ma mère ne me l'ont jamais enseigné. Mais j'aime à visiter le temple de Jéhovah, peut-être à cause de ses beautés.
— Vous croyez au Dieu des Juifs, cependant ?
— Je ne l'appelle pas le Dieu des Juifs ; car s'il était leur Dieu, il les rendrait meilleurs. Je l'appelle le Dieu de Moïse, et c'est par Moïse que je crois en lui, mais sans pratiquer sa reli- gion.
— Qu'est-ce donc que Moïse pour vous ?
— Moïse est le plus grand honmie qui ait jamais existé. Son histoire est vraie, et non pas une fable, conmie celle de vos dieux. Elle est si merveilleuse, que si Moïse avait dit : "Je suis
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Dieu, " je le croirais ! Mais il a toujours parlé au nom de Jéhovah. Il a toujours dit aux Hébreux : Tout ce que je vous enseigne, c'est Jéhovah qui me l'a appris ; la Loi que je vous ai donnée, c'est Jéhovah qui me l'a dictée ; les œu\Tes surhumaines que j'ai accompUes, c'est Jéhovah qui les a faites par mes mains.
— Vous croyez donc que la loi de Moïse est divine ?
— Peut-être, mais je ne la connais pas, tant elle a été défigurée par les prêtres et les scribes.
— Et ce temple, que vous trouvez si beau, est-il donc rœu\Te de Jéhovah ?
— Oh ! non, celui qui l'a fait bâtir n'avait certainement rien de divin, car il était mon bi- saïeul ; et, s'il faut en croire tout ce que l'on raconte de lui, il a commis bien des crimes. Mais les architectes qu'il a employés étaient de grands artistes, et c'est une œuvre d'art qui révèle le génie humain.
— Je l'entends toujours appeler le temple de Salomon.
— Oui, parce que le premier temple qui fut ■ bâti en cet endroit le fut par Salomon, fils de David. Plusieurs fois il fut détruit dans les dif- férents sièges que Jérusalem a subis, et quand il a été reconstruit, une grande partie des maté- riaux du temple primitif est entrée dans cette reconstruction.
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" Voyez les bases cyclopéennes des portiques, et ces blocs énormes qui forment les assises de la colon- nade. On leur donne une existence de mille ans.
" Et maintenant, entrons dans le parvis des Israélites, et approchons-nous de l'autel des holocaustes. C'est le centre de l'édifice, et c'est la partie essentielle du temple, puisque c'est le lieu du sacrifice.
" Mais il y a ici une particularité qui ne se rencontre dans aucun autre temple du monde, et qui est indestructible : c'est le sommet du rocher en nature, qui n'a jamais été taillé par le ciseau d'aucun artiste, et qui est encore aujour- d'hui tel qu'il était, avant la fondation même de Jérusalem. On a détruit le temple, mais on n'a pu détruii'e la montagne dont la cime elle-même forme l'autel du sacrifice. C'est aussi la partie la plus sacrée du sol ; car la tradition juive affirme que c'est sur ce rocher qu'Abraham con- duisit son fils Isaac pour l'immoler.
" Et, quand David voulut faire un sacrifice au Seigneur, c'est ce rocher dont il voulut faire un autel, et qu'il acquit d'Oman au prix de 600 sicles d'or.
" Salomon l'entoura d'une enceinte spacieuse et de riches portiques. Le cèdre du Liban, la pierre, le marbre, le bronze et l'or furent prodi- gués dans la construction et l'ornementation de ce temple célèbre, qui subsista plus de cinq siècles,
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jusqu'à la destruction de Jérusalem par Nabu- chodonosor.
" Au retour de la captivité de Babylone, Zoro- babel reconstruisit le temple avec moins de ma- gnificence, mais toujours le rocher sacré servit de fondement à l'autel des holocaustes,
" Ce second temple dm'a encore cinq siècles, et il avait beaucoup perdu de sa beauté, lorsque mon bisaïeul entreprit de le reconstrmi'e. Il avait toujours fait regretter Salomon ; et à la fin il s'affaissait. Mon bisaïeul, Hérode-le-Grand, acheva de le démolu-, et il l'a remplacé par cette merveille qui dépasse en gi-andeur rœu\Te de Salomon. Le tour de la terrasse mesure plus de six stades, et nulle part l'on n'a \u un pareil entassement de colonnes corinthiennes, de fron- tons, de galeries et de portiques.
" Le Parthénon d'Athènes a plus de perfec- tion et d'harmonie dans l'ensemble ; mais notre temple l'écrase par ses dimensions colossales, et par la hauteur de ses piUers. La frise du péri- style athénien est plus artistique ; mais quelle richesse dans ces corniches d'où pendent des pam- pres de vignes en or, avec leurs grappes et leurs raisins si artistement travaillés ! "
Tout en causant ils admiraient les vastes pro- portions et les riches ornements du temple ; et ils étaient retournés au splendide portique qui dominait la vallée de Josaphat.
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Longtemps ils contemplèrent le vaste horizon que l'œil découvre en suivant les sinuosités du Cédron à travers les montagnes et les pentes verdoyantes du mont des Oliviers.
Enfin Agrippa se tourna vers Paulina, et lui dit :
" Vous aimez la Grèce. C'est la patrie de votre mère. Mais Rome est celle de votre père, et vous l'aimez davantage ?
— Oui.
— Eh! bien, moi aussi, j'aime beaucoup la Grèce, et plus encore Rome. Mais j'aime sur- tout Jérusalem. C'est la \dlle des Hérodes, mes ancêtres ; et ce fut la ville de Salomon. C'est elle que je veux vous offrir un jour en cadeau d'hyménée. Quelle belle reine de Jérusalem vous serez ! On n'en aura pas connu d'aussi belle depuis la fille de Pharaon que Salomon épous'a.
— Mais ne connaissez- vous pas la terrible prophétie de ce Jésus de Nazareth dont vous m'avez dit l'histoire?
— Quelle prophétie ?
— Voici ce que ses disciples racontent :
" Un soir, à l'heure du crépuscule, ils s'en allaient avec leur Maître à Béthanie. Arrivés là-bas, au sommet du mont des OUviers, ils s'assi- rent au bord du chemin. La Ville sainte déployait sous leurs yeux toute sa majestueuse grandeur,
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et ils attirèrent l'attention de leur Jésus sur la beauté du tableau.
" Alors le prophète pleui'a ; et il leur dit avec une tristesse profonde : le jour vient où de cette admirable \'ille il ne restera pas pierre sur pierre.
- — O Paulina, vous ne croyez pas, j'espère, à cette lamentation renouvelée de Jérémie. La ville des Hérodes est immortelle. j\lais si jamais ses ennemis la détruisent, je ferai comme mon illustre bisaïeul ; je la rebâtirai, et je la ferai plus belle afin qu'elle soit plus digne de sa reine.
— Vous êtes trop jeune, et moi aussi, pour faire de pareils rêves. Je ne puis pas encore dé- cider à quel honmie je donnerai mon cœur, ni à quel Dieu je donnerai mon âme.
— Mon amour est de ceux qui savent attendre. Encore deux ans, et l'empereur, j'espère, grâce aux influences dont je dispose, m'aura placé sur le trône de Judée. Et d'ici là, je vous aimerai tant que vous serez bien forcée de m'aimer aussi. Retenez votre langue, il me suffit que vous lais- siez parler vos yeux. "
Paulina baissa les yeux en souriant ; et Agrippa la reconduisit à la tour Antonia.
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XV
LA QUESTION RELIGIEUSE
Sergius Paiilus passa près d'un mois à Jéru- salem, visitant tous les endroits historiques de la célèbre cité. Mais ce qu'il recherchait avant tout, c'était les lieux illustrés par la présence et les miracles de Jésus de Nazareth. Chryséis et Pauhna l'accompagnaient presque partout, et c'est ensemble qu'ils visitèrent le mont des OU- \'iers et Béthanie, le jardin de Gethsémani, le Cénacle qui était devenu la première église chré- tienne, le Golgotha et le tombeau du Christ. C'était alors Joseph d'Arimathie, devenu prêtre, qui gardait le saint Sépulcre, et qui l'avait enclos dans une petite chapelle en pierre taillée.
En faisant cette espèce de pèlerinage, Sergius Pauîus racontait à sa femme et à sa fille les prin- cipaux événements de la vie du Sauveur.
Les deux femmes paraissaient prendre beau- coup d'intérêt à ces récits, mais elles ne mani- festaient pas leurs impressions. Les liens reli- gieux sont toujours difficiles à rompre, surtout quand ils vous tiennent depuis l'enfance. On comprend d'ailleurs combien la gloire et la puis- sance de Rome, que l'on attribuait aux dieux du paganisme, donnaient encore à ces fausses divi- nités d'autorité et de prestige.
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Rappelons-nous aussi que Chryséis était la iille d'un prêtre d'Apollon, qui était bon citoyen, bon époux, bon père, et qui avait inculqué à sa fille la foi en Apollon, le dieu soleil, le dieu de la poésie, de la musique et des autres arts. Chryséis disait à son mari : " Mon père mourrait de cha- grin s'il me voyait abandonner la foi de mon enfance, et devenir disciple de Jésus qu'il ne connaît pas. Quand votre ami, Paul de Tarse, ira prêcher à Corinthe il le lui fera connaître, et il le convertira peut-être. En tout cas, mon père est \ieux, et sa dernière lettre nous apprend qu'il est malade. Il nous presse même d'aller le voir sans plus tarder, si nous voulons le voir vivant. Quand il ne sera plus, je pourrai plus aisément embrasser votre religion.
'' Déjà, ajoutait Chryséis, je vous ai sacrifié les images et les emblèmes de mes dieux domes- tiques qui ornaient mon foyer, et qui étaient en même temps des souvenirs de mes ancêtres et de mon pays natal. Déjà j'ai presque entièrement abandonné les pratiques et les rites de mon culte à Apollon. N'exigez pas davantage pour le pré- sent. Quant à Paulina, vous le savez, elle vit toujours près de moi, dans l'intérieur du foyer, tandis que vos fonctions publiques vous absor- bent à l'extérieur. Il est donc tout naturel qu'elle partage mes idées religieuses et mes sentiments. Et puis, elle est jeune, pleine d'espérances et
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d'illusions. Les austérités de la vie chrétienne ne sont pas propres à l'attirer. Elle est du reste très bonne, et fidèle à tous ses devoirs de piété filiale.
— Je comprends tout cela, répondit Sergius. Mais le jour vient peut-être où de grands change- ments se produiront dans notre vie. Je viens de recevoir deux lettres importantes.
" Gallion, le proconsul d'Achaïe à Corinthe, m'écrit que votre père vieillit beaucoup et il nous offre l'hospitalité, si nous nous décidons à aller à Corinthe. Il m'annonce en même temps que son frère Sénèque lui écrit de Rome que des plaintes sont portées contre moi par les Juifs de Chypre. En conséquence, dès que nous aurons visité la Galilée, nous nous embarquerons à Ptolemaïs pour Corinthe et peut-être irons-nous ensuite à Rome.
— Et l'autre lettre ?
— Elle me vient de Paul de Tarse, qui est à Corinthe et qui désire beaucoup me voir. "
Avant d'organiser son voyage en GaUlée, le proconsul de Chypre eut une entrevue avec le jeune Agiippa qu'il voulait connaître plus à fond. Il le trouvait très distingué, très intelU- gent, fort instruit, et il comprenait très bien que l'ambition de ses parents était de le faire arriver au trône de la Judée. Si la Judée devait avoir encore un roi, il lui paraissait bien le plus digne
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de succéder à son grand-père, plus digne que son oncle Agrippa II, qui n'était pas aimé de ses sujets.
Sergius Paulus voyait très bien aussi que le jeune priDce adorait Paulina, et qu'il était loin de déplaire à sa fille. Mais il prévoyait un obsta- cle sérieux au mariage entre eux si les choses allaient jusque là : c'était la religion.
Paulina, encore païenne, deviendrait proba- blement chrétienne, en même temps que sa mère. Or Agrippa était juif, et les Juifs étaient plus ennemis des chi'étiens que les païens. Ni Agrippa, ni surtout sa mère, ne consentiraient à un mariage avec PauMna, si elle se faisait chrétienne. Et lui-même, Sergius, ne permettrait pas à sa fille, une fois chrétienne, d'épouser un juif. Lors donc que Sergius se trouva en tête-à-tête avec Agrippa, il lui posa dhectement cette question :
" Que pensez-vous, mon prince, de Jésus de Nazareth ?
— Je vais vous répondre franchement, dit Agrippa : Je crois qu'il fut un grand génie et un homme vertueux. Il aurait mérité un meilleur sort, et il aurait pu faire le bonheur de son peuple, s'il avait seulement voulu être son roi.
" On raconte qu'il faisait des choses merveilleu- ses, et qu'il était l'idole des foules en Galilée. Or il savait bien que les Juifs attendaient un Messie- Roi. Comment se fait-il qu'il n'ait pas ambitionné
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oe grand avenir ? On assure môme qu'un jour une foule immense l'a proclamé roi, et qu'il s'est alors dérobé à leurs acclamations. Au lieu de cela, il s'est proclamé Dieu. C'était insensé. Il est vrai que les grands hommes de son époque, les Auguste, les Tibère et bien d'autres ont eu cette suprême am- bition. Mon grand-père Agrippa, vous le savez, a lui-même aspiré à la divinisation. Et Jésus a conmiis la même faute. C'était une folie de leur temps, d'autant plus impardonnable en Jésus qu'il connaissait parfaitement la loi de Moïse qui déclare punissable de mort tout homme qui se pro- clame Dieu.
" L'aberration de Jésus de Nazareth me paraît inexplicable. Il avait refusé d'être roi, et quand Pilate lui demande s'il est roi des Juifs, il répond : " Oui." Il sait que s'il se proclame Dieu il sera punissable de mort ; et lorsque Caïphe lui de- mande s'il est fils de Dieu, il répond : '' Vous l'a- vez dit, je le suis !" Et c'est ainsi que le malheu- reux a justifié à la fois le Sanhédrin de le condamner à mort parce qu'il s'est lui-même déclaré Dieu, et Pilatus, de le crucifier parce qu'il s'est dit roi des Juifs !
" Voilà, cher proconsul, ce que je pense de votre nouveau Dieu, Jésus de Nazareth.
— Mon jeune ami, lui répondit Sergius Paulus, votre manière de voir serait juste, si Jésus n'était qu'un homme. Mais nous, chrétiens, raisonnons
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bien autrement, parce que nous croyons qu'il était et qu'il est Dieu. Nous disons : Il fallait que Jésus fût homme pour mourir, et laver les péchés des hommes dans le sang d'un homme. Il fal- lait qu'il fût Dieu pour donner à son sang le mérite infini, indispensable pour sauver l'humani- té. Il fallait qu'il fût roi pour expier dans son sang royal les péchés des rois.
" Les rois des Juifs avaient beaucoup péché, et Jéhovah avait détruit leur royauté. Mais il fallait laver leurs iniquités dans le sang d'un de leurs des- cendants, et c'est pom-quoi Jésus, fils de David, de- vait être mis à mort comme roi et comme Dieu. Le Sanhédrin l'a condamné à mort parce qu'il s'est déclaré Dieu. Et Pilatus l'a crucifié parce qu'il s'est déclaré roi. Comprenez-vous mainte- nant pom-quoi Jésus n'a pas fait un acte de foUe comme votre grand-père, mais un acte de suprê- me sagesse en se déclarant Dieu ! C'est qu'il était \Taiment Dieu, et que c'était son devoir d'affirmer pubuquement sa di\'inité pour que l'homme pût croire en lui, et être sauvé. Il savait très bien que cette affirmation le ferait condamner à mort. Il l'avait annoncé quelques jours auparavant. Mais c'était sa mission ; il devait la remplir.
" Il voulait aussi être condamné et momir com- me roi des Juifs pour expier les crimes des Juifs et des rois. Sans le savoir, le Sanhédrin et Pilatus ont fait ce qu'il a voulu, ce que les Prophètes et
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lui-même avaient prédit. Aveuglément ils ont ac- compli les Ecritures et assisté Jésus à compléter le grand œuvre de la Rédemption du monde.
— Je comprends votre manière de voir, seigneur proconsul, parce que vous croyez à la divinité de Jésus-Christ. Mais moi je n'y crois pas, et je ne suis qu'un homme qui ambitionne d'être roi. Je vais vous dire toute ma pensée. Il y a deux rêves que je caresse : je veux être roi de Jérusalem, la ville que j'aime le plus au monde, et je désire que Paulina en devienne la reine.
— Vous êtes bien j eune, Agrippa, poiu faire de pareils rêves, sans penser aux obstacles possibles.
— N'en parlons pas maintenant, et laissez-moi mes espérances. C'est la fortune des jeunes d'es- pérer toujom"s.
" Je vous salue, et j'espère vous revoir en Ga- lilée ; car je pars aujourd'hui même avec ma mère pour Tibériade. Mon oncle Agrippa et ma tante- Bérénice nous y attendent. "
128 PAULIN A
XVI EN GALILÉE
Sergius Paulus ne connaissait pas la Galilée, et depuis qu'il avait embrassé la foi chrétienne, il avait un grand désir de visiter ce pays où Jésus aA^ait passé trente années de sa vie. Un matin d'a^Til, il partit donc de Jérusalem avec Chryséis et Paulina, et se dirigea vers la mer de Génézareth en traversant une partie de la Sa marie, et en se rapprochant des bords du Jourdain.
Tout ce pays leur inspirait de graves pensées, comme la Ville Sainte elle-même, mais les charmes de ces solitudes les attiraient. Dans l'intérieur il y a partout des coins de désert sans vie. Les arbres y sont rares ; les gazons sont gris, les rochers sont brûlés par le soleil, et les torrents desséchés ne sont plus que des lits de cailloux que l'eau y a chariés depuis le temps des patriarches. Aux yeux du voyageur qui ne regarde que la terre tout est mor- ne et mélancohque. jMais pour celui qui élève ses pensées et ses regards vers le ciel il est ébloui par son azur plein de lumière. C'est comme le bleu d'un océan sans Umite, insondable et mystérieux.
Sergius Paulus y cherchait l'avenir du monde et la vie future, comme les prophètes d'Israël ; mais il n'était pas un voyant, et sa vue était trop courte
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pour apercevoir les grands événements qui allaient transformer le monde. Alors il se retournait vers le passé plein de merveilles et encombré de ruines ; et il les revoyait, tous ces personnages extraordi- naires de la Bible, les patriarches, pasteurs et rois, Moïse l'homme privilégié qui s'entretenait avec Jéhovah, et qui donnait à son peuple ce code divin, qui est devenu celui de toutes les nations ; les juges, les rois, les prophètes auxquels Dieu révé- lait l'avenir ! Quel passé merveilleux !
Et pourtant, le présent était plus merveilleux encore. Un Dieu venait de visiter cette terre ! Un Dieu s'était fait homme ; il avait accompli d'in- nombrables prodiges dans ce pays qu'il traversait, et les récits des populations en perpétuaient le souvenir. Les soUtudes n'avaient plus le mysti- cisme sombre des prophètes, et le surnaturel avait moins de mystère et d'inconnu. Les bords du Jourdain racontaient d'admirables histoires que les vallées redisaient aux montagnes. Qu'ils étaient beaux ces jours où des foules suivaient le prophète de Nazareth pour entendre sa parole sainte, pour être témoins de ses miracles, et pour assister à ses pèches extraordinaires de poissons et d'âmes !
Sergius Paulus racontait à Chryséis et à Pauhna les épisodes miraculeux qui s'étaient accompUs dans les bom'gades qu'ils traversaient, et il les faisait raconter par les habitants du pays.
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Après deux jours de chevauchée, vers le soir, ils aperçurent à l'horizon comme un vaste par^ds de turquoise, immobile, mais changeant de teinte et d'éclat, et multipliant ses perspectives variées. C'était la mer de Génésareth au bord de laquelle s'élevait une ville de construction récente nommée Tibériade.
Ce n'était pas une bourgade juive comme Si- char qu'ils avaient traversée le matin; c'était rnie ville romaine, qu'Hérode Antipas avait agrandie et embellie, en y faisant construire des portiques, des thermes, et un palais de marbre.
Sergius Paulus connaissait l'histoire du célèbre Antipas, et de la non moins célèbre Hérodiade. Il savait leur exil récent en Germanie, et il croyait que le palais de Tibériade était inhabité. Mais à peine son arrivée fut-elle connue dans la ville qu'il vit arriver le jeune Agrippa à son hôtellerie. Il venait lui offrir l'hospitaUté au palais de la part du roi son oncle. Cette royale invitation était un ordre pour le proconsul, et il sui^dt le jeune prince qui était chargé d'installer les trois invités dans les somptueux appartements du palais.
La nuit venait, et ce fut bientôt l'heure du dîner. Les convives n'étaient pas nombreux ; mais quel brillant assemblage autour de cette table ! Le roi Agrippa et le proconsul étaient des hommes d'une haute intelKgence, et très éclah'és. Et sous le rap- port de la beauté, Bérénice et Drusille, Chryséis
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et Paulina n'avaient pas de supérieures dans tout l'empire romain. Le plus heureux de tous était le jeune Agrippa ; et quand il se retrouva seul avec sa mère il ne put lui taire son bonheur :
" Paulina, lui cUt-il, est une beauté qui me rend meilleur. Elle éveille en moi l'amour le plus pur, et non la passion. Elle réahse pour moi cet idéal que les artistes grecs ont rêvé, et qu'ils se sont efforcés de reproduire dans le marbre. Mais il y a dans ses grands yeux si profonds un rayonnement mystérieux. Je les admire irrésistiblement, mais je me demande quelles pensées et quels sentiments se cachent au-delà de ces prunelles rêveuses. Son âme ne rayonne pas au dehors, et sa pudeur pleine de dignité ressemble à de la froideur. . .
— Toutes les femmes ont leiu* secret, dit Dru- sille à son fils, mais elles finissent toujours par le révéler à l'homme qu'elles aiment. Fais-toi aimer davantage, et son cœur s'épanchera. "
Le lendemain matin, les deux jeunes amis allè- rent promener leurs causeries dans le jardin boisé qui s'étendait jusqu'au bord du lac.
Après une ondée chaude qui avait désaltéré les collines assoiffées, les cèdres et les pins fumaient d'encens, et se balançaient au vent comme des encensoirs. Les fleurs s'épanouissaient et embau- maient l'air. Sur le rivage le ressac des vagues battait en chantant les barques de pêche, à demi tirées sur le sable. Le soleil qui montait à l'horizon
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dessinait sur la baie l'ombre allongée des promon- toirs. Mais, au large, les lames clapotaient et étineelaient sous les feux d'un beau jour d'avril.
Oh ! que la vie semblait belle à Agrippa ! Les vents d'hiver ne soufflaient plus et la mer ne rou- lait plus de lames mauvaises; Agrippa ne put re- tenir les épanehements de son cœur.
" O Paulina ! lui dit-il, à quelles épreuves vous me soumettez ! Et vers quel idéal chiméri- que vous vous laissez entraîner ! Si j'avais à lut- ter contre un rival de chair et d'os, j'y mettrais tant de courage et de persévérance que je vaincrais. Mais celui que vous paraissez aimer n'est pas de ce monde. C'est un idéal invisible, un être méta- physique qui échappe à tous mes moyens d'action. Dites-moi, comment puis-je le combattre ? "
Pauhna lui répondit :
*'I1 ne faut pas le combattre, il faut l'aimer, et pour l'aimer il suffit de le connaître. Mais je ne le connais pas assez pour l'aimer comme je devrais. Mon père me le reproche souvent, ainsi qu'à ma mère. Car jusqu'à présent ma mère et moi som- mes restées attachées, non pas à toutes les divini- tés de l'Olympe, mais à la Diane d'Ephèse et à l'Apollon de Delphes.
" Mon père appelle cela de l'aberration, et je ne suis pas loin de croire qu'il a raison. C'est pour nous faire mieux connaître cet Homme-Dieu au- quel il croit si fortement qu'il nous a amenées en
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Galilée. Il veut voir lui-même et nous montrer les lieux illustrés et sanctifiés par cet être divin. En même temps, nous interrogeons les habitants de ce pays qui l'ont connu vivant, et qui ont été témoins des merveilles qu'il a accomplies. Mon père est convaincu qu'à notre retour en Chypre nous deviendrons chrétiennes.
— Non, Paulina, ne caressez pas cette chimère. Votre voyage vous convaincra que les croyances du proconsul et de son ami Paul de Tarse sont des rêves.
— Qui connaît l'avenir. Agrippa ? Et qui sait si vous ne deviendrez pas chrétien vous-même ?
— Oh ! non, Paulina. Votre amour est bien puissant, mais il ne fera jamais un si grand miracle "
134 PAULINA
XVII
DRUSILLE ET SON FILS
Après avoir visité avec ses hôtes tout ce que la ville offrait d'intéressant, le roi leur proposa, à la suggestion de son neveu, une promenade en bar- que de Tibériade à Capharnaûm.
Le temps était ravissant, et tout le monde fut enchanté. L'embarcation était spacieuse et pavoi- sée. Une brise légère enflait les voiles, et les ra- meurs se laissaient aller à la somnolence. Bérénice et Sergius causaient agréablement de Rome et de leurs souvenirs de voyage. Le roi et Chryséis parlaient d'art, et des chefs-d'œuvre des artistes grecs. Chryséis vantait les beautés naturelles de son pays natal, et surtout l'Acropole de Corinthe et ses incomparables perspectives. PauUna et Agrippa conversaient à voix basse, et Drusille les écoutait, tout en psalmodiant certaines htanies des prophètes.
Les rameurs se racontaient les pêches miracu- leuses de Jésus de Nazareth.
" Ce sont des légendes, sans doute, leur dit soudainement Bérénice.
— Oh ! non, princesse, lui répondit l'un des narrateurs. Ce sont des histoires vraies. Le lac est très poissonneux, mais il y a des jours où le
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poisson semble endormi, et nous passons bien des soirs et des matins à tendre en vain nos filets. Les disciples du prophète n'étaient pas plus heureux que nous. Mais quand ils se plaignaient à leur Maître, il n'avait qu'à leur indiquer l'endroit où il fallait jeter le filet, et la pêche était alors extra- ordinaire. Les filets se rompaient, et les barques ne pouvaient plus suffire à contenir la quantité des gros poissons."
Sergius les interrogea à son tour, et leur dit : " Est-il vrai que le prophète de Nazareth ait calmé la mer pendant une nuit de tempête effroyable ?
— Oh ! oui, bien sûr. Tous les pêcheurs de Capharnaûm en ont eu connaissance. Jamais ils n'ont \Ti la mer aussi profondément bouleversée, et quand le Maître des éléments a dit à la mer : ^' Calme-toi," elle s'est calmée instantanément."
Drusille se toiu-na vers son fils, et lui dit : " Il n'y a pas de limite à la crédulité des marins. "
Après une courte visite à Capharnaûm, Sergius Paulus remercia cordialement Agrippa de sa bonne hospitalité, et il décida de ne pas retourner à Ti- bériade. On les débarqua à Magdala, et ils se sé- parèrent. Le lendemain Sergius organisa une petite caravane pour achever son pèlerinage er Gahlée.
Les pèlerins se duigèrent vers la montagne où Jésus avait prêché le sermon des Béatitudes. Ils
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s'arrêtèrent à Cana, à Naïm ; ils ^^sitèrent Nazareth, et poursuivirent la grande route qui les conduisit à la mer. A Ptolémaïs, ils s'embar- quèrent à bord d'un navire qui venait d'Alexan- drie et qui faisait voile pour Corinthe.
Quand le jeune Agrippa fut retourné à Jérusa- lem avec sa mère, il reprit ses confidences amou- reuses, mêlées de troubles et d'angoises futures, disait-il.
" Paulina est peut-être une de ces beautés fa- tales qui portent malheur à ceux qui les aiment. Mais elle est irrésistible, et je préfère souffrir de son amom' qu'être heureux avec une autre. Le rayon de ses yeux m'a frappé comme une flèche d'Apollon, comme disent les Gentils, et cette flèche m'a fait une blessure inguérissable.
— Il n'y a pas d'amour inguérissable, mon fils.
— 0 ma mère, j'appartiens par vous à la race des Hérodes. C'est une race remarquable qui a le goût des grandeurs et des arts. Mais une espèce de fataUté pèse sur elle, et les chrétiens disent maintenant que le sang de Jésus de Nazareth est retombé sm' elle, comme sur le peuple juif.
— N'écoute donc pas ces racontars ridicules, Agrippa.
— On dit aussi que la mère de Pauhna des- cend des Atrides.
— Encore une fenmie fatale alors ? et Dru- sille se mit à rire.
PAULIN A 137
— Vous avez tort de rire, ma mère ; mon amour est de ceux dont on peut dire qu'on ne sait ja- mais s'il donnera la lumière ou l'ombre, la vie ou la mort. Mais la fatalité vient, passe et s'en va, sans dire son secret, vers des malheurs inéluc- tables. C'est une force indéfinissable et supé- rieure qui n'a pas à rendre compte de son action. Les plus grands génies de la Grèce ont pensé ainsi.
— Mon cher enfant, répondit Drusille, écoute- moi bien. Tout ce que tu viens de me dire est folie. Je vais te parler le langage de la raison : l'amour n'est pas digne qu'on lui sacrifie les honneurs, la fortune et la puissance. Il faut que tu, deviennes roi, avant tout — et si l'amour devient un obstacle à ta royauté, il faudra le sacrifier impitoyablement.
— Mais, ma mère, les rois sans amour ne sont pas heureux.
— Qu'importe le bonheur quand on a la gran- deur, la gloire et la puissance ?
- — Y a-t-il beaucoup d'hommes qui sacrifient leur amour à la grandeur ? Les chrétiens sacri- fient tout à leur foi. Mais les hommes sans Dieu sacrifient tout à l'amour.
" Ce qui me manque c'est la foi en un Dieu dont je ne douterais pas. Or je ne crois plus guère à Jéhovah, ni à Moïse ; et je crois moins encore à Jupiter et aux dieux des Grecs.
138 PAULINA
— Croire en un dieu quelconque, reprit Dru- &ille, n'est pas nécessaire. Il faut croire en soi- même, en son mérite, en sa force, en sa destinée ! Il ne faut jamais oublier, mon fils, que par moi le sang des Hérodes coule dans tes veines — et que c'est un sang royal. Rappelle-toi surtout que les descendants des races royales sont plus que des hommes.
— Ils n'ont pas plus de droits que les autres.
— Mais oui, mon enfant, ils ont plus de droits que les autres hommes, parce qu'ils sont au-dessus ■des autres.
— S'ils n'ont pas plus de vertus, ils sont des îiommes comme les autres.
— Ils de^Taient avoir plus de vertus, et être plus forts contre leurs passions.
— Et pourquoi me dites- vous cela, ma mère ?
— Parce que je crains que tu ne cèdes trop à ton amour pour la fille du proconsul Sergius Paulus. Il faudrait dompter cette passion qui pourrait devenir un obstacle à la réaUsation de nos légitimes ambitions.
— Je n'ai pas d'autre ambition, ma mère, que d'être heureux avec Paulina, dans une vie mo- deste et tranquille, loin des grandeurs, de" l'éclat et de la puissance.
— Ah ! mon cher fils, je ne reconnais pas mon sang dans ce langage.
— Mais il faut vous souvenir de mon père, qui
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fut esclave ; sans doute, il a été affranchi et il représente maintenant César, en Palestine. Mais suis-je juif ou romain ?
— Tu es iduméen. Il faut qu'on reconnaisse en toi le plus noble des deux sangs qui coulent dans tes veines, celui de ta mère. C'est par lui que tu pourras plus tard réclamer tes droits à la couronne. Mais il importe que tu sois en même temps romain, parce que c'est Rome qui dispose des petits royaumes juifs, soumis à sa suzerai- neté.
— Je comprend que tout cela importe à vos projets d'ambition, mais vous oubliez, ma mère, que j'ai fait moi des rêves de bonheur. Et ce bonheiu*, auquel j'ai droit, vous le foulez à vos pieds. Est-ce, mon devoir de le sacrifier pour la satisfaction de vos rêves de grandeur ?
— O mon fils, c'est pour toi que je le fais ce rêve, et cette grandeur n'empêcherait pas ton bonheur. Au contraire, elle y ajouterait. En montant sur le trône, tu ne renoncerais pas à l'amour.
— Mais, si pom' arriver au trône je renonce à celle que j'aime ?. . .
— Tu en aimeras une autre, plus digne de toi ; car Paulina sera indigne si elle se fait chrétienne.
— O ma mère, comme elle m'aimerait si je voulais ser\'ir le même Dieu qu'elle !
— Ah ! voilà ! c'est ainsi qu'elle veut te dé-
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tourner du droit chemin ; mais retiens bien ce que je vais te dire. Dès ce jour le plus impérieux de mes devoirs sera de t'arracher à l'influence pernicieuse et ensorcelante de cette amoureuse du Crucifié. Et je le jure par Jéhovah : jamais je ne te permettrai d'épouser une chrétienne ; j'aimerais mieux te voir mourir de la main du bourreau.
— Prenez garde, ma mère, d'être vous-même le bourreau de votre fils.
— Malheureux enfant ! tu as des instincts d'esclave.
— En parlant ainsi, ma mère, vous insultez mon père ! "
PAULIN A 141
XVIII
SUR LA MER EGÉE
Les grands succès obtenus par Paul à Thessa- lonique et à Bérée avaient ameuté contre lui toutes les juiveries de la Macédoine, et le jour vint où il fut forcé de fuir pour sauver sa \'ie. Accompagné de quelques fidèles, il se dirigea vers la mer ; et dans un port de la côte il trouva un navire qui allait partir pour Athènes. Il y prit passage avec un seul fidèle de Bérée, après avoir dit adieu à ses autres compagnons de mis- sions.
La nuit venait. La mer était calme. Paul trouva sur le pont un petit coin tranquille et s'y coucha la tête sur sa besace.
Dors en paix, ô grand apôtre : Jésus de Naza- reth veille sur toi.
Le soleil s'était couché rouge mais sinistre, séparé en deux par la pointe allongée d'un nuage sombre, comme un cœur transpercé d'un glaive. C'était un signe avant-coureur de tempête. La nuit tombait lourde et noire. Des bruits lugubres de houle arrivaient de loin, ou s'éloignaient peut-être. Le vent ne soufflait pas encore, et l'on ne savait pas de >quel côté il viendrait, mais on était sûr qu'il allait venir.
142 PAULINA
Les pétrels rasaient la mer d'un vol rapide, et dans cette profondeur, mouvante et calme encore, on sentait des forces latentes capables de la sou- lever à la hauteur des montagnes. Les voiles alanguies battaient sur leurs cordages et sm* les mâts, et le faible navire flottait au gré des souf- fles légers et des courants.
Paul et son compagnon, enveloppés dans leurs manteaux, dormaient profondément.
Il était minuit, lorsqu'un choc violent les arra- cha au sommeil, et les lança au pied du mât de misaine. La tempête s'était élevée soudainement et faisait rage.
Après avoir pris plusiem's ris dans les voiles et serré les huniers, il avait fallu tout abattre et se mettre à la cape, les toiles ne résistant plus à la violence du vent. La mer était toute blan- che d'écume, et de temps en temps des vagues énormes se précipitaient sur les flancs du navire et sautaient par-dessus comme des béliers en furie. Parmi les sifflements aigus du vent dans les agrès de la mâture, on entendait les cris et les lamentations des femmes qu'on avait ren- fermées daps la cale. La brutalité des chocs augmentait, et de sourds craquements dans la carène annonçaient sa destruction prochaine.
" 0 Paul, dit le Béréen, nous allons périr !
— Non, répondit Paul, en lui montrant la
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croix que formait le mât traversé par une vergue/ la croix, c'est le salut ! "
Tous deux, comme les autres passagers, s'étaient attachés aux morceaux les plus solides du navire et des bastingages, pour n'être pas emportés par les vagues furieuses qui balayaient le pont.
Tout à coup, un craquement formidable se fit entendre, et toute la carène du vaisseau se disloqua. Le gouffre immense en engloutit toutes les parties, puis il les rapporta à la surface comme autant de grappes humaines ; car à chacune de ces épaves restaient attachés quelques pas- sagers. Longtemps encoie, la nuit ténébreuse enveloppa les malheureux naufragés. Mais quand l'aube apparut enfin au bas de l'horizon, la tem- pête s'apaisa ; et les naufragés entendirent alors ce cri de Paul : " Nous sommes sauvés, voici la croix qui s'avance. " C'étaient le mât et la vergue d'un navire, dont on ne voyait pas encore la coque, — mystérieux signe du salut qui s'avan- çait sur les vagues. Une immense acclamation s'éleva de l'abîme où flottait encore le groupe des naufragés, et bientôt le navire aperçu s'appro- cha d'eux et les recueilht à son bord.
C'était un grand vaisseau marchand, qui venait d'Egypte et qui faisait voile vers Athènes. Le capitaine donna des ordres pom' que tous les soins nécessaires fussent rendus aux voyageurs sauvés ; et après avoir pris quelque nourriture^
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ils purent goûter quelques heures de repos.
Quand Paul se réveilla, le vaisseau longeait lentement la côte de la Thessalie, et l'Olympe se dessinait à l'horizon. Un vent léger ridait à peine la surface de la mer. Après quelques sou- venirs donnés à l'ancien royaume d'Achille, Paul avait lié conversation en grec avec quelques uns des rameurs, lorsqu'il aperçut à deux pas de lui un homme qui lui parut étrange.
Il ne parlait à personne, et il regardait la côte. Il était grand, bien mis, et plein de distinction. Il tenait dans une main un rouleau de manuscrits, et dans l'autre un astrolabe. C'était évidemment un savant, probablement un astrologue.
De son côté cet inconnu observait Paul parce qu'il l'avait entendu parler tour à tour l'hébreu, le latin et le grec. Ce voyageur, pensait-il, n'est pas le premier venu, malgré son apparence hum- ble et pau\Te ; il faudra que je fasse sa connais- sance. L'occasion qu'il cherchait ne tarda pas. Un des interlocuteurs de Paul lui ayant affirmé une chose en jurant par Zeus, Paul lui dit : " L'au- torité de Zeus n'ajoute rien à ta parole, et je croirais plutôt en toi qu'en Zeus lui-même. " Et comme les autres rameurs paraissaient scan- dalisés, Paul ajouta : " Zeus n'est qu'une fable, ou un mythe ; il n'a jamais existé, non plus que les autres prétendues divinités de l'Olympe. "
A ces mots, le savant, qui se nommait Diony-
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SOS, s'approcha de Paul et lui dit : " Vous faites là, mon aini, une affirmation bien audacieuse et bien risquée. J'avoue que la foi antique aux dieux de l'Olympe est aujourd'hui bien ébranlée ; mais vous seriez bien embarrassé, je pense, de prouver qu'ils n'existent pas.
— Et vous le seriez plus encore, je crois, ré- pliqua Paul, de prouver qu'ils existent.
— Je pourrais au moins invoquer des témoi- gnages, et surtout celui du divin Platon.
— Est-ce que vous considérez Platon comme un dieu ?
— Non.
— Alors pourquoi l'appelez-vous di\'in ?
— Parce qu'il était supérieur aux autres hom- mes, et qu'il a laissé des œuvres qu'on dirait ins- pirées par les dieux.
— Depuis que le monde existe, il n'y a eu sur terre qu'un seul homme qui ait été vraiment di\'in.
— Conmaent se nommait-il ?
— Il se nommait Jésus de Nazareth.
— Il est inconnu dans le monde des savants.
— Oui, jusqu'à présent, il s'est particulière- ment fait connaître aux ignorants, aux pauvres et aux humbles ; mais avant bien longtemps il sera connu des savants, des riches et des puis- sants.
— A quelle époque et dans quel pays a-t-il
vécu ?
11
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— Il n'y a pas vingt ans qu'il est mort. Il a vécu en Galilée, dans l'obscurité, pendant trente ans ; puis il a parcouru toute la Palestine pen- dant trois ans, enseignant la vraie religion qu'il apportait au monde et il est mort crucifié, parce qu'il s'est lui-même proclamé Dieu.
— Et pourquoi croyez-vous qu'il est Dieu ?
— J'y crois parce qu'il s'est ressuscité. J'y crois parce qu'il est \dvant, non pas \dvant com- m^e vous et moi, mais vivant d'une vie qui ne finira jamais, vivant dans le ciel où il réside, vivant sur la terre dans son Eglise qu'il a établie par ses apôtres, et qui grandit si prodigieusement qu'il faut reconnaître en elle la présence divine et la puissance surhumaine de son auteur.
— Vous m'intéressez beaucoup, dit Dionysos, et je suis curieux de connaître un peu l'histoire de cet homme extraordinaire, qui serait sorti vivant du tombeau, et que vous croyez Dieu. Je vois que vous êtes intelligent et instruit. Vous devez avoir des raisons graves d'ajouter foi à une chose aussi incroyable, je suis tenté de dire, aussi absurde. Voulez-vous bien m'instruire davantage sur ce qui concerne votre Dieu et vous-même ?
— Volontiers, " dit Paul. Et après un court récit des principaux événements de la vie et de la mort de Jésus, il lui raconta comment il était devenu son apôtre, après avoir été son persécuteur.
PAULIN A 147
" Tout cela est bien extraordinaire, reprit Dionysos. Mais il y a un fait de votre récit qui m'a tout particulièrement intéressé. Vous avez dit qu'au moment de la mort de votre Jésus à Jérusalem, le soleil s'était éclipsé totalement, et que la ville avait été plongée dans les plus épaisses ténèbres pendant trois heures, au milieu du jour ?
— Oui, et le même phénomène s'est produit à Tarse où j'étais alors.
— Pouvez-vous me dire à quelle date pré- cise c'était ?
— La date est certaine : c'était le quinzième jour de Nizan du calendrier juif, le 7^ jour des calendes d'avril de l'an 783 de Rome.
— C'est bien étrange. A cette date-là j'étais à Héliopohs, en Egypte, et j'ai été fort étonné d'y observer le même phénomène. Mon ami ApoUophane, qui faisait avec moi des études astronomiques, était épouvanté. C'était au mi- lieu du jour que le soleil s'était soudainement éclipsé aussi totalement que s'il avait été anéanti. Cela ne pouvait être la lune passant sur le disque du soleil, puisque la lune alors pleine était aux antipodes. Aucun autre corps céleste n'a pu s'écarter de sa course au point de passer entre le soleil et la terre. Cette éclipse était donc selon nous contraire à toutes les lois de la nature, et nous en avons vainementt cherché l'exphcation depuis.
148 PAULINA
— Il convenait que le soleil prit le deuil quand son Créateiu- mourait, " dit Paul.
Cette réflexion rendit Dionysos songeur. Il se tut et regarda la mer.
Quand vint le soir, Dionysos et Paul étaient devenus des amis. Le capitaine leui' dit qu'ils arriveraient au Pirée le lendemain matin, et ils convinrent qu'ils se reverraient à Athènes.
XIX L'ARRIVÉE A ATHÈNES
Le soleil se levait quand le vaisseau doubla le cap Sunium. La tempête qui avait bouleversé la mer pendant la nuit s'était apaisée, et sur les flots aux teintes violacées le navire se ba- lançait moUement. Il longeait la pointe de ro- chers où se dressait le beau temple consacré à Minerve, et dont quinze colonnes subsistent en- core de nos jours. Son admirable portique, où Platon venait souvent avec ses disciples, étin- celait de blancheur immaculée, et les rayons du soleil dessinaient parfaitement les Ugnes harmo- nieuses de sa belle colonnade.
Paul y tint ses regards longtemps attachés ; mais bientôt un autre objet qui brillait au loin
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dans les hauteurs attira son attention : c'était le ciinier du casque de Minerve sur le faîte du Parthénon. Une autre pointe de rochers fut doublée, et toute l'Acropole apparut dans son éblouissante beauté, avec sa ceintiu-e de murailles, ses temples, ses colonnades et ses statues. Elle dominait toute la ville groupée à ses pieds, et Paul se disait en la contemplant : '' Athènes est bien la reine de toute la Grèce, et l'Acropole est sa couronne. Voilà la ville des arts et des lettres, de la philosophie et des sciences, rassa- siée de gloire et de jouissances. La voilà, toute resplendissante dans son orgueil et sa beauté !
