OF TC ITY Lo UNIVERS Handle with . EXTREME CARE This volume is BRITTLE ‘and cannot be repaired GERSTEIN SCIENCE INFORMATION CENTRE envor DS CS Ÿ TORONTO ÿ ® ), L { LIBRARY { Ness PHILOSOPHIE ZOOLOGIQUE TOME PREMIER ' TO ANT LAMARCK PHILOSOPHIE ZOOLOGIQU ou EXPOSITION DES CONSIDÉRATIONS RELATIVES A L’HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX A LA DIVERSITÉ DE LEUR ORGANISATION ET DES FACULTÉS QU'ILS EN OBTIENNENT : AUX CAUSES PHYSIQUES QUI MAINTIENNENT EN EUX LA VIE ET DONNENT LIEU AUX MOUVEMENTS QU ILS EXÉCUTENT ; ENFIN, A CELLES QUI PRODUISENT LES UNES LE SENTIMENT, LES AUTRES L INTELLIGENCE DE CEUX QUI EN SONT DOUES. NOUVELLE ÉDITION REVUE ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE PAR CHARLES MARTINS Professeur d'histoire naturelle à la Facullé de Médecine de Montpellier. Directeur du Jardin des plantes de la même ville, Correspondant de l'Institut et Associé national de l’Académie de Médecine TOME PREMIER _ - EUR __ PARIS - eldar LIBRAIRIE F. SAVY 24, RUE HAUTEFEUILLE, 24 1873 ins sn 1hà à à de LL Le nu a \ jp 13 4f, ", L “ | : - i "ot | : 1 | ; \ , = Y AE + LED GE A IUT E A 0 SU AOFEIRONT FE “ iairroind +8 Li 6.) af À 2HU Hi HA ANT 4 # note ph. “PTE ent, TA morts AA CUIR LEE 1 | ‘ML ; DCR IA CAD E ts " LC MIT VAT Fed Un af Ab FE {.) Fr fa! run TA 1:79 ax ta(frité 1" B “À ( Li L Li _ es E * F4 VAT ét +) L STAR Vom 44 en UE AT EN RTE LOI + LL LANCE re ais | a Ge AAA MAPET raeris NS É | AQU 4 14182 VU | avaimManghie se don NU 0 34a898m4 Le (sis T0 ) SN E ; ÿe & « \7 à nu A HÉME 72 A sweat «5 bite 46 dort w à + Ed Da Sao CE mir etait si | Éee u dif ir CE LI 210 La LE An MAL: @fr téioihet t Cu É ETC " Fe \ AU | è ‘ (1 So tu he 4 > ., € 1 Le. } : AN | Le. DA CREME 601 { or a (be ( $A SP ue PR | | PA 4 à 7 TESTER INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE Il y a deux classes de savants. Les uns, sui- vant les traces de leurs prédécesseurs, agrandis- sent le domaine de la science et ajoutent des découvertes à celles qui ont été faites avant eux ; leurs travaux sont immédiatement appréciés, et ils jouissent pleinement d’une réputation bien méritée. Les autres, quittant les sentiers battus, s’affranchissent de la tradition, font éclore les germes de l'avenir, latents pour ainsi dire dans les enseignements du passé : quelquefois ils sont” estimés pendant leur vie à leur juste valeur ; plus souvent encore 1ls passent méconnus du public scientifique de leur époque, meapable de les com- LAMARCK. PtHIL. ZOOL. Î œ vi INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE prendre et de les suivre. L’inerte, la routine et l’ionorance leur opposent dans le présent une résistance insurmontable, ils meurent délaissés ; cependant la science marche, les faits se multi- plient, les méthodes se perfectionnent, et le pu- blic, attardé de leur vivant, les rejomt sur la route du progrès. Alors tous leurs mérites ou- bliés se révèlent avec éclat; on rend justice à leurs efforts, on admire leur génie, on constate leur prévision de l’avenir, et une gloire pos- thume console leurs disciples de Foubli qui a dû attrister les années pendant lesquelles 1ls ont lutté vainement pour le triomphe de la vérité, Lamarck appartient à la fois aux deux classes de savants dont nous venons de parler. Par ses travaux des- criptifs en botanique et en zoologie, par les per- fectionnements, acceptés de ses contemporains, qu'il a introduits dans la classification des ani- maux, il a occupé un des premiers rangs parmi les naturalistes de son temps; mais ses vues phi- losophiques sur les êtres-organisés en général ont été repoussées, elles n’ont pas même eu l’honneur d’être discutées sérieusement. On ne leur accor- dait que la politesse du silence ou les dédains de l'ironie. Nous ferons voir cependant que les con- ceptions capitales de Lamarck sont celles qui commencent à dominer en botanique et en zoo- INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE vil logie. Aux exemples trop peu nombreux cités par l’auteur, nous ajouterons ceux que la science moderne à réunis. Cherchant à persuader par le raisonnement plutôt que par des faits positifs, Lamarck a par- tagé le travers des philosophes allemands de la nature, Goethe, Oken, Carus, Steffens. Aujour- d’hui on raisonne moins, et lon démontre davan- tage. Le lecteur, pour être convaincu, exige des preuves palpables, des faits matériels bien cons- tatés; à chaque objection, 1] veut une réponse précise, et il ne se rend que lorsqu'il est pour ainsi dire accablé sous le poids de évidence. C’est ainsi que nous procéderons ; nous accumu- lerons ces preuves qui avaient entrainé la con- viction personnelle de Lamarck, mais qu'il eut le tort de ne pas communiquer à l'appui de ses rai- sonnements. Quand on lit sa Philosophie :00l0- gique, on entrevoit pourquoi des esprits rigou- reux tels que Cuvier et Laurent de Jussieu n’ont point admis ses conclusions; on comprend qu'ils les aient combattues. On ne saurait en effet atten- dre d’un savant absorbé par ses propres recher- ches qu’il se mette en quête des faits qui doivent étayer les théories conçues par un autre. Il ne faut donc pas s'étonner si l’éloge académique de Lamarck par Cuvier, lu après la mort de Cuvier vin INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE lui-même par M. Sylvestre à la séance publique de l’Institut du 26 novembre 1832, renferme à côté d’éloges sincères un blàme immérité des doctrines philosophiques de Lamarck, etait mau- guré ce genre d'éloges désigné plus tard sous le nom peu académique d’éreintements. L’impar- tiale postérité excuse ces injustices imvolontaires sans les ratifier. Dans les sciences comme dans la politique, le temps seul nous place à un point de vue assez éloigné pour pouvoir porter des juge- ments équitables sur les hommes, leurs opinions et leurs actes. Nous essaierons de traduire ce jugement rétrospectif; mais auparavant nous croyons devoir donner une courte biographie de Lamarck. La vie d’un savant est le commentaire obligé de ses œuvres : elle explique ses succès dans la recherche de la vérité, et permet d’ap- précier les causes de ses défaillances. De là lin- térêt plus vif que celui d’une simple curiosité qui s'attache aux notices biographiques des hommes célèbres dans le domaine de l'intelligence. I BIOGRAPHIE DE LAMARCK Jeanu-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, au- trement appelé le chevalier de Lamarck, naquit INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE rise à Bazentin, village situé entre Albert et Ba- paume, dans l’ancienne Picardie, le 1°" août 1744. Il était le onzième enfant de Pierre de Monet, seigneur de ce lieu, issu d’une ancienne maison du Béarn dont le patrimoine était fort modeste. Son père le destinait à l’Église, ressource ordi- naire des cadets de famille à cette époque, et le fit entrer aux Jésuites d'Amiens. Ce n’était point la vocation du jeune gentilhomme. Tout dans sa famille lui parlait de gloire militaire. Son frère aîné était mort sur la brèche au siége de Berg- op-/oom ; les deux autres servaient encore, et la France s’épuisait dans une lutte imégale. Son père résistait cependant à ses désirs ; mais lors- qu'il mourut, en 1760, Lamarck, libre de suivre son inclination, s’achemina sur un mauvais cheval vers l’armée d'Allemagne, campée près de Lipp- stadt en Westphalie. Il était porteur d’une lettre écrite par une de ses voisines de campagne, ma- dame de Lameth, qui le recommandait au colonel du régiment de Beaujolais, M. de Lastic. Celui- cl, voyant arriver ce jeune homme de dix-sept ans qu'une mine chétive faisait encore paraitre au-dessous de son âge, l’envoya à son quartier. Le lendemain, une bataille était imminente. M. de Lastic passe la revue de son régiment et voit son protégé au premier rang d’une compa- x INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE onie de grenadiers, L'armée française était sous les ordres du maréchal de Broglie et du prince de Soubise ; les troupes alliées avaient pour chef le prince Ferdmand de Brunswick. Les deux généraux français, divisés entre eux, furent bat- tus. La compagnie où se trouvait Lamarck est foudroyée par lartillerie ennemie; dans la con- fusion de la retraite, on l’oublie. Les officiers et les sous-officiers sont tués, 1l ne restait plus que quatorze hommes ; le plus ancien propose de se retirer. Lamarck, improvisé commandant, ré- pond : « — On nous a assigné ce poste, nous ne devons nous retirer que si on nous relève. » En effet, le colonel, voyant que cette compa- gnie ne se ralliait pas, lui envoya une ordon- nance qui se glissa par des sentiers couverts Jusqu'à elle. Le lendemain. Lamarck était nommé officier, et peu de temps après lieutenant. Heu- reusement pour la science, ce brillant début ne devait point décider de son avenir. Envoyé après la paix en garnison à Toulon et à Monaco, une inflammation des ganglions lymphatiques du cou nécessita une opération faite à Paris par Tenon, mais qui lui laissa toute sa vie de profondes cica- trices. L'aspect de la végétation des environs de Toulon et de Monaco avait éveillé l'attention du INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE xi jeune officier : 1] avait puisé quelques notions de botanique dans le Traité des plantes usuelles de Chomel. Retiré du service, réduit à une modeste pension alimentaire de quatre cents francs, il travaillait à Paris chez un banquier ; mais poussé irrésistiblement vers l'étude de la nature, ilobser- vait de sa mansarde les formes et les mouvements desnuages, et apprenait à connaître les plantes au Jardin du Roi ou dans les herborisations publi- ques. Il se sentait dans sa voie et comprit, comme Voltaire l’a dit de Condorcet, que des découvertes durables pouvaient lillustrer autrement qu’une compagnie d'infanterie. Mécontent des systèmes de botanique en usage, 1l écrivit en six mois sa Flore française, précédée de la Clé dichotomi- que, à l’aide de laquelle il est facile, même à un commençant, d'arriver sûrement au nom de la plante qu’il a'sous les yeux‘. C'était en 1778, Rousseau avait mis la botanique à la mode ; les sens du monde, les dames s’en occupaient. Buffon fit imprimer les trois volumes de la Flore fran- caise à l'imprimerie royale, et l’année suivante Lamarck entrait à l’Académie des sciences. Vou- lant faire voyager son fils, Buffon lui donna La- 1 Une seconde édition de cette Flore française, publiée en 1815 par de Candolle, est encore l'ouvrage capital pour la connaissance des plantes de notre pays. XII INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE marck pour guide avec une commission du gou- vernement : 1} parcourut amsi la Hollande, l’Allemaene et la Hongrie, et noua des relations avec Gleditsch à Berlin, Jacquin à Vienne et Murray à Gœttingue. L'Encyclopédie méthodique, commencée par d’Alembert et Diderot, n’était pas terminée, La- marck en écrivit quatre volumes, où il décrit toutes les plantes connues alors dont les noms commencaent par les lettres de À à P : travail immense, achevé par Poiret, et qui comprend douze volumes, lesquels ont paru de 1783 à 1817. Une œuvre plus importante encore, faisant éga- lement parte de l’£ncyclopédie et citée per- pétuellement par les botanistes, est intitulée [Uustration des genres : Lamarck y donne les caractères de deux mille genres. illustrés, comme le dit le titre, par neuf cents planches. Un bota- miste seul peut se faire une idée des recherches dans les herbiers, les jardins et les livres, que suppose un pareil travail. Lamarck suffisait à tout par son activité. Un voyageur arrivait-l à Paris, il était le premier qui vint le voir. Son- nerat revient de l’Inde en 1781 avec des collec- tions immenses : personne ne daigne les visiter, sauf Lamarck, et Sonnerat, charmé de cet em- pressement, lui donne Pherbier magnifique qu’il > INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE ET avait rapporté. Maloré ce labeur incessant, la position de Lamarck était des plus précaires : 1l vivait de sa plume; il était aux gages des libraires. On lui disputa même une chétive place de garde des herbiers du cabinet du roi. Comme la plupart des naturalistes, il se débattit ainsi contre les difficultés de la vie pendant quinze ans. Une circonstance heureuse améliora sa situation en changeant la direction de ses travaux. La Convention gouvernait la France. Carnot orga- nisait la victoire. Lakanal entreprit d'organiser les sciences naturelles. Sur sa proposition, le Muséum d'histoire naturelle fut créé. On avait pu nommer des professeurs à toutes les chaires, sauf pour la zoologie ; mais dans ces temps d’en- thousiasme, si différents de l’époque où nous vivons, la France trouvait des hommes de guerre et des hommes de science partout où elle en avait besoin. Étienne Geoffroy Saint-Hilaire était âgé de vingt et un ans, il s’occupait de minéra- logie sous la direction d’Haüy. Daubenton lui dit : « — Je prends sur moi la responsabilité de votre inexpérience ; j'ai sur vous l'autorité d’un père ; osez entreprendre d'enseigner la zoologie. et qu’un jour on puisse dire que vous en avez fait une science francaise. » Geoffroy accepte, et se charge des animaux supérieurs. Lakanal avait + INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE compris qu'un seul professeur ne pouvait suffire à la tâche de ranger dans les collections le règne animal tout entier. Geoffroy devant classer les vertébrés seulement, restaient les invertébrés, à savoir les insectes, les mollusques, les vers, les zoophytes, c’est-à-dire le chaos, l'inconnu. La- marck, dit M. Michelet, accepta l'inconnu. Il s'était un peu occupé de coquilles avec Bru- guières ; mais il avait tout à apprendre, je dirai mieux, tout à créer dans ce monde mexploré, où Linné avait pour ainsi dire renoncé à intro- duire l’ordre méthodique qu'il avait su si bien établir parmi les animaux supérieurs. Lamarck ouvrit son cours au Muséum dans le printemps de 1794, après un an de préparation, et créa dès l’abord la grande division des animaux en verté- brés et invertébrés, qui est restée dans la science. Conservant pour les animaux vertébrés la divi- sion de Linné en mammifères, oiseaux, reptiles et poissons, 1l classa les invertébrés en mollus- ques, insèctes, vers, échinodermes et polypes. nu 1799, il sépara l’ordre des crustacés des in- sectes, avec lesquels 1ls étaient confondus ; en 1800, il établit celui des arachnides, distincts des insectes, en 1802, celui des annélides, subdivi- sion des vers, et celui des radiaires, différents des polypes. Le temps a consacré la légitimité de ces INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE xv coupes, fondées toutes sur l’organisation des ani- maux ; c’est la méthode rationnelle mtroduite dans la science par Cuvier, Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire. Cette introduction étant uniquement consacrée à Lamarck envisagé comme naturaliste, nous ne nousoccuperons point de quelques ouvrages où 1l aborde la physique et la chimie : erreurs d’un puissant esprit, croyant pouvoir établir par le raisonnement seul des vérités qui reposent uni- quement sur l'expérience, ou bien résurrections d'anciennes théories telles que celles du phlogis- tique, ces tentatives n’eurent même pas les hon- neurs de la réfutation ; elles ne les méritaient pas. et doivent servir d'exemple à tous ceux qui veu- lent écrire sur une science sans la connaître et sans l'avoir pratiquée. C’est un travers assez commun, et nous voyons tous les jours produire avec éclat des objections contre les sciences phy- siques et naturelles ne prouvant qu'une chose : l'ignorance profonde de ceux qui les articulent. Leur point de départ est souvent une hypothèse philosophique où un dogme théologique, bases fragiles qui ne résistent ni à l'observation quant aux faits, ni à l’expérimentation quant aux phé- nomènes. Les généralisations de Lamarck sur la véologie et la météorologie, sciences naissant à x vi INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE pee à l’époque où il écrivait, ont un autre vice radical ; elles sont prématurées. Toute science doit commencer par la connaissance des faits et des phénomènes particuliers; quand ceux-ci sont assez nombreux, les généralisations partielles deviennent possibles; elles s’agrandissent à me- sure que la base s’élargit, mais les systèmes ayant la prétention d’être absolus et définitifs ne le seront jamais, car ils supposent que tous les faits, tous les phénomènes sont connus : synthèse impossible, quelle que soit la durée de l’huma- nité, C’est là le défaut de l’Jydrogéologie de Lamarck. Au commencement du siècle, la 2é0- logie n'existait pas ; on n’observait peu, on faisait des systèmes embrassant le globe tout entier. Lamarck fit le sien en 1802, et vingt-trois ans plus tard lesprit judicieux de Cuvier cédait en- core à cet entrainement en publiant son Discours sur les révolutions du globe. Le mérite de La- marck est d’avoir compris qu'il n’y a pont eu de révolutions en géologie, car des actions lentes mille fois séculaires rendent compte beaucoup mieux que des perturbations violentes des prodi- gieux changements dont notre planète a été le théâtre. « Pour la nature, dit Lamarck, le temps n'est rien, et n’est jamais une difficulté : elle Pa toujours à sa disposition, et c’est pour elle un INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE x vil moyen sans bornes avec lequel elle à fait les plus erandes choses comme les moindres. » Le pre- mier, 1l distmgua ‘ les fossiles Httoraux des fos- siles pélagiens; mais personne aujourd'hui ne saurait accepter son idée que les mers se creusent par l’action des marées, et se déplacent à la sur- face de la terre sans que le niveau relatif des dif- férents points de cette surface ait changé. En présence des faits connus, 1l est impossible d’at- tribuer l'origine de toutes les vallées au creuse- ment des eaux. Autant les déductions de Lamarck ont été judicieuses et souvent prophétiques dans la science des êtres organisés, qu'il connaissait si bien, autant elles sont aventureuses, hasardées et démenties par avenir dans les sciences qui lui étaient étrangères : comme les métaphysiciens, 1l construisait des édifices en l'an, et, comme les leurs, les siens se sont écroulés faute de base. Achevonsla biographie de Lamarck. Fixé dans ses irrésolutions scientifiques par sa chaire du Muséum et le devoir de classer les collections, il se hivra tout entier à ce double travail. En 1802, il publia ses Considérations sur l’organisation des corps vivants, en 1S09 sa Philosophie 200- logique; développement des Considérations, et 1 Hydrogéologie, p. 12. x vin INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE de 1816 à 1822 l'Histoire naturelle des ani- maux sans vertèbres en sept volumes : c’est son ouvrage capital, et, comme il est uniquement descriptif et taxonomique, il fut accueilli par l'ap- probation unanime des savants. Son Mémoire sur les coquilles fossiles des environs de Paris, où sa profonde connaissance des coquilles vivantes lui pernut de classer sûrement celles qui n'étaient plus que la dépouille d'animaux disparus depuis des milliers de siècles, reçut également un accueil favorable, Lamarck avait commencé Pétude de la zoologie à cmquante ans ; l'examen minutieux de petits animaux visibles seulement à la loupe et au microscope fatigua, puis affaiblit sa vue. Peu à peu les nuages qui lPobscurcissaient s’épais- sirent, et il devint complétement aveugle. Marié quatre fois, père de sept enfants, 11 vit disparaitre son mince patrimoine el même ses premières économies dans quelques-uns de ces placements hasardeux offerts par la spéculation à la crédulité publique. Son modeste traitement de professeur le préservait seul de la misère, Les amis des sciences, que sa réputation comme zoologiste et comme botaniste attirait auprès de lui, voyaient ce délaissement avec surprise; il leur semblait qu'un gouvernement éclairé aurait dû s'informer avec un peu plus de soin de la position d’un vieil- INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE xIx lard qui avait illustré son pays ; mais les gouver- nements, on le sat, réservent leurs faveurs pour d’autres services, et la nusère d’un vieux savant aveugle a rarement éveillé leur solcitude. La- marck passa donc les dix dernières années de s: laborieuse vie plongé dans les ténèbres, entouré des soms affectueux de ses deux filles. L’ainée écrivit encore sous sa dictée une partie du sixième et une partie du septième volume de l'Histoire des animaux sans vertèbres. Depuis que le père ne quittait plus la chambre, la fille ne quittait plus la maison ; à sa première sortie, elle fut in- commodée par l’a libre dont elle avait perdu depuis si longtemps l'habitude. Lamarck mourut le 18 décembre 1829, à l’âge de quatre-vingt- emq ans; Latreille et de Blainville furent ses successeurs au Muséum. Le nombre des animaux sans vertèbres s'était tellement accru qu'il fallut créer deux chaires là où une seule avait suffi, grâce à l'incroyable activité du premier titulaire. Ses deux filles restèrent sans ressources, J'ai vu moi-même, en 1832, mademoiselle Cornéhie de Lamarck attacher, pour un mince salaire, sur des feuilles de papier blanc les plantes de l’herbier du Muséum où son père avait été professeur, Sou- vent des espèces nommées et décrites par lui ont dû passer sous ses yeux, et ce souvenir ajoutail xx INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE sans doute à lamertume de ses regrets. Filles d'un nunistre ou d’un général, les deux sœurs eussent été pensionnées par l'État ; mais leur père n'était qu'un grand naturaliste, honorant son pays dans le présent et dans l'avenir, elles de- vaient être oubliées, et le furent en effet. Dans ses £'tudes sur Darwin et ses prédéces- seurs francçais', M. de Quatrefages a exposé brièvement les travaux de Lamarck et rendu pleine justice à la grandeur et à loriginalité de la plupart de ses idées ; il lui assigne la première place parmi les ancêtres scientifiques de Darwin, mais signale en même temps et combat Les points faibles de ses conclusions. Notre but, dans les pages qui vont suivre, est au contraire de faire ressortir les points forts et de montrer, en les corroborant par un grand nombre de faits, quelles sont les vérités que Lamarck a le premier formulées au milieu de l’inattention, et malgré la critique peu compréhensive dont elles ont été l’objet pendant tout le cours de sa longue exis- tence. 1 Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1868. INTRODUCTION BIOGRAFHIQUE Pop IT LA PHILOSOPHIE ZOOLOGIQUE DE LAMARCK C’est à l'analyse de la PAtosophie +00l0 g1- que, publiée par Lamarck en 1809, que sera sur- tout consacrée cette étude. Lamarck connaissait un nombre immense de végétaux et d'animaux, condition nécessaire pour pouvoir s'élever à des vénéralisations comprenant l’ensemble du monde organisé. Dans ses travaux spéciaux, descrip- tion, classement, détermination d'espèces végé- tales et animales, il avait été frappé de leurs différences, mais encore plus de leurs analogies; il avait constaté leurs variations, et il en était résulté pour lui une triple impression : la certi- tude de la variabilité de l'espèce sous l'influence des agents extérieurs, celle de l’unité fondamen- tale du règne animal, enfin la probabilité de la génération successive des différentes classes d’ani- maux, sortant, pour ainsi dire, les unes des autres comme un arbre dont les branches, les feuilles, les fleurs et les fruits sont le résultat des évolutions successives d’un seul organe, la graine ou le bourgeon. Cependant, je le répète, au lieu de multiplier les exemples, comme on le fait au- LAMARCK, PIHIL. ZOOL, I. b xx INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE jourd’hui, il s'efforce de convaincre le lecteur par des raisonnements ; il les enchaîne les uns aux autres sans s’apercevoir qu'il a souvent quitté le terrain solide des faits, et quele momdre écart, la momdre lacune dans ses déductions lengage nécessairement dans un labyrinthe comparable à celui où les métaphysiciens égarent ceux qui ont le courage de les suivre. Je m’attacherai donc à montrer comment les faits acquis à la science depuis la mort de Lamarck ont confirmé sa théo- rie fondamentale, désignée maintenant sous le nom de {héorie de la descendance. Cette théorie consiste à établir que les milieux dans lesquels les animaux ont vécu se sont souvent et profon- dément modifiés. Beaucoup d'animaux, ne pou- vant pas s’accommoder à ces changements, ont péri ; les autres, modifiés par le milieu, se sont adaptés à lui et ont transmis ces modifica- tions à leurs descendants, chez lesquels elles se sont fixées. Ceux-c1 constituent alors ce qu’on nomme des espèces : elles nous paraissent mva- riables parce que nous ne les connaissons que de- puis un laps de temps tellement court, qu'il n’est qu'une fraction impercepüble de la longue pé- riode nécessaire pour amener des changements dans le milieu ambiant, terre, eau, chimat, tem- pérature, et par suite dans les êtres exposés à ces INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE xxun influences diverses. En effet, argument tiré de l'identité des espècesétudiées depuisles temps his- toriques est sans valeur. Cuvier avait conclu à la fixité de l'espèce, parce que les momies des chats, des ibis, descrocodiles del'Égypte, sontidentiques aux espèces actuelles vivant encore dans le pays. Or ce que Cuvier disait de lespèce est également vrai des variétés où des races obtenues dans les temps les plus reculés: ainsi le bélier représenté sur les monuments égyptiens est identique au bélier nuhbien actuel”. Le petit cheval des pay- sans lthuaniens ne diffère pas du daïno illus- tré dans les chants primitifs de ces peuples, et dont les squelettes se retrouvent dans les an- ciens tombeaux. Pourquoi auræent-1ls changé, pusque le milieu ambiant est resté le même et que les peuples qui ont succédé à ces na- üons primitives n'ont rien fait pour améliorer ces races par des croisements ou la sélection arti- ficielle ? À plus forte raison ne voyons-nous pas les espèces ou les races sauvages se modifier sous nos yeux, à mois que l’homme n'intervienne par la culture et l'hybridation pour les végétaux, par le régime alimentaire et le croisement pour les animaux. Examinons successivement l’influence 1 Settegast; die Thiersucht; p. 60 et pl I. KXIV INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE des divers changements du milieu ambiant qui modifient l’organisation des végétaux et des ani- maux, à savoir l’eau, l’air, la lumière et la cha- leur. Influence de l’eau L'action de l’eau sur les végétaux est des plus évidentes. Lamarck cite la renoncule aquatique. Cette plante est en effet smgulièrement modifiée par son séjour dans l'eau. Les feuilles submer- vées sont finement découpées et comme capillai- res; celles qui s'élèvent au-dessus de la surface liquide sont arrondies et simplement lobées. Sui- vant que les feuilles ont séjourné plus ou moins dans Peau, suivant que celle-ci est courante ou stagnante, elles présentent toutes les transitions imagmables entre ces deux extrêmes, et les bota- nistes en ont fait des espèces et des variétés sans nombre (Ranunculus aquatilis, tripartitus, Baudoti, trichophyllos, fluitans, etc.). Les feuilles submergées de la châtaigne d’eau (Trapa natans) sont également capillaires, les feuilles aériennes ne le sont pas. Dans ces renoncules et le T'rapa natans, 'achon de l'eau amène la dis- parition partielle du parenchyme de la feuille. Le dernier terme de cette modification se voit sur une naïadée de Madagascar, l'Ouvirandra fenes- INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE x tralis'. Dans cette plante aquatique. la feuille immergée se réduit à une fine dentelle à mailles quadrilatères formée par les nervures longitudi- nales et des cloisons transversales. Les feuilles des AHippuris, des Myriophyllum, des Callitri- che et des Ceratophyllum, nous montrent l'état accidentel des feuilles submergées de la renon- cule aquatique et de la châtaigne d’eau devenu constant par le fait de l’hérédité. La sagittaire doit son nom à ses feuilles aé- riennes, qui ont exactement la forme d’un fer de flèche ; mais, lorsqu'elles sont plongées dans une eau courante, elles forment de longs rubans on- dulants suivant le fil de l’eau. Le plantain d’eau (Alisma plantago) offre la même modification : dans les eaux courantes, ses feuilles ovalares de- viennent rubanaires et flottantes. Le jonc lacus- tre (Scirpus lacustris) n'a point de feuilles, 1l n’a que des gaines rougeâtres terminées par un petit limbe. Quand la plante est dans une eau peu profonde, celle-ci avorte complétement; mais dans une rivière ce limbe se développe, s’allonge et atteint quelquefois une longueur de T à 2 mè- tres. Le botaniste Scheuchzer, qui vivait à Zu- rich au commencement du xvin® siècle, avait 1 Voyez Delessert, Icones selectæ, t. IT, fig. 99. XX VI INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE déjà noté cette particularité. Les feuilles flottantes du nénuphar jaune sont étalées à la surface de l’eau; ce sont des disques arrondis, mais les feuilles submergées sont presque transparentes et bosselées comme celles du chou pommé. Ces deux modifications morphologiques, la forme rubanaire et la forme bosselée, deviennent cons- tantes et permanentes dans les plantes marmes : la première dans les laminaires, les zostères, les cymodocées, la seconde dans les ulvacées. Un autre effet de l’eau, c’est de favoriser la formation de lacunes qui renferment de Fair. Ainsi les rameaux de lutriculare portent de petites vessies aériennes appelées ascidies. Dans l'Aldrovandia vesiculosa, ce sont les feuilles elles-mêmes, dans certains Fyeus, ce sont les frondes qui deviennent vésiculeuses. Le pétiole des feuilles aériennes du 7rapa natans, du Pon- tederia crassipes, se remplit également d'air. De même, les tiges de beaucoup de plantes aqua- tiques, les Nymphæa, les Nelumbium, les Jus- siæa, V Aponogeton dystachion, les pilulaires, les jones, sont creusées de grandes lacunes aériennes eloisonnées *. L'eau a mème le pouvoir de transformer certains organes et de les adapter 1 Duval-Jouve, De quelques joncs à feuilles cloisonnées. 1872. Lite bé sit PSG INTRODUDTION BIOGRAPHIQUE xxvi à des fonctions complétement différentes de celles qu'ils remplissaient origimairement. Le Jussiæa repens est une plante aquatique produisant de longs rameaux ou stolons, maintenus à la surface de l’eau par des corps cylindriques, spongieux, d’un blanc rosé, qui jouent le rôle de ces vessies sonfiées d'air qu'on fixe sous les aisselles d’un nageur inexpérimenté ; ces stolons se garnissent de fleurs s’épanouissant au-dessus de la surface de l’eau. Les corps qui soutiennent ces rameaux fleuris sont des racines transformées par l’action de l’eau. En effet, les stolons qui rampent à la surface de la terre sèche sont pourvus de raci- nes adventives ordinaires: mais, si le stolon se trouve de nouveau en contact avec l’eau, ces racines se transforment en racines aérifères. J’ai pu obtenir ainsi, sur un seul jet, des parties qui étaent alternativement pourvues ou dépourvues de ces vessies natatoires. La tige même devient quelquefois spongieuse et se remplit d'air. Dans l’eau, les feuilles de la même plante sont lisses, obovales, et acquièrent une longueur de 10 cen- timètres de long et 2 de large, tandis que, sur un terrain sec ou desséché, elles sont étroites, aiguës, longues d’un centimètre au plus et couvertes de poils. Ces deux formes d’une même plante ont été considérées comme deux espèces dis- xxviit INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE tinctes t. Ainsi l’eau imprime à l’organisme végétal des modifications profondes qui se traduisent non- seulement dans les formes extérieures, mais dans la structure anatomique. M. Duval-Jouve a dé- montré qu'une plante aquatique, quelle que soit la famille à laquelle elle appartienne, présente des cellules cloisonnées aérifères. Dans un même genre, le genre /ris par exemple, les ris ger- manica et florentina, plantes terrestres, ne présentent pas de cellules cloisonnées, les Zris fœætida, et pseudacorus, espèces aquatiques, en sont pourvues. Dans le senre Æryngium, mêmes différences ; les espèces européennes sont terres- tres, leurs feuilles ont des nervures divergentes: les espèces aquatiques de l’Amérique portent de longues feuilles rubanaires à nervures parallèles, réunies entre elles par des cloisons transversales. L'influence de l’eau sur la forme et lorgani- sation des animaux n’est pas moins remarquable, et le développement des réservoirs d’air chez les végétaux aquatiques rapelle les cloisons tra- versées par le siphon des coquilles univalves du nautile et des ammonites, les vésicules aérifères des acalèphes hydrostatiques, les boucliers avec 4 Voyez Ch. Martins, Mémoire sur les racines aérifères ou ves- sies natatoires des espèces aquatiques du genre Jussiæa. (Mém. de l’Acad. de Montpellier, t. VI, p. 353, 1866.) INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE XXIX canaux aérifères des vellèles, les bulles d’air emprisonnées dans le mucus sécrété par le pied de la janthine et même la vessie natatoire des poissons, organes inconnus dans les animaux terrestres. Mas c’est dans les batraciens que nous verrons avec la dernière évidence que les branchies, appareils respiratoires des animaux aquatiques, se développent sous l’nfluence d’un milieu hquide, Chez certains d’entre eux, les branchies sont temporaires : ainsi les têtards de la grenouille et du crapaud respirent par des branchies; mais à mesure que les pattes poussent et que la queue servant de nageoire se résorbe, les poumons se développent et les branchies s’atrophient, Fanimal, d’aquatique qu'il était, devient amplubie. Les tritons vivant dans l’eau pendant la première période de leur vie respirent par des branchies, plus tard ils se tiennent habi- tuellement sur le bord des mares: les branchies disparaissent, des poumons les remplacent. Ce- pendant, si l’on force ces animaux à rester dans l'eau, la métamorphose ne s’accomplit pas. Les protées des lacs souterrains de la Carniole, ayant à la fois des poumons et des branchies, peuvent respirer dans l’ar comme dans Peau. On con- nait sous le nom d’axolotl (Siredon pisciformis) un gros têlard à branchies extérieures vivant xxx INTRODUGTION BIOGRAPHIQUE dans le lac qui avoisine la ville de Mexico. Un grand nombre de ces animaux ayant été donnés à la ménagerie du Muséum d'histoire naturelle de Paris, la plupart ne se modifièrent pas: mais le 10 octobre 1865, M. Auguste Duméril remar- qua que plusieurs présentaient des taches jaunes, leur crète caudale s’atrophiait, amsi que les bran- chies,et le 6 novembre de jeunesaxolotls s'étaient transformés en un triton du genre Amblystomu, dont les espèces habitent Amérique du Nord, c'est-à-dire en un animal amphibie respirant par des poumons, dépourvu de branchies et à queue cylindrique. Le même savant eut l’idée de couper les branchies d’un certain nombre d’axolotls; quelques-uns se métamorphosèrent en tritons, d’autres restèrent à l’état de tètards. Ajoutons que, ces axolotls se multipliant, ce fait nous dé- montre que la reproduction bien connue des pro- tées ne prouve en aucune manière qu'ils ne soient pas les têtards d’un reptile encore inconnu. Il existe encore des animaux qui ne sont probable- ment que des êtres n'ayant pas subi toutes leurs métamorphoses ; je citerai les ménobranches , qui ont, comme le protée, des branchies exté- rieures et quatre pattes, la grande sirène lacer- ne des rizières de la Caroline, munie de trois houppes de branchies sallantes, mais n'ayant # INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE xxxi que deux pattes antérieures terminées par quatre doigts, et le menopôme, qui porte sur les côtes du cou des fentes branchiales et se meut au moyen de quatre pattes très-courtes. Tout le monde connaît la rainette, cette petite grenouille verte qui se tient habituellement sur les feuilles des plantes aquatiques : elle pond des œufs d’où éclôt un têtard; mais un naturaliste, M. Bavay’, a observé une espèce des Antilles où la métamor- phose s’accomplit dans l’œuf même. Celui-ci contient un tétard muni d’une queue et de bran- chies, et pourtant au bout de dix Jours il en sort une rainetle sans queue, sans branches et respi- rant par des poumons. Blumenbach avait déjà vu le même fait sur le crapaud pipa de Surinam. Ces métamorphoses, accomplies tantôt hors de l'œuf, tantôt dans l'œuf même, nous éclairent sur les métamorphoses des animaux supérieurs, qui parcourent dans le sein de leur mère les différentes phases de leur développement sérial à partir d’une classe d'animaux inférieure à celle dont ils font partie. Tous les vertébrés aquatiques, à quelque classe qu'ils appartiennent, ont le corps allongé, cylin- drique ou aplati latéralement, et des membres 1 Sur l'Hylodes Martinicensis (Revue des sciences naturelles. t. I, p. 281. 1872.) xxx INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE terminés par des extrémités en forme de na- geoires. Dans certains poissons, les #ymnotes, les carapes, les donzelles {Ophidiuin), et dans les cétacés, les membres postérieurs manquent, et dans les poissons du genre des anguilles et des pétromyzons 1ls avortent tous ; mais, si nous voulons apprécier l'influence de l’eau, nous ne devons pas considérer des animaux complétement aquatiques, tels que les cétacés ou les poissons chez lesquels une hérédité prolongée a fixé l’or- ganisation adaptée à ce milieu, mais étudier com- parativement des animaux appartenant à une classe où les uns sont terrestres, les autres am- phibies où aquatiques, telles que les autres mam- mifères, les oiseaux, les reptiles, les mollusques et les insectes. Il existe dans l’ordre des mamnufères carnas- siers un groupe de petits animaux, parfaitement naturel, connu sous le nom d'animaux vermi- formes : il comprend la marte commune (Mus- tela martes), la fouime, le putois, la belette, etc. La marte commune, effroi des poulaillers euro- péens depuis la Méditerranée jusqu'à locéan Glacial, est un animal essentiellement terrestre ; dans ce même genre se rencontre pourtant une forme aquatique tellement voisine, que Linné, Cu- vier et beaucoup d’autres zoologistes la considé- INTRODUGTION BIOGRAPHIQUE xxxiti raient comme une espèce du genre marte; c’est la loutre d'Europe, dont la distribution géographique est la même que celle de la marte commune. La loutre, en effet, est une marte amphibie qui se nourrit de poissons, de grenouilles, d’écrevisses, tandis que sa congénère mange les poules, les per- dreaux et les petits lapins. Les deux animaux se ressemblent prodigieusement : la dentition est la même ainsi que le pelage: tous deux, bas sur jam- bes, ont des membres terminés par des doigts ar- més d'ongles crochus ; mais, la loutre cherchant sa proie dans les eaux, ce nouveau milieu a imprimé a son organisation des différences peu apparentes à l'extérieur et néanmoins très-réelles. Ainsi les doigts, libres dans la marte, sont unis par des membranes dans la loutre. La queue, au lieu d'être cylindrique, est aplatie de haut en bas comme celle d’un castor, et dans le ventre un grand sinus veineux permet au sang de s’y accu- muler lorsque l’animal, plongeant sous l’eau, sus- pend sa respiration pendant quelque temps. La loutre est donc une marte amphibie, comme le desman est une musareigne également amphihie, dont les doigts sont palmés et dont le terrier s’ou- vre sous l’eau. Je rappellerai également au sou- venir des naturalistes, parmi les rongeurs, le castor et le myopotame, qui sont les formes aqua- xxxiV INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE tiques des Capromys et des Echinomys,animaux terrestres mdigènes des Antilles, et l’ondatra, ou rat musqué du Canada, espèce de campagnol aquatique dont les mœurs ressemblent à celles du castor. Dans les carnivores dits amphibies, tels que les phoques et les morses, nous trouverons l'exemple de grands animaux dont l’existence est encore plus aquatique : aussi les modifications de l’orga- nisme sont-elles plus profondes que dans la loutre. Ces carnassiers amphibies forment la transition des mammifères terrestres aux cétacés, mammi- fères marims complétement mcapables de se mou- voir sur un terrain solde. Lamarck ‘avait été très-frappé par la vue d’un phoque vivant. Les pieds de derrière jouent pour la natation le même rôle que la nageoire caudale des cétacés et des poissons. À terre, le phoque progresse par bonds de la totalité du corps, s'appuyant seulement sur l’avant-bras, sans faire usage de ses membres comme instruments de progression. Les extrémi- tés postérieures sont appliquées sur les parties latérales du corps. Or, l’organisation d’un pho- que est celle d’un chien. La dentition est ana- logue, la langue lisse chez l’un et chez l’autre, le 4 Additions, t: Il, p: 413: INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE xxxv canal intestinal caractérisé par un cœcum court ; ils se nourrissent tous deux de char, sans être exclusivement carnivores. Les doigts sont termi- nés par des ongles ; la douceur, lntelligence, la sociabilité et les sentiments d'affection pour l’homme sont aussi développés chez le phoque que chez le chien‘. Voilà pour les analogies ; mais, soit que l’on considère le chien comme une forme terrestre dérivée du phoque, ou le phoque comme une forme amphibie du chien, toujours est-il que les modifications dues au milieu aqueux sont les suivantes. Le corps du phoque est plus allongé que celui du chien, cylindroïde, beaucoup plus large en avant qu’en arrière ; le poil est court et ras, les doigts, très-longs, sont réunis par des membranes, les os du bras et de la cuisse, de l’avant-bras et de la jambe sont courts et forts, les membres postérieurs dirigés d’avant en arrière parallèlement à la queue. Les narines peuvent se fermer quand l’animal plonge, et la parotide, de- venue moins nécessaire, est atrophiée ; l’animal mangeant toujours dans l’eau, la sécrétion sali- vaire devenait superflue. Le chien de Terre- Neuve, essentiellement nageur et employé dans certains pays au sauvetage des mdividus en dan- 1 Voyez à ce sujet Blasius, Satigethiere Deutschlands, p. 25). xxxvi INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE ser de se noyer, a les doigts unis à la base, et transmet à ses petits par hérédité cette conforma- thon, indice chez tous les animaux de l’action prolongée de l’eau sur leurs extrémités digitales. Dans les mammifères, le phoque n’est pas la dernière expression de la puissance d’un milieu liquide pour transformer un organisme animal. Chez les cétacés herbivores, appelés lamentins ou vaches marines, qui habitent les grands fleuves de l'Afrique et de l'Amérique, les membres se réduisent aux deux antérieurs, les postérieurs manquent complétement ; mais la queue est trans- formée en une puissante nageoire dont action mécanique est la même que celle des extrémités postérieures des phoques et des morses. La peau, épaisse, chagrmée, est garnie de poils rares, el la bouche munie de molares plates qui se rem- placent d’arrière en avant comme celles des élé- phants. Le canal intestinal est fort long, car ces animaux se nourrissent exclusivement de plantes marines. Les lamentins sont en réalité des pachy- dermes qui se rattachent d’un côté aux hippopo- tames et de l’autre aux cétacés souffleurs, tels que les dauphins et les baleines, mammifères devenus exclusivement marins. Dans la classification des oiseaux, on comprend habituellement sous le nom d'échassiers et de pal- INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE xxxvu mipédes tous ceux dont les doigts sont plus ou moins réunis par des membranes, c'est-à-dire palmés ; mas, si l’on étudie ces animaux avec plus d'attention, on reconnait qu'on peut les con- sidérer comme des formes aquatiques d’autres espèces terrestres *. Ainsi les palmipèdes longi- pennes, les albatros, les frégates, les cormorans, correspondent aux grands rapaces, tels que les agles et les vautours. Les mouettes, les pétrels, sont les analogues des faucons et des milans. Les sternes ont été appelées hirondelles de mer, tant l’analogie est évidente entre ces deux genres. Les hérons, les cigognes, les flamants rappellent les autruches et les casoars. Les cygnes, les oies et les canards sont d'excellents voiliers et de par- faits nageurs, la marche seule leur est difficile. Ainsi les doigts palmés, mdices d’une vie essen- tellement aquatique, ne sont pas liés au reste de l'organisation, 1ls sont uniquement le résultat d’une natation prolongée. Voici quelques exem- ples : parmi les oies, lAnseranas à les doigts presque libres ; le bec-en-fourreau (Chionis) est une véritable mouette, mais dont les doigts ne sont pas palmés ; la poule sultane (Æwlica por- phyria) et la bécasse aux doigts Libres ressem- 1 Philosophie so0'ogique,t. I, p. 248. LAMARCK, PHIL. ZOO! I. ce xxxviit INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE blent smgulièrement à la macreuse et à l’avocette aux doigts palmés. La cigogne et le flamant, la orèbe et le plongeon, sont des genres très-voi- sins : les doigts sont plus où moins hbres dans les premiers, réunis dans les seconds. Enfin, les pin- gouins et les manchots sont, par rapport aux autres oiseaux, ce que les phoques et les morses sont aux autres mammifères ; étant presque entiè- rement aquatiques, 1ls présentent des modifica- tions analogues à celles des mammifères amphi- bies ; leur corps est allongé comme celui des pho- ques, les membres postérieurs sont dirigés comme chez eux d'avant en arrière dans le prolongement de l’axe du corps. Chez les macareux, les ailes très-réduites soutiennent encore l’animal dans les ars pendant quelques instants; mais dans le grand pgoum et les manchots, elles deviennent com- plétement impropres au vol. Chez ces derniers, les plumes avortent el ressemblent à des écailles; l'aile n’est plus qu'une rame avec laquelle l'oiseau se meut dans les eaux. Chez le phoque, ce sont les mans, chez les manchots ce sont les ailes qui sont devenues des organes remplissant les fonc- tions des nageoires des poissons, et inversement chez ceux-ci, dans quelques espèces, les poissons volants, par exemple, les nageoires pectorales très-développées permettent à l'animal de s’élan- INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE xxxix cer hors de l’eau et de décrire dans l'air une tra- jectoire assez longue pour échapper à ses en- nemis. Des exemples analogues abondent dans les mollusques. Ainsi nous retrouvons les mêmes formes dans les gastéropodes terrestres et les gas- téropodes aquatiques; les premiers respirent par des poumons, les seconds par des branchies. Tout le monde connaît la limace de terre : elle respire par des poumons ; les oncidies, qui lui ressem- blent prodigieusement, vivent sur les plages bai- enées par les flots de la mer, elles sont amphibies et ont à la fois un sac pulmonaire et sur le dos des filaments branchiaux. Enfin les doris et les éolhides, véritables limaces marines, ne respirent plus que par les branchies dont leur corps est couvert. Les colimacons ou Æe/ix sont écalement des gastéropodes pulmonaires. Les ampullares, dont la coquille est la mème, ont des poumons et des branchies et peuvent vivre à la fois dans l’ar et dans l’eau; enfin les Va/vata et les Paludina sont de véritables Ze/ix à branchies habitant les eaux douces du monde enter. Parmi les insectes, les scarabées et les hanne- tons appartiennent aux coléoptères pentamères : leur vie est aérienne; mais 1l existe des scarabées aquatiques, les dytisques et les hydrophiles, dont xL INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE les pattes postérieures sont élargies en forme de rames. Les hémiptères qui portent le nom de pu- naises se divisent en géocorises ou punaises ter- restres dont l’une de ces espèces, celle des lits. est trop connue de tout le monde, et en hydroco- rises où punaises d’eau, telles que les nepes, les ranalies et les notonectes. Dans ces insectes, l’appendice caudal, tour à tour aiguillon chez l'abeille, tarière chez l’ichneumon, crochet chez les scarabées, se convertit en un tube conduisant l'air aux stigmates, ouvertures des tubes ramifiés des trachées, qui forment le système respiratoire de l’animal. De tous les faits qui viennent d’être énumérés, nous pouvons conclure avec Lamarck que les mo- difications de l’organisation des animaux aquati- ques s’opèrent sous l’influence du milieu qu'ils habitent et non pas en vertu d’une harmonie pré- établie entre cette organisation et le milieu dans lequel l'animal serait destiné à se mouvoir. Influence de l'air Lamarck ne craint pas d'attribuer à l'air toute l’organisation des oiseaux, l’adhérence des pou- mons avec la colonne vertébrale, la perforation de ces poumons, la pénétration de l'air dans tout le corps de lanimal, et le développement des INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE XLI plumes. Toutes ces particularités sont pour lui le résultat des efforts faits par l’animal pour se sou- tenir dans un milieu aérien. La science ne pos- sède pas encore assez de faits pour pouvoir dé- montrer directement chacune de ces assertions : néanmoins elle nous fournit déjà quelques preuves qui permettent de prévoir qu'un Jour la démons- tration sera complète. L'illustre naturaliste avait remarqué que, chez les animaux qui vivent sur les arbres et qui s’élancent de l’un à l’autre, la répétition de cet exercice pendant une longue suite de générations amenait le développement d’une membrane en forme de parachute étendue de chaque côté du corps, depuis le membre anté- rieur jusqu’au membre postérieur. Ainsi parmi les écureuils on en connait maintenant sept es- pèces désignées sous le nom d’écureuils volants (Pteromys). munies de ce parachute qui leur permet de se laisser choir sans danger du haut des arbres qu'ils habitent. Dans les marsupiaux frugivores, on distingue également un groupe ( Petaurus) animaux australiens qui sont munis d'un parachute. Enfin chez le galéopithè- que, animal mtermédiare entre les smges et les chauves-souris, ce parachute s'étend depuis le cou jusqu'à la queue et forme un véritable man- teau ; en le déployant. le smge volant peut s’élan- xLII INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE cer d’un arbre à l’autre. Chez les chauves-souris, le même appareil existe; 1l se complète par une véritable aile membraneuse : les os du métacarpe et les doigts, le pouce excepté, sont très-longs ; une seconde membrane, se continuant avec le parachute, réunit ces os entre eux. L'animal ainsi organisé vole aussi longtemps et aussi rapidement qu'un oiseau. Mais, dira-t-on, ces faits n'expliquent en au- cune facon le développement de l'aile munie de plumes telle que nous la voyons chez les oiseaux. Cela est vrai; cependant nous ferons remarquer que les anciens anatomistes, de Blamville et d’autres, avaient déja constaté l’étroite analogie qui unit les oiseaux aux reptiles, analogie justifiée dans les idées de Lamarck et de Darwin par lhy- pothèse très-probable que les oiseaux ne sont que des reptiles transformés. Il y a plus, l'histologie ou anatomie microscopique prouve que la plume de l'oiseau et l’écaulle du reptile sont origmaire- ment identiques, et que la plume n’est qu'une écaille plus développée *. Déjà nous avons remar- qué l’extrème ressemblance des plumes avortées des manchots avec des écailles de reptiles. Ajou- tons que, parmi les reptiles, le dragon volant est 1 Voyez Gegenbaur, Vergleichende Anatomie, p. 585, INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE XL soutenu par un parachute semblable à celui des éeureuils et des phalangers volants. Ainsi donc, s’il est impossible, dans l’état actuel de nos con- naissances, de démontrer comment l'air a pu mo- difier si profondément l’organisme des oiseaux. on voit pomdre déjà les premiers indices qui per- mettront de le faire sans s'appuyer sur une adap- tation préconcue de l'organe à la fonction qu'il remplit. Influence de la lumière La lumière est indispensable aux végétaux. Sous l'influence de cet agent, la matière verte se forme, l’acide carbonique de l'air est décomposé. et le carbone, base du tissu végétal, est fixé. A l'obscurité, la plante languit, s’étiole, les entre- nœuds s’allongent, les feuilles se développent à peme, les fleurs et les fruits avortent, les mouve- ments, iels que ceux des feuilles de la sensitive, sont abolis : aussi, quelques plantes parasites exceptées, la lumière est-elle une condition néces- saire de la vie végétale. Certaines fleurs ne s’épa- nouissent que sous l’action d’une lumière très- vive : telles sont celles du Ne/uimbium de l'Inde et des Bougainvillæa du Brésil. Vainement on leur prodigue la chaleur dans les serres du nord de l'Europe: elles ne fleurissent pas où fleurissent XLIV INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE mal, tandis que. déjà dans le midi de la France, en Provence et en Languedoc, ces plantes se cou- vrent de fleurs tous les ans malgré une tempéra- ture plus basse et moins égale que celle des serres d'Angleterre où de Hollande. Toutes les plantes sans exception cherchent la lumière ; placées dans une chambre éclairée, elles se dirigent vers les fenêtres, dans une cave obscure vers le sou- piral. La lumière est moms mdispensable aux ani- maux : leur respiration en est indépendante, tous peuvent vivre dans une demi-obscurité, et beau- coup dans une obscurité totale ; leurs fonctions s’accomplissent, 1ls vivent et se reproduisent, seulement leur peau, leurs liquides et leurs tissus ne se colorent pas ; ils s’étiolent comme ceux des plantes. Tous les animaux du Nord ont des couleurs mates, sauf le blanc, qui est quelquefois très-pur, surtout en hiver. Ce sont toujours les parties les plus exposées à la lumière qui sont le mieux colorées, le dos et les flancs dans les mam- mifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons. Dans les coquilles, le contraste est encore plus frappant ; celles qui vivent dans la vase ou dans la mer à de grandes profondeurs ont les couleurs ternes et uniformes. Liée intimement à l'organe de la vue, sans INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE XLV lequel les animaux n’en auraient pas la percep- tion, la lumière exerce sur cet organe une action puissante. Dans l'obscurité, les yeux des animaux s’atrophient ; à la lumière, ils se perfectionnent et s’améliorent par l'exercice. Les aigles, les vautours, les faucons, voient à des distances énormes ; c’est la vue el non l’odorat qui leur signale une proie éloignée. La direction constante de la lumuère détermine même le déplacement de l'œil lorsqu'il est placé de facon à ne pas pouvoir remplir ses fonctions. En voici la preuve. Les “aies sont des poissons carnivores, jouant dans les eaux le même rôle que les oiseaux de proie dans les airs ; leur corps aplati est horizontale- ment symétrique, et les deux yeux sont placés sur la face dorsale de la tête. Dans les pleuro- nectes !, la plie, le turbot et la barbue, la symé- trie est au contraire verticale, comme celle des poissons ordinaires; mais, le corps étant aplati latéralement, ces poissons nagent sur le côté, se cachent dans le sable, couchés, la plie sur le côté sauche, le turbot sur le côté droit, et happent ainsi placés le fretin qui passe au-dessus d’eux. Dans les poissons adultes, les deux yeux sont situés l’un près de l’autre du côté de la tête qui 1 Philosophie zoologique, t. I. p. 251. XLVI INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE regarde en haut ; cependant originairement, dans l'enfance, ces yeux sont l’un à droite, l’autre à gauche de la tête, comme chez les autres pois- sons ; mais avec l’âge l'œil situé du côté qui re- pose sur le sable, étant sans usage, se déplace et traverse les os du crâne pour venir faire saillie près de l'œil placé du côté éclairé de l’animal. C’est ce qui a été mis hors de doute par un z00- logiste danois très-distingué, M. Steenstrup ‘. Cette migration d’un organe mutile dans sa posi- tion normale, pour venir occuper une place où il puisse exercer ses fonctions, est un des faits les plus probants de l’action de la lumière sur l’éco- nomie vivante. Nous aurons la contre-partie de ce fait lorsque nous parlerons de l'mfluence d’une obscurité prolongée sur l’organe de la vue. Influence de la chaleur Il suffira de mentionner l’influence de la cha- leur pour que le lecteur se remémore immédia- tement les faits innombrables qui prouvent la puissance de cette forme du mouvement. Le sau- vage qui adore instinctivement le soleil et le sa- vant qui démontre que cet astre est la source 1 Observations sur le développement des pleuronectes. (Annales des sciences naturelles, 5° série, t. Il. p. 253, 1854.) INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE KLVII unique de la chaleur et de la vie sur la terre en sont aussi convaincus l’un que l’autre. Tout or- sanisme, pour se développer, pour vivre, pour se reproduire, exige une certaine température, supé- rieure à celle de la glace fondante ; le degré varie, mais au-dessus et au-dessous de certaines limites, fixes pour chaque espèce, tout s'arrête, tout meurt. Comparez en imagination les régions po- laires, ensevelies sous un linceul de glace qui ne laisse à découvert que de petits intervalles revètus d’une végétation umiforme de lichens, de mousses et d'herbes rabougries, avec la végétation luxu- riante des contrées intertropicales où la chaleur, la lumière et l’eau conspirent pour activer les forces vitales de la plante. Là les fougères devien- nent des arbres, et les arbres des géants. Com- parez encore la faune terrestre des contrées arc- tiques, réduite à quelques animaux de couleur terne, survivants de l’époque glaciaire, et à des oiseaux voyageurs réfugiés temporairement dans ces régions reculées, avec la faune nombreuse, variée, multicolore, qui remplit en tout temps la forêt tropicale. Vers le pôle, la vie s’étemt ; elle déborde sous les tropiques. La plante même sem- ble animée, les animaux pullulent et disputent à l’homme la possession du sol; les uns, formidables par leur taille ou les armes dont 1ls sont pourvus. xLvIIT INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE les autres, redoutables par leur nombre, semblent ligués pour l’exclure du domaine où ils se multi- plient sans cesse. Aussi toutes les influences dont nous avons parlé sont-elles sans action, si la cha- leur est absente. La lumière, l'atmosphère et l’eau seraient impuissantes pour faire germer et déve- lopper la plante, si la chaleur n’intervenait pas dans une mesure appropriée aux besoins de cha- que espèce. Sans chaleur, lanimal périt dans le sein de sa mère où dans l’œuf, et cette chaleur: même a sa source éloignée dans le soleil. Sous l’mfluence des rayons solaires, un des éléments de Pair est décomposé, l’autre absorbé ; la ma- üère verte et les autres principes immédiats se déposent dans le tissu des végétaux ; ceux-ci nourrissent l'animal, dont ils maintiennent la température :; cette chaleur active les fonctions, engendre les mouvements, préside à la reproduc- tion et à toutes les modifications organiques par lesquelles les animaux se transforment depuis la monade jusqu'à l’homme. Transformation des forces physiques, transformation des espèces organisées, même phénomène sous deux aspects. ou plutôt la première une prémisse, la seconde une conséquence. Affirmer l’une et mer l’autre est radicalement illogique. Le physicien et le na- turaliste ne sauraient se contredire, et la physio- INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE xLix logie expérimentale confirme les jugements de l'histoire naturelle. « En modifiant les milieux nutritifs et évolutifs, a dit M. Claude Bernard, et en prenant la matière organisée en quelque sorte à l’état naissant, on peut espérer d'en chan- ger la direction évolutive et par conséquent l’ex- pression finale. Je pense donc que nous pourrons produire scientifiquement de nouvelles espèces organisées, de même que nous créons de nou- velles espèces minérales, c'est-à-dire que nous ferons apparaître des formes organisées qui exis- tent virtuellement dans les lois organogéniques, mais que la nature n’a point encore réalisées. » Ainsi parle notre premier physiologiste, et lon voit qu'il est d'accord avec Lamarck, Geoffroy Sant-Hilare et Darwin, qui, en étudiant le monde organisé vivant et fossile, sont arrivés à la même conclusion. Je n’imsistera pas davan- tage ; il était nécessaire de prouver l'influence de l’eau, de l'air, de la lumière, sur les êtres organi- sés :.celle de la chaleur est évidente. III ORGANES ATROPHIÉES DEVENUS INUTILES S'il est vrai que l'influence de certams nulieux. l’eau, l'air ou la lumière, détermine le dévelop- L INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE pement des organes correspondants, qui aug- mentent de volume par un exercice habituel et se transmettent ainsi perfectionnés des ascen- dants aux descendants par voie de génération successive, 1l l’est également que ces mêmes organes diminuent de volume, c’est-à-dire s’atro- phient où même disparaissent, si, le milieu ve- nant à changer, l'organe reste sans emploi. C’est ce que Lamarck* à parfaitement exprimé lors- qu'il a dit : «Le défaut d'emploi d'un organe, devenu constant par les habitudes qu’on a prises, appauvrit graduellement cet organe et finit par le fare disparaitre et même l’anéantir. » Cette branche de l’organographie végétale et animale est connue maintenant sous le nom de Jystéléo- logie. Aux exemples cités par Lamarck et em- pruntés à la baleine, au fourmiher, au Spalaæ et au protée, nous en ajouterons un grand nombre d’autres tirés des deux règnes organiques. Les botamistes avaient apprécié avant les z00- logistes l’importance de ces organes rudimentai- res. De Candolle, dans la première édition de sa Théorie élémentaire de la botanique, publiée en 1813, consacre un chapitre spécial à l’avorte- ment des organes, Les épines des arbres et des ! Philosophie soologique, t. 1, p. 240. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE Li arbrisseaux sont des branches avortées. Sous l'influence d’un mauvais sol, de la sécheresse ou du voisinage affamant d’un grand nombre d’autres végétaux, elles restent courtes, dures et poim- tues. Transportez le prumier épineux d’une haie dans un jardin, cultivez-le, fumez-le, les épmes s’allongeront sous forme de rameaux feuillés et il ne s’en produira plus de nouvelles. IT existe aussi des avortements constants dont la cause nous échappe, mais dont la réalité est mcontesta- ble. Ainsi dans les antirrhinées la corolle est irréculère, ne renferme que deux ou quatre éta- mines et souvent un filet sans anthère repré- sentant une étamine avortée ; mais que la corolle redevienne accidentellement régulière, comme cela arrive quelquefois, la cimquième étamine reparait; c'est l’état normal et habituel des familles voismes, les solanées et les boraginées, dont la corolle, toujours régulière, porte cons- tamment cmq étamimes. Dans les liiacées, 1l y a ordinairement six étamines; le genre A/bhuca n’en offre que trois, mais trois filets placés entre elles représentent les étamines absentes. L’ovaire de la fleur du marronnier d'Inde est à trois loges contenant six graines; cependant nous savons dès notre enfance que dans le fruit mûr on ne trouve le plus souvent qu'une graine fort grosse, Lil INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE quelquefois deux, dont lune très-petite ; fort ‘arement trois, une grosse et deux petites ; 11 y a done constamment cinq, quatre ou trois grai- nes qui avortent. Dans quelques familles de vé- oétaux, les cactées, les orobanches, le genre Lathræa et une espèce de gesse, le ZLathyrus aphaca, les feuilles manquent complétement. Sur les Acacia de la Nouvelle-Hollande, ce sont les folioles des feuilles composées qui avortent ; le pétiole reste seul, se dilate et prend le nom de phyllode. Les causes de ces avortements ne sont pas toujours évidentes. Quelquefois on constate des effets de compression. Toute jeune branche de Hlas est terminée par trois bourgeons, mais toujours les deux bourgeons latéraux se dévelop- pent, celui du milieu resserré entre les deux au- tres ne s’accroit pas, et la branche se bifurque au heu de se trifurquer. À part les avortements dus à la compression, au développement exagéré des organes VOIsins, OÙ à une nutrition insuffisante du végétal, la cause prochaine des autres nous échappe, et tent probablement à des crreonstan- ces héréditaires de végétation : ainsi les Acacia à phyllodes de l'Australie ont des feuilles com- posées dans leur jeunesse, et PAcacia hetero- phylla en conserve toute sa vie un certain nom- bre, tandis que dans les autres espèces les folioles INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE Liu avortent toutes, et la feuille se réduit à un pé- üole élargi, simulant les feuilles simples de nos saules mdigènes. Chez les animaux, la cause des avortements est bien plus évidente : c’est, comme Lamarck l'avait parfaitement compris, le manque d’exer- cice d’un organe, par suite d’un changement dans le milieu ambiant ou dans les habitudes de l'animal. Rien de plus instructif à cet égard que l'influence de la lumière sur l’organe de la vue. Un animal plongé constamment dans l'obscurité ne se dirige plus au moyen de ses yeux, mails à l’aide-du tact ; alors les veux diminuent de volu- me, s’enfoncent dans l'orbite, sont recouverts par la peau, finissent par s’atrophier et même par disparaître. Ces dispositions se transmettent héréditairement des parents à leur progéniture, et l’on voit des espèces, munies de leurs yeux quand elles vivent à la lumière, devenir aveugles quand elles se tiennent habituellement dans l'obscurité. Ainsi, dans la taupe ordinaire, animal souterran, l’œ1l étant recouvert par la peau per- cée d’un tout petit canal oblique, la vision doit être très-imparfate. Deux espèces de Spalaz qui habitent la Russie méridionale, le chryso- chlore du Cap et le Cfenomys de Amérique du Sud, dont la vie est souterraine comme celle de LAMARCK, PHIL. ZOOL. I. d LV INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE la taupe, présentent la même organisation. On connaît des reptiles aveugles, tels sont, parmi les lézards scincoïdiens, le Typhline de Cuvier, et, parmi les serpents, les typhlops, qui vivent sous terre comme nos lombrics. Parmi les batraciens, nous citerons la grande sirène lacertme, qui habite les marais fangeux de la Caroline du Sud et passe une partie de sa vie enfoncée dans la vase. Cet animal a sur la tête deux petits yeux ronds recouverts d’une peau à demi transparente, Citons encore les cécilies, dont l’organisation se rapproche beaucoup de celle des poissons, et le protée des lacs souterrains de la Carniole. Sur vingt individus, le professeur Charles Voet a trouvé sous la peau le globe oculaire avorté de la orosseur d’une petite tète d’épingle, mais dé- pourvu de muscles et de ses membranes d’enve- loppe : il a pu suivre le nerf optique jusqu’au cerveau‘ ; mas le docteur Joseph a disséqué un individu chez lequel ces dermères traces de l’or- œane de la vision avaient disparu. Les poissons qui vivent constamment dans des eaux souterraines deviennent également aveu- oles, Ce fat s’observe dans tous les ordres de cette grande classe : ainsi, chez les salmones, 1 Vom adriatischem Kuüstenlande .(Illustrirte deutsche Monat- shefte, 1870.) INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE LV l'Amblyopsis des cavernes de l'Amérique du Nord a des yeux microscopiques recouverts d’une peau non transparente; parmi les silures nous nommerons le Siurus cæcutiens, quelques an- guilles (Apterichys cœæcus) et les myximoïdes parasites. Les crustacés podophthalmes sont ceux qui, à l'instar des homards et des langoustes, ont un œæ1l pédiculé, c’est-à-dire porté sur un sup- port mobile. Quelques-uns (Troglocaris Schinid- ti) sont aveugles : l'œil a disparu, le support est resté. Des crustacés appartenant à la section des entomostracés vivent en parasites sur d’au- tres animaux :; jeunes, 1ls nagent hbrement dans l’eau et sont munis d’yeux bien conformés: mais, lorsqu'ils se cachent sous les écailles où s’enfon- cent entre les branchies des poissons, 1ls se trou- vent dans la condition des animaux des cavernes : les yeux, ne fonctionnant plus, s’atrophient, et l'animal devient et reste aveugle toute sa vie. Les insectes nous offrent les exemples les plus nombreux d'espèces aveugles habitant les caver- nes, tandis que leurs congénères vivant à Pair libre ne le sont pas. Parmi les coléoptères de la famille des carabiques se trouve le genre 7re- chus : ce sont de petits animaux se tenant habi- tuellement sous des pierres ou des amas de feuilles mortes. Dans les grottes de la Carmiole, LvI INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE on en compte quatre, qu’on a réunies dans le genre Anophthalmus, mais qui ne diffèrent des autres que par l’absence des yeux. Il en est de même des C'atops, dont les espèces aveugles ont été distinguées par le nom générique d’Adelops. Parmi les staphylins, il existe une espèce, le Lathrobium spadiceum, dont les individus, vi- vant à l'obscurité dans les grottes de la Carin- thie, portent à la place de l’œil disparu une tache ovale derrière les antennes. On a trouvé de ces insectes aveugles dans les cavernes de tous les pays. M. de Bonvouloir * en énumère vingt et une espèces dans les grottes des Pyrénées; un grand nombre ont été signalés dans les cavernes de l'Amérique du Nord ; tous appartiennent à des genres américains comme ceux d'Europe appar- tiennent à des genres européens. On peut, avec M. Vogt, résumer la question en disant que par- tout ces msectes sont caractérisés par l’absence des yeux, une coloration moindre, la mollesse relative du corps et la diminution des ailes. Des faits que nous venons de citer, 1} est impossible de ne pas conclure que c’est la lumière qui en- tretient et développe l’organe de la vision ; dans l'obscurité, celui-ci disparaît, et l’on est imvinci- ! Bulletin de la Société Ramond, t, 1, p.131. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE LVII blement amené à penser, comme Lamarck, que c’est le rnilieu qui crée et maintient les organes : le milieu changeant, ils disparaissent sans re- tour. Ce que nous avons dit de l’œil s'applique à tous les appareils, quelle que soit la nature des fonctions qu'ils accomplissent ; l'exercice les dé- veloppe, le manque d'usage les atrophie, et ces modifications se transmettent par hérédité, Nous nous servons généralement beaucoup moins du bras gauche que du bras droit, aussi celui-ci est-il plus gros, plus lourd, et toutes ses parties, os, muscles, nerfs, artères, sont-elles plus fortes que celles du côté opposé. Le naturaliste hollandais L. Harting s’est assuré que ces différences exis- lent déjà chez le nouveau-né qui n’a encore fait aucun usage de ses membres ; de là une tendance innée à se servir de préférence du bras droit, in- dépendamment de l'exemple et de l’éducation. Dans les autruches, animaux trop lourds pour pouvoir s'élever dans les airs, les jambes se sont fortifiées et allongées, les ailes ont diminué et ne font plus qu’office de voiles lorsque l'oiseau court dans le sens du vent. Chez le casaor et l’Apterix, les ailes sont réduites à un rudiment inutile ca- ché sous les plumes du corps, parce que le genre de vie de ces animaux est complétement terrestre : RAT INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE se nourrissant de vermisseaux et de petits rep- tiles, ils courent, mais ne volent pas. On a vu que chez les oiseaux tout à fait aqua- tiques, tels que les manchots et les pingouins, ces mêmes ailes se sont converties en nageoires ; par contre, dans les poissons volants, les nageoires pectorales ont assez d'envergure pour qu'ils puis- sent s’élancer hors de l’eau et se soutenir quelque temps dans lair, afin d'échapper à leurs ennemis. Ces nageoires présagent pour ainsi dire les ailes des oiseaux et des chauves-souris. Au contraire, dans les anguilles, les lamproies et les myxines, dont le corps cylindrique et allongé glisse facile- ment dans l’eau, les nageoires pectorales et ven- trales, devenues mutiles, disparaissent, la na- seoire caudale suffit seule à la natation. Dans une foule d’insecte, les ailes n'existent que chez le mâle, sont mcomplètes ou avortées chezla femelle. Les mâles du papillon des vers à soie, qui sont élevés dans les magnaneries, n’exerçant plus leurs ailes en volant à l'air hbre, celles-ci ont diminué de génération en génération, et actuellement ces mâles ont des ailes trop courtes et incapables de les soutenir : ils battent des ailes. mais ils ne vo- lent plus. La sélection naturelle produit les mêmes efets. Dans l’île de Madère et celles qui l'avoisi- nent, les insectes coléoptères sont souvent em- INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE LIX portés par les vents et jetés à la mer où ils péris- sent ; 1ls se tiennent cachés lant que l’air est en mouvement : aussi les ailes se sont-elles amoin- dries. Cette disposition est devenue héréditaire, et sur cinq cent cinquante espèces répandues dans ces Îles, 11 y en a deux cents qui sont incapables de soutenir un vol prolongé. Sur vingt-neuf genres indigènes, vingt-trois, proportion énorme ! se composent d'espèces aptères où munies d’ailes imparfates *. L'ensemble de ces faits fera comprendre aux personnes étrangères à l’étude des sciences natu- relles pourquoi les zoologistes, quand ils veulent s'exprimer rigoureusement, disent toujours : /es oiseauæ volent parce qu’ils ont des ailes, et non pas : les oiseaux ont des ailes pour voler. La première proposition exprine un fait simple, évi- dent, indiscutable. La seconde se complique d’une hypothèse téléologique, pour parler le langage des philosophes ; elle suppose une prédestmation de l’animal à un certain genre de vie. L’observa- tion nous montre au contraire que c’est le genre de vie qui détermine le développement ou amène l'atrophie des organes; ceux-ce1 sont actifs ou mac- tifs suivant les circonstances et les conditions au 1 Darwin, Origine des espèces, p. 244, Lx INTRODUGTION BIOGRAPHIQUE milieu desquelles l’animal se trouve placé. Aussi la doctrine des causes finales, si fort en vogue dans le siècle dernier, est-elle généralement abandon- née par les naturalistes penseurs de notre temps. Continuons l’étude des organes avortés. Dans une classe d'animaux, les uns terrestres, les au- tres aquatiques, celle des reptiles, ce sont les pattes qui disparaissent. Les crocodiles et les lé- zards en ont quatre : chez les Seps, elles sont très-courtes ; dans les bimanes et les bipèdes, 1l n’y en a plus que deux ; dans le Pseudopus, elles se réduisent à de petits tubercules, dernière trace des membres postérieurs. Chez lorvet, il n’y a plus de membres, mais on trouve sous la peau les os de l’épaule et le sternum ; enfin ces os même disparaissent dans les serpents. Cependant chez le boa on remarque encore deux os en forme de cornes, réminiscence du bassin des sauriens. Lamarck ne craint pas * d'expliquer cette dispa- rition des membres par lPhabitude de ramper, de se olisser sous les pierres ou dans l’herbe, qui existe déjà chez les lézards ; 1l fait remarquer avec raison qu'un corps aussi allongé que celui d’un serpent n’aurait pas été convenablement soutenu par quatre pattes, nombre que la nature n’a ja- 1 Philisophie 300l)gique, t. 1", p. 214. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE LxI mais dépassé dans les animaux vertébrés. Un serpent rampe à l’aide de ses côtes, devenues des organes de progression. L’allongement exagéré du corps a produit lamoindrissement de lun des poumons, tandis que l’autre se prolonge jusque dans le ventre. Même chez les mammifères, les plus parfaits des animaux, les organes avortés et inutiles ne sont pas rares; ainsi la plupart de ces animaux présentent les trois types dentaires, sa- voir des incisives, des canines et des molaires. Geoffroy Saint-Hilaire avait déjà remarqué que chez la baleine, où les dents sont remplacées par des fanons, les sermes des dents avortées sont cachés dans l'épaisseur de la mâchoire du fœtus ; depuis, le même savant les a retrouvés dans le bec des oiseaux. Les ruminants ont un bourrelet calleux à la place des incisives supérieures, mais le germe des dents existe dans le fœtus. Il en est: de même chez les lamantins, qui n’ont d’incisives n1 en haut ni en bas : se nourrissant uniquement de plantes marines, ils n’en faisaient point usage, et ces dents ont fini par disparaître. Je terminerai en citant les organes avortés qui existent chez l’homme, et dont il peut tous les jours constater l’inutilité ; atrophiés faute d'usage, ils semblaient être aux yeux des anciens natura- listes autant de preuves de l'unité de plan qui a LXII INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE présidé à la création du règne animal. De même, disaient-1ls, qu'un architecte soucieux de la symé- trie met de fausses fenêtres qui forment le pendant des fenêtres véritables, ou rappelle sur les aïles d'un édifice les motifs de la facade principale, de même le Créateur, en laissant subsister ces or- ganes, nous dévoile l'unité du plan qu'il a suivi. Dans les idées de Lamarck et de ses successeurs, ces organes rudimentaires n’ont point cette signi- fication purement intellectuelle ; ils se sont atro- phiés faute d’usage. La présence de ces vestiges d'organes chez l’homme, auquel ils sont inutiles, prouve seulement que son organisation se lie in- timement à celle du règne animal, dont il est la dernière et la plus parfaite émanation. Nous pos- sédons sur les côtés du cou un muscle superficiel appelé peaucier ; c’est celui avec lequel les che- vaux font vibrer leur peau pour chasser les mou- ches qui les importunent. Chez nous, les vête- ments ; chez les sauvages, les corps gras, la terre ou l'argile dont ils s’'enduisent le corps, rendent ce muscle inutile, aussis’est-il tellement aminer qu'il ne peut plus imprimer à la peau le moindre mou- vement. [l en est de mème des muscles qui meu- vent l’oreille du cheval et d’autres animaux ; nous les possédons tous, mais il ne nous servent à rien. Placée sur les côtes et non pas au sommet de la INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE Lxut tête, notre oreille ne saurait diriger l'ouverture de son pavillon vers tous les points de l'horizon pour recueillhr les sons qui en partent. Voici d’autres exemples : les mamelles existent chez l’homme comme chez la femme ; on observe même du gonflement et de la sécrétion lactée chez quel- ques jeunes gens à l’âge de la puberté; mais les fonctions de l’allaitement ont développé les sems de la femme, tandis que ceux de homme se sont atrophiés. On remarque à l'angle interne de Pœil une petite production de couleur rouge sans usage, c’est la trace de la troisième paupière des oiseaux de proie, qui leur permet de fixer le soleil sans fermer les veux. Les animaux marsupiaux, tels que les sarigues et les kangourous, sont munis d’une poche où les petits habitent pendant la période de la lactation : cette poche est soutenue par deux os en forme de V et fermée par deux muscles. Quoiqu'il soit placé à lPextrémité supérieure de l'échelle des mammifères, dont les marsupiaux occupent les oradins inférieurs, l’homme a conservé les traces de cette disposition; ses épines du pubis repré- sentent les os, ses muscles pyramidaux sont les analogues des muscles qui ferment la poche mar- supiale ; chez nous, ils sont évidemment sans usage. Il y a plus, ces organes rudimentaires ExIV INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE peuvent être non-seulement inutiles, mais encore nuisibles. Le mollet est formé par deux muscles puissants qui s’insèrent au talon par l’intermé- diaire du tendon d'Achille ; à côté d’eux se trouve un autre muscle long, mince, incapable d’une action énergique, le plantaire grèle. Ce muscle, ayant les mêmes attaches que les jumeaux, sem- ble un mince fil de coton accolé à un gros càble de navire. Pour nous, il est sans utilité, et la rupture de ce muscle, causée par un effort pour sauter, donne lieu à l’accident douloureux connu . sous le nom de coup de fouet, et dont la guérison nécessite un repos prolongé. Chez le chat et les animaux du même genre, le tigre, la panthère, le léopard, ce muscle est aussi fort que les deux ju- meaux, et rend ces animaux capables d’exécuter des bonds prodigieux quand ïls s’élancent sur leur proie. Autre exemple : dans les herbivores, le cheval, le bœuf et certains rongeurs, le gros intestin présente un grand appendice en forme de cul-de-sac, appelé cæcum, qui se rattache au régime purement herbivore de ces animaux : chez l’homme, dont la nourriture n’est pas ex- clusivement vécétale, le cæcuim se réduit à un petit corps cylindrique dont la cavité admet à peine une sole de sanglier ; c’est l’appendice ver- miforme. Inutile à la digestion, puisque les ali- INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE Lx V. ments n’y pénétrent pas, 1l devient un danger, si par hasard un corps dur tel qu’un pepin ou un fragment d’arête de poisson vient à s’y introduire; le cas arrive, et il en résulte d’abord une inflam- mation, puis la perforation du canal intestinal, accidents suivis d’une péritonite souvent mor- telle. D’autres fois cet appendice, contournant une anse intestinale qu’il enserre, produit un étranglement interne presque toujours fatal. La science a déjà enregistré dix-huit cas de ce genre, vérifiés par l’autopsie. . Dans tous les quadrupèdes, la moelle épinière, organe central du système nerveux, est enfer- mée jusqu'à son extrémité dans un canal osseux formé par la colonne vertébrale. Chez l’homme, dont la station est verticale, le poids des organes renfermés dans le ventre portant sur les vertè- bres qui composent l’extrémité inférieure de l’os appelé sacrum, ces vertèbres se sont élargies, et ne sont plus soudées dans leur partie postérieure. Il en résulte que l'extrémité de la moelle épi- mère n'est pas renfermée dans un canal osseux complet : en arrière elle est seulement protégée par une membrane fibreuse et par la peau. Or, dans les maladies prolongées, telles que les fié- vres typhoïdes, où le malade reste longtemps couché sur le dos, cette peau s'enflamme, s’ex- Lx VI INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE corie, s’ulcère, et l’inflammation, se propageant aux enveloppes de la moelle, détermine des mé- ningites rachidiennes presque toujours mortelles". La fissure du sacrum est donc une disposition anatomique particulière à l’homme qui compro- met la vie d’un grand nombre de malades. Ces exemples pour ainsi dire personnels doi- vent suffire pour montrer le rôle et la significa- tion des organes atrophiés. Chez l'homme et chez les mammifères supérieurs, ces rudiments sont une rémimscence de l’organisation d’un animal placé plus bas dans l'échelle des êtres ; mais dans les vertébrés inférieurs, 1ls sont quelquefois Pin- dication d’un perfectionnement futur. Ainsi les traces des membres chez l’orvet et le Pseudopus précèdent le développement de ces membres dans les lézards et les tortues. Le pouce des galasos et des tarsiers annonce l'apparition de la main parfaite des singes et de l’homme. Kn un mot, le règne animal tout entier, vivant et fossile, nous présente les mêmes phénomènes que l’évolution embryonnaire où l'animal, partant de la cellule. complète peu à peu son organisation et s'élève oraduellement jusqu'à l'échelon occupé par les deux êtres qui lui ont donné naissance. Cette 1 P, Brous, Revue d'anthropaloyte, t: 1; p. 596. