fy- 7^^ -J'- 'Si '"> l'J( Boston Médical Libbaby 8 The Fenway. PHYSIOLOGIE f T I/HOMME ALIENE. IMPRIMERIE DHIPPOLYTE TILLIARD, RUK DE LA. HARI-E, m" i>8. 19^. PHYSIOLOGIE / ■ L APPLIQUEE A L ANALYSE DE L'HOMME SOCIAL. PiB SCIPION PINEL, «ÉUSCIK «DRVBILLAST DES ALIÉNÉS DE L4 SALPÊTRlÈHE , CUBTALIEB DB r.'oBDRK MILITAI BR DE l'OLOevE, ME3IBRE DE LA SUCltTÉ UÙDICALE , ETC., ETC. PAms. LIBRAIRIE DES SCIENCES MÉDICALES DE JUST B,0UV3X:R ET 22. LE BOUVIER, RUE DE l'ÉC0LE-DE-MÉDEC1NE , w" 8. i853. Il l"^ ^% lu- ^^ /Xf AVANT-PROPOS. Jamais, dans les sciences , époque ne fut plus immobile que la nôtre ; c'est un calme k rebuter les plus entreprenans ; c'est un terre- à-terre se traînant sur les redites , se gonflant de détails, et faisant encore jactance de son servilisme inquiet et raisonneur : on n'ose plus rien ; plus de création grande, téméraire si l'on veut, mais au moins qui secoue et réveille. Sont-ce les hommes qui manquent? non sans VJ AVANT-PUOPOS. doute; mais ce qu'on ne trouve guères , c'est l'audace d'esprit : on a peur d'être vSoi, et de* s'avancer hardiment à travers la foule, parce qu'il faut heurter tout ce qui entoure, et la masse vous étouffe et vous écrase: on juge bien plus sûr de s'accomoder au train commun, que de s'aventurer le premier dans les voies où il y a nouveautés, périls et difficultés de tous genres. Malgré cette perspective^ et peut-être même à cause de ses risques _, l'auteur veut au moins tenter quelque chose d'inusité ; il veut faire servir les infirmités humaines à un usage nou- veau , et par elles décomposer et recomposer l'homme, tel que nous le voyons agir et penser aujourd'hui. De là le titre de son livre : Phy- siologie de Vliomnie aliéné, appliquée a T ana- lyse de Vhomme social. Quoi que advienne de son entreprise, elle aura toujours le mérité de la résolution, et il faudra lui savoir gré de ne pas s'être laif^sé décourage;^ par tout ce AVAINT-Î'ROPOS. VIJ qu'elle osait ; car bien souvent elle s'est senl^e défaillir en son œuvre. Commencer par décrire les désordres de l'intelligence chez les aliénés, puis les maladies physiques de leurs cerveaux, les altérations trouvées sur leurs cadavres, pour arriver ensuite à l'analyse des fonctions humaines, de leurs nécessités morales, de leurs conséquences religieuses et politiques ; ne pas craindre, en cette investigation nouvelle, de les démontrer comme inhérentes à l'homme , comme inévitable accomplissement de tout son être, libre et grand, une telle exécution doit paraître, au premier aspect, décousue, incohérente^ impossible. Mais ceux qui la sui- vront avec attention dans tous ses dévelop- pemens, y verront autre chose, et c'est à leur jugement seul que l'auteur peut se soumettre. CHAPITRE PREMIER. Exposition. Ceci est un livre grave, fait avec les misères humaines. Il s'adresse à ceux qui pensent, à ceux qui se cherchent et s'étudient : il devrait donc avoir peu de lecteurs^ en toute autre époque que la nôtre. Mais , par aventure , il vient dans un moment de décomposition sociale, où le vieux monde s^en va , et où le nouveau a besoin de re- faire ses liens , ses idées, ses croyances, et de s'en créer qui lui soient propres. Cette considé- ration est rassurante ; elle doit aussi donner con- fiance en un avenir que notre précipitation semble compromettre j car, on a beau dire, nous voulons aller , et nous allons trop vite j nous courons à perdre haleine ; nous avons ga- gné trop et trop rapidement : aussi , comme 1 2 EXPOSITION. aux enrichis d'un jour, l'esprit souvent nous manque, et la fatigue^ le dégoût de nous-même nous arrivent. Et pourtant notre âge est admirable à voir prandir ! Il s'est développé , il a mûri de deux siècles en seize années. Depuis seize ans tout change, tout est changé par lui, autour de lui : institutions , morale , habitudes , délassemens mêmes, tout s'est fait nouveau, tout a l'instinct de se faire meilleur. Si, comme les nouveau-nés, cette époque s'ébat encore en tout sens incertaine et vigoureuse, tantôt criarde, tantôt ayant l'air de dormir, elle veut cependant marcher d'elle- même, et s'indigne des vieilles entraves qu'elle a brisées 3 mais sur-tout la masse s'échauffe aux sentimens de raison et de grandeur. Ceux mê- mes qui nient ce temps nouveau et se débattent contre lui, prennent, malgré eux, ses allures libres , son franc parler , ses généreuses inspira- tions. Il subjugue , à leur insu, peuples et rois j et comme la lave qui descend lentement, mais toujours , il dévore ses obstacles , et va s'étendre sur la terre en niasse indestructible. Que deviendra la science de l'homme au mi- lieu de ce grand acheminement du siècle ? Elle qui devrait marcher en tête ^ se traînera-t-elle ,, EXPOSITION. 3 toujours honteuse et surannée, sur les pénibles traces de la métaphysique ou du matérialisme ? Entre les rêveries de l'une et les outrages de l'au- tre , il y a la vérité : cette vérité est l'homme tel que nous le voyons fait , changeante et péris- sable fraction d'un ensemble immortel. C'est donc avec l'homme, avec tout ce qu'il porte d'infirmités et de noblesses, qu'il faut confondre de mensonges les vieilles doctrines ; et leur fai- sant toucher au doigt des vérités dont elles ont eu peur , faute de les comprendre, rompre, par d'inflexibles rigueurs, leurs orgueilleuses pré- tentions, et humilier enfin la gothique science dans tous ses délires, pour la relever ensuite de ce salutaire abaissement , nouvelle , certaine d'autres forces, et fière d'une autre grandeur qu'elle paraissait ignorer. La tâche est périlleuse et faite pour découra- ger les mieux résolus : il faut s'attendre à briser bien des idées humaines. C'est moins encore la nécessité du sujet, que le devoir d'une convic- tion qui doit vouloir mieux que ce qui existe : telle est la mienne ; et en cas d'impuissance , qu'au moins mes intentions légitiment mes ef= forts dans une réforme devenue si nécessaire au- jourd'hui. I . 4 EXPOSlTlOI?r. Car, d'une part , l'idéalisme tombe en lam- beaux sur la terre des régions élevées où d'intré- pides rêveurs ont été le placer. Personne n^est tenté de les suivre, ni encore moins d'aller le refaire si haut : la tête tourne à regarder de là l'humaine nature, et à peine si l'on peut encore l'apercevoir. Et , d'autre part, les doctrines ma- térialistes ne sont plus qu'impuissance et abjec- tion : les lumières les ont tuées, comme elles tueront tous les fanatismes. De toutes les idées qui ont fini par convulsionner le dernier siècle , le bien seul reste; Je mal, comme sa fin formi- dable, est passé, et pour toujours. Le nôtre s'é- tait annoncé mathématique ; la raison , agitée si violemment , avait besoin de se rasseoir avec calme et dignité , et depuis , les sciences sont devenues plus rigoureuses. Mais savoir , n'est qu'un luxe du vivre ; tous ne peuvent être sa- vans, et tous sont forcés de vivre. C'est là la première des sciences et sur laquelle reposent toutes les autres, parce que bien vivre est se bien connaître, se bien connaître est savoir se comparer , et se comparer est préluder aux ver- tus humaines , et monter à Dieu. Tout se tient et s'enchaîne dans cette grande étude ; il n'y a plus à rêver , à supposer. Je veux EXPOSITION. 6 une science facile , claire , dans les mains et à la portée de tous , ne touchant que ce qu'elle peut sentir, mais habile à l'interpréter dignement. Les temps nouveaux ont fait cette science , il ne reste plus qu'à l'écrire ; chacun porte avec soi une philosophie vague et pratique, qu'il faut rat- tacher aux connaissances grandes et généreuses; chacun a ses petites vérités , ses superstitions , son petit système ; mais aussi chacun vçut sa- voir. Cette disposition d*esprit, inquiète et curieuse à la fois , se plaît aisément aux plus hautes ins- pirations. Mais , à rebours des vieilles méthodes, et au lieu de descendre du créateur à la créature, elle doit remonter de l'œuvre à l'ouvrier. Cette logique d en haut a déjà eu trois grands maîtres; Newton dans les sciences, Fénelon dans la mo-* raie, et Francklin dans la pratique : Newton , dont le nom seul est l'honneur de l'intelligence; Fénelon , modèle de savoir , de profondeur et d'harmonie ; Francklin , aussi grand pour avoir détrôné la tyrannie que la foudre, et riche de tous les savoirs , dont il a fait science de la vie ! Avec de tels guides ne craignons pas de nous égarer. Rassurons-nous sur-tout en nous-mêmes enregardant la tin , lebut moral vers lequel nous 6 EXPOSITION. allons , et que doivent toujours avoir devant les yeux, ceux qui ont une conscience d'écrivain. Car s'il faut commencer par montrer notre na- ture en ses pitoyables infirmités, s'il faut d'abord que les désordres de l'intelligence , et la mort elle-même , donnent de salutaires leçons à l'ar- rogance humaine , nous serons heureux d'ensei-r gner ensuite que l'homme ne perd rien de ses droits pour être mieux connu , et qu'il ne peut que gagner à se mieux connaître encore. Ceux qui, dans l'impuissance de le mesurer ou de l'ap- profondir , ont couru de suite à ce qu'il a de plus élevé , et une fois là , n'ont pas cru pouvoir re- descendre sans rougir , ont été contre le sens et contre la vérité. Pour gravir une montagne , il faut bien d'abord aller à son pied, à son plus bas; mais à mesure que l'on monte, l'horizon se dé- ploie , les pensées , comme l'air , s'épurent ; on respire d'autres idées; et lorsque, prêts â toucher le sommet, nous sentons l'atmosphère manquer à nos poumons, comme notre intelligence à cette Immensité, c'est là qu'il faut s'arrêter : l'homme n'a pas pouvoir d'aller plus avant. Si quelques privilégiés peuvent monter quelques degrés en- core , ils vont , pour la première fois, se trouver seuls devant un grand quelque chose, qu'ils re- EXPOSITIOlN. - 7 connaîtront à ne l'avoir jamais vu , sentiront à ne pouvoir le saisir, concevront à ne pouvoir le comprendre : Leurs fronts s'attacheront à la terre , et la conscience de leur néant fera toute leur grandeur. Cette science que j'annonce aura les deux pieds dans la tombe de l'homme , et sa tête sera aux cieux. Entre ces deux points la distance n'est Jurande que pour notre vue : les cieux commen- cent au niveau de la terre, et la tombe n'est que leur entrée , peut-être. C'est donc par l'homme , et par tout ce qu'il a de plus repoussant, que je dois débuter, pour marcher ensuite aux vérités sociales et divines. Quelque étrange que paraisse un tel point de dé- part , qu'on me suive avec confiance à travers les épreuves que j'ai eues à subir^ et sur-tout qu'on ne juge qu'à la fin. Placé de bonne heure en pré- sence des infirmités humaines, arrivant devant les désordres de l'intelligence encore tout rem- pli de la philosophie métaphysique des collèges , je fus long=temps à comprendre ce qu'on m'avait appris devant ce qui était sous mes yeux : le premier effet fut dégoût, le second, vide affreux. Cette fragile intelligence , si fière et si raison- neuse dans les livres, et que je voyais si pitoyable 8 EXPOSITION. en ses paroles comme en ses actions , me déses- péra par ses travers, et me fit douter de tout. De découragement, je m^attachai à l'étude seule des altérations physiques de l'organe pensantj j'en- trevis quelques résultats positifs, et je voulus m'expliquer les troubles de la pensée par les ma- ladies que j'observais. Mais étudier un tel sujet, c'était voir de près l'envers delà raison. J'essayai de la décomposer, de la pénétrer par l'analyse de ses infirmités : passions, conscience, enten- dement, furent ainsi interrogés par leurs désor- dres et leurs pauvretés. Arrivé à ce point , je me trouvai devant l'homme social. J'osai croire que la morale , la politique , la religion , avaient aussi leur base aux profondeurs de l'homme j que c'é- tait à l'analyse humaine à les chercher^, et à re- connaître leurs fondemens, tels que la main divine s'est plu à les poser. C'est ainsi qu'ayant commencé sur un cadavre , je fus forcé de mar- cher de difficultés en difficultés jusqu'à ce que l'homme me manquât. Cet enchaînement je ne l'ai ni prévu ni imaginé; il s'est développé néces- sairement et m'a tenu malgré moi. Si dans cette exécution laborieuse, plusieurs points de mes recherches rebutent ceux qui ne sont pas médecins, et qui par conséquent n'ont EXPOSITION. 9 pas fait une étude spéciale de l'organisation phy- sique de l'homme , ils devront cependant se ré- soudre à les approfondir, parce que leurs résul- tats forment un nouveau système : j'ai fait en sorte de rendre ces connaissances accessibles à tout le monde. Du reste, il est temps que toute éducation libérale soit complétée par la science de soi-même: Savoir comment on est construit, est une supériorité facile, et qui met plus de lo- gique en tête que bien des raisonnemens. De quelque façon qu'on juge cette œuvre, elle veut le bien , elle est dans le siècle ; elle ressort des temps qui commencent , et dont on ne soup- çonne pas la majesté. L'époque est décisive et solennelle ; les temps nouveaux sont désormais à nous, et les restes du précédent âge ne sont plus qu'une ombre. Honorons-la, c'est celle de nos pères; respectons jusqu'à ses erreurs, puisque nous leur devons ce que nous sommes ; et , sûrs de nous, avançons, pleins de confiance, au grand avenir qui nous attend. Nous, génération nou- velle , impatiente de s'asseoir à ce grand siècle , monnaie du siècle précédent , frappée au coin régénérateur de bouleversemens inouis de mé- moire de peuples, honorons enfin tous les hon- neurs , et flétrissons toutes les flétrissures , de 10 EXPOSITION. quelque nom que les passions les parent. La vé- rité est à nous, parce que la vérité est enfin li- bre^ qu'elle soit notre unique loi. C'est à elle à me soutenir dans une entreprise dont le moindre écueil n'est pas pour moi la dif- ficulté du sujet. J'ai une responsabilité spéciale et cruelle, j'ai un nom à justifier, et là , tout est danger. Si celui qui prétend porter un nom cé- lèbre a du mérite, à peine si l'on veut lui en te- nir compte, il ne remplit qu'une obligation ; s'il est ordinaire, il obéit à la commune destinée : le génie ou la médiocrité sont pour lui seul des torts que l'envie est ingénieuse à ne pas pardon- ner. Se taire est le plus sage ; le silence est aisé- ment défiance de soi-même ; et puis l'on n'a qu'à marcher à la trace d'une célébrité pour devenir quelque chose : vous passez sans peine , parce que chaque avancement est une satire de plus. Ce n'est pas sans connaître toute ma position que j'accepte les conséquences de ma témérité. Au début d'une vie déjà sillonnée par plus d'un orage , je leur dois plus que je ne saurais dire j je leur dois peut-être quelque maturité, mais sur-tout un juste dédain des vanités humaines, Tme indépendance qui m'est chère, et un brûlant amour du vrai , auquel ma vie entière sera con- Ex^osISTIO^^ 1 1 sacrée. Et puis, quand on en vient à se jeter en travers d'un monde , il ne faut pas craindre d'ê- tre sali et trépigné par lui , et de ne s'en relever qu'au jour d'équité , au jour de mort : c'est en- core noble espérance. Il y a dans l'injustice , comme dans l'adversité, je ne sais quoi qui brise ou fortifie , abaisse ou élève : les faibles y suc- combent; les forts en sortent meilleurs. Alors , de hautes pensées s'éveillent , et d'un sort ordi- naire peuvent faire une destinée. 12 DEVELOPPEMENT CHAPITRE IL De rintelligence et de son développement chez les animaux : Facultés propres à l'homme seul. L'ancienne philosophie iie va plus qu'à tâtons ou à pas chancelans ; on la dirait aveu- gle ou frappée au cœur ; on la voit se mourir de vétusté. En vain des hommes à rares mé- rites voudraient lui donner une marche plus ferme, ou couvrir ses vieilleries d'habillemens modernes : sa décrépitude perce à travers le voile ; elle ne peut aller loin , et ses nouveaux ornemens ne serviront qu'à parer son lit funè- bre. Laissons-la finir en paix, et sans fatiguer son agonie d'inutiles reproches , adressons- ÎNTELLECTUEL. l3 nous à ceux qui lui ont préparé une si triste fin. De tout tempSj les penseurs abstraits , trai- tant l'organisme humain avec un dédain su- perbe, se sont fait honneur de le répudier ou de le méconnaître : suivant eux^ les organes ne sont qu'instrumens fort secondaires et à peine nécessaires à la vie et à des facultés, qu'ilsvont observer dans les livres. C'estd'après les livres qu'ils parlent de l'homme, le com- mentent ou l'expliquant ; ils y trouvent tout^ excepté l'homme j et c'est ainsi qu'ils font et défont sans cesse leurs systèmes , dont les élé* mens sont toujours les mêmes, bien que l'ar- rangement varie au gré de leur imagination. D'autres observateurs , qui se prétendent philosophes, tentent, dans leur aveuglement, de rabaisser l'homme au-dessous de lui-même; ne voyant , ou ne voulant rien voir au-delà des organes, ils crient à tne-têle qu'au-delà il n'y a rien , prétendant sans doute imposer la courte portée de leur vue comme le der- nier terme humain^ et leur désespérant sys- tème comme le mieux fait pour consoler l'homme ou Je perfectionner. Abjurons toutes ces doctrines : les unes re- î4 , DÉVELOPPEMENT gardent trop haut, et les autres trop bas : cher- chons une voie plus vraie j nos incertitudes, nos chutes mêmes apprendront combien elle est dilïicile à trouver et à tenir. D'abord il faut s'expliquer sur la valeur de deux mots , dont on a fait le plus étrange abus, âme et intelligence , souvent confondus ensemble, ou pris à dessein l'un pour l'autre. Réservons le mot âme pour désigner ce prin- cipe inconnu qui donne la vie au corps. L'école spiritualiste veut que l'âme soit une essence immortelle ^ une émanation divine , un bien- lait de la toute-puissance, une fraction sublime du grand tout. Ecoutons maintenant les phy- siciens : à leur dire , le principe animateur n'est qu'une certaine combinaison de l'électri- cité et du calorique^ et quand ils seront par- venus à trouver les justes proportions de ces deux fluides, ils feront de la vie tant qu'on voudra. Commedans l'une et l'autre hypothèse nous en sommes encore réduits à croire, embras- sons avec force la croyance spiritualiste , comme la seule capable de soutenir notre fragilité. Du reste, un tel sujet revient de droit à la métaphysique , c'est son lot : qu'elle INTELLECTUEL. . l5 s'eniparede ce vague indéfini où elle peuterrer tout à son aise. Comme nous ne voulons pas l'imiter, comme nous pensons que le plus grand efFort de l'inlelligence est de savoir où elle finit de comprendre , et sa plus grande sagesse de ne pas aller plus loin , arrêtons- nous devant un abîme tant à craindre et à respecter. Concevons seulement comment le sentiment religieux a dû pénétrer profondé- ment deux intelligences^ telles que Celles de Newton et de Pascal. Ces deux hommes chez lesquels la pensée avait franchi les limites hu- niaines, que sont-ils devenus^ lorsque s'éle- vanl aux grandes vérités qui régissent l'Uni- vers, ils sont arrivés devant leur majestueuse harmonie ? Ecrasés de leu»' faiblesse, elïrajés de leur ignorance, ils sont retombés anéan- tis sur eux-mêmes , en se voyant si petits de- vant tant de grandeurs, si aveugles devant tant de merveilles, et leur vie entière n'a plus été qu'une hymne au Créateur. Imitons-les au moins dans leurs profonds respects pour tout ce qui nous échappe , et sachons nous renfermer dans l'étude de ce que nous pouvons toucher ; appelons âme ce prin- cipe inconnu qui. est vie , et soyons sobres l6 DÉVELOPPIIMEiST d'en parler : réservons le mot intelligence pour désigner l'action de l'org-ane pensant ; ne craignons pas sur-tout d'aborder tout ce qu'elle a de plus noble comme de plus abject; et pour la bien suivre dans tous ses variables phénomènes, commençons par aller voir à son origine, sous quelles Formes elle s'annonce dans l'animalité. La nature, marcliant, dans toutes ses créa- tions^ du simple au composé, a marqué le passage du règne végétal à celui des animaux, par l'apparition d^une faculté nouvelle, qui consiste à exécuter des mouvemens volon- taires , et à se mettre en rapport avec les ob- jets nécessaires à la vie. Pour cette faculté , il a fallu de nouveaux organes ^ et quelques fi- lets ou cenires nerveux suffisent déjà aux pre- mières classes animales , pour les rendre irri- tables, sensibles et capables de mouvemens réitérés , mais instinctifs. Dans l'immense sé- rie des êtres si diversifiés, jusqu'aux preriiiers animaux vertébrés, l'observation peut recon- naître que le développement des facultés ner- veuses se proportionne au nombre et au vo- lume des organes nerveux. Arrivée aux ani- maux vertébrés, la faculté de sentir et de se INTELLECTUEL. I7 mouvoir^ déjà si grandedans des êtres si petits, se prononce en formes tranchées et saillantes ; les mouvemens prennent une volonté éner- gique et violente j Tintelligence est pré- voyance admirable : aussi trouvons-nous chez eux un appareil nerveux plus compliqué. Dans les poissons, par exemple, une moelle épinière considérable^ terminée vers la tête par deux tubercules simulant le cerveau, devient l'ins- trument de forces musculaires souvent énor- mes : ces deux tubercules sont presque un entendement complet, avec sensations, mé- moire, discernement et finesse surprenante dans quelques sens. Chez les reptiles, les tubercules cérébraux étant plus nombreux, la moelle épinière s'alongeant plus forte et plus étendue , le développement intellectuel et moteur y paraît encore plus remarquable. La même progression peut être observée dans l'intelligence des oiseaux ; leur mémoire , leur jugement, leur attention sont merveilleux : chez les chouettes , dont l'angle facial est très- prononcé, on peut, suivant Cuvier, recon- naître une réflexion attentive. Nous retrou- vons dans les quadrupèdes l'ébauche imparfaite des penchans, des facultés, des passions, qui se 2 l8 DÉVELOPPEMENT dessinent à grands traits dans l'espèce humaine . Et que par ce rapprochement comparatif, on ne m'accuse pas de chercher à rapetisser l'homme ? Est-ce ma faute , si l'on a placé sa grandeur où elle n'est pas? (i) Observez les animaux que vous avez chaque jour sous les yeux, et vous verrez croître un rapport constant entre l'organe nerveux et ses fonctions ; dans certaines espèces , le chien par exemple , l'intelligence s'élargir quand la masse cérébrale augmente en volume propor- tionnellement au reste du corps ; certains pen- chants, certaines aptitudes suivre le dévelop- pement ou la prédominance de certaines masses de l'organe, et souvent la mémoire, le jugement et d'autres facultés acquérir une rare perfection. La multiplicité des organes dans le cerveau (2) n'est devenue erreur , que parce que son auteur a fait abus d'une obser- (i) Voyez ce que dit Féne'lon à ce sujet, en traitant des preuves physiques delà Divinité. Mélanges, tom. i. (2) On trouve, dans la correspondance de Grimm, une idée de femme qui n'a peut-être pas été sans iaflueuce sur le système allemand : madame Geoffrin prélend que les hommes sont com- posés de plusieurs petits potsj il y a le petit pot d'esprit , le petit pot d'imagination, !e petit pot de raison et la grande marmite de IjNTËLLECTUELi ig , valion réelle , qu'il a trop généralisée en vou- lant l'ériger en système : mais il est bien cons- tant que le développement des parties laté- rales , antérieures ou supérieures de la tête , observé chez l'homme sain , comme dans tous les animaux^fournitdes données positives, dont la science humaine doit enfin profiter. Il faut bien se garder d'en conclure, que ce dévelop- pement fasse des organes nouveaux , isolés les uns des autres : cette explication n'est que so- phisme ; car en bonne logique , un cerveau reste toujours un cerveau , mais , comme tous les autres organes, il acquiert de plus grandes fonctions, en augmentant de volume. Entre l'homme et le singe la distance est immense sans doute : aussi quelle différence d'organisation ? Pour la première fois vous trou- vez proportion entre la tête et le tronc : quelle masse pensante à la partie frontale ? voyez les pure bêtise : le destin prend de chacun de ces petits pots ce qui lui plaît , et en fait une tête humaine. Je crains fort que le système Gallique ne soit qu'un re'chauffé de ces petits pots, et sur-tout de la grande marmite. Quant à la doctrine phre'nologique, qui n'est que l'amplification outre'ed'un système déjà fort aventureux, et dont cependant elle diffère en bien des parties , nous aurons bientôt occasion de l'examiner en détail dans un travail sur le cerveau. 2. 20 DÉVELOPPEMENT hommes supérieurs, OU ds] moins leurs statues^ puisqu'ils sont si rares ? c'est toujours au front qu'on les regarde d'abord, et qu'on veut les de- viner. En vain BuiTon définit le génie, l'apti- tude àla patience; sa définition n'est qu'à demi- vraie : il est certain que dans les arts^ ou dans les sciences, uheorganisation ordinaire pourra , avec une ferme et patiente attention, faire d'im- portantes découvertes de détails , ou exceller dans un sujet ; acceptons dans ce cas la défini- tion du naturaliste. Mais un homme ordinaire, de quelque patience qu'il soit capable , sera-t-il jamais un être supérieur ? ne le crojez pas : ce n'est pas la patience qui fait les inspirations soudaines, fortes et sublimes. II y a deux gé- nies ; l'un factice, celui d'attention, donné pres- que à tous , fait seulement pour briller sur quelques points ; etl'autre si rare , de grandeur, natif, de tous lesmomens, prompt et rapide comme l'éclair, entraînant, subjuguant les hommes , voyant d'en haut l'immensité , enfan- tant à toutes les époques y à travers tous les obstacles, ces grandes conceptions , ces actions héroïques, ces gigantesques pensées _, qui mar- quent un siècle. 11 est aisé dans tous les genres de compter ces génies-là j ils sont sur les hau- INTELLECTUEL. 21 leurs : derrière , bien loin , la foule les suit comme un troupeau. César, Corneille, Mira- beau , est-ce la seule patience qui les a faits grands ? ils ont agi , pensé , parlé grandement, parce que leur cerveau élait vaste. Un être ordinaire, quelque tenace que soit sa patience, sera-t-il Jamais Racine , Molière ou Bossuet ? Il ne s'agit donc pas que de vouloir : à ce compte , nous aurions des grands hommes à bon marché ; il faut pouvoir d'abord^ et là est le rare et grand privilège. Disons aussi que sans la puissance de l'attention et de la persé- vérance , le plus heureux génie avorte et se perd. Il faut compter dans l'homme trois grandes facultés inconnues aux animaux , et qui font la distance entre eux et lui. La première est la possibilité d'articuler les sons , d'exprimer les sensations ou de les réduire en signes ; la parole , les gestes , l'écri- ture ne sont que trois modes difFérens d'un besoin unique , celui de l'expression : ce sont des idées parlées, signifiées^ ou écrites. Si un singe pouvait dire ou écrire tout ce qu'il sent , ou tout ce qu'il veut , il serait déjà au-dessus de bien des hommes. 2 2 DÉVELOPPEMENT La seconde faculté _, une des noblesses de notre nature , est ce sentiment intime que nous avons de tout notre être : non-seulement nous avons des facultés et des sentimens , mais en- core nous avons la conscience de ces sentimens et de ces facultés. Il est donc en nous une fonc- tion spéciale , qui fait que nous nous sentons ; c'est la conscience , non celte conscience abs- traite et idéale , dont la philosophie moderne n'a pu que pressentir encore quelques-uns des bienfaits , mais cette conscience, si heureu- sement physique, une des plus grandes mer- veilles de l'organisation (i), que plus tard l'ana- lyse nous montrera siégeant au cœur, comme au cerveau ; dans le cœur amour du vivre , et morale profonde que nul n'outrage impu- nément j dans le cerveau , conscience de l'in- telligence , pouvant comme elle , être malade , pervertie , anéantie , ou grandir en nobles inspirations. Et pour l'indiquer en passant, on peut déjà, chezlesaliénés, observer les misères de celte conscience cérébrale : vous en verrez qui se croient morts , qui s'imaginent avoir une (i) chapitre neuvième. INTELLECTUEL. 2 3 têle étrangère^ ou un corps de verre, qui ont enfin perdu la conscience d'eux-mêmes, et dont, sur tous les autres points, la mémoire, le jugement, l'attention s'exercent dans leur plénitude : ils pensent, ils agissent, ils parlent, d'une manière toute conforme à la perte de cette conscience : par contraste, vous observez dans d'autres folies^ les exaltations, les dé- lires de cette conscience : c'est elle qui exa- gère les souffrances de l'hjpochondriaque, qui donne aux furieux le sentiment d'une supé- riorité dominatrice , ou aux visionnaires la certitude mensongère d'apparitions dont ils conservent la conviction intime. Unetroisièmefaculté sépare à jamaisl'homme des animaux : c'est l'étonnante perfectibilité de ses sens et de ses organes; et bien que Condorcet ait exagéré ses résultats futurs , je pense qu'il est difficile d'assigner à cette per- fectibilité des limites certaines. Voulez-vous encore aller plus loin ? ima- ginons maintenant des êtres supérieurs à l'homme : concevons un instant des individus, qui , outre tous nos sens et toutes nos facultés , auraient encore des sens et des facultés qui nous manquent ; supposons-les doués d'un 24 DÉVELOPPEMENT appareil d'organes tellement disposés que , malgré la distance, ils pourraient être avertis de ce qui se passe loin d'eux, comme les yeux nous avertissent de ce qui se passe dans l'ho- rizon visuel : supposons encore à ces individus d'autres appareils organiques , destinés à les mettre en rapport, soit avec l'électricité ( ainsi que l'on rencontre les traces d^une pareille or^^a- nisation chez certains animaux), soit avec quel- ques-uns de ces fluides qui nous pressent , dont l'analyse physique ou chimique peut seule nous démontrer la présence (i); supposons même à ces individus autant d'organes qu'il y a de ces fluides, de même que nous avons l'ouïe pour les sons , l'odorat pour les odeurs , la vue pour la lumière. Eh bien ! ces êtres ainsi faits nous seraient aussi supérieurs, que nous le sommes (i) Dans ces milliards de mondes qui roulent sur nos tètes ou sous nos pieds, ne peut-il pas exister des êtres aussi supérieurs à nous, que nous le sommes aux animaux? La physique nous ap- prend que l'absence de l'air atmosphérique empêche que le so- leil et la lune aient des êtres pareils à nous : soit; mais croyez- vous que notre manière de vivre soit la seule par laquelle on puisse exister ? Croyez-vous la création aussi e'troîte que votre cervelle ? Pauvres atomes ! Encore , si vous saviez douter : INTELLECTUEL. 25 aux animaux ; ils auraient des idées , des besoins, des facultés dont il nous est impossible d'avoir le moindre soupçon. Que dirait l'or- gueil humain à voir son Roi de la nature n'être plus qu'une bête de somme pour de tels indi- vidus? Confessons au moins notre vaniteuse impuissance , et rentrons avec humilité dans l'étude de nous-mêmes. 26 DÉSORDKES. CHAPITRE III. Analyse des fonctions intellectuelles par leurs désordres. Ainsi ^ voilà l'homme seul , debout au milieu de la nature , avec ses facultés , ses penchans, ses passions , avide d'intelligence et de bien-être , marchant dans l'inévitable développement de lui-même , et poussé mal- gré lui vers un mieux, qu'il n'a pas souvent la force de saisir , mais qu'il ne peut s'empê- cher de vouloir et de respecter. Tel est l'homme de la civilisation actuelle , quoiqu'en disent ceux qui ne la veulent pas comprendre; et la meilleure réponse à leur faire , serait de INTELLECTUELS. SL'J îe suivre et de le représenter dans ses efforts continuels d'amélioration : ce n'est ici ni le lieu , ni le sujet j autre est la tâche qu'il nous faut remplir» Nous devons descendre d'abord aux profondeurs des misères humaines , pour en rapporter une leçon forte et nouvelle, et c'est par l'analyse des désordres de la pensée que nous allons commencer celle œuvre diffi- cile. Jusqu'à ce jour, l'histoire de Tentende- ment n'a été que spéculation et théorie : Condillac seul voulut au moins la réduire à quelque certitude, en animant une statue de toutes nos facultés successives; n'osant^ ou ne pouvant prendre l'homme, il s'est adressé à son froid simulacre ; c'était beaucoup pour son temps, ce n'est plus rien pour le nôtre. Il reste mieux à faire : il faut pénétrer dans l'in- telligence par ses désordres, l'analyser, et la recomposer dans son ensemble, avec ses dé- bris et ses restes souvent hideux, qu'on ne peut rencontrer que dans les asyles consacrés aux aliénés. A la vue de la folie, il y a plus que douleur; on sent je ne sais quel frisson de néant , qui glace , à contem- pler cette mort au milieu de la vie , à ne 2 8 DÉSORDRES retrouver qu'un sac digérant, là, où quelque temps avant, on connaissait de nobles pensées, ou des sentimens généreux. Ce spectacle porte tant d'efFroi dans l'âme , que tout aver- tie qu'elle est, elle ne voudrait même pas admettre la possibilité d'un tel état. Si la première impression est désolante , l'observa- tion , en s'j habituant, peut chercher de nou- vaux enseignemens dans les infirmités intel- lectuelles. Il existe à l'hospice de la Salpêtrière, un vaste établissement destiné au traitement des femmes aliénées (i). Sur quinze à seize cents malades qui s'y trouvent renfermées , quatre cents environ forment une division particu- lière, qui se compose des personnes devenues incurables, des imbécilles, des idiotes de nais- sance, ou de celles, qui, parvenues à l'état complet de démence , présentent peu de , chances de guérison. Ayant été chargé, pen- (i) c'est dans cet liospice , ainsi que dans celui de Bicêtre d'abord , que mon père recueillit les mate'riaux de son traite' sur V aliénation mentale^ et fit entendre le premier cri de douleur et d humanité, qui a retenti dans toute l'Europe, et a fait traiter ces sortes de maladies avec plus de douceur et d'attention. INTELLliCTUELS. lig tîant huit années, du service médical de cette division , la vue continuelle de ces malheu- reuses, et un instinct d'inquiète curiosité, me les fit observer de près : je ne tardai pas à reconnaître qu'avec ces fragmens informes de l'intelligence, on pouvait faire beaucoupmieux que la statue de Condillac, et réaliser en faits vivans, ce qu'il n'avait essayé qu'en faible théorie : voici le résumé de mes observations, qui ne sauraient être rapportées ici, mais dont les principaux résultats se reproduiront en plusieurs endroits de cet ouvrage. Échelle ascendante des désordres intellectuels . PREMIER DEGRE. Abrutissement {amenda). Je place au dernier terme de i'abrulisse- ment intellectuel , ces êtres plus qu'idiois. 3o DÉSOllDUES qui ne sont plus que des machines vivantes : ces exemples sont rares, mais on en rencontre quelques-uns à la Salpêtrière. Chez ces mala- des , tous les sens paraissent morts ; les per- ceptions sont nulles , ainsi que le sentiment des besoins physiques ; ils sont tombés dans une telle nullité morale, qu'ils mourraient de faim , si on ne les faisait pas manger : ils restent là oii vous les placez ; ils digèrent , ils respirent, c'est toute leur vie : intelligence, instinct , penchans , tout est mort ; ils sont pour les facultés, même au-dessous d'une huî-' tre , puisqu'au moins elle sait se nourrir. DEUXIÈME DEGRE. Sio^ïd'iié {stupiditas ), Dans une série un peu plus élevée, on peut ranger ces idiots, qui présentent quelques frac- tions intellectuelles j ils ont au moins le sen- timent des besoins physiques : ils crient quand ils ont faim ^ ou peuvent aller prendre leurs alimens, bien que souvent ils se meuvent sans but déterminé : il en est d'au 1res qui INTELLECTUELS. 3l exécutent le même mouvement pendant des années entières. Accroupis presque toujours à côté les uns des autres, ils sentent déjà le besoin de se réunir, souventaussi ces réunions ont pour but de vicieuses habitudes; on observe dans cette classe abrutie, quelques traces de perceptions ; mais la mémoire y l'attention , la parole , la volonté , la conscience , sont entièrement abolies. Observons, dans cette classe si dégradée^ les traces informes de l'instinct puissant et con- servateur, par lequel la nature pousse tous les êtres à se nourrir d'abord, puis à reproduire: à peine découvrons-nous, chez ces idiots , quel- ques perceptions bien obscures, que déjà leur instinct les fait servir brutement à ces deux fonctions. C'est qu'en petit, comme en grand, une idée mère domine toute la création , vivre et donner la vie. Et avec quelle profusion de moyens elle sait assurer ainsi la mobile éter- nité des êtres vivans? Devant cette sagesse ;, rien ne peut mourir ; les individus seuls finis- sent , les espèces sont immortelles ; et encore cette fin des individus n'est qu'un bienfait , une conséquence prévoyante et forcée de leur formation. Que ces phénomènes de vie et de 32 DÉSOKDUES morl se succèdent en une heure, en un joury en un mois , un an, un siècle, c'est toujours la même scène; les acteurs seuls sont changés. TROISIEME DEGRE, Bêtise {stultitia ). Si nous montons un degré plus haut, nous arrivons à une classe d'idiots susceptibles de quelque éducation , de quelque intelligence , de quelques penchans. Ces individus com- prennent les questions relatives à leurs be- soins ; ils se meuvent vers un objet déterminé, en font l'usage qu'on leur indique , s'il est manuel; ainsi, ils exécutent fort bien tout ce qui est relatif au nétoyage , au balayage , etc. Ils peuvent articuler quelques syllabes , quel- ques mots, ou même des portions de phrases. Chez eux, les penchans sont très prononcés; il en est qui excellent à voler, même de plus intelligens qu'eux; d'autres se livrent à des accès de fureur sanguinaire : ils ont assez d'in- telligence pour reconnaître leurs supérieurs , pour se cacher quand ils font mal, et peuvent INTELLECTUELS. OO même prendre en affection certains individus. J'ai dit qu'ils étaient susceptibles de quelque éducation ; en voici un exemple , entre mille que j'ai eus sous les jeux. Une jeune fille, hydrocéphale de naissance, et ayant conservé un développement énorme des os du crâne , fut amenée à la Salpêtrière . à l'âge de seize ans , dans un état d'abrutissement complet, le regard hébété , les veux ternes , les membres petits, non développés, semblables à ceux d'un enfant de six ans. Elle était aussi incapable de comprendre que d'agir. Après quelques mois de soins et de persévérance, une infirmière, qui l'avait prise en affection , parvint à lui apprendre à tenir des aiguilles , puis à tricoter , enfin à pouvoir articuler des mots et des phrases. Au bout d'un an , elle causait de tous sujets, et finit même par acqué- rir une certaine malice. Quand je lui deman- dais : Comment te portes-tu? elle répondait: Je por hian (i). Si je lui disais : Es-lu malade ? elle répondait toujours: Om/^ et montrait son côté avec la main : elle espérait, en se plai- gnant d'une douleur de côté , obtenir un (i) Je me porte bien. 54 DÉSORDRES loock, OU un médicament sucré , qui lui était bien souvent accordé. Il y avait donc, dans cette tête infirme , une combinaison d'idées , devenue d'autant plus remarquable^ qu'à son arrivée, c'était une machine brute et parais- sant n'avoir aucune sensation. Pour son tricot, elle n'a jamais pu apprendre où il fallait s'ar- rêter; ses mains étaient un vrai métier : pour les nombres , c'était, même incapacité ; elle ne pouvait pas apprendre à compter un ou deux, ni les distinguer l'un de l'autre. Dans cette classe d'idiots, il y a perception, mémoire et jugement, mais à de bien faibles degrés ; l'attention est presque impossible , l'articulation des sons fort pénible , la con- science de leur état nulle. Chez eux , les pen- chans se montrent d'autant plus à découvert, que l'intelligence n'est pas là, pour les cacher ou les corriger. La possibilité de parler est , pour moi , le trait distinctif de cette classe, et met une grande distance entre elle et les pré- cédentes. Celte faculté est donnée aussi à quel- ques oiseaux, sur-tout à ceux dont le front est le plus prononcé; ils peuvent dire des mots, des phrases , ou chanter des airs entiers. Le perroquet ne parle que par imitation : cepen- INTELLECTUELS . 35 fiant, k force de lui répéter le nom d'un indi- vidu, il finit par dire ce nom de lui-même, lorsque l'individu vient à paraître^ et alors il j a, dans l'intelligence de ce perroquet , per- ception^ mémoire, jugement, et expression de toutes ces opérations par le mot articulé : c'est aussi parimitation qtie l'enfant apprend d'abord Les quadrupèdes n'ont pas la faculté d'arti- culer les sons ; mais aussi , chez eux , le front est absent; les animaux qui, comme l'ours -, ont la dépression de cette partie de la lête presque horizontale , peuvent à peine faire entendre quelques cris. Le Caraïbe fie pro- nonce que des mots très brefs. Les sauvages ont aussi des mots courts , et n'auront jamais d'autre langue que celle de leurs besoins : en vain vous voudriez en faire des peuples à institutions : pour arriver là , il faudrait com- mencer par croiser leur race avec une race supérieure, puisque notre vaniteuse civilisa- tion tient tant à ne pas leur laisser leur liberté et leurs déserts. Parmi les hommes instruits , le talent de la parole annonce toujours iirie organisation peu commune. L'éloquence est la puissance d'une grande organisation : aussi voyez sa rareté et son influence. 36 DÉSORDRES QUATRIÈME DEGRÉ. ïmhécWVilé (imbecillifas), débilité intellecluelle. Nous quittons enfin les idiots , les êtres stu- pides de naissance, pour arriver à ceux dont la perte de l'intelligence est la suite de quelque maladie : je donne à cette classe le nom d'im- bécilles. Des altérations physiques, qui seront décrites au cinquième chapitre ^ ont causé leur déchéance intellectuelle : ils ont pu jouir de la plénitude des facultés, dont ils ne présentent plus que les restes ; c'est là leur trait distinclif. Ils voient , entendent et sentent ; mais leur in- telligence n'est que momentanée; la mémoire n^estplus dès que l'impression disparaît ; l'at- tention , pour être un peu continue, a besoin d'être à chaque instant stimulée; le jugement semble assez juste , mais l'exécution est nulle ou contraire. C'est l'intelligence, si l'on veut, mais engourdie^ inerte , sans action , sans con- science. Ces malades parlent avec répugnance , travaillent un peu, vivent paisibles _, se rendent utiles , et n'ont pas les penchans vicieux aussi prononcés que les idiots; ils peuvent même INTELLECTUELS. 67 éprouver des sentimens d'amitié, de jalousie, de pudeur j on voit que rintelligence a passé par là. Cet état d'engourdissement moral ne fait qu'empirer avec le temps : leurs facultés déjà si faibles , s'éteignent par degrés : leurs mem- bres se paralysent et se contractent j ils meu- rent dans le marasme. CINQUIEME DEGRE. Démence ( dementia ), déraison. Cet état est le passage presque insensible du délire calme à l'imbécillité j il a, comme les autres classes, sa physionomie originale ; il se distingue par des efforts inutiles de mémoire, de jugement et d'attention ; et sur-tout par un trait tout nouveau , la conscience de cette dé- gradation morale : les individus en démence ont une volonté^ mais impuissante ; ils sentent cette impuissance, etcesentimentcruels'exhale en plaintes et en lamentations continuelles ; leurs idées traînantes et décousues^ s'échappent en un flux de paroles à peine articulées ; on 38 DÉSORDRES voit chez eux l'intelligence lutter en vain contre; le désordre qui l'entraîne; quand cette lutte cesse , et que s'éteint la conscience de leur état , ils tombent dans l'imbécillité. Dans cette classe^ la conscience apparaît pour la première fois , maislugubre et désolée, comme la frêle machine qui se sent , pièce à pièce, tomber au néant intellectuel ; elle ne semble être venue que pour rendre plus dou- loureuse cette triste décomposition, et nous allons désormais la voir ,, sous d'autres formes et d'autres attributs , accompagner les désor- dres de l'intellio'ence. SIXIEME DEGRE. Monomanie : délire sur un seul sujet { iuxatio^ distorsio mentis ). Avant d'être aussi généraux et aussi profonds, les troubles de la raison s'annoncent en symp- tômes légers et partiels : chez les monomanes l'intelligence paraît saine , seulement il y a trop forte tension du cerveau sur un seul sujet , et fausseté de jugement sur une seule ou quelques INTELLECTUELS. ÔC) idées : par cou Ire , la conception est vive , pé- nétrante et rapide, l'imagination ardente^ les paroles rares, mais d'une justesse et d'un à propos qui confond. Ces individus ont toute la conscience de leur trouble moral ou intellec- tuel; non-seulement ils se sentent, mais encore ils s'observent déraisonner; ils se plaignent et s'étonnent de ne plus se retrouver au cœur les affections qu'ils y connaissaient ; leurs attache- mens ont fait place à des sentimens de répu- gnance ou de haine,qu'ils ne peuvent concevoir. Ils s'exagèrent toutes les sensations, sur-tout en mal, interprétant contre eux-mêmes, lesévé- nemens les plus simples : parfois on les voit pleurer sans motifs , ou se livrer à des accès de sensibilité fougueuse; c'est un signe de faiblesse déplus. • SEPTIEME DEGRE. ManiQ , fureur ( delirium furens et divagans). Cliez les furieux les troubles intellectuels présentent uneexaltation remarquable; la force jnusculaire, comme l'inlelligence sortent des 4o DÉSORDRES proportions ordinaires ; la mémoire et le ju- gement sont continuelles extravagances, l'at- tention ne peut être fixée un instant; les sensations sont vives , profondes , et les per- ceptions fausses; les paroles elles-mêmes ne s'accordent pas avec leurs fausses idées j ils déraisonnent sur tous les souvenirs, sur toutes les impressions. Ce sont tous les élémens intellectuels exal- tés , mais sans liaison , sans frein ^ rompus , et dans le cahos : la volonté a disparu. Si elle était capable de maîtriser ou de gouverner cette exaltation, les furieux seraient des êtres supérieurs, tant que durerait leur efferves- cence nerveuse. Cette exaltation à laquelle ils se complaisent, dont ils sentent toute l'énergie, leur donne une haute idée d'eux-mêmes; ils ont conscience de leur folie et en font orgueil; voilà encore la conscience dégénérant en va- niteux délires. Entre l'homme raisonnable et celui qui extravague, il n'y a de différence que la vo- lonté (i) : Dans toutes les altérations intellec- (i) Napoléon avouait à I'ud de ses médecins, à mon père, qn'entre un homme de génie et un fou , il n'y a pas V épaisseur INTELLECTUELS. /^l tuelles que nous venons d'exposer rapidement, les élémens de raison sont toujours les mêmes ; seulement les maladies lesdésharmonisent plus ou moins, et pervertissent sur-tout la volonté, l'exaltent^ ou l'anéantissent. Je définirais la raison , volonté saine et en action : pour faire comprendre ce que j'entends par ces mots en action , je dirais , par exem- ple , que dans le sommeil , la volonté s'endort , et que de suite commence , dans les rêves , l'extravagance des souvenirs, du jugement, de la conscience; mais à l'instant du réveil ce tumulte cesse et disparaît, parce que la volonté reprend son empire. Si l'homme, même le plus intelligent, n'avait pas assez d'empire sur lui-même pour retenir l'expression de ces milliers d'idées qui dans une minute, passent par son cerveau, il pa- raîtrait et serait aliéné ; voyez d'ailleurs ce qui arrive dans l'ivresse , car l'observation trouve à profiter partout. di' une pièce de six liards ; et, ajoutail-il , il faut cjue je prenn^ §arde de tomber entre vos mains, ( Historique ). 4.2 DÉSORDRES HUITIÈME DEGRÉ. Déraison nement ( divagatio). État passager, intermé- diaire entre la raison et la folie, en général produit par les boissons ferrnentées, et par d'autres sub- stances. A peine le vin ou ies liqueurs commencent à agir sur le cerveau , déjà les idées s'échappent involontairement 5 voilà la volonté vacillante au milieu d'un peu de fumée vineuse; les pen- clians de l'homme vont se montrer à nu ; il devient trop gai ou trop triste^ affectueux, ou méchant et querelleur; il lutte en vain contre ce trouble de lui-même , dont il a la con- science. Disons encore que cet état de vague et légère déraison n'est pas sans jouissance : c'est le repos de la volonté , et presque la fêle du cerveau. Si l'ivresse se prolonge , si de nouvelles libations viennent entraîner l'intelligence déjà chancelante , elle ne sera plus qu'un délire complet, roulant sur une seule idée _, ou sur une série d'idées , et présentant les illusions les plus bizarres de sensations , les plus étran- ges alliances de souvenirs, ou les erreurs les INTELLECTUELS, 4^ plus grotesques de jugement : les paroles, les gestes^ les actions n'exprimeront que trop ce désordre momentané des facultés, qu'un som- meil réparateur rendra, en quelques heures, à leur intégrité première. Ici , comme dans la folie , le délire n'est que faiblesse ou absence de volonté. NEUVIÈME DEGRE. Raison. Volonté et conscience, saines et en action , commandant aux autres facultés et aux passions. Je vais maintenant résumer cette analjse en un seul tableau, formant aussi bien une échelle ascendante de la folie ,, qu'une échelle descen- dante delaraison. Cette investigation analytique donne plus de rigueur et de précision aux mots destinés à exprimer les différons degrés des troubles de ^intelligence , en appliquant à la nature vivante des distinctions , que l'auteur des synonymes est obhgé de chercher en théo- rie : de plus , elle renferme les élémens d'une science entière et nouvelle , dont les points fondamentaux seront développés au chapitre neuvième, par l'analyse de la conscience. xyïjji^cjiu analytique des infirmités intellectuelles'. RAISON. 9" DEGRÉ. BAISOW. Volonté et oonscieu- l9odeg./ Volonté libre : sa présence et sa ce saines et en ac- I Iforce font tout l'homme. lion. DERAISONKEMKIÏT. Dwagatio ; tbrie- las , quand elle ré- sulte du vin. Le déraisonnement comprend toutes 'deg.Hes altérations intellectuelles 5 mais il la peu de durée. 7* DEGRÉ. MANIE, FDRECR. / / Exaltation de loutc l'intelligence; Delirium furens p«deg-. /volonté disparue; conscience exaltée; eidiuagans. \ /erreurs de toutes sensations. 6' DEGRÉ. MOîfOMANIE. Délire partiel ; {distorsio mentis.) Intelligence pénétrante : attention Itrop fixée sur un sujet ; volonté im- ipuissante : conscience exagérée en /mal ,• jugement faux : insensibilité /morale. S* DEGRÉ. DEMENCE. (^Dementia.) Volonté inerte : conscience dé- j^'deg.lso/ée. Efforts inutiles de mémoire , /de jugement, d'attention. 4° DEGRÉ. IMBECILLITE. ( ImbecillUas, ) /4e Débilité intellec- tuelle. Mémoire, attention, jugementmo- Imentanés : paroles rares; affections douces ; penchans assez prononcés. 3° DEGRÉ. Stultitia. ■ . Perceptions et mémoire très fai- I ^ deg'. f bles : possibilité de parler, penchans Iviolens. STUPIDITE. Stupiditas. I9erf I Sentiment des besoins physiques. / ^/Quelques perceptions. W ABRUTISSEMENT. I / Nul Sentiment dcs bcsoins phjsi- ï" DEGRE /^«"■des-lques. Nulles perceptions. [Amenlia.) / & / i 1 r ABRUTISSEMENT. INTELLECTUELS. 45 Si l'on compare entre eux ces différens degrés des altérations intellectuelles, on verra que leur distinction repose sur des signes bien sensibles. L'idiotisme est une maladie de naissance _, caractérisée par la nullité morale et intellec- tuelle , mais présentant , dans cette dégrada- tion , trois variétés fort distinctes : 1° L'abrutissement^ état de dernière ab- jection humaine, où il n'y a ni sensations, ni sentiment de besoins physiques ; 2" La stupidité^ où l'on trouve quelques perceptions , et au moins sentimens des be- soins physiques ; S** La bêtise se distinguant des deux états précédens par quelques fragmens d'intel- ligence , et notamment par la possibilité de parler. Ces trois degrés forment l'idiotisme , qui , bien que de naissance et incurable, est néan- moins susceptible de quelque amélioration , et presque d'éducabilité. 4o L'imbécillité a un caractère tout inverse , c'est-à-dire qu'elle affecte des individus qui ont eu leur raison , et va toujours en s'aggra- vant ; 4-6 DÉSORDllES 5*^ La démence dilFère de l'état précédent par des efforts inutiles de mémoire et d'at- tention, et sur-tout par un trait unique^ le sentiment, la conscience de cette impuissance et de sa propre dégradation. C'est un fait psychologique à graves conséquences ,• 6° La monomanie, comme l'indique son nom, n'est qu'une folie partielle, un délire sur un seul objet ; 7° La marîie , la fureur est l'exaltation des principales facultés intellectuelles, sur-tout de ' la mémoire et de la conscience : en éprouvant le sentiment intime de leur exaltation, les ma- niaques en font une vanité dé plus : mais chez eux pas de volonté; elle n'est qu'une explo- sion mobile et passagère , comme la rapidité des sensations ; 8. Entre ce délire complet et la raison, se place naturellement le délire de quelques momens , de quelques heures , le déraisonne- ment , dont l'ivresse comme les violentes pas- sions , présenient tous les variables degrés ; ira furor hrevis \ 9° Vient enfin la raison , c'èst-à-dire la volonté, maîtrisant toutes les facultés et même la conscience^ qui sans elle, se laisse aller INTELLECTUELS. 4^7 aux plus étranges illusions , quoiqu'en dise notre école platonicienne. Voilà les faits , tels qu'on peut les vérifier chez les aliénés. Viennent maintenant les con- séquences , dont nous allons de suite exposer une des principales. 48 CONSÉQUENCES^ CHAPITRE IV. Cette analyse tue l'idéalisme intellectuel. C'est sur l'homme malade^ et sur-tout sur les profondes altérations de son intelligence , que cette échelle a pu être levée , et nous montre le degré où finit, oii commence la raison. Dans un pareil sujet, les faits parlent plus haut que les explications, et c'est par eux seuls qu'il faut commencer. Cependant, je m'arrêterai un instant sur une première et grande vérité , niée avec tant d'assurance par le spiritualisme, et qu'il doit subir enfin avec toutes ses conséquences , qui sont loin d'être aussi formidables qu'il'se l'est imaginé : Pour que ï eniendement soit intact , et s'exerce dans MÉTAPHYSIQUES. 