* -■*'-ë ^'^ h k . 1 ^ f J- .:; ^t^ /" :^rf '>-j- "If y-r^ R" <>■ f^- ,1 :^-' ï > PHÉNOMÈNES PHYSIQUES .DE LA yiE, III. Jjtip. deMoQUETET Hauquetin, r de la llarpc, 90. PHÉNOMÈNES PHYSIQUES DE LA VIE. LEÇONS PROFESSÉES AU COLLEGE DE FRANCE PARM.MAGENDIE, MEMBRE DE l'iIVSTITUT DE FRANCE. Ï03IE TROISIEME. t A PARIS, CHEZ J.-B. BAILLIÈRE, LIBRAIRE DE l'aGADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE, RUE DE l'école-de-médecine, 17. A LONDRES CHEZ H. BAILLIÈFxE, 291, IlEGENT STREET. 1842 /j:- é" é :'■ Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from Univers ity of Ottawa http://www.archive.org/details/phnomnesphys03mage LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES PHYSIQUES DE LA VIE. ' T 'W~ "^ ' PREMIÈRE LEÇON, S2 avril 1837. Messieurs , Je ne veux pas reprendre le cours de nos ex- périences sans vous rappeler en quelques mots les sujets que nous avons traités dans le précédent semestre. Il sera d'autant plus important de mettre sous vos "Jeux les principaux résultats où nous sommes arrivés qu'à chaque instant nous invo- querons dans nos études ultérieures Fautorité des faits qui doivent maintenant nous être familiers. Magendie. m. 1 (2) En physique , un phénomène n'est bien souvent que la conséquence d'un autre phénomène. Un problème parait compliqué parce qu'on néglige d'analyser les éléments qui le constituent, et qui^ isolés , sont souvent d'une grande simplicité. L'hydraulique animale est une question des plus importantes par ses applications à la physiologie de l'homme sain comme à celle de l'homme malade, par l'étroite alliance qui l'associe aux destinées de notre art. Il faut le dire , jusqu'à présent on l'a peu étudiée : ce qu'on sait n'est rien auprès de ce qui reste à apprendre. Et pourtant des hommes d'un grand talent ont écrit des volumes sur la circulation du sang et ont épuisé, à ce sujet , tout ce que l'esprit a de ressources , l'imagination de conceptions brillantes. Pourquoi leurs travaux ont- ils été en grande partie stériles? parce que de déplo- rables préjugés dominant dans la science , com- primaient tout essor vers la vérité; les meilleurs esprits ne pouvaient secouer leur joug importun. Les mots de humoriste^ solidiste, tour à tour en honneur ou proscrits , ont été créés pour désigner les adeptes de deux grandes sectes médicales. Les premiers rattachaient tout aux liquides , les se- conds tout aux solides. L'économie entière se trouvait ainsi partagée en deux éléments qui, au dire d'ardents adeptes ;, devaient mutuellement s'exclure. Le solidisme est maintenant le système prédo- minant , je dirai même exclusif. Cependant, Mes- sieurs , la composition physique et chimique du liquide vivant est aussi importante à connaître que (3) les tissus de nos organes. Nos appareils ne fonc- tionnent qu'à la condition que des courants san- guins versent sans cesse dans leur parenchyme de nouvelles substances , et entraînent celles qui ne doivent plus servir à la nutrition. Si vous n'envisagez que les modifications de texture des solides , vous vous mettez à la place d'un méca- nicien qui , dans une machine hydraulique , négligerait les liquides pour concentrer toute son attention sur l'état des chaudières , des tuyaux , des réservoirs, etc. Oui , celui-là s'abuserait étrangement qui vou- drait faire de la médecine seulement avec les ren- seignements fournis par les lésions matérielles des organes. Malheureusement, telle est la prétention de certains hommes dont le but est fort louable, mais dont les moyens d'exécution me semblent on ne peut plus défectueux. L^observation, disent-ils, l'observation est tout dans la science. Jusqu'à nous^ on n'a pas su observer : avec nous commence une ère nouvelle. Je veux bien me contenter d'applau- dir à ce que cette proposition renferme de sage et ne point relever ce qu'elle a de présomptueux. Sans doute les anciens médecins ne connaissaient point Fart de grouper les chiffres, de tirer de faits isolés des préceptes généraux ; mais au lieu de tables statistiques, ils nous ont laissé des modè- les inimitables d'un tact exquis et d'une rare sa- gacité d'observation. Mais qu'importe ? Ceci ne change rien à la question, et pour avoir méconnu les travaux de vos prédécesseurs , les vôtres n^en (M auront pas moins de prix : voyons donc un peu quelle marche vous suivez. D'abord vous énumérez les qualités qu'il faut réunir pour faire un bon observateur^ les préceptes dont l'usage facilite l'examen des maladies , la manière d'interroger les organes, l'ordre qu''il con- vient d'adopter, en un mot , les formalités préli- minaires d'une étude plus sérieuse. Arrivons à l'application des principes. Les solides sont suc- cessivement passés en revue , leurs moindres nuances de couleur, de consistance , de densité minutieusement scrutées. 11 en est de même des symptômes qui se rattachent à chaque lésion or- ganique. Quant aux liquides, pas un mot. Non, Messieurs, il n'en est pas question. Lisez plutôt ce qu'on a écrit dernièrement sur l'art d'observer : je suis encore sous l'impression de cette lecture que je faisais il n'y a que quelques jours, et je déplorais les fâcheuses conséquences que des omissions graves entraînent dans la marche des études mé- dicales. L'observation consiste à tout voir^ à tout embrasser. Oublier les liquides ^ c'est négliger le point le plus capital , c'est reculer jusqu'au ber- ceau de la science. Aussi, à propos de la circulation, ne nous som- mes-nous pas contentés de l'examen des pompes et des tuyaux. Le liquide a été envisagé avec un soin tout spécial ; ses propriétés physiques et chi- miques nous ont arrê(é à cause de leur impor- tance dans la production des phénomènes hydro- dynamiques. Nos notions sont ici très restreintes. Ce que nous savons de la composition du sang, (5 ) nous montre bien toutes les difficultés que la na- ture avait à résoudre, mais il ne nous apprend pas comment elles les a surmontées. Dans les machines ordinaires , le liquide est presque toujours le même : l'eau est celui dont on fait le plus habituel usage. Ceci vous explique comment on a très peu tenu compte , dans l'appré- ciation des difficultés mécaniques, de la nature et des éléments des liquides. Il est toutefois des cir- constances qui compliquent le problème et qu'il importe de prendre en grande considération. Je n'en veux qu'un exemple. L'eau qui se distribue dans les divers quartiers de Paris n'est point par- tout la même : celle d'Arcueil contient une notable quantité de carbonate de chaux qui se dépose sous forme solide dans ses tuyaux, oblitère leur ca- vité et nécessite de fréquents travaux pour les net- toyer. Si des conduits aussi considérables que ceux-là se trouvent bouchés par des dépôts calcai- res, que serait-ce s'il s'agissait de tubes aussi fins que les ramifications capillaires ? Cependant la même difficulté mécanique se rencontre pour le sang, ou plutôt la nature des obstacles est bien plus puissante et bien plus compliquée. Le liquide vi- vant ne contient pas seulement quelques partie cules susceptibles de se solidifier, il charrie avec lui des myriades de petites lentilles suspendues dans une matière éminemment coagulable. Le moindre arrêt dans ses canaux le ferait se prendre en masse : de là des obstructions d'abord partielles^ puis générales, la distension des parois vasculai- res qui ne pourraient plus revenir sur elles-mê- (6) mes, par suite de cessation de la circulation. L'in- génieur chargé de veiller à la distribution des eaux dans la capitale ne jette point le cri d'alarme dans les quartiers où les tuyaux hydrauliques sont bou- chés ; les ouvriers n'apportent point, au lieu d'ou- tils, des pompes à incendie : cependant, Messieurs, il s'agit de feu. \J inflammation s'est développée dans les conduits en fonte comme elle se déve- loppe dans nos conduits vivants; car le liquide a cessé de se mouvoir. C'est là une idée absurde ! di- rez-vous. Oui , Messieurs , et ce qui est plus ab- surde encore , c'est qu'elle ait servi de base à une doctrine dont chaque jour vous voyez crouler les derniers débris. Lors même que vous supposeriez que le sang a la limpidité de l'eau distillée, vous ne pourriez pas davantage exphquer son passage dans les infini- ment petits canaux appelés capillaires. Tirez un tube en verre à la lampe d'émailleur, et essayez de faire passer un liquide dans sa cavité , vous aurez beaucoup de peine, si même vous y réussissez. Ce- pendant son diamètre comparé au diamètre du ca- pillaire représente un large conduit. Prenez un tube plus fin encore ; il n'est plus perméable. Le problème que la nature a si admirablement résolu est donc beaucoup plus compliqué, car il ne s'agit pas d'un fluide limpide, mais bien d'une liqueur visqueuse, de tuyau d'un certain volume, mais bien d'un tuyau inappréciable à l'œil nu. Une circonstance fort curieuse sous le rapport physique , c'est que la moindre modification ap- portée dans la faculté qu'a le sang de se coaguler (1 ) entraîne des troubles immédiats. On conçoit com- ment l'injection d'un acide dans les veines empê- che la circulation par la formation de caillots qui se déposent dans les conduits vasculaires et obtu- rent leur lumière. Mais ce qu'on ne peut s'expli- quer, c'est que le sang, par cela seul qu'il ne peut plus se prendre en masse , cesse de respecter la barrière que lui opposent les parois de ses tuyaux pour s'épancher dans les tissus voisins. Rappelez- vous nos expériences sur la fibrine , le s^us-carbo- nate de soude, l'éther œnanthique. Toujours nous avons rencontré des transsudations morbides du sang en substance ou de quelques-uns de ses élé- ments. Je vous avais fait remarquer que dans les dernières saignées faites aux animaux défibrinés , il se déposait sous forme de caillots un masse demi- solide que je me proposais d'examiner avec soin. Il m'a semblé qu'elle était constituée par de l'albu- mine, mais de l'albumine d'une nature particu- lière, se coagulant spontanément à la manière de la fibrine. Je ne partage pas l'opinion des chimistes qui pensent que l'albumine et la fibrine ne sont qu'une même substance sous deux aspects diffé- rents : leurs propriétés me paraissent trop bien tranchées pour qu'on puisse établir entre elles une complète analogie. Seulement j'ai cru trouver ici quelques caractères communs importants à signa- ler. Un des plus grands services que la chimie pût rendre à la médecine , ce serait de lui fournir les moyens de restituer au sang sa coagulabilité. Bon nombre de maladies, et ce sont les plus meurtrie- (8) rés , sont évidemment liées à une altération de ce liquide tel qu'il ne peut plus se prendre en masse pour former un caillot. La peste , le choléra , le typhus, la fièvre jaune, la fièvre typhoïde^ etc., reconnaissent , sinon comme cause unique , du moins comme un de leurs principaux éléments , un défaut de coagulabilité du sang. Et ce vomis- sement noir, si fréquent dans les contrées méri- dionales, croyez -vous qu'il faille l'expliquer autre- ment que par une exhibition morbide du sang à travers ses conduits poreux ? Le même phénomène arrive chez les animaux dont nous avons altéré les liquides par une injection dans les veines de ma- tière putride. Quelques atomes suffisent pour développer cet accident , presque constamment mortel. Il est une maladie qui excite en ce moment d'orageux débats au sein de l'Académie de méde- cine : on discute pour savoir quel est le traitement qu'il convient d'adopter contre la fièvre typhoïde. L'empirisme des chiffres paraît destiné à trancher la question que n'ont pu résoudre d'éloquents plai- doyers en faveur de telle ou telle méthode. Sans vouloir prendre part à la lutte , je vous ferai ob- server combien on est loin du génie même de la maladie, alors qu'on n'envisage que l'éruption de quelques follicules ou la coloration de la muqueuse intestinale. Ces engorgements des parotides , ces obstructions pneumoniques , ces pétéchies , cette décomposition putride qui avait si fortement frappé les anciens médecins , ce sont là autant de symp- tômes liés à un principe morbide général. Quel est (9) l'apient matéFiel destiné à mettre en relation les divers tissus de l'économie vivante ? C'est le san^. Supposez ce liquide altéré^ et vous vous rendrez admirablement raison des troubles qui frappent chaque organe^ chaque appareil. J'ai dit supposez; j'aurais pu parler avec plus d'assurance, car tous les observateurs ont été frappés de l'état particu- lier du sang extrait de la veine chez les individus atteints de fièvre typhoïde. On a compté minutieu- sement le nombre des plaques ulcérées , leurs va- riétés depuis l'aspect gaufré jusqu'à la décou- pure de leurs bords comme avec un emporte-pièce, mais on s'est tu sur la composition des liquides. C'est à peine si l'on dit que le caillot était mou, petit, difîluent^ ou qu'il n'existait pas. Et ce- pendant croyez - vous que ces modifications des propriétés physiques du sang ne soient pour rien dans les phénomènes morbides? qu'il soit indiffé- rent que ce liquide ait ou n'ait plus la faculté de se solidifier ? Nos expériences sont là pour répondre à une semblable question. J'ai été conduit par les recherches auxquelles je me suis livré, à regarder comme très probable , j'ai presque dit comme^ cer- taine, l'opinion qui veut que la fièvre typhoïde reconnaisse pour point de départ une altération du sang : s'il me fallait préciser davantage , je dirais que cette altération consiste principalement dans un défaut de coagulabilité. On peut guérir avec les purgatifs; c'est incontestable : on peut guérir avec les saignées, ainsi que l'atteste le témoignage des médecins qui, à toutes les époques, les ont pres- crites sous toutes les formes. On peut guérir avec Magendie. 2 (10) tous les traitements imaginables, le meilleur, à mon avis , est de rester à peu prés inactif. Mais , Messieurs, on meurt aussi avec tous, et je crois qu'ici la mort ne deviendra une exception que quand on sera parvenu à restituer au sang l'inté- grité de ses propriétés. Nous avons trouvé le moyen de lui enlever sa coagulabilité : il s'agit mainte- tenant de chercher à la lui rendre. Nous vous avons dit en parlant de la circulation pulmonaire que la température plus élevée du sang , après son contact avec Foxigène , favorisait sa marche dans les tuyaux : ceci est également im- portant à noter relativement à la propriété dont il jouit de se solidifier. Chaque année pendant Thiver nous recevons dans nos hôpitaux des individus dont les orteils ont été gelés par suite de l'impres- sion long-temps prolongée d'un froid excessif. Les points mortifiés deviennent bleuâtres, livides, peu à peu ils se détachent des tissus encore vivants , enfin on les sépare avec l'instrument tranchant ou ils tombent par escarres. Que s'est-il passé dans ces parties privées de vie ? Par l'effet d'un abais- sement subit de température , le sang s'est coagulé dans ses canaux , la circulation s'est suspendue dans le membre qui a été frappé de mort. Les cail- lots fibrineux ont agi dans ce cas comme la ligature appliquée sur les parois d'une artère. Le sang a cessé de parcourir ses conduits devenus imper- méables , et soumis comme toute substance ani- male aux lois de la décomposition , il s'est altéré en altérant les tissus ambiants. Mais, Messieurs , l'influence du froid n'est pas (11 ) la seule cause capable de solidifier le sang , et par suite de frapper de mort les parties auxquelles ce liquide était destiné; il est une maladie qu'on ob- serve surtout chez les vieillards , et qui pour cette raison a reçu le nom de gangrène sénile. Vous la trouverez décrite dans tous les traités de chirur- gie depuis les premiers moments de son appari- tion , jusqu'à sa terminaison qui est ordinaire- ment la mort. Quels sont ses caractères anatomi- ques ? Si elle frappe le membre inférieur , vous trouvez les artères de la jambe , ou même la po- plitée et la fémorale bouchées par des caillots so- lides , adhérant aux parois vasculaires et formant une digue contre laquelle la colonne sanguine vient battre inutilement. Plusieurs fois j'ai eu l'oc- casion de rencontrer sur le cadavre ces altérations. Savoir que lesang s'est coagulé, ce n'est pas avoir beaucoup avancé la question ; ce qu'il importe surtout de bien connaître , de bien établir , c'est la cause première qui lui a ôté la propriété de res- ter fluide. Les anciens attribuaient à l'impuis- sance des contractions du cœur l'arrêt de la circu- lation ; aussi prescrivaient-ils une médication stimulante. Les modernes n'ont pas laissé échap- per une occasion si belle d'enrôler cette maladie dans la grande famille des inflammations, et ils en ont fait une artérite. Le traitement a dû nécessai- rement se ressentir de cette diversité d'opinions : aux topiques excitants on a substitué les sangsues et les moyens antiphlogistiqaes. Ici encore les li- quides ont été mis hors de cause. 11 semble pour- tant bien naturel de supposer que le sang peut ( 12) s'altérer lui-même^ sans maladie intérieure de ses conduits, de manière à perdre sa fluidité. Quelques gouttes d'acide sulfurique introduites artificielle- ment dans le torrent circulatoire suffisent pour le coaguler, et vous ne voulez pas qu'un élément mor- bide quelconque , développé dans l'économie ou apporté du dehors , produise les mêmes effets ? On a trouvé les parois artérielles rouges! Oui, mais parce qu'elles sont poreuses et qu'elles se sont laissé imbiber par la matière colorante du sang. Ce sont là des effets tout mécaniques ; probablement aussi leur cause doit-elle être cherchée dans les modifi- cations physiques des liquides. Je n'ai pas prétendu que toute espèce de trou- ble survenu dans les divers points de l'appareil vasculaire , doive être rattaché à une altération du sang. Ce qui est constant pour moi, c'est qu'une foule de maladies reconnaissent une semblable ori- gine. J'aurais pu énumérer la longue liste de celles que je crois devoir être rattachées à un principe morbide , charrié par les liquides ; mais ennemi de toute théorie hypothétique, j'ai dû prendre mes réserves et abandonner à l'observation la solution de ces graves questions. J'ai prononcé le mot ob- servation, j'aurais peut-être mieux fait de déve- lopper ma pensée en d'autres termes. Un bon ob- servateur n'est point à mes yeux celui qui ne .sait qu'additionner des symptômes , interroger les so- lides dans une minutieuse autopsie : c'estlà quelque chose , sans doute , mais ce n'est pas tout. Il faut encore soumettre à l'analyse le sang , ce liquide dont les fonctions sont telles qu'à peine elles se ( 13 ) troublent , l'organisme est bouleversé dans son en- semble j ou du moins dans quelques - uns de ses grands appareils. C'est surtout dans la fièvre d'hôpital proprement dite qu'on voit partout,sous toutes les formes,le sang transsuder à travers ses vaisseaux et pleuvoir en- tre les mailles de chaque tissu. Je n'ai eu que trop d'occasions d'étudier cettemaladie en 1 81 4, lorsque de la Pologne et de l'Allemagne elle arriva jusqu'à Paris. Chez les individus qui y succombaient, nous trouvions des exhalations sanguines dans les mus- cles, les membranes muqueuses, la substance ner- veuse, les divers parenchymes etjusque dans les cel- lules osseuses. Plusieurs fois j'ai rencontré des épan- chements de sang liquide dans les cavités séreuses. On voulut comme aujourd'hui^ localiser la mala- die , et attribuer aux solides la cause de tous ces désordres : il fallut renoncer alors à l'appréciation des symptômes pour ne plus spéculer que sur de misérables hypothèses. Ou'est-il arrivé? qu'on en est encore à savoir les premiers mots sur la nature et le traitement de ce redoutable fléau. Le sang extrait delà veine ne se coagulait plus, ses pro- priétés physiques et chimiques étaient évidemment modifiées. 11 s'agissait bien de cela vraiment î la grande affaire c'était de rattacher tous les phéno- mènes morbides à la roupjeur de l'estomac ou à l'injection des membranes cérébrales. Sans doute, ces organes étaient malades, mais comment l'é- taient-ils ? Est-ce par sympathie que le poumon, l'encéphale, l'intestin, l'universalité des viscères peuvent être simultanément affectés? On l'a dit, (14) parce que le mot sympathie ne précise rien , et qu'on avait intérêt à ne rien préciser. Aussi la science n'a-t-elle pas fait un pas sur ces questions, ou plutôt, je me trompe, elle a reculé dans de fausses routes , emportée loin de la vérité par les esprits systématiques. La coagulabilité du sang , cette propriété à la- quelle on n'a fait jusqu'ici jouer aucun rôle, tant en physiologie qu'en pathologie , me paraît un point fondamental digne des plus scrupuleuses in- vestigations. Modifiée dans nos expériences, elle entraîne immédiatement des conséquences fatales : modifiée dans les maladies, elle s'accompagne d'un ensemble de symptômes variables par leur intensi- té^ mais toujours graves par leurs résultats. Dans l'une et l'autre circonstance, ce sont toujours des exhalations morbides dans les tissus les plus riches en vaisseaux sanguins. Nous nous sommes arrêtés longuement sur ces questions dans le dernier se- mestre. Nos expériences ont montré^ et la mar- che qu'il convenait de suivre pour diriger ses re- cherches , et les résultats imprévus auxquels on arrive quand on sait observer. L'examen des li- quides a été négligé par ceux-là mêmes qui se glo- rifient de ne rien négliger; soit dédain, soit oubli, leur étude est encore à faire. C'est donc elle qui devra surtout nous occuper , et , traitant spéciale- ment de l'hydraulique animale, nous aurons soin de vous tenir au courant de nos travaux sur les propriétés du sang. Prétendre qu'avec les solides seuls on peut faire de la médecine, est une idée tellement erronée; ( 15) que les personnes qui l'ont embrassée avec le plus d'enthousiasme sont obligées à chaque instant d'ê- tre inconséquentes avec leurs propres principes. Voilà une inflammation locale ( pour parler votre langage), qu'allez-vous faire? Sans doute favori- ser vers ce point l'afflux des liquides pour étein- dre l'incendie allumé au sein des tissus. Pas du tout : vous voulez que l'on saigne. Le sang que vous ôtez de la veine était donc pour quelque chose dans la maladie que vous voulez combattre ? La quantité de liquide extraite ne fait rien à la ques- tion , ce qu'il importe de connaître , c'est le motif qui vous porte à vous adresser directement au sang. Que l'un des rouages d'une machine hydrau- lique se brise, le mécanicien ne s'avisera pas, pour la réparer, de faire un trou à un des gros tuyaux, afin de donner issue au liquide. De même , je ne vois pas pourquoi vous ouvrez la veine à propos d'une inflammation. La saignée a été employée dés la plus haute antiquité , prescrite sous mille manières : copieuse ou faible , répétée à tout in- stant ou à de longs intervalles ; on s'est fait illu- sion quand on a cru dernièrement l'administrer sous une forme nouvelle. Si les solides sont seuls malades , pourquoi être resté fidèle à cette antique pratique ? C'est qu'il est quelque chose plus puis- sant que les plus entrainantes théories , quelque chose qui, par une sorte d'instinct^ nous avertit que le sang ne peut être étranger aux fonctions organiques , et que le plus souvent ses altérations précèdent ou accompagnent les troubles des soli- des. Quand vous prescrivez un purgatif, vous (16) agissez sur la masse des liquides. Par suite d'une augmentation de la perméabilité des parois vascu- laires, une plus grande quantité des matériaux du sang s'échappe par exhalation à la surface de l'in- testin. La composition du liquide vivant est donc encore ici modifiée. Il n'y a pas de médecin antiphlogistique qui ^ à propos d'une inflammation , ne prescrive des boissons délayantes, de Feau de poulet, de gomme, de mauve , etc. Que devient le liquide ingéré dans l'estomac ? Absorbé par les veines , il passe dans la circulation. Cependant ce sont les solides que vous voulez atteindre; pourquoi donc vous servir de l'intermédiaire des liquides? Il y a là , je le répète , inconséquence. Ou le sang est con- stitué normalement, ou il ne l'est plus : dans le premier cas , vos tisanes sont inutiles , nuisibles même ; dans le second , elles sont indiquées, mais alors vos théories sont fausses. Les topiques agissent -ils exclusivement sur les solides ? Je ne le pense pas. Un cataplasme chaud appliqué sur un point engorgé a, pour effet d'éle- ver la température des liquides , de favoriser par conséquent leurs mouvements dans les vaisseaux , et de rendre aux conduits obstrués leur perméa- bilité. Quant à la macération de l'épiderme et à l'imbibition qui s'effectue à la surface du chorion, ce sont ici des phénomènes d'une moindre impor- tance. Ainsi, Messieurs, les liquides peuvent s'altérer; leurs altérations manifestes par leurs effets sont encore inconnues dans leur nature intime. Telle 17 ) est l'importance du rôle joué par le sang dans l'or- ganisme , que les désordres matériels des tissus sont souvent créés par ce liquide , et que seul il transporte nos agents médicamenteux. Nous pou- vons lui enlever sa coa^ulabilité , non la lui ren- dre : la moitié du problème est résolue, l'autre attend une solution. J'ignore si nous serons assez heureux pour la trouver. Les solides ne seront pas non plus oubliés par nous , car ils constituent un des principaux éléments de la machine humaine, et le plus souvent c'est par leurs maladies que nous reconnaissons celles des liquides. Mais pour bien connaître, pour bien expliquer les troubles patho- logiques de l'appareil vasculaire, il faut savoir comment le sang se meut , quelles puissances pré- sident à ses mouvements , quelles influences y ap- portent des obstacles, en un mot, quel est le mode normal de la circulation. Cette étude nous a occupé pendant le premier semestre; son importance est telle qu'elle nécessite encore de notre part de nou- veaux développements. L'un d'entre vous , Messieurs , m'a fait l'hon- neur de m'écrire pour me demander de traiter de la circulation lymphatique. Malheureusement il n'y a pas grand chose à dire sur cette question ; ce qu'on sait de positif à cet égard peut se résu- mer en quelques mots. Si le temps me le permet , je consacrerai quelques séances plutôt à fliire de nouvelles expériences sur ce point qu'à vous expo- ser la longue et fastidieuse énumération des hypo- thèses stériles imaginées par les physiologistes. 11 est surtout une question qui a besoin d'être i. iii. MogfîDiie. ^ ( 18) envisagée d'une tout autre manière qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, c'est la circulation du fœtus. La présence de tuyaux et d'ouvertures de com- munication qui s'oblitèrent à la naissance , l'état rudimentaire de quelques organes , le développe- ment précoce de plusieurs autres , toutes ces dis- positions anatomiques ont servi de base à la théo- rie des mouvements du sang pendant la vie intra- utérine ; mais je ne sache pas qu'on ait fait des expériences précises et satisfaisantes à ce sujet. Si j'en juge par quelques recherches auxquelles je me suis déjà livré, le jeu des pompes, des réservoirs, se comporterait autrement que chez l'adulte ,• les phénomènes hydrodynamiques différeraient sous beaucoup de rapports de ceux qu'on suppose exister. Il est donc probable que nous serons ame- nés à découvrir quelques nouveaux faits. Lors même que notre attente serait trompée, ces études nous seraient profitables en ce qu'elles nous met- traient à même d'apprécier à leur juste valeur les idées accueillies comme vraies dans la science , bien qu'elles soient dépourvues de preuves authen- tiques. (19) DEUXIEME LEÇON. M avril i837. Messieurs ^ Une des branches les plus importantes de l'art de guérir, la chirurgie, repose presque tout entière sur des connaissances précises de la manière dont se meuvent les liquides dans ies tuyaux vivants. A cha- que instant les chirurgiens sont consultés pour des maladies qui réclament l'emploi de moyens hydro- dynamiques. S'agit-il, par exemple, de suspendre une hémorrhagie ? La couleur du sang, son écou- lement rapide ou lent, uniforme ou saccadé , vous indiquent seuls la nature du vaisseau blessé. Ici vos notions physiologiques vous seront d'un plus grand secours que les données anatomiques , car une artère est presque constamment accompagnée d'une veine, et par conséquent, le simple trajet de la plaie ne vous permet pas d'établir avec précision (20) lequel de ces deux vaisseaux est intéressé. Les dif- ficultés sont bien plus grandes encore quand on veut se servir de l'instrument tranchant, soit pour faire une ligature, soit pour tenter la plus légère opération. Il n'est pas jusqu'à une simple saignée qui n'exige le secours de la physiologie. Cepen- dant l'enseignement de la médecine, tel qu'il existe aujourd'hui , au sein même de cette capitale , est loin, bien loin de réunir les conditions nécessaires pour donner sur ces points capitaux, un savoir vé- ritable. Vous entendrez dire dans le monde qu'un médecin n'inspire la confiance que quand il a ac- quis de la pratique : malheureusement cette pra- tique s'acquiert trop souvent aux dépens des ma- lades, tandis que si les études médicales étaient mieux dirigées, l'humanité n'aurait pas à subir ce triste apprentissage. Ces paroles, Messieurs, vous paraîtront un peu sévères; ne leur reprochez tou- tefois que leur franchise , car il me serait facile d'en fournir la preuve expérimentale, non d'après des essais tentés sur des chiens et des lapins, mais d'après des tentatives faites sur nos semblables. Si encore on suivait un bon système dans l'é- tude de l'anatomie proprement dite, peut-être ar- riverait-on par des connaissances précises sur la disposition des organes, à faire face aux plus pres- santes indications : on est privé de cette dernière ressource. Je n'en veux pour preuve qu'un examen succinct de la marche généralement adoptée. Les os , leurs articulations , les muscles , voilà par où on commence l'étude de fanatomie. L'élève se surcharge la mémoire d'une foule de mots sans (21 ) valeur, ou même qui expriment des idées passa- blement barbares. Ainsi il apprend qu'à la base du crâne est un os qui a une selle de turc (selle turcique) , de grandes et de petites ailes , des an- gles de lit ( apoph. clinoïdes ) une sorte d'épée (apoph. xypboïde), une épine , enfin ^ qu'il res- semble par sa forme à une chauve-souris , par sa position à un coin ((rcp/jv), ce qui lui a mérité le nom de sphénoïde. Je m'abstiendrai de passer en revue chaque os , chaque articulation , chaque muscle , car vous voyez où cet examen nous entraînerait. J'arrive au système vasculaire, à Tangéiologie. Laissons de côté les noms pour ne nous occuper que des objets eux-mêmes. Afin de bien apercevoir les tuyaux artériels, on remplit une seringue d'un mélange de suif , de résine et de vermillon , puis on pousse cette ma- tière en fusion dans l'aorte, après avoir préalable- ment enlevé le sternum : c'est ce qu'on appelle jaire une injection. On a eu soin de choisir un su- jet maigre , car il est plus propre que tout autre à ce genre d'étude. Il est rare que la liqueur se ré- pande uniformément dans tout le système artériel, car telle est la brutalité avec laquelle le piston est poussé, qu'il se fait souvent des crevasses etdes épan- chements. Supposons, je le veux, les conditions les plus heureuses. Voilà l'injection qui a bien réussi. Ordinairement on s'en tient là, et chacun avec son scalpel commence à disséquer le membre qui lui est échu. Mais ceux qui veulent faire les choses plus en conscience , ceux qu'anime l'espoir de briller dans un examen ou un concours, vont plus (22) loin et se mettent en mesure d'étudier les veines. On sait que le sang, dans ces tuyaux, va des ex- trémités au centre, c'est donc parles branches et non par les troncs qu'on doit introduire l'injec- tion. Mais si la même liqueur sert pour ces deux ordres de vaisseaux , comment les distinguer l'un de l'autre ? Le moyen de résoudre la difFicuUé con- siste à changer la matière colorante. Il y a plus, pour que l'analogie soit plus parfaite , on respec- tera la dénomination de chacun , et vous aurez , en substituant le noir d'ivoire au vermillon , un système vasculaire à injection rouge, un autre à injection noire, comme vous avez un système vas-» culaire à sang rouge , un autre à sang noir. Par cet ingénieux artifice, on distingue à première vue une artère d'une veine. Tous ces préparatifs achevés, la dissection com- mence. On sent avec les doigts quelque chose de dur, de rond , de mobile , et on coupe dans cette direction afin d'arriver à l'artère : c'est bien elle ; on en est d'autant plus certain que souvent le scalpel a divièé une partie de ses parois et mis à nu la matière injectée. Pour faire une belle prépa- ration , on nettoie soigneusement le vaisseau de tout voisinage qui nuirait à l'agrément et à la net- teté du coup-d'œil : aponévrose, nerfs, faisceaux musculaires , tout est retranché avec art. On a ainsi un gros cylindre rouge , escorté d'un double cylindre noir: l'un est l'artère, les autres les veines. Les branches collatérales ne sont pas oubliées, leur nombre est appris avec soin , et même on se sert de tableaux synoptiques pour se graver ( 23 ) plus facilement leurs noms dans la mémoire. Deux ou trois sujets suffisent pour cette étude , après quoi on sait son angéiologie. Mais l'odeur des cadavres, la difficulté de se les procurer, l'ennui de mettre la main à l'œuvre^ effilaient bon nombre d'élèves. Et d'ailleurs, pour répondre aux examens, il ne s'agit pas d'avoir ob- servé sur rhomme lui-même : l'objet principal, c'est de faire preuve de mémoire devant les juges. On y parvient tout ausâi bien , et même mieux, en étudiant sur les plancbes ou des pièces artificielles. Vous savez avec quelle fidélité, quel luxe d'exécu- tion le burin et le carton en pâte ont imité les formes, les contours, la structure détaillée de nos organêS^ MM. Jacob , Broc et Auzoux ont poussé cet art à un baut degré de perfection. Quand on demande à un élève (et cette question est fréquem- ment adressée) la description des osselets de l'ouïe, il répondra mieux s'il se rappelle Y enclume , le marteau , Vélrier qu'il aura vus, de dimensions gigantesques, que s'il avait essayé de les étudier sur le cadavre. Suivons maintenant l'anatomiste devenu opérateur. 11 débute par faire une saignée. Après avoir ap- pliqué la ligature , il voit des vaisseaux se dilater,- faire relief sous la peau , ce sont les veines. Il fait une piqûre avec la lancette ; mais tout d'un coup un jet de sang s'élance , plus rouge , plus rapide qu^il ne doit être : la pointe de l'instrument a blessé l'artère, il y a bémorrbagie. Cet accident, vous le savez , n'est que trop fréquent. S'il arrive dans un bopital ou une grande ville , on envoie clier- ( 24 ) cher aussitôt un chirurgien pour pratiquer la li- gature du vaisseau ; mais si c'est au fond d\me province, à la campagne, il ne se trouve personne pour donner des soins immédiats. Et alors que de- vient le malade ? il est aussi embarrassé que l'o- pérateur. Cependant celui-ci, revenu de son pre- mier trouble , fait un tampon de charpie , l'ap- plique sur la plaie , l'assujettit avec une bande vigoureusement serrée. Le reste est abandonné aux ressources de la nature. Croyez-vous que tout chirurgien à qui pareil accident arrive soit né- cessairement un ignorant ? Non , Messieurs : de- mandez-lui la description anatomique du pli du bras, il vous répondra souvent d'une manière sa- tisfaisante. Ce qu'il ignore, c'est que les veines, au lieu d'être constamment distendues comme par l'injection solidifiée , s'affaissent aussitôt qu'une incision faite à leurs parois donne issue au sang liquide. En enfonçant la lancette dans le vaisseau , il n'a pas rencontré la résistance à la- quelle la dissection des cadavres l'avait accoutumé; la pointe de l'instrument a blessé l'artère avant même qu'il n'ait pu soupçonner que la veine était ouverte. Sans doute qu'il est coupable de mala- dresse 'y mais cette maladresse n'est bien souvent que le résultat de la mauvaise direction donnée aux études anatomiques. S'agit-il dans une amputation de lier l'artère coupée en travers? On voit bien le sang s'élancer par jets saccadés , mais on n'aperçoit point de vaisseau. On nettoie la plaie avec l'éponge ; les mors d'une pince ouverts ou fermés alternative- ( 25 ) ment; ne saisissent que des cordons nerveux ou des fibres musculaires ; l'hémorrhagie continue. Il était si facile de voir sur un cadavre injecté l'artère proéminer à la surface du moignon ! C'est que dans les conditions ordinaires, son tissu élastique se rétracte, s'enferme dans les chairs et se dérobe aux yeux du chirurgien. Souvent alors pour arrê- ter le sang on saisit en même temps la veine, le nerf, les portes molles voisines , et enfin , dans les cas heureux, l'artère elle-même : le tout est em- brassé dans une ligature. Je n'ai pas besoin de vous dire quelles sont les conséquences de procé- dés aussi vicieux. Une fois que l'élève s'est exercé aux dissections, on lui fait faire de la médecine opératoire. Lors- qu'il est déjà d'une certaine force, on n'a plus re- cours aux injections, et il faut qu'avec le seul aide de ses connaissances anatomiques , il mette à nu les artères et les embrasse dans un fd. Le bistouri tenu dans certaines positions , les téguments sont coupés par couches successives ; à droite est la veine, à gauche le nerf : on sait tout cela, et d'ail- leurs on a le livre sous les yeux. Après quelques hésitations, l'artère est saisie, soulevée avec la sonde: voilà Topération terminée. Ce n'est plus cela quand il s'agit de la pratique de la chirurgie sur Thomme vivant. Les tuyaux vasculaires, au lieu d'être d'un volume constam- ment le même, sont tantôt aplatis, tantôt gonflés; leur couleur n'est point aussi tranchée. Avant d'arriver à l'artère, on est obligé d'inciser des tis- sus vivants, parcourus par une multitude de petits ( 26 ) vaisseaux qui versent du sang. L'œil ne peut plus distinguer Tordre et la nature des parties ; il n'est plus guidé que par les sensations que perçoit le doigt prolongé au fond de la plaie, voyez combien ces difficultés réunies apportent d'obstacles à la manœuvre opératoire. La texture des parois artérielles ne leur permet pas de se dilater autant que les veines, aussi offrent-elles sur le vivant quelque chose de l'aspect qu'elles offrent sur le cadavre. Les veines , au contraire , présentent des conditions essentielle- ment différentes. Examinez sur des pièces dessé- chées ces gros cylindres bleuâtres dont le dia- mètre est énorme : accoutumés que vous êtes à les voir constamment distendues , vous êtes loin de soupçonner que ces mêmes tuyaux présentent pendant la vie de continuelles variations de vo- lume. Voulez -vous opérer à l'instant où vous essayez d'isoler l'artère, la veine affaissée jusque-là, se gonfle , va au devant de l'instrument ; sans même que vous ayez fait un mouvement, ses pa- rois ont été divisées et le sang s'est élancé de leur blessure. Croyez-vous que cet accident fût arrivé si on avait fait déjà quelques expériences sur les animaux et appris à connaître quelle différence présente un vaisseau rempli ici de suif durci , là d'une colonne liquide en mouvement? Un bon chururgien d'amphithéâtre ne sera pas toujours un bon chirurgien d'hôpital. Il sera à tout instant exposé à de graves erreurs avant d'ar- river à opérer avec sécurité : cette habitude , une longue pratique pourra seule la lui donner, tandis ( 27 ) qu'il l'eût acquise dés le principe si ses études avaient été mieux dirigés. Il n'y a pas long-temps qu'à Paris un de nos premiers chirurgiens , en voulant lier l'artère ca- rotide chez un individu qui l'avait eue ouverte par un instrument vulnérant , a donné un coup de bistori dans la veine jugulaire interne. Le ma- lade est mort, non de la blessure de l'artère , mais de celle de la veine. Vous n'accuserez pas l'opé- rateur d'ignorance , car il a donné dans maintes circonstances des marques d'une grande habileté. Ce qu'il faut accuser avant tout, c'est le mode d'étude si vicieux, si contraire au but qu'on se pro- pose, qui aujourd'hui encore , est en faveur dans nos écoles. On passe sans transition aucune de la nature morte à la nature vivante; on s'expose à n'ac- quérir de la pratique qu'aux dépens de l'humanité, qu'aux dépens de la vie de ses semblables. Eh ! Messieurs^ avant de s'adresser à l'homme, n'est-il pas des êtres qui ne doivent point être aussi pré- cieux à nos yeux , et sur lesquels il est permis de tenter ses premiers essais ? Vous ne pourrez fixer le nombre des années au bout desquelles seulement le chirurgien réunira les conditions d'un bon opérateur. Quand on voit un chef de service, de- puis long-temps à la tête d'un hôpital, blesser, disons le mot, tuer un malade par un défaut d'ex- périence , que sera-ce d'un jeune praticien, fort habile peut-être dans l'art de disséquer un cada- vre , mais dont le scalpel a toujours respecté l'ani- mal vivant? De semblables échecs lui sont inévi- tablement réservés. ( 28 ) Non pas , Messieurs , que je conteste l'utilité des études anatomiques. Pour bien connaître la structure du corps humain, il faut nécessairement examiner les diverses parties qui constituent son ensemble , suivre les vaisseaux le long de leur trajet, noter avec soin leurs rapports , dire où ils sont accessibles à nos instruments ; mais là ne doivent pas s'arrêter les travaux. Je voudrais que comme complément de l'instruction médicale , on exigeât des expériences sur l'animal vivant. Celui qui est accoutumé à ce genre de recherches , se rit, pour ainsi dire, des difficultés contre lesquelles vous voyez tant de chirurgiens échouer. Mettre à nu une artère, une veine, faire une ligature, ce sont des jeux d'enfant pour celui qui s'y est tant soit peu exercé. Je ne me fais assurément pas un grand mérite d'avoir acquis quelque habitude dans la pratique expérimentale : vingt-cinq années de ma vie consacrées dans de semblables travaux ont dû me donner de la précision , de l'assurance à manier le bistouri. Ne croyez pas qu'il soit plus difficile d'opérer sur l'homme que sur un animal quelconque : les personnes qui assistaient ce ma- tin à ma visite ont eu la preuve du contraire. On venait d'apporter dans ma salle une femme apoplectique dans un état tellement grave qu'elle me paraissait vouée à une mort inévitable. A ce degré extrême , notre habitude est de laisser les malades s'éteindre tranquillement, sans les fati- guer par des traitements inutiles. Cependant j'ai voulu voir si en ouvrant une artère , on ne pour- rait pas diminuer un peu la compression cérébrale (29) et prolonger la vie de quelques instants. Je n'avais point grande confiance dans ce moyen : je ne me suis déterminé à agir que pour ne pas rester témoin inutile du spectacle douloureux d'un individu qui meurt sans recevoir aucun secours. L'artère temporale ouverte n'a pas donné de sang; la circu- lation ne s'y faisait plus d'une manière assez ac- tive. Voyantque la sensibilité était àpeuprès éteinte, et qu'une seconde opération ne pouvait aucune- ment être préjudiciable à la malade , je me suis décidé à ouvrir seul l'artère brachiale au pli du bras. D'une main fixant le membre, de l'autre j'ai incisé avec le bistouri la peau et les parties molles, et je suis arrivé jusqu'au vaisseau : mon doigt porté au fond de la plaie a reconnu ses battements. Alors, sans voir l'artère , j'ai glissé sous elle une sonde cannelée et l'ai soulevée avec une anse de fd. Une ponction faite à ses parois a donné issue à un sang noirâtre , coulant par un jet à peine saccadé ! Après quoi j'ai appliqué deux ligatures l'une au- dessus, l'autre au dessous de l'ouverture que j'avais faite, et la plaie a été pansée. Il ne m'a fallu ni aide pour inciser, ni éponge pour étancher le sang, ni tout cet attirail de précautions recommandées dans les livres. L'opération a été fmie en moins de temps que je n'en mets à vous la raconter. Malheureu- sement elle n'a pas pu prolonger les jours de la malade : celle-ci est morte quelques heures après. Et ne croyez pas , Messieurs , que j'aie voulu faire un tour de force, négliger sciemment tous les pré- ceptes religieusement suivis par les chirurgiens; non, je n'y ai pas seulement songé. J'oubliais que ( 30 ) j'agissais sur une femme, pour ne voir qu'une ar- tère à mettre à nu , chose tellement simple quand on a l'habitude des expériences, que par une seule incision j'ai pu disposer à mon gré du vaisseau. Je pourrais multiplier ces exemples en les pui- sant dans ma pratique , mais je craindrais qu'on ne me supposât une intention qui est loin de ma pensée, savoir, d'oublier Un instant l'auditoire à qui je parle pour me souvenir un peu trop de moi-même. D'ailleurs vous n'avez pas besoin que j'insiste de nouveau sur l'avantage des études ex- périmentales. Vous avez su apprécier dans le pré- cédent semestre combien elle nous a servi à éclairer les questions les plus obscures et les plus délica- tes. Dans celui-ci nous suivons la même marche , persuadés que nous sommes que c'est la seule bonne, la seule à l'abri des reproches si justement adressés aux autres. Il fut un temps où la physiologie était un ro- man. On imaginait beaucoup plus qu'on ne décri- vait comment les grands phénomènes de l'économie vivante s'expliquent, s'enchainent, se coordon- nent. Ainsi, la circulation du sang ne fat long-tem ps qu'un assemblage d'épisodes dont chacun s'empara pour les développer au gré de son caprice et de ses inspirations. Chaque fois qu'un esprit positif cherchait à en faire l'application à la médecine ou à la chirurgie, il voyait les faits en désaccord avec les théories , et alors il rejetait sur la science les reproches qui n'aurait dû s'adresser qu'à ceuxqui l'avaient dénaturée. La chaleur, l'enthousiasme, remplaçaient la vérité : la physiologie n'était donc ( 31 ) qu'une science fallacieuse. Enfin, Messieurs, l'ob- servation , aidée de l'expérience , vint à son tour s'emparer de la question : elle montra toute la fu-* tilité des hypothèses admises sur l'autorité de quel- ques hommes , et substitua des assertions positives aux créations mensongères. La science y gagna , car c'est toujours un événement heureux que la dé- couverte d'une vérité long-temps méconnue. Je ne puis m'expliquer les regrets qui accom- pagnèrent les erreurs chassées de la science dont elles avaient usurpé le domaine ; elles étaient in- génieuses , dira-t-on, cela peut être , mais sous le rapport du mérite de l'invention, elles étaient bien au-dessous de ce que la nature a créé. Quelque brillantes que soient nos conceptions, toujours elles se ressentent de la faiblesse de notre imagination : envisagées isolément , elles paraissent quelque chose ; comparées à la réalité , elles ne sont plus qu\ine misérable rêverie. Aujourd'hui la physio- logie n'a pas seulement la prétention de marcher de front avec les autres parties des sciences mé- dicales; elle réclame la première place et veut pré- sider à la pratique qui jusqu'ici avait dédaigné sa puissante intervention. Beaucoup de phénomènes pathologiques n'ont pu encore être éclairés par elle. Cela tient à l'oubli où elle avait été plongée , cela tient à l'insufFisance de nos connaissances ac- * tuelles , cela tient surtout aux antiques erreurs auxquelles une sorte d'habitude nous a rendus fidèles. Vous retrouvez à chaque instant dans l'exercice de la médecine des traces de ces idées er- ronées qu'on n'oserait plus avouer publiquement. ( 32 ) Parmi les grands appareils dont Tensemble con- stitue les corps vivants, l'appareil circulatoire est celui où les lois physiques jouent le principal rôle : aussi, tant que ces lois ont été méconnues, n'a-t-on eu que des idées fausses sur la nature des phéno- mènes hydrauliques qui nous sont propres. Dans les maladies , c'est aux liquides qu'on s'adresse de préférence ; les préceptes qu'on a établis sur la manière d'extraire le sang ont dû nécessairement se ressentir de l'ignorance complète des praticiens, relativement à la circulation. Je lisais hier l'article Saignée d'un de nos dic- tionnaires de médecine les plus estimés, je suis resté confondu des idées étranges que Ton émet au sujet des mouvements de nos liquides : c'est à n'y rien comprendre. Qu'est-ce, physiologique- ment parlant , qu'une saignée rémlswe , dérwa- twe ? Je n'en sais rien , je le sais encore bien moins après avoir lu les prétendues explications par lesquelles on veut démontrer comment l'ou- verture de telle veine est préférable à celle de telle autre. La tête est-elle pesante, ouvrez la veine saphène. Le sang qui se portait au cerveau se di- rigera vers les pieds, le trop plein des vaisseaux cérébraux affluera vers les extrémités inférieures. Voilà ce que vous voyez écrit, voilà ce que chaque jour vous entendrez dire par nos premiers méde- cins. Comme si dans un système de tuyaux com- muniquant librement entre eux, il pouvait y avoir vacuité dans un point, réplétion dans un autre. On discute fort gravement pour savoir si l'on peut saigner du pied dans les inflammations du ( 33 ) tube digestif; la question est résolue négativement, car le sang, se portant en masse vers la veine ou- verte, serait obligé de passer parles intestins, et par conséquent, il activerait l'élément inflamma- toire. Dans les pneumonies droites, faut-il saigner à droite ? dans les gauches , à gauche ? Les opi- nions sont partagées encore aujourd'hui; cependant bon nombre de médecins sont fidèles à cette pra- tique jadis très en honneur dans la science: il pa- rait fort naturel que le bras droit soit solidaire du poumon droit, le bras gauche, du poumon gauche. Le corps n'est-il pas composé de deux moitiés ? n'y a-t-il pas également deux cœurs dans l'organe central de la circulation? Il est surtout un moyen qu'on n'emploie que dans les grandes circonstances^, et auquel des pra- ticiens fort honorables accordent une efficacité incontestable, je veux parler de la saignée croisée. Tout a été inutile, le mal fait des progrès, l'art est impuissant, que faire ? Les notabilités médicales sont appelées en consultation , et là on délibère pour savoir s'il ne serait pas opportun d'ouvrir la veine du bras droit , en même temps que la veine du pied gauche. J'assistais dernièrement à une de ces réunions où cette proposition amena une dis- cussion digne de figurer à côté des meilleurs scènes de notre premier comique. Je ne cherche point, Messieurs , à exciter votre hilarité : il s'ap-issait d'un moribond qui n'avait plus que quelques ins- tants à vivre. Qui dirait que dans un siècle sé- vère comme le nôtre envers les préjugés de nos pères, on tolère ou même on vante des pratiques T. III. Mageodie. S ( 34 ) aussi surannées? Entre l'emploi des amulettes dont on s'est tant moqué ^ et la confiance attribuée aux saignées dont le jet se croise en X , y a-t-il donc une si grande distance ? Un jour viendra , et puisse-t-il n'être pas loin de nous , où l'on se re- fusera à croire qu'en 1 837, au sein de la capitale du monde civilisé, des hommes consciencieux aient pu accueillir de pareilles absurdités. C'est donc sur des connaissances précises que nous vous expliquons la circulation du sang. Ce qu'il y a de plus grossier dans les phénomènes est généralement connu ; on sait que le sang dans les artères va dans tel sens, dans les veines, dans tel autre ; mais de la mécanique, point. C'est inutile, vous répète-t-on sans cesse , la mécanique n'est bonne qu'aux mécaniciens. Qui vous tient ce lan- gage ? Ceux-là même qui ne connaissent pas deux syllabes des sciences qu'ils rejettent avec tant de dédain. A l'appui de leurs assertions, ils peuvent citer les travaux qu'ils ont faits , et dans lesquels se reflète l'image de leur propre ignorance. D'au- tres plus hardis essaient des applications physi- ques, et tout surpris de voir leurs tentatives im- puissantes , ils accusent la science. N'accusons personne; disons seulement que de même que pour parler une langue, il fnut l'avoir apprise , de même pour expliquer des déplacements de liquide, il faut connaître les lois hydrodynamiques. Avant d'arriver à l'étude de ce qui se passe dans les tuyaux vivants , nous avons dû insister sur les propriétés physiques de leurs parois , propriétés qui persistent après la mort à peu près (35) au même degré que pendant la vie. C'est même là un de leurs caractères essentiels , à tel point que si on trouvait le moyen de mettre en jeu les nombreux compartiments de l'appareil vasculaire, on pourrait simuler sur le cadavre une circulation véritable. L'élasticité ne peui cesser un seul ins- tant d'être élasticité : appelez-la contractilité or- ganique^ les mots n'y font rien , le fait reste tou- jours le même. Nous vous avons expliqué comment elle alterne avec la contraction de la pompe pour presser et faire mouvoir la colonne liquide ; c'est le phénomène du joueur de musette qui comprime avec son bras le réservoir de son instrument, après l'avoir préalablement rempli en y soufflant de l'air. La dilatation et le resserrement des artères sont maintenant pour vous des faits bien connus. Nous avons vu que ces vaisseaux sont constamment dis- tendus par le sang : circonstance importante qui a d'immenses résultats sous le rapport mécanique et physique. Ce que nous avons constaté sur un seul tuyau existe pareillement sur plusieurs en vertu de la loi d'égalité de pression. Ainsi l'aorte, la carotide, la crurale^ la poplitée , etc., devront être soumises à une pression égale, en un mot, l'en- semble des tuyaux artériels devra partout être éga- lement comprimé par le liquide. Jusqu'ici on avait pensé que la force du cœur s'épuisait graduelle- ment par le redressement des courbures des vais- seaux , la dilatation des parois , le frottement du sang, etc. Ehbienî Messieurs, M. Poiseuille, par des expériences aussi simples qu'ingénieuses a montré (36) que dans l'universalité du système artériel, la force du cœur était également distribuée. Ces faits parurent extraordinaires et même ils furent géné- ralement accueillis avec un sentiment d'incrédu- lité : il fallut bien se rendre à l'évidence. La théorie seule n'aurait point prévu ces résultats, et cepen- dant l'application des lois physiques en rend faci-- lement raison. A la fin de la séance , M. Poiseuille applique son instrument sur deux artères, la carotide et la crurale d'un chien. A chaque contraction de la pompe droite on voit le mercure monter, à chaque dilatation on le voit descendre. Les deux colonnes sont à une hauteur uniforme dans les deux tubes. Une échelle graduée permet d'apprécier les varia- tions de chaque vacillation. Les mouvements de la respiration exercent une immense influence sur l'ascension du mercure ainsi qu'on s'en assure cha- que fois que l'animal se débat, crie, fait de vio- lents efforts. L'heure avancée ne permet point au professeur d'insister sur ces divers phénomènes. Dans la pro- chaine séance, l'expérience sera répétée et l'instru- ment décrit avec soin. (37) TROISIÈME LEÇON. 19 avril 1837. Messieurs , Nous nous sommes appesantis dans la séance précédente sur la nécessité d'étudier autrement qu'on ne le fait d'habitude les phénomènes de la circulation du sang. Ces phénomènes sont trop complexes pour être h la portée du premier venu. Il ne suffit pas pour les comprendre de se dire et de se croire bon observateur, il faut encore avoir reçu une éducation première , il faut surtout être au courant des connaissances physiques sans les- quelles les mouvements des liquides sont autant de problèmes insolubles. L'ardeur du travail , l'am- bition de bien faire ne peuvent jamais remplacer le savoir indispensable. Vous n'exigeriez pas du mate- lot qui va parcourir des régions inconnues, les mê- mes observations que feront les personnes chargées de la partie scientifique du voyage. Telle plante , tel insecte, tel astre arrêteront à peine ses regards qui seront pour le naturahste et l'astronome l'objet (38) de précieuses découvertes. De même, vous atten- drez en vain du médecin étranger aux sciences phy- siques des notions précises sur la manière dont le sang se meut dans ses tuyaux : il ne verra que phé- nomènes vitaux, contractions insensibles, tonicité, sensibiUté organique, etc. , là où il s'agit unique- ment d'applications plus ou moins simples des prin- cipes fondamentaux de la mécanique. Que sait-on sur l'action du cœur, l'élasticité des artères, le gonflement des veines, les déplacements des liquides? apparemment ce que nous ont appris les travaux les plus modernes. L'antiquité ne nous a transmis sur la circulation que des aperçus gros- siers et des théories erronées,* par le mot antiquité, je comprends les temps qui se sont écoulés depuis Hippocrate jusqu'à Harvey. Celui-ci changea la face de la science : mais à la manière dont ses suc- cesseurs ont dénaturé ses idées et embrouillé les questions les plus simples, il était à craindre que la science ne retombât dans le domaine des spécula- tions hypothétiques. Heureusement que la physi- que a ramené les esprits dans une voie dont des hommes de talent s'étaient si imprudemment écartés. Bien entendu que dans toute espèce d'explica- tion , il faut rester dans les limites du possible. Nous ne cherchons point à faire revivre l'école des intro-mathématiciens , ni à représenter par des formules et des chiffres les phénomènes mécaniques de la circulation. Une semblable tentative est aussi loin de notre pensée qu'elle est contraire à une judicieuse méthode. N'avons-nous pas sous les (39) yeux l'exemple des médecins qui ont voulu faire de la physiologie une science de calcul ? Préten- tion absurde contre laquelle se sont élevés avec force d'Alembert et tant d'autres hommes éclairés qui ont montré par des preuves irréfragables que les phénomènes , quelques simple d'ailleurs que vous les supposiez, dont les corps vivants sont le siè- ge, ne peuvent être résolus comme un problème de mathématiques. Vous verrez toutefois qu'on peut , d'une manière approximative, arriver à exprimer par des chifFres les degrés d'énergie de la pompe gauche à l'instant où elle se contracte pour faire mouvoir les colonnes sanguines. Nous nous sommes arrêtés sur les phénomènes les plus simples. Ce que nous avons voulu vous faire bien constater, c'est la pression intérieure que supportent les tuyaux remplis et distendus par le sang. Le mot pression, peu usité dans le lan- gage physiologique , est ici le seul qui me paraisse exprimer Htiéralement le fait , aussi est-ce lui que nous emploierons désormais. Dire d'une manière générale que les parois artérielles sont dilatées par le liquide , c'est s'exprimer en termes un peu vogues : en fait de science , il faut préciser davan- tage. On n'a pas appris grand chose en estimant • que cette pression ^^l faible on forte ^ car ces dé- nominations sont tout à fait arbitraires, puisqu'il n'y a pas de point de comparaison , et qu'on est obligé de s'en tenir au témoignage peu fidèle des sens. Aussi M. Poiseuille a-t-il rendu un service important à la science en imaginant un instrument propre à mesurer cette pression. C ^0 ) Vous concevez à combien d'erreurs on était ex- posé quand on était réduit à ne juger que d'après la tension des parois. Supposez deux tubes en caoutchouc; l'un mince, l'autre épais : il est évi- dent qu'en les comprimant entre les doigts, ils ne vous donnent point la même sensation. S'ils sont remplis de liquide, il vous sera impossible d'estimer le degré de pression que chacun sup- porte à la seule résistance de leurs parois. Il faudra une plus grande dépense de forces pour dilater le tuyau fort que pour dilater le tuyau faible ; ainsi vous serez exposés à attribuer à l'effort du liquide ce qui appartient à des différences de structure. La difficulté est la même entre une artère et un tube en caoutchouc. L'instrument de M. Poiseuille est donc éminemment avantageux en ce qu'il donne le moyen d'arriver à des évaluations rigou- reuses, et qu'il explique certains phénomènes dont la solution jusque-là avait été un problème. Comme il nous servira dans plusieurs expériences , je vais vous dire quelques mois des principales pièces qui le composent. En raison de sa destination à éva- luer la force qui fait mouvoir le sang , son inven- teur lui a imposé le nom de hémodynamomètre. L'instrument est constitué par un tube en cuivre, présentant une branche horizontale et une bran- che verticale descendante, articulée avec un tube en verre. Celui-ci , après un certain trajet, se re- courbe en demi-cercle , devient ascendant et se termine par son orifice ouvert , de manière à dé- passer le tube opposé de plusieurs millimètres. L extrémité de la branche horizontale présente un (41 ) pas de vis qui est apte à recevoir une petite pièce d'ajutage destinée à être introduite dans l'artère, et dont le diamètre varie suivant le calibre du vaisseau sur lequel on expérimente. On remplit d'une solution concentrée de sous-carbonate de soude^ le tube en cuivre, jusqu'à son point de jonc- tion avec le tube en verre : cette liqueur a la pro- priété de conserver au^sang sa fluidité ; le reste de rinstrument est rempli de mercure. Comme la moindre inclinaison ferait varier les colonnes li- quides , un fil à plomb adapté à l'appareil sert à le maintenir dans une position verticale. Deux échelles graduées en millimètres sont adaptées à chaque branche parallèle. Le zéro de chacune cor- respond à la hauteur de la colonne mercurielle. Pour mettre l'instrument en communication avec le sang, on découvre l'artère^ on la comprime avec les doigts, après avoir eu soin de passer un fil au-dessous d'elle, puis on fait une incision lon- gitudinale au-delà du point comprimé. Les deux bords de l'incision , saisis chacun avec une pince, sont éloignés l'un de l'autre de manière à rendre l'ouverture à peu près circulaire. Alors on intro- duit le tube dans l'artère et on fait la ligature au- dessous de l'arrêt qu'il présente. Immédiatement après on cesse de comprimer, et le sang , passant de l'artère dans le tube , se mêle au sous-carbo- nate de soude , et transmet ainsi à la colonne de mercure sa force d'impulsion. Le mémoire de M. Poiseuille ^ inséré dans mon journal de phy- siologie , contient tous les détails de ces expé- riences. (42) Il est évident , d'après les lois de l'hydro-stati- que, que la moindre pression exercée à l'extrémité du tube horizontal retentira dans toute la lon- gueur de l'appareil : la colonne mercurielle s'élè- vera dans la branche ascendante de la même quantité qu'elle s'abaissera dans la branche des- cendante. Ainsi , la force totale avec laquelle le sang se meut dans l'artère sera mesurée par le poids d'un cylindre de mercure, dont la base est un cercle qui a pour diamètre celui de l'artère, et dont la hauteur est la différence des deux niveaux du mercure. Il faut faire déduction , pour plus d'exactitude, de la pression de la petite colonne de sous-carbonate de soude. Au moyen de cet instrument, on est arrivé à un résultat fort remarquable , savoir que la pression exercée à l'intérieur des artères est la même dans toute l'étendue de ce système. Prenez une artère dans le voisinage du cœur, une autre dans le point le plus éloigné de cet organe, l'instrument appli- qué sur chacun de ces vaisseaux indiquera une égale hauteur de la colonne mercurielle. M. Poi- seuille a fait l'expérience sur la carotide concur- remment avec un rameau musculaire de la cuisse chez un cheval. Eh bien î malgré la différence énorme qui se fait remarquer entre ces deux tuyaux sous le rapport de leur diamètre , et de la distance du cœur, les résultats ont été parfaite- ment identiques. Cette égaiité de pression dans l'universalité du système artériel est un fait fort important relati- vement à la pratique. Si vous voulez diminuer la (43) masse des liquides, il importe peu que vous ouvriez telle artère plutôt que telle autre; car l'équilibre est simultane^ment rétabli dans les conduits vas- culaireSj et les parois de chaque tuyau se trouvent soulagés d'une pression partout uniforme. Il est des médecins qui attachent une grave importance au choix de l'artère qu'il convient de saigner. Aussi la temporale est-elle généralement préférée dans les cas d'affection cérébrale : ce sont là des prétentions scolastiques qui n'ont aucune espèce de fondement j que repousse une saine théorie. La vérité, ici comme dans beaucoup d'autres circon- stances , est plus simple que ce que l'imagination avait enfanté ! A quoi bon se fatiguer la mémoire de tous ces préceptes erronés, consignés dans tous les livres, sur le vaisseau qu'il convient de choisir dans telle ou telle maladie ? Le seul fait d'égalité de pression simplifie singulièrement la question. C'est ainsi qu'à mesure que des connaissances po- sitives remplaceront des spéculations illusoires , la physiologie, et avec elle les diverses sciences qui en émanent, se dépouilleront des préjugés qui maintenant encore compriment leur essor. Voilà pour le système vasculaire d'un même animal. Gomme il n'y a qu'un seul agent d'im- pulsion, on ne voit pas pourquoi la force qui meut le sang dans une artère serait différente de celle qui meut le sang dans les autres. Mais si vous appliquez deux instruments, l'un sur un chien, l'autre sur un cheval , n'est-il pas très probable que chez chaque animal les colonnes mercurielles s'élèveront à une inégale hauteur? INe dcvra-t-il ( 44 ) pas Y avoir entre les degrés de pression du liquide la différence qui existe entre le volume et l'éner- gie des pompes ? C'est effectivement ce que M. Poi- seuille avait supposé quand il voulut faire l'expé- rience sur de grands animaux, tel que le cheval. Aussi s'était-il muni d'un très long tube, capable d'indiquer la pression de plusieurs atmosphères. Mais quelle ne fut pas sa surprise de voir le mercure s'élever au même niveau que chez le chien ! 