IN THE CUSTODY OE TME

BOSTON PUBLIC LIBRÀRY.

5HELF

1 2 a, 3

PHîLQCfTETE,

TRAGÉDIE,

TRADUITE DU GREC DE SOPHOCLE ,

EN TROIS ACTES ET EN VERS;

Far M. DELA H A RP e} de l'Académie Française.

Sophocleo quét carmina digna cothuroo ~>. Virg. Prix xxx fols.

A PARIS,

Chez M. Lambert 8c F, J. Baudouin , Imp, Libraires , rue de la Harpe, près S. Côme.

'W iiiimiw ■iwrwiiw m !■ inu»w

i -i

M. DCC. LXXXI.

Avec Approbation & Privilège du Roi

Le Privilège fe trouve a la Tragédie de MENZICOFF , du même Auteur.

M0i

PREFACE.

L eft fans doute bien honorable pour la mémoire de Sophocle , qu'en voulant trouver ie chef-d'œuvre de l'ancienne Tragédie , il faille choifk entre deux de fes ouvrages, Ly(Edipe Roi &; le Philoâete. 11 paraît que l'opinion du plus grand nombre s'ell déclarée pour ie premier : j'avoue que mon fentiment inclinerait pour fécond. Il y a çans l'un» il eft vrai , un plus grand intérêt de curiofité ; il y a dans l'autre un pathétique plus touchant. L'intrigue de l'un des deux fujets développe & fe dénoue avec beaucoup d'art : c'eft peut-être un art encore plus admirable d'avoir pu foutenir la iimplicité de l'autre \ peut-être eft-il encore plus difficile de parler toujours au cœur, par Texpreffion des fentimens vrais , que d'attacher l'attention , §C de la fufpendre, pour ainfl dire, au fil des évé- nemens. D'ailleurs, on pourrait, ce me femble, faire à la Tragédie d'QEdipe des reproches plus graves qu à celle de Philottete : car telle eft la condition de l'humanité , qu'il y a des fautes même dans les chef-d'œuvres. Sans parler des défauts effentiels , reconnus dans l'Œdipe, tels que celui du fujet même, qui a quelque chofe

A.ij

4 PRÉFACE.

de révoltant, puifque l'innocence y eft vïfbiftie- des Dieux ôc de la fatalité, celui des invraifem- blances de l'avant-fcène , puifqu'il n'eft guères probable qu'Œdipe ni Jocafte n'ayent jamais fait aucune recherche fur la mort de Laïus J fans relever d'autres fautes qui tiennent a la nature du fujet , il y en a une dans la texture la pièce , &; qui n'appartient qu'à l'Auteur: c'eft la querelle d'Œdipe avec Créon , qui oc- cupe une grande place , &:_ qui eft à- la- fois fans intérêt &: fans motif. Le Roi de Thèbes accufc fon parent avec une témérité &: une précipitation inexcufables ; je fais bien que cet incident fert à remplir la pièce grecque , de que dans l'Œdipe français , Voltaire s'eft fervi d'un épifode pareil , mais le befoin d'un rem- pliffage eft un défaut , ôc non pas une exeufe y 6c Sophocle dans Philo&ete, fujet encore plus fimple que l'Œdipe, s'eft paffé de cette ref- fource. On n'y peut remarquer qu'une fcène inutile, celle du fécond aâe, où. un foldat d'Ulyffe, déguifé, vient, par de fauffes alarmes, preffer le départ de Pyrrhus & de Philodete , reffort fuperflu , puifque celui-ci n'a pas de defir plus ardent que de partir au plutôt. Cette fcène ne fert donc qu'a allonger inutilement la marche de l'a&ion, 8f j'ai cru devoir la ïetraacherj mais , à cette faute près, fi l'on

PRÉFACE. s

confidëré que la pièce , faite avec trois perfon- nages,dans un défert, ne languit pas un moment, que Tintérêt fe gradue &: fe foutient par les moyens les plus naturels, toujours tirés des cara&ères,qui font fupérieurement défîmes; que la fituation de Philoftete rqui femblerait de voir être toujours la même , eft fi adroitement variée, qu'après s'être montré le plus à plaindre des hommes dans l'Hle de Lemnos > il regarde comme le plus grand des maux d'être obligé d'en fortir \ que ce perfonnage eft un des plus théâtrals qui fe puiffe concevoir , parce qu'il réunit les dernières mifères de l'humanité aux reffentimens les plus légitimes, Se que le cri de la vengeance n'eft chez lui que le cri de l'oppreffion > qu'enfin , fon rôle eft d'un bout à l'autre un modèle parfait de l'éloquence tra- gique; on conviendra facilement qu'en voilà afîez pour juftifier ceux qui voyent dans cet ouvrage la plus belle conception dramatique dont l'antiquité piaffe s'applaudir.

On a regardé comme un défaut , du moins pour nous, l'ombre d'Hercule, qui produit le dénouement. Cette critique ne me paraît pas fondée: certes, ce n'eft point ici que le Dieu n'eft qu'une machine. Si jamais l'intervention d'une Divinité a été fuffifamment motivée, c'eft

fans contredit dans cette occafion ; Se ce dé-

Aiij

* PRÉFACE.

Bouementà qui choquepoint k vraifeniblance théâtrale, puifqu'il eft conforme aux idées re- ligieiifçs duPays fepaffe l'aâionjeft d'ailleurs très-bien amené , néceffaire Se heureux. Hercule n'eft rien moins qu'étranger à la pièce j fans ceffe il y eft queftion de lui; la pôiïemon de fes flèches en eft le noeud principal ; le Héros eft fon compagnon , fon ami , fou héritier Philo&ete a réfifté &: a réfifter à tout : qui l'emportera de lui ou de la Grèce i & qui tran- chera plus dignement ce grand nœud qu'Hercule lui-même ) De plus , ne voit-on pas avec plaifir -que Philoftete , jufqu'alors inflexible , ne cède qu'à la voix d'un demi- Dieu , &: d'un demi- Dieu fon ami? C'eft bien ici qu'on peut appli- quer le précepte d'Horace, qui peut-être même penfait au Philo&ete de Sophocle , quand U $ dit : Ttf'èç Deus huer fit y nifi dignus, vlndïce rtodus.

Art. Poët. Quant a moi , j'ofe croire que ce dénouement reuffirait parmi nous, comme il a réuffi chez les Grecs.

Brumoy s'exprime t/ès - judicieufement fur ce fujet , &: en général fur les différens mérites de cette Tragédie , qu'il a très-bien déve- loppés. * Les Dieux ( (Jit- il ) font entendre que lat

PRÉFACE. 7

» vî&oîre dépend de Philo&ete Se des flèches » d'Hercule > mais comment déterminer ce v guerrier malheureux à fecourir les Grecs , » qu'il a droit de regarder comme les auteurs » de fes maux ï Ceft un Achille irrité qu'il faut » regagner, parce qu on a befoin de fon bras , » & l'on a voir que Philoâete n'eft pas » moins inflexible qu Achille , &: que Sophocle » n'eft pas au-deffous d'Homère. Ulyfle eft » employé a cette ambaffade avec Néopto- « lème*; heureux contrarie, dont Sophocle a » tiré toute fon intrigue ; car Ulyffe , politique » jufqurà la fraude, &: Néoptolème, fincère » jufqu'à l'extrême franchife , en font tout le » nœud , tandis que Philoékte , défiant ôc » inexorable ', élude la rufe de l'un , &: ne ie » rend point à la générofité de l'autre, de forte » qu'il faut qu'Hercule defeende du ciel pour » dompter ce cœur féroce , & pour faire le » dénouement. On ne peut nier qu'un pareil » nœud ne mérite d'être dénoué par Hercule.» En conféquence de tout ce qu'on vient de lire, on me demandera pourquoi je ne fais pas paraître cet Ouvrage fur la fcène. Ce ferait peut- être un genre de nouveauté aiTez piquant &: •*■■ ,

* Pyrrhus ou Néoptolème, eft le même perionnage fo.tjs itifFérens noms.

A m

8 ' PRÉFACE.

affez digne d'attention j ce ferait au moins la première fois qu'on aurait vu fur le théâtre français une tragédie grecque , telle à peu- près qu'elle a été jouée fur le théâtre d'Athè- nes. Nous n'avons eu jufqu ici que des imita- tions plus ou moins éloignées des originaux , plus ou moins rapprochées de nos convenances Se de nos mœurs ; & il y a long - temps que je penfe, comme je i'aixlit ailleurs*, que ce fujet'eft le feul,de ceux qu'ayent traités les Anciens, qui foi t de nature à être tranfporté €n entier, &: fans aucune altération, fur les Théâ- tres modernes , parce qu'il eft fondé fur un intérêt qui eft de tous les temps &: de tous les lieux , celui de l'humanité fouffrante. Mais indépendamment des raifons que j'ai de ne faire repréfenter, daris les circonstances actuelles, ni cet ouvrage ni aucun autre ( raifons que j'ai in- diquées dans la Préface de MenzikofP* ) J'opi- nion avantageufe que j'aide l'original grec ,ne me raffurerait pas âbfolument fur le fort de la traduction > même en la fuppofant auflî bonne que j'aurais voulu la faire. Le fuccès quelle a eu a la féance publique de l'Académie Françaife, ne ferait pas même un garant infailli- ble de celui qu'elle pourrait avoir fur la fcène:

^ , TT

* Dans l'EfTai fur les Tragiques Grecs. ;

* fr Cette Tragédie i(ï a&uelkmem fous prefie*

PRÉ FACE. 9

le jugement d'une afiemblée , quelle qu'elle foit , ne peut s'affimiler aux effets du théâtre. Et qui fait fi Ton goûterait beaucoup fur le nôtre un drame grec d'une (implicite fi nue , trois perfonnages dans une Ifle déferte, une pièce non - feulement fans amour , mais fans rôle de femme ! Il y a de quoi effaroucher bien des gens. La feule tentative qu'on ait faite en ce genre , foutenue du nom &: du génie de Voltaire dans fa force, n'a pasréuffi de manière à encourager ceux qui voudraient la renou- veler. La Mort de Céfar a obtenu le fuffrage de tous les connaiffeurs , mais n'a pu encore (peut-être à notre honte) s'établir * fur notre théâtre. C'eft en vain que le§ Étrangers nous reprochent depuis long-temps > non fans quel- que raifon , cette préférence trop exelufive que nous donnons aux intrigues amoureufes, & d'où naît, dans nos pièces, une forte d'uniformité, dont l'Auteur de Mérope , d'Orefte èc de la Mort de Céfar , s'efl efforcé de nous affranchir. Ce grand Homme , dont le goût était fi exquis &; û exercé , avait fenti tout le mérite de cette antique fimplicité, qui ferait aujourd'hui d'au- & i ' " ' "■■ ii i

* Cet admirable Ouvrage, joué en 1745 , n'eut que fept repréfentations j il n'a été' repris qu'aux fêtes de la Paix, en 1765, & depuis il n'a pas reparu.

xo PRÉFACE.

tant plus recommandable , qu'elle pourrait fervir d'antidote contre l'extrême corruption du goût,, Mais comment accréditer ce genre de nouveauté , au milieu de la contagion générale r lorfqu'atteints de la maladie des gens raffafiés, nous voudrions au contraire raffembier tous les tableaux dans un même cadre, tous les intérêts dans un drame , tous les plaifirs dans un fpec- îade, tranfporter l'Opéra dans la Tragédie, ëc la Tragédie fur la fcène Lyrique* De- cette perverftté d'efprit qui précipite tant d'Écrivains dans le bigarre &: le monftrueux : on ne fonge pas allez qu'il faudrait prendre garde à ne pas ufèr à -la-fois toutes les fenfations &c toutes les jouiffances , ménager fes reffources afin de les perpétuer, admettre chaque genre à fa place & a fon rang , n'en dénaturer aucun , ne rejeter que ce qui eft froid & faux, Se fur-tout éviter les extrêmes, qui font toujours des abus.

Je fais que dans le moment j'écris, un certain nombre d'amateurs s'occupent à rani- mer l'étude de l'antiquité ; que Ton a fu gré à l'Auteur d* (Edipe chez Âdmète 3 d'avoir fi heu- seufement emprunté les deux plus belles fcènes de Y(Edipe h Colorie y en y ajoutant de nouvelles beautés? que quelques perfonnes ont cru pou- voir en tirer un préfage pour le fuccès de Phi- loâQtCi mais je prie qu'où fafiç attention que

P R Ê F A CE. il

la vieilleffe d'QEdipe aurait pu nous intérefleç beaucoup moins , fans les pleurs d'Antigone; & je n'ai point d'Antigone ; en un mot , nous fommes accoutumés à voir des femmes fur la fcène. Je conçois auïïï bien que perfonne comment ce plaifir a pu devenir un befoin fort doux; je ne dis pas qu'il fût impoffiblc de s'en parler avec le génie de Sophocle ; mais il eft auïïï très - poffible qu'on ne pardonnât pas au Tradufteur de l'avoir entrepris.

Et puifque j'ai parlé à9 Œdipe che\Admète, cette pièce, malgré fon mérite réel, qu'on ne m'ac- cufera pas de méconnaître , n'eft-elle pas elle- même un exemple de ces fortes d'alliages nous jette la crainte de paraître trop fimple ? Perfonne n'applaudit ( * ) plus volontiers que moi aux fuccès d'un Confrère dont j'honore &: chéris les talens de l'honnêteté ; mais ç'eft ici le lieu d'invoquer fon propre témoignage, &: de répéter ce que j'ai ofé lui dire à lui- même, &; ce qu'il a fenti mieux que tout autre , parce que l'amour propre du véritable talent eft toujours fubordonné à l'amour de fart èc de la vérité. Si M. Ducis fe fût borné au fujet d'QEdipe à Colone, qui., a la vérité.» ne com- portait que trois aftes , il eût pu faire un ou>

(*) Voyez Mercure du i; Décembre 177 8,

ï* F RE F A CE.

vrage digne d'être mis en parallèle avec la More de Céfar , un tout complet ôc régulier , qui n'aurait été que plus intéreffant en devenant plus fimple; Se il aurait évité le reproche d'avoir affaibli une pièce d'Euripide en l'amalgamant avec une pièce de Sophocle.