4g toute sa plénitude , pour que les facultés et les sentimens soient ce quils doivent être , // leur faut des organes sains j dès qu'ils sont altérés , commence le trouble des facultés et des senti- mens. Frappés du merveilleux des attributs intel- lectuels et moraux, les observateurs abstraits ont voulu que de tels phénomènes relevassent d'un ordre supérieur^ et les ont placés hors de l'organisme, que, sans doute, ils ont trouvé trop infirm^e pour de si nobles fonctions. De telles assertions ne feraient que pitié, si elles n'étaient que faute d'ignorance ou de logique ; mais si elles prétendent honorer l'homme aux dépens de la divinité , en l'as- sociant ainsi aux pauvretés humaines et en la faisant responsable de leurs misères , elles ne sont que monstrueux blasphème. Pour avertir cette coupable témérité, commençons par rap- peler les grandes paroles d'un homme dont il faut accepter le témoignage, de Massillon^quî anéantit tant d'indignes prétentions en disant : Qu'une vaine philosophie avait dégradé l'hom- me jusqu'au rang des hêtes ^ ou V avait folle- ment élevé à la ressemblance de Dieu (i). (i) De f Excellence de la Doctrine Chrétienne , i'« part. 4 5o CONSÉQUENCES Suivant voiis^ l'intelligence est une faculté indépendante de l'organe , et le cerveau n'est que l'instrument nécessaire à sa manifesta- tion. Ici il y a première faute de raisonne- ment, premie^^^'Sias^>mots, d'où vont dé- couler touté^es a«iires^etreurs : effet inévi- table d'unë:eu|i'io^S^ q^Weut tout expliquer avant de çonnâîtr^ eWd^lt le raisonnement doità son tour faite justic©. 3e dis que le mot intelligence est un terme abstrait, désignant l'action de l'organe intelli" gent, comme le— nr6t rondeur est un terme abstrait^ désignant une forme particulière, propre à tous les corps ronds : or, quand je dis caillou rond y je parle au positif, et chacun sent ce que je dis : quand je parle de la rondeur d'un caillou , je parle par abstraction : j'attribue à ce caillou une forme résultant de la confor- mation des objets ronds ^ et que nous sommes convenus de désigner par ce terme général et abstrait rondeur : or , dirai- je que la rondeur est indépendante des objets ronds , et que ces objets sont seulement les corps nécessaires à sa manifestation*^ Il faut bien , en conscience, reculer devant cette assertion. Appliquons maintenant le même raisonnement au mot in- telligence : quand je dis organe intelligent, MÉTAPHYSIQUES. 5i je parle au positif et d'un fait physique que chacun comprend: quand je dis intelligence , je parle par abstraction , et me sers d'un terme générique', mais sans valeur réelle, puisqu'il n'indique qu'une généralité. Mais vous allez chercher des similitudes là où il n'y en a pas : qu'ont de commun vos comparaisons d'objets bruts , avec les plus hautes facultés de l'homme? Eh bien! écoutez encore : Que diriez- vous, si d'un ton inspiré je venais vous révéler que la digestion, la respiration y la génération , sont chez l'homme des fonc- tions indépendantes des organes? Vous ririez peut-être : cependant c'est votre manière de parler, ne vous y trompez pas. Ces fonctions sont tout aussi merveilleuses , tout aussi in- compréhensibles que celles du cerveau : seu- lement il vous manque de les connaître ; quand vous aurez pu m'expliquer comment un mor- ceau d'aliment introduit dans mon estomac, va, en quelques minutes, passer de l'étal brut à l'état de vie^ devenir moi, devenir pen- sée , alors je vous accorderai tout ce que vous voudrez : quand vous aurez pu me dire com- ment quelques gouttes de liquide peuvent, en un instant, et par un incompréhensible mys- 52 CONSÉQUENCES tère, s'animer et devenir un être pareil" à vous, alors je me tairai devant vos préten- tions j mais jusque-là, j'ai le droit de vous in- terroger, et de vous montrer à chaque coin de l'organisme, un merveilleux que vous n'avez pu voir au cerveau , parce que ses fonctions, comme sa atructure vous sont entièrement inconnues. Or, si tout est merveilleux dans l'homme , que vais-je gagner à (aire de tou- tes ses fonctions des idéalités , des êtres à part, indépendans de lui? Qu'j gagnerez- vous aussi? car il faut admettre cette spiri- tualité , cette indépendance dans tous les or- ganes, que dis-je, dans tous les animaux. La digestion, avec toutes ses conséquences, va de- venir aussi spirituelle que l'intelligence, puis- que la merveille est aussi incompréhensible : la mémoire de mon chien est aussi bien mé- moire que la mienne , et souvent , pi us encore ! ce n'est plus là votre compte : où allons-nous nous arrêter ? Ne vaut-il pas mieux recon- naître, que nous prenons des abstractions pour des réalités, et que ces mots digestion ;, respi- ration , génération , ne sont que des termes convenus pour désigner l'action des organes qui digèrent, respirent ou reproduisent? Main- tenant, que va devenir l'intelligence idéale? MÉTAPHYSIQUES. 55 Peut-elle être autre^ que l'action de penser, et doit-on encore i il y a l'homme qui se nourrit, et l'homme qui se meut 5 c'est un fait mal connu, mais dont les développeraens soulèveraient les questions les plus inté- ressantes d'anatomle comparée, cl de physiologie humaine» MÉTAPHYSIQUES. 69 répondre : « votre volonté n'est-elle pas indé- » pendante de votre organe , puisque dans votre » exemple même ^ elle survit à l'altéralion du « cerveau ? ne voyez-vous pas chaque jour dans « les lésions profondes de cet organe, la mé- « moire , la conscience et les antres facultés » conserver toute leur intégrité ? » Je nierai d'autant moins celle vérité , que d'abord chacun peut la vérifier au lit des ma- lades, et qu'ensuite les explications que je viens de donner sur la double disposition du cerveau, réfutent robjection,,en nous montrant qu'un lobe de cet organe suffit à l'expression de ses facultés, et que cette réfutation est sans réplique : je pourrais encore , à son défaut , in- voquer le témoignage des n7aladies profondes du cerveau , telles que l'apoplexie , dont les effets anéantissent l'inteliigence et les mouve- mens d'un côté , quand le côté opposé conserve toutes ses fonctions ; je pourrais démontrer que la vue , la mémoire , la parole même, su- bissent la même altération , et que souvent aussi les facultés acquièrent plus d'énergie du côté resté sain, aux dépens du lobe devenu malade ; mais je consens à abandonner ces pal- pables vérités , dont l'observation n'est pas 6o ■ eONSÉQUEJSCES donnée à tout le monde , pour me renfermer dans le simple raisonnement. Dites - moi ; lorsque vous avez perdu un œil, vous ne voyez plus de l'autre ? Or, de ce que vous voyez encore , irez-vous en con- clure que la vue est une l'acuité indépendante des jeux ? vous êtes trop bien convaincu que votre vne ne s'opère plus que par l'œil resté sain, pour faire une telle supposition, et encore plus pour l'ériger en système : si vos deux yeux étaient perdus , pourriez vous voir ? que serait devenue la vue ? la croyez- vous une substance immortelle , un être à part, indé- pendant des yeux ? allez convaincre un homme devenu aveugle , qu'il n'a pas besoin de ses yeux pour voir, que sa vue est spirituelle, que ses yeux ne sont que desinstrumens dignes de pitié ? Ici Tévidence vous accable, et votre façon de raisonner se montre à nu. Appliquant ce faux raisonnement aux phénomènes de la pensée, vous avez pris les mots pour des faits, l'ombre pour le corps : c'est avec ces mois creux, vides de sens, que vous avez bâti tous vos systèmes, que la moindre analyse eût plus tôt renversés de fond en comble. Mais poursuivons encore : que cette fois une MÉTAPHYSIQUES. 6l large et profonde attaque d'apoplexie vieiuic au même instant sillonner mes deux lobes cérébraux : alors non-seulement je n'ai plus ni mémoire ni jugement, ni parole, ni conscience, mais tous mes membres sont insensibles , pa- ralysés; ma peau elle-même n'est plus irritable. En un instant, du faîte de l'intelligence me voilà tombé au dernier degré de la vie , s'il faut encore appeler ainsi mon anéantisse- ment physique, ma respiration stertoreuse et bruyante , et les pulsations inégales et tumul- tueuses de m.es artères. Si par hasard^ ou par malheur , je ne succombe pas à ce rude coup, voyez ce qui va se passer dans mon cerveau : à mesure que le sang épanché dans son inté- rieur est absorbé , ou que l'art en diminue le volume par une large saignée, mon intelli- gence renaît par degrés, j'éprouve quelques sensations; je reconnais ceux qui m'entourent; ma mémoire se débrouille ; mes paroles trem- blantes et infidèles expriment quelques idées confuses et mal assurées ; je sens mon état; un peu de conscience m'est rendu pour me sentir mieux mourir. Malheureux métaphysiciens ! venez àl'entour de mon lit; rappelez-vous quel j'étais il y a une heure ; voyez quel je suis , et 62 CONSÉQUENCES venez me soutenir que mes facultés sont indé- pendantes de mes organes ! Abîmes et mystères de l'homme !!î fallait-il ne recevoir assez d'intelligence que pour sentir toute l'impuissance de ne jamais vous pé- nétrer î ! ! Est-il possible de rien imaginer de si ridicule que celte misérable et chétive créature qui n'est pas seu- lement maîtresse de soi , exposée aux offenses de toutes choses , se dit maîtresse et impérière de l'u- nivers , duquel il n'est pas en sa puissance de con- naître la moindre partie , tant s'en faut de la com- mander. Montaigne. Pensent-ils qu'une apoplexie n'étourdisse aussi bien Socrate qu'un porte-faix? les uns ont oublié leur nom par force d'une maladie^ une légère bles- sure a renversé le jugement des autres , tant sages qu'on voudra : mais enfin, cet homme, est-il plus caduc , plus misérable, plus néant ? Montaigne. MORALES. 63 CHAPITRE V. Les infirmités humaines sont fécondes en toute espèce de leçons. Ce n'est pas à l'idéalisme seul que les infir- mités de l'homme peuvent donner de salu- taires instructions : avant-coureurs de la mort et ses ministres nécessaires, à chaque instant, elles arrivent, pour l'avertir j il est temps que par une juste et tardive compensation , leurs causes et leurs efFels servent à le former au meilleur emploi de ses facultés; il est temps que l'histoire , comme la morale , viennent apprendre et se fortifier aux douleurs hu- maines. Cette science des travers et des folies 64 CONSÉQUENCES serait aussi salutaire, que nouvelle et je vais en esquisser quelques l;raits. Les gens du monde ne voient dans le Don Quichotte que l'aniusante satire d'une chevalerie , d'ailleurs noble et généreuse : mais l'observateur reconnaît à ce caractère si bien tracé, si soutenu , si vrai dans ses moindres dires et gestes, le vivant tableau de ces malades qui ne délirent que sur un sujet. Dans l'œuvre espagnole, il n'y a pas jus- qu'au sol, qui par sa couleur ne soit en harmonie avec les pensées du héros aventu- reux , dont le cerveau , exalté par les livres de chevalerie, ne peut plus retenir l'exécution de l'idée qui le travaille nuit et jour. Une fois lancé , voyez comme toutes ses sensations de- viennent erreurs , en traversant son idée fixe? les nrioulins sont géans , un plat à barbe est une armure et l'armure de tel chevalier, une grosse villageoise se change en beauté ravissante : et avec quel esprit , quel génie même , ce preux monomane sait interpréter toutes les évidences qui, même pour lui, viennent à chaque instant détruire sa cliimère!!! Quiconque a pu voir de près les aliénés et entendre leurs étranges aveux^ ou leurs jugemens si profonds^ doit MORALES. 65 reconnaître dans Cervantes une finesse d'ob- servation , et une sûreté d'exécution , avec lesquelles il aurait aisément monté au plus haut comique : son siècle et son pays l'ont étouffé ; c'est déjà beaucoup qu'à l'aide de son paysan , il ait pu faire passer tant de philosophie et de saine logique. C'est par leurs idées fixes qu'on fait rire les hommes ; c'est par leurs défauts et leurs carac- tères qu'on les corrige ; et comme il est plus facile de les amuser que de les convertir, il n'esl pas surprenant qu'ils se plaisent mieux aux folies des monoraanes, qu'aux leçons de leurs propres vices; les premiers sont aussi plus aisés à mettre en scène, et quand ces fous parlent et agissent d'après nature, rien n'est plusrisible et plus divertissant. Pourquoi les Plaideurs, le Malade imaginaire, sont-ils toujours si nou- veaux, et toujours si comiques? c'est que gestes, paroles, affections, leur vie entière enfin, sont concentrés dans la seule idée quiles domine. Parmiles peuples civilisés tousles sujets,même les plus respectables, peuvent tourner en idées fixes : les sciences, la morale, la politique, la religion , la vertu même ont leurs extra- vagans; la dansomanie , la métromanie, la (jS CONSÉQUENCES méiomanie, ne sont que de faibles esquisses des mêmes travers s'attaquant à de frivoles sujets. Frappé de cette misérable disposition de l'es- prit humain , Molière seul sentit tout ce qu'elle renfermait de g^randes leçons ; dès lors il dédai- gna cespetits travers de mœurs, de société, d'es- prit, première flagellation d'un bras qui ne con- naissait passa force : il osa plusj il s'empara d'un homme tout entier , et pénétrant avec l'analyse dans le rigorisme et l'excès de la vertu , il fit grand et nouveau spectacle de la sainte et co- mique indignation d'une ame par dessus les autres, désespérée de ne rien trouver à son ni- veau , heurtée et mal comprise en ses chauds élans^ et qui, se plaçant ainsi seule au milieu de l'humaine nature , se fait si comiquement im- posante^ sicomiquement avide d'un isolement impossible à l'homme et ridicule à la civilisa- tion. Le Tartuffe est moins une peinture de caractère que de mœurs : la dissimulation , voilà tout le caractère ; mais le plus difficile , le plus philosophique était l'enveloppe qu'il fallait dérouler; aussi jamais effet de scène fut-il pareil? Vienne maintenant parmi nous un génie puissant , et jaloux d'élever à notre époque un MOHALES. 6j monument dig'ne d'elle : il devra faire pour la fausse politique ce que Molière a exécuté 'pour la fausse dévotion : le fonds est le même, l'ob- jet seul diffère; les modèles ne manquent pas : mais un tel sujet veut être vu d'en haut. II est encore une autre maladie propre au temps , quoiqu'elle commence à s'éteindre ; c'est de l'esprit de parti; jamais travers ne fut, pour la scène, plus comique et plus dramatique à la fois. L'homme qui ne veut pas se coucher sans avoir une cocarde à son bonnet de nuit , est frappé au même coin quel'hjpochondriaque ne mangeant pas d'œufs, si les grains de sel sont impairs : l'ambitieux ou l'homme fai»ble sacrifiant tous les liens du sang et de la nature à une idée politique pourraient effrayer de leurs déchiremens mérités, et faire au siècle une terrible leçon : tous les travers d'esprit sont comiquemenl ou cruellement ridicules. Et si, justement alarmée de tant de faiblesses et d'égaremens, l'histoire voulait un jour péné- trer dans cette enceinte de misères, et que Jà, s'animant d'inspirations nouvelles, elle se com- plût à faire le récit des peuples par le récit de leurs démences, ses enseignemens seraient-ils moins profitables? Qu'elle remonte si elle veut à cette Grèce si poétique, et, ne s'arrêlant plus 68 CONSÉQUENCES devant le brillant prestige de ses beaux jours ^ qu'elle entre bien avant regarder le revers du tableau ? que verra-t-elle? déjà la philosophie, déchirée en sectes parées de ses lambeaux , de'- génère en déliresde tous genres ; îedoule, la métempsycose et le cynisme sont érigés en maximes absurdes , et en pratiques plus ab- * ' su rd es encore ; l'un ne sait pas s'il vit, et s'il reçoit les coups de bâton dont on l'assomme; l'autre craint, en mangeant un légume, d'ava- ler quelque parent, et se souvient d'avoir été ao siège deTroie, dans le corps de tel guerrier: celui-là enfin, tournant la civilisation en abru- tissement, fait publiquement parade de sa crapule ignorante et orgueilleuse. Quel nom donner encore à cette politique étrange, qui s'en prenant à la vertu, à la justice, à la gloire les condamne , et les proscrit par jalousie, ou les fait périr par caprice, pendant que ses grandes victimes subissent sans murmurer les arrêts de sa déraison ? Sommes-nous parmi des sages , ou parmi des fous ? Que passant ensuite à la chétive naissance de cette Rome , pleine de la destinée du monde, l'histoire, par opposition avec cette grandeur toujours croissante, évoque la bru- talité despotique de ses rois , la rudesse sau- MORALES. 6() vage et fanatique de sa répuljliqne , l'aïubition grande et plus souvent funeste des Cunsuls ; qu'elle s'incline un instant devant toutes les gloires du naissant empire : mais qu'à sa dé-- cadence rapide , elle nomme ses adorations délires , ses goûts perversions , ses passions monstruosités, symptômes certains et funestes de sa décomposition prochaine. L'univers semble ainsi vouloir s'éteindre, lorsque le Christianisme vient enfin rajeunir de morale la terre vieillissante , et faire du vieux monde un monde nouveau. D'autres idées ^ d'autres peuples naissent ; d'autres tra- vers, d'autres folies vont naître aussi. Aux premiers siècles, la force et la beauté de la parole çvangélique suffisent pour subju- guer en éclairant : mais lorsque plus tard, par un aveuglement qui devait un jour lui être si funeste, l'ambition veut faire d'une influence divine une puissance de domination , alors le fanatisme religieux paraît, et fait entendre ses grincemens de dents ; par lui , la charité n'est que trop prompte à devenir égoïsme , l'hu-r milité arrogance, le prosélitisme persécution , la persuasion menaces et supplices. Les travers de la raison vont subir cette 70 CONSÉQUENCES trisle influence : l'abstinence voudra se laisser mourir de faim, la chasteté se mutilera, la croyance de viendra servilité stupide, jusqu'à ce . que dégénérées folies complètes , elles finiront par descendre en d'infects cachots , où elles pourront sans contrainte blasphémer les choses les plus saintes, et mêler de religieux souve- nirs à des malédictions et à des hurlemens forcenés. Ainsi la folie prend toujours la teinte du temps ou de l'événement qui la voit naître. Lorsque de pieux prélats s'en allaient par le monde convoquant aux croisades tout ce qui avait foi et honneur chrétiens, on voyait à leur suite la monomanie religieuse , outrant leur zèle et leur mission , marcher les pieds nus , une corde pour ceinture , se rouler dans la poussière, et stupéfiant les peuples par ses convulsions fanatiques, s'annoncer comme le malheur et l'anathème descendus sur la terre. Aux jours de la chevalerie , les travers humains rafPollent d'aventures et de roman- tisme.D'autres fois , et par un de ces contrastes si bien faits pour avertir notre vaine raison, une folie viendra sauver un peuple. Ainsi l'heureuse vierge de Yaucouleurs ranime MORALES. 71 d'inspirations surnaturelles le courage d'un roi trop faible, en délivrant la France, périt martyre de sa foi, par la jalouse superstition de l'Anglais qu'elle a vaincu. Et lorsque de nos jours (1) , le pajsan de Dammartin voulut re- nouveler une scène à peu près semblable par ses inspirations politiques et visionnaires, qu'il parvint à faire entendre au roi d'alors , on se contenta de le renvoyer à sa charrue : autre temps, autres idées j en tout , même en folie, il faut savoir venir à point. Il est encore un résultat que la science des travers humains ne doit pas craindre de pro- clamer ; c'est que plus les peuples sont civi- lisés, plus leurs folies deviennent nombreuses. On ne trouve pas d'aliénés parmi les sauvages; il en est peu chez les Chinois, chez les Indiens et chez tous les peuples immobiles et mono- tones, dont la vie est un cercle étroit, dans le- quel tournent des générations. Par contraste^ (i) Ea 1818 , un paysan de Dammarlin, nomme Martin, di- sant avoir rapport avec l'ange Gabriel qui lui avait pre'dit qu il paraîtrait devant le Roi Louis XVIll, pour lui donner de sages conseils, fut en effet pre'sente ai' Roi qui s'en amusa : j'ai va plu- sieurs fois cet homme , qui n'était qu'un alie'ne'. r2 CONSÉQUENCES regardez l'Angleterre, première terre de la li- berté légale? Le nombre des aliénés y est prodigieux, et sur-tout aux sommités socia- les : regardez la jeune Amérique plus libre encore , et dont l'enFance est la sagesse des nations : la quantité de ses fous est à peine croyable; mais là, l'extrême liberté de vingt cultes trop différens doit en être signalée commeune des principales causes. Voyez enfin la France , qui a tant de fois acquis et perdu cette liberté , que maintenant elle a conquise pour jamais? le nombre de ses fous est loin de diminuer? Or, que conclure de résultats si positifs? Faut-il en accuser la civilisation? dignes blasphèmes de l'ignorance ou du fana- tisme ! La cause , il la faut dire, parce qu^elle n'est que trop réelle, c'est la seule vanité; c'est ce sentiment d'inquiète et jalouse ambi- tion , qui , fier de sentir le mérite et la liberté lui ouvrir toutes les voies de la gloire, s'y précipite avec ardeur ^ sans songer que les succès comme les cbutes , les prospérite's comme les revers retentissent violemment dans l'intelligence et la brisent de leurs ébran- lemens : le mal est donc dans la vanité , et par cela seul incurable. MOhALES. /S Qu'on cesse alors de s'étonner si la folie est l'affliction privilégiée des peuples qui pen- sent, et quCj thermomètre de leur avancement , elle monte ou décroisse avec lui : qu'on ne se désole pas davantage, si elle est la noble infor- tune des intelligences les plus fortes, ou des sentimens les plus purs elles plus exaltés : elle porte avec elle sa consolation et le respect des grandeurs tombées ; chez les peuples , elle marque le progrès , comme chez les individus le privilège de l'esprit et du cœur ; et il est dans la destinée de tous de pécher ou de périr par ce qu'ils ont de meilleur. Si , à son premier début , Rousseau eût pu connaître de tels résultats , de quels nouveaux et brilîans sophismes se fût électrisée celte éloquence d'entraînans paradoxes? comme il se fût écrié : « Mortels! voilà donc les fruits » amers decelle civilisation arrosée de tant de » larmes et de sang! voilà donc les affreux bien- » faits de ces institutions poursuivies avec tant » de fureurs? C'est pour vous dégrader que vous » vous perfectionnez; c'est pour vous abrutir » que vous vous éclairez! Ahî mille fois plutôt , » retournez au fond de vos forêts pour n'en ja- » mais sortir, et sojez les hommes delà na- 74 CONSÉQUENCES M ture , puisque vous ne pouvez être ceux de » la civilisation, sans tant de honte et de ca- » lamités ! j> Sophiste dangereux , cesse de maudire cette civilisation dont tu fus, par tes erreurs mêmes^ une des plus vives lumières 1 Apprends-nous plutôt par ton exemple, à savoir vivre de peu , et à braver l'opinion des hommes, pourvu qu'on les éclaire et qu'on les rende meilleurs î ANATOMIE MORBIDE DU CERVEAU. 76 CHAPITRE VI. L'enfance et la décrépitude se rencontrent en rimbécillité du cerveau. Montaigne. Causes physiques qui , dans le cerveau, produisent les troubles intellectuels. • Abordons maintenant la plus grande dif- ficulté de notre sujet; car ces premiers et généraux aperçus sur les désordres de l'in- telligence , ne sont que préparation à des résultats plus précis , et qui seraient incom- plets , s'ils ne nous montraient clairement les causes physiques, qui, dans le cerveau, pro- duisent ces désordres : procéder ainsi, c'est 76 ANATOMIE MORBIDE descendre au fond de la raison. Comme elJe, le délire avait eu long-lempsses superstitions, et l'ignorance en avait fait une maladie surna- turelle, ou un fléau qu'il fallait craindre et respecter; devant de telles idées, l'observa- tion s'était vue condamnée au silence, jusqu'à ce qu'enfin , au commencement de ce siècle , la science de l'houîme vînt enseigner que la folie n'était qu'une maladie qu'il fallait obser- ver et guérir comme les autres. Mais elle s'en tint à cette vérité première , et les causes phy- siques, dont le délire n'est que le symptôme , lui furent complètement inconnues. Ce n'est plus maintenant par des considé- rations générales, qu'un tel sujet veut être expliqué , mais bien par les faits les plus posi- tifs : il n'en est pas de plus certain que les lésions physiques que l'observation retrouve sur le cadavre. C'est donc à la nature morte à éclairer la nature vivante , comme la folie vient déjà d'instruire la raison. Qu'on ne craigne pas de pénétrer avec confiance dans ces ruines élo- quentes de l'homme , dont la faiblesse seule se fait des spectres et des monstres : là , comme partout , à côté de la leçon de misère est aussi la leçon de grandeur. DU CERVEAU. 'J''} J'ai lu , en 1826, à l'Académie des Scien- ces , un travail dans lequel était décrite avec soin et ponr la première fois l'espèce de mala- dies qui dans le cerveau produit les difFérens degrés du délire , de la fureur, on de la dé- mence. Ces lésions physiques élant encore peu connues, je vais prendre dans ce travail ce qui peut convenir maintenant à mon sujet. Recherches d'anatomie morbide sur les cerveaux d'aliénés (i). Dès 1825 , deux jeunes et studieux obser- vateurs, MM. Foville et Pinel-Grand-Champ, avaient imprimé que les cerveaux d'aliénés (1) Je crois devoir donner ici une explication ne'cessaire aux personnes e'trangères à l'anatomie , et qui cependant devront lire et comprendre ce chapitre. Voici quelle est la disposilion anatomique de l'organe ce'rëbral : le crâne contient dans sa pres- que totalité' le cerveau , et à sa partie postérieure le cervelet ; ces deux organes se réunissent en une base commune ( dite protu- bérance annulaire ) qui, se prolongeant dans le canal vertébral forme ce qu'on appelle moelle cpinière (ou rachidion). Or, le cerveau, le cervelet, le rachidion, tous les nerfs enfin, îoat composés de deux substances, Tune grise ou corticale, 1 autre blanche ou médullaire. Dans le cerveau et le cervelet, la substance grise est répandue en couche extérieure , mince , et jS ANATOMIE MORBIDE présentenl, après la mort, des lésions presque constantes, bien que d'un aspect variable. Suivant eux , on observe des marbrures et des plaques irrégulières à l'extérieur de l'organe, d'un rouge plus ou moins vif, soit avec mol- lesse et diffluence de cette partie , soit avec adhérence partielle à la membrane sus-jacenle, sur-tout vers la région frontale : ou bien la membrane adhère si intimement au cerveau dans toute son étendue, qu'on ne peut la dé- tacher qu'en enlevant avec elle des portions de substance cérébrale : ils ajoutent ensuite que la coloration rouge du cerveau correspond aux symptômes maniaques et furieux , au lieu que dans la démence et la débilité intellec- forme aussi quelques centres inle'rieurs : dans le rachidion , au contraire, la substance grise est interne et enloure'e par la sub- stance blanche. De plus , tous ces organes sont enveloppe's par deux mem- branes : l'une mince , transparente, se'crète la sérosité nécessaire à leurs mouvemens ; c'est la méningine j l'autre dure, résistante, adhérante à la voûte du crâne , contient les organes dans leurs limites naturelles ; c'est la méninge. Avec ces notions , quoique bien imparfaites , le lecteur qui ne sait pas l'anatomie, doit pouvoir lire avec frait, les recherciicî que je vais exposer. DU CERVEAU. 79 luelle , cet organe ne présente plus à l'exté- rieur que des marbrures légères et dissé- rniiiées ; que dans cet état d'anéantissement moral , la pulpe grise se décolore , devient blanche ^ et que tout le cerveau perd sa mol- lesse accoutumée et durcit sensiblement. Ces investigations morbides sont les seules notions qu'on ait eues sur ce sujet ; ce sont elles qui m'ont aidé à descendre dans le détail d'obser- vations plus précises, et qui ne sont en partie que la confirmation de ces idées premières. En effet, après plusieurs années d'étude et d'attention , j'ai reconnu que les altérations du cerveau , comme les troubles intellec- tuels , leurs symptômes , peuvent se diviser en deux grandes classes : Ou il j a excitation générale , dévelop- pement surnaturel de l'organe et des facultés ; Ou bien , les symptômes sont inverses : on n'observe que faiblesse , débilité , décompo- sition «toujours croissantes de l'organe et des facultés. La première classe renferme tous les dé- lires furieux , toutes les exaltations intellec- tuelles , et la seconde , la démence , l'imbé- cillité , et tous les degrés variables de la stupi- dité. 80 ANATOMIE MORBIDE Ces deux états , dont le second n'est que la conséquence du premier , se rapportent à la marche soit aiguë, soit chronique, de la folie; et ils proviennent d'une dégénérescence par- ticulière de la substance (i) du cerveau, que nous devons maintenant faire connaître avec détails en ces deux états fort différens. (i) On sentira aisément de quelle importance devient, pour le traitement de la folie, la connaissance pre'cise de ses causes phy- siques : si, comme j'espère le démontrer, elle dépend d'une maladie particulière de la pulpe cérébrale, d'un vrai catarrhe de la substance du cerveau , soit local, soit général, mais d'abord aigu, il est de tonte nécessité de traiter ce catarrhe, avant qu'il ne devienne chronique , ou que la substance cérébrale ne subisse une déformation incurable. Ce ne sera plus seulement par des soins hygiéniques , seuls remèdes actuellement en vigueur, mais par une médication active, largement dérivante, et combinée avec d'autres moyens analogues, qu'on fera disparaître du cer- veau la prédisposition physique qui doit un jour y reproduire le délire : si la folie est si sujette aux récidives , c'est qu'on se contente d'abandonner sa guérison à des moyens doux, et sur- tout à la réclusion et au temps; mais parle nombre et la fré- quence des rechutes, il m'est démontré que ces derniers moyens sont insuffisans. C'est un fait grave, dont les conséquences sont d'une importance extrême, puisque notre devoir est de non-seu- lement guérir, mais de guérir pour toujours. DU CERVEAU. 8l ARTICLE PREMIER. Marche aiguë de la folie. — Lésions physiques qui la causent dans le cerveau. — Observations et faits particuliers. Les aliénés furieux et les maniaques les plus agités , après plusieurs mois ou même plusieurs années d'un délire continuel y de- viennent parfois brusquement silencieux et tranquilles ; une tacitnrnité et un calme trom- peur succèdent tout d'un coup à la plus ex- travagante exaltation. Quelques jours après^ on est tout étonné de voir leur figure se dé- composer, la peau devenir jaune et terreuse, les jeux ternes et immobiles^ enfin toute leur constitution présenter les signes d'une dé- composition générale : ces sjmptômes s'ag- gravent rapidement en quelques jours, et les malades s'éteignent dans la stupeur et la para- lysie. Voici comment j'explique les symptômes de la fureur et sa terminaison rapide et funeste : il y avait dans le cerveau de ces aliénés un G 82 ANATOMIE MOIÎBIDE état de rougeur et d'irritation particulier^ qui va bientôt être décrit avec soin : cette irri- tation produisait tous les phénomènes de la fureur et de la manie : après un certain laps de temps, cette affection pî-emière devient rapidement une véritable inflammation ; il succède, dans le cerveau, la même série de phénomènes qu'on observe dans les maladies des autres organes, c'est à dire , qu'une irri- tation déjà intense passe aisément à l'état in- flammatoire : alors les symptômes suivent les progrès du mal ; ils ne sont plus fureur, extra- vagance ; ils deviennent plus profonds, ils sont anéantissement, paralysie; et après la mort, on reconnaît dans le cerveau , outre l'injection générale de la substance grise et blanche , première cause de la fureur , une décompo- sition purulente de quelque portion de For- gane cérébral , décomposition qui anéantit l'intelligence et la vie. Cette succession rapide de phénomènes les plus graves est la plus propre à faire connaître ces obscures altérations du cerveau, que des exempiles particuliers rendront plus faciles encore à pouvoir apprécier. 1" Observation. Une femme, nommée Pey- DCJ CliRVEAU. 85 ronin , âgée de 69 ans , et malgré cet âge, clouée d'une forte constitution, est amenée le 20 octobre 1821, à l'hospice de la Salpêtrière, par ordre de police. Elle est dans un élat d'agitation et de fureur extrêmes; ses yeux sont brillans et animés , et ses cris violens ; son délire roule sur toute espèce de sujets : aucun renseignement ne vient jeter quelque jour sur les causes et le début de cette manie furieuse. Pendant six mois , cet état d'exal- tation persiste au même degré d'intensité, sans le moindre intervalle de calme. Le i5 mars 1822, cette malade^ si agitée la veille, est étendue sur son lit , sans pouvoir se lever ; elle est dans un calme profond, la figure est jaunâtre et décomposée, les yeux fixes et entre ouverts , la tête penchée sur l'épaule droite : la respiration est bruyante , le pouls dur et fréquent : le soir_, il y a redoublement fébrile, paroxysme violent, pendant lequel la malade s'agite et tombe de son lit. Le lendemain les symptômes sont plus graves encore ; les membres gauches sont en- tièrement paralysés ; le troisième jour , la stu- peur et l'insensibilité deviennent de plus en plus profondes, et pendant la nuit la malade expire. G. - 84 ANATOMIR MORBIDT: Examiné le lendemain son cadavre présente les altérations suivantes : la boîte osseuse , le crâne est fortement injecté d'un sang noirâtre j la méningine est saine, seulement elle se trouve soulevée par une sérosité assez abon- dante ; enlevée avec facilité du cerveau, cette membrane laisse apercevoir une très forte in- jection dans toute la périphérie de l'organe : la substance grise , examinée avec soin , est d'un rouge écarlate dans les circonvolutions supérieures, et affectée de plusieurs taches noi- râtres (ecchymoses) dans les circonvolutions latérales : ces taches noirâtres, dont l'inté- rieur est plus livide encore , pénètrent jusque dans la substance blanche sous-jacente. J^e centre du lobe cérébral droit , et sur-tout le corps strié est entièrement désorganisé, et con- verti en une bouillie noirâtre : ce lobe pré- sente encore une altération fort profonde à sa partie postérieure ; là il est encore lout-à-fait difîluent et converti en une matière verdâtre, comme purulente, qui s'écoule aussitôt que la méningine est enlevée, et qui laisse dans le cerveau une cavité assez considérable, dont les parois semblent granulées, et sont recou- ■vertes de parcelles de substance grise et blanche, désorganisées. DU CERVEAU. 85 Tout le lobe gauche du cerveau présente une disposition contraire : malgré une injection sanguine , générale et fort prononcée, il con- serve sa densité ordinaire. Tous les autres or- ganes de la poitrine et du ventre sont parfai- tement sains. Analyse de cette observation. Choisi entre un grand nombre de faits ana- logues , celui-ci est d'autant plus intéressant , qu'il présente, sans complications étrangères, les altérations du cerveau sur lesquelles doit en ce moment porter toute notre attention , d'abord l'injection générale de la superficie du cerveau, ensuite la désorganisation inflamma- toire d'une portion du lobe droit. Remontons aux antécédens. Chez cette malade, l'état de fureur dure six mois et se termine par un calme subit , suivi d'une prompte mort. Si je rapproche les symptômes observés pendant la vie , des lé- sions trouvées après la mort, je reconnaîtrai dans l'injection générale du cerveau^ les tra- ces d'une congestion sanguine , produisant ^6 ANATOMIE MORKIDE dans l'organe cérébral, une véritable irri- tation , dont la manie et la fureur ne sont que les symptômes extérieurs. Cet état dure six mois y et alors une portion de ce cerveau _, déjà si violemment irritée, s'enflamme tout-à- fait , et se désorganise en peu de jours : aus- sitôt se déclarent les symptômes les plus gra- ves , l'assoupissement comateux , la paralysie , signes d'une tin prochaine. On voit, dans ce cas^ arriver dans le cerveau, la même succession série de phénomènes qu'on observe dans les affections des autres viscères j c'est à dire , une irritation intense passer en- fin à l'état d'inflammation complète, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer. Cette brusque et fréquente terminaison de la manie furieuse avait été déjà signalée par un digne observa- teur, par M. Esquirol, mais sans être rap- portée à son vrai caractère et à sa cause pre- mière. C'est ce que les médecins appellent encore apoplexie séreuse ou nerveuse y parce que ne trouvant pas après la mort, dans le cerveau , l'épanchement sanguin qui caracté- rise l'apoplexie, et cependant tous les symptô- mes extérieurs étant ceux de celte aîfec lion , ils aiment mieux se payer d'un mot à peu près DU CERVEAU. 8^- vide de sens, que d'observer de plus près. Du r^ste, l'étude de telles lésions est encore trop récente, pour que leur cause réelle soit géné- ralement admise et reconnue. Je vais encore citer une observation à peu, près semblable , bien que, dans ce cas, la ter? minaison de la manie , soit moins prompte-^ ment funeste. 2* Observation, Màgdeleine Miret, d'una constitution faible et délicate^ avait toujours été bizarre, quoique très raisonnable : à l'âge de 4o ans, vers son époque critique, elle com- mence à donner de fréquentes preuves de dé- rangemens intellectuels : appelée alors comme témoin dans un procès intenté à ses parens, elle s'imagine qu'elle va être poursuivie comme criminelle j sa raison , déjà si faible , se perd entièrement , et à la suite de quelques extra- vagances , elle est conduite , en 1812, à l'hospice de la Salpê trière. Son délire , peu bruyant , roule princi- palement sur des contentions litigieuses; parfois elle s'agite, et parle avec véhémence, de jugemens , d'injustice , de condamnations. Plus de huit années s'écoulent ain^, sans 88 ANATOMIE MOKBIDE qu'on puisse obtenir dans son état d'autre amélioration^ que de courts intervalles de tranquillité et de raison. En 1821^ elle est prise d'un accès de manie furieuse très violent; elle déraisonne sur tous les sujets ^ et passe ainsi près de trois mois sans dormir, et pous- sant jour et nuit des cris continuels. Le 5 octobre 1821, elle devient brusquement tran- quille , son état paraît entièrement changé ; ses réponses sont calmes et justes, mais lentes et pénibles ; elle se plaint de découragemens et de pressentimens sinistres; elle est dans un état d'assoupissement continuel : la peau est chaude, le pouls dur et fréquent, et les autres fonctions ne semblent pas dérangées. Le septième jour de cette somnolence fé- brile^ survient, le soir, un violent paroxysme, marqué par une vive coloration du visage, par le brillant des yeux et quelques cris aigus et plaintifs : le huitième jour , les membres infé- rieurs sont paralysés et insensibles ; l'assou- pissement est tellement profond, que la malade n'entend ni ne répond plus : cet état d'anéan- tissement dure encore cinq jours, et se ter- mine par une mort assez calme. DU CERVEAU. 89 L'ouverture du cadavre est fait le lende- main , et présente les altérations suivantes : le crâne est mince et blanc ; la méninge adhère en plusieurs endroits à la méningine, qui est soulevée par une sérosité limpide , assez abondante , et s'enlève avec facilité de la surface du cerveau. La substance grise de cet organe semble, à l'extérieur, comme cribléede points noirâtres, pendant que son tissu même est d'un rouge-violet ; dans quelques parties latérales du cerveau , elle est ramollie et noirâtre ; au centre de l'organe les deux corps striés , gauche et droit , sont entièrement désorganisés ; là , le cerveau n'est plus qu'une matière purulente , jaunâtre et difïïuenle : le reste de la substance blanche est fortement injecté d'un sang noirâtre^ et plusieurs endroi Is sont livides et ramollis , sur-tout à la partie supérieure des ventricules. En général , tous les vaisseaux de la tête sont gorgés de sang. Le cervelet est mou , mais d'une blancheur qui rend plus sensible la rougeur morbide de tout le cerveau. Le cœur est petit, décoloré, ferme ; les poumons adhèrent en plusieurs endroits à la plèvre costale: l'estomac est crispé^ mais sain , ainsi que tous les autres viscères. Cp AKATOMIE MOUBIDE Comparons ce qui s'est passé pendant la foîie de cette malade, avec les altérations tFOuvées^ sur son cadavre , et expliquons l'une par les autres. Son délire maniaque reste plus de huit années à peu près au même degré ; après ce long laps de temps , éclate un violent accès de manie, qui, pendant trois mois, con- serve toute son intensité et s'arrête brusque- ment pour faire place à un calme profond : c'est le début d'une nouvelle maladie , bien plus grave que la première; et le 7" jour un violent paroxysme annonce le redoublement de cette affection , qui d'abord, bornée pendant huit années à une irritation chronique de la substance corticale^ change tout d'un coup de nature , devient une vraie inflammation de toute la substance du cerveau; alors la sub- stance corticale se désorganise en plusieurs endroits, l'inflammation pénètre dans l'inté- rieur du cerveau^ détruit le centre de l'or- gane , et détermine , d'abord l'assoupissement prolond, puis la paralysie générale, et enfin, la mort. On voit ici un nouvel exemple de cette terminaison funeste de l'irritation cé- rébrale par une inflammation aiguë , cause d'une prompte mort. Remarquons, déplus. DU CERVEAU. 9I que tous les vaisseaux de la tête sont gorgés de sang , au lieu que les autres organes sont décolorés, signe nouveau d'une violente con- gestion de sang vers le cerveau. Je regarde la rougeur générale de la sub- stance corticale^ et les points noirâtres dont elle est criblée , comme cause du délire ma- niaque, qui a duré si long-temps, et j'attribue le même effet aux adhérences des membranes entre elles , adhérences qui indiquent que le pourtour de l'organe a été long-temps, et à plu- sieurs reprises^ siège d'une irritation intense. Il serait aisé de rapporter beaucoup d'ob- servations à peu près semblables ; je regarde, en ce moment, ces deux comme suflisanles pour mettre à jour les causes physiques du délire aigu ; je vais seulement exposer en général les caractères anatomiques de l'irrita- tion dans le cerveau et dans les autres organes formés par les nerfs. Dans tout le système nerveux, les maladies et les dégénérescences organiques se présen- tent sous des signes semblables. Dans le cerveau , on reconnaît qu'il y a irritation, en trouvant, après la mort, une coloration rouge ou rosacée de la substance 93 ANATOMIE MORBIDE grise , et une injection violette de la sub- stance blanche : dans les nerfs , cette rougeur et celte injection sont encore plus faciles à saisir ; car en assistant aux expériences que faisait Béclard sur les plaies des nerfs, jai pu reconnaître maintes fois dans les cordons ner- veux des animaux expérimentés , que la sec- tion produisait sur ces nerfs des phénomènes analogues à ceux de l'irritation cérébrale : c'est-à-dire que la cicatrisation ne s'opérait que par un travail d'irritation en tout sem- blable à la rougeur et à la coloration rosacée des cerveaux d'aliénés. Or, une fois que la substance même du cer- veau est devenue le siège d'une telle affection, il arrive que l'irritation , après être restée sta- tionnaire, ou avoir produit plusieurs accès de violence et de fureur , guérit complètement , ou dégénère en incurabiiité. Dans le premier cas^ et sous l'influence des moyens thérapeutiques que l'art sait employer, la rougeur , l'injection morbide du cerveau se résout , disparaît ; l'organe retourne à sa colo- ration naturelle, à ses fonctions physiologiques, et l'intelligence reparaît saine avec lui. Dans les momens d'exaltalion furieuse et d'accès DU CERVEAU. gS maniaques, la substance grise rougit, et ses vaisseaux sanguins sont fortement injectés : la substance blanche devient le siège d'une con- centration sanguine semblable, mais qui lui donne un aspect livide tout particulier. Quand l'irritation tend à devenir incurable, alors la substance grise se décolore, s'affaisse, et la substance blanche, en durcissant, ac- quiert une densité et un éclat inaccoutumés ; la démence , l'imbécillité et enfin la nullité in- tellectuelle, sont produites par cette déforma- tion organique. Ces premiers aperçus peuvent déjà faire entrevoir quelques vérités , qui vont bientôt être plus évidentes : toutefois je ferai remar- quer qu'il faut, non-seuiement, beaucoup de soins et d'attention pour apprécier les signes anatomiques de ces lésions , mais encore une longue habitude pour en saisir toutes les nuances. Il en est de même de toutes les autres maladies ; et une des plus funestes erreurs de la médecine est de vouloir que toutes les alté- rations aient un aspect semblable, de vouloir que tous les tissus s'irritent et s'enflamment de la même façon, au lieu de les observer chacun dans leurs modifications spéciales : il n'y a pas g4 ANATOMIE MORBIDE de vérité plus banale , et dont on profite le moins , sur-tout dans l'étude des altérations nerveuses , et c'est là cependant que ces appli- cations sont les plus nécessaires et les plus difficiles. ARTICLE II. Marche chronique de la folie. — Observations et faits particuliers. On a décrit depuis long-temps cet état d'af- faiblissement intellectuel et moral qui carac- térise la tendance incurable de la folie : la perte de la mémoire, l'indifférence pour le présent et l'avenir, l'apathie, une légère difficulté dans la prononciation annoncent ce triste pré- lude. Plus tard, la démence est profonde : plus de besoins, plus de désirs, plus d'idées; la parole est tremblante et pénible : les ma- lades n'articulent qu'avec effort certains mots ou des parties de mots 3 le reste d'un nom expire sur leurs lèvres, comme dans leur in- telligence ; leur marche est chancelante et incertaine; ils s'appuient, ou cherchent à s'appuyer contre tous les objets à leur portée; DU CERVEAU. qS ils marchent pliant les jambes, et souvent tombent au moindre choc ; ils laissent échap- per ce qu'ils tiennent à la main , ou le serrent d'une force convulsive. Leur physionomie est un singulier mélange d'étonnement et d'atten- tion stupide; ils regardent , écoutent et répon- dent sans voir,sans entendre, sans comprendre la moindre émotion leur fait verser des larmes. Plus tard encore, leur paralysie est complète ; ils ne vivent plus qu'au lit ou sur une chaise, les membres se retirent et se contractent, des eschares gangreneuses se forment, le marasme avec son sinistre cortéo-e envahit cette frêle machine, et une longue et pénible mort vient terminer cette lente agonie. La marche, le développement et la durée de tous ces phénomènes successifs embrassent l'espace de plusieurs années : souvent ils du- rent quinze et vingt ans. Peut-on rapporter les causes de cet anéan- tissement intellectuel à une altération phy- sique et constante du cerveau ? Existe-t-ilpour cette marche chronique de la folie _, une défor- mation également chronique de l'organe^qui se- . rait l'inverse de celle produisant les symptômes aigus, que nous venons d'exposer dans l'article 96 ANATOMIE MORBIDE précédent ? voici ce que les recherches cada- vériques m'ont appris sur ce point. L'altération propre à cet état est un endur- cissement particulier du cerveau , une défor- mation spéciale de la pulpe cérébrale , pro- duisant chez les idiots une véritable atrophie de l'organe , et que j'ai signalée et décrite le premier dans un mémoire à l'Académie des sciences , en mai 1822. (1) Dans cette altération , qui a ses divers de- grés , soit dans la démence , soit dans l'idio- tisme complet , le cerveau, qui, à l'état sain , est d'une consistance assez molle , change de nature , acquiert une blancheur remarquable et devient dur , compact , fibreux , et presque élastique : je considère cette induration comme une maladie toute particulière du cer- •veau , qui altère lentement une partie ou la totalité de l'organe, anéantit l'intelligence et paralyse les membres. Je vais en rapporter quelques exemples , avant d'exposer en détail les caractères physiques de cette altération nouvelle. (i) Imprimé dans le journal de Physiologie expérimentale, 1822, DU CERVEAU. 