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE L'X VIA évolution se mamfeste également dans la série des animaux dont les couches géologiques nous ont conservé les restes. Les plus anciennes ne contiennent que des invertébrés et des poissons : les reptiles, les oiseaux et les mammifères appa- raissent successivement dans leur ordre hiérar- chique, et l’homme termine enfin cette série ascendante. Toutes les mythologies en ont prévu la continuation en imaginant les anges, êtres plus parfaits que l’homme, intermédiares entre lui et son créateur. LV AUTRES TRAVAUX DE LAMARCK Nous avons essayé, dans les pages qui précè- dent, de réunir les preuves les plus frappantes accumulées par la science moderne à l’appui des deux grandes vérités que Lamarck a mises en lumière le premier, savoir : 1° l'influence du milieu comme cause principale des modifications de l'organisme, 2° la transmission de ces modifi- cations par voie d'hérédité. La géologie prouvant que les milieux ont changé, il s'ensuit que les espèces sont des formes temporaires et non des ètre définitifs et immuables. Il en résulte égale- ment que l’espèce, dans le sens que Linné et Cu- Lxvinn INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE vier attachaient à ce mot, n’existe pas. Lamarck a pleinement acceptéles conséquences de ces pré- mices ; il conçoit! que les êtres les plus rudimen- taires se soient formés par génération spontanée, c’est-à-dire par la combinaison de corps simples tels que le carbone, l'azote, l'oxygène et l’hydro- oène, la volonté du sublime auteur de toutes choses ? les ayant doués de la propriété de se mo- difier, de se perfectionner de façon qu’on puisse considérer le règne organique comme une prodi- oieuse évolution accomplie dans une série de siè- cles incalculable, et 1l ajoute éloquemment* : « Peut-on douter que la chaleur, cette mère des générations, cette àme matérielle des corps vi- vants, ait pu être le principal des moyens qu’em- ploie directement la nature pour opérer sur des matières appropriées une ébauche d’organisation, une disposition convenable des parties, en un mot un acte de vitalisation analogue à celui de la fécondation? » Lavoisier, de son côté, avait dit : « Dieu, en apportant la lumière, a répandu sur la terre le principe de l’organisation, du senti- ment et de la pensée“. » La lumière et la cha- leur, agissant presque toujours simultanément, 1 Philosophie zoologique, t. 1°", p. 214. 2 Jbid., 1 47,,p.. 7461 #0 pi57: CRDI AND. HO: 4 Traité de chimie, t. l", p. 202. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE LXIX Lamarck et Lavoisier sont parfaitement d'accord entre eux. Dans les dix dernières années, des sondages faits dans l'Océan, à des profondeurs de 4,000 et mème de 8,000 mètres, par des zoologistes an- olais, ont amené la découverte d’une substance vélatmeuse recouvrant les pierres et le fond de la mer, à laquelte Huxley a donné le nom de Pathybius Hæckelii. Cette substance, lorsqu'elle est divisée, forme de petites masses composées uniquement d’albumine, sans aucune trace d’or- ganisation, mais possédant la faculté de se nourrir et de s’acccroître en englobant les infu- soires mIcroscopiques qui s’accolent à elle et de se mouvoir au moyen de quelques prolongements digitiformes. Cet être, le plus simple que l’on connaisse aujourd’hui, semble avoir réalisé la conception de Lamarck. L'origine en est incon- nue ; mais 1l serait possible que cette substance se produisit par voie de génération spontanée sous les énormes pressions auxquelles elle est soumise, En effet, les expériences modernes ont prouvé qu'il n'y a point eu de génération spontanée là ou l’on avait cru constater ce phénomène, mais elles n’ont nullement démon- tré que la génération spontanée soit impossible avec le concours d’un ensemble de circonstan- LAMARCK; PHIL. ZOOL. Ï e LXX INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE ces qui n’ont point élé réalisées dans nos labora- toires. Si tous les êtres animés sont sortis d’une souche commune, les rapports, les relations que nous observons entre eux sont la conséquence néces- saire d’une même origine et non pas la preuve d’un plan préconçu d'avance; par conséquent, les classifications, même celle dite naturelle, consti- tuent, suivant l’expression de Lamarck, /es par- lies de l’art” dans la science des êtres organisés. En effet, les genres, les familles, les ordres, les classes, les embranchements, ne sont jamais limi- tés naturellement, 1l y a toujours des passages insensibles entre eux. C’est l’idée d’une chaîne animale déjà formulée nettement par Aristote lorsqu'il disait ? : « La nature passe d’un genre et d’une espèce à l’autre par des gradations imper- ceptibles, et depuis l’homme jusqu'aux êtres les plus insensibles, toutes ses productions semblent se tenir par une liaison continue. » Un grand zoologiste, de Blainville, sans partager toutes les opinions de Lamarck, a été jusqu’à la fin de sa vie le défenseur le plus convaincu et le plus au- torisé de la chaîne animale. Lamarck à même 1 Philosophie soologique, t. I”, p. 88. ? JJistoria animalium, !. VIII, ec. 1, et Voyage du jeune And- charsis, t. V, p. 344. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE LXXI figuré d’une manière synoptique la filiation du règne animal, d’abord danssa Philosophie +00l0- gique, t. IT, p. 424, et ensuite dans l’/ntroduc- lion au système des animaux sans vertèbres, t. [er, p. 320. Ces tableaux ont été perfectionnés depuis par M. Hæckel dans son Æistoire natu- relle de la création *. La paléontologie et l’em- bryologie, qui n’existaient pour ainsi dire pas à l’époque où Lamarck écrivait, sont venues corro- borer les enseignements de la faune et de la flore actuelles. L'évolution organique, l'évolution pa- léontologique et l’évolution embryologique étant parallèles, cet accord est une preuve sans répli- que de la solidité du dogme de l’évolution substi- tué à celui de la création successive de chaque être vivant en particulier, telle que la concevait Linné. Goethe, contemporain de Lamarck, était pé- nétré des mêmes idées. Néanmoins on ne trouve nulle part dans ses écrits la preuve qu’il ait connu ses ouvrages. Des observations personnelles, fé- condées par un puissant esprit de synthèse, l'avaient amené à des conclusions fort semblables à celles du célèbre naturaliste français. Ainsi disait-il : « Une similitude originaire est la base { Voyez cet ouvrage et la Revue du 15 décembre 1871. TXX TI INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE de toute organisation. La variété des formes ré- sulte des influences extérieures, et, pour expli- quer les variations constantes où accidentelles du tvpe primitif, on est forcé d'admettre une diver- sité virtuelle originaire et une transformalion continue. » Dans l'ouvrage cité ci-dessus, M. Hæckel proclame avec raison Goethe, Lamarck et Dar- win comme les fondateurs de l’histoire naturelle moderne. Goethe a formulé des principes gé- néraux, conçu le type ostéologique des animaux supérieurs et appliqué l’idée de la métamorphose aux organes si variés des végétaux. L'influence des mieux sur l’organisme et la transmission par l’hérédité appartiennent à Lamarck; la théorie de la sélection naturelle à Darwin et à Wallace. Lamarck l'avait pressentie. Il décrit très-nettement * la lutte pour l'existence, et dé- montre que ce sont les animaux les plus forts qui survivent aux autres; mais 1] n'avait pas aperçu les conséquences infinies de ce principe et le rôle immense qu'il joue dans la nature : cependant il s'applique aux sociétés humaines comme aux tribus animales. L'homme, abusant de sa supé- riorité, ne se contente pas de détruire les ani- 1 Philosophie £00ologique, t. 1°, p. 113. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE LXXIII maux qui lui sont nuisibles et de sacrifier ceux qui lui sont utiles ; il tourne ses armes contre lui- même, tue son semblable, et des milliers d'êtres humains périssent dans l’intérêt de quelques m- dividus privilégiés dont la vie n’est jamais com-— promise dans ces luttes sanglantes. Comme classificateur, Lamarck laissera dans la science un nom comparable à ceux de Linné, de Cuvier et de Jussieu. C’est lui qui, en 1794, éta- blit' la division fondamentale des animaux en deux embranchements, les vertébrés et les inver- tébrés. Plus tard, en 1799, il sépara * les crusta- cés des autres animaux articulés, avec lesquels 1ls étaient confondus. En 1800, il distingua les arachnides des insectes ; enfin, en 1802, 1il déhi- mita la classe des annélides, dont Cuvier venait de faire connaître l’organisation, et montra que les cirrhipèdes différaient des mollusques * et se rapprochaient des crustacés. Le premier aussi, 1l fit voir que les batraciens *, quoique munis de pattes, sont beaucoup plus voisms des poissons que les serpents, qui en sont dépourvus. Toutes ces divisions, tous ces rapprochements ont été 1 Philosophie zoologique, t, I”. p. 130. 2 Ibid., p. 176. 3 Jbid., p. 119. 4 Jbid., p. 163. DK PATOV INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE sanctionnés par les zoologistes modernes, dont les travaux ont tant ajouté à la science des classifi- cations. v PHYSIOLOGIE PSYCHOLOGIQUE DE LAMARCK « I n’y à nulle différence dans les lois physi- ques par lesquelles tous les corps qui existent se trouvent régis, mais 1l s’en trouve une considé- rable dans les circonstances où les lois agissent ”. » En parlant ainsi, Lamarck définissait d'avance la physiologie moderne, dont les progrès inces- sants nous démontrent chaque jour lidentité des forces physiques avec les forces que l’on en dis- tinguait autrefois sous le nom de vitales. Celles-ci ne sont que des forces physiques agissant au seim de l’organisme sous linfluence des agents exté- rieurs. Abordant le phénomène de la sensation, Lamarck, d'accord avec Condillac, reconnaît l'impression recue comme cause excitatrice du mouvement, de la sensation et des idées, suivant la perfection du système nerveux de l’animal im- pressionné. Dans les animaux les plus inférieurs, doués d’un système nerveux rudimentaire, l’im- 1 Philosophie soologique, t. I, p. 89. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE LXXY pression venant de l'extérieur se traduit par des mouvements; chez d’autres plus parfaits, elle produit en outre une sensation; enfin, chez les animaux supérieurs, doués d’une moelle épinière et d’un cerveau, la sensation aboutit à la forma- tion des idées, œuvre de intelligence. Lamarck en admettant des mouvements mdépendants de la volonté, a entrevu les phénomènes connus au- jourd’hui sous le nom d’actions réflexes et par- faitement expliqués par les connexions des nerfs entre eux. Ce sont des phénomènes où une im- pression extérieure se traduit par un mouvement ou un autre effet, sans intervention de la volonté. Telle est par exemple la marche, qui, une fois commencée, s'opère automatiquement et se con- tinue quelquefois même dans le sommeil. La- marck admettait également l'existence d’un fluide nerveux transmettant au cerveau les impressions du dehors et les ordres de la volonté du cerveau aux différentes parties du corps soumises à son empire; 1l avait prévu! la distinction des nerfs en nerfs du sentiment et nerfs du mouvement, dis- ünction confirmée depuis expérimentalement par Walker, Ch. Bell, J. Müller, Longet et Brown- Séquard. Ces physiologistes ont prouvé que ces 1 Philosophie zoologique, t. Il, p. 239. LXX VI INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE nerfs communiquent avec la moelle épinière par des racines distinctes; les uns sont uniquement sensitifs, c'est-à-dire aptes à transmettre les im- pressions extérieures; les autres exclusivement moteurs, c’est-à-dire capables de produire le mouvement, soit par action réflexe, soit en trans- mettant les ordres de la volonté. Ainsi la langue recoit deux nerfs principaux, le lingual par lequel le cerveau perçoit les impressions tac- tiles et celles que les substances sapides pro- duisent sur l’organe du goût, et le nerf hypo- glosse, qui provoque les mouvements que la langue exécute pendant l’acte de la mastication et l'exercice de la parole. Des impressions répétées, ajoute Lamarck, suivies des mouvements qui en sont la conséquence sans intervention de la vo- lonté, engendrent les habitudes ou le penchant aux mêmes actions qu’on observe chez les ani- maux ‘. L'homme lui-même, malgré son intel- ligence et sa spontanéité, est soumis à ces influen- ces. Le grand mathématicien Laplace, analysant les causes des actions humaines, était arrivé aux mêmes conclusions que le naturaliste Lamarck, lorsqu'il a dit*: « Les opérations du sensorium 1 Philosophie zoologique, t. 11, p. 291. ? Théorie des probabilités, p. 233. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE LXXVIL et les mouvements qu'il fait exécuter deviennent plus faciles et comme naturels par de fréquentes répétitions. De ce principe psychologique décou- lent nos habitudes. En se combinant avec la sym- pathie, il produit les coutumes, les mœurs et leurs étranges variétés ; il fait qu’une chose géné- ralementrecue chez un peuple est odieuse chez un autre.» Laplace, comme Lamarck, admet l’héré- dité de ces habitudes que l’on désigne vulgairement sous le nom d’instinct : « Plusieurs observations, faites sur l’homme et sur les animaux, et qu'il est bien important de continuer, portent à croire que les modifications du sensorium auxquelles Fhabi- tude a donné une grande consistance se transmet tent des pères aux enfants par voie de génération comme plusieurs dispositions organiques. Une disposition originelle à tous les mouvements exté- rieurs qui accompagnent les actes habituels ex- plique de la manière la plus simple l'empire que les habitudes enracinées par les siècles exercent sur tout un peuple et la facilité de leur communi- cation aux enfants, lors même qu’elles sont le plus contraires à la raison et aux droits impres- cripubles de la nature humaine. » Cette trans- mission des habitudes et des idées des parents aux enfants est désignée maintenant sous le nom d’atavisme. L'influence de ces habitudes et de ces Lxxviit INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE penchants héréditaires se traduit, comme le dit Laplace, dans les mœurs des peuples et entre- tient la lutte des partis qui les divisent. Comment s'étonner, lorsqu'on est convaincu de la puissance de ces habitudes, que des hommes bien nés, bien doués, intelligents, honnêtes et sincères, ne puis- sent s’en dégager pour accepter un ordre de choses nouveau imposé par la nécessité et justi- fié par la raison? Aïnsi, en France, depuis une longue série de générations, les habitudes et les idées monarchiques se sont mcrustées pour amsi dire dans le cerveau d’un grand nombre d’hom- mes au point d’être devenues une seconde na- ture, un msinct profond et irrésistible, que je ne crandrai pas de désigner sousle nom d’atavisme monarchique. L'étude critique, froide et impar- tiale des faits politiques et sociaux peut seule contre-balancer et modifier les obsessions de l’atavisme. Le chef actuel de l’État est un exem- ple à jamais mémorable de cette victoire du bon sens, de l’observation et de l'expérience sur un instinct acquis et héréditaire. Dans les animaux invertébrés, Lamarck , comme on l’a vu, n’admet pas de mouvements volontaires, il ne conçoit que des mouvements provoqués par des impressions extérieures que les nerfs transmettent au sensorium général. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE Lxx1x L’organe central où elles viendraient toutes aboutir n'existe pas chez eux. L'organisation de ces animaux est comparable à celle d’un pays doté d'un réseau télégraphique, mais dépourvu d’une station centrale : les nouvelles circulent; il en résulte pour la nation une connaissance générale des événements qui se passent à l'étranger, mais, les fils ne convergeant pas tous vers un centre commun, ces impressions générales ne se mani- festent que par des mouvements réflexes non coordonnés entre eux et nullement par des actes déterminés, résultat d'une volonté unique, résu- mant et traduisant les volontés collectives de la nation, en un mot par des actes émanés d’un gou- vernement. Cet organe central qui recueille tou- tes les sensations et d’où partent les ordres de la volonté, c’est le cerveau, qui n'existe que chez les animaux vertébrés. La volonté est le résultat d’une détermination; cette détermination elle- même suppose un jugement, le jugement une comparaison des sensations reçues, c’est-à-dire une série d'idées, en d’autres termes l'intelligence. L'intelligence et la volonté, suivant Lamarck, sont donc intimement hées entre elles, et, comme Locke et Condillac, Lamarck professe’ qu’il n’y 1 Philosophie zoologique, t. II, p. 320. LXXX INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE y a rien dans l’entendement qui n’ait été anpara- vant dans la sensation. Pour lui, les actes que l’on a voulu attribuer à des idées innées : l'enfant qui va chercher le sein de sa mère, le canard qui, en sortant de l’œuf, entre dans l’eau, tandis que le poulet s’en éloigne, sont des habitudes hérédi- taires transmises par voie de génération, et non par des actes de volonté résultant d'idées innées. Lamarck désigne sous le nom d’Aypocéphale l'organe siége de l'intelligence et de la volonté, c’est-à-dire les deux hémisphères du cerveau, qui sont d'autant plus développés et d'autant plus lourds que animal est plus élevé dans l'échelle animale. L'intelligence est en raison directe du volume, du poids de cette partie du cerveau et de l'épaisseur de sa couche corticale ; mais cette im- telligence, pour se manifester, a besoin d’être éveillée, cultivée, exercée, perfectionnée. « Cha- que individu, dit Lamarck *, depuis l’époque de sa naissance se trouve dans un concours de cir- constances qui lui sont tout à fait particulières, qui contribuent en très-grande partie à le rendre ce qu'il est aux différentes époques de sa vie, et qui le mettent dans le cas d’exercer ou de ne pas exercer telle de ses facultés et telle des disposi- 1 Philosophie zoologique, t. II, p. 334. INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE Lxxxt tions qu'il avait apportées en naissant; en sorte qu'on peut dire en général que nous n'avons qu'une part bien médiocre à l’état où nous nous trouvons dans le cours de notre existence et que nous devons nos goûts, nos penchants, nos habi- tudes, nos passions, nos facultés, nos connais- sances même aux circonstances infiniment diver- sifiées, mais particulières, dans lesquelles chacun de nous s’est rencontré. » Un chapitre sur l’entendement termine la PA1- losophie z00logqique de Lamarck. Sans se dissi- muler qu'il quitte le terrain des faits d'observation sur lequel repose la biologie proprement dite, il essaie d'analyser le mécanisme de la formation des idées. Le premier acte nécessaire est l’atten- tion ou une préparation de l’organe intellectuel à recevoir des sensations que Lamarck désigne sous le nom de sensations remarquées. Ce qu’on ap- pelle vulgairement distraction exprime un état de l'organe cérébral qui n’est pas préparé à recevoir une sensation. La pensée est une action qui s’exécute dans l’organe de l'intelligence ‘, et l'énergie en est subordonnée à l’état des forces et de la santé générale de l'individu. L’imagination consiste dans la combinaison des pensées et la ! Philosophie 40ologique. t, I, p. 368 Lxxxii INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE création d'idées nouvelles. C’est cette faculté, dit Lamarck, qui dans les sciences peut nous égarer. « Cependant, ajoute-t-1l, sans imagination point de génie et sans génie point de possibilité de faire des découvertes autres que celles des faits, mais toujours sans conséquences satisfaisantes. Or, toute science n'étant qu'un corps de principes et de conséquences convenablement déduits et ob- servés, le génie est absolument nécessaire pour poser ces principes et en tirer ces conséquences ; mais 1l faut qu'il soit dirigé par un jugement so- hide et retenu dans les limites qu'un haut degré de lumière peut seul lui imposer. » En parlant ainsi, Lamarck caractérisait parfaitement l’étude de la nature telle qu'il l'avait conçue et telle qu’elle réapparaît après une éclipse de près d'un demi- siècle ; non que ces cinquante années aient été perdues pour la science, 1l n’y en eut jamais de plus fécondes : elles ont été employées à réunir, à coordonner, à discuter les faits sur lesquels on peut enfin édifier une synthèse plus générale que celle qui était possible à une époque où l’on avait à peme entr’ouvert le livre de la nature. Après la pensée, la mémoire est la plus impor- tante et la plus nécessaire des facultés iIntellec- tuelles, puisqu'elle nous permet de comparer des idées acquises antérieurement avec celles quinais- INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE zxxxin sent actuellement dans notre esprit. Grâce à ces trois facultés fondamentales, l’attention, la pensée et la mémoire, nous pouvons formuler des juge- ments qui sont les produits de l'intelligence, des motifs déterminants de notre volonté, c’est-à-dire de nos actions. La raison n’est autre chose qu'un degré acquis dans la rectitude des jugements, c’est le point culminant des actes de l’entende- ment. Telle est en peu de mots la psychologie de La- marck. Il à été accusé de matérialisme parce qu’il s’est tenu strictement sur le terrain des faits et de l'observation, sans chercher à remonter au delà pour expliquer des phénomènes dont 1l ne pouvait se rendre compte. Il est toujours très-circons- pect, très-réservé dans ses conclusions, et ne tranche pas des questions qui ne peuvent être dé- cidées encore. Que répondre à cette accusation ? Matérialisme, spiritualisme sont des mots vides de sens qu'il serait temps de bannir du langage rigoureux. Qu'est-ce que la matière ? Il est im- possible de la définir. Qu'est-ce que l'esprit ? Autre énigme insoluble. Ces mots, pris pour point de départ de doctrines qu’on oppose l’une à l’autre, engendrent des discussions oiseuses qui ne sauraent aboutir. Observons, étudions, com- parons : peu à peu la lumière se fera d’abord sur LxxxIV INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE les phénomènes du monde imorganique, puis sur ceux des êtres vivants; enfin, mais dans un ave- nir lointain, ceux de l’ordre intellectuel seront expliqués à leur tour. Notre tâche est finie. Nous avons cherché à réhabiliter un naturaliste français qui, célèbre par ses travaux descriptifs en botanique et en zoologie, n’était pas apprécié à sa juste valeur comme philosophe synthétique en histoire natu- relle. Venu trop tôt, 1l n’a été qu'un précurseur ; mais depuis sa mort la science a grandi, elle s’est prodigieusement enrichie, et les faits accumulés ont confirmé des généralisations qui ne pouvaient être comprises par ses contemporains. L'heure de la justice a sonné, et la gloire posthume de Lamarck jette un éclat inattendu sur la France : oràce à lui, elle peut revendiquer une part no- table dans le mouvement déjà irrésistible qui transformera bientôt la science des êtres organisés. CHARLES MARTINS. Jardin des plantes de Montpellier. Mars 1873. AVERTISSEMENT L'expérience dans l’enseignement m'a fait sentir combien une Philosophie zoologique, c'est-à-dire un corps de préceptes et de principes relatifs à l'étude des animaux et même applicables aux au- tres parties des sciences naturelles, serait mainte- nant utile, nos connaissances de faits zoologiques ayant, depuis environ trente années, fait des pro grès considérables. En conséquence, j'ai essayé de tracer une es- quisse de cette Philosophie, pour en faire usage dans mes leçons et me faire mieux entendre de mes élèves : je n'avais alors aucun but. Mais, pour parvenir à la détermination des principes, et, d’après eux, à l'établissement des pré- LAMARCK, PHIL. ZOOL. Î { 2 AVERTISSEMENT ceptes qui doivent guider dans l'étude, me trouvant obligé de considérer lorganisation dans les diffé- rents animaux connus, d’avoir égard aux diffé- rences singulières qu'elle offre dans ceux de chaque famille, de chaque ordre, et surtout de chaque classe, de comparer les facultés que ces animaux en obtiennent selon leur degré de composition dans chaque race, enfin, de reconnaitre les phénomènes les plus généraux qu'elle présente dans les prin- cipaux cas, Je fus successivement entrainé à em brasser des considérations du plus grand intérêt pour la science et à examiner les questions z0olo- giques les plus difficiles. Comment, en effet, pouvais-je envisager la dé- gradation singuliére qui se trouve dans la compo- sition de l’organisation des animaux, à mesure que l'on parcourt leur série, depuis les plus parfaits d'entre eux, jusqu'aux plus imparfaits, sans re- chercher à quoi peut tenir un fait si positif et aussi remarquable, un fait qui n'est attesté par tant de preuves ? Ne devais-je pas penser que la nature avait produit successivement les différents’ corps doués de la vie, en procédant du plus simple vers le plus composé, puisqu'en remontant l'échelle ani- male, depuis les animaux les plus imparfaits, lor- ganisation se compose et mème se complique gra- AVERTISSEMENT 3 duellement, dans sa composition, d'une maniere extrèmement remarquable ? Cette pensée, d’ailleurs, acquit à mes yeux le plus grand degré d’évidence, lorsque je reconnus que la plus simple de toutes les organisations n’of- frait aucun organe spécial quelconque, que le corps qui la possédait n'avait effectivement aucune faculté particulière, mais seulement celles qui sont le pro- pre de tout corps vivant, et qu'a mesure que la na- ture parvint à créer, l’un apres l’autre, les diffé rents organes spéciaux et à composer ainsi de plus en plus l'organisation animale, les animaux, selon le degré de composition de leur organisation, en ob- tinrent différentes facultés particulières, lesquelles, dans les plus parfaits d’entre eux, sont nombreuses et fort éminentes. Ces considérations, auxquelles je ne pus refuser mon attention, me portérent bientôt à examiner en quoi consiste réellement la vie et quelles sont les conditions qu'exige ce phénomene naturel pour se produire et pouvoir prolonger sa durée dans un corps. Je résistai d'autant moins à m'occuper de cette recherche, que je fus alors convaincu que c'était uniquement dans la plus simple de toutes les organisations qu'on pouvait trouver les moyens propres à donner la solution dun problème aussi 4 AVERTISSEMENT difficile en apparence, puisqu'elle seule offrait le complément des conditions nécessaires à l’existence de la vie et rien au delà qui puisse égarer. Les conditions nécessaires à lexistence de la vie se trouvant complètes dans l’organisation la moins composée, mais aussi réduites à leur plus simple terme, il s'agissait de savoir comment cette orga- nisation, par des causes de changements quelcon-. ques, avait pu en amener d’autres moins simples et donner lieu aux organisations graduellement plus compliquées que lon observe dans l’étendue de l'échelle animale. Alors, employant les deux considérations suivantes auxquelles lobservation m'avait conduit, je crus apercevoir la solution du problème qui m'occupait. Premiérement, quantité de faits connus prouvent que l’emploi soutenu d’un organe concourt à son développement, le fortifie, et l’agrandit même, tan- dis qu'un défaut d'emploi, devenu habituel à Pégard d’un organe, nuit à ses développements, le dété- riore, le réduit graduellement, et finit par le faire disparaitre, si ce défaut d’emploi subsiste, pendant une longue durée, dans tous les individus qui se succèdent par la génération. On conçoit de la qu'un changement de circonstances forçant les individus d'une race d'animaux à changer leurs habitudes, AVERTISSEMENT 5 les organes moins employés dépérissent peu à peu, tandis que ceux qui le sont davantage se dévelop- pent mieux et acquerent une vigueur et des dimen-— sions proportionnelles à lFemploi que ces individus en font habituellement. Secondement, en réfléchissant sur le pouvoir du mouvement des fluides dans les parties très-souples qui les contiennent, je fus bientôt convaincu qu’à mesure que les fluides d'un corps organisé reçoivent de l'accélération dans leur mouvement, ces fluides modifient le tissu cellulaire dans lequel ils se meu- vent, s'y ouvrent des passages, y forment des ca- naux divers, enfin y créent différents organes, selon l'état de l'organisation dans laquelle ils se trouvent. D'après ces deux considérations, je regardai comme certain que le #ourement des fluides dans l'intérieur des animaux, mouvement qui s'est pro- eressivement accéléré avec la composition plus erande de l’organisation, et que l’énfluence des circonstances nouvelles, à mesure que les animaux S'y exposerent en se répandant dans tous les lieux habitables, furent les deux causes générales qui ont amené les différents animaux à létat où nous les voyons actuellement. Je ne me bornai point à développer, dans cet ouvrage, les conditions essentielles à l'existence de 6 AVERTISSEMENT la vie dans les organisations les plus simples, ainsi que les causes qui ont donné lieu à la composition croissante de l’organisation animale, depuis les ani maux les plus imparfaits jusqu'aux plus parfaits d’entre eux; mais, croyant apercevoir la possibilité de reconnaitre les causes physiques du sentiment, dont tant d'animaux jouissent, je ne balancai point à m'en occuper. En effet, persuadé qu'aucune matiere quelconque ne peut avoir en propre la faculté de sentir et concevant que le sentiment lui-mème n’est qu'un phénomène résultant des fonctions d’un système d'ordre capable de le produire, je recherchai quel pouvait être le mécanisme organique qui peut don- ner lieu à cet admirable phénomène, et je crois lavoir saisi. En rassemblant les observations les plus positi- ves à ce sujet, jJ'eus occasion de reconnaitre que, pour la production du sextiment, il faut que le système nerveux soit déja tres-composé, comme il faut qu'il le soit bien davantage encore pour pou- voir donner lieu aux phénomènes de lintelligence. D'après ces observations, j'ai été persuadé que le système nerveux, dans sa plus grande imperfec- tion, telle que dans ceux des animaux imparfaits qui, les premiers, commencent à le posséder, n'est AVERTISSEMENT L propre, dans cet état, qu'à l'excitation du mouve- ment musculaire, et qu'alors il ne saurait produire le sentiment. I n'offre, dans ce même état, que des nodules médullaires d’où partent des filets et ne présente ni moelle longitudinale noueuse, ni moelle épinière, dont lextrémité antérieure offre un cer- veau qui contient le foyer des sensations et donne effectivement naissance aux nerfs des sens parti culiers, au moins à quelques-uns d’entre eux. Alors, les animaux qui le possedent dans cet état jouis- sent de la faculté, de sentir. Ensuite, J'essayai de déterminer le mécanisme par lequel une sensation S'exécutait et j'ai montré qu'elle ne produisait qu'une perception pour lFin- dividu qui est privé d’un organe spécial, cette sen- sation ne produisait encore qu'une perception, toutes les fois qu'elle n'était pas remarquée. A la vérité, je ne me suis point décidé sur la question de savoir si, dans ce mécanisme, C’est par une émission du fluide nerveux partant du point af- fecté, où par une simple communication de mou vement dans le mème fluide, que la sensation s'exécute. Cependant, la durée de certaines sensa= tions, étant relative à celle des impressions qui les causent me fait pencher pour cette dernière opi= nion. [ee] AVERTISSEMENT Mes observations n’eussent produit aucun éclair- cissement satisfaisant sur les sujets dont il s’agit, si je ne fusse parvenu à reconnaitre et à pouvoir prouver que le sentiment et l’irritabilhité sont deux phénomènes organiques tres-différents ; qu’ils n’ont nullement une source commune, comme on Fa pensé; enfin, que le premier de ces phénomènes constitue une faculté particulière à certains ani- maux, et qui exige un système d'organes spécial pour pouvoir s’opérer, tandis que le deuxième, qui n’en nécessite aucun qui soit particulier, est exclu sivement le propre de toute organisation animale. Aussi, tant que ces deux phénomènes seront con— fondus dans leur source et leurs effets, il sera fa- cile et commun de se tromper dans l'explication que l’on essayera de donner, relativement aux causes de la plupart des phénomènes de l'organisation ani- male ; il le sera surtout, lorsque, voulant rechercher le principe du sentiment et du mouvement, enfin, le siége de ce principe dans les animaux qui pos- sedent ces facultés, on fera des expériences pour le reconnaitre. Par exemple, après avoir décapité certains ami- maux tres-Jeunes, ou en avoir coupé la moelle épi mere entre l’occiput et la première vertebre, ou y avoir enfoncé un stylet, on a pris divers mouve- AVERTISSEMENT 9 ments excités par des insuflations d'air dans le pou- mon pour des preuves de la renaissance du senti- ment à l’aide d’une respiration artificielle, tandis que ces effets ne sont dus, les uns, qu'à lPirritabi- lité non éteinte, car on sait qu'elle subsiste encore quelque temps après la mort de individu, et les autres qu'a quelques mouvements musculaires que l'insutlation de l'air peut encore exciter, lorsque la moelle épinière n’a point été détruite par l’intro- duction d’un long stylet dans toute l'étendue de son canal. Si je n'eusse pas reconnu que l'acte organique qui donne lieu au mouvement des parties est tout à fait indépendant de celui qui produit le sentiment, quoi- que dans l’un et l’autre l'influence nerveuse soit nécessaire, Si Je n'eusse pas remarqué que je puis mettre en action plusieurs de mes muscles sans éprouver aucune sensation, et que Je peux recevoir une sensation sans qu'il s'en suive aucun mouve- ment musculaire, j'eusse aussi pu prendre des mou- vements excités dans un jeune animal décapité, ou dont on aurait enlevé le cerveau pour des signes de sentiment, et je me fusse trompé. Je pense que si l'individu est hors d'état, par sa nature où autrement, de rendre compte d’une sen- sation qu'il éprouve, et que s’il ne témoigne par 10 AVERTISSEMENT quelques cris la douleur qu'on lui fait subir, on n'a aucun autre signe certain pour reconnaitre qu'il recoit cette sensation, que lorsqu'on sait que le système d'organes qui lui donne la faculté de sentir n'est point détruit et même qu'il conserve son intégrité, des mouvements musculaires excités ne sauraient seuls prouver un acte de sentiment. Ayant fixé mes idées à l'égard de ces objets in- téressants, je considérai le sentiment intérieur, c'est-à-dire ce sentiment d'existence que possèdent seulement les animaux qui jouissent de la faculté de sentir; jy rapportai les faits connus qui y sont relatifs, ainsi que mes propres observations, et je fus bientot persuadé que ce sentiment intérieur constituait une puissance qu'il était essentiel de prendre en considération. En eflet, rien ne me semble offrir plus d’impor- tance que le sentiment dont il s'agit, considéré dans l’homme et dans les animaux qui possédent un système nerveux capable de le produire, sentiment que les besoins physiques et moraux savent émou- voir et qui devient la source où les mouvements et les actions puisent leurs moyens d'exécution. Per- sonne, que je sache, nv avait fait attention; en sorte que cette lacune relative à la connaissance de l’une des causes les plus puissantes des princi= AVERTISSEMENT 11 paux phénomènes de lorganisation animale ren- dait insuffisant tout ce que l’on pouvait imaginer pour expliquer ces phénomènes. Nous avons cepen- dant une sorte de pressentiment de l'existence de cette puissance intérieure, lorsque nous parlons des agitations que nous éprouvons en nous-mêmes dans mille circonstances, car le mot émotion, que je n'ai pas créé, est assez souvent prononcé dans la conversation, pour exprimer les faits remarqués qu'il désigne. Lorsque j'eus considéré que le sentiment inté- rieur était susceptible de S'émouvoir par différentes causes et qu'alors il pouvait constituer une puis- sance capable d'exciter les actions, je fus, en quel que sorte, frappé de la multitude de faits connus qui attestent le fondement où la réalité de cette puis- sance, et les difficultés qui m'arrêtaient depuis longtemps, à l'égard de la cause excitatrice des actions, me parurent entierement levées. En supposant que j'eusse été assez heureux pour saisir une vérité, dans la pensée d'attribuer au sen- timent intérieur des animaux qui en sont doués la puissance productrice de leurs mouvements, je n'avais levé qu'une partie des difficultés qui embar- rassent dans cette recherche, car il est évident que tous les animaux connus re possédent pas et ne 12 AVERTISSEMENT sauraient posséder un système nerveux ; que tous conséquemment ne jouissent pas du sentiment inté- rieur dont il est question et qu'a l'égard de ceux qui en sont dépourvus, les mouvements qu'on leur voit exécuter ont une autre origine. J'en étais là, lorsqu'ayant considéré que sans les excitations de l’intérieur, la vie n’existerait point et ue saurait se maintenir en activité dans les végé- taux, je reconnus bientôt qu'un grand nombre d’ani- maux devaient se trouver dans le mème cas: et comme J'avais eu bien des occasions de remarquer que, pour arriver au même but, la nature variait ses moyens, lorsque cela était nécessaire, je n’eus plus de doute à cet égard. Ainsi, Je pense que les animaux tres-imparfaits qui manquent de. système nerveux ne vivent qu'a l’aide des excitations qu'ils recoivent de l'extérieur, c'est-à-dire que par des fluides subtils et toujours en mouvement, que les milieux environnants con— tiennent, pénétrent sans cesse ces COrps organisés et y entretiennent la vie tant que l'état de ces corps leur en donne le pouvoir. Or, cette pensée que j'ai tant de fois considérée, que tant de faits me paraissent confirmer, contre laquelle aucun de ceux qui me sont connus ne me semblent déposer, enfin, que la vie végétale me parait attester d’une manière évi- AVERTISSEMENT 13 dente, cette pensée, dis-je, fut pour moi un trait singulier de lumière qui me fit apercevoir la cause prip aleinc qui entretient les mouvements et la vie des corps organisés et à laquelle les animaux doi- vent tout ce qui les anime. En rapprochant cette considération des deux pré- cédentes, c’est-à-dire de celle relative au produit du mouvement des fluides dans l’intérieur des ani- maux et de celle qui concerne les suites d’un chan- sement maintenu dans les circonstances et les ha- bitudes de ces êtres, je pus saisir le fil qui lie entre elles les causes nombreuses des phéhomenes que nous offre l’organisation animale dans ses déve- loppements et sa diversité, et bientot j'aperçus l'importance de ce moyen de la nature, qui consiste a conserver dans les nouveaux individus reproduits tout ce que les suites de la vie et des circonstances influentes avaient fait acquérir dans l’organisation de ceux qui leur ont transmis l'existence. Or, ayant remarqué que les mouvements des ani- maux ne sont Jamais Communiqués, mais qu'ils sont toujours excités, Je reconnus que la nature, obligée d’abord d'emprunter des milieux environnants la puissance excitatrice des mouvements vitaux et des actions des animaux imparfaits, sut, en composant de plus en plus l'organisation animale, transporter 14 AVERTISSEMENT cette puissance dans l’intérieur même de ces êtres et qu'à la fin elle parvint à mettre cette mème puissance à la disposition de l'individu. Tels sont les sujets principaux que J'ai essayé d'établir et de développer dans cet ouvrage. Ainsi, cette Philosophie zoologique présente les résultats de mes études sur les animaux, leurs ca racteres généraux et particuliers. leur organisa tion, les causes de ses développements et de sa di- versité, et les facultés qu'ils en obtiennent; et, pour la composer, j'ai fait usage des principaux matériaux que je rassemblais pour un ouvrage pro= jeté sur les corps vivants, sous le titre de Brologie, ouvrage qui, de ma part, restera sans exécution. Les faits que je cite sont très-nombreux et posi- tifs et les conséquences que j'en ai déduites m'ont paru Justes et nécessaires, en sorte que je Suis pér- suadé qu'on les remplacera difficilement par de meilleures. Cependant, quantité de considérations nouvelles, exposées dans cet ouvrage, doivent naturellement, des leur première énonciation, prévenir défavora= ment le lecteur, par le seul ascendant qu'ont tou- Jours celles qui sont admises, en général, sur de nouvelles qui tendent à les faire rejeter. Or, comme ce pouvoir des idées anciennes sur celles qui pa- AVERTISSEMENT 15 raissent pour la première fois favorise cette pré vention, surtout lorsque le moindre intérêt y con- court, il en résulte que, quelques difficultés qu'il y ait à découvrir des vérités nouvelles, en étudiant la nature, il s'en trouve de plus grandes encore à les faire reconnaitre. Ces difficultés, qui tiennent à différentes causes, sont dans le fond plus avantageuses que nuisibles à l'etat des connaissances générales, car, par cette rigueur qui rend difficile à faire admettre comme vérités les idées nouvelles que l'on présente, une multitude d'idées snguliéres plus où moins spécien- ses, imais sans fondement, ne font que paraitre et bientôt apres tombent dans loubli. Quelquefois, néanmoins, d'excellentes vues et des pensées so- lides sont, par les mêmes causes, rejetées où négli- gées. Mais il vaut mieux qu'une vérité, une fois apercue, lutte longtemps sans obtenir l’attention qu'elle mérite, que si tout ce que produit limagi- nation ardente de l’homme était facilement recu. Plus je médite sur ce sujet, et particulièrement sur les causes nombreuses qui peuvent altérer nos jugements, plus Je me persuade que, sauf les faits physiques et les faits moraux , qu'il n’est au pou- 1 Je nomme fuits moraux, les vérités mathématiques, c'est-à-dire, les résullals des caleuls, soit de qualités, soit de forces, et ceux des 16 AVERTISSEMENT voir de personne de révoquer en doute, tout le reste n’est qu’opinion ou que raisonnement, et l’on sait qu'à des raisonnements on peut toujours en opposer d’autres. Ainsi, quoiqu'il soit évident qu'il y ait de grandes différences en vraisemblance, probabilité, valeur même, entre les diverses opinions des hommes, il me semble que nous aurions tort de blâmer ceux qui refuseraient d'adopter les nôtres. Doit-on reconnaître comme fondées, que les opi- nions les plus généralement admises ? Mais l'expé- | rience montre assez que les individus qui ont lin- telligence la plus développée et qui réunissent le plus de lumières, composent, dans tous les temps, une minorité extrèmement petite. On ne saurait en disconvenir : les autorités, en fait de connaissances, doivent s’apprécier et non se compter; quoique, à la vérité, cette appréciation soit tres-difficile. Cependant, d'apres les conditions nombreuses et rigoureuses qu'exige un jugement pour qu'il soit bon ; il n’est pas encore certain que celui des indi- vidus que lPopinion transforme en autorités, soit mesures; parce que C'est par l'intelligence et non par le sens, que ces faits nous sont connus. Or, ces faits moraux sont à la fois des vérités positives, comme le sont aussi aussi les faits relatifs à l’exis- tence des corps que nos pouvons observer, et de bien d’autres qui les concernent. AVERTISSEMENT 17 parfaitement juste à l'égard des objets sur lesquels il prononce. Il n’y a donc réellement pour l’homme de vé- rités positives, c’est-a-dire sur lesquels 1l puisse solidement compter, que les faits qu'il peut obser- ver, et non les conséquences qu'ilen tire; que l’exis- tence de la nature qui lui présente ces faits, ainsi que les lois qui régissent les mouvements et les changements de ses parties. Hors de là, tout est incertitude ; quoique certaines conséquences, théo- ries, opinions, etc., aient beaucoup plus de proba- bilités que d’autres. Puisque lon ne peut compter sur aucun raison nement, sur aucune conséquence, sur aucune théorie, les auteurs de ces actes d'intelligence ne pouvant avoir la certitude d’y avoir employé les véritables éléments qui devaient y donner lieu, de n’y avoir fait entrer que ceux-là et de n’en avoir négligé au- cun, puisqu'il n’y a de positif.pour nous que l’exis- tence des corps qui peuvent affecter nos sens, que celle des qualités réelles qui leur sont propres, enfin que les faits physiques et moraux que nous pouvons connaitre, les pensées, les raisonnements et les ex- plications dont on trouvera l'exposé dans cet ou- vrage ne devront être considérés que comme de simples opinions que je propose, dans lintention LAMARCK, PHIL, ZOOL. I. 2 18 AVERTISSEMENT davertir de ce qui me parait être et de ce qui pour- rait effectivement avoir lieu. Quoi qu'il en soit, en me livrant aux observations qui ont fait naître les considérations exposées dans cet ouvrage, j'ai obtenu les jouissances que leur ressemblance à des vérités m'a fait éprouver, ainsi que la récompense des fatigues que mes études et mes méditations ont entraînées ; et en publiant ces observations, avec les résultats que J'en ai déduits, j'ai pour but d'inviter les hommes éclairés qui ai- ment l’étude de la nature à les suivre et les véri- fier et à en tirer de leur côté les conséquences qu'ils jugeront convenables. Comme cette voie me parait la seule qui puisse conduire à la connaissance de la vérité, ou de ce qui en approche le plus, et qu'il est évident que cette connaissance nous est plus avantageuse que l'erreur qu'on peut mettre à sa place, je ne puis douter que ce ne soit celle qu’il faille suivre. On pourra remarquer que je me suis plu parti- culèrement à lexposition de la seconde et surtout de la troisième partie de cet ouvrage et qu’elles m'ont inspiré beaucoup d'intérêt. Cependant, les principes relatifs a l’histoire naturelle dont je me suis occupé dans la première partie doivent être au moins considérés comme les objets qui peuvent être AVERTISSEMENT 19 les plus utiles à la science, ces principes étant, en général, ce qu'il y a de plus rapproché de ce que l’on a pensé Jusqu'à ce jour. J'avais les moyens d'étendre considérablement cet ouvrage, en donnant à chaque article tous les développements que les matières intéressantes qu'il embrasse peuvent permeitre ; mais j'ai préféré me restreindre à Pexposition strictement nécessaire pour que mes observations puissent être suffisam- ment saisies. Par ce moyen, j'ai épargné le temps de mes lecteurs, sans les avoir exposés à ne pouvoir m'entendre. J’aurai atteint le but que je me suis proposé, si ceux qui aiment les sciences naturelles trouvent dans cet ouvrage quelques vues et quelques prin- cipes utiles à leur égard; si les observations que j y ai exposées, et qui me sont propres, sont confir- mées où approuvées par ceux qui ont eu OCCasion de s'occuper des mêmes objets, et si les idées qu'elles sont dans le cas de faire naitre peuvent, quelles qu'elles soient, avancer nos connaissances, ou nous mettre sur la voie d'arriver à des vérités inconnues. wi re loqioijng vent pe cb | QI D: 17 QUOTE Mi re antab xl fi up a f Fr La AU L- ART Noise scunaileor ie TT … LE so e . “ ps Re | sal tybisun sbñaté lit énsréons ve ARR aol: ait elaitin" du pédosk Masai arr * "7 over stabisers dos eol rHyiatsisonge + Ar L ut 0 iait PATTTTTIÉ 20e iron 0 Se Los e 0 LÉ € st Tan rit C4 st mé È nb ondé duos: amoltewsmpeo éour 20 uns al ds ep tel TL MR ire ut st de tbbo Qu: saioufeal hylire y true ù - j E LT” AVI Li ] FL. 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L DISCOURS PRÉLIMINAIRE Observer la nature, étudier ses productions, re- chercher les rapports généraux et particuliers qu’elle a imprimés dans leurs caractères, enfin es- sayer de saisir l’ordre qu'elle fait exister partout, ainsi que sa marche, ses lois et les moyens infini- ment variés qu'elle emploie pour donner lieu à cet ordre, C’est, à mon avis, se mettre dans le cas d’ac- quérir les seules connaissances positives qui soient à notre disposition, les seules, en outre, qui puis- sent nous être véritablement utiles, et c'est een même temps se procurer les jouissances les plus douces et les plus propres à nous dédommager des peines iné- vitables de la vie. En effet, qu'y at-il de plus intéressant dans Fob- 22 DISCOURS PRÉLIMINAIRE servation de la nature que l'étude des animaux ; que la considération des rapports de leur organisa tion avec celle de l’homme; que celle du pouvoir qu'ont les habitudes, les manières de vivre, les eli- mats et les Heux d'habitation, pour modifier leurs organes, leurs facultés et leurs caractères ; que lexa- men des différents systèmes d'organisation qu'on observe parmi eux et d’après lesquels on détermine les rapports plus où moins grands qui fixent le rang de chacun d'eux dans la méthode naturelle ; enfin, que la distribution générale que nous formons de ces animaux, en considérant la complication plus ou moins grande de leur organisation, distribution qui peut conduire à faire connaître l’ordre même qu'a suivi la nature, en faisant exister chacune de leurs especes ? Assurément on ne saurait disconvenir que toutes ces considérations et plusieurs autres encore aux quelles conduit nécessairement l'étude des animaux ne soient d'un bien grand intérèt pour quiconque aime la nature et cherche le vrai dans toute chose. Ge qu'il y à de singulier, c’est que les phénome- nes les plus importants à considérer n'ont été offerts à nos méditations que depuis l'époque où lon s’est attaché principalement à l'étude des animaux les moins parfaits et où les recherches sur les différen- DISCOURS PRÉLIMINAIRE 23 tes complications de l'organisation de ces animaux sont devenues le principal fondement de leur étude. I n’est pas moins singulier d'être forcé de recon- naître que ce fut presque toujours de l'examen suivi des plus petits objets que nous présente la nature, et de celui des considérations qui paraissent les plus minutieuses qu'on à obtenu les connaissances les plus importantes pour arriver à la découverte de ses lois, de ses moyens, et pour déterminer sa marche. Cette vérité, déja constatée par beaucoup de faits remarquables, recevra dans les considéra- tions exposées dans cet ouvrage un nouveau degré d'évidence et devra plus que jamais nous persua- der que, relativement à l'étude de la nature, aucun objet quelconque n’est à dédaigner. L'objet de l'étude des animaux n’est pas unique- ment d'en connaitre les différentes races, et de dé- terminer parmi eux toutes les distinctions, en fixant leurs caractères particuliers; mais il est aussi de parvenir à connaître l’origine des facultés dont ils jouissent, les causes qui font exister et qui maim- tiennent en eux la vie, enfin celles de la progression remarquable qu'ils offrent dans la composition de leur organisation, et dans le nombre ainsi que dans le développement de leurs facultés. A leur source, le physique et le moral ne sont, 24 DISCOURS PRÉLIMINAIRE sans doute, qu'une seule et même chose; et c’est en étudiant l’organisation des différents ordres d’ani- maux connus qu'il est possible de mettre cette vé- rité dans la plus grande évidence. Or, comme les produits de cette source sont des effets, et que ces effets, d'abord à peine séparés, se sont par la suite partagés en deux ordres éminemment distincts, ces deux ordres d'effets, considérés dans leur plus grande distinction, nous ont paru et paraissent en- core à bien des personnes n'avoir entre eux rien de commun. Cependant, on a déja reconnu lPinfluence du phy- sique sur le moral*; mais il me paraît qu'on n’a pas encore donné une attention suffisante aux influen— ces du moral sur le physique même. Or, ces deux ordres de choses, qui ont une source commune, réa- gissent l’un sur lautre, surtout lorsqu'ils parais- sent le plus séparés, et on a maintenant les moyens de prouver qu'ils se modifient de partet d'autre dans leurs variations. Pour montrer l’origine commune des deux or- dres d'effets qui, dans leur plus grande distinction, constituent ce qu'on nomme le physique et le moral 1 Voyez l’intéressant ouvrage de M. Cabanis, intitulé: Rapport du Physique et du Moral de l'homme. DISCOURS PRÉLIMINAIRE 25 il me semble qu'on s’y est mal pris et qu'on à choisi une route opposée à celle qu'il fallait suivre. Effectivement, on a commencé à étudier ces deux sortes d'objets, si distincts en apparence, dans l’homme même, où l’organisation, parvenue à son terme de composition et de perfectionnement, offre dans les causes des phénomènes de la vie, dans celles du sentiment, enfin dans celles des facultés dont il jouit, la plus grande complication, et où conséquem- ment il est le plus difficile de saisir la source de tant de phénomènes. Apres avoir bien étudié l'organisation de homme comme on l’a fait, au lieu de s'empresser de re- chercher dans la considération de cette organisa- tion les causes mêmes de la vie, celles de la sen— sibilté physique et morale, celles, en un mot, des facultés éminentes qu'il posséde, il fallait alors S’eflorcer de connaitre l’organisation des autres animaux ; il fallait considérer les différences qui existent entre eux à cet égard, ainsi que les rap- ports qui se trouvent entre les facultés qui leur sont propres et l’organisation dont ils sont doués. Si l’on eût comparé ces différents objets entre eux et avec ce qui est connu à l'égard de l'homme ; si l’on eût considéré, depuis l’organisation animale la plus simple, jusqu'à celle de l'homme qui est la 26 DISCOURS PRÉLIMINAIRE plus composée et la plus parfaite, la progression qui se montre dans la composition de l’organisa- tion, ainsi que l'acquisition successive des différents organes spéciaux, et par suite d'autant de facultés nouvelles que de nouveaux organes obtenus ; alors on eùt pu apercevoir comment les besoins, d’abord réduits à nullité, et dont le nombre ensuite s’est accru graduellement, ont amené le penchant aux actions propres à y satisfaire ; comment les actions devenues habituelles et énergiques, ont occasionné le développement des organes qui les exécutent ; comment la force qui excite les mouvements orga- niques peut, dans les animaux les plus imparfaits, se trouver hors d'eux et cependant les animer ; comment ensuite cette force a été transportée et fixée dans l'animal mème; enfin, comment elle y est devenue la source de la sensibilité, et à la fin celle des actes de l'intelligence. J'ajouterai que, si lon eût suivi cette méthode, alors on n'eût point considéré le sentinent comme la cause générale et immédiate des mouvements organiques et on n'eut point dit que la vie est une suite de mouvements qui s'exécutent en vertu des sensations reçues par différents organes où autre- ment, que tous les mouvements vitaux sont le pro- duit des impressions recues par les parties sen DISCOURS PRÉLIMINAIRE £1 sibles. (Rapport du physique et du moral de l'Homme, p. 38 à 39, et 85.) Cette cause paraïîtrait, jusqu'à un certain point, fondée à l'égard des animaux les plus parfaits ; mais s'il en était ainsi relativement à tous les corps qui jouissent de la vie, ils posséderaient tous la faculté de sentir. Or, on ne saurait nous montrer que les végétaux sont dans ce cas ; on ne saurait même prouver que c’est celui de tous les animaux connus. Je ne reconnais point dans la supposition d’une pareille cause donnée comme générale la marche réelle de la nature. En constituant la vie, elle n’a pas eu les moyens de faire exister cette faculté dans les animaux imparfaits des premières classes du régne animal. À l'égard des corps qui jouissent de la vie, la na- ture a tout fait peu à peu et successivement : il n'est plus possible d'en douter. En effet, parmi les différents objets que je me propose d'exposer dans cet ouvrage, j’essayerai de faire voir, en citant partout des faits reconnus, qu'en composant et compliquant de plus en plus l’organisation animale, la nature à créé progres- sivement les différents organes spéciaux, ainsi que les facultés dont les animaux jouissent. Il y a longtemps que l'on a pensé qu'il existait 2s DISCOURS PRÉLIMINAIRE une sorte d'échelle où de chaine graduée parmi les corps doués de la vie. Bonnet a développé cette opinion ; mais il me l’a point prouvée par des faits tirés de l’organisation même, ce qui était cependant nécessaire, surtout relativement aux animaux. Il ne pouvait le faire, car, à l’époque où il vivait, on n'en avait pas encore les moyens. En étudiant les animaux de toutes les classes, il y a bien d’autres choses à voir que la composition animale. Le produit des circonstances comme cau- ses qui aménent de nouveaux besoins, celui des be- soins, qui fait naître les actions, celui des actions répétées qui crée les habitudes et les pénchants, les résultats de l'emploi augmenté où diminué de tel ou tel organe, les moyens dont la nature se sert pourconserver etperfectionner tout ce qui a été acquis dans l’organisation, etc., sont des objets de la plus grande importance pour la philosophie rationnelle. Mais cette étude des animaux, surtout celle des animaux les moins parfaits, fut si longtemps né- gligée, tant on était éloigné de soupconner le grand intérèt qu'elle pouvait offrir, et ce qui a été commencé à cet égard est encore si récent, qu'en le continuant on a lieu d'en attendre encore beau- coup de lumières nouvelles. Lorsqu'on a commencé à cultiver réellement DISCOURS PRÉLIMINAIRE 29 l'histoire naturelle et que chaque règne a obtenu l'attention des naturalistes, ceux qui ont dirigé leurs recherches sur le règne animal ont étudié principalement les animaux à vertébres, C'est-a- dire les mammifères, les oiseaux, les reptiles, et enfin les poissons. Dans ces classes d'animaux, les espèces en général plus grandes, ayant des parties et des facultés plus développées et étant plus aisé- ment déterminables, parurent offrir plus d'intérêt dans leur étude que celles qui appartiennent à la division des animaux invertébrés. En effet, la petitesse extrème de la plupart des animaux sans vertebres, leurs facultés bornées et les rapports de leurs organes beaucoup plus éloi- onés de ceux de l’homme que ceux que l’on observe dans les animaux les plus parfaits, les ont fait, en quelque sorte, mépriser du vulgaire et jusqu'à nos jours ne leur ont obtenu de la plupart des natura- listes qu'un intérêt très-médiocre. On commence cependant à revenir de cette pré- vention nuisible à l'avancement de nos connaissan- ces, car depuis peu d'années que ces singuliers animaux sont examinés attentivement, on est forcé de reconnaître que leur étude doit être considérée comme une des plus intéressantes aux yeux du na- turaliste et du philosophe, parce qu'elle répand sur 30 DISCOURS PRÉLIMINAIRE quantité de problèmes relatifs à l'histoire naturelle et à la physique animale des lumieres qu'ont ob- tiendrait difficilement par aucune autre voie. Chargé de faire, dans le Muséum d'histoire na- turelle, la démonstration des animaux que je nom mai sans vertèbres, à cause de leur défaut de co lonne vertébrale, mes recherches sur ces nombreux animaux, le rassemblement que je fis des observa- tions et des faits qui les concernent, enfin les lumières que j'empruntai de lanatomie comparée a leur égard, me donnérent bientôt la plus haute idée de lintérèt que leur étude inspire. En effet, l’étude des animaux sans vertèbres doit intéresser singulièrement le naturaliste, 1° parce que les espèces de ces animaux sont beaucoup plus nombreuses dans la nature que celles des animaux vertébrés ; 2° parce qu'étant plus nombreuses, el- les sont nécessairement plus variées: 3° parce que les variations de leur organisation sont beaucoup plus grandes, plus tranchées et plus singuhères ; 4 enfin, parce que l’ordre qu'emploie la nature pour former successivement les différents organes des animaux est bien mieux exprimé dans les mu- tations que ces organes subissent dans les animaux sans vertèbres et rend leur étude beaucoup plus propre à nous faire apercevoir Forigine même de DISCOURS PRÉLIMINAIRE 31 Porganisation, ainsi que la cause de sa composition et de ses développements, que ne pourraient le faire toutes les considérations que présentent les animaux plus parfaits, tels que les vertébrés. Lorsque je fus pénétré de ces vérités, je sentis que, pour les faire connaître à mes élèves, au lieu de m'enfoncer d’abord dans le détail des objets par- ticuliers, je devais, avant tout, leur présenter les généralités relatives à tous les animaux ; leur en montrer l’ensemble, ainsi que les considérations es- sentielles qui lui appartiennent ; me proposant en- suite de saisir les masses principales qui semblent diviser cet ensemble pour les mettre en comparaison entre elles et les faire mieux connaître chacune séparément. Le vrai moyen, en effet, de parvenir à bien con- naitre un objet, même dans ses plus petits détails . c’est de commencer par lenvisager dans son en- tier ; par examiner d'abord, soit sa masse, soit son étendue, soit l’ensemble des parties qui le compo sent; par rechercher quelle est sa nature et son ori- gine, quels sont ses rapports avec les autres ob- jets connus: en un mot, par le considérer sous tous les points de vue qui peuvent nous éclairer sur toutes les généralités qui le concernent. On di- vise ensuite l’objet dont il s'agit en parties prin= 32 DISCOURS PRÉLIMINAIRE cipales, pour les étudier et les considérer séparé- ment sous tous les rapports qui peuvent nous instruire à leur égard, et, continuant ainsi à divi- ser et sous-diviser ces parties que lon examine successivement, on pénètre jusqu'aux plus petites, dont on recherche les particularités, ne négligeant pas les moindres détails. Toutes ces recherches ter— minées, on essaye d’en déduire les conséquences, et peu à peu la philosophie de la science s'établit, se rectitie et se perfectionne. | C’est par cette voie seule que hésite hu- maine peut acquérir les connaissances les plus vas- tes, les plus solides et les mieux liées entre elles, dans quelque science que ce soit ; et c’est unique- ment par cette méthode d'analyse que toutes les sciences font de véritables progrès et que les ob- jets qui s’y rapportent ne sont jamais confondus, et peuvent être connus parfaitement. Malheureusement on n’est pas assez dans l'usage de suivre cette méthode en étudiant l’histoire na- turelle. La nécessité reconnue de bien observer les objets particuliers a fait naître habitude de se bor- ner à la considération de ces objets et de leurs plus petits détails,de manière qu'ils sont devenus,pour la plupart des naturalistes, le sujet principal de l'étude. Ce ne serait cependant pas une cause réelle de DISCOURS PRÉLIMINAIRE 33 retard pour les sciences naturelles, si on s'obstinait à ne voir dans les objets observés que leur forme, leur dimension, leurs parties externes, même les plus petites, leur couleur, etc., et si ceux qui se livrent a une pareille étude dédaignaient de s'élever à des considérations supérieures, comme de chercher quelle est la nature des objets dont ils s'occupent, quelles sont les causes des modifications ou des va- riations auxquelles ces objets sont tous assujettis. quels sont les rapports de ces mêmes objets entre eux,et avec tous les autres que Fon connaît, etc. etc. C'est parce que lon ne suit pas assez la méthode que Je viens de citer, que nous remarquons tant de divergence dans ce qui est enseigné à cet égard. ‘soit dans les ouvrages d'histoire naturelle, soit ail- leurs, et que ceux qui ne se sont livrés qu'a l'étude des espèces ne saisissent que très-difficilement les rapports généraux entre les objets, n’aperçoivent nullement le vrai plan de la nature et ne recon- naissent presque aucune de ses lois. Convaincu, d’une part, qu'il ne faut pas suivre nne méthode qui rétrécit et borne ainsi les idées, et de l’autre, me trouvant dans la nécessité de don- ner une nouvelle édition de mon Système des Ani- naux sans vertèbres, parce que les progrès rapides de l’anatomie comparée, les nouvelles découvertes LAMARCK. PHIL. Z0OL. |. 3 34 DISCOURS PRÉLIMINAIRE des zoologistes et mes propres observations me fournissent les moyens d'améliorer cet ouvrage, j'ai cru devoir rassembler dans un ouvrage particulier, sous le titre de Philosophie zoologique, l° les prin- cipes généraux relatifs à l'étude du règne animal; 2° les faits essentiels observés, qu'ilimporte de con- sidérer dans cette étude ; 3° les considérations qui reglent la distribution non arbitraire des animaux et leur classification la plus convenable ; 4° enfin, les conséquences les plus importantes qui se dédu- sent naturellement des observations et des faits re- cueillis et qui fondent la véritable philosophie de la science. La Philosophie zoologique dont il s’agit n’est au- tre chose qu'une nouvelle édition refondue, corrigée et fort augmentée de mon ouvrage intitulé : Re- cherches sur les Corps vivants. Elle se divise en trois parties principales, et chacune de ces parties se partage en diflérents chapitres. Ainsi, dans la première partie, qui doit présen- ter les faits essentiels observés et les principes gé- néraux des sciences naturelles, je vais d'abord con- sidérer ce que je nomme les parties de l'art dans les _ciences dont il est question, l'importance de la considération des apports jet lidée que Pon doit se former de ce que lon appelle espèce parmi Les DISCOURS PRÉLIMINAIRE 35 corps vivants. En suite après avoir développéles y6- néralités relatives aux animaux, j exposerai d'une part les preuves de la dégradation de organisation qui regne d’une extrémité à l’autre de léchelle ani- male, les animaux les plus parfaits étant placés à l'extrémité antérieure de cette échelle, et de autre part, je montrerai l’influence des circonstances et dés habitudes Sur les organes des animaux, comme étant la source des causes qui favorisent où arrè- tent leurs développements. Je terminerai cette par- tie par la considération de Fordre naturel des ani- maux et par l'exposé de leur distribution et de leur classification les plus convenables. Dans la seconde partie, je proposerai mes idées sur l’ordre et l’état de choses qui font lessence de la vie animale et j'indiquerai les conditions es- sentielles à l'existence de cet admirable phénomene de la nature. Ensuite, je tcherai de déterminer la cause excitatrice des mouvements organiques; celle de l'orgasme et de lirritabilité: les propriétés du tissu cellulaire; la circonstance unique dans la- quelle les générations spontanées peuvent avoir lieu ; les suites évidentes des actes de la vie, etc. Enfin, la troisième partie offrira mon opinion sur les causes physiques du sentiment, du pouvoir d'agir et des actes d'intelligence de certains animaux. 