Eli m ■ 1 1^ m S KM '«^, i P i ^^fekJ iyiM ■ E :.€ « -EL- «-• i' . > '*^«#%- ratr"^»iA' '|| Kn% J^^^ IjÉk^^^HHj ^^^^^^B*«**^ m^^^^^^^^K^^ • »,-.^.^.-' > '^^^■aft- <^B "^^' J^^yr Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/phnomnesphys02mage PHÉNOMÈNES PHYSIQUES DE LA YIE. IL Imp. dcMoQUET KT Hauquemn, r. deia Harpe, 90. PHÉNOMÈNES PHYSIQUES DE LA VIE, LEÇONS PROFESSÉES AU COLLEGE DE FRANCE PARM.MAGENDIE, MEMBRE DE l'iNSTITUT DE FRANCE. TOME DEUXIÈMC. C A PARIS, CHEZ J.-B. BAILLIÈRE, LIBRAIRE DE l'aGADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE | RUE DE l'école-de-médecine, 17. A LONDRES CHEZ H. BAILLIÈRE, 29t, REGENT STREET 1842 ' ré LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES PHYSIQUES DE LA VIE. PREMIÈRE LEÇON. 28 décembre 4856. Messieurs, Avant de nous engager dans les questions que nous nous proposons d'étudier pendant ce semes- tre ^ il n'est peut-être pas inutile de dire un mot sur le mode d'enseignement qui distingue aujour- d'hui le Collège de France. L'Université, dans ses diverses facultés , les écoles spéciales , enseignent et doivent enseigner l'état actuel de la science, sous la forme élémentaire ou transcendante; celui- là y remplira le mieux ses fonctions de professeur qui , passant successivement en revue les ma- Magentlie. i (2) tiéres inscrites sur son programme, leur donneça les développements les plus complets et les plus en harmonie avec les connaissances de l'époque. Tel n'est point l'enseignement des sciences du Collège de France : son cadre plus restreint est en même temps .d'un ordre plus relevé. Nous supposons , ou du moins nous devons supposer notre auditoire aussi instruit que nous des faits et des classifications scientifiques ; notre devoir , ou plutôt notre ambition est de le mettre dans la voie des progrés , de lui indiquer la carrière à parcourir , et s'il est possible d"y entrer et d'y marcher avec lui. Ce caractère d'enseignement nécessite inévita- hlementun mode spécial pour l'élection des hommes qui doivent occuper nos chaires. Le choix du pro- fesseur n'est plus ici confié aux chances du con- cours. Il ne sufTirait point, dans une lutte heu- reuse , de l'avoir emporté sur quelques rivaux. Le monde sav^ant tout entier compose un juri, qui réunit ses suffrages sur le candidat dont la vie a été consacrée à l'étude d'une spécialité , et dont les travaux ont reculé les limites delà science. Qui eût osé, je vous le demande, descendre dans l'arène pour disputer à ChampoUion la chaire où il dévoi- lait avec tant de bonheur et de savoir les mystères de l'antique Egypte et l'artifice de ses hiéroglyphes ? Qui eût osé contester à Cuvier la possession de la chaire d'histoire naturelle ? Vous connaissez tous les découvertes si brillantes et ai multipliées surl'é- lectro-magnétisme, dont un professeur, dont nous regrettons la perte récente , M. Ampère, a doté ( 3 ) la physique ; qui donc aurait été plus habile à les faire connaître du public? quel autre plus digne de lui succéder que le savant appelé à recueillir ce glorieux héritage, et dont les convenances m'em- pêchent de prononcer le nom dans cette enceinte? Enfin , s'il m'est permis de me citer après avoir parlé d'hommes aussi élevés, n'est - ce pas à mes travaux sur la médecine et la physiologie que je dois l'honneur de vous enseigner aujourd'hui ce que m'ont appris vingt-cinq années de recherches j'oserai dire consciencieuses ? L'enseignement de la médecine ne doit donc point ressembler ici à ce qu'il est dans les autres établissements publics. Prenant pour point de dé • ^ part les faits depuis peu introduits dans le do- maine de la science , nous attaquerons les ques- tions encore obscures; et leur appropriant les pro- cédés par lesquels d'autres points ont été éclaircis, nous chercherons à les éclairer à leur tour ; en un mot , nous ferons de continuels efforts pour im- primer à vos esprits une impulsion d'avenir. Et d'abord expliquons-nous sans détour et sans réticence sur quelques points fondamentaux de l'é- tat actuel de notre science. Si nos idées n'étaient pas fixées à cet égard , et si nous nous laissions abuser par quelques prestiges , tout piogrés ulté- ^ rieur nous serait interdit. Il s'en faut, Messieurs, que lalnëdeci ne et la phy- siologie reposent sur des bases solides et positives/ En face de ces révolutions nombreuses , qui lour- à-tour ont bouleversé ces sciences , au milieu de ce conflit de systèmes ; Sans cesse abattus et sans cesse renaissants, Tesprit avide de la vérité éprouve une sorte de découragement. Partout il voit qu'au lieu de prendre pour guide l'observation, on s'est laissé emporter par des idées préconçues ; qu'au lieu de chercher à connaître et à interpréter les lois de la nature, l'homme s'est plutôt efForcé , par une sorte de délire , de lui imposer les siennes. Aussi beaucoup de personnes sont-elles arrivées à cette douloureuse conclusion, que la médecine et la physiologie ne sont pas encore de véritables sciences. Tandis que d'un bout du globe à l'autre, à Paris comme à New-Yorck, à Londres comme à Calcutta, le chimiste est d'accord avec le chimiste pour l'explication des phénomènes qui se passent au fond du creuset ; en est - il de même pour les théories médicales? Non^ assurément. Bien loin de trouver cet ensemble , cette heureuse harmo- nie dans la manière d'interpréter les faits patholo- giques ou physiologiques, vous voyez, au contraire les hommes les plus éminents d'une même époque (et la nôtre n'est pas exception), défendre les sys- tèmes les plus disparates. Descendez-vous dans les détails de la pratique, vous retrouvez encore ce même désaccord et ces mêmes controverses. Ce serait une étude bien affligeante que de passer en revue les divers modes de traitement employés dans chaque loca- lité contre la même affection morbide. Vous n'avez pas besoin de prendre isolément chaque secte mé- dicale, suivantqu'elle s'est laisséeounon, subjuguer par la théorie dominante : voyez seulement ce qui se passe de nos jours j au sein-même de la Capitale, dans (^ O ; nos principales cliniques. Un raaîade est frappé d'une fièvre typhoïde , eh bien ! suivant qu il a été dirigé vers tel ou tel hôpital, il sera soumis à un traitement différent: à la Pitié, on n'aura point re- cours aux mêmes moyens qu'à la Charité, ni qu'à l'Hôtel-Dieu. Tel praticien vante les purgatifs, tel autre préfère la saignée , un troisième s'applaudit de l'emploi des toniques, d'autres enfin, et je suis de ce nombre, laissent la maladie parcourir à peu près librement ses périodes sans chercher à enrayer sa marche. Loin de moi l'idée de vouloir dire une parole sévère, un mot de critique contre les mé- decins qui ont adopté telle ou telle médication. Je suis le premier à applaudir à leur loyauté ; leur conviction, je le sais, est basée sur des recherches attentives , et chacun cite en faveur de sa mé- thode* de nombreux succès. Mais enfin , dans ce conflit honorable, puisqu'il est consciencieux, quel- qu'un a tort, quelqu'un a raison; par quel moyen, par quelle mesure savoir le vrai? Les chiffres, dira- t-on; celui-là a raison qui guérit le plus. Nul doute que cette réponse ne soit excellente. Mais c'est juste- ment là que gît la difficullé; les chiffres sont un in- strument , une balance bien délicate ; la moindre erreur la fait trébucher à rebours... ses décisions, d'ailleurs^ n'ont de valeur que soumises au calcul des probabiUtés, et les probabihtés en matières aussi complexes que les maladies et la thérapeu- tique, ne peuvent être appréciées que par un très petit nombre d'esprits, et certes, ne sont pas à la portée du vulgaire des médecins. INous trouverons^, j'espère , une occasion de nous expliquer sur c€ (6) point capital . Le but que je me suis proposé en vous signalant cette diversité dans les moyens di- rigés contre une même maladie ^ c'était de vous faire voir que notre science, sous le rapport théo- rique , est encore à l'état embryonnaire. Ce n'est pas seulement entre les hommes aussi haut placés que nous rencontrons cette dissidence d'opinion; elle s'observe également dans toutes les classes du corps médical. Tout praticien qui a exercé pendant quelques années, ne tarde pas à se créer une doctrine quelconque, à laquelle il reste fidèle, soit qu'il se rapproche à l'opinion prédomi- nante de son époque , soit que, fort de son propre fonds , il ne consulte que ses inspirations person- nelles. Prenez vingt médecins appartenant à la même école ^ professant en apparence les mêmes doctrines, en trouverez-vou§ deux qui, appelés prés d'un malade, envisageront le mal de la même ma- nière et prescriront un traitement tout-à-fait iden- tique? Je ne craindrai pas d'être accusé d'exagé- ration en faisant une réponse négative. Vous comp- terez autant d'opinions que de toques doctorales ! tant sont nombreuses les divisions et les subdivi- sions qui séparent des médecins, ralliés en appa- rence à une même bannière ! Parlerai-je des charlatans? Eux aussi guérissent, et souvent leurs cures tiennent du prodige ; de- mandez-le plutôt aux gens du monde , ce public qui , dans son aveugle caprice, décide si souvent du méritedes médecins. C'est surtout dansîescasdéses- pérés , alors que les médecins probes déclarent le ipal incurable et au-dessus des ressources de l'art, qu'on fait appel, je n'ose pas dire aux lumières ^ mais à la témérité présomptueuse d'hommes qui spé- culent sur cette espérance, qui ne quitte le mourant qu'à la dernière marche de sa tombe. Si quelques succès ont parfois couronné leur audace, combien de malheureux n'ont-ils pas prématurément précipi- tés au tombeau! Vous serez surpris de la confiance il- limitée que certaines personnes, d'ailleurs très éclai- rées et raisonnables, accordent à la prétendue science de ces charlatans. Elles vous citeront gravement les nombreux cas de guérison dont elles ont été té- moins , tandis que vous, vous ne pourrez vous dé- fendre d'un sourire d'incrédulité en entendant le récit de ces miracles de thérapeutique. A les en- tendre, jamais le remède héroïque ne peut échouer. Le malade succombe-t-il , vous croyez qu'ils vont être désabusés? point; c'est qu'il est survenu quel- que complication. J'ai été témoin dernièrement d'un fait qui prouve jusqu'où peut aller cet en- thousiasme, ou plutôt ce délire, en faveur du char- latanisme. Un homme était atteint d'un cancer de la face, qui avait rongé les tissus à une grande pro- fondeur. Le mal était trop étendu pour qu'on osât hasarder une opération chirurgicale; les praticiens les plus habiles de la Capitale, consultés tour- à- tour , avaient déclaré qu'il fallait s'en tenir à un traitement palliatif. Le malade appelle un charla- tan. Celui-ci y avec cette imperturbable assurance que ne peut, que ne doit jamais avoir un véritable savoir , promet une prompte guérison. Il touche à plusieurs reprises y avec le caustique , les parties ulcérées, dont il provoque la chute ; ce que le mal ( 8 ) avait jusqu'alors respecté ne trouve pas grâce de- vant l'empirique ; les escharres succèdent aux es» charres; la face ne présente plus qu'une large plaie. Enfin , le malheureux succombe. Sans doute que des résultats aussi déplorables vont servir de leçon à la famille. Non^ Messieurs, la femme du malade est atteinte d'un cancer au sein, qui, depuis long- temps , ne fait plus de progrès : elle s'adresse au même charlatan. Nouvelle application du causti- que , nouvelle série d'accidents. Mort. Le croirez- vous ? Un membre de la même famille , atteint je crois d'un mal semblable;, s'est encore dernière- ment confié à ce misérable, et a été également vic- time de son impitoyable et cupide ignorance. Pour être moins barbare et plus loyale, notre pratique, dans beaucoup de circonstances, en est- elle plus éclairée^ et ne prenons-nous pas pour ex- plication scientique ce qui n'est encore que du do- maine de l'empirisme. Une partie est douloureuse, gonflée , rouge, brûlante, et nous disons : Voilà une inflammation, une irritation. Mais quel sens attacher à ces mots ? Quels phénomènes se pas- sent au sein de ces tissus enflammés, irrités? Nous ne faisons ici qu'indiquer une apparence grossière, à la portée du plus brute observateur , nous nous contentons d'expressions qui n'expliquent rien, dans l'impuissance où nous sommes d'interpréter le phénomène dans son essence. Direz-vous que la circulation est plus active en ce point , que c'est au passage plus rapide du sang artériel qu'il faut attribuer l'élévation de température , la tuméfac- tion, la rougeur?... Vous faites une hypothèse que (9 ) l'observation est loin de sanctionner. S'il me fallait hasarder une conjecture , je serais beaucoup plus porté à supposer que les phénomènes dits inflam- matoires dépendent de l'obstruction du réseau ca- pillaire , de l'accumulation et de l'arrêt dans ces vaisseaux du sang qui en distend les parois. Mais, n'anticipons point sur des faits qu'il n'appartient qu'à l'expérience d'expliquer *, ne nous exposons pas à de pénibles mécomptes. Peut-être un jour le microscope nous dévoilera-t-il ce qui maintenant échappe à notre investigation. On a comparé l'agent occulte de l'inflammation à l'épine enfoncée au sein des tissus , qui devient un centre vers lequel affluent les liquides circula- toires. Un esprit superficiel peut se contenter d'un semblable rapprochement ; mais je ne vois point en quoi la question se trouve le moins du monde éclaircie. Le traitement pourra-t-il nous fournir c{uelques lumières ? Vous combattez un phlegmon par les sangsues, les bains, les cataplasmes, les topiques de tout genre, et les phénomènes inflam- matoires se calment. Voilà un fait. Quel est main- tenant celui d'entre vous qui voudrait se charger de m'expliquer non par des mots , mais par des preuves expérimentales , le mode d'action de ces moyens thérapeutiques ? Ici la théorie est muette; quoi qu'on en puisse dire, et quelle que soit la vio- lence du langage , la médecine empirique. Lors même que , guidé seulement par Thypo- thèse , on parvient à traiter avec succès une mala- die , il faut se tarder d'accorder une confiance illimitée aux idées qui ont dicté les moyens théra- Mageadie. r ' 10 ) peiitiques. La gravelîe rouge nous servira d'exem- ple. Cette affection est caractérisée , vous le savez, par le dépôt au sein des urines d'un sable plus ou moins prossier, de couleur roucgeâtre, qui se pré- cipite au fond du vase. Pendant long-temps les médecins ont attribué à une irritation des reins ces altérations de la sé- crétion urinaire. Aussi avaient -ils recours aux boissons aqueuses , a^ix applications de sangsues et de cataplasmes sur la région lombaire ; en un mot , à cette série de'moyeas , qu'on appelle en- core aujourd'hui antiphlogistiques . Plus d'une fois, sous rinfluence d'une semblable médication , les graviers ont disparu , et la maladie a été guérie au moins pour un temps . Les choses en étaient là quand la chimie est venue à son tour s'emparer du sujet. Elle a fait voir que cette prétendue théorie n'était pas l'expression de la vérité. En soumettant à l'a- nalyse les graviers^ elle a démontré qu'ils étaient principalement formés d'acide urique , par suite de la présence dans le sang d'une quantité sura- bondante des éléments de cet acide. Etait-ce à T ir- ritation qu'il fallait s'en prendre? non , mais bien au genre d'alimentation. On sait maintenant qu'une nourriture trop exclusivem.ent animale a pour ef- fet d'introduire dans le fluide urinaire une pro- portion exubérante d'azote , et par suite un excès d'acide urique. Heureux effets d'une théorie vrai- ment scientifique! Nous pouvons à notre gré nous jouer d'une maladie qui entraîne presque toujours de gi^ves conséquences^ puisque des calculs de la vessie reconnaissent souvent pour point de dé- ( ii ) part le dépôt sabionneux de la gravelle. La cause une fois connue , le traitement en découlait natu- rellement. Il suffit de saturer l'acide urique par des boissons alkalines, de prévenir sa formation par l'usagfs d'une alimentation végétale , pour voir en quelques jours les malades affranchis d'une affec- tion qui s'était souvent montrée rebelle aux traite- ments les plus rationnels en apparence. Arrêtons un moment sur les pseudo-théories, et permettez-moi à leur occasion quelques réflexions de physiologie morale. Parcourez les fastes de l'art, vous verrez de temps en temps surgir des hommes qui , prenant leurs illusions pour des réalités, soutenus p^r le talent et l'enthousiasme, imposent leur croyance, j'ai pres- que dit leur religion aux générations contempo- raines. Le succès et l'influence de plusieurs de ces systèmes , produits de l'imagination d'un seul homme , qui souvent se disait et se croyait in- spiré de la divinité , a été vraiment prodigieux ; et pour n'en citer qu'un exemple, seize siècles et la vogue de mille autres systèmes n'ont pu en- tièrement détruire les idées de Galien , dont l'in- fluence se retrouve encore dans notre langue mé- dicale , ainsi que l'attestent les noms de mélanco- lie, de parenchyme, . . Heureusement il n'en est plus de même des doctrines nées de nos jours. La plu- part , après une vogue éphémère , s'éteignent et meurent. J'ai déjà vu, pour mon propre compte, passer bien des systèmes. Il fut un temps où toutes les maladies appelées pa^/«V/^.y, ataxiques, étaient traitées par les toniques. Je me rappelle même avoir ( 12 ) accueilli celte médication avec toute la chaleur de la jeunesse. Vinrent ensuite les admirables décou- vertes de la chimie pneumatique , nouvelle di- rection imprimée aux idées. Il semble que pour les phénomènes physiologiques et pathologiques il n'y aura plus de mystère : l'économie tout en- tière n'est plus aux yeux du médecin qu'un vaste appareil de chimie. Tel autre système , né il t a vingt ans , s'appuyant sur des données physio- logiques fausses , mais séduisantes ^ recueille de nombreux suffrages, puis enfin s'écroule et compte encore à peine pour partisans ses propres fonda- teurs. On a voulu , dans ces derniers temps , as- seoir l'édifice médical sur des bases plus solides ; je veux parler de l'anatomie pathologique. Les lésions trouvées sur le cadavre peuvent-elles nous rendre compte de tous les phénomènes observés pendant la vie ? Ce serait étrangement s'abuser que d'avoir de semblables prétentions. Ne voyez- vous pas que la lésion locale n'est le plus souvent que l'expression apparente de causes connues ou ignorées, qui influent sur l'économie tout entière? S'attaquer seulement à une partie isolée en pré-* sence d'une perturbation générale et profonde, ce serait n'envisager qu'une fraction d'un tout mor- bide. Mais , direz-vous , il est toujours facile de cri- tiquer. Comment faire mieux? C'est là, Mes- sieurs , ce qu'il nous importe maintenant de re- chercher. Et d'abord l'examen succinct que nous venons de faire des diverses phases que présentent les annales de la médecine ne sera point sansconsé»- ( -'S ) quence uiiie pour nos études ultérieures. Vous saurez éviter l'écueil contre lequel sont yenus se briser tant de noms fameux , tant d'illustrations gigantesques. Que nous r^ste-t-il des immenses travaux de Galien ? Quelles sont ses doctrines qui^ traversant les âges, ont échappé au naufrage ? Cel- les-là seulement qui ont reçu la sanction de l'expé- rience. Je ne vous en citerai qu'6ne preuve. Galien s'aperçut un jour qu'en coupant les nerfs récur- rents sur un animal ^ celui-ci devenait aphone , d'où il conclut que ces rameaux nerveux prési- daient à Faction des puissances musculaires con- courant à la formation de la voix. Ge fait est resté dans la science tel qu'il s'offrit à l'expérimenta- teur. Le temps n'y a rien ajouté , n'en a rien re- tranché, tandis qu'il a fait justice de ces milliers de rêveries savantes qu'enfanta le génie du méde- cin de Pergame, Vous parlerai-je de Sylvius ? du rôle qu'il faisait jouer dans les maladies au suc pancréatique acide sur la bile alcaline? Cette théo- rie des Ferments , après avoir eu un grand reten- tissement dans le monde médical, est tombée , et elle devait tomber du moment qu'on s'est donné la peine d'en appeler à l'expérience. Analysez le suc pancréatique recueilli sur l'animal vivant ; il n'est pas acide! Bizarre destinée de ces systèmes que crée avec tant de labeur l'imagination ! Un savant consacre sa vie entière à recueillir péniblement les matériaux de l'édifice que son génie veut trans- mettre à la postérité ; il croit le but atteint , sa gloire à jamais assurée , et voilà que l'homme le (U) plus vulgaire renverse^ par une simple expérience^ tout ce brillant échafaudage! Quelle marche devrez-vous donc suivre dans l'étude de la médecine et de ia physiologie? Disons avant tout comme une vérité fondamentale , que l'une et l'autres^ience est égaiementdigne de vos re- cherches. C'est en vain que vous voudriez assigner à chacune une ligne de démarcation, dire où la pre- première finit, où la seconde commence ; elles se tiennent par un lien commun que vous devez res- pecter; ou plutôt elles ne sont qu'une seule et même science , et la pathologie est encore ia phy- siologie. Pour moi, les phénomènes pathologiques ne sont que des phénomènes physiologiques modi- fiés. Quant aux grandes divisions qu'il convient d'adopter pour embrasser dans son ensemble l'é- tude des matières qui font l'objet de ce cours, voici à cet égard la marche que depuis quelques années j'adopte dans mon enseignement. Je distingue dans la vitalité deux grandes classes de phénomènes ; l'une comprend les phénomènes physiques ^ l'au- tre \&^ phénomènes mtaux; dans chacune viennent se grouper ces admirables fonctions que nosapj)a reils sont chargés d accomplir, et dont le merveil- leux ensemble constitue la vie. Je me suis attaché l'année dernière à vous faire sentir toute l'importance des études physiques pour l'inteiligence d un grand nombre de phéno- mènes qui se passent dans le corps de l'homme. Oui, il existe des lois communes aux corps vivants et aux corps inorganiques. Comment expliquer le mécanisme de la vision , sans le secours de Top- ^ 15 ^ [ 10 J tique? Direz -vous pourquoi la lumière qui tra- verse les milieux de l'œil suit telle ou telle direc- tion, et vient former sur la rétine une image ren- versée. L'application des lois de la réflexion et de la réfraction vous sera d'un plus grand secours que de banales phraséologies sur la vitalité. Ne trouverez-vous pas également dans l'appa- reil vocal un véritable instrument de physique? Je vois dans le poumon un soufflet, dans la tra- chée un tuyau porte -vent, dans la glotte une anche vibrante. Et cette admirable machine hy- draulique destinée à faire circuler le sang dans nos tissus^ n'est-ce pas une merveille de mécani- que? On pourrait concevoir qu'en l'absence même des lois vitales le phénomène de la circulation s'exécutât sur le cadavre , si l'on pouvait artifi- ciellement mettre en jeu ce système de pompes et de tuyaux représentés par le cœur, les veines et les artères. Tant il est vrai*qu'ici les phénomènes physiques ont la plus large part! Mais n'allez pas non plus tomber dans un excès opposé, et chercher à toui^exphquer par les lois qui régissent la matière iocrganique. Si je peux analyser la marche du cône lumineux à travers les milieux de l'œil J'essaierais en vain de comprendre comment la rétine renvoie au cerveau l'impres- sion des objets extérieurs. La nature n"a point jus- qu'ici permis à l'homme de soulever le voile qui lui dérobe l'intelligence des phénomènes vitaux. Ad- mettrez-vous , avec quelques anciens auteurs, des animacules circulant dans la continuité des nerfs, et allant transmettre à l'encéphale les sensations? ( 16 ) Personne n'a vu ces petits êtres intelligents. Et d'ailleurs, supposez un instant leur existence prou- vée , il s'en faut que vous puissiez ainsi expliquer tous les mystères de l'organisme. Comment , par exemple, se rendre compte des nombreuses hallu- cinations qui frappent les sens ? L'oreille entend des voix imaginaires, l'œil voit des objets absents, le palais trouve des saveurs aux objets insipides... Direz-vous que ce sont les organes ou les animal- cules qui sont malades ? Eh ! Messieurs , ces ex- plications qui excitent en ce moment le sourire sur vos lèvres , ne sont point les rês^eries de vul-^ gaires esprits. Des hommes possédant toutes les lumières de leur siècle, dont le nom faisait au- torité dans la science , n'ont point dédaigné de les adopter , et même de les consigner dans leurs livres à côté des vérités les plus rigoureuses. Une fois lancée dans le champ des hypothèses , l'ima- gination s'égare , sans pouvoir se fixer ; tant il répugne à l'orgueil de l'homme de s'arrêter, alors même que la nature lui dit : Tu n'iras pas plus loin. Je me propose de revenir plus d'une fois sur le dé- veloppement de ces idées que je ne fais en ce moment qu'effleurer. Point de progrés dans les sciences sans une bonne méthode, ou en d'autres termes, sans savoir ce qu'on veut faire et ce qu'on fait. Quelle que soit votre aptitude, vos travaux seront frappés de stérilité tant que vous négligerez de sou- mettre au contrôle de l'expérience les faits que vous aurez pris pour point de départ. Je m'attacherai, dans ce cours, à parler surtout à vos veux. îl faut ( 1^ ) voir soi-même , toucher soi-même un objet pour que les objets fassent sur l'esprit une impression durable. Combien de fois les sens ont-ils corrigé les erreurs de l'imagination ! Combien de fois à la place d'un fait apparent n'ont-ils rencontré qu'une ombre fugitive! Il est si facile de se laisser séduire par d'attrayantes illusions. Se croit -on dans la voie du progrés , on se lance d'un pas rapide à la conquête de la vérité. Déjà les obstacles semblent franchis^ les difficultés surmontées, on est près du but...» Efforts infructueux! ce n*est pas avancer que de marcher en s'égarant. Magendie. ( 18 ) DEUXIÈME LEÇON 30 Décembre 1836. Messieurs, Par ce que j'ai eu l'honneur de vous dire dans nos deux précédentes réunions , vous connaissez déjà les bases fondamentales de notre enseigne- ment. Pour l'étude de la médecine comme pour celle des autres sciences , il faut procéder par les faits ; nos sens , autant que possible , doivent être exercés avant notre imagination. Non pas que j'affecte pour les hypothèses , les aperçus , un dédaigneux mépris , je ne les repousse point , mais je ne veux pas que par eux - mêmes ils soient impuissants. 11 n'appartient qu'à l'expé" riencede dire : ceci est, ceci n'est pas. Toutes les fois que vous faites une supposition , vous avouez d'une manière implicite votre ignorance , et vous sentez tellement le côté faible de la position , que vous cherchez à suppléer au vide de la pensée par l'énergie du langage. La vérité n'a point besoin pour se faire entendre de paroles chaleureuses , un simple énoncé lui suffît. Qu'une personne qui ( 10 ) veut me convaincre débute par me dire quelle est persuadée , déjà je doute ; mais que , cé- dant à une sorte de mouvement oratoire , elle s'é-^ crie d'un air inspiré : Ma comnction est intime,,. 3' ai profondément la conviction,.. Oh! Messieurs, je n'ai pas besoin d^en entendre davantage ; pour moi, la question est déjà jugée. Pourquoi cet . enthousiasme? A quoi bon ces protestations de certitude ? 11 ne s'agit pas d'entraîner , mais bien de convaincre, et la conviction ne naît que des preuves. Dans une discussion scientifique , sachez opposer le calme à l'emportement , les faits aux hypothèses , la simplicité du langage à la pompe de Texpression; par une sévère analyse, élaguez tout ce fastueux attirail , et bientôt , dé- pouillé du prisme mensonger , ce qui paraissait grand à vos yeux , se trouve réduit aux plus ché- tives proportions. L'astronome qui sait, à une fraction de seconde près, prédire les révolutions des astres , et suivre par le calcul leur marche à travers l'espace , n'a point cependant la prétention de tout expliquer. Il est des phénomènes qui échappent aux savantes combinaisons de ses théories , et sur lesquels il ne rougit point d'avouer son entière ignorance. Pourquoi donc , nous autres médecins , nous montrerions - nous plus susceptibles ? Notre amour -propre sera-t-il bien cruellement blessé quand , après des efforts consciencieux pour dé- couvrir la vérité , confesserons que nos moyens ont été impuissants? Il faut savoir douter là où il y a du doute. L'ignorance seule ne se défie ja- mais de ses propres forces , et prononce sur toutes (20) Jes questions d'un ton tranchant. Parcourez nos prétendues doctrines médicales , elles vous pa- raîtront comme le cauchemar d'hommes luttant contre l'ignorance; aussi serait-on tenté d'appli- quer à notre art ce qu'on a dit de la philosophie , qu'il n'est rien de si absurde qui n'ait été inventé par quelque médecin. C'est pour éviter ces déplo- rables erreurs aussi fatales à l'humanité qu'aux progrés de la science , que nous invoquerons tou- jours à notre appui le témoignage des faits et de l'expérimentation. Plus d'une fois vous nous en- tendrez vous dire : Je ne sais pas ^ f ignore. J'aime mieux convenir franchement qu'une explication m'échappe , que de créer une hypothèse ou de choisir parmi celles qui ont été proposées la plus probable ou souvent la moins ridicule. Oui , Mes- sieurs , le doute est un premier pas difficile , mais nécessaire , s'il s'agit d'arriver à des vérités nouvelles. Vous vous rappelez que nous avons admis deux ordres distincts de phénomènes : les phénomènes physiques et les phénomènes vitaux. Les uns et les autes diffèrent essentiellement par leurs carac- tères , ils me semblent dans leur enseignement devoir exiger une description spéciale. Trop long- temps les Jois qui régissent l'économie vivante ont été isolées de celles qui président aux corps inorga- niques. Le nombre des phénomènes vitaux a été singulièrement restreint de nos jours; chaque fois qu'on parvient à faire passer l'un d'eux dans la classe des phénomènes physiques , c'est une nou- velle conquête pour la science dont le domaine se (21 ) trouve agrandi. Les mots sont alors remplacés par les faits, l'hypothèse par l'analyse. Il n'y a pas vingt ans que l'absorption était encore rangée sous la dépendance absolue des lois vitales ; la chose était sûre , on connaissait son mécanisme dont le génie de Bichat avait dévoilé l'ingénieux mystère. De petites bouches d'un tact exquis , d'une intelli- gence admirable , veillaient à la conservation de l'individu sans même qu'il en eut la conscience. Béantes ou closes , suivant que les liquides des- tinés à l'absorption avaient des propriétés utiles ou délétères , jamais leur sagacité n'était mise en dé- faut. N'était-ce pas s'exposer à passer pour vision- naire que de prononcer le mot physique en pré- sence de ces piquantes explications? Cependantnous l'osâmes. Mais pour renverser la théorie de Bichat nou s n'eûmes poi nt recours aux mêm es procédés qui lui avaient servi à l'élever; au lieu de parler nous- mêmes , nous fîmes parler les faits ; nous mon- trâmes , l'expérience en main , que s'il existe un ordre de vaisseaux pour l'absorption du chyle , on ne peut que par une analogie grossière attribuer au système lymphatique le rôle qu'il a plu aux physiologistes de lui faire jouer. C'était peu d'a- voir prouvé la futilité de ces rêveries , dignes du roman , indignes de la gravité de la science; nous fûmes plus loin. De nombreuses et pénibles re- cherches nous conduisirent à établir que le phéno- mène de l'absorption et de l'exhalation n'est qu'une conséquence de la propriété qu'ont nos tissus de se laisser imbiber par les liquides et les gaz. C'est ainsi que nous ramenâmes au domaine de la phy- ( 2'^ ) sique une fonction envisagée jusqu'alors comme essentiellement vitale. Une vive opposition s'éleva de toutes parts; et comment en eût -il été autre- ment? On critiqua nos idées, on nia d'abord nos ex- périences ; mais comme je les répétais en public , il fallut bien les admettre. On se rabattit sur les conclusions que je voulais en déduire; mais tou- jours on criait au scandale ! Cependant peu à peu les esprits se calmèrent , on finit par convenir que ce que j'avançais n'était pas aussi ridicule qu'on l'avait supposé ; les vaisseaux lymphatiques ne furent plus regardés comme les agents exclusifs de l'absorption , on voulut bien leur adjoindre les veines; enfin, de concessions en concessions, on en est arrivé à se demander aujourd'hui comment des faits aussi simples avaient pu passer inaperçus. Nouvelle preuve des obstacles que les hypothèses apportent au progrès des sciences ! Si l'homme qui consacre ses veilles à la recherche de la vérité n'a souvent pour prix immédiat de ses travaux que les dédains et les rebuts, qu'il porte avec confiance ses regards dans l'avenir. Tandis que les doctrines les plus ingénieuses finissent toujours par s'éteindre, quelle qu'ait été d'ailleursia vogue dont elles aient joui , les faits que l'expérience a confirmés , non- seulement bravent les âges , mais même reçoivent du temps une juste et éclatante sanction. La perméabilité des membranes aux liquides et aux gaz est une condition indispensable pour Ten- iretien de la vie. C'estparelleque vous expliquez l'ab- sorption des agents médicamenteux déposés sur la peau privée de son épiderme. A chaque instant de ( 23 ) la respiration l'air pénètre dans le poumon, mais il ne se trouve point en contact immédiat avec le sang: il faut que son oxigéne traverse les porosités des parois vasculaires avant d'arriver au fluide qu'il doit vivifier. On se fait en général une fausse idée des obstacles que les membranes opposent au pas- sage des liquides ; cependant elles sont bien loin de constituer une barrière insurmontable. Ces questions , que le physiologiste effleure à peine , me paraissent dignes du plus haut intérêt. N'est- il pas possible , physiquement parlant , que le li- quide labyrintique communique avec le liquide cérébro-spinal par l'intermédiaire de la membrane qui obture le trou auditif interne? Un simple coup-d'œil jeté sur nos principales fonctions suffit pour vous démontrer le rôle im- mense que jouent dans l'économie les lois physi- ques , en donnant au mot physique sa plus large signification. L'étude auscultative du cœur ne nous a-t-elle pas , dans le précédent semestre , fourni la preuve du fait que je viens d'avancer ? C'est en envisageant l'appareil circulatoire comme une machine hydraulique que nous lui avons appliqué les lois connues de l'acoustique. Quel vaste champ il nous reste à exploiter avant d'a- voir.,épuisé notre sujet ! Nous avons pour œil un appareil d'optique, pour la voix un instrument musical , pour Testomac une cornue vivante. La formation de la chaleur au sein de nos tissus , sa distribution , le maintien de son équiUbre , ce sont là des questions de la plus haute phy- sique. Le fluide électrique est-il distribué dans ( 24 ) le corps de l'homme comme dans la matière inorgani- que? Messieurs, reportez vos pensées à ce qu'était naguère la physiologie alors que l'on voyait partout des phénomènes vitaux ; eût-il été permis , je vous le demande, d'élever à ce sujet le moindre soupçon sans provoquer aussitôt des clameurs universelles? Il semblait que les doctrines scientifiques que nous avaient transmises nos pères était un dépôt confié à notre honneur^ et aussi inviolable que les livres sacrés. Les parlements n'intervenaient plus , il est vrai , comme jadis ils l'avaient fait pour défendre les idées d'Aristote ; mais le corps médical , plus éclairé peut-être , se montrait-il pour cela plus in- dulgent ? Cependant l'électricité animale a soulevé de nos jours les questions les plus intéressantes. Nous nous proposons de les aborder,de les discuter par leb faits et non par les mots,de voir jusqu'à quel point certains phénomènes peuvent être expliqués par elle; en un mot , nous suivrons dans leur étude la marche que jusqu'à ce jour nous nous sommes imposée. Il serait plus facile sans doute devons ex- poser les hypothèses imaginées par les contempo- rains , puis de vous dire : Faite» votre choix. Mais à quoi bon dérouler devant vos yeux le tableau affligeant de semblables déceptions au milieu des- quelles se trouvent semées de rares vérités ? L'er- reur se réfutera d'elle-même , et après avoir vécu de sa vie provisoire , elle finira par tomber dans l'oubli , d'où elle ne sortira plus. Vous trouverez dans le jeu du thorax une nouvelle application des lois mécaniques à nos principaux ( 25 ) appareils. La poitrine se dilate; aussitôt , en vertu de l'égalité de pression , l'air se précipite dans sa cavité; elle se resserre, à l'instant il en est expulsé. Je ne vois dans les mouvements alternatifs de la respiration qu'une pompe, qui, tantôt aspire, qui, tantôt repousse un fluide. Choisissez des phénomènes encore plus vulgai- res. Pourquoi, quand vous êtes debout, votre corps se maintient-il en équilibre ? C'est là une question de statique des plus compliquées. La marche , la course , le saut , seront pour vous des problè- mes inexplicables , tant que vous persisterez à n'envisager le corps que sous le point de vue vi- tal , et non plus comme uue machine composée de leviers et de puissances mécaniques. Remarquez bien que les personnes qui se sont montrées les plus hostiles à l'application des sciences positives à la médecine, sont précisément celles qui avaient le plus d'intérêt à les proscrire. Leurs études pre- mières s'étaient ressenties des fâcheux préjugés que je cherche à détruire , et avant de devenir aptes à parler physique , il leur eût fallu re- descendre aux bancs de l'école. Quel outrage pour r amour-propre quand déjà peut-être on s'est assis dans la chaire de professeur ! Aussi, ce n'est point à ces hommes que s'adressent mes paroles , c'est à vous , Messieurs , qui êtes jaloux de marcher dans la carrière de la vérité, et qui, pour accueillir ou rejeter un fait, ne consulterez ni son origine ni sa date, mais seulement les motifs sur lesquels on se fonde pour le soutenir. Les erreurs en médecine ont de plus graves con- Magonlie. 4 ( 26 ) ^êquepces que pour tout autre science, car il s'agit de ia vie de nos semblables. Et qu'importe au ma- lade que vos hypothèses soient plus ou moins ingé- nieuses^ pourvu que vous le guérissiez. Si du moins nous notions avec soin ce qui frappe nos sens à l'extérieur , nous serions plus excusables de vou- loir sans cesse expliquer les mystères de l'organi- sation. Mais un semblable procédé serait trop sim- ple. Il est peu de maladies qui aient autant exercé l'esprit des médecins que la fièvre typhoïde ; cha- cun a voulu dire son mot, hasarder sa petite théo- rie. On a fini par désigner sous ce nom des affec- tions si diverses , qu'on ne sait bientôt plus à la- quelle il doit appartenir. Eh bien! examinez le sang chez ces malades, vous le trouverez modifié dans sa couleur , sa consistance , sa viscosité. Recueilli dans un vase , il ne se sépare plus en deux parties, Tune solide^ l'autre liquide; ou bien si le caillot se forme, il est d'une friabilité singulière, et se laisse facilement écraser sous le doigt. Ne serez- vous pas plus près de la vérité en soupçonnant une altération du sang qu'en attribuant tous les phé- nomènes morbides à une phlegmasie locale , soit simple , soit spécifique? Mais non: affirmer un fait, voilà le point principal; le prouver, ce n^est qu'une chose tout-à-fait secondaire. On néglige l'analyse du sang , on dédaigne les moyens de modifier sa composition , mais en revanche on fait force saignées, on applique des sinapismes aux jambes, des vésicatoires aux cuisses , et la nature fait le reste. Je suis tellement convaincu de Tindispensable ( 27 ) nécessité des sciences physiques , pour Fintelli- , gence et la pratique de l'art médical , que je ne puis trop vous exciter à leur étude. Non pas que je prétende qu'on ne peut être bon médecin sans avoir les connaissances de MM. Thénard , Arago Poisson, etc.; ce que je dis^ c'est que vous ne devez point être étrangers aux principales notions des sciences positives. Seules, elles vous dévoileront une foule de phénomènes dont le mécanisme se- raient pour vous un mystère ; seules, elles feront sortir la médecine de l'ornière où l'ont engagée l'ignorance et la manie des systèmes. Tout le monde aujourd'hui parle de progrès. Et nous aussi, nous le désirons, nous l'appelons de tous nos vœux. Mais les grandes découvertes ne s'improvisent point au gré de certains esprits impatients, elles sont la conquête du temps , du travail, de l'expérimenta- tion. En quoi aurez-vous bien mérité de la science, si après vous être hasardé dans des conceptions aventureuses , vous êtes forcé de revenir en rétro- gradant vers le point d'où vous êtes parti? Un in- stant peut-être, votre nom aura fait quelque bruit, tandis que si vous n'eussiez pas voulu avancer trop vite, vous eussiez pu vous ménager une gloire et plus solide et plus durable. Tout en déplorant le préjugé que partagent tant d'hommes d'ailleurs trés-recommandables contre les sciences physiques , préjugé si fatal aux progrès de notre art. je doisavouerque certaines modifica- tions utiles ont été apportées de nos jours à l'ensei- gnement de la médecine. Peut-être nos efforts n'ont- ils pas été sans quelque influence sur ces heureux ( 28 ) rësullats. C'est ainsi que dans les ouvrages les plus modernes on ose prononcer, timidement peut-être^ les mots de physique, chimie ^ mécanique j à propos de certaines explications empruntées jusqu'alors aux lois vitales. Déjà les noms de contractilité or- ganique, de sensibilité 07g anique , commencent à vieillir ; et cependant, vous savez avec quelle im- mense faveur ils furentaccueillis.Enfin, croyez-vous que j'eusse pu , il y a vingt ans , annoncer publi- quement que mes leçons auraient pour objet l'étude àe.% phénomènes physiques de la viel On m'aurait demandé à quel siècle j'appartenais , et si je voulais faire revivre la secte des jatro-mécaniciens . Oui , l'opinion afaità cetégard de notables progrès. Jadis elle eût proscrit, aujourd'hui elle tolère , demain, peut-être , elle sanctionnera ces idées^ auxquelles l'expérience a imprimé son cachet. I.es sciences positives seront désormais du domaine de la mé- decine. Déjà la physiologie leur doit d'importan- tes découvertes; et qui pourrait dire les applications qu'on en pourra faire un jour à l'art de guérir? On a vu des hommes qui jouissaient du singu- lier privilège de faire des suppositions que, plus tard , l'expérience ^st venu confirmer ; mais c'est seulement alors qu'elles ont eu définitivement droit de domicile dans la science. Guidé ])ar des vues profondes et philosophique s sur les propriétés de la matière, M. OErsted soupçonna la similitude des fluides magnétique et électrique ; bientôt les faits parlèrent; ses soupçons se changèrent en certitude, et alors s'ouvrit pour la physique une immense car- rière, quil'enrichit d'une foule de vérités nouvelles. ( 29 ) Mais , Messieurs , gardez-vous de tirer des con- séquences trop générales d'un succès isolé. Ce n'est pas l'exception qui doit vous guider , c'est la règle. Prenez l'homme depuis les premiers moments de son existence jusqu'à la décrépitude de la vieil- lesse^, vous le voyez passer par une foule d'états inter- médiaires-, que séparent des nuances insensibles. Ce n'était d'abord qu'une simple aggrégation de molécules, sans formes apparentes; bientôt les par- ties s'isolent, se dessinent, des rudiments d'organes commencent à poindre; le tout grandit, se déve- loppe : l'individu est formée il vit. Pendant un cer- tain nombre d'années l'économie se maintient dans un parfait équilibre. Mais attendez quelques lustres, déjà la scène change. Ce n'est plus cette vigueur , cette plénitude des fonctions organiques ; la nutri- tion languit, les tissus s'atrophient, tous les rouages de la machine humaine semblent usés; ne demandez plus quel est l'appareil malade, mais bien quel est celui qui est encore sain. Les forces sont éteintes, l'air pénètre à peine dans la poitrine à de rares in- tervalles ; soumis à une loi inexorable , l'homme meurt. Qui donc aurait la prétention de noui* expliquer cet enchaînement de phénomènes suc- cessifs ? Ici la physique , la chimie , la mécani- que sont muettes. Sans doute il existe une force quelconque qui met nos organes enjeu, qui fait que le rein sécrète l'urine , le foie la bile, la parotide le suc salivaire; mais cette puissance inconnue nous échappe. Nous voyons des effets sans pouvoir re- monter aux causes. Aussi sommes-nous obliaés ( 30 ) provisoirement de ranger ces nombreux phéno- mènes dans le domaine de la vitalité. Le but de notre enseignement pendant ce se- mestre est y vous le savez , d'étudier ce qu'il y a de physique dans nos grandes fonctions. Si la marche que nous avons adoptée n'est point celle que l'on suit habituellement , c'est qu'il n'est pas donné à tout le monde d'avoir l'aptitude nécessaire pour expérimenter. De même que n'est point poète qui veut , n'est point mathématicien qui veut , de même aussi la nature n'a point accordé à chaque individu le talent de l'observation. Vous pouvez bien vous mettre en face d'un phénomène , aper- cevoir ce qu'il offre de plus saillant; mais combien laisserez-vous échapper de particularités qu'un œil plus exercé aurait su saisir pour en déduire d'utl- tiles conséquences ! Toutefois il faut oser. Vos essais fussent-ils infructueux , vous n'aurez point à regretter le temps que vous aurez consacré à une semblable étude. La moindre circonstance suffira souvent pour graver dans votre esprit un fait dont la lecture n'eût produit qu'une impression vague et passagère. Que l'animal vous morde pendant le cours d'une expérience ; ce petit accident est pres- que insignifiant , et néanmoins il vous rappellera plus tard le genre de recherches auxquels vous vous livriez à l'instant où la dent du patient vous fit cette légère blessure. Ainsi tout concourra à vo- tre instruction , les revers comme les succès. Vous avez en perspective un vaste champ à exploiter ; je cherche en vain ce que vous auriez à perdre: Plus vous avancerez dans l'étude, plus vous vous (31 ) pénétrerez de l'importance des connaissances phy- siques. Resteriez-vous en arriére au moment où une réaction s'opère de toutes parts? Déjà pour être admis à prendre ses inscriptions de médecine , il faut justifier du titre de bachelier ès-sciences. Cette mesure , que depuis long-temps les esprits sages réclamaient impérieusement , aura pour dou- ble résultat d'éliminer de vos rangs un certain nombre d'individus indignes de pénétrer dans le sanctuaire de la science et de donner aux études médicales une dignité et par suite au médecin une considération dont l'un et l'autre sont loin de jouir aujourd'hui. Pour nous , rien ne sera changé dans notre enseignement. Nous continuerons , comme par le passé , d'appuyer nos paroles par l'expérience , nous efforçant d'être également utiles et à ceux d'entre vous qui essaient leurs premiers pas dans la physiologie médicale, et à ceux auxquels l'étude de cette science est déjà familière. (32 ) TROISIEME LEÇON, 4 janvier 1837. Messieurs, Si vous résumez les considérations générales dans lesquelles nous sommes entrés précédemment, vous verrez que pour la pratique de la médecine il faut être théoricien autant que possible , empirique quand on ne peut faire autrement. C'est en vain que vous vous flatteriez de remonter toujours au principe des maladies par l'examen analytique des symptômes; quelle que soit d'ailleurs la justesse de votre coup-d'œil, quelque habitude que vous ait acquise une longue expérience , vous serez plus d'une fois forcés de ne prononcer qu'avec réserve sur le genre d'affection que vous avez à combattre. Parcourez nos principaux traités de diagnostic , chaque état malade s'y trouve dessiné à grands traits ; il semble que rien ne soit plus simple que de reconnaître des lésions caractérisées par des phénomènes aussi saillants et aussi tranchés. Mais combien il s'en faut que la nature se soumette (33) sussi complaisamment à nos divisions scolastiquesî Quel mécompte quand on quitte les abstractions des livres, pour aller au lit du malade observer des réalités individuelles ; c'est à n'y rien compren- dre ! Si les altérations organiques se traduisaient toujours sous le même aspect , nous pourrions espérer d'en tracer un tableau frappant de res- semblance ; c'est alors que les mots de certitude médicale exprimeraient une idée vraie , et non plus des prétentions chimériques. Une semblable déclaration de ma part vous surprendra peut- être , après ce que vous aurez pu entendre dire ailleurs. Je sais que dans certains hôpitaux il est des services où l'on se flatte de reconnaître tou- jours sur l'individu vivant la maladie qui est venue frapper un organe , et au premier abord les faits paraissent déposer en faveur de cette opinion. Je me permettrai toutefois une remarque. Les nécessi- tés d'un enseignement clinique exigent que le pro- fesseur n'admette pas indistinctement tous les ma- lades, il doit faire son choix, il accueille les cas bien tranchés, récuse ceux qui paraissent douteux, puis attaquant le mal avec énergie , chacun vante les merveilles de la thérapeutique. Entrez maintenant dans les salles où l'on reçoit tous les malades , la pratique ne sera plus aussi brillante. Souvent en face des troubles fonctionnels les plus graves , le médecin expérimenté et probe hésite, attend, n'ose formuler une prescription : le danger presse , et cependant il reste inactif. N'appelez pas timidité cette sage lenteur. S'il temporise , c'est qu'il sent l'impuissance de ses ressources , et que souvent la Magendie. 