Quoi qu'il en foit , c'eft principalement au petit nombre de le&eurs verfés dans les lettres grecques & dans l'étude de l'antiquité , que f offre cette tradu&ion fidelle de l'un des plus beaux ouvrages que l'on ait écrits dans la plus belle des langues connues. C'eft fur- tout à cette clafle de juges choifis, que je dois rendre compte de mon travail, qu'eux feuls peuvent apprécier : ils fe fouviendront fans doute que lorfqu'un poète traduit un poète , la véritable fidélité de la verfion confifte à rendre» s'il fe peut , toutes les beautés plutôt que tous les mots y Se ce principe , reçu même dans la profe y eft d'un ufage inconteftable quand il s'agit de vers. Ce que je puis affurer , c'eft qu'au- tant que me l'a., permis la différence des Lan- gues &: le caractère de notre vérification, j'ai fuivi non - feulement les idées & le dialogue , mais même les tournures &; les conftruftions du texte grec : perfuadé qu'en traduifant un écrivain tel que Sophocle, plus on fe rap- proche de lui, plus on eft près de la perfe&ioo»

P R É FA CE. 13

£ârcc que les mouvemens de fon ftyie font toujours ceux de la nature. C'eft ce que n'a pas aiïez fenti le P. Brumoy , homme éclairé 3c écrivain pur, qui connaiffait le mérite des an- ciens , mais qui ne s'était pas affez rempli du génie de leur compofition : il femble fe faire une loi de ne conferver que le fens de fon auteur , ôc de fubftituer d'ailleurs l'élégance moderne à cette expreffion fimple , énergique & vraie de la poëfie antique : fouvent ilpara~ phrafe Sophocle, &; quelquefois le défigure, comme je l'ai obfervé dans plufieurs endroits que l'on verra cités dans des notes. Mais oit lui pardonnerait plus aifément quelques fautes* toujours difficiles à éviter dans toute traduc* tion , que la difproportion continuelle il tft à l'égard de fon original. Peut-être aufli aura-t-on quelque peine à pardonner à fon goût 3c à fon jugement, la fingulière compa- raifon qu'il fait de Philo&ete avec Nicomèdey 6c qui eft le réfultat de réflexions d'ailleursv fages 3c inftruftives. Voici comme il les ter- mine : ( * ) » A fuivre le goût de l'antiquité , » on ne peut reprocher à cette tragédie aucurî » défaut confidérable ; tout y eft lié , tout y

( * ) Voyez d ans le fécond Volume du Théâtre des Grecs ; les rgjïexions furPhilofigic»

t4 P R E P À C Et

» cil foutenù , tout tend dire&ement au but > » c'eft l'action même , telle qu'elle a * paffer. Mais à en juger par rapport à nous* » le trop de {implicite &: le fpe&acle domi- » nant d'ua homme auffi triftement malheu- » rcux que Philo&ete , ne peuvent nous faire » un plaifir aujji vif "que les malheurs plus brib- » lans & plus variés de Niconiède dans Cor- *> neille. *>

Ces dernières lignes offrent un rapproche- ment bien étrange. Quant au trop de /implicite par rapport à nous , on a vu que je ne m'éloi- gnais pas de le penfer. Il n'en eft pas de même du rôle de Philoftete , que Brumoy trouve fi triftement malheureux. Si j'ai bien compris dans quel fens ces mots peuvent s'appliquer à un perfonnage dramatique, il me femblé qu'ils peuvent convenir qu'à celui qui ferait dans une fituation monotone ôc irrémédiable $ c'eft alors que le malheur afflige plus qu'il n'intéreffe, parce qu'au théâtre il n'y a guères d'intérêt fans efpérance. Mais Philodete n'eft nulle- ment dans ce cas , ô£ ni l'un ni l'autre de ces deux reproches ne peut tomber fur ce rôle* reconnu fi éminemment tragique. Enfin , de tous les ouvrages que l'on pourrait com- parer au Philoâete de Sophocle y Nicomède eft peut-être celui qu'il était le pins extraordi-

PRÉFACE. î|

Mire de choifir. Quel rapport entre ces deu& pièces , quand le principal mérite de lune e£l d'abonder en pathétique , &: que le plus grand défaut de l'autre eft d'en être totalement dé- pourvue > On peut affurément, fans manquer de refped pour le génie de Corneille , s'étonner Auplaifir vif que procure , félon Brumoy , le drame qui eft en effet le moins tragique de îqus ceux Corneille n'a pas été abfolument au- deflbus de lui-même, ouvrage dans lequel il y a quelques traits de grandeur , mais pas «a moment d'émotion.

Le grand intérêt du rôle de Philo&ete n'avait pas échappé a l'un des plus illuftres élèves de l'antiquité , Fénelon , qui , du chef 'd'oeuvre de Sophocle , a tiré le plus bel épifode du fiée ; c'eft encore le morceau du Télémaque qu ou relit le plus volontiers. Fénelon s'eft approprié les traits les plus heureux du grec , & les a rendus dans notre langue avec tout le charme de leur (implicite primitive, &: en homme pkïn. de Tefprit des anciens, & pénétré de leur fubf- tance. Racine le fils, à qui fon père avait ap- pris a les étudier &: à les admirer, mais qui n'avait pas hérité de lui le talent de lutter contr'eux, a eQayé , dans fes Réflexions fur la Poëfie 3 de traduire en vers quelques endroirs de Sophocle , & en particulier de Philoctcte*

16 P R Ê F A C Ë.

Je ne crains pas qu'on rn accufe d'une concur- rence mal entendue : tel eft mon amour pour le beau , que fi fa verfion m'avait paru digne de l'original, je l'aurais, fans balancer, fubftituée à la mienne. Mais ceux qui entendent le Grec verront aifément combien le fils du grand Racine eft loin de Sophocle : fes vers ont de la* correction &: quelquefois de l'élégance > mais ils manquent le plus fou vent de vérité , de précifion &c d'énergie j fes fautes même font fi palpables, qu'il eft facile de les faire apperce- voir à ceux qui ne connaiffent point l'original. Je me bornerai à un feul morceau fort court , mais dont l'examen peut fervir à faire voir en même-temps combien les anciens étaient de fidèles inteprètes de la nature, $c combien Racine le fils, qui les aime &: qui les loue, les traduit infidèlement. Je choifis l'entrée de Philo&ete fur la fcène : voici la verfion en profe littérale.

» Hélas ! ô Étrangers ! qui êtes-vous , vous » qui abordez dans cette terre, il n'y a ni » port ni habitation ? quelle eft votre patrie * » quelle eft votre naiiTance ? A votre habit, je « crois reconnaître la Grèce , qui m'eft toujours » fi chère j mais je voudrais entendre votre j> voix ; &: ne foyez point effrayés de mon ex-

térieur farouche , ne me craignez point -, mais

plutôt

PRÉFACE. i7

» plutôt ayez pitié d'un malheureux , feul dans *> un défcrt , fans fecours, fans appui. Parlez; » fi vous venez comme amis, que vos paroles 9> répondent aux miennes -y c'eft une grâce , une » juftice que vous ne pouvez me refufer. »

Voilà Sophocle > ce langage eft celui qu'a tenir Philoûete: rien d'effentiel n'y eft omis , &: il n'y a pas un mot de trop; c'eft la per- fection du ftyle dramatique. Voici Racine le fils-

Quel malheur vous conduit dans cette Ijîe fauvage , Et vous force à chercher ce funefie rivage î Vous que fans doute ici la tempête a jetés , De quel lieu , de quel peuple êtes vous écartés? Mais , quel eft cet habit que je revois paraître"*. N'eft-ce pas l'habit Grec > que je crois reconnaître \ Que cette vue , ô ciel 1 chère à m©n fouvenir^ Redouble en moi Y ardeur de vous entretenir ! Hâtez- vous donc , parlez , qu'il me tarde d'entendre Les fons qui m'ont frappé dans l'âge le plus tendre, Et cette laugue, hélas 1 que je ne parle plus l Vous voyez un mortel qui de la terre exclus , Des hommes & des Dieux fatisfait la colère : "Généreux inconnus , d'un regard moins févere , IConfidérez l'objet de tant d'inimitié, Et foyez moins faifîs d'horreur que de pitié.

Ces vers ^confidérés en eux-mêmes, ont de

la douceur > &: en général ne font pas mal

tournés $ mais jugez-les fur l'original Ôc fuie

B

t8 PRÉFACE.

la fituation , de vous ferez étonné de voir com- bien de fautes , pires que des solécifmes , com- bien de chevilles, d'inutilités, d'omiflïons eflen- tieiles !

D'abord , quelle langueur dans les huit premiers vers, qui tombent tous deux à deux, & fe répètent les uns les autres ! quelle unifor- mité dans ces hémiftiches accouplés , cette Ijle fauvage, cefunefte rivage, que je revois paraître, que je crois reconnaître ! Ce défaut ferait peut-être moins repréhenfible ailleurs; mais ici c'eft l'op- pofé des mouvemens qui doivent fe fuccéder avec rapidité dans Tarne de Philo&ete , & que Sophocle a fi bien exprimés. font ces in- terrogations accumulées, qui doivent fe preffer dans la bouche de cet infortuné qui voit enfin des hommes )

Quel malheur vous conduit dans cette Ijïe fauvage , Et vous ferce à chercher ce funefte rivage?

Suppofons un foùverain dans fa cour, rece- vant des étrangers ; parlerait-il autrement ? Ce tranquille interrogatoire reffemble-t-il à ce pre- mier cri que jette Philodete > sa %itoi,Tiv\ç taror &cc. Hélas ! ô Étrangers! qui êtes- vous ? Ce cri demande du fecours , implore la pitié , & peint l'impatience de la curiofité : rien ne pouvait le fuppléer, ôc les deux premiers vers de Racine

PRÉFACE. î9

le fils , font une efpèce de contre-fens dans la (ituation.

De quel peuple étes-Vôui écartés ?

Ailleurs cette expreffion pourrait n'être pas mauvaife : ici elle eft d'une recherche froide , parce que tout doit être (impie, rapide & précis: quel eft votre nom > quelle eft votre patrie > voilà ce qu il fallait dire , tout autre langage eft faux.

Maïs y quel eft cet habit î

Que ce mais eft déplacé ! & pourquoi interro^ ger ici hors de propos , quand la chofe eft fous les yeux ? Sophocle dit Amplement : » fi j'en » crois l'apparence , votre habit eft celui des »> Grecs. » Et qu'eft-ce que V ardeur devons en- tretenir ? il eft bien queftion d'entretien ; c'eft le fon de la voix d'un humain , c'eft la voix d'un Grec que Philo&ete veut entendre ; Sophocle le dit mot pour mot, 0aw8ç JV à%ov<jtti CSAojuch^ je veux entendre votre voix : quelle différence 1

Qu'il me tarde d'entendre Les fons qui m'ont frappé dans l'âge le plus tendre, Et cette langue t hélas 1 que je ne parle plus l

Ces vers ne font pas dans le grec , mais ils font dans lafituation, ils font bien faits; cepen-

Bij

io PRÉFACE.

dant il eût mieux valu ne pas ajouter ici X Sophocle , &c le traduire mieux dans le refte. Ce qu'on lui donne ne vaut pas ce qu'on lui a ôté '•> il eût mieux valu ne pas commencer par mentir à la nature , ne pas omettre enfuite ce mouvement fi vrai &: fi touchant: * ne foyez » point effrayés a mon afpeft , ne me voyez « point avec horreur. » Ceft qu'en effet dans Tétat eft Philo&ete , il peut craindre cette efpèee d'horreur qu'une profonde mifère peut infpirer. Le Traduûeur a reporté cette idée dans le dernier vers ; mais une idée ne remplace pas un mouvement de l'ame , ne remplace pas ce beau vers :

fM JH.OX90

fotrcivTtt \»'ff>\eiyîjT ùtw/çtâptw*

Généreux inconnus , d'un regard moins févere Coniîclérez l'objet de. tant d'inimitié.

Tout cela eft vague & faible, &n'eft point dans Sophocle j Philo&ete ne les appelle point généreux 3 car il ne fait pas encore s'ils le feront , ôc tout ce qu'il dit, peint la défiance naturelle au malheur ; &: fi leur regard ç&févère y pourquoi les fuppofe t-il généreux? Ce font des chevilles qui amènent des inconféquences. Pourquoi leur parle- t-il de tant d'inimitié? Toutes ces ex- preflîons parafites ne vont point au fait , ne

PRÉFACE. 21

rendent point ce que dit & ce que doit dire Philodete : » ayez pitié d\ui malheureux aban- » donné dans un défert, fans fecours & fans » amis.

Cette analyfe peut paraître rigoureufe ; elle n'eft pourtant que jufte , elle eft mo- tivée , évidente , & parte fur des fautes capi- tales. Ceft en examinant dans cet efprit la poëfîe dramatique T que Ton concevra quel eft le mérite d'un Racine & d'un Voltaire, qui, dans leurs bons ouvrages, ne commettent jamais de pareilles fautes ? c'eft ainfi que Ton conce- vra en même - temps pourquoi il n'eft pas poffibîe de lire une fcène de tant de pièces applaudies un moment par une multitude égarée , &: dont les fuccès fcandaleux nous ramènent à la barbarie.

Ce n'était pas un barbare que Châteaubrun, qui emprunta des Grecs fa tragédie des Troyen- nesy pièce touchante, malgré les défauts du plan 6c le.s inégalités du ftyle -, mais s'il a réufli à imiter quelques fituations d'Euripide , il n'a pas été auiïî heureux en traitant le fujet de Phiiodete après Sophocle. Sa didiori , qui a du naturel ëc de l'intérêt , quoique fouvent faible & incorrede, s'élève rarement à l'éner- gie du plus grand des tragiques grecs. Son

plan eft fort loin de la fublime (implicite de

Bii)

il PRÉFACE.

Sophocle \ fon Philo&ete cft entièrement mo-' derne : il y a mêlé une intrigue d'amour ; Pyrrhus devient tout d'un coup amoureux dune fille de Philoétete , qu'il n'a fait qu'entrevoir \ &: l'on fent qu'une pafiïon fi fubite , qui ne faurait être d'un grand effet au théâtre , il faut que tout foit préparé, ne fert qu'a par- tager l'intérêt qui doit fe réunir fur Philoétete. D'ailleurs y Châteaubrun a-t-il pu penfer que ce fût la riiême chofe pour ce malheureux Prince » d'être feul dans l'Ille de Lemnos, ou d'y être avec fa fille \ Eft-H vraiiemblable encore que Sophie foit venue joindre fon père , &: que depuis dix ans le père de Philo&ete & fa famille entière l'aient abandonné?Un autre inconvénient de la pièce française , c'eft que l'auteur 3 en rejetant le dénouement de Sophocle , a été obligé de faire d'UlyfTe fon principal perfonnage 8c le héros de fa tragédie. C'eft lui dont l'é- loquence finit par vaincre la haine dePhiloclxte °y 6c pour préparer cette révolution , il a fallu affaiblir beaucoup le eara&ère de ce dernier , ôc fortifier &: embellir celui d'Uiyffe , ce qui eft contraire à la nature du fujet , 3c ce qui ne fuffit pas même pour juftîfier le dénouement: car u Philodete peut être fléchi , eft-ce bien par Ulyfic , celui de tous lès mortels qu i\ doit le plus abhorrer : S'il peut réfifter à Pyrrhus, qu'il

PRÉFACE. 23

aime, comment cède-t-il à Ulyfle, qu'il détefte > Un changement fi peu ordinaire au cœur hu- main , ne peut pas être amené par des difeours: il faut des refïbrts plus puifflans.