" Que pourrai-je faire au miUeu de cette nation illustre, qui a produit les grands hommes qu'on appelle les Sages, et qui se vante d'être la mère de la civilisation ? Comment pourrai-je prêcher un Dieu crucifié à ces jouisseurs qui ne rêvent que plaisirs et fêtes ? . . .
" Que pomTai-je lem* apprendi'e, moi, pau\Te faiseur de tentes, à ces artistes, à ces savants qui comptent parmi leurs ancêtres les Socrate et les Platon, les Démosthène et les Eschine, les Eschyle et les Sophocle, les Phidias et les Praxitèle ? C'est chez eux que l'on vient de toutes les parties du monde pour s'instruire. Leurs écoles sont celles de toutes les nations, et toutes les gloires Uttéraires de Rome, Cicéron lui-même et Virgile, sont venus ici pour acquérir la formation néces-
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saire à leur génie. Tout au plus me jugeront-ils digne d'être leur élève.
" Et cette \de heureuse qu'ils mènent, dans cette ville aimée de leur enfance, comment pour- raient-ils l'échanger contre celle que je viens leur proposer ? Comment les amener à substi- tuer la morale austère de Jésus crucifié aux vo- luptés de Vénus et aux joies de Bacchos Dio- nysos ? "
Paul se sentit envahir par une grande tristesse.
Sans doute, il trouverait là, comme ailleurs, des compatriotes ; car il y avait des Juifs dissé- minés dans toutes les grandes villes. Mais là comme ailleurs, ils seraient plutôt des ennemis. Ce seraient les humbles et les pauvres qui vien- draient à lui ; et il aurait à lutter contre les riches, contre les puissants, contre les scribes et les prêtres juifs. Là, comme aillem-s, on le dénoncerait aux autorités romaines ; car Rome était la maîtresse du monde, et Athènes elle-même était réduite à l'état de colonie romaine.
Telles étaient les préoccupations de Paul, s'en allant seul, à pieds, sur la grande route qui conduit du Pirée à la ville. Timothée et Silas qui l'avaient accompagné jusqu'à Bérée avaient dû rester en Macédoine, et son isolement lui rendait plus pénible l'impuissance à laquelle il se sentait réduit.
Les Athéniens qui le rencontrèrent alors pri-
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rent sans doute en pitié cet étranger solitaire qui cheminait vers la grande ville. Il était pau- vrement vêtu. Une besace sur le dos et un bâton à la main, il marchait à pas lents, comme quel- qu'un que personne n'attend. Sa perpétuelle ophtalmie l'obligeait à baisser les yeux pour ne pas souffrir de la pleine lumière du beau ciel de la Grèce. Mais de temps en temps, il s'arrêtait devant une statue, érigée en l'honneur d'un dieu ou d'une déesse, et il se disait : ''Ils ont des milhers de divinités, et ils ne connaissent pas le vrai Dieu ! Comment leur apprendrai-je à le connaître ? " Voilà ce qu'il se demandait. Ce- pendant il avait reçu sa mission de Jésus lui- même, et il la rempUrait jusqu'à la fin, envers et contre tous. Les beaux esprits de la Grèce se moqueraient de lui, sans doute. Il n'avait pas la science de leurs savants, ni l'éloquence de leurs orateurs ; mais il avait la parole de vie, et il la porterait jusqu'aux extrémités du monde. Il était le semeur de la vérité reçue de Jésus lui-même, et il la sèmerait partout dans les âmes des païens, et des Juifs de bonne vo- lonté. Conquérir le monde des âmes, faire de tous les peuples des disciples de Jésus-Christ était une entreprise collossale, impossible, et cependant c'était la sienne.
Qu'était-il ? Rien, moins que rien. " Un in- connu, sans nom, sans influence, sans fortune,
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sans relations avec les puissants de ce monde. Et qu'apportait-il ? Qu'offrait-il aux hommes ? Ni la puissance, ni les plaisirs, ni les honneurs, ni les richesses, rien qui pût les séduire et con- quérir leur amitié. Aux ambitieux, il allait prê- cher rhumihté et le mépris des grandeurs. Aux riches, il allait dire : " Malheur à vous ! " Aux gouvernants, H demanderait de se faire les ser- viteurs du peuple. Aux pau\Tes et aux déshérités, il essaierait de fau-e croire qu'ils sont les heureux de ce monde. Aux jouisseurs, il prêcherait la mortification de la chair et la résistance à tous les mauvais penchants de la nature ! Et, pour les détacher de toutes leurs fausses di\'inités qui leur étaient chères, parce qu'elles symboU- saient et favorisaient leurs passions et leurs joies, et pour leur faù-e connaître et aimer le seul \Tai Dieu, il allait leur raconter une histoire incroyable.
Quelle histoire ? L'histoire d'un Juif inconnu, né d'une famille ou\Tière, dans une pau\Te bour- gade de la Gahlée, qui après trente ans d'une vie obscure, avait parcouru son pays natal en se proclamant le Fils de Dieu, qui pour cela même avait été jugé coupable de blasphème, condamné à mort, et crucifié, qui trois jours après était ressuscité, et qui quarante jours après était remonté au ciel, d'où il se disait descendu.
Telle est l'histoire extraordinaire et invraisem- blable qu'il venait raconter aux beaux esprits
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d'Athènes ; et tel était le nouveau Dieu qu'il allait leur annoncer, en affirmant qu'il était le seul \Tai Dieu, le Créateur du ciel et de la terre.
" Voilà certainement du nouveau, dirait le peuple le plus spirituel du monde, mais il est fort heureux qu'on ne soit pas obligé d'y croire ; car il faudrait conformer sa vie à celle de ce Dieu extraordinaire, embrasser la souffrance, la vie crucifiée, la foUe de la croix. Cela est impossi- ble ! "
Ainsi pensait Paul pendant qu'il cheminait vers Athènes, et le découragement envahissait son âme. Mais alors il rappelait ses souvenirs, et il se retournait vers Celui qui lui avait parlé sur le chemin de Damas, et dans la solitude de l'Horeb.
Est-ce qu'il y avait quelque chose d'impossible pour lui ? Et ne lui avait-il pas donné la mission de convertir les nations ? Malgi'é tous les obs- tacles, n'avait-il pas déjà remporté des succès merveilleux ? Partout, on l'avait persécuté avec rage. Dans toutes les villes on l'avait emprisonné, flagellé, lapidé. A Lystres, on l'avait laissé pour mort sous un amas de pierres. De tous les pays on l'avait chassé, et les dangers de mort l'avaient seuls forcé de fuir. Et cependant, il avait gagné des milliers de disciples à Jésus-Chiist. Dans toutes les villes où il avait prêché, il avait établi des églises, ordonné des prêtres, sacré des évê-
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ques, fondé des communautés chrétiennes.
Dans Athènes, comme ailleurs, il rempUrait sa mission. Il ferait tout ce qui est possible, et Jésus, son maître, ferait l'impossible. " Partout où il faudra des miracles, disait-il, je les deman- derai à mon maître, et il les fera, si mes auditeurs -en sont dignes."
En entrant dans la \'ille, Paul se fit indiquer la voie conduisant à l'Agora. C'était la grande place pubUque d'Athènes, ressemblant aux fo- rums des \T.lles romaines.
L'heure du marché était passée, et les gens des campagnes étaient repartis pour leurs villages après avoir vendu leui's produits et acheté les marchandises dont ils avaient besoin. C'était l'hem'e des désœu\Tés et des curieux, des artistes sans chents, des poètes incompris, des politiciens sans partisans, des faiseurs de nouvelles.
De l'Agora il monta à l'Acropole. Avant d'ar- river au Parthénon, il aperçut une sorte de bas- tion en larges blocs de pierre érigé sur un des plateaux ouest de la montagne. 11 s'en approcha. Ce n'était ni une fortification ni un temple. C'était un autel en plein air, avec cette inscrip- tion : " Au Dieu inconnu. " Une illumination soudaine éclaira son front. " Voilà, se dit-il, le Dieu que je vais prêcher aux Athéniens. 11 leur est inconnu ; mais moi, je le connais, il se nonmae Jésus de Nazareth. "
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Cette idée l'absorba pendant qu'il continuait de gravir l'Acropole en se dirigeant vers le Par- thénon.
Evidemment, Paul ne voyageait pas en tou- riste, ni en artiste, ni en savant. Il ne cherchait en Grèce ni les antiquités, ni les monuments des grands architectes et des grands sculpteurs re- nommés, lies ruines qu'il voulait fouiller et ré- parer c'étaient les ruines morales. Les pierres précieuses qu'il cherchait, c'étaient les âmes créées par Dieu. Ce qui l'intéressait plus parti- culièrement dans les œu\Tes d'art, c'étaient les temples et les statues des dieux.
Le polythéisme lui parut une très habile in- vention du démon. Quel nombre et quelle variété de dieux recevaient un culte dans la ville la plus spirituelle du monde ! Il n'y avait pas une pas- sion humaine qui ne fût favorisée par quelque dieu.
S'abandonner à la volupté, c'était rendre un culte à Vénus. Aimer l'argent et s'enrichir par tous les moyens, c'était honorer Héphaïstos (Mer- cure). Bacchus était le dieu des i\Tognes, et Zeus celui de l'adultère.
Il est \Tai que Minerve, Diane et Apollon étaient des di\'inités plus convenables. Mais leurs dévots sacrifiaient aussi aux autres dieux.
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XX DENYS L'ARÉOP AGITE
Dès le matin Paul parcourait l'Agora sur la colline du Pnix. Ce qui l'intéressait, ce n'étaient pas les bazars où les marchands juifs et grecs offraient aux passants leurs marchandises. Les plus belles étoffes de l'Orient, les tapis merveil- leux de la Perse, les vins les plus délicats de Chy- pre et de Samos, les œuvres admirables des cise- leurs de cui\Te le laissaient indifférent. Ce qu'il cherchait, c'étaient des âmes à conquérir ; et de temps en temps il s'arrêtait pour causer avec ceux dont il attirait l'attention, ou auxquels il demandait des renseignements. A quelques-uns il disait, comme avait dit autrefois Jésus aux pêcheurs de la GaUlée : " Suivez-moi, et je vous enseignerai la rehgion nouvelle." Alors, il s'éloi- gnait jusqu'au portique du temple de Zeus, il en gravissait les degrés, et se tournant vers la foule qui l'avait suivi, il lem' adressait la parole.
C'est dans cette foule qu'il aperçut quelques jours après son arrivée le célèbre aréopagite qu'il avait connu à bord du navire. Dionysos était là qui écoutait la prédication de Paul.
Quand Paul eut terminé son exposition de la religion nouvelle, Dionysos s'approcha et lui dit :
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^' Demain, à la dixième heure, l'Aréopage se réunira pour vous écouter. Dans notre réunion d'hier, j'ai parlé de vous à mes collègues, et je leur ai dit que vous nous apportez une religion nouvelle. Ils sont curieux de vous entendre.
— Je vous suis reconnaissant, dit Paul, et je serai fort honoré de paraître demain devant votre auguste assemblée. "
Voici comment Dionysos avait annoncé à ses collègues, la veille, la présence de Paul à Athènes :
" A bord du navire qui m'a ramené d'Egypte, j'ai fait la connaisance d'un homme étrange que vous serez curieux de connaître, j'en suis sûr. Il est pauvrement vêtu, et comme notre vieux Diogène, il porte un bâton et une besace qui paraît contenir toute sa fortune. Il n'est ni grand ni beau. Mais ses yeux sont perçants et pleins de feu ; et quand il parle sa figure semble illuminée. Il est juif, mais citoyen romain. Il est né à Tarse et se nomme Paul. Il m'a paru très instruit, et il parle très bien le grec, l'hébreu et le latin.
" Or voici l'étrange histoire que cet homme m'a racontée : Un jour — il y a environ vingt ans, — un certain Jésus, de race juive, s'est mis à prêcher une rehgion nouvelle dans la Galilée et la Judée, et le peuple l'a acclamé comme un prophète et un thaumaturge ; car non seulement il parlait admi- rablement, mais il faisait des choses extraordinai- res. Cependant les pharisiens 'de Jérusalem, y
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compris les Prêtres et les Scribes, se soulevèrent contre lui, et quand ils apprirent qu'il se préten- dait Dieu, ils le firent arrêter et traduite devant le Sanhédrin. Ce tribunal suprême des Juifs le décla- ra coupable de blasphème, et le condamna à mort. Le gouverneur romain ratifia la sentence, et le fit crucifier.
" Naturellement on croyait que ce malheureux prophète, que plusieurs excusaient en disant qu'il était fou, serait bientôt oublié, ainsi que sa nou- velle reUgion. Mais il en fut bien autrement, et c'est ici que l'histoire devient tout à fait étrange et merveilleuse.
" Le crucifié avait laissé douze disciples qui étaient de pau\Tes pêcheurs de la mer de Gahlée. Or voici que, cinquante jours après sa sépulture, ces hommes simples et ignorants, qui l'avaient abandonné au moment de sa mort, se mirent à prê- cher que leur Jésus était ressuscité ; qu'ils l'a- vaient re\ai vivant plusieurs fois ; qu'il leur avait parlé, et qu'il avait mangé avec eux en plu- sieurs occasions ; qu'une foule de cinq cents per- sonnes avaient entendu la prédicaton du ressuscité sur une montagne de la Galilée, et qu'une autre foule aussi nombreuse l'avait vu monter au ciel ..."
Un aréopagite interrompit ici Dionysos :
" Assurément, personne ne les a crus ?
— Au contraire, reprit Dionysos, et voilà l'é- tonnant : des milliers et des milliers ont cru, et ils
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ont embrassé la religion nouvelle, convaincus que ce Jésus crucifié était vraiment Dieu.
— Et votre ami, Paul de Tarse, dit un aréopa- gite, tout savant et tout pharisien qu'il est, a cru aussi, sans hésiter ?
— Oh non ! il s'est déclaré un persécuteur en- ragé de la nouvelle secte, recherchant, dénonçant, traduisant devant le Sanhédrin tous ceux qui
■osaient se déclarer les disciples du crucifié. Il fit- même condamner un de ses camarades d'école à être lapidé, et il présida lui-même à l'exécution de la sentence.
— Mais j'ai compris, interrompit un autre, qu'il est un des disciples de la religion nouvelle.
— Attendez. Quand il eut fait lapider son ami Stephanos, les Sanhédrites le chargèrent d'aller à Damas continuer son œuvre de persécution ; et il partit ne respirant que haine et que mort con- tre tous ceux qui, à Damas même, avaient déjà, embrassé la foi nouvelle.
" Or savez- vous ce qui lui arriva ?
— Nous brûlons de le savoir.
— Eh bien ! écoutez son étrange aventure.. " Comme il approchait des portes de Damas,
une lumière cent fois plus éblouissante que le soleil l'enveloppa ; il fut violemment précipité aux pieds de son cheval, et perdit la vue. En même temps il entendit une voix qui lui parla, et cette voix lui dit : " Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes. . ."'
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— Tout cela est bien extraordinaire mais ressem- ble beaucoup à une hallucination. A quelle date remonte l'aventure de cet homme ?
— A une quinzaine d'années.
— Et depuis lors, il est resté convaincu que tout ce que vous avez raconté est vrai ?
— Non seulement il est resté convaincu ; mais il a parcouru les villes et les campagnes de la Syrie, de l'île de Chypre, de la Cilicie, de la Pamphylie, de la Phrygie, de l'Ionie, de la Lydie, delà Pisidie et de la Macédoine, affirmant partout la vérité de tout ce que je ^dens de vous raconter, et cela au péril de sa vie !
" On a voulu le faire taire. On l'a chargé de chaînes, mis en prison, flagellé, lapidé, laissé pour mort sous les pierres ; mais dès qu'il a recouvré la liberté et la parole il a continué de prêcher. Dans les synagogues, sur les places, on l'a insulté, ou- tragé, combattu avec toutes les armes de la science et de la puissance publique ; mais on n'a pu que le chasser de ville en ville, et nulle part on n'a pu le faire taire. " On peut me faire mourir, disait-il, mais on n'enchaînera pas la parole de Dieu."
— Et sa prédication n'a guère produit d'effet, je présume ?
— Au contraire, il a réussi à convertir à sa foi des milliers d'hommes et de femmes dans toutes les villes où il a prêché. Il y a fondé de nombreu- ses sociétés qu'il appelle des églises, et dont les
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membres partagent ses croyances, et les défendent au prix même de leur vie.
— Tout cela est incroyable, mais excite assez notre curiosité pour que nous désirions entendre un pareil homme. Platon a fait moins de merveil- les. Amenez-nous votre phénomène."
XXI DEVANT L'ARÉOPAGE
Sous ce nom d'Aréopage on désignait à la fois le tribunal suprême d'Athènes et la colline sur la- quelle il siégait. Cette colline formait un des pla- teaux inférieurs de l'Acropole, du côté ouest, et l'on y arrivait par un chemin sinueux qui partait de l'Agora, et par des gradins taillés dans la pierre de l'escarpement.
Ce nom paraît venir de deux mots grecs qui Si- gnifiaient " colline de Mars", et rappelle la légende que les dieux de l'Olympe y descencUrent pour juger Mars.
Les juges de l'Aréopage joignaient à leurs fonc- tions judiciaires certaines attributions politiques et religieuses. Il était de leur ressort de s'enquérir de cette religion nouvelle que Paul prêchait dans Athènes, et qui pouvait être un danger pour l'Etat.
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Ils étaient d'ailleurs friands de nouveautés, et ce que Dionysos leur avait raconté était \Taiment très neuf. Comme on disait dès ce temps-là qu'il n'y avait plus rien de nouveau sous le soleil, ils étaient curieux d'entendre parler d'un nouveau dieu.
Paul savait à quel auditoire d'élite il allait adresser la parole, et il crut bien faire d'avoir recours cette fois aux ressources de l'art oratoire qu'il négligeait généralement. Saint Luc ne l'a pas entendu lui-même, et n'en reproduit qu'une partie.
L'exorde nous paraît un chef-d'œuvre du genre.
" Athéniens, lem* dit-il, je constate qu'à tous égards vous êtes des hommes singulièrement reli- gieux ; car non seulement vous avez élevé des autels et des temples très nombreux aux dieux con- nus ; mais en me promenant dans vos rues, et en examinant vos sanctuaires, j'ai trouvé un autel avec cette inscription : " Au Dieu Inconnu". Eh ! bien, ce Dieu que vous adorez sans le con- naître, est celui que je \dens vous annoncer.
" Ce Dieu qui a fait le monde, et tout ce qu'il renferme, étant le maître du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples faits de main d'hom- me. Il ne sam^ait être servi par des mains humai- nes, comme s'il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui donne à tous la vie, le souffle et toute chose-
" Il a fait d'un seul sang toute l'humanité, et il l'a placée sur la terre, où il a déterminé sa durée
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et son domaine, afin qu'elle l'y cherche comme à tâtons quoiqu'il ne soit pas loin d'elle. Car c'est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes.
" Comme l'ont dit quelques-uns de vos poètes :
De sa race nous sommes.
" Or si nous sommes de la race de Dieu nous ne devons pas croire que la Divinité ressemble à l'or, à l'argent, à la pierre, à une œuvre sculptée par l'art et le génie de l'honame. Le jour est venu d'ou- blier ces temps d'ignorance et d'erreur, et il faut que les honuiies s'en repentent ; car Dieu a en- voyé parmi nous celui qui doit juger le monde, et auquel il a donné tout pouvoir en le ressuscitant d'entre les morts. . ."
Jusqu'à cette dernière proposition le discours de Paul avait captivé l'attention et avait dû paraître habile.
Le rapprochement entre le Dieu inconnu que les Athéniens vénéraient déjà et celui que Paul venait leur annoncer ; l'évocation des croyances de leurs poètes ; l'affirmation qu'ils étaient tous enfants du même Dieu et conséquemment tous frères ; le fait historique incontesté que leurs philosophes et leurs savants avaient toujours cherché Dieu en tâtonnant, et n'avaient trouvé que des idoles indignes ; tout cela devait les inté- resser et leur plaire, sous une forme nouvelle.
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Mais lorsque l'apôtre des Nations osa leur prê- cher le repentir de leurs erreurs passées, et le ju- gement, et la résurrection, les savants libres pen- seurs d'alors l'interrompirent, et lui dirent que ses croyances étaient des chimères et des rêves impossibles.
"Nous t'écouterons là-dessus une autre fois," lui dirent un certain nombre, et ils s'en allèrent.
Paul continua-t-il de parler à ceux qui restaient ? Saint Luc ne le dit pas, mais la chose est probable ; car il n'est guère vraisemblable que les quelques phrases qui précèdent soient tout le discours de saint Paul. Il a dû raconter au moins les traits principaux de la vie de Jésus, et sa propre histoire ; et c'est par là sans doute qu'il a retenu une partie de ses auditeurs, et qu'il en a converti plusieurs, car les Actes des Apôtres ajoutent : '' Quelques per- sonnes néanmoins s'attachèrent à lui, et crurent; de ce nombre fm'ent Denys l'aréopagite, et d'au- tres avec lui, parmi lesquels une femme nommée Damaris."
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que Paul n'obtint devant l'Aréopage qu'un demi succès. Pom'quoi ? Parce que les prétendus savants sont toujours les plus lents à croire. L'orgueil les aveugle.
Il est probable que les prédications de l'apôtre aux foules de l'Agora furent plus fructueuses. Car il est certain qu'il y avait à Athènes, peu de temps
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après le court s(?jour qu'y fit saint Paul, une com- munauté chrétienne nombreuse, qui a fourni à l'Eglise des apologistes de renom, surtout l'illustre Denys l'aréopagite, et le célèbre Hiérothée, qui fut un génie prodigieux, mais dont les œuvres sont à peine connues. 11 est certain également qu'après des années de christianisme on vit le Parthénon, qui pendant des siècles avait été consacré à Minerve, devenir le temple de la Vierge Marie, la mère du Dieu Inconnu prêché par saint Paul.
XXII PAUL A CORINTHE
Dès le matin, Paul s'était embarqué au Pirée sur un petit vaisseau à voiles, et, grâce au vent léger qui soufflait du sud-est, il était arrivé à Cen- chrées vers les quatre heures de l'après-midi.
En remontant le golfe Saronique il avait passé devant Salamine sans s'y arrêter. Il avait vu de loin Mégare et ses murailles blanches qui se dé- tachaient de la mer d'azur sous les rayons du so- leil levant. Mais c'était Corinthe qui l'attirait ; car il savait qu'il y trouverait le plus vaste champ pour son zèle apostolique.
De Cenchrées à Corinthe Paul avait suivi le
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chemin qui passe par Hexamilia. La route mesure au moins six milles, et, comme la Via Appia de Rome, elle était bordée de tombeaux aux approches de Corinthe. Cette ville était alors la plus impor- tante de l'Achaïe, et même de toute la Grèce, au point de vue du commerce et de la population. Il y avait près de deux giècles qu'elle s'était révol- tée contre Rome, et que le consul Mummius l'a- vait en grande partie détruite. Mais Jules César avait répudié cette cruauté, et il avait rebâti, re- peuplé et embelli la grande cité.
Elle comptait 600,000 âmes, et sa situation entre la mer Saronique et la mer de Crissa, appelée au- jourd'hui golfe de Corinthe, était incomparable. Elle avait deux ports : Léchée (Lechœon) sur la mer de Crissa, au nord, et Cenchi'ées sur le golfe Saronique, au sud. Par le premier elle accaparait le commerce de l'Ouest et du Nord, et par le second le commerce des îles de la mer Egée et de l'Orient. Sa marine marchande était considérable et cou- vrait les deux mers. Pour protéger son commerce, elle avait construit des trirèmes, qui étaient ses vaisseaux de guerre. Ses grandes rues bordées de boutiques et de magasins aboutissaient à l'Agora, entourée d'une colonnade. Comme Athènes, Corinthe avait ses propylées, son Acropole, ses nombreux temples, et de superbes monuments. Mais son Acropole avait quatre fois la hauteur de celle d'Athènes.
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La ville s'échelonnait en amphithéâtre sur les premiers gradins de la montagne et faisait face à la mer de Crissa, à l'est. Ses faubourgs s'éten- daient au sud jusqu'à Cenchrées. L'Acro-Corinthe formait une citadelle formidable ; et un temple somptueux consacré à Vénus la couronnait d'un resplendissant diadème de marbre. De toutes ces splendeurs il ne reste plus aujourd'hui que des ruines.
Là, coimne dans toutes les villes populeuses et riches, le luxe et la soif des jouissances avaient engendré la corruption des mœurs, et nulle part au monde peut-être la déesse ne comptait plus d'a- dorateurs. Le culte qu'on lui rendait n'était pas un hommage à l'amour pur, mais à la volupté, et dans ses temples mêmes il dégénérait en licence. Les prêtresses de Vénus étaient des courtisanes, et dans le seul temple de l'Acropole, il y en avait plus de mille vouées au culte infâme. Mais ce tem- ple était d'un accès difficile, et ne suffisait pas. Au centre même de la ville, non loin du temple d'Apollon, s'élevait un autre sanctuaire très vaste consacré à la déesse de la luxure.
Voilà dans quel monde dépravé Paul venait prêcher la pureté et la mortification de la chair.
Sur l'Acropole d'Athènes Paul s'était trouvé en face de Minerve, ou Pallas Athénée, déesse de la Sagesse ; mais sur l'Acro-Corinthe, c'était la déesse de l'amour, ou plutôt de la luxure, qui allait
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se dresser devant lui. Contre les Athéniens que protégeait la divinité de la Sagesse et de la Phi- losophie, il s'était trouvé presqu'impuissant. Quel- le serait donc sa faiblesse contre la puissance et les entraînements de l'amour charnel ? Mais il ne comptait pas sur ses forces ni sur son éloquence. Là conmie ailleurs il sèmerait, et c'est Dieu qui ferait germer la semence. Seulement on se demande si les Corinthiens étaient bien dignes de recevoir la parole de Dieu. N'était-ce pas jeter des perles devant les pourceaux ?
Mais non ! le Dieu que Paul venait prêcher aux Corinthiens c'était le Dieu des miséricordes. C'é- tait le Dieu qui avait converti Madeleine et la Samaritaine, celui qui avait pardonné à la fename adultère, et qui avait chassé des corps des possédés le démon de l'impureté. Sans doute, ils avaient beaucoup péché contre la morale, et prostitué ce grand sentiment qu'on nomme l'amour. Mais il y avait encore des fenmies honnêtes qui ^'énéraient l'amour pur dans le culte de Vénus, et qui célé- braient chaque année en son honnem- une fête particuUère d'où les courtisanes étaient exclues.
Au reste les philosophes orgueilleux d'Athènes n'étaient pas plus chastes que les commerçants de Corinthe, et ils péchaient davantage contre le Saint-Esprit. C'est pourquoi les succès de saint Paul furent bien plus grands à Corinthe qu'à Athènes.
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De la célèbre ville que Paul venait convertir, il ne reste phus maintenant que des ruines, dont une grande partie est encore sous terre. Mais celles que les fouilles ont mises au jour sont bien inté- ressantes, et leur solitude est pleine de mélancolie. Du célèbre temple d'Apollon sept colonnes canne- lées avec chapiteaux d'ordre dorique, et une partie de l'architrave sont encore debout sur le pavé en larges dalles de marbi e. Il y a encore de beaux res- tes des propylées, de l'Agora, et des boutiques élé- gantes en hémicycle qui en bordaient le côté nord- est. La belle fontaine Pirène subsiste encore avec ses revêtements de marbre et ses demi-coupoles qui surmontaient les niches du vestibule. Les anciennes rues sont obstruées de débris de colonnes, de chapiteaux, de frontons antiques,, de tronçons épars dans la poussière des siècles.
L'Acro-Corinthe, que son escarpement rend presqu'inaccessible, porte encore à son sommet de vastes murailles flanquées de tours qui datent du moyen-âge, et dont les portes sont détruites. Mais du riche temple de Vénus qui couronnait la cime de la montagne il ne reste plus qu'un amoncelle- ment de pierres sans intérêt. La main du temps a complètement détruit cette souillure.
C'est sur l'Agora seule que le souvenir de saint Paul s'empare de l'esprit du touriste moderne. Il lui semble y retrouver la boutique de ce couple chrétien que l'apôtre a immortalisé, Priscilla et
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Aquila, qui ont eu pour lui tous les dévouements, «t qui Font aidé partout dans ses missions, à Co- rinthe, à Ephèse, et à Rome.
Où les avait-il connus ? A Corinthe, sans doute ; mais ils n'avaient pas été convertis par lui. Quel quartier de la ville habitaient-ils ? On ne le sait pas. ■Ce devait être dans le voisinage du grand marché afin d'y exercer plus avantageusement leur métier de faiseurs de tentes. Et c'est pourquoi on s'ima- gine volontiers que leur boutique ou\Taitsurle long quadrilatère bordé de colonnes.
Paul connaissait très bien leur métier, pour l'a- voir appris dans sa jeunesse à Tarse. Il y était peut-être plus habile qu'eux, et il leur payait lar- gement par son travail le logement et la nourriture qu'ils lui fournissaient.
Quand Paul arriva à Corinthe, il y avait deux ans que Priscilla et Aquila habitaient cette ville. Originaires du Pont ils étaient allés vivre à Rome, €t ils y avaient exercé leur industrie de faiseurs de tentes, dans le quartier juif (Le Ghetto d'aujour- d'hui) de la grande ville.
Mais en l'an 51 de Notre-Seigneur, sous l'em- pereur Claude, un édit de proscription avait été lancé contre les Juifs, y compris ceux qui étaient chrétiens.
Pierre était alors retourné en Orient, où il pré- sida le Concile de Jérusalem. Priscilla et Aquila, qui avaient été convertis par lui, s'étaient réfu-
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giés à Corinthe, et ce fut pour eux un des évcne- ments les plus heureux de leur vie d'y rencontrer l'apôtre des Gentils.
Ils s'attachèrent à lui, et l'apôtre trouva en eux non seulement des amis dévoués à sa personne, mais aussi des disciples pleins de zèle apostolique pour la foi nouvelle. Ils n'étaient pas riches, et pendant son séjour à Corinthe, Paul ne voulut pas leiu- être à charge; et il travailla avec eux à fabri- quer des tentes. Elles étaient généralement en peaux de chè\Te ou de chameau, préparées comme le cuir et cousues ensemble. Ils en faisaient aussi en toile de Cilicie.
En se promenant sur l'antique pavé de l'Agora on n'a donc pas à faire un grand effort d'imagina- tion pour reconstituer la vie journalière que saint Paul y mena a^'ec ses deux amis si sympathiques et si dévoués. On croit le voir assis entre Priscilla et Aquila, dans une de ces boutiques en plein air qui bordaient l'Agora, taillant et cousant ensem- ble des peaux de chè\Te ou des toiles cihciennes, pour en faire des tentes. Tout en faisant ce travail grossier, les trois amis causaient. Mais de quoi parlait le grand apôtre ? Evidemment de son œuvre et de sa mission. Il racontait à ses hôtes charmants et bons ses aventures de voyage, les persécutions qu'il avait endurées, ses emprison- nements et ses flagellations. Mais il leur disait aussi ses joies, ses bonheurs et ses triomphes
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quand des centaines et des milliers d'âmes se lais- saient toucher par la grâce, et embrassaient spon- tanément la foi. Il interrogeait ses hôtes sur les mœurs des Corinthiens, afin de savoir par quelles voies il les amènerait à la foi chrétienne.
Priscilla aimait surtout l'entendre parler de ses projets futurs, et de ses espérances de succès dans l'établissement du royaume de Jésus-Christ. " Je veux parcourir tous les pays ci\dlisés, disait Paul, et y construire des tentes. Mais les tentes que je veux construire dans le monde ce sont des égUses, c'est-à-dire des sociétés spirituelles composées de toutes les âmes adoratrices de Jésus-Christ.
" Que suis-je pom* accomplir cette grande œuvre ? Vous le savez, je suis un pauvre homme, d'apparence misérable, n'ayant ni or, ni argent, ni pouvoir, ni influence. Et cependant, voyez ce que j'ai déjà fait. Dans tous les pays où j'ai prêché, des milUers de païens sont devenus des disciples de Jésus-Christ. Bien d'autres milliers se sont con- vertis à la voix de Pierre, de Jean, d'Andi'é, de Marc^ de Thomas, de Mathieu, de PhiUppe, de Barthélémy. Ce n'est pas à moi, ce n'est pas à nous, sans doute, que ces succès sont dûs. C'est à Notre-Seigneur Jésus-Christ.
" Toutes les puissances de ce monde sont li- guées contre Lui, et, malgi'é tout, les âmes viennent à Lui. Tant que j'am^ai un souffle de vie, j'irai vers elles, jusqu'aux confins du monde, et je leur
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ferai entendre la parole du Christ. La plupart des Juifs ne veulent pas de Lui ! Tant pis pour eux. Ils veulent avant tout les biens de la terre. Le Christ les leur laissera. L'or sera leur dieu, et ils périront avec lui . . . "
Bien souvent Aquila et Priscilla oubUaient leur travail et l'écoutaient pleins d'admiration. Une amitié d'autant plus forte qu'elle était plus sainte unit bientôt ces trois cœurs, et ils se retrouvèrent toujours, quelques mois après à Ephèse, et plus tard à Rome, où la mort seule les sépara.
XXIII SAINT PAUL PRÉDICATEUR
En \isitant Corinthe, on cherche l'endroit où saint Paul a dû faire entendre son éloquente pa- role. Sans doute, là comme ailleurs il dût prêcher d'abord à la synagogue ; mais il n'y fut bien ac- cueilli que par un petit nombre de Juifs, et dans cette ville comme dans les autres il se tourna bien- tôt vers les Gentils, et ce fut probablement sur l'Agora qu'il leur adressa ses prédications.
C'est la partie la mieux conservée des ruines de Corinthe, et l'on y voit encore la belle fontaine Pirène et les vasques de marbre où les Corinthiens
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venaient faire leurs ablutions. Tout à côté, un bloc de pierre, ressemblant aux rostres du Forum romain, servait de tribune aux oratem^s populai- res, et c'est là, \Taisemblablement, que le grand apôtre annonçait la céleste nouvelle que les anges avaient apportée aux bergers de Bethléem et qu'il était chargé de répandue dans le monde.
Hélas ! les nombreux discours qu'il fit sur cette place de Corinthe, pendant les dix-huit mois qu'il y passa, ne nous sont pas parvenus ! Qu'elle de- vait être entiaînante son éloquence ! Sans doute, elle n'avait pas la perfection littéraire des discours académiques, et il le reconnaissait lui-même dans sa première épître aux Corinthiens :
" Quand je suis venu chez vous, éi3rivait-il, ce n'est pas avec une supériorité de langage ou de sa- gesse ; je n'avais nul besoin de savoir autre chose que Jésus-Chiist, et Jésus-Christ crucifié. . .
" Mes discours et ma prédication n'avaient rien du langage persuasif de la sagesse humaine ; mais l'Esprit-Saint et la force de Dieu en démontraient la vérité . . .
" Ce n'est pas la sagesse du siècle que nous vous prêchons ; c'est la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée . . . des choses que l'œil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, et que Dieu nous a révélées par son Esprit ... Et nous n'en parlons pas avec des paroles qu'enseigne la science hu-
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Mais cet acte d'humilité même n'est-il pas supérieur à l'éloquence académique ?
On peut se figurer l'apôtre des Nations, avec la rudesse de Jean-Baptiste et d'Elie. Pendant près de trois ans il avait vécu dans le désert, et là, comme Moïse, comme Elle, comme Jean-Baptiste, il s'était formé à l'école de Dieu Lui-même. C'était le Dieu du Sinaï et de l'Horeb qu'il avait entendu, et il y avait pris une parole de feu confor- me à sa nature impétueuse. C'est avec ce tempé- rament qu'il se lassait si tôt des Juifs et des Syna- gogues, dans tous les pays qu'il évangélisait, et qu'il se toui^nait si ardemment vers les Gentils, C'est avec cette vivacité d'action qu'il rendait aveugle le magicien Bar-Jésu de Chypre, en l'ap- pelant " fils du diable ", et qu'il délivrait la Py- thonisse de Philippes, et les autres possédés du démon.
On représente généralement saint Paul portant- une épée : c'est le glaive de la parole. Et c'est aussi l'arme dont il use pour séparer de l'Eglise ceux qui ont mérité l'excommunication. Nous en trouvons un exemple dans sa première épître aux Corinthiens, au sujet d'un incestueux qui était un objet de scandale pour les fidèles. Il leur écrit : " Il faut que cet homme soit ôté du milieu de vous. Et vous ne devez avoir aucune relation avec lui. "
Quelques mois après, Paul est informé que l'in- cestueux est converti, et se conduit bien. Alors^
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dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, il leur écrit qu'il faut lui pardonner et le consoler, " Je vous coniiu-e, dit-il, de redoubler de charité envers lui. Et celui donc à qui vous pardonnez, je lui pardonne aussi dans la personne de Jésus-Christ. "
On voit quelle charité succède à la rigueur, et l'éloquence des Epîtres nous permet de juger de celle des discours.
Au milieu de ses plus fortes paroles, de ses ac- cents indignés, de ses menaces, de ses véhémences, on sent les battements du cœm* de Paul. Il s'in- digne parce qu'il aime. Il lance l'anathème parce qu'il a l'amom' de la justice. Et puis, il s'émeut, il s'attendrit, il pardonne, et il confesse ses propres faiblesses.
L'obstacle l'irrite, et il fait appel à toutes ses forces pour le briser. Rien ne l'arrête, ni les ini- quités des Juifs, ni la puissance des autorités ro- maines. Rien ne le fait douter de l'assistance de Jésus qui est plus forte que tout. Les lettres où il est obUgé de flageller les judaisants, et celles où il est forcé de faire son apologie sont souvent bai- gnées de ses larmes.
De temps en temps, au cours de ses pénibles et épuisantes missions, l'épée use le fourreau. L'âme est trop ardente pour son corps débile. Il souffre, il s'affaisse, il tombe, comme son maître, sur le chemin de son calvau-e ; mais il se relève toujours plus énergique, et il poursuit la lutte avec de
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tels élans de foi (ju'il a des visions, et que Jésus lui montre le ciel ouvert.
Quand il écrit, ou plutôt quand il dicte ses let- tres à un secrétaire, (car il n'écrit presque jamais lui-même), sa parole se précipite et ne peut suffire à l'abondance des idées. Il ne se préoccupe guère de la forme ou de l'expression, ni même de l'ordre dans l'enchaînement de ses pensées. Aussi est-il visible que quelques-unes de ses épîtres sont des improvisations. Il méprise d'ailleurs la rhétorique parce qu'il n'en a pas besoin pour être éloquent. Mais quelle chaleur, quelle force, quelle éléva- tion, et même quelle verve dans cette éloquence! Bossuet la compare " à un grand fleuve qui, cou- lant dans la plaine, y retient encore la force vio- lente et impétueuse qu'il a acquise dans les mon- tagnes où il a pris sa source ".
Et cependant, malgré l'ardeur et la fougue de ses discoiu-s, il est prudent, il a du tact ; et quand les circonstances l'exigent, il est modéré, conci- Hant, et même habile. Oui, il ne dédaigne pas de recourir aux habiletés de langage quand elles lui paraissent nécessaires, comme il le fit devant l'Aréopage d'Athènes, devant les Juifs de Jéru- salem, et devant le roi Agrippa, à Césarée.
C'est un meneur d'hommes, dont la personna- Hté s'impose par le génie transcendant et par l'hu- milité. Dans le rôle immense qu'il s'attribue, il y a de la majesté ; mais ce n'est pas la majesté
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d'un roi, c'est celle d'un héros, d'un conquérant. Et ce qu'il prétend conquérir ce n'est pas une ville ni une province, c'est le monde.
C'est aux nations qu'il adresse ses épîtres. Il écrit en hébreu aux Hébreux, en latin aux Romains, en grec aux autres peuples d'Orient. Il leur donne des lois, il leur trace des règles de vie ; il les gourmande, il les punit. Quand il est libre^ il parle aux foules, quand il est captif, il écrit aux peuples. Et toujours il prêche Jésus-Christ. Sa parole est si puissante qu'elle ouvre les prisons et brise les chaînes.
On le flagelle, on le lapide ; mais il sort \dvant de de son tumulus de pierres, comme son maître est sorti vivant de son tombeau. Ni les mers et leurs tempêtes, ni les déserts et leurs dangers, ni les en- nemis, ni les païens, ni les hérétiques, ni les dé- mons, ni les possédés, rien ni personne ne l'arrête ; mais ses courses à travers le monde sont partout marquées des traces de son sang.
Pierre est le chef, le souverain de la nouvelle Eglise, et il en porte les clefs en guise de sceptre. Paul est le générahssime de la nouvelle puissance qui va s'emparer du monde, et, poui* le conquérir, il n'a pas d'autre arme que le glaive de la parole. Chaque mouvement de ce glaive est un éclair qui dissipe les ténèbres où l'humanité est plongée.
Et s'il reste ça et là quelques obscurités dans ses admirables épîtres, c'est parce que la langue hu-
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maine est impuissante à fournir au grand doc- teur des formules qui puissent éclairer les profonds mystères de notre religion.
Quelles richesses oratoires nous y trouvons pourtant, et qui nous donnent une idée des mer- veilleux discours que les Corinthiens ont eu le bon- heur d'entendre pendant les dix-huit mois que saint Paul a passés chez eux. Essayons d'appré- cier ce genre d'éloquence en citant quelques pas- sages de ses deux épîtres aux Corinthiens.
XXIV PREMIÈRE ÉPITRE AUX CORINTHIENS
Des troubles sérieux s'étaient produits dans l'Eglise de Corinthe et menaçaient d'y créer un schisme. Un nouveau prédicateur y était venu prêcher Jésus-Christ après saint Paul, et il y avait obtenu de grands succès. Il se nommait Apollos.
Originaire d'Alexandrie, il avait étudié les let- tres grecques et latines dans les célèbres écoles de cette ville. Mais il était aussi versé dans les Ecri- tures et, quoiqu'il ne connût que le baptême de Jean, il croyait à la messianité de Jésus-Christ, et il la prêchait avec beaucoup d'éloquence et de zèle.
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C'est à Ephèse, en l'an 54, qu'il avait commencé sa prédication, peu après que Paul eût quitté cette ville en route pour Jérusalem.
Priscilla et Aquila, venus à Ephèse avec Paul, y étaient restés et ils avaient reçu ApoUos chez eux. Mieux renseignés que lui sur la doctrine de Jésus- Christ, ils avaient complété ses connaissances chrétiennes, et ils l'avaient encouragé à continuer ses prédications.
D'Ephèse, il était venu à Corinthe et son élo- quence plus littéraire, plus parfaite au point de vue oratoire que celle de Paul, lui avait amené des disciples, et menaçait de créer un schisme dans l'Eglise de Corinthe.
A son retour de Jérusalem à Ephèse, Paul, in- formé de ces troubles et d'autres désordres qui s'étaient produits parmi ses chers Corinthiens, leur écrivit sa première épître, qui est des plus remarquables.
Dès le début, il leur dit : " J'ai appris qu'il y a des disputes parmi vous. Je veux dire que cha- cun de vous parle ainsi : Moi, je suis à Paul ! — Et moi à Apollos ! — Et moi à Céphas (Pierre) ! — Et moi, au Christ !
" Le' Christ est-il donc divisé ? Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?. . . Qu'est-ce donc qu' Apollos ? et qu'est-ce que Paul ? — Des ministres de celui en qui vous avez cru . . . J'ai
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planté, Apollos a arrosé ; mais Dieu a fait croî- tre ; celui c^ui plante n'est rien ni celui qui arrose ; Dieu qui fait croître est tout. . .