5 ( 34 ) nature même de raffection lui échappe. En voulez- vous des preuves? Vous voyez déposées sur ma table plusieurs pièces pathologiques, que j'ai fait apporter ce ma- tin de l'Hôtel-Dieu. Chargé dans cet hôpital d'un nombreux service, j'ai pensé qu'il serait utile pour votre instruction de mettre sous vos yeux les cas les plus intéressants qui s'offriront à mon observa- tion. C'est ainsi que la pratique se trouvera jointe à la théorie. En adoptant cette innovation dans notre enseignement, nous ne nous écartons point de la marche que nous nous sommes tracée; seule- ment ce n'est plus nous qui expérimentons sur les animaux, c'est la nature elle-mémequi expérimente sur l'homme. Avec d'autres nous pourrions vanter nos succès , exalter les effets d'une pratique heu- reuse, mais nous puiserons dans les revers mêmes nos matériaux d'instruction. Lisez les observations publiées chaque jour dans les journaux de méde- cine, vous serez frappés des moyens puissants que la thérapeutique met à la disposition du médecin: tout réussit ; des milliers de faits l'attestent. Mais, Messieurs , on ne vous montre que le beau côté de la médaille; les succès seuls sont au grand jour, les revers restent souvent dans l'ombre. Voici le cerveau d'une femme qui fut reçue dans mes salles il y a quelques jours , nous offrant les particularités suivantes. Sa tête était fortement in- fléchie vers la poitrine; sa main sans cesse dirigée vers la région occipitale; elle semblait se complaire dans cette position. La parole était parfaitement libre , les mouvements naturels, Finlelligence in- ( 35 ) tacte , tous les grands appareils fonctionnaient comme à l'état normal ; en un mot, l'attitude sin- p^uliére de cette femme fixa seule mon attention. Quel pouvait être l'organe affecté ? J'avoue qu'en l'absence de troubles généraux, je fus porté à soup- çonner que cette malheureuse avait simulé une maladie pour entrer à Thôpital et y rester pendant la saison rigoureuse. Cependant cette persistance à garder une position aussi fatigante m'inspirait quelques craintes, quand tout - à - coup elle perd coanaissance , tombe privée de mouvement , de sentiment , d'intelligence , et meurt au bout de quelques heures dans un état comateux. L'autop- sie faite avec soin , nous a permis de constater les altérations suivantes. A la partie antérieure du lobe gauche du cerveau existait une tumeur du volume d'une noix, adhérant intimement à la dure mère. Son tissu est fibreux, criant sous le scalpel, et offre les caractères du squirrhe. Vous apercevez à son centre plusieurs points ramollis, semblables à une pulpe gélatineuse , qui vous indiquent un com- mencement de dégénérescence encéphaloïde. Com- ment expliquer cette intégrité des facultés in- tellectuelles coïncidant avec une lésion aussi grave que l'encéphale? Vous l'essaieriez en vain. Le cerveau de cette femme nous offre encore un autre genre d'altération consistant dans une dimi- nution notable de cohésion de la pulpe nerveuse. Presque toute la masse cérébrale est plus molle que de coutume, et je n'hésite pointa attribuera cette affection aiguë qui est venue subsidiairement s'ajouter à la lésion chronique la rapidité de la ( 36 ) mort. Ce cas pathologique m'a paru digne d'un haut intérêt, mais je n'ai certes pas la prétention de remonter aux causes de ces désordres; elles m'é- chappent. Maintenant même que je connais l'organe qui a souffert, je ne puis nullement m'expliquer les phénomènes observés pendant la vie. Parlerai- je du traitement ? que pouvait-on faire , je ne dis pas pour arrêter, mais même pour suspendre la marche insidieuse de la maladie ? D'abord je n'ai point agi ^ croyant avoir affaire à une affection lé- gère, et plus tard, quand les accidents ont fait ex- plosion , je suis encore resté simple spectateur. Enfin , sous quel nom désigner cette altération spontanée du tissu nerveux ? même ignorance , même incertitude. Appelez cela, si vous voulez, un ramollissement , mais vous n'aurez fait qu'expri- mer ce qu'il y a de plus grossier dans l'aspect de la lésion : le simple garçon d'amphithéâtre vous dira tout aussi bien, en examinant comparativement deux cerveaux, que celui-ci est plus mou, que ce- lui-là est plus dur , et si par hasard il emploie le mot ramolli, le voilà presqu'aussi savant que nous sur la nature intime de la maladie. Je sais que déjà la science s'est enrichie de belles recherches sur ces lésions de l'encéphale ; souvent on peut distinguer par l'ensemble des symptômes l'hémor- rhagie du cerveau de son ramollissement. Mais il est des cas , et celui qui nous occupe est de ce nombre , où les connaissances du médecin se trouvent nécessairement en défaut , et où l'art est également impuissant pour prévenir et pour com- battre les accidents qui suivent dans leur succès- ( 37 ) sion une marche insolite. Soyons donc modestes. Le second cas dont je veux vous entretenir est relatif aune femme qui était couchée au n. 18 de la salle Sainte-Monique. Ceux d'entre vous qui m'ont faitThonneurde venir à ma visite doivent sans doute se la rappeler : voici ce qu'elle offrait de plus sail- lant. Intelligence complètement anéantie , sensibi- lité abolie en partie , seulement quand on pinçait la peau de la malade, sa figure exprimait un peu la souffrance; mouvements obscurs et rares. De- cubitus dorsal. Pas de déçiation de la J ace. Ron- flement stertoreux de la respiration. Pouls naturel. Ces divers symptômes n'avaient point offert dans leur apparition une marche successive , et cette femme était passée brusquement et sans intermé- diaire de la santé à Téiat très grave où nous l'ob- servions. Nous dûmes nous demander à quelle maladie nous avions affaire. L'instantanéité et la nature des accidents dirigèrent tout d'abord l'at- tention vers l'encéphale. Y avait - il là hémor- rhagie? L'absence d'hémiplégie et d'autres symp- tômes limités à une moitié du corps nous firent exclure l'idée d'un épanchement sanguin dans un des hémisphères du cerveau. Il pouvait se faire à la rigueur que le sang eut fait irruption dans les ventricules , ou bien qu'il eut été exhalé au sein de la protubérance , ou des autres par- ties situées sur la ligne médiane, mais l'ensem- ble des phénomènes nous fit supposer une autre lésion. Vous savez qu'autour du cerveau existe une couche de liquide située entre la pie-mère et le feuillet ara chnoïdien. Les anciens avaient dû en ( 38 ) avoir quelques connaissances, ainsi que l'attestent certaines dénominations introduites dans le lan- gage anatomique telles que X aqueduc de Sylvius, le pont de Varole , la vahule de Vieussens , etc. Un savant italien, Gotunni, en avait signalé l'exis- tence sur le cadavre, mais les anatomistes modernes avaient complètement oublié ces idées , et ils ne re- gardaient l'existence de ce liquide que comme un phénomène cadavérique ou comme le produit d'une exhalation morbide. Moi-même j'ai long-temps par- tagé ces erreurs. Ce fut en faisant des expériences sur la section des racines des nerfs rachidiens que je constatai pour la première fois chez les animaux vivants la présence constante d'un liquide autour de la substance nerveuse. Je prouvai également que , contrairement aux idées de Bichat, la sérosité cé- rébrale n'était point renfermée dans la cavité de l'arachnoïde , mais bien dans le tissu cellulaire sous-jacent à cette membrane. Comme les idées des anciens relativement à ce liquide sont des plus vagues et que les physiologistes de notre épo- que , avant mes recherches , n'en ont tenu aucun compte, je crois pouvoir m'attribuer l'honneur de cette découverte. Mais laissons de côté ces questions de priorité, et contentons-nous de signaler un fait aujourd'hui incontestable. Il existe à l'état normal une couche de sérosité au-dessous du feuillet ara • chnoïdien. Supposez maintenant que ce liquide soit subitement exhalé en trop grande quantité, les lobes cérébraux se trouvent comprimés et traduisent leurs souffrances par cet ensemble de phénomènes qu'on connaît sous les noms à' apoplexie séreuse, congés- ( 39 ) tloii aqueuse, hydrocéphale ai que, etc. Eh bien ! Messieurs , tel est le genre d'altération que nous a présenté le cerveau de cette femme. Nous avons ouvert la tête par un procédé qui nous est propre, et qui consiste à scier à la fois les os du crâne et le tissu cérébral. La scie dont nous nous servons est plus haute et plus longue que celles dont on fait habituellement usage : sa lame est mince , ses dents acérées; aussi n'altére-t-elle aucunement la substance nerveuse. Vous voyez l'énorme dilata- tion des ventricules cérébraux dont la capacité se trouve en harmonie avec l'accumulation du liquide céphalo-rachidien. Ce liquide, sécrété tout-à-coup en trop grande quantité, a distendu les parois ven- triculaires, et par la compression exercée sur l'en- céphale , a déterminé ces symptômes généraux de paralysie. Le tissu nerveux est d'ailleurs parfaite- ment sain. J'ai beau couper par tranches le cer- veau et le cervelet, je ne puis y rencontrer aucune altération autre que cette surabondance de sérosité. Remarquez cette vaste ouverture par laquelle on pénètre dans le quatrième ventricule un peu plus haut que le calamus scriptorius. Décrite par moi pour la première fois, son existence est constante, mais son diamètre est ordinairement moins large, et souvent elle est traversée par des brides fila- menteuses. Voilà donc la nature de la lésion bien connue j rien de plus simple maintenant que de nous expliquer les phénomènes morbides observés pendant la vie. Mais laissons la théorie pour ne plus envisager la question que sous le rapport pra- tique. A quoi attribuerez-vous cette suractivité ( 40 )• spontanée de la sécrétion séreuse ? Déjà plusieurs d'entre vous ont prononcé les mots de inflam- mation , irritation , car ce sont aujourd'hui ^ comme il y a deux mille ans y les expressions reçues pour désigner ce qu'on ne peut expli- quer. Qu'est-ce en elFet qu'une inflammation , qu'une irritation qui produit un liquide ? Est-ce la même qui produit du pus ? Avouons bien plu- tôt notre ignorance , faisons justice de ces termes insignifiants , ou bien , si nous nous en servons , n'y attachons pas plus de valeur que le mathéma- ticien à \x algébrique. Traiterez-vous cette mala- die par la saignée ? L'expérience n'a point encore prononcé sur ce moyen, vu la difficulté de porter avec certitude un diagnostic ; mais le raisonne- ment doit déjà vous faire révoquer en doute son efficacité. Ne savez-vous pas qu'un des effets de la saignée est de diminuer la proportion de fibrine et de matière colorante du sang , d'augmenter sa partie aqueuse , et de favoriser les diverses sécré- tions ? L'ouverture de la veine me paraît devoir plutôt aggraver qu'amender les symptômes. Les anciens médecins disaient que certaines maladies guérissent toutes seules , que d'autres guérissent par ou malgré les remèdes, et que d'autres ne gué- rissent pas , quoi qu'on fasse. Cela est vrai pour beaucoup de- circonstances. C*est surtout dans les hospices consacrés aux individus incurables , que vous voyez combien nos moyens sont impuis- sants pour apporter le moindre adoucissement à ces malheureux que la douleur et la maladie dé- vorent. ( 41 ) Revenons maintenant à l'objet spécial de nos le- çons dont nous nous sommes un instant écartés. Ce semestre, vous le savez , sera consacré à l'étude des phénomènes physiques de la vie; mais pour que vous connaissiez bien le terrain sur lequel nous allons marcher, je dirai quelques mots des carac- tères propres aux phénomènes vitaux. Leur exa- men détaillé devant nous occuper à une autre époque^ je serai court. Pour bien observer un phé- nomène vital , il faut le suivre dans son dévelop- pement, le mettre en jeu, l'envisager sous toutes ses formes, en un mot , il faut le soumettre à l'analyse expérimentale. Vous aurez beau étudier dans les livres, vous n'y puiserez que des idées vagues ou même inexactes. Qui donc se flatterait d'en savoir plus que l'observation ne peut en apprendre ? Quand je pique un animal vivant , ses cris , ses mouvements m'attestent qu'il a senti le contact de l'instrument. En quoi consiste la sensation de la douleur ? Je ne puis me l'expliquer qu'en repor- tant vers moi ce que l'animal a manifesté , et ce n'est qu'en me rappelant ce que j'ai éprouvé moi- même que j'acquiers la conscience de ce qu'est la souffrance.Voyez maintenant, à propos de la sen- sibilité, dans quels écarts on s'est jeté pour avoir abandonné la voie de l'observation. On a dit d'a- bord que tous les tissus blancs étaient sensibles, et sous cette dénomination on désignait les apo- névroses , les tendons , les parties fibreuses , les nerfs , etc. Plus tard Haller et son école furent amenés par l'expérience à démontrer la faus- seté de ces opinions ; ils prouvèrent que si la pi- Magendie. 6 ( ^ ) qviie d'un aponévrose ou d'une tendon provoquait de la douleur, c'est qu'on avait intéressé quelque nerf. Enfin , iis arrivèrent par voie d'exclusion à limiter la sensibilité au système nerveux. C'était avoir beaucoup fait sans doute , mais il restait en- core beaucoup à faire. Ces idées régnaient dans la science, lorsque nous commençâmes nos expérien- ces sur les fonctions et les propriétés de l'appareil de l'innervation. Dans tous les livres de physiolo- gie on nous vantait l'exquise sensibilité des nerfs optiques et acoustiques; car, disait-on, si le simple ébranlement de la lumière et des ondes sonores est transmis par leur intermédiaire au cerveau, quelle ne doit pas être l'acuité de la douleur que provo- querait le contact d'un corps étranger ? Jamais peut-être conjecture ne fut plus probable , et ce- pendant qu'est-il arrivé ? Nous prouvâmes par des expériences irrécusables que les nerfs optiques et acoustiques pouvaient être coupés, déchirés, écra- sés sur l'animal vivant, sans que celui-ci manifes- tât la plus légère souffrance. Plusieurs fois chez l'homme en opérant la cataracte, nous avons plongé l'aiguille au fond de l'œil de manière à toucher la rétine, et jamais le contact de linslrument n'a déterminé la moindre sensation. Venez-vous au contraire à blesser le tronc ou les rameaux de la cinquième paire , à l'instant l'animal se débat en poussant des cris plaintifs. Ces faits que Texpéri- mentation seule pouvait dévoiler, nous amenèrent à cette importante conclusion que pour le système nerveux il existe deux espèces de nerfs , les uns sensibles , les autres insensibles. Là ne se borné- ( 43 ) rent point nos recherches. Nous vimes aussi que la section du nerf facial était tantôt doulou- reuse, et que tantôt elle ne l'était pas; à quoi pou- vait tenir cette particularité? A Faction jusqu'ici méconnue que les nerfs exercent les uns sur les au- tres. Vous connaissez les branches anostomotiques qui font communiquer la septième paire avec la cinquième. Eh bien! tant que celle-ci est intacte, le nerf facial ne peut être irrité sans que l'animal té- moigne de la souffrance; si au contraire elle a préa- lablement été coupée, vous pouvez impunément déchirer la septième paire, car elle a perdu sa sen- sibilité cFempî^unt. Ces découvertes physiologiques ne sont point sté- riles en application, elles sont utiles à la thérapeuti- que. Etes-vous consultés pour une personne atteinte d'une névralgie faciale , il ne sera pas indifférent de diriger vos moyens de traitement vers la cin- quième ou la septième paire ? Lequel des deux nerfs est le siège de la douleur ? Bon nombre de prati- ciens, fort recommandables d'ailleurs, très érudits en théorie , mais malheureusement très peu au courant des lumières que rexpérimentation a jetées sur ces questions, resteront fort embarrassés pour résoudre un problème aussi simple : et cependant le seul témoignage des sens, quelques expériences, suffisent pour lever une difficulté qui ne devrait plus exister aujourd'hui! Ce qui distingue essentiellement les phénomènes vitaux des phénomènes physiques, c'est que tan- dis que ceux-ci peuvent être expliqués par les lois connues de la matière^ les premiers échappent à ( 44) ces lois et se jouent également de nos aperçus et de notre curiosité. Telle est l'importance de leur rôle dans le mécanisme de nos fonctions que les médecins à toutes les époques se sont efforcés d'in- terpréter leur jeu mystérieux ; mais qu'est- il ar- rivé ? L'on a été réduit à imaginer les suppositions les plus absurdes, et à substituer de futiles bypo- tbèses à la sévérité de l'observation. Ainsi, les an- ciens croyaient tout expliquer par le mot nature (^uait;)^ c'était elle qui veillait à la conservation de l'individu, qui dirigeait toutes les grandes fonctions et coordonnait l'ensemble de leurs actes. Plus tard c'est à Yarchée («px.^) que fut confiée l'admi- nistration de la machine humaine. L'archée, d'a- près Van-Helmont , est un principe intelligent , ayant pour siège principal l'orifice supérieur de l'estomac, et surveillant sans cesse les phénomènes que présentent les corps organisés. C'est à sa vigi-* lance qu'est dû cet admirable équilibre qui consti- tue l'état physiologique. Mais l'archée est sujet à toutes les faiblesses de l'humanité : ses caprices , ses erreurs exercent sur nos principaux appareils un fâcheux retentissement , et amènent ces dé- sordres qui constituent les maladies. Vint ensuite \e président ( prœses ) du système nerveux. L'é- conomie tout entière fut soumise à sa domination^ et les nerfs ne furent plus considérés que comme les émissaires chargés de transmettre ses ordres dans tous les points de la république vivante. Mais, direz-vous , de semblables explications ont vieilli; il y a long-temps que le bon sens médical en a fait justice. J'en conviens, passons donc à celles qu'on (45 ) leur a substituées. Et d'abord rëlectricité a été mise à contribution pour nous dévoiler tous les phénomènes organiques ; par un rapprochement grossier on n'a voulu voir dans les nerfs que des agents conducteurs du fluide nen>eux. N'eût - il pas été plus logique, avant de mettre en jeu ce prétendu fluide, de commencer par prouver son existence ? On a cru devoir s'abstenir de cette formalité, et cela pour des motifs que vous ap- précierez facilement. Enfin , parut un homme qui, donnant un libre essor aux inspirations de son génie , s'empara de cette question , l'appro- fondit , la développa avec toute la puissance de son style , et sembla lui avoir donné une solution exacte et définitive. Bichat désigna l'ensemble des lois qui régissent l'économie sous le nom de propriétés vitales; avec leur secours tous les phénomènes physiologiques et pathologiques se trouvaient dévoilés. Ainsi , la nutrition s'opère parce que les molécules des corps vivants sont doués d'une sensibilité organique qui détermine au sein des tissus une contractilité organique in- sensible ; et de même pour les sécrétions , les ex- halations, les absorptions. Dans les maladies , tous les phénomènes dérivent également d'une lésion de ces propriétés, c'est à celles-ci seulement qu'il faut remonter pour la thérapeutique. En dernière analyse , Bichat réduisait le cadre nosologique aux trois classes suivantes : exaltation, diminution, perversion des forces vitales. Ramener ces forces à leur type normal, c'est en cela que consiste toute la science du médecin ! Laissons de côté ce que ces ( A6 ) spéculations ont de séduisant par leur simplicité , oublions pour un moment Fautorité de leur inven- teur, et expliquons-nous avec franchise. Messieurs, vous voyez encore ici que dans l'impuissance d'ex- pliquer les laits, on a imaginé des lois sous l'empire desquelles on a rangé avec plus ou moins d'art les phénomènes de la vie. Sans doute, nos organes pour fonctionner reçoivent Tinfluence d'une cause sim- pie ou multiple manifeste dans ses effets , caché dans son essence. Appelez-la archée y présidenc ^ force vitale.,,, peu m'importent les noms. Ce que je voudrais connaître c'est la nature de cette cause, c'est son mode d'action, c'est son point de départ. Comment voudriez-vous parvenir à l'interpréter si vous ne pouvez ni la définir, ni la comprendre ? Un de mes anciens condisciples, maintenant chi- rurgien d'une grande réputation de nos premières villes (M. Moulinié de Bordeaux, je le nomme avec son assentiment) fit un voyage à Paris, il y a quel- ques années, dans un but scientifique. Il voulait s'assurer par lui-même de l'état actuel de nos con- naissances physiologiques et del'espritquidominait dans les écoles delà capitale. Quelle ne fut pas sa sur- prise en voyant ces mêmes idées qui jadis jouissaient d'une immense faveur, actuellement oubliées ou du moins menacées d'une prochaine disgrâce. Il vint se plaindre à moi de ce qu'il appelait l'injustice de notre époque , et déplorant amèrement l'abandon des hypothèses sur les propriétés vitales, il voulait me faire partager ses regrets. Ils'adressait mal. Loin de sympathiser avec lui , je voulus à mon tour lui prouver que nous étions dans la bonne route , ( /,T ) que la science en se dépouillant de ces futiles théo- ries s'enrichissait de ses propres pertes; j'ajoutai que tout médecin doué d'un esprit sévère, devait désormais renoncer à ces prétendues explications fournies parles propriéiésYÏiSile^.C^éiaitpourlantsi commode /me répondit-il naïvement, prenons acte de cet aveu. Oui , Messieurs, il est plus commode^ plus facile de créer un roman et de faire jouer, au gré de son imagination tel ou tel rôle aux fonctions or- ganiques, que d'interroger les faits et de n'enre- gistrer que leur témoignage. Voulez-vous plaire aux esprits superficiels , montrez leur la nature sous des formes attrayantes ; on vous excusera de n'être pas vrai, pourvu que vous soyez ingénieux. Mais le médecin qui sait comprendre la dignité et l'indépendance de sou art méprisera ces com- plaisants suffrages. Sévère dans ses recherches, consciencieux dans ses assertions, il tiendra plus à instruire qu'à plaire. Eh ! que lui importe l'accueil réservé à ses travaux? Ne sait-il pas que la vérité n'excite point l'enthousiasme, et que l'assentiment subit de la multitude est presque toujours le pro- pre de l'erreur ? (48) QUATRIÈME ^LEÇON, 6 janyier 1857. Messieurs , Nous avons essayé dans la leçon précédente de vous indiquer la meilleure marche à adopter pour l'étude des phénomènes vitaux : ces précep- tes nous les avons puisés dans l'histoire de la mé- decine et dans notre propre expérience : c'est en les suivant que nous avons pu faire faire à la science quelque pas assurés. Ces généralités , tout incomplètes qu'elles doivent vous paraî- tre , me semblent néanmoins suffisantes pour le but q ue je m'étais proposé ; car il me tarde de joindre 1 exemple au précepte. Autre chose est conseiller, autre chose est agir. Vous avez entre les mains une foule d'ouvrages exclusivement con- sacrés à l'examen des méthodes qu'il convient d'adopter pour l'étude des sciences; malheureuse- ment la plupart ne sont que de futiles rêveries. Je sais qu'il existe à cet égard quelques exceptions. Qui de vous ne connaît ces admirables pages dans lesquelles , un savant que l'Angleterre cite avec un ( 49 ) juste orgueil^ 1 illustre chancelier Bacon, a consi- gné le riche dépôt de ses judicieux préceptes ? Mais à côté de ces hommes de génie qu'on ne voit surgir qu'à de longs intervalles, apparaissent cha- que jour de prétendus Réformateurs de la méde- cine , qui distribuent libéralement les conseils et les règles , en ne se doutant guères des difficultés de leur entreprise. Pourquoi l'édifice médical tant de fois élevé a-t-il été tant de fois renversé? Parce que chacun a voulu en être l'architecte, et que personne n'a réuni la patience , le savoir , la ca- pacité nécessaires pour recueillir les matériaux propres à en asseoir solidement les bases. Il faut en général se méfier beaucoup de soi- même quand on avance une opinion qu'on a in- térêt à soutenir. N'exigez pas de l'esprit humain plus qu'on ne peut lui demander. Il est si facile de transformer en réalités ses propres illusions ! Vous êtes convaincus , vous voulez convaincre. C'est en vain que vous vous efforcez d'être impartial dans une cause dont peut-être dépend votre avenir. Il n'appartient qu'au public éclairé de juger vos tra- vaux, lui seul a le droit de leur accorder ou de leur refuser sa sanction. Cet écueil que nous vous signalons , Messieurs, nous n'osons nous flatter de l'éviter. Toutefois , c'est avec confiance que nous allons aborder l'exa- men des questions qui feront l'objet de nos leçons pendant ce semestre. L'observation sera notre guide, toujours nous invoquerons son témoignage à l'appui de nos assertions. Ce n'est point dans le silence du laboratoire , mais bien sous vos yeux et Magendie. 7 ( 50 ) dans cette enceinte que nous répéterons sur l'ani- mal vivant les expériences qui serviront de base aux propositions que vous nous entendrez émettre. Eh! que nous importent les traits que pourrait lan- cer la critique? C'est aux faits et non pas à nous qu'ils doivent s'adresser. HYDRAULIQUE VITALE. Le corps de tout animal est le siège d'un mou- vement intérieur qui résulte de l'action d'une for- ce physique sur les liquides contenus au sein de rorsjanisme. Prenez pour exemple un mammifère: il vous offre un appareil hydraulique si savantdans sa structure, si admirable dans ses résultats que le plus habile mécanicien pourrait à peine en reproduire une grossière ébauche. On a donné le nom de Circulation à la marche du fluide que cette machine est chargée de faire mouvoir , afin de distribuer aux divers organes leurs matériaux réparateurs. Vous verrez combien de résultats variés sont la conséquence d'actions fort simples produites par une multitude d'agents différents. L'élude de ce grand phénomène est bien digne de fixer l'attention des physiologistes. Point de vie possible sans ce mouvement de liquides. Et cependant combien il s'en faut que les idées qu'on se fait généralement du jeu des divers compartiments qui composent cette machine hy- draulique soient l'expression fidèle de la vérité î Harvey jetaun grand jour sur la question qui nous occupe en démontrant que le sang passait des ca- (51 ) YÏiés droites dans les cavités gauches du cœur, après avoir traversé le poumon , et revenait en- suite des cavités gauches aux cavités droites après avoir parcouru le corps tout entier, mais il ne dévoi- la pas tout le mécanisme du cours de ce fluide. C'est peu de savoir les résultats apparents que déter- mine dans son ensemble un appareil mécanique; 1 faut encore descendre dans les détails desa struc- ture, et étudier le jeu de chaquerouage isolé. Con- sultez nos traités de physiologie les plus modernes; la plupart sont encore écrits sous l'influence de ces vieilles idées qu'on devrait chasser honteusement du domaine de la science. 11 est peu de médecins qui n'aiment à disserter sur la circulation du sang; c'est là le sujet favori , le texte de prédilection. Et ce- pendant. Messieurs, je ne vous dis rien d'exagéré, en vous afïirmant que le véritable mécanisme de cet important phénomène est généralement ignoré et que le plus disert en cette matière est souvent celui qui possède le moins son sujet. L'histoire de la circulation embrasse l'étude d'une foule de questions de la pîushaute physique. Avant d'arriver aux faits compliqués, procédons par les faits les plus simples; ce sera le moyen de n'en négliger aucun. Prenez un animal vivant , un mammifère , par exemple, et faites une piqûre dans un point quel- conque de son corps, aussitôt vous voyez sortir un liquide. Celui-ci coule un certain temps, puis il se ralentit et finit pdr se tarir. Pratiquez- vous une large incision, le liquide s'échappe en plus grande quantité; ce n'estque plus tard queson jet diminue. ( 52 ) d^roît et s'arrête, alors que des caillots coagulés agglutinent les lèvres de la plaie. Ce que vous observez à l'habitude extérieure du corps , vous le rencontrerez également dans la profondeur de nos organes. Ainsi voilà un premier fait bien con- staté : tous nos tissus sont sans cesse traversés par un courant de liquides. Pratiquez sur un animal une ouverture, à la dure-mère dans l'espace qui sépare l'arc postérieur de l'atlas de Toccipital, vous apercevez le feuillet arachnoïdien venir former au dehors une petite her- nie transparente. Incisez cette poche membra- neuse , à l'instant^ un fluide limpide s'élance à distance. Bientôt la petite plaie se ferme, les trou- bles qu'avait déterminés l'évacuation delà sérosité cérébrale se calment; toute l'économie rentre dans l'ordre. Répétez maintenant la première expé- rience ; incisez de nouveau la membrane cicatri- sée, un liquide semblable au premier s'échap- pera en égale quantité. Comment se fait-il qu'après avoir évacué déjà ce fluide séreux, vous en con- statiez plus tard un nouveau dépôt ? Il faut bien admettre qu'il a été apporté, charrié dans ce point par un mécanisme particulier. Voulez- vous un exemple encore plus frappant ? Videz l'œil par une ponction ou, ce qui revient au même, opérc*z la cataracte à la manière de quel- ques chirurgiens, les humeurs s'échappent en même temps que le cristallin, etTorgane s'affaisse. Examinez vingt-quatre heures après le globe ocu- laire, vous le trouverez gonflé, distendu par un nou- veau liquide. Ce liquide provient d'une source quel- ( 53) conque; il ne s'est pas formé de loute pièce ^ il a bien fallu qu'il fût apporté par des agents de trans- port. Mais quels sont ces agents ? oii puisent-ils eux-mêmes le liquide qulls versent si rapidement dans l'œil ? Nous examinerons ces questions plus tard; qu'il nous suffise pour le moment d'avoir constaté ce fait. Une expérience journalière nous montre sur nous-mêmes un mouvement intestin de liquides dans notre économie. Quelle est cette sensation particulière, appelée soif, si ce n'est un instinct qui avertit chaque individu de la nécessité de faire pénétrer en lui un fluide qui remplace ceux qui s'échappent à chaque instant par diverses voies d'excrétion. Ce renouvellement des liquides est une condition indispensable de la vie. Combien de temps peut vivre un animal entièrement privé de boissons ? Nous avons déjà fait quelques ex- périences relatives à ce sujet. Vous voyez déposé sur ma table le corps d'un chien qui depuis 23 jours était soumis à une abstinence absolue; il était arrivé au dernier degré de maigreur et de ma- rasme. Nous avons essayé de nourrir des animaux avec des aliments exclusivement solides ; trois ont fini par succomber après un temps variable. Ainsi l'introduction de nouveaux liquides dans le corps vivant est une nécessité de l'existence. Ces propositions élémentaires que chacun d'en- tre vous connaissait déjà, nous démontrent de la manière la plus incontestable la présence d'un li- quide sans cesse en mouvement au sein de nos tissus. Essayons maintenant de trouver par quel (54) ^ mécanisme il se meut. Est-ce d'après les lois delà pesanteur ou de la capillarité? Nos organes se lais- sent-ils imbiber à la manière de l'éponge? Oui, dans beaucoup de circonstances. C'est en vertu de la porosité de nos membranes que certaines sub- stances médicamenteuses pénètrent dans l'écono- mie; c'est par elle que s'opèrent la transpiration pulmonaire et les grands phénomènes de l absorp- tion et de l'exhalation. Mais n'y a-t-il pas une autre force qui met enjeu ces courants de liquides? Un système d'organes tout entier , une machine admirable est chargée de ce rôle important. On désigne généralement sous le nom de vais- seaux, artères, veines y capillaires, des tuyaux mem- braneux destinés à charrier le sang dans tous les points de l'organisme. L'expression de tuyaiuv me semble préférable aux mots adoptés dans le langage anatomique; car elle a l'avantage de ramener nos idées vers les lois physiques, les seules qui puissent nous être de quelque secours dans les questions que nous allons examiner. Envisagé dans son en- semble, l'appareil circulatoire nous offre à consi- dérer une machine hydraulique centrale (le cœur) qui sert de réservoir et de pompe au liquide (le sang) destiné à se mouvoir dans tous les points de Torga- nisme , des tuyaux afférents, [ les artères) chargés de distribuer partout un fluide dont les proprié- tés physiques arrêteront plus tard notre atten- tion ; des tuyaux efférents ( les veines ) chargées de ramasser ce même fluide dépouillé de quel- ques - unes de ses qualités , et mélangé avec ( 55 ) des matériaux étrangers. Ces deux systèmes de tuyaux n'offrent point dans toute leur longueur un égal diamètre. De plus en plus volumineux suivant qu'on les observe plus près de la machine centrale, ils vont graduellement en décroissant à mesure qu'ils s'en éloignent, et représentent une succession continue de cylindres qui vers leurs dernières divisions égalent à peine la ténuité du cheveu. Ce sont ces tuyaux intermédiaires, (les vaisseaux capillaires) qui établissent une libre communication entreles deux grands ordres de con- duits hydrauliques. Tel est le point de vue sous lequel nous nous proposons d'envisager le phéno- mène de la circulation. Vous exposer les lois mé- caniques qui président au mouvement et à la dis- ribulion du liquide que met en jeu la pompe cen- rtale vivante, voilà notre but, voilà notre mission. Un liquide dans une machine quelconque ne peut se mouvoir sans une cause mécanique. Tan- tôt ce sera la pesanteur : c'est ainsi qu'au moyen de réservoirs placés sur des lieux élevés , vous pouvez à l'aide d'aqueducs faire parvenir l'eau à de grandes distances ; car la colonne de li- quide monte sans cesse, jusqu'à ce qu'ayant at- teint son niveau, elle reste en équilibre. Dans un autre système de machines, on fait usage de roues hydrauliques mues par des chûtes d'eau. Très souvent aussi on se sert de la vapeur pour sou- lever un piston , attirer dans un cylindre une quantité donnée d'eau qui, soumise à une pres- sion énergique , se trouve lancée dans un sys- tème de tuyaux chargés de sa distribution. Vous connaissez tous Iheureuse application que l'on a ( 56 ) faite de l'action du vent pour favoriser l'ascension et la marche des liquides. Trouvons-nous main- tenant, dans l'économie animale ^ quelque chose d'analogue? Non. On peut à la rigueur concevoir que la pesanteur ait quelque influence sur la co- lonne liquide et en effet elle en a, ainsi que nous le verrons plus tard , mais elle tend à la faire des- cendre vers les points déclives, et nullement à la faire remonter. Vous parlerai - je de ces préten- dues explosions que l'on avait admises dans Finté- rieur des vaisseaux, et par lesquels on voulait ex- pliquer le mécanisme de la circulation? Ces explo- sions n'ont jamais existé que dans l'imagination de ceux qui se sont plus à leur faire jouer un rôle. Ainsi vous ne trouverez , dans l'organisme, rien qui se rapproche de ces puissances mécaniques développées soit par la pesanteur, soit par des roues à eau, soit enfin par l'action de la vapeur ou du vent. Quelle est donc la force qui met en jeu la ma- chine hydraulique humaine? C'est la contraction musculaire. L'organe central de la circulation ré- présente une pompe, mais une pompe qui diff'ére sous beaucoup de rapports de celle qu'on emploie habituellement dans les arts. Dans une pompe ordinaire le piston s'élevant et s^abaissant par un mouvement de va-et-vient aspire, puis comprime un liquide; de même pour le cœur nous voyons une ondée de sang pénétrer et sortir alternative- ment. Par quoi se trouve remplacé le jeu du piston? Par l'action des parois du corps même de la pompe. Ce sont elles qui , en se dilatant permettent au ( 57 ) _ liquide d'entrer dans leur cavité et qui , revenant sur elle-même, par une contraction subite et éner- gique, le lancent dans un système de tuyaux élas- tiques chargés de la distribution. Dans l'élude de l'bydraulique vitale nous devons donc envisager la question sous un double point de vue. Nous au- rons à étudier la force motrice, Y agent vital, dont le mécanisme restera pour nous un mystère; nous verrons à côté , mais non sur la même ligne, des canaux traversés par des courants de liquides, nous les y verrons soumis aux lois hydro-dynamiques. C'est sous ce dernier rapport que nous nous pro- posons d'envisager d'abord le mécanisme du cours des liquides au sein de l'économie. Pour démontrer combien est grande l'analogie entre la pompe organique et les pompes ordinai- res , il faut remarquer que dans Tune et l'autre machine la direction des courants liquides est as- surée par des moyens identiques. N'est-ce pas par la disposition des soupapes que l'orifice des con- duits hydrauliques est tantôt fermé, et tantôt ou- vert ? Que ce soient des membranes vivantes , que ce soient de simples lames de métal ou de cuir , le jeu de ces soupapes est toujours essentiellement le même; suivant qu'elles s'abaissent ou se redres- sent, le passage des liquides sera libre ou intercepté: j^essaierais en vain de chercher dans leurs fonc- tions autre chose que des phénomènes mécaniques. Examinez le cœur chez l'homme, vous trouvez cha- que orifice des gros tuyaux qui s'y abouchent ou en partent muni de replis membraneux que dans le langage peu harmonieux et tant soit peu barbare MagenJie. "* ( 58 ) des écoles, on appelle valvules tricuspides, triglo' chines j, mitrales, etc. A ces expressions nous sub- stituerons volontiers celles de soupapes; car elles ramèneront vos esprits vers des idées de phy- sique dont on n'a que trop de tendance à s'écar- ter. Vous vous habituerez aussi à nous entendre employer les mots àe pompe, corps àe pompe de préférence aux mots peu scientifiques, d'oreillet- te, ventricule y etc. Par quels bizarres et grotesques rapprochements n'a-t- on voulu voir dans des ca- vités destinées à servir de réservoirs à des liqui- des, que iÏQ petits ventres, de petites oreilles, et mille autre absurdités de cette force? Sans doute il serait à désirer que le langage médical subit une sévère réforme. De nos jours, plusieurs personnes ont déjà tenté cette entreprise, et ont proposé des nomenclatures ; mais, je dois le dire, leurs essais ont été malheureux; et à des termes barbares on a substitué des termes plus barbares encore ; d'un assemblage de racines grecques et latines on a façonné des mots qui, pour me servir des paroles du poète, hurlent de se voir accouplés. Aussi nous ne vous proposerons point une langue nouvelle; seulement nous emprunterons quelques expressions aux sciences qui nous servent à ex- pliquer des problèmes essentiellement physi- ques. Les deux principaux tuyaux en communication avec la pompe centrale sont munis de soupapes; mais celles-ci au lieu de n être formées que par une simple lame sont constituées par trois lamelles iso- lées. Est-ce là un luxe superflu ? Le constructeur de ( ^9) notre machine hydraulique n'avait-il donc pas at- teint le dernier degré des connaissances mécani- ques? Messieurs j, l'admirable ensemble qui pré- side au jeu de nos rouages, les résultats prodigieux obtenus par les moyens les plus simples, dépassent tout ce que Thomme le plus versé dans les scien- ces positives pourrait imaginer. Non, vous ne pour- riez point remplacer par une seule ces trois sou- papes. Supposez un instant qu'il n'y en a qu'une seule , elle pourra à la rigueur s'opposer au reflux du liquide tant que ce tuyau conservera son diamè- tre habituel; mais ce tuyau est élastique, ses parois pourront se laisser distendre , et alors la soupape n'étant pas en rapport avec le cylindre creux qu'elle doit obturer, n'accomplira plus qu'imparfaitement sa fonction. Au contraire, par l'ingénieux méca- nisme de ces trois lamelles qui s'adossent, le conduit membraneux a beau se laisser dilater, le cours du liquide est toujours assuré. Ce n'est pas seulement aux principaux orifices que vous rencontrez des soupapes ; il en existe également dans un système tout entier de tuyaux où elles se trouvent disposées de distance en distance. Plus tard nous revien- drons sur leur mécanisme. Les considérations superficielles dans lesquelles nous venons d'entrer suffisent pour vous montrer l'analogie qui existe entre la machine qui fait mouvoir notre principal liquide, et les pompes dont on se sert en mécanique. Prenons garde toutefois de pousser trop loin ces rapprochements. Il existe pour l'animal vivant certaines conditions spéciales qui sont d'un bien haut intérêt pour le physiologiste. ( 60 ) Prenez une pompe ordinaire, remplissez-la d'huile, d'éther, d'eau, en un mot d'un liquide quelconque, puis mettez en jeu ses compartiments, le tout fonc- tionnera. Vous pourriez même substituer à ces li- quides des gaz ou des vapeurs , sans que la ma- chine cessât de manœuvrer comme de coutume. En sera-t-il de même pour l'appareil hydraulique animal ? Non , et cela pour deux raisons : d'abord à cause de la nature même des tuyaux, en second lieu , parce que le liquide qu'ils contiennent a une composition toute spéciale , parfaitement en har- monie avec les propriétés physiques de ces conduits vivants et hors de laquelle la machine ne saurait fonctionner. Les grands phénomènes de l'absorption et de l'exhalation dont notre corps est sans cesse le siège, ne peuvent s'effectuer qu'à la condition que des matériaux nouveaux pourront librement pénétrer ou sortir au sein de l'organisme. Vous savez déjà que c'est en vertu de la porosité de nos membra- nes que nous expliquons ces importantes fonctions, dontl'équilibre parfait est intimement lié avec Tétat physiologique. Les parois de nos vaisseaux sont cri- blées de petits orifices inappréciables à l'œil nu ou même au microscope , qui permettent à certaines substances liquides ou gazeuses de s'y insinuer. C'est cette perméabilité des tuyaux membraneux qui forme un caractère essentiel à l'animal vivant; les machines employées dans les arts ne nous offrent aucune disposition analogue. Vous comprendrez facilement pourquoi tout fluidedontla composition ne sera pas en rapport avec la structure spéciale de ( 61 ) nos vaisseaux devra entraîner les troubles les plus graves et suspendre le jeu des rouages dans leur ensemble. Tant qu'on n'envisage que les lois qui président au déplacement des liquides elles sont également applicables et à la pompe mécanique et à la pompe vivante ; mais du moment qu'on veut comparer entre eux ces deux systèmes de tuyaux et la nature des courants qui les parcourent, toute analogie cesse : c'est une nouvelle série de phéno- mènes qu'il s'agit d'étudier. Quelle est donc cette piqueur qui se meut dans l'intérieur des conduits organiques ? sa nature est des plus complexes et telle que la chimie sait à peine les isoler et leur assigner des caractères. Cette liqueur est remarquable par sa viscosité , et ce n'est pas impunément "que celle-ci pourra être augmentée ou diminuée. Nous avons injecté sous vos yeux dans le semestre dernier, de l'eau et diverses solutions mucilagineuses dans le sys- tème circulatoire de plusieurs animaux; vous vous rappelez les phénomènes qui en ont été la consé- quence. Cependant ces divers liquides sont fort innocents de leur nature. Comment donc ont-ils agi? Ils ont modifié la composition du sang, changé les diverses proportions de ses éléments, arrêté ce fluide dans son cours , soit en oblitérant les petits tuyaux qu'il devait parcourir, soit en s'imbibant dans leurs parois. Il est une autre propriété dont nous devons tenir un compte immense; je veux parler de cette tendance qu'a le sang à se coaguler. Faites une saignée et recueillez la liqueur dans un vase; elle se prend d'abord en masse , mais ^ 62 ^ bientôt elle se sépare en deux portions , l'une solide, formée de fibrine et de matière colorante^, l'autre liquide^ constituée par la sérosité. Pour- quoi chez l'animal vivant le sang conserve-t-il sa fluidité ? pourquoi le ralentissement accidentel de la circulation n'amène-t-il pas son passage à l'état solide ? Nul doute que les causes physiques ne jouent encore ici le principal rôle. Ce liquide si visqueux, si coagulable, n'est point homogène dans sa composition. Il semble au pre- mier aspect n,e former qu'une masse uniforme, mais examiné au microscope , il présente des myriades de petits corps de formes lenticulaires et non glo- buleuses comme on le croyait naguères , nageant au milieu d'un sérosité limpide. Ces petites lentil- les roulent sans cesse les unes sur les autres , par- courent librement des tuyaux dont la ténuité l'emporte sur celle du cheveu , du moins en appa-- renée, sans s'occasionner mutuellement le moin- dre embarras. Nous n'avons rien dans les sciences qui puisse se comparer à ces admirables mystères de l'organisme. Partout règne une harmonie par- faite, un ensemble d'actions dont nous ne pouvons qu^analyser les résultats^ et en face desquels nous sommes souvent forcés d'avouer notre profonde ignorance. Vous parlerai-je de l'élasticité des tuyaux orga- niques ? Telle est l'importance de cette propriété, que sans elle le cours de nos liquides serait im- médiatement suspendu. Il y a loin de ces idées à celles qui assimilent l'appareil circulatoire à une longue suite de cylindres inflexibles pareils à ceux ( 63 ) qu'on emploie dans les machines. On a cité à l'appui de cette étrange opinion ce qui advient chez les individus dont les vaisseaux se trou- vent ossifiés par suite des progrès de l'âge, et on a voulu en conclure que l'élasticité était inutile pour que la circulation s'effectuât. 'A-t-on bien réfléchi aune semblable objection? Oui, chez le vieillard, les principaux tuyaux perdent leur flexibilité, mais aussi la nutrition languit, les tissus s'atrophient, toute l'économie traduit sa souffrance par le trouble des grands appareils. Je m'empresse d'ailleurs d'ajouter que jamais on n'a trouvé tout le système vasculaire envahi par l'ossification; jamais celle-ci ne s'est étendue au-delà des rameaux artériels, si elle eût gagné le réseau capillaire, la circulation à l'instant même eût été arrêtée. Ainsi, je le répète, la flexibilité des tuyaux est une des circonstances les plus essentielles qu'on puisse signaler pour le mécanisme du cours du sang. Les faits qu'on a opposés à cette assertion ne servent qu'à l'appuyer, bien loin de la détruire. C'est pour avoir négligé ces propriétés ph^^siques des tuyaux et des liquides que l'étude de la cir- culation est encore si peu avancée de nos jours. Instruits par l'expérience de nos devanciers, nous n'irons point nous engager dans les sentiers où ils se sont égarés. Leurs erreurs nous serviront d'exemples ; nous essaierons de les réfuter et de les remplacer par des faits nouveaux basés sur le témoi on fait également usage de tuyaux^ mais ceux-ci ont des parois inflexibles au lieu d'être élastiques. Comparez sous le rapport de leur ténuité ces tuyaux avec ceux qu'emploie la nature. Les premiers après un certain nombre de divisions et de subdivisions, ont atteint des limites ^ qu'ils ne peuvent dépasser; arrivés à ne plus offrir qu'une ligne de diamètre , ils vont rarement au- delà de ce dernier terme. Il n'en est plus de même des canaux que parcourent nos liquides. Vous connaissez ce réseau vasculaire formié par des my- riades de petits tuyaux dont Finextricable entre- lacement constitue le canevas de nos organes : leur finesse les dérobe à l'œil nu. Examinés avec des instruments grossissants, ils paraissent à peine ^g^l^i* i4ô« 0^^ même ^^^ de millimètre. Quand on pense au nombre prodigieux de conduits aussi déliés que traversent sans obstacle de continuels courants de liquides; l'imagination en est effrayée; MagenJie. 11 (82) et l'on ne peut qu'applaudir à la patience labo- rieuse de Ruisch, qui consacra la plus grande par- tie de sa vie à étudier par ses nierveilleuses injec- tions ces petits tuyaux. J'évite à dessein de les dési- gner par Tépithète de capillaires^ car cette expres- sion, usitée dans le langage anatomique, est gros- sière, relativement à lidée qu'elle exprime. Un che- veu représente un gros cylindre auprès de canaux si grêles. Le diamètre d'un cheveu est au diamètre d'un de ces petits conduits, ce qu'est le tronc d'un arbre aux fibrilles de ces racines. On n'a point en gé- néral assez tenu compte des difficultés mécaniques que fait naître une semblable disposition . Essayez de faire passer de l'eau parfaitement pure à travers les tuyaux les plus déliés dont les arts se servent; déjà vous éprouvez une certaine résistance .