36 DISCOURS PRÉLIMINAIRE J'y traiterai : 1° de l’origine et de la formation du système nerveux ; 2° du fluide nerveux qui ne peut ètre connu qu'indirectement, mais dont lexis- tence est attestée par des phénomenes que lui seul pert produire; 3° de la sensibilité physique et du mécanisme des sensations ; 4° de la force produc- trice des animaux ; 5° de la source de la volonté ou de la faculté de vouloir ; 6° des idées et de leurs différents ordres : 7° enfin de quelques actes parti culers de Fentendement, comme de l'attention, des pensées, de lPimagination, de la mémoire, etc. Les considérations exposées dans la seconde et la troisième partie embrassent, sans doute, des sujets tres-difticiles à examiner, et même des questions qui semblent insolubles; mais elles offrent tant d'intérèt, que des tentatives à leur égard peuvent ètre avantageuses, soit en montrant des vérités inapercues, soit en ouvrant la voie qui peut conduire a elles. PHILOSOPHTE ZOOLOGIOUE PREMIÈRE PARTIE CONSIDÉRATIONS SUR L'HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX. LEURS CARACTÈRES, LEURS RAPPORTS, LEUR ORGANISATION, LEUR DISTRIBUTION, LEUR CLASSIFICATION ET LEURS ESPÈCES CHAPITRE PREMIER DES PARTIES DE L'ART DANS LES PRODUCTIONS DE L'A NATURE Partout dans la nature. où l'homme s'efforce d'acquérir des connaissances, il se trouve obligé d'employer des movens particuhers, 1° pour mettre de l’ordre parmi les objets infiniment nombreux et variés qu'il considere ; 2’ pour distinguer sans con— fusion, parmi l'immense multitude de ces objets, suit des groupes de ceux qu'il a quelque intérèt de con 38 | DES PARTIES DE L'ART naître, soit chacun d’eux en particulier ; 3° enfin, pour communiquer et transmettre à ses semblables, tout ce qu'il a appris, remarqué et pensé à leur égard. Or, les moyens qu'il emploie dans ces vues constituent ce que Je nomme les parhes de Part dans les sciences naturelles, parties qu'il faut bien se garder de confondre avec les lois et les actes mêmes de la nature. De mème qu'il est nécessaire de distinguer dans les sciences naturelles ce qui appartient à l’art de ce qui est le propre de la nature, de même aussi l’on doit distinguer dans ces sciences deux intérêts fort différents qui nous portent à connaître les pro= ductions naturelles que nous pouvons observer. L'un, effectivement, est un intérêt que je nomme économique, parce qu'il prend sa source dans les besoins économiques et d'agrément de l’homme, re- lativement aux productions de la nature qu'il veut faire servir à son usage. Dans cette vue, il ne s’in- téresse qu'à ceux qu'il croit pouvoir lui être utiles. L'autre, fort différent du premier, est cet intérêt philosophique qui nous fait désirer de connaitre la nature elle-même dans chacune de ses productions, afin de saisir sa marche, ses lois, ses opérations, et de nous former une idée de tout ce qu'elle fait exister ; en un mot, qui procure ce genre de con- naissances qui constitue véritablement le natura- liste. Dans cette vue, qui ne peut être que particu- ère à un petit nombre, ceux qui s'y livrent DES PARTIES DE L’ART 39 s'intéressent également à toutes les productions naturelles qu'ils peuvent observer. Les besoins économiques et d'agrément firent d’abord imaginer successivement les différentes par- les de l’art employées dans les sciences naturelles ; et lorsqu'on parvint à se pénétrer de intérêt d’étu- dier et de connaître la nature, ces parties de l’art nous offrirent encore des secours pour nous aider dans cette étude. Ainsi ces mêmes parties de l’art sont d’une utilité indispensable, soit pour nous ai- der dans la connaissance des objets particuliers, soit pour faciliter l’étude et l'avancement des scien- ces naturelles, soit enfin pour que nous puissions nous reconnaitre parmi l'énorme quantité d'objets différents qui en font le sujet principal. Maintenant, l’éntérét philosophique qu'offrent les sciences dont il est question, quoique moins géné- ralement senti que celui qui est relatif à nos be- soins économiques, force de séparer tout ce qui appartient à l’art de ce qui est le propre de la na- ture, et de borner, dans des limites convenables, la considération que lon doit accorder aux premiers objets, pour attacher aux seconds toute l’impor- tance qu'ils méritent. Les parties de l’art, dans les sciences naturelles, sont : 1° Les distributions systématiques, soit généra- les, soit particulières ; 2° Les classes ; 10 DES PARTIES DE L'ART 3° Les ordres : 4° Les familles : oo Les genres ; Go La nomenclature, soit des diverses coupes, soit des objets particuliers. Ces six sortes de parties généralement employées dans les sciences naturelles sont uniquement des produits de l’art dont il a fallu faire usage pour ranger, diviser et nous mettre à portée d'étudier, de comparer, de reconnaitre et de citer les différen- tes productions naturelles observées. La nature n'a rien fait de semblable, et au heu de nous abuser en confondant nos œuvres avec les siennes, nous devons reconnaitre que les classes, les ordres, les farilles, les genres et les nomenclatures, à leur égard, sont des moyens de notre invention, dont nous ne saurions nous passer, mais qu'il faut em ployer avec discrétion, les soumettant à des prin- cipes convenus, afin d'éviter les changements arbi- traires qui en détruisent toutes les avantages. Sans doute, il était indispensable de classer les productions de la nature et d'établir parmi elles différentes sortes de divisions, telles que des classes, des ordres, des familles et des genres ; enfin, il s fallait déterminer ce qu'on nomme des espèces et assigner des noms particuliers à ces divers genres d'objets. Les bornes de nos facultés lexigent et il nous faut des moyens de cette sorte pour nous al der à fixer nos connaissances sur cette multitude DES PARTIES DE L'ART Al prodigieuse de corps naturels que nous pouvons observer et qui sont infiniment diversifiés entre eux. Mais ces classifications, dont plusieurs ont été si heureusement imaginées par les naturalistes, ainsi que les divisions et sous-divisions qu'elles présen- tent, sont des moyens tout à fait artificiels. Rien de tout cela, je le répète, ne se trouve dans la nature, malgré le fondement que paraissent leur donner certaines portions de la série naturelle qui nous sont connues et qui ont l’apparence d'être iso lées. Aussi l’on peut assurer que, parmi ses pro ductions, la nature n'a réellement formé ni classes, ni ordres, ni familles, ni genres, ni espéces cons- tantes, mais seulement des individus qui se suceë- dent les uns aux autres et qui ressemblent à ceux qui les ont produits. Or, ces individus appartiennent à des races infiniment diversifiées, qui se nuancent sous toutes les formes et dans tous les degrés d’or- ganisation et qui chacune se conservent sans mu tation, tant qu'aucune cause de changement n’agit sur elles. | Exposons quelques développements suceéinets à l'égard de chacune des six parties de lart, eni- ployées dans les sciences naturelles. Les distributions systématiques. J'appelle dis- tribution systématique, soit générale, soit particu- lière, toute série d'animaux où de végétaux qui nest pas conforme à létat de la nature, c'est-ü- 42 DES PARTIES DE L'ART dire qui ne représente pas, soit son ordre en en— tier, soit quelque portion de cet ordre, et consé- quemment qui n’est pas fondée sur la considération de rapports bien déterminés. On est maintenant parfaitement fondé à recon- naître qu'un ordre établi par la nature existe parmi ses productions dans chaque règne des corps vi- vants : cet ordre est celui dans lequel chacun de ces corps a été formé dans son origine. Ce mème ordre est unique, essentiellement sans division dans chaque règne organique, et peut nous ètre connu à l’aide de la connaissance des rapports particuliers et généraux qui existent entre les dif- férents objets qui font partie de ces deux règnes. Les corps vivants qui se trouvent aux deux extré- mités de cet ordre ont essentiellement entre eux le moins de rapports et présentent, dans leur organi- sation et leur forme, les plus grandes différences possibles. C'est ce même ordre qui devra remplacer, à mesure que nous le connaïitrons, ces distributions systématiques ou artificielles que nous avons été forcés de créer pour ranger d’une manière com mode les différents corps naturels que nous avons observés. En effet, à l’égard des corps organisés divers, reconnus par l'observation, on n’a pensé d'abord qu'a la commodité et à la facilité des distinctions entre ces objets, et l’on a été d'autant plus long- ES PARTIES DE L'ART 43 temps à rechercher l’ordre même de la nature pour leur distribution qu'on n'en soupeonnait même pas l'existence. De là naquirent des classifications de toutes les sortes, des systèmes et des méthodes artificielles, fondées sur des considérations tellement arbitraires que ces distributions subirent dans leurs principes et leur nature des changements presque aussi fré- quents qu'il y eut d'auteurs qui s’en sont occupés. A légard des plantes, le système sexuel de Linné, tout ingénieux qu'il est, présente une dis- (ribution systématique générale, et, relativement aux insectes, l’entomologie de Fabricius offre une distribution systématique particuhere. Il a fallu que la philosophie des sciences naturel- les ait fait, dans ces derniers temps, tous les pro- grès que nous lui connaissons, pour que l’on soit enfin convaincu, au moins en France, d'étudier la inéthode naturelle, c'est-à-dire de rechercher dans nos distributions l’ordre mème qui est propre à la nature, car cet ordre est le seul qui soit stable, indépendant de tout arbitraire, et digne de l'atten- tion du naturaliste. Parmi les végétaux, la méthode naturelle est ex- trèmement difficile à établir, à cause de l'obscurité qu règne dans les caractères d'organisation inté- rieure de ces corps vivants, es les différences qu'a cet égard peuvent offrir les plantes des diver- ses familles. Cependant, depuis les savantes obser- 11 DES PARTIES DE L’ART vations de M. Antoine-Laurent de Jussieu, on a fait un grand pas en botanique vers la méthode naturelle ; des familles nombreuses ont été formées d'apres la considération des rapports. Mais il reste à déterminer solidement la disposition générale de toutes ces familles entre elles et par conséquent celle de l’ordre entier. A la vérité, l’on a trouvé le commencement de cet ordre, mais le milieu, et surtout la fin du même ordre, se trouvent encore à la merci de arbitraire. Il n'en est pas de même relatrvement aux ani- maux ; leur organisation, beaucoup mieux pronon- cée, offrant différents systèmes plus faciles à saisir. a permis d'avancer davantage le travail à leur écard. Aussi l'ordre même de Îa nature, dans le regne animal, est maintenant esquisse dans ses masses principales, d'une manière stable et satis- faisante. Les limites seules des classes, de leurs ordres, des familles et des genres sont encore ex- posées à l'arbitraire. Si l’on forme encore des distributions systémati- ques parmi les animaux, ces distributions, du moins, ne sont que particuliéres, comme celles des objets qui appartiennent à une classe. Ainsi, jusqu à pré sent, les distributions que l'on a faites des poissons et des viseaux Sont encore des distributions systé- natiques. A l'égard des corps vivants, plus on s’abaisse du général vers le particulier, moins les caractères DES PARTIES DE L'ART 15 qu servent à la détermination des rapports sont es= sentiels et alors plus l’ordre même de la nature est difficile à reconnaitre. Les Classes. On donne le nom de classe à la pre- miére sorte de divisions générales que l'on établit dans un régne. Les autres divisions que lon forme parmi celles-ci recoivent alors d'autres noms : nous en parlerons dans l'instant. Plus nos connaissances à l'égard des rapports entre les objets qui composent un régne sont avan- cées, plus les classes que l'on établit pour diviser p'imairement ce regne sont bonnes et paraissent naturelles, si, en les formant, on a eu égard aux rapports reconnus. Néanmoins, les limites de ces classes, ième des meilleures, sont évidemment ar- titicielles, aussi subiront-elles toujours les varia- tions de l'arbitraire de la part des auteurs, tant que les naturalistes ne conviendront pas à leur égard de certains principes de lart et ne s'y sou- mettront pas. Ainsi, lors méme que lordre de la nature serait parfaitement connu dans un régne, les classes que l'on sera obligé d'y établir pour le diviser consti- tueront toujours des coupes véritablement artifi- cielles. Cependant, surtout dans le règne animal, plu- sieurs de ces coupes paraissent réellement formées par la nature elle-mème, et, certes, on aura long- temps de la peine à croire que les mammiferes, 46 DES PARTIES DE L'ART que les oiseaux, etc., ne soient pas des classes bien isolées, formées par la nature. Ge n’est, malgré cela, qu'une illusion, et c’est à la fois un résultat des bornes de nos connaissances à Pégard des ani- maux qui existent où qui ont existé. Plus nous avançons n0$ Connaissances d'observation, plus nous acquérons de preuves que les limites des classes, mème de celles qui paraissent le plus isolées, sont dans le cas de se voir effacées par nos nouvelles découvertes. Déja les ornithorinques et les échid- nés semblent indiquer lexistence d'animaux in- termédiaires entre les oiseaux et les mammiféres. Combien les sciences naturelles n’auraient-elles pas à gagner, si la vaste région de la Nouvelle-Hol- lande et bien d’autres nous étaient plus connues ! Si les classes sont la première sorte de divisions que l’on parvient à établir dans un règne, il s’en suit que les divisions que l’on pourra former entre les objets qui appartiennent à une classe ne peu- vent être des classes ; car il est évidemment incon- venable d'établir des classes dans une classe. C'est cependant ce que lon a fait : Brisson, dans son Ornithologie, a divisé la classe des oiseaux en dif- férentes classes particulières. De même que la nature est partout régie par des lois, l’art, de son côté, doit être assujetti à des re gles. Tant qu'il en manquera où qu'elles ne se- ront pas suivies, ses produits seront vacllants et son objet sera manqué, DES PARTIES DE L'ART 17 Des naturalistes modernes ont introduit usage de diviser une classe en plusieurs sous-classes, et d'autres ensuite ont appliqué cette idée à l'égard même des genres ; en sorte qu'ils forment non-seu- lement des sous-classes, mais en outre, des sows- genres: et bientôt nos distributions présenteront des sous-classes, des sous-ordres, des sous-fannl- les, des sous-genres et des sous-espèces. C'est un abus inconsidéré de l'art, qui détruit l'hiérarchie et la simplicité des divisions que Linné avaient pro- posées par son exemple et qu'on avait adoptées généralement. La diversité des objets qui appartiennent à une classe, soit d'animaux, soit de végétaux, est quel quefois si grande, qu'il est alors nécessaire d'établir beaucoup de divisions et de sous-divisions parmi les objets de cette classe ; mais l'intérèt de la science veut que les parties de l’art aient toujours ia plus orande simplicité possible, afin de faciliter l'étude. Or, cet intérêt permet, sans doute, toutes les divi- sions et sous-divisions nécessaires ; mais il s'oppose à ce que chaque division ait une dénomination par- ticulière. Il faut mettre un terme aux abus de no menclature, sans quoi la nomenclature deviendrait un sujet plus difficile à connaitre que les objets mèmes que l’on doit considérer. Les Ordres. On doit donner le mot d'ordre aux divisions principales et de la premiére sorte qui partagent une classe; et si ces divisions offrent les 48 DES PARTIES DE L'ART moyeus d'en former d'autres en les sous-divisant elles-mèmes, ces sous-divisions ne sont plus des ordres : 11 serait trés-inconvenable de leur en don— ner le nom. Par exemple, la classe des mollusques présente la facilité d'établir parmi ces animaux deux gran- des divisions principales, les uns ayant une tête, des yeux, etc., et se régénérant par accouplement, tandis que les autres sont sans tête, sans veux, etc. et ne subissent aucun accouplement pour se régé- nérer. Les mollusques céphlalés et les mollusques acéphalés doivent être considérés comme les deux ordres de cette classe. Cependant chacun de ces ordres peut se partager en plusieurs coupes remar- quables. Or, cette considération n’est pas un motif qui puisse autoriser à donner le nom d'ordre, ni mème celui de sous-ordre à chacune des coupes dont il s'agit. Ainsi ces coupes qui divisent les ordres peuvent ètre considérées comme des sections, comme de grandes familles susceptibles elles-mèmes d’être encore sous-divisées. Conservons, dans les parties de l’art, la grande simplicité et la belle hiérarchie établies par Lénné : et si nous avons besoin de sous-diviser bien des fois les ordres, c'est-à-dire les principales divisions d'une classe, formons de ces sous-divisions autant qu'il en sera nécessaire et ne leur assignons point de dénomination particuhere. Les ordres qui divisent une classe doivent ètre DES PARTIES DE L’ART 49 déterminés par des caractères importants qui s’éten- dent à tous les objets compris dans chaque ordre ; mais on ne leur doit assigner aucun nom particu- lier applicable aux objets mêmes. La même chose doit avoir lieu à l'égard des sec- lions que le besoin obligera de former parmi les or- dres d’une classe. Les Familles. On donne le nom de /ainille à des portions de l’ordre de la nature, reconnues dans l’un ou l’autre règne des corps vivants. Ces portions de l'ordre naturel sont, d'une part, moins grandes que les classes et même que les ordres, et de l'autre part, elles sont plus grandes que les genres. Mais quelque naturelles que soient les familles, tous les genres qu'elles comprennent étant convenablement rapprochés par leurs vrais rapports, les limites qui circonscrivent ces familles sont toujours artificiel- les. Aussi, à mesure que l’on étudiera davantage les productions de la nature et que l’on en observera de nouvelles, nous verrons, de la part des natura— listes, de perpétuelles variations dans les limites des familles : les uns divisant une famille en plu- sieurs familles nouvelles, les autres réunissant plu- sieurs familles en une seule, enfin les autres encore ajoutant à une famille déjà connue, l’agrandissant, et reculant par là les limites qu'on lui avait assi- gnées. Si toutes les races (ce qu’on nomme les espèces) qui appartiennent à un règne des corps vivants LAMARCK, PHIL. ZOOL. Î 4 50 DES PARTIES DE L’ART étaient parfaitement connues, et si les vrais rap ports qui se trouvent entre chacune de ces races, ainsi qu'entre les différentes masses qu’elles for- ment, l’étaient pareillement, de manière que par- tout le rapprochement de ces races et le placement de leurs divers groupes fussent conformes aux rap- ports naturels de ces objets, alors les classes, les ordres, les sections et les genres seraient des fa milles de différentes grandeurs, car toutes ces cou- pes seraient des portions grandes où petites de l’ordre naturel. Dans le cas que je viens de citer, rien, sans doute, ne serait plus difficile que d’assigner des limites entre ces différentes coupes ; l'arbitraire les ferait varier sans cesse et l’on ne serait d'accord que sur celles que des vides dans la série nous montreraient clairement. | Heureusement, pour l'exécution de Part qu'il nous importe d'introduire dans nos distributions, il y a tant de races d'animaux et de végétaux qu nous sont encore inconnues et il fy en a tant qui nous le seront vraisemblablement toujours, parce que les lieux qu'elles habitent et d’autres circons- tances y mettront sans cesse obstacle, que les vides qui en résultent dans l’étendue de la série, soit des animaux, soit des végétaux, nous fourniront long- temps encore, et peut-être toujours, des moyens de limiter la plupart des coupes qu'il faudra former. L'usage et une sorte de nécessité exigent que DES PARTIES DE L'ART 51 l’on assigne à chaque famille, comme à chaque genre, un nom particulier applicable aux objets qui en font partie. De la résulte que les variations dans les limites des familles, leur étendue et leur déter- mination seront toujours une cause de changement dans leur nomenclature. Les Genres. On donne le nom de genre à des réunions de races, dites espèces, rapprochées d’après la considération de leurs rapports et constituant autant de petites séries limitées par des caractères que l’on choisit arbitrairement pour les circons- crire. Lorsqu'un genre est bien fait, toutes les races où espèces qu'il comprend se ressemblant par les ca- ractères les plus essentiels et Les plus nombreux, doivent être rangées naturellement les unes à.côte des autres et ne différent entre elles que par des caractères de moindre importance, mais qui suffisent pour les distinguer. Ainsi, les genres bien faits sont véritablement de petites familles, c’est-à-dire de véritables portions de l’ordre même de la nature. Mais, de même que les séries auxquelles nous donnons le nom de familles sont susceptibles de va rier dans leurs limites et leur étendue, par les opi- nions des auteurs qui changent arbitrairement les considérations qu'ils emploient pour les former, de mème aussi les limites qui circonscrivent les genres, sont pareillement exposées à des variations infinies, D2 DES PARTIES DE L’ART parce que les différents auteurs changent, selon leur gré, les caractères employés à leur détermi- nation. Or, comme les genres exigent qu’un nom particulier soit assigné à chacun d'eux et que cha- que variation dans la détermination d’un genre en- traine presque toujours un changement de nom, il est difficile d'exprimer combien les mutations per- pétuelles des genres nuisent à l'avancement des sciences naturelles, encombrent la synonymie, sur- chargent la nomenclature et rendent l'étude de ces sciences difficile et désagréable. 6 Quand les naturalistes consentirontils à s’asujet- tir à des principes de convention, pour se régler d’une manière uniforme dans l'établissement des genres, etc., etc. ? Mais, séduits par la considération des rapports naturels qu'ils reconnaissent entre les objets qu'ils ont rapprochés, presque tous croient encore que les genres, les familles, les ordres et les classes qu'ils établissent sont réellement dans la nature. Ils ne font pas attention que les bonnes séries qu'ils parviennent à former à l’aide de l'étude des rapports sont à la vérité dans la nature, car ce sont des portions grandes où petites de son ordre, mais que les lignes de séparation qu'il leur importe d'établir de distance en distance pour diviser l’ordre naturel n’y sont nullement. Conséquemment, les genres, les familles, les sections diverses, les ordres et les classes mêmes, sont véritablement des parhes de Part, quelque DES PARTIES DE L’ART 53 naturelles que soient les séries bien formées qui constituent ces différentes coupes. Sans doute leur établissement est nécessaire et leur but d’une uti- hté évidente et indispensable ; mais, pour ne pas détruire, par des abus toujours renaissants, tous les avantages que ces parties de lart procurent, 1l faut que l'institution de chacune d'elles soit assu— jettie à des principes, à des règles une fois conve- nues, et qu'ensuite tous les naturalistes s'y sou mettent. La Nomenclature. W s'agit ainsi de la sixième des parties de l'art quil a fallu employer pour l'avancement des sciences naturelles. On appelle nomenclature, le systeme des noms que lon assi- one, soit aux objets particuliers, comme à chaque race où espèce de corps vivant, soit aux difiérents groupes de ces objets, comme à chaque genre, chaque famille et chaque classe. Afin de désigner clairement l'objet de la nomen- clature, qui n'embrasse que les noms donnés aux espèces, aux genres, aux familles et aux classes, on doit distinguer la nomenclature de cette autre partie de l’art que l’on nomme fechnologie, celle-ci étant uniquement relative aux dénominations que l’on donne aux parties des corps naturels. « Toutes les découvertes, toutes les observations des naturalistes seraient nécessairement tombées dans l'oubli et perdues pour l'usage de la société, si les objets qu'ils ont observés et déterminés 54 DES PARTIES DE L’ART n'avaient reçu chacun un nom qui puisse servir à les désigner dans l’instant, lorsqu'on en parle, ou lorsqu'on les cite. » (Dict. de Botanique, art. No- menclature.) Il est de toute évidence que la nomenclature, en histoire naturelle, est une partie de l’art et que c'est un moyen qu'il a été nécessaire d'employer pour fixer nos idées à l’égard des productions natu- relles observées et pour pouvoir transmettre, soit ces idées, soit nos observations sur les objets qu'elles concernent. Sans doute cette partie de l’art doit être assujet- tie comme les autres à des règles convenues et gé- néralement suivies; mais il faut remarquer que les abus qu'elle présente partout dans l'emploi qu'on en a fait, et dont on a tant de raisons de se plaindre, proviennent principalement de ceux qui se sont in— troduits et qui se multiplient tous les jours encore dans les autres parties de l’art déjà citées. En eflet, le défaut de regles convenues, relatives à la formation des genres, des familles et des classes mêmes, exposant ces parties de l’art à toutes les va- rations de l’arbitraire, la nomenclature en éprouve une suite de mutations sans bornes. Jamais elle ne pourra être fixée tant que ce défaut subsistera; et la synonyinie, déja d'une étendue immense, s’accroi- tra toujours et deviendra de plus en plus incapable de réparer un pareil désordre qui annule tous les avantages de la science. DES PARTIES DE L’ART 59 Si l’on eût considéré que toutes les lignes de sé paration que l’on peut tracer dans la série des ob- jets qui composent un règne des corps vivants sont réellement artificielles, sauf celles qui résultent des vides à remplir, cela ne fût point arrivé. Mais on n'y a point pensé; on ne s’en doutait mème pas, et presque jusqu’à ce jour les naturalistes n’ont eu en vue que d'établir des distinctions entre les objets, ce que je vais essayer de mettre en évidence. « En effet, pour parvenir à nous procurer et à nous conserver l'usage de tous les corps naturels qui sont à notre portée et que nous pouvons faire servir à nos besoins, on a senti qu'une détermina- tion exacte et précise des caractères propres de cha- cun de ces corps était nécessaire, et conséquemment qu'il fallait rechercher et déterminer les particula- rités d'organisation, de structure, de forme, de pro- portion, etc., etc., qui différencient les divers corps naturels, afin de pouvoir en tout temps les recon- naître et les distinguer les uns des autres. Cest ce que les naturalistes, à force d'examiner les objétk, sont, jusqu'à un Certain point, parvenus à exécuter. « Gette partie des travaux des naturalistes est celle qui est la plus avancée : on a fait avec raison, depuis environ un siècle et demi, des efforts immen- ses pour la perfectionner, parce qu'elle nous aide à connaître ce qui a été nouvellement observé et à nous rappeler ce que nous avons déjà connu, et parce qu’elle doit fixer les connaissances des objets 65 DES PARTIES DE L'ART dont les propriétés sont où seront reconnues dans le cas de nous être utiles. TU « Mais les naturalistes s’appesantissant trop sur l'emploi de toutes ces considérations, à l'égard des lignes de séparation qu'ils en peuvent obtenir pour diviser la série générale, soit des animaux, soit des végétaux, et se livrant presque exclusivement à ce seul genre de travail, sans le considérer sous son véritable point de vue et sans penser à s'entendre, c'est-à-dire à établir préalablement des règles de convention pour limiter l’étendue de chaque partie de cette grande entreprise et pour fixer les principes de chaque détermination, quantité d'abus se sont introduits ; en sorte que chacun changeant arbitrai- rement les considérations pour la formation des classes, des ordres et des genres, de nombreuses classifications différentes sont sans cesse présentées au public, les genres subissent continuellement des mutations sans bornes, et les productions de la na- ture, par une une suite de cette marche inconsidérée, changent perpétuellement de nom. « Il en résulte que maintenant la synonymie, en histoire naturelle, est d’une étendue effrayante, que chaque jour la science s’obscurcit de plus en plus, qu'elle s’enveloppe de difficultés presque msurmon- tables et que le plus bel effort de l’homme pour établir les moyens de reconnaitre et distinguer tout ce que la nature offre à son observation et à son usage est changé en un dédale immense dans lequel DES PARTIES DE L'ART 57 on tremble, avec raison, de s’enfoncer. » (Discours d'ouvert. du Cours de 1806, p. 5 et 6.) Voilà les suites de l'oubli de distinguer ce qui appartient réellement à l'art, de ce qui est le propre de la nature, et de ne s'être pas occupé de trouver des règles convenables pour déterminer moms ar- bitrairement les divisions qu'il importait d'établir. CELA P HR EMA IMPORTANCE DE LA CONSIDÉRATION DES RAPPORTS Parmi les corps vivants, on a donné le nom de rapport entre deux objets considérés comparative- ment à des traits d’analogie ou de ressemblance, pris dans Fensemble ou la généralité de leurs par- ties, mais en attachant plus de valeur aux plus essentielles. Plus ces traits ont de conformité et détendue, plus les rapports entre les objets qui les offrent sont considérables. Ils indiquent une sorte de parenté entre les corps vivants qui sont dans ce cas et font sentir la nécessité de les rapprocher dans nos distributions proportionnellement à la grandeur de leurs rapports. Quel changement les sciences naturelles n'ont- elles pas éprouvé dans leur marche et dans leurs progres, depuis qu'on à commencé à donner une at- IMPORTANCE DES RAPPORTS 99 tention sérieuse à la considération des rapports, et surtout depuis que l’on a déterminé les vrais prin- cipes qui concernent ces rapports et leur valeur ! Avant ce changement, nos distributions botani- ques étaient entièrement à la merei de larbitraire et du concours des systèmes artificiels de tous les auteurs ; et, dans le règne animal, les animaux sans vertébres, qui embrassent la plus grande partie des animaux connus, offraient dans leur distribution les assemblages les plus disparates, les uns sous le nom d'insectes, et les autres sous celui de vers, présen- tant les animaux les plus différents et les plus éloi- gnés entre eux sous la considération des rapports. Heureusement la face des choses est maintenant changée à cet égard, et désérmais SE l’on continue d'étudier l'histoire naturelle, ses progrès sont assu- rés. La considération des apports naturels empèche tout arbitraire de notre part dans les tentatives que nous formons pour distribuer méthodiquement les corps organisés; elle montre la loi de la nature qui doit nous diriger dans la méthode naturelle: elle force les opinions des naturalistes à se réunir à l'égard du rang qu'ils assignent d’abord aux mas- ses principales qui composent leur distribution, et ensuite aux objets particuliers dont ces masses sont composées ; enfin, elle les contramt à représenter l’ordre mème qu'a suivi la nature en donnant l’exis— tence à ses productions. C0 IMPORTANCE DES RAPPORTS Ainsi. tout ce qui concerne les rapports qu'ont entre eux les différents animaux doit faire, avant toute division ou toute classification parmi eux, le plus important objet de nos recherches. En citant ici la considération des rapports, il ne s’agit pas seulement de ceux qui existent entre les espèces, mais il est en même temps question de fixer les apports généraux de tous les ordres qui rap- prochent ou éloignent les masses que lon doit con- sidérer comparativement. Les rapports, quoique tres-différents en valeur selon l'importance des parties qui les fournissent, peuvent néanmoins s'étendre jusque dans la confor- mation des parties extérieures. S'ils sont tellement considérables que, non-seulement les parties essen- tielles, mais mème les parties extérieures n’offrent aucune différence déterminable, alors les objets considérés ne sont que des individus d’une même espèce ; mails si, malgré l'étendue des rapports, les parties extérieures présentent des différences saisis- sables, toujours moindres cependant que les res- semblances essentielles, alors les objets considérés sont des especes différentes d’un même genre. L'importante étude des rapports ne se borne pas à comparer des classes, des familles et même des espèces entre elles, pour déterminer les rapports qui se trouvent entre ces objets, elle embrasse aussi la considération des parties qui composent les indi- vidus, et en comparant entre elles les mêmes sortes IMPORTANCE DES RAPPORTS 61 de parties, cette étude trouve un moyen solide de re- connaitre,soit l’identitédesindividusd’unemémerace, soit la différence quiexiste entre les races, distinctes. En effet, on a remarqué que les proportions et les dispositions des parties de tous les individus qui com- posent une espèce où une race se montraient tou- Jours les mêmes, et par là paraissaient se conser- ver toujours. Onen a conclu avec raison que, d’après examen de quelques parties séparées d’un individu, l’on pouvait déterminer à quelle espèce connue on nouvelle pour nous ces parties appartenaient. Ce moyen est très-favorable à l'avancement de nos connaissances sur l’état des productions de la nature à l’époque où nous observons. Mais les déter- minations qui en résultent ne peuvent être valables que pendant un temps limité; car les races elles- mêmes changent dans l’état de leurs parties, à me- sure que les circonstances qui influent sur elles changent considérablement. A la vérité, comme ces changements ne s’exécutent qu'avec une lenteur énorme qui nous les rend toujours insensibles, les proportions et les dispositions des parties paraissent toujours les mêmes à lobservateur qui, effective- ment, ne les voit jamais changer; et lorsqu'il en rencontre qui ont subi ces changements, comme 1l n’a pu les observer, il suppose que les différences qu'il aperçoit ont toujours existé. Il n’en est pas moms trés-vrai qu'en comparant des parties de même sorte qui appartiennent à diffe— 62 IMPORTANCE DES RAPPORTS rents individus, l’on détermine facilement et sûre- ment les rapports prochains ou éloignés qui se trou- vent entre ces parties et que, par suite, on reconnait si ces parties appartiennent à des individus de même race ou de races différentes. Il n’y a que la conséquence générale qui est défec- tueuse, ayant été tirée trop inconsidérément. J’aurai plus d’une occasion de le prouver dans le cours de cet ouvrage. Les rapports sont toujours Imcomplets, lorsqu'ils ne portent que sur une considération isolée, c’est a-dire lorsqu'ils ne sont déterminés que d'apres la considération d’une partie prise séparément. Mais quoique incomplets, les rapports fondés sur la con sidération d’une seule partie sont néanmoins d'autant plus grands que la partie qui les fournit est plus essentielle, ef vice versa. Il y a donc des degrés déterminables parmi les rapports reconnus et des valeurs d'importance parmi les parties qui peuvent fournir ces rapports. A la vérité, cette connaissance serait restée sans ap- plication et sans utilité, si, dans les corps vivants, l’on n’eût distingué les parties les plus importantes de celles qui le sont moins et si, parmi ces parties importantes, qui sont de plusieurs sortes, on n’eût trouvé le principe propre à établir entre elles des valeurs non arbitraires. Les parties Les plus importantes et qui doivent fournir les principaux rapports sont, dans les ani- IMPORTANCE DES RAPPORTS 63 maux, celles qui sont essentielles à la conservation de leur vie, et dans les végétaux celles qui sont essentielles à leur régénération. Ainsi, dans les animaux, ce sera toujours d’après l'organisation intérieure que lon déterminera les principaux rapports, et, dans les végétaux, ce sera toujours dans les parties de la fructification que l'on cherchera les rapports qui peuvent exister entre ces différents corps vivants. Mais comme, parmi les uns et les autres, les par ties les plus importantes à considérer dans la re- cherche des rapports sont de différentes sortes, le seul principe dont il soit convenable de faire usage. pour déterminer sans arbitraire le degré d’impor- tance de chacune de ses parties, consiste à considé- rer soit le plus grand emploi qu'en fait la nature. soit l'importance mème de la faculté qui en résulte pour les animaux qui possedent cette partie. Dans les animaux où l’organisation intérieure fournit les principaux rapports à considérer, trois sortes d'organes spéciaux sont avec raison choisis parmi les autres, comme les plus propres à fournir les rapports les plus importants. En voici limdica- tion selon l’ordre de leur importance : l° L'organe du sentiment. Les nerfs, ayant un centre de rapport, soit unique, comme dans les animaux qui ont un cerveau, soit mul tiple, comme dans ceux qui ont une moelle longitudinale noueuse ; IMPORTANCE DES RAPPORTS [e7] Res 2° L'organe de la respiration. Les poumons, les branchies et les trachées ; 3° L’organe de la circulation. Les arteres et les veines, ayant le plus souvent un centre d’ac- tion qui est le cœur. Les deux premiers de ces organes sont plus gé- néralement employés par la nature et par consé- quent plus importants que le troisième, c’est-à-dire que l'organe de la circulation ; car celui-ci se perd après les crustacés, tandis que les deux premiers s'étendent encore aux animaux des deux classes qui suivent les crustacés. Enfin, des deux premiers, c’est l'organe du sen- timent qui doit l'emporter en valeur pour les rap- ports, car il a produit la plus éminente des facultés anumales, et d’ailleurs, sans cet organe, l’action musculaire ne saurait avoir Heu. Si J'avais à parler des végétaux, en qui les par- ties essentielles à leur régénération sont les seules qui fournissent les principaux caracteres pour la détermination des rapports, je présenterais ces par- ties dans leur ordre de valeur où d'importance comme ci-aprés : 1° L’embryon, ses accessoires (les cotylédons, le périsperme) et la graine qui le contient ; 2° Les parties sexuelles des fleurs, telles que le pistil et les étamines ; 3° Les enveloppes des parties sexuelles : la co- rolle. le calice. etc. ; IMPORTANCE DES RAPPORTS 65 4° Les enveloppes de la graine, ou le péricarpe ; ov Les corps reproductifs qui n’ont point exigé de fécondation. ; Ces principes, la plupart reconnus, donnent aux sciences naturelles une consistance et une solidité qu'elles ne possédaient pas auparavant. Les rap- ports que l’on détermine en s’y conformant ne sont point assujettis aux variations de opinion ; nos dis- tributions générales deviennent forcées ; et a mesure que nous les perfectionnons à l’aide de ces moyens, elles se rapprochent de plus en plus de lPordre mème de la nature. Ce fut, en effet, apres avoir senti l'importance de la considération des rapports, qu'on vit naitre les essais qui ont été faits, surtout depuis peu d'années, pour déterminer ce qu'on nomme la #néf/hode natu- selle ; méthode qui n’est que lesquisse tracée par l'homme, de la marche que suit la nature pour faire exister ses productions. Maintenant on ne fait plus de cas, en France, de ces systèmes artificiels fondés sur des caracteres qui compromettent les rapports naturels entre les objets qui y sont assujettis, systemes qui don- naent lieu à des divisions et des distributions nuisi- bles à l’avancement de nos connaissances sur la nature. Relativement aux animaux, on est maintenant convaincu avec raison que c’est uniquement de leur organisation que les rapports naturels peuvent être LAM\RCK, PHIL, ZOOL. Î. D CG IMPORTANCE DES RAPPORTS déterminés parmi eux; conséquemment, C’est prin- cipalement de l’anatomie comparée que la zoologie empruntera toutes les lumières qu'exige la déter- mination de ces rapports. Mais 1l importe d'obser- ver que ce sont particulièrement les faits que nous devons recueillir des travaux des anatomistes qui se sont attachés à les découvrir et non toujours les conséquences qu'ils en tirent; car trop souvent elles tiennent à des vues qui pourraient nous égarer et nous empêcher de saisir les lois et le vrai plan de la nature. Il semble que chaque fois que l’homme observe un fait nouveau quelconque, il soit con- damné à se jeter toujours dans quelque erreur en voulant en assigner la cause, tant son imagination est féconde en création d'idées et parce qu'il neglige trop de guider ses jugements par les considérations d'ensemble que les observations et les autres faits recueillis peuvent lui offrir. Lorsqu'on s'occupe des rapnorts naturels entre les objets et que ces rapports sont bien jugés, les espèces, étant rapprochées d'apres cette considéra- tion, et rassemblées par groupes entre certaines limi- tes, forment ce qu'on nomme des genres ; les genres, pareillement rapprochés d'apres la considération des rapports et réunis aussi par groupes d’un ordre qui leur est supérieur, forment ce qu'on nomme des fu milles ; ces familles, rapprochées de mème et sous la mème considération, composent les ordres ; ceux- cl, par les mèmes moyens, divisent primairement IMPORTANCE DES RAPPORTS 57 les classes; enfin, ces dernières partagent chaque regne en ses principales divisions. Ce sont donc partout les rapports naturels bien Jugés qui doivent nous guider dans les assemblages que nous formons lorsque nous déterminons les divi sions de chaque règne en classes, de chaque classe en ordres, de chaque ordre en sections où familles, de chaque famille en genres, et de chaque genre en différentes espèces, s'il y a lieu. On est parfaitement fondé à penser que la série totale des êtres qui font partie d'un reégne étant dis- tribuée dans un ordre partout assujetti à la considé- ration des rapports, représente l’ordre méme de la nature ; mais, comme je l'ai fait voir dans le cha- pitre précédent, 1l importe de considérer que les dif- férentes sortes de divisions qu'il est nécessaire d’éta- blir dans cette série pour pouvoir en connaitre plus facilement les objets, n’appartiennent point à la na ture et sont véritablement artificielles, quoiqu'elles offrent des portions naturelles de l’ordre même que la nature a institué. Si l’on ajoute à ces considérations que. dans le règne animal, les rapports doivent être déterminés principalement d'après l’organisation et que les principes qu'on doit employer pour fixer ces rapports ne doivent pas laisser le moindre doute sur leur fon- dement, on aura, dans toutes ces considérations, des bases solides pour la philosophie zoologique. On sait que toute science doit avoir sa philosophie 68 IMPORTANCE DES RAPPORTS et que ce n’est que par cette voie qu'elle fat des progrès réels. En vain les naturalistes consume- ront-ils leur temps à décrire de nouvelles espèces, à saisir toutes les nuances et les petites particularités de leurs variations pour agrandir la liste immense des espèces inscrites, en un mot, à instituer diverse ment des genres, en changeant sans cesse l’emploi des considérations pour les caractériser ; si la philo- sophie de la science est négligée, ses progres seront sans réalité et l'ouvrage entier restera imparfait. Ce n’est effectivement que depuis que lon a entre- pris de fixer les rapports prochains ou éloignés qui existent entre les diverses productions de la nature et entre les objets compris dans les différentes cou pes que nous avons formées parmi ces productions. que les sciences naturelles ont obtenu quelque soli- dité dans leurs principes et une philosophie qui les constitue en véritables sciences. Que d'avantages pour leur perfectionnement nos distributions et nos classifications ne retirent-elles pas chaque jour de l’étude suivie des rapports entre les objets! En eflet, c’est en étudiant ces rapports que j'ai reconnu que les animaux ##fusoires ne pouvaient plus être associés aux polypes dans la même classe; que les radiaires ne devaient pas non plus être con- fondus avec les polypes ; et que celles qui sont mol- lasses, telles que les méduses et autres genres avoi- smants, que Linné et Bruguiere même placaient parmi IMPORTANCE DES RAPPORTS 69 les mollusques, se rapprochaient essentiellement des échinides et devaient former avec elles une classe particulière. C’est encore en étudiant les rapports que je me suis convaincu que les vers formaient une coupe iso— lée, comprenant des animaux treés-différents de ceux qui constituent les radiaires et à plus forte raison les polypes; que les arachnides ne pouvaient plus faire partie de la classe des msectes et que les cirrhipèdes n'étaient ni des annelides, ni des mol- lusques. Enfin, c’est en étudiant les rapports que je suis parvenu à opérer quantité de redressements essen- tiels dans la distribution même des mollusques et que j'ai reconnu que les pléropodes qui, par leurs rapports, sont treés-voisins, quoique distincts, des gastéropodes, ne doivent pas être placés entre les sastéropodes et les céphalopodes; mais qu'il faut les ranger entre les mollusques acéphalés qu'ils avoisi- nent et les gastéropodes, ces ptéropodes étant sans yeux, comme tous les acéphalés, et presque sans tête, l’hyale même n’en offrant plus d’apparente. Voyez, dans le septième chapitre qui termine cette première partie, la distribution particulière des mollusques. Lorsque, parmi les végétaux, l'étude des rapports entre les différentes familles reconnues nous aura plus éclairés et nous aura fait mieux connaître le rang que chacune d'elles doit occuper dans la série générale, alors la distribution de ces corps vivants 70 IMPORTANCE DES RAPPORTS ne laissera plus de prise à larbitraire et deviendra plus conforme à l’ordre même de la nature. Ainsi l'importance de l'étude des rapports entre les objets observés est si évidente, qu'on doit main- tenant regarder cette étude comme la principale de celles qui peuvent avancer les sciences naturelles. CHAPTPREUI II DE L'ESPÈCE PARMI LES CORPS VIVANTS ET DE L'IDÉE QUE NOUS DEVONS ATTACHER A CE MOT Ce n'est pas un objet futile que de déterminer positivement l’idée que nous devons nous former de ce que l’on nomme des espèces parmi les corps vi- vants et que de rechercher s'il est vrai que les espè- ces ont une constance absolue, sont aussi anciennes que la nature, et ont toutes existé originairement telles que nous les observons aujourd'hui; ou si, assujetties aux changements de circonstances qui ont pu avoir lieu à leur égard, quoique avec une ex- trème lenteur, elles n’ont pas changé de caractère et de forme par la suite des temps. L’éciaircissement de cette question n'intéresse pas seulement nos connaissances zoologiques et botani- ques, mais il est en outre essentiel pour l’histoire du globe. 1 La DE L'ESPECE Je ferai voir dans l’un des chapitres qui suivent, que chaque espece a reçu de l'influence des circons- tances dans lesquelles elle s’est pendant longtemps rencontrée les Aabitudes que nous lui connaissons et que ces habitudes ont elles-mèmes exercé des influences sur les parties de chaque individu de les- pèce, au point qu'elles ont modifié ces parties et les ont mises en rapport avec les habitudes contractées. Voyons d'abord l'idée que l’on s’est formée de ce que l’on nomme espèce. On a appelé espèce toute collection d'individus semblables qui furent produits par d’autres mdividus pareils à eux. Cette définition est exacte ; car tout mdividu jouis- sant de la vie ressemble toujours, à très-peu près, à celui ou à ceux dont il provient. Mais on ajoute à cette définition la supposition que les individus qui composent une espece ne varient jamais dans leur caractere spécifique, et que conséquemment l'espèce a une constance absolue dans la nature. C’est uniquement cette supposition que je me pro- pose de combattre, parce que des preuves évidentes obtenues par l'observation constatent qu'elle n’est pas fondée. La supposition presque généralement admise, que les corps vivants constituent des espèces constam-— ment distinctes par des caractères invariables, et que l'existence de ces espèces est aussi ancienne que celle de la nature même, fut établie dans un temps PARMI LES CORPS VIVANTS 73 où l’on n'avait pas suffisamment observé et où les sciences naturelles étaient encore à peu pres nulles. Elle est tous les jours démentie aux yeux de ceux qui ont beaucoup vu, qui ont longtemps suivi la na- ture et qui ont consulté avec fruit les grandes et riches collections de nos Muséums. Aussi, tous ceux qui se sont fortement occupés de l'étude de l’histoire naturelle savent que maintenant les naturalistes sont extrèmement embarrassés pour déterminer les objets qu'ils doivent regarder comme des espèces. En effet, ne sachant pas que les espèces w’ont réellement qu'une constance relative à la du- rée des circonstances dans lesquelles se sont trouvés tous les individus qui les représentent, et que cer- tans de ces individus ayant varié constituent des s'aces qui se nuancent avec ceux de quelque autre espèce voisine, les naturalistes se décident arbitrai- rement, en donnant les uns comme variétés, Les autres comme espèces, des individus observés en différents pays et dans diverses situations. Il en ré- sulte que la partie du travail qui concerne la dé- termination des espèces, devient de jour en jour plus défectueuse, c'est-à-dire plus embarrassée et plus confuse. A la vérité, on a remarqué depuis longtemps qu'il existe des collections d'individus qui se ressemblent tellement par leur organisation ainsi que par l'en- semble de leurs parties, et qui se conservent dans le même état de générations en générations, depuis 74 DE L’ESPÈCE qu'on les connaît, qu’on s’est cru autorisé à regar- der ces collections d'individus semblables comme constituant autant d'espèces nvariables. Or, n'ayant pas fait attention que les individus d'une espèce doivent se perpétuer sans varier, tant que les circonstances qui influent sur leur manière d'être ne varient pas essentiellement, et les préven- tions existantes s’accordant avec ces régénérations successives d'individus semblables, on a supposé que chaque espèce était mvariable et aussi ancienne que la nature et qu'elle avait eu sa création particulière de la part de lAnteur suprème de tout ce qui existe. Sans doute, rien n'existe que par la volonté du sublime Auteur de toutes choses. Mais pouvons-nous lui assigner des règles dans exécution de sa volonté et fixer le mode qu'il a suivi à cet égard? Sa puis- sance infinie n'a-t-elle pu créer un ordre de choses qui donnât successivement l’existence à tout ce que nous voyons comme à tout ce qui existe et que nous ne connaissons pas ? Assurément, quelle qu'ait été sa volonté, l’immen- sité de sa puissance est toujours la même et de quelque manière que se soit exécutée cette volonté suprême, rien n'en peut diminuer la grandeur. Respectant donc les décrets de cette sagesse infi- nie, je me renferme dans les bornes d’un simple observateur de la nature. Alors, sije parviens à dé- mèéler quelque chose dans la marche qu'elle a suivie pour opérer ses productions, je dirai, sans crainte de PARMI LES CORPS VIVANTS 75 me tromper, qu'il a plu à son Auteur qu’elle ait cette faculté et cette puissance. L'idée qu'on s'était formée de l'espèce parmi les corps vivants était assez simple, facile à saisir, et semblait confirmée par la constance dans la forme semblable des individus que la reproduction ou la génération perpétuait : telles se trouvent encore pour nous un tres-grand nombre de ces espèces pré- tendues que nous voyons tous les jours. Cependant, plus nous avancons dans la connais- sance des différents corps organisés, dont presque toutes les parties de la surface du globe sont cou- vertes, plus notre embarras s’accroit pour détermi- ner ce qui doit être regardé comme espèce et, à plus forte raison, pour limiter et distinguer les genres. A mesure qu'on recueille les productions de la nature, à mesure que nos collections s’enrichissent, nous voyons presque tous les vides se remplir et nos lignes de séparation s’effacer. Nous nous trou- vons réduits à une détermination arbitraire, qui tan- tôt nous porte à saisir les moindres différences des variétés pour en former le caractère de ce que nous appelons espèce, et tantôt nous fait déclarer variété de telle espèce des individus un peu différents que d'autres regardent comme constituant une espèce particulière. Je le répète, plus nos collections s’enrichissent plus nous rencontrons de preuves que tout est plus où moins nuancé, que les différences remarquables 76 DE L’ESPECE s'évanouissent, et que, le plus souvent, la nature ne laisse à notre disposition, pour établir des distine- tions, que des particularités minutieuses et, en quel- que sorte, puériles. Que de genres, parmi les animaux et les végétaux, sont d’une étendue telle, par la quantité d'espèces qu'on y rapporte, que l'étude et la détermination de ces espèces y sont maintenant presque imprati- cables ! Les espèces de ces genres, rangées en séries et rapprochées d’après la considération de leurs rap- ports naturels, présentent, avec celles qui les avoi- sinent, des différences si légères qu'elles se nuan- cent, et que ces espèces se confondent, en quelque sorte, les unes avec les autres, ne laissant presque aucun moyen de fixer, par l’expression, les petites différences qui les distinguent. Il n’y a que ceux qui se sont longtemps et forte ment occupés de la détermination des espèces, et qui ont consulté de riches collections, qui peuvent sa- voir Jusqu'à quel point les espèces, parmi les corps vivants, se fondent les unes dans les autres, et qui ont pu se convaincre que, dans les parties où nous voyons des espèces isolées, cela n’est ainsi que parce qu'il nous en manque d’autres qui en sont plus voi- sines et que nous n'avons pas encore recueillies. Je ne veux pas dire pour cela que les animaux qui existent forment une série très-simple et partout également nuancée; mais je dis qu'ils forment une série rameuse, irréguliérement graduée et qui n’a PARMI LES CORPS VIVANTS 17 point de discontinuité dans ses parties, où qui, du moins, n'en a pas toujours eu, s’il est vrai que, par suite de quelques espèces perdues, il s’en trouve quelque part. Il en résulte que les espèces qui ter- minent chaque rameau de la série générale tien- nent, au moins d'un côté, à d’autres espèces voisines qui se nuancent avec elles. Voilà ce que l’état bien connu des choses me met maintenant à portée de démontrer. Je n'ai besoin d'aucune hypothèse, ni d'aucune supposition pour cela ; j en atteste tous les natura- listes observateurs. Non-seulement beaucoup de genres, mais des or- dres entiers, et quelquefois des classes mêmes, nous présentent déjà des portions presque complètes de l'état de choses que je viens d'indiquer. Or, lorsque, dans ces cas, l’on a rangé les espèces en séries, et qu'elles sont toutes bien placées suivant leurs rapports naturels, si vous en choisissez une, et qu'ensuite, faisant un saut par-dessus plusieurs autres, vous en prenez une autre un peu éloignée, ces deux espèces, mises en Comparaison, vous offri- ront alors de grandes dissemblances entre elles. C’est ainsi que nous avons commencé à voir les pro- ductions de la nature qui se sont trouvées le plus à notre portée. Alors les distinctions génériques et spécifiques étaient tres-faciles à établir. Mais main- tenant que nos collections sont fort riches, si vous suivez la série que Je citais tout à l'heure depuis 78 DE L’ESPÈCE l'espèce que vous avez choisie d’abord, jusqu'a celle que vous avez prise en second lieu, et qui est tres- différente de la première, vous y arrivez de nuance en nuance, sans avoir remarqué des distinctions dignes d’être notées. Je le demande : quel est le zoologiste ou le bota— niste expérimenté, qui n’est pas pénétré du fonde- ment de ce que je viens d'exposer ? Comment étudier maintenant, ou pouvoir déter- miner d’une maniere solide les espèces, parmi cette multitude de polypes de tous les ordres, de ra- diaires, de vers, et surtout d'insectes, où les seuls genres papillon, phalène, noctuelle, teigne, mou- che, ichneumon, charanson, capricorne, scarabé, cétoine, etc., etc., offrent déja tant d'espèces qui s’avoisinent, se nuancent, se confondent presque les unes avec les autres ? Quelle foule de coquillages les mollusques ne nous présentent-ils pas de tous les pays et de toutes les mers, qui éludent nos moyens de distinction et épui- sent nos ressources à cet égard ! Remontez jusqu'aux poissons, aux reptiles, aux oiseaux, aux mammifères mêmes, vous verrez, sauf les lacunes qui sont encore à remplir, partout des nuances qui lient entre elles les espèces voisines, les genres mêmes, et ne laissent presque plus de prise à notre industrie pour établir de bonnes distinctions. La botanique, qui considère l’autre série que composent les végétaux, n’offre-t-elle pas, dans ses PARMI LES CORPS VIVANTS 19 diverses parties, un état de choses parfaitement semblable ? En effet, quelles difficultés n’éprouve-t-on pas maintenant dans l'étude et la détermination des espèces, dans les genres Zchen, fucus, carex, poa, piper, euphorbia, erica, Mieracium, solanum, ge- ranium, minosa, etc., ete. ? Lorsqu'on a formé ces genres, on n’en connaissait qu'un petit nombre d'espèces, et alors il était facile de les distinguer ; mais à présent que presque tous les vides sont remplis entre elles, nos différences spécifiques sont nécessairement minutieuses et le plus souvent insuffisantes. À cet état de choses bien constaté, voyons quelles sont les causes qui peuvent y avoir donné lieu, voyons si la nature possède des moyens pour cela et si l'observation a pu nous éclairer à cet égard. Quantité de faits nous apprennent qu'à mesure que les individus d’une de nos espèces changent de situation, de climat, de maniere d’être ou d'habitude, ils en reçoivent des influences qui changent peu à peu la consistance et les proportions de leurs par- ties, leur forme, leurs facultés, leur organisation inème ; en sorte que tout en eux participe, avec le temps, aux mutations qu'ils ont éprouvées. Dans le mème climat, des situations et des expo sitions tres-différentes font d'abord simplement varier les individus qui s’y trouvent exposés ; mais par la suite des temps, la continuelle différence des £0 DE L'ESPÈCE situations des individus dont je parle, qui vivent et se reproduisent successivement dans les mêmes circonstances , amène en eux des différences qui deviennent, en quelque sorte, essentielles à leur ètre; de manière qu'à la suite de beaucoup de gé- nérations qui se sont succédé les unes aux autres, ces individus, qui appartenaient originairement à une autre espèce, Se trouvent à la fin transformés en une espèce nouvelle, distincte de l’autre. Par exemple, que les graines d’une graminée ou de toute autre plante naturelle à une prairie humide soient transportées, par une circonstance quelconque, d’abord sur le penchant d’une colline voisine, où le sol, quoique plus élevé, sera encore assez frais pour permettre à la plante d'y conserver son existence , et qu'ensuite, après y avoir vécu et s’y être bien des fois régénérée, elle atteigne, de proche en proche, le sol sec et presque aride d'une côte mon— tagneuse, si la plante réussit à y subsister et sy perpétue pendant une suite de générations, elle sera alors tellement changée que les botanistes qui Py rencontreront en constitueront une espèce particu- liere. La même chose arrive aux animaux que des cir- constances ont forcés de changer de climat, de ma- niere de vivre et d’habitudes : mais, pour ceux-ci, les influences des causes que Je viens de citer exigent plus de temps encore qu'à l'égard des plantes, pour opérer des changements notables sur les individus. PARMI LES CORPS VIVANTS 81 L'idée d'embrasser, sous le nom d'espèce, une collection d'individus semblables, qui se perpétuent les mêmes par la génération et qui ont ainsi existé les mêmes aussi anciennement que la na- ture, emportait la nécessité que les individus d’une mème espèce ne pussent point s’allier, dans leurs actes de génération, avec des individus d’une espèce différente. Malheureusement l'observation a prouvé et prouve encore tous les jours que cette considération n’est nullement fondée ; car les hybrides, tres-conmunes parmi les végétaux, et les accouplements, qu'on re- marque souvent entre des individus d'espèces fort différentes parmi les animaux, ont fait voir que les limites entre ces espèces prétendues constantes n'étaient pas aussi solides qu'on la imaginé. À la vérité, souvent il ne résulte rien de ces sin- guliers accouplements, surtout lorsqu'ils sont très- disparates, et alors les individus qui en proviennent sont en général inféconds ; mais aussi, lorsque les disparates sont moins grandes, on sait que les dé- fauts dont il s’agit n’ont plus lieu. Or, ce moyen seul suffit pour créer de proche en propre des variétés qui deviennent ensuite des races, et qui, avec le temps, constituent ce que nous nommons des espèces. Pour juger si l’idée qu’on s’est formée de lespèce a quelque fondement réel, revenons aux considéra- tions que j'ai déjà exposées ; elles nous font voir : 1° Que tous les corps organisés de notre globe LAMARCK, PHIL. ZOOL. I. 6 82 DE L’ESPÈCE sont de véritables productions de la nature, qu'elle a successivement exécutées à la suite de beaucoup de temps ; 2° Que, dans sa marche, la nature a commencé, et recommence encore tous les jours par former les corps organisés les plus simples et qu’elle ne forme directement que ceux-là, c’est-à-dire que ces pre- mières ébauches de l’organisation, qu’on a désignées par l'expression de générations spontanées ; 3° Que les premières ébauches de lanimal et du végétal étant formées dans les lieux et les circons- tances convenables, les facultés d’une vie commen- çante et d’un mouvement organique établi ont nécessairement développé peu à peu les organes, et qu'avec le temps elles les ont diversifiés ainsi que les parties ; 4° Que la faculté d’accroissement dans chaque portion du corps organisé étant inhérente aux pre- miers effets de la vie, elle a donné lieu aux diffé- rents modes de multiplication et de régénératiôn des individus, et que par la les progrès acquis dans la composition de l’organisation et dans la forme et la diversité des parties ont été conservés : D° Qu'a l’aide d'un temps suffisant, des cireons- tances qui ont été nécessairement favorables, des changements que tous les points de la surface du globe ont successivement subis dans leur état, en un mot, du pouvoir qu'ont les nouvelles situations et les nouvelles habitudes pour modifier les organes PARMI LES CORPS VIVANTS 83 des corps doués de la vie, tous ceux qui existent maintenant ont été insensiblement formés tels que nous les voyons ; 6° Enfin, que, d’après un ordre semblable de choses, les corps vivants ayant éprouvé chacun des changements plus où moins grands dans l'état de leur organisation et de leurs parties, ce qu’on nomme espèce parmieux a été insensiblement et successivement ainsi formé, n’a qu'une constance relative dans son état et ne peut être aussi ancien que la nature. Mais, dira-t-on, quand on voudrait supposer qu'à l’aide de beaucoup de temps et d’une variation infinie dans les circonstances, la nature a peu à peu formé les animaux divers que nous connaissons,ne serait-on pas arrêté, dans cette supposition, par la seule con- sidération de la diversité admirable que l’on remarque dans l’énstinet des différents animaux et par celle des merveilles de tout genre que présentent leurs di- verses sortes d'industrie ? Osera-t-on porter l'esprit de système jusqu’à dire que c’est la nature qui a, elle seule, créé cette diver- sité étonnante de moyens, de ruses, d'adresse, de précautions, de patience, dont lPrrdustrie des ani- maux nous offre tant d'exemples ? Ce que nous obser- vons à cet égard, dans la classe seule des znsectes, n'est-il pas mille fois plus que suffisant pour nous faire sentir que les bornes de la puissance de la na ture ne lui permettent nullement de produire elle- 84 DE L'ESPÈCE mème tant de merveilles et pour forcer le philo- sophe le plus obstiné à reconnaitre qu'ici la volonté du suprème Auteur de toutes choses a été nécessaire et a suffi seule pour faire exister tant de choses admirables ? | Sans doute , il faudrait être téméraire, ou plutot tout à fait insensé, pour prétendre assigner des bornes à la puissance du premier Auteur de toutes choses ; mais, par cela seul, personne ne peut oser dire que cette puissance infinie n’a pu vouloir ce que la nature mème nous montre qu'elle a voulu. Cela étant, si je découvre que la nature opère elle-même tous les prodiges qu'on vient de citer: qu’elle a créé l'organisation, la vie, le sentiment mème; qu'elle a multiplié et diversifié, dans des limites qui ne nous sont pas connues , les organes et les facultés des corps organisés dont elle soutient ou propage l'existence; qu'elle a créé dans les animaux, par la seule voie du besoin, qui établit et dirige les habitudes, la source de toutes les actions, de toutes les facultés, depuis les plus simples jusqu’à celles qui constituent l'instinct, l'industrie, entin le raisonneinent; ne dois-je pas reconnaitre dans ce pouvoir de la nature, c’est-a-dire dans l’ordre des choses existantes , exécution de la volonté de son sublime Auteur, qui a pu vouloir qu'elle ait cette faculté ? Admirerai-je moins la grandeur de la puissance de cette premiere cause de tout, s'il Tui a plu que les PARMI LES CORPS VIVANTS 85 choses fussent ainsi, que si, par autant d'actes de sa volonté, elle se fût occupée ets’occupât continuel- lement encore des détails de toutes les créations particulières, de toutes les variations, de tous les développements et perfectionnements, de toutes les destructions et de tous les renouvellements, en un mot, de toutes les mutations quis’exécutent généra- lement dans les choses qui existent? Or, j'espère prouver que la nature possède les moyens et les facultés qui lui sont nécessaires pour produire elle-même ce que nous admirons en elle. Cependant , on objecte encore que tout ce qu’on voit annonce, relativement à l’état des corps vivants, une constance inaltérable dans la conservation de leur forme , et l’on pense que tous les animaux dont on nous à transmis l'histoire , depuis deux ou trois mille ans, sont toujours les mêmes et n’ont rien perdu, ni rien acquis dans le perfectionnement de leurs organes et dans la forme de leurs parties. Outre que cette stabilité apparente passe , depuis longtemps, pour une vérité de fait, on vient d’es- sayer d'en consigner des preuves particulières dans un rapport sur les collections d'histoire naturelle rapportées d'Égypte par M. Geoffroy. Les rappor- teurs s’y expriment de la manière suivante : « La collection a d’abord cela de particulier, qu'on peut dire qu’elle contient des animaux de tous les siècles. Depuis longtemps, on désirait savoir si les espèces changent de forme par la suite des 86 DE L’'ESPÈCE temps. Cette question, futile en apparence, est cepen- dant essentielle à l’histoire du globe, et, par suite, à la solution de mille autres questions, qui ne sont pas étrangères aux plus graves objets de la vénération humaine. | « Jamais on ne fut mieux à portée de la décider pour un grand nombre d'espèces remarquables et pour plusieurs milliers d’autres. I semble que la superstition des anciens Égyptiens ait été inspirée par la nature, dans la vue de laisser un monument de son histoire. » . . . . . . . . « On ne peut, continuent les rapporteurs, mai- triser les élans de son imagination, lorsqu'on voit encore conservé avec ses moindres os, ses moindres poils, et parfaitement reconnaissable, tel animal qui avait, il y a deux ou trois mille ans, dans Thebes où dans Memphis, des prêtres et des autels. Mais sans nous égarer dans toutes les idées que ce rap prochement fait naitre, bornons=nous à vous exposer qu'il résulte de cette partie de la collection de M. Geoflroy que ces animaux sont parfaitement semblables à ceux d'aujourd'hui.» (Annales du Mu- séum d'Hist. natur., vol. I, p. 235 et 236.) Je ne refuse pas de croire à la conformité de ressemblance de ces animaux avec les individus des nèmes espèces qui vivent aujourd'hui. Ainsi, les oiseaux que les Égyptiens ont adorés et embaumés, il y a deux ou trois mille ans, sont encore en tout PARMI LES CORPS VIVANTS 87 semblablesa ceux quiviventactuellement dansce pays. Il serait assurément bien singulier que cela füt autrement ; car la position de l'Égypte et son climat sont encore, à tres-peu près, ce qu'ils étaient à cette époque. Or, les oiseaux qui y vivent, s’y trouvant encore dans les mêmes circonstances où ils étaient alors, n’ont pu être forcés de changer leurs habi- tudes. D'ailleurs, qui ne sent que les oiseaux, qui peuvent si aisément se déplacer et choisir les lieux qui leur conviennent, sont moins assujettis que bien d’autres animaux aux variations des circonstances locales et par là moins contrariés dans leurs habitudes. I n'y a rien, en effet, dans l'observation qui vient d'être rapportée, qui soit contraire aux considérations que j'ai exposées sur ce sujet et surtout qui prouve que les animaux dont il s’agit aient existé de tout temps dans la nature; elle prouve seulement qu'ils fréquentaient l'Égypte il y a deux ou trois mille ans ; et tout homme, qui a quelque habitude de ré- fléchir et en mème temps d'observer ce que la nature nous montre de monuments de son antiquité, apprécie facilement la valeur d’une durée de deux ou trois mille ans par rapport à elle. Aussi, on peut assurer que cette apparence de stabilité des choses dans la nature sera toujours prise, par le vulgaire des hommes, pour la réalité , parce qu'en général, on ne juge de tout que relati- vement à SOI. ss DE L'ESPÈCE Pour l'homme qui, à cet égard, ne juge que d'apres les changements qu'il aperçoit lui-même, les intervalles de ces mutations sont des états stalionnaires qui lui paraissent sans bornes, à cause de la brieveté d'existence des individus de son espèce. Aussi, comme les fastes de ses observations et les notes de faits qu'il a pu consigner dans ses registres ne s'étendent et ne remontent qu'a quelques milliers d'années, ce qui est une durée infiniment grande par rapport à lui, mais fort petite relative- ment à celles qui voient s'effectuer les grands chan- gements que subit la surface du globe, tout lui parait stable dans la planète qu'il habite et il est porté à repousser les indices que des monuments entassés autour de lui ou enfouis dans le sol qu'il foule sous ses pieds lui présentent de toutes parts. Les grandeurs, en étendue et en durée, sont relatives : que l’homme veuille .bien se représenter cette vérité et alors il sera réservé dans ses décisions à l'égard de la stabilité qu'il attribue, dans la nature, à l'état de choses qu’il y observe. (Voyez, dans mes Recherches sur les corpsvicants l'appendice,p. 141. ) Pour admettre le changement insensible des espè- ces et les modifications qu'éprouvent les individus, à mesure qu ils sont forcés de varier leurs habitudes ou d'en contracter de nouvelles, nous ne sommes pas réduits à l’unique considération des trop petits espaces de temps que nos observations peuvent em- brasser pour nous permettre d'apercevoir ces chan- LA PARMI LES CORPS VIVANTS 89 gements ; car, outre cette induction, quantité de faits recueillis depuis bien des années éclairent assez la question que J'examine pour qu'elle ne reste pas indécise ; et je puis dire que maintenant nos con- naissances d'observations sont trop avancées pour que la solution cherchée ne soit pas évidente. En effet, outre que nous connaissons les influences et les suites des fécondations hétéroclites, nous savons positivement aujourd'hui qu'un changement forcé et soutenu, dans les lieux d'habitation et dans les ha- bitudes et la maniere de vivre des animaux, opère, après un temps suffisant, une mutation tres-remar- quable dans les individus qui s'y trouvent exposés. L'animal qui vit hbrement dans les plaines où il s'exerce habituellement à des courses rapides, loi- seau que ses besoins mettent dans le cas de traver- ser sans cesse de grands espaces dans les airs, se trouvant enfermés, l'un dans les loges d’une ména- gerie ou dans nos écuries, l'autre dans nos cages ou dans nos basses-cours, y subissent avec Le temps des influences frappantes, surtout après une suite de régénérations dans l'état qui leur a fait contracter de nouvelles habitudes. Le premier y perd en grande partie sa légereté. son agilité ; son corps s'épaissit, ses membres dimi- nuent de force et de souplesse, et ses facultés ne sont plus les mêmes; le second devient lourd, ne sait presque plus voler et prend plus de chair dans toutes ses parties. 90 DE L'ESPÈCE Dans le sixieme chapitre de cette première partie, j'aurai occasion de prouver par des faits bien con- nus le pouvoir des changements de circonstances, pour donner aux animaux de nouveaux |besoins et les amener à de nouvelles actions ; celui des nou velles actions répétées pour entrainer les nouvelles habitudes et les nouveaux penchants ; enfin, celui de l'emploi plus ou moins fréquent de tel ou tel or- sane pour modifier cet organe, soit en le fortifiant, le développant et l’étendant, soit en l’affaiblissant, l’amaigrissant, l’atténuant et le faisant mème dis- paraitre. - Relativement aux végétaux, on verra la même chose à l’égard du produit des nouvelles circonstan- ces sur leur manière d'être et sur létat de leurs parties, en sorte que l’on ne sera plus étonné de voir les changements considérables que nous avons opé- rés dans ceux que depuis longtemps nous cultivons. Ainsi, parmi les corps vivants, la nature, comme je lai déjà dit, ne nous offre, d'une manière abso- lue que des individus qui se succèdent les uns aux autres par la génération et qui proviennent les uns des autres; mais les espèces parmi eux n’ont qu’une constance relative, et ne sont invariables que tem- porairement. Néanmoins, pour faciliter l’étude et la connais- sance de tant de corps différents, il est utile de don- ner le nom d'espèce à toute collection d'individus semblables, que la génération perpétue dans le même PARMI LES CORPS VIVANTS 91 état, tant que les circonstances de leur situation ne changent pas assez pour faire varier leurs habitu- des, leur caractere et leur forme. DES ESPECES DITES PERDUES C’est encore une question pour moi que de savoir si les moyens qu'a pris la nature pour assurer la conservation des espèces ou des races ont été telle- ment insuffisants que des races entières soient main- tenant anéanties ou perdues. Cependant, les débris fossiles, que nous trouvons enfouis dans le sol en tant de lieux différents, nous offrent les restes d’une multitude d'animaux divers qui ont existé et parmi lesquels il ne s’en trouve qu'un très-petit nombre dont nous connaissions main- tenant des analogues vivants parfaitement sembla- bles. De là peut-on conclure, avec quelque apparence de fondement, que les espèces que nous trouvons dans l’état fossile, et dont aucun individu vivant et tout à fait semblable ne nous est pas connu, n’exis- tent plus dans la nature ? Il y a encore tant de por- tions de la surface du globe où nous n'avons pas pénétré, tant d’autres que les hommes capables d'observer n’ont traversées qu'en passant, et tant d’autres encore, comme les différentes parties du fond des mers, dans lesquelles nous avons peu de noyens pour reconnaitre les animaux qui s’y trou- 92 DE L’'ESPÈCE vent, que ces différents lieux pourraient bien recéler les espèces que nous ne connaissons pas. S'il y a des espèces réellement perdues, ce ne peut ètre sans doute que parmi les grands animaux qui vivent sur les parties sèches du globe, où l’homme, par l'empire absolu qu'il y exerce, a pu parvenir à détruire tous les individus de quelques-unes de cel- les qu’il n’a pas voulu conserver ni réduire à la do- mesticité. De là naît la possibilité que les animaux des genres palæotheriun, anoplotherium, mega- lonix, megatherium, mastodon de M. Cuvier, et quelques autres espèces de genres déjà connus, ne soient plus existants dans la nature : néanmoins, il n'y à là qu'une simple possibilité. Mais les animaux qui vivent dans le sein des eaux, surtout des eaux marines, et, en outre, toutes les races de petite taille qui habitent à la surface de la terre et qui respirent l’air sont à l'abri de la des- truction de leur espece de la part de Phomme. Leur multiplication est si grande et les moyens qu'ils ont de se soustraire à ses poursuites ou à ses pléges sont tels qu'il n’y a aucune apparence qu'il puisse détruire l'espèce entière d'aucun de ces animaux. I n’y a donc que les grands animaux terrestres qui puissent être exposés de la part de l’homme à l’anéantissement de leur espèce. Ainsi, ce fait peut avoir eu lieu; mais son existence n’est pas encore complétement prouvée, Néanmoins, parmi les débris fossiles qu’on trouve PARMI LES CORPS VIVANTS 93 de tant d'animaux qui ont existé, il y en a un tres- erandnombre qui appartiennent à des animaux dont les analogues vivants et parfaitement semblables ne sont pas connus; et parmi ceux-ci la plupart ap- partiennent à des mollusques à coquille, en sorte que ce sont les coquilles seules qui nous restent de ces Animaux. Or, si quantité de ces coquilles fossiles se mon- trent avec des diflérences qui ne nous permettent pas, d’après les opinions admises, de les regarder comme des analogues des espèces avoisinantes que nous connaissons, S'ensuit-1l nécessairement que ces coquilles appartiennent à des espèces réellement perdues ? Pourquoi, d’ailleurs, seraient-elles per- dues, dès que l’homme n’a pu opérer leur des- truction ? Ne serait-il pas possible au contraire, que les individus fossiles dont il s’agit appartinssent à des espèces encore existantes, mais qui ont changé depuis et ont donné lieu aux espèces actuellement vivantes que nous en trouvons voisines. Les consi- dérations qui suivent et nos observations dans le cours de cet ouvrage rendront cette présomption très-probable. Tout homme observateur et instruit sait que rien n'est constamment dans le même état à la surface du globe terrestre. Tout, avec le temps, y subit des mutations diverses plus où moins promptes, selon la nature des objets et des circonstances. Les lieux élevés se dégradent perpétuellement par les actions 94 DE L'ÉSPÈCE alternatives du soleil, des eaux pluviales, et par d’autres causes encore ; tout ce qui s’en détache est entrainé vers les lieux bas ; les lits des rivières, des fleuves, des mers mêmes, varient dans leur forme, leur profondeur, et insensiblement se déplacent ; en un mot, tout, à la surface de la terre, y change de situation, de forme, de nature et d'aspect, et les climats mêmes de ses diverses contrées n’y sont pas plus stables. Or, si, comme j'essayerai de le faire voir, des va- riations dans les circonstances amènent, pour les êtres vivants et surtout pour les animaux, des chan- œements dans les besoins, dans les habitudes et dans le mode d'exister, et si ces changements donnent lieu à des modifications ou des développements dans les organes et dans la forme de leurs parties, on doit sentir qu'insensiblement tout corps vivant quel- conque doit varier surtout dans ses formes ou ses caractères extérieurs, quoique cette variation ne de- vienne sensible qu'après un temps considérable. Qu'on ne s’étonne donc plus si, parmi les nombreux fossiles que l’on trouve dans toutes les parties sèches du globe et qui nous offrent les débris de tant d’ani- maux qui ont autrefois existé, il s’en trouve si peu dont nous reconnaissions les analogues vivants. S'il y a, au contraire, quelque chose qui doive nous étonner, c'est de rencontrer, parmi ces nom= breuses dépouilles fossiles de corps qui ont été vivants, quelques+unes dont les analogues encore PARMI LES CORPS VIVANTS 95 existants nous soient connus. Ce fait, que nos col lections de fossiles constatent, doit nous faire sup poser que les débris fossiles des animaux dont nous connaissons les analogues vivants sont les fossiles les moins anciens. L'espèce à laquelle chacun d'eux appartient n'avait pas sans doute encore eu le temps de varier dans quelques-unes de ses formes. Les naturalistes qui n’ont pas aperçu les change- ments qu'a la suite des temps la plupart des ani- maux sont dans le cas de subir, voulant expliquer les faits relatifs aux fossiles observés, ainsi qu'aux bouleversements reconnus dans différents points de la surface du globe, ont supposé qu'une catastrophe universelle avait eu lieu à l'égard du globe de la terre ; qu'elle avait tout déplacé et avait détruit une grande partie des espèces qui existaient alors. Îl est dommage que ce moyen commode de se ti= rer d’embarras, lorsqu'on veut expliquer les opé- rations de la nature dont on n’a pu saisir les causes. n'ait de fondement que dans l'imagination qui l’a créé et ne puisse être appuyé sur aucune preuve. Des catastrophes locales telles que celles que pro- duisent des tremblements de terre, des volcans et d’autres causes particulières, sont assez connues, et Pon a pu observer les désordres qu'elles occasion nent dans les lieux qui en ont supporté. Mais pourquoi supposer sans preuves une ca- tastrophe universelle, lorsque la marche de la nature mieux connue suffit pour rendre raison de 96 DE L'ESPECE PARMI LES CORPS VIVANTS tous les faits que nous observons dans toutes ses parties ? Si l’on considère d’une part que, dans tout ce que la nature opère, elle ne fait rien brusquement et que partout elle agit avec lenteur et par degrés succes- sifs, et de l’autre part, que les causes particulières ou locales des désordres, des bouleversements, des déplacements, etc., peuvent rendre raison de tout ce que l’on observe à la surface de notre globe, et Sont néanmoins assujetties à ses lois et à sa marche générale, on reconnaitra qu'il n’est nullement né- cessaire de supposer qu'une catastrophe universelle est venue tout culbuter et détruire une grande par- tie des opérations mêmes de la nature. En voilà suffisamment sur une matière qui n'offre aucune difficulté pour être entendue. Considérons maintenant les généralités et les caracteres essen— tiels des animaux. CHAPITRE IV GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX Les animaux, considérés en général, présentent des êtres vivants très-singuliers par les facultés qui leur sont propres, et à la fois tres-dignes de notre admiration et de notre étude. Ces êtres, infi- nument diversifiés dans leur forme, leur organisa tion et leurs facultés, sont susceptibles de se mou voir où de mouvoir certaines de leurs parties sans l'impulsion d’aucun mouvement communiqué, mais par une cause excitatrice de leur irritabilté qui, dans les uns, se produit en eux, tandis qu'elle est entièrement hors d’eux dans les autres. Ils jouis- sent la plupart de la faculté de changer de lieu, et tous possedent des parties éminemment irritables. On observe que, dans leurs déplacements, les uns rampent, marchent, courent ou sautent; que d’au- tres volent, s'élèvent dans l'atmosphère et en tra- LAMARCK, PHIL, ZOOL. Î 7] 98 GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX versent différents espaces ; et que d’autres, vivant dans le sein des eaux, y nagent et se transportent dans différentes parties de leur étendue. Les animaux n'étant pas, comme les végétaux, dans le cas de trouver près d'eux et à leur portée les matières dont ils se nourrissent, et mème parmi eux, ceux qui vivent de proie étant obligés de Pal ler chercher, de la poursuivre, enfin de s’en saisir, il était nécessaire qu'ils aient la faculté de se mou- voir, et même de se déplacer, afin de pouvoir se procurer les aliments dont ils ont besoin. D'ailleurs, ceux des animaux qui se multiplient par la génération sexuelle, n’offrant point d’herma- phrodisme assez parfait, pour que les individus se suffisent à eux-mêmes, il était encore nécessaire qu'ils pussent se déplacer pour se mettre à portée d'effectuer des actes de fécondation, et que les mi- lieux environnants en facilitassent les moyens à ceux qui, comme les huîtres, ne peuvent changer de lieu. Ainsi, la faculté que les animaux possedent de mouvoir des parties de leur corps et d'exécuter la locomotion, intéressant leur propre conservation et celle de leurs races, les besoins surent la leur pro- curer. Nous rechercherons, dans la seconde partie, la source de cette étonnante faculté, ainsi que celle des plus éminentes qu'on trouve parmi eux; mais en at tendant nous dirons à l'égard des animaux, qu'il est aisé de reconnaitre : GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX 09 1° Que les uns ne se meuvent où ne meuvent leurs parties qu'à la suite de leur irritabihté exc tée; mais qu'ils n’éprouvent aucun sentiment, et ne peuvent avoir aucune sorte de volonté : ce sont les plus imparfaits ; 29 Que d’autres, outre les mouvements que leurs parties peuvent subir par leur irritabilité excitée, sont susceptibles d’éprouver des sensations, et pos- sedent un sentiment intime et tres-obscur de leur existence; mais qu'ils n'agissent que par limpul- sion intérieure d’un penchant qui les entraine vers tel ou tel objet ; en sorte que leur volonté est tou- jours dépendante et entrainée ; 3° Que d’autres encore non-seulement subissent dans-certaines de leurs parties des mouvements qui résultent de leur irritabilité excitée ; sont suscepti- bles de recevoir des sensations, et jouissent du sen- timent intime de leur existence ; mais, en outre, qu'ils ont la faculté de se former des idées, quoique confuses, et d'agir par une volonté déterminante, assujettie néanmoins à des penchants qui les portent exclusivement encore vers certains objets particu- liers ; 4° Que d'autres enfin, et ce sont les plus parfaits, possédent à un haut degré toutes les facultés des précédents ; jouissent en outre du pouvoir de se former des idées nettes ou précises des objets qui ont affecté leurs sens et attiré leur attention; de comparer et de combiner jusqu'à un certain point 100 GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX leurs idées ; d’en obtenir des jugements et des idées complexes ; en un mot, de penser et d’avoir une vo= lonté moins enchainée, qui leur permet plus ou moins de varier leurs actions. La vie, dans les animaux les plus imparfaits, est sans énergie dans ses mouvements, et Parre/abilité seule suffit alors pour Pexécution des mouvements vitaux. Mais comme lénergie vitale s’accroit à me- sure que l’organisation se compose, 1l arrive un terme où, pour suffire à l’activité nécessaire des mouvements vitaux, la nature eut besoin d’augmen- ter ses moyens, et pour cela elle a employé l’action musculaire à l'établissement du systeme de cireula- tion, d'où s’en est suivi Faccélération du mouvement des fluides. Cette accélération elle-mème s’est en- suite accrue à mesure que la puissance musculaire qui y servit fut augmentée. Enfin, comme aucune action musculaire ne peut avoir lieu sans l'influence nerveuse, celle-ci s'est trouvée partout nécessaire à accélération des fluides dont il s’agit. C'est ainsi que la nature a su ajouter à lirritabi- lité devenue insuffisante, l’action musculaire et l’in- fluence nerveuse. Mais cette influence nerveuse qui donne lieu à l’action musculaire, ne le fait jamais par la voie du sentiment ; Ce que J'espère montrer dans la seconde partie : conséquemment jy prou- verai que la sensibilité n’est point nécessaire à l'exécution des mouvements vitaux, même dans les animaux les plus parfaits. GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX 101 Ainsi, les différents animaux qui existent sont évi- demment distingués les uns des autres, non-seule- ment par des particularités de leur forme extérieure, de la consistance de leur corps, de leur taille, etc, mais en outre, par les facultés dont ils sont doués ; les uns, comme les plus imparfaits, se trouvant ré- duits à cet égard à l’état le plus borné, n'ayant au- eune autre faculté que celles qui sont le propre de la vie, et ne se mouvant que par une puissance hors d'eux, tandis que les autres ont des facultés progressivement plus nombreuses et plus éminentes, au point que les plus parfaits en présentent un en- semble qui excite notre admiration. Ces faits étonnants cessent de nous surprendre, lorsque d’abord nous reconnaissons que chaque fa- culté obtenue est le résultat d’un organe spécial ou d'un système d'organes qui y donne lieu, et qu’en- suite nous voyons que, depuis Panimal le plus im parfait, qui n'a aucun organe particulier quelcon- que, et conséquemment aucune autre faculté que celles qui sont propres à la vie, jusqu'à l'animal le plus parfait et Le plus riche en facultés, lorganisa- tion se complique graduellement ; de maniere que tous les organes mème les plus importants, naissent les uns après les autres dans l'étendue de léchelle animale, se perfectionnent ensuite successivement par les modifications qu'ils subissent, et qui les accom- modent à l’état de l'organisation dont ils font par- tie, et qu'enfin, par leur réunion dans les animaux 102 GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX les plus parfaits, ils offrent l’organisation la plus compliquée de laquelle résultent les facultés les plus nombreuses et les plus éminentes. La considération de l’organisation intérieure des animaux, celle des différents systèmes que cette or- ganisation présente dans l'étendue de l'échelle ani- male, et celle enfin des divers organes spéciaux, sont donc les principales de toutes les considéra- tions qui doivent fixer notre attention dans l’étude des animaux. Si les animaux, considérés comme des produc- tions de la nature, sont des êtres singuliérement étonnants par leur faculté de se mouvoir, un grand nombre d’entre eux le sont bien davantage par leur faculté de sentir. Mais de même que cette faculté de se mouvoir est très-bornée dans les plus imparfaits des animaux, où elle n’est nullement volontaire, et où elle ne s’exé- cute que par des excitations extérieures, et que se perfectionnant ensuite de plus en plus, elle parvient à prendre sa source dans l'animal même, et finit par être assujettie à sa volonté; de même aussi la fa- culté de sentir est encore très-obscure et tres-bor- née dans les animaux où elle commence à exister; en sorte qu'elle se développe ensuite progressive ment, et qu'ayant atteint son principal développe- ment, elle parvient à faire exister dans l'animal les facultés qui constituent l'intelligence. En effet, les plus parfaits des animaux ont des GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX 103 idées simples, et mème des idées complexes, des pas- sions, de la mémoire, font des rêves, c’est-à-dire éprouvent des retours involontaires de leurs idées, de leurs pensées mêmes, et sont jusqu'à un certain point susceptibles d'instruction. Combien ce résultat de la puissance de la nature n'est-il pas admirable ! Pour parvenir à donner à un corps vivant la fa- culté de se mouvoir sans l'impulsion d’une force communiquée, d’apercevoir les objets hors de lui, de s’en former des idées, en comparant les impres- sions qu'il en a reçues avec celles qu'il a pu rece- voir des autres objets, de comparer ou de combiner ces idées, et de produire des jugements qui sont pour lui des idées d’un autre ordre, en un mot, de penser ; non-seulement c'est la plus grande des mer- veilles auxquelles la puissance de la nature ait pu attemdre, mais en outre, c’est la preuve de emploi d’un temps considérable, la nature n'ayant rien opéré que graduellement. Comparativement aux durées que nous regardons comme grandes dans nos calculs ordinaires, il a fallu sans doute un temps énorme et une variation con- sidérable dans les circonstances qui se sont succé- dés, pour que la nature ait pu amener l’organisa- tion des animaux au degré de complication et de dé- veloppement où nous la voyons dans ceux qui sont les plus parfaits. Aussi est-on autorisé à penser que si la considération des couches diverses et nombreu- ses qui composent la croûte extérieure du globe, est 104 GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX un témoignage irrécusable de sa grande antiquité ; que si celle du déplacement très-lent, mais conti- nuel, du bassin des mers’, attesté par les nombreux monuments qu'elle a laissés partout de ses passages, confirme encore la prodigieuse antiquité du globe terrestre, la considération du degré de perfection nement où est parvenue l’organisation des animaux les plus parfaits, concourt de son côté à mettre cette vérité dans son plus grand degré d’évidence. Mais pour que le fondement de cette nouvelle preuve soit susceptible d'être solidement établi, il faudra auparavant mettre dans son plus grand jour celui qui est relatif aux progres mêmes de lorga- nisation ; il faudra constater, s'il est possible, la réa lité de ces progrès ; enfin, il faudra rassembler les faits Les mieux établis à cet égard, et reconnaitre les moyens que la nature possède pour donner à tou- tesses productions Vexistence dont elles jouissent. Remarquons en attendant que, quoiqu'il soit gé- néralement reçu, en citant les êtres qui composent chaque règne, de les indiquer sous le nom général de productions de la nature, il paraît néanmoins qu'on n’attache aucune idée positive à cette expres- sion. Apparemment que des préventions d’une ori- eine particulière empêchent de reconnaitre que la nature possède la faculté et tous les moyens de don- ner elle-même l'existence à tant d'êtres différents, 1 Hydrogéologie, p. A1 et suivantes. GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX 105 de varier sans cesse, quoique très-lentement, les races de ceux qui jouissent de la vie, et de main- tenir partout l’ordre général que nous observons. Laissons à l'écart toute opinion quelconque à l'égard de ces grands objets; et pour éviter toute erreur d'imagination, consultons partout les actes mêmes de la nature. Afin de pouvoir embrasser par la pensée l'ensem- ble des animaux qui existent et de placer ces ani- maux sous un point de vue facile à saisir, il convient de rappeler que toutes les productions naturelles que nous pouvons observer ont été partagées depuis longtemps par les naturalistes en trois régnes, sous les dénominations de règne animal, règne végétal et règne minéral. Par cette division, les êtres com pris dans chacun de ces règnes sont mis en com- paraison entre eux et comme sur une même ligne, quoique les uns aient une origine bien différente de celle des autres. J'ai depuis longtemps trouvé plus convenable d'employer une autre division primaire, parce qu'elle est propre à faire mieux connaitre en général tous les êtres qui en sont l’objet. Ainsi, je distingue tou- tes les productions naturelles comprises dans les trois règnes que Je viens d’énoncer en deux branches principales : l° En corps organisés vivants ; 2° En corps brutes et sans vie. Les êtres ou corps vivants, tels que les animaux 106 GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX et les végétaux, constituent la première de ces deux branches des productions de la nature. Ces êtres ont, comme tout le monde sait, la faculté de se nourrir, de se développer, de se reproduire, et sont néces- sairement assujettis à la mort. Mais ce qu'on ne sait pas aussi bien, parce que des hypothèses en crédit ne permettent pas de le croire, C’est que les corps vivants, par suite de l’ac- tion et des facultés de leurs organes, ainsi que des mutations qu'opéèrent en eux les mouvements orga- niques, forment eux-mêmes leur propre substance et leurs matières sécrétoires (/ydrogéologie, p. 112), et ce qu'on sait encore moins, C’est que par leurs dépouilles ces corps vivants donnent lieu à lexis- tence de toutes les matières composées, brutes on inorganiques, qu'on observe dans la nature, matiè- res dont les diverses sortes s’y multiplient avec le temps et selon les circonstances de leur situation, par les changements qu'elles subissent insénsible- ment, qui les simplifient de plus en plus et qui amenent, après beaucoup de temps, la séparation complète des principes qui les constituaient. Ce sont ces diverses matières brutes et sans vie, soit solides, soit liquides, qui composent la seconde branche des productions de la nature et qui, la plu- part sont connues sous le nom de #inérauxe. On peut dire qu'il se trouve entre les matières brutes et les corps vivants, un iatus immense qui ne permet pas de ranger sur une mème ligne ces GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX 107 deux sortes de corps, ni d'entreprendre de les lier par aucune nuance, ce qu'on a vainement tenté de faire. Tous les corps vivants connus se partagent net- tement en deux régnes particuliers, fondés sur des différences essentielles qui distinguent les animaux des végétaux : et malgré ce qu'on en a dit, je suis con- vaincu qu'il n’y a pas non plus de véritable nuance par aucun point entre ces deux règnes, et par con- séquent qu'il n’y a point d'animaux-plantes, ce qu’ex- prime le mot z0ophite, ni de plantes-animales. L'irritabilité dans toutes ou dans certaines par- ties est le caractere le plus général des animaux ; elle l’est plus que la faculté des mouvements volon- taires et que la faculté de sentir, plus même que celle de digérer. Or, tous les végétaux, sans en ex- cepter même les plantes dites sensifives, ni celles qui meuvent certaines de leurs parties à un premier attouchement où au premier contact de l'air, sont complétement dépourvus d'éritabilité ; ce que j'ai fait voir ailleurs. On sait que l'irritabilité est une faculté essentielle aux parties où à certaines parties des animaux, qui n’éprouve aucune suspension, ni aucun anéantisse- ment dans son action, tant que l’animal est vivant, et tant que la partie qui en est douée n’a reçu au- cune lésion dans son organisation. Son effet consiste en une contraction que subit dans l'instant toute la partie irritable, au contact d’un corps étranger ; con- traction qui cesse avec sa cause et qui se renouvelle 108 GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX autant de fois, après le relächement de la partie, que de nouveaux contacts viennent l’irriter. Or, rien de tout cela n’a jamais été observé dans aucune partie des végétaux. . Quand je touche les rameaux étendus d’une sen- sitive (#imosa pudica), au lieu d’une contraction, j'observe aussitôt dans les articulations des rameaux et des pétioles ébranlés un relâchement qui permet à ces rameaux et aux pétioles des feuilles de s’abat- tre, et qui met les folioles mêmes dans le cas de s’affaisser les unes sur les autres. Cet affaissement étant produit, en vain touche-t-on encore les ra- meaux et les feuilles de ce végétal; aucun effet ne se reproduit. Il faut un temps assez long, à moins qu'il ne fasse très-chaud, pour que la cause qui peut dis- tendre les articulations des petits rameaux et des feuilles de la sensitive soit parvenue à relever et étendre toutes ces parties et mettre leur affaisse- ment dans le cas de se renouveler par un contact ou une légère secousse. Je ne saurais reconnaître dans ce phénomène au- cun rapport avec l'irritabilité des animaux ; mais sachant que, pendant la végétation, surtout lors- qu'il fait chaud, il se produit dans les végétaux beaucoup de fluides élastiques, dont une partie s’ex- hale sans cesse, j'ai conçu, que dans les plantes lé gumineuses, ces fluides élastiques pouvaient s’amas- ser particulièrement dans les articulationsdes feuilles avant de se dissiper et qu'ils pouvaient alors dis- GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX 109 tendre ces articulations et tenir les feuilles ou les folioles étendues. Dans ce cas, la dissipation lente des fluides élas- tiques en question, provoquée dans les légumineu- ses par l’arrivée de la nuit ou la dissipation subite des mêmes fluides, provoquée dans le z2mn0sa pu- dica par une petite secousse, donneront lieu, pour les légumineuses en général, au phénomène connu sous le nom de sommeil des plantes, et, pour la sen- sitive, à celui que Pon attribue mal à propos à ler rilabililé *. Comme il résulte des observations que J'expose- rai plus bas et des conséquences que j'en ai tirées qu'il n’est pas généralement vrai que les animaux soient des êtres sezsibles, doués tous, sans excep- tion, de pouvoir produire des actes de volonté, et par conséquent, de la faculté de se mouvoir volon- tairement, la définition qu'on a donnée jusqu'à pré- sent des animaux pour les distinguer des végétaux 1 J'ai développé dans un autre ouvrage (Hist. nut. des végétau.r, édition Déterville, vol. 1, p. 202) quelques autres phénomènes ana- loyues observés dans les plantes, comme dans l’hedysarum girans, le dionæa muscipula, les étamines des fleurs du berberis, etc., et J'ai fait voir que les mouvements singuliers qu'on observe dans les parties de certains végétaux, principalement dans les temps chauds, ne sont jamais le produit d'une irritabilité réelle, essentielle à aucure de leurs fibres; mais que ce sont tantôt des effets hygrométriques ou pyrométriques, tantôt les suites de détentes élastiques qui s'effec- tuent dans certaines circonstances, et tantôt les résultats de yonfle- ment et d’affaissement de parties, par des cumulations locales et des dissipations plus ou moins promptes, de’'ffuides élastiques et invisibles qui devaient s’exhaler. 