11 appliqua de nouveau l'appareil sur d'autres ani- maux aussi disproportionnés en volume et en force, et il arriva toujours à des résultats sembla- bles. De sorte qu'un cœur de trois à quatre onces donne la même pression aux parois artérielles qu'un cœur de six à sept livres. Ce sont là sans doute des résultats fort curieux , qu'à priori , on eût été loin de soupçonner : cependant on les com- prend, car il ne s'agit pas ici d'évaluer la force totale du cœur , mais la surface de la colonne de sang qui se déplace. Il parait que dans les petits animaux tels que les lapins, les cochons-d'inde, etc., le mercure s'élève dans le tube à peu prés à la même hauteur. Je dois à ce sujet vous signaler une circonstance qui peut influer un peu sur l'exactitude des données expé- rimentales. Une certaine quantité de sang se mêle nécessairement au sous-carbonate de soude , et ce sanç: se trouvant soustrait à la masse totale du li- quide mu par la pompe, la pression des parois ar- térielles doit être diminuée. Chez les grands ani- maux, cette perte d'un peu de sang est insigni- ( ^5 ) fiante ; chez les petits, il faut en tenir compte dans l'appréciation des phénomènes. Maintenant que nous connaissons les moyens d'évaluer cette pression , voyons quelles sont les circonstances qui peuvent la faire varier.Voici un tube en caoutchouc rempU de liquide sans que ses parois soient distendues. Il se rencontre quel- quefois dans l'économie vivante des circonstances où les artères, pleines de sang, ne sont pas dilatées : mais ces cas sont exceptionnels. J'injecte dans le tube une nouvelle quantité d'eau ; à mesure que le liquide y pénètre, ses parois se distendent; quand je reporte le piston en arrière^ la distension dimi- nue. Ce phénomène est très simple. De môme, il ar- rive quelquefois quele sang contenu dans ses tuyaux vivants devient plus abondant, et par conséquent augmente la pression. Comment la rendre moin- dre ? Ce sera en soustrayant une certaine quantité de liquide : c'est ce que vous faites, sans y réflé- chir , quand vous ouvrez une artère. La saignée n'a pas seulement pour effet de diminuer la pres- sion des vaisseaux dont la lancette a ouvert les pa- rois , mais elle diminue en même temps la pres- sion que supporte la généralité du système vascu- laire. Je ne reviendrai pas sur les phénomènes phy- siques dus à l'élasticité des tuniques artérielles. L'alongement du vaisseau à chaque impulsion de la colonne sanguine est connu, mais il a beaucoup moins fixé l'attention des physiologistes que sa lo- comotion. Je crois cependant qu'il mérite un exa- men tout spécial. Dans les opérations chirurgica- ( 46 ) les , les bouts d'une artère divisée en travers se raccourcissent , laissant entre eux un large inter- valle , quelquefois même ils se perdent dans les chairs au point qu'on ne peut plus les retrouver, îl faut bien se tenir sur ses gardes et ne point né- gliger ce retrait élastique du cylindre membra- neux , sans quoi on serait exposé à de graves acci- dents. C'est ainsi que dans l'extirpation du testicule, il est arrivé plusieurs fois qu'après la section du cordon, l'artère rentrait brusquement par l'anneau jusque dans l'abdomen avant d'avoir été liée, et devenait la cause d'une hémorrbagie mortelle. Si l'opérateur n'avait pas perdu de vue l'élasticité des parois artérielles , nul doute que cet accident, qui n'en est que la conséquence , ne fût point arrivé. On s'est beaucoup occupé du redressement des artères et de la formation de courbures nouvelles. Nous vous avons expliqué par l'adhérence ou la laxité des tissus ambiants , ces phénomènes en ap- parence contradictoires. Si l'artère était libre à ses deux extrémités , elle s'alongerait toujours dans le sens de sa longueur, sans offrir de sinuosités. Est-elle fixée sur un plan résistant, elle ne peut plus obéir directement en ligne droite à l'impulsion du sang, et alors elle décrit des courbures qui ne sont elles-mêmes que l'expression de l'alongement qu'elle éprouve dans sa totalité. Quant au redres- sement des artères, il n'est pas aussi sensible chez l'animial vivant que sur les tubes de nos expérien- ces ; vu son adhérence aux parties voisines, le vais- seau tend plutôt à se redresser qu'il ne se redresse réellement. (47) Pour bien jnger des courbures réelles des ar- tères , il ne faut pas toujours s'en rapporter à ce qu^on trouve sur le cadavre injecté. Examinés sur l'estomac et l'intestin ^ les tuyaux sanguins* pré- sentent des anses flexueuses qui se déploient lors- que ces organes acquièrent de plus amples dimen- sions. Si l'on peut expliquer par les conlinuelles variations de volume des parties Futilité de ces si- nuosités , il n'en est plus de même pour les artères qui, comme la temporale, reposent sur une surface immobile. On peut se demander en quoi la pré- sence de courbures au mJlieu des tissus solide- ment fixés est appropriée à des conditions anato- miquesparticuliéres. Voici comment je comprends cette disposition. L'artère temporale ne présente pas autant de flexuosités sur F individu vivant que sur le cadavre. Par l'effet de l'injection, les parois du vaisseau sont soumises à une pression infini- ment plus forte que celle qui existe sous Fînfluence du cœur ; comme les courbures sont en raison directe de la pression, il est tout naturel que vous les trouviez plus nombreuses et plus marquées sur le cadavre que surFindividu vivant. Cliez celui-ci, je sais qu'on les rencontre, mais je le répète, elles sont moins sensibles. Remarquez aussi qu'elles sont d'autant plus prononcées qu'on s'approche davantage de la vieillesse , circonstance importante en ce qu'elle explique leur mode de formation. A chaque contraction ventriculaire , l'artère forme une courbe, au moment de la dilatation, la courbe s'efface : mais la fixité des tissus voisins ne per- met pas au vaisseau de revenir à chaque fois à sa (48) première place. Insensiblement il se dévie, se con- tourne , ses flexuosités de temporaires deviennent permanentes, et petit à petit sa direction se trouve notablement changée. Nous allons maintenant voir sur l'animal vi- vant cette pression. Les circonstances qui la mo- difient peuvent être ralliées à deux causes princi- pales, la masse du liquide et la force d'impulsion. En augmentant ou diminuant l'une de ces deux influences mécaniques, on arrive nécessairement à augmenter ou diminuer d'une proportion égale la pression exercée à l'intérieur des parois vasculaires. Il nous faut aussi tenir un compte immense des mouvements de la respiration. M. Poiseuille a eu la complaisance de préparer lui-même tous les détails deTexpérience : nous lui devons des remer- cîments pour son empressement à saisir cette occasion de nous être utile. L'animal qui doit nous servir est calme ; d'ail- leurs , ainsi que vous le voyez , toutes les précau- tions sont prises pour empêcher que ses mouve- ments ne troublent l'expérience. Deux instruments ont été appliqués, l'un à la carotide gauche, l'au- tre à la crurale du même côté. Le mercure reste à la même hauteur dans chaque tube, parce que les robinets sont fermés : je les ouvre , aussitôt vous voyez les colonnes osciller. Étudions le phé- nomène. Déjà sans doute vous aurez remarqué que la hauteur du mercure est moindre dans l'inspira- tion, plus grande dans l'expiration. D'où nous devons conclure que dans l'inspiration la force ( ^^9 ) avec laquelle le sang se meut dans les artères est diminuée, tandis qu'elle est augmentée dans Tex- piration. Il se passe même ici une chose assez cu- rieuse. Chaque fois que l'animal tousse, la colonne monte rapidement au-dessus de son niveau ordi- naire. Jamais on ne s'est imaginé de mettre la toux au nombre des causes qui accélèrent le mouvement du sang, et cependant cet instrument vous montre combien est grande l'influence de ce phénomène sur la progression de ce liquide. C'est à cette cause accidentelle qu'il faut attribuer ces ascensions su- bites de 1 0, 1 5^ 20, 30 millimètres : ne croyez j^as que ce soit la contraction du cœur. Le cœur est l'agent constant de la circulation , mais la pompe aérienne exerce une action tellement puissante que dans les grandes expirations, la force qui meut le sang artériel devient presque deux fois aussi grande qu'à l'état normal. L'animal ne fait plus d'efforts , et les mouve- ments respiratoires se succèdent régulièrement : aussi les ascensions et les descentes de la colonne mercurielle semblent-elîes osciller de la même quantité au-dessus et au-dessous d'un même point du tube. L'échelle marque : 100-110. 80-105 mill. Les deux instruments marchent avec une har- monie parfaite. Pour obtenir le chiffre exact de la pression, il sufllt de prendre la moyenne entre les degrés extrêmes fournis par un certain nombre d'expériences. T. ni. Magendic. i (50) Par ridenti(é que présentent ces résultats , on voit qu'une molécule de sang dans l'artère carotide se meut avec la môme force qu'une molécule de sang dans l'artère crurale. Maintenant que l'éga- lité de pression nous est déaiontrée avec la der- nière évidence , appliquons l'instrument à d'au- tres essais. Ce sujet est tellement neuf que je ne sache pas que personne, excepté M. Poiseuille, se soit occupé de semblables recherches. Et cepen- dant la simple ascension du mercure par l'impul- sion du sang résout un problème pour lequel Borelli et Keil avaient en vain épuisé toute la science des chiffres et des formules algébriques ; nouvelle preuve de la supériorité de la méthode expérimen- tale sur toutes les autres méthodes. Nous savons que le liquide contenu dans les vaisseaux ne peut augmenter sans que ceux-ci n'éprouvent une pression plus considérable. Nous devons donc faire monter ou descendre à notre gré la colonne mercurielle , suivant que nous ajoute- rons ou soustrairons aux courants sanguins des quantités données de liquide. Le volume de celui- ci sera la mesure des variations de chaque pres- sion. Maintenant que l'animal est parfaitement calme, la colonne marque 80-105 , c'est-à-dire qu'elle oscille entre 25 millimètres, ce qui, pour les deux colonnes , donne 50 millimètres. Je mets à nu la veine jugulaire. Une ligature est appliquée sur son bout supérieur afm de préve- nir l'écoulement du sang ; dans le bout inférieur j'introduis l'extrémité de cette seringue remplie d'eau tiède. Elle contient à peu près un quart de (51 ) litre. Je pousse lentement le piston. La colonne mercurielle reste à 80-100, 85-105 mill. Nous n'avons pas là des effets bien marqués ; peut-être îa quantité de liquide injectée est-elle trop peu considérable relativement à la masse to- tale du sang. Cependant ce résultat me parait sin- gulier; comme on peut doubler le volume, pour ainsi dire , d'un chien en introduisant de l'eau dans ses veines^ je vais pousser une nouvelle in- jection dans la jugulaire. La colonne a sensible- ment baissé, elle n'est plus qu'à 35-50, 35-60, 30-45 milL Ainsi, loin de produire une élévation du niveau du mercure, comme nous nous y attendions, nous voyons au contraire une diminution très manifeste. Tant il est vrai , Messieurs, qu'il faut être très sobre en conjectures sur l'issue des expériences , et que souvent les résultats obtenus sont de toute autre nature que ceux que l'on avait annoncés. Préoccupés de l'influence exercée par le volume du liquide sur les parois artérielles , nous négli- gions l'agent d'impulsion principal, la pompe gauche. Nos injections augmentent, il est vrai, la pression; mais l'introduction dans le sang d'une notable proportion d'eau diminue la force du cœur. Ce que nous gagnons d'un côté se trouve perdu de l'autre, et en somme, la colonne de mer- cure, au lieu de monter, est descendue au-dessous de son niveau. Cette expérience vous montre un résultat neuf et inattendu , savoir : que le volume ( 52 ) du liquide ne contribue pas autant à la pression que l'énergie du cœur. Si vous affaiblissez par tin moyen quelconque la contraction de la pompe, TOUS aurez beau augmenter la somme du liquide , ces deux influences se contrebalanceront^ et la colonne mercurielle baissera , ainsi que nous ve- nons de nous en assurer. Comme c'est la première fois que je fais ces expériences , vous ne serez pas surpris de me voir hésiter à chaque instant, corri- ger une assertion trop absolue ou même inexacte, revenir sur des phénomènes dont l'explication m'avait échappée. Il n'y a que ceux qui ne font rien par eux-mêmes qui ne se trompent jamais. Puisque l'animal est tout préparé et que nous pou- vons disposer encore de quelques instants, je vais in- jecter du café à Feau dans la jugulaire, afin de voir quelle sera l'action de cette liqueur sur la force d'im- pulsion du cœur. On sait généralement que le café est un excitant, qu'il active la circulation, mais comme on ne l'a jamais, que je sache, introduit di- rectement dans les veines, je suis curieux de voir ses effets sur la pression artérielle. En théorie, il doit accélérer la contraction ventriculaire; mais j'ignore si en même temps il en accroîtra l'énergie. Nous allons en juger. L'expérience toutefois ne sera pas aussi concluante qu'elle pourrait l'être , l'animal ayant déjà reçu, de l'eau dans les veines, car l'aug- mentation du liquide circulatoire devra rendre moins sensible la présence d'une nouvelle liqueur. L'échelle marque toujours 30-/^5 millimètres. Il n'y a que dans les eiforls que le mercure s'élève de quelques degrés. ( 53 ) J'injecte deux gros à peu prés de café dans la jugulaire. Vous voyez déjà que la respiration s'ac- célère ; le pouls est plus fréquent , plus fort , il y a , comme dirait un médecin , surexcitation gé- nérale. Quel est le niveau de la colonne ? elle os- cille entre 45-50, 40-50, 50-65, 70-75, 85-90, 60-90 m. Ainsi elle a notablement remonté; la voilà même à 70-1 05. Je ne doute pas que l'ascension du mer- cure n'eût été beaucoup plus considérable si nous eussions expérimenté avant l'introduction dans les veines d'une injection aqueuse. Pour compléter l'expérience , et rendre ses ré- sultats plus applicables à Thomme , ajoutons une petite quantité d'eau-de-vie : je vais mélanger la liqueur à la moitié de son volume d'eau ; car si elle était pure , elle coagulerait le sang et suspen- drait la circulation. Cette précaution de notre part est peut-être superflue , car comme nous avons fait prendre cette demi-tasse et ce verre d'eau-de- vie au café voisin, il ne serait pas impossible qu'a- vant de nous l'envoyer, on eût corrigé , dans une intention autre que la nôtte , la trop grande éner- gie de l'alcool. Je remplis cette petite seringue : elle contient à peine un gros. L'injection est main- tenant poussée. Je ne vois point de différence bien sensible dans le niveau du mercure ; la co- lonne qui était à 60-95 n'est plus qu'à 75-80, 70-80, 65-90. Je réinjecte une égale quantité d'eau- de- vie. ( 5'.. ) Résultats toujours à peu près insignifiants , iious avons 70-80, 75-90, 60-90. Ainsi la liqueur alcoolique n'a pas eu sur la circulation artérielle la même influence que le café; il semblerait même que le mercure ait baissé de quelques degrés. Ces expériences, je le répète, ont besoin d'être répétées avant d'avoir une vé- ritable valeur scientifique; on ne peut rien con- clure d'un fait, surtout quand ses résultats ne sont pas très nettement trancliés, et qu'on l'étudié pour une première fois. Enfin nous terminerons cette séance en faisant à l'animal une saignée, autant comme moyen cu- ratif des troubles que nous venons de détermi- ner que pour examiner les effets que la sous- traction du sang déterminent dans la pression ar- térielle. J'ouvre la jugulaire : il ne s écoule que très peu de liquide , ce que vous vous expliquez très bien par la présence de l'instrument appliqué à l'artère correspondante. Comme le passage du sang est intercepté dans ce dernier vaisseau , la veine ne recevant plus de liquide ne peut plus en rapporter. Ajoutez a cela que la carotide du côté opposé avait été liée par moi il y a un mois. Le même obstacle existe à Fartère crurale; ce- pendant je vais ouvrir la veine qui l'accompagne , car en raison de son volume elle devra nous don- ner plus de sang , et nous ne serons point obligés de faire subir au cbien une nouvelle opération. Je la pique avec la pointe dun bistouri : il s'en ( 55 ) échappe du sang, mais lentement, en petite quan- tité. La colonne, qui était restée à 75-90, marque maintenant 75-85, 75-80, 70-85, 65-80 mill. 11 n''y a donc qu'une faible diminution du ni- veau du mercure; ce qui tient sans doute à ce que l'écoulement n'est pas assez rapide pour que l'é- quilibre de la pression soit momentanément in- terrompu dans l'appareil circulatoire. Je lie la veine afin de suspendre l'hémorrhagie. Nous reviendrons sur ces expériences dans la prochaine séance. L'instrument de M. Poiseuille, par la précision et l'exactitude des résultats qu'il donne, est trop précieux relativement à ces ques- tions d'hydraulique , pour que nous négligions de le soumettre à de nouvelles applications. ( 5G ) QUATRIÈME LEÇON. 21 avril 1857. Messieurs , Nous savons , par le témoignage irrécusable de l'expérience , que le sang se meut avec la même force dans tous les tuyaux du système artériel. La pression que supportent les gros troncs est parfai- tement identique à celle des branches d'un moin- dre calibre. Le voisinage ou l'éloignementdu cœur ne changent rien au phénomène. Par suite de la réaction élastique des parois vasculaires , la force des contractions ventriculaires ne perd rien de son énergie, et malgré le redressement ou la formation des courbures, la colonne sanguine conserve la même intensité de pression jusqu'aux dernières ra- mifications artérielles. Nous ne la suivons pas plus loin que ce dernier point en ce moment. Non pas qu'il existe là aucun obstacle , aucun arrêt, ou que (57) l'action du cœur expire ainsi que le prétendait Bi- cliat. Il n'en est rien : seulement pour la facilité de la description, et pour l'intelligence des phénomè- nes, nous nous conformons à l'usage généralement adopté de diviser le cercle circulatoire en trois segments : les artères, les capillaires, les veines. Il est un fait fort curieux dont la connaissance est due à M. Poiseuille, c'est que les hauteurs ob- tenues dans le tube ne sont nullement en rapport avec le nombre des fibres du cœur. Prenez deux artè- res de même calibre, l'une sur le chien,rautre sur le cheval , malgré la différence énorme dans le poids de ces animaux, dans le volume des pompes , les forces totales qui meuvent le sang dans chacune de ces artères seront littéralement les mêmes. Nous ne pouvons faire l'expérience sur l'homme , mais d'après les considérations où nous sommes entrés précédemment, nul doute que chez lui la pression artérielle ne soit tout-à-fait semblable. Il n'en est pas des phénomènes physiques comme des phé- nomènes intellectuels. Ceux-ci nous placent au premier rang des êtres vivants, mais les premiers nous ramènent au niveau du plus humble mam- mifère , dont l'organisation peut le disputer à la nôtre par la perfection et Tharmonie de son en- semble. xVinsi que ces rapprochements de l'homme à l'animal , ne blessent point notre orgueilleuse susceptibilité. M. Poiseuille , par l'application de son instru- ment^ a établi ce théorème général , que la force totale statique, qui rneut le sang dans une artère, est exactement en raison directe de l'aire que pré- (58) sente le cercle de cette artère , ou en raison di- recte de son diamètre , quel que soit le lieu quelle occupe. Vous concevez comment on procéderait pour avoir la force correspondante à une artère ^ l'aorte , par exemple. îl suffirait pour l'obtenir de prendre le carré de son diamètre, on aurait alors la surface du cercle ; multipliant par la masse de la colonne mercurielle ^ dont la base est représen- tée par la surface du cercle , on arriverait à ap- précier avec une exactitude mathématique la force de la pompe gauche. Bien entendu qu'il faut tenir compte des variations que présente la pression par suite des mouvements respiratoires , des efforts, du volume de liquide , de l'activité des contrac- tions ventricuîaires , toutes circonstances qui , comme nous l'avons vu , modifient l'impulsion de la colonne sanguine. L'exploration attentive du pouls indique que cette impulsion n'est pas tou- jours semblable à elle-même. Quelque lumière que ces données physiques aient jetée sur la question qui nous occupe, il est encore plusieurs points de l'hydraulique animale dont nous ne pouvons avec nos ressources actuelles, dissiper l'obscurité. La vitesse avec laquelle le sang se meut n'a pas encore été rigoureusement éva- luée; on en est réduit à des approximations. Pour mesurer la rapidité du courant d'une rivière , on se sert aujourd'hui d'un instrument , ïhasta. reometrica , qui permet de représenter par des chiffres la vitesse du liquide. Cet instrument est formé d'une sorte d'entonnoir dont on tourne le pavillon du côté du courant, de manière à ce que ( 59 ) le flot vienne s'y engouffrer. Un tube adapte à sori extrémité rétrécie indique le degré d'ascension du liquide et permet d'évaluer la rapidité de son cours^ Suivant qu'on maintient l'instrument à la super- ficie ou au fond de la rivière, on voit la colonne s'élever à une hauteur inégale; ainsi les différentes couches du liquide ne marchent pas avec une vi- tesse identique. Il serait bien à désirer que nous eussions aussi un moyen d'apprécier le degré de rapidité des courants sanguins dans les nombreux compartiments du système circulatoire. Ce serait d'autant plus avantageux que nous pourrions faire la part de ce qui appartient à la pression du li- quide , d'avec ce qui appartient à la vitesse : or , vous savez que la pression et la vitesse ne sont pas toujours dans un rapport exact. Vous vous rappelez, Messieurs, le démenti for- mel que l'expérience a donné à une de nos asser- tions. Nous ne voulons point essayer de justifier notre erreur, mais bien plutôt rechercher en quoi nous nous étions laissé abuser. Je venais de parler de l'influence exercée par le volume du liquide sur les divers degrés de pression , et tout rempli de cette vérité mécanique , je voulais en faire la dé- monstration immédiate. Pour cela j'ai poussé une injection d'eau dans les veines. Mais nous avions affaire à une question complexe , et l'omission de quelques-uns de ses éléments pouvait nous ame- ner à des résultats tout-à-fait opposés à ceux que nous avions prévus : c'est ce qui est arrivé; la co- lonne mercurielle , au lieu de monter est descen- due. Plus nous essayions, par de nouvelles quantités ( 60) de liquides, de produire son ascension, plus nous le voyions baisser : elle suivait une marche direc- tement inverse de celle que la théorie nous avait fait annoncer. Je suis loin d'être contrarié de ce résultat : il m'a frappé , et j'ai la conscience qu'il vous a frappé davantage que si je l'eusse prévu. Eh ! qu'importe la manière dont la vérité se fait jour, soit qu'elle confirme nos assertions, soit qu'elle les démente? Du moment que nous la trou- vons, notre but n'est-il complètement atteint? La quantité d'eau introduite dans les veines de l'animal ne s'élevait pas à plus d'un demi-litre, aussi était-elle trop faible pour changer de beaucoup la pression du système circulatoire. Les chiens peu- vent recevoir d'énormes injections dans l'appareil vasculaire, sans en paraître notamment incom- modés , tant est grande la capacité des vaisseaux sanguins. Ceci est encore une nouvelle preuve de l'élasticité des tuniques artérielles et veineuses. En augmentant le volume du sang, nous n'avons pas songé que l'eau a une influence directe sur la contractilité de la fibre musculaire dont elle dimi- nue l'énergie. Tandis que la pression exercée par les colonnes liquides était à peine modifiée , la pompe gauche avait perdu une partie de sa force. Ainsi deux causes ont concouru à l'abaissement de la colonne mercurielle : d'une nart l'affaiblisse- ment de la contraction ventriculaire, d'autre part une plus lourde masse à déplacer. Les effets débilitants de l'eau passée dans le tor- rent circulatoire par voie d'absorption sont con- nus depuis l'antiquité la plus reculée : dans quelle ( 61 ) intention prenait -on des tisanes de gomme, de mauve, de chiendent, etc.? C'était afin d'augmen- ter la partie aqueuse du sang, et par suite d'a- battre l'excitation fébrile, ou , pour parler le lan- gage d'une certaine école : Vorgasme inflamma- toire. Nous concevons donc comment la présence d'une plus grande quantité d'eau dans les tuyaux vivants a dû diminuer la force du cœur aortique. M. Poiseuille avait déjà fait une expérience qui, par ses résultats , a quelques rapports avec la nô- tre : ayant appliqué son appareil sur la carotide d'un chien , il mesura îa hauteur de la colonne mercurielie, afin d'avoir la pression normale des parois de l'artère. Après quoi il fit l'extraction d'une certaine quantité de sang qu'il remplaça par une égale quantité d'eau à la même température. Le vo- lume du liquide circulatoire ne fut pas changé ; cependant il y eut un abaissement notable du mer- cure. Aussi il est bien prouvé que l'eau passée dans le sang, soit par absorption, soit directement par une injection , a pour effet de diminuer la force progressive du liquide par suite d'un affai- blissement de la contractilité musculaire. Quant à Faction du café , elle est bien digne de fixer notre attention. Vous vous souvenez avec quelle rapidité ses effets se manifestèrent. A peine deux gros de cette liqueur avaient pénétré dans le système vasculaire, qu'aussitôt le mercure monta graduellement jusqu'à son premier niveau. Nous allons continuer aujourd'hui ces expénen- ces. Une fois que les phénomènes seront bien cons- tatés , nous essaierons d'en donner la théorie. ( 62 ) Ce n'est pas seulement sous le point de vue scien- tifique que ces questions nous intéressent ; la mé- decine et surtout la chirurgie y trouvent la ma- tière d'une foule d'applications utiles , souvent même d'une haute portée. Chaque fois que vous liez une artère , il faut hien savoir que la pression que vous soustrayez dans un point se répartit dans tout le système artériel. L'appareil vasculaire forme une chaîne dont tous les anneaux sont soli- daires les uns des autres. En voulez-vous un exem- ple? Lorsque pour l'anévrisme de Fartère popiitée vous suspendez la circulation dans le membre in- férieur; immédiatement après la peau devient brû- lante , la face s'injecte ^ le pouls bat avec force , le malade se plaint de bouffées de chaleur; vous avez là tous les signes d'une suractivité dans les mou- vements du sang. Attribuez-vous tout ce cortège de symptômes au simple fait d'une opération dou- loureuse ? Non y certainement. Sans doute que la plaie que vous venez de pratiquer y est pour quel- que chose , mais le véritable point de départ de la fièvre doit être cherché dans les modifications ap- portées aux phénomènes hydrodynamiques de la circulation. La force déployée par la contraction de la pompe gauche lutte en vain contre la ligature: elle n'est point dépensée inutilement ; se décom- posant en autant de forces partielles qu'il existe de tuyaux sanguins, elle accroît l'énergie de la pres- sion dans chaque point du système artériel. De là cette plénitude du pouls, ces pulsations dont le malade a la conscience , et dont l'explication a tant embarrassé les chirurgiens qui , en général ; ( 63 ) sont plus adroits opérateurs qu'habiles physiolo- gistes. 11 est une foule d'autres cas où le cercle circu- latoire se trouve rétréci. Dans les amputations de la jambe, de la cuisse, tous supprimez d'un quart, d'un tiers l'étendue de ce cercle , et par consé- quent la pression est d'autant plus considérable que les tuyaux où elle s'exerce sont moins nom- breux. Ces résultats tout mécaniques trouvent leur application dans les précautions à prendre avant et après des opérations de cette nature. Vous voyez qu'il est sage de désemplir artificiellement les vais- seaux sanguins pour s'opposer aux effets de l'aug- mentation subite de la pression intérieure. C'est dans de semblables circonstances que la saignée peut être d'une grande utilité: maniée avec intel- ligence et discrétion , elle devient un puissant auxiliaire de la thérapeutique. Vous allez voir qu'en rétrécissant le cours du sang on accroît la force progressive du liquide. Nous affirmons hardiment ces résultats , car l'ex- périence a déjà été faite par M. Poiseiiille. Quand il s'agira de simples conjectures, nous serons un peu plus réservés dans nos assertions. Plus d'une fois vous nous avez entendus nous élever contre la prétention de ceux qui veulent parler avant les faits : c'est à nous de joindre l'exemple au pré- cepte. Voici l'extrémité de l'instrument introduite dans l'artère carotide gauche. Le robinet est fermé ; aussi les deux colonnes de mercure restent -elles immobiles ati même niveau. Maintenant que l'ani- ( 64 ) - mal est revenu de son émotion, faisons communi- quer le sang avec T intérieur du tube. Vous apercevez de suite les mouvements d'as- cension et d'abaissement du mercure ; les degrés extrêmes correspondent aux grands efforts respira- toires. Il est difficile d'isoler, même par la pensée, ce qui appartient à chacune des puissances qui concourent à produire la pression artérielle. Le volume du liquide, la pompe hydrodynamique, la pompe aérienne, ce sont là autant d'agents mé- caniques dont l'action se confond. Suivant que l'un ou l'autre devient prédominant^ la hauteur de la colonne éprouve de notables variations. Dans l'état normal, la respiration paraît exercer la prin- cipale influence à tel point que , dans les grands efforts inspiratoires , la force qui meut le sang est très près d'être nulle. En revanche , dans les ex- pirations correspondantes, cette force est pres- que doublée. L'échelle marque ici 60-90 mill. ; si nous com- primions l'artère opposée, il serait possible que la colonne s'élevât à une plus grande hauteur. Tou- tefois cette différence, si elle existe, ne devra pas être très considérable, car la pression répartie dans chaque tuyau artériel sera faible pour chacun isolé- ment. Faisons Texpérience. Je mets à nu la carotide droite. C'est elle que je soulève maintenant avec la sonde. Je l'embrasse dans un fil en faisant un simple nœud, que je puis serrer ou relâcher à volonté. Il sera facile ainsi de juger de l'influence exercée sur la force statique totale du sang , par l'interruption de son passage C65) en un point du système vasculaire. Je serre la li- gature : la colonne oscille entre 75-100, 75-1 05 mill. J'éloigne la ligature , nous avons 75-95, 70-90 mill. Ainsi le mercure a baissé de plusieurs degrés. Voyons si ces résultats vont se soutenir : Je serre de nouveau la ligature : la colonne re- monte à 85-105, 80-105 milL J'enlève la ligature , il n'y a plus que 75-90, 75-85 milL 11 est donc évident que le degré de pression n'est pas le même, suivant que la carotide droite est ou n'est pas perméable au sang. Le phénomène devra être encore bien plus sen- sible , si nous expérimentons sur un vaisseau plus volumineux tel que l'aorte. Pour arriver jusqu'à cette artère, nous n'allons point ouvrir l'abdo- men , car cette opération jetterait l'animal dans un état qui ne nous permettrait plus d'apprécier aussi rigoureusement l'impulsion de l'ondée san- guine. Il existe un moyen plus simple , qu'on a quelquefois employé chez les femmes récemment accouchées , pour arrêter l'hémorrhagie utérine, je veux parler de la compression de l'aorte à tra- vers les parois abdominales. T. III- Magendie. 6 (66 ) Mes doigts réunis en faisceau appuient forte- ment sur l'ombilic, dans la direction du trajet de l'artère. Je suis sûr maintenant que les parois du vaisseau sont appliquées l'une contre l'autre , et le passage du sang intercepté, car on ne perçoit plus aucun battement dans les artères crurales. Qu'in- dique le tube ? 90-115, 95-120, 95-115, 100-120 mill. Je cesse la compression , la colonne retombe à 80-100 mill. D'après les résultats fournis par l'expérience pré- cédente , il était bien impossible que la force qui meut le sang dans l'aorte , se trouvant subitement répartie dans une moitié du cercle artériel , la pres- sion n'y fût pas notablement augmentée. Ce sont là des pbénomènes dont nous avons et la certitude expérimentale, et la théorie scientifique. Poursui- Tons: Nous avons , dans la séance dernière , injecté une certaine quantité d'eau par la veine jugulaire: le liquide, avant de pénétrer dans le système arté- riel , a été obligé de passer par le réservoir et la pompe droite, le poumon, le réservoir et la pompe gauche, puis enfin il est arrivé à l'aorte. Ce cir- cuit un peu long n'a pas permis d'étudier immé- diatement les etîets de Tinjection. Puisque l'eau avait touché les fibres du cœur et diminué leur force contractile avant de se mêler à la masse sanguine , elle a agi d'abord comme débilitant ; aussi l'aug- (67) mêntation légère du volume du liquide n'a pu compenser sous le rapport de la pression intérieure * la perte d'énergie de l'agent d'impulsion. Aujourd'hui je vais procéder autrement. Au lieu d'injecter par la veine , j'injecterai par l'ar- tère de manière à pousser le liquide contre la direction normale du cours du sang. Nous pour- rons ainsi juger de l'influence directe exercée par un certain volume d'eau ajouté au fluide circula- toire. Je ne sais si je me fais comprendre. L'expé-* rience est bien simple : je passe deux fils sous l'ar- tère carotide droite; l'un est destiné à lier le bout supérieur, l'autre à assujétir le bout inférieur sur le tube de la seringue. En poussant le piston , que va-t-il arriver? Le liquide ne pourra pas atteindre les divisions capillaires de l'artère où je l'injecte, puisqu'il marchera dans une direction opposée ; il ne pourra pas pénétrer dans le ventri- cule gauche, puisque les valvules sygmoïdes en s'abaissant forment soupape. Il faudra donc qu'il se mêle au sang de Tarière, et se répande avec ce liquide dans la généralité des tuyaux vasculaires. Ou je m'abuse^ ou cette addition influera sur la hauteur du mercure. Le bout supérieur de la carotide est lié. Avant de faire la ponction, je vais comprimer le bout inférieur du vaisseau de manière à soustraire dans ime portion du cylindre la colonne sanguine à l'action du cœur. J'incise les parois artérielles. Vous venez de voir sortir un jet de liquide par suite du retour sur elles-mêmes des tuniques élastiques : l'échelle indique 80-100. Suivez des (68) yeux la hauteur du mercure afin de bien appré- cier ses variations. Je pousse lentement le piston : si je le poussais brusquement , nous pourrions rapporter à l'action, du liquide , ce qui n'appartiendrait qu'au mouve- ment progressif que je lui imprimerais. La se- ringue est à moitié vide , nous avons 1 00-1 15,90-105,1 00-1 25 mill. A l'instant où je cesse de presser le piston, vous le voyez remonter de lui-même; c'est la pres- sion du sang qui le soulève ; aussi chaque sac- cade correspond-elle à une pulsation artérielle. La seringue est presque entièrement remplie de sang mélangé à l'eau , ce qui vous explique com- ment la colonne est retombée à 75-90. Je pousse de nouveau le piston, l'échelle marque 90-105 mill. Je le retire , il n'y a plus que 55-75, 60-70 mill. Je réintroduis le sang, nous retrouvons 70-85 mill. Il est donc évident que la pression augmente ou diminue en raison directe de la présence ou de la soustraction du liquide. Vous devez remarquer que l'élévation de la co-» lonne de mercure est bien moins sensible à la fia de l'expérience qu'au commencement. M. Poi- (69) seuille me fait très-judicieusement observer que déjà une certaine quantité d'eau est revenue par les veines jusque vers les pompes hydrauliques, et que par conséquent elle a afFaibli leur force de contraction. La seringue contient 108 centimètres cubes. Quelque faible que soit cette quantité de liquide, elle doit diminuer l'énergie de la fibre musculaire. Je lie l'artère qui a servi a l'injection. Si nous n'avions pas introduit dans le torrent circulatoire un fluide débilitant, je ne doute pas que la colonne ne s'élevât maintenant au-dessus de son niveau normal , par suite de la ligature ap- pliquée sur la carotide droite. Le cercle circula- toire se trouvant rétréci , nous devrions nécessai- rement avoir une augmentation dans la pression des parois artérielles. La diminution de la force de contractilité du cœur peut seule nous rendre compte de cet affaiblissement de la pression de l'onde sanguine. Un travail intéressant consisterait à essayer avec l'hydrodynamomètre l'action des principaux mé- dicaments employés dans la thérapeutique. La di- gitale est une des substances dont l'action sur le cœur est le mieux constatée; administrée à une certaine dose , elle ralentit singulièrement les con- tractions ventriculaires à tel point que j'ai vu sous son influence le pouls de certains malades tomber à 12 ou 15 pulsations par minute. Je ne crois pas qu'on ait jamais étudié avec la préci- sion désirable ses effets : nous allons injecter une petite quantité de teinture de digitale dans la veine jugulaire de ce chien. 11 est probable que les ( "^0 ) battements du cœur tomberont au-dessous de leur rhythme normal , du moins la théorie nous le fait soupçonner. Je m'assure d'abord du nombre des pulsations artérielles ; j'en compte à peu prés 120 dans une minute. La colonne de mercure oscille entre 70-95 . Elle est presque revenue à son pre- mier niveau. J'incise les téguments dans la direction de la jugulaire, afin de la mettre à nu. Cette veine est petite , affaissée , à peine apparente. Vous vous expliquez facilement cette circonstance par les deux ligatures appliquées sur la carotide de cha- que côté. Le sang n'étant plus apporté vers la tête par ces artères, ne peut plus revenir au cœur par les veines correspondantes. Comme la circu- lation est interceptée dans la jugulaire, ce vais- seau, j'aurais dû le prévoir, est peu propre à rece- voir l'injection; aussi vais-je la faire pénétrer par une autre voie. Toute membrane absorbe, du moment qu'elle n'est point recouverte d'une couche épidermique : nous pourrions donc en introduisant la liqueur dans la cavité abdominale la faire arriver dans le courant sanguin. Chez le chien la tunique vagi- nale communique avec le péritoine ,• c'est vous expliquer dans quel but je viens de fendre la peau du scrotum , et d'y plonger le tube de cette pe- tite seringue d'Anel. J'injecte un gros à peu prés d'alcool de digitale; Attendons quelques instants , car il faut que la li- queur ait le temps d'être absorbée avant de ma- nifester ses effets. Voici le pouls qui diminue de ( 71 ) fréquence, il n'offre plus que 90 pulsations. Quant à la colonne, elle reste à 70-90, 70-95 mille. Ainsi il y a diminution de battement du cœur sans abaissement ni augmentation de la pression. Le pouls est maintenant à 84 , le mercure à 75-100, 70-90 mill. Vous voyez que l'action de la digitale se fait manifestement sentir, puisque les pulsations ar- térielles sont tombées de 1 20 à 84 : peut-être ses effets eussent-ils encore été plus sensibles si nous eussions mis la liqueur en contact avec une mem- brane où l'absorption est plus active. J'en injecte un demi-gros dans la plèvre. Mal- heureusement l'animal commence à se fatiguer de nos expériences : ses efforts , ses mouvements dé- sordonnés troublent la circulation et nous empê- chent de bien apprécier le degré d'action du mé- dicament. Le pouls remonte, il est maintenant à 100. Nous ne pouvons pas tirer de grandes consé- quences de cette expérience : ce qu'elle nous a présenté de plus remarquable, c'est la diminution de fréquence des pulsations du cœur sans varia- tion de la pression artérielle. Quoi qu'il en soit , messieurs , la composition du liquide est pour beaucoup dans la production des phénomènes hydrauliques , dont le corps de l'homme , malade ou sain , est le sièg^e. Toute substance, avant de se déposer dans les solides, tra- ( 72 ) Verse les pompes et les tuyaux chargés de sa dis- tribution. Ceci vous explique comment l'absorp- tion d'une molécule délétère retentit tout d'abord sur l'appareil circulatoire. Un médicament agit sur l'énergie de la fibre ventriculaire , tel autre sur la fréquence de ses contractions. Les variétés de plénitude , de faiblesse , de force que présente ie pouls dépendent principalement de la manière dont la pompe gauche lance le liquide dans le sys^ tème artériel : les mouvements respiratoires exer- cent aussi une grande influence. Quant au volume même du sang , je n'ai pas d'opinion bien arrêtée sur son mode d'influence ; bien qu'il me semble tout naturel que la pression augmente en raison directe de la masse de liquide , je crois qu'il est prudent de ne rien affirmer avant que de nou- velles expériences aient prononcé. Dans tous les cas les idées que l'on s'est formées jusqu'ici des effets de la saignée ne me paraissent guère solidement établies , et doivent être soumises à un nouvel exa- men. Dans rénumération des causes les plus appa- rentes de la force statique du sang, je ne vous ai point parlé de la faculté qu'on a supposée à ce liquide de se mouvoir spontanément , sans le con- cours d'aucun agent mécanique. Ce sont là de ces stupidités dignes tout au plus d'exciter le sou- rire. Extrait de ses vaisseaux , le sang n'a pas d'autre force vitale ou physique que la force d'i- iiertie. Il en est du sang comme de tout corps com- posé de molécules inertes, pour se mouvoir il lui faut un agent d'impulsion : renfermez-le dans une ( 73 ) anse d'intestin de poulet, ou dans un tuyau en caoutchouc, jamais il ne se déplacera de lui- même. En vérité, messieurs , il faut ne pas avoir d'yeux pour avoir pu soutenir que le sang a une puissance motrice, inhérente à sa nature. Une idée semblable est une véritable hallucination. Quand on fait des expériences , il faut chercher à trouver l'explication des phénomènes et non à l'imaginer; on ne s'expose pas à des divagations pareilles à celle que nous venons de relever. C'est surtout par le secours de la physique qu'on arrive à quelque chose de positif en physiologie. Mal- heureusement ces deux sciences , bien loin de se prêter un mutuel appui , ont presque toujours , dans les livres , conservé l'une envers l'autre une attitude hostile. Nos continuels efforts tendront , comme par le passé à provoquer , non pas un sim- ple rapprochement, mais une réconciliation , une fusion complète. La médecine a plus besoin de la physique que la physique de la médecine : c'est à nous de faire les premiers pas vers une alliance d'où dépend en grande partie le succès de nos tra- vaux. ( 74 ) CINQUIÈME LEÇON. 27 ayril 1837. Messieurs , Avant de reprendre la série de nos expériences sur les questions d'hydraulique animale , je veux vous dire quelques mots des nouveaux résultats que nous ont fournis nos recherches sur la coa- gulabilité du sang. Vous vous rappelez l'immense importance de cette propriété physique sur les pjié- noménes circulatoires : l'intégrité de ceux-ci est intimement liée avec la faculté qu'a le liquide vi- vant de se solidifier. Comment agissent les alcalis, les solutions de sous - carbonate de soude , l'é- ther œnanthique ? Injectés dans les veines , ils ôtent au sang sa coagulabilité, et par suite, le rendent impropre à se mouvoir dans ses tuyaux. De là ces engouements pulmonaires , ces exhala- tions sanguinolentes dans les cavités séreuses , ces transsudations du sang en substance ou de quel- (75) ques-uns de ses éléments entre les mailles des tis- sus parenchymateux. -y Tout en nous applaudissant de ces résultats qui nous semblent propres à jeter une vive lumière sur divers points de pathologie , nous exprimions le regret de ne pouvoir restituer au sang sa coa- gulabilité ; car, disions-nous, à cette question se rattachent celles de toutes les fièvres graves. Entre le véritable typhus et les symptômes offerts par les animaux soumis à nos expériences, il y auneana- logie incontestable. Peut-être que si l'on parve- nait à rendre au sang la propriété de se prendre en masse , ce serait un grand pas de fait pour la thérapeutique des maladies dont nous ne savons qu'analyser et non combattre les désastreux effets. C'est donc dans cette direction d'esprit que nous continuions nos recherches : voici ce qiie nous avons eu hier l'occasion d'observer. J'ai fait recueillir le sang d'un cochon d'Inde, dans un vase contenant une certaine quantité de sous- carbonate de soude. Il ne s'était pas formé de caillots au bout de deux heures. Voyant que le sang avait évidemment perdu sa coagulabi- lité, j'essayai de le lui rendre en le mélangeant avec une faible quantité d'acide sulfurique , tel- lement étendu d'eau , qu''il offrait à peine à la langue des traces d'acidité, Presqu'aussitôt la li- queur s'est séparée en deux parties , l'une solide, l'autre fluide : on aurait dit d'une saignée avec sé- rum et caillot l'un et l'autre dans les conditions nor- males. Ce fait m'a paru fort curieux. On sait bien en chimie que les acides coagulent le sang , mais (76) on n'avait jamais essayé de restituer à ce liquide sa coagulabilité après la lui avoir enlevée une pre- mière fois. Vous voyez dans ce vase le sang sur le- quel nous avons fait l'expérience: il tient en suspen* sion un caillot ferme , résistant, volumineux. Il serait impossible de dire à première vue que ce li- quide a été soumis à l'action de deux réactifs chi- miques , et qu'il est passé par divers états avant que sa partie coagulable se soit séparée de son sé- rum. J'ai reçu également dans une seconde éprou- vette une certaine quantité de sang, à laquelle j'ai ajouté une plus grande proportion de sous-car- bonate de soude. L'addition d'un peu d'eau aci- dulée a précipité un caillot un peu moins volumi- neux que dans l'expérience précédente. Cela tient à ce que la solution alcaline, trop abondante pour être saturée par l'acide sulfurique , a maintenu la iluidité du sang dont une partie n'a pu se solidi- fier. Voici un troisième vase où j'ai fait un semblable mélange de sang et de sous-carbonate de soude. 11 ne s'est pas formé de coagulum. Un peu d'acide sulfurique très étendu a été versé dans la liqueur, €t quelques instants après nous avons trouvé une petite masse visqueuse, rougeâtre, rappelant assez la couleur et la consistance d'un caillot. Nous con- tinuerons ces recherches. Je ne connais pas de question plus palpitante d'in- térêt (pour me servir d'une expression à la mode), que celle de la coagulabilité du sang. Le typhus, le choléra, la fièvre typhoïde, la peste, etc. toutes ces (77) maladies si meurtrières reconnaissent comme un de leurs éléments l'altération du sang; cette altération parait consister surtout dans un défaut de coagula- bilité. Je n'oserais vous affirmer que dans ces circonstances morbides , il y a dans l'économie une surabondance d'alcalis , et que le moyen de neutraliser leurs efforts est de faire passer dans les courants circulatoires une certaine quantité d'eau acidulée. Non, telle n'est pas notre pen- sée. Il ne faut pas prononcer légèrement sur un fait de cette gravité ! Ce que je dis , c'est qu'il faut tenir compte des moindres découvertes qui tendent à mettre sur la voie de rendre au sang sa coagulabilité , lorsqu'il l'a perdue par une cause quelconque. Peut-être l'expérience que nous avons faite est-elle susceptible de quelque appli- cation utile à la thérapeutique de ces maladies : Tobservation prononcera. Mais ne nous faisons pa& illusion , la génération contemporaine n'entend rien , absolument rien à ces questions d'altération des liquides; témoins les derniers débats où l'Aca- démie a discuté le traitement de la fièvre typhoïde. C'est surtout en étalant solennellement ce qu'on croit savoir qu'on montre jusqu'à la dernière évi' dence ce que l'on ne sait pas. J'ai fait apporter ce matin de l'Hôtel - Dieu le cœur et les poumons d'une femme morte subite- ment dans une des salles de médecine. A l'autopsie, l'interne n'a rien trouvé qui pût expliquer l'ins- tantanéité des accidents. Ce qui l'a frappé surtout, c'est la liquidité du sang qui dans aucun organe ne présentaitde traces de caillot. Une certaincquantité de sang à l'état fluide comprimait le cerveau et (78) était mélangée à la sérosité sous-araclinoïdienne. Les poumons sont engoués , le cœur ramolli, infil- tré d'une liqueur visqueuse. Nul doute qu'ici en- core le point de départ de la maladie n'ait été un défaut de coagulabilité du sang. Revenons maintenant à nos expériences sur la circulation artérielle : toute question qui ne s'y rattache pas sera pour le moment secondaire à nos yeux. L'égalité de pression à l'intérieur des tuyaux qui appartiennent à la grande pompe est un phé- nomène capital dans l'histoire des mouvements du sang. Les problèmes d'hydraulique se trouvent ainsi ramenés à une bien grande simplicité. Le système artériel tout entier peut être représenté par un tuyau unique : ce qu'on observe sur ce tuyau est applicable à la généralité des conduits de même espèce, grands ou petits, voisins ou éloi- gnés de l'agent central d'impulsion. C'était donc avec raison que je vous disais que la réalité est beaucoup moins compliquée que les hypothèses. On a fait de bien laborieuses suppositions sur la manière dont le sang se meut dans les diverses branches de l'appareil circulatoire ; on voulait que l'action du cœur expirât à l'entrée des ramifications capillaires. Eh bien ! voilà qu'avec l'instrument de M. Poiseuiile on démontre que bien loin d'être épuisée , la force de la pompe est aussi énergique en ce point que dans les troncs les plus volumi- neux. Ce simple fait est d'une immense application pratique. Quand vous ouvrez une artère , vous ne dimirmez pas seulement la pression dans un point; (79) l'équilibre des colonnes sanguines se rétablit im- médiatement, ou plutôt il n'est pas un seul instant interrompu. Tous les vaisseaux de ce système sont solidaires les uns des autres; s'attaquer à un, c'est s'attaquer à tous simultanément. Ce que je dis des artères n'est pas applicable aux veines. Ces deux ordres de tuyaux , bien que soumis à une même puissance hydrodynamique , le cœur, ne présentent pas des phénomènes iden- tiques. Aussi les parois des veines dans les circon- stances ordinaires , ne supportent pas ou presque pas de distension , tandis que les parois des artè- res sont soumises à une distension constante et uniforme. Nous insisterons sur ces particularités en traitant de la circulation veineuse. Je dois aussi vous faire remarquer que la ma- nière dont fonctionne l'appareil vasculaire sous le rapport physique n'est pas la même chez l'indi- vidu bien portant et chez l'individu malade. 11 est des circonstances pathologiques où le volume du sang diminue d'vme notable quantité : c'est en vain alors que vous essaieriez d'appliquer à ces cas les lois déduites de Fétude des phénomènes dans les conditions normales. Chez les phthisiques il y a trop peu de sang dans les vaisseaux pour que la pression soit très considérable. A la suite d'abon- dantes hémorrhagies les artères , revenues sur el- les-mêmes par le retrait élastique de leurs parois, ne sont que médiocrement comprimées par la co- lonne de liquide. La faiblesse ou même l'absence du pouls chez les moribonds qu'ont épuisés de longues souffrances , et de fréquentes évacua- (80 ) tions sanguines , vous indiquent également que la pression intérieure s'exerce avec une bien moindre énergie. 11 faut tenir compte de toutes ces parti- cularités individuelles , sans quoi il n'y a plus de théorie raisonnable de la circulation. Si le cœur était la seule puissance motrice du sang , il suffirait de Calculer à chaque contraction ventriculaire la hauteur de la colonne de mercure^ et l'on pourrait rigoureusement évaluer sa force statique. Mais nous savons que la pompe aérienne exerce une influence immense sur la marche des liquides. Ce n'est qu'en empêchant le jeu du tho-' rax qu'on peut arriver à un chiffi^e exact sur le degré de pression que le cœur fait supporter aux tuyaux artériels. L'instrument de M. Poiseuille nous servira à résoudre ce problème d'hydrauli- que. Prenez un tube en caoutchouc, et poussez dans sa cavité plus de liquide qu'il n'en faut pour la remplir : ses parois cèdent et se dilatent. Ajou^ tez-y une nouvelle quantité de liquide , la disten- sion devient plus forte. Ainsi la pression intérieure est en raison directe du volume du liquide. 11 me semble tout naturel que les artères soient soumises aux mêmes lois physiques. Cependant ce phéno- mène a besoin d'être vérifié. Déjà dans l'avant- derniére séance nous avons voulu augmenter la pression en augmentant la masse du sang, et la colonne de mercure, au lieu de monter, a sensi-^ blement baissé. L'exphcation de ce résultat si op- posé à ce que nous avions prévu nous a semblé devoir être cherché dans les modifications appor- (81 ) tes par notre expérience à la composition des liquides. Le volume du sang était plus considéra- ble , il est vrai , mais la contractilité musculaire était moins énergique par suite du passage d'une certaine quantité d'eau dans le torrent circula- toire. Il en a é(é de notre injection comme des ti- sanes dont les malades font usage pour calmer la fièvre. L'augmentation de la partie aqueuse du sang a diminué la force d'impulsion de la pompe gauche ^ et la pression est devenue moindre dans tout le système artériel. Je me propose aujourd'hui de reprendre cette ex- périence. Mais au lieu d'introduire dans les tuyaux vasculaires de l'eau ou toute autre liqueur débi- litante, nous allons nous servir de sang extrait d'un animal de même espèce. Ce sera une vérita- ble transfusion. Je suis bien aise de saisir cette occasion de faire devant vous une opération jadis fort en honneur , et qui maintenant est tombée dans un discrédit complet. Cependant il est des circonstances où il serait opportun d'y recourir ; nous-mêmes plusieurs fois nous avons injecté di- rectement dans les veines de l'individu vivant des liquides médicamenteux. Lors de sa découverte , la tranfusion fut reçue avec un enthousiasme voisin du délire ; des tenta- tives imprudentes faites sur l'homme eurent les conséquences les plus fâcheuses , et alors on abandonna avec autant de légèreté qu'on l'avait accueilli un moyen sur lequel reposaient de si flatteuses illusions. Je crois qu'on s'est trop hâté d'accepter, trop hâlé de proscrire cette ressource T. III. Moffendie. (82) extrême de la médecine. Si l'on voulait faire ren- trer dans le domaine chirurgical la transfusion du sang, il serait indispensable de l'assujettir à ^es préceptes rigoureux , de tenir un compte im- mense des propriétés physiques du liquide et de sa composition. Les globules n'ont point chez les divers animaux la même forme, le même volume : la coagulabiUté n'est pas au même degré chez tous. Suivant que le sang sera introduit par tel ou tel procédé , la circulation restera libre ou deviendra impossible. En cela comme en toute épreuve expérimentale, il convient d'étudier sur les animaux les résultats de Fopération avant de se hasarder à en faire l'application à l'homme lui- même. Il y a deux méthodes principales de faire la transfusion : tantôt le sang passe immédiatement du vaisseau de l'animal qui donne dans celui de l'animal qui reçoit, tantôt il est recueilli dans un vase pour être ensuite réinjecté. Cette seconde mé- thode est plus en usage que la première parce qu'elle est plus facile, et permet de mesurer la quantité de liquide avec laquelle on expérimente. C'est elle que nous allons employer ici. Je vous ferai toutefois remarquer que la plasticité du sang est telle , surtout chez les chiens , que le seul contact des parois métalliques de la seringue suffit pour lui faire perdre sa fluidité , et par suite le rendre impropre à la circulation. Comme nous ne voulons point étudier maintenant les modifica- tions apportés dans l'appareil hydrodynamique par la composition du liquide, mais seulement ( 83 ) rpàr son volume, l'inconvénient que je vous signa- Jais n'aura point de sérieuses conséquences pour les résultats de notre expérience. Ainsi au lieu d'introduire par une sorte d'invagination l'extré- mité d'un vaisseau dans la lumière d'un autre vaisseau , je vais me servir d'un instrument in- termédiaire. Nous modifierons un peu le manuel opératoire de l'expérience. Au lieu d'être veineux , le sang qui sera injecté dans le système vasculaire de ce chien sera artériel et pris sur un animal de la même espèce. Ce sera, je crois, la première fois qu'on étudiera aussi directement l'influence du volume de liquide sur la pression inférieure que supportent les vaisseaux. La contractiiité des fi- bres ventriculaires devrait rester la même , sans augmenter ni diminuer d'énergie , puisque le sang qui arrive au cœur n'est ni plus débilitant ni plus excitant que de coutume. Agissons : Voici deux chiens. Ils sont de force à peu près égale, seulement l'un est plus âgé que l'autre. Chez tous deux l'artère carotide droite a été mise à nu et l'instrument y a été appliqué par M. Poi- seuille lui-même. Afin d'éviter dans la descrip- tion de l'expérience des circonlocutions fastidieu- ses , nous désignerons , si vous le voulez , par le n" 1 le chien à qui nous allons ôter le sang, par le n" 2 celui à qui nous allons en injecter. Sur ce dernier animal la veine jugulaire a été iso- lée , et une canule introduite dans sa cavité de manière à permettre l'introduction du bec de la seringue. Les colonnes mercurielles sont immo- (84) biles parce que les robinets sont fermés : je les ouvre ; elles oscillent à peu près entre les mêmes dégrés. Ce sont : ^0 ^ _75.^oO, 75-100, 70-90, 65-95 mil. N° 2 — 70-1 05, 75-1 05, 65-1 00, 60-1 05 mil. Il n'y a donc pas de différence bien sensible entre la hauteur du mercure de chaque instru- ment. Si les deux animaux respiraient dans le même instant, de manière que les mouvements d'inspiration et d'expiration se correspondissent exactement , il est probable que les deux échelles indiqueraient le même degré. J'avais omis de vous dire que sur le chien n** 1 la carotide gauche a été mise à nu , et une ouver- ture pratiquée à ses parois pour recevoir le canon de la seringue. Ces préparatifs ont été faits avant la séance, car ils auraient absorbé une partie de la leçon si nous les eussions ajournés jusqu'au mo- ment même de l'expérience. J'y trouve encore l'avantage que les animaux sont beaucoup moins agités : d'ailleurs l'opération est tellement simple qu'il suffit de l'avoir vu faire une seule fois pour la comprendre. J'aspire en soulevant le piston le sang lancé dans l'artère par la pompe gauche. La seringue se rem- plit; et même il n'est pas besoin pour cela d'effort de ma main, car telle est l'énergie avec laquelle le cœur pousse l'ondée sanguine, que le piston est brusquement chassé à chaque contraction ventri- culaire. On pourrait même évaluer ainsi la force (85) d'impulsion du sang. Bien entendu que ce ne se- raient que des donnés approximatives très vagues auprès de la précision mathématique de l'insiru- ment de M. Poiseuille. Aussi ai-je appelé votre at- tention sur ce phénomène plutôt comme accident curieux que comme susceptible d'application im- portante. La seringue est remplie. L'échelle mar- que : No i _ 60-85 , 55-95 , 70-80 mill. J'injecte le sang dans la jugulaire de l'autre chien; nous avons N° 2 — 70-100, 65-90 , 70-90 mill. Il n'y a pas de différence bien appréciable dans la hauteur de nos colonnes. Nous avons eu affaire à trop peu de liquide pour que les résultats puissent déjà être sensibles. On dirait que le n° 2 a baissé légèrement au lieu de monter. Répétons la même manœuvre. J'évalue à quatre onces à peu près la capacité de la seringue que nous employons. Le sang n'a pas eu le temps de se coaguler, car il n'a séjourné que quelques secondes dans l'instru- ment dont les parois avaient été préalablement chauffées de manière à offrir la même température. Voici pour la seconde fois la seringue remplie ; la colonne mercurielle oscille entre N„ \ _- 70-1 00, 50-65, 60-75, 60-80 mill. La diminution est légère. Nous avons pour le chien qui vient de recevoir l'injection : (86) No 2 — 65-95, 70-100, 75-95, 60-95 mill. Une troisième seringue de sang est transfusée. L'échelle indique N» 1 _ 40-70, 60-85, 50-75 mill. N» 2 — 70-1 00 , 75-1 00 , 60-95 mill. Il y a bien un peu de diminution chez le chien qui donne , mais chez celui qui reçoit , la pression reste à peu près uniforme. Je charge pour la qua- trième fois la seringue , l'injection est poussée dans le jugulaire de l'autre animal. Nous trouvons N^ j _ 60-80 , 50-65, 35-55 , 45-70 , 25-50 mill. N° 2 — 75-90, 70-80, 70-90, 60-95, 70-95. mill. Ainsi l'augmentation ou la diminution de la masse du sang ne sont pas en rapport avec la hau- teur de la colonne mercurielle. La pression est sen- siblement moindre sur l'animal que nous avons rendu presque exsangue; elle est normale, peut-être même un peu diminuée sur celui dont le système vasculaire a été distendu par nos injections. Ces résultats ne sont point littéralement tels que nous les avions annoncés. Nous reviendrons sur ces ex- périences qui ont besoin d'être répétées de nou- veau pour pouvoir fournir des indications précises et rigoureuses. Le degré de fréquence du pouls chez ces deux animaux , est assez remarquable. Le chien qui a reçu le sang n'a que 72 pulsations par minute; (87) ■ le chien qui l'a donné a 1 50 pulsations par minute. Les contractions répétées du cœur s'expliquent par le besoin qu'éprouve l'économie de recevoir à tout instant une nouvelle quantité de liquide, et par le maintien de l'équilibre des courants sanguins. Cette fréquence , cette petitesse extrême du pouls dans les cas de pertes de sang abondantes , ont été signalés par tous les observateurs , et même ce sont des signes précieux pour reconnaître certaine hé- morrhagie intérieure. Je vais maintenant laisser couler librement le sang du chien à qui nous en avons extrait de si notables proportions. La carotide est largement ouverte. La colonne mercurielle est à No 1 — 25-30, 25-27, 20-30 , 23-25 , 20-25 mill. Vous voyez qu'à mesure que le sang coule , la pression diminue. Je n'ai pas besoin de vous ex- pliquer pourquoi le liquide en s'échappant ne forme qu'un faible jet : il est tout naturel que sa force progressive décroisse en raison directe de l'aiTaiblissement de l'énergie avec laquelle se con- tracte la fibre musculaire. Je lie maintenant Far- tére afm d'empêcher l'animal de périr d'hémor- l'hagie. Malgré les renseignements positifs fournis par l'instrument de M. Poiseuille, j'avoue que je ne sais maintenant à quoi m'en tenir sur le rôle joué par le volume du sang dans la pression des parois artérielles. Ce qui, il n'y a encore que quelques jours ;, me semblait une question jugée, n'est plus (88) aujourd'hui aussi évident pour moi. La colonne a notablement baissé chez le chien à qui nous avons enlevé la presque totalité du fluide circulatoire , mais ce n'est que vers la fin de l'expérience , alors que le système vasculaire, revenu sur lui-même par son élasticité, n'était plus dilaté par les courants sanguins. A l'étatphysiologique les artères sont non- seulement pleines , mais distendues : aussi ne pou- vons-nous conclure rigoureusement que les choses se passent dans les circonstances ordinaires comme dans l'expérience qui vient d'être faite sous vos yeux. Les conditions physiques n'étant pas les mêmes, les phénomènes doivent également diffé- rer. Si la théorie n'a point ici reçu un démenti for- mel , nous ne pouvons nous dissimuler que nous ne nous soyons abusés sur l'influence exercée par l'augmentation de la masse sanguine. Une pre- mière fois nous injectons de l'eau dons les veines, et le mercure baisse. Surpris de ce résultat , nous attribuons à l'action débilitante du liquide passé dans le sang la diminution de la pression des ar- tères. N'y avait-il pas là quelque autre cause dont l'action échappait à nos explications ? L'expérience seule pouvait apprendre jusqu'à quel point no^ soupçons étaient fondés ou erronés : c'est donc à elle que nous dûmes en appeler. Eh bien! il pa- raîtrait que réellement le volume du sang n'est que pour peu de chose dans la force avec la- quelle les colonnes liquides pressent les parois artérielles. Je n'ose point tirer de conséquences prématurées d'un fait isolé , mais nous venons de ( 89 ) voir que rinjection successive de plus d'une livre de sang n'a point augmenté l'élévation de la co- lonne mercurielle; et même celle-ci, à la fin de l'expérience , oscillait au-dessous de son niveau normal. Ces questions , messieurs , bien loin d'être dé- battues dans les ouvrages de pbysioîogie les plus récents , n'y sont même pas mentionnées. On est trop occupé du rôle qu'il convient de faire jouer 2i\ix fluides vwifiantSf aux matériaux réparateurs ^ aux principes assimilables , pour s'arrêter à des phénomènes d'hydraulique. Nous ne pouvons ici invoquer l'autorité de personne ; il nous faut nous en rapporter à nos premières impressions. Ne croyez pas qu'un candidat au doctorat eût bonne grâce à établir devant son juge du savoir en semblable matière ; il ne serait pas compris. Mais que, prenant à sa naissance l'artère maxil- laire interne , il la suive dans toutes ses flexuo- sités, nomme toutes ses branches, signale ses ano- malies, c^est alors qu'il recueille des suffrages una- nimes. Ne lui demandez pas non plus quelles sont les fonctions de la cinquième paire, ce serait l'em- barrasser. Laissez-le plutôt décrire le trajet de la corde du tympan ou opposer par de doctes anti- thèses le rameau gros et court au rameau grêle et long. Cette science factice est celle qui convient pour briller aux examens. Si encore on l'apprenait en disséquant î mais non, le plus souvent on étudie l'anatomie sur des planches comme la géographie sur des cartes; et pourvu qu'on fasse preuve de mé- moire, peu importe le reste. ( 90) Vous voyez par l'incertitude où nous sommes sur les modifications apportées dans la pression artérielle parle volume du liquide , que jusqu'ici on n'a tenu aucun compte de cette circonstance importante. Cependant il n'est point de question plus intimement liée à la pratique médicale. Soit que vous prescriviez des tisanes, soit que vous ôtiez du sang par des saignées, la masse du li- quide vivant est augmentée ou diminuée : de là des résultats mécaniques inévitables. L'influence exercée par ces moyens thérapeu- tiques n'a point été soumise à une rigoureuse ana- lyse. On sait que souvent après une ou plusieurs saignées, le pouls devient moins fréquent, moins fort f mais on se contente d'énoncer ce fait, sans en donner l'explication. Je crois qu'on n'arrivera à des données réellement scientifiques qu'en envi- sageant ces questions sous une toute autre face qu'on ne l'a fait jusqu'à présent. Les modifications que l'on voit survenir dans l'économie ne sont que la conséquence des changements survenus dans le volume et la composition des liquides : il faut donc étudier les phénomènes hydrodynamiques avant d'attaquer les phénomènes vitaux. (91 ) SIXIÈME LEÇON. 29 avril 1857. Messieurs , Nous avons appelé votre attention sur les trou- bles fonctionnels que détermine dans l'économie vivante toute modification des propriétés physi- ques du sang. La température du liquide, les pro- portions de ses éléments , l'addition de nouveaux principes , la soustraction de quelques-uns des matériaux qui le constituent normalement, ce sont là autant de questions dignes du plus haut intérêt. 11 est surtout un point capital dans l'étude des phénomènes physiologiques ou pathologiques dont l'appareil circulatoire est le siège, je veux parler de la coaguiabilitédu sang. Nous avons tenté à ce sujet quelques expériences , hasardé des conjec- tures plutôt qu'affirmé des théories , et par l'aveu de notre ignorance , indiqué tout ce qui restait à faire avant que la science ne fût arrivée au degré de certitude que tout esprit sévère est en droit (92) d'exiger. Je vous disais qu'une foule de maladies, rattachées jusqu'ici à des lésions primitives des solides ;, reconnaissent comme point de départ une modification de la faculté qu'a le sang de se soli- difier : les fièvres graves me semblaient devoir être rangées dans cette classe. J'ajouterai que certaines affections aiguës qui ne sont point accompagnées d'un appareil de symptômes aussi formidables, paraissent aussi reconnaître une semblable origine* Les pièces pathologiques déposées sur cette table viennent à l'appui de cette assertion : je les ai ce matin fait apporter de l'Hôtel-Dieu. L'état de la malade à qui elles ont appartenues m'a paru se rat- tacher trop intimement à nos recherches actuelles pour que je laissasse échapper l'occasion de vous en dire quelques mots. Voici les principales cir- constances de son histoire. Cette femme , à la suite d'un accouchement la- borieux qui avait nécessité l'emploi du forceps, était entrée à l'hôpital offrant tous les signes de ce qu'on est convenu d'appeler une inflammation de la matrice. Le ventre était tendu, l'organe utérin sensiblement plus volumineux qu'il ne devait l'être : il se passait là un travail morbide que l'on combattit par les moyens accoutumés. Cependant le mal continuant à faire des progrès, la malade est morte hier dans la journée. L'autopsie, faite ce matin, a montré les particularités suivantes. La cavité de la matrice offre son aspect naturel, seulement , en comprimant ses parois , on fait sourdre des gouttelettes purulentes par l'orifice de larges veines qui s'y abouchent. Son tissu incisé (93) dans diverses directions a paru sain : mais on reconnaissait les vaisseaux lymphatiques et vei- neux aux traînées de pus qui sillonnaient l'or- gane. Vous pouvez encore constater aujourd'hui ces diverses altérations. Au moment '^où mon bis- touri divise le parenchyme utérin , la matière pu- rulente apparaît sous forme de fusées grisâtres. En raclant avec le dos de l'instrument la surface des incisions, ou en y faisant arriver un courant d'eau , on voit de la manière la plus évidente que le pus n'est point infiltré dans les mailles de la matrice , mais qu'il est contenu dans les veines et les vaisseaux lymphatiques. Envisagé comme al- tération locale , cet état particulier du système vasculaire ne peut être défini^ et à plus forte raison ne peut-on établir de relation entre la nature de l'affection et la gravité des symptômes. Direz-vous qu'il "y a phlébite ? Nous nous sommes expliqués sur la valeur ou plutôt sur le non-sens du mot in- flammation. Appelez du nom qui vous sourira le plus ces dépôts morbides dans la cavité des vais- seaux utérins, jamais vous n'arriverez à expliquer par leur seule influence la cause de la mort : aussi n'est-ce pas là qu'il faut la chercher. En examinant l'appareil respiratoire , on voit que les deux poumons gorgés d'un sang noirâtre et visqueux ont perdu leur perméabilité. Leur tissu présente les caractères anatomiques de l'en- gouement; il est lourd , non élastique, plus rouge qu'à l'état normal. L'air insufflé dans la trachée n'arrive pas jusqu'aux cellules pulmonaires, il semble s'arrêter au niveau des ramifications bron- ( 94 ) chiques de moyen calibre. Les matériaux épanchés sont hquides : en aucun point du poumon , on ne rencontre ces indurations que dans le langage des écoles on désigne par Fépithéte dliépatisation. Est-ce à dire que la pneumonie était restée au pre- mier degré ? non; les altérations dont le tissu pul- monaire est le siège sont trop profondes pour qu'il n'y ait pas là autre chose qu'un simple engoue- ment. Voyons quelles sont les causes qui ont pu amener ces désordres tout spéciaux de l'organe respiratoire. Quand on envisage isolément les lésions de la matrice et celles du poumon , on ne voit pas en quoi elles se ressemblent : mais si on les rappro- che l'une de l'autre, si on les compare, on est frappé d'un premier fait, savoir que dans les deux cas la maladie a eu pour siège le système circula- toire. Comment des vaisseaux aussi différents par leur position que par leurs structures sont-ils si- multanément affectés ? D'abord rien ne prouve qu'ils le soient : de ce que vous trouvez dans une grosse veine du pus , dans des tuyaux capillaires des engorgements, vous n'êtes pas en droit de conclure que les parois vasculaires sont primiti- vement malades. A l'état physiologique , les tuyaux sanguins jouent un rôle bien voisin du passif; par quelle singulière métamorphose leur rôle dans les mala- dies deviendrait-il exclusivement actif ? Il y a au moins possibilité qu'ils ne soient pas affectés tout d'abord. Je dis plus , tout porte à croire que pour le cas qui nous occupe maintenant , les liquides (95) eux-mêmes étaient altérés , et que cette altération consistait dans un défaut de coagulabilité du sang. Si cette femme avait été placée dans mes salles, que seul j'eusse fait l'autopsie, vous pour- riez peut-être soupçonner en moi une opinion préconçue sur la nature même de sa maladie : mais le témoignage de la personne qui m'a communiqué ce fait ne peut donner lieu à une semblable cause d'erreur. C'est un élève, tout-à-fait étranger à mes recherches habituelles, qui a été frappé, en ouvrant le cadavre, de l'état particulier du sang. Le cœur, les gros vaisseaux ne contenaient point de caillot fibrineux ; le sang avait conservé la liquidité qu'il offre chez l'individu vivant. Vous n'avez pas oublié les expériences que nous avons faites sur l'introduction dans le torrent cir- culatoire du sous-carbonate de soude. Les ani- maux ont succombé à des altérations pulmonaires analogues à celles que présente cette femme. Quant au pus trouvé dans les veines et les lympha- tiques de l'utérus , il est très probable qu'il s'est formé par suite de l'altération des liquides. Vous ne pouvez admettre qu'il a été absorbé à Finté^ rieur de la matrice , puisque ce viscère n'en pré- sente aucuns vestiges dans sa cavité ni dans l'in- terstice de ses fibres. Remarquez que les modifi- cations survenues dans la structure et la vitalité de l'organe de la gestation par le fai t de la grossesse, et surtout d'un accouchement pénible disposaient son tissu à participer aux moindres soufl'rances de l'économie. Tout élément morbide charrié par le sang dans la généralité des tissus tendait évidem'- (96) meut à se localiser en ce point. Aussi je n'hésite point à attribuer une influence immense à l'état particulier du sang dans la production des phéno- mènes pathologiques dont vous voyez sur ces pièces les tristes conséquences. Rendre au sang sa coagula- bilité , telle était, si je ne me trompe, la première indication thérapeutique. Malheureusement nous sommes encore à trouver le moyen d'atteindre ce but durant la vie, et l'empyrisme reste la base de notre traitement. ISous revenons sans cesse à ces questions d'alté- ration du sang, car sans cesse elles s'offrent à nous à propos des maladies gravées qui frappent l'orga- nisme. Tant qu'on n'a vu partout qu'inflamma- tion , on s'est contenté d'épuiser les malades par des émissions sanguines , sans songer que plus on saigne , plus on diminue la partie fibrineuse du liquide animal. L'art du médecin a plutôt consisté à varier les procédés d'extraire le sang qu'à étu- dier les effets physiologiques de sa soustraction. Si le sang a perdu sa coagulabiHté, croyez-vous pouvoir la lui restituer en ouvrant à chaque ins- tant la veine ? Bien loin de là, vous augmentez sa partie séreuse. La saignée dans ce cas n'est pas seulement inutile, mais même elle aggrave les phé- nomènes morbides en faisant prédominer l'élé- ment du sang qui n'est point susceptible de se solidifier. Vous savez qu'un des effets de la saignée est de rendre le sang plus aqueux. Nos expériences ont mis ce fait hors de doute. Ne trouverez-vous pas dans cette pratique routinière des médecins de toujours extraire du sang , TexpUcation d'une (9T) foule de phénomènes qu'ils attribuent à l'intensité de la maladie bien plutôt qu'à leur aveugle théra- peutique? Tous les observateurs ont signalé ce ca- ractère particulier de certaines affections, qui bien loin de décroître, semblent devenir de plus en plus graves à mesure qu'on réitère les émissions san- guines. Au lieu de s'arrêter, de suspendre l'emploi d'un moyen aussi éminemment nuisible, on redou- ble d'énergie en même temps que le mal redouble d'activité. Qu'arrive-t-il ? croyant devoir lutter contre l'élément inflammatoire , on épuise les for- ces du malade qui finit par succomber, moins à la maladie elle-même qu'au traitement qu'on se per- suade avoir dirigé contre elle. Les expériences auxquelles nous nous livrons maintenant n'ont pas seidement pour but d'éclair- cir certains points de physiologie, mais elles ten- dent aussi à donner la clé de plusieurs phénomènes pathologiques dont le mécanisme nous a échappé jusqu'à ce jour. Déjà nous sommes arrivés à quel- ques résultats curieux qu'il nous faut accepter malgré nos prévisions théoriques : je dis malgré ^ car vous avez pu voir que les résultats fournis par l'expérience n'cnt pas toujours été tels que nous les avions annoncés; plusieurs même ont paru di- rectement opposés à notre manière de voir. Résu- mons en quelques mots les importants phéno- mènes n.is au jour par nos expériences. I.a pression exercée par le sang contre les pa- rois ai térielles reconnaît trois sources principales : le volume du liquide, la contraction du cœur, les mouvements respiratoires. Ces trois puissances X. iir. Magendie. 