-prenez des tuyaux plus fins encore, ils cessent^ pour ainsi dire, d'être perméables. Et cependant, combien le pro- blème si heureusement résolu par la nature, est-il plus compliqué ! Ce ne sont point des canaux rec- tilignes inflexibles , ce sont de simples conduits membraneux courbés, infléchis de mille manières, à parois élastiques. Ce n'est pas un liquide limpide et homogène , c'est une liqueur visqueuse , te- nant en suspension des milliers de petites len- tilles insolubles qui les traverse. Plus vous descen- drez dans les détails de cet harmonieux ensemble, plus vous déplorerez l'erreur de ceux qui s'obsti- nent à n'y point reconnaître l'alliance des lois phy- siques et des lois vitales. Ils mettent une sorte de vanité à rester étrangers aux premiers rudiments des sciences mécaniques ^ et , forts de leur igno- ( 83) rance, ils osent avoir une opinion , et ce qui doit être, ils la soutiennent avec passion. Eh! Messieurs, ne ressemblent-ils pas à l'aveugle qui discute sur la lumière? Ce n'est donc point pour le plaisir d'innover que nousenvisageonsles phénomènes circulatoires sous le point de vue physique. C'est pour faciliter leur étude et l'intelligence de leur savant et admirable mécanisme. Le cœur, disions-nous, est une double pompe: j'ajouterai qu'elle se trouve renfermée dans une troisième pompe représentée par la poitrine. Celle- ci est une cavité susceptible de se dilater et de se resserrer alternativement , afin d'attirer et de re- jeter le fluide atmosphérique. De même que le corps d'une seringue augmente ou diminue de ca- pacité suivant que le piston s'élève ou s'abaisse , de même le thorax vous offre des phénomènes iden- tiques à chaque mouvement de la respiration. Par quoi se trouve remplacé le piston ? par l'action de puissance musculaire. Les parois pectorales se di- latent , l'air se précipite dans leur cavité : elles se resserrent , l'air en est chassé. Y a-t-il dans ces alternatives de vacuité et de plein autre chose que des résultats tout mécaniques ? Cette grande pompe à air modifie sensiblement le jeu des deux pompes hydrauliques qu'elle contient dans sa cavité. Nous verrons plus tard quelle influence les mouvements d'inspiration ou d'expiration exercent sur la mar- che de nos liquides. Ces effets sont d'autant phis marqués que les phénomènes respiratoires sont plus étendus, et suivant que les deux pompes ■ ( 84 ) adossées et leurs principaux tuyaux sont plus ou moins comprimées par la troisième^ le cours du liquide animal s'accélère ou diminue sensiblement. N'est-ce pas là encore un curieux objet d'étude, que cette action réciproque, que cette solidarité de fonctions de ces appareils mécaniques? Demandez au plus habile physicien de tous dévoiler l'artifice de tant de merveilles^ de vous expliquer comment tant d'obstacles se trouvent si heureusement vain- cus , il sera forcé d'avouer l'impuissance de ses notions scientifiques ; l'ignorance seule prononce d'un ton tranchant sur ce qu elle ne peut com- prendre. Vous connaissez tous cet instrument qui sert de jouet aux enfants et qu'ils appellent canonnière. Une boulette placée à un des orifices est chassée par une autre boulette qui met subitement enjeu l'élasticité de l'air renfermé dans la cavité du cy- lindre. On vous démontre également en physique la théorie du fusil à vent , c'est par la réaction élastique de l'air comprimé dans un réservoir qu'une balle en métal est lancé à une certaine dis- tance. Trouvons-nous pour la poitrine quelque chose d'analogue ? oui, Messieurs, et grâce à Fin- fluence de l'épidémie actuelle , la plupart d'entre vous m'en fournissent en cet instant la preuve ex- périmentale. Quand on tousse , que se passe-il ? L'air contenu dans la cavité thoracique s'échappe bruyamment, entraînant avec lui les mucosités des bronches qui souvent se trouvent projetées à une distance assez considérable. C'est là exactement le phénomène de la canonnière ou du fusil à vent. Un (85) - fluide élastique emprisonné par une puissance mécanique s'élance aussitôt qu'il trouve une issue et ballaie les obstacles qui s'opposent à son libre passage. Maintenant que nous connaissons Tensemble de la machine hydraulique qui préside aux mouve- ments de nos liquides, descendons dans les détails de sa structure et de son mécanisme. Nous parie- rons d'abord des pompes. Plus tard nous revien- drons sur l'étude parîiculiére du cœur; car, comme organe vivant , il mérite d'arrêter et de fixer toute l'attention du physiologiste. Les deux pompes chargées de faire marcher le sang sont adossées, réunies en une machine com- mune. Si l'on ne consultait que la manière dont elles fonctionnent chez Fadulte , on pourrait à la rigueur concevoir qu'elles fussent isolées et indé- pendantes, relativement à leur position. Mais n'ou- bliez pas qu'à certaine époque de la vie les condi- tions physiques ne sont pas les mêmes; et que par un véritable tour de force en mécanique, la nature a fait servir le même appareil à une double destination. Comment circule le sang du fœtus ? A une grande distance de la machine centrale se trouve un organe éminemment vasculaire, le pla- centa , qui communique avec elle par l'intermé- diaire du cordon ombilical. Celui-ci est formé eu partie par la réunion de longs tuyaux contournés en spirale que traversent sans cesse des colonnes de liquides. N'est-il pas évident qu'avec une sem- blable disposition une seule pompe eût été insuffi- sante pour faire parcourir au liquide un trajet aussi ( 86 ) considérable ? Ajoutez à cela que la pompe voisine devenait inutile^ puisque l'organe vers lequel elle devait envoyer un liquide , le poumon se trouve en réserve pour ne fonctionner qu'après la nais- sance. Qu'a fait la nature ? Elle a réuni les forces des deux pompes pour triompher d'un même obsta- cle; au moyen d'un canal temporaire ( canal arté- riel), elle fait communiquer les deux principaux tuyaux d'expulsion qui se confondent ainsi en un seul. Cependant à la vie fœtale succède la vie respi- toire. Le placenta et ses tuyaux n'existent plus , l'ombilic se ferme; il n'est plus besoin que le li- quide vivant parcoure un aussi long circuit. Mais un nouvel appareil , l'appareil puimonaire, entre en action, et, pour être mis en jeu, exige une puis- sance mécanique considérable. Comment tant de difficultés seront-elles surmontées ? Comment la distribution du liquide éprouvera-t-elle une aussi complète transformation? Ce sera par un procédé aussi simple qu'ingénieux. La pompe centrale qui n'a plus besoin d'atitant d'énergie , se décompose en deux pompes secondaires. Celles-ci, parfaite- ment isolées l'une de l'autre par suite de l'oblité- ration de leur orifice de communication, fonction- nent chacune dans leur département respectif; leur séparation sera désormais absolue. Si jamais elles venaient de nouveau à communiquer, les troubles fonctionnels les plus graves, et même la mort, en seraient l'inévitable conséquence. C'est dans cet état d'isolement des deux pompes que nous prenons la question d'hydraulique ani- male. Quant à la circulation du fœtus , nous nous (87) proposons d'y revenir plus tard et de la traiter dans tous ses détails. Ce sujet a été si peu étudié parla voie expérimentale qu'il est à peu près vierge. POMPE BilOITE. Petite pompe , pompe pulmonaire. Nous savons déjà que cette pompe^ par la nature de ses fonctions, est, et doit être moins abondamment pourvue de fibres contractiles que la pompe op- posée. Ses parois sont minces ; elles présentent à leur face interne une disposition aréolaire bien remarquable , au milieu de laquelle la principale colonne de liquide vient se briser et se diviser en un nx)mbre infini de petits courants secondaires qui se heurtent les uns les autres. J'ai insisté sur ces détails anatomiques, car j'y vois un ingénieux appareil destiné à tamiser les divers éléments qui composent ce liquide. A cette pompe est adapté un gros tuyau élastique , offrant tous les caractères propres aux artères et allant se distribuer aux pou- mons. Arrêtons-nous sur la structure de ces der- niers organes. Pour bien apercevoir l'organisation du poumon, il ne stiffit pas de prendre une portion de son tissu et de l'examiner à l'œil nu. Vous pourrez , il est vrai, suivre ainsi les principaux tuyaux sanguins ou aériens , mais au-delà de quatre ou cinq divi- sions, vous ne pourrez pas pousser plus loin votre investigation. On est obligé d'avoir recours à des instruments grossissants. Voici un magnifique ou- vrage que publie M. Eourgery, aidé de l'admirable (88) talent de M. Jacob, et dans lequel il a décrit avec beaucoup d'exactitude la texture du parenchyme de cet organe. La planche que je mets actuelle- ment sous vos yeux représente l'artère pulmonaire et ses principales divisions. Vous voyez que ce vaisseau , après un trajet peu considérable , se sé- pare en deux branches destinées l'une et l'autre à chaque poumon , et que celles-ci ne tardent pas à se subdiviser à leur tour en une foule de petits rameaux secondaires qui vont se distribuer dans tous les points de son tissu. Mais ils ne s'arrêtent pas là où votre œil ne peut plus les suivre. De plus en plus ténus à mesure que leur nombre se mul- tiplie , ils arrivent dans les lobules pulmonaires , et, par leurs continuelles anastomoses, forment des aréoles de conformation diverse dont le prin- cipal objet est de présenter au contact de l'air une immense surface. Il fallait bien que par un pro- cédé quelconque la nature suppléât au défaut d'es- pace pour que le sang pût être vivifié. Aussi, observez tout ce qu'il y a d'art ^ et pour ainsi dire, de génie mécanique dans cette disposition. Un simple tuyau , en se subdivisant et se con- tournant sur lui-même , constitue un réseau dont la finesse et l'inextricable entrelacement permet- tent à peine de suivre au microscope la struc- ture de ses mailles. Il en résulte que dans une cavité aussi étroite que le thorax , il existe une surface qui égale au moins celle de toute l'habitude extérieure du corps. Il y a long- temps que j'ai pu- blié un mémoire sur l'arrangement des parties qui entrent dans la composition du tissu pulmonaire. ( 89 ) J'ai fait remarquer dans ce travail que c'est par leurs flexuosités et les courbures de leurs anses que les tuyaux sanguins en s'anastomosant entre eux , forment des aréoles destinées à servir de réceptacle à Fair. Quant aux vésicules décrites par quelques anatomistes, elles n'existent point. Ces prétendues ampoules suspendues à l'arbre bronchique comme des grains de raisin à la grappe ne se trouvent que dans les livres et nullement dans la nature. Un exa- men grossier et superficiel a pu seul les faire admet- tre, ou plutôt je me trompe, on n'a point examiné. Mais^ à l'exemple des physiologistes, ons'est adressé à Fimagination pour lui demander ce que le scal- pel ne pouvait dévoiler. Il est de toute évidence maintenant qu'il n'y a pas de vésicules pulmonaires , comme l'admet- taient Willis et autres anatomistes : il n'y a qu'un tissu spongieux formé par l'arrangement des vais- seaux qui laissent entre eux de petits espaces où Tair peut librement pénétrer. M. Bourgery vient de jeter un grand jour sur ces questions en publiant les résultats fort remar- quables de ses observations microscopiques. Il a parfaitement démontré que les vaisseaux pulmo- naires se divisaient et se subdivisaient, ainsi que je Favais avancé dans mon mémoire; mais de plus il a étudié avec beaucoup de soin leur mode d'anas- tomose et de distribution. Il a remarqué que ces communications vasculaires décrivent en général une sorte de polygone irrégulier qui envoie dans tous les sens de nombreux embranchements. Un petit tuyau ne va pas seulement s'aboucher dan Mageodie. i2 (90) un autre : mais dans toute la longueur de son tra- jet il présente une foule de ramaux anastomotiques dont l'entrelacement constitue les parois des cel- lules pulmonaires. \ous voyez avec quel luxe et quelle fidélité le crayon a su reproduire ces détails d'une fine anatomie. Ainsi se trouvent confirmées les idées que j'avais émises naguères relativement à ces questions de structure; en outre, voilà des faits nouveaux , qui y d'une part , expliquent comment les vaisseaux servent à former les cellules , et qui, d'une autre part , détruisent Topinion des anato- mistes sur la terminaison des ramifications des bronches. Les petits canaux, dernières divisions de Far- tére pulmonaire, communiquent par continuité de tissus avec un autre ordre de tuyaux d'une égale ténuité. Ceux-ci constituent l'origine d'un nou- veau système de conduits chargés de ramener le sang qui a éprouvé les effets vivifiants du contact de l'air. Les liquides suivent donc ici une marche inverse à la précédente. Nous les avons vus tra- verser un gros vaisseau et d'innombrables di- visions pour aller se distribuer dans cet immense réseau de canaux entrelacés qu'on appelle le pou- mon : nous les voyons ici revenir de ce même organe vers la grande pompe , par le moyen de nouveaux tuyaux disposés comme les premiers. De leurs anastomoses successives résultent qua- tre troncs volumineux qui viennent s'ouvrir dans l'oreillette , qui n'est elle-même qu'un réservoir contractile. Ces phénomènes hydrauhques sont d'autant (91 ) plus remarquables que vous ne trouvez dans les arts rien d'aussi savant , rien d'aussi parfait. C'est sur la nature seule qu'il vous est donné de les étudier, et encore faut - il certaines conditions spéciales dont vous sentirez aisément toute l'im- portance. Peut-on après la mort reproduire ar- tificiellement le grand acte de la circulation ?Non, ou du moins ce ne sera que d'une manière im- parfaite. Quand on veut faire passer des courants de liquides daus ces tuyaux que le sang parcourait si librement , leurs parois s'imbibent , il s'opère des extra vasations , des obstructions , et l'on n'a qu'un grossier représentation de ce qui s'effectue pendant la vie. Si on réfléchit aux obstacles si multipliés que les modifications physiques des tuyaux ou des flui- des qui les traversent, doivent sans cesse apporter à la marche du sang, on a peine à concevoir corn- ment le poumon n'est pas plus souvent le siège do graves altérations. Toutefois, la fréquence des ma- ladies de cet organe ne s'explique-t-elle pas par la structure môme de son tissu ? La vie ne peut sub- sister qu'autant que les petits canaux qui consti- tuent son parenchyme - sont du moins en partie perméables au sang. Que de circonstances physi- ques, chimiques^ vitales, sont nécessaires pour que ce passage s'eifectue ! Que de causes légères en ap- parence disposent de notre fugitive existence ! Je vais maintenant essayer d'injecter de i'eau dans le système vasculaire du poumon. Vous voyez revenir par les veines pulmonaires le liquide que j'ai lancé dans Fartére du même nom. Mais il est ( 92) arrivé ici ce qui s'observe fréquemment en pareil cas , c'est qu'une partie de l'injection s'échappe par ies bronches , soit que les petits vaisseaux se soient crevés , soit que la liqueur ait transsudé à travers leurs parois. Toutefois, cette expérience vous prouve la libre communication par des tuyaux d'une extrême ténuité entre les deux pompes op^^ posées. Maintenant que vous connaissez Ja disposition générale des vaisseaux sanguins du tissu pulmo- naire, il me reste à dire quelques mots des conduits qui livrent passage à l'air pour se répandre dans son parenchyme. La trachée-artère est le tronc commun des ca- naux aériféres. Sa surface extérieure est interrom- pue par des saillies circulaires et des dépressions alternatives qui répondent aux cerceaux cartila- gineux que séparent des cerceaux fibreux. Cyhn- drique dans ses deux tiers antérieurs , elle est plane dans le tiers postérieur. Sa surface interne présente les mêmes reliefs, mais elle est lisse et offre un poli parfait. La trachée par son élasti- cité tient le milieu entre un tuyau flexible et un tuyau inflexible , disposition dont vous sentirez toute l'importance si vous songez à la nature et au mécanisne de ses fonctions. Supposez que ce canal ait été purement membraneux , ses parois se se- raient affaissés au moment de l'inspiration , par suite du vide qui tend à se produire dans le tho- rax , et le passage de l'air eût été intercepté. Sur les limites du pharynx existe une soupape mem- braneuse, le voile du palais , destiné à fermer Fo^ ( 93 ) ri fi ce postérieur de la bouche ou des fosses nasales, suivant qu'elle est horizontale ou verticale. Elle remplit un rôle important relativement à l'intro- duction de l'air dans le poumon. Ce dernier organe n'est, vous le savez, qu'un agglomération de petits tuyaux d'une ténuité extrême, qui charient le sang pour le mettre en contact avee l'oxygène apporté par les ramifications bronchiques. Comment les con- duits aériens se distribuent-ils à la substance pul- monaire? Cette question, depuis Malpighi, a sou- levé de nombreuses controverses. La planche que vous voyez déposée sur ma table vous représente les branches de bifurcation de la trachée-artère , leurs divisions successives et leurs modes de ter- minaison. Chaque lobule reçoit un tuyau bron- chique central qui , avant de disparaître, offre un petit renflement sinueux et irrégulier. Ce tuyau ^ dans son trajet , est criblé d'une foule de pertuits qui sont les orifices de tuyaux secondaires logés dans l'épaisseur des cloisons des cellules , et éta- blissant de nombreuses communications entre cha- que conduit aérien. C'est à cet ordre de rameaux anastomotiques que M. Bourgery a donné le nom de Canaux labyrinthiques . D'après Reisseisen, les dernières ramifications bronchiques se terminent en cul-de-sac dans les cellules pulmonaires, qui ne sont elles-mêmes que les extrémités renflées de ces conduits. Pour prou- ver cette disposition , l'anatomiste prussien pous- se une injection de mercure dans la trachée ar- tère , et en effet , il voit de petites ampoules dis- tendues par un globule de métal. Mais n'est - il ( 9^- ) pas évident que îe poids de la colonne mercurielîe crée ces espèces de cœcums ? Examinez au mi- croscope une tranche de poumon desséché , après une insufflation préalable , vous ne trouvez rien qui se rapproche d'une terminaison en cul-de-sac. J'ai décrit depuis long-temps la manière dont les radicules de l'artère et des veines pulmonaires se comportent pour former les parois des cellules ; les récents travaux de M. Bourgery sont venus donner une nouvelle valeur à mes recherches , et ils ont enrichi la science de nouvelles découvertes sur ces dispositions anatomiques. Voilà une idée générale de la structure du pou- mon. La nature de notre enseignement ne nous permet point de descendre dans de pluâ amples développements, etje dois supposer que ces ques* tions d'organisation vous sont déjà familières. Aussi n'ai-je voulu que rafraîchir votre mémoire sur cer- tains points dont la connaissance est indispensa- ble pour l'intelligence des phénomènes qu'il nous reste à étudier. L'extrême ténuité des tuyaux capillaires, et nous nous sommes expliqués sur la valeur de ce dernier mot, doit rendre fort difficile et fort mi- nutieux Fexamen de ce qui se passe dans leurs cavités. Aussi est-ce cette localité que les physiolo- gistes ont choisie pour donner libre essor à leur imagination. Nous reviendrons sur le rôle qu'on leur a fait jouer, sur les propriétés qu'on leur a supposées; en un mot, sur toutes ces rêveries dont ils ont été le prétexte et dont le seul mérite est d'être par fois ingénieuses. Aujourd'hui on peut, à (95) l'aide de grossissements microscopiques, arriver à savoir positivement la manière dont se compor- tent ces petits vaisseaux par rapport aux liquides qui les parcourent. Ce progrès de la science doit avoir pour premier résultat de chasser devant lui toutes ces hypothèses nées de l'ignorance où Ton était des phénomènes réels. Le sang, vous le savez, tient en suspension un grand nombre de petits grains insolubles. Eh bien! cette circonstance, loin d'aug- menter la difficulté de nos recherches, devient au contraire un moyen par lecjuel nous parvenons à analyser la marche de ce fluide. Supposez qu'au lieu d'une liqueur colorée, contenant des particules opaques, ce soit un liquide homogène, semblable à l'eau par sa limpidité, le microscope ne vous four- nirait plus que des données incertaines. Si nous pouvons décrire avec quelque exactitude les diverses parties qui entrent dans la composition de notre machine hydraulique^ nous essaierions en vain de dévoiler dans toutes ses phases le mé- canisme de leur merveilleux ensemble. Là, comme dans beaucoup d'autres questions organiques, il y aura pour nous des inconnus : c'est déjà quelque chose que de le savoir. Pourquoi ^cette harmonie si parfaite entre les liquides et les tuyaux qui les reçoivent ? Pour- quoi telle disposition qui dans nos machines se- rait un obstacle au jeu des rouages devient-elle dans l'économie une condition heureuse, je dirai même indispensable pour le libre exercice de leur jeu? Ces problèmes ont exercé toute la sagacité d'un des esprits les plus ingénieux que les fastes de (96) notre art puissent citer. Mais, Messieurs, ne nous laissons point éblouir par l'éclat d'un nom impo- sant. Interrogeons le fond de la pensée plutôt que les formes séduisantes sous lesquelles elle est pré- sentée à nos esprits. J'admire dans Bichat le savant et spirituel anatomiste qui dérobe à la nature quel- ques-uns de ses secrets pour les faire pénétrer dans le domaine de la science; je déplore l'homme sys- tématique qui prend ses rêves pour des réalités, et les substitue à la sévérité d'une observation rigou- reuse. Qu'un auteur vulgaire émette des opinions erronées, les conséquences en seront insignifiantes. 11 n'en est plus de même pour ces génies qui domi- nent les générations contemporaines. Plus l'erreur vient de haut, plus son influence est fâcheuse, plus elle a dans le monde un puissant, mais nuisible re- tentissement. ( 9n SEPTIÈME LEÇON. 3 Février 185T. Messieurs , Avant d'aborder l'examen de la machine qui fait marcher le sang dans nos tuyaux , je crois devoir vous dire quelques mots de la nature et de la composition de ce liquide. Je ne l'envisagerai que soiis le point de vue physique : les chimistes l'ont fréquemment soumis à l'analyse et ont su dé- terminer le nombre et la proportion de ses divers éléments. La science s'est enrichie dans ces der- niers temps de belles découvertes sur la structure du sang ; mais il reste beaucoup à faire encore. Le sang est un liquide coloré , d'une saveur et d'une odeur particulières. Sa pesanteur spécifique l'emporte un peu sur celle de l'eau. Il n'est point homogène : il se compose d'une partie séreuse et transparente , tenant en suspension des myriades de corpuscules insolubles. Le sérum présente un aspect légèrement jau- nâtre. C'est une liqueur très composée , dans la* quelle l'analyse démontre la présenee de l'eau, Magendie. 13 ( 98 ) de l'albumine, de sels et de plusieurs autres sub- stances. De toutes ses propriétés physiques, la plus importante c'est sa viscosité. Vous vous feriez difficilement une idée de l'immense influence qu'elle exerce dans la production des phénomènes physiologiques ou pathologiques dont le corps des animaux est le théâtre. Malheureusement , nous sommes réduits sur ce point à des données con- jecturales ; c'est à peine si , dans Tétat actuel de nos connaissances , nous pouvons quelquefois reconnaître que ce liquide est plus ou moins vis- queux. Le physicien mesure avec le baromètre la pesanteur de l'atmosphère, avec l'hygromètre son degré d'humidité. Par quel déplorable privi- lège la médecine seule est-elle condamnée à rester dans le vague et à ne jamais établir ses assertions avec Une précision rigoureuse , ou tout au moins approximative? Espérons qu'un jour nous aurons les moyens d'apprécier les modifications que subit sans cesse le sang dans ses caractères physiques. Celui-là aurait bien mérité de la science et de l'hu- manité qui parviendrait à faire une semblable dé- couverte. Une autre circonstance fort remarquable sous le rapport physique, c'est la présence dans le sérum de la fibrine qui en augmente encore la viscosité. Cette matière y reste dissoute tant qu^elle est sou- imise à certaines conditions hydrodynamiques ; mais, y est-elle soustraite elle se solidifie aussitôt. Nous lie rencontrons dans les machines usitées dans les arts aucune disposition analogue. Vous sentezde quelle importance il est que pendant la vie cette (99 ) fibrine ne se coagule pas , car aussilot grands et petits vaisseaux se trouveraient oblitérés , et la cir- culation immédiatement suspendue. Vous demanderez peut-être à quoi bon ces diffi- cultés mécaniques qui viennent ainsi compliquer le problème du mouvement de nos liquides^ et s'il n'eût pas été possible de simplifier la machine hy- draulique vivante placée au sein de l'organisme ? Messieurs, le rôle de critique siérait mal ici à notre débile intelligence. Si le plus souvent les œuvres de la nature sont trop parfaites pour que nous puissions nous élever jusqu'à elle, n'essayons pas à les rabaisser à notre humble niveau. Oui , sans doute, nos procédés mécaniques pourront vous sembler moins compliqués ; mais ne vous arrêtez pas à un premier aperçu. Que la dent d'une roue se brise , qu'un tuyau se crève , qu'une chaudière éclate, à l'instant toute la machine s'arrête et elle ne reprend son œuvre accoutumée qu'à la condition que l'ouvrier aura réparé l'accident fortuit. Il n'en est plus de même de ces appareils hydrauliques dont la nature fait tous les frais. Ici tout est prévu avec une sagesse admirable , et il n'est pas besoin de l'intervention d'une main étrangère pour remé- dier aux altérations qui peuvent y survenir. Le trouble d'un rouage n'entraîne point le trouble de tous les autres reuages : de là cette immense supé- riorité de notre machine organique sous le rapport de sa structure et de la sécurité de son méca- nisme. Supposez qu'un vaisseau soit intéressé par un corps vulnérant, le sang s'échappe par la blessure et coule un certain temps : bientôt ( 100 ) il s'arrête, se coagule et se solidifie. Le chirur- gien met à profit la tendance de ce liquide à se solidifier, quand il veut suspendre son passage dans un tuyau artériel. Comment agit la ligature sur ce cylindre vivant ? Elle intercepte le cours du sang. Celui-ci stagne , se concrète, et un caillot résistant obture la cavité du vaisseau. Telle est la facilité avec laquelle le sang cesse d'être un liquide que vous pouvez ouvrir la carotide ou l'artère crurale d'un chien, sans que l'animal meure d'hé- morrhagie. Ne demandez donc plus pourquoi la fibrine passe si promptement de Tétat liquide à l'état solide : ne voyez-vous pas qu'outre ses autres usages , cette matière est mise en dépôt pour être incessamment disponible à réparer les accidents auxquels est exposée la machine qui sans cesse fait mouvoir nos liquides? Le sang contient une multitude innombrable de molécules arrondies de dimensions et de for- mes diverses , roulant les unes sur les autres dans le sérum au sein duquel elles nagent. Ce sont les globules dont Malpighi a le premier signalé rexistence. Depuis lors une foule d'auteurs ont entrepris leur examen, et l'on sait positivement aujourd'hui que leurs formes et leurs dimensions varient suivant les classes d'animaux auxquelles ils appartiennent. Les globules chez l'homme ne sont pas sphériques, comme on l'a cru long-temps; ils présentent l'aspect d'une lentille, c'est-à-dire, que leur grand diamètre se trouve dans deux sens opposés, et leur petit diamètre dans le sens de leur aplatissement. Leur histoire a été très avancée de ( 101 ) nos jours; non pas qu'on connaisse leur origine ni leurs usages , s'ils se détruisent ou durent indéfi- niment; seulement le microscope a mis au jour le mécanisme de leur structure ^ a permis à Toeil d'isoler les éléments qui les composent. Les globu- les sont constitués par un noyau renfermé dans un sac membraneux. Ce noyau central paraît être de la fibrine, l'enveloppe extérieure est ce qu'on appelle la matière colorante de sang. Leurs dimensions, d'après l'analyse de plusieurs chimistes , varient entre ~f no'^^ 150 ^^ millimètre. Il serait possible Sivecls. caméra lucida de M. Ch. Chevalier, d'arri- ver à des données plus rigoureuses. Toujours est-il que l'extrême ténuité de ces particules permettrait à plusieurs centaines de tenir dans l'espace d'un mil- limètre cube. On trouve aussi dans le sang d'au- tres globules qui ressemblent beaucoup au noyau des premiers; ils n'ont pas d'enveloppe, soit que celle-ci se soit déchirée , soit qu^elle. n'apparaisse que plus tard. Ces globules , b-eaucoup plus petits que ceux que nous avons déjà mentionnés, ne se- raient donc qu'à l'état rudimentaire. Indépendam- ment de ces deux espèces de globules, on y aperçoit aussi ceux du chyle : cette dernière substance, tous le savez, est transportée à chaque digestion dans le torrent circulatoire, et il n'est pas surprenant qu'on l'y rencontre a^ant qu'elle n'ait subi une élobora- tion particulière. Enfin, on prétend avoir quelque- fois constaté dans le sang des globules du lait, alors même que la glande mammaire n'offrait point en- core de traces de ce liquide. Je dois ajouter que la présence de ces divers globules n'est point aussi ( 102 ) incontestable que celle des lentilles dont nous tous avons parlé en premier lieu. Quand on suit avec le microscope la marche des globules sanguins à travers les vaisseaux , ils res- semblent à des outres flottantes dans la sérosité. Ils oscillent au gré des balancements des liquides qui les charrient, et^ par la flexibilité de leur tex- ture, ils se moulent et se déforment pour s'accom- moder aux couloirs qu'ils doivent traverser. L'in- tégrité de ces globules parait une condition es- sentielle pour que la circulation s'efl'ectue : s'ils venaient à diminuer de volume, ou que leur enveloppe s'altérât, les troubles les plus graves en seraient la conséquence. Dans les maladies telles que le typhus ^ \^ fièvre jaune, le scorbut , la fièvre typhoïde, etc., n'est-il pas présumable que le sang est changé sous ce rapport, et que c'est par suite d'une modification physique de ses globules qu'il s'extravase en s'imbibant à travers les porosités vasculaires? Il est des substances qui ont la propriété d'alté- rer les globules du sang; si, par exemple, voulant les soumettre au foyer de la lentille, vous les éten- dez d'eau pure, afin de les isoler, leur enveloppe devient irréguliére, semble se dissoudre ; il s'est passé là une action chimique. Aussi , quand vous cherchez à les suspendre dans un liquide pour fa- ciliter leur étude , devez-vous faire usage d'un mélange qui laisse intact leur tissu. Telle est Feau sucrée, l'eau salée, telles sont en général les solu- tions alkalines. La température du sang mérite également une ( 103 ) attention toute spéciale sous le point de vue phy- sique. Sa moyenne est de quarante degrés thermo- mètre centigrade ou trente - un Réaumur. Elle est sujette à quelques variations : rarement elle s'élève; il arrive plus souvent qu'elle s'abaisse. De même que la chaleur influe sur l'écoulement des liquides dans les tuyaux inertes ;, de même elle modifie la marche du sang dans les tuyaux vivants. M. Poiseuille a remarqué dans ses ex- périences qu'un abaissement dans la température entraine le ralentissement de la circulation. Vous ne trouverez donc pas étonnant qu'un organe ex- posé comme le poumon à toutes les variations ther- mométriques de l'atmosphère soit si fréquemment le siège d'altérations qui dépendent de la manière dont le sang traverse son parenchyme. Telles sont les principales propriétés physiques du sang. Maintenant passons à Tétude des mou- vements de ce liquide et envisageons-le , non plus comme un élément vivant , mais bien comme un simple liquide soumis à Faction d'une pompe centrale, et parcourant un long système de tuyaux élastiques. La question se trouve ramenée pour nous à un problème d'hydrodynamique. Je me contenterai d'effleurer les phénomènes les plus apparents; car je suppose qu'ils vous sont déjà familiers. J'insisterai surtout, et je m'appesantirai sur les questions encore obi^cures, moins peut-être par leur propre nature que par les interprétations erronées dont les physiologistes se sont plu à les embarrasser. Deux gros tuyaux ^ les veines caves , viennent ( 104 ) s'ouvrir dans un réservoir contractile pour y verser le sang qu'ils rapportent de toutes les parties du corps. Ce liquidv^ reste là en dépôt et attend un temps très court l'opportuité d'entrer dans le corps de la pompe. Les colonnes sanguines, ani- mées d'une force d'impulsion assez énergique , se précipitent dans la cavité du réservoir dont les pa- rois cèdent et se laissent distendre. Ce n'est point ici un phénomène actif, une dilatation aspira- ioire par suite de la production du vide; ce n'est qu'une détente élastique des fibres raccourcies. Si vous substituiez à l'oreillette une poche de gomme élastique , le mécanisme de son jeu serait, sous ce rapport , à peu prés semblable Cette pression qu'exerce le sang, d'où lui vient-elle ? quel est son point de départ ? Nous le verrons bientôt en étudiant les fonctions de la pompe opposée : con- î entons-nous pour le moment de constater ce fait important. Certains physiologistes^ qui raisonnent plus qu'ils n'expérimentent, ont supposé que ce réservoir se dilatait d'une manière active, et tout fiers de cette découverte, ils ont dit avec l'orgueil del'amour-pro- pre satisfait : voilà un phénomène vital. Je ne puis concevoir l'attrait que cettte expression ^'zV«/ a pour certains esprits. Ne semble-t-il pas que chaque fois qu'on range un fait dans le domaine de la vi- talité , la science s'enrichit d'une conquête nou- velle ? Eh ! Messieurs , ne cherchons point à dis- simuler à nos yeux notre propre ignorance. Quand nous rencontrons un phénomène réellement vitaly disons plutôt , et notre langage sera plus franc et ( 105 ) plus scientifique, disons pîuîôl : voilà un fait que j'essaierais en vain d'expliquer, car il n'est pas donné à mon intelligence de le comprendre. Quand on examine ce qui arrive sur l'animal vivant, on voit ce réservoir tantôt très petite tantôt très gonflé, offrir de continuelles variations de vo- lume. La propriété dont jouissent ses parois de se resserrer est un phénomène vital. Que se passe-t-il dans cette fibre musculaire qui se contracte ? Je l'ignore. Toutefois ^ je dois ajouter que dans cer- taines circonstances cette cavité membraneuse ne présente , au lieu de sa contractioîi habituelle , qu'un léger retour sur elle-même , qu'une simple ondulation , résultat de l'élasticité de son tissu. Qu'arrive-t-il à Finstant de sa contraction ? l'ab- sence de soupapes laisse les orifices du réservoir béants , et le sang comprimé dans tous les sens a une égale tendance à s'échapper par toutes les is- sues. Cependant les deux colonnes sanguines mues par une force d'impulsion assez puissante, s'oppo- sent en partie au reflux du liquide dans les tuyaux qui l'ont apporté; tandis qu'il trouve toute facilité pour entrer dans le corps de la pompe dont les parois cèdent à cet instant. C'est donc dans cette cavité que le sang est reçu. Le moment où le réservoir se contracte est celui où la pompe cesse de se resserrer. Le relâchement subit des fibres ventriculaires est-il un phénomène vital , ou bien un résultat simplement mécani- que? Les opinions sont partagées à cet égard. Pre- nons garde ici de rien affirmer légèrement, car la question est obscure. Si vous disséquez avec soin Mageadie. ii ( 106 ) les parois de la pompe , vous ne trouvez dans la direction et rentrelacement de leurs fibres , rien qui puisse, anatomiquement parlant, vous faire admettre que cette dilatation est active. Aucun faisceau musculaire ne semble disposé pour un semblable usage. Aussi , jusqu'à nouvel ordre , je persiste à ne voir dans la dilatation de la pompe qu'une conséquence physique de la nature même de son tissu. On a comparé le cœur à une pompe foulante et aspirante. Voyons jusqu'à quel point ce rappro- chement est juste. Dans une pompe aspirante , chaque fois que le piston s'élève ^ il attire dans la cavité du cylindre une certaine quantité du liquide au milieu duquel le tuyau est plongé : c'est tout simplement le mé- canisme des seringues qui nous servent dans nos injections. Voulez-vous rendre cette pompe en même temps foulantél il vous suffit d'adapter un second tuyau à son corps, et deux soupapes dispo- sées de manière que quand le piston s'abaissera, l'une s'opposera au reflux du liquide, l'autre se redressera et laissera le liquide s'échapper libre- ment par le tuyau d'ajustage. Si donc la pompe qui fait marcher le sang est contractile en se res- serrant et en se dilatant , c'est une pompe aspi- rante et foulante. Les expériences que j'ai maintes fois répétées ne me permettent point d'admettre que tel soit le jeu de la pompe pulmonaire, et les physiologistes qui ont cru pouvoir l'expliquer autrement me semblent avoir été plus loin que ce qu'apprennent les faits. Le C 107 ) ventricule n'est d'abord pour moi qu'une { ompe foulante: voici d'ailleurs comment je crois pouvoir m'expliquer son mécanisme. Les parois du corps de la pompe chaque fois qu'elles se contractent compriment avec violence le sang qui tend à s'enfuir de tous côtés. Mais au moment où ce liquide est lancé vers le réservoir, il entraîne la valvule tricuspide relâchée : cette soupape se redresse , devient perpendiculaire à l'axe de la pompe , et, soutenue par ses cordages tendineux , résiste à l'effort qui la presse. Il ne reste plus au sang qu'une issue. Pressé par les pa- rois de la pompe, appuyé contre la soupape deve- nue horizontale , il soulève les trois valvules sig- moïdes et s'élance dans l'artère pulmonaire. Cette contraction est un phénomène essentiellement vi- tal, son résultat est celui de la pompe foulante. Cependant un nouveau flot de liquide s'apprête à passer du réservoir dans la cavité ventriciilaire : celle-ci s'agrandit par la détente spontanée de ses parois. Nous vous avons déjà déclaré que nous nous refusions à admettre que cette dilalation fût un phénomène actif. N'est-ce pas bien plutôt une simple conséquence du retour des fibres contrac- tées à leur dimensions de repos? De plus , îl y a là quelque chose qui me parait se rattacher à une propriété physique. Examinez le cœur d'un animal vivant. Cet organe en se contractant se comprime lui-même de manière à mettre en jeu l'élasticité de son propre tissu. Pressées fortement les unes con- tre les autres, ses fibres se resserrent, se dépriment, puis, par leur réaction élastique, elles se repous- ( 108 ) sent mutuellement avec énergie pour agrandir la cavilé dont elles constituent les parois. Je ne puis mieux comparer cette dilatation passive du corps delà pompe qu'à l'action de ces seringues en caout- chouc dont on a récemment fait usage pour pousser des injections dans l'urètre. Quelle est la manière de s'en servir ? on les comprime avec la main, afin d'en chasser le liquide qu'elles contiennent; mais aussitôt que la pression cesse, leurs parois revien- nent sur elles-mêmes en vertu de l'élasticité qui leur est propre. Entre cette pompe en caoutchouc et notre pompe vivante il y a quelque chose d'a- nalogue , et quelque étrange que puisse vous pa- raître ce rapprochement, il me semble exprimer une idée vraie. Je résume ainsi mon opinion : le ventricule droit représente une pompe foulante par la contra ctili té de son tissu, aspirante par son élasticité. Ajoutez à cela que le liquide qui vient du réservoir est lancé avec une certaine force con- tre les parois de la cavité qui les reçoit : cette cause toute mécanique concoure puissamment h. la dila- tion du corps de la pompe. Quant à l'espèce de collision qu'éprouve le sang par suite des contractions énergiques des parois qui le pressent, nous en avons déjà dit quelques mots en parlant des cellules et des cordages tendi- neux. Cette disposition anatomique parait avoir pour but principal de mélanger plus intimement les divers éléments de ce liquide. Remarquez que c'est surtout pour cette pompe qu'il était besoin d'un appareil de trituration , puisque c'est elle qui reçoit le sang chargé de rapporter vers le poumon ( 109 ) tous les matériaux étrangers qui ont pénétré dans Téconomie. Il s'opère donc là un travail préparatoire, et les parois ventriculaires agissent pour broyer ces substances comme le mortier d'une officine. Nous allons voir maintenant le liquide passer à travers des tuyaux : ceci rentre encore dans une question de mécanique. De même que vous ne pour- riez faire une régie de trois si vous ignoriez l'arith- métique, de même vous ne pourriez analyser la marche du sang sans avoir acquis quelques notions des lois de l'hydraulique. L'artère pulmonaire, simple d'abord, se partage ensuite en deux branches : celles-ci à leur tour se divisent et se subdivisent en une multitude de ra- meaux dont la ténuité est en raison directe de leur nombre, et dont la réunion est un élément du pa- renchyme pulmonaire. Ici s'ofFre un premier pro- blème. Quand un tuyau se sépare en deux autres, la surface des cylindres que représentent les tuyaux secondaires , est-elle plus grande ou plus petite que celle du tuyau central ?En d'autres termes, si vous représentez par quatre la grandeur du con- duit principal, et par deux celle de chacune ses di- visions , croyez-vous que les sections réunies de celles-ci égalent la capacité du premier conduit ? Cela semble au premier coup d'œil , il n'en est cependant rien. Les deux surfaces secondaires ne forment que la moitié de la surface du canal primitif, et cela daprès ce principe de géométrie que les surfaces des cercles sont proportionnelles aux carrés de leurs circonférences. Pour que l'é- galité eut lieu, il faudrait que la somme des cir- ( 110 ) conférences des deux tiiyanx secondaires excédât la circonférence du premier tuyau. Il résulte de là que quand les divisions d'un vaisseau n'ont pas une capacité incomparable- ment supérieure à celle du tronc qui les fournit , les liquides passent d'un canal plus large dans un canal plus étroit. Je crois que c'est justement ce qui arrive pour l'artère pulmonaire. Je me propose de prendre des mesures rigoureuses à cet égard et de voir quels sont les rapports exacts entre ce tuyau et ses deux divisions. Ce n'est pas là un vain objet de curiosité, car vous savez que la vitesse d'un liquide est relative à la largeur du canal qu'il parcourt, et que plus ce canal s'élargit, plus la vitesse se ralentit. Aussi, quand le sang arrive aux divi- sions capillaires , comme la somme de ces petits conduits est de beaucoup supérieure à celle du conduit principal, la marche de ce fluide est évi- demment plus lente. On a quelquefois comparé le passage du sang dans les vaisseaux au courant d'une rivière. De même, a-t-on dit, que l'eau coule plus rapidement dans les endroits où le lit est étroit, plus lentement dans ceux où il est large , de même la circulation présente dans les corps vivants de semblables mo- difications. Mais, Messieurs, il ne faut pas trop légèrement accueillir de pareils rapprochements. Quelle analogie y a-t-il entre un liquide pressé dans des tuyaux élastiques, et un liquide parcou- rant librement le lit d'une rivière? Les conditions physiques ne sont plus les mêmes. Je vais encore vous dire quelquels mots sur plu- ( 111 ) sieurs autres phénomènes de la plus haute impor- tance. Je serai court, car je me propose de les discuter plus au long quand nous traiterons Je la pompe générale. Le sang lancé à chaque contraction ventriculaire ne trouve pas les tuyaux vides, mais au contraire, remplis et distendus. Chaque nouvelle ondée de liquide doit nécessairement mettre en jeu l'élasti- cité de leurs parois : celles-ci se dilatent. Ce phé- nomène est un résultat indispensable de leur propre texture, et son explication mécanique me parait si simple, si naturelle, que je ne vois point Futilité de faire intervenir une puissance vitale. Qu'un physiologiste affirme que cette dilatation est actwe, libre à lui d'avoir telle opinion, mais aussi, tant qu'il ne l'appuiera pas sur des preuves , libre à moi de ne pas la partager. Le raisonnement et l'observation sont d'accord pour démontrer que ces canaux élastiques, cons- tamment distendus, se dilatent chaque fois que la pompe se contracte. Insufflez de Fair dans une vessie, elle se gonfle : injectez de l'eau dans un tube de caoutchouc , ses parois cèdent et s'écartent. Pourquoi donc un tuyau vivant placé dans les mêmes conditions se comporterait-il autrement? Et d'ailleurs , M. Poiseuille a inventé un instru- ment dont le but est de faire passer une artère dans un réservoir rempli d'eau auquel est adaplé un tube gradué : la colonne de liquide monte chaque fois que le cœur se contracte. Derniéiement, un de mes confrères à Flnslitut a lu un mémoire pour prouver que les parois artérielles se dilatent. ( ^^2 ) Sur ce travail en lui-même je n'ai rien à dire, mais quant à son utilité et à son opportunité, je me per mettrai de faire remarquer que nier la dilatation des artères, ce serait nier Télasticité de leur tissu, ce serait nier l'évidence. Partout où une artère présente une courbure, il y a redressement du vaisseau à chaque contrac- tion du cœur. Comment en serait-il autrement ? L'impulsion communiquée à la colonne de liquide, ne tend-t-elle pas toujours à se propager en ligne droite ? Vous concevez aussi pourquoi ces cour- bures ralentissent le cours du sang ; car la force employée à les redresser est dépensée au détriment de celle qui met ce fluide en mouvement. Les artères s'alongent-elles ? Oui , puisque la pression exercée par un liquide sur les parois d'un tuyau s'exerce dans tous les sens. Se déplacent- elles ? cela est incontestable. Fixez un conduit élastique sur un plan résistant , et injectez un liquide dans sa cavité , ses parois obéissent à un mouvement général d'expansion. De même quand une artère ne peut déprimer le plan sur lequel ell^ repose, elle se soulève, elle bondit, ou^ si vous ie voulez, elle éprouve un mouvement de locomotion. Par quel étrange aveuglement, par quelle bizarre préoccupation d'esprit a-t-on pu prétendre que la vie est en opposition constante a^ec les lois phy^ siques ? Un homme que la science cite avec orgueil, mais que lintérêt de la vérité nous a donné sou- vent pour adversaire, Bichat, semble avoir pris pour base de ses doctrines physiologiques cette absurde maxime. Messieurs , déplorons ses erreurs , mais (113) gartîons-Rons de mettre de Taigreiir à ies censurer. Si par fois le génie a le glorieux privilège de domi- ner son siècle, il ne peut devancer cerîains progrès qui sont toujours la conquête du temps; il doit payer son tribut aux préjuges dont ses premier pas ont été entourés. Les sciences qui traitent des chosesles plus positives ont subi le joug de cette sorte de nécessité: comment la physiologie, où l'imagination a toujours eu un si large empire, eût-elle fait exception? Consul- tez l'histoire ? vous verrez les erreurs les plus fla- grantes accueillies par d'unanimes et éclatants suf- frages; l'homme le plus en avant de son époque a été plus d'une fois forcé d'y souscrire et de les propa- ger. Je n'en veux qu'un exemple : Galilée expliquait l'ascension des liquides dans le corps d'une pompe par cet axiome de l'antiquité : la nature a hor- reur du vide. Un jour des fontainiers voulant faire monter l'eau au-delà de trente-deux pieds, furent tout surpris de voir la colonne de liquide s'arrêter à ce dernier niveau. Ils consultèrent Galilée. Ce- lui-ci crut donner la solution du problème en ré- pondant que sans doute la nature n avait horreur du vide que jusqu'à trente-deux pieds. Aujour- d'hui que , grâce à Toricelli son disciple , la pe- santeur de Fair est connue, nous savons que c'est ce fluide qui fait équilibre à une colonne d'eau de trente-deux pieds ou à une colonne de mercure de vingt-huit pouces. Direz-vous maintenant que Galilée était un esprit superficiel qui se contentait de futiles hypothèses ? Non , Messieurs, ce fut un des plus puissants génies dont s'honore l'intelli- gence humaine; c'est le créateur de l'art d'inter- IVlagendie. IS (M4-) roger lanalureà l aide des instrumens et des expé- riences , c'est Fauteur d'admirables découvertes. Vous ne pourriez sans injustice lui reprocher d'a- voir ignoré ce qu'il aurait très probablement découvert lui-même , s'il eût vécu libre cpielques années de plus. Eh bien ! il en est de même de la physiologie. Trop long-temps les sciences physiques ont été bannies de son domaine ; trop long-temps privés de son flambeau ^ les médecins se sont éga- rés dans les sentiers ténébreux de la vitalité. Es- sayer de les proscrire de nouveau , renoncer à la lumière qu'elles peuvent jeter sur les phénomènes physiologiques serait une entreprise aussi folle que si l'on voulait proscrire de la physique ou de l'as- tronomie les lois de la pesanteur universelle. ( '• HUITIÈME LEÇON. 8 février 1857. Messieurs, Nous sommes arrivés à une question qui, sans être aussi simple , n'est pas néanmoins beaucoup plus compliquée que celle que nous venons de pas- ser en revue dans nos précédentes réunions. Vous vous rappelez que le sang, chassé du corps de la pompe par la contraction de ses parois, pénètre dans l'artère pulmonaire et ses divisions, pour se distribuer aux poumons. Bien tôt ce liquide est reçu dans le réseau capillaire, cet admirable entrelace- ment de canaux déliés qui servent d intermédiaire à deux systèmes de tuyaux volumineux. C'est là que s'offre à étudier une série de phénomènes qui ont beaucoup exercé l'imagination des physiolo- pjistes. Comment circule le san^î dans ces infini- ment petits vaisseaux ? Est-ce par l'action vitale de leurs parois qu'il est mis en mouvement ? Ou bien au contraire chemine-t-ii encore sous la dépen- dance de la pompe pulmonaire? Ces questions, bien qu'elles nous ramènent à l'enfance de l'art, doivent ( i\G ) être de nouveau débattues aujourd'hui , car leur solution soulève chaque jour, je suis honteux de le dire , de nombreuses controverses. Il est assez naturel de supposer que la pompe pulmonaire , après avoir poussé le sang dans le tuyau principal , continue à le faire marcher dans toutes ses divisions , subdivisions , grandes ou petites, en un mot, dans tout le système de ca- naux en communication directe avec la pompe, et par conséquent jusques dans les veines pulmonai- res. Telle était Topinion d'Harvey, mais telle n'est point celle de nos physiologistes modernes. Harvey découvre le véritable cours du sang, et aussitôt de bruyantes clameurs retentissent. On proteste au nom d'Hippocrate, au nom de Galien, au nom de l'antiquité toute entière contre ce dangereux inno- vateur. Ce n'est q'au bout de trente ans d'une polémique des plus violentes que ses idées triom- phèrent. Messieurs, ne soyez pas surpris de cette longue lutte. Il s'attaquait à des préjugés qui d'âge en âge avaient régné dans la science, il avait vive- ment blessé l'amour-propre de ses confrères , l'a- mour-proprequi, vous le savez, ne pardonne jamais. Gomment des corporations hautaines, se croyant in- faillibles , et si jalouses de leurs prérogatives , au- raient-elles accueilli le téméraire qui se permettait de leur apprendre quelque chose ? comment de vieux praticiens auraient-ils, au déclin de leur carrière , brûlé l'idole de leur vie et courbé leur front blan- chi dans Terreur, sous le joug d'une vérité nou- velle. Cependant on se rendit enfin à l'évidence; le triomphe d'Harvey parut à jamais assuré. Et ( 117 ) toutefois, Messieurs, il était réservé à notre époque de remettre en question ce qui avait été si heureu- sement dévoilé par le physiologiste anglais. A qui appartient l'honneur , je devrais dire la honte , de cette révolution rétrograde ? John Hunter, par son excellent livre sur le sang , la lymphe et l'in- flammation , l'école de Montpellier, y ont puis- samment concouru. Mais, il faut le dire, l'homme qui , par son immense talent, a le plus contribué à replonger la théorie de la circulation dans l'obs- curité d'où elle avait été si heureusement tirée , est le même qui dans sCo recherches sur la vie et la mort, dans son A natomie générale a déployé les ressources d'un instinct investigateur, soutenu d'un style ardent et persuasif : vous avez nommé Bi- chat. Oui, Messieurs, (5 e^t une idée que repousse l'ex- périence, que repousse le raisonnement , que celle que vous trouvez consignée dans chaque page de ses écrits^ à savoir que le sang une fois arrivé dans le système capillaire est hors de F influence du cœur. C'est là, je le répète, une des erreurs les plus déplorables que rimagination d'un physiologiste ait jamais enfantées, Aucune n'a frappé d'une sté- rilité plus complète les travaux des médecins qui désirent sincèrement les progrès de leur science. Bichat a cru tout expliquer avec les mots de sen- sibilité organique , de contractilite' organique. Eh bien ! vous verrez que ces propriétés des vaisseaux sanguins ne sont que des suppositions purement gratuites et que^ leur existence fdt-elle prouvée, elles seraient impuissantes à donner la solution ( M8 ) des dillicullés que nous devons maintenant discu- ter. L'impulsion de la pompe s'arrête juste , nous dit-on , aux tuyaux capillaires. 11 y a donc en cet endroit un obstacle au passage du sang? Non, les conduits sont libres. Pourquoi donc la colonne de liquide ne peut-elle pas aller plus loin ? C'est que la puissance mécanique qui lui imprime son mou- vement n'a précisément que l'énergie nécessaire pour la pousser jusqu'à un point déterminé : ar- rivé là, son action s'épuise. Ainsi, voilà une ma- chine hydraulique qui a uq degré de force tel qu'elle lance dans un système de tuyaux continus une colonne liquide; mais celle-ci ne parcourt point toute la longueur de ces tuyaux; elle s'arrête en un heu toujours le même. Certes, une semblable machine ferait dédaigneusement sourire nos plus modestes ingénieurs : le physiologiste seul a le pri- vilège de trancher les difficultés plutôt que de les résoudre ; pour preuves , il nous donne ses con- victions. Vous dirais -je tout ce qu'il y aurait d'absurde à surajouter une nouvelle force au lieu d'accroître simplement celle qui existe déjà , sur- tout quand cet accroissement est facile. Il s'agit bien de cela vraiment! Nous sommes convain- cus que le sang- poussé par les contractions de la pompe s'arrête sur les limites des vaisseaux capil- laires. 1 out est si habilement disposé que jamais il ne reste en-deçà, jamais il ne va au -delà. Voilà le langage que l'on nous tient I Et cepen- dant, Messieurs, conmient concilier cette marche si régulière, si parfaitement uniforme de la co- ( 119 ) lonne liquide avec ces alternatives continuelles dans la puissance motrice? Tantôt les contrac- tions du cœur sont énergiques, tantôt elles sont faibles et à peine perceptibles. A moins de nier toute espèce de relations de cause à effet , vous ne pourrez admettre que dans ces deux circonstances la pompe développe une force toujours identique, toujours semblable à elle-même. Que devient alors cette limite que vous avez si arbitrairement tracée au sang ? Pourquoi ne respecte-t-il plus la barrière que votre imagination s'était plu à lui imposer? Mais continuons et suivons Bichat dans le déve- loppement de ses idées. Le cœur vient de pousser le sang jusqu à l'entrée du système capillaire. Là expire son action ; c'est une cliose convenue. Comment va se comporter le liquide en présence du petit vaisseau? Pourra-t-il pénétrer librement dans sa cavité ? Les choses ne se passent pas aussi simplement, et il lui faut subir diverses formalités avant de savoir s'il sera refusé ou admis. D'abord si le sang n'est pas en rapport avec la sensihiliiè organique du capillaire, celui-ci se resserre et le fluide ne peut entrer. Si au con- traire , il réunit les conditions voulues , le pas- sage est libre et le vaisseau l'admet dans sa ca- vité. Cependant le liquide a franchi heureusement ce premier obstacle; il faut maintenant qu'il pour- suive sa marche. Ici apparaît un phénomène non moins curieux. La contractilité organique qui at- tendait pour agir que la sensibilité organique eût prononcé , entre en action, elle fait marcher har- diment le sang dont les propriétés viennent d'être ' ( 120 ) soumises à une minutieuse enquête. Ce liquide passe de là dans les veines pour être reporté à la pompe opposée où nous le suivrons plus tard. Ce petit roman ne manque point, vous le voyez, d'un certain agrément. Chaque capillaire est une sentinelle dont la vigilance n'est jamais en défaut, et remarquez que son intelligence est de beaucoup supérieure à la nôtre, puisque jamais elle ne reçoit de matériaux nuisibles à l'économie , tandis que nous, sans le savoir, nous introduisons quelquefois dans notre estomac des substances délétères. Voici que la question se complique t nous n'a- vons jusqu'ici envisagé les fluides qui abordent au capillaire que comme ayant un volume propor- tionné à sa capacité; et vous concevez comment un simple resserrement, une simple ondulation de ses parois suffit pour oblitérer la cavité du vaisseau. Mais si le liquide se trouvait en présence d'un capillaire dont l'orifice fût très large proportion- nellement à son volume , ne pourrait - il point forcer le passage ? Messieurs , la position de no- tre petite sentinelle devient critique; peut-être même vous inspire-t-elle déjà quelques alarmes. Rassurez-vous. La nature, ou plutôt Bichat a tout prévu , car voici comment il s'exprime : (( Toute disproportion de capacité est étrangère à ce phé- nomène (la circulation capillaire), un vaisseau en aurait quatre fois plus que les molécules d'un fluide, qu'il refuse de les admettre si ce fluide est hétéro- gène à sa sensibilité. » Mais, direz-vous, le sang est à tout instant modifié dans sa composition. A chaque repas il reçoit de ( 'î'^l ) ho^iveaux matériaux, le chyle , les l)oissons , etc< L'alcool , cette liqueur dont les effets sont si éner- giques , passe rapidement dans le torrent circula- toire. Quand on boit un verre d'eau^ il est absorbé et fait bientôt partie du sang. Cependant Feau pure a la propriété d'attaquer les globules du sang dont elle dissout les enveloppes: les acides, les agents vé^ néneux, les virus, les miasmes, pénétrent également dans l'organisme. Gomment concilier ces phénomè- nes avec le tact si parfait des capillaires? Messieurs, avec un peu de complaisance la chose est facile : écoutons Bichat lui-même: (( Il est évident que dans les innombrables variations dont les fluides du sys- tème capillaire sont susceptibles , par rapport aux portions diverses de ce système qu ils remplissent^ il y a toujours des variations antécédentes dans la sensibilité des parois vasculaires. » Ainsi, c'est avec l'agrément du capillaire c[ue ces substances pénè- trent. Vous pourriez à la rigueur demander à quoi sert alors son intelligence, puisqu'il laisse passer ainsi les poisons les plus délétères ? Mais , Messieurs, n'oublions pas cjue c'est un roman que nous ana- lysons , et que si vous le dépouillez du prestige de ses illusions, au lieu d'une histoire piquante vous n'aurez plus qu'une œuvre absurde. Oui , une œuvre absurde. Mais qu'importe, c'est à leur ab- surdité quêtant d'hypothèses ont dû la vogue dont elles ont joui , c'est leur absurdité qui leur a mé- rité de si nombreux suffrages. Tel est l'esprit de l'homme, sans cesse il a besoin de sensaiioiis nou- velles. Les faits rigoureux, positifs amènent bien- Mageniie. IG f 122 ) tôt ia satiété, il lui faut, pour faire diversion à ces vérités arides, des productions mensongères , mais riantes. Un auteur plait parce qu'il est ori- ginal y n'est-ce pas bien souvent parce qu'il est absurde ? ïi y a dans une idée absurde quelque chose d'attrayant qui sourit, qui s'adapte à l'ima- gination duvulgaire, et trop souvent même à celle des esprits supérieurs. C'esî parce qu'elle est émi- nemment absurde que riiomœopathie jouit encore aujourd'hui d'une certaine faveur parmi les gens du monde. On dit gravement à un malade : telle subs- tance à la dose d'une »a deux onces est sans action, qui produit de merveilleux efPets quand on en prend un millionième ou un trillionièm.e de grain ! Le ma- lade essaie, il ne s'en trouve pas mal , et cela pour de bonnes raisons, d'où il conclut qu'il s'en trouve bien. Je connais une dame qui est enceinte de deux mois. Elle prend régulièrement chaque jour du seigle ergoté à dose horoœopa tique , et elle a l'in- time conviction qu'elle acouchera sans douleur. N'est-ce pas là le triomphe d'une idée absurde ? Cependant l'homœopathie ne compte parmi ses adeptes que des esprits fort ordinaires : que se- rait-ce si elle eut eu son Bichat ? Ainsi, Messieurs, laissons de côté ces prétendues explications qui n'expliquent rien : abandonnons l'ingénieux , et cherchons franchement la vérité, injectez dans les veines d'un animial vivant une substance quelconque, toujours elle passe à tra- vers les capillaires du poumon^ pourvu qu'elle puisse, physiquement parlant, pénétrer dans des tuyaux aussi délits. Ses propriétés, fussent-elles ( 123 ) des plus délétères, elle traverse librement ces con- duits, malgré la sensibilité organique des parois vasculaires. Ce n'est point une simple assertion que j'oppose à une assertion ; c'est un fait. A l'aide du microscope , vous voyez le sang mar- cher dans les capillaires artériels, puis le vaisseau se recourber et la colonne de liquide revenir par le capillaire veineux en sens opposé. Ainsi, je le répète, toute liqueur traverse les capillaires pul- monaires , tant qu'il n'y a point de disproportion entre le volume des molécules fluides et la capacité du conduit. Témoin ces nombreuses expériences que nous avons variées de mille manières. Intro- duisez maintenant dans le sang les substances les plus innocentes de leur nature, si leur viscosité ou tout autre cause physique ne leur permet point de s'engager dans ces infiniment petits vaisseaux, la circulation s'arrête et la mort arrive. Je ne vois rien de vital dans un semblable phénomène. Quand je veux faire monter dans l'intérieur d'une serin- gue une liqueur, j'y plonge le bec de l'instrument et je l'aspire en souie/ant le piston : mais si cette liqueur est trop visqueuse, si elle tient en suspen- sion des particules trop volumineuses pour pouvoir passer par l'orifice étroit , rien ne pénètre et le tuyau s'engorge. Eh bien î l'explication de l'arrêt du cours du sang chez Tanimal vivant est aussi simple^ aussi naturelle. Pourquoi faut-il que des hommes d'un immense talent aient tant fait pour embrouiller une question aussi claire, tandis qu'il est une foule d'autres phénomènes dans Torganisme qui sont encore enveloppés du plus {)rofond mys- •24 ) fère, et qui, à plus juste titre ^ auraient dû exciter leur zèle ! Doué d'une imagination infatigable, Bichat a imprimé à la plupart de ses travaux le cachet particulier de son génie. Le merveilleux lui sou- riait, et dans chaque particule de notre être, il aimait à voir une petite intelligence travaillant à l'admirable ensemble de nos fonctions organi- ques. Nous avons vu comment il expliquait la cir- culation capillaire. La même idée se trouve repro- duite à propos de l'absorption ; seulement au lieu de sentinelles, ce sont à^^» pores-portiers , Ceux-ci peuvent rivaliser de tact et de vigilance avec les premiers, et Bichat, eii racontant leur histoire, a pu d'autant mieux se livrer à ses rêveries favorites qu'il n'avait pas à craindre un démenti de la part du scalpel. En effet, il a créé de toute pièce un sys- tème entier de vaisseaux qu'il appelle exhalants , et il s'arrête complaisamment à la description de leurs orifices, et bientôt vous vous trouvez initiés aux mystères de leurs délicates fonctions. Ce sont de vrais pylores chargés de recevoir ou d'expulser les substances qui cherchent à pénétrer dans l'é- conomie ou à en sortir; portiers intelligents, ils leur ouvrent ou leur ferment l'entrée, suivant que leurs propriétés sont iitiles ou nuisibles. Vous rencontrez à chaque page dans les ouvrages de Bichat de ces jolies épisodes, dignes de nos plus aimables romanciers. 