97 Une jeune fii'e^ nommée Marie LenCant , d'une constitution saine et robuste , se marie à l'âge de i6 ans : vive , alerte^ d'un caractère enjoué, elle devient, dans l'espace de huit années , mère de cinq enfans bien constitués : pendant sa dernière grossesse elle perd son mari: le chagrin et l'abandon la jettent dans un délire mélancolique , qui devient plus violent à la suite de sa couche : elle est amenée à l'hos- pice de la Salpêtrière, le i5 octobre 1817 : taciturne, refusant toute nourriture^ évilant la société de ses copipagnes , elle s'obstine à ne pas répondre aux questions relatives à sa santé : sur les autres sujets, ses réponses sont justes, mais brèves : au milieu des craintes puériles, des terreurs vagues et des idées si- nistres qui l'obsèdent, son intelligence con- serve une apparence de raison : pendant dix- huit mois^ tous ces symptômes ne présentent que très peu de changement : dès la seconde année , elle commence à perdre la mémoire, parle avec difficulté ; sa physionomie devient hébétée j cet état ne fait que s'aggraver encore pendant trois années consécutives; à cette époque l'intelligence est nulle , et les mem- bres sont paralysés. Pendant le printemps un 7 g8 ANATOMIE MORBIDE état général de scorbut venant compliquer celte triste position , la malade succombe le 2 5 mai 1824. Examen du cadavre. La boîte osseuse de la tête est mince, non injectée^ la méninge est dans son état ordinaire , la méningine adhère si intimement à la substance du cerveau, qu'elle ne peut en être détacbée; toute la subs- tance grise de cet organe est pâle , solide , confondue partout avec la substance blanche ; celle-ci , plus blanche qu'à l'ordinaire et comme enduite d'un vernis éclatant , est dure, solide et résistante dans toute la masse céré- brale ; cet endurcissement est encore plus pro- noncé à la base du cerveau , dans les couches optiques, et à la partie supérieure des ventri- cules. Dans ces endroits le bistouri, au lieu d'opérer des incisions faciles^ comme à l'or- dinaire , crie et a peine à entamer la substance cérébrale, qui est changée en un vrai tissu fibreux , presque cartilagineux. Cette allé- ration est si complète , que les fibres céré- brales s'alongent par la distension et re- viennent avec élasticité sur elles-mêmes: dans Tétat sain, le simple toucher désorganise le cerveau. DU CERVEAU. gg Dans la poitrine, le poumon gauche est profondément altéré et renferme une cavité considérable en suppuration ; au bas-ventre , les intestins sont affectés d'ulcérations nom- breuses. Analysons encore cette observation : elle est un nouvel exemple des désordres lents et gradués que détermine dans l'organe intelli- gent l'induration morbide de son tissu : cbez cette malade des craintes sinistres , des idées peu cohérentes produisent pendant dix-huit mois un délire léger. Après ce temps, l'intel- ligence s'altère plus profondément, et au bout de trois années, l'imbécillité et la paralysie sont complètes. En rapprochant les symptômes des lésions trouvées sur le cadavre , je dirai que l'adhérence de la méningine à la périphérie du cerveau annonce qu'il y a eu là une ibrte irri- tation, qui pendant dix-huit mois , a produit les premiers symptômes du délire j ensuite, que cette irritation devenue chronique^ et pé- nétrant profondément dans le cerveau , com- mence, au bout de quelques années,à dénaturer la pulpe cérébrale, qui s'affaisse, se décolore^ devient dure et fibreuse : le développement de cette altération porte une atteinte de plus en 100 AN4lT0MIE morbide plus funesle à l'intelligence et aux niouve- meQs:c'est alors qu'une affection accidentelle , le scorbut vient terminer l'existence, qui se serait prolongée quelques années de plus, puisque l'endurcissement n'avait encore atta- qué qu'une partie du cerveau. La maladie protonde du poumon gauche^ comme les ulcérations intestinales , ne sont en- core que des complications accidentelles, mais dépendantes l'une de l'autre, et venant très souvent se mêler , comme le scorbut , aux dernières phases de la démence. Je vais rapporter un second exemple de cette altération lente du cerveau. Anne Montignj, d'une constitution assez robuste , Tait à l'âge de dix-huit ans une chute, dans laquelle le côté gauche du corps est at- teint au-dessus des côtes par un morceau de bois fort aigu, qui pénètre assez avant; il en résulte une plaie , par laquelle la nature sou- vent bizarre, quoique toujours profonde, fait apparaître la première menstruation : chaque mois cette plaie se r'ouvre pendant quelques jours, et laisse écouler un sang vermeil. Cette fille se marie à l'âge de vingt-cinq ans , a une couche heureuse, et dès lors toute chose re- DU CERVEAU. lOl prend son cours naturel. Ce n'est que vers l'âge de quarante ans qu'elle commence à de- venir inquiète^ ombrageuse, s'agilant et pleu- lant sans motifs , ne voyant autour d'elle que des intentions ou des actes hostiles : six mois pins lard, sa mélancolie dégénère en manie furieuse, et c'est dans cet état qu'elle est conduite à la Salpêtrière en i8i5. Après cinq mois d'agitation maniaque, elle devient plus calme ; maison remarque que sa mémoire est Ibrt altérée, et que chaque jour son intelli- gence devient plus obtuse ; elle vit encore sept années dans un état complet de nullité intellectuelle , et perd , dans les deux der- nières années, l'usage de ses jambes. Le 3 lé- vrier 1825, elle est atteinte d'une fluxion de poitrine, à laquelle, malgré les secours les plus actifs , elle succombe le troisième jour. Examen du cadavre : Le crâne est mince et- blanc, les membranes du cerveau sont saines et sans adhérence aucune : le cerveau présente nn aspect tout particulier; au lieu d'être, comme à l'ordinaire , marquée de sillons pro- fonds , sa surface est unie : les circonvolutions qui, dans l'état sain, s'isolent facilement les unes des autres, sont collées ensemble, et ne 102 ANATOMIE MORBIDE forment de tout le cerveau , qu'une masse compacte et arrondie : une légère couche de substance grise semble envelopper uniformé- ment la masse cérébrale, sans pénétrer dans aucun sillon ; à l'intérieur , toute la substance blanche est changée en un tissu solide, entiè- rement fibreux, sur-tout à la base du cerveau. Comme dans le cas précédent , la pulpe cé- rébrale se déchire en faisceaux longitudmaux, s'alongeant et revenant avec élasticité sur eux-mêmes. Les deux poumons sont à leur base entière- ment enflammés et solides (hépatisés). Je reconnais à ^adhérence des circonvo- lutions les unes aux autres , les traces in- flammatoires de l'ancienne irritation céré- brale , cause des premiers troubles de l'intel- ligence : passant ensuite à l'état incurable, cette irritation pénètre dans la profondeur du cerveau, et pendant sept années, dénaturant par un travail lent et gradué la pulpe de l'or- gane , finit par lui donner la consistance d'un tissu fibreux : les désordres de l'intelligence et de la locomotion suivent les progrès de l'altération morbide , à laquelle l'inflamma- tion des poumons, vient, par une mort prompte DU CERVEAU. I o3 mettre un terme, qui ne pouvait être fort éloigné. Il serait superflu de rapporter un plus grand nombre de faits, dont les détails pourraient différer plus ou moins de ceux-ci , mais qu'on verrait, dans leur ensemble, présenter des ré- sultats uniformes et constans : ce n'est que sur unemultitude d'observations , recueillies avec persévérance pendant plus de huit années^ que j'établis dans la folie deux distinctions : sa marche aiguë et curable, sa marche chronique et incurable ; toutes deux caractérisées dans le cerveau par des lésions physiques , que l'ar-^ ticle 5^ va faire connaître avec plus de préci- sion. Cependant avant d'aller plus loin ^ il est nécessaire d^observer que ces deux états de la foîie^ peuvent se trouver réunis chez le même malade. Ainsi on voit souvent des aliénés , affectés de démence , éprouver parfois des accès de manie furieuse , plus ou moins longs, dont les retours sont même périodiques et reparaissent à des époques presque Hxes. Or , si chez les malades , on trouve après la mort, unis l'un à l'autre^ les deux phénomènes or- ganiques auxquels j'attribue le délire aigu et chronique, ces nouvelles preuves ne doivent- 104 ANATOMIE MORBIDE elles pas sanctionner par leur double autorité les considérations que je viens d'exposer ? Je ne puis m'empêcher d'en rapporter un exem- . pie bien remarquable. Une femme, nommée Mairet, avait, jusqu'à l'âge de /15 ans, joui d'une assez bonne santé , malgré une constitution faible et délicate : vers cette époque des chagrins domestiques lui font perdre la raison , et elle est amenée en 1809, à l'hospice de la Saîpêtrière : at- teinte d'une manie furieuse , dont l'accès dure 7 à 8 mois, elle devient calme ensuite pendant quelque temps. En 1810 et 1811, nouvel ap- parition de l'accès maniaque , suivi également de tranquillité quelques mois après : les mêmes accès se renouvellent régulièrement chaque année, jusqu'en 1818. A cette époque, l'intelligence restée presque saine , au milieu de ces secousses périodiques , devient lente et paresseuse^ la mémoire se trouble, et la malade a peine à articuler quelques mots : toute sa constitution semble atteinte d'un af- faissement général. Pendant cinq années . cet état de démence devient de plus en plus alar- mant, et cependant il ne survient, pendant ce long laps de temps , aucun accès de manie. E« DU CERVEAU. lOO 1822, nouvelle explosion de la fureur, ac- compagnée d'une extrême agitation ; quinze jours après l'invasion de ce nouvel accès , la malade devient brusquement tranquille , et deux jours après, elle succombe dans un état de léthargie profonde. Examen du cadavre : Les membranes du cerveau, les deux méninges sont saines à la partie postérieure ; mais vers la région fron- tale, la méningine est épaissie, opaque^ sou- levée par une exsudation albumineuse, forte- ment adhérente à la substance du cerveau sous-jacente : dans cette région frontale, la substance grise est d'un rouge très foncé, désorganisée et ramollie en plusieurs endroits; cette rougeur et cette mollesse s'étendent éga- lement à toute la périphérie du cerveau, bien qu'elles n'y soient pas aussi prononcées qu'à la région frontale; cependant, vers la partie postérieure des deux lobes, plusieurs circon- volutions sont aussi entièrement ramollies et réduites en un putrilage livide. Cet état in- flammatoire de tout l'extérieur an cerveau , en lui donnant une rougeur et une mollesse qui ne lui sont pas ordinaires, contraste bien plus sensiblement avec la blancheur et la du- 106 ATNATOMIE MORBIDE reté de la substance inlérieure, qui, vers les couches optiques et dans les corps striés, est convertie en un tissu entièrement fibreux el élastique. Cette dernière désorganisation res- semble en tout point à celle décrite dans la précédente observation. Comparons maintenant les résultats de l'au- topsie avec les symptômes et les phases du délire, et analysons les uns par les autres. Chez cette aliénée il y a deux délires fort différens : l'un revenant par accès de fureur périodique et conservant jusqu'à la fin son intensité, l'autre dégénéré en démence et en un affaissement moral, toujours crois- sant. Je reconnais la cause physique du premier délire dans l'irritation dont le pourtour du cerveau est le siège, irritation tantôt aiguë, tantôt chronique , s'exaîtant en accès presque réguliers, et dont je démontre l'ancienneté et la chronicité par l'épaississement de la méningiue vers la région frontale, et son adhérence in- flammatoire à la substance cérébrale. De plus, je vois, dans la rougeur de la substance grise et dans la décomposition purulente de cer- taines parties les traces du dernier accès ma- DU CERVEAU. î 07 niaque , se terminant par une inflammation cérébrale subite éclatant le quinzième jour de l'accès , et causant d'abord le calme , puis la mort au bout de deux jours : et je résume tout ce qui regarde ce premier point, en di- sant que le pourtour du cerveau a été long-tems le siège d'une irritation, tantôt plus vive, tantôt plus calme, mais périodique; et qu'il a fini par s'enflammer dans le dernier accès, comme l'attestent les ramoUissemens partiels dont la substance grise présente de nombreuses traces. Or , pendant qu'à l'extérieur cet organe était ainsi affecté d'une maladie produisant les accès du délire maniaque , il devenait vers sa base et dans sa profondeur le siège d'une aifec- tion toute contraire, d'une induration fibreuse, qui pendant longues années envahissant suc- cessivement les parties centrales indiquées plus haut, faisait croître à l'intérieur la dé- mence, pendant qu'à l'extérieur le délire aigu conservait sa première intensité : et il est pro- bable que l'élat de démence serait devenu plus complet encore, si l'irritation extérieure du cerveau ne s'était pas, dans le dernier accès, terminée par une inilammalion rapidement mortelle. 108 ANA-TOMIE MORBIDE Les faits que je viens d^exposer, et qui cha- que Jour s'offrent à l'observation quand elle a sii. par une attention continue, se familiariser avec les difficultés de ces recherches, suffisent en ce moment, pour mettre dans tout leur jour, les deux principales lésions produisant les troubles intellectuels : j° la rougeur et l'injection morbides du cerveau, signes de son irritation ; 2° l'indiu^ation plus ou moins fi- breuse de cet organe, causant l'affaissement intellectuel. Il faut maintenant indiquer quels sont les caractères anatomiques de ces deux altérations. ARTICLE IIL Caractèresanatomiquesdel'irrilation et de rinduralion du cerveau» Dans chacune des deux substances qui for- ment le cerveau , dans la substance grise et la substance blanche , les altérations présentent un aspect différent. I. Altérations de la substance grise. Dans cette substance , l'afflux du sang nécessaire à produire une irritation capable de causer le délire^ détermine une décomposition toute DU CERVEAU. IO9 particulière en vertu de laquelle on peut y distinguer trois couches : 1 « La première de ces couches^ en procédant de dedans en dehors, contiguë à la substance blanche, conserve sa teinte grisâtre, à peu près naturelle : 2° La seconde, plus épaisse, d'un rouge vif ou violet, semble uniquement formée de vais- seaux sanguins fortement engorgés : c'est dans celte couche que je place le siège de tous les phénomènes d'exaltation intellectuelle^ lors- qu'elle est très rouge : sa consistance varie suivant l'état plus ou moins avancé de la mala- die ; dans le début ^ elle est plus ferme, et vers la fin elle devient plus molle : 3° La troisième couche, beaucoup plus mince est pâle , blanchâtre et ressemble à une exsu- dation albumineuse : elle s'enlève facilement^ en la grattant avec le dos du scalpel , et laisse apercevoir sous elle la seconde couche , or- dinairement très rouge. Dans l'état sain, on ne saurait distinguer ces trois couches dans la substance grise : et si dans son Analomie,Vicq d'Azir en décrit deux pour cette substance, il est fort douteux que ses observations aient été faites sur des cer- veaux sains. 110 ANATOMIE MORBIDE Le phénomène le plus remarquable est cette coloration rouge ou violette de la se- conde couche , résultat d'une concentration active du sang dans ce tissu vasculaire, où sa présence exalte l'énergie de ces parties et produit le délire et toutes les explosions de la manie. Quand le délire s'affaisse et devient chronique _, cette coloration rouge subit aussi une modification remarquable ^ elle devient brunâtre, et la substance est presque ramollie : je regarde ce moment comme le passage à une résolution favorable, et c'est sur-tout alors que Tart doit favoriser cette tendance à la guérison et en profiter habilement (i) : si on laisse écouler ce tems, l'irritation va passer au type incurable; la substance grise, altérée, dé- composée par le long séjour du sang, s'affaisse, perd de sa couleur , devient blanchâtre , puis blanche , et finit par subir l'induration géné- rale du cerveau : l'intelligence suivant à la trace la déformation organique , d'exaftée qu'elle était devient faible, se trouble, s'altère, s'anéantit. (i) Je ne puis qu'indiquer ici celle ve'rilé qui doit ouvrir les yeux sur le vrai traitement de la folie ; elle sera de'veloppe'e ailleurs. DU CERVEAU. 111 II. Altérations de la substance blanche du cerveau. Nous observons ici le même rapport entre la nature des lésions et celle du délire : seulement la substance blanche étant plus compacte que la substance grise , l'injection sanguine a plus de peine à y pénétrer , et produit des phénomènes d'irritation moins appréciables que dans l'autre substance : ce- pendant voici à quels signes on peut les recon- naître : la couleur blanche est remplacée par une couleur livide, il y a commencement de ramoliissement brunâtre, ou quelquefois jaune, et l'on observe des taches noires , des ecchy- moses plus ou moins étendues : un des effets les plus constans de l'irritation dans la sub- stance blanche, est d'y détruire la disposition des fibres cérébrales^ assez apparente dans l'état sain. Si ce premier degré de maladie ne s'arrête pas , arrive une véritable inflammation de la substance blanche qui se ramollit entièrement, devient verdâtre et diffluente,et dont la suite est une prompte mort, avec tous les symptômes apoplectiques : les deux premières observations que j'ai rapportées en sont de frappans exem- ples : si l'irritation rétrograde et se dissipe , 112 ANATOMIE MORBIon le délire se calme, et riiUellig-ence reparaît saine ; quand au contraire l'irritation dégé- nère en incurabilité , la substance blanche subit la même induration que la substance grise ;, mais à un degré bien plus prononcé , comme on l'a pu voir dans les 5^, 4° et 5^ ob- servation. Résumons les résultats de ces recherches : Le cerveau, comme tous les autres organes , s'irrite, s'enflamme, se désorganise : comme eux, il est malade partiellement, ou en tota- lité : l'action du penser , la fonction cérébrale est troublée , exallée , anéantie , suivant la nature , l'étendue , la profondeur des alté- rations du cerveau. L'irritation de la pulpe cérébrale , telle que nous la venons de décrire , est l'afFection spé- ciale produisant : i^ le délire furieux , lors- qu'elle est violente, lorsqu'il y a rougeur et in- jection morbides de cette pulpe ; 2° les mo- nomanies, lorsqu'il n'y a qu'une partie de l'organe affecté; 3° le délire chronique, la dé- mence, l'imbécillité, lorsque l'irritation est dégénérée en une déformation incurable, que je nomme induration du cerveau ; déforma- lion notable, sur-tout chez les idiots. DU CERVEAU. Il3 En remontant ainsi des lésions de l'organe vers les sjmplômes de ses maladies , il n'est plus permis de regarder ce qu'on appelle manie, mélancolie, démence, comaie trois affections différentes y mais comme trois pé- riodes de la même maladie , périodes qui ce- pendant embrassent toujours un espace de temps considérable. Il faut reconnaître encore qu'un des carac- tères particuliers de l'irritation cérébrale^ est sa facilité à devenir chronique, et par là incu- rable; cette disposition est inhérente au cer- veau lui-même : il n'est pas d'organe plus disposé aux impressions et aux habitudes. Si l'on étendait les mêmes recherches aux différentes parties du système nerveux , et qu'on embrassât d'un seul coup d'œil l'en- semble de leurs fonctions , de leurs maladies et de leur structure anatomique, on arriverait à des résultats aussi nouveaux que positifs : on verrait que l'inflammation, ou même Tirri- tation de la pulpe nerveuse , qui sont^ dans le cerveau, délire et état comateux, sont tic dou- loureux de la face dans le nerf maxillaire , sciatique dans le nerf sciatique, etc. J'ajou- terai ici une réflexion relative à l'épilepsie : 1 l4. ANATOMIE MORBIDE je suis en droit de penser qu'elle est produite par deux lésions bien différentes, quoique leur siège soit le même. Je crois pouvoir dire qu'il y a des épilepsies qui reconnaissent , pour cause une irritation chronique des por- tions nerveuses les plus sensibles de la protu- bérance annulaire et du commencement du rachidion ; et qu'il est d'autres épilepsies résultant d'une induration incurable et plus ou moins avancée de ces mêmes parties : or, l'induration faisant toujours de nouveaux progrès , multiplie le retour des attaques, et cause enfin la mort. Et si l'on me demande comment une altération organique peut être intermittente, causer des accès périodiques, elle qui est toujours continue , je répondrai que l'intermittence et le repos sont inhérens à tout le système nerveux de relation, qui n'agit que pendant la moitié de la vie de l'honinje, etc. , etc. Mais quittons ce sujet qui nous mènerait trop loin, pour ne nous occuper que des désor- dres intellectuels : ces investigations morbides serviront au moins à donner plus de sévérité au langage propre à désigner ces désordres :' ainsi, au lieu de se servir du terme folie, alié- DU C EU VEAU. 1 l5 nation mentale , on devra désormais dire la cérébrie , une maladie du cerveau ; de même qu'on appelle une maladie d'estomac gastrite, une maladie des poumons pneumonite , etc. Cette rigueur des mots est l'expression forcée de la certitude des connaissances. Disons plus : la précision des termes en toutes choses, science, morale, politique, est la logique parlée et en action : jusqu'à présent les termes abstraits et figurés ont été des nécessités qu'il a fallu subir , parce qu'on a parlé avant de connaître -, et pour désigner ce qu'on ne connaissait pas , on a fabriqué des termes approximatifs, supposés, ou vides de sens, qui ont eu force de science^ et ont tué le raisonnement. r Les temps sont venus de penser autrement ; et pour ne pas nous écarter de notre sujet actuel , nous verrons au chapitre suivant , et sur-tout au 9" , combien est salutaire celle rigueur des mots dans les recherches difficiles, puisqu'on voulant classer les désordres de la pensée d'après leurs causes physiques, nous arriverons presque malgré nous à mettre en ordre la raison. S. Il6 DE LA CÉRÉBRIE CHAPITRE Yll. Classification aualomique des désordres inlelleciuels. De la ce'rebrie et de ses divisions. Certes il faut rendre hommage aux obser- vateurs généreux, qui, sans se décourager du désolant speclacle de l'homme en délire , osèrent croire les premiers, qu'il y avait là de profondes leçons , et les commencèrent, peut-être sans le savoir, en soumettant à une classification régulière tant d'égaremens et de fureurs. Il faut encore reconnaître qu'ils firent beaucoup pour la science hu- maine , en classant et en dénommant tous ces désordres , soit d'après leur allure et leur aspect extérieurs , soit suivant le sujet même ET DE SES DIVISIONS. 1 1 7 du délire : lorsqu'il fut sombre ou gai, forcené ou calme , extravagant ou presque raison- nable , lorsqu'il roula sur un seul ou sur tous les sujets , des désignations différentes expri- mèrent ces divers états; et il y eut la mé- lancolie, la fureur maniaque, la démence, la monomanie , et mille autres distinctions qu'on pourrait multiplier à l'infini , puisque l'homme a le privilège de raisonner , et par conséquent de délirer sur tous les sujets. Mais au point où nous sonimes parvenus, ces distinctions ne sont plus suffisantes : après être descendus au fond du délire, et avoir reconnu ses causes physiques, il faut partir de cette base nouvelle, pour nous élever à de nouveaux résultats. Nous allons, dans ce chapitre, exposer la classification qui nous semble la plus conforme aux. investigations anatomiques auxquelles nous venons de nous livrer : nous considére- rons les troubles de l'intelligence comme con- séquences et symptômes de l'irritation et de l'induration cérébrales , que nous avons dé- crites. Cette exposition sera courte , parce "qu'il y a peu de développemens à lui donner dans cet Il8 DE LA CÉRÉBRIE ouvrage : mais au chapitre neuvième^ nous serons heureux de pouvoir faire connaître une classification plus large et plus élevée, en distinguant les désordres de l'intelligence d'après leurs rapports et leur dépendance avec la conscience : tout bizarre qu'il puisse paraître , ce mode d'investigation n'en est pas un des moins sûrs pour pénétrer tout l'homme intelligent ou en délire. La première classification est plus minu- tieuse et se traîne sur les organes : la seconde est plus psychologique et nousplaî tdavanlage: elle trouvera sa place naturelle à l'article conscience, dont-elle sera l'analvse. Ajoutons que notre tableau indicatif des différens degrés des infirmités mentales, pour- rait encore servir de classification , si l'on tenait beaucoupaux dénominations anciennes; au moins il leur aura donné une significalioa plus précise, ET Dli SES DIVISIONS. II 3 Classification des désordres intellectuels d'après l'irritation et V induration cérébrales. Anciennes dénomina ■ lions coiTcspoTidante». 1° Aiguë: Irritation violente du cerveau. | 1° Manie furieuse. V „ y-1 T j i*„ -j y 2^ Démence, imbé* La cé- \ ^ Chronique : Induration id. J eiii.ié, idiotisme. rPnriG est / -^ - ■ - ,'folie>)_ ( 3» Partielle : Irritation d'une partie du \ l^^l°"°,^",lZ'''!-mi 1 cerveau. S délire, mélancolie. 4° Sympathique : Réaction des viscères) 4= Hypociiondris , sur le cerveau. 5 ^^^'■"' Maintenant, donnops quelques développe- mens à chacune de ces distinctions. ARTiCLE PREMIER. Cërëbrie aiguë : manie furieuse. Diaprés la nature et le caractère de l'affec- tion morbide, qui, dans le cerveau^ produit le (i) Je donne le nom de ce're'brie à la folie, à l'irritation du cerveau, reservant celui de cére'briie pour de'signer l'inflamma^ '.ion du tiiènie orjane, son ramoUisscroeul. 120 DE L/V CÉRÉBRIB délire furieux, j'appelle cérébrie aiguë, l'étal maniaque clans lequel les désordres de toutes les facultés apparaissent les plus violens : « Lé prélude des accès de rnanie se marque » par des gestes insolites, par des irrégularités » dans la contenance et dans les mouvemens » du corps : l'insensé tient quelquefois la tête » élevée et ses regards fixés vers le ciel ; il » parle à voix basse, se promène, s'arrête » tour à tour avec un air d'admiration ou de » recueillement profond. Dans d'autres alié- » nés , ce sont les vains excès d'une humeur » joviale , ou des éclats de rire immodérés , "quelquefois, comme si la nature se plai- » sait aux contrastes, il se manifeste une taci- » turnité sombre^ une effusion de larmes sans w cause connue, ou même une tristesse con- » centrée et des angoisses extrêmes : dans d'au- » très cas, la rougeur subite des yeux, le » regard étincelant , le coloris des joues, une » loquacité exubérante, font présager l'ex- » plosion de l'accès : c'est par des visions exta- » tiques durant la nuit, que préludent souvent » les accès de dévotion maniaqiie ; c'est aussi » quelquefois par des rêves enchanteurs et >.■ par l'apparition de l'objet aimé sous les ET DE SES DIVISIONS. 121 » traits d'une beauté ravissante, que la manie » par amour éclate avec fureur , après des » intervalles, plus ou moins longs, de calme » et de raison : » (Pinel : Traité de la Manie. 1800.) Frappant de vérité^ ce tableau des pré- ludes de la cérébrie violente est également vrai pour toutes les phases de cette affection : quel qu'en soit le sujet ou la cause, son trait distinctif est l'exaltation : il y a extravagance dans tous les souvenirs, comme dans les im- pressions ; l'altenlion est nulle , et la volonté n'est plus qu'une explosion mobile et passa- gère, comme la rapidité des sensations qui se hevirtent et se succèdent : il est encore un autre sjmplôme distinctif , mais obscur et difficile à observer : c'est que le furieux ne parle jamais de la cause primitive de son délire , et l'indique en allusions plus ou moins éloignées. Ainsi, lorsque l'amour et ses funestes angoisses font éclater la manie, sa triste victime ne prononcera jamais le nom de celle qui fait tout son mal ; la nommer , penser à elle, serait un effort d'altenlion dont le malheureux est incapable : mais s'il em- brasse ou frappe un arbre , un mur , croyez Î23 DE LA CÉRÉBRIE bien que c'est encore à elle que , malgré lui , s'adressent ces extravagances : s'il prononce un nom quelconque j c'est encore e!le qu'il nomme en croyance , pour oublier à l'instant le nom qui vient de lui échapper ; on dirait sa douleur si vive qu'il ne peut plus la sentir , qu'elle semble se répandre hors de lui et s'exhaler en folies : quand elle rentrera, quand il commencera à en avoir conscience , il sera moins délirant : il gagnera d'autant plus en intelligence, que sa souffrance deviendra plus profonde et mieux sentie. La marche, les intermittences, les compli- cations, la durée de la cérébrie aiguë sont décrits, sous le nom de manie, dans tous les ouvrages élémentaires ; aussi je ne puis les reproduire ici : je n'ai dû m'arrêter que sur deux points nouveaux, d'abord les altéra- tions physiques, ensuite les désordres psycho- logiques de la cérébrie : entre ces deux sujets se trouve l'histoire des symptômes , dont le tableau est si bien tracé dans l'ouvrage sur V aliénation mentale , qu'il serait aussi inutile que dangereux dé s'exposer à quelque com- paraison , ET DE SES DIVÎSIOJNS. 12<5 ARTICLE IL Ci'rebric chronique : démence, imbécillité, idioVismie. Tous les symptômes que nous venons de voir dans toute la force de leur exaltation, vont présenter maintenant des traits affaissés et à peine reconnaissables ; ce sont ceux des débilités intellectuelles , de la démence, de l'imbécillité et de l'idiotisme. Symptômes de la démence : « Succession » alternative d'idées isolées, d'émotions légères » et disparates, de mouvemens désordonnés et » d'actes extravagans : oubli de tout état an- »térieur; abolition ou diminution marquée » de la faculté de percevoir les objets ; oblité- » ration du jugement : inertie ou activité con- » tinue sans dessein , propos sans suite et » sans cohérence, oubli des mots propres à » rendre les idées : » (Pinel, ouvrage cité.) Les symptômes de l'i^ihécillité ont beau- coup d'analogie avec ceux que je viens de lîcinscrire : « Oblitération plus ou moins ab- 124 l^^ I^^ CÉriÉDllIK » solue des fonctions de l'enlendement et des » affections du cœur : quelquefois rêvasseries » douces avec des sons articulés : d'autres fois » taciturnitéet perte de la parole par défaut » d'idées : certains imbécilles sont doux, et » d'autres sujets, à des emportemens de vio- » lence: » (Même ouvrage). On reconnaîtra sans peine combien est grande la ressemblance de ces deux maladies^ qui même se confondent ici l'une avec l'autre. Je crois avoir été plus rigoureux en assignant à la démence, comme signe caractéristique, la présence delà conscience, dont on observe encore les traces dans cette dégradation : on ne la rencontre plus dans l'imbécillité : c'est ce sentiment de leur décomposition qui donne aux individus en démence leur air luctueux et plaintif. Dans un sujet aussi difficile, on ne saurait trop s'atlacber à des signes bien évidens , afin de fixer aux mots une valeur inconlestable. Le dernier terme de la cérébrie chronique est l'idiotisme, l'anéantissement de la raison , quand même il vient de naissance : car il ne peut être alors que le produit d'une inflam- mation , qui dans le fœtus , ou dans l'état ET DE SES DIVISIONS. 125 d'enfance, a désorganisé le cerveau; puisqu'il résulte de la même altération organique que la démence et l'imbécillité, mais seulement à des degrés variables, il ne peut être séparé de ces deux affections. Cependant il faut re- connaître dans les causes plus profondes , dans son incurabililé innée, et dans la défor- mation si complète de l'organe cérébral , des raisons suffisantes pour qu^on lui ait assigné une place à part. Je pense que mon tableau analytique , qui marque dans cet état trois degrés différons , la bêtise , la stupidité et l'anéantissement intellectuel, servira mieux que des descriptions, à fixer le sens et la valeur de ce terme, si souvent appliqué à des états bien différens. ARTICLE m. Cerébrie(i) partielle. Mélancolie, monomanie , suicide , manie sans de'lire. Dans la monomanie, le délire ne porte que (i) Cerébrie mélancolique, monomane , suicide sans délire. 126 Ï>E LA CÉRÈBRIE sur une idée , ou sur une série d'idées cons- tantes : à ce signe unique, ajoutez l'irascibili lé de caractère , l'aversion pour le mouvement y la recherche de la solitude, une défiance ombra- geuse , une disposition cruelle à donner à tous les événemens de sinistres interprétations , et vous aurez le tableau d'im monomane, livré à toutes ses terre'urs maniaques, et tel qu'on le rencontre dans les maisons d'aliénés. Il n'est pas de maladie plus générale dans la société , mais elle n'est là qu'une occulte et légère dé- raison ; chez les gens du monde , atteints de Tuonomanie, l'occasion fortuite peut seule la faire reconnaître, d'autant plus que chez ces malades, l'intelligence est plus lucide sur tous les sujets, hors un seul, sur lequel il 7 a fausseté de jugement : j'en connais un exemple bien frappant. Un homme, qui avait rempli et remplit encore des places importantes, s'était imaginé pendant les premiers temps de l'em- pire , avoir régné , être empereur. Peu de personnes connaissaient ce délire partiel , parce qu'il avait grand soin de le dissimuler : parlait-on beaux-arts , littérature , sciences ? ses idées étaient lumineuses, précises, sa- vantes : si la conversation tombait sur la po- ET DE SES DIVISIONS. 12 J litique , il se taisait au milieu des personnes qu'il ne connaissait pas : mais s'il se trouvait près de quelque ami initié à son secret, ou de quelque parent dans sa confidence, il lui con- tait sa grandeur maniaque , et s'^en expliquait avec tant d'esprit et de conviction, qu'on ne pouvait que gémir d'une telle infirmité, dans un caractère des plus honorables. El remarquons chez cet homme le plus ju- dicieux discernement joint à une volonté presque raisonnable : car s'il eut eu la force de taire entièrement sa chimérique croyance, et de la garder pour lui seul , il n'eût pas été monomane ; s'il l'eût dit au premier venu, il eût été aliéné. C'est donc la volonté sur- tout qui fait la raison (i), La monomanie dont nous venons de voir dans la société un exemple à peine sensible , (i) La volonté suppose un effort conlinu, une cantraction per- manente de la fibre ce're'biale , de même qu'il n'y a pas de mou- vement sans Contraction musculaire ; et la fibre musculaire qui se contracte est mouvement, comme la fibre ce're'brale qui se con- tracte est intelligence : concevoir l'un ou l'aulre est impossible ;, le mieux, est de l'observer et de se taire 5 mais j'insiste sur ce mol de contraction , parce qu'il poarrait bien être vrai à la lettre^ 128 ^E LA CÉRÉBIllE se montre à lui dans les maisons d'aliénés : ils éprouvent le besoin de répéter jusqu'à satiété le sujet de leur délire : les moins fous le cachent encore sous un apparence de bon sens. Monomanie suicide. Cette funeste et fréquente maladie ne roule que sur un point, l'irrésistible besoin de se détruire : c'est nne subversion monstrueuse , un bouleversement affreux de toutes les lois de l'organisation, qui font de la vie un besoin des plus impérieux , dans tous les êtres qui l'ont reçue. Cependant il ne faut pas s'y trom- per : le vrai suicide est bien plus rare qu'on ne pense : car on ne doit pas attribuer à l'en- vie de se détruire tous les suicides qui recon- naissent pour cause ^ chez les aliénés, des erreurs de jugement , ou des terreurs pani- ques; et ce sont les plus fréquens , comme l'a très bien observé maintes fois M. Esquirol. J'irai plus loin^ et je dirai que le besoin rai- sonné de se détruire est impossible : beau- coup de malades , ou de gens réputés sains de corps et d'esprit^ raisonnent;, il est vrai, long- ET DE SES DlVISIOr^S. 129 temps d'avance le genre de mort qu'ils se don- neront ; mais ils raisonnent déjà sur un délire , ou sur un faux jugement. Un homme est ruiné j il se tue : existe-t-il quelque liaison, quelque raisonnement entre ces deux évé- nemens ? il n'j a que fausseté d'idées : il s'en prend à sa vie d'un événement où elle n'est pour rien : sa débile intelligence ne peut ré- sister au brisement de son orgueil ; il se tue parce qu'il ne raisonne plus juste : il serait tout aussi raisonnable de s'en prendre à un arbre, ou au premier venu. Qu'on cesse ainsi de couvrir de mots de pitié ^ ce qui n'est que lâcheté, crime ou délire. Je ne puis admettre qu'une résolution intelligente et généreuse de perdre la vie ; c'est celle qui est dévouement , ou héroïsme ; mais ses noms sont alors bien différons. D'ailleurs il est une loi immortelle , inhérente à chacun , écrite dans tout ce qui a vie , nous enseignant que l'homme n'a pas le droit de défaire ce qu'il ne peut refaire ; (i) (j) Celte grande loi s'applique aux punitions sociales , et snr- icnt a. la peine de mort. Un homme a tue un autre homme, la socie'le' veut être garan- 9 l5o D£^ LA CÉRÉBRIB c'est envain que vous iavoquez l'usage j il n'est que brutalité, et abus de force contre les êtres animés, comme le suicide n'est contre soi qu'une infamie , pour laquelle à défaut des lie et vengea , elle a droit de le punir. Mais comment doit rai- sonner son châtiment? Pour être logique, il devrait dire : Je vais te forcer à refaire ce que tu as défait, ensuite je te punirai pour l'avoir défait ; mais ici il y a impossibilité de réparer la mort ; dans l'impuissance do la réparation , il faut un équivalent : vous, TOUS tuez le coupable ; c'est plus court; mais c'est raison- ner de travers. Poui* être conséquens, vous devriez faire servir au" moins la vie entière du criminel à réparer envers la, société Toutrage qu'il lui a fait. Le punir par la mort, c'est le punir un instant ; car, mourir est un parti bientôt pris , quand il n'y a plus à reculer ; c'est donc un supplice de quelques heures , peut-être moins encore. Celte première faute de raisonnement en amène de suite une autre non moins grave, c'est qu'en le tuant, au lieu d'une répa- ration, vous avez une perte déplus, vous enlevez à la société, comme au criminel , tout moyen de réparation ou de repentir. Tels sont les premiers effets de la faute de logique , et les autres vont suivre et se développer dans leurs funestes consé- quences. Vous voulez effrayer, prévenir , vous ne faites qu'exci- ter une lâche curiosité , et qu'habituer au sang. Si vous inspiriez la terreur, chacun fuirait épouvanté, et le jour du supplice, il n'y aurait que le bourreau, sa victime, son consolateur, et le silence, premier pas vers l'éterailé. Voyez au contraire la foule se ruer avide à vos exécutions ; elle n'aura pas assez d'yeux pour voir ! Les angoises d'un mourant, la chute d'une lête, le jail- ET DE SES DIVISIONS.. 101 lois , l'opinion devrait inventer une nouvelle flétrissure. S'il j a quelque honneur sur la terre, réservons-le aux âmes fortes qui luttent contre les grandes infortunes, et finissent par lissemcnt du sang , digne et noble spectacle que vous donnez à un peuple à former et à instruire. Sachez donc que punir par la mort, c'est autoriser la mort, c'est l'enseigner, peut-être I Ah ! mille fois honneur à cette le'gislation dont la sagesse n'avait pas voulu prévoir le parricide! elle voyait plus loin que vous. Mais c'est peu d'être immorale, votre peine de mort est encore criminelle j souvent elle frappe ou peut frapper un innocent , et de tels exemples retentissent encore d'une funeste céle'biile' : de terribles noms sont sortis de leurs cercueils , pour venir vous ap- prendre que les preuves peuvent avoir une apparence menson- gère. Et croyez-vous peut-être, qu'il sufiise, quelques vingt ans plus tard , de réhabiliter la mémoire de la victime ? Ce repentir d'appareil , cette désolation de commande rendront-ils la chair à ses os , et les feront-ils renaître de la tombe ? Je veux bien que vous soyez absous aux yeux des hommes; mais l'étes-vous à vous- mêmes? Et parce que vous vous serez réunis douze ou quinze , en robes noires ou rouges, et que de bonne foi, et croyant bien faire , vous aurez envoyé à l'échafaud un homme, que plus tard on reconnaîtra innocent, sercz-vous moins coupables à votre conscience , que si vous l'aviez tué vous-mêmes , que si , de votre propre main vous lui aviez enfoncé le glaive dans le flanc ? Votrejustice ne pèsera-t-elle pas sur votre vie entière, et une ombre ne viendra- 1- elle jamais vous apparaître vengeresse! Tremblez donc en vos arrêts irréparables : il y a là une respon- sabilité au-dessus de l'homme. Encore , si vous pouviez rendre • 9- l32 1>E I^A CÉRÉBRIE les soumettre. L'histoire a beau vouloir ab- soudre Galon ; il ne fut qu'un illustre insensé : s'il eût eu au cœur ce brûlant amour de patrie, dont on prétend honorer sa fin , il eût mieux. la vie au malheureux, il n'y aurait que faute; votre repentir ferait le reste , et vous pourriez entendre au moins votre victime vous pardonner 1 Vanité des raisons humaines ! avec quoi sont fait ces arrêts irréparables? avec des preuves qui peuvent être fausses , avec des probabilités plus incertaines encore ! Et notez que ces probabi- lités ont été soumises à des calculs mathématiques ; comme si le mot seul n'était pas tout ce qu'il y a de plus anti-mathématique. Un nombre de probabilités, quel qu'il soit , ferait-il jamais une certitude ? Le résultat logique est inverse, et plus il y a de pro- babilités, plus il y a d'incertiiudes j car jamais des milliers de mensonges ne feront une vérité , jamais des milliers de nuits ne feront un jour. Condorcet et La Place ont essayé en ce genre tout ce qu'on peut tenter. Malgré ces grands noms , c'est abus de mathématiques : la géométrie , l'algèbre , ne calculent pas des incertitudes, et eux-mêmes en ont donné d'immortels exemples. Osez donc maintenant, avec vos preuves, avec vos probabi- lités , rendre des arrêts de mort ! Osez donc soutenir que votre peine n'est pas outrage aux lois divines et humaines ! Est-ce en- vain que l'Évangile vous dit : tu ne tueras pas ? Et si le cri de Dieu ne peut retentir à voire cœur, au moins raisonnez juste , et reconnaissez que voire punition est immorale, en ce qu'elle ha- bitue au sang, funeste en ce qu'elle peut frapper un être non coupable, absurde enfin, parce qu'elle est faute de logique; ce qui veut tout dire. 1 ET DE SES DIVISIONS. ï JO fait sans doute que de donner à l'univers le triste spectacle de son stérile désespoir : croyons plutôt qu'il s'est tué par démence , au moins on pourra le plaindre , mais l'imiter, jamais. Le besoin de se détruire me paraît, chez les aliénés^ dépendre d'une altération profonde des organes de l'instinct ; et le cerveau ne se- rait alors qu'un agent secondaire et l'exécu- teur de déterminations funestes, dont le point de départ serait plus profond : il exile en effet dans le corps un autre appareil nerveux, chargé de veiller sur la vie , et dont aucun physiolo- giste n'a pu encore bien déterminer les fonc- tions et les maladies. C'est le système nerveux de la vie nutritive , signalé déjà par Buffon , Bordeu et Bichat, et à l'observation duquel ce dernier doit sur-tout ses plus heureuses ins- pirations. Au chapitre suivant nous essayerons de nous éclairer de toutes ces lumières. La manie sans délire , cette imcompréhen- sibleetinfernale perversion qui pousse l'homme à tuer sans motifs , est une atrocité raffinée, une rage aveugle à faire sur autrui ce que le suicide fait sur lui-même : pour l'iionneur de l'espèce humaine, soutenons que celle mons- l34. DE LA CÉRÉBRIE truosité u'exisle pas, et couvrons-la d'an voile salutaire : il est des choses qu'il faut savoir ne pas écrire, car c'est les enseigner plus qu'on ne pense. ARTICLE IV Cérëbl'ic symphatique chez riiomme. (Hypocondrie. ) Dans la société , rien de plus ordinaire que les symptômes d'hjpochondrie légère, que ces soins minutieux, ces plaintes continuelles avec une santé florissante, ces inquiétudes puériles^ ou ces terreurs profondes pour des souflPrances imaginaires , sujet inépuisable de comique et de raillerie. Maisquand c'est maladie complète, la scène change , et c'est spectacle à navrer l'âme. D'abord les nausées, le dégoût des ali- mens ou l'appétit vorace, le gonflement et les pulsations irrégulières de l'abdomen , la dou- leur gravative de l'eslomac après le moindre repas, les souffrances profondes dans les en- trailles, annoncent assez de sérieux dérange- ET I-iE SES DIVISIONS. l55 ment dans les organes de la digestion : puis viennent bientôt ces sentimens irréguliers de froid et de chaud , ces anxiétés mortelles, ces palpitations de cœur , ces difficultés de res- pirer, ces éiourdissemens, enfin ces sombres et âpres inégalités de caractère , celte terreur el cette désolation concentrées, qui font de la vie une torture de chaque moment. Ici c'est dans l'appareil nerveux du bas-ventre qu'il faut reconnaître le siège primitil du mal,- et le trouble des idées et des autres fonctions ne paraît que secondaire. ARTICLE V. Cerebrie sympathique chez ia femme. (Hystérie.) A peine la jeune fille est nubile, un nouvel appareil organique devient à son insu le fojer mystérieux de ses pensées , de ses sentimens les plus secretS; et l'invisible moteur de toutes ses actions. Un instinct confus vient lui révéler ]56 DE LA CÉRÉBRÏE sa vocation, lui en faire deviner toutes les con- séquences, et dès lors, le choix de celui qu'elle doit admettre en son cœur devient l'histoire de toute sa vie : plus son intelligence est vive et pénétrante^ plus elle s'échauffe en sentimens brûlans, et lui fait désirer en celui qu'elle veut aimer : car elle sent au-delà de l'homme; elle sent en finesse, ce qu'il a en force : bienheu- reux qui recevra son âme ; il vivra^ quand les autres ne font que végéter. Mais, en atten- dant , la voilà par momens presque folle j la voilà avec sa pâleur et sa rougeur subites, ses pleurs et ses rires involontaires, ses élans de tendresse vague, de frayeurs, d'espérance, la voilà si mollement bercée de toutes ces illu- sions de la jeune vie , que la réalité viendra sitôt flétrir, Chez d'autres, c'est maladie profonde : des vertiges, desengourdissemens, deséclatsderire immodérés, deslarmes abondantes, des sanglots convulsifs , une mobilité électrique, une tris- tesse concentrée, puis le sentiment d'une boule qui remonte à la gorge, et qui étrangle , la perte de la connaissance, les convulsions des membres et du corps, la suspension des batte- ii'.cnls du cœur et de la respiration , font une ET DE SES DIVISIOJNS. iSj mort par excès de vie , que la nature est prompte à guérir. L^intelligence ne reste pas immobile au mi- lieu de cette secousse organique; elle suit ses oscillations et ses tumultes; les idées devien- nent bizarres , les désirs étranges, le délire léger et rêveur : parfois les impuisions sont tellement irrésistibles , que la volonté ne peut plus les contenir, et c^est alors extravagance et folie. Voulez vous un illustre exemple de ces puissantes et énergiquesinfluences des organes sur l'intelligence, de ces combats internes, de ces désordres si dramatiques, dont le génie de la scène devrait enfin avertir ou effrayer les hommes? Analysez celte Phèdre si pathétique et si profonde : pourquoi malgré ces empor- temens^ sa douleur reste-t-elle vertueuse? c'est que son intelligence n'est pour rien dans ce transport qui la bouleverse et qu'elle ignore : c'est que sa volonté, long-temps raidie contre l'impulsion qui l'entraîne , jette un cri de ter- reur en ne se voyant plus que le servile instru- ment d'organes irriléset impatiens : la cons- cience de la chute , la violence et l'impuis- sance du combat, voilà ce qni fait l'excuse du l58 DE LA CliRÉBKIE crime , et la vertu de la lionle? Et voilà aussi tout le génie de Racine : quelle profondeur de science! En vain^ elle appelle à son aide la colère elles rigueurs, dernières et impuissantes armes d'une âme quise sent succomber ; un moment, un regard suffisent à les briser : celui qu'elle veut etqu'elle fuit, que devaient-elle quand elle le voit? Son corps n'est plus que frémissement, sa colère déclaration brûlante j ses invectives passion frénétique , et tout son être obéit en aveugle à de dévorans désirs, contre les- quels sa raison s^est consumée en vains ef- forts ; c'est Phèdre tout entière à ses fu- reurs! On va chercher dans l'histoire ces faits mé- morables plus propres à étonner qu'à instruire sur la scène : c'est encore une des serviles tra- ditions de l'art dramatique : qu'il laisse là ses éternels empereurs, rois ou princes, pour des- cendre dans l'homme de chaque jour; et puis- qu'il n'y a plus aujourd'hui de distinction que pour les pensées et pour les actions , qu'il sache y trouver en combats contre lui-même, tout ce qui peut le corriger ou l'ennoblir. Mais cette science humaine, ce n'est pas dans ET DE SES DIVISIONS. iS^ les livres qu'on la trouve : il faut tourner et retourner l'homme, en commençant par sa peaU;, et ne s'arrêtant qu'à ses dernières profon- deurs. j4o fokctions et divisions CHAPITRE VIII. Coup d'œil [jénéial sur les fonctions de la vie, leur division, leurs influences physiques, cl quelques- unes de leurs conséquences morales. Nous venons déjà de rencontrer quelques- uns de ces grands ébranlemens de facultés , qui présagent les passions, devant lesquelles nous allons bientôt nous trouver : mais, fidèles à notre méthode, faisons pour l'homme moral ce que nous venons de tenter pour l'homme intellierent : observons d'abord, dans les or- ganes eux-mêmes, dans leur disposition, leurs influences réciproques ou leurs réactions sym- pathiques , l'origine éloignée des excitations, DE LA. VIE. l'il et des transports les plus violens y de même que c'est dans le cerveau même que nous avons été chercher les premiers élémens intellec- tuels. D'ailleurs l'intelligence et les passions tenant ensemble par les liens les plus forts et les plus secrets ^ et ces dernières formant le passage naturel de notre sujet au développe- ment de l'homme social , auquel nous arrive- rons ensuite^ il devient nécessaire, avant d'aller plus loin , de jeter un dernier regard sur l'homme physique. Tous ceux qui l'ont étudié de près ^ ont si- gnalé ces énergiques influences des organes sur le moral; mais entraînés par leurs propres observations^ les uns ont voulu tout attribuer à l'organisme , quand d'autres lui ont tout re- fusé : reste donc à faire une juste application de ce qu'ils ont pu voir, comme à rechercher ce que celle fâcheuse exclusion a dû mécon- naître. Chez l'homme, le tronc renferme les organes les plus nécessaires à la vie, ceux qui le nour- rissent et le font renaître. La fonction de se nourrir se compose d'une série d'autres fonc- tions secondaires et successives, dontle dernier résultat est de convertir le principe alimentaire l4.2 FONCTIONS ET DIVISIONS en des conditions telles qu'il devient vie. Ainsi, des viscères digérans où s*opëre le pre- mier travail qui décompose l'utile ou l'inu- tile de l'aliment , le principe nourrissant sorti en substance lactée , va se mêler au sang des veines , et subir dans le foie ses premières éla- borations. Dans les poumons, il arrive avec le sang noir ; mais là , l'action de l'oxjgène de l'air, la respiration lui donne une couleur, une vie nouvelle ; il devient sang rouge, sang artériel; il est chair coulante (i). ^ et bientôt lancé par le cœur dans les dernières extrémités du corps j, il y subit l'inconcevable métamor- phose, en vertu de laquelle il devient l'organe qu'il traverse , et se dépouillant de sa qualité vivifiante , il retourne sang noir aux cavités droites'du cœur. Ce mécanisme, à confondre la pensée, est d'autant plus merveilleux, qu'il est mécanisme vivant , et , qu'à chaque seconde il est vie nouvelle. La nutrition porte avec elle sa conséquence immédiate, le besoin de donner la vie, car re- produire n'est qu'un excès de vie. On peut donc dire avec raison que tous les organes de (i) Borde 11. DE LA ^'lE. 1^5 la poitrine, du venlre et du bassin, remplissent des fonctions secondaires à la nutrition, et ne sont qu'une complication ou une conséquence de cette fonction éminemment conservatrice. Dans sa prévoyance, la nature a su la mettre à l'abri des caprices de l'homme et des écarts de sa volonté. Ainsi la volonté est sans in- fluence sur les mouvemens du cœur, sur l'ac- tion de l'estomac, sur l'énergie des organes qui donnent la vie. Elle n'exerce qu'une action momentanée sur la respiration : en vain la vo- lonté seule voudrait suspendre trop long-tems l'action des poumons : une salutaire syncope viendrait bientôt la terrasser, et rendre à ces organes leur libre exercice. Sans cette pré- caution, l'homme eût fait des plus importantes fonctions déplorable usage , et funeste abus. Pour mourir^ il lui aurait suffi de vouloir , et à l'instant les battemens du cœur auraient cessé : du plaisir et de l'attrait nécessaire à reproduire, il aurait bientôt fait dégoût et douleur j ces fonctions sont sagesse dans les mains de la nature : dans celles de l'homme elles seraient devenues délire et néant. Ainsi, voilà l'intelligence sans pouvoir sur les organes les pins nombreux et les plus l44 FOKCTIOWS ET DIVISIONS essentiels à la vie ; elle n'a d'action que sur les sens et sur les membres , instruments né- cessaires aux rapports. Maintenant, si le cœur bat sans relâche, si l'estomac digère, si les poumons respirent , si les organes reproduc- teurs s'éveillent en leur tems à leurs fonctions, si l'ensemble et l'harmonie de ces opérations attestent une précision , une science plus qu'humaines, où est le système nerveux pré- sidant à tous ces mouvemens , et les faisant exécuter sans relâche par son influence per- manente ? est-ce le cerveau et ses dépendan- ces? Envain la physiologie, expérimentale nous découvre l'action énorme que ces parties exercent sur le reste du corps : ses investiga- tions sont aussi savantes qu'instructives, sans doute; mais elles sont loin de démontrer que le système nerveux ganglionaire soit sans influence , sans action directe sur les viscères. Si au contraire on s'élève aux vérités gé- nérales de la vie, et à l'ensemble des lois qui la régissent , on arrive à des considéra- tions plus larges ; on peut voir alors qu'il est dans les profondeurs du corps un système nerveux admirable, trop méconnu , dont les obscures et silencieuses fonctions ne peuvent DE LA VIE. l45 être , en dernier résultat , que l'instinct , que l'amour de la vie, et la garde vigilante des organes conservateurs : c'est l'appareil ner- veux des ganglions dont les ramifications nombreuses unissent tous les viscères , dont les centres multipliés sont de petits cerveaux présidant aux fonctions organiques , petits cerveaux ayant une volonté, des sensations^ une intelligence différente de la volonté , des sensations, de l'intelligence cérébrales, et dont l'action interne est continue , sans inter- ruption , perceptible seulement dans les ma- ladies , obscure chez l'homme, évidente chez les animaux. Tel est l'instinct^ l'intelligence interne , viscérale , dont le cerveau , au lieu d'être réuni en une seule masse, comme celui de l'encéphale , se trouve disséminé en gan- glions dans toutes les parties du corps , et quelquefois aggloméré en lobes considérables, sur-tout au cou , à la poitrine, au bas-ventre : système nerveux non moins étonnant que celui des rapports, d'où parlent tous ces phénomè- nes , surnaturels pour ceux qui ne les con- naissent pas , ces états nerveux de somnan- bulisme , de secousses convulsives, d'hjstérie, d'hjpocbondrie, qui ne sont, dans le fait, que 10 i46 ro:!«CTiONs et divisions le réveil de l'inslinct , ou ses variables degrés de maladie. C'est encore ce système nerveux qui^ dans les premières classes animales, rem- place l'intelligence qui leur manque^ et fait toute la prévoyance de ces êtres si obscurs, quicependant feraient souvent honte à l'homme s'il les connaissait mieux. Si nous observons à ce sujet les animaux plus élevés , nous pourrons reconnaître un exemple bien frappant de leur supériorité instinctive. Pourquoi ont-ils sur l'homme le privilège d'éviter les aliraens nuisibles ou les substances vénéneuses? et pourquoi chez nous ces funestes méprises sont-elles si fréquentes? Si l'intelligence cérébrale guidait dans ce choix, à nous serait la supériorité comme pour le reste des facultés ; mais il n'en est pas ainsi : chez les animaux^ l'instinct libre de l'influence cérébrale et supérieure à l'intelli- gence., s'exerce dans toute sa plénitude ; par lui , l'animal sait prendre ou rejeter ce qui convient le mieux à sa vie ; tel est le bienfait, le privilège de l'instinct, qui, dans ce, cas ne peut être que le résultat d'une réflexion, d'une attention viscérale. Or, où il y a réflexion et attention^ il faut bien des organes nerveux DE LA VIE. 1^7 pour ces opérations; d'ailleurs voyez la dis- position anatomique de cet appareil d'organes répondre admirablement à ses fonctions. Bichat avait cru devoir séparerde ce système les ganglions vertébraux : loin d^expliqner ses motifs , il dit au contraire que ces ganglions sont d'un aspect extrêmement analogue a celui de la vie organique : l'aven est trop naïf pour être relevé. L'anatomie récente, plus exacte et plus positive , a été moins timide (Meckel et Béclard); tout ce système nerveux a été réuni dans le même ensemble de structure et de fonctions. Placés sur les deux côtés de la co- lonne vertébrale , à l'origine de chaque paire nerveuse , les ganglions envoient les cordons qui accompagnent leurs dernières ramifica- tions dans les muscles , où ils portent la sensibilité contractile , pendant que les nerfs de l'encéphale les soumettent à la volonté du cerveau. D'autres ganglions sont situés pro- fondément près des organes les plus impor- tants , les enlacent de leurs plexus nombreux, et unis entre eux , par d'innombrables filets entrecroisés en tout sens , forment des ré- seaux et des centres variables en étendue et en grosseur. Le plus volumineux de ces cen- 10. l4S DE LA VIE. très est le lobe abdominal , présidant aux fonctions nutritives et reproductrices : ce sys- tème nerveux va s'unir ainsi, à chaque instant aux nerfs des sens, et établit ainsi entre le cer- veau et les viscères les énergiques influences que nous allons exposer. D'après ces aperçus rapides , il faut recon- naître dans l'homme les deux grandes dis- tinctions proclamées par tous les physiolo- gistes j les deux êtres bien différents : l'un qui se nourrit et reproduit, l'autre qui se meut et qui pense. Ces deux grands ordres de fonc- tions , non pas séparées , mais distinctes , ont été nommés vie organique, végétative, in- stinctive, et vie de rapports , de relation , vie animale : pour être exact , on doit appeler l'une vie nutritive , et l'autre existence céré- brale, (i) (i) Vivre, c'est se nourrir et reproduire : les ve'ge'taux et les dernières classes animales vivent. Exister, c'est vivre, plus se mouvoir, ex stare, se tenir debout, puis les conséquences de la station , qui sont les mouvemens et les rapports. Cette juste application des mots eût épargné à Bi- chat bien des erreurs, au lieu que le mot vie donné par lui in- distinctement à ces deux ordres de fonctions, et dont il avait fait DE LA VIE. l49 De tous les auteurs qui ont écrit sur ce sujet , Bichat est celui qui , développant avec Je plus de bonheur les idées anciennes et mo- dernes j a poursuivi jusque dans ses dernières applications la distinction de ces deux ordres '^de fonctions, avec une facilité de génie à la- quelle il n'a manqué que d'être philosophique et de vieillir. Plus profond , mais moins en- traînant^ Cabanis établit sur cette distinction les sensations externes et internes : impor- tante division , rejetée de nos jours avec une suffisance qui n'est que faute de savoir ; pre- mier essai qui, appliqué en grand à l'homme moral, religieux et politique, doit devenir le fondement d'une science grande et imprévue^ et dont le reste de ce livre ( nous pouvons le dire dès à présent) ne sera que le développe- ment. Sans cette importante distinction , pro- fondément tracée par la nature, la psychologie ne juge qu'à faux les passions et l'entendement, et méconnaît entièrement l'instinct. C'est à deux manières d'èirc, séparées , c'Lranp.