2 à L 4 #4 L ne PHILOSOPHIE ZOOLOGIQUE TOME SECOND RiMEPIE PITRAÎT AINÉ, RUE GENTIL, à. LAMARCK PHILOSOPHIE OOLOGIQUE Oo! EXPOSITION DES CONSIDERATIONS RELATIVES A L’HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX . LEUR ORGANISATION ET DES FACULTES DE QU ILS EN OBTIENNENT ; A LA DIVERSITE EN EUX LA VIE ET DONNENT AUX CAUSES PHYSIQUES QUI MAINTIENNENT AUX MOUVEMENTS QU'ILS EXÉCUTENT ; A CELLES QUI PRODUISENT LES UNES LE SENTIMENT, ENFIN, LES AUTRES L'INTELLIGENCE DE CEUX QUI EN SONT DOUES. NOUVELLE ÉDITION LIEU REVUE ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE CHARLES MARTINS Professeur d'histoire naturelle à la Faculte de Médecine de Montpellie Directeur du Jardin des plantes de la même ville, le l'Institut et Associé national de l’Académie de Médecine Correspondant « TOME SECOND PARIS CIBRAIRIE F. HAUTEFEUILLE S AVY 24, RUE ee 1813 QL LS Us La PHILOSOPHIE ZOULOGIQUE SUITE DE LA SEGONDE PARTIE CERVP TER EME DE LA GAUSE EXCITATRICE DES MOUVEMENTS ORGANIQUES La vie étant un phénomène naturel, qui lui-même en produit plusieurs autres, et résultant des rela- tions qui existent entre les parties souples et conte- nantes d’un corps organisé et les fluides contenus de ce corps, comment concevoir la production de ce phénomène, c’est-à-dire l'existence et l'entretien des mouvements qui constituent la vie active du corps dont il s’agit, sans une cause particulière ex cilatrice de ces mouvements, sans une force qui LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. 1 2 DE LA CAUSE EXCITATRICE anime les organes, régularise les actions et fait exé- cuter toutes les fonctions organiques, en un mot, sans un ressort dont la tension soutenue, quoique variable, est le moteur efficace de tous les mouve- ments vitaux ! On ne saurait douter que les fluides visibles d’un corps vivant, et que les parties solides et souples qui les contiennent, ne soient étrangers à la cause que nous recherchons ici. Toutes ces parties forment ensemble l'équipage du mouvement, selon la com- paraison déjà faite, et ce n’est nullement le propre d'aucune d'elles de constituer la force dont il est question, C'est-à-dire le ressort moteur ou la cause excitatrice des mouvements de la vie. Ainsi, on peut assurer que, Sans une cause parti culière qui excite et entretient l'orgasme et irrila- bilité dans les parties souples et contenantes des ani- maux, et qui, dans les végétaux, y produit seule- ment un orgasme obscur, et y meut immédiatement les fluides contenus, le sang des animaux qui ont une circulation et la sanie blanchâtre et transparente de ceux qui n’en ont pas, resteraient en repos, et bien- tot se décomposeraient, ainsi que les parties qui contiennent ces fluides. De même, sans cette cause excitatrice des mouve- ments vitaux, sans cette force ou ce 7'essort qui fait exister dans un corps la vie active, la séve et les fluides propres des végétaux resteraient sans mou vement, s'altéreraient, s’exhaleraient, enfin opére- DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 3 raient la mort et le desséchement de ces corps vi vants. Les philosophes anciens avaient senti la nécessité d’une cause particulière excitatrice des mouvements organiques ; mais n'ayant pas assez étudié la nature, ils l'ont cherchée hors d'elle; ils ont imaginé une arché-vilale, une âme périssable des animaux, en ont même aussi attribué une aux végétaux, et à la place d’une connaissance positive à laquelle ils n’a- vaient pu atteindre, faute d'observations, ils n’ont créé que des mots auxquels on ne peut attacher que des idées vagues et sans base. Chaque fois que nous quitterons la nature pour nous livrer aux élans fantastisques de notre imagi- nation, nous nous perdrons dans le vague, et les ré- sultats de nos efforts ne seront que des erreurs. Les seules connaissances qu'il nous soit possible d’acqué- rir à son égard, sont et seront toujours uniquement celles que nous aurons puisées dans l'étude suivie de ses lois; hors de la nature, en un mot, tout n’est qu'égarement et mensonge : telle est mon opinion. S'il était vrai qu'il fût réellement hors de notre pouvoir de parvenir à déterminer la cause excitatrice des mouvements organiques, iln’en serait pas moins de toute évidence que cette cause existe et qu’elle est physique, puisque nous en observons les effets et que la nature a tous les moyens de la produire. Ne sait-on pas qu'elle a ceux de répandre et d’entrete- nir le mouvement dans tous les corps et qu'aucun 4 DIE L'A CAUSE EXCITATRICE des objets soumis à ses lois ne jouit réellement d’une stabilité absolue. Sans vouloir nous élever à la considération des premières causes, ni à celle de toutes les sortes de mouvements et de tous les changements qui s’obser- vent dans les corps physiques de tous genres, nous nous restreindrons à considérer les causes immé- diates et reconnues qui peuvent agir sur les corps vivants, et nous verrons qu'elles sont très-suffi- santes pour entretenir dans ces corps les mouve- ments qui y constituent la vie, tant que l’ordre de choses qui les permet n’y est pas détruit. Sans doute, il nous serait impossible de recon- naître la cause excitatrice des mouvements organi- ques, si les fluides subtils, invisibles, incontenables et sans cesse en mouvement qui la constituent, ne se manifestaient à nous dans une multitude de cir- constances ; si nous n’avions des preuves que tous les milieux dans lesquels tous les corps vivants ha— bitent en sont perpétuellement remplis ; enfin, si nous ne savions positivement que ces fluides invisi- bles pénetrent plus où moins facilement les masses de tous ces corps, y séjournent plus où moins de temps et que certains d’entre eux se trouvent conti- nüellement dans un état d’agitation et d'expansion qui leur donne la faculté de distendre les parties dans lesquelles ils s’insinuent, de raréfier les fluides propres des corps vivants qu'ils pénetrent et de com muniquer aux parties molles de ces mêmes corps un DÉS MOUVEMENTS ORGANIQUES 5 éréthisme, une tension particulière qu’elles conser- vent tant qu'elles se trouvent dans un état qui y est favorable. Mais il est bien connu que nous ne sommes pas réduits à cette impossibilité, car, qui ne sait qu'il n’est aucun des lieux du globe où les corps vivants habitent qui ne soit pourvu de calorique (même dans les régions les plus froides), d'électricité, de fluide magnétique, etc., et que partout ces fluides, les uns expansifs et les autres diversement agités, éprou- vent sans cesse des déplacements plus où moins ré- guliers, des renouvellements ou des remplacements, et peut-être même une véritable circulation à l'égard de quelques-uns d’entre eux. Nous ignorons encore quel est le nombre de ces fluides invisibles et subtils qui sont répandus et tou- Jours agités dans les milieux environnants, mais nous concevons de la manière la plus claire que ces flui- des invisibles, pénétrant, s’accumulant et s’agitant sans cesse dans chaque corps organisé, enfin, s'en échappant successivement apres y avoir été plus on moins longtemps retenus, y excitent les mouvements et la vie, lorsqu'il s'y trouve un ordre de choses qui y permet de pareils résultats. Relativement à ceux de ces fluides invisibles qui composent principalement la cause excilatrice que nous considérons ici, deux d’entre eux nous parais- sent faire essentiellement partie de cette cause, sa= voir : le calorique et le fluide électrique. Ge sont 6 DE LA CAUSE EXCITATRICE les agents directs qui produisent l’orgasme et les mouvements intérieurs qui, dans les corps organisés, y constituent et y entretiennent la vie. Le caloriqu parait être celui des deux fluides excitateurs en question qui cause et entretient lo gasine des parties souples des corps vivants, et le fluide électrique est vraisemblablement celui qui fournit la cause des mouvements organiques et des actions des animaux. Ce qui n'autorise à ce partage des facultés que j'assigne aux deux fluides dont ils’agit, se fonde sur les considérations suivantes. Dans les inflammations, l'orgasme qui y acquiert une énergie excessive et même à la fin destructive des parties, n'y devient évidemment tel que par l’extrème chaleur qui se développe dans les organes enflammés : c’est donc particulièrement au calori- que qu'il faut attribuer l'orgasme. La vitesse des mouvements du calorique, ainsi que celle avec laquelle ce fluide s’étend ou se distribue dans les corps qu'il pénètre sont bien loin d’égaler la rapidité extraordinaire des mouvements du fluide électrique, ce dernier fluide doit donc être celui qui fournit la cause des mouvements et des actions des animaux, ce doit être plus particulièrement le véri- table fluide excitateur. Il est possible, néanmoins, que quelques autres fluides invisibles et actifs concourent aussi avec les deux que je viens de citer, à la composition de la DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 7 cause excitatrice, mais, ce qui me paraît hors de doute, c’est que le calorique et l'électricité sont les deux principaux composants de cette cause, peut-être même sont-ils les seuls. Dans les animaux à organisation peu composée, le calorique des milieux environnants semble suffire lui seul pour l'orgasme et l'irrilabilité de ces corps, de là vient que dans les grands abaissements de température et pendant l'hiver des climats à grande latitude, les uns périssent entièrement et les autres subissent un engourdissement plus ou moins com- plet. Dans ces mêmes animaux, le fluide électrique ordinaire, celui que fournissent les milieux environ- nants, paraît y suffire aux mouvements organiques et aux actions. Il n’en est pas de même des animaux à organi- sation très-composée : dans ceux-ci, le calorique des milieux environnants ne fait que compléter ou plutôt qu'aider et favoriser le moyen que ces corps vivants possedent dans la production intérieure d’un calorique continuellement renouvelé. Il est même vraisemblable que ce calorique, intérieurement pro- duit, a subi quelques modifications dans l'animal, qui le particularisent et le rendent seul propre à l'entretien de l'orgasme ; car, lorsque par l’état de l’organisation, lorgasme et l’irritabilité se trou- vent trop affaiblis, le calorique de Pextérieur, soit celui de nos foyers, soit celui d’une température éle- vée, ne saurait suppléer le calorique intérieur. 8 DE LA CAUSE EXCITATRICE La mème observation semble aussi pouvoir s’ap- pliquer au fluide électrique excitateur des mouve- ments et des actions dans les animaux dont l’orga- nisation est très-composée. Il paraît effectivement que ce fluide électrique, qui s’y est introduit par la voie de la respiration ou par celle des aliments, a subi une modification quelconque en séjournant dans l'intérieur de l'animal et s’y est transformé en fluide nerveux ou galvanique. Quant au calorique, il est si vrai qu'il est l’un des principaux éléments de la cause excitatrice de la vie et que c’est particulièrement celui qui forme et en- tretien l'orgasme sans lequel la vie ne pourrait exister que, longtemps avant d'atteindre le froid ab- solu, un grand abaissement de température pour- rait l’anéantir dans tous les corps quien sont doués, s’il était assez considérable. Effectivement, le froid de nos hivers, surtout lorsqu'il est rigoureux, fait périr un grand nombre des animaux qui s’y trouvent exposés. Mais on sait que, dans aucun point du globe et en aucun temps de l’année, une absence totale de calorique ne se rencontre jamais. Je le répète, sans une cause particulière excita- trice de l'orgasme et des mouvements vitaux, sans cette force qui, seule, peut produire ces mouve- ments, la vie ne saurait exister dans aucun corps. Or, cette cause excitatrice est entièrement étran— gère aux facultés des fluides visibles des corps vivants et elle l’est pareillement à celles des parties conte- DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 9 nantes et solides de ces corps, c’est un fait dont il n’est plus possible de douter et que toutes les obser- vations attestent. Cette mème cause excitatrice est aussi celle de toute fermentation, et c’est elle seule qui en exé- cute les actes dans toute matiere composée, non vi- vante, dont l’état des parties s’y trouve favorable. Aussi dans les grands abaissements de température, les actes de la vie et ceux de la fermentation sont plus où moins complétement suspendus, selon que l'intensité du froid est plus où moins considé- rable. Quoique la vie et la fermentation soient deux phénomènes fort différents, elles puisent lune et l’autre dans la même source les mouvements qui les constituent, et il faut de part et d'autre que l’état des parties, soit du corps organisé capable de vivre, soit du corps inorganique qui peut fermenter, se trouve favorable à l’exécution de ces mouvements. Mais dans le corps doué de la vie, l’ordre et Pétat de choses qui y existent sont tels que toutes les alté- rations dans la combinaison des principes sont suc cessivement réparées par des combinaisons nouvel les et à peu pres semblables, que les mouvements subsistants occasionnent, tandis que dans le corps non organisé où désorganisé qui fermente, tous les changements qui s’exécutent dans la composition de ce corps où de ses parties ne sauraient se réparer par la continuité de la fermentation. 10 DE LA CAUSE EXCITATRICE Des linstant de la mort d’un individu, son corps désorganisé réellement, quoique souvent il n’en ait pas l'apparence, rentre aussitôt dans la classe de ceux dont les parties peuvent subir la fermentation, surtout les plussouples d’entre elles, et alors la cause excitatrice qui le faisait vivre devient celle qui hâte la décomposition de celles de ses parties qui sont susceptibles de fermenter. On voit donc, d’après les considérations que je viens d'exposer, que la cause excilatrice des mou- vements vitaux se trouve nécessairement dans des fluides invisibles, subtils, pénétrants et toujours ac- tifs, dont les milieux environnants ne sont jamais dé- pourvus, et que le principal élément de cette cause est celui qui entretient un orgasme essentiel à l’exis- tence de la vie, enfin, que c’est véritablement le ca- lorique, ce que les observations suivantes feront mieux sentir. Je n’ai besoin d'aucune citation particulière à cet égard, parce que le fait général qui s’y rapporte est assez connu. On sait que la chaleur, dans de cer- taines proportions, est généralement nécessaire à tous les corps vivants et qu'elle l’est principalement aux animaux. Lorsqu'elle s’affablit jusqu’à un cer- tain point, l’irritabilité des animaux perd de son in- tensité, les actes de leur organisation diminuent d'activité et toutes les fonctions languissent ou s'exé- cutent avec lenteur, surtout dans ceux de ces ami- maux en qui aucune production de calorique inté- D ES MOUVEMENTS ORGANIQUES 11 rieur ne s'opere. Lorsqu'elle s’affaiblit encore da- vantage, les animaux les plus imparfaits périssent et un grand nombre des autres tombent dans un en- œourdissement léthargique et n’ont plus qu'une vie suspendue ; ils la perdraient tous successivement si cette diminution de chaleur s’accroissait encore beau- coup au delà dans les milieux environnants, c’est ce dont on ne saurait douter. Au contraire, lorsque la température s’éleve, c’est-à-dire lorsque la chaleur s'accroît et se répand partout, si cet état de choses se soutient, on remar- que constamment que la vie se ranime et semble ac- quérir de nouvelles forces dans tous les corps vivants, que lirritabilité des parties intérieures des animaux augmente proportionnellement en intensité, que les fonctions organiques s’exécutent avec plus d'énergie et de promptitude, que la vie amène plus rapide- ment les différents états par lesquels les mdividus doivent passer pendant son cours et qu'elle-même arrive plutôt à son terme, mais aussi que les ré- générations sont plus promptes et plus abondantes. Quoique la chaleur soit nécessaire partout pour la conservation de la vie et qu'elle le soit principale- ment pour les animaux, il ne faudrait pas cependant que son intensité dépassat de beaucoup certaines limites, car alors ils en souffriraient considérable- ment et la moindre cause exposerait les animaux, dont l’organisation est tres-composée, à des maladies rapides qui les feraient promptement périr. 12 DE LA CAUSE EXCITATRICE On peut donc assurer que non-seulement la cha- leur est nécessaire à tous les corps vivants, mais que lorsqu'elle a une certaine intensité, sans dépasser certames limites, elle anime singulièrement tous les actes de l’organisation, favorise toutes les généra- tions et semble répandre partout la vie d’une ma- niere admirable. La facilité, la promptitude et l'abondance avec lesquelles la nature produit et multiplie dans les contrées équatoriales les animaux les plus simple- ment organisés sont autant de faits qui viennent à l'appui de cette assertion. En effet, la multiplication de ces animaux se fait singulièrement remarquer dans les temps et dans les lieux qui y sont favora- bles, c’est-à-dire dans les climats chauds et pour les pays à grande latitude dans la saison des chaleurs, surtout lorsque les circonstances qui favorisent cette fécondité y concourent. Effectivement, dans certains temps et dans cer- tains climats, la terre, particulièrement vers sa sur- face, où le calorique s’amasse toujours le plus forte- ment, et le sein des eaux, se peuplent, en quelque sorte, de molécules animées, c’est-à-dire d’animal- cules extrêmement variés dans leurs genres et leurs espèces. Ces animalcules, ainsi qu'une multitude d’autres animaux imparfaits de différentes classes, s'y reproduisent et s'y multiplient avec une fécon- dité étonnante, et qui est bien plus considérable que celles des gros animaux dont l’organisation est plus DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 13 compliquée. Il semble, pour ainsi dire, que la ma- tière s’animalise alors de toutes parts, tant les ré- sultats de cette prodigieuse fécondité sont rapides. Aussi, sans l'immense consommation qui se fait, dans la nature, des animaux qui composent les pre- miers ordre du règne animal, ils accableraient bien- tot et peut-être anéantiraient par les suites de leur énorme multiplicité, les animaux plus parfaits qui forment les dernières classes et les derniers or- dres de ce regne, tant la différence dans les moyens et la facilité de se multiplier est grande entre les uns et les autres ! Ce que je viens de dire relativement à la néces- sité pour les animaux d’un calorique répandu dans les milieux environnants et qui y varie dans de certaines limites, est parfaitement applicable aux végétaux, mais à l'égard de ceux-ci, la chaleur ne maintient en eux la vie que sous quelques conditions essentielles. La premiere, qui est la plus importante, exige que le végétal, en qui la chaleur anime la végéta- tion, ait continuellement et proportionnellement de l'humidité à la disposition de ses racines, car plus la chaleur augmente, plus ce végétal doit avoir d’eau pour fournir à la consommation qu'il en fait, ce qu'il perd de ses fluides par la transpiration étant alors d'autant plus considérable, et plus la chaleur diminue, moins il lui faut d'humidité qui nuirait alors à sa conservation. 14 DELA CAUSE EXCIDA TRACE La seconde condition pour que la végétation puisse perfectionner ses produits, exige que le végétal à qui la chaleur et l’eau ne manquent pas, ait aussi de la lumière en abondance. La troisième, enfin, le met dans la nécessité d'avoir de Pair, dont il s’approprie probablement l'oxygène, ainsi que les gaz qu'il y trouve, les dé- composant aussitot pour s'emparer de leurs prin- cipes. D’après tout ce que je viens d'exposer, il est de toute évidence que le calorique est la premiere cause de la vie, en ce qu’il forme et entretient l'orgasme, sans lequel elle ne pourrait exister dans aucun corps, et qu'il y réussit tant que l’état des parties du corps vivant ne s’y oppose pas. On voit, d’ailleurs, que ce fluide expansif, surtout lorsqu'il jouit, par son abon- dance, d’une certaine intensité d'action, est le prin- cipal agent de l'énorme multiplication des corps vivants dont J'ai parlé tout à l'heure. Aussi est-il constant que, dans les climats chauds du globe, les régnes animal et végétal offrent une richesse et une abondance extrèmement remarquables, tandis que, dans les régions glacées de la terre, ils ne s’y mon- trent que dans l’état du plus grand appauvrissement. Relativement à quantité d'animaux et de végétaux, il y a même, dans ce qui se passe à leur égard, une différence considérable que produisent l'été et Phi- ver de nos climats, et qui témoigne en faveur du principe que je viens d'établir. DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 19 Quoique le calcrique soit réellement la premiere ause de la vie dans les corps qui en jouissent, lui seul cependant ne pourrait nullement l’y faire exis- ter et y entretenir les mouvements aui la constituent en activité; il faut encore, surtout pour les ani- maux, l'influence d’un fluide excitateur des actes de leur irritabilité. Or, nous avons vu que l’électri- cité possède toutes les qualités nécessaires pour cons- üituer ce fluide excitateur, et qu’elle est assez géné- ralement répandue partout, malgré ses variations, pour que Îles corps vivants en soient toujours pour- vus. Que quelqu'autre fluide invisible se joigne à l’élec- tricité pour compléter la cause qui a la faculté d’ex- citer les mouvements vitaux et tous les actes de l'organisation, cela est tres-possible, mais je n’en vois nullement la nécessité. Il me parait que le calorique et la matière élec- trique suffisent parfaitement pour composer ensem— ble cette cause essentielle de la vie, l’un en mettant les parties et Les fluides intérieurs dans un état pro- pre à son existence, et l’autre en provoquant, par ses mouvements dans les corps, les différentes excita- tions qui font exécuter les actes organiques et qui constituent l’activité de la vie. Tenter d'expliquer comment ces fluides agissent, et de déterminer positivement le nombre de ceux qui entrent comme éléments dans la composition de la cause excitatrice de tous les mouvements orga- 16 DE LA CAUSE EXCITATRICE niques, ce serait abuser du pouvoir de notre imagi- nation, et créer arbitrairement des explications dont nous n'avons pas les moyens d'établir les preuves. Il nous suffit d’avoir montré que la cause excita- trice des mouvements qui constituent la vie, ne ré- side dans aucun des fluides visibles qui se meuvent dans l'intérieur des corps vivants, mais qu’elle prend sa source principalement, savoir : 1° Dans le calorique, qui est un fluide imvisible, pénétrant, expansif, continuellement actif, se tami- sant avec une certaine lenteur à travers les parties souples qu'il distend et rendirritables par ce moyen, se dissipant et se renouvelant sans cesse, et ne man— quant jamais entièrement dans aucun des corps qui possedent la vie ; 2° Dans le fluide électrique, soit ordmaire pour les végétaux et les animaux imparfaits, soit galva- nique pour ceux dont l’organisation est déja très- composée ; fluide subtil, dont les mouvements sont d'une rapidité extraordinaire, et qui, provoquant les dissipations subites et locales du calorique qui dis- tend les parties, excite les actes dirritabihite dans les organes non musculaires, et les mouvements des muscles lorsqu'il porte son influence sur leurs par- ties. Si les deux fluides que je viens de citer combinent ainsi leur action particulière, il en doit résulter, pour les corps organisés qui éprouvent cette action, une cause où une force puissante qui agit efficacement, DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 17 se réeularise dans ses actes par l’organisation, c'est à-dire par l'effet de la forme régulière et de la dis= position des parties, et entretient les mouvements et la vie tant qu'il existe dans ces corps un ordre de choses qui y permet de semblables effets. l'el est, selon les apparences, le mode d’action de la cause excitatrice de la vie ;. mais on ne saurait le regarder comme connu, tant qu'il sera impossible d'en établir les preuves. Telle est peut-être aussi, dans les deux fluides cités, la totalité des principes qui concourent à la production de cette cause ; mais c’est encore une connaissance sur laquelle on ne sau- rait compter. Ge qu'il y a de très-positif à ces égards, c’est que la source où la nature prend ses moyens pour obtenir cette cause et la force qui en résulte, se trouve dans des fluides invisibles et subtils, parmi lesquels les deux que je viens d'indiquer sont incon- testablement les principaux. Je dirai seulement que les fluides actifs et expan- sifs qui composent la cause excitatrice des mouve- ments vitaux, pénètrent ou se développent sans cesse dans les corps qu'ils animent, les traversent partout en régularisant leurs mouvements selon la nature, l'ordre et la disposition des parties, et s’en exhalent ensuite continuellement avec la transpiration insen- sible qu'ils occasionnent. Ce fait est incontestable, et sa considération répand le plus grand jour sur les causes de la vie. Examinons actuellement le phénomène particulier LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. è 18 DE LA CAUSE EXCITATRICE que je nomme orgasme dans les corps vivants, et de suite Parritabilité que cet orgasme produit dans les animaux où, par la nature de leur corps, il obtient une grande énergie. CHAPITRE IV DE L'ORGASME ET L’IRKITABILITÉ Ce n’est pas de l’affection particulière qu'on nomme orgasme dont il va être ici question, mais il s'agira, sous la même dénomination, de” l’état que conservent les parties souples et intérieures des ani- maux tant qu'ils possédent la vie; état qui leur est naturel, puisqu'il est essentiel à leur conservation , état, enfin, qui nécessairement n'existe plus dans leurs parties, lorsqu'ils ont cessé de vivre où peu de temps après. Il est certain que parmi les parties solides et in- térieures des animaux, celles qui sont souples sont animées pendant la vie d'un o7yasine où espèce d’éréthisme particulier qui leur donne la faculté de s’affaisser et de réagir aussitôt, lorsqu'elles recoi- vent quelque impression. Un orgasme analogue existe aussi dans les par- ties solides les plus souples des végétaux tant qu'ils sont vivants, mais il y est tres-obscur et tellement 20 DE L'ORGASME faible, qu'il ne donne nullement aux parties qui en sont douées la faculté de réagir subitement contre les impressions qu'elles pourraient recevoir. L’orgasme des parties souples et intérieures des animaux concourt, plus où moins, à la production des phénomènes organiques de ces corps vivants, il y est entretenu par un fluide (peut-être plusieurs) invisible, expansif et pénétrant, qui traverse avec une certaine lenteur les parties qui en jouissent, et produit en elles la tension ou lespece d’éréthisme que je viens de citer. L’orgasme qui résulte de cet état de choses dans les parties, s’y maintient pen- dant la durée de la vie, avec une énergie d'autant plus grande, que les parties qui l’éprouvent ont une disposition et sont d’une nature qui s’y trouvent plus favorables, et qu'elles ont plus de souplesse et sont moins desséchées. C'est ce même orgasme, dont on a reconnu la nécessité pour l’existence de la vie dans un corps, et que quelques physiologistes modernes ont regardé comme une espece de sensihilité ; de la, ils ont pré- tendu que la sensibilité était le propre de tout corps vivant, que tous sont à la fois sensibles et irritables, que leurs organes sont tous imprégnés de ces deux facultés nécessairement coexistantes, en un mot, qu'elles sont communes à tout ce qui a vie, consé- quemment aux animaux et aux végétaux. Enfin, Cabanis, qui partageait cette opinion avec M. Ri- cherand, et vraisemblablement avec d’autres, dit, ET DE L’IRRITABILITÉ 21 en effet, que la sensibilité est le fait général de la nature vivante. Cependant, M. Richerand, qui a particulièrement développé cette même opinion dans les prolégomè- nes desa Physiologie, reconnaissant que la sensibi- lité qui nous donne la faculté de recevoir des sensa- tions, et qui dépend des nerfs, n’est pas la même chose que cette espece de sensibilité plus générale à laquelle le système nervevx n’est pas nécessaire, propose de donner à la premiere le nom de percep- Hhibilité, et il nomme la seconde sensibilité latente. Puisque ces deux objets sont différents, et par leur source, et par leurs produits, pourquoi donner un nom nouveau au phénomène connu, depuis long- temps, sous celui de sensibilité, et transporter le nom de sensibilité à un phénomène plus nouvelle ment remarqué, et d’une nature tout à fait partieu- lière ? Il est assurément plus convenable de donner un nom particulier au phénomène général dont la vie dépend, et c’est ce que j'ai fait en le désignant sous la dénomination d’orgasme. Probablement, sans l'orgasme (/a sensibilité la— tente), aucune fonction vitale ne pourrait s’exécu- ter, car partout où il existe, il n'y a point d'inertie réelle dans les parties, et ces parties ne sont point simplement passives. On l’a senti, mais on a porté trop loin l’idée que l’on s’est formée des facultés des parties vivantes, lorsqu'on a dit qu'elles sentent et agissent chacune à leur manière, qu'elles recon— 22 DE L'ORGASME naissent dans les fluides qui les arrosent ce qui convient à leur nutrition, et qu’elles en séparent les matières qui ont affecté leur mode particulier de sensibilité. Quoiqu’on ne connaisse pas positivement ce qui se passe dans l'exécution de chaque fonction vitale, au lieu d'attribuer gratuitement aux parties une con- naissance et un choix des objets qu’elles ont à sépa- rer, à retenir, à fixer ou à évacuer, on a bien plus de raison pour penser : i° Que les mouvements organiques excités S’'exé— cutent simplement par laction et la réaction des parties ; 2° Qu'il résulte de ces actions et réactions que les parties subissent dans leur état et leur nature, des changements, des décompositions, des combinaisons nonvelles, etc. ; ; 3” Qu'à la suite de ces changements, il s’opère des sécrétions que le diamètre des canaux sécréteurs favorise, des dépôts que la convenance des lieux et la nature des parties permettent, tantôt de retenir -en isolement, et tantôt de fixer dans ces parties mê— mes, enfin, des évacuations diverses, des absorp- tions, des résorptions, etc. Toutes ces opérations sont mécaniques, assujet- ties aux lois physiques, et s’exécutent à l’aide de la cause excitatrice et de l'orgasme qui entretien- nent les mouvements et les actions, en sorte que, par ces moyens, ainsi que par la forme, la disposi- ET DE L’'IRRITABILITÉ 23 tion et la situation des organes, les fonctions vitales sont diversifiées, régularisées, et s’opérent chacune selon leur mode particulier. L’orgasme dont il s’agit dans ce chapitre, est un fait positif qui, quelque nom qu'on lui donne, ne peut plus être méconnu. Nous verrons qu'il est très- faible et très-obscur dans les végétaux, où il n’a que des facultés très-bornées, et qu’il se montre, au contraire, dans les animaux, d’une maniere des plus éminentes, car il produit en eux cette faculté remarquable qui les distingue et qu'on nomme #rr1- labilité : considérons-le d’abord dans les animaux. DE L’ORGASME ANIMAL Je nomme orgasme animal cet état singulier des parties souples d’un animal vivant, qui constitue, dans tous les points de ses parties, une /ension par- ticulière et si active, qu’elle les rend susceptibles de réaction subite et instantanée, contre toute impres- sion qu'elles peuvent éprouver, et qui les fait consé- quemment réagir sur les fluides en mouvement qu'elles contiennent. Cette tension, variable dans son intensité, selon l’état des parties qui la subissent, constitue ce que les physiologistes nomment le {ox des parties ; elle parait due, comme je l’ai dit, à la présence d’un fluide expansif qui pénètre ces mêmes parties, qui s'y maintient pendant un temps quelconque, qui tient 24 DE L'ORGASME leurs molécules dans un certain degré d’écartement entre elles, sans détruire leur adhérence ou leur té- nacité, et qui s’en échappe en partie et subitement, à tout contact provocateur d’une contraction, se ré- tablissant aussitôt apres. Ainsi, à l’instant de la dissipation du fluide expan- sif qui distendait une partie, cette partie s’affaisse sur elle-même par leffet de cette dissipation : mais elle se rétablit aussitôt dans sa distension premiere par l’arrivée de nouveau fluide expansif remplaçant. Il en résulte que l'orgasme de cette partie lui donne la faculté de réagir contre les fluides visibles qui agissaient sur elle. Cette tension des parties molles des animaux vi- vants ne va pas au point d'empêcher la cohésion des molécules qui forment ces parties, et de détruire leur adhérence, leur agglutination et leur ténacité, tant que l’intensité de l'orgasme n'excède pas certai- nes proportions. Mais la tension dont 1l s’agit empè- che le rapprochement et l’affaissement qu'auraient ces molécules, si la cause de cette tension n'existait pas, puisque les parties molles tombent réellement dans un affaissement remarquable aussitôt que cette cause cesse son influence. En effet, dans les animaux surtout, et même dans les végétaux, l’anéantissement de l'orgasme, qui ne s'effectue qu'à la mort des individus, donne alors lieu à un relâchement et un affaissement des parties souples, qui les rend plus molles et plus flasques que ET DE L’IRRITABILITÉ 25 dans l’état vivant. C’est ce qui a fait croire que ces parties flasques, considérées dans des vieillards après leur mort, n'avaient point acquis la rigidité qu'amène craduellement dans les organes la durée de la vie. Le sang des animaux, dont l’organisation est très- composée, jouit lui-même d’une sorte d'orgasme, surtout le sang artériel; car il est, pendant la vie, pénétré de certains gaz qui se développent dans ses parties, à mesure qu'elles subissent des change- ments. Or, ces gaz concourent peut-être aussi à l'excitation des actes d'irritabilité des organes, et conséquemment aux mouvements vitaux, lorsque le sang qui les contient affecte ces organes. L’excessive tension que forme l'orgasme dans cer- taines circonstances, soit dans toutes les parties molles de l'individu, soit dans certaines d’entre elles, et qui ne va pas néanmoins au point de rompre la cohésion de ces parties, est connue sous le nom d'éréthisme, dont le maximum produit l’inflam- mation, et l’excessive diminution de l'orgasme, mais qui ne va pas au point de le rendre nul, est, en gé- néral, désignée par le nom d’atonte. La tension qui constitue l'orgasme pouvant varier d'intensité entre certaines limites, d’une part, sans détruire la cohésion des parties, et de l’autre part, sans cesser d'exister, cette variation rend possibles les contractions et les distensions subites de ces parties, lorsque la cause de l'orgasme est instanta- nément suspendue et rétablie dans ses effets. Voilà, 26 DE L’ORGASME ce me semble, la cause première de l’irritabilité animale. La cause qui produit orgasme, c’est-à-dire cette tension particulière des parties souples et intérieures des animaux, fait sans doute partie de celle que j'ai nommée cause excilatrice des mouvements organi- ques, elle réside principalement dans le calorique, soit seulement dans celui que fournissent les milieux environnants, soit à la fois dans celui-ci et dans le mème calorique qui se produit sans cesse dans lin- térieur de beaucoup d'animaux. En effet, il s'émane continuellement un calorique expausif du sang artériel de beaucoup d'animaux qui constitue, dans leurs parties souples, la princi- pale cause de leur orgasme. Œest surtout dans ceux qui ont le sang chaud que l’émanation continuelle de ce calorique devient plus remarquable. Ce fluide expansif se dissipe continuellement des parties dans lesquelles il s'était répandu et qu'il distendait, mais il y est sans cesse renouvelé par la continuité des émanations nouvelles que le sang artériel de lani- mal ne cesse de fournir. Un fluide expansif, semblable à celui dont il vient d'être question, se trouve répandu dans les milieux environnants et fournit sans cesse à l'orgasme des animaux vivants, soit en complétant ce qui manque au culorique intérieur pour lexécuter, soit en l’effectuant totalement. Eu effet, il aide plus ou moins l'orgasme des ani- ET DE L’'IRRITABILITÉ 27 maux les plus parfaits et suffit seul à l'entretien de celui des autres ; il est surtout la cause de Porgasme de tous les animaux qui n’ont ni artères, ni veines, c'est-à-dire qui manquent de système de circulation. Aussi, tout mouvement organique s’affublit gra- duellement dans ces animaux, à mesure que la tem- pérature des milieux environnants s’abaisse, et si cet abaissement de température va toujours en augmentant, leur orgasme s’anéantit et ils pé- rissent. Que lon se rappelle lengourdissement qu'éprouvent les abeilles, les fourmis, les serpents et beaucoup d’autres animaux lorsquela température s’abaisse jusqu'à un certain point, et l’on jugera si ce que je viens d'exposer peut avoir quelque fonde- ment. L’abaissement de température qui cause lengour- dissement de beaucoup d'animaux, ne produit cet effet qu'en aflaiblissant leur orgasme, et par suite, qu'en ralentissant leurs mouvements vitaux. Si cet abaissement de température va trop loin, j'ai dit qu'il anéantissait alors l'orgasme dont il s'agit, ce O qui fait périr les animaux qui se trouvent dans ce cas ; mais je remarqueral, à cet égard, que dans les effets d’un refroidissement qui va au point d’amener la mort d’un individu, il y a une particularité ob- servée à l'égard des animaux à sang chaud et qui s'étend peut-être à tous ceux qui ont des nerfs : la VOICI. On sait qu'un abaissement de température suffi 28 DE L’ORGASME sant pour engourdir et réduire à un état de sommeil apparent certains animaux à mamelles, comme les marmotles, les chauves-souris, etc., n’est pas très considérable. Si la chaleur revient, elle les pénètre, les ranime, les réveille et leur rend leur activité habituelle, mais si, au contraire, le froid augmente encore apres que ces animaux sont tombés dans l’en- gourdissement, au lieu de les faire passer insensible- ment de leur état de sommeil apparent à la mort, cette augmentation de froid, si elle est un peu forte, produit alors sur leurs nerfs une irritation qui les réveille, les agite, ranime leurs mouvements organiques et par suite leur chaleur interne, et si cette augmentation de froid subsiste, elle les met bientôt dans un état de maladie qui cause leur mort, à moins que la chaleur ne leur soit promptement rendue. Il suit de là que, pour les animaux à sang chaud, et peut-être pour tous ceux qui ont des nerfs, un simple affaiblissement de leur orgasme peut les ré- duire à l’état d’engourdissement, mais qu'alors cet orgasme n'est pas totalement détruit, puisque s’il survient un froid assez grand pour l’anéantir, ce froid, avant d'opérer cet effet, les irrite, les fait souffrir, les agite et finit par les tuer. Il y a apparence qu'a l'égard des animaux privés de nerfs, tout abaissement de température capable d'affaiblir leur orgasme et de les réduire à un état d’engourdissement, peut, sil augmente suffisam— ET DE L'IRRITABILITÉ 29 ment, les faire passer de leur état de sommeil lé- thargique à celui de la mort, sansleur rendre aupa- ravant aucune activité passagère. On a pris l'effet pour la cause mème, lorsqu'on a supposé que le premier produit d’un certain degré de froid était de ralentir la respiration, et de là on a attribué l’engourdissement que subissent certains animaux lorsque la température s’abaisse suffisam— ment pour cet effet, à un ralentissement direct de la respiration de ces animaux, tandis que le ralentis- sement réel de cette même respiration n’est lui-même que la suite d’un autre effet produit par le froid, sa - voir l’affaiblissement de leur orgasme. A l'égard des animaux qui respirent par un pou- mon, ceux d'entre eux qui tombent dans lengourdis- sement lorsqu'ils éprouvent certains degrés de froid, subissent sans doute un ralentissement considérable dans leur respiration, mais ici ce ralentissement de respiration n’est évidemment que le résultat d’un orand affaiblissement survenu dans l'orgasme de ces animaux. Or, cet affaiblissement ralentit tous les mouvements organiques, lexécution de toutes les fonctions, la production du calorique intérieur, les pertes que font ces animaux pendant leur activité habituelle, et conséquemment réduit à tres-peu de choses où presqu'à rien leurs besoins de réparation pendant leur léthargie. En eflet, les animaux qui respirent par un pou- mon sont assujettis à des gonflements et des resser- 30 DE L'ORGASME rements alternatifs de la cavité qui contient leur organe respiratoire. Or, ces mouvements s’exécutent avec une facilité plus où moins grande, selon que l'orgasme des parties souples a plus où moins d’éner- gie. Ainsi, plusieurs animaux à mamelles, tels que la marmotte, le loir et beaucoup de reptiles, comme les serpents, tombent dans l’engourdissement à cer- tains abaissements de température, parce qu'ils ont alors leur orgasme très-affaibli et qu'il en résulte comme second effet un ralentissement dans toutes leurs fonctions organiques et par conséquent dans leur respiration. Si cette diminution dans l’énergie de leur orgasme n'avait pas lieu, il n'y aurait aucune raison pour que l'air, quoique plus froid, fût moins respiré par ces animaux. Dans les abeilles etles fournus, qui respi- rent par des trachées et dans lesquelles Porgane res- piratoire ne subit point de gonflements et de resser- rements alternatifs, on ne peut dire que lorsqu'il fait froid ces animaux respirent moins, mais on a de bons motifs pour assurer que leur orgasme est alors tresaffuibli et qu'il les réduit à l’engourdissement qu'ils éprouvent dans cette circonstance. Enfin, dans les animaux à sang chaud, la chaleur interne étant presque entierement produite en eux, soit par suite de la décomposition de Pair dans la respiration, ainsi qu'on le pense actuellement, soit parce qu’elle émane sans cesse du sang artériel dans les changements qu'il subit pour passer à lPétat de ET DE L’IRRITABILITÉ 34 sang veineux, Ce qui est mon opinion particuliere ; l'orgasme acquiert ou perd de son énergie selon que le calorique intérieur qui se trouve produit, aug- mente où diminue en quantité. IT est fort indifférent, pour la validité de l'expli- cation que je donne de l'orgasme, que le calorique qui se produit dans l’intérieur des animaux à sang chaud, soit le résultat de la décomposition de l'air dans la respiration ou qu'il soit une émanation du sang artériel à mesure qu'il se change en sang vei- neux. Cependant, si l’on voulait revenir à l'examen de cette question, Je proposerais les considérations suivantes : Si vous buvez un verre de liqueur spiritueuse, la chaleur que vous sentez se développer dans votre estomac ne provient pas assurément de votre respi- ration augmentée. Or, s'il peut s'émaner du calori- que de cette liqueur à mesure qu'elle subit des chan- gements dans votre organe, il en peut s’exhaler pareïllement de votre sang à mesure qu'il subit lui-même des changements dans Pétat de ses par- tes. Si dans la fièvre, la chaleur intérieure est fort augmentée, on observe qu'alors la respiration est aussi plus fréquente, et de là lon conclut que la consommation d'air est plus considérable, ce qui appuie l’opimion que le calorique intérieur des ani maux à sang chaud résulte de la décomposition de l'air respiré. Je ne connais pas d'expérience qui 32 DE L’ORGASME n’apprenne positivement si, pendant la fièvre, la consommation d’air est réellement plus considéra- ble que dans l’état de santé, je doute même que cela soit ainsi, car, si la respiration est plus fréquente dans cet état de maladie, il peut y avoir une com pensafion en ce qu'alors chaque inspiration est moms orande par la gène qu'éprouvent les parties, mais ce que je sais, c’est que lorsque j'éprouve une in- flammation locale, comme un furoncle ou toute au— tre tumeur enflammée, il s'émane du sang des par- ties souffrantes un calorique dune abondance extraordinaire, et cependant je ne vois pas qu'au- cune augmentation de respiration ait alors donné lieu à cette surabondance locale de calorique; je sens, au contraire, que le sang pressé et cumule dans la partie malade, doit être exposé à un désor- dre et à des altérations (ainsi que les parties sou ples qui le contiennent) qui le mettent dans le cas de produire en ce lieu le calorique observé. Admettre que l’air atmosphérique contient dans sa composition un fluide qui, lorsqu'il en est dégagé, est un calorique expansif, Cest ce que je ne puis faire ; j’ai exposé ailleurs mes motifs à cet égard. A la vérité, je crois que Pair est composé d’oxy- sene et d'azote et je sais qu'il contient du calorique interposé entre ses parties, parce que dans notre globe il n’y a nulle part de froid absolu. Je suis mème tres-persuadé que le fluide combiné et fixé qui, dans son dégagement, se trouve changé en ET DE L’IRRITABILITÉ 33 calorique expansif, faisait auparavant partie cons- tituante de notre sang ; que ce fluide combiné s’en dégage sans cesse partiellement, et que, par son dégagement successif, il produit notre chaleur in- terne. Ge qui doit nous faire sentir que cette chaleur interne ne vient pas de notre respiration, c’est que si nous ne réparions continuellement les pertes que fait notre sang par des aliments et conséquemment par un chyle toujours renouvelé qui s’y verse, notre respiration, sans cette réparation, ne rendrait pas à notre sang les qualités qu'il doit avoir pour la con- servation de notre existence. Le bénéfice que les animaux retirent de leur res- piration n’est pas douteux, leur sang en reçoit une réparation dont ils ne pourraient se passer sans pé- rir, etil parait qu'on est fondé à croire que c’est en s'emparant de l’oxygene de lair, que le sang reçoit une des réparations qui lui sont indispensables. Mais dans tout cela il n’y a aucune preuve que le calorique produit, vienne plutôt de l'air ou de son oxygene que du sang même. On peut dire la mème chose à l’égard de la com- bustion : l’air en contact avec les matières enflam- mées peut se décomposer et son oxygène dégagé peut se fixer dans les résidus de cette combustion ; mas 1l n'y a nulle preuve que le calorique alors produit, vienne plutôt de l'oxygène de l’air que des matières combustibles dans lesquelles je pense qu'il était combiné. Tous les faits connus s'expliquent LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 3 31 DE L’ORGASME mieux et plus naturellement dans cette dernière opi- nion que dans aucune autre. Quoi qu'il en soit, le fait positif est que, dans un grand nombre d'animaux, il y a un calorique ex- pansif continuellement produit dans leur intérieur et que c’est ce fluide invisible et pénétrant qui y en- tretient l’orgasme et l'irritabilité de leurs parties souples, tandis que dans les autres animaux lor- gasme et l'irritabilité sont principalement le résultat du calorique des mieux environnants. Refuser de reconnaître l'orgasme dont je viens de parler et le regarder comme un fait supposé, c'est-à-dire comme un produit de l'imagination, ce serait nier dans les animaux lexistence du /on des parties dont ces corps jouissent pendant la durée de leur vie. Or, la mort seule anéantit ce 0», ainsi que l'orgasme qui le constituait. ORGASME VÉGÉTAL Il parait que, dans les végétaux, la cause excita- trice des mouvements organiques agit principalement sur les fluides contenus et les met seuls en mouve- ment; tandis que le tissu cellulaire végétal, soit simple, soit modifié en tubes vasculiformes, n’en re- coit qu'un orgasme obscur, d’où nait une contracti- lité générale très-lente, qui n’agit jamais isolément, ni subitement. Si dans la saison des chaleurs üne plante cultivée ET DE L’IRRITABILITÉ 35 dans un pot où une caisse a besoin d’arrosement, ou remarque que ses feuilles, extrémité de ses ra- meaux, et ses jeunes pousses, sont pendantes et prè- tes à se flétrir : la vie cependant y existe toujours; mais logasme des parties souples de ce corps vi vant y est alors très-affaibli. Si l’on arrose cette plante, on la voit peu à peu redresser ses parties pendantes, et montrer un air de vie et de vigueur dont elle était privée lorsqu'elle manquait d’eau. Ge rétablissement de la vigueur du végétal n’est pas, sans doute, uniquement le produit des fluides contenus nouvellement introduits dans la plante, mais 1l est aussi l'effet de l'orgasme ranimé de ce végétal, le fluide expansif qui cause cet orgasme, pénétrant les parties de la plante avec d'autant plus de facilité, que ses sues ou ses fluides contenus sont plus abondants. Ainsi l'orgasme obscur des végétaux vivants cause, à la vérité, dans leurs parties solides, surtout dans les plus nouvelles, une contractilité lente et générale, une sorte de tension sans mouvements ins tantanés, mais que différents faits autorisent à re- connaître. Néanmoins, cet orgasme végétal ne donne nullement aux organes la faculté de réagir subite- ment au contact des objets qui devraient les affec- ter, et conséquemment il a nullement la puissance de produire l'irritabilité dans les parties de ces corps vivants. En effet, il n’est pas vrai, quoiqu'on ait dit le con- 36 DE L’'ORGASME traire *, que les canaux dans lesquels se meuvent les fluides visibles de ces corps vivants, soient sensibles aux impressions des fluides excitateurs, et qu'ils se relâchent et se distendent ensuite pour effectuer, par une réaction subite, le transport et l'élaboration de leurs fluides visibles, en un mot, qu'ils aient un véritable fon. Enfin, il n’est pas vrai que les mouvements par- ticuliers observés, à certaines époques, dans les or- ganes de la reproduction de diverses plantes, n1 que ceux des feuilles, des pétioles et même des petits rameaux et plantes dites sensitives, soient des pro- duits et des preuves d’irritabilité existante dans ces parties. J’ai observé et examiné ces mouvements, et je me suis convaincu que leur cause n’avait rien de comparable à lirritabilité animale. Voyez ce que J'en audit Ep T0Ta m0. Quoique la nature n’ait sans doute qu'un plan uni- que et général pour l'exécution de ses productions vivantes, elle a néanmoins varié partout ses moyens, en diversifiant ces productions, selon les circonstances et les objets sur lesquels elle a opéré. Mais l’homme, dans sa pensée, s'efforce sans cesse de la restreindre aux mêmes moyens, tant l’idée qu'il s’est formée de la nature est encore éloignée de celle qu'il en doit concevoir. Que d'efforts n’a-t-on pas faits pour trouver par- T 1 Richerand, Physiologie,t. !, p. 32. ET DE L'IRRITABILITÉ 37 tout la génération sexuelle dans les deux regnes des corps vivants ; et à l'égard des animaux, pour re- trouver dans tous des nerfs, des muscles, le senti ment, la volonté même qui est nécessairement un acte d'intelligence! Que la nature serait déçue de ce qu'elle est réellement, si elle se trouvait bornée aux facultés que nous lui attribuons ! On vient de voir que l’orgasme se montre avec une intensité tres-différente et par conséquent avec des résultats tout à fait particuliers selon la nature des corps vivants dans lesquels il est produit, et que dans les animaux seulement il donne lieu à l#1- tabilité. 11 convient donc d'examiner maintenant en quoi consiste le phénomène singulier qui porte ce non. L’'IRRITABILITÉ L’irritabilité est la faculté que possedent les par- ties irritables des animaux de produire subitement un phénomene local, qui peut s’exécuter dans chaque point de la surface de ces parties, et se répéter de suite autant de fois que la cause provocatrice de ce phénomeneagit sur les points capables d'y donner lieu. Ce phénomène consiste en une contraction subite et un affaissement du point irrité; aflaissement ac— compagné d’un resserrement des points environ nants vers celui qui à été affecté, mais qui est bien- tt suivi d'un mouvement contraire, c’est-à-dire 38 DE L'ORGASME d’une distension du point irrité et des parties voisi- nes; en sorte que l’état naturel des parties que lor- gasme distend se rétablit aussitôt. J'ai dit au commencement de ce chapitre que l’or- gasme est formé et entretenu par le calorique, c’est a-dire par un fluide invisible, expansif et pénétrant, qui traverse avec une certaine lenteur les parties souples des animaux, et y produit une tension ou une espèce d’éréthisme. Or, si une impression quel conque vient à s’opérer sur telle de ces parties, et qu'elle y provoque une dissipation subite du fluide invisible qui la distendait, aussitôt cette partie s’af- faisse et se contracte : mais si, dans l'instant même, une nouvelle quantité du fluide expansif se développe et vient la distendre de nouveau, alors elle réagit aussitôt, et produit ainsi le phénomène de l’irrita- bilité. Enfin, comme les parties voisines du point affecté éprouvent elles-mêmes une légère dissipation du fluide expansif qui les distendait, leur affaissement et leur rétablissement étant alternatifs, les mettent dans un état de tremblotement tres-passager. Ainsi, une contraction subite de la partie affectée, suivie d'une distension pareillement subite qui ré- tablit cette partie dans son premier état, constitue le phénomène local de l'éritabilité. Le phénomene dont il s’agit n’exige nullement, pour se produire, action d’aucun organe spécial, car l’état des parties et la cause qui le provoque suf- ET DE L’IRRITABILITÉ 39 fisent seuls à sa production; et, en effet, on l’ob- serve dans les organisations animales les plus simples : aussi, limpression qui donne lieu à ce phénomène n’est transportée par aucun organe par- ticulier à aucun centre de rapport, à aucun foyer action ; enfin, tout se passe uniquement dans le lieu mème de l'impression, et tous les points de la surface des parties irritables sont susceptibles de le produire et de le répéter toujours de la même ma- niere. Ce phénomène, comme on:voit, est bien dif- férent, par sa nature, de celui des sensations. D’apres toutes ces considérations on voit claire- ment que l'orgasme est la source où l’iritabilité prend naissance ; mais cet orgasme se montre avec une intensité tres-diflérente, selon la nature des corps dans lesquels il est produit. Dans les végétaux, où il est très-obscur, sans énergie, et où 1l ne cause qu'avec une extrème len— teur les affaissements et les distensions des parties, il n'a nullement le pouvoir de produire l’éritabi- lité. Au contraire, dans les animaux où, par la nature de la substance de leur corps, l’orgasme est tres- développé, il produit avec célérité les contractions et les distensions des parties, à la provocation des causes qui les excitent; il y constitue l’érritabilité d’une manière éminente. Cabanis, dans son ouvrage intitulé : apports du physique et du moral de l'homme, s'est pro- A 40 DE L’'ORGASME posé de prouver que la sensibilité et l'irritabilité sont des phénomènes de même nature et qui ont une source commune (//isloire des Sensations, vol. 1, p. 90); dans la vue, sans doute, d'accorder ce que l’on sait des animaux les plus imparfaits avec Popi- nion ancienne et toujours admise, que tous les ani- maux, sans exception, jouissent de la faculté de sentir. Les raisons que ce savant apporte pour montrer l'identité de nature entre le sentiment et l'ürrilabi- lité, ne m'ont paru ni claires, ni convaincantes : aussi ne détruisent-elles nullement les considéra- tions suivantes qui distinguent éminemment ces deux facultés. L’irrilabilité est un phénomène propre à lorga- nisation animale, qui n’exige aucun organe spécial pour s’exécuter, et qui subsiste quelque temps en- core après la mort de lindividu. Qu'il y ait, dans l’organisation, des organes spéciaux, où qu'il n’y en ait aucun, cette faculté pouvant néanmoins exister, est donc générale pour tous les animaux. La sensibilité, au contraire, est un phénomène particulier à certains animaux, en ce qu’elle ne peut se manifester que dans ceux qui ont un organe spé cial essentiellement distinct et seul propre à la pro- duire, et en ce qu’elle cesse constamment avec la vie, ou même un peu avant la mort. On peut assurer que le sentiment ne peut avoir leu dans un animal sans l'existence d’un organe spé- ET DE L'IRRITABILITÉ nl cial propre à le produire, c’est-à-dire sans un sys- lème nerveux. Or, cet organe est toujours très- distinct; car ne pouvant exister sans un centre de rapport pour les nerfs, il ne saurait ètre impercep- tible lorsqu'il existe. Cela étant ainsi, et quantité d'animaux n'offrant aucun syslème nerveux, il est évident que la sensibilité n’est pas une faculté gé- nérale pour tous les animaux. Enfin, le sentiment comparé à l’irritabilité, offre, en outre, cette particularité distinctive, qu'ilcesseavec la vie, où même un peu avant, tandis que l’érritabi- litése conserve quelque temps encore après lamortde l'individu, mème apres qu'il aurait été mis en pièces. Le temps pendant lequel lirritabilité se conserve dans les parties d’un individu après sa mort, varie, sans doute, à raison du système d'organisation de cet individu ; mais dans tous les animaux probable- ment, l'érritabilité se manifeste encore après la ces- sation de la vie. Dans l'homme, l'orritabilité de celles de ses par- ties qui en sont susceptibles, ne dure guere que deux ou trois heures après qu'il a cessé de vivre, et moins encore, selon la cause qui l’a fait périr : mais trente heures apres avoir enlevé le cœur d'une grenouille, ce cœur est encore irritable et susceptible de pro- duire des mouvements lorsqu'on lirrite. Il y a des insectes en qui des mouvements se manifestent plus longtemps encore après avoir été vidés de leurs or- ganes intérieurs. 42 DE L'ORGASME ET DE L’IRRITABILITÉ A D’après ce qui vient d’être exposé, on voit que l’'irritabilité est une faculté particulière aux ani maux; que tous en sont éminemment doués dans toutes où dans certaines de leurs parties, et qu'un orgasme énergique en est la source : on voit, en outre, que cette faculté est fortement distincte de celle de sentir ; que l’une est d’une nature très-dif- férente de celle de l’autre, et que le sentiment ne pouvant résulter que des fonctions d’un système nerveux, muni, comme je l’ai fait voir, de son cen- tre de rapport, il n'est propre qu'aux animaux qui possedent un pareil système d’organes. Examinons maintenant l'importance du tissu cel- lulaire dans toute espèce d'organisation. | CHAPITRE V DU TISSU CELLULAIRE, CONSIDÉRÉ COMME LA GANGUE DANS LAQUELLE TOUTE ORGANISATION A ETÉ FORMÉE À mesure que l’on observe les faits que nous pré- sente la nature dans ses diverses parties, il est sin- gulier de pouvoir remarquer que les causes, même les plus simples, des faits observés, sont souvent celles qui restent le plus longtemps inapercues. Ce n'est pas d'aujourd'hui que lon sait que tous les organes quelconques dans les animaux sont en- veloppés de #issu cellulaire, et que leurs momdres parties sont dans le même cas. En effet, il est reconnu depuis longtemps que les membranes qui forment les enveloppes du cerveau, des nerfs, des vaisseaux de tout genre, des glandes, des viscères, des muscles et de leurs fibres, que la peau mème du corps, sont généralement des produc- tions du dessu cellulaire. Cependant, 1l ne parait pas qu'on ait vu autre 4% DU TISSU chose dans cette multitude de faits concordants, que les faits eux-mêmes ; et personne, que je sache, n’a encore aperçu que le issu cellulaire est la matrice générale de toute organisation, et que sans ce tissu, aucun corps vivant ne pourrait exister et n’aurait pu se former. Ainsi, lorsque j'ai dit’ que le issu cellulaire est la gangue dans laquelle tous les organes des corps vivants ont été successivement formés et que le inouvement des fluides dans ce tissu est le moyen qu'emploie la nature pour créer et développer peu à peu ces organes aux dépens de ce même tissu, je n'ai pas craint de me voir opposer des faits qui at testeraient le contraire; car c'est en consultant les faits eux-mêmes qu'on peut se convaincre que tout organe quelconque a été formé dans le issu cellu- laire, puisqu'il en est partout enveloppé, même dans ses moindres parties. Aussi voyons-nous que, dans l'ordre naturel, soit des animaux, soit des végétaux, ceux de cescorps vi vants dont l’organisation est la plus simple, et qui, conséquemment, sont placés à l’une des extrémités de l’ordre, n'offrent qu'une masse de tissu cellulaire dans laquelle on n'aperçoit encore ni vaisseaux, ni glandes, ni viscères quelconques; tandis que ceux de ces corps qui ont l’organisation la plus compo— 1 Discours d'ouverture du cours d'animaux sans vertébres, prononcé en 1806, p. 33. Des l'an 1796, j'exposais ces principes dans les premieres lecons de mon cours. CELLULAIRE 45 sée, et qui, par cette raison, sont placés à l’autre extrémité de l’ordre, ont tous leurs organes telle- ment enfoncés dans le #ssw cellulaire, que ce tissu forme généralement leurs enveloppes et constitue pour eux ce milieu commun par lequel ils commu niquent et qui donne lieu à ces métastases subites, si connues de tous ceux qui s'occupent de l'art de guérir. Comparez dans les animaux l’organisation tres- simple des #rfusoires etdes polypes, qui n'offre dans ces êtres imparfaits qu'une masse gélatineuse uni- quement formée de tissu cellulaire, avec l’organisa- tion très-composée des mammiferes, qui présente un tissu cellulaire toujours existant, mais envelop- pant une multitude d'organes divers, et vous juge- rez si les considérations que j'ai publiées sur ce sujet important sont les résultats d’un système imagi- naire. Comparez de même dans les végétaux l’organisa- tion tres-simple des algues et des champignons avec l'organisation plus composée d’un grand arbre ou de tel autre végétal dicotylédon quelconque, et vous déciderez si le plan général de la nature n’est pas partout le même, malgré les variations infinies que ses opérations particulières vous présentent. Eflectivement, dans les algues inondées, telles que les nombreux /ucus qui constituent une grande fa- mille composée de différents genres, et telles encore que les w/va, les conferva, etc., le tissu cellulaire 46 DU TISSU à peine modifié se montre de maniére à prouver que c’est lui seul qui forme toute la substance de ces végétaux, en sorte que dans plusieurs de ces algues, les fluides intérieurs, par leurs mouvements dans ce tissu, n'y ont encore ébauché aucun organe quel- conque, et dans les autres, ils n'y ont frayé que quelques canaux rares qui vont alimenter les cor- puscules reproductifs que les botanistes prennent pour des graines, parce que souvent ils les trouvent enveloppés plusieurs ensemble dans une vésicule capsulaire, comme le sont aussi les gemmes de beau- coup de sertulaires connues. On ne peut donc se convaincre par observation que, dans les animaux les plus imparfaits, tels que les infusoires et les polypes, et dans les végétaux les moins parfaits, tels que les alques et les cham- pignons, tantôt il n'existe aucune trace de vaisseaux quelconques et tantôt 1l ne se trouve que des canaux rares simplement ébauchés ; enfin, on peut recon— naître que l’organisation tres-simple de ces corps vivants n'offre qu'un tissu cellulaire dans lequel les fluides qui le vivifient se meuvent avec lenteur et que ces corps dépourvus d'organes spéciaux ne se développent, ne s’accroissent et ne se multiplient ou ne se régénérent que par une faculté d'extension et de séparation de parties reproductives qu'ils possè= dent dans un degré très-éminent. À la vérité, dans les végétaux, mème dans les plus perfectionnés en organisation, il n’y a pas de CELLULAIRE 17 vaisseaux comparables à ceux des animaux qui ont un système de circulation. Ainsi, l’organisation intérieure des végétaux n’of- fre réellement qu'un #issu cellulaire plus ou moins modifié par le mouvement des fluides, tissu qui est très-peu modifié dans les algues, dans les champi- gnons et mème dans les mousses, tandis qu'il l’est beaucoup plus dans les autres végétaux et surtout dans ceux qui sont dicotylédons. Mais partout, mème dans les végétaux les plus perfectionnés, il n’y a vé- ritablement à l’intérieur de ces corps vivants qu'un tissu cellulaire modifié en une multitude de tubes divers, la plupart parallèles entre eux par suite du mouvement ascendant et du mouvement descendant des fluides, sans que ces tubes, dans leur structure, soient pour cela des canaux comparables aux vais- seaux des animaux qui possédent un système de cir- culation. Nulle part ces tubes végétaux ne s’entrela- cent et ne forment ces masses particulières de vais- seaux repliées et enlacées de mille maniéères que nous nommons glandes conglomérées dans les ani- maux qu ont une circulation. Enfin, dans tous les végétaux sans exception, l'intérieur de ces corps ne présente aucun organe spécial quelconque : tout y est tissu cellulaire plus où moins modifié, tubes lon- gitudinaux pour le mouvement des fuides et fibres plus où moins dures et pareillement longitudinales pour l’affermissement de la tige et des branches. Si d’une part l’on reconnait que tout corps vivant 48 DU TISSU quelconque est une masse de #ssu cellulaire dans laquelle se trouvent enveloppés des organes divers plus ou moins nombreux, selon que ce corps a une organisation plus où moins composée, et si de l’au- tre part l’on reconnaît aussi que ce corps, quel qu'il soit, contient dans ses parties des fluides qui y sont plus où moins en mouvement, selon que par l’état de son organisation, il possede une vie plus ou moins active où énergique, on doit donc conclure que c’est au mouvement des fluides dans le /issu cellulaire qu'il faut attribuer originairement la formation de toute espece d’organe dans le sein de ce tissu et que conséquemment chaque organe doit en être enve- loppé, soit dans son ensemble, soit dans ses plus pe- tites parties, ce qui a effectivement lieu. Relativement aux animaux, je n’ai pas besoin de faire sentir que, dans diverses parties de leur inté- rieur, le #ssu cellulaire s'étant trouvé resserré la- téralement par les fluides en mouvement qui Sy ouvraient un passage, à été affaissé sur lui-même dans ces parties; qu'ils’ y est trouvé comprimé et transformé, autour de ces masses courantes de fluide, en membranes enveloppantes ; et qu'a l’ex- térieur, ces corps vivants étant sans cesse compri- més par la pression des fluides environnants (soit les eaux, soit les fluides atmosphériques), et modi- fiés par des impressions externes, et par des dépôts qui s’y sont fixés, leur issu cellulaire a formé cette enveloppe générale de tout corps vivant qu'on CELLULAIRE 49 nomme peau dans les animaux et écorce dans les plantes. J'étais donc fondé en raisons, lorsque j'ai dit « que le propre du mouvement des fluides dans les parties souples des corps vivants qui les contiennent, et principalement dans le #issu cellulaire de ceux qui sont Les plus simples, est de s’y frayer des routes, des lieux de dépôt et des issues, d’y créer des ca- naux et, par suite, des organes divers, d’y varier ces canaux et ces organes à raison de la diversité, soit des mouvements, soit de la nature des fluides qui y donnent lieu, enfin, d'agrandir, d’allonger, de diviser et de soldifier graduellement ces canaux et ces organes par les matières qui se forment sans cesse dans ces fluides composés, qui s’en séparent ensuite, et dont une partie s’assimile et s’unit aux organes, tandis que l’autre est rejetée au dehors. » (Rech. sur les Corps vivants, p. 8 et 9.) De même j'étais fondé en raisons, lorsque j’ai dit « que l’état d'organisation dans chaque corps vivant a été obtenu petit à petit par les progres de l’in- fluence du mouvement des fluides (dans le #ssw cel- lulaire d'abord, et ensuite dans les organes qui S'y trouvent formés), et par ceux des changements que ces fluides y ont continuellement subi dans leur na- ture et leur état, par la succession habituelle de leurs déperditions et de leurs renouvellements. » Enfin, j'étais autorisé par ces considérations, lorsque j'ai dit « que chaque organisation et chaque LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 4 D0 DU TISSU forme acquises par cet état de choses et par les cir- constances qui y ont concouru, furent conservées et transmises par la génération, jusqu’à ce que de nou velles modifications de ces organisations et de ces formes eussent été acquises par la même voie et par de nouvelles circonstances. » (Rech. sur les Corps vivants, p. 9.) Il résulte de ce que je viens d'exposer, que le propre du mouvement des fluides dans les corps vi- vants, et par conséquent du mouvement organique, est non-seulement de développer l’organisation, tant que ce mouvement n’est point affaibli par l’indures- cence que la durée de la vie produit dans les orga- nes ; mais que ce mouvement des fluides a, en outre, la faculté de composer peu à peu l’organisation, en multipliant les organes et les fonctions à remplir, à mesure que de nouvelles circonstances dans la ma- niere de vivre, ou que de nouvelles habitudes con- tractées par les individus, l’excitent diversement, exigent de nouvelles fonctions, et conséquemment de nouveaux organes. J'ajoute à ces considérations, que plus le mouve= ment des fluides est rapide dans un corps vivant, plus il y complique l’organisation, et plus alors le système vasculaire s’y ramifie. C'est du concours non interrompu de ces causes et de beaucoup de temps, ainsi que d’une diversité in- finie de circonstances influentes, que les corps vivants de tous les ordres ont été successivement formés. CELLULAIRE 51 L'ORGANISATION VÉGÉTALE S’EST AUSSI FORMÉE DANS UN TISSU CELLULAIRE Que l’on se représente un #ssu cellulaire, dans lequel, par certaines causes, la nature n’a pu éta- blir l’érritabilité, et on aura l’idée de la gangue dans laquelle toute organisation végétale a été formée. Si l’on considère ensuite que les mouvements des fluides dans les végétaux ne sont excités que par des influences extérieures, on se convaincra que, dans cette sorte de corps vivants, la vie ne peut avoir qu'une faible activité, même dans les temps et les climats où la végétation est rapide, et que consé- quemment la composition de l’organisation, dans ces êtres, est nécessairement restreinte dans des li- mites tres-resserrées. On s’est donné des peines infinies pour connaître dans ses détails l’organisation des végétaux : on a cherché en eux des organes particuliers où spéciaux, comparables, s’il était possible, à quelques-uns de ceux que l’on connait dans les animaux; et les ré- sultats de tant de recherches n’ont abouti qu'à nous 1 L'analyse chimique a fait voir que les sübstances animales abondent en azote, tandis que les substances végétales sont dépourvues de cette matière, ou n’en contiennent que dans de très-petites proportions. Il y a donc entre la nature des substances animales et celle des subs- tances végétales une différence reconnuëé : or, cette différence peut être la cause que les agents qui produiseut l'orgasme et l'irritabilité des animaux ne peuvent établir les mêmes facultés dans les parties des végétaux vivants, 52 DU TISSU montrer dans leurs parties contenantes un issu cel- lulaire plus ou moins serré, dont les cellules plus ou moins allongées, communiquent entre elles par des pores et des tubes vasculaires de différente forme et grandeur, ayant la plupart des pores laté- raux, ou quelquefois des fentes. Tous les détails qui ont été présentés sur ce sujet fournissent peu d'idées claires et générales, et les seules qu'il nous semble convenable d'admettre comme telles, sont : 1° Que les végétaux sont des corps vivants plus imparfaits en organisation que les animaux, et dans lesquels les mouvements organiques sont moins ac- tifs, les fluides s’y mouvant avec plus de lenteur, et l'orgasme des parties contenantes n’y existant que d’une manière très-obscure ; 2° Qu'ils sont essentiellement composés de #issu cellulaire, puisque ce tissu se reconnaît dans toutes leurs parties, et que dans les plus simples d’entre eux (les algues, les champignons, et vraisemblable- ment toutes les plantes agaimes) on le trouve à peu près seul et n’ayant encore subi que peu de modifi- cations ; 9° Que le seul changement que le #ssu cellulaire ait éprouvé dans les végétaux monocotylédons ou dicotylédons, de la part des fluides qui ont été mis en mouvement dans ces corps, consiste en ce que certaines parties de ce #issu cellulaire ont été trans- formées en fubes vasculaires, de grandeur et de CELLULAIRE 03 forme variées, ouverts aux extrémités, et ayant la plupart des pores latéraux divers. J’ajouterai à tout ce que je viens de dire sur ce su jet, que le mouvement des fluides se faisant en gé- néral, soit en montant, soit en descendant, dans les végétaux, l’on sent que leurs vaisseaux doivent être presque toujours longitudinaux et à peu près paral- leles entre eux, ainsi qu'a la direction de la tige et des branches. Enfin, la partie extérieure du #ssu cellulaire, qui constitue la masse de chaque végétal et la matrice de sa chétive organisation, étant affaissée et resser- rée par les impressions que font sur elle le contact, la pression et le froissement varié des milieux en- vironnants, et se trouvant épaissie par des dépôts, est transformée en un tégument général!, qu'on nomme écorce, et qui est comparable à la peau des animaux. De la l’on concoit que la surface externe de cette écorce, plus désorganisée encore que l'écorce elle-même, par les causes que je viens d'indiquer, doit constituer cette pellicule extérieure qu'onnomme épiderme, soit dans les végétaux, soit dans les ani- maux . 1 Si les tiges des palmiers et de certaines fougères paraissent sans écorce, c'est que ces tiges ne sont que des collets radicaux allongés, dont l'extérieur offre une continuité de cicatrices qu'ont laissées les an- ciennes feuilles après leur chute; ce qui fait qu'il n'y peut exister une écorce continue ou sans interruption; mais on ne peut nier que chaque partie séparée de cet extérieur n'ait son écorce particulière, quoique plus ou moins perceptible, à cause du peu d'extension de ces parties. 