11 y a tant de charme dans le style, tant d'aperçus sérieux à côté de ces petits contes, qu on s'expose à passer pour un barbare quand ou veut leur substituer le langage sévère des ( 125 ) sciences physiques. Cependant, Messieurs, la mé- decine n'est point un art où l'on puisse impunément se jouer de la vérité: tonte erreur entraîne à sa suite des conséquences graves. Il s'agit de la vie de nos semblablcB ! Aussi l'homme consciencieux ne se laisse point fasciner par l'éclat d'un grand nom : tout en rendant justice à son mérite, il relève ses assertions hasardées; il les combat, il doit les com- battre, car rinîérét de la science le réclame, et surtout Ihumaniié Fexiffe. Quand bien même le capillaire aurait la faculté d'agir, ainsi que Bichat l'imaginait, quels se- raient , je vous le demande , les résultats de son action sur la marche du sang ? Le voilà qui se dilate, je vous Faccorde. Aussitôt le liquide afflue dans sa cavité , mais il n'y a pas de raison pour que ce soit plutôt le liquide des artères que celui des veines. Que les parois d'un tuyau s'écar- tent brusquement dans le milieu de sa longueur, le vide tend à se produire, et une même aspiration se fait ressentira chacun de ses orifices. Le capil- laire pourra-t-il davantage chasser le sang vers la pompe opposée ? Non, assurément. Preiîez un tube en caoutchouc rempli d'eau et comprimez-le à sa par(ie m.oyenne , le liquide s'échappera avec une égale liberté par ses deux extrémités. Vous voyez avec quelle légèreté ou a accueilli comme prouvées des hypothèses qui s'écroulent devant le plus sim- ple examen. Que ces exemples ne soient pas per- dus pour vous. On voulait proscrire les lois phy- si(pies , et on avait de puissants motifs pour cela, car en même temps que commencerait leur règne^ ( 126 ) devrait finir celui des spéculations imaginaires. Ce n'est donc point par une action vitale des capillaires que le sang se meut dans leur cavité. La même puissance mécanique qui presse ce liquide dans les principaux tuyaux continue de le faire circuler dans cet admirable réseau d'innombrables canaux dont la ténuité l'emporte sur ce que l'ima- gination même essaierait de concevoir. Prenez le poumon d'un animal vivant et fai- tes y une petite piqûre, il en sort une gouttelette de sang avec beaucoup de lenteur. Cette simple expé- rience vous montre déjà que le tissu aérien de cet organe tient en dépôt des liquides. Vowlez-vous examiner la manière dont le sang circule au sein de son parenchyme, armez votre œil du micros- cope. Vous voyez ce fluide marcher par petites co- lonnes, d'une manière parfaitement régulière, sans saccade aucune. 11 était important que le cours du sang ne fût point momentanément suspendu, car sans cela les organes privés de leurs matériaux habituels auraient souffert, et l'économie toute en- tière aurait à chaque instant été exposée aux troubles les plus graves. Ce fluide coule au sein de ces tuyaux avec une remarquable lenteur: au- tre disposition dont vous pressentez déjà toute l'importance. Il se trouve ainsi plus long-temps en rapport avec l'oxygène de l'air inspiré; par le contact prolongé de ce fluide , il acquiert des propriétés intimement liées et indispensables à l'entretien de la vie. On s'est demandé et on se demande encore com- ment une force qui n'agit que par moments alter- ( 127 ) natifs pent produire un mouvement continu à l'extrémité d'un systéaie de tuyaux hydrauliques. Le liquide déplacé en masse dans l'instant où la pompe se contracte, ne doit-il pas rester immobile dans Finstant de son relâchement? Les choses se passeraient effectivement de cette manière si les parois des vaisseaux étaient inflexibles. Mais vous connaissez leur élasticité ; c'est à cette pro- priété physique qu'il faut rattacher la solution d'un problème qui a tant embarrassé les physio- logistes. A chaque contraction ventriculaire, une ondée de sang est lancée dauo les artères; leurs tuni- ques cèdent, les diamètres des tuyaux augmentent; à l'instant où la pompe se resserre , ces tuniques réagissent sur la colonne de liquide et le sang con- tinue à couler, non plus en vertu du vis a tergo, mais par l'effet d'une compression circulaire exer- cée dans toute la longueur du système artériel. Ouvrez une artère volumineuse sur un animal vivant, le sang sort par un jet continu- saccadé , continu , parce que les parois vasculaires sont élastiques, saccadé, parce que l'action de la pompe envoie brusquement un flot de liquide qui élève le jet. Si l'artère est plus petite, le jet est continu-uni- forme. Pourquoi n'avons -nous plus ici de sacca- des ? C'est que , comme la somme des circonfé- rences des petits canaux est de beaucoup supé- rieure à celle du canal unique, la pression exercée sur les parois vasculaires est moins sensible , et l'effort alternatif de la pompe se propage avec une moindre énergie. L'école de Bichat, méconnaissant l'élaslicité des ( 128 ) parois artérielles, a dû rejeter le phénomène qui en est TefFet : aussi admettait-elle des alternatives de mouvement et de repos dans le passage du sang à travers ces cylindres vivants. De semblables doc- trines sont en opposition avec ce que démontre la plus simple expérience. Je ne vois dans cette action des artères qu'un résultat nécessaire et inévitable des propriétés physiques de leur tissu. Ces pro- priétés physiques , vous ne pouvez les contester, pourquoi donc vous refuseriez-vous à en admettre les conséquences ? L'explication toute mécanique que je crois avoir le premier proposée me paraît si naturelle qu'elle n'a réellement pas besoin de plus amples développements. Toutefois, afin devons en faciliter 1 intelligence , nous emprunterons à Tart un objet de comparaison que lui-même aurait pu emprunter à la nature. Vous voyez sur ma table cette seringue à jet continu dont on fait quelquefois usage pour ad- ministrer des injections. Son mécanisme est fort simple. Au moment où le piston s'abaisse, il chasse le liquide par le tuyau et comprime un réservoir d'air déposé dans l'intérieur de l'instrument : au moment où il s'élève, Tair comprimé réagit sur le liquide dont l'écoulement ne se trouve point sus- pendu. Tel est, IMessieurs, l'artifice du mouvement continu du sang dans nos artères. Seulement la machine est moins compliquée, car les parois des tuyaux remplacent le réservoir d'air , et c'est par leur propre élasticité qu'elles font marcher la co- lonne de liquide à chaque intervalle de la contrac- tion de la pompe. ( 129 ) Voilà pour le sang dans sa composition normale. Son passage, à travers les capillaires du poumon^ est libre tant que ses éléments sont en harmonie avec les propriétés physiques des vaisseaux ; dés que cette harmonie cesse , la circulation est né- cessairement troublée. Il n'y a là rien de vital , j'en trouve la preuve dans la nature même des phénomènes. Je puis à mon gré accélérer , modi- fier, suspendre la marche de ce liquide ; je con- nais d'avance quelle modification exercera telle ou telle substance par le mélange de ses molécules avec celles de notre sang. En serait-il de même s'il s'agissait de phénomènes purement vitaux ? Ceux- ci , vous vous le rappelez , ont pour caractère essentiel de ne pouvoir être interprétés. Ils échap- pent à nos analyses , ils échappent à nos raison- nements , ils échappent souvent même à nos re- cherches expérimentales ; leur domaine est celui du doute et de la conjecture : le nôtre en ce mo- ment doit être celui du réel et du positif. Vous vous demanderez peut-être comment un homme comme Bichat a pu s'en laisser imposer par ces explications erronées? comment il n'a pas senti tout le vide des mots de contractilité organi- que , de sensibilité organique , que vous rencon- trez à chaque instant sous sa plume ? Messieurs , laissons parler Bichat lui-même. Je citerai textuel- lement , car je craindrais d'altérer sa pensée en la traduisant. Voici comment il s'exprime dans son chapitre sur la circulation capillaire : « Toute ex- » plication physiologique ne doit offrir que des aper- >j eus , des approximations ; elle doit être vague , Mngcndie. 17 ( 130 ) ^) si je puis me servir de ce terme. Tout calcul, tout >) exani 'u des proportions des fluides les uns avec )) les autres ^ tout langage rigoureux doit en être » banni , etc. » Je prends acte de cet aveu qui résume avec tant de naïveté la pensée de Bichat. Est-il étonnant que sous l'influence d'une semblable préoccupa- tion d'esprit, il ait hasardé tant d'hypothèses, tant d'interprétations conjecturales? Toute explication physiologique doit être vague! Il faut donc déses- pérer de l'avenir de notre art : nous voilà donc condamnés à ne jamais sortir de cette humiliante ornière d'incertitude et d'erreur. Eh quoi! un fait, par cela seul qu'il est authentique , par cela seul qu'il est rigoureusement démontré , sera pros- crit de la physiologie ! Non , Messieurs , telles ne seront pas les destinées de notre science. Nous protesterons par nos paroles , nous proteste- rons surtout par nos actes contre ces étranges ma- ximes , qui auraient pour inévitable résultat de nous tenir à jamais plongés dans les ténèbres de l'ignorance. Mais abandonnons ces discussions que j'aurais voulu pouvoir me dispenser de soulever. Il est tou- jours pénible de critiquer , surtout quand on s'a- dresse à des hommes dont la vie tout entière a été consacrée à des travaux consciencieux . Cependant l'erreur, partout où elle se trouve, doit être com- battue ; plus elle vient de haut , plus elle est dan- gereuse. J'ai voulu vous prémunir contre ses dé- plorables effets; et si, à mon insu, j'ai mis quelque sévérité dans mon langage, j'espère devoir pa- ( 131 ) raître excusable à vos yeux : le désir de vous être utile a été mon unique ambition. Nous terminerons cette séance par une expé- rience sur l'injection d'une certaine quantité d'huile dans les veines d'un animal vivant. Ceux qui m'ont fait l'honneur de suivre mes leçons dans le semestre dernier, se rappellent combien sont prompts et terribles les troubles que détermine l'introduction dans le sang de substances qui mo- difient sa viscosité. Nous reviendrons encore sur ces faits , car ils se rattachent étroitement à nos études sur la circulation capillaire. Vous me voyez injecter dans la jugulaire externe d'un chien un demi- gros à peu prés d'huile d'o- live. L'animal ne semble pas éprouver d'effets im- médiats de cette liqueur visqueuse ; seulement sa lespiration s'accélère et paraît embarrassée. Nous vous tiendrons au courant, dans notre prochaine réunion , des symptômes qu'il aura présentés. Comme la quantité d'huile injectée est peu consi^ dérable, il est po^sible qu'il n'y ait qu'une obstruc- tion partielle de tuyaux capillaires, et que la mort n'en soit pas la conséquence. Mais il se dévelop- pera infailliblement une obstruction dans quelque points du parenchyme pulmonaire. ( 132 ) NEUVIÈME LEÇON. iO février 1857. Messieurs, Voici l'animal sur lequel nous avons expéri- rrienlé à la fin de la dernière séance. La liqueur injectée n'a obstrué qu*une partie des capillaires du poumon. Ceux qui sont restés perméables au sang ont suffi au passage et à la vivification de ce fluide, ce qui vous explique pourquoi la mort n'en est pas résultée. Toutefois, Ta ni mal nous a offert tous les signes de ces engorgements pulmonaires, appelés pneumonies , Il a eu de la dyspnée , de la toux, des menaces de suffocation; la fièvre s'est allumée; l'appétit a été nul. L'oreille appliquée sur le thorax distinguait les râles caractéristiques de ce genre d'affection , et encore aujourd'hui on en- tend dans les deux côtés de la poitrine une crépi- tation manifeste. Cependant tout annonce une heu- reuse terminaison. Si nous eussions injecté une quantité plus considérable d'huile , Tobstruction du réseau capillaire eût été générale et la mort inévitable. (133 ) Ces troubles pathologiques que nous dévelop- pons artificiellement sur l'être vivant , ne sont point un vain objet de curiosité pour un esprit réellement observateur; il en découle des consé- quences d'une haute portée. C'est bien souvent par l'étude de Thomme malade qu'on arrive à con- naître l'hommfj à l'état physiologique. Nous avons déjà parlé de la manière dont le sang traverse le parenchyme pulmonah^e. Le mi- croscope permet à l'œil de suivre les diverses pha- ses de cet admirable phénomène : on voit ce fluide parcourir les myriades de petits tuyaux qui servent d'intermédiaires aux artères et aux veines , et qui établissent entre ces deux systèmes de conduits hydrauliques une continuité nulle part interrom- pue. C'est là un point fondamental dans l'histoire de la circulation, un point sur lequel tout le monde doit être d'accord , car il n'est besoin que du té- moignage des sens. On ne suppose paS;, on est sûr, et vous savez combien en physiologie les certitudes sont rares ! Mais autant cette question est simple aujourd'hui, autant les esprits ont été divisés sur la manière dont il convient d'expliquer la puissance motrice de ce liquide. L'influence du cœur a, tour à tour , été. invoquée ou rejetée, iîarvey lui attri- buait le passage du sang à travers les petits vais- seaux du poumon, et ii se fondait sur ce que l'ex- périence lui avait appris. Long-temps les physio- logistes restèrent fidèles à ses doctrines. Ce ne fut que quand F imagination eut substitué ses rêveries au témoiguage rigoureux de l'observation , qu'au lieu d'opposer les faits aux faits , on opposa les ( '^^A ) hypothèses aux hypothèses. Chaque école eut sa circulation ; le cœur ne fut plus envisagé que comme un organe tout-à-fait secondaire , tandis qu'on ne vit partout que des phénomènes de con-! tractilité moléculaire, de sensibilité, de tonicité, de forces vitales, etc., grands mots dnot on se parait pour se dissimuler à soi-même sa propre ignorance. Cependant , vous avez vu avec qutlle facilité tout s'explique , alors qu'on se donne la peine d'inter-^ roger la nature. Oui , sans doute , il se passe au sein des vais- seaux capillaires des phénomènes que la physi- que ne saurait expliquer. Sans cesse de nouveaux matériaux sont déposés et repris dans la profon-» deur de nos tissus ; c'eât cet échange mutuel de molécules vivantes qui constitue l'acte impor- tant de la nutrition. Qui pourrait se flatter de sou- lever le voile dont la nature se plait à envelopper ces mystérieuses fonctions? Mais à côté de ces phé- nomènes, que nos connaissances actuelles ne nous permettent pas d'interpréter, il en est d'autres qui sont du domaine de la physique, et dont une ana- lyse sévère nous dévoile le savant mécanisme. Telle est la circulation du sang. Vouloir appliquer à un problème d'hydraulique les lois vitales , ce serait une entreprise , je ne dirai pas téméraire , mais absurde. Que penser d'une doctrine qui , pour se soute- nir, est obligée de récuser le témoignage et du rai- sonnement et de Fobservation microscopique? Les faits pathologiques viennent encore déposer contre elle, et parmi les nombreux exemples que je pour- ( 135 ) rais citer, je n'en choisirai qu'un seul , qui est à la portée du plus vulgaire praticien. Voyez ce qui arrive dans une partie si bizarrement dite enflam- mée : les petits vaisseaux se dilatent par l'afïlux d'une plus grande quantité de sang dans leurs ca- vités, ils passent de l'état de capillaires à l'état de ramuscules plus volumineux , et les liquides , en les traversant , marchent d'une manière saccadée. De là ces pulsations isochrones à celles du pouls,, dont le malade a la conscience , et qui souvent même deviennent appréciables pour le médecin* Qu'y a-t-il de modifié dans la vitalité des parois vasculaires ? Direz-vous avec Bichat que c'est la sensibilité organique insensible qui devient sensi- ble? Mieux vaudrait avouer franchement son igno- rance qUe de la déguiser en termes aussi peu scien- tifiques. Il n'est donné qu'au physiologis-te d'éta- blir que la sensibilité peut être insensible ^ puis redevenir sensible , suivant telles ou telles condi- tions. Quant à nous, Messieurs, nous chercherons nos explications, non plus dans des suppositions hy- pothétiques, mais dans un examen sévère des modi- fications physiques que subissent les liquides et les tuyaux. Tant que le vaisseau est resté capillaire ^ l'action du cœur , bien que présente , ne se tra- duisait point par des battements manifestes ; aus- sitôt que le sang traverse ses canaux en colonnes plus volumineuses, la contraction de la pompe devient évidente pour nos sens , dans ces mêmes points où le microscope permettait à peine d'ap- précier ses effets. Je ne vois rien de changé dans la nature intime du phénomène. C'est toujours ( 136 ) une puissance mécanique qui fait marcher les li- quides; seulement son action est plus forte, et ses résultats grandis sont en raison directe de son sur- croit d'énergie. Il est une autre cause physique qui vient se sur- ajouter à l'impulsion du cœur^ et qui concourt puis- samment à faire passer le sang à travers le réseau ca- pillaire du poumon : je veux parler du jeu du tho- rax. Cette pompe aérienne, chaque fois qu'elle se dilate , aspire l'air du dehors dans l'intérieur du poumon , et en même temps le sang contenu dans le parenchyme de l'organe circule avec plus de li- herté. Au moment où elle se contracte , le fluide élastique, comprimé par le corps de la pompe , comprime à son tour les infiniment petits vais- seaux qui rampent dans ses parois , et le'passage du sang se trouve en partie intercepté. La preuve expérimentale de ce fait vous est déjà familière. Qu'il me suffise de faire lin simple appel à vos sou- venirs : quand vous mettez à nu la veine jugu- laire d'un animal vivant , vous la voyez se gonfler à chaque expiration , s'affaisser à chaque inspira- tion. A quoi tiennent ces variations alternatives dans le volume du vaisseau? Aux conditions phy- siques du réseau capillaire. Dans l'instant où Fair est chassé du thorax , ce réseau devient peu per- méable a L sang; celui-ci stagne, et comme une nouvelle quantité de liquide est sans cesse char- riée de la tête vers la machine centr-ale, les parois de la veine se laissent distendre. Aussitôt que la poitrine se dilate , le passage du sang étant rede- venu libre , le vaisseau se dégorge et s'affaisse. ( 13T ) C'est là une question d'hydraulique fort simple. A quoi bon faire intervenir la vitalité et son cor- tège d'interprétations erronées ? Je dois aller au devant d'une objection , qui , déjà sans doute s'est présentée à l'esprit de plu- sieurs d'entre vous. Gomment une substance aussi innocente que Fliaile, peut-elle déterminer les ac- cidents les plus graves ou même la mort, par le seul fait de sa viscosité? Chaque jour noas en fai- sons usage dans nos aliments, et même dans cer- tains pays tels que le midi de la France, il est peu de mets où Fart culinaire ne la fasse entrer comme principal ingrédient. Pourquoi dans un cas ses effets sont-ils bienfaisants , dans un autre cas , meurtriers? La raison, la voicî. L'estomac fait su bir à l'huile une élaboration particulière , il dis- socie ses éléments, subdivise à l'infini ses molé- cules; et ce n'est qu'après avoir été soumise à cette sorte de travail dépura toire , C[ue la liqueur est emportée par le torrent de là circulation. Mais il n'en est plus de mêmeqtiand vous l'injectez en sub- stance dans les veines d'un animal. Ces molécules, trop adhérentes entre elles pour pouvoir pénétrer dans des canaux infiniment déliés, s'arrêtent dans leur intérieur, forment Une digue que ne peuvent franchir les colonnes de liquides que pousse sans cesse la contraction de la pompe , et le cours du sang se trouve mécaniquement intercepté. Je com- parerais volontiers cette obstruction du réseau ca- pillaire à ce qui se passe dans les tuyaux chargés de distribuer Feau dans la capitale , alors qu'un dépôt calcaire vient à oblitérer leur cavité. Dans Mageudie. 48 ( 138 ) Fim et l'autre cas le passage du liquide est et doit être nëcesfeairement suspendu. Ce n'est là, il est vrai , qu'un rapprochement grossier , mais, tout p-rossier qu'il est, il me semble exprimer une idée exacte. Si maintenant vous rapportez a l'homme ce que nous venons de vous dire relativement aux trou- bles qu'entraîne dans l'organisme toute modifica- tion de la viscosité du sang, vous sentirez combien il nous importerait , sous le rapport thérapeuti- que , de pouvoir apprécier rigoureusement les conditions physiques de ce liquide. Malheureuse- ment les moyens nous manquent, et, il faut le dire , on s'occupe peu d'en chercher. On écrit des volumes pour discuter sur les noms qu^il convient d'imposer aux maladies : on consacre à peine quel- ques lignes à l'étude des causes matérielles qui les déterminent. Aussi , voyez quelle est notre hési- tation y notre incertitude en présence d'une foule de phénomènes morbides que nous sommes appe- lés à combattre. Eh ! Messieurs , je ne fais point ici de la théorie , mes paroles ne sont que l'expres- sion d'une vérité dont il nous faut subir aujour- d'hui les douloureuses conséquences , mais que du moins nous aurons le courage de proclamer à haute voix. Vous avez déjà devancé ma pensée. Les nombreuses pièces pathologiques déposées sur ma table, vous indiquent assez que l'épidémie actuelle a pris un caractère grave , et que nos moyens de traitement ne sont que trop souvent impuis- sants à prévenir une terminaison fatale. Nous étions loin de prévoir, alois que nous expérimen- ( 139 ) lions dans cette enceinte, que bientôt notre champ d'observation se trouverait agrandi, et que Thomme lui-même viendrait nous offrir des lésions iden- tiques à celles que nous développions artificielle- ment sur l'animal vivant. Il est de notre devoir de nous arrêter quelques instants à l'examen d'une question qui excite de toutes parts un si puissant in- térêt. C'est seulement sous le point de vue phy- sique que nous l'envisagerons. Elle vous permettra de juger et d'apprécier les idées que nous avons eu l'honneur de vous exposer précédemment , et qui , si je ne m'abuse , reçoivent dans cette cir- constance un nouveau degré de certitude. Et d'abord la première question qui s'offre à l'esprit est celle-ci : De quelle nature est la mala- die appelée grippe ? Messieurs , voici ma pensée tout entière; elle est le résumé d'une mûre médi- tation. Je crois que les phénomènes morbides par lesquels se traduit l'épidémie actuelle dépendent d'une altération dans la composition du sang. Je le crois : je n'ose pas dire : je l'affirme. Cependant, vous verrez par l'examen des lésions cadavériques qu'il existe une analogie bien grande^ peut-être même une similitude parfaite entre les désordres que cette affection entraine dans la circulation pul- monaire et ceux que nous produisons à notre gré dans nos expériences du laboratoire. Vous vous rappelez la disposition anatomique des capillaires artériels et veineux du poumon. Ces petits canaux continus aux dernières divisions des gros tuyaux établissent une communication cons- tante, tant que persiste l'état physiologique, entre { UO ) ies deux pompes qui représentent le cœur; mais aussitôt qu ils s'engorgent;, les liquides ne peuvent contiHuer a les traverser^, et des phénomènes mor- bides éclatent. Telles sont, si je ne me trompe, les conditions physiques du poumon que j'ai sous les yeux et qui appartenait à une femme morte de la grippe. Leur tissu spongieux , aérien , est devenu dense , compact. Une injection d'eau poussée par l'artère pulmonaire ne revient point par les veines du même nom, et vous n'éprouvez point en compris niant le parenchyme de l'organe^ la sensation par- ticulière connue sous le nom de crépitation. Cette impossibilité absolue dans le passage des liquides à travers le réseau capillaire est une cir- constance importante à noter. Dans les pneumonies simples , l'obstruction des vaisseaux pulmonaires n'est jamais tellement complète qu'une injection aqueuse ne puisse passer en partie vers la pompe opposée .- il existe sur ies bords ou vers quelque autre partie de l'organe des portions encore per- méables aux liquides. Ici au contraire, toute com- munication est interceptée. Comment pendant la vie le cœur par ses contractions eût-il surmonté un obstacle que je ne puis vaincre sur le cadavre, alors que je modifie à mon gré la puissance d'impulsion? L'obstruction des tuyaux sanguins n'a pas seu- lement pour conséquence l'arrêt de la circulation au sein du poumon : elle entraine d'autres désor- dres graves dont vous n'avez maintenant sous les yeux que de trop nombreux exemples. Examinez une de ces pièces pathologiques , provenant toutes de personnes victimes de F épidémie qui sévit actuel- ( U1 ) lement. Le sanec arrêté dans ses conduits s'est im-^ bibé à travers leurs parois et s'est extravasé dans le tissu pulmonaire. Tant que ce liquide est à l'état normal il circule librement dans ses canaux mem-^ braneux , les porosités vasculaires ne livrent pas- sage qu'à une partie de sa sérosité qui s'échappe au dehors sous forme de vapeurs : c'est l'exha-r lation pulmonaire. Mais une fois que les condi^ tions physiques sont modifiées , les phénomènes d'imbibition se modifient également, et le sang, soit en substance , soit seulement dans quelques^ uns de ses matériaux , traverse les parois de ses vaisseaux et s'épanche dans les celhiles pulmo?^ naires. Je vous l'ai déjà dit, ce n'est qu'à la con- dition que les liquides seront en haxmonie avec les tuyaux , que la circulation est possible. A peine l'équilibre est - il rompu , que les rouages de la machine cessent de fonctionner et que les lésions les plus graves apparaissent. Il n'en est pas de même des appareils hydrauliques ordi- naires : leurs tuyaux métalliques ne sont point susceptibles de se laisser imbiber par les liquides, tandis que les membranes vivantes n'opposent qu'une barrière faible ou impuissante à leur ten.-^ dance continuelle à s'extravaser. Ainsi, tout obstacle mécanique au cours du sang a pour inévitable résultat d'une part d'accumuler une pins grande quantité de liquide dans les vais- seaux, d'une autre part, de rendre leurs porosités plus manifestes par la distension de leurs parois. Je n'hésite point a attribuer à ces deux causes réunies les altérations que nous offrent les pou- ( ^^'2 ) mons des individus qui succombent aujourd'hui à l'épidémie régnante. Les principaux matériaux du sang^ les globules, la fibrine, la matière colorante, le sérum se sont infiltrées dans les mailles de l'or- gane, ont rempli ses vésicules, et, en se coagulant, ont réuni ensemble les divers éléments qui consti- tuentson parenchyme. Ce n'est plus ce réseau de pe- tits tuyaux entrelacés avec tant d'art, ce n'est qu'une masse solide et compacte, rappelant grossièrement la texture du foie. Aussi, les pathologistes toujours si bizarrement inspirés quand il s'agit de désigner par un nom une maladie, ont-ils appelé cet état hè- patisation. Que ce mot est bien trouvé! N'avez-vous pas fait preuve d'une connaissance bien approfon- die sur la natnre intime de la lésion quand vous avez déclaré à l'aide d'une étymologie grecque que le poumon ressemble au foie? Voilà pourtant , Mes- sieurs, où en est le langage, j'ai presque dit le sa- voir du médecin. Dans les diverses pièces que je viens de placer sous vos yeux, le sang n'était point exhalé en sub- stance : une partie seulement de ses éléments s'est épanchée dans le tissu pulmonaire. Nous allons maintenant examiner une autre altération fort cu- rieuse sous le rapport pathologique dont vous ne pouvez comprendre le mode de production si vous n'avez pas toujours présente à l'esprit la perméa- bilité de nos membranes aux liquides. Le poumon que j'incise maintenant avec mon scalpel est celui d'une femme morte à THôtel-Dieu , d'une apo- plexie pulmonaire. Qaest*-ce qu'une apoplexie pulmonaire ? Le nom vous indique déjà que c'est ( 143 ) une maladie qui frappe le pouiBon ; mais comme il n'apprend rien autre chose, vous me permettrez d'entrer dans quelques explications sur ce phéno- mène essentiellement physique. Dans Fhëpatisa- tion , quelques-uns des matériaux du sang étaient exhalés dans les aréoles de l'appareil aérien , dans l'apoplexie, le sang en substance traverse les parois de ses vaisseaux , se réunit en foyers et constitue ces épanchements dont vous voyez ici un si bel exemple. Remarquez que le poumon de cette femme n'est point aussi généralement engorgé que ceux que nous avons vus précédemment. Au lieu d'être infiltré d'une manière uniforme , le sang se trouve disséminé çà et là par petites masses séparées Tune de l'autre par un tissu à peu près sain^ ou n'offrant que ce premier degré d'altération appelé engoue- ment. L'engouement pulmonaire est caractérisé par un dépôt plus ou moins abondant de la partie aqueuse du sang dans le parenchyme du poumon; quand je comprime entre mes doigts les parties engouées, j'en fais ruisseler une sérosité sanguino- lente, et des traces de crépitation m'indiquent que l'organe pouvait encore servir à la respiration. Ainsi, ces diverses dénominations admises dans le langage médical n'indiquent que des nuances d'un même phénomène , le passage du sang ou de quelques- unes de ses parties constituantes à travers les pa- rois des capillaires du poumon. Quant à l'apoplexie pulmonaire, ce n'est pas toujours par suite dune simple transsudation que le sang sort de ses vais- seaux : quelquefois , disent les pathologis tes , ceux-ci se déchirent, et la solution de leurs parois ( \hk ) donné issue au liquide que vous rencontrez accu- mulé en foyers variables par leur nombre et leur volume. J'ai vu de ces ruptures dans les hémopty- sies devenues fatales ^ je ne les ai jamais vérifiées daas l'apoplexie du poumon . Voilà les désordres les plus remarquables que nous ont présentés les individus qui ont succombé à l'épidémie actuelle. Si vous rapprochez ces lésions cadavériques des phénomènes morbides observés pendant la vie ^ vous ne pourrez vous refuser à admettre au moins comme très probable Fopinion que j'ai émise relativement à la nature delà grippe. Là où il y a communauté de symptômes , n'est-il pas rationnel de supposer qu'il y a communauté d'origine ? En modifiant la composition de leur sang , nous créons sur les animaux vivants toutes ces variétés d'altération pulmonaire que nous ob- servons sur riiomme , aussi sommes-nous amenés forcément â attribuer un semblable point de dé- part à la maladie qui nous occupe* Mais, me direz-vous, vous n'êtes donc pas aussi ennemi des hypothèses que vous voulez bien le laisser entendre , puisque vous vous croyez en droit ^ sur un simple aperçu, d'établir une sorte de théorie de la grippe. Messieurs ; le reproche serait mérité si réellement je me dispensais de m'appliquer les conseils que je me permets d'of- frir aux autres. Toutefois , je ne pense pas l'a-' voir encouru. Avant d'arriver à une certitude complète/ il faut souvent passer par le doute. Je ne viens point affirmer que le sang est altéré, seule- ment j'éveille votre attention à ce sujet , je vous ( 143 )■ fais part de mes soupçons, je vous expose mes mo- tifs , mes preuves; et sans vouloir préjuger en aucune manière ce que l'analyse chimique peut apprendre un jour , je résume mon opinion en disant qu'il me semble présumabîe que la mala- die régnante est d'abord une altération du sang, oùlacoagulabilité et la viscosité de ce liquide sont diminuées , et que les lésions des organes en sont les conséquences physiques , dont nous avons à peu prés le mécanisme et là théorie. Maintenant faisons des recherches. Une conjecture n'est pas la solution même provisoire d'une question : son seul avantage réel c'est d'engager à la vérifier par de nouvelles expériences ^ par de nouvelles ob- servations. Si elle est fausse, elle tombera ; si elfe est vraie , elle sera transformée en certitude , et alors seulement , elle entrera dans la science pour y rester. Remarquez, je vous prie, que nous ne raisonnons point sur une hypothèse purement gratuite , mais bien sur un faitrigoureusementdémontré. Personne ne niera aujourd'hui que les modifications que nous produisons à volonté dans ^e sang des animaux n'en- traînent de graves troubles dans la circulation. Si Vous injectez dans les veines ou les artères une cer- taine quantité d'eau , vous voyez le liquide trans- suder à travers les parois vasculaires, et le phéno- mène sera d'autant plus manifeste , que vous ex- périmenterez sur des vaisseaux plus volumineux, tels que la carotide, la crurale, etc.: ce qui se passe en grand dans ces gros tuyaux se passe en petit dansie réseau capillaire. Quelle autre cause que so.'s Mûofeniîje. ( 146 ) défaut de viscosité permet au sang de s'extravaser dans de semblables circonstances? Nous rencon- trons la même chose sur l'homme. Dans les fièvres typhoïdes, le typhus, le scorbut, etc. Dans ces afFections , où nos liquides sont évidemment mo- difiés, ne voyez-vous pas des exhalations sangui- nes dans la profondeur de tous les tissus? Ces ec- chymoses, ces pétéchies, qu'est-ce donc, sinon des effets mécaniques de Fimbibition des matériaux du sang à travers les parois vasculaires? Pour avoir un caractère moins sérieux, la grippe ne laisse pas qued'ofirir, dans certaines circonstances, plusieurs points de ressemblance avec ces maladies. L'en- gouement , riiépatisation, l'apoplexie pulmonaire, ne sont , je vous l'ai déjà dit, que des effets variés d'un même état morbide. Si le sang n'est mo- difié que dans sa viscosité , il n'y aura que de sim- ples transsudations de ses éléments. Si Taltération de ce liquide est plus profonde, les tuyaux capil- laires s'obstruent , leurs parois se distendent et se crèvent par suite de l'impulsion de la pompe^ dont l'énergie s'accroît en raison de la résistance qu'elle éprouve. ïl en est de notre machine hydraulique comme des machines ordinaires ; seulement la contractilité de la fibre musculaire remplace ici la force des autres moteurs. Partout il doit exister une harmonie parfaite entre la masse de liquide à dé- placer et la puissance motrice : celle-ci doit aug- menter à mesure que les obstacles se multiplient. Voici d'ailleurs un témoignage qui m.e paraît propre a confirmer mes idées sur la nature de la maladie (|ui nous occupe : voyez ce sang tel qu'il ( 14^ ) s'offre à nous sur le cadavre des victimes de la grippe : est-il coagulé , forme-t~il des caillots ? Non, il est liquide; il avait donc perdu, par l'in- fluence épidémique, sa plus importante propriété, la coagulabilité ; il en est résulté des phénomènes insolites à Tinstant de son passage dans les tuyaux capillaires. Nous savons par l'expérience que le sang ainsi altéré dans ses propriétés physiques, a une plus grande facilité à s'im.biber dans les parois de ses vaisseaux et à s'extravaser. Est-ce beau- coup s'écarter des limites du vraisemblable, que de supposer que telle est chez l'homme grippé au maximum la cause des lésions du parenchyme pul- monaire ? Nous allons encore essayer d'injecter de Feau à travers un autre poumon atteint d'une de ces pré- tendues pneumonies ^n]r?pa/^^. Vous pouvez égale^ mentconstater ici une obstruction complète des con- duits sanguins. Le liquide poussé par la seringue ne revient point vers la pompe générale, il s'arrête dans les dernières divisions dcFartére pulmonaire, et l'organe ne présente pas ce mouvement géné- ral d'expansion , qui indiquerait la pénétration de la matière injectée au sein de son tissu. Le lobe supérieur paraît seul encore perméable , en efTet, il se gonfle, et si j'ouvre la veine qui en sort, elle donne issue à une certaine quantité de liquide. Quant au reste du poumon , il est complètement hépatisé. Appellerez -vous cet état morbide une inflammation ? Non seulement vous n'apprenez rien par cette expression métaphorique, mais même vous détournez Fattention de la cause mécanique ( U8 ) qui a produit la lésion. Ce n'est pas l'irritation des vaisseaux capillaires , c'est leur obstruction qui a déterminé l'arrêt du sang dans ces tuyaux , sa îranssudation à travers leurs parois , et son infil- tration dans le parenchyme pulmonaire. Toute sub> tance ainsi déposée dans les cellules du pou- mon , par cela seul qu'elle apporte obstacle à la circulation, entraîne, comme conséauence inévita- ble, une impossibilité dans le mouvement progres- sif du liquide, et par suite ces phénomènes d'engor- gements partiels ou généraux. C'est ainsi qu'agit la matière tuberculeuse: c'est ainsi qu'agissent ces masses purulentes , qu'on rencontre chez les bêtes à cornes^ atteintes de la pommélière. Vous voyez ici une de ces masses qui égale au moins le volume d'un gros œuf de dinde : autour d'elle le tissu pul- monaire est ferme, compact, non crépitant; disons, si vous le voulez , qu'il est enflammé, mais rap- pelez-vous que ce mot n'explique rien, bien qu'on ait prétendu tout expliquer en l'employant. Essayons maintenant de développer sur l'animal vivant des phénomènes morbides, analogues à ceux que nous observons chez les personnes qui suc- combent à l'épidémie régnante. Mais, Messieurs, qu'on ne dise pas qu'au laboratoire du collège de France , nous avons la prétention de produire à notre gré des grippes artificielles : dénaturer nos idées, ce ne serait pas les réfuter. Chaque mala- die a sa spécialité individuelle , qu'il n'est pas en notre pouvoir de créer dans nos expériences. Ce que nous voulons vous prouver^ c'est que les ani- maux dont le sang est altéré dans sa composi- ( U9 ) tion , prcsenteiit , dans le tissu pulmonaire^ des désordres mécaniques analogues à ceux que nous ofFrent les individus soumis à l'influence épidémi- que. Ces faits , une fois bien constatés, nous ver- rons quelles conséquences nous devrons en dé- duire. M. Magendie injecte dans la veine jugulaire d'un chien un demi-gros à peu près de mercure métal- lique. Le vaisseau très petit permet à peine l'in- troduction du bec de la seringue. L'animal est pris aussitôt d'une toux très forte , de vomissements , ?a respiration devient bruyante et saccadée. Une injection d'eau distillée tenant en suspen- sion de FamidoU; est poussée dans la veine jugu- laire d'un autre chien : la liqueur ne provoque presqu'aucun trouble immédiat vers la circula- tion pulmonaire. Sur un troisième chien le professeur injecte du noir d'ivoire broyé et tamisé, suspendu dans de l'eau légèrement gommeuse. Si l'on se servait d'eau pure, la poussière charbonneuse se précipiterait au fond du vase. L'animal paraît assez calme. A la prochaine leçon ces animaux seront amenés de nouveau dans l'enceinte, afin qu'on puisse con- stater leur état^ et dans l'intervalle des deux séan- ces , on surveillera avec soin les symptômes qu'ils auront présentés et on en prendra note. ( 150 ) DIXIÈME LEÇON, ib février 18S7. Messieurs , Nous allons continuer l'examen et la discussion des questions que nous avons soulevées relative- ment à l'épidémie actuelle. Vous voyez par le nom- bre de ces pièces pathologiques mises sous vos yeux, que la maladie, loin de diminuer, acquiert un ca- ractère de gravité qu'elle n'avait pas à son appari- tion. Nos hôpitaux sont encombrés, et, si j'en juge par ma pratique civile, il est peu de familles dans la capitale qui ne comptent un ou plusieurs malades. Cette intensité dans la marche et les symptômes de la grippe m'ont mis à même de l'étudier sur un plus vaste terrein. Les cas nombreux que j'ai recueillis, les nouvelles observations que j'ai faites sur la physionomie des phénomènes morbides et la nature des lésions cadavériques, m'ont confirmé dans l'opinion que la maladie a sa source dans une altération du sang. Et dans les cas funestes ce n'est pas à des complications que les malades succom- bent , mais à la maladie elle-même parvenue à ( 15) ) son maximum d'intensité, ainsi que l'attestent et les symptômes , et les désordres pathologiques. On vous a dit ailleurs que les malades mouraient non de la grippe , mais d'une pneumonie acciden- telle; c'est déjà fort étrangequ'un tel accident soit si commun. Mais, Messieurs , dans une pneumonie franche, la douleur de côté, la fièvre, ladyspnée, l'ex- pectoration de crachats jaunâtres, sanguins, éveil- lent tout d'abord l'attention du malade et du méde- cin . Les signes stéthoscopiques donnent au caractère de la lésion un degré de certitude à la portée de tout observateur. Il n'en est plus de même pour ces pneumonies grippales. La douleur locale est à peu près nulle, le pouls devient faible sans aug- menter liptablement de fréquence , la respiration reste presque libre, l'expectoration n'offre rien de caractéristique, excepté dans quelques circonstan- ces que nous mentionnerons plus tard. L'auscul- tation ne fournit que des renseignements obscurs ou négatifs : crépitation rare , manquant même le plus souvent, absence du murmure respiratoire dans les points engorgés sans souffle tubaire, peu ou point de retentissement de la voix. La percus- sion ne donne également que des résultats à peu près insignifiants. A côté de ces symptômes vous en avez d'autres , qui rappellent parfaitement ce qu'on observe dans certaines maladies graves où le sang est évidemment altéré. Presque tous les in- dividus frappés se plaignent dés le début de la grippe, d'un anéantissement général des forces, de brisements dans les membres, de crampes dou- loureuses; la plupart^ surtout parmi les vieillards. ( 152 ) ont des vomissemenîSj symptômes que nous voyons constamment survenir chez les animaux, dont nous modifions à notre gré les propriétés physiques du sang. Quant aux désordres pathologiques, l'examen de quelques pièces que nous avons fait dans notre der- nière séance, et l'inspection microscopique de por- tions de poumons engorgés y démontrent la pré- sence de produits particuliers , épanchés dans le parenchyme de l'organe. Cet épanchement a pour conséquence mécanique d'oblitérer les petits tuyaux qui doivent transporter le sang et d'empêcher l'air d'arriver aux cellules pulmonaires, dont la cavité s^efFace et disparait. J'attribue à la réunion de ces deux causes la plus large part dans W produc- tion des phénomènes morbides qui caractérisent la grippe grave. Puisque ces altérations physi- ques de l'appareil respiratoire constituent princi- palement le caractère de gravité de cette affection, vous concevez comment telle lésion , légère che^ un individu bien constitué , devient mortelle chez celui dont la circulation pulmonaire est habituelle- ment embarrassée , soit par suite d'une conforma- lion vicieuse du thorax , soit par suite d'une ma- ladie antécédente du poumon lui-même. Aussi , tous les praticiens ont-ils remarqué que l'épidémie sévit avec plus d'intensité chez les personnes at- teintes de vieux catarrhes , d'emphysème ^ de tu-- hercules pulmonaires , d'affections organiques du cœur, etc. Les déviations de la colonne vertébrale, toutes les variétés de gibbosités doivent nécessai- rement aggraver les symptômes de la pneumonie ( 1-^î^ ) giippale. N'est-ce pas à leur influence mécanique qu'il faut rattacher la marche en quelque sorte fou^ droyante des accidents qu'a présentés cette pauvre fille contrefaite , morte de la maladie régnante dans nos salles à THôtel - Dieu , et dont le cada- vre est sous vos yeux? A peine elle en a eu ressenti les premières atteintes , que ses membres sont devenus froids et bleuâtres, sa face violacée, sa res- piration haletante, son pouls, faiblissant graduel- lement, a fini par s'éteindre, et dans T espace de peu d'heures elle a succombé au milieu d'un état complet d'asphyxie. Ne trouvez-vous pas , dans la déformation de son thorax , une raison suffisante de l'instantanéité de la mort? Nous aurions pu d'avance annoncer que cette malheureuse périrait nécessairement si Vépidémie venait à l'atteindre ; car ses poumons, trop à l'étroit , dans une cavité très rétrécie, ne pouvaient qu'imparfaitement met- tre le sang en contact avec l'oxigène atmosphé- rique. Ajoutez à cela qu'il existait chez elle une hypertrophie du cœur , fâcheuse complication qui rendait encore plus difficile la circulation pulmonaire. Comment, dans des conditions aussi défavorables, eût-elle pu échapper aux puissants obstacles , qu'une obstruction plus ou moins com- plète des canaux sanguins et aériens devait appor- ter au passage du sang? Ouvrons le cadavre de cette jeune fille pour examiner les lésions qu'il présente ; vous les prévoyez aussi bien que moi. Le poumon gauche , chassé de sa position nor- male par la courbure anguleuse du rachis , est logé presque en totalité dans la cavité droite de la poi- Magendie. 20 ( 154 ) trine; son tissu paraît plus pesant, plus dense que de coutume ; quand je le coupe par tranches, une sérosité sanguinolente ruisselle sous chaque inci- sion. Cependant il pouvait encore servira la res- piration, ainsi que l'attestent et la crépitation qu'il fait entendre sous le doigt qui le comprime, et le volume de 1 organe qui n'est pas sensiblement aug- menté. L'altération dont il est le siège n'est point un véritable engouement , c'est encore un degré au dessous : il n'y a qu'un liquide séreux infiltré dans les aréoles du parenchyme aérien , et quand j injecte de Veau dans lartèn^ pulmonaire, elle re- vient en partie par les veines du même nom. L'al- tération du sang n'était donc pas très profonde : sa viscosité, peut-être seule modifiée, a permis à quelques-uns de ses matériaux de s'imbiber à tra- vers les parois vasculaires et de s'épancher dans les cellules. Si la malade eût été bien conformée, nul doute que ces désordres mécaniques n'eussent été insuffisants pour déterminer aussi subitement la mort. Mais vous voyez combien les mouvements d'inspiration et d'expiration étaient habituelle- ment difficiles avec une semblable déviation des leviers que les puissances musculaires devaient mettre en jeu. Le cœur, ainsi que nous Tavions diagnostiqué , est augmenté de volume ; l'orifice pulmonaùe parait rétréci. Les deux poumons ren- fermés dans uneencfinte aussi étroite que la cavité tlioracique droite se comprimaient mutuellement et ne pouvaient admettre que la quantité d'air à peine nécessaire pour vivifier le sang. Aussitôt que ce liquide, altéré dans sa composition, n'a plus été ( 155 ) en harmonie avec les propriétés physiques de ses vaisseaux, un ohstacle nouveau est venu se sur- ajouter aux causes qui gênaient déjà la circulation pulmonaire, et une mort rapide en a été Tinévi- table conséquence. Voici une autre pièce qui nous présente à peu près des altérations identiques. Le pournon moins souple , moins élastique qu'à l'état normal n'est pas cependant hépatisé : il offre un très vaste en- gouement, résultat tout mécanique de la présence d'une sérosité visqueuse qui s'est ext;avasée en quantité considérable. N'y a-t-il que cette seule lésion ? non , Messieurs. Le cœur , cet organe dont les moindres soufFrances retentissent sur l'appareil respiratoire , fonctionnait mal : les val- vules aortiques, devenues rigides par suite du dépôt dans leur épaisseur de sels calcaires ^ ne remplissaient plus leur jeu de soupapes, et la cir- culation pulmonaire se ressentait des troubles de la circulation générale. Les altérations réunies des liquides et de la pompe qui les met en mouvemeut ont amené la terminaison fatale de la maladie. Ici la mort est survenue plus tard que dans le cas précédent, parce que les puissances mécaniques de la respiration n'étaient pas dans les conditions aussi défavorables, mais elle est arrivée plus tôt que chez une personne bien constituée à cause de l'af- fection organique du cœur. Nous rencontrons sur cette autre pièce patholo- gique une altération que nous n'avons point eu l'occasion de mentionner parmi celles que nous avons déjà mises sous vos yeux. Le poumon n'est N ( 156 , plus seulement abreuvé d'une sérosité poisseuse , il est rempli d'une matière solide, caséeuse, se pré- sentant sous la forme de granulations innombrables ^ disséminées par tout Torgane, et faciles à démonter quand on racle avec le scalpel les parties incisées. Cette matière est bien le produit d'une exhala- tion morbide. La fibrine en dissolution dans le sérum, transsudant à travers les tuyaux capil- laires, s'épanche sous forme liquide dans le tissu du poumon , et bientôt , par suite de sa tendance à se solidifier, elle se prend en petites masses qui se moulent sur les parois des cellules dont elles oblitèrent la cavité. Ainsi , agglutinés par cette sorte de ciment organique , les canaux sanguins et aériens cessent d'être perméables. Et nous n'avons aucune difficulté à comprendre comment une sim- ple obstruction mécanique du poumon devient bientôt une cause de mort î Je ne sais si je m'abuse, Messieurs , mais il me semble que plus nous avançons dans nos recher- ches sur la grippe, plus nos conjectures sur la na- ture de la maladie se trouvent confirmées. Les dé- sordres cadavériques , les phénomènes morbides observés pendant la vie déposent également en fa- veur de notre opinion. J'appelais à l'instant votre attention sur la pré- sence dans le parenchyme pulmonaire d'une ma- tière solide grisâtre, offrant une analogie remar- quable avec les hépatisalions grises. 