" Vous êtes le champ de Dieu et nous sommes ceux qui le cultivent. Vous êtes l'édifice de Dieu et nous sommes les ouvriers. Chacun de nous re- cevra sa récompense selon son propre travail.
" . . .Comme un sage architecte, j'ai posé le fondement selon la grâce de Dieu qui m'a été don- née et un autre peut bâtir dessus ; mais personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est déjà posé, savoir Jésus-Christ... L'ou\Tage de chacun sera jugé au jour du Seigneur, et nous saurons alors s'il a bâti avec de l'or ou de l'ar- gent, ou des pierres précieuses, ou du bois, ou du foin, ou du chaume.
" Le feu même éprouvera ce qu'est l'ouvrage de chacun.
" Que personne ne mette sa gloire dans des hom- mes, car tout est à vous, et Paul, et Apollos, et Céphas, et le monde, et la vie, et la mort, et les choses à venir. Tout est à vous, et vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu ! " Quelle grandem- ! Quelle sublimité dans cette gradation ascensionnelle des êtres et dans cette unification de toutes choses en Dieu ! L'homme est par son âme l'intermédiaire entre la création physique et le monde des esprits ; il est le médiateur entre la nature matérielle et l' Homme-Dieu ! Et Jésus-
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Christ, à la fois Dieu et honune, est le médiateur «ntre F humanité et Dieu ! Voilà la mystérieuse et splendide économie du plan di\dn !
Et quel langage plein de vivacité, de chaleur ■et de force ! Quelle clarté dans le raisonnement ! Qu'importe le nom, ou le renom du prédicateur, pour\Ti qu'il prêche la parole de Jésus-Christ ? Celui qui plante et celui qui arrose, celui qui pose le fondement de l'édifice et celui qui le construit sont tout un, pour\ai qu'ils soient des ser\dteurs du Christ et des dispensateurs des mystères de Dieu !
Le grand apôtre n'est pas jaloux d'ApoUos. Il reconnaît mêmie sa propre infériorité comme ora- teur. " Quand je suis venu chez- vous, ce n'est pas avec une supériorité de langage ou de sagesse ; je n'avais nul besoin de savoir autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié !. . ."
O Paul, c'est trop d'humihté ! Et quel que fût le talent oratoire d'ApoUos, combien son élo- quence devait être inférieure à la vôtre !
Aussi ses discours ne lui ont-ils pas surv^écu, tandis que les vôtres, Paul, ont fait l'admiration du monde et des siècles, et sont encore aujour- d'hui la grande autorité dans l'enseignement dog- matique et moral de l'EgHse cathoUque.
Après avoir ainsi revendiqué l'autorité de sa prédication, et blâmé lems di\'isions personnelles, il dit aux Corinthiens :
" Il y a des impudiques parmi vous, et même un
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incestueux ; et vous vous enflez d'orgueil, au lieu d'être dans le deuil et dans les larmes !.. Ne vous y trompez point ; ni les impudiques, ni les ido- lâtres, ni les adultères, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les calomniateurs ne posséderont le royaume de Dieu. Voilà pourtant ce que vous étiez, au moins quelques-uns d'entre vous ; mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, au nom du Seigneur Jésus-Christ, et par l'esprit de notre Dieu . . . Ne savez- vous donc pas que vos corps sont des membres du Christ ? Prendrai- je donc les membres du Christ pour en faire les membres d'une prostituée ? . . . Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit, qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous n'êtes plus à vous-mêmes ? Car vous avez été rachetés à grand prix.
" Glorifiez donc Dieu dans votre corps, ô Co- rinthiens ! ..."
Par une transition toute naturelle, l'apôtre ré- pond à des questions qui lui ont été posées sur le mariage et sur la virginité :
" Je voudrais que tous les hommes fussent com- me moi " — c'est-à-dire qu'ils fussent capables de vivre dans l'état de virginité. — "A ceux donc ■qui ne sont pas mariés, et aux veuves, je dis qu'il leur est bon de rester comme moi-même. Mais s'ils ne peuvent se contenir, qu'ils se marient ; car il vaut mieux se marier que de brûler.
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" Quant aux personnes mariées, j'ordonne — non pas moi, mais le Seigneur — que la femme ne se sépare point de son mari. Si elle en est séparée, qu'elle reste sans se remarier, ou qu'elle se récon- cilie avec son mari ; pareillement, que le mari ne répudie point sa femme."
Ainsi est posé le précepte de l'indissolubilité du mariage.
" La femme, ajoute-t-il, est liée aussi longtemps que vit son mari. Si le mari vient à moiu-ir, elle est libre de se remarier à qui elle voudra ; seulement que ce soit dans le Seigneur. Elle est plus heureuse néanmoins, si elle demeure comme elle est : c'est mon avis, et je crois avoir, moi aussi, l'Esprit de Dieu..."
Puis, l'apôtre revient à l'état de wginité, qu'il préfère évidemment, et qui est à son avis, le plus parfait : " Pour ce qui est des vierges, je n'ai pas de commandement du Seigneur, mais je donne un conseil, comme ayant reçu du Seigneur la grâce d'être fidèle." Il ne commande pas la virginité, mais il la conseille, à condition toute fois qu'on puisse y être fidèle.
A cet éloge de la virginité l'apôtre ajoute celui de la chasteté dans le mariage ; et saiis négUger les autres vertus, il élève la charité au-dessus de toutes les autres. On ne saurait montrer avec plus de force combien elle est indispensable au salut :
" Quand je parlerais les langues des anges et des
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hommes, si je n'ai pas la charité, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit. Quand j'aurais le don de prophétie, que je connaîtrais tous les mystères, et que je posséderais toute science ; quand j'aurais même toute la foi, jusqu'à transpor- ter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens pour la nouriiture des pauvres, quand je livre- rais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la cha- rité, tout cela ne me sert de rien . . .
" Il y a trois choses qui demeurent : la foi, l'es- pérance, la charité ; mais la plus grande des trois, c'est la charité."
Quelle énergie et quelle beauté dans ce langage !
Chez les Corinthiens, comme à Jérusalem, comme à Athènes, comme à Rome, parmi les Juifs comme parmi les Gentils les plus civihsés, la grande controverse religieuse de cette époque avait pour sujet la résurrection des morts.
Paul le savait, et pendant les dix-huit mois qu'il avait passés à Corinthe il n'avait pas manqué d'en- seigner ce dogme fondamental du christianisme, la résurrection. Les Corinthiens avaient cru. Mais, après son départ, les discussions avaient recom- mencé.
Il y revient donc dans sa lettre :
" Je vous ai enseigné avant tout que le Clu-ist est mort pour nos péchés, et qu'il est ressuscité le troisième jour. Il est apparu à Céphas (Pierre),
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puis aux Douze. Après cela, il est apparu en une seule fois à plus de cinq cents frères, dont la plu- part sont encore vivants. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. Après eux tous, il m'est aussi apparu à moi, comme à l'avorton. Car je suis le moindre des apôtres, moi qui ne suis pas digne d'être appelé apôtre parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu ... Et voilà ce que vous avez cru.
"Or si le Christ est ressuscité, comment quel- ques-uns d'entre vous peuvent-ils dire mainte- nant qu'il n'y a point de résurrection des morts ? S'il n'y a point de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et votre foi est vaine. . . "
Et alors l'apôtre réaffirme sous toutes les for- mes que le Christ est vraiment ressuscité, que tous ceux qui l'affirment et qui l'ont vu ne sont pas de faux témoins ; que nous mourons tous dans Adam et que nous ressuscitons dans le Christ. . . et l'apôtre conclut :
" Mais, dira quelqu'un, comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent- ils ? Insensé ! ce que tu sèmes ne reprend pas vie, s'il ne meiu-t auparavant. Et ce que tu sèmes ce n'est pas le corps qui sera un jour. C'est un grain, une semence ; mais Dieu lui donnera un corps comme il l'a voulu, et à chaque semence il donne le corps qui lui est propre ...
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" Semé dans la corruption, le corps ressuscite incorruptible ; semé dans l'ignominie, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps animal, il ressuscite corps spirituel. . .
" Le premier homme (Adam) tiré de la terre est terrestre ; le second, (Jésus-Christ) qui vient du ciel est céleste ... Et de même que nous avons porté l'image du terrestre, nous porterons aussi l'image du céleste. Ce que j'affirme, frères, c'est que ni la chair ni le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu ... Il faut que ce corps corrup- tible revête l'incorruptibifité, et que ce corps mortel revête l'immortafité. . . "
Quelle lumière cet admirable enseignement de saint Paul répand sur le mystère de la mort et de la résurrection !
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XXV
SECONDE EPITRE AUX CORINTHIENS
C'est vers le temps de Pâques de Tan 57 que Paul avait envoyé sa première épître aux Corin- thiens, et il fut longtemps sans en avoir de nou- velles — ce qui lui causa bien des inquiétudes.
Avait-il été trop sévère ? Les avait-il trop blâmés, ses chers Corinthiens qu'il aimait pourtant de tout son cœur ? Et s'ils allaient se révolter contre son autorité, quelle ne serait pas sa douleur !
Quelques mois s'étaient écoulés, et il avait dû quitter Ephèse, toujours sans nouvelles de Corin- the. Il y avait envoyé Tite ; mais Tite n'avait pas écrit, et il ne revenait pas.
Pendant ce temps-là, les fidèles de la "Macédoine ne consolaient guère l'âme sensible de l'apôtre. Les uns restaient trop attachés aux choses de la terre ; les autres se laissaient égarer par les judaï- sants et persistaient dans les pratiques de la Loi mosaïque.
Par bonheur, il y avait retrouvé Luc et Timothée, qui étaient satisfaits des progrès que faisait la foi chrétienne et qui se mirent à son ser\'ice.
Enfin Tite arriva, et lui apporta les meilleures nouvelles de Corinthe. Sa lettre avait produit les résultats qu'il en attendait. Les divisions avaient
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cessé, et le p^i-and chagrin des Corinthiens était de l'avoir affligé. Le malheureux incestueux s'était converti, et les fidèles en général donnaient de meilleures exemples au point de vue des mœurs. Les temples de Vénus étaient de plus en plus aban- donnés. Tout cela réjouit le cœur de Paul. Mais sa joie ne fut pas sans mélange.
Tite lui avoua qu'il avait à Corinthe des enneniis qui ne désarmaient pas, et qui rejetaient avant tout l'autorité de son apostolat. " De quel droit, disaient-ils, Paul réclamait-il le titre d'apôtre ? Il n'avait jamais connu Jésus pendant sa vie mor- telle, et par conséquent il n'avait pu recevoir de lui la mission de prêcher l'Evangile. Il ne l'avait pas reçue non plus de Pierre, qu'il avait même combattu à Antioche. Quant aux autres apôtres, ils le comiaissaient à peine. . ."
Cette critique ne manquait pas d'habileté, et elle obhgeait Paul à raconter lui-même les faveurs extraordinaires dont il avait été l'objet de la part de Jésus-Christ. Naturellement il lui répugnait de se rendre témoignage à lui-même. Paul n'était pas seulement un grand saint. Il était aussi un grand homme, et il avait la fierté de sa vii-iUté, avec la modestie de ses mérites.
Cette critique, les Juifs la colportaient partout où sa prédication convertissait les foules, et rien ne le mortifiait davantage. Il en souffrait vivement au fond de son cœur, et il se sentait humiUé d'être
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forcé de se glorifier lui-même. Il le fallait cepen- dant, dans l'intérêt de sa mission et pour le succès de la vérité. " C'est vrai, était-il contraint de dire, je n'ai pas connu Jésus de Nazareth durant sa vie mortelle, mais j'affirme qu'il est descendu du ciel à Damas, où je le combattais avec fureur, qu'il m'a terrassé alors et vaincu et complètement changé. J'affirme qu'il m'a parlé et enseigné, qu'il a fait de moi son apôtre, de moi qui étais son ennemi, et qu'il m'a lui-même donné la mission de prêcher aux Gentils l'Evangile qu'il m'a lui-même enseigné. Tout cela est miraculeux, et j'en suis le seul témoin; mais je déclare que je dis la vérité. Et si vous n'en croyez pas ma parole, croyez-en mes œuvres."
" C'est vrai, était-il obHgé de dire encore, j'ai blâmé Pierre à Antioche, et j'avais raison. Sans doute, il ne soutenait pas la doctrine des judaïsants, mais il agissait comme eux, et il avait tort."
Mais quand il parlait ainsi, ses ennemis le trai- taient d'imposteur et d'orgueilleux.
Lorsque Tite lui eut appris que ces attaques persistaient à Corinthe, dans cette ville même ou sa prédication avait été si fructueuse, Paul fut d'a- bord accablé de douleur. Il regretta le temps de sa soHtude au désert et il fut tenté de se coucher par terre comme Ehe et de dire : " C'est assez, mon Dieu, prends mon âme, puisque je ne suis pas meil- leur que mes pères " ; mais cette désespérance ne dura pas, et reprenant courage il dicta à Timo-
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thée sa seconde épître aux Corinthiens, qui est un chef-d'œuvre à tous les points de vue, sui'tout comme apologie personnelle.
L'apôtre l'adresse " à l'Eglise de Dieu qui est à Corinthe et à tous les saints qui sont dans toute l'Achaïe " — ce qui prouve que dès lors l'Evangile n'avait pas été prêché seulement à Corinthe mais dans toute l'Achaïe, à Mycènes peut-être, à Argos, à Sparte, à Olympie, et jusqu'à Fatras. Selon la tradition, ce fut André apôtre, frère de Pierre, qui évangélisa Fatras.
Fuis il bénit Dieu qui le console dans ses tribu- lations afin qu'il puisse consoler les autres dans leurs afflictions. Mais que l'épreuve a été terrible ! " Nous avons été accablés, dit-il, au delà de nos forces, à tel point que nous désespérions même de la vie. Nous avions en nous-mêmes l'aiTêt de notre mort, mais nous avons mis notre confiance- en Dieu qui ressuscite les morts, et il nous a rendu la vie."
Il se réjouit des heureux fruits que sa première^ lettre a produits. Il recommande la charité et le- pardon envers le malheureux pécheur pubUc qu'il avait condamné, et qui a repris sa place dans- TEglise des fidèles. Ces résultats justifient son ministère, mais c'est à Dieu qu'il en rend grâces.
" Avons-nous besoin, comme certains gens de' lettres, de recommandations auprès de vous, ou de votre part ? C'est vous-mêmes qui êtes notre
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lettre, écrite dans nos cœurs, connue et lue de tous les hommes. Oui, manifestement, vous êtes une lettre du Christ, écrite par notre ministère, non avec de l'encre, mais par l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chah', sur vos cœurs."
Il loue alors, et il énumère les mérites du minis- tère apostolique.
" Nous nous rendons recommandables en toutes choses, comme des ministres de Dieu, par une gran- de constance dans les tribulations, dans les né- cessités, dans les détresses, sous les coups, dans les prisons, au travers des émeutes, dans les travaux, les veilles, les jeûnes ; par la pureté, par la scien- ce, par la bonté, par l' Esprit-Saint, par une charité sincère, par la parole de vérité, par la puissance de Dieu, par les armes offensives et défensives de la justice ; parmi l'honneur et l'ignominie, parmi la mauvaise et la bonne réputation ; traités d'im- posteurs et pourtant véridiques ; d'inconnus et pourtant bien connus ; regardés comme mourants, et pourtant toujours \ivants. . .
" O Corinthiens, notre cœur s'est élargi pour vous, mais les vôtres se sont rétrécis. Rendez-nous la pareille : élargissez vos cœurs. Ne vous atta- chez pas à un même joug avec les infidèles. Il n'y a pas d'accord possible entre le Christ et Bélial. Ne touchez pas à ce qui est impur, nous sommes les temples du Dieu vivant. . ."
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Dans la deuxième partie de sa lettre, l'apôtre invite les Corinthiens à prendre part à une collecte qu'il fait pour les chrétiens de Jérusalem, réduits à une grande pauvreté, et il leur dit : " Celui qui sème peu moissonnera peu, et celui qui sème abon- damment moissonnera abondamment . . . Pour vous Jésus-Christ s'est fait pauvre de riche qu'il était, afin de vous faire riches par sa pauvreté. . . Dieu aime celui qui donne avec joie. . ."
La troisième partie de l'épître contient l'apologie personnelle de son auteur. Elle est admirable, pleine d'esprit et de verve, comme l'œuvre d'un puissant polémiste.
Il commence par se moquer des faux apôtres qui se recommandent eux-mêmes. Se glorifier soi-même c'est de la folie. " Mais puisque vous, qui êtes sensés, vous supportez volontiers ces insensés, veuillez donc supporter de ma part aussi un peu de folie . . .
" De quoi que ce soit qu'ils osent se vanter, moi aussi je vais l'oser en parlant, non plus selon le Seigneur, mais comme un insensé. Sont-ils Hé- breux ? Moi aussi je le suis. Sont-ils Israélites ? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d'Abraham ? Moi aussi. Sont-ils ministres du Christ? Ah! je vais parler en homme hors de sens : — Je le suis plus qu'eux : bien plus qu'eux par les travaux, bien plus par les coups, infiniment plus par les emprisonnements ; souvent j'ai vu la mort de
14
194 PAULINA
près ; cinq fois j'ai reçu des Juifs quarante coups de fouet moins un ; trois fois j'ai été battu de ver- ges ; une fois j'ai été lapidé ; trois fois j'ai fait naufrage ; j'ai passé un jour et une nuit dans- l'abîme.
" Et mes voyages sans nombre, les périls sur les fleuves, les périls de la part des brigands, les périls de la part de ceux de ma nation, les périls de la part des Gentils, les périls dans les \dlles, les périls dans les déserts, les périls sur la mer ; les périls de la part des faux frères, les labeurs et les peines, le& nombreuses veilles, la faim, la soif, les jeûnes mul- tipliés, le froid, la nudité.
" Et sans parler de tant d'autres choses, rappe- lerai-je mes soucis de chaque jour, la solUcitude de toutes les Eghses? Qui est faible que je ne sois faible aussi ? Qui \dent à tomber sans qu'un feu me dévore ? . . .
" Faut-il se glorifier encore ? J'en viendrai à des visions et à des révélations du Seigneur. Je connais un homme dans le Christ qui, il y a qua- torze ans, fut ravi jusqu'au troisième ciel. Si ce fut dans son corps, je ne sais ; si ce fut hors de son corps, je ne sais : Dieu le sait. Mais je sais que cet homme fut enlevé dans le paradis, et qu'il a entendu des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de révéler.
" C'est pour cet homme-là que je me glorifierai ; mais pour ce qui est de ma personne, je ne me ferai
PAULIN A 195
gloire que de mes faiblesses. Certes, si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je di- rais la vérité ; mais je m'en abstiens afin que per- sonne ne se fasse de moi une idée supérieure à ce qu'il voit en moi, ou à ce qu'il entend de moi. Et de crainte que l'excellence de ces révélations ne vînt à m'enfler d'orgueil, il m'a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan pour me souf- fleter (afin que je ne m'enorgueillisse point). A son sujet, trois fois j'ai prié le Seigneur de l'écarter de moi, et il m'a dit : " Ma grâce te suffit, car c'est dans la faiblesse que ma puissance se montre tout entière."
" Je préfère donc bien volontiers me glorifier de mes faiblesses, afin que la puissance duChiist habite en moi. C'est pourquoi je me plais dans les faiblesses, dans les opprobres, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les détresses pour le Christ ; car lorsque je suis faible c'est alors que je suis fort.
" Je viens de faire l'insensé ; vous m'y avez contraint. C'était à vous de me recommander ; car je n'ai été inférieur en rien à ceux qui sont les apôtres, quoique je ne sois rien. Les preuves de mon apostolat ont paru au milieu de vous par une patience à toute épreuve, par des signes, des pro- diges et des miracles. . .
" Pour la troisième fois je vais aller chez vous. Ma crainte, c'est qu'à mon arrivée je ne vous trouve
196 PAULIN A
pas tels que je voudrais, et que par suite vous ne me trouviez tel que vous ne voudriez pas. Je crains de trouver parmi vous des querelles, des rivalités, des contestations, des troubles. Je crains d'avoir à pleurer sur les impuretés et les fornications de plusieurs. . . Je vous écris ces choses pendant que je suis loin, afin de n'avoir pas à user de sévérité quand je serai près de vous. . ."
C'est en lisant ces lettres que l'on peut juger de la puissance de l'orateur et des merveilleux dis- cours que les Corinthiens et les Galates et les Romains et les Ephésiens et les Hébreux ont dû entendre.
Hélas ! les \Tais discours ont été perdus ; mais par bonheur, nous en retrouvons l'enseigne- ment, et même souvent la forme oratoire dans plusieurs de 'ses épîtres.
PAULIN A 197
XXVI
GALATES INSENSÉS !
Réunies ensemble,^les épîtres du grand apôtre forment en quelque sorte un cinquième évangile.
Mais elles ne sont pas, comme l'œuvre des qua- tre évangélistes, un récit historique. Elles sont plutôt un enseignement doctrinal, une démonstra- tion de la religion de Jésus-Christ, une défense contre les attaques de ses ennemis.
Plusieurs sont des œuvres d'apologétique et même de polémique contre les premiers héréti- ques, qu'on appelait les judaïsants.
De ce genre sont les épîtres aux Corinthiens et aux Galates.' C'est cette dernière qu'il nous faut maintenant jeproduire.
Comme à-^Corinthe, des dissensions reUgieuses avaient surgi dans les EgUses de la Galatie. Elles se laissaient^ entraîner hors des sentiers de la vérité par divers^docteursi judaïsants qui venaient de Jérusalem.
Paul a|^rencontré partout ces fauteurs de dis- corde qui prétendaient seuls prêcher la \Taie doctrine et qui en vérité ne faisaient que mêler l'ivraie au bon grain.
Leur doctrine fondamentale était que les prati-
198 PAULIN A
ques mosaïques et surtout la circoncision étaient encore nécessaires à la sanctification. La justifica- tion par la seule foi en Jésus-Christ que Paul prêchait était en conséquence une hérésie, d'après eux.
D'ailleurs, disaient-ils, Paul n'avait pas l'au- torité apostolique. Sa mission n'avait pas une origine réguhère. Son ministère ne lui venait pas des chefs de l'Eglise instituée, ni de Jésus- Christ, qu'il n'avait pas connu pendant sa vie mortelle, et dont il avait même persécuté les disciples.
Les Galates descendaient des Gaulois, et ils étaient légers et instables comme leurs ancêtres. Il n'y avait pas longtemps que Paul leur avait en- seigné la vérité, et c'était tout récemment qu'ils lui avaient témoigné leur confiance et leur atta- chement. Et voilà qu'ils s'étaient laissés séduire par les faux docteurs, et qu'ils doutaient de la mis- sion du grand apôtre et de la vérité de son ensei- gnement.
Quelle douleur pour saint Paul ! Il en a l'âme bouleversée, et sa première parole sera l'affirmation énergique de son autorité et de sa dignité.
Ah ! l'on met en doute sa qualité d'apôtre ? Mais qui donc est plus apôtre que lui ? Qui donc a reçu de plus haut le ministère apostohque ? Je me le représente dans une attitude pleine de ma- jesté, et sous l'empire d'une forte émotion, quand
PAULIN A 199
il adresse à ses ouailles infidèles cette noble et fière salutation :
" Paul, apôtre, non de la part des hommes, ni par un honune, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père, aux Eglises de Galatie, que la paix et la grâce vous soient données ! "
0 Galates, semble-t-il leur dire ne me reconnais- sez-vous pas ? C'est moi, Paul, l'apôtre qui vous a évangélisés avec tant d'affection. Je vous l'ai dit alors, ce ne sont pas des hommes qui m'ont envoyé vers vous, et ce n'est pas un homme qui m'a fait apôtre. C'est Jésus-Christ et Dieu le Père qui m'ont donné la consécration apostolique, et c'est par eux que la paix et la grâce vous seront données.
Quel prologue ? Et dans quelles hauteurs le subhme apôtre emporte ses ouailles avant de leur reprocher leur inqualifiable erreur ?
Et, sans plus tarder, il leur dit : "Je m'étonne que vous vous détourniez si vite de celui qui vous a appelés à la grâce du Christ, pour passer à un autre Evangile ; non qu'il y ait un autre Evangile, non, il n'y en a pas d'autre ; et si un ange venu du ciel vous annonce un autre Evangile, qu'il soit ana- thème !
" Je vous l'ai dit précédemment, et je vous le déclare de nouveau, l'Evangile que je vous ai prêché n'est pas de l'homme, car ce n'est pas d'un homme, mais de Jésus-Christ lui-même que je l'ai appris . . .
200 PAULINA
Dans ce que je vous écris, j'atteste devant Dieu que je. ne mens point."
Quelle énergie dans l'affirmation ! Et quelle vivacité dans l'expression !
On prétend qu'il n'a pas reçu son autorité des chefs, de ceux que l'on considère comme des colon- nes de l'Eglise. Ecoutez sa réponse pleine de vie et de mouvement. Après avoir raconté ses voyages à Jérusalem et ses entre\aies avec les chefs, il ajoute :
" Quant à ceux qu'on tient en si haute estime — ce qu'ils ont été autrefois ne m'importe pas : Dieu ne fait point acception des personnes — ces hommes si considérés n'ont rien ajouté à ma doc- trine. Au contraire, voyant que l'Evangile m'a- vait été confié pour les incirconcis, comme à Pierre pour les circoncis, — car celui qui a fait de Pierre l'apôtre des circoncis a aussi fait de moi l'apôtre des Gentils — et ayant reconnu la grâce qui m'a- vait été accordée, Jacques, Céphas et Jean, qui sont regardés comme des colonnes, nous donnèrent la main, à Barnabe et à moi, en signe de com- munion, pour aller, nous aux païens, eux aux circoncis. . .
" Mais lorsque Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il était digne de blâme. En efïet, avant l'arrivée de certains personnages qui venaient d'auprès de Jacques il mangeait avec les païens, mais quand ils furent venus, il s'esquiva
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et se tint à l'écart, par crainte des circoncis. Avec lui, les autres Juifs usèrent aussi de dissimulations, en sorte que Barnabe lui-même s'y laissa entraîner. Voyant qu'ils ne marchaient pas dans la voie droite de la vérité de l'Evangile, je dis à Céphas en pré- sence de tous : Si toi, qui es juif, tu vis à la ma- nière des Gentils et non à la manière des Juifs, comment peux-tu forcer les Gentils à judaïser ? "
Il va sans dire que Paul ne reproche pas à Pierre d'avoir erré dans la doctrine. Ils sont d'accord sur les principes, et tous les deux savent que l'homme est justifié par la foi en Jésus-Christ et non par les œuvres de la Loi (mosaïque). Ce qu'il reproche à Pierre c'est d'observer, en présence et par crainte des Juifs, certaines pratiques des judaïsants. Ni Pierre, ni les autres apôtres, n'ont résisté à Paul à ce sujet. C'est une faute de conduite, qui fait très bien comprendre que le chef de l'Eglise n'est pas impeccable, ce qui ne l'empêche pas d'être in- faillible.
Tantôt Paul s'indigne, et il s'écrie : " O Galates insensés ! Qui donc a pu vous fas- ciner pour ne pas obéir à la vérité, vous aux yeux de qui j'ai tant de fois évoqué pour l'imprimer en vous Jésus-Christ crucifié ? . . . Est-ce par les œu- vres de la Loi que vous avez reçu l'Esprit ou par la prédication de la Foi ? Avez-vous si peu de sens qu'après avoir commencé par l'esprit vous finissiez par la chair? "...
202 PAULINA
Et pour leur faire bien comprendre ce qu'ils sont devenus par la Foi, il leur montre toute la subli- mité de leur nouvelle condition dans ce magnifique langage :
" La loi a été notre pédagogue pour nous con- duire au Christ, afin que nous fussions justifiés par la Foi. Mais la Foi étant venue nous ne som- mes plus sous un pédagogue. Vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ. Par le baptême TOUS avez revêtu le Christ. Il n'y a plus ni juif ni grec ; il n'y a plus ni esclave ni homme libre. . . Tous vous êtes au Christ. . ."
Tantôt, Paul s'émeut au souvenir de l'affection que ses chers Galates lui ont témoignée. Il était allé chez eux malade, soumis à diverses infirmités, souffrant d'une ophtalmie qui le rendait presque aveugle et il n'oubUait pas les bontés qu'ils avaient eues pour lui :
" Vous ne m'avez témoigné ni mépris, ni ré- pulsions ; vous m'avez reçu comme un ange de Dieu, comme Jésus-Christ. Que sont devenus ces sentiments ? Car je vous rends témoignage que, si cela eût été possible, vous vous seriez arra- chés les yeux pour me les donner . . . Mes petits enfants, pour qui j'éprouve de nouveau les dou- leurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous, combien je voudrais être au- près de vous à cette heure ! . . . "
Sans doute, les Galates ne restèrent pas insensi-
PAULINA 203
bles à ces paroles si tendres de l'apôtre. Mais la question en litige entre Paul et les judaïsants con- tinua d'être agitée, surtout à Jérusalem et à An- tioche.
Elle fut bientôt résolue par le Concile de Jéru- salem auquel Paul reçut l'accueil le plus fraternel, €t entendit Pierre approuver son enseignement.
XXVII L'ORACLE DE DELPHES
Paul était encore à Corinthe lorsque le proconsul de Chypre y arriva avec sa femme et sa fille. Ce fut pour lui une grande joie de les revoir. Mais Chryséis eut la douleur d'apprendre en y arri- vant que son père était mort depuis quelques jours. Elle prit un grand deuil, avec sa fille, et vécut pendant plusieurs mois dans l'isolement. La vue du pays natal lui apportait cependant des consolations.
Ce deuil fut en même temps une occasion pour Chryséis et sa fille de réfléchir sérieusement sur les problèmes religieux qu'elles avaient tant de fois entendu débattre entre Sergius Paulus et son ami Paul. De plus en plus, elles étaient attirées
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vers la foi chrétienne. Mais dans cette chère ville de Corinthe, Chryséis se sentait encore plus at- tachée au culte d'Apollon par tous ses souvenirs d'enfance, et par les enseignements de son père. Cependant l'heure de sa conversion approchait, et elle se produisit dé la façon extraordinaire que nous allons raconter.
Dans ses promenades au bord de la mer, Chry- séis tournait souvent ses regards vers les sommets du Parnasse, et elle disait à son mari : " C'est là-haut, à Delphes, que je voudrais aller encore une fois. Toute ma vie, je me souviendrai d'y être allée quand j'étais jeune fille, accompagnée de mon père qui était prêtre d'Apollon. Nulle part je n'ai vu pareille merveille. La nature y pro- digue ses grandeurs et ses beautés ; et l'art humain n'a réahsé nulle part en l'honneur d'Apol- lon un plus bel assemblage de temples, de porti- ques, de colonnes et de statues. Je voudrais y revoir le temple d'Apollon Pythien et consulter la Pythie. Je ne puis pas croire que ses oracles auxquels tant de peuples ont cru pendant tant de siècles ne soient que des supercheries sacer- dotales. Mon père y croyait, il m'a appris à y croire ; comment n'y croirais-je pas ?
— Chère Chryséis, dit Sergius Paulus, rien ne vous détachera donc des dieux du paganisme ?
— Je crois encore à Apollon et à Diane, mais j'ai renoncé à tous les autres. Diane sjonboUse
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pour moi les chastes beautés de la nuit. Elle les éclaire d'une pâle clarté, sans en révéler les mystères, et sans en souiller la pureté. Elle est la sœur d'Apollon, qui est le dieu du jour. Et puis, il me semble qu'il y a quelque ressemblance entre Apollon et votre Jésus qui est fils de Dieu, comme Apollon est fils de Jupiter, qui a été exilé pendant un temps sur terre, comme Apollon chassé de l'Olympe, qui a écrasé la tête du ser- pent, comme Apollon a tué le serpent Python.
— Il y a cette différence que l'histoire de Jésus est vraie, et que celle d'Apollon n'est qu'une fable ; et si ces fables sont l'œuvre du démon, comme nous le croyons, il n'est pas étonnant qu'il ait imité dans ses inventions les réalités divines.
— Ecoutez, Sergius, allons ensemble à Delphes. C'est une ville admirable à voir, et j'y consulterai l'oracle. Je ne suis plus une enfant, et vous m'avez appris beaucoup de choses. S'il y a quelque su- percherie dans la réponse que la Pytliie me fera, je la découvrirai, et je cesserai de croire en Apol- lon.
— Quelle question a^'ez-vous l'intention de poser à l'oracle ?
— Je vous le dirai là-bas. Il faudra d'abord que ma question soit permise par le Conseil des Amphictyons, et je ne puis pas savoir quelles modifications ils m'imposeront peut-être. "
Sergius Paulus resta quelques instants sans
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répondre, et comme Paulina insistait sur la beauté du voyage à faire, Sergius y consentit.
Dès le lendemain matin, une felouque élégante, montée par six rameurs, vint les prendre au port de Lechseon, et ils traversèrent la mer de Crissa. Le temps était radieux, et les rameurs se conten- tèrent de chanter ; car une jolie brise du midi enflait les voiles ; et après six heures de naviga- tion ils débarquèrent dans la baie de Crissa (aujourd'hui Itéa).
La nuit était venue quand ils arrivèrent à Delphes, après une ascension de trois heures à cheval. Ils étaient las, et furent heureux d'avoir une longue nuit de sommeil.
C'est au soleil du matin qu'il faut voir Delphes et en admirer la merveilleuse structure et les pittoresques beautés. Ce n'est pas seulement un site incomparable pour un temple, mais la dispo- sition et les proportions colossales de ses monta- gnes semblent formjer une demeure que le Créateur s'est bâtie lui-même sur terre, à l'origine des choses. Ses énorm^es rochers en granit rouge, ses escarpements taillés com.mie des murailles, ses ravins pleins d'ombre et de mystère, forment une architecture grandiose qui élève l'âme. Instinc- tivemient, on y songe au di\'in, et on le cherche alternativement dans les profondeurs ténébreuses et sur les cimes éclatantes de lumière.
On dirait que les montagnes ont été soulevées,
PAULINA 207
secouées, brisées, déchirées dans un grand cata- clysme du chaos primitif, et soudainement immo- bilisées pour servir d'assises à toute une ville de temples. Leurs enfoncements et leurs angles ont des échos formidables, et semblent construits pour répéter les paroles d'un dieu. Ce n'est pas étonnant que les poètes et les artistes de la Grèce vinrent ici pendant des siècles chercher leurs inspirations, et qu'Apollon ait choisi ce lieu pour y rendre ses oracles. S'il y a un endroit sur terre où les phyties et les sybilles puissent pénétrer les mystères des dieux, et prévoir les choses à venir, n'est-ce pas ici ?
Sergius partageait l'admiration de sa femme en contemplant toutes ces grandeurs et ces beautés de la nature delphinienne, et Paulina était dans- l'enthousiasme.
" Voyez donc, disait-elle, cette belle fontaine^ Castalie qui jaillit comme un jet de lumière des flancs sombres du Parnasse, et dont le chant ra\'it la solitude. Voyez comme elle descend des som- mets en brisant son cristal sur les cailloux, et conmie elle précipite ses gouttes lumineuses jusque dans les profondeurs du Pleistos.
— Admirez maintenant, disait Chryséis, ce beau ciel bleu d'où le soleil descend en souriant. Il était voilé de brouillard ce matin. Un vent léger s'est levé ; il a balayé l'azur comme un parvis sacré, et maintenant la mosaïque céleste resplendit-
208 * PAULINA
— Chère Chryséis, reprenait Sergius, il s'opère des métamorphoses de ce genre dans les âmes. Des nuages épais les enveloppent quelquefois et les empêchent de voir la vérité ; mais, un jour, un grand vent inattendu se lève dans ces âmes. Il en dissipe les ombres, et des grâces imméritées descendent sur elles comme les ondes de cette fontaine sur les rochers, et en lavent toutes les souillures.
— C'est peut-être ici, Sergius, que mon âme recevra ce bienfait de lumière et de purification que vous désirez pour moi depuis si longtemps.
— Ce n'est pourtant pas l'oracle d'Apollon qui vous donnera la foi en Jésus-Christ.
— Je ne sais pas, mais je vous avoue que c'est là-dessus que je vais le consulter. Oui, je vais lui poser cette question : Jésus de Nazareth est-il Dieu ?
— Ma chère amie, vous avez là une étrange idée. Comment vous est-elle venue à l'esprit ? Ne vous ai- je pas dit bien des fois que c'est le démon qui parle par la bouche de la Pythie, et qu'il est le père du mensonge ?
— Oui, mais vous m'avez dit aussi que le démon sait beaucoup de choses, et qu'il dit quelquefois la vérité, soit parce qu'il a quelqu' intérêt à la dire, soit pour d'autres raisons que nous ne con- naissons pas. Et votre ami Paul nous a raconté lui-même qu'il y a quelques mois, à PhiUppes, en
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Macédoine, une pythonisse le poursuivait sur le chemin et criait qu'il était le serviteur du Dieu Très-Haut.
— C'est vrai, et Luc raconte qu'à Capharnaûm les démons chassés par Jésus lui criaient : " Tu es le fils de Dieu ! "
— Eh ! bien, si c'est le même démon qui inspire la Pythie de Delphes, il me dira peut-être la vérité sur votre Jésus de Nazareth.
— Vous avez peut-être raison, et je me souviens maintenant d'avoir entendu raconter, à Rome, que l'empereur Auguste est venu un jour con- sulter l'oracle de Delphes, et lui a posé cette ques- tion : " Qui sera mon successeur ?" — et que l'oracle lui a répondu : "Ce sera un enfant hébreu qui exerce son empire sur les dieux eux-mêmes. "
— Vous voyez bien, mon ami, que l'oracle est très capable de répondre à ma question. "
Sergius Paulus baissa la tête en souriant, et ils continuèrent leur promenade au milieu des merveilles de la ville des temples.
L'enthousiasme de Paulina allait croissant. Elle marchait en tête de ses parents, et remontait la voie sacrée, bordée des sanctuaires qui conte- naient les trésors et les ex-voto de toutes les \'illes de la Grèce. Que de monuments, que de chefs- d'œuvre, appartenant aux styles les plus variés d'architecture, exprimant la reconnaissance des peuples envers Apollon ! Ici c'étaient les figures
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210 PAULINA
de bronze offertes par les Arcadiens à la suite d'une expédition victorieuse d'Epaminondas ; là c'était un portique orné de statues élevé par les Spartiates, après la victoire d'^gos-Potamos. A côté c'était un monument attribué à Phidias, érigé par les Athéniens après la bataille de Ma- rathon. Plus loin, un ex-voto d'Argos, formant deux grands hémicycles où se dressaient les su- perbes statues des héros Argiens. Suivaient les trésors de Sicyone, de Cnide, de Thèbes, de Co- rinthe, des Béotiens, des Thessaliens, et des ex- voto et des autels affectant toutes les formes, rectangulaires, circulaires, polygonales, et par- tout d'innombrables statues en marbre, en bronze, en granit. Il semblait que la voie sacrée circulait à travers un vaste musée de sculpture et d'archi- tecture où \dvaient dans le marbre tous les héros de la Grèce, tous les demi-dieux de la Fable, et tous les dieux de l'Olympe.
Et la voie montait toujours en serpentant jusqu'à ce qu'elle arrive au portique majestueux du temple d'Apollon, qui dominait tous les autres édifices, au centre de la colUne, et qui ressemblait au Parthénon d'Athènes. " Ah ! mon père, que c'est beau, disait Paulina. Si Apollon, chassé de l'Olympe, n'y est jamais remonté, ce doit être parce qu'il a trouvé le séjour de Delphes plus beau ! "
Plus haut dans la montagne c'était le Théâtre.
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Plus haut encore, au-dessus même de la coupole du temple, c'était le Stade long d'environ six cents pieds.
" Quel abîme que ce ravin du Pleistos, disait Paulina. C'est là peut-être que vivait le serpent Python.
— Je ne sais plus, répondit Sergius ; mais c'est possible, puisque le trépied de la Pythie est recouvert, dit-on, de la peau de ce serpent. Si cette montagne sauvage que l'on nomme Kir- phis, et qui est devant nous, n'était pas là, nou» verrions d'ici, par-dessus la mer, notre belle Co- rinthe, et Athènes et toute la Grèce ! Quel admirable point de vue nous aurions sous les yeux !
— Oui, dit Chiyséis, mais n'est-ce pas assez pour charmer nos regards de voir à nos pieds cet incomparable assemblage de portiques, de fron- tons, d'hémicycles, de péristyles, de colonnades, de rotondes, de tours et de coupoles, avec leur peuple de statues ?
— C'est vraiment merveilleux, " dit Sergius Paulus. Et ils redescendirent lentement la voie sacrée pour en admirer encore les sculptures, les ex-voto, et toutes les œuvres d'art.
Ils s'assirent au bord de la fontaine CastaUe, et se désaltérèrent à ses eaux limpides, en contem- plant émerveillés la colossale muraille blanche des Phœdriades. De là ils descendirent jusqu'à la
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grande route qui forme corniche au bord du Pleis- tos, ils traversèrent sur un pont de marbre le torrent tumultueux formé par la fontaine CastaUe, €t ils allèrent visiter une autre série de temples échelonnés sur deux terrasses inférieures, au sud de la grande route qui conduit à Thèbes.
C'est là que Chryséis devait venir le lendemain commencer le pèlerinage exigé de tous ceux qui étaient admis à consulter l'oracle. Car ce n'était pas tous les jours que l'oracle se prêtait aux con- sultations, et le lendemain était le jour et la se- maine fixés par les règlements. Déjà, Chryséis était allée seule soumettre sa question au Conseil des Amphictyons, car son mari lui avait dit : " Je ne puis pas comme chrétien prendre part à cet acte de dévotion à Apollon. "
L'accueil des Amphictyons avait d'abord été peu encourageant ; mais lorsque Chryséis leur eut dit qu'elle était la femme du proconsul de Chypre, et la fille d'un prêtre d'Apollon à Corinthe, et surtout quand elle eut montré les pièces d'or qu'elle apportait au collège des prêtres d'Apollon, toutes les objections cessèrent, et sa demande fut accordée très volontiers. Chryséis était en- chantée de son succès, et tout heureuse en même temps de voir son mari et sa fille pleins d'admi- ration pour la ville des temples. Elle était loin de prévoir la terrible aventure qui l'attendait.
Le lendemain, à l'heure convenue, elle se rendit
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avec sa fille sur la terrasse inférieure des temples, et elle fit sa première station dans le temple d' Athé- na Pronœa. Là se trouvait l'autel des holocaustes, et Chryséis dut y faire immoler un agneau. De là elle remonta la rampe qui la conduisit à la fon- taine Castalie, et elle s'y purifia. La Pythie venait elle-même de s'y purifier, et Chryséis se mit à sa suite pour se rendre au temple d'Apollon. D'autres pèlerins sui\drent, et la procession défila lentement, gravissant la voie sacrée de terrasse en terrasse, et chantant l'hymne à Apollon. En- veloppée de longs voiles blancs, une branche de laurier à la main, et une feuille de laurier à la bouche, la Pythie pénétra seule dans les substruc- tions du temple, pendant que le cortège se ran- geait dans le parvis supérieur et sous le portique du vestibule.
Au fond du temple s'ouvrait dans le pavé l'antre prophétique dont on ne voyait pas la profondeur mystérieuse, et d'où montaient des vapeurs stupéfiantes. Au-dessus, on distinguait vaguement le trépied de la Pythie, posé sur un piédestal qui avait la forme de trois serpents entrelacés.
Chryséis et Paulina s'étaient placées aussi près que possible de l'ouverture de l'antre, et elles virent la Pythie monter du fond par un escaher circulaire très étroit, et prendre place sur le trépied. Les prêtres d'Apollon logés dans les
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profondeurs firent entendre des chants bizarres et monotones, et bientôt des nuages de vapeurs enveloppèrent la Pythie sur son trépied.