ères l'une à l'aalre, l'a Piilraîn-; beaucoup trop loin.... L:;s minc'raux sonl, les vé{j;elaux vkenl, les animaux existent. l5o l'OKCTIONS ET DI^^ ISîONS l'oubli de celte fondamentale observation qu'il est trop juste de renvoyer ces divagations obstinées et savantes à s'entêter sur une seule partie d'un ensemble, qu'il faut embrasser en son entier pour ne laisser échapper aucune vérité. L'intelligence, par son énorme développe- ment chez l'homme, domine l'instinct^ le couvre et le rend si obscur, qu'on serait en droit de douter de sa présence , si l'attentive observation ne venait à découvrir ses cons- tantes et silencieuses merveilles ; si elle n'ar- rivait à le voir sans cesse agissant, veillant à la conservation , présidant enfin à ces mys- tères de vie, de sentimens^ de peines et de joies profondes, qui ne se manifestent au dehors que dans leurs violences ou leurs dé- sordres , mais qui, une fois sortis de leur obscurité, pareils à un coursier sans frein , comme le dit Platon , ébranlent à leur tour l'intelligence , l'exaltent , la pervertissent et l'entraînent dans leurs délires et leurs fureurs. Cette grande et difficile étude est connais- sance profonde de l'homme moral , c'est par elle qu'il faut commencer pour arriver sûre- ment à la hauteur des spéculations psycholo- DE LA VIE. l5ï giques , et loin de les rabaisser , elle les élève encore , et leur donne plus de certitude et de confiance. Il est donc dans la nécessité de notre sujet, et des développemens qui vont suivre, avant de pénétrer dans le désordre des passions, d'étu- dier dans les organes eux-mêmes ces troubles légers, ces émotions de chaque instant, ces sourdes et mutuelles influences qui ne sont rien, et qui sont tout l'homme, premiers et ir- ritables élémens dont l'intelligence et les sen- timenssont habiles à faire des bouleversemens si profonds. Je vais donc prendre l'homme physique, dans la nudilé de ses organes, et par- courir rapidementces phénomènes d'excitation et de maladie, appelés physiologiques, mais qui exercent une action si puissante sur l'en^ . tendement. Des poumons. Les poumons paraissent peu sensibles; cependant dès qu'ils s'enflamment, une douleur sourde, pongitive, inaccoutumée, annonce» l'intelligence la présence et la ma- ladie de ces organes, dont elle ne s'inquiétait guère ; il les a fallu souffrans , pour qu'elle eu eut eu conscience, et voilà leur sensibilité jrioU'Velle devenant perception de douleur au j52 foncitons et divisions cerveau ; voilà l'attention commençant à réflé- chir à la nécessité de respirer , _et aux dangers comme aux bienfaits qu'en reçoit la vie : si la douleur des poumons devient plus vive , si, ces organes celluleux et aériens continuent à se dénaturer , à devenir une masse solide et compacte, inabile à respirer, les angoisses d' u ne pressante suffocation redoubient; l'intelligence elle-même se dérange, et un délire de quelques jours fait oublier au patient l'imminence du danger , qui, du reste, ne peut être de longue durée; car la violence même de la maladie rend très prompte la terminaison heureuse ou fu- neste. Dansles maladies chroniques de la poitrine, dans ces lentes et profondes désorganisations des poumons, les réactions sur l'intelligence ont un caractère tout particulier; plus la ma- ladie est grave et étendue_, plus les erreurs de- viennent nombreuses^ et c'est en illusions de santé et d'espérance^ en rêves d'avenirs qu'elles viennent cachera la conscience le fatal dénoue- ment. Les phlhisiques , parvenus au dernier terme, se bercent encore des projets les plus chimériques un instant même avant de mourir, et semblent s'endormir au bonheur. De lous t)E LA VIE. l55 les organes, les poumons sont les seuls quiaient le privilège de ces heureuses illusions aux jours de leurs désorganisations les plus profondes. Serait-ce par ce qu'exempts d'appétits et de besoins, libres des entraves des autres organes, ils échappent aussi aux nécessités de ces be- soins, dont la perte ou la perversion réagit en souffrance au cerveau. Du cœur.^ C'est un muscle , si vous voulez; mais c'est un muscle qui sent _, comme le cer- veau est une pulpe qui pense-, à lui appartien- nent les sentimens, comme les sensations sont le partage du cerveau. Entre ces deux organes règne une continuité d'impressions , une réci- procité d'actions et d'influences , dont l'étude et l'analyse seraient l'histoire complète de l'homme physique et moral : nous ne devons ici qu'indiquer quelques points physiologiques de ce sujet, que l'article passions dévelopera dans un essor plus élevé. Les moindres modifications dans l'action physique du cœur influent déjà sur l'intelli- gence : ainsi, dès que ses contractions sont plus fortes , plus accélérées et que la circulation sanguine devient plus rapide et plus active , le cerveau éprouve une excitation qui donne plus l*ùi rOSCTTONS ET DIVISIONS d'énergie à la pensée , plus de confiance à la force, plus de résolution aux actions : avoir du cœur est une expression plus vraie qu'on ne pense. Si l'énergie de l'organe dépasse cer- taines limites et que son volume acquiert un développement morbide, comme dans les ané- vrjsnies, son influence sur le cerveau est réac- tion d'angoisse et de douleur j le caractère lui- même en reçoit une fatale disposition aux emportemens , à l'exaspération et aux ébran- lemens les plus forts pour les causes les plus légères : on dirait qu'il existe au cœur un foyer continuel de pénibles et obscures étrein- tes, qui donnent à l'intelligence une morosité liabituelle et une violence irascible et inusitée. La pensée est plus acerbe et les sentimens plus déchirans :c'eslen extase ouenbrisemensqu'ils se font sentir au cœur. Tels sont les symptômes vagues dont certaines personnes ne peuvent se rendre compte au début des hypertrophies de cet organe : lorsque la maladie est déclarée , ces symptômes perdent de leur intensité ha- bituelle, pour revenir en accès presque régu- liers. La nuit, à des heures fixes ^ et par une influence de causes physiques, qui ont jusqu'à présent échappé à l'observation , les malades DE LA VIE. l55 atteints de maladies du cœur, éprouvent des accès de palpitations, de violeiisbatleraens, de suffocation et d'angoisses qui interrompent le sommeil ou le rendent impossible : si l'accès n'est pas assez violent pour faire naître le ré- veil, c'est en songes effrajans et sinistres, en apparitions de cercueils , de tombeaux et de sang, que le paroxysme réagit sur l'intelligence et la poursuit encore de sa présence lugubre , long-temps après le réveil. Voilà encore la maladie d'un organe éloigné devenantpour le cerveau un foyer permanent de sensations obscures , qui déterminent dans cet organe une série d'idées, de raisonnemens ou d'impuissantes déterminations plusou moins en rapport avec la douleur interne qui les pro- voque. De V appareil digestif. L'estomac a des be- soins^ des appétits voraces^qui, dans certains cas , peuvent dégénérer en vraie phrénésie. Dans l'état de civilisation , de tels exemples sont rares : cependant les naufragés de la Méduse ont fait voir à quels excès furieux et révoltans, la faim pousse l'homme aux prises avec la mort. Dans certaines maladies, où l'ac- tivité de ce viscère acquiert une incroyable l56 FONCTIONS ET DIVISIOINS énergie , on a peine à croire aux impulsions désordonnées qu'un tel besoin fait naître Le moindre dérangement dans les fonctions digestives cause de suite de la pesanteur, de la douleur au front : une tristesse vague , l'i- naptitude au travail , une somnolence légère entravent la pensée. Dans les fortes gastrites on ne peut définir les illusions de goût , d'o- dorat , de sons bizarres qui remontent sans cesse au cerveau, et deviennent pour lui sen- sations internes et toujours fausses ; mais ad- mirons ici l'instinct^ cette intelligence viscérale quivareprendre, par cette maladie, une énergie inconnue et veiller avec sollicitude contre tout ce qui pourrait l'aggraver. C'est par son in- fluence que l'organe du goût , la langue se couvre d'une saburre épaisse , qui éteint la faim, et repousse les alimens et sur-tout les boissons alcooliques , si contraires à sa souf- france , pour désirer avidement les boissons douces ou acidulées, propres à la calmer. Cette saburre entretient une soif bienfaisante, qui se complaît à s'abreuver d'abondans li- quides , dont la présence amortit l'inflamma- tion de l'organe. L'instinct des malades n'est pas une chimère; c'est le réveil de l'inlelli- DE LA VIE, 167 gence viscérale, dont les inspirations sont bien plus sûres que celles du cerveau, et lui deman- dent si souvent envain des soulagemens que sa vanité refuse, ou ne veut pas comprendre. Lorsque l'inflammation se propage profon- dément aux autres viscères de la digestion^ les douleurs croissent en intensité et lessouffrances sont plus sourdes et plus profondes ; il en ré- sulte abattement , dégoût de la vie ; les biens même de ce monde deviennent ce qu'ils sont, vanité et misère ; voilà l'intelligence rendue plus sage par des douleurs contre lesquelles elle sent son impuissance. Pour la première fois nous voyons ces troubles profonds causer le dégoût de la vie : c'est , je crois , le premier pas vers un bouleversement plus complet, vers le suicide. En effet, si l'affection , qui dans les intestins produit déjà ce singulier symptôme , pénètre plus avant et attaque le système ner- veux des ganglions, elle fera naître le besoin de se détruire , que toute physiologie ration- nelle ne saurait définir ni comprendre autre- ment. Car il y a chez les aliénés un genre de suicide , qui est une vraie maladie , gué- rissant, revenant en accès réguliers^ et le plus souvent accomplissant par les calculs les l58 FONCTIONS ET DIVISIONS ino'énienx sa funeste détermination. Chez ces malades Fenvie de se détruire paraît être une vraie phlegmasie : il n'y a pas jusqu'à leur fi- gure qui ne porte l'expression d'une profon- de altération abdominale , et l'observation , comme l'analogie, me font placer le siège pri- mitif de ces inconcevables impulsions dans l'appareil ganglionaire. Tel serait le vrai sui- cide des aliénés , c'est-à-dire , la subversion de l'amour de la vie : de même que le cerveau , dont la fonction est de raisonner ^ délire par ses altérations, de même', les ganglions , dont la fonction est de conserver la vie, deviennent, par leurs maladies , foyer de phénomènes in- verses , du besoin de se détruire. Quant au suicide , résultat de la démence ou de défaut de raisonnement ^ il ne mérite par ce nom , puisque l'homme , en se donnant la mort , est inconséquent avec ce qu'il éprouve. C'est encore à une affection semblable, mais moins profonde, que par induction, j'attribue la cause première de l'hypochondrie : l'appareil nerveux ganglionaire étant irrité , communi- que sa souffrance à tout le canal alimentaire, et envoie au cerveau ses obscures et cruelles douleurs : l'hypochondrie violenle est le pre- DE LA YIE. 169 niier degré du suicide, et souvent il la suit de près. Dans les maladies chroniques de l'estomac , telles que les gastrites indolentes , ou même les affections squirrheuses de ce viscère , le cerveau en reçoit une continuité d'impressions qui lui donnent une aigreur mordante , une disposition hostile , une morosité habituelle , se plaisant à contredire , à voir tous les sujets sous de fausses couleurs, et à leur donner de mauvaises interprétations. De l'appareil générateur. La puberté est pour l'homme révolution dans tout son être : sa voix devient plus grave, sa contenance plus ferme, sa volonté plus énergique : il vient d'apprendre qu'il ne doit pas vivre seul. Celle qu'il aimera , celle qui doit le comprendre, il la rêve , il la cherche, il la voit partout. Qu'il sera fier d'être le guide de son inexpérience, l'appui de sa faiblesse , le dépositaire de toute son âme 1 il ne croit qu'à l'honneur^ à l'amitié ^ à tous les sen- timens généreux. Douces chimères d'espé- rance et de volupté , délicieux enivrement , iGo FONCTIONS ET DIVISIONS élans si brûlans et si rapides, votre souvenir doit encore réchauffer le cœur sous les glaces de l'âge ! d'où naissent ces émotions si tendres^ ces nobles illusions^ cette heureuse audace, cette virile fierté inconnues jusqu'alors ? pour- quoi respire-t-il une plénitude de vie et de forces, devant lesquelles l'avenir et tous ses ob- stacles s'abaissent ? c'est que des organes en- dormis viennent de sortir de leur sommeil et l'appellent au rôle que lui destine la création : leur réveil est vive et nécessaire excitation, donnant à l'intelligence une force nouvelle et la poussant en tous sens vers le grand acte conservateur, qu'elle a peine à comprendre. La même révolution développe chez la femme des sentimens plus vifs^, mais plus con- centrés ; aussi s'échappent-ils en convulsions : ce nouvel état est pour elle une infirmité pé- riodique dont les approches et les retours in- fluent puissamment sur tout son être : à chaque prélude, son caractère est modifié, irascible, triste , tout son corps lui-même est plus irri- table : c'est l'annonce de ces dérangemens plus profonds qui l'attendent , quand elle sera mère. Car alors l'appareil générateur de- venu le siège d'une concentration de forces et DE LA VIE. l6l de mouvemens nouveaux étend sur tout l'or- ganisme les variables effets de ses bizarres influences. Dans l'estomac, l'appétit devient nul, dépravé, insatiable^ ou suivi de violens voniissemens ; au cœur, ces utérines influences excitent de cruelles palpitations, des douleurs aiguës et lancinantes, de vives et tumultueuses émotions ; au cerveau , leurs effets sont plus notables encore ; l'intelligence obéit à des impulsions qu'elle ne conçoit pas , et à des actes auxquels elle ne peut résister ; et souvent les actions et les idées deviennent assez dérai- sonnables pour faire croire à une vraie folie. Il |62 ANALYSE CHAPITRE ÎX. Analyse des passions. Si, traitant les passions avec la même ri- gueur dont nous avons dû frapper d'abord la vanité intellectuelle , nous voulons briser le vain prestige de ces mots abstraits, à quels organes^ à quels irrésistibles besoins attribuer de si profonds ébranlemens ? Voulez-vous, sur leur définition, sur leurs causes, sur leur siège, interroger les auteurs? consolante et salutaire contradiction ! vous allez voir les spi- rualistes s'efforcer de devenir positifs , en s'at- tachant aux phénomènes les plus sensibles; pendant que les organienSy si arides dans leurs DES PASSIONS. l65 raisonnemens, si bornés »kns leurs aperçus, combleront par des mots abstraits et par des explications métaphysiques le vide de ce qu'ils ne veulent pas voir : les uns approchent de la raison en approchant de l'homme j et les au- tres , dès que l'organisme leur échappe, diva- guent pour avoir l'air de raisonner encore. Interprète de ces devanciers, et sur-tout de Pythagore^ Platon , dont la morale , la poli- tique et la métaphysique , ne sont du moins que les rêveries d'une belle âme , frappé de cette lutte violente de la raison contre les dé^ sirs, proclama dans l'homme deux parties dif- férentes : l'une raisonnable et tranquille^ dans la tête; l'autre farouche, brutale, indompta- ble , dans le corps. Grande et profonde péné- tration reconnaissant les deux importantes divisions des fonctions humaines, signalant déjà leurs attributs moraux , mais incapable d'entrer plus avant. Suivant la prédominance de l'une de ces parties, l'homme est sage, héros, ou lâche et vicieux criminel. Fondée sur la structure du corps , celte distinction a été admise par plu- sieurs Pères de l'Eglise, par Saint Paul et Saint Augustin. Elle a fait depuis la gloire de plus 1 1. ïb4 ANALYSE d'un génie : Bacon l'appuya de la force de sa logique, et Buffon de la puissance de sa parole. Vous la retrouvez, plus ou moins exacte^ dans tous les ouvrages modernes ou même les plus récens. L'ancienne philosophie n'a pas toujours été si sage : peu satisfaits de celte division , quel- ques-uns imaginèrent trois âmes : la raisonna- ble dans la tête, l'animale dans le foie^ la vilale dans le cœur : étrange explication , mé- lange confus et bâtard d^abslraction et d'orga- nisme. J^aime mieux les stoïciens, avec leur définition franchement abstraite : suivant eux les passions sont un trouble d'esprit contre nature , empêchant la raison de gouverner l'homme, maîtrisant la volonté, et renver- sant le libre arbitre. Cette définition , chère aux écoles^ règne encore : l'éloquence et la poésie l'ont reproduite sous mille formes dans l'antiquité, comme au mojen âge. D'autresauleurs leurassignèrent pour causes quatre troubles principaux, deux bons, le plaisir et la joie; deux mauvais, la tristesse et ia crainte. Les épicuriens les ramenèrent aux be- soins physiques, au plaisir et à la douleur Hippocrale et le médecin de Pergame n'ont DES PASSIOIXS. 3 65 pas élé plus heureux : leur définition n'est que froide répétition des idées de leurs devanciers. Les esprits vitaux de Dcscarles,rarchéedeYan- helmont, i'ariie rationnelle de Stahl , ne sont que d'affligeantes diva^^^alions dans des hom- iiies du reste fort supérieurs! Quelques mora- listes, déplaçant la difficulté, n'ont considéré les passions que dans leurs résultats généraux, dans leur influence sur le bonheur des hom- mes , des sociétés, des nations ; on doit s'éton- ner de trouver Locke ^ Condillac et Malle- branche marchant réunis dans une telle voie, lielvétius seul a eu une déplorable audace : il a érigé en système l'abaissement humain : ^ son fatal génie n'a servi qu'à dégrader l'hom- me y à salir ce qu'il j a de noble et de géné- reux au cœur humain. Honte et malédiction à cette philo*^ophie de malheur et de perver- sité ! x\rrêtons-nous devant une plus longue et aussi stérile énnmération de tant d'opinions et de systèmes : il a suffi d'en apprécier quelques- uns pour reconnaître moins ce qui a été fait, que ce qui reste à faire : il ne s'agit plus de l'histoire des passions^ c'est dans leur analyse (pi'il faut pénétrer. l66 ANALYSE Les deux cenlres principaux de l'existence cérébrale et de la vie nutritive , le cerveau et Je cœur, et en style figuré, la vanité et l'a- mour, sont les deux grands mobiles des pas- sions humaines : le cerveau est intelligence , et l'intelligence n'est que vanité ; le cœur est sentiment, et le sentiment n'est que profond amour de soi. Toute passion est l'exaltation isolée ou simultanée de ces deux centres: voilà sa primitive origine ; ensuite l'intelli- gence fait de cette exaltation ^ délire , ou noble raison. Sans intelligence, les passions sont im- possibles : en vain les organes seraient le foyer des excitations les plus violentes ; elles ne pourraient pas saillir : Finleiligence est donc l'âme des passions. Elle les exalte, se laisse entraîner par elles, ou les domine, ou les maî- trise : voilà leurs sources, leurs maux, leurs travers ; mais voilà aussi leur beau et leur su- blime : la physiologie dira que les passions sont cérébrales ou viscérales j pour la philo- sophie, elles relèveront des plus funestes, comme des plus heureuses inspirations de la vanité, ou des sentimens. Î)1.S PASSIOiSS. 167 ARTICLE PREMIER. Passions de vauite , ou cérébrales. Le cerveau n'est que vanité; il ne faut pas craindre de le redire : pour un peu de savoir, dont il a conscience, il s'est cru la plus belle œuvre du créateur: tout ce qui est^ tout ce qui l'entoure, doit obéir, doit se soumettre. Il a osé plus encore : il a mesuré Dieu à sa dé- bile organisation ; et le jour où a été enfanté ce monstrueux délire (1) , la Divinité outragée (i) Qui a persuadé à rhomme que ce braule admirable de la voùle céleste, que la lumière éternelle de ces flambeaux roulans si fièrement sur sa tète , que les mouvemens épouvantables de cette mer infinie, sont établis de siècle en siècle pour sa commo- dité et son service?... Pauvret ! qu'a-t-il en soi digne d'un tel avantage ? C'est par la vanité de celte même imagination, qu'i s'égale à Dieu , qu'il s'attribue des conditions divines , qu'il se trie et se sépare de la presse des autres créatures, taille la part aux animaux ses confrères et ses compagnons, et leur distribue telle portion de facultés que bon lui semble ! Moktaigke. Les poux sont suffisans pour faire vaquer la dictature de Syllaj c'est déjeuner d'un petit ver, que le cœur et la vie d'un triomphant empereur ! Montaigme, l68 ANALYSE n'a pas dit à ce globe, jaillis en éclats, vole en poussière , pour lui apprendre ce qu'il est , et ce que je suis. Voilà déjà la vanité l'homme s'attaquant à ce qu'elle ne peut comprendre^ et impatiente d'abaisser à son ignorance la majesté descieuxî que sera-ce donc^ quand elle va s'en prendre à ce qu'elle peut égaler ou dominer? Dans l'état sauvage, la vanité tend à la force ou à l'adresse : le premier roi fut le plus fort; le second dut être le plus adroit; aujour- d'hui ce devrait-êlre le plus intelligent; et de fait, c'est l'intelligence seule qui règne. Chez le sauvage , la vanité ne pouvait être qu'influence physique, celle de la force ; chez les peuples monarchiques, où on agit sur les hommes par le pouvoir, chez les nations cons- tituées (i), chez nous, par exemple, c'est par (i) c'est le noble privilège des gouvernemens consiitue's : l'hérédité, voilà la paix de tous ; mais au-dessous, viennent ceux qui administrent 5 et on ne peut plus dire où es-tu né? mais, peux-tu? voilà la république qui commence : ce sont désormais des hommes nouveaux qui monteront d'eux-mêmes , ceux qui vont ve- nir sortiront de dessous terre. Aussi, a-t-ou vu, pour la première foiSj des hommes redouter d'éire ministres : le mélier est rude ; e» DES PASSIONS. 169 l'intelligence qu'on gouverne ceux-mêmes qui îTOUvernent: elle seule fait les vrais adminis- trans. Sous le despotime la vanité aspire donc au pouvoir; sous les constitutions, elle aspire de plus à l'influence intellectuelle, qui peut seule rester aux premiers rangs. Cette influence est la plus difficile de toutes : elle est person- nelle, et, par miracle seul , héréditaire; elle ne peut se pajer en fausse monnaie : les hon- neurs , loin de la suppléer, ne l'élèvent da- vantage que pour mieux montrer sa force ou sa faiblesse : la vanilé est encore habile à se consoler de ses Iiumiliations en les exploitant à sa manière : les honneurs sont refuge de son impuissance ou moyens pour ses vues. Les auteurs qui ont traité comme passions, l'amour des richesses , des honneurs , les ambitions, Helvétius entre autres, ont pris comme c'est un me'lier, ce n'est plus privile'ge î c'est par Fintel- ligence qu'il faut exceller, et par la morale pratique de l'intelli- gence. Les gouveinemens ainsi conslitue's sont les moins péris- sables. L'antiquité' n'a rien qui approche de tels gouvernemens. Sachons appuyer de toutes nos forces des institutions qui font chaque jour de nous un peuple tellement nouveau , que nous pouvons être modèle à ceux qui nous en ont servi. IJO ANALYSE l'action pour le motif, l'effet pour la cause. Le motif est vanité ; les honneurs ne sont que moyens : si la vanité pouvait dominer par tout autre métal que par l'argent, elle s'en pren- drait à ce métal ; et quand elle l'a pu par le fer, les peuples abrutis en ont long-tems porté la marque. Ses blessures produisent la jalousie, l'envie et toutes les lâchetés de sa colère ; ses satisfactions font Fégoïsme , l'orgueil , comme tous les délires de la domination et du des- potisme. Chez l'homme en démence , la vanité reste encore vanité ; dans notre tableau ana- lytique des infirmités de l'intelligence;, on peut déjà reconnaître ses premières traces chez ceux doués encore de quelques frac- tions raisonnables ; même chez les imbécilles, on peut la voir déjà jalousie, emportement : les préférences les aigrissent ; le mot imbé- cilie_, prononcé devant eux , les révolte : voilà une fraction intellectuelle , renfermant assez de vanité, pour faire une colère. Chez les aliénés, la vanité apparaît toute nue et dans soîj grandiose burlesque. Les maisons de fous sont peuplées d'empereurs, de rois, de princes , de minisires , de reines, de prin- DliS PASSIONS. 171 cesses, de saints, de saintes, de millionnaires, de philosophes , de poètes , d'éloqiiens ora- teurs. Là, vous rencontrez dans toutes leurs franchises le superbe dédain des hommes , le ton contempteur de la suffisance, les ins- pirations des prophètes, les extases des vision- naires , les protections hautaines de la supé- riorité ignorante. Vous en verrez qui d'un mouvement de doigt font voler les nuages et amassent à leur gré les tempêtes ; qui crai- gnent en se remuant, de déranger l'équilibre du globe ; vous en verrez un qui se dit être le Christ : et lorsqu'on pense le confondre, par cette apostrophe si naturelle , si lu es ce que tu dis , ouvre ta porte, et sois libre : il vous répondra avec une fierté modeste , frustra tentabis Dominimi iuum ! lUn vain tu tenteras ton Seigneur!!! c^est le sublime de l'orgueil en délire. Quelles leçons? et que les grands de la terre feraient bien d'aller souvent dans ces asiles, se retremper aux infirmités delà vanité! là, elle règne en despote sur cette raison si fragile ; et en la voyant ainsi faire parade d'une nudité , qui n'est que hi- deuse, ils s'en retourneraient nîeiîleurs , au moins pour quelques heures. 172 ANALYSE Maintenant , homme pitoyable el vain , lève- toi ! Lève-toi , homme sublime , dont la vo- lonté peut faire clo cette vanité l'instrument des plus nobles passions! Tu veux dominer , tu dois dominer, si tu te sens au cœur: eh bien ! aspire aux nobles et généreuses vanités, qui deviennent alors grandeurs. 11 est une su- prématie qu'on ne cherchera pas à te disputer^ et dans laquelle malheureusement tu ren- contreras peu de rivaux. Par-dessus les pas sions ordinaires_, il en est de généreuses, qui, à rebours des autres, sont semées de joies et de noblesses. Ose prétendre dominer tes semblables en générosité d'ame et de senti- ment. Si le sort qui t'a fait naître aux rangs élevés, si mieux encore , tu te sens fait pour y monter par toi seul , c'est la seule prééminence contre laquelle hommes et choses seront impuissans. Si; plus sage et mieux éclairé de toi-même , tu sais vivre dans la retraite , que tu écrives, que tu parles , que tu agisses, que tu sentes^ que tu aimes sur-tout, tu vivras d'une vie in- connue aux hommes j tu seras noble à toi- même, et cette conscience fera ta force. La vanité n'est qu'une infirmité, une fai-» DES PASSIONS. lyj blesse de cette noble faculté de la conscience. La conscience de soi-même , pleine, forte et entière, devient modeste et grande, en ce qu'elle regarde sans cesse au-dessus d'elle ; et sur la terre ^ il n'y a pas de mortel, telle- ment haut placé, qui n'ait toujours quelque chose au-dessus de lui. La conscience, faible, partielle et débile , devient arrogante et pi- toyable, parce qu'elle regarde toujours au- dessous de sa pelitesse. Du reste , les grandes passions ne sont faites que pour les hauteurs de l'intelligence, ou les suffisances de la vanité : l'homme ordinaire et simple ne les connaît pas : seulement, chez lui certains penchans , certaines ap- titudes pourront devenir encore des sujets exclusifs, et absorber toute son intelligence. Je ne saurais appeler passions , ces goûts, ces aptitudes, quelque violens qu'ils se montrent: ainsi, il est des hommes, qui, suivantlelangage ordinaire , ont la passion de la musique , de la chasse , de certains animaux , de certains arts , de l'argent (l'avance, etc. ) : Tous les objets dans la nature peuvent devenir des goûts do- minans, des penchans impérieux. Des rapports continuels que l'intelligence établit entre \n[^ ANALYSE l'homme et rexlérieiir, il résulte prédilection pour certains de ces rapports: ces espèces de passions partielles ne se rencontrent que dans les hommes ordinaires, ou faiblement orga- nisés ; elles font les caractères bizarres. L'intelligence elle-même peut devenir noble et funeste passion : l'habitude de l'exercer, nécessite le besoin de l'exercer plus encore ; et comme de tous les organes , le cerveau est le plus docile aux coutumes, il contracte celle de penser : le sommeil lui-même n'échappe pas à ce besoin ; la nuit, les idées s'éveillent plus fortes €t plus lucides , et ne respectent pas même un sommeil nécessaire et répara- teur. Cette excitation, à la fois meurtrière et féconde , sans laquelle il n'y a pas de génie , devient exaltation dans les grands sujets : elle est création sublime; un pas de plus, arrive le délire j souvent même il en reste pour la vie une espèce de monomanie : l'homme ne voit plus dans l'univers que le point sur lequel il s'est apesanti. Que les infirmités nous ins- truisent à être sobres de l'intelligence, pour la conserver saine et vigoureuse plus long-temps : apprendre, c'est cultiver son organe, le for- tifier; produire, composer, c'est le fatiguer DKS rASSlOJNS. 1^5 et l'affaiblir (i). Dans l'âge de la force ou de la maturité , lés perles de l'organe se réparent promptement, ou peuvent encore se réparer; mais au déclin , il n'est plus temps : ce qu'il (i) L'homme qui pense est un animal déprat'é : Le génie de Eousseau est frappe' d'un travers presque constant, inhe'rent même à la susceptibilité' de son intelligence : peu d'hommes ont e'te mieux faits pour voir le but de plus loin ; mais lui, de gaieté' de cœur et du premier élan, saule toujours par-dessus; et une fois là , il ne veut plus faire un pas en arrière , il ne bouge plus , et tous ses moyens sont employe's à prouver qu'il est sur la vérité'. L'éloquence n'est plus alors chez lui que force de pensée , mais sans logique ; il est sophiste ; il lui a înanqué le courage néces- saire pour s'avouer à soi-même un excès de raison , pour revenir d'un premier pas trop grand , pour rétrograder devant soi-même j ce qui, du reste, est l'héroïsme du génie; car il faut s'immoler dans ce qui plaît le plus à soi et à la foule. L'homme qui pense n'est pas plus dépravé que l'homme qui respire, que l'homme qui digère. Rousseau le sait mieux que personne : lui-même sera le démenti de ses paroles; un autre jour, dans nn bon moment , il dira tout Je contraire ; il fera même un livre tout exprès pour apprendre à penser et à agir. Mais ici il a été trop loin. Le mot dépravé une fois lancé, il faut le soutenir, c'est un mot à effet; de plus, il faut le prouver: et le voilà s'animant j s'excilant, devenant éloquent en proportion des difficultés qu'il éprouve à avoir raison ; ses paroles ne sont pas d'accord avec son observa- tion ; il voit que l'homme en pensant se fatigue , et c'est vrai • mais il se fatigue aussi à courir, et n'est pas dépravé pour courir. Rousseau part d'une observation juste , pour la fausser en so- 176 ANALYSE perd alors est perdu pour toujours. Il faut dans l'âge , savoir attendre ce qu'il veut donner, et quand cela lui plaît : vouloir le forcer^ c'est l'affaiblir inutilement ; il s'exalte et s'use vite, phisme ; ce ne sera plus de la fatigue , ce sera de la de'pravation ; il verra mecliancele', là où il n'y a que douleur. Et comme les boudeurs tenaces, il n'en voudra plus démordre : d'une inspira- tion trop vive, il fera une affaire de conscience momentane'e ; le voilà cramponné à son ide'e , s'en prenant à tout ce qui lui tombe sous la main , à la civilisation , qui n'est pour rien dans l'affaire ; car le sauvage pense continuellement à manger, à chasser, à se faire un abri, etc. Le sopliisme n'est pas tenable j mais lui le sou- tiendra, le poursuivra, le fera tonner en sarcasmes e'iourdissans , parce qu'avec de la verve et de l'assurance on entraîne, on em- pêche la reflexion ; et voilà la foule à se pâmer d'admiration de- vant une absurdité'. Il est peu d'endroits de Rousseau qui résistassent, pour le fonds, à l'analyse 5 excepté les morceaux où il est logicien, dans l'Emile , dans quelques lettres d'Héloïse ; alors il est vrai- ment éloquent ; mais sa politique , son contrat social , sont un tissu d'absurdités effrayantes ; quand il a raison , c'est Rousseau sublime. Logique et force font l'éloquence vraie : la force sans raisonnement, n'est que brillant sophisme. Et il a bien fait d'avoir le sentiment acre : il resterait peu de chose de lui; au lieu que l'écrivain unique, l'écrivain du sentiment subjugue et fait oublier le sophiste. Tout est bien dans les mains fie fauteur des choses-^ tout dégé- nère dans les mains de l'hoinins. Toujours le même Rousseau ; et notez que c'est la première phrase d'un livre , dont tout le DES PASSIONS. 177 à fortement penser : sachons profiter de bonne heure des bienfaits de l'intelligence^ puisque, comme les autres fonctions , et plus vite en- core , elle doit un jour, elle doit bientôt s'af- faiblir et décroître. Les penseurs périssent par le cerveau : c'est la noble fin de ceux , qui, par le génie, vivent immortels sur les débris des âges ; c'est la seule qui a des ja- loux , des désireux , et qui compterait nom- bre de martyrs, si , pour la mériter , il suffi- sait de vouloir. développement en sera la perpétuelle réfutation ; mais peu ira- porte à Roussean : c'est de l'effet qu'il veut d'abord ; quelque^ pages plus loin, il dira le contraire , forcé de le faire par le sujet même : tout est instruction pour les êtres animes et sensibles , p. 65» Rousseau n'est qu'une perpétuelle contradiction avec ses bouta- des, dont son éloquence fait des apparences de vérités : c'est une vraie infirmité dans un tel génie : il n'a pas su gouverner le sien; ou je crois même qu'il ne l'a pas voulu : il a mis une vanité coupable à être sophiste. Mieux que personne il devait voir les deux bouts d'un livre, et sentir sa conscience d'écrivain. 12 1^« ANALYSE ARTICLE U. Passions de sentimect ou viscérales. Dans sa profonde sagesse , et dans des fins que l'homme peut comprendre encore , le créateur a voulu que chaque être s'aimât, afin d'aimer la vie : s'aimer , c'est vouloir vivre , et voilà la première de toutes les lois. L'amour de la vie est la source de toutes les autres affec- tions. Comme la vanité, il a ses travers, ses in- firmités , ses bassesses , ses grandeurs : toutes les autres manières d'aimer, ne sont que mo- difications de ce sentiment primitif. J'aurais presque honte à le désigner par le mot, amour de soi, dont Helvétius a fait si funeste abus, si, tel que je le conçois, tel que je vais l'exposer , il n'était la réfutation de la plus fausse , et il faut le dire, de la plus sale des doctrines. C'est le cœur qui a le privilège de l'amour de vivre , et qui est chargé de faire aimer l'homme à lui-même : ce sentiment profond DES PASSIONS. 179 €t involontaire , est la substance même du cœur: il la pénètre de joies ou de douleurs; il naît avec l'homme ; il est encore son dernier soupir , c'est l'adieu de la vie. Com- mun à tous les êtres vivans et organisés , il est plus fort chez les animaux que chez l'homme, <:hez les gens médiocres que dans les intelli- gences supérieures. Il devient plaisir ou peine, suivant les agensqui font bien ou mal à la vie : l'intelligence imprime à ce sentiment primitif toutes les modifications de ses travers ou de ses exaltations. L'amour de soi est donc le gardien de Texis-' tence : au sortir du flanc maternel , c'est lui qui pousse vers le sein qui doit le nourrir l'enfant déjà savant à le trouver : le cerveau €st étrangère cette action; il n'est encore qu'une sérosité trouble, à peine coagulée : Si cet enfant va tomber , il étend déjà les bras au-devant de la chute ; ses jeux n'ont pu l'a- vertir; ils sont fermés à la lumière. Voilà l'a- mour de soi, l'instinct devenu intelligence , en attendant que le cerveau s'organise ; et dans les animaux cet instinct est plus merveil- leux encore, et persiste toute leur vie. Lors- qu'au bout de quelques mois, l'organe inleî- 12. 1§0 ANALYSE iecluel se forme et se constitue, les sens parais- sent aussi, et reçoivent des impressions : voir et sourire, sont les premiers plaisirs, la première reconnaissance de l'enfant ; il va s'attacher de toutes ses forces (i) à celle qui le nourrit : c'est la leçon des mères. Ce sentiment pourra devenir passion funeste; on dirait la jalousie née avant l'intelligence. Après les premières années , il aimera autrement : il aimera avec fureur tous les mouvemens qui pourront le ^i) Il faut être Helvélius pour avoir dit : Que les eirfans nais' saiént avec la haine de leurs pàrens • ce qui est faux et mons- trueux : Que ferena? était le' comble de la perfection humaine; a-!ors que de modèles de perfection dans les sots ! Que tintelli- genoe dépendait de la conformation des mains ; oui , à peu près comme ma jambe dépend de la conformation de mon bras ! Qu'il 'n^y auait cjue f intérêt personnel ijui pût de'terminer les ac- tions généreuses ; quand je vois un malheureux qui se noie, sans re'fle'chir ou même avec la certitude du danger, je me jette à l'eau pour le sauver : et c'est mon inle'rét que je consulte ! Insensé ! Comment nommeras-tu donc celui qui, du bord, le regardera tranquillement se noyer? Il n'y a pas assez de bouesur la terre pour enterrer une pareille philosophie. Les gale'riens qui rai- sonnent au théâtre de la Gaîté ont plus d'esprit; ils savent qu'ils seraient siffle's s'ils débitaient crûment leurs maximes. Helve'tius ne l'a pas été! au contraire !!! Qu'on juge les deux siècles! et encore ici, c'est le bas peuple qui juge I l")ES PASSIONS. 18 l développer, tous ies amusemens qui pourront émouvoir , exciter sa naissante intelligences- La petite fille idolâtre sapoupée : qu'elle gran- disse un peu, elle va aimer Dieu avec ferveur, avec extase ; lui seul remplira son cœur pen- dant quelques années : à l'aurore comme au déclin , il faut aimer toujours , et le ciel est le premier comme le dernier refuge de l'espé- rance! Mais la voilà grande ; la voilà formée : elle rougit. Fille , pourquoi rougir , pourquoi pleurer? Dieu aurait-il manqué à son cœur? non , c'est son cœur qui commence à manquer à Dieu j son cœur cherche, bat, attend; cha- que matin elle se dit : c'est peut-être aujour- d'hui que je rencontrerai celui qui.... mais il n'en saura jamais rien.... Pauvre fille, que je t'aime ainsi.... Mais la voilà sans connais- sance.... Tu veux donc mourir, mourir sans avoir vécu.... Et elle pleure; elle revient à elle.... ne dit rien.,.. Adieu donc celle que je voulais aimer... Et elle me regarde partir, pâje^ et sans rien dire encore,... Je reviendrai demain pour te maudire!.... Et la. rougeur ejst remontée à son frqnl , son cœur bal plus fort, un sourire.... oui, je lai vu... Femme, iSa ANALYSE sois à moi devant Dieu; désormais tu cs^ moitié de moi-même. Il est si vrai que l'amour , du moins tel qu'on l'entend dans le sens ordinaire , ne peut être qu'une modification de l'amour de soi^r que dans le règne animal et dans les classes où les deux sexes sont réunis chez un seul être , il ne fait qu'un avec ce sentiment» Etonnez-vous alors qu'il y ait des sympathies, des attractions indéfinissables ; qu'il y ait un être qui, au premier abord, vous entre au eœur, et y reste jusqu'à sa dernière contrac- tion, puisque la nature a voulu qu'il y eût , quelque part^ la moitié de vous-même; sa- chez l'attendre , la trouver, et cachez-vous alors, vous feriez trop de jaloux. Sans doute cet amour ordinaire renferme une fin pré- voyante qui perpétue l'homme : et ce n'esfc pas une des moindres sagesses d'en haut, que* d'avoir su faire du plaisir une vivante éter- nité. Les sens exaltent l'amour, comme l'a- mour exalte les jouissances physiques. Mais dire qu'il se réduit à ce seul point est langage stupide; par-delà cet amour, il en est àxt meilleurs. DES PASSIONS. l83 Prenant pour une décision de toute votre vie l'effet d'une émotion légère^ d'un trou- ble passager, vous voilà unie à celui que vous aurez choisi : un gage de votre hymen vient encore cimenter vos liens. Cependant , dès les premiers jours, vous vous êtes sentie glacée : l'homme de voire choix est une erreur t il ne sait, il ne pourra jamais vous comprendre; l'illusion est délruile , mais le devoir reste : vous acceptez une vie résignée; vous vivrez soumise à des devoirs qui vous tiendront lieu de bonheur...*.. Un jour vous rencontrerez un homme, que vous croyez reconnaître , tant son abord vous attire : il parle , sa voix retentit douce et fer- me à votre cœur; ses gestes , son maintien vous plaisent ; il parle encore ; vous reconnaissez de ces clartés d'intelligence, de ces élans d'âme, qui voys pénètrent : son âme a fait vi- brer la vôtre : heureuse celle qui l'aura : telle sera votre pensée. Et lui vous devine, vous sent penser, vous étespasséeen lui.Vousvoulezqu'il vous distingue aussi; vous parlez, émue, exci- tée ; vos paroles, voire accent, votre silence , il neles oubliera jamais : il dira, voilà la femme selon moi. 11 saura bien vous retrouver, vous ]84 ANALYSE retrouver seule, vous apprendre ce que vous, savez déjà... , il sera d'autant plus passionné , qu'il se verra écouté avec plaisir ; vos devoirs, VUS engagemens rien ne l'arrêtera. Vous serez troublée, mais enfin vous lui direz avec cal- me : je vous avoue que je vous aurais aimé ; je vous l'avoue , parce que je n'en veux rien faire : mes devoirs sont ma seule sa- tisfaclion^ mon seul avenir... je saurai les remplir... Croyez pourtant que j'aurais été heureuse et fi^ère d'être votre compagne.... Le voilà plus épris que jamài* : Ah I si les femmes voulaient î ce n'est plus une pas- sion, c'est le rêve de chaque instant; il vous obsède , vous poursuit, vous fatigue... Et tou^ jours la même réponse... Enfin, désespéré , il vous dira , soyons amis au moins vous lui tendrez la main.. Sois, mon ami, je le veux ; mais écoule , si je te cède , tu p'auras perdue pour toujours : je te devine , il y a un homme en toi : tu n'as été jusqu'à présent que léger, vain, présomptueux, extra vaganlj lu as menti à ta destinée. Ami, réveille-loi : le siècle t'ap- pelle ; tes succès feront mon bonheur : c'est de loi seul que j'en attends sur la terre : aug- mente mes regrets j ils sont amour , amour !«> DES PASSIOiNS. l85 plus pur ; dans un aulre monde , je serai toute à toi... jeté récompenserai... jusque là, songe que je te vois, que je t'entends... Et une vie nouvelle s'est déroulée devant lui; le voilà tout autre; d'insensé, le voilà devenu penseur; il écrit ^ ses idées grandissent; cha- que trait heureux est hommage à celle qu'il aime; elle est l'âme invisible de tout ce qu'il pense ; elle l'exalte , le fait monter aux pen- sées grandes et généreuses... Et l'on applau- dit, sans savoir que l'on doit plus d'un homme à l'amour qu'il faut appeler sublime : ce n'est pas un roman, c'est une histoire que j'ai ra- contée. L'amour de soi devient encore amour ma- ternel : les enfans ne sont que des fractions de nous-mêmes, vivant hors de nous. Comme la vie nutritive est plus énergique chez les ani- maux ; ce sentiment sera aussi chez eux plus exalté ; il sera furieux et forcené : cette obser- vation détruit tous lessophismes de Rousseau, qui s'en est pris à la civilisation de ce qui est le résultat de l'organisation même. Sans doute , la lionne ne laisse pas élever ses petits par une aulre lionne; malheur et mort à ce toulqui ap- proclie de trop près 1 Cherchez à enlever à une poule un de ses î 86 AiNALYSK pelils ; elle va se jeter sur vous , qui , du pied ^ pouvez l'écraser : mais vous n'en ferez rien. Spectacle admirable!! c'est la poule qui vous fait fuir. Dans le dévoûment sublime de ce fai- ble animal , l'homme recormaît ce qu'il porte au cœur ; il le reconnaît , le respecte et se re- tire. Comme l'instinct , l'amour maternel est plus fort chez les animaux que chez l'homme; il n'est pas distrait par l'intelligence. Hâlons- nous de dire aussi qu'il est privé de ses bien- faits, et qu'il n'est, chez eux, qu'instinct furieux; aussi finit-il avec leur faiblesse ; et les petits du tigre deviennent tigres contre leur mère; telle est leur reconnaissance. Le sentiment qui nous fait aimer dans nos enfans, peut s'élever et s'épurer aux plus gé- néreuses inspirations, en nous faisant aimer dans nos semblables : il devient aisément hu- manité, dévouement, philanthropie, vertus bien moins rares qu'on ne pense, en ce qu'elles n'aiment pas souvent à se donner en spectacle. L'amour de la patrie, de la liberté, n'est dans l'homme que cette conscience profonde de sa vie, s^aimant et se préférant dans ses sem- blables. C'est par le sentiment intime de tout DES PASSIONS. 1S7 ce qui doit assurer et ennoblir son existence, qu'il se dévoue à l'existence des autres^ la pré- fère à la sienne et donne ainsi à la terre les exemples les mieux faits pour la former et l'émouvoir. Le dévouement le plus sublime est d'abord victoire sur soi-même, et c'est ce qui en fait toute la grandeur. La vanité vient se mêler à tontes ces ma- nières d'aimer, comme celles-ci doivent à leur tour modifier la vanité par leurs plaisirs ou leurs douleurs. Vanité et amour, tels sont les deux grands, les deux seuls mobiles des passions humaines : il n'en est aucune, dont l'analjse ne retrouve la source primitive à Tune de ces deux causes ^ bien souvent à toutes deux à la fois. La jalou- sie, l'envie, la haine, la colère, la peur^ la vengeance , toutes les exaltations enfin , viles ou nobles, ne sont que des modifications de ces deux sentimens primitifs, dans ce qui blesse ou flatte la vanité ou la vie. Celte vérité ne saurait être développe'e ici : il suffit de l'indi- quer, pour ne pas retarder notre marche; seu- lement, pour en citer un exemple, analysons la jalousie. i88 ANALYSE ARTICLE llî. Passions ceiebraks et viscérales dans leur influence mulucllt Exemple. — La jalousie. La jalousie est la faiblesse de la nature hii- inainej peut-être n'est-elle pas inconnue même aux animaux ; et lorsque mon chien^ en voyant un chien étranger s'approcher de moi ou re- cevoir quelques caresses , se jette furieux sur lui, je voudrais pouvoir appeler autrement la cause d'une telle action. Il y a deux jalousies ; l'une de vanité , céré- brale, l'autre d'amour de soi, viscérale : ces^ deux jalousies peuvent exister isolées , ou- réunies. Jalousie de vanité. La vanité veut dominer dans les choses les. plus grandes comme les plus petites, les plus graves comme les plus frivoles : mais à chaque instant, elle est forcée de reconnaître son im- puissance et de se l'avouer à elle-même : elle DES PASSIONS. 1S9 s'aigrit, s'irrite, et sur-tout ne veut pas être devinée : la voilà devenant jalousie^ rivalité;, envie , vengeance , dissimulation. Si elle a la force de surmonter sa faiblesse, de vaincre son humiliation, elle peut devenir noblesse, 3 e remercie les Dieux qull y ait dans la répu- blique des hommes qui vaillent mieux que moi-, disait avec une vertu courageuse ce Spar- tiate éconduit dans sa demande. Rivaux, voi- là votre modèle. Jalousie de cœur, d'amour de soi. Le cœur a des jalousies plus pénibles et plus cruelles, en ce qu'elles tiennent à la racine de la vie : c'est sur-tout dans ce que nous 'aimons que ce sentiment est déchirant; il s'annonce au cœur en élancemens aigus , en affreuses étrein- tes : dans l'amour ordinaire , que les soupçons jaloux soient fondés ou non, la douleur pri- mitive est profonde au cœur ; il semble qu'on lui arrache quelque portion de lui-même. L'amour maternel a aussi sa jalousie ; et c'est avec un sentiment dont le premier trait est une piqûre , qu'une mère voit son enfant pro- diguer ses caresses à autrui. ÎQO ANALYSE L'amour de soi, l'amour-propre n'est qu'une jalousie perpétuelle et vivante : il n'y a pas un geste , pas une pensée dans l'homme ^ qui ne soit son expression. Voulez-vous observer les complications de ces divers sentimens? dans la jalousie par amour, outre la douleur trop réelle du cœur, la vanité, par sa blessure, vient ajouter à ce sentiment déjà si pénible : la vanité est humi- liée de supposer quelque supériorité physique ou morale dans celui qu'elle soupçonne : on ne peut être jaloux que de ce qui vaut mieux que soi : autrement , c'est démence : les dou- leurs physiques du cœur doublent la vivacité de cette jalousie cérébrale, qui, à son tour, par rintelligence renvoie au cœur une souf- france non moins profonde, en changeant tous les souvenirs en supplices , et se créant d'in- génieuses tortures. Voilà ces deux jalousies «'exaltant mutuellement , devenant aisément fureur, extravagance , vengeance cruelle : les voilà , descendant aux dernières bassesses , ou aux crimes les plus lâches. Mais , noble privilège de la volonté, elles peuvent, elles doivent se relever généreuses , du premier coup de douleur, rétrogader devant le pre- DES PASSIOWS. IQl mier pas de colère : car , chez tous, le premier mouvement sera violence : il deviendra délire et lâcheté chez l'homme faible ; chez celui qui saura vouloir , il sera réflexion , jugement , dignité : il saura agir en contre -sens de sa douleur, la soumettre , et se venger en par- donnant. Ou la femme qui Fa blessé ne com- prendra pas ce qu'il fait, et alors elle ne vaut ni regrets , ni souvenir : ou elle saura se juger, se comparer ; vous êtes assez sengé : le repen- tir est la vertu des mortels. Il n'est pas de passions si basses, si abjectes qu'elles soient, dont le contre-sens ne puisse devenir , par la volonté , élévation et généro- sité : le difficile est de vouloir : c'est une édu- cation comme une autre; c'est une de ces nobles habitudes auxquelles il faut se façon- ner de bonne heure : elle fait de la vie une vie nouvelle. Ce n'est pas pour en mésuser que la volonté et la conscience ont été données à l'homme. Il faut plaindre ceux qui ne con- naissent pas tout ce qu'elles renferment de joies pures et de satisfactions élevées. Qu'on analvse toutes les passions les unes après les autres , ainsi que nous venons de le faire pour la jalousie , et l'on verra que 192 ANALYSE DES PASSIONS. leurs causes, leur origine, leurs complica- tions, produisent toujours des effets , des résultats, des conséquences analogues : on re- trouvera toujours à leur principe , vanité ou amour ^ et bien souvent vanité et amour en- semble. Mais, il faut sur-tout que l'homme apprenne que c'est sa volonté seule qui fait ses vices comme ses vertus ; qu'il dépend de lui d'être noble et généreux, ou vil et lâche; qu'il est le maître de vouloir; que c'est là son plus beau droit ; et que toutes les obligations divines et humaines lui font une nécessité de ne jamais manquer aux inspirations de sa con- science, de ce sentiment profond et sans cesse avertissant , dont il est temps d'analyser les obscures et positives merveilles. ANALYSE DE LA CONSCIENCE. 19Ô CHAPITRE X. Analyse de la conscience. « Apprends à te sentir , pour le mieux » comparer , a dit la Divinité en donnant à ); l'homme la conscience ^ le sentiment intime w de tout son être : sens tout ce que tu es , 3) tout ce que tu dois être envers tes semblables >> comme envers toi-même : sache aussi par » ce sentiment t'élever à quelques-unes des » majestés qui sont au-delà de toi, et qui » doivent t'en faire pressentir de plus ma- i3 ig4 ANALYSE » gnifiques encore : apprends Ion sublime » comme ta misère : c'est là que j'ai voulu » que finît ton intelligence ; et encore cette w savante ignorance ne sera la force que de )) quelques privilégiés ! » Les idéalistes n'ont voulu voir cette con- science que dans ses plus hauts attributs : prosternés devant cette faculté merveilleuse , ils l'ont dite échapper à toute analyse, et l'ont faite presque divine pour s'éviter la peine de l'approfondir : incapables de pénétrer dans l'organisme humain, ils n'ont pu reconnaître, que, dans l'homme, ce sentiment de lui-même réside aux deux centres les plus nobles de la vie, au cœur comme au cerveau^ et jaillit de ces deux fojers obscurs en conséquences morales bien différentes ; ils n'ont pas vu enfin que ces deux consciences n'étaient qu'une fonction humaine, sujette, comme tout ce qui est nous , à nos vicissitudes de force et de fai- blesse , de raison et de délire. Loin , bien loin l'idée de ne jamais avilir le peu de dignité que l'homme porte en lui : c'est déjà bien assez d'avoir été forcé de traî- ner le spiritualisme à travers les infirmités et la mort, qui vont le garder avec elles dans DE Lxl CONSCIENCE. 1 QD leurs misères et dans la tombe : il est grand temps que l'espèce humaine , si lâchement mutilée par les systèmes du dernier siècle se redresse noble et vigoureuse ; mais il ne faut pas non plus qu'elle se relève follement vani- teuse d'elle-même : etlesspiritualistes l'avaient faite ridicule et coupable à force d'orgueil , comme leurs adversaires l'avaient voulu faire stupide à force de rabaissement. Etonnons- nous donc, qu'entre leurs extrêmes , les mieux disposés à croire soient restés, désespérant d'eux-mêmes^ en se voyant ainsi ballottés sans cesse de l'absurde au néant, et du néant à l'absurde. Essayons au moins d'être plus heureux ; essayons de donner plus de confiance à notre propre dignité , en l'instruisant par ces deux sentimens de conscience , à devenir forte de ses faiblesses, et humble de quelque gran- deur. Pour analyser les passions, il a fallu re- monter aux deux ressources primitives dont elles découlent, le cerveau et le cœur, ou l'intelligence et les sentimens. Fidèles à cette distinction que personne n'a encore osé appliquer à la conscience, et aux lô. 106 ANALYSE pratiques de cette conscience, c'est-à-dire;, à la morale^ à la religion , à la politique, nous n'allons plus craindre de la poursuivre dans toutes les révélations auxquelles elle pourra nous initier. L'organe intelligent , le cerveau , sent qu'il est intelligent : il a la conscience de toutes ses facultés. Le cœur, l'organe des sentimens, sent(\\\ï\ est sensible : il a la conscience des joies, et des peines qui le pénètrent. De là, deux consciences dans l'homme : l'une d'intelligence, résidant au cerveau, con- science des sensations; l'autre, inhérente au cœur , conscience des sentimens , instinct pro- fond de morale que chacun porte avec soi et met en pratique .