110 GÉNÉR 1 LITÉS SUR LES ANIMAUX est tout à fait inconvenable; en conséquence, j'ai déjà proposé de lui substituer la suivante, comme plus conforme à la vérité et plus propre à caracté- riser les êtres qui composent l’un et l’autre règne des corps vivants. DÉFINITION DES ANIMAUX Les animaux sont des corps organisés vivants, doués de parties en tout temps irritables, presque tous digérant les aliments dont ils se nourrissent et se mouvant, les uns par les suites d’une volonté, soit libre, soit dépendante, et les autres, par celles de leur irritabilité excitée. DÉFINITION DES VÉGÉTAUX Les végétaux sont des corps organisés vivants, jamais irritables dans leurs parties, ne digérant point et nese mouvant ni par volonté, mi par irrita- bilité réelle. D’après ces définitions, beaucoup plus exactes et plus fondées que celles jusqu’à ce jour en usage, on sent que les animaux Sont éminemment distingués des végétaux, par lirritabilité que posséedent toutes leurs parties ou certaines d’entre elles et par les mouvements qu'ils peuvent produire dans ces par- ties où qui y sont excités, à la faveur de leur irri- tabilité, par des causes extérieures. GÉNÉRALITES SUR LES ANIMAUX 111 Sans doute, on aurait tort d'admettre ces idées nouvelles sur leur simple exposition ; mais je pense que tout lecteur non prévenu qui aura pris en con- sidération les faits que j'exposerai dans le cours de cet ouvrage et mes observations à leur égard ne pourra se refuser de leur accorder la préférence sur les anciennes auxquelles je les substitue, parce que celles-ci sont évidemment contraires à tout ce que l’on observe. Terminons ces vues générales sur les animaux par deux considérations assez curieuses : lune con- cernant l'extrême multiplicité des animaux à la sur- face du globe et dans le sein des eaux qui s’y trou- vent, et l’autre, montrant les moyens que la nature emploie pour que leur nombre néanmoins ne nuise jamais à la conservation de ce qui a été produit et de l’ordre général qui doit subsister. Parmi les deux regnes des corps vivants, celui qui comprend les animaux parait beaucoup plus riche et plus varié que l’autre : il'est en même temps celui qui offre, dans les produits de l’organisation, les phénomènes les plus admirables. La terre, à sa surface, le sein des eaux, et en quelque sorte l'air mème, sont peuplés d'une multi- tude infinie d'animaux divers dont les races sont tellement diversifiées et nombreuses que vraisem- blablement une grande partie d’entre elles échap- pera toujours à nos recherches. On a d'autant plus lieu de penser ainsi que l'énorme étendue des eaux, 112 GÉNER ALITÉS SUR LES ANIMAUX leur profondeur en beaucoup dendroits et la pro- digieuse fécondité de la nature dans les plus petites espèces seront en tout temps sans doute un obstacle presque invincible à l'avancement de nos connais sances à cet égard. Une seule classe des animaux sans vertebres, celle par exemple, des 2nsectes, équivaut, pour le nombre et la diversité des objets qu’elle comprend, au règne végétal entier. Celle des polypes est vraisembla- blement beaucoup plus nombreuse encore; mais ja- mais on ne pourra se flatter de connaître la totalité des animaux qui en font partie. Par suite de l’extrème multiplication des petites espèces et surtout des animaux les plus imparfaits, la multiplicité des individus pouvait nuire à la con- servation des races, à celle des progrès acquis dans le perfectionnement de l’organisation, en un mot, à l’ordre général, si la nature n’eût. pris des précautions pour restreindre cette multiplica- tion dans des limites qu'elle ne peut jamais fran- chir. Les animaux se mangent les uns les autres, sauf ceux qui ne vivent que de végétaux ; mais ceux-ci sont exposés à être dévorés par les animaux car— nassiers. On sait que ce sont les plus forts et les mieux armés qui mangent les plus faibles et que les orandes espèces dévorent les plus petites. Néan- moins les individus d’une mème race se mangent GÉNÉRALITÉS SUR LES ANIMAUX 113 rarement entre eux; ils font la guerre à d'autres races. La multiplication des petites espèces d'animaux est si considérable et les renouvellements de leurs générations sont si prompts, que ces petites espèces rendraient le globe inhabitable aux autres, si la nature n'eût mis un terme à leur prodigieuse mul tiplication. Mais comme elles servent de proie à une multitude d’autres animaux, que la durée de leur vie est tres-bornée et que les abaissements de tem pérature les font périr, leur quantité se maintient toujours dans de justes proportions pour la conser- vation de leurs races et pour celle des autres. Quant aux animaux plus grands.et plus forts, ils seraient dans le cas de devenir dominants et de nuire à la conservation de beaucoup d’autres races s'ils pouvaient se multiplier dans de trop grandes proportions. Mais leurs races s’entre-dévorent et ils ne se multiplient qu'avec lenteur et en petit nombre à la fois, ce qui conserve encore à leur égard l'espèce d'équilibre qui doit exister. Enfin, l’homme seul, considéré séparément de tout ce qui lui est particulier, semble pouvoir se multi- plier mdéfiniment, car son intelligence et ses moyens le mettent à l'abri de voir sa multiplication arrètée par la voracité d'aucun des animaux. Il exerce sur eux une suprématie telle qu’au lieu d’avoir à crain- dre les races d'animaux les plus grandes et Les plus fortes il est plutôt capable de les anéantir, et il LAMARCK, PHIL, ZOOL. I. > 114 GÉNERALITES SUR LES ANIMAUX restreint tous les jours le nombre de leurs indi- vidus. Mais la nature lui a donnée des passions nom breuses qui, malheureusement, se développant avec son intelligence, mettent par la un grand obstacle à l’extrème multiplication des individus de son espece. En effet, il semble que l’homme soit chargé lui- mème de réduire sans cesse le nombre de ses sem- blables, car jamais, je ne crains pas de le dire, la terre ne sera couverte de la population qu'elle pour- rait nourrir. Toujours plusieurs de ses parties ha- bitables seront alternativement très-médiocrement peuplées, quoique le temps pour la formation deces alternatives, soit pour nous _incommensu- rable. Ainsi, par ces sages précautions, tout se conserve dans l’ordre établi ; les changements et les renou- vellements perpétuels qui s’observent dans cet or- dre sont maintenus dans des bornes qu'ils ne sau- raient dépasser ; les races des corps vivants subsistent toutes, malgré leurs variations ; les progres acquis dans le perfectionnement de lorganisation ne se perdent point; tout ce qui parait désordre, renversement, anomalie, rentre sans cesse dans l’ordre général et même y concourt; et partout et toujours la volonté du sublime Auteur de la na- ture et de tout ce qui existe est invariablement exé- cutée. R GÉNÉRALITES SUR LES ANIMAUX 115 . Maintenant, avant de nous occuper de montrer la dégradation et la simplification qui existent dans l’organisation des animaux, en procédant du plus composé vers le plus simple, selon l'usage, exami- nons l’état actuel de leur distribution et de leur classification, ainsi que les principes qui ont été em ployés pour les établir ; alors il nous sera plus aisé de reconnaitre les preuves de la dégradation dont il s’agit. CHAPITRE. V SUR L’ÉTAT ACTUEL DE LA DISTRIBUTION ET DE LA CLASSIFICATION DES ANIMAUX Pour les progrès de la philosophie zoologique et pour l’objet que nous avons en vue, ilest nécessaire de considérer l’état actuel de la distribution et de la classification des animaux ; d'examiner comment on y est parvenu; de reconnaitre quels sont les principes auxquels on a dù se conformer dans léta- blissement de cette distribution générale; enfin, de rechercher ce qui reste à faire pour donner à cette distribution la disposition la plus propre à lui faire représenter. l’ordre mème de la nature. Mais, pour retirer quelque profit de toutes ces considérations, il faut déterminer auparavant le but essentiel de la distribution des animaux et celui de leur classification, car ces deux buts sont d’une na- ture très-différente. DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION 117 Le but d’une distribution générale des animaux n'est pas seulement de posséder une liste commode a consulter, mais c'est surtout d’avoir dans cette liste un ordre représentant le plus possible celui même de la nature, c’est-à-dire l’ordre qu'elle a suivi dans la production des animaux et qu’elle a éminemment caractérisé par les rapports qu'elle a mis entre les uns et les autres. Le but, au contraire, d’une classification des ani- maux est de fournir, à l’aide de lignes de séparation tracées de distance en distance dans la série géné rale de ces êtres, des points de repos à notre ima- gination, afin que nous puissions plus aisément re- connaitre chaque race déja observée, saisir ses rapports avec les autres animaux connus et placer dans chaque cadre les nouvelles espèces que nous parviendrons à découvrir. Ce moyen supplée à notre faiblesse, facilite nos études et nos connaissances, et son usage est pour nous d’une nécessité indispen- sable ; mais j'ai déjà montré qu'il est un produit de l’art et que, malgré les apparences contraires, il ne tient réellement rien de la nature. La juste déterminrtion des rapports entre les objets fixera toujours invariablement, dans nos dis- tributions générales, d'abord la place des grandes masses où coupes primaires, ensuite celle des mas- ses subordonnées aux premieres, enfin, celle des es- pèces ou races particulières qui auront été observées. Or, voilà pour la science l'avantage inestimable de I1S DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION la connaissance des rapports; c’est que ces rapports étant l’ouvrage même de la nature, aucun natura- liste n’aura jamais le pouvoir ni, sans doute, la vo- lonté de changer le résultat d’un rapport bien re- connu ; la distribution générale deviendra donc de plus en plus parfaite et forcée, à mesure que nos connaissances des rapports seront plus avancées à l'égard des objets qui composent un règne. Il n’en est pas de même de la classification, c'est-a-dire des différentes lignes de séparation qu'il nous importe de tracer de distance en distance dans la distribution générale, soit des animaux, soit des végétaux. A la vérité, tant qu'il y aura des vi- des à remplir dans nos distributions, parce que quan- tité d'animaux et de végétaux n’ont pas encore été observés, nous trouverons toujours de ces lignes de séparation qui nous paraîtront posées par la nature elle-même ; mais cette illusion se dissipera à me- sure que nous observerons davantage : et déjà n’en avons-nous pas vu un assez grand nombre s’effacer au moins dans les plus petits cadres, par les nom- breuses découvertes des naturalistes, depuis environ un demi-siècle ? Ainsi, sauf les lignes de séparation qui résultent des vides à remplir, celles que nous serons toujours forcés d'établir seront arbitraires et par là vacil- lantes, tant que les naturalistes n’adopteront pas quelque principe de convention pour se régler en les formant. | DES ANIMAUX 119 Dans le règne animal, nous devons regarder comme un principe de ce genre, que foule classe doit comprendre des animaux distinqués par un système particulier d'organisation. La stricte exé- cution de ce principe est assez facile et ne présente que de médiocres inconvénients. En effet, quoique la nature ne passe pas brus- quement d’un système d'organisation à un autre, il est possible de poser des limites entre chaque sys- tème, n’y ayant presque partout qu'un petit nombre d'animaux placés près de ces limites et dans le cas d'offrir des doutes sur leur véritable classe. Les autres lignes de séparation qui sous-divisent les classes sont en général plus difficiles à établir, parce qu'elles portent sur des caractères moins im- portants, et que, par cette raison, elles sont plus ar- bitraires. Avant d'examiner l’état actuel de la classification des animaux, essayons.de faire voir que la distribu- tion des corps vivants doit former une série, au moins quant à la disposition des masses, et non une ramification réticulaire. LES CLASSES DOIVENT FORMER UNE SÉRIE DANS LA DISTRIBUTION DES ANIMAUX Comme l’homme est condamné à épuiser toutes les erreurs possibles avant de reconnaitre une vérité lorsqu'il examine les faits qui s'y rapportent, on a mé que les productions de la nature, dans chaque 120 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION regne des corps vivants, fussent réellement dans le cas dé pouvoir former une véritable série d’après la considération des rapports et on n'a voulu reconnai- tre aucune échelle dans la disposition générale, soit des animaux, soit des végétaux. Ainsi, les naturalistes ayant remarqué que beau— coup d'espèces, certains genres, et même quelques familles, paraissent dans une sorte d'isolement, quant à leurs caractères, plusieurs se sont imaginés que les êtres vivants, dans Pun ou lautre règne, s’avoisi- naient ou s’éloignaient entre eux, relativement à leurs rapports naturels, dans une disposition sem blable aux différents ponts d’une carte de geogra- phie ou d’une mappemonde. Ils regardent les petites séries bien prononcées qu'on à nommées familles naturelles comme devant être disposées entre elles de manière à former une r'éticulation. Gette idée, qui a paru sublime à quelques modernes, est évidemment une erreur, et, sans doute, elle se dissipera des qu'on aura des connaissances plus profondes et plus générales de l’organisation et surtout lorsqu'on dis- tinguera ce qu appartient à l’influence des lieux d'ha- bitation et des habitudes contractées de ce qui résulte des progres plus où moins avancés dans la composi- tion ou le perfectionnement de l’organisation. En attendant, je vais faire voir que la nature en don- nant, à l’aide de beaucoup de temps, l'existence à tous les animaux et à tous les végétaux, a réellement formé dans chacun de ces régnes une véritable DES ANIMAUX i21 échelle, relativement à la composition croissante de l'organisation de ces êtres vivants, mais que cette échelle, qu'il s'agit de reconnaitre, en rapprochant les objets, d’après leurs rapports naturels, n'offre des degrés saisissables que dans les masses principales de la série générale, et non dans les espèces, ni mème dans les genres : la raison de cette particu- larité vient de ce que l'extrème diversité des circons- tances dans lesquelles se trouvent les différentes ra- ces d'animaux et de végétaux n’est point en rapport avec la composition croissante de l’organisation parmi eux, ce que je ferai voir, et qu'elle fait naître dans les formes et les caractères extérieurs des ano= malies où des espèces d’écarts que la composition croissante de l’organisation n'aurait pu seule occa- sionner. Il s’agit donc de prouver que la série qui constitue l'échelle animale réside essentiellement dans la dis- tribution des masses principales qui la composent et non dans celle des espèces, ni même toujours dans celle des genres. La série dont je viens de parler ne peut donc se déterminer que dans le placement des masses, parce que ces masses, qui constituent les classes et les gran- des familles, comprennent chacune des êtres dont l'organisation est dépendante de tel système parti culier d'organes essentiels. Ainsi, chaque masse distincte a son système parti- culier d'organes essentiels, et ce sont ces systèmes 122 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION particuliers qui vont en se dégradant, depuis celui qui présente la plus grande complication jusqu'à celui qui est le plus simple. Mais chaque organe considéré isolément ne suit pas une marche aussi régulière dans ses dégradations : il la suit mème d'autant moins qu'il a lui-même moins d'importance et qu'il est plus susceptible d’être modifié par les circonstances. En effet, les organes de peu d'importance ou non essentiels à la vie ne sont pas toujours en rapport les uns avec les autres dans leur perfectionnement ou leur dégradation; en sorte que, si l’on suit toutes les espèces d’une classe, on verra que tel organe, dans telle espèce, jouit de son plus haut degré de perfectionnement ; tandis que tel autre organe, qui, dans cette même espèce, est fort appauvri ou fort imparfait, se trouve très-perfectionné dans telle autre espèce. Ces variations irrégulieres dans le perfectionne- ment et dans la dégradation des organes non essen- tiels tiennent à ce que ces organes sont plus soumis que les autres aux influences des circonstances exté- rieures; elles en entrainent de semblables dans la forme et dans l’état des parties les plus externes et donnent lieu à une diversité si considérable et si sin œuliérement ordonnée des espèces, qu'au lieu de les pouvoir ranger comme les masses, en une série uni- que, simple et linéaire, sous la forme d’une échelle régulièrement graduée, ces mêmes espèces forment souvent autour des masses dont elles font partie des DES ANIMAUX 123 ramifications latérales dont les extrémités offrent des points véritablement isolés. Il faut, pour modifier chaque système intérieur d'organisation, un Concours de circonstances plus in- fluentes et de bien plus longue durée que pour alté- rer et changer les organes extérieurs. J'observe néanmoins que lorsque les circonstances l’exigent, la nature passe d’un système à l’autre, sans faire de saut, pourvu qu'ils soient voisins ; c’est en effet par cette faculté qu'elle est parvenue à les former tous successivement, en procédant du plus simple au plus composé. Il est si vrai qu'elle a cette faculté, qu'elle passe d'un système à l’autre, non-seulement dans deux fa- milles difiérentes lorsqu'elles sont voisines par leurs rapports, mais encore qu'elle y passe dans un même individu. Les systèmes dorganisation qui admettent pour organe de la respiration des poumons véritables sont plus voisins des systèmes qui admettent des branchies que ceux qui exigent des #rachées ; ainsi, non-seulement la nature passe des branchies aux poumons dans des classes et dans des familles voi- sines, comme l'indique la considération des poissons et des reptiles, mais elle y passe même pendant l'existence d’un même individu, qui jouit successive ment de l’un et de l’autre système. On sait que la grenouille, dans l’état imparfait de tétard, respire par des branchies, tandis que, dans son état plus par- 124 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION fait de grenouille elle respire par des poumons. On ne voit nulle part la nature passer du système des trachées au système pulmonaire. Il est donc vrai de dire qu'il existe pour chaque règne des corps vivants une série unique et graduée dans la disposition des masses, conformément à la composition croissante de l’organisation et à l’ar- rangement des objets d’après la considération des rapports, et que cette série, soit dans le règne ani mal, soit dans le règne végétal, doit offrir à son ex- trémité antérieure les corps vivants les plus simples et les moins organisés et se terminer par les plus parfaits en organisation et en facultés. l'el parait être le véritable ordre de la nature, et. tel est effectivement celui que Fobservation la plus attentive et qu'une étude suivie de tous les traits qui caractérisent sa marche nous offrent évidemment. Depuis que, dans nos distributions des productions de la nature, nous avons senti la nécessité d’avoir égard à la considération des 7apports nous ne som- mes plus les maitres de disposer la série générale comme il nous plait, et la connaissance que nous acquérons de plus en plus de la marche de la nature, à mesure que nous étudions les rapports prochains ou éloignés qu'elle a mis, soit entre les objets, soit entre leurs différentes masses, nous entraine et nous force à nous conformer à son ordre. Le premier résultat obtenu de lemploi des rap ports dans le placement des masses pour former une DES ANIMAUX 125 distribution générale est que les deux extrémités de l’ordre doivent offrir les êtres les plus dissem blables, parce qu'ils sont effectivement les plus éloi- œnés sous la considération des rapports, et, par con- séquent, de l’organisation ; il suit de là que si lune des extrémités de l’ordre présente les corps vivants les plus parfaits, ceux dont l’organisation est la plus composée, l’autre extrémité du même ordre devra nécessairement offrir les corps vivants les plus im parfaits, c’est-à-dire ceux dont organisation est la plus simple. Dans la disposition générale des végétaux con- nus, selon la méthode naturelle, c'est-à-dire d'apres la considération des rapports, on ne connait encore d'une maniere solide, que lune des extrémités de l'ordre, et l’on sait que la cryptogamie doit se trou- ver à cette extrémité. Si l’autre extrémité n’est pas déterminée avec la même certitude, cela vient de ce que nos connaissances de l’organisation des végétaux sont beaucoup moins avancées que celles que nous avons sur l’organisation d'un grand nombre d'ani- maux connus. Il en résulte qu'à l'égard des végé- taux, nous n'avons pas encore de guide certain pour tixer les rapports entre les grandes masses, comme nous en avons pour reconnaitre ceux qui se trouvent entre les genres et pour former les familles. La mème difficulté ne s'étant pas rencontrée à l'égard des animaux, les deux extrémités de leur sé- rie générale sont fixées d’une maniere définitive ; car 126 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION tant que l’on fera quelque cas de la méthode natu- relle, et par conséquent de la considération des rap- ports, les mammifères occuperont nécessairement une des extrémités de l’ordre, tandis que les 2nfu- sotres seront placés à l’autre extrémité. I y a donc pour les animaux comme pour les vé- gétaux un ordre qui appartient à la nature, et qui résulte, ainsi que les objets que cet ordre fait exis- ter, des moyens qu'elle a reçus de l'AUTEUR SUPRÊME de toute chose. Elle n’est elle-même que l’ordre gé- néral et immuable que ce sublime Auteur a créé dans tout, et que l’ensemble des lois générales et parti culières auxquelles cet ordre est assujetti. Par ces moyens, dont elle continue sans altération l’usage, elle a donné et donne perpétuellement l’existence à ses productions ; elle Les varie et les renouvelle sans cesse, et conserve ainsi partout l’ordre entier qui en est l'effet. Get ordre de la nature qu'il s'agissait de parvenir à reconnaitre dans chaque règne des corps vivants, et dont nous possédons déja diverses portions dans les failles bien reconnues, et dans nos meilleurs genres, nous allons voir que, relativement au règne animal, il est maintenant déterminé, dans son en- semble, d’une manière qui ne laisse aucune prise à l'arbitraire. Mais la grande quantité d'animaux divers que nous sommes parvenus à connaitre, et les lumières nom breuses que l'anatomie comparée a répandues sur DES ANIMAUX 127 leur organisation, nous donnent maintenant les moyens de déterminer, d'une manière définitive, la distribution générale de tous les animaux connus, et d'assigner le rang positif des principales coupes que lon peut établir dans la série qu'ils cons- tituent. Voila ce qu'il importe de reconnaitre, et ce qu'il sera vraisemblablement difficile de contester. Passons maintenant à l'examen de l’état actuel de la distribution générale des animaux, et de leur clas- sification. ÉTAT AGTUEL DE LA DISTRIBUTION ET DE LA CLASSIFICATION DES ANIMAUX Comme le but et les principes, soit de la distri- bution générale des corps vivants, soit de leur elassi- cation, ne furent point aperçus lorsqu'on s’occupa de ces objets, les travaux des naturalistes se ressen- tirent longtemps de cette imperfection de nos idées, et il en fut des sciences naturelles comme de toutes les autres, dont on s’est longtemps occupé avant d'avoir pensé aux principes qui devaient en faire le fondement et en régler les travaux. Au lieu d'assujettir la classification qu'il fallut faire dans chaque régne des corps vivants, à une distribution que rien ne devait entraver, on ne pensa qu'à classer commodément les objets, et Leur distri- bution fut par là soumise à l’arbitraire. Par exemple, les rapports entre les grandes mas- 128 DISTRIBUTION ET CLASSIFIGATION ses étant fort difficiles à saisir parmi les végétaux, on employa longtemps en botanique les systèmes artificiels. Is offraient la facilité de faire des classi- fications commodes, fondées sur des principes arbi- traires, et chaque auteur en composait une nouvelle selon sa fantaisie. Aussi la distribution à établir parmi les végétaux, celle en un mot qui appartient à la méthode naturelle, fut alors toujours sacrifiée. Ce n’est que depuis que lon a connu lPimportance des parties de la fructification, et surtout la préémi- nence que certaines d’entre elles doivent avoir sur les autres, que la distribution générale des vége- taux commence à s'avancer vers son perfection- nement. Comme il n’en est pas de même à l'égard des ani- maux, les rapports généraux qui caractérisent les grandes masses sont, parmi eux, beaucoup plus fa- ciles à apercevoir : aussi plusieurs de ces masses fu rent-elles reconnues dès les premiers temps où lon a commencé à cultiver l'histoire naturelle. En effet, Aristote divisa primairement les animaux en deux coupes principales, ou selon lui deux classes, SAVOIT : 19 ANIMAUX AYANT DU SANG : Quadrupedes vivipares, Quadrupèdes ovipares, Poissons, Oiseaux. . DES ANIMAUX 129 29 ANIMAUX PRIVÉS DE SANG. Mollusques, Crustacés, Testacés, Insectes. Cette division primaire des animaux en deux gran- des coupes était assez bonne, mais le caractere em ployé par Aristote, en la formant, était mauvais. Ce philosophe donnait le nom de saxg au fluide princi- pal des animaux, dont la couleur est rouge: et sup posant que les animaux qu'il rapporte à sa seconde classe ne possédaient tous que des fluides blancs ou blanchâtres, dès lors il les regarda comme privés de sang. Telle fut apparemment la premiere ébauche d'une classification des animaux, et c'est au moins la plus ancienne dont nous ayons connaissance. Mais cette classification offre aussi Île premier exemple d'une distribution en sens mverse de l'ordre de la na- ture, puisqu'on y trouve une progression, quoique tres-imparfaite, du plus composé vers le plus simple. Depuis cette époque on a généralement suivi cette fausse direction à l'égard de la distribution des ani- inaux ; Ce qui a évidemment retardé nos connaissan- ces relativement à la marche de la nature. Les naturalistes modernes ont cru perfectionner la distinction d’Aristote, en donnant aux animaux LAMARCK, FHIL. ZOOL. I. 9 130 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION de sa premiere division le nom d'arntmaux à sang rouge, et à ceux de la seconde celui d'arimaux. à sang blanc. On sait assez maintenant combien ce caractère est défectueux, puisqu'il y a des animaux invertébrés (beaucoup d'annelides) qui ont le sang rouge. Selon moi, les fluides essentiels aux animaux ces- sent de mériter le nom de sang lorsqu'ils ne circu- lent plus dans des vaisseaux artériels et veineux. Ces fluides sont alors si dégradés, si peu composés où si imparfaits dans la combinaison de leurs prin- cipes, qu'on aurait tort d'assimiler leur nature à celle des fluides qui subissent une véritable circula- tion. Or, accorder du sang à une radiare où à un polype, autant vaudrait-il en attribuer à une plante. Pour éviter toute équivoque où l'emploi d'aucune considération hypothétique, dans mon premier cours fait dans le Muséum au printemps de 1794 (Pan Il de la République), je divisai la totalité des animaux connus en deux coupes parfaitement distinctes, sa VOIr : Les Animaux à vertebres, Les Animaux sans vertebres. Je fis remarquer à mes élèves que la colonne vertébrale indique, dans les animaux qui en sont munis, la possession d’un squelette plus ou moins perfectionné, et d'un plan d'organisation qui y est DES ANIMAUX 131 relatif, tandis que son défaut dans les autres ani maux non-seulement les distinguent nettement des premiers, mais annonce que les plans d'organisation sur lesquels ils sont formés, sont tous tres-différents de celui des animaux à vertèbres. Depuis Aristote jusqu'a Linné, rien de bien re- marquable ne parut relativement à la distribution générale des animaux ; mais, dans le dernier siecle, des naturalistes du plus grand mérite firent un grand nombre d'observations particulières sur les animaux et principalement sur quantité d'animaux sans ver- tébres. Les uns firent connaitre leur anatomie avec plus où moins détendue, et les autres donnerent une histoire exacte et détaillée des métamorphoses et des habitudes d’un grand nombre de ces animaux; en sorte qu'il est résulté de leurs précieuses observa- tions que beaucoup de faits des plus importants sont parvenus à notre Connaissance. Enfin Linné, homme d’un génie supérieur, et Pun des plus grands naturalistes connus, après avoir rassemblé les faits, et nous avoir appris à mettre une erande précision dans la détermination des carac- téres de tous les ordres, nous donna pour les ani maux la distribution suivante. Il distribua les animaux connus en six classes, subordonnées à trois degrés où caractères d'organi- sation. 132 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION DISTRIBUTION DES ANIMAUX, ÉTABLIE PAR LINNÉ PREMIER DEGRE CLASSES I. Les MAMMIFÈRES. s : Le Le cœur à deux ventricules; le sang rouge et chaud. — mt II. Les OISEAUX. DEUXIÈME DEGRÉ Le cœur à un ventricule: le sang II. Les AMPHIBIES (les eo) | rouge et froid. IV. Les Poissons. TROISIÈME DEGRÉ V. Les INSECTES. Une sanie froide (en place de sang). VI. Les VERS. Sauf l'inversion que présente cette distribution comme toutes les autres, les quatre premieres cou- pes qu’elle offre sont maintenant fixées définitive- ment, obtiendront toujours désormais Passentiment des zoologistes, quant à leur placement dans la série sénérale,.et l’on voit que c’est à l’illustre naturaliste suédois qu'on en est premierement redevable. Il n'en est pas de même des deux dernières cou- pes de la distribution dont il s'agit; elles sont mau- vaises, très-mal disposées; et comme elles compren- nent le plus grand nombre des animaux connus et les plus diversifiés dans leurs caractères, elles de- vaient être plus nombreuses. Il à donc fallu les ré- former et en substituer d’autres. DES ANIMAUX 133 Linné, comme on voit, et les naturalistes qui l'ont suivi, donnèrent si peu d'attention à la nécessité de multiplier les coupes parmi les animaux qui ont une sanie froide en place de sang (les animaux sans vertèbres), et où les caractères et l’organisation offrent une si grande diversité, qu'ils n'ont distingué ces nombreux animaux qu'en deux classes, savoir : en insectes et en œers; en sorte que tout ce qui n'était pas regardé comme 7#secte, où autrement tous les animaux sans vertèbres qui n'ont point de membres articulés, étaient sans exception rapportés à la classe des vers. Ils placaient la classe des in- sectes apres celle des poissons, et celle des vers après les insectes. Les vers formaient donc, d’après cette distribution de Linné, la dernière classe du règne animal. Ces deux classes se trouvent encore exposées, suivant cet ordre, dans toutes les éditions du Sys- tema naturæ, publiées postérieurement à Linné; et quoique le vice essentiel de cette distribution, relati- vement à l’ordre naturel des animaux, soit évident, et qu'on ne puisse disconvenir que la classe des vers de Linné ne soit une espèce de chaos dans lequel des objets tres-disparates se trouvent réunis, Pautorité de ce savant était d’un si grand poids pour les natu- ralistes, que personne n’osait changer cette classe monstrueuse des zers. Dans l'intention d'opérer quelque réforme utile à cet égard, je présentai dans mes premiers cours la 131 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION distribution suivante pour les animaux sans vertè- bres que je divisai, non en deux élasses, mais en cinq, dans l'ordre que voici : DISTRIBUTION DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES, EXPOSÉE DANS MES PREMIERS COURS l° Les Mollusques : 2° Les Insectes ; 3° Les Vers; 4° Les Échinodermes : »° Les Polypes. Ces classes se composaient alors de quelques-uns des ordres que Bruguière avait présentés dans sa distribution des vers, mais dont je n’adoptais pas la disposition, et de la classe des insectes, telle que Linné la ch'conscrivait. Cependant, vers le milieu de Pan HI (de 1795), l'arrivée de M. Cuvier à Paris, éveillant l'attention des zoologistes sur lorganisation des animaux, je vis avec beaucoup de satisfaction, les preuves déci- sives qu'il donna de la prééminence qu'il fallait ac- corder aux mollusques sur les insectes relativement au rang que ces animaux devaient occuper dans la série générale, ce que j'avais déja exécuté dans mes leçons; mais ce qui n'avait pas été vu favorablement de la part des naturalistes de cette capitale. Le changement que j'avais fait à cet égard par le DES ANIMAUX 135 sentiment de l’mconvenance de la distribution de Linné que lon suivait, M. Cuvier Le consolida par- faitement par l'exposition des faits les plus positifs, parmi lesquels plusieurs, à la vérité, étaient déjà connus, mais n'avaient point encore attiré notre at- tention à Paris. ; Profitant ensuite des lumières que ce savant ré- pandit depuis son arrivée sur toutes les parties de la zoologie, et particulierement sur les animaux sans vertèbres qu'il nommait animaux à sang blanc, j ajoutai successivement de nouvelles classes à ma distribution ; je fus le premier qui les instituai; mais comme on va le voir, celles de ces classes que l'on a adoptées ne le furent que tardivement. Sans doute, l'intérêt des auteurs est fort indiffé- rent pour la science et semble l'être encore pour ceux qui l’étudient; néanmoms, l’historique des change- ments qu'a subi la classification des animaux depuis quinze ans, n’est pas inutile à connaître : voici ceux que J'ai opérés. D'abord je changeaï la dénomimation de ma classe des échinodermes en celle de radiaires, afin d'y réunir les méduses et les genres qui en sont voisins. Cette classe, malgré son utilité et la nécessité qu’en: font les caractères de ces animaux, n’a pas encore été adoptée par les naturalistes. \ Dans mon cours de l’an VIT (de 1799) j'ai établi la classe des crustacés. Alors M. Cuvier, dans son Tableau des Animaux, p. 451, fcomprenait en- 136 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION core les crustacés parmi les insectes; et quoique cette classe soit essentiellement distincte, ce ne fut néan- moins que six où sept ans apres que quelque natu- ralistes consentirent à l’adopter. L'année suivante, &’est-à-dire dans mon cours de Pan VII (de IS00), je présentai les arachnides comme une classe particulière, facile et nécessaire à distinguer. La nature de ses caractères était dès lors une indication certaine d'une organisation par- ticuhére à ces animaux ; car il est impossible qu'une organisation parfaitement semblable à celle des in- sectes, qui tous subissent des métamorphoses, ne se régénerent qu'une fois dans le cours de leur vie, et n'ont que deux antennes, deux yeux à réseau, et six pattes articulées, puisse donner lieu à des animaux qui ne se métamorphosent jamais, et qui offrent en outre différents caracteres qui les distinguent des insectes. Une partie de cette vérité a été confirmée depuis par lobservation. Cependant cette classe des arachnides n'est encore admise dans aucun ouvrage autre que les miens. M. Cuvier ayant découvert l’existence de vais- seaux artériels et de vaisseaux vemeux dans diffé rents animaux que lon confondait sous le nom de vers, avec d’autres animaux tres-difléremment or- ganisés, j'employai aussitôt la considération de ce nouveau fait au perfectionnement de ma classifica- tion ; et dans mon cours de l'an X (de 1802), j'éta- blis la classe des annelides, classe que je plaçai DES ANIMAUX . 135 apres les mollusques et avant les crustacés; ce qu'exigeait leur organisation reconnue. En donnant un nom particulier à cette nouvelle classe, je pus conserver l’ancien nom de vers à des animaux qui ont toujours porté, et que leur orga- ganisation obligeait d'éloigner des annelides. Je continuai donc de placer les vers après les insectes, et de les distinguer des radiaires et des polypes, avec lesquels jamais on ne sera autorisé à les réunir. Ma classe des annelides publiée dans mes cours et dans mes Recherches sur les Corps vivants (p.24), fut plusieurs années sans être admise par les natu- ralistes. Néanmoins, depuis environ deux ans, on commence à reconnaitre cette classe ; mais comme on juge à propos d’en changer le nom, et d'y trans- porter celui de vers, on ne sait que faire des vers proprement dits, qui n’ont ni nerfs, ni systéme de circulation ; et dans cet embarras on les réunit à la classe des polypes, quoiqu'ils en soient très-diffé- .«rents par leur organisation. | Ces exemples de perfectionnements établis d’abord dans les parties d’une classification, détruits après cela par d’autres, et ensuite rétablis par la nécessité et la force des choses, ne sont pas rares dans les sciences naturelles. En effet, Linné avait réuni plusieurs genres de plantes que Tournefort avait auparavant distingués, comme on le voit dans ses genres p2lygonuin, mi- inosa, justicia, conrallaria, et bien d’autres; et 138 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION maintenant les botanistes rétablissent les genres que Linné avait détruits. Enfin, l’année dernière (dans mon cours de 1807), j'ai établi parmi les animaux sans vertébres une nouvelle et dixième classe, celle des infusoires, parce qu'après un examen suffisant des caractères connus de ces animaux imparfaits, je fus convaincu que j'avais eu tort de les ranger parmi les polypes. Ainsi, en contmuant de recueillir les faits obtenus par l'observation et par les progrès rapides de l'ana- lomie comparée, j'instituai successivement les diffé rentes classes qui composent maintenant ma distri- bution des animaux sans vertèbres, Ges classes, au nombre de dix, étant disposées du plus composé vers le plus simple selon l’usage, sont les suivantes : CLASSES DES ANIMAUX SANS VERTÈBRES Les Mollusques, Les Cirrhipèdes, Les Annelides, Les Crustacés, Les Arachnides, Les Insectes, Les Vers, Les Radiaires, Les Polypes, Les Infusoires. Je ferai voir, en exposant chacune de ces classes, qu'elles constituent des coupes nécessaires, parce DES ANIMAUX 139 qu'elles sont fondées sur la considération de lorga- nisation; etque, quoiqu'il puisse, qu'il doive même se trouver dans le voisinage de leurs limites, des races, en quelquesorte, mi-parties où intermédiaires entre deux classes, ces coupes présentent tout ce que l’art peut produire de plus convenable en ce genre. Aussi, tant que l’intérètde la science sera principalement con- sidéré, on ne pourra se dispenserde les reconnaitre. On voit qu'en ajoutant à ces dix classes qui divi- sent les animaux sans vertébres, les quatre classes reconnues et déterminées par Zinné parmi les ani- maux à vertébres, on aura, pour la classification de tous les animaux connus, les quatorze classes sui vantes, que je vais encore présenter dans un ordre contraire à celui de la nature. . Les Mammifères. . Les Oiseaux. 1 2 3. Les Reptiles. 4 ? ANIMAUX VERTÉBRÉS. . Les Poissons. \ 4. Les Mollusques. »,. Les Cirrhipedes. 7, Les Annelides, 8. Les Crustacés: 9. Les Arachnides,. 10. Les Insectes. 11. Les Vers. 12. Les Radiaires. 13. Les Polypes. 14. Les Infusoires. \ ANIMAUX INVERTÉBRÉS, Tel est l’état actuel de la distribution générale des animaux, et tel est encore celui des classes qui fu- rent établies parmi eux. 110 DISTRIBUTION ET CLASSIFICATION Il s'agirait maintenant d'examiner une question très-importante qui paraît n'avoir jamais été appro— fondie, ni discutée, et dont cependant la solution est nécessaire; la voici : Toutes les classes qui partagent le régne animal, formant nécessairement une série de masses d’après la composition croissante ou décroissante de l’orga- nisation, doit-on, dans la disposition de cette série, procéder du plus composé vers le plus simple ou du plus simple vers la plus composé ? Nous essayerons de donner la solution de cette question dans le chapitre vi, qui termine cette partie; mais auparavant, il convient d'examiner un fait bien remarquable, très-digne de notre atten- tion, et qui peut nous conduire à apercevoir la marche qu'a suivie la nature, en donnant à ses diverses productions l'existence dont elles jouissent. Je veux parler de cette dégradation singulière qui se trouve dans l’organisation, si l’on parcourt la série naturelle des animaux, en partant des plus parfaits ou des plus composés, pour se diriger vers les plus simples et les plus imparfait. Quoique cette dégradation ne soit pas nuancée, et ne puisse l'être, comme je le ferai voir, elle existe dans les masses principales avec une telle évidence, et une constance si soutenue, même dans les varia- tions de sa marche, qu'elle dépend, sans doute, de quelque loi générale qu'il nous importe de décou- vrir, et, par conséquent, de rechercher. CÉHRPLEHRR VI DÉGRADATION ET SIMPLIFICATION DE L'ORGANISATION D'UNE EXTRÉMITÉ A L'AUTRE DE LA CHAINE ANIMALE. EN PROCÉDANT DU PLUS COMPOSÉ VERS LE PLUS SIMPLE Parmi les considérations qui intéressent la P/1- losophie zoologique, une des plus importantes est celle qui concerne la dégradation et la simplifica- tion que l’on observe dans l’organisation des ani maux, en parcourant d'une extrémité à l’autre la chaine animale, depuis les animaux les plus par- faits jusqu'à ceux qui sont les plus simplement organisés. Or, il s’agit de savoir si ce fait peut ètre réelle- ment constaté; car alors il nous éclairera fortement sur le plan qu'a suivi la nature, et nous mettra sur la voie de découvrir plusieurs de ses lois les plus importantes à connaitre. Je me propose ici de prouver que le fait dont il est question est positif, et qu'il est le produit d'une 142 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION loi constante de la nature, qui agit toujours avec uniformité ; mais qu'une cause particuliere, facile à reconnaitre, fait varier çà et la, dans toute l'étendue de la chaine auimale, la régularité des résultats que cette loi devait produire. D'abord, on est forcé de reconnaitre que La série sénérale des animaux, distribués conformément à leurs rapports naturels, présente une série de masses particulières, résultantes des différents systèmes d'organisation employés par la nature, et que ces masses, distribuées elles-mêmes d’après la composi- tion décroissante de l’organisation, forment une vé- ritable chaine. Ensuite on remarque que, sauf les anomalies dont nous déterminerons la cause, il règne, d’une extré- nité à l’autre de cette chaîne, une dégradation frap- pante dans l’organisation des animaux qui la com- posent, et une diminution proportionnée dans le nombre des facultés de ces animaux ; en sorte que si à l’une des extrémités de la chaine dont il s’agit, se trouvent les animaux les plus parfaits à tous égards, lon voit nécessairement à l'extrémité oppo- sée les animaux les plus simples et les plus impar- faits qui puissent se trouver dans la nature. Enfin, lon a lieu de se convaincre, par cet exa= men, que tous les organes spéciaux se simplifient progressivement de classe en classe, s’'altérent, s’ap- pauvrissent et s’'atténuent peu à peu, qu'ils perdent leur concentration locale, s'ils sont de première im= DE LA CHAINE ANIMALE 113 portance, et qu'ils finissent par s'anéantir compléte- ment et définitivement avant d’avoir atteint l’extré- mité opposée de la chaîne. A la vérité, la dégradation dont je parle n'est pas toujours nuancée ni régulière dans sa progression ; car souvent tel organe manque ou change subite- ment, et dans ses changements il prend quelquefois - des formes singuliéres qui ne se lient avec aucune autre par des degrés reconnaissables ; et souvent encore tel organe disparait et reparaît plusieurs fois avant de s’anéantir définitivement. Mais on va sen- tir que cela n’a pu être autrement ; que la cause qui compose progressivement l’organisation a dù éprou- ver diverses déviations dans ses produits, parce que ces produits sont souvent dans le cas d’être changés par une cause étrangère qui agit sur eux avec une pussante efficacité ; et néanmoins l’on verra que la dégradation dont il s’agit n’en est pas moins réelle et progressive dans tous les cas où elle a pu l'être. Si la cause qui tend sans cesse à composer l’orga- nisation était la séule qui eut de linfluence sur la forme et les organes des animaux, la composition croissante de l’organisation serait, en progression, partout tres-réguhère. Mais il n’en est point ainsi : la nature se trouve forcée de soumettre ses opéra- tions aux influences des circonstances qui agissent sur elles, et de toutes parts ces circonstances en font varier les produits. Voila la cause particulière qui occasionne çà et la, dans le cours de la dégradation 14% DÉGRADATION DE L'ORGANISATION que nous allons constater, les déviations souvent bizarres qu'elle nous offre dans sa progression. Essayons de mettre dans tout son jour, et la dé- gradation progressive de Porganisation des animaux, et la cause des anomälies que la progression de cette dégradation éprouve dans le cours de la série des animaux. Il est évident que si la nature n'eut donné l’exis- tence qu'à des animaux aquatiques, et que ces ani- maux eussent tous et toujours vécu dans le mème climat, la même sorte d’eau, la mème profon- deur, etc., etc., sans doute alors on eût trouvé dans l’organisation de ces animaux une gradation régu- lière et même nuancée. Mais la nature n'a point sa puissance resserrée + dans de pareilles limites. D'abord il faut observer que, dans les eaux mêmes, elle a considérablement diversifié les circonstances : les eaux douces, les eaux marines, les eaux tran- quilles ou stagnantes, les eaux courantes où sans cesse agitées, les eaux des climats chauds, celles des régions froides, enfin, celles qui ont peu de profon- deur et celles qui en ont une très-grande, offrent autant de circonstances particulières qui agissent chacune différemment sur les animaux qui les habi- tent. Or, a degré égal de composition d'organisation, les races d'animaux qui se sont trouvées exposées dans chacune de ces circonstances, en ont subi les influences particuheres, et en ont été diversifiées. DE LA CHAINE ANIMALE 145 Ensuite, après avoir produit les animaux aquati- ques de tous les rangs, et les avoir singulièrement variés, à l’aide des différentes circonstances que les eaux peuvent offrir, ceux qu'elle a amenés peu à peu à vivre dans l’air, d’abord sur le bord des eaux, en- suite sur toutes les parties sèches du globe, se sont trouvés, avec le temps, dans des circonstances si différentes des premiers, et qui ont si fortement in- flué sur leurs habitudes et sur leurs organes, que la gradation régulière qu'ils devraient offrir dans la composition de leur organisation, en a été singuliere- ment altérée; en sorte qu’elle n’est presque point reconnaissable en beaucoup d’endroits. Ces considérations que Jj’ai longtemps examinées, et que j'établirai sur des preuves positives, me don- nent lieu de présenter le principe zoologique sui- vant, dont le fondement me parait à l’abri de toute contestation. La progression dans la composition de l’organi- sation subit, ci et là, dans la série générale des animaux, des anomalies opérées par l'influence des circonstances d'habitation, et par celle des ha- bitudes contractées. On s’est autorisé de la considération de ces ano- malies pour rejeter la progression évidente qui existe dans la composition de l’organisation des animaux, et pour refuser de reconnaitre la marche que suit la nature dans la production des corps vivants. LAMARCK, PHIL, ZOOL. Î. 10 148 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION dégradation que j’entreprends d'établir ; car il en est la condition essentielle. Un autre fait que présente la considération de la série générale des animaux, et qui fournit une se- conde preuve de la dégradation qui regne dans leur organisation d’une extrémité à l’autre de leur chaîne, est celui-ci : Les quatre premieres classes du règne animal offrent des animaux généralement pourvus d'une co- lonne vertébrale, tandis que les animaux de toutes les autres classes en sont tous absolument privés. On sait que la colonne vertébrale est la base es- sentielle du squelette, qu'il ne peut pas exister sans elle, et que, partout où elle se trouve, 1ly a un sque- lette plus où moins complet, plus ou moins perfec- tionné. On sait aussi que le perfectionnement des facul- tés prouve celui des organes qui y donnent lieu. Or, quoique l’homme soit hors de rang, à cause de lextrème supériorité de son intelligence, relative- ment à son organisation, il offre assurément le type du plus grand perfectionnement où la nature ait pu attemdre : ainsi, plus une organisation animale approche de la sienne, plus elle. est perfectionnée. Cela étant ainsi, je remarque que le corps de l’homme possède non-seulement un squelette arti- culé, mais encore celui de tous qui est le plus com plet et le plus perfectionné dans toutes ses parties. Ce squelette affermit son corps, fournit de nombreux DE LA CHAINE ANIMALE 149 points d'attache pour ses muscles, et lui permet de varier ses mouvements presque à l'infini. Le squelette entrant comme partie principale dans le plan d'organisation du corps de l’homme, il est évident que tout animal muni d’un squelette a Vor- ganisation plus perfectionnée que ceux qui en sont dépourvus. Donc que les animaux sans vertèbres sont plus imparfaits que les animaux vertébrés: donc qu'en plaçant à la tête du règne animal les animaux les plus parfaits, la série générale des animaux présente une dégradation réelle dans l’organisation, puis- qu'après les quatre premières classes, tous les ani maux de celles qui suivent sont privés de squelette, et ont par conséquent une organisation moins per- fectionnée. Mais ce n’est pas tout : parmi les les vertébrés mèmes la dégradation dont il s’agit se remarque encore; enfin, nous verrons qu'elle se reconnait aussi parmi les invertébrés. Donc que cette dégradation est une suite du plan constant que suit la nature, et en même temps un résultat de ce que nous suivons son ordre en sens inverse ; Car Si nous SUIVIOns SON ordre mème, c’est-à-dire si nous parcourions la sé- rie générale des animaux, en remontant des plus imparfaits jusqu'aux plus parfaits d’entre eux, au lieu d'une dégradation dans l’organisation, nous trouve- rions une composition croissante, ef nous verrions successivement les facultés animales augmenter en 150 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION nombre et en perfectionnement. Or, pour prouver partout la réalité de la dégradation dont il: s’agit, parcourons maintenant avec rapidité les différentes classes du règne animal. LES MAMMIFÉÈRES Animaux à mamelles, ayant quatre membres articulés, et tous les or- ganes essentiels des animaux les plus parfaits. Du poil sur quelques parties du corps. Les mammifères (mammalia, Tin.) doivent évi- demment se trouver à lune des extrémités de la chaîne animale, et être placés à celle qui offre Les animaux les plus parfaits et Les plus riches en orga- nisation et en facultés ; car c’est uniquement parmi eux que se trouvent ceux qui ont l'intelligence la plus développée. Si le perfectionnement des facultés prouve celui des organes qui y donnent lieu, comme je l’ai déjà dit, dans ce cas, tous les animaux à mamelles, et qui seuls sont véritablement siripares, ont donc l'orga- nisation la plus perfectionnée, puisqu'il est reconnu que ces animaux ont plus d'intelligence, plus de fa- cultés, et une réunion de sens plus parfaite que tous les autres; d’ailleurs, ce sont ceux dont l’organisa- tion approche le plus de celle de l’homme. Leur organisation présente un corps affermi dans ses parties par un squelette articulé, plus générale- ment complet dans ces animaux que dans les verté- DE LA CHAINE ANIMALE 151 brés des trois autres classes. La plupart ont quatre membres articulés, dépendants du squelette; et tous ont un diaphragme entre la poitrine et l’abdomen ; un cœur à deux ventricules et deux oreillettes; le sang rouge et chaud; des poumons libres, cir- conscrits dans la poitrine, et dans lesquels tout le sang passe avant d'être envoyé aux autres parties du corps ; enfin, ce sont les seuls animaux vivipa- res ; car ils sont les seuls dont le fæ/us, enfermé dans ses enveloppes, communique néanmoins tou- jours avec sa mére, s’y développe aux dépens de sa substance, et dont les petits après leur naissance se nourrissent, pendant quelque temps encore, du lait de ses mamelles. Ce sont donc les mammifères qui doivent occuper le premier rang dans le règne animal, sous le rap port du perfectionnement de l'organisation et du plus erand nombre de facultés (Recherches sur les Corps vivants, p. 15), puisque après eux on ne retrouve plus la génération positivement cicipare, ni des pou- mons circonscrits par un diaphragme dans la poi- trine, recevant la totalité du sang qui doit être en— voyé aux autres parties du corps, etc., etc. A la vérité, parmi les mammifères mèmes, 1l est assez difficile de distinguer ce qui appartient réelle- ment à la dégradation que nous examinons, de ce qui est le produit des circonstances d'habitation, des manières de vivre et des habitudes depuis longtemps contractées. 152 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION Cependant on trouve mème parmi eux des traces de la dégradation générale de l’organisation ; car ceux dont les membres sont propres à saisir les ob= jets, sont supérieurs en perfectionnement à ceux dont les membres ne sont propres qu'à marcher. C'est en effet parmi les premiers que l’homme, considéré sous le rapport de l’organisation, se trouve placé. Or, il est évident que l’organisation de l’homme étant la plus parfaite, doit être regardée comme le type d'après lequel on doit juger du perfectionnement ou de la dégradation des autres organisations animales. Ainsi, dans les mammifères les trois coupes qui partagent, quoique inégalement cette classe, offrent entre elles, comme on va le voir, une dégradation remarquable dans l’organisation des animaux qu'elles comprennent. Première coupe : les maminifères onguiculés ; ils ont quatre membres, des ongles aplatis ou poin- tus à l'extrémité de leurs doigts, et qui ne les enve- loppent point. Ces membres sont en général propres à saisir les objets ou au moins à s’y accrocher. C’est parmi eux que se trouvent les animaux les plus par- faits en organisation. Deuxième coupe : les maïmiferes ongulés; is ont quatre membres, et leurs doigts sont enveloppés entièrement à leur extrémité par une corne arrondie qu'on nomme sabot. Leurs pieds ne servent à aucun autre usage qu'a marcher où courir sur la terre, et ne sauraient être employés soit à grimper sur les DE LA CHAINE ANIMALE 153 arbres, soit à saisir aucun objet ou aucune proie, soit à attaquer et déchirer les autres animaux. Ils ne se nourrissent que de matieres végétales. Troisième coupe : les mammifères exongqulés : ils n’ont que deux membres, et ces membres sont très-courts, aplatis et conformés en nageoires. Leurs doigts, enveloppés par la peau, n'ont ni ongles, ni corne. Ge sont de tous les mammiferes ceux dont l’organisation est la moins perfectionnée. Ils n’ont ni bassin, ni pieds de derrière; ils avalent sans mas- tication préalable ; enfin ils vivent habituellement dans les eaux ; mais ils viennent respirer l'air à leur surface. On leur a donné le nom de céfacés. Quoique les amphilhies habitent aussi dans les eaux, d’où ils sortent pour se trainer de temps à au- tre sur le rivage, ils appartiennent réellement à la première coupe dans l’ordre naturel, et non à celle qui comprend les cétacés. Dès à présent, l’on voit qu'il faut distinguer la dégradation de l'organisation qui provient de l’in- fluence des lieux d'habitation et des habitudes con- tractées, de celle qui résulte des progrès moins avancés dans le perfectionnement ou la composition de l’organisation. Ainsi, à cet égard il ne faut s’abais- ser qu'avec réserve dans les considérations de dé- tail ; parce que, comme je le ferai voir, les milieux dans lesquels vivent habituellement les animaux, les lieux particuliers d'habitation, les habitudes forcées par les circonstances, les manières de vivre, etc., 194 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION ayant une grande puissance pour modifier les orga- nes, on pourrait attribuer à la dégradation que nous considérons des formes de parties qui sont réelle- ment dues à d’autres causes. Il est évident, par exemple, que les amphibies et les cétacés, vivant habituellement dans un milieu dense, et où des membres bien développés n’auraient pu que gèner leurs mouvements, ne doivent avoir que des membres très-raccourcis ; que le seul pro- duit de l'influence des eaux qui nuirait aux mouve- ments de membres fort allongés, ayant des parties solides intérieurement, a dû les rendre tels qu'ils sont en effet. et que conséquemment ces animaux doivent leur forme générale aux influences du milieu dans lequel ils habitent. Mais relativement à la dé- gradation que nous cherchons à reconnaître dans les mammifères mèmes, les amplibies doivent être éloignés des célacés, parce que leur organisation est bien moins dégradée dans ses parties essen- tielles, et qu'elle exige qu'on les rapproche de lor- dre des mammifères onguiculés, tandis que les cé- tacés doivent former le dernier ordre de la classe, étant les #1amimifères les plus imparfaits. Nous allons passer aux oiseaux ; mais auparavant je dois faire remarquer qu'entre les mammifères et les oiseaux 11 n'y a pas de nuance ; qu’il existe un vide à remplir, et que sans doute la nature a produit des animaux qui remplissent à peu pres ce vide, et qui devront former une classe particulière, s’ils ne DE LA CHAINE ANIMALE 155 peuvent être compris, soit dans les mammifères, soit dans les oiseaux, d’après leur système d’organisa- ten st Cela vient de se réaliser par la découverte récente de deux genres d'animaux de la Nouvelle-Hollande ; ce sont : s Ornythori : ni 7 À TNT | Monotrèmes, GEOFF. Les Echidnées. | Ces animaux sont quadrupèdes, sans mamelles, sans dents enchâssées, sans lèvres, et n’ont qu'un orifice pour les organes génitaux, les excréments et les urines (un cloaque). Leur corps est couvert de poils où de piquants. Ce ne sont point des mammifères, car ils sont sans mamelles, et très-vraisemblablement ovipares : Ce ne sont pas des oiseaux ; car leurs poumons ne sont pas percés, et ils n’ont point de membres con- formés en ailes ; Enfin, ce ne sont point des reptiles ; car leur cœur à deux ventricules les en éloigne nécessairement. Is appartiennent donc à une classe particulière. LES OISEAUX Animaux sans mamelles, ayant deux pieds, et deux bras conformés en ailes. Des plumes recouvrant le corps. Le second rang appartient évidemment aux o1- seaux, car si l’on ne trouve point dans ces animaux 156 © DÉGRADATION DE L'ORGANISATION un aussi grand nombre de facultés et autant d’intel- ligence que dans les animaux du premier rang, ils sont les seuls, les monotrèmes exceptés, qui aient, comme les #4mmifères,un cœur à deux ventricules et deux oreillettes, le sang chaud, la cavité du crâne totalement remplie par le cerveau, et le tronc tou- jours environné de côtes. Ils ont donc, avec les ani- maux à mamelles, des qualités communes et exclu- sives, et, par conséquent, des rapports qu'on ne saurait retrouver dans aucun des animaux des classes postérieures. Mais les oiseaux, comparés aux mammiferes, offrent, dans leur organisation, une dégradation évidente, et qui ne tientnullement à l'influence d’au- cune sorte de circonstances. En effet, ils manquent essentiellement de mamelles, organes dont les ani- maux du premier rang sont les seuls pourvus, et qui tiennent à un système de génération qu’on ne re- trouve plus dans les oiseaux, n1 dans aucun des ani- maux des rangs qui vont suivre. En un mot, ils sont essentiellement ocipares ; car le système des vrais vivipares, qui est propre aux animaux du premier rang, ne se retrouve plus dés le second, et ne repa- rait plus ailleurs. Leur /itus, enfermé dans une en- veloppe inorganique (la coque de l'œuf), qui.bientôt ne communique plus avec la mère, peut s’y dévelop= per sans se nourrir de sa substance. Le diaphragme qui, dans les mammifères, sépare complétement, quoique plus où moins obliquement, DE LA CHAINE ANIMALE 157 la poitrine de l'abdomen, cesse ici d'exister, ou ne se trouve que très-incomplet. Il n’y a de mobile dans la colonne vertébrale des oiseaux, que les vertèbres du cou et de la queue, parce que les mouvements des autres vertébres de cette colonne ne s'étant pas trouvés nécessaires à l'animal, ils nese sont pas exécutés, etn’ont pas mis d'obstacles aux grands développements du sternum qui maintenant les rend presque impossibles. En eftet, le sternum des oiseaux donnant attache a des muscles pectoraux que des mouvements éner- giques, presque continuellement exercés, ont rendu très-épais et très-forts, est devenu extrèmement large, et cariné dans le milieu. Mais ceci tient aux habitudes de ces animaux, et non à la dégradation générale que nous examinons. Cela est si vrai, que le mammifere qu'on nomme chauve-souris, a aussi le sternum cariné. Tout le sang des oiseaux passe encore dans leur poumon avant d'arriver aux autres parties du corps. Ainsi ils respirent complétement par un poumon, comme les animaux du premier rang ; et, apres eux, aucun animal connu n’est dans ce cas. Mais ici se présente une particularité fort remar- quable, et qui est relative aux circonstances où se trouvent ces animaux : habitant, plus que les autres cerlébrés, le sein de l'air, dans lequel ils s'élèvent presque continuellement, et qu'ils traversent dans toutes sortes de directions, l'habitude qu'ils ont prise 158 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION de gonfier d'air leur poumon, pour accroître leur volume et se rendre plus légers, a fait contracter à cet organe une adhérence aux parties latérales de la poitrine, et a mis l’air qui y était retenu et raréfié par la chaleur du lieu, dans le cas de percer le pou- mon et les enveloppes environnantes, et de pénétrer dans presque toutes les parties du corps, dans l’imté- rieur des grands os, qui sont creux, et jusque dans le tuyau des grandes plumes !. Ge n’est néanmoins que dans le poumon que le sang des oiseaux reçoit Pin- fluence de l’air dont il a besoin ; car l’air qui pénètre dans les autres parties du corps à un autre usage que celui de servir à la respiration. Ainsi, les oiseaux, qu'avec raison lon a placés après les animaux à mamelles, présentent, dans leur organisation générale, une dégradation évidente, non parce que leur poumon offre une particularité qu'on ne trouve pas dans les premiers, et qui n’est due, ainsi que leurs plumes, qu'a l’habitude qu’ils 1 Si les oiseaux ont leurs poumons perces et leurs poils changés en plumes par les suites de leur habitude de s'élever dans le sein de l'air. on me demandera pourquoi les chauves-souris n'ont pas aussi des plu- mes et leurs poumons percés. Je répondrai qu'il me paraît probable que les chauves-souris ayant tin systéme d'organisation plus perfectionné que celui des oiseaux, et par suite un diaphragine complet qui borne le gonffiement de leurs poumons, n'ont pu réussir à les percer, ni à sé gonfier suffisamment d'air, pour que l'influence de ce fluide arrivant avec effort jusqu'à la peau, donne à la matière cornée des poils la fa- culté de se ramifier en plumes. En effet, dans les oiseaux, l'air s'intro- duisant Jusque dans la bulbe des poils, change en tuyau leur base et force ces mêmes poils de se diviser en plumes; ce qui ne peut avoir liet dans la chauve-souris, où l'air né pénétré pas au delà du poumon, DE LA CHAINE ANIMALE 159 ont prise de S’élancer dans le sein de l'air, mais parce qu'ils n’ont plus le système de génération qui est propre aux animaux les plus parfaits, et qu’ils n’ont que celui de la plupart des animaux des classes pos- térieures. Il est fort difficile de reconnaitre, parmi les oiseaux mèmes, la dégradation de lorganisation qui fait ici l’objet de nos recherches ; nos connaissances sur leur organisation sont encore trop générales. Aussi, jusqu’à présent, a-t-il été arbitraire de placer en tête de cette classe tel ou tel de ses ordres, et de la terminer de même par celui de ses ordres que lon a voulu choisir. Cependant, si l’on considere que les oiseaux aqua tiques (comme les palimipèdes), que les échassiers et que les gallinacés ont cet avantage sur tous les au- tres oiseaux, que leurs petits, en sortant de œuf, peuvent marcher et se nourrir; et, surtout, si lon fait attention que, parmi les palmipedes, les man- chots et les pingouins, dont les ailes, presque sans plumes, ne sont que des rames pour nager, et ne peuvent servir au vol, ce qui rapproche, en quelque sorte, ces oiseaux des monotremes et des cétacés ; on reconnaitra que les palmipedes, les échassiers et les gallinacés doivent constituer les trois premiers or- dres des oiseaux, et que les colombins, les passe= reaux, les rapaces et les grimpeurs doivent former les quatre derniers ordres de la classe. Or, ce que Von sait des habitudes des oiseaux de ces quatre der- 160 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION niers ordres, nous apprend que leurs petits, en sor- tant de l’œuf, ne peuvent marcher, ni se nourrir eux-mêmes. Enfin si, d'apres cette considération, les grim- peurs composent le dernier ordre des oiseaux, comme ils sont les seuls qui aient deux doigts posté rieurs et deux en avant, ce caractère, qui leur est commun avec le caméléon, semble autoriser à les rapprocher des reptiles. LES REPTILES . Animaux n'ayant qu'un ventricule au cœur et jouissant encore d'une respiration pulmonaire, mais incompléte, Leur peau est lisse, ou munie d'écailles. Au troisième rang se placent naturellement et nécessairement les reptiles, et ils vont nous fournir de nouvelles et de plus grandes preuves de la dégra- dation de l’organisation d’une extrémité à l’autre de la chaine animale, en partant des animaux les plus parfaits. En effet, on ne retrouve plus dans leur cœur, qui n’a qu'un ventricule, cette confor- mation qui appartient essentiellement aux animaux du premier et du second rang, et leur sang est froid, presque comme celui des animaux des rangs posté- rieurs. Une autre preuve de la dégradation de l’organi- sation des reptiles nous est offerte dans leur respi- ration : d’abord, ce sont les derniers animaux qui DE LA CHAINE ANIMALE 161 respirent par un véritable poumon ; car, après eux, on ne retrouve dans aucun des animaux des classes suivantes un organe respiratoire de cette nature; ce que j'essayerai de prouver en parlant des mollus- ques. Ensuite, chez eux, le poumon est, en général, à cellules fort grandes, proportionnellement moins nombreuses, et déjà fort simplifié. Dans beaucoup d'espèces, cet organe manque dans le premier âge, et se trouve alors remplacé par des hranchies, or- gane respiratoire qu'on ne trouve jamais dans les animaux des rangs antérieurs. Quelquefois ici, les deux sortes d'organes cités pour la respiration se rencontrent à la fois dans le même individu. Mais la plus grande preuve de dégradation à l'égard de la respiration des reptiles, c’est qu'il n’y a qu'une partie de leur sang qui passe par le pou- mon, tandis que le reste arrive aux parties du corps, sans avoir reçu l'influence de la respiration. Enfin, chez les reptiles, les quatre membres essen- tiels aux animaux les plus parfaits commencent à se perdre, et même beaucoup d’entre eux (presque tous les serpents), en manquent totalement. Indépendamment de la dégradation d'organisa- tion reconnue dans la forme du cœur, dans la tem- pérature du sang qui s'élève à peine au-dessus de celle des milieux environnants, dans la respiration incomplète, et dans la simplification presque gra- duelle du poumon, on remarque que les reptiles différent considérablement entre eux ; en sorte que LAMARCK, PHIL. ZOOL. I 11 162 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION les animaux de chacun des ordres de cette classe offrent de plus grandes différences dans leur orga- nisation et dans leur forme extérieure, que ceux des deux classes précédentes. Les uns vivent habituelle- ment dans l'air, et parmi eux ceux qui n’ont point de pattes ne peuvent que ramper ; les autres habitent les eaux ou vivent sur leurs rives, se retirant, tan- tôt dans l’eau, et tantôt dans les lieux découverts. Il y en a qui sont revètus d’écailles, et d’autres qui ont la peau nue. Enfin, quoique tous aient le cœur a un ventricule, dans les uns, il a deux oreillettes, et dans les autres, il n’en a qu'une seule. Toutes ces différences tiennent aux circonstances d’habita- tion, de manière de vivre, etc.; circonstances qui, sans doute, influent plus fortement sur une organisation qui est encore éloignée du but où tend la nature, qu'elles ne pourraient le faire sur celles qui sont plus avancées vers leur perfection- nement. Ainsi, les reptiles étant des animaux ovipares (mème ceux dont les œufs éclosent dans le sein de leur mère); ayant le squelette modifié, et le plus souvent très-dégradé ; présentant une respiration et une circulation moins perfectionnées que celles des animaux à mamelles et des oiseaux ; et offrant tous un petit cerveau qui ne remplit pas totalement la cavité du crâne, sont moins parfaits que les animaux des deux classes précédentes, et confirment, de leur côté, la dégradation croissante de l’organisation, à DE LA CHAINE ANIMALE 163 mesure qu'on se rapproche de ceux qui sont les plus imparfaits. Parmi ces animaux, indépendamment des modifi- cations qui résultent, pour la conformation de leurs parties, des circonstances dans lesquelles ils vivent, on remarque, en outre, des traces de la dégradation générale de l'organisation; car, dans le