54 DU TISSU Ainsi, si l’on considère les végétaux sous le rap- port de leur organisation intérieure, tout ce qu'ils nous montrent de saisissable est, pour les plus simples d’entre eux, un #ssu cellulaire sans vais- seaux, mais diversement modifié, étendu ou resserré dans ses expansions, par la forme particulière du végétal; et pour ceux qui sont plus composés, un assemblage de cellules et de tubes vascuhiformes de différentes grandeurs, ayant, la plupart, des pores latéraux , et des fibres plus ou moins abondantes qui résultent du resserrement et de l’endurcisse- ment qu'une partie des tubes vasculaires a été forcée de subir. Voilà tout ce que présente l’orga- nisation intérieure des végétaux, relativement aux parties contenantes, leur #0elle même n’en étant pas exceptée. Mais si l’on considère les végétaux sous le rap- port de leur organisation extérieure, tout ce qu'ils nous offrent de plus général et de plus essentiel à remarquer comprend : 1° Toutes les particularités gle leur forme, de leur couleur, de leur consistance, et de celles de leurs parties ; 20 [écorce qui les recouvre partout et qui les fait communiquer par ses pores avec les milieux envi- ronnants ; 3° Les organes plus où moins composés, qui naissent à l'extérieur, se développent dans le cours de la vie du végétal, servent à sa reproduction , CELLULAIRE 59 n’exécutent qu'une seule fois leurs fonctions, et sont les plus importants à considérer pour déterminer les caractères et les vrais rapports de chaque végétal. C’est donc dans la considération des parties exté— rieures des plantes, et principalement dans celle des organes qui sont propres à leur reproduction, qu'il faut chercher les moyens de caractériser les végé- taux et de déterminer leurs rapports naturels. D’après tout ce que je viens d'exposer, comme étant le résultat positif des connaissances acquises par l'observation, il est évident que, d’une part, les vrais rapports dans les animaux ne peuvent être déterminés que d’après leur organisation intérieure, parce qu’elle en fournit les moyens et les seuls véri- tablement importants, et que, de l’autre part, ces rapports ne peuvent être pareillement déterminés dans les végétaux, ainsi que les coupes qui y dis- tinguent les classes, les ordres, les familles et les genres, que d’après l’organisation extérieure de ces corps vivants ; car leur organisation intérieure est trop peu composée et trop confuse dans les diffé- rentes modifications qu'on peut observer en elle, pour offrir les moyens propres à remplir de pareils objets. Nous venons de voir que le issu cellulaire est généralement la gangue ou la matrice dans laquelle toute organisation a été primitivement formée, et que ce fut par les suites du mouvement des fluides intérieurs des corps vivants que tous leurs organes 56 DU TISSU CELLULAIRE furent créés dans cette gangue et à ses dépens. Maintenant nous allons examiner rapidement si l’on est réellement autorisé à attribuer à la nature la faculté de former des générations directes. CHAPITRE VI DES GÉNÉRATIONS DIRECTES OU SPONTANÉES L'organisation et la vie sont le produit de la nature, et en même temps le résultat des moyens qu'elle a reçus de lAufeur suprême de toutes choses et des lois qui la constituent elle-même : c’est ce dont on ne saurait maintenant douter. Ainsi, l’organisation et la vie ne sont que des phénomènes naturels, et leur destruction dans l'individu qui les possède n’est encore qu'un phénomène naturel, suite nécessaire de l'existence des premiers. Les corps sont sans cesse assujettis à des mutations d'état, de combinaison et de nature , au milieu des- quelles les uns passent continuellement de l’état de corps inerte ou passif, à celui qui permet en eux la vie, tandis que les autres repassent de l’état vivant à celui de corps brut et sans vie. Ces passages de la vie à la mort et de la mort à la vie font évidem-— 58 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES ment partie du cercle immense de toutes Les sortes de changements auxquels, pendant le cours des temps, tous les corps physiques sont soumis. La nature, ai-je déja dit, crée elle-même les pre- miers traits de l’organisation dans des masses où il n’en existait pas; et ensuite l’usage et les mouve- ments de la vie développent et composent les organes. (Rech. sur les Corps vivants, p. 92.) Quelque extraordinaire que puisse paraître cette proposition, on ne pourra s'empêcher de suspendre tout jugement qui tende à la rejeter, si on prend la peine d'examiner et de peser sérieusement les considérations que Je vais exposer. Les anciens philosophes, ayant observé le pouvoir de la chaleur, avaient remarqué l’extrême fécondité que les différentes parties de la surface du globe en recoivent de toutes parts, à mesure qu’elle y est plus abondamment répandue ; mais ils négligérent de considérer que le concours de l’hwmidité est la condition essentielle qui rend la chaleur si féconde et si nécessaire à la vie. Néanmoins, s'étant aperçus que la vie, dans tous les corps qui la possedent, puise dans la chaleur son soutien et son activité, et que sa privation amène partout la mort, ils sentirent, avec raison, que non-seulement la chaleur était néces- saire au soutien de la vie, mais qu'elle pouvait même la créer, ainsi que l’organisation. Ils reconnurent donc qu'il s’opérait des généra- lions directes, &’'est-à-dire des générations opérées CI OU SPONTANÉES 59 directement par la nature, et non formées par des individus d'espèce semblable : ils les nommeérent assez improprement générations spontanées ; et comme ils s’aperçurent que la décomposition des matières, soit végétales, soit animales, fournissait à la nature des circonstances favorables à la création directe de ces corps nouvellement doués de la vie, ils supposèrent, mal à propos, qu’ils étaient le pro- duit de la fermentation. Je puis montrer qu'il n’y eut point d'erreur de la part des anciens, lorsqu'ils attribuèrent à la nature la faculté d'opérer des générations directes, mais qu'ils en commirent une des plus évidentes, en ap- pliquant cette vérité morale à quantité de corps vivants qui ne sont et ne peuvent être nullement dans le cas de participer à cette sorte de génération. En effet, comme alors on n’avait pas suffisamment observé ce qui se passe relativement à ce sujet, et que l’on ignorait que la nature, à laide de la cha- leur et de l’humidité, ne crée directement que les premières ébauches de l'organisation et particulière ment que celle des corps vivants qui commencent, soit l'échelle animale, soit léchelle végétale, soit peut-être certaines de leurs ramifications, les an- ciens dont je parle penserent que les animaux à organisation peu composée, qu'ils nommeérent, par cette raison, animaux imparfaits, étaient tous les résultats de ces générations spontanées. Enfin, comme à ces époques l'histoire naturelle 60 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES n’avait fait presque aucun progrès, et qu’on n’avait observé que très-peu de faits relatifs aux produc- tions de la nature, les 2nsectes et tous les animaux que l’on désignait alors sous le nom de vers, étaient regardés généralement comme des animaux impar- faits qui naissent, dans les temps et les lieux favora- bles, du produit de la chaleur et de la corruption de diverses matières. On croyait alors que la chair corrompue engen- drait directement des larves qui, par la suite, se mé- tamorphosaient en mouches, que le suc extravasé des végétaux qui, à la suite de certaines piqûres d'insectes, donne lieu aux noix de galle, produisait directement les larves qui se transforment en ci- nips, etc., ete., ce qui est tout à fait sans fonde- ment. Ainsi, l'erreur des anciens, relative à une fausse application qu'ils firent des générations directes de la nature, c’est-à-dire de la faculté qu'elle a de créer les premieres ébauches de l’organisation et les premiers actes de la vie, se propageñt et se transmit d'âge en âge, fut étayée par les faits mal jugés que je viens de citer et devint, pour les modernes, le motif ou la cause d’une autre erreur, lorsqu'ils eurent reconnu la premiere. En effet, à mesure que l’on sentit la nécessité de recueillir des faits, et d'observer, avec précision, ce qui a véritablement lieu à cet égard, on parvint à découvrir l’erreur où les anciens étaient tombés : OU SPONTANÉES ôl des hommes célèbres par leur mérite et leurs talents d'observation, tels que Rhedi, Leuivenoek, etc., prouvèrent que tous les insectes, sans exception, sont ovipares, ou quelquefois en apparence vivipa- res, qu'on ne voit jamais paraître des vers sur la viande corrompue, que lorsque des mouches ont pu y déposer leurs œufs, enfin, que tous les animaux, quelque imparfaits qu'ils soient, ont les moyens de se reproduire et de multiplier eux-mêmes les indi- vidus de leur espèce. Mais, malheureusement pour les progrès de nos lumières, nous sommes presque toujours extrèmes dans nos jugements comme dans nos actions, et il ne nous est que trop commun d'opérer la destruc- tion d’une erreur, pour nous jeter ensuite dans une erreur opposée. Que d'exemples je pourrais citer à cet égard, même dans l’état actuel des opinions accréditées, si ces détails n'étaient étrangers à mon objet ! Ainsi, de ce qu’il fût prouvé que tous les animaux, sans exception, possèdent les moyens de se repro- duire eux-mêmes, de ce que l’on reconnüt que les insectes et tous les animaux des classes postérieures ne se reproduisent que par la voie d’une génération sexuelle, de ce que l’on aperçüt dans les vers et les radiaires des corps qui ressemblent à des œufs, enfin, de ce qu'il fût constaté que les polypes se reproduisent par des gemmes ou des espèces de bourgeons, lon en a conclu que les générations 62 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES directes, attribuées à la nature, n’ont jamais lieu, et que tout corps vivant provient d’un individu semblable de son espèce, par une génération, soit vivipare, soit ovipare, soit même gemmipare. Cette conséquence est défectueuse en ce qu’elle est trop générale, car elle exclut les générations directes opérées par la nature au commencement de l'échelle, soit végétale, soit animale, et peut-être encore au commencement de certaines ramifications de cette échelle. D'ailleurs, de ce que les corps en qui la nature a établi directement l’organisation et la vie en obtiennent aussitôt la faculté de se repro- duire eux-mêmes, s’en suit-il nécessairement que ces corps ne proviennent que d'individus semblables à eux? Non, sans doute, et c’est la l'erreur dans laquelle on est tombé, après avoir reconnu celle des anciens. Non-seulement on n’a pu démontrer que les ani- maux les plus simples en organisation, tels que les infusoires, et, surtout, parmi eux, les monades, ni que les végétaux les plus simples, tels, peut-être, que les byssus de la première famille des algues, provinssent tous d'individus semblables qui les au raient produits; mais, en outre, il y a des observa- tions qu tendent à prouver que ces animaux et ces végétaux extrêmement petits, transparents, d’une substance gélatineuse ou mucilagineuse, presque sans consistance, singulièrement fugaces, et aussi facile- ment détruits que formés, selon les variations de OÙ SPONTANÉES 63 circonstances qui les font exister ou périr, ne peu- vent laisser après eux des gages inaltérables pour de nouvelles générations. Il est, au contraire, bien plus probable que leurs renouvellements sont des produits directs des moyens et des facultés de la nature à leur égard, et qu'eux seuls, peut-être, sont dans ce cas. Aussi, verrons-nous que la nature n’a participé qu'indirectement à l'existence de tous les autres corps vivants, les ayant fait successivement dériver des premiers, en opérant peu à peu, à la suite de beaucoup de temps, des changements et une composition croissante dans leur organisation, et en conservant toujours, par la voie de la reproduction, les modifications acquises et les perfectionnements obtenus. S1 l’on reconnait que tous les corps naturels sont réellement des productions de la nature, il doit être alors de toute évidence que, pour donner l’existence aux différents corps vivants, elle a dù nécessaire- ment commencer par former les plus simples de tous, c’est-à-dire par créer ceux qui ne sont vérita= blement que de simples ébauches d'organisation, et qu'à peine nous osons regarder comme des corps organisés et doués de la vie. Mais lorsqu'à l’aide des circonstances et de ses moyens, la nature est parvenue à établir dans un corps les mouvements qui y constituent la vie, la succession de ces mouve- ments y développe l’organisation , donne lieu à la nutrition, la première des facultés de la vie , et de 64 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES celle-ci naît bientôt la seconde des facultés vitales, c’est-à-dire l'accroissement de ce corps. La surabondance de la nutrition, en donnant lieu à l’accroissement de ce corps, y prépare les maté- riaux d’un nouvel être que l’organisation met dans le cas de ressembler à ce même corps, et lui fournit par là les moyens de se reproduire, d’où nait la troisième des facultés de la vie. Enfin, la durée de la vie dans ce corps augmente graduellement la consistance de ses parties conte- nantes, ainsi que Leur résistance aux mouvements vitaux : elle affaiblit proportionnellement la nutri- tion, amène le terme de l’accroissement, et finit par opérer la mort de l'individu. Ainsi, dés que la nature est parvenue à faire exister la vie dans un corps, la seule existence de la vie dans ce corps, quoiqu'il soit le plus simple en organisation, y fait naître les trois facultés que je viens de citer ; et ensuite sa durée dans ce même corps en opère, par degrés, la destruction inévi- table. Mais nous verrons que la vie, surtout lorsque les circonstances y sont favorables, tend sans cesse, par sa nature, à composer l’organisation, à créer des organes particuliers, à isoler ces organes et leurs fonctions, et à diviser et multiplier ses divers cen- tres d'activité. Or, comme la reproduction conserve constamment tout ce qui a été acquis, de cette source féconde sont sortis, avec le temps, les différents OU SPONTANÉES 65 corps vivants que nous observons ; enfin, des rési- dus qu'ont laissé chacun de ces corps après avoir perdu la vie, sont provenus les différents minéraux qui nous sont connus. Voilà comment tous les corps naturels sont réellement des productions de la nature, quoiqu’elle n’ait donné directement lexis- tence qu'aux corps vivants les plus simples. La nature n’établit la vie que dans des corps alors dans l’état gélatineux où mucilagineux, et assez souples dans leurs parties pour se soumettre facile- ment aux mouvements qu'elle leur communique à l’aide de la cause excitatrice dont j'ai déja parlé, où d'un stimulus que je vais essayer de faire con- naître. Ainsi, tout germe, au moment de sa fécon- dation, c’est-à-dire à linstant où, par un acte orga- nique, il recoit la préparation qui le rend propre à jouir de la vie, et tout corps qui recoit directement de la nature les premiers traits de l’organisation et les mouvements de la vie la plus simple, se trou- vent nécessairement alors dans l’état gélatineux ou mucilagineux, quoiqu'ils soient cependant compo- sés de deux sortes de parties, les unes contenantes, et les autres contenues, celles-ci étant essentielle- ment fluides. COMPARAISON DE L’ACTE ORGANIQUE NOMMÉ FÉCONDATION AVEC CET ACTE DE LA NATURE QUI DONNE LIEU AUX GÉNÉRATIONS DIRECTES Quelque inconnus que soient pour nous les deux objets que je me propose de mettre ici en comparai- LAMARCK, PHIL. ZOOT,. 1]. D 66 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES son, leurs rapports néanmoins sont des plus évidents, puisque les résultats qui en proviennent sont à peu près les mêmes. En effet, les deux actes dont il s’agit font, de part et d'autre, exister la sie, ou lui don- nent lieu de pouvoir s'établir dans des corps où elle ne se trouvait pas auparavant, et qui ne pouvaient la posséder que par eux. Ainsi, leur comparaison attentivement suivie, ne peut que nous éclairer, jusqu'à un certain point, sur la véritable nature de ces actes. J'ai déjà dit ! que, dans la génération des ani- maux à mamelles, le mouvement vital paraissait succéder immédiatement dans l'embryon à la fécon- dation qu’il venait de recevoir, tandis que, dans les ovipares, il y a un intervalle entre lacte de la fécondation de l'embryon et le premier mouvement vital que l’incubation lui communique ; et lon sait que cet intervalle peut êtrequelquefoistrès-prolongé. Or, dans le cours de cet intervalle, embryon fécondé que l’on considère n’est pas encore au nom bre des corps vivants; il est propre, sans doute, à recevoir la vie, et, pour cela, il ne lui faut qu'un stimulus que peut lui fournir lincubation, mais tant que le mouvement organique ne lui a point été im primé par ce stimulus, cet embryon fécondé n’est qu'un corps préparé à posséder la vie, et non un corps qui en soit doué. 1 Recherches sur les corps vivants, p. 46. OU SPONTANÉES 67 Un œuf fécondé de poule ou de tout autre oiseau, que l’on conserve pendant un certain temps, sans l’exposer à l’incubation ou à l'élévation de tempéra- ture qui en tient lieu, ne contient pas un embryon vivant ; de même, une graine de plante, qui est vé- ritablement un œuf végétal , ne renferme pas non plus un embryon vivant, tant qu'on ne l’a point exposée à la germination. Or, si, par des circonstances particulieres, le mouvement vital que procure l’incubation ou la ger- mination n’est point communiqué à lembryon de cet œuf ou de cette graine, il arrivera que, au bout d’un temps relatif à la nature de chaque espèce et de certaines circonstances, les parties de cet embryon fécondé se détérioreront, et alors l’embryon dont il s’agit, n'ayant jamais eu la vie en propre, ne subira point la mort ; il cessera seulement d’être en état de recevoir la vie et achèvera de se décomposer. J'ai déjà fait voir, dans mes Mémiores de Physi- que et d'Histoire naturelle (p.250), que la vie pou- vait être suspendue pendant un temps quelconque, et reprise ensuite. Ici, je vais faire remarquer qu’elle peut être préparée , soit par un acte organique, soit directe ment par la nature elle-mème, sans aucun acte de ce genre, en sorte que certains Corps, sans posséder la vie, peuvent être préparés à la recevoir, par une impression qui, sans doute, race dans ces corps les preners traits de l’organisation. 68 ; DES GÉNÉRATIONS DIRÉCTES Qu'est-ce, en effet, que la génération sexuelle, si ce n’est un acte qui a pour but d'opérer la féconda- tion, et ensuite, qu'est-ce que la fécondation elle- même, si ce n’est un acte préparatoire de la vie, en un mot, un acte qui dispose les parties d’un corps à recevoir la vie et à en jouir ? L'on sait que, dans un œuf qui n’a point été fécondé, on trouve néanmoins un corps gélatineux qui, à l'extérieur, ressemble parfaitement à un em- bryon fécondé, et qui n’est autre que le germe qui existe déjà dans cet œuf, quoiqu'il n’ait point recu de fécondation. Cependant, qu'est-ce que le germe d’un œuf qui n’a recu aucune fécondation , si ce n’est un corps presque inorganique, un corps non préparé inté— rieurement à recevoir la vie, et auquel l’incubation la plus complète ne pourrait la communiquer ? C’est un fait généralement connu , que tout corps qui reçoit la vie, ou qui recoit les premiers traits de l’organisation qui le préparent à la possession de la vie, est alors nécessairement dans un état gélati- neux où mnucilagineux ; en sorte que les parties contenantes de ce corps ont la plus faible consis- tance, la plus grande flexibilité, et sont, consé- quemment , dans le plus grand état de souplesse possible. Il fallait que cela fût ainsi . il fallait que les par- ties solides du corps dont je parle fussent elles-, mêmes dans un état tres-voisin des fluides, afin que OU SPONTANÉES 69 la disposition qui peut rendre les parties intérieures de ce corps propres à jouir de la vie, c’est-à-dire du mouvement organique qui la constitue, pût être facilement opérée. Or, il me paraît certain que la fécondation sexuelle n'est autre chose qu'un acte qui établit une disposi- tion particulière dans les parties intérieures d’un corps gélatineux qui le subit; disposition qui con- siste dans un certain arrangement et une certaine distension de ces parties, sans lesquels le corps dont il s’agit ne pourrait recevoir la vie et en jouir. Il suffit pour cela qu'une vapeur subtile et péné- trante, échappée de la matière qui féconde, s’insinue dans le corpuscule gélatineux susceptible de la re- cevoir, qu'elle se répande dans ses parties, et qu’en rompant, par son mouvement expansif, l'adhésion qu'ont entre elles ces mêmes parties, elle y achève l’organisation qui y était déja tracée, et la dispose à recevoir la vie, c’est-à-dire les mouvements qui la constituent. Il parait qu'il y a cette différence entre l'acte de la fécondation qui prépare un embryon à la pos- session de la vie, et l'acte de la nature qui donne lieu aux générations directes; que le premier s'opère sur un petit corps gélatineux où mucilagi- neux, dans lequel l’organisation était déjà tracée, tandis que le second ne s'exécute que sur un petit corps gélatineux où mucilagineux, dans lequel il ne se trouve aucune esquisse d'organisation. 70 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES Dans le premier, la vapeur fécondante qui pénètre dans l'embryon ne fait, par son mouvement expan- sif, que désunir, dans le tracé de l’organisation, les parties qui ne doivent plus avoir d’adhérence entre elles, et que leur donner une certaine disposition. Dans le second, les fluides subtils ambiants, qui s’'mtroduisent dans la masse du petit corps gélati- neux où mucilagineux qui les recoit, agrandissent les interstices de ses parties intérieures et les trans- forment en cellules ; dès lors, ce petit corps n’est plus qu'une masse de issu cellulaire, dans laquelle des fluides divers peuvent s’introduire et se mettre en mouvement. Cette petite masse gélatineuse ou mucilagineuse, transformée en #issu cellulaire, peut donc alors jouir de la vie, quoiqu’elle n'offre encore aucun organe quelconque, puisque les corps vivants les plus sim- ples, soit animaux, soit végétaux, ne sont réellement que des masses de #issu cellulaire qui n’ont point d'organes particuliers. À cet égard, je ferai remar- quer que la condition indispensable pour Pexistence de la vie dans un corps, étant que ce corps soit composé de parties contenantes non fluides, et de fluides contenus qui peuvent se mouvoir dans ces parties, un corps que constitue un tissu cellulaire très-souple, et dont les cellules communiquent entre elles par des pores, peut remplir cet objet : le fait lui-même atteste que cela peut être ainsi. Si la petite masse dont il s’agit est gélatineuse, OU SPONTANÉES 71 ce sera la vie animale qui pourra s’y établir, mais si elle n’est que mucilagineuse, la vie végétale seule pourra y exister. Relativement à l’acte de fécondation organique, si vous comparez l'embryon d’un animal ou d’un végétal qui n’a point encore recu de fécondation, avec le même embryon qui aura subi cet acte prépa- ratoire de la vie, vous n’observerez entre eux aucune différence perceptible, parce que la masse et la con- sistance de ces embryons seront encore les mêmes, et que les deux sortes de parties qui les constituent se trouveront dans un terme extrème d’obscurité. Vous concevrez alors qu'une flamme invisible ou une vapeur subtile et expansive (aura vitalis), qui s’émane de la matière fécondante, ne fait, en péné- trant un embryon gélatineux ou mucilagineux, c’est a-dire en traversant sa masse et se répandant dans ses parties souples, qu'établir dans ces mêmes parties une disposition qui n'y existait pas auparavant , que détruire la cohésion de celles de ces parties qui doi- vent être désunies, que séparer les solides des fluides dans l’ordre qu'exige l’organisation déjà esquissée , et que disposer les deux sortes de parties de cet em- bryon à recevoir le mouvement organique. Enfin, vous concevrez que le #ouvement cilal qui succède immédiatement à la fécondation dans les mammiferes, et qui, au contraire, dans les ovipares et dans les végétaux, ne s'établit qu'a l’aide de diverses sortes d’incubation pour les uns et de la 72 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES germination pour les autres, doit ensuite développer peu à peu l’organisation des individus qui en sont doués. Nous ne pouvons pénétrer plus avant dans le mystère admirable de la fécondation , mais la con- sidération qui le concerne et que je viens d'exposer est incontestable, et elle repose sur des faits positifs qui me semblent ne pouvoir être révoqués en doute. Il importait donc de faire remarquer que, dans un autre état de choses, la nature imite elle-même, pour ses générations directes, le procédé de la fé- condation qu'elle emploie dans les générations sexuelles, et qu'elle n’a pas besoin, pour cela, du concours où des produits d'aucune organisation préexistante. Mais auparavant, il est nécessaire de rappeler qu'un fluide subtil, pénétrant, dans un état plus ou moins expansif, et vraisemblablement d’une nature tres-analogue à celle du fluide qui constitue les vapeurs fécondantes , se trouve continuellement ré- pandu dans notre globe, et qu'il fournit et entretient sans cesse le stimulus qui fait, ainsi que l'orgasme, la base de tout mouvement vital; en sorte que l’on peut assurer que, dans les lieux et les climats où l'intensité d'action du fluide dont il s’agit se trouve favorable au mouvement organique, celui-ci ne cesse d'exister que lorsque des changements survenus dans l’état des organes d’un corps qui jouit de la vie, ne OU SPONTANÉES 73 permettent plus à ces organes de se prêter à la con- tinuité de ce mouvement. Ainsi, dans les climats chauds, où ce fluide abonde , et particulièrement dans les lieux où une humidité considérable se trouve jointe à cette cir- constance, la vie semble naître et se multiplier par- tout, l’organisation se forme directement dans des masses appropriées où elle n'existait pas antérieu- rement, et dans celles où elle existait déjà, elle se développe avec promptitude et parcourt ses diffé rents états, dans chaque individu, avec une célérité singulièrement remarquable. On sait, effectivement, que dans les temps et les climats tres-chauds, plus les animaux ont leur orga- nisation composée et perfectionnée , plus l’influence de la température leur fait parcourir promptement les différents états compris dans la durée de leur existence, cette influence en rapprochant propor- tionnellement les époques et le terme de leur vie. On sait assez que, dans les régions équatoriales, une jeune fille est nubile de tres-bonne heure, et que de très-bonne heure aussi elle voit arriver lâge du dépérissement où de la vieillesse. Enfin, c’est une chose reconnue, que lintensité de la chaleur rend fort dangereuses les différentes maladies con- nues, en leur faisant parcourir leurs termes avec une rapidité étonnante. D'après ces considérations, on peut conclure que la chaleur, quand elle est considérable, est nuisible 74 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES généralement à tous les animaux qui vivent dans l'air, parce qu’elle raréfie fortement leurs fluides essentiels. Aussi at-on remarqué que, dans les pays chauds, principalement aux heures de la journée où le soleil est très-ardent, ces animaux paraissent souffrir, et se cachent pour éviter la trop grande impression de la lumière. Au contraire, tous les animaux aquatiques ne re- coivent de la chaleur, quelque grande qu’elle puisse être, que des effets favorables à leurs mouvements et à leurs développements organiques ; et parmi eux, ce sont surtout les plusimparfaits, tels que les #nfusoires, les polypes et les radiaires, quien profitent le plus, comme d’une circonstance avantageuse pour leur multiplication et leur régénération. Les végétaux, qui ne possèdent qu'un orgasme imparfait et fort obscur, sont absolument dans le mème cas que les animaux aquatiques dont je viens de parler : car quelle que puisse être l’intensité de la chaleur, si ces corps vivants ont suffisamment de l’eau à leur disposition, ils ne végètent que plus vigoureusement. Nous venons de voir que la chaleur est indispen- sable aux animaux les plus simplement organisés, examinons maintenant s’il n’y à pas lieu de croire qu'elle ait pu former elle-même, avec le concours de circonstances favorables, les premières ébauches de la vie animale. OU SPONTANÉES 15 La nature, à l'aide de la chaleur, de la lumière, de lélectricité et de l'humidité, forme des généra- tions spontanées ow directes, à l'extrémité de chaque règne des corps vivants, où se trouvent les plus sim- ples de ces corps. Cette proposition est si éloignée de l’idée que l'on s’est formée à cet égard, que l’on sera porté long- temps à la rejeter comme une erreur, et même à la regarder comme l’un des produits de notre imagi- nation. Mais comme il arrivera tôt ou tard que des hom- mes indépendants des préjugés, même de ceux qui sont le plus généralement répandus, et profonds observateurs de la nature, pourront entrevoir les vérités que cette proposition renferme, je désire de pouvoir contribuer à les leur faire apercevoir. Je crois avoir prouvé, par le rapprochement des faits analogues, que la nature, dans certaines cir- constances, imite ce qui se passe dans la fécondation sexuelle, et opére elle-même la vie dans des masses isolées de matières qui se trouvent dans un état propre à la recevoir. En effet, pourquoi la chaleur et l'électricité qui, dans certaines contrées et dans certaines saisons, se trouvent si abondamment répandues dans la nature, surtout à la surface du globe , n’y opéreraient-elles pas sur certaines matiéres qui se rencontrent dans un état et des circonstances favorables, ce que la 76 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES vapeur subhle des matières fécondantes exécute sur les embryons des corps vivants qu’elle rend propres à jouir de la vie? Un savant célebre.(Lavoisier, Chimie, t. I, p- 202) a dit, avec raison, que Dieu, en apportant la lumiere, avait répandu sur la terre le principe de l’organisation, du sentiment et de la pensée. Or, la lumiere, que l’on sait être génératrice de la chaleur, et cette dernière, que l’on a justement regardée comme la mère de toutes les générations, répandent au moins sur notre globe le principe de l’organisation et du sentiment ; et comme le senti- ment, à son tour, donne lieu aux actes de la pensée, par suite des impressions multipliées que les objets intérieurs et extérieurs exercent sur son organe, par le moyen des sens, on doit reconnaitre dans ces bases l'origine de toute faculté animale. Cela étant ainsi, peut-on douter que la chaleur, cette mère des générations, cette âme matérielle des corps vivants, ait pu être le principal des moyens qu'emploie directement la nature, pour opérer sur des matières appropriées une ébauche d’organisa- tion , une disposition convenable des parties, en un mot, un acte de vitalisation analogue à celui de la fécondation sexuelle ? Non-seulement la formation directe des corps vi- vants les plus simples a pu avoir lieu, comme je vais le démontrer, mais la considération suivante prouve qu'il est nécessaire que de pareilles forma- OU SPONTANÉES 77 tions s’operent et se répètent continuellement, dans les circonstances qui s’y trouvent favorables, sans quoi l’ordre de choses que nous observons ne pour- rait exister. J'ai déjà fait voir que les animaux des premières classes (les #nfusoires, les polypes et les radiaires) ne se multiplient point par la génération sexuelle, qu'ils n’ont aucun organe particulier pour cette gé- nération, que la fécondation est nulle pour eux, et que, conséquemment, ils ne font point d'œufs. Maintenant, si nous considérons les plus impar- faits de ces animaux, tels que les infusoires, nous verrons que, lorsqu'il survient une saison rigou- reuse, ils périssent tous , ou au moins ceux du pre- mier de leurs ordres. Or, puisque ces animalcules sont si éphémères et ont une si frèle existence, avec quoi ou comment se régénérent-ils dans la saison où on les voit reparaître ? Ne doit-on pas avoir lieu de penser que des organisations si simples, que des ébauches d’animalité si fragiles et de si peu de con- sistance, ont été nouvellement et directement for- mées par la nature, plutôt que de s’ètre régénérées elles-mêmes? Voilà nécessairement la question où il en faudra venir à l'égard de ces êtres singuliers. On ne saurait donc douter que des portions de matières Inorganiques appropriées, et qui se trouvent dans un concours de circonstances favorables, ne puissent, par l'influence des agents de la nature, dont la chaleur et l’humidilé sont les principaux, 78 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES recevoir dans leurs parties cette disposition qui ébauche l’organisation cellulaire, de là, conséquem- ment, passer à l’état organique le plus simple, et des lors jouir des premiers mouvements de la vie. Sans doute, il n’est jamais arrivé que des matières non organisées et sans vie, quelles qu'elles pussent ètre, aient pu, par un concours quelconque de circonstances , former directement un insecte, un poisson, un oiseau, etc., ainsi que tel autre animal dont l’organisation est déjà compliquée et avancée dans ses développements. De pareils animaux ont pu assurément recevoir l'existence que par la voie de la génération, en sorte qu'aucun fait d’anima- lisation ne peut les concerner. Mais les premiers linéaments de l’organisation, les premières aptitudes à recevoir des développe- ments internes, c’est-à-dire par intus-susception, enfin, les premières ébauches de l’ordre de choses et du mouvement intérieur qui constituent la vie, se forment tous les jours sous nos yeux , quoique jus- qu'a présent on n’y ait fait aucune attention, et donnent l'existence aux corps vivants les plus sim— ples, qui se trouvent à l’une des extrémités de chaque règne organique. Il est bon d'observer que l’une des conditions essentielles à la formation de ces premiers linéa- ments de l’organisation, est la présence de l’hunu= dité, et surtout celle de l’eau en masse fluide. Il est si vrai que ce n’est uniquement qu'à la faveur OU SPONTANKÉES 79 de l'humidité que les corps vivants les plus simples peuvent se former et se renouveler perpétuellement, que tous les 2nfusoires , tous les polypes et toutes les radiaires, ne se rencontrent jamais que dans l’eau ; en sorte qu’on peut regarder comme une vé- rité de fait, que c’est exclusivement dans ce fluide que le règne animal à pris son origine. Poursuivons lexamen des causes qui ont pu créer les premiers traits de l’organisation dans des masses appropriées où 1l n’en existait pas. Si, comme je l'ai fait voir, la lumiere est généra- trice de la chaleur, celle-ci l’est, à son tour, de l'orgasme vital qu'elle produit et eutretient dans les animaux qui n’en ont point en eux la cause; ainsi, elle peut donc en créer les premiers éléments dans les masses appropriées qui ont reçu la plus simple de toutes les organisations. Si l’on considere que l’organisation la plus simple n’exige aucun organe particulier, c’est-a-dire aucun organe spécial, distinet des autres parties du corps de l'individu et propre à une fonction particuliere (ce que la simplification de l’organisation observée dans beaucoup d'animaux qui existent rend évident), l’on concevra qu'elle pourra s’opérer dans une petite masse de matières qui possédera la condition sui vante : Toute masse de matières en apparence homo» gène , d’une consistance gélatineuse ow mucilagi= 80 DES GENERATIONS DIRECTES neuse, et dont les parties, cohérentes entre elles, seront dans l’état le plus voisin de la fluidité, mais auront seulement une consistance suffisante pour constituer des parties contenantes, sera le corps le plus approprié à recevoir les premiers traits de l’organisation et la we. Or, les fluides subtils et expansifs répandus et toujours en mouvement dans les milieux qui envi- ronnent une pareille masse de matières, la pénétrant sans cesse et se dissipant de même, régulariseront, en traversant cette masse, la disposition intérieure de ses parties, la constitueront dans un état ce/lu- laire, et la rendront propre alors à absorber et à exhaler continuellement les autres fluides environ- nants qui pourront pénétrer dans son intérieur et qui seront susceptibles d'y être contenus. On doit, en effet, distinguer les fluides qui péne- trent dans les corps vivants : 1° En fluides contenables, tels que l'air atmos- phérique, différents gaz, l’eau, etc. La nature de ces fluides ne leur permet pas de traverser les pa- rois des parties contenantes, mais seulement d’en- trer et de s'échapper par des issues ; 2 En fluides incontenables, tels que le calo- rique, l'électricité, ete. Ces fluides subtils étant susceptibles, par leur nature, de traverser les parois des membranes enveloppantes, des cellules, etc., aucun corps, par conséquent, ne peut les retenir ou les conserver que passagèrement. OÙ SPONTANÉES 81 D’après les considérations exposées dans ce cha- pitre, ilme paraît certain que la nature opère elle- même des générations directes où spontanées, qu'elle en a les moyens, qu’elle les exécute à l'extrémité antérieure de chaque règne organique où se trouvent les corps vivants Les plus imparfaits, et que c’est uniquement par cette voie qu'elle a pu donner l'existence à tous les autres. Ainsi, c’est pour moi une vérité des plus éviden- tes, savoir : que la nature forme des générations directes , dites spontanées, au commencement de l’échelle , soit végétale, soit animale. Mais une question se présente : est-il certain qu’elle ne donne lieu à de semblables générations qu'à ce point de l’une et de l’autre échelle ? J’ai pensé, jusqu'à prè- sent, que cette question devait être résolue par l'affirmative, parce qu'il me paraissait que pour donner l’existence à tous les corps vivants, il suffi- sait à la nature d’avoir formé directement les plus simples et les plus imparfaits des végétaux et des animaux. Cependant, il y a tant d'observations constatées, tant de faits connus qui semblent indiquer que la nature forme encore des générations directes, ailleurs qu'au commencement précis des échelles animale et végétale, et l’on sait qu'elle a tant de ressources , et qu'elle varie tellement ses moyens, selon les circonstances, qu'il se pourrait que mon opinion, qui borne la possibilité des générations LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. Ô 82 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES directes aux points où se trouvent les végétaux et les animaux les plus imparfaits , ne fût pas fondée. En effet, dans différents points de la première moitié de l’échelle, soit végétale , soit animale, au commencement même de certaines branches sépa- rées de ces échelles, pourquoi la nature ne pour- rait-elle donner lieu à des générations directes , et, selon les circonstances, établir dans ces diverses ébauches de corps vivants, certains systèmes par- ticuliers d'organisation , différents de ceux que lon observe aux points où l'échelle animale et échelle végétale paraissent commencer ? N'est-il pas présumable, comme de savants natu- ralistes l’ont déjà pensé, que les vers intestins, qu'on ne trouve jamais ailleurs que dans le corps des autres animaux, y sont des générations directes de la nature ; que certaines vermines qui causent des maladies à la peau, ou y pullulent à leur occa- sion, ont encore une semblable origine ? Et parmi les végétaux, pourquoi les moisissures, les cham-— pignons divers, les lichens mêmes qui naissent et se multiplient si abondamment sur les troncs d'arbres et sur les pierres, à la faveur de l’humidité et d’une température douce , ne se trouveraient-ils pas dans le même cas ? Sans doute, dès que la nature a créé directement un corps végétal ou animal, bientôt l'existence de la vie dans ce corps lui donne non-seulement la faculté de s’accroître, mais, en outre, celle de pré- OU SPONTANÉES 83 parer des scissions de ses parties, en un mot, de former des corpuscules granuliformes propres à le reproduire. S'ensuit-il que ce corps, qui vient d'ob- tenir la faculté de multiplier les individus de son espèce, n'ait pu lui-même provenir que de corpus- cules semblables à ceux qu'il sait former ? C’est une question qui, Je crois, mérite bien qu'on lexamine. Que les générations directes, qui font l’objet de ce chapitre, aient ou n'aient pas réellement lieu, ce sur quoi, maintenant, je n'ai point d'avis prononcé, toujours est-il certain, selon moi, que la nature en exécute de réelles au commencement de chaque règne de corps vivants, et que sans cette voie elle n’eût jamais pu donner l’existence aux végétaux et aux animaux qui habitent notre globe. Passons maintenant à l’examen des résultats immédiats de la vie dans un corps. CÉHXCTTERN VIT DES RÉSULTATS IMMÉDIATS DE LA VIE DANS UN CORPS Les lois qui régissent toutes les mutations que nous observons dans la nature, quoique partout les mêmes et jamais en contradiction entre elles, produisent dans les corps vivants des résultats fort différents de ceux qu'elles occasionnent dans les corps privés de la vie et qui leur sont tout à fait opposés. Dans les premiers, à la faveur de l’ordre et de l’état de choses qui s’y trouvent, ces lois tendent et réussissent continuellement à former des combinai- sons entre des principes qui, sans cette circonstance, n'en eussent jamais opéré ensemble, à compliquer ces combinaisons et à les surcharger d’éléments constitutifs ; en sorte que la totalité des corps vivants peut être considérée comme formant un laboratoire immense et toujours actif, dans lequel tous les com- DES RÉSULTATS DE LA VIE DANS UN CORPS 85 posés qui existent ont originairement puisé leur source. Dans les seconds, au contraire, c’est-à-dire dans les corps privés de la vie, où aucune force ne con- court, par le moyen d’une harmonie dans les mou- vements, à conserver l’intégrité de ces corps, ces mêmes lois tendent sans cesse à altérer les combi- naisons existantes, à les simplifier ou à diminuer la complication de leur composition ; en sorte qu'avec le temps elles parviennent à dégager presque tous les principes qui les constituaient de leur état de combinaison. Voici un ordre de considérations dont les dévelop- pements , bien saisis et appliqués à tous les faits connus, ne peuvent que montrer de plus en plus la solidité du principe que je viens d'établir. Ces considérations , néanmoins, sont très-diffé- rentes de celles qui ont fixé l'attention des savants ; car ayant remarqué que les résultats des lois de la nature dans les corps vivants étaient bien différents de ceux qu’elles produisent dans les corps inanimés, ils ont attribué à des lois particulières, pour les premiers, les faits singuliers qu’on observe en eux, et qui ne sont dus qu’à la différence de circonstances qui existe entre ces corps et ceux qui sont privés de la vie. Ils n’ont pas vu que les corps vivants, par leur nature, c’est-à-dire par l’état et l’ordre de choses qui produisent en eux la vie, donnaient aux lois qui les régissent une direction, une force et des 86 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS propriétés qu’elles ne peuvent avoir dans les corps inanimés ; en sorte que, négligeant de considérer qu'une même cause varie nécessairement dans ses produits, lorsqu'elle agit sur des objets différents par leur nature et les circonstances qui les concer- nent, ils ont pris, pour expliquer les faits observés, une route tout à fait opposée à celle qu'il fallait suivre. En effet, on a dit que les corps vivants avaient la faculté de résister aux lois et aux forces auxquelles tous les corps non vivants ou de matière inerte sont assujettis, et qu’ils se régissaient par des lois qui leur étaient particulières. Rien n’est moins vraisemblable, et n’est, en effet, moins prouvé, que cette prétendue faculté qu’on attribue aux corps vivants, de résister aux forces auxquelles tous les autres corps sont soumis. Cette opinion, qui est à peu pres généralement admise, puisqu'on la trouve exposée dans tous les ouvrages modernes qui traitent de ce sujet, me pa- raît avoir été imaginée, d’une part, par l'embarras où l’on s’est trouvé lorsqu'on a voulu expliquer les causes des différents phénomènes de la vie, et de l’autre part, par la considération , intérieurement senfie, de la faculté que possedent les corps vivants, de former eux-mêmes leur propre substance, de réparer les altérations que subissent les matières qui composent leurs parties, enfin, de donner lieu à des combinaisons qui n’eussent jamais existé sans DE LA VIE DANS UN CORPS 87 eux. Ainsi, au défaut de moyens, on a tranché la difficulté, en supposant des lois particulières que l’on s’est dispensé en même temps de déterminer. Pour prouver que les corps qui possèdent la vie sont assujettis à un ordre de lois qui est différent de celui auquel obéissent les êtres inanimés, et que les premiers jouissent, en conséquence, d’une force particulière, dont la principale propriété est, dit-on, de les soustraire à l'empire des affinités chimiques, M. Richerand cite les phénomènes que présente l’ob- servation du corps humain vivant, savoir : « l’alté- ration des aliments par les organes digestifs, l’ab- sorption qu'operent les vaisseaux chyleux de leur partie nutritive, la circulation de ces sucs nourri- ciers dans le système sanguin, les changements qu'ils éprouvent en traversant les poumons et les glandes sécrétoires, limpressionnabilité par les objets extérieurs, le pouvoir de s’en rapprocher ou de les fuir, en un mot, toutes les fonctions qui s’exercent dans l’économie animale. » Outre ces phénomènes, ce savant cite, comme preuves plus directes, la sensibilité et la contractilité, deux propriétés dont sont douées les organes auxquels les fonctions qui s’exécutent dans l’économie animale sont confiées. (Eléments de Physiologie, vol. I, p- 81.) Quoique les phénomènes organiques qui viennent d’être cités , ne soient pas généraux à l’égard des corps vivants, ne le soient pas même relativement 83 DES RÉSULTATS IMMEDIATS aux animaux, ils sont néanmoins très-fondés à l’égard d’un grand nombre de ces derniers et du corps humain vivant; et ils prouvent effectivement l’exis- tence d’une force parhculière qui anime les corps qui jouissent de la vie ; mais cette force ne résulte nullement de lois propres à ces corps ; elle prend sa source dans la cause excitatrice des mouvements vitaux. Or, cette cause qui, dans les corps vivants, peut donner lieu à la force en question, ne saurait la produire dans les corps bruts ou sans vie, et ne saurait animer ces derniers, quoiqu’elle soit influente à l'égard des uns et des autres. D'ailleurs, la force dont il s’agit ne soustrait pas totalement les différentes parties des corps vivants à l'empire des affinités chimiques: et M. Richerand convient lui-même qu'il se passe dans les machines animées des effets bien évidemment chimiques, phy- siques et mécaniques; seulement ces effets sont tou- jours influencés, modifiés et altérés par les forces de la vie. J’ajouterai aux réflexions de M. Æicherand sur ce sujet, que les altérations et les changements que les effets des affinités chimiques produisent dans les parties des corps vivants, où ils tendent à détruire l’état de choses propre à y conserver la vie, y sont sans cesse réparés, quoique plus où moins compléte- ment, par les résultats de la force vitale qui agit dans ces corps. Or, pour faire exister cette force vitale et lui donner les propriétés qu'on lui connaît, la nature n’a pas besoin de lois particulières ; celles DE LA VIE DANS UN CORPS 89 qui régissent généralement tous les corps lui suffi- sent parfaitement pour cet objet. La nature ne complique jamais ses moyens sans nécessité : si elle a pu produire tous les phénomènes de l’organisation à l’aide des lois et des forces aux- quelles tous les corps sont généralement soumis, elle l’a fait sans doute, et n’a pas créé, pour régir une partie de ses productions, des lois et des forces opposées à celles qu’elle emploie pour régir l’autre partie. Il suffit de savoir que la cause qui produit la force vitale, dans des corps où l’organisation et l’état des parties permettent à cette force d'y exister et d'y exciter les fonctions organiques, ne saurait donner lieu à une puissancesemblable dans des corps bruts ou inorganiques, en qui l’état des parties ne peut permettre les actes et les effets qu'on observe dans les corps vivants. La même cause dont je viens de parler ne produit, à l’égard des corps bruts ou des matières morganiques, qu'une force qui sollicite sans cesse leur décomposition, et qui l’opère effectivement et successivement, en se confondant aux affinités chimiques, lorsque l'intimité de leur combinaison ne s'y oppose pas. Ï n’y a donc nulle différence dans les lois phy- siques, par lesquelles tous les corps qui existent se trouvent régis ; mais il s’en trouvent une considé- rable dans les circonstances citées où ces lois agissent. 90 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS La force vitale, nous dit-on, soutient une lutte perpétuelle contre les forces auxquelles obéissent les corps inanimés, et la vie n’est que ce combat pro- longé entre ces deux forces différentes. Pour moi, je ne voisici, de part et d'autre, qu’une mème force qui est sans cesse composante dans tel ordre de choses, et décomposante dans tel autre contraire. Or, comme les circonstances que ces deux ordres de choses occasionnent se rencontrent tou- jours dans les corps vivants, mais non à la fois dans leurs mêmes parties et qu'elles s’y forment, en succédant les unes aux autres par les changements que les mouvements vitaux ne cessent d’y opérer, il existe dans ces corps, pendant leur vie, une lutte perpétuelle entre celles de ces circonstances qui y rendent la force vitale composante, et celles, tou- Jours renaissantes, qui la rendent décomposante. Avant de développer ce principe, exposons quel- ques considérations qu'il importe de ne point perdre de vue. Si tous les actes de la vie et tous les phénomènes organiques, Sans exception, ne sont que le résultat des relations qui existent entre des parties conte- nantes dans un état approprié, et des fluides con- tenus mis en mouvement, au moyen d’une cause stimulante qui excite ces mouvements, les effets suivants devront nécessairement provenir de lexis- tence dans un corps, de l’ordre et de l’état de choses que je viens d’énoncer. DE LA VIE DANS UN CORPS 1 Effectivement, par suite de ces relations, ainsi que des mouvements, des actions et des réactions que produit la cause stimulante que je viens de citer, il s'opère sans cesse dans tout Corps qui jouit d’une vie active : l° Des changements dans l’état des parties con- tenantes de ce corps (surtout parmi les plus sou- ples) et dans celui de ses fluides contenus ; 2° Des pertes réelles dans ces parties contenantes et ces fluides contenus, occasionnées par les change- ments qui s’opèrent dans leur état ou leur nature ; pertes qui donnent lieu à des dépôts, des dissipa- tions, des évacuations et des sécrétions de matières, dont les unes ne peuvent plus être employées, tandis que les autres peuvent l'être à certains usages; 3° Des besoins, toujours renaissants, de répara- tion pour les pertes éprouvées; besoins qui exigent perpétuellement dans ce corps, l'introduction de nou- velles matières propres à y satisfaire, et auxquels satisfont effectivement les aliments dont les animaux font usage, et les absorptions qu'effectuent les végé- taux : 4 Enfin, des combinaisons de divers genres que les circonstances des différents actes de la vie et les résultats de ces actes mettent uniquement dans le cas de s'effectuer; combinaisons qui, sans ces résultats et ces circonstances, n’eussent jamais eu lieu. = Ainsi, pendant la durée de la vie dans un corps, il se forme donc sans cesse des combinaisons qui 02 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS sont d'autant plus surchargées de principes, que l’organisation de ce corps y est plus propre; et il se forme aussi sans cesse, parmi ses composés, des altérations, et à la fin des destructions qui donnent lieu perpétuellement aux pertes qu’il éprouve. Tel est le fait positif et principal que l’observa- tion constante des phénomènes de la vie confirmera toujours. Reprenons ici l’examen des deux considérations importantes dont j'ai parlé plus haut, et qui nous donnent, en quelque sorte, la clef de tous les phéno- mènes relatifs aux corps composés, les voici : La première concerne une cause générale et con- tinuellement active, qui détruit, quoique avec une lenteur ou une promptitude plus ou moins grande, tous les composés qui existent; La seconde est relative à une puissance qui forme sans cesse des combinaisons, et qui les complique et les surcharge de principes, à mesure que les cir- constances y sont favorables. | Or, quoique ces deux puissances solent en oppo- sition, l’une et l’autre, néanmoins, prennent leur source dans des lois et des forces qui ne le sont nul- lement entre elles, mais qui régissent leurs effets dans des circonstances tres-différentes. J'ai déjà établi dans plusieurs de mes ouvrages que, par le moyen des lois et des forces qu'emploie 4 Mémoires de Phys. et d'Hist. naturelle, p. 88; Hydrogéo- logie, p. 98 et suiv. DE LA VIE DANS UN CORPS 93 la nature, toute combinaison ou toute matière com posée tend à se détruire, et que sa tendance à cet égard est plus ou moins grande, plus où moms prompte à s’effectuer, selon la nature, le nombre, les proportions et l'intimité d’union des principes qui la constituent. La raison en est que, parmi les prin- cipes combinés dont il s’agit, certains d’entre eux n’ont pu subir l’état de combinaison que par l’action d’une force qui leur est étrangère et qui les modifie en les fixant; en sorte que ces principes ont une ten- dance continuelle à se dégager ; tendance qu'ils effec- tuent à la provocation de toute cause qui la favorise. Ainsi, la plus légère attention suffira pour nous con- vaincre que la nature (l’activité du mouvement établi dans toutes les parties de notre globe) travaille sans relâche à détruire tous les composés qui existent, à dégager leurs principes de l’état de combinaison, en leur présentant sans cesse des causes qui provoquent ce dégagement, et à ramener ces principes à l’état de liberté qui leur rend les facultés qui leur sont propres, et qu'ils tendent à conserver toujours; telle est la première des deux considérations énoncées ci- dessus. Mais jai fait voir, en même temps, qu'il existe aussi dans la nature une cause particulière, puis- sante et continuellement active, qui a la faculté de former des combinaisons, de les multiplier, de les diversifier, et qui tend sans cesse à les surcharger de principes. Or, cette cause puissante, qu'embrasse 94 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS la seconde des deux considérations citées, réside dans l'action organique des corps vivants, où elle forme continuellement des combinaisons qui n’eussent jamais existé sans elle. Cetie cause particulière ne se trouve point dans des lois qui soient propres à ces corps vivants, et que l’on puisse regarder comme opposées à celles qui régissent les autres corps, mais elle prend sa source dans un ordre de choses essentiel à l’exis- tence de la vie, etsurtout dans une force qui résulte de la cause excilatrice des mouvements organiques. Conséquemment, la cause particulière qui forme les matières composées des,corps vivants naît de luni- que circonstance capable de la faire exister. Afin de pouvoir être entendu à cet égard, je dois faire remarquer que deux hypothèses ont été imagi- nées, dans l'intention d'expliquer tous les faits rela- tifs aux composés existants, aux mutations qu'ils subissent et aux combinaisons peu compliquées que nous pouvons former nous-mêmes, détruire et réta- blir ensuite. L'une, généralement admise, est l'hypothèse des affinités : elle est assez connue. L'autre, et c’est mon opinion particulière, repose sur la considération qu'aucune matiere simple quel- conque ne peut avoir de tendance par elle-même à se combiner avec une autre, que les affinités entre certaines matières ne doivent point être regardées comme des forces, mais comme des convenances qui DE LA VIE DANS UN CORPS 95 permettent la combinaison de ces matières, etqu'en- fin, nulles d’entre elles ne peuvent se combiner ensemble, que lorsque une force qui leur est étran- gère les contraint à le faire, et que leurs affinités ou leurs convenances le leur permettent. Selon l'hypothèse admise de ces affinités, aux- quelles les chimistes attribuent des forces actives et particulières, tout ce qui environne les corps vivants tend à les détruire; en sorte que si ces corps ne possédaient pas en eux un principe de réaction, 1ls succomberaient bientôt par suite des actions qu'exer- cent sur eux les matières qui les environnent. De là, au lieu de reconnaître qu'une force excitatrice des mouvements existe sans cesse dans les milieux qui environnent tous les corps, soit vivants, soit ina- nimés, et que, dans les premiers, elle réussit à opé- rer les phénomènes qu'ils présentent, tandis que dans les seconds, elle amène successivement des changements que les affinités permettent, et finit par détruire toutes les combinaisons existantes, on a mieux aimé supposer que la vie, dans les corps qui la possèdent, ne se maintient et ne développe cette suite de phénomènes qui leurs sont propres, que parce que ces corps se trouvaient assujettis à des lois qui leur étaient tout à fait particulieres. Un jour, sans doute, on reconnaitra que les affinités ne sont point des forces, mais que ce sont des convenances ou des espèces de rapports entre certaines matières, qui leur permettent de contrac- 06 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS ter entre elles une union plus ou moins intime, à l’aide d’une force générale qui les y contraint et qui se trouve hors d’elles. Or, comme entre les diffé- rentes matieres, les affinités varient, ces matières, qui en déplacent d’autres déjà combinées, ne le font que parce qu'ayant une affinité plus grande avec tel ou tel des principes de leurs combinaisons, elles sont aidées dans cette action par cette force générale, excilatrice des mouvements, et par celle qui tend à rapprocher et à unir tous les corps. Quant à la vie, tout ce qui en provient pendant sa durée dans un corps résulte, d’une part, de la tendance qu'ont les éléments constitutifs des compo sés à se dégager de leur état de combinaison, sur tout ceux qui ont subi une coercion quelconque, et de l’autre part, des produits de la force excilatrice des mouvements. En effet, il est aisé d’apercevoir que, dans un corps organisé, cette force dont Je parle, régularise son action dans chacun des organes de ce corps, qu’elle met toutes les actions en har- monie, par suite de la connexion de ces organes, qu'elle répare partout, tant qu'ils conservent leur intégrité, les altérations que la première cause avait opérées, qu’elle profite des changements qui s’exé- cutent dans les fluides composés et en mouvement, pour s'emparer parmi ces fluides des matières assi- milées qui s’y rencontrent et les fixer ou elles doi vent être, enfin, qu'elle tend sans cesse, par cet ordré de choses, à la conservation de la vie. Cette DE LA VIE DANS UN CORPS 97 même force tend aussi, dans un corps vivant, à Paccroissement des parties; mais bientôt, par une cause particulière que j’exposerai en son lieu, cet accroissement se borne presque partout et donne alors à ce corps la faculté de se reproduire. Ainsi, je le répète, cette force singulière qui prend sa source dans la cause excilatrice des mou- vements organiques et qui, dans les corps organisés, fait exister la vie et produit tant de phénomeres admirables, n’est pas le résultat de lois particu- lières, mais celui de circonstances et d’un ordre de choses et d'actions qui lui donnent le pouvoir de produire de pareils effets. Or, parmi les effets aux- quels cette force donne lieu dans les corps vivants, il faut compter celui d'effectuer des combinaisons diverses, de les compliquer, de les surcharger de principes coercibles et de créer sans cesse des matières qui, sans elle et sans le concours des cir- constances dans lesquelles elle agit, n’eussent jamais existé dans la nature. Comme la direction des raisonnements générale- ment admis par les physiologistes, les physiciens et les chimistes de notre siècle, est tout autre que celle des principes que je viens d'exposer et que j'ai déja développés ailleurs', mon but n’est nullement d'entreprendre de changer cette direction, et con- séquemment de persuader mes contemporains ; mais 1 Hydrogéologie, p. 105. « LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 98 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS j'ai dû rappeler ici les deux considérations dont il s’agit, parce qu'elles complètent l'explication que j'ai donnée des phénomènes de la vie, que je suis convaincu de leur fondement et que je sais que, sans elles, on sera toujours obligé de supposer pour les corps vivans des lois contraires à celles qui régissent les phénomènes des autres corps. Il me paraît hors de doute que, si l’on examinait suffisamment ce qui se passe à l'égard des objets dont il s’agit, on serait bientôt convaincu : Que tous les êtres doués de la vie ont la faculté, par le moyen des fonctions de leurs organes; les uns (les végétaux), de former des combinaisons directes, c’est-à-dire d’unir ensemble des éléments libres après les avoir modifiés et de produire immé- diatement des composés; les autres (les animaux), de modifier ces composés et de les changer de nature en les surchargeant de principes et en augmentant les proportions de ces principes d’une manière remar- quable. Je persiste donc à dire que les corps vivants for- ment eux-mêmes, par l’action de leurs organes, la substance propre de leurs corps et les matières diverses que leurs organes sécrètent; et qu'ils ne prennent nullement dans la nature cette substance toute formée et ces matieres qui ne proviennent uni- quement que d'eux seuls. C’est au moyen des aliments, dont les végétaux et les animaux sont obligés de faire usage pour con- DE LA VIE DANS UN CORPS 99 server leur existence, que l’action des organes de ces corps vivants parvient, en modifiant et changeant ces aliments, à former des matières particulières qui n’eussent jamais existé sans cette cause et à com— poser, avec ces matières, par des changements et des renouvellements perpétuels, le corps entier quelles constituent, ainsi que les produits de ce COrpS. Par conséquent, toutes les matières, soit végé- tales, soit animales, étant très-surchargées de prin- cipes dans leur combinaison, et surtout de principes coercés, l’homme n’a donc aucun moyen pour en for- mer de pareilles ; il ne peut, par ses opérations, que les altérer, les changer, les détruire enfin, ou. en obtenir différentes combinaisons particulières, tou- jours de moins en moins compliquées. Il n’y a que les mouvements de la vie, dans chacun des corps qui en sont doués, qui peuvent seuls produire ces matières. Ainsi, les végétaux, qui n’ont ni canal intestmal, ni aucun autre organe quelconque pour exécuter des digestions, et qui n’emploient conséquemment, comme matieres alimentaires, que des substances fluides ou dont les molécules n’ont ensemble aucune agrégation (telles que l’eau, Pair atmosphérique, le calorique, la lumière et les gaz qu'ils absorbent} forment cependant, avec de pareils matériaux, au moyen de leur action organique, tous les sucs pro- pres qu'on leur connait et toutes les matieres dont 100 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS leur corps est composé, c’est-à-dire forment eux- mêmes les mucilages, les gomines, les résines, le sucre, les sels essentiels, les huiles fices et vola- liles, les fécules, le gluten, la matière extractire et la matière ligneuse ; toutes substances qui résultent tellement de combinaisons premières ou directes, que jamais l’art n’en pourra former de semblables. Assurément les zégélaux ne peuvent prendre dans le sol, par le moyen de leurs racines, les Substances que je viens de nommer : elles n’y sont pas, ou celles qui s’y rencontrent sont dans un état d’altération ou de décomposition plus où moins avancé; enfin, s’il y en avait qui fussent encore dans leur état d’inté- grité, ces corps vivants ne pourraient en faire aucun usage, qu'ils n’en eussent préalablement opéré la décomposition. Les végétaux seuls ont donc formé directement les matières dont je viens de parler; mais, hors de ces végétaux, ces matieres ne peuvent leur devenir utiles que comme engrais; c'est-à-dire qu'après s'être dénaturées, consumées, et avoir subi la somme d’altérations nécessaire pour leur donner cette faculté essentielle des engrais, qui consiste à entretenir autour des racines des plantes une humidité qui leur est favorable. [ Les animaux ne sauraient former des combinai- sons directes, comme les végétaux : aussi font-ils usage de matières composées pour aliments; ont- ils essentiellement une digestion à exécuter (du DE LA VIE DANS UN CORPS 101 moins leur presque totalité), et conséquemment des organes pour cette fonction. Mais ils forment eux-mêmes aussi leur propre substance et leurs matières sécrétoires : or, pour cela, ilsne sont nullement obligésde prendre pour aliments, et ces matières sécrétoires, et une substance sem blable à la leur : avec de l'herbe ou du foin, le cheval forme, par l’action de ses organes, son sang, ses au— tres humeurs, sa chair ou ses muscles ; la substance de son tissu cellulaire, de ses vaisseaux, de ses glandes ; ses tendons, ses cartilages, sés os; enfin, la matière cornée de ses sabots, de son poil et de ses crins. C’est donc en formant leur propre substance et leurs matières sécrétoires, que les animaux sur- chargent singulièrement les combinaisons qu'ils pro- duisent, et donnent à ces combinaisons létonnante proportion ou quantité des principes qui constituent les matières animales. Maintenant, nous ferons remarquer que la subs- tance des corps vivants, ainsi que les matières sécrétoires qu'on leur voit produire, par le moyen de leur action organique, varient dans les qualités qui leur sont propres : 1° Selon la nature même de l'être vivant qui les forme : ainsi, les productions végétales sont en général différentes des productions animales; et, parmi ces dernières, les productions des animaux à vertebres sont en général différentes de celles des animaux sans vertebres ; 102 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS 20 Selon la nature de lorgane qui les sépare des autres matières apres leur formation : les ma- tières sécrétoires séparées par le foie ne sont pas les mêmes que celles séparées par les reins, etc.; 3° Selon la force ou la faiblesse des organes de l'être vivant et de leur action : les matières sécré- toires d’une jeune plante ne sont pas les mêmes que celles de la même plante fort âgée; comme celles d’un enfant ne sont pas les mêmes que celles d’un homme fait; 4 Selon que l'intégrité des fonctions organiques est parfaite, ou qu'elle se trouve plus ou moins alté- rée : les matières sécrétoires de l’homme sain ne peuvent être les mêmes que celles de l’homme ma- lade ; o° Enfin, selon que le calorique, qui se forme continuellement à la surface de notre globe, quoique dans des quantités variables, suivant la différence des climats, favorise, par son abondance, l’activité orga- nique des corps vivants qu'il pénètre; ou qu'il ne permet à cette activité organique, par suite de sa grande rareté, qu'une action très-affaiblie : effecti- vement, dans les climats chauds, les matières sécré- toires que forment les corps vivants sont différentes de celles qu'ils produisent dans les climats froids; et, dans ces derniers climats, les matières sécrétées par ces mêmes corps différent aussi entre elles, sui- vant qu'elles sont formées dans la saison des cha- leurs ou pendant les rigueurs de l'hiver. DE LA VIE DANS UN CORPS 105 Je n’insisterai pas davantage ici pour montrer que l’action organique des corps vivants forme sans cesse des combinaisons qui n’eussent jamais eu lieu sans cette cause : mais je ferai de nouveau remar- quer que, s’il est vrai, comme on n’en saurait douter, que toutes les matières minérales composées, telles que les terres et les pierres, les substances métalli- ques, sulfureuses, bitumineuses, salines, etc., pro- viennent des résidus des corps vivants, résidus qui ont subis des altérations successives dans leur com position, à la surface et dans le sein de la terre et des eaux ; il sera de mème tres-vrai de dire que les corps vivants sont la source premiere où toutes les matières composées connues ont pris naissance. (Voyez mon Æydrogéologie, p. 91 et suiv.) Aussi, tenterait-on vainement de faire une collec- tion riche et variée de minéraux, dans certaines régions du globe, telles que les vastes déserts de l'Afrique, où, depuis nombre de siècles, l’on ne voit plus de végétaux et où l’on ne rencontre que quel- ques animaux passagers. Maintenant que j'ai fait voir que les corps vivants formaient eux-mêmes leur propre substance, ainsi que les différentes matieres qu'ils sécrètent, je vais dire un mot de la faculté de se nourrir et de celle de s’accroître, dont jouissent, dans de certaines limites, tous ces corps, parce que ces facultés sont encore le résultat des actes de la vie. GEA PILTRE VE DES FACULTÉS COMMUNES A TOUS LES CORPS VIVANTS C’est un fait certain et bien reconnu, que les corps vivants ont des facultés qui leur sont communes, et qu'ils reçoivent, conséquemment , de la vie qui les transmet à tous les corps qui la possèdent. Mais ce qui, je crois, n’a pas été considéré, c’est que les facultés qui sont communes à tous les corps vivants n'exigent point d'organes particuliers pour les produire, tandis que les facultés qui sont parti- culières à certains de ces corps exigent absolument l'existence d’un organe spécial propre à y donner lieu. Sans doute, aucune faculté vitale ne peut exister dans un corps, sans l’organisation, et l’organisation elle-même n’est qu’un assemblage d'organes réunis. Mais ces organes, dont la réunion est nécessaire à DES FACULTÉS COMMUNES 105 l'existence de la vie, ne sont nullement particuliers à aucune portion du corps qu'ils composent ; ils sont, au contraire, répandus partout dans ce corps, et partout aussi ils donnent lieu à la vie, ainsi qu'aux facultés essentielles qui en proviennent. Donc les facultés communes à tous les corps vivants sont uniquement produites par les causes mêmes qui font exister la vie. Il n’en est pas de même des organes spéciaux qui donnent lieu à des facultés exclusives à certains corps vivants : la vie peut exister sans eux ; mais lorsque la nature parvient à les créer, les principaux d’entre eux ont une connexion si grande avec l’ordre de choses qui existe dans les corps qui sont dans ce cas, que ces organes sont alors nécessaires à la con- servation de la vie dans ces corps. Ainsi, ce n’est que dans les organisations les plus simples que la vie peut exister sans organes spéciaux ; et alors ces organisations sont réduites à ne produire aucune autre faculté que celles qui sont communes à tous les corps vivants. Lorsque lon se propose de rechercher ce qui appartient essentiellement à la vie, l’on doit distin- guer les phénomenes qui sont propres à tous les corps qui la possedent de ceux qui sont particuliers à certains de ces corps : et comme les phénomènes que nous offrent les corps vivants sont les indices d'autant de facultés dont ils jouissent, la distinction dont il s’agit séparera utilement les facultés qui sont 106 DES FACULTÉS COMMUNES communes à tous les corps doués de la vie de celles qui sont particulières à certains d’entre eux. Les facultés communes à tous les corps vivants, c’est-à-dire celles dont ils sont exclusivement doués et qui constituent autant de phénomènes qu'eux seuls peuvent produire, sont : 1° De se nourrir à l’aide de matières alimentaires incorporées ; de l'assimilation continuelle d’une partie de ces matières qui s'exécute en eux; enfin, de la fixation des matières assimilées, laquelle répare, d’abord avec surabondance , ensuite plus ou moins complétement, les pertes de substance que font ces corps dans tous les temps de leur vie active; 2° De composer leur corps, c’est-à-dire de former eux-mêmes les substances propres quile constituent, avec des matériaux qui en contiennent seulement les principes, et que les matières alimentaires leur fournissent particulièrement ; 3° De se développer et de s’accroître jusqu'à un certain terme, particulier à chacun d’eux, sans que leur accroissement résulte de l’apposition à l'extérieur des matières qui se réunissent à leur corps ; 4 Enfin, de se régénérer eux-mêmes, c’est-à-dire de produire d’autres corps qui leur soient en tout semblables. Qu'un corps vivant, végétal ou animal, ait une organisation fort simple ou très-composée ; qu'il soit de telle classe, de tel ordre, etc. ; il possède essentiellement les quatre facultés que je viens A TOUS LES CORPS VIVANTS 107 d’énoncer. Or, comme ces facultés sont exclusive- ment le propre de tous les corps vivants, on peut dire qu’elles constituent les phénomenes essentiels que ces corps nous présentent. Examinons maintenant ce qu’il nous est possible d’apercevoir et de penser relativement aux moyens que la nature emploie pour produire ces phénomènes exclusivement communs à tous les corps vivants. Si la nature ne crée directement la vie que dans les corps qui ne la possédaient pas ; si elle ne crée l’organisation que dans sa plus grande simplicité (chap. vi) ; enfin, si elle n’y entretient les mouve- ments organiques qu'à l’aide d’une cause excitatrice de ces mouvements (chap. 11) ; on demandera com-— ment les mouvements, entretenus dans les parties d’un corps organisé, peuvent donner lieu à la nutri- tion, à l'accroissement, à la reproduction de ce corps, et lui donner en même temps la faculté de former lui-même sa propre substance. Sans vouloir donner l'explication de tous les objets de détail qui concernent cette œuvre admira- ble de la nature, ce qui nous exposerait à des erreurs et pourrait compromettre les vérités principales que observation a fait apercevoir, je crois que, pour répondre à la question qui vient d'être énoncée, 1l suffit de présenter les observations et les réflexions suivantes : Les actes de la vie, ou autrement les mouvements organiques, à l’aide des affinités et de l’écartement 108 DES FACULTÉS COMMUNES des principes déjà combinés que ces mouvements et la pénétration des fluides subtils entrainent, opèrent nécessairement des changements dans l’état, soit des parties contenantes , soit des fluides contenus d’un corps vivant. Or, de ces changements qui forment des combinaisons diverses et nouvelles résultent différentes sortes de matières, dont les unes, par la continuité du mouvement vital, sont dissipées ou évacuées, tandis que les autres sont seulement sépa- rées des parties qui n’ont pas encore changé de na- ture. Parmi ces matières séparées, les unes sont déposées en certains lieux du corps ou reprises par des canaux absorbants, et servent à certains usages ; telles sont la lymphe, la bile, la salive , la matière prolifique , etc. ; mais les autres, ayant reçu cer- taines assimilalions , sont transportées par la force générale qui anime tous les organes et fait exécuter toutes les fonctions, et ensuite sont fixées dans des parties de convenance ou semblables , soit solides, soit souples et contenantes, dont elles réparent les pertes, et dont, en outre, elles augmentent l'étendue, selon leur abondance et la possibilité qu'elles y trou- vent. C’est donc par la voie de ces dernières, c’est-à- dire des matiéres assimilées, où devenues propres à certaines parties, que s'exécute la nutrition. Ainsi, la première des facultés de la vie, la nutri- tion, n’est essentiellement qu'une réparation des pertes éprouvées ; ce n’est qu'un moyen qui rétablit A TOUS LES CORPS VIVANTS 109 ce que la tendance de toutes les matières composées vers leur décomposition était parvenue à effec- tuer à l’égard de celles qui se sont trouvées dans des circonstances favorables. Or, ce rétablissement s'opère à l’aide d’une force qui transporte les matie- res nouvellement assimilées dans les lieux où elles doivent être fixées, et non par aucune loi parti culière, ce que je crois avoir mis en évidence. En effet, chaque sorte de partie du corps animal sécrète et s’approprie, par une véritable affinité, les molé- cules assimilées qui peuvent s'identifier avec elle. Mais la nutrition est plus où moins abondante, selon l’état de l’organisation de l'individu. Dans la jeunesse de tout corps organisé doué de la vie, la nutrition est d’une abondance extrème ; et alors elle fait plus queréparer les pertes, car elle ajoute à l'étendue des parties. En effet, dans un corps vivant, toute partie conte- nante encore nouvelle est, par suite des causes de sa formation, extrèmement souple et d’une faible con sistance. La nutrition alors s’y exécute avec tant de facilité qu'elle y est surabondante. Dans ce cas, non- seulement elle répare complétement les pertes ; mais en outre, par une fixation interne de particules assimilées , elle ajoute successivement à l’étendue des parties et devient la source de l'accroissement du jeune individu qui jouit de la vie. Mais après un certain terme, qui varie suivant la nature de l’organisation dans chaque race, les par- 110 DES FACULTÉS COMMUNES ties, même les plus souples, de cet individu, perdent une grande partie de leur souplesse et de leur orgasme vital; et leur faculté de nutrition se trouve alors proportionnellement diminuée. La nutrition, dans ce cas, se trouve bornée à la réparation des pertes ; l’état du corps vivant est sta- tionnaire pendant un certain temps; et ce corps jouit, à la vérité, de sa plus grande vigueur, mais ne s’accroit plus. Or, lexcédant des parties prépa- rées, qui n’a pu être employé ni à la nutrition, ni à l'accroissement, recoit de la nature une autre desti- nation et devient la source où elle puise ses moyens pour reproduire d’autres individus semblables. Ainsi, la reproduction, troisième des facultés vitales, tire, de même que l’accroissement, son ori- gine de la nutrition ou plutôt des matériaux prépa- rés pour la nutrition. Mais cette faculté de repro- duction ne commence à jouir de son intensité que lorsque la faculté d’accroissement commence à dimi- nuer : on sait assez combien l’observation confirme cette considération; puisque les organes reproduc- teurs (les parties sexuelles), dans les végétaux comme dans les animaux, ne commencent à ce déve- lopper que lorsque l'accroissement de l'individu est sur le point de se terminer. J'ajouterai que les matériaux préparés pour la nutrition étant des particules assimilées et en autant de sortes qu'il y a de parties différentes dans un corps, la réunion de ces diverses particules que la A TOUS LES CORPS VIVANTS 111 nutrition et l'accroissement n’ont pu employer fournit les éléments d’un très-petit corps orga- nisé parfaitement semblable à celui dont il pro- vient. Dans un corps vivant tres-simple et qui n’a pas d'organes spéciaux, l’excédant de la nutrition ren- contrant le terme qui fixe l'accroissement de l’indi- vidu est alors employé à former et à développer une partie qui se sépare ensuite de ce corps vivant, et qui, continuant de vivre et de s’accroîitre, consti- tue un nouvel individu qui lui ressemble. Tel est effectivement le mode de reproduction par scission du corps et par gemmes ou bourgeons, lequel s’exé- cute sans exiger aucun organe particulier pour y donner lieu. Enfin, à un terme encore plus éloigné, terme pareillement variable, même dans les différents mdi- vidus d’une race, selon les circonstances de leurs habitudes et celles du climat qu'ils habitent, les par- ties les plus souples du corps vivant qui y est par- venu ont acquis une rigidité telle, et une si grande diminution dans leur orgasme, que la nutrition ne peut plus réparer qu'incomplétement ses pertes. Alors ce corps dépérit progressivement; et si quel- que accident léger, quelque embarras intérieur que les forces diminuées de la vie ne sauraient vaincre, n'en amenent pas la fin dans cet individu, sa vieil- lesse croissante est nécessairement et naturel- lement terminée par la mort, qui survient à 112 DES FACGULTÉS COMMUNES l’époque où l’état de choses qui existait en lui cesse de permettre l'exécution des mouvements orga- niques. On a nié cette rigidité des parties molles, crois- sante avec la durée de la vie, parce qu'ou a vu qu'après la mort le cœur et les autres parties molles d’un vieillard s’affaissaient plus fortement et deve- naient plus flasques que dans un enfant où un jeune homme qui vient de mourir. Mais on n’a pas fait attention que l’orgasme et l’'irritabilité, qui subsistent quelque temps encore apres la mort, se prolongeaient davantage et conservaient plus d'intensité dans les jeunes individus que dans les vieillards, où ces facul- tés très-diminuées s’éteignent presque en même temps que la vie, et que cette cause seule donnait lieu aux effets remarqués. C’est ici le lieu de faire voir que la nutrition ne peut s’opérer sans augmenter peu à peu la consis- tance des parties qu'elle répare. Tous les corps vivants, et principalement ceux en qui une chaleur interne se développe et s’entretient pendant Îe cours de la vie, ont continuellement une portion de leurs humeurs et même du tissu de leur corps dans un véritable.