" J'ai peur, dit PauUna ; ne pourrions-nous pas sortir d'ici ? "
Chryséis était elle-même prise de terreur, et elle se disait : " Mon mari a raison, c'est le démon qui habite ici. "
Tout à coup la Pythie fit entendre des gémis- sements et des lamentations ; ses bras s'agitèrent ; sa tête se dressa en secouant sa chevelure, et d'une voix forte elle prononça ces étranges paroles : " Mon règne achève. Le Dieu de Nazareth triom- phe. Mais le grand serpent Python vit encore, et il luttera jusqu'à la fin ! "
Elle dit, et poussant un grand .cri elle se préci- pita du haut de son trépied dans les profondeurs de l'antre ténébreux. Le trépied lui-même se brisa comme un vase de verre. Tout le temple fut secoué violemment, et les colonnes chance- lèrent comme des ramures au vent.
Chryséis et PauUna s'élancèrent au dehors en poussant des cris déchirants, et quand elles furent sur la voie sacrée, elles virent d'énormes rochers se détacher des sommets et rouler avec fracas jusque sur les portiques du temple qui s'écroulèrent. La statue du dieu qui dominait le fronton tomba et sa tête roula jusqu'au milieu des tombeaux qui bordaient la grande route.
PAULINA 215
Sergius Paiiliis qui n'était pas éloigné accourut sur la voie sacrée et reçut dans ses bras sa femme et sa fille épouvantées mais sauves. Tout éner- vées et tremblantes, elles voulurent repartir immédiatement pour Corinthe ; et elles répé- tèrent exactement à Sergius Paulus les paroles de la Pythie.
Celui-ci put à peine se rendre compte des dé- sastres causés par le tremblement de terre. Le temple d'Apollon était détruit ; la Pythie et plusieurs prêtres étaient ensevelis sous les ruines. La plupart des autres sanctuaires étaient fort endommagés, et un grand nombre de statues avaient été renversées et brisées.
La course à cheval pour regagner la mer récon- forta les deux femmes, et quand elles furent à bord de la felouque qui les ramenait à Corinthe, elles purent causer avec Sergius Paulus du terrible événement dont elles devaient garder toujours le souvenir.
" Sergius, dit Chryséis, à dater d'aujourd'hui ton Dieu sera le nôtre, et toi qui le sers depuis longtemps, tu le prieras de nous pardonner d'avoir tant différé de croire en lui.
— Oui, certes, et vous ne pouvez pas douter de son pardon, après la grâce qu'il vous a faite aujourd'hui. Paul m'avait bien dit que le démon était forcé de dire la vérité quand on le question- nait au nom de Jésus-Christ. Je n'ai aucun doute
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que tout ce que l'oracle vous a répondu est la vérité.
" Son règne achève, et le Christ triomphe. Mais le serpent Python, c'est-à-dire le démon, \dt toujours, et il ne cessera jamais de lutter contre le royaume de Jésus-Christ. Les noms d'Apollon, de Zeus, de Vénus, et de Bacchus, sous lesquels il se faisait rendre un culte, vont tomber dans l'oubli ; mais les passions et les forces que ces noms représentaient seront toujours à son service. "
XXVIII PAUL A ÉPHÈSE
Grâce à la protection de Gallion, frère de Sé- nèque et proconsul d'Achaïe, Paul avait prolongé son séjour à Corinthe, et il y avait établi une égUse nombreuse. Mais il projetait d'aller à Jéru- salem et de revenir ensuite à Ephèse, qu'il n'avait pas encore évangéUsée.
Il quitta donc Corinthe, et ses amis PrisciUa et Aquila l'accompagnèrent jusqu'à Ephèse. Il n'y passa que quelques jours, mais il promit d'y revenir. Et après un court séjour à Jérusalem, où il rencontra peu d'encouragement pour l'évangé- lisation des Gentils, il alla à Antioche où il fut
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accueilli avec une grande joie. On imagine aisé- ment avec quel intérêt les chrétiens de cette ville entendirent les récits de ses prédications et de ses succès parmi les Gentils de l'Asie Mineure, de la Macédoine et de la Grèce. Il s'y attarda plus longtemps qu'il n'aurait voulu. Puis il reprit la route d'Ephèse, en passant à travers la Cilicie, la Phrygie et la Galatie. C'est dans l'au- tomne de l'an 55 qu'il arriva dans la ville que le culte de Diane avait rendue si célèbre.
A cette époque, Ephèse était une ville floris- sante, en relations commerciales avec tous les peuples des rivages méditerranéens, et avec les villes de l'intérieur des provinces romaines d'Asie. Mais sa principale attraction était le temple de Diane, septième merveille du monde. Il formait un vaste quadrilatère de 425 pieds de longueur, sur 220 pieds de largeur, entouré d'une double colonnade qui mesurait 60 pieds de hauteur. Une large frise, imitée du Parthénon, couronnait cette colossale rangée de colonnes au nombre de 127, et sur la pointe du fronton se dressait dans sa gaine étrange la statue vénérée de Diane.
Certes, elle était bien loin de ressembler à la Minerve qui couronnait le fronton du Parthénon, et nul n'aurait pu l'attribuer au génie de Phidias. Elle était plutôt de forme monstrueuse ; car tout le haut de son corps était un horrible assemblage de mamelles, et ses jambes étaient serrées dans
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une gaine qui se terminait en pointe. Combien différente était la Diane de l'art grec, l'élégante chasseresse, avec son croissant au front, son arc à la main, et son carquois sur l'épaule ! Mais, en dépit de ses difformités, la Diane d'Ephèse était très populaire, et l'intérieur de son temple était l'un des plus riches du monde. Toutes les provinces de l'Asie avaient contribué à sa cons- truction qui avait duré deux cents ans, et les nombreux étrangers qui venaient de toutes parts le visiter l'embellissaient et l'ornaient d'innom- brables œuvres d'art en marbre, en bronze et en or. C'est à l'ornementation intérieure que les grands artistes de l'antiquité avaient contribué, et l'on y admirait les chefs-d'œuvre de sculpture et de peinture signés des plus grands noms.
Quoique la grande déesse fût considérée comme une vierge, le culte que les Ephésiens lui rendaient était bien loin d'être pur ; et les grandes fêtes qu'ils célébraient en son honneur dégénéraient en d'impudiques bacchanales. Mais les Ephésiens ne se contentaient pas de ce culte. Ils s'adonnaient à la magie, à la sorcellerie, aux évocations des morts et des démons.
Comment saint Paul allait-il transformer cette ville en un centre chrétien des plus florissants ? Ce fut l'un de ses plus étonnants prodiges.
Il y passa plus de deux ans à prêcher le nouvel Évangile, en toute Uberté. La synagogue lui fut
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ouverte pendant trois mois, et le reste du temps il fut admis à continuer ses prédications dans l'école d'un grec nommé Tyrannos, et sur les places publiques. Ses succès ne furent pas dus à sa prédication seulement, mais aussi à ses nom- breux miracles. Les malades le recherchaient partout, et il les guérissait tantôt par un simple attouchement, tantôt par une invocation au nom de Jésus. On s'arrachait même les vêtements qu'il portait, et en les apphquant sur le corps des ma- lades ceux-ci étaient guéris. Un grand nombre de possédés étaient aussi délivrés du démon, et pas un esprit mahn ne résistait aux ordres de Paul parlant au nom de Jésus. Ses exorcismes faisaient sensation dans cette population livrée aux pra- tiques de la magie et du spiritisme.
Or, il y avait à Ephèse un grand-prêtre juif nommé Scéva, qui avait sept fils, et qui les em- ployait à détruire par tous les moyens le prestige de l'apôtre. Ils s'imaginèrent qu'ils pourraient, eux aussi, se faire obéir par les démons, en les commandant comme Paul au nom de Jésus. Ils s'approchèrent donc d'un possédé qu'ils con- naissaient, et qui fréquentait l'Agora ; et ils lui dirent : "Je vous adjure et vous ordonne, au nom de Jésus que Paul prêche, sortez de cet homme ! " Mais l'esprit mahn leur répondit : " Je connais Jésus et je sais qui est Paul, mais vous, qui êtes-vous ?" Et le possédé pris de
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fureur se jeta sur les exorcistes effrayés, leur arra- cha leurs vêtements et les roua de coups. Ils ne furent pas tentés après cela de renouveler l'expé- rience, et le public comprit qu'il n'était pas donné à tout le monde de commander aux esprits malins, même en se servant du nom de Jésus, et que cette puissance de Paul n'appartenait pas au grand- prêtre, ni à ses fils.
Cet événement fit grand bruit parmi les pré- tendus magiciens, et les praticiens du merveilleux. Ils confessèrent leurs superstitions à Paul et à ses compagnons d'apostolat, et, pour réparer leurs fautes, ils apportèrent leurs livres de magie sur la place publique, et y mirent le feu. On calcula qu'on en avait brûlé pour une valeur de cinquante mille pièces d'argent.
Paul avait repris à Ephèse sa vie de travailleur dans la boutique d'Aquila, mais ses prédications lui laissaient peu de loisirs ; et comme il refusait l'assistance de ses disciples, il \'ivait toujours très pauvrement, même au sein de cette ville opulente d'Ephèse.
C'est ainsi qu'il écrivait alors aux Corinthiens :
" A cette heure encore, nous souffrons la faim, la soif, la nudité. Nous n'avons ni feu, ni lieu, et nous nous fatiguons à travailler de nos propres mains. Nous sommes les balayures du monde, le rebut des hommes. " (1^"^^ épître, chap. IV.)
Mais dans sa deuxième épître, écrite quelques
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mois après d'Ephèse ou de Macédoine, il disait : " Notre homnie extérieur dépérit, mais notre homme intérieur se renouvelle. Nous savons que si cette tente (notre corps) vient à être détruite, nous avons une maison qui est l'ouvrage de Dieu, une demeure éternelle dans le ciel ... ''
Malgré son dénûment et ses souffrances phy- siques, Paul était donc heureux dans ces jours passés à Ephèse, parce qu'il se rendait compte des progrès extraordinaires de l'œuvre aposto- lique. Il avait avec lui son bien-aimé Timothée, qui allait être le premier évêque d'Ephèse, et d'autres disciples qui répandaient la foi dans les grandes villes de Smyrne, de Pergame, de Colosses, de Sardes et d'Hiéropolis, de Thyatire et de Phila- delphie. Quelles riches moissons couvraient déjà toutes les vallées et tous les versants des mon- tagnes de rionie inclinées vers la grande mer ! <^ue d'égUses surgissaient au souflEle de l'Esprit- Saint et réunissaient dans l'amour de Jésus les milliers d'âmes arrachées au joug des démons !
Mais d'autres champs appelaient le grand semeur de paroles. Le monde des Gentils ouvert devant lui était immense, et il n'avait pas le droit de s'arrêter trop longtemps dans les viUes mêmes où il avait reçu le meilleur accueil. Sa mission à Ephèse était remplie. La persécution qui le suivait partout devait venir ; et cette fois ce fut un orfèvre qui fut l'adversaire de l'apôtre des
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Nations, et qui le força à quitter la ville.
Démétrius était son nom. Les questions de religion ne l'intéressaient guère. Mais il fabri- quait des statuettes d'argent sur le modèle de la grande statue de Diane, et des petits temples, copies du temple célèbre ; et ces objets se ven- daient aux étrangers avec un succès et des profits inouis. Démétrius employait dans cette industrie un grand nombre d'ouvriers qui en vivaient. Or, depuis que Paul prêchait l'Evangile, et enseignait que les dieux faits de main d'homme, en or, en argent ou en pierre, n'étaient que de vains simu- lacres, les dévots de la grande Artémis avaient bien diminué en nombre ; et le commerce de Démétrius n'allait plus.
Il rassembla donc ses nombreux ouvriers, et il leur montra non seulement la ruine de l'industrie qui les faisait vivre, mais aussi le discrédit jeté sur le culte de la grande Déesse.
En un instant, la population ouvrière et indus- trielle se souleva. Elle parcourut les rues en criant : " Vive la grande Artémis d'Ephèse ! " et elle se précipita vers la demeure de Paul pour le saisir. L'apôtre étant absent, les émeutiers arrêtèrent deux de ses disciples, Caïus et Aristarque, et les entraînèrent au théâtre, Lieu ordinaire des grandes assemblées. La foule devint énorme et tumultueuse. Comme dans toutes les émeutes, il y avait là une multitude de curieux qui ne savaient pas ce dont
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il s'agissait, mais qui criaient avec les autres : " Vive la grande Diane ! "
Enfin le chancelier d'Ephèse, qui en était le premier magistrat, apparut sur le proscenium du théâtre et put se faire entendre de la multitude.
" Ephésiens, dit-il, qui ne sait que la ville d'Ephèse est la gardienne de la grande Artémis^ et de sa statue tombée des cieux ? Demeurez en paix. Ces hommes que vous avez arrêtés ne sont pas des blasphémateurs de votre Déesse. Si Démétrius et ses artisans ont quelque plainte à faire, il y a des tribunaux et des proconsuls devant lesquels ils doivent porter leurs réclama- tions. Mais rien ne justifie ce tumulte, et vous courez le danger d'être accusés de sédition — chose que Rome ne tolère pas. "
Ce discours habile produisit son effet, et la foule se dispersa. Mais Paul comprit que pour assurer la paix à l'EgUse d'Ephèse il ferait mieux de disparaître.
224 • PAULIN A
XXIX
LA PASSION DE PAUL A JÉRUSALEM
Le judaïsme était toujours puissant à Jéru- salem, et Paul savait quelles persécutions l'y attendaient quand il y retourna au printemps de l'an 59. Mais il voulait revoir encore la Ville Sainte, qui malgré ses crimes lui était encore chère. Il voulait revoir le tombeau d'Etienne, et surtout celui de son di\dn Maître. Ah ! que de souvenirs lui rappelleraient ces lieux vénérés et sacrés ! Que de douces larmes il répandrait sur ces tombes, dont l'une était vide sans doute, mais qui avait contenu le Dieu de l'univers pen- dant trois jours !
Il avait bien le pressentiment que ses nombreux ennemis se soulèveraient contre lui, et formeraient des complots contre sa vie. Mais si le sacerdoce et le peuple de Jérusalem le lapidaient comme Etienne, ou le crucifiaient comme Jésus, de quoi pourrait-il se plaindre ? Endurer les souffrances de la Passion, et mourir sur une croix comme son divin Maître, ne serait-ce pas finir glorieusement sa vie ?
En quittant Milet pour Jérusalem, Paul dit adieu à ses chères ouailles avec un attendrisse- ment extraordinaire :
PAULINA 225
" Vous savez, leur dit-il, que je vous ai prêché la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ, au milieu des épreuves et des larmes, et que bien des fois déjà on a voulu m'ôter la \de. Et maintenant je m'en vais à Jérusalem où nos ennemis sont puissants. Je sais que des chaînes et des tribu- lations m'y attendent. Mais je ne redoute rien de la persécution ; il faut que j'achève ma course et que je remplisse mon ministère. . .
" Hélas, je sais que désormais vous ne verrez plus mon visage, vous tous au milieu desquels j'ai passé. Sou venez- vous de moi, quand les loups rapaces s'introduiront parmi vous, qui êtes mon troupeau bien-aimé. Souvenez-vous bien des vérités que je vous ai enseignées, quand des hommes pervers \'iendront vous prêcher des doc- trines de mensonge, et s'efforceront de vous en- traîner à leur suite. "
En entendant ces touchants adieux, tous ses disciples avaient fondu en larmes ; ils s'étaient jetés à son cou, ils l'avaient embrassé, ils l'avaient conjuré de ne pas aller à Jérusalem ; mais il s'était arraché à leurs étreintes, et ils l'avaient reconduit jusqu'au vaisseau en pleurant.
A toutes les étapes de son voyage, à Cos, à Rhodes, à Patare, à Tyr, à Ptolémais, à Césarée, des scènes semblables s'étaient renouvelées. Dans cette dernière ville, un prophète nommé Agabus avait pris la ceinture de Paul, et s'en étant hé
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226 PAULTNA
les pieds et les mains il avait dit : " L'honinie à qui appartient cette ceinture sera ainsi lié par les Juifs à Jérusalem, et livré aux mains des Gen- tils. " Et tous ceux qui accompagnaient l'apôtre l'avaient alors supplié avec larmes de ne pas mon- ter à Jérusalem. Mais Paul avait répondu : " Ne pleurez pas ainsi, vous me brisez le cœur. Pour le nom du Seigneur Jésus, je suis prêt à être lié et à mourir dans Jérusalem. "
Tous les frères de Jérusalem lui firent un cor- dial accueil ; et ils lui conseillèrent de faire le vœu de nazirat pour convaincre les Juifs qu'il n'était pas un contempteur de la Loi. Il y con- sentit, mais la prophétie d'Agabus ne tarda guère à s'accomplir.
Les Juifs d'Asie, l'ayant aperçu dans le temple, soulevèrent parmi le peuple une émeute violente. Ils se saisirent de lui, le traînèrent hors du tem- ple, et s'apprêtaient à le tuer, lorsque le tribun romain, Lysias, accourut avec des soldats et l'arra- cha de leurs mains. Mais la foule immense criait : '' Tuez-le ! tuez-le ! "
Paul demanda au tribun la permission d'adresser la parole à cette tourbe hurlante. Et quand eUe l'entendit parler la langue hébrajfque, elle s'apaisa et l'écouta.
" Mes frères et mes pères, leur dit-il très habi- lement, je suis juif né à Tarse, élevé en cette ville de Jérusalem, aux pieds de Gamaliel. J'ai
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été comme vous un ardent zélateur de la Loi, et c'est moi qui ai persécuté jusqu'à la mort ceux qui suivent la voie du Christ. "
Après un pareil exorde on Fécouta volontiers, et il raconta le miraculeux appel de Jésus de Nazareth sur le chemin de Damas. Mais quand il en vint à parler de sa mission auprès des Gentils, les clameurs des Juifs recommencèrent : " Tuez- le, débarrassez la terre d'un tel être ! "
Alors le tribun le fit entrer dans la forteresse, et ordonna qu'on le frappât de verges. Les exé- cuteurs l'avaient déjà hé avec des courroies lors- qu'il leur dit énergiquement : '' Vous n'avez pas le droit de flageller un citoyen romain. "
Le tribun eut peur, et contremanda la flagella- tion. Le lendemain il déhvra Paul de ses chaînes, et il l'amena devant le Sanhédrin afin que ce grand conseil fît valoir ses griefs contre l'accusé. Paul protesta immédiatement de son innocence : " Mes frères, jusqu'à ce jour, je me suis conduit devant Dieu avec toute la droiture d'une bonne conscience. "
A ces mots, sur l'ordre du grand prêtre Ananie, un satellite le frappa sur la bouche. Paul se re- dressa et protesta : " Un tel outrage est con- traire à la Loi. A ton tour Dieu te frappera, muraille blanchie. "
Cette sanglante injure était bien méritée, et nous sommes bien tentés d'applaudir. Mais quand
228 PAULINA
on lui reprocha de maudire le Grand-Prêtre, Paul s'excusa en disant : '' J'ignorais que ce fût le Grand-Prêtre;" et il trouva alors un moyen fort habile de diviser le Sanhédrin : "Je suis Pharisien, fils de Pharisien. C'est parce que je crois à la résurrection des morts que l'on me poursuit. "
La discussion s'engagea intimédiatement entre les Pharisiens et les Saducéens qui ne croyaient pas à la résurrection. Et le débat de\int si vio- lent que les Pharisiens eux-mêmes prirent la défense de Paul : " Nous ne trouvons aucun mal en cet homme, dirent-ils. Et qui sait si un esprit ou un ange ne lui a point parlé ? "
Le tribun mit fin au tumulte en commandant aux soldats d'enlever Paul, et de le reconduire dans la forteresse Antonia. Le lendemain, les disciples découvrirent un complot contre la \'ie de Paul. Quarante juifs s'étaient ligués entre eux, et s'étaient engagés à s'emparer de l'apôtre quand on le conduirait devant le Sanhédrin, et à le tuer. Un neveu de Paul, fils de sa sœur, do- miciliée à Jérusalem, en informa le tribun, et dès la nuit suivante Claude Lysias fit monter Paul à cheval et l'envoj-a au gouverneur Félix, à Césarée, avec une escorte de soixante-dix cavaUers et de deux cents lanciers. Et voilà comment Jésus de Nazareth continuait de protéger son apôtre et de l'inspirer.
PAULINA 22^
Devant les Grands de Jérusalem, il parlait avec l'autorité d'un prophète et ceux qui le ren- contrèrent pendant la nuit sur la route de Césarée avec sa nombreuse escorte le prirent sans doute pour le gouverneur Félix en personne, ou pour un officier supérieur des armées romaines.
Et maintenant, nous allons voir ces deux huDmmes en face l'un de l'autre, Paul et Félix.
XXX
PAUL ET FÉLIX EN PRÉSENCE
Félix n'est pas un inconnu pour le lecteur. Il sait quel ambitieux sans scrupule il est, et comment il est arrivé au poste de gouverneur de la Judée, en remplacement de Cumanus, grâce aux in- trigues de son frère Pallas. Nous avons raconté plus haut l'histoire de son mariage, et fait connaî- tre sa femme Drusille, sœur de Bérénice et d' Agrip- pa IL Elle avait encore plus d'ambition que son mari, et pas moins d'intelligence et d'habileté.
Paul connaissait-il ce couple de scélérats ? Nous ne le croyons pas. Il ignorait donc quel juge allait juger sa cause. Il ignorait sa cause elle-même ; car il ne savait pas quelle accusation était portée contre lui par les Juifs de Jérusalem.
230 * PAULINA
Au jour fixé pour le procès, le grand-prêtre Ananie, et son avocat TertuUus, descendirent de Jérusalem à Césarée pour formuler et soutenir l'accusation. Tertullus multiplia les phrases d'avocat et les flatteries au juge. Et lui montrant Paul dans un geste indigné il dit à Félix :
" C'çst une peste, un homme qui excite des troubles parmi les Juifs dans le monde entier, un chef de la secte des Nazaréens. . . "
Paul n'eut pas de peine à démontrer que ce n'était pas lui qui troublait l'ordre, et qui ameu- tait les foules. Quant à sa religion, il servait le Dieu de ses pères, selon la voie que Tertullus venait d'appeler une secte. Mais en cela, il n'avait commis aucun crime, à moins qu'on ne lui fît un crime d'avoir soutenu la doctrine de la résur- rection des corps.
Félix connaissait très bien cette doctrine qui troublait un peu sa conscience, et il n'aimait pas qu'on lui en parlât. Il ajourna donc l'audience sans en entendre davantage.
Mais Paul avait dit qu'il était venu à Jérusalem faire des aumônes à sa nation et lui apporter des offrandes. Ce fut la parole qui intéressa le plus le gouverneur. Il en tira la conclusion que Paul pouvait prélever pour sa rançon de fortes som- mes, que ses nombreux disciples lui paieraient volontiers. Il avait appris qu'il était d'usage pour les néophytes riches de vendre leurs biens et d'en
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donner le prix aux apôtres. Il lui parut évident que c'était une aubaine inappréciable pour lui d'avoir ainsi en son pouvoir comme prisonnier celui qu'il considérait comme le chef de la nouvelle religion. Il connaissait j^ar lui-même le prix énorme que les esclaves, devenus riches, payaient à leurs maîtres pour leur affranchissement. Quelle belle rançon ne paieraient-ils pas, ces innombrables disciples du Christ, pour la liberté de leur grand apôtre !
Voilà les pensées qui vinrent à l'esprit de Félix, et il les communiqua à sa femme, qui fut toute joyeuse, et qui lui dit : " Paul est un prisonnier précieux, et nous en tirerons certainement beaucoup d'argent ; car si ses amis ne veulent pas payer pour sa libéra- tion, ses ennemis paieront pour sa condamnation. "
Quelques jours après, Félix et Drusille firent venir Paul devant eux, et se mirent à causer très aimable- ment avec lui. Leur fils Agrippa assistait à l'entretien.
" Parlez-nous donc un peu, lui dit Drusille, de ce Jésus de Nazareth, qui est mort, il y a déjà longtemps, et dont le nom fait aujourd'hui tant de bruit dans le monde. L'avez-vous connu ?
— Non, Madame, je suis né, et j'ai fait mes études à Tarse, en Cilicie. Quand je suis venu les compléter à Jérusalem, il y avait plusieurs années que Jésus de Nazareth était mort.
— Et ses apôtres vous ont dit alors qu'il était ressuscité ?
232 PATJLINA
— Oui, mais je crus que c'était une supercherie,, et je pris le parti des Pharisiens avec acharnement et violence.
— Pourquoi y mettiez- vous cette violence ?
— La violence est dans mon caractère ; et je m'y abandonnais, parce que je croyais de bonne foi que les disciples de Jésus troublaient l'ordre public. En même temps je m'indignais de leurs succès, et j'étais d'avis qu'il fallait recourir à la \'iolence pour mettre -fin à leur propagande.
— Comment donc vous ont-ils converti ?
— Ce ne sont pas eux qui m'ont converti. C'est Jésus-Christ lui-même qui m'a conquis, comme j'essayais de conquérir les autres — par la violence, ajouta Paul en souriant.
— Par la violence ! Mais de quelle violence un homme mort était-il capable ?
— Voilà le prodige et le mystère, " répondit Paul. Et il raconta, aussi brièvement qu'il put, le miracle de sa conversion.
" Et depuis lors, ce fantôme qui vous est apparu à Damas continue de vous hanter, et vous lui êtes dévoué comme un esclave ?
— Ce n'est pas un fantôme. C'est un être vivant, un Dieu ressuscité. Et aujourd'hui, je ne suis pas seulement son esclave ; je reconnais en Lui mon Seigneur et mon Dieu. Je l'aime de toutes mes forces, je l'adore, et je lui donnerai ma vie quand il la voudra.
PAULINA 233
— Mais que prétendez-vous faire pour lui ?
— Je ne puis rien faire tant que je serai votre prisonnier. Mais dès que je serai libre, je re- prendrai ma mission.
— En quoi consiste votre mission ?
— Vous seriez bien étonnés, si vous pouviez vous en rendre compte, et constater par vous- mêmes les conquêtes extraordinaires que je fais.
— Par la violence ?
— Oh ! non, je ne fais plus violence à personne. C'est moi qui souffre violence. Je vais de ville en ville, de province en province, tantôt seul, tantôt avec quelques disciples. Dans les syna- gogues et sur les places publiques, je prêche la religion du Christ et les foules me suivent.
— Que leur dites-vous ?
— Je leur raconte mon histoire, et celle de Jésus-Christ. Partout je rencontre des contradic- teurs, surtout parmi les Juifs, et je réponds à tous leurs sophismes et à leurs mensonges. Mais partout aussi je rencontre des honmies de bonne volonté, surtout chez les Gentils, qui cherchent la vérité et qui croient à ma parole.
— Et le nombre des chrétiens se multiplie ?
— Oui, dans des proportions étonnantes. Evidem- ment cela n'est pas dû à ma prédication, mais à la puissance du Dieu que je prêche. Alors les prêtres juifs et les scribes s'irritent contre moi. Ils m'accu- sent de vouloir détruire la Loi de Moïse et la puis-
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sance romaine. Ils me font mettre en prison ; ils me font battre de verges ; ils me font lapider. Ils me chassent du temple et des synagogues. Je ne résiste pas, et je change de pays pour continuer ailleurs. Rien n'enchaîne la parole de Dieu ; et d'autres milliers accourent autour de moi, je Teux dire, autour du Dieu que je prêche.
" Aux peuples que je ne puis pas aller \dsiter, j'écris des épîtres, et les chrétientés se multipUent. Je mets à leurs têtes des chefs, évêques et prêtres, qui continuent de leur prêcher l'Evangile. Eux aussi sont persécutés, battus de verges, empri- sonnés, mais rien ne les fait taire ; et la vérité se propage dans tout l'empire romain, malgré les Juifs et malgré les Romains.
— J'imagine que vous prélevez des impôts «omme font les gouvernements réguliers ?
— Non, mais ceux qui sont riches donnent à ceux qui sont pauvres, afin que nous puissions Advre tous ensemble comme des frères.
— On m'a assuré que vous-même avez collecté de grandes sommes d'argent à Antioche, à Damas et ailleurs, et que vous en avez distribué aux fidèles de Jérusalem.
— C'est vrai, quoique les chiffres aient été exagérés.
- — Mais si vos nombreux disciples vous sont si dévoués, à vous qui êtes leur chef, pourquoi ne rachètent-ils pas votre liberté ?
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— C'est aux pauvres qu'ils viennent en aide. Moi, je n'ai besoin de rien.
— Pourtant, vous voulez être libre ?
— Oh ! oui, mais quand le Seigneur jugera que ma liberté est nécessaire à son Eglise, il saura bien me la rendre.
— Vous ne comptez pas pour cela sur la bien- veillance du gouverneur ?
— Je compte sur sa droiture et sur sa justice.
— Est-il vrai, dit Agrippa, en se penchant vers l'apôtre, que votre Jésus a prédit la ruine de Jéru- salem et du temple ?
— Oui, les apôtres qui l'ont entendu faire cette prédiction m'ont raconté la chose : Un soir qu'il sortait avec eux de Jérusalem, et qu'il avait quitté le temple, pour n'y plus revenir, il s'assit au bord du chemin, sur le versant du mont des OU\'iers. Il se prit soudainement à pleurer, et il leur dit :
" Voyez ces gigantesques constructions (il in- diquait de la main les hautes murailles de la Cité Sainte et les superbes portiques du Temple). De tout cela il ne restera pas pierre sur pierre. "
''Quelques disciples s'approchèrent plus près de lui et lui demandèrent : '' Quand tout cela arri- vera-t-il, Maître ? " Jésus répondit : " Lorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées, et l'abomination de la désolation dans le lieu saint, sachez que sa destruction est proche. "
236 PAULINA
— Et croyez- vous, Paul, que cela arrivera ?
— Certainement, puisque c'est un Dieu qui l'a prédit. La date seule est incertaine.
— Mais par quelles armées peut-elle être in- vestie ?
• — Je n'en connais pas d'autres que les armées romaines.
— En voudriez-vous à Rome de détruire Jéru- salem ?
■ — J'en serais affligé, comme Juif, mais je com- prends que cette ville célèbre qu'on appelait la Sainte est condamnée à périr par Dieu lui-même, parce qu'elle est aujourd'hui la ville déicide. Le règne de Jésus-Christ sur les âmes va déplacer le centre du monde rehgieux.
— Commxe Juif, est-ce que vous avez la haine de Rome ?
— Non, les relations des nations entre elles ne sont pas de mon ressort. Les Juifs ont des griefs contre Rome ; mais je ne m'en préoccupe pas. Ma mission est de conquérir des âmes et non des provinces.
" Rome a la puissance, la souveraineté, et je me soumets à son autorité. Je demande qu'on me laisse libre de prêcher Jésus-Christ. C'est la seule hberté que je réclame, et dans toutes les villes où je vais rempUr ma mission, ce ne sont pas les Romains qui me font la guerre, ce sont les Juifs. C'est même l'autorité romaine qui me
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protège contre les persécuteurs. A Corinthe, c'est le proconsul Gallion, frère de Sénèque qui m'a défendu contre les Juifs.
" L'autre jour, à Jérusalem, ils avaient com- ploté de me faire mourir ; et c'est le tribun ro- main qui m'a arraché de leurs mains.
— Tout ce que vous nous avez dit est bien intéressant, dit Félix ; et nous causerons encore avec vous un autre jour. "
Sur un signal donné, un centurion entra. ' " Centurion, vous me répondez de cet homme. Ne le tenez pas en prison. Laissez-le aller et venir, et parler à qui il voudra. Mais qu'il soit gardé à vue, et qu'il puisse être remis entre mes mains quand je le demanderai. "
Paul sortit suivi par le centurion. Agrippa le suivit aussi, et quand Paul fut entré dans la cham- bre qui lui était assignée, le centurion le laissa seul avec Agrippa qui lui demanda s'il connaissait bien le proconsul de Chypre.
— Il est un frère pour moi, répondit Paul. C'est un des premiers et des plus fidèles disciples de Jésus-Christ.
— L'avez-voUs rencontré récemment à Co- rinthe ?
— Oui, et ça été pour moi une grande conso- lation d'y voir enfin son épouse et sa fille bien- aimée embrasser la foi chrétienne. Ce sont des femmes incomparables.
238 PAULINA
— Savez-vous que Paulina est la femme que j'aime le plus au monde ?
— On me l'a dit, et cela ne m'étonne pas. Elle a toutes les qualités, tous les charmes et toutes les vertus.
— Connaissez- vous quelque chose de ses sen- timents à mon égard ?
— Je sais qu'elle s'intéresse à votre sort ; car elle m'a demandé de prier pour vous. Son bonheur serait de vous voir chrétien.
— Hélas ! un pareil changement est impos- sible.
— Pourquoi impossible ?
— Parce qu'il y a inimitié entre la religion du Christ et la dynastie des Hérodes.
— Toutes les inimitiés se fondent au contact de Jésus-Christ. J'ai été moi-même son ennemi déclaré, et maintenant je suis prêt à donner ma \'ie pour son amour. Que dis-je ? Je souffrirais mille morts pour soutenir sa foi.
— Songez, Paul, que j'aspire au trône de Judée, et que ni les Césars, ni le Sanhédrin ne voudraient jamais permettre à un disciple de Jésus-Christ de monter sur le trône de Jérusalem.
— C'est possible. Mais alors il faudrait renoncer au trône.
— Ou bien, il faudrait que Paulina renonçât à sa religion nouvelle.
■ — C'est ce qu'elle ne fera jamais.
PAULINA 239
— Elle sacrifierait plutôt son amour ?
— Je le crois. Et vous, sacrifieriez-vous le trône à votre amour, vous qui voulez qu'elle vous sacrifie son Dieu ? "
Agrippa baissa la tête, et s'en alla sans rien répondre.
Grâce à la liberté relative que le gouverneur lui laissait, Paul continuait à prêcher, mais sans publicité. On lui permettait de recevoir tous ceux qui venaient l'interroger, de la Galilée, de la Samarie et de la Judée. Les Juifs de Jérusalem venaient surtout le consulter sur les questions controversées par les judaïsants.
Aux disciples qui étaient trop éloignés il écrivait des lettres, et malheureusement cette correspon- dance est perdue. Quand ses amis se préoccupaient de ce qu'il allait devenir, il leur répondait : " Vous vous inquiétez vainement ; je suis entre les mains du Seigneur, et je deviendrai ce qu'il voudra. Je sais la mission que j'ai à remplir, et j'ai pleine confiance que je la remplirai. Quand serai-je libre de quitter Césarée? Je n'en sais rien ; mais soyez, sûrs qu'il y a quelque part un na\dre qui me transportera à Rome. J'ai amioncé ma visite aux Romains. Il faut que j'aille réconforter l'immense multitude de chrétiens que Néron persé- cutera bientôt. "
Plusieurs fois Félix et Drusille reprirent leur entretien avec l'intéressant prisonnier qui de son
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côté essaya vainement de convertir les deux époux à la foi chrétienne.
Un jour, ils lui parlèrent de religion, et Félix avoua qu'il ne croyait qu'aux oracles et à la magie. Paul tenta d'amener la conversation sur la morale de Jésus. Mais Félix l'interrompit et lui dit :
"Il y a deux sujets sur lesquels je n'aime pas que vous me parliez : la résurrection des morts à laquelle je ne croirai jamais, et la justice dont je suis las d'entendre parler au Prétoire. "
Un autre jour, Drusille lui dit : " Ne nous parlez jamais de la morale de votre Jésus ; elle est trop sévère. La vie serait pire que la mort, s'il fallait pratiquer la chasteté, la tempérance et la mortification des sens. "
Souvent ils lui proposèrent dans des termes voilés et habiles de lui donner la liberté si ses amis voulaient bien leur payer une rançon raisonnable. Et comme Paul ne leur donnait sur ce point aucune espérance, Félix lui faisait parfois des menaces de le livrer aux Juifs, qui n'hésiteraient pas à payer le plus haut prix. L'indigne procurateur allait se décider à prendre ce dernier parti lorsqu'une sédition éclata à Césarée. Pour rétablir l'ordre, Félix lança ses légionnaires contre les Juifs, en tua un grand nombre, et pilla les maisons les plus riches. Il fut alors dénoncé à Rome. Les accu- sations des Samaritains étaient graves. Féhx y était qualifié comme un assassin et un pillard.
PAULIN A 241
Il reçut l'ordre immédiat de venir se justifier
devant César ; et Festus fut nommé pour le remplacer.
XXXI
AGRIPPA A PAULINA
Avant de quitter Césarée, Agrippa songea à faire une course en Chypre. La traversée était facile, et durait à peine douze heures avec un vent favorable. Mais sa mère s'y opposa avec \dolence. " Cette passion pour la folle amoureuse du Cru- cifié a duré assez longtemps. Il faut que cela finisse, " lui dit sa mère avec autorité.
" A ton âge, tu devrais comprendre qu'un mariage avec Paulina serait un obstacle infran- chissable à ton avènement au trône. Il y a dans ridumée, et ailleurs, en Orient, des princesses riches et belles dont les familles seraient au con- traire d'un grand secours à la réahsation de tes légitimes ambitions. Laisse-moi choisir pour toi la future reine de Jérusalem. "
Agrippa réclama le droit de faire lui-même ce choix ; mais il dût plier devant l'accès de colère qu'il provoqua. D'ailleurs, il fallait se préparer à partir pour Rome sans différer. Agrippa se
17
242 PAULINA
borna donc à écrire à Paulina la lettre qu'on va lire.:
" Très chère amie,
Il est donc vrai ce proverbe oriental : " Qui sème l'amour moissonne des larmes ". Je suis au désespoir. Le projet que je vous ai annoncé d'aller vous voir en Chypre est irréaUsable. Non seule- ment ma mère s'y oppose avec son autorité impla- cable, mais mon père a reçu l'ordre impératif de retourner à Rome pour se justifier des accusa- tions que les Samaritains ont portées contre lui ; et nous partons sans retard.
" C'était bien assez qu'un bras de mer nous séparât ; toute la mer avec ses orages et ses tem- pêtes va maintenant mugir entre nous. Quand vous reverrai-je jamais, ô Paulina ? Ne vien- drez-vous pas à Rome quelque jour ? J'en suis venu à désirer, pardonnez-moi, que votre père y soit rappelé, comme le mien.
" Hélas ! ma bien-aimée, il y a entre nous un abîme plus infranchissable que l'océan, c'est ma mère ! J'ai fait deux rêves, qui me semblent parfaitement réahsables : un rêve d'amour et un rêve d'ambition. Mon rêve de grandeur, c'est le trône de Jérusalem ; et mon rêve d'amour, c'est vous, ô ma Paulina.
" Sont-ils donc incompatibles ? — Je dis non ; mais ma mère répond : Oui, il faut choisir entre les deux. Et, pour elle, il n'y a pas d'hésitation
PAULINA 243
possible. Le choix du trône s'impose, et si j'y renonçais elle me maudirait. Quand je lui parle d'une vie de bonheur avec l'amour, elle bondit d'indignation. Elle me regarde comme un être faible et sans caractère, indigne du sang des Hérodes qui coule dans mes veines. Et quand j'ose lui parler de Jésus de Nazareth, elle entre dans une exaltation de furie antique, ou de py- thonisse inspirée. " Souviens-toi, me dit-elle alors, qu'entre le royaume des Hérodes et le pré- tendu royaume de ce Jésus, il y a haine et ven- geance implacables. Mon aïeul a poursuivi Jésus enfant, et a bien cru l'avoir tué dans le massacre des Innocents. Mon oncle Antipas a fait déca- piter son Précurseur Jean-Baptiste. Mon père a fait mourir Jacques, son apôtre, premier évêque de Jérusalem. Il a condamné à mort Pierre le chef de son EgUse, et il devait le faire exécuter. Mais il est mort mystérieusement lui-même par quelque maléfice diabolique des chrétiens. Paul dont nous tenions la \àe entre nos mains, et que nous allions livrer aux Juifs, vient de nous échapper. Ne vois-tu pas qu'il y a guerre implacable entre la dynastie des Hérodes et les disciples et conti- nuateurs du Nazaréen ? Il faut pourtant que nous remportions la victoire définitive. Comment peux-tu croire un instant que les Juifs et nous- mêmes permettions au futur roi de Jérusalem d'épouser une chrétiemie ?. . . "
244 PAULINA
" L'exaltation de ma mère était telle que je crus sage de ne rien répondre, et de renoncer à visiter l'île enchanteresse qui doit être un paradis, puisque l'ange Paulina l'habite. Mais rien ne séparera mon cœur du vôtre, ô ma douce Paulina. Mon amour" grandira avec les obstacles et les souffrances. Ma vie m'appartient, et c'est à faire ton bonheur que je veux la consacrer. C'est pour la poser sur ta tête adorée, que j'aspire à la cou- ronne. Des jours meilleurs \dendront, et puisqu'il y a guerre entre ton Jésus et les Hérodes, et que les Hérodes veulent nous séparer, ton Jésus vou- dra nous unir.
" Dans les temps où nous vivons, les procon- sulats ne durent jamais bien des années ; et avant longtemps j'espère, votre père sera rappelé à Rome. C'est là que nous nous retrouverons pour réaUser un jour mon rêve de bonheur. Si vous le voulez, j'en serai le maître de celui-là, tandis que mon rêve de grandeur dépend des événements et des combinaisons poUtiques dont je ne suis pas le maître. Puisse-t-il venir bientôt le jour de notre réunion ! J'ai toujours aimé beaucoup la mer ; mais je la déteste depuis qu'elle nous sépare ; et que puis-je aimer autre chose sur la terre quand je ne vous trouve nulle part ? L'univers m' apparaît comme un désert avec une seule oasis qui m'est fermée, — l'île de Chypre. Pourquoi le malheur semble-t-il s'attacher âmes
PAULINA 246
pas ? Est-ce qu'il faut croire à la fatalité ? ou bien, est-ce que je dois payer pour les fautes de ma famille ?
" O Paulina ! que je suis malheureux de penser que peut-être je vais vous faire partager ma fa- tale destinée ! Moi, je vous aimerai toujours ; mais si vous rencontrez le bonheur loin de mon chemin, suivez-le et oubliez-moi. Ne vaut-il pas mieuxque je sois seul à pleurer sur mon sort ? Et dire que c'est ma mère qui me fait souffrir ainsi, et qui détruira peut-être à jamais l'édifice de mon bonheur ! Que de\'iendrai-je si vous ne venez pas bientôt me rejoindre à Rome ? Je connais la belle villa qui appartient à votre père sur l' Aven- tin. J'irai promener mes ennuis sous les cyprès qui l'ombragent, et sur la terrasse qui domine le Tibre. Ce sera ma consolation en attendant le jour où quelque na\'ire d'Orient remontera le fleuve ayant à son bord le proconsul de Chypre. Je ferais des vœux à Neptune si je croyais en lui.
" Je baise vos mains,
Agrippa "
246 PAULIN A
XXXII
DEVANT FESTUS ET LE ROI AGRIPPA II
A peine Festus, le nouveau gouverneur, était-il arrivé à Jérusalem que les Juifs renouvelèrent auprès de lui leurs accusations contre Paul, et le supplièrent de leur livrer ce grand criminel, captif depuis deux ans à Césarée.
Festus leur répondit : " Dans quelques jours je serai à Césarée. C'est là que je jugerai la cause. Que les principaux d'entre vous y viennent avec moi pour soutenir leur accusation. "
Quelques jours après, en effet, Festus donna audience aux accusateurs ; mais ils ne purent produire aucune preuve contre l'accusé. Voyant l'acharnement de ses ennemis, Paul coupa court au procès. Après avoir affirmé énergiquement son innocence, il prononça cette parole décisive : " J'en appelle à César. "
Ce recours suprême ne pouvait lui être refusé, et Festus mit fin à toute procédure ultérieure devant lui, en disant : " Tu en as appelé à César ? tu iras à César. "
Le gouverneur n'avait pas encore trouvé le navire qui devrait transporter son prisonnier en Italie, lorsque le roi Agrippa, et sa sœur Bérénice,
PAULINA 247
qui vivait avec lui, arrivèrent à Césarée. Paul n'était plus un inconnu, et son nom faisait déjà du bruit dans le monde. Les deux illustres visi- teurs furent curieux de le connaître et de l'enten- dre. Festus leur raconta que la haine des Juifs contre Paul avait pris son origine dans des que- relles religieuses au sujet d'un nommé Jésus, mort il y avait quelques années, et dont Paul affirmait la résurrection.