7 (98) mécaniques n'ont pas un égal mode d'action. La première agit uniformément dans tous les sens, la seconde dans une seule direction, du centre à la périphérie, la troisième est alternative, tantôt elle accroît , tantôt elle diminue la pression. Nous re- viendrons isolément sur ces influences hemodyna- miques , en ayant soin de tenir compte des autres forces secondaires dont l'étude nous facilitera l'in- telligence de plusieurs particularités des mouve- ments de nos liquides. Nous avons cherché de deux manières diffé- rentes à augmenter le volume du sang : dans ces deux circonstances , nous n'avons point obtenu d'augmentation de pression. Lorsque par l'effet de l'introduction dans les veines d'une notable quantité d'eau tiède , le mercure est tombé au- dessous de son premier niveau , nous nous som- mes dit : il y a donc ici une autre cause que le volume du sang qui influe sur la pression. Cette autre cause doit même être plus puissante que celle que nous voulons apprécier , puisque la colonne baisse alors que la masse du liquide circulatoire est presque doublée. L'explication de ce pbénomène nous a paru devoir se rencontrer dans les modifi- cations apportées à la composition du sang. L'eau, en touchant la fd^re musculaire , diminue son énergie, et l'action vitale neutralise sans doute l'effet physique. A mesure que nous poussions une nouvelle injection , à mesure la contractiiité des parois ventriculaires perdait de sa puissance : par conséquent , la hauteur du mercure dimi- nuait. C ^^9 ) En serait-il de même si on introduisait dans les veines un fluide de la même nature que celui qu'elles charrient habituellement ? La théorie ré- pondait négativement ; mais peu confiants dans son seul témoignage , nous avons fait l'expérience en transfusant le sang d'un chien sur un autre chien. Vous connaissez les résultats de ces tenta- tives. D'abord la colonne du mercure s'est main- tenue à peu prés à son niveau normal : ce n'est que vers la fin de l'expérience , alors que le système vasculaire était pour ainsi dire vide de sang, qu'elle a notablement baissé. Doit-on attribuer cet abaissement à la diminution du volume de liquide ou bien à l'épuisement de l'animal dont une hé- morrhagie aussi abondante avait épuisé les forces? Peut-être ces deux causes y ont elles concouru. Je suis cependant porté à attribuer à la seconde la plus large part. Ainsi , Messieurs , quelque confiance que vous inspire une théorie , quelque vigoureux que soient les raisonnements sur lesquels elle repose, ne né- gligez jamais d'en appeler à l'expérience : que l'exemple dont vous venez d'être témoins ne soit pas perdu pour vous. Je pourrais vous citer des milliers de cas analogues où l'observation directe des phénomènes a donné un éclatant démenti à des assertions qui paraissaient tellement certaines qu'on avait cru inutile de vérifier leur exactitude. 11 est un fait surtout que j^ me plais à rapjieler dans mes leçons , car il montre quelle immense distance sépare quelquefois le vrai du vraisembla- ble : permettez-moi de vous k raconter encore. ( 100 ) Tons les physiologistes avaient signale la rétine comme douée de la sensibilité la plus exquise. Puisque le simple ébranlement de la lumière pro- duit sur cette membrane une impression si vive , quelle ne doit pas être l'atrocité de la douleur que déterminerait sa blessure par un corps solide! Personne ne s'était avisé de mettre en doute la réalité de ce phénomène, et même la rétine était volontiers citée comme le type de la sensibilité animale. De là, l'important précepte dans l'opéra- tion de la cataracte d'éviter que l'aiguille ne s'é- garât au fond de l'œil sous peine de voir l'individu tomber dans d'horribles convulsions. Il m'avait semblé plusieurs fois , en abaissant le cristallin sur des animaux, que l'instrument touchait la rétine sans qu'il en résultat la moindre manifes- tation de douleur : mais préoccupé de l'extrême sensibilité de cette membrane , j'attribuais ce contact à une fausse sensation de ma main. Un jour cependant, voulant m'assurer du fait, je pique avec l'aiguille la rétine d'un chien : rien. Je pique encore : rien ; aucun indice de dou- leur. Je crois que c'est une disposition indivi- duelle, qu'il existe ici une modification morbide de l'appareil de la vision : je répète l'expérience sur d'autres animaux, et sur l'homme lui-même: toujours les résultats sont négatifs. Force donc fut pour moi d'établir que bien loin d'être la partie la plus sensible de l'économie, la rétine est absolu- ment dépourvue de sensibilité tactile. Et cepen- dant , Messieurs , vous conviendrez que les idées admises par les physiologistes et que j'ai long-temps ( 10Î ) partagées sur les propriétés de cette membrane réu- nissaient tous les degrés de probabilité que peut fournir la logique la plus sévère. Défions- nous donc en général des rapproche- ments basés exclusivement sur l'analogie. C'est surtout dans une science aussi grave que la nôtre qu'il convient de ne jamais perdre de vue cet axiome de la philosophie ancienne : le sage n'af- firme rien qu'il ne le prouve. Je ne prétends point conclure des expériences que nous venons d'essayer, que le volume du liquide est sans influence sur la pression : ce serait rejeter trop légèrement un fait , par cela seul qu'il ne nous a point paru démontré dans une première tentative. Bien que solidaires les uns des autres y les tuyaux artériels sont peut-être soumis isolé- ment à certaines modifications locales. M. Poi- seuille a prouvé que les mouvements de la respira- tion ne retentissaient pas avec une égale énergie dans les vaisseaux éloignés du tborax et dans ceux voisins de cette cavité. Ne serait-ce pas là la cause des résultats négatifs où nous sommes arrivés? Nous n'avons exp^^rimenté que sur la carotide , c'est-à-dire sur une artère immédiatement in- fluencée par le jeu de la pompe aérienne. 11 serait possible que le voisinage de cet agent si puissant dépression nous eût empêchés d'apprécier les effets produits par la soustraction du liquide. Aussi nous abstiendrons-nous de tirer des conséquences gé- nérales d'un fait qui peut n'être pas exempt de quelque inexactitude. Ce n'est qu'après avoir ré- pété rexpéiience sur d'autres artères que nous ( 102 ) serons en droit d'émettre une opinion sur le rôle joué par le volume du fluide circulatoire : ques- tion neuve , question digne d'une minutieuse en- quête , puisque sa solution doit éclairer un des points de pratique les plus importants , je veux parler de la valeur thérapeutique des émissions sanguines. En pratiquant la transfusion, nous avions pensé que lascension de la colonne du mercui'e serait en rapport e5:act avec l'augmentation de la masse du sang. Il n'en a été rien : le niveau est resté à peu près uniformément au même degré. Je ne serais pas surpris qu'au lieu d'un simple effet mécanique, nous n'eussions déterminé dans l'appareil vascu- laire des phénomènes vitaux par l'introduction d'un liquide autre que celui qui doit normalement circuler au sein de l'organisme. Le sang d'un chien n'est point littéralement semblable au sang d'un autre chien : il y a peut-être pour chaque animal une individualité dans les liquides comme dans les formes extérieures du corps. L'âge, la taille, la vi- gueur, le genre de nourriture, impriment à cha- cun un cachet spécial. En même temps qu'un li- quide étranger a touché la fibre musculaire, il en a modifié la force contractile. De là sans doute des changements apportés à l'énergie avec laquelle le cœur lance le sang dans le système artériel. Il est arrivé à ce chien ce qu'on observe chaque fois qu'on pousse dans les veines une injection quelconque : les fonctions des grands appareils ont été momentanément troublées ; l'animal est tombé malade, et même aujourd'hui il n'est pas ( ^03 ) très bien rétabli. Du temps qu'on pratiquait la transfusion sur T homme , on a eu fréquemment l'occasion de signaler de formidables accidents à la suite de cette opération. Nous possédons quel- ques cas relatés par les auteurs contemporains , mais nous manquons de détails précis sur la na- ture même des lésions , sur l'espèce d'organes le plus souvent affectés. Entre autres phénomènes morbides , ce chien offre une altération qu'on re- trouve constamment chez les animaux dont le sang a été changé dans sa composition; cç,?>iVophfhnlm{e purulente. Ce matin, quand on l'a ramené dans le la- boratoire, ses paupières étaient collées par une hu- meur visqueuse, d'un blanc sale; la conjonctive boursoufflée, recouverte d'une couche pseudo-mem- braneuse , semblait gorgée de liquide puriforme, épanché dans les aréoles du tissu cellulaire sous- jacent. Vous ne voyez plus ici que la rougeur du globe oculaire, car le pus exhalé entre les paupières a été en!evé avant la leçon. J avais oublié de pré- venir mon préparateur que j'allais dire un mot de cette altération de sécrétion , et en faisant la toi- lette de l'animal, il a sans le vouloir, détruit une partie de ce qui noas intéressait davantage. Nous avons déjà eu l'occasion de vous commu- niquer nos soupçons sur la nature de l'ophtlialmie purulente. Si ces observations se répètent, si les modifications de la composition du sang entraî- nent toujours après elles des désordres analogues vers la muqueuse de l'œil , il faudra bien admettre que cette inflannnatlon n'est autre chose que l'ex- pression locale d'une altération du sang. ( 104 ) Nous savons par la théorie et l'expérience que la diminution de Tétendiie du cercle que le sang parcourt augmente inévitablement la pression. Nous nous sommes assurés à plusieurs reprises qu'en suspendant la circulation dans la carotide droite , le mercure s'élevait davantage sur l'ar- tère opposée ; qu'il baissait au contraire , quand on rendait au vaisseau sa perméabilité. 11 y a long - temps que M. Poiseuille a établi ces faits sur des preuves irrécusables. Vous avez vu la compression de Faorte déterminer rapidement l'ascension du mercure au - dessus de son ni- veau normal : la force statique du liquide étant ainsi suspendue en un point, l'impulsion du cœur devait être et était en effet plus énergique dans la portion du système artériel que pouvaient traverser les courants sanguins. Aussitôt qu'on cessait la compression, l'équilibre se rétablissait dans l'universalité des tuyaux artériels. Cette loi d'équilibre est fondamentale dans l'étude de la circulation. Voyez combien dans la pratique mé- dicale on est loin, quand on la méconnaît, du but qu'on se propose d'atteindre. A-t-on une apoplexie à combattre , il faut dit- on, choisir l'artère temporale de préférence à toute autre pour désemplir le système vasculaire : ce vaisseau est le plus voisin du siège de la lésion; c'est donc lui qui tient la circulation cérébrale sous la dépendance la plus immédiate. Personne ne serait d'avis de nier les effets attribués à la sai- gnée pratiquée dans ce lieu d'élection , et nous- mêmes, nous avons paridgé cette croyance adop- ( 105 ) tée par la plupart des médecins. En y réfléchis- sant, vous verrez qu'elle n'a aucune espèce de fondement. Si la circulation était constituée par une série d'anneaux indépendants les uns des au- tres, on pourrait s'attaquer à celui-ci plutôt qu'à celui là suivant la nature des accidents ; mais la chaîne que forment les tuyaux artériels est par- tout continue à elle-même. La pression ne peut diminuer dans un point sans diminuer dans tous les autres d'une égale quantité. Saignez l'artère temporale ou l'artère tibiale, les effets seront mé- caniquement les mêmes sous le rapport de la cir- culation du cerveau. La préférence donnée au premier de ces vaisseaux est justifiée par sa posi- tion superficielle qui le rend accessible à nos ins- truments : quant aux résullats obtenus par le traitement de la maladie ^ il n'y a peint la plus légère modification. Si vous représentez par 5 la diminution de pression de la temporale, vous de- vez aussi représenter par 5 la diminution de pression de la tibiale. L'hémodynamomètre appli- qué sur ces deux vaisseaux indiquerait un abais- sement égal. Une autre application pratique qui découle de ces expériences a été proposée par un accou- cheur , dans le traitement des hémorrhagies uté- rines , consécutives à l'accouchement. Après le décollement du placenta, il survient parfois des écoulements de sang tellement considérables que les injections froides, astringentes, l'application de topiques réfrigérants, eu un mot tous les moyens conseillés en pareil cas, échouent com- ( 106) plètement. Quiconque a vu la largeur des orifices veineux qui versent le liquide à 1 intérieur de la matrice comprend Timpuissance de ces procédés appelés si improprement hémostatiques. Il fallait donc empêcher les vaisseaux utérins de recevoir le sang lancé parla grandepompe: c'estce qu'a fait Tac- coucheur que je viens de citer en comprimant l'aorte à travers les parois abdominales. La laxité de ces pa- rois après l'expulsion du fœtus est telle, qu'elles se laissent facilement déprimer, soit par les doigts, soit à Taide d'un instrument, ce qui serait bien préférable. La suspension du cours du sang dans un vaisseau aussi volumineux que l'aorte, a pour ré- sultat, d'une part, d'arrêter immédiatement Thé- morrhagie, d'autre part de diminuer le cercle cir- culatoire, et conséquemment d'accroître lapression des artères situées au-dessus du point comprimé. Le cerveau recevant plus de sang , il est évident que les fonctions cérébrales deviendront plus ac- tives. Aussi voit-on les malades revenir à elles- mêmes , leur figure se colorer , la prostration cesser graduellement. M. Baudelocque a rendu dans cette circonstance un service véritable à Ihu- manité : la récompense que lui a votée l'Académie des sciences a montré que nous avions su appré- cier son procédé. On a remarqué que dans la syncope un des moyens de rappeler lindividu à la connaissance est de le coucher horizontalement. La circulation demandant moins d'efforts dans cette attitude que dans la station verticale, vous concevez l'explication du phénomène. Peut-être pourrait-on agir plus ( ^07 ) immédiatement, sur l'encéphale en comprimant une artère volumineuse, telle que la crurale, la brachiale, ou même l'aorte chez les individus maigres. D'après les principes de Thydrodyna- mique, la pression des artères cérébrales devien- drait plus forte : par conséquent le système ner- veux recevrait une excitation nouvelle. Je n'ai ja- mais essayé ce moyen , mais , d'après nos expé- riences , je ne doute pas de son efficacité. Nous avons jusqu'ici étudié la force statique du sang, sans chercher à isoler l'influence des mou- vements respiratoires. jSous pourrions, comme l'a fait M. Poiseuille, ouvrir largement les deux côtés de la poitrine par l'ablation du sternum , et au moyen de la respiration artificielle, entretenir la vie de l'animal assez long-temps pour noter les oscillations de l'hémodynamométre. Je préfère modifier un peu l'expéiience. Au lieu de sus- pendre tout d'un coup, je vais modifier graduelle- ment le jeu du thorax; nous pourrons ainsi suivre toutes les phases du phénomène. Le chien qui va nous servir est celui qui a subi à la dernière séance la transfusion. L'instrument est appliqué sur la carotide : l'échelle marque : 75-105, 70-105. C'est à peu prés la même hau- teur qu'avant la première expérience. J'oubliais devons dire qu'un tube a été appliqué à la trachée- artère , aQn de pouvoir au besoin faire respirer l'animal artificiellement. M. Poiseuille me sug>- gère une idée que nous allons mettre en pratique^ c'est de fermer, puis d'ouvrir le robinet qui livre passage à l'air. De cette manière nous pourrons ( 108 ) constater l'influence des grands efforts d'expiration. Le mercure est touiours à 75-105 mill. Je ferme le robinet de la trachée : 25-55 , 1 5-50 , 1 0-50 , 1 0-55 mill. J'ouvre le robinet : 1 00-1 50 , 95-1 60, 90-1 55 , mill. Ainsi ^ la colonne qui avait considérablement baissé par l'effet de l'obstacle à l'expansion pulmo- naire, a monté dés l'instant où l'animal a exécuté de bruyants efforts d'expiration. Maintenant que la poitrine se dilate et se lesserre librement, le mercure a repris son premier niveau. Il s'agit actuellement d'empêcher un des côtés du thorax de fonctionner. Pour cela j'ouvre avec \e perce-plèç^j-e la cavité pleurale gauche. Le pou- mon correspondant s'affaisse ; afin de maintenir l'ouverture béante, j'y introduis un tube en caout- chouc. L'animal fait de violents et infructueux efforts pour respirer. La colonne est à 90-125, 80-145, 90-160, 85-1 65 mill. Cette ascension subite du mercure n'a rien qui doive vous surprendre , elle est conforme à la théorie. Ouvrons l'autre côté de la poitrine afin de neu- traliser les mouvements respiratoires, je vais faire une ponction , à travers ces parois, avec l'instru- ment que j'ai imaginé pour cet usage , et qu'on nomme , dans mon laboratoire , perce-plèç>re. Le ( 109 ) sifflement que vous venez d'entendre indique que Tair pénétre dans la cavité de la poitrine Les deux poumons sont affaissés. Que marque l'échelle ? 40-85, 50-90, 45-85 mill. La cessation de la respiiation amène donc une diminution notable de la pression artérielle. Vous avez dû remarquer que dans les expériences où on modifie l'action cérébrale, les animaux laissent échapper les urines et les fèces : c'est ce que nous observons sur cet animal. Il en est de même de l'homme à la suite des commotions ou des lésions de l'encéphale. Les contractions de la vessie et du rectum augmentent à mesure que diminue lin- fluence nerveuse. Nous allons maintenant insuffler de l'air dans la trachée-artère pour remplacer le jeu du thorax. Le chien n'est pas encore mort, et pourtant voici plusieurs minutes que les deux poumons se sont affaissés par le retrait élastique de leur tissu. Un aide fait jouer le soufflet. La colonne continue à baisser , elle oscille entre : 20-70, 20-60, 45-80, 30-50, 1 5-25, mill. A peine les contractions du cœur sont-elles ap- préciables à l'oreille appliquée sur la région pré- cordiale. L'animal va succomber inévitablement; il est trop faible pour que nous poursuivions ces expériences : aussi bien Theure avancée nous oblige à les ajourner à notre première réunion. ( 110 ) SEPTIEME LEÇON. 10 mai iSùi. Messieurs , Le grand et admirable phénomène de la circu- lation du sang présente nombre d'aspects sous les- quels il n'a pas encore été envisagé. Il est peu de questions aussi étroitement liées que celle -là à l'intégrité des fonctions qui constituent la vie : il en est peu dont l'étude soit encore environnée d'autant de préjugés et de croyances absurdes» Chaque fois qu'à l'aide de Texpérience on veut vérifier l'exactitude des propositions fondamentales de cette branche de la physiologie , on est amené à modifier ses idées , soit en rectifiant une asser- tion inexacte, soit en abandonnant un fait com- plètement erroné. Bien loin de servir de flambeau dans l'investigation des phénomènes d'hydraulique animale , les hypothèses couvrent d'un voile téné- breux et mensonger les explications les plus élé- ( 111 ) mentaires. Nous ne faisons pas une seule expé- rience sans arriver non seulement à des résultats que nous n'avions pas su prévoir, mais même que nous n'accueillons qu'avec une sorte de défiance, tant ils sont nouveaux pour nous. Vous ne trou- verez pas étranges ces aveux de notre part. L'ob- servation est devenue pour nous un moyen de re- cherches tellement simple par ses procédés , telle- njent assuré par ses résultats, que je ne crois à un fait de la nature de ceux qui nous occupent qu'a- prés ravoir soumis à l'épreuve expérimentale. L'instrument de M. Poiseuille est précieux en ce qu'il remplace les raisonnements par les chiffres : il a déjà été pour nous d'un grand secours , mais nous sommes loin d'avoir épuisé les renseigne- ments qu'il est destiné à nous fournir. Pourquoi faut-il que notre manière d'envisager les phéno- mènes de la vie soit une exception, une anomalie aux préceptes généralement établis pour Tétude des sciences médicales? Jusqu'ici nous nous sommes spécialement occu- pés de la circulation dans ses conditions normales. Nos expériences ont eu plutôt pour but d'évaluer les divers degrés de pression supportés par le sys- tème artériel que de connaître les conséquences pathologiques qui résulteraient de la cessation spontanée de cette pression. Quel que soit le rôle joué par le volume même du liquide , il est incon- testable que le cœur est l'agent le plus direct et le plus puissant de la force statique des colonnes sanguines. Organe central, son action qui ne doit cesser qu'avec la vie est aussi présente dans les (H2) ramuscules capillaires que dans les troncs d'ori- p^ine. Plus un appareil est important , plus ses troubles retentissent au loin dans l'économie : aussi la contraction des pompes hémo dynamique s vient- elle à se suspendre, à Tinstant les fonctions orga- niques entrent en souffrance au point de simuler une mort véritable. Il n'est aucun de vous qui n'ait été témoin de ces défaillances subites que déter- minent une foule de causes de nature diverse. Tantôt par l'effet d'une impresion vive , le sang abandonne le système artériel pour s'accumuler dans le svstéme veineux, tantôt à la suite d'abon- dantes bémorrhagies ^ les vaisseaux contiennent trop peu de liquide pour que l'encépbale reçoive sa stimulation habituelle : on voit alors les per- sonnes pâlir, chanceler; les extrémités deviennent froides, le pouls ne bat plus : ils se trouvent mal. Tous les médecins ont décrit ces phénomènes, mais ils se sont fort peu occupés de leur explication physiologique. Si l'on eût bien tenu compte de l'état particulier de la circulation dans de sembla- bles circonstances , on serait peut-être arrivé à imaginer des moyens de traitement un peu plus scientifiques que ceux qui consistent à jeter de l'eau froide à la figure du malade ou à dénouer sa cravate. La syncope consiste principalement dans une diminution de la force avec laquelle le cœur se contracte. La distribution des courants sanguins nc^e faisant plus uniformément dans les tuyaux vasculaires, les points les plus éloignés du corps de la pompe ne sont plus traversés par les colonnes (H3) sanguines : de là la décoloration, de là le refroidis- sement des membres supérieurs et inférieurs. Il est évident que les parois artérielles ne sont plus soumises à leur distension normale : revenues sur elles-mêmesparleretrait élastique de leurs tuniques, elles sont dans les conditions d'un tube parcouru par un filet d'eau tellement mince qu'il en rem- plit à peine la cavité. A cbaque contraction du ventricule, le sang est légèrement porté en avant; à chaque dilatation du ventricule, il revient sur ses pas, comprimé qu'il est par la réaction des parois des artères. Il y a donc plutôt un mouvement de flux et reflux qu'un véritable courant. Si nous vou- lions employer une expression figurée, nous dirions que dans la syncope la circulation est à basse pres- sion , tandis qu'elle est à Juiuîe pression àixn%\ç>?> conditions physiologiques de l'économie. Une personne éprouve une hémorrhagie abon- dante. Pendant les premiers instants où le san^»* coule, les vaisseaux se désemplissent, et leurs pa- rois obéissant à l'élasticité reviennent sur elles- mêmes. Il ne se passed'abord riend'exraordinaire. Mais bientôt la quantité de liquide restée dans les artères devient trop peu considérable pour y exer- cer une pression suffisante; les contractions du cœur s'affaiblissent graduellement ; il survient une défaillance. Ces phénomènes dépendent des modifications apportées au déplacement des li- quides, d'où résulte un défaut de stimulation de Torgane encéphalique. Dans ce cas, comme dans les syncopes ordinaires, le sang oscille, mais il ne circule plus. C'est surtout à M. Poiseuille qu'on T. in Magondie. 8 ( 114 ) doit des notions positives sur la manière dont se comportent le liquide et la pompe contractile. Quand on diminue sur un animal quelconque, ime grenouille, par exemple, la force d'impulsion du cœur , on voit la colonne sanguine agitée d'un mouvement de va-et-vient. Les globules avancent, refluent, avancent et refluent encore^ sans pouvoir suivre une marche régulièrement progressive. L'absence du pouls, le froid des extrémités, la pâ- leur répandue sur toute l'habitude du corps, chez les individus profondément débilités , indiquent bien au médecin que la circulation ne se fait plus comme de coutume, mais il n'appartient qu'^à l'inspection microscopique d'analyser avec une précision rigoureuse les modifications survenues dans les mouvements du sang. Les circonstances morbides que nous venons de signaler ne sont pas les seules où le mouvement circulaire du sang soit interrompu. Si les traités de pathologie sont muets sur ces questions , ce n'est pas que les faits aient manqué aux observa- teurs, mais ce sont les observateurs qui ont manqué aux faits. A une époque qui n'est point éloignée de nous et dont le pénible souvenir pèse encore sur cette capitale , une maladie non moins formi- dable par Taspect de ses symptômes que par sa ter- minaison si rapidement fatale, nous a mis à même de signaler des phénomènes d'hvdraulique d'une nature bien extraordinaire. Le choléra (j'ai presque honte de prononcer ce mot, tant il exprime une idée absurde, /o^o bile, p^w je coule), le choléra consiste surtout dans un arrêt complet de la circu- ( 115 ) tion artérielle. A l'état bleu, dans cette période où les tissus vivants offrent déjà le froid du cadavre, on voit rindividu conserver toute l'intégrité de ses actes intellectuels , alors que son cerveau est privé du liquide qu'il devrait recevoir pour le libre exercice de ses fonctions. Le cœur ne bat plus, cependant le malade parle , raisonne ^ répond avec justesse aux questions qui lui sont adressées , jouit de la plénitude de ses sens et de ses facul- tés : tous les rouages de l'économie sont comme frappés de mort , la pensée seule est respec- tée; chose admirable, incompréhensible et digne toutefois d'une profonde méditation , l'intelli- gence est là presque isolée du corps ! Le choléra a été étudié sous toutes les latitudes , dans son im- mense trajet des bords du Gange aux rives de la Tamise ; un phénomène constant, signalé par les observateurs , c'est l'état de vacuité du système artériel chez les individus arrivés à la période d'as- phyxie. M. Diffenbach , à Berlin , a fait des expé- riences qui ont démontré que dans les vaisseaux petits ou volumineux , il n'y avait pas de trace de circulation. Lorsque l'épidémie éclata à Paris, on voulut rattacher les désordres pathologiques aux altérations des solides : les mots d'inflammation ^ d'irritation furent prononcés: mais jetons sur ces souvenirs le voile de Toubli ; ils nous rappellent de douloureuses images, car Ihonneur de notre science et l'intérêt de l'humanité furent sacrifiés au triomphe éphémère d'une doctrine. Le caractère de la maladie étant méconnu, tout devait échouer : tout échoua. Que faire ? Il m'eût ( 116 ) été bien difficile à moi médecin d'un grand hôpital et expérimentateur, de laisser échapper cette oc- casion d'essayer quelques tentatives en faveur des malheureux confiés à mes soins. Plusieurs fois il m'arriva d'ouvrir de gros troncs artériels: jamais je n'y trouvai de liquide. L'artère brachiale mise à nu à sa sortie de l'aisselle nous parut constamment vide^ et même sa membrane interne n'était point co- lorée par le sang. Je me rappelle à ce sujet un fait qui fit une vive impression sur les personnes qui assis- taient à mes leçons cliniques de 1 Hôtel-Dieu. Un médecin arrivé récemment de Pologne où il avait observé le choléra, me disait que dans ce pays on attribuait à la saignée de la temporale une vertu en quelque sorte spécifique. Aussitôt je prends un bistouri et je coupe en travers cette artère sur une de mes malades cholériques des plus gravement affectées. Il ne s'écoula pas une goutte de liquide. Une petite trace noirâtre indiquait seule Tendroit où rinstrument avait divisé le vaisseau. Voilà donc un état de la circulation fort en de- hors de tout ce qu'on sait aujourd'hui relativement à l'influence exercée par le contact du liquide animal sur les grands appareils. Comment Tintel- ligence restait-elle saine en même temps que les artères cérébralesétaient vides? L'hypoihèse, qui ne recule devant rien , serait elle-même eff*rayée s'il s'agissait de donner l'explication de ce phénomène. Nous n'avons point ouvert les carotides , car il m'aurait fallu de puissants motifs pour me décider à une pareille opération, et l'amour de la science ne doit jamais couvrir la voix de Thumanité : mais ( '117 ) en appliquant le doigt sur ces vaisseaux , on ne percevait pas le plus léger frémissement. Sur lé cadavre, pas de traces de sang dans le cercle ar- tériel de la masse encéphalique. Toui le liquide était concentré vers le thorax et dans les tuyaux veineux. C'était un spectacle bien pénible que celui de ces malades ayant la conscience de leur état, se sentant, pour ainsi dire , mourir graduel- lement, jusqu'à ce qu'enfin Tintelligence s'éteignît la dernière. Legallois définissait la vie : le contact du sang artériel sur les divers organes. Il est vrai qu'en général les organes cessent de vivre quand ils ne reçoivent plus de sang artériel , mais le choléra a donné le démenti le plus éclatant à cette doctrine prise dans un sens absolu. Ainsi , Messieurs , il peut se faire que la mort ne soit pas immédiate, bien que le cœur n'ait plus l'énergie suffisante pour lancer le liquide dans les conduits artériels, et lui faire parcourir son trajet accoutumé. Quant au principe des mouvements de cet organe , il serait bien important d'en avoir une connaissance exacte pour apprécier les causes qui modifient sa force contractile. Legallois, par^ ses expériences ingénieuses , est arrivé à attribuer) • à la moelle épinière une influence directe sur l'ac- tion du cœur : nous nous réservons de discuter^ plus tard les assertions émises dans son ouvrage. Disons ici un mot des principaux résultats aux- quels il est arrivé. Ce physiologiste , pour prouver que la moelle dispense au cœur le principe de son activité; a ( 118 ) détruit diverses portions du cordon rachidien ^ à l'aide d'un stylet de fer introduit clans le canal vertébral. L'étendue de la moelle qu'il faut dé- truire pour affaiblir la contraction ventriculaire au-dessous du degré nécessaire à l'entretien de la vie est d'autant plus longue que Tanimal est moins éloigné de l'époque de sa naissance. Comme dans ces expériences on paralyse les puissances mus- culaires qui président aux mouvements de dilata- tion et de resserrement du tliorax , il faut prati- quer la respiration artilicielle , afin de prévenir l'asphyxie. Legallois s'est assuré que la moelle épiniére a une action directe sur Tintensité des contractions du cœur, et que c'est à la condition qu'elle sera intacte dans toute sa longueur, que les pompes hydrauliques pourront pousser le li- quide dans toutes les parties du corps. Détruisez- vous sur un animal la portion cervicale du cordon rachidien, le sang ne va pas au-delà des artères ilia- ques. Vous pouvez retrancher les pattes postérieu- res qui n'ont plus de circulation. Si ensuite vous détruisez la portion lombaire (car elle existe chez les animaux), alors le cœur n'a plus assez de force pour lancer le liquide vers Fextrémité céphalique. Coupez alors la tête et insufflez de Tair dans le thorax , le tronçon qui vous reste n'est plus com- posé que du diaphragme, de la poitrine et des pattes antérieures : cependant il continue à vivre. Ces expériences, abstraction faite des consé- quences théoriques qu'on en a déduites , ont une relation directe avec nos études actuelles en ce qu'elles montrent comment il peut se faire que la ( 119 ) vie continue, bien que l'action du cœur soit dimi- nuée au point de ne déterminer au sein des artères que des oscillations de colonnes sanguines : il ne faut jamais perdre de vue la connexion intime qui existe entre la force contractile du cœur et le dé- placement du liquide. Dans la syncope ordinaire, dans les hémorrhagies abondantes, dans le choléra lui-même, nul doute qu'il n'y ait un rétrécisse- ment très notable du cercle circulatoire. Il ne s'agit point pour le moment d'établir quel est l'organe de l'économie qui influe le plus directement sur lenergie de la fdjre ventriciilaire : ce que nous voulons seulement établir, c'est la partie physique du phénomène. Le microscope montre de la manière la plus manifeste les flux et reflux des globules sanguins dans le cas où le cœur est impuissant à déplacer complètement les colonnes liquides. On trouve l'explication de ce fait dans les propriétés élasti- ques des parois vasculaires , et dans la manière dont les artères se divisent et se subdivisent à me- sure qu'elles s'éloignent des troncs d'origine. Mal- gré les assertions positives de plusieurs physiolo- gistes , malgré limposante autorité dllaller , je suis loin de penser que la capacité de ces vaisseaux augmente dans une proportion très grande , sui- vant que leur nombre est plus considérable. N'a t on pas envisagé plutôt les dimensions absolues des artères que leurs dimensions relatives? Pour lûen concevoir ceci, il faut se rappeler que les sur- faces des cercles sont proportionnelles aux carrés de leur circonférence. Je vous ferai aussi remar» ( 120 ) quer que Tëpaisseur des parois artérielles ne di- minue point en raison directe du volume des cy- lindres. Un rameau a , toute proportion gardée , des parois plus épaisses qu'une grosse branche : de là , une supériorité manifeste dans la force réunie des petites artères sur la force isolée d'un tuyau central. Supposez que la pompe se contracte avec assez d'énergie pour dilater les parois vasculaires, et pas assez pour imprimer au liquide un mouve- ment total de progression , que va-i-il arriver ? A l'instant où les parois du ventricule se relâchent, le sang, pressé circulairement par le retrait des tuniques élastiques , tend à se mettre en équilibre et à se diriger du côté où il éprouve le moins de résistance. Nous venons de voir que les petites ar- tères ont des parois proportionnellement plus fortes que les troncs, c'est donc vers ceux-ci que la co- lonne sanguine sera refoulée. Aussi vous aurez un mouvement en avant, un mouvement en arrière, en un mot , une oscillation. Je ne parle pas de la petite quantité de liquide qui se dirige vers les ca- pillaires : ce dernier phénomène est étranger à la question qui nous occupe. Les balancemenls des globules du sang au sein de leurs canaux ont été décrits par M. Poiseuille avec une grande préci- sion dans son dernier mémoire couronné par Vin- stitut. Nous aurons plus d'une fois l'occasion de revenir sur ce sujet. Il est impossible , physiquement parlant , que le volume du sang n'exerce pas une influence quelconque sur la pression artérielle. Les expé- riences que nous avons faites à cet égard ne nous ( ^"^^ ) ont point, il est vrai, fourni de résultats bien po- sitifs , mais j'ai besoin de les répéter encore avant d'avoir une conviction acquise. Ce que les maladies développent sur rhomme , pourquoi ne le repro- duirions-nous pas sur l'animal vivant ? Ces pré- tentions de notre part pourraient paraître tant soit peu téméraires , s'il s'agissait de pbénomènes vi- taux, mais comme nous ne faisons ici allusion qu'à des phénomènes mécaniques , nous ne nous écar- tons point des limites d'une légitime ambition. Ce qui complique le problème , c'est le jeu du thorax qui tantôt augmente, tantôt diminue la force pro- gressive du liquide. Nous allons essayer de lever cette difficulté en modifiant l'expérience. Voici comment j'ai l'intention de procéder : Après avoir noté exactement la hauteur du mer- cure dans l'instrument, nous extrairons d'une ar- tère une quantité donnée de sang, puis nous le réin- jecterons immédiatement dans le même tuyau, en ayant soin de laisser la seringue en place. De cette manière , le liquide renfermé dans la seringue ne cessera pas un seul instant de communiquer avec le torrent circulatoire. Après quoi , nous répéte- rons l'expérience sur un autre ordre de vaisseaux. Du sang extrait d'une veine sera aussitôt réinjecté dans sa cavité , avec cette précaution essentielle que le liquide soit toujours en contact avec les cou- rants sanguins. Je n'ai pas besoin de vous faire ressortir les avantages de ces modifications appor- tées à nos expériences. D'abord nous pourrons mieux juger de rinflucnce du volume du liquide, puisque nous agirons sur le même animal avec son ( 122 ) propre sang : en second lieu , il nous sera aisé de comparer les effets produits par la soustraction d'une certaine quantité de la masse sanguine, suivant qu'on s'adresse au système artériel ou au système veineux. La seringue dont nous allons nous servir contient trois ceots centimètres cubes de liquide^ ce qui fait les trois^cinquièmes de la livre. L'instrument est appliqué sur l'artère crurale. Bien que sensibles encore dans ce dernier vais- seau, les mouvements respiratoires ne doivent plus offrir ces énormes différences de hauteur que pré- sentait dans les mêmes circtnistances l'hémodyna- momètre placé sur la carotide. Indépendamoient du resserrement et de la dilatation du thorax, il y a pour l'artère crurale une double influence exer- cée sur le cours du liquide pendant son trajet à travers l'aorte ventrale. Voici comment les choses se passent : pendant l'inspiration , le diaphragme s'abaisse, et par le refoulement des viscères abdo- minaux, comprime les vaisseaux sanguins : à l'in- stant de l'expiration^ le diaphragme remonte , les parois antérieures et latérales de l'abdomen pres- sent à leur tour les viscères et par suite accélèrent le cours du sang artériel. Les deux temps de la respiration ont donc pour effet d'augmenter la pression des tuyaux chargés de distribuer le liquide vers les extrémités inférieures. Ces phénomènes intéressent le chirurgien peut- être plus encore que le physiologiste. Si pendant le cours d'une opération, le malade crie, se débat^ lutte contre les aides qui le retiennent , il est évi- dent que ces efforts auront pour résultat inévitable ( 123 ) de rendre la pression plus considérable. On re- commande en général au patient de donnera sa dou- leur un libre essor, de ne point dissinuder ses souf- frances par un courage silencieux : il n'y a pas , en effet , d'inconvénient à ce qu'il pousse des plaintes tant que Finstrument de l'opérateur agit loin de Taisseaux volumineux. Mais si, par exemple, pour la ligature de Fartére crurale , dans l'anévrisme poplité , le malade s'abandonnait à des cris im- modérés^ il y aurait à craindre que la pression , augmentant subitement à l'intérieur des tuyaux sanguins , ne présentât leurs parois au tranchant du bistouri. Dans ce cas, loin d'engager les mala- des à crier, il faut au contraire tacher qu'ils res- tent calmes, qu'ils ne contractent pas avec trop d'é- nergie leurs puissances musculaires. Je n'ai pas Besoin d'ajouter que des efforts silencieux auraient les mêmes inconvénients , car ils accroîtraient la force progressive du sang veineux et celle du sang artériel. Il est des malades dont la sensibilité est telle qu'à tout instant, dans le cours d'une opération, leurs muscles éprouvent une sorte de contraction convulsive : ce sont là des difficultés dont il faut tenir compte, non seulement sous le rapport du manuel chirurgical, mais aussi quant aux condi- tions physiques des vaisseaux. Je serai loin aussi de voir l'état normal de la circulation chez un ani- mal à qui nous aurons donné un tétanos artificiel par l'introduction dans le sang d'une certaine dose de strychnine. La pression artérielle devra m'ces- sairement être modifiée. L'instrument de M. Poi- seuille nous fournira la solution de cet intéressant problème. (124) Ce qu'il nous importe de constater actuellement, c'est l'influence du volume du liquide sur la force étatique des courants sanguins, alors que l'éco- nomie est dans ses conditions physiologiques ha- bituelles. J'ouvre le robinet qui séparait le sang du sous-carbonate de soude. Voilà la colonne en. mouvement; elle oscille entre 65-75 millimètres. Son niveau se maintient entre ces deux degrés et ne présente pas les variations extrêmes que nous avons observées dans les précédentes expériences^. Cela tient au plus grand éloignement du vaisseau de la pompe aérienne. Deux anses de fil embrassent l'artère carotide. L'une est destinée à prévenir l'hémorrhagie par le bout supérieur, l'autre fixe le bout inférieur sur le tube introduit dans sa cavité, et qui doit laisser arriver le sang dans le corps de la seringue. Tout est disposé. Vous voyez le sang lui-même pousser le piston et pénétrer dans l'instrument. L'échelle marque : 60-70, 55-65, 55^60, 50-55 mill. La seringue est à moitié remplie; je repousse le 5ang dans l'artère. Nous avons : 60-65, 60-70, 65-80, 60-70 mill. Ainsi le mercure monte quand on augmente , descend quand on diminue la quantité de liquide. Maintenant que celui-ci est réintroduit en totali- té, le niveau de la pression est revenu à 65 - 75, c'est-à-dire à notre premier chiffre. J'ai de nou- veau chargé la seringue^ en abandonnant à l'effort ( ^25 ) du sang l'action de repousser le piston. La colonne baisse : 60-70, 50-55, 40-47, 35-42, 25-35, 20-27 milL Yoilà trois cents centimètres cubes de liquide d'extraits, et vous voyez que la pression a beau- coup diminué. Malheureusement nous ignorons combien il reste de sang dans le corps de Tanimal. Les données que l'on a sur le volume total du flui- de circulatoire sont trop vagues, trop approximatif Tes pour que nous puissions en déduire aucune conséquence exacte. Je réinjecte le sang. Le mer- cure doit remonter : 25-35, 40-48, 50-55, 50-57, 65-75 mill. lia remonté en effet à son niveau normal. Deux fois nous avons répété la même manœuvre, et deux fois la hauteur de la colonne a augmenté et diminué en raison directe du volume du sang. Il ne peut donc exister aucune incertitude ici sur la nature du phénomène. Je lie le bout inférieur de l'artère, afin que nous puissions faire rexpérience comparativement avec le système veineux. La jugulaire a été mise à nu. Nous avons besoin de prendre au sujet de ce vaisseau quelques pré- cautions qui eussent été inutiles quand nous agis- sions sur une artère. Vous en concevez aisément la raison. Si je mécontentais d'adapter un tube dans la veine et d'aspirer le sang en soulevant le piston, les parois vasculaires s'affaisseraient sous la pres- sion atmosphérique et formeraient soupape. Aussi ( ^26 ) avons-nous choisi un tube assez long pour péné- trer dans le thorax, jusqu'à la veine cave supé- rieure ou même l'oreillette. Je viens d'entendre un petit sifflement. L'râde distingue également du côté de la poitrine un bruit étrange ; il est proba- ble qu'un peu d'air est entré par le tube au mo- ment de l'inspiration dans les cavités droites du cœur. C'est là une complication qui sera peut-être sans résultats fâcheux pour notre expérience. Commençons. Le niveau se maintient toujours à 65-75 mill. J^ charge la seringue, mais j'éprouve beaucoup plus de peine que lorsque j'agissais sur l'artère carotide. 11 me faut soulever avec effort le piston pour faire arriver le sang dans le corps de l'instru- ment^ tandis que dans l'expérience précédente, l'impulsion du cœur seule y suffisait. Quel est le niveau de la colonne ? 55-65, 45-50, 30-45, 25-30, 15-20 mill. Vous remarquez que l'animal parait beaucoup plus souffrir. Il s'agite et semble préoccupé d'une sensation extraordinaire. Je vais réintroduire le sang. J'ignore à quoi cela tient, mais je sens une résistance que je n'ai point rencontrée en expé- rimentant sur le sang artériel. La position du chien s'aggrave notablement ; je crains qu'il ne périsse. Presque tout le liquide est repassé dans la circula» tion et cependant le mercure reste à 15-20, 20-25, 13-17, 10-15, 10-12 mill. Il n'y a presque pas de pression, et les oscilla- ( 127 ) tions sont à peine sensibles : elles ne le sont plus. L'échelle marque 10 mill., ce n'est que le poids de la colonne de sous-carbonate de soude qui équi- vaut environ à 10 mill. de mercure. A quoi l'ani- mal a-t-il succombé si rapidement? Est-ce à l'en- trée accidentelle de Fair dans les veines? Il est peu probable que ce soit là la seule cause de la mort. Nous allons faire l'autopsie. Voici la poitrine ouverte. Le péricarde s'offre à nous notablement distendu : le poids du cœur pa- raît assez considérable, moins cependant que s'il ne contenait que du sang. Je percute légèrement avec le doigt la surface de l'organe : au lieu d'un bruit mat, nous obtenons une sonoréité bien mani- feste qui doit nécessairement tenir à la présence^ dans les cavités cardiaques, d'une certaine quan- tité d'air. J'incise la paroi du ventricule droit : un liquide mousseux le remplit^ ou plutôt forme ime couche au-dessus d'un énorme caillot qui en occupe le centre. Les veines-caves supérieures et inférieures sont remplies par un sang coagulé; leur volume est considérable. On suit le caillot jus- qu'aux premières valvules des veines iliaques et sous-clavières. Les cavités gauches du cœur sont vides ; elles ne contiennent ni air ni liquide. Ainsi l'animal a succombé en partie à l'intro- duction de l'air dans les veines , en partie à la coagulation du sang réinjecté. Cette dernière cause a eu évidemment la plus grande influence dans la production des accidents mortels. J'étaisloin,je l'avoue, de r,oupçonner un semblable résiiltat, car il est opposé à tout ce qu'on sait sur la coagulabi- ( 128 lité du liquide animal dans tel ou tel système de vaisseaux. Vous le voyez, Messieurs, jamais nous ne faisons une expérience sans arriver à la con- naissance de quelque fait nouveau, et sans recevoir quelque démenti à nos prévisions. Les hypothèses sont beaucoup plus complaisantes , car elles se prêtent servilement à nos suppositions, tandis que l'expérience probe et consciencieuse est impitoya- ble. C'est que pour arriver à la vérité il faut être prêt à tous les sacrifices , même à celui de son amour-propre. ( 129 ) HUITIÈME LEÇON. 12 mai 1837. Messieurs, Vous nous avez vu dans la dernière séance, ap- pliquer de nouveau l'instrument de M. Poiseuille à l'exploration d'un des plus importants phénomè- nes de l'hydraulique animale, savoir : la pression du liquide sur les parois artérielles. Après ce qui s'est passé sous vos yeux, je croirais inutile d'in- sister encore sur la nécessité de répéter plusieurs fois les mêmes expériences pour arriver aune cer- taine probabilité dans les résultats. Oui, ce n'est qu'après avoir, pour ainsi dire, épuisé la question par des observations sévèrement analysées que 1 on peut se permettre une déduction de quelque va- leur. On s'agite beaucoup aujourd'hui dans le monde médical, relativement à la valeur qu'il convient d'accorder ou de refuser aux chiffres. Malheureu- sement les personnes qui se mêlent à la lutte, quels que soit d ailleurs leur savoir et leur mérite, sont T. III. Magendie. 9 ( 130 ) tout à fait étrangères à la théorie du calcul des pro- babilités; j'en veux pour preuve cf s plaidoyers prononcés du haut de la tribune académique. S'il ne s'agissait que d'un tournoi littéraire, l'élo- quence des mots pourrait remplacer le mérite de la pensée , sans qu'il en résultat pour F hu- manité de fâcheuses conséquences ; mais ici les choses sont plus graves : il faut pour avoir le droit d'émettre une opinion , non seulement connaître la question , mais même y être d'une très grande force , en avoir médité les moindres particularités. Ce n'est qu'alors qu'on pourra comprendre combien peu le calcul des probabilités peut s'adapter aux résultats de l'observation clini- que. Parce qu'on a 40 ou 50 faits, ira-t-on en dé- duire une moyenne et la transformer en loi? Les unités sont infiniment trop compliquées en méde- cine pour qu'un nombre de faits aussi restreint puisse avoir la moindre valeur. Il n'en est pas de même pour nos expériences. Répétées un certain nombre de fois dans des circonstances données dont nous modifions à notre gré les conditions, elles for- ment des unités comparables. Parce que vous aurez réuni les maladies par groupes isolés, portant cha- cun une étiquette, croyez-vous arriver à des iden- tités de même nature ? Ce serait étrangement s'a- buser. Chaque individu porte en soi un cachet spé- cial qui se retrouve partout dans l'état physiologi- que comme dans l'état pathologique. Vous pouvez dresser des tables statistiques, énumérer combien de malades meurent par tel procédé , combien par tel autre, puis ensuite déduire des formules. ( 151 ) Mais vous ne ferez rien d'utile pour îa science. L'unité en thérapeutique est la pierre philosophale de l'alchimie. Ainsi donc nos expériences échappent à ces causes d'erreur, par cela même que nous agissons avec des faits de semblable nature. Bien loin d'être in- certains sur leurs causes, c'est nous-mêmes qui les déterminons au gré de notre volonté, au gré de noire caprice. Si telle modification dans le vo^ lume du sanfij amène constamment telle modifica- tT tion dans la pression des artères, n'est-il pas évi- dent que nous arriverons à une certitude mathé- matique qui pourra être représentée par des chif- fres? Jamais, dans le traitement des maladies, on n'est placé sur un terrein aussi nettement des- siné. Pour revenir aux expériences que nous avons fai- tes à la fin de la dernière séance, vous avez dû être frappés, comme je l'ai été moi-même, des résultats où nous sommes arrivés, résultats bien différents de ceux que nous avions précédemment obtenus. Di- minuait-on le volume du sang, la colonne baissait; augmentait-on le volume du sang, la colonne montait. Toujours il y a eu un rapport parfaite- ment exact entre la hauteur du mercure, et la masse du liquide. Est-ce à dire que ces nouveaux résultats démentent les premiers ? non. Un fait ne peut renverser un fait. Il n'y a que les hypo- thèses qui s'entredétruisent , et qui se portent des coups mutuellement mortels. Tout ce que nous pouvons conclure ici c'est que les phénomènes n'ont point été sur un ani- ( 132 ) mal ce qu'ils avaient été sur un autre animal : cela tient probablement aux procédés que nous avons suivis dans chaque expérience ^ à la nature du vaisseau^ à la composition du liquide, peut- être aussi aux conditions vitales dans lesquelles se trouvaient l'un et l'autre chien. Celui qui nous a servi la dernière fois était depuis quelque temps alimenté avec de la gélatine : faible, maigre, n'ayant plus une assez grande quantité de sang dans le système vasculaire, il ne devait plus avoir Ténergie suffisante pour réagir contre la moindre influence débilitante. Toute modification du vo- lume de sang, devait retentir sur la force con- tractile du cœur. Est-ce là l'explication des varia- tions si manifestes de la pression artérielle ? Je n'oserais l'affirmer ; je suis beaucoup plus porté à croire que cette diversité dans les résultats fournis par les expériences reconnaît pour cause princi- j^ale rinfluence de la respiration , très marqué dans l'artère carotide, presque nulle dans l'artère crurale. Quoi qu'il en soit, il est heureux que nous n'ayons point eu l'idée tout d'abord de faire l'expé- rience comme dans notre dernière leçon; car, si nous eussions vu la colonne descendre ou monter suivant qu'on ôtait ou ajoutait du liquide, nous au- rions pu nous en tenir là. Notre théorie se trouvant confirmée , il ne se serait pas élevé de doute dans notre esprit sur son exactitude. Et cependant vous voyez que la question n'est pas aussi simple que nous l'avions supposé dans le principe. Un phénomène curieux qui s'est ofTert à nous, c'est que le sang extrait du système artériel a pu séjour- ( 133 ) ner impunément pendant plusieurs minutes dans le corps delà seringue. Comment le contacl des pa- rois métalliques n'a-t-il pas déterminé sa coagula- tion ? Il faut ici tenir compte d'une circonstance physique qui probablement a concouru à conser- ver au sang sa fluidité. Pour apporter plus de précision à l'expérience, nous avions pris la pré- caution de laisser le liquide contenu dans Vinstru- ment communiquer librement avec le liquide contenu dans l'artère ^ de manière que l'impul- sion du cœur, l'influence delà respiration, etc., ne fussent point interceptés. De là un résultat tout naturel. Le sang de la seringue agité, battu sans cesse par toutes les causes de mouvement qui agissent sur la circulation, ne s'est pas trouvé dans les mêmes conditions que s'il eut été exposé à l'air libre , immobile dans un vase. La preuve que la contraction ventriculaire était aussi présente dans Finstrument à injection que dans Tartére elle-même, c'est que vous avez vu le pis- ton chassé graduellement par le jeu de la pompe ne s'arrêter que quand le corps de la seringue a été rempli en entier. 11 est très possible que cette agitation conti- nuelle du liquide l'ait empêché de se solidifier. Mais n'oubliez pas que l'animal depuis plusieurs se- . maines était soumis à un régime particulier. Nous ne le nourrissions qu'avec de la gélatine et consé- quemment il pourrait se faire que son sang , mo- difié dans sa composition, ne fût plus aussi coa- gulable. Ce sont là de simples soupçons , je me garde de rien affirmer. Le pourquoi des phénomé- ( 134 ) nés n'est point, en physiologie , toujours accessi- ble. L'important c'est de bien vérifier les faits , et c'est à cela surtout que nous devons nous attacher en ce moment. Puisque la plasticité du sang artériel l'emporte sur celle du sang veineux , en mettant ces deux liquides dans les mêmes conditions physiques , le second ne devra pas se prendre en masse si le pre- mier reste fluide. Il n'y a rien à objecter contre cette assertion : elle est conforme aux idées gé- néralement admises et que nous-mêmes nous par- tageons. Cependant vous avez vu que le sang ex- trait de Tarière a pu être réinjecté sans qu'il en résullâtpour l'économie de troubles appréciables, tandis qu'une égale quantité de sang retirée de la veine et réintroduite dans la circulation a déter- miné aussitôt des accidents mortels. Si nous eussions essayé a priori , d'annoncer l'issue de ces expériences , nous aurions dit : le sang veineux étant moins coagulable que le sang artériel devra garder plus long-temps sa liquidité. Aussi , voyant l'animal périr immédiatement , il n'est pas venu à notre esprit d'attribuer sa mort à la réinjection du sang veineux. Nous avions bien éprouvé quelque résistance à repousser le piston , mais il nous est arrivé ce qui arrive à toute per- sonne qui a l'esprit préoccupé d'une autre idée : telle circonstance importante est négligée comme insignifiante, parce qu'on n'a point l'attention di- rigée vers elle. Ce qui nous avait surtout frappé , c'était un bruit étrange vers le thorax dont nous crûmes trouver la raison dans l'introduction acci-^ ( 135 ) dentelle de l'air dans les cavités droites du cœur. En effet, Tautopsie a montré la présence de ce fluide à r intérieur de la pompe pulmonaire : est-ce là la seule cause de la mort ? non. Un caillot volumi- neux, résistant, distendait les parois ventriculaires de sorte que celles-ci ne se contractaient plus que sur une masse compacte. Les veines-caves étaient également dilatées par un cylindre solide, noirâtre, qui n'était autre chose que du sang coagulé. Ce sang resté en partie liquide dans notre seringue puisqu'il a pu être réinjecté, s'est pris en masse dés l'instant où il est arrivé dans ses tuyaux habituels. C'est là un phénomène fort curieux auquel j'étais loin de m'attendre. Y a-t-il pour cet animal quelques con- ditions individuelles , toutes spéciales ? Le sang artériel deviendrait-il réellement moins coagulable que le sang veineux, sous l'influence d'une ali- mentation gélatineuse ? Ce sont là des questions qu'un seul fait permet de soulever et non pas de résoudre : nous ne pouvons qu'en référer à l'ob- servalion ultérieure. J'insiste de préférence sur ces expériences, parce qu'elles constituent la base de notre enseignement. Piamener la physiologie à une science de faits, n'est pas , je le sais , œuvre facile : cependant telle a été , telle sera toujours la pensée prédominante de nos travaux, le bat constant de nos efforts. Ces tuyaux élastiques dont nous étudions Tac- tion , les artères , ne jouent donc qu'un rôle sim- plement passif dans le grand acte de la circulation. Mais leur volume est loin de se prêter toujours aussi aisément à nos investigations expérimenta- ( ^^^ ) les : si les troncs, si les rameaux d'un certain calibre peuvent être étudiés avec le seul secours de l'œil nu, il n'en est plus de même des ramuscules d une excessive ténuité. Dans les dernières recherches faites à l'aide du microscope, on est arrivé jusqu'à estimer que les vaisseaux capillaires pourraient bien n'avoir qu'un huit-centième de millimètre. Il y a peut-être un peu d'exagération dans ces éva- luations. Ce dont tout le monde est d'accord, c'est que le volume de ces infiniment petits canaux n'excède par un cent-cinquantième^, un deux-cen- tième de millimètre. Il faut que le sang traverse des myriades de conduits de ce diamètre pour passer des artères qui le charrient dans les veines chargées de le rapporter vers la pompe centrale. Voilà des conditions mécaniques qui ne se trou- vent dans aucune machine , et qui , par consé- quent, n'ont point fixé l'attention des physiciens. Les physiologistes seuls s'en s'ont occupés. Mal- heureusement tel est le point de vue sous lequel ils ont envisagé la question, que pour comprendre quelque chose à ces phénomènes d'hydrodynami- que , il faut supposer (ce qui est réel), que la science est à cet égard dans un état de barbarie complète. C'esf ce qu'a fait M. Poiseuille , c'est ce qu'on fait plusieurs autres expérimentateurs. iVussi leurs travaux forment-ils une ère nouvelle dans l'histoire de la circulation. Le premier problème qui se présente est celui- ci : l'impulsion du cœur se propage-t-elle des ar- tères jusque dans les capillaires ? Comme ces tuyaux sont partout continus , il est extrêmement (137) probable, mécaniquement parlant, que la même force qui agita l'origine d'un système de conduits continue son action jusqu'à sa terminaison. Le rai- sonnement dépose déjà en faveur de cette opinion. Je ne reviendrai pas sur les preuves qu'on peut y apportera l'appui, car j'ai eu maintes fois Tocca- sion de vous les exposer, et d'ailleurs il me tarde d'attaquer le côté expérimental de la question. Qu'il nous suffise de savoir que non seulement la chose est possible, mais même qu'elle réunit en sa faveur toutes les chances de probabilité. La communication libre des artères et des veines par l'intermédiaire des capillaires est-eîle bien authendquement démontrée ? 11 n'y a pas besoin d'être profond anatomiste pour savoir à quoi s'en tenir à ce sujet. Poussez une injection dans la rate, le rein , elle revient du système artériel dans le système veineux. Personne ne s'avisera de nier ce fait. Le seul point en litige, c'est la force qui fait marcher le liquide dans ses innombrables canaux. Eh bien ! vous verrez que le cœur agit sur l'indi- vidu vivant comme le piston de cette seringue sur le cadavre , et que son action ne peut être méconnue sous peine de méconnaître en même temps le témoignage de l'observation expérimen- tale. 11 est curieux de savoir comment cette im- pulsion qui se propage des artères dans les veines se modifie en se répandant dans de plus larges espaces. Conserve-t-elle la même intensité ? non, le même caractère ? non. Donc nous aurons besoin de nouvelles recherches : bien que le phénomène fondamental soit littéralement le même , il nous ( 138 ) faudra tenir compte des particularités propres à chaque localité. Plus on s'éloigne de l'organe central d'impul- sion, plus la vitesse du sang va en diminuant. Très marquée dans les gros troncs , la saccade du sang artériel devient moindre dans les tuyaux secon- daires, moindre encore dans les rameaux plus pe- tits , enfin elle est remplacée par un mouvement uniforme dans le réseau capillaire. Une fois qu'elle a passé dans les veines , la colonne liquide ne se meut plus qu'avec une extrême lenteur. Les parois de ces vaisseaux , à peine pressées par le courant qui les traverse , sont affaissées sur elles-mêmes : c'est pour les distendre par Faccumulation d'une plus grande quantité de sang dans leur cavité, qu'on applique une ligature au-dessus du point que l'on veut piquer avec la lancette. Nous revien- drons sur ces phénomènes en parlant de la saignée : n'envisageons pour le moment que la manière dont le sang se meut dans les divers départements de l'appareil circulatoire. Le ralentissement du cours du sang est une ques- tion qui n'avait pas encore été parfaitement expli- quée avant les dernières expériences de M. Poi- seuille. C'est à ce ieune p/iysiologisie - physicien que nous devons des études microscopiques fort intéressantes sur la manière dont les liquides se comportent en traversant les petits vaisseaux. Voici ce que ses recherches nous ont appris. Toutes les fois qu'un liquide se meut dans un tuyau, il y a une certaine couche de ce liquide qui adhère aux parois et reste immobile. Si on exa- ( ^39 ) mine le cours du sang dans une artère dont les tu- niques sont assez minces pour permettre le pas- sage des rayons lumineux, on voit que c'est dans l'axe du vaisseau que la vitesse des globules est la plus grande. Cette vitesse diminue graduellement à mesure qu'on s'éloigne du centre. L'espace trans- parent qui avoisine les parois à une largeur égale environ au huitième ou au dixième du diamètre du tube : il est occupé par le sérum du sang. S'il est transparent, comment sait- on qu'il existe réel- lement, qu'il ne résulte pas d'un simple accident de lumière ? On le sait par la marche des globules. Quelques-uns venant à se détacher du courant central, s'approchent de la couche et à l'instant leur mouvement de translation devient beaucoup moins rapide. Ceux qui heurtés par leurs voisins, sont lancés jusqu'au contact des parois, restent en re- pos. Il y a donc là un liquide translucide qui les tient en suspension, et leur communique son im- mobilité. Ce liquide n'est autre chose que du sé- rum. Dans un très gros tuyau, ces divers degrés de rapidité des molécules fluides n'ont presque pas d'influence sur le mouvement du courant général. Mais si vous supposez que le diamètre du tuyau- soit moitié moindre, une plus grande proportion re- lative de liquide reste immobile; conséquemment la colonne centrale ne se meut plus que dans une aire étroite. Le tuyau est-il plus petit encore, la couche adhérente aux parois obstrue presque toute sa capacité, un filet fluide peut à peine se frayer un passage au centre. Enfin à un degré ( UO ) extrême de ténuité, le tuyau cesse à peu pr(îs d'être perméable aux liquides. S il était possible d'expé- rimenter sur des tubes inertes aussi fins que les vaisseaux capillaires, je doute qu on parvint à faire passer dans leur cavité de l'eau distillée. Et cepen- dant, le sang, cette liqueur si visqueuse qui lient en dissolution des myriades de lentilles insolubles, circule librement, sous l'influence d'une impul- sion légère , à travers des canaux d'une ténuité prodigieuse. C'est là une question d hydraulique bien digne d'appeler toute notre attention. Mal- heureusement telle est la perfection des procédés employés par la nature pour la solution de cet in- téressant problème, que nous pouvons plutôt l'ad- mirer que le comprendre ! La composition du liquide, nous vous l'avons déjà dit, joue un rôle immense dans la facilité avec la- quelle ses molécules traversent des tuyaux inertes ou vivants. De l'eau chargée d'acétate d'ammonia- que^ de tartrate antimonié de potasse, d'albumi- ne, etc., passe plus librement que l'eau distillée. Or, l'analyse chimique a démontré dans le sangla pré- sence de plusieurs sels en dissolution; circonstance importante qui vous explique déjà pourquoi le sang ne doit pas se comporter , physiquement parlant, comme un liquide ordinaire. Mais la viscosité des liquides est un des obstacles les plus puissants à leur passage dans les tuyaux d un diamètre étroit. De l huile d'olive injectée dans les veines cause rapidement la mort par 1 obstruction du réseau capillaire. I! en est de même des liqueurs mucila- gineuses telles que l'eau de gomme^ le sirop de ( U1 ) dextrine, Témulsion cérébrale, etc. Comment donc le sang peut il marcher dans ces infiniment petits canaux? La viscosité u'est-elle pas une cause de ralentissement et même d'arrêt complet de la cir- culation ? Bien loin de là^ ce qui serait pour des tubes inertes une condition des plus défavorables devient pour des tubes vivants une condition in- dispensable à Fintégrilé des phénomènes hydrauli- ques. Oui, le sang est visqueux, plus visqueux que ces substances qui, injectées, causent imniédiate- mentla mort.Otez au sang sa viscosité, ce n'est plus qu'un fluideimpropreà semouvoirdans ses tuyaux. Faut-il donc admettre ici une opposition des lois physiques aux lois vitales? Faut-il donc réhabili- ter de vieilles idées dont le principal mérite était leur absurdité? Je vous en laisse juges vous-mê- mes. Si nous pouvions reproduire artificiellement des tuyaux jouissant des même propriétés que les ar- tères, ayant des parois poreuses, tapissées intérieur rement par une membrane lisse, onctueuse, parfai- tement en harmonie avec le sang, c'est alors seu- lement que nous serions en droit de tirer quelques conséquences analogues. Mais il n'y a aucun rap- prochement à établir entre des tubes vasculaires, et des tubes en métal, en verre et en caoutchouc. Voilà le nœud du problème. Remarquez je vous prie, que je n'invoque à l'appui de mes assertions^ que rautorité des faits dont vos yeux ont été té- moins. Vous nous avez vu enlever au sang sa coagulabilité soit par la soustraction de la fi- brine , soit par une injection alcaline. Il s'est fait des transsudalions morbides, les matériaux ( U2 ) du liquide se sont épanches par exhibition. Donc la composition du sang ne peut être modifiée sans que la circulation se trouble. Vous nous avez vu adapter un tuyau en caoutchouc à une artère et y faire arriver le liquide ; ce liquide s'est solidifié en le traversant. Donc la disposition des parois ne peut être modifiée sans que la circulation ne se trouble. Quelle est cette relation intime du liquide et des tuyaux vivants ? Jusqu'à ce jour la nature nous en a dérobé le secret. Nous pouvons pervertir les propriétés physiques si étroitement liées à l'intégrité de la circulation , nous essaie- rions en vain d'en doter la matière morte : tou- jours il leur manquera un mystérieux inconnu. Ainsi, Messieurs, ce serait une grave erreur d'appliquer au passage du sang dans les capillai- res vivants, tout ce qu'ont appris les observations physiques sur le passage des liquides dans les capillaires inorganiques. Il y a des phénomènes communs , il y a des phénomènes différents ; il faut faire la part de chacun pour arriver à quelque chose de positif, de non conjectural. L'adhérence d'une couche immobile aux parois des capillaires est un fait capital en ce qu'elle ex- plique le ralentissement du cours du sang au sein de ces canaux. Pour surmonter cet obstacle, la pompe est obligée de dépenser une partie de sa force contractile; mais son action, bien loin d'être épuisée, retentit jusque dans les veines ainsi que nous vous le démontrerons bientôt, 11 est même des circonstances où l'impulsion ventricu- laire est aussi manifeste dans les veines que dans ( 143 ) les artères; or cette impulsion ne peut passer d'un système de tuyaux dans un autre système de tuyaux, qu'en traversant le réseau capillaire. Si le mouvement du sang dans les veines était du à la seule action des capillaires, l'ascension du li- quide devrait être uniforme , et non en rapport avec les causes qui augmentent la force du sang artériel. Le degré d'énergie du cœur, les mouve- ments respiratoires j le volume du liquide, ce se- raient là autant d'influences nulles sur la circula- tion veineuse. Or, ceci est en opposition avec le témoignage de l'observation journalière. On sait positivement que ce qui agit sur les artères agit sur les veines. Nos expériences avaient déjà dé- montré une relation rigoureuse de ces deux grands systèmes de tuyaux, lorsque M. Poiseuille par des récents travaux est venu donner à ces questions importantes une solution mathématique, et prou- ver la futilité des théories basées sur la prétendue action des capillaires. Avant d'étudier les causes qui font varier la pres- sion dans les veines, il est important de connaître le degré exact de cette pression à l'état physiologi- que. C'est ce que nous allons essayer de constater avec l'hémodynamomètre. On a mis à découvert sur ce chien la veine ju- gulaire externe gauche. Une ouverture faite aux parois du vaisseau a reçu l'extrémité du tube de l'instrument: deux fils sont appliqués , l'un fixe le bout supérieur de la veine sur l'ajutage, l'autre lie le bout inférieur de manière à s'opposer au re- flux du liquide. Maintenant que tout est disposé^ 144 ) je vais ouvrir le robinet qui sépare le sang du sous-carbonate de soude. L'élévation du mercure nous indiquera le degré de pression des parois veineuses. Vous voyez à l'oscillation du mercure que l'ex- périence marche. L'échelle indique : 15,20,14, 18, 15, 17, ISmill. Ainsi , loin de rester stationnaire , la colonne monte et descend tour à tour de quelques degrés. En examinant les mouvements du thorax et en ap- pliquant le doigt sur une artère , on reconnaît bientôt que la plus haute élévation du mercure correspond soit à une expiration , soit à une con- traction de la pompe gauche. Vous vous rappelez que le sang artériel se meut avec plus de force dans l'expiration que dans 1 inspiration : cette seule expérience suffirait donc pour prouver l'influence de la pression des artères sur la pression des vei- nes. Si le sang arrivé dans le système capillaire ne se trouvait plus que sous l'influence de ce système, il est évident que son mouvement serait constam- menlle même. Voilà de violents efforts, de grandes expirations; nous n'avions pas besoin de regarder l'animal pour nous en apercevoir, car l'ascension subite du mer- cure à 35 , 40 miî(. nous indiquait qu'une cause accidentelle augmentait la force progressive du sang. La respiration est redevenue calme, aussi le mercure est-il retombé à 15, 18 mill. Ainsi le sang arrivé dans les veines reçoit une ( 445 ) influence manifeste des agents mécaniques qui augmentent sa force d'impulsion dans les artè- res. Remarquez encore que puisque Fascension du liquide se fait sans interruption, il doit y avoir, outre l'expiration et l'action de la pompe , puis- sances intermittentes , une autre cause de mou- Tement : cette cause est due à la réaction élastique des parois artérielles , après qu'elles ont été dila- tées par l'ondée sanguine. Quant à l'action propre des capillaires , ce n'est pas dans la nature qu'il faut la chercher , mais seulement dans l'imagina- tion des physiologistes. Nous allons maintenant appliquer l'instrument dans la veine crurale , près de Tarcade fémorale : l'extrémité du tube est dirigée comme précédem- ment vers les capillaires. Tandis que la pression est uniforme dans la généralité du système arté- riel, elle varie dans chaque partie , et pour ainsi dire , dans chaque tuyau du système veineux. Aussi ne pouvons-nous rien affirmer d'avance sur le degré de pression que supporte la veine crurale. L'instrument de M.Poiseuille peut seul nous four- nir des renseignements positifs sur ce point. Le robinet est ouvert. Le mercure est à 55, 60, 50,45, 50, 55, 58 mill. La pression est évidemment bien plus considé- rable dans la veine crurale que dans la jugulaire. Bien que l'animal fasse de temps en temps des ef- forts énergiques , le niveau de la colonne se main- tient à peu près au même degré. Vous n'observez X. III. Magendie. 