à chaque instant sans le sa- voir; conscience bien différente en cela des incertitudes de la conscience cérébrale, qui ne peut rien sans éducation. Si cette application des lois organiques aux spéculations les plus élevées nous montre plus tard le fond d'homme sur lequel reposent des vérités divines, si, lorsque arrivés par cette voie à l'analyse de la morale évangélique , nous venons à découvrir sa sagesse profon- DE LA CONSCIEWC. IQJ dément cachée aux replis cle l'orgar-isation ; si c'est alors la main de Dieu même que nous rencontrons dans les entrailles humai- nes, ah ! sans doute , il faudra tressaillir d'une sainte terreur; mais tout tremblans encore, osons nous en saisir dans une respectueuse crainte^ pour monter avec celte aide inespérée à quelques-unes des vérités éternelles. ARTICLE PREMIER. Conscience du cœqr. Je commence par la conscience la moins connue, par celle dont le cœur est le sanc- tuaire ; et ici les mots n'ont pas de sens figuré : je veux dire, et je dis que le cœur, organe d'apparence musculaire , a la conscience phy- sique de lui-même ; que dans l'influence des agens qui lui font bien ou mal, outre le plaisir ou la souffrance qu'il éprouve, il sent encore, il a la conscience de l'impression agréable ou pénible; de plus, il conserve long-tems le souvenir physique du sentiment jgS ANALYSE de bien ou de mal dont il a été pénétré. Ana- lysez une douleur profonde, celle, par exem- ple j produite par la perte d'un objet chéri : outre la souffrance réelle du cœur, outre ce déchirement qu'il éprouve, comme si un instru- ment meurtrier pénétrait dans sa substance , il sent la présence, il conserve la permanence de cette douleur : celte conscience physique de ce qui lui fait tant de mal , envoie à la conscience du cerveau , à l'in lelligence entière, la tristesse , le désespoir , qui sont souffrances organiques au cœur. Plus l'intelligence sera capable de comprendre toute l'étendue de la perte qu'elle vient de faire , plus elle renverra à son tour d'émotions douloureuses au cœur • les souvenirs du cerveau descendront peines cruelles au cœur; viendront les larmes, qui sont l'expression de la douleur interne, le résultat de la réflexion cérébrale, un hommage à celte perte, une consolation de l'intelligence au sentiment^ un soulagement, une partici- pation à sa douleur. Analysez de même les émotions qui agissent en plaisirs , en joies, sur le cœur, et vous verrez que ses perceptions ne sont pas moins vives, et que la conscience du bonheur n'y est DE LA CONSCIENCE. IQC) pas moins profonde. Apprenez que cet objet aimé^ que vous regrettiez d'une amère dou- leur, va vous être rendu. C'est toujours par l'intermédiaire de l'entendement que cette connaissance doit arriver au cœur; il éprou- vera un sentiment de joie pénétrante^ d'épa- nouissement organique, une joie physique^ qui, accélère ses mouvemens et ranime son éner- gie ; la conscience de ce bien-être y sera per- manente, et;, réagissant sur l'intelligence, elle s'exprimera par tous les signes de la joie ex- térieure. Et vovez comme cette conscience de cœur, cette conscience organique était nécessaire, et quelles conséquences elle renferme : c'est elle qui, à notre insu, est le fondement le plus solide de la morale ; c'est elle qui enseigne à l'homme ses devoirs envers ses semblables , et les lui crie encore à travers le tumulte des passions , des faiblesses ou des perversités de l'intelligence. Analysez ce que les moralistes appelent le bien et le mal, le juste et l'in- juste. Si vous voyez frapper un faible par un plus fort, décomposez toutes les émotions que vous allez ressentir : à l'instant vous vous sen- tez blessé au cœur ; votre douleur est égale à. 200 ANALYSE celle que doit éprouver le plus faible ; vous voilà mutilé dans votre vie; vous volez à son secours. Savez-vous pourquoi ? c'est que votre cœur d'abord a été meurtri des coups dont était frappé le plus faible; par cette douleur physique vous avez été mis à sa place : à votre tour, dans un cas semblable, vous voudriez être secouru contre un agresseur plus fort. En un instant, il vient de se succéder en vous une rapidité d'émotions , de sentimens , d'idées^ d'actions, si prompts que vous ne pouvez vous en rendre compte. Vous avez agi avant de savoir pourquoi vous agissiez. Si, maintenant, l'intelligence vous apprend que le frappé est innocent , qu'il n'y a que caprice et brutalité de la part de l'aggresseur, voilà l'intelligence exaltant votre peine de cœur , qui réagit , CO' 1ère, indignation, fureur généreuse : voilà vos forces doublées, triplées, affrontant des dan- gers réels pour un être que vous ne connaissez même pas ! n'admirez-vous pas dans cette suc- cession de mouvemens , dont le primitif mo- bile a été votre douleur organique du cœur , les pures et nobles conséquences de cette pré- voyance si sage , que vous avez reconnue amour du vivre dans l'analyse des passions? DE LA. CONSCIENCE. 20I Si VOUS voyez uii semblable souffrir dans sa vie, voilà la vôtre qui souffre à l'instact. Yoilà cette conscience du cœur faisant, du plaisir ou de la douleur , une vertu envers les autrCvS ; par elle vous êtes physiquement forcé d'être bon et juste envers vos semblables , parce que vous ne pouvez être mauvais ou injuste envers eux sans blesser votre vie : bien plus, voilà le sentiment du juste ou de l'injuste devenu pour vous , même dans les autres , un besoin physique^ une nécessité vitale, un instinct im- périeux, involontaire, aussi nécessaire à vous- même qu'aux autres : vous voilà par cette conscience du cœur dans la nécessité non-seu- lement de ne faire , mais encore de ne voir faire que ce que vous voudriez qu'il fût fait à vous-même ? entendez- vous de loin cette parole évangélique , devant laquelle il nous faudra comparaître? l'entendez-vous s'adres- ser à la conscience du cœur , à la conscience organique , bien certaine d'être comprise par tous, même ^a.r les pauvres d'esprit, au lieu que votre idéalisme ne s'adresse qu'à la con- science intellectuelle, et n'est compris par per- sonne ? la voyez- vous cette parole divine, avec la conscience des senlimens subjuguer l'uni- 202 ANALYSE vers, parce qu'elle parle à une des premières V nécessités de la vie ; au lieu que votre vapo- reux spiritualisme , en s'adressant à l'intelli- gence , ne pouvait faire que des extravagans ? Mais n'anticipons pas davantage : il suffit d'in- diquer déjà , comme toutes les vérités hu- maines se rattachent aux vérités divines , quand on s'avance avec méthode à leur re- cherche , et comme ainsi on peut retrouver Dieu dans l'homme. Yoilà cette conscience du cœur qui va bientôt être morale , religion ; et toutes ces vérités se dérouleront d'elles-mêmes, positives, grandes, et fortes d'une certitude qui rendra leurs bienfaits plus faciles et plus précieux. Ainsi, vous souffrez de la souffrance d'au- trui, vous jouissez de ses jouissances^ c'est là votre premier instinct, votre première émotion ; et ce généreux élan sera plus fort que l'intelli- gence, dont la vanité se fait presque toujours plaisir ou chagrin , du mal ou du bien d'au- trui : telle est la conséquence forcée du senti- ment conservateur qui fait aimer la vie. Di- sons encore que ce sont les émotions les plus fortes de la conscience du cœur, qui remuent le plus profondément et qu'on court chercher DE LA CONSCIENCE. 2o3 aux spectacies : par elles, on est involontai- rement mis à la place du personnage : l'in- telligence n'est que l'interprète nécessaire de ce sentiment profond. La voix qui s'élève monte du cœur en joies ou en peines phy- siques , et le cœur a le privilège de conserver l'impression douce ou cruelle , long-temps après qu'elle est passée : il a donc aussi une mémoire organique comme le cerveau ; il se souvient physiquement d'avoir souffert, d'avoir été heureux , par la faculté qu'il a de souffrir et de jouir encore après la souffrance ou le bonheur :• ce sont ces obscurs souvenirs de cœur^ qui envoient sans cesse à l'intelligence , toutes ces émotions de langueur, de tristesse, dont la douleur a tant de charmes , et qu'elle est si ingénieuse à exhaler en tristes pensées : la prose, la poésie, la musique ne durent être que la primitive expression de ce sentiment , qui arrive sensation à l'intelligence et la pé- nètre d'obscures et permanentes émotions. En disant que les grandes pensées viennent du cœur , Vauvenargues a exprimé une vérité , dont on reconnaît toute la profondeur en l'analysant. Dans les élans du cœur , dans ses joies, dans ses souffrances , les sensatiotîs vont 2o4. ANALYSE retentir grandes et sonores à l'iiitellig'ence , qui, lorsqu'elle peut, en fait de l'éloquence en les exprimant par des mois conformes à ces sensations. Pour être éloquent il ne suffit pas de sentir -, il faut encore que les paroles répon- dent aux sentimens : et dans l'impuissance des paroles, les ac lions pourront encore les sup- pléer : les grandes actions sont aussi l'élo- quence du cœur. Ici^ commence l'action de l'intelligence sur les sentimensrelle en reçoit ses plus généreuses inspirations , comme les sentimens lui sont redevables de leurs élans les plus vifs. Pour- quoi ne resle-t-elle pas toujours soumise au cri de la conscience du cœur ? Pourquoi avec ce guide infaillible sait-elle monter aux plus sublimes essors, et dès qu'elle le quitte^ se laisse- t-elle tomber à des indignités? D'où vient cet heureux privilège de la conscience du cœur sur la conscience du cerveau ? c'est que la première est une nécessité de la vie , au lieu que la seconde n'est qu'un luxe, qu'une libéralité de la providence^ et l'homme a le pouvoir de faire de tout ce qui est luxe , bassesse ou grandeur ; au lieu que ce qui est nécessaire à sa vie^ est indépendant de sa vo- DE LA CONSCIENCE. 205 lonté. Aussi allons-nous voir cette conscience intellectuelle être faible , malade , perverse , ou s'exercer en nobles attributions , pendant qiie la conscience du cœur reste toujours saine, pure, et ne s'éteint qu'avec la vie. ARTICLE IL Conscience cérébrale. L'homme sent qu'il est intelligent : il a donc la conscience de son intelli£rence. Cette con- science est vanité, sottise, ou élévation : par elle il devient sot ou sublime , suivant qu'il se compare avec ce qu'il peut ou ne peut pas comprendre. En sentant tout ce qui lui man- que d'intelligence devant cet infini dont il ne peut approcher que les bords, il devient, malgré lui, modeste et religieux; voilà la conscience cétébrale pouvant s^élever par la comparaison aux plus hautes idées : mais une telle comparaison n'est le privilège que de bien peu d'hommes ; elle veut l'instruction , et même la force du génie. 2o6 ANALYSE Dans ses rapports avec les autres facultés in- tellectuelles , la conscience cérébrale devient cause des nobles élans comme des funestes écarts de la raison. Observez tout ce qui se passe dans votre cer- veau , quand vous pensez , et sur-tout quand vous écrivez. Si vous n'aviez pas la faculté de vous sentir penser , si vous n'aviez pas la con- science de votre intelligence, il vous serait impossible de corriger, de modifier vos idées. Votre volonté , qui est alors mise en action par la conscience^ ne pourrait pas être stimu- lée, et refaire le trop faible, ou le trop fort d'une première inspiration. C'est parce que vous vous sentez penser, que votre volonté peut srouverner vos idées : voilà la conscience céré- brale dans ses plus nobles fonctions : Bossuet, Racine , Fénélon , sont de grands exemples de cette vérité : ils sont presque toujours égaux à eux-mêmes, parce qu'ils ont su modifier à leur gré leurs pensées, et les mettre d'accord avec leurs sentimens : voilà chez de tels génies la conscience cérébrale réagissant su r les idées, les travaillant , les retournant , jusqu'à ce que leur expression fût en harmonie avec ce qu'ils voulaient dire : aussi^ quand ils ont voulu, ils DE LA CONSCIENCE. 2O7 ont eu le stjle de chaque sujet : eux pouvaient redescendre ^ quand les autres ne peuvent même pas monter. Corneille n'a eu que des convulsions de g-énie : elles sont rares , force- nées , sublimes, et suivies d'un épuisement forcé : chez lui , la conscience cérébrale a manqué à une telle intelligence : après ses élans, il se fût tu , s'il se fûtmieux senti. Bos- suet s'est élevé au- dessus de l'humanité par la plus grande force de pensée qu'homme ait ja- mais eue : c'est le seul capable de soutenir long-temps une course si haute, et quand il retombe^ il a encore l'air de le vouloir. On voit que la conscience cérébrale fait le génie dans les grandes intelligences, en exci- tant la volonté , et la fixant sur les sensations qu'elle veut exprimer : un tel privilège est aussi rare qu'imposant : elle fait encore la vraie mo- destie. Je n'appelle pas modestie cette hypo- crisie de convention entfe les auteurs , qui se- raient désolés d'être pris au mot : j'appelle modestie ce juste sentiment de ce que l'on "vaut devant tout ce qu'on ne vaut pas ; j'appelle modestes Pascal, Newton , Franc- klin , Fénelon , petites gens, qui voyaient sans cesse ce qui leur manquait, au lieu que 2o8 . ANALYSE nos grands hommes ne voient que le peu qu'ils ont. Plus on sent qu'on a d'intelligence , plus ou éprouve le besoin d'en avoir. Les gens ordi- naires sont plus heureux : ils sont toujours sûrs et enivrés d'eux-mêmes ; le premier jet | est toujours trait de génie : chez eux la con- science cérébrale ne sert qu'à faire de la va- nité intellectuelle : cette vanité en pratique est sottise , et en théorie orgueil , amour-propre insensé. Elle cause presque toutes les passions humaines et les plus déplorables maladies de l'intelligence. J'ai dit que l'on pourrait classer toutes les infirmités de l'esprit d'après la conscience. Il est temps d'exposer cette classification, qui sera la meilleure analyse de cette faculté. ARTICLE liï. Classificalion des désordres intellectuels , conside're's dans leurs rapports avec la conscience cere'brale. En observant de près les aliénés, nous avons pu reconnaître j qu'ils jouissent plus ou moins DE Li. CONSCIENCE. 200 librement decette consdence. Les mis sentent qu'ils déraisonnent, s'en affligent, se plaignent sans cesse de se sentir devenir stupides ; les autres puisent dans la conscience même de leur exaltation intellectuelle une vanité de plus : ils font orgueil de leur délire , et s y complaisent fièrement; d'autres enfin n'ont plus le pouvoir de sentir s'ils sont ou non intelligens. Avant d'aller plus loin, signalons la supé- riorité de la conscience du cœur sur la con- science du cerveau , en la voyant toujours rester debout au milieu des débris de l'intelli- gence : les aliénés, et même certains idiots sont profondément sensibles aux bons procédés ; ils ont le sentiment du juste et de l'injuste peut-être plus vif que l'homnie raisonnable ; s'ils sont maltraités injustement, si un aliéné frappe un autre aliéné, s'il veut nuire à ceux qui le soignent, ils savent bien se plaindre^ secourir le plus faible^ apostropher Faggres- seur j en faire justice. N'est-ce pas admirable qu'à travers toutes ses espèces de délires , l'homme ne puisse , malgré lui , abdiquer en- tièrement sa noble destinée? Quelle a été profonde cette sagesse divirie qui a fiiitrepo^ i4 2 10 ANALYSE ser sa morale sur un tel senliment , ou pour mieux tlire^ qui a donné cette conscience du cœur à l'homme, afin qu'au milieu de ses plus grandes abjections , on reconnût encore la trace de sa native grandeur ! Le cerveau sent toutes les facultés dont il est doué : cette conscience serait impuissante si elle n*était pas servie par la volonté. La volonté exécutant avec justesse ce que sent la conscience, faitla raison : la raison n'est que la lutte continuelle de la volonté contre le désordre des sensations. Plusl'hommeest forte- ment organisé, plus les sensations devenues idées se pressent, se mêlent, se confondent en un cahos continuel dans sa téie : qu'il exprime toutes les idées telles qu'elles sont dans son cerveau, il sera extravagant^ aliéné ; mais s'il sait choisir parmi toutes ces idées celles pro- ^ près à ce qu'il veut exprimer^ s'il peut les rendre d'une manière conforme à ce qu'il éprouve, le voilà raisonnable : il faut donc qu'il choisisse ses idées , qu'il rejette toutes celles qui sont étrangères à ce qu'il veut dire y qu'il les exprime telles qu'il les a senties justes j voilà la conscience faisant exécuter par la volonté ce qu'elle sent : la volonté est une DE LA CONSCIENCE. 211 tension , un effort conlinn , que l'habiluJe rend insensible pour nous , et par cela même plus difficile à observer. Mais l'analjse par la décomposilion intellectuelle, finit par arriver aux trois grandes facultés primitives , sensa- tions, conscience et volonté. La volonté fait la raison exprimée par les paroles, les gestes ou l'écriture , comme la conscience fait, la raison sentie. Outre la faculté de vouloir, vous avez la faculté de reconnaître, de sentir si vos idées sont d'accord entre elles, et de les modifier ; c'est le privilège de la con- science cérébrale : pour que voire volonté exécute, il faut que la conscience céré- brale la guide : sans quoi la volonté exé- cuterait trop , ou trop peu : de même , sans la volonté, la conscience ne pourrait que sen tir, sans rien exprimer, et encore moins exécuter ; voilà donc ces deux facultés, conscience et vo- lonté , dans une étroite et mutuelle dépen- dance : leur accord est raison : les sensations sont leur aliment. La conscience fait donc exécuter à la volonté ce qu'elle sent convenable ; Condiliac appelle cela jugement : ce n'est pas juger ; c'est sentir i4. 2 12 ANALYSE une différence ; même pour juger, il faul sentir qu'on e5t capable de ju^er ; c'est encore un effet delà conscience. Le jugement n^est pas une facullé , mais un r^^sullat éloigné et se- condaire. La conscience cérébrale est continuellement en rapport avec les sensations qui l'excitent^ avec la volonté qui exécute ; le défaut de justesse entre la conscience et les sensations, entre la conscience et la volonté. Tait presque toutes lès folies : en remontant à leur origine , on les voit procéder, presque toutes, soit du défaut de liaison entre les sensations et la con- science^ soit du désaccord de la conscience avec la volonté. Pour rendre nos idées plus claires et les mieux faire comprendre par des exemples, prenons, pour sujet d'analyse , un des faits déjà cités ( page 83 ). Dans cette observation , l'aliénée est livrée aux extravagances d'une manie furieuse : ses discours sont incohérens ; son délire s'adresse à toute espèce de sujets ; les questions ne peuvent fixer un instant son attention. Voilà la volonté disparue , et impuissante à lier et à contenir un tumulte d'idées étranges DE LÀ COiNSClENCt:. fi 1 0 > natures.... » Tant de contradictions se trouveraient- >> elles dans un sujet simple ? cette duplicité 16 242 ANALYSE » de l'homme est si visible, qu'il j en a qui » onl pensé que nous avions deux âmes : un » sujet si simple leur paraissant incapable de » lelles et si soudaines variétés , d'une pré- » somplion démesurée à un horrible abatte- » ment de cœur. » Quel malheur qu'un si beau génie n'ait pas mieux connu l'organisation humaine, et ne l'ait pas pénétrée de toute la force de sa pen- sée et de son observation ? le voilà réduit à la deviner, et à s'élonner de loin , de ce qui est si simple vu de près. Sans doute, il y a en nous de grandes contradictions ; deux prin- cipes l'un de misère , l'autre de grandeur ; l'homme renferme deux destinées : l'une grande et pure , parce qu'elle est naturelle , innée, est celle du cœur, des sentimens ; c'est celte destinée que veut l'évangile^ qui connaît afondnoire nature : l'autre destinée est celle de l'intelligence, factice bienfait de la civili- sation , sujette à tant d'ébranlemens , de ca- tastrophes et d'infirmités que quelques beaux momens de raison sublime ne sauraient com- penser. Voilà comment l'homme physique dé- montre l'homme moral , et explique ces con- tradictions si désespérantes pour ceux qui ne DE LA CONSCIENCE. 245 les connaissent pas, si fécondes en toute espèce d'enseignemens pour ceux qui sauront les pé- nétrer et les interpréter dignement. Ces mélancoliques pensées , que Pascal jette avec amertume à travers la raison humaine , n'avaient pas échappé aux boutades de Mon- taigne ; il les exprime avec son dire rail- leur, et son sarcasme de bonhomie. Bossuet les fait entendre aussi, mais en éclats terribles ! Quel malheur encore une fois que de tels génies n'aient pu observer que l'homme extérieur î Nous sommes , je ne sais comment, doubles en nous-mêmes, qui fuit que ce que nous croyons, nous ne le croyons pas , et nous ne pouvons nous défaire de ce que nous condamnons.... Montaigne. Nota. Arrivé à ce point de mon travaille crois devoir dévelop- per l'explication de l'avant-propos : si je vais maintenant dédaigner les divisions scholastiques et minutieuses, elles se retrouveront cependant dans les parties suivantes, dont chacune doit être l'enchaînement nécessaire de celle qui précède. Ainsi, jusqu'au chapitre septième, il a fallu défaire ; mais à partir de ce point , il fallait reconstruire. En commençant dans ce chapitre à mettre en ordie les désordres intellectuels, c'était préluder au chapitre iG. 2^4 ANALYSE suivant, au huitième , où se trouve l'analyse des fonctions hu- maines, leurs divisions physiques, faisant pressentir leurs divi- sions morales ; enfin, leurs influences re'ciproques , premier degré de leurs exaltations : c'était le passage naturel à l'analyse des passions, re'sultal de rexaltalion des sentimens ou de l'intelli- gence , et reposant encore sur la profonde distinction de ces deux sièges primitifs. L'analyse de la conscience qui forme le dixième chapitre, nous a encore de'montré qu'il existait une conscience de sentimens , et une d'intelligence ; celte division est la consé- quence et la confirmation de tout ce systèhae : c'était ici le point capital et servant de transition entre l'homme physique et l'homme moral; j'ai dû le développer plus longuement que les autres , et en raison même des difficultés du sujet. Le principe une fois posé , les chapitres suivans n'en sont que le développe- ment, mais dans des applications différentes. Ainsi, le chapitre onzième , l'analyse de la morale , tout en subissant les précé- dentes divisions , s'attache principalement aux institutions civi- les. Arrivé là , )'ai retrouvé les mêmes divisions tracées par l'Évangile et par ses préceptes : j'ai cru voir que sa morale et sa doctrine reposaient sur cette distinction physiologique, adoptaient le cœur rejettaient l'intelligence pour établir sa religion d'amour, d'égalité eldejustice; je m'en suis emparé avec joie profonde; en- fin restait la politique, le chapitre treizième : on y retrouvera encore les mêmes bases , les mêmes divisions, bien qu'elles ne soient pas marquées ; car si elle est une science tout intellectuelle , raison- nant les droits de l'homme, elle est aussi une science de senti- ment dans sa pratique , dans l'art de gouverner : c'est là même son plus difficile,... DE LA MOaiLK. 2^6 CHAPITRE XI. Analyse de la morale ARTICLE PREMIER. Ses, bases. — Ses divisions. La morale n'est mot vague que dans les livres des moralistes ; dans la nature , elle est, comme l'instinct de société, noble et profonde nécessité de la vie. L'homme aime à vivre c cet impérieux besoin est bonté dans sa pra- 246 ANALYSE tique, est morale dans les rapports et devoirs sociaux. Cet amour du vivre, souvent égoïsme par la vanité, toujours générosité par le cœur, est , dans les vues de la providence , sagesse d'autant plus profonde^ que sa simplicité ren- ferme toutes les destinées humaines. En vain , dans son délire , un coupable so- phisme a prétendu que l'homme naissait mé- chant : tant de honte dut retomber sur son au- teur : l'homme naît bon , par cela seul qu'il naît pour vivre. Le jour où il naîtra méchant, l'univers sera néant mionstrueux. Il est bon suivant la nature ; mais les habitudes, les pré- jugés et tous les travers intellectuels ont pu souvent en faire un être dénaturé : son intel- ligence inculte est la plus cruelle ennemie de lui-même. On invoque, comme témoins, ce? sauvages qui mangent des hommes pour établir la per- versité naturelle de l'espèce humaine. Quelles tristes preuves , et quels contre-sens î ces hommes que vous dites sauvages, ne lèsent plus ; ils ont leurs coutumes, leurs lois, leurs gouvernemens sauvages j ils sont civilisés à leur manière, mais civilisés de travers; leur intelligence est mal apprise , brutement ha- du; la mouale. 247 bituée : c'est ce qui les dénature. Par elle , ils sont redescentlus au contre-sens de la civilisa- tion; ils sont à son horreur. Raisonneurs bruis, les voilà brutement absurdes ; c\'St-à-dire, fé- roces. Ils voient les animaux vivre et se repro- duire les uns des autres : ils en font autant , parce qu^ils ne savent pas réfléchir aux consé- quences : ils mangent de l'homme, parce que cette cbaire leur est meilleure que toute autre. Cette logique de leur sauvage intelligence en est la plus cruelle satire. S'ils pensaient juste, ils seraient sauvés , parce que raisonner juste , c'est être moral. Mais allez enlever à ces can- nibales un de leurs en fans ; vous les verrez af- fronter mille morts, avant qu'ils ne vous lâ- chent le fruit de leurs entrailles : attaquez un des leurs ; vous les verrez généreux à réunir leur dévouement et leur vengeance. Ce n'est plus l'intelligence, c'est le cœur qui parle : les voilà redevenus naturels et bons quand le cœur étouffe leur funeste entendement. L'intelligence perfectionne ou dénature l'homme : elle le perfectionne en lui ensei- gnant le noble usage qu'il doit faire de ses fa- cultés ; elle le dénature quand elle végète in- culte et grossière : elle en fait alors aisément 248 ANALYSE un monstre ; l'inlelligence civilisée, mais sans instruction suffisante , enfante les perversités. L'intelligence civilisée et instruite, est l'hon- neur de l'humaine nature. Cherchez mainte- nant dans toute l'espèce humaine où se trouve la plus grande proportion, et vous verrez que sur mille, il est à peine un homme, qui s'élève à cette dernière intelligence. Etonnez-vous dessophismes, des erreurs, des contradictions, des emportemens de la philosophie, suivant qu'elle s'en est pris à l'homme dans ces états si différens ! Oui, certes, tout est bien dans la nature; oui, tout dégénère, mais aussi tout s'améliore dans les mains de l'homme. Voilà la vérité tout entière : c'est l'intelligence seule, qui a le privilège de l'abrutir; ce n'est que par l'éducation qu'elle s'épure et s'élève aux connaissances grandes et généreuses : il n'y a donc de dépravé que celui qui ne pense pas assez, et le sophisme de Rousseau est outrage bien gratuit à la vérité et à la raison. N'est-ce pas pitié de voir les hommes applaudir à des sarcasmes dégoùtans d'insultes et de men- songes ? L'homme , tel que Fa fait la Divinité , naît doublement moral : par le cœur, il sent ce qu'il DE LA MORALE. 2^^ doit à ses semblables ; par l'intelligence, il apprend la nécessité et l'étendue de ses devoirs. Sentir ce qu'on doit à soi, comme aux autres, est instinct naturel^ impulsion du cœur, be- soin inné avec la vie : l'apprendre , c'est une éducation tout entière. De ces deux morales, l'une est la noblesse de la nature , l'autre le bienfait de la civilisation ; leurs efforts, leur but, leurs résultais sont communs : le bon- heur de chacun fondé sur le bonheur de tous. En enseignant par sentiment^ ou par intelli- gence ce qui est le mieux pour chaque indivi- du, elles font nécessairement le mieux être général. Voilà donc la morale reposant, comme les passions dont elle est souvent l'heureux emploi , sur les deux grandes divisions morales de l'homme physique , les sentimens et l'in- telligence. Avant de développer ces vérités , quelques points fondamentaux sont encore à établir. Aimer la vie est la nécessité de toute con- servation : sans celle loi d'une prévoyance di- vine , l'univers serait, en un instant, désert, cahos stupide. La Divinité a voulu que cet amour du vivre fut, dans tontes ses créatures, un irrésistible besoin étranger à rintelligence. 2 5o ANALYSE Vivre avant tout , telle est l'immortelle loi ; réfle'chir comment on vit, ou comment on peut mieux vivre, n'est qu'une heureuse ou funeste superfluité. L'intelligence ne devrait servir qu'à rendre la vie meilleure : et l'homme n'est guère excusable de vouloir si souvent son existence misérable , puisqu'au besoin le plus viFdes affections, il réunit l'intelligence la mieux (aile pour les ennoblir. Aimer lui, c'est aimer sa compagne, qui est moitié phy- sique de lui-même ; c'est aimer ses en fans, qui sont encore lui, hors de lui; c'est aimer ses semblables , qu'il sent être quelque chose de lui; c'est aimer toutes les créatures^ qui lui révèlent encore quelque similitude avec lui- même. Telle dut être la nature de l'homme sor- tant des mains de la création, et encore vierge d'intelligence : telle dut être l'innocence des premiers âges. Quand l'homme osa réfléchir, il put perfectionner ou dégrader cette primi- tive nature : voilà Tarbre de la science du bien et du mal. L'intelligence fit dès lors la gran- deur ou la bassesse humaine. De cet indéfinissable amour du vivre , dé- coulent toutes les nécessités de l'ordre social ; DE LA. MORALE. 20 1 et toute morale^ et toute législation , toute politique qui blessent ce sentiment primitif et ne l'emploient pas à leurs fins, sont contre- sens à l'ordre naturel. La plus pressée de toutes ces nécessités , est celle qui pousse tous les êtres à se réunir et à mettre en commun leurs vies. Depuis l'huître^ s'attachant en grouppes aux rochers de la mer, jusqu'au singe vivant en réunions intelligentes, vous observez par toute la nature, les informes rudimens des sociétés instinctives : cbez quel- ques insectes , ces sociétés sont organisées avec une force et une harmonie, que notre orgueil ne veut pas comprendre. Les arbres eux-mêmes se réunissent et vivent en forêts. L'instinct de société est la conséquence for- cée de la vie : il est inné dans toutes les créa- tures. Chez l'homme , il devient vie nouvelle ; son intelligence double tout son être; à l'homme naturel, elle ajoute l'homme civilisé; aux be- soins primitifs de l'organisation , elle vient mêler de nouveaux et de factices besoins. L'homme était moral avant qu'il le sût : le bien-être de sa vie , la conscience de ce bien- être, dont le sentiment est au cœur, était cette morale inconnue de lui-même : il obéissait aux impulsions de sa native grandeur en s'ai- 202 ANILYSK mant autant dans les autres que dans lui, et s'avançait pur et simple dans cette nature at»- tentive et vierg-e, qui devait tressaillir à cha- cun de ses pas. Lorsque les familles et les réunions devin- rent sociétés nombreuses, il fallut placer le bien être de chacun sous la commune garan- tie de conventions tutélaires. L'intelligence commença à créer une mo- rale nouvelle, celle de la civilisation , dont les premiers essais se rédusirent à quelques vérités d'expérience : si cette nouvelle science eût été dès son principe conforme aux besoins de l'homme , et sur-tout au libre exercice de ses facultés, elle eut pu, par ses applications po- sitives, tenir lieu de législation. Malheureu- sement l'esprit de domination d'abord, et plus lard l'esprit philosophique s'en emparèrent pour en faire profit ou système. Dès lors fut cimenté le contre^sens social qui dure encore , et dont chaque jour de notre époque défait une partie. A mesure qve le développement toujours croissant de l'intelligence créait de nouveaux besoins, exaltaitleur énergie, en faisait de fou- gueuses passions, il arriva que cette existence nouvelle, féconde en écarts, en maladies, en per DE LA. MORALE. 255 versilés, devint aussi souvent funeste à elle- même qu'aux autres. La morale dut être réduite en conventions préservatrices : à côté de ces conventions , apparut le sévère châtiment ; le glaive délendit , dans l'impuissance d'une mo- rale qui prévenait : punir par le glaive, c'était grande faute de logique, dont nous nous res- sentons encore : peut-€tre fut-elle excusable devant cette triste déchéance humaine. Et c'est aux premiers effets d'une imparfaite civi- lisation , qu'il faudrait avec douleur renvoyer ces funestes résultats, si de ces premiers maux n'eût dû sortir un grand bien. Celte civilisa- tion, d'abord dégradante, devait un jour faire la dignité de l'intelligence humaine, qui,' dans cette chute profonde , ramassa ses forces pour monter à une science plus élevée : la première législation , fut le premier degré vers la politique. Instruit à ses dépens, blessé souvent dans les intérêts de sa vie^ l'homme en cherchant à les assurer, fut conduit à songer aux intérêts des masses : il devint moraliste en étendue. En ^e sentant vivre , il avait réfléchi aux droits de sa vie ; en se voyant organisé en société _, il voulut savoir les garanties, les conditions sous 2,64 ANALYSE lesquelles il devait y vivre : une voix s'éleva du sein des sociétés : » apprenez à marcher sa- ges et libres dans l'entier développement de vous-mêmes ; il y va de votre honneur : » Et à la longue des siècles, l'homme devint penseur nouveau; l'esprit humain se résuma dans Montesquieu : l'homme fut plus qu'hom- me, il fut citoyen. Une science nouvelle fut créée, qui s'élevant aux vérités de tous les temps, de tous les peuples, analyse et décom- pose les gouvernemens , enseigne le meilleur , établit les droits et les devoirs des gouvernés et des gouvernans, et ceux des nations entre elles. Voilà enfin la politique, science qui commence à peine, et que quatre mille ans de luttes et de combats, d'erreurs et de vérités ;, d'essais et d'applications ont formée la der- nière , parce que là sont les plus difficiles et les plus élevés intérêts de l'humanité. Tout l'ordre social n'est que l'inévitable dé- veloppement de l'homme physique^ et repose dans les profondes nécessités de son organisa- tion. Tel que nous le voyons aujourd'hui, il renferme deux êtres , l'un primitif, l'homme de la nature , et l'autre , venu le second , l'homme de la civilisation. Exalter l'un aux dé- DE LA. MORALE. 2 55 pens de l'autre est sottise profonde; adopter ou répudier l'un ou l'autre est absurdité : et je ne connais pas de philosophie qui n'ait été fidèle à l'un de ces travers. Le plus grand bienfait d'une science nou- velle et généreuse serait de mettre enfin d'ac- cord ces contradictions, d'expliquer ces deux manières d'être l'une par l'autre, et de les faire servir toutes deux à l'amélioration de l'es- pèce humaine. Au dernier siècle, les penseurs furent en droit des'irriter si violemment de ces contre-sens de l'homme, tel qu'il était civilisé, tel que les philosophies le disaient fait, avec l'homme de la nature et de l'observation. Cette indignation fit les brùlans sophismes de Rousseau , les railleries piquantes et bavardes de Voltaire , les emportemens frénétiques de Diderot^ les explications ingénieusement lâ- ches d'Helvétius^ et enfin ce débordement de systèmes^ qui finirent par engloutir l'homme tout entier. Mais comme il est dans la nature de l'esprit humain de se former bien plus vite par les erreurs que parles vérités, et de gran- dir en raison des obstacles dont on l'entrave , il ne faut pas s'étonner qu'un quart de siècle l'ait tant changé, et qu'il se montre aujour- 256 ANALYSE d'hui si Tort et si sévère : après avoir passé par tous les extrêmes du vrai et du faux, il a appris, à ses dépens, à devenir et à rester logique» ARTICLE 11. Morale de sentimenl. Je sens ce qui lait bien à ma vie : ce qui me fait bien , je l'appelle bon ; or ^ si ce bien esft bien pour moi , il sera également bien pour les autres ; il deviendra juste : le juste n'est que le bien, dans ses applications à autrui : le bien et le juste ne furent donc primitivement que le sentiment et la pratique de tout ce qui est fa- vorable à la vie individuelle ou générale. Hâ- tons-nous de quitter ce langage abstrait et fa- tigant, et , fidèles à notre coutume , faisons parier des exemples. Un pauvre a faim: je le secours; il m'ap- pelle bon , parce que je viens à l'aide de sa vie souffrante : et moi j'ai été bon, parce que sa faim m'a fait mal , comme le délabrement de ses vêtemens me fait froid , comme sa misère DE LA MORALE. 267 me rend malheureux en me mettant à sa place. Mon action est bonne, non-seulement pour lui dont elle aide la vie, mais encore pour moi qui soulage ma vie de la sienne, et de la souffrance qu'il m'a fait éprouyer : tel a été le motif de mon action , mon premier senti- ment : ensuite je comprends que je viens de le mettre , aussi bien que tout autre, dans l'o- bligation d'en faire autant envers moi, dans une position semblable. Voilà le sentiment pri- mitif stimulant l'intelligence, devenant sen- sation , réflexion , et grandissant en douces et nobles pensées. Analysez la succession des divers mouvemens par lesquels vous passez dans une action de charité, et vous reconnaî- trez que la première impulsion est étrangère à l'intelligence , sur laquelle elle réagit de suite. Nul doute que sans l'intelligence, l'instinct généreux ne pourrait pas s'exprimer^ ni être excité : un être stupide ne saurait comprendre une bonne action , quoique souvent encore il pût la faire; mais reconnaissons que c'est du cœur que s'élancent toutes les générosités. Telle est la morale naturelle^, la morale de sentiment, aussi nécessaire, aussi admirable dans ses impulsions les plus secrèies , que 17 368 ANALYSE dans ses résultats les plus éclatans. Cette mo- rale préexiste au raisonnement; les sens seuls suffisent à ses inspirations. Maintenant, du bien-être que nous a fait éprouver celte bonne action ^ nous en con- cluons qu'elle doit être également bonne pour les autres: de bonne qu'elle était pour nous, elle devient juste envers autrui ; pratiquée par tous, comme nous venons de le faire, elle sera bonheur pour tous. Chaque jour on répète que rien n'est beau que le vrai, le juste, le bon, sans commencer par attacher des idées pré- cises à ces mots ; on en fait ainsi des abstrac- tions souvent opposées à leur signification naturelle : ce n'est pas le moindre tort des définitions métaphysiques. Plus positive, la philosophie doit reconnaître aujourd'hui que le beau et le vrai sont aussi bien des sentimens que des sensations ; et que le cœur , commç l'intelligence, peut les sentir et les compren- dre. La morale naturelle ou de sentiment consiste à faire à autrui ce qui fait bien à soi ; une telle vérité est délicate à manier^ et peut aisément se flétrir. Depuis Epicure jusqu'à Helvétius, le sophisme a su la plier à tous ses caprices ; DE LA MOR/VLE. 269 mais ce dernier, impatient de penser comme les autres, osa seul abuser des lumières du der- nier siècle, pour faire d'une auguste vérité un hideux mensonge, dont tout le dévelop- pement se réduit à cette seule expression : Le bien que je fais aux autres me fait bien ; donc c'est pour moi que je suis moral : donc la mo- rale est intérêt personnel , est calcul et non vertu. Comme ici le faux couvre habilement le vrai, il suffira, pour remettre l'un et l'autre à sa place, de raisonner juste. Reconnaître que le bien fait à autrui devient plaisir pour nous , est une vérité qui n'a pas besoin de démonstration ; elle se sent, est vi- vante en nous; nous en avons la conscience physique : telle est l'observation. Ecoutez maintenant le sophisme. Helvétius en déduit que c'est pour me faire bien que j'en fais aux autres : ici commence l'erreur. Ce n'est pas pour moi que je fais ce bien, mais c'est par moi : c'est qu'il est dans mes besoins , dans mon impulsion première d'être bon ; je le suis d'abord, sans songer aux conséquences ; mais après, j'éprouve du contentement ; il est la suite et non le mobile de mon action : telle est l'observation vraie; je suis forcément moral, 17. 2ÔO ANALYSE par le seul privilège de mon organisation ; et nous allons bientôt trouver les fondemens de la Doctrine Evangélique assis sur cette pro- fonde vérité. La joie que j'éprouve est le ré* sultat de ce que j'ai Tait : je vois le malheureux, je souffre, je le secours, et j'éprouve du plaisir ; ce plaisir remonte du cœur à l'intelligence } loin d'être ignoble motif, comme le veut Hel-* vétius, il est donc résultat juste et éloigné. C'est donc aux merveilles de la nature humaine qu'il faut renvojer l'instinct de la morale na- turelle ; et par cela même que cette vérité a été indignement profanée, il est temps qu'elle sorte de l'homme^ majestueuse et sublime, telle que la Divinité s'est plu à l'y placer. Hei- vétius sait confondre le besoin avec ses effets ; il érigera même ces résultats secondaires en un système poursuivi avec une déplorable sa- gacité : habile à s'emparer; dans l'intérêt de son sophisme , des observations partielles ou même supposées, il vous dira que c'est l'ennui qui fait le génie, et pour preuve, il citera Vau- causon démontant par curiosité une pendule j et devenant dans la suite mécanicien célèbre, parce que, dit-il, il s'ennuyait d'attendre sa mère dans la chambre où il a démonté celte DE LA MORALE. 261 pendule. Quelle logique ! s'il voit des en fans craindre les coups dont les frappent d'absurdes parens, il en concluera que les en fans naissent avec la haine de ceux qui leur donnent la vie, tandis qu'ils ne haïssent que les coups, et sont forcés, par leur enfance même, d'aimer leurs parens^ appuis nécessaires de la fragilité de leur existence. Toute la philosophie d'Helvé- tius n'est qu'un pitoyable sophisme, que le raisonnement tuerait à l'instant, à défaut d'in- dignation. N'est-ce pas une de ces augustes simplicités, par lesquelles la toute-puissance se complaît à se révéler à l'homme, que celte morale de na- ture, inhérente à lui-même, et à laquelle il ne peut désobéir sans se blesser dans son exis- tence ? La douleur d'un être souffrant va de suite retentir douleur en lui, le poigne, le dé- chire ; delà, l'élan qui la secourt, qui veut la guérir : il n'est pas de jour, où ne se pressent au cœur ces émotions de peine à la vue de la peine, de bonheur à la vue du bonheur : ce sentiment si pur , si plein de joies ou de dou- leurs, cette conscience du cœur, est la chaîne invisible qui unit tous les êtres animés. Qu'un malheureux s'offre à vous , portant 202 ANALYSE l'empreinte d'une profonde souffrance; sa vue vous fait mal : celle douleur est le cri de la mutuelle solidarité de tous les êtres : Dieu sait faire de la douleur la plus pure morale : par votre douleur , vous voilà poussé vers ce mal- heureux : vous l'aidez de tous vos moyens ; chaque spectateur veut le soulager par ses conseils : voilà la souffrance de ce malheureux qui fait souffrir tous ceux qui en sont témoins j son silence même sera plus éloquent que ses plaintes. Or, qu'un égoïste vienne à passer, il le regardera à peine, vous le diriez insensible : détrompez-vous, aucun homme n'échappe à la conscience du cœur : en vain sa vanité, son orgueil détournent ht tête et fuient au loin : il a ressenti la même douleur que tous ; cette douleur est en lui, le poursuit, le fatigue ; sa vanité seule lutte contre elle ; il appellera à son aide, pour se distraire, des pensées étran- gères , il osera même se plaindre de cette dou- leur du cœur. L'infâme ! un tel blasphème re- tombera tôt ou tard sur sa tête. Si vous voyez un animal être mutilé, si vous apercevez même un chien sur le point d'être écrasé par une roue , pourquoi ce cri de ter- reur? si vous entendez ses os craquer^ sa dou- Dlî LA. MORALE. 363 leur hurler en cris déchirans , pourquoi cet abîme de souffrance ? à votre bouleversement , on dirait votre vie dans un effroyable danger. Instinct immortel l solidarité de tout ce qui a vie ! noble et vivante morale î si les maux d'un animal si chétif sufïisent à de si fortes émotions, à de si cruelles douleurs , combien la souf- france d'un semblable saura , par votre souf- france, vous en faire un être cher et sacré ! Et daiïs les personnes que nous aimons , qui tiennent à notre vie par la racine des affections, qui pourrait dire à quels purs et mystérieux héroïsmes ce sentiment exalte le cœur, com- bien il se complaît dans l'obscurité de son de- vouement , combien il est heureux d'être igno- ré dans celle félicité inconnue, qui le brûle et l'épure ? Dans l'état de civilisation où nous entrons à peine , et qui n'est que le commencement d^une civilisation jusqu'à ce jour inconnue h la terre , l'inteHij^^ence entourée de son brillant cortège de maux et de bienfaits, entraîne dans son tourbillon vaniteux ce sentiment naturel , le distrait, le pervertit : la vue de la misère importune la vanité, comme le délire humilie l'intelligence , parce qu'il est leçon d'avertis- 264 AWA LYSE sèment j la superbe se croit infaillible^ veut être crue telle : elle s'est bien vantée d'être l'ëg-ale de Dieu , elle qui n'est que passage devant l'éternité d'un grain de sable , elle qui à chaque pas trébuche dans sa faiblesse , et tombe dans sa profonde ignorance ! L'homme civilisé peut être bon, juste, vertueux sans l^eaucoup d'intelligence : pour être bon , il lui suffit de sentir ce qui fait bien ou mal à sa vie ; pour être juste, il lui suffit d'en déduire que ce bien ou mal sont égale- ment bien ou mal pour les autres : la vertu de cœur obéit aux obscures inspirations de senti- ment , et les met en pratique. Dans les nobles intelligences , ce sentiment peut s'exalter en sublimes héroïsmes. Dans le commun des hommes, il est morale pratique et journalière : il n'j a pas même d'être, quelque dégradé que ses vices le fassent, qui ne sente encore en lui cette morale , et ne la rencontre vengeresse au milieu de ses perversités. Pour les individus , la violation de cette mo- rale est abrutissement j pour les peuples, c'est esclavage , esclavage profond. Leur his- toire n'est que le triste et long développement de cette vérité qui pèse encore sur presque DE LA MORALE. 265 tous les peuples , et contre laquelle ehaque jour du dix-huitième siècle , fut éloquente et solennelle protestation. Tyrannie dans les fa- milles d'abord , ensuite despotisme dans les Nations , sont l'inévitable résultat de l'in- fraction de cette morale , infraction que le temps et Thabitude finissent par organiser en réunions et en sociétés. Or , pour ne parler ici que d'un seul de ces résultats généraux, il a fallu que, dans une nation organisée en arbitraire, cet arbi- traire fût maintenu par une violence perma'- nente : le vrai et le juste sont forts d'euxseuls; le faux et l'injuste ne sont forts que par vio- lence, ets' usent, comme elle, Ici, remontons à la cause première. Comme la volonté de chaque être est libre de par Dieu , un homme n'en sert librement un autre que lorsqu'il veut : c'est qu'alors , en dédommagement de ses services^ il pré- lère et accepte un équivalent : dans ce cas, seu^- lement, la volonté du servant et celle du servi, sont libres^ parce qu'elles sont toutes deux dans l'exercice qu'elles ont choisi et préféré. Or, parce seul sentiment d'eux-mêmes, ils'é- lablit entre eux une réciprocité d'obligations, 266 ANALYSE une convention tacite, qui les lie sans qu'ils s'en cloutent : car le premier qui l'enfreint rompt l'obligation de l'autre. Le servage in- telligent est libre , parce qu'il résulte d'une morale cachée qui l'ennoblit et fait sa force. Mais s'il y a violation de celte morale^ s'il y a asservissement de la volonté, l'injustice com- mence , l'esclavage s'organise , la société de- vient profond contre-sens à l'homme. Dès lors c'est la violence physique et morale, le bâton et la superstition qui vont pousser l'espèce hu- maine et la faire marcher comme un troupeau de bêtes de somme; et si dans ce troupeau, quelques-uns crient h l'injustice, on les assom- mera pour leur apprendre à avoir raison : le bâton et la superstition n'ont pas d*aulres argu- mens. La superstition en persuadant à l'homme qu'il est né pour servir un autre homme, ou- trage la nature humaine: le bâton en le faisant servir de force, joint l'infamie à l'insulte. Dès deux côtés, l'injustice est criante^ et ne s'arrê- tera pas même où l'homme finit : dès lors toute logique est d'être le plus fort. Ainsi, au moyen âge, le vilain était asservi par le chevalier , le chevalier par le baron , Je baron par le comte, le comte par le duc, le DE LA MORALE. 267 duc par le roi ; et le roi lui-même n'échappait pas à un injuste esclavage : l'impuissance hu- maine avait imaginé les superstitions pour rouler à ses pieds ces superbes dominateurs de la terre. La féodalité n'était qu'une vaste injus- tice organisée en société ; aussi avec quel fra- cas s'est écroulé son monstrueux échafaudage ! Dans la vie privée, dans les rapports so- ciaux, dans l'histoire des peuples, la violation de la morale de sentiment produit, en petit comme en grand, les injustices, les privilèges, les esclavages. Si je suis injuste envers mon voisin_, il est forcé d'être injuste envers moi; à moins, comme le veut une divine parole, qu'il ne m'apprenne mes devoirs, et ne me remette dans mon propre honneur, en me rendant le juste pour l'injuste : cette façon de redresser n'a pas été trouvée sur la terre. Remontez à la source première de tous les contre-sens sociaux, et vous la reconnaîtrez dans la première infraction de la morale de sentiment , et vous verrez cette infraction bri- ser à l'instant le lien des obligations mutuelles auxquelles sont forcés les hommes par la né- cessité de leur libre existence : vous verrez partir de ce point et se déchaîner ensuite dans 268 ANALYSE tous leurs délires ces absurdités sociales , qui parées insolemment du nom de sociétés , de gouvernemens, de lois même, écrasent et mu- tilent , en l'insultant, l'espèce humaine exploi- tée à leur profit. D'où il suit que pour être libre et juste, c'est-à-dire moral , l'homme est obligé de ne jamais faire que ce qui doit lui être fait. Dans les moindres _, comme dans les plus grandes conséquences, la morale naturelle se retrouve dans la parole évangélique^ parce que cette parole est le précepte du sentiment.. Et à l'aspect de cette invisible et perma- nente morale qui fait tous les êtres responsa- bles les uns des autres, à l'aspect de cette occulte loi qui les gouverne dans l'obscurité de ses merveilles , si l'on s'élève à l'une de ces grandes vérités qui régissent l'univers , il faut bien proclamer , dans cet instinct conser- vateur d'une profonde et éternelle morale^ le premier amour de cette prévoyance divine, qui dans sa magnificence , s'est plu à le répan- dre avec la vie, pour qu'il fut dans ses créa- tures, la garde vigilante de leurs rapports , comme dans le cœur, leur défense contre tant de passions et tant de délires ; alors se soulève DE LA. MORALE. 269 un des coins de celle providence , qui com- mence par-delà l'homme , et s'en va se dé- ployant dans l'immensité de sa sagesse^ alors la vie n'apparaît plus que comme une masse égale, uniforme, éternelle, répartie pour un instant à des êlres qui se meuvent et pensent, animant desorganes pendant une seconde, une minute^une heure, unjour,un mois,une année, un siècle ; abandonnant ces organes quand ils ont parcouru leurs périodes de changemens , pour retourner au principe animateur et sans cesse mouvant^ dont chaque variation fait le temps, fait l'éternité. La métempsycose n'était que fabuleux et poétique aperçu de l'indestruc- tible mobilité du principe animateur, principe aussi éternel que l'électricité , que le calorique dont je veux bien qu'il ne soit qu'une combi- naison, plus l'immortelle volonté , à qui seule appartient d'en faire la vie. Pour concevoir la morale de sentiment et la suivre depuis ses plus petites applications jus- que dans ses résultats les plus étendus , il faudrait observer successivement les lois phy- siques de la vie, leurs nécessités morales, leur enchaînement universel. Ici , je n'ai dû qu'in- diquer le point de départ, et seulement dans 270 ANALYSE l'homme : par le cœur il aime la vie ; donc il est forcé d'aimer tout ce qui la rend meil- leure et de fuir tout ce qui la blesse. Dans les rapports sociaux^ le même sentiment nécessite les mêmes conséquences , et fait cette obscure et naturelle morale à laquelle tous sont soumis parce qu'elle est l'indispensable condition du libre exercice des facultés les plus nécessaires. ARTICLE m. Morale d'intelligence. L'instinct fit les sociétés ; l'intelligence les organisa : quelque vicieuse que fût celte orga- nisation première, elle était déjà civilisation. Mais^ comme la nécessité précéda la science , cette civilisation ne pouvait être à son début qu'ess"ais ou erreurs. La société se trouva insti- tuée de force, avant qu'on sût comment elle devait l'être : l'expérience et la réflexion ne vinrent que tardivement , et il a fallu l'éduca- tion de quarante siècles pour arriver de nos DE LA MOHALE. 2JI jours à lar connaissance et sur-tout à la pratique légrale des devoirs sociaux. Or, ces rapports, ces liens nouveaux des hommes entre eux , les enchaînèrent à des né- cessités sous lesquelles ils furent forcés de vivre , et ces nécessités devinrent vie étrange, factice , toujours en opposition avec la vie na- turelle. Le premier symptôme de cette vie de civili- sation , fut la propriété : avoir, est abus et contre-sens dans la nature ; c'est force et jus- tice dans la société, parce qu'avoir , c'est pen- ser à soi, c'est penser aux autres, c'est pen- ser aux droits de tous. La propriété n'est que convention imaginaire : dans la nature , le fruit qui est à l'arbre est au premier qui le cueille ; dans l'ordre social , ce fruit est à quelqu'un : avoir, c'est donc être civilisé, et plus les peuples sont propriétaires, plus ils sont profondément instruits de leurs devoirs réci- proques : ce sentiment de propriété devient le mobile de toute pensée , de toute action ; l'intérêt personnel n'est que l'abstraction de ce qu'on a ^ ou de ce qu'on espère avoir. La propriété est le fondement de l'ordre social. Voilà donc le besoin d'avoir et de conserver. 