" Les Juifs, ajouta-t-il, considèrent cela com- me un crime, et demandent sa mort. Après les avoir entendus, j'ai trouvé que cet homme n'a rien fait qui mérite la mort. Je l'aurais probable- ment acquitté ; mais il en a appelé à César, et' j'ai résolu de l'envoyer à Rome. Mais puisque vous désirez l'entendre, ô roi, je le ferai compa- raître devant vous dès demain. "
Le lendemain, en effet. Agrippa et Bérénice tirent leur entrée solennelle dans la salle d'au- dience avec une pompe vraiment royale, escortés de licteurs et de gardes, qui se rangèrent derrière les fauteuils dorés qu'ils occupèrent. Le roi avait revêtu sa toge de pourpre, et la reine portait une robe de soie écarlate, brocardée d'or et ornée de pierreries éclatantes. Tous deux avaient au front le cercle d'or qui représentait la couronne.
Festus ouvrit la séance en faisant entrer Paul enchaîné, conduit par un soldat qui tenait le bout
248 PAULINA
de la chaîne. Puis il exposa en quelques mots l'ac- cusation.
Agrippa et Bérénice regardaient le prisonnier, et se disaient : '' Comment se fait-il que ce petit homme qui n'a l'air de rien ait déjà soulevé tout l'Orient, en prêchant une religion invraisemblable fondée par ce juif Jésus qui fut traité comme un criminel par le Sanhédrin, et crucifié par le gou- verneur romain Pilatus. "
Le roi l'invita à prendre la parole, et Paul éten- dant sa main chargée de fers, dit : " Je m'estime heu- reux, ô roi Agrippa, de pouvoir aujourd'hui me justi- fier devant toi de toutes les choses dont les Juifs m'accusent, parce que tu es au fait de toutes leurs coutumes et des questions qui existent parmi eux . "
Après ce début, Paul déclare que la vie qu'il a menée à Jérusalem depuis sa jeunesse est connue de tous les Juifs ; qu'il appartenait à la secte la plus exacte de la religion, celle des Pharisiens, et que son seul crime est de croire à la résurrec- tion des morts. S'il prêche Jésus de Nazareth, c'est parce qu'il en a reçu la mission dans une vision céleste à Damas.
Mais le récit de l'apôtre paraissait incroyable, et Festus lui dit : " Tu déraisonnes, Paul, ton grand savoir te fait perdre l'esprit.
— Non, excellent Festus, je ne suis point hors de sens ; les paroles que je viens de dire sont paroles de vérité et de raison. "
PAULINA 249
Il en appelle au roi qui connaît mieux que le gouverneur toute l'histoire des Juifs.
"Le roi est instruit de ces choses, dit-il, et c'est pourquoi je lui en parle librement. " Et se tournant vers le roi : " Roi Agrippa, crois-tu aux prophéties ? Oui, je le sais, tu y crois. "
Sans répondre à cette question. Agrippa dit en souriant : '^ Tu vas bientôt me persuader de me faire chrétien. "
" Plaise à Dieu, repartit Paul, que toi-même et tous ceux qui m'écoutent, vous deveniez tels que je suis, hormis ces liens. " Et il montra ses chaînes en souriant aussi.
Le roi se leva. Et il dit à Festus après l'audience : " S'il n'en avait appelé à César, cet homme eût pu être relâché. "
Dès le lendemain, Paul fut remis aux mains du centurion JuUus, chargé de le conduire à Rome.
250 ■ PAULINA
XXXIII
MIR.\BILES ELATIONES MARIS !
MIRABILIS IN ALTIS DOMINUS !
{Ps. 92)
En ce temps-là, les naufrages étaient fréquents sur la mer Tyrrhénienne. Les voyages étaient nombreux, et les navires à voiles et à rames, les seuls connus alors, étaient trop faibles pour ré- sister aux tempêtes de la mer.
Deux fois déjà, l'apôtre avait failli périr dans les flots, et il se demandait s'il ne serait pas exposé à un troisième naufrage dans la traversée qu'il allait faire de Césarée à Rome. Le centurion Julius de la cohorte d'Auguste, chargé de la con- duite de Paul, le fit embarquer sur un navire d'Adramytte, qui n'allait pas en Italie, mais qui dans ses escales à différents ports de la côte d'Asie rencontrerait probablement quelque vaisseau en route pour l'Italie. Ces prévisions du centurion étaient bien fondées, et il trouva à Myre, en Lycie, un vaisseau d'Alexandrie qui faisait voile pour NéapoUs. Il s'y embarqua avec son prisonnier.
Les premiers jours de la navigation furent d'un calme et d'une lenteur qui désespéraient les mariniers. Parfois pendant la nuit tout s'endor- mait dans un silence de temple abandonné. La
PAULINA 251
mer était douce comme un parvis d'onyx et nul souffle de vent n'en ridait la surface Les voiles alànguies et immobiles pendaient le long des mâts et les rameurs, assis sur leurs bancs, dormaient la tête appuyée sur leurs bras croisés au-dessus des rames immobiles. Sur le pont attiédi, après le coucher du soleil, les passagers gisaient, sommeil- lant ou rêvant. Seul, Paul veillait, les yeux fixés sur les étoiles, qui luisaient comme des clous d'ar- gent dans l'immense tente violette du ciel.
" Quel beau temple ! " disait-il aux voyageurs lassés et " qu'il est grand le Dieu qui l'a bâti ! " Et il leur racontait des épisodes de ses missions, et des \'illes qu'il avait converties à Jésus-Christ. De temps en temps, des souffles intérieurs soule- vaient de grandes vagues douces qui berçaient le navire comme une mère berce son enfant.
" Mirahiles elationes maris, disait Paul avec le poète-roi. Mirabilis in altis Dominus ! "
Mais une nuit, un vent \dolent s'éleva du Nord, et après plusieurs jours de navigation difficile, ils abordèrent en Crète à un endroit nommé Bons- Ports. Paul conseilla d'y passer l'hiver ; car la mauvaise saison était venue et la navigation deve- nait périlleuse. Il n'y avait guère d'espoir d'arri- ver en Italie. Mais le maître du na\dre et le pilote ne furent pas de cet avis, et ils reprirent la mer.
La tempête se déchaîna bientôt, selon le pro-
252 PAULINA
nostic de Paul, et le bateau fut ballotté, secoué, emporté dans toutes les directions.
" Le \deil Eole est fâché, disaient les marins, et il a déchaîné contre nous ses terribles enfants les Aquilons et les Autans. "
Il fallut abattre les voiles, hâler les rames à bord et se laisser entraîner à la dérive.
Le centurion, qui lisait VEnéide, s'approcha de Paul et lui dit : " Nous entrons dans les parages où les malheureux Troyens furent décimés par la plus terrible des tempêtes. Virgile en fait une description très poétique et trop vraie, et je crains que nous n'en fassions l'expérience. Le poète nous montre que Neptune s'aperçut trop tard que son royaume était profondément troublé ; et quand il intervint pour calmer la mer, une grande partie des compagnons d'Enée étaient enseveUs dans les flots.
" Certes, le \'ieux dieu au trident aurait dû être plus vigilant. Il est vrai qu'à cette saison de l'année, il est très occupé sur toutes les mers du monde.
— Je vois, dit Paul, que vous ne croyez plus à cette fabuleuse divinité de la mer.
— Oh ! non, dit le centurion.
— Le Dieu que je prêche, reprit Paul, est plus puissant.
— Il faudra nous le montrer si la tempête augmente.
PAULINA 253
— Je le prierai certainement pour tous," dit Paul.
Bientôt la tourmente grandit encore, plus rageu- se et plus profonde. C'était une lutte de souffles et de vagues, et la mer si belle dans les calmes ondulations des jours précédents était devenue un horrible chaos. Un invisible fossoyeur y creu- sait d'innombrables tombes. Le faible navire, ballotté sans pitié, obéissait à toutes les forces contraires de l'ouragan, dans les obscures profon- deurs de la nuit. Pour alléger le navire, on dut sacrifier la cargaison, mais ce ne fut pas assez. On coupa les mâts et les agrès, qu'on jeta à la mer.
" Voyez, disait Paul aux marins, à quel point nous sommes les jouets de la nature, et comme elle aurait bientôt fait de nous anéantir si la main de Dieu ne nous soutenait pas contre elle. "
IVIais sa parole se perdait dans les mugissements de l'aquilon. La mer se dérobait sous la faible carène et la voûte céleste, devenue lugubre, s'a- baissait conmie un plafond qui s'effondre. Tout s'effondrait aussi dans les cœurs des passagers ; pas une étoile à l'horizon, pas une lueur, pas un reflet ; des éclairs fendaient les nues, si effrayants qu'on fermait les yeux pour ne pas les voir, et des roulements de tonnerre jetaient l'épouvante jusqu'au fond des âmes. Pour empêcher la carène de s'ouvrir on l'avait encercelée avec des cables.
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Personne ne parlait plus, la terreur «tait générale. Sans force ni courage, muets de stupeur, plus désemparés que le vaisseau lui-même, écrasés sous la force et la cruauté des éléments, les pas- sagers gisaient sur le pont comme des machines brisées.
Il y avait treize jours que la tempête durait, et la mort paraissait iné\dtable quand le quator- zième jour commença. Plusieurs passagers qui croyaient encore à Neptune le suppliaient en vain de calmer la tempête. Heureusement Paul avait à son ser^dce une force nouvelle, encore inconnue, et qui pouvait maîtriser à la fois et les flots de la mer et les âmes. Au milieu de tous ces mal- heureux dont la perte était imminente, Paul se leva soudain et leur dit :
" Ecoutez-moi, et prenez courage. Aucun de vous ne périra. Cette nuit même, un ange du Dieu à qui j'appartiens et que je sers m'est apparu et m'a dit : Dieu t'a donné tous ceux qui na\'iguent avec toi ; nous allons échouer sur une île, et nous serons tous sauvés. "
Tous ces désespérés le crurent, et firent tout ce qu'il leur demanda. Il prit le commandement du navire. Il dénonça aux officiers le projet que quelques matelots avaient formé de mettre la chaloupe à l'eau pour s'enfuir, il la fit jeter à la mer. Puis, il dit à tous : "Je vous le répète, aucun de vous ne périra ; mais il ne faut pas vous
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laisser mourir de faim, il faut manger, " et il se mit à manger lui-mcme.
Malgré toute l'horreur de la situation, tous reprirent courage et mangèrent avec l'apôtre. Quand le jour se leva, une petite île était devant eux à l'horizon. Emporté par le vent, le navire alla s'enliser dans un banc de sable, où la vague commença à le démolir. Il y avait deux cent soixante-seize passagers à bord. Les uns à la nage, les autres sur des épaves, tous arrivèrent sains et saufs au rivage.
L'île se nommait Melita (Malte) et les naufragés y furent très bien traités par les insulaires. Ils y passèrent l'hiver.
La mission que Paul allait remplir à Rome, il la commença donc à Malte. Souvent il allait en com- pagnie du centurion ou de quelque soldat de sa suite faire de longues courses dans les montagnes ou sur les promontoires de l'île, dans les petits vil- lages de pêcheurs disséminés sur la côte, et comme le souvenir de Jésus était toujours présent à son esprit, il en parlait sans cesse. Il racontait le& merveilles de sa vie, à ces populations païennes, et il leur apprenait à connaître le vrai Dieu.
Le gouverneur de la ville se nommait Publius et son père était gravement malade. Paul entra chez lui, lui imposa les mains et le guérit. Un grand nombre d'autres malades lui furent alors amenés, et il guérissait à la fois les corps et les âmes.
256 PAULINA
XXXIV
DE MELITA A ROME
Dès cette époque lointaine, comme dans les temps modernes, les vaisseaux en bois portaient à leur avant, sous le beaupré, une sculpture plus ou moins artistique, représentant un personnage historique ou religieux, humain ou divin, qui les désignait et leur conférait un nom. Celui que le centurion trouva à Mehta portait l'enseigne de Castor et Pollux, dont les images étaient aussi gravées sur les monnaies romaines. Il venait d'Alexandrie et il avait passé l'hiver à MeUta. Après de courtes escales à Syracuse et à Rhegium, il \dnt jeter l'ancre dans le port de Putéoli (au- jourd'hui Puzzuoli, ou PouzoUes). Paul fut bien étonné d'y trouver des chrétiens, qui, à force d'instances, le retinrent pendant sept jours avec ses compagnons de voyage.
Qui avait déjà converti cette population ? L'histoire n'en raconte rien d'authentique. Mais selon la tradition, ce serait saint Pierre qui aurait abordé au même endroit en venant à Rome vers l'an 42, après qu'il eût échappé à la persécution d'Hérode- Agrippa.
Que de récits intéressants dût faire à ces pre- miers chrétiens le grand apôtre des Nations, pen-
PAULIN A 257
dant les sept jours qu'il passa avec eux ! Et quelle joie ils eurent d'apprendre avec quelle rapidité se répandait dans le monde civilisé la connaissance du nouveau culte ! Lorsque Paul prit congé de ses nouveaux amis, ses prédications s'étaient propagées dans la grande ville de Néapolis et le nombre des néophytes avait décuplé.
Le centurion connaissait très bien le chemin à suivre pour aller de Puzzuoli à Rome, et c'est à Capua que les voyageurs allèrent rejoindre la Via Appia. Deux jours après, ils avaient atteint Terracina à 70 milles de Rome. Le troisième jour, ils traversèrent les marais Pontins dans un long bateau plat remorqué par une mule ; et vers le soir, ils abordèrent au forum d'Appius formé d'un marché, d'une hôtellerie et de quelques maisons. Ils y passèrent la nuit.
Une agréable surprise les y attendait. La plu- part de ceux que Paul avait salués nommément dans son épître aux Romains étaient venus l'y rencontrer. Paul les embrassa tous, conmie ses enfants ; il s'assit avec eux à la table qu'ils avaient préparée pour le recevoir, et il leur ra- conta toutes les péripéties de son voyage, et toutes les merveilles de la propagation évangé- lique.
Le lendemain matin les voyageurs reprirent leur route, en suivant toujours la Via Appia. Le centurion à cheval marchait en tête avec quel-
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ques légionnaires et les autres soldats fermaient la marche. Quarante milles les séparaient encore de Rome.
Il faisait une belle journée de la fin de mars, et sur les bords de la route les ^dolettes s'épanouis- saient dans l'herbe verte. Tous semblaient heu- reux, et cheminaient par groupes, causant en marchant. Les Juifs venus de Rome interrogeaient tantôt Paul de Tarse, tantôt Luc, ou les légion- naires, et chacun racontait les péripéties de leur aventureux voyage.
" Oh ! disaient les légionnaires, nous avons failli périr bien des fois, et si nous ne sommes pas tous au fond de la mer, c'est bien parce que cet homme extraordinaire nous a sauvés. "
Chacun faisait son récit de quelque incident du voyage. Aux Trois-Tavernes, les voyageurs firent une nouvelle station ; et ils y trouvèrent un nouveau groupe de chrétiens, venus de Rome au devant de Paul. Bientôt, ils entrèrent dans cette partie de la voie qui est bordée de tombeaux.
Les mommients funéraires, les pyramides de marbre, les tours, les rotondes et surtout les inscriptions les arrêtèrent souvent, et ralentirent leur marche. Non loin des tumuli des Horaces et des Curiaces, sur les dalles de marbre d'un tom- beau qui n'avait pas encore vieilli, ils lurent les noms de deux femmes restées célèbres à Rome, Terentia, épouse de Cicéron, et Tullia, sa fille.
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Arrivés au mausolée de Cecilia Metella, ils firent halte. Paul monta sur le parapet supérieur de la tour à créneaux, et il eut alors sous les yeux pour la première fois le magnifique panorama de la ville des Césars.
"La nature fait de belles choses, dit-il au cen- turion, mais les hommes aussi en font de très belles ; " et il se laissa gagner par l'admiration. " Et pourquoi le génie de l'homme, émanation de l'idéal divin, ne ferait-il pas des œuvres admi- rables ? "
Paul regarda longtemps. Que d'édifices majes- tueux couronnaient les sept collines et formaient par leur réunion des montagnes d'architecture grecque et romaine ! Quels portiques ! Quelles colonnades superposées ! Que de palais, que d'arcs de triomphe ! Que de théâtres et de ther- mes ! Paul se faisait nommer les monuments, les plus élevés qu'il indiquait de la main ; mais il contempla surtout celui qui dominait tous les autres et qui était le temple de Jupiter au sonunet du Capitole. Son dôme de marbre et d'or qui scintillait aux feux du soleil lui rappela la coupole du Saint des Saints du temple de Jérusalem. Tout à coup, Paul inclina la tête sur sa poitrine et se prit à pleurer.
Luc s'approcha et lui dit : " Paul, pourquoi pieurez-vous ? "
Paul répondit : " Regarde ce temple splendide
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qui domine Rome. C'est le polythéisme fait monument, et l'autre merveille que nous avons quittée pour toujours peut-être, c'est le judaïsme pétrifié dans le temple de Jérusalem. Tous deux paraissent également indestructibles. Et cepen- dant, de l'un comme de l'autre, il ne restera pas pierre sur pierre.
" Les derniers jours de Jérusalem approchent, et tous les crimes qu'elle a commis et qu'elle n'a pas voulu laver dans les larmes du repentir, elle les expiera dans le sang et dans le feu. Le jour de la terrible expiation est presqu'arrivé pour elle. Or, il en sera de même du temple Capitolin quand Rome aura, comme Jérusalem, tué Jésus de Naza- reth dans ses apôtres et dans ses saints. De même que les soldats de Rome auront rasé Jérusalem, les barbares du Nord tiendront et détruiront la Rome païenne !. . . "
Quand Paul sortit du tombeau de Cecilia Metella les voyageurs reprirent leur marche, et bientôt ils passèrent devant le tombeau des Scipions et sous la porte Capena.
— 0 Romains, qui vous abandonniez tout récem- ment à des joies délirantes, quand vous rece\'iez dans vos murs le monstre à face humaine que l'histoire a nommé Caligula ! 0 vous, qui avez alors immolé plus de cent soixante mille victimes en actions de grâces pour cet inappréciable pré- sent des dieux ! 0 Romains, quel accueil allez-
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VOUS donc faire à cet homme qui vous apporte la vérité et la liberté ? Est-il donc vrai que vous allez le loger en prison ?
Quel aurait été votre étonnement quand vous l'avez rencontré aux portes du grand cirque si quelqu'un vous avait dit : C'est le plus grand des citoyens romains qui fait son entrée dans la capitale du monde civilisé. Humble et pauvre d'apparence, il y arrive comme le plus vulgaire des voyageurs, hâlé, fatigué du voyage et de la mer. Qu'y vient-il faire ? Du commerce ? Le trafic des produits d'Orient ? Cherche-t-il des richesses ou des plaisirs ? Oh ! des plaisirs, cette grande ville en est remplie. Elle est la grande prostituée vers laquelle accourent toutes les nations de la terre.
Y a-t-il des relations ? Appartient-il à quel- que grande famille ? Possède-t-il quelques mil- Hons de sesterces pour acheter quelque charge publique, ou arriver à quelque proconsulat, dans les provinces lointaines de l'immense empire ? Non, ni les richesses, ni les honneurs, ni les plaisirs ne l'attirent. Dormez en paix, ambitieux et courtisans, assoiffés de popularité, et poursuivez vos rêves de grandeur et de gloire.
Il ne vous fera pas concurrence celui qui entre à pied, couvert de sueur et de poussière, dans cette Voie Triomphale, qu'ont parcourue avant lui, avec toute la pompe et la majesté des dieux.
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les grands hommes de guerre, les conquérants et les Césars. Non, rien ne le tente .de ce qui attire et absorbe toutes vos facultés. Et cepen- dant, son ambition est plus haute que la vôtre, car elle domine même votre intelligence. Déjà, il a parcouru une grande partie du vaste empire romain, et partout il a laissé des traces de son passage. Partout, il a fait des conquêtes que vous ne soupçonnez pas, car ce sont des millions d'âmes qu'il a conquises à la foi de Jésus-Christ.
Vous ne connaissez en ce monde que les forces matérielles. Lui connaît la force morale, et il la possède ; et il la met au service de Jésus de Naza- reth. Et avec cette force que vous ignorez, il renversera tout • — autels des dieux et trônes des Césars, institutions séculaires et décrets du sénat, puissance militaire, culte des faux dieux, temples et palais. Tout croulera au souffle de l'esprit nouveau que cet homme apporte, et tout sera renouvelé et rajeuni. Ce sera sa Rome, à lui, qui deviendra la Ville Eternelle. IMais en attendant que les jours de ce grand triomphe se lèvent sur le monde, Paul n'est qu'un pauvre prisonnier ; et c'est au Castrum Prœtorianum que le centurion le fait conduire.
Il semble tout d'abord que Paul commit une erreur en faisant cet appel à César ; car il aurait pu être relâché par Festus, comme l'a déclaré le roi Agrippa. Mais au contraire, sans qu'il ait
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songé peut-être à se montrer habile, son appel avait été un acte de grande habileté. Car s'il avait été relâché les Juifs auraient sûrement exé- cuté le complot qu'ils avaient formé de le faire mourir. En allant devant César non seulement il échappait à leurs atteintes, mais il allait à Rome, qu'il se proposait de visiter depuis quelques années ; et il y était transporté aux frais de l'Etat.
Une fois devant le tribunal de César, Paul n'avait plus qu'à attendre que ses accusateurs de Judée et leurs témoins se présentassent à Rome, pour soutenir leurs accusations. Cette attente se prolongea deux ans, et dans l'intervalle, Paul ne fut soumis qu'à une demie captivité. Cette hberté relative lui permettait de rempUr sa mis- sion, et d'opérer de nombreuses conversions. Il eut d'abord des relations avec les Juifs du Ghetto ; mais il n'oubha pas que sa mission spéciale était de convertir les Gentils.
Cette œuvre était déjà commencée, et l'Eglise Romaine était fondée, puisqu'il avait écrit son épître aux Romains trois ans auparavant, alors qu'il était encore à Corinthe. En terminant cette épître, il énumérait les personnes qu'il connais- sait déjà, et auxquelles il envoyait des saluta- tions.
Suivant la ligne de conduite qu'il s'était tracée, Paul commença par faire connaître sa mission aux Juifs. Dans une réunion convoquée par lui-
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même il leur déclara qu'il n'avait jamais combattu ni les Juifs qui étaient ses frères, ni leurs insti- tutions. Ses frères de Judée l'en avaient accusé, mais à tort ; sa croyance dans l'avènement ac- compli du Messie avait été la seule cause de son arrestation. Les Juifs répondirent sans se com- promettre, et demandèrent une autre réunion plus nombreuse.
Cette seconde assemblée eut lieu quelques jours après. Elle dura tout un jour et fut très orageuse. Pendant des heures, Paul exposa sa doctrine, c'est-à-dire la doctrine du Christ. Pen- dant des heures il discuta très fortement avec ses nombreux contradicteurs. A la fin, il s'indi- gna comme son Maître dans ses dernières prédi- cations au temple de Jérusalem, et il les fiageUa avec une éloquence véhémente. Il leur appliqua les reproches du prophète Isaïe : " qu'ils ne voyaient pas et qu'ils n'entendaient pas, parce qu'ils ne voulaient ni voir ni entendre " ; et il leur annonça que le salut qui leur était offert, et dont ils ne voulaient pas, serait désormais porté aux Gentils, et reçu et accepté par eux.
Un petit nombre s'attachèrent à lui, mais le plus grand nombre repoussèrent son enseigne- ment. Dès lors, Paul se retourna tout à fait vers les Gentils, suivant la mission qu'il avait reçue.
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XXXV CIVIS ROMANUS SUM
Plusieurs fois, dans ses courses à travers le mon- de, Paul avait dû prononcer ces paroles pour se pro- téger contre les Juifs. Etrange situation nationale, Paul, qui était juif, était partout poursuivi, per- sécuté, menacé de mort par ses compatriotes. Mais alors il invoquait son titre de citoyen romain, et ce titre seul faisait trembler ses ennemis.
A Philippes, nous avons ^^l les magistrats s'hu- milier devant lui, et venir eux-mêmes lui ouvrir les portes de la prison dès qu'ils apprirent qu'il était citoyen romain.
A Jérusalem, le tribun Lysias avait donné l'or- dre de le flageller ; mais il avait révoqué cet ordre, dès que Paul lui eut dit : Il ne vous est pas per- mis de flageller un citoyen romain qui n'a été con- damné par aucun tribunal.
Et maintenant, Paul était dans Rome, la capi- tale du monde civilisée, la grande \'ille qu'il pou- vait appeler sa ville, puisqu'il y avait le droit de cité.
Il n'y était pas renfermé dans les murs d'une pri-
• son, comme à Philippes, et à Jérusalem, et la garde
du soldat prétorien lui laissait assez de hberté pour
y habiter une maison louée par lui-même. Quel
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fut alors son genre de vie ? A* quelles œuvres con- sacra-t-il ses journées ! L'histoire, hélas ! n'en dit presque rien ; et saint Luc se contente d'écrire les Ugnes suivantes :
" Paul demeura deux ans entiers dans une mai- son qu'il avait louée. Il recevait tous ceux qui ve- naient le \dsiter, prêchant le royaume de Dieu, et enseignant ce qui regarde le Seigneur Jésus-Christ, en toute hberté et sans empêchement."
Dans quel quartier de la grande \dlle vécut-il ? Plusieurs écrivains sont d'opinion qu'il aurait ha- bité une maison au coin des rues qu'on nomme au- jourd'hui St Barthélémi dei Vaccinari et Stren- gari, dans le Ghetto. Mais, cela me paraît fort douteux, les Juifs avaient très mal reçu ses pre- mières prédications, et Paul leur reprochant sévè- rement la dureté de leur cœur s'était tourné vers les Gentils auxquels il était spécialement envoyé.
Il n'y avait donc aucune attraction pour lui dans le quartier des Juifs, qui était d'ailleurs trop éloigné du Camp Prétorien, sous la garde duquel il était placé.
La tradition cathohque à Rome a toujours cru qu'il habita ce qui est aujourd'hui la crypte de l'église de Santa Maria in Via Lata (Sainte Marie du Corso). C'était encore un peu loin du Camp Prétorien, mais c'était bien au centre de la partie la plus populeuse de la ville, l'endroit où circulait la foule, et où Paul pouvait entrer le plus facilement
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en relation avec les Romains de toutes les classes.
Il me parait donc raisonnable d'accepter cette tradition. Les chrétiens étaient déjà nombreux à Rome. Qui donc y avait fondé l'Eglise de Jésus- Christ ? De nombreux témoignages ont établi la tradition constante que ce fut Pierre, qui \'int à Rome, pendant que Paul évangélisait une partie de l'Asie Mineure.
Mais Pierre s'était dévoué plus spécialement aux circoncis tandis que Paul était l'apôtre des incir- concis.
En terminant son Epître aux Romains, Paul avait dit : Saluez Prisca (ou Priscilla) et Aquila ; et saluez aussi V Eglise qui est dans leur maison. . . Saluez ceux de la maison d'Aristobule ; vSaluez ceux de la maison de Narcisse qui sont dans le Sei- gneur. . . Saluez Asyncrite etc. etc. et les frères qui sont avec eux. Saluez Philologue etc. etc. et tous les saints qui sont avec eux. Toutes les Eglises du Christ vou^ saluent.
Dans toutes ces salutations Paul désignait évi- demment autant de groupes chrétiens dont les maisons contenaient des chapelles, ou étaient éri- gés en égUses
Et il y en avait d'autres. Il y avait celle de Clément, dont on a retrouvé l'oratoire sous la crypte de l'égUse de saint Clément à Rome. Il y avait la maison du sénateur Pudens, où saint Pierre résida, célébra les saints mystères, consa-
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cra lin et Clet, qui furent ses successeurs.
Il y en avait d'autres encore, dont l'histoire ne nous a pas fait connaître les noms, et qui n'étaient pas connues du public romain. Car le grand nombre des chrétiens dans la ^dlle des Césars ne fut connu qu'au jour où la persécution commença, sous Né- ron, alors que Tacite annonce qu'il y en avait une grg^nde multitude, ingens multitudo.
Dès que Paul eut pris son logement dans la via Lata, il n'est pas douteux qu'il en transforma une grande partie en église, qu'il y célébra les saints mystères, et qu'il en fit le lieu principal de ses pré- dications.
Bien souvent sans doute il alla prêcher aussi dans l'église érigée par Priscilla et Aquila dans leur maison du mont Aventin, dont il reste encore des vestiges ; et dans celle du sénateur Pudens, qui s'élevait à l'endroit où l'église de Sainte-Puden- tienne attire aujourd'hui tous les pèlerins de Rome.
C'est là que Pierre avait prêché avant lui, et opéré de nombreuses conversions. L'édit de Claude contre les Juifs l'avait contraint à quitter Rome et à retourner en Orient.
Mais Paul se rappelait les prédictions de Jésus de Nazareth, et il avait le pressentiment qu'un jour Pierre se retrouverait à Rome avec lui, et que tous les deux, ils verseraient leur sang comme leur Maî- tre, pour cimenter les murs de l'Eglise bâtie sur Pierre.
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Le champ d'action qui venait de s'ouvrir devant lui était immense. Rome était le centre de ce vaste monde des Gentils qu'il avait la mission d'évan- géliser. Rome était la grande voie ouverte à toutes les nations de la terre ; mais il n'oubliait pas les nomlireiises églises qu'il avait déjà fondées chez les peuples d'Orient.
Il restait en communications constantes avec elles, et ne pouvant plus leur parler de ^ive voix il leur écrivait. C'est de Rome que sont datées ses admirables lettres aux Ephésiens, aux Philippiens, aux Hébreux, aux Colossiens, à Philémon, à Tite de Crète. C'est à Rome qu'il projetait d'aller \dsiter les Gaules et l'Espagne, dès qu'il aurait recouvré la liberté.
Sa maison était sans doute très fréquentée, et il avait auprès de lui pour l'assister dans le saint mi- nistère Luc, le médecin bien-aimé, auquel il faisait écrire les Actes des Apôtres. Timothée qui écri\'it avec lui Vépître aux Philippiens, Tychique, qui fut le porteur des épîtres aux Ephésiens et aux Colossiens ; Démas qui l'abandonna plus tard, Tite qui alla en Dalmatie et en Crête, Cres- cent, qui fut envoyé en Galatie, et d'autres encore.
Il avait en outre des relations très utiles dans le monde, parmi ceux qu'il convertissait à la foi. Sa lettre aux Philippiens se termine ainsi : Les frères qui sont avec moi vous saluent. Tous les saints
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VOUS saluent, et principalement ceux de la maison de César."
Cette salutation spéciale des chrétiens de la mai- son de César a son importance. Paul ne les nomme pas, par prudence, et pour ne pas les exposer aux délations. Mais il sait bien que les chrétiens d'O- rient seront heureux d'apprendre que le christia- nisme a pénétré jusqu'à l'intérieur du palais des Césars, et s'y développe sous la direction de l'a- pôtre.
De la via Lata Paul pouvait se rendre au mont Palatin en quelques minutes de marche ; et non seulement il y rencontrait des amis dévoués, mais il y visitait fréquemment les officiers du Prétoire pour demander qu'on lui fît son procès, et pour les informer qu'il se tenait toujours à la disposition de la garde prétorienne, logée au palais même.
Le Camp Prétorien, composé de plusieurs co- hortes de troupes choisies était situé au nord de Rome, entre la via Nomentana et les Thermes de Dioclétien. C'était ce corps de troupes qui nom- mait généralement les empereurs, et Tune de ces cohortes formait la garde impériale et habitait le Palais.
Les visites fréquentes de Paul au Prétoire, et au camp prétorien, ses relations avec les officiers, surtout avec ceux de la Garde, logés au Palais, ses prédications aux nombreux chrétiens dissé- minés un peu partout, l'avaient fait connaître
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dans toutes les classes de la société romaine.
On savait qu'il était juif, mais que les Juifs le persécutaient, ce qui lui assurait la sympathie des Romains. Car les Juifs étaient considérés comme des ennemis plus ou moins déguisés de Rome.
On savait qu'il était venu de Jérusalem pour y subir un procès, en appel devant le tribunal de César ; mais on savait aussi qu'il n'était accusé d'aucun crime, et que c'était seulement à cause de ses opinions religieuses que ses compatriotes le per- sécutaient.
On le disait savant, éloquent, versé dans les Lettres hébraïques, grecques et latines ; et l'on affirmait qu'il avait converti à la reUgion qu'il professait un grand nombre de villes de la Pa- lestine, de l'Asie Mineure, de la Macédoine et de la Grèce.
On racontait enfin qu'il accompUssait des pro- diges bien plus grands que ceux de Simon le Magicien, surnommé la Grande Vertu de Dieu . . .
Parmi ceux que Paul convertit dans le palais impérial le martyrologe mentionne Torpès, grand officier de l'empereur, et son échanson Evellius.
Comment Sénèque qui connut certainement le grand apôtre et qui l'entendit sans doute parler de Jésus-Christ ne fut pas converti ?
Nous ne le savons pas. Mais nous savons très bien quels sont les obstacles qui empêchent ordi- nairement la conversion des savants et des hom-
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mes de lettres. Tantôt c'est l'orgueil, et tantôt ce sont les amours illégitimes. Et puis, Néron, l'élève de Sénèque et de Burrhus, ce monstre qu'ils avaient eux-mêmes formé, ne leur laissa ni la liberté ni le temps nécessaires pour embrasser la vie chré- tienne. Burrhus fut empoisonné en 61 par ordre de l'empereur, et Sénèque s'empoisonna lui-même sur un ordre semblable. Gallion, son frère, procon- sul à Corinthe, se perça lui-même de son épée quand il fut disgracié.
Et pendant que ces hommes disparaissaient dans l'ombre d'une mort sans gloire, Paul conti- nuait sa mission dans la calme sénérité d'une foi inébranlable, et dans la douce satisfaction du de- voir accompU. Il voyait les âmes venir à lui de tou- tes les directions et de toutes les contrées, poussées par l'Esprit, et trouvant dans les œuvres de la foi chrétienne la paix de la conscience et l'espérance d'un bonheur sans fin dans un monde meilleur.
Pour lui-même il ne cherchait ni les honneurs, ni la gloire, et cependant le jour venait où tous ces grands hommes, qu'il coudoyait sur son chemin si modeste et si laborieux, seraient oubliés, pendant que des miUiers de voix chanteraient sa gloire, dans le monde entier.
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LE PROCÈS DE SAINT PAUL
Au printemps de l'an 63, il y avait près de deux ans que saint Paul était soumis à la détention plus ou moins gênante d'un prévenu, suivant la loi romaine. Comme on l'a vu, il jouissait d'une liberté plus ou moins large ; mais il ne pouvait pas sortir de Rome, et cela nuisait à son prestige d'être sous le coup d'accusations dont le public ignorait la nature.
Plusieurs fois, il avait demandé au préteur qu'on lui fit son procès ; mais l'affaire référée à un conseil de Justice était toujours ajournée, à la demande même des accusateurs de Jérusalem, qui, satisfaits d'être débarrassés de l'apôtre, ne demandaient pas mieux que de prolonger la litis- pendance.
Elle aurait pu durer longtemps encore, si un autre procès d'un personnage éminent n'était pas venu se joindre au sien d'une façon qui lui parut pro\'identielle.
Un jour, il \dt entrer dans sa maison le procon- sul de Chypre, Sergius Paulus, l'un de ses pre- miers disciples, et son ami le plus dévoué. Ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, et s'embras- sèrent avec effusion.
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'' O Sergius Paulus, quelle est ma joie de vous revoir ! Mais qu'est-ce qui vous amène à Rome ?
— A peu près les mêmes raisons qui vous y ont amené vous-même.
— Vous êtes dénoncé et accusé par les Juifs ?
— Oui, et je viens me défendre.
"Vous vous souvenez de votre mission dans l'île de Chypre, et comment vous m'avez converti à la foi chrétienne. Non seulement je n'en ai jamais fait un secret, mais j'ai affirmé publique- ment ma foi, et je l'ai même prêchée dans des assemblées publiques.
"Les Juifs cj'priotes m'ont alors dénoncé à Rome, et m'ont accusé d'appartenir à une secte ennemie de l'espèce humaine, fondée par un nommé Jésus, et propagée par ses disciples dont le plus dange- reux est Paul de Tarse.
— Ah ! Seigneur Proconsul, c'est bien cela. Et le vrai coupable, c'est moi.
— Pendant quelques années, les accusations portées contre moi ne sont pas sorties du domaine des controverses rehgieuses, et les autorités judi- ciaires de Rome n'en ont pas été émues. De sim- ples lettres écrites au préteur et au Sénat par moi-même ont suffi à me disculper.
"Mais alors les prêtres juifs, auxquels des mem- bres du Sanhédrin de Jérusalem sont venus se joindre, ont eu recours aux grands moyens qu'ils ont employés contre Jésus lui-même et contre
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tous ses disciples. Ils m'ont accusé de haute tra- hison. Je suis un ennemi de Rome !
— Ah ! oui, c'est là le grand moyen. C'est avec ce mensonge qu'ils ont effrayé Pilatus et qu'ils ont triomphé de ses résistances. Et c'est la même accusation qu'ils ont portée contre moi dans toutes mes missions pour m'aliéner les auto- rités romaines — qui m'ont généralement rendu meilleure justice. Mais, dites-moi, Chryséis et Paulina sont-elles avec vous ?
— Oui.
— Et sont-elles restées fidèles ?
— Elles sont fermes dans la foi.
— Dieu soit béni ! Et votre procès sera-t-il bientôt fait ?
— Je l'espère. Le Préteur m'a promis de faire prompte justice, et mon ami Pline, qui s'est chargé de me défendre, va presser la procédure.
— Vous êtes bien heureux. Il y a près de deux ans que je suis en instance auprès du Préteur, sans pouvoir réussir à me faire entendre.
— Aucun avocat ne s'occupe de votre affaire ?
— Oh ! non. Qui voulez-vous qui s'intéresse à moi ?
— Mais, mon cher Paul, c'est moi qui vais m'intéresser à votre cause, et c'est Phne qui va la défendre. Nos causes sont identiques. Pline les fera fixer au même jour. Les mêmes témoins pourront être entendus, et le même jugement
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devra être rendu dans l'une et dans l'autre.
— Cher ami, c'est Dieu qui vous envoie à mon secours. "
Sergius Paulus avait des relations nombreuses et puissantes dans Rome, et surtout dans le Sénat. Pline, surnommé l'Ancien, n'avait alors que quanrante-un ans, et pratiquait encore au barreau. C'est plus tard qu'il entreprit d'écrire l'Histoire de Rome. Il était l'ami du proconsul de Chypre, et il lui accorda volontiers l'appui de ses connais- sances légales et de son éloquente parole.
Les deux causes furent fixées au même jour, et consolidées, comme on dirait aujourd'hui, dans le langage de la procédure.
Ce fut au huitième jour des (dies fasti) que le procès eut lieu dans la basilique Julia.
Cet édifice, bâti par Jules César, qui lui avait donné son nom, occupait l'emplacement des Anciennes Tavernes, Veterœ t]abernœ, sur le côté du forum touchant au mont palatin. C'était une splendide basilique dont le portique à double rangée de colonnes bordait la Voie sacrée. Un es- calier de marbre composé de sept marches y conduisait.
A l'intérieur, une vaste salle d'audience, en- tourée de deux galeries superposées, soutenues par des piUers de marbre, se terminait au fond de la nef principale par une estrade, ou tribune élevée, où siégeaient les préteurs et les sénateurs qui
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formaient le tribunal. Six colonnes corinthiennes et une balustrade séparaient les magistrats du public, et sur le coin droit du podium se dressait la statue de la Justice.
On faisait chaque année une liste nombreuse des personnes qualifiées à exercer la judicature, et le Préteur tirait au sort les juges chargés d'en- tendre les différentes causes inscrites au rôle. On les choisissait parmi les sénateurs, les che- valiers, les tribuns du Trésor, et les centurions.
Leur nombre variait mais était régulièrement impair.
L'accusé avait droit de récuser un certain nombre de juges, comme il peut dans notre pro- cédure criminelle récuser les jurés.
Le tribunal, une fois composé, les juges étaient assermentés devant le Préteur, qui ne jugeait pas lui-même, mais qui recueillait les scrutins après la preuve et les plaidoiries entendues, et qui pro- nonçait le verdict de la majorité.
Le Conseil (consihum), formé pour juger le proconsul de Chypre et Paul, était composé de quatorze sénateurs et de sept chevaliers.
Les annales judiciaires de cette époque rap- portent de fréquents scandales, non seulement des subornations de témoins, mais des corruptions de juges. Il n'y eut rien de semblable dans ce procès de Sergius Paulus et de Paul.
La grande réputation de Pline et son autorité
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-assurèrent la conduite régulière de la cause, et l'empêchèrent de dégénérer en controverse reli- gieuse.
La persécution des chrétiens qui allait devenir si terrible quelques années plus tard n'était pas encore commencée à cette époque du règne de Néron, et il ne suffisait pas qu'un homme s'avouât chrétien pour mériter la mort.
Les accusateurs juifs de Jérusalem essayèrent donc en vain de convaincre le tribunal que la nouvelle religion qu'on nommait chrétienne était nécessairement ennemie de Rome. Ils savaient très bien que ni Sergius Paulus, ni Paul, n'hési- teraient à confesser leur foi, et qu'ils seraient dès lors condamnés, si le tribunal en venait à croire que les chrétiens étaient des rebelles.
Mais Pline voyait très bien le jeu des Juifs, et il n'était pas seulement un habile avocat. Il avait l'esprit large, et l'amour de la liberté, dans toutes les questions de religion. Il savait combien de divinités de la Grèce et même de l'Egypte avaient leurs temples ouverts dans Rome.
Quelle que fût donc la nouvelle religion de Sergius Paulus, peu lui importait, et peu impor- tait à la patrie romaine pourvu que Sergius fût un loyal et fidèle sujet romain.
De leur côté, les Juifs pensèrent qu'en identi- fiant le plus possible la cause de Sergius Paulus avec celle de Paul ils réussiraient à soulever
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contre le proconsul tous les griefs qu'ils invoquaient contre l'apôtre des Gentils. Est-ce que Paul n'était pas un séditieux, un agitateur, qui trou- blait la paix publique ? Est-ce qu'il n'avait pas été dénoncé comme tel par ses compatriotes, tra- duit devant les tribunaux, emprisonné, flagellé et même lapidé, dans toutes les villes qu'il avait prétendu convertir à sa religion ?
Et Sergius Paulus, n'était-il pas l'un de ses premiers néophytes, et l'un des chefs de cette secte turbulente et factieuse qui menaçait la tranquillité romaine ?
La question ainsi posée, il parut aux juges que le meilleur témoignage à entendre dans cette cause était celui de Paul lui-même, parce que personne n'était mieux renseigné que lui sur les commencements de cette religion nouvelle qui se répandait dans le monde, et dont il était un des chefs.
L'interrogatoire dura longtemps, et les accu- sateurs juifs obtinrent facilement de la bouche de Paul le récit des troubles, des agitations popu- laires, et des émeutes, qui avaient eu lieu à la suite de ses prédications à Jérusalem et ailleurs. Mais Paul démontra non moins facilement qu'il n'avait jamais été l'auteur mais la victime de ces émeutes.
— Je n'ai prêché ma reUgion qu'à ceux qui ont bien voulu m' entendre, et je n'ai gêné la hberté
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de personne. Tout homme est libre de ne pas croire à ma parole ; mais c'est pour m'enlever la liberté de parole que les Juifs ont agité le peu- ple, et m'ont mis en prison, sans forme de procès, et sans avoir la sanction des autorités romaines.