10 pas de ces ascensions rapides que nous vous avons fait remarquer dans l'expérience précédente : cela tient à ce que nous agissons sur un vaisseau placé à une notab'e distance de la poitrine. Vous savez déjà que linfluence des grandes expirations est beaucoup plus sensible dans le voisinage de la ca- vité pectorale que loin de cette cavité. Nous au- rons l'occasion de revenir sur ce phénomène que je ne fais ici que vous indiquer. Il y a long-temps que j'ai signalé cette augmen- tation de la force progressive du sang veineux pen- dant les violents efforts expiratoires. Je piquais la veine avec une lancette, et je provoquais sur l'ani- mal de grands mouvements de respiration : on voyait le jet de sang diminuer ou grandir suivant que l'air entrait dans la poitrine ou en était ex- pulsé. Bien que les résultats fournis par les ex- périences de M. Poiseuille et les miennes soient semblables , je me plais à reconnaître l'immense avantage de rhémodynamométre pour l'examen de ces questions physiques. Tout instrument qui apporte de la précision dans Tétude d'un phéno- mène est un instrument d'une utilité incontesta- ble. La médecine ne sera à sa véritable place que quand elle marchera sous ce rapport de front avec les sciences physiques. Malheureusement elle est encore bien pauvre en moyens de mesurer avec précision les phénomènes. ( ^^"T" ) NEUVIÈME LEÇON. 17 mal 1837. Messieurs , MaLgré tout ce qu'ont écrit les auteurs sur le mouvement du sang dans les veines , il est peu de question s de physiologie aussi enveloppées que celle- là d'incertitude et d'erreur. Nos connaissances sur ce point se réduisent à des milliers d'hypothèses : quant aux faits d'observation, ils sont très clair-se- més , et à peine ont-ils droit de siéger dans nos traités les plus modernes à côté des assertions les plus absurdes. L'idée favorite , l'idée qui domine toutes les autres, c'est que les capillaires^ par leurs contractions , font marcher le liquide dans les veines. Bicliat voulait que ce fût là l'unique cause d'impulsion : la petite école de Béclard , plus con- ciliante, admet que la force qui meut le sang arté- riel, agit concurremment avec le système capillaire. ( 148 ) Pour nous , nous prétendons que les capillaires doivent être mis hors de cause, et qu'il faut les dé- pouiller de ces privilèges dont une longue usur- pation semblait leur avoir consacré la jouissance. 11 ne s'agit plus ici de deviner par un travail intel- lectuel comment les choses peuvent se passer, mais bien de vérifier par l'expérience comment elles se passent. La question reste la même : le mode d'in- vestigation est seul changé. Ce que nous avons à prouver actuellement^ c'est que le mouvement du sang dans les veines recon- naît pour causes principales l'action du cœur et l'élasticité des artères mises en jeu par l'action de cet organe. Les puissances accessoires qui aident au cours du sang veineux ne seront pas oubliées par nous : en première ligne se place l'influence de la respiration. Des expériences que nous avons faites dans la dernière séance , il résulte déjà pour vous la con- naissance de ce fait important , à savoir que la pression supportée par les veines est de beaucoup inférieure à la pression supportée par les artères. Dans l'un el l'autre système de tuyaux, c'est tou- jours le cœur qui est le principe du mouvement qui, sans lui, ne pourrait exister. Pourquoi donc les phénomènes hydrodynamiques ne sont-ils pas partout identiques? Cela tient à plusieurs circon- stances dont plusieurs vous sont déjà connues, et dont lesautres vous seront successivementindiquées à mesure que nous avancerons dans ces études. La circulation artérielle a dû être traitée par nous en premier lien , car elle préside à la marche des ( 1A9 ) liquides dans les autres points du cercle vasculaire, et en commençant par elle , nous procéderons , pour ainsi dire,, du connu à l'inconnu. Avant d'aller plus loin , disons un mot des tuyaux que traverse, pour revenir à la pompe, le sang veineux. Et d'abord , si vous jetez un coup d œil sur la disposition générale des canaux sanguins , vous serez frappés de la difFérence que présente dans ces deux grands systèmes leur mode d'anastomose et de distribution. Tandis que le sang est poussé par le cœur dans des tuyaux décroissants en di- mensions, il revient vers cet organe par des tuyaux toujours croissants en diamètre. Il est impossible que le passage des colonnes liquides dans des es- paces plus étroits ou plus larges n'augmente ou ne diminue pas la rapidité du courant. Dans les artères, c'est à son origine que le courant est le plus rapide , dans les veines , c'est à sa terminai- son. Les parois artérielles sont toujours distendues par le sang , les parois veineuses sont souvent af- faissées sur elles-mêmes. Les premières , épaisses et résistantes^ réagissent sans cesse contre la co- lonne liquide : les secondes, minces et flasques, ne jouissent qu'à un faible degré d'un resserrement élastique. Vous rencontrez dans celles-ci de nom- breuses soupapes destinées à s'opposer au reflux des courants dans certaines directions : celles-là ne vous en présentent pas les moindres vestiges dans le trajet de leur longueur. Uniformité de pression pour la généralité du système artériel: extrême variété de pression pour les diverses par- ( 150 ) ties du système veineux : dans chaque système, le liquide, doué de propriétés physiques très diffé- rentes , ne se meut point d une manière égale. Dans l'un, rapidité, dans Tautre, lenteur des co- lonnes sanguines. Ouvrez une artère , le jet s'é- chappe en formant des saccader isochrones au pouls : ouvrez une veine, le jet , quand il existe, est faible et s'écoule d'un mouvement uniforme- C'est surtout par ie nombre et la capacité de leurs tuyaux que ces deux compartiments de l'ap- pareil vasculaire différent essentiellement l'un de Tautre. Une arière est ordinairement accompagnée d'une ou deux veines qui suivent sa distribution, et dont le calibre est beaucoup plus considérable que le sien. Indépendamment de ces veines qu'on s'abstient ordinairement de décrire, comme si l'é- pithéte àe satellites dont on les a gratifiées équiva- lait à toute définition anatomique, il en existe d'autres placées sur un plan plus superficiel. Celles- ci se dessinent à travers les téguments : c'est à elles qu'on s'adresse de préférence pour la saignée. Partout où il y a une artère et une veine réunies, il est facile de vérifier la prédominance de capacité du premier vaisseau sur le second : si vous songez ensuite au nombre de veines sous-cutanées , les- quelles sont en plus que les artères, il sera prouvé pour vcus jusqu'à la dernière évidence que la somme totale des tuyaux artériels a une capacité infiniment inférieure à celle des tuyaux veineux. C'est surtout dans les points de l'économie où le sang a le plus de difficulté à circuler que les veines surpassent davantage les artères par leur ( 151 ) nombre et leur diamètre. Les anastomoses entre l'appareil veineux superficiel et le profond ont pour principale destination de faciliter le retour du liquide vers l'organe central. Les artères , par leur position, leur structure, la direction des cou- rants qui les parcourent, sont indépendantes de la plupart des causes qui retardent les mouvements du sang dans les veines : aussi est-il facile de se rendre compte des différences anatomiques que présentent ces deux ordres de vaisseaux. Je suis obligé de passer rapidement sur ces ques- tions que je dois supposer vous être déjà familières. Du moment qu'on négligerait dans l'étude de la circulation, les conditions physiques des tuyaux, la résistance de leurs parois, le degré de pression du liquide, il n'y aurait plus de théorie raisonna- ble. Les phénomènes hydrauliques seraient autant de mystères , les explications physiologiques au- tant d'absurdités. Quelque faible que soit la pression exercée par le liquide à l'intérieur des tuyaux veineux, nous avons vu cependant qu'elle existe. L'instrument appliqué à la jugulaire , le mercure est monté de plusieurs millimètres : appliqué à la veine crurale, l'ascension du mercure a été plus sensible , et même dans ce vaisseau la force d'impulsion du sang nous a paru assez énergique ; toutefois , elle na pas atteint le degré qu'elle présente dans les artères. A quoi tient cette diminution de la puissance de la pompe ? Rappelez-vous les obsta- cks que les capillaires , par T adhérence à leurs parois d'une couche immobile , apportent aux (152) mouvements des liquides , et vous aurez déjà les premiers mots de l'explication du phénomène. Mais, bien qu'elle y soit pour quelque chose, cette cause d'affaiblissement est loin d'avoir toute l'im- portance qu'on serait porté à lui attribuer. Ce qui contribue le plus à diminuer la force progressive du sang veineux, c'est la capacité même des tuyaux dans lequel il se meut. Représentez par un la ca- pacité de l'artère , par dix celle des veines qui lui succèdent , n'est-il pas évident que chaque veine ne recevra qu'un dixième de la force qui pousse le sang dans l'artère ? L'impulsion ventriculaire est donc plutôt décomposée qu'elle n'est réellement absente. Ceci est si vrai que quand on fait revenir par une seule veine tout le liquide apporté par l'artère, la pression esta peu près égale dans ces deux vaisseaux. C'est à M. Poiseuille qu'est dû ce curieux résultat: nous allons le constater aujour- d'hui si le temps nous le permet. Je me propose dans cette séance d'essayer quel- ques expériences sur la circulation du cerveau et de la tête en général. L'instrument va d'abord être appliqué sur l'une des jugulaires externes : une fois la hauteur du mercure bien constatée, nous comprimerons la jugulaire du côté opposé , de manière à ce que presque tout le sang de l'extré- mité céphalique revienne par la veine qui s'a- bouche dans le tube. Il est évident que la colonne devra monter. Les carotides ont été mises à nu, et une anse de fil passée à i'entour. de manière à ce que nous puissions suspendre le cours du li- quide dans leur cavité et le rétablir à volonté. ( 153 ) Ce n'est point seulement sous le point de vue physique que ces expériences ont de l intérêt pour nous: peut-être nous donneront-elles quelques ren- seignements sur certains phénomènes pathologi- ques qu'on a eu Focsasion d'observer vers le cer- veau, mais dont on ignore complètement la théo- rie. Ainsi, au nombre des accidents survenus chez l'homme à la suite de la ligature de la carotide primitive, on a signalé des hémorrhagies cérébra- les. La jeune fille à laquelle je liai la carotide gauche pour une énorme tumeur fibro-osseuse qui occupait la région maxillaire supérieure, eut une hémiplégie à droite le sixième jour de l'opération. La paralysie a diminué par la suite ; mais l'inteUi- gence est restée affaiblie, ^-ntre autres phénomènes cérébraux , nous avons eu à observer chez elle une particularité assez curieuse : cette jeune fille qui lisait très bien auparavant, a perdu, par l'ef- fet de l'opération , la faculté d'assembler les let- tres pour en former des syllabes ; elle ne sait plus lire. On n'avaitjamais soupçonné qu'en dimi- nuant le volume du sang qui, dans un temps donné, afflue vers le cerveau , on eût favorisé Textrava- sation de ce liquide dans la pulpe nerveuse. Ce- pendant le fait n'est point unique dans la science ; vous trouverez consigné dans les recueils d'obser- vations septàhuitcasd'hémorrhagies consécutives à la ligature de l'artère carotide. Samuel Cooper, dans son Dictionnaire de chirurgie, en rapporte plusieurs. Je crois que, dans l'état de nos connais- sances actuelles, nous ne pouvons donner aucune explication salisfaisante de ces accidents qui résuî- ( 154 ) tent des modifications apportées à la circulation cérébrale. On avait proposé dans ces derniers temps la com- pression des artères carotides comme un excellent moyen de traitement de rhémorrhagie du cerveau. Je n'ai jamais essayé cette médication, et je ne sache pas que personne 1 ait employée, ou du moins ait eu à s'applaudir de son emploi. La théorie seule a dû la faire imaginer; et quelque rationnelle qu'elle paraisse, il serait à craindre que Texpérience ne fût point en harmonie avec elle, puisque nous voyons l'apoplexie succéder à la ligature de ces mêmes artères. Peut-être ferait-on là, comme en bien d'au- tres circonstances ^ sans s'en douter, de la méde- cine homœopathique. : i Je vous disais que nous allions appliquer Tins- trument sur Tune des jugulaires , puis suspendre dans l'autre le cours du liquide : l'animal est tout préparé. Le mercure monte à 15, 17, 15, 16, 17, 16 mill. Ce qui représente à peu près 7 à 8 millimètres de pression, le poids du sous-carbonate de soude faisant équilibre à 1 0 millimètres de mercure. Je serre la ligature appliquée sur la jugulaire gauche. Presque tout le sang de la tête va se dé- river vers la veine opposée ; une très minime quan- tité reviendra par les jugulaires internes, que nous savons être chez le chien d'une petitesse extrême. La colonne a sensiblement monté , car l'échelle marque 20, 25, 23, 26, 25 mill. ( 155 ) J'éloine la ligature, le mercure retombe à 15, 16, 15, 17, 16mill. Nous allons maintenant lier la veine et la laisser liée. Il nous sera facile , si nous le jugeons à pro- pos, de couper le fil, et de rétablir la circulation dans ce vaisseau. Vous deviez vous attendre à ce que le mercure allait remonter: en effet, il oscille entre 24, 23, 20, 23, 25, 24 milî. Il est de toute évidence que la pression a aug- menté ; seulement le voisinage de la poitrine nous empêche d'obtenir des effets aussi marqués que si nous agissions sur une veine éloignée, telle que la crurale, par exemple. On sait que toutes les causes qui diminuent dans les veines la facilité des mouvements du sang, aug- mentent la pression de ces vaisseaux par l accu- mulation d'une plus grande quantité de liquide dans leur cavité. C'est ainsi qu'une ligature appli- quée au bras, double ou triple leur volume ; c'est ainsi que la station prolongée, que ia grossesse rendent leur diamètre bien plus saillant, et per- mettent d'apercevoir de gros troncs là où la trans- parence des téguments ne laissait point paraître le plus léger relief. Les artères, à cause de la den- sité et de larésistance de leur tissu, sont infiniment moins sujettes que les veines à ces variations de volume; cependant elles en présentent aussi. Il est impossible d'évaluer exactement la capacité res- ( 156 ) pective de ces deux syslémes de tuyaux : le genre de mort agrandit ou diminue le diamètre des vei- nes, suivant qu'il reste plus ou moins de sang dans le système vasculaire, Aura-t-on recours aux injections ? C'est là un moyen on ne peut plus vi- cieux^ puisque les parois veineuses se laissent librement distendre , et que leur capacité devient énorme en comparaison de celle qu'elles offrent tîUr l'individu vivant. Rappelez-vous les pièces anatomiques que j'avais fait apporter des cabinets de la faculté : vous cédâtes à un mouvement d hi- larité générale à la vue d'un petit enfant injecté , xlont la veine-cave inférieure occupait toute la ca- vité abdominale. Cependant j'avais recommandé qu'on fit choix des préparations les mieux faites, afin de vous donner autant que possible une idée de la disposition des tuyaux sanguins. Ainsi, je ne chercherai pas à estimer, même d'une manière approximative, la capacité des veines. Ce qu'il importe pour le moment de bien constater, c'est qu'en suspendant la circulation dans quelques- unes , la pression augmente sensiblement dans celles qui restent libres. Notre expérience ne peut laisser dans vos esprits aucun doute sur l'exacti- tude de cette assertion. Voyons ce qui va arriver en comprimant une -des carotides. Nous diminuons, il est vrai, la co- lonne du liquide que le cerveau doit normalement recevoir, mais la pression sera augmentée dans les autres artères qui concourent à la circulation cérébrale. Le mercure va-t-il monter ? va-t-il au contraire descendre ? c'est ce que nous allons voir ( 157 ) Je comprime la carotide droite : 20,22,20,21, lOmill. Je cesse la compression : 21,19,20,22,21 mill. Il n'y a donc pas de différence appréciable. L'a- nimal est très calme, de sorte que les mouvements respiratoires ne doivent pas avoir sur les résultats^ de l'expérience une influence bien sensible. Au lieu de comprimer avec mes doigts, je lie Fartère carotide. Si vous ne m'aviez pas vu serrer le iîl, vous n auriez pu soupçonner à la hauteur de la colonne mercurielle que la ligature était appli- quée,car le niveau se maintient entre 20 et 22 milL Il n'y a que dans les grandes expirations que la pression augmente d'une manière considérable. Voici une ascension subite : le mercure est monté à 40, 45 mill. C'est que Fanimal vient de faire un effort. Maintenant qu'il est redevenu calme, la colonne oscille entre 20 et 22 mill. Que doit -il se passer par la compression de la carotide gauche ? Le cerveau ne recevra plus de sang que par les deux artères vertébrales , et la pression supportée par les parois de ces der- niers vaisseaux sera de beaucoup augmentée. Cette augmentation de pression suffira-t-elle pour contrebalancer la diminution du volume du li-- quide? Le diamètre des artères vertébrales compa- rativement avec le volume des carotides rend cette supposition peu vraisemblable. Nous allons faire ( 160 ) nerveux dont la sensibilité soit bien exquise. La huitième paire est à découvert dans la plaie qui nous a servi à isoler l'artère carotide ; c'est sur elle que nous allons expérimenter. Je soulève ac- tuellement ce nerf avec la sonde cannelée ; il ne paraît pas très sensible, car le chien n'a point l'air de s'apercevoir du contact de l'instrument. Plu- sieurs fois déjà nous avons eu l'occasion de vous signaler les variétés de sensibilité du pneumo-gas- trique. Vous ne trouverez peut-être pas deux es- pèces dans les animaux, deux animaux dans la même espèce , chez lesquels la huitième paire jouisse d'une sensibilité parfaitement identique. Tantôt il suffit de toucher ce nerf pour provoquer des cris, des mouvements convuls.fs; tantôt vous pouvez rirriter, le lacérer, sans que l'animal pa- raisse en avoir la conscience. L'ue chose assez cu- rieuse, c'est que souvent la sensibilité des deux nerfs n'est pas la même sur le même animal. Vous coupez la huitième paire d'un côté , rien ; vous la coupez de l'autre côté , et cette section déter- mine tous les signes d'une vive douleur. A quoi tient cette différence ? je l'ignore. Quoi qu'il en soit, il paraîtrait que chez ce chien le pneumo-gas- trique n'est pas très sensible. Faisons l'expérience. Le niveau du mercure nous indiquera mieux peut- être que l'animal lui-même quel est le degré de sensibilité du nerf. L'échelle marque toujours de 20 a 22 millim. , la respiration est régulière et s'exécute librement. Je comprime le nerf avec les mors de ma pince. Nous n'avons pas de traces de sensibilité bien ( 161 ) marquée : le chien paraît calme. J'exercîe une plus forte pression. Vous voyez l'animal se débattre et faire de grands efforts. Le mercure est monté à 35, 45, 38, 40, 35 mill. Je ne sais quelle part il faut attribuer ici à Tin^ fluence de la force contractile du cœur , ou des mouvements d'expiration. Il serait possible que l'ascension de la colonne fut plutôt provoquée par le jeu de la pompe aérienne que par l'impulsion plus grande de la pompe hydraulique. Cependant vous savez que la douleur silencieuse agit tout aussi bien sur la circulation chez l'homme que ses manifestations bruyantes ; souvent même une peine concentrée trouble à un plus haut degré les fonc- tions du cœur que celle qui s'épanche librement^ et qui n'essaie point de lutter contre l'instinct de se plaindre et de crier. Bien entendu que nous ne de- vons redouter rien de semblable chez l'animal sou- mis à notre expérience. Il crie, quand il souffre ; il se tait, quand il ne souffre plus. C'est même ce besoin d'exprimer par des cris ses sensations dou- loureuses qui, dans cette circonstance, complr^ue le problème, et nous empêche d'apprécier av juste le degré d'énergie de la fibre ventriculaire. Répé- tons l'expérience. Les oscillations du mercure sont dans le voisinage de 20 mill. Je pince le nerf. La colonne monte, bien que l'animal ne fasse pas de grands efforts : elle est a 30, 28, 35, 40, 37, ^i3 mill. T. III. Magendie. 11 ( 162 ) Le§ battements du cœur sont fréquents et tu- «lultueux. Le cylindre acoustique appliqué sur la paroi pectorale transmet à mon ort^ille des chocs distincts que les personnes voisines de ma table peuvent même entendre à distance. Les mouve- menls respiratoires sont accélérés : aussi ne pour- rions-nous tirer aucune conclusion rigoureuse de cette expérience ^ si elle n'était appuyée par une foule d'observations qui confirment ses résultats. Je coupe le nerf. A l'instant de la section l'ani- mal a fait un petit mouvement, et le mercure est monté de quelques degrés. Maintenant tout est re- venu au calme : seulement la respiration paraît difficile, et cela doit être puisque la huitième paire préside aux fonctions de l'appareil pulmonriire. Le niveau de la colonne se maintient assez uniformé- ment entre 20 et 22 mill. Nous allons actuellement essayer l'influence du galvanisme. Autant que possible je fais des expé- riences qui n'ont encore été tentées par personne, car c'est là une source d'instruction à laquelle vous et moi nous pouvons également puiser. Tout le monde connaît la sensation que détermine le contact de l'étincelle électrique : personne ne s'a- vise d'étudier ses effets sur la circulation générale; ce serait pourtant un curieux objet de recherches. Nous avons enfoncé deux aiguilles en platine sur cet animal, l'une à la région cervicale, l'autre à la pai'tie moyenne de la cuisse : les deux pôles de la pile vont être mis en commlinication avec elles, de manière à établir un courant électrique au sein des tissus. On se contente en général d'appliquer ( \m ) à la surface des téguQients les fils conducteurs, et d'imprimer à toute l'économie une commotion su- bite. Je préfère administrer pour les cas pathologi- ques l'électro-poncture au moyen d'aiguilles pla- cées sur le trajet des nerfs : je suis plus sûr de l'ac- tion de rélectricité que je limite ainsi à mon grë. Afin que la charge de la pile ne soit pas trop forte^ je mettrai seulement dix paires : c'est suffisant pour le résultat que nous voulons produire. Je fais l'expérience ; Une secousse convulsive ^ rapide comme la foudre, a fait bondir Fanimal au moment oii le fil a touché l'aiguille. En même temps le mercure est monté à 55 millimètres. Telle a été la rapidité de l'ascension de la colonne qu'il est in possible de l'attribuer aux seuls efforts de l'animal : il faut qu'il se soit passé là quelque chose d'instantané , quelque chose qui ait agi im- médiatement sur les parois des tuyaux vasculaires. Voici ce que Ton peut conjecturer. L'action musculaire doit nécessairement favori- ser le passage du sang dans les veines, ainsi que l'at- teste Faccélération du jet de la saignée par le mouve- ment des muscles de lavant-bras. Il n'est pas d'élève qui ne donne son lancetier à tourner par la main du malade , pour rendre plus facile la sortie du sung. Si, au lieu d'une compression légère, les fais- ceaux musculaires venaient à comprimer avec éner- gie et dans la même fraction de seconde la géné- ralité du système veineux, combien la force pro- gressive des courants sanguins ne serait-elle pas spontanémentaccrueî C'est ce qui arrive à linstant, les courants électriques sillonnent les tissus vivants. ( 164 } — ^^^^ Pressées de toutes parts, les parois des veines et des artères pressent à leur tour le liquide qu'elles charrient : de là élévation rapide et considérable du mercure dans notre instrument. Tous les auteurs qui ont écrit sur le tétanos ont signalé l'état particulier du pouls qui est tendu , raide , vibrant. Je ne doute pas que ces modifica- tions de l'appareil circulatoire ne reconnaissent pour point de départ la pression exercée par le sang sur les parois vasculaires. Il faudra que nous appliquions rhémodynamomè(re sur un animal que nous ferons périr d'un empoisonnement par la noix vomique : la contraction tétanique des mus- cles de tout le corps devra nécessairement aug- menter la force progressive du sang veineux. Du moins c'est ainsi que je comprends le phénomène dont nous venons d'être témoins. Nous terminerons celte série d'expériences par une saignée pratiquée à la carotide. A mesure que le sang coulera de l'artère , à mesure la pression diminuera dans la veine : nous pourrons ainsi apprécier de nouveau l'influence de la circulation artérielle sur la circulation veineuse. L'animal ne pourra que se trouver très bien de cette évacuation sanguine ; car après les douloureuses opérations qu'il lui a fallu supporter , nous devons craindre chez lui le développement de cet ensemble de symp- tômes, que les chirurgiens désignent du nom de fièvre traumatique. Voici l'artère ouverte :1e sang coule; le mercure qui oscillait entre 20 à 22 mill. est maintenant à 19, 17, 15, 17, 14, 15 mill. ( 165 ) Je lie le bout supérieur et inférieur au vaisseau, afin de suspendre l'hémorrhagie. Nous allons ren- dre à l'animal son artère carotide du côté opposé , de manière que la circulation cérébrale puisse se rétablir. Pour cela il me suffit de couper la liga- ture que nous y avons appliquée. Dans la prochaine séance, nous ferons de nou- velles expériences sur la pression des parois vei- neuses. Dans celle-ci nous n'avons résolu qu'une partie du problème et il nous reste encore beau- coup à faire. ( 166 ) SIXIEME LEÇON. 49 mal 1857. Messieurs I En rétrécissant la capacité du système veineux, nous avoïis vu la pression sensiblement augmenter dans les veines chargées de rapporter vers le cœur une colonne plus volumineuse de liquide. L'hé- modynamomètre appliqué à la jugulaire droite, la jugulaire gauche étant libre, marquait 16 mill.; celle-ci a été liée et aussitôt le mercure est monté jusqu'à 25 mill. Répétée à deux reprises, cette ex- périence nous a donné des résultats aussi appa- rents. Il est donc de toute évidence pour nous que dans les tuyaux veineux comme dans les tuyaux artériels , la pression est en raison d'recte du vo- lume du liquide , en raison inverse de la capacité des conduits sanguins. Si nous n'eussions tenu compte que de Tin- fluence exercée par la force progressive du sang ( 167 ) dans les artères sur la circulation veineuse , la tkéorie nous eût amenés à établir que la ligatura (ks carotides devait accroître la pression des ju- gulaires. Voici quel eût été notre raisonnemfint. En rétrécissant le cercle circulatoire de la tête ^ nous augmentons la pression artérielle. Les ver-n tébrales qui, vous le savez^ concourent à former l^ polygone vasculaire de la base du crâne , suppor- tent donc une pression plus énergique : par con^ séquent le sang veineux doit presser avec plus dfè force la colonne mercurielle. Avant même que l'expérience eût prononcé y vous aauiez senti tout ce qu'un semblable raison-? nement présente de défectueux. Oui, la pression ne peut augmenter dans une artère sans qu'elle n'augmente en même temps dans la veine ; mais il faut distinguer les vaisseaux sur lesquels on agit, et les circonstances qui peuvent compliquer le pro^ blême. La ligature des carotides a dû nécessaire- ment accroître la pression des vertébrales , et ce-» pendant le mercure a baissé dans le tube appliqué à la jugulaire. Ce dernier vaisseau cbarrie le sang qu'il reçoit du cerveau. Pourquoi donc augmeur tation de pression dans Tartère , diminution dans la veine correspondante ? Voici l'explication qui me semble la plus vraisemblable. Au lieu d'être apporté par quatre troncs, le liquide ne marche plus que dans deux , et encore ceux - ci sont- ils moins volumineux que ceux que la ligature a oblitérés. La colonne sanguine doit être et est réellement plus considérable dans les artères ver- tébrales après l'application sur les carotides d'uii ( 168 ) fil constricteur ; mais la somme du liquide envoyée au cerveau est comparativement beaucoup moin- dre qu'elle ne l'était auparavant. Pour qu'il en fût autrement , il faudrait que dans un temps donné il passât autant de sang par les vertébrales seules qu'il en passe par ces mêmes artères et les caroti- des réunies. En théorie cette supposition parait peu vraisemblable ; elle me semble d'ailleurs dé- mentie par l'observation. Si nous eussions appli- qué l'instrument sur la veine crurale en même temps que nous faisions la ligature des carotides, il est évident que le mercure serait monté de plusieurs millimètres ; mais la question n'est plus la mêm.e. Dans un cas nous ne modifions que la force pro- gressive du liquide , dans l'autre nous modifions aussi son volume : ce que la pression gagne d'un côté elle le perd de l'autre. La cause étant com- plexe , l'effet ne peut être simple. Supposez que la vitesse du liquide supplée au défaut d'espace de ses conduits, que le sang ap- porté par les vertébrales égale la quantité qui est normalement envoyée au cerveau. Vous n'avez pas encore les conditions physiques nécessaires pour que la pression augmentée dans fartére, le soit au même degré dans la veine. La raison en est simple. Pour communiquer entre eux, les deui: grands systèmes de tuyaux hydrauliques s'envoient mutuellement des myriades de petits canaux dont la réunion et l'entrelacement constituent le réseau capillaire : ce réseau , nous vous l'avons dit , est formé par des cylindres tellement grêles qu'ils sont aux troncs des vaisseaux ce qu'est au tronc d'un (169) arbre le chevelu cle ses racines. Tant qu'il est con- tenu dans les gros tuyaux et leurs principales di- visions , le liquide se meut sans difficulté. Arrivé aux capillaires, les obstacles se multiplient. Telle force pourra être représentée par 10 dans le sys- tème artériel, qui n'est plus que 2 à son entrée dans le système veineux. Pourquoi? d'une part à cause de la capacité plus grande des veines ; d'au Ire part , par suite du retard qu'éprouve le sang à son passage dans les capillaires. Ilappelez- vous l'immobilité de la couche de sérum adhé- rente aux parois de ces vaisseaux. Rappelez-vous l'extrême étroitesse de leur cavité , qui souvent ne laisse circuler qu'un seul globule à la fois et qu^ même le déforme , pour qu'il puisse s'accommo- der à Taire de ses couloirs. Ce sont là autant de circonstances qui influent puissamment sur le de- gré de pression des tuyaux vasculaires. Nous ne reviendrons pas sur la distribution de la force imprimée par chaque contraction de la pompe aux colonnes sanguines. Dans l'état de plé- nitude des artères , le choc est subitement ressenti avec une égale énergie à l'origine et aux extrémités de ces vaisseaux. Frappez une poutre à l'un de ses bouts , l'ébranlement vibratoire retentit en même temps au bout opposé. Le phénomène est le même pour les tuyaux artériels. L'impulsion ventricu- laire n'est point épuisée à l'entrée des capillaires: présente dans ces infiniment petits canaux^ elle existe aussi , quoiqu'avec une moindre énergie , dans le système veineux , ainsi que l'attestent nos expériences. Je vous prie de remarquer que cet af- ( no ) fâiblissement de la forée de la pompe est plutèt apparent que réel , puisque nous la retrouvons, presque tout entière dans les veines que nous for*» cous à charrier la totalité du liquide apporté par Tartére. Vous en aurez la preuve expérimentale à la fin de la séance. Vous parlerai-je de l'augmentation subite de la pression par l'effet d'une commotion électrique ? C'est là un des résultats les plus curieux que nous ayons jusqu'ici obtenus. Nous avons eu dans de grandes proportions le tableau d'un phénomène que nous ne voyons pour ainsi dire qu'en minia^ tuie dans les conditions ordinaires de Téconomie* On sait que l'action musculaire favorise le mou-^ vement du sang dans ses vaisseaux. Faites de grands efforts, contractez vigoureusement les miiSt^ clés des membres du thorax ou des parois abdo-» minales , la pression devient double ^ triple dans les artères. Il en est de même pour les veines , té- moin notre expér ience sur l'électro-poncture. La veine sur laquelle nous avons expérimenté était une veine superficielle. Je ne doute pas que le phénomène doit être plus sensible encore quand on a affaire à une veine profonde. Il suffit, pour comprendre cette différence de pression, de jeter un coup-d'œil sur la disposition anatomique des vaisseaux. Les branches sous -cutanées rampent entre l'aponévrose et la peau, tandis que les bran- ches profondes sont logées entre les faisceaux musculaires et font partie intégrante des tissus. C'est donc spécialement sur ces derniers conduits que la pression exercée par les muscles agit le plus C ^"^^ ) directement II est vrai que les jugulaires externes chez le chien font exception à cette règle générale, puisqu'elles sont à peu près seules chargées de ra* mener le sang de la tèîe au cœur. Mais si vous- prenez pour exemple la saignée du bras chez l'homme, le phénomène sera on ne peut plusévi-i dent. Le jet du sang grandit à chaque contraction des muscles de Tavant- bras, bien que ces mus- cles ne concourent que par un petit nombre de rameaux à l'origine de la veine qu'a ouverte la lancette. C'est en vertu des anastomoses entre les divisions cutanées et les divisions profondes des veines que le sang exprimé dans les secondes passe dans les premières. Ce que rétincelle électrique détermine dans la pression supportée par les parois veineuses , s'ob- serve également sous Tinfluence de Timpression de la douleur. Vous nous avez vu irriter le nerf pneumo-gastrique à plusieurs reprises : chaque fois les souffrances de Tanimal se traduisaient à nos yeux par l'oscillation de la colonne de mer- cure : étaient-elles légères, Fascension était faible; étaient-elles aiguës^ rascension était considérable. Nous aurions pu à la rigueur mesurer sur ce chien, avec l'échelle graduée de notre tube, le degré des sensations douloureuses. Les épithètes de beau- coup, peu, eussent été remplacées par des millimè- tres , et au lieu de dire : l'animal souffre beaucoup, nous aurions dit : Fanimal souffre à tant de milli- mètres ; il souffre peu : il souffre à tant de milli- mètres. Plus le chiffre eût été élevé , plus la dou- leur eût été vive. (172) Dans une expérience ant 'rieure faite par M. Poi- seuille, on a eu l'occasion d'observer un autre phé- nomène également curieux. Un chien avait été solidement attaché sur une table , afin de servir d'objet d'étude et de recherche sur la pression vas- culaire. L'instrument était appliqué et le mercure se maintenait à un niveau régulier. Tout à coup la colonne s'élève de plusieurs millimètres, sans qu'il y eût eu, de la part de l'animal, aucun effort musculaire, aucune expiration un peu grande. A quoi tient cette ascension subite? Est-ce qu'une douleur vive s'est tout à coup manifestée? Non, Messieurs; il ne s'agit plus ici de sensations péni- bles , mais bien d'une idée erotique qui est venue assaillir Tanimal. La présence dans le laboratoire d'une chienne en chaleur a réveillé chez lui ce sentiment instinctif qui porte tout animal à se rapprocher de sa compagne pour la reproduction de l'espèce. C'est donc une impression morale et non une douleur physique qui , dans cette circon- stance , a modifié la circulation du sang. Nous ne pousserons pas plus loin ces dévelop- pements qui révolteraient l'austère rigidité des sensualistes. Le fait physiologique est bon à noter ; quant à établir sa relation intime avec nos affec- tions intérieures , nous déclinons notre compé- tence. En résumé , les causes du mouvement du sang dans les artères (c'est comme si je disais dans les veines) peuvent se rattacher à quatre chefs prin- cipaux. Sur la première ligne nous trouvons la pompe musculaire, dont la contraction alterne avec ( 173) le retrait élastique des tuyaux hydrauliques. Vient ensuite le thorax, qui, suivant qu'il se resserre ou se dilate, précipite ou ralentit la marche des co- lonnes sanguines. Il faut placer en troisième lieu la pression exercée sur les vaisseaux par le dia- phragme et les parois antérieures et latérales de l'abdomen. Enfin, la contraction du système mus- culaire généial sera envisagée pour nous comme la quatrième source de la force progressive du sang. Non moins énergique que les précédentes , cette dernière puissance mécanique n'a point, dans les circonstances ordinaires , une action très pro- noncée. Mais vient-elle à acquérir un développe- ment subit, elle peut à elle seule tripler, quadru- pler rimpulsion du liquide. J'aurai encore l'occasion de vous signaler d'au- tres causes accessoires du mouvement du sang dans ses tuyaux. Il en sera question quand nous étudierons les phénomènes hydrodynamiques dans chaque département du système A'asculaire. Qu'il nous suffise pour le moment d'avoir présentes à l'esprit les grandes influences qui sans cesse mo- difient la marche du liquide, soit qu'il aille se dis- tribuer à nos divers tissus , soit qu'il revienne vers la machine centrale. Ce n'est pas seulement dans la disposition ma- térielle des organes que nous rencontrons des mo- dificateurs de la grande circulation. Une foule de modes, dhabitudes sociales, d'attitudes du corps agissent à tout instant sur le cours des liquides. Qui ne connaît le danger des congestions céiébrales par l'effet des cravatles trop serrées? On voit Tap- ( 174 ) pUcation de jarretières peu lâches , de mancbes trop étroites déterminer la stase du sang dans le système capillaire : les pmbes, Favant-bras rou- gissent et se tuméfient, parce que plusieurs tuyaus. sont fermés au retour du liquide. Pour peu qu'on soit resté debout un temps assez long , les pieds se trouvent à l'étroit dans la chaussure. Cette in- fluence de la gravité est surtout sensible chez les individus dont les forces sont épuisées par des maladies antérieures. Les personnes qui , par pro- fession, sont forcées à des marches habituelles, à une station long-temps prolongée, sont plus ex- posées que d'autres aux varices ; chez elles, la dif- ficulté du sang à remonter contre son propre poids amène son accumulation dans les veines dont il distend les parois. Celles-ci perdent peu à peu de leur ressort élastique ; aussi pour y suppléer est- en obligé de recourir aux bandages serrés , qui , par la compression circulaire des vaisseaux , favo- risent le passage du sang dans leur cavité. Que la température exerce une influence im- mense sur la circulation artérielle et veineuse^ c'est ce que personne ne sera tenté de révoquer en doute. Il n'est pas de médecin qui ne prescrive des pédiluves sinapisés^ pas de bonne femme qui ne s'ordonne un bain de pied de moutarde : l'un et l'autre savent que plus l'eau sera chaude , plus le sang affluera vers les extrémités inférieures. Gelle-ci combat par ce moyen les maux de tète, celui-là les céphalalgies. Tous deux sont d'accord sur les effets; ils ne diflèrent que sur les noms à donner aux choses. Il doit au moins y avoir une ( IT5 ) énorme distance dans les explications qu'ils émet- traient chacun sur l'effet physiologique de la pres- cription : je n'oserais Taftirmer. Dans Tin térét d;u corps médical auquel nous avons l'honneur d'ap- partenir, n'insistons pas sur ce parallèle et restons dans une prudente réserve. Le froid n'agit pas moins directement que la chaleur sur la facilité plus ou moins grande avec laquelle le sang se meut dans ses conduits. Sous l'influence d'un température basse, les mains^ les pieds, les parties en un mot les plus éloignées de la pompe hydraulique, se décolorent, blanchissent; les parois des vaisseaux que ne distendent plus des colonnes liquides aussi considérables, reviennent sur elles-mêmes : de là ce froncement de tégu- ments , devenus trop larges relativement au vo- lume des tissus qu'ils embrassent. La température des liquides ingérés dans l'esto- mac est encore une condition physique importante à noter sous le rapport de leur passage dans le tor- rent circulatoire. Suivant qu'elle est basse ou éle- vée, l'imbibition est lente ou rapide. Le médecin doit tenir compte de toutes ces circonstances qu'on est accoutumé en général à traiter fort légèrement. Il n'est pas indifférent que tel malade boive sa tisane chaude, tiède ou glacée. Avant de passer aux expériences relatives à Fin- fluence de la température sur la circulation , je dois revenir sur la pression exercée par le sang à l'intérieur des veines profondes et superficielles. Déjà une partie du problème nous est connue. L'hémodynamométre appliqué à la veine crurale a ( 176 ) donné une hauteur de mercure de 50 à 60 mill. , hauteur qui n'est pas hien éloignée de celle que fournissent les tuyaux artériels. La pression nous a paru bien moindre à la jugulaire externe, puis- que la colonne ne s'est élevée que de quelques millimètres. Il s'agit maintenant d'étudier la force progressive du liquide dans une veine superficielle de menbres^ la saphéne interne, par exemple. Je ne doute pas que la pression n'y soit extrêmement faible ; c'est d'ailleurs ce qu'ont démontré les tra- vaux antérieurs de M. Poiseuille , c'est ce dont il est facile de s'assurer par la simple inspection des parois de ces vaisseaux dans les circonstances or- dinaires. Examinez le bras d'un individu bien constitué ; si aucun obstacle mécanique n'exerce une constriction sur le membre, les veines sont peu apparentes : les téguments paraissent plutôt colorés par des lignes bleuâtres que soulevés par des cylindres résistants. Une piqûre faite à une de ces veines ne laissera échapper qu'un peu de sang qui bientôt cessera de couler. Appliquez-vouz une ligature, les parois vasculaires se distendent, le liquide s'élance en formant un jet; la pression devient considérable là où elle était presque nulle auparavant. Remarquez toutefois que la compression des troncs veineux superficiels ne suspend que mo- mentanément la marche du sang. Au bout d'un certain temps les anastomoses avec les veines pro- fondes se dilatent, le liquide passe du plan super- ficiel dans le plan profond, l'engorgement et la coloration de la peau disparaissent : tout est rentré dans l'ordre. ( HT ) C'est avec intention , Messieurs, que je choisis à l'appui de mes assertions les exemples les plus simples, je dirais presque les plus vulgaires. Quand on étudie la médecine, on est plutôt impatient de se mettre au courant des procédés opératoires quedes explications physiologiques. Et d'ailleurs à quelles sources s'adresser? Aux ouvrages de longue haleine? mais les feuillets en paraissent bien nombreux à quiconque se contente volontiers du simple énoncé des faits , sans en apprécier les preuves. Aux ma- nuels? à la bonne heure! Les manuels sont le guide inséparable de l'étudiant : commodité de format, brièveté de rédaction , exclusion de tout attirail scientifique , bas prix, le manuel réunit toutes ces heureuses conditions. Il vous dit que pour pratiquer une saignée, on doit appliquer une ligature, piquer la veine , faire tourner un corps cylindrique à la main du malade. Que vous faut-il davantage ? Trop à l'étroit dans la sphère de la petite chirurgie , le manuel s'élève à de plus hautes considérations, il pose les règles des opérations les plus graves. Vous avez à lier une artère volumineuse : ouvrez votre manuel ; vous saurez quelle direction don- ner à l'incision de la peau , avec combien de doigts doit être tenu le bistouri , si vous devez oc- cuper la droite ou la gauche du patient. Voilà le vaisseau mis à nu , mais à ses côtés se montre un gros cordon grisâtre. Lequel de ces deux cylindres est le nerf? lequel l'artère? La chose est simple, direz-vous : la physiologie... Il s'agit bien de phy- siologie! Laissez ouvert encore votre manuel; etici^ Messieurs , je vous demanderai la permission d'y I. III. Magendie. 1-2 ( 178 ) lire moi-même, car le pi écepte qui s'y trouve consigné est par trop extraordinaire pour que je puisse me dispenser de vous le c ter textuellement. Or, voici ce que j'y vois : (( Dans les cas douteux , après avoir disposé la ligature, on pourrait inciser le vaisseau légèrement et lentement. On reconnaît ainsi à sa texture s'il s'agit d'une artère ou d'un, nerf. » Ainsi pour savoir si vous avez afFaire à une artère , on vous conseille gravement de l'inciser î comme s'il n'y avait pas d autre moyen de recon- naître un vaisseau de ce genre. Telle n'est point la manière dont nous compre- nons les devoirs du médecin envers 1 humanité, envers lui-même. Ne faites pas d'un art un métier, d'une profession honorable une industrie mercan- tile. L'artisan ne voit dans son travail que la peine, dans ses résultats que le salaire. INotre mission est à la fois et plus noble et plus indépendante. Non pas que je prétende imposer à celui qui se voue à la médecine une sorte de désintéressement stoïque ; il est en droit de réclamer de la société le tribut légitime que lui a mérité son savoir : ce que je veux , c'est qu'avant de se livrer à la prati- que , il ait acquis une véritable science ; cette science il la puisera dans la nature, dans l'obser- vation , dans les expériences. Les livres pourront être utiles moins pour apprendre les faits que pour indiquer la manière de les étudier. J'en ai fini avec les manuels , assemblage incohérent d'idées souvent incohérentes elles-mêmes. Serait-ce en quelques propositions générales qu'on résumerait l'immense phénomène de la cir-^ ( 179 ) cnlation du sang? Personne, je pense, n'oserait l'essayer. Nous avons déjà consacré plus d'un se- mestre à l'examen des principales questions, et nous sommes loin d'avoir épuisé un sujet d'au- tant plus fécond qu'on l'approfondit davantage. Le point capital pour nous en ce moment, c'est la pression exercée sur les parois des veines. Nous terminerons cette leçon par quelques expériences. La veine saphéne interne est mise à découvert; sa petitesse ne permet que très difficilement l'in- troduction du tube. Cependant le voilà placé : nous avons affaire ici à un petit chien très impatient, très vigoureux, qui lutte avec effort contre les liens qui le retiennent. Ce sont là des circonstances défavorables. Quelle est la hauteur du mercure? 20, 22, 19,22, 20mill. Ainsi la pression est très faible. Je ne doute pas que nous ne l'augmentions en apportant un obs- tacle mécanique au retour du liquide. J'embrasse avec ma main la patte de l'animal, de manière à suspendre la circulation dans la veine profonde au-dessus du point où le tube est ap- pliqué. Le mercure monte, il s'élève à 25, 28, 30, 32 mill. Je cesse de presser : 49,21, 19, 20 mill. Rien de plus simple que cette ascension et cet abaissement du mercure. Ma main agit sur la patte ( ^80 ) de l'animal comme la bande sur le bras de l'indi- vidu que l'on saigne : plus de sang s'accumule dans les veines, plus par conséquent la pression doit être forte. Nous allons placer maintenant l'instrument dans la veine crurale. La résistance de ses parois m'in- dique déjà que la pression y est plus considérable que dans la saphène. Nous avons eu l'occasion de vous signaler ces différences relativement au plan sous-cutané el au plan profond. Le tube est in- troduit , son extrémité regardant les vaisseaux ca- pillaires. Afin que la circulation soit parfaitement libre , je vais détacher les courroies qui attachent la patte de l'animal ; on a ouvert le robinet qui séparait le sang du sous-carbonate de soude. Voici ce que marque l'échelle : 55, 60, 63, 58, 60 mill. C'est presque la pression qu'on verraitdans l'ar- tère. Le fait est important; il vous explique pourquoi la blessure des veines profondes est beaucoup plus grave que celle des veines superficielles. ïlarement ces derniers vaisseaux sont le siège d'hémorrhagies graves : dans ceux-là, au contraire , elles sont très abondantes et très difficiles à arrêter. Je dis que c'est là un résultat fort important et qui intéresse à un haut degré le chirurgien et le physiologiste. Je me plais à associer ces deux noms; car, vouloir les séparer, ce serait insulter à la raison. L'habi- tude d'opérer sur les animaux donne à la main une telle précision , que , quand on est appelé ( ^81 ) à agir sur l'homme , ce n'est plus qu'une sorte de jeu, de récréation manuelle. Nous vous avons dit qu'une des causes de la diminution de la pression dans les veines dépendait de la capacité de ces vaisseaux de beaucoup su- périeure à celle des artères. M. Poiseuille a fait à ce sujet des expériences fort curieuses : nous-mêmes nous en avons essayé plusieurs dans nos précé- dentes réunions , et les résultats ont été tels que nous les avions annoncés. Toujours la pression est en raison inverse de la surface totale des conduits vasculaires où se meut le sang. Pour bien apprécier la force progressive des co- lonnes liquides, soit dans les artères, soit dans les veines; pour pouvoir la comparer dans chacun de ces systèmes avec quelque précision, il faut for- cer le sang lancé par un tuyau unique à revenir vers la pompe par un tuyau également unique. C'est ce qu'a fait M. Poiseuille : après avoir isolé la veine et l'artère crurales, il a suspendu la cir- culation dans la cuisse au moyen d'une ligature fortement serrée autour du membre, et il a vu l'instrument appliqué sur la veine indiquer une pression égale à celle de l'artère. Cette expérience, quant à son manuel opératoire, n'est autre que celle que j'avais faite il y a long-temps pour prou- ver le mécanisme de l'absorption ; j'avais même entièrement séparé la cuisse du tronc. Mais on peut ici sans inconvénient se contenter d'exercer une constriction circulaire. L'animal est tout préparé. L'artère et la veine crurales sont mises à nu : une anse de fil embrasse ( 182 ) leurs parois afin qu'on puisse les soulever au be- soin. Au lieu de passer, comme je le faisais, la courroie au-dessous des vaisseaux et de la serrer autour du membre, M. Poiseuille a préféré traver- ser avec un bistouri toute Vépaisseur des tissus , et y introduire deux courroies, Tune destinée à comprimer la partie interne de la cuisse, l'autre la partie externe. Je ne sais jusqu'à quel point cette modification est beureuse. On peut prévenir le glissement du lien qui favorise la forme conique des membres, en pratiquant à la peau deux ou trois boutonnières : Fexpérience est beaucoup moins douloureuse pour l'animal, et la compression est au moins exacte. Vous voyez que le mercure oscille toujours en^ tre 55 et 60 millimètres. Cette pression est déjà très considérable pour une veine. Ceci s'explique par la disposition anatomique du système vasculaire de la cuisse. Le tronc veineux sur lequel nous agis- sons rapporte presqu'à lui seul tout le sang char- rié par l'artère crurale. Il n'y a que de petites branches tégumenteuses ou anastomotiques , qui concourent aussi à ramener le sang transmis par les capillaires. Ces petites branches , nous allons oblitérer leur cavité en serrant les deux ligatures appliquées à la cuisse. J'exerce une forte compres- sion. L'échelle indique 80, 85, 75, 85, 80 mill. C'est assez exactement le chiffre que nous trou- verions pour l'artère. Ainsi la pression se trans- ( 183 ) met presque intacte de ce dernier vaisseau dans la veine. Je relâche la ligature. Le mercure retombe à 62, 55, 58,60, 58 niill. C'est-à-dire à son niveau normal. Je ne tiens pas compte de cjuelques grandes ascensions que de temps à autre vous apercevez : elles coïncident avec des efforts ou de violentes expirations. Maintenant nous allons agir sur l'artère de ma- nière à intercepter le passage du sang. La circula- tion du membre ne sera pas pour cela entièrement suspendue, puisque nous avons découvert le vais- seau au - dessous de la naissance de la fémorale profonde. D'ailleurs il existe entre les artères qui sortent du bassin et les rameaux musculaires de la cuisse de nombreuses anastomoses. C'est par elles que se rétablit le cours du sang dans les cas où le chirurgien lie Fartère crurale après son pas- sage sous l'arcade fibreuse de faine. Je comprime l'artère. La colonne indicatrice baisse. Elle était à 62 milL et la voilà à 55, 50, 45, 42, 35, 33 mill. Maintenant que je cesse la compression, elle re- monte à 62, 60, 63 mill. Je comprime de nouveau : 55,48, 45, 40, 36 mill. ( 184 ) Je ne comprime plus : 58, 60, 58, 62 mill. La circulation veineuse est donc solidaire de la circulation artérielle. Ce qui agit sur celle-ci porte simultanément son action sur celle-là. Je cherche en vain le rôle des capillaires. Tout puissants dans les livres , ils sont impuissants dans la nature. Bi- chat prétendait que seuls ils chassaient le sang dans les veines : l'observation prouve qu'ils sont sans action aucune ; ou plutôt je me trompe , ils ralentissent le liquide bien loin d'en favoriser la marche. Que conclure de tout ceci ? Que ce ne sont point les capillaires qui , dans cette circon- stance, travaillent, s'agitent, mais bien l'imagina- tion des physiologistes. ( 185 ) ONZIEME LEÇON. 3i mai 1857. Messieurs , Une indisposition assez violente m'a retenu plusieurs jours prisonnier chez moi. Il m'eût été impossible de faire leçon la semaine dernière ; je me sentais la tête lourde, embarrassée, d'ailleurs je n'aurais pu m'exprimer en public. Aujourd'hui jiiême vous devez vous apercevoir que ma voix est encore voilée. Si je ne savais combien l'inter- ruption d'un cours est préjudiciable à l'enseigne- ment, et parce que le zèle des auditeurs se refroi- dit, et parce que le professeur ne conserve plus la même aptitude dans l'enchainement et l'expres- sion de ses pensées , j'aurais encore ajourné notre réunion. C'est avec une satisfaction, j'oserai dire mutuelle, que nous nous retrouvons dans cette enceinte où nous sommes habitués à nous donner un rendez-vous exact. Espérons que nos travaux ( 186 ) ne seront plus suspendus par de semblables causes. Un physiologiste, quand il est malade, n'a rien de mieux à faire que d'observer, s'il le peut, les phénomènes qu'il éprouve. Si même il n'envisa- geait que l'intérêt de la science, peut-être devrait-il souhaiter d'éprouver par intervalles quelques- unes des principales modifications pathologiques dont il cherche la théorie et l'analyse : son savoir y gagnerait ; mais ce serait pousser le dévoue- ment un peu loin. Ce qu'on est en droit de récla- mer, c'est qu'il ne laisse pas échapper l'occasion défaire, sur lui-même, les observations qu'il fait chaque jour sur les autres. Une méthode ins- pire plus de confiance quand son auteur s'en fait l'application. J'ai donc pris note des diverses sen- sations morbides que me causait un corysa extrê- mement intense. Pour ne parler que de ce qui se rattache à nos études actuelles sur l'hémaulique animale, voici ce que j'ai remarqué du côté de la circulation de la muqueuse nasale. Par suite du gonflement de cette membrane, je respirais avec une très grande gêne ; l'olfaction était à peu près nulle, le parler fatigant; la sé- crétion du mucus, d'abord suspendue, s'est ensuite altérée. Je mouillais chaque jour plusieurs mou- choirs. La pituitaire est, comme vous le savez, parcourue par un grand nombre de vaisseaux san- guins, de là son aspect spongieux, sa consistance humide. Je crois que le réseau capillaire qui cons- titue en grande partie son parenchyme, était obli- téré, et que la circulation y était complètement suspendue. Indépendamment de l'obstacle au pas- ( 187 ) sage de l'air à travers les cavités nasales, j'éprou* vais vers lecerveau un embarras manifeste; ma face était colorée, mes yeux larmoyants. Sans être plus fréquent, mon pouls battait avec plus de plénitude. Il y avait une sorte de pléthore générale. Je pourrais être plus court et désigner par un mot ces symptômes au lieu de les énumérer. Que je vous dise : j\ii eu une inflammation de la mem- brane pituitaire avec réaction fébrile ; vous me comprendrez, de même que je serais compris dans le monde si je me plaignais d'un fort rhume de cer- Teau. En effet c'est là un langage de convention auquel on est convenu de rattacher certaines idées. Quant aux explications physiologiques, il n'y en a point à proprement parler. Ne serait-il point possible de rattacher ces phé- nomènes à ceux qui sont maintenant le sujet de nos études? N'étais-je pas moi-même en expérien- ce pendant que je croyais faire trêve à nos re- cherches expérimentales? La chose me paraît vrai- semblable, du moins c'est ainsi que je me Texpli- que. Far Teffet de l'obstruction d'un nombre consi- dérable de tuyaux, le cercle vaseulc-ire s'est trouvé notablement rétréci. Il est arrivé alors ce qu'on observe chez les animaux auxquels nous lions une ou plusieurs artères : la pression diminuée en un point s'est accrue dans les autres points ; le sang est arrivé avec plus de force au cerveau, à la face, au globe oculaire. Ajoutez à cela que l'exal- tation de la sensibilité dans les tissus malades a réasji sur la contractilité du cœur dont elle a sensiblement accru l'énergie. Vous vous rappelez ( 188 ) cette expérience où je comprimais avec une pince le pneumo-gastrique ; à chaque pression du nerf correspondait une ascension de mercure de plu- sieurs millimètres. L'influence de la douleur a dû produire sur moi quelque chose d'analogue. Vous parlerai je de ces pulsations isochrones au pouls dont j'avais la conscience vers le front, les tempes et les cavités nasales ? Il n'est personne qui n'ait éprouvé de ces battements singuliers. Je ne sais combien d'explications bizarres ont été pro- posées par les physiologistes pour rendre raison de ce qu'ils appelaient des modifications dans la vita- lité des vaisseaux. On ne croit plus guère à la sen- sibilité organique insensible et à ses nombreuses variétés; mais on n'a pas pour cela des connaissan- ces plus nettes sur la nature du phénomène. Ce- pendant un simple examen des propriétés physi- ques des capillaires donnerait le mot de l'énigme. Qu'arrive-il dans un violent corysa ? Les petits tuyaux qui se distribuent à la pituitaire s'engor- gent, s'oblitérenf, le sang stagne dans leurs cavi- tés, distend leurs parois, augmente leur diamètre. Les filets nerveux que reçoit la membrane se trouvent comprimés et renvoient au cerveau l'im- pression de la douleur. Chaque fois que la colonne liquide lancée par la pompe vient battre contre l'obstacle, l'ébranlement vibratoire communiqué aux tuniques vasculaires est transmis jusqu'à l'en- céphale. La preuve que le volume des capillaires est plus considérable qu'il ne doit l'être normale- ment, je la trouve dans le boursoufïlement de la membrane dont les feuillets se rapprochent les ( 189 ) uns des autres au point d'effacer le passage de l'air. Et ces altérations de la sécrétion muqueuse ne sont-elles pas une conséquence nécessaire de la stagnation du sang dans ses vaisseaux et de la dé- composition chimique de quelques-uns de ses élé- ments ? Nous reviendrons plus en détail sur ces questions quand nous parlerons de l'inflamma- tion. Je suis bien aise de vous avoir communiqué les remarques que j'ai pu faire sur moi-même, et que je vous engage à répéter si ( ce que je suis loin de vous souhaiter) vous éprouviez la même affection. Vous voyez, Messieurs, que tout en étant malade et contrarié de mon oisiveté^ je pensais encore au collège de France. Nous ne possédons point d'instrument propre à mesurer sur l'homme comme sur les animaux, le degré de pression exercée par le sang à l'intérieur des vaisseaux. Cela est fâcheux, car nous ne pou- vons arriver ainsi à aucune évaluation rigoureuse. Personne n'aurait l'idée d'introduire l'hémody- namométre dans les veines ou les artères d'un de ses semblables pour arriver à connaître la force progressive du sang. On ne peut faire de sembla- bles essais que sur les animaux. Les conséquences qu'on en déduit sont du reste parfaitement appli- cables à l'homme. Ne savons-nous pas, par exem- ple, que la tristesse, la colère, Tamour, toutes les passions qui agissent sur tout son être _, retentis- sent en même temps sur l'appareil circulatoire ? On ne dirait pas qu'un individu a le visage ronge d'effroi; car la crainte diminue, au lieu d'activer, ( 490 ) la circulation capillaire ; l'acteur pour exprimer des sentiments erotiques ne portera pas la main à sa tête. Pourquoi ? parce que chacun sait, sans peut-être y avoir réfléchi, que le cœur est un or- gane où retentissent nos sensations morales et phy- siques. Dans le langage métaphorique, c'est à cet organe et à ses nomhreux départements qu'on fait habituellement allusion. Il est une sorte d'instinct qui guide l'homme dans ses actes comme dans l'expression de ses passions. Mais là est l'écueil contre lequel viennent se briser les hypothèses physiologiques les plus ingénieuses. Je vous disais que nous n'avions pas d'instru- ment pour mesurer sur l homme la pression des vaisseaux sanguins. Cependant il existe un petit appareil imaginé dans un but tout autre que celui qui nous occupe maintenant : son inven- teur lui a donné le nom de sphygmométre. C'est un tube en verre terminé par un entonnoir métallique , dont Forifice évasé est formé par une membrane en brauduche. Une échelle gra- duée divise le tube en millimètres. Il est rempli d'une colonne de mercure dont on peut suspendre ou permettre l'ascension, suivant qu'on ferme ou qu'on ouvre un robinet qui y est adapté. La ma- nière de s'en servir est fort simple. Vous choisissez une artère superficielle, telle que la radiale au voisinage du carpe, et vous ap- pliquez sur les téguments qui le recouvrent l'infun- dibulum de l'instrument. Il faut avoir soin d'ap- puyer un peu, afin que, par la pression des tissus, la pulsation artérielle se transmette plus facile- ( 191 ) ment au mercure. On voit la colonne osciller à chaque battement du pouls ; son élévation coïncide avec la dilatation de 1 artère , son abaissement avec sa contraction. Je vais faire l'expérience devant vous. Voici l'instrument placé sur l'artère radiale d'une des personnes cpii m'entourent. Le mercnre monte et descend régulièrement : chaque oscillation répond à une pulsation artérielle. Nous obtenons ainsi le rhythme du pouls, mais nous ne pouvons estimer son degré de force avec exactitude. Fait-on une forte expiration, la colonne s'élève de plusieurs millimètres, il est vrai; mais remarquez que je produis le même effet en appuyant davantage sur l'instrument II est donc impossible de faire la part de ce qui appartient à la pression des parois vas- culaires par le sang d'avec ce qui dépend du re- foulement du mercure dans le tube par les tissus que comprime la baudruche. La texture flexible de cette membrane fait qu'elle se moule sur les reliefs de la peau et des tissus sous-cutanés. La moindre saillie des parties molles est sensible par Fascension de la colonne : on pourrait la confon- dre avec une augmentation de la pression arté- rielle. Peut-être y aurait-il moyen de rendre cet instrument plus exact en substituant un dia- phragme en caoutchouc au diaphragme en bau- druche. Il faudra que j'essaie cette modification. Quoique d'une bien moindre précision, ces ex- périences faites avec le sphygmomètre confirment les résultats fournis par l'instrument de M. Poi- seuille. Il est de toute évidence que la pression est ( 492 ) diminuée dans l'inspiration , accrue dans l'expira- tion. Ce phénomène est sensible dans les mouve- ments respiratoires ordinaires ; il le devient bien davantage dans les violents efforts , alors que la cavité thoracique s'agrandit ou se resserre avec une puissante énergie. Dans les profondes inspi- rations, le ralentissement, introduit dans le cours du sang artériel , peut être tel que la force con- tractile du cœur se trouve momentanément neu- tralisée : le mercure reste alors a peu prés im- mobile. C'est probablement de cette manière que certaines personnes, au dire des auteurs , ont joui de la singulière propriété d'arrêter leur circu- lation. Maintenant nous allons revenir aux expériences que nous n'avons pas eu le temps de faire dans la séance dernière. La température, avons-nous dit, exerce une grande influence sur le passage des liquides à tra- vers les tuyaux inertes ou vivants. C'est un fait connu depuis bien long-temps , mais qu'il importe d'examiner de nouveau avec la précision que com- portent lès instruments dont la science s'est enri- chie de nos jours. Halles , physicien habile , homme de gé- nie , a fait un très grand nombre d'observa- ' lions , Halles a répété une série d'expériences pour prouver que les liquides se meuvent dans les tuyaux avec d'autant plus de rapidité que la température est plus élevée. Ainsi , par exem- ple, il a appliqué un tube à injection à l'artère mésentérique d'un animal, après avoir disposé la ( ^93 ) veine du même nom , de manière à ce qu'on pût recueillir et mesurer la quantité de liquide rap- portée par elle. Les branches anastomotiques voi~ sines de ces vaisseaux avaient été liées avec soin. Voici ce que Halles dit avoir reconnu : De l'eau froide poussée dans l'artère revenait par la veine dans un temps donné; je ne me rappelle pas exac- tement le chiffre. La même quantité de liquide à une température moyenne passait 18 fois plus vite sous l'influence d'une pression semblable ; si Teaiî était chaude, son passage était 32 fois plus rapide que celui de l'eau tiède. Halles n'a point indique la température précise des liquides sur lesquels il expérimentait. En supposant qu'il y eût une diffé- rence de GO"" centigrades entre ce qu'il désignait par l'épithéte de chaud et froid^ on trouverait que, dans le premier cas, l'eau coule 576 fois plus promptement que dans le second : ce qui est énorme. Tout le monde sait que pendant les fortes cha- leurs de l'été le visage est plus coloré , les mou- vements du cœur plus rapides, plus de sang pas- sant habituellement à travers les tuyaux sanguins; les exhalations cutanées et pulmonaires sont ac- crues dans une proportion très sensible : de là le besoin d'introduire dans l'estomac des boissons aqueuses , afin de réparer les pertes que subit le sang par la soustraction d'une partie de son eau. C'est surtout sur la circulation capillaire que la température du liquide exerce une action très prononcée. Une artère volumineuse est plus faci- lement traversée par la colonne sanguine qu'un rameau délié. A mesure que le vaisseau diminue T. III. Magendie. 