11 est phy- siquement impossible qu'on ne retrouve pas dans la matière expectorée les traces de cette sécrétion particulière ? En effet, vous savez que les crachats ( 157 ) de la gf'ippe actuelle n'ont pas le caractère de ceux de la pneumonie simple; au lieu d'être jaunes et rouilles , ils sont visqueux et transparents. Je me suis assuré sur moi-même , durant l'attaque que j'ai éprouvée, que ce mucus, qui conserve la forme des dernières ramifications bronchiques où il s'est formé , devient, quand on essaie de le faire coaguler, opaque beaucoup plus promptement que le mucus ordinaire , d'où j'ai conclu qu'il conte- nait une proportion plus grande d'albumine. Cette exsudation affecte une autre forme. Hier j'ai eu dans ma pratique particulière, une femme âgée, ma- lade de la grippe, qui offrait tous les signes caracté- listiques d'un engorgement pneumonique. Après des efforts de toux sollicités sans cesse par un senti- mentde suff()cation , elle expectorait des crachats muqueux sur les bords desquels je remarquai des particules solides tout à fait semblables aux gra- nulations que nous avons notées dans les poumons que vous venez de voir. Ces petits morceaux an- guleux semblaient avoir été détachés d'une masse générale, comme si l'air ^ chassé brusquement à chaque accès de toux, les eût balayés sur son pas- sage et entraînés avec lui hors des bronches. Ja- mais dans les pneumonies ordinaires , je n'ai ob- 3ervé cette espèce particulière d'expectoration : on eut dit de la matière fibrineuse concrète réunie en petits fragments d'une demi-ligne de diamètre. Ce cas m'a paru intéressant^ en ce qu'il pourra peut-être jeter un nouveau jour sur la nature de la maladie qu'il nous importerait tant de connaître^ pour dirigi'r nos moyens thérapeutiques. ( 158 ) Le dépôt (le concrétions pseudo- membraneu- ses dans les canaux aériféres est une complica- tion sérieuse que j'ai rencontrée plusieurs fois, et qui doit faire porter un pronostic grave. Sous le rap- port physiologique, ce pkénomène mérite d'arrêter notre attention. Les artères bronchiques von? , comme vous le savez _, se distribuer à la muqueuse pulmonaire , mais le sang qui les parcourt reçoit son impulsion de la pompe gauche. Si donc il y a modification du cours du sang dans ces vaisseaux , c'est sous l'influence de la pompe gauche. N'est-ce pas une chose bien curieuse que ces troubles si- multanés de deux systèmes de tuyaux indépen- dants l'un de l'autre? Quelle autre cause qu'une modification dans les liquides qui les parcourt a pu entraîner des désordres identiques ? Voici comment je m'explique la présence de ces exsu- dations dans les divisions de l'arbre aérien. Par suite d'un obstacle mécanique à son libre pas- sage , le sang s'arrête dans les capillaires bron- chiques , distend leurs parois et met en jeu leur perméabilité aux liquides ; la matière albumino- librineuse, transsude à travers les porosités vas- culaires , et s'épanche à la surface des ramifi - cations des bronches. Si elle est immédiatement rejetée par l'expectoration , elle n'a pas le temps de se coaguler ; si au contraire elle y séjourne quelques instants^ elle se solidifie et forme ces con- crétions que les pathologistes sont convenus de désigner par l'épithéte de couenneuse, N'adaiirez- vous pas la noblesse d'un semblable langage ? Si ( 159 ) du moins il était juste ? mais malheureusement ces produits morbides ne ressemblent point du tout à la peau du cochon. Quoi qu'ii en soit de ces ex- pressions ignobles, vous concevez comment la cir- culation bronchique , bien qu'elle ne soit qu'ac- cessoire dans le poumon^ peut entraîner par ses troubles les conséquences les plus funestes. Vue fois les petits tuyaux qui conduisent Tair aux lobules oblitérés, le sang n'est plus vivifié , et alors apparaissent les symptômes propres à Fas- phyxie. J'ai eu l'occasion chez plusieurs malades de voir dans la matière expectorée ces tubes ra- mifiés : moi-même je me rappelle en avoir craché de petites masses presque aussi volumineuses que celles que vous apercevez sur les poumons de cette femme. Si, au lieu de n'occuper que quelques divi- sions bronchiques, ces obstructions muqueuses eussent envahi toutes mes ramifications aériennes, il est probable, Messieurs, que je n'aurais point au- jourd'hui l'honneur de vous exposer mes idées sur la nature des pneumonies grippales. Les autres altérations que vous voyez sur ces trop nombreuses pièces pathologiques sont à peu prés semblables à celles que nous venons de passer en revue. Ce sont toujours des épanchements de différente nature qui ont eu lieu clans l'épaisseur du poumon, et qui, par l'aspect des matériaux qui les constituent, vous permettent d'établir lâp-e de la maladie. Ainsi , voilà une lésion qui certame- mentdate de plusieurs jours. Le tissu pulmonaire est infiltré d'une matière gélatiniforme, d'un blanc sale , qui semble s'être imbibée par TefFet d'une ( 160 ) longue macération : il n'y a plus de sang dans les vaisseaux, plus d'air dans les cellules ; l'organe en-^ tier a perdu sa texture alvéolaire; il n'offre qu'une masse homogène et grisâtre, qui n'est cependant pas Vhépatisation grise. C'est un objet curieux de re- cherches que d'examiner les diverses phases par les- quelles passe le poumon avant d'atteindre ce degré extrême de désorganisation. D'abord les principaux matériaux du sang épanché dans son parenchyme lui donnent l'apparence granuleuse que nous vous avons signalée: coupé par tranches, son tissu paraît d'un rouge foncé, parsemé ça et là de taches qui rap- pellent assez les nuances de certains granits. Ce- pendant le contact de l'air, l'humidité et la tem- pérature élevée de l'appareil respiratoire, altèrent les liquides sortis de leurs vaisseaux : la matière colorante se dissout la première, s'imbibe dans les parties voisines et finit par être résorbée. C'est à sa disparition qu'est due la couleur blanchâtre de l'épanchement. Les autres éléments du sang ex- halé se ramollissent, se liquifient : une partie re- passe à travers les parois vasculaires dans le tor- rent de la circulation, une autre partie , revêtant les caractères du pus , arrive jusqu'aux bronches et est rejetée par l'expectoration. Tel est le phé- nomène de la résorption pneumonique. Dans l'hépatisation rouge , tous les matériaux du sang sont infiltrés dans le tissu pulmonaire qu'ils dur- cissent et solidifient : dans l'hépatisation grise la matière colorante a disparu, et si la maladie doit se terminer favorablement, le reste de Tépanchement ne tarde pas à disparaître également. Ainsi, le pas- ( 161 ) sage de l'un de ces états à l'autre résulte d'une sorte de macération dans Tintérieur de la poitrine. Sor- ties à l'état liquide des tuyaux sanguins, la fibrine, l'albumine se solidifient : bientôt leurs éléments réagissent chimiquement; elles reprennent leur liquidité première et rentrent dans les vaisseaux , de la même manière qu'elles s'en étaient échap- pées , c est -à -dire, par imbibition. Heureux si la résorption en était toujours possible ! Mais il est des cas où la science du médecin et les ressour- ces de la nature sont également impuissantes pour rendre au parenchyme pulmonaire sa perméabilité, et pour prévenir une terminaison fatale. Vous apercevez au sommet de ce poumon hépa- tisé une vaste caverne remplie de matière tuber- culeuse liquéfiée. Cette collection purulente, bien qu'étrangère à la maladie qui nous occupe , exige que nous en disions quelques mots. Comment se fait-il qu'une masse liquide reste isolée au mi-* lieu de tissus poreux et y séjourne long -temps sans s'y imbiber , tandis que les épanchements pneumoniques subissent à chaque instant dans les cellules pulmonaires des transformations appré- ciables ? c'est que les conditions physiques ne sont plus les mêmes. Les parois des excavations tuberculeuses sont tapissées par une couche opa- que , d'une consistance molle et friable , revê- tant l'aspect d'une fausse membrane. Cette cou- che prévient l'imbibition de la matière purulente, de la même manière que l'épiderme empêche les substances déposées sur la peau d'arriver au réseau Vasculaire du chorion. Le pus demeure ainsi em- Magendie. £i r K ^62 ) prisonné jusqu'à oe que trouvant une issue par l'orifice ulcéré d'un tuyau bronchique^ il s'échappe au dehors par l'expectoration. Nous ne pousserons pas plus loin l'examen des désordres que l'obstruction des canaux sanguins entraîne dans la texture du poumon. Ce que je vous ai dit , ou plutôt ce que vous avez pu voir de vos propres yeux, vous a peut-être déjà fait parta- ger mes conjectures sur la nature de l'épidémie actuelle. C'est à vous maintenant à recueillir dans nos hôpitaux les observations propres à jeter sur cette question une nouvelle lumière. Non pas que nous soyons privés ici même des ressources d'un enseignement clinique; nous avons nos malades. Pour être moins haut placés dans l'échelle des êtres vivants, ils n'en sont que plus intéressants pour le médecin , car ils lui permettent d'envi- sager la question sous le point de vue scienti- fique. Nous avions essayé dans notre dernière réunion de déterminer mécaniquement des obs- tructions dans la circulation pulmonaire : nos expériences ont eu un entier succès. Puissions- nous être toujours aussi heureux sur l'homme quand il s'agira ^ non plus de créer^ mais de gué- rir des pneumonies î . Voici d'abord le chien chez lequel nous avons iniecté de l'eau amvlacée. L^animal a succombé le lendemain après avoir présenté tous les symptômes d'un engorgement pneumonique. Vous savez que les globules de F amidon sont beaucoup plus con- sidérables que les globules du sang : aussi ces ré- sultats ne doivent point vous surprendre. Il est ( 163 ) probable que nous allons trouver le poumon en- goué, et les communications de Fartére et des veines pulmonaires interrompues. Faisons Fautopsie. Le poumon est effectivement le siège de graves altérations. 11 ne s'est presque point affaissé sous la pression atmosphérique , et ce défaut d'élasti- cité de son tissu le fait paraître plus volumineux qu'à l'état sain. Sa consistance est modifiée; il est înoins souple et ne contient presque plus d'air ^ excepté vers ses bords où ce fluide semble s'être réfugié. J'essaie en vain d'injecter de l'eau dans l'artère pulmonaire : elle ne pénétre pas au-delà des premières divisions du tuyau et ne revient point vers le réservoir de la pompe opposée. L'a- nimal a donc succombé à une simple obstruction du réseau capillaire, ou, si le mot vous sourit da- vantage, il a eu une pnêiimonie. Ce que nous pou- vons faire dans nos expériences de laboratoire , croyez-vous que la nature soit impuissante à le produire sur l'homme? N'oubliez donc jamais, Messieurs, que la médecine est une science essen- tiellement pratique. Entre l'observation qui répond oui et l'hypothèse qui répond non, hésiterez-vousà prononcer ? Voici l'autre chien qui a reçu dans la veine ju- gulaire une injection de mercure. Ce métal, mal- gré sa fluidité , est beaucoup trop visqueux pour pouvoir circuler dans les infiniment petits canaux du poumon. Ses globules n'étant point en rapport avec leur diamètre , s'arrêtent dans leur cavité , opposent une digue puissante au passage des liqui- des, et déterminent dt^ns l'appareil pulmonaire ces ( '1G4 ) troubles mécaniques que la théorie nous faisait pressentir. L'animal a paru très souffrant. A-t-il eu un point de côté ? lui seul pourrait nous rap- prendre, ïl a été triste, abattu, refusant toute es- pèce d'aliments , et menacé à chaque instant de suffoquer. L'auscultation et la percussion nous ont fourni tous les signes physiques d'un embarras dans la circulation pulmonaire. Aujourd'hui son état est meilleur : peut-être même le retour à la santé serait-il possible, ce qui , d'ailleurs, a déjà été constaté par M. Gaspard, qui a publié dans un mémoire inséré dans monjournal de physiologie des cas semblables de guérison. Nous allons injecter sur cet animal une nouvelle quantité de mercure^ un demi-gros à peu près; mais comme la jugulaire droite nous a déjà servi , nous allons prendre la veine de l'autre côté. Yous observez ici un phénomène de circulation assez curieux. Dans notre première expérience, le vaisseau sanguin nous avait paru fort petit , et même nous a\ions éprouvé quelque peine à y faire pénétrer la canule de la seringue. Pourquoi main- tenant trouvons-nous une veine très gonflée., très volumineuse ? La raison en est simple. La ligature appliquée sur la jugulaire droite a suspendu le pas- sage du sang dans sa cavité , et le liquide , pour revenir au cœur, est obligé de suivre une autre voie. Quelle sera cette voie ? il ne peut revenir par les jugulaires internes, puisque ces veines ne sont qu'à l'état de vestige chez le chien : il faut donc que tout le sang de la tête passe par un même tuyau, la jugulaire gauche dont les parois élasti- ( 165 ) ques se laissent distendre par la colonne de li- quide. J'injecte maintenant un demi-grosàpeu près de mercure. Vous voyez l'animal s'agiter, mettre en jeu toutes ses puissances inspiratrices pour attirer l'air dans sa poitrine. Il tousse d'une manière convulsive et paraît en proie à la plus vive anxiété. Le nouvel obstacle que notre injection vient d'ap- porter à la circulation pulmonaire va sans doute déterminer la mort. Nous aurons soin de vous le représenter à la prochaine séance. Enfin;, voici le petit chien dans les veines du^ quel nous avions injecté de la poudre de charbon porphyrisé. Il a été un peu triste , n'a pas mangé_, et de temps en temps a eu des accès de toux. Ce- pendant la circulation pulmonaire a continué de s'exécuter a^^c assez de liberté ; l'ayant ausculté à plusieurs reprises, je n'ai distingué que quelques bulles de râle crépitant , et la sonoréité thoracique ne m'a point paru sensiblement modifiée. Mainte- nant qu'il est assez bien rétabli, il va nous servir à une nouvelle expérience. On a beaucoup parlé dans ces derniers temps de la présence du pus dans le sang : une foule de théories ont été lancées sur les altérations que les globules de ce liquide éprou- vent par suite de leur mélange avec la matière purulente, mais, il faut le dire, la science possède peu de faits rigoureusement démontrés relative- ment à cette question. C'est pour l'éclaircir que nous allons essayer une expérience qui consiste à introduire directement dans la circulation , du pus en substance. Je me rappelle avoir injecté avec ( 166 ) M. Dtipuytren , dans les veines de divers animaux des fluides ichoreux, provenant de cancers ulcérés, sans avoir obtenu des résultats bien saillants. Le pus dont nous allons nous servir provient d'un phlegmon ouvert ce matin à l'Hôtel-Dieu. J'en injecte un gros dans la jugulaire de notre petit convalescent de pneumonie. Comme les globu- les du pus n'ont pas un volume aussi bien déterminé que ceux du sang , je ne pourrais affirmer s'ils traverseront les tuyaux capillaires. L'observation seule nous donnera la solution de cet intéressant problème. Les nombreuses expériences physiologiques auxquelles nous nous livrons pour éclaircir une question de pathologie ne doivent point vous sur- prendre , maintenant surtout que vous êtes fami- liarisés avec fesprit de notre enseignement. Que penseriez-vous d'un mécanicien qui, sans connaître le jeu d'une machine, voudrait réparer quelqu'un de ses rouages ? vous en ririez. Eh bien î riez de ces prétendus médecins qui , étrangers aux con- naissances physiologiques les plus élémentaires , dissertent sur les fonctions de nos organes et se flattent de guérir leurs lésions. ( ^6^ ) ONZIEME LEÇON. 47 Février 1857. Messieurs , Rien n'est changé jusqu'ici aux phénomènes pathologiques que présentent les organes chez les individus qui succombent à l'épidémie régnante. Ce sont toujours les mêmes symptômes pendant la vie , ce sont toujours les mêmes lésions sur le ca- davre. Les malades accusent de la douleur dans les membres ^ dans les reins , des lassitudes sponta- nées , une prostration générale et profonde : quel- ques -uns ont des crampes, d'autres , du détire, d'autres, des mouvements convulsifs; la plupart éprouvent de l'inappétence, des nausées , ou même des vomissements. Toute l'économie parait affec- tée, mais l'est-elle réellement ? Vous connaissez nos opinions à cet égard; ce qui n'était pour nous dans le principe qu'une simple conjecture , reçoit chaque jour de l'observation clinique un nouveau témoignage de certitude. Oui , une altération du sang peut seule déterminer cette série d'accidents qui frappent l'organisme dans son ensemble. Sa ( ^68 ) nature nous échappe , mais ses effets sont trop manifestes , trop caractéristiques pour que nous puissions encore élever des doutes sur sa réalité. Modifiez les éléments du sang sur l'animal vivant, quel sera l'organe le plus gravement affecté? Le poumon : c'est également le poumon qui, dans la grippe, présente les principaux désordres. Jetez les yeux sur ces pièces pathologiques , apportées ce matin de l'Hôtel-Dieu : le tissu pulmonaire est engorgé par du sang liquide, noirâtre, poisseux, qui a transsudé soit en substance, soit dans quel- ques-uns de ses éléments , à travers les parois des vaisseaux. Vous retrouvez ces granulations fibri- neuses, dont la petite masse s'est exactement mou- lée sur les cellules. Leur forme repr^uit assez fidèlement celle des cavités qu'elles obturaient. Les divisions bronchiques sur les poumons de cette jeune femme qui a succombé très rapidement à la maladie , sont remplies de concrétions pultacées^ analogues à la fausse membrane du croup. Nous avons rencontré ces altérations de sécrétion chez bon nombre de malades, et leur apparition nous a toujours paru un symptôme de fâcheux augure. La femme dont Je vous avais parlé dans la dernière leçon, et qui avait expectoré des particules fibri- neuses , a succombé , ainsi que je l'avais prévu. Comment aurions- nous pu prévenir cette termi- naison fatale ? Il nous eût fallu ramener le sang altéré à sa composition normale, et malheureuse- ment nos moyens sont nuls ou impuissants. Le poumon , que je vous montre maintenant , présente une hépatisation grise des plus complètes: ( 169 ) sa structure aréolaire a disparu , il n'offre plus qu'un tissu compacte , infiltré d''une matière vis- queuse et purulente. Déposée par exhalation dans les mailles de l'organe , la fibrine s'altère, se ra- mollit , se liquéfie , et finit par se transformer en pus. Cette transformation des globules fibrineux en globules purulents est un phénomène fort cu- rieux , sur lequel je fais maintenant des recher- ches. Je crois être arrivé à produire artificielle- ment avec de la fibrine, du pus, ou du moins une matière à peu prés analogue. Si je parviens à des résultats certains et positifs, je me propose de vous les communiquer. Depuis notre dernière réunion il a été publié dans les journaux de médecine le résultat d'une discussion qui a eu lieu à l'Académie au sujet de l'épidémie actuelle. Si vous avez lu cette discus- sion , vous aurez remarqué combien tout ce qui touche aux explications sur la nature même de la maladie est rempli d'incertitude. N'eût -il pas été plus sage, n'eût-il pas été plus scientifique d'avouer l'is^norance absolue où l'on est sur les causes de la grippe ? Dire que c'est une bronchite simple , c'est exprimer une idée par un mot dont la signification n'est pas rigoureusement détermi- née. Une bronchite , c'est ce qu'on appelait autre- fois un rhume ordinaire. Or, un rhume ordinaire ne frappe pas toute une population , n'envahit pas toute une caserne, ne s'attaque pas à toute une famille. Quelle différence ya-t-il entre une bron- chite simple et une bronchite épidémique ? C'est ce qu'on ne nous a pas dit, et c'est pourtant ce qu'il Magendie. 23 ( no ) nous importait de connaître. Admettrez-vous avec d'autres praticiens que c'est une bronchite spas- modique ? Oh ! si nous nous lançons dans les spasmes, je ne vois pas le moyen de pouvoir en sortir, et je crains bien que nous ne soyons ame- nés à ressusciter ces vieilles doctrines d'il y a deux siècles. Laissons les dormir en paix. Maintenant on dit : la grippe est une bronchite compliquée. Très-bien; mais voudriez-vous m'apprendre pour- quoi ces complications, pourquoi ces obstructions, ces engorgements pulmonaires, pourquoi ces épan- cliements de sucs coagulables dans le parenchyme de Torgane. C'est justement dans la nature même de ces complications que git la difficulté : vous modifiez le langage , mais vous éludez la question, vous exprimez un fait par une épithète nouvelle , mais vous n'osez point nous en donner la valeur. Une pneumonie simple n'est pas une pneumonie grippale : ce sont deux maladies^ très différentes qui n'ont de commun que leur siège, et dont les symptômes sont entièrement distincts. Dans la première, la douleur du côté, la dyspnée, la toux, l'expectoration sanguinolente , la fièvre , la cha- leur brûlante delà peau indiquent une lésion grave : dans la seconde ^ les accidents mal dessinés à leur apparition, suivent une marche insidieuse, et laissent le malade dans une trompeuse sécurité. Ce ne sont pas des phénomènes morbides en harmonie avec la nature des désordres. Le poumon cesse d'être perméable à l'air et aux liquides, sans que la respiration devienne notablement embarrassée , sans que le danger paraisse imminent. Cepen-' ( ^^^ ) dant encore quelques instants et la maladie comp- tera une nouvelle victime ! Croyez-vous avoir beau- coup avancé la question en appelant ces états morbides des bronchites soit simples, soit spasmo- diques, soit compliquées? Sans doute le tissu pul- monaire présente des désordres qui rappellent les diverses maladies auxquelles on les compare , mais il existe de plus un mode particulier d'alté- ration que vous ne rencontrerez que chez les indi- vidus morts de l'épidémie actuelle. Aussi, malgré la discussion académique où des hommes fort ho- norables ont émis, d'une manière très ronscien- cieuse, de semblables opinions, je persiste avoir dans ces troubles insolites ; un élément principal : l'altération du sang est toujours à mes yeux le pivot sur lequel tournent tous les phénomènes de la maladie. Les lésions cadavériques suffisent- elles ici pour nous expliquer la mort ? Oui , Messieurs , et c'est surtout dans ces circonstances que l'a- natomie pathologique peut nous fournir de pré- cieux renseignements. Quand un organe aussi important que le poumon cesse de fonctionner , à l'instant toute l'économie entre en souffrance, et les phénomènes morbides ne sont qu'une inévi- table conséquence des désordres qui ont frappé son parenchyme. Les vaisseaux pulmonaires une fois obstrués , la circulation est suspendue, le sang n'est plus vivifié par l'oxigène , chaque molécule vivante est privée du liquide qu'elle doit norma- lement recevoir; comment la vie serait-elle com- patible avec ces perturbations générales ? Il y a ( 172 ) ici rapport évident et palpable entre les phénomènes morbides et les altérations organiques. En est-il de même en général des lésions trouvées sur le cadavre? Bon nombre de médecins n'hésiteraient pas à répondre à cette question par l'affirmative^ mais je crois que ce serait exagérer de beaucoup l'importance de Fanatomie pathologique. Si je conçois comment l'obstruction des tuyaux capil- laires des poumons amène nécessairement la mort, je ne puis établir une relation rigoureuse entre les accidents observés pendant la vie, et les altérations de certains organes dont l'importance n'est que se- condaire. Quand vous rencontrez sur l'intestin des follicules ulcérés ;, des plaques tuméfiées , devez- vous en conclure que ce sont ces modifications de la muqueuse qui ont déterminé l'ensemble des symptômes appelés typhoïdes et la mort? Non, mille fois^ non. Il existe une immense différence entre ces altérations organiques et celles qui ap- partiennent aux pneumonies grippales. Autant les unes sont de nature à expliquer les symptômes, autant les autres sont impuissantes pour rendre compte des troubles observés pendant la vie et donner la raison d'une issue funeste. Vous connaissez Fimportance extrême que l'on a attachée dans ces derniers temps aux lésions ca- davériques trouvées sur l'estomac. Il semblait que ce viscère ne pouvait offrir le moindre change- ment de coloration , de consistance, d'épaisseur, sans qu'aussitôt l'organisme entier fût boulever- sé, et les fonctions vitales immédiatement sus- pendues. Eh bien! malgré les titres ambitieux dont ( 173 ) elle s'est parée, cette doctrine dans ses théories et ses applications n'est rien moins que physiologi- que. Je pourrais enlever l'estomac de ce chien, le remplacer par une vessie de cochon , et l'animal continuera à vivre plusieurs jours. Le cheval qui mange tant d'aliments ne digère presque pas par l'estomac : les substances ingérées passent rapi- dement dans l'intestin grêle , là s'opère en grande partie la digestion. L'homme lui-même , car c'est lui qu'il nous importe surtout d'étudier , l'homme lui-même se trouve quelquefois dans des condi- tions analogues à celles de l'animal à qui l'on met- trait un estomac postiche : maintes fois vous trou- vez à la suite de cancers les parois stomacales transformées en un tissu privé de circulation , privé de contractilité , semblable en un mot à ces poches en caoutchouc qui nous servent dans nos expériences. (Cependant malgré ces dégénérations profondes, la vie a pu subsister des mois, des an- nées! Cessez-donc de faire jouer à l'estomac un rôle aussi contraire à l'observation qu'aux données physiologiques les plus élémentaires. Toute lé- sion du poumon, du cœur, de l'encéphale, doit entraîner à sa suite des troubles d'autant plus graves que l'organe est plus important : mais quelque intense que vous supposiez urc gastrite, je ne vois pas comment ces modifications de la membrane muqueuse pourraient causer une mort immédiate, il faut donc être très réservé quand il s'agit d'expliquer des phénomènes mor- bides généraux par une altération pathologique locale. Si vous perdez un instant de vue le degré ( 174 ) d'importance de l'organe affecté^ vous tomberez et vous devrez inévitablement tomber dans les erreurs les plus grossières. Je suis bien aise , Messieurs , d'avoir pu saisir l'occasion de vous dire quelques mots de la valeur qu'il convient d'attacher aux lésions trouvées sur le cadavre. Tant qu'un aveugle préjugé défendit au médecin d'interroger la dépouille mortelle de l'homme, on fut réduit à n'envisager les maladies que d'après leurs symptômes : maintenant que l'a- natomie pathologique a jeté une vive lumière sur les désordres matériels dont les organes deviennent le siège, il règne dans notre science moins d'incer- titude. C'est un progrès. Prenez garde toutefois de tomber dans un excès opposé, de ne plus faire de la médecine qu'avec le scalpel. Si vous pouvez quelque fois trouver après la mort la cause évidente des troubles fonctionnels , combien y a-t-il de phéno- mènes morbides dont le point de départ nous échappe et qui ne laissent pas après eux la moin- dre trace ! Arrêtons-nous maintenant. L'examen appro- fondi de ces questions pleines d'intérêt nous en- traînerait trop loin et nous écarterait du programme que nous nous sommes tracé. Peut-être même trou- verez-vous notre digression un peu longue : rap- pelez-vous, cependant, que nous ne suivons point un ordre rigoureux , et que, chargé d'une chaire de médecine, nous devons autant que possible rat- tacher à la pathologie les faits physiologiques. Je reviens à nos études sur l'hydraulique animale. Le sang chassé de la pompe droite par la con- ( 175 ) traction de ses parois musculaires s'est répandu dans toutes les ramiOcations de l'artère pulmo- naire , il est arrivé dans cet admirable réseau de petits canaux anostomosés avec les radicules d'ori- gine d'un autre système de tuyaux. C'est là qu'il nous importe surtout d'analyser sa marche , soit qu'il ait sa composition normale^ soit que de nou- veaux matériaux aient modifié ses propriétés phy- siques. Nous avons déjà fait plusieurs expériences dont les résultats nous étaient connus d'avance, car il ne s'agissait point de phénomènes vitaux , mais bien d'effets simplement mécaniques. Com- parez le poumon de ce chien mort d'une injection d'amidon dans les veines, avec le poumon de cette femme qui a succombé à la grippe : l'un et l'autre sont hépatisés. Ils vous offrent des altérations semblables par leur aspect , semblables aussi par leur cause que vous devez chercher dans une alté- ration du sang. Même obstruction des canaux pul- monaires , même infiltration de pus épanché dans les cellules de l'organe , même coloration , même densité du parenchyme y que sais-je «nfm ? Telle est l'identité des lésions que vous direz plutôt en quoi elles se ressemblent, que vous ne direz en quoi elles diffèrent. Un tuyau vivant ou non , par cela seul qu'il est tuyau, ne peut cesser d'être per- méable, que quand sa cavité disparait ou qu'il y a disproportion entre son diamètre et les molécules des liquides qui doivent le traverser. Toute cause qui chez l'homme modifiera le sang dans ses con- ditions physiques ou chimiques amènera dans la circulation pulmonaire cet ensemble de désordres (ne ) appelé pneumonie . Demandez à un de nos clini- ciens ce que c'est qu'une pneumonie , il a^ous ré- pondra que c'est une inflammation du poumon. Comment sait-on que le poumon est enflammé ? parce qu'il offre telles altérations. Pourquoi offre-il telles altérations ? parce qu'il est enflammé. C'est donc un cercle vicieux dans lequel on tourne sans s'en apercevoir : pour en sortir, il faut donner à ses recherches une autre direction, ne plus se conten- ter de couper par tranches le tissu pulmonaire^ de l'écraser entre les doigts , de le plonger dans un liquide pour voir s'il surnage ou va au fond. A la rigueur, le garçon d'amphithéâtre avec un peu d'habitude deviendra une autorité compétente pour prononcer sur ces grossières apparen- ces. Médecins, vous êtes appelés à un plus ho- norable rôle. C'est en étudiant la cause de ces extravasations morbides , de ces modifications des fluides et des conduits qu'ils parcourent que vous vous élèverez à la dignité de votre art. Le sang , avons-nous dit , est une liqueur très visqueuse. Ce n'est pas seulement sous le rapport physique que cette propriété mérite d'être signa- lée ; elle excite encore tout notre intérêt par les conséquences qui en découlent relativement à la circulation pulmonaire. Il y a pour ce liquide un degré de viscosité en-deçà et au-delà duquel de nouveaux phénomènes chimiques viennent à prendre naissance. Essayez de soustraire par d'a- bondantes saignées une proportion considérable de la fibrine et de la matière colorante du sang ; l'ani- mal éprouvera bientôt vers le poumon des troubles ( ITT ) notables ; les parois des vaisseaux qui jusque là avaient empêché le liquide de transsuder dans les parties voisines se laissent imbiber ^ les vésicules s'engorgent , les ramifications bronchiques s'obli- tèrent et la mort arrive. Il n'y a point eu là d'obs- tructions déterminées par des molécules trop vo- lumineuses. Le défaut de viscosité seul a permis au sang de s'épancher dans le parenchyme du poumon; ce n'est qu'en lui rendant sa viscosité que vous pourriez espérer de prévenir ces engoue- ments et ces hépatisations mécaniques. Une des plus grandes difficultés que la nature ait à surmonter pour l'intégrité de nos fonctions hydrauliques , c'est le maintien régulier et uni- forme des propriétés physiques du sang. La trans- piration pulmonaire et les sécrétions diverses parais- sent avoi r pour obj et principal de ramener sans cesse les matériaux de ce liquide à un équilibre sans le- quel la vie ne peut long-temps se prolonger. In- jectez de Feau dans les veines d'un chien , une vapeur aqueuse s'échappepar la gueule de l'animal. Faites une nouvelle injection, cette eau, au lieu de se vaporiser à la surface des bronches, transsude à travers les parois des vaisseaux et est rejetée au- dehors sous forme liquide. Le poumon peut donc être envisagé, indépendamment de ses autres fonc- tions , comme une sorte d'émonctoire destiné à livrer passage de l'excédant de la sérosité du sang. Si , au lieu d'introduire de l'eau dans le sang , vous y introduisez un agent quelconque qui exerce une action chimique sur ce liquide ou sur les pa- rois de ses tuyauK, la circulation sera également Magendie. (178 ) troublée. Nous avons injecté de l'émétique dans les veines d'un chien et voici ce que nous avons observé ; une première fois la substance a traversé les vaisseaux pulmonaires sans déterminer d'effets appréciables^ mais bientôt l'animal a été pris de dyspnée, de toux, de suffocation ; les mouvements du cœur sont devenus fréquents et tumultueux; il est mort. A l'autopsie, les poumons ont été trouvés hépatisés et l'artère pulmonaire n'était perméable que dans ses premières divisions : un liquide poussé dans ce tuyau s'arrêtait au niveau du réseau capillaire. J'omets à dessein de vous parler des autres phénomènes qu'il a offerts^ je ne m'attache qu'à ce qui touche au passage du sang dans ses canaux. Ces effets chimiques du tartre stibié sont d'autant plus curieux que vous savez qu'on a beaucoup exalté ses propriétés thérapeu- tiques , et que bon nombre de médecins lui accor- dent une grande confiance dans le traitement de certaines maladies. L'auteur du magnilique ou- vrage de l'auscultation a consacré plusieurs pages à vanter les avantages qu'il avait rétirés de son administration. C'est surtout dans la pneumonie et le rhumatisme que Laënnec prescrivait l'émétique. Chargé de remplacer cet illustre médecin à l'hô- pital Necker, je ne voulus rien changer à la médi- cation qu'il avait adoptée, et je fis usage des mêmes préparations d'antimoine. Mais, je dois le dire, les résultats ne furent pas tels que je l'avais espéré. Bien que j'eusse dans la salle le même interne, le même pharmacien , en un mot, qu'il n'y eût rien de changé dans l'ensemble du service; je ne vis ( 179 ) point de modifications bien sensibles dans la mar- che et la durée de ces affections. Aussi, au bout de quelques semaines je renonçai à Tëmétique. Il faut en général, Messieurs, prendre garde de prononcer trop précipitamment sur l'eflicacitë d'un remède parce qu'il comptera en sa faveur quelques succès apparents. Qui vous dit que la maladie n'eût pas également guéri si vous ne l'eussiez point employé? Le rhumatisme cède aux saignées, cède au tartre stibié , cède à tous les traitements imaginables ; il cède surtout au simple séjour au lit et aux bois- sons adoucissantes. Jamais, à mon hôpital, je n'ai recours à la lancette, ni à l'émétique, ni aux sang- sues pour combattre ce genre d'affection, et je ne crains pas de le dire, j'ai vu guérir autant de rhu- matismes que j'en ai traité. Voilà pour une substance. Si vous voulez mo- difier encore d'une manière plus rapide les qualités du sang, injectez une certaine quantité d'acide sulfurique dans les veines d'un animal. Les acides ont la propriété de coaguler la fibrine, l'albumine; de plus , ils raccornissent les parois vasculaires ; c'est vous dire déjà quels troubles leur introduc- tion doit apporter aux mouvements des liquides. Je vais faire l'expérience sous vos yeux. » J'injecte un gros d'acide sulfurique étendu d'eau dans la jugulaire de ce chien. Déjà l'animal est mort. Quelques secondes se sont à peine écoulées depuis que la liqueur est passée dans la circulation, et cependant toutes les fonctions se sont simulta- nément suspendues. Vous n'avez observé que deux ou trois mouvements convulsifs , puis la vie s'est ( 180 ) éteinte. Ouvrons la poitrine. Les poumons sont parsemés de taches brunâtres et livides; les cavités droites du cœur sont remplies de caillots,, l'artère pulmonaire et ses nombreuses ramifications sont oblitérées par des masses fibrineuses que j'écrase entre les doigts. La pompe gauche est vide, ne con- tient pas de liquide. N'est- il pas évident que le sang altéré chimiquement par l'action de l'acide, s'est arrêté sous forme solide dans ses canaux et n'a pu revenir vers les veines en traversant le ré- seau capillaire? Cette expérience , intéressante par elle-même , est plus intéressante encore par les applications qu'on peut en faire à la thérapeutique. Quand vous prescrivez la limonade sulfurique, vous introduisez dans l'économie des matériaux qui doivent agir sur les éléments du sang. Il est vrai qu'avant de passer dans le torrent circulatoire , cette liqueur éprouve de la part de l'estomac une élaboration spéciale , et que ses effets ne sont pas dangereux. Mais si l'acide était concentré, si au lieu d'avoir une saveur simplement agréable, il conservait ses propriétés caustiques, alors les phénomènes les plus terribles éclateraient et l'individu succomberait immédiate- ment. Témoin ces empoisonnements par les acides minéraux dont chaque jour vous observez des exem- ples dans nos hôpitaux. Chez les malheureux qui succombent ainsi , vous trouvez les parois stoma- cales raccornies par l'action chimique du fluide délétère ; les vaisseaux ne contiennent plus qu'un sang noirâtre ou jaunâtre, décomposé en particules solides, trop volumineuses pour pouvoir passer à ( ^^^ ) travers les capillaires du poumon. On appelle cet état une gastrite, puis on vous dit ; saignez. Mes- sieurs^ je vous le demande, est-ce là de la méde- cine? Nous allons terminer par quelques expériences relatives à ce sujet. Je tiens beaucoup à ne jamais avancer un fait sans l'appuyer sur des preuves , car c'est le seul moyen de pouvoir s'entendre dans les discussions qu'il doit nécessairement soulever. Une fois d'accord sur le principe , libre à chacun d'en tirer des conséquences qu*'ii lui plaira. Je n'ai pas l'ambition de rallier toutes les opinions à la mienne , ce que je veux , c'est qu'on ne puisse pas me reprocher d'avoir basé mes idées sur des sup- positions hypothétiques. Tout système en dehors de Inobservation, n'est pour moi qu'un jeu d'esprit indigne d'une réfutation sérieuse. Je préfère le té- moignage aride des faits aux créations les plus brillantes de l'imagination. L'animal que vous voyez maintenant sur ma table est celui chez lequel nous avons fait deux injections de mercure. Il aune double pneumonie. Le fluide métallique n'a pu , à cause de sa visco-- site , aller au-delà des dernières divisions de l'ar- tère pulmonaire , et des molécules se sont arrêtées dans le réseau capillaire qu'elles ont obstrué. De là^ un obstacle mécanique de la circulation. Vous voyez combien ce chien a maigri ; il refuse toute espèce d'aliments, tousse continuellement et pré- sente de fréquents accès de suffocation. Mon oreille appliquée sur son thorax distingue à peine le mur- mure vésiculaire : il est évident que la presque ( 182 ) totalité du tissu pulmonaire est imperméable au sang et à l'air. La respiration est bruyante et plain- tive , le pouls petit et fréquent. Je ne doute pas que l'animal ne meure. Cependant il ne serait pas impossible que le mercure éprouvât des transfor- mations chimiques dans le parenchyme du pou- mon, que, passant à l'état d'oxide, ses molécules diminuassent de volume et fussent éliminées au- dehors, soit par les bronches, soit par toute autre voie d'excrétion après être rentrées dans la circu- lation générale. Nous vous tiendrons au courant de ce qui surviendra. Le chien à qui nous avions injecté du pus a d'abord été assez malade ; il refusait de manger. C'est une chose assez curieuse que cette diète vo- lontaire à laquelle ces animaux se condamnent; ils font par instinct ce que nous avons bien de la peine à obtenir d'êtres raisonnables. Vous savez que dans nos hôpitaux rien n'est si commun que les écarts de régime, et que beaucoup de nos ma- lades meurent victimes de leur imprudence. Main- tenant, vous le voyez , ce chien parait complète- ment rétabli. Je vous ferai les mêmes remarques relativement à l'animal qui a reçu, il y a peu de jours, une in- jection d'huile dans les veines. Après avoir offert tous les symptômes d'une pneumonie aiguë, il est devenu plus calme, la fièvre l'a quitté : aujourd'hui la rébolution de la maladie parait complète. Si nous l'eussions saigné , nous aurions attribué à la lancette ce qui appartient aux seuls efforts de la nature. Nous reviendrons plus tard sur l'emploi ( 183 ) des émissions sanguines , sur les modifications qu'elles apportent dans le sang, sur les conséquen- ces fâcheuses que leur abus peut entraîner dans la circulation et les fonctions des principaux appa- reils. Nous allons répéter sur ce chien Texpérience dont nous vous avons parlé , et qui consiste à in- jecter de l'émétique dans les veines. La jugulaire a été mise à nu. La liqueur dont nous allons nous servir contient un gros de tartre stibié pour quatre onces d'eau distillée. J'injecte une petite seringue de cette solution. L'animal ne donne encore aucuns signes qui indiquent l'action de la substance, mais, attendez un peu, et ses effets vont se manifester. Le voilà qui com- mence à faire des mouvements de déglutition , phénoroene qui précède toujours le vomissement et qui même paraît nécessaire pour qu'il s'exécute. Ce n'est pas , ainsi qu'on l'avait avancé , par une contraction des fibres musculaires de l'estomnc que les matières sont rejetées au-dehors : loin de se resserrer, l'organe se gonfle, et c'est pour favo- riser ce gonflement que l'animal avale une certaine quantité d'air. Cette remarque n'a pas échappé aux marins des paquebots : quand ils voient un passager commencer à éprouver ces mouvements de déglutition involontaire, ils disent qu'il va avoir le Tnal de -nier. Une fois donc l'estomac distendu par l'air, les muscles abdominaux, le diaphragme compriment ses parois et expulsent les matières contenues dans ce viscère. Ces données expéri- mentales nous conduisirent à cette découverte im- portante pour la thérapeutique que ce n'est point ( 184 ) directement sur la muqueuse gastrite que l'émëti- que porte son action. Nous substituâmes sur un chien une vessie de cochon à Festomac, et une in- jection stibiée dans les veines provoqua également des nausées et des vomissements. Arrêtons-nous là pour aujourd'hui. Quelque de- sir que j'aie d'avancer, vous voyez qu'à chaque pas je suis obligé de faire halte, soit pour vous ex- poser mes preuves , soit pour réfuter des erreurs accueillies dans la science. Nous pourrions envisa- ger les questions sur une plus vaste échelle, em- brasser dans un cadre plus large les doctrines des principales écoles , et substituer à une sévère ana- lyse de doctes aperçus ; mais , Messieurs , ce n'est point ainsi que je comprends les devoirs de l'en- seignement. Nous sommes appelés à vous ift truire, et non à briller ; assis dans une chaire ^ le savant doit s'effacer devant le professeur. ( 185 ) DOUZIÈME LEÇON. 22 février 183'/. Messieurs , Quelque fins^ quelque déliés que vous suppo- siez les tuyaux dont on se sert dans les machines, vous n'aurez à étudier qu'une question d'hydrau- lique relativement aux liquides qui les parcourent. Leurs parois métalliques n'étant point susceptibles de se laisser imbiber, tout l'art du mécanicien con- siste à savoir proportionner la puissance de la pompe au degré de résistance de la masse à dé- placer. Le calibre des tuyaux exerce une influence non douteuse sur la marche des liquides : cette in- fluence a été peu étudiée jusqu'à présent et c'est pour arriver à l'apprécier qu'un de nos collabo- rateurs, M. Poiseuille, se Uatc en ce moment à des travaux qui promettent d'intéressants résultats. Mais combien les questions d'hydraulique animale sont plus compliquées! Indépendament de l'in- tervention de la vitalité , vous devez tenir un Magendie. 24 (186) compte immense des conditions physiques des li- quides, de la ténuité de ses canaux, et surtout de l'extrême perméabilité des parois vasculaires. Les capillaires des poumons, sans cesse traversés par des courants sanguins, sont des cylindres mem- braneux : toute membrane, par la porosité de son tissu, est une sorte de crible dont les ouvertures sont tellement larges comparativement aux molé- cules des fluides élastiques qu'elles n'apportent presqu'aucun obstacle à leur passage. 