" Oui, j'ai été plusieurs fois emprisonné, fla- gellé, et lapidé. A Lystres, on m'a laissé pour mort sous un monceau de pierres !
" Et cependant, je suis citoyen romain, fils de citoyen romain ; et je n'ai jamais commis la moindre offense contre les lois ou les autorités de Rome. Voilà le respect qu'ont mes accusateurs juifs pour le titre de citoyen romain! Les enne- mis de Rome, ce sont eux.
— Le judex quœstionis : Mais vous-même, n'êtes-vous pas Juif ?
— Oui, mais je suis en même temps un loyal sujet de Rome ; et la soumission aux autorités romaines est une des doctrines que je prêche à mes disciples, et que mes disciples prêchent à tous nos co-religionnaires.
" Ceux qui nous accusent, et qui nous pour- suivent ne peuvent pas en dire autant. Ils sont pour la plupart impatients du joug de Rome. Ils prétendent s'en affranchir, et le jour vient où les légions romaines auront à lutter contre eux. Mais ce n'est pas dans les rangs de ces rebelles que vous trouverez les chrétiens.
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— Pline : Quel est donc votre crime à leurs yeux ?
— Je vais vous le dire : Ils savent très bien que je ne suis pas un ennemi de César, et que je ne méprise pas les lois romaines. La loi qui les inquiète, et qu'ils prétendent défendre contre moi c'est la Loi de Moïse, qu'ils ne comprennent pas ou qu'ils comprennent mal.
" La Loi de Moïse était fondée sur la promesse d'un Messie, ou d'un Rédempteur. Or, cette promesse est accomplie. Le Messie est venu, mais ils n'ont pas voulu le reconnaître, et ils en attendent un autre.
" Non seulement ils ne l'ont pas reconnu ; mais ils l'ont fait mourir sur une croix.
— Le judex quœstionis : Comment s'appe- lait-il ?
— Il se nommait Jésus de Nazareth.
— Mais sa mort a dû mettre fin à toute pré- tention de sa part d'être le Messie ? Et je pré- sume que personne ne croit plus à sa Messianité depuis qu'il est mort.
— C'est é\ddemment ce qui serait arrivé s'il n'était pas ressuscité. Mais ce qui prouve vrai- ment sa Messianité et sa divinité, c'est qu'il avait prédit sa résurrection, et qu'il est vraiment ressuscité.
— Quelles preuves en avez-vous personnelle- ment ? L'avez-vous connu vivant ? L'avez-vous
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TU mort ? Et l'avez-vous revu après sa résur- rection ?
— Je ne l'ai pas connu avant sa mort. Je ne l'ai pas vu mourir sur la croix. Mais un grand nombre de témoins qui l'avaient vu mourir, l'ont revu ressuscité, et ont assisté à son ascension au <îiel.
— Et vous avez cru sans hésiter à leur témoi- gnage ?
— Oh ! non. J'ai été tout d'abord au nombre de ceux qui ont refusé de croire, et qui sont au- jourd'hui mes persécuteurs. J'ai moi-même persé- cuté avec eux ceux qui croyaient. Mais, un jour que je m'en allais de Jérusalem à Damas chargé par le Sanhédrin de faire arrêter et emprisonner tous ceux qui appartenaient à la croyance nou- velle, je fus soudainement renversé sur le chemin par une force mystérieuse, qui me rendit aveugle. En même temps, j'entendis une voix qui me parut venir du ciel, et qui me dit : '' Saul, Saul (c'est le nom que je portais alors) pourquoi me persé- cutes-tu ? — Qui êtes- vous, répondis- je à cette voix. — Je suis Jésus de Nazareth que tu persé- cutes, me dit-elle. "
" Depuis lors, la même voix m'a parlé bien des fois ; et c'est de Jésus lui-même que j'ai reçu tous les enseignements qu'il a donnés à ses disciples pendant qu'il vivait avec eux.
" C'est de lui également que j'ai reçu la mission
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de prêcher son Evangile dans le monde entier, et spécialement parmi les nations que les Juifs appel- lent les Gentils.
" Et c'est là mon crime aux yeux des Juifs de répandre partout la croyance que ce Jésus, qu'ils ont crucifié, est ressuscité des morts, et vivant à jamais.
— Le judex quœstionis : Je comprends très bien qu'ils ne vous croient pas ; car ce que vous racontez est difficile à croire ; mais ce n'est pas une raison pour vous maltraiter. Ils devraient se contenter de sourire et de vous laisser dire.
" J'imagine qu'ils sont peu nombreux ceux qui ajoutent foi à votre histoire étrange ?
— Si je pouvais vous dire le nombre de ceux qui croient à mon Dieu crucifié et ressuscité, vous seriez bien étonné. Ils se comptent par miUiers dans toutes les villes que nous avons évangélisées, en Asie Mineure, en Macédoine, et en Grèce.
— C'est bien extraordinaire. Et tous ces dis- ciples de votre Dieu crucifié restent soumis aux lois et aux autorités de Rome ?
— Parfaitement. "
L'interrogatoire de Paul était fini ; mais la poursuite fit entendre d'autres témoins, pour étabUr que les chrétiens étaient des ennemis de Rome. Pline leur demanda des faits, et des noms. Ils ne purent en fournir aucun. Au contraire, ils furent obhgés de reconnaître que les chrétiens
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qu'ils connaissaient étaient les plus honnêtes gens du monde, et que les fonctionnaires publics qui étaient devenus chrétiens étaient les plus fidèles serviteurs de l'Etat.
L'avocat des Juifs accusateurs, tous pharisiens, prétendit que la foi chrétienne de sa nature même était ennemie de la religion romaine et que les chrétiens étaient ainsi formés dans l'inimitié de Rome. Demandez-leur, dit-il à Phne, de sacrifier à Jupiter, dans son temple du Capitole, symbole de la puissance romaine, et vous verrez quelle résistance ils vous opposeront. . .
Mais Pline lui répondit :
■ — Et vous, qui appartenez à la Loi de Moïse, que feriez-vous si l'on vous commandait de sacri- fier à Jupiter ? L'avocat juif ne trouva rien à répondre. Et Pline continua :
" A Rome, la religion est fibre, et doit l'être. Un grand nombre de dieux, et même la déesse Isis ont leurs temples ouverts parmi nous, et les adorateurs d'Isis ne sont pas réputés pour cela de mauvais citoyens, ni des ennemis de Rome.
" Sénateurs et chevafiers, vous n'avez pas à juger les croyances religieuses de mes clients, mais leur conduite et leurs actions comme citoyens. Et si vous désirez savoir ce que Paul, qui est un chef chrétien, enseigne à ses disciples sur leurs devoirs envers l'Etat, écoutez ce qu'il écrivait aux Romains pendant qu'il était à Co-
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rinthe, il y a cinq ans : " Que tout {Rom., xiii, 1) " homme soit soumis aux autorités supérieures ; *' car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de " Dieu, et celles qui existent ont été instituées " par lui. C'est pourquoi celui qui résiste à l'auto- " rite résiste à l'ordre que Dieu a établi. . . "
Après cette éloquente plaidoirie de Pline, le Préteur distribua aux juges les bulletins qui con- tenaient les marques de leurs suffrages. Ils se retirèrent alors dans la chambre du Conseil ; le Préteur recueillit leurs suffrages, et prononça le jugement.
Il était selon la formule d'acquittement, " non videtur fecisse ", et couvrait les deux accusés, le proconsul et l'apôtre.
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XXXVII INSTAURARE OMNIA IN CHRISTO
Dès qu'il fut acquitté, Paul poursui\^t avec plus d'activité, et plus librement, son œuvre apos- tolique. .
Tout restaurer, tout renouveler dans le Christ, voilà quel était son programme à Rome. Dans cette viUe immense, qui avait bâti des temples à toutes les divinités des nations, il prêchait le Dieu unique et vrai, encore inconnu du monde civihsé.
Dans cet Olympe terrestre où les grands hom- mes se faisaient dieux, il annonçait le vrai Dieu qui s'était fait homme.
Où régnaient la corruption des mœurs, la soif des plaisirs et l'esclavage, il voulait étabUr la pureté de la vie, la tempérance, la charité et les autres vertus chrétiennes qui donneraient au peuple la liberté et le bonheur.
Prêchait-il seulement dans les églises parti- cuhères, dans les assemblées que les néophytes réunissaient dans leurs maisons ? Certainement non, puisque saint Luc termine les Actes des Apôtres en disant qu'il prêchait en toute hberté, et sans empêchement. Dans les premières années de son règne, Néron ne persécutait pas encore les chrétiens.
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Paul devait donc prêcher l'Evangile partout où il rencontrait une foule disposée à l'entendre, sur le forum, au champ de Mars, au Camp Pré- torien, dans les Thermes, peut-être.
Au forum, n'y avait-il pas les Rostres, la tri- bune aux harangues, où les honmies politiques,. les philosophes, les accusateurs publics trouvaient tous les jours, à certaines heures, un auditoire curieux d'apprendre ce qui se passait en ItaUe et dans les provinces, et a\'ide de connaître les doc- trines nouvelles qui venaient d'Athènes, d'Alexan- drie ou de Jérusalem.
Il est donc vraisemblable que Paul ait souvent adressé la parole au peuple du forum, à cette tribune aux harangues où tant de fois avant lui avaient parlé Cicéron, Hortensius, Caton l'ancien,, Brutus, Messala, et tant d'autres.
Les sujets de conférence ne manquaient pas,. et les questions rehgieuses éveillaient toujours- quelque intérêt dans les foules, malgré la déca- dence des mœurs. On sait qu'une simple profa- nation des mystères de la Bonne Déesse par le fameux Clodius avait failH causer une révolution dans Rome quelques années auparavant.
Les méditations religieuses de Cicéron sur les grands mystères de la vie future, les Tusculanes, le Songe de Sdpion, VHortensius, et ses traités De naivra Deorum et De Consolatione, étaient très lus et devaient attirer des auditeurs à saint Paul.
288 PAULINA
On se souvient du discours de l'apôtre devant l'Aréopage d'Athènes et du parti qu'il avait su tirer de Vautel dédié au Dieu inconnu. Il ne fut sans doute pas moins habile à Rome, et je présume qu'en s'adressant au peuple du forum il sut tirer parti de leurs croyances religieuses, de leurs autels et de leurs temples.
Sans doute, il n'oublia pas d'attirer leur atten- tion sur un certain autel que l'empereur Auguste avait érigé dans le temple de Jupiter, au sommet du Capitole, avec cette inscription : " Hœc est ara Primogeniti Dei ; c'est ici l'autel du premier- né de Dieu ".
Quel était ce Premier-né de Dieu que l'empereur avait voulu honorer ? Lui-même n'en savait rien. C'était l'oracle de Delphes qui le lui avait annoncé, comme successeur et comme maître du monde.
Mais ce que l'empereur Auguste ignorait, Paul le savait ; et c'était ce futur maître du monde qu'il venait annoncer aux Romains. Il était né d'une vierge, en Judée, sous le règne d'Auguste, et il avait pour père Dieu lui-même.
Paul connaissait son histoire sur terre, et il racontait aux Romains sa vie, sa mort, sa résur- rection. " Ce n'est pas une légende, leur disait Paul, ni une fable antique comme celles de vos divinités ; c'est une histoire vraie, toute récente, dont les nombreux témoins \'ivent encore ; un
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grand nombre vivent ici même à Rome, et ils vous diront comment ils ont cru à la divinité de ce Dieu nouveau. "
Et Paul leur racontait sa propre histoire ; et il invoquait le témoignage de Luc et des autres disciples, et des Juifs récemment venus de la Judée et convertis à la foi chrétienne.
Mais la parole du grand apôtre était confirmée bien souvent par d'autres témoignages plus élo- quents, je veux dire par les nombreux miracles qu'il faisait.
Parfois il évoquait les souvenirs du grand siècle qui venait de finir, et des grands hommes qui l'avaient illustré. Comme il avait cité un poète grec devant l'Aréopage d'Athènes, il invoquait devant les Romains l'autorité de leur plus grand poète, Virgile, et de leur plus grand orateur Cicé- ron. Il tirait de leurs ouvrages des évocations de la Sybille de Cumes annonçant " une race nouvelle descendant des deux, un enfant extraor- dinaire, Fils des Dieux, noble rejeton de Jupiter qui allait bientôt gouverner le monde. . . " Et il leur disait : ''Ce futur maître du monde, que votre Mrgile n'a pas connu, je viens vous le faire connaître.
" On a cru qu'il viendrait de la Judée, et l'on ne s'est pas trompé. C'est là qu'il est né, c'est là qu'il est mort, c'est là qu'il est ressuscité, c'est là qu'il a fondé son royaume, et c'est de là que
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son règne va s'étendre dans le monde entier, " Mais ne croyez pas, Romains, que son règne soit une menace pour la puissance romaine. Ce n'est pas un royaume temporel que notre Dieu, le Dieu des chrétiens, est venu établir sur la terre. C'est une souveraineté toute spirituelle exerçant son empire sur les âmes, et non sur les royaumes de la terre.
" Ne confondez pas les chrétiens avec les Juifs de Jérusalem qui sont révoltés contre Rome. Ceux-ci sont les ennemis des chrétiens, comme ils sont les ennemis des Romains. Ce sont eux qui n'ont pas voulu reconnaître notre Dieu Jésus, et qui l'ont fait mourir sur une croix. Mais il a prouvé qu'il était Dieu en ressuscitant des morts, et en remontant au ciel, d'où il était descendu, comme l'annonçait Virgile : " Nova progenies cœ- lo demittitur alto. "
Paul n'était pas seul à propager partout la parole évangéhque. Il avait de nombreux dis- ciples qui enseignaient avec lui la vérité chré- tienne, et, comme son maître Jésus, il avait de saintes femmes qui l'accompagnaient un peu partout et qui collaboraient largement aux œuvres apostohques.
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XXXVIII SAINT PAUL ET LA FEMME
Quand, aux jours de la création, Dieu a pro- noncé cette parole : " Il n'est pas bon que l'hom- me soit seul, " il a posé une grande loi de l'huma- nité qui ne concerne pas seulement la multipli- cation de l'espèce humaine, mais qui exprime aussi la nécessité de l'assistance féminine dans toutes les œuvres de l'homme.
Quelle que soit la mission que l'homme ait à remplir, et quelles que soient les œuvres qu'il entreprenne, il est bien rare qu'il puisse se passer de l'aide de la femme.
Il semble bien toutefois qu'une exception s'im- pose, quand il s'agit de la mission du prêtre, qui doit avoir avec la femme le moins de relations possible, puisqu'il a embrassé le célibat et fait vœu de chasteté. Mais il ne faut pas oublier cependant qu'il est le confesseur obligé et le directeur spirituel de la femme — ce qui étabUt entre eux des relations du caractère le plus intime.
Les hommes du monde se scandaUsent aisé- ment de cette intimité parce qu'ils n'en compren- nent pas bien le caractère. Ils le comprendraient mieux s'ils étudiaient davantage l'hagiograpliie, et surtout l'histoire des saintes amitiés qui ont
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existé entre les grands saints et les grandes saintes. C'est une étude des plus intéressantes et des plus vastes à faire. A chaque page, on y constate ces deux faits : l'apostolat évangélique confié à l'hom- me, et la participation plus ou moins large de la femme dans cet apostolat.
Le Nouveau Testament nous en fournit les premiers exemples, et, partout dans sa mission publique, Jésus-Christ est accompagné de plu- sieurs saintes femmes. Les apôtres ont suivi l'exemple du Maître, et les femmes ont contribué largement aux œuvres apostoliques de la primitive Eglise.
Un grand nombre sont louées dans les épîtres de saint Paul. Ce fut l'une de ces femmes, nom- mée Phœbé, qui porta de Corinthe à Rome la célèbre épître aux Romains, et voici dans quels termes il parle d'elle en terminant sa lettre :
" Je vous recommande Phœbé, notre sœur, qui est diaconesse de l'Eglise de Cenchrée, afin que vous la receviez en notre Seigneur d'une manière digne des saints, et que vous l'assistiez dans toutes les choses où elle pourrait avoir be- soin de vous ; car elle aussi a donné aide à plu- sieurs et à moi-même. "
L'EgUse de Cenchrée était une des fondations de saint Paul à Corinthe, et Phœbé en était l'une des diaconesses ; c'est dire qu'elle s'occupait du soin des pauvres et des malades, et de
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rinstruction des catéchumènes de son sexe.
Après elle, l'apôtre des Gentils salue ses vieux amis Prisca et Aquila, qu'il appelle ses collabora- teurs en Jésus-Christ, et qui pour sauver sa vie ont mis leur cou sous la hache. L'amitié la plus tendre et la plus forte unissait évidemment l'apô- tre à ce couple d'élite, et les deux époux étaient inséparables. Dans l'histoire, ils semblent ne former qu'un seul personnage, et toujours agir ensemble.
Prisca, qu'on nomme aussi Priscilla, partageait la foi, les sentiments, et le zèle apostolique de son époux, et peut-être lui était-elle supérieure par l'intelligence.
Les trois amis fabriquèrent des tentes ensem- ble, à Corinthe et à Ephèse, et dans cette dernière ville, ainsi qu'à Rome, la maison des époux servait d'éghse aux chrétiens d'alors.
Dans quelle ville, et à quelle occasion ont-ils sauvé la vie de l'apôtre partout persécuté ? Paul ne le dit pas, probablement parce qu'en exposant leur propre vie ils n'avaient accompli qu'un acte de dévouement habituel.
Quelle joie ce dût être pour les trois amis de se retrouver ensemble à Rome et d'y souffrir le martyre vers le même temps !
L'épître aux Romains nomme aussi Perside, et Paul l'appelle la bien-aimée. Quelle femme a pu mériter ce titre sous la plume de saint Paul ?
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Et qu'avait-elle fait pour gagner pareille amitié d'un si grand homme ? La nature du sentiment qui les unissait est révélé par ces mots de l'apô- tre : " elle a beaucoup travaillé dans le Seigneur ! " C'est le travail commun dans le Seigneur qui unissait ces deux cœurs. Tous deux étaient apô- tres, chacun selon ses facultés. Ces saintes amitiés que le monde ignore sont en réalité plus tendres et plus durables que les amours humains.
Et que d'autres femmes ont mérité l'amitié du saint apôtre dans ses missions lointaines ! A Philippes, c'est une marchande de pourpre, de Tyatire ; saint Luc la nomme Lydie. Elle écoute la prédication de Paul, et le Seigneur lui ouvre le cœur. Elle ouvre alors sa maison à l'apô- tre, et ses instances le forcent à accepter l'hospi- tahté. O Lydie ! L'amitié de Paul orne ta tête d'une auréole plus brillante que la pourpre que tu vendais dans les bazars de Tyatire !
A Lystres, c'est Eunice, la mère de son cher Timothée, et Loïs, son aïeule qui ont pris place dans le cœur du sensible apôtre. Coimnent ne les aimerait-il pas ces femmes qui lui ont donné Timothée ?
Elles n'avaient rien de plus cher au monde que cet enfant qui était la chair de leur chair, et qui possédait toutes les perfections. Et cependant «lies n'hésitèrent pas à s'en séparer, et à le confier à Paul dont elles connaissaient la vie errante et
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pleine de sacrifices. Quelle affection de Paul pou- vait payer cet inappréciable présent ?
Aussi n'est-on pas étonné de voir avec quelle tendresse l'apôtre affectionnait son disciple. En lui, sans doute, il aimait aussi Eunice et Lois ! Le même attachement les liait ensemble, et lors- que Paul dans sa deuxième épître à Timothée fait l'éloge de sa foi, il lui dit: " cette foi habita d'abord dans ton aïeule Lois et dans ta mère Eunice. "
— Que ferez-vous de mon fils bien-aimé ? disait la mère de Timothée (Eunice) à Paul.
— C'est le Christ qui disposera de son sort, selon la vocation qu'il lui a donnée. Votre Timo- thée a les yeux tournés vers le ciel, comme les enfants nés au bord de la mer ont les yeux tournés vers les voiles qui franchissent l'océan, et qui ressemblent à des ailes tendues vers les célestes horizons. "
Comme on le voit, saint Paul attirait à lui les femmes chrétiennes pour en faire les zélatrices de son ministère et de ses œuvres. Mais il n'aurait pas encouragé le féminisme de nos jours.
Dans sa première épître à Timothée il dit : *' Je ne permets pas à la femme d'enseigner, ni de prendre de l'autorité sur l'homme ; elle doit se tenir dans le silence. Car Adam a été formé le premier, Eve ensuite ; et ce n'est pas Adam qui a été séduit, c'est la femme qui ayant été séduite tomba dans la transgression. "
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" Néanmoins, la femnie sera sauvée en devenant mère, si elle persévère dans la foi, dans la cha- rité, et dans la sainteté unies à la modestie. "
La grande mission et les grandes douleurs de la maternité voilà ce qui sauve la femme. De- venir mère, voilà son rôle et son admirable tra- vail ; et c'est pourquoi l'apôtre ajoute en parlant des veuves encore jeunes :
" Etant oisives, elles apprennent à aller de maison en maison ; et non seulement elles sont oisives, mais encore causeuses et intrigantes, parlant de choses dont on ne doit point parler. Je veux donc que les jeunes veuves se marient, qu'elles aient des enfants, et qu'elles gouvernent leur maison. . . "
Dans une autre page de la même épître il re- commande tout spécialement la modestie aux femmes :
" Je veux que les femmes soient vêtues d'une manière décente, avec pudeur et modestie ; qu'elles se parent non de tresses, de bijoux, de perles ou d'habits somptueux, mais de bonnes œuvres comme il con\dent à des femmes qui font profession de servir Dieu. "
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XXXIX
L'ESCLAVAGE ET LA LETTRE A PHILEMON
Les relations de saint Paul avec les Eglises qu'il avait établies en Orient étaient très étendues ; et il comptait dans tous les pays qu'il avait suc- cessivement habités de nobles et fidèles amitiés.
Les salutations et les messages affectueux qui terminent la plupart de ses épîtres, nous font connaître les noms d'un grand nombre de ces amis. Il n'est pas douteux qu'il correspondait avec eux aussi souvent qu'il le pouvait. Malheu- reusement ces lettres privées ont été perdues.
Une seule, sa lettre à Philémon, a été conservée, et elle est si belle qu'elle nous fait bien regretter celles qu'il a dû écrire aux amis et amies qui vi- vaient loin de lui, et qui lui gardaient l'attache- ment le plus constant et le plus dévoué.
J'ai souvent éprouvé ce regret en lisant les lettres de Cicéron, celles de Pline le Jeune, et surtout celles de saint Jérôme, parce que je me disais : Celles de saint Paul nous intéresseraient bien davantage.
Il y a une lettre de Pline à son amiSabinien qu'il est curieux de comparer à l'épître que Paul écrivit à son ami Philémon. Toutes les deux tou-
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chent à la même question, celle de l'esclavage.
Pour le païen, l'esclave était une chose et non un homme. Pour les Rabbins, il était l'objet d'un tel mépris qu'il n'était pas permis de lui enseigner la Loi de Moïse. Pline jugeait mieux que les païens ordinaires ; mais combien la lettre de Paul est supérieure à la sienne et cormne elle montre bien la beauté du christianisme ! En deman- dant à son ami Sabinien de pardonner à son affranchi la faute qu'il a commise, Pline ne soulève pas d'ailleurs la question de principe. Il invoque seulement le repentir et les larmes de l'affranchi, et recommande au maître la modération.
La lettre de Paul a bien plus d'élévation dans les idées, et plus de tendresse- dans les sentiments. L'apôtre avait alors auprès de lui son bien-aimé Timothée, et c'est à lui que Paul dicta sa lettre.
Toutes les classes des Gentils venaient à l'apô- tre, les grands et les petits, les savants et les igno- rants, les maîtres et les esclaves. Bien souvent, c'était par les esclaves qu'il arrivait aux maîtres.
Souvent donc, Paul se trouva en face de ce grand problème social de l'époque, l'esclavage.
Comment ? Par quels moyens l'Eglise nouvelle rémédierait-elle à ce grand mal ?
Les théoriciens sociaUstes d'aujourd'hui auraient trouvé la question bien simple et bien facile à régler. Ils auraient dit aux esclaves : " Vous êtes le nombre, et conséquemment la force. La
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nature vous a faits libres, et conséquerriment vous avez le droit pour vous. Réclamez le bien qui vous appartient, la liberté, et si on vous la refuse prenez-la de force. S'il faut pour cela tuer vos maîtres, tuez-les. "
Sans doute, cette grande émancipation opérée soudainement par la violence bouleverserait pro- fondément le monde, et ferait couler des fleuves de sang ; mais qu'importe ? Il n'y a pas de prix trop grand pour la liberté !
Paul se rendait très bien compte de cette situa- tion. Mais c'était une révolution pacifique que le Christ était venu prêcher aux hommes, et il leur avait dit : " Vous êtes tous frères ! "
Sans doute, l'esclavage et la fraternité seront en antagonisme, ou incompatibles. Mais peu à peu l'une modifiera et corrigera l'autre. L'amour fraternel infusera un sang nouveau dans le corps social. Les maîtres finiront par devenir des pères, et les esclaves sentiront grandir en eux les Uens d'une filiation nouvelle.
Voilà comment Paul comprenait que la grande révolution sociale s'accompUrait sans violence, sans autre sang à répandre que celui de Jésus, qui avait sufii pour racheter le monde. Mais en attendant que cette institution de l'esclavage tomba d'elle-même par la pratique de la charité chrétienne, il fallait en combattre les abus dans l'enseignement de l'Evangile.
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Et c'est ainsi que Paul disait : " IVIaîtres, ayez de l'affection pour vos esclaves : ne les traitez pas avec menaces, sachant que vous avez les uns et les autres un maître souverain dans les cieux, qui n'a aucun égard à la condition des personnes.
"Esclaves, obéissez à vos maîtres... Servez de bon gré, comme asservis au Seigneur et non pas aux hommes. "
Il dut sembler alors à l'immense peuple des esclaves que la religion nouvelle n'apportait guère de soulagement à leur triste situation. A ces maîtres cruels qui les martyrisaient, il fallait encore obéir ? Et la hberté qui leur semblait le plus grand des biens, ce Jésus dont Paul leur parlait, ne l'avait donc pas apportée à la terre ? . . . Et cependant il avait dit : "Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous fera hbres. "
Oui, il avait promis la liberté par ces paroles. Mais il avait en même temps déclaré que c'était la vérité qui les ferait hbres, c'est-à-dire que la vérité engendrerait la hberté. Donc ce n'était pas la violence, ce n'était pas le glaive qui leur donnerait la hberté, mais la vérité.
Quand la vérité régnera, eUe étabhra le règne de la charité. Quand l'esclave cessera de maudire son maître, quand il se soumettra sans révolte à la loi du travail, qui est la loi universelle pesant sur le maître comme sur le serviteur, et quand la
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vérité chrétienne aura enseigné au maître qu'il doit être juste et bon pour son esclave, qui est enfant de Dieu comme lui, et conséquemment son frère, et son égal devant Dieu, la vraie liberté régnera.
Mais ce qui complète et qui éclaire davantage la doctrine de Paul sur cette grave question de l'esclavage, c'est l'application qu'il eut l'occasion d'en faire lui-même.
Lors de son séjour à Colosses, il avait connu et converti à la foi chrétienne un homme riche et puissant de cette ville nommé Philémon, et qui lui avait rendu bien des services. Il était ainsi devenu son ami très cher.
Or, Philémon possédait des esclaves, et l'un d'eux, nommé Onésime, l'avait volé, et s'était enfui. C'était cet esclave que Paul avait retrouvé à Rome, perdu dans les bas-fonds de la capitale, et après l'avoir converti, il se l'était attaché. Onésmie était pour lui un serviteur précieux, plein de zèle et de dévouement pour son nouveau maître, auquel il eût volontiers consacré sa \de. Mais, suivant les lois du pays, Onésime appartenait à Philémon, et quoique ces lois fussent contraires au droit naturel, Paul pouvait-il n'en tenir aucun compte, surtout quand Onésime avait gravement péché contre son maître et mérité un châtiment ? Le problème était épineux. La solution que trouva Paul est admirablement exposée dans
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l'épître qu'il écrivit de Rome à Philémon en Im renvoyant Onésime pour lequel il réclame cepen- dant le pardon et la liberté.
Le grand apôtre commence par lui rappeler son amitié ; puis il loue sa charité et sa foi ; et, venant au véritable objet de sa lettre qui est l'affranchissement d' Onésime, il lui écrit :
" Bien que j'eusse tout droit dans le Christ de f or- donner ce qui est de ton devoir, j'aime mieux, au nom de la charité, t'en supplier, moi, Paul, \'ieux et, en plus, maintenant prisonnier du Christ."
Suivez bien les paroles du grand docteur et apôtre ; chacune d'elles est à retenir et à méditer. Il affirme son droit d'ordonner, mais il préfère supplier. Et cette supplication est touchante, pathétique, irrésistible. C'est en pleiu-ant que Philémon dut la lire.
Lisez-la vous-même, mon cher lecteur, et admirez :
" Je te prie donc pour mon fils que j'ai engendré' dans les fers, pour Onésime qui, au temps passé, ne t'a guère été utile, mais qui maintenant peut l'être à toi et à moi. Je te le renvoie, cet objet de ma tendresse. J'avais pensé d'abord à le garder près de moi pour qu'il me servît à ta place dans les chaînes de l'Evangile ; mais je n'ai rien voulu faire sans ton a\às, afin que la bonne œuvre que je te propose n'ait rien de contraint, et \'ienne de ton plein gré.
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" Peut-être Onésime n'a-t-il été séparé de toi pour un temps qu'afin que tu le recouvres pour toujours, non plus comme un esclave, mais comme un frère bien-aimé. Il est cela pour moi ; com- bien plus doit-il l'être pour toi, et selon la chair et selon le Seigneur. Si donc tu me tiens comme étroitement uni à toi, reçois-le comme moi-même. Et s'il t'a fait quelque tort, ou s'il te doit quelque chose, passe cela sur mon compte. "
On pourrait penser qu'il y a dans cette dernière phrase une simple promesse de reconnaissance, une obligation morale. Mais non, Paul entend bien s'obliger légalement et devenir le débiteur de Philémon. Car, à ce moment, il ôte la plume à Timothée, et il écrit lui-même :
" Moi, Paul — je l'écris de ma propre main — je ie paierai, sans te rappeler tout ce que de ton. côté tu me dois. "
Alors, Timothée reprend la plume et il ajoute,, sous la dictée de l'apôtre : k
" Oui, frère, puissé-je recevoir cette joie dans le Seigneur ! Réjouis mes entrailles dans le Christ. Je t'écris ceci plein de confiance en ta soumission ; je sais que tu feras plus encore que je ne dis. En. même temps, prépare-moi un logement, car j'es- père vous être rendu, grâce à vos prières.
" Epaphras, mon compagnon de captivité dans le Christ Jésus, Marc, Aristarque, Démas, Luc, mes collaborateurs te saluent. Que la grâce de
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Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec ton esprit ! " Quelle leçon et quel exemple les prêtres de l'Eglise trouveront dans cette épître, et dans les faits qu'elle rappelle, quand ils voudront remédier à un mal quelconque par la conciliation !
La force et la rigueur sont rarement des moyens de faire triompher le droit et la justice.
XL LES MISSIONS D'OCCIDENT
L'apôtre des Nations crut alors que le temps était venu pour lui d'accomplir le dessein qu'il avait formé dès son premier séjour à Corinthe de poursuivre ses missions apostoliques jusqu'en Espagne. L'Espagne était alors considérée comme l'extrémité occidentale du monde, et c'était le rêve gigantesque de saint Paul de porter l'Evan- gile jusqu'aux colonnes d'Hercule.
Il prit avec lui Torquatus, Aquila, Trophime d'Ephèse, et Sergius Paulus. L'ancien proconsul de Chypre habitait alors le mont Aventin.
Là s'était formé un groupe de chrétiens parmi lesquels se trouvait une grande dame romaine, appelée Pomponia Graecina. C'est à cette dame que Sergius recommanda tout spécialement sa femme et sa fiUe.
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Priscilla et Aquila habitaient le même endroit et une partie de leur résidence avait été érigée en église.
Tous les Chrétiens formaient pour ainsi dire une seule famille unie par la même croyance en Jésus-Christ.
Avant le départ pour l'Espagne, Sergius Paulus fut ordonné prêtre ; Chryséis et lui ayant fait vœu de vivre désormais dans la continence, comme frère et sœur.
Les cinq missionnaires prirent passage à bord d'un petit vaisseau phénicien qui descendit le Tibre jusqu'à la mer, et qui les transporta, après une navigation plus ou moins mouvementée, jus- qu'au port de Marseille.
Cette ville était déjà en grande partie chrétienne. C'était Lazare et ses sœurs Marthe et IVIarie qui avaient converti cette population à la religion du Christ. On l'appelait alors Massalia et Lazare ' en était le premier évêque.
Paul et se compagnons furent les hôtes du ressuscité de Béthanie, l'ancien ami du Sauveur, et Paul y prêcha la foi nouvelle.
De Marseille, les missionnaires se rendirent en barque jusqu'aux bouches du Rhône, et ils remon- tèrent le cours de ce beau fleuve jusqu'à Arlésium. C'était déjà une ville ancienne, très importante par son commerce, ses chantiers de construction et sa population qui dépassait cent mille âmes.
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Jules César y avait fait construire douze galères à trois rangs de rames pour conquérir Marseille qui s'était rangée du côté de Pompée. C'étaient les grands vaisseaux de guerre de ce temps-là.
Arlésium prit le nom de Julia tant que César en fut le maître ; mais elle reprit plus tard son nom primitif. Au moj^en âge elle fut la capitale du petit royaume d'Arles.
C'était une belle ville romaine possédant un amphithéâtre, le plus vaste de la Gaule, un théâtre, un cirque orné d'un obélisque, un forum et une vaste nécropole nommée les Champs Elysées. Arles possédait aussi des aqueducs, et des remparts construits par les Romains.
De tous ces monuments, il ne reste plus que des ruines très imposantes et très belles, qui attirent encore aujourd'hui les touristes du monde entier, dans la vieille \'ille française.
Nos trois missionnaires y firent un séjour de plusieurs semaines et leur prédication y fut telle- ment fructueuse que Paul y fonda une éghse dont Trophime fut le premier évêque.
Aujourd'hui encore, après dix-neuf siècles, le souvenir de saint Trophime y est resté vivant, et la cathédrale qui porte son nom est une des églises les plus remarquables de France. Son grand portail est un vrai chef-d'œuvre de l'art chrétien au XIP siècle, et la figure de saint Trophime y appa- raît sculptée dans la pierre.
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A côté de l'église s'ouvre le cloître de Saint- Trophime qui est une merveille d'architecture et de sculpture.
A partir d' Arlésium, Paul et Sèrgius traversèrent toute la Gaule méridionale jusqu'à Narbonne. Là encore, ils jetèrent la semence évangélique qui y germa miraculeusement. Le nombre des chrétiens s'accrût tellement que Paul y établit une nouvelle église dont Sergius Paulus prit la direction comme évoque.
C'est après cela que Paul pénétra jusqu'en Espa- gne par le littoral. Dans tous les centres qu'il traversa, il fit entendre sa prédication aux popu- lations étonnées et ravies. Enfin, il poursuivit sa course apostolique jusqu'à Saragosse où de nombreiLx chrétiens l'attendaient. Car dans cette ville était venu avant lui Jacques, surnommé le majeur, fils de Zébédée et frère de Jean l'Evan- géliste.
Selon la tradition que les Espagnols regardent comme de l'histoire, Jacques, y serait arrivé en l'an 38, et il y aurait fondé une église chrétiemie. En l'an 42, il retourna à Jérusalem où il fut arrêté et mis à mort par Hérode Agrippa. Quelques disciples qu'il avait amenés d'Espagne avec lui y rapportèrent son corps dont les restes sont en- coie en grande vénération à Compostelle.
On comprend à quel point Paul fut intéressé par les souvenirs du grand apôtre ; et il passa
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quelques mois à Saragosse, édifiant, consolant et confirmant les Espagnols chrétiens dans leur foi. Son rêve apostolique était achevé. Sans doute, l'horizon s'élargissait encore devant lui, mais le champ d'action était trop vaste pour un seul homme.
D'ailleurs, les égUses d'Orient le rappelaient, et il sentait qu'elles avaient vraiment grand besoin de le revoir, elles qui avaient été les pre- mières aimées.
Il se décida donc à revenir sur ses pas. Il repassa par Narbonne où il y re\'it son cher ami Sergius Paulus.
La séparation fut douloureuse. Jamais deux cœurs ne s'étaient sentis si bien faits l'un pour l'autre. Jamais deux intelligences plus élevées et plus nobles ne s'étaient rencontrées sur le che- min lumineux de la vérité éternelle.
C'est en pleurant qu'ils se dirent adieu, Sergius recommanda sa femme et sa fille à son ami Aquila.
Paul promit qu'il ne les laisserait pas orpheUnes, et qu'il leur ouvrirait les portes du ciel où ils se re- trouveraient tous un jour.
Le séjour de Paul à Rome dura quelques mois qui furent consacrés à consolider les égUses chré- tiennes ; et il partit alors pour l'Orient en passant par la Crète.
PAULINA 309
XLI
DE CÉLIUS A L'AVENTIN . AGRIPPA ET PAULINA
Grâce à la persistante influence de Pallas, Félix eut bientôt fait de se débarrasser de ses accusateurs devant le prétoire de Rome.
Tigellinus en était le Préfet, et non-seulement il avait souvent besoin des services de Pallas, mais il n'était pas insensible aux charmes de Drusille.
Après quelques procédures qui ne furent adop- tées que pour la forme, les Juifs de Césarée \drent bientôt leurs accusations renvoyées, et Félix rétabli en faveur avec Drusille auprès de la Cour impériale.
Les pillages auxquels il s'était livré dans la Samarie et la Galilée, pendant son administration, comme faisaient presque tous les gouverneurs de pro\ince, lui avaient permis de se bâtir une somptueuse \àlla sur le mont Célius.
C'était une des collines les plus pittoresques de Rome, alors très peuplée par les familles opu- lentes et aristocratiques. Elle est aujourd'hui presque solitaire avec des caveaux antiques pleins de souvenirs ; et la magnifique villa Mattei occupe aujourd'hui l'emplacement de la superbe résidence des Féhx.
310 PAULIN A
Une vallée profonde séparait le Célius de l'Aven- tin ; et l'antique enceinte du roi Ser\dus Tullius coupait cette vallée à angle droit. La Porta Ca- pena, basse et massive, traversait ce vieux mur qui rappelait les souvenirs de la Rome des rois.
Le grand cirque {circus Maximus) déployait son arène entre les deux collines.
Pour Agrippa, ce qui faisait le charme du Célius, c'était le voisinage de l'Aventin, où.Paulina et sa mère habitaient la demeure sénatoriale de la Gens Sergia. C'était un vrai palais, dont la terrasse au bord de l'escarpement dominait le Tibre, qui roulait ses flots profonds au pied du mont. Hélas ! les jours venaient où le fleuve déjà si célèbre serait bientôt rougi par le sang des martyrs. Aujourd'hui s'élèvent en cet endroit les églises de Sainte-Sabine et de Saint- Alexis que tous les touristes vont voir.
Au côté opposé de la montagne s'élevait l'habi- tation plus modeste du couple admirable qui prit une si grande part dans les œuvres apostoliques de saint Paul, Priscilla et Aquila. Elle était flan- quée d'un temple de Diane abandonné, que les chrétiens acquirent plus tard, et dont ils firent une église dédiée à la Sainte Vierge.
En attendant, une partie de la maison des pieux époux était transformée en chapelle, où saint Paul et saint Pierre venaient souvent prê- cher.
Aujourd'hui encore une vieille égUse, dédiée à
PAULIN A 311
sainte Priscilla ou Prisca, occupe remplacement de la maison des inséparables amis de l'apôtre des Nations. Dans la crypte, assure-t-on, Pierre baptisa les deux néophytes au temps de Claude ; et Ton y montre une sorte de bénitier, creusé dans un grand chapiteau de pierre, et qui servait de fonds baptismaux.
Le Célius était ombragé de chênes, et ses villas étaient baignées de soleil. Agrippa s'y plaisait beaucoup. Mais il voyait briller sur l'Aventin un astre qui l'éblouissait : c'était Paulina.
Il cherchait volontiers toutes les occasions d'y rencontrer l'objet de son admiration. Tantôt on les voyait assis ensernble sur la terrasse, où ils causaient et discutaient, en regardant les bateaux qui descendaient le Tibre vers le port d'Ostie.
Tantôt ils faisaient de longues promenades sur la Via Appia en partant de la Porta Capena, et la vue des tombeaux faisait naître entre eux d'inté- ressantes controverses rehgieuses.
Mais il y avait deux sujets qui revenaient sans cesse dans leurs conversations : c'étaient l'amour d' Agrippa pour la belle Pauhna, et ses projets d'accession au trône de Jérusalem.
" Mon pauvre ami, lui disait Pauhna, ne savez- vous pas que l'ambition humaine et l'amour sont toujours accompagnés d'un cortège de mallieurs ?
— Non, Pauhna, pas toujours. Je ne veux pas croire que toutes les couronnes aient leurs épines
312 PAULIN A
et que tous les amours aient leurs tragédies. II n'y a que votre Jésus, si son histoire est vraie, qui ait refusé la couronne de Judée et auquel on ait donné une couronne d'épines. Moi j'ambitionne la première mais je ne demande pas la seconde.
— C'est celle que Jésus ambitionnait. Il a repoussé la première, et il s'est soumis au terrible supplice de la seconde. On lui a enfoncé les épines dans la tête à coups de bâtons, on a couvert ses épaules d'un vieux manteau de pourpre, on lui a mis dans la main un roseau en guise de sceptre, et on l'a salué " roi des Juifs ! "
" Sa flagellation et sa crucifixion ont été des tourments très douloureux. Mais on affirme que son couronnement a été le plus cruel de tous ses supplices. Et mon père m'a dit souvent : c'est une leçon qu'il a voulu donner aux rois, parce que toutes les couronnes ont leurs épines.
— Epineuse ou non, je veux la couronne de Judée, Paulina. J'en prendrai seul les épines, et les pierres précieuses seront pour vous. Votre amour me consolera d'ailleurs de tous les maux que peut apporter la royauté.
— Mais l'amour lui-même a ses chagrins et ses désespoirs.
— Je n'en aurai jamais avec toi, Paulina.
— On ne peut jamais prévoir d'où les malheurs viennent. Mais où en êtes-vous avec vos croyances reUgieuses ?
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— Hélas ! je ne le sais guère. Quand je t'écoute parler de ton Jésus, j'en viens à penser que c'est l'invraisemblable qui est la vérité, et que c'est le vraisemblable qui est le mensonge.
" Ma mère, qui ne croit à rien, a peur que je ne devienne chrétien. Elle fait tous ses efforts pour me retenir dans le judaïsme, et même pour m'engager dans la persécution des chrétiens qui s'annonce, et qui sera terrible, si Néron en prend la direction.
" Jusqu'ici, c'est un Benard élégant, et plein de gentillesse. Il est fin, aimable et caressant. Mais on sent en lui le félin, et l'on verra bientôt que c'est un tigre.
" O Pauhna ! je me demande quelquefois s'il ne viendra pas un jour où ta foi t'apportera la mort. Mais je te défendrai, va ! Et je te sauverai ! Quand même tu voudrais mourir pour ton Dieu, je t'en empêcherai.
— Et si tu ne peux pas me sauver ?
— Alors je mourrai avec toi. Si ta foi t'apporte la mort, ta mort m'apportera la foi. Oui, moi-même alors, je crierai aux bourreaux : Je suis chrétien ! Et je briserai les statues des dieux et celles de l'empereur !
— Cher Agrippa !
— Depuis quelque temps, ma mère me supplie de partir pour Jérusalem.
" C'est là, dit-elle, que tu pourras le mieux
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travailler à te rendre populaire parmi les Juifs, <et préparer ton accession au trône.