13 ( 194 ) de diamètre, à mesure les obstacles se multiplient. Nous pouvons sur un tube en verre apprécier les difFicultés mécaniques que présente Tétroitesse du canal parcouru par le liquide; mais nous ne pou- vons aussi facilement juger de rinfluence exercée par la température. Gelie-ci dans les vaisseaux ca- pillaires n'agit pas seulement sur le sanp" : elle dilate leurs parois membraneuses, élargit leur cavité, modifie les phénomènes hydrodynamiques. Des pulsations apparaissent là où elles n'existaient pas auparavant; plusieurs globules cheminent de front dans ces mêmes couloirs Cjui livraient à peine paspage à un seul ; en un mot , c'est une nouvelle série d études pour \c physiologiste. Voyez les personnes atteintes d'affections orga- niques du cœur : un temps froid , humide, provo*^ que chez elles des accès de suffocation ; elies étouf- fent ; leurs extrémités inférieures s'infiltrent, s'œ^ dématient. Mais que la température atmosphérique s'élève , aussitôt l'appareil circulatoire fonc'ionne avec plus de liberté : les accidents diminuent ou Biêîne disparaissent , pour revenir au retour delà saison rigoureuse. Ces malades ont tellement bien la conscience de leur élat, que quand vous leur prescrivez des médicaments, ils vous répondent que quelques rayons de soleil leur feraient beau- coup plus de bien que toutes vos tisanes. Ils ont raison. Voulez-vous vous rendre la circulation plus ac- tive, faciliter le passage du sang dans la généralité de ses tuyaux? vous ordonnez un bain un peu chaud : ses effets se font bientôt resseniir sur toute i ( 195 ) l'économie. La respiration s'accélère, parce que plus le sang arîivant au poumon a besoin d'une plus grande quantité d'oxygène. Les tissus se gon- flent, l'habitude extérieure du corps rougit; telle chaussure se trouve trop éfroite au sortir du bain, parce que les pieds sont tutnéfiés par l'afflux d'une plus grande quantité de sang dans les capillaires, et par la dilatation des parois de ces infiniment petits canaux. S'agit-il de diminuer l'activité de la circulation cérébrale , et d'augmenter celle des parties éloi- gnées , vous faites usage de pédiîuves. Le phéno- mène est littéralement le înême que dans le cas précédent , seulement son influence est toute lo- cale. Au lieu de vous attaquer au système vascu- laire général , vous limitez Taclion de la tempéra- ture à quelques tuyaux. C'est là encore un résul- tat exclusivement physique. Prenons un exemple opposé. Une personne se met les mains , les pieds dans la neige 5 et elle voit ses doigts^ ses orteils bla nchir: que s'est-il passé ? un re- flux de sang dans la profondeur des membres. Les capillaires de la périphérie soumis à l'action d'un froid subît, deviennent impro[)resà la circulation. Une partie du liquide qui les remp!issait passe dans les vein s; et comme ils n'admettent plus celui que les artères leur apportent, il y a vacuité momea- tanéede ces vaisseaux. M. Poiseuille dans son mé- moire sur la circulation capillaire a rapporté plu- sieuis expériences qu'il a faites à ce sujet. Il a vu qu'un abaissement considérable de la température au sein de conduits aussi déliés y suspend la mar- ( 196 ) elle du sang. Les globules stagnent, immobiles jus- qu'à ce que par l'action de la chaleur, ils repren- nent leur mouvement progressif. Ne savez-vous pas que dans les hivers très froids, un grand nom- bre d'animaux meurent par défaut de circulation? Le sang dans ses canaux vivants est presque aussi directement influencé par la température de l'at- mosphère que le mercure dans le tube thermomé- trique. Pourquoi pouvons-nous vivre au milieu d'un air glacé ? Pourquoi notre sang ne se prend-il pas en masse dans ses vaisseaux de la même manière que l'eau dans le lit d'une rivière ? C'est que nous avons en nous un appareil destiné à réchauffer sans cesse le liquide animal. Indépendamment de ses autres usages, la respiration par les combinai- sons chimiques de l'oxygène avec les molécules san- guines élève la température du sang, et, en accélé- rant sa marche, l'empêche de se solidifier. Bien que tous ces faits soient généralement con- nus, vous concevez que la science gagnerait beau- coup à ce qu'on eût des données positives sur le degré exact d'influence qu'exerce la température sur la circulation. Dire que celle-ci devient plus active, plus lente, ce n'est point préciser assez le phénomène. Il faudrait de plus savoir de combien elle augmente, de combien elle diminue. C'est pour arriver à des renseignements plus positifs que j'ai imaginé quelques expériences que je me propose de faire aujourd'hui. Mais auparavant je dois vous rendre compte d'une expérience que nous avons faite hier dans mon laboratoire. ( 197 ) Je voulais voir avec M. Poiseuille quel degré de pression supportent les vaisseaux, suivant que la température des tissus au seia desquels ils mar- chent, est très basse ou très élevée. Nous nous sommes servis de Ihémodynamométre. Seulement une dissolution de sous-carbonate de soude a été substituée au mercure afin que les variations du niveau du liquide fussent très \isibles. La pesan- teur spécifique du sous-carbonate de soude étant à celle du mercure à peu près comme 1 est à 1 0, les moindres oscillations de la colonne devenaient apparentes. Gomme la pression est beaucoup moins considérable dans les veines que dans les artères , il est souvent avantageux de faire usage de l'ins- trument ainsi modifié. Voici donc ce que nous avons fait. Le tube a été introduit dans la veine crurale, son extrémité dirigée du côté des capil- laires. Depuis un quart d'heure la patte et le reste du membre étaient entourés d'un mélange réfrigé- rant , composé de deux parties de glace et d'une partie de sel gris. On a ouvert le robinet. En 55 se- condes le sous-carbonate de soude est monté de zéro à 670 mill. Nous avons alors enlevé l'instru- ment. Des compresses imbibées d'eau à 50 degrés ont remplacé le mélange réfrigérant, et de temps en temps on arrosait le membre afin de maintenir sa température élevée. Au bout d'une demi-heure, le tube a été réintroduit comme précédemment dans la veine. Le robinet ouvert, le sous-carbonate de soude n'a mis que 38 secondes à monter de zéro à G70 mill. Il y a donc eu évidemment ralentissement du ( 198 ) mouvement du sang par le froid , accélération par la chaleur. Pour que le phénoiBéne eût été plus sensible encore, il aurait fallu appliquer l'instru- ment sur une veine superficielle , ou du moins prolonger plus long-temps Faction de la glace et de l'eau chaude Nous expérimentions sur un vais- seau profond^ et nous n'agissions que sur la cir- culation périphérique; c'est une circonstance dont il faut tenir compte. Aujourd hui nous allons met- tre le tube sur la veine saphène interne : les résul- tats seront plus concluants. Jai fait entourer le membre de l'animal d'un mélange de glace et de sel. Voici à peu près trois quarts d heure que le froid agit. Il doit mainte- nant y avoir une diminution notable de la force progiessive du saueg. Nous allons nous en assurer au moyen de 1 héniodynamométre à sous -carbo- nate de soude. Je mets lajutage de l'instrument dans la saphène interne , en le dirigeant du côté des capillaires : la colonne est à zéro. On va avoir soin de compter exactement le nombre de secondes qu'elle mettra à monter jusqu'au bout du tube; et en comparant le ten»ps qu'il lui faudra pour faire une semblable ascension sous l'influence de la cha- leur, la différence des chiffres indiquera la diffé- rence de pression. J'ouvre le robinet. Vous voyez la colonne s'éle- ver , mais avec une telle lenteur qu'elle semble immobile. 11 est évident que la force qui meut le sang est beaucoup moindre que dans les circons- tances ordinaires. Ce n'est pas que les contractions de la pompe gauche aient diminué d énergie; mais ( 199 ) les obstacles mécaniques sont plus nombreux , et par conséquent le iiquide ne passe plus aussi li- brement du réseau capillaire aux tuyaux veineux: l'échelle marque 360 mill. et voilà déjà huit mi- nutes que l'expérience dure. Le relroidissement ne doit pourtant pas élre très considérable , puis- qu'un îherinométre mis dans la plaie indique 15° au-dessus de zéîo. Que serait-ce si rabaissement de température était poussé beaucoup plus loin ? Nous allons fermer le robinet^ car cela nous pren- drait trop de temps. La colonne est à 620 milL Elle a mis plus de 11 minutes à atteindre ce niveau. Faisons actuellement l'expérience inverse. Au lieu de refroidir le membre, il faut le réchauffer. J'ote la glace et j'y substitue un calaplasme de fa- rine de graine de lin, bien chasid , bien épais, réunissant toutes les conditions qui lui mérite- raient dans les hôpitaux répilhéte àémolUenî, Comme il faut un certain temps pour que les tissus se réchauffent, que leur lempérature s'éiève, nous abandonnerons un instant l'animal : Texpérience sera terminée à la fin de la séance. En atrendani nous allons utiliser notre temps, et vous entretenir d'une autre cause du mouvement du sang. La poitrine représente une pompe aérienne ayant pour objet d'aspirer, en se dilatant, le liquide ap- porté par les tuyaux veineux. Au moment où ses parois s'e'cartent , le vide tend à se produire ; le sang des veines-caves se précipite alors vers l'o- reillette droite. Au contraire, dans l'expiration, ces mêmes veines sont comprimées, et il y a ré- pulsion y hors de la poitrine , du liquide qu'elles ( 200 ) contiennent. Ces phénomènes sont surtout sensi- bles dans la jugulaire : sa position superficielle, son voisinage du thorax rendent très manifestes ces flux et reflux du liquide, signalés déjà par plu- sieurs observateurs, et que nos expériences avaient pleinement confirmés. Mettez cette veine à nu, vous voyez ses parois se gonfler ou s'affaisser, sui^ vaut que la poitrine se resserre ou se dilate. Dans im cas la pression de l'air intérieur l'emporte sur celle de l'atmosphère; dans l'autre c'est la pression, de l'atmosphère qui devient le plus considérable. Il faut tenir compte de la force aspiratrice exercée sur le sang par le réservoir de la pompe muscu- laire droite; mais cette force n'agit pas au delà du thorax; aussi ne peut-elle être comparée à celle de la poitrine pendant l'inspiration. M. le docteur Barry a émis l'opinion que la prin- cipale puissance qui meut le sang , depuis l'ori- gine des veines jusqu'au cœur , est la pression at- mosphérique. C'est là une grave erreur : la chose est physiquement impossible. Comment voudriez- vous qu'une force n'agissant que sur les parois d'un tuyau imprimât au liquide renfermé dans sa cavité im mouvement circulaire ? Prenez un tube en caoutchouc, remplissez -le d'eau, la pression de l'atmosphère ne fera pas cheminer le liquide plu- tôt dans telle direction que dans telle autre ; si vous y adaptez le canon d'une seringue , et que vous fassiez mouvoir le piston , c'est alors seule- ment qu'il y aura déplacement. Le cœur représente cet agent d'impulsion. C'est lui qui en se contrac- tant, communique aux colonnes sanguines leur ( 201 ) marche progressive dans les artères , les capillai- res, les veines. La pression atmosphérique n'exerce qu'une influence accessoire. Tout accessoire qu'elle est, cette influence existe et par conséquent il importe de l'étudier. M. Poi- seuille l'a déjà mesurée avec son instrument. Nous allons répéter devant vous l'expérience sur un chien. J'introduis le tube à sous -carbonate de soude dans la veine jugulaire gauche en le dirigeant du côté du cœur : l'extrémité de l'ajutage est à une distance de la poitrine d'un centimètre. L'échelle marque zéro. Au moment où j'ai eu ouvert le robi- net, la colonne a oscillé, et vous avez du remar- quer que l'élévation du liquide correspond à l'ex- piration ,• l'abaissement , à l'inspiration. Prenez exactement note des chiffres. ( Le signe _[_ indique les hauteurs de la colonne au-dessus de zéro , le signe — les hauteurs au-dessous. ) L'animal respire tranquillement : — 75, + 50; — 80, + 60 mill. Il fait des efforts ; — 120, 4-105; —100, + 110 mill. 11 redevient calme : — 30 , + 55; — 45, + 90 mill. Quand l'animal est très agité , qu'on provoque chez lui de violents efforts par l'effet de la dou- leur , on voit la colonne présenter des oscillations ( 202 ) bien plus considérables. Elle peut s'élever ou des- cendre jusqu'à 250 et 300 mil!. Le même efFet est produit quand on comprime avec la main les cô- tés de la poitrine. J'exerce cette compression. Nous avons — 1 50, + î 20; — 1 30, + 1 ^5 mill. De cette expérience et de celles que M. Poiseuille a consignées dans son mémoire sur la circulation veineuse , nous sommes en droit de conclure que daub Finspiration le sang afïlue vers ia poitrine^ que dans l'expiration il reflue bors de cette cavité. Ces résultats sans doute ne sont pas nouveaux , mais ce qui est nouveau, ce qui est capital , c'est la précision que riiémodynamométre apporte dans l'analyse des pbénoménes. Vous concevez que la présence ou l'absence des valvules dans les veines sur lesquelles on expéri- mente , doivent modifier la pression rétrograde du sang veineux. M. Poiseuille ayant appliqué sou instrument sur la jugulaire d'un cbien, fut tout surpris de voir la colonne rester au - dessous de zéro dans les expirations comme dans les inspira- tions. 11 disséqua la veine et reconnut la cause de cette différence dans la disposition anatoniique du vaisseau. Des valvules existaient à l'endroit où cette veine s'abouche dans la sous claviére, de sorte que, formant soupape à l'instant où la poitrine se resserre , elles arrêtaient le reflux du liquide. La preuve que tel était l'obstacle qui s'opposait à l'as- cension de la colonne , c'est qu'après avoir fait ( 203 ) franchir les valvules au tube de Tinstrument, le sous-cai booate de soude s'éleva immédiatement de 60 à 80 millimètres Je n'ai pas le temps d'insis(er davantage aujour- d'hui sur i influence du jeu du thorax, relative- ment au mouvement du sang veineux. INous y re- viendrons encore. Ce qu'il nous importe de biea savoir, c'est que l'inspiration favorise Fafïlux du liquide vers la pompe centrale , et que les gros troncs se déchargeant dans le réservoir droit , le sang des autres veines trouve moins de résistance à se mouvoir. Cette cause n'est qu'accessoire et rien de plus. M. Barry s'est étrangement abusé en l'envisageant comme le principe unique de la cir- culation veineuse. Le cataplasme doit maintenant avoir produit ses effets. Nous avons eu soin de Tarroser avec de l'eau chaude , pour que sa température se maintînt as- sez élevée. Le tube de Finstrument va être réin- troduit dans la saphéne interne, afin que nous puissions examiner combien de temps la colonne de sous-carbonate de soude mettra à s'élever à 620 mili. Vous vous rappelez que ce dernier ni- veau est celui que nous avons obtenu en onze mi- nutes, alors que nous expérimentions avec un mé- lange réfrigérant. Il est probable qu'ici l'ascensioa sera beaucoup plus raj ide. Voilà le robinet ouvert. La colonne monte effec-! tivement avec une bien plus grande vitesse que dans l'autre expérience. Il s'est à peine écoulé une minute , et déjà l'échelle marque 1 50 miU. Donc la pression est sensiblement accrue. ( 204 ) Le sous-carbonate de soude continue à s'élever dans le tube. Il semble cependant que le mouve« ment se ralentisse. Nous sommes à 300 mill., et Toilà près de trois minutes que Texpérience dure. Je ne sais à quoi attribuer l'arrêt de la colonne , mais elle reste immobile dans ce dernier point. Le cœur de l'animal continue de battre , la respira- tion de s'effectuer; aussi je suppose qu'il s'est formé un caillot. Nous allons nous en assurer. Je retire l'instrument de la veine et j'ouvre le robinet , il ne s'échappe pas de sous - carbonate de soude. J'insuffle de l'air par l'orifice supérieur du tube. Vous venez de voir un caillot lancé à une certaine distance, et maintenant le liquide s'é- chappe librement. Il y avait donc obstacle méca- nique à l'ascension de la colonne. Bien que cette expérience n'ait pas été achevée , elle n'est pas moins concluante pour nous. Ses résultats sont d'accord avec nos théories , parce que nos théories sont basées sur les lois physi- ques maintes fois vérifiées. Il n'y a que quand elles s'en écartent qu'elles sont exposées à y recevoir un démenti de l'observation. ( 205 ) IK)UZIEME LEÇON. 2 Juin 1857. Messieurs , L'aspiration du sang veineux par la dilatation de la poitrine est une cause accessoire et non pas essentielle de son mouvement. Au moment où les parois pectorales s'écartent pour admettre dans l'arbre bronchique un nouveau fluide , la raréfaC' lion de l'air intérieur diminue la pression des tuyaux sanguins et aériféres : de là un résultat physique inévitable. Les veines - caves , dont les tuniques supportent à leur face interne un effort plus considérable qu'à leur face externe, se dila- tent : le sang afflue dans leur cavité pour se pré- parer à l'action du réservoir droit, dont le jeu est plus fréquent dans un temps donné que les mou- vements respiratoires dans le même temps. Plus rinsp'* ration est grande , plus l'appel du liquide est accéléré , plus par conséquent la colonne de sous-carbonate de soude baisse au-dessous de zéro. De même que l'air atmosphérique est attiré par ( 206 ) l'expansion pulmonaire à l'intérieur du thorax , de même le sang veineux se précipite vers la pom])e musculaire. Rien de plus simple que ces phénomènes, rien de plus naturel que leur expli- cation. Si la raréfaction de l'air intérieur par l'effet de l'inspiration était indispensable au mouvement du sang veineux , le cours de ce liquide serait arrêté dés l'instant que la pression exercée sur le poumon resterait constamment supérieure à celle de l'at- mosphère. Or , le contraire est prouvé par l'expé- rience suivante , consignée dans le mémoire de M. Poiseaille. Ouvrez largement les deux côtés du thorax d'un chien, et pratiquez à l'aide d'un soufflet la respi- i^ation artificielle. L'air poussé dans le poumon di- late les cellules et par suite tout l'organe. Il est évident que la pression de l'air contenu dans la poitrine l'emporte sur celle de l'air ambiant. Quand vous cessez de souffler , le tissu pulmo- naire revient sur lui même par son élasticité; Tair qu'il contient a encore une pression supérieure à la pression exercée par l'atmosphère sur la géné- ralité du système veineux. Dans cette expérience, il n'y a plus d'aspiration du sang : l'échelle de l'instrument appliqué à la jugulaire indique une élévation constante de la colonne au-dessus de zéro, et cepeudant la circulation continue très bien à se faire. Plus on s'éloigne delà poitrine, plus l'influence des mouvements respiratoires sur le cours du sang veineux diminue. C'est ce dont il est facile de s'as- C 207 ) surer en plaçant rhémodynamoniétre sur diverses veines , l'axillaire , la brachiale , la saphéne , etc. Suivant qu'on est à une plus grande distance du thorax, les oscillations de la colonne deviennent de moins en moins sensibles. Enfui arrive un point où le SOUS' carbonate de soude reste immobile, quelque effort que fasse ranimai. On peut sur la même veine obîenir des différen- ces de pression très remarquables , en appliquant le tube loin ou prés du thorax. Agissez-vous sur la jugulaire à une distance de 1 5 cenlimétres de la poitrine, la colonne reste stationnaire au lieu d'os- ciller au-dessus et au-dessous de zéro. A pei.ieles grands effets respiratoires sont appréciables à Vé- chelle graduée. Remplacez maintenant Tajutage par un autre plus long , vous n'êtes plus qu'à une distance de sept ou huit centimétî-es de la poitrine. L'influence de la respiration devient déjà beaucoup plus manifeste. Enfin pénétrez à l'intérieur du thorax , dans le voisinage ou même jusque dans la cavité de la veine-cive supérieure, vous obtenez ces grandes oscillations que nous avons eu rocca- sion d'observer dans une de nos précédentes ex- périences. J'avais donc raison de dire qu'à une certaine distance au thorax , le jeu de la pompe aérienne est tout-à-fait étranger à la progression du sang veineux. Si les veines, au lieu de parois flexibles, avaient des parois inflexibles, l'aspiration du thorax ne serait pas limitée aux troncs voisins de la poi- trine : elle retentif ait jusqu'à leurs radicules, eus- sent - elles dix mètres de longueur. Les condi- ( 208 ) lions physiques des tuniques vasculaires ont pour résultat de permettre des alternatives de dilata- tion et de resserrement , qui tantôt accroissent ^ tantôt effacent leur diamètre. C'est là qu'il faut chercher la cause de cette diminution graduelle. M et même de cette cessation de l'aspiration du I sang veineux par les mouvements respiratoires. Je m'explique. Si on met à découvert la jugulaire d'un chien, dans une certaine étendue, on voit à quelques centimètres de la poitrine , le calibre de cette veine s'effacer ; ses parois pressées par l'at- mosphère s'appliquent l'une contre l'autre pen- dant l'inspiration. Ce contact empêche le sang qui revient de la tête d'entrer dans le thorax. M. Poi- seuille a très bien donné la théorie de ce phéno- mène , en empruntant pour l'interpréter ce qu'on observe sur un tuyau à parois mobiles, plein d'eau, auquel est adaptée une seringue. Il en est du pis- ton que l'on soulève comme de la poitrine qui se dilate ; le vide tend à se former. Supposez que le tuyau ne soit pas susceptible de locomotion dans le sens de sa longueur , une petite quantité de li- quide entre dans la seringue ; mais bientôt le pis- ton ne peut plus se mouvoir. Que s'est -il donc passé ? La même chose que sur la jugulaire de l'animal vivant. Les parois du tuyau appliquées Tune contre l'autre parla pression de l'atmosphère forment soupape ; de sorte que cette pression , cause première de l'entrée du liquide dans la se- ringue, devient à son tour un obstacle à une nou- velle entrée de liquide. Et ne croyez pas qu'en augmentant la ïoYce aspiratrice vous puissiez sur- ( 209 ) monter la résistance opposée par les parois. Bien plus , leur contact sera d'autant plus parfait que vous soulèverez le piston avec une plus grande énergie. L'atmosphère pèsera sur le tuyau en rai- son directe de la diminution de la pression inté- rieure. Il y aura obstacle insurmontable à une nouvelle ascension de liquide. En modifiant le degré de résistance des parois ^ on modifie également les phénomènes. Substituez un tuyau métallique à un tuyau flexible , l'aspi- ration du piston s'exercera à une bien plus grande distance. Le liquide montera dans la seringue sans être arrêté par l'alYaissement des parois , puisque celles-ci , assez fortes pour supporter la pression de l'atmosphère y conserveront intact le diamètre du tuyau. 11 en serait de même des veines si, au lieu d'être formées par des membranes flexibles contournées en cylindres creux, elles offraient une rigidité capable de résister à la pression atmosphérique. Jamais la trachée-artère ne s'affaisse de manière à former soupape ; les cerceaux cartilagineux qui consti- tuent sa charpente permettent à l'air d'entrer et de sortir avec une parfaite liberté. Pourquoi donc le sang veineux ne se meut-il pas aussi facilement dans ses vaisseaux ? N'avons-nous pas vu que la poitrine , en se dilatant, aspire également et ce li- quide , et le fluide atmosphérique ? La différence existe seulement dans les conditions physiques des canaux sanguins et aériens. Cela est si vrai que quand, par une circonstance quelconque, les vei nés se trouvent avoir la résistance de la trachée- T. III. Magendie. 14 Y , 210 ) artère , l'air s'y précipite dans l'inspiratioii et ar^ rive jusqu'à la pompe cjroite. La science ne pos^ sôde que trop d'exemples desi troubles mortels qui ont suivi cette inU^oduclion accidentelle de Vair. J'(ti publié à ce sujet un mémoire ; j'ai même fait devani vous plusieurs expériences, où je vous ai exposé la manière de prévenir et de ccmbaltre ces foroiidables accidents. Ici encore la théorie phy- siologique n'est que l'application des lois les plus aimples de la physique. Toutes les fois qu'un chirurgien pratique une opération près du thorax , il doit avoir soin de se munir des instiumeots propres à retirer l'air qui pourrait pénétrer accidentellement dans les troncs veineux: et par suite dans les cavités droites du cœur. L-n sifflement particulier, des battements tumultueux dans la poitrine^ une syncope sponta- née,^ tels sont en général les principaux caractères qui signalent cette introduction. Ce n'est pas l'ac- tion délélére de l'air sur les tissus vivants qui cause ici la mort, c'est l'arrêt delà circulation, le ventricule ne se contractant plus que sur une masse spumeuse , incapable de circuler dans les tuyaux sanguins. Le seul moyen de sauver les jours du malade, c'est d'aspirer l'écume accu- mulée dans la pompe droite , avant qu'elle soit passée en trop grande quantité vers les poumons ^t vers la pompe opposée. J'ai dit en trop grande quantité : en effet, il n'est pas vrai qu'une bulle d'air circulant dans le sang cause spontanément la mort. Je sais que cette assertion pourra contrarier jun peu la sensibilité organique des capillaires ( 21 \ ) dont oii a raconté tant de merveilles ; mais le fait peut être facilement vérifié par le premier d*entr€ vous. Ouvrez la jugulaire d'un chien , injectez - y de l'air en ayant la précaution de le pousser avec une extrême lenteur; l'animal reçoit dans les veines, non pas une bulle , mais toute une seringuée de ce fluide , et il continue à vivre. Poussez rapidenient le piston, la mort est instantanée. A quoi tient la différence de ces ré- sultats ? à la manière dont vous faites pénétrer le gaz. Dans un cas , Fair n'arrive dans les cou- rants sanguins que graduellement , par bulles successives : sa présence dans les petits vaisseaux n'est point un obstacle à la circulation pulmonaire et générale. Quand vous poussez au contraire, tout d'un coup, un volume considérable d'air, le fluide, dilaté par la chaleur ^ distend tellement les parois ventriculaires , qu'elles ne peuvent plus revenir sur elles-mêmes. Le mouvement qui agite quel- quefois la totalité du cœur est dû aux contractions de la pompe aortique : les cavités droites y restent à peu prés étrangères. De là le précepte important de faire comprimer par les doigts d'un aide , ou de lier Forifice car- diaque de toute veine un peu grosse , qui est ou- verte dans le voisinage de la poitrine. Pour appli- quer une ligature , il est certaines précautions à prendre. Vous nlrez pas soulever le vaisseau en introduisant une des branches de la pince dans sa cavité, l'autre sur la face externe de ses parois : n'a- gissant que sur un des cotés du cylindre, Félastîcité de son tissu lui permettra de s'alonger , de sorte ( 212 ) que rinstrument n'embrasserait qu'une partie du diamètre, au lieu d'obturer entièrement la lumière. Vous seriez ainsi exposé en tirant le vaisseau hors de la plaie , à ce que l'air y pénétrât. D'ailleurs , comme son orifice serait incomplètement fermé , une hémorrhagie consécutive pourrait survenir. Il vaut mieux saisir avec les mors de la pince toute l'épaisseur de la veine , puis serrer la ligature. Cette modification du procédé met à l'abri des ac- cidents que nous venons de vous signaler. Au moyen de l'hémodynamomètre appliqué à la jugulaire , nous vous avons montré en quoi le jeu de la pompe respiratoire influait sur le cours du sang veineux : abaissement de la colonne liquide pendant l'inspiration; élévation pendant l'expira- tion : ces résultats sont constants. Vous savez aussi qu'à une certaine distance du thorax, il n'y a plus d'aspiration dans les veines par Teffet de la raré- faction de l'air renfermé dans le poumon. Je vous ai donné l'explication physiologique ou plutôt méca- nique des phénomènes : je ne veux point y revenir. La dilatation et le resserrement des parois pec- torales n'agissent pas seulement sur les organes contenus dans la poitrine : les viscères abdominaux ne sont pas moins directement influencés par les mouvements de la respiration. Comme c'est là une nouvelle source de pression pour les tuyaux vei- neux , nous nous y arrêterons quelques instants. Et d'abord quel est le mécanisme des cavités thoraciques et abdominales ? Pour s'en rendre un compte bien exact , il faut y envisager l'action des pièces osseuses et des puissances musculaires. (213) Au moment de l'inspiration, les côtes, leurs car- tilages , le sternum se portent en haut et en avant: le diaphragme se contracte , s'abaisse, entraînant avec lui le poumon et le péricarde, que des adhé- rences intimes unissent au centre phrénique, La poitrine se trouve ainsi agrandie suivant ses prin- cipaux diamètres. Mais remarquez que la dilata- tion verticale de cette cavité se fait entièrement aux dépens de l'abdomen. Attaché par sa circon- férence à l'extrémité inférieure du sternum , à la septième vraie-côte et à toutes les fausses , le dia- phragme en se contractant refoule en bas les vis- cères; il perd sa forme courbe pour devenir plane. Si l'on n'envisageait que les déplacements de ce muscle relativement aux deux cavités qu'il sépare et dont il forme dans la première le plancher, dans la seconde la voûte , on pourrait mesurer le rétrécissement de celle-ci par l'agrandissement de celle-là. Il est évident que l'une ne peut se dilater sans que l'autre se resserre. A l'inspiration succède l'expiration. Le méca- nisme de ce mouvement est l'inverse du précédent. Le thorax revient à sa position et à ses dimensions ordinaires par l'élasticité des cartilages et des li- gaments des côtes , par la détente des muscles inspirateurs , et par la contraction des muscles expirateurs. Refoulé en haut par les viscères de l'abdomen que compriment les parois antérieures et latérales de cette cavité, le diaphragme dont les libres sont relâchées , reprend sa forme voûtée. L'ascension du muscle est en outre favorisée par le retrait élastique du tissu pulmonaire, qui tend (214) sans cesse à revenir sur lui-même , et qui exerce ainsi une traction manifeste sur tous les points des parois ihoraciques. Ainsi l'agrandissement de l'abdomen est en rai- son directe du resserrement de la poitrine. Ces deux cavités sont emboîtées l'une dans l'autre, de telle sorte que depuis l'appendice xipboïde jus- qu'au dernier espace intercostal^ une série de cou*- pes pratiquées horizontalement passeraient à la fois par la poitrine et l'abdomen. Le diamètre véi^- tical de la première ne peut grandir qu'en dimi- nuant celui de la seconde et réciproquement. De ces considérations anatomiques découlent des conséquences physiques, sous le rapport de la cir- culation veineuse. Les troncs vasculaires qui tra- versent Tenceinte abdominale pour revenir à la pompe droite , sont bien encore influencés par la respiration , mais c'est par une compression di- recte de leurs parois , et non point par le défaut d'équilibre de la pression intérieure et de la pres- sion atmosphérique. Je développe ma pensée en d'autres termes. Quand la poitrine se dilate , les viscères abdominaux, refoulés par le diaphragme, pèsent sur les troncs veineux , rétrécissent leur diamètre, et par conséquent, chassent la colonne de liquide vers le point où elle trouve une issue. Le sang se dirige en partie vers le thorax, en par- lie vers les extrémités inférieures. Mais il rencon- tre à ce dernier endroit les valvules veineuses. Celles-ci soutiennent son effort. 11 faut alors qu'il revienne dans la poitrine dont l'arrivée dans cette cavité est favorisée par la dilatation du réservoir C 215 ) musculaire. Il y a donc d'abord deux courants sanguins en sens inverse qui bientôt se confon- dent en un seul. Survient l'expiration. Les vis- cères comprimés par la ceinture musculaire de Fabdomenj compriment à leur tour les tuyaux vas- culaires. Même déplacement des colonnes sangui- nes i même jeu des valvules, même impulsion des courants liquides vers le thorax. Dans ces deux temps de la respiratiori , le sang de la veiné - cavê et des veines abdominales est évidemment dirige vers la machine hydraulique centrale. Ces phénomènes ont é?é très exactement décrits par M. Poiseuilie qui a fait de nombreuses expé- riences pour montrer la théorie de leur méca- nisme. Nous allons en faire une devant vous : ses résultats , nous pouvons hardiment l'affirmer, se- ront la confirmation des propositions que Vous Ve^ nez de nous entendre émettre. L instrument est appliqué sur la veine crurale d'un fort chien, près de l'arcade fémorale : son ex- trémité est tournée du côté du cœur, rajutageest assez long pour se trouver dans Tabdomen , vers le niveau de la symphisesacro-vertébraleé De cette manière^ nous n'avons rien à craindre des valvu- les , car nous les avons franchies > et nous sommes certains que le moindre reflux de la coloririè san- guine retentira sur le sous -carbonate de soude : je commence. Le liquide qui était à zéro présente des oscilla- tions maintenant que le robiiiet est ouvert. Vous remarquerez que chaque oscillation correspond à un mouvement respiratoire. On obtient : ( 216 ) Dans les inspirations : + 45, + 38, +40, + 35 mill. Dans les expirations : +'T0, + 65, + 75, 4- 68 mill. C'est-à-dire que jamais la colonne ne descend au dessous de zéro. Ceci est important à noter, et si vous comparez les conditions où se trouve cha- que vaisseau , vous ne serez pas surpris que les phénomènes diffèrent suivant qu'on agit sur la jugulaire ou la crurale. Il n'est besoin que de vous rappeler les considérations générales dans les- quelles nous sommes entrés il n'y a qu'un ins- tant. Toute pression accidentelle fera monter leliquide. Je comprime avec ma main les parois abdominales. L'échelle marque ; + 290, + 300, + 350 mill. L'ascension du sous-carbonate de soude serait plus considérable encore si nous provoquions de la part de l'animal de violents efforts , soit en le faisant souffrir, soit en l'empècliant de respirer. Une preuve irrévocable que dans l'expiration l'élévation de la colonne dépend de la pression exercée sur les vaisseaux par les parois antérieures et latérales de l'abdomen , c'est qu'en incisant ces parois , il n'y a plus d'élévation sensible dans le tube. Quant à l'inspiration , il serait curieux de prouver directement que l'abaissement du dia- phragme est la cause de la pression plus grande (217) du sang veineux. L'expérience n'a jamais été faite. Cependant il serait possible , en coupant les deux nerfs phréniques , ainsi que je l'ai fait jadis pour éclairer la théorie du vomissement, de paralyser le jeu de ce muscle et d'anéantir son influence. Je ne doute pas que dans ce cas , l'élévation du li- quide correspondant à l'inspiration ne cessât im- médiatement. Revenons maintenant à nos expériences sur l'influence du chaud et du froid sur la circulation veineuse. Nous avons vu qu'en élevant la température d'un membre , nous augmentions la force avec la- quelle le sang se meut dans les veines. Cette ob- servation n'a pas échappé aux médecins de tous les âges et même aux personnes les plus étrangè- res à notre art. Que fait-on quand on se frotte les mains engourdies par le froid ? on dégage du ca- lorique , et par suite on active le passage du sang à travers le réseau capillaire. La coloration plus vive des tissus indique alors que le liquide se meut avec plus d'abondance et de facilité. Si de ces coutumes vulgaires et instinctives nous nous élevons â la pratique médicale proprement dite, une foule de principes thérapeutiques repo- sent encore sur ces données physiques. Vous vou- lez déterminer vers la peau une fluxion sanguine, vous prescrivez des douches, des bains de vapeur. Un membre est froid, parce que l'artère principale a été liée : vous l'entourez de sachets remplis de sable chaud. Je sais bien que ces moyens sont le plus souvent empiriquement employés. L'effet ( 2i8 ) obletiii > qu'importe ia cause ? C'est ainsi que Von raisonne , mais je veux aller plus loin. Il rëpuglie à ma raison , j'allais dire mon orgueil, de m'incli- ner ainsi devant des conséquences dont il ne tien- drait qu'à moi de pénétrer là mystérieuse origine. Autant que possible, je cheixhe à être, et la main qui exécute et rititelligence qui comprend. Dus- sé-je échouer, j'aurai du moins la satisfaction d'avoir interrogé là nature et de n'avoir basé mes croyances que sur ce que l'expérience m'aura ré- pondu. Jamais celle-ci n'est muette , soit qu'elle sanctionne, soit qu'elle infirme nos théories. Ici elle nous a donné rexplicatibn d'une foule de phé- nomènes que nous pouvons maintenant accélérer, ralentir, modifier de mille manières au gré de notre seule volonté* C'est surtout au milieu d'une calamité publique^ alors qu un fléau meurtrier s'éiait appesanti sur la capitale, que j'ai senti combien les lumières d'une saine physiologie pouvaient fournir au traite- ment de ressources précieuses. Che^ les cholériques dans l'état bleu, froid , la diiîjinution de ia circu- lation était un phénomène prédominant : aussi ebt-ceà l'exciter que j ai dû donner tous mes soins. A larrivée du malade, je le faisais coucher dans un lit bien bassiné; frictions stimulantes sur les membres , application de sachets bien chauds le long du corps, boissons chaudes, excitantes à l'in- térieur. Il fallait que la chaleur qu'on voulait pro- curer au cholérique lui vînt du dehors > car il semblait que chez lui la source en était tarie, lin même temps que nous cherchions à relever la tem- ( 219 ) pérature du sang par des moyens physiques de ré- chauffement > nos efforts se dirigeaient également vers la contraetilité de la fibre ventriculaire. Les liqueurs spiritueuses^ aromatiques , accroissent la force du cœur* Ce que nous Voyons dans nos expé- riences au moyen de rhémodynamométre, j'ai eu maintes fois l'occasion d'en juger les effets sur Thom- me par la réapparition de la chaleur animale , le rétablissement de la circulation, et dans les cas heu- reux , le retour à la vie. Il nous fallait de ces succès inespérés, de ces jouissances intérieures, pour faire diversion aux impressions douloureuses qui , du- rant une épidémie, assaillent le médecin au milieu de ses pénibles fonctions. Je n'ai plus besoin d'insister sur le ralentisse^ ment de la circulation par l'action du froid exté- rieur. Nous savons là dessus à quoi nous en tenir. Chaque jour nous mettons à profit ce qu'une ob* servation journalière nous a appris touchant cette influence. Les bains froids sont surtout conseillés dans les cas où il esl besoin de calmer une surexcitation générale, caractérisée par une activité exagérée de l'appareil circulatoire. Le front est-il brûlant, les temporales batient-elles avec force, on applique sur ce point de la glace ou des compresses imbi^ bées d'un liquide réfrigérant. Trop de sang afïïue au cerveau , vous recourez aux affusions froides. L'action du froid, maniée avec art, dans les cir^ constances opportunes, est donc un moyen de traitement énergique. C'est toujours de la même manière qu'agissent ( 220 ) les irrigations d'eau froide sur les membres fractu- rés. L'abaissement long-temps prolongé de la tem- pérature diminue la pression vasculaire, empêche le sang de se porter en quantité aussi considérable vers le siège de la lésion ; en un mot , il prévient les phénomènes dits inflammatoires. Lorsque par une chaleur brûlante , vous voulez prendre un bain de rivière , d'où vient ce saisisse- ment , cette constriction vers le thorax , augmen- tant à mesure que votre corps plonge dans l'eau ? C'est là encore un phénomène tout physique. Moins de sang traverse les capillaires ; conséquemment il s'accumule en plus grande quantité dans les troncs. Ceux-ci se distendent, pressent les parties voisines. De là cette gêne dont l'individu a la con- science , et qui ne se dissipe que quand l'équili- bre de la température s'est rétabli dans l'univer- salité des colonnes sanguines, xlussi remarquez que l'immersion subite de tout le corps dans l'eau rend ces effets bien moins sensibles. Choisissons un exemple encore plus de circon- stance : vous voulez vous rafraîchir, et pour cela vous prenez une glace ou un verre d'eau fraîche; que se passe-t-il , physioiogiquement parlant V Nous n'avons pas encore étudié avec l'instrument les effets de l'introduction dans les veines d'un li- quide froid , mais je ne crois pas trop me hasar- der en disant que la pression supportée par les vaisseaux doitdiminuer. Ce bien-être qu'on éprouve après a^oir bu une liqueur glacée ne peut dépen- dre que du ralentissement de la circulation. Mais comme toute boisson ingérée dans l'estomac y se- ( 221 ) journe quelques instants avant de s'imbiber dans les parois veineuses , sa température n'est plus la même à l'instant où elle est emportée par les cou- rants sanguins. Afin donc de mieux juger des ef- fets d'un refroidissement du sang lui-même, nous allons injecter le liquide directement dans les vei- nes. Les résultats seront plus sensibles et plus con- cluants. L'instrument est appliqué à la carotide droite d'un chien de moyenne taille. La jugulaire est mise à découvert. Un tube fixé dans la cavité de la veine recouvre le canon de la seringue à injection. L'eau dont nous allons nous servir marque trois degrés au-dessus de zéro. C'est, comme vous le voyez, une température assez basse ; je crains même que son introduction dans les vaisseaux de l'animal ne dé- termine une impression trop vive , et par suite des troubles fonctionnels graves. La seringue peut con- tenir cent centimètres cubes de liquide. Le mercure oscille entre 70 — 75, 65—70 mill. Voyons si la pression sera diminuée et aug- mentée dans l'artère. Je présume qu'elle sera di- minuée. L'expérience du reste n'a jamais été faite. Première injection : 70-85 , 68-75 mill. Deuxième injection : 60-80 , 75-85 mill. ( 222 ) Troisième inje<îtioii : 65^80, T0-85mill. Quatrième injection : 65-85 , 70-80 mill. Il paraîtrait , Messieurs , qu'au lieu de dimi- nuer , la pression est légèrement augmentée. Je m'attendais à un tout autre résultat. Continuons. Cinquième injection : 60-85 , 65-85 mill. Sixième injection : TO-'SO, 65-115 mi». Cette dernière ascensian de la colonne dépend d'un violent effort que vient de fiûre ranimai. Il est évident que la pression n'est pas plus faible par l'effet de Teau froide; elle a même monté de quel- ques millimètres. Je serais curieux d'examiner la température du sang. Nous allons ôter le tube , laisser écouler un peu de sang de la veine et le recueillir dans un vase. En voici une petite quantité d'extraite : j'y plonge le thermomètre. Nous avons 31 centigra- des : c'est un refroidissement de 7 à 8 degrés. Septième injection : 71.-85, 70^85 milL ( 223 ) Huitième injection ; Neuvième injection : 65-85, 70-80 mill. Dixième injection : 60-75, 65^85 miil. Le niveau du mercure se maintient au même point , sans variations notables. Je suis d'autant plus surpris de ne pas voir îa colonne baisser que la théorie m'aurait fait admettre pour ce cas deux causes de diminution de la pression vascu--^ laire; en premier lieii , la température du liquide; en second lieu, son action débilitante. Vous aper- cevez com.bien Tanimal est gonflé par Taccumula- tion de ces injections successives. Les parois arté- rielles sont tendues , rénitentes ; il y a une sorte de pléthore aqueuse. Poursuivons cette expérience; elle m'intéresse bien vivement. (^Le professeur injecte dans la veine de nou- velles quantités de liquides. Le mercure oscille toujours entre 65 et 85 milL ) Nous venons de pousser la dix-huitième injec- tion , et la pression n'est pas sensiblement modi- fiée. Restons-en là pour aujourd'hui. Près de deux litres d'eau froide sont passés dans la circulation; c'est plus que suflisant pour les effets que nous voulions produire , mais qui , nous nous empres- ( 224 ) sons de l'avouer, ont été tout-à-fait l'opposé de ce que nous attendions. C'est donc un nouveau dé- menti que nous donne l'hémodynamométre : ac- ceptons-le sans murmure . Il serait à désirer que chaque professeur de cli- nique ou de physiologie eût ainsi, à ses côtés, un instrument pour mesurer la valeur de ses prévi- sions et de ses conjectures. Tous les petits échappa- toires auxquels on a l'habitude d'avoir recours, se- raient désormais superflus. Mais que deviendraient alors l'aplomb et l'assurance nécessaires à ce genre d'enseignement? Que deviendraient le tactile coup- d'œil médical, les apejy us ingénieuxl etc. Nous ne possédons pas malheureusement un tel instrument; mais l'eussions - nous , son emploi mettrait sans doute quelque temps à se répandre; bien des gens n'aimeraient pas à sentir toujours prés d'eux un aussi indiscret contradicteur. ( 2-25 } TREIZIÈME LEÇON- 7 juin lHôl. Messieurs, Nous vous en avons dit assez sur les cau- ses principales ou accessoires qui concourent au mouvement du sang artériel et veineux. Tou- jours en action , le cœur imprime aux colonnes liquides une impulsion subite : le jeu de ses cavi- tés alterne avec le jeu des parois vasculaires. Pour bien comprendre ce point d hydrodyna- mique , il faut se faire une idée nette de la ma- nière dont ces divers temps s'enchaînent et se correspondent. A Tinstant où le Vc^ntricule se res- serre , les artères se dilatent ; à l'instant où le ventricule se dilate , les artères se resserrent. Rien de plus facile à vérifier par l'expérience , rien de plus simple à expliquer par le raisonne- ment. Nous pouvons reproduire les mêmes phéno^ mènes sur le système veineux; seulement ils y sont T.iii. Magendie. 15 ( 226 ) habituellement moins tranchés, par suite du nom- bre, de la capacité , de la texture de ces vaisseaux, et surtout par les obstacles que les capillaires ap- portent au passage du liquide. Il n'est pas impos- sible toutefois de mesurer exactement la pression artérielle par la pression veineuse,- il suffit de mo- difier les dispositions physiques. Souvent même , en laissant les tuyaux sanguins dans les conditions normales , on voit une cause spontanée de pres- sion retentir simultanément et sur les premiers , et sur les derniers anneaux du cercle circulatoire. Rappelez-vous cette expérience où nous avons étu- dié les elFets d'un courant électrique, l'instrument étant appliqué à la veine : seule elle suffirait pour renverser tout ce qu'on a imaginé sur la con- traction des capillaires. Parmi les causes accessoires du mouvement du sang, nous avons dû surtout insister sur l'influence de la pression atmosphérique. Il en est du sang comme de l'air extérieur. Ces fluides aspirés piir le thorax au moment de l'inspiration, sont re- poussés à l'instant où les parois pectorales se re3- serrent^ avec cette ditTérence toutefois , que l'air est rejeté au dehors , tandis que le sang est sim- plement refoulé vers les veines de la circonférejice. Quant à la marche même du liquide animal par les alternatives de dilatation et de contraction de la pompe respiratoire, elle doit être envisagée dans l'un et l'autre système. Pendant l'expiration , les parois des veines et des artères , comprimées par Tair intérieur , réa- gissent sur le sang qu'elles charrient. Coqime le ( 227 ) cours du liquide ne suit pas dans ces tuyaux la même direction , il en résulte des effets directe- ment opposés : impulsion progressive du sang ar- tériel , impulsion rétrograde du sang veineux. Les colonnes qui partent de la pompe gauche se meu- vent plus rapidement , celles qui arrivent à la pompe droite éprouvent plus d'obstacles. C'est ce qu'on savait aproximativement depuis long- temps; c'est ce qu'on peut aujourd'hui représenter par des chiffres , au moyen de l'hémodynamométre. Pendant l'inspiration , les phénomènes sont in- verses des précédents. Le sang veineux afflue li- brement vers son réservoir et s'y dégorge , attiré qu'il est par l'expansion de poumon. Le sang arté- riel , ralenti dans sa marche par la même cause , n'obéit plus autant à l'impulsion que lui a commu- niquée la contraction ventriculaire. Cet effet est même tellement marqué, qu il pourrait faire pren- dre le change au médecin et faire croire à une lésion organique du cœur. Explorez le pouls d'un ma- lade à l'instant où il fait de grandes inspirations : les pulsations artérielles seront irréguliéres , in- termittentes, parfois même elles manqueront com- plètement. En concluerez-vous qu'il y a altération des orifices , lésion des valvules? Non; car aus- cultez les bruits cardiaques, leur rhythme est nor- mal. A quoi donc tiennent ces inégalités du pouls? à la manière dont la pompe aérienne modifie la marche du sang artériel. La raréfaction de l'air renfermé dans le poumon, rompt l'équilibre de la pression atmosphérique ; le sang se porte là oii elle diminue , et par suite la force imprimée aux ( 228 ) colonnes liquides devient à peu prés nulle. Ceci est si vrai que quand on fait respirer le malade doucement, le pouls reprend sa régularité. Depuis un temps immémorial, les médecins ont imité ces effets d'expiration et d'inspiration de la poitrine pour modifier les phénomènes circulatoi- res. Comment agissent les ventouses ? comme des pompes aspirantes , en tout semblables à notre pompe aérienne. Vous raréfiez Tair contenu sous la cloche en verre ^ soit en faisant jouer un piston, soit en brûlant des étoupes, et la peau rougit, se tend, devient brûlante. 11 est évident que le sang afflue en plus grande quantité vers ce point. Sans doute que les anciens n'auraient pu donner la théorie de cette sorte d'appel du liquide animal , puisqu'ils ignoraient les lois physiques qui y président, mais aujourd'hui un médecin serait inexcusable d'hésiter en face d'une semblable ex- plication. La pression devient moindre dans le rayon circonscrit par la cloche que dans le reste de l'habitude du corps , par conséquent, en vertu de la loi d'égalité de pression, plus de sang y afflue. C'est littéralement le phénomène de l'inspiration thoracique , seulement les parois pectorales sont représentées par le piston de la ventouse, les cel- lules pulmonaires par une surface limitée des té- guments. :,' Remarquez bien, Messieurs, combien d'agents physiques peuvent influer sur les mouvements de nos liquides, combien seraient confondus avec des agents vitaux par des observateurs inattentifs ou superficiels. Dans les prochaines leçons, nous ( 229 ) aborderons la circulation capillaire. Cette étude serait pour nous une inexplicable énigme si nous méconnaissons les lois d'équilibre des liquides. Ainsi, par exemple^ la rubéfaction, la chaleur, le gonflement de la peau par l'effet de la ven touse, ne pourraient-ils pas être attribués à l'irritation ? Une certaine écolequi a la prétention de s'appeler physio- logique (car personne ne se fût imaginé de biidonner cetteépithète),nereculerait certainement pas devant une pareille explication. L'inévitable ubi stimulus , ïhi fluxus serait de nouveau invoqué. Le gonfle- ment deviendrait phlogose, la chaleur inflamma- tion, la rubéfaction arborisation vasculaire. Les mots changés , on aurait bientôt fait justice des choses , et la grande famille des phlegmasies s'en- richirait d'une nouvelle conquête. Ce n'est pas ainsi que nous comprenons la science; elle n'a pas besoin, pour mériter nos hom- mages, de ce fastueux attirail que le caprice élève et que le caprice renverse. Je sais bien qu'il est aisé d'entraîner la multitude par de trompeuses amorces; mais éblouie un instant , elle brise l'idole qu'elle encensait aussitôt qu elle en a reconnu le néant. Plus avare de ses suffragjes, le savant reste fidèle à ses croyances. Pour lui, la vérité est tout, peu importent les formes extérieures qu'elle se plaît à revêtir. Oui , sans doute , un phénomène vital se prête mieux qu'un phénomène physique auxécarts d'une imagination ardente. Il est difficile de faire du sen- timent , de l'enthousiasme , avec les mots d'équi- libre , pression , élasticité ; mais c'est pour cette ( 230 ) raison même que je tiens à les employer; c'est pour cette raison qu'en vous parlant de Tinfluence de la respiration sur la marche du sang , je n'ai en- visagé l'air que comme fluide élastique et les vais- seaux que comme canaux membraneux. Nous nous sommes renfermés dans des limites étroi- tes peut-être, mais ce sont celles du vrai. De même en vous expliquant le mode d'action d'une ventouse , je n'y ai vu qu'une simple diminution de la pression atmosphérique : la peau se gonfle sous la cloche comme Teau monte dans le corps d'une pompe, comme Tair et le sang affluent dans la poitrine au moment de l'expansion pulmonaire. Vous faut-il encore des preuves ? ouvrez le robi- net et laissez rentrer Fair. Les téguments s'affais- sent, la rougeur disparaît, tout rentre dans l'or- dre. Souvent dans le sillon où reposait le cercle de la cloche, persiste nn peu d'ecchymose; c'est qu'un peu de sang s'est extravasé dans le tissu cellulaire, soit par imbibiîion, soit par la rupture de quelques capillaires. Pour repasser dans la cir- culation, il faut qu'il soit résorbé, mais c'est là un simple accident, une simple complication. Une fois les effets de la pression atmosphérique bien connus , on a dû chercher le moyen d'em- ployer la ventouse sur une plus vaste échelle et de graduer son action à l'intensité des accidents qu'il fallait combattre : c'est ce qu'a fait M. Junot. Il a imaginé un appareil composé de grandes clo- ches en verre dans lesquelles on peut introduire tout un membre et dont Forifice supérieur se moule sur les téguments, de manière à intercepter ( 231 ) toute communication entre l'air intérieur et celui du dehors. A chaque cloche est adapté un tube, et à ce tube un corps de pompe qui permet de faire le vide. Nous désignons à Thôpital cet instrument sous le nom de ventouses monstres. Vous com- prenez déjà comment on s'en sert : on place dans la cloche le membre vers lequel on veut accumuler le sang, puis on fait jouer le piston afin de raréfier l'air intérieur. Qu'arrive-t-il ? la pression diminue en ce point et les liquides s'y portent en plus grande quantité. C'est le phénomène de l'inspira- tion de l'air, seulement au lieu d'être exercée à la surface du poumon, elle se fait à la superficie d'un membre. Les résultats obtenus par l'emploi de ces cloches pneumatiques sont très remarquables. J'ai vu leur application faire spontanément cesser des céphalal- gies cruelles qui depuis long-temps faisaient le tourment des malades. J'ai vu des individus, à tempérament éminemment sanguin , chez les- quels la face était habituellement vultueuse , la conjonctive injectée, le front pesant, en éprouver un bien-être immédiat. Il est à regretter que l'in- venteur de ces ventouses monstres n'ait point tiré de sa découverte tout le parti dont elle était sus- ceptible. Je crois qu'il serait à désirer que leur usage fût plus généralement répandu : car ce n'est pas en soustrayant des quantités données de sang, mais bien seulement en les déplaçant qu'on par- vient à diminuer la circulation dans telle partie pour l'activer dans telle autre. Saigner n'est pas une pratique aussi héroïque ni aussi innocente que ( 232 ) se le figure Timmense majorité des médecins. Quand on peut obtenir les mêmes effets sans affai- blir Téconomie par des émissions sanguines , c'est très préférable. C'est en cela que je reconnais aux ventouses de M. Junot un immense avantage, car si elles modifient puissamment la distribution du liquide animal , elles n'altèrent en rien son vo- lume, et encore moins sa composition. Dans l'apoplexie , dans la congestion cérébrale, il est important d'amoindrir l'activité de la circu- lation. Je sais bien qu'en saignant largement le malade, vous diminuez la masse du sang, mais vous vous attaquez en même temps à tout l'or- ganisme : la prostration des forces actuelles entraî- nera celle des forces futures. L'individu n'aura plus assez d'énergie pour réagir contre l'affection morbide qui a frappé l'encéphale , et contre les causes d'épuisement qu'un traitement débilitant a développées en lui. Il meurt, parce que ses grands appareils ne reçoivent plus les matériaux indis- pensables à l'entretien de la vie. Aussi , combien il importerait de tenir en réserve une partie du sang pour la restituer à temps opportun î Ce but est à peu prés atteint par ces ventouses monstres. Leur action est tout aussi puissante que celle des saignées copieuses , et elle offre l'immense res- source d'être temporaire et non définitive. Sil est avantageux dans certaines circonstances de diminuer sur divers points du corps la pression atmosphérique, souvent il ne l'est pas moins de l'augmenter. Supposez qu'à la suite d'abondantes hémorrhagieS; le malade tombe en syncope ^ com- ( 233 ) ment renverrez-vous au cerveau le sang dont il a besoin pour pouvoir fonctionner? On possède de nombreux moyens pour stimuler Faction céré- brale, aucun pour rendre plus active la circulation de cet organe. En faisant respirer des vapeurs spiritueuses, aromatiques, vous combattez l'effet et non la cause. Ce n'est pas parce que les fonctions de l'encéphale sont suspendues que le sang n'y affîue plus , c'est parce que le sang n'y afflue plus, que les fonctions de l'encéphale sont suspendues. Rappelez-vous la manière dont agit la pression de l'atmosphère dans la respiration. Diminue-t-elle_, afflux des liquides vers le thorax ; augmenîe-t-elle , reflux vers la périphérie. Nous avons vu la raré- faction de l'air sous la cloche de la ventouse y pro- voquer un centre de fluxion, l'accumulation de ce fluide élastique produirait nécessairement des effets inverses. Ne serait-il pas possible d'adapter à l'ap- pareil de M. Junot une pompe foulante, afin de repousser le sang des membres vers les organes qui en ont plus besoin ? L'auteur l'a essayé. Mal- heureusement, il est impossible de rendre la pres- sion un peu forte, car les tissus comprimés s'af- faissent, etroriffce circulaire de la cloche ne pou- vant obéir à leur retrait, il en résulte un écarte- ment par lequel l'air s'échappe. C'est seulement par le défaut d'équilibre de la pression que le sang abandonne tel point pour se porter vers tel autre. Les colonnes sanguines ne sont également réparties dans les tissus vivants qu'à la condition qu'elles se contrebalancent : l'é- quilibre cesse-t-il d'exister, elles affluent dans les ( 234 ) tuyaux où la pression est moindre et quittent ceux où elle est plus considérable. En agissant sur le corps tout entier, on n'ob- tient pas les mêmes résultats. Ainsi, M. Poiseuille a renfermé dans la caisse de son paj^te-objet-piieuma- tique des animaux vivants , et il a pu les soumet- tre à une pression de sept à huit atmosphères, sans que leur circulation fût en quoi que ce soit modi- fiée. Dans ce cas, tous les vaisseaux superficiels ou profonds, extérieurs ou intérieurs, étant simul- tanément comprimés par cet én-orme poids , il n'a pas dû y avoir d'effet sensible sur la marche du liquide. Nous retrouvons toujours l'application de la loi d'égalité de pression. M. Poiseuille a fait l'expérience inverse. Au moyen delà pompe aspirante, il é: retiré l'air ren- fermé dans la caisse , de manière que le vide fût à peu près parfait. Les animaux n'ont pas paru s'en apercevoir : leur circulation a continué à se faire comme auparavant. Ceci est fort curieux à con- naître , car il n'y a pas long-temps qu'on croyait encore que si un homme se trouvait par hasard dans une atmosphère très raréfiée, sa peau se dila- terait, se gonflerait et finirait par éclater. Ces idées sont même assez généralement répandues dans le monde : dernièrement un ministre disait à la tribune de la chambre des députés , qu'il en est de la presse comme du corps humain, l'un et l'au- tre ont besoin d'être comprimés^ le corps par l'at- mosphère, la presse par des lois restrictives. Sans cette compression tutélaire, le corps et la presse fe- raient explosion. Je ne sais, Messieurs, ce qui arri- ( 235 ) verait à la presse si elle cessait d'être comprîméej mais à coup sûr le corps n'éclaterait pas s'il était soustrait à rénorme pression qu'il supporte. Tant que la diminution ou l'augmentation de la pression atmosphérique s'exercent sur l'économie tout en- tière, les phénomènes physiques de la circulation sanguine restent les mêmes. Les jphénoménes vi- taux peuvent bien être influencés , mais ce n'est point ici le lieu de nous en occuper. Les petites dimensions du porte-objet-pneuma- tique ne permettent de faire l'expérience que sur de très petits animaux. Aussi M. Junot a-t-il in- venté un appareil qui fût applicable à l'homme lui-même. C'est une espèce de grande cloche , de guérite , assez spacieuse pour contenir un homme tout entier : au moyen de pompes et de soupapes on raréfie ou on condense l'air qui y est contenu. Or, voici d'après l'auteur, les résultats que l'on obtient. La soustraction d'une partie de la pres- sion atmosphérique n'apporte pas de modifications bien notables dans la circulation , seulement les sens sont légèrement affectés , les oreilles enten- dent certains bruits , les yeux ne reçoivent plus une image aussi parfaite des objets. Quanta Faug- mentation de cette même pression , ce que M. Ju- not racorite est fort curieux. Il dit qu'il est impos- sible d'être plus heureux que quand on est ainsi plongé au milieu d'une atmosphère chargée d'une plus grande quantité de fluide. Le bien-être est extrême ; les idées se présentent à l'esprit et plus nombreuses et plus riches. Il ajoute même (ce qui dépend sans doute d'une prédisposition idiosyn- ( 236 ) crasique ) qu'à un certain degré de pression on sent en soi l'art de versifier : de sorte , Messieurs, que le mot spiritus des anciens cesserait d'avoir ici un sens métaphorique. Nous pourrons répéter cette expérience sur ceux d'entre vous qui désireraient savourer les jouis- sances promises par M. Junot. Si ces effets se main- tiennent , qui sait l'avenir réservé à un pareil in- strument ? Mais revenons à nos questions d'hy- draulique. Je voulais vérifier dans la dernière séance Tin- fluence que la théorie me faisait attribuer au re- froidissement direct du sang sur les mouvements de ce liquide. Généralisant les observations que nous venions de faire sur l'application de la glace à l'extérieur, j'avais injecté de l'eau froide dans les veines , afin de diminuer la pression. Celle-ci , à mon grand étonnement, a plutôt augmenté. Un pareil résultat était trop opposé à ma manière de voir pour que je m'en tinsse là sans chercher à recourir à de nouvelles démonstrations. Ce matin donc nous avons refait l'expérience dans le labo- ratoire : voici ce qu'elle nous a présenté. L'hémodynamométre à mercure a été placé dans fartère crurale d'un chien de moyenne taille. Un tube adapté à la veine jugulaire a servi à injecter de l'eau à -j- 4° centigr. La seringue contenait \ 00 grammes. Avant l'introduction du liquide ^ l'é- chelle marquait de 60 à 1 1 0 mill. de pression. Quand l'animal a paru calme , nous avons commencé. Cinq injections ont été successivement poussées sans que la colonne de mercure présentât dans ( 237 ) son niveau de notables variations : entre la sixième et la dixième , elle a monté de quelques millimè- tres. Un thermomètre placé dans la cavité abdomi- nale a indiqué une température de + 34 centigr. Il n'y avait donc pas un refroidissement bien sen- sible des tissus traversés par le sang. Déjà un litre d'eau froide était passé dans la cir- culation. Nous avons voulu essayer sur le même animal les effets d'une injection d'eau chaude , ex- périence que d'ailleurs nous avions déjà faite dans une des premières séances de ce semestre. On a pris exactement note des oscillations du mercure. En voici le résumé. La colonne qui est maintenant entre 60 et 115 mill. est tombée par l'effet de trois injections d'eau à + 45° centigr., à 55-70, 65-80, 50-55 mill. Vers la quatrième elle a remonté à 80-90, 85-95 mill. La cinquième, la sixième et la septième ont pro- voqué une ascension plus rapide encore. L'échelle marquait 100-120, 115-140, 125-145 mill. A la huitième , la colonne est tout-à-coup redes- cendue à 60-80 , 58-75 mill. Nous ne savions à quoi attribuer cette diminu- tion spontanée de la pression , lorsqu'on s'est ( 238 ) aperçu que ranimai venait d'urinér abondamment. Il vous suffit de vous rappeler l'influence exercée par les parois de Tabdomen et les viscères de cette cavité sur les mouvements du sang pour avoir l'ex- plication de ce phénomène de statique vitale. Le passage de l'état de plénitude à l'état de vacuité de la vessie vous en donne la raison mécanique. Énormément gonflé par ces injections succes- sives , le chien paraissait près d'expirer. Après la neuvième, la colonne n'était plus qu'à 30-45 m. Enfin elle est tombée à 25 mill. à la dixième , et est restée immobile à ce dernier point. La pompe musculaire ne se contractait plus. La poitrine ouverte , nous avons trouvé le cœur énormément dilaté par du liquide , ainsi que l'in- diquait la matité de la percussion avec le doigt. J'ai eu l'occasion de faire une remarque fort im- portante , c'est qu'en incisant la veine crurale , et en comprimant avec ma main les parois du ven- tricule gauche, je produisais dans la veine un jet parfaitement analogue à celui qu'on observe dans les artères pendant la vie. Il y avait saccade et continuité de l'écoulement sanguin. Telle était même l'analogie du phénomène , qu'en ne se gui- dant que sur le simple caractère du jet , sans tenir compte de la couleur du liquide , on aurait pu croire que l'animal n'avait pas cessé de vivre. La colonne qui s'était arrêtée à 25 mill. est re- tombée à 17, 16, 15, 11 mill. Il y avait donc après la mort une pression due ( 239 ) àraboiidance du liquide que renfermaient les vais- seaux. Cette expérience est d'accord avec celle que nous avons faite dans notre dernière séance; elle con- firme aussi les résultats où nous avaient conduits ïios premières observations sur l'introduction de l'eau chaude dans la circulation. Nous vous avions prédit que Télévation de température du liquide injecté augmenterait la pression; la pression a di- minué. Nous vous avions prédit que l'abaissement de température du liquide injecté diminuerait la pression : la pression a augmenté. Si nous nous étions trompé une première fois , nous nous som- ines trompé une seconde. Nous n'avons pas même eu compensation. Pour avoir des renseignements exacts sur l'in- fluence du froid et du chaud, relativement à la force avec laquelle le sang presse ses parois , il faut ne tenir compte que des premières injections. Ainsi quand nous avons vu la pression augmen- ter vers la fin de l'expérience , nous avons attri- bué cet effet non à la température du liquide, mais «\ son volume. Près de deux litres d'eau distillée étaient passés dans le torrent circulatoire. Nous terminerons ce qui a rapport au mouve- ment du sang dans les artères et les veines , en vous parlant de la marche du liquide en sens op- posé à son cours normal. Le même tuyau qui le charrie du centre à la circonférence peut , dans certaines circonstances, le ramener de la circonfé- rence au centre. Deux agents mécaniques parais- sent principalement concourir à ce reilux de la ( 240 ) colonne liquide : d'abord la rétraction élastique des parois vascuiaires, à l'instant où la pompe gau- che se dilate ; en second lieu , les anastomoses. Supposez une artère divisée en travers : l'extré- mité supérieure revient sur elle-même^ ainsi que celle qui correspond au cœur ; et par conséquent le sang fuit vers les points où la résistance est moindre. C'est donc vers l'orifice béant du vais- seau qu'il doit surtout se diriger. Mais les tuni- ques artérielles une fois rétractées , l'écoulement du liquide sera-t-il suspendu ? non. Les branches anastomotiques qui s'ouvrent dans la cavité des tuyaux vivants y entretiennent sans cesse un nou- veau courant. C'est surtout quand plusieurs troncs s'abouchent , ainsi qu'on l'observe à la base du crâne , que le sang arrive librement , contre sa marche naturelle , vers l'endroit où siège la solu- tion de continuité. Les chirurgiens qui ont recommandé de lier les deux bouts d'une artère blessée , ont donné un précepte fort sage : quant à l'explication physiolo- gique du phénomène, ils se sont prudemment abs- tenus d'y faire allusion , et cela pour de bonnes raisons. Nous n'imiterons pas leur réserve. Je me propose de mesurer avec l'instrument de M. Poi- seuille la force avec laquelle le sang tend à obéir à ce mouvement rétrograde. Cette expérience n'a encore été faite ni par moi ni par personne. Ce- pendant il serait très important d'avoir à ce sujet des données positives; car en chirurgie comme en tout, il faut autant que possible, connaître les motifs qui font agir. Un précepte n'inspire pas une ( -M ) complète conliance , quand il n'est basé que sur l'empirisme ou l'arbitraire. Nous allons appliquer l'instrument sur la caro- tide primitive. Et) raison des communications anas- tomotiques qui unissent cette arlére avec la caro- tide opnosëe et les deux vertébrales , il est pro- bable que nous retrouverons dans le bout supérieur du vaisseau une pression à peu prés semblable à celle du bout inférieur. L'impulsion du cœur doit perdre peu de sa force, en se distribuant dans les nombreux rameaux qui concourent à former le cercle vasculaire du cr âne. Les obstacles , les cau- ses de ralentissement ne sont pas les mêmes que quand le sang est obligé de traverser le réseau ca- pillaire. Aussi, je le répète, je ne pense pa qu'en appliquant deux tubes, l'un sur Textrémité cardia- que , l'autre sur l'extrémité opposée de Tartère carofide, on trouve des différences considérables dans le niveau du mercure. Toutefois n'jiffîrmons rien avant que l'expérience n'ait prononcé. Je vais la faire. On vient de mettre à découvert Fartére carotide gancheetd introduire rajutagedel'instrumentdans lextrémité céplialique de ce vaisseau. Nous n'al- lons mesurer ici que la force avec laquelle le sang tend à marcher en sens inverse de son cours na- turel. Les anastomoses avec la carotide droite et les deux vertébrales sont les principales voies de communication pour le liquide. J ouvre le robinet. Le mercure oscille entre 60-f 70, 60 + 65 mill. T. 111. Magendie. 