En fuivant cette marche nouvelle , non-feu- lement Châteaubrun s'eft privé des plus grandes beautés du Poète Grec , mais même il a très- peu profité de celles dont il aurait pu faire ufage. Par exemple , combien n'a-t-il pas affaibli la belle fcène du poifon, fi déchirante dans Sopho- cle? Voici à quoi elle eft réduite dans l'auteur français :

PYRRHUS. Partons.

PHILOCTETE.

Ciel 1 je me meurs.

PYRRHUS. Et quelle horreur fubite ; Quel trouble s*ejl faifî de votre ame interdite ?

PHILOCTETL Ahl Dieux!

P I R R H U S. Vous gémifFez , vous implorez tes Dieux ji Et de vives douleurs font peintes dans vos yeux.

SOPHIE. Mon père ! Ciel 1 reçois ma vie en faciifîce , Et fais tomber fur moi Ton injufte fttpplice t

PHILOCTETE. Pyrrhus > que mes tourraens yous rebutent pas.

B W

24 PRÉFACE.

PYRRHUS. Votre malheur me touche , & m'attache à yos pa$. PHILOCTETE.

Oui , je puis hâtons nous d'atteindre le rivage.

Non, relions le poifon fe déployé avec rage,

SOPHIE. Ah 1 Seigneur, vous voyez l'horreur de Ton deftin.

PHILOCTETE. Bieux l quel feu dévorant fe glijfe dans mon fèin 1 Pyrrhus, tranchez des jours fi remplis d'amertume j Qu'un bûcher allumé m'embrafc & me œniume.

( Il rentre dans fa caverne. )

Retrouve - 1 - on ces gradations fi bien ménagées dans le Philoftete Grec , ce mélange de douleur, de défefpoir&: d'effroi, ces efforts qu'il fait pour cacher fes tourmens , cette in- quiétude fi naturelle & fi intéreffante, qui lui fait craindre fans ceife que l'horreur de fon état ne rebute la pitié de Pyrrhus; ces fupplications qu'il lui adrefîe , cesfermens qu'il lui demande, enfin tous ces grands développemens qui portent jufqu'au fond du cœur l'intérêt d'une fituation dramatique?

Ce n'eft pas qu'il n'y ait des beautés dans l'ouvrage > &: qui, même, n'appartiennent qu'à l'auteur ; tels font ces deux beaux vers de Philo&ete , parlant à Ulyffc &: aux Grçcs :

Un oracle fatal vous a glacés d'effroi ;

Vous vous trouvez prefles entre les dieux & moi

PRÉFACE. 15

Tel cft encore cet endroit de fon récit:

Loin des hommes cruels, injuftes & fans foi, Quelquefois mon défert eut des attraits pour moi: Les bienfaits n'avaient pu m'attacher les Atrides , Je fus apprivoifer jufqu'aux monftres avides.

Mais ailleurs on voit avec peine les lieux communs du bel efprit moderne , comme des parures de nos jours, qu'un peintre mêlerait dans un fujet de l'antiquité. Pyrrhus, en con- fidérant le fort de Philo&ete , s'exprime ainfi dans un monologue:

Quel contraire grands Dieux 1 dès la plus tendre enfance,

On étale à nos yeux la fuperbe opulence ,

On écarte de nous jufqu'ù l'ombre des maux,

On n'offre à nos regards que de rians tableaux \

Pour ne point nous déplaire, on nous cache à nous-mêmes^

On ne nous entretient que de grandeurs fuprêmes ;

On ajoute à nos noms des noms ambitieux ;

Autant que l'on le peut, on fait de 'nous des dieux.

Victimes des flatteurs , malheureux que nous fommes ,

Que ne nous apprend-t-on que les rois font des hommes?

Il eft clair que l'auteur , ne fongeant qu'au temps il écrivait , a oublié que dans les temps héroïques, tels qu'ils font décrits dans Homère , les rois n'étaient pas élevés comme ils l'ont été depuis , dans le luxe &: la corrup- tion des grands empires > que l'éducation

z6 PRÉFACE.

qu'Achille avait reçue de Chiron, ne l'avait pas amolli , Se que le fils d'Achille n'avait pas befoin de voir Philodete à Lemnos , pour favoir que les rois font des hommes. Ces vers, qui pourtant furent applaudis à caufe des rois ôc des hommes , ne font donc qu'une vaine déclamation, qui aurait paru bien déplacée fur le théâtre d'Athènes.

Je m'explique fur cet objet avec d'autant plus de liberté , que je ne croîs pas qu'on m'attribue la prétention de lutter contre le Philodete de Châteaubrun : fon ouvrage , au fujet près, eft à lui ; le mien eft tout entier a Sophocle j car je ne compte pour rien le très- petit nombre de vers que j'ai été obligé d'à* jouter à ma tradudion, 3c que j'ai marqués avec des guillemets , par un excès de fcrupule, &: pour faire mieux comprendre quelle a été mon exaditude dans tout le refte. Je dois même expofer le motif de ces légères addi- tions.

Dans la première (cène, je fais dire à Pyrrhus, au moment il cède aux raifons d'Ulyfle:

Je dois venger un père & foutenir fon nom ; Cet honneur n'appartient qu'au vainqueur d'Ilionj J'ai , pour le mériter , fait plus d'un facrifîce . . . A Philodete au moins , je puis fans artifice , Me plaindre des affronts dont js fus indigné $

PRÉFACE. 17

Je tairai feulement que j'ai tout pardonné. Puifqu'il le faut enfin , je confens qu'il ignore Qu'ofFenfé par les Grecs, Pyrrhus les fert encore. Il en coûte à mon cœur , & je cède à regret.

Ces vers ajoutés ont pour but cTinftruire le lecteur que Pyrrhus , dans tout ce qu il ra- conte enfuite a Philo&ete, ne lui dit que la vérité, & ne le trompe qu'en lui faifant croire qu'il abandonne les Grecs , & qu'il retourne à Scyros. Sophocle n'avait pas befoin de cette précaution avec des fpectateurs inftruits comme lui de ces événemens; mais elle était néceffaire pour des ledeurs Français , qui , fans cela , pourraient ne pas diflinguer dans la fcène fui- vante ce qui eft conforme à la vérité , &: ce qui ne l'eft pas. Par la même raifon, j'ai fait direà Pyrrhus? autroifïème a&e, en parlant de la Grèce :

Je veux bien pour elle

Oublier , je l'avoue , une injure cruelle. Mon cœur, qui s'en plaignait, ne vous a point déçu *, Mais j'immole à l'État l'affront que j'ai reçu : Imitez mon exemple.

Le monologue qui ouvre le fécond ade , eft aufli entièrement. de moi; il était néceffaire pour préparer l'aveu que Pyrrhus va faire à Philoâete, &: annoncer l'impreffion qu'a faite fur lui le fpeélacle des douleurs de cet infor-

.ig. PRÉFACE.

tuné. Ce changement eft indiqué dans le grec lorfque Philo&ete quitte la fcène , & que Pyrrhus refte avec le Choeur: retranchant ce Choeur , ainfi que tous les autres , il a fallu y fuppléer par un monologue , puifque la pièce n'a point de confidens.

On fait ce qu étaient les Chœurs chez les Grecs, des morceaux de poëfïe lyrique, fouvent fort beaux, qui tenaient à leur fyftême dra- matique, mais qui ne fervaient de rien à l'ac- tion, &: quelquefois même la gênaient Je les ai fupprimés tous > comme inutiles &, déplacés dans une traduftion françaife qui peut être jouée. Je n'en ai confervé qu'un , dont j'ai mis les paroles dans la bouche de Pyrrhus, au premier a£te,> parce qu'il exprime des idées &C des fentimens analogues à la fituation &; au èara&ère de Pyrrhus.

Ce cara&ère n'a pas été k l'abri de la cri- tique ; on a reproché au fils d'Achille de fe plier à la diffimulation , & même de favoir à fon âge trop bien diffîmuler. Mais que l'on fonge qu'il avait ordre de fuivre en tout les confeils d'Ulyfle , &: que s'il ne les fuit pas». il perd toute efpérance de prendre Troye de de venger fon père. Voila fans doute des morifs fuffifans pour Pyrrhus ; & les leçons d'Ulyffe font fi bien tracées, qu'il ne faut pas une grande

PRÉFACE. i9

expérience pour les fuivre 5 & avec quel plaifit- on voit enfuite ce jeune guerrier revenir à fon cara&ère , qu'il n'a pu forcer qu'un moment , ôc fe rendre à la pitié , après avoir cédé à la politique ? Que le moment il rend les flèches à Philo&ete , eft noble ôc attendriflant ! 3c que c'eft bien -là le tableau de la nature!

Enfin , fi cette Traduction, ( dans laquelle je n'ai retranché du texte qu'environ une foixan- taine de vêts , qui m'ont paru allonger le dialogue ) peut plaire à ceux qui connaiflent la poëfic de Sophocle , & en donner aux autres une idée plus fidelie que les verfions en profe que nous en avons, je ferai affezpayé de mon travail , qui, malgré fes difficultés, a été pour moi un plaifir , qu'on ne peut goûter qu'en traduifant un homme de génie. Il eft doux d'être foutenu par le fentiment d'une admira- tion continuelle, Se c'eft alors que Ton jouit de ce qu'on ne faurait égaler.

11 ni 11 1 mu n 1 1 1 m ■■ 1

APPROBATION.

J 'a 1 lu , par ordre de Mgr le Garde des Sceaux ; les Œuvres de M. De la Harpe , de l'Académie Françoife, contenant les Tragédies de Philociete & de Men^içoff. A Paris, le 27 Janvier 178 1.

GAILLARD.

PERSONNAGES.

PHILOCTETE. ULYSS E. PYRRHUS,. HERCULE, dans un nuage. UN GREC. SOLDATS.

La Scène ejl à Lemnos*

PHILOCTETE,

TRAGÉDIE.

ACTE PREMIER.

Le Théâtre repréfente le bord de la mer. On voit de côté & d'autre différentes ouvertures entre des rockers ; mais la grotte de Philociete eft fuppofée ne pouvoir être vue que dans le fond du Théâtre.

SCÈNE PREMIÈRE.

ULYSSE, PYRRHUS, deux Soldats Grecs.

ULYSSE.

Ju^ous voici dans Lemnos , dans cette Ifle fauvage, Dont jamais nul mottel n'habita le rivage* Du plus vaillant des Grecs, ô vous, fils ôc rival, Fils d'Achille , ô Pyrthus ! c'eft fur ce bord fatal ,

tz PHILO CT ETE,

Au pied de ces rochers, près de cette retraite , Que Ton abandonna le trifte Philo&ete. C'eft moi qui l'ai rempli cet ordre de rigueur.1 Il le fallait : frappé par quelque Dieu vengeur,' D'une incurable plaie éprouvant les fupplices , Il troublait de fes cris la paix des facrifices 3 De fon afpect impur bleflait leur fainteté , Et fouillait tout le camp de fa calamité. Mais lahTonsce récit : letems, le danger prefTe. Je veux rendre aujourd'hui Philoclete à la Grèce. S'il fait que dans cette Ifle Uiyfle eft defcendu , De nos travaux communs tout le fruit eft perdu : Je dois fuir fes regards. Vous , dont le noble zèle Promit à mes projets l'appui le plus fidèle , Approchez de cet antre , 5c voyez fon féjour: Par une double iflue il eft ouvert au jour ; Un ruifTeau , fi le tems n'a point tari fon onde. Goule des flancs creufés d'une roche profonde. Vous pouvez aifément reconnaître à ces traits L'afyle qu'il habite : obfervez-en l'accès. Tâchez de découvrir s'il eft dans fa demeure. S'il eft abfent , je puis vous apprendre fur l'heure Quels grands defleins ici je dois exécuter, Et fur-tout quels fecours vous devez leur prêter

PYRRHUS, s3 avançant au fond du Théâtre: Au premier de vos foins je m'en vais fatisfaire. Oui, je crois voir déjà cefauvage repaire, Cette grotte.».»

ULYSSE;

TR A D I % 3j

UjLYSS E,, Au fommeil peut-être eft-il livré,

PYRRHUS.

Nul homme ne fe montre en ce lieu retire. Tout ce que j'apperçois , ceft un lit de feuillage^ Un vàfe d'un bois vil & d'un greffier ouvrage,,.

ULYSSE.

Ce font- fes tréTors.

PYRRHUS.

Des rameaux dépouillés,.: Que dis Je ! des lambeaux que le fang a fouillés* Ah! Dieux!

ULYSSE.

C'eft fa retraite : à nos yeux tout Tattefte; Sans doute il n'eft pas loin ) fa bleflure funefte LaifTe bien peu de force à fes pas douloureux. ." Pourrait-il s'écarter? Hélas! le malheureux Eft allé fur ces bords chercher fa nourriture, Quelque plante, remède aux tourmens qu'il endure,

( Aux Soldats. ) Vous, d'un œil attentif , obfervez tout ■> Soldats ; Que fon retour ici ne nous furprenne pas. De tous les Grecs , objets du courroux qui l'anime., Ceft Ulyffe fur-tout qu'il voudrait pour victime.

( Les deux Soldats s'éloignent, ) G

f4 P H IL 0 CT ET E,

PYRRHUS.

Il fuffit. On fe peut aflfurer fur leur foi. Sur vos deifeins fecrets ouvrez-vous avec moi. Pariez.

ULYSSE.

Fils d'un Héros , fongez bien que la Grèce A de fes intérêts chargé votre jéuneiîe. L'État n'a point ici béfoin de votre bras, , Et la feule prudence y doit guider vos pas, Doit fléchir la hauteur de votre caractère. % Quoi qu'on exige enfin de notre mïniftère , Pour fervir la Patrie , il faut nous réunir ; Elle attend tout de vous , Se doit tout obtenir.

PYRRHUS.

Que faut il?

ULYSSE.