" Je sais bien qu'elle veut en même temps m'éloigner de toi, Paulina. Mais, au . fond, elle a raison de croire que ma présence à Jérusalem €st nécessaire pour y défendre à la fois les intérêts de Rome et les miens.
" Me faire aimer des Juifs, et apaiser à la fois leurs querelles intestines et leurs mécontentements contre les Romains, voilà ce qu'il me faudrait faire, et c'est un travail qui demande du temps, des peines et . . . de l'argent.
" J'ai promis à ma mère de partir, et elle me fait accompagner par Simon le Magicien.
" Car mon père et ma mère croient à la magie ; €t ils ont toujours attribué à la puissance de Simon leur mariage et la nomination de mon père au gouvernement de la Judée. Ils ont donc pleine confiance en son pouvoir occulte, et ils espèrent que le célèbre magicien assurera le succès de ma mission.
— Ainsi donc, vous allez partir ?
— Il le faut. Mais, de loin, je veillerai sur toi. Tant que durera mon absence, il y aura quelqu'un dont la puissance te gardera. Je vais te placer sous la protection spéciale du préfet de Rome.
r " Et là-bas, je préparerai le trône qui nous attend !
— Rêve impossible !
PAULINA 315
XLII AU TEMPLE DE VESTA
Un matin, Agrippa et Paulina descendirent de l'Aventin, et rentrèrent en ville par la porte Capena. Ils s'approchèrent du Tibre, et ils vinrent s'asseoir sur les gradins de marbre d'un petit temple circulaire dont le fleuve baignait l'élégant portique.
C'était le temple de Vesta. Sa belle colonnade grecque à chapiteaux variés, ornés de rosettes, était inondée de soleil.
" Qu'il est beau ce petit temple ! dit Paulina.
— Oui, répondit Agrippa. Il est blanc comme une vestale ; et ses vingt colonnes éclatantes de blancheur représentent bien la chasteté des prê- tresses de Vesta.
— Quand j'étais païenne, je venais souvent le visiter. Pour moi, il ne représentait pas seule- ment la chasteté, mais la \drginité, et j'admirais beaucoup ces Vestales qui entretiennent avec tant de soin le feu sacré, qui ne doit jamais s'étein- dre sur l'autel de la déesse. Quand il s'éteint, elles ne doivent le rallmner qu'au moyen des rayons du soleil répercutés par un miroir.
— Que représente ce feu ?
— Il représente l'amour absolument pur, l'amour
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vierge auquel les Vestales sont vouées. Il repré- sente surtout l'amour divin. Si la vestale n'entre- tient pas le feu sacré, elle doit être fouettée, mais si elle \'iole sa virginité elle est enterrée 'vivante.
— Vous n'avez pas cette institution, que vous admirez dans votre nouvelle religion ?
— Nous avons beaucoup mieux. La vestale romaine ne le devient pas librement, par un acte spontané de sa volonté, à l'âge où la jeune fille a l'intelligence et l'instruction nécessaires pour faire son choix entre le mariage et le célibat.
" Elle est choisie par le Grand Pontife, en vertu de la loi Papia, avec dix-neuf autres, entre l'âge de six à dix ans. Et de ces vingt jeunes vierges, une seule est désignée par le tirage au sort pour être prêtresse vestale.
" Elle devient ainsi forcément dévouée à Vesta, dès avant l'âge de dix ans, et obligée de rester vierge jusqu'à l'âge de trente ans. Alors elle rede- vient Ubre, et peut rentrer dans le monde et se marier.
— C'est très curieux.
— Comme vous voyez, ce n'est pas un acte libre, de vertu ou de religion, c'est un sort très dur qui lui est imposé par la loi sous les peines les plus sévères.
" La -vderge chrétienne, fait au contraire le sacrifice volontaire des plaisirs, et des faveurs que le monde lui offre. Elle renonce à l'amour humain
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et au mariage. Elle fait pour toute sa vie le vœu de virginité, et n'a pas d'autre époux que Jésus- Christ. Elle se consacre entièrement aux œuvres de charité et d'abnégation, soignant les malades et les infirmes, \-isitant et assistant les pauvres, recueillant les orphelins, instruisant les enfants, et donnant à tous l'exemple de la chasteté et de toutes les vertus. "
Agrippa regardait couler le Tibre et ne disait rien.
PauUna semblait caresser de son beau regard profond les blanches colonnes du petit temple.
Agrippa fut le premier à reprendre la parole :
" Je commence à comprendre le mystère de vos sentiments. Vous n'êtes pas encore l'épouse de Jésus de Nazareth ; mais vous êtes déjà sa fiancée. C'est lui qui est mon rival. C'est contre lui que je vais avoir à lutter.
*' Chose étrange, ô ma chère Paulina ! Ce sont deux rois des Juifs qui se disputent votre main : celui d'hier et celui de demain. Mais celui d'hier est mort, ma chère amie, et ce qui est mort ne revivra pas. Il est le passé, et je suis l'avenir. Vous ne pourrez garder de lui que son souvenir. Et moi je vous offre le présent et le futur. Ce sont des réahtés vivantes que je vous donnerai : l'a- mour et le dévoûment de toute une \'ie, et un trône doré pour vous asseoir. L'avenir et le triom- phe sont à moi ! "
318 PAULIN A
Paulina allait répondre. Mais Agrippa lui mit la main sur la bouche, et ajouta : " Regardez le fleuve qui passe devant nous ; est-ce qu'il n'a jamais remonté vers sa source ? — Non, ce qui est passé ne revient pas. Ce qui est mort ne ressus- cite pas.
— Vous êtes donc Sadducéen ?
— Oui.
— J'ai été bien près d'embrasser cette doctrine. Mais, il y a plusieurs années, à Corinthe, j'ai entendu notre grand prédicateur, Paul de Tarse, prêcher la résurrection des morts, et j'y crois fermement depuis lors.
— C'est le même homme, je présume, qui vous a inspiré l'amour de la ^drginité ?
— Oui, mais il ne m'a jamais sollicitée d'en faire le vœu, et il m'a laissée Ubre.
— Gardez cette précieuse liberté, Paulina. Vous m'avez dit, un jour, que la chasteté n'est pas incompatible avec le mariage, non plus que l'amour de votre Jésus. Cela me rapproche de sa reUgion. . .
" Adieu, ou plutôt, au revoir. Dans dix jours, je serai à Jérusalem. "
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XLIII
DERNIÈRES COURSES EN ORIENT ET RETOUR A ROME
Les dernières missions de Paul en Orient furent rapides, mais fructueuses.
En Crète, il y avait bien des abus à corriger,, et il fallait surtout y organiser plus régulièrement l'Église chrétienne. L'apôtre y mit tous ses soins.
Les Cretois avaient été les premiers convertis à la foi par des disciples venus de la côte d'Asie et de Jérusalem. Mais c'était un peuple qui avait de graves défauts, et l'ivraie s'y était bientôt mêlée à la bonne semence.
Paul, appelé par d'autres chrétientés, ne put faire qu'un séjour très court en Crète, et il y laissa Tite avec les instructions nécessaires pour remé- dier au mal. C'était l'homme Je mieux qualifié qu'il pût trouver pour la tâche difficile qu'il lui confia.
L'apôtre parcourut ensuite la côte d'Asie, et visita les nombreuses églises qu'il y avait étabhes.
A Antioche, il fut heureux de retrouver son ancien ami Onkelos, devenu un disciple de Jésus- Christ.
La mort de sa femme avait rompu les Hens qui l'avaient longtemps retenue dans le judaïsme, et
320 PAULINA
Barnabe l'avait converti. Il était même entré dans le sacerdoce et il prêchait avec beaucoup de succès contre les judaïsants. Paul causa longtemps avec lui, et Onkelos lui dit : '^ O mon grand ami, je n'ai pas oublié ma \'isite à la montagne d'Horeb, et quand vous m'avez dit que vous aviez reçu la mission d'évangéliser le monde, j'ai bien cru que vous étiez devenu fou. Mais cette mission vous l'avez remplie, et c'est ce miracle qui m'a converti.
Paul fit une nouvelle station à Ephèse, où il eut la joie d'embrasser son cher Timothée qui gouvernait sagement cette importante chrétienté.
Il retourna en Macédoine en passant par Troas, puis à Corinthe.
Il y avait longtemps qu'il rêvait d'étendre ses missions jusque dans l'Epire. Mais il en avait été empêché. Le temps lui parut venu de réahser son rêve, et il se rendit de Corinthe à Nicopolis, capitale de ce pays. Il écrivit à Tite de venir l'y rejoindre dès qu'il trouverait un remplaçant en Crète.
Nicopolis était devenue une grande et belle ville, depuis la célèbre bataille d'Actium, par suite des largesses dont l'empereur Auguste et Hérode- le-Grand l'avaient comblée.
Paul y passa l'hiver, et il alla prêcher jusqu'en Illyrie et peut-être en Dalmatie.
Au printemps de l'an 67, il revint à Corinthe, où il trouva Pierre ; et tous deux se mirent en route pour Rome.
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A Brindisi, Paul fit une rencontre tout à fait inattendue. C'était le jeune Agrippa qui s'em- barquait pour l'Asie Mineure à la tête d'une cohorte romaine.
Agrippa vint à lui et lui dit : " Je m'en vais rejoindre l'armée de Titus. Jérusalem est en ré- volte et nous allons la soumettre. Après la vic- toire, ce sera le temps pour moi de me faire attri- buer par Rome le petit royaume de Judée. Et quand je reviendrai, je pourrai poser la couronne de Jérusalem sur la tête de ma belle Paulina. J'espère que vous ne mettrez pas d'obstacle à mes projets ?
— Je n'ai aucune influence dans la conduite des affaires politiques de ce monde, et je n'y prends guère d'intérêt. Je m'occupe uniquement du salut des âmes. Ma mission est bien différente de la vôtre. Mais j 'aspire comme vous à une couronne, celle du martyre, et je m'attends à la recevoir bientôt de César.
— Je ne comprends pas que vous puissiez parler ainsi, mais si la persécution menaçait Paulina, j'espère que vous prendrez les moyens de la sau- ver.
— Je sauverai certainement son âme, " répliqua Paul en lui disant adieu.
Les deux apôtres se rendirent de Brindisi à Rome par la voie Appia.
La vie des chrétiens à Rome était bien changée
22
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depuis leur départ. Néron, qui n'avait pas encore trente ans, était devenu un cruel persécuteur. Après avoir incendié une grande partie de Rome, il avait accusé les chrétiens de ce crime et décrété leur persécution générale.
Le monde \dt alors en présence et en lutte, l'hom- me qui incarnait les ^-ieilles croyances du paga- nisme, et celui que la nouvelle religion étabUe par le Christ venait de produire. L'un formé à l'image des dieux qui avaient commis tous les crimes, et l'autre à la ressemblance du Dieu unique, modèle de toutes les vertus. — L'un revêtu de tous les pouvoirs et maître de l'univers, l'autre dépourvu de tout ce qui constitue la force et la puissance.
Lutte invraisemblable dont l'issue ne sem- blait pas douteuse.
Sans doute, Pierre était aux côtés de Paul, mais ce n'était qu'une impuissante victime de plus. Et quand les deux chefs de la reUgion nouvelle auraient disparu, l'œuvre du Christ ne serait-eUe pas anéantie pour toujours? C'était son sort inévitable selon les prévisions hiunaines. . . . car on ignorait quelles forces mystérieuses de l'ordre surnaturel venaient d'entrer en lutte avec celles de l'enfer.
Sans doute, elle était plus vraie que jamais la parole de Jésus-Christ " que le démon était le prince de ce monde " ; et ce prmce s'était incarné en Néron.
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Tous les vices de la vieille humanité, il les avait dans les veines de son sang. Tous les crimes^ il les avait commis : inceste, adultère, assassin, empoisonneur, meurtrier de ses épouses et de sa mère, incendiaire de sa ville, voleur et malfaiteur, sacrilège et profanateur de tout ce qui est saint ! Et ce monstre était le maître de l'univers. La terre tremblait devant lui. Il était dieu !
Pour la seconde fois, Jéhovah regrettait d'avoir créé l'homme. Vainement, il l'avait noyé dans le déluge. Vainement, dans la personne de Noé, il avait recommencé l'humanité. Toutes les nations s'étaient de nouveau perverties et la race humaine avait donné la mesure de sa perver- sion en enfantant ce monstre qui se nommait Néron.
Mais, cette fois, ce n'était pas dans les eaux d'un nouveau déluge que Dieu avait résolu de laver l'humanité. C'était dans le sang, non pas dans le sang corrompu des impies et des pervers, mais dans le sang pur des disciples de Jésus-Christ et des vierges sans tache qui marchaient à leur suite. Le sang des martyrs, voilà la force mysté- rieuse qui luttait contre l'empire du démon et contre la puissance des Césars.
Toutes les forces coalisées du paganisme croyaient bien détruire l'Eglise du Christ en l'inondant du sang des chrétiens ; mais ce sang ne faisait qu'en cimenter les assises.
324 PAULINA
Pierre et Paul continuaient de prêcher l'Evan- gile, et malgré tous les obstacles leur enseignement pénétrait dans tous les quartiers de la grande ville, et dans toutes les classes de la population.
Tous deux ajoutaient les miracles à leurs paroles ; et ils pouvaient dire comme leur Maître : Si vous n'en croyez pas nos paroles, croyez-en nos oeuvres.
Parmi leurs ennemis, il y avait des hérésiarques juifs ; et l'un d'eux était le fameux magicien Si- mon, que Féhx avait amené de la Samarie et qui s'apprêtait à rejoindre Agrippa en Judée. Il s'était attaché aux pas de Pierre, qu'il savait être le chef de la nouvelle religion, et il le com- battait par tous les moyens que le démon mettait à sa disposition.
On se sou^àent que près de vingt ans aupara- vant, en Samarie, ce Simon avait prétendu em- brasser la foi, et qu'il avait été baptisé par l'apô- tre PhiUppe. Mais alors il était allé offrir à Pierre une forte somme d'argent pour que le chef des Apôtres lui donnât le pouvoir d'imposer les mains et de conférer le Saint-Esprit.
On se sou^dent aussi que Pierre l'avait repoussé avec indignation, en lui disant : Que votre argent périsse avec vous, malheureux !
Depuis lors Simon était devenu l'instrument de Satan, et il avait sui\T. Félix à Rome pour faire la guerre à l'EgUse de Jésus-Christ.
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Ses discours ne manquaient pas d'habileté, et il obtenait des succès auprès des foules. Mais les apôtres triomphaient par les miracles.
Pourquoi l'Esprit du mal n'avait-il pas la même puissance, se demandait Simon, puisqu'il était le Prince de ce monde ?
Grâce aux artifices de la magie, Simon faisait des choses étonnantes, et il s'efforçait de rivaliser avec les disciples.
Il avait fini par acquérir un grand prestige à la cour, et Néron croyait en son pouvoir.
Un jour, il fit un coup d'audace, et il annonça qu'en plein forum, à tel jour et à telle heure, en présence de l'empereur, il s'élèverait dans les airs.
S'était-il fabriqué des ailes mécaniques quel- conques ? Où comptait-il sur l'assistance du démon pour le soutenir à certaine hauteur ?
Nous ne savons pas. Mais s'il faut en croire les historiens du temps, le spectacle eut un dé- nouement tragique.
L'empereur y assistait dans une loge dressée sur la Voie Sacrée, et la tradition ajoute que Pierre aussi était là, perdu dans la foule et priant.
" Quand le nouvel Icare, dit Suétone, se lança audacieusement dans le vide, il alla tomber tout près de la loge de Néron, qui fut inondé de son sang. "
César n'en devint que plus acharné à la perte
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des chrétiens, et ce fut Quelques jours après que le chef des Apôtres et Paul furent arrêtés et jetés dans la prison Mamertine.
Mais leur mission était remplie et le triomphe de FEgUse était désormais assuré.
Ils pouvaient maintenant répéter la dernière parole du Seigneur :
Consummatum est !
XLIV EN CE TEMPS-LA
En ce temps-là, bien des événements extra- ordinaires s'accomplissaient dans le monde, et d'autres plus graves encore approchaient.
On se préoccupait beaucoup des temps futurs, et les disciples de Paul l'avaient souvent interrogé sur la fin du monde, sans recevoir de réponse catégorique.
Certes, il y avait des mondes qui allaient finir. Le royaume des Juifs arrivait à sa fin. Ce n'était pas le sang du grand Crucifié qui retombait sur les enfants des déicides ; car une aspersion de ce sang les aurait sauvés, comme le sang des agneaux préserva les enfants d'Israël dans la nuit terrible où le Seigneur passa sur la terre
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d'Egypte. Non, c'était leur propre sang qui inon- dait la Samarie et la Judée, et la sentence de mort portée par Jésus de Nazareth contre Jérusalem allait être exécutée.
Le monde païen aussi se mourait, et les Bar- bares lui préparaient de grandes funérailles.
Un monde nouveau allait naître qui sèmerait des semences immortelles dans les ruines de la Rome païenne.
En Orient, les signes avant-coureurs des grandes calamités ne manquaient pas. Aux lugubres pro- phéties de Jésus de Nazareth, venaient se joindre les prédictions de Jésus, fils d'Ananus.
Une comète, ayant la forme d'une épée, avait paru suspendue sur la ville de Jérusalem pendant une année entière.
Soudainement, au milieu de la nuit, une grande clarté s'était répandue pendant une heure, autour du Temple. Une autre nuit la porte de bronze du sanctuaire s'était ouverte d'elle-même.
Des clartés étranges, inexplicables, striaient le firmament et jetaient sur le mont Moriah une lumière si intense que tout le temple en était illuminé. Au firmament, dans des visions de guerre, apparaissaient des armées en bataille et des villes assiégées, et des roulements de chars mystérieux troublaient le sommeil des habitants dans les belles nuits calmes et semées d'étoiles.
Les agitations perpétuelles qui soulevaient la
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ville sainte devenaient de plus en plus graves. Le conflit entre le peuple et les autorités poli- tiques et sacerdotales prenait des proportions alarmantes. La rébellion contre Rome était toujours menaçante, et les Zélotes fourbissaient leurs armes pour la conquête définitive de leur liberté.
Le nouveau gouverneur de la Judée, Gessius Florus, était détesté par le peuple et vivait presque toujours à Césarée, loin de Jérusalem qu'il acca- blait d'impôts. Il voulut même un jour prélever un tribut sur le Trésor du Temple. La révolte éclata parmi le peuple, et Florus fit massacrer les plus furieux par les soldats romains. Mais la foule se livra à des représailles terribles et repoussa les soldats en les criblant de pierres.
Agrippa II fut prié d'intervenir, et il se montra très conciliant. Mais c'est à Florus qu'on en vou- lait. Les Romains restaient les maîtres de la tour Antonia, et le jeune Agrippa, fils de Félix, y com- mandait une cohorte romaine. Il était très aimé des soldats et même des Juifs. Il employait toutes ses ressources à faire oublier les fautes de son père et à se rendre populaire, préparant ainsi son avènement au trône qu'il croyait prochain.
" C'est par la bienveillance et par la générosité^ écrivait-il à Paulina, que je réussirai à pacifier les Juifs, et quand eux-mêmes ils appuieront ma candidature à Rome mon succès sera assuré,
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à moins que la question religieuse ne devienne un obstacle insurmontable.
" Je me montre souvent au temple et je fais des offrandes à Jéhovah.
" N'affichez pas vos sentiments chrétiens, Pau- lina, surtout devant ma mère. Ici, je me montre très conciliant entre les pharisiens et les disciples de Jésus qui deviennent de plus en plus nombreux.
" Je m'oppose de toutes mes forces à la répres- sion violente des Zélotes ; car ils sont bien armés, et très acharnés contre Rome.
" Un jour, je le crains, la lutte deviendra san- glante, et la révolte restera maîtresse de Jérusa- lem. Alors, Rome irritée, toujours reine du monde, voudra redevenir la seule souveraine de la Ville Sainte, et les armées romaines la cerneront de toutes parts.
" Ne serait-ce pas alors le temps prédit par votre Jésus ? J'en ai peur. Plusieurs des signes précurseurs de la grande catastrophe sont déjà accomplis, disent ses disciples.
" Que deviendrions-nous donc, ô ma Paulina, si notre ^'ille tant aimée allait être détruite ! Non, une telle calamité n'est pas possible. Rome renoncerait à sa conquête plutôt que de détruire cette grande et sainte merveille du monde.
" Quand je songe qu'un si grand malheur n'est pas impossible, je suis pris de terreur, et des cauchemars effrayants troublent mon sommeil.
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J'évoque alors ton souvenir, ô Paulina, je baise tes beaux yeux et ton front, et je prie ton Jésus de te donner à moi.
" Qu'il me donne aussi Jérusalem pour y asseoir ton trône, et tu m'apprendras à l'adorer dans son temple. Cela suffira à mon bonheur, si cela ne suffit pas à l'insatiable ambition de ma mère ..."
Mais pendant que le jeune Agrippa se berçait de ces rêves, la rébellion juive grandissait, et Rome appareillait les galères qui devaient transporter en Orient de nouvelles armées pour Vespasien et Titus.
Et dans le même temps, le monstre qui était maître de l'univers faisait expier aux chrétiens le crime qu'il avait commis lui-même, l'incendie de la Ville Eternelle. Ees prisons regorgeaient de leurs victimes, et les cirques retentissaient des chants de leurs martyrs, mêlés aux hurlements des bêtes fauves.
Plus ambitieuse et plus acharnée que jamais contre les chrétiens, Drusille pressait Néron d'en finir avec Pierre et Paul, et elle complotait le crime horrible de faire mourir Paulina et sa mère, en les dénonçant comme chrétiennes à Tigellinus.
Ainsi, pensait-elle, je mettrai fin aux folles amours de mon fils avec cette Pauhna qui l'a ensorcelé.
Un décret récent de Néron déclarait que le seul fait d'être chrétien était un crime punissable
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de mort ; et la preuve de ce crime était facile à faire. On mettait les accusés en face d'un autel de Jupiter ou d'Apollon, ou du César divinisé, et on leur demandait de sacrifier.
Leur seul refus les faisait condamner à mort.
Drusille entretenait des relations très intimes avec Tigellinus, et elle obtenait de lui toutes les faveurs qu'elle sollicitait ; mais il fut bien étonné quand elle vint lui dénoncer la femme et la fille de Sergius Paulus.
" Ne sont-elles pas vos amies ? lui demanda- t-il avec surprise.
— Elles l'étaient, avant leur conversion, ou leur perversion.
— Mais votre fils Agrippa les a placées sous ma protection, avant de partir pour Jérusalem.
— Ah ! Il m'a caché cela, le traître ! Il méri- terait lui-même d'être dénoncé, car il n'est pas loin d'être chrétien, le malheureux.
" Eh ! bien, je vais tout vous dire, Préfet.
" Mon fils est amoureux fou de PauUna. Elle était encore adoratrice d'Apollon quand il l'a comiue, et elle est très belle. Naturellement, je combats de toutes mes forces cette malheureuse passion, depuis que je la sais chrétienne, et je croyais avoir réussi à en guérir Agrippa. Mais il ia rencontrait encore en cachette. ? " Vous comprenez bien, n'est-ce pas, que si mon fils épousait cette chrétienne, il ne pourrait
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plus aspirer au trône de Judée ? Il faut donc l'empêcher de commettre cette erreur par tous les moyens. Le meilleur est celui que j'ai imaginé : il faut que Paulina ait cessé de vivre lorsque mon fils reviendra d'Orient.
— Et que ferai-je de l'engagement que j'ai pris de la protéger ?
— Cet engagement ne vous lie pas. Le tenir serait manquer à vos devoirs envers les dieux.
— Pourrai-je dire à votre fils que j'ai cédé aux instances de sa mère ?
— Je ne vois pas que la chose soit nécessaire. Des milHers de dénonciateurs vous entourent, et vous n'avez pas à les dénoncer vous-même.
— Je ne sais rien vous refuser, ma belle Drusille, répondit Tigellinus ; mais je ne connais pas vos deux amies. Je vais les faire venir, et les inter- roger. "
Drusille lui tendit sa main gauche à baiser, et levant l'index de sa main droite, elle lui dit avec son plus beau sourire : " Prenez garde, ne vous laissez pas séduire par la belle Paulina. "
Dès le lendemain, Chryséis et sa fille étaient arrêtées et amenées devant le préfet.
" Quelle est l'accusation ? demanda-t-il à quel- ques juifs cypriotes qui s'étaient faits dénoncia- teurs.
— Elles appartiemient toutes deux à la secte détestable des chrétiens. Et pendant que Sergius
PAULINA 333
Paulus, le chef de la famille, prêche le Christ dans la Gaule, elles travaillent ici à la propagation de la secte.
— Que répondez- vous à cette accusation, de- manda le juge ?
— Il est vrai que nous sommes chrétiennes, ré- pondit Chryséis ; mais nous n'y voyons aucun mal.
— Ne savez-vous pas qu'une loi récente a dé- claré que c'est un crime punissable par tous les genres de supplices ?
— Non. Nous pensions qu'à Rome il était permis de croire à tous Jes dieux, même à ceux qui ne sont que des chimères. Comment peut-il être criminel de croire en un seul Dieu véritable, qui nous commande de l'aimer, d'aimer notre prochain, de faire du bien et d'éviter le mal ?
— Avant tout, il faut obéir aux lois et aux décrets de l'empereur.
— Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.
— Votre ami Agrippa, qui est en ce moment au service de l'empereur, à Jérusalem, m'a recom- mandé le soin de votre vie, et je veux vous sauver de la mort. Mais il faut que la loi soit respectée ; et si demain matin vous refusez de vous y sou- mettre, vous serez battues de verges. "
Les deux prisonnières ne répondirent pas ; et le lendemain matin, après un nouvel interroga- toire, elles refusèrent de renier le Christ et de sacrifier aux dieux.
334 PAULINA
On les conduisit alors dans la cour d'exécution du prétoire, où se trouvaient déjà rassemblées un grand nombre de condamnées à la flagellation.
Une heure après, le supplice commença. Mais au moment où les bourreaux dépouillaient les victimes de leurs vêtements et les attachaient aux poteaux, im soldat prétorien s'approcha de Pauhna, la prit par la main et la conduisit dans une chambre du prétoire, où il la laissa seule avec le préfet.
Tigelhnus la salua profondément et lui offrit un siège. Mais elle resta debout, et lui dit :
" Qu'avez-vous fait de ma mère ?
— Elle doit être en prison avec les autres condamnées.
— Quand je l'ai quittée, elle était attachée à im poteau dans la cour du prétoire.
— Oui, elle a dû être battue de verges. Mais la flagellation ne tue pas, et elle a dû être recon- duite à la prison après le suppHce.
— 0 juge cruel ! ma mère était trop faible pour résister à cette terrible exécution, et je suis sûre qu'elle est morte.
— Vous vous trompez, et dans quelques jours vous la reverrez vivante. Si elle a souffert, c'est qu'elle n'a pas voulu revenir à son dieu d'autre- fois, Apollon, dont son père était prêtre. C'est un entêtement qui méritait d'être puni.
— Faites-moi mourir aussi, ô juge impitoyable.
PAULINA 335
Je veux aller rejoindre ma mère dans le royaume de notre Jésus !
— Quelle folie ! Je veux que vous viviez. Vous êtes trop jeune et trop belle pour mourir.
" Vous ne savez pas à quel point je vous admire^ et combien je serais heureux de faire votre bon- heur, si vous vouliez seulement vous montrer plus humaine.
" Il m'importe peu que vous soyiez chrétienne ou païenne. Il y a longtemps que je ne crois plus moi-même à nos dieux. Je ne vous demande pas de m'aimer, et je comprends très bien que vous me préfériez le futur roi de Jérusalem. Laissez- moi seulement vous aimer, et lutter de sentiments avec Agrippa.
— Ni Agrippa, ni aucun autre homme ne sera mon époux.
— Mais n'avez-vous pas promis à Agrippa de l'épouser quand il sera roi ?
— Ni alors, ni jamais. Je suis fiancée à mon Dieu, Jésus. C'est lui seul que je veux épouser.
— Votre langage est insensé. Je vais vous garder prisonnière dans mon palais, et vous traiter com- me une reine, pour vous donner le temps de ré- fléchir. Mais ne provoquez pas ma colère, car je suis le maître de votre vie, et j'ai sous mes ordres des bourreaux et des bêtes fauves. "
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XLV
LES DERNIERS JOURS DE L'APÔTRE LA CAPTIVITÉ ET LA MORT
Le grand Apôtre est arrivé à la fin de sa carrière, et sa dernière demeure parmi les vivants est creusée sous une montagne, comme les tombeaux des anciens Pharaons. C'est la prison Mamertine.
Le sommet de la montagne est le Capitole, le siège des triomphateurs ; et le dessous est le cachot des grands vaincus. César y fit mourir Vercingétorix, et Jugurtha roi de Numidie y fut renfermé pour y mourir de faim.
Sont-ils bien les vaincus les deux hommes qu'on y tient enfermés, et qui se nomment Pierre et Paul ? Un jour, leur prison de\'iendra un temple de leur maître, Jésus ; et le temple de Jupiter qui couronne le Capitole tombera en ruine.
Les vrais vainqueurs ce sont eux, et leur mis- sion est accomphe. La foi de Paul n'a pas faibli. L'œuvre qu'il a réalisée n'est pas une Ulusion, comme les vains projets de tant d'hommes cé- lèbres.
Mais il est triste et malade, et il voudrait bien revoir son cher Timothée.
" Viens avant l'hiver, lui écrit-il, et emporte-
PAULINA 337
moi le manteau que j'ai laissé à Troas, chez Car- pous, ainsi que les livres, surtout les parchemins."
Tels sont les biens qui composent sa fortune, les seuls qu'il ait amassés pendant sa longue et laborieuse carrière. Je me les représente ces vieux rouleaux en parchemin, contenant les Livres de Moïse et Les Prophètes, en grec.
C'étaient ses vieux amis qui l'avaient accompagné dans ses courses. Les uns lui venaient de son père peut-être, à titre d'héritage. Quelques-uns lui rappelaient Jérusalem ; il les avait achetés dans les bazars de la grande ville. D'autres lui avaient été donnés par ses professeurs, par le vieux GamaHel peut-être, enrichis de notes et de commentaires.
Qu'il les reverrait avec plaisir ces vieux Uvres imprégnés de souvenirs ! mais ils n'auraient plus guère d'utiUté pour lui ; car il avait le pres- sentiment de sa fin prochaine.
" Le moment de ma dissolution approche, " écrit-il ; mais la mort ne lui fait pas peur, et il ajoute : " J'ai combattu le bon combat ; j'ai achevé la course, j'ai gardé la foi. Il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne de justice qui m'est réservée. "
Hélas ! l'hiver est passé. Et ni Timothée, ni les chers Uvres, ni le \'ieux manteau ne sont venus. Seuls ses pressentiments ne l'ont pas trompé ; et quand vint la fin de juin de l'an 67, il sortit
23
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avec Pierre de la prison Mamertine pour aller à la mort.
Accompagnés de quelques licteurs, ils mar- chèrent ensemble jusqu'au bord du Tibre où ils furent séparés. Pierre le traversa pour gravir le Janicule. Paul continua de suivre la rive gauche du fleuve.
Etrange destinée de la Ville Eternelle ! Elle avait été fondée par deux frères ; et elle devint la ville de Romulus, par le meurtre de Remus.
La Rome chrétienne fut fondée par deux frères en Jésus-Christ, Pierre et Paul. Néron les tua tous les deux, le même jour, comme s'il eût voulu qu'elle fût assise sur leurs tombeaux, et qu'elle prît possession des deux rives du fleuve.
Pendant que Pierre en remontait la rive droite et se faisait crucifier, à sa demande, la tête en bas, sur le mont Janicule, Paul était traîné sur la rive gauche les mains chargées de chaînes. Il mar- chait entouré d'une petite escorte de soldats, commandée par un centurion. Plusieurs d'entre eux le connaissaient, et quelques-uns peut-être étaient chrétiens. Il passa sous la porte d'Ostie, sur la voie du même nom, loin de songer que dans la suite des siècles cette porte et cette voie porte- raient son nom et conduiraient à son tombeau des miUions de disciples.
Sans regrets, il disait adieu à Rome et au monde, urbi et orbi. Il se rappela peut-être le chemin de
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Damas, et il dut faire cette prière : O Jésus de Nazareth, ouvrez-moi pour toujours ce ciel que vous m'avez ouvert un jour !
Il n'était pas inquiet de son œuvre. Il était sûr qu'elle lui survivrait parce que son Chef était immortel, et parce que ce Chef avait dit à ses disciples : Voici que je suis avec vous jus- qu'à la consommation des siècles.
Il causait volontiers avec le centurion, et les soldats, et il leur disait combien il était heureux d'aller enfin vivre d'une vie qui ne finira jamais. Deux serviteurs de Pomponia Graecina avaient eu la permission de suivre le cortège jusqu'au lieu de la décapitation. Et le centurion avait reçu instruction de leur déUvrer le cadavre.
A la distance d'environ trois milles de Rome, ils aperçurent de loin un mur de pierre que les deux serviteurs montrèrent à Paul : " Voilà, lui dirent-ils, le cimetière de la famille Plautia, où notre maîtresse Lucine nous a chargés de vous donner la sépulture. Plusieurs chrétiens de sa famille y dorment déjà leur dernier sommeil.
— Oh ! que je dormirai bien là ! " dit Paul en souriant.
Ils marchèrent encore quelques minutes et ils s'arrêtèrent auprès d'un ruisseau qu'on appelait les Eaux Salviennes, Aquœ Salviœ, et où station- nait un petit poste mihtaire.
Une colonne de marbre, pas plus haute qu'une
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borne milliaire, s'y dressait. Sur un comman- dement du centurion, Paul s'approcha, s'age- nouilla et posa sa tête sur la colonne. Un soldat la trancha d'un seul coup de hache. La tête fit trois bonds, dit une légende, et des endroits qu'elle toucha jailUrent trois fontaines que l'on montre encore et que les chrétiens vénèrent.
Telle fut la fin de l'apôtre des Nations, le plus grand des fondateurs du christianisme et la gloire la plus éclatante de l'Eglise catholique.
Quelques mois après, mourrait Néron en se perçant la gorge d'un poignard qu'il n'eut pas le courage d'enfoncer jusqu'au bout, et qu'il fit pousser par son secrétaire.
Nul ne sait s'il eut jamais un tombeau, tandis que les restes de Paul reposent depuis des siècles dans une des plus riches basiUques du monde, entouré du respect et de la vénération des peuples.
PAULIN A 341
XLVI LE MARTYRE DE PAULINA
Tigelliiius avait été séduit par la beauté de Paulina. Mais il trouva sa vertu aussi inébran- lable que sa foi. Et quand il vit avec quel mépris elle dédaignait ses hommages, il lui déclara que sa mère était morte, et il ordonna qu'elle fût livrée aux bêtes fauves.
Mais le lendemain il fut lui-même témoin dans l'amphithéâtre que les lions avaient res- pecté sa chair \ârginale.
Il la fit donc revenir devant lui et lui dit :
" Les chrétiens sont d'habiles magiciens. Ils possèdent des philtres merveilleux, et mieux que nos stoïciens ils savent se défendre contre les souffrances. Mais vous avez vous-même un char- me supérieur à tous les philtres, et c'est une su- percherie de vouloir nous faire croire que c'est votre Dieu qui vous sauve.
'' Hier, je vous ai vue dans le cirque faire un signe de croix sur la tête d'un Uon qui s'élançait sur vous. Mais ce n'est pas votre signe de croix qui a adouci la bête fauve, c'est la douceur de votre main et la beauté de votre regard.
" Moi aussi vous m'adouciriez si vous me jugiez digne de vos sourires et de vos caresses.
342 PAULINA
Mais puisque vous les gardez pour les bêtes fauves, je vais vous soumettre à un autre sup- plice, et nous allons voir si votre Jésus viendra à votre secours.
"Mon maître, qui est un artiste, et qui a beau- coup d'imagination, vient d'inventer un genre d'illumination tout nouveau.
" Vous savez qu'il a installé sous les portiques de sa Maison d'Or de superbes candélabres qui représentent de belles statues de marbre, des Vénus, des Dianes, des Nymphes, des Naïdes et d'autres divinités des forêts et des eaux.
" Or, dans ses jardins du Vatican où il doit donner une fête de nuit, à l'occasion de son anni- versaire, l'illumination fait défaut, et il lui fau- drait là plusieurs centaines de candélabres. Eh ! bien, vous ne sauriez imaginer quelle idée lumi- neuse lui est venue.
" Il a fait planter cinq cents poteaux le long des allées qui gravissent la colline jusqu'à la balustrade de sa villa ; et le soir de la fête cinq cents chrétiennes, parmi lesquelles vous serez, seront attachées à ces poteaux et enduites de poix et d'huile.
'^ Sur un signe du maître tous ces candélabres vivants seront allumés et feront pâUr l'illumi- nation de la Maison d'Or.
" Quelle belle Vénus vous allez faire, et comme il sera bien vengé votre ancien dieu, Apollon, que
PAULINA 343
VOUS adoriez jadis, et que vous avez abandonné pour le fils du Charpentier de Nazareth
" Croyez-vous qu'il viendra éteindre les flammes qui vont vous dévorer ? Ixs chrétiens affirment qu'il le fait quelquefois, et que l'ancien Dieu des Juifs, Jéhovah, le faisait aussi s'il faut en croire le prophète Daniel.
" Enfin, nous le verrons, demain soir ; car c'est demain soir que cette belle fête aura lieu. "
TigelUnus fit alors un signe aux licteurs, et la condamnée fut conduite à la prison Mamertine.
Le lendemain était précisément le jour de la semaine auquel Aquila était admis à visiter cette prison. Il y arriva suivant sa coutume, à une heure assez avancée de la nuit, afin de n'être pas vu par les promeneurs du formn, La prison des femmes était vide.
" Que sont devenues les prisonnières, deman- da-t-il au geôlier ?
— On les a transportées ce soir dans de grands charriots traînés par des mules jusqu'aux jardins de Néron, au mont du Vatican, où elles doivent être brûlées. "
Aquila s'élança au dehors dans la direction du Vatican. Bientôt il aperçut au loin comme un immense incendie qui enveloppait toute la colline.
Il poursuivit sa course sans s'arrêter jusqu'au lieu du supphce. Une foule immense entourait les jardins, et il s'ouvrit difficilement un chemin
344 PAULINA
jusqu'aux premières rangées des martyres. Elles flambaient comme des torches \dvantes. Les unes poussaient des plaintes touchantes, et les autres chantaient des cantiques.
Les soldats empêchèrent Aquila d'approcher et il ne put dfstinguer aucune des malheureuses dont les chairs étaient déjà calcinées par les flammes.
Bientôt elles ne furent plus que des squelettes qui s'affaissèrent au milieu des cendres.
Vers le matin seulement il put acheter les services des exécuteurs, et il réussit à retrouver le corps de Paulina, qui était restée debout et qui tenait encore embrassé dans ses bras le poteau à demi consumé, devenu le bois de son calvaire.
Aquila se fit livrer ces restes sacrés, et ils les emporta dans sa villa de l'Aventin.
Quelques jours après, ils furent inhumés dans l'arénaire de Lucine qui forma partie plus tard de la catacombe de Saint-Calixte.
PAULTNA 345
XLVII
LA FIN DES DÉICIDES PILATUS ET JÉRUSALEM
Il y avait plus d'un an que Paulina était allée rejoindre sa mère dans la Jérusalem céleste, quand on apprit à Rome que la ville sainte de la Judée allait bientôt tomber sous les efforts des armées romaines.
Agrippa y continuait de lutter avec les assié- geants, en proie aux angoisses que lui causaient à ia fois son amour et son ambition.
Il ignorait encore le sort de sa bien-aimée Paulina, et il continuait de lui adresser des lettres qui restaient sans réponse.
Sa mère qui lui écrivait ne lui en parlait jamais.
Il se désespérait en même temps de voir se prolonger indéfiniment le siège terrible qui me- naçait de détruire la ville aimée, qui devait être la capitale de son futur royaume.
Il commençait à croire aux sinistres prédictions du Dieu des chrétiens, et quand il rencontrait des Juifs ou des Romains qu'on disait être ses disciples, il les interrogeait sur la vie et les dis- cours de Jésus de Nazareth.
Or, il y avait dans l'armée de Titus un vieux général romain qui paraissait âgé de soixante
346 PAULINA
ans, et qui avait avec lui ses deux fils. Les soldats disaient qu'ils étaient chrétiens.
Agrippa fit aisément leur connaissance et il sut gagner la confiance du vieux général. Il se nommait Caïus Oppius, et, avant de rejoindre l'armée de Titus, il commandait les troupes ro- maines à Vienne dans la Oaule.
Personne ne connaissait mieux que lui les événe- ments sur lesquels Agrippa voulait être renseigné ; €t quand celui-ci lui demanda s'il était vrai que Jésus de Nazareth avait prédit la ruine de Jéru- salem, il répondit : " Rien n'est plus vrai, et vous devez, voir vous-même que l'événement n'est pas éloigné.
— Mais le prophète a-t-il dit quand la chose arriverait ?
— Oui ; car les apôtres le lui ont demandé, et il a répondu : Quand vous verrez Jérusalem investie par une armée, sachez que sa ruine est proche.
— Mais, mon général, ne pouvons-nous pas nous emparer de Jérusalem sans la détruire ? Et ne croyez-vous pas que Titus pourrait la sauver en en chassant les Juifs ?
— Non, je crois qu'il le voudrait, mais il ne le pourra pas.
— Pourquoi cela ?
— Parce que Jérusalem et le peuple qui l'ha- bite sont condamnés à périr pour leur déicide.
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Les signes précurseurs de l'effroyable catastrophe sont réalisés, et les plus grands coupables du grand crime ont déjà reçu leur châtiment.
'' Un seul vit encore exilé dans la ville que j'habite : c'est Pilatus, l'ancien gouverneur qui fit crucifier le Prophète.
— Eh ! bien, celui-là va échapper au châti- ment ?
— Je ne sais pas, reprit le général. Chose étrange, après avoir prédit la destruction de Jérusalem, le Prophète a ajouté ces paroles : " Que ceux qui sont dans la ville s'en éloignent, et que ceux qui sont en dehors n'y entrent pas. "
" Or, je suis informé que Pilatus a quitté Vienne, et qu'il s'en vient à Jérusalem. Poussé par je ne sais quelle force mystérieuse, il prétend prendre part au châtiment de la ville déicide, comme il a pris part à son crime.
— C'est extraordinaire. "
Ce qui n'était pas moins extraordinaire, c'était ce qui venait de se passer à Vienne.
Il y avait au moins trente ans que Pilatus, banni de Rome, et relégué à Vienne, qui était le grand pénitencier des Romains (Carcer Roma- norum) y vivait misérablement, accablé de cha- grins et de remords.
Mais depuis cinq ans, grâce aux prières de sa femme et à ses relations avec son beau-frère le général Caïus Oppius, envoyé à Vienne pour y
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commander un corps de troupes, il était devenu plus calme et paraissait disposé à se faire chrétien.
Quand le général Oppius était parti avec ses, troupes pour rejoindre l'armée de Titus à Jéru- salem, il avait voulu le suivre. Mais le général avait refusé ses ser^dces à cause de son âge.
Malgré cela, il avait persisté à vouloir partir pour la Judée, et plusieurs fois il avait annoncé son prochain départ à Claudia qui le retenait.
Un dimanche, il eut la curiosité de se rendre à l'égUse chrétienne, que sa femme et sa belle- sœur fréquentaient assidûment, pour voir ce qui s'y passait. Il voulait connaître surtout le culte qui était rendu à ce Jésus qu'il avait fait cru- cifier, quelles choses on racontait de sa victime, et comment on faisait mémoire de sa mort.
Il avait laissé Claudia et Camilla partir seules, et attendu que la foule des fidèles fût entrée dans l'église, avant d'y pénétrer un peu furtivement.