état de décomposition ; ils font sans cesse, par conséquent, des pertes réelles, et l’on ne peut douter que ce ne soit aux suites de ces altérations des solides et des fluides des corps vivants que sont dues différentes matières qui se forment en eux, dont les unes sont sécrétées et A TOUS LES CORPS VIVANTS 113 déposées où retenues, tandis que les autres sont éva- cuées par diverses voiles. Ces pertes ameneraient bientôt la détérioration des organes et des fluides de l'individu, si la nature n’eût pas donné aux corps vivants qui les éprouvent une faculté essentielle à leur conservation : celle de les réparer. Or, des suites de ces pertes et de ces réparations perpétuelles, 1l arrive qu'après un cer- tain temps de la durée de la vie, le corps qui y est assujetti peut ne plus avoir dans ses parties aucune des molécules qui les composaient originairement. On sait que la nutrition effectue les réparations dont je viens de parler; mais elle le fait plus ou moins complétement, selon l’âge et l’état des organes de lindividu, comme je l'ai remarqué plus haut. Outre cette inégalité connue dans le rapport des pertes aux réparations selon les âges des individus, il en existe une autre tres-importante à considérer, et à laquelle cependant il ne parait pas qu’on ait donné d'attention. Il s’agit de l'inégalité constante qui a lieu entre les matiéres assimilées et fixées par la nutrition et celles qui se dégagent à la suite des altérations continuelles qui viennent d’être citées. J'ai fait voir dans mes Recherches, ete. (vol. I, p. 202), que la cause de cette inégalité vient de ce que : L'assimilation (la nutrition qui en résulte) four- nil toujours plus de principes ou de matières fixes LAMARCK, PHIL,. ZOOL. Il. 8 114 DES FACULTÉS COMMUNES que la cause des perles n'en enlève ou n’en fuit dis- siper. Les pertes et les réparations successives que font sans cesse les parties des corps vivants ont été de- puis longtemps reconnues, et néanmoins ce n’est que depuis peu d'années que l’on commence à sentir que ces pertes résultent des altérations que les fluides et mème les solides de ces corps éprouvent conti- nuellement dans leur état et leur nature. Enfin, bien des personnes encore ont de la peine à se per- suader que ce sont les résultats de ces altérations et des changements où combinaisons qui s’opérent sans cesse dans les fluides essentiels des corps vi vants, qui donnent lieu à la formation des différentes matières sécrétoires, ce que j’ai déjà établi, Or, s’il est vrai, d’une part, que les pertes em- portent du corps vivant moins de matières fixes, ter- reuses et toujours concrètes, que de matières fluides, et surtout que de matières coercibles ; et, de l’autre part, que la nutrition fournit graduellement aux parties plus de matières fixes que de matières fluides et de substances coercibles; il en résultera que les organes acquerront peu à peu une rigidité crois- sante qui les rendra progressivement moins propres 1 Mémoire de Phys. et d'Hist. nat., p. 260 à 263; et Hydrogéo- logie, p. 112 à 115. A TOUS LES CORPS VIVANTS 115 à l'exécution de leurs fonctions, ce qui a effective ment lieu. Loin que tout ce qui environne les corps vivants tende à les détruire, ce que l’on répète dans tous les ouvrages physiologiques modernes, je suis con- vaincu, au contraire, qu'ils ne conservent leur exis- tence qu’à l’aide d’influences extérieures, et que la cause qui amène essentiellement la mort de tout individu possédant la vie est en lui-même et non hors de lui. Je vois, en effet, clairement que cette cause résulte de la différence qui s'établit peu à peu entre les matières assimilées et fixées par la nutrition, et celles rejetées ou dissipées par les déperditions con- tinuelles que font les corps qui jouissent de la vie, les matières coercées étant toujours les premières et les plus faciles à se dégager de l’état de combinai- son qui les fixait. En un mot, je vois que cette cause, qui amène la * vieillesse, la décrépitude et enfin la mort, réside, par suite de ce que je viens d'exposer, dans l’irdures- cence progressive des organes; indurescence qui produit peu à peu la rigidité des parties, et qui, dans les animaux, diminue proportionnellement linten- sité de l'orgasme et de l’irritabilité, roïdit et rétré- cit les vaisseaux, détruit insensiblement l’mfluence des fluides sur les solides, et vice versa; enfin, dérange l’ordre et l’état de choses nécessaires à la vie, et finit par l’anéantir entièrement. 116 DES FACULTÉS COMMUNES Je crois avoir prouvé que les facultés communes à tous les corps vivants sont de se nourrir ; de com poser eux-mêmes les différentes substances qui cons- tituent les parties de leur corps ; de se développer et de s’accroître jusqu'à un terme particulier à chacun d'eux ; de se régénérer, c’est-à-dire de reproduire d'autres individus qui leur ressemblent; enfin, de perdre la vie qu’ils possédaient, par une cause qui est en eux-mêmes. Maintenant je vais considérer les facultés parti- culières à certains corps vivants; et je me bornerai, comme je viens de le faire, à l'exposition des faits généraux, ne voulant entrer dans aucun des détails connus qui se trouvent dans les ouvrages de phy- siologie. GHABEERE. LX DES FACULTÉS PARTICULIÈRES A CERTAINS CORPS VIVANTS De même qu'il y a des facultés qui sont communes à tous les corps qui jouissent de la vie, ce que J'ai fait voir dans le chapitre précédent , de même aussi l’on observe dans certains corps vivants des facultés qui leur sont particuliéres, et que les autres ne pos- sedent nullement. Ici, se présente une considération capitale, à laquelle il importe infiniment d’avoir égard, si lon veut faire des progres ultérieurs dans les sciences naturelles ; la voici : Comme il est de toute évidence que l’organisation, soit animale, soit végétale, s’est elle-même, par les suites du pouvoir de la vie, composée et compliquée graduellement, depuis celle qui est dans sa plus grande simplicité, jusqu'à celle qui offre la plus grande complication, le plus d'organes, et qui donne 118 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES aux corps vivants, dans ce cas, les facultés les plus nombreuses ; il est aussi de toute évidence que chaque organe spécial, et que la faculté qu'il pro- cure, ayant une fois été obtenus, doivent ensuite exister dans tous les corps vivants qui, dans l’ordre naturel, viennent après ceux qui les possèdent, à moins que quelque avortement ne les ait fait dis- paraître. Mais avant l’animal ou le végétal qui, le premier, a obtenu cet organe, ce serait en vain qu'on chercherait, parmi des corps vivants plus simples et plus imparfaits, soit l'organe, soit la faculté en question; ni cetorgane, ni la faculté qu'il procure ne sauraient s’y rencontrer. S'il en était autrement, toutes les facultés connues seraient communes à tous les corps vivants, tous les organes se rencontreraient dans chacun de ces corps, et la progression dans la composition de l’organisation n'aurait pas lieu. Il est, au contraire, bien démontré par les faits que l’organisation offre une progression évidente dans sa composition , et que tous les corps vivants ne possèdent pas les mêmes organes. Or, je ferai voir dans l'instant que, faute d’avoir suffisamment considéré Pordre de la nature dans ses productions, et la progression remarquable qui se trouve dans la composition de l’organisation, les naturalistes ont fait des efforts très-infructueux pour retrouver dans : certaines classes, soit d'animaux, soit de végétaux, des organes et des facultés qui ne pouvaient s’y rencontrer. A GERTAINS CORPS VIVANTS 119 Il faut donc, dans l’ordre naturel des animaux, par exemple, se pénétrer d’abord du point de cet ordre où tel organe a commencé d’exister, afin de ne plus chercher le même organe dans les points beaucoup plus antérieurs du mème ordre, si lon ne veut retarder la science en attribuant hypothétique- ment à des parties, dont on ne connaît pas la nature, des facultés qu’elles ne sauraient avoir. Ainsi, plusieurs botanistes ont fait des efforts inutiles pour retrouver la génération sexuelle dans les plantes agames (les cryplogames de Linnée), et d'autres ont cru trouver dans ce qu'on nomme les trachées des végétaux un organe spécial pour la respiration. De même, plusieurs zoologistes ont voulu retrouver un poumon dans certains mollusques, un squelette dans les astéries ou étoiles de mer, des branchies dans les méduses : enfin, un Corps savant vient de proposer, cette année, pour sujet de prix, de chercher s’il existe une circulation dans les radiaires. Assurément, de pareilles tentatives prouvent combien on est encore peu pénétré de l’ordre naturel des animaux , de la progression qui existe dans la composition de l’organisation, et des principes essen— tiels qui doivent résulter de la connaissance de cet ordre. D'ailleurs, en fait d'organisation, et lorsqu'il s’agit d'objets très-petits et inconnus, on croit voir tout ce que l’on veut voir ; et l’on trouvera ainsi tout ce que l’on voudra, comme cela est déjà arrivé, 120 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES en attribuant arbitrairement des facultés à des par- ties dont on n’a su reconnaître ni la nature ni l'usage. Considérons maintenant quelles sont les facultés principales qui sont particulières à certains corps doués de la vie, et voyons dans quel point de l’ordre naturel, soit des animaux, soit des végétaux, cha- cune de ces facultés, ainsi que les organes qui y donnent lieu, ont commencé d'exister. Les facultés particulières à certains corps vivants, et que conséquemment les autres corps doués de la vie ne possèdent pas, sont principalement : 1° De digérer les aliments ; 2° De respirer par un organe spécial ; 3° D’exécuter des actions et des locomotions, par des organes musculaires ; 4° De sentir ou de pouvoir éprouver des sensa- tions ; D° De se multiplier par la génération sexuelle ; 6° D’avoir leurs fluides essentiels en circulation ; 7° D’avoir, dans un degré quelconque, de l’intel- ligence. Il y a bien d’autres facultés particulières dont on trouve des exemples parmi les corps qui jouissent de la vie, et principalement parmi les animaux ; mais je me borne à considérer celles-ci parce qu’elles sont les plus importantes, et que ce que je vais pré- senter à leur égard suffit à mon objet. Les facultés qui ne sont pas communes à tous les corps vivants viennent toutes, sans exception, A CERTAINS CORPS VIVANTS 121 d'organes spéciaux qui y donnent lieu, et consé- quemment d'organes que tous les corps doués de la vie ne possèdent point ; et les actes qui produisent ces facultés sont des fonctions de ces organes. En conséquence , sans examiner si les fonctions des organes dont 1l s’agit s’exécutent continuelle- ment ou avec interruption, et selon les circons- tances, et sans considérer si ces fonctions concer- nent, soit la conservation de l'individu, soit celle de l'espèce, ou si elles font communiquer lindividu avec les corps qui lui sont étrangers et qui l’environ- nent, je vais exposer sommairement mes idées sur les fonctions organiques qui donnent lieu aux sept facultés citées ci-dessus. Je prouverai que chacune d'elles est particuhere à certains animaux et qu’elle ne peut être commune à tous les individus qui com- posent leur règne. La Digestion : est la première des facultés par- ticulières dont jouissent la plupart des animaux, et c'est, en mème temps, une fonction orgauique qui s'exécute dans une cavité centrale de l'individu ; cavité qui, quoique variée dans sa forme, selon les races, est, en général, conformée en tube ou en canal, ayant tantôt une seule de ses extrémités ouverte, et tantôt l’une et l’autre. La fonction dont il s’agit, qui ne s'opère que sur des matières composées, étrangères aux parties de individu, et qu'on nomme alimentaires, consiste d’abord à détruire l'agrégation des molécules cons- 122 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES tituantes et ordinairement agrégées des matières alimentaires introduites dans la cavité digestive; et ensuite à changer l’état et les qualités de ces molé- cules, de manière qu’une partie d’entre elles de- vienne propre à former du chyle et à renouveler ou réparer le fluide essentiel de l’individu. Des liqueurs répandues dans l'organe digestif par les conduits excréteurs de diverses glandes placées dans le voisinage, liqueurs qui se versent principa- lement aux époques où une digestion doit s’exécuter, facilitent d’abord la dissolution, c’est-à-dire la des- traction de l'agrégation des molécules des matières alimentaires, et ensuite concourent à opérer les changements que doivent subir ces molécules. Alors, celles de ces molécules qui sont suffisamment chan- gées et préparées, nageant dans les liqueurs diges- tives et autres qui leur servent de véhicule, pénè- trent, par les pores absorbants des parois du tube ali- mentaire ou intestinal, dans les vaisseaux chyleux ou dans les secondes voies, et y constituent ce fluide pré- cieux qui vient réparer le fluide essentiel de l'individu. Toutes les molécules, ou parties plus grossières qui n’ont pu servir à la formation du chyle, sont ensuite rejetées de la cavité alimentaire. Ainsi, l'organe spécial de la digestion est la cavité alimentaire dont l'ouverture antérieure, par laquelle les aliments sont introduits dans cette cavité, porte le nom de bouche, tandis que celle de lextrémité postérieure, lorsqu'elle existe, s'appelle l'anus. A CERTAINS CORPS VIVANTS 123 Il suit de cette considération que tous les corps vivants qui manquent de cavité alimentaire n’ont ja- mais de digestion à exécuter ; et comme toute digestion s'effectue sur des matières composées, et qu’elle détruit l'agrégation des molécules alimentaires enga- oées dans des masses solides, il en résulte que les corps vivants qui n’en exécutent point ne se nour- rissent que d'aliments fluides, soit liquides, soit gazeux. Tous les végétaux sont dans le cas que je viens de citer ; ils manquent d’organe digestif, et n’ont effectivement jamais de digestion à exécuter. La plupart des animaux, au contraire, ont un organe spécial pour la digestion, qui leur donne la faculté de digérer; mais cette faculté n’est pas, comme on l’a dit, commune à tous les animaux, et ne saurait être citée comme un des caracteres de l’animalité. En effet, les 2nfusorres ne la possedent point, eten vain chercherait-on une cavité alimen- taire dans une monade, une volvoce, un protée, etc.; on ne la trouverait point. La faculté de digérer n’est done que particulière au plus grand nombre des animaux. La respiration : C’est la seconde des facultés particulières à certains animaux, parce qu'elle est moins générale que la digestion ; sa fonction s’exé- cute dans un organe spécial distinct, lequel est très- diversifié selon les races en qui cette fonction s'opère, et selon la nature du besoin qu’elles en ont. 124 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES Cette fonction consiste en une réparation du fluide essentiel et trop promptement altéré de l'individu qui est dans ce cas; réparation pour laquelle la voie trop lente des aliments ne suffit pas. Or, la ré- paration dont il s’agit s'effectue dans l'organe res- piratoire, à l’aide du contact d’un fluide particulier respiré, lequel, en se décomposant, vient communi- quer au fluide essentiel de l'individu des principes réparateurs. Dans les animaux dont le fluide essentiel est peu composé et ne se meut qu'avec lenteur, les altéra- tions de ce fluide essentiel sont lentes, et alors la voie des aliments suffit seule aux réparations; les fluides capables de fournir certains principes répara- teurs nécessaires pénétrant dans l'individu par cette voie où par celle de l’absorption, et produisant suf- fisamment leur influence, sans exiger un organe spécial. Ainsi, la faculté de respirer par un organe particulier n’est pas nécessaire à ces corps vivants. l'el est le cas de tous les végétaux, et tel est encore celui d’un assez grand nombre d'animaux, comme ceux qui composent la classe des #nfusorres et celle des polypes. La faculté de respirer ne doit donc être reconnue exister que dans les corps vivants qui possèdent un organe spécial pour la fonction qui la procure; car si ceux qui manquent d'un pareil organe ont besoin, pour leur fluide essentiel, de recevoir quelque influence analogue à celle de la respiration, ce qui A CERTAINS CORPS VIVANTS 125 est très-douteux, ils la reçoivent apparemment par quelque voie générale et lente, comme celle des ali- ments, ou celle de l'absorption qui s'exécute par les pores extérieurs, et non par le moyen d’un organe particulier. Ainsi, les corps vivants dont il s’agit ne respirent pas. Le plus important des principes réparateurs que fournit le fluide respiré au fluide essentiel de lani- mal paraît être l'oxygène. Il se dégage du fluide respiré, vient s’unir au fluide essentiel de l'animal, et rend alors à ce dernier des qualités qu'il avait perdues. On sait qu'il y a deux fluides respiratoires diffé- rents qui fournissent l’oxygène dans l'acte de la res- piration. Ces fluides sont l’eau et l'air ; ils forment, en général, les milieux dans lesquels les corps vi- vants se trouvent plongés, ou dont ils sontenvironnés. L'eau, en effet, est Le fluide respiratoire de beau- coup d'animaux qui habitent continuellement dans son sein. On croit que, pour fournir l’oxygène, ce fluide ne se décompose point; mais qu'entrainant toujours avec lui une certaine quantité d'air qui lui est, en quelque sorte, adhérente, cet air se décom- pose dans l'acte de la respiration, et fournit alors son oxygène au fluide essentiel de l’animal. C’est de cette manière que les poissons et quantité d'animaux aquatiques respirent; mais cette respiration est moins active, et fournit plus lentement les principes réparateurs que celle qui se fait par l'air à nu. 126 DES FACULTES PARTICULIÈRES L'air atmosphérique et à nu est le second fluide res- piratoire, et c’est effectivement celui que respirent un grand nombre d'animaux qui vivent habituellement dans son sein ou à sa portée : 11 se décompose promp- tement dans l’acte de la respiration et fournit aus- sitôt son oxygène au fluide essentiel de l'animal dont il répare les altérations. Gette respiration, qui est celle des animaux les plus parfaits et de beau coup d’autres, est la plus active, et elle l’est, en ou- tre, d'autant plus que la nature de l’organe en qui elle s’opère favorise davantage son activité. Ïl ne suffit pas de considérer dans Panimal exis- tence d’un organe spécial pour la respiration, 1l faut encore avoir égard à la nature de cet organe, afin de juger du degré de perfectionnement de son organisation, par la renaissance prompte ou lente des besoins qu'il a de réparer son fluide essentiel. A mesure que le fluide essentiel des animaux se compose davantage et devient plus animalisé, les altérations qu'il subit pendant le cours de la vie, sont plus grandes et plus promptes et les réparations dont il a besoin deviennent graduellement propor- tionnées aux changements qu'il éprouve. Dans les animaux les plus simples et les plus 1m— parfaits, tels que les #rfusoires et les polypes, le fluide essentiel de ces animaux est si peu composé, si peu animalisé et s’altère avec tant de lenteur, que les réparations alimentaires lui suffisent. Mais bien ABC IEMNAIN SA CORP SAMIN ANS 127 tôt après la nature commence à avoir besoin d'un nouveau moyen pour entretenir dans son état utile le fluide essentiel des animaux. C'est alors qu'elle crée la respiration: mais elle n’établit d’abord que le système respiratoire le plus faible, le moins actif; enfin, celui que fournit l’eau lorsqu'elle va elle-même porter partout son influence comme fluide respiré. La nature, ensuite, variant le mode de la respi- ration selon le besoin progressivement augmenté du bénéfice qu’elle procure, rend cette fonction de plus en plus active et finit par lui donner la plus grande énergie. Puisque la respiration aquifere est la moins ac- tive, considérons-la d’abord et nous verrons que les organes qui respirent l’eau sont de deux sortes, lesquelles different encore entre elles par leur ac- tivité. Nous remarquerons ensuite la mème chose à l'égard des organes qui respirent l'air. Les organes qui respirent l’eau doivent être dis- tingués en rachées aquifères et en branchies, comme les organes qui respirent Pair le sont en trachées aérifrres et en poumons. Il est en effet de toute évidence que les trachées aquiferes sont aux branchies ce que les trachées aériferes sont aux poumons. (Syst. des Animaux sans vertèbres, p: 47.) Les /rachées aquifères consistent en un certain nombre de vaisseaux qui se ramifient et s'étendent 128 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES dans l'intérieur de l'animal, et qui s'ouvrent au de- hors par une multitude de petits tubes qui absor- bent l’eau : à l’aide de ce moyen, l’eau pénètre con- tinuellement par les tubes qui s'ouvrent au dehors, circule en quelque sorte dans tout l’intérieur de l'animal, y va porter l'influence respiratoire et pa- rait en sortir en se versant dans la cavité alimen- taire. Cestrachées aquiferes constituent l’organe respi- ratoire le plus imparfait, le moins actif, le premier que la nature a créé, enfin, celui qui appartient à des animaux dont l'organisation est Si peu compo— sée, qu'ils n’ont encore aucune circulation pour leur fluide essentiel. On en trouve des exemples remar- quables dans les radiaires, telles que les oursins, les astéries, les méduses, etc. Les branchies constituent aussi un organe qui respire l'eau et qui peut en outre s’accoutumer à respirer l'air à nu; mais cet organe respiratoire est toujours isolé, soit en dedans, soit en dehors de l'animal, et 1l n'existe que dans des animaux dont l'organisation est déja assez composée pour avoir un systeme nerveux et un système de circulation pour leur sang. Vouloir trouver des branchies dans les 'adiaires et dans les vers, parce qu'ils respirent l’eau, c’est comme si l’on voulait trouver un poumon dans les insectes, parce qu'ils respirent l’air. Aussi les tra- chées aériferes des insectes constituent-elles le plus A CERTAINS CORPS VIVANTS 129 imparfait des organes qui respirent l'air ; elles s'étendent dans toutes les parties de l'animal et y vont porter l’utile influence de la respiration ; tan- dis que le poumon, comme les branchies, est un or- gane respiratoire isolé, qui, lorsqu'il a obtenu son plus grand perfectionnement, est le plus actif des organes respiratoires. Pour bien saisir le fondement de tout ce que je viens d'exposer, 1l importe de donner quelque attention aux deux considérations suivantes. La respiration, dans les animaux qui n’ont pas de circulation pour leur fluide essentiel, s'effectue avec lenteur, sans mouvement particulier apparent et dans un système d'organes qui est répandu à peu près dans tout le corps de lanimal. Dans cette res- piration, c’est le fluide respiré qui va lui-même porter partout son influence; le fluide essentiel de l'animal ne va nulle part au devant de lui. Telle est la respiration des radriaires et des vers dans laquelle l’eau est le fluide respiré et telle est ensuite la respiration des 2nsectes et des arachnides dans laquelle ce fluide respiré est l'air atmosphérique. Mais la respiration des animaux qui ont une circulation générale pour leur fluide essentiel, pré- sente un mode très-diflérent; elle s'effectue avec moins de lenteur, donne lieu à des mouvements par- ticuliers qui, dans les animaux les plus parfaits, de- viennent mesurés, et s'exécute dans un organe simple, double: où composé, mais qui est isolé, puis- LAMARCK, PHIL. Z0OL. II. 9 130 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES qu'il ne s’étend pas partout. Alors le fluide essentiel ou le sang de animal va lui-même au devant du fluide respiré qui ne pénètre que jusqu'a lorgane respiratoire : il en résulte que le sang est contraint de subir, outre la circulation générale, une circula- tion particulière que je nomme respiratoire. Or, comme tantôt il n’y a qu’une partie du sang qui se rende à l’organe de la respiration avant d’être en- voyée dans toutes les parties du corps de l’animal, et que tantôt tout le sang passe par cet organe avant son émission dans tout le corps, la circulation res- piratoireest donc tantôt incomplète et tantôt complète. Ayant montré qu’il y a deux modes très-différents pour la respiration des animaux qui possèdent un organe respiratoire distinct, je crois qu'on peut donner à celle du premier mode, telle que celle des radiaires, des vers et des insectes, le nom de res- piration générale, et qu'il faut nommer respiration locale celle du second mode, qui appartient aux animaux plus parfaits que les insectes et à laquelle peut-être il faudra joindre la respiration bornée des arachnides. Ainsi, la faculté de respirer est particulière à certains animaux, et la nature de organe par lequel ces animaux respirent est tellement appropriée à leurs besoins et au degré de perfectionnement de leur organisation, qu'il serait tres-inconvenable de vouloir retrouver dans des animaux imparfaits l’or- gane respiratoire d'animaux plus parfaits. A CERTAINS CORPS VIVANTS 131 Le système musculaire : il donne aux animaux en qui il existe, la faculté d'exécuter des actions et des locomotions, et de diriger ces actes, soit par les penchants nés des habitudes, soit par le sentiment intérieur, soit enfin par des opérations de l’intelli- gence. Comme il est reconnu qu'aucune action muscu- laire ne peut avoir lieu sans l’influence nerveuse, il suit de là que le système muscularre n'a pu être formé qu'après l'établissement du systéme nerveux, au moins dans sa premiere simplicité ou sa moindre complication. Or, s’il est vrai que celle des fonctions du système nerveux, qui a pour objet d'envoyer le fluide subtil des nerfs aux fibres musculaires où à leurs faisceaux pour les mettre en action, est beau- coup plus simple que celle qui est nécessaire pour produire lesentiment, ce que je compte prouver, il en doit résulter que, dès que le système nerveux a pu se composer d’une masse médullaire à laquelle aboutissent différents nerfs, ou dès qu’il à pu offrir quelques ganglions séparés, envoyant des filets ner- veux à certaines parties, des lors il a été capable d'opérer l’excitation musculaire sans pouvoir cepen— dant produire le phénomène du sentiment. Je me crois fondé à conclure de ces considéra- tions, que la formation du système musculaire est postérieure à celle du système nerveux considéré dans sa moindre composition, mais que la faculté d'exécuter des actions et des locomotions par le 132 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES moyen des organes musculaires, est, dans les animaux, antérieure: à celle de pouvoir éprouver J des sensations. Or, puisque le système nerveux est, dans sa pre- mière formation, antérieure au systéme muscu laire, puisqu'il n’a commencé à exister que lors- qu'il s’est trouvé composé d’une masse médullaire principale, de laquelle partent différents filets ner- veux, et puisqu'un pareil système d'organes ne peut exister dans des animaux d’une organisation aussi simple que celle des infusoires et du plus grand nombre des polypes , il est donc de toute évidence que le système musculaire est particulier à certains animaux, que tous ne le possèdent pas, et néan- moins que la faculté d'agir et de se mouvoir, par des organes musculaires, existe dans un plus grand nombre d'animaux que celle de sentir. Pour préjuger l’existence du système musculaire dans les animaux où elle parait douteuse, il importe de considérer si les parties de ces animaux offrent aux attaches des fibres musculaires des points d’ap- pui d’une certaine consistance ou fermeté ; car, par l'habitude d’être tiraillés, ces points d'attache s'af- fermissent progressivement. On est assuré que le système musculaire existe dans les #nsectes et dans tous les animaux des clas- ses postérieures ; mais la nature a-t-elle établi ce système dans des animaux plus imparfaits que les insectes ? Si elle l’a fait, on peut penser, à l’égard A CERTAINS CORPS VIVANTS 133 des radiaires, que ce n’est guère que dans les échinodermes et dans les fistulides et non dans les radiaires mollasses : peut-être a-t-elle ébauché ce systeme dans les actinies ; la consistance assez co- riace de leurs corps autorise à le croire, maison ne saurait supposer son existence dans les hydres, ni dans la plupart des autres polypes et encore moins dans les infusoires. Il est possible que lorsque la nature a commencé l'établissement d’un système d'organes particulier quelconque, elle ait choisi les circonstances favora- bles à l’execution de cette création, et qu’en consé- quence, dans l'échelle que nous formons des ani- maux, il y ait, vers l’origine de l'établissement de ce système, quelques interruptions occasionnées par les cas où sa formation n’a pu avoir lieu. L'observation bien suivie des opérations de la na- ture, et guidée par ces considérations, nous appren- dra sans doute bien des choses que nous ignorons encore sur ces sujets intéressants, et peut-être nous fera-t-elle découvrir que, quoique la nature ait pu commencer l'établissement du système musculaire dans les radiaires, les vers, qui viennent ensuite, n’en sont pas encore pourvus. Si cette considération est fondée, elle confirmera celle que j'ai déja présentée à l'égard des vers, sa- voir : qu'ils paraissent constituer une branche par- ticulière de la chaîne animale, recommencée par des générations directes (chap. 1v, p. 81). 134 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES Le système musculaire bien prononcé et bien connu dans les insectes, se montre ensuite tou- jours et partout dans les animaux des classes sui- vantes. Le sentiment, c’est une faculté qui doit occuper le quatrième rang parmi celles qui ne sont pas com- munes à tous les corps qui possedent la vie; car la faculté de sentir paraît moins générale encore que celle du mouvement musculaire, celle de respirer et celle de digérer. On verra plus loin que le sentiment n’est qu'un effet, c’est-a-dire que le résultat d’un acte organi- que etnon une faculté inhérente ou propre à aucune des matières qui composent les parties d’un corps susceptible de léprouver. Aucune de nos humeurs ni aucun de nos orga- nes, pas même nos nerfs, n’ont en propre la faculté de sentir. Ce n’est que par illusion que nous attri- buons l'effet singulier qu’on nomme sensation ou sentiment à une partie affectée de notre corps ; au- cune des matières qui composent cette partie affec- tée ne sent réellement et ne saurait sentir. Mais l'effet tres-remarquable auquel on donne le nom de sensation et celui de douleur, lorsqu'il est trop in- tense, est le produit de la fonction d’un système d'organes très-particulier, dont les actes s’exécu- tent selon les circonstances qui les provoquent. J'espère prouver que cet effet, qui constitue le sentiment ou la sensation, résulte évidemment d’une A CERTAINS CORPS VIVANTS 135 cause affectante, qui excite une action dans toutes les parties du système d'organes spécial qui y est propre, laquelle, par une répercussion plus prompte que l’éclair et qui s’effecitue dans toutes les parties du système, reporte son effet général dans le foyer commun où la sensation s’opere, et de là pro- page cette sensation jusqu'au point du corps qui fut affecté. J’essayerai de développer dans la troisième partie de cet ouvrage le mécanisme admirable de l'effet qui constitue ce qu'on nomme sentiment : ici je di- rai seulement que le système d'organes particulier qui peut produire un pareil effet est connu sous le nom de système nerveux, et j'ajouterai que le sys- tème dont il s’agit n’acquiert la faculté de donner lieu au sentiment que lorsqu'il est assez avancé dans sa composition pour offrir des nerfs nombreux qui se rendent à un foyer commun ou centre de rapport. Il résulte de ces considérations que tout animal qui ne possède pas un système nerveux dans l’état cité, ne saurait éprouver l'effet remarquable dont il vient d'être question, et conséquemment ne peut avoir la faculté de sentir, à plus forte raison tout animal, qui n’a point de nerfs aboutissant à une masse médullaire principale, doit-il ètre privé du sentiment. Ainsi donc la faculté de sentir ne peut être com- mune à tous les corps vivants, puisqu'il est généra— 136 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES lement reconnu que les végétaux n’ont point de nerfs, ce qui ne leur permet nullement de la possé- der ; mais on a cru cette faculté commune à tous les animaux et c’est une erreur évidente; car tous les animaux ne sont point et ne peuvent être munis de nerfs ; outre cela, ceux en qui des nerfs commen- cent à exister, ne possedent pas encore un système nerveux, pourvu des conditions qui le rendent pro- pre à la production du sentiment. Aussi est-il pro bable que, dans son origine ou son imperfection première, ce système n’a d'autre faculté que celle d’exciter le mouvement musculaire, par conséquent la faculté de sentir ne saurait être commune à tous les animaux. S'il est vrai que toute faculté particulière à cer— tains corps vivants provienne d’un organe spécial qui y donne leu, ce qui est prouvé partout par le fait mème, 1l le doit être aussi que la faculté de sentir, qui est évidemment particulière à certains animaux, est uniquement le produit d’un organe ou . d’un système d'organes particulier capable par ses actes de produire le sentiment. D’après cette considération, le système nerveux constitue l'organe spécial du sentiment lorsqu'il est composé d’un centre unique de rapport et de nerfs qui y aboutissent. Or, il parait que ce n’est guère que dans les 2#sectes que la composition du système nerveux commence à être assez avancée pour pou— voir produire en eux le sentiment, quoique d’une A CERTAINS CORPS VIVANTS 137 maniere encore obscure. Cette faculté se retrouve ensuite dans tous les animaux des classes posté- rieures avec des progrès proportionnés dans son perfectionnement. Mais dans des animaux plus imparfaits que les insectes, tels que les vers et les radiaires, si l’on trouve quelques vestiges de nerfs et de ganglions séparés, on a de grands motifs pour présumer que ces organes ne sont propres qu'a l'excitation du mouvement musculaire, la plus simple faculté du système nerveux. Enfin, quant aux animaux plus imparfaits encore, tels que le plus grand nombre des polypes et tous les infusoires, il est de toute évidence qu'ils ne peu- vent posséder un système nerveux capable de leur donner la faculté de sentir, ni même celle de se mou- voir par des muscles : en eux, lirritabilité seule y supplée. Ainsi, le sentiment n'est pas une faculté com- mune à tous les animaux comme on l’a générale- ment pensé. La génération sexuelle : c’est une faculté particu- lière qui, dans les animaux, est à peu près aussi générale que le sentiment ; elle résulte d’une fonc- tion organique non essentielle à la vie et qui a pour but d'opérer la fécondation d'un embryon, qui de- vient alors susceptible de posséder la vie et de cons- tituer, apres ses développements, un individu sem blable à celui ou à ceux dont il provient. 438 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES Cette fonction s'exécute dans des temps particu- liers, tantôt réglés et tantôt qui ne le sont pas, par le concours de deux systèmes d'organes qu’on nomme sexuels, dont l’un constitue les organes m4- les et l’autre ceux qui sont nommés femelles. La génération sexuelle s’observe dans les animaux et dans les végétaux, mais elle est particulière à certains animaux et à certaines plantes etn’est point une faculté commune aux uns et aux autres de ces corps vivants ; la nature ne pouvait la rendre telle comme nous l’allons voir. En effet, pour pouvoir produire les corps vivants, soit végétaux, soit animaux, la nature fut obligée de créer d’abord l’organisation la plus simple dans des corps des plus frèles et où il lui était impossible de faire exister aucun organe spécial. Elle eut bien- tôt besoin de donner à ces corps la faculté de se multiplier, sans quoi il lui eût fallu faire partout des créations, ce qui n’est nullement en son pouvoir. Or, ne pouvant donner à ses premières productions la faculté de se multiplier par aucun système d’or- ganes particuher, elle parvint à leur donner la même faculté en donnant à celle de s’accroitre, qui est commune à tous les corps qui jouissent de la vie, la faculté d'amener des scissions, d’abord du corps entier et ensuite de certaines portions en saillie de ce corps; de là, les gemmes et les différents corps reproductifs qui ne sont que des parties qui s’éten- dent, se séparent et continuent de vivre après leur A CERTAINS CORPS VIVANTS 139 séparation, et qui, n'ayant exigé aucune féconda- tion, ne constituant aucun embryon, se développant sans déchirement d'aucune enveloppe, ressemblent cependant, apres leur accroissement, aux individus dont ils proviennent. | Tel est le moyen que la nature sut employer pour multiplier ceux des végétaux et des animaux en qui elle ne put donner les appareils compliqués de la génération sexuelle ; ce seraiten vain que l’on vou- drait trouver de semblables appareils dans les alques et les champignons ou dans les enfusoires et les polypes. Lorsque les organes mâles et les organes fernelles se trouvent réunis sur ou dans le même individu, on dit que cet mdividu est hermaphrodite. Dans ce cas, il faudra distinguer l’hermaphro- disme parfait, qui se suffit à lui-même, de celui qui est imparfait, en ce qu'il ne sesuffit pas. En effet, beaucoup de végétaux sont hermaphrodites, en sorte que l’individu qui possède les deux sexes se suffit à lui-mème pour la fécondation ; mais dans les ani- maux en qui les deux sexes existent, il n’est pas encore prouvé par l’observation que chaque individu se suffise à lui-mème, et l’on sait que quantité de mol- lusques réellement hermaphrodites se fécondent néanmoins les uns les autres. À la vérité, parmi les mollusques hermaphrodites , ceux qui ont une co= quille bivalve, et qui sont fixés comme les huîtres, semblent devoir se féconder eux-mêmes : il est 140 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES cependant possible qu'ils se fécondent mutuellement par la voie du milieu dans lequel ils sont plongés. S'il en est ainsi, il n’y a, dans les animaux, que des hermaphrodites imparfaits ; et l’on sait que dans les animaux vertébrés, il n’y a même aucun indi- vidu véritablement hermaphrodite. Ainsi, les her- maphrodites parfaits se trouveront uniquement parmi les végétaux. Quant au caractère de l’hermaphrodisme , que lon fait consister dans la réunion des deux sexes sur le même individu, il semble que les plantes monoiques fassent une exception; car, quoiqu’un arbrisseau ou un arbre monoïque porte les deux sexes, chacune de ses fleurs est néanmoins uni- sexuelle. Je remarquerai, à cet égard, que c’est à tort qu'on donne le nom d’isdividu à un arbre ou à un arbrisseau, ou même à des plantes herbacées viva- ces, car cet arbre ou cet arbrisseau , etc. , n’est réellement qu'une collection d'individus qui vivent les uns sur les autres, communiquent ensemble, et participent à une vie commune, comme cela a lieu aussi pour les polypes composés des madrépores, millépores , etc.; ce que j'ai déjà prouvé dans le premier chapitre de cette seconde partie. La fécondation , résultat essentiel d’un acte de la génération sexuelle, doit être distinguée en deux degrés particuliers, dont l’un, supérieur ou plus éminent, puisqu'il appartient aux animaux les plus A CERTAINS CORPS VIVANTS 1a1 parfaits (aux mammiféres), comprend la fécondation des tivipares, tandis que l’autre, inférieur et moins parfait, embrasse celle des ovipares. La fécondation des vivipares vivifie, dans lins- tant même, l'embryon qui en reçoit l'influence, et ensuite cet embryon continuant de vivre, se nourrit et se développe aux dépens de la mère, avec la- quelle il communique Jusqu'à sa naissance. Il n’y a point d'intervalle connu entre l'acte qui le rend propre à posséder la vie et la vie même qu'il reçoit par cet acte : d’ailleurs, cet embryon fécondé est enfermé dans une enveloppe (le placenta) qui ne contient pas avec lui des approvisionnements de nourriture. Au contraire, la fécondation des ovipares ne fait que préparer l'embryon, et que le rendre propre à recevoir la vie; mais elle ne la lui donne pas. Or, cet embryon fécondé des ovipares est enfermé, avec une provision de nourriture , dans des enveloppes qui cessent de communiquer avec la mère avant d'en être séparées; et il ne recoit la vie que lors- qu'une cause particulière, que les circonstances seules rendent prompte ou tardive, où même peu- ventanéantir, vient lui communiquer le mouvement vital. Cette cause particulière qui, postérieurement à la fécondation d’un embryon d’ovipare, donne la vie à cet embryon, consiste, pour les œufs des animaux, dans une simple élévation de température, et, pour 142 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES les graines des plantes, dans le concours de l’humi- dité et d’une douce chaleur qui vient les pénétrer. Ainsi, pour les œufs des oiseaux, l’incubation amène cette élévation de température, et pour beau- coup d’autres œufs , une chaleur douce de l’atmos- phère suffit ; enfin, les circonstances favorables à la germination vivifient les graines des végétaux. Mais les œufs et les graines propres à donner l'existence à des animaux et à des végétaux con- tiennent nécessairement chacun un embryon fécondé, enfermé dans des enveloppes, d’où il ne peut sortir qu'après les avoir rompues : ils sont donc les ré- sultats de la génération sexuelle, puisque les corps reproductifs qui n’en proviennent pas n’offrent point un embryon renfermé dans des enveloppes qu’il doit détruire pour pouvoir se développer. Assurément, les gemmes et les corps reproductifs plus ou moins oviformes de beaucoup d'animaux et de végétaux ne sont nullement dans le cas de leur être comparés : ce serait donc s’abuser que de rechercher la géné- ration sexuelle là où la nature n’a pas eu le moyen de l’établir. Ainsi, la génération sexuelle est particulière à certains animaux et à certains végétaux : consé- quemment, les corps vivants les plus simples et les plus imparfaits ne sauraient posséder une pareille faculté. La circulation : c’est une faculté qui n’a d’exis- tence que dans certains animaux, et qui, dans le A CERTAINS CORPS VIVANTS 143 régne animal, est bien moins générale que les cinq dont je viens de parler. Gette faculté provient d’une fonction organique relative à l'accélération des mouvements du fluide essentiel de certains ani- maux, fonction qui s'exécute dans un système d'organes particulier qui y est propre. Ce système d'organes se compose essentiellement de deux sortes de vaisseaux , savoir : d’artères et de veines , et presque toujours, en outre , d’un muscle creux et charnu qui occupe à peu près le centre du système, qui en devient bientôt l’agent principal, et qu'on nomme le cœur. La fonction qu'exécute le système d'organes dont il s’agit, consiste à faire partir le fluide essentiel de l'animal, qui doit ici porter le nom de sang, d’un point à peu près central où se trouve le cœur lors- qu'il existe, pour l'envoyer de là, par les artères, dans toutes les parties du corps, d'où revenant au même point par les veines, il est ensuite envoyé de nouveau dons toutes ces parties. C'est à ce mouvement du sang , toujours envoyé à toutes les parties, et toujours retournant au point de départ, pendant le cours entier de la vie, qu'on a donné le nom de circulation, qu'il faut qualifier de générale, afin de la distinguer de la circulation respiratoire , qui s'exécute par un système particu lier, composé pareillement d’artères et de veines. La nature, en commençant l’organisation dans les animaux les plus simples et les plus imparfaits, n’a 144 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES pu donner à leur fluide essentiel qu'un mouvement extrêmement lent. Tel est, sans doute, le cas du fluide essentiel, presque simple et très-peu animalisé qui se meut dans le tissu cellulaire des infusoires. Mais ensuite , animalisant et composant graduelle- ment le fluide essentiel des animaux , à mesure que leur organisation se compliquait et se perfectionnait, elle en a augmenté peu à peu le mouvement {par différents moyens. Dans les polypes, le fluide essentiel est presque aussi simple encore, et n’a pas beaucoup plus de mouvement que celui des infusoires. Cependant, la forme déjà régulière des polypes, et surtout la cavité alimentaire. qu’ils possèdent, commencent à donner quelques moyens à la nature pour activer un peu leur fluide essentiel. Elle en a probablement profité dans les radiaires, en établissant dans la cavité alimentaire de ces animaux le centre d'activité de leur fluide essentiel. En effet, les fluides subtils, ambiants et expansifs qui constituent la cause ercitatrice des mouvements de ces animaux, pénétrant principalement dans leur cavité alimentaire , ont , par leurs expansions sans cesse renouvelées, surcomposé cette cavité, amené la forme rayonnante, tant interne qu’externe, de ces mêmes animaux, et sont, en outre, la cause des mouvements isochrones qu'on observe dans Îles radiaires mollasses. Lorsque la nature eut réussi à établir le mouve- A CERTAINS CORPS VIVANTS 145 ment musculaire, comme dans les 2nsectes, et peut- ètre même un peu avant, elle eut alors un nouveau moyen pour activer un peu plus encore le mouve- ment de leur sante ou fluide essentiel ; mais, par- venue à l’organisation des crustacés , te moyen ne lui suffisait plus, et il lui fallut créer un système d'organes particulier pour l’accélération du fluide essentiel de ces animaux, c’est-à-dire de leur sang. C'est, en effet, dans les crustacés qu'on voit, pour la première fois, la fonction d’une circulation générale complétement exécutée, fonction qui n'avait reçu qu'une simple ébauche dans les ara- chnides. Chaque nouveau système d'organes acquis se conserve toujours dans les organisations subsé- quentes ; mais la nature travaille ensuite à le per- fectionner de plus en plus. Ainsi, dans le commencement , la circulation gé- nérale offre dans son système d'organes, un cœur à un seul ventricule, et mème, dans les annelides, le cœur n’est pas connu : elle n’est accompagnée d’abord que par une circulation respiratoire incom- plète ; c’est-a-dire dans laquelle tout le sang ne passe pas par l'organe de la respiration avant d’ètre envoyé à toutes les parties. Tel est le cas des ani- maux à branchies non perfectionnées ; mais dans les poissons, où la respiration branchiale est à son perfectionnement, la circulation générale est accom- pagnée d’une circulation respiratoire complète. LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. 1 146 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES Lorsque ensuite la nature eut réussi à créer un poumon pour respirer, comme dans les reptiles, la circulation générale ne put être alors accompagnée que par une circulation respiratoire incomplète , parce que le nouvel organe respiratoire était encore trop imparfait, que la circulation générale elle- même n'avait encore dans son système d’organes qu'un cœur à un seul ventricule, et que le nouveau fluide respiré étant par lui-même plus promptement réparateur que l’eau , ne rendait pas nécessaire une respiration complète. Mais lorsque la nature fut parvenue à opérer le perfectionnement de la respi- ration pulmonaire, comme dans les oiseaux et les mammifères, alors la circulation générale fut accompagnée par une circulation respiratoire com— plète, le cœur eut nécessairement deux ventricules et deux oreillettes, et le sang obtint la plus grande accélération dans son mouvement, l’animalisation la plus éminente devint propre à élever la tempé- rature intérieure de l’animal au-dessus de celle des milieux environnants, enfin, fut assujetti à de promptes altérations qui exigèrent des réparations proportionnées. La circulation du fluide essentiel d’un corps vivant est donc une fonction organique particulière à certains animaux : elle commence à se montrer complète et générale dans les crustacés , et se re- trouve dans les animaux des classes suivantes, qui sont graduellement plus parfaits; mais en vain la A CERTAINS CORPS VIVANTS 147 chercherait-on dans les animaux moins parfaits des classes antérieures, on ne la trouverait pas. L'intelligence : c'est de toutes les facultés parti culières à certains animaux, celle qui se trouve la plus bornée, relativement au nombre de ceux qui la possèdent, même dans sa plus grande imperfection ; mais aussi C’est la plus admirable, surtout lorsqu'elle est bien développée, et on peut alors la regarder comme le chef-d'œuvre de tout ce qu'a pu exécuter la nature à l’aide de l’organisation. Cette faculté provient des actes d’un organe par- ticulier qui, seul, peut y donner lieu, et parait lui-même très-composé lorsqu'il a acquis tous les développements dont il est susceptible. Comme cet organe est véritablement distinct de celui qui produit le sentiment , quoiqu'il ne puisse exister sans celui-ci , il en résulte que la faculté d'exécuter des actes d'intelligence, non-seulement n’est pas commune à tous les animaux, mais même ne l’est pas à tous ceux qui possedent celle de sen- tir, car le sentiment peut exister sans l’intelli- gence. L'organe spécial, en qui se produisent les actes de l’entendement, paraît n'être qu'un accessoire du système nerveux, c’est-à-dire qu’une partie sur- ajoutée au cerveau, lequel contient le foyer ou centre de rapport des nerfs. Aussi l’organe parti eulier dont il est question est-il contigu à ce foyer; d’ailleurs, la nature de la substance dont il se com 148 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES pose ne paraît nullement différer de celle qui forme le système nerveux ; cependant, en lui seul s’exé- cutent les actes de l'intelligence ; et comme le sys- tème nerveux peut exister sans lui, c’est donc un organe spécial. On trouvera, dans la troisième partie, quelques aperçus généraux sur le mécanisme probable des fonctions de cet organe que l’on confond avec la masse médullaire connue sous le nom de cerveau, dans les animaux vertébrés, et dont cependant il ne constitue que les deux hémisphères plicatiles qui le recouvrent. Il me suffit ici de faire remarquer que, parmi les animaux qui ont un système nerveux, 1l n’y à que les plus parfaits d’entre eux qui aient réellement leur cerveau muni des deux hémisphères que je viens de citer, et que, probablement, tous les animaux sans vertébres, sauf peut-être cer- tains #ollusques du dernier ordre , en sont généra- lement dépourvus, quoiqu'un grand nombre d’entre eux ait un cerveau, auquel les nerfs d’un ou de plusieurs sens particuliers se rendent immédiate- ment, et que ce cerveau soit, en général, partagé en deux lobes, ou divisé par un sillon. D’après ces considérations, la faculté d’exécuter des actes d'intelligence ne commence guere qu'aux poissons, où tout au plus qu'aux #0llusques cépha- lopodes. Elle est alors dans sa plus grande imper- fection ; elle a fait quelques progrès de développe- ment dans les reptiles, surtout dans ceux des der- A CERTAINS CORPS VIVANTS 149 niers ordres, elle en a fait de beaucoup plus grands dans les oiseaux, et elle offre dans les mammifères des derniers ordres, tous ceux qu’elle peut avoir dans les animaux. L'intelligence est donc une faculté particulière à certains animaux qui possedent celle de sentir ; mais cette faculté n’est pas commune à tous ceux qui jouissent du sentiment : en effet, nous verrons que, parmi ces derniers, ceux qui n’ont pas l'organe par- ticulier propre à l’exécution des actes de lintelli- gence, ne peuvent avoir que de simples perceplions des objets qui les affectent, mais qu'ils ne s’en forment point d'idée , ne comparent point, ne Jugent point, et sont régis, dans toutes leurs actions, par leurs besoins et leurs penchants habituels. RÉSUMÉ DE CETTE SECONDE PARTIE En me bornant, dans les neuf chapitres précé- dents , aux seules observations que j'avais à pré- senter, J'ai évité d'entrer dans une multitude de détails, à la vérité, fort intéressants, mais que lon trouve dans les bons ouvrages de physiologie que le public possede : les considérations que j'ai expo- sées me paraissent suffire pour prouver : 1° Que la vie, dans tout corps qui la possède, ne consiste qu'en un ordre et un état de choses qui permettent aux parties intérieures de ce corps d’obéir à l’action d’une cause excitatrice, d'exécuter 150 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES des mouvements qu’on nomme organiques où vitaux, et desquels il reçoit la faculté de produire, selon son espèce , les phénomènes connus de l’organisation ; 2° Que la cause excitatrice des mouvements vitaux est étrangère aux organes de tous les corps vivants ; que les éléments de cette cause se trouvent toujours, quoiqu'avec des variations dans leur abon- dance , dans tous les lieux qu'ils habitent ; que les milieux environnants les leur fournissent, soit uniquement, soit en partie; et que, sans cette même cause , aucun de ces corps ne pourrait jouir de la vie ; 3° Que tout corps vivant quelconque est nécessai- rement composé de deux sortes de parties, savoir : de parties contenantes, constituées par un issu cellulaire très-souple, dans lequel et aux dépens duquel toute espèce d’organe a été formée, et de fluides visibles contenus, susceptibles d’éprouver des mouvements de déplacement et des changements divers dans leur état et leur nature ; 4° Que la nature animale n’est pas essentiellement distinguée dela nature végétale par desorganesparti- culiers à chagune de ces deux sortes de corps vivants, mais qu’elle l’est principalement par la nature même des substances qui entrent dans la composition de ces deux sortes de corps : de manière que la subs- tance de tout corps animal permet à la cause exci- tatrice d'y établir un orgasme énergique et l'irri- fabilité; tandis que la substance de tout corps A CERTAINS CORPS VIVANTS 151 végétal ne laisse à la cause excitatrice que le pou- voir de mettre en mouvement les fluides visibles contenus, mais ne lui permet, sur les parties conte- nantes, qu'un orgasme obscur, incapable de pro- duire l’irritabilité et de faire exécuter aux parties des mouvements subits ; 9° Que la nature elle-mème donne lieu à des géné- rations directes, dites spontanées, en créant l’orga- nisation et la vie dans des corps qui ne les possé- daient pas; qu'elle à nécessairement cette faculté à l’égard des animaux et des végétaux les plus impar- faits qui commencent, soit l’échelle animale, soit l'échelle végétale, soit peut-être encore certaines de leurs ramifications, et qu’elle n’exécute ces admirables phénomènes que sur de petites masses de matière, gélatineuse pour la nature animale, mucilagineuse pour la nature végétale, transfor- mant ces masses en tissu cellulaire , les remplissant de fluides visibles qui s’y composent, et y établissant des mouvements , des dissipations, des réparations et divers changements à l’aide de la cause excita- trice que les milieux environnants fourniseent ; 6° Que les lois qui régissent toutes les mutations que nous observons dans les corps de quelque na- ture qu’ils soient sont partout les mêmes, mais que ces lois opèrent dans les corps vivants des résultats tout à fait opposés à ceux qu’elles exécutent dans les corps bruts ou inorganiques, parce que, dans les premiers, elles rencontrent un ordre et un état 152 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES de choses qui leur donnent le pouvoir d’y produire tous les phénomènes de la vie, tandis que, dans les derniers, rencontrant un état de choses fort diffé- rent, elles y produisent d’autres effets : en sorte qu'il n’est pas vrai que la nature ait pour les corps vivants des lois particulières opposées à celles qui régissent les mutations qui s’observent à l’égard des corps privés de la vie ; 7° Que tous les corps vivants , de quelque règne et de quelque classe qu'ils soient, ont des facultés qui leur sont communes ; qu’elles sont le propre de l’organisation générale de ces corps et de la vie qu'ils possedent; et qu’en conséquence ces facultés communes à tout ce qui possède la vie n’exigent au— cun organe particulier pour exister; 8° Que, outre les facultés communes à tous les corps vivants, certains de ces corps, surtout parmi les animaux, ont des facultés qui leur sont tout à fait particulières, c’est-à-dire qu'on ne retrouve nullement dans les autres ; mais que ces facultés particulières, telles que celles que l’on observe dans beaucoup d'animaux , sont chacune le produit d’un organe où d’un système d'organes spécial qui les leur procure, en sorte que tout animal en qui cet organe ou ce système d’organes n'existe pas ne peutnullement posséder la faculté qu'il donne à ceux qui en sont munis! ; 4 A cette occasion, je remarquerai que les végétaux n'offrent géné- ralement dans leur intérieur aucun organe spécial pour une fonction A CERTAINS CORPS VIVANTS 153 90 Enfin, que la mort de tout corps vivant est un phénomène naturel qui résulte nécessairement des suites de l’existence de la vie dans ce corps, Si quelque cause accidentelle ne le produit pas avant que les causes naturelles l’'amènent; que ce phéno- mène n’est autre chose que la cessation complète des mouvements vitaux, à la suite d’un dérangement quelconque dans l’ordre et l'état de choses néces- saires pour l'exécution de ces mouvements ; et que, dans les animaux à organisation très-composée, les principaux systèmes d'organes possédant, en quelque sorte, une vie particulière, quoique étroitement liée à la vie générale de l’individu, la mort de lanimal s'exécute graduellement et comme par parties, de manière que la vie s'éteint successivement dans ses principaux organes et dans un ordre constamment le même , et l'instant où le dernier organe cesse de vivre est celui qui complète la mort de l'individu. Sur des sujets aussi difficiles que ceux dont je viens de traiter, tout est 1ci réduit à ce qu’il nous est possible de connaître, et se trouve restreint dans particulière, et que chaque portion d'un végétal contenant, comme les autres, les organes essentiels à la vie, peut par conséquent, soit vivre et végéter séparément, soit, par un greffe d'approche, partager avec un autre végétal une vie qui leur deviendrait commune; enfin, qu'il résulte de cet ordre de choses dans les végétaux, que plusieurs individus d'une même espèce et d’un même genre, peuvent vivre les uns sur les autres et jouir d’une vie commune. J'ajouterai que les bourgeons latents, que l'on trouve suries branches et même sur le tronc des végétaux ligneux, ne sont point des organes Spéciaux, mais que ce sont les ébauches de certains individus qui n'attendent pour se développer que des circonstances favorables. 154 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES, ETC. les limites de ce que l'observation a pu nous appren- dre. Tout y est ramené aux conditions essentielles à l'existence de la vie dans un corps; conditions établies d’après les faits mêmes qui montrent leur nécessité. S1 les choses ne sont pas réellement telles que je viens de l'indiquer, ou si lon pense que les condi- tions citées et remplies, et que les faits reconnus qui attestent le fondement de ces choses, ne sont pas des preuves suffisantes pour autoriser à les re- connaitre ; alors on devra renoncer à la recherche des causes physiques qui donnent lieu aux phéno- mènes de l’organisation et de la vie. FIN DE LA SECONDE PARTIE TROISIÈME PARTIE CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES PHYSIQUES DU SENTIMENT, CELLES QUI CONSTITUENT LA FORCE PRODUCTIVE DES ACTIONS ENFIN, CELLES QUI DONNENT LIEU AUX ACTES D'INTELLIGENCE QUI S'OBSERVENT DANS DIFFÉRENTS ANIMAUX INTRODUCTION Dans la seconde partie de cet ouvrage, j’ai essayé de répandre quelque jour sur les causes physiques de la vie, dans les corps qui en jouissent, sur les conditions nécessaires pour qu'elle puisse exister, enfin, sur la source de cette force excitatrice des mouvements vitaux, sans laquelle aucun corps ne pourrait réellement posséder la vie. Maintenant, je me propose de considérer ce que peut être le sentiment, comment l'organe spécial qui y donne lieu (le système nerveux) peut produire l’admirable phénomène des sensations , comment les 156 INTRODUCTION sensations elles-mêmes peuvent, par la voie de l’or- gane ajouté au cerveau, produire des idées, et celles-ci occasionner dans le même organe la for- mation des pensées, des jugements, des raisonne- ments; en un mot, des actes d'intelligence plus admirables encore que ceux que les sensations cons- tituent. Mais, dit-on, « les fonctions du cerveau sont d’un autre ordre que celles des autres viscères. Dans ces derniers, les causes et les effets sont de même nature (de nature physique)... « Les fonctions du cerveau sont d’un ordre tout différent : elles consistent à recevoir, par le moyen des nerfs, et à transmettre immédiatement à l'esprit les impressions des sens, à conserver les traces de ces impressions, et à les reproduire avec plus ou moms de promptitude, de netteté et d’abondance, quand Pesprit en a besoin pour ses opérations, ou quand les lois de l'association des idées les raménent, enfin, à transmettre aux muscles, toujours par le moyen des nerfs, les ordres de la volonté. « Or, ces trois fonctions supposent l'influence mutuelle, à jamais incompréhensible, de la matière divisible et du moi indivisible, hiatus infranchissable dans le système de nos idées et pierre éternelle d’achoppement de toutes les philosophies ; elles se trouvent même avoir encore une difficulté qui ne tient pas nécessairement à la premiere : non-seule- INTRODUCTION 157 ment nous ne comprenons, ni ne comprendrons Ja- mais, comment des traces quelconques, imprimées dans notre cerveau, peuvent être perçues de notre esprit et y produire des images; mais quelque déli- cates que soient nos recherches, ces traces ne se montrent en aucune facon à nos yeux, et nous igno- rons entièrement quelle est leur nature, quoique l'effet de l’âge et des maladies sur la mémoire ne nous laissent douter, ni de leur existence, ni de leur siége. » (Rapport à l’Institut sur un Mémoire de MM. Gall et Spurzheim, p. 5.) Il faut, à mon avis, un peu de témérité pour dé- terminer les bornes des conceptions auxquelles l’in- telligence humaine peut atteindre, ainsi que les limites et la mesure de cette intelligence. En effet, qui peut assurer que jamais l’homme n’obtiendra telle connaissance et ne pénétrera tel des secrets de la nature ? Ne sait-on pas qu'il a déjà découvert quantité de vérités importantes, parmi lesquelles plusieurs semblaient entièrement hors de sa portée ? Certes, je le répète, il y aurait plus de témérité dans celui qui voudrait déterminer, d’une maniere positive, ce que l’homme peut savoir, et ce qu’il est condamné à ignorer toujours, que dans celui qui, étudiant les faits, examinant les suites des relations qui existent entre différents corps physiques, et con- sultant toutes les inductions, lorsque la grossiereté de ses sens ne lui permettrait plus de trouver lui- même les preuves des certitudes morales qu'il aurait 158 INTRODUCTION su acquérir, ferait des tentatives soutenues pour re connaître les causes des phénomènes de la nature, quelles qu’elles puissent être. S’it était question d'objets hors de la nature, de phénomènes qui ne fussent pas physiques ou le ré- sultat de causes physiques, sans doute ces sujets seraient au-dessus de l'intelligence humaine; car elle ne saurait avoir aucune prise sur ce qui peut être étranger à la nature. Or comme, dans cet ouvrage, il ne s’agit particu- lièrement que des animaux, et comme l’observation nous apprend que, parmi eux, il y en a qui possèdent la faculté de sentir, qui se forment des idées, qui exécutent des jugements et différents actes d’intelli- gence, en un mot, qui ont de la mémoire, je de- manderai ce que c’est que cet être particulier qu'on nomme esprit dans le passage cité ci-dessus ; être singulier qui est, dit-on, en rapport avec les actes du cerveau, de manière que les fonctions de cet or- gane sont d’un autre ordre que celles des autres organes de l'individu. Je ne vois, dans cet être factice, dont la nature ne m'offre aucun modèle, qu'un moyen imaginé pour résoudre des difficultés que l’on n'avait pu lever, faute d’avoir étudié suffisamment les lois de la na- ture : c’est à peu près la même chose que ces catas- trophes universelles, auxquelles on a recours pour répondre à certaines questions géologiques qui nous embarrassent, parce que les procédés de la nature, INTRODUCTION 159 dans les mutations de tous genres qu'elle produit sans cesse, ne sont point encore reconnus. Relativement aux {races que nos idées et nos pen- sées impriment dans notre cerveau, qu'importe que ces traces ne puissent être aperçues par aucun de nos sens, si, Comme on en convient, il ya des observa- tions qui ne nous laissent aucun doute sur leur exis- tence, ainsi que sur leur siége : apercevons-nous mieux le mode d'exécution des fonctions de nos au- tres organes, et, pour citer un seul exemple, voyons- nous mieux comment les nerfs mettent nos muscles en action ? Cependant, nous ne pouvons douter que l’inftuence nerveuse ne soit indispensable pour l’exé- cution de nos mouvements musculaires. A l'égard de la nature, où 1l nous importe tant d'acquérir des connaissances, les seules qui puissent être à notre disposition, et où encore nous ne pou- vons guère obtenir, sur les nombreux phénomènes qu’elle présente, que des certitudes morales, voici la seule voie qui me paraisse propre à nous conduire au but vers lequel nous tendons. Sans nous en laisser imposer, sur ce sujet, par des décisions absolues, presque toujours inconsidérément hasardées, recueillons avec soin les faits que nous pouvons observer, consultons l'expérience partout où nous en avons les moyens, et lorsque cette expé= rience nous est interdite, rassemblons toutes les in= ductions que peut nous fournir l'observation des faits analogues à ceux qui nous échappent, et ne pro= 160 INTRODUCTION noncons nulle part définitivement : par cette vole, nous pourrons peu à peu parvenir à connaître les causes d’une multitude de phénomènes naturels, et, peut-être mème, celles des phénomènes qui nous paraissent les plus incompréhensibles. Ainsi, comme les limites de nos connaissances, à l'égard de tout ce que nous offre la nature, ne sont pas fixées et ne peuvent l'être, je vais, en faisant usage des lumières acquises et des faits observés, essayer de déterminer, dans cette troisième partie, quelles sont les causes physiques qui donnent à cer- tains animaux la faculté de sentir, celle de produire eux-mêmes les mouvements qui constituent leurs actions, celle, enfin, de se former des idées, de com- parer ces idées pour en obtenir des jugements ; en un mot, d'exécuter différents actes d'intelligence. Le plus souvent, les considérations que J’expo- serai, à cet égard, seront dans le cas de nous donner des convictions intimes et morales, et cependant il est impossible de prouver positivement le fondement de ces considérations. Il semble que notre destinée - ne nous permette, relativement à quantité de phéno- ménes naturels, d'acquérir que cet ordre de con- naissances ; et néanmoins on ne saurait douter de son importance dans mulle circonstances où il est nécessaire que nos Jugements soient dirigés. Si le physique et le moral ont une source com mune, si les idées, la pensée, l'imagination même, ne sont que des phénomènes de la nature, et consé- INTRODUCTION 161 quemment que de véritables faits d'organisation ; il appartient principalement au zoologiste, qui s’est appliqué à l’étude des phénomènes organiques, de rechercher ce que sont les idées, comment elles se produisent, comment elles se conservent , en un mot, comment la mémoire les renouvelle, les rappelle et les rend de nouveau sensibles; de là, il n’a que quelques efforts à faire pour apercevoir ce que sont les pensées elles-mêmes, auxquelles les idées seules peuvent donner lieu ; enfin, en suivant la même voie et en s'étayant de ses premiers aperçus, 1} peut découvrir comment les pensées donnent lieu au rai- sonnement, à l'analyse, à des jugements, à la volonté d'agir, et comment encore des actes de pensées et de jugements multipliés peuvent faire naitre l'imagination, cette faculté si féconde en création d'idées, qu'elle semble même en produire dont les objets ne sont pas dans la nature, mais qui ont pris nécessairement leur source dans ceux qui sy trouvent. Si tous les actes d'intelligence, dont j’entreprends de rechercher les causes , ne sont que des phéno- mènes de la nature, c’est-à-dire des actes d’orga- nisation, ne puis-je pas, en me pénétrant de la connaissance des seuls moyens que possèdent les organes pour exécuter leurs fonctions, espérer de découvrir comment ceux de lintelligence peuvent donner lieu à la formation des idées, en conserver, plus ou moins longtemps, les traces ou les empreintes, LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 11 162 INTRODUCTION enfin, avoir la faculté, à l’aide de ces idées, d’exé- cuter des pensées, etc., etc. ? On ne saurait douter, maintenant , que les actes d'intelligence ne soient uniquement des faits d’orga- misation, puisque, dans l’homme même, qui tient de si près aux animaux par la sienne, 1l est reconnu que des dérangements dans les organes qui produi- sent ces actes, en entraînent dans la production des actes dont il s’agit, et dans la nature mème de leurs résultats. La recherche des causes, dont j’ai parlé plus haut, m'a done paru fondée sur une possibilité évidente : je m'en suis occupé; je me suis attaché à l'examen du seul moyen dont la nature pouvait disposer pour opérer les phénomènes dont il est ici question ; et ce sont les résultats de mes méditations à cet égard que je vais présenter. Le point essentiel à considérer, est que, dans tout ystème d'organisation animale, la nature ne peut avoir qu'un seul moyen à sa disposition, pour faire exécuter aux différents organes les fonctions qui leur sont propres. En effet, ces fonctions sont partout le résultat de relations entre des fluides qui se meuvent dans l'animal, et les parties de son corps qui contiennent ces fluides. Partout, ce sont des fluides en mouvement (les uns contenables, et les autres incontenables) qui vout porter leurs influences sur les organes; et INTRODUCTION 163 partout, encore, ce sont des parties souples qui, tantôt en éréthisme, réagissent sur les fluides qui les affectent, et tantôt incapables de réagir, modi- fient, par leur disposition et les impressions qu’elles conservent, le mouvement des fluides qui s’agitent parmi elles. Ainsi, lorsque les parties souples des organes sont susceptibles d’être animées par l’orgasme, et de réagir sur les fluides contenus qui les affectent, alors les différents mouvements et changements qui en résultent, soit dans les fluides, soit dans les organes , produisent les phénomènes de l’organisa- tion qui sont étrangers au sentiment et à l’intelli- gence ; mais lorsque les parties contenantes sont d’une nature et d’une mollesse qui les rend passives et incapables de réagir, alors le fluide subtil qui se meut dans ces parties, et qui en reçoit des modifica- tions dans ses mouvements, donne lieu au phénomène du sentiment et à ceux de l'intelligence ; ce que j'essayerai d'établir dans cette partie. Il ne s’agit donc dans tout ceci que de relations qui existent entre les parties concrètes, souples et contenantes d’un animal, et les fluides en mouve- ment (contenables ou incontenables) qui agissent sur ces parties. | Ce fait, qui est assez connu, fut, pour moi, un trait de lumière lorsque je le considérai; il me servit de guide dans la recherche que je me propo- sais, et bientôt je sentis que les actes d'intelligence 164 INTRODUCTION des animaux étant, ainsi que les autres actes qu’on leur voit produire, des phénomènes de l’organisation animale, ils prenaient aussi leur source dans les relations qui existent entre certains fluides en mou- vement, et les organes propres à la production de ces actes admirables. Qu'importe que ces fluides, que leur extrème ténuté ne nous permet ni de voir, ni de retenir dans aucun vase, pour les soumettre à nos expé- riences, ne manifestent leur existence que par leurs effets ? ces effets n’en sont pas moins de nature à prouver qu'eux seuls peuventles produire. D’ailleurs, il est aisé de reconnaître que les fluides visibles qui pénètrent dans la substance médullaire du cerveau et des nerfs ne sont que nourriciers et propres à fournir à des sécrétions, mais que ces fluides ont trop de lenteur dans leurs mouvements pour pouvoir donner lieu aux phénomènes, soit du mouvement musculaire, soit du sentiment, soit de la pensée. Éclairé par ces considérations, qui retiennent l'imagination dans des limites qu'elle ne doit pas franchir, je vais d’abord montrer comment il paraît que la nature est parvenue à créer l’organe du sen- timent, et, par son moyen, la force productrice des actions : je développerai ensuite comment, à l’aide d’un organe particulier pour l'intelligence des idées, des pensées, des jugements , de la mémoire, etc., peuvent avoir lieu dans les animaux qui possèdent cet organe. CHAPITRE PREMIER DU SYSTÈME NERVEUX, DE SA FORMATION ET DES DIFFÉRENTES SORTES DE FONCTIONS QU'IL PEUT EXÉCUTER Le système nerveux, considéré dans l’homme et dans les animaux les plus parfaits, se compose de différents organes particuliers très-distincts, et même, suivant son perfectionnement, de divers systèmes d'organes qui ont entre eux une connexion intime, et qui forment un ensemble très-compliqué. On a supposé que ce système était partout le même dans sa composition , sauf plus ou moins de déve- loppement dans ses parties, et les différences que les diverses organisations des animaux ont exigé dans la grandeur, la forme et la situation de ces parties. De là, les diverses sortes de fonctions qu'on lui voit produire dans les animaux les plus parfaits, furent toutes regardées comme étant le propre de son existence dans l’organisation animale. 