II s'agit de tromper Phiioctete. Je vois Façonnement ce feul mot vous jette ; Mais , n'importe , écoutez : il va vous demander Qui vous êtes , quel fore vous a fait aborder Sur les rochers déferts qui défendent cette Me : Dites-lui., fans détour, je fuis le fils d'Achille. Mais feignez qu'animé d'un fier reffentiment , Et contre des ingrats irrité juftement, Vous retournez au lieu vous prîtes naifTance , Que vous abandonnez les Grecs 8c leur vengeance; Les Grecs qui , fupplians , abailfés devant vous ,

TRAGÉDIE. m

Trop înftruits qu'Ilion doit tomber fous vos coups, One au pied de fes murs conduit votre courage , Et qui de vos bienfaits vous payant par l'outrage , Près du tombeau d'Achille ont dépouillé fon fils,. De vos exploits , des liens , vous ont ravi le prix, Et préférant Ulylfe, ont à votre prière Refufé l'héritage & l'armure d'un père. Contre moi-même alors, s'il le faut^ éclatez En reproches amers par le courroux dictés , Sans craindre que ma gloire en paraifle flétrie: On ne peut m'orTenfer en fervant la Patrie j Et vous la trahirez j Ci Philoétete enfin Echappe au piège adroit préparé par ma main. 5 Ne vous y trompez pas : fans les flèches d'Hercule , En vain vous nourririez Fefpérance crédule De renverfer les murs du fuperbe Ilion . Oui , pour marquer le jour de fa deftruclion , Il faut que Philodete aille aux remparts de Troye; Et des flèches qu'il porte Ilion eft la proye. Vous feul de tous les Grecs , vous pouvez aujourd'hui ' Sans crainte Ôc fans danger , paraître devant lui. ïl ne peut avec eux vous confondre en fa haine; Vous n'avez point prêté le ferment qui m'enchaîne. Vous n'eûtes point, trop jeune au gré de votre ardeur De part à nos exploits , non plus qu'à fon malheur. Mais, s'il favaitqu'UlyiTe a touché ce rivage, Nous devons , vous Se moi , tout craindre de fa rase. C'eft la rufe 3 en un mot, qui feule dans vos mains

Ci;

fS PHILOCTE TE,

Fera pafTer ces traits dont les coups font certains ; Ces traits , dépôt fatal _, tréfor cher ôc terrible, Armes d'un demi-Dieu , qui l'ont fait invincible. Je connais votre cœur , il feint mal-aifément; Sans douce il n'eft pas ne pour le déguifement. Mais le prix en eft doux , Seigneur ; c'eft la victoire. L'artifice eft ici le chemin de la gloire. Ofea 1 tromper pour vaincre , & n'en croyez que moi| Ailleurs de l'équité fuivons l'auftèreloij Sachons-en refpecter les bornes légitimes \ Aujourd'hui feulement oublions fes maximes. Je ne veux rien qu'un jour, un feul jour; déformais A vous , à vos vertus , je vous rends pour jamais.

PYRRHUS.

A fuivre vos confeiîs comment puis-je defcendre *■} Loin de les approuver, je fouffre à les entendre.

1 Brumoy traduit : Ofons faire un crime léger , mais nécef- falre. Cette phrafe^qui n'eft point dans l'original 3 eft très-déplacée dans la traduction. Sophocle ne met qu'un feul mot, qui forme une efpèce de réticence très-adroite : toA*«« , « ofez , & nous ferons s* enfuite vertueux. " îî ne fe fert point du mot de crime , qui eft beaucoup trop fort pour la fituation , & qui blefferait trop l'oreille cle Pyrrhus. UlyiTe dit feulement : « livrez-vous à moi , & oubliez » de rougir pendant quelques heures, îU âvut^ts , vjuipxs p'epoç fyo>.%v , $aç po) crzuuTov. Il a obfervc les convenances , & le Traduc- teur les viole.

* Brumoy traduit : vos confells me font horreur a entendre. Le Traducteur commet ici encore la même faute. Il outre l'expreilioa

TRAGÉDIE. î7

Cerfez , fils de Laërce , un femblable difcours ; Achille ne m'a point inftruit à ces détours : A fon fang , comme à lui , la fraude efl étrangère , Et ce n'étaient point les armes de mon père. S'il nous faut entraîner Philoctete aux combats, Je prétends contre lui n'employer que mon bras. Faible & feul contre tous ., ferait fa défenfe ? J'ai promis avec vous d'agir d'intelligence j Mais dût-on m'accufer de faiblelfe & d'erreur, Je crains le nom de traître , il me fait trop d'horreur. J'aime mieux , s'il le faut , fuccomber avec gloire , Que d'avoir a rougir d'une indigne victoire.

ULYSSE.

Et moi j Pyrrhus , auflî , comme vous autrefois , 5 Sans peur dans les dangers , dans les confeils,, fans voix, Je crus que la valeur feule pouvait tout faire. Aujourd'hui que le tems me détrompe & m'éclaire ,

qui eft jufte dans l'original. Il y a dans le grec: aXya xXow', mot à mot , je fouffre à les entendre. Si le Traducteur avoit fait réfle- xion que Pyrrhus finit par facrifîer Tes répugnances il juftes & fi nobles, il n'auroit pas employé le mot d'horreur. Ces nuances font efTentielles à la vérité dramatique.

3 Brumoy traduit : Prince trop généreux 3 f approuve de fi beaux & de fi nobles fentimens. Il n'y a pas un mot de cela dans l'original : fils d'un Héros , & moi aufli 3 quand j'étais jeune , « j'ai cru , &c. » k'oujtqs m vias %*iz , &c. Combien ce dialogue eft plus vif &: plus précis !

Ciij

5$ PHILOCTETE,

Je vois qu'il faut, fur-tout, pour régir des États % Que la tête commande & conduife le bras.

PYRRHUS.

Mais quoi ! c'efl un menfonge enfin qu'on me demande.

ULYSSE. Le menfonge eft léger -y la récompenfe eft grande.

PYRRHUS. De fléchir ce Guerrier n'eft-il aucun moyen ?

ULYSSE. La douceur ni la force ici ne peuvent rien*

PYRRHUS. La force ! ce mortel eft-il donc indomptable ?

ULYSSE.

Ses traits portent la mort , la mort inévitable.

PYRRHUS.

Amiî , l'on risque même à s'offrir devant lui ?

ULYSSE. Oui , fi l'art ne vous fert & de guide ôc d'appui*

PYRRHUS. Trahir la vérité ! le peut-on fans bafTeiTe ?

ULYSSE. On le doit , s'il s'agit du falut de la Grèce.

PYRRHUS. Me réfoudre à tromper ! moi , Seigneur ! j'en rougis»

U L Y S S E. Eh ! comment rougit on de feryir fon pays }

T JRA G É D I E. y)

PYRRHUS.

Quoi! pour fervir les Grecs, n'eft-ii point d'autre voie?

U LYSSE. A Philo&ete en&n les Dieux ont promis Troie.

PYRRHUS. Ainfî l'on m'abufait , lorfqu'on a prétendu Qu'à mes deftins , à moi , ce triomphe était *7. Et mon cœur que flatta (on erreur & la vôtre , S'enivrait d'un honneur réfervé pour un autre t

ULYSSE. La gloire entre tous deux eft commune aujourd'hui y 11 ne peut rien fans vous , ni Pyrrhus rien fans lui.

PYRRHUS.

» Eh bien, des Immortels il faut remplir l'oracle;. » A leurs profonds defTeins qui pourrait mettre obftacle? » Je dois venger un père j & foutenir fon nom: » Cet honneur n'appartient qu'au vainqueur d'Ilion, » J'ai, pour le mériter , fait plus d'un facrifice . . . « A Philocl:ete au moins je puis , fans artifice, » Me plaindre des affronts dont je fus indigné j » Je tairai feulement que j'ai tout pardonné. » Puifqu'il le faut enfin ., je confens qu'il ignore % as Qu'offenfé par les Grecs , Pyrrhus les fert encore. » 11 en coûte à mon cœur , ôc je cbdQ à regret. i>

ULYSSE. Accomplirez des Dieux l'immuable décrets Le prix de la figeffe & celui du courage , De qui leur eft fournis eft le double apanage.

C iv

PHILOCTETE,

4 PYRRHUS.

Je bannis tout fcruptile . . .on le veut . . . j'obéis.

ULYSSE.

Mes confeils dans ce cœur font-ils bien affermis? Puis-je compter fur vous ?

PYRRHUS.

Ma parole eft un gage » Qui doit vous raffurer.

ULYSSE.

Je retourne au rivage. Demeurez : attendez Philo&ete en ces lieux. Je vous laiife un moment \ 5c que puiflent les Dieux , Mercure protecteur .,. Minerve tutélaire > De nos foins partagés aflurer le falaire. Adieu.

SCÈNE IL

PYRRHUS, feul.

j*-a A pitié parle à mon cœur combattu* Sous quel affreux deftin Philoctete abattu Traîne depuis dix ans fa vie infortunée l Sa misère en ces lieux gémit abandonnée. Tourmenté de fa plaie , afïiégé de befoins , II fouffre fans remède.vil pleure, fans témoins»

T R A D IE. 4

Seul , il conte fes maux à la mer , au rivage , Sans avoir un ami dont la voix le foulage. Ignorant la douceur des foins compatiffans , Il n'a point de foutien de fes jours languiflans. Pas même ce plaifîr ., Il cher aux miférables , De voir, d'entretenir , d'entendre fes femblables. De l'afpect des humains privé dans fes malheurs , L'écho feul des rochers répond à fes douleurs. Quel fort! & cependant , illuftre dans la Grèce , Egal à tous nos Chefs, en courage , en noblelfe, Pour un autre avenir il femblait deftiné : A cette épreuve , hélas ! les Dieux l'ont condamné ! Nos jours font leur préfent j nos deftins , leur ouvrage Heureux qui de leur main ne reçut en partage Que cet état obfcur , que du moins leur faveur Eloigna des dangers qui fuivent la grandeur ï Mais un foldat revient.

. . .. i , ... , ... . . ,■

SCÈNE I I L

PYRRHUS, UN SOLDAT.

LE SOLDAT.

Jr hiloctete s'approche Dans un fentier étroit , non loin de cette roche j Je l'ai vu fe traîner d'un pas appefanti , Tremblant , par la douleur fans eeffe rallenti. Il m'a vu y fur nies pas fans doute il va paraître.

PHILO CTETE,

SCÈNE I V.

PYRRHUS, PHILOCTETE, deux Soldats. PHILOCTETE.

XJLÉLAsiaunomdes Dieux , qui que vous puifîiez être Etrangers , que les vents dans cette Ifle ont portés , D'où venez- vous chercher ces bords inhabités ? Et quel eft votre nom ? quelle eft votre Patrie ï Vous m'offrez de la mienne une image chérie ; Oui , c'eft riiabit des Grecs qu'avec tranfport je vois» Répondez , que je puiiTe entendre votre voix , Reconnaître des Grecs l'accent Se le langage. Ah ! n'ayez point d'horreur de mon afpect fauvage. Je ne fuis point à craindre ; ayez , ayez pitié D'un malheureux, du monde & des Dieux oublié» La grâce que de vous ici je dois attendre , C'eil qu'au moins vous daigniez meparler Se m'entendre.

PYRRHUS.

Soyez donc fatisfait , nous fommes Grecs.

PHILOCTETE. 4

O Ciel! Après un long temps d'un exil (i cruel ,

»"' ' » »' ' ' '

4 Réponfe Favorable à mon impatience I Chère & douce parole , après tant de lîlence !

TRAGEDIE. 45

O que cette parole à mon oreille eit chère! Quel deiîèin, ou pour moi quel vent arlez profpère , A guidé vos vaifTeaux & vous mène en ces lieux ? Parlez , & concernez mes defirs curieux.

PYRRHUS. On me nomme Pyrrhus; je fuis le fils d'Achille, Je fuis dans Scyros, tk retourne à cette Me. Vous favez tour.

PHI LOCTETE. 5

O fils d'un mortel renommé , D'un Héros que jadis mon cœur a tant aimé ! O du vieux Lycomède &: l'élève Ôc la joie ! De quels bords venez-vous ?

PYRRHUS.

Des rivages de Troye. PH1LOCTETE. Comment ? vous n'étiez point au nombre des Guerriers Qui contre fes remparts marchèrent les premiers.

C'eft don: toi que j'entends'. Quoi 1 mon fils, je te voi 1

Quel deftin , quel hafard , quel vent heureux pour moi ,

T'a conduit jufqu'ici , ccnfolateur aimable ,

Pour efïuyer enfin les pleurs d'un mifcrable "i

Racine le fils,

5 Fils d'un père fameux , digne appui de fon nom ,

O 1 du vieux Lycomède illufcre nourriiîon ,

Habitant d'un pays 11 doux à ma mémoire,

Héias 1 éft-ce toi même ? oferai-je le croire?

D'où viens-tu ? quels vaiileaux t'amènent en ces lieux ?

Racine le fils.

44 PHILOCTETE,

PYRRHUS.

Vous-même, en étiez-vous ?

PHILOCTETE.

Vous ignorez peut-être Quel mortel devant vous le deftin fait paraître.

PYRRHUS.

( à part ) ( haut )

»I1 faut difïimuler. » D'où puis-je le favoir? Pour la première fois nous venons de vous voir.

PHILOCTETE.

Quoi! mon nom , mes revers , ma funefte aventure! *

PYRRHUS.

Je n'en ai rien appris.

PHILOCTETE.

O comble de l'injure ï Eh bien \ fuis-je en effet aflfez infortuné , Des Dieux & des mortels affez abandonné ? La Grèce de mes maux n'eft pas même informée '% On en étouffe ainfi jufqu'à la renommée > Et quand le mal affreux dont je fuis confumé ,. Devient plus dévorant 8c plus envenimé, Mes lâches oppreffeurs , dans leur fecrète joie , Infultent aux tour mens dont ils m'ont fait la proie. O mon fils ! vous voyez déiaiffé dans Lemnos, Ce Guerrier, -autrefois compagnon d'un Héros, Inutile héritier des traits du grand Alcide, Philo&ete , en un mot, que l'un de l'autre Atride,

TRAGÉDIE. 4J

Excités par Ulyffe à cette lâcheté ,' Et feul & fans fecours dans cette ifle ont jeté, BlefTé par un ferpent de qui la dent impure M'infecta des poifons d'une horrible morfure. Les cruels ! . . . De Chryfa , vers les bords Phrygiens, La victoire appelait leurs vaifTeaux Ôc les miens, Nous touchons à Lemnos : fatigué du voyage , Le fommeil me furprend fous un antre fauvage. On faiiit cet inftant , on m'abandonne , on part j On part, en me lahTant , par un refte d'égard, Quelques vafes grofliers, quelque vile pâture 9 Dçs voiles déchirés , pour fécher ma blefïure , Quelques lambeaux,, rebut du dernier des humains: PuifTe Atride éprouver de femblables deftins î Quel réveil ! quel moment de furprife ôc d'alarmes! * Que d'imprécations ! que de cris ôc de larmes !

6 O réveil 1 6 moment de furprife & d'alarmes l

O fpectacle 1 6 douleur ! que de cris 1 que de larmes i

Lorfque je me vis feul couché dans ces déferts ,

Et mes vaifTeaux fans moi fendant le fein des mers î

J'appelle , mais en vain , mes compagnons perfides ,

Et d'imprécations accablant les Atrides ,

Quand je jette par-tout un regard empreffé ,

Je ne trouve par-tout que ce qu'ils m'ont laifTé t

Un fauvage rocher 3 folitude cruelle ,

Et de gémifTemens une fource éternelle.