16 ( "^^'^ ) C'est à peu près la pression que l'on trouverait dans le bout inférieur, c'est-à-dire dans la direc- tion même du courant sanguin. Vous sentez de quelle importance il est pour suspendre Thémor- rhagie d'une semblable artère d'appliquer deux ligatures, car le liquide jaillirait avec la même impulsion de l'un et l'autre orifice. Maintenant que je comprime la cavotide oppo- sée. Nous trouvons : 50+55, 53 + 58mill. Il y a eu diminution légère de la pression. Ceci vous montre que les anastomoses, à l'extérieur du crâne , ne sont pas les sources principales du re- tour du liquide, puisqu'en suspendant la circula- tion dans le vaisseau qui les alimente , la colonne de mercur reste à peu près à la même hauteur. Je cesse de comprimer la carotide droite. L'é- chelle marque 70 + 73, 65 + 68 mill. L'ascension du mercure , vous venez de le voir,, a été subite. Telle est la facilité des communica- tions vasculaires entre les artères qui concourent à la circulation cérébrale , que la ligature de l'un de ces vaisseaux n'empêche pas le sang d'affluer et de se mouvoir dans sa cavité. Nous savons en- core que les deux vertébrales peuvent à elles seules fournir à l'encéphale le liquide nécessaire pour Tentretien des phéQoménes hydrodynamiques. Cependant reste toujours ce fait singulier d'apo- ( 243 ) plexie consécutive à Ja ligature d'une des caroti- des. Je n'en ai pas encore trouvé l'explication, ou du moins elle ne me semble pas complètement satisfaisante. Si les artères vertébrales étaient aussi facilement accessibles à nos instruments , nous les lierions l'une après l'autre. 11 faudra que je refasse Tana- tomie de ces vaisseaux sur le chien, afin de trou- ver un procédé convenable pour les atteindre. Afm de mieux juger de la force comparative du sang mu, soit par l'impulsion directe de la pompe gauche^ soit par l'intermédiaire des anastomoses, je vais appliquer Finstrumentsurlebout inférieur de la carotide : Ty voilà placé. Nous avons 60 + 70, 65 + 75 milL C'est à peu de chose prés la hauteur que nous avons obtenue par le bout supérieur. Je ne sache pas que jamais on ait fait encore d'expérience pour évaluer avec une précision mathématique l'in- fluence des anastomoses artérielles. Dans la prochaine séance nous attaquerons la question de la circulation capillaire , question beaucoup plus simple qu'on ne le pense générale- ment , car les phénomènes qu'elle comprend ne diffèrent de ceux que nous venons d'étudier que par le mode d'investigation qu'ils nécessitent. Dans un cas, l'œil nu suffit, dans l'autre, il doit souvent s'aider du microscope. ( 244 ) QUATORZIÈME LEÇON. 0 juin 1837. Messieurs, Parmi les causes qui influent sur les mouvements du sang, dans la machine hydraulique disposée au sein de l'économie , et dont les innombrables embranchements plongent jusque dans la profon- deur des tissus, entre l'interstice de chaque molé- cule , nous avons à peine mentionné les effets de la pesanteur. Cependant, si nous méconnaissions le rôle joué par cet agent physique , nous serions exposés à attribuer cerlains phénomènes à des puissances purement imaginaires. On sait qu'après la mort, le corps de l'homme est soumis comme tout corps inerte aux lois de la gravitation. Les li- quides se portent vers les points les phis déclives, parce qu ils y sont entraînés par leur propre poids : ainsi s'expliquent ces engorgements de la partie postérieure di\ poumon chez les cadavres couchés ( 245 ) horizontalement sur le dos, la distension des vais- seaux et des tissus cérébraux chez ceux qui sont restés quelque temps la tête pendante. Mais en est-il de même durant la vie ? Les lois vitales sont- elles, ainsi qu'on l'a prétendu, les seules qui ré- gissent l'organisme, et n'est-ce qu'après la mort que les lois physiques reprennent leur empire? Il vous suffit d'un simple coup d'œil pour juger cette question. Toute partie du corps qui reste long-temps dans une position telle que le sang remonte contre sa propre pesanteur, devient plus volumineuse par l'efFet de Taccumulation du liquide dans les vais» seaux : elle se gonfle , parce que plus de sang est apporté par l'artère que la veine n'en remporte. Dans l'état de santé , ces phénomènes sont peu sensibles : la maladie, en les exagérant, nous met à même d'étudier à la fois et leurs causes et leur mode de production. Le temps n'est plus où les hydropisies partielles ou générales étaient rangées parmi les lésions delà circulation lymphatique. Nos recherches sur l'ab- sorption ont mis sur la voie du mécanisme de ces exhalations morbides dans le tissu cellulaire ou les cavités séreuses. On sait aujourd'hui qu'il faut en chercher la cause , soit dans un obstacle au retour du sang dans les tuyaux veineux, soit à l'altération des pompes de la machine centrale, c'est-à dire, une affection organique du cœur. Il n'entrerait dans l'esprit de personne de contester l'influence de la pesanteur sur les lieux d élection où la sérosité s'épanche. Les membres inférieurs sont les pre- ( 246 ) miers atteints. Pourquoi ce siège de préférence à tel autre ? Les parois vasculaires n'offrent- elles pas partout des milliers de voies constamment ouvertes au sang pour s'échapper par imbibition ? Ce n'est point dans la texture ni dans la vitalité des capil- laires que vous trouverez la raison de ces gonfle- ments œdémateuX; mais bien plutôt dans la direc- tion des courants sanguins^ soumis^ comme tout liquide, à la gravitation. Les points les plus décli- ves doivent s'engorger les premiers. Aussi, la face dorsale du pied, le voisinage des malléoles se pren- nent-ils avant que la jambe et la cuisse aient été envahi par l'infiltration séreuse. L'enflure monte graduellement, de la même manière qu'en versant de Feau dans un tube , la colonne liquide s'élève jusqu'à l'extrémité supérieure , en passant par tous les degrés qui séparent le fond de rorifice. Si la pesanteur est la cause unique de l'espèce de pré- dilection qu'affecte l'épanchement pour les mem- bres pelviens, vous pourrez changer ces conditions morbides en changeant les conditions physiques. C'est ce qui arrive effectivement quand on fait coucher le malade sur un plan horizontal. L'œ- dème disparait pour reparaitre ensuite quand le corps se remet dans la station verticale. A la fin des maladies longues qui ont épuisé l'é- conomie, aidées souvent par la médication débili- tante du médecin, il n'est pas rare de voir une telle prostration des forces que le cœur conserve à peine l'énergie nécessaire pour faire marcher le sang dans ses tuyaux. Gardez-vous, dans de pa- reilles circonstances , de fatiguer le moribond par ( 247 ) un minutieux examen. Peut-être votre diagnostic perdra-t-il de sa précision, mais au moins vous ne troublerez pas inutilement les derniers moments d'une vie qui s'éteint. Irez- vous ausculter, percu^ ter ? A peine le malade est assis sur son séant que déjà ses forces Tabandonnent, il chancelle, et s'il n'est soutenu , retombe sur sa couche , privé de sentiment. La syncope est ici le résultat tout mé- canique des difficultés survenues du côté de la cir- culation du cerveau. Dans le décubitus horizontal, le sancg pouvait encore, malgré la faiblesse extrême des contractions ventriculaires , arriver vers cet organe, mais il n'en est plus de même quand vous faites asseoir le patient. Forcé de remonter contre son poids , le liquide ne reçoit plus de la pompe gauche une impulsion assez énergique. L'encé- phale, privée de sa stimulation habituelle, cesse de fonctionner, et les grands actes qu'il est chargé d'accomplir se trouvent momentanément suspen- dus. Une personne debout ou assise éprouve une syn- cope , que fait-on ? on la place horizontalement. C'est une sorte de sentiment instinctif qui a indi- qué ce moyen dont Futilité est incontestable, mais dont l'explication physiologique n'est pas généra- lement connue. Ce que nous venons de vous dire des effets de la pesanteur sur la marche du sang sufïit pour vous donner la théorie du phénomène. Le sang n'ayant plus à surmonter son propre poids, par suite de la nouvelle position des artères desïinés à la tête, arrive au cerveau et lui restitue les facultés dont son absence l'avait momentané- ( 248 ) ment dépouillé. Je ne vous parle pas des vapeurs spiritueuses qu'on fait respirer au malade, de Teau fraîche qu'on lui jette au visage , ce ne sont point là des questions de physique : par conséquent , elles sortent de mon sujet. Cependant, il n'est pas impossihle de comprendre comment , en excitant la sensihilité de la membrane pituitaire^ on accroît l'activité de la contraction du cœur. N'avons -novis pas vu la pression augmenter dans les vaisseaux d un chien chez lequel nous avions provoqué de la douleur ? 11 est probable qu il se passe ici quel- que chose d'analogue. C'est une observation importante à faire de ne pas forcer trop tôt les convalescents à quitter le lit;, surtout à la suite de maladies qui les y ont re- tenus long -temps et qui les ont beaucoup affaiblis. Déjà l'appétit est revenu, les forces renaissent, les traits se colorent, toute lésion organique a disparu et il ne reste que les traces inséparables d'une sé- vère abstinence. Que le malade essaie de se mettre debout, ses jambes se dérobent sons lui, il tombe en svncope. D'où vient cet accident ? Est il le pro- diome d'une nouvelle maladie, ou bien !a première est-elle incomplètement guérie ? Non , Messieurs, la cause , il faut la chercher dans un défaut d'é- nergie de la contraclilité musculaire , dans l'im- puissance où est le cœur de faire marcher les co- lonnes vascuiaires contre leur pesanteur. Piendez aux tuyaux sanguins leur position horizontale^ le liquide reviendra vers le cerveau et tout rentrera dans l'ordre. Dans la dernière période de la phthisiC; vous ( 249 ) voyez de ces squelettes vivants , ayant à peine la force d'aspirer un air qui leur échappe, rester im- mobiles sur le dos^ sans pouvoir remuer un bras, ni même soulever la main. On ne peut les changer de lit, tant est grande leur faiblesse. Quel soula- gement la médecine peut-elle leur procurer? Au- cun , malheureusement. Aussi , vous n'irez pas , pour satisfaire une curiosité inopportune, je devrais dire barbare, procéder à une investigation détail- lée des organes pectoraux. L'intérêt de votre ins- truction ne doit point vous faire perdre de vue les droits de rhumanité. En consultant avec le doigt la sonoréité thoracique, avec l'oreille, les râles de la respiration , vous aurez, il est vrai, des no- tions plus positives sur l état du parenchyme pul- monaire, vous saurez que tel point est perméable, tel autre engorgé, qu'ici existe une caverne, là une agglomération de tubercules. Mais il vous faudra asseoir le malade sur son séant. Cette dé- pense de forces aggrave son état: de là des défail- lances, des syncopes continuelles. La circulation cérébrale se ralentit , peut-être même se suspejid dés l'instant où le sang tend à se mouvoir contre son propre poids. De sorte que non seulement votre examen ne sera pas avantageux sous le rap- ' port des secours à administrer , mais même il pourra hâter une terminaison fatale. Il n'est pas rare de voir chez les vieillards les jambes se gonfler vers la fin de la journée, sans que l'appareil circulatoire paraisse le siège d'au- cune lésion organique vers les pompes ou les tuyaux. C'est là encore un simple résultat de la ( 250) gravitation. Le cœur n'a plus l'énergie suffisante pour faiie marcher le sang contre son poids : les tuniques vasculaires , moins élastiques, n'exercent plus sur les colonnes liquides leur compression ac- coutumée : deux causes que nous avons vues con- courir le plus puissammentaux phénomènes hydro- dynamiques. L'arrêt du sang dans les capillaires, la distension de leurs parois, la transudaîion de quelques-uns de ses éléments: tels sont encore ici les effets de la pesanteur. Placez le membre hori- zontalement, ou même que son extrémité infé- rieure en devienne le point le plus élevé, l'enflure disparaîtra. Voilà des exemples qui montrent que la gravité a une grande influence sur le cours du sang. Com- bien d'autres preuves né pourrait-on pas invoquer! Quand une personne reste un certain temps cou- chée sur le côté, il n'est pas rare qu'à son lever elle se sente enchifrenée vers la narine correspondante à l'endroit où elle reposait. La joue est également plus colorée. Tout annonce que le sang, obéissant à sa pesanteur, s'est porté, au moyen des innom- brables communications du système capillaire vers le point le plus déclive. L'embarras de la circula- tion disparaît en même temps que la cause qui lui avait donné naissance. Dans les opérations où on intercepte le passage du sang dans les principales artères d'un membre, c'est un précepte important pour favoriser le re- tour du liquide par les veines, de placer ce mem- bre sur un plan incliné, de manière que le sang ( 251 ) soit entraîné par son propre poids dans la direction de son courant. Les précautions que la nature a prises pour as- surer la circulation dans les veines sont bien di- gnes de remarque. De distance en distance sont disposées des valvules dont la grandeur est pro* portionnée à celles des troncs qu'elles doivent obturer. Tantôt rapprochées, tantôt éloignées les unes des autres , ces soupapes ont en général une forme parabolique. Leur siège , la disposition de leur bord flottant indiquent suffisamment leur usage. Il est évident qu'elles sont destinées à sou- tenir la colonne sanguine ^ obligée de remonter contre sa propre pesanteur. A mesure que le liquide entre des artères dans les veines, Faction du cœur^ bien que présente dans ces derniers vaisseaux, s'est en partie épuisée dans les capillaires ; à cet affai- blissement de l'impulsion de la pompe, joignez les nouveaux obslacles apportés à la marche du sang par la gravitation , et vous comprendrez combien il était indispensable que les couches les plus su- périeures du liquide ne pesassent point sur les plus inférieures. Sanscela^ comment celles-ci auraient- elles pu se mouvoir ? La nature, par un admirable artifice , a surmonté tous ces obstacles. Les vaU vules , en se redressant , supportent d'espace en espace le poids de la colonne et décomposent la pression qui n'est plus aussi concentrée vers les parties déclives du tuyau. Il est si vrai que le rôle des valvules est bien ce- lui que nous leur assignons, qu'on ne les rencontre pas dans les veines où le sang ne doit point marcher ( 252 ) contre sa pesanteur. Elles manquent souvent dans les jugulaires de l'homme, parce que l'homme est destiné à l'attitude verticale et que le sang, charrié par ces vaisseaux , est emporté vers le cœur par son propre poids. Chez lesaniaiaux qui portent la tête basse ou même sur un plan horizontal, il existe des valvules dans les jugulaires : c'est ainsi qu'on en trouve chez le chien. Je dois à ce sujet vous f;iire remarquer une circonstanceanatomiquequiprouve jusqu à Tévidence que ces soupapes membraneuses sont bien réellement des tissus. Dans les jugulai- res, elles sont placées comme dans les crurales , c'est-à-dire qu'elles permettent la marche du li- quide des capillaires vers les troncs et s'opposent à son reflux des troncs vers les capillaires. Nous disons bien chez Thomme l'extrémité supérieure , pour désigner la tête, l'extrémité inférieure , pour désigner les membres pelviens , mais ce langage n'est point applicable au chien. Le corps de cet animal représente une ligne courbe dont les deux bouts sont inclinés vers le soi. Il fallait donc que les valvules soutinssent la colonne dans la direc- tion où Tentraînait son poids. D'après ces considérations, il est évident que le reflux du sang veineux dans l'expiration, ne peut s'étendre jusqu'au système capillaire. Plusieurs valvules étant à traverser et chacune arrêtant en partie la colonne liquide , tout mouvement rétro- grade finit bientôt par s'épuiser et s'éteindre. Ici se bornent les quelques mots que nous vou- lions vous dire sur Tinfluence de la pesanteur dans les mouvements du sang au sein de ses tuyaux. ( ^'^53 ) Tanlôt cette puissance physique facilite le retour du liquide à la pompe centrale , tantôt elle y met obstacle. Dans un cas , absence de secours acces- soires, dans l'autre, distribution de soupapes assez souples pour se mouler sur la circonférence des cylindres, assez résistantes pour opposer une digue au reflux des courants. Tout est prévu dans cet admirable ensemble. En présence d'œuvres aussi parfaites , l'intelligence de l'homme veut grandir sa sphère, elle cherche a" saisir le génie mécanique qui a présidé à tant de merveilles. Malheureuse- ment elle s'égare parfois en voulant s'élever. Ce qui est simple, elle le complique, ce qui est soumis aux lois des corps inorganiques, elle le range dans la vitalité. Une œuvre sublime n'est plus qu'une grotesque parodie. Plus la nature semble avoir voulu dérober à nos organes ses procédés , plus nous négligeons les moyens qu'elle a laissés à notre disposition pour découvrir leur véritable mécanisme. Nous avons vu que la théorie de la circulation dans les artères elles veines a été plutôt imaginée qu'observée réel- lement : c'est bien autre chose quand il s'agit des capillaires ; et d'abord expliquons-nous sur le sens de ce dernier mot. Un capillaire diffère t-il par sa structure, ses fonctions , sa vitalité, d'une artère ou d^'une veine ? Non ( bien entendu que je n'en- tends parler ici que de phénomènes hydrodyna- miques ). C'est un simple tuyau à parois minces, à diamètre très petit, livrant passage a un filet de liquide soumis à Taciion du cœur et des puissan- ces accessoires qui concourent à la circulation. Du ( 254 ) moins son jeu est indépendant de celui des autres conduits sanguins ? pas du tout. Il reçoit les glo- bules apportées par l'artère , les rend à la veine , sans agir avec plus d'intelligence que l'un ou l'au- tre de ses tuyaux. Pourquoi donc l'avoir désigné par l'épithète de capillaire ? probablement parce qu'il ne ressemble pas le moins du monde à l'objet auquel on le compare , et qu'on a voulu être in- conséquent jusqu'au bout. L'expression dî infini- ment petits tuyaux sera plus fréquemment em- ployée par nous. Non pas que j'attache une grande importance aux mots en eux-mêmes, mais on n'est que trop porté à leur rallier certaines idées dont l'influence peut servir à propager Ferrenr. Quand on a fini l'étude du système artériel, il est d'usage d'entamer celle des capillaires. Ne di- rait-on pas qu'il s'agit d'un tout autre ordre de phénomènes ? Et en effet , on raconte de fort jolies choses sur ces petits canaux dont on connaît toute l'histoire , excepté cependant ce qui est véritable. L'esprit aime à descendre dans ces mystérieux couloirs où l'œil nu n'ose plus plonger. Ce ne sont que phénomènes extraordinaires, depuis la sensi- bilité qui est insensible jusqu'à la contraction qu'il n'a été donné à personne d'apercevoir. Le globule sanguin veut se mouvoir dans tel sens, car lui aussi aune volonté, le capillaire s'y oppose. Les loisvi" tales sont aux prises avec les lois physiques : heu- reusement les premières restent victorieuses. Que si le physiologiste armait son œil du micros- cope , combien d'illusions évanouies , de rêveries pourchassées par des faits! Il retrouverait presque ( '^^55 ) littéralement dans les capillaires ce qu'il a observe sur les artères et les veines. Le diamètre des tuyaux est moindre^ voilà tout : quant à la manière dont le sang se meut, elle est la môme. Figurez-vous deux tubes parallèles réunis à une de leurs extrémités par un tube courbe, flexueux , très lin : un courant liquide entre par Forifice du premier et ressort par l'orifice du second, en suivant toute la lon- gueur du canal. Tel est le cours du sang. Le tube d'exportation est l'artère, le tube d'importation la veine, le tube intermédiaire le capillaire. Appli-: quez une puissance mécanique à chacun des ori- fices d'entrée et de sortie, ce sera le cœur. Je pourrais, au lieu de décrire la circulation ca- pillaire, vous renvoyer à ce que nous avons dit de la circulation dans les gros tuyaux. L'une est en grand ce que l'autre est en petit. Mais ces idées sont trop éloignées des opinions encore aujourd'hui en honneur dans la science , pour que je puisse me dispenser de quelques développements. J'ajou- terai qu'il faut prendre garde aussi de trop gêné-? raliser. Ce que je viens de dire n'est applicable qu'aux communications entre les artères et les veines par le moyen de tuyaux nulle part inter- rompus. Vous savez que le cerveau, la rate, le rein, les os ^ les tissus caverneux ont un système vas- culaire spécial, qui mérite un examen à part,* nous nous en occuperons bientôt : il ne s'agit pour le moment que des phénomènes dont les infiniment petits canaux qui terminent les artères et com- mencent les veines, sont le siège et les agents sim^ plement passifs. Abordons leur histoire. ( 256 ) Avant de parler du mouvement du sang dans les capillaires , il n'est pas inutile de dire quelques mots de la nature de ce fluide. Nous savons déjà qu'il n'est pas homogène. Des corpuscules colorés en nombre prodigieux, nagent et roulent dans un véhicule séreux et transparent. Ce sont des dis- ques circulaires ou elliptiques, qu'on disait na- guère de forme globuleuse. C'était une erreur. Examinés au microscope , ils se présentent tan- tôt sur leurs tranches , tantôt sur leur plein : on dirait de petits grains lenticulaires , offrant à leur centre une tache obscure. Pour bien voir les glo- bules sanguins , il suffit d'un grossissement de trois à quatre cents fois. C'est à l'opacité de ces corpuscules , à la transparence du fluide qui les tient en suspension , à la minceur des parois de leurs tuyaux, qu'on doit d'apercevoir la marche et le degré de rapidité des courants sanguins. La com- position des globules a été l'objet de nombreuses analyses delà part des chimistes. On est généra- lement d'accord aujourd hui pour les envisager comme formés d'une enveloppe externe^ membra- niforme, que l'eau pure attaque et réduit en lam- beaux et d'un noyau central, qui dans l'homme me paraît encore fort problématique et dont, dans tousles cas, la nature est inconnue. A l'intérieur de ses vaisseaux le sang reste fluide: recueilli dans un vase, il se sépare en deux parties. Tune liquide, c'est le sérum, l'autre solide, flotte à la surface , et ressemble à une sorte de gâteau spongieux. Quelle est la cause de la formation du caillot? On a tour à tour invoqué le contact de ( ''^^'>^ ) l'air^ le repos, le refroidissement ; mais il faut le dire, aucune de ces explications n'est admissible, puisqu'on a vu le sang se solidifier sous le réci- pient de la machine pneumatique , en Tagitant, en maintenant sa température au même degré que sur l'animal vivant. La véritable cause de ce phé- nomène doit être cherchée dans Tabsence du con- tact entre le liquide et les parois de ses tuyaux. Quelle est donc cette harmonie si parfaite dont le dérangement entraîne de si graves conséquen- ces? Je l'ignore. Elle dure avec la vie et s'éteint avec elle. Ainsi le sang tend sans cesse à se prendre en masse. Ce n'est qu'à la condition qu'il reste fluide qu'il peut circuler. La partie aqueuse qui tient en dissolution le principe coagulable a reçu des Alle- mands le nom de liquor sanguinis. C'est elle qui charrie les globules et traverse avec eux le réseau capillaire. Ne la confondez pas avec le sérum. Le sérum est cette liqueur presqu'incolore, qui se sé- pare du sang extrait des vaisseaux , et au milieu de laquelle le caillot est suspendu. En traversant les capillaires le sang éprouve des changements bien remarquables dans ses proprié- tés physiques et chimiques. Artériel à son entrée dans ce système de tuyaux , il en ressort veineux. De nouveaux principes sont emportés par lui dans le torrent circulatoire ; les uns proviennent du de- hors , d'autres ont été repris dans les tissus , au sein desquels ils étaient déposés. 11 se dépouille en même temps des matériaux destinés à la nutrition, aux sécrétions , aux exhalations. La diversité des I. III. Magendie. 17 ( 258 ) fonctions de chaque organe vous explique pourquoi les capillaires affectent dans chacun les disposi- tions spéciales. Un même liquide étant destiné à mille usages différents , ne fallait-il pas qu'indé- pendamment de la vitalité individuelle des parties^ il existât dans leur disposition vasculaire , leur structure, autant de variétés que de besoins fonc- tionnels ? Le système vasculaire est une sorte de réservoir général^ où se passent les actes les plus merveilleux de Téconomie. Il est d'autant plus dé- veloppé dans un organe que les usages de celui-ci sont plus nombreux et exigent une plus grande dépense de matériaux. Il existe entre le système capillaire du poumon et celui de tout le corps une bien grande différence^ relativement aux modifications que le sang y subit. Dans le premier , de veineux il devient artériel ; dans le second , d'artériel il devient veineux. Mais si nous n'envisageons que la manière dont les glo- bules se meuvent au sein de ces infiniment petits canaux, ce que nous avons dit à propos des ca- pillaires pulmonaires est parfaitement applicable à ceux dont l'étude nous occupe en ce moment. Aussi serons-nous exposés à quelques répétitions. Au microscope les capillaires veineux se dis- tinguent des capillaires artériels par la direction du courant sanguin. Quand les tuniques vasculaî- res sont assez minces pour laisser traverser la lu- mière , on voit les globules se mouvoir des troncs vers les branches dans les artères , des branches vers les troncs dans les veines. Celles-ci ont eu p^énéral un volume plus considérable, ce qui sert ( 259 ) encore à ne pas les confondre avec les premièies. Si le sang avait la transparence du liquide que charrient les vaisseaux lymphatiques , probable- ment que l histoire de sa marche serait enveloppée des mêmes ténèbres que celle de la lymphe. Nous devons à M. Poiseuille d'excellentes recher- ches sur les m^ouvements des globules au sein des capillaires. Il a reconnu que le sang se meut dans ces petits tuyaux de la même manière qu'un li- quide dans un tube inerte , c'est-à-dire qu'on y rencontre l'existence d'une couche immobile ad- hérente aux parois par une sorte d'affinité. Cette couche avait été signalée déjà par M. Girard dans des tuyaux de petit diamètre. M, Poiseuille Fa rencontrée également dans les canaux sanguins et même dans les tubes végétaux. Elle lui a servi à expliquer une foule de phénomènes dont je ne puis que vous donner une sommaire analyse. Examinez le cours du sang dans un vaisseau assez spacieux pour permettre le passage de plusieurs globules de front; voici ce que vous voyez. La vitesse des globules est très grande dans le centre , moin- dre dans le voisinage des parois^ nulle dans la couche de sérum. Dans l'axe , les globules n'ont qu'un mouvement apparent de translation, près de la couche ils ont un mouvement de translation et de rotation. Ce dernier mouvement est d'autant plus prononcé qu'on approche davantage de la couche. Les globules qui sont lancées dans son épaisseur deviennent et restent immobiles ; ceux qui la tou- chent simplement, roulent sur eux-mêmes, comme s'ils venaient de heurter une surface ondulée. Cette ( 260 ) couche, par son immobilité protège les vaisseaux, et prévient le frottement des globules contre leurs parois. Ce n'est qu'au contact de la circonférence qu'elle est dans un repos complet. Les globules se meuvent avec une vitesse progressivement crois- sante à mesure qu^on s'approche de Taxe. Cette différence de vitesse et de mouvement dans les globules placés les uns au centre, les autres prés de la circonférence , n'a pas seulement lieu dans la largeur du vaisseau. Ceux qui occupent la par- tie intérieure marchent moins vite que ceux qui sont situés à la partie supérieure, ainsi qu'on peut s'en assurer en examinant comparativement ces deux points extrêmes. Les irrégularités offertes par les mouvements des globules , doivent donc être attribuées à leur position relative à la couche ahdértnte. Ainsi deux globules marchent de front avec une égale rapi- dité. L'un d'eux, heurté par son compagnon , est déjeté vers la circonférence , son mouvement est ralenti, il reste en arriére; l'autre continue son chemin et gagne les devants. Cependant un nou- veau choc de la part d'un autre globule rend au retardataire sa première position dans le centre. Emporté par le courant, il récupère sa vitesse pri- mitive. D'autrefois, un globule se place en travers du vaisseau, de manière à ce que ses deux extré- mités baignent dans la couche immobile^ son mouvement est alors ralenti. Les autres arrivent sur lui, le pressent, s'accumulent en arrière: le passage est intercepté, une sorte de digue s'oppose à leur marche progressive : bientôt le globule , ( 261 ) cause de tout le désordre, s'ébranle, devient lon- gitudinal , reprend son mouvement , et à l'instant tous les autres reprennent le leur. Ces aggloméra- tions de globules se montrent très rarement dans le cas où le cœur a conservé toute sa force ^ que l'animal n'est point affaibli : aussi n'est-ce en gé- néral que vers la fin de l'expérience qu'on a l'oc- casion de les observer. La présence d'une couche immobile étant une cause continuelle et puissante de ralentissement, il est indispensable , pour que la circulation capil- laire s'effectue , que la force qui meut le sang ait une certaine intensité. En vertu des communica- tions anastomotiques , tous les petits canaux sont solidaires les uns des autres. Y a-t-il un obstacle mécanique en un point , de proche en proche les globules se heurtent , stagnent , s'arrêtent : une cause locale entraine un trouble général. La résis- tance n'est plus proportionnée à la puissance., les colonnes liquides restent en repos dans leurs tuyaux. Dans les gros vaisseaux, les globules de l'axe ne sont nullement influencés par la couche immobile de la circonférence, à cause de la distance qui les en sépare : dans les capillaires , au contraire , ils sont tous forcés de traverser une masse de sérum dont le filet central jouit seul d'une certaine vi- tesse. Avant M. Poiseuille , ces questions d'hy- draulique avaient à peine été indiquées : cet ex- périmentateur en a donné les solutions dans un mémoire couronné récemment par l'Institut. Vous voyez , Messieurs , que bien que le cours ( 262 ) du sang dans les capillaires soit soumis à une cause Unique qui est le cœur, il faut tenir soigneusement compte des complications mëc«T niques qui modi- fient sa marche. Haller, Spanllanzani et autres physiologistes,ont vu les globules avancer, reculer, se mouvoir dans une foule de directions opposées. Sont-ce là des phénomènes de vitalité ? Non. L'ar- rangement des globules entre eux , leur disposi- tion par rapport à la couche immobile de sérum , etdiverses autres circonstances quenousétudierons dans la prochaine leçon, nous donneront la clé de ces phénomènes et de ces anomalies apparentes. { 263 ) QUINZIÈME LEÇON, 16 iuln 18S7. Messieurs, Nous avons commencé à nous occuper d'une question naguère regardée comme fort difficile , fort embrouillée, mais qui, grâce aux travaux des physiologistes modernes , se trouve ramenée à un état de simplicité extrêaie. Ce qu'on sait aujour- d'hui de la circulation capillaire est beaucoup plus complet que ce qu'on possède relativement à la cir- culation générale. Dans celles-ci, on ne juge des courants intérieurs que par Taspect des parois : suivant qu'elles se dilatent, se resserrent, se cour- bent, se redressent, s'alongent, on présume que la colonneliquide suit telledirection, se meutavec telle vitesse , presse avec telle énergie : mais ce n'est que par induction qu'on analyse sa marche. L'épaisseur des tuniques vasculaires dérobe à l'œil l'inspection directe des globules du sang. Il n'en est plus de ( 264 ) même des infiniment petits tuyaux. A l'aide du microscope, on distingue parfaitement bien les déplacements des corpuscules colorés flottant dans la sérosité, leurs temps d'arrêî, leurs moindres os- cillations. La seule difficulté que présente encore cette étude, c'est de rattacher les phénomènes à des explications raisonnables. Les lois hydrody- namiques ont été sans cesse invoquées par nous à propos de la circulation dans les gros troncs : sans cesse encore nous les invoquerons à propos de la circulation dans les capillaires. Il n'y aura de changé que le mode d'investigation. Dans un cas, l'œil nous suffit, dans l'autre, il est besoin d'instru- ments grossissant, dans aucuns, on ne doit recou- rir à ces suppositions hypothétiques, dont le prin- cipal mérite est bien souvent leur surdité. Ainsi, la ténuité des petits tuyaux est une con- dition favorable, et non point un obstacle à Texa- men du cours du sang dans leur intérieur. Les injections sont d'un très faible secours pour étudier la circulation capillaire , elles ne peuvent tout au plus que donner quelques indications ana- tomiques sur la disposition matérielle de ces vais- seaux. Le sang n'est pas le seul fluide qui se meuve dans l'admirable réseau qui forme leur entrelace- ment : il est certains organes , certains tissus qui paraissent complètement étrangers à ce liquide dans les conditions normales de l'économie. Poussez une injection, elle pénètre également dans les ca- naux où circulaient et le sang et les fluides d'ime autre nature. C'est ainsi qu'une membrane séreuse se recouvre d'arborisations vasculaires, alors que (265) la matière injectée est délicate et introduite avec précaution. Les vaisseaux que vous voyez se des- siner à sa surface étaient-ils pendant la vie tra- versés par le sang ? Non. Des fluides blancs seuls y étaient contenus ; mais comme ils ne tiennent pas en suspension des grains opaques , on ne peut suivre avec exactitude sur le vivant leur mode de circulation. Les capillaires lymphatiques ont des parois aussi transparentes que les capillaires san- guins , et cependant ce que nous savons sur leurs phénomènes dont les premiers sont le siège est extrêmement restreint. Mettez à découvert une membrane séreuse , vous ne voyez pas de circula- tion entre les interstices de son tissu qui pourtant est principalement constitué par des infiniment petits tuyaux. Direz-vous qu'il n'y a pas là de cou- rants liquides ? La rapidité avec laquelle sont ab- sorbées les matières déposées à sa surface vous donnent la preuve du contraire. Quand par une circonstance morbide ce système de canaux blancs se met en rapport avec le sangf qui jusque là lui était resté étranger, vous pouvez apercevoir des myriades de vaisseaux ramper dans Tépaisseur delà membrane. C'est ce changement dans la cou- leur du fluide circulatoire qui trahit sa présence : tant qu'il était resté diaphane, on n'avait pu étu- dier sa marche. La pathologie des membranes séreuses est en- core à faire. Que sait-on sur les altérations qui frappent , soit leur propre tissu , soit leur mode d'exhalation ? 11 n'est pas rare de trouver des li- quides accumulés dans leur cavité^ de fausses ( 266 ) membranes disposées, soit par couches , soit sous formes de filaments^ des dépôts purulents entre les mailles de leur parenchyme ; or, il n'y a qu'une seule cause capable de produire tous ces désordres, cette cause, vous l'avez déjà nommée, c'est l'inflam- mation. Oui, c'est elle qui fait que le sérum, l'al- bumine, la fibrine, s'échappent de leurs vaisseaux. Comment expliquer autrement que par l'action d'un feu subtil ces extravasations liquides ? Puisque les phénomènes vitaux sont en lutte avec les phé- nomènes physiques , je ne vois rien d'étonnant à ce que la combustion des tissus produise des col- lections aqueuses. Voilà pourtant. Messieurs, où on en est aujourd'hui relativement à ces questions. Voilà ce que vous entendez répéter, en d'autres termes peut-être, mais dans le même sens, quant au fond de la pensée, par nos pren^iers praticiens. Avais-je donc tort de vous dire que la pathologie de ces membranes est tout entière à faire ? Ce que je dis des surfaces séreuses est applicable aux surfaces m.uqueuses. Celles-ci mises à décou- vert sur un animal vivant, ne paraissent contenir que très peu de sang : beaucoup de rameaux ram- pent sous elles, mais ils semblent ne leur être que contigus et ne point faire partie intégrante de leur tissu. La blancheur naturelle de ces membranes contraste avec la rougeur qu'elles présentent dans les cas où leur circulation est troublée. Comparez la conjonctive occulaire sur un œil sain ou sur un œil malade. Vous la trouverez dans le premier cas parcourue par de rares vaisseaux, fermée dans le second par une lésion vasculaire , à mailles entre- ( 267 ) lacées de mille manières. Le sang n'est point ex- travasé, il est contenu dans des canaux dont vous distinguez parfaitement la forme cylindrique, le trajet, la direction : parfois même ils semblent su- perposés par couches successives. N'allez pas croire que ce soient des conduits organisés par suite d'un travail morbide; il n'en est rien. Ce sont simple- ment des capillaires qui normalement sont par- courus par des fluides autres que le sang, mais qui l'admettent dans certaines circonstances que nous essaierons d'apprécier plus tard. Il n'y a donc rien de changé dans la struture anatomique de ces infiniment petits tuyaux : la coloration des courants qui se meuvent à leur intérieur , cause seule la différence de leur aspect. L'absence ou la présence de lentilles opaques rend très bien raison du phénomène. J'avais besoin d'entrer dans ces considérations générales qui nous servent en quelque sorte de prolégomènes à l'étude dont maintenant nous de- vons nous occuper. Il est incontestable que Tim- mense réservoir que nous désignons sous le nom de capillaires est parcouru en partie par le sang, en partie par d'autres fluides qui paraissent être blancs. INous ne parlons ici que du premier ordre de vaisseaux , je veux dire de ceux qui reçoivent les globules sanguins : c'est là seiiiement qu'on peut suivre la marche des colonnes liquides. Je serai forcé d'énoncer la théorie des phénomènes dont ces vaisseaux sont le siège, sans la démontrer devant vous par des preuves expérimentales. Pour que vous pussiez juger par vous-mêmes des questions ( 268 ) dont nous allons vous entretenir ^ il faudrait que chacun d'entre vous vint successivement appliquer son œil à l'oculaire du microscope , ce qui est in- compatible avec un enseignement de la nature du nôtre. Cependant je ne désespère pas de vous ren- dre tous témoins des mouvements des globules dans leurs conduits capillaires. J'ai à ma disposi- tion la chambre noire du Collège de France , et si tout est disposé à temps , vous pourrez, au moyen du microscope solaire ^ avoir une idée par- faitement exacte de tous les principaux phéno- mènes. 11 n'est pas impossible de voir sur soi-même cir- culer le sang dans ses infiniment petits tuyaux. Fermez les yeux , étant placé au grand jour, que vos doigts tendent les paupières de manière à les rendre le plus minces que vous pourrez • elles livre- ront encore passage à quelques rayons lumineux, et vous apercevrez vaguement le sang se mou- voir de la partie supérieure vers le cartilage tarse. J'ai fait hier cette expérience sur moi , et je vous engage à la répéter à votre particulier. On a très bien la conscience de courants mus dans diverses directions. Les animaux qui servent d'habitude à ces re- cherches microscopiques sont, parmi les batra- ciens, les grenouilles et les salamandres, parmi les mammifères, les souris et les petits rats. La queue de certains poissons , à cause de la transparence des téguments , se prête encore assez bien à ce genre d'inspection. Nous extrairons du mémoire de M. Poiseuille, sur la circulation capillaire, la ( 269 ) plupart des faits dont nous allons vous entretenir. Comme ce mémoire n'est pas encore imprimé, plusieurs passages en seront cités textuellement. Commençons par les phénomènes les plus simples. On isole par une dissection délicate l'artère et la veine crurale d'une grenouille, puis on passe autour de la cuisse une ligature que l'on serre avec force : la circulation dans la patte ne se fait plus que par ces deux vaisseaux. L'animal est épingle sur une lame de liège, de manière que les espaces interdigitaux correspondent à l'objectif du micros- cope. On examine la marche du sang dans les ca- pillaires. Lorsqu'on s'est assuré du degré de vi- tesse des globules, on intercepte le cours du sang dans Tartèreen laissant la veine libre. Les globu- les continuent encore à se mouvoir, mais avec plus de lenteur. Ce mouvement devient de plus en plus lent, et cesse tout-à-fait au bout de deux ou trois minutes. Cesse-l-on de comprimer : à l'instant chaque globule qui était dans un repos complet , part comme une flèche et reprend sa vitesse nor- male. Les physiologistes qui ont vu les globules se mouvoir après que l'impulsion du cœur était sus- pendue, ont été tout naturellement portés à leur reconnaître une sorte de force progressive qui les dirigeait des artères vers les veines. D'autres ont prétendu que ces derniers vaisseaux exerçaient sur eux une sorte d'aspiration. Ce sont là autant d'er- reurs. Il arrive aux rameaux capillaires les mêmes phénomènes que nous avons signalés dans les troncs sanguins. En nous appuyant sur ces faits ( 270 ) qui vous sont bien connus, nous expliquons le mouvement des globules par le retrait élastique des parois artérielles au-dessous de la ligature. Quand on intercepte le passage du sang dans une artère volumineuse, ce vaisseau revient brusque- ment sur lui-même, la diminution de son diamè- tre est subite : dans les capillaires, au contraire, la rétraction est plus lente, et ces conditions diverses d'élasticité des petits et des gros tuyaux vous ex- pliquent pourquoi dans cette expérience , les glo- bules continuent à se mouvoir plusieurs minutes encore après Tapplication de la ligature. Le mésentère d'une grenouille est séparé de l'animal et éralé sur une lame de verre. Une cer- taine quantité de sang s'échappe par l'ouverture faite au vaisseaux. Ceux-ci n'étant plus dilatés par le choc de la colonne lancée par le cœur, revien- nent sur eux-mêmes, et le retrait de leurs parois est si prononcé qu'un certain nombre de veines et d'artères n'ont plus qu'un diamètre moitié de leur diamètre primitif. L'écoulement ne cesse que quand les vaisseaux ont atteint les limites de leur élasticité. Mais la plupart d'entre eux ne se sont pas rétractés dans toute leur étendue : ils offVent çà et là des nœuds, des renflements. A quoi tient cette inégalité dans le retour des tuniques membraneu- ses vers l'axe du capillaire ? A la manière dont la petite quantité du sang restée dans le tuyau se distribue et se coagule. Des masses de globules s'accumulent-elles en plusieurs points, à chacune correspond un renflement , car les parois arrêtées dans leur retrait par cet obstacle; ne peuvent au- (271 ) tant se resserrer que si le vaisseau était vide. C'est donc à tort qu'on avait admis divers degrés dans la force rétractile des capillaires : débarrassez la cavité de ces conduits de tout caillot, de tout corps solide, il y aura une égale diminution de diamètre dans toute leur longueur. Une des principales preuves que Ton ait invo- quées à l'appui de l'opinion qui veut que les glo- bules du sang soient douées d'un mouvement spontané , est fondée sur Texpérience suivante. On a dit : examinez la circulation dans un capil- laire et faites en même temps un petit trou en un point de ses parois. i\ussitôt la direction des cou- rants est changée. La colonne sanguine , qui tout à riieure obéissait à une même impulsion , se sé- pare en deux colonnes secondaires : celles-ci mues dans un sens inverse, marchent l'une contre l'au- tre , affluent vers l'endroit où existe la solution de continuité et s'échappent au dehors. L'action du cœur a cessé au-delà de l'ouverture accidentelle , on ne peut donc expliquer par son influence le mouvement des globules, d'ailleurs ce mouvement est rétrograde. Quelle autre cause qu'un acte de leur volonté , un effet de leur raisonnement en- traîne ces corpuscules intelligents dans telle ou telle direction ? Messieurs , cette conclusion est spécieuse , mais en y réfléchissant, on sent qu'elle ne repose pas sur des bases légitimes. Nous savons qu'à Tétat normal le sang exerce sur les parois des artères et des veines une pression supérieure à celle de l'at- mosphère. Eh bien ! dans le point de section, cette ( 272 ) pression se trouve subitement diminuée : le sang doit donc faire irruption de ce côté , en vertu des .ois de l'équilibre. Quelle que soit la direction pre- mière des courants , ils doivent se diriger vers le même orifice : ce mouvement des globules est en- core favorisé par le retrait élastique des parois qui comprime circulairement la colonne sanguine et lui communique sa marche rétrograde en l'absence des contractions de la pompe. Je ne vois point la nécessité d'imaginer des hypothèses lorsque l'ex- plication physique du phénomène est si facile et si naturelle. Distendez par une injection un tube en caout- chouc ; puis faites un trou à sa partie moyenne. Des deux extrémités du tube^ le liquide se portera vers le point d'ouverture. C'est la même chose pour un tuyau vivant. Les oscillations des globules, leurs temps d'ar- rêt, leurs mouvements dans diverses directions, alors que les parois de leurs tuyaux sont intactes, dépendent de la place qu'ils occupent relativement à la couche immoî>ile. Souvent il se fait des obs- tructions spontanées par suite d'une agglomération de globules : ceux qui se trouvent dans le voisi- nage d'un rameau collatéral s'échappent par cette issue : d'autres avancent et reculent entre les mêmes limites, attendent que le passage redevienne libre. L'obstacle franchi , tous reprennent leur allure accoutumée. Toutes les fois qu'un capillaire contient un plus grand nombre de globules que son voisin, il est le siège d'une vitesse beaucoup moindre. Cette len- ( 273 ) teur est déterminée par le contact inimédiat des globules avec la couche immobile. Je suppose une expérience dans laquella vous avez séparé une patte de grenouille du corps de l'animal. Pendant un certain temps les globules continuent à se mouvoir. Dans les artères, le sanp- est rétrograde, au contraire^ dans les veines il con- serve son cours naturel. Enfin, les tuniques vas- culaires sont revenues, par leur élasticité , à leur diamètre normal. Tout est en repos. Inclinez légè- rement la lame de verre du porte-objet, voilà que les globules se meuvent vers la partie déclive , si toutef.ns le sang n'est pas encore coagulé. Direz- vous que les globules , retirés tout-à-coup de leur assoupissement, se dirigent là où leur caprice ks entraîne ? Cette explication serait digne de figurer à côté de tant d'autres dont les capillaires ont été l'objet. Mais laissons ces rêveries. Il est évident qu'il n'y a point là circulation, mais simple déplacement des globules entraînés par leur pe- santeur spécifique plus grande que le sérum au milieu duquel ils nagent. Inclinez le porte-objet dans un sens opposé , à l'instant les globules re- prennent un courant inverse. Replacez-le hori- zontalement, ils tendent à se remettre en équilibre, et après quelques oscillations, ils redeviennent immobiles. Voici une autre expérience qui prouve jusqu'à l'évidence que le mouvement du sang dans les ca- pillaires dépend de l'impulsion du cœur et du re- trait élastique des parois des vaisseaux. Je l'extrais littéralement du manuscrit de M. Poiseuille. T. ïii Magendie. 18 ( 274 ) {( On prépare Tartére et la veine crurale d'une grenouille dans Tétendue de deux centimètres au moins, on dissèque aussi le nerf crural, et ces trois organes, parfaitement isolés, on passe une ligature autour de la cuisse sans comprendre les vaisseaux et nerfs cruraux. Une ligature d'attente est prati- quée sur la veine. On attache un fil à l'extrémité de chaque doigt de la patte de la même cuisse, afin de pouvoir examiner la circulation dans les es- paces interdigitaux , sans la modifier par des pi- qûres. La grenouille épinglée sur une lame de liège , et la patte , mise sous l'objqctif du micros- cope , on sert fortement la ligature qui comprend l'os et les muscles cruraux. On est alors certain que la circulation dans la patte ne se fait que par les vaisseaux préparés. — La circulation dans les artères , les capillaires et les veines a lieu comme avant la préparation du membre , quelquefois il y a des saccades; les globules se meuvent plus vite dans ks artères que dans les veines , dans les ca- pillaires, la vitesse est moindre que dans ces deux ordres de vaisseaux. Dans quelques-uns cepen- dant, elle est tantôt plus petite, tantôt plus grande, par des raisons qui ne doivent pas nous occuper maintenant. On considère d'une manière particu- lière une artère et une veine de l'espace digital soumis à l'investigation. » On intercepte le cours du sang dans la veine crurale : aussitôt la progression des globules dans les vaisseaux, de l'espace interdigital qu'on exa- mine , se fait par saccade. A cette progression saccadée qui ne dure que quelques secondes , ( 275 ) succède un mouvement de va-et-vient. Il n'y a pas de progression, mais bien oscillation des globules. Ces oscillations dont l'amplitude, d'abord d'une longueur de cinq globules, n'est bientôt plus que de deux , conservent identiquement le même rhytbme, et dans l'artère et dans les capillaires de Tespace interdigital. Ces oscillations ont lieu pen- dant tout le temps que la veine est comprimée. Leur nombre est de quarante-six par minute. » En même temps qu'on comprime la veine crurale , on intercepte aussi le cours du sang dans l'artère crurale ; le mouvement oscillatoire cesse aussitôt. Il y a repos des globules dans l'artère , les capillaires et la veine de la patte. On laisse libre l'artère crurale _, et les oscillations recommencent avec une même amplitude dans ces trois ordres de vaisseaux. » Ces expériences terminées , on découvre le cœur de la grenouille. On compte aussitôt le nom- bre des contractions du ventricule, il en donne cent-quatre-vingt-six en quatre minutes, c'est-à- dire quarante-six en une minute. » Remarques . Les oscillations des globules sont produites d'une part par le cœur qui pousse le sang dans le système artériel, les capillaires et les veines , d'autre part par le retrait des artères et des veines qui viennent d'être dilatées par l'ondée de sang lancée par le cœur. » Une des grandes objections que l'on ait faites à ceux qui nient le mouvement spontané des globules, est celle-ci : séparez complètement une partie de l'animal vivant , par exemple une patte de gre- ( 276 ) nouille , la queue d'un têtard , vous voyez le sang continuer à se mouvoir dans ses vaisseaux, et s'é- chapper par leurs extrémités amputées ! 11 y a donc là une force indépendante de celle du cœur qui di- rige les globules. Nous ne pouvons admettre une pareille asser- tion. Ces mouvements des globules viennent tout simplement de l'écoulement du liquide , lequel , dans les points où les vaisseaux sont béants , trouve une pression moindre que partout ailleurs. C'est exactement la même chose que si je disten- dais par une injection un tube élastique : ses deux extrémités fermées , le liquide est en repos , mais l'effort communiqué par la seringue persiste tou- jours pour redevenir apparent dés l'instant où la cause qui y fait équilibre cesse d'agir. Ouvrez les deux robinets, le liquide s'écoule par l'une et l'au- tre issues. La même chose arrive pour les capillaires. Les parois se resserrent sur elles-mêmes en vertu de leur élasticité qui tenait en dépôt l'impulsion antérieure du cœur. Dans le premier cas , la puis- sance hydrodynamique est une seringue ; dans le second, une pompe musculaire : pourquoi appelez- vous d un nom différent les effets identiques qui en résultent ? Ce qui est physique peut -il, au gré d'une hypothèse , devenir vital ? Je sais bien que des deux agents qui ont dilaté chacun un tuyau , l'un est organisé, l'autre est inorganique; mais la dilatation , résultat de leur action , est un phé- nomène essentiellement mécanique. Aussi l'expé- rience, invoquée par nos adversaires, dépose contre l'opinion qu'ils défendent. ( 277 ) Je veux encore vous citer textuellement une au- tre expérience rapportée par M. Poiseuille. Elle confirme les propositions que nous avons émises plusieurs fois sur le rôle exclusivement passif des petits tuyaux. Vous allez voir qu'il n'y a point de mouvement dans les capillaires sans un mouve- ment correspondant dans les artères , et que tout mouvement dans les artères des troncs vers les ra- meaux se transmet à travers les capillaires sans éprouver en aucune manière d'accélération de la part de ces petits tuyaux. {( On épingle sur une lame de liège une souris « blanche , âgée d'un mois environ. On fait une (( large incision à l'abdomen sur la ligne médiane^ (( et on prépare sur une lame de verre l'intestin (( grêle et le mésentère. La vitesse des globules dans « les artères est plus grande que dans les veines. « Dans les capillaires où l'on distingue très-bien i( la forme des globules , elle est en général plus (( petite que dans ces deux ordres de vaisseaux. Ce « mouvement est d'abord continu, sans saccade ni (( intermittence. a Quarante minutes se sont écoulées, l'animal « a la plus grande partie de ses intestins hors de a l'abdomen; il montre beaucoup moins d'irritabi- (( lité depuis un quart-d'heure. Le sang, dans les n artères , les capillaires et les veines , se meut « avec moins de vitesse dans l'intervalle des con* (( tractions du cœur. Son mouvement de continu « est devenu continu-saccadé, — Quinze minutes c( après, les saccades sont beaucoup plus pronon- f( cées; il y a lenteur extrême dans la progression ( 278 ) « du sang pendant T intervalle des contractions. — '■ (c Dix minutes se sont de nouveau écoulées , alors (t repos des globules après chaque systole du cœur; ce ce mouvement intermittent a lieu dans les ar- ec tères , les capillaires et les veines. A ce repos fc succède un mouvement rétrograde des globules « après chaque contraction du cœur; il y a alors « mouvement oscillatoire dans toutes les artères ; (( une grande partie des capillaires n'offrent plus (( de mouvement. — L''animal est en expérience « depuis une heure vingt minutes , il ne donne (f plus signe de vie : Famplitude des oscillations « augmente de plus en plus, et les globules recu- (( lent autant qu'ils avancent dans les oscillations (( qu'ils nous offrent : il y a lutte entre les faibles w contractions du cœur et les résistances qu'offrent (( les artères à la dilatation. Enfm^ le mouvement « des globules dans les artères devient à peine sen- (f sible ; il n'y a bientôt plus que mouvement ré- u trograde dans les artères , repos dans les capil- u laires, et mouvement lent, mais naturel dans « les veines. Ce transport du sang des rameaux des (( artères et des veines vers le tronc devient de plus cf en plus lent , et il y a repos au bout de vingt a minutes. Nous remarquons que les artères et les i< veines contiennent une bien moins grande quan- (( tité de sang : quant aux capillaires , ils n'offrent w aucune différence. « Remarques, Les mouvements de systole du ({ ventricule persistent après la mort chez les ba- (( traciens; cette persistance des contractions du « cœur a aussi lieu après la mort chez certains C 279 ) i< mammifères^ comme le chien, le rat, la sou- « ris , etc. Ces mouvements qui ont encore assez {( d'énergie quand on vient d'extraire cet organe (( du corps de l'animal vivant , deviennent de plus (( en plus faibles. L'animal qui fait Tobjet de notre « expérience , par suite de l'opération à laquelle il « était soumis, s'est affaibli de plus en plus, et en (( même temps les contractions du cœur ont perdu «- graduellement de leur énergie ; de là les mouve- « ments continus-saccadés , intermitteiiis, oscilla-^ « toires , qui ont successivement remplacé le « mouvement continu» L'animal mort, le cœur a (( continué de battre ; alors persévérance du mou- i( vement oscillatoire : mais les contractions du « cœur devenant de plus en plus faibles, le mou- ce vement rétrograde du sang dans les artères a re- (c pris tout son empire, par suite du retrait des « vaisseaux qui cessent d'être dilatés par le sang (( venant du cœur. De sorte qu'à la faveur de ce c( retrait des parois des vaisseaux vers leur axe, le (c mouvement rétrograde des globules s'est encore (c prolongé vingt minutes après la mort de l'ani-- « mal. n On a vu quelquefois les globules en repos dans un membre séparé du corps de l'animal , être pris subitement de mouvements en sens divers. Cepen- dant la lame de verre est restée horizontale : au- cune secousse , quelque légère que ce soit , ne l'a ébranlée. Où donc chercherez- vous la source de ces déplacements spontanés ? ce sera dans la ma- nière dont le microscope est éclairé. Le soleil était couvert d'un nuage^ et ce nuage vient à se dissiper* ( 280 ) Alors les rayons lumineux calorifiques arrivent sur le miroir, et, réfléchis par sa surface, se répandent sur la patte soumise à l'expérience. Comme les li- quides se dilatent plus que les solides, le sang, trop à l'étroit dans ses tuyaux, se porte vers les points où la résistance est moindre. C'est à ce dé- faut d'harmonie entre la dilatation de la colonne sanguine et des parois qui la circonscrivent, qu'il faut attribuer le petit mouvement dont on a été té- moin. La même chose a lieu quand on se sert d'une lumière artificielle, telle qu'une bougie. Approche- t-on du membre la mèche enflammée, les mou- vements se rétablissent; ils cessent quand elle s'é- loigne. Il suffit souvent de passer d'un lieu frais dans un lieu chaud pour produire un effet de ce genre. Si les globules étaient immobiles, ils deviendraient le siège d'un faible mouvement, parce que la tempé- rature du milieu où ils se trouvent est supérieure à celle de l'endroit où on les observait d'abord. Est-il besoin de vous parler des prétendus dé- placements qu'exécuteraient volontairement les p'iobules extraits des vaisseaux? J'ai presque honte de réfuter de pareilles absurdités. Vous avez re- cueilli sur une lame de verre une goutte de sang , préalablement dissoute dans de l'eau sucrée ou al- caline, et vous l'examinez au microscope. Des glo- bules montent, d'autres descendent, d'autres os- cillent incertains où se fixer. Est-ce à leur caprice qu'ils obéissent? Non, mais tout bonnement aux lois de l'équilibre : les plus pesants vont au fond , ( 281 ) les plus légers à la surface. Vous observez le mérne phénomèae quand vous suspendez des particules colorantes dans de l'eau distillée. Avant que la li- queur soit en repos parfait, il y a des mouve- ments irréguliers qui dépendent, comme dans le cas précédent , de la pesanteur spécifique des cor- puscules et des courants établis. Souvent aussi la lumière est inégalement répartie sur la gouttelette soumise à l'inspection. Les points les plus échauffés se dilatent davantage : de là de nouvelles oscillations des globules. Le plus souvent , afin de mieux isoler les len- ticules du sang , on étale la couche sur une lame de verre ^ puis on place par-dessus une se- conde lame. Pendant quelques instants on voit des mouvements dans le liquide, mais ces mouvements dépendent encore du rétablissement de l'équilibre. Les globules se dirigent vers les endroits où la pression est moins considérable. Une fois que la pression est partout semblable, tous restent en re- pos. Ainsi ^ messieurs , que nous étudiions la marche des globules , soit dans leurs tuyaux, alors qu'ils se meuvent librement, ou que nous créions des obstacles à leurs mouvements, soit hors de leurs tuyaux, alors qu'ils sont étalés sur une surface . transparente, jamais, non, jamais, nous ne ren- contrerons quoi que ce soit qui puisse faire soup- çonner en eux une action vitale, iudépendante des lois physiques. Je sais bien que l'opinion contraire a été et est encore professée par des hommes fort honorables. On a fait des expériences, je les ac- ( 282 ) cepte : on en a déduit des conséquences > je les ré- cuse; pourquoi? parce que de telles déducîions ne sont pas l'appréciation sévère et exacte des phéno- mènes. Eh ! que m'importe à moi que les globules jouissent ou ne jouissent pas d'une vitalité spéciale! Pour l'agrément de la description , je voudrais que ce qu'on en raconte fût exact» Ce serait, certes, bien, plus piquant et récréatif de voir tous ces corpuscu- les se promener spontanément dans le liquide qui les charrie, aller, venir, se heurter, sans s'égarer dans ce dédale de vaisseaux^ et, par un admirable instinct, pourvoir aux besoins de l'économie tout entière. L'esprit se complait aces fantastiques créa- tions. Il est dans le caractère de l'homme d'ac- cueillir tout ce qui peut le grandir à ses yeux : fier de son intelligence, il se complaît à la supposer partout où il entrevoit quelque mystère , il aime- rait à retrouver dans chaque particule de son corps des êtres inteUigents. Mais , messieurs , il faut bien nous accoutumer à ne point étudier la nature dans ce qu'on voudrait qu'elle fut, mais bien dans ce qu'elle est réellement. Nous y gagne- rons, parce que la découverte du vrai est toujours vin événement heureux : nous y gagnerons , car ses œuvres sont beaucoup plus parfaites que tout ce que notre imagination s'évertue à enfanter. ( 283 ) SEIZIÈME LEÇON 21 Juin 1837. Messieurs , Une des grandes erreurs des physiologistes du siècle dernier et même de notre époque, c'est d'a- voir envisagé la circulation dans les capillaires comme soumise à d'autres lois que la circulation dans les gros vaisseaux. Nous avons examiné les principaux phénomènes qui se passent dans Tun et l'autre systèmes, et il est resté démontré pour nous qu'ils ne différent que par les explications dont ils ont été l'objet, mais qu'en réalité ils s'en-» chaînent, se confondent en une commune origine» Qui oserait encore contester l'influence toute puis- sante du cœur sur la marche du liqviide dans ses infiniment petits tuyaux ? N'avons-nous pas vu la colonne sanguine offrir des battements à chaque contraction de cet organe ? Ils diminuaient quand l'impulsion s'affaiblissait, ils augmentaient quand ( 284 ) elle grandissait. De même quand interceptant brus- quement le passage du sang dans une artère volu- mineuse, ce liquide continue à se mouvoir dans le bout de l'artère qui donne naissance aux capil- laires, de même ceux-ci sont encore pendant quel- ques instants traversés par des courants intérieurs quand le choc du cœur ne retentit plus jusqu'à eux. Il n'y a point aspiration de la part des radicules vei- neuses, il n'y a point locomotion instinctive ou spontanée des globules , il y a simple conséquence du retrait des parois élastiques. Ainsi le cœur en se contractant, les vaisseaux en se resserrant impri- ment aux colonnes sanguines leur marche nor- male. Quand ces deux causes agissent, il y a sac- cade : quand l'action de la première est neutrali- sée, le mouvement saccadé est transformé en mou- vement uniforme , qui persiste jusqu'à ce que l'élasticité des tuyaux membraneux soit tout-à- fait épuisée, alors tout mouvement cesse. A ceux qui demanderaient en quoi les phénomènes hydro- dynamiques des vaisseaux gros ou petits se ressem- blent, nous répondrons par une question inverse ; nous leur demanderons en quoi ils différent. Je ne vois que des rapprochements à établir, aucune distinction importante à admettre. C'eût été de notre part une grave omission que de négliger d'explorer, je ne dis pas la marche des globules dans leur ensemble , mais même l'allure isolée de chacun. Nous en avons vu se porter dans un sens, dans un autre, osciller, rétrograder, tour- ner sur eux-mêmes : il serait superflu de revenir sur ces questions de physique. Elles vous sont ( 285 ) suffisamment connues , leur mécanisme est des plus simples. Cependant il est une particularité sur laquelle nous avons dû spécialement insister, car elle appar- tient tout entière aux petits vaisseaux dont nous étudions le rôle dans la circulation, je veux parler de la couche immobile adhérente aux parois. Avant que M. Poiseuille en eût signalé l'existence , il était impossible de se rendre un compte raison- nable des divers degrés de vitesse dont chaque globule est doué dans un même tuyau. Quand on voyait un globule subitement arrêté dans sa mar- che, rester en repos un instant , puis reprendre sa direction première, sans que Faction du cœur pa- rût intermittente ou que les parois vasculaires offrissent dans leur diamètre la moindre modifi- cation, comment se refuser à reconnaître Tinter- vention d'une puissance occulte et mystérieuse? Une semblable supposition ne serait plus aujour- d'hui excusable. Un soupçon , un doute , serait l'aveu d'une honteuse ignorance. Je dirai la même chose du mouvement des glo- bules dans les capillaires d'un membre séparé du corps. 11 en est des artères comme des verges mé- talliques qui servent de ressort : elles reviennent sur elles-mêmes tant que Feffort qui les avait di- latées n'est pas anéanti. Vous faites cesser l'impul- sion du cœur, d'accord, mais vous n'empêchez pas que les effets antérieurs de cette impulsion ne persistent , vous n'empêchez pas que les tuniques vasculaires, préalablement distendues , ne se ré- tractent. En se rétractant , elles pressent le sang ( 286 ) et précipitent ce liquide vers les issues où la résis- tance est moindre. De là , cet écoulement par les orifices amputés, ce reflux contre le courant na- turel, cette tendance à se porter partout où s'offre une issue. Au lieu de séparer le vaisseau transver- salement, faites une simple ponction à ses parois; le résultat sera le même, et les globules accourront de tous les points circonvoisins vers l'ouverture accidentelle. Un premier pas à faire dans l'histoire physio- logique et anatomique des capillaires, serait de les distinguer en groupes reconnaissables à un type particulier. Ce que nous venons de dire de ces in- finiment petits tuyaux est très facile à vérifier sur les tissus où ils marchent isolés : ainsi, le mésentère de jeunes animaux, la vessie de petits rats, disten- due par l'urine (et elle l'est au moment de leur nais- sance), l'espace interdigital des pattes de grenouille sont très propres à ces investigations microscopi- ques. Mais bien que tout capillaire, pris d'une ma- nière abstraite, puisse toujours être envisagécomme un simplevaisseaucommençantpar être artère pour terminer par être veine, il y a des différences à si- gnaler, quanta la manière dont il se comporte dans ces parties dont il concourt à former le parenchy- me. Ici commence une série de difficultés nou- velles. Aurez-vous recours aux injections ? nous nous sommes expliqués sur les avantages et les in- convénients de ce procédé d'étude. Supposons que vous ayez mis la patience et l'habileté nécessaires pour n'introduire la liqueur colorante que dans les vaisseaux traversés par le sang durant la vie, ( 287 ) vous n'aurez pas encore une image bien nette de la disposition du réseau capillaire. Il vous faudrait pour cela graduer la force qui pousse l'injection à la résistance des parois vasculaires, composer un mé- lange qui ne fût pas susceptible de s'insinuer dans les pores des membranes. Malheureusement nous sommes bien loin de cette perfection. Presque tou- jours il se fait des extravasations , soit par suite de déchirure^ soit par suite d'imbibition : le plus souvent ces deux causes agissent à la fois, de sorte qu'au lieu de canaux linéaires ^ on obtient une succession de petits cylindres interrompus par des renflements ou des crevasses multiples. J'ignore jusqu'à quel point ces obstacles ont été surmontés par un anatomiste allemand, M. Berrès. L'ouvrage qu'il vient de publier à Vienne sous le titre de Anatomia parlkun microscopicariun cor- poris humani renferme une description détaillée des vaisseaux capillaires. Ce travail est un des plus complets qui aient paru jusqu'ici. Au texte est joint un atlas de planches représentant les divers modes d'arrangement, d'anastomose des infiniment petits tuyaux ainsi que le microscope dont l'auteur s'est servi. Malgré tous les soins que M. Berrés pa- raît avoir apporté à l'exécution de ses recherches, je n'oserais affirmer que la lacune qui existait dans la science relativement à l'histoire de ces vaisseaux soit entièrement comblée. Je crois déjà vous avoir signalé des omissions dans ce travail; si nous pas- sions en revue la classification dans ses détails, nous aurions sans doute quelques critiques à faire, quelques erreurs à relever. Comme cet examen ( 288 ) serait pour nous plulôt un objet de curiosité que d'étude véritablement instructive , et que ce qui nous importe surtout, c'est d'avoir une idée géné- rale des grandes divisions du système vasculaire , je me contenterai d'énumérer les seize classes éta- blies par le professeur allemand. Plus tard , nous reviendrons sur ces particularités de structure. Je citerai le texte latin, car pour le traduire en fran- çais > il me faudrait recourir à des périphrases , sans quoi il serait inintelligible. \'^ classe. — Plexus vasculosus linealis cru- ciatus, 2^ — Plexus vasculosus undalatus fortlor, 3" — F Lexus vasculosus undulaius îenuis. 