166 DU SYSTÈME NERVEUX Cette manière de considérer le système nerveux ne peut nous éclairer sur la nature du système d'organes dont il s’agit, sur ce qu'il est nécessaire- ment dans son origine, sur la composition crois- sante de ses parties à mesure que l’organisation animale s’est compliquée et perfectionnée, enfin, sur les facultés nouvelles qu’il donne aux animaux qui en sont munis, selon que sa composition est devenue plus grande. Au contraire, au lieu de fournir des lumières aux physiologistes sur ces diffé- rents objets, elle les porte à attribuer partout au système nerveux, dans différents degrés d’éminence, les mêmes facultés qu'il donne aux animaux les plus parfaits, ce qui ne saurait avoir le moindre fondement. Je vais donc essayer de prouver : 1° Que tous les animaux ne peuvent posséder généralement ce sys- tème d'organes ; 2° que, dans son origine, et consé— quemment dans sa plus grande simplicité, il ne donne aux animaux qui le possèdent que la seule faculté du mouvement musculaire; 3° qu'ensuite, plus composé dans ses parties, il communique alors aux animaux la jouissance du mouvement musculaire, plus celle eu sentiment, 4 qu'enfin, complet dans toutes ses parties, il donne aux animaux qui en sont possesseurs, la faculté du mouvement musculaire, celle d’éprouver des sensations, et celle de se former des idées, de comparer ces idées entre elles, de pro- duire des jugements, en un mot, d'avoir de lrntel- DU SYSTÈME NiRVEUX 167 ligence, quoique plus ou moins développée, selon le degré de perfectionnement de leur organisation. Avant d'exposer les preuves du fondement de ces diverses considérations, voyons d’abord quelle peut être l’idée générale que nous devons nous former de la nature et de la disposition des différentes parties du système nerveux. Ce système, dans toute organisation animale où il se montre, offre une #asse médullaire principale, soit divisée en parties séparées, soit rassemblée en une seule, sous quelque forme que ce soit, et des filets nerveux qui vont se rendre à cette masse. Tous ces organes présentent, dans leur composi- tion, trois sortes de substances de nature très-diffé- rente, SAVOIr : 1° Une pulpe médullaire très-molle et d’une nature particuhere ; 2° Une enveloppe aponévrotique qui entoure la pulpe médullaire, fournit des gaines à ses prolonge- ments et à ses filets, même les plus grèles, et dont la nature et les propriétés ne sont pas les mêmes que celles de la pulpe qu'elle renferme ; 3 Un fluide invisible et tres-subtil, se mouvant dans la pulpe sans avoir besoin de cavité apparente, et qui y est retenu latéralement par la gaine qu'il ne saurait traverser. Telles sont les trois sortes de substances qui com posent le système nerveux, et qui, par leurs dispo- 168 DU SYSTÈME NERVEUX sitions, leurs relations, et les mouvements du fluide subtil que renferment les parties de ce système, produisent les phénomènes organiques les plus éton- nants. On sait que la pulpe des organes dont il s’agit est une substance médullaire très-molle, blanche inté- rieurement, grisâtre dans sa croûte extérieure, in- sensible, et qui paraît d’une nature albumino -géla- tineuse. Elle forme, au moyen de ses gaines aponé- vrotiques, des filets et des cordons qui vont se rendre à des masses plus considérables de la même sub- stance médullaire, lesquelles contiennent le foyer (simple ou divisé) ou le centre de rapport du sys- teme. Soit pour l'exécution du mouvement musculaire, soit pour celle des sensations, il faut nécessairement que le système d'organes destiné à opérer de pa- reilles fonctions, ait un foyer ou un centre de rap- port pour les nerfs. Effectivement, dans le premier cas, le fluide subtil qui doit porter son influence sur les muscles, part d’un foyer commun pour se diriger vers les parties qu'il doit mettre en action ; et dans le second cas, le même fluide, mu par la cause affec- tante, part de l'extrémité du nerfaffecté pour se diri- ger vers le centre de rapport, et y produire l’ébran- lement qui donne lieu à la sensation. I faut donc absolument un foyer ou centre de rapport, auquel les nerfs se rendent, pour que le système dont il s’agit puisse opérer ses fonctions, DU SYSTÈME NERVEUX 169 quelles qu’elles soient ; et nous verrons même que, sans lui, les actes de l’organe de lintelligence ne pourraient devenir sensibles à l'individu. Or, ce centre de rapport se trouve placé dans une partie quelconque de la masse médullaire principale qui fait toujours la base du système nerveux. Les filets et les cordons dont je viens de parler tout à l'heure sont les nerfs ; et la masse médullaire principale qui contient le centre de rapport du sys- tème, constitue, dans certains animaux sans verte- bres, soit des ganglions séparés, soit la moelle lon- gitudinale noueuse dont ils sont munis ; enfin, dans les animaux à vertebres, elle forme la moelle épi- nière et la moelle allongée qui se joint au cerveau. Partout où le système nerveux existe, quelque simple ou imparfait qu'il soit, la masse médullaire principale, dont il vient d'être question, se trouve toujours sous une forme quelconque, parce qu’elle fait la base de ce systeme, et qu'elle lui est essen- tielle. En vain, pour nier cette vérité de fait, dira-t-on : 1° Que l’on peut enlever entièrement le cerveau d’une tortue, d’une grenouille, sans que ces animaux cessent de montrer, par leurs mouvements, qu'ils ont encore des sensations et une volonté : je répon- drai qu'on ne détruit, dans cette opération, qu'une portion de la masse médullaire principale, et que ce n’est pas celle qui contient le centre de rapport ou le sensorium commune, car les deux hémisphères 170 DU SYSTÈME NERVEUX qui forment la masse principale de ce qu’on nomme le cerveau ne le renferment pas ; 2° « Qu'il y a des insectes et des vers qui, étant coupés en deux ou plusieurs morceaux, forment, à l'instant même, deux ou plusieurs individus qui ont chacun leur système de sensation et leur volonté propre. » Je répondrai encore, qu'à l'égard des in- sectes, le fait allégué est sans fondement ; qu'aucune expérience connue ne constate qu’en coupant un insecte en deux morceaux, on puisse obtenir deux individus capables de vivre chacun de leur côté; et quand mème cela serait, chaque moitié de l’insecte coupé aurait encore, dans sa portion de moelle lon- gitudinale noueuse, une masse médullaire principale ; 3° «. Que plus la masse de matière nerveuse est également distribuée, moins le rôle des parties cen- trales est essentiel‘. » Je répondrai, enfin, que cette assertion est une erreur; qu'elle ne appuie sur aucun fait; et qu'on ne l’a faite que faute d’avoir conçu la nature des fonctions du système nerveux. La sensibilité n’est nullementle propre de la matière nerveuse, ni d'aucune autre, et le sys{ème nerveux ne peut avoir d'existence et exercer la moindre de ses fonctions que lorsqu'il se compose d’une masse médullaire principale de laquelle partent des filets nerveux. 1 Voyez l'Anatomie comparée de M. Cuvier, t. I, p. 94, et les Recherches sur le Système nerveux de MM. Gall et Spurzhem, Dee. DU SYSTÈME NERVEUX 471 Non-seulement le système nerveux ne peut exis- ter, ni exécuter la moindre de ses fonctions, sans être composé d’une masse médullaire principale, qui con- tienne un ou plusieurs foyers pour fournir à l’exci- tation des muscles, et de laquelle partent différents nerfs qui se rendent aux parties, mais nous verrons, en outre, dans le troisième chapitre, que la faculté de sentir ne peut avoir lieu, dans aucun animal, que lorsque la masse médullaire dont je viens de parler contient un foyer unique, en un mot, un centre de rapport où les nerfs du système sensitif se dirigent de toutes parts. A la vérité, comme il est extrêmement difficile de suivre ces nerfs jusqu'à leur centre de rapport, plu- sieurs anatomistes nient l'existence de ce foyer com- mun, essentiel à la production du sentiment ; ils considerent ce dernier comme un attribut de tous les nerfs, et celui mème de leurs moindres parties ; enfin, pour étayer leur opinion particuhère sur la nullité du centre de rapport dans le système sensitif, ils supposent que le besoin de placer l'âme en un point isolé, a fait imaginer ce foyer commun, ce lieu circonserit où toutes les sensations se rendent. Il suffit de penser que l’homme est doué d’une âme mmortelle, sans que l’on doive jamaiss’occuper du siège et deslimites de cette ämedans son corpsindi- viduel, ni de sa connexion avec les phénomènes de son organisation : toutce que l’on pourra dire à cet égardsera toujours sans baseet purementimaginaire. 172 DU SYSTÈME NERVEUX Si nous nous occupons de la nature, elle seule doit être uniquement l’objet de nos études, et ce sont uniquement aussi les faits qu’elle nous présente que nous devons examiner, pour tâcher de découvrir les lois physiques qui régissent la production de ces faits ; enfin, Jamais nous ne devons faire intervenir, dans nos raisonnements, la considération d’objets hors de la nature, et sur lesquels il nous sera toujours impossible de savoir quelque chose de positif. Pour moi, qui ne considère l’organisation que pour connaître les causes des diverses facultés des animaux, étant convaincu que beaucoup de ces ani- maux jouissent du sentiment, et que, parmi ces der- niers, il s’en trouve qui ont des idées et qui exécu- tent des actes d'intelligence, je crois ne devoir rechercher les causes de ces phénomènes que dans celles qui sont physiques. À cette conséquence, dont je me fais une loi dans mes recherches, j’ajouterai que, persuadé qu'aucune sorte de matière ne peut avoir en propre la faculté de sentir, je le suis en même temps que cette faculté, dans les corps vivants qui en jouissent, ne consiste que dans un effet gé- néral qui se produit dans un système d'organes approprié, et que cet eflet ne peut avoir lieu que lorsque le système dont il s’agit possède un foyer unique, en un mot, un centre de rapport où tous les nerfs sensitifs viennent aboutir. Relativement aux animaux à vertebres, c’est à DU SYSTÈME NERVEUX 173 l'extrémité antérieure de la moelle épinière, dans la, moelle allongée mème, ou peut-être dans sa protu- bérance annulaire, que paraît être le sensorium commune, C'est-à-dire le centre de rapport des nerfs qui exécutent le phénomène de la sensibilité ; car c’est vers quelque point de la base du cerveau, ou de ce que l’on nomme ainsi, que ces nerfs parais- sent se terminer. Si ce centre de rapportse trouvait bien avancé dans l’intérieur du cerveau, les acé- phales, ou ceux en qui le cerveau se trouve détruit, manqueraient alors de sentiment, et même ne pour- raient vivre. Mais il n’en est pas ainsi : dans les animaux qui jouissent de quelque faculté d'intelligence, le foyer essentiel au sentiment n'existe que dans un lieu quelconque de la base de ce qu’on nomme leur cer- veau ; Car on donne ce nom à toute la masse médul- laire contenue dans la cavité du cràne. Cependant, les deux hémisphères, que l’on confond avec le cerveau, en doivent être distingués ; parce qu'ils forment ensemble un organe particulier qui a été ajouté à ce cerveau, qu'ils ont des fonctions qui leur sont propres, et qu'ils ne contiennent pas le centre de rapport du système sensitif. Qu'importe que le véritable cerveau, c’est-à-dire que la partie médullaire qui contient le foyer des sensations et à laquelle vont se rendre les nerfs des sens particuliers, soit difficile à reconnaitre et à déterminer dans l’homme et dans les animaux qui 174 DU SYSTÈME NERVEUX ont de l'intelligence, à cause de la contiguité ou de l'union qui se trouve entre ce cerveau et les deux hémisphères qui le recouvrent, il n’en est pas moins vrai que ces hémisphères constituent un organe tres- particulier relativement aux fonctions qu'il exécute. En effet, ce n’est point dans le cerveau propre- ment dit que se forment les idées, les jugements, les pensées, etc., mais c’est dans l'organe qui lui est ajouté, et que les deux hémisphères constituent, que ces actes organiques peuvent uniquement s’opé- rer. Ce n’est point non plus dans les hémisphères dont il s’agit que les sensations se produisent; ils n’y ont aucune part, et le système sensitif existe effective- ment dans des animaux dont le cerveau n’est point muni de ces hémisphères plissés : aussi ces organes peuvent-ils subir de grandes altérations sans que le sentiment et la vie en souffrent. Cela posé, je reviens aux considérations géné- rales qui concernent la composition des différentes parties du système nerveux. Ainsi, soit les filets et les cordons nerveux , soit la moelle longitudinale noueuse, la moelle épinière, la moelle allongée , le cervelet, le cerveau et ses hémisphères, toutes ces parties ont, comme je l’ai dit, une enveloppe membraneuse et aponévrotique qui leur sert de gaine et qui, par le propre de sa nature, retient dans la substance médullaire, le fluide particulier qui s'y meut diversement; mais, aux DU SYSTÈME NERVEUX 4175 extrémités où les nerfsse terminent dans les parties du corps, ces gaines sont ouvertes et permettent la communication du fluide nerveux avec ces parties. Tout ce qui concerne le nombre , la forme et la situation des parties que je viens de citer, appartient à l'anatomie ; on en trouve une exposition exacte dans les ouvrages qui traitent de cette partie de nos connaissances. Or, comme mon objet, ici, se réduit à considérer le système nerveux dans ses généralités et ses facultés, et à rechercher comment la nature est parvenue à le faire exister dans les animaux qui le possèdent, je ne dois entrer dans aucun des détails connus à l'égard des parties de ce système. FORMATION DU SYSTÈME NERVEUX On ne peut assurément déterminer, d’une ma- nière positive, le mode de formation qu'a employé la nature pour faire exister le sys{ème nerveux dans les animaux qui le possédent ; mais il est tres- possible de reconnaître les conditions , c’est-à-dire les circonstances qui furent nécessaires pour que ce mode de formation pût s’exécuter. Ainsi, les cir- constances dont il s’agit étant reconnues et prises en considération, on peut concevoir comment les parties de ce système purent être formées et com- ment elles purent être munies du fluide subtil qui se meut dans leur intérieur, et les met dans le cas d'opérer les fonctions qui leur sont propres. 176 DU SYSTÈME NERVEUX On doit penser que, lorsque la nature eut fait faire assez de progres à l’organisation animale pour que le fluide essentiel des animaux fût très-anima- lisé, et pour que la substance albumino-gélatineuse pût se former, alors cette substance sécrétée du fluide principal de Panimal (du sang ou de ce qui en tient lieu) fut déposée dans un lieu quelconque du corps : or, l’observation constate qu’elle l’a été d’abord sous la forme de plusieurs petites masses séparées, et ensuite sous celle d’une masse plus considérable, allongée en cordon noueux , et qui à occupé à peu près toute la longueur du corps de Pindividu. Le tissu cellulaire, modifié par la présence de cette masse de substance albumino-gélatineuse, lui fournit alors la gaine qui l'enveloppe, ainsi que celles de ses divers prolongements ou filets. Maintenant, si je considère les fluides visibles qui se meuvent ou circulent dans le corps des animaux, je remarque que, dans les animaux les plus simples en organisation, ces fluides sont bien moins compo- sés, bien moins surchargés de principes, qu'ils ne le sont dans les animaux les plus parfaits. Le sang d’un mammnifére est un fluide plus composé , plus animalisé, que la sanie blanchâtre du corps des insectes ; et cette sanie est un fluide plus composé que celui presque aqueux qui se meut dans le corps des polypes et dans celui des infusoires. Cela étant ainsi, je suis autorisé à penser que ceux des fluides invisibles et incontenables qui DU SYSTEME NERVEUX 177 entretiennent lirritabilité et les mouvements de la vie dans des animaux les plus imparfaits, se trou- vant dans des animaux dont l’organisation est déjà fort composée et perfectionnée, y acquièrent une modification assez grande pour pouvoir être changés en fluides contenables , quoique toujours invisibles. Il paraît effectivement qu'un fluide particulier, invisible et tres-subtil, mais modifié par son séjour dans le sang des animaux, s’en sépare continuelle- ment pour se répandre dans les masses médullaires nerveuses, et y répare sans cesse celui qui se con- somme dans les différents actes du système dor- ganes qui le contient. La pulpe médullaire des parties du système ner- veux, et le fluide subtil qui peut se mouvoir dans cette pulpe, n'auront donc été formés, dans l’orga- nisation animale, que lorsque sa composition aura pu donner lieu à la formation de ces matieres. En effet, de mème que les fluides intérieurs des animaux se sont progressivement modifiés, anima lisés et composés, à mesure que la composition et le perfectionnement de l’organisation ont fait des pro- gres; de mème aussi, les organes et les parties solides où contenantes du corps animal, se sont composés et diversifiés peu à peu de la même ma niere et par la même cause. Or, le fluide nerveux, devenu contenable apres sa sécrétion du sang, s’est répandu dans la substance albuininc-gélatineuse de la moelle nerveuse , parce que la nature de cette LAMARCK, PHIL. ZOOL. 1]. 12 178 DU SYSTÈME NERVEUX substance s’en est trouvée conductrice, c’est-à-dire propre à le recevoir et à lui permettre de se mouvoir avec facilité dans sa masse; et ce fluide y a été retenu par les gaines aponévrotiques qui envelop- pent cette moelle nerveuse, parce que la nature de ces gaines ne laisse pas au fluide dont il s’agit la faculté de les traverser. Des lors, le fluide nerveux étant répandu dans cette substance médullaire qui, dans son origine, fut disposée en ganglions séparés et ensuite en cordon, en a probablement étendu, par ses mouvements, des portions qui se sont allongées en filets, et ce sont ces filets qui constituent les nerfs. On sait qu'ils naissent de leur centre de rapports, sortant, par paires, soit d’une moelle longitudinale noueuse, soit d’une moelle épinière, soit de la base du cerveau, et qu'ils vont se terminer dans les différentes parties du corps. Voilà, sans doute, le mode qu'a employé la nature pour la formation du système nerveux : elle a com- mencé par produire plusieurs petites masses de substance médullaire, lorsque la composition de l'organisation animale lui en a fourni les moyens, ensuite elle les a rassemblés en une principale, et, dans cette masse, le fluide nerveux, devenu conte nable, s’est aussitôt répandu et s’est trouvé retenu par les gaïnes nerveuses : ce fut alors que, par ses mouvements, 1l fit naitre de la masse médullaire dont il est question, les filets et Les cordons nerveux DU SYSTÈME NERVEUX 179 qui en partent, pour se rendre aux différentes par- ties du corps. On sent, d’après cela, que des nerfs ne peuvent exister dans aucun animal, à moins qu'il n’y ait une masse médullaire qui contienne leur foyer ou centre de rapport; et conséquemment que quelques filets blanchâtres isolés, n’aboutissant point à une masse médullaire plus considérable, ne peuvent être regar- dés comme des nerfs. J’ajouterai à ces considérations sur la formation du système nerveux que, si la matière médellaire a été sécrétée, et l’est sans cesse par le fluide prin- cipal de l'animal, on doit sentir que, dans les ani- maux à sang rouge, ce sont les extrémités capillaires de certains vaisseaux artériels qui sécretent, répa- rent, enfin, nourrissent cette matière médullaire ; et comme les extrémités de ces vaisseaux artériels doivent être accompagnées des extrémités de cer- tains vaisseaux veineux, toutes ces extrémités vas- culaires, qui contiennent un sang coloré, se trouvant un peu enfoncées dans la substance médullaire que ces vaisseaux ont produite, il en doit résulter que cette substance médullaire paraïtra grisâtre dans une partie externe de son épaisseur : quelquefois, même, par suite de certaines évolutions de parties, qui se sont opérées dans l’encéphale à mesure qu’il s’est composé, les organes nutritifs ont pénétré pro- fondément, en sorte que la matière médullaire gri- sâtre s’est trouvée centrale en certains lieux, et 180 DU SYSTEME NERVEUX enveloppée en grande partie par celle qui est blanche. J’ajouterai encore que, si les extrémités de cer- tains vaisseaux artériels ont sécrété et nourrissent ensuite la matière médullaire du système nerveux, ces mêmes extrémités vasculaires y ont pu déposer pareillement le fluide nerveux qui se sépare du sang, et le verser continuellement dans cette substance médullaire qui est si propre à le recevoir. Enfin, je terminerai ces considérations par quel- ques-unes de celles qui concernent le développement de la masse médullaire principale, ainsi que les ren- flements et les épanouissements de certaines por- tions de cette masse, à mesure que les systèmes particuliers qui composent le système nerveux com mun et perfectionné se sont formés et ont reçu leurs développements. Dans la masse médullaire principale de tout sys- tème nerveux, la portion particulière, qui fut, en quelque sorte, productrice du reste de cette masse, ne doit pas nécessairement offrir, dans cette partie médullaire, un volume plus considérable que celui des autres portions de la même masse qui y ont pris leur source, car l'épaisseur et le volume des autres portions de la masse médullaire dont il s’agit, sont toujours en raison de l'emploi que fait l'animal des nerfs qui en partent. J’ai assez prouvé que tous les autres organes sont dans le même cas : plus ils sont exercés, plus alors ils se développent, se renforcent DU SYSTÈME NERVEUX 181 et s’agrandissent. C’est parce qu’on n’a point reconnu cette loi de l’organisation animale, ou qu'on n’y a donné aucune attention, qu'on s’est persuadé que la portion. de la masse médullaire qui fut productrice des autres portions de cette masse, ne pouvait être moins volumineuse que celles qui en sont origi- naires. Dans les animaux vertébrés, la masse médullaire principale se compose du cerveau et de ses acces- soires, de la moelle allongée, et de la moelle épi- nière. Or, 1l paraît que la portion de cette masse qui fut productrice des autres est réellement la #o0elle allongée, car c’est de cette portion que partent les appendices médullaires (les jambes et les pyramides) du cervelet et du cerveau, la moelle épmiere, enfin, les nerfs des sens particuliers. Cependant la moelle allongée est, en général, moins grosse ou moins épaisse que le cerveau qu'elle a produit, où que la moelle épinière qui en dérive. D'une part, le cerveau et ses hémisphères étant employés aux actes du sentiment et à ceux de lin- telligence, tandis que la moelle épiniere ne sert qu'à l'excitation des mouvements musculaires { et à l'exécution des fonctions organiques ; et de l’autre part, l'emploi ou l'exercice des organes, fortement 1 Relativement à la moelle épinière, considérée comme fournissant l'influence nerveuse aux organes du mouvement, on sait, par des expé- riences récentes, que ceux des poisons qui agissent sur cette moelle causent effectivement des convulsions, des attaques de tétanos, avant de produire la mort. 182 DU SYSTÈME NERVEUX soutenu, les développant d’une manière éminente, il doit résulter que, dans l’homme qui exerce conti= nuellement ses sens et son intelligence, le cerveau et ses hémisphères sont dans le cas de s’agrandir considérablement, tandis que la moelle épiniére, en général, faiblement exercée, ne peut acquérir qu'une grosseur médiocre. Enfin, comme dans les princi- paux mouvements musculaires de l’homme, ce sont les jambes et les bras qui agissent le plus, on a dû trouver un renflement remarquable à sa moelle épi niere dans les lieux d’où partent les nerfs cruraux et les nerfs brachiaux, ce qu’effectivement l’obser- vation confirme. Au contraire, dans les animaux vertébrés qui ne font qu'un usage médiocre de leurs sens, et surtout de leur intelligence, et qui se livrent principalement au mouvement musculaire, leur cerveau et particu- lièrement ses hémisphères ont dù prendre peu de développement, tandis que leur moelle épmière s’est trouvée dans le cas d'acquérir une grosseur assez considérable. Aussi les poissons, qui ne s’exercent guere qu'au mouvement musculaire, ont-ils propor- tionnellement une moelle épimiere fort grosse et un tres-petit cerveau. Parmi les animaux sans vertebres, ceux qui ont, au lieu d’une moelle épiniere, une #n0elle longitu- dinale, comme les 2nsectes, les arachnides, les crustacés, etc., ont cette moelle noueuse dans toute sa longueur ; parce que ces animaux s’exerçant beau— DU SYSTÈME NERVEUX 183 coup au mouvement, elle a obtenu des renforcements et, en conséquence, des renflements aux lieux d’où part chaque paire de nerfs. Enfin, les mollusques, qui ont de mauvais points d'appui pour leurs muscles, et qui, en général, n'exécutent que des mouvements lents, n’ont ni moelle épinière, ni moelle longitudinale, et n’offrent que des ganglions assez rares d’où partent des filets nerveux. D’après ce que je viens d'exposer, on peut con- clure que, dans les animaux à vertèbres, les nerfs et la masse médullaire principale ne peuvent dériver de haut en bas, c’est-à-dire de la partie supérieure et terminale du cerveau, comme le cerveau lui-même ne peut être une production de la moelle épinière, c’est-à-dire de la partie inférieure ou postérieure du système nerveux ; mais que ces diverses parties proviennent originairement d’une qui en fut pro= ductrice, et qu'il est probable que ce doit être dans la snoelle allongée, pres de sa protubérance annu- laire, que se trouve l’origine, soit des hémisphères du cerveau, soit des jambes du cervelet, soit de la moelle épinière, soit des sens particuliers. Qu'importe que les bases médullaires des hé- mispheres soient rétrécies et beaucoup moins volu- mineuses que les hémispheres eux-mêmes, et qu'il en soit de mème des jambes du cervelet, etc.; qui ne voit que le développement graduel de ces organes a pu donner lieu, selon leur plus grand emploi, à un 184 DU SYSTÈME NERVEUX épanouissement qui les aura rendus d’un volume beaucoup plus considérable que celui de leur ra- eme ! Ces considérations sur la formation du système nerveux ne sont sans doute que très-générales ; mais elles suffisent à mon objet, et doivent intéresser, selon moi, parce qu'elles sont exactes et qu’elles s'accordent avec les faits observés. FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX Le système nerreux, considéré dans les animaux les plus parfaits, est, comme on sait, trèes-compliqué dans ses parties et peut, en conséquence, exécuter différentes sortes de fonctions qui donnent aux ani- maux qui en jouissent autant de facultés particu- lières. Or, avant de prouver que ce système est particulier à certains animaux , et non commun à tous, et avant d'indiquér quelles sont celles des facultés qu'il peut procurer, selon la composition de l’organisation des animaux en qui on le consi- dère, il importe de dire un mot de ses fonctions ainsi que des facultés qui en résultent , et qui sont de quatre sortes différentes, savoir : l° Celle de provoquer l’action des muscles ; 2 Celle de donner lieu au sentiment, e'est-a- dire aux sensations qui le constituent ; 3" Celle de produire les émotions du sentiment intérieur ; DU STSTÈME NERVEUX 185 4 Celle, enfin, d'effectuer la formation des idées, des jugements, des pensées, de l'imagination, de la mémoire, etc. Essayons de montrer que les fonctions du système nerveux qui donnent lieu à chacune de ces quatre sortes de facultés sont de nature tres-différente, et que tous les animaux qui possèdent ce système ne les exécutent pas généralement. Les actes du système nerveux qui donnent lieu au mouvement musculaire sont tout à fait distincts et même indépendants de ceux qui produisent les sen sations : ainsi, on peut éprouver une où plusieurs sensations, sans qu'il s’en suive aucun mouvement musculaire, et on peut faire entrer différents mus- cles en action, sans qu'il en résulte aucune sensation pour l’individu. Ges faits méritent d’être remarqués, et leur fondement ne peut être contesté. Comme le mouvement musculaire ne peut s'exé- cuter sans l’influence nerveuse , quoiqu'on ne con- naisse pas ce qui se passe à l’égard de cette imfluence, quantité de faits autorisent à penser que c'est par l'émission du fluide nerveux qui, d’un centre ou d'un réservoir, se dirige, par le moyen des nerfs, vers les muscles qui doiveni agir, que s'opère lin- fluence dont il est question. Dans cette fonction du système nerveux, les mouvements du fluide subtil qui fait agir les muscles se font donc d’un centre ou d’un foyer quelconque vers les parties qui doi- vent exécuter quelque action. 186 DU SYSTÈME NERVEUX Ce n’est pas seulement pour mettre les muscles en action que le fluide nerveux se meut de son foyer ou réservoir vers les parties qui doivent exécuter des mouvements, mais il paraît que c’est aussi pour contribuer à l'exécution des fonctions de différents organes dans lesquels le mouvement musculaire n’a point lieu d’une manière distincte. Ces faits étant assez connus, je ne m’y arrêterai pas davantage, mais j’en conclurai que l’influence nerveuse qui donne lieu à l’action musculaire, et que celle qui concourt à l'exécution des fonctions de différents organes, s’opérent par une émission du fluide nerveux qui, d’un centre ou réservoir quel- conque , se dirige vers les parties qui doivent agir. A ce sujet, je rappellerai un fait bien connu, mais dont la considération intéresse l’objet que nous avons maintenant en vue, le voici : Relativement au fluide nerveux qui part de son réservoir pour se rendre aux parties du corps, une portion de ce fluide est à la disposition de individu, qui la met en mouvement à l’aide des émotions de son sentiment intérieur, lorsqu'un besoin quelconque les excite, tandis que l’autre portion se distribue régulièrement, sans la participation de la volonté de cet individu, aux parties qui, pour la conservation de la vie, doivent ètre mises sans cesse en action. Il résulterait de grands inconvénients, s’il pouvait dépendre de nous d'arrêter, à notre gré, soit les mouvements de notre cœur ou de nos artères, soit DU SYSTÈME NERVEUX 187 les fonctions de nos viscères où de nos organes sécrétoires et excrétoires; mais aussi il importe, pour que nous puissions satisfaire à tous nos besoins, que nous ayons à notre disposition une portion de notre fluide nerveux pour l'envoyer aux parties que nous voulons faire agir. Il y a apparence que les nerfs qui portent conti- nuellement linfluence nerveuse aux muscles indé- pendants de l’individu et aux organes vitaux, ont leur substance médullaire plus ferme et plus dense que celle des autres nerfs, ou munie de quelque par- ticularité qui l'en distingue, en sorte que non-seu- lement le fluide nerveux s’y meut avec moins de célérité et s’y trouve moins libre, maisil y est aussi, en grande partie, à l’abri de ces ébranlements généraux que causent les émotions du sentiment intérieur. S'il en était autrement, chaque émotion troublerait l'influence nerveuse nécessaire aux or- ganes essentiels et aux mouvements vitaux, et expo— serait l’individu à périr. | Au contraire, les nerfs qui portent linfluence nerveuse aux muscles dépendants de l'individu, permettent au fluide subtil qu'ils contiennent, la liberté et toute la célérité de ses mouvements, de manière que les émotions du sentiment intérieur mettent facilement ces muscles en action. L'observation nous autorise à penser que les nerfs qui servent à l’excitation du mouvement musculaire, partent de la moelle épinière dans les animaux ver- 188 DU SYSTÈME NERVEUX tébrés , de la moelle longitudinale noueuse dans les animaux sans vertébres qui en sont munis, et de ganglions séparés dans ceux qui, n’ayant ni moelle épinière, ni moelle longitudinale noueuse , en pos- sedent dans cet état. Or, dans les animaux qui jouissent du sentiment, ces nerfs, destinés au mou- vement musculaire , n’ont qu'une simple connexion avec le système sensitif, et lorsqu'ils sont lésés, ils produisent des contractions spasmodiques, sans trou- bler le système des sensations. On a donc lieu de croire que, parmi les différents systèmes particuliers qui composent le système ner- veux dans son perfectionnement , celui qui est em— ployé à excitation des muscles est distinct de celui qui sert à la production du sentiment. Aussi la fonction du système nerveux qui consiste à opérer l’action musculaire et l'exécution des diffé— rentes fonctions vitales n’y peut-elle parvenir qu'en envoyant le fluide subtil des nerfs, de son réservoir aux différentes parties. Mais la fonction du même système qui opere le sentiment est très-différente, par sa nature et par les opérations qu’elle exécute, de celle dont Je viens de parler, car, dans la production d’une sensation quelconque, laquelle ne peut avoir lieu sans l’in- fluence nerveuse, le fluide subtil des nerfs commence toujours à se mouvoir du point du corps qui est affecté, propage son mouvement jusqu'au foyer ou centre de rapport du système, y excite une commo— DU SYSTEME NERVEUX 189 tion qui se communique dans tous les nerfs qui servent au sentiment, et met leur fluide dans le cas de réagir, ce qui produit la sensation. Non-seulement ces deux sortes de fonctions du système nerveux different l'une de l’autre, en ce que, dans tout mouvement musculaire, iln’y a point de sensation produite, et que dans la production d’une sensation quelconque , 1l n’y a pas nécessairement de mouvement musculaire exécuté ; mais ces fonc- tions différent, en outre, comme on vient de le voir, en ce que, dans l’une d'elles, le fluide nerveux est envoyé de son réservoir aux parties, tandis que, dans l’autre, il est envoyé des parties mêmes au foyer ou centre de rapport du système des sensations. Ces faits sont évidents, quoiqu’on ne puisse aperce- voir les mouvements qui y donnent lieu. La fonction du système nerveux, qui consiste à effectuer les émotions du sentiment intérieur, et qui s'exécute par un ébranlement général de la masse libre du fluide des nerfs, ébranlement qui s'opère sans réaction, et par suite sans produire aucune sensation distincte, est encore très-particulière et fort différente des deux que je viens de citer ; dans l'exposition que j'en ferai (chap. 1v), on verra que c’est une des plus remarquables et des plus intéres- santes à étudier. Si la fonction, sans laquelle le système nerveux ne pourrait mettre les muscles en action, ni con- courir à l'exécution des fonctions organiques, est 190 DU SYSTÈME NERVEUX différente de celle sans laquelle le mème système ne pourrait produire le sentiment, ainsi que de celle qui constitue les émotions du sentiment intérieur, je dois faire remarquer que, lorsque le perfectionne- ment du système dont il s’agit est assez avancé pour lui faire obtenir l’organe accessoire et spécial que constituent les hémispheres plissés du cerveau, alors il a la faculté d'exercer une quatrième sorte de fonction, qui est encore tres-différente des trois premieres. En effet, à l’aide de l'organe accessoire dont je viens de parler, le système nerveux donne lieu à la formation des idées, des jugements, des pensées, de la volonté, etc.; phénomènes qu'assurément les trois premieres sortes de fonctions citées ne sauraient produire. Or, l’organe accessoire en qui s’exécutent des fonctions capables de donner lieu à de pareils phénomènes, n’est qu’un organe passif, à cause de son extrême mollesse, et ne recoit aucune excitation, parce qu'aucune de ses parties ne saurait réagir ; mais il conserve les impressions qu'il reçoit, et ces impressions modifient les mouvements du fluide subtil qui se meut entre ses nombreuses parties. C’est une idée mgénieuse, mais dénuée de preuves et de motifs suffisants, que celle qu'a exprimée Cabanis, lorsqu'il a dit que le cerveau agissait sur les impressions que les nerfs lui transmettent, comme l'estomac sur les aliments que l’æsophage y verse, qu'il les digérait à sa maniere, et qu'ébranlé par le DU SYSTÈME NERVEUX 191 mouvement qui lui était communiqué, il réagissait, et que de cette réaction naissait la perception, qui devenait ensuite une idée. Ceci ne me paraît nullement reposer sur la con- sidération des facultés que peut avoir la pulpe céré- brale, etje ne saurais me persuader qu’une substance aussi molle que celle dont il s’agit soit réellement active, et qu'on puisse dire à son égard, qu'ébran- lée par le mouvement qui lui est communiqué, cette substance réagisse et donne lieu à la per- ception. L'erreur, à ce sujet, provient donc, d’une part, de ce que le savant dont je parle, ne considérant point le fluide nerveux, s’est trouvé obligé de trans- porter dans sa pensée les fonctions de ce fluide, à la pulpe médullaire dans laquelle il se meut, et de Vautre part, de ce qu'il confondait les actes qui constituent les sensations avec ceux de l'intelligence, ces deux sortes de phénomènes organiques différant essentiellement entre elles par leur nature, et exi- geant chacune un système d'organes tres-particulier pour les produire. Ainsi, voila quatre sortes de fonctions très-diffé- rentes qu'exécute le système nerveux perfectionné, c'est-à-dire complétement développé et muni de son organe accessoire; mais Comme les organes qui donnent lieu à chacune de ces fonctions ne sont pas les mêmes, et comme les différents organes spé- claux n'ont reçu l'existence que successivement, la 192 DU SYSTÈME NERVEUX nature a formé ceux qui sont propres au mouvement musculaire, avant ceux qui donnent lieu aux sen- sations, et ceux-ci avant d'établir les moyens qui permettent les émotions du sentiment intérieur ; enfin, elle a terminé le perfectionnement du système nerveux en le rendant capable de produire les phé- nomenes de l'intelligence. Nous allons voir maintenant que tous les animaux n’ont pas et ne peuvent avoir un sys/ème nerveux, et qu'en outre, tous ceux qui possedent ce systeme d'organes n’en obtiennent pas nécessairement les quatre sortes de facultés dont il vient d’être ques- tion. LE SYSTÈME NERVEUX EST PARTICULIER A CERTAINS ANIMAUX Sans doute, ce n’est que dans les animaux que le syslèine nerceux peut exister; mais de la s’ensuit-il que tous le possedent ? Il est certainement quantité d'animaux dont l’état de leur organisation est tel, qu'il leur est impossible d’avoirle système d’organes dont il s’agit ; car ce système, nécessairement com- posé de deux sortes de parties, savoir : d’une masse médullaire principale, et de différents filets nerveux qui vont s’y réunir, ne peut exister dans l’organisa- tion très-simple d’un grand nombre d'animaux con- nus. Il est d’ailleurs évident que le système nerveux n’est point essentiel à l’existence de la vie, puisque DU SYSTEME NERVEUX 193 tous les corps vivants ne le possèdent point, et que ce serait en vain qu'on le rechercherait dans les végétaux. On sent donc que ce système n’est devenu nécessaire qu'à ceux des animaux en qui la nature a pu le produire. Dans le chapitre 1x de la seconde partie, p. 135, j'ai déjà fait voir que le système nerveux était par- ticulier à certains animaux : ici je vais en donner de nouvelles preuves, en montrant qu'il est impossible que tous les animaux possedent un pareil système d'organes ; d’où 1l résulte que ceux qui en sont dé- pourvus, ne peuvent jouir d'aucune des facultés qu'on lui voit produire. Lorsqu'on a dit que, dans les animaux qui n’of- frent point de filets nerveux (tels que les polypes et les 2#nfusotres), la substance médullaire, qui donne les sensations, était répandue et fondue dans tous les points du corps, et non rassemblée en filets; et qu’il en résultait que chacun des fragments de ces ani- maux devenait un individu doué deson #04 particu- lier ; on ne s'était probablement pas rendu compte de la nature de toute fonction organique, qui pro- vient toujours de relations entre des parties conte- nantes et des fluides contenus, et de mouvements quelconques résultant de ces relations. On n'était point surtout pénétré de la connaissance de ce qu'il ya d’essentiel dans les fonctions du sys{ème nerveux ; on ignorait que ces fonctions ne s’opéraient qu'en effectuant le mouvement ou le transport d’un fluide LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 13 194 DU SYSTÈME NERVEUX subtil, soit d’un foyer vers les parties, soit des par- ties vers le foyer lui-même. Le système nerveux ne peut donc avoir d'existence, ni exercer la moindre de ses fonctions, que lorsqu'il offre une masse médullaire dans laquelle se trouve an foyer pour les nerfs, et, en outre, des filets ner- veux qui se rendent à ce foyer. D'ailleurs, la ma tière médullaire, ni aucune autre substance animale, ne peuvent avoir en propre la faculté de produire des sensations, ce que Je compte prouver dans le troisième chapitre de cette partie ; ainsi, cette substance médul- laire, supposée fondue dans tous les points du corps d’un animal, n’y donnerait point lieu au sentiment. Si, dans sa plus grande simplicité, le système nerveux est nécessairement composé de deux sortes de parties, savoir : d’une masse médullaire princi- pale, et de filets nerveux qui vont s’y rendre; on sent que l’organisation animale, qui commence dans la inonade, qu'on sait être le plus simple et le plus imparfait des animaux connus, a dû faire bien des progres dans sa composition, avant que la nature ait pu parvenir à y former un pareil système d'organes, même dans sa plus grande imperfection. Cependant, là où ce système commence, il est encore bien lom d’avoir obtenu, dans sa composition et son perfec= tionnement, tout ce qu’il offre dans les animaux les plus parfaits ; et la où il a pu commencer, l'organi- sation animale avait déjà fait bien des progrès dans ses développements et dans sa composition. DU SYSTÈME NERVEUX 195 Pour nous convaincre de cette vérité, examinons les produits du système nerveux dans chacun de ses principaux développements. LE SYSTÈME NERVEUX, DANS SA PLUS GRANDE SIMPLICITÉ, NE PRODUIT QUE LE MOUVEMENT MUSCULAIRE Je ne puis, à la vérité, présenter sur le sujet dont il s’agit qu'une simple opinion, mais elle se fonde sur des considérations si importantes, si propres à ètre décisives, qu’on peut la regarder au moins comme une vérité morale. Si l’on considère attentivement la marche qu'a suivie la nature, on verra partout que, pour créer ou faire exister ses productions, elle n’a rien fait subitement où d’un seul jet, mais qu’elle a tout fait progressivement, c’est-à-dire par des compositions et des développements graduels et insensibles : con- séquemment, tous les produits, tous les changements qu'elle opère, sont évidemment assujettis de toutes parts à cette loi de progression qui régit ses actes. En suivant bien les opérations de la nature, on verra, en effet, qu'elle a créé peu à peu et, successi- vement toutes les parties, tous les organes des ani- maux, et qu'elle les a complétés et perfectionnés progressivement, que peu à peu, de même, elle a modifié, animalisé, et de plus en plus composé tous les fluides intérieurs des animaux qu’elle a fait exis- ter ; en sorte qu'avec le temps, tous ce que nous 196 DU SYSTÈME NERVEUX observons à leur égard fût complétement terminé. Le système nerveux, dans son origine, c’est-à-dire là où il commence à exister, est assurément dans sa plus grande simplicité et dans sa moindre perfection. Cette sorte d’origine lui est commune avec celle de tous les autres organes spéciaux qui ont commencé de même par être dans leur plus grand état d’im- perfection. Or, on ne saurait douter que, dans sa plus grande simplicité, le système nerveux ne donne aux animaux qui le posseédent dans cet état, des fa- cultés moins nombreuses et moins éminentes que celles que le mème système procure aux animaux les plus parfaits, en qui il se trouve dans sa plus grande composition et muni de ses accessoires. Il suffit de bien observer ce qui a lieu à cet égard, pour reconnaître le fondement de cette considé- ration. J'ai déjà prouvé que, lorsque le système nerveux est dans sa plus grande simplicité, il offrait néces- sairement deux sortes de parties, savoir : une masse médullaire principale, et des filets nerveux qui vien- nent se réunir à cette masse; mais cette même masse médullaire peut d’abord exister sans donner lieu à aucun sens particulier, et elle peut être divisée en parties séparées, à chacune desquelles des filets ner- veux viendront se rendre. Il parait que c’est ce qui a lieu dans les animaux de la classe des radiaires, ou au moins dans ceux de la division des échinodermes, dans lesquels on DU SYSTEME NERVEUX 197 prétend avoir découvert le système nerveux, et où ce système serait réduit à des ganglions séparés qui communiquent entre eux par des filets, et qui en envoient d’autres aux parties. Si les observations qui établissent cet état du sys- tème nerveux sont fondées, ce sera celui de la plus grande simplicité de ce système, et alors il présen- tera plusieurs centres de rapport pour les nerfs, c’est-à-dire autant de foyers qu'il y a de ganglions séparés ; enfin, il ne donnera lieu à aucun des sens particuliers, pas même à celui de la vue, qu'on sait ètre Le premier qui se montre sans équivoque. Je nomme sens particulier chacun de ceux qui résultent d'organes spéciaux qui les font exister, tels que la vue, l'ouie, l’odorat et le goût; quant au toucher, c’est un sens général, {ype, à la vérité, de tous les autres, mais qui n’exige aucun organe spé- clal, et auquel les nerfs ne peuvent donner lieu que lorsqu'ils sont capables de produire des sensa- tions. Or, en exposant, dans le chapitre 11, le mécanisme des sensations, nous verrons qu'aucune d’elles ne saurait se produire que lorsque, par suite de l’état de composition du système nerveux et de l'unité de foyer commun pour les nerfs, tout l'animal participe a un effet général qui donne lieu à cette sensation. Si cela est ainsi dans les animaux qui ne possèdent le système nerveux que dans sa plus grande simpli- cité, et où ce système offre différents foyers pour les 198 DU SYSTÈME NERVEUX nerfs, aucun eflet, aucun ébranlement ne peuvent être généraux pour l'individu, aucune sensation ne saurait se produire, et effectivement, les masses médullaires séparées ne donnent lieu à aucun sens particulier. Si ces masses médullaires séparées com muniquent entre elles par des filets, c’est afin que la libre répartition du fluide nerveux qu’elles doi- vent contenir puisse sans cesse s’effectuer. Cependant, dès que le système nerveux existe, quelque simple qu'il soit, il est déjà capable d’exé- cuter quelque fonction ; aussi peut-on penser qu’ilen opere effectivement, lors même qu'il ne pourrait en- core donner lieu au sentiment. Si l’on considere que, pour l’excitation du mou- vement musculaire, la moindre des facultés du sys- tème nerreux, il faut à ce système une composition moins grande, une moindre extension de ses parties, que pour la production du sentiment, que différents centres de rapport séparés n’empêchent pas que de chacun de ces foyers particuliers le fluide nerveux ne puisse être envoyé aux muscles pour y porter son influence, l’on sentira qu'il est tres-probable que les animaux, qui possédent un système nerveux dans sa plus grande simplicité, en obtiennent la fa- culté du mouvement musculaire, et néanmoins ne jouissent pas réellement du sentiment. Ainsi, en établissant Le systèine nerveux, la na- ture paraît n'avoir formé d’abord que des ganglions séparés qui communiquent entre eux par des filets, DU SYSTÈME NERVEUX 199 et qui n’envoient d’autres filets qu'aux organes mus- culaires. Ges ganglions sont les masses médullaires principales ; et quoiqu'ils communiquent entre eux par des filets, la séparation de ces foyers ne permet pas l’exécution de l'effet général nécessaire pour constituer la sensation, mais elle ne s’oppose pas à l'excitation du mouvement musculaire : aussi les animaux qui possèdent un pareil système nerveux ne jouissent-ils d’aucun sens particulier. Nous venons de voir que le système nerveux, dans sa plus grande simplicité, ne pouvait produire que le mouvement musculaire ; maintenant nous allons montrer qu'en développant, composant et perfec- tionnant davantage ce système, la nature est par- venue à lui donner non-seulement la faculté d'exci- ter l’action des muscles, mais en outre celle de produire le sentiment. LE SYSTÈME NERVEUX, PLUS AVANCE DANS SA COMPOSITION, PRODUIT LE MOUVEMENT MUSCULAIRE ET LE SENTIMENT Le système nerveux est, sans doute, parmi tous les systèmes d'organes, celui qui donne aux animaux qui en sont doués les facultés les plus éminentes et à la fois les plus admirables ; mais il n’y parvient, sans contredit, qu'après avoir acquis la grande com- plication et tous les développements dont il est sus- ceptible. Avant ce terme, il offre, dans tous les ani- 200 DU SYSTÈME NERVEUX maux qui ont des nerfs et une masse médullaire principale, différents degrés, soit dans le nombre, soit dans le perfectionnement des facultés qu'il leur procure. J'ai dit plus haut que, dans sa plus grande sim- plicité, le système nerveux paraissait avoir sa masse médullaire principale divisée en plusieurs parties séparées, qui chacune contiennent un foyer particu- lier pour les nerfs qui vont s’y rendre, que, dans cet état, ce système ne pouvait être propre à produire les sensations, mais qu’il avait la faculté de mettre les muscles en action : or, ce système nerveux très- imparfait, qu'on prétend avoir reconnu dans les radiaires, existe-t-il le même dans les vers? C’est ce que j'ignore, et néanmoins ce que j'ai lieu de sup- poser, à moins que les vers ne soient un rameau de l’échelle animale, nouvellement commencé par des générations directes. Je sais seulement que, dans les animaux de la classe qui suit celle des vers, le système nerveux, beaucoup plus avancé dans sa composition et ses développements, se montre sans difficulté et sous une forme bien prononcée. En effet, en suivant l’échelle animale, depuis les animaux les plus imparfaits jusqu'aux animaux les plus parfaits, ce ne fut, jusqu’à présent , que dans les insectes, que le systèine nerreux commença à ètre bien reconnu ; parce qu'il se présente, dans tous les animaux de cette classe, éminemment exprimé, et qu'il offre une snoelle longitudinale noueuse qui, DU SYSTÈME NERVEUX 201 en général, s'étend dans toute la longueur de l’ani- mal, et se trouve tres-diversifiée dans sa forme, selon les insectes en qui on la considere, et selon leur état de larve ou d’insecte parfait. Gette moelle longitudinale, qui se termine antérieurement par un ganglion subbilobé constitue la masse médullaire principale du système, et de chacun de ses nœuds, qui varient en grosseur et en rapprochement, par- tent des filets nerveux qui vont se rendre aux parties du corps. Lenœud ou ganglion subbilobé quitermine antérieu- rement la moelle longitudinale noueuse des insectes doit être distingué des autres nœuds de cette moelle, parce qu'il donne naissance immédiatement à un sens particulier, celui de la vue. Ge nœud terminal est donc réellement un petit cerveau, quoique fort imparfait, et il contient sans doute le centre de rap- port des nerfs sensitifs, puisque le nerf optique va s'y rendre. Peut-être que les autres nœuds de la moelle longitudinale en question sont autant de foyers particuliers qui servent à fournir à laction des muscles de l’animal : dans le cas où ces foyers existeraient, Comme ils communiqueraient ensemble par le cordon médullaire qui les réunit, ils n’empè- cheraïient nullement l'effet général qui seul, amsi que je le prouverai, peut produire le sentiment. Ainsi, dans les 2nsectes, le système nerveux commence à offrir un cerveau et un centre de rap- port unique pour l'exécution du sentiment. Ges 202 DU SYSTÈME NERVEUX animaux, par la composition de leur système ner- veux, possèdent donc deux facultés distinctes, savoir : celle du mouvement musculaire, et en outre, celle de pouvoir éprouver des sensations. Ces sensations ne sont encore probablement que des perceptions simples et fugitives des objets qui les affectent, mais enfin elles suffisent pour constituer le sentiment, quoiqu’elles soient incapables de pro- duire des idées. Cet état du système nerveux qui, dans les insectes, ne donne lieu qu’à ces deux facultés, se trouve à peu près le même dans les animaux des cinq classes suivantes, c’est-à-dire dans les arachnides, les crustacés, les annelides, les cirrhipèdes et les mollusques ; 1 n'y présente vraisemblablement d’autres différences que celles qui constituent quel- que perfectionnement dans les deux facultés déjà citées. Je n'ai pas assez d'observations particulières pour qu'il me soit possible d'indiquer, parmi les animaux qui ont un système nerveux capable de leur faire éprouver des sensations, quels sont ceux en qui les émotions du sentiment intérieur sont dans le cas de pouvoir être produites. Peut-être que, dès que la faculté de sentir existe, celle qui produit ces émo- tions a lieu aussi ; mais cette dernière est si impar— faite et si obscure , dans son origine, que je ne la crois reconnaissable que dans les animaux à verte- bres. Ainsi, passons à la détermination du point de DU SYSTÈME NERVEUX 203 l'échelle animale dans lequel commence la quatrième sorte de faculté du système nerveux. Lorsque la nature fut parvenue à munir le sys- tème nerveux dun véritable cerveau, e’est-à-dire d’un renflement médullaire antérieur, capable de donner immédiatement l’existence au moins à un sens particulier, tel que celui de la vue, et de con- tenir, en un seul foyer, le centre de rapport des nerfs, elle n’eut pas encore par là terminé le com- plément des parties que peut offrir ce système. Eflectivement , elle s’occupa longtemps encore du développement graduel du cerveau, et parvint à y ébaucher le sens de l’ouïe, dont les premières traces se montrent dans les crustacés et dans les #ollus- ques. Mais ce n’est toujours là qu'un cerveau tres- simple, lequel parait être la base de l’organe du sentiment, puisque les nerfs sensitifs et ceux des sens particuliers existants viennent tous s’y réunir. En effet, le ganglion terminal qui constitue le cerveau des 2#sectes et des animaux des classes sui- vantes jusqu'aux 20/lusques inclusivement , quoi- qu'en général partagé par un sillon et en quelque sorte bilobé, n'offre cependant aucune trace de ces deux hémispheres plissés.et déreloppables, qui recouvrent et enveloppent, par leur base , le véri- table cerveau des animaux les plus parfaits, c’est-à- dire cette partie de l’encéphale qui contient le foyer du système sensitif; conséquemment, les fonctions quisont propres aux organes nouveaux ét accessoires 204 DU SYSTÈME NERVEUX que je viens de citer, ne sauraient s’exécuter dans aucun des animaux sans vertébres. LE SYSTÈME NERVEUX, COMPLET DANS TOUTES SES PARTIES, DONNE LIEU AU MOUVEMENT MUSCULAIRE, AU SENTIMENT, AUX ÉMOTIONS INTÉRIEURES ET A L'INTELLIGENCE, Ce n’est que dans les animaux à vertèbres que la nature à pu compléter, dans toutes ses parties, le système nerveux, et c’est probablement dans les plus imparfaits de ces animaux (dans les poissons) qu’elle a commencé à esquisser l’organe accessoire du cerveau, qui se compose de deux hémisphères plicatiles, opposés l’un à l’autre, mais réunis par leur base, dans laquelle le cerveau proprement dit, qui doit être constitué par la présence du centre sensitif, est en quelque sorte confondu. Cet organe accessoire qui, lorsqu'il est bien développé, donne aux animaux qui le possèdent des facultés admirables, reposant sur le cerveau, lenve- ‘ loppant même dans sa base, et paraissant se confon- dre avec lui, n’en a pas été distingué ; car on donne généralement le nom de cerveau à toute la masse médullaire qui se trouve renfermée dans la cavité du crâne, quelles que soient les parties distinctes qu’elle nous présente. Il est cependant nécessaire de distinguer du cerveau proprement dit, quelque diffi- cile que soit cette distinction, l'organe accessoire DU SYSTÈME NERVEUX 205 dont il s’agit; parce que cet organe exécute des fonctions qui lui sont tout à fait particulières, et qu'il n’est pas essentiel à l'existence du cerveau, ni même à la conservation de la vie. Il mérite donc un nom particulier,etje crois pouvoir lui assigner celui d’Aypocéphale. Or, cet hypocéphale est l'organe spécial dans lequel se forment les idées et tous les actes de l'intelligence, et le cerveau proprement dit, cette partie de la masse médullaire principale qui contient le centre derapport des nerfs, et à laquelle les nerfs des sens particuliers viennent se réunir, ne saurait lui seul donner lieu à de semblables phénomènes. Si l’on considère comme cerveau la masse médul- läre qui sert de point de réunion aux différents nerfs, qui contient leur centre de rapport, eu un mot, qui embrasse le foyer d’où le fluide nerveux est envoyé aux différentes parties du corps, et celui où il est rapporté lorsqu'il effectue quelque sensation, alors il sera vrai de dire que le cerveau, mème dans les animaux les plus parfaits, est toujours fort petit. Mais lorsque ce cerveau est muni de deux hémis- phères, comme il se trouve dans leur base, qu'il y est en quelque sorte confondu, et que ces hémis- phères plicatiles peuvent devenir fort grands, usage est de donner le nom de cerveau à toute la masse médullaire renfermée dans la cavité du crâne. Il en résulte que lon regarde, en général, toute cette masse médullaire comme ne constituant qu'un seul 206 DU SYSTÈME. NERVEUX et mème organe, tandis qu'au contraire, elle en comprend deux qui sont essentiellement distincts par la nature de leurs fonctions. Il est si vrai que les hémisphères sont des organes particuliers, ajoutés comme accessoires au cerveau, qu'ils ne sont nullement essentiels à son existence, ce dont quantité de faits connus, relatifs à la possi- bilité de leur lésion, et même de leur destruction, ne nous permettent plus de douter. En effet, à égard des fonctions qu'exécutent ces hémispheres, l’on sent qu'une émission du fluide nerveux qui, de son réser— voir ou foyer commun, se dirige dans ses mouve— ments vers ces organes, les met à portée d'opérer chacun ces fonctions auxquelles ils sont propres. Aussi peut-on assurer que ce ne sont nullement les hémisphères qui envoient eux-mêmes au système nerveux le fluide particulier qui le met dans le cas d'agir; car alors le système entier en serait dépen- dant, ce qui n’est pas. Il résulte de ces considérations : que tout animal qui possède un système nerreux. n'est pas nécessai= rement muni d'un cerveau, puisque c’est la faculté de donner immédiatement naissance à quelque sens, au moins à celui de la vue, qui caractérise ce der— nier ; que tout animal qui possède un cerveau, ne l’a pas essentiellement accompagné de deux hémisphères plicatiles, car la petitesse de sa masse, dans les ani- maux des six dernières classes des invertébrés, indi- que qu'il ne peut servir qu'a la production du mou- DU SYSTÈME NERVEUX 207 vement musculaire et du sentiment, et non à celle des actes de l'intelligence; enfin, que tout animal dont le cerveau est surmonté de deux hémisphères plicatiles jouit du mouvement musculaire, du sen- timent, de la faculté d’éprouver des émotions inté- rieures, et, en outre, de celle de se former desidées, d'exécuter des comparaisons, des jugements, en un mot, d'opérer différents actes d'intelligence, selon le degré de développement de son ypocéphale. En y donnant beaucoup d'attention, on sentira, lorsqu'on pense ou qu'on réfléchit, que les opérations qui donnent lieu aux pensées, aux méditations, etc., s’exécutent dans la partie supérieure et antérieure du cerveau, c’est-à-dire dans les masses médullaires réunies qui forment ses deux hémisphères plicatiles ; enfin, on distinguera qu'a cet égard les opérations dont il s’agit ne se font point dans la base de l’or- gane en question, non plus que dans sa partie pos térieure et inférieure. Les deux hémisphères du cerveau, constituant ce que je nomme l’hypocéphale, sont donc réellement les organes particuliers dans lesquels se produisent les actes de l'intelligence. Aussi, lorsqu'on exécute des pensées et qu’on fixe son attention trop longtemps de suite, ressent-on de la douleur à la tête, particulièrement dans celles de ses parties que je viens de citer. On voit, d'après ces différentes considérations, que, parmi les animaux qui ont un système ner- VEUX : 208 DU SYSTÈME NERVEUX 1° Ceux qui manquent de cerveau, et conséquem- ment de sens particuliers et d’un centre de rapport unique pour les nerfs, ne jouissent pas du sentiment, mais seulement de la faculté de mouvoir leurs par- ties par de véritables muscles ; 2° Ceux qui ont un cerveau et quelques sens par- ticuliers, mais dont le cerveau manque de ces hémi- sphères plicatiles qui constituent l’hypocéphale, ne recoivent de leur système nerveux que deux ou trois facultés, savoir : celle d'exécuter des mouvements musculaires, celle de pouvoir éprouver des sensa- tions, c’est-à-dire des perceptions simples et fugi- tives, lorsque quelque objet les affecte, et peut-être aussi celle d’éprouver des émotions intérieures ; 3° Enfin, ceux qui ont un cerveau muni de l’hy- pocéphale, qui n’en est que l’accessoire, jouissent du mouvement musculaire et du sentiment, de la faculté de s’émouvoir, et peuvent, en outre, à Paide d’une condition essentielle (l'attention), se former des idées imprhnées sur l'organe, comparer entre elles plusieurs de ces idées, et produire des jugements ; et si les hémisphères accessoires de leur cerveau sont développés et perfectionnés, ils peuvent penser, raisonner, mventer et exécuter différents actes d’in- telligence. Il est, sans doute, très-difficile de concevoir com- ment se forment les impressions qui gravent les idées ; et 1l est surtout impossible de rien apercevoir dans l'organe qui indique leur existence. Mais que DU SYSTÈME NERVEUX 209 peut-on en conclure, sinon que l’extrème délicatesse de ces traits, et que les bornes de nos facultés en sont la cause ? Dira-t-on que tout ce que l’homme ne peut apercevoir n'existe pas ? [Il nous suffit ici que la mémoire soit un sûr garant de l'existence de ces impressions dans l'organe où elle exécute ses actes. S'il est vrai que la nature ne fait rien subitement ou d’un seul jet,on sent que, pour produire toutes les facultés qu'on observe dans les animaux les plus parfaits, il lui à fallu créer successivement tous les organes qui peuvent donner lieu à ces facultés; et c'est, en eflet, ce qu'elle a exécuté avec beaucoup de temps, et à l’aide de circonstances qui y ont été favorables. Certes, cette marche est celle qu’elle a suivie, et on ne peut lui en substituer aucune autre sans sortir des idées positives que la nature nous fournit à me- sure que nous lobservons. Ainsi, dans l’organisation animale, le système ner- veux fut créé à son tour comme les autres systèmes particuliers, et il ne put l'être que dans la seule cir- constance où l’organisation se trouvait assez avan— cée dans sa composition, pour que les trois sortes de substances qui composent ce systeme aient pu être formées et déposées dans les lieux qui offrent les or- ganes qui le constituent. Il est donc tres-inconvenable de vouloir trouver le système dont il s’agit, ainsi que les facultés qu'il procure, dans des animaux aussi simples en organi- LAMARCK, PFHIL. ZOOL. Il. 14 210 DU SYSTÈME NERVEUX sation, et aussi imparfaits que les #nfusoires et les polypes, car il est impossible que des organes aussi composés que ceux de ce système puissent exister dans l’organisation des animaux que je viens de éiter! Je le répète : de même que les organes spéciaux que possèdent les animaux dans leur organisation furent formés successivement, de même aussi chacun de ces organes fut composé, complété et perfectionné progressivement, à mesure que l’organisation ani- male parvint à se compliquer ; en sorte que le sys- tème nerveux, considéré dans les différents animaux qui en sont munis, se présente dans les trois prin- cipaux états suivants. A sa naissance, où il est dans sa plus grande imperfection, ce système paraît ne consister qu'en divers ganglions séparés, qui communiquent entre eux par des filets, et qui en envoient d’autres à cer- taines parties du corps : alors il n'offre point de cerveau, et ne peut donner lieu, ni à la vue, ni à l’ouie, ni peut-être à aucune sensation véritable ; mais il possede déja la faculté d’exciter le mouve- ment musculaire. Tel est apparemment le système nerveux des radiaires, si les observations citées dans la première partie de cet ouvrage (chap. vin, p. 286) ont quelque fondemert. Plus perfectionné, le système nerveux présente une moelle longitudinale noueuse et des filets ner= veux qui aboutissent aux nœuds de cette moelle : DU SYSTÈME NERVEUX 211 dès lors le ganglion qui termine antérieurement ce cordon noueux peut être regardé comme un petit cerveau déja ébauché, puisqu'il donne naissance à l'organe de la vue, et ensuite à celui de l’ouïe ; mais ce petit cerveau est encore simple et privé de lAy- pocéphale, c’est-à-dire de ces hémisphères plicatiles qui ont des fonctions particulières à exécuter. Tel est le sys{ème nerveux des insectes, des arachnides et des crustacés, animaux qui ont des yeux, et dont les derniers cités offrent déjà quelques vestiges de Vouïe : tel est encore celui des annelides et des cirrhipèdes, dont les uns possédent des yeux, tandis que les autres en sont privés par des causes déjà exposées dans le chapitre vir de la première partie. Les mollusques, quoique plus avancés dans la composition de leur organisation que les animaux dont je viens de parler, se trouvant dans le passage d’un changement de plan de la part de la nature, n'ont ni moelle longitudinale noueuse, ni moelle épinière; mais ils offrent un cerveau, et plusieurs d’entre eux paraissent posséder le plus perfectionné des cerveaux simples, c’est-à-dire des cerveaux qui sont dépourvus d'hypocéphale, puisqu'au leur aboutissent les nerfs de plusieurs sens particuliers. S'il en est ainsi, dans tous les animaux , depuis les insectes jusqu'aux #nollusques inclusivement , le système nerveux produit le mouvement musculaire et donne lieu au sentiment ; mas il ne saurait per- mettre la formation des idées. 