Ce qui frappa d'abord son regard ce fut un grand crucifix qui dominait l'autel. D'une blan- cheur immaculée, le corps de Jésus se détachait en pleine lumière de la large croix noire qu'on aurait dite plantée sur un nouveau calvaire. Sa tête couronnée d'épines était retombée sur sa poitrine et inchnée sur son épaule droite. Ses grands bras de marbre largement ouverts sem- blaient vouloir embrasser le monde ; et la foule prosternée adorait l'auguste \dctime.
PAULINA 349
Pilatus éprouva à cette vue un saisissement indicible. Il leva les bras, et il ouvrit la bouche pour crier : Ecce Homo ! Mais dans un effort puissant de sa volonté il réussit à se contenir.
Soudain, il vit monter en chaire un honnme qu'il crut avoir déjà vu. Il essaya de se rappeler ces traits hâves mais énergiques des enfants d'Israël, sans pouvoir y mettre aucun nom. Il se pencha vers ses voisins et demanda : Qui est-il ? — C'est l'évêque de Marseille, répondit l'un d'eux, Lazare de Béthanie.
Ce nom lui rappela tout. Et lorsque la voix du prédicateur se fit entendre il en reconnut les accents. C'était à Jérusalem ou à Béthanie, qu'il l'avait entendue jadis. Et la voix disait aux fidèles : Passus sub Pontio Pilato, crucifixus, morluus et sepultus !
C'était La7.are qui sortait de son tombeau pour lui rappeler son crime. Il voulut sortir ; mais il n'en eut pas la force. Il se laissa tomber sur un banc, et se cachant la figure dans ses mains pour ne pas voir la terrible apparition qui s'était dressée devant lui, il sentit un flot de larmes jaillir de ses yeux.
C'étaient les premières qu'il versait depuis l'accomplissement du grand crime. Il en éprouva quelque soulagement et il écouta la voix qui commentait et développait son texte.
C'était un récit fidèle de toutes les phases du
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célèbre procès et de l'injuste condamnation de Jésus. L'orateur assignait à chacun sa part de responsabilité. Il dénonçait la faiblesse de Pi- latus, et il accusait en termes sévères le Sanhédrin, les pharisiens hypocrites, les prêtres haineux, et le peuple lâche et ingrat, qui avait arraché au faible procurator la sentence de mort contre le fils de Dieu. Et Pilatus se disait : Tout cela est vrai.
Et après avoir raconté la résurrection glorieuse et l'ascension au ciel de Jésus, il rappelait ses terribles prédictions contre le peuple juif et le peuple déicide. Il démontrait quelles étaient en grande partie accomphes, et que le dénoûment du grand drame était imminent.
'' Jérusalem ! Jérusalem ! criait-il, elle est venue l'heure fatale de ton châtiment. Déjà Titus est à tes portes et ses légions t'en\dronnent d'un cercle de fer et de feu. Les soldats romains te serrent de toutes parts ; ils vont t' exterminer, toi et tes fils, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre ! Déjà l'abomination de la désolation prédite par Daniel est dans le lieu saint, et dans peu de jours ton beau temple, qui faisait ta gloire, s'écroulera comme une montagne secouée par im tremblement de terre ! Et toi, la viUe déicide, tu seras foulée aux pieds par les nations. "
Tout haletant sous cette parole vengeresse, Pilatus courba la tête ; il se leva péniblement
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et se glissa hors de l'église. Le soir même, il monta à cheval, prit la route de Marseille et ne revint plus.
On crut d'abord qu'il s'était précipité dans le Rhône. Mais, après recherches faites, et infor- mations prises à Marseille, on apprit qu'il s'était embarqué à bord d'un navire qui faisait voile pour la Palestine. Où allait-il ? Que voulait-il ?
Il s'en allait rejoindre l'armée de Titus afin de contribuer pour sa part au châtiment de Jérusa- lem, et d'expier son crime avec elle. Une tempête jeta le navire dans le petit port de Caïpha.
Il prit la route qui conduit à Nazareth et au lac de Tibériade. Accompagné d'un ânier qu'il loua à Capharnaûm, il chevaucha presque sans s'arrêter en suivant les bords du Jourdain jusqu'à Jéricho, et il monta de là à Jérusalem.
Sur le mont des Oliviers, il rencontra les travaux de siège et les troupes romaines, et, gagnant le Nord, il arriva jusqu'au mont Scopus, où étaient les quartiers généraux des assiégeants ; et il se fit indiquer la tente du général Oppius. Ce qu'il lui raconta, nous l'ignorons. Mais après l'avoir entendu, le commandant l'arma et lui assigna un poste pour l'assaut du lendemain.
Il était heureux d'arriver à temps pour mettre la main à la rmne de la ville maudite.
Ces Juifs qu'il avait toujours haïs, et qui avaient été la cause de ses malheurs, ils allaient enfin.
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disparaître. Le sang du Juste dont ils avaient exigé le . crucifiement à grands cris retombait enfin sur eux et sur leurs enfants !
L'âge et les souffrances avaient altéré ses traits si profondément qu'il était méconnaissable. Mais il avait encore une grande \dgueur, et c'est avec une agilité remarquable qu'il escalada le mont Moriah. Il voulait revoir encore une fois avant leur destruction finale la tour Antonia et le palais qu'il avait habités. Mais déjà tout flambait, et comme il retournait sur ses pas du côté de la porte des Brebis, il rencontra quelques Juifs qui s'enfuyaient et l'un d'eux lui décocha un trait qui l'atteignit en pleine poitrine, et le renversa.
Il arracha violenunent l'arme de la plaie et pressant sa poitrine de ses deux mains pour arrêter l'hémorragie, il s'élança dans le chemin qui con- tournait l'enceinte de la ville au Nord, et qui conduisait au Golgotha.
Le théâtre du lugubre drame était encore très reconnaissable, et sur le roc même où la croix du Seigneur avait été plantée, il tomba sans connaissance, et baignant dans son sang.
Quand il revint à lui, il était étendu sur une natte au pied d'un mur en pierre, et un prêtre juif était debout à ses côtés.
" Nicodème ! cria-t-il en reconnaissant son ami d'autrefois.
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— Pilatus ! répondit Nicodème. Est-ce bien vous ?
— C'est bien moi, qui vais enfin mourir. Le dernier jour de Jérusalem sera aussi le mien. Nous avons péché ensemble ; il est juste que nous mourrions ensemble. Complices de même crime, le même châtiment nous enveloppe.
" Mais, Nicodème, Jérusalem meurt malgré elle et sans repentir. Moi, je meurs volontairement en regrettant mon crime. J'ai offert ma \ie en expiation. Puis-je espérer obtenir mon pardon de ma victime ? Le châtiment de Jérusalem est l'œuvre de Jésus, et je suis venu de Vienne pour m'associer à son œuvre. Moi qui pleure depuis longtemps mon crime, n'avais-je pas le devoir de prendre part au châtiment de celle qui ne regrette rien ?
— O Pilatus ! Qu'il est terrible, en ce jour, ce Jésus que nous avons connu ensemble ! Mais aussi qu'il est miséricordieux ! Le lieu du crime qui est aussi le Ueu du châtiment est devenu celui du grand pardon pour vous.
" Ce Dieu que vous avez condamné à la mort par faiblesse, il a tenu compte des efforts que vous avez faits pour le sauver, et des larmes de repentir que vous avez versées. C'est sa misé- ricorde qui vous a sauvé du désespoir et de la mort de Judas. C'est elle encore qui vous a placé sur mon chemin en ce jour effroyable qu'on dirait
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être le dernier du monde. Prêtre de Jésus-Christ^ je suis le dispensateur de sa grâce, et c'est en son nom que je vous accorde le pardon et l'abso- lution. "
Pilatus étendit ses bras en croix ; un flot de sang jaillit de sa blessure, et il tomba la face contre terre. Nicodème essaya de le relever. Il était mort. . .
Jérusalem qu'on croyait immortelle n'était plus. Ses hautes tours que l'on croyait inexpu- gnables étaient tombées sous les coups des baUstes et des catapultes. Ses mâchicoulis et ses créneaux gisaient amoncelés dans les fossés. Ses lourdes portes de bronze pendaient déchiquetées sur leurs gonds brisés.
Par les brèches des murailles démantelées les légionnaires de Rome se précipitaient comme les flots de la mer en furie, et inondaient les rues qu'ils jonchaient de cadavres.
Le Cédron en était comblé; des centaines de mille Juifs qui s'enfuyaient dans la vallée d'Ophel tombaient écrasés par les cavaliers romains qui remontaient de la piscine de Siloé.
D'autres milliers étaient précipités des hauteurs de Sion dans le ravin de la Géhenne où semblait régner encore le dieu Moloch.
Jérusalem la ville déicide était morte.
Mais à son sommet, le temple de Jéhovah, im- mense, splendide, merveille du monde, subsistait
PAULINA 355
et ses marbres avaient la pâleur des mourants.
Au milieu des flammes qui détruisaient la ville, et qui l'entouraient de tous les côtés, la maison de Dieu resplendissait dans l'or de ses coupoles. L'élément destructeur semblait res- pecter ce petit coin de ciel sur la terre.
Titus, qui le contemplait des hauteurs de Bé- zétha à la lueur de l'immense brasier, se sentait lui-même saisi d'une terreur mystérieuse ; et il avait donné à ses soldats cet ordre formel : Dé- truisez tout, mais épargnez le temple.
Hélas ! les Zélotes vaincus, fuyant la mort qui les cernait de tous côtés, s'étaient dit : ce sera notre dernier asile. Nous sommes impuis- sants à le sauver ; mais c'est lui qui nous sauvera.
Hommes, femmes, enfants, au nombre de 600,000 avaient envahi les parvis sacrés.
En face de cette immense multitude les soldats romains hésitèrent. L'exterminer tout en res- pectant le temple était un problème bien difficile.
Pendant que les officiers déhbéraient, un soldat saisit un tizon enflammé tombé d'une corniche extérieure, et l'introduisit sous une des portes du temple.
La vengeance des hommes était satisfaite : c'était la vengeance de Dieu qui commençait.
L'incendie se déclara avec une rapidité et une fureur qui tenait du prodige. Un esprit semblait vivre dans ces flammes qui couraient le long des
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murs, qui sautaient de piliers en piliers, de colonnes en colonnes, qui volaient dans les voûtes et les coupoles, qui fondaient les bronzes et les ors, qui poursuivaient les fuyards, embrasaient leurs corps et calcinaient leurs ossements.
Du mont des 01i\'iers on croyait voir les co- lonnes du portique de Salomon se tordre dans les flammes comme des damnés, et l'on entendait l'immense clameur des victimes qui montait en vain vers le ciel. Les murailles et les voûtes s'écroulaient avec fracas. Et bientôt ce ne fut plus qu'une mer de feu dont les vagues s'entre- choquaient avec fureur, et roulaient en tourbillons sur les pans de murs qui résistaient encore. L'or et le bronze fondus inondaient les parvis, et cou- laient au dehors comme des torrents de lave, jusqu'au milieu des tombes de la vallée de Josa- phat. Des hngots d'or gisaient dans les cendres des morts, mais il n'y avait plus un juif vivant pour les ramasser.
Et c'était un vent mystérieux, inexphcable, qui soulevait cette tourmente de vagues de flam- mes.
Tous les châtiments prédits par les prophètes semblaient surpassés par tant d'horreurs !
Après trois jours de destruction tout l'incom- parable édifice semblait anéanti. Comme Jésus l'avait prédit il n'y restait pas pierre sur pierre.
Et cependant le feu faisait rage encore dans
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les profondeurs du mont Moriah. Infatigable fos- soyeur, il creusait jour et nuit le vaste tombeau où devaient dormir à jamais le peuple de Sion et son temple qui avait duré mille années.
Le tombeau du Christ s'était ouvert le troi- sième jour, et il avait laissé sortir son mort. Mais le tombeau du peuple juif devait rester fermé dans les siècles des siècles, et sur ses larges dalles funéraires les touristes du monde entier vien- draient promener leurs rêveries dans le silence et la solitude de la mort éternelle.
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XLVIII LA FIN DES HÉRODES
Agrippa était resté atterré devant les ruines tle Jérusalem. Il avait relu les poèmes élégiaques du prophète Jérémie, et il lui semblait que ses Lamentations n'exprimaient pas toute l'horreur <ie ces effroyables calamités.
La prophétie contre Babylone lui parut plus conforme à la réalité : " C'est toi, Jéhovah, qui as dit que ce heu serait détruit de telle sorte qu'il n'y habiterait plus personne, ni homme, ni iDete, mais qu'il serait une solitude pour toujours. "
Il s'appliqua à lui-m.ême ces autres paroles : "Voici que je t'ai rendu petit parmi les peuples, méprisable parmi les hommes " ; et il se dit : •comment puis-je maintenant songer encore à la royauté ? On ne fera pas un roi pour un royaiune qui n'existe plus.
Et Pauhna elle-même ? Est-elle encore de ce monde ? N'ai-je pas heu de craindre qu'eUe ait été la \ictime de la persécution qui sévit à Rome contre les chrétiens ?
Il écrivit à sa mère une lettre désespérée, et il la suppha de lui dire la vérité au sujet de Pau- hna. Sa mère lui répondit que des Juifs fanatiques de l'île de Chypre avaient dénoncé Paulina et
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sa mère comme chrétiennes au préfet de Rome, qui pour obéir au décret de l'empereur n'avait pu faire autrement que les condamner à mort.
" Je comprends ton chagrin, ajoutait-elle. Mais il faut être raisonnable et te consoler, en pensant que c'est un obstacle de moins à ton avènement au trône."
" La ruine de Jérusalem, disait-elle encore, ne détruit pas le royaume de Judée, et je puis te confier une chose qu'il ne faut pas dévoiler : Titus est sérieusement épris de ma sœur Bérénice, et j'ai confiance qu'elle sera impératrice avant bien longtemps. Tu comprends que cette situa- tion nous ouvrira un accès facile aux faveurs impériales.
" Je présume que Bérénice reviendra de Jéru- salem en même temps que Titus, et que tu pourras revenir avec eux. "
Ces nouvelles n'apportèrent pas à Agrippa la moindre consolation.
Il devint plus triste et plus découragé que jamais. Ce qui l' affligea davantage ce fut de soupçonner que sa mère elle-même avait peut-être pris part au martyre de Paulina.
Lorsque Titus partit pour Rome avec Béré- nice, il refusa de les suivre, et il voulut rester avec la garnison laissée à Jérusalem. Il écri\'it même à sa mère ces horribles paroles : ''Je me sens poursui\d par la fataUté qui pèse sur la dy-
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nastie des Hérodes à cause de ses crimes ; et je n'aspire plus au trône de Judée, s'il existe en- core. Je suis devenu une ruine morale au milieu des lamentables débris du Temple, qui devait périr puisqu'il était l'œuvre du grand criminel qui fut mon aïeul. "
De longs mois s'écoulèrent pendant lesquels les lettres de sa mère, pleines de colère et de re- proches, restèrent sans réponses. Ce silence dura si longtemps qu'elle crut que son fils était mort. Mais elle apprit longtemps après qu'il avait accompagné les troupes romaines au siège de trois forteresses encore occupées par les sur"\dvants du peuple déicide — l'une en Judée, et les autres sur les deux rives de la mer Morte. L'une d'elles, Massada, bâtie sur une montagne escarpée, était considérée coûiine imprenable et le siège dura quelques années. Agrippa y chercha vainement la mort, et il émerveilla les troupes par ses actes de bravoure.
Enfin, à son retour à Jérusalem, il reçut de sa mère une lettre toute mouillée de ses larmes et datée de Pompéi ; elle le suppliait d'aller l'y rejoindre. " Je suis ici pour ma santé, lui disait- elle, et j'essaie de me distraire de mes grandes douleurs. Je t'en prie, mon fils, viens mêler tes larmes aux miennes. "
Agrippa se laissa toucher, et, quelques mois plus tard, il était à Pompéi. Sa mère le serra dans
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ses bras et lui prodigua toutes ses tendresses. Elle évita soigneusement tout ce qui pouvait lui rappeler ses malheurs, et elle l'encouragea à s'ac- corder toutes les voluptés que Ponipéi prodiguait à ses visiteurs. Pendant des mois et des mois, le fils se laissa pervertir par sa coupable mère, et il se livra à tous les plaisirs pour oublier Paulina. Mais il gardait toujours son souvenir, et il ne pouvait pardonner sa fin tragique à Tigellinus. Quand il songeait que sa mère peut-être avait été la cause de son cruel martyre, il prenait sa mère en haine.
Les jeux de l'hippodrome et du cirque, les théâtres, les courses de chariots, les régates dans la baie radieuse de Stabies ne réussissaient pas à le consoler.
De son côté, Drusille voyait s'évanouir ses espérances ambitieuses. Toutes ses machina- tions et ses intrigues auprès de César pour assurer le trône de Judée à son fils n'avaient aucun succès. Titus répondait aux deux sœurs Drusille et Bérénice : Le royaume de Judée n'existe plus.
Avec cela, Pompéi devenait inhabitable et paraissait être une terre de malédiction, con- damnée à périr. Le Vésuve qui, dix-sept ans au- paravant avait déjà dévasté une partie de la cité, ainsi que Herculanum, s'était réveillé de nouveau et se tordait dans des con\iilsions effroya- bles. Pas une goutte de pluie n'avait arrosé le
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sol brûlant pendant l'été qui venait de finir. Toute végétation était morte, et sous la terre déchirée de crevasses profondes des roulements de tonnerre répandaient la consternation dans toutes les demeures ébranlées par des tremble- ments de terre.
On n'osait plus regarder la montagne, car elle chancelait. Il y avait comme des plaintes lugu- bres qui traversaient les airs, et la mer était bouleversée.
La nuit, des lueurs étranges sillonnaient le ciel, et y dessinaient des danses de fantômes. Le jour, des colonnes d'épaisse fumée, descendant du Vésuve, enveloppaient la \'ille et éclipsaient complètement le soleil.
La population épouvantée s'enfuyait vers Sta- bles et Neapolis.
Drusille voulait partir. Mais son fils ne voulait pas. Il se moquait des frayeurs de la foule, et d'ailleurs il ne tenait plus à cette vie qui ne lui avait donné que des déboires et qui n'avait plus aucun charme pour lui.
A force de supphcations et de larmes, Drusille obtint un jour de son fils qu'ils partiraient le lendemain.
Mais demain n'est à personne.
Vers le soir, des tourbillons de fumée noire sortirent du cratère, et montèrent lentement, tout droit, bien au-dessus de la montagne que
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les lueurs mourantes du jour continuaient d'é- clairer, et qui ressemblait à un immense autel auquel la fumée du sacrifice aurait fait une gigan- tesque couronne. Mais bientôt cette couronne s'agrandit, s'épaissit et prit la forme d'une vaste coupole qui montait toujours en s'élargissant mais sans changer de forme.
Quand elle cessa de s'élever, elle ombragea toute la montagne et les campagnes environ- nantes jusqu'à Neapolis. Elle s'étendit sur la mer, et les grandes lames bleues prirent la cou- leur de l'encre, depuis Sorento jusqu'au Cap Misène.
Le calme de l'air et le silence de la nature ajou- taient à la terreur générale. Tous les habitants, sortis épouvantés de leurs maisons, se deman- daient en regardant le ciel à quel cataclysme ils allaient assister.
Pline l'Ancien qui commandait l'escadre impé- riale de Misène pressentit une catastrophe épou- vantable, et fit approcher ses vaisseaux des côtes pour secourir les infortunés qui cherchaient un peu d'air respirable et de fraîcheur sur les rivages de la mer.
Mais, tout à coup le dôme noir de fumée qui dominait le Vésuve s'écroula, et une pluie de cendres et de petites pierres spongieuses com- mença de tomber avec une abondance croissante. Alors ce fut la nuit, une nuit opaque éclairée par
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intervalles de flammes rouges qui s'échappaient des flancs déchirés de la montagne, secouée jus- qu'en ses profondeurs.
Une tempête effroyable se déchaîna sur la mer, et le bouleversement des vagues devint extra- ordinaire. Car ce n'était pas le vent qui les sou- levait. C'était la terre qui tremblait. C'était le lit même de la mer qui était secoué effroyable- ment, et dans lequel s'ouvraient des abîmes où l'eau s'engouffrait. Toute navigation était im- possible, et les vaisseaux étaient précipités sur des écueils inconnus des marins.
Dans Pompéi et dans Herculanum les habita- tions s'écroulaient, ensevehssant sous leurs ruines des familles entières. Par toutes les portes les survivants fuyaient éperdus vers la campagne et vers la mer.
Soudain, la cime extrême du Vésuve s'enflamma, et s'affaissa comme dans une vaste fournaise. Des torrents de lave débordèrent sur les flancs de la montagne, et submergèrent Herculanum dans ime mer de feu.
De plus en plus démontée, et comme soulevée par des forces mystérieuses et souterraines, la mer envahissait les rivages et couvrait les champs de navires brisés, de monceaux de sable et de cadavres.
Pendant longtemps, Pline lutta avec courage contre le déchaînement des éléments. Mais
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cette lutte était au-dessus des forces humaines. Exténué, il se fit descendre sur le rivage de Stables (devenu depu's Castellamare) et s'y endormit couché sur une toile. Mais l'air, saturé de souf- fre n'était plus respirable. Bientôt l'asphyxie remplaça le sommeil, et quand on voulut le ré- veiller, il était mort.
Dans le même temps, Drusille et son fils ago- nisaient. Ils s'étaient réfugiés dans la cave de leur maison, et ils avaient fermé toutes les issues pour empêcher les cendres d'entrer. Mais la cendre semblait vivante et s'infiltrait partout coname un gaz subtil. Elle tombait d'ailleurs avec une telle abondance qu'elle rempHssait les rues et bloquait toutes les avenues. Ceux qui voulaient fuir s'y enfonçaient jusqu'au-dessus des genoux, et y tombaient bientôt comme dans une fosse, qui s'ou- vrait sous leur poids, et qui devenait leur tombeau.
Le niveau de cette cendre montait comme une marée, et toute la ville était menacée d'enh- zement. Bientôt elle atteignit les étages supé- rieurs des maisons ; et les belles colonnades des péristyles, et les blanches statues disparaissaient comme des baigneuses asphyxiées sous le flot montant de la cendre exterminatrice.
La cave où Drusille et son fils se voyaient enterrés vivants était devenue comme une four- naise ardente, et tous deux criaient, pleuraient, blasphémaient.
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" C'est donc bien vrai que tu étais Dieu, O Nazaréen, disait Drusille, mais un Dieu méchant, et tu te venges ! Tu l'avais prédit que tu dé- truirais Jérusalem et le monde. De la ville des Hérodes, il ne reste plus pierre sur pierre, et voici le dernier jour du monde. Au nom d'Hérode-le- Grand qui a voulu et cru te massacrer dans ton berceau, sois maudit. . . "
" O Paulina, reprenait Agrippa, c'est toi qui étais ma divinité, et c'est ma digne mère qui t'a fait mourir ! Avec le dernier des Hérodes et la dernière des Hérodiades, il est juste que le monde périsse ! "
Soudainement, dans la nuit sépulcrale, le lourd plafond s'effondra, et quand le jour se leva, Pompéi toute entière avait disparu sous une montagne de cendre.
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EPILOGUE
Vexilla régis prodeunt
Mon œuvre est finie ; et cependant je sens le besoin d'y ajouter encore une page pour célé- brer le triomphe définitif de la foi.
" L'étendard du Roi est déployé : Sur le " monde entier brille le mystère de la croix, dans " lequel la vie a souffert la mort, et la mort a "donné la vie !" Le sang des martyrs a arrosé la terre et la victoire appartient aux vaincus.
Comme son divin^ Maître, Pierre a gravi son Calvaire, et il est mort sur une croix au sommet du Janicule.
Comme Jean-Baptiste, le premier prédicateur du Messie, Paul, le grand apôtre des Nations, a été décapité.
André a été crucifié, comme son frère, à Patras^ dans le Péloponèse.
Les deux Jacques ont versé leur sang à Jéru- salem.
Thomas est mort dans les Indes, percé d'im. coup de lance comme Jésus-Christ, après avoir fondé de nombreuses égUses chrétiemies.
Jude et Simon ont évangéhsé l'Eg^^Dte, la Mésopotamie et la Perse, et les Persans les ont martyrisés parce qu'ils ont refusé d'adorer le soleil.
368 PAULINA
Mathieu a été mis à mort en Ethiopie, au moment où il célébrait les saints mystères.
Marc a arrosé de son sang les rues d'Alexandrie, après y avoir détruit l'idolâtrie.
Philippe a enduré le supplice de la croix, après avoir converti la Scythie et la Phrygie.
Seul Jean \dt encore et il a vu l'accomplissement de la terrible prophétie de son Maître : Jérusa- lem détruite et son temple merveilleux réduit en cendres.
Mais la dernière heure du disciple bien-aimé approche, sans doute; car il est au pouvoir de Domi- tien, le maître du monde, qui vient d'être pro- clamé dieu. L'apôtre a reçu, l'ordre de sacrifier à cette nouvelle divinité, et il a refusé. On le flagelle cruellement, et quand il a subi ce premier suppUce, on le plonge dans une cuve d'huile bouillante.
La mort va donc venir enfin ! Il y a si long- temps qu'il l'appelle pour aller rejoindre son Maître bien-aimé. Mais la mort n'est pas venue. L'huile bouillante a guéri ses plaies et lui a paru un bain déhcieux.
Les bourreaux sont allés raconter le miracle à Domitien et lui ont dit : "La vie est pour cet homme un vrai suppUce, et si vous le mettez à mort, vous comblerez ses vœux. Le vrai châti- ment pour lui serait de l'envoyer en exil dans une des îles solitaires de votre empire. "
L'empereur s'est laissé convaincre, et le disci-
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pie que Jésus aimait a été exilé dans la petite île de Pathmos.
Mais ô bonheur ! c'est là que, sans mourir, il a revu son Maître ressuscité, vivant dans la gloire éternelle.
Vision mer\'eilleuse dans laquelle le Fils de l'Homme lui a di^ : " Je suis Celui qui vis. J'ai été mort mais je suis vivant dans les siècles des siècles ! "
C'est là que l'apôtre a écrit le livre miraculeux de l'Apocalypse, qui est le couronnement du Livre des Livres.
L'Esprit-Saint, par la main de Moïse, en avait écrit la première page : " Au commencement. Dieu créa le ciel et la terre. "
Le même auteur divin en a inspiré la suite, et par la main de saint Jean il en a signé les dernières pages de son nom mystérieux : "Je suis l'Al- pha et rOmega, le premier et le dernier, le com- mencement et la fin "
C'est maintenant que tout est vraiment con- sommé !
Non seulement le Livre des Livres est clos, mais l'autorité qui devra le conserver et l'inter- préter est créée.
Avant de mourir, Jésus avait dit deux choses qui semblaient contradictoires : ''Je m'en vais à mon Père, mais je serai avec vous jusqu'à la consommation des siècles ! "
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Pour vivre à la fois au ciel et sur la terre, il fallait que Jésus-Christ, sans quitter le ciel, vécut en même temps au milieu des hommes dans un continuateur vivant et que ce continuateur ne fût sujet ni à l'erreur ni à la mort.
Ce grand miracle est maintenant accompli.
Le continuateur vivant, infaillible et immortel, c'est l'Eglise, que Jésus-Christ a fondée en disant au Chef des apôtres : '' Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre Elle ! "
Malgré les hérésies et les persécutions, au mil- lieu des institutions humaines qui tombent en ruine, et des nations qui meurent, elle seule sub- sistera jusqu'à la fin des temps.*
Seule, elle sera la grande école infaillible, héri- tière des promesses de Jésus-Christ, qui enseignera la vérité aux hommes pendant les siècles futurs.
NOTES HISTORIQUES
I. Saul au désert (page 10).
Les opinions sont partagées sur la question de savoir dans quel désert Saul a passé trois ans, après sa conversion.
L'abbé Fouard, et Mgr le Camus inclinent à croire que ce fut au désert arabique du Sinaï et de l'Horeb. C'est l'opinion qui m'a paru la plus probable.
n. Onkelos (page 21).
Un des personnages historiques du Centurion. Il faisait partie de la Chambre des Scribes. Docteur en Israël, il est l'auteur d'un commentaire du Pentateuque en langue chal- dcïque. Ce que j'en raconte appartient à la fiction.
m. La famille de saint Paul (page 45).
Parmi les salutations qui terminent l'Epitre aux Romains se trouve celle-ci : Saluez Rufus, distingué dans le Seigneur, et sa mère, qui est aussi la viienne.
Les commentateurs expliquent généralement ce passage en disant que la pensée de Paul a dû être celle-ci : qu'il regardait la mère de Rufus comme la sienne.
Mais Russell Forbes, qui est un archéologue et un histo- rien distingué fait à ce sujet diverses conjectures. Il veut
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croire que Rufus est Rufus Pudens, qu'il est le demi-frère de Paul, et que sa mère est vraiment ceUe de l'Apôtre. Il en déduit cette conclusion que la mère de Paul devenue veuve aurait épousé le sénateur Pudens ; qu'elle apparte- nait elle-même à la gens Emilia, dont Sérgius Paulus était devenu le chef, et que ce dernier, converti par Saul, avait voulu lui-même que l'apôtre prît le mon de Paul.
Mais il n'y a aucune preuve de tout cela. Forbes commet d'ailleurs d'autres erreurs de ce genre.
rv. Sergius Paulus (page 67).
C'est un des premiers païens convertis par saint Paul. Il était proconsul dans l'île de Chypre.
Le Martyrologe romain raconte qu'il fut ordonné évêque de Narbonne en Gaule, et que saint Paul l'y laissa en se ren- dant en Espagne.
Tout ce qui concerne Chr>'séis et Paulina est de la fiction.
V. Les Agrippa (page 105).
L'historien Josèphe raconte dans ses ouvrages les princi- paux événements de leur vie, et leurs crimes sans nombre depuis leur grand aïeul, Hérode le Grand, jusqu'à Drusille et son fils.
C'est un fait historique que ces derniers ont péri dans la ruine de Pompéi.
VI. Saint Denys (page 147).
L'histoire de saint Denys est authentique.
Il fut le premier évêque d'Athènes ; et sur le portail de
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la cathédrale actuelle de cette ville, j'ai lu moi-même le nom de Dionysos son patron, inscrit en grandes lettres d'or. Mais il ne fut pas seul converti par saint Paul à l'Aréopage. Un autre Saint, que Denys appelle son maître, et qu'il proclame un génie transcendant, ouvrit en même temps les yeux à la lumière de la foi chrétienne. C'est Hiérothée, dont les œuvres admirables sont malheureusement perdues.
Plus tard, saint Denys fut envoyé en Gaule, par le pape saint Clément pour évangéliser Lutèce (Paris) et il y fut martyrisé avec ses compagnons sur la colline de Montmartre,^ mons martyrum.
Vn. L'Oracle de Delphes (page 203).
Ce fut l'oracle le plus célèbre de l'antiquité, et c'est à cause de lui que les peuples païens ont cru pendant des siè- cles à la divinité d'Apollon. Au temps de leur glorieuse histoire les Grecs, avaient fait de Delphes une ville de temples. Une série de tremblements de terre a détruit ses admirables monuments, vers le temps de Jésus-Christ. Néron y vint au temps de saint Paul, et en rapporta 500 statues. Pline y était allé avant lui et en avait compté 3000. Aujourd'hui ses ruines sont, avec celles d'Athènes, les plus intéressantes de la Grèce.
Vin. La demie captivité de Paul à Rome (pages 263 et 265).
La loi romaine ne permettait pas d'emprisonner un citoyen romain, sans un procès préalable et une condamnation. C'est pourquoi Paul fut laissé pendant deux ans à la garde d'un soldat prétorien.
Lorsque Gallion, le frère de Sénèque, que Paul avait connu à Corinthe, fut dénoncé comme proconsul, il dut venir à
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Rome pour se justifier, et il fut soumis au même régime que Paul, en attendant son procès.
(Voir Tacite, Annales vi, 3).
Mais lorsque Paul et Pierre furent emprisonnés dans la prison Mamertine en l'an 66, c'était sans doute après con- ■danmation fondée sur le nouveau décret de l'empereur qui punissait de mort le seul fait d'être chrétien.
EX. Conjectures et vraisemblances (page 286).
Le chapitre xxxvii de " Paulina '' contient divers détails des œuvres et des prédications de saint Paul qu'il ne faut pas considérer comme historiques. Mais ils ne sont pas en désaccord avec l'histoire, et nous les croyons très vraisem- blables. Les Actes des Apôtres n'embrassent pas cette période de la vie de saint Paul, et si samt Luc en a écrit l'histoire elle est malheureusement perdue.
Dans ce Uvre, qui est un roman, je me suis conformé à l'histoire dans le récit de tous les événements qui sont histo- riques, et quant à ceux qui sont du domaine de la fiction, je ne crois pas être sorti du champ des vraisemblances et des probabiUtés.
X. La mission d'Espagne (page 304).
Il n'est pas douteux que saint Paul poursuivit ses missions jusqu'en Espagne, en passant par la Gaule, et qu'il séjourna quelque temps dans la ville d'Arles, en Provence. Un voya- geur du xvii® siècle raconte qu'on lui a montré un faubourg <ie cette ville qui portait le nom de Paul, et une petite maison où l'apôtre avait logé.
Saint Trophime, qui, avec saint Luc, accompagna l'Apôtre •des nations de Césarée à Rome, et qui fit naufrage avec lui près de Mélita (Malte,) le sui\'it aussi plus tard en Gaule et devint le premier évêque d'Arles.
NOTES HISTORIQUES 375
La première église qui y fut bâtie était sous le vocable de Saint-Ktienne, à la suggestion de saint Paul peut-être. La cathédrale actuelle est sous le vocable de Saint-Trophime, et l'on y admire un très beau tableau représentant la lapi- dation de saint Etienne.
XI. Pomponia Graecina (page 304).
Pom{X)nia Graecina était, selon Tacite, une princesse anglaise que le général Plautius aurait épousée pendant son expédition en Angleterre, qu'on nommait alors la Bretagne. A son retour, Plautius aurait obtenu les honneurs du triomphe, et plus tard, sous Néron, Pomponia fut accusée d'appartenir à une superstition étrangère, que Tacite ne désigne pas au- trement, mais qui était évidemment la religion chrétienne. Vu la haute position de Plautius, la cause lui fut référée conformément à une ancienne coutume de Rome. Il assembla ses parents, et comme devant un conseil de famille, il fît une enquête sur la conduite de sa femme, et elle fut jugée innocente parce qu'on ne trouva aucun mal dans ses œuvres de piété et de charité chrétiennes.
Elle vécut jusqu'à un âge très avancé, loin du monde, ne fréquentant que les chrétiens, les assistant, et s'occupant surtout d'enterrer les corps des martyrs dans le cimetière de sa famille. Les chrétiens l'appelaient Lucine.
Xn. La mort de Pilatus (page 345).
Il est historique que Pilatus fut banni à perpétuité dans les Gaules, à Vienne. Mais quelle fut sa fin ? L'histoire n'en dit rien. Plusieurs croient qu'il s'est suicidé, en se noyant dans le Rhône. Mais rien n'est moins certain.
Ce qui est moins douteux, c'est que Pilatus fit une rela- tion à Tibère sur la vie et la mort de Jésus de Nazareth, et
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que l'empereur, sur ce rapport du Gouverneur de la Judée, proposa au Sénat de placer Jésus au rang des dieux. Le Sénat rejeta la proposition.
Saint Justin, martyr, Tertullien, saint Epiphane, Eusèbe, Orose, et d'autres, parlent de ce rapport de Pilatus comme d'un fait connu ; et Tertullien croit que Pilatus était chré- tien dans sa conscience lorsqu'il fit ce rapport.
Il y a Ueu de croire, de plus, que la femme de Pilatus, crut en Jésus-Christ, et pria beaucoup pour la conversion de son mari. S'il faut en croire Cornélius à Lapide, Claudia Pro- cula, ou Procla, femme de Pilate, aurait été placée au nombre des Saints par l'Eglise orientale.
C'est à raison de tout cela que j'ai imaginé le genre de mort raconté dans " Paulina ".
Xni. Le Centurion du Calvaire (page 345).
Ceux qui ont lu mon roman des temps messianiques, le Centurion, se rappellent que je le nommais Caïus Oppius, d'a- près la tradition, et j'ai imaginé qu'il avait épousé Camilla,. sœur de Claudia Procla, femme de Pilate.
Dans Paulina, j'ai eu l'idée d'y représenter le même per- sonnage devenu le général Oppius, âgé de 60 ans, commandant une partie des troupes de Titus au siège de Jérusalem ; et- j'ai imaginé de plus qu'il y était accompagné par ses deux fils, dont j'ignorais d'ailleurs l'existence.
Or, chose assez curieuse, j'ai découvert depuis, en feuille- tant les Biographies Evangéliques de Mgr Gaume, que ces deux fils du Centurion ont existé ; que l'aîné portait le nom de son père, Caïus, et que le cadet se nommait Démétrius.
Saint Jean appelait Caïus son bien-aimé ; c'est à lui qu'il adresse sa troisième Epitre, et il y fait l'éloge de Démétrius.
Dans son récit, Mgr Gaume s'appuie sur la tradition espa- gnole, et il cite deux auteurs — Lucius Dexter et le savant Hélécas, archevêque de Sarra gosse.
NOTES HISTORIQUES 377
XIV. Bérénice et Titus (page 359).
Leurs amours appartiennent à l'iiistoire, et quand Titus vainqueur revint de J6ru.salem à Rome il l'emmena avec lui, et l'installa dans son palais du Palatin.
Il promit même de l'épouser. Mais, devenu empereur, il comprit que ce mariage était impossible, et il eut le courage de rompre et de la renvoyer de Rome. Suétone dit qu'il la renvoya invitus invitavi, c'est-à-dire malgré lui et malgré elle.
Corneille et Racine firent chacun une tragédie sur ce sujet. Celle de Racine fut un succès, mais celle de Corneille tomba. Au dénoûment de la première, Titus dit à Bérénice : ' En quelque extrémité que vous m'ayez réduit ; Ma gloire inexorable à toute heure me .suit ; Sans cesse elle présente à mon âme étonnée L'empire incompatible avec votre hyménée."
Et Béréni(!e lui répond :
Adieu, seigneur, régnez : Je ne vous verrai plus."
Bérénice mourut misérablement en l'an 73, à l'âge de 45 ans.
XV. La diffusion du christianisme et le miracle de son établissement, (page 367).
La rapidité et l'étendue extraordinaires de cette diffusion sont attestées :
■ 1° Par Tacite qui affirme qu'au temps de Néron il y avait à Rome une immense multitude, ingens multitudo, de chré- tiens.
2° Par saint Paul qui déclare :
a) dans l'Epitre aux Romains ii, 18, " que la foi a été prêchée dans le monde entier. "
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6) Dans l'Epître aux Colossiens ii, 23, " Que l'Evangile a été prêchée à toute créature qui est sous le ciel. "
3° Par Eusèbe:DémonstrationEvangéliqueliv.iii,pp. 113,114.
Il y a des historiens qui s'efforcent d'expliquer naturellement l'établissement du christianisme. Mais tous ceux qui étu- dient cette histoire de bonne foi ne peuvent s'empêcher d'y voir l'intervention du surnaturel.
Qu'il y ait eu alors un certain nombre d'esprits d'élite qui sentaient le besoin d'une religion nouvelle, c'est possible. Mais ce besoin n'aurait pu que donner naissance à un grand nombre de religions différentes. Car il est dans la nature humaine que les meilleurs esprits ne s'entendent jamais complètement, et qu'ils diffèrent d'opinion en toutes choses. Voyez par exemple ce qui arrive chez les peuples chrétiens qui se sont séparés de l'Eglise catholique.
Pour maintenir l'unité il faut une autorité unique et in- faillible, or, la constitution et le maintien d'une pareille au- torité sont humainement impossibles.
C'est pourquoi elle n'existe que dans l'Eglise catholique qui a reçu pour cela une assistance surnaturelle.
Dira-t-on que la vérité chrétienne a triomphé par sa seule force ? Mais alors pourquoi y a-t-il aujourd'hui encore tant d'esprits éminents qui la rejettent ?
Et quels moyens d'influence possédaient les premiers mis- sionnaires de l'Evangile ? La puissance ? L'argent ? Les armes ? Le monde ? Les lois et les tribunaux ? Non, tout cela leur manquait — Que dis-je ? Tout cela était contre eux.
Et cependant, ni les empereurs, ni les rois, ni les chefs militaires et leurs armées, ni les hommes d'Etat, ni les par- lements, ni les savants, ni les philosophes, ni les hommes de lettres n'ont pu empêcher la diffusion de la foi chrétienne ni ébranler la stabilité de ses institutions. Quelles forces avait- elle à son service ? — Nulle autre que le sacrifice et la prière. Est-ce humain ou est-ce divin ?
NOTES HISTORIQUES 379
Les obstacles étuicnt invincibles, d'uprès les vues humaines ; les ennemis étaient innombrables à l'extérieur et à l'inté- rieur ; les impies, les hérétiques, les schismatiques coalisés ensemble, les puissances du monde et celles de l'enfer réunies dans une lutte perpétuelle contre l'Eglise et son Christ, voilà quelles ont été les forces hostiles qui ont été vaincues.
Ce n'est pas tout. Le monde a dit aux hommes : venez à moi, et je vous donnerai les biens de la terre, les plaisirs de la chair, et la satisfaction de vos passions. — Le christia- nisme leur a dit : je vous promets le bonheur après la mort, mais pendant la vie je vous prescris la mortification des sens, le détachement des richesses, la pénitence et les sacrifices. Et le christianisme a vaincu le monde !
C'est le plus grand des miracles ! ! !
TABLE DES MATIÈRES
Avant PROPOS v VII
I — Au pied des monts sacrés 1
II — Saul au désert 10
III — Une visite inattendue 21
IV — Le retour à Damas 31
V — Saul et Pierre 36
VI — Tarse et Antioche 44
VII — Les nouveaux dieux 51
VIII — Paul et Barnabe dans l'île de Chypre 62
IX — Saul et Sergius Paulus 67
X — Chez les Galates 72
XI — Persécutions et miracles 84
XII — En Macédoine 94
XIII — Le dernier des Hérodes 105
XIV — Au temple 112
XV — La question religieuse 121
XVI — En Galilée 128
XVII — Drusille et son fils 131
XVIII — Sur la mer Egée 141
XIX — L'arrivée à Athènes 148
XX — Denys l'Aréopagite 156
XXI — Devant l'Aréopage 161
XXII — Paul àCorinthe 165
XXIII — Saint Paul, prédicateur 173
XXIV — Première épître aux Corinthiens 179
XXV — Deuxième épître aux Corinthiens 188
XXVI — O Galates insensés ! 197
XXVII — L'oracle de Delphes 203
382 ' TABLE DES MATIÈRES
XXVIII — A Ephèse 216
XXIX — La passion de Paul à Jérusalem 224
XXX — Paul et Félix en présence 229
XXI — Agrippa à Paulina 241
XXXII — Devant Festus et le roi Agrippa 246
XXXIII — Mirabiles elationes maris! Mirabilis in
altis Dominus ! 250
XXXIV — De Melita à Rome 256
XXXV — Civis romanus siim 265
XXVI -i- Le procès de Paul 273
XXXVII — Instaurare omnia in Christo 286
XXXVIII — Saint Paul et la femme 291
XXXIX — L'esclavage et la " lettre à Philémon " . . . . 297
XL — Les missions d'Occident 304
XLI — Agrippa et Paulina 309
XLII — Au temple de Vesta 315
XLIII — Dernières courses en Orient 319
XLIV — En ce temps-là 326
XLV — La captivité et la mort de saint Paul 336
XLVI — Le martyre de Paulina 341
XLVII — La fin des déicides — Pilatus et Jérusalem . 345
XLVIII — La fin des Hérodes 358
XLIX — Epilogue — Vexilla régis prodeunt 367
L — Notes historiques 371
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PS Routhier, (Sir) Adolphe
9/^85 Basile
088P3 Paulina 4. éd.
1918
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