Quel fera le foutien de mes malheureux jours ?

Le teras m'y fit fonger : mon arc fut mon fecours.

PHIL 0 CTETE3

Lorfqu'en ouvrant les yeux , je vis fuir mes vaiffeaux Que loin de moi les vents emportaient fur les eaux ! Lorfque je me vis feul, fur cette plage aride, Sans appui dans mes maux , fans compagnon , fans guide!

Aux habitans de l'air je déclarai la guerre j

Mais réduit à tramer mes membres contre. terre ,

Pour chercher les oifeaux, par mes flèches percés ,

Ou des reftes de bois avec peine amalTés ,

Par combien de douleur ma pénible induftrie

Me fît-elle acheter une mourante vie 1

Le feu qu'en foupirant j'arrache des cailloux ,

De mes triftes hivers m'adoucit le courroux.

Dans l'horreur de cette Ifle inculte , inhabitée ,

Sans commerce , fans port , loin du monde écartée,

Et dont les voyageurs craignent tous d'approcher v

Dans ces horribles lieux , que viendroient-ils chercher ?

Non, ce n'eft qu'à des vents pour eux impitoyables,

Que je dois la douceur de revoir mes femblables^ -

Les uns m'ont accordé quelques vieux vêtemens ,

Les autres m'ont laifîe des reftes d'alimens :

Tous m'ont plaint \ mais , hélas ! o tendreife inutile t

Qu'ai-je gagné de plus de leur pitié. ftérile ï '

Tous m'ont abandonné : d'un horrible fardeau ,

Qui voudroit , o mon fils 1 infe&er fon vaiffeau ï

Tel eft l'état affreux depuis tant d'années,

Je remplis constamment mes dures'deftinées.

Aux Atrides cruels, voilà ce que je doi» "" ;

TJlyffe leur apprit à fe venger de moi.

Dans ce fuppïice lent , c'eft ma mort qu'ils attendent :

Voilà ce qu'ils m'ont fait 5 que les Dieux le leur rendent 1

Racine- le fils»

TRAGÉDIE. 47

Jetant de tout côté des regards de douleur , Je ne vis qu'un défert, hélas ! &: le malheur, Tout ce qu'on m'a lailTé , le défefpoir , la rage ! . ; Le tems accrut ainfi mes maux & mon outrage. J'appris à foutenir mes miférables jours. Mon arc, entre mes mains feul 8c dernier recours. Servit à me nourrir 5 & lorfqu un trait rapide Faifait, du haut des airs, tomber Poifeau timide, Souvent il me fallait , pour aller le chercher , D'un pied faible Se fouffrant , gravir fur le rocher, Me traîner, -en rampant ., vers ma chéri ve proie ^ Il fallait employer cette pénible voie Pour brifer des rameaux , & pour y recueillir JLe feu que des cailloux mes mains faisaient jaillir. Des glaçons, dont l'hiver bknehiflait ce rivage, J'exprimais avec peine un douloureux breuvage.

I 1 II I ) H W I..IP..W.J.H .1.. .... III . «Illl I .11 III IMJI llll.ll .Mil I II.

7 J'ai fuivi ici un fens diftérènt de celui de Brumoy *, ii tra- duit ainfi : « je rampais de même pour chercher de l'eau , & quan<l 99 il faîioit couper le bois qui m'étoit néceflaire , fur-tout dans les y* rigueurs de l'hiver , oh l'IJle eft inondée, je n'en venais à bout » qu'avec d'extrêmes travaux. » Voici les vers grecs :

IIûW TXT UV U T Wlt t) 7T0T0V XotÇiïv ,

Ket) 7iov nct-yx xu^'iyTOt » clcc /C^^ari "BÙXov t) êpœuff-ut , tout «v Vfctpxiàv T»^aç

La feule équivoque qui puiife s'offrir dans le texte , eft dans ces mots fraya %v6Îvtqs , la glace étant fondue , que Brumoy expli-

•48 PHILO CT E TE,

Enfin , cette caverne & mon arc deftructeur 5 Et le feu , de la vie heureux confervateur , Ont foulage du moins les befoins que j'endure; Mais rien n'a pu guérir ma funefte ble(Ture. Nul commerce , nul port aux voyageurs ouvert , N'attire les vaiifeaux dans ce trifte défert. On ne vient à Lemnos que pou(Fé par Forage y Et depuis long-tems errant fur cette plage , Si j'ai vu des nochers, malgré tous leurs efforts, Pour obéir aux vents , defcendre fur ces bords , Je n'en obtenais rien qu'une pitié ftérile , Des confoîations le langage inutile ,

que par Vljle inondée. Mais pour adopter ce fèns , il faut faire quelque violence à la conftruc~rion naturelle , & changer la ponc- tuation. Car Brumoy a lire ainfi le fécond Vers, en mettant une virgule après ^ei^art , qui n'eft point dans le texte ,

£ÔXov ri épave-ut

& alors il a pu entendre , & glacie fufa > qualiter hiemt , ( fît ) tîgni aliquid frangere. Moi , au contraire , j'ai rapporté ces mots , zra nkys ^vùivroç , au Vers précèdent j h r*'éê\t ri k} ttotov XaQliv , « & s'il fallait chercher quelque boiffon , & qu'idem glacie fusa , que =»je ne trouvais que dans la glace fondue , Se de. même dans l'hiver *> ramaffer du bois , &c. J'ai joint enfemble la fin du fécond Vers & le commencement du troifième , commme il l'eft dans le texte, & j'ai traduit oïa, par de même , pariter, comme a fait le Scho- liafte Latin qui a fuivi le même fens. C'efl aux Helléniftes à juger.

Des

TRAGÉDIE, 4?

Des fecoufs paffagers, ou de vieux vêtemens;

Mais malgré ma prière 3c mes gémiffemens ,

Nul n'a fur fes vaifTeaux accueilli ma misère »

Ni voulu fur les flots me conduire à mon père.

Depuis dix ans , mon fils , je languis dans ces lieux l

Sans ceffe dévoré d'un mal contagieux ,

Victime d'une lâche & noire ingratitude ,

Souffrant dans l'abandon ôc dans la folitude.

Les Atrides, Ulyffe, ainfi mont attaché

A ce fuppiice lent que leur haine a cherché ;

ils m'ont furpris ainfi dans les pièges qu'ils tendent;

Ils m'ont fait tous ces maux: que les Dieux les leur rendent!

PYRRHUS.

Noble fils de Pœan , je refïèns vos malheurs ;

J'en détefte avec vous les coupables auteurs ;

J'y reconnais la main d' Ulyffe & des Atrides ;

Eh ! qui fait mieux que moi combien ils font perfides ?,

PHILOCTETE.

Quoi ! vous-même , Pyrrhus , vous ont-ils outragé ?

PYRRHUS.

Que puiffé-je du moins être bientôt vengé !

PuiflTé-je apprendre aux Rois d'Ithaque Ôc de Mycène$;j

A refpecter le fang qui coule dans mes veines ! -

PHILOCTETE.

De grâce , iniWifez-moi de leurs nouveaux forfaits.

D

5* PHILOCTETE,

P Y R RH U S.

Comment vous raconter les affronts qu'ils mont faits ? ' Quand la Parque d'Achille eut borné la cacrière

PHILOCTETE.

Quentends-je ? Achille eft mort! PYRRHUS.

Oui, Seigneur; mais mon père Sous les coups d'un mortel du moins n'eft pas tombé \ Sous les traits d'Apollon Achille a fuccombé,

PHILOCTETE. O mort digne , en effet, d'un Héros invincible ! O perte qui pour moi n'en eft pas moins feniiblel Pardonnez fi mes pleurs vous ont interrompu j Aux mânes d'un ami cet hommage était dû.

PYRRHUS. Ce tribut douloureux pour mon cœur a des charmes ; Mais pour d'autres que vous 3 vous refte-t-il des larmes?

PHILOCTETE. O mon fils ! . . . pourfuivez.

PYRRHUS.

Je pleurais ce Héros, jQuand Ulyffe & Phœnix , defcendus à Scyros, Alléguant un Oracle , & flattant ma jeuneffe , Vinrent , au nom des Dieux protecteurs de la' Grèce, M'aflurer qu'à moi feul, à mon fang, à mon nom , appartenait l'honneur de détruire Ilion ,

TRAGÉDIE, 5i

Que Pyrrhus héritait des grands deftins d'Achille.

De me perfuader fans doute il fut facile.

Le defir d'embrafTer les reftes précieux

D'un père que jamais n'avaient connu mes yeux i

D'aller offrir mes pleurs à des cendres^aimées 9

Qui fous la tombe encor n'étaient poinr enfermées j

L'ardeur de le venger, le 'dirai- je? l'orgueil

De renverfer des murs qui furent fon écueil 9

Tout entraînait mes pas. Par le Ciel protégée ,

Ma flotte , au fécond jour , touche au port de Sigée.1

Au fortir du vaifleau» je me vois entouré

De tout un camp s de joie & d'efpoir enivré.

Tous jurent à la fois qu'on voit revivre Achille:

Hélas! il n'était plus!... d'une douleur ftérile

A fes mânes facrés je porte les tributs ;

Et l'oeil humide encor de mes pleurs répandus;

Je me préfente aux Chefs , & ma jufte prière

Réclame devant eux l'héritage d'un père.

Quelle fut leur réponfe ! Oui , ces biens font à vous;

Difpofe\-en , Seigneur '} & les recueille^ tous»

Mais fes armes , d'un autre ont été le partage j,

Ulyjfe les pojjède. Indigné de l'outrage,

Des larmes de dépit coulèrent de mes yeux:

Ces armes font à. moi j j'en attejie les Dieux;

( dis-je alors. ) de quel droit une main étrangère

M'a-t-elle ofé ravir une armure fi chère ?

Je l'obtins , dit UlyfTe , & ce don m'était du;

Cejl le prix du feryiee à la Grèce rendu ,

ij PHI LOC T E TE,

Quand je fauvai V armée. & votre père même, A ces mots , révolté de fon audace extrême , J'exhale les tranfports d'un courroux éclatant, Et menace les Grecs de partir à l'inftant , Si je n'obtiens raifon de ce vol facrilége. Jeune homme j me dit-il , tu n'étais point au Siège % 'Tu n'as rien fait pour nous ^ & menaces encorï Ne crois pas à Scyros remporter ce tréfor? Tu ne l'auras jamais. Les Chefs , amis d'UlylTe , Se déclarent pour lui , défendent l'injuftice \ Et moi, qu'un tel affronta percé jufqu'au ceeur, Moi, qu'on dépouille ainfi fans égard , fans pudeur," Je retourne à Scyros, loin de ces Rois perfides, Et plus qu'UlylTe encor , j'aceufe les Atrides. Ce font eux qui 3 médians avec impunité , Prote&eurs de la fraude & de l'iniquité , Infeéfcent tous les cœurs de leurs lâches maximes; Et l'abus du pouvoir enfante tous les crimes. O Ciel! que l'ennemi de ces Rois odieux, Soit l'ami de Pyrrhus & foit l'ami des Dieux!

PHILOCTETE.

7e vois qu'on vous a fait une cruelle injure.

Ce n'eft pas fans raifon que loin d'un camp parjure^

Vous avez vers Scyros prefTé l'heureux retour

Qui vous a , grâce aux Dieux , conduit dans ce féjour^

De Syfi.phe en effet le rejeton profane ,

Du menfonge toujours fut l'auteur & l'organe ;

TRAGÉDIE. %$

De l'adroite impofture il aiguife les traits, Sa main eft occupée à tramer des forfaits. Mais , de quel ceil Ajax a-t-il vu cette ofFenfe ?

PYRRHUS. On ne l'eût pas ofé commettre en fa préfence. Mais le trépas d'Ajax a mis la Grèce en deuil.

P H IL OC TETE.

Dieux î Ulyfle refpire ! Ajax eft au cercueil ! Et ce fage mortel à qui l'expérience Donnait de l'avenir la trille prévoyance , Neftor , mon vieil ami , l'ame de nos confeils , •Qui confondit cent fois UlyfTe Se fes pareils , Que fait- il?

PYRRHUS.

L'infortune accable fa vieilîefTe 5 Il fe traîne au tombeau > confumé de trifteife $ 11 gémit d'être père : il furvit à .fon fils,

PHI LOG TETE.

Àntiloque ? . . . '

PYRRHUS.

Eft tombé fous des traits ennemis^

PHILO G TETE.

A de nouveaux regrets chaque moment me livre. Quoi ! tous ceux que j'aimais ont donc cefTé de vivre , Ou fubi les rigueurs d'un deftin ennemi ! . . . Et d'Achille du moins ce vertueux ami _, Partrocle ., dont les Grecs admiraient le courage *

D iij

54 P H I L 0 C TE TE,

PYRRHUS.

Du redoutable He&or fon trépas fut l'ouvrage. Telle eft la guerre enfin: Mars dans fes jeux fangtans^ MoilTonne les vertus & fait grâce aux méchans.

PHÏLOCTETE.

Grâce au Ciel 5 mon attente eft trop bien confirmée > ^La mort a refpe&é le rebut de l'armée? Les Héros ne font plus ! aux lâches , aux pervers , Les Dieux fembient fermer le chemin des Enfers > Aux plus grands des humains ils en ouvrent la route. Ulyfle eft donc vivant î . . & Therfite , fans doute* Voilà 3 voilà les Dieux , ôc nous les adorons 1

P Y R R H U S.

Pour moi 5 je vous l'ai dit , la (Té de tant d'affronts » Je m'éloigne à jamais d'une odieufe armée la vertu rougit par la brigue opprimée. Scyros eft pour mon cœur un féjour affez doux» Et toujours la patrie a des charmes pour nous. Puifife des Dieux fléchis la bonté tutélaire Guérir les maux affreux que vous fit leur colère? Tels font , fils de Pœan 5 tels font les juftes vœux Que Pyrrhus en partant peut joindre à fes adieux.

PH IL OC TETE,

Vous partez i

PYRRHUS.

Il le faut, & mes vaiffeaux n'attendent Que rinftant d'obéir aux vents qui nous commandent.

TRAGÉDIE.

PHILOCTETE.

Àh ! par les Immortels de qui tu tiens le jour ,

Par tout ce qui jamais fut cher à ton amour ,

Par les mânes d'Achille Se l'ombre de ta mère,

Mon fils, je t'en conjure, écoute ma prière,

Ne me lailfe pas feul en proie au défefpoir,

En proie à tous les maux que tes yeux peuvent voir.

Cher Pyrrhus , tire-moi des lieux ma misère

M'a long-temps féparé de la nature entière.

C'eil te charger , hélas ! d'un bien trifte fardeau j

Je ne l'ignore pas j l'effort fera plus beau >

De m'avoir fupporté : toi feul en étais digne >

Et de m'abandonner la honte eft trop infigne ;

Tu n'en es pas capable } il n'eft que les grands cœurs

Qui fentent la pitié que l'on doit aux malheurs ,

Qui fentent d'un bienfait le plaifîr & la gloire.