4" — Plexus vasculosus linealis pectlnatus, 5" — Plexus 'vasculosuSy erectilis linealis, 6^ — Vasa arcuata , plexus vasculosi clen- iritici, l"" — Plexus vasculosus longitudinalis soli- dus. %^ — Plexus vasculosus dentriticus. 9^ — Plexus vasculosus longitudinalis reti- cularis, 10* — Plexus vasculosus longitudinalis cel- lularis, 11*" — Plexus vasculosus exceniricus longitu- dinalis ramosus, 12*" — Vasa ienuissima , plexus vasculosi li- nealis cruciati» 13' — Plexus vasculosus maculoso longitu- dinalis. ( 289 ) ■ 14* — Plexus vasculosus excentricus radiai ius, lo** — Plexus vasculosus excentricus sar-^ rnentosus irn^olvens, 16" — Plexus vasculosus penicilliformis erec- tilis. Vous voyez, Messieurs, que rien n'est plus ar- bitraire que cette classification. La dénomination de chaque groupe indique jusqu'à un certain point la disposition des vaisseaux; mais ces divers aspects, ces diverses nuances ne dépendent-elles pas plutôt des coupes faites pour étudier les tissus que d'une différence véritable dans Tarrangement du réseau capillaire ? Quoi qu'il en soit, j'ai eu l'autre jour l'occasion de reconnaître la variété indiquée parla classe 14. J'examinais un rein injecté, et il m'a semblé distinguer parfaitement les rameaux se dirigeant du centre à la périphérie, et se terminant par un bouquet flexueux, à mailles radiées. Entre chaque branche vasculaire était interposé un lobule creusé d'une sorte de gouttière. J'ai encore vérifié l'exactitude de plusieurs autres groupes; aussi ce travail m'inspire-t-il quelque confiance. Il est encore besoin de nouvelles recherches sur la structure intime des capillaires , pour qu'on puisse généraliser d'une manière absolue ce que nous avons dit du cours du sang dans leur cavité. 11 faudrait pouvoir comparer ensemble les princi- paux appareils. L'organe qui secrète l'urine, la salive, ne doit point, par sa disposition vasculaire, ressembler à celui qui sécrète la bile , le suc pan- créatique. Chaque tissu, chaque parenchyme a T. m. Magendie. 19 ( 290 ) son mécanisme spécial, par conséquent, sa texUire est appropriée aux fonctions qui lui sont dévolues. Les parois des vaisseaux ne doivent-elles pas elles- mêmes offrir dans leur porosité mille degrés diffé- rents, suivant qu'elles livrent passage à tels ou tels matériaux du sang ? Il y a là une immense mine à exploiter. Les diverses sécrétions muqueuses , séreuses^, glanduleuses, la nutrition^ ces phénomè- nes si admirables et si complexes à la fois , toutes ces questions de haute physiologie ne peuvent être éclaircies que par une connaissance approfondie de l'organisation des tissus, des membranes et des parenchymes. Mais , Messieurs , ne concentrons point sur un seul objet toute notre attention. Si les solides mé- ritent de notre part d'être pris en grande considé- ration , il est une autre étude, plus importante encore, qui réclame à juste titre notre sollicitude. Comment espérer de modifier la manière d'être et de fonctionner de nos tissus, tant que nous négli- gerons l'examen des liquides ? Ne sont-ce pas eux qui leur portent , dans l'état de santé, de quoi ré- parer leurs pertes , dans l'état de maladie, de quoi guérir leurs lésions ? C'est la seule voie ouverte à nos agents médicamenteux, c'est la seule source où nos organes puisent la vigueur et la vie. Naus avons marché depuis le commencement du précédent semestre ; ce qui n'était alors pour nous qu'un soupçon est devenu un fait ; ce qui n'était qu'une conjecture est devenue une certitude. Déjà des expériences antérieures nous avaient mis sur la voie des troubles qu'entraîne dans l'organisme une ( 291 ) altération du liquide animal ; l'injection dans lea Teines, de di^verses substances, avait déterminé dans le poumon, des altérations trop graves, pour que notre esprit ne fût point dirigé vers de nou- velles recherches. Nous les avons entreprises : le résultat , j'ose le dire , a dépassé notre attente. Faites appel à vos souvenirs. Pour être apte à circuler, le sang doit réunir tous les caractères physiques et chimiques qui le consti- tuent normalement. S'il devient trop aqueux _, il passe à travers les parois de ses conduits et s'épan- che dans les tissus voisins. Essayez sur l'animal vivant d'injecter de l'eau dans une artère mésen- térique, le liquide s'échappera par la veine, mais il en sortira moins qu'il n'en a pénétré : pourquoi? parce que vous avez déterminé des ex travasa lions par imbibition. En incisant le tissu de l'intestin , il vous paraîtra plus pâle, plus gonflé, plus pesant : ses parois seront devenues plus épaisses par suite du dépôt d'une certaine quantité d'eau entre les tuniqueis qui constituent son tissu. Répétez sur le cadavre la même expérience , les résultats seront tout-à-fait semblables. Ainsi, par le seul fait de cette prédominance de l'élément aqueux , le sang cesse de pouvoir servir à la circulation. Au lieu d'augmenter la fluidité du sang, ren— dez-le plus visqueux , en introduisant directement dans le systéaie vasculaire des liqueurs mucilagi- neuses, telles que le sirop de gomme , le sirop de dextrine : les petits vaisseaux se bouchent et la mort arrive. Cependant, portées dans l'estomac, quoi de plus innocent que ces substances? ( 292 ) Il est donc pour le sang un certain degré de vis- cosité, en-deçà et au-delà duquel la circulation est impossible. Ce n'est pas impunément que dans nos expériences ou dans les maladies cette propriété physique se trouve modifiée. Ce qu'on appelle in- flammation est produit à volonté par une injection dans les veines d'eau distillée ou de liqueur siru- peuse. Dans le scorbut, dans \^ purpura hemorrhagica, le sang s'échappe entre les lames intersticielles de la peau, au sein des cavités splanchniques, dans la profondeur même des parenchymes. Il ne res- pecte plus les limites que la nature a opposées à sa fuite hors de ses canaux : les parois vascu- laires sont un obstacle impuissant à son extra- vasation. Nous retrouvons cette exhalation mor- bide chez les animaux qui ont reçu dans les veines de notables quantités d'eau distillée. Croyez-vous qu'il n'y ait pas quelques rapprochements à éta- blir entre ces états de l'économie ? Ce que nous savons des modifications apportées au cours du sang pour la combinaison artificielle de ses ma- tériaux , ne peut-il pas nous mettre sur la voie de ces troubles qui frappent l'universalité des tissus ? L'alimentation, l'état hygrométrique de l'atmos- phère exercent une influence non douteuse sur cette tendance aux hémorrhagies capillaires. Certaines localités y paraissent plus exposées que d'autres , souvent même ces affections y régnent d'une ma- nière endémique, et en général , elles y sont d'au- tant plus fréquentes, d'autant plus graves, que les conditions hygiéniques sont plus défavorables. ( 293 ) Ici se présente une question importante : Les soli- des sont-ils seuls altérés, ou bien les liquides sont- ils en même temps malades? Il y a lésion simulta- née des liquides et des solides. On peut même éta- blir, d'après le caractère et le mode d'invasion de ces troubles généraux, que les liquides sont primi- tivement atteints et que la désorganisation des so- lides n'est qu'un simple accident, qu'une inévita- ble conséquence. Il n'y a pas long-temps que M. Marjolin a cité dans une de ses leçons, à la Faculté , l'observation d'un liomme qui ne pouvait faire un mouvement violent , un effort , sans voir à l'instant se former des ecchvmoses. Ce fait est fort curieux. Son au- tbenticité ne peut être révoquée en doute , car le témoignage du professeur qui l'a rapporté en est une preuve irrécusable; mais ce que je ne puis ad- mettre , c'est l'explication qu'on a cru devoir en donner. C'est à un affaiblissement du système ca- pillaire , à un défaut de tonicité des petits tuyaux qu'on a rapporté ces exhalations spontanées du sang hors de ses vaisseaux. Avant les dernières expériences que nous avons eu l'occasion de faire, j'aurais été plus porté que maintenant à attribuer aux solides un rôle tout-puissant dans la production de semblables phénomènes. Pour moi , je ne doute pas que chez cette personne, il n'y ait eu une altéra- tion du sang. A chaque effort, la pression supportée par les vaisseaux augmentait, et conséquemment le sang trouvait plus de facilité à s'imbiber dans leurs parois et à se déposer dans les tissus environnants. Je ne connais pas les détails de l'observation, aussi ( 294 ) ne puis-je asseoir mes soupçons que sur les reii- seignements que m'a fournis un élève qui assistait au cours de M. Marjoiin. Ce qu'on m'a raconté de ce malade m'a semblé^ je le répète, s^expliquer admirablement par une altération des liquides» Ne pourrait-on pas rapprocher ce cas d'un au- tre, non moins intéressant, observé dernièrement dans le service de M. Roux, à FHôtel-Dieu? Un homme entre à Thôpital pour une hémorrhagie survenue subitement dans la paume de la main au moment où il faisait un effort. Le tamponnement, la compression , tout fut inutile pour arrêter le sang. Il fallut lier l'artère radiale, puis la cubitale, puis enfin, je crois ^ Thumérale. Cependant l'hé- morrhagie reparaissait toujours. Ces opérations successives épuisèrent l'individu affaibli déjà par des pertes abondantes : il finit par succomber. Je regrette qu'on n'ait pas fait l'analyse du sang , car il est probable qu'on l'aurait trouvé altéré , et non coagulabie. La chimie animale ne nous a encore fourni que bien peu de renseignements en comparaison de ceux qu'il nous reste encore à réclamer d'elle. Il faut être bien pénétré de l'importance de ces études et de l'avenir immense réservé à leur succès , pour ne point se laisser rebuter par les difficultés de tout genre dont elles sont hérissées. Elles récla- ment de la patience, de Thabitude, une sorte de dévouement pour la science. Le temps que vous employez à découvrir un fait^ un autre l'aura con- sacré à imaginer des hypothèses : lequel de vous ou de lui aura le mieux mérité de l'humanité ? Ne ( 295 ) le demandez pas à ce public aveugle qui juge sans contrôle, condamne sans appel, et que son caprice bizarre entraîne vers de bizarres productions. Ce n'est pas à lui que vos travaux s'adressent , mais bien aux hommes graves, qui tôt ou tard sauront les apprécier. Les nombreux matériaux qui entrent dans la composition du sang rendent leur isolement très difficile^ l'évaluation de leurs proportions très dé- licate. Comment reconnaître, au milieu de tant de principes différents, la présence de quelques atomes étrangers? Cependant il n'en faut souvent pas da- vantage pour altérer profondément le sang et le dénaturer au point qu'il ne peut plus remplir les fonctions auxquelles il est destiné. Vous connais- sez ces expériences où nous avons injecté dans les veines des matières putrides : quelques parcelles sont à peine passées dans la circulation que l'ani- mal est pris d'accidents formidables. Il rejette, par le vomissement, un liquide noirâtre, poisseux, qui n'est autre chose que du sang échappé par exha- lation à la surface de l'estomac. La membrane muqueuse^ dans toute la longueur de l'intestin est soulevée par des dépôts sanguins , épanchés sous elle, dans le tissu cellulaire. Sont-ce les parois des vaisseaux qui ont été modifiées? Non, évidemment; c'est le sang qui est altéré et dont les propriétés cessent d'être en harmonie avec celles de ses con* duits. Nous savons cela , parce que nous sommes nous-mêmes les auteurs du désordre. Mais si ces symptômes se fussent développés sans notre parti- - cipation^ aurions-nous pu, privés des lumières de ( 296 ) la chimie, reconnaître le point de départ de la maladie ? C'est justement le cas où nous nous trou- vons dans maintes circonstances. Nous appelons alors anomalie ce qui échappe aux lois inventées par nous , mais ces prétendues anomalies sont en tout conformes aux lois de la nature. Le fameux vomissement noir de la fièvre jaune tient-il, comme on l'a prétendu , à une gastrite de nature spécifique ? Le mot de spécifique est sou- vent mis à contribution par ceux qui bornent tout leur savoir-faire à être inintelligibles. Tout ce qui contrarie leur manière de voir devient nécessaire- ment spécifique. Ces messieurs , à ce compte, ont toujours raison. L'inflammation est le tronc sur lequel sont greffées toutes les maladies ; seule- ment quelques épithètes permettent de les distin- guer. Malgré notre constante intention de faire aux opinions des autres les concessions qui nous pa- raîtront raisonnables et justes, nous sommes en- core obligés de ne voir dans ce vomissement noir que le produit d'une exhalation morbide, par suite d'une altération profonde du sang , altération qui a pour principal caractère de faciliter son extra va- sation. On sait , et tous les observateurs l'ont si- gnalé , on sait que ces graves symptômes dépen- dent de l'introduction par la respiration ou par d'autres voies , de substances animales ou végé- tales en putréfaction. C'est littéralement le phé- nomène que nous développons à notre gré sur Ta- nimal vivant ; tant il est vrai que la pathologie de l'homme repose tout entière sur la physiologie ex- périmentale. ( 297 ) S'il était possible de soustraire isolément au sang les matériaux dont la réunion et la combi- naison chimique constituent sa structure normale, je ne doute pas qu'on n'obtint des renseignements fort intéressants sur les grandes fonctions de l'é- conomie. Telle propriété qui nous paraît insigni- fiante et que nous mentionnons à peine, est peut- être étroitement unie à l'intégrité de l'organisme. J'en veux pour preuves les découvertes que nous avons été amenés à faire pendant le précédent se- mestre. En vous énumérant les caractères physiques du sang , je vous avais simplement signalé sa coagu- labilité, sans insister sur l'importance qu'elle pou- vait avoir dans la facilité plus ou moins grande avec laquelle s'accomplissent les phénomènes hy- drodynamiques. 11 y a plus y ce qui me frappait surtout, dans cette propriété qu'a le liquide de se prendre en masse, c'étaient les obstacles sans cesse renaissants qui devaient en résulter pour sa mar- che dans ses tuyaux. Mais, Messieurs, nous n'en- visagions qu'une fraction de la question. A côté de ces complications était un admirable artifice , dont nous avions méconnu jusqu'alors l'existence. Ayant voulu enlever au sang la faculté dont il jouit de se prendre en masse, nous en avons sous- trait la fibrine : aussitôt l'animal est mort. La même expérience répétée plusieurs fois sur divers animaux, nous a donné les mêmes résultats. Tou- jours nous avons vu la soustraction brusque de la partie coagulable du sang entraîner immédiatement la cessation de la vie. Hé quoi ! au lieu de simpli- (^98) fier le problème , nous l'avions compliqué! Voilà, diraient les adeptes d'un vitalisme absolu , voilà à quoi on s'expose en voulant appliquer aux eorp^ organisés ce qui appartient à la matière inerte^ Tant que le sang était propre à circuler dans des tuyaux vivant^ , il ne pouvait se mouvoir dans des tuyaux métalliques. Vous lui ôtez la propriété de former caillot : il peut alors se mouvoir dans des tuyaux métalliques , mais en même temps il de^ impropre à circuler dans des tuyaux vivants. Les lois physiques et les lois vitales se sont mutuelle^ ment exclues. Cette assertion , Messieurs, ne me parait pas seu- lement aller au-delà des faits, mais encore reposer sur des bases ruineuses. Qu'avons-nous modifié en enlevant la fibrine du sangp ? La composition du liquide, et non pas sa vitalité. Réinjecté dans le torrent circulatoire , il n'agit point comme prin^ cipe vénéneux: ce n'est pas aux tissus des organes qu'il s'attaque , c'est aux parois de ses propres ca- naux ; ce n'est pas parce qu'il vient toucher les parties les plus délicates et les plus susceptibles de l'organisme qu'il produit la mort, c'est, au contraire , parce qu'il ne peut arriver jusques à elle , retenu qu'il est dans ses vaisseaux , qui se sont laissé imbiber. Ceci est si vrai , que vous pou- vez impunément soustraire des masses assez con- sidérables de fibrine, pourvu que vous ayez la précaution d'en enlever peu à la fois, et de mettre entre chaque expérience un certain intervalle. Ces essais, nous les avons tentés. Vous vous rappelez plusieurs animaux chez lesquels nous avons gra-^î ( 299 ) duellement retiré du sang des quantités données de fibrine : les accidents ont été nuls ou peu in- ten8€8, tandis qu'ils étaient foudroyants chez ceux qui se trouvaient spontanément privés de cet élé- ment coagulable. A l'autopsie nous trouvions des extravasations morbides dans tous les tissus ri- ches en vaisseaux capillaires. Les gros troncs eux- mêmes en étaient le siège , ainsi que l'attestaient des plaques rougeâtres étalées sur leur membrane interne. Ce n'était pas seulement du sang déposé à la surface des parois, il avait pénétré dans leur épaisseur , entre leurs tuniques , car la coloration ne disparaissait pas par le frottement. Tout l'ap- pareil vasculaire était transformé , dirait certaine école, en un vaste foyer d'inflammation, dont le sang était le brandon incendiaire. S'il est vrai que les épanchements sanguins sur- venus pendant la vie ne dépendent que d'un dé- faut d'harmonie entre le liquide et ses tuyaux, les mêmes effets devront être observés sur le cadavre. Vous allez en juger. Voici un intesûn que j'ai fait injecter avec du sang défibriné. Vous apercevez à la couleur de l'organe que les parois des tuyaux se sont laissé traversera la manière d'une éponge. Au lieu d'an- ses vasculaires, on trouve des traînées rougeâtres, dont le centre est occupé par un cylindre mem- braneux, la circonférence^ par des tissus impré- gnés de matière colorante. îl semblerait qu'il s'est fait des crevasses , par [lesquelles s'est échappée l'injection : ce n'est qu'une fausse apparence. C'est à travers les porosités naturelles des parois que le ( 300 ) sang, privé de sa fibrine, a trouvé une issue. Ainsi , voilà un fait que Ton ignorait , savoir que le sang dépouillé de la propriété de se prendre en niasse , n'est plus apte à se mouvoir dans ses vaisseaux. Je reviens à dessein sur ces questions que nous avons déjà abordées à propos de la cir- culation du poumon. Comme ces phénomènes se passent dans les capillaires , non - seulement de l'appareil respiratoire, mais aussi dans ceux de la généralité des tissus , et que nous faisons ici l'his- toire des infiniment petits tuyaux de toute l'éco- nomie , nous ne pouvons nous dispenser de con- sacrer quelques instants à leur examen. Chez les animaux auxquels on soustrait graduel- lement la fibrine, le sang ne paraît pas privé en pro- portion de ses pertes de la faculté de se coaguler. Déjà la plus grande partie delà fibrine a été retirée du corps de l'animal, et cependant le sang extrait de la veine se sépare encore en deux parties, l'une liquide , l'autre solide. La partie sohde offre des caractères particuliers sur lesquels nous revien- drons : c'est une sorte de principe immédiat sur les confins de l'albumine et de la fibrine propre- ment dite. Sa composition est d'autant plus im- portante à analyser , que c'est à sa présence dans le fluide circulatoire que le sang doit de pouvoir traverser ses conduits sans s'extravaser dans leurs parois. Dans les soustractions spontanées de la fi- brine, elle n'a pas le temps de s'organiser. Le sang ne peut plus former caillot : de là l'instantanéité des accidents mortels. Une dernière preuve , plus concluante encore ( 301 ) que toutes les précédentes , démontre que ce n^est pas seulement parce que le sang est privé d'un de ses matériaux , la fibrine , qu'il ne peut plus cir- culer , mais bien parce qu'il cesse d'être coagu- lable. Il est des substances qui ont la faculté d'en- tretenir la fluidité' du liquide vivant. Tel est en particulier le sous-carbonate de soude. En l'injec- tant dans les veines , nous empêchions le sang de pouvoir se prendre en masse, tout en conservant le nombre de ses principes constituants dans son inté- grité normale. Car en quoi quelques grains de ce sel introduits dans l'économie pouvaient- ils exercer une actiondélétére, lorsque plusieurs gros sont cha- que jour prescrits sans danger dans le traitement des maladies ? Nous ne nous attaquions , je le ré- pète, qu'à une propriété physique du sang, qu'à sa coagulabllité. Cependant vous fûtes frappés comme moi de la rapidité de la mort de l'animal. Nous crûmes même un instant nous être trempés de substance, et, au lieu de sous -carbonate de soude , avoir fait usage d'un sel vénéneux. Il n'en était rien. L'expérience répétée à plusieurs repri- ses nous donna constamment les mêmes résultats, et il resta bien prouvé pour nous que la cause de la mort devait être cherchée dans un défaut de coaguiabilité du sang. Les animaux ouverts à l'in- stant où ils venaient de succomber, les altérations organiques parurent littéralement semblables à celles que déterminait la soustraction de la fibrine: même injection de la face interne des vaisseaux; même extravasation de la matière colorante, même engouement du parenchyme pulmonaire , des tis»- ( 302 ) eus caverneux et de tous les organes à texture Tas- Gulaire. Le sang était épanché entre les fibres des muscles , les grains des glandes , les lamelles des membranes. Partout des exhalations sanguines , partout des traces d'hëmorrhagies capillaires. Soi van l que le sang perdait en totalité ou en partie la faculté de se coaguler, les accidents sui- vaient une marche rapide ou lente. L'injection de dix grammes de sous-carbonate de soude rendait les animaux simplement malades^ tandis que trente à quarante grammes les tuaient imrjoédialement. Nous avions déjà fait les mêmes remarques sur ia fibrine , suivant que nous la retirions à petite ou à haute dose. Ces résultats ne doivent point vous surprendre. Puisque nous nous attaquions aumême principe , il fallait bien que les conséquences of- frissent dans leur enchaînement et leur succession une physionomie régulière. Vous voyez , Messieurs , de quelle importance il est dans le traitement des maladies de ne jamais négliger l'examen du sang. Les anciens médecins parlent sans cesse de sa décomposition, de sa liqui- dité , de la mollesse et de la friabilité du caillot : le vulgaire sait aussi que le sang peut s'altérer; c'est ce qu'il exprime, dans son langage, en disant qu'il est gâté, tourné, corrompu. Mais dans ces derniers temps , sous prétexte de tout réformer , on a tout bouleversé. Les altérations du sang ont été traitées de chimères , les observateurs qui les avaient signalées , taxés d'ignorance. Les solides seuls ont eu le privilège d'être malades. Cepen- dant, pour rester dans les limites de la question ( 303 ) qui nous occupe , il est incontestable qu'un sang privé de la faculté de se prendre en masse ne cir- cule plus aussi bien que celui qui conserve sa coa- gulabilité. C'est ce que vous savez déjà, et ce que nous nous proposons de vous démontrer encore par de nouvelles expériences. Car c'est là , procla- mons-le hautement, une carrière nouvelle ou- verte aux médecins qui sentent le vague et l'in- certitude de leur science; c'est là qu'on va trouver des lumières inattendues sur la nature des mala- dies graves , et sans doute sur les moyens de les combattre. Cette fois encore , un simple fait physiologique aura tout-à-coup grandi et perfectionné une des branches de la médecine. ( 30^^ ) DIX-SEPTIEME LEÇON. 25 juin i837. Messieurs , Un caractère commun à tous les capillaires, dans quelque point de l'économie que vous les étudiiez, c'est leur excessive ténuité. Les différences qu'ils offrent à considérer portent spécialement sur les flexuosités de leur trajet, leurs anastomoses, leurs communications plus ou moins libres avec les vei- nes et les artères dont ils sont et l'origine et la ter- minaison. Les considérations générales dans les- quelles nous sommes entrés sont applicables à l'ensemble du système capillaire : pour que ces données anatomiques fussent complètes et embras- sassent les détails de structure particuliers à chaque tissu pris isolément, il faudrait avec le microscope explorer chaque organe au moment où le sang se meut dans les vaisseaux de son parenchyme. Les globules, par leur déplacement, leur nombre, leur degré de vitesse indiquent la direction et le calibre ( 305 ) des tuyaux qu'ils traversent. Tout mouvement de translation cesse en même temps que la vie; aussi est-ce seulement pendant qu'elle persiste qu'on peut étudier la disposition matérielle des capillai- res. Sur le cadavre ;, on aperçoit bien des tubes membraneux; mais il est impossible de savoir s'ils sont babituellement traversés par le sang ou par des fluides d'une autre nature. L'anatomie elle- même n'est donc ici autre chose que de la physio- logie expérimentale. Il suflit d'examiner la texture vasculaire de quelques tissus pour sentir tout le néant des hy- pothèses qui reconnaissent aux infiniment petits tuyaux un rôle actif dans la circulation. Prenez un os. A l'exception de l'artère nourricière , il ne renferme point de vaisseaux proprement dits, et c'est de proche en proche, de cellule en cellule que le sang se meut dans son épaisseur. Absence de conduits membraneux, par conséquent, impossi- bilité de contraction des parois. Si vous refusez toute action au cœur, quelle sera la puissance qui mettra le liquide en mouvement ? L'étude de la circulation cérébrale exclut aussi toute intervention active delà part des capillaires. D'abord il n'est pas encore démontré pour moi que les canaux creusés dans la substance nerveuse soient le prolongement des vaisseaux qui se dé- ploient dans les mailles de la pie-mère. L'autre jour j'examinais au microscope des portions d'en- céphale , et il m'a été impossible d'isoler les la- melles membraneuses qu'on suppose tapisser la face interne de ces conduits. J'ai bien aperçu vers T. III. Magendie. 20 ( 306 ) les points de section quelques franges inégales flotter sur les bords d'orifices tronqués , mais étaient-ce bien les débris des tuniques vasculaires? je n'oserais l'affirmer. Quoi qu'il en soit , en sup- posant l'existence des parois véritable, leur adhé- rence à la pulpe cérébrale ne leur permettrait pas de se resserrer pour faire avancer le sang. C'est donc l'impulsion de Fondée sanguine dans les gros- ses artères qui va retentir jusque dans les ramifi- cations capillaires. Cette impulsion, d'où vient-elle? Du cœur. Le cœur est donc en définitive le centre d'où émanent les forces subdivisées à l'infini qui font marcher le sang dans les troncs les plus vo- lumineux comme dans les radicules les plus grêles» Que nous procédions par l'observation directe ou par la voie d'exclusion , toujours nous arrivons à cette inévitable conséquence. Il n'y a pas moyen d'en sortir. Je pourrais multiplier ces exemples et faire res- sortir davantage combien sont invraisemblables, combien sont absurdes toutes ces prétendues ex- plications qui servent encore aujourd'hui de base aux théories sur le cours du sang dans les capil- laires. Mais le temps nous presse; il nous reste trop de questions nouvelles à aborder pour que nous puissions épuiser celles qui déjà nous sont en grande partie familières. Quelque grossiers que soient nos procédés ac- tuels d'injection, quelqu'inexacte que soit l'image qu'ils nous présentent de la disposition matérielle des petits tuyaux , j'ai dû y recourir pour vous donner une idée des principales variétés du sys- ( 307 ) téme capillaire. On est obligé d'injecter des liqueurs colorées, sans quoi rien ne distinguerait les vais- seaux des tissus au sein desquels ils rampent. Au premier aspect , la matière semble avoir pénétré partout , mais en examinant avec plus d'attention, on s'assure bientôt que sa viscosité, la grosseur de ses grains Font empêchée d'aller au-delà de cer- taines limites. L'injection se termine brusquement dans certains points, comme si le redressement d'une soupape l'eût arrêtée ou qu'on l'eût coupée avec un instrument tranchant. Ceci s'explique tout naturellement. Tant que le volume de la liqueur était proportionné au diamètre des vaisseaux , le passage a pu se faire, mais dès l'instant où ceux-ci sont devenus d'une ténuité telle qu'il y a eu dis- proportion , le passage est devenu impossible. J'avais besoin de vous prévenir de ces complica- tions mécaniques pour que vous vous tinssiez en garde contre les causes d'erreur qu'elles pouvaient entraîner. Plusieurs pièces ont été injectées et fixées sur une lame de verre : je vais vous les faire passer, afin que vous puissiez y jeter un coup d'œil. Voici une anse d'intestin. Les capillaires forment une succession d'arcades à branches flexueuses , qui se recourbent en décrivant des portions d'arc de cercle. La disposition vasculaire n'est plus la même sur les membranes muqueuses. Ge sont des espèces de pinceaux, placés les uns à côté des autres, d'où s'irradient des canaux d'une ténuité prodigieuse. J'ai fait dessécher un pénis humain préalable- ment insufflé avec de l'air. Au lieu de tuyaux , ce ( 308 ) sont de larges cellules , séparées par des cloisons incomplètes, offrant une capacité considérable. Chez le cheval , elles sont assez larges pour ad- mettre l'extrémité du doigt. La même texture se retrouve pour la rate. Son tissu rappelle assez bien celui de l'éponge. Même souplesse, même élasticité. Vous pourrez examiner à la fin de la séance les autres pièces qu'on a mis tout le soin possible à injecter. Elles vous donneront une idée générale du mode d'entrelacement et d'anastomose des infi- niment petits tuyaux. Pour en avoir une descrip- tion parfaite , il faut les soumettre à l'inspection microscopique , suivre de l'œil les globules à leur sortie des artères et ne les abandonner que quand ils sont^arrivés dans le système veineux. Le sang est le seul liquide qui puisse ainsi traverser les conduits capillaires ; il ne s'épanche pas à travers leur parois, parce qu'il réunit les conditions vou- lues pour circuler sans s'imbiber. Modifiez sa composition en diminuant, augmentant, altérant quelques-uns de ses éléments , à l'instant toute harmonie cesse, et il s'opère des extravasations ou des arrêts de la colonne sanguine. Ces études n'ont pas été pour nous sans résul- tats avantageux. Elles nous ont donné la théorie d'une foule de maladies parmi lesquelles nous comptons les diverses espèces de pneumonie, l'œdème, l'engouement, l'apoplexie pulmonaire. En poursuivant ces recherches dans les principaux appareils, nous devons arriver à la connaissance des modifications pathologiques dont leurs fonctions ( 309 ) ou même leur propre tissu ont été par fois affectés. Le meilleur moyen de reconnaître le caractère d'une lésion, c'est de la comparer avec une autre, de faire ressortir leurs différences , leurs analogies : pour qu'elles puissent s'éclairer mutuellement, il faut que la nature de l'une au moins soit accessible à nos explications. Or, quel autre point de compa- raison irons-nous préférer à celui qui est notre ou- vrage, à celui dont nous pouvons à notre gré mo- difier les moindres particularités ? Lorsque deux maladies , Tune naturelle , l'autre artificielle , se présenlent à nous avec les mêmes symptômes, s'accompagnent des mêmes désordres , laissent après elles les mêmes traces , ne doit-on pas leur supposer une communauté d'origine ? C'est ce que nous avons fait pour le poumon, c'est ce que nous ferons pour les autres organes de l'économie. Quiconque s'est éclairé, je ne dis pas dans les li- vres , mais sur la nature, a du être frappé d'un grand fait, c'est qu'il existe des états morbides qu'on ne peut localiser et qui frappent l'organisme dans son ensemble. Certaines maladies, je le sais , envaliissent d'abord un point, puis ensuite se gé- néralisent : ainsi, le poumon sera le premier pris; peu à peu son tissu cesse d'être perméable, le sang ne peut plus le traverser pour subir le contact de l'oxygène; alors les autres fonctions, jusque là res- pectées, se dérangent. A la prostration des forces se joint un trouble général des plus prononcés , la langue devient sèche, la face hébétée^ les idées in- cohérentes, les membres sont agités de tremble- ments involontaires. Des hëmorrhagies apparais- ( ^'^o ) sent vers les membranes muqueuses des fosses na- sales et de 1 intestin. L'individu meurt. Est-ce à l'intensité , à la malignité de l'inflammation du tissu pulmonaire que vous rapporterez le principe de tous ces désordres ? Ce serait une étrange er- reur. Admettez que l'affection ait été primitive- ment locale, à quel moment l'économie tout en- tière a-t-elle été frappée ? dés l'instant où le sang n'a plus eu les caractères du sang artériel. C'est alors seulement que toute la machine est devenue malade. Supposez tout autre organe frappé des mêmes désordres, ou même plus gravement atteint, ses souffrances pourront acquérir un plus haut de- gré d'acuité, mais jamais vous n'observerez cet ap- pareil de phénomènes graves. Les obstructions du poumon ont seules ce caractère , car le poumon a pour fonction spéciale de mettre en contact l'air et le sang; et aussitôt que ce liquide n'est plus convena- blement vivifié, il devient impropre à entretenir les fonctions de nos rouages et l'intégrité de leur jeu. Il est d'autres circonstances où l'altération du sang paraît ouvrir la scène et où les lésions orga* niques ne sont qu'un simple accident. La maladie revêt encore la même physionomie, seulement il y a une marche inverse dans la succession des symptômes. Dans ce qu'on appelle fièvre typhoïde, l'économie est iiffectée d'emblée : ce n'est que suc- cessivement que les organes se prennent. Aussi les follicules de l'intestin ne deviennent rouges, tuméfiés , qu'au bout d'un certain temps , plus tard ils s'ulcèrent : mais voir dans leur altération tout l'élément morbide qui a frappé l'individu , ce ( 311 ) serait intervertir les phases de la maladie, ce serait regarder comme cause ce qui n'est qu'un eifet. Rien de plus fréquent dans ces cas que des em- barras de la circulation pulmonaire. Les cellules s'engorgent, les bronches s'obstruent et le malade meurt asphyxié : on dit alors qu'il a succombé à une pneumonie intercurrente. Quel est l'organe qui, par la vascularité de son tissu, se rapproche le plus du poumon ? La rate. Eh bien î tous les médecins ont signalé la rate comme étant presque constamment plus volumineuse^ plus friable, plus abreuvée de hquide. J'aimerais autant appeler la fièvre typhoïde une splénîte qu'une entérite. L'une et l'autre expression me paraissent tout aussi con- venables , ou , pour exprimer plus fidèlement ma pensée, tout aussi ridicules. Ce qui frappe surtout dans ces maladies gra- ves, qui affectent l'organisme entier, c'est l'état de fluidité du sang, l'absence du caillot, ou quand il existe, son petit volume et sa mollesse. Jusqu'ici on a plutôt noté ces caractères pour paraître ne rien négliger que pour en tirer quelques lumières propres à éclairer l'histoire des symptômes. Nous- mêmes nous avons long- temps méconnu tout ce que cette absence de coagulabilité du sang peut entraînerde désordres dans l'appareil circulatoire : nos expériences récentes sur la fibrine ont modifié nos idées. Aujourd'hui, quand je siiis appelé prés d'un malade , et que déjà une saignée a été faite , mon premier soin est d'examiner le volume et la consistance de la fibrine. Est-elle molle, friable, so- luble, fusible^ ces renseignements me suffisent, je ( 312 ) sais quels organes doivent être altérés, je sais quelle est la nature de leurs altérations. C'est donc pour moi un précieux moyen de diagnostic. Nous avons actuellement plusieurs animaux en expérience qui nous serviront à étudier les effets de la non-coagulabilité du sang. Examinons - en quelques-uns. Voici un chien auquel on a fait une saignée de 450 grammes. La fibrine extraite, le sang a été réinjecté dans la veine et l'animal replacé dans sa loge. Il s'est couché sur le côté, comme si ses pâtes n'avaient plus la force de le soutenir; sa respira- tion était plaintive, ses mouvements rares et diffi- ciles. Quand on l'appelait, il semblait ne pas en- tendre la voix. Aujourd'hui encore il est dans un abattement extrême. Si vous portiez cet animal chez un de ces industriels qui ont des hôpitaux pour les chiens et qui font preuve d'une certaine faconde quand il s'agit de disserter sur leurs ma- ladies, je serais curieux de connaître le nom qu'il donnerait à ceîle-ci. Ce serait sans doute une in- flammation. L'état de prostration s'expliquerait très bien par l'intensité de Télément inflamma- toire, car je présume que ces Messieurs raisonnent comme la généralité des médecins sur les ques- tions de ce genre. Un moribond n'a-t-il plus qu'un souffle de vie , on dit : la faiblesse n'est qu'appa- rente , il y a simplement oppressio inrium. Sai- gnez-le , débarrassez-ie de ce sang qui Foppresse, et les accidents disparaîtront. Voilà ce que l'on entend dire, mais pour mettre en pratique de sem- blables préceptes, il faut plus que du courage. (313) Je vous disais donc que ce chien s'était très mal trouvé de notre expérience. Indépendamment d'une gêne considérable vers la circulation pul- monaire , il a eu des selles sanguinolentes, rappe- lant assez les déjections alvines qui caractérisent la dysenterie. Il y a trop peu de temps que nous avons soustrait la fibrine pour que des ulcérations de l'intestin aient pu se former : il est plus probable qu'ici le sang s'échappe à travers les parois de ses vaisseaux à la surface de la muqueuse digestive. Ne pourrait-on pas établir quelques rapproche- ments entre les hémorrhaffies intestinales survé- cu nues chez un chien défibriné , et celle qu'on ob- serve chez les individus frappés de fièvre typhoïde? Dans ces deux circonstances, il y a évidemment diminution de la coagulabilité du sang. Or, nous savons que toutefois que le sang devient moins coaguîable, il acquiert la singulière propriété de s'extravaser en s'imbibant dans les porosités de ses tuyaux. J'ai fait mettre dans ce petit flacon un échan- tillon du sang défibriné qu'on a réintroduit dans les veines du chien. Il ne présente à Fœil rien de particulier. Il se colore en rouge par le contact de l'air comme s'il renfermait sa fibrine. On ne pour- rait, à ses caractères physiques, le distinguer d'un sang ordinaire , et cependant nous savons qu'il est impropre à la circulation. Est-ce donc en se contentant d'écraser le caillot ou d'apiter le sérum avec le manche d'une cuiller qu'on arrivera à re- connaître dans le sang recueilli dans un vase l'ab- sence ou la prédominance de ses éléments ? Il y a ( 3U ) dans cette partie de la médecine de grandes réfor- mes à faire, ou plutôt il faudrait tout remettre sur une nouvelle échelle. Voici un autre chien qui se portait parfaitement bien hier: il était gai, vif, changeait à tout ins- tant de place , cherchait à mordre ceux qui ap- prochaient de lui. Aujourd'hui ce n'est plus le même animal. Il est triste, abattu, parait étranger et indifférent à tout ce qui l'environne. D'où vient cette métamorphose ? Du degré de coagulabilité où se trouve son sang. Ce matin, dix grammes de SOUS' carbonate de soude , dissous dans une demi- livre d'eau , ont été injectés dans la veine jugu- laire. Aussitôt les battements du cœur sont deve- nus fréquents et tumultueux , la respiration s'est embarrassée. On aurait dit qu'un poison des plus actifs venait de passer dans la circulation. En pré- sence de semblables phénomènes, Tindustrieldont nous parlions n'hésiterait pas à interroger chaque appareil, chaque organe, chaque tissu pour trou^^ ver le point de départ de la maladie. Tout parait sain : il n'a pourtant rien oublié, rien, excepté les liquides. Mais attendez un peu etdesépanchements vont se faire dans le tissu pulmonaire , dans la fièvre , à la surface de l'intestin. Un nouvel exa- men fera découvrir alors que les solides sont gra- vement compromis. Comment concilier ces divers états? Dans un cas vous ne trouvez rien, dans l'au- tre beaucoup , est-ce que vos recherches ont été mal faites, est-ce que les symptômes étaient primi- tivement mal dessinés ? Pas du tout. Tant que les liquides étaient seuls affectés , vous avez méconnu ( 315 ) le caractère de la maladie, parce que vous la cher- chiez là où elle n'était pas. Les solides sont consé- cutivement altérés, et alors, dans la conviction où vous êtes que c'est dans leur propre tissu que ré- side le principe de leurs souffrances , vous dirigez contre eux vos moyens thérapeutiques : nouvelle erreur non moins grande que la première. Après avoir méconnu la cause, vous ne vous attaquez qu'à l'effet. Je ne parle ici que de ce qui semhle le plus rationnel en médecine, que serait-ce si je voulais faire allusion à tant de pratiques absurdes ? Remarquez, Messieurs, que nous n'envisageons maintenant que l'état de liquidité du sang, sans tenir compte de sa structure proprement dite. Si une simple diminution de coagulabilité entraine des obstacles insurmontables à son passage dans ses tuyaux, vous sentez combien les moindres changements apportés dans le nombre et la com- binaison de ses éléments troubleraient la machine vivante. La physiologie et la pathologie de nos or- ganes resteront enveloppés de ténèbres tant que nous ne posséderons pas l'histoire physiologique complète du sang. Malheureusement les esprits ne sont pas dirigés vers ces idées. Voyez comment dans nos hôpitaux se font les autopsies. On fend toute la longueur du canal intestinal, puis on y cherche des petits points rouges, des agglomérations de vaisseaux , des in- jections sanguines. Le poumon , le cerveau , le cœur sont coupés par tranches , afin de voir si leur tissu est plus mou ou plus dur. Dans la plèvre est un peu de sérosité, dans le péricarde quelques ( 316 ) cuillerées d'un liquide citrin. Le foie est plus brun, la rate plus humide. L'épiploon paraît plus épais : la vessie est revenue sur elle-même. On note tout cela avec une minutieuse exaclilude, mais on s'inquiète fort peu du sang. Bien plus, un robinet est au-dessus de la table , afin qu'on puisse absterger les pièces anatomiques et mettre dans tout leur relief les désordres des solides. On base là dessus sa petite théorie et on écrit de gros livres sur l'art d'observer. S'il était possible de faire sur l'homme ces ex- périences que vous nous voyez faire sur les ani- maux,, il n'est pas douteux que nous arriverions à créer des maladies de toutes pièces. Personne n'imaginerait jamais la monstrueuse idée de ten- ter sur son semblable de semblables essais^ et d'ailleurs à quoi cela servirait-il? Ne savons nous pas que dans certains cas pathologiques^ le sang ne peut plus former caillot ? Nous retrouvons alors toutes ces altérations des solides que déterminent la soustraction de la fibrine ou 1 injection de sous- carbonate de soude. L'état typhoïde est-il peu déve- loppé chez un malade , le sang se coagule encore; augmente-t-il , c'est que la coagulabilité diminue ; enfin , s'il atteint sa période extrême , c'est qu'il n'y a plus ou presque plus de traces de caillot. Je ne dis pas que ces modifications d'une des princi- pales propriétés physiques du liquide circulatoire constituent à elles seules toute la maladie, mais au moins elles en forment des éléments ; peut-être même est-ce à elles qu'il faut attribuer ce caractère de malignité signalé par tous les observateurs et qui ( 317 ) est encore le sujet de tant d'hypothèses et de tant de controverses. J'aime à croire que nos recher- ches actuelles peuvent déjà jeter quelque jour sur plusieurs points obscurs; mais il nous reste encore beaucoup à faire pour soulever le voile qui couvre ces questions. La carrière est ouverte, bien plutôt qu'elle n'est parcourue : c'est à vous d'y marcher. Voici un chien qui nous ofFre un exemple des plus tranchés de l'analogie qui existe entre les états morbides que nous créons et certaines maladies observées sur l'homme. C'est celui auquel il y a plusieurs jours nous avons soustrait une quantité considérable de fibrine. Il parait être et est réelle- ment très malade. Son pouls est petit, misérable, sa respiration haletante. Divers râles se font en- tendre dans sa poitrine. Il a refusé de manger, bien qu'on lui ait présenté des aliments appétis- sants. Avant peu il aura succombé. Ce que je vou- lais surtout vous faire remarquer, c'est une espèce d'éruption qui rappelle assez les pétéchies des fièvres graves, et qui, comme elles, paraît dé- pendre d'une exhalation de sang dans l'épaisseur de la peau. Au niveau de plusieurs articulations sur les côtés du ventre , les poils sont tombés , et dans les points où les téguments sont à découvert, on aperçoit des taches d'un rouge-brun qui ne , disparaissait pas sous la pression du doigt. Sont-ce là de véritables ecchymoses ? Est-ce au contraire une affection cutanée, indépendante de l'état géné- ral de l'économie? Je n'en sais rien. Seulement j'ai cru devoir tenir note de cette circonstance, car si elle se reproduisait, nous retrouverons encore (318) de nouveaux caractères des fièvres dites typhoïdes^ Cet animal nous offre aussi une de ces ophthal- mies purulentes sur lesquelles plusieurs fois nous avons appelé votre attention. La conjonctive est fon- gueuse, boursoufflée, recouverte d'un enduit verdâ- tre : ta cornée transparente est parsemée d'ulcéra- tions arrondies qui intéressent ses lames superfi- eielles : leur fond est inégal. Encore quelques in stants, et gagnant en profondeur, elles perforeront la membrane de part en part. L'œil se videra et la vision sera perdue. Ces désordres du côté du globe oculaire pour- raient être l'objet de considérations fort importan- tes , mais nos idées à cet égard ne sont pas assez mûres pour que nous nous hasardions à vous les soumettre. Attendons, avant de nous prononcer, que des faits plus nombreux aient parlé! On a beaucoup écrit sur la cicatrisation des tissus divisés par l'instrument tranchant. Le développe- ment de bourgeons charnus , leur adhésion , Té- panchement d'une lymphe coagulable, l'organisa- tion de nouveaux vaisseaux, toutes ces questions ont provoqué de très beaux travaux. Uue chose restait à faire , c'était d'examiner l'influence qu'exerce la composition du sang sur la formation rapide ou lente, complète ou incomplète de la ci- catrice. Nos animaux défibrinés étaient très pro- pres à ce genre d'expériences : nous avons dû les choisir. Le chien qui nous a servi avait déjà supporté plusieurs soustractions de fibrine ; ses forces , bien que très affaiblies , n'étaient pas dans un état tel d'épuisement qu'il fût incapa- ( 319 ) ble de survivre à une opération. Une incision longitudinale intéressant la peau et une certaine épaisseur des chairs ^ a été pratiquée à la partie antérieure et moyenne du cou. Le sang qui s'é- chappait des vaisseaux amputés nous a paru plus liquide qu'à l'état normal : il ne se coagulait pas sur la lame du bistouri. Des aiguilles ont été en- foncées de distance en dislance , de manière à tra- verser les deux lambeaux près de leur bord libre, puis au moyen d'anses de fil passés de l'une à l'au- tre , nous avons rapproché exactement les deux côtés de la plaie ; après quoi l'animal a été aban- donné à lui-même. Il a lutté encore pendant qua- tre jours contre la mort : il a succombé hier dans la soirée ; c'est son cadavre que^vous voyez déposé sur ma table, et que nous allons maintenant examiner. Avant d'en faire l'autopsie, nous pouvons émet- tre quelques conjectures . puisque nous sommes à même de les vérifier à l'instant. Y a-t-ii eu réu- nion immédiate , ou, pour parler le langage assez bizarre des chirurgiens , par première intention. Les opinions à cet égard pourraient être partagées. Si nous étions aussi bien à Londres, il est pro- bable qu'on ferait des paris pour et contre. Quant à moi, mon opinion est, que le sang ne contenant presque plus de fibrine, et par conséquent ne pou- vant plus se solidifier, la réunion immédiate de- vrait être impossible. Je ne nie prononce aussi net- tement que parce que nous allons avoir la nature qui va en décider. Que je me trompe, mon erreur ne laissera pas en vous d'impression fâcheuse, car je me chargerai moi-même de la rectifier. ( 320 ) Je vais raser avec précaution les poils qui avoi- sinent la plaie. Le sang qui, en se desséchant, les a collés ensemble, en masque l'aspect, et empêche de voir si ses bords se sont réunis. Cependant si j'en juge par ce que je puis déjà apercevoir, il n'y a pas d'adhérences véritables : les chairs sont dé- colorées , sèches , à peine tuméfiées. A l'endroit où portaient les points de suture , on voit bien quel- ques brides celluleuses , mais ce sont plutôt des fausses membranes isolées qu'un recollement exact des deux surfaces de la solution de continuité. Ainsi la citratrisation de la plaie n'a pu se faire, et si la fibrine eût été soustraite en totalité, tout porte à croire qu'aucuns points ne se fussent réu- nis même en apparence. Vous verrez souvent dans nos hôpitaux des plaies de mauvais caractère qui restent des semaines, des mois, stationiiaires , sans qu'on puisse en au- cune manière hâter leurs progrès vers la guérison. On a beau les panser avec des topiques excitants^ les saupoudrer de quinquina, les arroser de lotions chlorurées, il ne s'opère point de changements en mieux. C'est bien autre chose quand on applique des sangsues à leur voisinage : oh ! alors les effets du traitement ne tardent pas à se faire sentir^ et la surface ulcérée s'étend rapidement en longueur et en profondeur. Mais que le malade soit placé dans des conditions hygiéniques favorables^ qu'une ali- mentation fortifiante remplace la diète qu'on lui avait imposée, ses forces renaissent, son visage se colore , la plaie devient vermeille et marche vers une prompte cicatrisation. ( 321 ) La conséquence à tirer de ces faits est trop natu- relle pour que je croie devoir m'y arrêter. Ne voyez- vous pas que vos moyens thérapeutiques ont été inutiles tant que vous vous êtes adressés seulement aux solides , mais qu'au contraire ils ont été tout- puissants alors que vous avez modifié les liquides ? Pourquoi échec dans un cas , succès dans l'autre? L'explication est bien simple. Les solides puisant dans le sang les matériaux propres à leur guéri- son, sont restés malades tant que ce liquide, altéré lui-même ^ n'a pu les leur fournir. Dès l'instant où , par un régime convenable , vous avez rendu au sang sa composition normale , la cicatrisation n'a plus eu d'entraves. J'ai répété sur cet animal une expérience que nous avions déjà faite dans le premier semestre. Elle consiste à lier une artère volumineuse et à exa- miner au bout d'un certain temps s'il s'est formé un caillot. Comme il n'est pas rare dans les salles de chirurgie de voir, à la chute du fd , des hé- morrhagies reparaître, peut-être pourrait-on pré- venir cet accident , si on avait des notions plus précises sur la coagulabilité du sang. J'ai donc fait à ce chien la ligature de la carotide droite : exa- minons si le bout inférieur s'est oblitéré de manière à résister à l'impulsion du cœur. J'enlève un segment de l'artère, afin de pouvoir plus facilement fendre ses parois et examiner sa cavité. Vous le voyez , il n'y a pas de traces de caillot , car je ne puis donner ce nom à deux ou trois petits grumeaux qui reposent, sans adhé- rence , sur la membrane interne du vaisseau. Déjà T. III. MogenJie. ^ 21 ( 322 ) le fil avait coupé presque toute l'épaisseur des pa- rois : si l'animal eut encore vécu quelques jours , il se serait nécessairement produit une hémorrha- gie consécutive. Ainsi, Messieurs, plus nous avançons dans l'é- tude de ces altérations du sang , plus nous ren- controns de nouveaux faits applicables à la patho- logie. D'ici à notre prochaine réunion ^ nous mettrons en expérience plusieurs autres animaux, et j'espère que ces leçons de clinique canine seront aussi profitables à la science qu^à vous-mêmes. J'y prends aussi ma part d'instruction , car ces résultats sont tout-à-fait neufs pour moi, et comme vous ils me surprennent autant qu'ils m'intéres- isént. ( 3'i3 ) U^'-JUl— Li-'-.!J. DIX-HUITIÈME LEÇON. 28 juin 1837. Messieurs , Ainsi que je l'avais espéré, nous allons aujour- d'hui pouvoir examiner au microscope solaire la cir- culation dans les infiniment petits tuyaux. MM. Ch. Chevalier et Poiseuille ont eu l'obUgeance de tout préparer à cet effet. Il nous faut seulement attendre quelques instants que le soleil arrive en face de la chambre noire , car ses rayons ne réflé- chissent encore sur le tableau qu'un disque incom- plet. Je profiterai de ces instants pour passer ra- pidement en revue les animaux actuellement sou- mis à nos expériences. Vous connaissez les effets déterminés parla dé- jibrination du sang. ( Nous avons été obligé de créer ce mot pour désigner l'opération que nous avons imaginée. Il serait à désirer que nos faiseurs de nomenclature moderne n'inventassent de nou- velles dénominations que pour exprimer de nouvel- les idées ). Vous connaissez , dis-je^ les désordres ( 324 ) qu'entraîne dans l'appareil circulatoire la sous- traction du principe immédiat qui donne au sang sa coagulabilité. Le liquide sort de ses canaux j s'infiltre entre les mailles des tissus , y séjourne , s'y altère , et détermine des troubles fonctionnels d'autant plus intenses , que la soustraction a été plus complète; enfin la mort arrive. Nous aurions pu donner un nom à cette maladie qui est notre ouvrage, et qui peut rivaliser de gravité avec les fièvres du plus mauvais caractère ; elle aurait faci- lement trouvé place dans les cadres nosoîogiques. Mais en nous livrant à ces études, nous n'avions en vue que d'éclairer quelques points encore obs- curs de la médecine, et non pas d'agrandir le champ de la pathologie. Je crois que nous sommes sur la voie du but que nous nous proposions d'at- teindre. C'est pour compléter ces recherches, que j'ai entrepris une nouvelle série d'expériences dont nos travaux antérieurs nous permettaient déjà de prévoir la marche et l'issue. Vous voyez devant vous , plusieurs chiens qui, tous nous ont servi à étudier les effets de la non coagulabilité du sang. Les uns sont morts, d'au^ très sont très malades, d'autres enfin paraissent à peine indisposés. Afin de mettre de l'ordre dans cet examen ^ l'histoire de chacun nous occupera successivement. Voici d'abord l'animal que je vous av^ais pré- senté dans la séance dernière ; c'est celui qui avait un commencement d'ophtalmie, et chez le- quel nous avions signalé des taches hémorrhagi- ques sur la peau, dans les endroits où le poil man- ( 325 ) quait. Aujourd'hui les yeux sont beaucoup plus malades, et, ce qu'il y a de fort singulier, ils le sont à des degrés différents. Ainsi le droit esl seu- lement un peu rouge, un peu recouvert de mucus pur i forme, tandis que le gauche est devenu tout- à-fait impropre à la vision. Les ulcérations que vous aviez aperçues sur la cornée, se sont étendues plus profondément; en deux ou trois points la membrane s'est perforée et l'iris s'échappant par ces ouvertures, est venue former hernie au dehors. L'humeur aqueuse a disparu ; il ne reste plus qu'une bien faible partie de Thumeur vitrée. Croyez-vous qu'en appliquant autour de l'orbite, des sangsues, nous serions parvenu à modifier la sécrétion purulente , et à suspendre le travail désorganisateur qui a frappé la cornée ? L'idée ne m'en est pas venue, je ne voudrais même pas en faire l'essai, tant ce moyen me semblerait ab- surde. Cependant chaque jour dans la pratique on prescrit ce que nous nous refuserions à tenter dans le laboratoire. Un individu d'une constitu- tion débile, chétive^ privé, comme beaucoup de malheureux de la classe pauvre , d'une alimenta- tion suffisante, habitant un endroit humide, mal- sain, oùTaircircule mal, est pris d'une ophtalmie. Vous trouvez l'œil rouge, et aussitôt l'idée d'in- flamm.ation se présente à votre esprit : bien vite des sangsues. Mais ne serait-il pas possible qu'il y eut là autre chose qu'une affection locale ? Ne sertiit-iï pas possible que le sang lai-même fût altéré , et que l'injection de la conjonctive dépendit de la dif- ficulté qu'il éprouve à se mouvoir dans ses in- ( 326 ) nombrables tuyaux ? je vous engage à méditer sérieusement sur ces questions. Quant àrëruption cutanée dont je vous avais par- lé, elle présente le.s mêmes caractères, seulement les anciennes taches ont pris plus de largeur , et de nouvelles se sont développées. Plusieurs sont rem- placées par des ulcérations. On tn'assure qu'il n'en existait pas avant notre première expérience, je ne me rappelle pas non plus en avoir remarqué, mais, malgré cela, il ne faut pas nous empresser de tirer des conséquences. Ce peut n'être, je le ré - péte, qu'une complication accidentelle. Les autres symptômes, offerts par cet animal, sont tous ceux des fièvres graves : dyspnée, fré- quence et petitesse du pouls, inappétence, selles sanglantes , prostration générale , tendance au con.a ; pas un seul organe ne paraît intact. A côté du chien que nous venons d'examiner^ en est un autre auquel nous avons déjà fait plu- sieurs soustractions de fibrine; on n'en a enlevé que de petites quantités à la fois. Tous les jours une saignée de quatre onces était pratiquée, et le sang défibriné était à l'instant réinjecté dans la veine. Dans les premiers temps l'animal n'a pas paru ma- lade, mais peu à peu ses forces ont diminué, l'ap- pétit est devenu moindre, la respiration s'est em- barrassée, en un mot, nous avons retrouvé les phé- nomènes morbides qui caractérisent le défaut de coagulabilîté du sang. Je vous prie de remarquer l'état de ses yeux. Il n'y a encore que de la rou- geur; la cornée conserve sa transparence; mais, avant peu, des ulcérations apparaîtront et la vi- ( 327 ) sion sera perdue. Ces effets paraissent constants. Lorsqu'un animal a été en grande partie privé de sa fibrine,ilne peut en refaire une nouvelle qu'avec les aliments dont il fait usage : aussi le genre d'a- limentation auquel on le soum«^t, doit-il exercer une bien grande influence sur la restauration plus ou moins prompte de ce principe coagulable. Il n'est pas indifférent de le nourrir avec des substan- ces peu azotées, ou au contraire très abondantes en azote. Je me propose d'examiner comparative- ment les propriétés nutritives de divers aliments ; ainsi, par exemple, nous pourrons ne donner à des chiens défd3rinés que de la chaire musculaire pure ; nous noterons le temps que mettra le sang à recouvrer la faculté de se solidifier. On serait assez naturellement porté à penser qu'une alimen- tation exclusivement animale est le meilleur moyen de réparer la fibrine. Toutefois l'expérience a be- soin d'être faite pour qu'on puisse affirmer que les choses se passent de la sorte. J'ai nourri des chiens seulement avec de la fibrine extraite de sang de bœuf, et, bien qu'elle fut convenablement assaison- née, et qu'on leur en donnât à discrétion, il s'en sont très mal trouvés. Ils en mangeaient d'abord avec » plaisir, à en juger par la consommation qu'ils en faisaient ; puis l'appétit diminuait, ils devenaient tristes, maigrissaient, toutes leurs fonctions se fai- saient mal. Il faudra que je répète ces expériences ^ avec la précaution d'extraire, de temps en temps un peu de sang et de l'analyser. Si les accidents étaient produits par une augmentation de coagula- bilité, je serais curieux de les comparer avec ceux ( 328 ) que développe une diminution. Ces recherches pourront paraître bien futiles, bien insignifiantes aux personnes qui nient toute espèce d'explication médicale basée sur l'altération des liquides : ni leurs critiques, ni leurs dédains ne nous empê- cheront de poursuivre patiemment nos travaux. Ce ne sont pas leurs suffrages que nous ambition- nons, nous nous en inquiétons même fort peu, je vous l'assure. Quoiqu'il en soit , cet animal a été saigné avant la séance , afin que nous pussions constater l'état de son sang. Vous voyez qu'il ne s'est presque pas formé de caillot : au milieu du sérum nage une masse demi-liquide qui n'est pas de la fdDrine, mais qui cependant en a quelques-uns des caractères. Nous reviendrons plus tard sur la nature particu- lière de ce nouveau produit : je me contente pour rinstant de mentionner sa présence. J'oubliais de vous signaler une particularité in- téressante que déjà vous avez remarquée sur le chien précédent : c'est une éruption assez analo- gue aux pétéchies du typhus. On aperçoit de pe- tits points rouges dans les endroits ou le poil est rare ; plusieurs mêmes occupent une assez large surface. A la couleur de ces taches, je juge qu'elles sont constituées par du sang extravasé entre les couches de la peau ou dans le tissu cellulaire sous- culané. On dirait des ecchymoses semées de dis- tance en distance. Il est bien évident que les modifications appor- tées à la composition du fluide circulatoire sont ici la cause des accidents que l'animal a éprouvés^ ( 329 ', puisqu'avant l'expérience il se portait parfaite- ment : mais ici la question est complexe. Est-ce parce que le sang est privé d'un de ses éléments qu'il s'épanche hors de ses vaisseaux ? est-ce au contraire parce qu'il n'est plus coagulable, ou bien enfin faut-il reconnaître dans ces exhalations morbides la double influence que nous venons de signaler ? En théorie , ces deux suppositions peuvent être soutenues avec un égal avantage. Toutefois, la question me paraîtra complètement jugée, si les mêmes accidents se développent, le sang ayant conservé sa composition normale. Au- cun doute alors ne pourra rester sur la part qui appartient au défaut de coagulabilité du liquide. Les expériences que nous avions précédemment faites sur l'introduction dans les veines d'une so- lution de sous-carbonate de soude, étaient bien de nature à lever toutes nos incertitudes. Nous sa- vions que cette liqueur avait la propriété de s'op- poser à la formation du caillot, et qu'elle n'exerçait par elle-même aucune action vénéneuse. Ne voyons- nous pas tous les jours , soit à Alfort , soit dans d'autres écoles , les vétérinaires injecter des pur- gatifs ou toute autre substance active dans le sys- tème vasculaire des chevaux, sans que ces animaux éprouvent d'autres eflets que ceux du médicament? si donc on faisait circuler avec le sang une cer- taine dose de carbonate de soude, il est probable qu'on n'aurait pour résultat qu'un trouble mo- mentané qui se dissiperait facilement. Eh bien ! les choses se passent tout autrement, examinez plu- tôt ce chien. II y a huit jours qu'il a reçu dans ses ( 330 ) veines une petite quantité du sel dont nous par- lons , 10 grammes à peu prés ^ et il est tombé très malade. Le cœur, le poumon, l'estomac, tous les viscères ont été simultanément affectés : le sang s'exhalait par toutes les surfaces et jusque dans la profondeur des parenchymes, comme s'il n'eût plus renfermé de fibrine , cependant rien n'était changé dans sa structure. La fibrine tout entière restait dans la circulation. Pourquoi donc ces ex- travasations ? parce que la plus importante pro- priété du liquide vivant^ lacoagulabilité n'existait plus. Les accidents mêmes ont eu un caractère plus grave que chez les animaux défibrinés, carie sang ne contenait plus, comme chez ceux-ci, une sorte de matière solidifia ble. C'est là ce qui vous explique par quel mécanisme telle substance inno- cente peut produire beaucoup plus d'accidents en apparence qu'une autre en réalité bien plus délé- tère. Ceci vous montre encore combien il importe de distinguer les effets physiques des effets vitaux, si l'on veut se rendre raison des phénomènes. L'animal commençait à reprendre des forces et même il entrait en convalescence, lorsqu**!! y a deux jours, nous avons injecté de nouveau dans la jugulaire dix grammes de carbonate de soude. Tous les accidents ont immédiatement reparu. Les yeux qui après la première expérience étaient devenus seulement rouges et larmoyants , présen- tent aujourd'hui des altérations plus graves, La cornée a perdu de sa transparence , ses lames superficielles sont entamées dans plusieurs points. Du côté des voies digestives, nous rencontrons ( 331 ) ces troubles qui accompagnent tout état morbide général créé par une diminution de la coagu- labilité dn sang : les selles sont aqueuses , d'un brun rougeâtre , comme si du sérum et de la ma- tière colorante s'étaient exhalés à la surface de l'intestin, L'estomac ne fonctionne plus : il y a inappétence absolue. Le tissu pulmonaire paraît aussi gravement compromis : mon oreille appli- quée sur le thorax distingue des raies de toute es- pèce, car le sang s'est extravasé partout dans les bronches , les cellules , et entre les tubes capil- laires. J'ai fait une piqûre à la jugulaire, atln d'avoir un peu de sang et d'examiner s'il est encore sus- ceptible de se prendre en masse. Le caillot est petit, friable : il n'a pas assez de force pour se soutenir par sa propre adhésion quand je le soulève avec le doigt, aussi se déchire-t-il avec une extrême faci- lité. Cet état du sang est parfaitement en haraionie avec les symptômes dont nous sommes témoins. Il est trop altéré pour que les fonctions s'exécutent dans toute leur intégrité, il ne l'est pas assez pour que la vie ne puisse encore continuer. Ainsi, que la fibrine reste ou ne reste pas dans les vaisseaux , les effets de la non-coagulabité du sang sont exactement les mêmes. Ceci est impor- tant à noter , car si nous voyons dans les fièvres graves le liquide offrira l'analyse chimique tous ses éléments dans leur proportion normale, nous ne serons pas en droit de conclure qu'il peut en- core servir à la cnxulation. îl nous faudra de plus examiner le caillot. S'il est mou et friable, le dan^ ( 332 ) ger est grand , s'il manque complètement , la mort est presque inévitable. Telle est la précision attachée à ces études expé- rimentales , que nous pourrions hardiment poser le problème suivant: une quantité donnée de fibrine étant soustraite, ou de sous-carbonate de soude étant injectée dans les veines, de quelle nature seraient les symptômes? H n'en est pas un d'entre vous, Mes- sieurs^ qui ne fût maintenant en état de le résou- dre. De même, dans une maladie, ne pourrait-on pas arriver par l'inspection seule du caillot à reconnaître quels sont les organes affectés et quel est le caractère de leur affection ? Je confie à vos travau5L ultérieurs la vérification de ce nouveau et intéressant point de séméïologie. Quiconque fait une découverte est naturelle- ment porté à en exagérer l'importance. Ne sa- chant pas encore quelle influence elle exercera sur les progrès de la science , il lui promet un avenir brillant et la croit destinée à effacer les travaux des siècles passés et des contemporains. Gardons -nous de tomber dans des excès de ce genre. Je ne prétends pas que nos expériences sur les effets de la non-coagulabilité du sang vont dissiper entièrement l'obscurité qui enveloppe en- core aujourd'hui bon nombre de maladies; que le typhus , le choléra , la peste , la fièvre jaune , ne doivent plus être envisagés que comme autant de créations morbides, reconnaissant une même ori- gine, savoir l'absence dans le sang de la propriété de se solidifier. Ce serait une idée déraisonnable, digne de ces industriels qui débitent leurs drogues ( 333 } sous le titre de panacée universelle. 11 est bien évident que chaque maladie a son début , ses symptômes^ sa marche, sa terminaison, soumis à des régies différentes , que ce qui appartient à l'une ne se rencontre plus chez l'autre , puisque celle-ci revêt telle physionomie et celle - là telle autre , c'est donc en vain que vous vous flatte- rez de les raUier à un type commun. Vouloir que le défaut de coagulabilité du sang soit dans tous ces cas l'unique élément morbide qui frappe l'or- ganisme serait une prétention aussi absurde que celle qui consiste à ne voir partout qu'inflam- mation du tube digestif. Quel sera donc le but de nos recherches actuelles ? de prouver que la vie est incompatible avec un sang qui ne peut plus for- mer caillot; que les animaux qui meurent de la sorte offrent dans leurs symptômes et leurs lésions pa- thologiques beaucoup de points de ressemblance avec les individus atteints de fièvres graves. L'au- topsie de ce chien qui est mort d'une injection de trente grammes de sous-carbonate de soude dans les veines viendra encore à l'appui de cette asser- tion. Que nous a offert l'animal avant de mourir? une dyspnée considérable, une très grande fréquence des pulsations artérielles, des selles sanglantes, une exhalation de sang par les narines , une dé- bilité absolue : en peu d'instant sa vie s'est éteinte. Que trouverons-nous sur le cadavre ? Le pou- mon engoué, gorgé de liquide, des épanchements sanguins dans la plèvre, le péritoine, les diverses ( 334 ) cavités séreuses , la muqueuse intestinale infiltrée de sang, le foie, la rate, les organes spongieux plus rouges, plus lourds que de coutume. C'est en vain que nous voudrions rattacher à la lésion d'un seul viscère la cause de la mort : tous y ont contribué d'après le degré d'importance de leurs fonctions. La première fois que nous avons fait l'expérience , nous ignorions complètement le principe des dé- sordres, aussi avions-nous avant l'autopsie con- fessé notre complète ignorance sur l'état des grands appareils. Aujoux^d'hui nous sommes plus hardis, je dirais presque téméraires. Nous avons l'ambi- tion de signaler à l'avance les altérations que nous allons rencontrer. Voyons maintenant jusqu'à quel point nos prétentions sont légitimes. Un démenti serait une sévère et toutefois utile leçon. Les premières incisions que je viens de pratiquer indiquent déjà que le sang est liquide. Cette seule circonstance suffit pour nous démontrer la justesse de nos conjectures. Puisque le sang est liquide et ne peut plus se prendre en masse , il est évident que partout où existent des capillaires existeront des extravasations sanguines. Et en effet, le pou- mon ne s'est que peu affaissé à l'ouverture du thorax: sa surface est d'un rouge-brun au lieu d'être rosée , son tissu est plus ferme , contient moins d'air^ n'est que peu ou point susceptible de dilatation et de resserrement. Le cœur ne parait pas volumineux; ses cavités, revenues sur elles-mêmes ne renferment pas de caillots ; seulement on y (rouve de ces grumeaux .