272 ANALYSE quivâ, dans la civilisation , remplacer, modi- fier , pervertir ou exalter cet amour du vivre que la divinité a mis au cœur humain. Voilà l'homme de la nature en guerre déclarée avec l'homme de la société : et c'est pour consolider ces contradictions, pour les rendre sacrées et en faire la vie sociale, que l'intelligence va créer une morale enseignant de nouveaux de- voirs, et, dans son impuissance, une législation les maintenant le glaive à la main. Remarquons ici , que cette civilisation, tan- tôt lente ou accélérée , tantôt anéantie ou rétrograde^ devait finir, après avoir parcouru le cercle des injustices et des esclavages, par retourner à son point de départ... Gomme le premier élément des sociétés est l'homme, c'est à l'homme seul, à son intime connais- sance qu'elle devait venir,à la longue des âges, demander la cause de tant de retards et de contradictions et enfin la solution du problème social. C'est là , la grande difficulté du jour ; aucun penseur ne l'a encore abordée ; peut- être même sa solution n'est-eile réservée qu'au siècle prochain. C'est profonde douleur de voiries théories philosophiques, et la pratique sociale créer une changeante morale de mots. DE LA MORALE. Û7O ^le préjugés, de rêveries ou d'écarts, quand elles auraient dû, depuis si long-temps, l'aller chercher^ auguste et certaine , dans les mer- veilleuses nécessités de la vie. Etonnez-vous alors, que suivant les temps , les pays , les gouvernemens, on ait nommé morale , honneur, vertu , des choses que d'au- tres temps, d'autres pays, d'autres gouverne- mens appelaient de noms contraires? Triste effet des travers humains ! Et cependant, au milieu de ces vicissitudes des préjugés intel- lectuels, entendez toutes les philosophies un peu généreuses , reconnaître , sans la pouvoir définir, proclamer, sans savoir d'où e!le vient , cette morale naturelle^ ces inspirations innées de bonté et de justice, que l'homme apporte avec le seul privilège de sa vie, mais que son éducation , quelle qu'elle soit^ subjugue à ses puissantes habitudes. Devant cette morale de sentiment, dont les indélébiles traces se retrouvent à toutes les époques et dans tous les coins de la terre, di- rons-nous que ces mots conduite , probité , mœurs, vertus, honneur désignent de ces choses qui se sentent (i), mais qu'on ne saurait (i) Madame de Staël, d'anrès Kant. i8 ■274 AIS'ALYSE définir ? Au vague du langage, reconnais- sons l'ignorante incertitude de ceux qui l'ont fait. Commençons par hautement recounaitre qu'entre la nature et la civilisation il j a lutte nécessaire : loin de nous en affliger ou d'en faire, comme Rousseau, d'inutiles et amers sarcasmes , sachons la respecter , en apprenant pourquoi elle est respectable : cette difficile appréciation est analyse profonde de l'homme social. En société , c'est sur la sécurité de la pos»- session que repose le bien être des particul iers , commelatranquillitédesempires. Noire charte est le gouvernement des propriétaires; d'un côté le sol, de l'autre ceux qui administrent, au-dessus, un trône non mortel; la charte érige la propriété en souveraineté nationale et en fait le fond de toute liberté. Particulier, ou nation , il faut que tous soient assurés d'avoir. L'homme est mortel ; la propriété n'est pasmortelle; elle est perma- nente , s'accroît ou se divise, mais ne peut s'a- néantir. Comme le premier devoir de l'homme est de reproduire, voilà l'organisation sociale, qui pour concilier les nécessités de ce devoir avec les intérêts de la propriété , va l'obliger DE LA. MOI'.ALE. 2^0 à n'avoir qu'une Tcmme, et régler comment la possession sera assurée aux enfans. L'hérédité d'un champ , la possession d'une seule fePxîme, sont absurdités dans la nature ; dans la civili- sation, c'est obligation, c'est même nécessité vitale; Parce qu'avoir une 5ur n'être pas juge's. On vous jugera au même jugement dont vous aurez jugé : on vous mesurera à la même mesure. [St. Math.) Portez les fardeaux les uns des autres. {^Èpùr. aux Galat.) Ces dçux préceptes d'indulgence et de tolé- rance sont nobles et touchans ; ils enseignent cette bienveillance mutuelle, sans laquelle il n'y a pas de vie sociale : dans les animosités de la vie, comme dans les grandes discussions politiques , ils désarmeraient la colère et les fureurs , argumens stupides de la faiblesse ou de l'injustice. Si lu vois un homme entendu, cherche-le dès le matin , et use de tes pieds le seuil de sa porte. ( Ecclés. 8. 3o.) Outre le mérite de l'expression, est-il de meilleur conseil que celui qui envoie l'intelli- gence se former et s'instruire près des hommes entendus ? mais ces hommes sont rares , ils se liennent à Técart , il faut les chercher. La jac- DE LA MORALE ÉVANGÉHQUE. 5l5 lance ignorante est hardie à se prôner et à se mettre en avant. L'homme entendu rentre en lui-même , observe , et ne se donne qu'à qui mérite de le comprendre. Alors la paix de Dieu, qui surpasse toute intelli- gence , gardera vos corps et vos esprits. ( Epùr. aux Philip.) Quand votre intelligence sera devenue mo- deste , tolérante et profondément instruite de son humilité, alors , fidèle aux inspirations du cœur, elle fera de toutes vos actions , de votre vie entière, un bonheur qui sera comme une paix de Dieu : votre corps lui-même , façonné au noble et salutaire usage de ses fonctions, et inhabile aux excès qui énervent et dégradent , sera la forte enveloppe d'une ame forte, et prête à recevoir , sans les craindre , les peines et les douleurs. -, 11 est avec chacun de nous ; c'est par lui que nous avons la vie et le mouvement. {A et. des Apôt. 27.) Oui, elle est au dedans de nous^ autour de nous , elle nous inonde de sa magnificence , cette grande et immortelle sagesse qui a voulu que tout fût vie dans l'univers ! oui , elle est 3l6 ANALYSE aussi inconcevable au moindre brin d'herbe _, que dans la splendide profusion de ces astres , dont le roulement éternel et silencieux est le concert et l'hymne du Ciel ! Et nous , sur la terre, que noire vie soit aussi l'hymne du Créa- teur : sachons Fadmirer aussi bien dans la force qui agglomère les molécules d'un caillou, que dans celle qui fait les profonds mystères du cœur et les sublimes élans de la pensée. Cette puissance est tout, est partout. Si nous sommes ici-bas les seuls êtres capables de la proclamer, de la reconnaître, de la sentir, que nos voix la célèbrent, que notre silence l'admire en- core, et que nos actions l'honorent par le noble usage des dons qu'elle nous a dispensés. Ce grand privilège est celui de l'intellignce : c'est à elle à apprendre ses devoirs et sa mis- sion. Mais pour arriver là, il faut qu'elle passe par des progrès lents, incertains, élevés, dont le développement est profondément tracé par l'Evangile : Quand j'e'uis enfant, je parlais comme ua enfant, je pensais comme un enfant j mais lorsque je suis devenu homme , j'ai quitte' ce qui tenait de l'enfant. Nous voyons niairitenant d'une manière confuse ; mais alors nous verrons face à face. [Sl. Paul aux Corinth. i3. ii. 17.) DE LA MOUALE ÉVAUGÉLlQUE. 3l7 C'est par la culture seule de son esprit , que l'homme peut monter aux hautes connais- sances : mais encore, que de temps, de peines, d'incertitudes ! presque tous , par décourage- ment ou vanité , s'arrêtent au point où l'on ne voit plus que d'une manière confuse : les forts seuls arrivent , et voient face à face. La morale évangélique, la religion du cœur est, dans ses pratiques, un contre-sens sublime aux passions intellectuelles. Si l'Evangile a commencé par frapper de doute et même de réprobation l'intelligence , en déclarant heureux ceux qui en sont pauvres, si ensuite il a proclamé avec tant de confiance le bonheur réservé aux senlimens du cœur , c'est que de ces deux premières vérités de- vaient naître les pratiques de la morale chré- tienne. Ainsi s'accomplit une grande prévoyance , et une religion d'autant plus admirable, qu'elle est plus aisée. L'antiquité savait bien honorer l'héroïsme humain, l'abnégation de soi-même, lorsque quelque occasion grande et rare la niellait au jour. Mais en faire une morale fa- 3l8 AWALlfSE cile et sublime , que tous peuvent pratiquer à l'instant^, et dans toutes les occasions de la vie, cette mission n'était réservée qu'au Christia- nisme. C'est là sa grande et majestueuse figure. C'est en apparaissant avec des traits si noblement nouveaux, qu'à son aspect, la terre fliétrie s'est ranimée de force et de vigueur. Ecoutez les développeniens de cette grande parole : Quel mérite à faire du bien à ceux qui nous en font : les me'chans font de même ; mais faites du bien sans en rien espe'rer, et votre re'compensesera grande. [St. Luc, 6. 32.) Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent ; priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. (St. Math. 5.) Si ton ennemi a faim ou soif, donne-lui à manger ou à boire ; en faisant cela tu amasseras des charbons de feu sur sa tète. [Epdr. aux Rom.) Il n'y a que l'élan du cœur pour répondre à la magnificence de ces paroles : elles sont su- blimes de contre-sens avec les vanités d'une intelligence , toujours si petite et si lâche dans ses jalousies et ses haines. Rendre le bien pour le bien n'est que de- voir, que probité morale : et cependant c'était la plus grande vertu des anciennes religions. Mais rendre le bien pour le mal , plaindre et DE LA MORALE ÉVAWGÉLIQUE. 5l(^ secourir un ennemi, est un bouleversement sublime , dont le premier exemple appartient à celui qui est venu le donner dans toute sa grandeur. II n'est pas de jour qu'il ne faille lutter contre soi et contre les autres, et celui qui obéira au précepte évangéiique , sera aisément noble à lui-même , et à ceux qui l'outragent. Ce triom- phe de soi-même entraîne et subjugue par ses dramatiques émotions. Le génie deCorneiîie l'avait bien deviné, et dans Cinna , son Au- guste n'est si grand , que parce qu'il suit, à la lettre le précepte de l'Evangile , et arrive à son accomplissement par une gradation d'é- preuves, de luttes, de sentimens , dont la scène française n'a pas su profiler depuis. Corneille seul a songé à faire des hommes. Approfondir l'Evangile, c'est descendre dans les plus grands secrets du cœur humain : le tems n'est pas éloigné , où les sciences phy- siques vont venir dévoiler des vérités souvent cachées sous une enveloppe mystérieuse , mais au fond desquelles repose une sagesse im- mense. Dans ce moment, profondément frappé de cette éclanle adoption du cœur au préju- dice de ^intelligence , j'en suis venu à penser 020 ÀWA.LYSE qu'elle élait le symbole de la rédemption mo- rale : avant l'Evangile, l'intelligence avait élevé à la Divinité une foule de cultes plus oit moins bizarres. En fondant le règne du cœur^, sur le régne des extravagances intellectuelles, l'Ecriture a racheté l'homme de lui-même; et le relevant d'une dignité qu'il portait en lui , sans le savoir , a , par cette révolution , je pourrais dire physiologique, accompli sa nou- velle mission sur la terre. ARTICLE IV. Maximes et conscquence?. En nous laissant dans la puissance de notre conseil, l'Evangile nous donne, par notre libre arbitre^ le privilège de nous épurer ou nous pervertir. Si la volonté a toute liberté , il lui est, par cela même , impossible d'être chargée de la dignité humaine. Avec une telle respon- sabilité , elle ne serait plus libre. Pouvoir agir bien ou mal , c'est être entièrement libre : celui qu'on enchaîne pour le faire sage , ne l'est qu'en dehors; celui là seul l'est profon- DE LA MORALE ÉVANGHLIQUE. 321 dément , qui sait , et veut l'être par les périls mêmes de la liberté. Dieu n'a pas ^gard à rapparence des personnes> ( St. Paul aux Hom.) Voilà l'enseignement de toute égalité : les iiommessont égaux de droits dans la nature : l'orgueil a pu seul se faire accroire qu'ils nais- saient inégaux. Devant Dieu , devant les hommes^ il n'y a de distinction que par l'in- telligence et les sentimens. 11 j a bientôt deux mille ans que ces paroles de justice et de liberté, se sont fait entendre a la terre. Gomment pendant tant de siècles , les institutions sociales n'ont-elles été qu'ou- trage perpétuel à ces maximes? Comment le génie infernal de domination a-t-il pu faire d'une parole d'égalité, de liberté , une puis- sance de privilège et d'esclavage? Que l'his- toire vienne enfin racontera haute et puissante voix, cette immorale dérision de dix-huit siè- cles ? Qu'elle s'étonne , si elle ose , de leurs in- justices j de leur barbarie , de leurs monstruo- sités? Qu'elle s'étonne de l'acre indignation des penseurs du dernier âge , du cri formidable de vengeance qu'ils ont poussé, et des appli- 21 322 ANALYSE cations , si burlesquement épouvantables, par lesquelles cette grande vengeance s'est accom- plie? Qu'elle s'étonne donc à voir frappée de l'analhème évangélique , une intelligence si habile à tourner d'augustes vérités en passions funestes et en méfaits plus funestes encore? Mais, qu'instruite à cette terrible école, elle vienne aujourd'hui, plus calme et plus heu- reuse, annoncer la résurrection légale d'une justice , d'une liberté, d'une morale _, qui vont commencer un monde nouveau! les temps approchent ; il faut enfin que les hommes com- prennent, et profilent. Après la leçon des individus, vient la leçon d^s peuples. II faut être soumis non-seul eracnt par crainte Je punition , mais encore par conscience. {^ÉpCt. aux Rom. i5. 5,) Celte intelligente soumission aux lois est exigée aussi bien des gouvernans , que des gou- vernés : au défaut d'intelligence , c'est en- core à la conscience du cœur que s'adresse l'Ecriture. Ce sentiment des obligations aux- quelles sont tenus les citoyens entre eux , celte conscience de leur liberté religieuse el poli- DE LA MORALE EVANGELIQUE. 02d tique , est profondément respeclée par toutes les constitutions sages, et c'est sur elie qu'elles fondent leur force et leur durée. Nos institu- tions nouvelles ne sont guères que l'aocom- plissement de celte grande vérité : HeureuTJ ceux qui ont soif de justice, ils seront rassasies. {St. Math. S.) C'est la leçon des peuples et des rois : on peut dire, en élargissant la pensée d'un ora- teurde la nouvelle civilisation (i), que la terre a soif de justice , d'ordre légal , et que c'est le noble besoin qui , dans ce moment, la tour- mente et l'agile. N'est-ce pas admirable, qu'a- près dix-huit cents ans^ une des belle paroles de notre époque , soit l'écho fidèle d'un mot évangélique ? Heureux les pacificateurs , ils seront dits fils de Dieu. {St. Math. ch. 5.) Tu ne tueras pas ; celui qui tuera sera juge. {IblJ.) Si les hommes étaient pénétrés de ces vé-« (i) Foy. La France a soif d'ordre Ic'gal. 21. 324 ANALYSE rites , et sur-tout ceux , aux mains desquels la fortune met le pouvoir^ la terre n'aurait pas à déplorer les désastres sanglans des discordes humaines, et les fléaux plus affligeans encore de ces guerres formidables qui épuisent les nations les unes contre les autres. Leur plus grand malheur n'est pas le sang répandu : le sang n'a droit qu'à l'horreur : mais ce profond esclavage , nécessaire au despotisme militaire, cet abrutissement^ qui fait de l'homme une machine tuante et sans raison , celte mort morale, cette honte humaine, ont seules droit à l'indignation. La mort est proscrite par l'Evangile : tu ne tueras pas : l'ignorance seule de l'homme, a pu s'arroger le droit de tuer un homme, en appliquant la mort comme châtiment; c'est le reste de la féodalité et d'une justice qui ne connaissait ni sa dignité, ni sa mission. Celui qui tuera sera jugé. Si en prononçant l'arrêt fatal, chaque juge avait présent à la pensée ces solennelles paroles, et songeait qu'il aurait bientôt à rendre compte de sa décision devant le juge des juges, l'elïroiseul, au défaut de logique , l'empêcherait d'être absurde. -X'És^lise a horreur du divorce; mais elle to- DE LA MORALE ÉVAKGÉLTQUE. SîS l^re la mort : c'est outrage profond et incon- séquence à elle-même et à l'Evangile, Heureux ceux qui souffrent la pertc'cutipn pour la V,., justice; les cieus sont à eus. ( St. Math. 5. ) 'Dans cette grande cause encore pendante devant le siècle , et dont il va faire un drame européen ,, dans cette lutte toujours péril- leuse et: souvent sanglante du droit contre le privilège , du juste contre l'injuste, d'intré- pides et nobles penseurs ont pu succomber : de purs héroïsmes, de généreuses têtes pour- ront tomber encore. La liberté n'a grandi que sur la, tombe de ses martyrs. Mais pour les souffrances d'un étroit et court passage^ pour une mort de quelques heures, quel avenir d'honneurs et d'immortalité? Gomme l'his- toire ^ racontant un jour la régénération ac- tuelle, se complaira aux noms de ceuxqui,pour cette grande et sainte cause , n'ont reculé de- vant aucun sacrifice, ont accepté avec joie tous ses périls, et n'ont pas craint de payer l'ave- nir de leur sang ! On se plaint chaque jour de la décadence de cetlehauteéloquence^que fit entendre lacbaire 326". ANALYSE cvangélique devant le siècle de Louis XIV : on a bien raison : mais la faute est aux hommes et non aux choses. Bossuet^ Massillon, Flé- chier, et d'autres encore, n'ont été puissans en ])aroleSj que parce qu'ils remuaient leur époque en raison. En l'instruisant aux misères, aux vicissitudes, aux vérités humaines, ils par- laient en avant d'elle^ et préparaient sans le savoir^ au siècle suivant^ celte philosophie, d'où sont sorties les applications du nôtre. Supposez de tels hommes en présence des^ événemens que quarante ans ont ve passer, qui s'accomplissent , qui vont s'accomplir en- core. Qu'ils viennent avec leur grande et large j)arole, devant cet âge qui veut une religion claire et libre ^révéler le secret de leurs forces à leurs débiles successeurs? Qu'ils viennent leur apprendre à trouver dans l'Evangile ^ une religion mère de toute science et de toute gé- nérosité, et faire comprendre à d'inutiles pas- sions, que, lorsque les peuples sont ignorans,^ ce sont les ministres de la religion qui font les peuples ; mais que lorsque les peuples sont éclairés, ce sont eux qui font les ministres de la religion? Quelle doit-êlre amère la soufTrance de ces ombres illustres et gêné- DE LA. MORALE ÉVANGÉLIQUE. ^2") reuses , en voyant leurs trisîes héritiers com- prendre si mal leur mission, leur siècle, leur avenir! Viendra bientôt l'inévitable discussion des besoins religieux , alors que nos droits poli- tiques seront mûris et assurés. Que répondra le catholicisme, quand, traduit au tribunal de l'histoire , on le fera comparaître face à lace avec l'Evangile ? que répondra la réformation elle-même, lorsqu'elle aura à rendre compte de ces pitojables discussions de dogmes, de ces futiles et indignes pauvretés de disputes dont elle a pu entraver la parole évangélique , et en faire souvent un bigotisme (i) fanatique. On vient accuser notre âge d'indifférence en matière de religion : ce n'est pas lui qui est indifférent, c'est la religion qui est restée diffé- (i) Quand on voit, dans quelques pays , l'homme passer son dimanche, sans oser souffler, regarder ni entendre , dans une extase crease.et farouche, aussi nuisible à lui qu'à Dieu , il faut hausser les e'paules devant cet être qui se croit homme : je vois le moine du septième siècle ; et encore ce moine e'iait excusable : c'était son état. L'Angleterre est le prototype de ce bigotisme absurde : cette vieille terre qui se dit libre , est de fait , pour la conscience religieuse, la plus profondément esclave du l'Europe- le bigotisme reformé y est violence et tyrannie. 028 ANALYSE rente de lui -, ce siècle raisonneur veut, le vrai et le simple : ils sont dans l'Evangile, il n'y a qu'à les faire parler et agir. Si quelque nouveau minisire d'un culte qnî expire par lui-même, se fût pénétré du présent et de ce qui se prépare, et, qu'habile aux ins- pirations des orateurs du grand siècle, adoptant le nôtre, il eût ambitionné d'arriver à notre lîalionale tribune, quel honneur pour lui et pour sa cause^ s'il avait pu y paraître, non plus annonçant la vengeance et l'anathême , mais clair et fort comme la raison nouvelle, se met- tant en avant de toutes les libertés, l'Evangile d'une main et la politique de l'autre ? Le trône de saint Pierre est vermoulu ; on aurait peut-être pu sur sa poudre en refaire un nouveau de raison et de grandeur. Mais les momens pressent ; peut-être sont-ils déjà pas- sés. S'il n'est plus temps , le tort vient des liommes seuls. Il faut dans une grande nation, une croyance dominante ; mais une croyance dominante n'est pas une religion d'état^ qui est une faute contre l'état même. îl faut une croyance digne d'agrandir riiomme, enseignée librementdans les écoles comme couiplément philosophique DE LA MOHALE ÉVAINGÉLIQUE. 529 et comme science du citoyen ; c'est une néces- sité sociale fi), c'est une liberté de plus, qui ajoute à la force physique et morale d'un peuple. Je ne connais pas de doctrine plus pure, plus conforme aux développemens d'une grande et libre civilisation, que celle de l'E- vangile, interprétée telle qu'elle est_, telle que la veut le siècle , mais non pas telle que les. passions humaines l'ont faite. (i) Je pense que c'est un grand vice de la constitution améri- caine et auquel elle sera forcée de remédier. Chez un peuple oisif et q-i pense, la licence des cultes devient délire de toute espèce; et c'est à cette cause que les Étals-Unis doivent le nombre de leucs aliénés qui, chez eux, est hors de proportion avec celui des autres peuples. Pour connaître la gravité dé celte vérité , ce gouverne- ment devrait mettre au concours la question suivante : Quelles sont les causes les plus.Jré(]uentes de Jolies dans les États-Unis ? Sa solution leur apprendrait bien des choses, et leur ferait ou- vrir les yeux sur une plaie qui s'agrandira avec le lems, et fmirait par une véritable décomposilion morale et intellectuelle. Le de- voir des grands législateurs est de fonder un état non pour q.uel-»- ques sjèclcs , mais pour toujours. OÔO ANALYSE P^érités éternelles. L'Écriture esl utile à enseigner, à convaincre, à corriger, à instruire clans la justice. {^St. Paul, 2= É pitre à Tirnotk.') Sondez les Écritures : ce sont-elles qui rendent te'moignage de moi. {St. Jean. 5. Sg.) La poudre retourne à la terre et l'ame à l'immor- talité'. [Ecclës. 13.) Arrêtons-nous un instant sur cette grande vérité ; elle est l'espoir cle l'hornme contre sa propre fragilité : mais la philosophie me pa- raît l'avoir mal comprise. En affectant de confondre l'âme avec l'in- telligence, l'idéalisme avait voulu l'une éter- nelle comme l'autre : c'est ignorant blas- phème : il n'j a que l'âme , que le principe animateur qui soit éternel : son immortalité est aussi inévitable que celle de la lumière du soleil, que celle de l'eau de la mer. Cette explication appelle à son aide toutes les sciences physiques, et loin de les craindre se fortifie d'elles. Une seule goutte d'eau est-elle perdue dans l'univers? qu'elle soit pluie,. DE LA MORALE EVANGÉLIQUE. 53 1 brouillard , neige ou vapeur, il faut qu'elle se retrouve, qu'elle soit quelque pari. Un seul grain de sable peul-il s'anéantir dans les mondes ? il n'échappe qu'à notre faiblesse ; il est toujours présent devant celui qui fait que tout se retrouve. L'immortalité de l'âme, du je ne sais quoi qui est la vie, est aussi physique que l'indestructibililé du calorique, de l'élec- tricité. Son éternité est forcée, par cela seul que nous ne pouvons la comprendre : tout ce que nous pouvons comprendre a une fia ;, donc, tout ce que nous ne pou vous pas com- prendre n'a pas de fin ; c'est là que finit Tin- telligence humaine f c'est là que s'arrêtent ses efforts, que se brisent ses orgueils ; et où ils finissent , commencent de sublimes et d'éter- nelles grandeurs. Parle à la terre, elle t'instruira, les poissons. mêmes de la mer le le raconteront. {Joh. 12.) Si je monte anx deux tu y es : si je me coucKe au se'pulcre, l'y voilà» [Jétém. Ps, j3o.) Parle a la terre, elle t'instruira ; la science^ du globe terrestre, la géologie est appelée aux plus hauts enseignemens- Sans doute elle de- Ov)3 ANALÏSE vait commencer par interroger les diverses parties dont ce globe est formé, les couches qui le sillonnent^ lès terrains primitifs ou se- condaires qui correspondent à des âges bien éloignés. Mais après ces premières connais- sances^ viennent d'immenses questions. Gom- ment ces forêts ensevelies avec tant d'ordre dans ses profondeurs, y sont-elles descendues? comment ces ossemens fossiles , ces débris pé- trifiés d'animaux inconnus, qui sont là pour avertir les siècles à venir et défier leurs expli^ cations, ont-ils été engloutis? là jadis était la surface delà terre, vivaient des êtres animés, et verdoyait une puissante végétation, sous un air libre et pur. Gomment se sont accomplis ces énormes changemens? est-ce par quelque catastrophe terrible et soudaine ? ou plutôt la terre n'aurait-elle pas , comme tout ce qui est, sa vie , ses variations de mouvemens, ses pé- riodes de renouvellement , qui seraient son existence à elle, se mesureraient par milliers de siècles, et dont peuvent donner une faible idée ces couches insensibles qui en moins de trois mille ans, ont fait disparaître plusieurs sols de la Rome primitive? Puisque le mondé est livré aux discussions de la science^ il ne DE 1.A MOUALE ÉVAKGÉLIQUE. 335 faut plus craindre de faire parler toutes ses vé- rités ; mais quelle que soit l'explication des hommes, la pensée sera toujours abîmée des inconcevables révolutions qui dorment au sein -de la terre ; et par-delà tout ce que l'on pourra dire , les siècles rouleront toujours j entassant l'heure d'après; cet état convulsif devait finir de lui-même : il ébranla tous les trônes ; ils ont presque tous croulé depuis. Dans le moment de fatigue et de dégoût, DE LA POLITIQUE. 355 un homme apparut, et vint se jeter dans les bras de la France ; il lui montra des lauriers -, elle le pressa contre elle , et le porta au palais des rois. Cet homme peut se vanter d'avoir manqué à la plus belle destinée que jamais mortel ait eue dans les mains ; peut-être trouva-t-il dif- ficile ou ridicule de ressembler à quelqu'un , et sans Wasington , peut-être i'eût-il été pour la France, rien que par vanité : une telle sup- position , une tella susceptibilité ne déparent pas un tel homme. 11 se sentait fort , il préféra être fort ; il le fut plus aisément parles armes : la France était alors dans ses armées. Il se trouva , jeune d'audace et de génie y à la tête de républicains, qui eussent conquis l'univers à coups de bâtons : avec peu , il vainquit beaucoup. En les entraînant, en les exaltant encore^ il sut les lier à son propre intérêt , et substituer bientôt lui à la France j ce fut son plus grand art , et ses plus grands périls ; il finit par leur persuader que la France était lui ; au dehors des victoires , au dedans lui , mais lui seul. Dès lors , avec beaucoup , il vainquit peu. Ce n'é- tait plus eux , c'était des sujets : périrent la 23 554 ANALYSE pensée , la liberté , la patrie -, il n'y eut plus de France ; il n'y eût plus que de grandes armées et l'empereur ! Le rouge me monte à la figure, quand je lis un journal d'alors : Eh! quoi! tant d'abrutis- sement dans la pensée! un empire de muets! des esclaves couverts d'or et de fer? Une féo- dalité impériale , toute entière !!! 0 Patrie! Quelle leçon ! Les armes avaient fait la force du nouveau maître ; il périt par les armes : il avait été fort par des masses ; il périt par des masses ; lui seul tomba, parce que la France n'était pas lui; elle respira étonnée _, nouvelle, encore saisie de gloire et de torpeur. Un prince avait vieilli dans l'infortune : c'est la grande leçon de tous. Il rentra avec une charte ; à peine s'il fut compris : la France avait désappris ses droits. L'homme aux lau- riers revint j sa gloire le fit re voler au trône; encore une fois il manqua à sa destinée j en- core une fois il voulut être seul la France , et encore une fois il tomba parce qu'elle n'était pas lui. Il tomba pour toujours j et l'homme sublime a commencé : il lui fallait aussi la mi- sère ; elle a découvert une âme héroïque, là DE LA POLITIQUE. 355 OÙ la prospérité n'avait fait que despotisme organisateur. La charte reparut avec son rojal auteur : des fureurs en présence ensanglantèrent inu- tilement son retour , et dans la violence même des réactions une nouvelle forme de gouver- nement s'établit. Pour l'honneur de la terre, la charte avait fixé la révolution , la liberté légale, et nous apprenait tout ce qu'elle pouvait devenir. C'est un bienfait dont les résultats sont trop près de nous pour être vus tels qu'ils sont ; mais allez vous placer cent ans en avance , et retournez- vous ; voyez : si l'empire eût resté , vous étiez devenus monarchie absolue ; vous en aviez déjà les mœurs , le besoin , le langage. Si le Roi,en rentrant, eût voulu gouvernera sa guise, il en était le maître, sauf les conséquences; car son droit était malheureusement la force : vous deveniez encore une monarchie absolue, d'au- tant plus à craindre , qu'elle avait acquis à ses dépens la science du despotisme. Courbé sous la gloire, le siècle était dressé pour le joug : au lieu de ces tristes alternatives, voyez la liberté croître sans cesse, au milieu de luttes journalières et parfois sanglantes; et enfin, en 3-5. . 356 AîNALYSE trois jours, dépasser en grandeur toutes les libertés connues : car les trois journées sont le résumé de quinze ans de la charte ; elles ne sont pas une révolution , elles ne sont que l'évolution rapide et instantanée d'un fait qui s'accomplissait lentement, malgré des ré- sistances qu'il emportait avec lui , mais qu'il eût mis un siècle à vaincre. Les bienfaits de la première charte sont donc immortels , et c^est une inspiration dont sortira la liberté de l'univers, que cette idée si simple, mais si grande d'un roi, rentrant, un contrat social à la main , dans l'espoir de sauver sa dynastie et sa cause d'elles-mêmes , et le don- nant volontairement en l'honneur des droits de tous. Cette inspiration politique fera monter son auteur bien haut dans l'opinion de !a pos- térité , et la civilisation lui dressera des sta- tues de toutes parts. Un fait immense domine les qninze ans de la restauration : tous les ministères qui se sont alors succédés si rapidement ont toujours été emportés par cette charte , dans leurs chutes , leurs résistances ou leurs concessions : malgré tout obstacle , elle marchait à la liberté, parce qu'elle était presque la révolution légale , la DE T.A POLiriQUE. 35/ l'évolution telle qu'elle devait être : ses craintes et ses imperfections mêmes donnaient plus de l'orce à ses vérités, et hâtaient leur développe- ment. Il a fallu une obstination que riiisloire aura peine à comprendre , pour ne pas profiter d'un mouvement si grand et si facile , et venir débi- lement se briser contre lui. Tout aveuglement doit subir sa destinée : un seul jour il s'est armé contre ce qui était son salut; et en un jour il a disparu, anéanti dans sa propre im- puissance. Il a suffi d'un rugissement de nation, éclatant et terrible, pour remuer les foridemens delà terre, et en faire sortir îaliberté citoyenne, liberté encore inconnue au monde , et dont la France lui devait le premier et magnifique exemple. Celte esquisse de quarante ans d'événemens, rapproche leurs résultais éloignés. D'abord, une nation entière , éclairée de lumières tou- jours croissantes , en est venue au point de sentir la nécessité d'une réforme sociale , et accepte avec ivresse son accomplissement. Tel est le point de départ ; il s'agit d'organiser la liberté civile et politique : les applications roniraencent ; mais la faiblesse , l'ignorance^ 358 ANALYSE lespassionshumainess'y perdent, s'y déchaînent en essais étranges et monstrueux , et font horreur de la plus belle des causes : sur leurs fureurs éteintes , un chef militaire organise une monarchie absolue ', ici les principes sont anéantis j la France recule de deux siècles : ce ne sont plus les droits de l'homme cherchant à se constituer en gouvernement , c'est la mo- narchie-de Louis XIV ^ profitant avec génie des lumières nouvelles, pour féodaliserune ré- publique avilie. Si ce chef eût resté, l'Europe était monarchique pour des siècles , et les rois qui l'ont renversé ne seraient guères conce- vables , si la îiaine n'était pas toujours ab- surde. Sa chute trouve un roi législateur, réveil- lant la révolution par l'imparfait rétablisse- ment de la liberté politique , sous une forme de gouvernement représentatif. C'est un im- mense bienfait, qui a commencé le xix*" siècle, c'est-à-dire le siècle des pratiques sociales, des institutions politiques. Et quand l'imprévoyance a voulu lutter con- tre ces institutions, elles ont conquis eaun jour tout ce qui leur manquait ; au lieu d'être con- cessions , ce sont elles qui s'en sont faites à DG LA POLITIQUE. 56g elles-mêmes, et au chef qu'elles ont choisi, pour lui confier la garde et l'exécution de leurs droits. Entre le gouvernement de la première charte, et le principe qui a fait le gouverne- ment actuel, la distance est énorme, mais il n'y a pas révolution ; il n'y a qu'amélioration inouie et inespérée : dans ces immenses ques- tions, les hommes ne sont rien , les principes sont tout. C'est dans l'examen comparatif des consti- tutions successives par lesquelles nos institu- tions politiques se sont établies et améliorées, que réside la science théorique des gouverne- mens, et de grandes leçons pour les peuples à venir. Mais comme la politique est aujourd'hui toute entière en action , nous allons seulement examiner ici quelques-uns des résultats géné- rauxdu dernier pacte, par lequel la liberté po? litique est désormais constituée en France. o6o ANALYSE ARTICLE II. Droits des citoyens. Commenter chacun des articles de notre nouvelle charte , serait faire un traité complet et pratique des droits du citoyen. Les journaux, par leurs discussions fécondes et animées , ont prodigieusement hâté et répandu la connais- sance de ces droits. Ne nous occupons que de leurs combinaisons nécessaires et générales. Pour que la liberté politique soit certaine et durable, il faut qu'elle soit garantie ; et le pre- mier besoin de la nation, après avoir signé son contrat , a été de le rendre inviolable , en con- fiant son exécution à un chef héréditaire, pour empêcher toute passion d'aspirer à la tyrannie. Un tel chef , malgré son nom de roi , n'est donc de fait que le premier magistrat héré- ditaire d'un grand peuple. Sous l'ancienne charte , les combinaisons étaient inverses : d'abord une monarchie légi- time, de par Dieu, et non de par la nation : Dn LA. POLITIQUE. û6 1 ensuite cette nation admise imparfaitement à s'administrer. Cette différence de principes et de résultats, est l'histoire du dernier triomphe, et a dû créer un gouvernement sans exemple danslesL nations. D'un autre côté , pour que le roi et la nation soient également inviolables l'un pour l'autre, on doit reconnaître que le roi et la nation ne peuvent rien faire que par délégués ; la nation par ses représentans , ses députés, le roi, par ses ministres et tous les employés, dépendances des ministres. La même combinaison s'étend à la justice ; d'une part la magistrature du roi, et de l'autre le jury de la nation. De toutes ces délégations résultent les lois, les actes du gou- vernement, la justice. Sous une telle forme de gouvernement, l'institution des Pairs n'a plus de place ni de vocation. Elle était appui nécessaire à la légiti- mité divine, contre l'irruption nationale : au- jourd'hui que la royauté a été création natio- nale , la chambre des Pairs n'est pour le moins qu'une féodale superfluité. Quelle soil illustra- tion pour les grandes gloires : ce sérail le seul iiioyendela naîioDaîisor. 362 ANALYSE Dans ses résultats moraux , la charte enno- blit la nature de l'homme en lui laissant l'en- tier et légal développement de toutes ses facul- tés. C'est dans leur libre exercice , que réside l'égalité : car en fait et en droit l'égalité est le libre développement des inégalités indivi- duelles. En mettant la supériorité naturelle à la place de la suprématie factice, l'intelligence et le droit à la place de la superstition et du privilège , notre charte a tous les avantages des républiques, sans leurs périls : par l'intel- ligence, elle fait les seules suprématies. Ainsi se trouve résolue^, pour notre époque, une grande et importante question. Quelle est pour la France la meilleure forme de gouvernement? C'est une monarchie libre et intelligente , forte des droits que lui accorde la nation , au lieu d'être absolue ou forte par superstition et par des droits qu'elle s'imagirwi tenir d'elle seule. Cette grande réforme, préparée par la Charte de 181 5 , a été accomplie pleine et en- tière par la Charte de i85o : le tems fera le reste j mais quelque forme de gouvernement qui soit réservée à l'avenir, il faudra toujours DE LA. POLITIQUE. 363 admettre le règne d'un seul , si l'on vent qu'il y ait une France. Supposez un ministre de Louis XYI, hardi- ment novateur, et mettant , en 89, la Charte de Louis XVIII à exécution; il accomplissait la révolution légale. Vous n'auriez eu ni ce bouleversement social, gloire et honte de l'es- prit humain , ni cet empire napoléonien , si formidable de fer et si faible de force morale : aussi comme les victoires l'avaient fait vite^ les revers l'ont défait plus vite encore : il n'y a pas de nation, là où vous ne trouvez que soldats et despotisme, La force physique a sa mesure ; la force morale ne connaît pas la sienne. De V hérédité. Le trône n'est sécurité aux libertés que lorsqu'il n'est pas mortel : il le faut profondé- ment héréditaire et continu. L'hérédité est donc une nécessité vitale, librement consen- tie , profondément respectable à cause de sa légitimité, la seule vraie, celle qui relève de la nation; car la nation seule peut choisir son chef, le faire héréditaire , le faire légitime : alors, prince et nation, tout devient légitime^ 364 ANALYSE parce que tout esl suivant les conlact.s consli- tuans. Telle est la base de tout gouvernement vraiment constitué. Alors la légitimité rentre dans sa signification première, c'est-à-dire qu'elle procède de la loi. Tout ce qui sort du cercle légal est despo- tisme on anarchie : l'ancienne légitimité n'é- tait qu'une superstition despotique : pour se maintenir^ il fallait qu'elle fût la plus forte : la violence était sa nécessité , parce qu'elle était le résultat d'une violence passée en ha- bitude. Aujourd'hui la légitimité ne relève que de la loi ; elle doit aussi ne pas sortir de la loi. Invoquons ici de grands exemples. Louis XVI , avec la constitution d'alors , tout imparfaite qu'elle était _, ne pouvait pas légalement être jugé par la nation ; à tort ou à raison , la nation pouvait le détrôner de force ', mais le détrôner légalement, par un jugement, c'était monstrueux^ parce que le peuple était à la fois juge , accusateur, exécu- teur : aussi tous ses juges ont éîé jugés y ont péri, par eux-mêmes, de la luéme façon. Voyez maintenant le contraste d'une éduca- tion politique assez chèrement payée. Quand, en i85o, un roi voulut subitement remplacer DE LA POLITIQUE. 56!> la loi par la violence, la violence lui a répondu ^ elle l'a détrôné j elle ne s'est pas amusée h le juger ; elle l'a mis hors de nation^ dès qu'il s'est mis de lui-même hors la loi : c'est losi- que. En employant la force , ce roi a couru les chances de la force ; il est tombé^ en cessant d'être légitime, en cessant d'être suivant les lois. Cette nécessité de profond respect aux cons- titutions, consacre l'inviolabilité et l'hérédité du trône : c'est un grand principe de liberté légale. Faute de lui^ ont péri et périront toutes les républiques. De même, en consa- crant l'hérédité, comme droit surnaturel et divin , les rois avaient rompu avec les peuples : ils ne pouvaient durer ainsi que par l'igno- rance : dès qu'elle a cessé, ils sont retombés au-dessous des peuples; et pendant qu'ils se disaient régner de par Dieu , ils s'en allaient mendiant de par les hommes. Ces orgueilleuses absurdités sont à leur fin: déjà l'on commence à comprendre ce qu'est un trône légitime; et la logique politique finira par enseigner à tous^ qu'il est héréditaire pour la nation seule. Il est donc profondément respectable à lui- même et à la nation c Etranger aux passions 566 ANALYSE qui s'agitent auloiir de lui , il ne doit faire sentir qu'en bienfaits , en clémence , en gran- deur. Un tel trône relève d'en haut : c'est re- fuge, consolation, puissance plus qu'hu- maine. Certes , il est beau qu'un roi de France en soit le premier citoyen : voilà pour son devoir ; mais de plus, il faut qu'il joue son rôle de roi, et soit le digne représentant d'une grande et noble nation. Des ministres. Les ministres sont les commis du roi , res- ponsables devant la nation qui paie. La rovauté est infaillible ; c'est dogme à rendre sacré : mais ses ministres sont responsables > sont comptables envers la nation^ qui les inter- roge par ses députés. Un député est plus qu'un ministre , qui n'a pas le droit de l'interroger , et qui n^est qu'un exécuteur mobile , placé entre une royauté permanente et une nation permanente. Je ne sais si ce n'est pas un défaut de notre éducation politique, que de faire des députés ministres. D'un côté la royauté fait autant de ministres en idée qu'il y a de députés; et de DE LA POLITIQUE. S^T" l'autre la nation expose ses mandataires à dé- serter au pouvoir. Elle les envoie , pour assu- rer ses intérêts; on les voit combattre, résister, menacer, faire de l'ambition, souvent par perspective d'un remplacement : et comme l'âge a été abaissé , dans quelques années les rivalités seront plus ardentes. Un vrai mandataire de la nation doit être seulement législateur, et dans l'impuissance du pouvoir; autrement il manque à son man- dat et aux intérêts qu'il représente. C^est au prince à savoir prendre et choisir ses ministres dans tous les rangs, et sur-tout dans les rangs inconnus. Le choix des hommes fait le pouvoir; dans la puissance, on craint davantage de ceux qu'on connaît, on attend plus de ceux qu'on ne connaît pas. De fait ou de droit, il y a toujours un pre- mier ministre; s'il n'en a pas le titre, il en a l'influence : c'est l'influence intellectuelle qui fait le premier ministre; elle est irrésistible; les autres viennent involontairement se ranger autour d'elle. Il ne doit y avoir de premier ministre en titre, que dans les temps difficiles ; alors il faut unité et promptitude d'action. Dans les temps 568 ANALYSE ordinaires, un prince qui veut régner, né peut que gagner à laisser la république parmi ses ministres, et à ]es observer monter chacun à leur degré. Ctîlui, qui par l'intelligence, sera le plus influent, sera de droit, mais non de titre, son premier ministre. Le sort d'un tel ministre en France est le poste le plus digne d'envie : il peut faire la France et par elle faire l'Europe, s'il sait vou- loir. Ce ministre est à trouver dans la géné- ration nouvelle : là sont les élémens dés grandes choses : il faut se hâter de les mettre en œuvre : ces nouveaux venus sont forts et pensans , parce qu'ils sont instruits de leurs pères. Pour gouverner, les moyens sont faci- les ; honneur et conscience : les applications seules sont rebutantes et demandent un âge vigoureux de persévérance. La morale est une arme à laquelle un homme ne résiste pas : ses effets sont plus magiques encore sut les masses ; elle seule fait un minisire. De r opposition i Ce qu'on nomme opposition ;, n'est, dans le fait, que discussion journalière et féconde D13 LA POLITIQUE. 669 chez un peuple qui se sent et qui pense. C'est l'âme des gouvernemens constitués : elle est écrite ou parlée : dans les journaux elle fait de la politique usuelle ; à la tribune , elle con- court à la formation des lois, et fait entendre ses plaintes et ses avis. L'institution des jour- naux est due aux avancemens de l'esprit humain : c'est une puissance au-dessus des puissances, parce qu'elle est l'intelligence en permanence. C'est une force qui a manqué aux nations passées : loin de la craindre^, il faut la favoriser et faire qu'elle pèche en trop : quand elle est raisonnable, c'est elle qui gou- verne. Les tribunaux sont là contre la licence : vous la frappez en argent ; c'est une arme lo- gique : l'argent fait des coupables; la prison ne fait que des martyrs : mais craignez d'a- buser d'une telle arme; ce serait tuer Toppo- sition et vous faire impuissans vous-mêmes. L'opposition est la force qui tend l'arc ; plus il est tendu, plus le trait, la civilisation, va vite et loin. C'est à vous à veiller à ce qu'il ne blesse personne : votre rôle est assez beau. La faiblesse seule craint le bruit: l'enfant qui vient de naître crie, mais c'est une nécessité 24 070 ANALYSE de sa vie ; ses cris développent ses poumons : s'il ne criait pas, il étoufferait. Mais n'allez pas prendre pour cris salutaires, ceux de la souffrance ou de ja mutilation : dans ce dis- cernement est votre talent de ministre. Education politique . L'Emile finit où il a dû finir ; c'est , comme le dit Rousseau , un homme bon à tout : il est venu, il a grandi dans un temps où chacun naissait et mourait en place ; il a été élevé pour être un homme , mais un homme comme il y en avait peu dans son siècle. Je suppose qu'il vient de dormir plus de soixante ans , et qu'il se réveille aussi jeune, que lorsque son maître l'a abandonné à lui-même.... « Allons , brave » Emile , il faut être administrateur, orateur, » ministre...» ... Il me regarde avec ses grands yeux spirituels , qui semblent douter de mes paroles... « Eh bien î tu ne réponds rien? Je » ne vous comprends pas... Ton maître ne t'a » donc rien appris ? arrêtez ; pas un mot » contre lui; je l'aime, je l'honore^ je l'admire » comme un ami, comme un père, comme un » sage: il m'a pris tout chaud à l'entrée de la vie. DE LA POLITIQUE. O^ 1 » et ne m'a quitté que quand je me suis marié. » >i Je nem'étonneplussitu dormais sibien; mais, » écoute ; je t'ai réveillé, parce qu'il faut ap- » prendre encore... Pendant ton sommeil, trois » quarts de siècle ont bientôt passé : trois » Frances se sont succédées, depuis celle dont » ton maître désespérait avec son injuste élo- » quence : l'une, anarchique par la faute pre- » mière des ministres d'alors; l'autre, despo- » tique par le génie impérial d'un conqné- » rant j la troisième , sage et constituée par la » volonté d'un roi : sous l'anarchie on parve- » nait par l'anarchie , sous l'empire par les » armes , sous les constitutions on parvient par M l'intelligence: l'éloquence n'est que la haute » intelligence parlée, ou écrite. Ton maître » ne t'a guère appris qu'à vivre pour être » homme ; je veux t'enseigner à être citoyen , » je veux faire de toi un homme d'élat , un )) homme capable de gouverner des hommes : » les beaux jours d'Athènes et de Rome vont » refleurir dans la civilisation nouvelle l l'élo- » quence des vieilles républiques s'en va dé- » sormais faire l'honneur des monarchies nou- » vellcs : les causes , les changemens qui ont » opéré l'alliance de choses si cruellement en- 2/„ Oyi AKAL\SE » iienùes jusqu'à ce jour; je vais le les expli- » quer ; quand lu les connaîlras , lu seras au- » tre; tu auras grandi de dix pieds en raison »... Et ce pauvre Emile croyait rêver , ou que je me jouais de lui.... Mais lorsque, après lui avoir déroulé le long tableau des événemens du der- nier siècle , dont chaque année fut presque un siècle , je fus arrivé à notre époque , au jour même où nous vivons , et que par le passé _, îuidémontrant le présent , lui faisant pressen- tir l'avenir^ je l'eus initié aux secrets de nos institutions^ à leurs Î3ienfaits , à leurs espé- rances , ému , transporté comme aux jours de sa chaleureuse adolescence. « O tems, ô siècle » de grandeur qui s'avancent^ et que je ne fais ') qu'entrevoir encore , piiissé-je être bientôt » digne de vous » et prendre place à votre des- )) tinée! Je vous salue de loin, et déjà je me » sens nouveau; je sens ma dignité, je relève » de moi-même ; j'étais né pour végéter^ main- » tenant je vais exister et marcher dans l'en- » tier développement de moi-même... Maître, » guidez-moi ; je commence à naître encore » une fois... «. Rousseau a fait un livre en avant de son époque ; ce livre n'est plus que la préface d'une DE LA POLITIQUE. 5^5 œuvre plus difficile..,, il s'est arrêté où son siècle pouvait prétendre^ et des tems inspira- teurs ont manqué au génie, comme aujour- d'hui c'est l'époque qui semble manquer à comprendre son prodigieux avancement. Nous avons , il est vrai , des écoles pour les arts , pour les lettres ^ pour les sciences j nous avons des académies de musique , de danse , et même de déclamation, digne nom d'un stupide en- seignement! Mais pour la politique, la pre- mière des sciences actuelles, nous n'avons- rien , presque rien ; à peine si l'on paraît s'en douter (i) : on dirait que les hommes d'élat naissent tout faits j on dirait que la connaissance et la discussion de nos droits politiques, qui sont Famé des gouveruemens constitués, s'oc- troient encore par ordonnance, et sont le pri- vilège obligé de tout ce qui monte aux places. Et ces droits , ces discussions où voulez-vous qu'on les apprenne? Sans les journaux de- puis seize ans, à peine si nous les connaîtrions encore : et leur politique d'emportemens et de (i) On vient de créer une acaJéajie , c'est bien; niaiî o'cjI commencer par la fin : foadijz d'iJjord des écoles. . ÔJ/i ANALYSE passions est loin d'être suffisante; à côté de grandes vérités , sont souvent de grandes er- reurs. Oij voulez-vous ensuite qu'on se façonne à parler en public, à devenir éloquent? voyez ce qui se passe : il faut d'abord se faire avocat, puis l'on vous donne des escrocs, des voleurs^ des filles perdues à défendre d'office , à sous- traire à une juste punition : si c'est par forme, c'est aussi par forme.qn'on parle, et l'éloquence est au niveau du sujet. D'un autre côté , la pre- mière Charte en fixant à quarante ans l'âge où l'on peut arriver à la tribune, avait sagement agi pour faire des législateurs ., et c'était peut- être en songeant à Barnave et à Saint-Just, que son auteur avait voulu d'un âge où l'on ne ris- que plus scn avenir. Les trente ans d'aujour- d'hui ont encore plus d'un péril; on bouillonne peut-êlre trop d'ardeur et de nouveauté, et encore jusqu'à trente ans, il faut pouvoir se former et attendre. Autre difficulté; en prenant les députés parmi les plus imposés, parmi ceux que leurs intérêts fixent le plus au sol, la Charte est profondément sage ; elle lie la tribune au trône. Mais parmi ceux qui pos- sèdent, qu'on nomme députés, la connais- sance de nos droits et sur-lout le talent delà [la- DE LA POLITIQUE. ÔJ O rolene peuvent-étre qu'accidentels; ilnesuiïit pas d'être animé des plus nobles sentimens , il faut encore être sûr de son droit, pouvoir le dé- fendre vite et bien , être prêt enfin à monter à chaque instant à la tribune : un député muet n'est qu'un demi-dépulé ; les discours écrits ne sont que des sermons ; il faut encore savoir les lire sans regarder le papier ; c'est un art tout entier que l'art de la parole ; un seul geste n'est pas indijGTérent. Il faut sur-tout profiter •des incidens,et rendre vivement lesimpressions vives el soudaines; l'étude prépare un discours, Ta- propos le fait tonner. Parler est donc plus difficile qu'on ne pense : on naît député , on se façonne orateur. Dernier obstacle enfin : ceux que la fortune ne favorise pas, seraient con- damnés à un éternel silence, malgré le plus beau génie, s'il ne restait la faculté d'écrire. Il est aisé de résoudre toutes ces difficultés, de concilier des intérêts si opposés, et même de les faire tourner au profit des tems nou- veaux. A notre époque toute politique _, don- nez une institution nécessaire à ses besoins^ créez une grande école politique. En voici le plan général. Je voudrais que cette école , ce véritable ^jS AiNÂLYsi;: institut politique fût une chambre législative , seulement pour la jeunesse ; qu'on ne pût y être admis que de dix-huit à trente ans ; que le nombre de ses membres ne dépassât pas cinquante , et que les élections s'y fissent comme dans les corps savans , à la majorité des suiFrages. Je voudrais que, pour être reçu dans ce corps d'élite, il fallût avoir publié sur une des sciences morales, politiques ou économiques, un ouvrage constaté parle succès ; que celte cliambre nouvelle ne fût ouverte que dans l'in- tervalle d'une session à l'autre ; qu'elle eût des séances publiques et qu'on envoyât discuter là d'avance les lois ou les projets de lois qui, dans les sessions suivantes, doivent être pré- sentées aux chambres. Telle est l'idée générale : les détails seraient réglés conformément à cet esprit, et voici les principales conséquences d'une telle création. Au commencement de la vie, vous indi- quez un but à ceux qui se sentent portés vers les affaires : vous tournez les jeunes intelli- gences vers les choses utiles et grandes ; vous y gagnez beaucoup de mauvaises pièces de ihéâtreetde romansde moins, et beaucoup de DE LA POLITIQUE. 