212 DU SYSTLME NERVEUX Enfin, beaucoup plus perfectionné encore, le sys- ème nerveux des animaux vertébrés offre une moelle épinière , des nerfs et un cerveau dont la partie supérieure et antérieure est munie accessoirement de deux hémispheres plicatiles ; plus ou moins déve- loppés, suivant l’état d'avancement du nouveau plan. Alors ce système donne lieu non-seulement au mouvement musculaire, au sentiment et à la faculté d'éprouver des émotions intérieures, mais, en outre, à la formation des idées, qui sont d'autant plus nettes et peuvent être d'autant plus nombrenses, que ces hémisphères ont recu de plus grands développe- ments. : Ainsi, comment supposer que la nature qui, dans toutes ses productions, procède toujours par degrés progressifs, ait pu, en commencant létablissement du système nerveux, lui donner toutes les facultés qu'il possede lorsqu'il a acquis son complément et atteint sa plus grande perfection ? D'ailleurs, comme la faculté de sentir n’est nulle- ment le propre d'aucune substance du corps animal, nous verrons que le mécanisme nécessaire à la pre- duction du sertinent est trop compliqué pour per- mettre au système nerveux, lorsqu'il est dans sa plus grande simplicité, d'avoir d'autre faculté que celle d’exciter le mouvement musculaire. J’essayerai de faire connaitre, dans le chapitre 1v, quelle est la puissance qui a les moyens de produire et de diriger les émissions du fluide nerveux, soit DU SYSTÈME NERVEUX 213 aux hémisphères du cerveau, soit aux autres par- ties du corps : ici, je dirai seulement que l'envoi du. fluide dont il s’agit aux hémisphères du cerveau y opère des fonctions très-différentes de celles que le même fluide envoyé ‘aux muscles et aux organes vitaux y exécute. Telle est l'exposition, succincte et générale, du système nerveux, de la nature de ses parties, des conditions qui furent nécessaires pour sa formation, et des quatre sortes de fonctions qu'il exécute lors qu'il a acquis son complément et son perfection nement. Sans entreprendre de rechercher comment lin- fluence nerveuse peut mettre les muscles en action et fournir à l’exécution des fonctions de différents or- ganes, Je dirai que c’est probablement en provo- quant l’érrilabilité des parties que cette fonction du système nerveux se trouve exécutée. Mais relativement à celle des fonctions de ce système, par laquelle il produit le sentiment, et qu'avec raison l’on regarde comme la plus éton- nante et la plus difficile à concevoir, j’essayerai d'en exposer le mécanisme dans le chapitre 11. Je ferai ensuite la même chose à l'égard de la quatrième fonction du même système, c’est-à-dire de celle par laquelle il produit des idées, des pensées, etc., fonction plus étonnante encore que celle qui donne lieu au sentiment. Cependant , ne voulant rien présenter dans cet 211 DU SYSTÈME NERVEUX ouvrage qui ne soit appuyé sur des faits ou sur des observations qui m’y autorisent, je vais auparavant considérer le fluide nerveux, et montrer que, loin de n’être qu'un produit de l’imagination , ce fluide se manifeste par des effets que lui seul peut produire, et qui ne peuvent permettre le moindre doute sur son existence. CHAPITRE. IT D'OL PEUID EE", N'ERVEUX Une matière subtile, remarquable par la célérité de ses mouvements, et qu'on néglige de considérer, parce qu'il n’est pas en notre pouvoir de l’observer directement nous-mêmes, de nous la procurer, et de la soumettre à nos expériences ; cette matière, dis-je, est l’agent le plus singulier, et en même temps l’ins- trument le plus admirable que puisse employer la nature pour produire le mouvement musculaire, le sentiment, les émotions intérieures, les idées et les actes d'intelligence dont quantité d'animaux sont susceptibles. Or, comme il nous est possible de connaître cette matière par les effets qu’elle produit, il importe que nous la prenions en considération, dès le commen cement de la troisième partie de cet ouvrage; car le fluide qu’elle constitue étant le seul qui soit ca- 216 DU FLUIDE NERVEUX pable d'opérer les phénomènes qui excitent tant notre admiration, si nous refusons de reconnaitre son exis- tence et ses facultés, il nous faudra donc abandonner toute recherche sur les causes physiques de ces phé- nomenes, et recourir de nouveau à des idées vagues et sans base, pour satisfaire notre curiosité à leur égard. Relativement à la nécessité où l’on se trouve de rechercher, dans les effets qu’il produit, la connais- sance du fluide dont il est question, n’est-ce pas maintenant une chose reconnue qu'il existe dans la nature différentes sortes de matières qui échappent à nos sens, dont nous ne pouvons nous emparer, et qu'il nous est impossible de retenir et d'examiner à notre gré; des matières d’une ténuité et d’une sub- tilité si considérables, qu’elles ne peuvent manifester leur existence que dans certaines circonstances, et qu'au moyen de quelques-uns de leurs résultats qu'avec beaucoup d'attention nous parvenons à saisir ; des matières, en un mot, dont nous ne pouvons, jusqu’à un certain point, reconnaître la nature, que par des inductions et des déterminations d’analogie, que la réunion d’un grand nombre d'observations peut seule nous faire obtenir ? Cependant l'existence de ces matières nous est prouvée par les résultats qu'elles seules peuvent produire ; résultats qu’il nous importe tant de considérer dans différents phéno- mènes dont nous recherchons les causes. Dira-t-on que, puisque nous possédons si peu de DU FLUIDE NERVEUX 217 moyens pour déterminer, avec la précision et l’évi- dence que toute démonstration exige, la nature et les qualités de ces matières, tout homme sage, et qui fait cas seulement des connaissances exactes, doit négliger leur considération ? Peut-être me trompé-je ; mais j’avouerai que je ne suis point du tout de cet avis; au contraire, je suis fermement persuadé qne ces mêmes matières jouant un rôle important dans la plupart des faits physiques que nous observons, et surtout dans le plus grand nombre des phénomènes organiques que les corps vivants nous présentent, leur considéra- tion est du plus grand intérêt pour l’avancement de nos connaissances à l’égard de ces faits et de ces phénomènes. Ainsi, quoiqu'il soit impossible de connaître direc- tement toutes les matieres subtiles qui existent dans la nature, renoncer à des recherches relatives à cer- taines d’entre elles, ce serait, à ce qu'il me semble, refuser de saisir le seul fil que nous offre la nature pour nous conduire à la connaissance de ses lois ; ce serait renoncer aux progres réels de celle que nous possédons sur les corps vivants, ainsi que sur les causes des phénomènes que nous observons dans les fonctions de leurs organes ; et ce serait, en même temps, renoncer à la seule voie qui puisse nous pro- curer les moyens de perfectionner les théories phy- siques et chimiques que nous pouvons former. On verra bientôt que ces considérations ne sont 218 DU FLUIDE NERVEUX point étrangères à mon objet, qu’il est nécessaire d'y avoir égard, et qu'elles s'appliquent parfaitement à ce que J'ai à dire sur le fluide nerreux qu'il nous est si intéressant de connaitre. Nos observations étant maintenant trop avancées pour nous permettre de contester solidement ou de révoquer en doute l’existence d’un fluide subtil qui circule et se meut dans la substance pulpeuse des nerfs, voyons, sur ce sujet délicat et difficile, ce qu'il est possible de proposer de vraisemblable d’après l’état actuel des connaissances. Mais, avant de parler du fluide nerveux, il est tres-important de présenter la proposition suivante : Tous les fluides visibles, contenus dans le corps d’un animal, tels que le sang ou ce qui en tient lieu, la lymphe, les fluides sécrétés, etc., se meuvent avec trop de lenteur dans les canaux ou les parties qui les contiennent, pour pouvoir être capables de por- ter, avec la célérité nécessaire, le mouvement ou la cause du mouvement qui produit les actions des animaux ; ces actions, dans quantité d'animaux où on les observe, s’exécutant avec une promptitude et une vivacité surprenantes, et ces animaux les inter rompant, les reprenant et les variant avec toutes les nuances d'irrégularité possibles. La momdre ré- flexion doit suffire pour nous faire comprendre qu'il est absolument impossible que des fluides aussi gros- siers que ceux que je viens de citer, et dont les mouvements sont, en général, assez réguliers, puis- DU FLUIDE NERVEUX 219 sent être la cause des actions diverses des animaux. Cependant, tout ce qu’on observe en eux résulte de relations entre leurs fluides contenus, ou ceux de ces fluides qui les pénetrent, et leurs parties contenantes, où les organes affectés par ces fluides contenus. Assurément, ce ne peut être qu'un fluide presque aussi prompt que l'éclair, dans ses mouvements et ses déplacements, qui puisse opérer des effets sem— blables à ceux queje viens d'indiquer ; or, nous con- naissons maintenant des fluides qui ont cette faculté. Comme toute action est toujours le produit d’un mouvement quelconque, et qu'assurément c’est par un mouvement, quel qu'il soit, que les nerfs agis- sent, M. Richerand a discuté et réfuté solidement dans sa Physiologie (vol. IT, p. 144 et suiv.), l'opi- nion de ceux qui ont regardé les nerfs comme des cordes vibrantes. « Cette hypothèse, dit ce savant, est tellement absurde, qu'on a lieu d’être étonné de la longue faveur dont elle a joui. » On serait autorisé à dire la mème chose de lhy- pothèse du mouvement de vibration, communiqué entre des molécules aussi molles et aussi peu élasti- ques que celles de la pulpe médullaire des nerfs, si quelqu'un la proposait. «Il est bien plus raisonnable, dit ensuite M. Ri- cherand, de croire que les nerfs agissent au moyen dun fluide subtil, invisible, impalpable, auquel les anciens donnérent le nom d’esprits animaux, » 220 DU FLUIDE NERVEUX Enfin, plus loin, en considérant les qualités par ticulières du fluide nerveux, ce physiologiste ajoute : « Ces conjectures n’ont-elles pas acquis un certain degré de probabilité, depuis que l’analogie du gal- vanisme avec l'électricité, d’abord présumée par l’auteur de cette découverte, a été confirmée par les expériences si curieuses de Volta, répétées, com mentées, expliquées dans ce moment par tous les physiciens de l'Europe? » Quelque évidente que soit l'existence du fluide subtil au moyen duquel les nerfs agissent, il y aura longtemps, et peut-être toujours, des hommes qui la contesteront, parce qu’on ne peut la prouver au- trement que par les phénomènes que ce fluide seul peut produire. Cependant, il me semble que lorsque tous les effets de ce fluide dont il s’agit démontrent son existence, il n’est nullement raisonnable de la nier, par la seule raison qu’il nous est impossible de voir ce fluide. Il est surtout très-inconvenable de le faire, lorsqu'on sait que tous les phénomènes organiques résultent uniquement de relations entre des fluides en mouvement et les organes qui donnent lieu à ces phénomènes. Enfin, cette inconvenance est bien plus srande encore, lorsqu'on est convaincu que les fluides visibles (le sang, la lymphe, etc.) qui arri- vent et pénètrent dans la substance des nerfs et du cerveau, sont trop grossiers et ont trop de lenteur dans leurs mouvements pour pouvoir donner lieu à DU FLUIDE NERVEUX 221 des actes aussi rapides que ceux qui constituent le mouvement musculaire, le sentiment, les idées, la pensée, etc. D’après ces considérations, je reconnais que, dans tout animal qui possède un système nerveux, il existe dans les nerfs et dans les foyers médullaires auxquels ces nerfs aboutissent, un fluide invisible, tres-subtil, contenable, et à peu près inconnu dans sa nature, parce qu'on manque de moyens pour lexaminer directement. Ce fluide, que je nomme fluide nerveux, se meut, dans la substance pulpeuse des nerfs et du cerveau, avec une célérité extraor- dinaire, et cependant n’y forme, pour l’exécution de ses mouvements, aucuns conduits perceptibles. C'est par le moyen de ce fluide subtil que les nerfs agissent ; que le mouvement musculaire se met en action; que le sentiment se produit, et que les hémispheres du cerveau exécutent tous les actes d'intelligence auxquels, selon leurs développements, ils ont la faculté de donner lieu. Quoique la nature propre du fluide nerveux ne nous soit pas bien connue, puisque nous ne pouvons l’apprécier que par ses effets ; depuis la découverte du galvanisme, 1 devient de plus en plus probable qu'elle est très-analogue au fluide électrique. Je suis même persuadé que c’est ce fluide électrique qui a été modifié dans l’économie animale, s’y étant en quelque sorte animalisé par son séjour dans le sang, et s’y étant assez changé pour devenir conte= 222 DU FLUIDE NERVEUX nable et se maintenir uniquement dans la substance médullaire des nerfs et du cerveau , à laquelle le sang en fournit sans cesse. Pour pouvoir dire que le fluide nerveux n’est que de l'électricité modifiée par son séjour dans lécono- mie animale, je me fonde sur ce que ce fluide ner- veux, quoique fort ressemblant par ses effets à plu- sieurs de ceux que produit Le fluide électrique, s’en distingue néanmoins par quelques qualités particu- lières, parmi lesquelles celle de pouvoir être retenu dans un organe et de s’y mouvoir, soit dans un sens, soit dans un autre, parait lui être propre. Le fluide nerteux est donc réellement distinct du fluide électrique ordinaire, puisque celui-ci traverse sans s'arrêter, et avec sa célérité connue, toutes les parties de notre corps, lorsqu'on forme la chaine dans la décharge, soit d’une bouteille de Leyde, soit d’un conducteur électrique. IL est mème différent du fluide galvanique obtenu et mis en action par la pile de Vo/fa : en effet, ce dernier, qui n’est encore que le fluide électrique lui mème, mais agissant avec moins de masse, de den- sité et d'activité que le fluide électrique que lon dégage de la bouteille de Leyde ou d’un conducteur chargé, recoit de la circonstance dans laquelle il se trouve quelques qualités ou facultés qui le distm- guent du fluide électrique rassemblé et condensé par nos moyens ordinaires. Aussi ce fluide galva- nique exerce-t-il plus d'action sur nos nerfs et sur DU FLUIDE NERVEUX 223 nos muscles que le fluide électrique ordinaire : ce- pendant le fluide galvanique dont 1l est question, w’étant point animalisé, c’est-à-dire n'ayant point reçu l'influence que son séjour dans le sang (sur- tout dans le sang des animaux à sang chaud) lui fait acquérir, ne possède pas toutes les qualités du {luide nerveux. Le fluide nerveux des animaux à sang froid, étant moins animalisé, se trouve plus voisin du fluide électrique ordinaire, et surtout du fluide galvanique. C'est ce qui est cause que nos expériences galvani- ques produisent sur les parties des animaux à sang froid, comme les grenouilles , des eflets tres-éner- giques ; et que dans certains poissons, comme la torpille, la gymnote et le sure trembleur, un organe électrique bien prononcé y montre lélectri- cité tout à fait appropriée à l'animal pour ses besoins. (Voyez, dans les Annales du Muséum d Histoire naturelle, vol. I, p. 392, l’intéressant Mémoire de M. Geoffroi sur ces poissons.) Malgré les modifications que le fluide électrique a reçues dans l’économie animale, et qui l'ont amené à l’état de fluide nerveux, Wa conservé néanmoins, en tres-grande partie, son extrème subtilité, et son aptitude aux prompts déplacements ; qualités qui le rendent propre à lexécution des fonctions qu'il doit exercer pour satisfaire aux besoins de l'animal. Ce fluide électrique pénétrant sans cesse dans le sang, soit par la voie de la respiration, soit par toute 224 DU FLUIDE NERVEUX autre, sy modifie graduellement, s’y animalise, et acquiert, enfin, les qualités du fluide nerveux. Or, il parait qu'on peut regarder les ganglions, la moelle épinière et surtout le cerveau avec ses accessoires, comme constituant les organes sécrétoires de ce fluide animal. En effet, il y a lieu de penser que la substance propre des nerfs qui, par suite de sa nature a/bu- mino=gélatineuse, est meilleure conductrice du fluide nerveux que toute autre substance du corps, et surtout que les membranes aponérroliques qui enveloppent les filets et les cordons nerveux, soutire continuellement des dernières artérioles sanguines, le fluide subtil dont 1l est question et que le sang a préparé. Ge sont, sans doute, ces dernières arté- rioles et les veinules qui les accompagnent, qui donnent lieu à la couleur grise de la partie externe et comme corticale de la substance médullaire. Ainsi se produit sans cesse, dans les animaux qui ont un système nerveux, le fluide invisible et subtil qui se meut dans la substance de leurs nerfs et dans les foyers médullaires où ces nerfs aboutissent. Ce fluide nerveux agit dans les nerfs par deux sortes de mouvements tres-opposés ; et, en outre, il exécute, dans les hémisphères du cerveau, une multitude de mouvements divers que les actes de ces organes rendent probables, mais que nous ne saurions déterminer. Dans les nerfs destinés à opérer des sensations, DU FLUIDE NERVEUX 225 on sait que ce fluide se meut de la circonférence, cest-à-dire des parties extérieures du corps, vers le centre, ou plutôt vers le foyer qui produit les sensations ; et comme les individus qui ont un sys- teme nerveux peuvent aussi éprouver des impres- sions intérieures, le fluide dont il s’agit se meut alors dans les nerfs des parties intérieures , en se dirigeant pareillement vers le foyer des sensations. Au contraire , dans les nerfs destinés à la pro- duction du #7ouvement nusculaire, soit de celui qui se fait sans la volonté de l'animal, soit de celui que cette volonté seule fait exécuter, le fluide nerveux se meut du centre où de son foyer commun, vers les parties qui doivent agir. Dans les deux cas que je viens de citer, relative- ment au mouvement du fluide nerveux dans les nerfs, et, en outre, aux divers mouvements qu'il peut exécuter dans le cerveau, l'emploi de ce mème fluide, mis en action, en fait consommer une partie qui se dissipe et se trouve perdue pour Fanimal. Gette perte exigeait donc la réparation que le sang, en bon état, en fait continuellement. Une remarque importante à faire pour l’intelli- gence des phénomènes de l’organisation est la sui- vante : Les individus qui ne consomment du ffuide ner- ceux que pour la production du mouvement muscu laure réparent leurs pertes à cet égard avec abon- dance et mème avec profit pour laccroissement de LAMARGK, PHIL. ZOOL. Il. 15 # 226 DU FLUIDE NERVEUX leurs forces, parce que ce mouvement musculaire hâte la circulation et les autres mouvements organi- ques, et qu’alors les sécrétions, réparatrices du fluide consommé, sont promptes et abondantes aux époques des repos. Au contraire, les individus qui ne consomment du fluide nerveux que pour la production des actes qui dépendent de lhypocéphale, tels que les pensées soutenues, les méditations profondes, les agitations d'esprit que les passions produisent, etc., ne répa— rent leurs pertes à cet égard qu'avec lenteur et sou- vent qu'incomplétement, parce que le mouvement musculaire, restant alors presque sans action, tous les mouvements organiques s’affaiblissent, les fa- cultés des organes perdent de leur énergie, et les sécrétions, réparatrices du fluide nerveux consommé, deviennent moins abondantes, et les repos d'esprit très-difficiles. Le fluide nerveux, dans le cerveau, ne se borne pas à y apporter du foyer des sensations les sensa- tions mêmes, et à y subir des mouvements divers, mais il y produit aussi des impressions qui se gravent sur l’organe, et qui y subsistent plus ou moins long- temps, selon leur profondeur. Cette assertion n’est pas un de ces produits mons- trueux qu'enfante l'imagination : en examinant rapi- dement les principaux actes de l'intelligence, j’es= sayerai de prouver qu’elle est très-fondée, et qu'on sera forcé de la reconnaître pour une de ces vérités DU FLUIDE NERVEUX 227 auxquelles cependant on ne peut arriver que par des 2nductions incontestables. Je terminerai ce que j'avais à dire sur le fluide singulier dont il est question par quelques considé- rations qui peuvent répandre beaucoup de lumière sur diverses fonctions organiques qui s’exécutent à l’aide de ce fluide. Toutes les parties du fluide nerveux communi- quent ensemble dans le système d'organes qui les contient; en sorte que, selon les causes qui l’exci- tent, ce fluide ne se meut, tantôt que dans certaines portions comme isolées de sa masse, et tantôt pres- que toute sa masse, ou du moins toute celle qui est libre, se trouve en mouvement. Ainsi done, le fluide dont il s’agit se meut dans certaines portions et même dans de petites portions de sa masse : 1° Lorsqu'il fournit à l'excitation musculaire, soit celle qui est indépendante de l'individu, soit celle qui en est dépendante ; 2° Lorsqu'il exécute quelque acte d'intelligence. F Le même fluide, au contraire, se meut dans toutes les parties de sa masse libre : 1° Lorsque, subissant un mouvement général de réaction, il produit une sensation quelconque ; 20 "Foutes les fois qu'éprouvant un ébranlement général sans former de réaction, il cause les émo- tions du sentiment intérieur. Ces distinctions relatives aux mouvements que 228 DU FLUIDE NERVEUX peut éprouver le fluide nerveux, dans le système d'organes qui le contient, ne sauraient être prou- vées par des expériences particulières ; au moins je n’en aperçois pas les moyens ; mais l’on trouvera probablement qu’elles sont fondées, si l’on prend fortement en considération les observations que j'ex- pose dans cette troisième partie de ma Philosophe zoologique, sur les différentes fonctions du système ner veux. On pourra surtout se convaincre du fondement de ces distinctions, si l'on considère : l° Que l'influence nerveuse qui met les muscles en action, n'exige qu'une simple émission d’une por- tion du fluide nerceux sur les muscles qui doivent agir, et qu'ici le fluide subtil en question n’agit que comme excitateur ; 2° Que, dans les actes de l'intelligence, les par- ties de l'organe de lentendement ne sont que pas- sives; ne sauraient réagir à cause de leur extrème mollesse ; ne reçoivent point d’excitation de la part du fluide nerveux, mais seulement des impressions dont elles conservent les traces, la portion de ce fluide, qui s’agite dans les diverses parties de cet organe, y modifiant ses mouvements par l’mfluence des traits qui s’y trouvent gravés, et y en traçant d’autres ; en sorte que l'organe de l’entendement, qui n’a qu'une communication étroite avec le reste du système nerveux, n’emploie, dans ses actes, qu'une portion du fluide de tout le système ; enfin, DU FLUIDE NERVEUX 229 qu'il résulte de l’étroite communication citée, que cette portion du fluide nerveux, contenue dans l’or- gane de lintelligence, n’est exposée à partager l’ébranlement général qui s'exécute dans les émo- tions du sentiment intérieur, et dans la formation des sensations, que lorsque cet ébranlement est d’une intensité extrème ; ce qui trouble alors presque toutes les fonctions et les facultés du système. Il est donc vraisemblable, d’après tout ce que je viens d'exposer, que la totalité du fluide nerveux, sécrété et contenu dans le système, n’est pas à la disposition du sentiment intérieur de lindividu, e qu'une partie de ce fluide est, en quelque sorte, en réserve pour fournir continuellement à l'exécution des fonctions vitales. Ainsi, de même qu'il y a des muscles indépendants de la volonté, tandis que d’autres n’entrent en action que lorsque le sentiment intérieur, ému par la volonté où par quelque autre cause, les y excite; de mème, sans doute, une partie du fluide nerveux se trouve moins à la disposition de l'individu que l’autre, afin de n'être point exposée à l'épuisement, et de pouvoir fournir sans cesse aux fonctions vitales. Effectivement, le fluide nerveux n'étant jamais employé sans qu'il s'en consomme proportionnelle- ment à son emploi, 1l était nécessaire que l'individu n’en pût consommer à son gré que la portion dont il peut disposer : il y a même, pour lui, de grands inconvénients lorsqu'il épuise trop cette portion, 230 DU FLUIDE NERVEUX car alors une partie de celle en réserve devenant disponible, ses fonctions vitales en souffrent d’au- tant plus. J'aurai plus loin différentes occasions de dévelop- per et d’éclaircir ces diverses considérations relatives au fluide nerveux ; mais auparavant examinons quel peut être le mécanisme des sensations, et voyons comment se produit admirable faculté de sentir. CHAPITRE HI DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE ET DU MÉCANISME DES SENSATIONS Comment concevoir qu'aucune partie quelconque d'un corps vivant puisse avoir en elle-même la fa- culté de sentir, lorsque toute matière, quelle qu’elle soit, ne jouit nullement et ne saurait jouir d’une pareille faculté ! Certes, c'était commettre une grande erreur que de supposer que les animaux, et même les plus par- faits d’entre eux, avaient certaines de leurs parties douées du sentiment. Assurément, les humeurs ou les fluides quelconques des corps vivants, non plus que leurs parties solides, quelles qu’elles puissent être, ne possèdent pas la faculté de sentir. Ce n’est que par un véritable prestige que chaque partie de notre corps, considérée isolément, nous parait sensible, car c’est notre étre en entier qui 232 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE sent, ou plutôt, qui subit un effet général, à la pro- vocation de toute cause affectante qui y donne leu ; et comme cet effet se rapporte toujours à la partie qui fut affectée, nous en recevons dans linstant la perception, à laquelle nous donnons le nom de sen- sation, et nous supposons, par illusion, que c’est cette partie affectée de notre corps qui ressent l’im- pression qu'elle a reçue, tandis que c’est l’émotion du système entier de sensibilité qui y rapporte l'effet général que ce système a éprouvé. Ces considérations pourront paraître étranges, et même paradoxales , tant elles sont éloignées de tout ce que l’on a pensé à cet égard. Cependant, si l’on suspendait le jugement que l’on porte en général sur ces objets, pour donner quelque attention aux mo tifs sur lesquels je fonde l’opinion que je vais déve- lopper, on reviendrait, sans doute, sur l’idée d’attri- buer la faculté de sentir à aucune partie quelconque d’un corps vivant. Mais avant de présenter l'opinion dont il s’agit, il est nécessaire de déterminer quels sont les animaux qui jouissent de la faculté de sentir et quels sont ceux en qui une pareille faculté ne peut se rencontrer. D'abord, j'établirai ce principe : toute faculté que possédent les animaux, est nécessairement le produit d'un acte organique et par conséquent d’un mouve- ment qui y donne lieu ; et si cette faculté est parti culière , elle résulte de la fonction d’un organe ou d'un système d'organes qui alors est particulier : DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 233 mais aucune partie du corps animal, restant dans l’'inaction, ne saurait occasionner le momdre phéno- mène organique, ni donner lieu à la moindre faculté. Aussi , le sentiment, qui est une faculté, n'est-il le propre d'aucune partie quelconque, mais le résultat de la fonction organique qui le produit. Je conclus du principe que Je viens d'émettre, que toute faculté provenant des fonctions d’un organe particulier qui seul peut y donner lieu, n'existe que dans les animaux qui possèdent cet organe. Ainsi, de même que tout animal qui n’a point d’yeux ne saurait voir, de même aussi, tout animal qui manque de système nerveux ne saurait sentir. En vain objecterait-on que la lumière fait des impressions remarquables sur certains corps vivants qui n’ont point d'yeux et qu'elle affecte néanmoins : il sera toujours vrai que les végétaux, et que quan- tité d’animaux, tels que les pol/ypes et bien d’autres, ne voient point quoiqu'ils se dirigent vers le côté d'où vient la lumière, et que les animaux ne sont pas tous doués du sentiment, quoiqu'ils exécutent des mouvements lorsque quelque chose les irrite ou irrite certames de leurs parties. On ne saurait donc, avec fondement, attribuer aucune sorte de sensihilité (percevante ou latente) aux animaux qui manquent de systeme nerveux, en apportant pour raison que ces animaux ont des par- ties 2rrilables, et j'ai déjà prouvé, dans le chapi- tre 1v de la seconde partie, que le sentiment et 234 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE l'irritabihité étaient des phénomènes organiques d'une nature très-différente, et qui prenaient leur source dans des causes qui ne se ressemblent nulle- ment. Effectivement, les conditions qu’exige la pro- duction du seatiment sont de toute autre nature que celles qui sont nécessaires à l’existence de l’irrita- bilité. Les premières nécessitent la présence d’un organe particulier, toujours distinct, compliqué et étendu dans tout le corps de l'animal, tandis que les secondes n'exigent aucun organe spécial, et ne donnent lieu qu'à un phénomène toujours isolé et local. Mais les animaux qui possedent un système ner- veux, suffisamment développé, jouissent à la fois de l’erritabilité qui est le propre de leur nature, et de la faculté de sentir ; ils ont, sans pouvoir le re- marquer, le sentiment intime de leur existence, et quoiqu'ils soient encore assujettis aux excitations de l'extérieur, ils agissent par une puissance interne que nous ferons bientôt connaitre. Dans les uns, cette puissance interne est dirigée, dans ses différents actes, par l'instinct, c’est-à-dire par les émotions intérieures que produisent les be- soins, et par les penchants que font naïître les habi- tudes, et dans les autres, elle l’est par une volonté plus ou moins libre. Ainsi, la faculté de sentir est uniquement le -propre des animaux qui ont un système nerveux sensitifs et comme elle donne lieu au sentiment DE LA SENSIBILILÉ PHYSIQUE 235 intime d'existence, nous verrons que ce dernier sentiment procure à ces animaux la faculté d'agir par des émotions qui leur causent des excitations intérieures , et les mettent dans le cas de produire eux-mêmes les mouvements et les actions nécessaires à leurs besoins. Mais qu'est-ce que la sensibilité physique ou la faculté de sentir ? qu'est-ce ensuite que le sentiment intérieur d'existence ? quelles sont les causes de ces phénomènes admirables ? enfin , comment le senti ment d'existence ou le sentiment intérieur général peut-il donner lieu à une force qui fait agir ? Après avoir mürement considéré l’état des choses à cet égard, et les prodiges auxquels il donne lieu, voici mon opinion sur le premier de ces sujets inté- ressants. La faculté de recevoir des sensations, constitue ce que je nomme la sensibilité physique, ou le sen- timent proprement dit. Cette sensibilité doit être distinguée de la sensibilité morale, qui est tout autre chose, comme je le ferai voir, et qui n'est excitée que par des émotions que produisent nos pensées. Les sensations proviennent : d’une part, des impressions que des objets extérieurs ou hors de nous font sur nos sens ; etde l’autre part, de celles que des mouvements intérieurs ‘et désordonnés font sur nos organes en y opérant des actions nuisibles ; de là les douleurs internes. Or, ces sensations exer- 235 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE cent notre sensibilité physique ou notre faculté de sentir, nous font communiquer avec ce qui est hors de nous, et nous avertissent, au moins obscurément, de ce qui se passe dans notre être. Développons, maintenant, le mécunisme des sen- sations en montrant, d’abord, l'harmonie qui existe dans toutes les parties du système nerveux qui le concernent , et ensuite le produit sur le système entier de toute impression formée sur quelqu’une de ces parties. MÉCANISME DES SENSATIONS Les sensations, que nous rapportons, par illusion, aux lieux mêmes où se produisent les impressions qui les causent, s’exécutent dans un système d’or- ganes particuliers qui fait toujours partie du système nerveux, et que je nomme système des sensations ou de sensibilité. Le système des sensations se compose de deux parties distinctes et essentielles, savoir : - 1° D'un foyer particulier que je nomme foyer des sensations, qu'il faut considérer comme un centre derapports, et où se rapportent effectivement toutes les impressions qui agissent sur nous ; 2° D'une multitude de nerfs simples, qui partent de toutes les parties sensibles du corps, et qui tous viennent se rendre et se terminer au foyer des sensations. DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 237 C'est avec un pareil système d'organes, dont l'harmonie est telle que toutes les parties du corps, ou à peu près, participent également à chaque im- pression faite sur certaines d'entre elles, que la nature est parvenue à donner à tout animal qui a un système nerveux, la faculté de sentir, soit ce qui l’affecte intérieurement, soit les impressions que les objets hors de lui font sur les sens dont il est doué. Le foyer des sensations est peut-être divisé et multiple dans les animaux qui ont une sn0elle lon- gitudinale noueuse, cependant on peut soupconner que le ganglion qui termine antérieurement cette moelle est un petit cerveau ébauché, puisqu'il donne immédiatement naissance au sens de la vue. Mais quant aux animaux qui ont une #10elle épinière, on ne saurait douter que le foyer des sensations ne soit chez eux simple et unique; et vraisemblablement ce foyer est situé à l'extrémité antérieure de cette moelle épinière, dans la base même de ce qu'on nomme le cerveau, et conséquemment sous les hémis- pheres. Les nerfs sensitifs, qui arrivent de toutes les par- ties, aboutissant tous à un centre de rapport, où à plusieurs de ces foyers qui communiquent les uns avec les autres, constituent l’harmonie du système des sensations, en ce qu'ils font participer toutes les parties de ce système aux impressions, soit iso= lées, soit communes, que l'individu peut éprouver. 238 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE Mais, pour bien concevoir le mécanisme admi- rable de ce système sensitif, il est nécessaire de se rappeler ce que j’ai déjà dit, savoir : qu'un fluide extrêmement subtil, dont les mouvements, soit de translation, soit d’oscillation, qui se communiquent, sont presque aussi rapides que ceux de Péclair, se trouve contenu dans les nerfs et leur foyer, et que c’est uniquement dans ces parties que ce fluide se meut librement, Ensuite, que l’on considère que de cette harmome du système des sensations, qui fait que toutes les parties de ce système correspondent entre elles, et font correspondre toutes celles de individu, il ré- sulte que toute impression, tant intérieure qu'exté- rieure, que recoit cet individu, produit aussitôt un ébranlement dans tout le système, c’est-à-dire dans le fluide subtil qui y est contenu, et par conséquent dans tout son être, quoiqu'il ne puisse s’en aperce- voir. Or, cet ébranlement subit donne lieu à l'instant à une réaction qui, rapportée de toutes parts au foyer commun, y occasionne un effet singulier, en un mot, une agitation dont le produit se propage ensuite, par le moyen du seul nerf non réagissant, sur le point même du corps qui fut d’abord affecté. L'homme qui possède la faculté de se former des idées de ce qu'il éprouve, s’en étant fait une de cet effet singulier, qui se produit au foyer des sensa- tions et se propage jusqu’au point affecté, lui a donné le nom de sensation, et a supposé que toute partie, DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 239 qui recevait une impression, avait en elle-même la faculté de sentir. Mais le sentiment n’est nulle part ailleurs que dans l’idée réelle, ou la perception, qui le constitue, puisque ce n’est pas une faculté d’au- cune des parties de notre corps, que ce n’est pas celle d'aucun de nos nerfs, que ce n’est pas mème celle du foyer des sensations, et que c’est uniquement le résultat d’une émotion de tout le système de sen- sibilité, laquelle se rend perceptible dans un point quelconque de notre corps. Examinons avec plus de détail le mécanisme de cet effet singulier du système de sensibilité. À l'égard des animaux qui ont une moelle épi- mère, 1l part de tontes les parties de leur corps, tant de celles qui sont les plus intérieures, que de celles qui avoisinent le plus sa surface, des filets nerveux d’une finesse extrême, qui, sans se diviser, ni s’anastomoser, vont se rendre au foyer des sensa- tions. Or, dans leur route, malgré les réunions qu'ils forment avec d’autres, ces filets se propagent, sans discontinuité, jusqu'au foyer dont il s’agit, en con- servant toujours leur gaîne particulière. Cela n’em- pêche pas queles cordonsnerveux quiproviennent de la réunion de plusieurs de ces filets n'aient aussi leur gaine propre, de même que ceux de ces cordons qui se composent de la réunion de plusieurs d’entre eux. Chaque filet nerveux pourrait donc porter le nom de la partie d’où il part, car il ne transmet que les impressions faites sur cette partie. 240 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE Il ne s’agit ici que des nerfs qui servent aux sen- salions : ceux qui sont destinés au mouvement mus- culaire partent, vraisemblablement, d’un autre foyer, quel qu'il soit, et constituent, dans le sys- tème nerveux, un systeme particulier, distinct de celui des sensalions, comme ce dernier l’est du sys- teme qui sert à la formation des idées et des actes de l’entendement. A la vérité, par suite de la grande connexion qui existe entre le système des sensations et celui du mouvement musculaire, le sentiment et le mouve- ment, dans les paralysies, s’éteignent ordinairement dans les parties affectées; néanmoins, on a vu la sensibilité tout à fait éteinte dans certaines parties du corps, qui jouissaient encore, malgré cela, de la liberté des mouvements ?, ce qui prouve que le sys- 1 M. Hébréard rapporte, dans le Journal de Mdecine, de Chi- rurgie et de Pharmacie, qu'un homme, à re de 50 ans, a, depuis près de 14 ans, le bras droit affecté d'une insensibilité absolue. Ce mem- bre conserve néanmoins son agilité, son volume et ses forces ordinai- res. Il yest survenu uu phlezmon, avec chaleur, tumeur et rougeur, mais sans douleur, même quand on le comprimait… En travaillant, cet homme se fractura les os de l'avant-bras, à leur tiers inferieur. Comme il ne sentit d'abord qu'un craquement, il crut avoir cassé la pelle qu'il tenait à la main; mais elle était intacte, et il ne s'apperçut de son accident que parce qu'il ne put continuer son travail. Le lendemain le lieu de la fracture était gonflé, la chaleur était augmentée à l'avant-bras et à la main : néanmoins le malade n'éprouva aucune douleur, même pendant les extensions nécessaires pour réduire la fracture, etc. L'auteur conclut de ce fait et des expériences semblables faites par d’autres medecins, que la sensibibilité est absolument distincte et indé- pendante de la contractilité, etc., etc. (Journal de Médecine pratique, 15 juin 1808, p. 540.) DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE real teme des sensations et celui du mouvement sont réellement distincts. Le mécanisme particulier qui constitue l’acte or- ganique d’où naît le sextiment, consiste donc : En ce que l'extrémité d’un nerf recevant une im- pression, le mouvement qu'en acquiert aussitôt le fluide subtil de ce nerf est transmis au foyer des sensations, et de là dans tous les nerfs du système sensitif. Mais, dans l'instant même, le fluide nerveux, réagissant de tous les nerfs à la fois, rapporte ce mouvement général au foyer commun, où le seul nerf qui n’apportait aucune réaction, reçoit le pro- duitentier de celle de tous les autres, et le transmet au point du corps qui fut affecté. Appliquons les détails de ce mécanisme à un exemple particulier, afin qu'on en puisse mieux saisir l’ensemble. Sije suis piqué au petit doigtde l’une de mes mains, le nerf de cette partie affectée qui, muni de sa gaine particulière, se continue, sans communication avec d'autres, jusqu'au foyer commun, porte dans ce foyer l’ébranlement qu'il a recu, et cet ébranlement est aussitôt communiqué de là au fluide de tous les autres nerfs du système sensitif : alors, par une véritable réaction où répercussion, ce mème ébran- lement refluant de tous les points vers le foyer commun, il se produit dans le foyer dont il est question, une secousse, une compression du fluide ébranlé de toutes les colonnes, moins une, dont l'effet LAMARCK, PHIL. ZOOL. Il. 16 242 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE total produit une perception, et en reporte le résul- tat sur le seul nerf qui ne réagit point. Effectivement, le nerf qui a apporté Pimpression reçue, et par suite la cause de lébranlement du fluide de tous les autres, se trouve le seul qui ne rapporte aucune réaction, car il est seul actif, tan- dis que tous les autres sont alors passifs. Tout l'effet de la secousse produite dans le foyer commun et dans les nerfs passifs, ainsi que la perception qui ‘en résulte, doivent donc se reporter sur ce nerf actif. Un pareil effet, résultant d’un mouvement général exécuté dans tout l'individu, avertit nécessairement d’un événement qui se passe en lui, et cet individu, quoiqu'il n'en puisse distinguer aucun des détails, en éprouve une perception à laquelle on a donné le nom de sensation. On sent que cette sensation doit être faible ou forte, selon lintensité de l'impression, qu'elle doit avoir tel ou tel caractere, selon la nature même de l'impression reçue, et qu'enfin, elle ne parait se produire dans la partie même qui a été affecté, que parce que le nerf de cette partie est le seul qui sup porte l'effet général occasionné par une impression quelconque. Ainsi, toute secousse qui se produit dans le foyer ou centre de rapport des nerfs, et qui provient d’une impression reçue, se fait généralement ressentir dans tout notre être, et nous paraït toujours s’effec- DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 243 tuer dans la partie même qui a recu limpression. À l'égard de cette impression, il y a nécessaire- ment un intervalle entre l’instant où elle s'effectue et celui où la sensation se produit, mais cet inter- valle est si court, à cause de la promptitude des mouvements, qu'il nous est impossible de l’aper- cevoir. Telle est, selon moi, la mécanique admirable et la source de la sensibilité physique. Je le répète, ce nest point ici la matière qui sent, elle n’en a pas la faculté ; ce n’est point même telle partie du corps de lPindividu , car la sensation qu'il éprouve dans cette partie n’est qu'une illusion dont certains faits, bien constatés, ont fourni des preuves ; mais c’est un effet général produit dans tout son être, qui se reporte en entier sur le nerf mème qui en fut la première cause , et que lindividu doit nécessaire- ment ressentir à l’extrémité de ce nerf où une im- pression s'était effectuée. Nous n’apercevons rien qu’en nous-mêmes : c’est une vérité qui est maintenant reconnue. Pour qu’une sensation puisse avoir heu, il faut absolument que l'impression reçue par la partie affectée, soit trans- mise au foyer du système des sensations ; mais si toute l’action se terminait là, il n’y aurait point d'effet général, et aucune réaction ne serait rap- portée au point qui a reçu l'impression. Quant à la transmission du premier mouvement imprimé, on sent qu’elle ne s'opère que par le nerf qui fut affecté, 24 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE et qu'au moyen du fluide nerveux qui se meut alors dans sa substance. On sait qu'en interceptant, par une ligature ou une forte compression du nerf, la communication entre la portion qui aboutit à la partie affectée, et celle qui se rend au foyer des sensations, aucune ne saurait alors s'effectuer. La ligature, ou la forte compression , interrom- pant dans ce point la continuité de la pulpe molle du nerf, par le rapprochement des parois de sa gaine, suffit pour intercepter le passage du fiuide nerveux en mouvement ; mais, dès que l’on enlève la ligature, la mollesse de la moelle nerveuse permet le rétablissement de sa continuité dans le nerf, et aussitôt la sensation peut de nouveau se produire. Ainsi, quoiqu'il soit vrai que nous ne sentions qu'en nous-mêmes, la perception des objets qui nous affectent ne s'exécutant point, comme on la pensé, dans le foyer des sensations, mais à l’extré- mité mème du nerf qui a recu l'impression, toute sensation n’est donc réellement ressentie que dans la partie aflectée, parce que c’est là que se termine le nerf de cette partie. Mais si cette partie n'existe plus, le nerf qui y aboutissait existe encore, quoique raccourci; et alors si ce nerf recoit une impression , on éprouve une sensation qui, par illusion, parait se manifester dans la partie que l’on ne possede plus. On a observé que des personnes à qui l’on avait coupé la jambe, et dont le moignon était bien cica- DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 245 trisé, ressentaient aux époques des changements de temps, des douleurs au pied ou à la jambe qu’elles n'avaient plus. Il est évident qu’il s’opérait dans ces individus une erreur de jugement à l'égard du lieu où s’exécutait réellement la sensation qu'ils éprou- vaient ; mais cette erreur provenait de ce que les nerfs affectés étaient précisément ceux qui, origi- nairement, se distribuaient au pied ou à la jambe de ces individus, or, cette sensation se produisait réellement à l'extrémité de ces nerfs raccourcis. Le foyer des sensations ne sert que pour la pro- duction de la commotion générale excitée par le nerf qui a recu l'impression, et que pour rapporter dans ce nerf la réaction de tous les autres ; d’où résulte, à l'extrémité du nerf affecté, un effet auquel parti cipent toutes les parties du corps. Il semble que Cabanis ait entrevu le mécanisme des sensations, car, quoiqu'il n’en développe pas clairement les principes , et qu’il donne un méca- nisme analogue à la maniere dont les nerfs excitent l'action musculaire, ce qui n’est pas, on voit qu'il a eu le sentiment général de ce qui se passe réelle- ment dans la production des sensations ; Voici com- ment il s'exprime sur ce sujet : « L’on peut donc considérer les opérations de la sensibilité comme se faisant en deux temps. D'abord, les extrémités des nerfs recoivent et transmettent le premier avertissement à tout l'organe sensitif, ou seulement, comme on le verra ci-après, à lun de 216 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE ses systemes isolés ; ensuite l’organe sensitif réagit sur elles, pour'les mettre en état de recevoir toute l'impression ; de sorte que la sensibilité qui, dans le premier temps, semble avoir reflué de la circon- férence au centre, revient, dans le second, du centre à la circonférence, et que, pour tout dire en un mot, les nerfs exercent sur eux-mêmes une véritable réaction pour le sentiment, comme ils en exercent une autre sur les parties musculaires pour le mou— vement. » (app. du phys. et du moral, vol. I, p. 143.) Il ne manque à cet exposé du savant que je cite, que de faire sentir que le nerf qui, à son extrémité, reçoit et transmet le premier avertissement à tout le système sensitif, est le seul qui ensuite ne réagisse point ; et qu'il en résulte que la réaction générale des autres nerfs du système étant parvenue au foyer commun , se transmet nécessairement dans le seul nerf qui se trouve alors dans un état passif, et y porte Jusqu'au point qui fut d’abord affecté l’effet général du système, c’est-à-dire la sensation. Quant à ce que dit Cabanis d'une réaction sem blable que les nerfs exerceraient sur les parties musculaires pour les mettre en mouvement, je crois que cette comparaison de deux actes si différents du systeme nerveux n'a rien de fondé, et qu'une simple énussion du fluide des nerfs qui, de son réservoir, est envoyé aux muscles qui doivent agir, est suffisante : il n'y a là aucune nécessité de réaction nerveuse. DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 247 Je terminerai mes observations sur les causes physiques du sentiment par les réflexions suivantes, dont le but est de montrer que l’on commet une erreur, soit en confondant la perception d’un objet avec l’idée que peut faire naïitre la sensation du même objet, soit en se persuadant que toute sensation donne toujours une idée. Éprouver une sensation où la distinguer, sont deux choses tres-différentes : la première, sans la seconde, ne constitue qu'une simple perception ; au contraire, la seconde, qui est toujours jointe à la pre- miere, en donne uniquement l’idée. Lorsque nous éprouvons une sessation de la part d'un objet qui nous est étranger, et que nous distin- guons cette sensation, quoique ce ne soit qu'en nous- mêmes que nous sentions, et qu’il nous faille faire une ou plusieurs comparaisons pour séparer l’objet dont il s’agit de notre propre existence et en avoir une idée, nous exécutons presque simultanément, par le moyen de nos organes, deux sortes d'actes essentiellement différents, Pun qui nous fait sentir, l'autre qui nous fait penser. Jamais nous ne par- viendrons à démèler les causes de ces phénomenes organiques, tant que nous confondrons ensemble les faits si distincts qui les constituent, et que nous ne reconnaitrons pas que la source de l’un ne peut être la mème que celle de l’autre. Assurément, il faut un système d'organes parti culier pour exécuter le phénomène du sentiment, 248 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE car sentir est une faculté particulière à certains ani- maux, et non générale pour tous. Il faut, de même, un système d'organes particulier pour opérer des actes d’entendement, car, penser, comparer, juger, raisonner, sont des actes organiques d’une nature tres-différente de ceux qui produisent le sentiment. Aussi, quand on pense, n’en éprouve-t-on aucune sensation, quoique les pensées se rendent sensibles au sentiment intérieur, à ce mot dont on a la cons- cience. Or, toute sensation provenant d’un sens particulier affecté, la conscience qu'on a de sa pen- sée n’en est point une, en diffère effectivement, et conséquemment doit en être distinguée. De même, lorsqu'on éprouve la sensation simple qui constitue la perception, e'est-à-dire celle que l’on ne remar- que point, on ne s’en forme aucune idée, on n’en produit aucune pensée, et à cet égard le système sensitif est seul en action. On peut donc penser sans sentir, et on peut sentir sans penser. Aussi a-t-on pour chacune de ces deux facultés un système d’or- ganes qui peut y donner lieu, comme on a un sys- teme d'organes particulier pour les mouvements, qui est indépendant des deux que je viens de citer, quoique l’un ou l’autre soit la cause non immédiate qui mette ce dernier en action. Ainsi, c’est à tort que l’on a confondu le système des sensations avec le système qui produit les actes de l’entendement, et que l’on a supposé que les deux sortes de phénomènes organiques qui en proviennent, DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 249 étaient le résultat d’un seul système d'organes capa- ble de les produire. Gela est cause que des hommes du plus grand mérite, et à la fois très-instruits, se sont trompés dans leurs raisonnements sur les objets de cette nature qu'ils ont considérés. « Un être, dit M. PRrcherand, absolument privé d'organes sensitifs, n'aurait qu’une existence pure ment végétative; s’il acquérait un sens, il ne joui- rait point encore de l’entendement, puisque, comme le prouve Condillac, les impressions produites sur ce sens unique ne pourraient être comparées, tout se bornerait à un sentiment intérieur qui l’averti- rait de son existence, et il croirait que toutes les choses qui l’'affectent font partie de son être. » (PAy- siologie, Vol. IE, p. 154.) On voit, d’après cette citation, que les sens sont ici considérés, non-seulement comme des organes sensitifs, mais aussi Comme ceux qui produisent les actes de lentendement, puisque, si, au lieu d’un seul sens, l'être cité en avait plusieurs, alors, selon l’opinion admise, la seule existence de ces sens ferait jouir lindividu de facultés intellec- tuelles. Il y a mème une contradiction dans le passage que je viens de citer, car il y.est dit qu'un être qui n'aurait qu'un seul sens ne jouirait pas encore de l’entendement, et, plus loin, on dit qu'a l'égard des impressions qu'il éprouverait, tout se bornerait à un sentiment intérieur qui l'avertirait de son exis- 250 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE tence, et qu’il croirait que toutes les choses qui laf- fectent font partie de son être. Comment cet être, qui ne jouirait pas encore de Fentendement, pour- rait-il penser et juger ? car c’est former un jJuge- ment que de croire que telle chose est de telle ma- mére. Tant que l’on négligera de distinguer les faits qui tiennent au sentiment de ceux qui sont le produit de l'intelligence, on sera souvent exposé à faire de semblables méprises. C’est une chose reconnue, qu’il n’y a point d'idées innées, et que toute idée simple provient uniquement d’une sensation. Mais j'espere faire voir que toute sensation ne produit pas une idée , qu'elle ne cause nécessairement qu'une perception, et que, pour la production d’une idée imprimée et durable, il faut un organe particulier, ainsi que l’existence d’une condition que l'organe des sensations ne saurait seul offrir. Il y a loin d’une simple perception à une idée imprimée et durable. En effet, toute sensation qui ne cause qu'une simple perception , n’imprime rien dans l’organe, n’exige point la condition essentielle de l'attention, et ne saurait qu'exciter le sentiment intérieur de l'individu, et lui donner l'aperçu fugitif des objets, sans produire aucune pensée chez cet individu. D'ailleurs, la mémoire, qui ne peut avoir son siége que dans l'organe où se tracent les idées, n’est jamais dans le cas de rappeler une perception DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE #51 qui n’est point parvenue dans cet organe, et qui conséquemment n’y a rien imprimé. Je regarde les perceptions comme des idées imparfaites, toujours simples, non gravées dans. l'organe, et qui peuvent s’exécuter sans condition, ce qui est très-différent à l'égard des idées véritables et subsistantes. Or, ces perceptions , au moyen de répétitions habituelles qui frayent certains passages particuliers au fluide nerveux, peuvent donner lieu à des actions qui ressemblent à des actes de mé- moire. L'observation des mœurs et des habitudes des insectes nous en offre des exemples. J'aurai occasion de revenir sur ces objets ; mais il importait que je fasse remarquer ici la nécessité de distinguer la perception qui résulte de toute sensation non remarquée, de l’idée qui, pour sa formation, exige un organe spécial, ce dont j’espère donner des preuves. D’après ce qui est exposé dans ce chapitre, je crois pouvoir conclure : 1° Que le phénomene du sentiment n’offre d’autre merveille que l’une de celles qui sont dans la nature, c’est-à-dire que des causes physiques peuvent faire exister ; 2° Qu'il n’est pas vrai qu'aucune des parties d’un corps vivant, et qu'aucune des matières qui compo— sent ces parties, aient en propre la faculté de sentir ; 3° Que le sentiment est le produit d’une action et d'une séaclin qui s'operent et deviennent géné- 252 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE rales dans le système sensitif, et qui s’exécutent avec rapidité par un mécanisme simple tres-facile à concevoir ; 4 Que l'effet général de cette action et de cette réaction est nécessairement ressenti par le #01 indivisible de lindividu , et non par aucune partie de son corps prise séparément, en sorte que ce n’est que par illusion qu'il croit que l'effet entier s’est passé dans le point qui a recu l’impression qui l’a affecté ; D° Que tout individu qui remarque une sensation, qui la juge, qui distingue le point de son corps où elle est rapportée, en a une idée, y a pensé, a exécuté à son égard un acte d'intelligence, et con- séquemment possède l'organe particulier qui peut en produire ; 6° Qu'enfin, le système des sensations pouvant exister sans celui de l’entendement, l'individu qui est dans ce cas, n’exécute aucun acte d’intelhigence, n’a point d'idées, et ne peut recevoir, de la part de ses sens affectés, que de simples perceptions qu'il ne remarque point, mais qui peuvent émouvoir Son sentiment intérieur et le faire agir. Essayons maintenant de nous former une idée claire, s'il est possible, des émotions du sentiment intérieur de tout individu qui jouit de la sensibilité physique, et de reconnaître la puissance que cet individu en obtient pour l'exécution de ses actions. CHAPITRE IV DU SENTIMENT INTÉRIEUR, DES ÉMOTIONS QU'IL EST SUSCEPTIBLE D'ÉPROUVER, ET DE LA PUISSANCE QU'IL EN ACQUIERT POUR LA PRODUCTION DES ACTIONS Mon objet, dans ce chapitre, est de traiter d’une des facultés les plus remarquables que le système nerveux, dans ses principaux développements, donne aux animaux qui le possédent dans cet état; je veux parler de cette faculté singulière dont certains ani- maux et l’homme mème sont doués, et qui consiste à pouvoir éprouver des émotions inléricures que provoquent les besoins et différentes causes externes ou internes, et desquelles naît la puissance qui fait exécuter diverses actions. Personne, à ce que je crois, n’a encore pris en considération l’objet intéressant dont je vais n’oc- cuper, et cependant, si l’on ne fixe ses idées à son égard, 1l sera toujours impossible de rendre raison des nombreux phénomènes que nous présente l’orga- 254 DU SENTIMENT INTÉRIEUR misation animale, et qui ont leur source dans la faculté que je viens de mentionner. On a vu que le système nerveux se composait de différents organes qui, tous, communiquent ensemble; conséquemment, toutes les portions du fluide subtil, contenu dans les différentes parties de ce système, communiquent aussi entre elles, et par suite sont susceptibles d’éprouver un ébranlement général, lorsque certaines causes capables d’exciter cet ébranlement viennent à agir. C’est là une considé- ration essentielle qu'il nous importe de ne pas perdre de vue dans les recherches qui nous occupent, et dont le fondement ne saurait être douteux, puisque les faits observés nous en fournissent des preuves. Cependant, la totalité du fluide nerveux n’est pas toujours assez libre pour pouvoir éprouver l’ébran- lement dont il est question, car, dans les cas ordi- naires , n’y à qu'une portion de ce fluide, à la vérité considérable, qui soit susceptible de ressentir cet ébranlement, lorsque certaines émotions l'y exci- tent. Il est certain que, dans diverses circonstances, le fluide nerveux éprouve des mouvements dans des portions, en quelque sorte isolées de sa masse : ainsi, des portions de ce fluide sont envoyées aux diffé- rentes parties pour l’action musculaire, et pour la vivification des organes , sans que sa masse entière se mette en mouvement ; de même , des portions du fluide dont il s’agit peuvent être agitées dans les DU SENTIMENT INTÉRIEUR 255 hémisphères du cerveau, sans que la totalité de ce fluide éprouve cette agitation : ce sont là des vérités dont on ne saurait disconvenir. Mais s’il est évident que le fluide nerveux soit susceptible de recevoir des mouvements dans certaines portions de sa masse, il doit l’être aussi que, par des causes particulières, la masse presque entière de ce fluide peut être ébranlée et mise en mouvement , puisque toutes ses portions communiquent ensemble. Je dis la masse presque entière, parce que. dans les émotions inté- rieures ordinaires, la portion du fluide nerveux, qui sert à l'excitation des muscles indépendants de l'individu, et souvent celle qui se trouve dans les hémisphères du cerveau, sont à l'abri des ébranle- ments qui constituent ces émotions. Le fluide nerveux peut donc éprouver des mouve- ments dans certaines parties de sa masse, et il peut aussi en subir dans toutes à la fois ; or, ce sont ces derniers mouvements qui constituent les ébranle- ments généraux de ce fluide, et que nous allons considérer. | Les ébranlements généraux du fluide nerveux sont de deux sortes, savoir : l° Les ébranlements partiels, lesquels deviennent ensuite généraux et se terminent par une réaction ; ce sont les ébranlements de cette sorte qui produisent le sentiment. Nous en avons traité dans le troisième chapitre; 2° Les ébranlements qui sont généraux dès qu'ils 256 DU SENTIMENT INTERIEUR commencent, et qui ne forment aucune réaction : ce sont ceux-ci qui constituent les émotions intérieures, et c’est d'eux uniquement dont nous allons nous occuper. Mais auparavant, il est nécessaire de dire un mot du sentiment d'existence, parce que ce sentiment est la source dans laquelle les émotions intérieures prennent naissance. DU SENTIMENT D'EXISTENCE Le sentiment d'existence, que je nommerai senti- ment intérieur, afin de le séparer de l’idée d’une généralité qu'il ne peut avoir, puisqu'il n’est point commun à tous les corps vivants, et qu'il ne l’est pas mème à tous les animaux, est un sentiment fort obscur, dont sont doués les animaux qui ont un sys- teme nerveux assez développé pour leur donner la faculté de sentir. Ce sentiment, tout obscur qu'il est, est néanmoins très-puissant, car il est la source des émotions inté- rieures qu'éprouvent les individus qui le possèdent, et par suite de cette force singulière qui met ces individus dans le cas de produire eux-mêmes les mouvements et les actions que leurs besoins exigent, Or, ce sentiment, considéré comme un ##0teur tres- actif, n'agit ainsi qu'en envoyant aux muscles, qui doivent opérer ces mouvements et ces actions, le fluide nerveux qui en est l’excitateur. DU SENTIMENT INTÉRIEUR 251 Le sentiment dont il est question, et qui est main- tenant bien reconnu, résulte de l’ensemble confus de sensalions intérieures, qui ont lieu constamment pendant la durée de lexistence de lanimal, au moyen des impressions continuelles que les mouve- ments de la vie exécutent sur ses parties internes et sensibles. En effet, par suite des mouvements organiques où vitaux qui s’opérent dans tout animal, celui qui possède un système nerveux suffisamment développé, jouit dès lors de la sensibilité physique, et recoit sans cesse, dans toutes ses parties intérieures et sensibles, des impressions qui l’affectent continuel- lement, et qu'il ressent toutes à la fois sans pouvoir en distinguer aucune. A la vérité, toutes ces impressions sont très-fai- bles, et, quoiqu'elles varient en intensité, selon l’état de santé ou de maladie de l'individu, elles ne sont, en général, tres-difficiles à distinguer que parce qu'elles n'offrent point d'interruption ni de reprise subites. Néanmoins, l’ensemble de ces im pressions et des sensations confuses qui en résultent, constitue dans tout animal qui s’y trouve assujetti, un sentiment intérieur fort obscur, mais réel, qu’on a nommé sentiment d'existence. Ce sentiment intime et continuel, dont on ne se rend pas compte, parce qu’on l’éprouve sans le re- marquer, est général, puisque toutes les parties sen- sibles du corps y participent. Il constitue ce #ot dont LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. 17 258 DU SENTIMENT INTÉRIEUR tous les animaux, qui ne sont que sensibles, sont pénétrés sans s’en apercevoir, mais que ceux qui possédent l'organe de l'intelligence peuvent remar- quer, ayant la faculté de penser et d’y donner de l'attention. Enfin, il est, chez les uns et les autres, la source d’une puissance que les besoins savent émouvoir, qui n’agit effectivement que par émotion, et dans laquelle les mouvements et les actions pui- sent la force qui les produit. Le sentiment inlérieur peut être considéré sous deux rapports très-distincts ; savoir : l° En ce qu'il est le résultat des sensations obseu- res qui s’exécutent, sans discontinuité, dans toutes les parties sensibles du corps : sous cette considé- ration, je le nomme simplement sentiment inté- rieur ; 2° Dans ses facultés : car, au moyen de l’ébran- lement général dont est susceptible le fluide subtil qui l’occasionne, il a celle de constituer une puis- sance qui donne aux animaux qui la possèdent, le pouvoir de produire eux-mêmes des mouvements et des actions. En effet, ce sentiment, formant un tout très-sim- ple, par sa généralité, est susceptible d’être ému par différentes causes. Or, dans ses émotions, pou- vant exciter des mouvements dans les portions libres du fluide nerveux, diriger ces mouvements, et envoyer ce fluide excitateur à tel ou tel muscle, ou dans telle partie des hémisphères du cerveau, il de- DU SENTIMENT INTÉRIEUR 259 vient alors une puissance qui fait agir ou qui excite des pensées. Ainsi, sous ce second rapport, on peut considérer le sentiment intérieur comme la source où la force productrice des actions puise ses moyens. Il était nécessaire, pour l'intelligence des phéno- mènes qu'il produit, de considérer ce sentiment sous les deux rapports que je viens de citer; car, par sa nature, c’est-à-dire, comme sentiment d'existence, il est, pendant la veille, toujours en action ; et par ses facultés, il donne naissance passagérement à une force qui fait agir. Enfin, le sentiment intérieur ne manifeste sa puissance, et ne parvient à produire des actions que lorsqu'il existe un système pour le mouvement mus- culaire, lequel est toujours dépendant du système nerveux, et ne saurait avoir lieu sans lui. Aussi, serait-ce une inconséquence que de s’efforcer de trouver des muscles dans des animaux en qui le sys- teme nerveux manquerait évidemment. Essayons maintenant de développer les princi- pales considérations relatives aux émotions du sen- liment inlérieur. DES ÉMOTIONS DU SENTIMENT INTÉRIEUR I s'agit ici de l'examen de l’un des plus impor- tants phénomènes de l’organisation animale, de ces émotions du sentiment intérieur, qui font agir les animaux et homme mème, tantôt sans aucune par- 260 DU SENTIMENT INTÉRIEUR ticipation de leur volonté, et tantôt par une volonté qui y donne lieu ; émotions depuis longtemps aper- cues, mais sur lesquelles il ne paraît pas qu'on ait fixé son attention pour en rechercher l’origine ou les causes. D’après ce qu'on observe à cet égard, on ne sau- rait douter que le sentiment intérieur et général qu'éprouvent les animaux qui possedent un système nerveux propre au sentiment, ne soit susceptible de s’émouvoir par des causes qui l’affectent; or, ces causes sont toujours le besom, soit d’assouvir la faim, soit de fuir les dangers, d'éviter la douleur, de rechercher le plaisir, ou ce qui est agréable à l’in- dividu, etc. Les émotions du sentiment intérieur ne peuvent ètre connues que de l’homme, lui seul pouvant les remarquer et y donner de l'attention ; mais iln’aper- coit que celles qui sont fortes, qui ébranlent, en quelque sorte, tout son être, et il a besoin de beau- coup d'attention et de réflexions, pour reconnaitre qu'ilen éprouve de tous les degrés d'intensité, et que c’est uniquement le sentiment intérieur qui, dans diverses circonstances, fait naître en lui ces émo= tions internes qui le font agir ou qui le portent à exécuter quelque action. J'ai déjà dit, au commencement de ce chapitre, que les émotions intérieures d'un animal sensible consistaient en certains ébranlements généraux de toutes les portions libres de son fluide nerveux, et DU SENTIMENT INTÉRIEUR 261 que ces ébranlements n'étaient suivis d'aucune réaction, ce qui est cause qu'ils ne produisent aucune sensation distincte. Or, il est aisé de concevoir que, lorsque ces émotions sont faibles ou médiocres, l’in- dividu peut les dominer et en diriger les mouve- ments, mais que lorsqu'elles sont suhites et très- grandes, alors il en est maîtrisé lui-même : cette considération est très-importante. Le fait positif, que constituent les émotions dont il s’agit, ne peut être une supposition. Qui n’a pas remarqué qu'un grand bruit inattendu, nous fait tressaillir, sauter en quelque sorte, et exécuter, selon sa nature, des mouvements que notre volonté n'avait pas déterminés? Il y a quelque temps que, marchant dans la rue, et me couvrant l’œil gauche de mon mouchoir, parce qu'il me faisait souffrir, et que la lumière du soleil m'incommodait, la chute précipitée d’un cheval monté, que je ne voyais pas, se fit tres-près de moi et à ma gauche : or, dans l’instant mème, par un mouvement et un élan, auxquels ma volonté ne put avoir la moindre part, je me trouvai transporté à deux pas sur ma droite, avant d’avoir eu l’idée de ce qui se passait pres de moi. Tout le monde connait ces sortes de mouvements involontaires, pour en avoir éprouvé d’analogues ; et ils ne sont remarqués que parce qu'ils sont extrè- mes et subits. Mais on ne fait pas attention que tout ce qui nous affecte, nous émeut proportionnellement, 262 DU SENTIMENT INTÉRIEUR c’est-à-dire, émeut plus ou moins notre sentiment intérieur. On est ému à la vue d’un précipice, d’une scène tragique, soit réelle, soit représentée sur un théâtre, soit même sur un tableau, etc., etc. : et quel peut être le pouvoir d’un beau morceau de musique bien exécuté, si ce n’est celui de produire des émotions dans notre sentiment intérieur ! La joie ou la tris- tesse que nous ressentons subitement, en apprenant une bonne ou une mauvaise nouvelle à l'égard de ce qui nous intéresse, est-elle autre chose que lémo- tion de ce sentiment intérieur, qu'il nous est fort difficile de maîtriser dans le premier moment ? J'ai vu exécuter plusieurs morceaux de musique sur le piano, par une jeune demoiselle qui était sourde et muette : son jeu était peu brillant et néan- moins passable ; mais elle avait beaucoup de mesure, et je m'apercus que toute sa personne était mue par des mouvements mesurés de son sentimentintérieur. Ce fait me fit sentir que le sextinent intérieur suppléait, dans cette jeune personne, à l'organe de l’ouie qui ne pouvait la guider. Aussi, son maitre de musique mayant appris qu'il l'avait exercée à la mesure par des signes mesurés, je fus bientôt con- vaincu que ces signes avaient ému en elle le senti ment dont il est question ; et de là je présumai que ce que l’on attribue entierement à l'oreille tres- exercée et tres-délicate des bons musiciens, appar- tenait plutôt à leur sentiment intérieur qui, dés la DU SENTIMENT INTÉRIEUR 263 premiére mesure, se trouve ému par le genre de mouvement nécessaire pour l'exécution d’une pièce. Nos habitudes, notre tempérament, l’éducation même, modifient cette faculté de s'émouvoir que possède notre sentiment intérieur; en sorte qu’elle se trouve tres-affaiblie dans certains individus, et qu’elle estextrème dans d’autres. On doit distinguer les émotions que nous fait éprouver la sensation des objets extérieurs, de celles qui nous viennent des idées, des pensées, en un mot, des actes de notre intelligence ; les premières constituent la sensibilité physique, tandis que les secondes, par leur susceptibilité plus où moins grandes, caractérisent la sensibilité #0rale que nous allons considérer. SENSIBILITÉ MORALE La sensibilité morale, à laquelle on donne ordi- nairement le nom général de sensibilité, est fort différente de la sensibilité physique dont j'ai déjà fait mention ; la première n'étant excitée que par des idées et des pensées qui émeuvent notre sentiment intérieur, et la seconde ne se manifestant que par des impressions qui se produisent sur nos sens, et qui peuvent pareillement émouvoir le sentiment intérieur dont nous sommes doués. Ainsi, la sensibilité inorale, dont on a, mal à propos, supposé le siége dans le cœur, parce que 261 DU SENTIMENT INTÉRIEUR les différents actes de cette sensibilité affectent plus ou moins les fonctions de ce viscere, n’est autre chose que lexquise susceptibilité de s’'émouvoir, que possède le sentiment inlérieur de certains individus, à la manifestation subite d'idées et de pensées qui y donnent lieu. On dit alors que ces individus sont très-sensibles. Cette sensibilité, considérée dans les développe- ments qu'une intelligence perfectionnée peut lui faire acquérir, et lorsqu'elle n’a point éprouvé les altérations qu’on est parvenu à lui faire subir, me parait un produit et même un bienfait de la nature. Elle forme alors une des plus belles qualités de l’homme, car elle est la source de l'humanité, de la bonté, de l’amitié, de l’honneur, etc. Quelquefois, cependant, certaines circonstances nous rendent cette qualité presque aussi funeste, qu'elle peut nous être avantageuse dans d’autres : or, pour en retirer les avantages qu'on en peut obtenir, et obvier aux inconvénients qui en proviennent, il ne s’agit que d’en modérer les élans par des moyens que les principes d’une bonne éducation peuvent seuls diri= ger. En effet, ces principes nous montrent la nécessité, dans mille circonstances, de comprimer notre sen- sibilité, jusqu'à un certain point, afin de ne pas manquer aux égards que l’homme en société doit à ses semblables, ainsi qu'à l’âge, au sexe et au rang des personnes avec qui il se trouve : de là résultent DU SENTIMENT INTÉRIEUR 265 cette convenance, cette aménité dans les discours et dans les expressions employées, en un mot, cette juste retenue dans les idées émises , qui font plaire sans jamais blesser, et qui forment une qualité qui distingue éminemment ceux qui la possèdent. Jusques-là, nos conquêtes à cet égard ne peuvent tourner qu'à l’avantage général. Mais on passe quelquefois les bornes ; on abuse du pouvoir que la nature nous donna, d’étouffer, en quelque sorte, la plus belle des facultés que nous tenions d’elle. Effectivement, certains penchants auxquels se livrent bien des hommes, leur ayant fait sentir le besoin d'employer constamment la dissimulation, il leur est devenu nécessaire de contraindre habi- tuellement les émotions du sentiment intérieur, et de cacher soigneusement leurs pensées, ainsi que celles de leurs actions qui peuvent les conduire au but qu'ils se proposent. Or, comme toute faculté, non exercée, s’altére peu à peu, et finit par s’anéantir presque entierement, la sensibilité mo- rale que nous considérons ici, est à peu près nulle pour eux, et ils ne l’estiment même pas dans les personnes qui la possèdent encore d’une manière un peu éminente. De même que la sensibilité physique ne s'exerce que par des sensations qui, lorsqu'elles font naître quelque besoin, produisent aussitôt une émotion dans le sentiment intérieur, lequel envoie, dans instant, le fluide nerveux aux muscles qui doivent 266 DU SENTIMENT INTÉRIEUR agir ; de mème, aussi, la sensibilité morale ne s'exerce que par des émotions que produit la pensée dans ce sentiment intérieur ; et lorsque la volonté, qui est un acte d'intelligence, détermine une action, ce sentiment, ému par cet acte, dirige le fluide nerveux vers les muscles qui doivent agir. Ainsi, le sentiment intérieur reçoit, par l’une ou l’autre de deux voies très-différentes, toutes les émotions qui peuvent l’agiter, savoir : par celle de la pensée, et par celle du sentiment physique ou des sensations. On pourrait donc distinguer les émotions du sentiment intérieur : 1° En émotions morales, telles que celles que certaines pensées peuvent produire ; 2 En émotions physiques , telles que celles qui proviennent de certaines sensations. Cependant, comme les résultats de la première sorte d'émotion appartiennent à la sensibilité morale, tandis que ceux de la seconde sorte dépendent de la sensibilité physique, il suffit de s’en tenir à la premiere distinction déjà faite. Je ferai, néanmoins, à cette occasion, les remar- ques suivantes, qui ne me paraissent pas sans Intérêt. Une émotion morale, quand elle est très-forte, peut anéantir momentanément, ou temporairement, le sentiment physique, occasionner des désordres dans les idées, les pensées, et altérer plus ou moins les fonctions de plusieurs des organes essentiels à la vie. DU SENTIMENT INTÉRIEUR 267 On sait qu'une nouvelle affligeante et mattendue, que celle même qui cause une joie extrème, produi- sent des émotions dont les suites peuvent être de la nature de celles que je viens de citer. On sait aussi que les moindres effets de ces émo- tions sont de troubler la digestion, ou de la rendre pénible; et qu'a l'égard des personnes âgées, lors- qu’elles sont un peu fortes, elles sont dangereuses, et quelquefois funestes. Enfin, la puissance des émotions morales est Si grande, que souvent elle réussit à dominer le senti ment physique. En effet, on a vu des fanatiques, c’est-a-dire des individus dont le sentiment moral était tellement exalté, qu'ils parvenaient à surmon- ter les impressions des tortures qu'on leur faisait éprouver. Quoiqu’en général, les émotions morales lempor- tent en puissance sur les émotions physiques, celles- ci, néanmoins, lorsqu'elles sont tres-fortes, trou- blent aussi les facultés intellectuelles, peuvent causer le délire, et déranger les fonctions organi- ques. Je terminerai ces remarques par une réflexion que je crois fondée, savoir : que le sentiment moral exerce, avec le temps, sur l’état de l’organisation, une influence encore plus grande que celle que le sentiment physique est capable d'y opérer. Effectivement, quel désordre une tristesse pro- fonde et tres-prolongée ne produit-elle pas dans les 268 DU SENTIMENT INTÉRIEUR fonctions organiques, et surtout dans l’état des vis- cères abdominaux ? CABANIS, considérant, à cet égard, que des indi- vidus continuellement tristes, mélancoliques, et sou- vent même sans sujet réel, offraient dans l’état des viscères dont je viens de parler, un genre d’altéra- tion toujours à peu près le même, en a conclu que c'était à ce genre d’altération qu'il fallait attribuer la mélancolie de ces individus, et que ces visceres concouraient à la formation de la pensée. Il me semble que ce savant a étendu trop loin la conséquence qu'il a tirée des observations faites à ce sujet. Sans doute, l’état d’altération des organes, et spécialement des viscères abdominaux, correspond fréquemment avec les altérations des facultés mo- rales, et même y contribue réellement. Mais cet état, selon moi, ne concourt point pour cela à la formation de la pensée, il influe seulement à donner à l'individu un penchant qui le porte à se complaire dans tel ordre de pensées, plutôt que dans tel autre. Or, le senfiment moral agissant fortement sur l’état des organes, lorsque ses affections se prolon- gent dans tel ou telsens, ce dont on ne saurait dou- ter, 1l me parait que, dans tel individu, des chagrins continuels et fondés auront, dans l’origine, causé les altérations de ses viscères abdominaux ; et que ces altérations, une fois formées, auront, à leur tour, perpétué, dans cet individu, un penchant à la DU SENTIMENT INTÉRIEUR 269 mélancolie, mème sans qu'il en ait alors aucun sujet. A la vérité, la génération peut transmettre une disposition des organes, en un mot, un état des vis- cères propre à donner lieu à tel tempérament, telle inclination, enfin, tel caractère ; mais il faut ensuite que les circonstances favorisent, dans le nouvel indi- vidu, le développement de cette disposition, sans quoi, cet individu pourrait acquérir un autre tem pérament, d’autres inclinations, enfin, un autre ca- ractère. Ge n’est que dans les animaux, surtout dans ceux qui ont peu d'intelligence, que la génération transmet, presque sans variation, l’organisation, les penchants, les habitudes, enfin, tout ce qui est le propre de chaque race. Je m'éloignerais trop de ce que j'ai en vue, si je m'étendais davantage sur ces considérations ; en con- séquence, je reviens à mon sujet. Ainsi, je résume mes observations sur le senti ment intérieur, en disant que ce sentiment, dans les êtres qui en sont doués, est la source des mou- vements et des actions : soit lorsque des sensations qui font naître des besoins lui causent des émo- tions quelconques, soit lorsque, la pensée donnant aussi naissance à un besoin ou montrant un dan- ger, etc., l’émeut plus où moins fortement. Ces émotions, de quelque part qu’elles viennent, ébran- lent aussitôt le fluide nerveux disponible, et comme tout besoin ressenti dirige le résultat de l'émotion 210 DU SENTIMENT INTÉRIEUR qu'il excite vers les parties qui doivent agir, les mouvements s'exécutent invariablement par cette vole, et sont toujours en rapport avec ce que les besoins exigent. Enfin, comme ces émotions intérieures sont très- obscures, l’individu, en qui elles s’exécutent, ne s’en aperçoit pas; elles sont cependant réelles; et si l'homme, dont l'intelligence est très-perfectionnée, y donnait quelque attention, il reconnaitrait bientôt qu'il n’agit que par des émotions de son sentiment intérieur, dont les unes, étant provoquées par des idées, des pensées et des jugements qui lui font res sentir des besoins, excitent sa volonté d'agir ; tandis que les autres, résultant immédiatement de besoins pressants et subits, lui font exécuter des actions auxquelles sa volonté n’a point de part. J'ajoute que, puisque le sentiment intérieur peut occasionner les ébranlements dont il vient d’être question, on sent que si l'individu domine les émo— tions que son sentiment intime recoit, 1l peut alors les comprimer, les modérer, et mème en arrêter les effets. Voila comment le sentiment intérieur de tout individu qui en jouit, constitue une puissance qui le fait agir selon ses besoins et ses penchants habituels. Mais lorsque les émotions dont il s’agit sont très- grandes, et qu’elles le sont au point de causer dans le fluide nerveux un ébranlement assez considérable pour interrompre et troubler dans ses opérations celui des hémisphères du cerveau, et celui mème DU SENTIMENT INTÉRIEUR 211 qui porte son influence aux muscles indépendants de l'individu, des lors cet individu perd connaissance, éprouve la syneope, et ses organes vitaux sont plus ou moins dérangés dans leurs fonctions. Ce sont là, vraisemblablement, ces grandes vé- rités que ne purent découvrir les philosophes, parce qu'ils n'avaient pas suffisamment observé la nature, et que les zoologistes n’ont pas apercues, parce qu'ils se sont trop occupés de distinctions et d'objets de dé- tail. Au moins peut-on dire que les causes physi- ques qui viennent d'être indiquées, sont capables d'opérer les phénomènes d'organisation qui font ici le sujet de nos recherches. L'ordre qui est partout nécessaire dans lexposi- tion des idées, exige que j'établisse ici une distine- tion très-fondée et de première importance, la voici : j'ai déjà dit que le sentiment intérieur recevait des émotions par deux sortes de causes très-différentes, SAVOIT : l° Par suite de quelque opération de lintelli- gence qui se termine par un acte de volonté d'agir ; 2° Par quelque sensation où impression qui fait ressentir un besoin où provoque l'exercice d’un pen- chant sans la participation de la volonté. Ces deux sortes de causes, qui émeuvent le sen- timent intérieur de lindividu, montrent qu'il y a réellement une distinction à faire entre celles qui dirigent les mouvements du fluide nerveux dans la production des actions. 