dernier de leurs ordres (dans les batraciens), les indivi- dus, dans le premier âge, respirent par des bran- chies. Si l’on considérait comme une suite de la dégra- dation, le défaut de pattes qui s’observe dans les serpents, les ophidiens devraient constituer le der- nier ordre des reptiles : mais ce serait une erreur que d'admettre cette considération. En effet, les serpents étant des animaux qui, pour se cacher, ont pris les habitudes de ramper immédiatement sur la terre, leur corps a acquis une longueur considérable et disproportionnée à sa grosseur. Or, des pattes allongées eussent été nuisibles à leur besom de ramper et de se cacher, et des pattes très-courtes, ne pouvant être qu'au nombre de quatre, puisque ce sont des animaux vertébrés, eussent été incapa- bles de mouvoir leur corps. Ainsi les habitudes de ces animaux ont fait disparaitre leurs pattes, et néan- moins les batraciens, qui en ont, offrent une orga- nisation plus dégradée, et sont plus voisins des poissons. Les preuves de l’importante considération que 164 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION J'expose seront établies sur des faits positifs ; con- séquemment, elles seront toujours à l'abri des con- testations qu'on voudrait en vain leur opposer. LES POISSONS Animaux respirant par des branchies, ayant la peau lisse ou charsee d'écailles, et le corps muni de nageoires. En suivant le cours de cette dégradation soute- nue dans l’ensemble de l’organisation, et dans la diminution du nombre des facultés animales, on voit que les poissons doivent être nécessairement placés au quatrième rang, c’est-à-dire après les reptiles. Ils ont, en effet, une organisation moins avancée en- core vers son perfectionnement que celle des rep- tiles, et, par conséquent, plus éloignée de celle des animaux les plus parfaits. Sans doute, leur forme générale, leur défaut d'étranglement entre la tête et Le corps, pour former un cou, et les différentes nageoires qui leur tiennent lieu de membres, sont les résultats de l'influence du milieu dense qu'ils habitent, et non ceux de la dé- gradalion de leur organisation. Mais cette dégra- dation n’en est pas moins réelle et fort grande, comme on peut s’en convaincre en examinant leurs organes intérieurs ; elle est telle, qu'elle force d’as- signer aux poissons un rang postérieur à celui des reptiles. On ne retrouve plus en eux l'organe respiratoire DE LA CHAINE ANIMALE 165 des animaux les plus parfaits, c’est-à-dire qu'ils manquent de véritable poumon et qu'ils n’ont à la place de cet organe que des branchies où feuillets pectinés et vasculiferes, disposés aux deux côtés du cou ou de la tête, quatre ensemble de chaque côté. L'eau que ces animaux respirent entre par la bou- che passe entre les feuillets des branchies, baigne les vaisseaux nombreux qui s’y trouvent, et, comme cette eau est mélangée d'air où en contient en dis- solution, cet air, quoiqu'en petite quantité, agit sur le sang des branchies et y opere le bénéfice de la respiration. l’eau ensuite sort latéralement par les ouies, c’est-à-dire par les trous qui sont ouverts aux deux côtés du cou. Or, remarquez que voilà la derniere fois que le fluide respiré entrera par la bouche de lanimal, pour parvenir à l'organe de la respiration. Cesanimaux, ainsi que ceux des rangs postérieurs, n'ont ni trachée-artère, ni larynx, ni voix véritable (mème ceux qu'on nomme rondeurs), m paupières sur les”yeux, etc. Voilà des organes et des facultés ici perdus et qu'on ne retrouve plus dans le reste du règne animal. Cependant les poissons font encore partie de la coupe des animaux vertébrés ; mais ils en sont les derniers, et ils terminent le cinquième degré d’or- ganisation, étant avec les reptiles les seuls ani- maux qui aient : — Une colonne vertébrale ; 166 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION — Des nerfs aboutissant à un cerveau qui ne remplit point le crâne ; — Le cœur à un ventricule ; — Le sang froid ; — Enfin, l'oreille tout à fait intérieure. Ainsi, les poissons offrant, dans leur organisation, une génération ovipare; un Corps sans mamelles, dont la forme est la plus appropriée à la natation : des nageoires qui ne sont pas toutes en rapport avec les quatre membres des animaux les plus parfaits ; un squelette très-mcomplet, smgulièrement modifié et à peine ébauché dans les derniers animaux de cette classe ; un seul ventricule au cœur, et le sang froid ; des branchies en place de poumon ; un très- petit cerveau; le sens du tact incapable de faire connaître la forme des corps, et se trouvant vrai- semblablement sans odorat, car les odeurs ne sont transmises que par l'air : il est évident que ces ani- maux confirment fortement, de leur côté, la dégra- dation d'organisation que nous avons entrepris de suivre dans toute l’étendue du règne animal. Maintenant nous allons voir que la division pri- maire des poissons nous offre, dans les poissons que l’on nomme osseux, ceux qui sont les plus perfec- tionnés d’entre eux, et, dans les poissons cartilagi- neux, ceux qui sont les moins perfectionnés. Ces deux considérations confirment, dans la classe même, la dégradation de l'organisation ; car les poissons cartilagineux annoncent, par la mollesse et l’état DE LA CHAINE ANIMALE 167 cartilagineux des parties destinées à affermir leur corps et à faciliter ses mouvements, que c’est chez eux que le squelette finit, ou plutôt que c’est chez eux que la nature a commencé à l’ébaucher. En suivant toujours l’ordre en sens inverse de celui de la nature, les huit derniers genres de cette classe doivent comprendre les poissons dont les ou- vertures branchiales, sans opercule et sans mem brane, ne sont que des trous latéraux ou sous la gorge ; enfin, les lamproies et les gastérobranches doivent terminer la classe, ces poissons étant extrè- mement différents de tous les autres par l’imperfec- tion de leur squelette, et parce qu'ils ont le corps nu, visqueux, dépourvu de nageoires latérales, etc. OBSERVATIONS SUR LES VERTÉBRES Les animaux vertébrés, quoique offrant entre eux de grandes différences dans leurs organes, parais- sent tous formés sur un plan commun d’organisa- tion. En remontant des poissons aux mammifères, on voit que ce plan s’est perfectionné de classe en classe et qu'il n'a été terminé complétement que dans les mammifères les plus parfaits ; mais aussi l’on remarque que, dans le cours de son perfection- nement, ce plan a subi des modifications nombreuses, et mème tres-considérables, de la part des influences des lieux d'habitation des animaux, ainsi que de celles des habitudes que chaque race a été forcée de 168 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION contracter selon les circonstances dans lesquelles elle s’est trouvée. On voit par là, d’une part, que si les animaux vertébrés différent fortement les uns des autres par l'état de leur organisation, c’est que la nature n’a commencé l’exécution de son plan à leur égard que dans les poissons ; qu'elle l’a ensuite plus avancé dans les reptiles ; qu’elle l'a porté plus près de son perfectionnement dans les oiseaux, et qu'enfin elle n'est parvenue à le terminer complétement que dans les mammiferes les plus parfaits ; De l’autre part, on ne peut s'empêcher de recon- naitre que si le perfectionnement du plan d’organi- sation des vertébrés n'offre pas partout, depuis les poissons les plus imparfaits jusqu'aux mammifères les plus parfaits, une gradation régulière et nuan- cée, c’est que le travail de la nature a été souvent altéré, contrarié et même changé dans sa direction, par les influences que des circonstances singulière- ment différentes, et mème contrastantes, ont exercé sur les animaux qui s’y sont trouvésexposés dans le cours d’une longue suite de leurs générations renou- velées. ANÉANTISSEMENT DE LA COLONNE VERTÉBRALE Lorsqu'on est à ce point de l'échelle animale, la colonne vertébrale se trouve entierement anéantie ; et comme cette colonne est la base de tout véritable DE LA CHAINE ANIMALE 169 squelette, et que cette charpente osseuse fait une partie importante de l’organisation des animaux les plus parfaits, tous les animaux sans vertèbres que nous allons successivement examiner, ont donc l’or- œanisation plus dégradée encore que ceux des quatre classes que nous venons de passer en revue. Aussi dorénavant, les appuis pour l’action musculaire ne reposeront plus sur des parties mtérieures. D'ailleurs, aucun des animaux sans vertèbres ne respire par des poumons cellulaires ; aucun d'eux n'a de voix, ni conséquemment d'organe pour cette faculté ; enfin ils paraissent la plupart dépourvus de véritable sang, c’est-à-dire de ce fluide essentielle ment rouge dans les vertébrés, qui ne doit sa cou- leur qu'à Pintensité de son animalisation, et surtout qui éprouve une véritable cérculation. Quel abus ne serait-ce pas faire des mots que de donner le nom de sang au fluide sans couleur et sans consistance, qui se meut avec lenteur dans la substance cellu- laire des polypes ! Il faudra donc donner un pareil nom à la sève des végétaux ? Outre la colonne vertébrale, ic se perd encore l'iris qui caractérise les yeux des animaux les plus parfaits; car, parmi les animaux sans vertèbres, ceux qui ont des yeux n’en ont pas qui soient dis- tinctement ornés d'iris. Les reins, de même, ne se trouvent que dans les animaux vertébrés, les poissons étant les derniers en qui l’on rencontre encore cet organe. Doréna- 170 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION vant, plus de moelle épinière, plus de grand nerf sympathique. Enfin, une observation très-importante à considé- rer, c’est que, dans les vertébrés, et principalement vers l’extrémité de l’échelle animale qui présente les animaux les plus parfaits, tous les organes es- sentiels sont isolés ou ont chacun un foyer isolé, dans autant de lieux particuliers. On verra bientôt que le contraire a parfaitement lieu, à mesure qu’on s’avance vers l’autre extrémité de la même échelle. Il est donc évident que les animaux sans verte- bres ont tous l’organisation moins perfectionnée que tous ceux qui possedent une colonne vertébrale, l’organisation des animaux à mamelles présentant celle qui comprend les animaux les plus parfaits sous tous les rapports et étant sans contredit le vrai type de celle qui a le plus de perfection. Voyons maintenant si les classes et les grandes familles qui partagent la nombreuse série des an1- maux sans vertèbres, présentent aussi, dans la com- paraison de ces masses entre elles, une dégradation croissante dans la composition et la perfection de l’organisation des animaux qu’elles comprennent. ANIMAUX SANS VERTÈBRES En arrivant aux animaux sans vertèbres, on en- tre dans une immense série d'animaux divers, les plus nombreux de ceux qui existent dans la nature, DE LA CHAINE ANIMALE 171 les plus curieux et les plus intéressants sous le rap- port des différences qu'on observe dans leur orga- nisation et leurs facultés. On est convaincu en observant leur état que, pour leur donner successivement l’existence, la nature a procédé graduellement du plus simple vers le plus composé. Or, ayant eu pour but d'arriver à un plan d'organisation qui en permettrait le plus grand per- fectionnement (celui des animaux vertébrés), plan tres-différent de ceux qu'elle a été préalablement forcée de créer pour y parvenir, on sent que, parmi ces nombreux animaux, lon doit rencontrer non un seul système d'organisation perfectionné progressi- vement, mais divers systèmes très-distincts, chacun d'eux ayant dù résulter du point où chaque organe de première importance a commencé à exister. En effet, lorsque la nature est parvenue à créer un organe spécial pour la digestion (comme dans les polypes), elle a pour la première fois donné une forme particulière et constante aux animaux qui en sont munis, les ##fusoires, par qui elle a tout com mencé, ne pouvant posséder ni la faculté que donne cet organe, ni le mode de forme et d'organisation propre à en favoriser les fonctions. Lorsque ensuite elle a établi un organe spécial de respiration et à mesure qu'elle a varié cet organe pour le perfectionner, et l’accommoder aux circons- tances d'habitation des animaux, elle a diversifié l’organisation selon que l’existence et le dévelop- 1 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION pement des autres organes spéciaux l’ont successi- vement exigé. Lorsque après cela elle a réussi à produire le sys- tème nerveux, aussitôt 1l lui a été possible de créer le systeme nusculaire, et dès lors il lui a fallu des points affermis pour les attaches des muscles, des parties paires constituant une forme symétrique, et il en est résulté différents modes d'organisation, à raison des circonstances d'habitation et des parties acquises, qui ne pouvaient avoir lieu auparavant. & Enfin, lorsqu'elle a obtenu assez de mouvement dans les fluides contenus de l'animal, pour que la circulation pût s'organiser, il en est encore résulté pour l’organisation des particularités importantes qui la distinguent des systèmes organiques dans lesquels la circulation n’a point lieu. Pour apercevoir le fondement de ce que viens d'exposer et mettre en évidence la dégradation et la simplification de l’organisation, puisque nous sui- vons en sens inverse l’ordre de la nature, parcou- rons rapidement les différentes classes des animaux sans vertebres. LES MOLLUSQUES Animaux mollasses, non articulés, respirant par des branchies, et ayant un manteau. Point de moelle longitudinale noueuse; point de moelle épinière. Le cinquième rang, en descendant l'échelle gra- duée que forme la série des animaux, appartient de DE LA CHAINE ANIMALE 173 toute nécessité aux #0llusques ; car, devant être pla- cés un degré plus bas que les poissons, puisqu'ils n’ont plus de colonne vertébrale, ce sont néanmoins les mieux organisés des animaux sans vertébres. Ils respirent par des branchies, mais qui sont tres- diversifiées, soit dans leur forme et leur grandeur, soit dans leur situation en dedans où en dehors de l'animal, selon les genres et les habitudes des races que ces genres comprennent. Ils ont tous un cer- veau; des nerfs non noueux, c’est-à-dire qui ne présentent pas unerangée de ganglions le long d’une moelle longitudinale , des artères et des veines et un ou plusieurs cœurs uniloculaires. Ce sont les seuls animaux connus qui, possédant un système nerveux, n'ont ni moelle épinière, ni moelle longitudinale noueuse. Les branchies, essentiellement destinées par la na ture à opérer la respiration dans le sein même de l’eau, ont dû subir des modifications, quant à leurs facultés et quant à leurs formes, dans les animaux aquatiques qui se sont exposés, ainsi que les géné rations des individus de leur race, à se mettre sou- vent en contact avec l’air et même, pour plusieurs de ces races, à y rester habituellement. L’organe respiratoire de ces animaux s’est insen— siblement accoutumé à lair, ce qui n’est point une supposition, car on sait que tous les crustacés ont des branchies, et cependant on connait des crabes (cancer ruricola) qui vivent habituellement sur la 174 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION terre, respirant l’air en nature avec leurs branchies. A la fin, cette habitude de respirer Pair avec des branchies est devenue nécessaire à beaucoup de mol- lusques qui ont contractée : elle a modifié Porgane même, en sorte que les branchies de ces animaux n'ayant plus besoin dautant de points de contact avec le fluide à respirer, sont devenues adhérentes aux parois de la cavité qui les contient. Il en est résulté que l’on distingue parmi les mol- lusques deux sortes de branchies : Les unes sont constituées par des lacis de vaisseaux qui rampent sur la peau d’une cavité intérieure qui ne forment point de saillie et qui ne peuvent respirer que l'air : on peut les nommer des branches aé- riennes ; Les autres sont des organes presque toujours en saillie, soit en dedans, soit en dehors de l’animal, formant des franges ou des lames pectimées, ou des cordonnets, etc., et qui ne peuvent opérer la respi- ration qu'à l’aide du contact de l’eau fluide. On peut les nommer des branchies aquariennes. Si des différences dans les habitudes des animaux en ont occasionné dans leurs organes, on en peut conclure ici que, pour l'étendue des caractères par- ticuliers à certains ordres de mollusques, il sera utile de distinguer ceux qui ont des branchies aériennes de ceux dont les branchies ne peuvent respirer que de l’eau; mais, de part et d'autre, ce sont toujours des branchies, et il nous parait très-inconvenable de DE LA CHAINE ANIMALE 175 dire que les mollusques qui respirent l’air possédent un pouinon. Qui ne sait combien de fois l’abus des mots et les fausses applications des noms, ont servi à dénaturer les objets et à nous jeter dans l'erreur 2 Y a-t-il une si grande différence entre l'organe respiratoire du preuinoderime, qui consiste en lacis ou cordonnet vasculaire rampant sur une peau ex- térieure et le lacis vasculaire des hélices qui rampe sur une peau intérieure? Le pneumoderme cepen- dant parait ne respirer que l’eau. Au reste, examinons un moment s'il y a des rap- ports entre l'organe respiratoire des mollusques qui respirent l’air et le poumon des animaux vertébrés. Le propre du poumon est de constituer une masse spongieuse particulière, composée de cellules plus ou moins nombreuses dans lesquelles l'air en nature parvient toujours, d’abord par la bouche de Panimal et de là par un canal plus où moins cartilagineux qu'on nomme #rachée-artère et qui, en général, se subdivise en ramifications appelées bronches, les- quelles aboutissent aux cellules. Les cellules et les bronches se remplissent et se vident d'air alternati- vement par les suites du gonflement et de l’affaisse= ment successifs de la cavité du corps qui en contient la masse, en sorte qu'il est particulier au poumon d'offrir des inspirations et des expirations alternati- ves et distinctes. Cet organe ne peut supporter que le contact de l’air même et se trouve fort irrité par celui de l’eau ou de toute autre matiere. IL est donc 176 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION d’une nature différente de celle de la cavité bran- chiale de certains mollusques qui est toujours uni- que, qui n'offre point de gonflement et d’affaissement alternatifs, qui n’a jamais de {rachée-artère, jamais de bronches, et dans laquelle le fluide respiré n’en- tre jamais par la bouche de l'animal. Une cavité respiratoire qui n’offre ni #'achée-ur- tère, n1 bronches, ni gonflement et affaissement al- ternatifs, dans laquelle le fluide respiré n'entre point par la bouche et qui s’accommode tantôt à lair et tantôt à l’eau, ne saurait être un poumon. Confondre par un même nom des objets si différents, ce n’est point avancer la science, c’est Pembarrasser. Le poumon est le seul organe respiratoire qui puisse donner à l'animal la faculté d’avoir une voix. Après les reptiles aucun animal n'a de poumon ; aussi aucun n'a de voix. Je conclus qu'il n’est pas vrai qu'il y ait des mol- lusques qui respirent par un poumon. Si quelques- uns respirent l’air en nature, certains crustacés le respirent également et tous Les insectes le respirent aussi; mais aucun de ces animaux n’a de vrai pou- mon, à moins qu'on ne donne un même nom à des objets très-diflérents. Si les mollusques, par leur organisation générale qui est inférieure en perfectionnement à celle des poissons, prouvent aussi de leur côté la dégradation progressive que nous examinons dans la chaine ani- male, la mème dégradation parmi les mollusques DE LA CHAINE ANIMALE 173 eux-mêmes n'est pas aussi facile à déterminer ; car, parmi les animaux très-nombreux et très-diversifiés de cette classe, il est difficile de distinguer ce qui appartient à la dégradation dont il s’agit de ce qui est le produit des lieux d'habitation et des habitudes de ces animaux. À la vérité, des deux ordres uniques qui partagent la nombreuse classe des mollusques et qui sont émi- nemment en contraste l’un avec l’autre par limpor- tance de leurs caractères distinctifs, les animaux du premier de ces ordres (les #ollusques céphalés) ont une tête tres-distincte, des yeux, des màchoires ou une trompe, et se régénerent par accouplement. Au contraire, tous les mollusques du second ordre (les mollusques acéphalés) sont sans tête, sans yeux, sans machoires, ni trompe à la bouche, et jamais ne s’accouplent pour se régénérer. Or, on ne saurait disconvenir que le second ordre des mollusques ne soit inférieur au premier en per- fectionnement d'organisation. Cependant, il importe de considérer que le défaut de tête, d’yeux, etc., dans les mollusques acéphalés, n'appartient pas uniquement à la dégradation géné- rale de l’organisation, puisque, dans des degrés infé= rieurs de la chaine animale, nous retrouvons des animaux qui ont une tête, des yeux, etc. ; mais il y a apparence que c’est encore ici une de ces dévia- tions dans la progression du perfectionnement de l'organisation qui sont produites par les circonstan— LAMARCK, PHIL. ZOOL. Î 12 178 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION ces et, par conséquent, par des causes étrangères à celles qui composent graduellement l’organisation des animaux. En considérant l'influence de l’emploi des organes et celle d’un défaut absolu et constant d'usage, nous verrons en effet qu'une tète, des yeux, etc., eussent été fort inutiles aux mollusques du second ordre, parce que le grand développement de leur manteau n’eùt permis à ces organes aucun emploi quelconque. Conformément à cette loi de la nature qui veut que tout organe constamment sans emploi se dété- riore insensiblement, s’appauvrisse, et à la fin dis- paraisse entierement, la tête, les yeux, les mâchoi- res, etc., se trouvent, en effet, anéantis dans les mollusques acéphalés : nous en verrons ailleurs bien d'autres exemples. Dans les animaux sans vertébres, la nature ne trouvant plus, dans les parties intérieures, des ap- puis pour le mouvement musculaire, y a suppléé, dans les 2nollusques, par le manteau dont elle les a munis. Or, ce manteau des mollusques est d'autant plus ferme et plus resserré que ces animaux exé- cutent plus de locomotion et qu’ils sont réduits à ce seul secours. Ainsi, dans les mollusques céphalés, où il y a plus de locomotion que dans ceux qui n’ont point de tête, le manteau est plus étroit, plus épais et plus ferme ; et parmi ces mollusques céphalés, ceux qui sont nus (sans coquilles) ont, en outre, dans leur manteau DE LA CHAINE ANIMALE 179 une cuirasse plus ferme encore que le manteau lui mème, curasse qui facilite singulièrement la loco- motion et les contractions de l'animal (les limaces). Mais, si au lieu de suivre la chaine animale en sens inverse de l’ordre même de la nature, nous la parcourions depuis les animaux les plus imparfaits jusqu'aux plus parfaits, alors il nous serait facile d'apercevoir que la nature, sur le point de commen- cer le plan d'organisation des animaux vertébrés, a été forcée, dans les mollusques, d'abandonner le moyen d'une peau crustacée où cornée pour les ap- pus de Paction musculaire; que, se préparant à por- ter ces points d'appui dans Pintérieur de lanimal, les mollusques se sont trouvés, en quelque sorte, dans le passage de ce changement de système d’or- ganisation et qu'en conséquence, n'ayant plus que de faibles moyens de mouvements locomoteurs, ils ne les exécutent tous qu'avec une lenteur remar- quable. LES CIRRHIPEÈDES Animaux privés d'yeux, respirant par des branchies, munis d'un man- teau, et ayant des bras articulés à peau cornée. Les cirrhipèdes, dont on ne connait encore que quatre genres‘, doivent être considérés comme for- mant une classe particulière, parce que ces animaux 1 Les anatifes, les balanites. les coronules et les tübicinelles, 180 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION ne peuvent entrer dans le cadre d'aucune autre classe des animaux sans vertèbres. Ils tiennent aux mollusques par leur manteau, et l’on doit les placer immédiatement après les mol- lusques acéphalés étant comme eux sans tête et sans yeux. Cependant les cirrhipèdes ne peuvent faire partie de la classe des mollusques; car leur système ner- veux présente, comme les animaux des trois classes qui suivent, une #20elle longitudinale noueuse. D'ailleurs, ils ont des bras articulés, à peau cornée, et plusieurs paires de mâchoires transversales. Ils sont donc d’un rang inférieur à celui des mollus- ques. Les mouvements de leurs fluides s’opérent par une véritable circulation, à l’aide d’arteres et de veines. Ces animaux sont fixés sur les corps marins et conséquemment n’exécutent point de locomotion ; ainsi leurs principaux mouvements se réduisent à ceux de leurs bras. Or, quoiqu'ils aient un manteau comme les mollusques, la nature n’en pouvant ob- tenir aucune aide pour les mouvements de leurs bras a été forcée de créer dans la peau de ces bras des points d’appui pour les muscles qui doivent les mou- voir. Aussi cette peau est-elle coriace et comme cornée, à la maniere de celle dés crustacés et des in- sectes. DE LA CHAINE ANIMALE 181 LES ANNELIDES Animaux à corps allongé et annelé, dépourvus de pattes articulées, respirant par des branchies, ayant un système de circulation et une moelle longitudinale noueuse. La classe des annelides vient nécessairement après celle des cirrhipèdes. parce qu'aucune annelide n'a de manteau. On est ensuite forcé de les placer avant les crustacés, parce que ces animaux n'ont point de pattes articulées, qu'ils ne doivent point interrompre la série de ceux qui en ont et que leur organisation ne permet pas de leur assigner un rang postérieur aux insectes. Quoique ces animaux soient, en général, encore très-peu connus, le rang que leur assigne leur or- ganisation prouve qu'à leur égard la dégradation de l’organisation continue de se soutenir, car, sous ce point de vue, ils sont inférieurs aux #0llusques, ayant une moelle longitudinale nouense ; ils le sont, en outre, aux crhipèdes, qui ont un manteau comme les mollusques, et leur défaut de pattes articulées ne permet pas qu'on les place de maniere à interrompre la série de ceux qui offrent cette organisation. La forme allongée des annelides qu'elles doivent à leurs habitudes de vivre, soit enfoncées dans la terre humide ou dans le limon, soit dans les eaux mêmes où elles habitent la plupart dans des tubes de différentes matières, d’où elles sortent et rentrent à 182 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION leur gré, les fait ressembler tellement à des vers, que tous les naturalistes jusque-là les avaient con- fondues avec eux. Leur organisation intérieure offre un tres-petit cerveau, une moelle longitudinale noueuse, des ar- tères et des veines dans lesquelles circule un sang le plus souvent coloré en rouge; elles respirent par des branchies, tantôt externes et saillantes et tantôt internes et cachées où non apparentes. LES CRUSTACES Animaux ayant le corps et les membres articulés, la peau crustacée. un système de circulation, et respirant par des branchies. Ici l’on entre dans la nombreuse série des animaux dont le corps et surtout les membres sont articulés, et dont les téguments sont fermes, crustacés, cornés où COrIaces. Les parties solides où affermies de ces animaux sont toutes à l'extérieur : or, la nature ayant créé le système musculaire tres-peu avant les premiers animaux de cette série et ayant eu besoin de lPap- pui de parties solides pour lui donner de l'énergie, fut obligée d'établir le #0de des articulations pour obtenir la possibilité des mouvements. Tous les animaux réunis sous le rapport du mode des articulations furent considérés par Linneus, et apres lui, comme ne formant qu'une seule classe à laquelle on donna le nom d’énsectes ; mais on recon- DE LA CHAINE ANIMALE 183 nut enfin que cette grande série d'animaux présénte plusieurs coupes importantes qu'il est essentiel de distinguer. | Aussi la classe des crustacés qu'on avait confon— due avec celle des insectes, quoique tous les anciens naturalistes l'en eussent toujours distinguée, est une coupe indiquée par la nature, essentielle à conser- ver, qui doit suivre immédiatement celle des anne- lides et occuper le huitième rang dans la série géné- rale des animaux ; la considération de l’organisation l'exige : il n'y a point d'arbitraire à cet égard. En effet, les crustacés ont un cœur, des artères et des veines, un fluide circulant, transparent, pres- que sans couleur, et tous respirent par de véritables branchies. Gela est incontestable et embarrassera toujours ceux qui s’obstinent à les ranger parmi les insectes, par la raison qu'ils ont des membres arti- culés. Si les crustacés, par leur circulation et par leur organe respiratoire, sont éminemment distingués des arachnides et des insectes, et si, par cette considé- ration leur rang est évidemment supérieur, ils par- tagent néanmoins avec les arachnides et les rnsectes, ce trait d'infériorité d'organisation, relativement aux annelides, c'est-à-dire celui de faire partie de la sé— rie des animaux à membres articulés série, dans la- quelle on voit s’éteindre et disparaitre le système de circulation, et, par conséquent, le cœur, les arteres et les veines, et dans laquelle encore la respiration par 184 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION le système branchial se perd pareillement. Les crus- tacés confirment done de leur côté la dégradation soutenue de l'organisation, dans le sens où nous par— courons l'échelle animale. Le fluide qui circule dans leurs vaisseaux étant transparent et presque sans consistance, comme celui des insectes, prouve encore à leur égard cette dégradation. Quant à leur système nerveux, il consiste en un très-petit cerveau et en une moelle longitudinale noueuse, caractère d’appauvrissement de ce système qu'on observe dans les animaux des deux classes pré- cédentes et des deux qui suivent, les animaux de ces classes étant les derniers dans lesquels le système nerveux soit encore manifeste. C'est dans les crustacés que les dernieres traces de l'organe de l'ouie ont été aperçues ; après eux, elles ne se retrouvent plus dans aucun animal. OBSERVATIONS Ici se termine l'existence d'un véritable système de circulation, e'est-à-dire d’un système d’artères et de veines qui fait partie de l’organisation des ani- maux les plus parfaits et dont ceux de toutes les classes précédentes sont pourvues. L'organisation des animaux dontnous allons parler est donc plus impar- faite encore que celle des crustacés qui sont les der- mers dans lesquels la circulation soit bien manifeste. Ainsi la dégradation de lorganisation se continue DE LA CHAINE ANIMALE 185 d'une maniere évidente, puisqu'à mesure qu'on avance dans la série des animaux tous les traits de ressem- blance entre l'organisation de ceux que l'on consi- dére et celle des animaux les plus parfaits se perdent successivement. Quelle que soit la nature du mouvement des fluides dans les animaux des classes que nous allons parcou- rir, ce mouvement sopère par des moyens moins actifs et va toujours en se ralentissant. LES ARACHNIDES Animaux respirant par des trachées bornées, ne subissant point de mé- tamorphose et ayant en tout temps des pattes articulées et des yeux à la tête. En continuant l’ordre que nous avons suivi jus- qu'à présent, le neuvième rang, dans le règne ani- mal, appartient nécessairement aux arachnides : elles ont tant de rapport avec les crustacés, qu'on sera toujours forcé de les en rapprocher et de les placer immédiatement après eux. Néanmois elles en sont éminemment distinguées ; car elles présen- tent le premier exemple d'un organe respiratoire in= férieur aux branchies, puisqu'on ne le rencontre Ja mais dans les animaux qui ont un cœur, des artères et des veines. En effet, les arachnides ne respirent que par des stigmates et des trachées aériferes, qui sont des or- ganes respiratoires analogues à ceux des insectes. 186 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION Mais ces trachées, au lieu de s'étendre par tout le corps comme celles des insectes, sont circonscrites dans un petit nombre de vésicules, ce qui montre que la nature termine, dans les arachnides, le mode de respiration qu'elle a été obligée d'employer avant d'établir les branchies, comme elle a terminé dans les poissons où dans les derniers reptiles cclui dont elle a été obligé de faire usage avant de pouvoir for- mer un véritable pouron. Si les arachnides sont bien distinguées des crus- tacés, puisqu'elles ne respirent pas par des bran- chies mais par des {rachées aérifères très-bornées, elles sont aussi tres-distinguées des insectes, et il serait tout aussi inconvenable de les réunir aux in- sectes dont elles n’ont point le caractere classique et dont elles different mème par leur organisation in térieure qu'il l'était de confondre les crustacés avec les insectes. En eflet, les arachnides, quoique ayant de grands rapports avec les insectes, en sont essentiellement distinctes : 1° En ce qu'elles ne subissent jamais de méta- morphose, qu'elles naissent sous la forme et avec toutes les parties qu'elles doivent toujours conserver et que conséquemment elles ont en tout temps des yeux à la tête et des pattes articulées, ordre de cho- ses qui tient à la nature de leur organisation inté- rieure en cela fort différente de celle des insectes ; 2° En ce que dans les arachides du premier or- DE LA CHAINE ANIMALE 187 dre (les A. palpistes) on commence à apercevoir ébauche d’un systeme de circulation * ; 3° En ce que leur système de respiration, quoique du mème ordre que celui des insectes, en est, malgré cela, très-différent, puisque leurs trachées, bornées à un petit nombre de vésicules, ne sont pas constituées par des canaux aériens très-nombreux qui s'éten- dent dans tout le corps de l'animal, comme on le voit dans les trachées des insectes ; 4 Enfin, en ce que les arachnides engendrent plusieurs fois dans le cours de leur vie; faculté dont les insectes sont dépourvus. Ces considérations doivent suffire pour faire sen- tir combien sont fautives les distributions dans les- quelles les arachnides et les insectes sont réunis dans la mème classe, parce que leurs auteurs n'ont con- sidéré que les articulations des pattes de ces ani- maux et que la peau plus où moins crustacée qui les recouvre. C'est à peu près comme si, ne considérant que les téguments plus où moins écalleux des rep- tiles et des poissons, on les réunissait dans la même classe. Quant à la dégradation générale de l'organisation que nous recherchons en parcourant l'échelle entière 4 « C'est surtout dans les araignées que ce cœur est facile à observer : on le voit battre, au travers de la peau de l'abdomen, dans les espèces non velues. En enlevant cette peau, on voit un organe creux, oblong, pointu aux deux bouts, se portant par le bout antérieur jusque vers le thorax, et des côtes duquel il part visiblement deux ou trois paires de vaisseaux, » (Cuvier, Anatom. comp., vol. IV, p. 419.) 188 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION des animaux, elle est dans les arachnides extrème- ment évidente : ces animaux, en effet, respirant par un organe inférieur, en perfectionnement organique, au poumon et mème aux branchies, et n'ayant que la première ébauche d'une circulation qui ne parait pas encore terminée, confirment à leur tour la dé- gradation soutenue dont il s’agit. Cette dégradation se remarque même dans la sé- rie des espèces rapportées à cette classe ; car les arachnides antennistes où du second ordre sont fortement distinguées des autres, leur sont très-in- férieures en progrès d'organisation et se rapprochent considérablement des insectes; elles en différent néanmoins, en ce qu'elles ne subissent aucune mé- tamorphose, et comme elles ne s’élancent jamais dans le sein de l'air, il est tres-probable que leurs trachées ne s'étendent pas généralement dans toutes les parties de leurs corps. LES INSECTES Animaux subissant des métamorphoses et ayant, dans l'état parfait, deux yeux et deux antennes à la tête, six pattes articulées et deux trachées qui s'étendent par tout le corps. En continuant de suivre un ordre inverse de celui de la nature, après les arachnides viennent néces- sairement les insectes, c'est-à-dire cette immense série d'animaux imparfaits qui n'ont ni artères, n1 DE LA CHAINE ANIMALE 189 veines; qui respirent par des trachées aériferes non bornées ; enfin qui naissent dans un état moins par- fait que celui dans lequel ils se régénerent et qui conséquemment subissent des #26/amorphoses. Parvenus dans leur état parfait, tous les insectes, sans exception, ont six pattes articulées, deux anten- nes et deux yeux à la tête, et la plupart ont alors des ailes. Les insectes, d'après l’ordre que nous suivons, occupent nécessairement le dixième rang dans le rè- one animal; car ils sont inférieurs en perfectionne- ment d'organisation aux arachnides, puisqu'ils ne naissent point, comme ces dernieres, dans leur état parfait et qu'ils n’engendrent qu'une seule fois dans le cours de leur vie. C'est particulierement dans les #vsectes que lon commence à remarquer que les organes essentiels à l'entretien de leur vie sont répartis presque égale- ment et la plupart situés dans toute l'étendue de leurs corps, au lieu d’être isolés dans des lieux par ticuliers, comme cela a lieu dans les animaux les plus parfaits. Cette considération perd graduellement ses exceptions et devient de plus en plus frappante dans les animaux des classes postérieures. Nulle part, jusqu'ici, la dégradation générale de l'organisation ne s’est trouvée plus manifeste que dans les insectes où elle est inférieure en perfec- tionnement à celle des animaux de toutes les classes précédentes. Cette dégradation se montre même en- 190 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION tre les différents ordres qui divisent naturellement les insectes; car ceux des trois premiers ordres (les coléoptères, les orthoptères et les névropteres) ont des mandibules et des mâchoires à la bouche; ceux du quatrième ordre (les hyménoptères) commencent à posséder une espèce de trompe ; enfin, ceux des quatre derniers ordres (les lépidoptères, les hémip- tères, les dipteres et les aptéères) n’ont plus réelle ment qu'une trompe. Or, des mâchoires paires ne se retrouvent nulle part dans le règne animal après les insectes des trois premiers ordres. Sous le rap- port des ailes, les insectes des six premiers ordres en ont quatre, dont toutes où deux seulement servent au vol. Ceux du septième où du huitième n’ont plus que deux ailes où en manquent par avortement. Les larves des insectes des deux derniers ordres n’ont point de pattes et ressemblent à des vers. Il parait que les 2»sectes sont les derniers animaux qui offrent une génération sexuelle bien distincte et qui soient vraisemblablement octpares. Enfin, nous verrons que les sectes sont infiniment curieux, par les particularités relatives à ce qu'on nomme leur #rdustries mais que cette industrie pré- tendue n’est nullement le produit d'aucune pensée, c'est-à-dire d'aucune combinaison d'idées de leur part. DE LA CHAINE ANIMALE 191 OBSERVATION Autant les poissons, parmi les vertébrés, présen- tent, dans leur conformation générale et dans les anomalies relatives à la progression de la composi- tion d'organisation, le produit de l'influence du mi- lieu qu'ils habitent autant les ##secles, parmi les invertébrés, offrent dans leur forme leur organisa- tion et leurs métamorphoses, le résultat évident de l'influence de l'air dans lequel ils vivent et dans le sein duquel la plupart s’élancent et se soutiennent : habituellement comme les oiseaux. Si les 27sectes eussent eu un poumon, s'ils eussent pu se gonfler d'air et si l'air qui pénètre dans tou- tes les parties de leur corps eût pu sy raréfier, comme celui qui s’introduit dans le corps des o1- seaux, leurs poils se fussent sons doute changés en plumes. Enfin, si, parmi les animaux sans vertébres, l'on s'étonne de trouver si peu de rapports entre les 2#- sectes qui subissent des métamorphoses smguliéres et les animaux invertébrés des autres classes, que l'on fasse attention que ce sont les seuls animaux sans vertébres qui s’élancent dans le sein de l'air et qui y exécutent des mouvements de progression ; alors on sentira que des circonstances et des habi- tudes aussi particulières ont dù produire des résul- tats qui leur sont particuliers. 192 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION Les insectes ne sont rapprochés que des arach- rides par leurs rapports, et, en effet, les uns et les autres sont, en général, les seuls animaux sans ver- tebres qui vivent dans Pair ; mais aucune arach- nide n’a la faculté de voler; aucune aussi ne subit de métamorphose, et, en traitant des influences des habitudes, je montrerai que ces animaux s'étant ac coutumés à rester sur les corps de la surface du globe et a vivre dans des retraites, ont dû perdre une par- tie des facultés des insectes, et acquérir des carac- tères qui les en distinguent éminemment. ANÉANTISSEMENT DE PLUSIEURS ORGANES ESSENTIELS AUX ANIMAUX PLUS PARFAITS Apres les insectes, il parait qu'il y a dans la série un vide assez considérable que les animaux non observés laissent ici à remplir ; car, en cet endroit de la série, plusieurs organes essentiels aux animaux plus parfaits manquent subitement et sont réellement anéantis, puisqu'on ne les retrouve plus dans ceux des classes qui nous restent à parcourir. DISPARITION DU SYSTÈME NERVEUX Ici, en effet, le système nerveuar: (les nerfs et leur centre de rapport) disparait entièrement et ne se montre plus dans aucun des animaux des classes qui vont suivre. DE LA CHAINE ANIMALE 193 Dans les animaux les plus parfaits ce système consiste en un cerveau qui parait servir à l’exécu- tion des actes de lintelligence et à la base duquel se trouve le foyer des sensations, d’où partent des nerfs, ainsi qu'une moelle épinière dorsale qui en envoie d'autres à diverses parties. Dans les animaux vertébrés, le cerveau s’appau- vrit successivement, et à mesure que son volume diminue, la moelle épinière devient plus grosse et semble y suppléer. Dans les mollusques, premiere classe des inverté- brés, le cerveau existe encore, mais il n’y a ni moelle épinière, ni moelle longitudinale noueuse, et, comme les ganglions sont rares, les nerfs ne paraissent point noueux. Enfin, dans les cinq classes qui suivent, le système nerveux, à son dernier période, se réduit à un très- petit cerveau à peine ébauché et en une moelle longitudinale qui envoie des nerfs aux parties. Des lors, il n’y a plus de foyer isolé pour les sensations. mais une multitude de petits foyers disposés dans toute la longueur du corps de l'animal. C'est ainsi que se termine dans les insectes l’impor- tant système du sentiment; celui qui,à un certain terme de développement, donne naissance aux idées, et qui, dans sa plus grande perfection, peut produire tous les actes d'intelligence; enfin, celui qui est la source où l’action musculaire puise sa force et sans lequel la génération sexuelle ne parait pas pouvoir exister. LAMARCK, PHIL, ZOOL. I. 13 194 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION Le centre de rapport du système nerveux se trouve dans le cerveau où dans sa base, ou est placé dans une moelle longitudinale noueuse. Lorsqu'il n°y a plus de cerveau bien évident, 1l y a encore une moelle longitudinale ; mais lorsqu'il n’y a ni cerveau, ni moelle longitudinale, le systeme nerveux cesse d'exister. DISPARITION DES ORGANES SEXUELS Ici encore disparaissent totalement les traces de la génération sexuelle; et, en effet, dans les animaux qui vont être cités, il n’est plus possible de reconnaitre les organes d’une véritable fécondation. Néanmoins, nous allons encore retrouver, dans les animaux des deux classes qui suivent, des espèces d’ovarres abon- dants en corpuscules oviformes, que l’on prend pour des œufs. Mais je regarde ces prétendus œufs, qui peuvent produire sans fécondation préalable, comme des bourgeons ou des geminules internes, is font le passage de la génération gemmipare interne à la génération sexuelle ovipare. Le penchant de homme vers ses habitudes est si grand qu'il persiste, mème contre l'évidence, à con= sidérer toujours les choses de la même maniere. C’est ainsi que les botanistes, habitués à observer les organes sexuels d'un grand nombre de plantes, veulent que toutes, sans exception, aient de sembla= bles organes. En conséquence, plusieurs d’entre eux DE LA CHAINE ANIMALE 195 ont fait tous les efforts imaginables, à l'égard des plantes cyplogames où agames, pour y découvrir des étamines et des pistils ; et ils ont mieux aimé en attribuer, arbitrairement et sans preuves, les fonc- tions à des parties dont il ne connaissent pas l'usage que de reconnaître que la nature sait parvenir au mème but par différents moyens. On s’est persuadé que tout corps reproductif est une graine ou un œuf, c’est-à-dire un corps qui, pour ètre reproductif, a besoin de recevoir l’influence de la fécondation sexuelle. C'est ce qui a fait dire à Linné : Oinne vivum ex ovo. Mais nous connaissons tres-bien maintenant des végétaux et des animaux qui se régénerent uniquement par des corps qui ne sont n1 des graines ni des œufs, et qui, conséquem— ment, n'ont aucun besoin de fécondation sexuelle. Aussi ces corps sont-ils conformés différemment et se développent-ils d’une autre maniere. Voici le principe auquel il faut avoir égard pour juger du mode de génération d'un corps vivant quelconque. Tout corpuscule reproductif, soit végétal, soit ani- mal, qui, sans se débarrasser d'aucune enveloppe, s'étend, s’accroit, et devient un végétal ou un ani- mal semblable à celui dont il provient, n’est point une graine ni un œuf; il ne subit aucune germina- tion ou n’éclôt point apres avoir commencé de s’ac- croître, et sa formation n’a exigé aucune féconda- tion sexuelle : aussi ne contient-il pas un embryon 196 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION enfermé dans des enveloppes dont il soit obligé de se débarrasser, comme celui de la grame ou de l'œuf. Or, suivez attentivement les développements des corpuscules reproductifs des algues, des champi- œnons, etc., et vous verrez que ces Corpuscules ne font que s'étendre et s’accroitre pour prendre insen- siblement la forme du végétal dont ils proviennent ; qu'ils ne se débarrassent d’aucune enveloppe, comme le fait l'embryon de la graine ou celui que contient l'œuf. lype, comme d’une hydre, et vous serez convaincu que ce corps reproductif ne fait que s'étendre et s’accroîitre; qu'il ne se débarrasse d'aucune enve- loppe ; en un mot, qu'il n’éelôt point comme le fait le poulet ou le ver à soie qui sort de son œuf, Il est donc évident que toute reproduction dindi- vidus ne se fait point par la voie de la fécondation sexuelle, et que là où la fécondation sexuelle ne s’opére pas, il n’y a réellement pas d’organe vérita- blement sexuel. Or, comme, apres les 2rsectes, on ne distingue, dans les animaux des quatre classes qui suivent, aucun organe de fécondation, il y a ap- parence que c’est à ce point de la chaine animale que la génération sexuelle cesse d'exister. DE LA CHAINE ANIMALE 197 DISPARITION DE L'ORGANE DE LA VUE C’est encore ici que l'organe de la vue, qui est si utile aux animaux les plus parfaits, se trouve entie- rement anéanti. Get organe qui a commencé à man— quer dans une partie des #nollusques, dans les cérrhi- pèdes, et dans la plupart des annelides, et qui ne s’est ensuite retrouvé dans les crustacés, les arach- nides et les insectes, que dans un état fort impar- fait, d’un usage tres-borné et presque nul, ne repa- raît, après les insectes, dans aucun animal. Enfin, c’est encore ici que la tête, cette partie essentielle du corps des animaux les plus parfaits, et qui est le siége du cerveau et de presque tous les sens, cesse totalement d'exister ; car le renflement de l'extrémité antérieure du corps de quelques vers, comme les fénia, et qui est causé par la disposition de leurs suçoirs, n'étant ni le siége d'un cerveau, mn celui de l'organe de l’ouïe, de la vue, etc., puis- que tous ces organes manquent dans les animaux des classes qui suivent, le renflement dont 1l s’agit ne peut être considéré comme une véritable tête. On voit qu'à ce terme de l'échelle animale, la dé- gradation de l’organisation devient extrêmement rapide, et qu'elle fait fortement pressentir l'appro- che de la plus grande simplification de l’organisation animale. 198 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION LES VERS Animaux à corps mou, allongé, sans tête, sans yeux, sans pattes arti- culées, dépourvu de moelle longitudinale et de système de circulation. Il s’agit ici des vers qui n’ont point de vaisseaux pour la circulation, tels que ceux que l’on connait sous le nom de vers intestins, et de quelques autres vers non intestins, dont l’organisation est tout aussi imparfaite. Ge sont des animaux à corps mou, plus ou moins allongé, ne subissant point de métamor- phose, et dépourvu dans tous, de tête, d'yeux et de pattes articulées. Les vers doivent suivre immédiatement les #7sec- les, venir avant les 7adiaires, et occuper le onzième rang dans le règne animal. C’est parmi eux qu'on voit commencer la tendance de la nature à établir le système des articulations, système qu’elle a en- suite exécuté complétement dans les insectes, les arachnides et les crustacés. Mais l’organisation des vérs étant moins parfaite que celle des insectes, puisqu'ils n’ont plus de moelle longitudinale, plus de tête, plus d’yeux, et plus de pattes réelles, force de les placer après eux ; enfin, le nouveau mode de forme que commence en eux la nature, pour éta- blir Le système des articulations, et s'éloigner de la disposition rayonnante dans les parties, prouve qu'on doit placer les vers avant les radiaires mè- DE LA CHAINE ANIMALE 199 mes. D’ailleurs, après les insectes, on perd ce plan exécuté par la nature dans les animaux des classes précédentes, savoir, cette forme générale de l’ani- mal, qui consiste en une opposition symétrique dans les parties, de manière que chacune d'elles est op- posée à une partie tout à fait semblable. Dans les vers, on ne retrouve plus cette opposi- tion symétrique des parties, et on ne voit pas encore la disposition rayonnante des organes, tant inté- rieurs qu'extérieurs, qui se remarque dans les 7a- diaires. Depuis que j'ai établi les annelides, quelques na- turalistes donnent le nom de sers aux annelides mèmes, et, comme alors ils ne savent que faire des animaux dont il est ici question, ils les réunissent avec les polypes. Je laisse au lecteur à juger quels sont les rapports et les caractères classiques qui au- torisent à réunir dans la mème classe, un féria ou une ascaride, avec une Aydre où tout autre po- lype. Comme les insectes, plusieurs vers paraissent en core respirer par des trachées, dont les ouvertures à l'extérieur sont des espèces de stigmates ; mais il y a lieu de croire que ces trachées, bornées ou impar- faites, sont aqguiferes et non aériferes comme celles des insectes, parce que ces animaux ne vivent ja mais à Pair libre, et qu'ils sont sans cesse, soit plon- gés dans l’eau, soit baignés dans des fluides qui en contiennent. 200 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION Aucun organe de fécondation n'étant bien dis- tinct en eux, je présume que la génération sexuelle n'a plus lieu dans ces animaux. Il serait possible néanmoins que, de même que la circulation est ébau— chée dans les arachnides, la génération sexuelle le soit aussi dans les #ers, ce que les différentes for- mes de la queue des s/rongles semblent indiquer ; mais l'observation n’a pas encore bien établi cette génération dans ces animaux. Ce que l’on apercoit dans certains d’entre eux, et que lon prend pour des ovaires (comme dans les ténia) parait n'être que des amas de corpuscules reproductifs, qui n’ont besoin d’aucune fécondation. Ces corpuscules oviformes sont intérieurs comme ceux des oursins, au lieu d’être extérieurs comme ceux des cornes, etc. Les polypes offrent entre eux les mêmes différences à l'égard de la situation des eemmules qu'ils produisent. Il est donc vraisembla- ble que les vers sont des gemmipares mternes. Des animaux qui, comme les vers, manquent de tête, d’yeux, de pattes, et peut-être de génération sexuelle, prouvent donc aussi, de leur côté, la dé- gradation soutenue de lorganisation que nous recherchons dans toute l'étendue de l'échelle ani- male. DE LA CHAINE ANIMALE 201 LES RADIAIRES Animaux à corps régénératif, dépourvu de tête, d’yeux, de pattes ar- ticulées; ayant la bouche inférieure, et dans ses parties, soit inté- rieures, soit extérieures, une disposition rayonnante. Selon l’ordre en usage, les radiaires occupent le douzième rang dans la série nombreuse des animaux connus, et composent l’une des trois dernières clas- ses des animaux sans vertébres. Parvenus à cette classe, on rencontre dans les animaux qu'elle comprend, un mode de forme gé- nérale, et de disposition, tant intérieure qu’exté- rieure, des parties et des organes, que la nature n’a employé dans aucun des animaux des classes anté- rieures. En effet, les radiaires ont éminemment dans leurs parties, soit intérieures, soit extérieures, cette disposition rayonnante autour d’un centre où d’un axe, qui constitue une forme particulière dont la na- ture n'avait, jusque-là, fait aucun usage, et dont elle n'a commencé l’ébauche que dans les polypes, qui, conséquemment, viennent après elles. Néanmoins, les radiaires forment, dans l’échelle des animaux, un échelon très-distinct de celui que constituent les polypes ; en sorte qu’il n’est pas plus possible de confondre les 7adiaires avec les poly- pes, qu'il ne l’est de ranger les crustacés avec les insectes ou les reptiles parmi les poissons. 202 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION En effet, dans les radiaires, non-seulement on aperçoit encore des organes qui paraissent destinés à la respiration (des tubes ou espèces de trachées aquiferes) ; mais on observe, en outre, des organes particubers pour la génération, tels que des espèces d'ovaires de diverses formes, et rien de semblable ne se retrouve dans les polypes. D'ailleurs, le canal intestinal des radiaires n’est pas généralement un cul-de-sac à une seule ouverture, comme dans tous les polypes, et la bouche, toujours en bas ou infé- rieure, montre, dans ces animaux, une disposition particulière, qui n’est point celle que nous offrent les polypes dans leur généralité. Quoique les radiaires soient des animaux fort singuliers et encore peu connus, ce que l’on sait de leur organisation indique évidemment le rang que je leur assigne. Comme les vers, les radiaires sont sans tète, sans yeux, sans pattes articulées, sans système de circulation, et peut-être sans nerfs. Ce- pendant les radiaires viennent nécessairement après les vers, car ceux-ci n’ont rien dans la disposition des organes intérieurs qui tienne de la forme rayon- nante, et c’est parmi eux que commence le mode des articulations. Si les radiaires sont privées de nerfs, elles sont alors dépourvues de la faculté de sentir, et ne sont plus que simplement irritables ; ce que des observations faites sur des éfoiles de mer vivantes, à qui l'on a coupé des rayons sans qu'elles aient DE LA CHAINE ANIMALE 203 offert aucun signe de douleur, semblent confir- mer. Dans beaucoup de radiaires, des fibres sont en- core distinctes ; mais peut-on donner à ces fibres le nom de #uscles, à moins qu'on ne soit autorisé à dire qu'un muscle privé de nerfs est encore capable d'exécuter ses fonctions ? N’a-t-on pas, dans les vé- gétaux, l'exemple de la possibilité dont jouit le tissu cellulaire, de pouvoir se réduire en fibres, sans que ces fibres puissent être regardées comme musculai- res ? Tout corps vivant, dans lequel on distingue des fibres, ne me parait pas avoir de muscles par cette seule raison et, je pense que, là où il n'y a plus de nerfs, le système musculaire n'existe plus. Il y a lieu de croire que, dans les animaux privés de nerfs, les fibres qui peuvent encore s'y rencontrer, jouis- sent, par leur simple irritabilité, de la faculté de produire des mouvements qui remplacent ceux des muscles, quoique avec moins d'énergie. Non-seulement 1l parait que, dans les radiaires, le système musculaire n'existe plus, mais, en outre, quil n'y a plus de génération sexuelle. En effet, rien ne constate, ni même n'indique que les petits corps oviformes, dont les amas composent ce qu'on nomme les ovaires de ces animaux, recoivent aucune fécon- dation, et soient de véritables œufs : cela est d’au- tant moins vraisemblable, qu'on les trouve égale- ment dans tous les individus. Je regarde donc ces petits corps oviformes comme des gemmules inter- 204 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION \ nes déjà perfectionnées, et leurs amas dans des lieux particuliers, comme des moyens préparés par la na- ture pour arriver à la génération sexuelle. Les radiaires concourent, de leur côté, à prouver la dégradation générale de l’organisation animale, car, en arrivant à cette classe d'animaux, on rencon- tre une forme et une disposition nouvelle des parties et des organes qui sont fort éloignées de celles des animaux des classes précédentes ; d’ailleurs, elles paraissent privées du sentiment, du mouvement musculaire, de la génération sexuelle, et parmi elles, on voit ie canal intestinal cesser d’avoir deux issues, les amas de corpuscules oviformes disparaître et le corps devenir entièrement gélatineux. OBSERVATION Il paraît que dans les animaux trées-imparfaits, comme les polypes et les radiaires, le centre du mou- vement des fluides n'existe encore que dans le canal alimentaire; c'est la qu'il commence à s'établir, et c'est par la voie de ce canal que les fluides subtils ambians pénètrent principalement pour exciter le mouvement dans les fluides contenables ou propres de ces animaux. Que serait la vie végétale, sans les excitations extérieures, et que serait de même la vie des animaux les plus imparfaits, sans cette cause, c'est-à-dire sans le calorique et l'électricité des mi- lieux environnants ? DE LA CHAINE ANIMALE 205 C'est, sans doute, par une suite de ce moyen qu'emploie la nature, d’abord avec une faible éner- gie dans les polypes, et ensuite avec de plus grands développements dans les adiaires, que la forme rayonnante a été acquise ; car les fluides subtils am biants, pénétrant par le canal alimentaire, etétant expansifs, ont dù, par une répulsion sans cesse re nouvelée du centre vers tous les points de la circon- férence, donner lieu à cette disposition rayonnante des parties. C’est par cette cause que, dans les 7'adiaires, le canal intestmal, quoique encore fort imparfait, puis- que, le plus souvent, il n’a qu'une seule ouverture, est néanmoins compliqué d’appendices rayonnants, vasculiformes, nombreux et souvent ramifiés. C’est sans doute encore par cette cause que, dans les radiaires molasses, telles que les méduses, etc., on observe un mouvement isochrone constant, mou- vement qui résulte très-vraisemblement des inter- mittences successives entre les masses de fluides sub- tils qui pénètrent dans l’intérieur de ces animaux et celles des mêmes fluides qui s’en échappent après s'être répandues dans toutes leurs parties. Qu'on ne dise pas que les mouvements isochrones des radiaires mollasses soient les suites de leur respiration, car, après les animaux vertébrés, la nature n'offre dans celle d'aucun animal ces mou- vements alternatifs et mesurés d'inspiration et d’ex- piration. Quelle que soit la respiration des zadiaires, 205 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION elle est extrèmement lente et s'exécute sans mouve- ments perceptibles. LES POLYPES Animaux à corps subgeélatineux et régénératif, n'ayant aucun autre organe spécial, qu'un canal alimentaire à une seule ouverture. Bouche terminale, accompagnée de tentacules en rayons, cu d'organe cilié et rotatoire. En arrivant aux polypes on est parvenu à l’avant- dernier échelon de l'échelle animale, c’est-à-dire à l'avant-dernièére des classes qu'il a été nécessaire d'établir parmi les animaux. Ici, Pimperfection et la simplicité de lorganisa- tion se trouvent très-éminentes, en sorte que les animaux qui sont dans ce cas n’ont presque plus de facultés et qu'on a douté longtemps de leur nature animale. Ce sont des animaux gemmipares à corps homo gene, presque généralement gélatineux, très-régéné= ratif dans ses parties, ne tenant de la forme rayon= nante (que la nature à commencée en eux) que par les tentacules en rayons qui sont autour de leur bou= che et n'ayant aucun autre organe spécial qu'un canal intestinal à une seule ouverture, et par con= séquent mcomplet. On peut dire que les polypes sont des animaux beaucoup plus imparfaits que tous ceux qui font par DE LA CHAINE ANIMALE . 207 tie des classes précédentes, car on ne retrouve en eux ni cerveau, ni moelle longitudinale, ni nerfs, ni organes particuliers pour la respiration, ni vaisseaux pour la circulation des fluides, ni ovaire pour la gé- nération. La substance de leur corps est en quelque sorte homogène et constituée par un #issu cellulaire gélatineux et irritable, dans lequel des fluides se meuvent avec lenteur. Enfin, tous leurs viscères se réduisent à un canal alimentaire imparfait, rarement replié sur lui-même où muni d’appendices, ne res- semblant en général qu'à un sac allongé et n'ayant toujours qu'une seule ouverture servant à la fois de bouche et d'anus. On ne peut être fondé à dire que, dans les ani- maux dont il s’agit, et où l’on ne trouve ni systeme nerveux, ni organe respiratoire, ni muscle, etc., ces organes infiniment réduits existent néanmoins, mais qu'ils sont répandus et fondus dans la masse générale du corps et également répartis dans toutes ses molécules, au lieu d’être rassemblés dans des lieux particuliers, et qu'en conséquence tous les points de leur corps peuvent éprouver toutes les sortes de sensations, le mouvement musculaire, la volonté des idées et la pensée; ce serait une supposi- tion tout à fait gratuite, sans base et sans vraisem- blance. Or, avec une pareille supposition, on pour- rait dire que l’ydre a, dans tous les points de son corps, tous les organes de l'animal le plus par= fait, et, par conséquent, que chaque point du corps 205 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION elle est extrèmement lente et s'exécute sans mouve- ments perceptibles. LES POLYPES Animaux à corps subgélatineux et régénératif, n'ayant aucun autre organe spécial, qu'un canal alimentaire à une seule ouverture. Bouche terminale, accompagnée de tentacules en rayons, cu d'organe cilié et rotatoire. En arrivant aux polypes on est parvenu à l’avant- dernier échelon de l'échelle animale, c’est-a-dire à lavant-derniére des classes qu'il a été nécessaire d'établir parmi les animaux. Ici, Pimperfection et la simplicité de organisa tion se trouvent très-éminentes, en sorte que les animaux qui sont dans ce cas n’ont presque plus de facultés et qu'on a douté longtemps de leur nature animale. Ce sont des animaux gemmipares à corps homo gene, presque généralement gélatineux, très-régéné= ratif dans ses parties, ne tenant de la forme rayon= nante (que la nature a commencée en eux) que par les tentacules en rayons qui sont autour de leur bou= che et n'ayant aucun autre organe spécial qu'un canal intestinal à une seule ouverture, et par con= séquent mcomplet. On peut dire que les polypes sont des animaux beaucoup plus imparfaits que tous ceux qui font par= DE LA CHAINE ANIMALE . 207 tie des classes précédentes, car on ne retrouve en eux ni cerveau, ni moelle longitudinale, ni nerfs, ni organes particuliers pour la respiration, ni vaisseaux pour la circulation des fluides, ni ovaire pour la gé- nération. La substance de leur corps est en quelque sorte homogène et constituée par un #issu cellulaire gélatineux et irritable, dans lequel des fluides se meuvent avec lenteur. Enfin, tous leurs viscères se réduisent à un canal alimentaire imparfait, rarement replié sur lui-mème où muni d’appendices, ne res- semblant en général qu'à un sac allongé et n'ayant toujours qu'une seule ouverture servant à la fois de bouche et d'anus. On ne peut être fondé à dire que, dans les ani- maux dont il s’agit, et où l’on ne trouve ni système nerveux, ni organe respiratoire, ni musele, etc., ces organes infiniment réduits existent néanmoins, mais qu'ils sont répandus et fondus dans la masse générale du corps et également répartis dans toutes ses molécules, au lieu d'être rassemblés dans des lieux particuliers, et qu'en conséquence tous les points de leur corps peuvent éprouver toutes les sortes de sensations, le mouvement musculaire, la volonté des idées et la pensée; ce serait une supposi- tion tout à fait gratuite, sans base et sans vraisem- blance. Or, avec une pareille supposition, on pour- rait dire que l’ydre a, dans tous les points de son corps, tous les organes de l'animal le plus par= fait, et, par conséquent, que chaque point du corps 208 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION de ce polype voit, entend, distingue les odeurs, per- coit les saveurs, etc. ; mais, en outre, qu'il a des idées, qu'il forme des jugements, qu'il pense, en un mot, qu'il raisonne. Chaque molécule du corps de l’hydre ou de tout autre polype serait-elle seule un animal parfait, et l’hydre elle-même serait un animal plus parfait encore que lhomme, puisque chacune de ses molécules équivaudrait, en complé- ment d'organisation et de facultés, à un individu en- tier de l’espèce humaine. I n'y a pas de raison pour refuser d'étendre le même raisonnement à la #0onade, le plus imparfait des animaux connus, et ensuite pour cesser de l’ap- pliquer aux végétaux mêmes, qui jouissent aussi de la vie. Alors on attribuerait à chaque molécule d’un végétal toutes les facultés que je viens de citer, mais restreintes dans des limites relatives à la nature du corps vivant dont elle fait partie. Ce n’est assurément point la où conduisent les ré- sultats de l'étude de la nature. Cette étude nous ap- prend au contraire que partout où un organe cesse d'exister, les facultés qui en dépendent cessent éga- lement. Tout animal qui n’a point d'’yeux ou en qui l’on a détruit les yeux, ne voit point, et quoiqu'en derniere analyse, les différents sens prennent leur source dans le act, qui n’est que diversement mo= difié dans chacun d'eux, tout animal qui manque de nerf, organe spécial du sentiment, ne saurait éprou- ver aucun genre de sensation, car il n’a point le DE LA CHAINE ANIMALE 209 sentiment intime de son existence, il n’a pot le foyer auquel il faudrait que la sensation fût rappor- tée, et conséquemment il ne saurait sentir. Ainsi, le sens du toucher, base des autres sens, et qui est répandu dans presque toutes les parties du corps des animaux qui ont des #erfs, n'existe plus dans ceux qui, comme les polypes, en sont dépour- vus. Dans ceux-ci les parties ne sont plus que sim- plement #ritables et le sont à un degré très-émi- nent, mais ils sont privés du sentiment et par suite de toute espèce de sensation. En effet, pour qu'une sensation puisse avoir lieu, il faut d'abord un organe pour la recevoir (des nerfs), et ensuite il faut qu'il existe un foyer quelconque (un cerveau où une moelle longitudinale noueuse), où cette sensation puisse ètre rapportée. Une sensation est toujours la suite d’une impres- sion reçue et rapportée aussitôt à un foyer Intérieur où se forme cette sensation. Interrompez la commu nication entre l'organe qui recoit l'impression et le foyer où la sensation se forme, tout sentiment cesse aussitôt dans ce lieu. Jamais on ne pourra contester ce principe. Aucun polype ne peut être réellement ovipare, car aucun n'a d'organe particulier pour la génération. Or, pour produire de véritables œufs, il faut non- seulement que l’animal ait un ovaire, mais, en outre, qu'il ait ou qu'un autre individu de son espèce ait un organe particulier pour la fécondation, et personne LAMARCK, HIT. ZOOL. I. 14 210 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION ne saurait démontrer que les polypes soient munis de semblables organes; au lieu que lon connait trés-bien les bourgeons que plusieurs d’entre eux produisent pour se multiplier, et en y donnant un peu d'attention, l’on s'aperçoit que ces bourgeons ne sont eux-mêmes que des scissions plus isolées du corps de Fanimal, scissions moins simples que celles que la nature emploie pour multiplier les animal- cules qui composent la dernière classe du règne animal. Les polypes étant éminemment irritables ne se meuvent que par des excitations extérieures et étran- geres à eux. Tous leurs mouvements sont des résul- tats nécessaires d’impressions reçues et s’exécutent généralement sans actes de volonté, parce qu'ils n'en sauraient produire, et sans possibilité de choix, puisqu'ils ne peuvent avoir de volonté. La lumiere les force constamment et toujours de la mème maniere à se diriger de son côté, comme elle le fait à l'égard des rameaux et des feuilles ou des fleurs des plantes, quoique avec plus de lenteur. Aucun polype ne court après sa proie ni n’en fait la la recherche par ses tentacules, mais lorsque quel- que corps étranger touche ces mêmes tentacules, elles Parrètent, l’amenent à la bouche, et Le polype l’avale sans faire aucune distinction, relativement à sa nature appropriée où non à son utilité. I le di- gere et s'en nourrit, Si ce Corps en est susceptible, il le rejette en entier sil s'est conservé quelque DE LA CHAINE ANIMALE 211 temps infact dans son canal alimentaire; enfin, il rend ceux de ses débris qu'il ne peut plus altérer; mais, dans tout cela, même nécessité d'action et Jamais possibilité de choix qui permette de les va- rier. Quant à la distinction des polypes avec les radiaires, elle est des plus grandes et des plus tranchées ; on ne trouve dans l’intérieur des polypes aucune partie distincte ayant une disposition rayon— nante, leurs tentacules seules ont cette disposition, c'est-à-dire la même que celle des bras des mollus- ques céphalopodes qu'on ne confondra sûrement pas avec les radiaires. D'ailleurs les po/ypes ont la bou che supérieure et terminale, tandis que celle des radiaires est différemment disposée. Il n’est point du tout convenable de donner aux polypes le nom de 200phyles, qui vent dire animaux- plantes, parce que ce sont uniquement et compléte- ment des animaux, qu'ils ont des facultés générale ment exclusives aux plantes, celle d’être véritable- ment ?rr1{ables, et en général, celle de digérer, et qu'enfin leur nature ne tient essentiellement rien de celle de la plante. Les seuls rapports qu'il y ait entre les polypes et les plantes se trouvent : 1° dans la simplification assez rapprochée de leur organisation; 2° dans la faculté qu'ont beaucoup de polypes d’adhérer les uns aux autres, de communiquer ensemble par leur ca- nal alimentaire et de former des animaux composés; 212 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION 3° enfin, dans la forme extérieure des masses que ces polypes réunis constituent, forme qui a longtemps fait prendre ces masses pour de véritables végétaux, parce que souvent elles sont ramifiées presque de la même manière. Que les polypes aient une seule où plusieurs bou- ches, il s’agit toujours à leur égard d'un canal ali- mentaire auquel elles conduisent, et par conséquent, d'un organe pour la digestion, dont tous les végé- taux sont dépourvus. Si la dégradation de l’organisation que nous avons remarquée dans toutes les classes, depuis les mam-— miferes, est quelque part évidente, c'est assurément parmi les polypes dont l’organisation est réduite à une extrème simplification. LES INFUSOIRES Animaux infiniment petits, à corps gelatineux, transparent, homogène . et tres-contractile; n'ayant intérieurement aucun organe spécial dis- tinct,mais souvent des gemmules oviformes, et n'offrant à l'extérieur ni tentacules en rayons, ni organes rotatoires. Nous voici enfin parvenus à la dernière classe du regne animal, à celle qui comprend les animaux les plus imparfaits à tous égards, c’est-à-dire, ceux qui ont l’organisation la plus simple, qui possèdent le moins de facultés, et qui semblent n’être tous que de véritables ébauches de la nature animale. Jusqu'à présent j'avais réuni ces petits animaux DE LA CHAINE ANIMALE 213 à la classe des pol/ypes, dont ils constituaient le der- mer ordre sous le nom de po/ypes amorphes, n'ayant point de forme constante qui soit particulière à tous : mais jai reconnu la nécessité de les séparer pour en former une classe particulière; ce qui ne change nullement le rang que je leur avais assigné. Tout ce qui résulte de ce changement se réduit à une li- gne de séparation que la simplification plus grande de leur organisation et leur défaut de tentacules en rayons et d'organes rotatoires paraissent exiger. L'organisation des #nfusoires devenant de plus simple en plus simple, selon les genres qui les composent, les derniers de ces genres nous présen- tent, en quelque sorte, le terme de lanimalité; ils nous offrent au moins celui où nous pouvons attein- dre. C'est surtout dans les animaux du second ordre de cette classe que l’on s'assure que toute trace du canal intestinal et de la bouche est entierement dis- parue; qu'il n'y a plus d’organe particulier quel conque, et qu'en un mot, ils n'exécutent plus de digestion. Ce ne sont que de très-petits corps gélatineux, transparents, contractiles et homogènes, composés de tissu cellulaire presque sans consistance, et néan- moins irritables dans tous leurs points. Ces petits corps, qui ne paraissent que des points animés on mouvants, se nourrissent par absorption et par une jmbibition continuelle, et, sans doute, ils sont animés par l'influence des fluides subtils ambiants, 214 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION tels que le calorique et l'électricité, qui excitent en eux les mouvements qui constituent la vie. Si, à l'égard de pareils animaux, l’on supposait encore qu'ils possèdent tous les organes que lon connait dans les autres, mais que ces organes sont fondus dans tous les points de leur corps, combien une pareille supposition ne serait-elle pas vaine ! En effet, la consistance extrèmement faible et presque nulle des parties de ces petits corps gélati- neux, indique que de pareils organes ne doivent pas exister, parce que l'exécution de leurs fonctions serait impossible. L’on sent effectivement que pour que des organes quelconques aient la puissance de réagir sur des fluides, et d'exercer les fonctions qui leur sont propres, il faut que leurs parties aient la consistance et la ténacité qui peuvent leur en donner la force; or, c’est ce qui ne peut être supposé à l'égard des frèles animalcules dont il s’agit. C’est uniquement parmi les animaux de cette classe que la nature parait former les générations spon- tanées où directes qu'elle renouvelle sans cesse cha que fois que les circonstances y sont favorables ; et nous essayerons de faire voir que c’est par eux qu'elle a acquis les moyens de produire indirecte- ment, à la suite d’un temps énorme, toutes les autres races d'animaux que nous connaissons. Ce qui autorise à penser que les #r/fusoires ou que la plupart deces animaux ne doivent leur exis- tence qu'à des générations spontanées, c’est que ces DE LA CHAINE ANIMALE 215 frèles animaux périssent tous dans les abaissements de température qu'améenent les mauvaises saisons ; eton ne supposera sûrement pas que des corps aussi délicats puissent laisser aucun bourgeon ayant assez de consistance pour se conserver, et les repro- duire dans les tempsde chaleur. On trouve les #nfusotres dans les eaux croupis- santes, dans les infusions de substances végétales ou animales, et même dans la liqueur prolifique des animaux les plus parfaits. On les retrouve les mè- mes dans toutes les parties du monde, mais seule- ment dans les circonstances où il peuvent se former. Ainsi, en considérant successivement les diffé- rents systèmes d'organisation des animaux, depuis les plus composés jusqu'aux plus simples, nous avons vu la dégradation de l'organisation animale commencer dans la classe mème qui comprend les animaux les plus parfaits, s’avancer ensuite pro- gressivement de classe en classe, quoique avec des anomalies produites par diverses sortes de circons- tances, et enfin, se terminer dans les #7/fusotres. Ces derniers sont les animaux les plus imparfaits, les plus simples en organisation, et ceux dans les- quelles la dégradation que nous avons suivie est parvenue à son terme, en réduisant l’organisa- tion animale à constituer un corps simple, homogene, gélatineux, presque sans consistance, dépourvu d'organes particuliers, et uniquement formé dun tissu cellulaire très-délicat, à peine ébauché, lequel 216 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION parait vivifié par des fluidessubtils ambiants, qui le pénètrent et s'en exhalent sans cesse. Nous avons vu successivement chaque organe spécial, même le plus essentiel, se dégrader peu à peu, devenir moins particulier, moins isolé, enfin, se perdreet disparaitre entièrement longtemps avant d'avoir atteint l’autre extrémité de l’ordre que nous suivions, et nous avons remarqué que c'est princi- palement dans les animaux sans vertèbres qu'on voit s’anéantir des organes spéciaux. A la vérité, même avant de sortir de la division des animaux vertébrés, on apercoit déja de grands changements dans le perfectionnement des orga- nes, et même quelques-uns d’entre eux, comme la vessie urinaire, le diaphragme, lorganede la voix, les paupières, etc., disparaissent totalement. En ef- fet, le poumon, l'organe le plus perfectionné pour la respiration, commence à se dégrader dans les reptiles, et cesse d'exister dans les poissons, pour ne plus reparaitre dans aucun des animaux sans vertèbres. Enfin, le squelette, dont les dépendances fournissent la base des quatre extrémités où mem— bres que la plupart des animaux vertébrés posse- dent, commence à se détériorer, principalement dans les reptiles, et finit entièrement avec les poissons. Mais c'est dans la division des animaux sans vertèbres qu'on voit s’anéantir le cœur, le cerveau, les branchies, les glandes conglomérées, les vais- seaux propres à la circulation, organe de louïe, DE LA CHAINE ANIMALE 217 celui de la vue, ceux de la génération sexuelle, ceux même du sentiment, ainsi que ceux du mouve- ment. Je l’ai déjà dit, ce serait en vain que nous cher- cherions dans un polype, comme dans une hydre, ou dans la plupart des animaux de cette classe, les moindres vestiges, soit de nerfs (organes du senti ment), soit de muscles (organes du mouvement)! l'irritabilité seule, dont tout polype est doué à un degré fort éminent, remplace en lui et la faculté de sentir qu'il ne peut posséder, puisqu'il n’en à pas l'organe essentiel, et la faculté de se mouvoir vo- lontairement, puisque toute volonté est un acte de l'organe de l'intelligence, et que cet animal est abso- lument dépourvu d'un pareil organe. Tous ses mou- vements sont des résultats nécessaires d'impressions reçues dans ses parties irritables, d'excitations ex- térieures et s'exécutent sans possibilité de choix. Mettez une Lydre dans un verre d'eau, et placez ce verre dans une chambre qui ne recoive le jour que par une fenêtre, et, par conséquent, que d’un seul côté. Lorsque cette Lydre sera fixée sur un point des parois du verre, tournez ce verre de ma uiere que lejour frappe dans un point opposé à celui où se trouve l'animal, vous verrez toujours l’hydre aller, par un mouvement lent, se placer dans le lieu où frappe la lumière, et y rester tant que vous ne changerez pas ce point. Elle suit en cela ce qu'on observe dans les parties des végétaux qui se diri- 218 DÉGRADATION DE L'ORGANISATION gent, sans aucun acte de volonté, vers le côté d’où vient la lumiere. Sans doute, partout où un organe spécial n'existe plus, la faculté à laquelle il donnait lieu cesse aussi d'exister, mais en outre on observe clairement qu'à mesure qu'un organe se dégrade et s’appauvrit, la faculté qui en résultait devient proportionnellement plus obscure et plus imparfaite. C’est ainsi qu'en descendant du plus composé vers le plus simple, les insectes sont les derniers animaux en qui l’on trouve des yeux, mais on a tout à fait lieu de penser qu'ils voient fort obscurément et qu'ils en font peu d'usage. Ainsi, en parcourant la chaîne des animaux, de- puis les plus parfaits jusqu'aux plus imparfaits, et en considérant successivement les différents syste- mes d'organisation qui se distinguent dans l’étendue de cette chaine, la dégradation de l’organisation et de chacun des organes jusqu'à leur entière dispari- tion, estun fait positif dont nous venons de constater l'existence. Cette dégradation se montre même dans la nature et la consistance des fluides essentiels et de la chair des animaux, car la chair et le sang des mammifères et des oiseaux sont les matières les plus composées et les plus animalisées que l’on puisse obtenir des parties molles des animaux. Aussi, après les pois- sons, ces matières se dégradent progressivement, au point que dans les radiaires molasses, dans les poly- DE LA CHAINE ANIMALE 219 pes et surtout dans les infusoires, le fluide essentiel n’a plus que la consistance et la couleur de l’eau et que les chairs de ces animaux n'offrent plus qu'une matière gélatineuse, à peine animalisée. Le bouillon que l’on ferait avec de pareilles chairs ne serait sans doute guëre nourrissant et fortifiant pour l’homme qui en ferait usage. Que l’on reconnaisse ou non ces vérités intéres- santes, ce sera néanmoins toujours à elles que seront amenés ceux qui observeront attentivement les faits, et qui, surmontant les préventions générale ment répandues, consulteront les phénomènes de la nature et étudieront ses lois et sa marche cons- tante. Maintenant nous allons passer à l’examen d'un autre genre de considération et nous essayerons de prouver que les circonstances d'habitation exercent une grande influence sur les actions des animaux, et que, par une suite de cette influence, l'emploi augmenté et soutenu d’un organe ou son défaut d'usage sont des causes qui modifient l’organisation et la forme des animaux et qui donnent lieu aux ano- malies qu'on observe dans la progression de la com- position de l'organisation animale. CAEN PETER ONE DE L'INFLUENCE DES CIRCONSTANCES SUR LES ACTIONS ET LES HABITUDES DES ANIMAUX ET DE CELLE DES ACTIONS ET DES HABITUDES DE CES CORPS VIVANTS, COMME CAUSES QUI MODIFIENT LEUR ORGANISATION ET LEURS PARTIES Il ne s’agit pas ici d’un raisonnement, mais de l'examen d’un fait positif qui est plus général qu'on ne pense et auquel on a négligé de donner l’atten- tion qu'il mérite, sans doute parce que le plus sou- vent il est tres-dificile à reconnaitre. Ce fait con- siste dans l'influence qu'exercent les circonstances sur les différents corps vivants qui s’y trouvent as- sujettis. À la vérité, depuis assez longtemps on à remar- qué l’influence des différents états de notre organisa- tion sur notre caractère, nos penchants, nos actions et même nos idées, mais il me semble que personne encore n'a fait connaître celle de nos actions et de INFLUENCE DES CIRCONSTANCES 224 nos habitudes sur notre organisation même. Or, comme ces actions et ces habitudes dépendent entie- rement des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons habituellement, je vais essayer de montrer combien est grande l'influence qu'exercent ces cir- constances sur la forme générale, sur l'état des par- ties et mème sur l’organisation des corps vivants. Ainsi, c'est de ceffait tres-positif dont il va être ques- tion dans ce chapitre. Si nous n'avions pas eu de nombreuses occasions de reconnaitre d’une maniere évidente les effets de cette influence sur certains corps vivants que nous avons transportés dans des circonstances tout à fait nouvelles et très-différentes de celles où 1ls se trou- vaient, et si nous n'avions pas vu ces effets et les changements qui en sont résultés se produire en quel que sorte sous nos yeux mêmes, le fait important dont il s’agit nous fût toujours resté inconnu. L'influence des circonstances est effectivement en tout temps et partout, agissante sur les corps qui jouissent de la vie, mais ce qui rend pour nous cette influence difficile à apercevoir. c'est que ses effets ne deviennent sensibles on reconnaissables (surtout dans les animaux) qu'à la suite de beaucoup de temps. Avant d'exposer et d'examiner les preuves de ce fait qui mérite notre attention et qui est fort impor- tant pour la Prlosophie zoologique, reprenons le fil des considérations dont nous avons commencé l'examen. 