11 en ré- sulte que l'air doit pénétrer librement à travers les tuniques des vaisseaux : il en résulte également que quelques-uns des éléments du sang doivent sans cesse transsuder et s'échapper au dehors. C'est en effet ce qui arrive. Le grand acte de la respiration, l'exhalation pulmonaire sont unique- ment basés sur cette perméabilité des membranes aux fluides. Toute théorie de la circulation où Ion aura négligé ces propriétés physiques sera néces- sairement défectueuse* et en dehors de l'observa- tion. Du moment que, pour expliquer un phéno- mène, vous méconnaissez ses lois véritables, vous êtes forcés de leur en substituer d'imaginaires. Comme ces membranes sont composées de prin- cipes immédiats animaux, les divers réactifs chimi- ques agiront sur elles pendant la vie, de la même manière qu'après la mort. La théorie l'indique, l'expérience le prouve. Faites passer directement dans la circulation, des substances ayant une ac- tion sur ces matières animales, vous trouvez les vaisseaux raccornis, gonflés, épaissis, ramollis, al-» térés, en un mot, dans leur texture suivant l'es- ( m ) pèce de réactif employé. Sont-ce là des effets chi- miques, ou bien des conséquences de la vitalité? Ce serait une étude bien curieuse à faire que d't- nalyser avec soin les propriétés physiques des pa- rois de ces petits vaisseaux, et d'énumérer les cir- constances morbides ou physiologiques capables de les modifier. Malheureusement nous sommes obli- gés de nous borner à quelques faits apparents. Vous avez vu que des granules d'amidon injec- tés dans les veines ne pouvaient traverser les ca- pillaires du poumon. Trop volumineux pour parcourir ces infiniment petits canaux, ils s'arrê- tent dans leur cavité, et suspendent la marche du sang. INous avons examiné au microscope, des portions de poumon ainsi enflammées, et chaque globule d'amidon s'est offert à notre œil, bou- chant un vaisseau. Je ne trouve rien d'extraordi- naire dans un semblable résultat. De même qu'une grosse masse calculeuse développée dans l'intes- tin s'oppose au passage des fèces , de même un granule de fécule obstruant la lumière d'un tuyau s'oppose au passage des liquides. L'explication est aussi naturelle dans un cas que dans l'au- tre. Elle vous semble obscure ! Vous la compren- drez, si, oubliant un instant vos savantes hypo- thèses, vous vous résignez à faire un simple appel aux lumières du bon sens. Ces expériences, dira-t-on, peuvent être fort cu- rieuses, mais où est leur utilité pratique? On n'in- jecte jamais dans le sang de l'amidon en substance. Messieurs, il est des circonstances où Ton a essayé sur Ihomme lui-même d'introduire directement ( 188 ) tlans la circulation des liquides, et divers agents médicamenteux. Pour mon compte j'ai répété plusieurs fois de semblables tentatives. La méde- cine ne consiste pas toujours à faire des prescrip- tions ou à formuler de banales ordonnances : dans les cas impérieux elle doit être moins timide ; il faut savoir oser. Ce qui ne serait chez l'aveugle empirique qu'une coupable témérité devient chez l'homme instruit et consciencieux la preuve d'une noble ambition et d'une philanthropie éclairée. Ne dites donc jamais qu'une expérience est inutile, par cela seul que vous ne sentez pas son applica- tion immédiate à la pratique. Un fait bien constaté est un dépôt précieux que vous retrouverez au besoin : tôt ou tard il vous servira , soit pour évi- ter de tomber dans quelque erreur, soit pour vous mettre sur la voie de quelque vérité importante dont vous n'auriez pas sans lui soupçonné l'exis- tence. De toutes les substances alimentaires , la fécule est une de celles dont on fait le plus fréquent usage. Ses propriétés vénéneuses ou nutritives dépendent donc uniquement de la manière dont elle pénétre dans l'économie. Introduite par l'estomac , ses glo- bules ne passent pas dans le sang avec leur forme , leur diamètre , ils subissent une action chimique quia pour résultat de dissoudre leur enveloppe, d'attaquer leur mucilage central et de les réduire à des dimensions en rapport avec les porosités intesti- nales. Toute membrane muqueuse, nous vous l'a- vons maintes fois répété, est criblée d'une multitude de pores destinés à tamiser les molécules afin de les (189) rendre propres à Fabsorption. Quand vous injectez de la fécule dans le sang^ ses grains dont le volume égale à peine ^ ou 2^ de millimètre, ne peuvent tra- verser le réseau capillaire; leur présence détermine dans le poumon des troubles graves provenant , non d'une altération des propriétés vitales, mais de l'obstruction des vaisseaux dont ils oblitèrent la cavité. Ce que je dis de la fécule de pomme de terre peut-il s'appliquer également à toute espèce de fé- cules ? Oui, du moment que leurs globules n'ont pas les conditions physiques propres à être admises dans les tuyaux sanguins. Il serait possible que l'amidon extrait du mirabilis jalapa pût être in- jecté impunément, car ses grains examinés au microscope n'ont que ^ de millimètre. Je regrette de ne point en avoir maintenant dans le labora- toire, car je ferais à l'instant l'expérience : nous la ferons plus tard, et si, comme je le soupçonne^ cette fécule passe dans le torrent circulatoire sans occasionner d'accidents notables, nos idées sur ces questions d hydraulique acquerront un nouveau degré de certitude. Comme chaque expérience est répétée sous nos yeux , il me semble qu'aucun d'entre vous , Mes- sieurs , ne peut élever des doutes sur l'exactitude et l'authenticité de ses résultats. Un des grands avantages de l'enseignement public est de mettre tout le monde à même de juger d'après le témoi- gnage de ses propres sens : autant que possible il ne faut s'en rapporter qu'à soi pour juger un fait. Quelque confiance que vous inspire et doive vous inspirer la probité scientifique d'un homme; ( 190) VOUS devez n'accueillir qu'avec réserve ses asser- tions. Pour être consciencieux, on n'est pas infail- lible. Qui vous dit qu'il ne s'est pas laissé abuser par des illusions mensongères ? Si donc vous êtes d'accord avec moi sur les ex[)ériences en elles- mêmes, vous pouvez différer d'opinion sur les con- séquences que j'en déduis, sur les applications que je crois devoir en faire à la pathologie. Que sais-je enfin ? Ma pensée vous aura semblé exprimée en termes obscurs , et pour me comprendre , vous auriez besoin qu'elle vous fût expliquée de nou- veau. Aussi je vous engage , dans notre intérêt commun, à me faire part de vos observations, soit par lettre , soit en vous adressant à moi directe- ment. Je n'ose me flatter de répondre toujours d'une manière satisfaisante aux objections que vous me ferez l'honneur de me communiquer : quand je ne saurai pas, je l'avouerai avec franchise, et je doute qu'un autre puisse^ danâ l'état actuel de la science , vous en donner la solution basée sur les faits et non sur l'hypothèse. Passons maintenant en revue les animaux qui ont servi à nos expériences. Le chien à qui nous avons fait deux injections de mercure est mort hier dans la journée. Les poumons que vous voyez sur ma table vous indi- quent assez à quelle espèce d'affection il a suc- combé : il a eu une pneumonie. Nous nous som- mes expliqués sur la valeur de ce mot qui n'ex- prime rien, et qui devait être accueilli avec d'au- tant plus de faveur par le vulgaire des médecins, que ceux-ci ignorent absolument les altérations ( 191 ) dont le tissu pulmonaire devient le siège en sem- blable circonstance. Pour nous un poumon hépa-^ tisé est un poumon obstrué. C'est parce que les liquides ne peuvent plus passer de la pompe droite à la pompe gauche , qu'ils transsudent à travers les porosités vasculaires , s'épanchent dans les mailles de l'organe , s'y coagulent^ s'y solidifient, et transforment son parenchyme celluleux en une massecompacte. Vous apercevez, à travers la trans- parence de la plèvre , des points brillants dissémi- nés dans une multitude d'endroits ; ce sont au- tant de globules mercuriels trop volumineux pour avoir pénétré dans les tuyaux capillaires. Le métal injecté s'est divisé en petites masses , qui sont ar- rivées jusqu'aux dernières divisions de l'artère pul- monaire : elles n'ont pu aller plus loin : malgré leur extrême ténuité^ les vaisseaux, plus ténus en- core , se sont refusés à les admettre , et la circula- tion devenant mécaniquement impossible , l'ani- mal a dû nécessairement succomber. Que la vi- talité du poumon ait été modifiée , cela est incontes- table ; ce qui ne Fest pas moins , c'est que le trouble des lois physiques n'ait précédé et déter- miné le trouble des lois vitales. L'hépatisation a envahi la totalité de l'organe. Cependant il est pré- sumable qu'un certain nombre des canaux san- guins est resté perméable aux liquides , puisque la vie s'est prolongée pendant plusieurs jours. Nous allons nous en assurer. J'injecte de l'air dans l'artère pulmonaire; les parties supérieures du poumon admettent seules ce fluide , les inférieu- res sont devenues physiquement incapables de leur ( 102 j livrer passage. Chez l'homme les phénomènes pa- thologiques ne sont pas toiit-à-fait les mêmes. Par suite du décubitus horizontal , les liquides obéis- sant aux lois de la pesanteur s'accumulent à la face postérieure du poumon , tandis que chez le chien, c'est la portée inférieure qui est le point le plus déclive. Maintenant je vais couper par tran- ches le tissu pulmonaire. Vous remarquez ici les divers degrés d'altération que nous avons signalés chez les individus qui succombent à Fépidémie régnante. Ce sont toujours des épanchements du sang en substance, ou de quelques-uns de ses éléments. En raclant avec le dos du scalpel la surface de chaque section , on retrouve ces gra- nulations, espèces d'empreintes moulées sur les cellules dont elles obstruaient la cavité. Le mer- cure lui-même s'offre à vous sous la forme de glo- bules, placé au centre de gouttelettes de pus : ceci a besoin d'être examiné avec soin. Le poumon nous offre , dans les endroits où l'obstruction a été la plus complète , ces infihra- tions purulentes , désignées dans le langage ana- tomique sous le nom d'hépatisation grise; ou plu- tôt ce n'est point une infiltration véritable, mais bien la réunion d'une multitude de petits foyers juxta-posés et indépendants l'un de l'autre. Cha- que globule métallique a provoqué autour de lui une altération de sécrétion, et il se trouve comme enveloppé dans unç sorte d'atmosphère puriforme. Est-ce du pus véritable, analogue à celui du phleg- mon avec ses globules caractéristiques? Il en a l'as- pect, j'ignore s'il en a la composition chimique. Je ( 193 ) l'analyserai au microscope au sortir de cette séance. Par quel mécanisme, des molécules, mercurielles ar- rêtées dans un point, déterminent-elles ces exhala- tions morbides? On vous dira : c'est ^îxyV irritation y mais ce qu'on ne vous dira pas , c'est le sens net et précis de ce mot. Expliquer im phénomène par un mot inintelligible^, je vous le demande, est-ce là de la science, est-ce là du progrés ? Le mercure est une substance très fréquem- ment employée dans le traitement des maladies ; aussi, nous importe- 1- il de bien connaître ses effets sur l'organisme. Nous savons déjà qu'in- jecté dans les veines d'un animal vivant , il agit à la manière des poisons les plus délétères, tan-" dis que nous pouvons impunément le faire pé- nétrer dans la circulation en l'administrant sous forme de friction. Pourquoi un môme médicament jouit-il de propriétés aussi opposées ? Cela tient à deux circonstances faciles à apprécier. D'abord pour transformer le mercure en onguent , vous l'incorporez avec de Faxonge ou tout autre corps gras ; et afin de rendre son mélange plus intime , vous le triturez long-temps dans un mortier. Les molécules de métal s'isolent , se dissocient ; au lieu de se présenter en masse, elles ne doivent pé- nétrer^ pour ainsi dire, qu'une à une dans les ca- naux sanguins. Je me suis assuré avec le micros- cope que les globules mercuriels , ainsi subdivi- sés , égalent à peine le volume des globules du sang. Ils doivent donc circuler là ou ceux-ci cir- culent. Une autre raison pour laquelle l'introduc- tion du mercure dans l'économie ne détomine pas ( 194 ) des phénomènes d'obstriicîion,se trouve comme la précédente , dans certaines conditions physiques. Quand vous faites des frictions avec l'onguent napo- litain, les particules métalliques n'arrivent au ré- seau vasculaire du chorion qu'après avoir traversé l'enveloppe tégumenteuse, cet immense crible que la nature a étendu sur toutes les surfaces d'absorp- tion. Ce n'est qu'à la condition que les globules de mercure sont réduits aux dimensions les plus fines, qu'ils s'imbibent dans les porosités des mem- branes ^ et passent dans les courants sanguins. Tout ce qui n'est pas assez ténu reste au dehors. Trêve donc pour le moment à ces grands mots à' irritation, à' inflammation'^ nous sommes encore ici dans le domaine de la physique. Vos théories peu- vent être fort belles, mais elles sont hors de saison. Voici une autre pièce qui est également digne de votre intérêt , c'est le poumon de l'animal chez lequel nous avions injecté de Fémétique. Remar- quez , je vous prie , quels désordres la présence de cette substance dans le sang a introduits dans la circulation pulmonaire. Un de ses premiers effets sur l'économie a été le vomissement; bientôt la dyspnée, la toux, la fièvre , ont indiqué une grave altération de l'appareil respiratoire, et la mort est survenue au milieu des accidents propres à la pneumonie. La coloration du poumon paraît un peu modifiée , elle est grisâtre ; on dirait qu'il y a déjà du pus d'infiltré dans son tissu ; mais ce n'est qu'une fausse apparence. L'émétique n'a pas a^i comme le mercure en déterminant de simples phénomènes d'obstruction, il a attaqué chimique- ( 195 ) ment le sang et décomposé quelques-uns de ses éléments ; c'est aux modifications que ce liquide a éprouvées dans sa composition , que sont dus en grande partie les symptômes observés pendant la vie, et les altérations cadavériques. Si l'animal eût vécu plus long-temps , que le pus eût eu le temps de se former , au lieu d'une simple bépati- sation rouge, nous rencontrerions une infiltration purulente du parenchyme pulmonaire. Le poumon n'est pas le seul organe affecté. Vous apercevez dans toute la longueur du canal intestinal des pla- ques d'un rouge foncé , des arborisations vascu- laires qui indiquent une gène dans la circulation abdominale. J'essaie vainement de pousser une injection dans une des artères mésentériques : le liquide ne revient point par la veine correspon- dante. L'obstruction des tuyaux capillaires est en- core ici le point de départ des lésions pathologi- ques. Cette gastro-enté?^i/e f comme on l'aurait ap- pelée naguère n'est qu'un effet tout mécanique de l'imbibition du sang à travers les parois de ses vais- seaux et de son extravasation dans les tissus am- biants. Je dois vous parler d'une expérience à laquelle j'ai songé hier pour la première fois. Jusqu'ici nous avons changé les conditions physiques du sang en ajoutant à sa masse de nouvelles substances remarquables , soit par leur viscosité, soit par le volume de leurs molécules : vous vous rappelez les phénomènes morbides qui ont suivi leur passage dans le torrent circulatoire. J'ai voulu essayer une expérience inverse et voir ce qui arriverait chez C«96 ) un animal par suite de la soustraction d'un des éléments du sang. La fibrine, d'après les recherches les plus récentes , a pour principal usage de tenir les globules du sang en suspension dans le sérum et d'empêcher que leur enveloppe ne se dissolve. En enlevant cette fibrine, ne devait-il pas survenir dans la circulation capillaire des troubles méca- niques ? La théorie le faisait soupçonner , mais Tobservation seule pouvait en décider. En consé- quence , j'ai fait hier dans mon laboratoire l'ex- périence suivante : La veine jugulaire d'un chien mise à nu et ou- verte, on en a retiré à peu près huit onces de sang qu'on a recueillies dans un vase , puis on a battu le liquide avec une baguette de verre. La fibrine s'est déposée sous forme de filaments jaunâtres. Après avoir filtré le sang à travers un linge fin, on la réinjecté dans la veine avec une seringue. L'a- nimal a paru inquiet, préoccupé d'une sensation inconnue; il s'est couché, a refusé des aliments et a fait quelques efforts pour vomir. Le soir nous re- tirâmes une égale quantité de sang dont la fibrine fut pareillement enlevée : celle-ci nous sembla moins abondante que dans la saignée précédente , après quoi nous réintroduisîmes le liquide dans la jugulaire. Cette seconde soustraction de fibrine dé- termina les mêmes accidents que la première, seule- ment ils furent à un plus haut degré d'intensité. L'a- nimal s'affaiblit graduellement, sa respiration s'em- barassa; il mourut dans la soirée. Je ne conclus rien de cette expérience approximative. Nous la répé- terons en notant avec soin les quantités de fibrine ( 197 ) enlevëes, les troubles développes dans chaque ap- pareil , en un mot , les principales modifications que l'économie éprouvera de cette altération des éléments du sang. Aujourd'hui , le corps de Tanimal est dans un état de raideur cadavérique des plus remarqua- bles. La rigidité des articulations rappelle celle du tétanos. Ceci est important à noter, car vous savez que certains physiologistes avaient voulu expliquer la raideur cadavérique par la coagulation de la fibrine dans les vaisseaux. De même, disaient-ils, que cette substance , en se desséchant à la surface d'une plaie , prévient un nouvel écoulement de sang, de même, en se solidifiant après la mort dans les innombrables conduits qui la charrient ;, elle fait perdre aux tissus leur souplesse habituelle. Vous ne pouvez attribuer à une semblable cause la raideur du cadavre de ce chien , puisqu'une grande partie de sa fibrine a été soustraite. Nou- velle preuve de la légèreté avec laquelle on accueille les hypothèses et des mécomptes auxquels on s'ex- pose quand on néglige la seule voie sûre^ la voie expérimentale ! Indépendamment de cette raideur, l'animai est un peu gonflé et présente une odeur de putréfac- tion des plus fétides. Nous observons cette décom- position précoce dans les maladies, qui résultent d'une altération du sang ; aussi les anciens les dé- signaient-ils par l'épithète àç, putrides , Maintenant, de quoi ce chien est-il mort? Je n'en sais rien, car c'est la première fois que je fais une semblable expérience, Sll m'était permis de ( 498 ) hasarder une conjecture, je dirais que le sang dont la viscosité se trouve diminuée n'a pu continuer a circuler dans ses canaux, et qu'il s'est extravasé dans le poumon en s'imbibant à travers les parois des capillaires. Ce nVst, je vous le répète, qu'une supposition : l'autopsie va nous apprendre jusqu'à quel point elle est fondée. Vous voyez le sang ruisseler sous chaque coup du scalpel : ce liquide ne s'est pas coagulé, il a conservé une fluidité singulière. Permettez-moi à ce sujet une réflexion : En 1814 , une épidémie meurtrière , le typhus des hôpitaux , vint jeter le deuil et l'eff'roi au sein de la capitale : malgré tous les secours des médecins , ( plusieurs payèrent de leur vie leur noble dévouement), le fléau frappa de nombreuses victimes. On tenta bien des moyens, la plupart furent impuissants. Il m'arriva plusieurs fois d'ouvrir la veine, moins comme moyen curatif que comme recherche expérimentale : dans ces saignées exploratives , je remarquai que quand la maladie devait heureusement se terminer, le sang se coagulait, que, dans le cas contraire, il restait fluide. Il n'y a point de rapprochement rigoureux à établir «ntre ces cas de typhus, et Tétat de notre chien, puisque chez celui-ci nous avons extrait la partie du sang qui se solidifie. Ce que j'ai voulu vous faire constater, c'est que certaines altérations de ce liquide le privent de la faculté de se coagu- ler. J'ajouterai que les engouements pulmonaires qui surviennent pendant le cours des fièvres ap- pelées typhoïdes peuvent fort bien dépendre d'une modification de la viscosité du sang. ( 190 ) Voici la poitrine ouverte. Nous aurions pu être plus positifs dans nos prévisions relativement aux causes de la mort de cet animal^ car le poumon offre les lésions que nous avions soupçonnées. Son tissu engorgé, A^^«/i^é:',n'estplusperméable aux liquides: l'air que j'injecte dans l'artère pulmonaire ne pénè- tre pas dans les divisions capillaires de ce vaisseau. Pas de crépitation. Les cellules sont gorgées d'un sang noirâtre, poisseux , qui s'échappe en bavant sous chaque incision : l'organe est plus lourd que de coutume ; son parenchyme infiltré de sucs ex- halés par les porosités vasculaires, a perdu son élasticité et ne s'affaisse pas sur lui-même. Vous apercevez dans la cavité pleurale droite un épan- chôment assez considérable d'une sérosité rougeâ- tre : elle provient également de V exhibition du sang. Le phénomène est le même, les noms seuls sont changés. Direz-vous que pour le poumon, il y a eu pneumonie ; pour la plèvre, pleurésie ? Eh ! Messieurs, à quoi bon substituer ces idées erronées d'inflammation aux faits positifs si faciles à expli- quer par les lois physiques? Le cœur renferme un peu de sang liquide, tenant en suspension de pe- tites concrétions, mais vous n'y rencontrez pas de coagulation véritable. La cavité abdominale contient une quantité assez notable d'un liquide citrin. Vous apercevez la face interne de l'intestin parsemée d'une multi- tude de plaques brunâtres, d'une teinte plus ou moins foncée , offrant toutes les nuances de colo- ration qu'on a attribuées à F inflammation. Le réseau capillaire sous-muqueux est gorgé d'un sang liquide 200 ) et noir : les veines se dessinent et font relief dans toute la longueur du tube digestif. Mettez un mé- decin de l'école dite , à bien triste raison, physio- logique^en présence de ces désordres, et demandez- lui quel nom donner à cette maladie; il vous dira gastro-entérite. Quelle est la valeur scienti- fique de ce mot ? Il n'en a pas : chacun peut l'in- terpréter à sa manière. Quant à nous , nous nous abstiendrons de dénommer cet état morbide, mais nous vous en donnerons Texplicalion. C'est parce que le sang a été modifié dans ses propriétés physi- ques, qu'il cesse d'être en harmonie avec les parois de ses vaisseaux : son sérum, sa matière colorante, transsudent par imbibition, et s'épanchent dans les mailles des parenchymes. Si nous voulions formuler des lois, à l'exemple de quelques-uns de nos confrères , nous établirions que route al- tération de la viscosité du sang, toute modification dans les proportions de ses éléments entraînent inévitablement des phénomènes d'extravasation. J'insiste beaucoup sur ces questions ; car elles me semblent riches en discussions utiles , riches en applications thérapeutiques. La physique ani- male est une conquête des temps modernes : sa réalité fut d'abord niée^ plus tard son utilité con- testée ; enfin à une certaine époque, et cette époque est la nôtre, tout esprit sage doit l'envisa- ger comme une des colonnes fondamentales de l'é- difice médical. Nous ne terminerons pas cette séance sans vous dire quelques mots d' une expérience que nous avons faite dans la journée d'hier. Je ne sais si vous vous ( 201 ) rappelez ce chien si vif, si criard , si mëchant> que nous vous avions montré à la dernière séance : au- jourd'hui il est tranquille, abattu; on dirait qu'il à éprouvé une métamorphose complète. Comment avons-nous dompté ses habitudes instinctives? C'est en modifiant la composition de son sang. Une large saignée lui a été faite, et à la place du liquide éva- cué nous avons injecté dans ses veines une quantité égale d'eau distillée. L'augmentation de la partie aqueuse du sang a eu pour effet d'abattre cette ac- tivité, cette surexcitation habituelle de l'animal. Il y a long-temps que nous fimes cette expérience pour la première fois. Frappé des résultats, nous conçûmes l'espoir d'en faire à l'homme d'utiles applications, et ce fut contre une des maladies les plus terribles qui affligent l'humanité que nos es- sais se dirigèrent. Avez-vous quelquefois vu un hy- drophobe? Avez-vous été témoins de ces accès oii l'économie tout entière semble bouleversée? L'o- pium , l'acide prussique , les substances les plus narcotiques,tout est sans action sur ce trouble ef- frayant. La rage î Messieurs, j'essaierais en vain de vous traduire l'énergie de ce mot, il faut avoir été spectateur de ces épouvantables scènes , pour en sentir toute l'horreur. La rage ne ressemble qu'à elle seule , et, tel est l'effroi qu'elle a su ins- pirer , que son nom sert d'objet de comparaison sans pouvoir lui-même être comparé à rien. J'avais remarqué que les chiens enragés étaient calmés par une injection d'eau dans les veines : je tentai le même moyen chez des hommes hy- drophobes. Je suis parvenu ainsi à modérer les Magendie. 30 ( 202 ) accès de fureur , à rendre tranquilles et paisibles les derniers moments de l'existence de plusieurs hydrophobes^mais jamais je n'ai obtenu une guéri- son complète. Une seule fois, et ce fut une des jouis- sances les plus douces de ma vie, une seule fois je me flattais du succès; l'individu vécut huit jours : il finit par succomber. J'ignore si de nouvelles tentatives seront plus heureuses ; dussent-elles aussi rester impuissantes, c'est déjà avoir fait quel- que chose pour l'humanité, que d'avoir trouvé le moyen d'apaiser ces perturbations terribles où riiomme conserve toute la lucidité de son intelli- gence , et voit arriver la mort dans son appareil le plus horrible. Cette séance. Messieurs, nous l'avons presque exclusivement consacrée à des expériences, car la question qui nous occupe est toute expérimentale. \}n problème d'hydraulique ne peut se résoudre comme un problême de vitalité. Réservez pour ce- lui-ci vos théories, vos suppositions, puisqu'il faut que votre imagination s'exerce. Quant à l'autre, laissez-nous nos analyses, laissez-nous le langage sévère des sciences, laissez -nous surtout la satis- faction d'arriver à des résultats positifs que nous devons à l'expérience et à l'observation. ( 203 ) TREIZIÈME LEÇON. 24 février 4837. Messieurs, Je reçois à l'instant la lettre que Tun de vous m'a fait l'honneur de m'écrire pour me demander une explication relativement aux causes attribuées par nous à Tépidémie régnante, h Vous sup- » posez, nous dit-on, une altération du sang, » et c'est par |i'obstruction des tuyaux sanguins )) que vous prétendez rendre compte des troubles » observés vers la circulation pulmonaire. Cela )) serait vrai, si tous les vaisseaux étaient oblitérés. » Mais il arrive souvent que l'engouement , Fhé- » patisation sont bornés à une fraction de pou- » mon , ou même à quelques lobules ; le reste » de l'organe est encore perméable aux fluides. » Comment concilier ces lésions locales avec un » élément morbide général. Pourquoi telle cellule » sera-t-elle malade, telle autre, au contraire, » sera-t-elle respectée? » Messieurs, l'objection est sérieuse, et je ne vous dissimule pas que sa so- lution me paraît impossible dans l'état actuel de la ( 204 ) science. De même que j'ignore pourquoi le mer- cure introduit dans le sang par l'absorption exerce une action spéciale sur la muqueuse buccale, pour- quoi le virus syphilitique, présent partout, affecte pour le voile du palais , une fâcheuse prédilec- tion , de même , je ne puis comprendre pourquoi l'obstruction se localise quelquefois ( car le plus souvent elle est générale , ainsi que l'indique la théorie) dans certains points du parenchyme pul- monaire. Voici toutefois ce qu'on peut conjecturer. A chaque mouvement inspiratoire, l'air ne pé- nétre pas également dans tous les lobes du pou- mon. Ce serait se faire une fausse idée de la ma- nière dont fonctionne cet organe, que de croire que les diverses parties de son tissu servent en même temps à la respiration. Le fluide atmosphé- rique n'est reçu le plus souvent que dans un certain nombre de lobules : ce n'est que dans les grandes inspirations qu'il arrive dans leur universalité. Ne pourrait-on pas trouver dans la différence de perméabilité du poumon la cause mécanique de ces obstructions affectant tel point plutôt que tel autre ? Cette conjecture me parait vraisemblable , l'observation seule apprendra si elle est vraie. Quoi qu'il en soit , je remercie la personne qui a bien voulu me communiquer cette objection : elle pour- rait mettre sur la voie de recherches expérimen- tales fort curieuses. J'ai fait , depuis notre dernière réunion , une nouvelle expérience sur kl soustraction de la fi- brine du sang. Comme la mort du premier animal avait été trop rapide pour nous permettre d'étu- ( 205 ) dier l'influence exercée surl'économie par ces mo- difications des liquides , j*ai procédé avec plus de méthode et plus de précaution. Deux onces de sang extraites de la veine ont fourni trois gram- mes de fibrine : celle - ci enlevée , le sang a été réinjecté. Dans le moment l'animal n'a paru rien éprouver , mais bientôt il est devenu triste , s'est couché , a refusé des aliments. Sa respiration fré- quente et saccadée indiquait une gêne manifeste dans la circulation pulmonaire. Aujourd'hui il pa- raît assez bien. La sonoréité thoracique est à peu prés normale, l'auscultation ne fait point entendre de râles indiquant des désordres graves. Nous continuerons en enlevant ainsi graduellement la fibrine du sang. Je ne sache pas que cette expé- rience ait jamais été faite par quelqu'un, du moins dans le même but que nous poursuivons. En Al- lemagne on a fait de nombreux essais sur la transfusion, dans l'idée de revivifier la masse du sang : mais cela n'est pas ce que nous voulons faire. Revenons maintenant à l'étude du passage du sang à travers les vaisseaux pulmonaires. Nous vous avons dit que les deux pompes hy- drauliques sont placées dans une troisième pompe aérienne, représentée par la cavité pectorale. Le jeu de cette dernière pompe est important à étu- dier relativement à son influence sur la circula- tion. Vous savez que le poumon communique li- brement avec l'air extérieur : par conséquent ^ d'après les lois générales de la pesanteur , il est directement soumis à la pression atmosphérique. ( 206 ) Cette pression tend sans cesse à afFaisser les parois des petits tuyaux capillaires , qui constituent en grande partie son parenchyme ; il faut, pour que le sang les traverse , qu'il surmonte ces obstacles mécaniques , dont on a tenu trop peu de compte dans l'explication du mouvement circulaire de ce liquide. Calculez le nombre ^ calculez la disposi- tion des cellules pulmonaires , vous serez effrayés de l'immense volume d'air qui pèse sur le pou- mon. On a estimé, d'une manière approximative^ que la face interne de cet organe représente une surface au moins égale à celle de l'habitude ex- térieure du corps. Je ne sais jusqu'à quel point ceci est rigoureusement exact. Quoi qu'il en soit, vous voyez qu'elle est soumise à une pesanteur énorme, que Ton a évaluée avec raison à plusieurs milliers de livres. N'est-ce pas là un résultat mécanique bien curieux ? Cette pression atmosphérique ne s'exerce pas sur le poumon tout-à-fait comme sur une vessie ordinaire. 11 y a pour l'animal vivant un fait de physique peu connu , et qui pourtant a une très grande influence , je veux parler de l'aspiration continuelle de la cavité thoracique sur l'air exté- rieur. C'est au moment de la naissance , alors que le poumon non respirant du fœtus se transforme en poumon respirant de l'enfant , que se déve- loppe ce phénomène. On en ignore encore la cause mécanique. Sans doute le jeu du diaphragme doit concourir à l'expansion du tissu pulmonaire, mais ce qu'on a écrit à ce sujet est entièrement conjec- tural; et nous ne savons rien de positif à cet égard. ( 20T ) Ce qui est constant , ce qui est manifeste , c'est Taspiration que le poumon exerce sur le fluide at- mosphérique par l'intermédiaire des tuyaux aéri- féres. Mayow comparait cet organe à une vessie placée à l'intérieur d'un soufflet. Cette comparai- son est juste en ce qu'elle exprime Fattraction exercée sur le poumon par les parois pectorales, elle est inexacte en ce que la vessie est une mem- brane inerte, qui ne revient sur elle-même que par la compression du soufflet, tandis que le pou- mon tend sans cesse à s'affaisser et à occuper un espace moindre que la capacité de la cavité qu'il remplit. Nous nous sommes déjà expliqués sur l'élasticité du tissu pulmonaire , mais telle est son importance, que je crois devoir y revenir encore. Lorsque, sur le cadavre, vous faites une petite piqûre à la plèvre costale , l'air pénétre brusque- ment dans la poitrine , et le poumon revient sur lui-même. Une expérience bien simple vous mon- tre ce phénomène. Enlevez les couches musculai- res qui couvrent le thorax , vous apercevez le pou- mon distendu à travers la transparence de la mem- brane séreuse : percez cette membrane avec la pointe du scalpel, l'organe s'affaisse. Pourquoi s'affaisse-t-il ? Parce que les deux colonnes d'air qui pèsent à l'intérieur et à l'extérieur du poumon, se faisant mutuellement équilibre , les lois physi- ques reprennent leur empire : l'élasticité du tissu pulmonaire entre et doit entrer en jeu à l'instant où cesse d'agir la puissance mécanique qui la con- trebalançait. Si ces idées physiques étaient plus généralement ( 208 ) répandues , l'Académie de médecine ne nous au- rait point offert dernièrement le spectacle d'une discussion indigne de notre époque. Vous avez lu ces débats si peu scientifiques , soulevés à propos de la question de l'empyème. Le problème à résou- dre était celui-ci : Qu'arrive-t-il au poumon quand le côté correspondant de la poitrine est ouvert et communique avec l'air extérieur ? Les uns ont prétendu qu'il s'alongeait , d'autres que son tissu s'épanouissait , plusieurs qu'il se présentait pour sortir par la solution de continuité. Voilà pour l'é- noncé des idées ; voyons un peu le côté expéri- mental delà question. Un professeur^ un médecin chargé de la grave responsabilité de l'enseigne- ment officiel de la jeunesse médicale est venu dire : J'ai donné un coup de scalpel de chaque côté de la poitrine d'un chien , et l'animal n'est pas mort. Certainement qu^il n'est pas mort, mais savez-vous pourquoi? C'est que vous n'avez pas l'habitude de faire des expériences , et que vous ignorez les pré- cautions indispensables pour leur réussite. Si je veux faire pénétrer de F eau dans une seringue^ je plonge le bec de l'instrument dans le liquide, puis je soulève le piston. Mais que par une circonstance quelconque , un petit corps solide entraîné par le courant, vienne boucher le tuyau, rien n'y pénètre et la seringue ne se remplitpas. En]conclureZ'VOUsque le vide ne détermine point l'ascension des liquides? C'est pourtant une conclusion de ce genre que vous avez déduite de vos expériences. Il ne suffit pas d'ou- vrir la poitrine pour que l'air du dehors pénètre dans sa cavité , il faut bien s'assurer que le trajet de la ( 209 ) plaie reste libre, que l'ouverture extérieure est paral- lèle à l'ouverture intérieure, qu'aucun obstacle ne forme soupape. Voilà ce qu'il fallait faire, voilà ce que vous n'avez pas fait. Sans cela vous auriez vu que l'entrée accidentelle de l'air dans les deux ca- vités pleurales cause nécessairement la mort par suite de raffaissement du poumon , dont la réac- tion élastique ne peut être surmontée , malgré l'ef- fort des puissances inspiratrices. La plus simple notion de physique aurait pu décider une question bien indigne aujourd'hui des débats solennels d'une académie. Ainsi le poumon dans les circonstances ordi- naires est déjà distendu : dans l'inspiration il se dilate encore, il offre ainsi une surface plus large à la colonne d'air , et par conséquent il est soumis à une pression plus énergique. La marche du sang dans les capillaires doit donc à chaque instant être influencée. Cependant, on sait aujourd'hui par des expériences fort intéressantes , faites par M. Poi- seuille, et consignées dans un travail couronné par l'Académie des Sciences , que des animaux qu'on soumet à une pression de beaucoup supérieure à la pression atmosphérique, continuent à vivre. On voit directement, dans un appareil dont je vais vous dire un mot , la circulation et la respiration pulmonaire s'effectuer , malgré le poids énorme d'air qui comprime les vaisseaux. Pour faire l'expérience on choisit de préférence une grenouille. Ce reptile ne respire pas comme nous , en dilatant sa poitrine , mais bien en ava- lant l'air par une véritable déglutition. Son pou- Magendie. 27 ( 240 ) mon , qui ne représente qu'une espèce de grande vésicuîe , nous offre ie phénomène dans toute sa simplicité , et comme les globules du sang sont beaucoup plus gros que ceux des mammifères , rien de plus aisé que de suivre leur passage à tra^^ vers les capillaires. Vous examinez d'abord la cir- culation avec la simple pression atmosphérique ; une fois que vous avez bien constaté le degré de vitesse avec lequel se meut le sang . vous placez l'animal dans l'intérieur deFinstrument , en ayant soin de le fixer solidement sur une plaque en liège. Cet instrument que vous voyez sur ma table a reçu de M. Poiseuille le nom de porte objet pneu- matique, 11 consiste en une caisse très solide , susceptible de supporter des pressions considé- rables. Ses parois latérales sont en cuivre, les parois supérieures et inférieures sont en verre , de sorte que leur transparence permet à l'œil de voir dans la cavité de rinstrument. Celui-ci est muni d'un manomètre qui indique le degré de pression de Fair contenu dans la caisse ; à l'une de ses ex- trémités est adaptée une pompe que l'on rend fou*' lante ou aspirante à volonté de manière à accumu- ler ou à soustraire le fluide élastique. L'animal ainsi placé, l'instrument disposé sous le microscope , vous commencez l'expérience. Dans le cas où vous voulez faire le vide , vous adaptez la pompe aspirante et vous faites jouer le piston. Bientôt tout Fair contenu dans îa caisse en est extrait. Que devient la circulation pulmonaire ? Elle continue à s'efiecluer avec la même liberté. Ce résultat est fort curieux , et jamais la théorie ( 211 ) n'aurait pu Je faire soupçonner, car on ne peut concevoir qu'une membrane aussi fine que celle des parois capillaires résiste à l'effort du sang dont la tendance à s'échapper de ses tuyaux doit être d'autant plus puissante que le vide est plus parfait. Faites maintenant l'expérience inverse : au lieu dé retirer l'air de la caisse, accumulez dans sa ca- vité plusieurs atmosphères, vous pouvez juger par l'élévation de la colonne de mercure du degré de pression que vous exercez. Les petits vaisseaux pulmonaires se trouvent ainsi comprimés par une force énorme. Cependant leurs parois si minces, si flexibleS; ne se laissent pas affaisser : le liquide les traverse avec une égale liberté, et on ne s'aperçoit pas que sa marche soit sensiblement modifiée. Si l'instrument qui nous sert dans cette opération n'était pas très fort , très solidement construit , il éclaterait à l'instant par l'effet de cette pression si énergique : comment les tuyaux sanguins, soumis à une même puissance mécanique restent-ils per- méables ? Je l'ignore. Est-ce là un effet de physi- que, est-ce là un effet de vitalité ? Je ne le sais pas davantage. Pour être inexplicable , ce phénomène n'en est pas moins réel. Vous voyez combien sont erronées ces influences qu'on attribuait aux va- riétés de la pesanteur atmosphérique sur la pro- duction des maladies de l'appareil respiratoire. Oni, sans doute, l'introduction de l'air dans la poitrine agit sur la circulation pulmonaire , mais ce n'est pas par une action mécanique directe sur les parois des vaisseaux, c'est par une autre cause que nous allons maintenant étudier. ( 212 ) Quand la poitrine se dilate, le poumon, par l'ex- pansion de son tissu, déploie au contact de Toxigéne une immense surface et les innombrables canaux qui constituent son parenchyme s'épanouissent en admirables alvéoles. Il en résulte une double aspiration exercée sur l'air atmosphérique et sur le liquide apporté par les tuyaux veineux au ré- servoir des deux pompes. C'est ce que prouve une expérience fort simple : mettez h nu la jugulaire d'un chien , vous voyez le vaisseau s'affaisser à chaque mouvement inspiratoire. La dilatation du thorax n'a point toujours pour effet de faire arriver l'air dans la totalité du pou- mon. De même que dans les inspirations ordinaires toutes les puissances musculaires qui concourent à cet acte n'entrent pas en jeu , de même une par- tie seulement des cellules pulmonaires est pénétrée par le fluide atmosphérique. Diverses attitudes, diverses maladies influent sur ce phénomène. Dans le décubitus latéral , l'air arrive moins librement au côté sur lequel on repose. Examinez un homme couché sur le dos , sa poitrine se dilate régulière- ment de chaque côté, mais les inspirations sont inégales, tantôt le poumon entier semble y prendre part, tantôt ce sont seulement quelques lobules. Les maladies, avons-nous dit, apportent aussi des modifications dans la manière dont la respiration s'exécute. Les lésions du poumon , du cœur, des gros vaisseaux, lesépanchements, les tumeurs ab- dominales qui refoulent le diaphragme, en un mot, toutes causes mécaniques capables de gêner les mouvements du thorax ^ s'opposent à la libre pé- ( 213 ) nétration de l'air dans l'appareil pulmonaire. Voyez ces asthmatiques s'épuiser en pénibles et infructueux efforts pour dilater leur poitrine. Ils ne vivent que pour respirer. Le peu de forces qui leur restent , ils le consument à introduire dans leur poumon quelques parcelles du fluide dont ils sont enveloppés de toutes parts. Nous avons comparé le thorax à une pompe aérienne. L'instant de l'inspiration correspond au soulèvement du piston : c'est à son abaissement que correspond l'expiration pulmonaire. Étudiez ce dernier phénomène relativement à l'influence qu'il exerce sur la circulation. Quand la poitrine se resserre, le poumon com- prime l'air contenu dans sa cavité , et en même temps est comprimé par lui. Par suite du retrait des parois thoraciques, tous les organes pectoraux supportent une pression qui agit puissamment sur le cours du sang au sein des capillaires et refoule ce liquide dans les vaisseaux qui l'ont apporté ! Ce phénomène très marqué dans les veines-caves peut être rendu évident dans des canaux d'un plus petit diamètre. Observez la veine jugulaire sur un sujet maigre, vous voyez le vaisseau se dilater pendant l'expiration. Il ne peut donc exister aucun doute touchant l'influence que les mouvements du tho- rax exercent sur la circulation veineuse. Nous verrons plus tard que l'expiration accélère sensiblement le passage du fluide artériei dans ses conduits élastiques. Mais comme la colonne de liquide rencontre le sang qui reflue dans les veines, la circulation se trouve momentané- ( 214 ) ment suspendue dans ces derniers vaisseaux. Dans la respiration la plus ordinaire, l'air exerce sur les tuyaux aériens un certain degré de pression que M. Cagnard Delatour a cherché à évaluer. Il s'est assuré , h l'occasion d'expériences fort cu-^ rieuses sur le mécanisme de la voix, qu'à l'instant de la phonation , l'air qui traverse le larynx com- prime les parois de ce conduit d'une force équiva- lente à quatre centimètres. Les cris , la course , les efforts doivent augmenter considérablement cette pression : dans les quintes convulsives qui caractérisent certaines bronchites, la coqueluche, et même la grippe , n'est - il pas présumable que le poumon supporte par intervalles le poids de plusieurs atmosphères? Les phénomènes de con- gestion capillaire qui apparaissent alors dans tous les points de nos tissus, dépendent de Faccumula- tion et de Tarrêt du liquide vivant dans ses ca- naux. Vous n'avez pas oublié qu'une des consé- quences des grandes expirations est de pousser le sang artériel vers les organes et de s'opposer à ce que le sang veineux puisse en sortir. L'appareil pulmonaire ne doit pas être envisagé sous le rapport mécanique comme un simple souf- flet , communiquant avec Tair extérieur par un conduit inflexible. Comprimez un réservoir d'air, auquel sera adapté un tuyau offrant les dimensions de la trachée-artère , il vous faudra employer une pression subite et énergique, pour que le fluide éprouve de la gêne à en être chassé. Presque tou- jours il s'échappe en quantité égale à celle que les parois tendent à faire sortir. Telle n'est pas che^ ( 215 ) rhomme la disposition du tuyau vocal. La glotte se fei^me dés que l'expiration commence , de sorte qu'elle apporte toujours un certain obstacle à l'is- sue de l'air hors des poumons. Ses lèvres rappro-^ chées l'une de l'autre par les muscles constric- teurs^ présentent une sorte de frémissement chaque fois qu'elles s'entrouvrent pour laisser passer la CO" lonne expulsée. Dans les grands efforts , la glotte se ferme complètement; seule elle lutte avec avan- tage contre les puissances musculaires qui réunis^ - ^ent toute l'énergie de leurs fibres pour chasser l'air renfermé dans le thorax. Vient-elle à s'en- trouvrir , aussitôt le fluide s'élance en balayant devant lui tout ce qu'il rencontre sur son passage. La toux, l'expectoration sont des effets tout méca- niques de la réaction élastique de Fair emprisonné. C'est par une sorte d'explosion analogue à la ca- nonnière , analogue au fusil à vent , que les mu- cosités bronchiques sont projetées à des distances souvent considérables. Il est arrivé plus d'une fois qu'un haricot, une pièce de monnaie , quelques parcelles d'aliment , ou tout autre corps étranger , ont pénétré dans le conduit aérien. Les enfants s'amusent souvent à jeter en l'air de petits projectiles , qu'ils essaient de recevoir dans leur bouche en se renversant la tête en arriére : pour y parvenir, ils font de fortes inspirations de manière à produire une sorte de vide ; ils aspirent, comme ils le disent. Qu'arrive^ t-il ? Le projectile entraîné par le courant d'air , pénètre dans la bouche , glisse sur le plan incliné que représente la langue, et arrive jusque dans le ( 216 ) tuyau vocal. Sa présence détermine aussitôt de vio- lents accès de suffocation. Pourquoi la toux ne re- vient-elle que par intervalles ? Parce que le corps étranger se place souvent de manière à laisser à peu prés libre le passage de l'air. Pour beaucoup de chirurgiens , même de notre époque , il n'est pas aussi facile d'expliquer comment la douleur est tantôt très aiguë^ tantôt, au contraire , ne con- siste qu'en une sorte de gêne. Cela n'est pas facile! Je conçois que quand on limite toute .sa science à savoir couper un bras , une cuisse, ouvrir un ab- cès , prescrire un cataplasme , etc. > on soit em- barrassé en présence d'un fait de cette nature. Mais si , au lieu de commencer par opérer sur rhomme , on eût fait quelques expériences sur l'a- nimal vivant , on aurait vu que le conduit aérien ne jouit pas d'une égale sensibilité dans ses diver- ses parties. Tandis que celle de la glotte est des plus exquises , celle du tuyau laryngien et de la trachée existe à peine. Vous comprendrez aisément maintenant pourquoi dans un cas la douleur est vive , dans l'autre , à peu près nulle , suivant la place qu'occupe le corps étranger. Comment ce- lui-ci pourra-t-il sortir? Ce ne sera qu'à la con- dition qu'il suivra en sens inverse le chemin qu'il a parcouru une première fois. Aussi n'est-il pas rare de le voir lancé à une assez grande distance par l'air qui s'échappe bruyamment de la poitrine pendant les violentes quintes de toux. La conclusion à déduire de ces faits , c'est que les grandes inspirations concourent avec l'action du cœur, à faire traverser plus facilement au sang (217) les capillaires du poumon , tandis que les grandes expirations suspendent plus ou moins complète- ment la circulation dans ces infiniment petits tuyaux. De là, sans doute, la nécessité des grandes inspirations qui suivent immédiatement les efforts long-temps prolongés. Autre phénomène très important : M. Poiseuille a observé , dans ses expériences, qu'il n'est pas indifférent pour les mouvements du liquide vi- vant, que l'air ambiant soit à tel ou tel degré de température. Gela est d'autant plus curieux que nous avons vu l'augmentation ou la diminution de la pression atmosphérique sans influence sur la circulation capillaire. La température au con- traire en exerce une immense. Fixez une grenouille dans la caisse du porte-objet pneumatique , et pla- ce^-y en même temps de la glace ; la température va éprouver un abaissement graduel. En appli- quant votre œil à l'oculaire du microscope, vous pouvez suivre toutes les phases du phénomène : à mesure que la température baisse , la marche du liquide se ralentit ; quand elle avoisine zéro , les globules stagnent , et après quelques oscillations s'arrêtent tout-à-fait. Suivant que le refroidisse- ment est brusque ou lent , le sang est mu avec une vitesse inégale , toujours en rapport avec le degré de température de l'air ambiant. Ce fait me parait fort intéressant ; il s'accorde d'ailleurs avec les résultats fournis par les expé- riences physiques. Ces expériences prouvent que dans un temps donné les liquides marchent moins vite dans les tuyaux à une température basse qu'à Magendie. 28 ( 248 ) une température élevée. Chacun d'entre vous peut vérifier par soi-même des faits aussi évidents. Pre- nez un tube de dimension connue^ et faites -le tra- verser par des courants de liquide, ceux-ci, tout étant semblables d'ailleurs, mettent d'autant moins de temps à passer que leur température est plus haute. Il en est de même des vaisseaux capillaires relativement aux fluides qui les parcourent Vous voyez quelles graves conséquences ré- sultent de ces données expérimentales. Toute mo- dification dans la température atmosphérique re- tentira sur la circulation pulmonaire ; c^est ce que prouve d'ailleurs Fobservation de chaque jour. Ne savez-vous pas que c'est surtout sous l'influence de transitions trop brusques d'un air chaud à un air froid , que le poumon devient le siège de ces engorgements, de ces obstructions capillaires, dé- signées par la stupide épithéte à^inflammationl Vous venez de m'entendre dire qu'au voisinage de zéro le liquide animal cesse de circuler dans le réseau pulmonaire. Cependant le corps de f homme se trouve souvent exposé à des températures beau- coup plus basses , sans que le cours du sang soit suspendu; comment expliquer ce fait en apparence contradictoire? Le moyen est très simple. Le pou- mon n'est point un simple appareil hydraulique , il est aussi un organe de calorification (pardonnez- moi ce mot tant soit peu barbare ) ; c'est en lui qu'est la cause sinon unique, du moins principale de la chaleur animale. Le sang, après avoir reçu le contact de l'oxigéne, se trouve modifié dans sa température, qui devient d'un degré plus élevé qu'à (219) l'instant où il a été versé dans le réservoir droit par les tuyaux sanguins. De là le passage plus fa- cile de ce fluide à travers le parenchyme pulmo- naire. Admirez par quelle heureuse association le même acte qui produit la chaleur animale devient une circonstance du plus haut intérêt pour la cir- culation. On prouve par des expériences directes que si la température du poumon descend à zéro, la marche des liquides se ralentit, ou même se suspend dans cet organe. Chez les animaux hibernants, ne pour- rait-on pas expliquer ainsi cet engourdissement, cette sorte de torpeur léthargique dans laquelle ils restent plongés pendant la saison rigoureuse ? J'i- gnore jusqu'à quel point ce soupçon est fondé. Il serait curieux d'examiner sur ces animaux la cir- culation pulmonaire , de voir dans quel état se trouvent les globules sanguins , s'ils sont en mou- vement ou en repos , si la chaleur du sang est no- tablement modifiée, etc. Je ne sache pas que ces recherches aient jamais été faites. Comme l'instant où ils tombent dans leur sommeil hibernal , et l'instant où ils en sortent , sont en rapport avec des variations notables de la température atmos- phérique , il serait très possible qu'il n y eût pas là simple coïncidence, mais bien relation de cause à effet. Messieurs , si vous reportez vos pensées vers les questions que nous avons traitées dans les leçons précédentes, vous sentirez quel immense parti nous avons tiré de l'étude expérimentale. Elle a été pour nous une pierre de touche, où chacune de nos ex- ( 220 ) plicàtions a dû être essayée. Si quelquefois nous avons émis des conjectures , ce n'a été qu'avec cette réserve , cette timidité que réclame toute as- sertion basée sur de simples rapprochements. Je ne regarde un problême comme définitivement ré- solu que quand l'observation elle-même lui a donné sa sanction. C'est alors seulement qu'il a droit de siéger dans la science. Trop long-temps la phy- siologie a été une sorte d'arène où l'imagination seule avait droit d'entrer en lice : aujourd'hui les esprits sont ramenés à des idées plus sévères. La physique , la chimie^ la mécanique méritent d'être étudiées dans le corps de l'homme sur le même rang que la vitalité. Si vous restez étrangers à ces sciences positives , vous ne pourrez jamais sortir des sentiers battus où se traîne depuis des siècles la tourbe des praticiens. Sachez^ en agissant, pour quels motifs vous agissez. Plus vous étudierez, plus vous sentirez combien ii vous reste encore à ap- prendre pour pouvoir vous élever à la hauteur du merveilleux et inépuisable sujet de nos recherches. On n'est pas toujours médecin, et vous savez quelle importance j'attache à ce mot, on n'est pas tou- jours médecin pour avoir pris des grades , pour avoir endossé la robe doctorale. ( 221 ) QUATORZIÈME LEÇON. 