272 DU SENTIMENT INTÉRIEUR Dans le premier cas, en effet, l'émotion du senti ment intérieur provenant d’un acte de l'intelligence, c’est-à-dire d'un jugement qui détermine la volonté d'agir, alors cette émotion dirige les mouvements du fluide nerveux disponible, dans le sens que la volonté lui imprime. Dans le second cas, au contraire, lintelligence n'ayant aucune part à l’émotion du sentiment inté- rieur, cette émotion dirige les mouvements du fluide nerveux dans le sens qu'exigent les besoins qu'ont fait naître les sensations, et dans celui des pen- chants acquis. Une autre considération n’est pas moins impor- tante à faire remarquer que celles dont il vient d’être question : elle consiste en ce que le sentiment inté- rieur est susceptible d’être entièrement suspendu, et de ne l'être quelquefois qu'imparfaitement. Pendant le sommeil, par exemple, le sentiment dontils’asit est suspendu ou à peu près nul ; la por- tion libre du fluide nerveux est dans une sorte de repos, n'éprouve plus d’ébranlement général, et l'individu ne jouit plus de son sentiment d'existence. Aussi, le système des sensations n’est point alors exercé, et aucune des actions, dépendantes de lin- dividu, ne s'exécute, les muscles nécessaires pour la produire n’étant plus excités et se trouvant dans une sorte de relàächement. Si le sommeil est imparfait, et s’il existe quelque cause d’irritation qui agite la portion libre du fluide DU SENTIMENT INTÉRIEUR 213 nerveux, surtout celle qui se trouve dans les hémi- sphères du cerveau, le sentiment intérieur se trou- vant suspendu dans ses fonctions, ne dirige plus les mouvements du fluide des nerfs, et alors l'individu est livré à des songes, c’est-à-dire à des retours involontaires de ses idées, qu'il ressent et qui se pré- sentent en désordre et dans des suites caractérisées par leur confusion. Dans l’état de veille, le sentiment intérieur peut ètre fortement troublé dans ses fonctions, tantôt par une trop grande émotion, qui interrompt l'émission du fluide nerveux dans les muscles indépendants de la volonté, et tantôt par quelque irritation considé- rable qui agite principalement celui du cerveau. Des lors, il cesse de diriger le fluide nerveux, dans ses mouvements ; on éprouve, soit la syncope, si ce trouble est le produit d’une grande émotion, soit le délire,si c’est une grande irritation qui occasionne, soit quelque acte de folie, etc., etc. D’après ce qu vient d’être exposé, il me parait évident que le sentiment intérieur de l'homme et des animaux qui le possédent est la seule cause pro- ductrice des actions ; que ce sentiment n’agit que lorsque les émotions, dont il est susceptible, l'ont mis dans le cas de le faire; qu'il est ému, tantôt par des actes de l'intelligence, et tantôt par quelque besoin ou quelque sensation, qui agit immédiatement et subitement sur lui; qu'il peut être dominé, dans ses faibles émotions, par les hommes, dont l’intelli- LAMARCK, PHIlI,. ZOOI, EI. 18 274 DU SENTIMENT INTÉRIEUR gence est très-développée, tandis qu'il ne lest que tres-difficilement dans certains animaux, et qu'il ne l’est jamais dans ceux qui manquent d'intelligence ; qu’il est suspendu, dans ses fonctions, pendant le sommeil, et qu'alors il ne dirige plus les mouve- ments que la portion libre du fluide nerveux peut éprouver ; qu'il peut être, aussi, interrompu et trou blé dans ses fonctions, pendant l’état de veille ; enfin, qu'il est le produit, d’une part, du sentiment d’exis- tence de l'individu, et, de l’autre part, de l’harmc- nie qui existe dans les parties du système nerveux, laquelle est cause que les portions libres du fluide subtil des nerfs communiquent ensemble et sont susceptibles d’éprouver un ébranlement général. Il me paraït aussi très-évident, d’après le même exposé, que la sensibilité morale ne diffère de la sensibilité physique qu'en ce que la première ré- sulte uniquement des émotions provoquées par des actes de l'intelligence, tandis que la deuxième n’est produite que par les émotions qu'excitent les sensa- tions et les besoins qui en procurent. Ces considérations, si elles sont fondées, me pa- raissent établir des vérités qu'il nous serait alors du plus grand intérêt de reconnaître, car, outre qu'elles seraient propres à redresser nos erreurs, relativement aux phénomenes de la vie et de Porga- nisation, ainsi qu'aux facultés auxquelles ces phé- nomènes donnent lieu, elles mettraient un terme au merveilleux créé par notre imagination, et elles nous DU SENTIMENT INTÉRIEUR 275 donneraient une idée plus juste et plus grande du supréme Auteur de tout ce quiexiste, en nous mon— trant la voie simple qu'il a prise pour opérer tous les prodiges dont nous sommes témoins. Ainsi, le sentiment intime d'existence qu'éprou- vent les animaux qui jouissent de la faculté de sentir, mais qui ne sont doués d'aucune intelligence, leur procure en même temps une puissance intérieure qui n’agit que par des émotions que l’harmonie du système nerveux la met dans le cas de pouvoir éprouver, et qui leur fait exécuter des actions sans le concours d'aucune volonté de leur part. Mais ceux des animaux qui joignent à la faculté de sentir celle de pouvoir exécuter des actes d'intelligence, ont cet avantage sur les premiers, que leur puissance intérieure, source de leurs actions, est susceptible de recevoir les émotions qui la font agir, tantôt par les sensations que produisent des impressions inté— rieures et des besoins ressentis, et tantôt par une volonté qui, quoique plus ou moins dépendante, est toujours la suite de quelque acte d'intelligence. Nous allons maintenant considérer plus particu- lièrement encore cette puissance intérieure et singu- lière qui donne aux animaux qui la possedent, la faculté d'agir : le chapitre suivant, qui y est des- tiné, peut être considéré comme un complément de celui-ci. CHAPITRE EMN DE LA FORCE PRODUCTRICE DES ACTIONS DES ANIMAUX, ET DE QUELQUES FAITS PARTICULIERS QUI RÉSULTENT DE L'EMPLOI DE CETTE FORCE Les animaux, indépendamment de leurs mouve- ments organiques et des fonctions essentielles à la vie que leurs organes exécutent, font encore des mouvements et des actions dont il importe extrème- ment de déterminer la cause. On sait que les végétaux peuvent satisfaire à leurs besoins sans se déplacer et sans exécuter aucun mouvement subit : la raison en est que tout végétal. convenablement situé, trouve dans les mieux envi- ronnants les matières dont il a besoin pour se nour- rir ; de sorte qu'il n’a qu'à les absorber et recevoir les influences de certaines d’entre elles. Il n’en est pas de mème des animaux : car, à l'exception des-plus imparfaits, qui commencent la chaine animale, les aliments qui servent à leur DE LA FORCE PRODUCTRICE 201 subsistance ne se trouvent pas toujours à leur por- tée, et ils sont obligés, pour se les procurer, d’exé- cuter des mouvements et des actions. D'ailleurs, la plupart d’entre eux ont, en outre, d’autres besoins à satisfaire, qui exigent aussi, de leur part, d’autres mouvements et d’autres actions. Or, il s'agissait de reconnaitre la source où les animaux puisent cette faculté de mouvoir plus ou moins subitement leurs parties, en un mot, d’exé- euter les actions diverses au moyen desquelles ils satisfont à leurs besoins. . Je remarquai, d’abord, que toute action était un mouvement, et que tout mouvement qui commence provenait nécessairement d’une cause qui avait le pouvoir de le produire : l’objet recherché se rédui- sait donc à déterminer la nature et l'origine de cette cause. Alors, considérant que les mouvements des ani maux qui exécutent quelque action ne sont nulle- ment communiqués où transmis, mais qu'ils sont simplement excités, leur cause me parut se dévoiler de la maniere la plus claire et la plus évidente; et je fus convaincu qu'ils étaient réellement, dans tous les cas, le produit d’une puissance quelconque qui les excitait. En effet, dans certains animaux, l’action muscu- laire est une force tres-suffisante pour produire de pareils mouvements, et l’influence nerveuse suffit aussi complétement pour exciter cette action. Or, 278 DE LA FORCE PRODUCTRICE ayant reconnu que, dans les animaux qui jouissent de la sensibilité physique, les émotions du sentiment intérieur constituaient la puissance qui envoie le fluide excitateur aux muscles, le problème, à l'égard de ces animaux, me parut résolu ; et quant aux ani- maux tellement imparfaits qu'ils ne peuvent jouir de la sensibilité physique, comme ils sont irritables dans leurs parties, autant et même plus que les au- tres, des excitations qui leur parviennent de lexté- rieur, suffisent évidemment pour lexécution des mouvements qu'on leur voit produire. Voilà, selon moi, l’éclaircissement d’un mystere qui semblait devoir être si difficile à pénétrer ; et cet éclaireissement ne me paraît point reposer sur de simples hypothèses : car, relativement aux animaux sensibles, la puissance musculaire et la nécessité de l'influence nerveuse pour exciter cette puissance ne sont point des objets hypothétiques; et les émotions du sentiment intérieur, que J'ai considérées comme des causes capables d'envoyer aux muscles, qui dé- pendent de l'individu, le fluide propre à exciter leur action, me paraissent trop évidentes pour qu'il soit possible de les regarder comme conjecturales. Maintenant, si l’on considere attentivement tous les animaux qui existent, ainsi que l’état de leur organisation, la consistance de leurs parties, et les différentes circonstances dans lesquelles ils se trou- vent, il sera difficile de ne pas reconnaître que, relativement aux plus imparfaits d’entre eux, qui ne DES ACTIONS DES ANIMAUX 219 peuvent avoir de système nerveux, et, conséquem- ment, ne peuvent s’aider de l’action musculaire pour leurs mouvements et leurs actions, ceux de ces mou- vements qu’on leur voit produire naissent d’une force qui est hors d'eux, c’est-à-dire que ne possedent point ces animaux, et qui n’est nullement à leur disposition. A la vérité, c’est dans l’intérieur de ces corps délicats que les fluides subtils , qui y arrivent du dehors, produisent les agitations que leurs parties en reçoivent ; mais il n’en est pas moins impossible à ces êtres frèles, par suite de leur faible consis- tance et de l’extrème mollesse de leurs parties, de posséder en eux-mêmes aucune puissance capable de produire les mouvements qu’ils exécutent. Ge n'est que par un effet de leur organisation que ces animaux imparfaits régularisent les agitations qu'ils reçoivent, et auxquelles ils ne sauraient donner lieu. | La nature ayant opéré peu à peu et graduelle- ment ses diverses productions, et créé successive ment les différents organes des animaux, variant la conformation et la situation de ces organes, selon les circonstances, et perfectionnant progressivement leurs facultés, on sent qu'elle a dù commencer par emprunter du dehors, c’est-a-dire des milieux envi- ronnants, la force productrice, soit des mouvements organiques , soit de ceux des parties extérieures ; qu'ensuite elle a transporté cette force dans lani- 280 DE LA FORCE PRODUCTRICE mal même; et qu’enfin, dans les animaux les plus parfaits, elle est parvenue à mettre une grande partie de cette force intérieure à leur disposition ; ce que je montrerai bientôt. Si lon n’a point égard à la considération de cet ordre graduel qu'a suivi la nature, dans la création des différentes facultés animales , je crois qu’il sera difficile d'expliquer comment elle a pu donner l’exis- tence au sentiment, et que l’on concevra plus diffi- cilement encore comment de simples relations entre différentes matières peuvent donner lieu à la pensée. Nous venons de voir que les animaux qui ne pos- sédent pas encore de système nerveux ne pouvaient avoir en eux-mêmes la force productrice de leurs mouvements, et que cette force leur était étrangere. Or, le sentiment intime d'existence étantabsolument nul chez ces animaux, et ce sentiment étant la source de cette puissance intérieure, sans laquelle les mou- vements et les actions de ceux qui la possedent ne sauraient se produire; sa privation, et par conséquent celle de la puissance qui en résulte, nécessitent, pour les animaux dont il s’agit, l'existence d’une force excitatrice de tout mouvement quelconque, provenant uniquement de causes extérieures. Ainsi, dans les animaux imparfaits, la force qui produit, soit les mouvements vitaux, soit les mou- vements du corps ou de ses différentes parties, est entièrement hors de ces animaux : ils ne le ré- DES ACTIONS DES ANIMAUX 281 gissent mème pas ; mais ils régularisent plus ou moins, comme je lai dit plus haut , les mouvements qu'elle leur imprime, et cela, par le moyen de la disposition intérieure de leurs parties. Cette force est le résultat de fluides subtils (tels que le calorique, Vélectricilé et peut-être d'autres encore) qui, des milieux environnants, pénètrent sans cesse ces animaux, mettent en mouvement les fluides visibles et contenus de ces corps, et excitant l'irritabilité de leurs parties contenantes, donnent lieu alors -aux divers monvements de contraction qu'on leur voit produire. Or, ces fluides subtils, pénétrant et se mouvant sans cesse dans l’intérieur de ces corps, se frayent bientôt des voies particulières, qu'ils suivent tou- jours jusqu'à ce que de nouvelles leur soient ou- vertes. De là, l’origine des mêmes sortes de mouve- ments qui se remarquent dans ces animaux, dont ces fluides constituent le moteur, et de là, encore, l'apparence d’un penchant irrésistible qui les con- traint d'exécuter ces mouvements qui, par leur continuité où leurs répétitions, donnent lieu à des habitudes. Comme de simples expositions de principes ne suffisent pas, essayons d’éclaircir les considérations qui les établissent. Les animaux les plus imparfaits, tels que les infusoires, et surtout les monardes, ne se nourris- sent qu'au moyen d’absorptions, qui s’exécutent par 282 DE LA FORCE PRODUCTRICE les pores de leur peau, et par une imbibition inté- rieure des matières absorbées. Ils n’ont point la faculté de pouvoir chercher leur nourriture, ils n’ont pas même celle de s’en saisir, mais ils labsor- bent, parce qu’elle se trouve en contact avec tous les points de leur individu , et que l’eau, dans laquelle ils vivent, la leur fournit suffisamment. Ces frèles animaux , en qui les fluides subtils de milieux environnants constituent la cause stimulante de l'orgasme, de l’irritabilité et des mouvements organiques, exécutent, ainsi que je lai dit, des mouvements de contraction qui, provoqués et variés sans cesse par cette cause stimulante , facilitent et hâtent les absorptions dont je viens de parler. Or, dans ces animaux , les mouvements des fluides visi- bles et contenus étant encore tres-lents, les matières absorbées réparent à mesure les pertes qu'ils font par les suites de la vie, et en outre, servent à l'accroissement de l'individu. J'ai dit que les fluides subtils, qui pénetrent et se meuvent dans l’intérieur de ces corps vivants, se frayant des voies particulières, qu'ils contimuaient de suivre, commençaient à établir des mouvements de mêmesorte, lesquels donnent lieu, conséquemment, à des habitudes. Maintenant, si l’on fait réflexion que l'organisation se développe avec la contmuité de la vie, on concevra que de nouvelles voies ont dû se frayer, se multiplier, et se diversifier progressive- ment, pour faciliter l'exécution des mouvements de DES ACTIONS DES ANIMAUX 283 contraction ; et que les habitudes, auxquelles ces mouvements donnent lieu, devenant alors entrai- nantes et irrésistibles, doivent se diversifier pareil- lement. Telle est, selon moi, la cause des mouvements des animaux les plus imparfaits; mouvements que nous sommes portés à leur attribuer et à regarder comme le résultat de facultés qu’ils possèdent, parce que, dans d’autres animaux, nous en apercevons la source en eux-mêmes ; mouvements, en un mot, qui S’exé- cuteut sans volonté et sans aucune participation de l'individu, et qui, néanmoins, de très-irréguliers qu'ils sont dans les plus imparfaits de ces corps vivants, se régularisent progressivement, et devien- nent constamment les mêmes dans les animaux de même espece. Enfin, la reproduction transmettant aux individus les formes acquises, tant intérieures qu'extérieures, elle leur transmet aussi, en même temps, l'aptitude exclusive aux mêmes sortes de mouvements, et par conséquent, aux mêmes habitudes. DU TRANSPORT DE LA FORGE PRODUCTRIGE DES MOUVEMENTS DANS L'INTÉRIEUR DES ANIMAUX Si la nature s’en était tenue à l'emploi de son pre- mier moyen, c’est-à-dire d’une force entierement extérieure et étrangère à l’animal, son ouvrage fût resté très-imparfait; les animaux n’eussent été que 281 DE LA FORCE PRODUCTRICE des machines totalement passives, etelle n’eût jamais donné lieu, dans aucun de ces corps vivants, aux admirables phénomènes de la sensibilité, du senti- ment intime d'existence qui en résulte, de la puis- sance d'agir, enfin, des idées, au moyen desquelles elle pût créer le plus étonnant de tous, celui de la pensée, en un mot, l'intelligence. Mais, voulant parvenir à ces grands résultats, elle en a insensiblement préparé les moyens, en don- nant graduellement de la consistance aux parties intérieures des animaux, en y diversifiant les orga- nes, et en y multipliant et composant davantage les fluides contenus, etc.; dés lors, elle a pu trans- porter dans l’intérieur de ces animaux, cette force productrice des mouvements et des actions, qu'à la vérité ils ne dominérent pas d’abord, mais qu’elle parvint à mettre, en grande partie, à leur disposi- sition, lorsque leur organisation fut tres-perfec- tionnée. En effet, dès que l’organisation animale fut assez avancée dans sa composition, pour pouvoir posséder un système nerveux déja un peu développé, comme dans les insectes, les animaux, munis de cette orga- nisation, furent doués du sentiment intime de leur existence, et dès lors la force productrice des mou- vements fut transportée dans l’intérieur même de l'animal. J'ai déjà fait voir, effectivement, que cette force intérieure qui produit les mouvements et les actions : DES ACTIONS DES ANIMAUX 285 prenait sa source dans le sentiment intime d’exis- tence que possedent les animaux qui ont un système nerveux, et que ce sentiment, sollicité où ému par les besoins, mettait alors en mouvement le fluide subtil contenu dans les nerfs, et en envoyait aux muscles qui doivent agir; ce qui produit les actions que les besoins exigent. Or, tout besoin ressenti produit une émotion dans le sentiment intérieur de l'individu qui Féprouve ; et de cette émotion du sentiment dont il s’agit, naît la force qui donne lieu au mouvement des parties qui doivent être mises en action; ce que j'ai mis en évidence, lorsque j'ai montré la communication et l'harmonie qui existent dans toutes les parties du système nerveux, et comment le sentiment intérieur, lorsqu'il est ému, pouvait exciter l’action muscu- laire. Ainsi, dans les animaux qui onten eux-mêmes la puissance d'agir, c’'est-a-dire la force productrice des mouvements et des actions, le sentiment inté- rieur qui, dans chaque occasion, fait naître cette force, étant excité par un besoin quelconque, met en action la puissance ou la force dont il s’agit, excite des mouvements de déplacement dans le fluide subtil des nerfs, que les anciens nommerent esprits antinaux, dirige ce fluide vers celui des organes que quelque besoin oblige d'agir, enfin, fait refiuer ce même fluide dans ses réservoirs habituels, lors— que les besoins n’exigent plus que l’organe agisse. 286 DE LA FORCE PRODUCTRICE Le sentiment intérieur tient lieu alors de volonté ; car il importe maintenant de considérer que tout animal qui ne possède pas l’organe spécial dans lequel, ou au moyen duquel, s’exécutent les pensées, les jugements, etc., n’a point réellement de volonté, ne choisit point, et, conséquemment, ne peut dominer les mouvements que son sentiment intime excite. L'instinct dirige ces mouvements, et nous verrons que cette direction résulte toujours des émo- tions du sentiment intérieur, auxquelles lintelli- gence n’a point de part, et de l’organisation même que les habitudes ont modifiée ; en sorte que les be- soins des animaux qui sont dans ce cas, étant néces- sairement bornés et toujours les mêmes, dans les mêmes espèces, le sentiment intime, et par suite, la puissance d'agir produisent toujours les mêmes actions. Il n’en est pas de même des animaux dans les- quels la nature est parvenue à ajouter au système nerveux un organe spécial (deux hémisphères plissés couronnant le cerveau) pour l'exécution des actes de l'intelligence, et qui, par conséquent, exécutent des comparaisons, des jugements, des pensées, etc. Ces mêmes animaux dominent plus ou moins leur puis- sance d'agir, selon le perfectionnement de leur or- gane d'intelligence ; et quoiqu'ils soient encore for- tement assujettis aux produits de leurs habitudes, qui ont modifié leur organisation, ils jouissent d’une volonté plus ou moins libre, peuvent choisir, et ont DES ACTIONS DES ANIMAUX 287 la faculté de varier leurs actions, où au moins plu- sieurs d’entre elles. Maintenant, nous allons dire un mot de la con- sommation qui se fait du fluide nerveux, à mesure que ce fluide concourt à la production des actions animales. DE LA CONSOMMATION ET DE L'ÉPUISEMENT DU FLUIDE NERVEUX DANS LA PRODUCTION DES ACTIONS ANIMALES Le fluide nerveux, mis en mouvement par le sen- timent intérieur de l'animal, est tellement alors l'instrument producteur des actions de ce corps vivant, qu'il se consume à mesure qu'ilagit, et qu'il finirait par s’épuiser et par être dans limpossibilité de produire l’action à laquelle il fournissait, si la volonté de lindividu exigeait qu'il continuât de la produire. Or, tout le fluide nerveux qui se forme sans cesse, pendant la vie d’un animal qui possede un système d'organisation approprié, se Consume €on— tinuellement par l'emploi qu'en fait individu. Une partie de ce fluide est constamment employée, sans la participation de la volonté de l'animal, à l'entretien de ses mouvements vitaux et des fonc tions de ceux de ses organes qui sont essentiels à sa vie. L'autre partie du même fluide, dont l’individu peut disposer, sert, soit à la production de ses actions ou 285 DE LA FORCE PRODUCTRICE de ses mouvements, soit à l'exécution de ses diflé- rents actes d'intelligence. Ainsi, dans lemploi du fluide invisible dont il s’agit, individu en consume proportionnellement à la durée de laction qu'il lui fait produire, ou à l'effort qu'exige cette action ; et il en épuiserait la portion dont il peut disposer, s'il continuait trop longtemps de suite des actions qui en consument beaucoup. De là le besoin que la nature fait naître en lui de se livrer au repos apres un certain temps d'action : il tombe alors dans le sommeil, et le fuide épuisé s'étant réparé pendant ce repos, cetindividu retrouve des forces en s’éveillant. La consommation des forces et, par conséquent, du fluide nerveux qui en est la source, se rend donc évidente dans toutes les actions trop prolongées, ou dans celles qui sont pénibles, et que pour cela l’on nomme /aligantes. Si vous marchez trop longtemps de suite, vous vous fatiguez au bout d’un temps relatif à l’état de vos forces ; si vous courez, vous vous fatiguez beau— coup plus tôt encore, parce que vous dissipez alors plus promptement et plus abondamment le principe de vos forces; enfin, si vous prenez un poids de quinze ou vingt livres, et que, le bras étendu et ho- rizontal, vous le souteniez dans cette situation, dans le premier instant de cette action, vous y trouverez assez de facilité, parce que vous aurez de quoi y DES ACTIONS DES ANIMAUX 289 fournir, mais consumant alors promptement le prin- cipe qui vous fait agir, bientôt ce poids vous sem blera plus lourd, plus difficile à soutenir, et en peu de temps vous vous trouverez hors d'état de conti- nuer cette action. Votre organisation sera cependant toujours la mème ; Car si on l’examinait, on ne trouverait au— cune différence entre son état, au premier instant de l’action que je viens de citer, et celui qu’elle offrirait au moment où vous cessez de pouvoir sou= tenir le poids en question. Qui ne voit que, dans cet état, la différence qui existe réellement entre les deux instants (le premier et le dernier) de l’action citée, ne consiste que dans la dissipation d’un fluide invisible, dont on ne sau- rait S'apercevoir, par suite des moyens bornés qui sont à notre disposition ? Certes, la consommation et, à la fin, l'épuisement du fluide subtil des nerfs, dans les actions trop pro- longées où trop pénibles, ne seront jamais solide- ment contestés, parce que la raison et les phéno- mènes organiques leur donnent la plus grande évidence. Quoiqu'il soit vrai qu'une partie du fluide nerveux d'un animal est constamment employée, sans sa par ticipation, à l'entretien de ses mouvements vitaux et des fonctions de ceux de ses organes qui sont essentiels à son existence, cependant, lorsque lin- dividu consume abondamment la portion de ce fluide LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. Ai) 290 DE LA FORCE PRODUCTRICE dont il disposait pour ses actions, il nuit alors à l’in- tégrité des fonctions de ses organes vitaux. En effet, dans cette circonstance, la portion non disponible du fluide nerveux fournit à la réparation du fluide dis- ponible qui a été dissipé. Or, cette portion, trop diminuée par cette cause, ne fournit plus qu'incom- plétement aux opérations des organes vitaux, et dés lors les fonctions de ces organes languissent, en quelque sorte, et ne s’exécutent qu'imparfaitement. L'homme qui tient aux animaux, par son organi- sation, est principalement dans le cas d’altérer ses forces physiques de cette manière ; car, de toutes ses actions, celles qui consument le plus de son fluide nerveux, sont les actes trop prolongés de son enten- dement, ses pensées, ses méditations, en un mot, les travaux soutenus de son intelligence. Alors ses digestions languissent, deviennent plus imparfaites, et ses forces physiques s’altèrent proportionnelle- ment. La considération de la consommation qui se fait du fluide nerveux, dans les mouvements et les ac- tions des animaux, est trop bien connue pour qu'il soit nécessaire de m’étendre davantage sur ce sujet; mais je dirai qu'elle seule suffirait pour convaincre de l'existence de ce fluide, dans les animaux les plus parfaits, si beaucoup d’autres encore ne concouraient à la mettre en évidence. DES ACTIONS DES ANIMAUX 291 DE L'ORIGINE DU PENCHANT AUX MÊMES ACTIONS ET DE CELLE DE L'INSTINCT DES ANIMAUX La cause du phénomène connu, qui contraint pres- que tous les animaux à exécuter toujours les mêmes actions, et celle qui fait naître dans l’homme même un penchant à répéter toute action devenue habi- tuelle, méritent assurément d’être recherchées. Si les principes exposés dans cet ouvrage sont réellement fondés, alors les causes dont il s’agit s’en déduiront facilement et même tres-simplement; en sorte que des phénomènes quise présentaient à nous comme autant de mystères, cesseront de nous éton- ner, quand nous aurons reconnu la simplicité de celles qui les ont produits. Voyons donc, d’après les principes que nous avons ci-dessus énoncés, ce qui peut avoir lieu à l’égard des phénomènes dont il est ici question. Dans toute action, le fluide des nerfs qui la pro- voque, subit un mouvement de déplacement qui y donne lieu. Or, lorsque cette action a été plusieurs fois répétée, il n’est pas douteux que le fluide qui Pa exécutée, ne se soit frayé une route, qui lui devient alors d'autant plus facile à parcourir, qu'il l’a effec- tivement plus souvent franchie, et qu'il n'ait lui- mème une aptitude plus grande à suivre cette route frayée, que celles qui le sont moins. Combien ce principe simple et fécond ne nous 292 DE LA FORCE PRODUCTRICE fournit-il pas de lumières sur le pouvoir bien connu des habitudes, pouvoir auquel l’homme mème ne peut se soustraire qu'avec beaucoup de peine, et qu'à l’aide du perfectionnement de son intelligence ! Qui ne sent alors que le pouvoir des habitudes sur les actions doit être d'autant plus grand, que l'individu que l’on considère est moins doué d’intel- ligence, et a moins, par conséquent, la faculté de penser, de réfléchir, de combiner ses idées, en un mot, de varier ses actions. Les animaux qui ne sont que sensibles, c'est-a- dire, qui ne possédent pas encore l'organe dans lequel se produisent les comparaisons entre les idées, ainsi que les pensées, les raisonnements et les différents actes qui constituent l'intelligence, n’ont que des perceptions souvent très-confuses, ne raisonnent point, et ne peuvent presque point varier leurs ac— tions. Ils sont donc constamment assujettis au pou- voir des habitudes. Ainsi, les 2nsectes, qui sont de tous les animaux qui possèdent le sentiment, ceux qui ont le système nerveux le moins perfectionné, éprouvent des per- ceptions des objets qui les affectent, et semblent avoir de la mémoire au moyen du produit de ces perceptions, lorsqu'elles sont répétées. Néanmoins, ils ne sauraient varier leurs actions et changer leurs habitudes, parce qu'ils ne possedent pas l'organe dont les actes pourraient leur en donner les moyens. DES ACTIONS DES ANIMAUX 293 DE L'INSTINCT DES ANIMAUX On a nommé #nstinct, l'ensemble des détermina- tions des animaux dans leurs actions; et bien des personnes ont pensé que ces déterminations étaient le produit d’uu choix raisonné et par conséquent le fruit de l'expérience. D’autres, dit Cabanis, peuvent penser, avec les observateurs de tous les siecles, que plusieurs de ces déterminations ne sauraient être rapportées à aucune sorte de raisonnement, et que, sans cesser pour cela d’avoir leur source dans la sensibilité physique, elles se forment le plus sou- vent sans que la volonté des individus y puisse avoir d'autre part que d'en mieux diriger l'exécution. Il fallait dire, sans que la volonté y puisse avoir aucune part, car, lorsqu'elle n’y donne point lieu, elle n’en dirige pas même l'exécution. Si l’on eût considéré que tous les animaux qui jouissent de la faculté de sentir, ont leur sentiment intérieur susceptible d’être ému par leurs besoins, et que les mouvements de leur fluide nerveux, qui résultent de ces émotions, sont constamment dirigés par ce sentiment intérieur et par les habitudes, alors on eût senti que, daus tous ceux de ces ani- maux qui sont privés des facultés de l'intelligence, toutes les déterminations d'action ne pouvaient Jamais être le produit d’un choix raisonné, d’un 294 DE LA FORCE PRODUCTRICE jugement quelconque, de l'expérience mise à profit, en un mot, d’une volonté, mais qu’elles étaient assu- jetties à des besoins que certaines sensations exci- tent, et qui réveillent des penchants qui les entrai- nent. Dans les animaux mêmes qui jouissent de la faculté d'exécuter quelques actes de l'intelligence, ce sont encore , le plus souvent, le sentiment inté- rieur et les penchants nés des habitudes qui déci- dent, sans choix, les actions que ces animaux exécu- tent. Enfin, quoique la puissance exécutrice des mou— vements et des actions, ainsi que la cause qui les dirige, soient uniquement intérieures, ilne faut pas, comme on l’a fait ‘, borner à des impressions inté- rieures la cause première ou provocatrice de ces actes , dans l'intention de restreindre à des impres- sions extérieures, celle qui provoque les actes de l'intelligence ; car, pour peu que l’on consulte les faits qui concernent ces considérations, on a lieu de se convaincre que, de part et d'autre, les causes qui émeuvent et provoquent aux actions sont tantôt inté- rieures et tantôt extérieures, et néanmoins, que ces mèmes causes donnent lieu réellement à des impres- sions qui n’agissent toutes qu'intérieurement. D'après l’idée commune et à peu près générale que l’on attache au mot 2nsfinct, on a considéré la 1 Richerand, PAysiol., vol. Il; p. 151. DES ACTIONS DES ANIMAUX 295 faculté que ce mot exprime comme un flambeau qui éclaire et guide les animaux dans leurs actions , et qui est, à leur égard, ce que la raison est pour nous. Personne n’a montré que l'instinct pût être une force qui fait agir, que cette force le fait, effectivement, sans aucune participation de la vo- lonté, et qu’elle se trouve constamment dirigée par des penchants acquis. L'opinion de Cabanis, que l'instinct naît des im pressions intérieures, tandis que le raisonnement est le produit des sensations extérieures, ne saurait être fondée. C’est en nous-mêmes que nous sentons ; nos impressions ne peuvent être qu'intérieures ; et les sensations, que nos sens particuliers nous font éprouver de la part des objets extérieurs, ne peuvent produire en nous que des impressions intérieures. Lorsqu’à la promenade, mon chien aperçoit de loin un animal de son espèce, il éprouve assurément une sensation que cet objet extérieur lui procure par l'entremise du sens de la vue. Aussitôt, son senti- ment intérieur, ému par limpression qu'il recoit, dirige son fluide nerveux dans le sens d’un penchant acquis dans tous les individus de sa race, et alors, par une sorte d’impulsion involontaire, son premier mouvement le porte à s’avancer vers le chien qu'il aperçoit. Voila un acte d’instinct excité par un objet extérieur ; et mille autres de même nature peuvent pareillement s’exécuter. Relativement à ces phénomènes, dont l’organi- 296 DE LA FORCE PRODUCTRICE sation animale nous offre tant d'exemples , il me semble qu'on ne se formera une idée juste et claire de leur cause, que lorsqu'on aura reconnu : 1° que le senhiment intérieur est un sentiment général très-puissant, qui a la faculté d’exciter et de diriger les mouvements de la portion libre du fluide ner- veux et de faire exécuter à l'animal différentes actions ; 2° que ce sentiment intérieur est suscep— tible de s’émouvoir, tantôt par des actes d’intelli- gence, qui se terminent par une volonté d'agir, et tantôt par des sensations qui amènent des besoins, qui l’excitent immédiatement et le mettent dans le cas de diriger la force productrice des actions dans le sens de tel penchant acquis, sans le concours d'aucun acte de volonté. Il y a donc deux sortes de causes qui peuvent émouvoir le sentiment intérieur, savoir : celles qui dépendent des opérations de l'intelligence, et celles qui, sans en provenir, l’excitent immédiatement, et le forcent de diriger sa puissance d'agir dans le sens des penchants acquis. Ce sont uniquement les causes de cette dernière sorte, qui constituent tous les actes de l’instinct, et comme ces actes ne sont point le produit d’une déli- bération, d’un choix, d’un jugement quelconque, les actions qui en proviennent, satisfont toujours, sûre- ment et sans erreur, aux besoins ressentis et aux penchants nés des habitudes. Ainsi, l’énstinct, dans les animaux, est un pen- DES ACTIONS DES ANIMAUX 297 chant qui entraine, que des sensations provoquent en faisant naître des besoins, et qui fait exécuter des actions , sans la participation d'aucun pensée, ni d'aucun acte de volonté. Ce penchant tient à l’organisation que les habi- tudes ont modifiée en sa faveur, et il est excité par des impressions et des besoins qui émeuvent le sen- timent intérieur de l'individu et le mettent dans le cas d'envoyer, dans le sens qu'exige le penchant en activité, du fluide nerveux aux muscles qui doivent agir. J'ai déjà dit que l'habitude d'exercer tel organe, ou telle partie du corps, pour satisfaire à des besoins qui renaissent souvent, donnait au fluide subtil qui se déplace, lorsque s'opère la puissance qui fait agir, une si grande facilité à se diriger vers cet organe, où il fut si souvent employé, que cette habitude de- venaiten quelque sorte inhérente à la nature de l’in- dividu, qui ne saurait être libre d’en changer. Or, les besoins des animaux qui possédent un système nerveux étant, pour chacun, selon l’orga- nisation de ces corps vivants : l° De prendre telle sorte de nourriture ; 2" De se livrer à la fécondation sexuelle que sol- licitent en eux certaines sensations ; 3° De fuir la douleur ; 4° De chercher le plaisir ou le bien-être. Is contractent, pour satisfaire à ces besoins, diverses sortes d'habitudes qui se transforment, en 298 DE LA FORCE PRODUCTRICE eux, en autant de penchants auxquels ils ne peuvent résister, et qu'ils ne peuvent changer eux-mêmes. De là l’origine de leurs actions habituelles et de leurs inclinations particulières, auxquelles on a donné le nom d’instinet *. Ce penchant des animaux à la conservation des habitudes et au renouvellement des actions qui en proviennent, étant une fois acquis, se propage en- suite dans les individus, par la voie de la reproduc- tion ou de la génération, qui conserve l’organisation et la disposition des parties dans leur état obtenu ; en sorte que ce même penchant existe déja dans les nouveaux individus, avant même qu'ils laient exercé. C'est ainsi que les mêmes habitudes et le même instinct se perpétuent de générations en généra- tions, dans les différentes espèces ou races d’ani- maux, sans offrir de variation notable, tant qu'il ne survient pas de mutation dans les circonstances essentielles à la manière de vivre. 1 De même que tous les animaux ne jouissent pas de la faculté d'exécuter des actes de volonté, de même pareillement l'instinct n'est pas le propre de tous les animaux qui existent, car ceux qui manquent de système nerveux, manquent aussi de sentiment intérieur, et ne sau- raieut avoir aucun instinct pour leurs actions. Ces animaux imparfaits sont entierement passifs, n'opérent rien par eux-mêmes, ne ressentent aucun besoin, et la nature, à leur égard, pourvoit à tout, comme elle le fait relativement aux végétaux. Or, comme ils sont irritables dans leurs parties, les moyens que la nature emploie pour les faire subsister, leur font exécuter des mouvements que nous nommons des actions. DES ACTIONS DES ANIMAUX 29 «© DE L’INDUSTRIE DE CERTAINS ANIMAUX Dans les animaux qui n’ont point d’organe spécial pour l'intelligence, ce que nous nommons #rdustrie à l'égard de certaines de leurs actions ne saurait mériter un nom semblable, car ce n’est que par illusion qu'a cet égard nous leur attribuons une faculté qu’ils n’ont pas. Des penchants transmis et reçus par la généra- tion, des habitudes d'exécuter des actions compli- quées et qui résultent de ces penchants acquis, enfin des difficultés différentes vaincues à mesure et habi- tuellement par autant d'émotions du sentiment inté- rieur, constituent l'ensemble des actions toujours les mêmes dans les individus de la même race, auquel nous donnons inconsidérément le nom d'industrie. L'instinct des animaux se composant de l’habi- tude de satisfaire aux quatre sortes de besoins men- tionnés ci-dessus, et résultant de penchants acquis depuis longtemps qui les y entraînent d’une manière déterminée pour chaque espèce, il est arrivé, pour plusieurs, qu'une complication dans les actions qui peuvent satisfaire à ces quatre sortes de besoins, où à certains d’entre eux, et surtout que des difficultés diverses qu'il a fallu vaincre, ont forcé peu à peu l'animal à étendre et à composer ses moyens, et l'ont conduit, sans choix et sans aucun acte d’intel- ligence, mais par les seules émotions du sentiment intérieur, à exécuter telles et telles actions. 300 DE LA FORCE PRODUCTRICE De là l’origine, dans certains animaux, de diverses actions compliquées, que l’on a qualifiées d’indus- trie, et qu'on ne s’est point lassé d'admirer avec enthousiasme, parce qu'on a toujours supposé, au moins tacitement, que ces actions étaient combinées et réfléchies, ce qui est une erreur évidente. Elles sont tres-simplement le fruit d'une nécessité qui a étendu et dirigé les habitudes des animaux qui les exécutent, et qui les rend telles que nous les obser- vons. Ce que je viens de dire est surtout fondé pour les animaux sans vertèbres, en qui aucun acte d’intel- ligence ne peut s’exécuter. Aucun de ces animaux ne saurait, en effet, varier librement ses actions ; aucun d'eux n’a le pouvoir d'abandonner ce qu’on nomme son #2dustrie, pour faire usage de celle d’un autre. Il n’y à donc pas plus de merveille dans l’irdus- trie prétendue du fourmi-lion (#2yrmeleon formica leo) qui, ayant préparé un cône de sable mobile, attend qu'une proie entraînée dans le fond de cet entonnoir, par l’éboulement du sable, devienne sa victime ; qu'il n’y en a dans la manœuvre de l'huitre qui, pour satisfaire à tous ses besoins, ne fait qu’en- tr'ouvrir et refermer sa coquille. Tant que leur organisation ne sera pas changée, ils feront toujours l’un et l’autre ce qu'on leur voit faire, et ils ne le feront ni par volonté, ni par raisonnement. Ce n’est que dans les animaux à vertebres, et, DES ACTIONS DES ANIMAUX 301 parmi eux, c’est surtont dans les oiseaux et les mam- miferes qu'on peut observer, à l'égard de leurs ac tions, des traits d’une véritable industrie, parce que, dans les cas difficiles, leur intelligence, malgré leur penchant aux habitudes, peut les aider à varier leurs actions. Ces traits, néanmoins, ne sont pas communs, et ce n'est guëre que dans certaines races qui s’y sont plus exercées, qu’on a des occasions fréquentes de les remarquer. Examinons actuellement ce qui constitue cet acte qui détermine à agir, et auquel on a donné le nom de volonté, et voyons s’il est effectivement le principe de toutes les actions des animaux, comme on la pensé. CHAPITRE VI DE LA VOLONTEÉE Je me propose de prouver, dans ce chapitre, que la volonté, qu'on a regardée comme la source de toute action, dans les animaux, ne peut avoir d’exis- tence que dans ceux qui jouissent d’un organe spé- cial pour l’intelligence, et qu’en outre, à l'égard de ces derniers, ainsi qu’à celui de l’homme mème, elle n'est pas toujours le principe des actions qu’ils exé- cutent. Si l’on y donne quelque attention, on reconnaitra, effectivement, que la solonté est le résultat immé- diat d’un acte d'intelligence, car elle est toujours la suite d’un jugement, et par conséquent d’une idée, d’une pensée, d’une comparaison, ou d'un choix, que ce jugement détermine ; enfin, l’on sen- tira que la faculté de vouloir n’est autre chose que celle de se déterminer par la pensée, c’est-à-dire DE LA VOLONTÉ 303 par une opération de l'organe de lentendement, à une action quelconque, et de pouvoir exciter une émotion du sentiment interieur, capable de produire cette action. Ainsi, la volonté est une détermination à une ac- “ton, opérée par l'intelligence de l'individu : elle résulte toujours d'un jugement, et ce jugement lui mème provient nécessairement d’une idée, d’une pensée, ou de quelque impression qui donne lieu à l’idée ou à la pensée dont il s’agit, en sorte que c’est uniquement par un acte de l'intelligence que la volonté, qui détermine un individu à une action, peut se former. Mais si la volonté n’est autre chose qu’une déter- mination qui s'opère à la suite d’un jugement, et conséquemment, que le résultat d’un acte intellec- tuel, il sera donc alors évident que les animaux, qui n'ont pas un organe pour l'intelligence, ne sau- raient exécuter des actes de volonté. Cependant ces animaux agissent, c’est-à-dire exécutent tous, en général, des mouvements qui constituent leurs ac- tions. Il y a donc plusieurs sources différentes dans lesquelles les actions des animaux puisent les moyens qui les produisent. Or, les mouvements de tous les animaux étant excités et non communiqués, les causes, excitatrices de ces mouvements, doivent différer entre elles. En effet, on a vu que, dans certains animaux, ces causes provenaient uniquement de l'extérieur, c’est-à-dire 304 DE LA VOLONTÉ des mieux environnants qui les fournissent ; tandis que, dans les autres, le sentiment intérieur, que possèdent ces derniers, était un moteur suffisant pour produire les mouvements qui doivent s’exé- cuter. Mais le sentiment intérieur, qui ne devient une puissance que lorsqu'il a été ému par une cause physique, recoit ses émotions par deux voies fort différentes : dans les animaux qui manquent de lor- gane nécessaire à la formation des actes de volonté, le sentiment intérieur ne peut s’émouvoir que par la voie des sensations ; tandis que, dans ceux qui ont un organe pour l'intelligence, les émotions de ce sentiment sont, tantôt le résultat unique des sensations qu'éprouvent ces animaux, et tantôt celui d’une volonté qu'une opération de l’entendement fait naître. Gr, voila trois sources distinctes pour les actions des animaux ; savoir : 1° les causes extérieures qui viennent exciter l’irritabilité de ces êtres; 2° le sen- timent intérieur que des sensations émeuvent; 3° enfin, le même sentiment recevant ses émotions de la volonté. Les actions ou les mouvements, qui proviennent de la premiere de ces trois sources, s’opèrent sans la voie des muscles ; car le système musculaire n'existe pas dans les animaux en qui on les observe ; et lors- qu'il commence à se former, les excitations du de- hors suppléent encore au sentiment intérieur qui n’a DE LA VOLONTÉ 505 pas d'existence; mais les actions, où les mouve- ments, qu prennent leur origine dans les émotions du sentiment intérieur de l'individu, ne s’exécutent que par lintermédiaire des muscles qu'excite le fluide nerveux. Ainsi, lorsque la volonté détermine un individu à une action quelconque, le sentiment intérieur en reçoit aussitôt une émotion, et les mouvements qui en résultent se dirigent de maniere que, dans l’ins- tant même, le fluide nerveux est envoyé aux muscles qui doivent agir. Quant aux animaux qui, doués de la sensibilité physique, ne possèdent point d’organe pour l’intel- ligence, et qui, conséquemment, ne peuvent exécuter aucun acte de volonté, chacun de leurs besoins ré- sulte toujours d’une sensation quelconque, c’est-à- dire d’une perception qui le fait ressentir, et non d’une idée, ni d’un jugement ; et ce besoin, ou cette perception, émeut immédiatement le sentiment inté- rieur de l'individu. Il suit de là que ces animaux, avant d'agir, ne déliberent point, ne jugent point et n'ont aucune détermination préalable à exécuter. Leur sentiment intérieur, directement ému par le besoin, et ensuite dirigé, dans ses mouvements, par la nature mème de ce besoin, met aussitôt en action les parties qui doivent se mouvoir. Donc, les actions qui proviennent de cette source ne sont pas précé- dées par une volonté réelle. Mais, ce qui est ici une nécessité pour les ani- LAMARCK, FHIL. ZOOL. II. 20 306 DE LA VOLONTÉ maux dont il vient d’être question a lieu aussi, le plus souvent, dans ceux qui sont doués des facultés de l'intelligence ; car presque tous les besoins de ces derniers, provenant de sensations qui réveillent certaines habitudes, émeuvent immédiatement le sentiment intérieur, et mettent ces animaux dans le cas d'agir avant d'y avoir pensé. L’homme mème exécute aussi des actions qui ont une semblable ori- gine, lorsque les besoins qui les provoquent sont pressants. Par exemple, si, par distraction, vous prenez pour quelque usage un morceau de fer, qui, contre votre attente, se trouve très-chaud, la dou- leur que vous fait éprouver la chaleur de ce fer émeut aussitôt votre sentiment intérieur, et avant d'avoir pu penser à ce que vous devez faire, l’action des muscles, qui vous fait quitter ce fer chaud que vous teniez, est déjà exécutée. Il suit, des considérations que je viens d'exposer, que les actions qui s’exécutent à la suite des besoins que provoquent des sensations, lesquelles émeuvent immédiatement le sentiment intérieur de l'individu, ne sont nullement le résultat d'aucune pensée, d’au- cun jugement, et conséquemment d'aucun acte de volonté, tandis que celles qui s’opérent à la suite des besoins, que provoquent des idées où des pen- sées, sont uniquement le résultat de ces actes d’in- telligence qui émeuvent aussi immédiatement le sentiment intérieur, et mettent l'individu dans le cas d'agir par une volonté évidente. DE LA VOLONTÉ 307 Cette distinction entre les actions dont la cause, immédiatement déterminante, prend sa source dans quelque sensation, et celles qui résultent d’une dé- termination exécutée par un jugement, en un mot, par un acte d'intelligence, est d’une grande impor- tance pour éviter la confusion et l'erreur, lorsque nous considérons ces admirables phénomènes de l'organisation. C’est parce qu'on ne lavait pas faite, qu'on a attribué généralement aux animaux une volonté pour l'exécution de leurs actions ; en sorte que, se fondant sur ce qui est relatif à l'homme et aux animaux les plus parfaits, dans la définition qu'on a donnée des animaux en général, on a sup- posé qu'ils avaient tous la faculté de se mouvoir vo lontairement, ce quin’est pas, même pour ceux qui possèdent un système nerveux, et à plus forte rai- son pour ceux qui en sont dépourvus. Assurément, les animaux qui n’ont pas de système nerveux ne sauralent jouir de la faculté de vouloir, c’est-à-dire ne sauraient exécuter aucune détermi- nation, aucun acte de volonté; bien loin de cela, ils ne peuvent avoir même le sentiment de leur existence : les #nfusoires et les polypes sont dans ce cas. Ceux qui ont un système nerveux capable de leur donner la faculté de sentir, mais qui manquent d’hypocéphale, c’est-à-dire d’organe spécial pour l'intelligence, jouissent, à la vérité, d’un sentiment intérieur, source de leurs actions, et il se forme en eux des perceptions confuses des objets qui les affec- 308 DE LA VOLONTÉ tent; mais ils n’ont point d'idées, ne pensent point, ne comparent point, ne jugent point, et conséquem- ment n’exécutent aucun acte de volonté. On a lieu de croire que les #nsectes, les arachnides, les crus- tacés, les annelides, les cirrhipèdes et mème les inollusques, se trouvent dans ce second cas. Le sentiment intérieur, ému par quelque besoin, est la source de toutes les actions de ces animaux. Ils agissent sans délibération, sans détermination préalable, et toujours dans l’unique direction que le besoin leur imprime; et lorsque, en agissant, un obstacle quelconque les arrête, s'ils l’évitent, s’en détournent, et semblent choisir, c’est qu'alors un nouveau besoin émeut encore leur sentiment inté- rieur. Aussi, leur nouvelle action ne résulte ni de combinaison d'idées, ni de comparaison entre les objets, ni d’un jugement qui les détermine, puisque ces animaux ne sauraient former aucune des opéra- tions de l’intelligence, n’ayant pas l’organe qui peut les effectuer ; enfin, cette nouvelle action est en eux la suite de quelque émotion de leur sentiment intérieur. Il n'y a donc que les animaux qui, outre un système nerveux, possédent encore l'organe spécial dans lequel s’exécutent des idées complexes, des pensées, des comparaisons, des jugements, etc., qui jouissent de la faculté de vouloir, et qui puissent exécuter des actes de volonté. C’est apparemment le.cas des animaux à vertèbres : et puisque les DE LA VOLONTÉ 309 poissons et les reptiles ont encore un cerveau telle ment imparfait qu'il ne peut remplir entièrement la cavité du crâne, ce qui indique que leurs actes d'intelligence sont extrêmement bornés, c’est au moins dans les oiseaux et les mammifères, qu'on doit reconnaître la faculté de vouloir, ainsi que la jouissance d’une volonté déterminatrice de plusieurs des actions de ces animaux ; car ils exécutent évi- demment différents actes d'intelligence, et ils ont effectivement l'organe particulier qui les rend capa- bles de les produire. Mais, j'ai déjà fait voir que, dans les animaux qui possèdent un organe spécial pour l'intelligence, toutes les actions ne résultaient pas exclusivement d’une volonté, c'est-à-dire d’une détermination in- tellectuelle et préalable, qui excite la force qui les produit. Certaines d’entre elles sont, à la vérité, le produit de la faculté de vouloir, mais beaucoup d’autres ne proviennent que de émotion directe du sentiment intérieur, qu'excitent des besoins subits, et qui fait exécuter à ces animaux des actions qu'au- cune détermination , par la. pensée, ne précède en aucune manière. Dans l’homme même, que d’actions sont unique- ment provoquées, et aussitôt exécutées, par la sim ple émotion du sentiment intérieur, et sans la par- ticipation de la volonté! Enfin, n'est-ce pas à de premiers mouvements, non maitrisés, qu'une multi- tude de ces actions doivent leur origine; et ces 310 DE LA VOLONTÉ premiers mouvements, que sont-ils, si ce ne sont les résultats du sentiment intérieur ? S'il n’y a point, ainsi que je l’ai dit plus haut, de volonté réelle dans les animaux quipossedent un sys- teme nerveux, mais qui sont dépourvus d’un organe pour l'intelligence, ce qui est cause que ces animaux n’agissent que par les émotions que des sensations produisent en eux, il y en a bien moins encore dans ceux qui sont privés de nerfs. Aussi paraît-il que ces derniers ne se meuvent que par leur irritabilité excitée, et que par l'effet immédiat des excitations extérieures. On conçoit, d’après ce que je viens d'exposer, que lorsque la nature fut parvenue à transporter, dans l’intérieur des animaux , la puissance d’agir, c'est-à-dire à créer, au moyen du système nerveux, ce sentiment intérieur, Source de la force qui fait produire les actions, elle perfectionna ensuite son ouvrage, en créant une seconde puissance intérieure, celle de la volonté, qui naït des actes de l’intelli- gence, et qui seule peut réussir à faire varier les actions habituelles. La nature n’eut besoin, pour cela, que d’ajouter au système nerveux un nouvel organe, celui dans lequel s’exécutent les actes de l’intelligence, et que de séparer du foyer des sensations, on des percep- tions, l'organe où se forment les idées, les compa- raisons, les jugements, les raisonnements, en un ot, les pensées. DE LA VOLONTÉ 311 Ainsi, dans les animaux les plus parfaits, la moelle épinière sert ou fournit au mouvement mus- culaire des parties du corps, et à l’entretien des fonctions vitales; tandis que le foyer des sensations, au lieu d’être placé dans l’étendue ou dans quelque point isolé de cette moelle épinière, se trouve évi- demment concentré à son extrémité supérieure ou antérieure , dans la partie inférieure du cerveau. Ce foyer des sensations est conséquemment tres-rap- proché de l'organe dans lequel s’exécutent les diffé- rents actes de l'intelligence, sans être néanmoins confondu avec lui. L'organisation animale étant parvenue au terme de perfectionnement qui y fait exister un organe pour les actes d'intelligence, les individus qui pos- sèdent cette organisation ont des idées simples et peuvent s’en former de complexes, ils jouissent d’une volonté, libre en apparence, qui détermine certaines de leurs actions, ils ont des passions, c’est-à-dire des penchants exaltés qui les entrainent vers certains ordres d'idées et d'actions qu'ils ne maitrisent point, enfin, ils sont doués de mémoire et ont la faculté de se rendre présentes des idées déja tracées dans leur organe, ce qui s'exécute au moyen du fluide nerveux qui repasse et s’agite sur les impressions ou les traces subsistantes de ces idées. On sent que des agitations désordonnées du fluide nerveux sur les traces dont il s’agit, sont les causes 312 DE LA VOLONTÉE des songes que font souvent pendant leur sommeil les animaux capables d’avoir des idées. Les animaux qui ont de l'intelligence, font néan- moins la plupart de leurs actions par instinct et par habitude, et à ces égards, ils ne se trompent jamais ; et lorsqu'ils agissent par volonté, c'est-à-dire à la suite d’un jugement, ils ne se trompent pas encore ou du moins très-rarement, parce que les éléments qui entrent dans leurs jugements sont en petit nombre, et qu'en général, ils leur sont fournis par les sen- sations, et surtout, parce que, dans une même race, il n’y a point d’inégalité dans l'intelligence et dans les idées des individus. Il suit de là que leurs actes de volonté sont des déterminations qui les font tou- jours satisfaire sans erreur aux besoins qui les émeuvent. On a dit, d’après cela, que linstinct pour les animaux était un flambeau qui les éclai- rait mieux que notre raison. Le vrai est que, moins libres que nous de varier leurs actions, plus assujettis à leurs habitudes, les animaux ne trouvent dans leur instinct qu'une né- cessité qui les entraine, et dans leurs actes de o- lonté qu'une cause, dont les éléments non variables, non modifiés, très-peu compliqués, et toujours les mêmes dans tous les individus d’une même race, a dans tous une puissance et une étendue égales dans les mêmes cas. Enfin, comme il ne se trouve, entre les individus de la même espèce, aucune inégalilé dans les facultés intellectuelles, leurs jugements sur DE LA VOLONTÉ 313 les mêmes objets, et leur volonté d'agir, qui peut résulter de ces jugements, sont des causes qui leur font exécuter, à très-peu près, les mêmes actions’ dans les mêmes circonstances. Je terminerai ces vues sur les sources et les ré- sultats de la volonté, par quelques considérations relatives à la même faculté dans l’homme; et l’on va voir que les choses sont bien différentes à son égard, de celles que nous venons d’examiner dans les animaux, car, quoiqu'il paraisse beaucoup plus libre qu'eux dans ses actes de volonté, il ne l’est effectivement pas, et cependant, par une cause que je vais tâcher de faire sentir, les individus de son espèce agissent très-différemment les uns des autres dans des circonstances semblables. La volonté dépendant toujours d’un jugement quel- conque, n'est jamais véritablement libre, car le ju- gement qui y donne lieu est, comme le quotient d’une opération arithmétique, un résultat nécessaire de l’ensemble des éléments qui l'ont formé. Mais l’acte même qui constitue un Jugement doit varier dans ses produits, selon les individus, par la raison que les éléments qui entrent dans la formation de ce juge- ment, sont dans le cas d’être fort différents dans chaque individu qui exécute. En effet, il entre, en général, tant d’éléments divers dans la formation de nos jugements, il s’en trouve tant qui sont étrangers à ceux qu'il faudrait employer, et, parmi ceux dont on devrait faire 314 DE LA VOLONTÉ usage, il y en à tant qui sont inaperçus ou rejetés par des préventions, ou, enfin, qui sont, soit altérés, soit changés, par notre disposition, notre santé, notre âge, notre sexe, nos habitudes, nos penchants, l’état de nos lumières, etc., que ces éléments ren- dent le jugement que l’on porte sur un même sujet, fort différent, selon les individus. Nos jugements, dépendant de tant de particularités inappréciables et tres-difficiles à reconnaitre, ont fait croire que nous étions libres dans nos déterminations, quoique nous ne le soyons réellement pas, puisque les juge- ments qui les produisent ne le sont pas eux-mêmes. La diversité de nos jugements est si remarquable, qu'il arrive souvent qu’un objet considéré donne lieu à autant de jugements particuliers qu'il y a de personnes qui entreprennent de prononcer à son égard. On a pris cette variation pour une liberté dans la détermination, et l’on s’est trompé, elle n’est que le résultat des éléments divers qui, pour chaque personne, entrent dans le jugement exécuté. Il y a cependant des objets si simples dans leurs qualités, et qui présentent si peu de faces différentes à considérer, qu'on est à peu près généralement d'accord sur le jugement qu’on en porte. Mais, ces objets se réduisent presque uniquement à ceux qui sont hors de nous, et qui ne nous sont connus que par les sensations qu'ils excitent ou qu'ils ont excitées sur nos sens. Nos jugements, à leur égard, n’ont guère d'autres éléments à employer que ceux que les sen- DE LA VOLONTÉ 315 sations nous fournissent, et que les comparaisons que nous en formons avec les autres corps qui nous sont connus. Enfin, pour les jugements dont il s’agit, notre entendement n’a que très-peu d'opérations à exécuter. Il résulte de l'énorme multitude de causes diver- ses, qui changent où modifient les éléments que nous faisons entrer dans la formation de nos juge- ments, surtout de ceux qui exigent différentes opé- rations de l'intelligence, que, le plus souvent, ces jugements sont erronés, manquent de justesse, et que, par une suite de l’inégalité qui se trouve entre les facultés intellectuelles des individus, ces mêmes jugements sont, en général, aussi variés que les personnes qui les forment, les éléments que chacun y apporte n'étant pas les mêmes. Il en résulte, en outre, que les désordres de ces actes d'intelligence en entraînent nécessairement dans ceux qui Cons— tituent nos volontés, et par suite, dans nos actions. Si l’objet que j'ai en vue dans cetouvrage ne me retenait dans des bornes que je ne veux pas franchir, je pourrais faire des applications nombreuses qui établiraient encore mieux le fondement de ces con- sidérations ; J'aurais même à ces égards des remar- ques à faire qui ne seraient pas sans intérêt. Par exemple, je pourrais montrer que, tandis que l’homme retire de ses facultés intellectuelles, bien développées, de très-grands avantages, lespèce humaine, considérée en général, en éprouve en #6 DE LA VOLONTE même temps des inconvénients considérables ; car ces facultés donnant autant de facilité et autant de moyens pour exécuter le mal que pour faire le bien, leur résultat général est toujours au désavantage des individus qui exercent le moins leur intelli- gence, ce qui est nécessairement le cas du plus grand nombre. Alors, on sentirait que le mal, à cet égard, réside principalement dans l’extrème 27éqa- lité d'intelligence des individus, mégalité qu'il est impossible de détruire entièrement. Néanmoins, on reconnaîtrait mieux encore que ce qu'il importerait le plus pour le perfectionnement et le bonheur de l’homme, serait de diminuer le plus possible cette énorme inégalité, parce qu’elle est la source de la plupart des maux auxquels elle lexpose. Maintenant nous allons essayer de reconnaître les causes physiques des actes de l’entendement : nous tâcherons du moins de déterminer les conditions exigées de l’organisation pour que ces admirables phénomènes puissent se produire. CHAPITRE VII DE L’ENTENDEMENT, DE SON ORIGINE, ET DE CELLE DES IDÉES Voici le sujet le plus curieux, le plus intéressant, et à la fois le plus difficile dont l’homme puisse s’occuper dans ses études de la nature, celui où il lui importerait beaucoup d’avoir des connaissances positives, et celui cependant qui semble Jui offrir le moins de moyens pour en acquérir de pareilles. Il s’agit de savoir comment des causes purement physiques, et par conséquent de simples relations entre différentes sortes de matières, peuvent pro duire ce que nous nommons des idées, comment avec des idées simples ou directes, ces relations peuvent former des idées complexes, en un mot, comment, avec des idées de quelque genre que ce soit, ces mêmes relations peuvent donner lieu à des facultés aussi étonnantes que celles de penser, de juger, d'analyser et de raisonner. LS DE L'ENTENDEMENT ; Il semble qu'il faille être plus que téméraire pour entreprendre une pareille recherche et pour se flatter de trouver la source de ces merveilles dans les moyens qui sont à la disposition de la nature. Assurément, je n'ai pas la présomption de croire que j'ai découvert les causes de ces prodiges ; mais, persuadé que tous les actes d'intelligence sont des phénomènes naturels, et par conséquent que ces actes prennent leur source dans des causes unique- ment physiques, puisque les animaux les plus parfaits jouissent de la faculté d’en produire, j'ai pensé qu'an moyen de beaucoup d'observations, d'attention et de patience, on pourrait, surtout par la voie de lnduc- tion, parvenir à se former des idées d’un grand poids sur ce sujet important ; voici lesmiennes à son égard. Sous la dénomination d’entendement où d'intelh- gence, je comprends toutes les facultés intellec- tuelles connues, telles que celles de pouvoir se former des idées de différents ordres, de comparer, de juger, de penser, d'analyser, de raisonner, enfin, de se rappeler des idées acquises, ainsi que des pen- sées et des raisonnements déjà exécutés, ce qui cons— titue la mémoire. Toutes les facultés que je viens d'indiquer résul- tent mdubitablement d'actes particuliers à lPorgane de l'intelligence, et chacun de ces actes est néces- sairement le produit des relations qui ont lieu entre l'organe dont il s’agit et le fluide nerveux qui se meut alors dans cet organe. DE L'ENTENDEMENT 319 L’organe spécial dont il est question, auquel j'ai donné le nom d’ypocéphale, se trouve constitué par deux hémisphères plissés et pulpeux, qui enve- loppent ou recouvrent cette partie médullaire que je nomme particulièrement cerveau, laquelle contient le foyer ou centre de rapport du système sensitif, et donne naissance aux nerfs des sens particuliers ; le cervelet n’en est qu'une dépendance. Ainsi, cette partie (le cerveau proprement dit auquel le cervelet appartient) et l’ypocéphale sont deux objets très-distincts, surtout par la nature des fonctions de ces organes, quoique l’on soit dans l'usage de les confondre ensemble sous le nom commun de cerveau où dencéphale. Or, cest uniquement dans les fonctions de lhypocéphale que je vais rechercher les causes physiques des différentes facultés de l'intelligence, parce que cet organe est le seul qui ait le pouvoir d'y donner lieu. La diversité réelle, mais difficile à reconnaître, des parties de l'organe dont il est question, et celle des mouvements du fluide subtil que contient cet organe, sont donc la source unique où les différents actes intellectuels cités puisent leurs moyens d’exé- cution. Telle est l’idée générale que je me propose de développer succinctement. Avant tout, et pour mettre de l’ordre dans les considérations qui concernent ce sujet, il est néces- saire de poser ou de rappeler les deux principes sui- 320 DE L’ENTENDEMENT vants, parce qu'ils constituent les bases de tout sentiment admissible à cet égard. Premier principe : tous les actes intellectuels quelconques prennent naissance dans les #dées, soit dans celles que l’on acquiert dans l’instant même, soit dans celles déjà acquises, car, dans ces actes, il s’agit toujours des idées ou de rapports entre des idées, où d'opérations sur des idées. Second principe : toute idée quelconque est origi- naire d’uné sensation, c’est-à-dire en provient directement ou indirectement. De ces deux principes, le premier se trouve plei- nement confirmé par l'examen de ce que sont réel- lement les différents actes de l’entendement ; et en effet, dans tous ces actes, ce sont toujours les idées qui sont le sujet ou les matériaux des opérations qui les constituent. Le second de ces principes avait été reconnu par les anciens, et on le trouve parfaitement exprimé par cet axiome dont Locke ensuite nous a montré le fondement , savoir : qu'il n'y a rien dans l’enten- dement qui n'ait été auparavant dans la sen- salion. Il suit de là que toute idée doit se résoudre, en dernière analyse, en une représentation sensible, et que, puisque tout ce qui est dans notre entende- ment y est venu par la voie de la sensation, tout ce qui en sort et qui ne peut trouver un objet sensible pour s’y rattacher, est absolument chimérique. Telle DE L'ENTENDEMENT 321 est la conséquence évidente qu'a déduite M. Naigeon, de l’axiome d’Aristote. On n’a cependant pas encore généralement admis cet axiome, car plusieurs personnes considérant certains faits dont elles n’apercurent point les causes pensérent qu'il y avait réellement des idées innées. Elles se persuaderent en trouver des preuves dans la considération de lenfant qui, peu d’instants après sa naissance, veut téter et semble rechercher le sein de sa mère, dont cependant il ne peut encore avoir Connaissance par des idées nouvellement ac- quises. À cette occasion, Je ne citerai pas le prétendu fait d’un chevreau qui, tiré du sein de sa mére, choisit le cytise, parmi plusieurs végétaux qui lui furent présentés. On sait assez que ce ne fut qu'une supposition qui n'a pu avoir de fondement. Lorsque lon reconnaitra que les habitudes sont la source des penchants, que l'exercice maintenu de ces penchants modifie l’organisation en leur faveur, et qu'alors ils sont transmis aux nouveaux individus par la génération, on sentira que l'enfant qui vient de naître peut, peu de temps après , vouloir téter, par le seul produit de l'instinct, et prendre le sein qu'on lui présente, sans en avoir la moindre idée, et sans exécuter pour cela aucune pensée, aucun juge - ment, ni aucun acte de volonté qui n’en peut êtr: que la suite, et que cet enfant ne fait cette action que uniquement par la légère émotion que le besoin donne à son sentiment intérieur, lequel le fait agir LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 21 77 DE L’ENTENDEMENT dans le sens d’un penchant tout acquis, quoiqu'il n’ait pas encore été exercé ; on sentira de même, que le petit canard qui sort de son œuf, s’il se trouve alors près de l’eau, y court laussitôt et nage à sa surface, sans en avoir aucune idée, et sans la connaître, cet animal n’exécutant point cette action par aucune délibération intellectuelle, mais par un penchant qui lui a été transmis, et que son sentiment intérieur lui fait exercer, sans que son intelligence y ait la plus petite part. Je reconnais donc comme un principe fondamen- tal, comme une vérité incontestable, qu'il n’y a point d'idées innées, et que toute idée quelconque provient, soit directement, soit indirectement, de sensations éprouvées et remarquées. Il résulte de cette considération, que l’organe de l'intelligence, étant le dernier perfectionnement que la nature ait donné aux animaux, ne peut exister que dans ceux qui possèdent déja la faculté de sentir. Aussi l'organe spécial dans lequel s’operent les idées, les jugements, les pensées, etc., ne com mence-t-il à se former que dans des animaux en qui le système des sensations est très-développé. Tous les actes intellectuels qui s’exécutent dans un individu, sont donc le produit de la réunion des causes suivantes, savoir : 1° De la faculté de sentir ; 2° De la possession d’un organe particulier pour l'intelligence ; DE L’ENTENDEMENT 323 3° De relations qui ont eu lieu entre cet organe et le fluide nerveux qui s’y meut diversement ; 4 Enfin, de ce que les résultats de ces relations se rapportent toujours au foyer des sensations, et par suite au sentiment intérieur de l'individu. Telle est la chaine qui se trouve partout en har- monie, et qui constitue la cause physique et com posée du plus admirable des phénomènes de la nature. Pour rejeter, par des motifs raisonnables, le fon- dement des considérations que je viens d'exposer, il faut pouvoir montrer que l'harmonie qui existe dans toutes les parties du système nerveux, n’est pas capable de produire des sensations et le sentiment intérieur de Pindividu, que les actes d'intelligence, tels que les pensées, les jugements, etc., ne sont pas des actes physiques et ne résultent pas immé- diatement de relations entre un fluide subtil agité et l'organe particulier qui contient ce fluide, enfin que les résultats de ces relations ne se rapportent point àce sentiment intérieur de l’individu. Or, comme les causes physiques qui viennent d’être citées sont les seules qui puissent donner lieu aux phénomènes de l'intelligence, si on nie existence de ces causes, et par conséquent, que les phénomènes qui en résultent soient naturels, alors on sera obligé de chercher hors de la nature une autre source pour les phénomènes en question. Il faudra suppléer aux causes physiques rejetées, par les idées fantas- 32 DE L'ENTENDEMENT tiques de notre imagination, idées toujours sans base, puisqu'il est de toute évidence que nous ne pouvons avoir aucune autre connaissance positive, que celle que nous puisons dans les objets mêmes que la nature présente à nos sens. Comme les merveilles que nous examinons et dont nous recherchons les causes, ont pour base les idées, que, dans les actes d'intelligence, il ne s’agit partout que des idées, et que d'opérations sur ces idées, avant d'examiner ce que sont les idées elles- mèmes, montrons le fil de la formation graduelle des organes qui donnent lieu, d’abord aux sensations et au sentiment intérieur, ensuite aux idées, et enfin, aux opérations qui s’exécutent sur elles. Les animaux très-imparfaits des premières classes, ne possèdant point de système nerveux, ne sont sim— plement qu'irritables, n’ont que des habitudes, n’éprouvent point de sensations et ne se forment jamais d'idées. Mais les animaux moins imparfaits, qui ont un système nerveux, et qui, cependant, ne possedent pas l'organe de l'intelligence, ont de l’ins- tinct, des habitudes et des penchants, éprouvent des sensations, et néanmoins ne se forment point encore d'idées. J’ose le dire, là où il n’y a pas d’organe pour une faculté, cette faculté ne peut exister. Or, s'il est maintenant reconnu que toute idée pr'ovienne originairement d’une sensation, ce qu'en effet on ne saurait solidement contester, je compte faire voir que, pour cela, toute sensation ne donne DE L’ENTENDEMENT 329 pas nécessairement une idée. Il faut que l'organi- sation soit parvenue à un état propre à favoriser la formation de l’idée, et qu'en outre, la sensation soit accompagnée d’un effort particulier de Pindividu, en un mot, d'un acte préparatoire qui rende l’organe spécial de l'intelligence capable de recevoir l'idée, c'est-à-dire des impressions qu'il conserve. En effet, s’il est vrai qu'en créant l’organisation, la nature la forma nécessairement dans sa plus grande simplicité, et qu'alors elle ne put avoir en vue de donner aux corps vivants d’autres facultés que celles de se nourrir et de se reproduire, ces corps qui recurent d'elle l’organisation et la vie, ne purent donc avoir d’autres organes que ceux qui sont nécessaires à la possession de la vie. Cela est confirmé par l’observation des animaux les plus imparfaits, tels que les #rfusorres et les polypes. Mais en compliquant ensuite l’organisation de ces premiers animaux , et créant, à l’aide de beaucoup de temps et d’une diversité infinie de circonstances, la multitude de formes différentes qui caractérisent ceux qui leur sont postérieurs , la nature à formé successivement les divers organes que possèdent les animaux et les différentes facultés auxquelles ces organes donnent lieu. Elle les a produits dans un ordre que j'ai déterminé (première partie, chapi- tre vi), et l’on a pu voir, d’après cet ordre, que l’Aypocéphale, que constituent les deux hémisphères plissés qui enveloppent ou recouvrent le cerveau, 326 DE L’ENTENDEMENT est le dernier organe qu’elle est parvenue à faire exister. Longtemps avant d’avoir créé l’hypocéphale, cet organe spécial pour la formation des idées et de toutes les opérations qui s’exécutent à leur égard, la nature avait établi, dans un grand nombre d’ani- maux, un système nerveux qui leur donnait la fa- culté d’exciter l’action des muscles, et ensuite celle de sentir et d'agir par les émotions de leur senti- ment intérieur. Or, pour y parvenir, quoiqu'elle eût multiplié et dispersé les foyers pour les mouve- ments musculaires, soit en établissant des ganglions séparés, soiten répandant ces foyers dans l'étendue d’une moelle longitudinale noueuse où d’une moelle épiniere, elle concentra dans un lieu particulier le foyer des sensations et le transporta dans une petite masse médullaire, qui fournit immédiatement les nerfs de quelques sens particuliers , et à laquelle on