877 reclierches instructives de plus; voilà les es- prits sensés et solides étudiant, approfondis- sant quelque sujet utile à la cause commune, à nos institutions nouvelles , qu'on aimera d'au- tant plus qu'on les connaîtra mieux. Voyez en- suite qi^el avantage pour les chambres et pour le gouvernement que des lois déjà disculées, peut être avec chaleur, mais sans autre in- fluence que plus de lumières; car on apprend autant par les erreurs que par les vérités d'une discussion. Vojez parmi ces jeunes citoyens, le monarque , les ministres , les oppositions , choisir, désigner, adopter ceux qui leur con- viendront, les doter, s'ils sont pauvres, les marier à tribune s'ils sont éloquens, les appe- ler aux posles de l'Etat. Là, ils seront en scène et se montreront tels qu'ils son t; vous n'aurez plus qu'à choisir : voilà le gouvernement représentatif en permanence et plus tranquille; il faut du mouvement, de l'agitation à notre époque ; c'est sa vie , sa né- cessité. Voilà une généreuse émulation excitée, encouragée, et entrant dès à présent dans tous les bienfaits de notre révolution : vous voilà enfin fondateurs d'une institution qui a man- qué à tous les peuples , et préparant l'avenir 07b ANxVLYsn lies monarcûies légales : une telle création serait l'honneur du siècle : et comme la France est la mère-patrie de toutes les générosités^ réservez dans cette noble enceinte quelques places pour des membres étrangers : qu'ils viennent aussi se Ibrmer et s'instruire à celte école de la civilisation européenne^ et qu'ils remportent en leurs pays le souvenir et l'exemple d'un grand peuple, se gouvernant par rintelligence. Je voudrais même que l'emplacement de cet institut ne fût pas indifférent : je le vou- drais s'élevant à l'entrée des Champs-Elysées, en regard du vieux palais des rois, en regard de la tribune nationale , et de ce temple des- tiné d'abord à la gloire militaire , qu'il faudrait dédier à la liberté légale, et que, dans le loin- tain , au sommet de Montmartre je voudrais voir dominer par un temple nouveau, dédié à la Liberté du monde. Je voudrais cet institut près et en regard d'une statue qu'il faut se hâter de finir , que la liberté, dont il fut le premier martyr, doit rendre enfin à sa vraie gloire , près et en regard da la statue du seizième Louis. Noble et royal martyr d'une liberté que tu voulais, que tu portais au cœur, dans laquelle DE LA POLITIQUE. O7O tu aidas l'Amérique, les tems sont venus de nommer les hommes et les choses par leur nom! Ils t'ont dit roi faible! Ah! sans doute qu'ils t'eussent nommé grand roi, si moins avare d'un sang qui devait t'être si funeste , tu eusses préféré ta vie à celle des hommes qui s'avançaient si menaçans! Noble et royal mar- tyr de la liberté !!! C'est aux générations pures et nouvelles _, à t'apprendre, à te connaître, à te proclamer tel que tu as été! Que l'on me trouve dans l'histoire beaucoup de rois aimant mieux s'iiiimoler à eux-mêmes que de verser une goutte d'un sang rebelle, acceptant la perspective d'une mort infâme^ plutôt que de manquer au cri de la plus généreuse des cons- ciences , mourant enfin martyrs d'eux-mêmes, et je consentirai à révoquer mes paroles!! Noble et royal martyr de la liberté ! puisse le cri de justice et de douleur d'un fils de îa nou- velle France retentir jusqu'à toi, et faire des- cendre quelque consolation dans ce cœur géiié- reux, que les hommes et les événemens se sont plu à ne pas vouloir comprendre , et à navrer de si cruelles , de si terribles amer- tumes. ^)So ANALYSE Imperfection de la Charte. Malgré les heureux changemens faits à l'an- cienne Charte, la nouvelle renferme encore des clauses dangereuses , qui compromettent notre avenir. Ici ce n'est question ni d'intérêt^ ni de passion , c'est question de logique. Mais comme toute amélioration ne saurait être ins- tantanée, et qu'il faut d'abord des institutions fixes, pour consolider un gouvernement nou- veau , sachons attendre du temps seul , ces im- portantes modifications. La Charte est faite pour rendre sacrés les droits de la nation et les droits du trône : or , toute clause qui met en péril l'un ou l'autre , est contre-sens à la Charte^ et par conséquent danger pour la liberté. Cette faute existe dans l'imprévoyance de l'article relatif à la néces- sité de la sanction législative pour le vote de l'impôt. Le faire voter par ceux qui le paient , est une justice, un honneur, une idée grande. Mais donner le pouvoir de l'accorder, c'est donner le droit de le refuser : et en cas de re- (us , la Charte ne songe pas à garantir le gou- DE LA POLITIQUfi. 58l verneinent de si graves conséquences : celte clause peut devenir une arme terrible dans des mains ambitieuses : le lendemain du re- fus de l'impôt _, vous aurez l'anarchie , et l'a- narchie, comme on ne l'a jamais vue, l'anar- chie légale. On aurait dû se rappeler que des constitutions , postérieures à notre première Charte , avaient été plus prévoyantes; ainsi, dans un petit État d'Allemagne, dans le du- ché de Hesse, une constitution de 1820 veut, qu'en cas de refus de l'impôt, le J^udget de l'année précédente ait force de loi pour un an. C'est une grande prévoyance : dans un an^ on a le temps de réfléchir. Un autre article me semble profondément contraire à l'esprit entier de la Charte ; c'est celui qui veut que certains cultes religieux reçoivent des traitemens du Trésor public. Pajez-les, si vous voulez,' mais n'en faites pas une loi de privilège : c'est un contre-sens à la liberté , à l'égalité , deux bases fondamentales de notre pacte social. Loin de calmer les pas- sions, c'est les irriter, en leur donnant appui : et le gouvernement ne doit être qu'exécu- tion des lois, et non investigation des con- sciences. 3>>2 . ANALYSE Payer légalement un culte , c'est faire privi- lège de ce culte , l'imposer comme le meilleur, ou du moins le reconnaître tel : notre Charte n'est pas une affaire de dogme ^ mais un fait positif, le respect et la liberté de l'homme. Enfin , l'âge de trente ans , fixé pour l'éli- gibilité parlementaire, ne me parait pas une modification bien heureuse : il fallait laisser les quarante ans , ou ne pas fixer d'âge ; dès que l'homme est majeur, il est citojen de fait et de droit : vous lui laissez le droit de nom- mer à vingt-cinq ans , et vous ne voulez pas qu'il soit nommé! C'est niaiserie politique, si ce n'est pas insulte. ARTlCLi: ÎIl. Droits des Nations. — Politique géne'rale. Les nations ont aussi besoin d'une charte souveraine ^ qui règle et assure leurs droits et leurs devoirs mutuels : il est digne du siècle de faire pour les nations ce que notre charte a fait pour les individus; et, suivant le vœu DL: la POLITIQUIÎ. ôbi> d'un illustre maître (i), c'est aux pieds de la statue de Montesquieu qu'il faudra signer ce pacte légal et fédératif de la législation des peuples. Dans ce sujet tout est nouveau : les droits des nations entre elles n'ont été, jusqu'à ce jour, que la force ou l'astuce ; le canon a été l'argument de leur morale , et des phrases am- biguës , fécondes en interprétations , ont fait leurs sermons et leur générosité. Le raisonnement qui met la justice d'un peuple à la bouche du canon , et qui^ au jour de bataille, attend sa décision d'une pluie, d'un brouillard, ou d'une charge de cavalerie, est le plus sanglant outrage que l'homme ait ja- mais fait à sa raison : en le voyant encore si stupide aujourd'hui, on serait tenté d'endéses- (i) M. Villemain, Eloge de Montesquieu. Il était déjà pro- fesseur de rhétorique aa lycée C.Larlemagne, lorsqu'en i8i3 je me suis trouvé sous lui : celte année m'a laissé de doux et nobles souvenirs. M. Villemain préludait déjà dans ses chauds et savans commentaires à cette réputation , qu'il a si bien justifiée : qu'il reçoive ma reconnaissance j si je peux quelque chose, c'est à lui que je le dois. 584 ANALYSE pérer , s'il ne valait mieux l'éclairer que le 1 maudire. Les nations , comme les individus, ont leur morale , leur conscience, et ce n'est pasimpu- punément qu'elles la violent ou la mécon- naissent : elles aussi n'échappent pas à leur destinée. Interrogez les guerres, analysez les causes et les résultats de ces sanglantes dérisions de jus- tice , d'honneur, de patrie : qu'ont-elles pro- duit depuis trois mille ans? Une guerre veut une guerre, parce qu'il y a toujours un vaincu : la paix obtenue par les armes , n'est que pré- paration à la vengeance; ce sentiment d'hu- miliation est profond dans l'homme qui se sent blessé dans tout ce que sa vie a de plus sensible. La oaix n'est qu'impuissance de guerre : elle est force imposée à la place de justice ; elle est insulte triomphante, se vantant encore de mo- dération. C'est avec cette pitié de logique, avec cette monstruosité de justice qu'on règle les destinées des peuples : la force , à la place de la raison, et la force stupide, organisée en ma- chines tuantes : celui qui tue le plus, et le plus vite, a le plus raison, et court en bénir Dieu ! DE LA POLITIQUE. 585 Au moins diins les combats de la Chevalerie il y avait une noblesse religieuse qui pouvait excuser l'action : cette confiance de justice en la divinité qu'elle prenait pour arbitre, était iioble et heureuse espérance , en ce qu'elle commençait la punition du pervers, et faisait, malgré lui, trembler sa main. Mais aujourd'hui, qui excusera la stupidité de la guerre? Il est tems de signaler la cause de celte criante in- jure faite à la raison humaine. Le despotisme seul a pu réunir les hommes en troupeaux bardés de Ter , et les envoyer se tuer réciproquement^ pour venir, sur leurs cadavres, recueillir le fruit du combat. Si jamais ces hommes eussent été instruits à se demander pourquoi ils marchaient , ils eussent â l'instant jeté leurs armes pour retourner chez eux : mais c'est parce qu'ils n'ont pas encore su se demander ce pourquoi, qu'ils ont marché, qu'ils marchent encore, et qu'ils sont des in- strumens sans réflexion. Du jour où les soldats connaîtront leurs de- voirs d'hommes et de citoyens, il n'y aura plus de guerre, parce que tous seront citoyens avant d'être soldats : un siècle de la nouvelle civilisation désarmera toute l'Europe. 25 flBG ANALYSE Les guerres de F Empire ont nnolenimeiit précipité ce résultat. Pour avoir l'obéissance aveugle , le chef avait tué la pensée : de l'enfance à la vieillesse, tout respirait militaire : du coîlég-e à l'arrière- Lan , tout élail dressé pour les armes : telle était sa nécessité, parce qu'il n'était fort que par le sabre. Cette monstrueuse mutilation d'un peuple généreux, il l'a expiée assez cruellement: tant de grandeur dans la puissance, tant de no- blesse dans l'infortune, voudront toujours des égards ; mais le jour de l'histoire va venir bientôt pour lui ^ et elle fera sortir de cet ar- mement insensé d'un peuple en permanence sous les armes , la plus grande leçon des na- tions actuelles : elle leur apprendra que la force, même aux mains du génie ^ est impuis- sante contre la justice , et queses sanglans et passagers triomphes se changent, d'un jour à l'autre^ en revers, en humiliations : trop heu- reux les peuples, si l'abrutissement ne vient pas les finir l Voyons maintenant ce qu'on nommé politi- DE LA POLITIQUE, ùSj que entre les nalions : des notes anipliygouri' qiies ; des phrases mesquines, étroites ^ coîé- renses ; des secrets de coulisse ; des disputes de mots ; des principes aussi versatiles que les événemens et se traînant à leur suite ; du ma- rivaudage diplomatique : voilà ce qu'on Homme rapports des nations entre elles. Rien de clair, de noble, de fort , de constant , parce que rien n'est juste, parce que les droits des peuples ne sont pas encore fixés par une légis- lation digne d'eux. Il faut le dire aussi , les ca- binets européens ne comprennent guère leur tems : depuis quinze ans, un siècle de raison a passé sur la terre : les peuples ont grandi ^ et eux veulent rester à leur ancien niveau : aussi ce sont les peuples qui regardent aujourd'hui du haut en bas ceux qui les administrent. Que les droits des états deviennent enfin cer- tains et sacrés? un siècle auguste, plein d'a- venir commence, et demande un code des peuples , digne et grand produit de la civilisa- tion actuelle. Ce code devra reposer sur les mêmes bases que la le'gislation des individus, sur les éternels sentimens de justice et de mo- rale. Alors seulement la politique sera science certaine, parce qu'elle sera pratique aisée : 25. 588 ANALYSE alors seront fixés à jamais les droits et les rap-/ ports les plus élevés des hommes entre eux : il est iems que les nations , comme les particu- liers, aient leur arbitrage légal ; car se battre et plaider ne profile qu'à ceux qui font plai- der «t battre. ARTICLE IV. De l'Europe. Après l'invasion de Mahomet II , FOnent ébranlé est venu rouler en débris au nord et à l'occident de l'Europe : sa chute a réveillé des nations nouvelles ; la Russie, l'Allemagne^ la France et l'Angleterre» Malgré les inégalités d'âge , et les rivalités de terrains et d'intérêts , tous ces états marchent vers la même civilisation : les uns vont vite, d'autres lentement : quelques-uns ferment les yeux pour ne pas voir marcher les autres ; ils se croient stationnaires^, et ne sont qu'immobiles dans un vaisseau qui va toujours. La tendance générale de l'Europe, est vers DE LA POLITIQUE. 089 les inslituli(His légales : l'expérience des tems ancieos et sur-tout des tems modernes, ap- prend que dans les monarchies , il n'y a pas de liberté plus assurée, que celle fondée sur les droits des citoyens : cette vérité^ encore toute jeune , est le dix-neuvième siècle en action. L'Angleterre avait depuis long - temps donné l'exemple : mais, comme tout ce qu'elle a de bien , elle l'a gardé tant qu'elle a pu , il a fallu lui voler son secret. Elle n'a toujours été féconde et habile qu'en maux pour lès peuples : cette funeste habileté est une néces- sité de son existence. Le jour oij elle sera une puissance morale, elle ne sera plus puis- sance. L'Occident et le Nord de l'Europe sont tra- vaillés de la même civilisation, le Midi s'éteint faute de vie : la Grèce, l'Italie, l'Espagne ont passé : l'Amérique est trop jeune encore ; l'Asie ne compte plus ; l'Afrique est éteinte. Annibal, Carthage^ et son empire dorment au fond des mers: les bords Africains (i) ne ré- (i) Nutie expedilion cVAlgei' n'est qu'une confiimaiion de ce fait; cepcndiinl elle doit le modifier beaucoup. SgO ANALYSE cèlent plus que quelques brigands , corn nie on voit aux vieux monumens se nicher les oiseaux de proie. L'Europe nouvelle est donc le foyer du monde : chacune de ses parties tend vers le même but ; mais chacune s'avance avec soa originalité spéciale, De la Russie. En commençant par TElal le plus éloigné ,, nous trouvons la Russie^ un des empires mo- dernes^ venu le dernier. Il s'est réveillé en sursaut , farouchement secoué par le bras nerveux de Pierre : en un siècle , il a grandi plus que les autres en mille ans : c'était un enfant de six pieds , auquel on apprenait à lire f il a marché, il a parlé avant de com- prendre ; il s'est levé du berceau homme fait : en se mettant sur ses pieds, il s'est trouvé le plus haut de l'Europe. Cette rapidité de croissance sera pour l'ave- nir cause d'un déclin rapide : plante poussée forcément, fleurit et passe vite. L'exemple des anciens peuples apprend que les grands empires périssent de leur étendue , el finissent en raison de leur développement. DE LA rOLlTlQUE. OC) l Voulez-vous un contraste vivant? voyez la France : qualorze siècles d'aggrandissemens Jenls et continuels ; sou développement mo- ral suivant pas à pas son développement plijsique ; ses moeurs, ses lois, sa langue ^ ses institutions arrivant à leur perfectionne- înent , quand son terrain arrivait à ses liuiiles naturelles : qualorze siècles de luttes , de pro- grès , de forces morales et physiques toujours croissantes; et à toutes ces forces, aujour- d'hui la plus indomptable de toutes^ celle de la civilisation. Aussi sommes-nous arrivés à la virilité , dans toute la force d'un dévelop- pement naturel : vieille de quatorze siècles, la France est plus certaine d'avenir, que la Russie , jeune de deux cents ans. Nul doute qu'un gouvernement sage sau- rait reconnaître ce vice originaire, et reculer le moment fatal d'une décadence, plus pro- chaine qu'on ne pense : mais la Russie n'a été qu'un empire militaire, et le tems des em- pires militaires touche à sa fin. On ne peut y méconnaître encore l'immi- nence d'une révolution qui la travaille sourde- ment , et dont les explosions , comprimées à grand'peine , finiront par la bouleverser : l'in- Ô92 ANALYSB vàsion de i8i4 a perdu le despolisme eii Europe. Napoléon seul avait pu , en la ca- ressant d'abord , faire avorter la révolution en Monarchie absolue. En le renversant, l'Eu- rope a relevé la révolution légale , el^ plus encore ^ elle en a emporté les idées et les es- pérances : la Russie sur-tout^ dans ce qu'elle avait d'éclairé^ s'y est pénétrée d'une sym- pathie , qu'on force vainement à se cacher et à se taire , mais à laquelle l'occasion donnera^ son entier développement. Ou çeu.x qui gouvernent sauront prévoir ce qui est inévitable , et en profiter pour se met* Ire à la lête d'un mouvement gradué et régé- nérateur ; ou ils voudront s'obstiner contre lui, le repousser, et alors ses débordemens seront terribles , engloutiront la Russie, et à sa place vous verrez surgir cinquante républi- ques demi-sauvages. . En attendant cette fin prématurée, inexo- rable comme la providence , dont elle est l'exécution , la Russie s'examine en tremblant elle-même, et voudrait conquérir pour pouvoir exister: elle voudrait se déplacer, et venir s'as- seoir autour de la Mer noire, espérant trou- ver là , place et vie nouvelles. Cette tendance dj: la politique. ogo du Nord vers le Midi, a de toatlemps été gé- uérale et forcée. Pierre ne pouvait avoir d'au- tre port de mer que sur la Baltique, etillui a imposé sa capitale : aujourd'hui la Russie se relourne et espère au Bosphore un avenir qui n'est pas pour elle. De toute l'Europe j c'était la seule puissance ayant intérêt à la force , à la grandeur de la France : sa politique était à comprendre cette vérité, et sur-tout à la mettre à profit : la civi- lisation à l'Occident , la puissance à l'Orient , auraient été toute l'Europe ; le reste auiait attendu et regardé : c'était si simple , et si grand ! Et puis riiistoire est là , lui montrant l'exemple des Romains : ils n^ont été Torts que tant qu'ils ont eu à conquérir ; ils ont fini , lorsque les conquêtes leur ont manqué , et pourtant ils portaient la civilisation Romaine à des peuples ignorans. Les empires de soldats na vivent que par la guerre, et la paix les tue et les désorganise; les empires de citojens, les peuples constitués , s'aiïermisent et s'éten- dent par eux-mêmes : telle est la leçon du passé : grande et ferle leçon , qui retombe bien vile sur qui ne veut la comprendre. 5C|4 AWALYSE De r Allemagne. D'une rive du Rhin à l'autre , il y a \m siècle , un peuple onlieF de dJiFérencej de la France on entre dans un air nouveau : d'un monde vivant, trop agité pej.it-être, si cette agitation n'était pas création en tous genres, on entre dans un monde calme et dormant. La première im- pression est indéfinissable : des routes , des villes superbes , à chaque pas les souvenirs du moyen âge, les éîoquens débris des monumens gothiques, une végétation, une fécondité de sol puissantes, etau milieudetousceséléraensd'ex- citation, une monotonie d'existence qui ressem- ble à de l'assoupissement. Là, aussi, quelques penseurs veulent la civilisation nouvelle; là, vous la retrouvez dans quelques endroits, non pâs raisonneuse, éloquente^ sophiste comme en France , mais sourde , calme et s'organi- sant dans le silence et la lenteur. Là^ aussi ^ se font des révolutions , mais des révolutions à la glace : le désordre s'y fait ordre. Dans un de ces États, en 1820, des citoyens recon- naissent la nécessité, d'institutions légales, ils s'asseniblent , s'échauffent , vont au palais sou- DE LA POLITIQUE. Ofjb verain demander une constiUilion. Le prince descend, s'explique, leur promet une nou- velle forme de gouvernement , et ils s'en re- tournent chez eux paisibles : depuis dix ans , ils ont des institulious représenfalives : ce qui serait convulsion en France , n'est là que pro- menade d'insurrection. Dans d'autres Etats , le pouvoir absolu or- ganise lui-même les constitutions, et ces deux modes de gouvernement vivent cordialement réunis. Presque dans tous , sous les habits de la civilisation nouvelle, se retrouvent les ha- bitudes, les croyances, leside'esdu quinzième siècle. En Allemagne^ l'instruction est pluspopu- îairequ'en France; dans quelques Etats^lesinslJ- tutions niunicipalespeuvent servir de modèles; mais à cètéde cette instruction générale , mais superficielle , se trouvent les superstitions , le fanatisme religieux : à côté d'insli lu lions libé- rales , sont les caprices du bon plaisir, ou la volonté d'un maître. Car celle terre classique de la féodalité en porte encore la profonde em- preinte; elle en aconservél'écriluregolhique, ainsi que les préjugés. C'est à l'esclavage de la presse périodique qu'est due celle trop longue âgS ANALYSE enfance des droits de la pensée : cette oppres- sion jette dans le vaporeux, le mysticisme et le bizarre , une littérature qui deviendrait bientôt positive dans. la science de l'homme et du citojen. Que l'Allemagne sache obtenir Facconipiissement des promesses qui lui doi- vent la liberté , et alors elle pourra préluder aux destinées d'une nation ! C'est au contre-coup de notre révolutiofi qu'elle a du ses modernes penseurs ; et c'est aux invasions de l'Empire qu'elle doit avoir appris à se sentir. Il a fallu que le conquérant rapide l'écrasât pendant dix ans, pour lui ar- racher un cri de douleur. Là, comme en France , son despotisme a réveillé la liberté ; mais là elle est retombée sous ce premier effort, et cependant le souvenir du grand homme y est profond : pas une chaumière qui n'ait son image; il y est le représentant du nom français qu'il fait encore saluer avec respect, parce que ce nom de France porte avec lui je ne sais quel prestige du peuple civilisateur. Depuis quinze ans , l'Allemagne suit de loin le mouvement régénérateur de la France: o elle aura aussi ses libertés ; mais comme il faudra les arracher pour les obtenir, ce sera DE f.A POLITIQUE. ÔQJ Ion"" : tout eiï'ort violent est contre sa nature. o Au servage de la presse périodique , se joint un antre obstacle à sa civilisation, la multiplicité des Etats qui la divisent: aussi, pas d'esprit national, parce qu'il n'y a pas de nation, et que chaque Etat vit pour lui-même. Le jour appt-oche pourtant où ses destinées l'appelleront à former une seule et même na- tion , libre par les mêmes lois, forte par les mêmes institutions. C'est un beau rêve qui se réalisera pour l'honneur du siècle, que de s'i- maginer, dans une cinquantaine d'années, la France à l'occident , TAlIemagne au milieu , à l'orient la Russie, et ces trois grandes puis- sances, s'appuyantsur des constitutions unifor- mes, étroitement liées par les bienfaits d'une civilisation qui , d'ici là, leur apprendra leurs Jevoirs et leurs intérêts, et ne faisant plus de l'Europe qu'une seule et même terre intelli- gente, soumise à cette haute morale des peu- ples, qu'il est tems de créer enfin. Pour arriver là, la civilisation nouvelle suf- fit, sans violence , et par les seules idées dont à leur insu elle pénètre les peuples. L"* Alle- magne, sur-tout, a profondément besoin de ré- iormer son moral. Sur son théâtre^ les pro- 093 ANALYSE phéties, les songes réalisés, l'a Itirailmystérienx (les jours diaboliques, les esprits infernaux, les idées du èinquième siècle, à côté des sévè- res compositions de Schiller et des drauiatiques inégalités de Goethe; l'enfance superstitieuse à côté de la virilité ; les crédulités absurdes à côté de sciences exactes. La philosophie lui a Jong-tems tenu lieu d'esprit national; c'est du moins un des sujets, dont l'uniformité do- inine ce pays. Mais cette abstraite philosophie, ces rêves faligans d'une imagination qui ne sait où. mettre l'homme, ce kantisme, si chau- dement exalté par une femme qui ne s'y con- naissait guères, si froidement commenté de nos jours, qu'est-il au fond? œuvre immense, mais absurde d'un mâle génie ; abstraction su- perstitieuse; croyance au lieu de science, rêve au lieu de réalité, force inutile se perdant au ciel, divaguant dans les nuages et méconnais- sant l'homme, que pour son honneur Dieu avait placé devant elle; philosophie digne du moyen âge, fantasmagorie de spiritualisme, à laquelle il ne manque que la foi aux appari- tions , aux. revenans; étrange et gothique phi- losophie , que notre siècle regarde sans com- prendre, parce qu'elle est à la vérité, ce DE LA POLITIQUE. Cg-^ que la croyance esta un fait^ ce qu'une exal- îalion délirante est à une raison claire et po- sitive. L'Allemagne subira une grande réforme et c'est par celle des institutions politiques que ce travail commencera: viendront ensuite les sciences exactes, seule et solide base des sciences générales et élevées. C'est un pajs profondément mal connu en France : de là , Fenthousiasme des uns et le dénigrement des autres : l'Allemagne est destinée à un grand et prochain avenir j c'est un peuple dont î'âge de virilité approche; il dépend de lui d'en hâter le moment. Au milieu des nombreux Etats allemands , deux sedislinguent en puissanceet en étendue, la Prusse et l'Autriche. La Prusse, militaire par nécessité, toujours sous les armes, parce qu'elle n'a ni centre^ ni frontières, offre un heureux et rare mé- lange de l'autorité toute militaire, et des plus justes égards dus aux citoyens. Ses institutions municipales sont excellentes, ses libertés sont grandes; la justice est pleine, entière, indé- pendante; mais ces bienfaits sont dus à la seule volonté de son roi, auquel la postérité doit le 4oO ANA.LYSÈ nom de Juste j il leur manque d'être consli-^ tués : c'est essayer heureusement un peuple et le préparer à des libertés définitives. La Prusse , de caractère et de figure est la ÏVance allemande; là on raisonne juste, et se forme pour l'avenir le fojer de l'Allemagne^. L'Autriche est son vivant contraste : la féo- dalité n'j a rien perdu de sa fraîcheur : le droit d'aînesse, la vénalité des charges, la pro- priété des régimens, l'obéissance profonde des peuples en font un empire distinct. Du reste, qu'on ne s'y trompe pas ; là le peuple est heu* reux de servir; n'ayant pas d'autre idée ^ il s'y complaît^ parce quelle lui laisse son calme : et le despotisme y est bonté vraiment paternelle : il y a dans ce pays une bonhomie de tjrannie , une simplicité d'arbitraire, qui désarment à voir de près. Quand on connaît l'Autrichien , on s'y attache comme à un animal dévoué à vous servir; ni froid, ni chaud, ni gai, ni triste, il est immobile de nature^ de sol et d'éduca- tion : il va où on le pousse, s'arrête quand on l'arrête, avance ou recule au gré de la vo- lonté: il n'y a pas jusqu'à ses chants qui ne soient des hurlemens cadencés. DM. LA POLITIQUE". 4oi De l'Angleterre. Eu Angleterre , il j a deux peuples bien difFérens, la nation et les individus : il faut rendre justice au caraclère anglais , et recon- naître dans chaque individu pris isolément , de baules vertus sociales. Mais après cette déclaration, qui sur-tout en ce moment était un devoir, il j aurait lâcheté à ne pas leur dire également leurs vérités comme nation. Ce pays fut le premier qui donna au monde l'exemple d'un peuple constitué , d'un gou- vernement fondé sur les droits légaux du roi et des citoyens : il fut le premier à raisonner et à mettre en pratique les droits de tous. L'An- gleterre prit dans de telles institutions la coin science d'une dignité dominatrice, qui, pen- dant un siècle, en fit une puissance toujours croissante , en raison des obstacles qu'elle sa- vait se créer : aujourd'hui elle s'arrête, paire que d'autres peuples la dépassent déjà en conscience de dignité. L'énergie morale dut suppléer chez un tel peuple à la force physique qui lui manquait ; n'ayant pas assez de sol , il s'empara des mers, 26 4o2 7VÎNALY3E qui lui âonnèrent le sol de l'Univers : celte domination maritime était une nécessité vitale: entre vivre ou mourir , il n'y a pas de choix ; alors il n'y a pas d'obstacles; on réussit, ou l'on meurt vite. 11 est à peine croyable^ que durant un siè- cle, l'Europe l'ait regardée sans songer à elle- même. L'étouffement de la pensée sur le continent n'explique que trop ce long ser- vage aux habitudes. Enfin la jeune Amérique donna le signal, et bientôt un cri de réveil partit , terrible de la France. C'était l'alTran- chissement du monde, dont chaque coin^ allait monter en dignité au niveau et au-dessus de l'Angleterre. Elle en calcula la porté et les suites, avec une effrayante prévision, et dès- lors tous ses efforts furent employés à se dé- battre contre cet affranchissement des peu- ples, qui doit un jour , et ce jour est bien proche, la réduire à elle-même, à sa propre force, c'est-à-dire, à peu de chose. Depuis cinquante ans, tel fut son but constant , tel il est encore : elle ne désavoue que son im- puissance : tous les moyens lui ont été, lui sont encore bons pour parvenir à ses fins : sa morale a été dérision profonde à la morale des DE I.H. POLfTîQUïî. 4o5 peuples , elle a mis i'égoïsaie en système et en mécanique ; elle , elle d'abord , n'importe par quelles Yoies, n'importe avec quels hom- mes : c'est là tout le fond de sa politique , s'il faut nommer ainsi la science profonde de mal faire , et l'aveuglement qui ne voit pas , qu'au bout de quelques succès violens et for- cés , arrive l'inévitable cbûtCo L'Angleterre est le conlre-sens d'une na- tien : une nation existe par sonsoljclle^ existe par le sol des autres; elle a donc une nécessité continuelle de besoins opposés à ceux des au- tres peuples : pour ceux-ci la paix, la pros- périté, l'abondance sont des élémens de bien être : pour l'Angleterre, ils sont cause de ma- laise , de faiblesse , de dépérissement : elle ne peut vivre que des discordes et des malheurs des autres peuples , et c'est dans cette fatale science qu'elle a excellé ! en vain elle a cou- vert ses actions de belles paroles ; les tems sont arrivés de faire parler les faits, et d'évoquer leur impitoyable accusation : le jour de la grande justice est arrivé , et le peuple anglais lui-même a de sévères comptes à demander à son gouvernement. Par quels moyens a-t-il pu se soutenir de- 26. /.o4 ' AKALVSIÎ puis un demi-siècle ? Vojez-le sans cesse ani- mé à diviser les nalioris , à les exciter les unes contre les autres , pour intervenir seulement aux jours de la réconciliation et faire profit de leurs sanglantes discordes : s'aidant de tout, vengeances , générosi'é, passions , crimes, ou superstitions; dans la guerre de l'indépen- dance, donnant une guinée aux sauvages pour chaquecrâne américain; dans notre révolution, vomissant sur nos côtes, comme au-dedans, tout ce qu'il pouvait de guerre civile; accueil- lant alors, ou repoussant les rois exilés, sui- vant le profit des évènemens , hospitalière envers eux par haine d'un soldat, devenu sou- verain de l'Europe; irritant sans cesse cet em- pereur formidable , bien sûr de l'épuiser en convulsions de guerre, coalisant enfin toutes les nations contre lui, et ne paraissant sur no- tre sol, qu'au jour de sa chute, pour ramasser ses dépouilles. Et lorsque ce grand vaincu, se confiant au roi britannique, vint lui remettre son épée, comme au plus généreux de ses ennemis , vous savez l'hospitalité qu'il en a reçue!... On a cru peut-être que la distance ferait oublier l'infamie, en le garoltantau fond d'un monde DE LA POLITIQUE. 40 3 désert , qu'il est allé reiîipiir ùe sa misère et de sa grandeur. Si jamais outrage à la morale , à la jusliee , aux droits les plus saints des hommes fut po- litique, le gouvernement anglais peut se van- ter d\me supériorité , dont aucun peuple civi- lisé n'eût voulue au prix de son sang. Ces prin- cipes démoralisateurs sont descendus jusque dans sa représentation nationale, et vous avez pu entendre un membre des communes, intré- pide apologiste de cette honteuse politique , dire du haut de la tribune, qu'en traités, l'An- gleterre ne connaît que son intérêt, et qu'un gouvernement quel qu'il soit, est bon, dès qu'il est bon pour elle (i). S'il est une justice vengeresse pour les peuples, comme pour les individus (et il en est une inflexible), quelle eût été à la fin la digne récompense d'un tel sjstème ! heureusement^ pour l'Angleterre, qu'il est désormais impossible : notre dernier affranchissement va la sauver d'elle même , et (i) Ceci s'est pas-'é ilaiià nno Jes st/ances Hu i>aileineiit du mois cîc mai iSS-î , où ii était question des rappuili de i' Angle- terre avec le Portugal. 4i06 AîNALYSE. l'enthousiasme clonl elle a su l'accueillir, est la plus amère satire de son gouvernement. Ren- dons-lui son ancien honneur pour prix de tous ses modernes méfaits : la noble France ne doit plus se venger qu'en générosité 1 De la France. Il y a plus de deux siècles ,, que Montaigne disait, dans son chaud et naïf parler : « Je ne » mutine jamais tant contre la France , que je » ne regarde Paris de I)on œil; elle a mon » cœur dès mon enfance , et m'en est advenu » des ciioses comme excellentes'; plus j'^ai vu » d'autres villes belles, plusla beauté de celle- » ci a de pouvoir et gagne sur mon affection ; » je l'aime par elle-même, plus en son être >i seul , que rechargée de pompe étrangère ; « je l'aime tendrement, jusqu'à ses verrues et » à ses taches , et je ne suis Français que par » cette grande cité , grande en peuple , grande » en félicité de son assiette, mais sur-tout » grande et incomparable en variété et diver- » site de commodités, gloire de la France, et » un des plus beaux ornemens du monde... )> Cm jugement d'un de nos penseurs les plus DE LA POLITIQUE. - 4^7 profonds, celte prophétique observation an milieu d'un siècle à peine formé ^ signale déjà celte domination de vie et d'intelligence par laquelle s'annonçaient l'avenir et les destinées du peuple créateur. Ce principe de supériorité remonte à la chute de l'Empire romain : César eo conqué- rant les Gaules^ leur avait déjà appris à se con- naître; et plus tard, Julien, transportant aux rives de la Seine quelques débris du vieil em- pire, vint donner un nouvel éclat à la ville et au foyer qui s'y formaient. Après plusieurs siècles de luttes, de revers , et de triomphes , ce centre, d'abord obscur^ finit par dominer les Gaules. Sous Louis XIV, il devint grande et puissante monarchie; soiis l'Empire , il en - vahit l'Europe. Là fut donc un continuel développement de forces toujours croissantes; quinze années de repos les ont encore augmentées ; la force phy- sique a peine à se contenir; le moindre choc la ferait encore déborder indomptable; la force morale a pris d'énormes accroissemens , elle est devenue civilisation du monde intellectuel. Notre révolution , à son début, ne pouvait cire ce qu'elle a été , que chez une telle nalion^^ 4o8 , ANxVLYSE. et dans un tel brasier. Depuis on l'a vue, im- puissance et langueur en Espagne et en Italie ; on eût dit une débile convulsion d'agonie. Chez nous elle fut extravagance et fureur^ parce que là, il y a excès de vie et de force. Ce privilège d'organisation devint exaltation en tousgenres; aussi, sublime, terreur, crimes et gloire, il n'a rien fait à demi. Il devait produire un peu- ple irritable, vivant, pensant, agissant comme nul autre. Et si ce peuple se résume dans un seul centre, dans une seule capitale, on ne s'étonnera pas que la vie soitlà ce qu'elle n^est nulle part. Là, elle est succession rapide d'émotions continues^ tourbillon étourdissant qui entraîne, enivre, précipite; là, elle brûle et dévore; foyer dès extrémités sociales^ elle s'y croisent, s'y heur- tent, s'y exaltent : c'est une serre-chaude (i) où tout pousse, fleurit et passe vite; une géné- (i) L'esprit y court les rues, parce que les rues sont une ins- Iriiclica continuelle : de même à Rome, le lang-age populaire esl resié poe'llque, parce qu'il vit au milieu des ruines poétiques : c'est affaire de sol : le même terrein qui fait le vin de Champa- gne, fiiit la domination inlcllectuellej quoique bien diffe'rcns , ces rcsiiliats procèdent du mcuie fond . DE LA POLITIQUK. I^Og ration est usée en dix ans; vivre et mourir dans ce fojer, sans en être jamais sorti^ c'est ne pas savoir comment on a vécu : chez les hommes c'est frollement continuel d'amour- propre, de rivalile's, de passions presque toujours basses et jalouses^ sous de séduisans dehors; chez les femmes, c'est excès d'irritabilité, s'exhaîanlen sentimens forcenés ou sublimes. Cette suscep- tibilité d'organes est avide d'émotions fortes , d'ébranlemens, et féconde en intelligence. Ce n'est ni engouement, ni préjugé national; c'est un fait aisé à constater : il faut reconnaî- tre que de ce fojer partent presque tous ces livres, toutes ces feuilles journalières qui sil- lonnent le monde en l'éclairant. Supposez, par un de ces bouleversemens inexplicables , mais possibles, par une catastrophe terrestre et soudaine, Paris anéanti en un inslant : le voilà lout-à-coup disparu de la surface de la terre. Pourquoi ce regard hébété des nations? Vers quel centre sont-elles ainsi tournées? On dirait l'univers veuf d'intelligence. Que dé- sormais il la demande à d'autres peuples, à d'autres cités! mais les plus instruits, les plus grandes vivent pour eux seuls j et peuvent à peine se suffire. 4 10 - ANALYSE Au moment où j'écrivais ces lignes, cette noble terre de création et d'intelligence jus- tifiait son privilège , légalisait sa suprématie ! Salut encore une fois au grand peuple ; encore une fois salut à la grande cité, qui pouvait seule conquérir la liberté du monde I Dans cette même ville, il y a quarante ans, se passait une scène imposante et magnifique! Un peu- ple entier s'embrassait , confondu dans les mêmes sentimens de fraternité ; un peuple en- tier, ivre de liberté, allait faire un gouver- nement, des éternelles vérités de justice, sorties victorieuses d'un siècle qui venait de passer, trop petit pour tant et de si hardis penseurs. S'il a fallu quarante années d'expé- rience pour acquérir la science de cette liberté si belle, si forte de ses fautes et de ses erreurs, au moins la reconnaissance des peuples ne saurait manquer à la nation qui la première l'avait annoncée, et qui vient enfin de la rendre à la terre, (i) (i) Tout ce dernier chapitre, relatif à l'analyse de la politique, a été compose' vers la fin de i83o. Ayant e'te' depuis en Allema- gne el en Pulogne , je l'avais complclcmenl oublie' : je l'ai revu à DE LA POLITIQUE. 4ll L'histoire polilique de la France est celle de l'Europe , peut-être du monde : il n'est guère de fait important qui ne dérive d'elle, ou qui ne lui appartienne en entier. Cette in- fluence, celte suprématie sont incontestables ; et je vais essayer de démontrer que cette su- périorité ne peut être <^ue celle du sol. ARTICLE Y. Influence du sol sur les peuples. Faire l'histoire des peuples par celle de leur sol, serait grand et nouveau tableau. Ce sol si dédaigné est le cœur des nations ; par lui elles commencent , par lui elles gran- dissent, par lui on les voit finir : comme tout ce qui est, ce sol s'use, et entraîne avec lui les empires, qui ne sont eux-mêmes que le sol ani- mé et remuant mon retour, comme on lelioave un ami bien change • mais je le laisse tel qu'il était : je donne cette explication pour qu'on ex- cuse ses vieilleries. L[\2 A^ALYSR Qu'est devenu le pajs des Phéniciens? pous- sière et néant : eux-inênies , à peine si mé- moire d'homme garde leur souvenir... Qu'est devenue cette terre Egyptienne sur laquelle fleurirent de grandes na lions , sur laquelle restent encore debout ces colosses de pierre, squelettes énormes d'une grandeur éteinte ? poussière et néant : des tombeaux, des sables brûîans , un fleuve bientôt (i) stérile, voilà sa vie.... c'est large et profonde mort.... Qu'est aujourd'hui cette généreuse terre de la Grèce, qui fil jadis Platon, Epaminondas, Thémistocle, Miltiade, Socrale? poussière, et bientôt néant : vous voulez refaire la Grèce... ce n'est plus qu'ombre plaintive, errante encore sur un sol desséché et flétri.... commencez par retrouver cette terre vierge , qui est allée où vont toutes choses ; son sol manquera à vos généreuses ins- pirations... Trois cents fils de celte terre nou- velle arrêtèrent un million d'hommes, et leurs ombres épouvantèrent l'Asie... Un coin de cette terre nouvelle suffit, sous Alexandre, pour dompter le monde connu.... Toute la surface (i) Les sables finiroat par envahir le Nii. Ce fait est sur-lout remarquable clans la Kaule-Egyplc. DE LA POLlTIQUi:. 4*3 de cette ferre décrépite peut à peine aujour- d'hui produire un homme.... la Grèceest morte de son sol. Qu'est devenue cette terre Romaine, enfan- tant les conquérans du monde ? bientôt pous- sière.... bientôt néant.... son sol ingrat n'en- fante plus que des marionnettes... Ces gens qui faisaient trembler la terre , sont à peine bons à l'amuser.... (i") Digne sort des choses d'ici-bas... tout change... tout s'en va ail- leurs.... et ces perpétuels cbangemens sont le tems^ sont Téternilé. Le sol s'altère à la longue des âges, et déna- ture ses productions. Végétaux et élres ani- més suivent ses vicissitudes. Tout le midi de l'Europe penche aujourd'hui vers sa ruine : le sol y languit frappé de mort. La Grèce, l'iiar lie, l'Espagne sont à leur agonie, ou à une dé- (i) Leur langue a subi les mêmes vicissitudes que le sol ; âpre et terrible sous la république , puissante et harmonieuse sous les empereurs, dége'ne're'e en doux parler au moyen âge, elle n'est plus que gazouillement enldnlin..., La langue du Dante n'est déjà plus la langue d'aujourd'hui : les consonnes encore viriles, sont remplacées par de puériles prononciations.... C'est l'enfance de la vieillesse.,.. Après , la décrépitude ; enfin , la mort,... ^l^^ ANALYSE cadence plus douloureuse , en ce qu'elles se sentent mourir : leurs cris de détresse^ enten- dus ou non , n'arrêteront pas la marche des siècles.... le pouvoir humain ne peut pas re- faire les vieillards décrépits ; il peut leur don- ner des béquilles.,. les faire espérer un instant encore dans le désespoir... mais,. à l'heure, il faut que tout parte et cette heure-là est marquée dans un livre , où il n'est pas donné à l'homme de lire La Phénicie a passé en Egypte , l'Egypte en Grèce, la Grèce en Italie, l'Italie un instant en Orient... aujourd'hui la vie est à l'occident de l'Europe. . Les empires n'ont donc guère que trois mille ans à vivre.... Après trois mille ans, leur sol est usé.... Regardez ce sol..... quelques pieds de terre végétale... au-dessous , la terre aride, la terre morte... la terre éternelle..... le vent a-t-il donc tant de peine à balayer les empires? mille ans de poussière lui ont suffi pour ensevelir la roche tarpéienne...^ le vent emporte nations et feuilles.... Apres trois mille ans, elles se retrouvent et gran- dissent ailleurs. Les Romains sont morts avant terme ; ils DE LA. POLlTiQUE. 4^5 sont morts de leur grandeur ; bornés à l'Ita- lie seule , ils seraient peut-être encore Ro- mains : si petit tronc ne pouvait long-tems porter membres si énormes : en retombant sur lui, ils l'ont violemment écrasé. Voyez par contraste la mort lente et sénile de la Chine ? à l'abri de .grandes catastrophes , elle est destinée à périr de vieillesse, quand son sol sera usé , à moins que la grande muraille n'appelle encore des flots de Tar tares,... C'est le sol qui fait les peuples , et non les peuples qui font le sol : physique et morale en sont le produit... Supposez une colonie afri- caine, transportée dans nos climats , et forcée même de reproduire entre elle ; à la dou- zième génération , elle serait européenne de peau et de caractère. Supposez une colonie européenne transportée en Afrique ; quand même elle ne reproduirait qu'entre elle, à la douzième génération elle aurait peau et ca- ractère africains. Tous les hommes sont nés pareils, sur un seul tvpe ; mais les régions qu'ils sont allés habiter, les ont modifiés. Par- tie de l'Asie, se répandant en Europe, et sans doute en Amérique par le nord de l'Europe , envahissant l'Afrique , l'espèce humaine a /}l6 ANALYSE pris l'influence des terres qui l'ont reçue : cette influence l'a faite ce que nous la voyons. Il est un peuple curieux à observer dans ses rapports avec le sol, c'est le peuple juif ; chez nous, on fait peu attention à lui; mais à l'étran- ger^ un chrétien fuit un juif comme s'il voyait encore ses mains teintes du sang du Christ. Aussi , isolés et forcés de vivre , de reproduire entre eux , ils ont conservé leur allure primi- tive; il y a dans leurs traits quelque chose de sauvage et d'éthiopien : leurs yeux, leurs nez, sur-tout la lèvre inférieure en font une race étrange au milieu des autres races. Ce peuple un des plus vieux du monde et d'où peut-être sont sortis tous les autres, a traversé les civili- sations sans y participer ; il n'a pris que leurs habits, le dessous est resté le même ; en Po- logne et au midi de l'Europe on a peine à croire à son abrutissement : dès qu'il habite un climat plus fécond , il devient plus indus- trieux plus productif lui-même ; en Allemagne^ on ne le distingue plus qu'à ses habitudes an- tiques, en France , à peine si on reconnaît sa trace. La nécessité de s'allier entre eux a eu de tristes conséquences : débiles et contrefaits de corps et d'esprit, ils ont quelque chose de DE LA POLITIQUE. !\\'J l'allure du singe : le développement intellec- tuel est resté de niveau avec le développe- ment physique, et l'on ne doit pas s'étonner qu'un peuple si vieux ait produit en tous gen- res si peu d'hommes remarquables. Aujourd'hui toute la force produclrice du sol est sur-tout à l'occident de l'Europe ; la force physique et morale est aussi là : la France est le cœur de cette vie nouvelle. Ces régions ont pour quelques mille ans d'exis- tence^ et cela malgré les institutions : quelque bonnes qu'on les fasse, elles ne sont pas de force contre les siècles. Il suffit qu'un peuple commence , pour qu'il soit forcé de finir : il faut que tout périsse , pour que tout se renou- velle... L'Amérique est au début de sa vie : c'est elle qui assistera aux funérailles de l'Eu- rope , et recevra sa civilisation , ses arts , ses sciences ^ pour les transmettre , quelques mille ans après, à un peuple plus nouveau : d'où sor- tira-t-il? je ne sais : mais l'Amérique est un monde neuf de végétation comme d'espé- rance Il renferme plus d'une grande des- tinée... Ainsi vont les choses de la terre... Ainsi rou- lent les nations... Un peuple qui est aujour- 27 4:1 8 ANALYSE d'hui, ne sera plus demain : et que ce demain arrive dans dix mille ans , il arrivera , il est nécessaire, il est forcé; il est l'élernilé^ l'in- concevable éternité ! JLe dix-neimeme siècle^ C'est donc le sol qui est la vie des nations, et c'est à sa surface que se retrouvent écrites en débris , les éternelles vérités des siècles! 1 Chaque coin de la terre a eu , à son tour , son enfance , sa vigueur, son déclin et sa mort. Mais dans ce grand et mobile passage du monde, l'intelligence humaine s'est formée à ses vicissitudes j s'est agrandie à ses ruines, et chaque âge a monté, grossi de l'âge qui l'a précédé : toujours le souvenir d'un peuple a été la leçon du peuple qui l'a suivi. C'est ainsi que, d'avancemens en avancemens, nous voilà parvenus à des tems tellement nouveaux, que nul ne peut dire les connaître , et telle- ment rapides, que l'œil a peine aies suivre. Déjà le dix-huitième siècle avait tout pré- paré : qu'on lui oppose , si l'on veut, toutes les civilisations passées? Devant lui, que sont leurs restes? Eîi derniers résultats , les beaux- DE LA POLITIQL'E. 4^9 arts , et quelques sciences ; pour l'homme , peu de chose , pour le citoyen , moins encore. Ce siècle fut donc la maturité de l'univers; il ne pouvait venir ni plus tôt , ni plus tard : il a fait ce qu'aucun temps ne pouvait oser; il a discuté, reconnu et proclamé les droits de l'homme (i). Si ces immortelles inspirations ont été d'a- bord chez nous applications absurdes et con- traires , la faute en est seule aux passions hu- maines. Ces principes régénérateurs ont fini , et finiront par tout vaiocre : chez nous iJs veulent enfin s'organiser légalement ; c'est là le grand travail de l'époque, travail immense qui l'ébranlé aujourd'hui^ mais la fera stable bientôt> Etonnez-vous alors qu'en religion, langage, sciences et mœurs, un présent qu'on ne peut définir , s'avance grave et impitoyable^ chas- sant devant lui les vieux temps, et foulant ses débris, qui pourront fumer encore^ mais qu'au- cun pouvoir humain ne saurait relever. Ce temps , ce nouveau, cet avenir , sont des (i) Sous ce rapport, la Convenlion a étc admirable, cl a vu Lien loin devant elle. 27' 4 20 ANALYSE plus beaux à prédire : c'est pour la condi- lion humaine, certitude d'amélioration, d'a- grandissement, de dignité sociale. Dans cette rapide décomposition des idées anciennes, la littérature, expression de la pensée dominante , devait la première se sentir étonnée et incertaine d'elle-même , parce que, ne pouvant plus invoquer les règles anciennes , elle ne doit plus subir que celles qu'elle saura se faire. Le siècle de Louis XIV n'a été , il faut le dire , que la perfection du siècle d'Aristote : c'est l'antiquité habillée et parée en français immortel; mais ce siècle n'est plus que sujet de comparaison. An théâtre sur-tout, c'est anière douleur de voir les grands hommes d'alors , enchaînés et mutilés par le joug antique, de voir notre Corneille se débattre de tout son génie, contre ces règles qu'il se croyait forcé de suivre , et sans lesquelles il eût été Corneille tout entier, aussi grand , aussi nouveau d'invention drama- tique , que de pensées et de style. Nous n'a- vons guère encore que le théâtre des anciens; celui du dix-neuvième siècle reste à trouver etàfaire, et dans ce périlleux sujet, lesgraudes erreurs sont encore de grandes leçons. DE LA. POLITIQUE. 42 1 En politique , la liltératiire nouvelle a dû se former vite et fort, parce que là étaient des besoins pressans et de vives passions en pré- sence : elle doit prétendre à tous les mériles , sur-tout à la plus haute éloquence, à l'élo- quence politique, qui fera la grandeur de noire âge ;, comme l'éloquence philosophique a fait celle dîi siècle précédent» L'histoire, le roman, la chanson même, ont dû tenter de nouveaux essors en présence de ces temps, de ces besoins nouveaux : et si îa science de l'homme n'avait pas encore subi leur influence ^ il j a peut-être quelque cou- rage à venir essajer enfin son affranchissement. Ceux qui ne voudraient ni marcher, ni com- prendre , affectent de répéter que tout a été dit. Ces mots n'ont point de sens : l'intelii- gence s'épuisera quand la nature deviendra muette et stérile; croyons pbjlôt que ce sont eux qui n'ont rien à dire. EIN._ •^3-2 TABLE TABLE ANALYTIQUE CHAPITRE PREMIER. Pag. s Exposition. Bu sujet considéré dans ses rapports avec l'é- poque et avec les doctrines philosophiq^ues . CHAPITRE IL la- DE l'intelligence ET DE SON DEVELOPPEMENT DANS LES ANIMAUX : FACULTES EROPRES A l'hOMME SEUL. L'ancienne philosophie ne convient plus à notre siècle. — Il lui en faut une positive. analïtîque. 4^3 irais noble. — Ce que nous entendons par Je mot âme. — De la nécessité de s'airêier là où l'on finit de comprendre. — Du sen- timent qui eu résulte. — De l'intelligence et de son développement dans les diverses classes animales. — Il est proportionné au développement de l'organe cérébral . — La mul- tiplicité des organes est un abus de mots. — Il y a deux espèces de génie. — Facultés qui sé- pare l'homme des animaux. — 11 est aisé d'i- maginer des êtres supérieurs à l'homme. CHAPITRE m. 26 ANALYSE DE l'iNTELLIGENCE PAR SES DESORDRES. Résumé des observations faites sur les indivi- dus en démence : échelle morbide et ascen- dante des phénomènes intellectuels , dans leurs désordres, 1° Abrutissement 5 1° Stupidité; 3° Bêtise; 4° Imbécillité; 5° Démence; 6° Monomanie; 7° Manie; 8" Déraisonnement; g" Raison, vo- lonté saine et en action. Tableau analytique, formant une échelle ascen- dante de la folie, ou descendante de la rai- son. 424 TABLE CHAPITRE lY. 48 QUELQUES CONSEQUENCES DE CETTE ANALYSE, POUR LA MÉTAPHYSIQUE. L'observation tue ta métaphysique , le spiritua- lisme ries facultés et les sentimens ne sont sains et naturels, que lorsque les organes sont sains : rindcpeodance de l'intelligence est mot vide, défaut de raisonnement,, outrage à la divinité... Développement de ces vérités — Analyse de ces facultés par les maladies. — Objection et réfutations, CHAPITRE Y. 63; LES INFIRMITES HUMAINES SONT FECONDES EN, LEÇONS. Esquisse d'une philosophie des travers humains. — Analyse de Don-Quichote : c'est par la peinture des idées fixes qu'on fait rire les hommes. — Les Plaideurs. — Le Malade ima- ginaire. — C'est par celle de leurs caractères qu'on les corrige. — Le Misanthrope, Tartuffe. — Ce qu'on peut tenter aujourd'hui. ANALYTIQUE. ^25 On peut faire l'histoire des peuples par celle de leurs Iraversetde leurs folies. — De la Grèce. — De Rome. — Du Christianisme. — Influence delà civilisation sur la folie. — Conséquences et conclusions. CHAPITRE YI. 75 CAUSES PHYSIQUES QUI PRODUISENT LES TROUBLES INTELLECTUELS, (\natomie morbide.) Recherches exactes sur les cerveaux d'aliénés. — Traits généraux de leurs altérations. ARTICLE P^ — Marche aiguë de la folie. — Observations et réflexions. ART. II. — Marche chronique de la folie. — Observations et réflexions. — Réunion de la folie aiguë et chronique chez le même individu. — Observations. ART. III. — Caractères anatomiques de Firri- talioa cérébrale, dans les diverses parties du cerveau. — Marche, nature et dévelop- pement de cette maladie. ART. IV. — Résumé de ce chapitre. — On ne peut plus admettre les anciennes divi- 426 TABLE sions de la folie : son noai doit chaiiger aussi^ comme sa classification. CHAPITRE VU. NOUVELLE CLASSIFICATION DES DESORDRES INTEL- LECTUELS. Sur quelles bases elles doivent poser. — Nous en proposons deux : une fondée sur la nature de la maladie du cerveau; l'autre sur les troubles^ de la conscience cérébrale. — Exposition de la première : la seconde seral'analyse de la conscience. ART. I". — Cérébrie aiguë. — Manie. — De- lirium furens . ART. II. — Cérébrie chronique. — Démence. Mélancolie. — Imbécillité. ART. UI. — Cérébrie partielle. — Monomanie^ suicide, manie sans délire (Note sur la peine de mort.) ART. IV. — Cérébrie symptomatique. — Chez l'homme (Hypochondrie.) Chez la femme (Hystérie ). Analyse de Phèdre. ANALYTIQUE. 