1 Mars 18o7, Messieurs , Nous avons fait une nouvelle soustraction de fibrine, quatre grammes à peu prés , au chien sur lequel nous voulons étudier les effets produits par cette modification dans les éléments du sang. L'a- nimal , après la réinjection du liquide défibriné , a été pris d'une dyspnée très forte : pendant plusieurs heures sa respiration était haletante. Il est probable que cet embarras dans la perméabi- lité du poumon , tenait à l'extravasation dans les aréoles de son tissu de quelques-uns des matériaux du sang : aujourd'hui il paraît rétabli. Ce matin même la présence d'une chienne en chaleur dans le laboratoire l'a arraché à l'espèce d'engourdisse- ment où il paraissait plongé , et il a donné des preuves non douteuses d'un reste de vigueur. Nous allons, pour la troisième fois, enlever une certaine quantité de fibrine à cet animal ; nous verrons ( 222 ) combien de temps il pourra supporter cette sous- traction d'un des éléments du liquide vivant. Les propriétés physiques des tuyaux sanguins doivent maintenant vous être familières. Un des caractères de ces tuyaux c'est, vous le savez, d'être criblés d'une infinité prodigieuse^ de porosités, destinées à livrer continuellement passage aux ma- tériaux qui sortent de l'économie ou qui y pénè- trent : c'est ainsi que vous vous expliquez ces mou- vements continuels du dehors au dedans et du dedans au dehors , que je désigne sous les noms d'imbibition et d'exhibition. Voilà des faits. Com- ment vous parlerais -je de Tintelligence des ca- pillaires , de leur contraction, delà manière dont ils s'ouvrent, se ferment, font leur choix, etc., ce serait revenir au temps du roman physiologique. Mais , Messieurs , que l'importance des appli- cations physiques ne nous fasse point méconnaître l'influence exercée par l'action nerveuse. Une vé- rité exagérée devient une erreur. C'est pour avoir été exclusivement vitalistes , exclusivement physi- ciens , que des hommes d'un immense talent ont tour à tour imprimé à la science de fausses impul- sions , et que celle-ci > après de longues oscilla- tions n'est pas encore fixée d'une manière stable. Nous avons déjà envisagé la question sous une de ses faces. Si je me conformais rigoureusement au programme que je me suis imposé , je renverrais à une autre époque tout ce qui a rapport à l'agent vital qui préside au grand acte de la circulation pulmonaire. Cependant, afin que nos études soient plus complètes, je vais vous en dire quelques mots. ( 223 ) Le poumon , comme tout appareil vivant, com- munique avec le système nerveux , ce moteur général et mystérieux de notre machine organi- sée . Il en résulte une nouvelle série de phénomènes, aussi curieux par leurs effets qu'inconnus dans leur nature , ce sont les phénomènes vitaux. Nous trouvons également ici , comme moyens de com- munication , des filaments blanchâtres , que Ton a , par hypothèse , comparés aux fils conducteurs d'une pile électrique , et qu'on a supposés traver- sés par des courants de fluide nerveux. Des volu- mes ont été écrits sur ce prétendu fluide; mal- heureusement on n'a oublié qu'une chose essen- tielle, c'était de prouver son existence. Quel que soit leur mode d'action, toujours est -il que les nerfs pneumo-gastriques interviennent d'une ma- nière puissante dans les mouvements des fluides au sein du parenchyme pulmonaire. Leur distri- bution vous est connue : ils envoient des rameaux au pharynx, à la glotte, à la trachée, aux pou- mons, à l'œsophage, à l'estomac, etc. Vous trou- vez ces détails dans tous les traités spéciaux d'ana- tomie. Ce qu'il nous importe d'étudier ici , c'est l'influence exercée par ces nerfs sur les mouve- ments des liquides à travers les capillaires de l'ap- pareil aérien. La section de la huitième paire des deux côtés entraine dans les poumons des désordres qui sem- blent se rattacher plus particulièrement à une difliculté du passage du sang dans ses petits ca- naux. Il se fait dans les cellules des épanchements divers ; par suite d'une transsudation morbide : ( 224 ) les vaisseaux s'oblitèrent, l'organe s'engorge , les conduits aérifères ne peuvent plus apporter Toxi- gène indispensable à la vie ; l'animal meurt. Com- ment le défaut d'influence nerveuse agit-il sur la circulation pulmonaire ? Est-ce en modifiant la vi- talité des vaisseaux ou leurs propriétés physiques? Je l'ignore. S'il fallait faire de l'imagination^ nous pourrions décrire par quel mécanisme le capillaire se resserre, se contracte, se raccourcit, pour s'op- poser au cours du liquide. Nous mettrions ce petit tuyau en présence des efforts de la pompe ^ vous le verriez lutter avec énergie contre une puissance supérieure , et, malgré Finégalité des forces, res- ter victorieux. Avec de Tassurance, un air de con- viction , quelques paroles ronflantes , on façonne-- rait un petit conte , qui peut-être ne manquerait pas d'agrément. Nous n'avons ni le loisir ni la vo- lonté de nous livrer à de telles récréations. Laissons de côté ces jeux d'esprit , et analysons simplement les faits. Quand on coupe un seul nerf de la huitième paire , le poumon auquel appar- tient ce nerf devient le siège d'altérations de plus en plus graves : son tissu %' enflamme ( c'est l'ex- pression consacrée), et bientôt il devient impropre à la respiration. Cependant l'animal ne meurt pas, car l'autre poumon restant intact, la vie peut en- core continuer par l'action d'un seul de ces orga- nes. Je dois , à ce sujet, vous rappeler une expé- rience que nous avons faite pendant le semestre dernier : un chien avait eu la huitième paire cou- pée d'un côté six mois auparavant. Nous le sacri- fiâmes. A Tautopsie le poumon correspondant fut (225) trouvé parfaitement sain^ et les deux bouts du nerf réunis par un cordon celluleux intermédiaire très bien organisé. Il Serait difficiled*" expliquer comment l'organe privé de l'influence nerveuse est resté per- méable à l'air et au sang. Une fois les matériaux du sang épanchés, par quel mécanisme s'est opérée leur résorption? Est-ce en vertu des anastomoses qui unissent les nerfs de chaque côté , ou bien par suite d'une reproduction de la substance nerveuse? Nous sommes encore réduits à des conjectures. Il est besoin de nouvelles expériences pour résoudre la question. Voici un chien sur lequel la semaine dernière j'ai coupé la huitième paire de chaque côté : il est mort au bout de deux jours. Nous allons vérifier les effets matériels de la section des nerfs. Comme tous les animaux qui subissent cette opération; celui-ci a succombé avec tous les signes d'un embarras extrême dans la circulation pul- monaire. Vous voyez à la teinte bleuâtre de sa langue , de ses gencives , à l'injection de ses con- jonctives , qu'il existait un obstacle au mouve- ment des liquides. Où est-il placé cet obstacle ? dans le parenchyme pulmonaire. Ouvrez le tho- rax. Un sang noirâtre , liquide , s'échappe sous chaque incision , les tissus paraissent d'une cou- leur plus foncée qu'ils ne le sont habituellement. Tout annonce que le poumon était devenu im- perméable aux Uquides et à l'air atmosphérique Et en effet , cet organe s'offre à vous sous un tout autre aspect que celui qui lui est propre ; Il ne s'est point affaissé à lïnstant où la plèvre costale a Magendie» 39 ( 226 ) été ouverte. Sa surface n'a plus sa teinte rosée , elle est parsemée de larges plaques , présentant les nuances de coloration propres à l'ecchymose. Les cellules sont gorgées d'un liquide spumeux , les bronches obstruées par une écume sangui-^ nolente; il s'est fait des épanchements de séro- sité et des principaux matériaux du sang dans le parenchyme du poumon , ce qui lui donne une pesanteur spécifique bien plus considérable. Certains points sont hépatisés, c'est-à-dire que la matière colorante , la fibrine , peut-être même le sang en substance se sont extravasés par suite de l'obstruction du réseau capillaire. En se solidi- fiant, ils changent les propriétés physiques du pou- mon, dont le tissu augmente sensiblement de den- sité. L'animal a donc succombé parce que la res- piration était devenue impossible. Ajoutez à cette cause l'arrêt du sang dans ses canaux , son exhi- bition dans les parties ambiantes , la coagulation de sa fibrine, en un mot , ces modifications mor- bides qui ont transformé le poumon en une masse compacte^ ou vous ne retrouvez plus les traces de sa structure alvéolaire. L'influence exercée par la section des pneumo- gastriques sur le passage du sang dans le poumon a du éveiller l'attention des physiologistes, et vous devez penser qu'ils n'ont pas laissé échapper une occasion aussi belle de proposer des explications. Dupuytren , dans ses premières expériences , ne coupait pas les nerfs, il se contentait de les comprimer avec les mors d'une pince. Il publia un mémoire qui fit grande sensation. Comme ( 227 ) les idées de Bichat , sur les propriétés vitales, jouissaient alors d'une immense vogue , on s'ap- puya de ces faits pour combattre les opinions de ceux qui ne s'étaient point encore ralliés à la nouvelle doctrine , et qui s'obstinaient à ne voir dans les changements qu'éprouve le sang dans le poumon; que des transformations chimi- ques. Puisque, disait-on , vous suspendez la circu- lation pulmonaire en suspendant l'influence ner- veuse, n'est-il pas évident que c'est là un phénomène essentiellement vital ? Examinons d'abord le fait , ensuite nous allons revenir sur l'explication , Les expériences relatées dans le mémoire de Dupuytren sont exactes. Si l'on coupe les nerfs de la huitième paire au cou , à la hauteur de la glande thyroïde, l'animal ne continue pas à vivre; donc la mort doit être attribuée à la section de ces nerfs. Quant à l'explication du phénomène, il est arrivé ici ce qui arrive presque nécessairement à toute personne qui vient de trouver quelque fait nouveau. S'exagérant à soi-même l'importance de sa découverte, elle s'imagine que la face de la science est changée , ou du moins qu'une vive lumière va éclaircir les questions encore obscures. C'est ainsi qu'un de mes confrères à l'Institut, M. Dutrocliet, plaça en tête de son ouvrage sur l'endosmose cette inscriptionfastueuse : De V agent imniédiat du mou- vement "vital déifoilé. Aujourd'hui il est le premier à en rire. Sa découverte est restée dans la science, parce que un fait ne peut cesser d'être un fait, quelles que soient d'ailleurs les interprétations dont il devient l'objet. Quant aux explications ( 228 ) que M. Dutrochet avait proposées^ lui-même de- puis long-temps les a appréciées à leur juste va- leur. Tant il est vrai que pour bien savoir à quoi s'en tenir, il faut laisser passer le premier moment d'enthousiasme ! Si j'ai choisi de préférence cet exemple parmi tant d'autres , c'est qu'il m'a paru fort remarquable , et que mon savant et ingénieux confrère est trop haut placé dans la science pour pouvoir se méprendre sur le sens de mes paroles. Nous vous disions que les expériences de Da- puytren avaient été expliquées d'une manière dé- fectueuse. A^ant mes travaux sur le mode de dis- tribution des nerfs du larynx, il n'était guère possible de se rendre rigoureusement raison de ces phénomènes : aujourd'hui la question ne peut plus offrir de difficultés; la solution découle tout natu- rellement et de la disposition anatomique , et des nouvelles données expérimentales. Vous vous rappelez que la huitième paire envoie au larynx deux rameaux principaux , le nerf la- ryngé supérieur et le récurrent. Le premier, ainsi que nos dissections l'ont démontré , va se distri- buer aux muscles constricteurs ; le second , aux muscles dilatateurs de la glotte. Qu'arrive- 1- il quand vous coupez le tronc du pneumo-gastrique entre la naissance de ces deux cordons nerveux ? Le laryngé supérieur, restant seul en communi- cation avec l'encéphale , acquiert une prédomi- nance notable sur le récurrent qui se trouve para- lysé. Les muscles dilatateurs ne peuvent plus con- trebalancer l'action des constricteurs : la glotte se ferme. Comme l'air ne doit arriver dans la trachée ( 229 ) et les bronches , qu'à la condition qu'il aura fran- chi cette ouverture , Y occlusion de celle - ci en- traîne inévitablement l'asphyxie et ses fatales con- séquences. La mort, dans ce cas, résulte d'un obstacle mécanique siégeant au larynx. Il fallait donc séparer cette complication pour savoir quelle était au juste l'influence du pneumo-gastrique sur la respiration ; c'est ce qu'il fut aisé de faire par Fexpérience suivante. Après avoir coupé la hui- tième paire de chaque côté, une ouverture fut pra- tiquée à la trachée-artère, et un tuyau placé dans la plaie afin de tenir ses bords écartés : de cette manière l'air put sortir et entrer avec liberté. On vit alors que la section de ces nerfs ne suspendait pas immédiatement le grand phénomène de la re- vivification du sang , mais que la mort n'arrivait qu'au bout de trois ou quatre jours , par suite des désordres matériels dont le tissu pulmonaire était devenu le théâtre. L'animal que nous venons d'ouvrir devant vous avait été préalablement soumis à l'opération de la trachéotomie. L'état de son poumon nous indique suffisamment la cause de sa mort , et il est pro- bable que les tuyaux aérifères étaient en partie imperméables au fluide atmosphérique. J'injecte de l'air dans la trachée-artère; quelques lobules se laissent seules distendre , les autres, gorgés de li- quides, ne présentent point de modifications dans leur volume; l'organe tout entier parait occuper, et occupe réellement plus de place que dans ses conditions normales^ Nous vous avons fait remar- quer qu'à l'instant où le thorax a été" ouvert, il ne ( 230 ) 8'est pas afFaissé. A quoi tient cette circonstance ? A la perte de l'élasticité de son tissu. Cette modi- fication d'une des propriétés physiques du poumon, les plus importantes pour l'intégrité de son jeu , s'observe quelquefois chez l'homme : elle a pour effet , sinon d'empêcher complètement , du moins de gêner à un haut degré le grand acte de la res- piration. Il n'est aucun de vous qui n'ait observé dans nos hôpitaux des malades atteints d'emphysème pulmonaire , affection caractérisée surtout par le défaut d'élasticité du poumon. Les puissances mus- culaires qui concourent à Tinspiration sont intac- tes ; cependant la dyspnée ne laisse point à ces malheureux un instant de relâche : toujours ha- letant ils se cramponent à leurs lits, agrandissent, par tous les moyens imaginables , la cavité pecto- rale. Efforts impuissants ! le tissu pulmonaire a perdu son ressort élastique , il ne revient plus sur lui-même avec assez d'énergie pour chasser au dehors le fluide apporté par les canaux aériféres. Une autre cause vient se surajouter à celle-là pour produire la dyspnée. Les lobules ne représentent plus une disposition alvéolaire : au lieu d'être di- visés en une foule de petits compartiments , ce sont des cavités spacieuses , traversées par des prolongements filamenteux, débris des parois qui isolaient les cellules. Ainsi raréfié , le poumon n'offre point au contact de l'oxigéne une aussi large surface. De là l'impérieuse nécessité d'introduire sans cesse dans les tuyaux bronchiques de nou- vel air. Ne faut-il pas que par son abondance (231 ) et son renouvellement, ce fluide supplée au man- que de surfaces de l'organe respiratoire ? Il y a une maladie des chevaux qui dépend à peu prés constamment des changements survenus dans les propriétés élastiques de l'appareil pulmo- naire. La pousse , vous le savez , est caractérisée par ressoufflement , le battement des flancs , une sorte de frémissement plaintif que l'animal fait en- tendre en respirant. L'air pénétre assez librement dans la poitrine , mais il n'en sort qu'avec peine , aussi l'expiration est-elle bruyante etdifficile. C'est ce que , dans le langage des vétérinaires , on ap- pelle le coup 'de-fouet. J'ai plusieurs fois ouvert des chevaux morts de la pousse : chez ces animaux le poumon reste gonflé , ou du moins ne s'affaisse que très peu , alors que la cavité des plèvres com- munique avec l'air extérieur. En incisant le tissu pulmonaire on trouve les cellules dilatées , déchi- rées, l'air infiltré dans le parenchyme de l'organe, en un mot , les caractères anatomiques de l'em- physème. Ces altérations vous expliquent les phé- nomènes observés pendant la vie. Si l'inspiration reste libre , c'est que rien n'empêche l'abord de l'air ; mais comme le poumon ne peut plus par son élasticité réagir sur le fluide emprisonné dans ses mailles, il faut, pour l'expulser, un redouble- ment d'énergie des puissances expiratrices. Essayons maintenant d'injecter de l'eau dans les vaisseaux pulmonaires de ce chien. En suppo- sant que le liquide puisse passer, il ne faudrait pas en conclure que pendant la vie la circulation était libre. La section de la huitième paire ayant néxîes- ( 232 ) sairement modifié la vitalité de l'organe , il ne se- rait pas impossible que de l'eau distillée traversât ces mêmes tuyaux, où une liqueur aussi visqueuse que le sang ne pouvait cheminer. L'injection re- vient par les veines. Je vous ferai remarquer que les parties hépatisées sont entièrement obstruées Je peux les diviser avec le scalpel sans que le li- quide s'échappe à la surface des incisions. 11 ne reste donc de perméable que les fractions de pou- mon qui ont conservé leur texture spongieuse , et qui comprimées entre les doigts, présentent en- core quelques vestiges d'une crépitation obscure. Vous connaissez maintenant l'influence du pneu- mo-gastrique sur la circulation pulmonaire. Au- tant il nous importe d'étudier les phénomènes hy- drauliques dont le poumon est le siège, autant nous devons tenir compte des phénomènes vitaux qui président au mécanisme de ses fonctions. Mal- heureusement les premiers sont seuls accessibles à nos théories. Comment la lésion d'un simple cordon nerveux entraine-^t-elle des troubles im- médiats dans un de nos principaux appareils ? Est-ce en agissant sur les liquides , est-ce en agis- sant sur les canaux qu'ils parcourent ? Nous en sommes réduits à des conjectures. La distribution de la huitième paire, qui parait spécialement des- tinée aux ramifications bronchiques et aux tuyaux sanguins , permet de supposer qu'elle porte plutôt son action sur les parois des capillaires. Toutefois, il serait possible que le liquide vivant lui-même fût influencé. Ainsi, qu'il nous suffise pour Je mo- ment d'avoii* vérifié le fait, les explications vien- ( 233 ) dront plus tard. En avouant notre ignorance , en laissant le sujet vierge de toute hypothèse, nous ne nous exposons pas à entraîner les esprits dans de fausses directions. Que nous proposions une théorie , elle sera attaquée ; puis on lui en substi- tuera une autre qui peut-être ne sera pas meilleure. Viendra un troisième interlocuteur, qui sans don- ner précisément tort ni raison aux parties adver- ses , se servira de leurs dépouilles pour en habiller une à sa manière. Une question expérimentale se trouvera ainsi transformée en une affaire d'amour- propre, où chacun se prouvera mutuellement qu'il se trompe. N'aurait-on pas pu employer ce temps à des recherches plus profitables pour la science et pour l'humanité? Nous allons faire sous vos yeux Texpérience qui consiste à couper les nerfs de la huitième paire. Bien que ses résultats vous soient déjà connus , vous profiterez en la voyant répéter; car telles par- ticularités étaient une première fois passées ina- perçues, qui ne vous échapperont pas une seconde. J'y trouve encore l'avantage de vous familiariser avec le manuel opératoire de ces recherches chi- rurgicales. Arriver du premier coup de scalpel sur un nerf , l'isoler , le couper , sans intéresser au- cun vaisseau important , ce n'est pas chose aussi simple que vous pourriez l'imaginer. Je vous en- gage à vous procurer des animaux , et à essayer vous-même les expériences que vous nous voyez faire dans cette enceinte. Pour apprécier une dif- ficulté, il faut souvent échouer contre elle. On a beau être adroit , l'habitude ne se donne pas , elle Magendlo. 30 ( 234 ) s'acquiert. Pourquoi fait-on tant de livres et si peu d'expériences? C'est qu'il est plus facile de ma- nier la plume que le scalpel." Si je voulais ne mettre à nu qu'un seul nerf, je ferais l'incision dans la direction de son trajet ; mais comme il faut le couper de chaque côté , je divise les téguments sur la ligne médiane. De cette manière une seule plaie suffit pour une double opération. Le bec d'une sonde cannelée, introduite entre les lèvres de la solution de continuité me sert à déchirer les lamelles de tissu cellulaire am- biant : me voilà arrivé à la gaine commune au nerf, à la carotide et à la jugulaire interne. Ce dernier vaisseau , nous vous l'avons déjà fait re- marquer , est très petit chez le chien ; bien que sa lésion ne dût pas amener de conséquences aussi graves que chez l'homme, il faut cependant éviter de le blesser. J'isole le nerf : c'est lui seul mainte- nant que je soulève avec la sonde : il est coupé! Le chien n'a paru éprouver rien d'extraordinaire. Le degré de sensibilité du pneumo-gastrique est va- riable : tantôt la section de ce nerf provoque une douleur vive; tantôt, au contraire, l'animal semble à peine en avoir la conscience. Nous allons répé- ter du côté opposé cette même expérience. Vous voyez combien il faut avoir présente à l'esprit la disposition anatomique de la région cervicale pour ne pas aller s'égarer loin de l'objet que l'on veut trouver. Je coupe le second nerf. Que va devenir l'animal ? Déjà sa respiration s'embarrasse ; les mouvements de locomotion deviennent pénibles ; il fait des efforts pour faire pénétrer l'air dans sa (235 ) poitrine , mais l'état de la glotte y met obstacle ^ il ne tardera pas à succomber. J'aurais vouhi voir si la transpiration pulmonaire est modifiée par suite de cette soustraction de l'influence nerveuse; je regrette de ne point y avoir pensé plus tôt , car j'aurais fait préparer de l'huile phosphorée pour l'injecter dans les veines. Plusieurs d'entre vous nous ont déjà vu faire cette expérience. Quaud la liqueur est arrivée dans les capillaires du poumon, un nuage de vapeurs s'échappe par la gueule de l'animal ; agissez-vous dans l'obscurité , l'animal semble vomir des torrents de flammes. Ne pour- rait-on pas , par la pensée , se croire en présence de ces monstres de la mythologie antique , dont l'imagination des poètes nous a raconté la mer- veilleuse histoire ? Il est fâcheux que nous ne soyons pas très partisans du roman, car il y aurait ici place à un épisode. Ce que nous désirions exa- miner , c'est l'influence , si toutefois elle existe , que la section des nerfs de la huitième paire exerce sur l'exhalation pulmonaire. Je pourrais injecter dans la jugulaire de notre chien un peu de cette huile ; mais elle tient en dissolution trop peu de phosphore pour que le phénomène soit apparent. Essayons. Je l'avais bien prévu; il ne s'échappe point de vapeurs par la gueule de l'animal, à peine son haleine a-t-elle une odeur légèrement allia- cée. Nous reviendrons un autre jour sur cette ex- périence. Avant de terminer ce qui a rapport à la circu- lation pulmonaire, il me reste à vous dire quel- ques mots d'un phénomène mécanique , que les (236 ) physiologistes ont diversement expliqué. Je né fe- rai que le mentionner ici ^ devant y revenir en détail , à propos de la pompe générale. Quand on examine au microscope le cours du sang dans les capillaires, on voit le liquide passer des tuyaux artériels dans les tuyaux veineux, sans que la continuité de ces vaisseaux soit nulle part interrompue. Mais les globules ne se meuvent pas avec une égale vélocité. Ceux du centre paraissent avoir un mouvement plus rapide que ceux qui avoisinent les parois du canal. Souvent la colonne de liquide heurte contre une arrête vive de l'espace anguleux qui sépare deux tuyaux ; sa marche est un instant suspendue. Les globules qu'elle charrie s'arrêtent , oscillent quelques instants , se balan- cent entre l'une et l'autre issue , avant de s'enga- ger dans aucune ; parfois , même , obéissant à une sorte d'impulsion rétrograde, ils refluent en sens inverse. On observe encore un autre fait fort cu- rieux. Une couché transparente, formée sans doute par la partie séreuse du sang, reste immédiatement appliquée contre la paroi du tuyau : immobile , elle tient en suspension un certain nombre de glo- bules. Ceux-ci ne partagent pas long-temps l'im- mobilité du véhicule ; ils se déplacent, reviennent au centre du capillaire, et sont emportés par le courant liquide. D'autres , au contraire , aban- donnent le torrent sanguin , se déjettent contre les parois des capillaires pour devenir à leur tour immobiles. Ces oscillations continuelles des globu- les, ces mouvements de va-et-vient ont paru à quelques physiologistes se lier avec une contrac- ( 237 ) tion active des tuyaux vivants. Les travaux de M. Poiseuille et autres expérimentateurs ne per- mettent plus d'accueillir de semblables supposi- tions. On sait aujourd'hui , de la manière la plus positive , que ces phénomènes dépendent des con- ditions physiques des canaux et des fluides : l'ap- plication des lois hydrodynamiques ne laisse au- cun doute sur leur mode de production. Ainsi , par exemple^ on s'est assuré que dans les tuyaux des machines , la couche de liquides qui avoisine les parois reste immobile. Cette cir- constance vous explique déjà comment les globules sanguins peuvent être alternativement en mouve- ment ou en repos , suivant le point de la cavité du cylindre qu'ils occupent. Quant aux autres phé- nomènes , tels que les oscillations ^ les déplace- ments , les mouvements rétrogrades des globules, leur explication est tout aussi naturelle ; seule- ment comme elle nous entraînerait dans de trop longs développements , je me réserve de vous en parler plus en détail en traitant de la circulation générale. Ainsi, Messieurs, un certain nombre de ques- tions ne semblent obscures , parfois même mysté- rieuses , que par cela seul qu'on méconnaît les ressources dont on peut disposer pour trouver leur solution. Avant de chercher à interpréter un fait , il faut d'abord bien constater sa nature , voir si la physique peut ou ne peut pas en rendre compte. Ce n'est qu'à la dernière extrémité , alors qu'il n'offre aucune prise à nos analyses expérimenta- les , quG nous devons le ranger dans le domaine ( 238 ) de la vitalité. Vous avez vu l'influence que les pneu- mo-gastriques exercent sur la circulation capillaire du poumon : cette influence, je n'ai pas la préten- tion de l'expliquer. Il n'en sera pas de même des mouvements des liquides dans les tuyaux , de la pression exercée sur les parois , des divers degrés de température , des obstacles apportés par les courbures , les sinuosités des vaisseaux , etc. Ces phénomènes sont sous la dépendance des lois hy- drodynamiques. Aussi quel immense parti n'a- vons-nous pas tiré de leur application ! Suivez la marche des sciences physiques , qu une noble émulation s'empare de vos esprits , afin de hâter leur progrés : à mesure qu'elles avanceront, à me- sure la médecine se dépouillera de ses antiques préjugés, pour les échanger contre des vérités du- rables. ( 239 ) QUINZIÈME LEÇON. 3 Mars 1837. Messieurs , Voici le chien auquel , pour la troisième fois , nous avons soustrait environ trois grammes de fi- brine : il est beaucoup plus malade. De nouveaux phénomènes morbides se sont manifestés , et il en est un surtout sur lequel je veux appeler votre at- tention. Examinez les yeux de l'animal : la con- jonctive est rouge, tuméfiée, comme fongueuse, la cornée a perdu son poli , sa transparence habi- tuelle , les paupières sont collées entre elles par une liqueur visqueuse et jaunâtre. Quand j'essaie de les entr'ouvrir avec le doigt , l'animal se débat, comme si l'impression de la lumière provoquait une vive douleur. Vous trouvez réunis là tous les caractères de la maladie désignée par les patholo- gistes sous le nom d'ophtalmie purulente. Ces lésions dans la sécrétion de la conjonctive sont-elles une simple complication , un simple ac- ( 240 ) cident^ ou bien reconnaissent-elles pour point de départ l'altération du sang privé de sa fibrine ? Cette dernière supposition me parait la plus pro- bable. Nous répéterons l'expérience sur d'autres animaux pour voir si ce phénomène est constant. L'ophtalmie purulente est une des affections les plus graves qui frappent le globe oculaire : en peu de jours , souvent même en quelques heures , les membranes se perforent^ l'œil se vide, la vision est perdue. Quelle est la cause de cette maladie ? Elle nous échappe. Dire que c'est une inflamma- tion, c'est non-seulement ne rien apprendre, mais même c'est diriger les esprits vers de fausses indi- cations thérapeutiques. Les larges émissions san- guines échouent, tandis que l'insufflation de pou- dres irritantes, l'application de caustiques, l'ex- cision des parties engorgées modifient favorable- ment la sécrétion de la membrane muqueuse. Si nous pouvions parvenir, par des moyens artificiels à développer des affections identiques^ nul doute que nous arriverions à jeter un grand jour sur ces questions obscures. 11 est probable que l'ophtal- mie purulente , ainsi que toutes les maladies épi- démiques , est liée à une altération du sang. On pourrait faire à ce sujet d'intéressantes recherches. Je n'entrerai pas dans la description détaillée des désordres fonctionnels que la soustraction de la fibrine a introduits dans l'économie de cet ani- mal. Un simple coup-d'œil vous suffit pour en juger. La maigreur , rabattement , la prostration des forces, la fréquence jointe à la petitesse du pouls , la dyspnée , Vodeur fétide qui s'exhale de ( 241 ) son corps , tout indique une décomposition pu- tride et des solides et des liquides. J'ai maintenant dans mes salles à FHôtel-Dieu, une femme atteinte d'une fièvre dite typhoïde : en étudiant avec soin son état/ chacun de vous sera frappé, ainsi que je le suis moi-même , de l'analogie qui existe entre les divers symptômes qu'elle présente et ceux qui nous sont offerts par ce chien privé de sa fibrine. Est-ce à dire que dans l'un et l'autre cas le même élément du sang soit modifié dans ses proportions normales? Je ne vais pas si loin. Malheureusement nous n'avons pas d'instrument pour mesurer les propriétés physiques du liquide vivant : la seule chose que nous soyons en droit d'établir, c'est que toute altération notable du sang , quelle que soit sa nature , entraine inévitablement des désordres graves dans l'ensemble de nos fonctions organi- ques. Je croirais négliger une partie importante de nos études si je ne vous disais pas quelques mots des applications pathologiques dont me paraissent sus- ceptibles les faits positifs que nous avons mis sous vos yeux. 11 est impossible que des expériences si fécondes en déductions physiologiques , soient sté- riles en résultats pratiques. La circulation pulmo- naire exerce une influence immense sur tout no- tre être , soit que ses troubles ouvrent la scène et constituent la principale lésion, soit qu'ils n'appa- raissent qu'au milieu ou même vers le déclin de la maladie , alors que l'économie tout entière est épuisée par de longues souffrances. Toutefois, avant Mageadie. z\ ( 242 ) d'arriver aux phénomènes morbides, arrêtons-nous un instant sur les phénomènes physiologiques dont le poumon est habituellement le siège. L'in- telligence des premiers est intimement liée à la connaissance exacte des seconds. Un des traits les plus importants de l'histoire des capillaires, c'est l'extrême porosité de leurs parois. Celles-ci représentent des espèces de cribles , à mailles très fines, traversées sans cesse par des cou- rants liquides ou gazeux. U absorption , la trans^ pira don pulmonaire y diverses expectorations , la respiration elle-même, dépendent en grande partie des phénomènes d'imbibition et d'exhibition, dont les petits tuyaux pulmonaires sont le siège , en vertu de leurs propriétés physiques. Au moment où le sang veineux passe dans les capillaires du poumon pour revenir vers la pompe générale , il prend une couleur écarlate , sa tem- pérature s'élève, son odeur devient plus forte. Ces modifications dépendent évidemment du contact médiat du liquide avec l'oxygène. La paroi vas- culaire très mince qui est placée entre l'air atmos- phérique et le sang ne s'oppose point au pas- sage du gaz vivifiant. Injectez dans les bronches d'un animal vivant , un liquide quelconque , il sera également absorbé. Les vapeurs, les miasmes, les particules odorantes portés à l'intérieur du poumon pendant les mouvements inspiratoires pé- nètrent dans les torrents sanguins , et, entraînés par eux, circulent dans tout l'organisme. Rien de plus simple que la manière dont s'exécute l'absorp- tion. Si les parois des vaisseaux cessaient un ins- ( 243 ) tant d'être poreuses et par conséquent perméables, Fimbibition deviendrait impossible, et la transfor- mation du sang veineux en sang artériel serait im- médiatement suspendue. Faites respirer à un ani- mal du chlore, de l'acide hydro-cyanique, ou tout autre fluide délétère , les effets de la substance se manifestent à l'instant ; et si la dose en est assez forte, la mort arrive presque subitement. Ainsi voilà un premier fait: Toute molécule déposée à la surface du réseau capillaire est entraînée par le courant qui le parcourt , du moment qu'elle réunit les conditions physiques propres à l'imbibition. Des dernières divisions de l'artère pulmonaire s'échappe à chaque instant une certaine quantité de sérosité : déposée sous forme liquide à l'inté- rieur des lobules, elle se vaporise , sort avec l'air expiré, et constitue ce qu^on appelle la transpira- tion pulmonaire. Dans nos expériences sur l'ani- mal vivant, nous pouvons en injectant de l'eau dis- tillée dans le système vasculaire, modifier à notre gré la proportion de vapeur exhalée. Suivant que la partie aqueuse du sang est plus ou moins consi- dérable, la transpiration pulmonaire augmente ou diminue. A quoi tiennent ces variétés d'odeur que présente chez beaucoup d'individus l'air chassé du poumon par l'expiration ? Aux particules ani- males entraînées par ce fluide, après qu'elles ont éprouvé dans les cellules pulmonaires des modi- fications diverses. Cette vapeur ne provient pas seulement du li- quide lancé par la petite pompe : elle est aussi for- mée aux dépens du sang artériel qui vient se distri- ( 244 ) buer à la membrane muqueuse des voies aériennes. Cette double source fournit à la transpiration pul- monaire. Les divers éléments du fluide animal qui trans- sudent à travers les vaisseaux ne s'écbappent pas toujours au dehors à l'état de vapeur : il en est qui restent liquides. Pour bien étudier les caractères de l'expectoration , on doit distinguer avec soin les cas où ses matériaux sont fournis par la muqueuse bronchique, de ceux où ils sont fournis par les di- visions de l'artère pulmonaire. Cette seconde ori- gine doit seule nous occuper ici : disons-en quel- ques mots. Il existe dans les cellules pulmonaires, de petites masses muqueuses, parsemées de points noirâtres, traversées par des filaments diversement nuancés : leur viscosité est assez considérable : aussi, quand elles sont expectorées , conservent-elles quelque chose de la forme des lobules au sein desquels elles avaient été déposées. Elles paraissent formées de mucus proprement dit , mélangé d'une très petite quantité de la matière colorante du sang qui s'y trouve disséminé sous forme de stries ou de globu- les isolés et altérés. îl est probable que ces petites masses ne sont autre chose que l'albumine solidi- fiée au moment de son passage à travers les parois des capillaires. A n'en juger que par leur aspect, on dirait d'un mélange de mucus avec un peu de suie. Cette expectoration s'observe dans la santé la plus parfaite : elle est aussi inhérente au poumon que la sueur à la peau ; vous sentez de quelle im- portance il est pour le médecin de ne point la con- ( 245 ) fondre avec une sécrétion morbide de l'appareil pulmonaire. Une autre espèce d'expectoration ressemble beaucoup à la précédente, et pourrait même facile- ment être confondue avec elle. Les personnes qui tra- vaillent le soir à la lumière des chandelles,des lampes dont l'huile est impure, qui respirent un air chargé de fumée, de molécule's de carbone, ces person- nes, dis-je, sont sujettes à cracher de ces petites masses gobuleuses dont je viens de vous parler. Vous devinez facilement la cause de cette expecto- ration accidentelle. L'air arrive dans le poumon tenant en suspension une multitude de corpuscules noirâtres : ceux-ci se déposent à la surface des bronches et des cellules pulmonaires^ se dissolvent dans les mucosités et leur communiquent une ap- parence spéciale. De là de prétendues modifications de la sécrétion pulmonaire. Le poumon d'un jeune animal , d'un enfant, ofFre une teinte rosée : plus tard des points noirs se dessinent le long des lignes qui circonscrivent les lobules ; ils forment des plaques grisâtres , apparentes à la surface de l'organe et dans la profondeur de son parenchyme. On a beaucoup discuté sur la production de cette matière noire. C'est surtout chez le vieillard qu'elle devient abon- dante, ainsi que vous pouvez en juger par le pou- mon que je mets sous vos yeux. Il est extrême- ment probable qu'elle est le produit d'une véri- table sécrétion , et que la matière colorante du sang, transsudant à travers les parois des capil- laires , éprouve au contact de l'air une altération ( 2A6) chimique qui amène ces nuances de coloration. Arrivons maintenant à des faits pathologiques d'une plus haute importance : ce sont encore des phénomènes physiques ; mais ils sont incompa- tibles avec Tétat de santé , et créent des maladies de toutes pièces. Ne perdez jamais de vue que toute matière déposée accidentellement dans les cellules pulmonaires a été nécessairement charriée par les liquides mus par la pompe droite, et qu'elle s'est échappée de ses vaisseaux, soit en traversant par exhibition, soit en déchirant leurs parois. Ce fait fondamental bien constaté, jetons un coup d'œil sur quelques-unes des altérations pathologiques du poumon. Qu'est-ce que V engouement pulmonaire? C'est un épanchement dans les cellules bronchiques de la partie séreuse du sang mélangée à une petite quantité de globules colorés. L'organe a cessé en partie d'être perméable à l'air : un liquide se dé- pose et séjourne dans les aréoles de son tissu, soit parce que la résorption n'est plus assez active, soit parce que l'exhalation est plus abondante que dans l'état habituel. Le défaut d'équilibre entre ces deux phénomènes physiques entraine ces infiltrations du parenchyme pulmonaire. L'air apporté par les ca- naux aérifères ne peut pénétrer jusqu'aux derniè- res divisions de l'arbre bronchique : il trouve les cel- lules gorgées de liquide, et, dans ses tentatives pour y pénétrer, il forme cette espèce de mousse qui ruis- selle quand on exprime ou qu'on incise les parties engouées. Une fois hors des capillaires , la matière épanchée se trouve soumise comme tout corps grave ( 247 ) aux lois de la pesanteur : peu à peu elle traverse en s'imbibant le tissu cellulaire, gagne les points les plus déclives , et s'y accumule. C'est ainsi que vous expliquez la prédilection qu'affecte en ap- parence rengorgement pour les parties postérieu- res du poumon. Le décubitus dorsal des malades rend pbysiquement raison de cette circonstance pathologique* Les modifications apportées dans les propriétés physiques des liquides et des tuyaux doivent avoir et ont effectivement une immense part dans la production de ces phénomènes morbides. Faisons ici l'application des résultats fournis par l'observa- tion. N'est-il pas indubitable qu'en diminuant la viscosité du sang, nous avons pu à notre gré dé- terminer des engouements partiels ou généraux suivant que l'altération du liquide était plus ou moins profonde? Témoin ces expériences où nous avons injecté de l'eau dans les veines, témoin ces autres expériences non moins curieuses où nous avons soustrait presqu'en totalité la fibrine. Vous prévoyez de quelle importance il seraitpourleméde^ cin d'avoir présente à fesprit l'influence exercée par la composition des liquides sur la facilité avec la- quelle les parois vasculaires se laissent imbiber. Qu'un individu soit atteint d'engouement pul- monaire par suite d'un appauvrissement des ma^ tériaux du sang, vous obstinerez-vous à ouvrir la veine pour dompter je ne sais quelle chimère que vous appelez diathèse inflammatoire ? Plus vous saignerez, plus le sang perdra de sa viscosité, plus il aura de tendance à s'extravaser. Je pourrais mul- ( 248 ) ti plier ces exemples et appuyer sur des faits mal- heureusement trop nombreux les propositions que vous m'entendez émettre : je livre ce sujet à vos recherches cliniques. Comparez ces aperçus luci- des à l'obscurité du langage de ces doctrines , où les mots irritation, inflammation impuissants à rien expliquer, sont prodigués partout et à chaque instant, avec une déplorable suffisance, comparez- les avec les résultats fournis par l'observation? vous saurez de quel côté est la vérité , de quel côté est l'avenir de la médecine. \I apoplexie pulmonaire est caractérisée par un épanchement du sang dans les cellules du poumon. De même que l'hémorrhagie cérébrale^ elle peut être produite de deux manières : tan- tôt elle résulte d'une simple exhalation sanguine dans le parenchyme pulmonaire , tantôt, et ce cas est le plus commun , les parois des vaisseaux se déchirent , et le sang extra vase se réunit en foyer. Chez les personnes qui succombent à cette affection^ on trouve des portions de poumon engorgées par un liquide noirâtre, poisseux , demi-coagulé : la sur- face des incisions est granulée, et chaque granula- tion rappelle la forme des cellules aériennes. De dis- tance en distance, le tissu pulmonaire lacéré offre des excavations anfractueuses, remplies d'un liqui- de très foncé au milieu duquel sont suspendus des caillots fibrineux. La texture naturelle du poumon a disparu, c'est à peine si on distingue les princi- pales divisions bronchiques ou vasculaires. Ces di- vers dégrés d'une même altération s'expliquent parfaitement si vous songez aux conditions physi- ( 249 ) ques du liquide épanché. Ne s'échappe-t-il qu'en petite quantité hors des capillaires, il est reçu dans les cellules et s'y solidifie : fait-il éruption en quan- tité considérable, les parois des cellules se déchi- rent, leurs cavités se confondent, elles ne présen- tent plus qu'une vaste caverne. Ce qui distingue l'engouement de l'apoplexie pulmonaire, c'est que dans un cas la partie séreuse seule , et dans l'au- tre tous les éléments du sang , s'épanchent hors des vaisseaux et s'infiltrent dans les mailles du pou- mon. Une forte oppression, un sentiment d'anxiété, d'angoisses, des efforts continus pour dilater le thorax, tels sont les principaux symptômes de cette hémorrhagie capillaire. L'expectoration est nulle sil'épanchement ne communique avec aucun tuyau bronchique : dans le cas contraire, les malades re- jettent un sang tantôt spumeux, rutilant, mêlé de salive et de mucosités gutturales; tantôt, et le plus souvent noirâtre, visqueux, en un mot, visible- ment altéré. Je n'ai point à parler ici des signes stéthoscopiques, ni de ceux fournis par la percus- sion : ils doivent vous être déjà connus. Pourquoi dans certaines conditions^ le sang en substance peut-t-il franchir les porosités de ses tuyaux, tandis qu'à l'état sain, il ne s'échappe par cette voie qu'une très faible partie de sa sérosité ? Cela tient aux propriétés physiques de ce liquide. Malheureusement nous ne pouvons déterminer avec précision le genre particulier d'altération qu'il éprouve. Ce que l'on sait de très positif relative- ment aux cas d'apoplexie pulmonaire observés avec soin , c'est que le sang est très profondément at- Magendie. 5à ( 250 ) tëré^ et qu'il a perdu la faculté de se coaguler avec assez d'énergie, pour former un caillot résistant. Examinés au microscope , les globules n'ont plus leur conformation normale, leur enveloppe semble ramollie en partie déchirée. Remarquez, je vous prie , que fréquemment la circulation du poumon n'est pas seule troublée : dans une foule de points de l'économie, le sangs'extravase, s'infiltre dans les tis- sus, ou se réunit en foyers multiples. De là ces pété- chies, ces ecchymoses, ces abcès sanguins, ce pur- pura, cette diaîhèse hé morr h agi que, pour ^divler le langage de quelques médecins. J'ai vu des individus frappés d'apoplexie pulmonaire rendre du sang par les selles, par les urines, par la transpiration cu- tanée et par les principales surfaces d'exhalation. L'histoire nous a transmis la fin misérable de Charles IX , juste punition de son aveugle et féroce politique : de tout son corps, et, pour ainsi dire , par chacune des porosités s'échappait un sang noirâtre , corrompu , fétide. Ces transsuda- tions morbides n'atteignent pas seulement les grands personnages^ elles sont beaucoup plus fré- quentes qu'on ne le pense , et s'attachent de pré- férence aux gens riches dont le régime est recher- ché. Elles sont, pour le physiologiste, une preuve manifeste de l'altération du sang. Les hépatisations pulmonaires , sont aussi des phénomènes de cette nature , avec cette dif- férence que le sang épanché est coagulé. Nul doute que la vitalité du poumon ne puisse être modifiée, par des causes diverses, et qu'il n'en ré- sulte consécutivement de graves désordx^es ; mais ( 251 ) ces désordres reconnaissent fréquemment pour origine des altérations des liquides eux-mêmes. Je n'en veux pour preuve^ que ces pneumonies qui éclatent chez des personnes placées dans les conditions hygiéniques les plus favorables. L'im- pression subite du froid est généralement envi- sagée , comme déterminant le plus souvent Vin- flammatîon du tissu pulmonaire : le fait est exact; mais il faut aussi tenir compte des influences inté- rieures. Qui ne sait que pendant le cours de ces fiè- vres de mauvais caractère qui modifient si visible- ment et les solides et les liquides, il arrive fréquem- ment que le poumon s'engorge, devient imperméa- ble, et ne peut plus servir à la respiration? Cepen- dant les malades n'ont commis aucune imprudence; la chaleur du lit et de l'appartement a maintenu leur corps à une température toujours égale. Ce qui a été modifié, c'est la composition et les pro- priétés physiques du sang. Uhépatisation rouge, reconnaît pour caractère anatomique une induration du tissu pulmonaire avec absence de crépitation. Les cellules, les rami- fications bronchiques, les capillaires sanguins sont infiltrés d'une matière opaque, rougeâtre : cette matière ne paraît être autre chose que la fibrine coagulée; sa couleur lui vient de son mélange avec la matière colorante du sang. C'est en vain que vous insufflez de l'air dans la trachée-artère , le poumon est devenu imperméable. Le sang ^ en s'imbibant à travers les parois capillaires, ne sé- journe pas en totalité dans les cellules, une partie est rejetée par l'expectoration : de là ces crachats ( 252 ) rougeâtres, safranés, d'une viscosité telle qu'on peut renverser le vase sans qu'ils s'en détachent. Leur couleur est d'autant plus foncée, que la quantité de sang qu'ils contiennent est plus con- sidérable ; aussi sont-ils d'un puissant secours, pour apprécier l'état du parenchyme pulmonaire. La maladie tend-elle vers la résolution, ils devien- nent moins rouges, moins visqueux, il sont d'un jaune-citron. Quelle est cette substance jaune ? Est-ce un produit nouveau, de formation récente? Non. Ce n'est autre chose qu'un des éléments du sang. Vous savez que dans ce liquide, il existe deux matières colorantes , l'une rouge , l'autre jaune. Celle-ci, à ce degré de la maladie , trans- sude seule avec le sérum hors des tuyaux membra- neux, et se mêlant aux mucosités bronchiques , est expectorée. Vous vous expliquez aussi faci- lement l'engorgement et l'induration du tissu pulmonaire. Par suite de l'obstruction du réseau capillaire , le sang stagne dans ses vaisseaux et s'y solidifie. Les matériaux qui se sont épanchés dans les cellules de l'organe se trouvent dans les mêmes conditions que s'ils étaient déposés dans un vase, ils se coagulent , et se décomposent : pour pouvoir être résorbés, il faut qu'ils repassent à l'é- tat liquide et s'imbibent dans ces mêmes vaisseaux d'où une première fois ils se sont échappés. Il y a une autre altération du poumon qu'on appelle hépatisadon grise. Ce n'est point à vrai dire, une maladie distincte de la précédente , on ne doit l'envisager que comme un degré plus avancé de l'hépatisation rouge à laquelle elle suc- ( 253 ) cède presque constamment. Les matériaux du sang exhalés dans les cellules pulmonaires s'altèrent; plus leur séjour s'y prolonge , plus ils se décomposent; bientôt ils semblent transformés en un pus véritable. La substance du poumon devient plus molle, plus humide, elle prend uniformément la couleur jaune- paille. Une matière visqueuse et grisâtre suinte à la surface des incisions , on dirait de l'albumine tenant en suspension des grumeaux puriformes. A ce degré de désorganisation , vous chercheriez en vain la texture alvéolaire du parenchyme pul-» monaire ; cellules , capillaires , canaux aériens , lobules^ tout est abreuvé d'une liqueur plastique, et passe successivement par les divers degrés de ramollissement. Il est rare qu'un poumon entier soit hépatisé : on peut ordinairement suivre par les diverses nuances de coloration de son tissu, les degrés intermédiaires à l'engorgement, et à l'in- filtration purulente. Ici la matière colorante du sang est à peine altérée, là elle présente une teinte citrine , plus loin elle est tout à fait grisâtre. Ce sont toujours de simples transformations physi- ques. Toutes les fois que du pus se forme dans un point de nos organes, c'est qu'il y a eu précédem- ment un dépôt de sang en substance ou de quel- ques-uns de ses éléments. L'expectoration n'a ])lns les caractères que nous avons signalés à propos de l'hépatisation rouge. Les crachats sont cendrés, diffluents, d'un blanc sale, qui semble indiquer un mélange de pus. La dyspnée est extrême , la suffocation imminente. La difficulté de la circulation capillaire entraine 254 ) dans toute réconomie les troubles les plus graves : à cette période , il est rare que la terminaison de la maladie ne soit pas funeste. Ainsi l'hépatisation soit rouge, soit grise, dé- pend de la présence dans le parenchyme pulmo- naire, d'une certaine quantité de sang exhalé par les porosités de ses vaisseaux. Qu'un malade meure dans nos hôpitaux d'une pneumonie, on coupe le poumon par tranches, puis on fait remarquer aux élèves comme quoi il est plus mou, plus lourd, diversement coloré , enfin on ajoute : voilà une inflammation I Là s'arrête la leçon, là s'arrête éga- lement la science et du maître et des auditeurs. Que si on substituait à l'examen grossier des am- phithéâtres l'inspection microscopique, croyez-vous qu'on n'arriverait pas à des résultats plus scientifi- ques? C'est pour combler cette lacune de l'ensei- gnement actuel que j'insiste spécialement sur les conditions physiques, qui amènent ces transfor- mations pathologiques. Je ne reviendrai pas sur ce que je vous ai dit des pneumonies grippales. En parlant de cette maladie sous le rapport des altérations physiques qu'elle in- troduit , je vous ai signalé les principales lésions dont le tissu pulmonaire est affecté : nous y avons rencontré l'engouement, Fhépatisation, l'apoplexie avec des caractères tout spéciaux, de plus, les ca- naux aérifères se sont offerts à nous oblitérés par des concrétions pelliculaires analogues à la fausse membrane du croup. Ces altérations dans la sécré- tion de la muqueuse bronchique, jointes aux extra- vasations des matériaux du sang, ont dû mécani- (255) quement concourir à suspendre les fonctions de l'appareil pulmonaire. La grippe par ses symptô- mes^ par les désordres qu'elle entraine dans la cir- culation capillaire, reconnait nécessairement pour cause une modification des propriétés physiques du sang. Ayant discuté longuement avec vous ces questions , je crois inutile d'insister sur de nou- veaux développements. Vous parlerai-je de l'écume bronchique ? Ce n'est point une maladie à part, devant occuper une place spéciale dans les classifications nosologiques. Nous avons vu que l'engouement pulmonaire ré- sulte de l'accumulation dans les cellules de la partie séreuse du sang mélangé d'une très petite quantité de matière colorante. En même temps la sécrétion de la membrane qui tapisse les voies aériennes est plus abondante, nouvel obstacle au passage de l'air. Comment ce fluide arrivera-t-il aux lobules? Ce ne pourra être qu'en traversant les mucosités qui obstruent les divisions bronchiques. Leur visco- sité, leur adhérence aux parois des canaux aériféres exigent de la part du malade de violents efforts pour faire pénétrer jusqu'au réseau capillaire l'air atmosphérique. Plus la circulation s'embarrasse , plus les parois vasculaires se trouvent distendues, plus le sérum du sang a de tendance à s'extrava- ser. Une fois épanché, il se mêle intimement à l'air qui se divise en bulles innombrables : de là cette mousse, cette écume dont les ramifications bron- chiques se trouvent engorgées pendant la vie et sur le cadavre. C'est un phénomène tout à fait semblable à celui que les eufauts s'amusent à pro- ( 256 ) duire en insufflant avec vm chalumeau de l'air dans de l'eau savonneuse ; le liquide bouillonne^^^devient spumeux , revêt , en un mot , les caractères d'une légère écume. J'aurai peu de choses à vous dire de Yœdèjne du poumon. On désigne par ce nom une infiltra- tion de sérosité dans le tissu pulmonaire , portée à un degré tel qu'elle rend son tissu non per- méable à l'air. Rarement cette afFection est pri- mitive. Elle résulte presque constamment d'une maladie concomitante du cœur ou des gros vais- seaux. Depuis que nos expériences ont démontré la véritable manière dont s opère l'absorption , il est très facile de s'expliquer comment un obstacle mécanique à la circulation pulmonaire entraîne le dépôt dans le parenchyme de l'organe des liquides exhalés. L'œdème du poumon survenu aux ap- proches de la mort constitue une véritable infiltra- tion cadavérique : il occupe les parties postérieu- res , c'est-à-dire , celles qui avoisinent la colonne vertébrale et la concavité des côtes correspon- dantes. Lorsqu'on incise le tissu pulmonaire, i! en ruisselle une sérosité abondante , incolore ou légèrement fauve. La transparence de l'épanche- ment suffit pour faire distinguer l'œdème de l'en- gouement; cardans cette dernière lésion, la liqueur imbibée contient une plus grande quantité de ma- tière colorante. Il me reste encore à vous parler de la formation des tubercules dans le poumon. Les anciens attri- buaient à l'inflammation le développement de ces produits accidentels ; privés de connaissances ana- ( 257 ) tomiques rigoureuses, privés surtout de ces ins- truments gro'^sissants , qui permettent à l'œil de descendre dans les détails d'une minutieuse in- vestigation, il n'est pas étonnant qu'ils aient eu à cet égard des opinions erronées. De nos jours une doctrine s'annonce comme nouvelle , afFecte pour l'antiquité un dédaigneux mépris, et ne se promet rien moins que d'opérer une révolution dans le monde médical. Comment procéde-t-elle ? Elle ac- cueille tout d'abord ces vieilles idées, les amplifie, les exagère ; puis, reniant son origine, elle décore son principal apôtre du modeste titre de restaura- teur de la médecine. Pour elle toutes les maladies reconnaissent un même principe. L'engouement, l'hépatisation , l'apoplexie^ la tuberculisation du poumon , ce sont là autant de formes que revêt l'inflammation; nouveau Protée se jouant au sein de l'organisme. Nous avons déjà fait ressortir tout ce qu'il y a d'inexact , ou pour parler sans réti- cences, tout ce qu'il y a d'absurde dans une sem- blable doctrine. Mais ce n'est pas une raison pour qu'elle ne compte pas de nombreux partisans ; il faut des croyances à la multitude , et quand elle ne trouve pas quelqu'un pour la tromper (le cas est fort rare), elle se crée elle-même des illusions, au sein desquelles elle prend plaisir à se bercer. Dans la prochaine séance , je vous exposerai l'état actuel de nos connaissances touchant l'origine des tubercules pulmonaires. Magcadie. ( 258) SEIZIEME LEÇON. 