a donné le nom de cerveau. Ce ne fut donc qu'après avoir opéré ces divers perfectionnements du système nerveux, que la nature parvint à mettre la dernière main à son ouvrage, en créant, dans le plus grand voisinage du foyer des sensations, l’hypocéphale, cet organe particulier et si intéressant, dans lequel se gravent les idées, et où s’exécutent, à leur égard, toutes les opérations qui constituent l'intelligence. C’est uniquement de ces opérations dont nous allons nous occuper, et dont nous essayerons de DE L’ENTENDEMENT 327 déterminer les causes physiques les plus probables, en saisissant les inductions à l'égard des parties agissantes, et reconnaissant les conditions qu’exigent les fonctions de ces parties. Actuellement, examinons comment une idée peut se former, et dans quel cas une sensation peut la produire; considérons même, au moins en général, de quelle manière s’exécutent les actes de l’intelli- gence dans l’hypocéphale. Une particularité fort singulière, de laquelle cependant je ne puis douter, est que l'organe spé- cial dont 1l est maintenant question n’exerce jamais lui-même aucune action quelconque dans tous les actes où phénomènes auxquels il donne lieu, et qu'il ne fait constamment que recevoir et conserver plus où moins longtemps les images qui lui parviennent et toutes les impressions qui les gravent. Cet organe diffère, ainsi que le cerveau et les nerfs, de tous les autres organes du corps animal, en ce qu'il n’agit point, et qu'il ne fait que fournir au fluide nerveux qu'il contient les moyens d'exécuter les différents phénomènes auxquels ce fluide est propre. En effet, lorsque je considère l’extrème mollesse de la pulpe médullaire qui constitue les nerfs, le cerveau et son hypocéphale, je ne puis me persua- der que, dans les relations du flmide nerveux avec les parties médullaires dans lesquelles 1l se meut, ces dernières soient capables d'exercer la moindre action. Ces parties sont, sans doute, uniquement passives, 328 DE L’'ENTENDEMENT et hors d'état de réagir contre tout ce qui peut les affecter. Il en résulte que les parties médullaires, qui composent l’hypocéphale, recoivent et conser- vent les traces de toutes les impressions que le fluide nerveux, dans ses mouvements, vient leur impri- mer, en sorte que le seul corps qui agisse, dans les fonctions qu'exécute l’hypocéphale, est le fluide ner- veux lui-même, ou, pour m'exprimer plus exacte- ment, l'organe dont il s’agit n’exécute aucune fonc- tion, le fluide nerveux les opere toutes lui seul; mais ce fluide ne saurait nullement y donner lieu, sans l'existence de organe dans lequel il agit. Ici, l’on me demandera comment il est possible de concevoir qu'un fluide, quelque subtil et varié qu'il soit dans ses mouvements, puisse lui seul donner lieu à cette multitude étonnante d'actes et de phéno- mènes différents qui constituent l’immense étendue des facultés de l’intelligence. A cela je répondrai que la merveille considérée se trouve tout entière dans la composition même de l’hypocéphale. Cette masse médullaire qui constitue lhypocé- phale, c'est-à-dire les deux hémisphères plissés qui enveloppent ou recouvrent le cerveau, cette masse, dis-je, qui semble n'être qu'une pulpe dont les par- ties sont continues et cohérentes dans tous leurs points, se Compose, au contraire, d'une multitude inconcevable de parties distinctes et séparées, d’où résulte une quantité innombrable de cavités infini ment diversifiées entre elles par leur forme et leur DE L'ENTENDEMENT 320 grandeur, et qui paraissent distinguées par régions en nombre égal à celui des facultés intellectuelles de individu ; enfin, quel qu'en soit le mode, la com position de cet organe est encore différente dans chaque région, car c’est dans chacune d’elles que s’effectuent les actes de chaque faculté particulière de l'intelligence. L'examen de la partie blanche et médullaire de l’hypocéphale y a fait apercevoir des fibres nom breuses : or, il est probable que ces fibres ne sont pas, comme ailleurs, des organes de mouvement; leur consistance ne le permet pas : on a plus lieu de croire que ce sont autant de canaux particuliers qui abou- tissent chacun à une cavité qui serait en forme de cul-de-sac, si les cavités dont il s’agit ne commu niquaient entre elles par des voies latérales. Ces cavités, imperceptibles pour nous, sont innombrables comme les filets tubuleux qui y conduisent, et on peut présumer que c'est sur la paroi interne de cha- cune d’elles que se gravent les impressions que le fluide nerveux y apporte; peut-être y a-t-il aussi de petites lames ou des feuillets médullaires disposés pour le même objet. Ne pouvant savoir positivement ce qui se passe à ce sujet, je crois avoir atteint mon but en montrant ce qui est possible, ce qui est même vraisemblable : cela seul me suffit, L’admirable composition de l’hypocéphale, soit celle de l'ensemble de cet organe, soit celle de cha- 330 DE L’ENTENDEMENT cune de ses régions qui sont doubles, l’une sem— blable à autre dans chaque hémisphere, ne saurait ètre une supposition sans fondement, quoique nous manquions de moyens pour l’apercevoir et nous en assurer. Les phénomènes organiques qui constituent l'intelligence, et chacun de ces phénomènes exigeant dans l'organe un lieu particulier et, pour ainsi dire, un organe spécial dans lequel il puisse se produire, doivent nous donner la conviction morale qu’à l'égard de la composition de l'hypocéphale, les choses sont telles que je viens de les présenter. Assurément, les individus ne naissent point avec toutes les facultés mtellectuelles qu’ils peuvent avoir, car l’organe en qui s’exécutent les actes de l’intelli- gence est, comme tous les autres, d'autant plus sus- cepüble de se développer, qu'il est plus exercé. Il en est de même de chaque sorte particulière de fa- culté intellectuelle : les besoins ressentis, ou que l'individu se donne, la font naître dans la région de l'Aypocéphale qui peut en produire les actes ; et se- lon que ces actes sont plus fréquemment reproduits, l'organe spécial qui y est devenu propre se déve- loppe davantage et étend proportionnellement la fa- culté à laquelle il donne lieu. Il n’est donc pas vrai que chacune de nos facultés intellectuelles soit innée, et qu'il en soit de même de ceux de nos penchants qui dépendent de notre faculté de penser. Ces facultés et ces penchants s’accrois- sent et se fortifient à mesure que nous exercons da- DE L'ENTENDEMENT 331 vantage les organes qui en produisent les actes. Seulement, nous pouvons y apporter plus ou moins de dispositions avec l’état de l’organisation que nous recevons de ceux qui nous ont donné le jour : mais si nous n’exercions pas nous-mêmes ces facultés et ces penchants, nous en perdrions insensiblement l'aptitude. M. le docteur Gall ayant remarqué que, parmi les différents individus qu'il observait, les uns avaient telle faculté plus développée et plus éminente que les autres, concut l’idée de rechercher si telle partie de leur corps n'offrirait pas quelques signes exté- rieurs qui pussent faire reconnaitre cette faculté. Il ne paraît pas qu'il se soit occupé des facultés qui ne sont point relatives à l'intelligence, car elles lui auraient fourni quantité de preuves qui consta- tent que lorsqu'une partie fortement exercée acquiert une faculté très-éminente, cette partie en offre cons- tamment, dans sa forme, ses dimensions et sa vi- oueur, des signes évidents. On ne peut voir les ex- trémités postérieures et la queue d’un kanguroo, sans reconnaitre que ces parties, tres-employées, jouissent d’une grande force d'action, et sans re- trouver la même chose dans les cuisses postérieures des sauterelles, etc. On ne peut de même considé- rer le grand accroissement du nez de léléphant, transformé en une trompe énorme, sans reconnaitre que cet organe, continuellement exercé et servant de main à lanimal, a recu de cet emploi habituel 332 DE L’ENTENDEMENT les dimensions, la force et ladmirable souplesse qu'on lui connaît, etc., ete. Mais M. Gall paraît s’être attaché particulièrement à la recherche des signes extérieurs qui pourraient indiquer celles des facultés de l'intelligence qui se trouvent très-éminentes dans certains individus. Or, reconnaissant que toutes ces facultés sont le produit des fonctions de l’organe cérébral, il dirigea ses vues sur la connaissance de l’encéphale, et après plusieurs années de recherches, il acheva de se per- suader que celles de nos facultés intellectuelles qui sont très-développées et ont acquis un grand degré de perfectionnement, se font reconnaître par des signes extérieurs qui consistent en des saillies parti- culières de la boîte cérébrale. Assurément, M. Gall partait d’un principe qui, en lui-même, est très-fondé, car s’il est vrai, pour les parties du corps, que toutes celles qui sont forte- ment et constamment employées, acquièrent des développements etune énergie de faculté qui les dis- tinguent, ce que j'ai suffisamment prouvé dans le chapitre vir de la premiere partie, la même chose doit avoir lieu également pour l'organe de l’enten- dement en général, et même pour chacun des or- ganes particuliers qui le composent : cela est cer- tain et facile à démontrer d'apres quantité de faits reconnus. Ainsi, le principe d’où partait M. Gall est, sans contredit, tres-solide ; mais, d’après tout ce qui est DE L’ENTENDEMENT 333 publié sur la doctrine enseignée par ce savant, on a lieu de croire qu'il en a abusé dans la plupart des conséquences qu'il en a tirées. En effet, relativement aux organes particuliers qui entrent dans la composition des deux hémisphères du cerveau, et qui donnent lieu à chaque genre de faculté intellectuelle, le produit du principe que je viens de citer me paraît avoir beaucoup moins d’éten- due que M. Gall ne lui en suppose ; en sorte que ce ne peut être guëre que dans un très-petit nombre de cas extrèmes, que certaines facultés, qui auraient acquis un degré extraordinaire d’éminence, peuvent offrir des signes extérieurs non équivoques, propres à les indiquer. Alors, je ne serais nullement surpris qu'on eût découvert quelques-uns de ces signes, leur cause se trouvant réellement dans la nature. Mais, à l'égard de nos facultés intellectuelles, sortir des genres qui sont bien distincts, pour entrer dans une multitude de détails, pour embrasser les nuances mêmes qui lient ces facultés à leur genre propre, c'est, selon moi, anéantir par un abus trop ordinaire de l'imagination, la valeur de nos découvertes dans l'étude de la nature. Aussi, M. Gall ayant voulu trop prouver, le public, par une inconsidération contraire, a tout rejeté. Telle est la marche la plus ordinaire de l’esprit humain dans ses différents actes; des excés, des abus gâtent le plus souvent ce qu'il a su produire de bon. Les exceptions, à cet égard, ne sont l'apanage que d’un petit nombre de 334 DE L’ENTENDEMENT personnes qui, à l’aide d’une forte raison, savent limiter l’imagination qui tend à les entrainer. Considérer comme nés dans les individus de l'espèce humaine certains penchants devenus tout à fait dominants, ce n’est pas seulement une opinion dangereuse, c’est, en outre, une véritable erreur. On peut, sans doute, apporter en naissant des dispo- sitions particulières pour des penchants que les pa- rents transmettent par l’organisation, mais, certes, si l’on n’eût pas exercé fortement et habituellement les facultés que ces dispositions favorisent, l'organe particulier qui en exécute les actes ne se serait pas développé. A Ja vérité, chaque individu, depuis instant de sa naissance, se trouve dans un concours de circons- tances qui lui sont tout à fait particulières, qui con- tribuent, en très-grande partie, à le rendre ce qu'il est aux différentes époques de sa vie, et qui le met- tent dans le cas d'exercer ou de ne pas exercer telle des facultés, et telle des dispositions qu’il a apportées en naissant ; en sorte qu'on peut dire, en général, que nous n’avons qu'une part bien médiocre à l’état où nous nous trouvons dans le cours de notre exis- tence, et que nous devons nos goûts, nos penchants, nos habitudes, nos passions, nos facultés, nos con- naissances, même aux circonstances infiniment di- versifiées, mais particulières, dans lesquelles chacun de nous s’est rencontré. Des notre plus tendre enfance, tantôt ceux qui DE L'ENTENDEMENT 335 nous élevent, nous laissent entierement à la merci des circonstances qui nous entourent, où en font naitre, eux-mêmes, de tres-désavantageuses pour nous, par suite de leur manière d’être, de voir et de sentir ; ettantôt, par une faiblesse inconsidérée, nous gâtentet nous laissent prendre une multitude de dé- fauts et d’habitudes pernicieuses dont ils ne prévoient pas les suites. Ils rient de ce qu’ils appellent nos espiégleries, et plaisantent sur toutes nos sottises, supposant que, plus tard, ils changeront facilement nos inclinations vicieuses et nous corrigeront de nos défauts. On ne saurait imaginer combien sont grandes les influences de nos premieres habitudes et de nos pre- mières inclinations sur les penchants qui sont dans le cas de nous dominer un jour, et sur le caractere qui nous deviendra propre. L'organisation, tres- tendre dans notre premier âge, se plie et s’accom-— mode alors aux mouvements habituels que prend notre fluide nerveux dans tel ou tel sens particulier, selon que nos inclinations et nos habitudes lexer- cent dans telle direction. Or, cette organisation en acquiert une modification qui peut s’accroitre par des circonstances favorables, mais que celles qui lui deviennent contraires, n'effacent Jamais entière- ment. En vain, après notre enfance, fait-on des efforts pour diriger, par le moyen de l'éducation, nos incli- nations et nos actions vers tout ce qui peut nous ètre 330 DE L’ENTENDEMENT utile, en un mot, pour nous donner des principes, pour former notre raison, notre maniere de ju- œer, etc. Il se rencontre tant de circonstances si difficiles à maitriser, que chacun de nous, selon celles qui le concernent, se trouve en quelque sorte en- trainé, et acquiert insensiblement une maniere d'être, à laquelle il n’a eu lui-même qu'une très- petite part. Je ne dois pas entrer ici dans les nombreux dé- tails des circonstances qui forment, pour chaque individu, un ensemble très-particulier de causes influentes, mais je dois dire, parce que j'en suis con- vaincu, que tout ce qui influe à rendre habituelle telle de nosactions, modifie notre organisation inté- rieure en faveur de cette action ; en sorte que, par la suite, l’exécution de cette même action devient pour nous une sorte de nécessité. De toutes les parties de notre organisation, celle qui, la premiere, recoit des modifications des habi- tudes que nous prenons d'exercer tel genre de pen- sées ou d'idées, ainsi que les actions qu’elles entrai- nent, est notre organe d'intelligence. Or, selon la nature des idées ou des pensées qui nous occupent habituellement, c’est, nécessairement, la région particulière du mème organe, dans laquelle s’exé- cutent ces actes de notre entendement, qui reçoit ces modifications. Je le répète donc : cette région de notre organe intellectuel, continuant d’être forte- ment exercée, acquicrt des développements qui, à DE L’ENTENDEMENT 391 la fin, peuvent la faire remarquer par quelques signes extérieurs. Nous venons de considérer, sous le rapport de ses généralités principales, l'organe qui donne lieu à l'intelligence; nous allons maintenant passer à examen de ce qui concerne la formation des idées. FORMATION DES IDÉES Mon objet ici n’est pas d'entreprendre l'analyse des idées, non plus que de montrer comment ces idées se composent et s'étendent, en un mot, com ment, où par quelle voie, lentendement se perfec- tionne. Assez d'hommes célébres depuis Bacox, Locke et CONDILLAC, ont traité ces matieres et ont répandu sur elles le plus grand jour : ainsi Je ne m'en occuperai pas. Mon but, dans cet article, est seulement d’indi- quer par quelles causes physiques les idées peuvent se former, et de faire voir que les comparaisons, les jugements, les pensées, et toutes les opérations de l’entendement, sont aussi des actes physiques qui résultent des relations qu'ont entre elles certaines sortes de matieres en action, et qui s’exécutent dans un organe particulier qui a acquis graduellement la faculté de les produire. Tout ce que je vais exposer sur ce sujet important se trouve entièrement réduit à ce qui est vraisem- LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 22 338 DE L’'ENTENDEMENT blable. Tout y est le produit de l'imagination; mais ses efforts, à cet égard, ont été bornés par la néces- sité de n’admettre que des causes physiques com patibles avec les facultés connues des matières con- sidérées, en un mot, que des causes dont l'existence est possible, et même présumable. Enfin, relative ment aux actes physiques que je vaisessayer d’ana- lyser, comme rien de ce qui les concerne ne peut ètre aperçu, rien conséquemment ne peut être prouvé. Je dois prévenir que je distingue et que nous rece- vons réellement deux sortes d'idées, savoir : Les idées simples ou directes : Les idées complexes ou indirectes. J'appelle idées simples, toutes celles qui provien- nent directement et uniquement des sensations re- marquées, que des objets, soit hors de nous, soit en nous-mêmes, peuvent nous faire éprouver. Je nomme #dées complexes, toutes celles qui se forment en nous, à la suite de quelque opération de notre entendement, sur plusieurs idées déja acquises et qui conséquemment n’exigent pour se former aucune sensation directe. Les idées, quelles qu’elles soient , sont le résultat des images ou des traits particuliers d'objets qui nous ont affectés ; et cesimages ou ces traits ne deviennent des idées pour nous, que lorsque, ayant été tracés sur quelque partie de notre organe, le fluide nerveux agité, qui les traverse, en rapporte le produit à DE L’ENTENDEMENT 33) notre sentiment intérieur, qui nous en donne Ja conscience. Outre qu'il y a réellement deux sortes d'idées, relativement à leur origine, on doit encore distinguer celles qui nous sont rendues sensibles et qui sont à la fois accompagnées de la sensation qui les a pro- duites, de celles qui, pareillement présentes à notre conscience, ne sont plus réunies à la sensation. Je nomme les premières, idées physico-inorales, et les secondes, 2dées norales seulement. Les idées physico-morales sont claires, vives, nettement exprimées et se font ressentir avec la force que leur communique la sensation qui les accompagne. Ainsi, la vue d’un édifice ou de tout autre objet qui se trouve sous mes yeux, et auquel j0 donne de l’attention, fait naître en moi une idée ou plusieurs dont je suis vivement frappé. Au contraire, les idées #70rales, soit simples, soit complexes, c’est-à-dire celles dont nous n'avons la conscience qu'à la suite d’une opération de notre cntendement, excitée par notre sentiment intérieur, sont tres-obscures, faiblement exprimées , et n’ont aucune vivacité dans la manière dont elles nous affectent, quoiqu'elles nous émeuvent quelquefois. Ainsi, lorsque je me rappelle un objet que J'ai vu et remarqué, un jugement que j'ai porté, un raison- nement que j'ai fait, etc., l’idée ne m'en est rendue sensible que d’une maniere faible et obscure. Il faut donc bien se garder de confondre ce que 310 DE L'ENTENDEMENT nous éprouvons lorsque nous avons la conscience d’une idée quelconque, avec ce que nous ressentons lorsqu'une sensation nous affecte et que nous y don- nous de l'attention. Tout ce dont nous avons seulement la conscience ne nous parvient que par l'organe de l'intelligence , et tout ce qui nous fait éprouver la sensation ne s'exécute , d’abord , que par l'organe sensitif que nous possédons , et ensuite par l’idée que nous en recevons, si notre attention nous le fait remarquer. Ainsi , il est essentiel de distinguer le sentiment moral du sentiment physique, parce que lexpé- rience du passé nous apprend que, faute d’avoir fait cette distinction, des hommes du plus grand mérite, confondantles deux sentimentsdontil s’agit, ontétabli des raisonnements qu'il faut maintenant détruire. Sans doute, l’un et l’autre sentiment sont physi- ques, mais la différence des expressions que j’em- ploie pour les distinguer suffit à l’objet que j'ai en vue, et d’ailleurs, ce sont les expressions en usage. Je nomme sentiment moral, ce que nous ressen- tons lorsqu'une idée où une pensée, ou enfin un acte quelconque de notre entendement est rapporté à notre sentiment intérieur, et que par la nous en avons la conscience. Je nomme sentiment physique, ce que nous éprou- vons lorsque, par suite d’une impression faite sur tel de nos sens, nous ressentons une sensation quelcon- que, et que nous la remarquons. DE L'ENTENDEMENT 341 D’après ces définitions simples et claires, on doit voir que les deux objets dont il s’agit sont très-dif- férents l’un de l’autre, tant par la nature de leur source , que par celle des effets qu'ils produisent en nous. C’est cependant pour les avoir confondus, comme l'avait déjà fait Condillac, que M. de Tracy a dit : « Penser n’est que sentir, etsentir est, pour nous, la même chose qu'exister, car les sensations nous avertissent de notre existence. Les idées ou percep- tions sont des sensations proprement dites, ou des souvenirs, où des rapports que nous apercevons, ou bien, enfin, le désir que nous éprouvons à l’occasion de ces rapports : la faculté de penser se subdivise donc en sensibilité proprement dite, en mémoire, en jugement et en volonté. » On voit qu'il y a dans tout ceci une confusion évidente des sensations proprement dites, avec la conscience de nos idées, de nos pensées, de nos juge- ments, etc. C'est une pareille confusion du sentiment moral avec le sentiment physique, qui a fait croire que tout être qui possède la faculté de sentir, avait aussi celle d'exécuter des actes d'intelligence, ce qui, certainement, ne saurait être fondé. Les sensations nous avertissent, sans doute, de notre existence ; mais c’est seulement lorsque nous les remarquons. Il faut donc pouvoir les remarquer, c'est-à-dire y penser, y donner de l'attention, et voilà des actes d'intelligence. 342 DE L'ENTENDEMENT Ainsi, à l'égard de l’homme et des animaux les plus parfaits, les sensations remarquées avertissent de l’existence et donnent des idées; mais relative- ment aux animaux plus imparfaits, tels, par exem-— ple, que les 2nsecles, en qui je ne reconnais point d’organe pour l'intelligence, les sensations ne sau- raient être remarquées, ni donner des idées ; et elles ne peuvent former que de simples perceptions des objets qui affectent l'individu. L’insecte jouit cependant d’un sentiment intérieur susceptible d'émotions qui le font agir ; mais comme aucune idée n’y est rapportée, il ne peut remarquer son existence ; en un mot, il n’éprouve jamais de sentiment moral. C'est donc à l’égard de tout être doué d’intelli- gence, qu'il faut dire : penser, c’est sentir morale- ment, c’est avoir la conscience de ses idées, de ses pensées, et celle aussi de son existence; mais ce n'est point éprouver le sentiment physique qui est tout autre chose, puisque celui-ci est un produit du système des sensations, et que le premier en est un du système organique de l'intelligence. DES IDÉES SIMPLES Une idée siinple provenant d’une sensation que l’on éprouve de la part de quelque objet qui affecte l’un de nos sens, ne peut se former que lorsque la DE L'ENTENDEMENT 943 sensation dont il s’agit se remarque et que le résul- tat de cette sensation se trouve transporté dans l'organe de l'intelligence, et tracé ou gravé sur quel- que partie de cet organe ; ce résultat se rend sensible à l'individu parce qu'il est, dans l'instant même, rapporté à son sentiment intérieur. En effet, fout individu qui, jouissant de la faculté de sentir, possede un organe pour l'intelligence, re- coit aussitôt dans cet organe l'image ou les traits que la sensation d'un objet qui l’affecte occasionne, si organe dont il s'agit y est préparé par l’atten- tion. Or, ces traits ou cette image de l'objet qui l’a afiecté parviennent dans son hypocéphale par le moyen d’une seconde réaction du fluide nerveux qui, après avoir produit la sensation, porte dans Forgane intellectuel l’ébranlement particulier qu'il a reçu de cette sensation, y imprime sur quelque partie les traits caractéristiques de son mouvement, et, enfin, les rend sensibles à l'individu en reportant leur pro- duit à son sentiment intérieur. Les idées que l’on se forme en voyant, pour la premiere fois, une fusée volante, en entendant le rugissement d’un lion, et en touchant la pointe d’une aiguille, sont des 2dées simples. Or, les impressions que ces objets font sur nos sens excitent aussitôt, dans le fluide des nerfs qui les reçoivent, une agitation qui est particulière à chacune d'elles ; le mouvement se propage jusqu'au foyer des sensations ; tout le système y participe 314 DE L'ENTENDEMENT aussitôt; et la sensation se trouve produite par le mécanisme que J'ai déja exposé. Ainsi, dans le même instant, si notre attention en a préparé les voies, le fluide nerveux transporte l’image de l’objet, ou certains de ses traits, dans notre organe d'intelligence , y imprime cette image ou ces traits sur quelque partie de cet organe, et l’idée qu’il vient de tracer est aussitôt rapportée par lui à notre sentiment intérieur. De même que le fluide nerveux, par ses mouve- ments, est l'agent qui porte au foyer des sensations les impressions des objets extérieurs qui affectent nos sens, de même aussi ce fluide subtil est encore l'agent qui transporte du foyer des sensations dans l'organe de l'intelligence le produit de chaque sen- sation exécutée, qui y en trace les traits ou qui les y imprime par ses agitations, si l'attention y a préparé cet organe et qui en rapporte de suite le résultat au sentiment intérieur de l'individu. Ainsi, pour que les traits ou l’image de l’objet qui a causé la sensation puissent parvenir dans l'organe de l’entendement et ètre imprimés sur quelque partie de cet organe, il faut, premièrement, que l’acte qu'on nomme attention prépare l'organe à en rece- voir l'impression, ou que ce même acte ouvre la voie qui peut faire arriver le produit de cette sensation à l'organe sur lequel peuvent s’imprimer les traits de l'objet qui y a donné lieu : et pour qu’une idée quel- conque puisse parvenir ou être rappelée à la cons- DE L’'ENTENDEMENT 345 cience, il faut, à l’aide encore de l'attention, que le fluide nerveux en rapporte les traits au sentiment intérieur de l'individu, ce qui alors lui rend cette idée présente ou sensible !, et ce qui peut se répéter ainsi au gré de cet individu pendant un temps plus ou moins long. L’impression qui forme lidée se trace donc et se grave réellement sur l'organe, puisque la mé- moire peut la rappeler au gré de l'individu, et la lui rendre de nouveau sensible. Voilà, selon moi, le mécanisme probable de la for- mation des idées ; celui par lequel nous les rendons présentes à volonté, jusqu'à ce que le temps, en ayant effacé ou trop affaibli les traits, nous ait mis hors d'état de pouvoir nous en souvenir. Tenter de déterminer comment les agitations du fluide nerveux tracent ou gravent une idée sur l’or- gane de l’entendement, ce serait s’exposer à com-— mettre un des nombreux abus auxquels imagination donne lieu ; ce que l’on peut seulement assurer, c’est que le fluide dont il s’agit est le véritable agent qui trace et imprime l’idée ; que chaque sorte de sensa- tion donne à ce fluide une agitation particuliere, et 1 Sensible, c'est une expression usitée qui a deux acceptions très- différentes, ou qui désigne des faits de deux genres très-distincts. Dans l'une de ces acceptions, elle exprime l'effet d'une sensation, et ne con- cerne que le sentiment physique; dans l'autre, au contraire, elle dé- signe l'effet d'une impression sur le sentiment intérieur, qui prend sa source dans un acte d'intelligence, et n'appartient qu'au sentiment moral. 2416 DE L’ENTENDEMENT le met, conséquemment, dans le cas d'imprimer sur l'organe des traits également particuliers; et qu’en- fin, le fluide en question agit sur un organe telle- ment délicat, et d’une mollesse si considérable, et se trouve alors dans des interstices si étroits, dans des cavités si petites, qu'il peut imprimer sur leurs parois délicates des traces plus où moins profondes de chaque sorte de mouvement dont il peut être agité. Ne sait-on pas que, dans la vieillesse d’un indi- vidu, l’organe de l'intelligence ayant perdu une par- tie de sa délicatesse et de sa mollesse, les 2d6es se gravent plus difficilement et moins profondément ; que la mémoire qui se perd de plus en plus, ne rap- pelle alors que les #dées anciennement gravées sur l’organe, parce qu'elles furent, à cette époque, plus faciles à imprimer et plus profondes ? En outre, ne s'agit-il pas uniquement, à l’égard du phénomène organique des #dées, de relations entre des fluides en mouvement et l'organe spécial qui contient ces fluides? Or, pour des opérations aussi promptes que les idées et que tous les actes d'intelligence, quel autre fluide peut les produire, si ce n’est le fluide subtil et invisible des nerfs, fluide si analogue à l'électricité; et quel organe plus ap- proprié pour ces opérations délicates que le cerveau ? Ainsi, une idée simple ou directe se forme lors- que le fluide des nerfs agité par quelque impression extérieure, où même par quelque douleur interne, DE L’'ENTENDEMENT 34 rapporte au foyer des sensations l'agitation qu'il a reçue, et que, de là, transportant cette mème agita- tion dans l'organe de l'intelligence, il en trouve la voie ouverte, où l'organe préparé par l'attention. Dès que ces conditions sont remplies, l’impression se trace aussitôt sur l'organe, l’idée reçoit son exis- tence, et se rend sensible à l'instant même, parce que le sentiment intérieur de individu en est affecté; enfin, l’idée dont il s’agit, peut ètre de nouveau rendue sensible par la mémoire, mais d’une manière obscure, toutes les fois que individu, par un acte de sa puissance d'agir, dirige le fluide nerveux sur les traces subsistantes de cette 2dée. Toute idée, rappelée par la mémoire, est donc beaucoup plus obscure qu'elle n’était lorsqu'elle fut formée; parce qu'alors l’acte qui la rend sensible à l'individu, ne résulte plus d’une sensation pré- sente. DES iDÉES COMPLEXES Je nomme idée complexe où indirecte, celle qui ne provient pas immédiatement de la sensation d’un objet quelconque, mais qui est le résultat d’un acte d'intelligence qui s'opère sur des idées déjà acquises. L'acte d’entendement qui donne lieu à la forma- tion d'une idée compleze est toujours un jugement ; et ce jugement est lui-même, ou une conséquence, où une détermination de rapport. Or, ect acte me J4S DE L'ENTENDEMENT parait résulter d’un mouvement moyen qu'acquiert le fluide nerveux, lorsque, dirigé par le sentiment intérieur, ce fluide se partage en plusieurs masses qui vont traverser chacune les traits de certaines idées déja imprimées, y obtiennent autant de modi- fications particulières dans leur agitation, et qui, se réunissant ensuite, combinent alors, en ce mou- vement moyen, les mouvements particuliers de cha- cune d'elles. C’est donc par le moyen de ce mouvement cité du fluide nerveux, lequel est réellement le résultat d'idées comparées, ou de rapports recherchés entre elles, que le fluide subtil dont 1l s’agit imprime ses traits sur l'organe, et en rapporte, dans l'instant même, le produit au sentiment intérieur de l’indi- vidu. Telle est, à ce qu’il me semble, la cause physique et le mécanisme particulier qui donnent lieu à la formation des idées complexes de tous les genres. Ces idées complexes sont très-distinctes des idées simples, puisqu'elles ne résultent point d’une sen- sation produite immédiatement, c’est-à-dire d’une impression faite sur aucun de nos sens, qu'elles pren- nent leur source dans plusieurs idées déjà tracées, et qu'enfin, elles sont le produit unique d’un acte de l’entendement, le système sensitif n’y ayant aucune part. Il y a cette différence entre l’acte de l’entende- ment qui forme un jugement d’où résulte une 2dée DE L' ENTENDEMENT 349 complexe et celui qu’on nomme souvenir, ou acte de mémoire, et qui ne consiste qu'à rendre des idées présentes au sentiment intérieur de l'individu, que, dans le premier, les idées employées servent à une opération qui amène un résultat, c’est-à-dire une idée nouvelle, tandis que, dans le second, les idées employées ne servent à aucune opération particu= lière, ne donnent lieu à aucune idée nouvelle, mais sont simplement rendues sensibles à Pindividu. S'il est vrai que les émotions de notre sentiment intérieur nous donnent la faculté et la puissance d'agir, et qu'elles nous permettent de mettre en mouvement notre fluide nerveux et de le diriger sur les traits de différentes idées qui sont imprimées sur diverses parties de l'organe qui les a reçues, 1l est évident que ce fluide subtil, en passant sur les traits de telle idée, recoit une modification partieu- lière dans la nature de son agitation. On conçoit de là que, si le fluide nerveux rapporte simplement cette modification particulière de son agitation au senti- ment intérieur de l'individu, il ne fait que rendre l’idée sensible ou présente à la conscience de cet in- dividu ; mais si le fluide dont il s'agit, au lieu de ne traverser que les traits ou l’image d’une seule idée, se partage en plusieurs masses qui, chacune, se diri- gent sur une idée particuliére, et qu’ensuite ces masses se réunissent toutes, le mouvement moyen qui en résultera dans la masse commune imprimera dans l'organe une idée nouvelle et complexe, et de 350 DE L'ENTENDEMENT suite ea rapportera le produit à la conscience de l'individu. Si nous nous formons des idées complexes avec des idées simples déja existantes, nous aurons, dès qu'elles seront imprimées dans notre organe, des idées complexes du premier ordre : or, il estévident que si nous comparons ensemble plusieurs idées com- plexes du premier ordre, par les mèmes moyens or- ganiques avec lesquels nous avons comparé plusieurs idées simples, nous obtiendrons un résultat, c’est-à- dire un jugement dont nous nous formerons une nouvelle idée, et celle-ci sera une idée complexe du second ordre, puisqu'elle proviendra de plusieurs idées complexes du premier ordre déja acquises. On sent que, par cette voie, des idées complexes de différents ordres peuvent se multiplier presque à l'infini, ce dont la plupart de nos raisonnements nous offrent des exemples. Ainsi se forment, dans l'organe de l'intelligence, différents actes physiques qui donnent lieu aux phé- nomènes des comparaisons, des jugements particu— liers, des analyses d'idées, enfin des raisonnements ; et ces différents actes ne sont que des opérations sur des idées déjà tracées, qui s’exécutent par des mou- vements moyens qu'acquiert le fluide nerveux, lors- qu'il en rencontre les traits ou les images dans son agitation : et comme ces opérations sur les idées déjà tracées, mème sur des séries d'idées compa- rées, soit successivement, soit ensemble, ne sont que DE L'ENTENDEMENT 35 des rapports recherchés par la pense et à l'aide du sentiment intérieur, entre les idées de quelque ordre qu'elles soient, ces mêmes opérations sont terminées par des résultats qu'on nomme jugements, consé- quences, conclusions, etc. De même se produisent physiquement, dans les animaux les plus parfaits, des phénomenes d'intel- ligence d'un ordre bien inférieur sans doute, mais qui sont tout à fait analogues à ceux que je viens de citer, Car ces animaux reçoivent des idées et ont la faculté de les comparer et d’en obtenir des juge- ments. Leurs idées sont donc réellement tracées et imprimées dans l'organe où elles se sont formées, puisqu'ils ont évidemment de la mémoire, et que, dans leur sommeil, on les voit souvent rêver, c'est-à-dire éprouver des retours involontaires de ces idées. Relativement aux signes si nécessaires pour la communication des idées et qui servent singulière- ment à en étendre le nombre, je me trouve forcé de me borner à une simple explication concernant le double service qu'ils nous rendent. CoxpiLLaC, dit M. Richerand, s’est acquis une gloire immortelle en découvrant le premier, et en prouvant sans réplique, que les signes sont aussi nécessaires à la formation qu'à l'expression des idées. Je suis fàché que les bornes de cet ouvrage ne me permettent pas d'entrer ici dans les détails suffisants 392 DE L’ENTENDEMENT pour montrer qu'il y a une erreur évidente dans l'expression employée, laquelle fait entendre que le signe est nécessaire à la formation directe de l'idée, ce qui ne peut avoir le moindre fondement. Je ne suis pas moins admirateur que M. Riche- rand du génie, des pensées profondes et des décou- vertes de Condillac, mais je suis très-persuadé que les signes, dont on ne peut se passer pour la com- munication des idées, ne sont nécessaires à la for- mation de la plupart de celles que nous parvenons à acquérir, que parce qu'ils fournissent un moyen indispensable pour en étendre le nombre, et non parce qu'ils concourent à leur formation. Sans doute, une langue n’est pas moins utile pour penser que pour parler ; et il faut attacher des signes de convention aux notions acquises, afin que ces notions ne restent pas isolées, et que nous puis- sions les associer, les comparer et prononcer sur leurs rapports. Mais ces signes sont des secours, des moyens, en un mot, un art infiniment utile pour nous aider à penser, et non des causes immédiates de formation d'idées. Les signes, quels qu'ils soient, ne font qu'aider notre mémoire sur des notions acquises, soit an- ciennes, soit récentes, que nous donner le moyen de nous les rendre présentes successivement, où plu- sieurs à la fois, et par là, que nous faciliter la for- mation d'idées nouvelles. De ce que Condillac a tres-bien prouvé que, sans DE L’'ENTENDEMENT 393 les signes, l’homme n’eût jamais pu parvenir à éten- dre ses idées comme il l’a fait, et ne pourrait pas continuer de le faire comme il le fait encore, il ne s'ensuit pas que les signes soient eux-mêmes des éléments d'idées. Assurément, je regrette de ne pouvoir entrepren- dre l’importante discussion dans laquelle il faudrait entrer à cet égard ; mais, probablement, quelqu'un apercevra l'erreur que je ne fais qu'indiquer et en fera une démonstration complète. Alors, en recon- naissant tout ce que nous devons à l’art des signes on reconnaitra en mème temps que ce n’est qu'un art, et qu'il est conséquemment étranger à la na- ture. Je conclus des observations et des considérations exposées dans ce chapitre : l° Que les différents actes de l’entendement exi- gent un organe spécial où un système d'organes particulier pour pouvoir s’exécuter, comme il en faut un pour opérer le sentiment, un autre pour le mouvement des parties, un autre pour la respira- tion, etc.; 2° Que, dans l’exécution des actes de l’intelli- gence, c’est le fluide nerveux qui, par ses mouve- ments dans l’organe dont il s’agit, est la seule cause agissante, l'organe lui-même n'étant que passif, mais contribuant à la diversité des opérations par celle de ses parties, et par celle des traits imprimés qu'elles conservent; diversité réellement inappré- LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 23 354 DE L'ENTENDEMENT ciable, puisqu'elle s’accroît à l'infini, selon que l’or- gane est plus exercé; 3° Que les idées acquises sont les matériaux de toutes les opérations de l’entendement ; qu'avec ces matériaux, l'individu qui exerce habituellement son intelligence peut s'en former contmuellement de nouvelles , et que le moyen qu'il peut employer pour étendre ainsi ses idées réside uniquement dans l’ar/ des signes qui soulage sa mémoire, art que l’homme seul sait étendre, qu'il perfectionne tous les jours, et sans lequel ses idées resteraient nécessairement très-bornées. Maintenant, pour répandre plus de jour sur les sujets dont je viens de faire mention, je vais passer a l'examen des principaux actes de l’entendement. c'est-à-dire de ceux du premier ordre dont tous les autres dérivent. CPE PERS V TT DES PRINCIPAUX ACTES DE L'ENTENDEMENT. OU DE CEUX DU PREMIER ORDRE DONT TOUS LES AUTRES DÉRIVENT Les sujets que je me propose de traiter dans ce chapitre sont trop vastes pour qu’il me soit possible, dans les bornes que je me suis imposées , d’entre- prendre d’épuiser toutes les considérations et tous les genres d'intérêt qu'ils présentent. Je me renfer- merai donc, à leur égard, dans le projet de montrer comment chacun des actes de l’entendement , ainsi que chacun des phénomènes qui en résultent, pren- nent leur source dans les causes physiques dont j'ai fait l'exposition dans le chapitre précédent. L’organe spécial qui donne lieu aux phénomènes admirables de lintelligence, n’est point borné à exécuter une seule fonction ; il en opère évidemment quatre essentielles, et selon qu'il a recu de plus grands développements, chacune de ces fonctions 3-6 DES PRINCIPAUX ACTES principales, ou acquiert plus d’étendue et d’énergie, ou se subdivise en beaucoup d’autres ; en sorte que, dans les individus en qui cet organe est très-déve- loppé, les facultés intellectuelles sont nombreuses, et plusieurs d’entre elles obtiennent une étendue presque infinie. Aussi l’homme, qui seul peut offrir des exemples de ce dernier cas, est-il de même le seul qui, par l’'éminence de ses facultés intellectuelles, puisse se livrer à l'étude de la nature, en reconnaitre et en admirer l’ordre constant, parvenir mème à découvrir quelques-unes de ses lois, et enfin, remonter, par sa pensée, Jusqu'au SUPRÈME AUTEUR de toutes choses. Les principales fonctions qui s’exécutent dans organe de l'intelligence, étantau nombre de quatre, donnent lieu conséquemment à quatre sortes d'actes tres-différents, savoir : l° L'acte qui constitue attention: 2° Celui qui donne lieu à la pensée, de laquelle naissent les idées complexes de tous les ordres ; 3° Gelui qui rappelle les idées acquises et qu'on nomme souvenir OÙ Mémoire ; 4° Enfin, celui qui constitue les jugements. Nous allons donc rechercher ce que sont réelle- ment les actes de l'entendement qui constituent l'attention, la pensée, la mémoire et les jugements. Nous verrons que ces quatre sortes d’actes sont évidemment les principales, c’est-a-dire le type ou DE L'ENTENDEMENT 397 la source de tous les autres actes intellectuels, et qu'il n’est point convenable de placer dans ce pre- mier rang la volonté, qui n’est qu'une suite de cer- tains jugements, le désir, qui n’est qu'un besoin moral ressenti, etles sersations, qui n’appartiennent en rien à l'intelligence. Je dis que le désir n’est qu'un besoin, ou que la suite d’un besoin ressenti, et je me fonde sur ce que les besoins doivent être partagés en besoins physiques et besoins moraux. Les besoins physiques sont ceux qui naissent à la suite de quelque sensation, tels que ceux de se soustraire à la douleur, au malaise, de satisfaire à la faim, à la soif, etc. Les besoins moraux sont ceux qui naissent des pensées et auxquels les sensations n’ont point de part, tels que ceux de chercher le plaisir, le bien- être, de fuir un danger, de satisfaire son intérêt, son amour-propre, quelque passion, quelque pen- chant, etc., etc. : Le désir est de cet ordre. Les uns et les autres de ces besoins émeuvent le sentiment intérieur de lindividu, à mesure qu'il les ressent, et ce sentiment met aussitôt en mouve- ment le fluide nerveux qui peut produire les actions, soit physiques, soit morales, propres à y satisfaire. Examinons maintenant chacune des facultés du premier ordre , dont l’ensemble constitue l’entende- ment ou l'intelligence. 358 DES PRINCIPAUX ACTES DE L’ATTENTION PREMIÈRE DES PRINCIPALES FACULTÉS DE L'INTELLIGENCE Voici l’une des plus importantes considérations dont on puisse s’occuper pour parvenir à concevoir comment les idées et tous les actes de l'intelligence peuvent se former, et comment ils résultent de cau— ses purement physiques; il s’agit de l'attention. Voyons donc ce que c’est que l’at{ention, voyons si les faits connus confirment la définition que je vais en donner. L’attention est un acte particulier du sentiment intérieur, qui s'opère dans l'organe de l'intelligence, qui met cet organe dans le cas d'exécuter chacune de ses fonctions, et sans lequel aucune d’elles ne pourrait avoir lieu. Ainsi l’attention n’est point en elle-même une opération de l'intelligence, mais elle en est une du sentiment intérieur, qui vient pré- parer l'organe de la pensée, ou telle partie de cet organe, à exécuter ses actes. On peut dire que c’est un effort du sentiment inté- rieur d’un individu, qui est provoqué, tantôt par un besoin qui nait à la suite d’une sensation éprouvée, et tantôt par un désir qu'une idée ou une pensée, rappelée par la mémoire, fait naître. Cet effort, qui transporte et dirige la portion disponible du fluide DE'L'ENTENDEMENT 324 nerveux sur l'organe de l'intelligence, tend ou pré- pare telle partie de cet organe, et la met dans le cas, soit de rendre sensibles telles idées qui s’y trou- vaient déjà tracées, soit de recevoir l’impression d'idées nouvelles que l'individu a occasion de se former. Il est évident pour moi que l'attention n’est point une sensation, comme l’a dit M. le sénateur GARAT!, que ce n’est point non plus une idée, ni une opé- ration quelconque sur des idées ; conséquemment, que ce n’est point encore un acte de volonté, puisque celui-ci est toujours la suite d’un jugement, mais que c’est un acte du sentiment intérieur de l'individu, qui prépare telle partie de l'organe de l’entendement à quelque opération de l’intelligence, et qui rend alors cette partie propre à recevoir des impressions d'idées nouvelles, où à rendre sensibles et présentes à l'individu, des idées qui s'y trouvaient déjà tracées. Je puis, en effet, prouver que lorsque l’organe de l’entendement n’est pas préparé par cet effort du sentiment intérieur qu'on nomme attention, aucune sensation n'y peut parvenir, ou si quelqu'une y par- vient, elle n’y imprime aucun trait, ne fait qu'ef- fleurer l’organe, ne produit point d'idée, et ne rend point sensible aucune de celles qui s’y trouvent tra- cées. L 1 Programme des leçons sur l'analyse de l'entendement, pour l'École normale, p. 145. 360 DES PRINCIPAUX ACTES J'étais fondé en raisons, lorsque j'ai dit que si toute idée provenait, au moins originairement , d’une sensation, toute sensation ne donnait pas né- cessairement une idée. La citation de quelques faits très-connus, suffira pour établir le fondement de ce que je viens d'exposer. Lorsque vous réfléchissez, ou lorsque votre pen- sée est occupée de quelque chose, quoique vous ayez les yeux ouverts, et que les objets extérieurs qui sont devant vous, frappent continuellement votre vue par la lumière qu'ils y envoient, vous ne voyez aucun de ces objets, ou plutôt vous ne les distinguez point, parce que Peffort, qui constitue votre atten- tion, dirige alors la portion disponible de votre fluide nerveux sur les traits des idées qui vous occupent, et que la partie de votre organe d’intel- ligence, qui est propre à recevoir l'impression des sensations que ces objets extérieurs vous font éprou- ver, n'est point alors préparée à recevoir ces sen— sations. Aussi les objets extérieurs qui frappent de toutes parts vos sens, ne produisent en vous aucune idée. En effet, votre attention dirigée alors sur les au- tres points de votre organe, où se trouvent tracées les idées qui vous occupent, et où, peut-être, vous en tracez encore de nouvelles et de complexes par vos réflexions, met ces autres points dans l’état de tension, ou de préparation, nécessaire pour que vos pensées puissent s’y opérer. Ainsi, dans cette cir- DE L’ENTENDEMENT Jo constance, quoique vous ayez l’œil ouvert, et qu’il recoive l'impression des objets extérieurs qui l’affec- tent, vous ne vous en formez aucune idée, parce que les sensations qui en proviennent ne peuvent parvenir jusqu'à votre organe d'intelligence qui n’est pas préparé à les recevoir. De même vous n’en- tendez point, ou plutôt vous ne distinguez point alors les bruits qui frappent votre oreille. Enfin, si l’on vous parle, quoique distinctement et à haute voix, dans un moment où votre pensée est fortement occupée de quelque objet particulier, vous entendez tout, et cependant vous ne saisissez rien, et vous ignorez entièrement ce que l’on vous a dit, parce que votre organe n'était pas préparé par l'attention à recevoir les idées que l’on vous com- muniquait. Combien de fois ne vous êtes-vous pas surpris à lire une page entière d’un ouvrage, pensant à quel- que objet étranger à ce que vous lisiez, et n’ayant rien aperçu de ce que vous aviez lu complétement. Dans une pareille circonstance, on donne à cet état de préoccupation de l'intelligence, le nom de distraction. Mais si votre sentiment intérieur, ému par un besoin ou un intérèt quelconque, vient tout à coup à diriger votre fluide nerveux sur le point de votre organe d'intelligence où se rapporte la sensation de tel objet que vous avez sous les yeux, ou de tel bruit qui frappe votre oreille, ou de tel corps que vous 362 DES PRINCIPAUX ACTES touchez, alors votre attention préparant ce point de votre organe à recevoir la sensation de l’objet qui vous affecte, vous acquérez aussitôt une idée quel- conque de cet objet, et vous en acquérez même toutes les idées que sa forme , ses dimensions et ses autres qualités peuvent imprimer en vous, au moyen de différentes sensations, si vous y donnez une attention suffisante. Il n'y a donc que les sensations remarquées, c'est-à-dire que celles sur lesquelles l'attention s’est arrêtée, qui fassent naître des idées : ainsi, toute idée, quelle qu’elle soit, est le produit réel d’une sensation remarquée, en un mot, d’un acte qui prépare l'organe de l’inteligence à recevoir les traits caractéristiques de cette idée, et toute sensation qui n’est point remarquée, c’est-à-dire qui ne ren- contre point l'organe de l'intelligence préparé par l'attention à en recevoir l'impression, ne saurait former aucune idée. Les animaux à mamelles ont les mêmes sens que l’homme et recoivent, comme lui, des sensations de tout ce qui les affecte. Mais, comme ils ne s’arrètent point à la plupart de ces sensations, qu'ils ne fixent point leur attention sur elles, et qu’ils ne remar- quent que celles qui sont immédiatement relatives à leurs besoins habituels, ces animaux n’ont qu'un petit nombre d'idées qui sont toujours à peu pres les mêmes, en sorte que leurs idées ne varient point ou presque point. DE L’ENTENDEMENT 368 Aussi, à l'exception des objets qui peuvent satis- faire à leurs besoins et qui font naître en eux des idées, parce qu'ils les remarquent, tout le reste est comme nul pour ces animaux. La nature n'offre aux yeux, soit du chien ou du chat, soit du cheval ou de l’ours, etc., aucune merveille, aucun objet de curiosité, en un mot, au- cune chose qui les intéresse , si ce n’est ce qui sert directement à leurs besoins ou à leur bien-être ; ces animaux volent tout le reste sans le remarquer, c’est-à-dire sans y fixer ieur attention, et consé- quemment n’en peuvent acquérir aucune idée. Cela ne peut être autrement , tant que les circonstances ne forcent point l'animal à varier les actes de son intelligence, à avancer le développement de l’organe qui les produit, et à acquérir, par nécessité, des idées étrangères à celles que ses besoins ordinaires produisent en lui. À cet égard, on connait assez les résultats de l'éducation forcée que lon donne à certains animaux. Je suis donc fondé à dire que les animaux dont il s’agit, ne distinguent presque rien de tout ce qu'ils apercoivent, et que tout ce qu'ils ne remarquent point est comme nul ou sans existence pour eux, quoique la plupart des objets qui les environnent agissent sur leurs sens. Quel trait de lumiere cette considération des fa- cultés et de l'emploi de l'attention ne jette-t-elle pas sur la cause qui fait que les animaux. qui pos- 301 DES PRINCIPAUX ACTES sedent les mêmes sens que l’homme, n’ont cepen- dant qu'un si petit nombre d’idées, pensent si peu, et sont toujours assujettis aux mêmes habitudes ! Le dirai-je ? que d'hommes aussi, pour qui presque tout ce que la nature présente à leurs sens se trouve à peu près nul ou sans existence pour eux, parce qu'ils sont à l'égard de ces objets sans aftention, comme les animaux ! Or, par suite de cette maniere d'employer leurs facultés et de borner leur attention à un petit nombre d'objets qui les intéressent, ces hommes n’exercent que très-peu leur intelligence, ne varient presque point les sujets de leurs pensées, n’ont, de même que les animaux dont nous venons de parler, qu'un très-petit nombre d'idées et sont fortement assujettis au pouvoir de l’habitude. Effectivement, les besoins de l’homme qu’une éducation quelconque n’a point forcé de bonne heure à exercer son intelligence, embrassent seulement ce qui lui parait nécessaire à sa conservation et à son bien-être physique, mais ils sont extrèmement bornés relativement à son bien-être moral. Les idées qui se forment en lui, se réduisent à très-peu près à des idées d'intérêt, de propriété et de quelques jouissances physiques, elles absorbent laffention qu'il donne au petit nombre d'objets qui les ont fait naître et qui les entretiennent. On doit sentir que tout ce qui est étranger aux besoins physiques de cet homme, à ses idées d'intérêt et à celles de quelques jouissances physiques et morales très- DE L’ENTENDEMENT 309 bornées, se trouve comme nul ou sans existence pour lui, parce qu'il ne le remarque jamais et qu'il ne saurait le remarquer, puisque n'ayant point l'habitude de varier ses pensées, rien d’étranger aux objets que je viens d'indiquer ne saurait lémou- voir. Enfin , l’éducation, qui développe l'intelligence de l'homme d’une manière si admirable, ne le fait ou n'y parvient, que parce qu'elle habitue celui qui la recoit à exercer sa faculté de penser, à fixer son attention sur les objets si variés et si nombreux qui peuventaffecter ses sens, sur tout ce qui peut aug— menter son bien-être physique et moral, et par con- séquent sur ses véritables intérêts dans ses relations avec les autres hommes. En fixant son attention sur les différents objets qui peuvent affecter ses sens, il parvient à distin- œuer ces objets les uns des autres et à déterminer leurs différences, leurs rapports et les qualités par- ticuliéres de chacun d’eux : de la, la source des sciences physiques et naturelles. De même, en fixant son aftention sur ses intérêts dans ses relations avec les autres hommes, et sur ce qu'il peut apercevoir d’instructif pour eux, il se forme des idées morales, soit de toutes les conve- nances à l'égard des situations dans lesquelles 1l peut se rencontrer dans le cours de sa vie sociale, soit de ce qui peut avancer les connaissances utiles : de là, la source des sciences politiques et morales. 366 DES PRINCIPAUX ACTES Ainsi, l'habitude d'exercer son intelligence et de varier ses pensées que l’homme recoit de l’éduca- tion étend singulièrement en lui la faculté de donner de Pattention à quantité d'objets différents , de for- mer des comparaisons particulières et générales, d'exécuter des jugements dans un haut degré de rectitude et de multiplier ses idées de tout genre, et surtout ses idées complexes. Enfin, cette habi- tude d'exercer son intelligence, si les diverses cir- constances de sa vie la favorisent, le met dans le cas d'étendre ses connaissances, d'agrandir et de diriger son génie, en un mot, de voir en grand, d’embras- ser une multitude presque infinie d'objets par sa pensée, et d'obtenir de son intelligence les jouis- sances les plus solides et les plus satisfaisantes. Je terminerai ce sujet en remarquant que, quoi que l'attention doive ses actes au sentiment intérieur de l'individu qui, ému par un besoin, le plus souvent moral, a seul le pouvoir d’y donner lieu, elle est néanmoins une des facultés essentielles de lintelli- gence, puisqu'elle ne s’opéere que dans l’organe qui produit ces facultés, et qu'on est d’après cela auto- risé à penser que tout être privé de cet organe ne saurait exécuter aucun de ses actes, c’est-à-dire ne saurait donner de Pat/ention à aucun objet. Cet article sur l’aftention méritait d’être un peu étendu, car le sujet m'a paru très-important à éclair- cir, et je suis fortement persuadé que, sans la con naissance de la condition nécessaire pour qu'une DE L'ENTENDEMENT 367 sensation puisse produire une idée, jamais on n'au- rait pu saisir ce qui est relatif à la formation des idées, des pensées, des jugements, etc, non plus que la cause qui contraint la plupart des animaux qui ont les mêmes sens que l’homme à ne se former que tres-peu d'idées, à ne les varier que si difficilement et à rester soumis aux influences des habitudes. On a donc lieu de se convaincre, d’après ce que j'ai exposé, qu'aucune des opérations de Porgane de l’entendement ne peut se former, si cet organe n'y est préparé par l'attention, et que nos idées, nos pensées, nos jugements, nos raisonnements ne s’exé- cutent qu'autant que l'organe dans lequel ces actes s'effectuent se trouve continuellement maintenu dans l’état où il doit être pour que ces actes puissent se produire. Comme laftention est une action dont le fluide nerveux est l'instrument principal, tant qu’elle sub- siste elle consomme une quantité quelconque de ce fluide. Or, par sa trop grande durée, cette action fatigue et épuise tellement l'individu, que les autres fonctions de ses organes en souffrent proportion nellement. Aussi les hommes qui pensent beaucoup, qui méditent continuellement et qui se sont fait une habitude d'exercer, presque sans discontinuité, leur attention sur les objets qui les intéressent, ont-ils leurs facultés digestives et leurs forces musculaires tres-affaiblies. Passons maintenant à lexamen de la pensée, la 368 DES PRINCIPAUX ACTES seconde des principales facultés de l'intelligence, mais celle qui constitue la premuere et la plus géné- rale de ses opérations. DE LA PENSÉE DEUXIÈME DES FACULTÉS PRINCIPALES DE L'INTELLIGENCE La pensée est le plus général des actes de l’intel- ligence, car, après l'attention qui donne à la pensée elle-même et aux autres actes de l’entendement le pouvoir de s’opérer, celui dontil est ici question em- brasse véritablement tous les autres, et néanmoins mérite une distinction particulière. On doit considérer la pensée comme une action qui s’exécute, dans l'organe de l'intelligence, par des mouvements du fluide nerveux, et qui s'opère sur des idées déjà acquises, soit en les rendant sim- plement sensibles à l'individu sans aucun change- ment, comme dans les actes de mémoire, soit en comparant entre elles diverses de ces idées pour en obtenir des jugements ou trouver leurs rapports, qui sont aussi des jugements, comme dans les rasonne- inents, Soit en les divisant méthodiquement et les décomposant, comme dans les analyses, soit, enfin, en créant, d’après ces idées qui servent de modèles ou de contrastes, d’autres idées, et d’après celles-ci d’autres encore, comme dans les opérations de l’éra gination. DE L'ENTENDEMENT 309 Toute pensée serait-elle où un acte de mémoire ou un jugement? Je l'avais d’abord supposé; et dans ce cas, la pensée ne serait pas une faculté par- ticulière de l'intelligence, distincte des souvenirs et des jugements. Je crois cependant qu’il faut ranger cet acte de l’entendement au nombre de ses facultés particulières et principales, car la pensée qui cons- titue la réflexion, c’est-à-dire celle qui consiste dans la considération où lPexamen d'un objet, est plus qu'un acte de mémoire, et n’est pas encore un juge- ment. Effectivement, les comparaisons et les recher- ches de rapports entre des idées ne sont pas sim- plement des souvenirs, et ne sont pas non plus des jugements, mais presque toujours ces pensées se terminent par un jugement ou par plusieurs. Quoique tous les actes de l’entendement soient des pensées, on peut donc regarder la pensée elle- même comme le résultat d’une faculté particulière de l'intelligence, puisque certains de ces actes ne sont point simplement de la mémoire, ni positivement des jugements. S'il est vrai que toutes les opérations de lintel- ligence soient des pensées, 1l l’est aussi que les idées sont les matériaux qui servent à l'exécution de ces opérations, et que le fluide nerveux est l'agent uni- que qui y donne lieu immédiatement; ce que j'ai déjà expliqué dans le chapitre précédent. La pensée étant une opération de l’entendement, qui s'exécute sur des idées déja acquises, peut seule LAMARCK, PIIIL. ZOOL. II. 24 370 DES PRINCIPAUX ACTES donner lieu à des jugements, des raisonnements, enfin, aux actes de l’imagination. Dans tout ceci, les idées sont toujours les matériaux de l’opération, et le sentiment intérieur est aussi toujours la cause qui excite et dirige son exécution, en mettant le fluide nerveux en mouvement dans l’hypocéphale. Get acte de l’entendement se produit quelquefois a la suite de quelque sensation qui a donné lieu à une idée, et celle-ci à un désir ; mais le plus souvent il s'exécute sans qu'aucune sensation l'ait immédia- tement précédé, car le souvenir d’une idée qui donne naissance à un besoin moral suffit pour émouvoir lesentiment intérieur, et le mettre dans le cas d’ex- citer l'exécution de cet acte. Ainsi, tantôt l'organe de lintelligence exécute quelqu'une de ses fonctions à la suite d’une cause externe qui amène quelque idée, laquelle émeut le sentiment intérieur de l'individu , et tantôt cet or— gane entre de lui-même en activité, comme lorsque quelque idée rappelée par la mémoire fait naïitre un désir, c’est-à-dire un besoin moral, et par suite une émotion du sentiment intérieur qui le porte à pro- duire quelque acte d'intelligence ou successivement plusieurs de ces actes. De mème que toute autre action du corps, aucune pensée ne s'exécute que par l'excitation du senti ment intérieur , en sorte que, sauf les mouvements organiques essentiels à la conservation de la vie, les actes de lintelligence et ceux du système muscu- DE L'ENTENDEMENT 371 laire dépendant, sont toujours excités par le senti- ment intérieur de l'individu, et doivent être réelle- ment regardés comme étant le produit de ce senti- ment. Il résulte de ces considérations, que la pensée étant une action, ne s’aurait s’exécuter que lorsque le sentiment intérieur excite le fluide nerveux de lhypocéphale à la produire, et que, d’après Pétat nécessairement passif de la pulpe cérébrale, le fluide dont 1l s’agit, étant mis en mouvement dans ses parties, doit être le seul corps actif dans l’exé- cution de cette action. En effet, un être doué d’un organe pour l’intelli- œence, ayant la faculté, par une émotion de son sentiment intérieur, de mettre en mouvement son fluide nerveux, et de diriger ce fluide sur les traits imprimés de telle idée déja acquise, se rend aussitôt sensible cette idée particulière lorsqu'il excite cette action. Or, cet acte est une pensée quoique tres-sim— ple, et à la fois un acte de mémoire. Mais si, au lieu de se rendre sensible une seule idée, l'individu fait la même chose à l'égard de plusieurs, et exécute des opérations sur ces idées, alors il forme des pen- sées moins simples, plus prolongées, et il peut opé- rer ainsi différents actes d'intelligence, enfin, une longue suite de ces actes. La pensée est donc une action qui peut se compli- quer d’un grand nombre d’autres semblables exé- cutées successivement, quelquefois presque simulta- 378 DES PRINCIPAUX ACTES nément, et embrasser un nombre considérable d'idées de tous les ordres. Non-seulement la pensée embrasse, dans ses opé- rations, des idées existantes, c’est-à-dire déja tra- cées dans l'organe, mais, en outre, elle en peut pro- duire qui n'y existaient pas. Les résultats des com- paraisons, les rapports trouvés entre différentes idées, enfin, les produits de l'imagination, sont autant d'idées nouvelles pour l'individu, que sa pensée peut faire naître, imprimer dans son organe, et rapporter de suite à son sentiment intérieur. Les jugements, par exemple, qu'on nomme aussi des conséquences, parce qu'ils sont les suites de comparaisons exécutées ou de calculs terminés, sont à la fois des pensées et des actes subséquents de pensées. La mème chose a lieu à légard des raisonne- inents, car on sait que plusieurs jugements qui se déduisent successivement entre des idées comparées, constituent ce qu'on nomme un raisonnement; or, les raisonnements n'étant que des séries de consé- quences, sont encore des pensées et des actes sub- séquents de pensées. Il résulte de tout ceci que tout ètre qui ne pos- sede aucune idée ne saurait exécuter aucune pensée, aucun jugement, et bien moins encore un raisonne- ment quelconque. Méditer, c'est exécuter une suite de pensées, c’est approfondir par des pensées suivies, soit les rapports - DE L’'ENTENDEMENT 913 entre plusieurs objets considérés, soit les idées diffé- rentes qu'on peut obtenir d’un seul objet. Effectivement, un seul objet peut offrir à un être intelligent une suite d'idées différentes, savoir : celles de sa masse, de sa grandeur, de sa forme, de sa couleur, de sa consistance, etc. Si l'individu se rend sensibles différentes de ces idées, l'objet n'étant pas présent, on dit qu’il pense a cet objet; et en effet, il exécute réellement à son égard une ou plusieurs pensées de suite; mais si l'objet est présent, on dit alors qu'il observe, et qu'il examine, pour s’en former toutes les idées que sa méthode d'observation et sa capacité d'attention peuvent lui permettre d’en obtenir. De même que la pensée s'exerce sur des idées directes, c’est-à-dire obtenues par des sensations remarquées, de même aussi elle s'exerce sur les idées complexes que lindividu possède et peut se rendre sensibles. Ainsi, l’objet d’une pensée ou d’une suite de pen- sées peut être matériel où embrasser différents objets matériels; mais il peut être aussi constitué par une idée complexe où se composer de plusieurs idées de cette nature. Or, à l’aide de la pensée, lin- dividu peut obtenir des unes et des autres de ces idées, plusieurs autres encore, et cela à l'infini. De là, Pèmagination qui prend sa source dans l'habitude de penser et de se former des idées complexes, et qui parvient à créer, par similitude où analogie, des 374 DES PRINCIPAUX ACTES idées particuheres, dont celles qui proviennent des sensations ne sont que des modeles. Je m’arrête ici, ne me proposant nullement l’'ana- lyse des idées, que des hommes plus habiles et plus profonds penseurs ont déjà faite, et j’ai atteint mon but, si J'ai montré le vrai mécanisme par lequel les idées et les pensées se forment dans l'organe de l'in- teligence, aux excitations du sentiment intérieur de l'individu. J’ajouterai seulement que l'attention est toujours compagne de la pensée, en sorte que, lorsque la première n’a plus lieu, la seconde cesse aussitôt d'exister. J'ajouterai encore que, comme la pensée est une action, elle consomme du fluide nerveux ; et que, par conséquent, lorsqu'elle est trop longtemps sou- tenue, elle fatigue, épuise, et nuit à toutes les autres fonctions organiques, surtout à la digestion. Enfin, je terminerai par cette remarque que je crois fondée, savoir : que la portion disponible de notre fluide nerveux augmente ou diminue selon certaines circonstances, en sorte que tantôt elle est abondante et plus que suffisante pour la production d'une longue suite d'attention et de pensées, tandis que tantôt elle ne saurait suffire et ne pourrait fournir à lexécution d'une suite d'actes d'intelli- gence, qu'au détriment des fonctions des autres or- ganes du corps. De là, ces alternatives dans l'activité et la lan- DE L’ENTENDEMENT 319 gueur de la pensée qu'a citées Gabanis ; de là, cette facilité dans certains temps et cette difficulté dans d’autres, qu'on éprouve pour maintenir son attention et exécuter une suite de pensées. Lorsqu'on est affaibli par les suites d’une maladie ou par l’âge, les fonctions de l’estomac s’exécutent avec peine, elles exigent, pour s’opérer, l'emploi d'une grande portion du fluide nerveux disponible. Or, si, pendant ce travail de l'estomac, vous détour- nez le fluide nerveux qui va aider la digestion en le faisant refluer vers l’hypocéphale, c’est-à-dire en vous livrant à une forte application et à une suite de pensées qui exigent une attention profonde et soutenue, vous nuisez alors à la digestion et vous exposez votre santé. Le soir, comme on esten quelque sorte épuisé par les diverses fatigues de la journée, surtout lorsqu'on n’est plus dans la vigueur de la jeunesse, la portion disponible du fluide nerveux est, en général, moins abondante et est moins en état de fournir aux tra- vaux suivis de la pensée : le matin, au contraire, après les réparations qu'un bon sommeil a procurées, la portion disponible du fluide nerveux est fort abon- dante, elle peut fournir avantageusement et assez longtemps aux consommations qu'en font les opéra- tions de l'intelligence, ou à celles que font les exercices du corps. Enfin, plns vous consommez votre fluide nerveux, disponible aux opérations de l'intelligence, moins alors vous avez de faculté 376 DES PRINCIPAUX ACTES pour les travaux et les exercices du corps, et vice verst. Il y a donc, par suite de ces causes et de beau- coup d’autres, des alternatives remarquables dans notre faculté, plus ou moins grande, d'exécuter une suite de pensées, de méditer, de raisonner, et sur— tout d'exercer notre imagination. Parmi ces causes, les variations de notre état physique et les influences que cet état recoit des changements qui s’opérent dans celui de l'atmosphère, ne sont pas les moins puissantes. Comme les actes de l’imagination sont encore des pensées, c’est ici le lieu d’en dire un mot. L’'IMAGINATION L’inagination est cette faculté créatrice d'idées nouvelles , que l'organe de l'intelligence, à l’aide des pensées qu'il exécute, parvient à acquérir, lors- qu'il contient beaucoup d'idées, et qu’il est habituel lement exercé à en former de complexes. Les opérations de l’intelligence qui donnent lieu aux actes de l’imagination sont excitées par le sentiment intérieur de l'individu , exécutées par les mouvements de son fluide nerveux, comme les autres actes de la pensée, et dirigées par des jugements. Les actes de l’nagination consistent à opérer, par des comparaisons et des jugements sur des idées acquises, des idées nouvelles, en prenant les pre- DE L'ENTENDEMENT 371 mières, soit pour modèles, soit pour contrastes ; en sorte qu'avec ces matériaux et par ces opérations , l'individu peut se former une multitude d'idées nou- velles qui s’impriment dans son organe, et avec celles-ci beaucoup d’autres encore, ne mettant d’au- tres termes à cette création infinie que ceux que son degré de raison peut lui suggérer. Je viens de dire que les idées acquises, qui sont les matériaux des actes de l'imagination, sont em ployées dans ces actes, soit comme modeles, soit comme contrastes. Effectivement, que l’on considere toutes les idées produites par l’imagination de l’homme , on verra que les unes, et c’est Le plus grand nombre, retrou- vent leurs modeles dans les idées simples qu'il a pu se faire à la suite des sensations qu’il a éprouvées, ou dans les idées complexes qu'il s’est faites avec ces idées simples, et que les autres prennent leur source dans le contraste où lopposition des idées simples et des idées complexes qu'il avait acquises. L'homme ne pouvant se former aucune idée solide que des objets, où que d’après des objets qui sont dans la nature, son intelligence eût été bornée à l’effectuation de ce seul genre d'idées, si elle n’eût eu la faculté de prendre ces mêmes idées ou pour modele, ou pour contraste, afin de s’en former d’un autre genre. C'est ainsi que l’homme a pris le contraste ou l'opposé de ses idées simples, acquises par la voie 378 DES PRINCIPAUX ACTES des sensations , ou de ses idées complexes, lorsque s'étant fait une idée du fini, il a imaginé l'infini; lorsqu'ayant conçu l’idée d’une durée limitée, il a imaginé l'éternité, ou une durée sans limites ; lors- que s'étant formé l’idée d’un corps ou de la matière, il a imaginé l'esprit ou un être immatériel, etc., etc. Il n’est pas nécessaire de montrer que tout produit de l’imagination qui n'offre pas le contraste d’une idée, soit simple, soit complexe, acquise, au moins originairement par la voie des sensations , retrouve nécessairement son modele dans cette idée. Que de citations je pourrais faire à l'égard des produits de l'imagination de l’homme, si je voulais montrer que partout où il a voulu créer des idées quelconques, ses matériaux ont toujours été les modèles des idées déjà acquises, ou les contrastes de ces idées ! Une vérité bien constatée par l’observation et l'expérience, c’est qu'il en est de l’organe d'intelli- gence comme de tous les autres organes du corps ; plus il est exercé, plus il se développe, et plus ses facultés s'étendent. Ceux des animaux qui sont doués d’un organe pour l'intelligence, manquent néanmoins d’inagi- nation; parce qu'ils ont peu de besoins, qu'ils varient peu leurs actions, qu'ils n’acquierent en conséquence que peu d'idées, et surtout parce qu'ils ne forment que rarement des idées complexes, et qu'ils n’en forment jamais que du premier ordre. Mais l’homme, qui vit en société, a tant multiplié DE L'ENTENDEMENT 319 ses besoins, qu'il à nécessairement multiplié ses idées dans des proportions qui y sont relatives; en sorte qu'il est de tous les êtres pensants celui qui peut le plus aisément exercer son intelligence, cel qui peut le plus varier ses pensées, enfin, celui qui peut se former le plus d'idées complexes : aussi a-t-on lieu de croire qu’il est le seul être qui puisse avoir de l'imagination. D'une part, si l’ünagination ne peut exister que dans un organe qui contient déjà beaucoup d'idées, et ne prend sa source que dans l'habitude de former des idées complexes, et de l’autre part, s'il est vrai que plus l'organe de l'intelligence est exercé, plus cet organe se développe, et plus ses facultés s’éten- dent et se multiplient, on sentira que, quoique tous les hommes soient dans le cas de posséder cette belle faculté qu'on nomme ##ragination, 11 n'y en a néanmoins qu'un très-petit nombre qui puisse avoir cette faculté dans un degré un peu éminent. Que d'hommes, même à part de ceux qui n’ont pu recevoir aucune éducation , sont forcés par les circonstances de leur conditon et de leur état, de s'occuper tous les jours, pendant la principale portion de leur vie, des mêmes sortes d'idées, d'exécuter les mêmes travaux, et qui, par suite de ces circonstances, ne sont presque point dans le cas de varier leurs pensées ! Leurs idées habituelles roulent dans un petit cercle qui est à peu pres toujours le 330 DES PRINCIPAUX ACTES même, et ils ne font que peu d'efforts pour l’étendre, parce qu'ils n’y ont qu’un intérêt éloigné. L’imagiuation est une des plus belles facultés de l’homme : elle ennoblit toutes ses pensées, les élève, l'empêche de se trainer dans la considération de petites choses, de menus détails; et lorsqu'elle atteint un degré très-éminent, elle en fait un être supérieur à la grande généralité des autres. Or, le génie, dans un individu, n’est autre chose qu'une grande #magination, dirigée par un goût exquis, et par un Jugement tres-rectifié, nourrie et éclairée par une vaste étendue de connaissances, enfin, limitée, dans ses actes, par un haut degré de raison. Que serait la littérature sans l'imagination! En vain le littérateur possède-t-il parfaitement la lan- gue dont il se sert, et offre-t-il, dans ses écrits ou ses discours, une diction épurée, une style irrépro- chable, s'il n’a