11 fera glorieux , fi tu daignes m'en croire ,

D'avoir pu me fauver de ce fatal féjour :

Jufqu'aux vallons d'GEta le trajet eft d'un jour*

Jette - moi dans un coin du vaiffeau qui te porte t

A la pouppe., à la proue, tu voudras, n'importe.

Je t'en conjure encore, & j'attefte les Dieux:

Le mortel fuppliant eft facré devant eux.

Je tombe à tes genoux , ô mon fils ! je les preffe

D'un effort douloureux qui coûte à ma faible(fe.

Que j'obtienne de toi la fin de mes tourmens ;

Accorde cette grâce, à mes gémiffemens.

D iv

PHILOCTETE,

Mène-moi dans l'Eubœe , ou bien dans ta patrie 5

Le chemin n*eft pas long à la rive chérie

j'ai reçu le jour, aux bords du Sperchius.,

Bords charmans,&: pour moi depuis long-temps perdus!

Mène-moi vers Pœan : rends un fils à fon père.

Et que je crains , 6 Ciel ! que la Parque févère

De fes ans , loin de moi, n'ait terminé le cours S

J'ai fait plus d'une fois demander fes fecours.

Mais il eft mort fans doute 3 ou ceux de qui le zèle

Lui devait de mon fort porter l'avis fidèle ,

A peine en leur pays , ont bien vite oublié

Les fermetis qu'avait faits leur trompeufe pitié.

Ce n'eftpîus qu'en toifeul que mon efpoir réiide;

Sois mon libérateur j ô Pyrrhus > fois mon guide l

Gonfidère le fort des fragiles humains y

Et qui peut un moment compter fur les deftins *

Tel repoufle aujourd'hui la milere importune ,

Qui tombera demain dans la même infortune»

11 eft beau de prévoir ces retours dangereux >

Et d'être bienfaifant , alors qu'on eft heureux.

PYRRHUS.

A la voix du malheur pourrais-je être infenfîbîeB Non , vous m'avez rendu le refus impoflible. Je cède à vos defirs y venez fur mes vaifTeàux , Que le Ciel , qui par moi veut terminer vos maux^ Accorde un vent propice a votre impatience -9 Ec nous conduife au port ou teud votre efpérance !

TRAGÉDIE. % 7

PHILOCTETE.

Jour heureux! cher Pyrrhus, vous, compagnons chérïs ;

O Grecs ! dans les tranfports de mes fens attendris ,

Que ma reconnaifTance au moins fe falTe entendre !

Pour un fi grand bienfait d'ailleurs que puis-je rendre ?

Souffrez que Phiio&etç , abandonnant ce lieu ,

A cet afyle encor dife un dernier adieu.

Ma grotte , après dix ans, me doit être facrée.

Venez voir ma demeure obfcure Se refferrée ,

Et connaiffez quels maux vous daignez fecourir 5

Vous ne pourrez les voir j Se j'ai pu les fourTrïr*

Et la néceiîité , des loix la plus févère 3

Ma rendu bien fouvent cette caverne chère*

PYRRHUS. Je ne m'oppofe point à de û jufles foins; Prenez tout ce cjlii peut fervîr à vos beloîns. PHILOCTETE.

Eh ! que puis-je emporter ? qu eft-ce que je pofîede ? Des plantes de ces bords , leul & faible remède , Dont l'effet pafTager affoupit mes douleurs. Mes feuls biens font mon arc Ôe mes traits deftructeurs.

PYRRHUS.

Ah ! fans doute ce font les flèches redoutées Que de fon fang impur l'Hydre avait infe&ées,

PHILOCTETE.

Oui 5 jen'ai point d'autrearme, & quepuifTent lesCieux Ne m'enlever jamais ce tréfor précieux !

:5s F H IL OCTET E;

PYRRHUS.

Pms-je toucher aa moins ces armes révérées , Que jadis d'un Héros les mains ont confacrées ? Puis-je les regarder d'un oeil religieux ?

PHILOCTETE. Ah ! fur moi, mon cher fils , tu peux ce que tu veux;

PYRRHUS. Rejetez , s'il le faut, ma prière timide, Et ne profanez point l'héritage d' Alcide*

PHILOCTETE. Ta piété me charme : hélas 1 n'eft-ce pas toi Qui me rends à la vie , à ma famille ^ à moi -y Qui daignes fur ces bords , chaque inftant mctiie* Relever ma mifère à tes pieds abattue? Tu trompes les fureurs de mes vils ennemis ; J étais mort en ces lieux, tu parais, je revis. Prends fur moi déformais une entière puiffance r Le plaifïr des bons coeurs , c'eft la reconnaiffance* Cet arc qui fut jadis un don de l'amitié , Pour prix de tes bienfaits , te fera confié.. Tu dois à tes vertus ce noble privilège ; Nal n'y porta jamais une main facrilége ; Nul , fans craindre la mort , n'ofâ s'en approcher * Viens x toi feul des mortels auras pu le toucher». Allons .... Ciel I .... 6 douleurs ! PYRRHUS. Quelle foudaine atteinte, Seigneur, de votre fçin arrache cette plainte î

TRAGÉDIE. 5>

PHILOCTETE.

Rien .... je te fuis ah !. Dieux !

PYRRHUS. Que leur demandez- vous ?

PHILOCTETE.

De nous ouvrir la route & de veiller fur nous.

Dieux !

PYRRHUS.

Vous déguifez mal le trouble qui vous prefTe.1

PHILOCTETE.

Non : je reviens à moi \ pardonne à ma faiblefTe s

Marchons ah ! je ne puis.

PYRRHUS.

Comment ? PHILOCTETE.

Il n'eft plus temps De te cacher encor de fi cruels tourmens. Non, c'eft trop, c'eft en vain diflîmuler mes peines; Le poifon fe répand dans mes brûlantes veines. Mon fils , avec le fer termine mes douleurs , Tranche , tranche mes jouts. .. frappe, dis-je... je meurs," Je meurs à chaque inftant.

PYRRHUS.

Mon ame intimidée De cet horrible état

PHILOCTETE.

Tu ïiQn as pas .i'idée.\

go PHILO CTETES

Mais prends pitié de moi , je t'en conjure , hélas l Que l'afpect de mes maux ne te rebute pas. Ne m'abandonne point .... ma blelTure fatale Produit ces noirs accès, calmés par intervalle. Je dois te l'avouer.

PYRRHUS.

Ne craignez rien. Qui ! moi , Moi vous abandonner , quand vous avez ma foi i yenez , de rappelant votre force première . ., . .-

PHILOCTETE.

J'implore, mon cher fils , une grâce dernière;

Le mal qui m'a furpris, finit par le fommeil*

Et le foulagement eu l'effet du réveil.

Maintenanr abattu , trop faible pour te fuivre ,-

A tes foins généreux Philoctete fe livre.

Viens dans ma grotte , viens ; je mets en ton pouvoir

Ces flèches que tes yeux ont fouhaité de voir ;

Mais prends garde fur tout que la force ou l'adrefFe

N'enlève ce dépôt qu'entre tes mains je lanTe.

Je perds tout > fi jamais. . . .

PYRRHU S.

Non , foyez raffuré ; Je réponds fur mes jours de ce tréfor facré.

PHILOCTETE. C'eft mon unique bien , c'eft le feul qui me refte : Veuille le jufte Ciel qu'il te foit moins funefte Qu'il ne le fut, hélas ! poux Alcide & pour moi

TRAGÉDIE. $4

PYRRHUS.

. Le Ciel nous conduira ; nous marchons fous fa loi: Puiflç-t-il nous frayer une route profpère !

PHILOCTETE. Il n'exaucera point tes vœux & ta prière. L'indomptable venin , paîTant jufqu'à mon cœur ,' Dans mon fang embrafé bouillonne avec fureur > Il redouble de rage, il s'acharne à fa proie. ... . .

Ah ! ne me quittez pas ! amis, que je vous voie! . ,^r Ne vous éloignez point.... Il faut, il faut qu'enfin... 2

UlyfTe, que ce feu ne brûle-t-il ton fein!

C'eft à vous, fils d'Atrée, à vous, 6 Rois perfides ^

A vous feuls qu'étaient dûs ces tourmens homicides,

O mort , dont tant de fois j'implorai le fecours y

Mort , que toujours j'appelle Ôc qui me fuis toujours 3

Quand me recevras-tu dans mon dernier afyîe ?

Pyrrhus. )

Prends le feu de Vukain qui brûle dans cette iHe;

Mets-moi fur le bûcher , comme jadis mes mains

Olerent y placer le plus grand des humains.

Le prix que j'en reçus fera ta récompenfe. ... ;

Mais il ne m'entend pas, je n'ai plus d'efpérance. PirrhuSj donc es-tu , cher Pirrhus?

PYRRHUS.

Je gémis, Je pleure fur vos maux.

PHILOCTETE.

Tu pleures, mon cher fils!

6i PHI LO CT E TE-,

Garde cette pitié ; jure , quoi qu'il arrive , De ne point me laifFer mourant fur cette rive. Ta bouche Ta promis \ ton coeur ne peut changer. Mon mal eft effrayant , mais il eft paffager. Je n'efpère qu'en toi.

PYRRHUS.

Soyez fans défiance, PHILOCTETE. •Qu'un ferment folennel m'en donne l'afîurance.

PYRRHUS. J'en attefte les Dieux : recevez-en ma foi.

PHILOCTETE. Ah ! ne me touche pas , n'approche point de moi.

PYRRHUS. Eh ! quoi! de mes fecours voulez-vous vous défendre ?

PHILOCTETE. Peut-être jufqu'à toi le poifon peut s'étendre. LaifTe-moi. . . . C'en eft fait.... O terre de Lemnos! Reçois donc un mourant qui fuccombe à fes maux. ( Il tombe évanoui fur un banc de pierre, ) PYRRHUS, aux Soldats Grecs. Aidez-moi , chers amis ; portons-le en fon afyle. Attendons le moment d'un fommeil tranquille La douceur falutaire aura calmé fes fens > Et fufpendu le cours de fes affreux tourmens. ( Ils foutiennent PhiloUete , & l'amènent hors du Théâm.)

fin du premier dete*

TRAGÉDIE.

H

ACTE IL

mmamnssmammmmmmmA

SCÈNE PREMIÈRE.

PYRRHUS, feul. {Il tient à fa main tare &

les flèches d'Hercule. )

m JL* es voilà donc ces traits , par qui la deftinée m Doit marquer d'Hion la dernière journée, *> Ces traits à qui le Ciel attacha notre fort , » Et qui d'Achille enfin doivent venger la mort. » Philoctete en mes mains ainfi les abandonne ! 99 On veut les lui ravir , & c'eft lui qui les donne ! 99 Mais cen'eft rien encor, fi lui-même avec nous 99 Ne marche à ces remparts dévoués à nos coups. 99 II eft loin d'y penfer, &: tout prêt à me fuivre,; 99 A mes foins, à ma foi l'infortuné fe livre. 99 Et je le trahirais ! Non : ce retour affreux 99 Eft indigne d'un cœur qu'il a cru généreux. 99 H faut lui dire tout : c'eft trop en croire Ulyfle , 99 Trop contre Philo&ete employer l'artifice , »9 Abufer contre lui de fon horrible état : m Tromper un malheureux eft un double attentat, »: Mais il vient.

;<r4 PHILOTECTE,

SCÈNE IL

PYRRHUS, PHILOCTETE , deux Soldats. PHILOCTETE.

réveil ! ô jour qui me ranime!

Pyrrhus , eft-il bien vrai ! ra bonté magnanime ,

Par l'excès de mes maux n'a pu fe rebuter !

Pyrrhus près d'un mourant a daigné s'arrêter !

Et fans que mon malheur le fatigue ou l'effraye ,

Il fupporre lafpe6t de l'horreur de ma plaie !

Achille t'a tranfmis fa généroiité.

Les Àtrides ainfi ne m'avaient pas traité.

Mais allons. Je fuis prêt à marcher au rivage.

Le fommeil du poifon a fufpendu la rage.

Viens.

PYRRHUS.

Que ferai-je , hélas !

PHILOCTETE.

Tu balances ! . .. ô Ciel l PYRRHUS, àpan. Oferai-je lui faire un aveu fi eruel ? PHILOCTETE.

La pitié que d'abord tu m'avais annoncée ^ Du poids de mes malheurs ferait-elle la'flee.

PYRRHUS,

TRÀ GÉDÏË. If

PYRRHUS.

0 combien la vertu foùffre à fe démentir ! PHILOCTETE.

ï)e quelle faute ici peux-tu te repentir ?

Les fecours que de toi j'attends dans ma miser® J

Ne feront point rougir les mânes de ton père.

PYRRHUS.

Ceft moi qui dois rougir > moi qui fuis déformai* Coupable j fi je parle , ôc vil > fi je me tais.

PHILOCTETE.

Tu veux m 'abandonner , ton cœur fe le propofe £ Tu veux partir fans moi.

PYRRHUS.

Non , mais fi je m'expofê À mériter de vous des reproches plus vrais? Même en vous emmenant , fi je vous trahiffais i

PHILOCTETE.

loi ! . i h que veux- tu me dire ? explique ce myftèrè.1

PYRRHUS.

feh bien, fâchez donc tout: je ne puis plus rien taire»

PHILOCTETE. Comment ?

PYRRHUS.

Pour Ilion vous partez avec riiôî<

S

Ht PHILO CTETË,

PHILOCTETE.

jQu as-tu dit? jufte Ciel!

PYRRHUS.

Daignez entendre . . : î

PHILOCTETE.

^ Eh! quoi?

Que veux-tu que j'écoute , & que prétends-tu faire } PYRRHUS.

A tant de maux enfin pour jamais vous fouftraire^ Vous guérir., & bientôt partager avec vous Un honneur que les Dieux n'ont réfervé qu'à nous.' Sous vos coups > fous les miens , ils feront tomber Troyei

PHILOCTETE.

Ce font tes defTeins ?

PYRRHUS.

Oui , le Ciel qui m'envoye; Du foin de les remplir nous a chargés tous deux»1

PHI LOCTETE.

Je fuis trahi , perdu ; qu'as-tu fait , malheureux ? Pyrrhus,eft-ilbienvrai?.4-ends-moi,rends-moimesarmes;

PYRRHUS.

Je ne le puis, Seigneur ^ & la Grèce en alarmes; Nefaurait aujourd'hui voir changer fes ckitins, Que par ces traits puiffans remis entre mes mains»

T RA G Ê D 1 E: '%

% je fui dois obéir > 3c je veux bien pour elïé | > Oublier, je l'avoue, une injure cruelle. » Mon cœur^ qui s'en plaignait , ne vous a point déç'ùj Mais j'immole à l'État l'affront que j'ai reçu-. « Imitez mon exemple.