8 mars 1837. Messieurs , De toutes les maladies qui attaquent l'appareil respiratoire , la plus meurtrière est sans contredit là dégénérescence tuberculeuse du tissu pulmo- naire. Aussi les médecins de tous les temps, de tous les pays, de toutes les écoles, ont-ils cherché à éclairer son histoire. Malheureusement , cette grave question a été plutôt débattue par des rai- sonnements que par des faits; on a étudié avec un soin minutieux les lésions cadavériques, sans cher- cher à remonter aux principes de ces lésions ; et quand on a voulu soumettre à l'analyse les causes qui présidaient à leur formation , on s'est égaré dans des suppositions sans limites. La phthisie pulmonaire, malgré tous les travaux dont elle a été l'objet, est encore aujourd'hui, pour les mala- des un juste sujet d'effroi, pour le médecin un écueil contre lequel échouent sa science et sa thé- ( 259 ) rapeutiqiie. Je n'ai point à vous faire la description de cette maladie : consultez les livres , consultez surtout nos hôpitaux, cet immense champ ouvert à l'observation. Vous n'aurez que trop d'occasion d'étudier ses déplorables effets. Elle ne respecte ni l'âge, ni le sexe, ni la position sociale ; chaque jour elle frappe de nombreuses victimes , et telle est sa fréquence, qu'il n'est peut-être aucun d'en- tre vous qui déjà par la perte d'un parent ou d'un ami,, n'en ait subi la douloureuse épreuve. Je ne vous exposerai ici que ce qu'on sait de po- sitif relativement à la manière dont le tubercule se forme. C'est une question en grande partie phy- sique, conséquemment elle rentre dans nos études. La matière tuberculeuse s'offre dans le poumon sous divers aspects principaux, tantôt elle est «72^/- ^7^e'^,tantôtelleesten globules /^o/^' tantôt des courbures ondulées; là ils marchent isolés, là ils s'anastomosent; dans tel point ils circonscrivent des cellules , dans tel autre des alvéoles; ailleurs ils forment un réseau à mailles irréguliéres. M. Berrès a établi 1 6 classes qu'il con- sidère comme autant de types auxquels peuvent se rapporler toutes les variétés du système capillaire; je ne sais jusqu'à quel point ces divisions sont ri- goureusement exactes. Quelque confiance que m'inspirent les travaux de l'anatomiste allemand^ les études microscopiques présentent tant de mo- difications suivant l'instrument qu'on emploie , suivant l'œil qui examine, qu'il est toujours bon que de nouveaux observateurs vérifient les pre- mières recherches. Un peu plus ou un peu moins de lumière, la plus légère variation dans la dis- tance du foyer suffisent pour changer l'aspect des objets. Il ne faut donc admettre qu'avec beaucoup de circonspection des résultats fournis seulement parle microscope. Je ne trouve pas d'ailleurs sur ces planches la manière dont les tuyaux sanguins s'abouchent dans les tissus érectiles, se distribuent à l'encéphale , traversent la substance nerveuse. Une classification méthodique des vaisseaux ca- pillaires me semble chose fort difficile; on pour- ( 334 ) rait compter autant de modes de terminaison des artères qu'il y a d'organes et d'appareils dans l'économie vivante. Dans les considérations générales où je suis précédemment entré, j'ai négligé , à dessein de mentionner ce qu'il y a de plus apparent, de plus grossier dans la disposition de l'appareil vasculaire. Vous ne vous attendez pas à ce que je décrive comment se comportent les grosses artères, les grosses veines; il suffît d'avoir un peu fréquenté les amphithéâtres de dissection , pour être fami- liarisé avec ces détails d'anatomie. N'allez pas croire toutefois qu'un fait, par cela seul qu'il est facile de vérifier , soit exempt de controverse; on discute encore tous les jours sur les changements physiques que la colonne de liquides fait éprouver à un tuyau aussi volumineux que l'aorte. Ceci cessera de vous paraître étrange si vous réfléchissez à la marche adoptée généralement pour les ques- tions physiologiques. On raisonne, on spécule, on échange force arguments ; à une objection on ré- pond par une objection : qu'importe à chacun d'avoir tort pourvu qu'il prouve que son adver- saire se trompe. Essaie-t-on de faire des expé- riences? Elles ne réussissent pas parce que ce genre de recherches exige de l'habitude , et qu« jusqu'alors on y était resté entièrement étranger. L'amour-propre s'en mêle; on se fonde sur des ex- périences mal faites pour nier des faits avancés par des personnes qui se livrent depuis de longues années à cette spécialité , et dont le témoignage doit avoir quelque poids. C'est bien autre chose ( 335 ) encore quand il s'agit des vaisseaux capillaires ; ici au moins on conçoit qu'il existe des contestations; car tout le monde n'a pas un microscope, et, quand on en a un, souvent il n'est pas bon, et quand on en a un excellent, tout le monde ne sait pas s'en servir. Ainsi, vous voyez que tout en éliminant les ques- tions les plus élémentaires, il nous reste une foule de points à discuter, non par de simples raisonne- ments, mais par l'expérience et l'observation. La pompe gauche n'est pas le seul agent qui détermine le mouvement des liquides dans l'en- semble des tuyaux. Nous avons vu que les mou- vements d'inspiration et d'expiration exerçaient une notable influence sur la circulation pulmo- naire. La même influence se retrouve plus pronon- cée et plus visible encore à propos de la grande circulation. Quand la poitrine se dilate, elle aspire le sang des veines-caves et de proche en proche celui de toutes les veines du corps. Quand elle se resserre pour expulser l'air contenu dans sa cavité, tous les organes pectoraux et abdominaux sont compromis, et le fluide artériel est chassé dans ses tuyaux avec plus d'énergie. La pompe aérienne est donc un auxiliaire puissant du ventricule gauche. Ce qui influe sur les artères influe sur les veines, et ce qui influe sur les veines influe sur les artères; chaque tuyau isolé représente un des anneaux de la chaîne circulaire que constitue notre appareil hydraulique. J'avais l'habitude autrefois d'étudier à part Faction delà pompe respiratoire, et de ne l'envisager que d'une manière tout à fait secon- daire; aujourd'hui je préfère mettre sur la même ( 336 ) ligne ces deux agents d'impulsion, et les confondre en une même description. Ce n'est pas que les con- tractions ventriculaires ne puissent, à elles seules, faire marcher le liquide, mais dans l'état habituel, et c'est cet état surtout qu'il nous importe de con- naître, la pompe gauche ii'agit pas seule ^ sa force est singulièrement accrue et quelquefois diminuée par l'intervention des mouvements respiratoires. Commençons par étudier ce qui se passe sur les gros vaisseaux. Les phénomènes physiques dont ceux-ci sont le siège, une fois bien connus , trouveront pour la plupart leur application lorsque nous serons arri- vés à Fétude des capillaires. Je prends un tube en caoutchouc et j'adapte à une de ses extrémités , la canule d'une seringue remplie d'eau ; l'autre extrémité est libre. Poussez doucement le piston , il s'échappe à la fois du li- quide et de l'air par l'orifice ouvert. Le courant ne remplit pas exactement la cavité du tube parce que l'ouverture de sortie est aussi large que Tou- verture d'entrée. L'eau coule ici comme dans une gouttière, et on pourrait enlever l'hémisphère su- périeure du tuyau cylindrique sans que le liquide fût modifié dans la manière dont il se meut. Nous ne trouvons rien de semblable dans les conduits qui charrient le sang : ceux-ci sont constamment pleins et il ne se rencontre pas d'air dans leur cavité. Si vous comprimez l'orifice libre de manière à rétrécir son diamètre, il sortira moins de liquide qu'il n'en entrera , et bientôt le tube se trouvera ( 337 ) rempli. Aurez-vous alors les conditions physiques d'une artère traversée par un courant sanguin? Pas encore. Il vous faut augmenter l'action du piston de manière que les parois du tuyau élastique soient pressées et distendues par le liquide. Vous voyez ici par une circonstance éventuelle quele tube sur lequel j'expérimente est soumis à une assez forte pression, car il a cédé en un point où sa ré- sistance était moindre, et il s'y est formé une véri- table ampoule anévrismale. Aussi , notez bien ce fait : les tuyaux vivants non seulement sont rem- plis par un liquide^ mais même ce liquide les dis- tend de toutes parts et augmente leur capacité. Il n'y a pas de circulation normale qui ne soit sous la dépendance d'un fait mécanique particulier. C'est à l'élasticité des tuniques artérielles qu'il faut rap- porter la propriété dont elles jouissent , de céder sous la pression de la colonne de liquide; de ce phénomène découle un autre phénomène non moins simple, non moins important. Supposez que l'impulsion de la pompe vienne à se suspendre , qu'arrivera-t-il? Le tuyau réagira sur le liquide avec d'autant plus de force que sa distension était plus considérable, et il continuera de le faire mar- cher par le seul fait de la réaction élastique de ses parois. Deux agents mécaniques concourent donc puissamment à communiquer au sang sa force progressive ; d'une part la contraction delà pompe, d'autre part l'élasticité des tuyaux. Je ne conçois rien de plus évident que cette double action : l'une n'est que la coaséquence de l'autre. La première vous est prouvée, et par le simple raisonnement et Msgendie. 45 ( 338 ) par ce que vous venez de voir sur ce tube en caoutchouc; quant à la seconde, sa nature étant la même , sa démonstration est aussi élémentaire. Ouvrons Torifice supérieur du tube tenu verticale- ment afin que le liquide ait à surmonter sa pro- pre pesanteur, une partie a été chassée de la cavité du cylindre , les parois se sont rétractées , le petit anévrisme s'est affaissé^ en un mot vous avez ob- servé tous les phénomènes dus à la réaction d'un tissu élastique. Si les dimensions du tuyau avaient été augmentées par l'accumulation d'une plus Sjrande quantité de liquide, le retrait de ses parois se serait fait sentir d'une manière encore plus apparente. Telle est l'importance de l'élasticité des tuyaux vivants que, dussions-nous nous exposer à quel- ques répétitions, nous croyons devoir insister de nouveau sur cette propriété physique , contestée (j'ai honte de le dire) par des hommes d'un im- mense mérite. Il semble que le propre de quelques intelHgences supérieuresest de voir les phénom.ènes les plus cachés et de méconnaitre parfois les plus apparents. Une des principales objections qu'on ait faites à ceux qui nient la contraction vitale des parois vasculaires est justement enpruntée à ce phéno- mène qu'invoquent à leur tour les partisans de cette dernière opinion. On dit : appliquez une ligature sur une artère, vous interceptez l'action du cœur, et cependant le sang continue à se mouvoir au-des- sous du point comprimé, jusque dans les capillaires et les veines, à peu près avec autant de facilité que ( 339 ) si la pompe continuait à agir. Donc les parois du tuyau jouissent d'une force contractile qui leur est propre. Bien loin de renier ce fait , je l'accepte d'autant plus volontiers qu'il vient à l'appui des idées que je professe. Quant aux conséquences qu'on en a déduites, elles me semblent plutôt spé- cieuses qu'exactes. Voici, selon moi, l'explication toute naturelle du phénomène : je remprunte à l'expérience que nous venons de faire sur ce tube eii caoutchouc. La force employée à dilater le tuyau reste en dépôt dans les parois , et sa réac- tion est nulle tant qu'elle est contrebalancée par l'impulsion de la pompe. Celle-ci cesse-t-elle d'a- gir ? A l'instant l'élasticité la remplace; seule elle fait mouvoir le liquide dans les conduits vivants jusqu'à ce que les parois vascuîaires aient atteint les limites de leur propriété rétractile. En der- nière analyse le cœur doit être envisagé comme le seul agent moteur, seulement son action est dé- composée. Dans le premier temps, il déplace direc- tement la colonne de sang par une contraction subite. Dans le second, il agit non plus par le dé- veloppement d'une nouvelle impulsion , mais par l'excédant de la force qu'il avait dépensée à dilater les parois élastiques. Une artère ne jouit donc que d'une contractilité d'emprunt. Nous venons de voir que le sang peut continuer à se mouvoir dans un tuyau par la simple élasticité de ses parois. Le phénomène est encore rendu plus sensible par l'expérience suivante. Appliquez deux ligatures sur une artère de manière à intercepter une colonne de liquide ( 340 ) d'une certaine longueur. Vous aurez eu soin de lier rextrémité capillaire avant l'extrémité supérieure , afin que le tuyau soit distendu et se trouve dans les mêmes conditions physiques pour votre expérience que sur l'animal vivant. Faites une ponction en un pointquelconque de ses parois, vous verrez les particules liquides affluer vers ce point et s'échapper, pressées qu'elles sont par le retrait des membranes artérielles. Si vous supposez l'ouverture occuper la partie moyenne du cylindre, il est évident qu'il y aura deux courants, Tun dans le sens de l'action du cœur, l'autre dans un sens opposé : leur vitesse sera égale et ils continueront de marcher tant que l'élasticité du vaisseau ne sera pas épuisée. De même si vous ouvriez le bout de l'artère qui correspond au cœur, toute la colonne de liquide suivrait un mouvement rétrograde en allant contre sa propre direction. Ce phénomène a beaucoup embarrassé les physiologistes. Ils ont vu que quand on sépare du tronc la tête d'une grenouille , non seulement le sang continue à s'é- couler par l'orifice cardiaque de l'artère, mais en- core qu'il reflue par l'orifice opposé , ce qu'ils ont voulu expliquer par une contraction active des ca- pillaires. Il est inutile que j'insiste sur ce qu'une semblable explication renferme d'inexact. C'est pour avoir pris le change sur la nature du phé- nomène, pour avoir attribué à une propriété vitale ce qui n'était qu'un résultat physique , qu^on a méconnu la cause véritable de ces mouvements du sang. J'en reviens toujours à mon expérience sur le tube en caoutchouc. Perforez-le dans le milieu ( 341 ) de sa longueur, chaque moitié se vide du liquide qui distendait ses parois : ouvrez l'un des deux ro- binets appliqués à ses extrémités , peu importe le- quel , l'écoulement sera le même en vertu d'une même réaction élastique. Qu'y a-t-il de changé dans ces circonstances ? les noms seuls. Vous ap- pelez artère un tuyau , et préoccupé de sa vitalité, vous négligez ses propriétés physiques. Cependant celles-ci vous expliquent admirablement bien tou- tes les particularités du phénomène. Nouvelle preuve de l'influence qu'exerce par fois un langage vicieux , et de la nécessité de parler physique et mécanique alors qu'il s'agit de questions de phy- sique et de mécanique . Quelquefois il arrive qu'immédiatement après l'application d'une ligature , sans qu'on ait piqué les parois de l'artère, le sang, au lieu de continuer à se mouvoir dans la direction imprimée par le cœur, reflue des capillaires vers le tronc d'origine. Remarquez qu'il n'y a pas d'ouverture au tuyau. Faut-il donc supposer au liquide une faculté de déplacement inhérente à sa vitalité, ou bien faut- il reconnaître que les tuyaux se contractent ? Ni l'une ni l'autre de ces deux hypothèses n'est admis- sible. C'est là un phénomène d'hydraulique dont M. Poiseuille a très bien développé le mécanisme. Les capillaires jouissent, de même que les conduits plus volumineux^ d'une rétraction élastique liée intimement à la nature de leur tissu. Représentez par 4 I21 force de ceux-ci, par 4 la force de ceux-là, il est évident que ces forces se contrebalanceront^ et si le liquide ne peut s'échapper par aucune issue, ( 342 ) il y atirâ stagnâîioti et immobilité de ses tliôlécti- les. Mais il peut se faire que la pression ne s'exerce pas également dans les diverses sectiotis de l'appa- reil vasculaire. Là force des capillaires est- elle de 6 , tandis que celle du tuyau central n'est que de 4^ alors apparaissent de nouveaux phénomènes. Par suite de sa tendance continuelle à se mettre en équilibre , le sang reflue des petits canaux vers les gros troncs jusqu'à ce que les parois soient uni- formément dilatées. De là ces oscillations, ces ba- lancements en sens divers de la colonne de liquide; elle ne s'arrête que quand la force du tuyau central est portée à 5, et celle des capillaires des- cendue à 5. Nous pouvons , sinon reproduire exactement, du moins simuler à peu prés ces phé- nomènes d'hydraulique. Voici un tube distendu par un liquide : à l'instant où ma main comprime une de ses extrémités , le liquide fuit vers l'extrémité opposée et distend les parois élastiques : ma main cesse-t-elle d'agir, aussitôt le liquide revient à sa première place, et l'égalité de pression se rétablit. La même chose se passe sur les tuyaux vivants , seulement en raison de leur délicatesse et de leur ténuité^ le phénomène est moins apparent. Vous ne serez donc pas surpris en examinant au micros- cope la marche du sang, de voir le liquide, tantôt rester immobile dans ses canaux , tantôt se mou- voir dans un sens, tantôt dans un autre. La méca- nique vous donne la solution de ces deux phéno- mènes. On s'est beaucoup occupé des oscillations que présentent les globules sanguins à leur passage ( 343 ) dans les tuyaux capillaires. En examinant le mé- sentère d'une grenouille dont la circulation n'a point été troublée par Tapplication d'une ligature, on observe des phénomènes semblables à peu prés à ceux que nous avons mentionnés dans T expé- rience précédente. Les globules vont dans un sens, reviennent en sens inverse, s'arrêtent^ puis repren- nent leur mouvement; ils paraissent incertains sur la direction qu'ils doivent suivre. Se passe-t-il là quelque chose de mystérieux , en dehors des lois générales de la nature ? Non , Messieurs. Je sais bien que l'histoire de la circulation présente encore une foule de points obscurs, ne se prêtant que trop aux hypothèses erronées des esprits enthou- siastes et amis du merveilleux. Mais ici le fait est simple, facile à concevoir, facile a expliquer. Avant d'accueillir l'influence d'agents inconnus , iî faut d'abord avoir épuisé toutes les connaissances phy- siques dont l'application pourrait fournir quelques lumières propres à éclaircir la question. C'est ce qu'on a négligé de faire dans cette circonstance ; sans cela on aurait vu que ces oscillations ne sont qu'un résultat mécanique des divers degrés d'éner- gie dont est douée la force hydrodynamique ; je m'explique. Si cette force est suffisante pour faire marcher le sang , il n'y a point d'incertitude ; les globules cheminent dans la direction qui leur est impri- mée. Si au contraire elle est nulle , les globules s'arrêtent : il n'y a plus de mouvements de liqui- des. Entre ces deux extrêmes , sur les confins de cette impuissance et de cette toute-puissance de ( 344 ) l'agent moteur, existe une force intermédiaire qui a assez d'énergie pour déplacer le sang , trop peu pour le faire franchement avancer. Qu'arrive-t-il alors ? Les globules poussés par la contraction de la pompe parcourent un certain trajet; comprimés par la réaction élastique des parois, ils reviennent à leur première place. Ainsi , impulsion progres- sive du cœur, impulsion rétrograde des vaisseaux : balancée entre ces deux puissances dont l'action mutuelle se neutralise, la colonne liquide est agi- tée d'un mouvement de flux et de reflux; elle pré- sente, comme on dit, des oscillations. A ceux qui nieraient qu'un tuyau élastique comme Tartére se dilate et se resserre suivant que plus ou moins de sang afflue dans sa cavité , je deman- derai s'ils conçoivent bien comment un verre vide se remplit quand on y verse un liquide. Ma question leur paraîtrait au moins étrange. Eh bien ? Mes- sieurs, je trouve aussi étrange de contester le rôle immense joué par l'élasticité dans ces questions d'hydraulique animale. Substituez à un vase à parois inflexibles un tube à parois élastiques, vous aurez le phénomène de la distention de l'ar- tère : laissez échapper le liquide accumulé, vous aurez le phénomène de sa contraction. Quand un fait contrarie une opinion , on est beaucoup plus porté à le nier, même sans examen, qu'à modifier ses propres idées.Vous avez beau en appeler à l'expérience , on vous répond avec un grand sang-froid, souvent même avec un ton de conviction qui aux yeux de bien des gens équivaut à d'excellentes raisons : nous n'avons rien vu de ( 345 ) semblable. La chose est vraie , il est fâcheux seu- lement qu'on ne pousse pas la franchise jusqu'à ajouter qu'on ne s'est pas donné la peine de regar- der. Il n'est besoin ici ni de raisonnements, ni de dissections délicates, ni de recherches microscopi- ques. Les yeux sont autorité très compétente. Je ne sais si M. Poiseuille avec l'instrument qu'il a ima- giné est parvenu à convaincre les plus incrédules. Au moyen d'un tube adapté à un réservoir d'eau que traverse une artère , on voit la colonne de li- quide monter et descendre chaque fois que les pa- rois du vaisseau se dilatent par l'action du cœur, se contractent par leur propre élasticité. Il n'est aucun médecin qui , arrivé près d'un malade n'applique le doigt sur l'artère radiale pour interroger ses pulsations. Hippocratetâtait le pouls et depuis lui cette pratique s'est religieusement conservée. Il s'en faut cependant que tout praticien se rende compte du phénomène mécanique qui produit ces battements auxquels dès la plus haute antiquitéonaattachéunegrande importance. Onsait bien que le choc de l'artère est isochrone au mou- vement du cœur, mais l'explication de ce choc pour- rait embarrasser bon nombre de fort honorables confrères. Demandez à ce grave personnage qui parait plongé dans une méditation profonde au moment où il tâte le pouls du malade, quel est le mode de production des pulsations artérielles ? Il ne restera pas sans réponses, parce qu'il ne doit jamais paraître ne pas savoir, mais je crains bien que sa science ne soit mise en défaut. Si vous lui eussiez demandé l'état du pouls , il vous aurait dit Magendie. 44 ( 346 ) si il est plein, fort, tendu, vibrant, caprisant, etc., il n'eût été embarrassé que sur le choix des épi- tliétes dont la dernière (capra, chèvre) ne laisse pas que d'avoir quelque chose de poétique. Quant à la physique, il n'en est pas question : son langage un peu sévère aurait paru déplacé auprès de ces ex- pressions qui se prêtaient si complaisamment à voiler l'ignorance. Cependant la moindre notion de l'élasticité des artères aurait expliqué comment à l'instant où une nouvelle ondée de sang est poussée dans le système circulaire, les parois du vaisseau se dilatent, comment elles reviennent sur elles- mêmes, quand la pompe suspend sa contraction. Vous pourrez auprès des malades affecter un air grave, profond, employer des grands mots auxquels ils ne comprendront rien, et vous pas grand chose, mais le savoir ne se mesure pas à la gravité. En faisant illusion aux autres , il faut au moins ne pas se faire illusion à soi-même. Une des preuves les plus concluantes du rôle passif que remplissent les tuyaux va sculaires dans les mouvements des liquides est déduite de la na- ture même des pulsations artérielles. On a parlé de contractions vitales des parois : comment con- cilier alors ces innombrables variétés que présente le pouls dans sa force, sa fréquence, son rhythme. Dans les affections organiques du cœur, le jeu dé- sordonné de l'organe est appréciable dans chaque point du système artériel par un trouble constant du pouls. Si les capillaires jouissaient d'une force tonique autre que Télasticité, comment se com- porteraient-ils dans ces cas pathologiques? Tantôt ( 347 ) leur contraction coïnciderait avec celle de la pompe, tantôt elle la précéderait, tantôt enfin elle la suivrait. A moins que vous n'admettiez que la vitalité de ces petits canaux ne soit si intimement liée à lavitalité du cœur, que celui-ci ne puisse être malade sans qu'à l'instant même tout l'appareil capillaire ne soit si- multanément affecté. Or, c'est là une supposition absurde. Les physiologistes qui ont nié l'élasticité des tuyaux sanguins n'avaient donc jamais tàté le pouls d'un animal vivant. Injectez de l'eau dans un tube en verre , en saccadant le mouvement du piston, votre doigt appliqué sur les parois n'éprouvera point la sensation d'un choc. Que le liquide passe en colonnes volumineuses ou petites , qu'il soit mu par une impulsion uniforme ou alternative, jamais vous ne percevrez la plus légère modification dans les conditions physiques du tube. Pourquoi sur une artère reconnaissez-vous des battements ? Parce que l'action de la pompe est saccadée, et que cha- que ondée de liquide distend les parois élastiques qui reviennent sur elles-mêmes immédiatement après. Cette succession de dilatation et de resser- rement constitue le pouls. Quand on cautérise le tronc d'un nerf, les parties oh. ses rameaux vont se distribuer sont paralysées, par suite de l'interruption de l'influence nerveïise. Sous le rapport anatomique, les capillaires doivent être envisagés comme les subdivisions d'un gros tuyau , et ils vivent de la même vie que le conduit dont ils émanent. Si ce conduit devient malade ainsi qu'on l'observe dans certaines ulcérations; ( 348 ) certaines dégénérescences morbides qtli attaquent ses parois , les capillaires devront participer à sa souffrance^ et leur action^ si tant est qu'elle existe, Sera pervertie. Eh bien ! tant que le tuyau altéré dans sa texture reste perméable au sang^ les phé- nomènes hydrauliques sont les mêmes ; les infini- ment petits canaux livrent passage comme de coii-* tume à la colonne liquide , et la circulation n'est point influencée. Rien n'est plus simple que l'ex- plication de ces phénomènes. Le nerf est un or- gane vital par excellence ; s'attaquer à sa vitalité^ c'est s'attaquer à l'essence même de ses fonctions. L'artère _, au contraire, est un tuyau obéissant à l'impulsion de la pompe , agissant par son élasti- cité, mais n'ayant par lui-même aucune force de dilatation ni de resserrement. Ce que je dis ici des grandes artères s'applique également aux canaux les plus déliés^ aux veines, en un mot, à l'univer- salité des conduits vasculaires. Avant de descendre dans l'examen minutieux des questions obscures que nous devons aborder ,je me propose d'insister encore sur ces propriétés p^ériérales de notre grande machine hydraulique. Une fois ses divers compartiments bien connus , nous l'envisagerons dans son ensemble et remet- trons à leur place les rouages que nous aurons été obligés d'isoler pour l'intelligence de leur méca- nisme. Il y a peu de questions qui intéressent à un aussi haut degré le médecin et le physiologiste , il en est peu aussi étroitement liées à la pathologie. Ne nous arrêtons pas complaisamment sur ce qui a été fait ; ce qui reste à faire doit surtout éveiller ( 349 ) notre sollicitude et diriger nos recherches. Ce n'est point en contemplant le chemin qu'on a parcouru, mais bien plutôt en mesurant du regard celui qui reste à faire , qu'on arrive au but si ardemment convoité. ( 350 ) V'NGT-UNIÈME LEÇON. 20 mars 4837. Messieurs, ^ Le but que nous nous sommes proposé est de vous mettre au courant de ce qui est certain, po- sitif, dans cet immense phénomène de la circula- tion du sang; autre chose est faire des spéculations, autre chose est faire des expériences. Ce qu'on sait le moins est bien souvent ce qu'on croit savoir le mieux, alors que pour résoudre un problème d'hy- draulique on a recours au raisonnement plutôt qu'à l'observation. Le raisonnement est sans doute une excellente chose, un précieux moyen de dis- tinguer le vrai du faux , mais il ne doit parler qu'après que l'expérience a prononcé. A quoi bon s'escrimer avec de subtiles arguments , se fatiguer en d ardentes controverses pour démontrer l'exis- tence plus ou moins probable d'un fait ? L'avan- tage restera au plus habile jouteur , et quel avan- tage? celui bien souvent d'avoir fait triompher (351 ) une opinion fausse contre une opinion vraie , d'a- voir substitué des explications mensongères à des phénomènes réels. Il y a donc ici, non pas usa- ge , mais abus d'un des plus nobles attributs de rintelligence de l'homme. Si la question avait été posée sur son véritable terrain , et qu'on eût invoqué l'autorité de l'observation plutôt que celle des hypothèses , on aurait su tout d'abord à quoi s'en tenir sur la réalité du fait; une fois celui-ci bien constaté, sa nature bien connue, le raisonne- ment serait venu à son tour apporter le tribut de ses lumières, et expliquer ce que jusqu'alors on avait simplement prouvé; malheureusement telle n'est point la méthode généralement adoptée. Aussi nos constants efforts tendront-ils à réparer cette lacune de l'enseignement élémentaire, et à ramener dans la voie de la vérité les questions qui en ont été dé- tournées par les préjugés ou les divagations des physiologistes ? Autant les opinions que j'émets maintenant devant vous vous paraissent évidentes et claires, autant la thèse opposée soutenue par le vitalisme paraissait de son temps claire et évidente. A quoi tient cette différence ? A la manière dont on pro- cède dans l'analyse des phénomènes. Si vous con- fondez ce qui est physique avec ce qui est vital, il n'y a plus qu'incertitude et qu'erreur; sans doute que la chimie et l'hydraulique ne vous donneront pas l'explication de la contractilité musculaire , de la sensibiUté, de l'influence nerveuse, mais ce n'est pas là qu'elles doivent être envisagées : il est d'au- tres questions , telle que la digestion , les mouve- ( 352 ) ments des liquides où elles trouveront leur appli- cation. Bichat , pour prouver l'impuissance de la physique dans FéLude des fonctions organiques citait un phénomène vital ; nous, pour prouver la proposition inverse , nous citons un phénomène physique, nous citons la circulation du sang. Vous savez que la contraction delà pompe gauche a pour efFet de déplacer la colonne de liquide et de distendre les parois élastiques des tuyaux. Cette distension est importante à noter, d'abord à cause du rôle qu'elle joue comme agent d'impulsion; en second lieu parce qu'elle montre la futilité de l'o- pinion qui veut que les capillaires aient une force particulière ; le ventricule, dit-on , n'a pas assez d'énergie pour faire mouvoir le sang; pourquoi donc , au lieu de pousser le liquide à une plus grande distance , épuise-t-il son action à dilater les parois des tuyaux ? Les tuniques vasculaires ré- sistent toujours un peu à la pression qu'elles éprou- vent, tandis que les canaux sanguins, partout con- tinus, présentent une succession de cavités toujours libres, toujours ouvertes. Quelque long que vous supposiez ce tube en caoutchouc , jamais il ne se distendra que quand il sera plein, et encore fau- dra-t-il que plus de liquide soit poussé par le piston qu'il ne peut en sortir par l'orifice opposé ; c'est justement ce qui arrive pour les artères. A l'instant où les parois ventriculaires se contractent, une ondée de sang est lancée dans le système ar- tériel , mais il ne s'en échappe pas une quantité égale par l'extrémité de ce système ; une partie ^'accumule dans la cavité des tuyaux dont elle ( 353 ) distend les parois. Celles-ci réagissent et conti- nuent à faire marcher le liquide ; aussi, non seule- ment la pompe gauche a une énergie suffisante pour déployer les colonnes sanguines, mais même elle emploie son surcroît de puissance à dilater les parois vasculaires. Entre chaque contraction de la cavité ventricu- laire, existe donc une force accessoire qui com- prime en tous sens la colonne de liquide. C'est elle qui transforme le jet saccadé en courant continu. On voit avec peine la dépense de talent que Bichat a faite, au grand préjudice de la science, pour ex- pliquer ou plutôt pour embrouiller une question aussi simple. Dans telle partie de ses ouvrages, il dit d'une façon, dans telle autre, d'une autre ; en- fin il arrive à établir que le sang n'est point mu d'une manière continue. Or, ceci est contraire au raison- nement, contraire à l'observation. Je reviens avec intention sur ce fait fondamental ; car c'est là que repose toute la théorie de la circulation. Si la pompe poussait sans cesse de nouveau liquide , les parois artérielles n'auraient pas le temps de revenir sur elles-mêmes ; mais nous savons qu'entre chacune de ses contractions existe un instant de repos qui correspond au retrait élas- tique des tuyaux. S'il est facile de comprendre comment un agent d'impulsion situé à une des extrémités du système vasculaire, déplace les co- lonnes liquides dans un sens toujours le même, il n'est peut-être pas aussi aisé de se rendre compte de l'action des artères. Celles-ci compriment le sang circulairement et nonplusàtergo. Pourquoi Magendie. 45 ( 554 ) donc le liquidé ¥ènd-îl à se mouvoir du côté de sa direction première ? Parce qu'un obstacle méca- nique s'oppose à son reflux vers la cavité qu'il vient d'abandonner. Après s'être contractée , la pônipe se dilate , et aussitôt les valvules àôrtiques se redressent : véritables portes à flot;, celles-ci Soutiennent la colonne sanguine, et luttent contre Feirort qui tend àla faire rétrograder. Deviennent- elles malades par suite d'un dépôt calcaire, ainsi qù'^nrobserve souvent chez les vieillards, leur ri- gidité s'oppose à leur jeu de sôtîpapes, et le sang pressé par les parois artérielles , rentre en partie dans la cavité du corps de la pompe. A. l'état le plus normal on observe quelquefois roscillation des globules dans des directions oppo- sées. Vous regardez un capillaire âù microscope "et Vous voyez un globule tantôt se -mouvoir dans 'un sens , tantôt datis un autre; rester itn instant ïiiimotîle , puis abandonner le centre du tuyau pour s'engag-er dans un rameau collatéral, A Quoi tiennent ces déplacements en sens inverse de l'impulsion primitive? Est-ce à l'insuffisance dés valvules aortiques ? Non , Messieiirs; ribùs vous avons déjà expliqué comment, en vertu de la loi d'égalité de pression, le liquide afllue toujours vers le point où cette pression est inégalement répartie. Pour vous rendre le phénomène sensible , nous avons distendu par de l'eau un tuyau éii caout- chouc et faitune piqûre en un point de sa longueur: tout le liquide qui dilatait ses parois, s'est échappé par cette ouverture accidentelle , et l'écoulement ne s'est suspendu qu^au moment où la cavité du ( 355 ) cylindre a eu repris son diamétrehabituel.Sinous eussions agi sur des tuyaux multiples , communi- quant tous entre eux, et soumis à une égale disten- sion, TOUS auriez vu le liquide abandonner tous les autres tuyaux pour se porter vers celui où la pres- sion serait devenue moins forte. Le phénomène est le méme^ son explication aussi naturelle. Je me propose de revenir plus tard sur les prin- cipaux préceptes de cette fameuse doctrine de l'in- flammation qui^ depuis Hippocrate jusqu'à nous , a servi de base aux divers systèmes imaginés par les diyerses écoles médicales. Et d'abord quel est son premier dogme ? C'est celui-ci : uj?j,sti?nulu,i, ibi jluxus. Il est difficile de formuler en moins de mots toute une doctrine, mais je crains bien qu'ici la clarté n'ait été sacrifiée à la concision. Stimulus^ le rendrez-vpus en français par irritation; conve- nez que la traduction est au moins un peu libre, surtout d'après l'idée attachée à cette dernière expression : c'est bien autre chose quand il s'agit du m.oiJïuxus, J'y cherche en vain l'idée à'in- flammatioji^ c'est à dire d'un feii^ d'une flamme consumant les tissus par un subit incendie. Cet axiome de l'antiquité dont le sens a été dénaturé Yt^y nos modernes réformateurs , exprime un fait exact parce qu'il est puisé dans l'observation; quant à son explication véritable, c'est encore aux lois physiques qu'il faut la demander. Si vous sou- mettez au foyer du microscope le mésentère d'une grenouille^ et que vous stimuliez, CQ^t-ii-'àive piquiez un capillaire avec la pointe acérée d'un stylet, voici ce que vous observez : à peine l'instrument a-t-il percé ( 356 ) la paroi du vaisseau, qu'aussitôt les molécules liqui- des s'échappent par ce petit pertuis, et de toutes parts<7^«^/2/vers ce point les colonnes sanguines les plus voisines du tuyau blessé. Il se passe là un sim- ple phénomène d'hydraulique; tant que les parois vasculaires ont opposé une résistance uniforme à la force expansive du liquide , les courants se sont mus d'une manière régulière sans rétrograder^ sans se heurter, sans se confondre. La résistance cesse- t-elleen un points il se forme là un centre de fluxion, et aussitôt les globules accourent les uns dans le sens de 1 impulsion de la pompe, d'autres en sens opposé^ d'autres enfin en croisant la direction des premiers. Voilà, Messieurs, la véritable significa- tion du fameux axiome : Ubi stimulus uhifluxus. Tout en voulant rattacher aux lois de la phy- sique certains phénomènes envisagés jusqu'ici comme exclusivement vitaux, je n'ai point la pré- tention de tout expliquer. Affirmer qu'il ne se passe rien de vital dans les capillaires, ce serait substituer une exagération à l'exagération que l'on reproche aux autres. Nous nous flatterions en vain de dire quelle est la nature intime du phénomène si mal nommé inflammation. Les tra- vaux les plus récents ont rendu à la science un grand service , moins peut-être en établissant de nouveaux faits qu'en faisant justice de ces mil- liers d'hypothèses admises si légèrement sur l'au- torité de quelques hommes enthousiastes. Nous vous avons montré qu'une disproportion entre le volume des particules liquides et le diamètre des tuyaux déterminait une obstruction locale ^ et ( 357 ) par suite tous les signes de ce qu'on est convenu d'appeler une inflammation. Mais cette cause mé- canique ne peut pas toujours être invoquée; il y a là quelqu'autre chose, physique ou vital, je n'en sais rien, qu'on doit prendre en grande considération. C'est sur cette route inconnue que doivent marcher les recherches expérimentales bien plutôt que les spéculations imaginaires. Quand un malade vous prie de lui expliquer son état, il n'y a pas d'incon- vénient à ce que vos réponses soient plus ou moins savantes; car vous êtes appelé pour le guérir et non pour faire son éducation médicale. En est-il de même des idées que vous consignez dans les livres ou que vous développez devant un auditoire attentif à les recueillir? Assurément, non. Dans un cas vous êtes industriel, dans l'autre, homme de science , deux conditions qu'il est difficile de trouver réunies chez le même individu. Une erreur professée dans une chaire a le double inconvénient de donner de fausses idées à une foule de jeunes médecins trop confiants dans la parole du maître, et de les dé- tourner d'études qui pourraient servir utilement à l'humanité. Les gros troncs artériels présentent d'autres phénomènes qui, comme les précédents, sont liés à la texture élastique de leurs parois. Je crois vous les avoir déjà mentionnés. Voici un tuyau courbé à sa partie moyenne ; il est rempli en totalité par l'eau que j'y ai injectée. Pourquoi, au moment ou j'ai poussé avec la se- ringue une nouvelle quantité de liquide, la cour- bure s'est-elle redressée, et le tuyau a-t-il éprouvé ( 358 ) un raouvement général de déplacement ? Parce que l'impulsion tend à se transmettre en lig^e droite. Si elle rencontre un obstacle, elle le chasî>e devant elle , et comme eile agit sur des parois flexibles , celles-ci cèdent et leur angle s'efface. Supposez que les tuyaux cessent d'être élastiques, il n'y a plus de redressement possible. Comme un même phénomène reçoit divers noms suivant qu'il s'observe dans les corps morts ou les corps vivants, on a appelé locomotion le déplace- ment des artères à Finstant de la contraction de la pompe gauche. Le défaut d'adhérence avec les parties voisines favorise beaucoup ce mouvement général des tuyaux placés au milieu des tissus cel-r luleux. PoLirbien voir la Ipcomotion d'une artère, il faut Texaminer sur l'animal vivant , ainsi que nous allons le faire à la lin de la séance. 3i vous coupiez le tuyau en travers, le phénomène serait beaucoup moins sensible, car le liquide trouvant une issue facile, ne comprimerait plus les parois vasculaires avec assez de force pour mettre eji je|i leur élasticité'. Ce que vous venez de voir sur un tube en caoutchouc^ nous pouvons le répéter sjLjr une ar- tère volumineuse , dont on a eu soin de lier le§ branches collatérales. J'ai fait préparer l'aorte d'une femme morte dans mes salles à l'Hôtel- Dieu. Le phénomène est encore plus apparent sur cette artère disposée de manière à ce qu'elle dé- crive diverses courbures ; vous [es voyez se re- dresser^ et le vaisseau éprouver en totalité un ( 359 ) mouvement de déplacement chaque fois que je pousse le piston avec une certaine énergie. Indépendamment de Faction exercée par le choc . . 51 Le sang est charrié par des tuyaux membraneux .... 54 Le jeu du cœur représente le jeu des pompes hydrau- liques ■> e 56 !Perraéal)ilité des tuyaux vivants 60 Caractères particuliers du principal liquide animal. . 61 Il y a dans la circulation des phénomènes en dehors des lois physiques 65 L'éclectisme n'a jamais bien mérité de la science. ... 67 Là machine hydraulique centrale se compose de deux pompes adossées l'une à l'autre 68 Idée générale de la disposition intérieure des deux pompes 69 Usage des colonnes charnues des deux pompes 73 Pourquoi les deux pompes sont de force inégale 74 Caractères physiques des tuyaux vasculaires 75 Les tuyaux vasculaires ne sont pas contractiles 76 Chez certains reptiles le bulbe de l'aorte est contrac- ( 369 ) %Ue. .,..,... ^ 78 Ténuité prodigieuse des tuyaux capillaires 81 Les deux pompes hydrauliques sont renfermées dans une pompe aérienne 83 La poitrine offre quelque chose d'analogue à la canon- nière et au fusil à vent -, , . 84 Communication des deux pompes hydrauliques chez le fiietus 85 Isolement des deux pompes après la naissance 86 Pompe dkoit^, petite pompe, pompe pulmonaire 87 Organisation du poumon w id Les vésicules pulmonaires décrites par Willis et autres anatomistes n'existent pas S9 Recherches microscopiques de M. Bourgery sur les tuyaux sanguins du poumon* iV. Distribution des canaux aérifères dans le poumon ... 92 Canaux labyrinthiques de M. Bourgery 93 Nature et composition du liquide vivant. .....>,... 97 Globules sanguins 100 Les globules sanguins sont composés d'un sac mem- braneux et d'un noyau central. lOl Marche des globules sanguins à travers les vaisseaux. 102 Passage du sang veineux à travers la pompe droite. ... 103 Dilatation du réservoir de la pompe droite. ........ 104 Contraction du réservoir de la pompe droite 105 Dilatation du corps de la pompe droite îd. Contraction du corps de la pompe droite 107 Le ventricule droit représente une pompe foulante par la contractilité de son tissu, aspirante par son élasti- cité 108 Tuyaux artériels du poumon , 109 Les tuyaux artériels se dilatent à chaque contraction de la pompe droite .t... m Instrument de M. Poiseuille , ,-^ La vie n'est point en opposition avec les lois physiques. 1 1 2 Passage du sang veineux à travers les capillaires pulmo- naires • 115 Bichat pensait que l'action de la pompe hydraulique Magendie 47 ( 370 ) expire à l'entrée des capillaires ; . . . . 117 Rôle que faisait jouer Bichat à la sensibilité ei à la con- traclilité organiques 119 Les idées de Bichat sur la circulation capillaire sont absurdes 121 Pores-portiers^ pylores. 124 La contraction des capillaires , fût-elle prouvée , ne pourrait pas faire avancer le liquide. . , 125 Lenteur du cours du liquide dans les capillaires. ... 126 L'élasticité des parois artérielles transforme le mouve- ment alternatif du liquide en mouvement continu. 127 Bichat établissait en principe que toute explication physique doit être vague 129 Expériences sur une injection d'huile dans les veines. 131 Explication des pulsations des petites artères dans les tissus dits enflammés ^ 135 Lifluence des mouvements respiratoires sur la circula- tion pulmonaire 136 Mécanisme de l'absorption dans l'estomac des liqueurs oléagineuses » 137 Epidémie de grippe - '. 138 Nature de la grippe 1 39 Obstruction complète des vaisseaux pulmonaires dans les pneumonies grippales . . . , 140 Examen de plusieurs pièces pathologiques id. Pneumonie grippale simulant \ apoplexie pulmonaire . 142 La grippe paraît dépendre d'une altération du sang. . 144 Liquidité du sang chez les individus morts de la grippe 145 Imperméabilité du poumon dans les hépatisations grip- pales . . » 147 Expériences sur l'injection de plusieurs substances dans les veines 149 Caractères différentiels de la grippe et des pneumonies franches I5l Gravité de l'épidémie chez les personnes atteintes d'anciennes maladies du poumon ou du cœur 152 Examen anatomique d'une jeune fille contrefaite , ( 371 ) morte de la grippe 153 Examen de deux pièces pathologiques 155 Nature de rexpecloratiou chez les individus grippés. . 156 Concrétions pseudo-membraneuses dans les canaux aérifères » 158 Degrés divers par lesquels passent les alte'rations ca- ractéristiques des pneumonies grippales 159 Résorption pneumonique l60 Conditions physiques qui s'opposent à rinibibition de la matière tuberculeuse l6l Revue des animaux soumis à diverses injections 162 Expérience sur l'introduction de pus phlegmoneux dans les veines l66 Examen de pièces pathologiques 168 Discussion Académique sur la grippe 169 Les lésions cadavériques suffisent pour expliquer la mort des individus grippés l7l Valeur qu'il convient d'attacher à l'anatomie patholo- gique 1 72 Qu'est-ce qu'une pneumonie ? 176 Viscosité du sang id. Effets d'une injection d'émétique dans les veines d'un anîjnal • 178 Expérience sur l'introduction de l'acide sulfurique dans le sang 179 Comment agissent les acides ingérés dans l'estomac. . 180 Revue de plusieurs animaux en expériences I8l Troisième injection de mercure dans les veines d'un chien > 183 Conséquences de la perméabilité des parois vasculaires. 185 Les réactifs chimiques agissent sur les parois vasculai- res pendant la vie comme après la mort 186 Utilité des expériences relativement à la pratique de la médecine 187 Examen anatomique d'un chien après trois injections mercurielles lOO Absorption du mercure par la voie des frictions. . . • 193 C 372 ) Examen anatomique d'un chien mort à la suite d'une injection d'émétique 194 Résultats d'une expérience sur la soustraction de la fibrine 197 Autopsie du chien défibriné. 198 Injection d'eau dans les veines d'un chien très méchant. 200 Effet des injections aqueuses sur la rage 201 Objection adressée par lettre au professeur 203 Expérience sur la fibrine , 204 Influence de la pompe respiratoire sur la circulation pulmonaire 205 Aspiration exercée sur l'air extérieur parle poumon. 206 L'ouverture de la plèvre produit l'affaissement du poumon. . . .*^ 207 Discussion au sein de l'Académie de médecine sur l'empyème id. Etrange assertion d'un professeur de îa Faculté. . . . 208 Pression delà colonne d'air à l'inlérieur du poumon. 209 Porte objet pneumatique ^ instrument de M. Poiseuille. 210 Augmentation, diminution de la pression pulmonaire, id. Toutes les cellules pulmonaires ne prennent pas habi- tuellement part à la respiration 212 Pression de l'air sur les tuyaux aériens pendant l'acte de la respiration 214 Mouvement de la glotte pendant la respiration. . . . 215 Introduction de corps étrangers dans le conduit aérien, id Le conduit aérien n'est pas également sensible dans toutes ses parties 216 Influence de la température atmosphérique sur la cir- culation pulmonaire 2l7 Expérience sur la fibrine 221 Injluence des nerfs de la huitième paire sur la circulation pulmonaire 223 Influence de la section d'un seul nerf de la huitième paire. 224 Effets matériels de la section des deux nerfs de la hui- tième paire 225 Mémoire deDupujtrensur lasuspension de l'influence ( 373 ) nerveuse du poumon 226 Influence de la section des nerfs de la huitième paire sur les puissances musculaires de la glotte 228 Perte de l'élasticité du poumon dans l'emphysème pulmonaire' 230 La pousse est liée à un défaut d'élasticité du poumon. 231 Expériences sur la section des nerfs de la huitième paire 233 Oscillations, arrêts, mouvements rétrogrades des glo- bules sanguins dans les vaisseaux 236 Remarque sur une ophtalmie survenue chez un chien défibriiié 239 Applications à la pathologie de plusieurs phénomènes physiologiques 241 Imbibition de l'oxygène atmosphérique à travers les parois des capillaires du poumon 242 Transpiration pulmonaire 243 Caractère de l'expectoration fournie par l'artère pul- monaire 244 Espèce particulière d'expectoration, 245 Matière noire pulmonaire id Engouement pulmonaire. . . . , 246 Apoplexie pulmonaire 248 Hépatisations pulmonaires. ; . 250 Hépatisation pulmonaire rouge 251 Hépatisation pulmonaire grise 252 Pneumonies grippales 254 Ecume bronchique 255 Œdème du poumon , . . . 356 Tubercules pulmonaires, 258 Aspects divers de la matière tuberculeuse des poumons, 259 Origine de la matière tuberculeuse du poumon, . . , 260 Caractères anatomiques de la méningite tuberculeuse. 261 Composition chimique des tubercules pulmonaires. . id Les tubercules pulmonaires paraissent être originaire- ment liquides i 262 Expectorations purulentes et vomiques 263 Absurdité du traitement delaphthisie pulmonaire par ( 374 ) les saignées 264 Cours du sang artériel clans les i^ fines pulmonaires . . . 266 Les capillaires veineux et artériels du poumon n'ont pas une action spéciale, indépendante de leur élas- ticité id Vitesse du mouvement du sang 267 Dilatation du réservoir de la pompe droite ïd Le sang n'a par lui-même aucune force d'irapuîàion. 268 Contraction du réservoir de la pompe droite 269 Expériences sur le cours du sang artériel dans les vei- nes pulmonaires 271 Principales variétés de l'appareil respiratoire dans les différentes classes d'animaux 274 Résultats de la soustraction de la fibrine sur un chien. 276 Oblitération des artères après la ligature 277 Hémorrhagies consécutives 278 Causes probables des hémorrhagies consécutives. . . 279 Autopsie d'un chien c^e^'^rme - 282 Réflexions cliniques sur l'ophtalmie purulente. . . . 236 Expériences sur le cours du sang artériel dans les vei- nes pulmonaires sur une oie 288 Expériences sur le cours du sang artériel dans les vei- nes pulmonaires sur un lapin 289 Respiration artificielle « 290 Différence et analogie des deux pompes hydrauliques. 293 VoMPE GATJCH.E ^ ^n'ande pompe ^ pompe générale 294 Réservoir de la pompe gauche 295 Corps de la pompe gauche id Soupapes de la pompe gauche 29T Tuyaux de la pompe gauche 298 Conditions physiques des tuyaux de la pompe gauche. 299 Anastomoses des tuyaux de la pompe gauche. . . . 301 Mode de terminaison dans les organes des tuyaux de la pompe gauche, 302 Disposition vasculaire des tissus caverneux 303 Disposition vasculaire de la rate. 305 Disposition vasculaire du système osseux id Pisposilion vasculaire du cerveau. ;, 306 ( 375 ) Appareil vasculaire de la circulation abdominale. . . 307 Influence des conditions physiques du liquide de la pompe gauche 308 Difficulté' de la circulation capillaire dans le rhuma- tisme aigu 310 Utilité de voir faire et de répéter soi-même les expé- riences. . o 313 Expériences de MM. Diffenbach et Bischof sur l'infu- sion du sang 314 Reproduction de la fibrine après sa soustraction. . . 315 Expérience sur le sous-carbonate de soude. 316 Autopsie d'un chien mort d'une injection dans les veines de sous-carbonate de soude. 317 Expériences sur Vœlher œnanthique 320 Autopsie d'un chien mort d'une injection dans les veines d'sether senanlliique 321 Réflexions cliniques 322 Toutes les sécrétions puisent leurs matériaux dans le sang . 324 L'étude des liquides est au moins aussi importante que celle des solides 325 L'abus prolongé du vin peut modifier la nature du sang 326 Expériences sur la fécule du mù'ubilis jalapa. .... id. Etat du poumon chez un chien mort d'une injection dans les veines de mirabilis jalapa 328 Communication d'une pièce pathologique, par M. le professeur Dupuy 329 Observations de M. Dupuy sur la morve , la fluxion périodique, etc 330 Art des injections 332 Recherches microscopiques de M. Berrès sur les ca- pillaires 333 Manie de créer des hypothèses 334 La pompe respiratoire est un puissant auxiliaire de la pompe hydraulique gauche 335 Expériences sur le passage des liquides dans des tuyaux en caoutchouc, 336 ( 376 ) Les tuyaux artériels sont constamment distendus. . . 33^ Réaction élastique des parois artérielles id. Pourquoi le sang continue à se mouvoir dans une ar- tère après interruption de l'impulsion de la pompe gauche 338 Directions diverses des courants sanguins 339 Reflux en sens inverse des courants sanguins 341 Oscillations des globules sanguins dans les capillaires. 342 Résultats mécaniques des variations de la force con- tractile de la pompe gauche. 343 Instrument de M. Poiseuille 345 Du pouls. id Causes du pouls 346 Preuve du rôle passif des capillaires dans la circulation . 347 En physiologie l'observation est seule autorité compé- tente : . . . 350 Mécanisme de la dilatation des artères 352 Jeu des valvules aortiques 354 Ce qu'on doit penser deTaxiome : uhlstimulus ihijluxus. 355 Locomotion des tuyaux inertes ou vivants. ..... 357 Expériences sur un tube en caoutchouc 360 Avantage de la continuité du mouvement du sang. , 362 Expériences sur l'artère carotide * . . 363 La méthode expérimentale satisfait à toutes les exi- gences d'un enseignement public 364 FIN DE LA TABLE DU DEUXIEME VOLUME, COUNTWAY LÎBRARY 3 2044 114 966 054 w^^ >?J^ ^ ^'-^m \. ^■ Si ■^ >, ■^ t^' -t-J» ./-> ^-*- '/ n A' ^ r r -Â, s ?r^' (h. '^A' iS x:>' -7-^ 'rV- '=1 u; \^. ^^ rA. %-. ',-ï ;^ ./ .^ ^y^ ^v^- rv. /^f V- xi^ X >-^p< ^^. V^t r^ /^i >A.V t^ ■•V ry vl^^ ^^^i^- V' >»^ V. ^.fe' yy v< ^ '- ««T>' J^.' O^. ^ ft^' JV" >^^ ^>»f h I ^11 v(v?ri wM. m^- m K m* P- HY. ^#f m m'H'