222 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES Dans le paragraphe précédent, nous avons vu que c’est maintenant un fait inconstestable, qu'en consi- dérant l'échelle animale dans un sens inverse de ce- lui de la nature, on trouve qu'il existe dans les masses qui composent cette échelle une dégradation soutenue, mais irrégulière dans l’organisation des animaux qu'elles comprennent, une simplification croissante dans l’organisation de ces corps vivants, enfin, une diminution proportionnée dans le nombre des facultés de ces êtres. Ce fait bien reconnu peut nous fournir les plus grandes lumières sur l’ordre même qu'a suivi la nature dans la production de tous les animaux qu’elle a fait exister, mais il ne nous montre pas pourquoi l’organisation des animaux, dans sa composition croissante, depuis les plus imparfaits jusqu'aux plus parfaits, n'offre qu'une gradation irrégulière dont l'étendue présente quantité d'anomalies ou d’écarts qui n'ont aucune apparence d'ordre dans leur di- versité. Or, en cherchant la raison de cette irrégularité singulière dans la composition croissante de l’orga- tion des animaux, si l’on considere le produit des influences que des circonstances infiniment diversi- fiées dans toutes les parties du globe exercent sur la forme générale, les parties et l'organisation même de ces animaux, tout alors sera clairement ex- pliqué. Il sera, en effet, évident que l’état où nous voyons SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 223 tous les animaux, est, d’une part, le produit de la coinposthon croissante de l’organisation qui tend à former une gradation régulière, et, de l'autre part, qu'il est celui des influences d’une multitude de cir- constances tres-différentes qui tendent continuelle- ment à détruire la régularité dans la gradation de la composition croissante de l’organisation. Ici, il devient uécessaire de m'expliquer sur le sens que J'attache à ces expressions: Les cürcons- tances influent sur la forme et l'organisation des animaux, c'est-à-dire qu'en devenant tres-différen- tes, elles changent, avec le temps, et cette forme et l’organisation elle-même par des modifications pro- portionnées. Assurément, si l’on prenait ces expressions à la lettre, on m'attribuerait une erreur ; car quelles que puissent être les circonstances, elles n’operent direc- tement sur la forme et sur l’organisation des ani- maux aucune modification quelconque. Mais de grands changements dans les circonstan- ces amenent pour les animaux de grands change- ments dans leurs besoins, et de pareils changements dans les besoins en amènent nécessairement dans les actions. Or, si les nouveaux besoins deviennent constants où très-durables, les animaux prennent alors de nouvelles habitudes, qui sont aussi durables que les besoins qui les ont fait naître. Voilà ce qu'il est facile de démontrer, et même ce qui n’exige au- eune explication pour être senti: LAS) LU INFLUENCE DES CIRCONSTANCES IL est donc évident qu'un grand changement dans les circonstances, devenu constant pour une race d'animaux, entraine ces animaux à de nonvelles ha- bitudes. Or, si de nouvelles circonstances devenues per- manentes pour une race d'animaux, ont donné à ces animaux de nouvelles Aabiludes, c'est-a-dire les ont portés à de nouvelles actions qui sont devenues habituelles, il en sera résulté emploi de telle partie par préférence à celui de telle autre, et, dans certains cas, le défaut total d'emploi de telle partie qui est devenue imutile. Rien de tout cela ne saurait ètre considéré comme hypothèse où comme opinion particuhere; ce sont, au contraire, des vérités qui n’exigent, pour être rendues évidentes, quede lattention et l'observation des faits. Nous verrons tout à l'heure, par la citation de faits connus qui l’attestent, d'une part, que de nou- veaux besoins ayant rendu telle partie nécessaire, ont réellement, par une suite d'efforts, fait naitre cette partie, et qu'ensuite son emploi soutenu la peu à peu fortifiée, développée, et a fini par l’agran- dir considérablement ; d’une autre part, nous verrons que, dans certains cas, les nouvelles cir- constances et les nouveaux besoins ayant rendu telle partie tout à fait inutile, le défaut total d'emploi de cette partie a été cause qu'elle a cessé graduelle- ment de recevoir les développements que les autres SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 229 parties de l'animal obtiennent ; qu'elle s’est amaigrie et atténuée peu à peu et qu'enfin, lorsque ce défaut d'emploi a été total pendant beaucoup de temps, la partie dont il est question à fini par disparaitre. Tout cela est positif ; je me propose d’en donner les preuves les plus convaincantes. Dans les végétaux, où il n’y a point d'actions et, par conséquent, point d’habiludes proprement dites, de grands changements de circonstances n’en aménent pas moins de grandes différences dans les développements de leurs parties; en sorte que ces différences font naître et développer certaines d’en- tre elles, tandis qu’elles atténuent et font disparai- tre plusieurs autres. Mais ici tout s'opère par les changements survenus dans la nutrition du végétal, dans ses absorptions et ses transpirations, dans la quantité de calorique, de lumiere, d'air et d’humi- dité qu'il recoit alors habituellement ; enfin, dans la supériorité que certains des divers mouvements vi taux peuvent prendre sur les autres. Entre des individus de mème espèce, dont les uns sont continuellement bien nourris, et dans des cir- constances favorables à tous leurs développements, tandis que les autres se trouvent dans des circons- tances opposées, il se produit une différence dans l’état de ces individus, qui peu à peu devient très- remarquable. Que d'exemples ne pourrais-je pas citer à l’égard des animaux et des végétaux, qui confirmeraient le fondement de cette considération ! - LAMARCE, FHIL ZOOL. Î. 15 t] 26 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES Or, si les circonstances restant les mêmes, rendent habituel et constant l’état des individus mal nourris, souffrants où languissants, leur organisation inté- rieure en esta la fin modifiée, et la génération entre les individus dont il est question conserve les modi- fications acquises et finit par donner lieu à une race trés-distincte decelle dont les individusse rencontrent sans cesse dans des circonstances favorables à leurs développements. Un printemps très-sec est cause que les herbes d’une prairie s’accroissent tres-peu, restent maigres et chétives, fleurissent et fructifient, quoique n'ayant pris que très-peu d’accroissement. Un printemps entremêlé de jours de chaleur et de jours pluvieux, fait prendre à ces mêmes herbes beaucoup d’accroissement, et la récolte des foins est alors excellente. Mais si quelque cause perpétue, à l’égard de ces plantes, les circonstances défavorables, elles varie- ront proportionnellement, d’abord dans leur port ou leur état général, et ensuite dans plusieurs parti cularités de leurs caractères. Par exemple, si quelque graine de quelqu’une des herbes de la prairie en question est transportée dans un lieu élevé, sur une pelouse sèche, aride, pierreuse, tres-exposée aux vents et y peut germer la plante qui pourra vivre dans ce lieu, s’y trouvant toujours mal nourrie, et les individus qu’elle y re- produira continuant d'exister dans ces mauvaises SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 221 circonstances, il en résultera une race véritablement différente de celle qui vit dans la prairie et dont elle sera cependant originaire. Les individus de cette nouvelle race seront petits, maigres dans leurs par- ties, et certains de leurs organes, ayant pris plus de développement que d’autres, offriront alors des pro- portions particulières. Ceux qui ont beaucoup observé et qui ont consulté les grandes collections ont pu se convaincre qu'à mesure que les circonstances d'habitation, d’exposi- tion, de climat, de nourriture, d'habitude de vivre, etc., viennent à changer, les caractères de taille, de forme, de proportion entre les parties, de couleur, de consistance, d’agilité et d'industrie, pour les ani- maux, changent proportionnellement. Ce que la nature fait avec beaucoup de temps, nous le faisons tous les jours en changeant nous- mêmes subitement, par rapport à un végétal vivant, les circonstances dans lesquelles lui et tous les in- dividus de son espèce se rencontraient. Tous les botanistes savent que les végétaux qu'ils transportent de leur lieu natal dans les jardins, pour les y cultiver, y subissent peu à peu des change- ments qui les rendent à la fin méconnaissables. Beaucoup de plantes, très-velues naturellement, y deviennent glabres ou à peu près ; quantité de celles qui étaient couchées et trainantes y voient redresser leur tige, d’autres y perdent leurs épines ou leurs aspérités, d’autres encore de l'état ligneux et vivace 228 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES que leur tige possédait dans les climats chauds qu'elles habitaient, passent dans nos climats à l’état herbacé, et parmi elles plusieurs ne sont plus que des plantes annuelles ; enfin, les dimensions de leurs parties y subissent elles-mêmes des changements tres-considérables. Ces effets des changements de circonstances sont tellement reconnus, que les botanistes n'aiment point à décrire les plantes de jardins, à moins qu'elles n’y soient nouvellement cultivées. Le froment cultivé (triticuin sativunr) n'est-il pas un végétal amené par lhomme à Pétat où nous le voyons actuellement ? Qu'on me dise dans quel pays une plante semblable habite naturellement, e’est-à- dire sans y être la suite de sa culture dans quelque voisinage ? Où trouve-t-on dans la nature nos choux, nos laitues, etc., dans l’état où nous les possédons dans nos Jardins potagers ? N’en est-il pas de même à l'égard de quantité d'animaux que la domesticité a changés où considérablement modifiés ? Que de races tres-différentes parmi nos poules et nos pigeons domestiques, nous nous sommes procurées en les élevant dans diverses circons- tances et dans différents pays, et qu'en vain on chercherait maintenant à retrouver telles dans la nature ! Celles qui sont les moins changées, sans doute, par une domesticité moins ancienne, et parce qu'elles SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 229 ne vivent pas dans un climat qui leur soit étranger, n’en offrent pas moins dans l’état de certaines de leurs parties, de grandes différences produites par les habitudes que nous leurs avons fait contracter. Ainsi, nos canards et nos oies domestiques retrou- vent leur type dans les canards et les o1es sauvages mais les nôtres ont perdu la faculté de pouvoir s'éle ver dans les hautes régions de l'air et de traverser de grands pays en volant; enfin, il s’est opéré un changement réel dans l'état de leurs parties compa- rées à celles des animaux de la race dont ils pro- viennent. Qui ne sait que tel oiseau de nos climats que nous élevons dans une cage et qui y vit cinq ou six an— nées de suite, étant après cela replacé dans la na- ture, c’est-à-dire rendu à la liberté, n’est plus alors en état de voler comme ses semblables qui ont tou- jours été libres? Le léger changement de circons- tance opéré sur cet individu, n’a fait, à la vérité, que diminuer sa faculté de voler, et sans doute n’a opéré aucun changement dans la forme de ses par- ties. Mais si une nombreuse suite de générations des individus de la même race avait été tenue en capti- vité pendant une durée considérable, il n’y a nul doute que la forme même des parties de ces ndivi- dus n’eût peu à peu subi des changements notables. A plus forte raison, si au lieu d’une simple captivité constamment soutenue à leur égard, cette circons- tance eût été en même temps accompagnée d'un 230 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES changement de climat fort différent et que ces indi- vidus, par degrés, eussent été habitués à d’autres sortes de nourritures et à d’autres actions pour s’en saisir, certes, ces circonstances, réunies et devenues constantes, eussent formé insensiblement une nou- velle race alors tout à fait particulière. Où trouve-t-on maintenant dans la nature cette multitude de races de chiens, que, par suite de la domesticité où nous avons réduit ces animaux, nous avons mis dans le cas d'exister telles qu’elles sont actuellement? Où trouve-t-on ces dogues, ces lé vriers, ces barbets, ces épagneuls, ces bichons, etc., etc. ; races qui offrent entre elles de plus grandes différences que celles que nous admettons comme spécifiques entre les animaux d’un même genre qui vivent librement dans la nature ? Sans doute, une race premiére et unique, alors fort voisine du loup s'il n’en est lui-même le vrai type, a été soumise par l’homme à une époque quel- conque à la domesticité. Gette race qui n’offrait alors aucune différence entre ces individus, a été peu à peu dispersée avec l’homme dans différents pays, dans différents climats, et apres un temps quelcon- que, ces mêmes individus ayant subi les influences des lieux d'habitation et des habitudes diverses qu'on leur à fait contracter dans chaque pays, en ont éprouvé des changements remarquables et ont formé différentes races particulieres. Or, homme qui, pour le commerce où pour d'autre genre d'intérêt, se dé- SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 231 place mème à de très-grandes distances, ayant trans- porté dans un lieu tres-habité, comme une grande capitale, différentes races de chiens formées dans des pays fort éloignés, alors le croisement de ces races, par la génération, a donné lieu successive- ment à toutes celles que nous connaissons mainte- nant. Le fait suivant prouve, à l'égard des plantes, com- bien le changement de quelque circonstance impor- tante influe pour changer les parties de ces corps vivants. Tant que le ranunculus aquatilis est enfoncé dans le sein de l’eau, ses feuilles sont toutes fine- ment découpées et ont leurs divisions capillacées ; mais lorsque les tiges de cette plante atteignent la surface de l’eau, les feuilles qui se développent dans l'air sont élargies, arrondies et simplement lobées. Si quelques pieds de la même plante réussissent à pousser dans un sol seulement humide, sans être inondé, leurs tiges alors sont courtes, et aucune de leurs feuilles n’est partagée en découpures capilla- cées, ce qui donne lieu au ranunculus hederaceus, que les botanistes regardent comme une espece, lorsqu'ils le rencontrent. Il n’est pas douteux qu'a l'égard des animaux des changements importants dans les circonstances où ils ont l'habitude de vivre n’en produisent pa- reillement dans leurs parties, mais ici les mutations sont beaucoup plus lentes à s’opérer que dans les 232 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES végétaux, et, par conséquent, sont pour nous moIns sensibles et leur cause moins reconnaissable. Quant aux circonstances qui ont tant de puissance pour modifier les organes des corps vivants, les plus influentes sont sans doute la diversité des milieux dans lesquels ils habitent, mais en outre il y en a beaucoup d’autres qui ensuite influent considérable- ment dans la production des effets dont il est ques- tion. On sait que des lieux différents changent de na- ture et de qualité à raison de leur position, de leur composition et de leur climat, ce que lon apercoit facilement en parcourant différents lieux distingués par des qualités particulières ; voilà déja une cause de variation pour les animaux et les végétaux qui vivent dans ces divers lieux. Mais ce qu’on ne sait pas assez et même ce qu'en général on se refuse à croire, c'est que chaque lieu lui-même change, avec le temps, d'exposition, de climat, de nature et de qua- lité, quoique avec une lenteur si grande, par rap- port à notre durée, que nous lui attribuons une s/a- bilité parfaite. Or, dans l’un et l’autre cas, ces lieux changés changent proportionnellement les circonstances re- latives aux corps vivants qui les habitent, et celles-ci produisent alors d’autres influences sur ces mêmes Corps. On sent de là que, s’il y a des extrèmes dans ces changements, il y a aussi des nuances, c’est-à-dire SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 233 des degrés qui sont intermédiaires et qui remplis- sent l'intervalle. Conséquemment, il y a aussi des nuances dans les différences qui distinguent ce que nous nommons des espèces. Il est donc évident que toute la surface du globe offre dans la nature et la situation des matières qui occupent ses différents points, une diversité de cir- constances qui est partout en rapport avec celle des formes et des parties des animaux, indépendamment de la diversité particulière qui résulte nécessaire- ment du progres de la composition de l’organisation dans chaque animal. Dans chaque lieu où des animaux peuvent habi- ter, les circonstances qui y établissent un ordre de choses restent tres-longtemps les mêmes et n'y changent réellement qu'avec une lenteur si grande que l’homme ne saurait les remarquer directement. Il est obligé de consulter des monuments pour re- connaître que dans chacun de ces lieux lordre de choses qu'il y trouve n’a pas toujours été le mème et pour sentir qu'il changera encore. Les races d'animaux qui vivent dans chacun de ces lieux y doivent donc conserver aussi longtemps leurs habitudes : de la pour nous l’apparente cons- tance des races que nous nommons espèces, Cons— tance qui a fait naître en nous l’idée que ces races sont aussi anciennes que la nature. Mais dans les différents points de la surface du globe qui peuvent être habités, la nature et la situa- 234 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES tion des lieux et des climats y constituent pour les animaux comme pour les végétaux des circonstan- ces différentes dans toutes sortes de degrés. Les animaux qui habitent ces différents heux doivent donc différer les uns des autres non-seulement en raison de l’état de composition de Porganisation dans chaque race, mais en outre en raison des habitudes que les individus de chaque race y sont forcés d'avoir ; aussi, à mesure qu'en parcourant de gran— des portions de la surface du globe, le naturaliste observateur voit changer les circonstances d’une manière un peu notable, 1l s'aperçoit constamment alors que les espèces changent proportionnellement dans leurs caracteres. Or, le véritable ordre de choses qu'il s’agit de con- sidérer dans tout ceci, consiste à reconnaître : l° Que tout changement un peu considérable et ensuite maintenu dans les circonstances oùse trouve chaque race d'animaux opère en elle un changement réel dans leurs besoins ; 2° Que tout changement dans les besoins des ani- maux nécessite pour eux d’autres actions pour sa tisfaire aux nouveaux besoins et, par suite, d’autres habitudes ; 3° Que tout nouveau besoin nécessitant de nou- velles actions pour y satisfaire, exige de l’animal qui l’éprouve, soit l'emploi plus fréquent de telle de ses parties dont auparavant il faisait moins d'usage, ce qui la développe et l’agrandit considérablement, SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 235 soit l'emploi de nouvelles parties que les besoins font naître insensiblement en lui par des efforts de son sentiment intérieur; ce que je prouverai tout à l'heure par des faits connus. Ainsi, pour parvenir à connaitre les véritables causes de tant de formes diverses et de tant d’habi- tudes différentes, dont les animaux connus nous offrent les exemples, il faut considérer que les cir- constances infiniment diversifiées, mais toutes len- tement changeantes, dans lesquelles les animaux de, chaque race se sont successivement rencontrés, ont amené pour chacun d'eux des besoins nouveaux et nécessairement des changements dans leurs habitu- des. Or, cette vérité qu’on ne saurait contester, étant une fois reconnue, il sera facile d’apercevoir com- ment les nouveaux besoins ont pu être satisfaits et les nouvelles habitudes prises, si l’on donne quel- que attention aux deux lois suivantes de la nature, que l'observation a toujours constatées. PREMIÈRE LOI Dans tout animal qui n’a point dépasse le terme de ses développements, l'emploi plus fréquent et soutenu d'un organe quelconque, fortitie peu à peu cet organe, le développe, l'agrandit, et lui donne une puissance proportionnée à la durée de cet emploi; tandis que le défaut constant d'usage de tel organe, l'affaiblit insensiblement, le détériore, diminue progressivement ses facultés, et finit par le faire disparaître. DEUXIÈME LOI Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus par l'influence des circonstances où leur race se trouve depuis longtemps exposée, et par conséquent, par l'influence de l'emploi prédominant de 236 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES tel organe, ou par celle d'un défaut constant d'usage de telle partie: elle le conserve par la génération aux nouveaux individus qui en proviennent. pourvu que les changements acquis soient communs aux deux sexes, ou à ceux qui ont produit ces nouveaux individus, Ce sont la deux vérités constantes qui ne peuvent être méconnues que de ceux qui n’ont jamais ob- servé ni suivi la nature dans ses opérations, où que de ceux qui se sont laissé entraîner à l'erreur que je vais combattre. Les naturalistes ayant remarqué que les formes des parties des animaux, comparées aux usages de ces parties, sont toujours parfaitement en rapport, ont pensé que les formes et l’état des parties en avaient amené l'emploi : or, c’est la l'erreur, car il est facile de démontrer par lobservation que ce sont au contraire les besoins et les usages des parties qui ont développé ces mêmes parties, qui les ont même fait naître lorsqu'elles n’existaient pas, et qui, con— séquemment, ont donné lieu à l'état où nous les observons dans chaque animal. Pour que cela ne fût pas ainsi, il eût fallu que la nature eût créé, pour les parties des animaux, au— tant de formes que la diversité des circonstances dans lesquelles ils ont à vivre l’eût exigé, et que ces formes, ainsi que ces circonstances, ne varias- sent Jamais. Ce n’est point là certainement lordre de choses qui existe, et s’il était réellement tel, nous n’aurions as de chevaux coureurs de la forme de ceux qui l SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 231 sont en Angleterre; nous n’aurions pas nos gros chevaux de trait, si lourds et si différents des pre- miers, car la nature n’en a point elle-même produit de semblables; nous n’aurions pas, par la même raison, de chiens bassets à jambes torses, de lévriers si agiles à la course, de barbets, etc.; nous n’au- rions pas de poules sans queue, de pigeons paons, ete. ; enfin, nous pourrions cultiver les plantes sau- vages tant qu'ils nous plairait dans le sol gras et fertile de nos jardins, sans craindre de les voir chan- ger par une longue culture. Depuis longtemps on a eu à cet égard le senti ment de ce qui est, puisqu'on a établi la sentence suivante qui a passé en proverbe et que tout le monde connait, les habitudes forment une seconde nature. Assurément si les habitudes et la nature de cha- que animal ne pouvaient jamais varier, le proverbe eût été faux, n’eût point eu lieu et n’eût pu se con server dans le cas où on l’eût proposé. Si l’on considère sérieusement tout ce que je viens d'exposer, on sentira que j'étais fondé en raisons, lorsque, dans mon ouvrage intitulé Recherches sur les corps vivants (p. 50), j'ai établi la proposition suivante : « Ge ne sont pas les organes, c’est-à-dire la na- ture et la forme des parties du corps d’un animal qui ont donné lieu à ses habitudes et à ses facultés particulières, mais ce sont au contraire ses habitu- 238 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES des, sa maniere de vivre et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont, avec le temps, constitué la forme de son corps, le nombre et l’état de ses organes, enfin, les facultés dont il jouit. » Que l’on pèse bien cette proposition et qu'on y rapporte toutes les observations que la nature et l’état des choses nous mettent sans cesse dans le cas de faire, alors son importance et sa solidité devien- dront pour nous de la plus grande évidence. Du temps et des circonstances favorables, sont, comme je lai déja dit, les deux principaux moyens qu'emploie la nature pour donner l'existence à tou tes ses productions : on sait que le temps n'a point de limites pour elle, et qu'en conséquence elle la toujours à sa disposition. Quant aux circonstances dont elle a eu besoin et dont elle se sert encore chaque jour pour varier tout ce qu'elle continue de produire, on peut dire qu'elles sont, en quelque sorte, inépuisables pour elle. Les principales naissent de l'influence des climats, de celle des diverses températures de l'atmosphère et de tous les milieux environnants, de celle de la diversité des lieux et de leur situation, de celle des habitudes, des mouvements les plus ordinaires, des actions les plus fréquentes, enfin, de celle des moyens de se conserver, de la manière de vivre, de se défendre, de se multiplier, etc. SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 239 Or, par suite de ces influences diverses, les facul- tés s'étendent et se fortifient par lusage, se diversi- fient par les nouvelles habitudes longtemps conser- vées, et insensiblement la conformation, la consis- tance, en un mot, la nature et l’état des parties, ainsi que des organes, participent des suites de toutes ces influences, se conservent et se propagent par la gé- nération. Ces vérités, qui ne sont que les suites des deux lois naturelles exposées ci-dessus, sont, dans tous les cas, éminemment confirmées par les faits ; elles indiquent clairement la marche de la nature dans la diversité deses productions. . Mais au lieu de nous contenter de généralités que l’on pourrait considérer comme hypothétiques, exa- minons directement les faits et considérons dans les animaux le produit de l'emploi ou du défaut d'usage de leurs organes sur ces organes mêmes, d'après les habitudes que chaque race a été forcée de con- tracter. Or, je vais prouver que Le défaut constant d'exer= cice à l’égard d’un organe, diminue d’abord ses fa- cultés, l’appauvrit ensuite graduellement, et finit par le faire disparaitre, où même l’anéantir, si ce défaut d'emploi se perpétue tres-lougtemps de suite dans les générations successives des animaux de la même race. Ensuite je ferai voir qu'au contraire, l'habitude d'exercer un organe dans tout animal qui n’a point 240 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES atteint le terme de la diminution de ses facultés, non-seulement perfectionne et accroit les facultés de cet organe, mais en outre lui fait acquérir des développements et des dimensions qui le changent insensiblement ; en sorte qn’avec le temps elle le rend fort différent du mème organe considéré dans un autre animal qui l’exerce beaucoup moins. Le défaut d'emploi d'un organe, devenu cons- lant par les habitudes qu'on à prises, appauvrit graduellement cet organe, et finit par le faire dirs- paraitre el même lanéantir. Comme une pareille proposition ne saurait être admise que sur des preuves et non sur sa simple énonciation, essayons de la mettre en évidence par la citation des principaux faits connus qui en consta- tent le fondement. Les animaux vertébrés dont le plan d’organisa- tion est dans tous à peu près le même, quoiqu'ils offrent beaucoup de diversité dans leurs parties, sont dans le cas d’avoir leurs màâchoires armées de dents ; cependant ceux d'entre eux que les circonstances ont mis dans l'habitude d’avaler les objets dont ils se nourrissent, sans exécuter auparavant aucune 7245s— tication, se sont trouvés exposés à ce que leurs dents ne reçussent aucun développement, Alors ces dents, ou sont restées cachées entre les lames osseuses des machoires, sans pouvoir paraitre au-dehors, ou SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 241 même se sont trouvées anéanties jusque dans leurs éléments. Dans la baleine, que l’on avait cru compléte- ment dépourvue de dents, M. Geoffroy les a re- trouvés cachées dans les mâchoires du fætus de cet animal. Ce professeur a encore retrouvé dans les oiseaux, la rainure où les dents devaient être pla- cées, mais on ne les y apercoit plus. Dans la classe même des mammiferes, qui com prend les animaux les plus parfaits et principale ment ceux dont le plan d'organisation des vertébres est exécuté le plus complétement, non-seulement la baleine n’a plus de dents à son usage, mais on v trouve aussi, dans le mème cas, le fourmiller (#yr- mecophaga), dont l'habitude de n’exécuter aucune mastication s’est introduite et conservée depuis longtemps dans sa race. Des yeux à la tête sont le propre d’un grand nom- bre d'animaux divers et font essentiellement partie du plan d'organisation des vertébrés. Déjà néanmoins la taupe, qui, par ses habitudes, fait tres-peu d'usage de la vue, n'a que des yeux très -petits et à peine apparents, parce qu'elle exerce tres-peu cet organe. L'aspalax d'Olivier (Voyage en Égypte et en Perse, I, pl. 28, f. 2), qui vit sous terre comme la taupe et qui vraisemblablement s'expose encore moins qu'elle à la lumière du jour, a totalement perdu Pusage de la vue: aussi n’offre-t-il plus que LAMARCK, PHIL, ZOOL. I. 16 212 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES des vestiges de l’organe qui en est le siége, et en- core ces vestiges sont tout à fait cachés sous la peau et sous quelques autres parties qui les recouvrent et ne laissent plus le moindre accès à la lumiere. Le protée, reptile aquatique, voisin des salaman-— dres par ses rapports et qui habite dans des cavités profondes et obscures qui sont sous les eaux, n’a plus, comme l’aspalax, que des vestiges de l'organe de la vue, vestiges qui sont couverts et cachés de la même manière. Voici une considération décisive, relativement à la question que j'agite actuellement. La lumiere ne pénètre point partout, conséquem- ment, les animaux qui vivent habituellement dans les lieux où elle n’arrive pas, manquent d'occasion d'exercer l'organe de la vue, si la nature les en a munis. Or, les animaux qui font partie d’un plan d'organisation dans lequel les yeux entrent néces- sairement, en ont dû avoir dans leur origine. Cepen- dant, puisqu'on en trouve parmi eux qui sont privés de l’usage de cet organe, et qui n’en ont plus que des vestiges cachés et recouverts, il devient évident que l’appauvrissement et la disparition même de l'organe dont. il s’agit, sont les résultats pour cet organe, d'un défaut constant d'exercice. Ce qui le prouve, c’est que l'organe du loue n’est Jamais dans ce cas, et qu'on le trouve toujours dans les animaux où la nature de leur organisation doit le faire exister : en voici la raison. SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 243 La matière du son *, celle qui, mue par le choc où la vibration des corps, transmet à l’ergane de louïe l'impression qu’elle en a reçue, pénètre partout, tra- verse tout les milieux et mème la masse des corps les plus denses : il en résulte que tout animal, qui fait partie d’un plan d'organisation dans lequel l'ouie entre essentiellement, a toujours occasion d'exercer cet organe dans quelque lieu qu'il habite. Aussi, 1 Les physiciens pensent ou disent encore que l'air atmosphérique est la matière propre du son, c'est-à-dire que c’est celle qui, mue par les chocs ou les vibrations des corps, transmet à l'organe de l'ouïe l'impression des ébranlements qu'elle a reçus. C'est une erreur qu'attestent quantité de faits connus, qui prouvent qu'il est impossible à l'air de pénétrer partout où la matière qui produit le son pénètre réellement. Voyez mon Mémoire sur la #natière du son. imprimé à la fin de mon Hydrogéologie, p.225. dans lequel j'ai établi les preuves de cette erreur. On a fait, depuis l'impression de mon Mémoire, que l'on s'est bien gardé de citer, de grands efforts pour faire cadrer la vitesse connue de la propagation du son dans l'air, avec la molesse des parties de l'air qui rend la propagation de ses oscillations trop lente pour égaler cette vitesse. Or, comme l'air, dans ses oscillations, éprouve nécessairement des com- pressions et des dilatations successives dans les parties de sa masse. on à employé le produit du calorique exprime dans les compressions subites de l'air, et celui du calorique absorbé dans les raréfactions de ce fluide. Ainsi, à l'aide des effets de ces produits et de leur quantité, détermi- nées par des suppositions appropriées, les géomètres rendent mainte- nant raison de la vitesse avec laquelle le son se propage dans l'air, Mais cela ne répond nullement aux faits qui constatent que le son se propage à travers des corps que l'air ne saurait traverser ni ébranler dans leurs parties. En effet, la supposition de la vibration des plus petites parties des corps solides; vibration très-douteuse et qui ne peut se propager que dans des corps homogènes et de même densité, etnon s'étendre d'un corps dense dans un corps rare, nide celui-ci dans un autre tres-dense, ne saurait répondre au fait bien connu de la propagation du son à tra- vers des corps hétérogènes et de densités, ainsi que de natures tres-diffe= rentes, 244 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES parmi les animaux vertébrés, n'en voit-on aucun qui soit privé de lorgane de louïe, et, après eux, lorsque le même organe manque, on ne le retrouve plus ensuite dans aucun des animaux des classes pos- térieures. Iln’en est pas ainsi de l'organe de ia vue; car on voit cet organe disparaitre, reparaitre et disparaitre encore, à raison pour lanimal, de la possibilité ou de l’impossibilité de l'exercer. Dans les mollusques acéphalés, le grand déve- loppement du manteau de ces mollusques eût rendu leurs yeux et mème leur tête tout à fait inutiles. Ces organes, quoique faisant partie d’un plan d'or- ganisation qui doit les comprendre, ont donc dù disparaitre et s'anéantir par un défaut constant d'usage. Enfin, il entrait dans le plan d'organisation des reptiles, comme des autres autres animaux verté- brés, d'avoir quatre pattes dépendantes de leur squelette. Les serpents devraient conséquemment en avoir quatre, d'autant plus qu'ils ne constituent point le dernier ordre des reptiles et qu'ils sont moins voisins des poissons que les batraciens (les grenowl- les, les salamandres, etc.). Cependant les serpents ayant pris l'habitude de ramper sur la terre et de se cacher sousles herbes, leur corps, par suite d'efforts toujours répétés pour s’allonger, afin de passer dans des espaces étroits, a acquis une longueur considérable et nullement SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 245 proportionnée à sa grosseur. Or, des pattes eussent été très-mutiles à ces animaux, et conséquemment sans emploi : car des pattes allongées eussent été nuisibles à leur besoin de ramper, et des pattes très-courtes, ne pouvant être qu'au nombre de qua- tre, eussent été incapables de mouvoir leur corps. Ainsi le défaut d'emploi de ces parties, ayant été constant dans les races de ces animaux, a fait dispa- raitre totalement ces mêmes parties, quoiqu'elles fus- sent réellement dans le plan d'organisation des ani- maux de leur classe. Beaucoup d'insectes qui, par le caractère naturel de leur ordre et même de leur genre, devraient avoir des ailes, en manquent plus où moins complé- tement, par défaut d'emploi. Quantité de coléopte- res, d'orthoptères, d’hymenoptères et d'hémipte- res, etc., en offrent des exemples, les habitudes de ces animaux ne les mettant jamais dans le cas de faire usage de leurs ailes. Mais il ne suffit pas de donner l'explication de la cause qui à amené l’état des organes des différents animaux, état que l’on voit toujours le même dans ceux de même espèce ; il faut, en outre, faire voir des changements d'état opérés dans les organes d’un mème individu pendant sa vie, par le seul produit d'une grande mutation dans les habitudes partieu- lières aux individus de son espèce. Le fait suivant, qui estdes plus remarquables, achèvera de prouver Pinfluence des habitudes sur létat des organes et 246 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES combien des changements soutenus dans les habi- tudes d’un individu en amènent dans l’état des or- ganes qui entrent en action pendant l'exercice de ces habitudes. M. Tenon, membre de lInstitut, a fait part à la classe des sciences, qu'ayant examiné le canal in- testinal de plusieurs hommes qui avaient été bu- veurs passionnés pendant une grande partie de leur vie, il l’avait constamment trouvé raccourci d’une quantité extraordinaire, comparativement au même organe de tous ceux qui n’ont pas pris une pareille habitude. ‘On sait que les grands buveurs ou ceux qui se sont adonnés à l'ivrognerie prennent très-peu d'aliments solides, qu'ils ne mangent presque point et que la boisson qu'ils prennent en abondance et fréquem- ment suffit pour les nourrir. Or, comme les aliments fluides, surtout les bois- sons spiritueuses, ne séjournent pas longtemps, soit dans l’estomac, soit dans les intestins, l'estomac et le reste du canal intestinal perdent l'habitude d’être distendus dans les buveurs, ainsi que dans les per- sonnes sédentaires et continuellement appliquées aux travaux d'esprit, qui se sont habituées à ne pren- dre que très-peu d'aliments. Peu à peu et à la lon- gue, leur estomac s’est resserré et leurs intestins se sont raccourcis. Il ne s’agit point ici de rétrécissement et de rac- courcissement opérés par un froncement des parties, SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 247 qui en permettrait l'extension ordinaire, si, au lieu d’une vacüité maintenue, ces viscères venaient à être remplis ; maisilest question de rétrécissement et de raccourcissements réels, considérables et tels que ces organes rompraient plutôt que de céder subitement à des causes qui exigeraient Fextension ordinaire. A circonstances d'âges tout à fait égales, compa- rez un homme qui, pour s'être livré à des études et des travaux d'esprit habituels qui ont rendu ses di- gestions plus difficiles, a contracté l'habitude de manger très-peu, avec un autre qui fait habituelle- ment beaucoup d'exercice, sort souvent de chez lui et mange bien; l'estomac du premier n'aura presque plus de facultés et une tres-petite quantité d'aliments le remplira, tandis que celui du second aura con- servé et même augmenté les siennes. Voilà donc un organe fortement modifié dans ses dimensions et ses facultés par l'unique cause d’un changement dans les habitudes pendant la vie de Pindividu. L'emploi fréquent d'un organe devenu constant par les habitudes augmente les facultés de cet or- gane, le développe lui-même et lui fait acquérir des dimensions et une force d'action qu'il n'a point dans les animaux qui l'exercent moins. L'on vient de voir que le défaut d'emploi d'un organe qui devrait exister, le modifie, l’'appauvrit et finit par l’'anéantir. 218 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES Je vais maintenant démontrer que l'emploi conti- nuel d’un organe, avec des efforts faits pour en tirer un grand parti dans des circonstances qui l’exigent, fortifie, étend et agrandit cet organe ou en crée de nouveaux qui peuvent exercer des fonctions devenues nécessaires. L'oiseau, que le besoin attire sur l’eau pour y trouver la proie qui le fait vivre, écarte les doigts de ses pieds lorsqu'il veut frapper l’eau et se mou- voir à sa surface. La peau, qui unit ces doigts à leur base, contracte, par ces écartements des doigts sans cesse répétés, l'habitude de s'étendre ; ainsi, avec le temps, les larges membranes qui unissent les doigts des canards, des oïes, etc., se sont formées telles que nous les voyous. Les mèmes efforts faits pour nager, c’est-à-dire pour pousser l'eau afin d’avan— cer et de se mouvoir dans ce liquide, ont étendu de mème les membranes qui sont entre les doigts des crenouilles, des tortues de mer, de la loutre, du cas- tor, etc. Au contraire, l’oiseau, que sa maniere de vivre habitue à se poser sur les arbres et qui provient d'individus qui avaient tous contracté cette habitude, a nécessairement les doigts des pieds plus allongés et conformés d'une autre manière que ceux des ani maux aquatiques que je viens de citer. Ses ongles, avec le temps, se sont allongés, aiguisés et courbés en crochet, pour embrasser les rameaux sur les- quels l’animal se repose si souvent. SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 249 De même l’on sent que l'oiseau de rivage, qui ne se plait point à nager et qui cependant a besoin de s'approcher des bords de leau pour y trouver sa proie, est continuellement exposé à s’enfoncer dans la vase. Or, cet oiseau, voulant faire en sorte que son corps ne plonge pas dans le liquide, fait tous ses eflorts pour étendre et allonger ses pieds. Ilen ré- sulte que la longue habitude que cet oiseau et tous ceux de sa race contractent d'étendre et d’allonger continuellement leurs pieds, fait que les individus de cette race se trouvent élevés comme sur des échasses, ayant obtenu peu à peu de longues pattes nues, c’est-à-dire dénuées de plumes jusqu'aux cuis- ses et souvent au dela. (Systéme des Animaux sans vertèbres, p. 14.) L'on sent encore que le même oiseau, voulant pè- cher sans mouiller son corps, est obligé de faire de continuels efforts pour allonger son cou. Or, les suites de ces efforts habituels, dans cet individu et dans ceux de sa race, ont dù, avec le temps, allon- ger le leur singuliérement, ce qui est en effet constaté par le long cou de tous les oiseaux de rivage. Si quelques oiseaux nageurs, comme le cygne et l'oie, et dont les pattes sont courtes, ont néanmoins un cou fort allongé, c'est que ces oiseaux, en se promenant sur l’eau, ont l'habitude de plonger leur tète dedans aussi profondément qu'ils peuvent, pour y prendre des larves aquatiques -et différents ani- 250 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES malcules dont ils se nourrissent et qu'ils ne font aucun effort pour allonger leurs pattes. Qu'un animal, pour satisfaire à ses besoins, fasse des efforts répétés pour allonger sa langue, elle ac- querra une longueur considérable (le fourmiller, le pic-verd) ; qu'il ait besoin de saisir quelque chose avec ce même organe, alors sa langue se divisera et deviendra fourchue. Gelle des oiseaux-mouches, qui saisissent avec leur langue, et celle des lézards et des serpents, qui se servent de la leur pour pal- per et reconnaître les corps qui sont devant eux, sont des preuves de ce que j'avance. Les besoins, toujours occasionnés par les circons- tances, et ensuite les efforts soutenus pour y satis- faire, ne sont pas bornés dans leurs résultats à mo- difier, c’est-à-dire à augmenter ou diminuer léten- due et les facultés des organes, maisils parviennent aussi à déplacer ces mêmes organes, lorsque cer- tains de ces besoins en font une nécessité. Les poissons, qui nagent habituellement dans de orandes masses d’eau, ayant besoin de voir latéra- lement, ont en effet leurs yeux placés sur les côtés de la tête. Leur corps, plus où moins aplati suivant les espèces, a ses tranchants perpendiculaires au plan des eaux, et leurs yeux sont placés de manière quil y à un œil de chaque côté aplati. Mais ceux des poissons que leurs habitudes mettent dans la né- cessité de s'approcher sans cesse des rivages et par- ticulièrement des rives peu inclinées ou à pentes SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 251 douces, ont été forcés de nager sur leurs faces apla- ties, afin de pouvoir s'approcher plus près des bords de l’eau. Dans cette situation, recevant plus de Iu- mière en dessus qu'en dessous et ayant un besoin particulier d'être toujours attentifs à ce quise trouve au-dessus d'eux, ce besoin a forcé un de leurs yeux de subir une espèce de déplacement et de prendre la situation très-singulière que lon connaît aux yeux des soles, des turbots, des linandes, ete. (des pleu- ronectes et des achires). La situation de ces veux n'est plus symétrique, parce qu'elle résulte d’une mutation incomplète. Or, cette mutation est entière- ment terminée dans les rates, où laplatissement transversal du corps est tout à fait horizontal ainsi que la tête. Aussi les yeux des raies, placés tous deux dans la face supérieure, sont devenus symé- triques. Les serpents, qui rampent à la surface de la terre, avaient besoin de voir principalement les objets élevés où qui sont au-dessus d'eux. Ge besoin a dû influer sur la situation de l’organe de la vue de ces animaux, et en effet ils ont les yeux placés dans les parties latérales et supérieures de la tète, de ma- nière à apercevoir facilement ce qui est au-dessus d'eux ou à leurs côtés, mais ils ne voient presque pas ce qui est devant eux à une très-petite distance. Cependant, forcés de suppléer au défaut de la vue pour connaitre les corps qui sont devant leur tête et qui pourraient les blesser en s’avançant, ils n’ont ' 252 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES pu palper ces corps qu'à laide de leur langue qu'ils sont obligés d’allonger de toutes leurs forces. Cette habitude a non-seulement contribué à rendre cette langue grèle, très-longue et très-contractile, mais encore l’a forcée de se diviser dans le plus grand nombre des espèces, pour palper plusieurs objets à la fois ; elle leur a même permis de se former une ouverture à l'extrémité de leur museau, pour passer leur langue sans être obligés d’écarter leurs mà- choires. Rien de plus remarquable que le produit des ha- bitudes dans les mammiferes herbivores. Le quadrupède, à quiles circonstances et les be- soins qu'elles ont amenés, ont donné depuis long- temps, ainsi qu'a ceux de sa race, l'habitude de brouter l'herbe, ne marche que sur la terre et se trouve obligé d'y rester sur ses quatre pieds la plus érande partie de sa vie, n’y exécutant eu général que peu de mouvement où que des mouvements médio= cres. Le temps considérable que cette sorte d’animal est forcé d'employer chaque jour pour se remplir du seul genre d’aliment dont il fait usage, fait qu'il s'exerce peu au mouvement, qu'il n’emploie ses pieds qu'a le soutenir sur la terre pour marcher ou courir etqu'il ne s’en sert jamais pour s’acerocher et grim- per sur les arbres. De cette habitude de consommer tous les jours de gros volumes de matieres alimentaires qui disten— dent les organes qui les recoivent et de celle de ne SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 253 faire que des mouvements médiocres, 1l est résulte que le corps de ces animaux s’est considérablement épaissi, est devenu lourd et comme massif, et a ac- quis un tres-grand volume, comme on le voit dans les éléphants, rhinocéros, bœufs, buffles, chevaux, etc. L’habitude de rester debout sur leurs quatre pieds pendant la plus grande partie du jour, pour brou- ter, a fait naitre une corne épaisse qui enveloppe l'extrémité des doigts de leurs pieds, et comme ces doigts sont restés sans être exercés à aucun mouve— ment et qu'ils n’ont servi à aucun autre usage qu'à les soutenir, ainsi que le reste du pied, la plupart d'entre eux se sont raccourcis, se sont effacés et mème ont fini par disparaitre, Ainsi, dans les pa- chidermes, les uns ont aux pieds cinq doigts enve- loppés de corne, et par conséquent leur sabot est di- visé en cinq parties; d’autres n’en ont que quatre et d’autres encore en ont seulement trois. Mais dans les ruminants, qui paraissent ètre les plus anciens des mammiferes qui se soient bornés à ne se soutenir que sur la terre, il n’y a plus que deux doigts aux pieds, et même il ne s’en trouve qu'un seul dans les solipèdes (le cheval, l'âne). Cependant, parmi ces animaux herbivores, et par- ticulièéremont parmi les zwrunants, À S'en trouve qui, par les circonstances des pays déserts qn'ils ha- bitent, sont sans cesse exposés à être la proie des animaux carnassiers, et ne peuvent trouver de salut 251 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES que dans des fuites précipitées. La nécessité les a donc forcés de s'exercer à des courses rapides, et de l'habitude qu'ils en ont prise, leur corps est devenu plus svelte et leurs jambes beaucoup plus fines : on en voit des exemples dans les antilopes, les gazel- les, etc. D’autres dangers, dans nos climats, exposant continuellement les cerfs, les chevreuils, les daims, à périr par les chasses que l’homme fait à ces ani- maux, les a réduits à la même nécessité, les a con— traimts à des habitudes semblables et a donné lieu aux mêmes produits à leur égard. Les animaux ruminants ne pouvant employer leurs pieds qu'à les soutenir et ayant peu de force dans leurs mâchoires, qui ne sont exercées qu'a couper et broyer l'herbe, ne peuvent se battre qu'a coup de tète, en dirigeant l’un contre l’autre le vertex de cette partie Dans leurs accès de colere qui sont fréquents, surtout entre les mâles, leur sentiment intérieur par ses efforts, dirige plus fortement les fluides vers cette partie de leur tète, etil s'y fait une sécrétion de matière cornée dans les uns, et de matière os- seuse mélangée de matière cornée dans les autres, qui donne lieu à des protubérances solides: de la l’origine des cornes et des bois, dont la plupart de ces animaux ont la tète armée. Relativement aux habitudes, il est curieux den observer le produit dans la forme particulière et la SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 259 taille de la giraffe (camelo-pardalis) : on sait que cet animal, le plus grand des mammifères, habite l'intérieur de l'Afrique, et qu'il vit dans des lieux où la terre, presque toujours aride et sans herbage, loblige de brouter le feuillage des arbres, et des’ef- forcer continuellement d'y atteindre. Il est résulté de cette habitude soutenue depuis longtemps, dans tous les individus de sa race, que ses jambes de de- vant sont devenues plus longues que celles de der- rière, et que son col s’est tellement allongé, que la girafle, sans se dresser sur ses jambes de derrière, élève sa tête et atteint à six mêtres de hauteur (près de vingt pieds). Parmi les oiseaux, les autruches, privées de la faculté de voler, et élevées sur des jambes très- hautes, doivent vraisemblablementleur conformation singuliere à des circonstances analogues. Le produit des habitudes est tout aussi remarqua- ble dans les mammifères carnassiers, qu'il l’est dans les herbivores ; mais il présente des effets d’un au- tre genre. En eflet, ceux de ces mammiferes qui se sont ha- bitués, ainsi que leur race, soit à grimper, soit à gratter pour creuser la terre, soit à déchirer, pour attaquer et mettre à mort les autres animaux dont ils font leur proie, ont eu besoin de se servir des doigts de leurs pieds: or, cette habitude a favorisé la sé- paration de leurs doigts et leur a formé les griffes dont nous les voyons armés. 256 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES Mais, parmi les carnassiers, il s’en trouve qui sont obligés d'employer la course pour attraper leur proie : or, celui de ces animaux que le besoin, et con- séquemment que l'habitude de déchirer avec ses grif- fes, ont mis dans le cas, tous les jours, de les enfoncer profondément dans le corps d’un autre animal, afin de s’y accrocher et ensuite faire efforts pour arracher la partie saisie, a dù par ces eflorts répétés, procurer a ses griffes une grandeur et une courbure qui leus- sent ensuite beaucoup gèné pour marcher ou courir sur les sols pierreux : il est arrivé, dans ce cas, que l'animal a été obligé de faire d’autres efforts pour retirer en arrière ces griffes trop saillantes et crochues, qui le gènaient, et il en est résulté petit à petit. la formation de ces gaines particulières dont les chats, les tigres, les lions, etc. retirent leurs oriffes lorsqu'ils ne s’en servent point. Ainsi, les efforts dans un sens quelconque, long- temps soutenus ou habituellement faits par certaines parties d’un corps vivant. pour satisfaire des besoins exigés par la nature ou par les circonstances, éten- dent ces parties, et leur font acquérir des dimensions et une forme qu'elles n’eussent jamais obtenues, si ces efforts ne fussent point devenus l’action habi- tuelle des animaux qui les ont exercés. Les obser- vations faites sur tous les animaux connus, en fournissent partout des exemples. En peut-on un plus frappant que celui que nous offre le kanguroo ? Cet animal, qui porte ses petits SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 251 dans la poche qu'il a sous Pabdomen, a pris lhabi- tude de se tenir comme debout, posé seulement sur ses pieds de derrière et sur sa queue et de ne se dé- placer qu'à l’aide d’une suite de sauts, dans les- quels il conserve son attitude redressée pour ne point gèner ses petits. Voici ce qui en est résulté: 1° Ses jambes de devant, dont il fait très-peu d'usage et sur lesquelles il s'appuie seulement dans l'instant où il quitte son attitude redressée, n’ont jamais pris de développement proportionné à celui des autres parties et sont restées maigres, très- petites et presque sans force ; 2° Les jambes de derrière, presque continuelle- ment en action, soit pour soutenir tout le corps, soit pour exécuter les sauts, ont au contraire obtenu un développement considérable et sont devenues très- grandes et très-fortes ; 3° Enfin, la queue, que nous voyons ici fortement employée au soutien de l'animal et à l'exécution de ses principaux mouvements, à acquis dans sa base une épaisseur et une force extrêmement remar— quable. Ces faits très-connus sont assurément bien pro- pres à prouver ce qui résulte de l'usage habituel pour les animaux d’un organe ou d’une partie quelcon- que, et si, lorsqu'on observe dans un animal un or- gane particulièrement développé, fort et puissant, l’on prétend que son exercice habituel ne lui a rien fait obtenir, que son défaut soutenu d'emploi ne lui LAMARCK, PHIL, ZOOL. I. 17 258 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES ferait rien perdre, et qu'enfin cet organe a toujours été tel depuis la création de l'espèce à laquelle cet animal appartient, je demanderai pourquoi nos ca- nards domestiques ne peuvent plus voler comme les canards sauvages ; en un mot, je citerai une mul- titude d'exemples à notre égard qui attestent les différences résultées pour nous de l'exercice ou du défaut d'exercice de tel de nos organes, quoique ces différences ne se soient pas maintenues dans les in dividus qui se succèdent par la génération, car alors leurs produits seraient encore bien plus considé- rables. Je ferai voir dans la seconde partie que, lorsque la volonté détermine un animal à une action quel- conque, les organes qui doivent exécuter cette ac- tion y sont aussitôt provoqués par l’affluence de fluides subtils (du fluide nerveux) qui y deviennent la cause déterminante des mouvements qu'exige Paction dont il s’agit. Une multitude d'observations constatent ce fait, qu'on ne saurait maintenant ré- voquer en doute. Il en résulte que des répétitions multiplices de ces actes d'organisation fortifient, étendent, développent et mème créent les organes qui y sont nécessaires. ne faut qu'observer attentivement ce qui se passe partout à cet égard, pour se convaincre du fonde= ment de cette cause des développements et des chan= gements organiques. Or, tout changement acquis dans un organe par SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 259 une habitude d'emploi suffisante pour l'avoir opéré, se conserve ensuite par la génération, s’il est com mun aux individus qui, dans la fécondation, concou= rent ensemble à la reproduction de leur espèce. En- fn, ce changement se propage et passe ainsi dans tous les individus qui se succèdent et qui sont soumis aux mêmes circonstances, sans qu'ils aient été obligés de lacquérir par la voie qui l’a réellement créé. Au reste, dans les réunions reproductives, les mé- langes entre des individus qui ont des qualités ou des formes différentes s'opposent nécessairement à la propagation constante de ces qualités et de ces for- mes. Voilà ce qui empèche que, dans l’homme, qui est soumis à tant de circonstances diverses qui influent sur lui, les qualités ou les défectuosités accidentelles qu'il a été dans le cas d'acquérir se conservent et se propagent par la génération. Si, lorsque des parti- cularités de forme ou des défectuosités quelconques se trouvent acquises, deux individus, dans ce cas, s’unissaient toujours ensemble, ils produiraient les mêmes particularités, et des générations successives se bornant dans de pareilles unions, une race parti culière et distincte en serait alors formée. Mais des mélanges perpétuels, entre des individus qui n’ont pas les mêmes particularités de forme, font dispa- raitre toutes les particularités acquises par des cir- constances particulières. De là on peut assurer que si des distances d'habitation ne séparaient pas les 260 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES hommes, les mélanges pour la génération feraient disparaitre les caractères généraux qui distinguent les différentes nations. Si je voulais ici passer en revue toutes les classes, tous les ordres, tous les genres et toutes les espèces des animaux qui existent, je pourrais faire voir que la conformation des individus et de leurs parties, que leurs organes, leurs facultés, etc., etc., sont partout uniquement le résultat des circonstances dans les- quelles chaque espèce s’est trouvée assujettie par la nature et des habitudes que les individus qui la composent ont été obligés de contracter et qu’ils ne sont pas le produit d’une forme primitivement exis- tante, qui a forcé les animaux aux habitudes qu'on leur connaît. On sait que l’animal qu'on nomme la’, ou le pa- resseux (bradypus tridactylus), est constamment dans un état de faiblesse si considérable qu'il n’exé- cute que des mouvements tres-lents et très-bornés, et qu'il marche difficilement sur la terre. Ses mou- vements sont si lents, qu'on prétend qu'il ne peut faire qu'une cinquantaine de pas en une journée. On sait encore que l’organisation de cet animal est tout à fait en rapport avec son état de faiblesse ou son inaptitude à marcher et que, s’il voulait faire des mouvements autres que ceux qu'on lui voit exé- cuter, il ne le pourrait pas. De là, supposant que cet animal avait recu de la nature l’organisation qu'on lui connait, on a dit que SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 201 cette organisation le forçait à ses habitudes et à l’état misérable où il se trouve. Je suis bien éloigné de penser ainsi, car je suis convaincu que les habitudes que les individus de la race de laï ont été forcés de contracter originaire- ment ont dû nécessairement amener leur organisa tion à son état actuel. Que des dangers continuels aient autrefois portés les individus de cette espèce à se réfugier sur les arbres, à y demeurer habituellement et à $ y nourrir de leurs feuilles, il est évident qu'alors ils auront dû se priver d’une multitude de mouvements que les animaux qui vivent sur la terre sont dans le cas d'exécuter. Tous les besoins de laë se seront donc réduits à s’accrocher aux branches, à y ramper ou sy trainer pour atteindre les feuilles et ensuite à rester sur l'arbre dans une espèce d’inaction, afin d'éviter de tomber. D'ailleurs, cette sorte d’inaction aura été provoquée sans cesse par la chaleur du cli- mat, car pour les animaux à sang chaud, les cha- leurs invitent plus au repos qu'au mouvement. Or, pendant une longue suite de temps, les indi- vidus de la race de Paï ayant conservé l'habitude de rester sur les arbres et de n’y faire que des mouve- ments lents et peu variés qui pouvaient suffire à leurs besoins, leur organisation peu à peu se sera mise en rapport avec leurs nouvelles habitudes et en cela il sera résulté : 1° Que les bras de ces animaux, faisant de conti- 262 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES nuels efforts pour embrasser facilement les branches d'arbres, se seront allongés ; 2° Que les ongles de leurs doigts auront acquis beaucoup de longueur et une forme crochue, par les efforts soutenus de l'animal pour se cramponner ; 3° Que leurs doigts, n'étant jamais exercés à des mouvements particuliers, auront perdu toute mobi- lité entre eux, se seront réunis et n'auront conservé que la faculté de se fléchir ou de se redresser tous ensemble ; 4% Que leurs cuisses, embrassant continuellement, soit le tronc, soit les grosses branches des arbres, auront contracté un écartement habituel qui aura contribué à élargir le bassin et à diriger en arrière les cavités cotyloïdes ; 9° Enfin, qu'un grand nombre de leurs os se se- ront soudés et qu'ainsi plusieurs parties de leur sque- lette auront pris une disposition et une figure con- formes aux habitudes de ces animaux et contraires à cellesqu'illeur faudraitavoir pour d’autres habitudes. Voila ce qu'on ne pourra jamais contester, parce qu'en eflet la nature, dans mille autres occasions, nous montre dans le pouvoir des circonstances sur les habitudes et dans celui des habitudes sur les for- mes, les dispositions et les proportions des parties des animaux, des faits constamment analogues. Un plus grand nombre de citations n’étant nulle- ment nécessaire, voici maintenant à quoi se réduit le point de la discussion. SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 263 Le fait est que les divers animaux ont chacun, suivant leur genre et leur espèce, des habitudes par- ticulières et toujours une organisation qui se trouve parfaitement en rapport avec ces habitudes. De la considération de ce fait, il semble qu'on soit libre d'admettre, soit l’une, soit l’autre des deux con- clusions suivantes et qu'aucune d’elles ne puisse être prouvée. Conclusion admise jusqu'à ce jour : la nature (ou son Auteur), en créant les animaux, a prévu toutes les sortes possibles de circonstances dans les- quelles ils auraient à vivre et a donné à chaque es- pèce une organisation constante, ainsi qu'une forme déterminée et invariable dans ses parties, qui for- cent chaque espèce à vivre dans les lieux et les cli- mats où on la trouve et à y conserver les habitudes qu'on lui connait. Ma conclusion particulière : la nature, en pro- duisant successivement toutes les espèces d'animaux et commençant par les plus imparfaits ou les plus simples, pour terminer son ouvrage par les plus par- faits, a compliqué graduellement leur organisation, et ces animaux, se répandant généralement dans tou- tes les régions habitables du globe, chaque espece a recu de linfluence des circonstances dans lesquelles elle s’est rencontrée, les habitudes que nous lui con- naissons et les modifications dans ses parties que l'observation nous montre en elle. La premiere de ces deux conclusions est celle 264 INFLUENCE DES CIRCONSTANCES qu’on a tirée jusqu’à présent, c’est-à-dire que c’est à peu près celle de tout le monde : elle suppose dans chaque animal une organisation constante et des par ties qui n’ont jamais variéet qui ne varient Jamais ; elle suppose encore que les circonstances des lieux qu'habite chaque espèce d'animal ne varient Jamais dans ces lieux, car si elles variaient, les mêmes ani- maux n’y pourraient plus vivre et la possibilité d’en retrouver ailleurs de semblables et de s’y transpor- ter pourrait leur être interdite. La seconde conclusion est la mienne propre : elle suppose que, par l'influence des circonstances sur les habitudes et qu’ensuite par celle des habitudes sur l’état des parties et même sur celui de l’organisa- tion, chaque animal peut recevoir dans ses parties et son organisation des modifications susceptibles de devenir très-considérables et d’avoir donné lieu à l’état où nous trouvons tous les animaux. Pour établir que cette seconde conclusion est sans fondement, il faut d’abord prouver que chaque point de la surface du globe ne varie jamais dans sa na- ture, son exposition, sa situation élevée ou enfon- cée, son climat, etc., etc. ; et prouver ensuite qu'au- cune partie des animaux ne subit, même à la suite de beaucoup de temps, aucune modification par le changement des circonstances et par la nécessité qui les contraint à une autre genre de vie et d’ac- tion que celui qui leur était habituel. Or, si un seul fait constate qu'un animal depuis SUR LES ACTIONS DES ANIMAUX 265 longtemps en domesticité diffère de l’espèce sauvage dont il est provenu, et si, parmi telle espèce en do= mesticité, l’on trouve une grande différence de con- formation entre les individus que l’on a soumis à telle habitude et ceux que lon a contraints à des habitudes différentes, alors il sera certain que la première conclusion n’est point conforme aux lois de la nature et qu'au contraire, la seconde est par- faitement d'accord avec elles. Tout concourt donc à prouver mon assertion, sa= voir : que ce n’est point la forme, soit du corps, soit de ses parties, qui donne lieu aux habitudes et à la maniere de vivre des animaux, mais que ce sont, au contraire, les habitudes, la manière de vivre, et toutes les autres circonstances influentes qui ont, avec le temps, constitué la forme du corps et des parties des animaux. Avec de nouvelles formes, de nouvelles facultés ont été acquises, et peu à peu la nature est parvenue à former les animaux tels que nous les voyons actuellement. Peut-il y avoir en histoire naturelle une considé- ration plus importante, et à laquelle on doive donner plus d'attention que celle que je viens d’ex- poser ? Terminons cette première partie par les principes et l'exposition de l’ordre naturel des animaux. CHAPITRE VIII DE L'ORDRE NATUREL DES ANIMAUX ET DE LA DISPOSITION QU'IL FAUT DONNER A LEUR DISTRIBUTION GÉNÉRALE POUR LA RENDRE CONFORME A L'ORDRE MÊME DE LA NATURE J'ai déjà fait remarquer (chap. v) que le but es- sentiel d’une distribution des animaux ne doit pas se borner de notre part à la possession d’une liste de classes, de genres et d'espèces, mais que cette distri- bution doit en même temps offrir, par sa disposition, le moyen le plus favorable à l’étude de la nature et celui qui est le plus propre à nous faire con- naître sa marche, ses moyens et ses lois. Cependant, je ne crains pas de le dire, nos distributions générales des animaux ont recu, jus- qu'à présent, une disposition inverse de l’ordre même qu'a suivi la nature en donnant succes- sivement l’existence à ses productions vivantes ; ainsi, en procédant selon l’usage, du plus composé DE L’ORDRE NATUREL DES ANIMAUX 267 vers le plus simple, nous rendons la connaissance des progrès dans la composition de l’organisation plus difficile à saisir et nous nous mettons dans le cas d’apercevoir moins facilement, soit les causes de ces progres, soit celles qui les interrompent cà et la. Lorsqu'on reconnait qu'une chose est utile, qu’elle est même indispensable pour le but qu’on se: propose et qu'elle n’a point d’inconvénients, on doit se hâter de l’exécuter, quoiqu'elle soit contraire à l’usage. Tel est le cas relatif à la disposition qu'il faut donner à la distribution générale des animaux. Aussi nous allons voir qu'il n’est point du tout indifférent de commencer cette distribution générale des animaux par telle ou telle de ses extrémités et que celle qui doit être au commencement de l’ordre ne peut être à notre choix. L'usage qui s’est introduit et que l’on a suivi jus- qu'à ce jour, de mettre en tête du regne animal les animaux les plus parfaits, et de terminer ce règne par les plus imparfaits et les plus simples en orga- nisation, doit son origine, d'une part, à ce pen- chant qui nous fait toujours donner la préférence aux objets qui nous frappent, nous plaisent ou nous intéressent le plus; et de l’autre part, àce que l'on a préféré de passer du plus connu en s’avancant vers ce qui l’est le moins. Dans les temps où l’on a commencé à s'occuper de l'étude de lhistoire naturelle, ces considérations 268 DE L’ORDRE NATUREL étaient, sans doute, alors très-plausibles, mais elles doivent céder maintement aux besoins de la science et particulièrement à ceux de faciliter nos progrès dans la connaissance de la nature. Relativement aux animaux si nombreux et si di- versifiés que la nature est parvenue à produire, si nous ne pouvons nous flatter de connaître exacte- ment le véritable ordre qu’elle a suivi en leur don- nant successivement l’existence, celui que je vais exposer est probablement très-rapproché du sien : la raison et toutes les connaissances acquises dépo- sent en faveur de cette probabilité. En effet, s’il est vrai que tous les corps vivants soient des productions de la nature, on ne peut se refuser à croire qu'elle n’a pu les produire que suc- cessivement et non tous à la fois dans un temps sans durée ; or, si elle les a formés successivement, il y a lieu de penser que c’est uniquement par les plus simples qu'elle à commencé, n'ayant produit qu’en dernier lieu les organisations les plus composées, soit du règne animal, soit du règne végétal. Les botanistes ont les premiers donné l'exemple aux Zoologistes de la véritable disposition à donner à une distribution générale pour représenter l’ordre mème de lanature, car &’est avec des plantes acoty- lédones où agames qu'ils forment la premiere classe parmi les végétaux, c’est-à-dire avec les plantes les plus simples en organisation, les plus imparfaites à tous égards, en un mot avec celles qui n’ont point de DES ANIMAUX 269 cotylédons, point de sexe déterminable, pont de vaisseaux dans leur tissu, et qui ne sont, en effet, composées que de /issu cellulaire plus où moms mo- difié, selon diverses expansions. Ge que les botanistes ont fait à l’égard des végé- taux, nous devons enfin le faire relativement au règne animal , non-seulement nous devons le faire, parce que c’est la nature même qui l'indique , parce que la raison le veut, mais en outre parce que l'ordre naturel des classes, d’après la complication croissante de l’organisation, est beaucoup plus facile a déterminer parmi les animaux qu'il ne l’est à l'égard des plantes. En mème temps que cet ordre représentera mieux celui de la nature, il rendra l'étude des objets beaucoup plus facile, fera mieux connaitre l’organi- sation des animaux , les progrès de sa composition de classe en classe, et montrera mieux encore les rapports qui se trouvent entre les différents degrés de composition de l’organisation animale et les diffé- rences extérieures que nous employons le plus sou vent pour caractériser les classes, les ordres, les familles, les genres et les espèces. J'ajoute à ces deux considérations, dont le fonde- ment ne peut être solidement contesté, que si la nature, qui n’a pu rendre un corps organisé toujours subsistant, n’avait pas eu les moyens de donner à ce corps la faculté de reproduire lui-même d’autres individus qui lui ressemblent, qui le remplacent et 270 DE L’ORDRE NATUREL qui perpétuent sa race par la mème voie, elle eût été forcée de créer directement toutes les races, ou plutôt elle n’eût pu créer qu'une seule race dans chaque règne organique, celle des animaux et celle des végétaux les plus simples et les plus imparfaits. De plus, si la nature n'avait pu donner aux actes de l’organisation la faculté de compliquer de plus en plus l’organisation elle-même, en faisant accroître l'énergie du mouvement des fluides et par consé- quent celle du mouvement organique, et si elle n'avait pas conservé par les reproductions tous les progrès de composition dans l’organisation et tous les perfectionnements acquis, elle n’eùt assurément jamais produit cette multitude infiniment variée d'animaux et de végétaux, Si différents les uns des autres par l’état de leur organisation et par leurs facultés. Enfin, elle n’a pu. créer au premier abord les facultés les plus éminentes des animaux, car elles n'ont lieu qu'à laide de systèmes d'organes très- compliqués : or, il lui a fallu préparer peu à peu les moyens de faire exister de pareils systèmes d'organes. Ainsi, pour établir, à l’égard des corps vivants, l’état de choses que nous remarquons, la nature n’a donc eu à produire directement, c’est-à-dire sans le concours d'aucun acte organique, que les corps organisés les plus simples, soit animaux, soit végé- taux, et elle les reproduit encore de la mème DES ANIMAUX 291 manière, tous les jours, dans les lieux et les temps favorables , or, donnant à ces corps, qu'elle a créés elle-mème, les facultés de se nourrir, des’accroitre, de se multiplier et de conserver chaque fois les pro- grès acquis dans leur organisation, enfin, transmet- tant ces mêmes facultés à tous les individus régé- nérés organiquement, avec le temps et l'énorme diversité des circonstances toujours changeantes, les corps vivants de toutes les classes et de tous les ordres ont été, par ces moyens, successivement produits. En considérant l’ordre naturel des animaux, la gradation très-positive qui existe dans la compo- sition croissante de leur organisation et dans le nombre ainsi que dans le perfectionnement de leurs facultés est bien éloignée d’être une vérité nouvelle, car les Grecs mêmes surent l’apercevoir ? ; mais ils ne purent en exposer les principes et les preuves, parce qu'on manquait alors des connaissances né- cessaires pour les établir. Or, pour faciliter la connaissance des principes qui m'ont guidé dans l’exposition que je vais faire de cet ordre des animaux, et pour mieux faire sentir cette gradation qu’on observe dans la composition de leur organisation, depuis les plus imparfaits d’entre eux, qui sont en tête de la série, jusqu'aux plus parfaits qui la terminent, j'ai partagé en six 1 Voyez le Voyage du jeune Anacharsis, par d, Barthélemy: t. V, p. 353 et 354. 