PHlLOCTETE.

O trahi fon ! ô rage! * Quoi ! tu me préparais cet exécrable outrage ! Lâche , tu m'as féduit par d'indignes détours y Pour m enlever ainfï le foutien de mes jours ! Et lorfque tu trahis la foi qui m'était due , Tu peux me regarder ôc foutenir ma vue ! Tromper un fuppliant qui gémit à tes pieds! Rends , mon fils , rends ces traits que je t'ai confTés,01 Tunepeiix les garder ; c'eft mon bien> c'eft ma vie j,1 Et ma crédulité doit-elle être punie ? Rougis d'en abufer . . . au nom de tous les Dieux . ; i Tu ne me réponds rien ! tu détournes les yeux l

* Brumoy traduit : Ô rage digne de ton nom ! c'eft un contre-Iehs 'étrange. Comment Philoctete 3 qui ne parle jamais d'Achille qu'avec Vénération > tomberait-il dans une contradi&ion fi choquante , lui qui un moment après dit à Tyrrhus , &çtç% vetrfès ï$tçùs ytyaï:, fils odieux du meilleur des pères ; & ailleurs , quand ce même Pyr- rhus lui rend Tes armes, rh (purtv ^' efifas, % tUvov, \\ h inùuftfc; tii Fais bien voir de quel fang tu es né? Il n'y a pas dans Sophocle iïrl mot qui puiiTe fervir de prétexte ou d'exeufe à cette faute grave àà Traducteur.

«8 PHÎLÔCTETË;

Je ne puis te fléchir!.... 6 rochers! ô rivages?

Vous, mes feuls compagnons, o vous* monftres fauvagesj

( Car je n'ai plus que vous à qui ma voix , hélas 1

Puifle adrefler des cris que l'on n'écoute pas ,)

Témoins accoutumés de ma plainte inutile >

Voyez ce que m'a fait le fils du grand Achille.

Il promet de m'oter de ces triftes climats ;

Il jure qu'à mon père il conduira mes pas;

Et quand il me flattait de cette faufle joie ,

Le perfide ! c'était pour me conduire à Troye.

Il confolait un cœur qu'il cherchait à frapper 'y

Sa main touche la mienne > & c'eft pour me tromper!

Il ofe me ravir mes flèches homicides ,

Pour en faire un trophée aux infoiens Atrides !

Il triomphe de moi , comme s'il m'eût dompté !

31 ne s'apperçoit pas * dans ma calamité.

Qu'il triomphe d'une omÊre aux Enfers defcendue !

Oh ! devant que ma force en ces lieux fut perdue,

S'il m'avait attaqué ! . . . même tel que je fuis ,

Ce n'eft que par furprife. . . Ah! Pyrrhus ! ah ! mon filst

Souviens- toi de ton nom , reprends ton caractère,

Sois femblable à toi-même , & femblablè à ton père.'

Tu gardes le filence , 8c je te parle envain. . ..

Antre qui m'as reçu , je reviens dans ton fein $

J'y rentre dépouillé a privé de nourriture,

Et je n'attends de toi rien que la fépuîture;

Tu me verras mourir : les hôtes des forêts

Ne -refleuriront plus l'atteinte de mes traits;

TRAGÉDIE. Ci

Ma retraite contre eux n'a plus rien qui m'aflkre j J'en avais fait ma proie & ferai leur pâture -y Et je fuis donc tombé dans ce revers affreux , Pour avoir cru Pyrrhus iîncère 8c généreux !.. ; Écoute : jufqu'ici mon courroux qui balance , N'a point aux Immortels demandé la vengeance. Tu peux changer encore 8c céder à mes vœux ; Tremble d y réfifter, crains ma voix 8c les Dieux.

PYRRHUS,

Te ne crains que mon cœur : Philo&ete, la Grèce , Les fermens que j'ai faits , la pitié qui me preffe . . : Ail ! plût au Ciel jamais n'avoir quitté Scyros !

PHILOCTETE.

abjure des deffeins indignes d'un Héros. Aux yeux de l'univers ^ aurais- tu labaffeffe !)e tromper le malheur , d'accabler la faible(fe ? Tu n'es pas méchant : quelque autre te conduit °y *ar de lâches confeils 7 je vois qu'on t'a féduit. -e crime t'entraînait: que la vertu te guide.

PYRRHUS,

Juel parti prendre > ô Ciel !

£ îij

^ P El L 0 C TET El

SCÈNE II I.

PHILOCTETE, PYRRHUS, ULYSSE, fiit* de Soldats.,

ULYSSE, arrivant avec précipitation.,

C^u'attenbez-vous, perfide? flernettez-moi ces traits.

PHILOCTETE.

Ceft UlyfTe ! grands Dieux }

ULYSSE, l^ui-mlme.

PHILOCTETE.

Ciel ! fuis-je? UlyfTe dans ces lieux X ^h ! lui feu] a tout fait : ce cruel artifice , Tout cet affreux complot eft l'ouvrage d'UlyfFeo. Ivles armes, c'en eft trop _, mes armes . . . .

U L Y S S E,

Non , Pyrrhus, Sait refpe£fcer des Grecs les ordres abfolus. Ces armes font à nous : il ne peut vous les rendre» * Vous, marchez fur nos pas : c'eft trop vous en défendrai Ne vous obftinez plus à. réiifter aux Dieux , Ou je vous fais fur l'heure enlever de ces lieux..

PH1LOCTET E,

Tu me nienaces ^ traître ! ,.,0 Lemnos 7 mon. afvlçg

TRAGÉDIE. fr

ïeux facrcs de Vulcain , allumés dans cette ifle ! Vous , mes feuls protecteurs , ô Dieux de ces climats j Vous voyez cet; outrage , de ne le vengez pas !

ULYSSE. Jupiter eft leur maître , & c'eft lui qui m'amène. PH1LOCTETE.

Ainfî 5 tu fais les Dieux complices de ta haine , Artifans du parjure ôc de l'iniquité ! ULYSSE. Je vous parle en leur nom j fuivez leur volonté.

PHILOCTETE.

Penfes-tu donc traiter Philoctete en efclave?

ULYSSE. Je le traite en guerrier & généreux & brave ^ En digne compagnon de tant de rois fameux ; Qui doit renverfer Troye Se triompher comme eux. Ne fuyez point la gloire à vos regards offerte : Venez , le Ciel l'ordonne , & la route eft ouverte.!

PHILOCTETE. Tant que cet antre obfcur pourra me recevoir , De m'arracher d'ici rien n'aura le pouvoir. Oui , j'aime mieux mourir j du haut de cette roche 2 J'aime mieux a Pinftant. . . .

ULYSSE,^ Soldats:

Gardez qu'il n'en approche ; Préfervez-le, Soldats , de fa propre fureur.

( Les Soldats environnent Philoclete. )

E iv

?l'

PHILOCTETE.

O comble de l'opprobre & ainfi que de l'horreur ?

O bras 9 jadis à craindre , aujourd'hui fans défenfe l

Du plus vil des mortels je reçois cette ofEenfet

Lâche y qui connais ni remords , ni pudeur *

De ce jeune Héros tu féduis la candeur*

Son ame noble ik pure & femblable à la mienne^

ïsHétait pas faite > hélas \ pour imiter la tienne,

11 détefte en fectet les complots qu'il fervit j

Sa faibjeffe docile à regret t'obéic.

Son cœur fenfible & bon, dont j'entends le murmure*

Se reproche à préfent fa fraude & mon injure*

A ton fatal génie il ne put échapper 5

Et toi fèul , en un mot, fus l'info uire à tromper, $

Et maintenant encor , pour combler tes outrages ft

Tu prétends m'enlever de ces mêmes rivages

tu m'abandonnas , je vi$ délaifTé,

Du nombre dès vivans dès long-tems effacé !

Ah ! que puilTent les Dieux ! . , . que dis-je ? miférable l

J>es Dieux s'occupent-ils de mon fore déplorable ?

-*

9îBrumoy traduit : ceftfans le [avoir qu'il a été le minijire de ton lâche artifice. Gela n eft ni exaét pour la verfion , ni vraifèm- blable pour le féns. Pyrrhus ne pouvait pas ignorer les defTeins d'Ulyfîe. Phiio&ete lui-même ne peut pas le croire, & il lui reproche plus d'une fois tout le contraire. Il y a dans le Grec âç^rovra îéhovra , ce jeune homme fimple & qui répugnait à t' obéir j ce qui çft tris-différent de la tradii&ion de Brumoy»,

TRAGÉDIE. 73

Et pçnrquoi répéter trop vainement, hélas!

Des imprécations que le Ciel n'entend pas ?

Ses rigueurs font pour moi, fes faveurs pour UlyfTe.

Tu triomphes , cruel , ôc ris de mon fupplice j

Ma douleur fait ta joie , Se ta profpérité

Eft un affront de plus à ma calamité.

Va, va t'en réjouir avec tes chers Atrides ;

Vante-leur le iuccès de tes rufes perfides.

Malgré toi cependant tu fuivis leurs drapeaux ,

Tandis qu'à leur fecours j'ai conduit mes vaiiTeaux.

Ils prodiguent pour toi leurs biens ôc leur puifiance 3

Ils m'ont abandonné , voilà ma récompenfe y

Du moins tu les chargeais de ce crime honteux, Et toi-même à ton tour en es chargé par eux. Mais , dis- moi , que veux-tu ? Pourquoi dans fa retraite, Pourquoi dans fon tombeau troubles tu Philcclete? Je fuis mort pour les Grecs y Ôc comment à tes yeux Ne fuis-je plus un poids incommode , odieux , OfFenfant les autels de ma préfence impure , L'horreur de -tout un camp fouillé par ma bleflure ? C'étaient- tes difeours. ,. . barbare , fi les Dieux Sont juûes une fois, en exauçant mes vœux. . . . Et je vois qu'ils le font : je vois qu'ils vous puniiTent; Leurs redoutables mains fur vous s'appefantifTent. De quelque trait fatal vous n'étiez frappés , À me chercher ici feriez-vous occupés ? Eh bien ! égale enfin le fupplice à l'ofFenfe , Ciel, qui m'as fi long-tems refufé la vengeance l

9| PHILO CT E TE;

De mes langues douleurs entends le dernier cri £ Extermine les Grecs , 8c je me crois guéri.

ULYSSE. Aux tranfports violens d'une aveugle furie; Je nbppofe qu'un mot : j'ai fervi la Patrie. Ceit-là mon feu! honneur , c'eft-là mon feul devoir? Sur les cœurs quelquefois ma voix eut du pouvoir -y Mais je ne prétends pas en avoir fur le votre. Vous voulez demeurer j 6c je vous cède : un autre Saura des Immortels mériter les bienfaits \ Cet arc eit dans nos mains garant de nos fuccès* Le valeureux Teucer en faura faire ufage \ Moi-même de cet art j'ai fait PapprentifTage , Et pour lancer ces traits , arbitres des combats ; Le bras d'Ulylfe au moins peut valoir votre bras<j Nourriflcz à ioiur la haine de la colère 3 Habites cette rive à votre cœur fi chère. Peut-être que les Dieux , en conduifant mes coups J M^ccorderont un prix qu'ils deftinaient pour vous., PHILOCTETL

Toi! poiféder mes traits & mon arc homicide! Armes que fi long-tems porta le grand Alcide; Non , vous ne ferez point au dernier des humains^ Vous vous indigneriez de pafTer dans fes mains» Quoi! tu te montrerais à la Grèce étonnée * Paré de ma dépouille à ce point profanée !

ULYSSE. Je n'écoute plus rien : je pars.

T R'A DIE/ fi

P H IL Ô G TE TE

Et toi , Pyrrhus ! Vous \ amis, à ma voix vous ne répondez plus ? ULYSSE.

Pyrrhus, de votre cœur furmontezla faibleflfe. Si vous ne me fuivez , vous trahiiTez la Grèce. .Venez fans lui parler , fans détourner les yeux.

PYRRHUS.

Souffrez que nos Soldats demeurent en ces lieux; On peut à fon malheur « on peut à ma prière Accorder fans danger cette grâce dernière ; Et tandis qu*on s'apprête à quitter ce féjour , Que l'on demande aux Dieux un fortuné retour, Philoctete abjurant. une haine funefte , Pourra mettre à profit le moment qui lui refte. 11 peut enfin fe rendre, il peut fe repentir... . ( Aux Grecs. ) Vous , au premier fîgnai , foyez prêts à partir.

SCÈNE IV.

PHI L OC TETE, Soldats.

JCiH bien! à tant d'horreurs il faut que je fuccombe. Lemnos fut ma demeure} elle fera ma tombe. Tout efpoir eft perdu, tout fecours rrTeft ôté. Oifeaux, ne fuyez plus cet antre redouté.

7? PHILO CT S TÊ:

Hôtes de ces rochers , approchez-moi fans crainte ; Mes mains n'ont plus ces traits dont vous craigniez l'atteinte^} Vengez- vous , ôc tranchez mes jours infortunés: Bientôt la faim , fans vous j les aura terminés. Moi , j'irais fecourir des ingrats , des perfides ! Non , périfTent les Grecs , périment les Atrides ! C'en eft donc fait, helas I je mourrai loin de vousj O Patrie ! ô mon père ! . . . il m'eût été bien doux , Avant que d'expirer, de vous revoir encore ! Je vous abandonnai pour ces Grecs que j'abhorre. Pour eux feuls j'ai tout fait, pour eux feulstout quitte: Ma mort en eft le prix . . * je l'ai bien mérité.

( II rentre dans la caverne* )

Fin du fécond Acle*

m

T C Ê D 1 È. n

ACTE III.

SCÈNE PREMIÈRE

ULYSSE, PYRRHUS, ULYSSE»

V/u courez-vous 3 Seigneur? quel tranfport vous agite? N'expliquerez-vous point cette foudaine fuite ? £)e tous nos compagnons pourquoi vous féparer?

PYRRHUS. Pour expier ma faute , Se pour la réparer*

ULYSSE. Et quelle faute encore?

PYRRHUS.

Ah ! d'avoir pu vous croire 3 Lorfque fidèle aux Grecs > & trahiflant ma gloire* Je me fuis abaifTé jufqu'à tromper la foi De cet infortuné qui fe livrait à moi.

ULYSSE. Et que prétendez-vous ?

PYRRHUS. Lui rendre enfin juftice;

7i PHILO CT ËT£l

ULYSSE.

Vous ! comment ?

PYRRHUS,

Je n'obtins que par un artifice Ces traits que d'un Héros lui laifïa l'amitié j, Et je lui remettrai ee qu'il m'a confié*

ULYSSE.

Julie Ciel! ce deflein qui me remplit d'alarmes? Vous pourrez l'accomplir ! vous lui rendrez fes armes I Ah ! de grâce , fongez . . . * *

PYRRHUS*

Tout eft examinée ULYSSE, Vous l'avez réfolu?