«•élatineux , que les anatomo-pathologiques ont ( 3^5 ) comparés à de la gelée de groseilles, et qu'ils dési- gnent par cette épithéte. La membrane interne des parois ventriculaires , celle des artères est forte- ment colorée par du sang imbibé : ce serait pour bien des gens une Endocardite et une artérite. Les plèvres sont le siège d'un épanchement san- guinolent représentant assez les caractères anato- miques de ce qu'on nomme la pleurésie hémor- rhagique. Même remarque sur l'état du péritoine : un épanchement de même nature colore en rouge la surface des organes renfermés dans l'abdomen. Ceux-ci sont évidemment altérés. J'incise le rein, le foie, ils paraissent gorgés de sang -, on voit de grosses gouttelettes sourdre sur la tranche de cha- que incision. La rate n'a plus sa structure vascu- laire et celluleuse : elle constitue une masse com- pacte, homogène, semblable au tissu de l'éponge qui aurait long-temps macéré dans l'eau. Et l'intestin, quel est son état ? je n'ai pas be- loin de le fendre pour apercevoir les épanche- ments sanguins qui se sont effectués entre les tuni- ques de son parenchyme. La membrane séreuse est soulevée de distance en distance par de peti- tes ecchymoses, d'une largeur variable, tantôt iso- lées , tantôt communiquant entre elles, paraissant dans certains points, pénétrer jusque dans la ca- vité péritonéale, plutôt par imbibition que par rup- ture. C'est surtout vers la membrane muqueuse que les désordres sont les plus tranchés ; jamais gastro-entérite ne s'est offerte avec des signes plus caractéristiques : des cylindres rougeàtres s'entre- ( 336 ) croisent de mille manières, dans toutes les direc- tions; ce sont les vaisseaux dilatés et obstrués; de larges plaques folliculeuses s'étalent dans toute la longueur du canal digestif ; c'est toujours et par- tout le sang exhalé à travers les parois vasculaires. Les corps caverneux eux-mêmes sont gonflés par une notable quantité de sang liquide. Ainsi tout est altéré parce que l'agent matériel qui met tout en relation n'a plus sa composition normale. Et cependant nous pouvons sans danger faire boire aux malades des quantités bien plus considérables de cette solution alcaline ! La diffé- rence d'action du médicament dépend de la ma- nière de l'administrer. Introduit dans l'estomac, il y séjourne, est dénaturé par l'acte de la digestion et peut impunément être absorbé : au contraire, quand on l'injecte dans les veines, il agit chimi- quement sur le sang et lui enlève sa coagulabilité, de là impossibilité de la circulation ; de là cessa- tion spontanée des phénomènes vitaux. Voici un autre chien, plus jeune que le précé- dent, qui a reçu également dans la jugulaire une injection de sous-carbonate de soude (30 grammes à peu près, dans une livre d'eau). Il a vécu cinq heures plus long-temps que l'autre. Les symp- tômes qu'il a présentés sont littéralement ceux qu'on observe dans les cas analogues ; les dé- crire de nouveau serait inutile. La différence d'âge des deux animaux vous explique pourquoi la mort a été plus rapide chez le premier que chez le second. Il est d'observation qu'un jeune chien est plus apte à résister à ces injections qu'un vieux. ( 337 ) de sorte que la même substance , à la même dose , pourra dans un cas, tuer subitement, dans l'autre laisser la vie se prolonger encore quelques instants. Ces remarques sont peut-être susceptibles d'ap- plications à rhomme lui-même. Dans les maladies graves où le sang est évidemment moins coagula- ble, les enfants succombent-ils en aussi peu de temps que les adultes, les adidtes que les individus d'un âge mûr ? Je ne sache pas que ces questions aient jamais fixé l'attenîion des observateurs. Ce- pendant elles sont pour nous d'un haut intérêt; car, si nos prévisions se vérifiaient^ ce serait un caractère à ajouter à tant d'autres pour prouver l'analogie qui existe entre certaines fièvres graves et ces états morbides créés par un défaut de coagu- lation du sang. Je pourrais, comme pour le cas précédent, vous énumérer d'avance les moindres circonstances pa- thologiques de l'autopsie que nous allons faire; je m'en abstiens, car ce serait les mêmes détails à re- produire. Je dois toutefois vous faire remarquer certaines particularités qui dépendent uniquement de ce que l'animal a vécu plus long-temps. Lorsque la mort est subite , qu'elle sur- prend , pour ainsi dire, les organes au milieu de leurs fonctions , le sang n'a pas le temps de s'ex- travaser ; aussi ne rencontre-t-on sur le cadavre que des traces légères d'exhalations morbides; quel- quefois même il n'y a absolument rien. Si l'animal a résisté quelques heures , la cir- lation pulmonaire s'embarrasse , le sang sort de ses vaisseaux , remplit les cellules , transforme T. III Majcndie 22 ( 338 ) le tissu spongieux du poumon en une masse so- lide, noirâtre. A ce degré les autres organes peu* vent encore conserver leur structure à peu près normale. Mais si la vie s'est prolongée plus long- temps encore , et c'est le cas de l'animal que nous venons d'ouvrir, alors d'autres parties s'engor- gent , le sang fait irruption par tous les pores de ses tuyaux, il s'épanche dans les cavités et dans les aréoles des tissus. Toute l'économie est simul- tanément envahie. Uâge de la maladie suffit donc pour indiquer le degré d'altération des organes. Ainsi nous savons déjà que sur ce chieu les dé- sordres doivent avoir un caractère de gravité plus prononcé, que chez le précédent ; s'il en est autre- ment, nos explications sont erronées. Le thorax est ouvert , le poumon est coupé par tranches. Je vais vous faire passer quelques por- tions de son tissu , afin que vous puissiez mieux juger des obstacles mécaniques qui empêchaient l'air d'arriver jusqu'au sang. Il n'offre pas l'indu- ration qui appartient à l'hépatisation , et la raison en est simple ; privé de la faculté de se prendre en masse , le sang , échappé de ses tuyaux , reste li- quide ; par conséquent les tissus où il s'est extra- vasé ne peuvent donner la sensation d'un corps solide comme le foie. Ajoutons que ce langage fi- guré joint la trivialité à l'inexactitude. Je ne passerai pas successivement en revue les divers organes , car c'est toujours la même répé- tition de désordres. La paroi antérieure de l'abdo- men est enlevée, de sorte que d'un coup-d'œil vous pouvez juger de l'état des viscères. La plèvre, le ( m ) péritoine contiennent uu liquide qui semble n*être pas du sang pur , mais bien plutôt un mélange de sérum et de matière colorante. Un examen super- ficiel pourrait faire supposer la rupture de quel- que gros vaisseau , tant est grande la quantité de Tépanchement : il n'en est rien. Les tuyaux san- guins sont intacts ;, leurs parois ont leur struc- ture habituelle ; ce qui est modifié , c'est la com- position du sang. Rendez au sang sa coagulabilité, il reprendra son cours comme s'il ne l'eût pas in- terrofnpu. Ainsi que nous vous l'avions annoncé , le ca- ractère des lésions e^t le même sur ces deux ani- maux qui ont succombé à l'injection de sous-car^ bonate de soude : nous ne rencontrons que des difFérences du plus au moins , ce qui est en rap- port avec le temps qu'a duré la maladie. Il me serait facile de généraliser ces résultats, et de comparer ce qu'on développe à volonté sur l'animal vivant , avec divers états morbides ob- servés sur l'homme. Je ne citerai qu'un seul exemple : le choléra. Ce qui frappa surtout les observateurs , c'était F espèce de désaccord qui régnait entre les symptômes et les lésions cadavé- riques.^ Un homme tombe subitement malade : deux heures se sont à peine écoulées depuis l'at- taque : il est mort. Sans doute que vous trouverez du côté des grands appareils les traces de bien graves perturbations : les organes les plus impor- tants auront été profondément altérés dans leur tissu; il y aura obstacle absolu à leur jeu. Ouvrez le cadavre, vous n'apercevez rien, tout parait sain* ( 340 ) J'avoue que la première fois que j'assistai à un semblable spectacle , j'avais peine à en croire le té- moignage de mes yeux. Je me trouvais en Angle- terre , à Sunderland : un homme , dans la force de rage , d'une constitution athlétique, était mort en quelques heures du choléra. On l'ouvrit devant moi. Le poumon avait son aspect , sa consistance normale, le cœur n'offrait rien de particulier; l'es- tomac et tout l'intestin étaient, relativement à leur structure , dans un état d'intégrité parfaite. Rien, du côté de l'encéphale, rien du côté des membra- nes cérébrales. Seulement le sang était resté fluide dans ses vaisseaux. Mais voici qui vous paraîtra plus extraordinaire encore. Chez les individus qui pendant plusieurs jours avaient lutté contre la maladie , on trouvait des désordres très graves , très manifestes vers ces mêmes organes que nous disions tout-à-l'heure avoir paru intacts. Comment concilier de pareils faits? la gravité des lésions ne doit-elle pas ac- compagner la gravité des symptômes , et un indi- vidu qui meurt en deux heures n'est- il pas plus violemment affecté que celui dont la vie se pro- longe plusieurs jours ? L'autopsie prouve la pro- position directement inverse. Vous voyez, Mes- sieurs, que par un enchaînement de raisonne- ments en apparence très judicieux , on donne à plein collier dans l'absurde. Et qu'on dise maintenant que les hypothèses n'enraient pas la marche de la science! Parce que les solides ne semblent pas malades , on en con- clut que les liquides ne peuvent être altérés , ou ( 341 ) même on n'en dit rien, comme si leur rôle était de nulle importance. Alors commencent des com- mentaires à n'en plus finir : on vous parle de cette physiologie invisible , de ces agents occultes , de ces lois inconnues qu'il n'a été donné à personne d'apercevoir , pas même à ceux qui racontent à leur sujet de si jolies histoires. Quand on se sent par trop embarrassé , on paraît saisi d'une sainte indignation : eh quoi î oser interroger la nature jusque dans ses secrets ; essayer de franchir Tin- tervalle immense qu'elle a mis entre elle et notre débile intelligence ! A toutes ces déclamations on en ajoute beaucoup d'autres, de plus en plus cha- leureuses. Mais ce ne sont toujours que des mots et pas de faits. Comme les faits seuls nous intéres- sent, nous dirons tout simplement : Il en est des malades qui succombent au cho- léra comme des animaux qui meurent par nos in- jections de sous-carbonate de soude : dans les pre- miers temps de la maladie , il n'y a rien vers les solides ; plus tard le sang s'extravase , s'épanche dans les tissus ; alors les solides sont à leur tour affectés. Ainsi tout se passe d'abord dans les liqui- des ; eux- seuls sont le point de départ des désor- dres fonctionnels , et ce n'est que plus tard que l'économie tout entière devient malade. A la fin de la séance, le professeur ^ suivi de nombreux élèves , se rend à la chambre noire du Collège de France, On examine au microscope ( 342 ) polaire des globules sanguins 'de diverses espèces d^ animaux , la circulation capillaire sur des lézards , des grenouilles et des têtards. M, Ch, Cheçalier fait voir V insecte de la gale ( acarus scabiei ) , et plusieurs sels cristallisés. ( 343 ) DIX-NEUVIÈME LEÇON. 30 juin 1837. Messieurs, Vous avez pu juger par vous-mêmes de la ma- nière dont le sang se meut dans ses infiniment petits tuyaux. Ceux d'entre vous qui pour la pre- mière fois ont été témoins de ce spectacle ont dû être saisis d'admiration à la vue de ces étonnants phénomènes dont le microscope solaire nous dé- ployait le vivant panorama. Des canaux dont la ténuité dépasse ce que l'imagination peut conce- voir se sont montrés à vous sans cesse traversés par des courants rapides. Votre œil a suivi la marche des globules suspendus au milieu d'une liqueur transparente; vous les avez vus rouler sur eux-mêmes , se heurter , tantôt s'avancer isolés , tantôt se présenter plusieurs de front , sans que la circulation parût un instant gênée ni suspendue. Ce que je tenais surtout à bien vous faire voir, c'é- tait la couche immobile , adhérente aux parois , ( 344 ) dont la connaissance est due à M. Poiseuille. Il n'est aucun de vous qui puisse maintenant révo- quer en doute son existence : la lenteur des glo- bules qui l'avoisinent, l'immobilité de ceux qui y sont plongés prouvent suffisamment que toute la colonne sanguine ne prend pas part au mouve- ment. Et d'ailleurs , entre la circonférence du cylindre et la partie occupée par le courant , n*est-il pas évident qu'il y a un intervalle? Cet in- tervalle ne peut être rempli que par un liquide , ce liquide, par sa transparence , ne peut être lui- même que du sérum. Les capillaires d'un certain diamètre étaient les plus propres à cet examen, car arrivés à un degré de ténuité extrême, on n'aper- çoit plus qu'un petit filet fluide , qu'il était diffi- cile d'isoler delà couche immobile. Au contraire, quand le vaisseau était un peu volumineux , rien n'était plus aisé que de constater les divers degrés de vitesse de chaque globule. Au centre^ impul- sion rapide; plus en dehors , ralentissement; con* tre les parois , arrêt complet. La progression de la colonne n'était pas tou- jours régulière : nous la voyions de temps à autre s'arrêter brusquement , reprendre son cours , se déjeter vers un rameau collatéral, à droite, à gau- che , refluer en arrière , sans que les conditions physiques du tuyau parussent le moins du monde modifiées. Nous vous avons rappelé en quelques mots l'explication de ces phénomènes, sur lesquels nous avions déjà assez longuement insisté. Je n'y reviendrai plus. Mais , Messieurs , le microscope est un instru- ( 345 ) ment délicat; il faut une grande dextérité, une longue habitude pour savoir s'en servir, et encore est-on exposé à se laisser tromper par des illusions d'optique. Ainsi vous avez pu voir certains mou- vements de globules qui n'étaient pas sans agré- ment pour l'œil ^ mais qui différaient essentielle- ment de ceux dont les vaisseaux étaient le siège. De distance en distance on apercevait comme une sorte de bouquet d'artifice, d'où jaillissaient, en s'irradiant , des globules ; après un certain trajet, ils décrivaient une légère courbe, puis retombaient en gerbes pour devenir ensuite immobiles. Dans certains points ce n'étaient plus des ascensions et des chutes : les globules se déplaçaient en masse , de front, et croisant la direction des courants san- guins , roulaient sous formes de cascades et comme emportés pai' leur propre pesanteur. Ce spectacle ne manquait pas, je le répète , d'un certain agré- ment ; et même plusieurs d'entre vous en étaient tellement émerveillés, que déjà circulaient à voix basse des explications plutôt inspirées par l'en- thousiasme du moment que par une appréciation exacte des phénomènes. Il n'y a là, en effet , rien d'extraordinaire, rien qui s'écarte des lois connues de l'hydraulique. Ce n'est point à l'intérieur des petits tuyaux que se passent ces singuliers mou- ' vements des globules; c'est à la surface de la mem- brane, dans l'épaisseur de laquelle rampent les ca- pillaires , ou sur la lame en verre où elle est éta- lée. Qu'un peu de sang se trouve mélangé à une gouttelette d'eau , vous aurez une agglomération de globules ; obéissant à son poids , cette petite ( 346 ) niasse glisse vers les points les plus déclives, et vous donne l'aspect d'une cascade ; vient -elle à tomber sur un plan résistant , elle rebondit , s'é- parpille , et simule assez fidèlement un bouquet d'artifice. On voyait des taches semées par intervalle : les globules semblaient rester étrangers à tout mou- vement de translation et être en dépôt dans un vé- ritable réservoir. Ces taches sont de petites ecchy- moses qui se sont opérées entre les tissus propres des membranes. Le sang est sorti de ses vaisseaux et, privé d'un agent d'impulsion , il est immobile. D'autres fois il n'y a pas repos absolu , les globu- les se meuvent dans divers sens , ils montent, des- cendent , s'entrecroisent à la manière des billes d'un jongleur. Ces déplacements résultent de la pesanteur spécifique des globules qui tendent à se mettre en équilibre, dans la liqueur où ils sont suspendus. Les plus légers vont à la surface , les plus lourds au fond ; au bout de quelques instants tout mouvement cesse , parce que l'équilibre est rétabli. Vous avez dû noter encore d'autres particulari- tés. Aussi les globules circulaient avec une remar- quable vitesse , et voilà que leur mouvement se ralentit, se suspend , bien que les contractions du cœur persistent avec leur énergie habituelle. D'où vient ce temps d'arrêt? du dessèchement des tuyaux membraneux par le passage des rayons solaires. Mouillez la surface où rampent ces tuyaux , les globules reprennent leur marche. Nous n'avons rien observé qui ressemblât à des ( 3^T ) contractions actives , ni même à un resserrement élastique des parois. Le sang coulait absolument comme dans un tube en verre. Cependant la tex- ture des tuniques qui constituent ces infiniment petits tuyaux paraît de nature à devoir jouir d'une certaine élasticité. L'absence de variations sensi- bles de diamètre dépend de l'état de tension où se trouvent continuellement les parois , pressées qu'elles sont par la colonne liquide. L'impulsion du cœur se traduit par un mouvement saccadé de globules , mais après chaque saccade , le vaisseau ne revient pas sur lui-même ; pourquoi ? parce que les troncs artériels, par leur resserrement élas- tique , continuent à faire marcher la colonne san- guine. Il n'y a pas d'interruption entre la contrac- tion de la pompe et le retrait des artères , de sorte que le capillaire , toujours soumis à une pression intérieure plus forte que l'action retrac tile de ses parois, ne peut diminuer de calibre. Mais faites une petite ponction au vaisseau : aussitôt le li- quide s'échappe par l'ouverture , et il continue à couler jusqu'à ce que la réaction élastique des pa- rois soit épuisée. L'élasticité ne s'est pas ici sponta- nément développée, seulement ses effets ne se trou- vant plus contrebalancés par la pression qu'exerce le sang , elle est entrée en jeu. Ceci vous explique comment dans les circonstances ordinaires, le ca- libre des capillaires reste à peu près le même ; com- ^ ment il diminue dès l'instant où le liquide trouve une issue accidentelle. On ne commence à apercevoir de dilatations et de resserrements que sur des vaisseaux d'un cer- ( 348 ) tain volume; ces mouvements coïncidant avec Faction du cœur, de sorte qu'il est impossible d'y reconnaître autre chose que des phénomènes d'é- lasticité. Quant aux dernières ramifications capil- laires, leur calibre paraît toujours le même. S'il offre quelques variations , la ténuité des tuyaux fait qu'elles sont imperceptibles. Je voudrais que les physiologistes qui soutien- nent encore aujourd'hui du haut de leurs chai- res , que les capillaires par leurs contractions font marcher le liquide , nous eussent fait l'hon- neur d'assister à notre dernière séance. Mais non, il n'est pas dans les habitudes de ces Messieurs de résoudre par l'expérience une question expéri- mentale. Aux preuves qui nous paraissent i ndispen- sables ils suppléent par leurs convictions. N'est-il pas cependant bien naturel de chercher autant que possible à s'éclairer sur un point en litige , et en fait d'observation, quelle autorité est plus compé- tente que les yeux? Que demain on me propose de me faire voir des capillaires qui se contractent, je n'aurai rien de plus pressé que d'aller jouir par moi- même de ce spectacle. Si le fait est exact, je vien- drai dans cette même enceinte abjurer les erreurs que vous m'avez vu tant de fois professer. J'accepte de grand cœur le défi que je propose aux autres : qu'ils viennent sur mon terrain ou moi sur le leur, peu m'importe : toute discussion doit être muette devant le témoignage irrécusable de l'ob- servation. Il en est des globules sanguins comme des tuyaux qui les charrient, c'est-à-dire qu'ils n'ont ( 349 ) ni volonté, ni force, ni instinct qui les dirige plu- tôt d'un côté que d'un autre. Hors des vaisseaux, ils sont de simples corpuscules aussi peu intelli- gents que des grains de fécule : suspendues dans le sérum et circulant au sein de nos tissus , leur rôle est exclusivement passif ainsi que nous vous l'avons montré à Taide du microscope. Des globules appartenant à diverses espèces d'a- nimaux ont été successivement placés au foyer; leur diamètre et leur forme nous ont présenté de nombreuses variétés : ils sont petits, volumineux, spliériques , lenticulaires , alongés , circulaires , elliptiques , suivant chaque espèce : quant à leur structure , ils paraissent composés d'un noyau central renfermé dans un sac membraniforme. Dans les premiers instants où nous les examinions, ils étaient dans une immobilité absolue , puis peu à peu quelques légers mouvements de déplace- ment survenaient , on en voyait se porter un peu à droite, un peu à gauche, exécuter une demi-ro- tation sur eux-mêmes. Ces phénomènes en ont imposé à la plupart des observateurs , et ils ont cru y reconnaître la preuve d'une force progres- sive propre à chaque globule. Ce n'est , vous le savez , qu'un simple effet de température. Les rayons solaires, réfléchis par le miroir, échauffent le liquide en le traversant; l'accumulation du ca- lorique dans certains points le dilate plus que dans d'autres : il en résulte des courants qui im- priment aux globules divers mouvements re- marquables. Mais vous ne leur trouvez jamais rien qui ressemble à une^ action propre, vitale. ( 350 ) indëpendante des conditions physiques du milieu où ils sont suspendus. Je m'applaudis , Messieurs _, d'avoir pu joindre aux preuves du cours du sang dans les capillaires par l'impulsion du cœur, la démonstration expé- rimentale de ces principaux phénomènes d'hy- draulique. 11 n arrive que trop souvent que le^ convictions d'un auditoire ne sont que les émana- tions de celles du professeur: maintenant les vôtres sont indépendantes des miennes. Je récuse toute espèce d'influence personnelle , car mes paroles n'avaient d'autre but que de vous préparer à observer les faits, et les faits vous les avez véri- fiés. Ici se termine ce que nous avions à vous dire de la circulation normale dans les capillaires. Re- venons à nos études sur les propriétés physiques du sang, et en particulier sur sa coagulabilité. Déjà nous avons appelé votre attention sur la reproduction de la fibrine dans le sang des ani- maux défihrinès , ou plutôt sur le développement d'une nouvelle substance dont îa nature ne nous était pas bien connue. Etait-ce de la fibrine véri- table ? Mais elle n'en offrait pas tous les caractè* res; d'ailleurs nous avions également constaté sa présence dans les cas où les animaux avaient été soumis à une diète sévère , et dans ceux où on ne leur avait donné que des aliments non azotés. Ajou-tez à cela que la soustraction de la fibrine entraîne un état maladif général : les fonc- tions digestives s'exécutent mal , de sorte qu'on ne peut supposer que le sang recouvre , par la ( 351 ) voie de Pestomac , le principe coaguîable dont on l'a dépouillé. Ce qui nous frappa le plus vivement , ce fut l'amaigrissement rapide et considérable des animaux soumis à ces expériences. Il semblait que non seulement les pertes de l'économie n'étaient plus suffisamment réparées , mais même que le tissu propre des organes , leurs matériaux consti- tuants , diminuaient de volume , de quantité , comme si les solides eux - mêmes repassaient dans le sang qui les avait charriés une première fois. Un soupçon s'offrit alors à notre esprit. Ne pouvait -il pas se faire que la fibrine déposée au sein des parties vivantes vînt remplacer dans la circulation la fibrine absente ? Ainsi se trou- vaient expliquées cette émaciation subite , cette atrophie du système musculaire , cette présence dans le sang d'une substance capable de former une espèce de caillot. Disons le tout d'abord, ce n'est là qu'une con- jecture , c'est-à-dire une assertion sans preuves , partant sans valeur. On a beau dire qu'il ne faut pas faire de conjectures , on en fait toujours , mais il faut avoir le bon esprit de savoir qu'une con- jecture ne signifie rien par elle-même, absolument rien. Qu'importe au monde savant vos croyances^ vos soupçons, vos aperçus ? Si vous affirmez avant de prouver, vous commencez par où il fallait finir. Je n'ai jamais prétendu proscrire les conjectures en tant que conjectures; elles sont l'intermédiaire par lequel doit nécessairement passer toute expli- cation physiologique. Un fait s'offre à vous, sa cause vous échappe, vous la cherchez. La pre- ( 352 ) mière idée qui dirige vos recherches est une conjec- ture ; se trouve-t-elle vérifiée , elle devient certi- tude. De même quand nous disons que la sub^ stance trouvée dans le sang défibriné pourrait bien n'être autre chose que la fibrine elle-même reprise au sein des tissus ;, nous avons émis une conjecture, mais nous vous la donnons comme telle jusqu'à vérification ultérieure , sans y atta- cher autrement d'importance. Afin d'avoir diverses qualités de fibrine que nous pussions comparer^ nous avons à des dis- tances convenables , fait à un fort chien , trois saignées d'une livre chacune. Le sang a été battu avec soin, filtré à travers un linge, puis réinjecté dans la veine. Voici la fibrine qui en a été extraite à chaque fois, elle est dans trois vases séparés. Celle de la première saignée a sa couleur et sa consistance normales. Elle est blanchâtre, d'une teinte rosée , parce qu'elle n'a pas été soumise à des lavages réitérés : elle est molle, souple , élas- tique. Vous ne retrouvez plus dans celle de la seconde des caractères aussi bien dessinés. Il y a déjà un commencement de transformation ; sa texture est plus molle , plus spongieuse : son volume parait aussi plus considérable. C'est bien encore de la fibrine , mais de la fibrine modifiée , moins pure que la précédente, quoique moins altérée que celle de la troisième saignée. Celle-ci ne nous offre plus les propriétés phy- siques ni chimiques que nous avons rencontrées dans la première. Elle est moins solide, moins ré- (353 ) sislanle: de légères traî Long-temps même après la mort , on aperçoit » encore ces oscillations dans les vaisseaux autour )) du foyer inflammatoire, tandis que dans les par- » ties saines, la circulation, et même tout mou- » vement de sang , ont cessé quelque temps avant >y la mort. » C'en est donc fait de l'animal et de son vrai cœur. Le faux cœur l'a emporté ; victo- rieux, il poursuit en pleine sécurité ses manœu- vres , car il ne peut plus être inquiété par son ri- val , que la mort a frappé. Mais les chances de la lutte sont capricieuses : nous allons maintenant voir le faux cœur succomber ; « Lorsque linflam- » mation est moins violente , la force médicatrice » de la nature et celle du cœur reprennent petit à » petit leur énergie ; l'affluence du sang diminue » autour du lieu enflammé, son mouvement se ré- » gularise, l'hémostasie n'a plus lieu ; et ainsi se :» rétablit successivement l'équilibre entre la force 3) qui entretient la circulation par le moyen du » cœur , et celle qui dépend des vaisseaux capil- » laires. » ( 439 ) Je ne veux point , Messieurs , pousser plus loin cet affligeant examen. Si de pareils contes nous étaient présentés sous forme de roman, nous pour- rions peut-être sourire à leur bizarrerie, à leur grotesque accoutrement ; mais on nous les donne comme des faits exacts, que l'observation et l'ex- périence confirment : c'en est trop ! J'ai hâte d'a- bandonner ces questions, que j'aurais voulu pou- voir me dispenser d'aborder. A quoi bon montrer par des réfutations sérieuses j le néant de tant d'hy- pothèses? Les transcrire littéralement, c'est en faire une assez sévère critique. ( 440 ) VINGT-QUATRIÈME LEÇON. 21 juillet 1837. Messieurs , Je m'étais proposé de faire , à la fin de ce se- mestre, l'histoire complète de l'inflammation, mais il m'est arrivé ce qui arrive au voyageur qui en- visage de loin un objet. La distance ne permet pas d'abord d'en apprécier le véritable caractère : il paraît petit. En approche-t-on , ses proportions grandissent, plus près encore, elles se déploient davantage, enfin, quand on l'atteint, on est efFrayé de sa taille gigantesque. J'avais donc cru que quelques séances me suffiraient pour envisager sous toutes ses faces, creuser dans toutes ses pro- fondeurs l'important phénomène de l'inflamma- tion: je m'étais abusé. Cette question est bien au- trement compliquée qu'elle ne me l'avait semblé à une première vue, et pour être étudiée, il ne suffit pas de l'envisager dans un seul point du système capillaire ; il faut prendre à part chaque organe , ( 441 ) chaque tissu , car ils ont chacun leur mode indi- viduel de circulation , examiner leur texture vas- culaire, les causes qui modifient la marche du sang dans leur parenchyme, et s'élever graduellement , de connaissances physiologiques précises, à l'ana- lyse expérimentale des désordres inflammatoires. Ce n'est que dans les traités de pathologie qu'on peut, sous le thre de phlegmasies , grouper dans une même famille les maladies caractérisées par le trouble de la circulation capillaire : l'arbi- traire est tout dans ces classifications. Pour nous, qui n'avons foi qu'à l'observation , nous n'essaie- rons pas de vous présenter de ces aperçus géné- raux applicables à tout indistinctement , sans s'adresser à rien en particulier. Ce n'est pas dans une seule séance que nous pourrions exposer un résumé, même succinct , des grands phénomènes que comprend le mot inflammation ; cette étude, nous la remettrons à une autre époque. Aujour- d'hui je me bornerai à toucher quelques-uns des points les plus délicats de cette question, moins pour vous mettre au courant de ce qui a été fait de positif ( et le récit n'en serait malheureusement pas long) que pour vous indiquer tout ce qui reste encore à faire. Déjà je me suis expliqué sur la nature même des phénomènes inflammatoires. Vous avez pu voir combien ces idées s'éloignent de ce qui est publiquement enseigné dans nos écoles où chaque secte médicale a son représentant , chaque propo- sition absurde son fidèle interprète. Cependant, nous n'avons fait encore que l'anatomie de la ( 442 ) question. Les causes, la marche, la terminaison, le traitement, auraient besoin d'être soumis à une exploration minutieuse et non plus abandonnés à la discrétion des nosologistes. Dirons -nous avec Brown, que toute maladie est caractérisée par un état de strictum ou de laxuni , avec Bichat , par Veocaltalioji, la diminution ou la perversion des propriétés vitales , avec quelques contemporains , par V irritation. Mais de semblables explications sont par trop commodes. Aussi bien elles tournent toutes dans un cercle vicieux, et expriment le plus souvent , en d'autres termes , l'énoncé même du problème. Vous parlerai -je des causes qui déterminent vers la circulation capillaire cet ensemble de phé- nomènes appelés inflammation ? Elles sont si nombreuses, si variées, qu'on ne peut comprendre comment des circonstances aussi différentes arri- vent à un résultat identique. Prenons pour exem- ple la membrane muqueuse de Fœil ; sa position superficielle et sa couleur blanche habituelle nous permettant de saisir ies moindres troubles surve- nus dans le passage du sang à travers ses infini- ment petits vaisseaux. Une paille s'interpose entre la paupière et le globe oculaire. Si elle n'y séjourne que quelques instants , la rougeur de l'œil est passagère et elle se dissipe après l'extraction du corps étranger. Celui-ci reste-t-il plus long-temps en contact avec la conjonctive^ cette membrane rougit, devient douloureuse, larmoyante, sa sécrétion s'altère: il y a ophtalmie. ( ^^'^ ) A côté de ce phénomène en voici un autre dont le point de départ est diamétralement opposé. Coupez dan s le crâne et loin de l'œil le nerf de la cinquième paire à son passage sur la pointe du rocher; un des effets de cette section est d'abolir la sensibilité de la conjonctive : l'œil devient aussi insensible que l'é- piderme. Cependant il ne tarde pas à s'y dévelop- per une ophtalmie. Voilà donc une inflammation qui, dans un cas, est précédée de l'exaltation, dans l'autre de l'extinction de la sensibilité tactile. Di- rez-vous que dans tous les deux la maladie a dé- buté par l'irritation ? Mieux vaudrait ne rien dire du tout, car il est par trop absurde de rallier à un même principe des causes aussi disparates. Confes- sons plutôt notre profonde ignorance sur la nature intime de ces désordres survenus vers la circula- tion capillaire , et n'allons pas , l'hypothèse en main , nous égarer dans des sentiers sans issues. On conçoit que l'œil devienne malade lorsqu'on applique un corps étranger sur la membrane qui le protège , ou qu'on coupe les nerfs chargés de lui dispenser sa sensibilité ; mais ce qu'on se re- fuserait à croire , si l'observation n'avait maintes fois prononcé , c'est que l'alimentation exerce une influence spéciale sur la circulation de cet or- gane. Vous en avez cependant eu la preuve pen- dant le cours de ce semestre. Des chiens nourris ex- clusivement avec de la gélatine , de l'albumine ou toutautre principe immédiat isolé, ont été atteints d'ophtalmie : au bout de quelques jours la cornée s'est ramollie, perforée , et la vision a été à ja- mais perdue. Cependant la santé générale de ces ( kAK ) animaux n'avait pas encore subi de troubles pro- fonds : il n'y avait que l'œil d'enflammé. Autre exemple : nous avons extrait à plusieurs reprises de petites quantités de fibrine sur un animal vivant^ puis nous avons réintégré le sang défibriné. Entre autres symptômes morbides , il est survenu vers la conjonctive des ecchymoses, l'injection des capillaires, la sécrétion d'un mucus puriforme; la sensibilité de la rétine s'est exaltée, la nutrition des membranes de l'œil s'est pervertie. On ne pouvait méconnaître une inflammation des plus intenses du globe oculaire. En quoi donc avions-nous modifié la vitalité de cet organe? Le sang contenait un peu moins de fibrine , et voilà tout. Au lieu de diminuer le volume de la fibrine ,^ privez-la seulement de la faculté de se coagulei* , vous aurez encore l'ophtalmie. Vous vous rappe- lez que nous la développons à volonté en introdui- sant dans les veines d'un animal une solution de carbonate de soude. C'est un phénomène constant. Voulez-vous encore un autre exemple ? Il suffit d'injecter dans le système vasculaire un peu d'eau putride pour produire l'inflammation des deux yeux ou même d'un seul œil. C'est une chose assez curieuse que toute modification apportée à la com- position ou aux propriétés physiques du sang re- tentisse sur la circulation de la conjonctive : ce qui ne l'est pas moins, c'est qu'on désigne par une même dénomination chacun des troubles survenus vers cette membrane. On ferait un livre entier de ( 445 ) toutes les idées que représente le mot inflammation, car il est synonyme du mot maladie. La rougeur des tissus n'est même pas son caractère essentiel ; on a admis des inflammations Manches y et on en admet encore lorsqu'on appelle arthrite rhumatis- male les douleurs articulaires qui souvent s'accom- pagnent d'une décoloration de la partie. Ne croyez pas , Messieurs, que j'aie épuisé les différentes causes qui peuvent amener l'ophtal- mie : il s'en faut de beaucoup. L'action de l'air froid, de l'humidité^ les violences extérieures, l'in- solation , la réverbération des rayons solaires par des surfaces blanches , l'habitude de travailler sur des objets fins, à la lumière artificielle, les plaies, les brûlures , la déviation des cils , la suspension dans l'atmosphère de corpuscules légers, etc., ce sont là autant de causes d'inflammation. Vous avez encore des ophtalmies scrofuleuse, véné- rienne , blennorrhagique , goutteuse , rhumatis- male, varioleuse, moibileuse, scarlatineuse, pso- rique, etc., etc., en un mot, il est peu de circons- tances pathologiques où l'ophtalmie ne se rencon- tre. Essayer de ramener à une unité d'action tant et de si divers éléments morbides , ce serait une en- treprise insensée. Pourquoi donc les désigner par une commune épithéte ? Ce qui est vrai pour l'œil est vrai pour tout autre organe. Il nous faudrait prendre partie par partie, tissu par tissu, réseau capillaire par réseau capillaire, afin d'y explorer la manière dont se produit l'imflammation. Quand on aurait fait cette étude partielle et détaillée, peut-être arriverait-on ( 446 ) à la résumer en quelques propositions générales. La sensibilité très vive de la conjonctive , sa structure vasculaire vous rendent compte de Tex- trême susceptibilité de cette membrane. Aussi, dans Ja production des phénomènes inflamma- toires, doit-on prendre en grande considération la nature même du tissu affecté. C'est à l'épiderme qui l'enveloppe, que la peau est redevable du peu d*action que les influences extérieures ont sur elle : cependant elle est également sujette à s'enflam- mer. Qu'un homme reste long-temps exposé à un soleil brûlant, la peau rougit, devient brûlante ; il se développe un érysipéle. Appliquez un syna- pisme, la pommade stibiée, ammoniacale, sur un membre , ce membre devient douloureux et s'en- flamme : il se développe un erysipèle. Voilà donc deux maladies de même nom produites Tune par une élévation de température, l'autre par une ac- tion chimique : croyez -vous qu'elles soient de même nature , qu'elles dérivent d'un même prin- cipe ? On se figurera peut-être expliquer ces trou- bles de circulation par Virritatioji de la peau et Y appel des liquides , mais comment sait-on que la peau est irritée et les liquides appelés ? C'est parce que la circulation se trouble. Le premier phéno- mène sert donc à expliquer le second, et le second le premier : malheureusement tous deux sont in- connus dans leur essence , et par conséquent , ils ne peuvent s'éclairer mutuellement. Je ne sais comment on a pu soutenir que toute lésion matérielle d'un organe dérivait d'une in- flaiumation , toute inflammation d'une perversion ( 447 ) de la vitalité des solides. N oubliez donc pas que chaque tissu puise dans le sang les matériaux de son organisation. Modifiez le sang, vous modifie- rez en même temps la marche de ce fluide à tra- vers les capillaires , et par suite la nutrition des parenchymes. Vous pouvez même, sous l'influence d'une alimentation particulière, transformer com- plètement la substance d'un organe en uue autre substance : c'est ce que nous avons faitpour le foie. J'avais déjà remarqué dans des expériences antérieures sur l'injection de liqueurs grasses dans les veines , que le tissu du foie prenait un aspect singulier : j'avais même dit d'une manière conjec- turale, que si on perfectionnait ce moyen, on ar- riverait peut-être à faire des foies gras à volonté. Les choses en étaient là, lorsque j'ai repris mes recherches sur les diverses espèces d'alimentation. Or , voici le résultat que j'ai atteint. Les ani- maux que nous avons nourris avec du beurre ou de la graisse exclusivement , nous ont tous offert, à l'autopsie, cet état particulier du foie connu par les pathologistes sous le nom Aq foie gras. Rien d^ailleurs ne pouvait pendant la vie faire soupçonner ces changements opérés dans la struc- ture de l'organe : l'appétit était assez bien con- servé et la santé dans un état satisfaisant en appa- rence. Vous voyez ici le foie d'un de ces animaux, il offre tous les caractères de la dégénérescence graisseuse: couleur pâle, de feuille morte,* tissu friable dans lequel le doigt pénètre avec une très grande facilité. Si l'on y enfonce le scalpel, on trouve que les deux cotés de la lame sont imprégnés de ( 448 ) graisse. Prenez mie tranche de ce foie ainsi altéré, frottez-la sur du papier puis mettez-y le feu , le papier s'enflammera. Nous avons fait toutes ces expériences et nous sommes assurés ici de leur exactitude. J'avais prié M. Fremy d'analyser le foie gras de plusieurs de nos animaux : ce jeune chimiste s'est assuré que cet état du foie est pro- duit par un dépôt considérable de stéarine dans les aréoles de son p.arenchyme. Vous savez que la graisse est composée de deux principes immédiats, la stéarine et l'oléine : celle-ci en est la partie liquide, celle là la partie solide. Il paraîtrait donc que la stéarine seule s'est épanchée dans le foie ; car M. Fremy n'y a pas rencontré l'oléine. Nous avons voulu voir si le foie ^ras de l'homme était dans le même cas et constitué par les mêmes élé- ments ; plusieurs ont été soumis à l'analyse chi- mique, et nous y avons retrouvé la stéarine comme hase principale. Ce résultat m'a paru fort intéres- sant : je crois qu'il pourra jeter quelque jour sur l'étiologiede cette maladie du foie. Je n'ai pas à m' occuper maintenant des ques- tions qui ne sont pas du ressort de la physiologie ni de la médecine. Il n'entre point dans mes at- tributions de rechercher ici s'il serait possible de remplacer par des moyens plus doux les pratiques barbares qu'on met en usage pour rendre gras le foie de certains oiseaux; si ce but ne serait pas également atteint en modifiant leur alimentation, au lieu de leur crever les yeux, de les mettre dans l'humidité , de leur déformer le thorax , de les bourrer de matières végétales. Qu'il me suflise d'à- ( 449 ) Yoir éveillé vos soupçons à cet égard. Ce que je ne puis trop vous recommander, c'est de donner suite à ces recherches , afin d'écîaircir un des points les plus obscurs de la pathologie de l'homme. Voici un chieh que depuis trois semaines nous nourrissons avec de ia graisse de bœuf non épurée. H est maigre , faible , triste : je ne doute pas que son foie n'éprouve déjà un commencement de dé- générescence graisseuse. Vous apercevez sur ce chien la preuve de ce que je vous disais il n'y a qu'un instant sur Finfluence de l'aUmentation relativement à la production de l'ophtalmie : les yeux sont rouges , les paupières enduites d'une humeur puriforme. Je vous prie de re- marquer l'espèce d'enduit gras qui agglutine les poils de l'animal et leur donne une teinte lui- sante. Ne dirait-on pas que Foléine s'est échap- pée au dehors par l'exhalation cutanée , tandis que la stéarine se déposait dans le foie ? Ce n'est qu'une conjecture à laquelle je ne tiens nullement, mais qu'il serait bon toutefois de vérifier par l'a- nalyse chimique. Je ne puis citer d'exemple plus frappant que celui - là pour montrer l'immense importance qu'il faut attacher aux diverses espèces d'alimen- tations sur la nutrition et les maladies de nos or- ganes. Voyez quelle harmonie existe entre le sanp- et les vaisseaux qui le charrient. Tant que le sang est dans ses conditions normales de structure, il traverse librement les capillaires du foie : devient- il trop visqueux , il s'arrête et laisse quelques-uns T. III. Mageadic. » 29 ( 450 ) • de ses matériaux s'infiîlrer dans le parenchyme de l'organe. Je ne connais pas et je ne sache pas que personne connaisse le moyen de diagnostiquer sur le vivant la maladie appelée foie gras : excepté dans certaines phthisies, il est même impossible d'en soupçonner l'existence. Supposez qu'on y par- vienne ; quel traitement faut-il conseiller? Ce se- rait sans doute de ces traitements, comme ils sont presque tous, qui font passer le temps , soutien- nent l'espérance, tandis que le mal va son train. Quelques purgatifs pour actwer la sécrétion bi- liaire et dégorger le foie, quelques sangsues à l'a- nus pour désemplir les veines mésentériques , des moxas et des cautères sur le côté droit de l'abdo- men pour déplacer lirritatiim, une saignée géné- rale pour abattre V inflammation, que sais-je enfin? On ne manquerait certainement pas de moyens héroïques ! Pour moi, si j'avais à combattre une semblable affection, je commencerais par m'enqué- rir du régime antérieur du malade, s'il n'a pas fait abus d'aliments gras ^ huileux. Il est des per- sonnes qui ont un goût prononcé pour les sub- stances grasses , le beurre , la graisse , les huiles : elles en mangent dans tout et avec excès. Nul doute que si le développement du foie gras avait suivi une pareille alimentation , la première chose à faire serait de changer complètement le régime et de le remplacer par l'usage de la chair muscu- laire. Peut-être arriverait-on aussi à restituer au foie sa structure normale. L'animal lui-même semble nous indiquer cette médication. Il recher- che avec un soin extrême toutes les petites par- ( /.r>'i ) celles de muscles que contient la graisse que nous lui donnons, et il n'en laisse pas échapper la moindre fibre. Ce n'est là que de l'instinct, j'en conviens , mais l'instinct , pour qui sait le com- prendre, est souvent notre meilleur guide. Ce ne serait pas la première fois qu'on corrige- rait par l'alimentation les effets morbides de l'ali- mentation elle-même. Une personne fait usage abu- sif d'oseille et rend dans ses urines des graviers d'oxalate de chaux : suspendez l'emploi de l'oseille, les graviers disparaissent. Ainsi le sang ne peut être modifié dans quel- qu'une de ses propriétés sans offrir des phénomè- nes pathologiques vers la circulation capillaire. Ce que nous apercevons sur une membrane comme la conjonctive où Ton peut suivre de l'œil les moin- dres nuances d'altérations , nous met à même de juger de ce qui se passe dans les autres organes, si profondément situés que nos regards ne peuvent les atteindre. Bien loin de s'enquérir de la cause de ces désordres , on se contente en général de les rallier à certaines théories favorites, et avec un mot qui ne signifie absolument rien, on se figure exprimer beaucoup de choses. La circulation est- elle brusquement troublée, il y a inflammation aiguë \ les troubles suivent-ils une marche plus lente, il y a inflammation chronique ; voit-on un tissu désorganisé, sans travail morbide reconnu antérieurement, il y a eu inflammation latente. Tout se trouve exphqué de la sorte, surtout ce qui est inexplicable. Si nos connaissances sur la manière dont débute ( 452 ) l'inflammation sont encore aussi obscures, avons- nous du moins des notions plus positives sur les divers modes de terminaison? non ^ Messieurs. Nous en venons toujours à des classifications rou- tinières, qui ne reposent que sur la partie la plus grossière des phénomènes dont les tissus mala- des nous offrent le spectacle. Quand on réfléchit à l'immense étendue des faits qu'embrasse un sujet aussi vaste, on reste confondu du peu que l'on sait : il n'est que trop manifeste que la physio- logie expérimentale n'a pas encore passé par là ; comme ces questions sont exclusivement de son do- maine, nous nous réservons de les aborder et de les discuter dans un des prochains semestres. Pour beaucoup de personnes, les divers modes de terminaison de l'inflammation se réduisent à six chefs , savoir : la délitescence, la métastase, la ré- solution, la suppuration, linduration et la gan- grène. Une inflammation étant donnée, la diffi- culté ne consiste donc plus qu'à désigner la caté- gorie dans laquelle il convient de la ranger. Ce serait sans doute plus simple et fort ingénieux si chacun de ces six groupes représentait une théorie raisonnable des phénomènes qui s'y rallient , mais telle n'est pas à cet égard la nature de nos connaissances. Des mots, tant qu'on en voudra ; des idées justes, très-peu ou point. On appelle délitescence, la disparition subite delinfiammation. Pourquoi cette cessation promp- te des symptômes pathologiques ? parce que la circulation momentanément troublée a repris son cours avant que des obstructions ou des extrava- ( 453 ) salions considérables aient eu le temps de s'effec- tuer ; en voici un exemple : vous appliquez sur votre main un liquide brûlant, elle rougit, plus de sang y afflue ; il j a irritation ; la plongez-vous dans de l'eau glacée^ moins de sang y arrive, la rougeur diminue : vous avez fait avorter ïinflam- mation. Nous ne nous sommes servis ici des mots irritation et inflammation que pour vous faire sen- tir combien ces expressions sont impropres, puis- qu'elles détournent l'attention du point capital , l'influence exercée par la température sur la mar- che du sang dans les vaisseaux. Je vous renvoie pour l'intelligence de ces phénomènes à nos expé- riences sur le froid et le chaud avec Thémodyna- mométre. Par métastase on désigne le transport subit de l'inflammation en un point plus ou moins éloigné de celui qu'elle avait d'abord attaqué, et qu'elle a spontanément abandonné. Je vous fais grâce de toutes les hypothèses qui ont été imaginées, pour décrire l'itinéraire de Télément inflammatoire. Les uns l'ont fait voyager avec le sang, d'autres ont supposé qull était appelé par les sympathies, d'autres n'ont trouvé rien de mieux que de le faire sauter d'un endroit à un autre en vertu d'une puissance inconnue, émanation des propriétés vi- tales. Il règne encore beaucoup de vague sur ce qu'on doit entendre par le mot métastase • c'est à l'expérience qu'il est réservé de donner la solution du problème. La résolution est la disparition graduelle de l'in- flammation : c'est la terminaison la plus favorable. ( 454 } La maladie, dans ce cas, parcourt tontes ses pério- des par degrés; la douleur diminue, le gonflement se dissipe, les parties reviennent insensiblement à leur état normal et au libre exercice de leurs fonc- tions : tout rentre dans l'ordre. Comment des vais- seaux obstrués peuvent-ils recouvrer leurs proprié- tés perdues? Je crois que cela tient aux modifications subies par le sang arrêté dans les canaux. D'abord il s'était solidifié , sa partie liquide s'étant imbi- bée à travers les porosités ou les ruptures des pa- rois vasculaires ; plus tard sa fibrine coagulée se liquéfie, redevient fluide, et est emportée par les courants sanguins que le cœur, à chaque contrac- tion, projette dans tout le système artériel. Une fois les capillaires débouchés, les matériaux extravasés rentrent dans la circulation et le gonflement dis- paraît. L'élévation de température de la partie en- flammée rend très -bien compte de ces transfor- ma! ions chimiques qu'éprouve le sang dont la marche a été accidentellement suspendue. Voyez ce qui arrive dans ces vastes ecchymoses, résultats de contusions violentes : pendant un certain temps le sang reste fluide, puis sa partie aqueuse s'infiltre uar imbibition dans les tissus circonvoisins : un caillot solide occupe seul le centre du foyer; cepen- dant peu à peu ce caillot se ramollit^ il se divise par grumeaux, qui eux-mêmes se dissolvent dans la sérosité ; bientôt le sang coagulé est redevenu liquide ; alors un nouveau travail de résorption commence, jusqu'à ce que l'épanchement ait tota- lement disparu. C'est par le même mécanisme que je m'explique la résolution de l'inflammation , le ( -^«'"^^s ) sang extravasé cesse d'être liquide pour récupérer ensuite sa fluidité première ; toutefois ces trans- formations pour être bien connues auraient encore besoin d'être soumises au microscope. Une fois ramollis, les matériaux du sang arrêtés dans les vaisseaux ou épanchés au-dehors , ne re- passent pas toujours dans la circulation ; un trop long séjour dans la partie enflammée désorganise la structure des tissus, et la vie, suspendue un instant, y cesse presque tout-à-fait. Peu à peu la tumeur devient moins dure : son centre s'élève en pointe et on y sent de la fluctuation, tandis que le reste de son étendue présente de Fempàtement et une consistance assez grande, la maladie se ter- mine alors par suppuration. Là l'inflammation est superficielle; la douleur pulsative, la fluctuation, ramincissement de la peau indiquent très-bien qu'il s'est formé du pus ) mais il est plus difFiciie de s'en assurer si elle est située dans la profondeur des membres au-dessous des fortes aponévroses ; car alors on ne peut plus suivre de l'œil les modi- fications physiques que subit la tumeur ; on est obligé dans ce cas d'avoir recours aux signes ra- tionnels, qu'il n'est point de mon sujet de vous in- diquer ici. Quoi qu'il en soit, vous voyez que la terminaison par suppuration ne diffère de la ter- minaison par résolution qu'en ce que, dans celle- ci les molécules du sang une fois ramollies sont ré- sorbées, tandis que dans l'autre elles s'altèrent da- vantage, se transforment,etsont rejetées au-dehors. Les auteurs ne sont pas d'accord sur le méca- nisme de la suppuration et sur les substances qui ( 456 ) • produisent le pus. La question ne me parait pour- tant pas insoluble. Nous avons vu les principaux matériaux du sang s'extravaser pour constituer l'engorgement inflammaroire : en se liquéfiant, ils se combinent intimement avec les tissus au milieu desquels ils se sont épanchés ; de sorte que le pus provient à la fois des solides et des liquides. Com- ment voudriez - vous qu'il ne se fût pas formé dans la partie malade même ? Ne savons - nous pas qu'il revêt des caractères particuliers sui- vant le point de l'économie où il se rencontre? Ténu, grisâtre dans les os , opaque, caséeux dans le tissu cellulaire, floconneux dans les membranes séreuses, verdàtre, filant dans les membranes mu- queuses , roussâtre dans le foie , d'un jaune gris dans les muscles , le pus offre partout une phy- sionomie spéciale. Il n'est même pas impossible de reconnaître avec le microscope la source d'où il pro- vient. Ainsi une des personnes qui m'écoutent , M. le docteur Glugé, est arrivé à distinguer entre elles les différentes espèces de pus, par la seule ins- pection des globules qui les constituent. J'ai été témoin de plusieurs épreuves dont ce jeune méde- cin est sorti victorieux. Du pus recueilli par moi à l'hôpital , dans le poumon , la plèvre , le péri- toine , les tumeurs phlegmoneuses^ lui a été pré- senté , et il en a parfaitement indiqué l'origine. Je me rappelle même avoir voulu lui tendre un piège en lui donnant du pus artificiel de ma façon, comme provenant d'un de mes malades; mais il ne s'y est pas laissé prendre. Je ne doute donc pas qu'on ne puisse reconnaître à de certains carac- ( 457 ) (ères physiques des globules les diverses espèces de pus. Cet important résultat est encore une des conquêtes de l'étude expérimentale. Et on oserait aujourd'hui contester l'utilité de cette marche fé- conde de Fesprit humain ! Lorsque l'engorgement inflammatoire reste sta- tionnaire , que les autres symptômes ayant dis- paru , l'endurcissement des tissus augmente et persiste seul , on dit que la maladie s'est terminée par induration. Cette terminaison est propre aux organes glanduleux , et succède en général à des inflammations lentes , sourdes, à marche mal des- sinée. On n'a pas encore de renseignements bien précis sur les modifications que subissent les par- ties indurées. Ce qu'on sait, c'est que les matières extravasées ne rentrent pas dans la circulation , qu'elles s'organisent et font bientôt partie inté- grante des tissus. Par quelle série de phénomènes l'inflammation du testicule finit-elle par se trans- former en squirrhe? Comment le cancer encépha- loïde de cet organe ne paraît-il souvent succéder qu'à de simples troubles dans la marche du sang? Nul doute que la nature même des matériaux épan- chés n'imprime une direction particulière au mode de terminaison de la maladie. Suivant que ceux-ci restent solides ou se liquéfient^ la consistance de la partie subit des transformations qu'il serait d'un haut intérêt d'analyser, mais qu'on s'est simple- ment contenté de désigner par des épithètes diffé- rentes , sans en rechei^cher la cause dans son ori- gine première. Je n'ai rien à vous dire de la terminaison par ( iio8 ) gangrène. Nous avons ëclairci ce point de patho- logie par des expériences récentes, dont le souve- nir doit encore être présenta votre esprit. J'aurais encore à vous parler du traitement de rinflamniation ; mais, Messieurs , ce sujet est tel- lement vaste, les indications qu'il embrasse ont une telle portée , que ce n'est pas dans les quel- ques minutes dont je puis disposer encore que je pourrais en aborder les points les plus culminants. Disons toutefois que s'il est impossible de rallier les phénomènes inflammatoires à une même ori- gine , la même impossibilité existe pour le traite- ment. Que doit-on entendre par cette bizarre àé- nommsiùond' an/ip h logisfiqiie, en d'autres termes, contre la hrûJure P Sera-ce avec de l'eau de veau_, de poulet , des boissons mucilagineuses, que vous rendrez au sang sa coagulabilité , que vous l'em- pêcherez de s'extravaser à travers les parois de ses vaisseaux ? Et les sangsues restent-elles Tunique moyen de soustraire l aiguillon qui stimule la partie enflammée ? Il est rationnel de s'attaquer au sang lui-même quand la marche de ce fluide est trou- blée, mais c'est sa composition bien plutôt que son volume qu'il importe de modifier. Ce qui convient à telle inflammation, ne convient pas à telle autre. Dans un cas, il faut stimuler l'action des organes, dans un autre, l'amoindrir : chez tel malade le sang cesse de se mouvoir, parce qu'il est trop fluide , chez tel autre » parce qu'il est trop visqueux. En un mot, chaque inflammation réclame sa théra- peutique individuelle. Que de choses , Messieurs , il me reste à vous ( 459 ) dire, que de préceptes à puiser à ces intarissables sources , l'observation et l'expérience. Mais le temps presse. Depuis plusieurs jours tous les au- tres cours du collège de France sont fermés , et je suis forcé , bien malgré moi, de clore le mien au-* jourd'hui. Nous avions réservé, pour la fin de ce semestre, Fétude de l'inflammation , car l'examen des désordres circulatoires nous semble le com- plément nécessaire des recherches auxquelles nous venions de nous livrer sur la marche normale du sang dans ses tuyaux vasculaires. Si nous avions le loisir de glaner dans chacune de nos expériences précédentes , nous recueillerions , j'ose m'en flat- ter, une ample et riche moisson. Mais à quoi bon d'inutiles regrets ? N'avons-nous pas en perspec- tive les moyens de donner à ces questions tous les développements dont elles sont susceptibles ? Qui sait même si notre enseignement ne gagnera pas à cet ajournement forcé ? Nos impressions seront moins récentes, nos idées plus mûres, notre esprit familiarisé avec des faits, qui maintenant encore, nous frappent et nous étonnent par leur singula- rité. Aussi bien je sens qu'il est des points telle- ment délicats que j'ai besoin de recueillir et de comparer mes souvenirs avant d'avoir à leur égard une opinion arrêtée. Toutefois, avant de nous séparer, vous me per- mettrez , Messieurs , de vous remercier et de me féliciter du bienveillant intérêt avec lequel vous avez suivi un enseignement hors de la portée d'un auditoire vulgaire. Les entretiens que j'ai eu avec plusieurs d'entre vous , les objections qui par fois (460) m'étaient adressées, soit directement, soit par let- tre, m'ont convaincu que mes intentions avaient été comprises et que ma voix avait retenti bien au-delà de cette enceinte. Si votre attention a été constamment soutenue ^ si votre assiduité ne s'est jamais démentie , je suis loin de m'en faire un mérite ; non, Messieurs , ce n'étaient pas vos suf- frages que je m'étais proposé de conquérir avant tout, quelque flatteurs qu'ils fussent pour moi; j'avais une autre ambition , celle de faire mar- cher la science, celle d'être utile à Thumanité. Le dirai- je, j'avais, comme j'ai toujours eu, comme j'aurai toute ma vie, le vif désir de relever la médecine de Tétat subalterne où elle se trouve, et de la placer à son véritable rang , je veux dire à la tête des connaissances humaines. Après la séance , le professeur injecte dans les veines d'un jeune renard^ méchant et farouche y du sang d'un jeune chien doux et caressant, Cest, dit-il, une expérience phf siologico-morale , dont il désire connaître les résultats. Le ranard ^ après celte injection , 7ie paraît pas revenu à des habi- tudes plus paisd) les, La première émotion pas sée^ il cherche de nouveau à mordre ceux qui C appro- chent^ Peut-être faudra^t-d tenter une nouvelle expérience : cela dépendra de sa conduite ulté- rieure. FIN DU TOME TROISIEME. TABLE INDICATIVE DES SUJETS TRAITÉS DANS CES LEÇONS iiiB^ggBggt» Coup-d'œil sur les sujets traités dans le précédent semestre. 1 Hamorisme et solidisme • 2 De l'observation en médecine • • • 3 Importance de l'examen des liquides dans les maladies.. 4 Le sang diffère de tout autre liquide ^ Influence de la coagulabilité du sang » * Aspect du sang dans la fièvre typhoïde "^ Solidification du sang dans ses tuyaux vasculaires ''0 Gangrène sénile ,-.... H Absence de coagulabilité du sang dans la fièvre d'hôpital. 13 C'est toujours aux liquides qu'on s'adresse pour modifier les solides 1^ Questions qui seront traitées pendant le semestre 17 L'art du chirurgien repose en grande partie sur des con- naissances précises de la circulation 19 Marche généralement adoptée dans V étude de Vanalomie. 20 Injections < 21 Dissections 22 Planches d'anatomie et pièces artificielles 25 Conséquences désastreuses d'études mal dirigées ?". Médecine opératoire ^^ Chirurgie d'hôpital et chirurgie d'aiTûphithéâtre ....... id. Accident 4rrivé à un de nos premiers chirurgiens • 27 ( 4G2 ) L tilité des opérations pratiquées sur l'animal vivant. . . 2S Exemple tiré de la pratique du professeur id. Il fut un temps où la physioloo-ie n'était qu'un roman, . . 30 La plivsiologie n'est une science que depuis qu'elle re- pose sur l'expérience et l'observation 31 Des diverses espèces de saignées admises par les auteurs. 32 Application de la mécanique à l'étude de la circulation. 34 Les artères sont constamment distendues par le sang. ... 35 Instrument de M. Poiseuille appliqué sur deux artères. 56 Les phénomènes d'hydraulique animale ne sont pas à la portée de tout observateur 37 Pression intérieure supportée par les tuyaux sanguins. . . 39 Description de l'hémodjnamomètre 40 Manière de se servir de l'hémodvnamomètre. . . . .- Ai Egalité de pression dans l'universalité du système arté- riel 42 Egalité de pression cLez les animaux grands et petits. ... 44 L ne artère est élastique comme un tube en caoutchouc . 45 Redressement et courbure des artères 4^6 Flexuosités de l'artère temporale 47 Expériences comparatives sur deux chiens avec l'hémo- djnamomètre 48 Injection d'eau dans les yeines d'un animal 51 Injection de café à l'eau dans les yeines d'un animal. ... 52 Injection d'eau-de-yie dans les veines d'un animal 53 Saignée de 1 animal soumis à trois expériences consécuti- ycs. 54 Théorème de M. Poiseuille. 5T A* itesse du sang mu par le cœur 58 Réflexions sur des expériences précédentes. 59 Phénomènes consécutifs à la ligature d'une artère volu- mineuse. . o . . 61 Rétrécissement du cercle artériel 65 Expérience ayec l'hémodjnamomètre id. Compression de l'aorte à travers les parois de l'abdomen. 66 Expérience» avec l'hémodjnamomètre 6'^ Piston de la seringue soulevé par la pression du sang ar- ( /^63 ) tcriel : 68 Effets d'une injection d'cou dans le système artériel. . . . id. La digitale ralentît les battements du. cœur 69 Injection d'un gros d'alcool de digitale dans la tunique vaginale 70 Injection d'un demi-gros d'alcool de digitale dans la plèvre. 71 La sang est le véhicule de toute substance absorbée 72 JSoui^elles recherches sur la coagulabilité du sang. ..... 74 Manière de rendre au sang sa coagulabilité enlevée par un alcali. 75 Examen de sang soumis à l'action de divers réactifs. ... 76 J^iquidité du sang chez une femme morte subitement à l'Hôtel-Dieu 77 Remarques sur la circulation artérielle. . . 78 Différences de pression des veines et des artères . 79 Influence du volume du sang sur la pression artérielle. . 80 Transfusion du sang 81 3Iéthodes principales de faire la tranfusion du sang. ... 82 Expérience de transfusion sur deux chiens 82 Transfusion d'une livre de sang, 85 Hauteur du mercure de 1 hémodvnamomètre sous Tin- fluence de la transfusion d'une livre de sang 86 Degré de fréquence du pouls chez les deux animaux qui ont servi à la transfusion , . id. Saignée de l'animal qui a reçu le sang transfuse 87 Quel rôle joue le volume du sang dans la pression arté- rielle ? id. On n'exige d'un candidat au doctorat qu'une science fac- tice. , 89 Pièce pathologique = 92 Etat de la matrice et du poumon chez une femme morte avec un sang non coagulable id. Réflexions cliniques 94 Impuissance de la saignée dans certains cas pathologiques. 96 Principales sources de la pression artérielle 97 Résultats obtenus sur l'augmentation de volume du sang. 98 Toute théorie doit être vérifiée par l'expérience 99 Il faut se défier des rapprochements basés exclusivement ( 464 ) sur Tanalogie , 10 i Phénomènes morbides consécutifs ù la transfusion 102 Oplithalmie purulente , suite de la transfusion IFt)5 Saignées diéleciion. ,. 104 Compression de l'aorte abdominale dans les bémorrba- gies utérines .....> '1 05 Procédé nouveau pour combattre la syncope 106 Expérience sur le jeu du tborax , relativement à la cir- culation artérielle 107 Avantages des expériences physiologiques 110 Syncope 112 Causes de la syncope id. Déplacements oscillatoires des globules sanguins dans la syncope 115 Le choiera consiste surtout dans l'arrêt de la circulation. 114 Dans le choiera l'intelligence est presque isolée du corps. 115 Chez les cboleriques les artères sont vides de sang 116 L affaiblissement de la force du cœur ne cause pas une mort immédiate. , 117 Expériences de Legallois sur la destruction de la moelle épinière , id. Pourquoi dans les cas d'affaiblissement de la force du cœur, le sang oscille plutôt qu'il ne se meut 119 Expérience avec l'hémodynamomètre sur le volume du sang. , 121 Influence du jeu du diaphragme 122 Les cris , les efforts accroissent la pression des tuyaux sanguins 123 Extraction et réinjection de sang artériel sur le même ani- mal 124 Extraction et réinjection de sang veineux sur le même animal 1 25 Différence dans les résultats. . . , , 126 Autopsie de l'animal. . : 127 Le calcul des probabilités est inapplicable à la médecine. 129 Les expériences physiologiques peuvent conduire à une certitude probable loi Nouvelle méthode de transfusion 133 ( 465 ) Exemple de sang veineux plus coagulable que du sang artériel i'54- Rôle passif des artères dans la circulation , 135 Communication libre des artères et des veines 137 Diminution de vitesse du sang loin du cœur 138 Expériences de M. Poiseuille sur le ralentissement du cours du sang , id. Marche des globules sanguins dans des vaisseaux de dif- férents diamètres 139 Influence de la composition des liquides sur leur passade dans des tuyaux , 140 Opposition apparente des lois physiques et des lois vitales. 141 Le sang ne peut se mouvoir librement que dans ses pro- pres tuyaux 1 42 CIRCULATION VEINEUSE id. Pression intérieure supportée par les veines 143 Expériences avec l'iiémodynamomètre appliqué à la veine jugulaire externe id. Expérience avec l'hémodynamomètre appliqué à la veine crurale id. Différence de pression dans les veines jugulaire et cru- rale id. Opinion des auteurs sur les causes du mouvement du sang dans les veines 147 La pression supportée par les veines est de beaucoup infé- rieure à la pression supportée par les artères 148 Comparaison des veines et des artères 149 Les veines surpassent les artères en nombre et en capacité. 150 Ralentissement du cours du sang par suite de la capacité plus grande des veines . . , > 152 Hémiplégies causées par la ligature des carotides 153 Expériences sur le rétrécissement du cercle veineux. ... 154 Expérience sur la solidarité des artères et des veines .... 157 Mesure de la sensibilité en millimètres de mercure 160 Du galvanisme comme cause de pression dans les vais- seaux , \Q<^ La saignée diminue la pression dans les vaisseaux 164 Pourquoi la ligature des artères carotides diminue la pres- T. m. Mageodie. SO ( 466 ) sion dans les veines jugulaires. 167 Remarques sur des expériences précédentes 169 La moindre idée erotique se traduit à l'éclielle de l'hémo- djnamomètre 172 Causes accessoires qui modifient la circulation 173 Influence de la température sur le cours du. sang 174 Différence de pression des veines profondes et superfi- cielles 175 Digression sur les manuels 177 Etranges préceptes consignés dans les manuels , 478 Expérience sur la pression intérieure de la sapKène ex- terne 179 Expérience sur la pression intéiieure de la veine crurale. 180 Expérience dans laquelle on fait revenir tout le sang d'un membre par une seule veine 182 Détails et modifications > . 18vS Coriza , 1 86 Effets de l'obstruction des vaisseaux de la pituitaire. ... 187 Les passions modifient le cours du sang 189 Manière de se servir du spbygmomètre 190 Défaut de précision du spbygmomètre 194 Suspension du cours du sang dans les très grandes inspi- rations 192 Expériences de Halles ..^Q>,,Y^ib^^^,jj,. i*?. La température de l'atmosphère influe sur la circulation capillaire . 1 9 m uj'^i}'.*.: ^5Ç ii'-it' E**>i^- •%.