272 DE L’ORDRE NATUREL DES ANIMAUX degrés, qui sont très-distincts, tous les modes d’or- ganisation qu'on à reconnus dans toute l'étendue de l'échelle animale. De ces six degrés d'organisation, les quatre pre- miers embrassent les animaux sans vertèbres, et par conséquent les dix premières classes du règne animal , selon l’ordre nouveau que nous allons sui- vre ; les deux derniers degrés comprennent tous les animaux vertébrés, et par conséquent les quatre (ou cinq) dernières classes des animaux. A l’aide de ce moyen, il sera facile d'étudier et de suivre la marche de la nature dans la production des animaux qu'elle a fait exister ; de distinguer, dans toute l’étendue de l'échelle animale, les progrès acquis dans la composition de l’organisation et de vérifier partout , soit l'exactitude de la distribution, soit la convenance des rangs assignés, en examinant les caractères et les faits d'organisation qui ont été reconnus. C’est ainsi que, depuis plusieurs années, j’expose dans mes lecons , au Muséum, les animaux sans vertebres, en procédant toujours du plus simple vers le plus composé. Afin de rendre plus distincts la disposition et l’ensemble de la série générale des animaux, pré- sentons d’abord le tableau des quatorze classes qui divisent le regne animal, en nous bornant à l’expo- sition très-simple de leurs caractères et des degrés d'organisation qui les embrassent.. TABLEAU DE LA DISTRIBUTION ET GLASSIFIGATION DES ANIMAUX SUIVANT L'ORDRE LE PLUS CONFORME A CELUI DE LA NATURE * ANIMAUX SANS VERTÈBRES CLASSES. I. LES INFUSOIRES. Fissipares ou gemmipares amorphes ; à corps gélatineux, transparent, homogène, constractile et microscopique; point de tentacules en rayons, ni d'appendice rota- < a : e > fe toire; aucun organe spécial, pas même 1° DEGRE pour la digestion. f Point de nerfs ; point ? à "DER \ de vaisseaux; aucun II. LES POLYPES ? autre organe intérieur Gemmipares à corps gélatineux, régé- | et spécial que pour nératif et n'ayant aucun autre organe in- : : se Re ï ne la digestion. térieur qu'un canal alimentaire à une seule ouverture. Bouche terminale, entourée de tenta- cules en rayons ou munie d'organes ciliés et rotatoires. La plupart forment des animaux com- posés. | LAMARCK, PHIL. ZOOL. I. 18 +9 —t r CLASSES. III. LES RADIAIRES. Subovipares libres, à corps régénéra- tif, dépourvu de tête, d'yeux, de pattes articulées, et ayant dans ses parties une disposition rayonnante. Bouche infe- rieure. IV. LES VERS. Subovipares à corps mou, régéneratif, ne subissant point de métamorphose, et n'ayant jamais d'yeux, ni de pattes arti- culées, ni de disposition rayonnante dans ses parties intérieures. V LES INSECTES. Ovipares subissant des métamorpho- ses, et ayant, dans l’état parfait, des yeux à la tête, six pattes articulées, et des trachées qui s'étendent partout; une seule fécondation dans le cours de la vie. LES ARACHNIDES. Ovipares ayant en tout temps des pat- tes articulées et des yeux à la tète. et ne subissant point de métamorphose. Des trachées bordées pour laï'respiration ; ébauche de circulation, plusieurs fécon- dations dans le cours de la vie. CLASSIFICATION DES ANIMAUX 11: DEGRÉ Point de moelle lon- situdinale noueuse ; point de vaisseaux pour la circulation ; quelques organes in- que ceux de la digestion. térieurs autres ILI° DEGRÉ Des sant à ne:fs aboutis- une moelle longitudinale noueuse ; respiration par des tra- chées aérilères; cir- culation nulle ou im- parfaite. CLASSIFICATION DES ANIMAUX 275 CLASSES. VII. LES CRUSTACÉS. Ovipares, ayant le corps et les mem- bres articulés, la peau cerustacée, des yeux à la tête, et le plus souvent quatre antennes; respiration par des branchies ; une moelle longitudinale noueuse. VIII. LES ANNELIDES. ; IV° DEGRE Ovipares, à corps allongé et annelé ; . point de pattes articulées, rarement des Des nerfs aboutis- yeux ; respiration par des branchies; une | sant à un cerveau ou muelle longitudinale noueuse. à une moelle longitu- nale noueuse:; respira IX. LES CIRRHIPÉDES. ; tion par des bran- chies; des artères et Ovipares, ayant un manteau et des bras articulés, dont la peau est cornée; point à : d’yeux ; respiration par des branchies ; civeulation. moelle longitudinale noueuse, des veines pour la X. LES MOLLUSQUES. Ovipares, à corps mollasse, non arti- culé dans ses parties, et ayant un manteau variable; respiration par des branchies diversifiés dans leur forme et leur situa- tion; ni moelle épinière, ni moelle lon- | gitudinale noueuse, mais des nefs abou- tissant à un cerveau. CLASSIFICATION DES ANIMAUX ** ANIMAUX VERTÉBRES CLASSES. XI. LES POISSONS. XIT. XIIL. XIV. Ovipares et sans mamelles, respiration complète et toujours par des branchies ; ébauche de deux ou quatre membres ; des nageoires pour la locomotion; ni poils, ni plumes sur la peau. LES REPTILES. Ovipares et sans mamelles; respiration incomplète, le plus souvent par poumons qui existent, soit en tout temps, soit dans le dernier âge; quatre mem- bres, ou deux, ou aucun; ni poils ni plu- mes sur la peau. des LES OISEAUX. Ovipares et sans mamelles ; membres articulés, dont deux sont con- formés en ailes ; respiration complète par des poumons adhérents, et percés; des plu- mes sur la peau. quatre LES MAMMIFÈRES. Vivipares et à mamelles ; quatre membres articulés ou seulement deux; respiration complète par des poumons V°: DEGRÉ Des sant à un cerveau qui nerfs aboutis- ne remplit point la cavité du crâne; cœur « à un ventricule, et le sang froid. | VI: DEGRÉ Des nerfs aboutis- sant à un cerveau qui remplit la cavité du crâne; cœur à deux ventricules, et le sang chaud. non percés à l'extérieur; du poil sur | ! quelque partie du corps. ll CLASSIFICATION DES ANIMAUX 277 Tel est le /ableau des quatorze classes détermi- nées parmi les animaux connus et disposées suivant l’ordre le plus conforme à celui de la nature. La disposition de ces classes est telle , qu'on sera tou- jours forcé de s’y conformer, quand mème on refu- serait d'adopter les lignes de séparation qui les forment , parce que cette disposition est fondée sur la considération de l’organisation des corps vivants dont il s’agit et que cette considération, qui est de première importance, établit les rapports qu'ont entre eux les objets compris dans chaque coupe et le rang de chacune de ces coupes dans toute la série. Jamais on ne pourra trouver des motifs solides pour changer cette distribution dans son ensemble, par les raisons que je viens d'exposer ; mais on pourra lui faire subir des changements dans ses détails et surtout dans les coupes subordonnées aux classes, parce que les rapports entre les objets com- pris dans les sous-divisions sont plus difficiles à déterminer et prêtent plus à l'arbitraire. Maintenant, pour faire mieux sentir combien cette disposition et cette distribution des animaux sont conformes à l’ordre même de la nature, je vais exposer la série générale des animaux connus, partagée dans ses principales divisions, en procédant du plus simple vers le plus composé, d’après les motifs indiqués ci-dessus. Mon objet , dans cette exposition, sera de mettre le lecteur à portée de reconnaitre le rang, dans la 278 CLASSIFICATION DES ANIMAUX série générale, qu'occupent les animaux que, dans le cours de cet ouvrage, je suis souvent dans le cas de citer, et de lui éviter la peine de recourir pour cela aux autres ouvrages de zoologie. Je ne donnerai cependant ici qu'une simple liste des genres et seulement des principales divisions ; mais cette liste suffira pour montrer l'étendue de la série générale, sa disposition la plus conforme à l’ordre de la nature, et le placement indispensable des classes, des ordres, ainsi, peut-être que celui des familles et des genres. On sent bien que c’est dans les bons ouvrages de zoologie que nous possé- dons qu'il faut étudier les détails de tous les objets mentionnés dans cette liste, parce que je n’ai pas dû m'en occuper dans cet onvrage. DISTRIBUTION GÉNÉRALE DES ANIMAUX FORMANT UNE SÉRIE CONFORME A L'ORDRE MÈME DE LA NATURE ANIMAUX SANS VERTÈBRES Is n’ont point de colonne vertébrale et par con- séquent point de squelette ; ceux qui ont des points d'appui pour le mouvement des parties les ont sous leurs téguments. Ils manquent de moelle épinière et offrent une grande diversité dans la composition de leur organisation. 15 DEGRE D'ORGANISATION Pointde nerfs, ni de moelle longitudinale noueuse ; point de vaisseaux pour la circulation; point d’or- ganes respiratoires ; aucun autre organe intérieur et spécial que pour la digestion. [Les Infusoires etles Polypes] LES INFUSOIRES (Classe 17° du règne animal.) Animaux fissipares, amorphes ; à corps gélatineux, transparent, ho- mogene, contractile et microscopique; point de tentacules en rayons, 280 DISTRIBUTION GÉNÉRALE ni d'appendices rotatoires; intérieurement aucun organe spécial, pas même pour la digestion. OBSERVATIONS De tous les animaux connus , les 2nfusorres sont les plus imparfaits, les plus simples en organisation et ceux qui possèdent le moins de facultés; ils n’ont assurément point celle de sentir. Infiniment petits , gélatineux , transparents, con- tractiles, presque homogènes, et incapables de pos- séder aucun organe spécial, à cause de la trop faible consistance de leurs parties, les i#fusoires ne sont véritablement que des ébauches de l’animalisation. Ces frèles animaux sont les seuls qui n'aient point de digestion à exécuter pour se nourrir et qui, en effet, ne se nourrissent que par des absorptions des pores de leur peau et par une imbibition inté- rieure. Ils ressemblent en cela aux végétaux, qui ne vivent que par des absorptions, qui n’exécutent au cune digestion et dont les mouvements organiques ne s’operent que par des excitations extérieures ; mais les 27fusoires sont irritables, contractiles, et ils exécutent des mouvements subits qu'ils peuvent répéter plusieurs fois de suite; ce qui caractérise leur nature animale et les distingue essentiellement des végétaux. DES ANIMAUX 281 TABLEAU DES INFUSOIRES ORDRE IER : INFUSOIRES NUS. Ils sont dépourvus d'appendices extérieurs. Monade. = Volvoce. Bursaire. Protée. Kolpode, D Vibrion. ORDRE IIE : INFUSOIRES APPENDICULÉS. Ils ont des parties saillantes, comme des poils, des espèces de cornes Ou une queue. Cercaire. Trichocerque. Trichode. Remarque. La monade, et particulièrement celle que l’on a nommée la #ionade terme, est le plus imparfait et le plus simple des animaux connus, puisque son corps , extrèmement petit, n'offre qu'un point gélatineux et transparent, mais contractile. Cet animal doit donc être celui par lequel doit commencer la série des animaux, disposée selon l’ordre de la nature. LES POLYPES (Classe II®°° du règne animal.) Animaux gemmipares, à corps gélatineux, régénératif, et n'ayant aucun autre organe intérieur qu'un canal alimentaire à une seule ou- verture. 282 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Bouche terminale, entourée de tentacules en rayons, ou munie d'or- ganes ciliés et rotatoires. La plupart adhèrent les uns aux autres, communiquent ensemble par leur canal alimentaire, et forment alors des animaux composés. OBSERVATIONS On a vu dans les 2nfusoires des animalcules infini- ment petits, frèles, sans consistance, sans forme particulière à leur classe, sans organes quelconques et par conséquent sans bouche et sans canal alimen- taire distincts. Dans les polypes , la simplicité et limperfection de l’organisation, quoique très-éminentes encore, sont moins grandes que dans les infusoires. L’orga- nisation a fait évidemment quelques progrès; car déjà la nature a obtenu une forme constamment régulière pour les animaux de cette classe; déjà tous sont munis d’un organe spécial pour la digestion et conséquemment d'une bouche, qui est l'entrée de leur sac alimentaire. Que l’on se représente un petit corps allongé, gé- latineux, tres-irritable, ayant à son extrémité supé- rieure une bouche garnie, soit d'organes rotatoires, soit de tentacules en rayons, laquelle sert d'entrée à un canal alimentaire qui n’a aucune autre ouver- ture, et l’on aura l'idée d'un polype. Qu'à cette idée l’on joigne celle de l’adhérence de plusieurs de ces petits corps, vivant ensemble et participant à une vie commune, on connaitra à leur DES ANIMAUX 283 égard, le fait le plus général et le plus remarquable qui les concerne. Les polypes n'ayant ni nerfs pour le sentiment, ni organes particuliers pour la respiration, ni vais- seaux pour la circulation de leurs fluides, sont plus imparfaits en organisation que les animaux des clas- ses qui vont suivre. TABLEAU DES POLYPES ORDRE I": POLYPES ROTIFÈRES Ils ont à la bouche des organes cilies et rotatoires. Urcéolaires. Brachions ? Vorticelles. ORDRE II° : POLYPES A POLYPIER Ils ont autour de la bouche des tentacules en rayons, et sont fixés dans un polypier qui ne flotte point dans le Sein des eaux. ® Polypier membraneux ou corne, sans écorce distincte. Cristatelle. Cellaire. Plumatelle. Flustre. Tubulaire. Cellepore. Sertulaire. Botryle. © Polypier ayant un axe cornée, recouvert d'un encroûtement. Acétabule. Alcyon, - Coralline. Antipate. — Gorgone. Eponge. 24 DISTRIBUTION GÉNÉRALE ®* Polypier ayant un axe en partie ou tout à fait pierreux, et recouvert d'un encrouütement corticiforme. Isis. orail. “+ Polypier tout à fait pierreux et sans encroûtement. Tubipore. Pavone. Lunulite. Méandrine. Ovulite. Astrée. Sidérolite. Madrépore. Orbulite. Caryophyllie. Alvéolite. Turbinolie. Ocellaire. Fongie. Eschare. Cyclolite. Rétépore. Dactylopore. Millepore. Virgulaire. Agarice. ORDRE III: POLYPES FLOTTANTS Polypier libre, allongé, flottant dans les eaux, et ayant un axe corné Ou osseux, recouvert d'une chair commune à tous les po- lypes ; des tentacules en rayons autour de la bouche. Funiculine, Encrine. Vérétille. Ombeliulaire. Pennatule, ORDRE IVE: POLYPES NUS IIS ont à la bouche des tentacules en rayons, souvent multiples, et ne forment point de polypier. Pédicellaire. Zoanthe. Corine. Actinie, Hydre. DES ANIMAUX 285 Il: DEGRÉ D'ORGANISATION Point de moelle longitudinale noueuse ; point de vaisseaux pour la circulation; quelques organes particuliers et intérieurs (soit des tubes où des pores aspirant l’eau, soit des espèces d'ovaires) autres que ceux de la digestion. [Les Radiaires et les Vers. | n} * LES RADIAIRES (Classe I[I° du règne animal.) Animaux subgemmipares, libres ou vagabonds; à corps régenératif, ayant une disposition rayonnante dans ses parties, tant internes qu'ex- ternes, et un orzane digestif composé; bouche inférieure, simple ou multiple. Point de tête, point d'yeux, point de pattes articulées; quelques or- ganes intérieurs autres que ceux de la digestion. OBSERVATIONS Voici la troisième ligne de séparation classique qu'il a été convenable de tracer dans la distribution naturelle des animaux. | Ici, noustrouvons des formes tout à fait nouvelles, qui toutes néanmoins se rapportent à un mode gé- néralement le même, savoir : la disposition rayon- nante des parties, tant intérieures qu'extérieures. Ce ne sont plus des animaux à corps allongés, ayant une bouche supérieure et terminale, le plus 286 DISTRIBUTION GÉNÉRALE souvent fixés dans un polypier, et vivant un grand nombre ensemble en participant chacun à une vie commune, mais ce sont des animaux à organisation plus composée que les polypes, simples, toujours libres, ayant une conformation qui leur est particu- lière et se tenant, en général, dans une position comme renversée. Presque toutes les radiaires ont des tubes aspi- rant l’eau, qui paraissent être des trachées aquifères, et dans un grand nombre, on trouve des corps par- ticuliers qui ressemblent à des ovaires. Par un Mémoire, dont je viens d'entendre la lec- ture dans l'assemblée des professeurs du Muséum, j'apprends qu'un savant observateur, M. le docteur Spix, médecin bavarois, a découvert dans les astè- ries et dans les actinies l'appareil d’un système ner- veux. M. le docteur Spix assure avoir vu dans lasté- rie rouge, sous une membrane tendineuse qui, comme une tente, est suspendue sur l'estomac, un entrelacement composé de nodules et de filets blan- châtres, et en outre, à lorigine de chaque rayon, deux nodules où ganglions qui communiquent entre eux par un filet, desquels partent d’autres filets qui vont aux parties voisines et entre autres, deux fort longs qui se dirigent dans toute la longueur du rayon et en fournissent aux tentacules. Selon les observations de ce savant, on voit dans chaque rayon deux nodules, un petit prolongement DES ANIMAUX 287 de l'estomac (cæcum), deux lobes hépatiques, deux ovaires et des canaux trachéaux. Dans les actinies, M. le docteur Sprx observa dans la base de ces animaux, au-dessous de l’esto— mac, quelque paires de nodules, disposés autour d’un centre, qui communiquent entre eux par des filets cylindriques et qui en envoient d’autres aux parties supérieures : il y vit, en outre, quatre ovaires envi- ronnant l'estomac, de la base desquels partent des canaux qui, après leur réunion, vont s’ouvrir dans un point intérieur de la cavité alimentaire. Il est étonnant que des appareils d'organes aussi compliqués aient échappé à tous ceux qui ont exa- miné l’organisation de ces animaux. Si M. le docteur Spix ne s’est pas fait illusion sur ce qu'ila cru voir ; s’il ne s’est pas trompé en attri- buant à ces organes une autre nature et d’autres fonctions que celles quileur sont propres, ce qui est arrivé à tant de botanistes qui ont cru voir des or- ganes mâles et des organes femelles dans presque toutes les plantes cryptogames, il en résultera : 1° Que ce ne sera plus dans les insectes qu'il fau- dra fixer le commencement du système nerveux; 2° Que ce système devra être considéré comme ébauché dans les vers, dans les radiaires et même dans l’actinie, dernier genre des polypes ; 3° Que ce ne sera pas une raison pour que tous les polypes puissent posséder ébauche de ce système. commeil ne s’ensuit pas de ce que quelques reptiles 228 DISTRIBUTION GÉNÉRALE ont des branchies que tous les autres en soient pourvus ; 4° Qu’enfin, le système nerveux n’en est pas moins un organe spécial, non commun à tous les corps vi- vants, car, non-seulement il n’est pas le propre des végétaux, mais il n’est pas même celui de tous les animaux, puisque, comme je lai fait voir, il est im- possible que les infusoires en soient munis et qu'as- surément la généralité des polypes ne saurait le pos- séder ; aussi le chercherait-on en vain dans les kydres, qui appartiennent cependant au premier ordre des polypes, celui qui avoisine le plus les radiaires, puis- qu'il comprend les actinies. Ainsi, quelque fondement que puissent avoir les faits cités ci-dessus, les considérations que je pré- sente dans cet ouvrage sur la formation successive des différents organes spéciaux subsistent en quel- que point de l'échelle animale que chacun de ces or- œanes commence, et il est toujours vrai que les fa- cultés qu'ils donnent à l’animal ne commencent à avoir lieu qu'avec l'existence des organes qui les procurent. TABLEAU DES RADIAIRES ORDRE I: RADIAIRES MOLASSES Corps gélatineux; peau molle, transparente, dépourvue d'épines articulées; point. d'anus Stéphanomie, Physsophore. Lucernaire. Physalie. DES ANIMAUX 289 Velelle. Equorée. P. Porpite. Rhizostome. Pyrosome. Méduse. Beroë. ORDRE II° : RADIAIRES ÉCHINODERNES Peau opaque, crustacée ou coriace, munie de tubercules ré- tractiles, ou d'épines articulées sur des tubercules, et percée de trous par séries. * Les stellérides. La peau non t'ritable, mis mobile; point d'anus. Ophiure. Astérie. *" Les échinides. La peau non irritable, ni mobile; un anus. Clypeastre. Galerite. Cassidite. Nucléolite. Spatangue. Oursin. Ananchite. *** Les fistulides. Corps allongé, la peau irritable et mobile; un anus. Holothurie. Siponcle. Remarque. Les siponcles sont des animaux très- rapprochés des vers, cependant leurs rapports re- connus avec les holothuries les ont fait placer parmi les radiaires dont ils n’ont plus les caracteres et qu'ils doivent conséquemment terminer. LAMARCK, PHIL. ZOOL. I. 19 290 DISTRIBUTION GÉNÉRALE En général, dans une distribution bien naturelle, les premiers et les derniers genres des classes sont ceux en qui les caractères classiques sont les moins prononcés, parce que se trouvant sur la limite, et les lignes de séparation étant artificielles, ces genres doivent offrir moins que les autres les caractères de leurs classes. LES VERS (Classe IV° du règne animal.) Auimaux subovipares, à corps mou, allongé, sans tête, sans yeux, sans pattes ef sans faisceaux de cils; dépourvus de circulation, et ayant un canal intestinal complet ou à deux ouvertures. Bouche constituée par un ou plusieurs sucçoirs. OBSERVATIONS La forme générale des vers est bien différente de celle des radiaires, et leur bouche, partout en suçoir, n’a aucune analogie avec celle des polypes, qui n'offre simplement qu'une ouverture accompagnée de tenta- cules en rayons ou d'organes rotatoires. Les vers ont, en général, le corps allongé, tres-peu . contractile, quoique fort mou, et leur caractère in- testmal n’est plus borné à une seule ouverture. Dans les radaires fistulides, la nature a com- mencé à abandonner la forme rayonnante des par- ties et à donner au corps des animaux une forme allongée, la seule qui pouvait conduire au but qu’elle se proposait d'atteindre. DES ANIMAUX 291 Parvenue à former les vers. elle va tendre doré- navant à établir le mode symétrique de parties paires, auquel elle n’a pu arriver qu'en établissant celui des articulations; mais, dans la classe en quelque sorte ambiguë des vers, elle en a à peine ébauché quelques traits. TABLEAU DES VERS ORDRE I" : vERS CYLINDRIQUES Dragoneau. Cucullan. Filaire. Strongle. Proboscide. Massette. Crinon. Caryophylle. Ascaride. Tentaculaire. Fissule. Echinorique. Trichure. ORDRE II°: VERS VÉSICULEUX Bicorne. Hydatide ORDRE III: : vERS APLATIS Tænia. Lingule. Linguatule. Fasciole. III: DEGRÉ D'ORGANISATION Des nerfs aboutissant à une moelle longitudinale noueuse, respiration par des trachées aériferes, cir- culation nulle où imparfaite. [Les Insectes et les Arachnides.] 292 DISTRIBUTION GÉNÉRALE * LES INSECTES (Classe V° du règne animal.) Animaux ovipares, subissant des métamorphorses, pouvant avoir des ailes et ayant, dans l'état parfait, six pattes articulées, deux antennes, deux yeux à réseau, et la peau cornée. Respiration par des trachées aériféres qui s'étendent dans toutes les parties; aucun système de circulation ; deux sexes distincts; un seul accouplement dans le cours de ia vie. OBSERVATIONS Parvenus aux insectes, nous trouvons, dans les animaux extrèémement nombreux que cette classe comprend, un ordre de choses fort différent de ceux que nous avons rencontrés dans les animaux des quatre classes précédentes ; aussi, au lieu d’une nuance dans les progres de composition de l’organi- sation animale, en arrivant anx insectes, on a fait à cet égard un saut assez considérable. Ici, pour la première fois, les animaux considérés dans leur extérieur nous offrent une véritable féte qui est toujours distincte, des yeux très-remarqua- bles, quoique encore fort imparfaits, des pattes ar- ticulées disposées sur deux rangs, et cette forme sy- métrique de parties paires et en opposition que la nature emploiera désormais jusque dans les animaux les plus parfaits inclusivement. En pénétrant à l’intérieur des insectes, nous voyons aussi un système nerveux complet, consistant en nerfs qui aboutissent à une #0elle longitudinale DES ANIMAUX 293 noueuse ; mais, quoique complet, ce système nerveux est encore fort imparfait, le foyer où se rapportent les sensations paraissant très-divisé et les sens eux-mêmes étant en petit nombre et fort obscurs ; enfin, nous y voyons encore un véritable système musculaire et des sexes distincts, mais qui, comme ceux des végétaux, ne peuvent fournir qu'à une seule fécondation. A la vérité, nous ne trouvons pas encore de sys- tème de circulation, et il faudra s'élever plus haut dans la chaîne animale pour y rencontrer ce perfec- tionnement de l’organisation. Le propre de tous les ##sectes est d'avoir des ailes dans leur état parfait, en sorte que ceux qui en man- quent n’en sont privés que par un avortement qui est devenu habituel et constant. OBSERVATIONS Dans le tableau que je vais présenter, les genres sont réduits à un nombre considérablement inférieur à celui des genres que l’on a formés parmi les ani- maux de cette classe. L'intérêt de l’étude, la sim- plicité et la clarté de la méthode m'ont paru exiger cette réduction qui ne va pas au point de nuire à la connaissance des objets. Employer toutes les parti cularités que l’on peut saisir dans les caractères des animaux et des plantes pour multiplier les genres à l'infini, c'est, comme je l’ai déja dit, encombrer et 294 DISTRIBUTION GÉNÉRALE obscurcir la science au lieu de la servir; c’est en rendre létude tellement compliquée et difficile, qu’elle ne devient alors praticable que pour ceux qui voudraient consacrer leur vie entière à connaître l'immense nomenclature et les caractères minutieux employés pour les distinctions exécutées parmi ces animaux. TABLEAU DES INSECTES (A.) LES SUCEURS Leur bouche offre un suçoir muni ou dépourvu de gaine. ORDRE IF : INSECTES APTÈRES Une trombe bivalve, triarticulée, renfermant un suçoir de deux soies. Les ailes habituellement avortées dans les deux sexes; larve apode ; nymphe immobile, dans une coque. Puce. ORDRE II: 1NSECTES DIPTÈRES Une trompe non articulée, droite ou coudée, quelquefois rétractile. | Deux ailes nues, membraneuses, veinces; deux balanciers ; larve vermiforme, le plus souvent apode. Hippobosque. — OUestre. Stomoxe. — Myope. Stratiome. Conops. Syrphe. Empis. Anthrace. Bombile. Mouche. Asile. DES ANIMAUX 295 Taon. Tipule. Rhagion. Simulie. — Bibion. Cousin. ORDRE III" : INSECTES HÉMIPTÈRES Bec aigu, articulé, recourbé sous la poitrine, servant de gaine à un suçoir de trois soies. Deux ailes cachées sous des élytres membraneux; larve hexapode ; la nymphe marche et mange. Dorthésie. Pentatome. Cochenille. Punaise. Psylle. Coré. Puceron. Réduve. Aleyrode. Hydromètre. Trips. > Gerris. Cigale. Nepa. Fulgore. Notonecte. Tettigonne. Naucore. en Corise. Scutellaire. ORDRE IV= : INSECTES LÉPIDOPTÈRES Suçoir de deux pièces, dépourvu de gaîine, imitant une trompe tubuleuse, et roulé en spirale dons l’inaction. Quatre ailes membraneuses, recouverte d'écailles colorées et comme farineuses. Larve munie de huit à seize pattes; chrysalide inactive. * Antennes subulées ow sétacées. Ptérophore. Alucite. Ornéode. Adèle. Cérostome. Pyrale. Teigne. — 206 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Noctuelle. Hépiale. Phalène. Bombice. * Antennes renflées dans quelque partie de leur longueur. Zygène. Sphinx. Papillon. Sésie. (B). LES BROYEURS Leur bouche offre des mandibules, le plus souvent accom- pagnées de mächoires. ORDRE V=: INSECTES HYMÉNOPTÈRES Des mandibules, et un suçoir de trois pièces plus ou moins prolongées, dont la base est renfermée dans une gaîne courte. Quatre ailes nues, membraneuses, veinées, inégales; anus des femelles armé d'un aiguillon ou muni d'une tarrière; nymphe immobile. * Anus des femelles armé d'un aiguillon. Abeille. Fourmi. Monomélite. Mutile. Nomade. Scolie. Eucere. Tiphie. Andrenne. Bembece. P= LE Crabron. Guépe. Sphex. Polyste. ” Anus des femelles muni d'une tarrière. Chryside. Chalcis. Oxyure. Cinips. "2 Diplolèpe. Leucopsis. Ichneumon, DES ANIMAUX 297 — Urocère. Evanie. Orysse. Fœne. | Tentrède, — Clavellaire. ORDRE VI:: INSECTES NÉVROPTÈRES Des mandibules et des machoires. Quatre ailes nues, membraneuses, réticulées ; abdomen allongé, dépourbu d'aiguillon et de tarrière; larve hexapode ; diversité dans la métamorphose. * Nymphes inactives. Perle. Hémerobe. Némoure. Ascalaphe. Frigane. Myrméléon. …. Nymphes agissantes. Némoptère. Raphidie. Panorpe, Éphémèere. Psoc. 2e Thermite. Agrion. = Æshne. Corydale. Libellule. Chauliode, ORDRE VII:: INSECTES ORTHOPTÈRES Des mandibules, des mächoires et des galettes recouvrant les mâchoires. Deux ailes droites, plissées longitudinalement, et recouvertes par deux élytres presque membraneux. Larve comme l'insecte parfait, mais n'ayant ni ailes ni élytres ; nymphe agissante. Sauterelle. Criquet. Achète. Truxale. (+) DISTRIBUTION GÉNÉRALE Mante. Phasme. Spectre. Grillon. Blatte. Forficule. ORDRE VIII: : INSECTES COLÉOPTÈRES Des mandibules et des mâchoires. Deux ailes membraneuses, pliées transversalement dans le repos et sous deux élytres durs ou coriaces et plus courts. Larve hexapode, à tête écailleuse et Sans yeux; nymphe inac- tive. * Deux ou trois articles à tous les tarses. Capricorne. Psélaphe. Coccinelle. HT Eumorphe. © Quatre articles à tous les tarses. Erotyle, Prione. Casside. Spondyle. Chrysomèle. — Galéruque. Bostrich. Criocère. Micétophage. Clstre. Trogossite. Gribouri. Cucuje Lepture. Bruche. Stencore. Attelabe. Saperde. Brente. Nécydale. Charanson. Callidie. Brachicère. DES ANIMAUX 299 * Cinq articlee aux tarses des premières paires de pattes. et quatre à ceux de la troisième paire. Opatre. Ténébrion. Blaps. Pimélie. Sépidie. Scaure. , Erodie, Chiroscelis. Helops. Diapère. Cistele. © Cinq articles à tous les tarses. Lymexyle. Téléphore. Malachie. Melvris. Lampyre. Lycus. Omalyse. Drille. Mélasis. Bupreste. Taupin. Ptilin. Vrilette. Ptine. Staphylin. Mordelle. Ripiphore. Pyrochre. Cossyphe. Notoxe. Lagrie. Cérocome. Apale. Horie. Mylabre. Cantharide. Méloë. Oxypore. Pédère. Cicindele. Elaphre. Scarite. Manticore. Carabe. Dytique. Hydrophile. Gyrin. Dryops. Clairon. Neécrophore Bouclier. Nitidule. 300 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Ips. Goliath. Dermeste. Hanneton. Anthrène. Léthrus. Byrrhe. Géotrupe. Escarbot. Bousier. Sphéridie. Scarabé. _ Passale. Trox. Lucane. Cétoine. LES ARACHNIDES (Classe VI® du règne animal.) Animaux ovipares, ayant en tout temps des pattes articulées, et des yeux à la tête; ne subissant point de métamorphose, et ne possédant jamais d'ailes ni d'élytres. Des stigmates et des trachées bornées pour la respiration; une ébauche de circulation; plusieurs fécondations dans le cours de la vie, OBSERVATIONS Les arachides qui, dans l’ordre que nous avons établi, viennent après les insectes, offrent des progres manifestes dans le perfectionnement de lorgani- sation. En effet, la génération sexuelle se montre chez elles, et pour la premiere fois, avec toutes ses facultés, puisque ces animaux s’accouplent et engen— drent plusieurs fois dans le cours de leur vie; tandis que dans les insectes, les organes sexuelles, comme ceux des végétaux, ne peuvent exécuter qu'une seule fécondation ; d’ailleurs, les arachnides sont les pre- miers animaux dans lesquels la circulation commence DES ANIMAUX 301 as’ébaucher, car, selon les observations de M. Cuvier, on leur trouve un cœur d’où partent, sur les côtés, deux ou trois paires de vaisseaux. Les arachnides vivent dans l'air comme les insec- tes parvenus à l’état parfait, mais elles ne subissent point de métamorphose, n’ont jamais d'ailes ni d’ély- tres, sans que ce soit le produit d’aucun avortement, et elles se tiennent, en général, cachées ou vivent soltairement, se nourrissant de proie où du sang qu'elles sucent. Dans les arachnides le mode de respiration est encore le même que dans les insectes, mais ce mode est sur le point de changer, car les trachées des ara- chnidessont tres-bornées, pour ainsi dire appauvries, et ne s'étendent pas dans tous les points du corps. Ces trachées sont réduites à un petit nombre de vé- sicules, ce que nous apprend encore M. Cuvier (Anatom., vol. IV, p. 419), et après les arachni- des, ce mode de respiration ne se retrouve plus dans aucun des animaux des classes qui suivent. Cette classe d'animaux est très-suspecte : beaucoup d’entre eux sont venimeux, surtout ceux qui habi- tent des climats chauds. TABLEAU DES ARACHNIDES ORDRE IF8 : ARACHNIDES PALPISTES Point d'antennes, mais seu'ement des palpes ; la tête confondue avec le corcelet; huit pattes. Mygale. Phyrne. Araignée. Théliphone. 302 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Scorpion. Pince. Galéode. Faucheur. Trogul. Elays. ORDRE IT: : Trombidion. Hydrachne. Bdelle. Mitte. Nymphou, Picnogonon. ARACHNIDES ANTENNISTES Deux antennes ; la tête distincte du corcelet. Pou. Ricin. Forbicine. Podure. Scolopendre. Scutigère. Jule. IV' DEGRÉ D'ORGANISATION Des nerfs aboutissant à une moelle longitudinale noueuse où à un cerveau sans moelle épinière; res piration par des branchies ; des artères et des veines pour la circulation. {Les Crustacés, les Annelides, les Cirrhipèdes et les Mollusqu?s.1 LES CRUSTACÉS (Classe VII‘ durègne animal.) Animaux ovipares, ayant le corps et les membres articulés, la peau crustacée, plusieurs paires de mâchoires, des yeux et des antennes à la tête. Respiration par des branchies ; un cœur et des vaisseaux pour la circulation. DES ANIMAUX 303 OBSERVATIONS De grands changements dans lorganisation des animaux de cette classe annoncent qu'en formant les crustacés, la nature est parvenue à faire faire à l’organisation animale des progrès considérables. D'abord le mode de respiration y est tout à fait différent de celui employé dans les arachnides et dans les insectes, etce mode, constitué par des orga- nes qu'on nomme branchies, va se propager Jusque dans les poissons. Les trachées ne reparaitront plus et les branchies elles-mêmes disparaitront lorsque la nature aura pu former un poumon cellulaire. Ensuite la circulation, dont on ne trouve qu'une simple ébauche dans les arachnides, est compléte- ment établie dans les crustacés où l’on trouve un cœur et des artères pour l'envoi du sang aux diffé- rentes parties du corps et des veines qui ramenent ce fluide à l'organe principal de son mouvement. On retrouve encore dansles crustacés le mode des articulations que la nature a généralement employé dans les insectes et dans les arachnides, pour fa- ciliter le mouvement musculaire à laide de lindu- rescence de la peau; mais dorénavant la nature abandonnera ce moyen pour établir un systeme d'organisation qui ne l’exigera plus. La plupart des crustacés vivent dans les eaux, soit salées ou marines ; quelques-uns néanmoins se tien 304 DISTRIBUTION GÉNÉRALE nent sur la terre et respirent l'air avec leurs bran- chies : tous ne se nourrissent que de matières ani- males. TABLEAU DES CRUSIACÉS ORDRE If : CRUSTACÉS SESSILIOGLES Les yeux sessiles et immobiles. Cloporte. Céphalocle. Ligie. Amymone. Aselle. Daphnie. Cyame. Lyncé. Crevette. Csole. Cheverolle. Limule. — Calige. Cyclops. Polyphème. Zoëe. ORDRE II': cRUSTAGÉS PÉDIOCLES Deux yeux distincts, éleves sur des pédicules mobiles. * Queue allongée, garnie de lames natatoires, ou de crochets ou de cils. Branchiopode. Pagure. Squille. — Palémon. Ranine. Crangon. Albunée. Palinure. Hippe. Scyllare. Coriste. Galathée. Porcellane. Ecrevisse. DES ANIMAUX 305 ” Queue courte, nue, et appliquée contre le dessous de l'ab- domen. Pinnothé:e. Doripe. Leucosie. Plagusie. Arctopsis. Grapse. Maia. Ocypode. — Calappe. Matute. Hépate. Orithye. Dromie Podophtalme. Cance”. Portune. LES ANNELIDES (Classe VIII‘ durègne animal.) Animaux ovipares, a corps allongé, molasse, annelé transveisale- ment, ayant rarement des yeux et une tête distincte, et dépourvu de pattes articulées. Les artères et des veines pour la circulation; respuation par des branchies; une moelle longitudinale noueuse. OBSERVATIONS On voit, dans les annelides, que la nature s'efforce d'abandonner le mode des articulations qu'elle a constamment employé dans les insectes, les arachnides et les crustacés. Leur corps allongé, mollasse, et dans la plupart simplement annelé, donne à ces animaux Flapparence d'êtres aussi imparfaits que les es, avec lesquels on les avait confondus; mais ayant des artères et des veines LAMARCK, THIL. ZOOL. I. 20 305 DISTRIBUTION GÉNÉRALE et resplrant par des branchies, ces animaux, très- distingués des vers, doivent, avec les cirrhipèdes, faire le passage des crustacés aux mollusques. Ils manquent de pattes articulées {, et la plupart ont, sur les côtés, des soies ou des faisceaux de soies qui en tiennent lieu : presque tous sont des suceurs et ne se nourrissent que de matières fluides. TABLEAU DES ANNELIDES ORDRE If: ANNELIDES CRYPTOBRANCHES Planaire. Furie ? Sangsue. Naïade. Lernée. Lombric. Clavale. Thalassème, ORDRE IIE : ANNELIDES GYMNOBRANCHES Arénicole. — Amphinome, Terebelle. Aphrodite. Amphitrite. Néréide. Sabellaire, 1 Pour perfectionner les organes du mouvement de transiation de l'animal, la nature avait besoin de quitter le système des pattes arti- culées qui ne sont le produit d'aucun squelette, afin d'établir celui des quatres membres dépendants d’un squelette intérieur qui est propre au corps des animaux les plus parfaits; c'est ce qu'elle a exécuté dans les annelides et les mollusques, où elle n'a fait que préparer ses moyens, pour commencer, dans les poissons, l'organisation particulière des ani- maux vertébrés Ainsi, dans les annelides, elle a abandonné les pattes articulées, et dans les mollusques elle a fait plus encore, elle a cessé l'emploi d'une moelle longitudinale noueuse. . DES ANIMAUX 307 — Siliquaire. Serpule. Dentale. Spirorbe. LES CIRRHIPEÈDES (ClasseIX°® durégneanimal.) Animaux ovipares et testacés, sans tète et sans yeux, ayant un manteau qui tapisse l'intérieur de la coquille, des bras articulés dont la peau est cornée, et deux paires de machoires à la bouche. Respiration par des branchies ; une moelle longitudinale noueuse; des vaisseaux pour la circulation. OBSERVATIONS Quoiqu'on ne connaisse encore qu'un petit nombre de genres qui se rapportent à cette classe, le carac- tère des animaux que comprennent ces genres est si singulier, qu'il exige qu'on les distingue, comme constituant uue classe particulière. Les cirrhipèdes ayant une coquille, un manteau, et se trouvant sans tête et sans yeux, ne peuvent être des crustacés; leurs bras articulés empêchent qu'on ne les range parmi les annelides, et leur moelle longitudinale noueuse ne permet pas qu'on les réunisse aux mollusques. TABLEAU DES CIRRHIPÈDES Tubicinelle. Balane. Coronule. Anatife. 308 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Remarque. On voit que les cirrhipèdes tiennent encore aux annelides par leur moelle longitudinale noueuse ; mais, dans ces animaux, la nature se prépare à former les mollusques, puisqu'ils ont déja, comme ces derniers, un manteau qui tapisse l'intérieur de leur coquille. LES MOLLUSQUES (Classe X° du règneanimal.) Animaux ovipares, à corps molasse, non articulé dans ses parties, et ayant un manteau variable. Respiration par des branchies très-diversifiées ; ni moelle épinière, m1 moelle longitudinale noueuse; mais des nerfs aboutissant à un cerveau imparfait. La plupart sont enveloppés dans une coquille ; d’autres en contiennent une plus ou moins complétement enchâssée dans leur intérieur, et d'autres encore en sont tout à fait dépourvus. OBSERVATIONS Les mollusques sont les mieux organisés des animaux sans vertebres, c’est-à-dire ceux dont l’organisation est la plus composée et qui appro- chent le plus de celle des poissons. Ils constituent une classe nombreuse qui termine les animaux sans vertébres et qui est éminemment distinguée des autres classes, en ce que les animaux qui la composent, ayant un systeme nerveux, comme beaucoup d’autres, sont les seuls qui n’aient mi moelle longitudinale noueuse, ni moelle épimere. DES ANIMAUX 309 La nature, sur le point de commencer et de former le système d'organisation des animaux ver- tébrés, paraît ici se préparer à ce changement. Aussi les mollusques, qui ne tiennent plus rien du mode des articulations et de cet appui qu'une peau cornée donne aux muscles des animaux qui ont part à ce mode, sont-ils tres-lents dans leurs mouve- emnts et paraissent-ils, à cet égard, plus imparfai- tement organisés que les insectes mêmes. Enfin, comme les mollusques font le passage des animaux sans vertebres aux animaux vertébrés, leur système nerveux est intermédiaire et n'offre ni la moelle longitudinale noueuse des animaux sans vertebres qui ont des nerfs, ni la moelle épinière des animaux vertébrés : ils sont en cela éminem- ment caractérisés et bien distingués des autres animaux sans vertebres. TABLEAU DES MOLLUSQUES ORDRE If": MOLLUSQUES ACÉPHALÉS Point de tête; point d'yeux ; point d'organe de mastication ; ils produisent sans accouplement. La plupart ont une coquille à deux valves qui s'articulent en charnière. Les brachiopodes Lingule. Térébratule. Orbicule. 310 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Les ostracées Radiolite. Calcéole. Cranie. Anomie. Placune. Vulselle. Les byssiféres Houlette. Lime. Pinne. Moule. Modiole ? Les camacées Éthérie. Came. . Dicérate. Les naïades Mulette. Anodonte. Les arcacées Nucule. Pétoncle. Arche. Les cardiadées ,Tridacne. Hippope. Cardite. Huitre. Gryphée. Plicatule. Spondyle. Peigne. Crénatule. Perne. Marteau. Avicule. Corbule. Pandore. Cucullée. Trigonie. Isocarde. Bucarde. DES ANIMAUX Les conques Vénéricarde. Lucine. Vénus. Cyclade. Cithérée. Galathée. Donace. Capse. Telline. Les mactracées Érycine. Lutraire. Onguline. Mactre. Crassatelle. — Les myaires Myes. Panorpe. Anatine. Les solenacées Glycimere. Pétricole. Solen. Rupellaire. Sanguinolaire. Saxicave. Les pholadaires Pholade. Arrosoir. Taret. — Fistulane. Les ascidiens Ascidie. Biphore. Mammaire. 311 312 DISTRIBUTION GÉNÉRALE ORDRE II® : MOLLUSQUES CÉPHALÉS Une tête distincte, des yeux et deux ou quatre tentacules dans la plupart, des mächoires ou une trompe à la bouche; génération par accouplement. La coquille de ceux qui en ont ne Se compose jamais de deux valves articulées en charnière. * Ptéropodes Deux ailes opposées et natatoires. Hyale. Clio. Pneumoderme. ‘" Gastéropodes (A) Corps droit, réuni au pied dans toute ou presque toute sa longueur. Les tritoniens Glaucie. Tritonie. Eolide. Téthys. Scyllée. Doris. Les Phyllidéens Pleurobranche. Patelle. Phyllidie. Fissurelle. Oscabrion. Émarginule. Les laplysiens Laplysie. Bullée. Dolabelle. Sigaret. DES ANIMAUX Les limaciens Onchide. Limace. Parmacelle, (B) Corps en spirale ; point de syphon. Les colymacées Hélix. Hélicine. ù Bulime. Les orbacées Cyclostome. Vivipare. Les auriculacées Auricule. Mélanopside. Les néritacées Néritine. Nacelle. Les stomatacées Haliotite. Stomate. Stomatelle. Les turbinacées Phasianelle. Turbo. Monodonte. Dauphinule. Vitrine. Testacelle. Amphibulime. Agathine. Maillot. Planorbe. Ampullaire. Mélanie. Lymuée. Nérite. Natice. Scalaire. Turritelle. Vermiculaire ? 314 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Les hétéroclites Volvaire. Bulle. Janthine. Les calyptracées Crépidule. Cadran. Calyptrée. Trochus. (C) Corps en spirale; un syphon. Les canalifères Cérite. Pyrule. Pleurotome. Fuseau. Turbinelle. Murex. Fasciolaire. Les ailées Rostellaire. Ptérocère. Strombe. Les purpuracées Casqre. Buccin. Harpe. Concholepas. Tonne. Monoceros. Vis. Pourpre. Éburne. Nasse. Les columellaires Cancellaire. Mitre. Marginelle. Volute. Colombelle. DES ANIMAUX 315 Les enroulées Ancille. Cvule. Olive. Porcelaine. Tarrière. Cone. *‘** CÉPHALOPODES (A) À test multiloculaire. Les lenticulacées Miliolite. Discorbite. Gyrogonite. Lenticuline. Rotalite. Numulite. Rénulite. Les lituolacées Lituolite. Orthocère. Spirolinite. Hippurite. Spirule. Bélemnite. Les nautilacées Baculite Ammonite. Turrilite. Orbulite. Ammonocératite. Nautile. (B) À test uniloculaire. Les aurgonautacées Argonaute. Carinaire. (C) Sans test. Les sépialées Poulpe. Calmar. Seche. 316 DISTRIBUTION GÉNÉRALE ANIMAUX VERTÉBRÉS Ils ont une colonne vertébrale composée d’une multitude d’os courts, articulés et à la suite les uns des autres. Gette colonne sert de soutien à leur corps , fait la base de leur squelette, fournit une gaine à leur moelle épinière et se termine antérieu— rement par une boite osseuse qui contient leur cer- veau. V: DEGRÉ D'ORGANISATION Des nerfs aboutissant à une moelle épinière et à un cerveau qui ne remplit point la cavité du crâne. Le cœur à un ventricule et le sang froid. [Les poissons el les repliles.] LES POISSONS (Classe XI° du règne animal.) Animaux ovipares, vertébrés et à sang froid; vivant dans l'eau, respirant par des branchies, couverts d'une peau, soit écailleuse, soit presque nue et visqueuse, et n'ayant pour leurs mouvements de trans- lation que des nageoires membraneuses, soutenues par des arêtes osseuses où cartilagineuses. OBSERVATIONS L'organisation des poissons est bien plus perfec- tionnée que celle des mollusques et des animaux des classes antérieures, puisqu'ils sont les premiers ani- D DES ANIMAUX 317 maux qui aient une colonne vertébrale, l’ébauche d'un squelette, une moelle épinière et un crâne renfermant le cerveau. Ge sont aussi les premiers dans lesquels le système musculaire tire ses appuis de parties intérieures. Cependant leurs organes respiratoires sont encore analogues à ceux des mollusques, des cirrhipèdes , des annelides et des crustacés; et, comme tous les animaux des classes précédentes, 1ls sont encore privés de voix et n’ont pas de paupières sur les yeux. La forme de leur corps est appropriée à la néces- sité où ils se trouvent de nager; mais ils conservent la forme symétrique de parties paires, commencée dans les insectes ; enfin, chez eux, ainsi que dans les animaux des trois classes suivantes , le mode des articulations n'est qu'intérieur et n’a lieu que dans les parties de leur squelette. Nota.— Pour la composition des tableaux des animaux à vertèbres, j'ai fait usage de l'ouvrage de M. Duméril, intitulé Zoologie Analylique, et je ne me suis permis que quelques changements dans la disposition des objets. 318 DISTRIBUTION GÉNÉRALE TABLEAU DES FOISSONS ORDRE IE : POISSONS CARTILAGINEUX Colonne vertébrale molle et comme cartilagineuse ; point de véritables côtes dans un grand nombre. * Point d'opercule au-dessus des branchies, ni de memtrane. LES TREMATOPNÉS Respiration par des trous arrondis. 1. Trém. cyclostomes Gasterohranche. Lamproie. 2. Trém. plagiostomes JLorpille. Squatine. Raie. Squale. Rhinobate. Aodon. Point d'opercule au-dessus des branchies, mais une mem- brane. LES CHISMOPNÉS Ouvertures des branchies en fente sur les côtés du cou ; quatre nageoires paires. Baudroie. Baliste. Lophie. Chimere. DES ANIMAUX 319 … Un opercule au-dessus des branchies, mais point de mem- brane. LES ÉLEUTHÉROPOMES Quatre nageoires paires; bouche sous le museau. Polyodon. Pégase. Accipenser, . Un opercule et une membrane au-dessus des branchies. LES TELEOBRANCHES Branchiies complètes, ayant un opercule et une membrane. 5. Téléobr. aphiostomes Macrorhinque. Solénostome. Centrisque. G. Téléob. plécoptères Cycloptere. Lépadogastère. T. Téléobr. ostéodermes Ostracion. Hiodon. Tetraodon. Sphéroïde, Ovoïde. Syugnathe. ORDRE II: POISSONS OSSEUX Colcnne vertébrale à vertèbres osseuses, non flexibles. * Un opercule et une membrane au-dessus des branchies 320 DISTRIBUTION GÉNÉRALE LES HOLOBRANCHES HOLOBRANCHES APODES Point de nageoires paires inférieures. 8. Holobr. péroptères Cæcilie. Notcptere. Monoptère. Ophisure. - Leptocéphale. Aptéronote. Gymnote. Régalec. Trichiure. 9. Holobr. pantoptères Murène. Anarrhique. Ammodyte. Coméphore. Ophidie. Stromatée, Macrognathe Rhombe. Xiphias. HOLUBRANCHES JUGULAIRES Nageoires paires inférieures situées sous la gorge, au devant des thoraciques. 10. Holobr. auchénoptères Murénoïde. Batracoïde. Calliomore. Bleunie. Uranoscope. Oligopode. Vive. Kurte. Gade. Chrysostrome. DES ANIMAUX 3e HOLOBRANCHES THORACIQUES Nageoires paires inférieures situées sous les pectorales. 11. Holobr. pétalosomes Lépidope. Bostrichte. Cépole. Bostrichoïde. Tænioïde. Gymnètre. 12. Holobr. plécopodes Gobie. Gobioïde. 13. Holobr. éleuthéropodes Gobiomore. Gobiomoroïde. Echénéïde. 114. Holobr. atractosomes Scombre. Scombéromore Scombéroïde. Gastérostée, Caranx. Centropode. Trachinote. Centronote. Caranxomore. Lépisacanthe. Cæsion. {stiophore. Cæsiomore, Pomatome. 15. Holobr. léiopomes , Hiatule. Cheiline. Coris. Cheïlodiptère. Gomphose. Ophicéphale. Osphronème. Hologymnose. Trichopode. Spare. Monodactyle. Diptérodon. Plectorhinque. Cheilion. Pogonias. Mulet. Labre. LAMARCK, l'HIT. ZOOT,. 1. 21 322 DISTRIBUTION GÉNÉRALE 16. Holobr. ostéostomes Scare. Ostorhinque. Leiognathe. 17. Holobr. lophionotes Coryphène. Tænianote. Emiptéronote. Centrolophe. Coryphénoïde. Chevalier. 18. Holobr. céphalotes Gobhiesoce. Cotte. Aspidophore. Scorpène. Aspidophoroïde. 19. Holobr. dactylés Dactyloptère. Trigle. _Prionote. Péristédion. 20. Holobr. hétérosomes Pleuronecte. Achire. 21. Holobr. acanthopomes Lutjan. Sciène. Centropome. Microptère. Bodian. Holocentre. Tænionote. Persèque. 22. Holobr. leptosomes Chétodon. Chétodiptere. Acanthinion. Pomacentre, DES ANIMAUX 323 Pomadasys. Acanthopode. Pomacanthe. Sélène. Holacanthe. Argyréiose Enoplose. Zée. Glyphisodon. Gal. Acanthure Chrysostose. Aspisure. Caprose. L HOLOBRANCHES ABDOMINAUX Nageoires paires inférieures placées un peu au devant de l'anus. 23. Holobr. siphonostomes Fistulaire. Aulostome. Solénostome. 24. Holobr. cylindrosomes Cobite. Amie, Misgurne. Butyrin. Anableps. Triptéronote. Fondule. Ompolk. Colubrine. 25. Holobr. oplophores Silure. Agénéiose. Macroptéronote. Macroramphose. Malaptérure. Centranodon. Pimélode, Loricaire. Doras. Hypostome. Pogonate. Corydoras. Cataphracte. Tachysure. Plotose. 26. Holobr. dimérèdes Cirrhite. Polyneme. Cheilodactyle. Polydactyle. DISTRIBUTION GÉNÉRALE 27. Holobr. lépidomes Muge. Chanos. Mugiloïde. Mulgilomore. 28. Holobr. gymnopomes Argentine. Clupanodon. Athérine. Serpe. Hydrargyre. Méné. Stoléphore. Dorsuaire. Buro. Xystère. Clupée. Cyprin. Myste. 29. Holobr. dermopteres Salmone. Characin. Osmére. Serrasalme. Corrégone. 30. Holobr. siagonotes Élope. Sphyrene. Meégalope. Lépisostée. Ésoce. Polyptère. Synodon . Scombrésoce. ® Un opercule au-dessus des brunchies, rmais point de mem- brane. LES STERNOPTIGES 0 à Bron te EUR RENE ES Sternoptyx. DES ANIMAUX 329 … Point d'opercule au-dessus des branchies, mais une mem- brane. LES CRYPTOBRANCHES 32 Mormyre. Stéléphore. *** Point d'opercule ni de membrane au-dessus des branchies ; point de nageoires paires inférieures. LES OPHICHTES 39. Unibranche aperture. Murénophis. Sphagebranche. Gymnomurène. Remarque. Le squelette ayant commencé à se former dansles poissons, ceux qu’on nomme carti- lagineuax sont probablement les poissons les moins perfectionnés, et conséquemment le plus imparfait de tous doit être le gastérobranche que Linné, sous le nom de myaine, avait regardé comme un ver. Ainsi, dans l’ordre que nous suivons, le genre gas- térobranche doit être le premier des poissons, parce qu'ilest le moins perfectionné. LES REPTILES (Classe XII° du règne animal.) Animaux ovipares, vertébrés et à sang froid ; respirant imcomplé- tement par un poumon, au moins dans leur dernier àge, et ayant la peau lisse on recouverte, soit d'ecailles, soit d'un test osseux. 326 DISTRIBUTION GÉNÉRALE OBSERVATIONS Des progrès dans le perfectionnement de lorga- nisation sont très-remarquables dans les reptiles, si l’on compare ces animaux aux poissons ; car C’est chez eux que l’on trouve, pour la première fois, le poumon, que l’on sait être l'organe respiratoire le plus parfait, puisque c’est le même que celui de l’homme; mais iln’y est encore qu'ébauché, et même plusieurs reptiles n’en jouissent pas dans leur pre- mier âge : à la vérité, ils ne respirent qu'iIncom- plétement, car il n’y a qu'une partie du sang envoyé aux parties qui passe par le poumon. C'est aussi chez eux qu’on voit, pour la premiere fois, d’une manière distincte, les quatre membres qui font partie du plan des animaux vertébrés, et qui sont des appendices où des dépendances du squelette. TABLEAU DES REPTILES ORDRE I'*: REPTILES BATRACIENS Le cœur à oreillette unique ; la peau nue; deux où quatre pattes ; des branchies dans le premier âge: point d'accouplement. Les urodèles Sirène, Triton. Protée. Salamandre. Les anoures Rainette. Pipa. Grenouille. Crapaud, DES ANIMAUX 327 ORDRE II° : REPTILES OPHIDIENS (OU SERPENTS) Le cœur à oreillette unique; le corps allongé, étroit et sans pattes ni nageoires ; point de paupières. Les homodermes Cécilie. j Ophisaure. Amphisbène. Orvet. Acrochorde. Hydrophide. Les hétérodermes Crotale. Erix. Scytale. Vipére. Boa. | Couleuvre. Erpeton. Plature. ORDRE III: REPTILES SAURIENS Le cœur à oreillette double; le corps écailleux et muni de qualre pattes; des ongles aux doigts; des dents aux mâchoires. Les téréticaudes Chalcides. Agame. Scinque. 0 Lézard. Gecko. Iguane. Analis. Stellion. Dragon. Caméléon. Les planicaudes Uroplate. Lophyre. Tupinambis. Dragone. Basilic. Crocodile. 328 DISTRIBUTION GÉNERALE ORDRE IV=: REPTILES CHÉLONIENS Le cœur à oreillette double; le corps muni d'une carapace et et de quatre pattes ; mâchoires sans dents. Chélonée. Emyde, Chélys. Tortue. VIS DEGRÉ D’'ORGANISATION Des nerfs aboutissant à une moelle épiniére et à un cerveau qui remplit la cavité du crâne; le cœur à deux ventricules et le sang chaud. [Les Oiseaux et les Mammifère:.] LES OISEAUX (Classe XIII: du règne animal.) Animaux ovipares, vertébrés, et à sang chaud; respiration complète par des poumons adhérents et percés ; quatre membres articulés, dont deux sont conformés aux ailes; des plumes sur la peau. OBSERVATIONS Assurément les oiseaux ont l’organisation plus perfectionnée que les reptiles et que tous les animaux des classes précédentes, puisqu'ils ont le sang chaud, le cœur à deux ventricules et que leur cerveau remplit la cavité du crâne, caractères qu'ils ne par- DES ANIMAUX 329 tagent qu'avec les animaux les plus parfaits qui composent la dernière classe. Cependant les oiseaux ne forment évidemment que lavant-dernier échelon de léchelle animale ; car ils sont moins parfaits que les mammiferes, puisqu'ils sont encore ovipares, qu'ils manquent de mamelles, qu'ils sont dépourvus de diaphragme, de vessie, etc., et qu'ils ont des facultés moins nom breuses. Dans le tableau qui suit, on peut remarquer que les quatre premiers ordres embrassent les oiseaux dont les petits ne peuvent ni marcher, ni se nourrir des qu'ils sont éclos ; et qu’au contraire, les trois derniers comprennent les oiseaux dont les petits marchent et se nourrissent eux-mêmes, dès qu'ils sont sortis de l'œuf ; enfin , le septième ordre, celui des palmipèdes, me parait offrir les oiseaux qui se rapprochent le plus par leurs rapports des premiers animaux de la classe suivante. TABLEAU DES OISEAUX ORDRE IF® : LES GRIMPEURS Deux doigts en arant, et deux en arrière. Grimp. lévirostres Perroquet. Touraco. Cacatoës. Couroucou. Ara. Musophage. Barbu. Toucan. 330 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Grimp. cunéirostres Pie, Ani. Torcol. Coucou. Jacamar. ORDRE IIE : LES RAPACES Un seul doigt en arrière ; doigts antérieurs entièrement libres ; bec et ongles crochus. Rap. nocturnes Chouette. Duc. Surnie, Rap. nudicolles Sarcoramphe. Vautour, Rap. plumicolles Griffon. Buse. Messager. Autour. Aigle. Faucon. ORDIVEMMMIE CLES PASSER PAUX Un seul doigt en arrière; les deux externes de devant réunis ; les tarses médiocres en hauteur. Pass. crénirostres Tangara. Cotinga. Pie-grièche. Merle. Gobe-mouche. DES ANIMAUX 331 Pass: Pass. Mainate. Paradisier. Rollier. Pass. Pique-bœuf. Glaucope. Troupiale. Cacique, Etourneau. dentirostres Calao. Momot. Phytotome. plénirostres Corbeau. Pie, conirostres Bec-croisé. Loxie. Coliou. Moineau. Bruant. Pass. subulirostres Manakin. Mésange. Pass. Passe Alcyon. Todier. Sittelle. Orthorinque. Alouette, Bec-fin. planirostres Martinet. Hirondelle, Engoulevent. ténuirostres Guépier. Colibri. Grimpereau. Huppe. 332 DISTRIBUTION GÉNÉRALE ORDRE IV": LES COLOMBINS Bec mou, flexible, aplati à la base; narines couvertes d'une peau molle; ailes propres au vol ; couvée de deux œufs. Pigeon. ORDRE VE: LES GALLINACÉS Bec solide, corné, arrondi à la base; couvée de plus de deux œufs. Gall. alectrides Outarde. Pintade. Paon. Hocco. Tétras. Guan. Faisan. Dindon. Gall. brachyptères Dronte. Touyou. Casoar. Autruche, ORDRE VI" : LES ÉCHASSIERS Tarses très-longs, dénués de plumes jusqu à la jambe; doigts externes réunis à leur base. (Oiseaux de rivage.) Ech. pressirostres Jacana. Gallinule Râle. Foulque. Huîtrier. Éch. cultrirostres Bec-ouvert. Grue. Héron. Jabiru. ligogne. Tantale. DES ANIMAUX EÉch. térétirostres Avocette. Vanneau, Courlis. Pluvier. Bécasse. Éch. latirostres Savacou. Spatule. Phénicoptère. ORDRE VII: LES PALMIPÈDES 333 Doigts réunis par de larges membranes; tarses peu élevés. (Oi- seaux aquatiques, nageurs.) Palm. pennipèdes Anhinga. Frégate. Phaëéton. Cormoran. Fou. Pélican. Palm. serrirostres Harle. Canard. Flarmmaut. Palm. longipennes Mauve. Avocette. Albatros. Sterne. Pétrel. Rhincope. Palm. brévipennes Grèbe. Pingoin. Guillemot. Manchot. Alque. 334 DISTRIBUTION GÉNÉRALE * LES MONOTRÈMES, G£orr. Animaux intermédiaires entre les oiseaux et les mammiféres, Ces animaux sont quadrupèdes, sans mamelles, sans dents enchâssées, sans lèvres, et n'ont qu'un orifice pour les organes génitaux, les excréments et les urines ; leur corps est couvert de poiis ou de piquants. Les ornithorinques. Les échidnées,. Nota. J'ai déjà parlé de ces animaux dans le chap. vi, p. 194 et 155, où j'ai montré que ce ne sont ni des mammiferes, ni des oiseaux, ni des rep- tiles. LES MAMMIFERES (Classe XIV‘ du règneanimal.) Animaux vivipares et à mamelles; quatre membres articulés, ou seulement deux; respiration complète par des poumons non percés à l'extérieur; du poil sur quelques parties du corps. OBSERVATIONS Dans l’ordre de la nature, qui procède évidemment du plus simple vers le plus composé dans ses opé- rations sur les corps vivants, les mammifères cons- tituent nécessairement la dernière classe du règne animal. Cette classe, effectivement, comprend les animaux les plus parfaits, ceux qui ont le plus de facultés, ceux qui ont le plus d'intelligence, enfin, ceux dont l’organisation est la plus composée. DES ANIMAUX 339 Ces animaux, dont l'organisation approche le plus de celle de l'homme, offrent, par cette raison, une réumon de sens et de facultés plus parfaite que tous les autres. Ils sont les seuls qui soient vraiment vivipares et qui aient des mamelles pour allaiter leurs petits. Ainsi, les mammiferes présentent la complication la plus grande de l’organisation animale, et le terme du perfectionnement et du nombre des facultés qu'à l’aide de cette organisation la nature ait pu donner a des corps vivants. Ils doivent donc terminer l’immense série des animaux qui existent. TABLEAU DES MAMMIFÈRES ORDRE I : MAMMIFÈRES EXONGULEÉES Deux membres seulement : ils sont antérieurs, courts, aplatis , propres à nager, et n'offrent ni ongles, ni cornes. Les cétacés Baleine. Narval. Baleinoptere. Anarnak. Physale. Delphinaptere. Cachalot. Dauphin. Physétère. Hypérodon. ORDRE II® : MAMMIFÈRES AMPHIBIES Quatre membres : les deux antérieurs courts, en nageoires, à doigts onguiculés ; les postérieurs dirigés en arrière, ou réunis avec l'extrémité du corps, qui est en queue de poisson. Phoque. + Dugong. Morse. Lamantin. 336 DISTRIBUTION GÉNÉRALE OBSERVATION Get ordre n’est placé ici que sous le rapport de la forme générale des animaux qu'il comprend. Voyez mon observation, p. 192. ORDRE III : MAMMIFÈRES ONGULÉS Quatre membres qui ne sont propres qu'à marcher: leurs doigts sont enveloppes entièrement à leur extrémité par une corne qu'on nomme sabot. Les solipèdes Cheval. Les ruminants ou bisulces Bœuf. Cerf Antilope. Girafte. Chévre. Chameau. Brebis Chevrotain. Les pachidermes Rhinocéros. Cochon Daman. Elephant. Tapir. Hippopotame. ORDRE IV® : MAMMIFÈRES ONGUICULÉES Quatre membres : des ongles aplatis ou pointus à l'extrémité de leurs doigts, et qui ne les enveloppent point. Les tardigrades Pa:esseux. DES ANIMAUX Les édentés Fourmillier. Pangolin. Les rongeurs Kangurou. Liévre. Coendou. Porc-épic. Aye-aye. Phascolome. Hydromys. Castor. Cabiai. Les pédimanes Sarigue. Péramels. Dasyure. Les Taupe. Musaraigne. Ours. Kickajou. Les digitigrades Loutre. Mangouste. Moufette. Marte. LAMARCK, PIIIL. ZOOL. I. Oryctérope. Tatou. Aspalax. Scureuil. Loir. Hamster. Marmotte, Campagnol Ondatra. Rat, Wombat. Coescoës. Phalanger. plantigrades Blaireau. Coati. Hérisson. Tenrec, Chat. Civette, Hyène. Chien. 337 338 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Les chiroptères Galéopithèque. Noctilion. Rhinolophe. Chauve-souris. Phyllostome. Roussette. Les quadrumanes Galago. Baboin. Tarsier. Sapajou. Lori. Alouate. Maki, Magot. Indri. Pongo. Guenon. Orang. Remarque. Selon l'ordre que je viens de présen- ter, la famille des guadrumanes comprend donc les plus parfaits des animaux connus, surtout les der- niers genres de cette famille; et en effet, le genre ORANG (pithecus) termine l’ordre entier, comme la monade le commence. Quelle différence, relative- ment à l’organisation et aux facultés, entre les ani- maux de ces deux genres! Les naturalistes, qui ont considéré l’homme seule- ment sous le rapport de l’organisation, en ont formé, avec ses six variétés connues, un genre particulier, constituant lui seul une famille à part, qu'ils ont caractérisée de la manière suivante. LES BIMANES Mammifères à membres séparés, onguiculés; à trois sortes dé dents, et à pouces opposables aux mains seulement: L'homme: DES ANIMAUX 339 Le caucasique. L'hyperboréen. UE Le mongol. Varietes. La = É L'américain. Le malais. L'éthiopien ou negre. On a donné à cette famille le nom de bimanes, parce qu’en effet les mains seules de l’homme offrent un pouce séparé et comme opposé aux doigts ; tandis que dans les quadrumanes, les mains et les pieds présentent, à l'égard du pouce, le même caractere. QUELQUES OBSERVATIONS RELATIVES A L'HOMME Si l’homme n’était distingué des animaux que rela- tivement à son organisation, il serait aisé de montrer que les caractères d'organisation dont on se sert pour en former, avec ses variétés, une famille à part, sont tous le produit d'anciens changements dans ses actions, et des habitudes qu'il a prises et qui sont devenues particulières aux individus de son espece. Effectivement, si une race quelconque de quadru- manes, Surtout la plus perfectionnée d’entre elles, perdait, par la nécessité des circonstances , ou par quelque autre cause, l'habitude de grimper sur les arbres et d'en empoigner les branches avec les pieds, comme avec les mains, pour s'y accrocher, 340 DISTRIBUTION GÉNÉRALE : et si les individus de cette race, pendant une suite de générations, étaient forcés de ne se servir de leurs pieds que pour marcher et cessaient d'employer leurs mains comme des pieds, il n’est pas douteux, d’après les observations exposées dans le chapitre précédent, que ces quadrumanes ne fussent à la fin transformés en bimanes et que les pouces de leurs pieds ne cessassent d’être écartés des doigts, ces pieds ne leur servant plus qu'à marcher. En outre, si les individus dont je parle, mus par le besoin de dominer et de voir à la fois au loin et au large, s’efforçaient de se tenir debout et en pre- naient constamment l'habitude de génération en génération , il n’est pas douteux encore que leurs pieds ne prissent insensiblement une conformation propre à les tenir dans une attitude redressée, que leurs jambes n’acquissent des mollets et que ces animaux ne pussent alors marcher que péniblement sur les pieds et les mains à la fois. Enfin, si ces mêmes individus cessaient d'employer leurs màchoires comme des armes pour mordre, dé- chirer ou saisir, où comme des tenailles pour couper l'herbe et s’en nourrir et qu'ils ne les fissent servir qu'à la mastication ; il n’est pas douteux encore que leur angle facial ne devint plus ouvert, que leur museau ne se raccourcit de plus en plus et qu'a la fin, étant entierement effacé, ils n’eussent leurs dents incisives verticales. Que l’on suppose maintenant qu'une race de qua- DES ANIMAUX 341 drumanes, comme la plus perfectionnée , ayant ac- quis, par des habitudes constantes dans tous ses individus , la conformation que je viens de citer et la faculté de se tenir et de marcher debout, et qu'ensuite elle soit parvenue à dominer les autres races d'animaux, alors on concevra : 1° Que cette race plus perfectionnée dans ses facultés, étant par la venue à bout de maïtriser les autres, se sera emparée à la surface du globe de tous les lieux qui lui conviennent ; 2° Qu'elle en aura chassé les autres races émi- nentes et dans le cas de lui disputer les biens de la terre, et qu'elle les aura contraintes de se réfugier dans les lieux qu’elle n’occupe pas; 30 Que nuisant à la grande multiplication des races qui l’avoisinent par leurs rapports et les tenant reléguées dans des bois ou autres lieux déserts, elle aura arrêté les progrès du perfectionnement de leurs facultés, tandis qu'elle-mème, maitresse de se ré- pandre partout, de s’y multiplier sans obstacle de la part des autres et d'y vivre par troupes nombreuses, se sera successivement créé des besoms nouveaux qui auront excité son industrie et perfectionné gra- duellement ses moyens et ses facultés ; 4° Qu’enfin, cette race prééminente ayant acquis une suprématie absolue sur toutes les autres, elle sera parvenue à mettre entre elle et les animaux les plus perfectionnés une différence et, en quelque sorte, une distance considérable. 342 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Ainsi, la race de quadrumanes la plus perfec- tionnée aura pu devenir dominante; changer ses habitudes par suite de l’empire absolu qu’elle aura pris sur les autres et de ses nouveaux besoins ; en acquérir progressivement des modifications dans son organisation et des facultés nouvelles et nombreuses ; borner les plus perfectionnées des autres races à l’état où elles sont parvenues; et amener entre elles et ces dernieres des distinctions très-remarquables. L’ORANG D’ANGOLA (Simia troglodytes, Lx.) est le plus perfectionné des animaux : il l’est beaucoup plus que l’orang des Indes (Simia satyrus, Lin.), que l’on a nommé orang-outang; et, néanmoins, sous le rapport de l’organisation, ils sont, l’un et l’autre, fort inférieurs à Phomme en facultés corpo- relles et d'intelligence ‘. Ces animaux se tiennent debout dans bien des occasions ; mais, comme ils n’ont point de cette attitude une habitude soutenue, leur organisation n'en a pas été suffisamment modifiée, en sorte que la s{afion pour eux est un état de gêne fort mcommode. On sait , par les relations des voyageurs, surtout à l'égard de Porang des Indes, que, lorsqu'un danger pressant l’oblige à fuir, il‘retombe aussitôt sur ses quatre pattes. Cela décèle, nous dit-on, la véritable 1 Voyez dans mes Recherches sur les corps vivants, p. 136, quelques observations sur l'orang d’Angola. DES ANIMAUX 343 origine de cet animal, puisqu'il est forcé de quitter cette contenance étrangère qui en imposait. Sans doute cette contenance lui est étrangere, puisque, dans ses déplacements , il en fait moins d'usage, ce qui fait que son organisation y est moins appropriée; mais, pour être devenue plus facile à l’homme , la station lui est-elle donc tout à fait naturelle ? Pour l’homme qui, par ses habitudes maintenues dans les individus de son espèce depuis une grande suite de générations, ne peut que se tenir debout dans ses déplacements , cette attitude n’en est pas moins pour lui un état fatigant, dans lequel il ne saurait se maintenir que pendant un temps borné et à l’aide de la contraction de plusieurs de ses muscles. Si la colonne vertébrale du corps humain formait l'axe de ce corps et soutenait la tète en équilibre, ainsi que les autres parties, l’homme debout pourrait s’y [trouver dans un état de repos. Or, qui ne sait qu'il n’en est pas ainsi; que la tête ne s'articule point à son centre de gravité ; que la poitrine et le ventre, ainsi que les viscères que ces cavités ren ferment, pèsent presque entièrement sur la partie antérieure de la colonne vertébrale; que celle-ci repose sur une base oblique, etc.? Aussi, comme l’'observe M. Richerand, est-il nécessaire que, dans la station , une puissance active veille sans cesse à prévenir les chutes dans lesquelles le poids et la dis- position des parties tendent à entrainer le corps. 944 DISTRIBUTION GÉNÉRALE Apres avoir développé les considérations relatives à la station de l’homme, le même savant s'exprime ainsi : « Le poids relatif de la tête, des viscères thoraciques et abdominaux , tend done à entrainer en avant la ligne, suivant laquelle toutes les parties du corps pèsent sur le plan qui le soutient; ligne qui doit être exactement perpendiculaire à ce plan pour que la station soit parfaite ; le fait suivant vient à l’appui de cette assertion : J’ai observé que les enfants dont la tête est volumineuse , le ventre sail- lant et les viscères surchargés de graisse, s’accou— tument difficilement à se tenir debout ; ce n’est guère qu'à la fin de leur deuxième année qu'il osent s’abandonner à leurs propres forces ; ils restent exposés à des chutes fréquentes et ont une tendance naturelle à reprendre létat de quadrupède. » (Physiologie, vol. Il, p. 268.) Cette disposition des parties qui fait que la station de l’homme est un état d'action et par suite fatigant, au lieu d'être un état de repos , décelerait done aussi en lui une origine analogue à celle des autres mammifères, si son organisation était prise seule en considération. Maintenant, pour suivre, dans tous ses points, la supposition présentée dès le commencement de ces observations , il convient d’y ajouter les considéra- tions suivantes : Les individus de la race dominante dont il a été question, s'étant emparés de tous les lieux d’habita- DES ANIMAUX 319 tion qui leur furent commodes et ayant considéra- blement augmenté leurs besoins à mesure que les sociétés qu'ils y formaient devenaient plus nom- breuses , ont dù pareiïllement multiplier leurs idées et par suite ressentir le besoin de les communiquer à leurs semblables. On concoit qu'il en sera résulté pour eux la nécessité d'augmenter et de varier en même proportion les signes propres à la communi- cation de ces idées. Il est donc évident que les individus de cette race auront dû faire des efforts continuels et employer tous leurs moyens dans ces efforts, pour créer, multiplier et varier suffisamment les signes que leurs idées et leurs besoins nombreux rendaient nécessaires. Il n’en est pas ainsi des autres animaux ; car, quoique les plus parfaits d’entre eux, tels que les quadrumanes, vivent, la plupart, par troupes; de- puis l’'éminente suprématie de la race citée, ils sont restés sans progrès dans le perfectionnement de leurs facultés, étant pourchassés de toutes parts et relé- oœués dans des lieux sauvages, déserts, rarement spacieux et où, misérables et inquiets , ils sont sans cesse contraints de fuir et de se cacher. Dans cette situation, ces animaux ne se forment plus de nou- veaux besoins, n’acquierent plus d'idées nouvelles; n'en ont qu'un petit nombre et toujours es mêmes qui les occupent; et parmi ces idées, il y en a très- peu qu'ils aient besoin de communiquer aux autres individus de leur espèce. Il ne leur faut donc que 346 DISTRIBUTION GÉNÉRALE très-peu de signes différents pour se faire entendre de leurs semblables ; aussi quelques mouvements du corps ou de certaines de ses parties, quelques sif- flements et quelques cris variés par de simples inflexions de voix leur suffisent. Au contraire, les individus de la race dominante, déjà mentionnée, ayant eu besoin de multiplier les signes, pour communiquer rapidement leurs idées devenues de plus en plus nombreuses, et ne pouvant plus se contenter, ni des signes pantomimiques, ni des inflexions possibles de leur voix, pour repré- senter cette multitude de signes devenus nécessaires, seront parvenus, par différents efforts, à former des sons articulés : d'abord ils n’en auront employé qu'un petit nombre, conjointementavec des mflexions de leur voix ; par la suite, ils les auront multipliés, variés et perfectionnés , selon l'accroissement de leurs besoins et selon qu'ils se seront plus exercés à les produire. En effet, l’exercice habituel de leur gosier, de leur langue et de leurs lèvres pour arti= culer des sons, aura éminemment développé en eux cette faculté. De là, pour cette race particulière , Porigine de l’admirable faculté de parler ; et comme l’éloigne- ment des lieux, où les individus qui la composent se seront répandus, favorise la corruption des signes convenus pour rendre chaque idée, de là l’origine des langues, qui se seront diversifiées partout. Ainsi, à cet égard, les besoins seuls auront tout DES ANIMAUX 347 fait : ils auront fait naïtre les efforts , et les organes propres aux articulations des sons se seront déve- loppés par leur emploi habituel. Telles seraient les réflexions que l’on pourrait faire si l’homme, considéré ici comme la race préémi- nente en question , n’était distingué des animaux que par les caractères de son organisation et si son orl- gine n’était pas différente de la leur. FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DEUXIÈME PARTIE CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES PHYSIQUES DE LA VIE, LES CONDITIONS QU'ELLE EXIGE POUR EXI°TER, LA FORCE EXCITATRICE DE SES MOUVEMENTS, LES FACULTÉS QU'ELLE DONNE AUX CORPS QUI LA POSSÈDENT ET LES RÉSULTATS DE SON EXISTENCE DANS CES CORPS. INTRODUCTION La Nature, ce mot si souvent prononcé comme s’il s'agissait d’un être particulier, ne doit être à nos yeux que l’ensemble d'objets qui comprend : l° tous les corps physiques qui existent ; 2° les lois générales et particulières qui régissent les change- ments d'état et de situation que ces corps peuvent éprouver ; 3° enfin, le mouvement diversement ré- pandu parmi eux, perpétuellement entretenu ou renaissant dans sa source, infiniment varié dans ses produits et d’où résulte l’ordre admirable de choses que cet ensemble nous présente. 