PYRRHUS,

J'y fuis déterminé* ULYS SE. Et Pyrrhus penfe-t-il qu'ici rien ne s'oppofe Au funefte projet que {oh ceeur fepropofH

PYRRHUS, Et qui l'empêchera?

ULYSSE,

Qui ? tous les Grecs 8c moi1 PYRRHUS. J@ brave leur courroux, & l'attends fans effroi £

TRAGÉDIE, ' ff

Quand je fais mon devoir ;, je ne fautais rien craindre*

ULYSSE. Le devoir! croyez- vous, Seigneur, ne point l'enfreindre ? Eft-ce donc à vous feul que doit appartenir Un bien que mes confeils vous ont fait obtenir?

PYRRHUS.

Il eft vrai, vos confeils ( il faut que j'en rougiiTe ) M'avaient fait malgré moi commettre une injuftice* Ici la politique emprunta votre voix ; Mais l'équité l'emporte , ôc j'accomplis fes loix*

ULYSSE.

Ainiî donc laifTant Troye à nos coups échappée , C'eft contre Vous, Pyrrhus, qu'il faut tirer Fépée*

PYRRHUS.

Armez-vous contre moi , la mienne ell prête : allez;

ULYSSE.

Les Grecs vont vous punir, puifque vous le voulez. Vous n'aurez pas long-temps défié leur puuTance; Et la peine du moins fuivra de près l'orfenfe.

(Il fort.).

w*

So PHILO C TETE;

SCÈNE IL

PYRRHUS, feuL

X^vus viennent : j'aime mieux éprouver leur fureur,1 Que d'avoir plus long-temps à combattre mon cœur. Je ne rougirai plus aux yeux de Philo ttete* Je l'ai fait avertit»

scène rtt

PYRRHUS, PHILOCTETE* Soldats Grecsi PHILOCTETE.

3?o v r q v o i de ma retraite Venez-vous me tirer ? que voulez-vous enfin } Venez-vous augmenter l'horreur de mon deftin î Ah ! fans doute, cruels, c'eft votre efpérance.1

( Il s* ajjied fur un banc de pierre.)

PYRRHUS,

RaiTurez-voUs, Seigneur , foyez fans défiance*' Daignez m'entendre au moins.

PHILOCTETE,

Il m'en a trop coûte / Je fuis tfop bien puni de t'avoir écouté* Auteur de tous les maux dont mon cœur eft la proie. *ï~,<

PYRRHUS*

t k ÂGÉ DIE. U

PYRRHUS.

Eh bien a au repentir n'eft-il aucune voie ?

PH1LOCTETE.

Ceil avec ces difcours que tu m'avais féduit, Que dans lin piège afFteux roi-même m'as conduit» Oui, tu trompas àinfi ta crédule victime*

PYRRHUS.

Vous connaîtrez bientôt quel intérêt m'anime* Dites-moi feulement ( e'eft tout ce que je veux ) Si Vous vous obftinez â reftcr en ces lieux , Si vous êtes tôujouts à" vous-même contraire, Si rien de ce deifein ne fautait vous diftraire ? De grâce * répondez.

PHÏLOCTETE.

Oui , j'y fuis réfolu j Réfolu pour jamais.

PYRRHUS.

Hélas! j'aurais voul* De ce cœur trop aigri .fléchir la violeiice y Mais ii vous l'ordonnez , je garde le filence.

PH1LOCTEÎË. Tu parlerais erivain : traître* ceft bien à toi Qu'il convient de prétendre aucun pouvoir fur moi* Va 5 trop indigne fiis du plus iUuftrepère* Lorfqu'aujourd'hui ta fourbe a comblé ma miiere ^ Tu m'offres des confeils ! ôte-toi demies yeux j Va retrouver Ulyffe c\ \s\ Grçç$ odieux,

Û P H ï L Ô CT ÊTËt

Tu n'échapperas pas * ni toi 5 ni les Atrides , Âù célefte courroux qui pôurfuit les perfides* Je vous ai dévoués aux vengeances des Dieux ; Qu'elles tombent fur vous s ce font mes adieui*

PYRRHUS. Plus d'imprécations, plus de cris , ni de larmes» Connaiffez- mieux Pyrrhus 5 ôc reprenez vos armes.

PHILOCf ETE. Ëft-ce un piège nouveau qui me ferait tendu?

PYRRHUS, Recevez: mes mains ce bien qui vous eft dû; Ne craignez rien de moi* quand je viens vous le rendre £ Me puniiTe le Ciel » fi je veux vous furprendre, PHILOGTETE, ( Se levant avec joie & reprenant fes flèches.} Je reconnais ton fang à ce noble retour my Ce n'eft pas un Syfiphe à qui tu dois le jour. Tu viens de me montrer que la vertu t'eft chère , Que la gloke t'anime , 3c qu'Achille eft ton père.

PYRRHUS, Ah! pour fon fils, Seigneur * il doit être bien doux De voir que ce grand nom eft ii facré pour vous. Vous avez oublié nia faute & ma faibleiïe. Eh bien , s'il eft àinfi ,- fouffreZ que ma |euneiTe> Inftruite par les Dieux, dicte leur volonté, Et s arme contre vous de leur autorité. Seigneur* il eft des maux dont Une loi févère Nous impofe en naiiTant le fardeau néceiTaire^

T MA G Ê D I Er %

Pes maux donc nul mortel ne peut être exempté ,

Que nous fait la nature & la fatalité.

Mais lorfque nos malheurs font notre propre ouvrage ^

Lorfque nous repoufTons la main qui nous foulage

Rebelles aux confeils 8c fourds à l'amitié 4

Nous devenons dès- lors indignes de pitié.

Votre ame eft inflexible,, elle aigrit fa bleflfure;

Les avis les plus chers font pour vous une injure.

Tous les foins font perdus : le plus fidèle ami ,

S'il veut vous appaifer , vous femble un ennemi.

Je parlerai pourtant , 6c je dois vous apprendre

L'Oracle que fur vous les Dieux viennent de rendre^

Le Troyen Hélénus 3 ce Prophète facré ,

Sur nos deftins communs eft par eux éclairé.

Captif entre nos mains, il nous offre fa vie»

Si fa prédiction fe trouve démentie*

Le Ciel vous a puni : c'eft lui dont la rigueur

Sufcita contre vous le reptile vengeur ,

Du Temple de Chryfa le gardien redoutable»,

Alors que profanant l'afyle inviolable

A fes foins confié par les Dieux immortels ,

Vous alliez y porter des regards criminels.

Vous ne verrez cefifer le fléau qui vous frappe y

Qu'en cherchant parmi nous les enfans d'Efculape»^

Qu'en prenant llion : la céielte faveur

De fa chute entre nous a partagé Phonneur.

De tous ces grands deftins digne dépoiitaire ,

Avez-vous donc aux Dieux quelque reproche a faire.?

U F H IL* OC TE TE,

Ils vous offrent y Seigneur , les plus nobles travaux % Le bonheur x la victoire êç la fin de vos maux,

PHILOCTETE.

Pourquoi traîné-je encore une inutile vieft

Que le Ciel dès long-tems devrait m'avoir ravie?

Que fàis^je , hélas ! au monde je n'ai qu'à foufFrir }

ïaut-ii combattre encpr ce que je dois chérir l

Qu'un mortel généreux qu'il faut que je révère *

M'adrefTe cependant une vaine prière !;

Pyrrhus, épargne-moi, ceiTe de m'àccufer ^

Va , mon dernier malheur eft de te refufer.

Mais , que demandes-tu? quelle eft ton injuftice ?

Veux-tu que Philo&ere à ce point s'aviliiTe ?

Qu'il reparaiffe aux yeux des mortels indignés %

Couvert de tant d'affronts qu'il aura pardonnes?

porter déformais ma honte volontaire?

Ce fbleil qui voit tout % ce jour qui nous éclaire %

Verrait-il Philoclete auprès d'UlyfTe afïis ?

Et pourrai- je d'Atrée envifager les fils ?

Qu'en puis-je attendre encore ? Ôc fur quelle arTiirane^

D'un avenir meilleur fondes-tu refpérance?

Sais-tu quel traitement ils me gardent un jour ?

Va 3 de ces cœurs ingrats n'attends point de retour..

Le crime Met rit lame & ne conduit qu'au crime^

En leur faveur , dis-moi a quel intérêt t'anime?

Je dois te. ^avouer ; je m'étonne en eifet

Que tu ferves les Grecs après ce qu'ils t'eut Sfaîç-,

T RAG Ê'D I E. %i

Toi-même me Tas dit , que leur lâche infolence D'Ajax &: de Pyrrhus outragea la vaillance, Et des armes d'Achille ofa priver fon fils ; jEt ton bras s'armerait contre leurs ennemis ! Garde, garde plutôt le ferment qui te lie } Remène Philo&ete aux bords de Theflalie ; It toi-même à Scyros , tranquille &: refpecté, LaiiTe périr les Grecs comme ils Font mérité, .Ainfî d'un malheureux tu finis la misère $ Ainii dans fon rombeau tu confoles ton père ; Et tu n'as plus la honte aux yeux de l'Univers, JDe refter le complice &c l'appui des pervers,

PYRRHUS,

C'eft contre vous /Seigneur, que votre voix prononce, Le Ciel veut vous guérir : fa clémence l'annonce ; Le remède eft certain , Se vous le rejetez !

. PHILOCTETE. LaifTe-les-moi ces maux :, je les ai fupportés,

PYRRHUS-

Pyrrhus eft votre ami,

PHILOCTETE.

C'eft l'ami des Atrides, Tu voudrais me traîner au camp de ces perfides , de tous mes malheurs le cruel fouvenir , . . .

PYRRHUS,

Il les vit commencer , il hs verra finir j

Et pour vous de falut il n'eft point d'autre voiç.

ne FHI LOCT ET Ey

PHILQCTETE. J£e parle plus des Grecs , ne parle plus de Troyç. Tous deux m'ont trop coûté de pleurs & de tourment ^ Je ne te dis qu'un mot : j'ai reçu tes fermens. Veux-tu les accomplir ?

PYRRHUS.

Je les tiendrai fans doutç % Malgré tous les périls qu'il faut que je redoute % , Dût la Grèce en fureur contre nous deux s'arme r^

PHILO'CTETE. Va , leiiF relfentiment ne doit pas t'alarmer. Pyrrhus aura pour lui la vertu qui le guide , La caufe la plus jufte , & les flèches d'Alcide.

PYRRHUS. JLh bien donc * fuivez-moi.

SCÈNE I V,

PHILOCTETE, PYRRHUS, ULYSSE , Soldat*;

de la fuite d'UlyjJe.

ULYSSE.

JLii on, ne l'efpcrez pas,, Ulyfle & tous les Grecs arrêteront vos pas. PHILOCTETE,

Ulyflè! attends , mes traits vont punir cet outrage».

PYRRHUS,/* retenant. Ah! gardez-vous d'en faire un fi funefle ufage* Vous les tenez de moi.

T R A G Ë DIE. ty

PHILOCTETE.

Dans un fang odieux LaifTe-moi les tremper ....

PYRRHUS, Seigneur , au nom des Dieux, . > ( Le tonnerre gronde. )

Ecoutez, leur voix parle* entendez le tonnerre t Leur pouvoir fe déclare*

PHILOCTETE.

Oui , leur jufte colère M'encourage à frapper nion indigne ennemL

SCÈNE Ve & dernière, PHILOCTETE, PYRRHUS, ULYSSE*'

H E R C U L E $ dans un nuage lum'meux* Soldats* HERCULE.

it&.Rid:TE, & reconnais Hercule 6c ton ami. Je defeends pour toi feul de la voûte éternelle. je partage des Dieux la grandeur immortelle. Tu fais par quel chemin je m'y fuis élevé: Par les mêmes travaux tu dois être éprouvé. Ton fort eft de marcher dans les fentiers d'Âlcide-: Suis ce jeune Héros qui s'offre pour ton guide. La Grèce fur tes pas conduira fes guerriers , Et le fang de Paris doit teindre tés lauriers. Sa vie eft dévouée aux fléchés que tu portes* Du coupable Ilion tu briferas les portes*

M PHILOCTETE, TRAGÉDIE*

Pour Pyrrhus & pour toi les deftins ont gardé Ce triomphe éclatant , fi long-temps retardé. Allez chercher tous deux votre commune proye ; Préfente au vieux Pœan les dépouilles de Troye j Mais, lorfqu'enfon palais tu rentreras vainqueur * Rapportant dans (Eta le prix de ta valeur , Sur le tombeau d'Alcide ofFres-en les prémices \ A mes flèches, à moi tu dois ces facrifices* Vas , de ta guérifon Efculape eft chargé. Rends grâce aux Immortels qui t'auront protégé* Honore-les toujours ; ta gloire eft leur ouvrage ; D'un cœur religieux ils chériffent l'hommage j Et la pure vertu, le plus beau don des Cieux , Ne meurt point avec l'homme , & rejoint aux Dieu& ( // remonte dans [on nuage» ) PHILOCTETE.

Ô voix augufte ëc chère , & long-temps attendue!

O voix avec tranfport de mon cœur entendue 1

Je vous obéirai : tous mes refïentimens

Doivent être effacés dans de fi doux momens*

Je me rends ., c en eft fait : fous ces heureux aufpices *

Partons , brave Pyrrhus , av.ee les vents propices*

RempluTons le deftin qui nous eft confié:

Je fers 3 en vous fuivant , les Dieux & l'amitié.

Fin du troifilmt & dernier Aàt<

1

6 t

3

0

J?

D D 0 £>

3 >

05 00 ->

o

< E SIEGE

^1

(D

D E

[-

CD

en œ'

CQ CD Q- CD

O

CALAIS.

o 3^y U4bbi

BOSTON PUBLIC L

I

06 L'AMANT BOURRU.

bC

%

2/5

SCENE I X & dernière.

LA COMTESSE , MONTALAIS LA MARQUISE, M. DE PIENNE. , MONTALAIS.

V> Ourons chez lui. Je garde un rayon d'efpérance 9 H ne partira pas. Des peines de Ion cœur, Par les plus tendres foins calrnons la violence» Tâchons de le fixer en France : Nous lui devons notre bonheur ; Méritons le bienfait par la reconnohTance.

Fin du troifième & dernier Acte»

J'AI lu par ordre de M. îe Lieutenant-Général de Police , Charles de Morinitr-, Comédie en trois Actes & envers , Se je n'y ai rien trouvé qui m'aît paru devoir en empêcher la repréfentation 8C l'impreffion. A Paris , ce 1 8 Avril 1777.SUARD.

Vu? Approbation, permis de reprêfenter & d'imprimer, A Paris , a f Juillet 1777. LE NOIR.

4es

De l'Imprimerie d' André - Charles CAILLE AU ,

rue Saint -Severin.