point d'énragination, il est froid, vide de pensées et d’inages, 1l n’émeut point, n’m- téresse point, et tous ses efforts manquent leur but. La poésie, cette belle branche de la littérature, et l’éloquence même, pourraient-elles se passer d'imagination ? Pour moi, je pense que la littérature, ce beau résultat de l'intelligence humaine, est l’art noble et sublime de toucher, d’émouvoir nos passions, d'élever et d'agrandir nos pensées, enfin, de les transporter hors de leur sphère commune. Get art DE L'ENTENDEMENT 351 a ses régles et ses préceptes, mais l’iaginatlion et le gout sont la seule source où il puise ses plus beaux produits. Si la littérature émeut, anime, plait, et fait le bon- heur de tout homme en état d’en gotter le charme, la science lui cède à cet égard, car elle instruit froi- dement et avec rigidité : mais elle l'emporte en ce que non-seulement elle sert essentiellement tous les arts, et qu'elle nous donne les meilleurs moyens de pourvoir à tous nos besoins physiques, mais, en outre, eu ce qu'elle agrandit solidement toutes nos pensées, en nous montrant dans toute chose ce qui y est réellement, et non ce que nous aimerions mieux qui y füt. L'objet de la premiére est un art aimable, celui de la deuxième est la collection de toutes les connais- sances positives que nous pouvons acquérir. Les choses étant ainsi, autant l'énagination est utile, indispensable même en littérature, autant elle est à redouter dans les sciences ; car ses écarts, dans la première, ne sont qu'un manque de goût et de raison, tandis que ceux qu’elle fait dans les der- niéres sont des erreurs ; en sorte que c’est presque toujours l'imagination qui les produit, lorsque l'ins- truction et la raison ne la guident paset ne la limi- tent pas; et si ces erreurs séduisent, elles font à la science un tort qui est souvent fort difficile à ré= parer. Cependant sans ragination, point de génie, et 382 DES PRINCIPAUX ACTES sans génie, point de possibilité de faire de décou- vertes autres que celles des faits, mais toujours sans conséquences satisfaisantes. Or, toute science n'étant qu'un corps de principes et de conséquences, conve- nablement déduits des faits observés, le génie est absolument nécessaire pour poser ces principes et en tirer ces conséquences ; mais il faut qu'il soit dirigé par un jugement solide, et retenu dans les limites qu'un haut degré de lumières peut seul lui imposer. Ainsi, quoiqu'il soit vrai que l’énagination est à redouter dans les sciences, elle ne peut lètre cependant que lorsqu'une raison éminente et bien éclairée ne la domine pas ; tandis que, dans le cas contraire, elle constitue alors une des causes essen- tielles aux progrès des sciences. Or, le seul moyen de limiter notre imagination, afin que ses écarts ne nuisent point à l'avancement de nos connaissances, c’est de ne lui permettre de s'exercer que sur des objets pris dans la nature, ces objets étant les seuls qu'il nous soit possible de con- naître positivement ; ses différents actes seront alors d'autant plus solides, qu'ils résulteront de la consi- dération du plus grand nombre de faits relatifs à l’objet considéré, et de la plus grande rectitude dans nos jugements. Je terminerai cet article en faisant remarquer que, s’il est vrai que nous prenions toutes nos idées dans la nature, et que nous n’en ayons aucune qui n’en provienne originairement, 1l l’est aussi qu'avec DE L’ENTENDEMENT 989 ces idées, nous pouvons, à l’aide de notre imagina- tion et en les modifiant diversement, en créer qui soient entièrement hors de la nature; mais ces der- nières sont toujours ou des contrastes d'idées ac- quises, où des images plus où moins défigurées d'objets dont la nature seule nous a donné connais- sance. Effectivement, dans les idées les plus exagérées et les plus extraordinaires de l’homme, si l’on y fait attention, il est impossible de ne pas reconnaître la source où il a puisé. DE LA MÉMOIRE TROISIÈME DES PRINCIPALES FACULTÉS DE L'INTELLIGENCE La mémoire est une faculté des organes qui con- courent à l'intelligence ; le souvenir d’un objet ou d'une pensée quelconque est un acte de cette faculté ; et l'organe de l’entendement est le siège où s'exécute cet acte admirable, dont le fluide nerveux, par ses mouvements dans cet organe, est le seul agent qui en consomme l'exécution : voilà ce que je me pro- pose de prouver; mais auparavant considérons l’im- portance de la faculté dont il s’agit. On peut dire que la s#1émoire est la plus impor- tante et la plus nécessaire des facultés intellectuel- les, car, que pourrions-nous faire sans la s26moire : 384 DES PRINCIPAUX ACTES comment pourvoir à nos divers besoins, si nous ne pouvions nous rappeler les différents objets que nous sommes parvenus à Connaitre ou à préparer pour y satisfaire ? Sans la mémoire, homme n'aurait aucun genre de connaissance, toutes les sciences seraient absolu- ment nulles pour lui, il ne pourrait cultiver aucun art, il ne saurait même avoir aucune langue pour communiquer ses idées; et comme pour penser, pour imaginer mème, il faut, d’une part, qu'il ait préalablement des idées, et de l’autre part, qu'il exécute des comparaisons entre diverses de ces idées, il serait donc totalement privé de la faculté de pen- ser et entierement dépourvu d'imagination, sil n'avait point de mémoire. Aussi, en disant que les Muses étaient filles de la mémoire, les anciens ont prouvé qu'ils avaient eu le sentiment de l’impor- tance de cette faculté de l'intelligence. Nous avons vu, dans le chapitre précédent, que les idées provenaient des sensations que nous avions éprouvées et remarquées, et qu'avec celles que ces sensations remarquées ont imprimées dans notre organe, nous pouvions nous en former d’autres qui sont indirectes et complexes. Toute idée quelconque vient donc originairement d’une sensation, et on ne peut en avoir aucune qui ait une autre origine, ce qui, depuis Locke, est bien reconnu. Maintenant, nous allons voir que la sémoire ne peut avoir d'existence qu'après celle des idées acqui- a DE L'ENTENDEMENT 385 ses, et conséquemment, qu'aucun individu ne saurait en produire aucun acte, s’il n’a des idées imprimées dans l'organe qui en est le siége. S'il en est ainsi, la nature n’a pu donner aux animaux les plus parfaits, et à l’homme même, que de la mémoire, et non de la prescience, c’est-à-dire la connaissance des événements futurs !. L'homme serait sans doute très-malheureux s’il savait positivement ce qui doit lui arriver, s'il con- naissait l’époque précise de la fin de sa vie, ete., etc.; mais la véritable raison qui fait qu'il n'a point cette connaissance, c'est que la nature n’a pu la lui don- ner ; cela lui était impossible. La mémoire n'étant que le souvenir de faits qui ont existé, et dont nous avons pu nous former des idées ; et l'avenir, au con- traire, devant donner lieu à des faits qui n’ont pas encore d'existence, nous ne pouvons en avoir au— eune idée, à l'exception de ceux qui tiennent à quel- ques portions reconnues de l’ordre qui suit la nature dans ses actes. Voyons présentement quel peut être le méca- nisme de l’admirable faculté dont nous nous occu- 4 A l'égard des évènements futurs, ceux qui tiennent à des causes simples, ou à peu près telles, et à des lois que l'homme, en étudiant la nature, est parvenu à reconnaitre, se trouvent dans le cas d'être prévus par lui, et jusqu'à un certain point, d'être déterminés d'avance pour des époques plus ou moins précises. Ainsi, les astronomes peuvent indiquer l'époque future d'une éclipse, et celle ou tel astre se trouvera dans telle position; mais celte connaissance de certains faits attendus, est réduite à un très-petit nombre d'objets. Cependant, beaucoup d'autres faits futurs et d'un autre ordre lui sont encore connus: car il sait qu'ils auront lieu, mais il n'en saurait déterminer avec précision les époques. LAMA\REK, l'HIL. ZOOIL, II. 29 386 DES PRINCIPAUX ACTES pons ici, et tàächons de prouver que l'opération du fluide nerveux qui donne lieu à un acte de mémoire, consiste à prendre, en traversant les traits imprimés de telle idée acquise, un mouvement particulier rela- tif à cette idée, et à en rapporter le produit au sen- timent intérieur de l'individu. Comme les idées sont les matériaux de tous les actes de l'intelligence, la #7érnoire suppose déjà des idées acquises ; et il est évident qu’un individu qui n'aurait encore aucune idée, ne pourrait en exécuter aucun acte. La faculté qu'on nomme #émoire ne peut donc commencer à exister que dans un indi- vidu qui posséde des idées. La mémoire nous éclaire sur ce que peuvent être les idées, et même nous fait sentir ce qu’elles sont réellement. Or, les idées que nous nous sommes formées par la voie des sensations, et celles ensuite que nous avons acquises par les actes de nos pensées, étant des images ou des traits caractéristiques, gravés, c’est-à-dire plus où moins profondément imprimés sur quelque partie de notre organe d'intelligence, la mémoire les rappelle chaque fois que notre fluide nerveux, ému par notre sentiment intérieur, ren— contre, dans ses agitations, les images ou les traits dont il s’agit. Le fluide nerveux en rapporte alors le résultat à notre sentiment intérieur, et aussitôt ces idées nous redeviennent sensibles : c’est ainsi que s’exécutent les actes de i7émoire. DE L’ENTENDEMENT ST On sent bien que le sentiment intérieur dirigeant le fluide nerveux, dans le mouvement qu'il lui imprime , peut le porter séparément sur une seule de ces idées déja tracées, comme sur plusieurs d'entre elles, et qu'ainsi la #émoire peut rappeler, au gré de lindividu, telle idée séparément, ou sue- cessivement plusieurs idées. Il est évident, d’après ce que je viens de dire, que si nos idées, soit simples, soit complexes, n'étaient point tracées et plus ou moins profondé- ment imprimées dans notre organe d'intelligence , nous ne pourrions nous les rappeler, et que consé- quemment la mémoire n'aurait aucune existence. Un objet nous a frappés : c’est, je suppose, un bel édifice embrasé et consumé, sous nos yeux, par les flammes. Or, quelque temps après, nous pouvons nous rappeler parfaitement cet objet sans le voir ; il suffit uniquement pour cela d’un acte de notre pensée. Que se passe-t-il en nous dans cet acte, si ce n’est que notre sentiment intérieur, mettant en mou- vement notre fluide nerveux, le dirige dans notre organe d'intelligence, sur les traits que la sensation de l’incendie y a imprimés, et que la modification du mouvement, que notre fluide nerveux acquiert en traversant ces traits particuliers, se rapporte ussitôt à notre sentiment intérieur, et nous rend, dès lors, parfaitement sensible l’idée que nous cher- chons à nous rappeler, quoique cette idée soit alors 383 DES PRINCIPAUX ACTES plus faiblement exprimée que lorsque lincendie s’effectuait sous nos yeux. Nous nous rappelons ainsi une personne où un objet quelconque, que nous avons déjà vu et remar- qué, et nous nous rappelons de mème les idées complexes que nous avons acquises. Il'est si vrai que nos idées sont des images ou des traits caractéristiques, imprimés sur quelque partie de notre organe d'intelligence, et que ces idées ne nous sont rendues sensibles que lorsque notre fluide nerveux, mis en mouvement, rapporte à notre sen- timent intérieur la modification de mouvement qu'il a acquise en traversant ces traits, que si, pendant notre sommeil, notre estomac se trouve embarrassé, ou si nous éprouvons quelque irritation Intérieure, notre fluide nerveux recoit, dans cette circonstance, une agitation qui se propage jusque dans notre cer- veau. Il est aisé de concevoir que ce fluide, n'étant point alors dirigé, dans ses mouvements, par notre sentiment intérieur, traverse sans ordre les traits de différentes idées qui s’y trouvent imprimées, et nous rend sensibles toutes ces idées, mais dans le plus grand désordre, les dénaturant le plus souvent par leur mélange entre elles, et par des jugements altérés et bizarres. Pendant le sommeil parfait, le sentiment inté- rieur ne recevant plus d'émotions, cesse, en quelque sorte, d'exister, et conséquemment ne dirige plus les mouvements de la portion disponible du fluide DE L’ENTENDEMENT 39 nerveux. Aussi l’individu endormi est-il comme s'il n'existait pas. Il ne jouit plus du sentiment, quoi- qu'il en conserve la faculté, il ne pense plus, quoi- qu'il en ait toujours le pouvoir ; la portion disponible de son fluide nerveux est dans un état de repos, et la cause productrice des actions (le sentiment inté- rieur) n'ayant plus d'activité, cet individu ne saurait en exécuter aucune. Mais si le sommeil est imparfait, par suite de quelque irritation interne qui excite de lagitation dans la portion libre du fluide nerveux, le sentiment intérieur ne dirigeant point alors les mouvements du fluide subtil dont il s’agit, les agitations de ce fluide qui s’exécutent dans les hémispheres du cerveau, y occasionnent des idées sans suite, ainsi que des pensées désordonnées et bizarres par le mélange d'idées sans rapport dont elles se composent, lesquelles forment les songes divers que nous faisons, lorsque nous ne jouissons pas d’un sommeil parfait. Ces songes, ou les idées et les pensées désordon- nées qui les constituent, ne sont autre chose que des actes de mémoire qui s’exécutent avec confusion et sans ordre, que des mouvements irréguliers du fluide nerveux dans le cerveau, enfin, que le résultat de ce que le sentiment intérieur, w'exercant plus ses fonctions pendant le sommeil et ne dirigeant plus les mouvements du fluide des nerfs, les agitations de ce fluide rendent alors sensibles à l'individu des 39) DES PRINGIPAUX. ACTES idées dépourvues de liaisons, et Le plus souvent sans rapport entre elles. C’est ainsi que s’exécutent les songes que nous formons en dormant, soit lorsque notre digestion étant tres-laborieuse, soit lorsque ayant été fortement agités, dans l’état de veille, par quelque grand intérèt ou par des objets qui nous ont émus , nous éprou- vons, pendant le sommeil, une grande agitation dans nos esprits, c’est-à-dire dans notre fluide ner- veux. Or, les actes désordonnés dont il est question s'effectuent toujours sur des idées où d’après des idées déjà acquises, et nécessairement imprimées dans l'organe de,lintelligence : et jamais un indi- vidu , en rèvant, ne saurait se rendre sensible une idée qu'il n'aurait pas eue, en un mot, un objet dont il n'aurait eu aucune connaissance. Une personne qui, depuis son enfance, se trou- verait renfermée dans une chambre qui ne recevrait le jour que par le haut, et à qui l’on fournirait ce qui lui serait nécessaire, sans communiquer avec elle, ne verrait jamais assurément, dans ses songes, aucun des objets qui affectent tant les hommes dans la société. Ainsi, les songes nous montrent le mécanisme de la inémoire, comme celle-ci nous fait connaître celui des idées, et lorsque je vois mon chien rêver, aboyer en dormant, et donner des signes non équi- voiques des pensées qui l’agitent, je demeure con- DE L’ENTENDEMENT 391 vaincu qu'il a aussi des idées, quelque bornées qu’elles puissent être. Ce n’est pas seulement pendant le sommeil que le sentiment intérieur peut se trouver suspendu ou troublé dans ses fonctions. Pendant la veille, tantôt une émotion forte et subite suspend entièrement les fonctions de ce sentiment, et mème tous les mouve- ments de la portion libre du fluide nerveux ; alors on éprouve la syncope, c’est-à-dire on perd toute connaissance et la faculté d'agir; et tantôt une irritation considérable où générale, comme celle qui s'exécute dans certaines fièvres, suspend encore les fonctions du sentiment intérieur, et néanmoins agite tellement toute la portion libre du fluide nerveux, qu'elle fait exprimer les idées et les pensées désor- données que l’on ressent, et exécuter des actions pareillement désordonnées : dans ce cas, on éprouve ce qu'on nomme le délire. Le délire ressemble donc aux songes par le dé- sordre des idées, des pensées et des jugements; et il est évident que ce désordre, dans les deux cas que je viens de citer, provient de ce que le sentiment intérieur, se trouvant suspendu dans ses fonctions, ne dirige plus les mouvements du fluide nerveux *. 1 Quand au délire vague, ou aux espèces de vertiges que l'on épro uv ordinairement lorsque l'on commence à s'endormir, cela tient proba- blement à ce que le sentiment intérieur, cessant alors de diriger les mou- vements du fluide nerveux encore agité, reprend et abandonne successi- vement cette fonction, avec quelques alternatives, jusqu'à ce que le sommeil soit tout à fait arrive. ‘ 392 DES PRINCIPAUX ACTES Mais la violence de l'agitation nerveuse qui occa- sionne le délire, est cause que ce phénomène west pas seulement le produit d’une grande irritation, mais qu'il est aussi quelquefois celui d’une affection morale tres-forte ; en sorte que les individus qui l’éprouvent ne jouissent alors que très-imparfaite- ment de leur connaissance, car leur sentiment intérieur, troublé et n’exécutant plus ses fonctions, ne dirige plus le fluide nerveux pour la rectitude des idées. Par exemple, lorsque la sensibilité morale est tres-crande, les émotions que produisent certaines idées ou pensées dans le sentiment intérieur, sont quelquefois si considérables, qu'elles troublent ce sentiment dans ses fonctions et l’empèchent de diri- ser le fluide nerveux dans l’exécution des nouvelles pensées qui doivent être produites ; alors les facultés intellectuelles sont suspendues ou en désordre. On va voir que la foie prend aussi sa source dans une cause à peu pres semblable, c’est-à-dire dans celle qui ne permet plus au sentiment intérieur de diriger les mouvements du fluide nerveux dans l'hypocéphale. En effet, lorsqu'une lésion accidentelle a causé quelque dérangement dans l'organe de lintelli- gence, où qu'une grande émotion du sentiment in- térieur a laissé des traces assez profondes de ses effets dans l'organe dont il s’agit, pour y avoir opéré quelque altération, le sentiment intérieur ne DE L’'ENTENDEMENT 393 maitrise plus les mouvements du fluide nerveux dans cet organe, et les idées que les agitations de ce fluide rendent sensibles à l'individu, se présentent en désordre et sans liaison à sa conscience. Il les exprime telles qu'elles s'offrent à lui, et elles lui font exécuter des actions qui y sont relatives. Mais on voit, par les actes de cet individu, que ce sont toujours des idées acquises et ensuite présentées à sa conscience qui l’agitent. Effectivement , la mé- moire, les songes, le délire, les actes de folie, ne montrent jamais d’autres idées que celles que déjà l'individu possédait. Il y a des actes de folie qui tiennent à un déran- sement de certains organes particuliers de Phypo- céphale, les autres ayant conservé leur intégrité ; alors, ce n’est que dans ces organes particuliers que le sentiment intérieur ne maitrise plus et ne dirige plus les mouvements du fluide nerveux. Les per- sonnes qui sont dans ce cas n'exécutent des actes de folie que relativement à certains objets, et tou- jours les mêmes : elles paraissent jouir de leur raison à l'égard de tout ce qui y est étranger. Je n’eéloignerais de mon sujet si j’entreprenais de suivre toutes les nuances qu'on observe dans le désordre des idées et d’en rechercher les causes. Il me suffit d’avoir montré que les songes, le délire, et, en général, la folie, ne sont que des actes désordonnés de la #émoire, qui s’exécutent tou- jours sur des idées acquises et imprimées dans 394 DES PRINCIPAUX ACTES l'organe, mais qui s’operent sans la direction du sentiment intérieur de l'individu, parce qu’alors cette puissance est suspendue ou troublée dans ses fonctions , ou que l’état de l’hypocéphale ne lui permet plus de les exécuter. Cabanis ne s'étant fait aucune idée du pouvoir de notre sentiment intérieur, et ne s'étant point aperçu que ce sentiment constitue en nous une puissance que le besoin, que le moindre désir, en un mot, qu'une pensée excitent et peuvent émouvoir, et qu'alors il a la faculté de mettre en action la por- tion libre de notre fluide nerveux, et de diriger ses mouvements, soit dans notre organe d'intelligence, soit dans l'envoi qu'il en fait aux muscles qui doivent agir, fut, néanmoins, forcé de reconnaitre que le systeme nerveux entre souvent de lui-mème en ac- tivité, sans qu'il y soit porté par des impressions étrangères, et qu’il peut même écarter ces impres- sions et se soustraire à leur influence, puisqu’une forte attention, une méditation profonde suspendent l'action des organes sentants externes. « C’est ainsi, dit ce savant, que s’exécutent les opérations de l'imagination et de la mémoire. Les notions des objets qu’on se rappelle et qu’on se repré- sente, ont bien été fournies, le plus communément ilest vrai, par les impressions reçues dans les divers organes : mais l’acte qui réveille leur trace; qui les offre au cerveau sous leurs images propres, qui met cet organe en état d’en former une foule de combi- DE L'ENTENDEMENT 305 naisons nouvelles, ne dépend souvent en aucune maniere, de causes situées hors de l'organe sensitif. » ({Tist. des sensations, p. 168.) Cela me parait très-vrai; car, tout est ici le ré- sultat du pouvoir du sentiment intérieur de l’indi- vidu, ce sentiment pouvant s’émouvoir par une simple idée qui fait naitre ce besoin moral qu'on nomme le désir; et l’on sait que le désir embrasse et porte à exécuter, soit les actions qui exigent le mouvement musculaire, soit celles qui donnent lieu à nos pensées, nos Jugements, nos raisonnements, nos analyses philosophiques, enfin, aux opérations de notre imagination. Le désir crée la volonté d'agir de l’une ou de l’autre de ces deux manières : or, ce désir, ainsi que la volonté qu'il entraine, émouvant notre sentiment intérieur, le mettent dans le cas d'envoyer du fluide nerveux, soit dans telle partie du système musculaire, soit dans telle région de l'organe qui produit les actes de l'intelligence. Si Cabanis, dont l'ouvrage sur les Rapports du Physique et du Moral est un fonds inépuisable d'observations et de considérations intéressantes, eût reconnu la puissance du sentiment intérieur, si, ayant pressenti le mécanisme des sensations, 1ln’eùût pas confondu la sensibilité physique avec la cause des opérations de l'intelligence, s'il eût su recon- naître que les sensations ne donnent pas nécessaire- ment des idées, mais de simples perceptions, ce qui 296 DES PRINCIPAUX ACTES est très-différent, enfin, s’il eût distingué ce qui appartient à lirritabilité des parties, de ce qui est le produit de la sensation, quelles lumières son inté- ressant ouvrage ne nous eût-il pas procurées ! Néanmoins, c’est dans cet ouvrage que lon puisera les meilleurs moyens d'avancer cette partie des connaissances humaines dont il est ici question, à cause de la foule de faits et d'observations qu'ilren- ferme. Mais je suis convaincu que ces moyens ne seront utilement employés, que lorsqu'on aura fixé ses idées sur les distinctions essentielles présentées, soit dans ce chapitre, soit dans les autres, qui com posent cette Philosophie zoologique. Si l’on prend en considération ce qui est exposé dans cet article, on se convaincra probablement : 1° Que la s#némoire a pour siége l'organe même de l'intelligence, et qu’elle n’offre, dans ses opéra- tions, que des actes qui rappellent des idées déja acquises, en nous les rendant sensibles ; 2 Que les traits, ou les images, qui appartien- nent à ces idées, sont nécessairement déjà gravés dans quelque partie de l'organe de l’entendement; 3° Que le sentiment intérieur, ému par une cause quelconque, envoie notre fluide nerveux disponible sur ceux de ces traits imprimés que l'émotion qu'il a reçue, soit d’un besoin, soit d’un penchant, soit d’une idée qui éveille l’un ou l’autre, lui fait choi- sir, et qu'il nous les rend aussitôt sensibles en rap- portant au foyer sensitif les modifications de mouve- DE L'ENTENDEMENT 307 ment que ces traits ont fait acquérir au fluide ner- Veux ; 4 Que lorsque notre sentiment intérieur est sus- pendu ou troublé dans ses fonctions, il ne dirige plus les mouvements qui peuvent encore agiter notre fluide nerveux; en sorte qu'alors, si quelque cause agite ce fluide dans notre organe intellectuel, ses mouvements rapportent au foyer sensitif des idées désordonnées, bizarrement mélangées, sans liaison et sans suite; de là, les songes, le délire, etc. On voit donc que partout les phénomènes dont il s’agit résultent d'actes physiques qui dépendent de l’organisation, de son état, de celui des circonstances, dans lesquelles se trouve l'individu, enfin, de la diversité des causes, pareillement physiques, qui produisent ces actes organiques. Passons à l'examen de la quatrième et dernière sorte des opérations principales de l'intelligence, c'est-à-dire de celle de ces opérations qui constitue les jugements. DU JUGEMENT QUATRIÈME DES FACULTÉS PRINCIPALES DE L'INTELLIGENCE Les opérations de lintelligence qui constituent des jugements sont, pour Findividu, les plus impor- tantes de celles que son entendement puisse exécuter; 398 DES PRINCIPAUX ACTES et ce sont, en effet, celles dont il peut le moins se passer, et dont il a le plus souvent occasion de faire usage. C'est dans les résultats de cette faculté de juger que les déterminations qui constituent la volonté d'agir prennent leur source; c’est aussi des actes de cette mème faculté que naissent les besoins mo- raux, tels que les désirs, les souhaits, les espéran- ces, les inquiétudes, les craintes, etc.; enfin, ce sont toujours aux suites de nos jugements que sont dues celles de nos actions auxquelles notre entende- ment a eu quelque part. On ne peut exécuter aucune série de pensées sans former des jugements; nos raisonnements, nos ana— lyses ne sont que le résultat de jugements ; limagi- nation même n’a de puissance que par les juge- ments, relativement aux modeles ou aux contrastes qu’elle emploie pour créer des idées; enfin, toute pensée qui n’est point un jugement où qui n'en est pas accompagnée, n’est qu'un acte de mémoire, ou ne constitue qu'un examen où une comparaison sans résultat. Combien donc n’importe-t-il pas à tout être doué d’un organe pour l'intelligence de s’habituer à exer- cer son ÿ“gement, et de s’efforcer de le rectifier oraduellement, à l’aide de lobservation et de l'expérience ; car alors il exerce à la fois son en- tendement et il en augmente proportionnellement les facultés ! DE L'ENTENDEMENT 399 Cependant, si l’on considere la grande généralité des hommes, on voit que les individus qui la com- posent, dans toutes les occasions où il ne s’agit pas d’un besom ou d’un danger pressant , jugent rare- ment par eux-mêmes, et s’en rapportent au juge- ment des autres. Cet obstacle aux progrès de l'intelligence indivi- duelle n’est pas seulement le produit de la paresse, de l’insouciance, où du défaut de moyens, il est, en outre, celui de l'habitude que lon a fait contracter aux individus, dès leur enfance et dans leur jeu- nesse, de croire sur parole, et de soumettre toujours leur jugement à une autorité quelconque. Ayant, en peu de mots, fait sentir l’importance du jugement, et celle surtout de le former par l'exercice, et de le rectifier de plus en plus par l'expérience, examinons maintenant ce que c’est que le jugement lui-mème , et par quel mécanisme cette opération de l'intelligence peut s’exécuter. Tout jugement est un acte très-particulier que le fluide nerveux exécute dans l'organe de l’intelli- gence, dont il trace ensuite le résultat dans l'organe mème, quil rapporte aussitôt apres au sentiment intérieur, c'est-à-dire à la conscience de l'individu. Or, cet acte résulte toujours d’une comparaison exécutée, ou de rapports recherchés entre des idées acquises. Voici le mécanisme probable de l’acte physique dont il est question , car c’est le seul qui me paraisse 400 DES PRINCIPAUX ACTES capable d’y donner lieu, et qui soit conforme aux produits connus de la loi des mouvements réunis ou combinés. Les idées gravées occupent, sans doute, chacune dans l'organe, une place particulière : or , lorsque le fluide nerveux agité traverse à la fois les traits de deux idées différentes, ce qui a lieu dans la comparaison de ces deux idées, 1l est alors partagé nécessairement en deux masses séparées, dont l’une arrive sur la première des deux idées, tandis que l’autre masse rencontre la seconde. De part et d’au- tre, ces deux masses de fluide nerveux recoivent chacune de la part des traits qu'elles traversent, une modification dans leur mouvement, qui est particulière à lidée qu'elles ont rencontrée. On conçoit de là, que, si ensuite ces deux masses se réunissent en une seule, elles combineront aussitôt leurs mouvements, et que, dès lors, la masse com- mune aura un mouvement composé, qui sera moyen entre les deux sortes de mouvements qui se seront combinées. Ainsi, l’acte physique qui donne lieu à un juge- ment est probablement constitué par une opération du fluide nerveux qui, dans ses mouvements, se répand sur les traits imprimés des idées que l’on compare ; et il paraît consister en autant de mouve- ments particuliers du fluide en question, qu'il y a d'idées comparées, et de portions de ce fluide qui traversent les traits de ces idées. Or, ces portions DE L’ENTENDEMENT - 401 séparées du même fluide, qui ont chacune un mouve- ment particulier, venant toutes à se réunir, forment une masse dont le mouvement est composé de tous les mouvements particuliers cités ; et ce mouvement composé imprime alors, dans l’organe, de nouveaux traits, c’est-à-dire une idée nouvelle, qui est le jugement dont il agit. Cette idée nouvelle est aussitôt rapportée au sen- timent intérieur de l'individu ; il en a le sentiment moral ; et si elle fait naître en lui un besoin, pareil- lement moral, elle donne lieu à sa volonté d'agir pour y satisfaire. Indépendamment de linexpérience et des suites de l'habitude de juger presque toujours d'apres les autres, des causes nombreuses et différentes concou- rent à altérer les jugements, c'est-à-dire à rendre moins parfaite leur rectitude. Les unes de ces causes tirent leur origine de limperfection mème des comparaisons exécutées, et de la préférence que, selon les lumières, le goût particulier et l’état individuel, que l’on donne à telle idée sur telle autre ; en sorte que les véritables éléments qui entrent dans la formation de ces juge- ments sont incomplets. [Il n’y a, dans tous les temps, qu'un petit nombre d'hommes qui, susceptibles d'une attention profonde, et à force de s'être exercés à penser, et d’avoir mis à profit expérience, puissent se soustraire à ces causes d’altérations dans leurs jugements. LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 26 402 DES PRINCIPAUX ACTES Les autres, auxquelles il est difficile d'échapper, prennent leurs sources : 1° dans l’état même de notre organisation qui altére les sensations dont nous nous formons des idées ; 2° dans l'erreur où nous entrainent souvent certaines de nos sensations ; 3° dans les influences que nos penchants, nos passions mèmes exercent sur notre sentiment intérieur, le portant à donner aux mouvements qu'il imprime à notre fluide nerveux des directions différentes de celles qu'il leur aurait données sans ces influences, elcs, letc: Ayant déjà traité de ce qui concerne le jugement dans le chapitre vi de cette partie, je sortirais du plan que je me suis tracé, et des bornes qu'il exige, si j'entrais dans les détails des causes nombreuses qui contribuent à altérer le jugement, et si j'entre- prenais de les développer. Il suffit à l'objet que j'ai en vue de faire remarquer que quantité de causes nuisent, en général, à la rectitude des jugements que nous exécutons ; et qu'a cet égard, 1} y a autant de diversite dans les jugements des hommes, qu'il y en à dans l’état physique, les circonstances, les penchants, les lumières, le sexe, l’âge, etc. , des individus. Que lon ne s'étonne donc point de la discordance constante, mais non générale, que l’on observe dans les jugements que l'on porte sur une pensée, un raisonnement, un ouvrage, enfin, un sujet quel- conque, dans lesquels chacun ne peut voir que ce DE L'ENTENDEMENT 403 qu'il a jugé lui-même, que ce qu'il peut concevoir, à raison de la nature et de l’étendue de ses connaissan- ces, en un mot, que ce qu'il peut saisir, selon le degré d'attention qu'il peut donner aux sujets qui s'offrent à sa pensée. Que de personnes, d’ailleurs, se sont fait une habitude de ne juger presque rien par elles- mêmes, et, conséquemment, de s’en rapporter, à peu près, sur tout au jugement des autres ! Ces considérations, qui me semblent prouver que les jugements Sont assujettis à différents degrés de rectitude , et que cette rectitude n’atteint que le degré qui est relatif aux circonstances qui concer- nent chaque individu, m'amenent naturellement à dire un mot de la raison, à examiner ce qu'elle peut ètre, et à la comparer avec l'instinct. DE LA RAISON ET DE SA COMPARAISON AVEC L'INSTINCT La raison n'est pas une faculté; elle est bien moins encore un flambeau, un être quelconque ; mais cest un état particulier des facultés intellectuelles de Pindividu; état que lexpérience fait varier, améliore graduellement et qui rectifie les jugements, selon que individu exerce son intelligence. Ainsi, la raison est une qualité susceptible d’être possédée dans différents degrés, et cette qualité ne 4104 DES PRINCIPAUX ACTES peut ètre reconnue que dans un être qui jouit de quelques facultés intellectuelles. En derniere analyse, on peut dire que, pour tout individu doué de quelque intelligence, la 7'aison n'est autre chose qu'un degré acquis dans la rec- hitude des jugements. À peine sommes-nous nés, que nous éprouvons des sensations, surtout de la part des objets exté- rieurs qui affectent nos sens ; bientôt nous àcqué- rons des idées qui se forment en nous à la suite des sensations remarquées; et bientôt, encore, nous comparons, presque machinalement, les objets re- marqués et nous formons des jugements. Mais alors, nouveaux au milieu de tout ce qui nous entoure, dépourvus d'expérience, et abusés par plusieurs de nos sens, nous jugeons mal ; nous nous trompons sur les distances, les formes, les couleurs et la consistance des objets que nous remarquons, et nous ne saisissons pas les rapports qu'ils ont entre eux. Il faut que plusieurs de nos sens concou- rent chacun et successivement à détruire peu à peu nos erreurs et à rectifier les jugements que nous formons ; enfin, ce n’est qu'a l’aide du temps, de expérience et de l'attention donnée aux objets qui nous affectent, que la rectitude de nos jugements s'opère par degrés. La mème chose a lieu à l'égard de nos idées complexes, des vérités utiles et des règles où pré- ceptes qu'on nous communique. Ce n'est qu'au DE L’'ENTENDEMENT 105 moyen de beaucoup d'expérience et de mémoire pour rassembler tous les éléments d’une consé- quence, en un mot, qu'au moyen du plus grand exercice de notre entendement, que nos jugements, à l'égard de ces objets, se rectifient graduellement. De là, la différence considérable qui existe entre les jugements de l'enfance et ceux de la jeunesse ; de là encore, la différence qui se trouve entre les jugements d’un jeune homme de vingt ans et ceux d'un homme de quarante ou davantage, l'intelligence, de part et d'autre, ayant toujours été également exercée. Le plus ou le moins de rectitude dans nos juge- ments sur toutes choses, et particulièrement sur les objets ordinaires de la vie et de nos relations avec nos semblables, constituant le plus ou le moins de raison que nous possédons, cette qualité n’est donc qu'un degré quelconque acquis dans la rectitude des jugements dont il s’agit ; et comme les circonstances dans lesquelles chacun se trouve, les habitudes, le tempérament, etc., etc., entraînent une grande di- versité dans l'exercice de l’entendement, c’est-à-dire dans la manière de penser, d'examiner et de juger, il y a donc des différences réelles entre les juge- ments qui sont formés. Ainsi, la raison n’est point un objet particulier, un être quelconque que lon puisse posséder ou ne pas posséder, mais c’est un état de l’organe de l’entendement, duquel résulte un degré plus ou 406 DES PRINCIPAUX AGTES moins grand dans la rectitude des jugements de l'individu ; en sorte que. tout être qui possède un organe pour l’entendement, qui a des idées et qui exécute des jugements, a nécessairement un degré quelconque de raison, selon son espece, son âge, ses habitudes, et selon différentes circonstances qui concourent à retarder, où à avancer, ou à rendre stationnaires ses progres dans la rectitude de ses jugements. Comme l'attention donnée aux objets qui produi- sent en nous des sensations, est la seule cause qui fait que ces sensations peuvent occasionner en nous des idées, il est évident que plus, par suite de l'exercice de cette faculté, nous nous rendons capa- bles d'attention, et surtout d’une attention soutenue et profonde, plus nos idées deviennent claires, sont justement limitées, et plus les jugements que nous formons avec de pareilles idées ont de recthitude. Il suit de là que le degré de raison le plus élevé, est celui qui provient d’une grande clarté dans les idées , et d’une reclitude , presque générale, dans les jugements. L'homme, beaucoup plus capable qu'aucun autre être intelligent de cette attention profonde et sou— tenue, et pouvant la fixer sur un grand nombre d'objets différents , est le seul qui puisse avoir une multitude, presque infinie, d'idées claires, et qui forme, par conséquent, des jugements doués de la rectitude la plus générale, mais il faut, pour cela, DE L’'ENTENDEMENT 407 qu'il exerce fortement et habituellement son intelli- gence, et que les circonstances qui peuvent lui être favorables y concourent. D’apres ce qui vient d'être exposé, la raison n'étant qu'un degré quelconque dans la rectitude des jugements, et tout être, doué d'intelligence, pouvant exécuter des jugements, ceux qui sont dans ce cas jouissent, conséquemment, d’un degré quelconque de raison. En effet, si l’on compare les idées et les jugements de l’animal intelligent, qui est encore jeune et inex- périmenté, aux idées et aux jugements du même animal, parvenu à l’âge de Fexpérience acquise, on verra que la différence qui se trouve entre ces idées et ces jugements se montre, dans cet animal, tout aussi clairement que dans l’homme. Une recti- fication graduelle dans les jugements, et une clarté croissante dans les idées, remplissent, dans l’un et dans l’autre, l'intervalle qui sépare le temps de leur enfance de celui de leur âge mûr. L'âge de l'expérience et de tous les développements terminés, se distingue éminemment de celui de Pinexpérience et du peu de développement des facultés, dans cet animal, de même que dans l’homme. De part et d'autre, on reconnait les mêmes caractères et la même analogie dans les progrès qui peuvent s’acqué- rir ; il n'y a que du plus ou du moins, selon les especes. Il y a donc aussi, chez les animaux qui possèdent 408 DES PRINCIPAUX ACTES un organe spécial pour l'intelligence, différents degrés dans la rectitude des jugments, et, consé- quemiment, différents degrés de raison. Sans doute, le degré le plus élevé de la raison donne à l’homme, qui en est doué, la perception de la convenance ou de linconvenance, soit de ses propres idées ou de ses opinions , soit des idées ou des opinions des autres; mais cette perception, qui est un jugement, n’est pas le propre de tous les hommes. A la place de cette juste perception, qui résulte d’une intelligence très-exercée, ceux qui ne la possèdent pas, y en substituent une fausse, et comme celle-ci est le résultat de leurs moyens, ils la croient juste. De là, cette diversité d'opinions et de jugements dans les individus de l'espèce humaine, laquelle s’opposera toujours à ce qu'il y ait un accord réel entre les idées et les jugements de ces individus, par la raison que les hommes, se trouvant chacun dans des circonstances fort différentes, ne peuvent, par conséquent, arriver au même degré de raison. Maintenant, si nous comparons la raison avec l'instinct, nous verrons que la premiere, dans un degré quelconque, donne lieu à des déterminations d'agir qui prennent leur source dans des actes d’in- telligence, c’est-à-dire dans des idées, des pensées et des jugements, et que l’enstinct, au contraire, est une force qui entraine vers une action, sans détermination préalable, et sans qu'aucun acte d’in- telligence y ait la moindre part. DE L’ENTENDEMENT 409 Or, la raison n'étant qu'un degré acquis dans la rectitude des jugements, les déterminations d’action qui en proviennent, peuvent être mauvaises où Incon- venables, lorsque les jugements qui les produisent sont erronés, où faux en tout ou en quelque point. Mais l'instinct, qui n’est qu'une force qui entraine et qui est le produit du sentiment intérieur qu'un besoin quelconque émeut, ne se trompe point à l'égard de l’action à exécuter, car il ne choisit point, ne résulte d'aucun jugement, et n’a réellement point de degrés. Toute action que fait exécuter linstinc! est donc toujours le résultat de l'espèce d’excitation produite par le sentiment intérieur de lindividu, comme tout mouvement communiqué à un corps est toujours, dans sa direction et sa force, le produit de la puissance qui l’a communiqué. Il n’y a rien qui soit clair et véritablement exact dans l’idée qu'a eue Cabanis d'attribuer le raison- nement à des sensations extérieures, et linstinct à des impressions intérieures. Toutes nos impres- sions sont toujours intérieures, quoique les objets quiles causent soient tantôt extérieurset tantôt imté- rieurs. L'observation de ce qui se passe à cet égard doit nous montrer qu'il est plus juste de dire : Que les raisonnements et que les déterminations qui sont la suite de jugements prennent leur source dans les opérations de l'intelligence, tandis que l'instinct, qui fait exécuter quelque action, prend la sienne dans des besoins et des penchants qui émeu- 410 DES PRINCIPAUX ACTES vent immédiatement le sentiment intérieur de Pindi- vidu, et le font agir sans choix, sans délibération, en un mot, sans que l'intelligence y ait aucune part. Les actions de certains animaux sont donc quel- quefois le produit de déterminations rationnelles, et plus souvent celui d’une force énstinctire. Si l’on donne quelque attention aux faits et aux considérations présentés dans le cours de cet ou- vrage, on sentira qu'il y a nécessairement des ani- maux qui n'ont ni raison, ni instinct, tels que ceux qui sont dépourvus de la faculté de sentir, qu'il y en a d’autres qui ont de l’éns/inct, mais quine possèdent aucun degré de raison, tels que ceux qui ont un système sensitif et qui manquent d’organe pour l’in- telligence, enfin, qu'il y en a d’autres, encore, qui ont de l'instinct, plus un degré quelconque de 7'a- son, tels que ceux qui possédent un système pour les sensations et un autre pour les actes de l’enten- dement. L'instinct de ces derniers est la source de presque toutes leurs actions, et ils font rarement usage du degré de raison qu'ils possedent. L'homme, qui vient ensuite, a aussi de l'instinct qui, dans cer- taines circonstances, le fait agir, mais il est suscep- tible d'acquérir beaucoup de raison, et de l'employer à diriger la plupart des actions qu'il exécute. Outre la raison individuelle dont je viens de parler, il s'établit dans chaque pays et chaque ré- gion du globe, selon les lumières des hommes qui les habitent et selon quelques autres causes influen- DE L'EXTENDEMENT AN tes, une raison publique, où à peu près générale, qui se maintient Jusqu'à ce que des causes nouvelles et suffisantes viennent la changer. Or, de part et d'autre, la raison individuelle et la raison publique sont toujours constituées par un degré quelconque dans la rectitude des jugements. Il y à, en effet, un assentiment général dans une société, ou dans une nation, pour une erreur, pour une opinion fausse , ainsi que pour une vérité re connue ; en sorte que des erreurs, des préjugés et des vérités diverses, composent les produits de l’état de rectitude des jugements, soit dans les individus, soit dans les opinions admises dans des sociétés, des corps , des nations, selon les siècles ou les temps considérés. On doit done reconnaitre les progres plus ou moins grands de la ra/son dans un peuple, dans une société, de même que dans un individu. Les hommes qui s'efforcent, par leurs travaux, de reculer les limites des connaissances humaines, savent assez qu'il ne leur suffit pas de découvrir et de montrer une vérité utile qu’on ignorait, et qu'il faut encore pouvoir la répandre et la faire recon- naître; or, la raison individuelle et la raison publique, quise trouvent dans le cas d’en éprouver quelque changement, y mettent, en général, un obstacle tel, qu'il est souvent plus difficile de faire reconnaitre une vérité que de la découvrir. Je laisse ce sujet sans développement, parce que je sais que 412 DES PRINCIPAUX ACTES DE L’'ENTENDEMENT mes lecteurs y suppléeront suffisamment, pour peu qu'ils aient d'expérience dans lobservation des causes qui déterminent les actions des hommes. En finissant ce chapitre sur les principaux actes de l’entendement, je termine en même temps ce que je m'étais proposé d'offrir à mes lecteurs dans cet ouvrage. Malgré les erreurs dans lesquelles j'ai pu me laisser entraîner en le composant, ilest possible qu’il contienne des idées et des considérations qui soient utiles, d’une manière quelconque, à l’avancement de nos connaissances, jusqu'à ce que les grands sujets dont j'ai osé m'y occuper soient traités de nouveau par des hommes capables d'y répandre plus de lumières. FIN DU SECOND ET DERNIER TOME AIAD'ELIONS RELATIVES AUX CHAPITRES VII ET VIII DE LA PREMIÈRE PARTIE Dans les derniers jours de juin 1S09, la ménage- rie du Muséum d'histoire naturelle ayant recu un phoque, connu sous le non de veau marin {phoca vitulina), et qui fut envoyé vivant de Boulogne, j'ai eu occasion d'observer les mouvements et les habi- tudes de cet animal. Depuis, je crois plus fortement encore que cet amphibie est beaucoup plus voisin par ses rapports des mammifères onguiculés que des autres, quelques grandes que soient les différences de sa forme générale comparée à celle de ces mam- miferes. Ses pieds de derrière, quoique forts courts, ainsi que ceux de devant, sont très-libres, bien séparés de la queue , qui est petite, mais tres-distincte, et peuvent se mouvoir avec facillité de différentes manières ; 11s peuvent même saisir les objets, comme de véritables mains. 414 ADDITIONS J'ai remarqué que cet animal réunit à volonté ses pieds de derrière, comme nous joignons les mains, et qu'alors, écartant les doigts, entre lesquels 11 y a des membranes, il en forme une palette assez large, dont il fait usage lorsqu'il se déplace dans l’eau, de la même manière que les poissons se servent de leur queue en nageoire. Ce phoque se traîne assez rapidement sur la terre, à l’aide d’un mouvement d’ondulation du corps, ne s’aidant nullement de ses pieds postérieurs, qui res- tent alors dans l’inaction et sont étendus. En se trainant ainsi, il ne retire quelques secours de ses pieds antérieurs qu'en appuyant le bras jusqu’au poignet, sans se servir particulièrement de la main. Il saisit sa proie, soit avec les pieds postérieurs, soit avec la gueule, et quoiqu'il se serve quelquefois de ses mains antérieures pour rompre la proie qu'il tient dans la gueule, il paraît que ces mains lui sont principalement utiles pour nager ou se déplacer dans l’eau. Enfin, comme cet animal se tient sou- vent assez longtemps de suite sous l’eau, où même il mange à son aise, j'ai remarqué qu'il ferme faci- lement et complétement les narines, comme nous fermons les yeux, ce qui lui est très-utile lorsqu'il est enfoncé dans le liquide qu'il habite. Comme ce phoque ‘est très-connu, je n’en ferai pas la description. Mon objet ici est seulement de faire remarquer que les amphibies n’ont les pieds de derrière disposés dans la mème direction que axe ADDITIONS 4io de leur corps, que parce que ces animaux se trou- vent contraints de les employer habituellement à en former une nageoire caudale, en les réunissant et en élargissant, par l’écartement de leurs doigts, la palette qui résulte de leur réunion. Alors ils peuvent, avec cette nageoire artificielle, frapper l’eau, soit à droite, soit à gauche, hâter leur déplacement et varier sa direction. Les deux pieds postérieurs des phoques étant si souvent employés à former une nageoire par leur réunion, n'auraient pas seulement cette direction en arrière qui leur fait continuer l'allongement du corps, mais ils se seraient tout à fait réunis ensem- ble, comme dans les morses, si les animaux dont il s’agit ne s’en servaient aussi trèés-souvent pour sai- sir et emporter leur proie. Or, les mouvements par- ticuliers que ces actions exigent ne permettent pas aux pieds postérieurs des phoques de se réunir entierement, mais seulement de le faire instantané- ment. Les morses, au contraire, qui se sont habitués à se nourrir des herbes qu'ils viennent brouter sur les rivages, n’employant jamais leurs pieds de derrière qu'à former une nageoire caudale, ces pieds, dans la plupart, se sont tout à fait réunis ensemble, ainsi qu'avec la queue, et ne peuvent plus se séparer. Ainsi, dans des animaux d’origine semblable, voilà une nouvelle preuve du produit des habitudes sur la forme et l’état des organes, preuve que A 416 ADDITIONS J'ajoute à toutes celles que j'ai déja exposées dans le chapitre vu de la première partie de cet ouvrage. Je pourrais en ajouter encore une autre très-frap- pante, relativement aux mammiferes, pour qui le vol semble être une faculté très-étrangere, en montrant comment, depuis ceux des mammiferes qui ne peuvent faire qu’un saut très-prolongé, jus- qu'à ceux qui volent parfaitement, la nature a produit graduellement les extensions de la peau de animal, de maniere à lui donner à la fin la faculté de voler comme les oiseaux, sans qu’il ait pour cela plus de rapports avec eux dans son organisation. En effet, les écureuils volants (sciurus volans, aerobates, petaurisla, sagitta, volucella), moins anciens que ceux que je vais citer, dans l'habitude d'étendre leurs membres en sautant, pour se former de leur corps une espèce de parachute, ne peuvent faire qu'un saut très-prolongé lorsqu'ils se jettent en bas d’un arbre, ou sauter d’un arbre sur un autre qu'à une médiocre distance. Or, par des répé- titions fréquentes de pareils sauts dans les individus de ces races, la peau de leurs flancs s’est dilatée de chaque côté en une membrane lâche qui réunit les pattes postérieures à celles de devant, et qui, embrassant un grand volume d’air , les empêche de tomber brusquement. Ces animaux sont encore sans membranes entre les doigts. Les galéopithèques (leur volans), plus anciens sans doute dans la mème habitude que les écureuils ADDITIONS 417 volants (pferomis Geoffr.), ont la peau des flancs plus ample, plus développée encore, réunissant non- seulement les pattes postérieures aux antérieures, mais en outre les doigts entre eux et la queue avec les pieds de derrière. Or, ceux-là exécutent de plus grands sauts que les précédents, et forment même une espèce de vol. Enfin, les chauve-souris diverses sont des mam- mifères probablement bien plus anciens encore que les galéopithèques, dans l'habitude d'étendre leurs membres et mêmes leurs doigts pour embrasser un grand volume d'air, et se soutenir lorsqu'ils s’élan- cent dans l'atmosphère. De ces habitudes, depuis si longtemps contractées et conservées, les chauve-souris ont obtenu non- seulement des membranes latérales, mais en outre un allongement extraordinaire des doigts de leurs mains antérieures (à l'exception du pouce), entre lesquels il y a des membranes très-amples qui les unissent ; en sorte que ces membranes des mains de devant, se continuant avec celles des flancs et avec celles qui unissent la queue aux deux pattes posté- rieures, constituent pour ces animaux de grandes ailes membraneuses avec lesquelles ils volent parfai- tement, comme chacun sait. Tel est donc le pouvoir des habitudes, qu’elles influent singulièrement sur la conformation des parties, et qu’elles donnent aux animaux qui en ont depuis longtemps contracté certaines , des facultés LAMARCK, FHIL,. ZOOL. Il. 21 418 ADDITIONS que ne possèdent pas ceux qui en ont pris d’autres. A l’occasion des amphibies dont j'ai parlé tout à l'heure, je me plais à communiquer ici à mes lecteurs, les réflexions suivantes, que tous les objets que j'ai pris en considération dans mes études ont fait nai- tre et me semblent de plus en plus confirmer. Je ne doute nullement que les mammifères ne soient réellement originaires des eaux, et que celles-ci ne soient le véritable berceau du règne animal entier. Effectivement, on voit encore que les animaux les moins parfaits, et ce sont les plus nombreux, ne vivent que dans l’eau, comme je l'ai dit ( vol. I, p. 78-79), que c’est uniquement dans l’eau, ou dans des lieux très-humides, que la nature a opéré et opère encore dans les circonstances favorables, des générations directes où spontanées qui font exister les animalcules les plus simples en organisation, et que de ceux-ci sont provenus successivement tous les autres animaux. On sait que les énfusoires, les polypes et les radiaires ne vivent que dans les eaux, que les vers mêmes n’habitent, les uns que dans l’eau et les autres que dans des lieux très-humides. Or, relativement aux vers, qui paraissent former une branche initiale de l’échelle des animaux, comme il est évident que les #nfusoires forment l’autre branche , on peut penser que ceux d’entre eux qui sont tout à fait aquatiques, c’est-à-dire qui ADDITIONS 419 n’habitent point le corps des autres animaux, tels que les gordrus et bien d’autres que nous ne connais- sons pas encore, se sont, sans doute, très-diversifiés dans les eaux ; et que, parmi ces vers aquatiques, ceux qui, ensuite, se sont habitués à s’exposer à l'air, ont probablement produit les insectes amphi- bies, tels que les cousins, les éphémères, etc., etc., lesquels ont amené successivement l’existence de tous les 2nsectes qui vivent uniquement dans l'air. Mais plusieurs races de ceux-ci, ayant changé leurs habitudes par des circonstances qui les y ont portées, et contracté celles de vivre solitairement, retirées ou cachées, ont donné lieu à l'existence des arach- nides qui, presque toutes, vivent aussi dans l’air. Enfin, celles des arachnides qui ont fréquenté les eaux, qui se sont ensuite progressivement habituées a vivre dans leur sein, et qui ont fini par ne plus s'exposer à l'air, ce qu'indiquent assez les rapports qui lient les scolopendres aux iules, celles-ci aux cloportes, et ces derniers aux aselles, crevetles, etc., ont amené l'existence de tous les crustacés. Les autres vers aquatiques, qui ne se sont jamais exposés à l'air, multipliant et diversifiant leurs races avec le temps, et faisant à mesure des progrès dans la composition de leur organisation, ont amené la formation des annelides, des cirrhipèdes et des mollusques, lesquels forment ensemble une portion non interrompue de l’échelle animale, Malgré l’hiatus considérable qui se trouve pour 420 ADDITIONS nous entre les srullusques connus et les poissons, néanmoins, les mollusques, dont je viens d'indiquer lorigne, ont, par l'intermédiaire de ceux qui nous restent à connaître, amené l’existence des poissons, comme il est évident que ceux-ci ont donné lieu à celle des reptiles. En continuant de consulter les probabilités sur l'origine des différents animaux, on ne peut douter que les reptiles, par deux branches distinctes que les circonstances ont amenées, n’aient donné lieu, d’un côté, à la formation des oseaux, et de l’autre, à celle des mammifères amplhibres, lesquels don- nèrent lieu, à leur tour, à celle de tous les autres mammifères. En effet, les poissons ayant amené la formation des reptiles batraciens, et ceux-ci celle des rep- tiles ophidiens, qui, les uns et les autres, n’ont qu'une oreillette au cœur, la nature parvint facile- ment à donner un cœur à oreillette double aux au- tres reptiles qui constituent deux branches particu- lières ; ensuite elle vint facilement à bout de former, dans les animaux qui furent originaires de chacune de ces branches, un cœur à deux ventricules. Ainsi, parmi les reptiles dont le cœur a une oreillette double, d’une part , les chélomens parais- sent avoir donné l’existence aux oiseaux, car, indépendamment de plusieurs rapports qu'on ne peut méconnaître, si je plaçais la tête d’une tortue sur le cou de certains oiseaux, je n’apercevrais ADDITIONS A21 presque aucune disparate dans la physionomie générale de Fanimal factice; et de lautre part, les sauriens, surtout les planicaudes, tels que les crocodiles , semblent avoir procuré lexistence aux mammifères amphibies. Si la branche des chéloniens a donné lieu aux oiseaux , on peut encore présumer que les oiseaux aquatiques palmipèdes , surtout parmi eux les bré- vipennes, tels que les pirgouins et les manchots, ont amené la formation des monotrèmes. Enfin, si la branche des sauriens a donné lieu aux mammifères amphibies, À sera de toute probabilité que cette branche est la source où tous les mammi- fères ont puisé leur origine. Je me crois done autorisé à penser que les mam- miferes terrestres proviennent originairement de ceux des mammiferes aquatiques que nous nommons amphibies. Car ceux-ci s'étant partagés en trois branches, par la diversité des habitudes qu'ils pri- rent à la suite des temps, les uns amenérent la formation des céfacés, les autres celle des mammi- fères ongulés, et les autres encore celle des différents mammifères onguiculés connus. Par exemple, ceux des amplibres qui conservérent l'habitude de se rendre sur les rivages, se divise rent dans la manière de se nourrir. Les uns, parmi eux, s’habituant à brouter l'herbe, tels que les morses et les laimantins , amenèrent peu à peu la formation des mammifères ongulés, tels que les 422 ADDITIONS pachidermes, les ruminants, etc. ; les autres, tels que les phoques, contractant l'habitude de ne se nourrir que de poissons et d'animaux marins, ame- nerent l'existence des mammiferes onguiculés , par le moyen de races qui, en se diversifiant, devinrent tout à fait terrestres. Mais ceux des mammifères aquatiques qui con- tractèrent l'habitude de ne jamais sortir des eaux, et seulement de venir respirer à leur surface, don- nerent probablement lieu aux différents cétacés que nous connaissons. Or, l'antique et complète habi- tation des cétacés dans les mers a tellement modifié leur organisation, qu'il est maintenant tres-difficile de reconnaitre la source où ils ont pris leur ori- gine. En effet, depuis l'énorme quantité de temps que ces animaux vivent dans le sein des mers , ne se servant jamais de leurs pieds postérieurs pour saisir les objets, ces pieds non employés ont tout à fait disparu, ainsi que leurs os, et même le bassin qui leur servait de soutien et d'attache. L’altération que les céfacés ont reçue, dans leurs membres , de l’influence du milieu dans lequel ils habitent, et des habitudes qu'ils y ont contractées, se montre aussi dans leurs pieds de devant qui, entièrement enveloppés par la peau, ne montrent plus au dehors les doigts qui les terminent, en sorte qu'ils n’offrent de chaque côté qu'une nageoïire qui contient le squelette d’une main cachée. ADDITIONS 425 Assurément, les cétacés étant des mammiferes, 1l entrait dans le plan de leur organisation d’avoir quatre membres comme tous les autres, et par conséquent un bassin pour le soutien de leurs mem- bres postérieurs. Mais ici, comme ailleurs, ce qui leur manque est le produit d’un avortement occa- sionné, à la suite de beaucoup de temps, par le défaut d'emploi de parties qui ne leur étaient plus d'aucun usage. Si l’on considère que, dans les phoques où le bassin existe encore, ce bassin est appauvri, resserré et sans saillie sur les hanches, on sentira que le médiocre emploi des pieds postérieurs de ces animaux en doit être la cause, et que si cet emploi cessait entièrement, les pieds de derriere et le bassin même pourraient à la fin disparaître. Les considérations que je viens de présenter ne paraitront, sans doute, que de simples conjectures, parce qu'il n’est pas possible de les établir sur des preuves directes et positives. Mais si l’on donne quelque attention aux observations que j'ai expo- sées dans cet ouvrage, et si ensuite l’on examine bien les animaux que j'ai cités, ainsi que le produit de leurs habitudes et des milieux qu'ils habitent, on trouvera que ces conjectures acquierent, par cet examen, une probabilité des plus éminentes. Le tableau suivant pourra faciliter l'intelligence de ce que je viens d'exposer. On y verra que, dans mon opinion, l'échelle animale commence au moins par deux branches particulières, et que, dans le 424 ADDITIONS cours de son étendue, quelques rameaux paraissent la terminer en certains endroits. TABLEAU SERVANT A MONTRER L'ORIGI NE DES DIFFÉRENTS ANIMAUX Vers. Infusoires. Polypes. Radiaires. Insectes, Arachnides. Annelides, Crustacés. Cirrhipèdes. Mollusques. Poissons. Reptiles. Oiseaux. Monotrèmes. ‘ M. Amphibies. M. Cétaces. M. Ongules. M. Onguiculés. ADDITIONS 425 Cette série d'animaux commençant par deux branches où se trouvent les plus imparfaits, les premiers de chacune de ces branches ne recoivent l'existence que par génération directe ou spontanée. Une raison puissante nous empêche de recon— naître les changements successivement opérés, qui ont diversifié les animaux connus, et les ont amenés à l’état où nous les observons, c’est que nous ne sommes jamais témoins de ces changements. Ainsi, nous observons les opérations faites, mais ne Îles voyant jamais s’exécuter, nous sommes naturelle- ment portés à croire que les choses ont toujours été telles que nous les voyons,-et non qu'elles se sont effectuées progressivement. Parmi les changements que la nature exécute sans cesse dans toutes ses parties, sans exception, son ensemble etses lois restant toujours les mêmes, ceux de ces changements qui, pour s’opérer, n’exigent pas beaucoup plus de temps que la durée de la vie humaine, sont facilement reconnus de l’homme qui les ob- serve, mais il ne saurait s’apercevoir de ceux quine s’exécutent qu'à la suite d’un temps considérable. Que l’on me permette la supposition suivante pour me faire entendre. Si la durée de la vie humaine ne s’étendait qu'a la durée d’une seconde, et s’il existait une de nos pendules actuelles, montée et en mouvement, chaque individu de notre espèce qui considérerait aiguille des heures de cette pendule ne la verrait Jamais 420 ADDITIONS changer de place dans le cours de sa vie, quoique cette aiguille ne soit réellement pas stationnaire. Les observations de trente générations n’appren- draient rien de bien évident sur le déplacement de cette aiguille, car son mouvement n'étant que celui qui s'opère pendant une demi-minute, serait trop peu de chose pour être bien saisi ; et si des observa- tions beaucoup plus anciennes apprenaient que cette même aiguille a réellement changé de place, ceux qui en verraient l’énoncé n’y croiraient pas et sup- poseraient quelque erreur , chacun ayant toujours vu l'aiguille sur le même poiut du cadran. Je laisse à mes lecteurs toutes les applications à faire relativement à cette considération. La Nature, cet ensemble immense d’êtres et de corps divers, dans toutes les parties duquel sub- siste un cercle éternel de mouvements et de change- ments que des lois régissent, ensemble seul immu- table, tant qu'il plaira à son SUBLIME AUTEUR de le faire exister, doit être considérée comme un tout cons- titué par ses parties, dans un but que son Auteur seul connait, et non pour aucune d'elles exclusivement. Chaque partie devant nécessairement changer et cesser d’être pour en constituer une autre, a un intérêt contraire à celui du tout ; et si elle raisonne, elle trouve ce tout mal fait. Dans la réalité, cepen- dant, ce tout est parfait et remplit complétement le but pour lequel il est destiné. FIN DES ADDITIONS ET DU TOME SECOND TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME SUITE Di LA SECONDE PARTIE CyaPiTRE III, — De la cause excitatrice des mouvements orga- QUES MER EME 00e) MED dr sr pus SA CMOOR N. OE Que les mouvements organiques, ainsi que ceux qui constituent les actions des animaux n'étant point communiqués, mais seulement excités, ne s’exécutent que par l'action d'une CAUSE EXCITATRICE, étrangère aux corps qu'elle vivifie et qui ne périt pas comme eux ; que cette cause réside dans des fluides invisibles, subtils, expansifs et toujours agités, qui pénètrent, ou se développent sans cesse, dans les corps qu'ils animent. CHAPITRE IV.— De l’orgasme et de l'irritabilité. . . . . . 19 Que la cause excitatrice des mouvements organiques entretient dans les parties souples des corps vivants, et principalement dans celles des animaux, un ORGASME nécessaire au maintien dela vie dans ces corps; lequel, dans les animaux, donne aux parties qui le possèdent la faculté d'être irritables. Que l'IRRITABILITÉ est une faculté exclusivement propre aux par- ties souples des animaux, qu’elle leur donne celle de pouvoir pro- duire un phénomène local et de le répéter de suite autant de fois que la cause qui le provoque agit sur les points qui peuvent y donner lieu, enfin, que cette faculté est essentiellement distincte de celle de sentir. 428 TABLE DES MATIÈRES CHaPitTre V.— Du tissu cellulaire, considéré comme la gangue dans laquelle toute organisation a été formée. . . . . . . . . 43 Que le Tissu CELLULAIRE est la matrice générale de toute organisa- tion, et que le mouvemeut des fluides dans ce tissu est le moyen qu’emploie la nature pour créer et développer peu à peu les orga- nes aux dépens du tissu dont il] s’agit. CuariTRe VI. — Des générations directes ou spontanées, . . . 57 Que tous les corps vivants étant des productions de la nature, elle a nécessairement organisé elle-même les plus simples de ces corps, leur a donné directement la vie, et avec elle les facultés qui sont généralement propres à ceux quila possèdent. Qu’au moyen de ces générations directes formées au commencement de l'échelle, soit animale, soit végétale, la nature est parvenue à donner progressivement l'existence à tous les autres corps vivants. CHAPITRE VII. — Des résultats immédiats de la vie dans un corps. 84 Qu'il n’est pas vrai que les corps vivants aient la faculté de résis- ter aux lois et aux forces auxquelles tous les corps non vivants sont assujettis, et qu'ils se régissent par des lois qui leur sont particu- lières; mais qu'il l’est, au contraire, que les lois qui régissent les changements que subissent les corps, rencontrant dans ceux qui sont vivants un état de choses très-différent de celui qu’elles trou- vent dans les corps qui ne possèdent point la vie, opèrent sur les premiers des effets fort différents de ceux qu’elles produisent dans les seconds. Que les corps vivants ontla faculté de composer eux-mêmes leur propre substance, et que formant par là des combinaisons qui n’eussent jamais existé sans cette cause, leurs débris sont la source où les différents minéraux puisent les matériaux qui servent à leur formation. CuaprrRe VIII. Des facultés communes à tous les corps vivants. . 104 Que la vie donne généralement à tous les corps qui la possèdent des facultés qui leur sont communes, et que ces facultés n’exigent, pour se produire, aucun organe spécial quelconque, mais seulement l’état de choses dans les parties de ces corps pour que la vie puisse y exister. CuariTRE IX.— Des facultés particulières à certains corps vivants. 117 Qu'outre les facultés que la vie donne à tous les corps vivants, certain d’entre eux en possèdent qui leur sont tout à fait particu- lières. Or, l'observation constate que ces dernières n’ont lieu que lorsque des organes particuliers, capables de les produire, existent dans les animaux qui jouissent de ces facultés. Résumé de laseconde parie. -— 4.0 Cac EM TUE TABLE DES MATIÈRES 129 TROISIÈME PARTIE CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES PHYSIQUES DU SENTIMENT, CELLES QUI CONSTITUENT LA FORCE PRODUCTRICE DES ACTIONS ENFIN, CELLES QUI DONNENT LIEU AUX ACTES D'INTELLIGENCE QUI S'OBSERVENT DANS DIFFÉRENTS ANIMAUX INTRODUCTION . A) ab tn, Art SA MES COTES Quelques considérations générales sur les moyens que la nature possède pour donner lieu, dans certains Corps vivants, aux phénomènes que constituent les sensations, les idées, en un mot, les différents actes d'intelligence. | CHAPITRE PREMIER. — Du système nerveux, de sa formation et des dif- férentes sortes de fonctions qu'il peut exécuter. Ce PO (CE Que le système d'organes, qu'on nomme SYSTÈME NERVEUX, est par- ticulier à certains animaux, et que, parmi ceux qui le possèdent, on le trouve dans différents états de composition et de perfectionnement ; que ce système donne aux uns seulement la faculté du mouvement musculaire , à d’autres la même faculté, plus celle de sentir, à d’autres encore, les deux mêmes facultés, plus celle de se former des idées, et d'exécuter avec celles-ci différents actes d'intelligence, Que lesystème d'organes dont il s'agit exécute quatre sortes de fonctions de nature très-différente, mais seulement lorsqu'il a acquis dans sa composition l’état propre à lui en donner je pouvoir. CHaP1iTRE IT. — Du fluide nerveux … .. . . . + Je Dale Au 2: Qu'il se développe dans le corps de certainsanimaux un fluide très- substil, invisible, contenable, et remarquable par la célérité de ses mouvements; que ce fluide à la faculté d’exciter le mouvement mus- culaire, que c’est par son moyen que les nerfs affectés produisent le sentiment; qu'ébranlé dans sa masse principale, il est le sujet des émotions intérieures, enfin, qu'il est l'agent singulier par leque] se forment les idées et tous les actes d'intelligence. CHaPiTRe III. — De la sensibilité physique et du mécanismedes sensa- EE 7 0 A Qu'il n’est pas vrai qu'aucune matière, ni qu'aucune partie d’un corps vivant, puissent avoir en propre la faculté de sentir; mais qu'il l’est que le sentiment est un phénomène qui résulte des fonctions d'un système d'organes particulier capable d'y donner lieu. 430 TABLE DES MATIÈRES Que le SENTIMENT est le produit d’une action sur le fluide subtil d'un nerf affecté, laquelle se propage dans tout le fluide nerveux du système sensitif, et se termine par une réaction genérale qui se rapporte au sentiment intérieur de l'individu et au point affecté. CHAPITRE IV. — Du sentiment intérieur, des émotions qu'il est suscep- tible d'éprouver, et de la puissance qu'il en acquiert pour la produc- HOT ACTIONS. PP DE ONE M”: Que le SENTIMENT intérieur résulte de l’ensemble des sensations internes que produisent les mouvements vitaux, et de ce que toutes les portions du fluide nerveux, communiquant entre elles, forment un tout unique, quoique divisé, lequel est susceptible de recevoir des ébranlements généraux qu'ou nomme émotions. Que ce sentiment intérieur est le lien qui réunit le physique au mo- ral, et qu’il est la source de l’un et de l’autre; que le sentiment dont il s’agit, d’une part, avertit l'individu des sensations qu'il éprouve (de là le physique); et de l’autre part, lui donne la conscience de ses idées et de ses pensées (de là le moral); qu’enfin, à la suite des émotions que les besoins lui font subir, il fait agir l'individu sans participation de la volonté (de là l'instinct). CuarirRe V. — De la force productrice des animaux, et de quelques faits particuliers qui résultent de l'emploi de cette force. . . . 276 Que l’action musculaire étant une force très-suffisante pour pro- duire les mouvements qu'exécutent les animaux, et l'influence ner- veuse pouvant exciter cette action musculaire, ceux des animaux qui jouissent du sentiment physique possèdent dans leur sentiment in- térieur une puissance très-capable d'envoyer aux muscles le fluide excitateur de leurs mouvements; et c’est, en effet, dans ses émo- tions que ce sentiment trouve la force de faire agir les muscles. De la consommation et de l'épuisement du fluide nerveux dans la produc- tion des.actions animales 0° . COTE AA 2ET De l'origine du penchant aux mêmes actions . . . . . . . 291 De lmstinctides animadees CCE CR ce De l'industrie de certains animaux re UC 20 CéiPrire VI De la volonté. . RH Le OT: ROUS Que la volonté résultant toujours d'u jugement, et celui-ci pro- venant nécessairement d'une idée comparée, d’une pensée, ou de quelque impression qui y donne lieu, tout acte de volonté en est un de l'intelligence, et qu'il n'y a conséquemment que les animaux qui possèdent un organe spécial pour l'intelligence qui puissent exécuter des actes de volonté. Que puisque la volonté dépend toujours d’un jugement, non- seulement elle n’est jamais véritablement libre, mais en outre que les jugements étant exposés à une multitude de causes qui les TABLE DES MATIÈRES 431 rendent erronés, la volonté qui en résulte trouve dans le jugement un guide moins sûr que celui que l'instinct rencontre dans le sen- timent intérieur ému par quelque besoin. Cuaapitrre VII. — De l'entendement, de son origine, et de celle des OS d © LOT RC SR EU LOL Que tous les actes de l'entendement exigent un système d'organes particulier pour pouvoir s'exécuter; que les idées acquises sont les matériaux de toutes les opérations d’entendement; que quoique toute idée soit originaire d'une sensation, toute sensation ne saurait produire une idée, puisqu'il faut un organe spécial pour sa forma- tion, et qu'il faut en outre que la sensation soit remarquée; enfin, que, dans l'exécution des actes d'intelligence, c’est le fluide nerveux qui, par ses mouvements dans l'organe dont il s’agit, est la seule cause agissante, l'organe lui-même n’etant que passif, mais contri- buant à la diversité des opérations par celle de ses parties. Cuarirre VIII, — Des principaux actes de l'entendement, ou de ceux du premier ordre dont tous les autres dérivent. . . . . 90) Que les principaux actes de l’entendement sont l'ArrENTION, état particulier et préparatoire dans lequel entre alors l'organe, et sans lequel aucun autre de ses actes né saurait se produire; la PENSÉE, de laquelle naissent les idées complexes de tous les ordres; la M&- MOIRE, dont les actes, qu'on nomme souvenirs, rappellent les idées quelles qu'elles soient, en les rapportant au sentiment intérieur, c'est-à-dire à la conscience de l'individu ; enfin, les JUGEMENTS, qui sont les actes les plus importants de l'entendement, et sans lesquels aucun raisonnement, aucun acte de volonté ne pourraient se pro- duire, en un mot, aucune connaissance ne pourrait s’acquérir. De l'imagination. . Le catt te Der: ne NP PAL 7 De la raison et de sa comparaison avec l'instinet. . . . . 403 Additions relatives aux chapitres vitet viix de la premiere partie. 413 FIN DE LA TABLE DU TOME SECOND ET DERNIER LYON.— IMP. PITRAT AINE, RUE GENTIL, 4. æ + : nu FE PAT : LE PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET ES UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY Pole EEE B'oMed ER, . RE be, 2 SHARE, £ ES 4 Dpt PAR AUNR TE j: } Fr SABRE 4 PR : A d APE Ain : L CF LA E 5 Le ve % ' AP Ph (#1 4 A des DOUTE CMARAT A Pr \ sa 1 Hi, » * 1 da? L 4 % | Pat L fs | à : en Rte ny Wii / 11843 : ÉAUTE A f Fe su vf Re" Me de 4% CRT EX re : À 1102 1% Ya à NÉE NA 2: ï AS À É: x fs 3 re CPC CAE LIATAIDTE Rte ke + LA Tae Pa Em < fi es Ne “1 k # M ‘ ét ÊRe É: re À #1 r 30% a , … tre RO LÉ ANA DOTE terne 4 de Hs AA UE, r AR APCURES LAN Fe PE; D'RRNÉBAAURRRE 4, . Que Û j11 (AB : ! EE + À 1° ht E h Et - Ÿe) xt CA vite CR A AS UE PP MPa ne Pc rt 726 D ge ACER PA TE aie