427 ^ CHAPITRE VIII. i4o eori? d'oeil général sur les fonctions humaines. — SUR leur division. SUR LEURS INFLUENCES PHYSIQUES. QUELQUES-UNES DE LEURS CONSE- <2UENCES MORALES- Division générale des fonctions humaines. — Leurs caractères principaux : elles font la vie intérieure et l'existence des rapports. — Vues générales. — Du système nerveux interne. — Aperçu sur l'instinct et ses attributs : Son iniluence sur rintelligence. — Sa connais- sance est l'homme moral et profond : elle donne plus de certitude et d'élévation aux vues psychologiques. — Influences des vis- cères sur le cerveau , dites physiologiques. — Des poumons. — Du cœur. — De l'ap- pareil digestif. — Des organes reproduc- teurs. CHAPITRE IX. i63 ANALYSE DES PASSIONS. Opinions diverses. — En dernier résultat, le cer- veau et le cœur; ou en style figuré, la vanité, 4^8 TABLE et l'amour, sont les deux grands mobiles des passions humaines. ART. V. — Passions de vanité, ou cérébrales. Le cerveau n'est que vanité. — Vanité dans l'élat sauvage. — Yanilé sous les monarcliies. — Vanité sous les constitutions. — Ses bles- sures font l'envie, la jalousie, la colère, la dissimulation, et enfin toutes les lâchetés de sa colère. — Vanité chez les fous; elle se montre à nu^ L'homme peut et doit faire un noble usage de cette vanité. — L'intelligence peut deve- nir passion. — Note sur Rousseau. ART. 11. — Passions de sentiments. — Ou vis- cérales. L'amouv du vivre est la source de tous les autres am.ours. — On peut faire grand profit de cette vérité, profanée par Helvétius. — Dé- veloppement des affections. — Dans beau- coup de classes animales, l'amour n'est qu'un avec l'amour de soi ; chez l'homme les sensetl'amours'exallent mutuelleoieat. — Amour sublime. — Amour maternel. — La vanité vient se mêler à toutes ces maniè- res d'aimer. ART. 111. — Passions de vanité et de senti- ments dans leur influence mutuelle. — AWALÎTIQUE. 4 29 Exemple et analyse de la jalousie : il y a des jalousies de vanité et des jalousies de sen- timent, et le plus souvent de vanité et de sentiment à la fois : cette analyse s'applique à toutes les passions, qui proviennent de l'une de ces deux causes, ou de toutes deux au même instant. CHAPITRE X. 193 ANALYSE DE LA CONSCIENCE. Il y a une conscience de cerveau, d"'intelligencej jl y a une conscience de cœur, de sentiment : cette distinction est le fondement de l'homme moral et social. — Le reste de l'ouvrage n'est que ledéveloppementpratique de cettevérité. ART. T''. — Conscience de cœur. Le cœursentphysiquement les impressions de bien ou de mal. — Il en a conscience. — ■ Il en conserve le souvenir physique. — Celte conscience est une des grandes sages- ses de la providence. — Elle fait la morale naturelle; elle fait l'Évangile, la morale chrétienne : par le cœur on souffre ou on est heureux du mal ou du bien d'autruij telle est l'impression première : ensuite 45o TABLE l'intelligence la modifie à sa vanité; c'est du cœur que viennent les grandes pensées. — Les grandes actions sont aussi l'éloquence du cœur. ART. II. — Conscience de cerveau. ( Intellec- tuelle.) Le cerveau sent qu'il pense : il a la cons- cience de lui-même. — Cette conscience est sottise. — ou sublime raison. . . Bossuet , Racine, Fénélon etc.— Dévelop- pemens. ART. ÏII. — Classification des désordres intel- lectuels d'après la conscience. - Analyse de la conscience cérébrale. On peut classer tous les délires d'après la pré- sence ou l'absence de la conscience : celte classification est la plus sûre analyse qu'on puisse faire de cette faculté. — Considérations préliminaires. — ■ Eprouver des sensations. — En avoir conscience. — Les exprimer par la volonté. — Conscience des sensations. — — Dans toutes les folies la conscience est détruite, ou plus ou moins pervertie : de là, deux grandes divisions. — Les folies sans conscience, sont les plus graves , l'i- diotisme, l'imbécillité, la stupidité, etc. Les folies avec conscience sont les plus nom- breuses et se rapportent à ces quatre points ANALYTIQUE. /iôl principaux : i'^ désaccord de la conscience avec les sensations. — 2° avec la mémoire. — 3° avec le jugement. — 4° avec la vo- lonté. — Exposé de ces quatre ordres avec leurs caractères propres, et avec les maladies auxquelles ils correspondent. ART. IV. — Résumé de cette analyse morbide de la conscience. ART. V. — De la volonté. — Elle échappe à l'analyse. — Elle est ou n'est pas. — Elle fait la destinée de l'homme, parce qu'elle est libre; elle est la cause de ses misères , de ses grandeurs. AR.T. VI. — Parallèle entre la conscience du cerveau et la conscience du cœur : consé- quences morales. La conscience du cœur est sentiment, est morale, est religion. — La conscience du cer- veau est sensation, est aussi morale et re- ligion. Il y aune morale, unereligionde sen- timent, une morale, une religion d'intelli- gence.— L'une se sent, l'autre s'apprend. — La politique n'est quela,morale des droits de l'homme et des droits des nations. Comme la morale, dont elle est la plus haute applica- tion, elle repose sur les sentimens et l'intel- ligence. Développement de ces vérités en- trevues par Pascal, Montaigne et Bossuet. 452 TABLE CHAPITRE XI. 245 ANALYSE DE LA MORALE. ART.I". — Elle n'est mot vague que dans les livres des moralistes. — Elle est la pratique de la conscience du cœur. — L'homme naît bon, par cela seul qu'il naît pour vivre. — C'est la seule intelligence quile de'nature ou le perfectionne. — L'homme sent ou apprend ses devoirs : de là deux morales, une de sentiment, une d'intelligence- — Aperçus et vérités générales sur les fon- demens de la législation et de la politique. ART. II. — Morale de sentiment. Elle consiste à faire aux autres ce qui nous fait bien : cette vérité a été indignement mutilée par Ilelvétius. — Cette obscure et naturelle morale se sent continuellement et fait l'homme vertueux à son insu. — Pour lui obéir il n'a pas besoin d'intelli- gence. — La violation de cette morale est injustice dans les familles, esclavage dans les états. — Développemens. — De la féoda- lité. — Aperçus généraux sur les causes et les effets de celte morale naturelle. AiSALYTlQUR. 4^3 ART. m. — Morale d'intelli{jeiice. Dès que l'intelligence organisa les sociétés, il fallut une nouvelle morale pour garantir les institutions. — Il fallut une morale fac- tice , de convention , comme les nou- veaui besoins qu'elle devait garantir. — La morale de la civilisation est contre- sens nécessaire à la morale de la nature. — Lapiopriété estle fond detoutecivilisation: la propriété n'est que convention factice. — La morale qui la rend sacrée ne peut donc être aussi que convention factice : loin de s'affliger de ces contradictions, il faut les pénétrer, les expliquer : c'est apprendre à faire respecter leurs nécessités sociales : nécessité d'une logique morale. CHAPITRE Xil. 291 itNALYSE DE LA MORALE e'vANGl'lIQUE . Difficultés du sujet. — La première était hor- rible. — Sa solution fait retrouver la morale évangélique reposant aux piofqndeurs de l'homme, dans la conscience de cœur ou de sentiment, dont elleesl la pratique, l'enseigne- ment. — Citations et preuves. — Elle adopte le cœur rojcttc, l'inlelligence, parce que celle- 28 454- TABLE ci est libre. — Religion d'intelligenee. — Elle est douteuse, incertaine, et ne s'apprend qu'avec peine/ — L'Evangile est ici profondé- ment conséquent avec lui-même. — Il faut cependant cultiver son esprit^ en être sobre en jugement j développement intellectuel pro- fondément tracé. La religion du cœur, la morale (Chrétienne est contre-sens sublime aux passio-ns intellec- tuelles : c'est là la grande et majestueuse figui'e du christianisme. — Cette adoption du cœur au préjudice de l'intelligence est basée sur la physiologie, sur la connaissance profonde de l'homme physique : par elle l'Evangile rachète physiquement l'homme de lui-même. Maximes et conséquences générales. — L'Evan- j^ile proclame la liberté, l'égalité, la justice : la civilisationnouvelleest donc tout entière dans l'Évangile. — ïl faut savoir l'y trouver, la faire parler. — Cause de la décadence de l'éloqueace sacrée. — Vérités éternelles. — De l'âme im- mortelle. — Vérités de chaque jour. — Prati- ques sublimes» CHAPITRE Xilï. 35o ANALYSE DE LA POLITIQUE. ART. l""'. — La politique est la science du ANALYTIQUE. 4^5 citoyea. — Elle est la morale des droits des* hommes et des droits des sociétés : elle est nouvelle et est née des autres sciences : elle est spéciale si elle traite des droits des ci- toyens, générale, si elle s'applique aux. rap- ports des nations entre elles.Taci te et Montes- quieu ont créé cette science. — Notre époque est sa pratique vivante et journalière. — Donc notre époque ne ressemble à rien. Où commence le 19" siècle. — Pourquoi. — La charte l'a commencé. — Le ig^^siècleest celui des applications polilicjues. Esquisse rapide de 89 à i83o. ART. IL — Politique des citoyens. — Commen- ter chaque article de la Charte serait faire un traité pratique de politique. — Résultats gé- néraux— Aperçus sur la légitimité, les mi- nistres, l'opposition. — Sur l'éducation poli- tique. — Quelques imperfections de la Charte. ART. m. — Politique des nations. — Tout est est à faire. — elles ont besoin d'une charîe souveraine qui assure et fixe leurs droits , comme notre charte assure les droits des individus. — Des guerres et de la diplomatie. — Les nations ont besoin d''une morale, d'un arbitrage légal, qui règle leurs conten- tions.— Se battre est injuste, donc absurde. ART. IV. — De l'Europe. — De sa tendance. — ou TABLE Aî?ALYTJt>UE. De la Russie.— De l'Allemagne. — De l'An- gleterre de hi France. ART. Y. — Influence du sol sur le sort des Na- tions. — Elle s'usent par le sol. — Leur durée^ leurs destinées commi^nes. Traits généraux du 19^ siècle. — Son présent , son avenir. ERRATA. Page 89 5 ligne l'e, a» lieu de est fait , lisez : esl faite. Page 186, ligne 8 , au lieu de amour maternel , lisez : amour des enfaiis. APPENDTCIÎ. 407 APPENDICE. La nature de ce livre n'a pas permis à l'au- teur d'entrer dans aucun détail pour n'em- brasser que des généralités ; cependant il doit réparer une omission involontaire, au sujet des recaerches faites sur les cerveaux des alié- nés. Dès 1823, M. Falret avait démontré, dans deux Mémoires, consignés en extraits dans les Bulletins de la Société Médicale d'e- mulalion , que les lésions méningiennes et cérébrales, regardées jusqu'alors comme ef- fets , étaient causes de la folie, et suffisaient à expliquer ses symptômes j et que ces lésions consistaient^ le plus souvent, dans l'engorge- ment des vaisseaux de la pie-mère du cerveau. Cette opinion est remarquable pour l'épo- que où elle a été publiée; il en est encore une autre du même auteur^ qui paraîtra fortsin- 438 APPF.NDICE. gulière^ mais qu'il a souvent émise à la Sal- pêlrière , dont il est un des médecins : c'est qu'il n'y a pas de monomanie, de délire sur un seul sujet , ou borné à une seule série d'idées, s'appuyant sur l'analjse même des observations de monomanie , rapportées par les auteurs les plus distingués , et par l'examen attentif des malades dits nionomanes. Quel que soit l'avenir de cette opinion, qui, si elle était juste , serait d'une certaine in- fluence sur la médecine légale, il n'en restera pas moins à M. Falret le mérite d'avoir publié un bon traité sur le Suicide et VHypochondne, d'avoir fondé à Vanvres, près Paris, avec le docteur Yoisin, honorablement connu par plusieurs travaux sur les maladies mentales, un vaste et magnifique établissement pour le traitement des aliénés. LIBRAIRIE DES SCIENCES MEDICALES DE JUST-ROïIVSERç ARCIEW COMMIS DE LA MAISON GABON, RUS Dx: i.'écoi:.e: ds médecine, n b. PUBLICATIONS NOUFELLES. JUILLET 1835. ALMANACH GÉNÉRAL DE MÉDECINE pour la ville de Paris, i833; par Dômange-Hubert,stcré\.ddte du bureau de la Faculté et du Jury médical. \ vol. in- 18. 3 fr Soc. ANNUAIRE MÉDICO- CHIRURGICAL, ou Répertoire général de Clinique, se composant de notes, d'analyses ou d'extraits de ce que les journaux de médecine français et étrangers renferment d'intéressant sous le rapport pratique; contenant un résumé des travaux de l'Institut, de l'Académie royale de Médecine, et des Notices nécrologiques sur les Médecins français et étrangers mar- quans morts dans l'année; rédigé par Ch.-F.-J. Carvon du Vil- lards, docteur en Médecine et en Chirurgie, membre de plusieurs sociétés savantes nationales et étrangères. Ouvrage utile aux élèves en Médecine et en Chirurgie, aux praticiens de provinces, et, aux officiers de santé des armées de terre et de mer qui désirent se tenir au courant des progrès de la Médecine et de la Chirurgie pratiques; année i832. Un gros vol. in-8. 8 fr. L'AnnuAikE mÉdiCO-chirurgical, dont la première publication remonte à l'année 1827, a obtenu le succès le plus encourageant. Les nombreu.ses souscriptions qu'il a eues et les demandes journalières qui arrivent des départemens et de l'étranger, prouvent d'une ma- nière évidente le besoin qu'on avait, en médecine, d'un recueil qui offrît le tableau fidèle et, complet des connaissances purement pratiques contenues dans les annales de la science , d'un ouvrage qui représentât toutes les nuances des différentes opinions des doctrines ré- gnantes, d'un livi-e enfin qui ménageât le temps et la bourse du lecteur. Le Répertoire général de clinique a tous ces avantages. En effet, il se compose d'analyses ou d'esirails de tous les faits intéressans de pathologie et de thérapeutique, qu'on trouve disséminés et confondus dans les écrits périodiques, parmi une foule d'objets étran- gers, en quelque sorte, à la pratique de l'art. Il fait connaître les diverses méthodes de trai- tement, nouvelles et perfectionnées, et les observations qui les étayent, le tout classé par ordre d'analogie, ce qui met le praticien à même de juger sainement de leur mérite res- pectif et du fruit qu'il peut en tirer. Cet ouvrage enfin présente, dans un seul volume, au- tant de documens pratiques qu'en renferment les douze ou quinze journaux qui se publient par an en FraAce. L'AnnuaiRe mÉdico-chirurgic,4^l est divisé en deuv parties : la première, consacrée à la clinique interne ou médicale ; la deuxième , à la clinique externe ou chirurgicale. A com- mencer de l'anne'e l832 , que nous annonçons, trois additions, importantes ont été faites; la première , destinée à faire connaître le perfectionnement de Vophlhalmologii; , cultivée avec tant de soin par nos voisins les savans d'Allemagne et d'Angleterre ; la deuxième, les utiles modifications apportées aux machines et procédés orthopédiques , heureusement pour la science , rentrés dans le domaine de la médecine, ap^ès avoir été si long-temps la proie du plus lionteus chai-latinisme; la troisième ae compose de notices nc'crologiques sur les priii- cipaus: riédccins français et élranjjers morts dans l'année. Uice table analytique des matières, par ordre alphabétique, donne la plus grande facilité pour trouver sur-le-champ les objfts dont il est traité dans l'ouvrage. Ce recueil est com- posé d'un volume in-8" d'environ 700 pages. Il se publie lous les ans au mois d'avril ou mai, et rend compte des journaux publiés dans le cours de l'année écoulée. ART (L') D'ÉLEVER LES ENFA.NS, considérations sur l'éducatioa physique et morale, dédié aux pères et aux mères; par M. Frois- sent, professeur, auteur de plusieurs ouvrages, i vol. in-8. 5 fr. ART DE FORMULER (L'), ou Tableaux synoptiques des doses des médicamens et des formes pharmaceutiques sous lesquelles ils doi- vent être administrés; ouvrage utile aux jeunes praticiens et aux élèves qui se disposent à subir leur quatrième examen de médecine. 1 vol. in- 18, br. 3 fr. Le jeune praticien est souvent .arrêté par la difficulté de rédiger une formule d'une ma- nière confo^-me aux règles de l'art; lui frayer une roule facile à suivre, tel est le but que nous nous sommes proposé d'atteindre en publiant ce travail. Nous l'avons divisé en quatre parties. Nous donnons dans la première qu^elques généra- lités sur le médicament et sur les différentes formes pharmaceutiques, des règles sur 1 art de formuler, et nous y expliquons le mode d'emploi de nos tableaux synoptiques. Ces tableaux constituent la seconde partie. La troisième contient \es formules consacrées., c est- 5-dire celles qui indiquent la composition des médicamens journellement employés dans ^es hôpitaux, etc. Enfin la quatrième partie., ou Vocabulaire, est destinée à quelques particula- rités sur les agens thérapeutiques meationnés dans les tableaux, telles que leurs noms la- tins, les dénominations diverses spus lesquelles plusieurs d'entre eux sont connus, les prin- cipes actifs de certaines substances, la composition des principaux sirops, des principales teinture.'!, etc. * Lor.sque, dans le cours de nos études médicales, nous eûmes à nous occuper de l'art de formuler, quelques essais suEnrent pour nous convaincre que la posologie exigeait seule ua travail long et pénible. C'est alors que nous imaginâmes des tableaux synoptiques. Les avantages nombreux qu ils nous ont procurés nous autorisent à regarder cette manière de présenter les doses comme plus simple que celles qui ont été adoptées par les auteurs. Pro- bablement notre ouvrage serait toujours resté inconnu, si plusieurs de nos condisciples, à qui il fut communiqué, ne nous eussent assuré de son utilité incontestable. C'est sur leur invitation et celle de quelques médecins qui furent nos maîtres, qu'aujourd'hui nous pu- blions cet opuscule. Si les jeunes praticiens peuveat retirer quelque utilité du travail que nous leur offrons, nous serons dédommagés des peines qu il nous a coi^itées. ( Préface de l'ouvrage. ) COURS DE CHIMIE, professé à la Faculté des sciences, comprenant j'histoire des sels, la Chimie végétale et animale; par M. Gay- Z-tf.î,yac, membre de l'Institut, a vol in-8, br. i 5 fr. La Chimie est devenue de nos jours une science si importante, on peut même dire si in- dispensable pour la plupart des professions, que les efforts faits pour en propager la con- naissance ne pouvaient rester sans succès ; aussi le cours d'un professeur aussi illustre que M. Gay-Lu.?sac en obtient-il un bien mérité. Cet ouvrage est traité avec une étendue et une perfection qui ne lais.sent rien à désirer. Toutes les découvertes faites récemment par les savans étrangers y sont surtout détaillées avec le plus grand soin; et l'on possède ainsi un tableau complet des parties les plus im- portantes de la Chimie en Europe. COURS DE CHIMIE GÉNÉRALE, par M. Laiigier, professeur de Chimie à l'Ecole de Pharmacie de Paris et au Jardin du Roi. 3 vol. in-8 et atlas. 18 fr. — 3 — Cet ouvragB, reprodutliùh fidèle des leçon» faites par M. Laugier au Jardin du Roi, forme ■an traite' élémentaire de Cliimie des plus complets. La clarté et la méthode adoptée dans celte publication la rendent éminemment utile aux élèves qui fréquentent les écoles de Mé- decine et de Pharmacie, et à toutes les personnes qui, par leur profession, doivent avoir quel- ques notions de la Chimie. Cc> traité est encore utile à ceux qui ont étudié celte science, et qui veulent se tenir au ni- veau des nouvelles découvertes; ils y trouveront la description des substances connues de- puis peu de temps. Cette description est faite avec toute la clarté et l'exactitude désirables, ce qui fera adopter ce cours comme ouvrage classique. (^Chevallier, chimiste, membre de l'Académie royale de Médecine.) COURS DE L'HISTOIRE NATURELLE DES MAMMIFÈRES, partie comprenant quelques vues préliminaires.de philosophie naturelle, et l'histoire des singes, des makis, des chauve-souris et de la taupe; servant de complément à l'Histoire naturelle des quadrupèdes de Buffon; par M. Geoffroy Saint-Hilaire, membre de l'Institut, et professeur de Zoologie et d'Anatomie au Jardin du Roi et à la Fa- culté des Sciences, i gros vol. in-S, avec fig. 7 fr. Aucun couis de scienco. n'est susceptible de présenter plus d'intérêt que celui que fait au Jardin du Roi M. Geoffroy Saint-Hilaire. La nature du sujet, si propre à intéresser même les moins doctes, la manière vraiment neuve dont il est tiaité, nous paraissent devoir assurer le succès des Leçons de l'Histoire naturelle des Mammifères. Les savans s'instruiront en prenant connaissance des vues d'un des premiers zoologistes de l'Europe, et les gens du monde pourront se faire une idée des progrès qu'a faits la science depuis Buffon. COURS D'HISTOIRE NATURELLE MÉDICALE. Cet ouvrage est divisé en deux parties. La première traite des corps bruts; la seconde, des corps organisés. PREMIÈRE PARTIE. , __ Corps bruts. ■ On décrit successivement: l° les propriétés générales de la matière et les propriétés secondaires de.s corps ; ces propriétés, envisagées dans leurs rajiports avec l'économie ani- male, constituent une «les branches de l'Histoire naturelle qui porte le nom de Physique médicale. 2° Les propriétés médicamenteuses, vénéneuses et alimentaires des corps, considérées d'une manière générale; on établit la classification de ces différentes propriétés d'après leur mode d'action sur l'économie ani.Tiale; on décrit les différentes formes magistrales et offici- nales des médicamens et on pose les préceptes généraux de l'art de formuler : c'est la Phar^ jnacolugie générale . 3° Oa passe alors à la description des propriétés particulières des corps bruis, propriétés fondées sur leurs actions moléculaires. Quoiqu'il soit impossible d'établir une ligne de dé- marcation bien tranchée entre les corps simples non métalliques et les métaux, on adopte cependant celte division, parce qu'elle règne encore généralement dans les écoles. Aprè.s avoir fait l'histoire de chaque corps simple, on décrit immédiatement, parmi les composes auxquels il donne naissance par sa combinaison avec les autres corps précédemment étudiés, ceux dont la connaissance est indispensable à l'étudiant pour subir ses examens, et au prati- cien dans l'exercice de ^on art. Enfin, cette première partie est terminée par l'histoire des substances chimiques tirées du règne végétal et; du règne animal ;, on a rangé ces substances dans la classe des corps bruts, parce qu'en entrant dans le domaine de la Chimie, elles perdent aussitôt leur carac- tère d'organisation vivante et tombent sans partage sous l'empire des lois pliysiques. C'est la Chimie médicale. .SECONDE PARTIE. Corps organisés. T° On décrit les élémens générateurs de l'organisation ; on fait l'analomie et la physio- logie des plantes, l'histoire des familles du règne végétal qui contiennent des médicamens, des poisons et des alimens, et l'histoire particulière de chacun de ces corps. C'est la Hota- nique médicale. 2.° Oa passe alors à une organisatior» plus compliquée : l'organisation animale. On prend chaque système organique à sa naissance dans le règne animal, et on le suit dans l'échelle zoologique, jusqu' à l'homme ;j>uis on décrit les familles du règne animal, ainsi que les médicamens et les poisons qu'elles fournissent. C'estla^ Zoologie niéilicale. Dans l'histoire de chaque substance voici la méthode que l'on suit : on donne ses noms scientifiques et vulgaires; on fait son historique, on décrit son mode ou ses différens modes de préparation; ses caractères physiques, chimiques, botaniques nu zoologiqucs; son mode d'action sur l'économie animale comme médicament ou comme poison ; ses différentes so- phistications commerciales et les moyens de les constater; enfin, ses diverses préparations magistrales et ofiBcinales, et les doses auxquelles on doit les administrer. Cet ouvrage sera publié en huit livraisons, formant chacune un vo - îuraein-8de 3oo à35opag ,avec planches. Prix de la livraison: 5 fr., et par la poste, 6 fr. La première livraison paraîtra le i5 juillet i833, la seconde à la fin d'août, et les autres successivement de six semaines en six semaines. DE LA VRAIE MÉTHODE D'ENSEIGNEMENT,*Considérations pré- liminaires du Traité complet d'Anatomie descriptive et raisonnée; par le docteur Broc- i vol. in-8, i8 ^3. i fr. 5o c. Cette méthode, entièrement puisée dans la nature , et par là applicable à l'exposition de toutes les sciences, est principalement caractérisée par l'exactitude du rapport qu'elle établit entre l'état intellectuel de celui qui étudie et la nature des connaissances transmises.^e rapport, auquel on ne s'est encore jamais attaché, est tel que l'étude se complique dans la même proportion que l'esprit se développe en s'exerçant, et il doune lieu à des avantages dont voici les principaux : la facilité du travail , l'intérêt qu'il ne cesse d'inspirer, l'élargisse- ment de la manière dont l'esprit voit et considère les choses, son aptitude à saisir ce qu'el- les offrent de plus imporlaul; la nelteté , la persévérance des idées acquises, et la plus grande conformité entre le système qu'elles constituent et celui que forment les objets étudiés. ESSAI TOPOGRAPHIQUE ET MÉDICAL sur 1» régence d'Alger, par /. Fouqueron , chirurgien sous-aide-major, employé à l'armée d'Afrique; in-8, br. • 3 fr. Ce mémoire est un résumé méthodique de ce que l'on possède de plus positif et de plu,«; utile à connaître sur le climat , le sol , les productions et les maladies propres à la régence d'Alger. Nous pouvons assurer d'avance que le travail de M. Fouqueron sera lu avec in- térêt par toutes les personnes curieuses de connaître la statistique physique et morale d'urv pays autrefois si barbare et qui commence à devenir l'égal des mieux civilisés. Cet essai , extrait des Mémoires de médecine et de chirurgie militaires , dont V impression est ordonnèa par le ministre de la guerre , n'a été tiré qu'à un petit nombre d'exemplaires, et la lecture fait regretter qu'il soit aussi concis. MÉMOIRE SURL'HYPONARTHECIE ou sur le traitement des frac- tures par la planchette, avec une nouvelle manière de la suspen- dre et d y assujétir les membres, et la description d'un appareil particulier; ^tav Mathias Major, D.M. chirurgien de l'hôpital du canton de Vaud, etc In-8, avec planches. 2 ir. 5o c. PHYSIOLOGIE DE L'HOMME ALIÉNÉ , appliquée à l'analyse de l'homrne social ; par Scipion Pinel, médecin surveillant des alié- nés de la Salpétrière, chevalier de l'ordre militaire de Pologne, membre de la Société médicale d'émulation In-8. 6 ff. TRAITÉ COMPLET DE PHARMACIE THÉORIQUE ET PRATI- QUE, contenant les élémenà, l'analyse et les formules de tous les médicamens, leurs préparations chimique et pharmaceutique, clas- sée méthodiquement suivant la Chimie moderne, avec l'explica- tion des phénomènes, les propriétés, les doses, les usages, les dé- tails relatifs aux arts qui se rapportent à celui de la Pharmacie et à toutes les opérations; on a joint partout des comparaisons des nouveaux poids et mesures, toutes les prescriptions du nouveau Codex de Paris, et un très-grand nombre d'autres préparations, des figures explicatives, avec beaucoup de tableaux; Par J.-J. J^irej, docteur en Médecine, membre de l'Académie royale de Médecine, membre de la chambre des Députés, ancien pharma- cien en chef du Val'de-Grâce, etc., etc. Quatrième édision, revue, corrigée et augmentée de toutes les découvertes les plus moder- nes. 2 vol. in-»8, avec plusieurs planches. 16 fr. Il 'auteur, l'un clefî plus ancien.s rédacteur.s du Journal de PhnfTnacie , long-lemps secré- iaire de la Seciion de Pharmacie, de l'Académie royale de Médecine, ex-présidenl de U Société des pharmaciens de Paris, et concourant sans cesse, par ses nombreux travaux , aui progrès des sciences exactes, ne pouvait rien négliger pour élever cette quatrième édition de son Traité de pharmacie, à la hauteur des connaissances les plus modernes. Placé au centre des correspondances pharmaceutiques par ses relations étendues, soit en France, soit dans les pays étrangers, il a pnisé à la source desjoiirnaiix scientifiques et des oufvages nouveaux publiés en différentes langues, et a su profiter des avantages de cette position favorable pour améliorer et pour compléter son livre. Il s'est eiForcé d'atteindre enfin ce perfectionnement graduel , mieux que dans tout autre traité du même genre, par les fruits de l'expérience et des précieux renseignemens qu'il a recueillis avec des soins judicieux , comme pharmacien et comme médecin. CONJECTURES SUR LA NATURE DU MIASME PRODUCTEUR DU CHOLÉRA ASIATIQUE, par M É. Moj'on, professeur d'Ana- tomie et de Physiologie à l'université de Gènes, membre de plu- sieurs sociétés, etc.; traduit de l'italien par M. Julia de Fonte- 72e//e, professeur de Chimie médicale, membre de plusieurs sociétés. In-8. 2 fr. COURS OU ÉLÉMENS DE MÉDECINE THÉORIQUE ET PRA- TIQUE, précédé d'un Abrégé de l'histoire de la Médecine depuis son origine jusqu'à nos jours; par A. Bompard , médecin du bu- reau de bienfaisance du cinquième arrondissement, membre de plusieurs sociétés, e!c , etc. hes Étémens de Médecine théorique et pratique se composent de 5 vol. in-8° ; ils paraî- tront par livraison de dix à douze feuilles- Le prix de la souscription est de 3 fr., et de 3 fr. 5o c, franc de port, par la poste. La première livraison, qui donne le commencement de l'histoire de la Médecine, est en vente : les autres se succéderont de six semaines en six semaines. Oc peut souscrire séparément pour Vyjbrègé de l'histoire delà Médecine, qui formera iiii cros volume de 8oO pages environ , en payant g fr. en recevant la première livrai.sou. DESCRIPTION DU FORCEPS INDICATEUR , ou riustruuitni mousse, présentant sur ses branches d'une nicanière claire et pré- cise, tm petit manuel d'accouchement anormal; par M. Audibert, — 6 — de Vins (Var), docteur en njédecine de la Faculté de M. Montpel- lier, etc. lu- 8, avec planches. i fr. 5o c. ESSAI DE THÉRAPEUTIQUE , basée sur la méthode analytique , suivi d'une Notice sur le choléra-morbus, et ses méthodes cura- tives, et' d'un coup-d'œil sur l'emploi des antiphlogistiques ; par Foujol, docteur-médecin, de la Faculté cle Médecine de Mont- pellier; in-8, br. 6 fr. ESSAI SUR UN NOUVEAU MODE DE DILATATION, particuliè- rement appliqué aux rétrécissemens du rectum, 'avec une litho- graphie représentant l'appareil instrumental; par A. Costallat. I vol. in-8. 4 fr. 5o ESSAI MÉDICO LÉGAL SUR LES DIVERSES ESPÈCES DE FOLIE, vraie, simulée et raisonnée ; sur leurs causes et les moyens de les distinguer, sur leurs effets excusans ou atténuans devant les tribu- naux, et sur leur association avec les penchans au crime et plu- sieurs maladies physiques et morales ; par M. le professeur Fodéré, I vol. in-8. 5 fr. ESSAI SUR LA LITHOTRITIE, par A. Benvenuti; mémoire présenté à l'Institut. In-8, avec planches. i fr- 5o c. EXPOSITION D'UNE LOI A LAQUELLE SONT SOUMISES TOU- TES LES COxMBINAISONS DE LA CHIMIE INORGANIQUE, ou Nouvelle doctrine chimique de M. Longchamp. In-8. i fr. LETTRES TOPOGRAPHIQUES ET MÉDICALES SUR VICHY, ses eaux minérales et leur action thérapeutique sur nos organes; par Noyer [Fictor], docteur en Médecine, chirurgien de l'hospice de Vichy, membre de plusieurs sociétés savantes. In-8. 4 fr. MÉDECINE PRATIQUE. — Traité de Pathologie méthodique ou philosophique basé sur l'expérience, par J.-P. Batigne, docteur agrégé et chef des travaux auatomiques à la Faculté de Médecine de Montpellier, ex-premier chirurgien, chef interne à l'Hôtel-Dieu de la même ville, professeur particulier d'Anatomie et de Clinique médicale, etc. 3 vol. in 8. 12 fr. MÉMOIRE SUR LE TRAITEMENT DE LA MALADIE SCROFU- LEUSE, ou Compte rendu des moyens mis en usage et des résul- tats obtenus à l'hôpital des Enfans, division des filles, pendant le printemps et l'été de l'année i83o; par Baudclocque (A.-C.), mé- decin de l'hôpital des Enfans, agrégé de la FacuUé de Médecine de Paris, membre-adjoint de l'Académie royale de Blédecine, etc. In-8j br. 3 fr. 5o c. MÉMOIRE SUR LES ROUTS DE SEINS ou Mamelons artificiels et les Biberons, lu à l'Académie royale de Médecine de Paris, dans les séances des 12 et 19 février i8?>3 ; par L.-C. Der/eiuv, membre titulaire de cette Académie, etc., etc Iu-8. i IV ■^5 c — 7 — MÉMOIRES ET RÉSUMÉS DE MÉDECINE PRATIQUE, D'ANA- TOMIE PATHOLOGIQUE ET DE LITTÉRATURE MÉDICALE, par H. Chauffard, médecin de l'hôpital, des prisons ot du collège d'Avignon, chevalier de la Légion-d'Honneur, ineinbi e de plusieurs sociétés. 2 vol. in 8. br. 12 (V. NOUVEAU MANUEL COMPLET DES ASPIRANS AU DOCTORAT EN MÉDECINE, ou Résumé analytique de toutes les connaissan- ces nécessaires aux élèves pour subir les cinq examens exigés par lés Eacultés de Médecine; par des professeurs agrégés et des doc- teur.'; de la Faculté de Paris, publié sous la direction de M. le doc- teur Vavasseur. 5 vol. grand in- 18. Prix de chaque : 5 fr. 60 c. RÉFLEXIONS PRATIQUES SUR LES MALADIES DE LA PEAU appelées Dartres, sur leurs causes, leur siège, les moyens de guéri- son employés jusqu'à ce jour, et sur une nouvelle méthode de trai- tement appelé traitement par absorption cutanée; par Bidow, cinquième édition, publiée \ist.v de Morainvillt;, médecin. In 8, br. 2 fr. 5o c. SUR LES PRODUITS DE LA COMBUSTION DU SOUFRE, sur les combinaisons de l'oxygène avec le radical du chlore; par M. Long- champ. In-8. I fr. 25 c. SOUS PRSss^ , POUR paraitrî: proci£sax^:emi:b3T. ART D'EMBAUMER LES CADAVRES chez les peuples anciens et modernes; par Julia de Fontenelle, professeur de Chimie méili^ cale, membre de plusieurs sociétés savautes. 1 vol. iu-B d'environ 3oo pages. DE L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE, considérée dans ses vrais rap- ports avec la science des maladies; par Ribes, professeur à la Fa- culté de Médecine de Montpellier. Tome 2% in-8. Le tome I«', publié en 1828, a oLlenu un succès bien mérité. Tout fait espcier que le deuxième volume obtiendra le même accueil. DICTIONNAIRE COMPLÉMENTAIRE' DE CHIMIE, servant de sup- plément au Dictionnaire de Chimie de M. le professeur Pellctan, ainsi quaux divers ouvrages de Chimie qui ont jiaru jusqu'à nos jours ; par M. Julia de Fontenelle, professeur de Chimie n)édi- cale, membre de plusieurs sociétés savantes, etc. Un voL ia-8 ESSAI HISTORIQUE ET PRATIQUE SUR LES MALADIES DE L'UTÉRUS qui se terminent ordinairement par le cancer de cet organe; par P. -F. A Buzin, dooteiir en Médecines membre de la Société médicale d'Émulation. Un vol. in-S. FORMULAIRE GÉNÉRAL DES PRÉPARATIONS CHIMIQUES MODERNE.S employées en Médecine ou suhce|)tibles do l'être ; contenant leur hi.stoire, la manière de les préparer, leuis propriç- — 8 -- tés médicales et leurs effets texicologiques; suivi d'un Essai d'ana- lyse chimique propre à constater et à reconnaître la nature des poisons, avec un Tableau servant à indiquer les chungemens qu'ils éprouvent par les réactifs ; par Julia de Fontenelle, professeur de Chimie médicale, membre de plusieurs sociétés savantes, etc. Un fort vol. in-12. RECHERCHES SUR LES CAUSES qui font le plus souvent échouer l'opération de la cataracte, selon les divers procédés ^ par Canon du Fillards, docteur en Médecine et en Chirurgie, élève du doc- teur Scarpa, oculiste de S. M' le roi deSardaigne, membre de plusieurs sociétés savantes, etc. i vol. in-8 d'environ i5o pages, avec planches. TRAITÉ COMPLET lyANATOMIE DESCRIPTIVE ET RAISON- NÉE ,par M. P.-P. Broc, docteur en Médecine de la Faculté de Paris, professeur d'Anatomie et de Physiologie. 4 y<^l in-8, de 600 pages chacun environ. Le l''' volume renfermera l'examen en grand de l'homme considéré dans ses appareils e* aes fondions. Le 2" volume sera consacré à l'exposition en grand des organes, ainsi qu'aux considéra- tions gène'rales relatives aux divers tissus. Les 3' et 4'' volumes comprendront la description détaillée des organes et les actes qui résultent de leur exercice. La science ainsi présentée sera en rapport avec les divers degrés du besoin qu'on a de la connaître Ainsi les gens du monde trouveront dans le ler volume des connaissances indis- pensables à tout homme qui pense et qui devraient faire partie de l'éducation première ; le 2» volume oiFrira au médecin ce qu'il lui importe le plus de connattre ; enfin, dans les deiis derniers, le chirurgien apprendra ou reverra tout ce qui rend nécessaire l'exercice de son art et principalement la pratique des ope'rations. Le I^' volume^ qui contiendra des planches, paraîtra dans le courant de juillet et pourra être acheté séparément. Les autres volumes seront publiés de trois mois en trois mois. TRAITÉ COMPLET DE L'ART DU DENTISTE, d'après l'état actuel de nos connaissances; par F. Maurj, dentiste de l'école royale polytechnique. Nouvelle édition ; 2 vol. in-8, dont un de plan-- ches. TRAITÉ DES EAUX MINÉRALES NATURELLES, considérées sous les rapports topographiqué, chimique et thérapeutique; contenant l'analyse de la plus grande partie des eattx minérales connues soit en France , soit à l'étranger, par MM. A. Chevallier, chimiste, chevalier de la Légion-d'Honneur, membre du Conseil de salubrité et de l'Académie royale de Médecine; P.-L. Cottereau, docteur en Médecine, abrégé près la Faculté de Médecine de Paris , membre de la Société de Chimie médicale, etc. ; G. Trevel, chimiste, mem- bre de la Société de Chimie médicale, de la Société des Sciences physiques chimiques, arts agricoles et industriels de Paris ; de la Société hygiénique de la même ville, etc. 2 vol. in-8. ADDITIONS AU CATALOGUE PUBLIÉ EN JANVIER DERNIER. ABERCROMBIE, Recherches pathologiques et pratiques sur les ma- ladies de l'encéphale et de la moelle épinière; trad. de l'anglais par Gendrin. Deuxième édition, i83a. In-8, br. 8 fr. AMONDIEU, la Minéralogie enseignée en 24 leçons. i826,in-i2, br., avec planches. '?**"• ANDRY, de la Génération des vers dans le corps de l'homme; de la nature et des espèces de cette maladie. 2 vol. in-ia, fig. 6 fr. — L'Orthopédie, ou l'art de prévenir, corriger dans les enfans les difformités du corps. 2 vol. in- 12, lig. 6 fr. BELLIOL, Mémoire sur un mode nouveau de traitement pour la guérison des dartres i832; iii-8, avec planches color. 4 f''- BÉRA.L, Nomenclature et Classification pharmaceutiques, accompa- gnées d'une nouvelle Méthode de formuler, etc. 1830; in-4°, broch. 12 fr. BERLIOZ, Mémoires sur les maladies chroniques, les évacuations sanguines et l'acupuncture 1816; in-8. 4 fr. 5o c. BERTRAND (Alex), Lettres sur la Physique 1824 ; 2 vol. in-8 et planches. 12 fr. BOIVIN, Recherches sur une des causes les plus fréquentes et les moins connues de l'avortement, etc. 1828; in-8. 4 f""- BONNEFOY, Tableau chimique contenant les corps inorganiques et organiques. Feuille in-fol ; i832. 1 fr Soc. BONNET (A.), Traité des maladies du foie. 1828; in-8, br. 4 f^- -o c. BOURDET, Recherches sur l'art du dentiste. 2 vol. in-12, avec planches. 5 fr. BOURDON, Lettres à Camille sur la Physiologie de l'homme; Expo- sition précise des phénomènes de la vie. i83o; in- 18. 2 fr. 5o c. BRACY- CLARK, Pharmacopée vétérinaire, ou Nouvelle Pharmacie hippiatrique, etc. i829;jn-T2, br. 2 fr BRESCHET, Études anatomiques, physiologiques et pathologiques de l'œuf dans l'espèce humaine et dans quelques-unes des principales" familles des animaux vertébrés. i832 ; in-4°, avec planches. 16 fr, BRONGNIART, Essai d'une classification naturelle des champignons 1824; iu-8, fig. noires. 5 fr, Fig. color. 12 fp.. — Tableau des terrains qui composent l'écorce du globe, ou Essai sur !a structure de la partie connue de la terre. 1S29; in-8, avec des tableaux. • o l'r. • — Introduction à la Minéralogie, ou Exposé des principes de cette science et de certaines propriétés des minéraux. iSaS ; in-8, avec planches. 4 fi'- ^oc BULLIARD, Dictionnaire élémentaire de Botanique, revu par L -C. Richard. 1^00; ïn-?),^^. 6 fr. — Histoire des plantes vénéneuses et suspectes de la France. 1^ édit 1798; in-8. 4 fi'- 5oc. CAMPET, Traité pratique des maladies graves des pays chauds. 1802 , in-8. 5 fr. 5o c. CASSINI, Opuscules phytologiques. 1826; 2 vo!. in-8, fig. i5 fr. CAYOL, Clinique médicale, suivie d'un Traité des maladies cancé- reuses. i833; in-8, br. 7 fi'. CHARPENTIER, Essai sur la constitution géogaostique des Pyrénées ï8o3 ; in-8, avec planches. 4 ^^^ ^" '"• — De la Nature du traitement de la maladie hydrocéphale aiguë (méningo-éphalite des enfans). 1829; ia-8, br. 6 fr. CHARVET, De l'Action comparée de l'opium et de ses principes con- stituans sur l'économie animale. 1826; in-8, br. 5 fr. CHAUBARD, Élémens de Géologie mis à la portée de tout le monde, et offrant la concordance des faits historiques avec les faits géolo- giques. In-8, avec des planches 5 fr. CHEVREUL, Considérations générales sur l'analyse organique et sur ses applications. 1824; in-8. 5 fr. CLARION, Abrégé de Médecine pratique, ou Manuel rédigé d'après les principes de Médecine physiologique. i85i ; in-8, br. 8 fr. COURS (Nouveau) complet d'Agriculture théorique et pratique, ou Dictionnaire raisonné et universel d'Agriculture, Nouv. édit.* 1822. 16 vol. avec figures. i 20 fr. CUVIER, Recueil des Éloges historiques lus dans les séances publi- ques de rinstitut royal de France. 3 vol. in-8. 18 fr. CUVIER (F.), Des Dents des mammifères, considérées comme carac- tères zoologiques. 1826; in-8, eart. aveC io3 planches. 4° ^^'■ CUISINIÈRE (la) de la campagne et de la ville, ou la Nouvelle cui- sine économique, etc. i3*^ édit. i833; in- 12, avec figures. 3 ir D'AUBUISSON DE VOISINS, Traité de Géognosie. 2« édit. 1828, tome 1'", in-8, br. 7 fr. DAUSSE, Nouvelle théorie sur la formation des dartres, des causes • — 1 1 qui îes produisent, et nouveau traitement curatif, etc. i833; in-8, avec planches coloriées. 4 tV. 5oc. DEFRANCE, Tableau des corps organises fossiles 1824; in-8, br. " 3 fr. 5o c. DELABÈRE-BLAINE, Pathologie canine, ou Traité des maladies des chiens, contenant une dissertation très-détaillée sur la rage, etc. ; traduit de l'anglais par Delaguette 1829; in-8, avec planches, br. "^ 6fr. DELA ROCHE, Analyses des fonctions du système nerveux. 1778; 2 vol. in-8. n fr. DELEUZE, Histoire et description du Muséum d'histoire naturelle. i8i3; 2 vol. in-8, avec planches. 12 fr. DEMANGEON, Physiologie intellectuelle, ou Développement du système de Gall. 2' édit. 1808 ; in 8. 8 fr. DESHAYES, Description des coquilles caractéristiques des terrains. i83i; in-8, avec planches. 7 fr. DEVERGIE, Clinique de la maladie siphilitique, avec des observa- tions de MM. Cullerier, Gama, etc. 2 vol. gr. in-/j", etc. 200 fr. DICTIONNAIRE D'AGRICULTURE PRATIQUE, contenantla grande et la petite cultures, l'économie rurale et domestique, la médecine vétérinaire, etc.; par François de Neuf château, Foiteau, etc. 1827; 2'gros vol. in-8, avec des planches. i6 fr» DICTIONNAIRE DES SCIENCES NATURELLES, suivi d'une Bio- graphie des plus célèbres naturalistes. Nouvelle ptiblication. L'ouvrage enlier, 6l volumes de texte et6l cahiers de planches, sera publié en 3o li- vraisons. Chaque livraison estcomposée de 2 vol. et de 2 livr. de planches. Pi-ix du volume. . . . 6 fr. Prix des planches. . . 5 fr. DUFOUR, Essai sur l'étude de l'homme considéré sous le double point de vue de la vie animale et de la vie intellectuelle. 2 vol. in-8, sur pap. fin satiné. 12 fr. DUGES, Mémoire sur la conformité organique dans l'échelle ani- male. i833;in-4", avec planches. 6 fr. DUPUYTREN, Leçons orales de Clinique chirurgicale faites à l'Hôtel- Dieu de Paris. i833; tomes 3 et 4. 16 fr. L'ouvrage complet, 4 vol. in-8. 34 fr. ENTOMOLOGIE, ou l'Histoire nalurelle des insectes enseignée eu quinze leçons Ouvrage contenant les principes élémentaires de cette science, l'histoire des mreurs et des métamorphoses des in- sectes, la méthode de classification de Geoffroy, et une niéthod<.' analytique à l'aide de laquelle on peut seul, et en quelques minu- tes, connaître le nom générique de tour, les insectes connus, etc. Un vol. in-ii;., orné de 76 gravures eu taille douce. 8 fr. FALRET, de l'Hypochondrie et du Suicide, considérations sur les causes, sur le siège et le traitement de ces maladies, sur les moyens d'en arrêter les progrès et d'en prévenir le développement. 1822 ; in-8. 10 fr FODÉRÉ, Manuel des gardes- malades, des gardes des femmes en couches, sages- femmes, etc. 2'=édit. 1827; in- 18, br. 2 Ir. FORGET, Médecine navale, ou Nouveaux éléméns d'Hygiène, de Pathologie, et de Thérapeutique (Médecine chirurgicale), etc. i832; 2 vol. in 8. 14 f""- FRANÇOIS, Essai sur les gangrènes spontanées. i833; in-8 6 f. Soc. GALL (Histoire des penchans et des tentations de l'homme, d'après la doctrine de); ouvrage orné de 20 portraits. i82'';in~8, 4 f"" GALL ET SPURZHEIM, Recherches sur ie système nerveux en gé- néral, et sur celui du cerveau en particulier. i8o9;in-4°, avec planches, br. i5 fr. GENSOUL, Lettre chirurgicale sur quelques maladies graves du si- nus maxilhaire et de l'os maxillaire inférieur. i833; in-8, avec atlas in-(oi. de 8 planches. 7 fr- GRAY, Traité pratique de Chimie appliqué aux arts, aux manufac- tures, à l'hygiène et à Téconomie domestique; trad. de l'anglais par Richard. 1828; 3 vol. in-8, avec un atlas de 100 planches. 33 fr. GUERRY, Essai sur la statistique morale de la France. Grand in-4*» cart. avec planches color. 18 fr. GUILLOUD, Traité de Chimie appliquée aux arts et métiers, et prin- cipalement à la fabrication des acides sulfurique, nitrique, etc. 2 vol. in-12, avec planches. 10 fr. . — Traité de Physique appliquée aux arts et métiers et principalement à la construction des fourneaux, etc. i gros vol. in-12, avec plan- ches. 5 fr. ôo c. HATIN, Chirurgie pratique, ou Choix d'observations cliniques re- cueillies à l'Hôtel-Dieu de Paris, dans le service de M. Dupuytren. t832; in-8, br. 6 fr. HERVÉ, Chimie du fer d'après Berzélius, trad. de l'allemand. 1826; in-8. , 3 fr. 5o c. HUMBERT, Manuel pratique des maladies de la peau appelées syphy- lides, d'après les leçons cliniques de M. Biett. î833; in-18. 2 fr. HUMBOLDT, Essai géognostique sur le gisement des rochers dans les deux hémisphères. 2^ édit. 1820; in-8. 7 fr. JOBERT, Plaies d'armes à feu, Mémoire sur la cautérisation et Des- cription d'un spéculum à bascule. i833;in-8, tig. 7 fr. Soc. JUVILLE, Traité dos bandages herniaires. 1786 ; in-8, avec planches coloriées. 7 f' ■ KUNTH, Synopsis plantarum quas in itinere ad plagam sequiuoctia- lem orbis novi coilegerunt Al. de Humboldc ef A. Bompland 1828- 24. 4 vol. in-8, br. 4^^ f''- LAFOSSE, Guide du maréchal. In- 8, avec planches, br. 6 fr. LAUTH, Nouveau manuel de l'anatomiste. 1829; i gros vol. in-8, avec planches. 10 fr. LEBLANC, Précis d'opérations de Chirurgie. 1776, 2 vol. in-8, avec planches. ' 12 fr. LECOQ ET JUILLET, Dictionnaire raisonné des termes de Botanique et des familles naturelles, etc. i83i ; in-8, br. 9 fr. LESSON, Traité d'Ornithologie, ou Description des oiseaux réunis dans les principales collections de France. i83i; 2 vol. in-8, dont un de planches. Figures noires. 4^ fr. Figures coloriées. 120 fr. LOBSTEIN, Essai sur la nutrition du foetus. 1802, avec planches in-40. , 5 ff. — Traité d'Anatomie pathologique. 182g; 3 vol. in-8. Le tome i^"^ est publié. 7 fr, 5o c. — Planches color. laliv. in-fol. de publ. i, 2, 3. Prix de chaque: 12 f. LOMBARD, Clinique chirurgicale des plaies faites par les armes à feu. In 8, '4 fr. — Clinique chirurgicale relative aux plaies. In-8, br. 4 f""- — Clinique des plaies récentes où la suture est utile, de celles où elle est abusive. In-8, br. [^ fr. LONGCHAMP , Analyse des eaux minérales et thermales de Vichy, faite par ordre du gouvernement. 1826; in-8. 3 fr. 5o c. — Analyse de l'eau minérale sulfurique d'Enghien, faite par ordre du gouvernement. 1825 ; in-8. 3 ie. 5o c. LORRY, de Melancholia et morbis meîancholicis. ? ^fol. in-8. i5 fr. Essais sur les alimens. 2 vol- in-12. 6 fr. MAGENDIE, Précis élémentaire de Physiologie. Troisième édit. i833; 2 vol. in-8, avec planches. 16 fr. MARTINI, Elementa Physiologiae ad usum prselectionum academica- rum. Editio altéra Taurini 1827 et 1828; 2 vol. in-8. 10 fr. MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE DE PARIS. Tome 1", publié en 4 fascicules in-4°, avec planches. 20 fr. MÉMOIRES DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE de la Société d'Arcueil. 1807 a 1817; 3 vol. in-8,br. 27 fr. MÉRAY, Recherches géologiques et philosophiques sur le refroidis- sement animal improprement appelé choléra-morbus; sa cause es- sentielle, ses effets, son traitement i833; in-8. 2 fr. 5o c. - i4 - MILLAR, Éiéniens de Chimie praùfnie appliquée aux arts et manu- factures; trad. de l'anglais par Coulier. l'oSa; in-8, avec des plau- ches. y 6 IV. MIRBEL, Élémens de Physiologie végétale et de Botanique. i8i5; 3 vol. in-8, avec planches. . ^5 fr. MOIROU, Traité élémentaire de matière végétale vétérinaire, suivi d'un formulaire pharmaceutique raisonné, etc. i83o; in-8. 8 fr. MONDAT, de la Stérilité de l'homme et de la femme, et des moyens d'y remédier. i8o3; If' écVn. in-8, fig. 5 fr. 5o c. MOUTON-FONTENILLE, Traité élémentaire d'Ornithologie, suivi de l'Art d'empailler les oiseaux. i8i i ; 3 vol. in-8, avec planches. 8 fr. — L'Ai't d'empailler les oiseaux, contenant des principes de théorie nouveaux, etc. i8i i ; in-8, fig. 2 fr. 5o c OMALIUS D'HALLOY, Élémens de Géologie. i83i ; in-8, fig. 7 f. Soc. PAIULARD , Relation chirurgicale du siège de la citadelle d'Anvers.. i833; in-8. 3 fr. 5o c. PARISET, Éloges lus aux séances de l'Académie royale de Médecine, et Histoire médicale de la fièvre jaune qui a régné en Catalogne on 1821. 1826 ; in-8. 7 ff PARKES, Chimie des gens du monde; ouvrage traduit de l'anglais sur la neuvième édition, par Rifaut, 1 vol- in-8. 10 Ir. PARMENTIER ET DEYEUX, Précis d'expériences et observations sur les différentes espèces de lait. In-8, br. 4 ff- PIORRY, Du procédé opératoire à suivre dans l'exploration des or- ganes par la percussion médiate, etc. i83T;in-8. 6 fr. — Clinique médicale de l'hôpital de la Pitié et de l'hospice de la Sal- pétrière, en i852. In-8, br. 7 fr. POUJOL, Essai de Thérapeutique, basé sur la méthode analytique ; suivi d'une Notice sur le choléra-morbus et ses méthodes cura- tives, etc. 1832; in-8. 6 fr. PITGNET, Mémoire sur les fièvres de mauvais caractère du Levant et des Antilies, etc. In-8, fig- 4 ^''• RASPAIL, Nouveau système de Chimie organique, fondé sur des mé- thodes nouvelles d'observations. 1833; in-8, avec 12 planches, dont 6 coloriées. 10 fr. RIGBY ET DUNCA^N, Nouveau traité sur les hémorrhagies de l'uté- rus; Irjid. de l'anglais par M. Boivin. 1818; in-8, br. 6 fr. 5o c. RISSO (A), Histoire naturelle des principales productions de l'Europe méridionale et particulièrement dé celles des environs de Nice et ID tles Alpes maritimes. 5 vol. in-8, ornés de 4^ planches et de dcnx cartes géologiques Planches noires. 67 (r. 5o c Planches coloriées iBSfr. ROBERT, Recherches et considérations critiques sur le magnétisme animal. 1824 ; in-8, br. 6 (v7 ROGER, Traité des effets de la musique sur le corps humain ; traduit du latin par E. Sainte-Marié. i8o3 ; in-8. 4 ^^- 5o c. SALMADE, Précis d'observations pratiques sur les maladies de la lymphe ou affections scrofuleuses et rachitiques, etc. 2«édit. i8io; in-8, br. 4 fr. SCHWILGUÉ, Traité de matière médicale. 3" édit. 1818; 2 vol. in-8, br. 12 fr. SMTSTERE, Tables synoptiques de l'histoire naturelle pharmaceu- tique et médicale. 2.'^ édit. gr. in-8, avec beaucoup de planches. 9 f. STEIN, L'art d'accoucher, suivi d'une Dissertation sur la fièvre puer- pérale, par Gasc. 1804 ; 2 vol. in-8, avec planches. 9 fr. SYDENHAM, OEuvres de Médecine pratique. Nouv. édit. revue par Baumes; 1816; 3 vol. in-8, br. 12 fr. TEMMINCK, Manuel d'Ornithologie, ou Tableau systématique des oiseaux qui se trouvent en Europe, etc. 2« édit.; 2 vol. in-8, br. i5 fr. VAUCHER, Histoire des conserves d'eau douce, contenant leurs dif- férens modes de reproduction et la description de leurs espèces. i8o3;in-4°, avec planches. 12 fr. YELPEAU, Embryologie ou Ovologie humaine, contenant l'histoire descriptive et iconographique de l'œuf humain. i833; in-fol., avec i5 planches. 25 fr. VICQ-D'AZYR, Traité d'Anatomie et de Physiologie. 1786; in-fol. fig. color. 120 fr. — >( OEuvres de), recueillies et publiées par Moreau. i8o5;6vol. in-80 et atlas, br. 48 fr. WILDENOW, Historia amaranthorum, cum tabulis xn aeneis pictis 180!); in-fol. 36 fr. DE LA SOCIETE DES SCIENCES PHYSIQUES, CHIMIQUES, ET ARTS AGB.ÎCOI.ES ET INDUSTRIEIiS, OFfRANT UN RÉSUMÉ Des découvertes, perl'.clionnemens et progrès de tontes les connaissances utiles et usuelles propres à améliorer les besoins de la vie et à utiliser les diverses productions de la nature. L'accroîssemenc rapide qu'a pris la Société des sciences physiques, chiiTiiqnes et arts industriels de Pans, et les prix nombreux qu'elle décerne annuellement aux divers travaux qui lui sont adressés, ont placé cette savante réunion parmi celles de la capitale qui exercent la plus grande influence sur les progrès des sciences et des arts. Riche de tous ces envois, la Société a pensé que leur publication ne pourrait tourner qu'au profit de la science, et remplir les vues de ses collaborateurs. Ce journal embrasse les diverses branches de la mé- decine et de l'histoire naturelle, la physique, la chimie, l'agricul- ture, l'économie rurale et domestique, la médecine vétérinaire, l'hydrographie , la géographie physique, la statistique et les arts chimiques et industriels. L'on y rend compte également des travaux des sociétés savaiites et des ouvrages nouveaux. L'on voit, d'après cet exposé, que ce recueil, mis à la portée de toutes les classes de la société', présente un résumé de toutes les connaissances usuelles et utiles propres à améliorer les divers besoins de la vie, et à utiliser toutes les productions de la nature, comme son titre l'indique. ^ Le Journal des Sciences physiques, chimiques, etc,, parait tous les mois par cahiers de dem feuilles à deux feuilles et demie en petit-texte, de manière à offrir le plus grand nombre «i'articles dans le minimum de pages : milita paucis. PRIX DE L'ABONNEMENT : 10 francs par an, franc de port pour toute la France, 12 francs pour l'étranger. Les lettres, mémoires et observations , ainsi que toutes les demandes pour les instrumens et appareils de physique, clniiiie , agriculture, réaclijs, mèdicamens dits chimiques, eiijin pour tous les docu/ncns scientifiques ou industriels , doivent être adressés , franc de port^ à M. JuLI.^ DE FoNTENELLE , rue Saiiit-Andrè-des-Arts , 58, rédacteur en chef du Journal. Imprimerie de DUGESSOIS, quai des Aiigustins , 55. »-*r t^ '%