390 INTRODUCTION Tous les corps physiques quelconques, soit solides, soit fluides, soit liquides, soit gazeux, sont doués chacun de qualités et de facultés qui leur sont pro- pres; mais par les suites du mouvement répandu parmi eux, ces corps sont assujettis à des relations et des mutations diverses dans leur état et leur situation, à contracter, les uns avec les autres, dif- férentes sortes d'union, de combinaison ou d’agréga- tion, à éprouver ensuite des sentiments infiniment variés , tels que des désunions complètes où incom- plètes avec leurs autres composants, des séparations d'avec leurs agrégés, etc.; ainsi Ces Corps acquie- rent à mesure d’autres qualités et d’autres facultés qui sont alors relatives à l’état où chacun d'eux se trouve. Par une suite encore de la disposition ou de la situation de ces mêmes corps, de leur état particulier dans chaque portion de la durée des temps, des facultés que chacun d'eux posséde , des lois de tous les ordres qui régissent leurs changements et leurs influences, enfin du mouvement qui ne leur permet aucun repos absolu , il règne continuellement dans tout ce qui constitue /a #ature, une activité puissante, une succession de mouvements et de mutations de tous les genres, qu'aucune cause ne saurait suspen- dre ni anéantir, si ce n’est celle qui a fait tout exister: Regarder la nature comme éternelle et consé- quemment comme ayant existé de tout temps , c’est INTRODUCTION 31 pour moi une idée abstraite, sans base, sans limite, sans vraisemblance et dont ma raison ne saurait se contenter. Ne pouvant rien savoir de positif à cet égard et n'ayant aucun moyen de raisonner sur ce sujet, j'aime mieux penser que la nature entière n’est qu'un effet : dès lors je suppose, et me plais à admettre, une cause premiere, en un mot, une puissance suprême, qui a donné l’existence à la nature, et qui l’a faite en totalité ce qu’elle est. Ainsi, comme naturaliste et comme physicien, je ne dois m'occuper, dans mes études de la nature, que des corps que nous connaissons ou qui ont été observés, que des qualités et des propriétés de ces corps, que des relations qu'ils peuvent avoir les uns avec les autres dans différentes circonstances, enfin, que des suites de ces relations et des mouvements divers répandus et continuellement entretenus parmi eux. Par cette voie , la seule qui soit à notre disposi- tion , il devient possible d’entrevoir les causes de cette multitude de phénomènes que nous offre la nature dans ses diverses parties, et de parvenir mème à apercevoir celles des phénomènes admira- bles que les corps vivants nous présentent, celles, en un mot, qui font exister la vie dans les corps qui en sont doués. Ce sont, sans doute, des objets bien importants, que ceux de rechercher en quoi consiste ce qu’on nomme /a vie dans un corps; quelles sont les 352 INTRODUCTION conditions essentielles de l’organisation pour que la vie puisse exister ; quelle est la source de cette force singulière qui donne lieu aux mouvements vitaux tant que l’état de l’organisation le permet; enfin, comment les différents phénomènes qui résultent de la présence et de la durée de /a vie dans un corps peuvent s’opérer et donner à ce corps les facultés qu'on y observe ; mais aussi, de tous les problèmes que l’on puisse se proposer, ce sont, sans contredit, ceux qui sont les plus difficiles à résoudre. Il était, ce me semble, beaucoup plus aisé de déterminer le cours des astres observés dans l’es- pace et de reconnaitre les distances, les grosseurs, les masses et les mouvements des planètes qui appartiennent au système de notre soleil, que de résoudre le problème relatif à la source de la vie dans les corps qui en sont doués et, conséquemment, à l’origine ainsi qu'a la production des différents corps vivants qui existent. Quelque difficile que soit ce grand sujet de re- cherches , les difficultés qu'il nous présente ne sont point insurmontables, car il n’est question, dans tout ceci, que de phénomènes purement physiques. Or, il est évident que les phénomènes dont il s’agit ne sont, d’une part, que les résultats directs des relations de diffrents corps entre eux, et que les suites d’un ordre et d’un état de choses qui, dans certains d’entre eux, donnent lieu à ces relations ; et de l’autre part, qu'ils résultent de mouvements INTRODUCTION 353 excités dans les parties de ces corps , par une force dont il est possible d’apercevoir la source. Ces premiers résultats de nos recherches offrent, sans doute, un bien grand intérêt et nous donnent l'espoir d'en obtenir d'autres qui ne seront pas moins importants. Mais quelque fondement qu'ils puissent avoir, peut-être seront-ils longtemps en- core sans obtenir l'attention qu'ils méritent ; parce qu'ils ont à lutter contre une prévention des plus anciennes, qu'ils doivent détruire des préjugés invétérés et qu'ils offrent un champ de considérations nouvelles, fort différentes de celles que lon envi- sage habituellement. Ce sont apparemment des considérations sembla- bles qui ont fait dire à Condillac, que «la raison à bien peu de force et que ses progres sont bien lents, lorsqu'elle a à détruire des erreurs dont personne n'a pu s’exempter. » (Traité des Sensations, t. T, p. 108.) C’est, sans contredit, une bien grande vérité, que celle qu'a su prouver M. CaABaxIS, par une suite de faits irrécusables, lorsqu'il a dit que le #0ral et le physique prenaient leur source dans la même base; et qu'il a fait voir que les opérations qu'on nomme #0rales, résultent directement, comme celles qu'on appelle physiques, de l’action, soit de cer- tains organes particuliers, soit de l’ensemble du système vivant; et qu'enfin, tous les phénomènes de l'intelligence et de la volonté prennent leur LAMARCK, PHIL. ZOOL. Î. 23 324 INTRODUCTION source dans l’état primitif ou accidentel de l’organi- sation. Mais pour reconnaitre plus aisément tout le fon- dement de cette grande vérité, il ne faut point se borner à en rechercher les preuves dans l'examen des phénomènes de l’organisation très-compliquée de l’homme et des animaux les plus parfaits ; on les obtiendra plus facilement encore, en considérant les divers progrès de la composition de l’organisation, depuis les animaux les plus imparfaits jusqu'à ceux dont l’organisation présente la complication la plus considérable ; car alors ces progres montreront suc- cessivement l’origine de chaque faculté animale, les causes et les développements de ces facultés, et l’on se convaincra de nouveau que ces deux grandes modifications de notre existence, qu'on nomme le physique et le moral, et qui offrent deux ordres de phénomènes si séparés en apparence, ont leur base commune dans l’organisation. Les choses étant ainsi, nous devons rechercher, dans la plus simple de toutes les organisations , en quoi consiste réellement la vie, quelles sont les con- ditions essentielles à son existence, et dans quelle source elle puise la force particulière qui excite les mouvements qu'on nomme v/4ux. Ce n’est, effectivement, que d’après l'examen de organisation la plus simple que lon peut savoir ce qui est véritablement essentiel à l'existence de la vie dans un corps; car, dans une organisation compli- INTRODUCTION 32) quée, chacun des principaux organes intérieurs s’y trouve nécessaire à la conservation de la vie, à cause de son étroite connexion avec toutes les autres parties du système, et parce que ce système est formé sur un plan qui exige ces organes ; mais il ne s'ensuit pas que ces mêmes organes soient essentiels à l'existence de la vie dans tout corps vivant quel conque. Cette considération est tres-importante , lorsque lon recherche ce qui est réellement essentiel pour constituer la vie; et elle empêche qu'on n'attribue inconsidérément à aucun organe spécial une exis- tence indispensable pour que la vie puisse avoir lieu. Le propre des #rouvements vitaux est de se former et de s’entretenir par excitation, et non par commu nication. Ces mouvements seraient les seuls dans la nature qui fussent dans ce cas, s'ils n’avoisinaient fortement ceux de la fermentation , cependant ils en différent, en ce qu'ils peuventètre maintenus à peu pres les mêmes pendant une durée limitée et qu'ils accroissent, et ensuite maintiennent, pendant un certain temps, le corps dans.lequel ils s’exécutent ; tandis que ceux de la fermentation détruisent, sans réparation, le corps qui s’y trouve assujetti, et s’accroissent jusqu’au terme qui les anéantit. Puisque les mouvements vitaux ne sont jamais communiqués , mais sont toujours excités , il faut rechercher quelle est la cause qui les excife, &’est- 396 INTRODUCTION à-dire, dans quelle source les corps vivants puisent la force particulière qui les anime. Assurément, quelque soit l’état d'organisation d’un corps et quelque soit celui de ses fluides essen- tiels, la vie active ne saurait exister dans ce corps sans une cause particulière capable d'y exciter les mouvements vitaux. Quelque hypothèse que lon imagine à cet égard, il faudra toujours en revenir a reconnaitre là nécessité de cette cause particulière, pour que la vie puisse exister activement. Or, il n’est plus possible d’en douter, cette cause qui anime les corps qui jouissent de la vie se trouve dans les milieux qui-environnent ces corps, y varie dans son intensité, selon les lieux, les saisons et les climats de la terre, et elle n’est nullement dé- pendante des corps qu’elle vivifie; elle précède leur existence et subsiste après leur destruction ; enfin, elle excite en eux les mouvements de la vie, tant que l’état des parties de ces corps le lui permet, et elle cesse de les animer lorsque ‘cet état s'oppose à l'exécution des mouvements qu'elle excitait. Dans les animaux les plus parfaits, cette cause excitatrice de la vie se-développe en eux-mêmes et suffit, Jusqu'à un certain point, pour les animer ; cependant elle a encore besoin du concours de celle que fournissent les milieux environnants. Mais dans les autres animaux et dans tous les végétaux , elle leur est tout à fait étrangère ; en sorte que les milieux ambiants peuvent seuls la leur procurer. INTRODUCTION 257 Lorsque ces objets intéressants seront reconnus et déterminés , nous examinerons comment se sont formés les premiers traits de l’organisation, com- ment les générations directes peuvent avoir lieu, et dans quelle partie de chaque série des corps vivants la nature en a pu opérer. En effet, pour que les corps qui jouissent de la vie soient réellement des productions de la nature, il faut qu’elle ait eu, et qu’elle ait encore la faculté de produire directement certains d’entre eux, afin que, les ayant munis de celle de s’accroitre, de se multiplier, de composer de plus en plus leur orga- nisation et de se diversifier avec le temps et selon les circonstances, tous ceux que nous observons maintenant soient véritablement les produits de sa puissance et de ses moyens. Ainsi, après avoir reconnu la nécessité de ces créations directes, il faut rechercher quels peuvent être les corps vivants que la nature peut produire directement, et les distinguer de ceux qui ne reçoi- vent qu'indirectement l'existence qu'ils tiennent d'elle. Assurément, le lion, l'aigle, le papillon, le chène, le rosier, ne recoivent pas directement de la nature l’existence dont ils jouissent ; ils la reçoivent, comme on le sait, d'individus semblables à eux qui la leur communiquent par la voie de la génération ; et l'on peut assurer que si l'espèce entière du lion ou celle du chène venait à être détruite dans les parties du globe où les individus qui la composent 32S INTRODUCTION se trouvent répandus, les facultés réunies de la nature n'auraient de longtemps le pouvoir de la faire exister de nouveau. Je me propose donc de montrer, à cet égard, quel est le mode que parait employer la nature pour for- mer, dans les lieux et les circonstances favorables, les corps vivants les plus simplement organisés, et conséquemment les animaux les plus imparfaits ; comment ces animaux si frêles , et qui ne sont, en quelque sorte, que des ébauches de l’animalité directement produites par la nature, se sont déve- loppés, multipliés et diversifiés ; comment, enfin, après une suite infinie de régénérations, l’organi- sation de ces corps a fait des progres dans sa com- position et étendu, de plus en plus, dans les races nombreuses qui en sont résultées, les facultés ani- males. On verra que chaque progres acquis dans la composition de l’organisation et dans les facultés qui en ont été les suites, a été conservé et transmis à d'autres individus par la voie de la reproduction, et que, par cette marche, soutenue pendant une multi- tude de siècles, la nature est parvenue à former successivement tous les corps vivants qui existent. On verra, en outre, que toutes les facultés, sans exception , sont complétement physiques, e'est-à- dire, que chacune d'elles résulte essentiellement d'actes de l’organisation ; en sorte qu'il sera facile de montrer comment, de l'instinct le plus borné, INTRODUCTION 399 dont la source peut être aisément apercue, la nature a pu parvenir à créer les facultés de l'intelligence, depuis celles qui sont les plus obscures, jusqu’à celles qui sont plus développées. Ce n’est point un traité de physiologie que l’on doit s'attendre à trouver ici : le public posséde d'excellents ouvrages en ce genre, sur lesquels je n'ai que peu de redressements à proposer. Mais je dois rassembler, à cet égard , des faits généraux et des vérités fondamentales bien reconnues, parce que j'aperçois qu'il jaillit de leur réunion des traits de lumière qui ont échappé à ceux qui se sont occupés des détails de ces objets, et que ces traits de lumière nous montrent, avec évidence, ce que sont réelle- ment les corps doués de la vie, pourquoi et comment ils existent, de quelle manière ils se développent et se reproduisent ; enfin, par quelles voies les facultés qu'on observe en eux ont été obtenues, transmises et conservées dans les individus de chaque espece. Si l’on veut saisir l’enchainement des causes phy- siques qui ont donné l’existence aux corps vivants, tels que nous les voyons, il faut nécessairement avoir égard au principe que j’exprime dans la proposition suivante : C’est à l'influence des mouvements de divers fluides sur les matières plus où moins solides de notre globe, qu'il faut attribuer la formation, la conservation temporaire et la reproduction de tous les corps vi vants qu'on observe à sa surface, ainsi que toutes 36) INTRODUCTION les mutations que les débris de ces corps ne cessent de subir. Que l’on néglige cette importante considération, tout rentre dès lors, pour l'intelligence humaine, dans une confusion inextricable ; la cause générale des faits et des objets observés ne peut plus être apercue; et, à cet égard, nos connaissances restant sans valeur, sans liaison et sans progres, l’on con- tinuera de mettre à la place des vérités qu'on eût pu saisir ces fantômes de notre imagination et ce merveilleux qui plaisent tant à l'esprit humain. Que l’on donne , au contraire , à cette même pro- position toute l'attention que son évidence doit lui faire obtenir, alors on verra qu'il en découle natu- rellement une multitude de lois subordonnées qui rendent raison de tous les faits bien reconnus, re- lativement à l'existence, à la nature, aux diverses facultés; enfin, aux mutations des corps vivants et des autres corps plus ou moins composés qui existent. Quant aux mouvements constants, mais variables, des divers fluides dont je veux parler, il est de toute évidence qu'ils sont continuellement entretenus dans notre globe par l’influence que la lumière du soleil y exerce perpétuellement ; elle en modifie et en déplace sans cesse de grandes portions dans certaines régions de ce globe, les contraint à une sorte de circulation et à des mouvements divers; en sorte qu'elle les met dans le cas de produire tous les phé- nomenes qu'on observe. INTRODUCIION 30! Il me suffira de mettre beaucoup d'ordre dans la citation des faits et de leur enchainement, et dans l'application de ces considérations aux phénomènes observés, pour répandre le jour nécessaire sur le fondement de ce que je viens d'exposer. D'abord , il est indispensable de distinguer les fluides visibles contenus dans les corps vivants, et qui y subissent des mouvements et des changements continuels , de certains autres fluides subtils et tou jours invisibles qui animent ces corps et sans les- quels la vie n’existerait pas en eux. Ensuite, considérant le produit de l’action des fluides invisibles dont je viens de parler, sur les parties solides, fluides et visibles des corps vivants, il sera aisé de sentir que , relativement à l’organi- sation de ces différents corps et à tous les mouve- ments qu'on y observe, enfin, à tous les change- qu'on leur voit éprouver, tout y est entièrement le résultat des mouvements des différents fluides qui se trouvent dans ces corps; que les fluides dont il s'agit ont, par leurs mouvements, organisé ces corps, qu'ils les ont modifiés de diverses manières, qu'ils s'y sont modifiés eux-mêmes, et qu'ils ont produit peu à peu, à leur égard, l’état de choses que l'on y observe maintenant. En effet, si l’on donne une attention suivie aux différents phénomènes que présente l’organisation et surtout à ceux qui appartiennent aux développe- ments de cette organisation, principalement dans 3062 INTRODUCTION les animaux les plus imparfaits, l’on sera con- vaincu : 1° Que toute opération de la nature, pour former ses créations directes, consiste à organiser en issu cellulaire les petites masses de matière gélatineuse ou mucilagineuse qu’elle trouve à sa disposition et dans des circonstances favorables; à remplir ces petites masses celluleuses de fluides contenables et à les vivifier, en mettant ces fluides contenables en mouvement, à l’aide des fluides subtils excitateurs qui y affluent sans cesse des milieux environnants ; 2° Que le fissu cellulaire est la cangue dans laquelle toute organisation a été formée, et au mi- lieu de laquelle les différents organes se sont suc cessivement développés , par la voie du mouvement des fluides contenables qui ont graduellement modifié ce tissu cellulaire ; 3° Qu'effectivement, le propre du mouvement des fluides dans les parties souples des corps vivants qui les contiennent, est de s’y frayer des routes, des lieux de dépôt et des issues, d’y créer des canaux et par suite des organes divers ; d’y varier ces canaux et ces organes à raison de la diversité, soit des mouvements, soit de la nature des fluides qui y donnent lieu et qui s’y modifient ; enfin, d'agrandir, d'allonger, de diviser et de solidifier graduellement ces canaux et ces organes par les matières qui se forment et se séparent sans cesse des fluides essen- tiels qui y sont en mouvement ; matières dont une INTRODUCTION 363 partie s’assimile et s’unit aux organes, tandis que l’autre est rejetée au dehors ; 4 Qu’enfin, le propre du mouvement organique est, non-seulement de développer lorganisation, d'étendre les parties et de donner lieu à laccrois- sement, mais encore de multiplier les organes et les fonctions à remplir. Après avoir exposé ces grandes considérations qui me semblent présenter des vérités incontesta- bles et cependant jusqu’à ce jour inaperçues, J'exa- minerai quelles sont les facultés communes à tous les corps vivants et conséquemment à tous les ani- maux ; ensuite je passerai en revue les principales de celles qui sont nécessairement particulières à certains animaux , les autres ne pouvant nullement en être doués. J'ose le dire, c’est un abus très-nuisible à l’avan- cement de nos connaissances physiologiques, que de supposer inconsidérément que tous les animaux, sans exception, possedent les mêmes organes et jouissent des mêmes facultés ; comme si la nature était forcée d'employer partout les mêmes moyens pour arriver à son but. Des que, sans s'arrêter à la considération des faits, il n’en coûte que quelques actes de l'imagination pour créer des principes, que ne suppose-t-on de suite que tous les corps vivants possèdent généralement les mêmes organes, et jouissent en conséquence des mèmes facultés ? Un objet que je n'ai pas dù négliger dans cette 301 INTRODUCTION seconde partie de mon ouvrage, est la considération des résultats immédiats de la vie dans un corps. Or, je puis faire voir que ces résultats donnent lieu à des combinaisons entre des principes qui, sans cette circonstance, ne se fussent jamais unis ensemble. Ces combinaisons se surchargent même de plus en plus, à mesure que l’énergie vitale augmente, en sorte que, dans les animaux les plus parfaits, elles offrent une grande complication et une surcharge considérable dans leurs principes combinés. Ainsi les corps vivants constituent , par le pouvoir de la vie qu'ils possèdent, le principal moyen que la na- ture emploie pour faire exister une multitude de composés différents qui n’eussent jamais eu lieu sans cette cause remarquable. En vain prétend-on que les corps vivants trouvent dans les substances alimentaires dont ils se nourris- sent les matières toutes formées qui servent à com- poser leur corps, leurs solides et leurs fluides de toutes les sortes; ils ne rencontrent dans ces subs- tances alimentaires que les matériaux propres à former les combinaisons que je viens de citer, et non ces combinaisons elles-mêmes. C'est, sans doute, parce qu'on n’a point suffisam— ment examiné le pouvoir de la vie dans les corps qui en jouissent et que l’on n’a point apercu les résul- tats de ce pouvoir, que l’on a supposé que les corps vivants trouvaient, dans les aliments dont ils font usage, les matières toutes préparées qui servent à INTRODUCTION 369 former leur corps et que ces matières existaient de tout temps dans la nature. Tels sont les sujets qui composent la seconde partie de cet ouvrage : leur importance mériterait, sans doute, de grands développements ; mais je me suis borné à lexposition succincte de ce qui est nécessaire pour que mes observations puissent être saisies. CHAPITRE PREMIER COMPARAISON DES CORPS INORGANIQUES AVEC L'ESVCORPS VIVANTSS SUIVIE D'UN PARALLÈLE ENTRE LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX Il y a longtemps que j'eus l’idée de comparer en- tre eux les corps organisés vivants et les corps bruts où inorganiques, que je m'apercus de lPextrème différence qui se trouve entre les uns et les autres, et que je fus convaincu de la nécessité de considérer l'étendue de cette différence et ses caractères. On était alors assez généralement dans l'usage de pré- senter les trois regnes de la nature sur une même ligne, les distmguant en quelque sorte classiquement, et l’on semblait ne pas s’apercevoir de l'énorme dif- férence qu'il y à entre un corps vivant et un corps brut et sans vie. Cependant, si l’on veut parvenir à connaître réel- lement ce qui constitue la tte, en quoi elle consiste, quelles sont les causes et les lois qui donnent lieu a cet admirable phénomène de la nature, et com COMPARAISON DES CORPS 367 ment la vie elle-mème peut être la source de cette multitude de phénomènes étonnants que les corps vi vants nous présentent, il faut avant tout considérer très-attentivement les différences qui existent entre les corps inorganiques et les corps vivants, et pour cela, il faut mettre en parallèle les caracteres es- sentiels de ces deux sortes de corps. CARACTÈRES DES CORPS INORGANIQUES MIS EN l'ARALLEÈLE AVEG CEUX DES CORPS VIVANTS 1° Tout corps brut où inorganique n’a lindivi- dualité que dans sa molécule intégrante : les masses, soit solides, soit fluides, soit gazeuses, qu'une réu- nion de molécules intégrantes peut former, n’ont point de bornes ; et l'étendue, grande ou petite, de ces masses, n'ajoute ni ne retranche rien qui puisse faire varier la nature du corps dont il s’agit; car cette nature réside en entier dans celle de la molé- cule intégrante de ce corps. Au contraire, tout corps vivant possede l’irdici- dualité dans sa masse et son volume ; et cette indi- vidualité, qui est simple dans les uns, et composée dans les autres, n’est jamais restreinte dans les corps vivants à celle de leurs molécules compo= santes. 2° Un corps imorganique peut offrir une masse véritablement homogène, et il peut aussi en consti- tuer qui soient hétérogènes; l’agrégation ou la réu- 30N COMPARAISON DES CORPS nion de parties semblables ou de parties dissembla- bles pouvant avoir lieu sans que ce corps cesse d'être brut ou inorganique. Il n’y a, à cet égard, aucune nécessité que les masses de ce corps soient plutôt homogènes qu'hétérogènes, ou plutôt hétéro- genes qu'homogènes ; elles sont accidentellement telles qu'on les observe. Tous les corps vivants, au contraire, même ceux qui sont les plus simples en organisation, sont néces- sairement hétérogènes, c’est-a-dire composés de parties dissemblables : ils n’ont point de molécules intéerantes, mais ils sont formés de molécules com- posantes de différente nature. 3° Un corps morganique peut constituer, soit une masse solide parfaitement sèche, soit une masse tout à fait liquide, soit un fluide gazeux. Le contraire a lieu à l'égard de tout corps vivant; car aucun corps ne peut posséder la vie s'il n’est formé de deux sortes de parties essentiellement coexistantes, les unes solides, mais souples et conte- nantes, et les autres liquides et contenues, indépen- damment des fluides invisibles qui le pénétrent ct qui se développent dans son intérieur. Les masses que constituent les corps inorganiques n'ont point de forme qui soit particulière à l’espece ; car, soit que ces masses aient une forme régulière, comme lorsque ces corps sont cristallisés, soit qu’el- les soient irrégulières, leur forme ne s’y trouve pas constamment la mème; il n’y a que leur molécule INORGANIQUES AVEC LES VIVANTS 3069 intégrante qui ait, pour chaque espèce, une forme invariable *. Les corps vivants, au contraire, offrent tous, à peu pres, dans leur masse, une forme qui est par- ticulière à l'espèce, et qui ne saurait varier sans don- ner lieu à une race nouvelle. 4 Les molécules intégrantes d’un corps inorga- nique sont toutes indépendantes les unes des autres ; car, qu'elles soient réunies en masse, ou solide, ou liquide, ou gazeuse, chacune d'elles existe par elle- mème, se trouve constituée par le nombre, les pro- portions et l’état de combinaison de ses principes, et ne tient où n’emprunte rien, pour son existence, des molécules semblables ou dissemblables qui Pavoisi- nent. Au contraire, les molécules composantes d’un corps vivant, et conséquemment toutes les parties de ce corps, sont, relativement à leur état, dépendantes les unes des autres, parce qu’elles sont toutes assu- jetties aux influences d’une cause qui les anime et les fait agir, parce que cette cause les fait concourir 1 Les molécules intégrantes qui constituent l'espèce d'une matière composée résultent toutes d'un mème nombre de principes, combinés entre eux dans les mêmes proportions, et d'un état de combinaison parfaitement semblable : toutes ont donc la même forme, la même den- sité, les mêmes qualités propres. , Mais lorsque des causes quelconques ont fait varier, soit le nombre des principes composants (le ces molécules, soit les proportions de leurs principes, soit leur état de combinaison, alors ces molécules inté- srantes ont une autre forme, une autre densité et d'autres qualités propres : elles sont alors d'une autre espèce. LAMARCK, PHIL. ZOOL. I. 24 310 COMPARAISON DES CORPS toutes à une fin commune, soit dans chaque organe, soit dans l'individu entier, et parce que les varia- tions de cette même cause en operent également dans l’état de chacune de ces molécules et de ces parties. 9° Aucun corps inorganique n’a besoin pour se conserver d'aucun mouvement dans ses parties ; au contraire, tant que ses parties restent dans le repos et l’inaction, ce corps se conserve sans altération, et sous cette condition 1l pourrait exister toujours. Mais dès que quelque cause vient à agir sur ce corps et à exciter des mouvements et des changements dans ses parties, ce même corps perd aussitôt, soit sa forme, soit sa consistance, si les mouvements et les changements excités dans ses parties n’ont eu lieu que dans sa masse où quelque partie de sa masse, et il perd même sa nature, ou est détruit, si les mouvements et les changements dont il s’agit ont pénétré Jusque dans ses molécules integrantes. Tout corps, au contraire, qui possède la vie, se trouve continuellement ou temporairement animé par une force particulière qui excite sans cesse des mouvements dans ses parties intérieures, qui pro- duit sans interruption des changements d'état dans ces parties, mais qui y donne lieu à des réparations, des renouvellements, des développements, et à quan tité de phénomènes qui sont exclusivement propres aux corps vivants ; en sorte que, chez lui, les mou— vements excités dans ses parties intérieures altérent et détruisent, mais réparent et renouvellent, ce qui INORGANIQUES AVEC LES VIVANTS 371 étend la durée de l’existence de l'individu, tant que l'équilibre entre ces deux efforts opposés, et qui ont chacun leur cause, n’est pas trop fortement détruit. 6° Pour tout corps inorganique, l'augmentation de volume et de masse est toujours accidentelle et sans bornes, et cette augmentation ne s'exécute que par juaæta-position, c'est-à-dire que par l'addition de nouvelles parties à la surface extérieure du corps dont il est question. L’accroissement, au contraire, de tout corps vivant est toujours nécessaire et borné, et il ne s'exécute que par #ntus-susception, C'est-à-dire que par pé- nétration intérieure, ou l'introduction dans individu de matières qui, après leur assimilation, doivent y ètre ajoutées et en faire partie. Or, cet accroissement est un véritable développement de parties du dedans au dehors, ce qui est exclusivement propre aux corps vivants. | 1° Aucun corps inorganique n’est obligé de se nourrir pour se conserver; car il peut ne faire au cune perte de parties, et lorsqu'il en fait, il n’a cn lui aucun moyen pour les réparer. Tout corps vivant, au contraire, éprouvant né- cessairement, dans ses parties intérieures, des mou vements successifs sans cesse renouvelés, des chan- sements dans l’état de ses parties, enfin, des pertes continuelles de substance par des séparations et des dissipations que ces changements entrainent, aucun de ces corps ne peut conserver la vie s’il ne se nour- 312 COMPARAISON DES CORPS rit continuellement, c’est-à-dire s’il ne répare in- cessamment ses pertes par des matières qu'il introduit dans son intérieur, en un mot, s’il ne prend des ali- ments à mesure qu'il en a besoin. 8° Les corps inorganiques et leurs masses se for- ment de parties séparées qui se réunissent acciden- tellement ; mais ces corps ne naissent point, et aucun d'eux n’est jamais le produit, soit d’un germe, soit d’un bourgeon qui, par des développements, font exister un individu en tout semblable à celui ou à ceux dont il provient. Tous les corps vivants, au contraire, naissent vé- ritablement, et sont le produit, soit d’un gerine que la fécondation a vivifié ou préparé à la vie, soit d'un bourgeon simplement extensible, l’un et l'autre don- nant lieu à des individus parfaitement semblables à ceux qui les ont produits. 9° Enfin, aucun corps inorganique ne peut mou— rir, puisqu'aucun de ces corps ne possède la vie, et que la mort, qui résulte nécessairement des suites de l'existence de la vie dans un corps, n’est que la ces sation complète des mouvements organiques, à la suite d’un dérangement qui rend désormais ces mou vements impossibles. Tout corps vivant, au contraire, est inévitable- ment assujetti à la mort; car le propre même de la vie où des mouvements qui la constituent dans un corps, est d'amener, au bout d’un temps quelconque, dans ce corps, un état des organes qui rend à la fin L INORGANIQUES AVEC LES VIVANTS 373 impossible l'exécution de leurs fonctions, et qui, par conséquent, anéantit dans ce même corps la faculté d'exécuter des mouvements organiques. Il y a donc entre les corps bruts où inorganiques et les corps vivants une différence énorme, un hia- tus considérable, en un mot une séparation telle qu'aucun corps inorganique quelconque ne saurait être rapproché même du plus simple des corps vi- vants. La vie et ce qui la constitue dans un corps font la différence essentielle qui le distingue de tous ceux qui en sont dépourvus. D’après cela, quelle Inconvenance de la part de ceux qui voudraient trouver une liaison et, en quel- que sorte, une nuance entre certains Corps vivants et des corps inorganiques ! Quoique M. ARicherand, dans son intéressante Physiologie, ait traité le même sujet que celui que je viens de présenter, j'ai dù le reproduire ici avec des développements qui me sont propres ; parce que les considérations qu'il embrasse sont tres-importan- tes relativement aux objets qui me restent à exposer. Une comparaison entre les végétaux et les animaux n'intéresse pas directement l’objet que j'ai en vue dans cette seconde partie ; néanmoins, comme cette comparaison concourt au but général de cet ouvrage, je crois devoir en exposer ici quelques-uns des traits les plus saillants. Mais, auparavant, voyons ce que les végétaux et les animaux ont réellement de com-— mun entre eux comme Corps vivants. 314 COMPARAISON DES CORPS Les végétaux n’ont de commun avec les animaux que la possession de la vie; conséquemment, les uns et les autres remplissent Les conditions qu'exige son existence, et jouissent des facultés générales qu’elle produit. | Ainsi, de part et d'autre, ce sont des corps es- sentiellement composés de deux sortes de parties, les unes solides, mais souples et contenantes, les au- tres liquides et contenues, indépendamment des fluides invisibles qui les pénètrent ou qui se déve- loppent en eux. Tous ces corps possèdent Pindividualité, soit sim- ple, soit composée, ont une forme particulière à leur espèce, naissent à l’époque où la vie commence à exister en eux, ou à celle qui les sépare du corps dont ils proviennent, sont continuellement ou tem- porairement animés par une force particulière qui excite leurs mouvements vitaux, ne se conservent que par une nutrition plus où moins réparatrice de leurs pertes de substance, s’accroissent pendant un temps limité, par des développements intérieurs, forment eux-mêmes les matières composées qui les constituent, reproduisent et multiplient pareillement eux-mêmes les individus de leur espèce, enfin, ar- rivent tous à un terme où l’état de leur organisation ne permet plus à la vie de se conserver en eux. Tlelles sont les facultés communes aux uns et aux autres de ces corps vivants. Comparons maintenant les caractères généraux qui les distinguent entre eux. Qu INORGANIQUES AVEC LES VIVANTS 27. =! PARALLÈLES ENTRE LES CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES VÉGÉTAUX ET CEUX DES ANIMAUX Les végétaux sont des corps vivants organisés, non irritables dans aucune de leurs parties, incapa- bles d'exécuter des mouvements subits plusieurs fois de suite répétés, et dont les mouvements vitaux ne s'exécutent que par des excitations extérieures, c’est- a-dire que par une cause excitatrice que les milieux environnants fournissent, laquelle agit principale- ment sur les fluides contenus et visibles de ces corps. Dans les animaux, toutes les parties, ou seulement certaines d’entre elles, sont essentiellement irrita- bles, et ont la faculté d'opérer des mouvements su- bits, qui peuvent se répéter plusieurs fois de suite. Les mouvements vitaux, dans les uns, s’exécutent par des excitations extérieures, et dans les autres, par une force qui se développe en eux. Ces excita- tions extérieures et cette force excitatrice interne provoquent l'irritabihté des parties, agissent çn outre sur les fluides visibles contenus, et donnent leu, dans tous, à l'exécution des mouvements vitaux. Il est certain qu'aucun végétal quelconque n’a la faculté de mouvoir subitement ses parties extérieu- res et de faire exécuter à aucune d'elles des mouve- ments subits, répétés plusieurs fois de suite. Les seuls mouvements subits qu'on observe dans certains végétaux, sont des mouvements de détente ou d’af- 370 COMPARAISON DES CORPS faissement de parties (voyez p. 102), et quelquefois des mouvements hygrométriques où pyrométriques qu'éprouvent certains filaments subitement exposés à l'air. Quant aux autres mouvements qu'exécutent les parties des végétaux, tels que ceux qui les font se diriger vers la lumière, ceux qui occasionnent l'ouverture et la clôture des fleurs, ceux qui donnent lieu au redressement où à labaissement des étami- nes, des pédoncules, ou à l’entortillement des tiges sarmenteuses et des vrilles, enfin ceux qui consti- tuent ce qu'on nomme le sommeil et le réveil des plantes ; ces mouvements ne sont jamais subits; ils s’opérent avec une lenteur qui les rend tout à fait insensibles ; et on ne les connaît que par leurs pro- duits effectués. Les animaux, au contraire, possèdent la faculté d'exécuter, au moyen de certaines de leurs parties extérieures, des mouvements subits tres-apparents, et de les répéter de suite plusieurs fois les mêmes ou de les varier. Les végétaux, surtout ceux qui sont en partie dans l'air, affectent dans leurs développements deux di- rections opposées et tres-remarquables ; de manière qu'ils offrent une cégétation ascendante et une vé- gétation descendante. Ces deux sortes de végétation partent d'un point commun que j'ai nommé ailleurs 1 Histoire naturelle des végétaux, édition de Déterville, vol. T, p.225. INORGANIQUES AVEC LES VIVANTS d11 le nœud vital, parce que la vie se retranche parti- culièrement dans ce point, lorsque la plante perd de ses parties, et que le végétal ne périt réellement que lorsque la vie cesse d’y exister, et parce que l’or- ganisation de ce nœud vital, connu sous le nom de collet de la racine, y est tout à fait particulière, etc. ; or, de ce point, où nœud vital, la végétation ascen- dante produit la tige, les branches, et toutes les par- ties de la plante qui sont dans l'air; et du même point, la végétation descendante donne naissance aux racines qui s’enfoncent dans le sol ou dans l’eau ; enfin, dans la germination, qui donne la vie aux graines, les premiers développements du jeune vé- gétal ayant besoin, pour s’exécuter, de sucs tout pré- parés que la plante ne peut encore puiser dans le sol, ni dans l'air, ces sucs paraissent lui être alors four- nis par les cofylédons, qui sont toujours attachés au nœud vital, et ces sucs suffisent pour commencer la végétation ascendante de la plumule, et la végéta- tion descendante de la radicule. On n’observe rien de semblable dans les animaux. Leurs développements n’aflectent point deux direc- tions uniques et particulières, mais ils s’operent de tous côtés et dans toutes les directions, selon que l'exige la forme de leurs parties: enfin, leur vie ne se retranche jamais dans un point isolé, mais dans l'intégrité des organes spéciaux essentiels lorsqu'ils existent. Dans les animaux où des organes spéciaux essentiels n'existent point, la vie n’est retranchée 318 COMPARAISON DES CORPS nulle part; aussi, en divisant leur corps, la vie se conserve dans chacune des parties séparées. Les végétaux, en général, s'élèvent perpendicu- lairement, non toujours au plan du sol, mais à celui de l’horizon du lieu ; de manière qu'à mesure qu'ils croissent ils s’élancent vers le ciel, comme une gerbe de fusées dans un feu d'artifice. Aussi, quoique les branches et les rameaux qui forment leur cime, s’écartent de la direction de la tige, ils forment tou- jours un angle aigu avec cette tige au point de leur insertion. [1 semble que la force excitatrice des mouvements vitaux dans ces corps se dirige princi- palement de bas en haut et de haut en bas, et que c’est elle qui cause, par ces deux directions oppo- sées, la forme et la disposition particulières de ces corps vivants, en un mot, qui donne lieu à la végé- tation ascendante et à la végétation descendante. Il en résulte que les canaux dans lesquels se meuvent les fluides essentiels de ces corps sont parallèles en- tre eux ainsi qu'à l’axe longitudinal du végétal; car ce sont partout des tubes longitudinaux et parallèles qui se sont formés dans le tissu cellulaire, ces tubes n’offrant de divergence que pour former les expan- sions aplaties des feuilles et des pétales, ou que lors- qu'ils se répandent dans les fruits. Rien de tout cela ne se montre dans les animaux ; la direction longitudinale de leur corps n’est point assujettie comme celle de la plupart des végétaux à s'élancer à la fois vers le ciel et vers le centre du INORGANIQUES AVEC LES VIVANTS 319 globe; la force qui excite leurs mouvements vitaux ne se partage point en deux directions uniques ; en fin, les canaux intérieurs qui contiennent leurs flui- des visibles sont contournés de différentes manières et n’ont entre eux aucun parallélisme. Les aliments des végétaux ne sont que des ma- tiéres liquides ou fluides que ces corps vivants ab- sorbent des milieux environnants : ces aliments sont l’eau, l'air atmosphérique, le calorique, la lumiere et différents gaz qu'ils décomposent en se les appro- priant ; aucun d'eux, conséquemment, n’a de digestion à exécuter, et, par cette raison, tous sont dépourvus d'organes digestifs. Comme les corps vivants compo- sent eux-mèmes leur propre substance, ce sont eux qui forment les premières combinaisons non-fiuides. Au contraire, la plupart des animaux se nourris- sent de matières déja composées, qu'ils introduisent dans une cavité tubuleuse, destinée à les recevoir. Ils ont donc une digestion à faire pour opérer la dissolution complète des masses de ces matières; ils modifient et changent les combinaisons existantes et les surchargent de principes ; en sorte que ce sont eux qui forment les combinaisons les plus compliquées. Enfin, les résidus consommés des végétaux détruits sont des produits fort différents de ceux qui provien- nent des animaux ; ce qui constate que ces deux sor- tes de corps vivants sont effectivement d’une nature tout à fait distincte. En effet, dans les végétaux, les solides lempor- 380 COMPARAISON DES CORPS tent en proportion sur les fluides, le mucilage cons- titue leurs parties les plus tendres, et parmi leurs principes composants le carbone prédomine, tandis que, dans les animaux, les fluides l’emportenten quan- tité sur les solides, la gélatine abonde dedaus leurs parties molles et même dans les os de ceux qui en ont, et, parmi leurs composants, c’est surtout l’azote qui se fait remarquer. D'ailleurs, dans les résidus consommés des végé- taux, la terre qui en provient est principalement ar- gileuse et souvent présente de la silice, au lieu que, dans ceux des animaux, celle qui en résulte consti- tue, soit du carbonate, soit du phosphate de chaux. QUELQUES TRAITS COMMUNS D'ANALOGIE ENTRE LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX Quoique la nature des végétaux ne soit nullement la mème que celle des animaux, que le corps des uns présente toujours des facultés et même des substances que l’on chercherait vainement à retrou- ver dans celui des autres, comme ce sont de part et d'autre des corps vivants et que la nature a évi- demment suivi un plan d'opérations uniforme dans les corps où elle a institué la vie, rien, en effet, n’est plus remarquable que l’analogie que lon observe entre certaines des opérations qu'elle à exécutées dans ces deux sortes de corps vivants. Dans les uns, comme dans les autres, les plus INORGANIQUES AVEC LES VIVANTS 381 simplement organisés d’entre eux ne se reproduisent que par des gemmes ou des bourgeons, que par des corpuscules reproductifs qui ressemblent à des œufs ou à des graines, mais qui n'ont exigé aucune fécon— dation préalable, et qui, effectivement, ne contiennent point un embryon renfermé dans des enveloppes qu'il doit rompre pour pouvoir prendre tous ses dévelop- pements. Cependant, dans les uns et les autres en- core, lorsque la composition de lorganisation füt assez avancée pour que des organes de fécondation pussent être formés, la reproduction des individus s’opéra alors uniquement ou principalement par la génération sexuelle. Un autre trait d’analogie fort remarquable des opérations de la nature à l’égard des animaux et des végétaux, est le suivant : il consiste dans la sus pension plus ou moins complète de la vie active, c’est-a-dire des mouvements vitaux, qu'éprouvent, dans certains climats et en certaines saisons , un grand nombre de ces corps vivants. En effet, dans l'hiver des climats froids, les végé- taux ligneux et les plantes vivaces éprouvent une suspension à peu près complète de végétation, et par conséquent des mouvements organiques où vi taux ; leurs fluides , alors en momdre quantité, sont inactifs : il ne se produit dans ces végétaux, pendant le cours de ces circonstances , ni pertes , ni absorp- tions alimentaires, ni changements, ni développe- ments quelconques ; en un mot, la vie active est en 382 COMPARAISON DES CORPS eux tout à fait suspendue, ces corps éprouvent un véritable engourdissement et néanmoins ils ne sont pas privés de la vie. Comme les végétaux réellement simples ne peuvent vivre qu'une année, ils se hâtent de donner, dans les climats froids, leurs graines ou leurs corpuscules reproductifs, et périssent à l’arrivée de la mauvaise saison. Les phénomènes de la suspension plus où moins complète de la vie active, c’est-a-dire des mouve- ments organiques qui la constituent, s’observent aussi d’une manière très-remarquable dans beau- coup d'animaux. Dans l'hiver des climats froids, les animaux les plus imparfaits cessent de vivre ; et, parmi ceux qui conservent la vie, un grand nombre tombe dans un engourdissement plus ou moins complet, de maniere que dans les uns toute espèce de mouvements imté- rieurs ou vitaux se trouve suspendue, tandis que, dans les autres, il en existe encore, mais qui ne s'exécutent qu'avec une extrème lenteur. Ainsi, quoique presque toutes Les classes offrent des animaux qui subissent plus ou moins complétement cette sus- pension de la vie active, on remarque particulière- ment ce phénomène dans les fourmis, les abeilles et bien d’autres insectes, dans des annelides, des mollusques , des poissons , des reptiles (surtout les serpents), enfin, dans beaucoup de mammiferes, tels que la chauve-souris , la marmotte, le loir, ete. Le dernier trait d’analogie que je citerai n’est INORGANIQUES AVEC LES VIVANTS 383 pas moins remarquable ; le voici : de même qu'il y _a des animaux simples, constituant des individus isolés, et des animaux composés, c’est-à-dire adhé- rant les uns aux autres, communiquant entre eux par leur base et participant à une vie commune, ce dont la plupart des polypes offrent des exemples, de même aussi il y a des végétaux simples, qui vivent individuellement, et il y a des végétaux composés, c'est-ù-dire qui vivent plusieurs ensem- ble, se trouvant comme entés les uns sur les autres, et qui participent tous à une vie commune. Le propre d’une plante est de vivre jusqu'a ce qu'elle ait donné ses fleurs et ses fruits ou ses cor- puscules reproductifs. La durée de sa vie s'étend rarement au delà d’une année. Les organes sexuels de cette plante, si elle en possède, n’exécutent qu'une seule fécondation ; en sorte qu'ayant opéré les gages de sa reproduction (ses graines), ils péris- sent ensuite et se détruisent complétement. Si cette plante est un végétal simple, elle périt elle-même après avoir donné ses fruits ; et lon sait qu'il est difficile de la multiplier autrement que par ses graines où par ses gemmes. Les plantes annuelles ou bisannuelles paraissent donc toutes dans ce cas ; ce sont des végétaux sim— ples ; et leurs racines, leurs tiges ainsi que leurs rameaux, sont les produits en végétation de ces végétaux ; ce n’est cependant pas, à beaucoup pres, le cas de toutes ces plantes, car, parmi toutes celles 381 COMPARAISON DES CORPS que lon connait, le plus grand nombre présente des végétaux réellement composés. Ainsi, lorsque je vois un arbre, un arbrisseau , une plante vivace, ce ne sont pas des végétaux simples que j'ai sous les yeux, mais je vois dans chacun une multitude de végétaux, vivant ensemble les uns sur les autres et participant tous à une vie commune. Cela est si vrai, que si je greffe sur une branche de prunier un bourgeon de cerisier, et sur une autre branche du même arbre un bourgeon d’abricotier, ces trois espèces vivront ensemble et participeront à une vie commune, sans cesser d’être distinctes. Les racines, le tronc et les branches ne sont, à l'égard de ce végétal, composés que des produits en végétation de cette vie commune et de plantes par- üiculères, mais adhérentes, qui ont existé sur ce même végétal; comme la masse générale d’un ma- drépore est le produit en animalisation de polypes nombreux qui ont vécu ensemble et se sont succédé les uns aux autres. Mais chaque bourgeon du végétal est une plante particulière qui participe à la vie commune de toutes les autres, développe sa fleur annuelle où son bouquet de fleurs pareillement annuel, produit ensuite ses fruits, et, enfin, peut donner naissance à un rameau contenant déja d’au- tres bourgeons , c’est-à-dire d’autres plantes par- ticulières. Chacune de ces plantes particulières, ou fructifie, et elle ne le fait qu'une seule fois, ou pro- INORGANIQUES AVEC LES VIVANTS 389 duit un rameau qui donne naissance à d’autres plantes semblables. C’est ainsi que ce végétal com- posé forme, en continuant de vivre, un résultat de végétation qui subsiste après la destruction de tous les individus qui ont concouru ensemble à le pro- duire, et dans lequel la vie se retranche. De là, en séparant des parties de ce végétal, qui contiennent un ou plusieurs bourgeons, où qui en renferment les éléments non développés, on peut en former à volonté autant de nouveaux individus vi- vants, semblables à ceux dont ils proviennent, sans employer le secours des fruits de ces plantes; et voilà effectivement ce que les cultivateurs exécutent en faisant des boutures, des marcottes, etc. Or, de mème que la nature a fait des végétaux composés, elle a fait aussi des animaux composés ; et pour cela elle n’a pas changé, de part et d'autre, soit la nature végétale, soit la nature animale. En voyant des animaux composés , il serait tout aussi absurde de dire que ce sont des animaux plantes, qu'il le serait, en voyant des plantes composées, de dire que ce sont des plantes animales *. Qu'on eût, il y a un siecle, donné le nom de 4 Lorsque l'on ne considère que les corps produits par la végétation ou par des animaux, on en rencontre parmi eux plusieurs qui nous em- barrassent pour décider s'ils appartiennent au règne végétal ou au règne animal; et l'analyse chimique de ces corps prononce quelque- fois en faveur des substances animales, tandis que leur forme et leur organisation semblent indiquer que ces mêmes corps sont de véri- tables plantes. Plusieurs des genres que l’on rapporte aux végétaux LAMARCK, PHIL, ZOOL. I. Pis) 386 COMPARAISON DES CORPS zoophytes aux animaux composés de la classe des polypes, ce tort eût été excusable ; l’état peu avancé des connaissances qu'on avait alors sur la nature animale, rendait cette expression moins mauvaise : à présent, ce n’est plus la même chose, et il ne sau- rait être indifférent d’assigner à une classe d’ani- maux un nom qui exprime une fausse idée des objets qu'elle embrasse. Examinons maintenant ce que c’est que la vie et quelles sont les conditions qu'exige son existence dans un corps. de la famille des algues fournissent des exemples de ces cas embar- rassants : il y aurait donc, entre les plantes et les animaux, des points d'une transition presque insensible. Je ne le crois pas : je suis, au contraire, très-persuadé que si l'on pouvait examiner les animaux eux-mêmes qui ont forme les polypiers membraneux ou filamenteux, qui ressemblent tant à des plantes, l'incertitude sur la véritable nature de ces corps serait bientôt levée. CSP PCR TT DE LA VIE, DE CE QUI LA CONSTITUE, ET DES CONDITIONS ESSENTIELLES 4 SON EXISTENCE DANS UN CORPS La vie, dit M. Richerand , est une collection de phénomènes qui se succèdent, pendant un temps limité, dans les corps organisés. Il fallait dire, la vie est un phénomène qui donne lieu à une collection d’autres phénomènes, ete. ; effectivement, ce ne sont point ces autres phénomènes qui constituent la vie, mais c’est la vie elle-même qui se trouve la cause de leur production. Ainsi, la considération des phénomènes qui résul- tent de l'existence de la vie dans un corps n’en présente nullement la définihion, et elle ne montre rien au delà des objets mêmes que la vie fait exister . celle que je vais lui substituer a lavantage d’être à la fois plus exacte, plus directe et plus propre à répandre quelques lumières sur l'important sujet 385 DE LA VIE dont il est question, et elle conduit, en outre, à faire connaitre la véritable définition de la vie. La vie, considérée dans tout corps qui la possede, résulte uniquement des relations qui existent entre les trois objets suivants, savoir : les parties conte- nantes et dans un état approprié de ce corps, les fluides contenus qui y sont en mouvement, et la cause excitatrice des mouvements et des changements qui s'y operent. Quelques efforts que l’on fasse par la pensée et par les méditations les plus profondes pour déter- miner en quoi consiste.ce qu'on nomme la we dans un corps, des que l’on aura égard à ce que l’obser- vation nous apprend sur cet objet, il faudra néces- sairement en revenir à la considération que je viens d'exposer ; la vie, certes, ne consiste en nulle autre chose. La comparaison que l’on a faite de la vie avec une montre, dont le mouvement est en action, est au moins imparfaite; car dans la montre il n’y a que deux objets principaux à considérer, savoir : l° les rouages ou l’équipage du mouvement; 2° le ressort qui, par sa tension et son élasticité, entretient le mouvement tant que cette tension subsiste. Mais, dans un corps qui possède la vie, au lieu de deux objets principaux à considérer, il y en a trois, savoir: 1° les organes ou les parties souples conte- nantes ; 2° les fluides essentiels contenus et en mou- vement; 3° enfin , la cause excitatrice des mouve- ET DE CE QUI LA CONSTITUE 389 ments vitaux, de laquelle naît l’action des fluides sur lesorganes et la réaction des organes sur les fluides. C'est donc uniquement des relations qui existent entre ces trois objets que résultent les mouvementt, les changements et tous les phénomènes de la vie. Or, pour accommoder et rendre moins imparfaite la comparaison de la montre avec un corps vivant, il faut comparer lacause excitatrice des mouvements organiques au ressort de cette montre, et considérer ensuite les parties souples contenantes, conjointement avec les fluides essentiels contenus, comme lPéqui- page du mouvement dont il est question. Alors on sentira, d’une part, que le ressort (la cause excitatrice) est le moteur essentiel,sans lequel, en effet, tout reste dans l’inaction, et que ses varia- tions de tension doivent causer les variations d’éner- gie et de rapidité des mouvements. De l’autre part, il sera évident que équipage de mouvement (les organes et les fluides essentiels ) doit être dans un état et une disposition favorables à l'exécution des mouvements qu'il doit opérer ; en sorte que des dérangements dans cet équipage peu- vent être tels, qu'ils empêchent toute efficacité dans la puissance du ressort. Sous ce point de vue, la parité est complète; le corps vivant peut ètre comparé à la montre; et 1l m'est facile de montrer partout le fondement de cette comparaison, en citant les observations et les faits connus. 390 DE LA VIE Quant à l'équipage du mouvement, son existence et ses facultés sont maintenant bien connues, ainsi que la plupart des lois qui déterminent ses diverses fonctions. Mais quant au ressort, moteur essentiel, et provo- cateur de tous les mouvements et de toutes les ac- tions, il a jusqu'à présent échappé aux recherches des observateurs : je me flatte cependant de le si gnaler dans le chapitre suivant, de mamiere qu à l'avenir on ne puisse le méconnaitre. Mais auparavant, continuons l’examen de ce qui constitue essentiellement la vie. Puisque la vie, considérée dans un corps, résulte uniquement des relations qui existent entre les par- ties contenantes et dans un état approprié de ce corps, les fluides contenus qui y sont en mouvement, et la cause excitatrice des mouvements, des actions et des réactions qui s’y operent, on peut donc em- brasser ce qui la constitue essentiellement dans la définition suivante. La vie, dans les parties d’un corps qui la pos- sède, est un ordre etun état de choses qui y per- inettent les mouvements organiques; et ces mou- veinents, qui constituent la vie active, résultent de l'action d'une cause stimulante qui les excite. Cette définition de la vie, soit active, soit suspen- due, embrasse tout ce qu'il y a de positif à y expri- mer, satisfait à tous les cas, et il me parait impos- sible d'y ajouter ou retrancher un seul mot, sans ET DE GE QUI LA CONSTITUE 391 détruire l’intégrité des idées essentielles qu’elle doit présenter ; enfin, elle repose sur les faits connus et les observations qui concernent cet admirable phé- nomène de la nature. D'abord, dans la définition dont il s’agit, la we active peut être distinguée de celle qui, sans cesser d'exister, est suspendue, et parait se conserver pen- dant un temps limité, sans mouvements organiques perceptibles ; ce qui, comme je le ferai voir, est conforme à l'observation. Ensuite, elle montre qu'aucun corps ne peut pos- séder la vie active que lorsque les deux conditions suivantes se trouvent réunies ; La première est la nécessité d’une cause stimu- lante, excitatrice des mouvements organiques, La seconde est celle qui exige qu'un corps, pour posséder et conserver la vie, ait dans ses parties un ordre et un état de choses qui leur donnent la fa- culté d’obéir à l’action de la cause stimulante, et de produire les mouvements organiques. Dans les animaux dont les fluides essentiels sont très-peu composés, comme dans les polypes et les infusoires, si les fluides contenables de l'un de ces animaux sont subitement enlevés par une prompte dessication, cette dessication peut s’opérer sans alté- rer les organes ou les parties contenantes de cet ani- mal, et sans y détruire l’ordre qui y doit exister : dans ce cas, la vie est tout à fait suspendue dans ce corps desséché; aucun mouvement organique ne se 392 DE LA VIE produit en lui, et il ne parait plus faire partie des corps vivants, cependant on ne peut dire qu'il soit mort, car ses organes où ses parties contenantes ayant conservé leur intégrité, si l’on rend à ce corps les fluides intérieurs dont il était privé, bientôt la cause stimulante, aidée d’une douce chaleur, excite des mouvements, des actions et des réactions dans ses parties, et dès lors la vie lui est rendue. Le rotatoire de SPALLANZANI, que l’on a plusieurs fois réduit à un état de mort par une prompte des- sication et ensuite rendu vivant en le replongeant dans l’eau, pénétrée par une douce chaleur, prouve que la vie peut être alternativement suspendue et ré- tablie : elle n’est donc qu'un ordre et qu’un état de choses dans un corps qui y permettent les mouve- ments vitaux qu'une cause particulière est capable d’exciter. Dans le règne végétal, les alques et les mousses offrent les mêmes phénomènes à cet égard que le ro- tatoire de Spallanzani ; et l’on sait que des mousses promptement desséchées et conservées dans un her- bier, fût-ce pendant un siecle, et remises, après ce temps, dans l'humidité à une température douce, pourront reprendre la vie et végéter de nouveau. La suspension complète des mouvements vitaux, sans l’altération des parties, et conséquemment avec la possibilité du retour de ces mouvements, peut aussi avoir lieu dans l’homme même, mais seulement pen- dant un temps fort court. ET DE CE QUI LA CONSTITUE 393 Les observations faites sur les noyés nous ont ap- pris qu'une personne tombée dans l’eau et en étant retirée après trois quarts d'heure ou même une heure d'immersion, se trouve asphyxiée au point qu'aucun mouvement quelconque ne s'exécute dans ses orga- nes, et que cependant il peut être encore possible de lui rendre la vie active. Si on la laisse dans cet état sans lui donner aucun secours, l'orgasme et l’irritabilité s’éteignent bien- tôt dans ses parties intérieures, et dès lors ses fluides essentiels et ensuite ses parties les plus molles com mencent à s’altérer, ce qui constitue sa mort. Mais si, aussitôt après son extraction de l’eau, et avant que l'irritabilité ne s’éteigne en elle, on lui admi- nistre les secours connus, en un mot, si l’on par- vient, à l’aide des stimulants employés dans ce cas, à exciter à temps quelques contractions dans ses parties intérieures, à produire quelques mouvements dans ses organes de circulation, bientôt tous les mouvements vitaux reprennent leur cours, et la vie active, cessant d’êtresuspendue, est aussitôt rendue à cette personne. Mais lorsque, dans un corps vivant, des altérations et des dérangements, soit dans l’ordre, soit dans l’état de ses parties, sont assez considérables pour ne plus permettre à ces mêmes parties d’obéir à l’action de la cause excitatrice, et de produire les mouvements organiques, la vie s'éteint aussitôt dans ce corps, et des lors il cesse d’être au nombre des corps vivants. 394 DE LA VIE Il résulte de ce que jexviens d'exposer que, si dans un corps, l’on dérange ou l’on altère cet ordre et cet état de choses dans ses parties, qui lui permettaient de posséder la vie active, et que ce dérangement soit de nature à empêcher l'exécution des mouvements organiques où à rendre impossible leur rétablisse- ment lorsqu'ils sont suspendus, ce corps perd alors la vie, c'est-a-dire subit la mort. Le dérangement qui produit la mort peut être donc opéré dans un corps vivant par différentes cau- ses accidentelles ; mais la nature la forme nécessai- rement elle-même au bout d’un temps quelconque ; et, en eflet, c’est le propre de la vie de mettre in- sensiblement les organes hors d'état d'exécuter leurs fonctions, et par là d’amener inévitablement la mort : j'en ferai voir la raison. Ainsi, dire que la vie, dans tout corps qui en est doué, ne consiste qu'en un ordre et un état de choses dans les parties de ce corps qui permettent à ces par- ties d’obéir à l’action d’une cause stimulante, et d'exécuter les mouvements organiques, ce n’est point exprimer une idée conjecturale, mais c’est in- diquer un fait que tout atteste, dont on peut donner beaucoup de preuves, et qui ne pourra jamais être solidement contesté. S'il en était ainsi, il ne s’agit plus que de savoir en quoi consiste, dans un corps, lPordre et l’état de ses parties qui le rendent capable de posséder la vie active. ET DE CE QUI LA CONSTITUE 395 Mais comme la connaissance précise de cet objet ne peut être acquise directement, examinons d’abord quelles sont les conditions essentielles à l'existence de cet ordre et de cet état de choses dans les par- ties d’un corps, pour qu'il puisse posséder la vie. CONDITIONS ESSENTIELLES A L’EXISTENCE DE L'ORDRE ET DES PARTIES D’{ÜN CORPS POUR QU'IL PUISSE JOUIR DE LA VIE Première condition. Aucun corps ne peut possé- der la vie, s'il n’est essentiellement composé de deux sortes de parties, c’est-à-dire s'il n'offre dans sa composition des parties souples contenantes, et des matières fluides contenues. En effet, tout corps parfaitement sec ne peut être vivant, et tout corps dont toutes les parties sont fluides, ne saurait pareillement jouir de la vie. La premiere condition essentielle pour qu'un corps puisse être vivant est donc d'offrir une masse com- posée de deux sortes de parties, les unes solides et contenantes, mais molles et plus ou moins tenaces, et les autres fluides et contenues. Deuxième condition. Aucun corps ne peut possé- der la vie, si ses parties contenantes ne sont un #ssu cellulaire, ou formées de tissu cellulaire. Le tissu cellulaire, comme je le ferai voir, est la gangue dans laquelle tous les organes des corps vi- vants ont été successivement formés, et le mouve- ment des fluides dans ce tissu est le moyen qu'em- 396 DE LA VIE ploie la nature pour créer et développer peu à peu ces organes. Ainsi, tout corps vivant est essentiellement une masse de tissu cellulaire, dans laquelle des fluides plus où moins composés se meuvent plus où moins rapidement ; en sorte que si ce corps est très-simple, c’est-à-dire sans organes spéciaux, il paraît homo- gène, et n'offre que du #ssu cellulaire, contenant des fluides qui s’y meuvent avec lenteur ; mais si son organisation est composée, tous ses organes, sans exception, sont enveloppés de tissu cellulaire, ainsi que leurs plus petites parties, et même en sont es- sentiellement formés. Troisième condition. Aucun corps ne peut possé- der la vie active que lorsqu'une cause excitatrice de ses mouvements organiques agit en lui. Sans l’im- pression de cette cause active et stimulante, les par- ties solides et contenantes d’un corpsorganisé seraient inertes, les fluides qu'elles contiennent resteraient en repos, les mouvements organiques n'auraient pas lieu, aucune fonction vitale ne serait exécutée, et conséquemment la sie active n’existerait pas. Maintenant que nous connaissons les trois condi- tions essentielles à l'existence de la vie dans un corps, il nous devient plus possible de reconnaitre en quoi consistent principalement l’ordre et l’état de choses nécessaires à ce corps pour qu'il puisse pos- séder la vie. Pour y parvenir, il ne faut pas diriger unique- ET DE CE QUI LA CONSTITUE 393 ment ses recherches sur les corps vivants qui ont une organisation tres-composée; on ne saurait à quelle cause attribuer la vie qui s’y trouve, et l'on s’exposerait à choisir arbitrairement quelques con- sidérations qui n'auraient rien de fondé. Mais si l’on porte son attention sur l'extrémité, soit du regne animal, soit du règne végétal, où se trouvent les corps vivants les plus simples en orga- nisation, on remarquera, d’abord, que ces corps qui possèdent la vie n’offrent, dans chaque individu, qu'une masse gélatineuse, ou mucilagineuse, de tissu cellulaire de la plus faible consistance, dont les cel lules communiquent entre elles, et dans lesquelles des fluides quelconques subissent des mouvements, des déplacements, des dissipations, des renouvelle- ments successifs, des changements d'état, enfin, déposent des parties qui s’y fixent. Ensuite on re- marquera qu'une cause exCilatrice, qu peut varier dans son énergie, mais qui ne manque Jamais entiè— rement, anime sans cesse les parties contenantes et tres-souples de ces corps, ainsi que les fluides essen- tiels qui y sont contenus, et que cette cause y entre- tient tous les mouvements qui constituent la vie active, tant que les parties qui doivent recevoir ces mouvements sont en état d'y obéir. 398 DE LA VIE CONSÉQUENCE l’ordre de choses nécessaire à l'existence de la vie dans un corps est donc essentiellement : 1° Un tissu cellulaire (ou des organes qui en sont formés } doué d’une grande souplesse et animé par l'orgasme, premier produit de la cause excitatrice ; 2° Des fluides quelconques, plus où moins com posés, contenus dans ce tissu cellulaire (ou dans les organes qui en proviennent), et subissant, par un second produit de la cause excitatrice, des mouve- ments, des déplacements, des changements divers, etc. Dans les animaux, la cause excitatrice des mou- vements organiques agit puissamment, et sur les parties contenantes, et sur les fluides contenus ; elle entretient un orgasme énergique dans les parties contenantes , les met dans le cas de réagir sur les fluides contenus et par là les rend éminemment #71 tables: et quant aux fluides contenus , cette cause excitatrice les réduit à une sorte de raréfaction et d'expansion qui facilite leurs divers mouvements. Dans les végétaux, au contraire, la cause excita trice dont il est question, n'agit puissamment et principalement que sur les fluides contenns, et elle produit dans ces fluides les mouvements et les chan= gements qu'ils sont susceptibles d’éprouver ; mais elle n’opere sur les parties contenantes de ces corps ET DE CE QUI LA CONSTITUE 399 vivants , mème sur les plus souples d’entre elles, qu'un orgasme où un éréthisme obscur, incapable, par sa faiblesse, de leur faire exécuter aucun mou- vement subit, de les faire réagir sur les fluides contenus , et conséquemment de les rendre #r1ta- bles. Le produit de cet orgasme a été nommé, mal à propos, sensibilité latente: j'en parlerai dans le chapitre 1v. Dans les animaux, qui tous ont des parties irrita- bles , les mouvements vitaux sont entretenus, dans les uns, par l’érrifabilité seule des parties, et dans les autres, ils Le sont à la fois par lirritabilité et par l’action musculaire des organes qui doivent agir. En effet, dans ceux des animaux dont l’organi- sation , encore tres-simple , n'exige dans les fluides contenus que des mouvements fort lents , les mon- vements vitaux s’exécutent seulemerit par lirrita- bilité des parties contenantes et par la sollicitation dans les fluides contenus que provoque en eux la cause excitatrice. Mais comme l'énergie vitale s’ac- croit à mesure que l’organisation secompose, ilarrive bientot un terme où lirritabilité et la cause excita- trice seules ne peuvent plus suffire à l'accélération devenue nécessaire dans les mouvements des fluides ; alors la nature emploie le système nerveux, qui ajoute le produit de l’action de certains muscles à celui de l’irritabilité des parties; et bientôt ce sys- teme permettant l'emploi du mouvement musculaire, le cœur devient un moteur puissant pour l’accélé- 400 DE LA VIE ration du mouvement des fludes ; enfin , lorsque la respiration pulmonaire a pu être établie, le mouve- ment musculaire devient encore nécessaire à lPexé- cution des mouvements vitaux, par les alternatives de dilatation et de resserrement qu'il procure à la cavité qui contient l'organe respiratoire, etsans les- quelles les inspirations et les expirations ne pour- raient s’opérer. | « Nous ne sommes pas, sans doute, dit M. Caba- nis, réduits encore à prouver que la sensibilité physique est la source de toutes les idées et de toutes les habitudes qui constituent l’existence morale, de l’homme : Locke, Bonnet, Condillac, Helvétius, ont porté cette vérité jusqu'au dernier degré de la dé- monstration. Parmi les personnes instruites et qui font quelque usage de leur raison, il n’en est main- tenant aucune qui puisse élever le moindre doute à cet égard. D'un autre côté, les physiologistes ont prouvé que fous les inouvements vilaux sont le produit des impressions recues par des parlies sensibles, ete. » (Rapports du Physique et du Moral de l'Homme, vol. I, p. 85 et KG.) Je reconnais aussi que la sensibilité physique est la source de toutes les idées, mais je suis fort éloigné d'admettre que tous les mouvements vitaux sont le produit d'impressions reçues par des parties sensi- bles : cela, tout au plus, pourrait être fondé à l'égard des corps vivants qui possèdent un système nerveux ; car les mouvements vitaux de ceux en ET DE CE QUI LA CONSTITUE 401 qui un pareilsystème n'existe pas, ne sauraient être le produit d’impressions reçues par des parties sen sibles : rien n’est plus évident. Lorsqu'on veut déterminer les véritables éléments de la vie, on doit nécessairement considérer les faits qu'elle présente dans tous les corps qui en jouissent; or, dès qu'on s'y prendra de cette manière, on verra que ce qui est réellement essentiel à l'existence de la vie, dans un plan d'organisation, ne l’est nulle- ment dans un autre. Sans doute , l’influence nerveuse est nécessaire à la conservation de la vie dans l’homme et dans tous les animaux qui ont un système nerveux ; mais cela ne prouve pas que les mouvements vitaux, même dans l’homme et dans les animaux qui ont des nerfs, s’exécutent par des impressions faites sur les par- ties sensibles : cela prouve seulement que, dans les corps doués de la vie, les mouvements vitaux ne peuvent s’opérer sans l’aide de linfluence ner- veuse. On voit, par cequeje viens d'exposer, que si l’on considère la vie en général, elle peut exister dans un corps sans que les mouvements vitaux s’y exé- cutent par des impressions recues par des parties sensibles et sans que l’action musculaire contribue a exécuter ces mouvements ; elle y peut même exister sans que le corps qui la possède ait des parties irri- tables pour aider ses mouvements par leur réaction. Il lui suffit, comme on le voit dans les végétaux, LAMARCK, PHiL. ZOOL. I. - 26 < 102 DE LA VIE que le corps qui en est doué offre, dans son inté- rieur, un ordre et un état de choses à l'égard de ses parties contenantes et de ses fluides contenus, qui permettent à une force particulière d’y exciter les mouvements et les changements qui la consti- tuent. Mais si l’on considère la vie en particulier, c’est a-dire dans certains corps déterminés, alors on verra que ce qui est essentiel au plan d'organisation de ces corps y est devenu nécessaire à la conser- vation de la vie dans ces mêmes corps. Ainsi, dans l’homme et dans les animaux les plus parfaits, la vie ne peut se conserver sans lérreta- bilité des parties qui doivent réagir, sans l’aide de l’action de ceux des muscles qui agissent sans la participation de la volonté , action qui maintient la rapidité du mouvement des fluides , sans l'influence nerveuse qui fournit, par une autre voie que par celle du sentiment, à l’exécution des fonctions des mus- cles et de celles des autres organes intérieurs; enfin, sans l’influence de la respiration qui répare sans cesse les fluides essentiels trop promptement altérés dans ces systèmes d'organisation. Or, cette influence nerveuse, ici reconnue comme nécessaire, est uniquement celle qui met les mus- cles en action, et non celle qui produit le sentiment ; car ce n’est pas par la voie des sensations que les muscles agissent. Le sentiment, en effet, n’est nul= lement affecté par la cause qui produit les mouve- ET DE CE QUI LA CONSTITUE 403 ments de systole et de diastole du cœur et des arte- res ; et si l’on distingue quelquefois les battements du cœur, c’est lorsqu’étant plus forts et plus prompts que dans l’état ordinaire, ce muscle, principal mo- teur de la circulation, frappe alors des parties voi- sines qui sont sensibles. Enfin, quand on marche, où que l’on exécute une action quelconque, personne ne sent le mouvement de ses muscles, ni les impres- sions des causes qui les font agir. Ainsi, ce n'est pas par la voie du sentiment que les muscles opèrent leurs fonctions, quoique l’in- fluence nerveuse leur soit nécessaire. Mais comme la nature eut besoin, pour augmenter le mouvement des fluides dans les animaux les plus parfaits, d'ajouter au produit de lirritabilité qu'ils possédent comme les autres, celui du mouvement musculaire du cœur, etc., l’influence nerveuse, dans ces ani- maux, est devenue nécessaire à la conservation de leur vie. Cependant, on ne peut être fondé à dire qu'en eux les mouvements vitaux ne s’exécutent que par des impressions reçues par des parties sen— sibles, car si leur irritabilité était détruite, 1ls per- draient aussitôt la vie; et leur sentiment, supposé toujours existant, ne saurait lui seul la leur conser- ver. D'ailleurs, je compte prouver, dans le qua- trième chapitre de cette partie, que la sensibilité et lirritabilité sont des facultés non-seulement très- distinctes, mais qu'elles n’ont pas la même source, et qu’elles sont dues à des causes très-différentes. 404 DE LA VIE Vivre, c’est sentir, dit GABANIS : oui, sans doute, pour l’homme et les animaux les plus parfaits, et probablement encore pour un grand nombre d’in- vertébrés. Mais comme la faculté de sentir s’affai- blit à mesure que le système d'organes qui y donne lieu a moins de développement, et moins de concen- tration dans la cause qui rend cette faculté énergi- que, il faudra dire que vivre c’est à peine sentir, pour ceux des animaux sans vertébres qui ont un systeme nerveux; parce que ce système d'organes, surtout dans les iaectes, ne leur donne qu'un sen- timent fort obscur. Quant aux radiaires, si le système dont il s’agit existe encore en elles, comme il n’y peut être que tres-réduit, il n’y peut être propre qu’à l’excitation du mouvement musculaire. Enfin, relativement à la grande généralité des polypes et à tous les #nfusoires, comme 1l est im possible qu’ils possèdent le système en question, 1l faudra dire pour eux, et même pour les radiaires et les vers, que ivre ce n’est pas pour cela sentir, ce qu'on est aussi obligé de dire à l’égard des plantes. Lorsqu'il s’agit de la nature, rien n’expose da- vantage à l'erreur que les préceptes généraux que l’on forme presque toujours sur des aperçus isolés : elle a tellement varié ses moyens qu'il est difficile de lui assigner des limites. À mesure que l’organisation animale se compose, l’ordre de choses essentiel à la vie se compose éga- ET DE CE QUI LA CONSTITUE 405 lement, et la vie se particularise dans chacun des organes principaux. Mais chaque vie organique par- ticulière, par la connexion intime de l’organe en qui elle existe avec les autres parties de l’organisation, dépend de la vie générale de l'individu, comme celle-ci dépend de chaque vie particulière des prin- cipaux organes. Ainsi, l’ordre de choses essentiel à la vie dans chaque animal qui est dans ce cas n'est alors déterminable que par la citation de ce qu'il est lui-même. D’après cette considération, on sent clairement que, dans les animaux les plus parfaits, comme les mammifères, l’ordre de choses essentiel à la vie de ces animaux exige un système d'organes pour le sentiment, constitué par un cerveau, une moelle épi- nière et des nerfs, un système d'organes pour la respiration pulmonaire complète, un système d’or- ganes pour la coculation, muni d’un cœur bilocu- laire et à deux ventricules, et un système muscu- laire pour le mouvement des parties, tant intérieures qu'extérieures, etc. Chacun de ces systèmes d'organes a sans doute sa vie particulière, ce qu'a montré BICHAT : aussi, à la mort de l'individu, la vie en eux s'éteint successive- ment. Malgré cela, aucun de ces systèmes d'organes ne pourrait conserver sa vie particulière séparément, et la vie générale de l'individu ne pourrait subsis- ter si l’un d’entre eux avait perdu la sienne. De cet état de choses bien connu à l'égard des 406 DE LA VIE mammiferes, il ne s'ensuit nullement que l’ordre de choses essentiel à la vie, dans tout corps qui la pos- sède, exige dans l’organisation un système d’orga- nes pour le sentiment, un autre pour la respiration, un autre encore pour la circulation, ete. La nature nous montre que ces différents systèmes d'organes ne sont essentiels à la vie que dans les animaux en qui l’état de leur organisation les exige. Ce sont là, ce me semble, des vérités qu'aucun fait connu et qu'aucune observation constatée ne sauraient contredire. Je conclus des considérations exposées dans ce chapitre : 1° Que la se, dans les parties d’un corps qui la possède, est un phénomène organique qui donne lieu à beaucoup d’autres; et que ce phénomène résulte uniquement des relations qui existent entre les parties contenantes de ce corps, les fluides contenus qui y sont en mouvement et la cause excitatrice des mou— vements et des changements qui s’y operent ; 2° Que conséquemment, la #e, dans un corps, est un ordre et un état de choses qui y permettent les mouvements organiques, et que ces mouvements, qui constituent la vie active, résultent de l'action d’une cause qui les excite ; 3° Que, sans la cause stimulante et excitatrice des mouvements vitaux, la vie ne saurait exister dans aucun corps, quel que soit l’état de ses parties ; 49 Qu'en vain la cause excitatrice des mouvements ET DE CE QUI LA CONSTITUE 407 organiques continuerait d'agir, si l’état de choses dans les parties du corps organisé est assez dérangé pour que ces parties ne puissent plus obéir à l’action de cette cause, et produire les mouvements parti- culiers qu'on nomme s{aux, la vie des lors s'éteint dans ce corps, et n’y peut plus subsister ; 9° Qu'enfin, pour que les relations entre les par- ties contenantes du corps organisé, les fluides qui y sont contenus, et la cause qui y peut exciter des mouvements vitaux, produisent et entretiennent dans ce corps le phénomène de la vie, il faut que les trois conditions citées dans ce chapitre soient remplies complétement. Passons actuellemënt à examen de la cause exci- tatrice des mouvements organiques. FIN DU TOME PREMIER TS cmt DPI RITES Fr spaietis: ob dé: hi ynaiinribhredteggl hanénäfrsotas feibateeshioeqis strviroo NF: vbs Gérer Egistnrp naanitunti en dipréèq É rec elasidé russe tan owibenp ta (serial 0 triste etat etbrôte dE sisié toemnoic cd'opiidfie, M ons. m0 bre nétetadtee Afin: 4roties ihoietieh uh #tÿ dobéértét #rbilalot astlerf Mb PTT a 4 upeëbendt estoyheinigiosqhrén first criurot ot em PTE NAN TL pape M réfrers pion tte) (2% attebin ot rrentnéeléteré à for animer ou alonnés np Méetf oir st sf saémomddlq a #10 99 esligmon bandes qi docs anis ntitihies hopmir 2 AE | At (duo afrats doive a Bmollsn sagas. : ODA np eu pitt eo Taie tour es RAS | antoup l'anitren: oi ue. cé. pit Notre rail | enirmtementt ons realite existent ontre ets partie f datet 4 covpe, Lex free contatus mit. at en IVortent dt-J0 cd tan AACITIINMER Me PCT es deg thai: an té QUI N'y DPArTÉTNE + NUIT CES NET lavé (EN COPENONE breretoun tata chusos 4 y nettoie Val VA TUNTIONR, ( fé de rutRaERS AFS 7 CT NCLIPL TUE e l'avtin d'Al Weù - | Ly4 Chu, Sant liens StrEb ne ces ta trés ; 1 mis < taux ln vins eutrait Ste dép, q'obyeé ft Vi tat dÉRTONTNES "4 } vin La mére parti AUS EU LE À AL TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE . : 2. d'A MONE N . v CÉVERTISSEMENT. 0e PRRNNOR AIRE NE ANNEES AE TASSE Motifs de l'ouvrage, et vues générales sur les sujets qui y sont traités. DiscOURS PRÉLIMINAIRE. en 2 Quelques considérations générales sur l'intérêt qu'offrel'étude des animaux, et particulièrement celle de leur organisation, surtout parmi les plus imparfaits. PREMIÈRE PARTIE CONSIDÉRATIONS SUR L'HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX LEURS CARACTÈRES, LEURS RAPPORTS, LEUR ORGANISATION, LEUR CLASSIFICATION ET LEURS ESPECES CHAPITRE PREMIER. — Des parties de l’art dans les productions de la nature laliexe.s, SEL rl, en 05e: HE. ce CO7 Comment les distributions systématiques, les classes, les ordres, les familles, les genres et la nomenclature ne sont que des parties de l’art. CHAPITRE II. — Imporlance de la considération des rapports. . 58 Cominent la connaissance des rapports entre les productions na- turelles connues fait la base des sciences naturelles, et donne de la solidité à la distribution générale des animaux. 410 TABLE DES MATIÈRES CHAPITRE III. — De l’EsPEGE parmi les corps vivants et de l’idée que nous devonsaftachelà Ce moi. IRAN OR Qu'il n’est pas vrai que les Espèces soient aussi anciennes que la nature, et qu’elles aient toutes existé aussi anciennement les unes que les autres, mais qu'il l’est qu’elles se sont formées successi- vement, qu’elles n'ont qu'une constance relative et qu’elles ne sont invariables que temporairement. LL CHAPITRE IV. — Généralités sur les animaux. . . . . . . 97 Les actions des animaux ne s’exécutent que par des mouvements excités, et non par des mouvements communiqués ou d’impulsion. L’IRRITABILTÉ seul est, pour eux, une faculté générale, exclusive, et source de leurs actions ; et il n’est pas vrai que tous les ani- maux jouissent du sentiment, ainsi que de la faculté d'exécuter des actes de volonté, CHAPITRE V. — Sur l’état actuel de la distribution et de la classifi- cation des aDIMAUX, 1e EU en tes Le NO OR MIE Que la distribution générale des animaux constitue une série qui n’estréellementtelle que dans les masses, conformément à la compo- sition croissante de l’organisation ; que la connaissance des rapports qui existent entre les différents animaux est le seul flambeau qui puisse guider dans l'établissement de cette distribution, en sorte que son usage en fait disparaitre l'arbitraire ; qu’enfin, le nombre des lignes de séparation, qu’il a fallu établir dans cette distribution pour former les classes, s'étant accru à mesure que les différents systèmes d'organisation furent connus, la distribution dont il s’agit présente maintenant quatorze classes distinctes, très-favorables à l'étude des animaux. CHapiTRE VI. — Dégradation et simplification de l’organisation d'une extrémité à l’autre de la chaine animale, en procédant du plus com- posé’vers leplos Siaples a. et vufer eg 7 OO OPEL Que c’est un fait positif qu'en suivant, selon l'usage, la chaîne des animaux depuisles plus parfaits jusqu'aux plus impartfaits, on observe une dégradation et une simplification croissantes dans l’organi- sation; que conséquemment, en parcourant l'échelle animale dans un sens opposé, c'est-à-dire selon l’ordre même de la nature, on trouvera une composition croissante dans l'organisation des ani- maux, composition qui serait partout nuancée et régulière dans sa progression, si les circonstances des lieux d'habitation, des ma- nières de vivre, etc., n’y avaient occasionné des anomalies diverses, Cuapirre VII, — De l'influence des circonstances sur les actions et les habitudes des animaux, et de celle des actions et des habitudes de ces corps vivants, comme causes qui modifient leur organisation et lenrssparties. ns 1h Sd de di O0 Comment la diversité des circonstances influe sur l’état de l'orga. nisation; la forme générale et les parties des animaux ; comment TABLE DES MATIÈRES 411 ensuite des changements survenus dans les circonstances d’habi- tation, de manière de vivre, etc., en amènent dans les actions des animaux; enfin, comment un changement dans les actions, de- venu habituel, exige, d’une part, l'emploi plus fréquent de telle des parties de l'animal, ce qui la développe et l’agrandit proportion- nellement, tandis que, de l’autre part, ce même changement rend moins fréquent et quelquefois nul l'emploi de telle autre partie, ce qui nuit à ses développements, l’atténue, et finit par la faire disparaitre. (Voyez les Appirioxs à la fin du deuxième volume.) CHaPiTRE VIII. — De l’ordre naturel des animaux et de la disposi- lion qu’il faut donner à leur distribution générale pour la rendre conforme à l’ordre même de la nature. . . . , . . . 266 Que l’ordre naturel des animaux, constituant une série, doit com- mencer par ceux qui sont les plus imparfaits et les plus simples en organisation, et se terminer par les plus parfaits, afin d’être con- forme à celui de la nature; car la nature, qui les a fait exister, n’a pu les produire tous à la fois. Or, les ayant formé successi- vement, elle a nécessairement commencé par les plus simples, et n’a produit qu'en dernier lieu ceux qui ont l'organisation la plus composée. Que la distribution ici présentée est évidemment celle qui approche le plus de l'ordre même de la nature; en sorte que s’il y a des corrections à faire dans cette distribution, ce ne peut ètre que dans les détails: comme en etfet je crois que les PoLYPES xus (p. 284) devront former le troisième ordre de la classe, et les PoLYPES FLOTTANTS en constituer le quatrième. SECONDE PARTIE CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES PHYSIQUES DE LA VIE, LES CONDITIONS QU'ELLE EXIGE POUR EXISTER. LA FORCE EXCITATRICE DE CES MOUVEMENTS, LES FACULTÉS QU'ELLE DONNE AUX CORPS QUI LA POSSÈDENT, ET LES RÉSULTATS DE SON EXISTENCE DANS CES CORPS ENPRODIICRION Un CU NRC 0 1 LUS COST RS CE 90 Quelques considérations généralessur la nature, sur son pouvoir de créer l’organisation et la vie, et de compliquer ensuite la première, n’employant dans toutes ces opérations que l'infltence des mou- vements de divers fluides sur des corps souples, que ces fluides modifient, organisent et animent. CHAPITRE PREMIER. — Comparaison des corps inorganiques avec les corps vivants, suivie d'un parallèle entre les animaux et les végé- RD. LS D. of SUR SAT RES 6 Que la différence est grande entre l’état des corps vivants et celui des corps inorganiques, Que les animaux sont essentiellement dis- ect or 412 TABLE DES MATIÈRES tisgués des végétaux par l'IRRITABILITÉ que les premiers possèdent exclusivement, et qui permet à leurs parties de faire des mouve- ments subits et répétés de suite autant de fois que des causes ex- citantes les provoquent, ce qui ne saurait avoir lieu à l'égard d'aucun végétal. CuariTRE Il. — De la vie, de ce qui la constitue, et des conditions es- sentielles à son existence dans un corps. . . . . . . . 381 Que la vie en elle-même n’est qu'un phénomène physique, qui donne graduellement lieu à beaucoup d'autres, et qui résulte uni- quement des relations qui existent entre les parties contenantes et appropriées d'un corps, les fluides contenus qui y sont en mou- vement, et la cause excitatrice des mouvements et des changements qui s’y opèrent. FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER RAR AU TU" 7e “ ES + 4 Ce a RE St 2e re NE À Lamarck, Jean Baptiste Pierre Antoine de Monet de Philosophie z001ogique PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY Ldde